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le diademe de beryls.. - 1S2 - lambert

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Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock HolmesSherlock HolmesArthur Conan Doy<strong>le</strong>Le diadème <strong>de</strong> Béryls-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------– Holmes, dis-je un matin que, <strong>de</strong>bout dans notre bow-window, je regardaisen bas dans la rue. Voici un fou qui passe. C’est pitoyab<strong>le</strong>, quand on ysonge, que sa famil<strong>le</strong> <strong>le</strong> laisse déambu<strong>le</strong>r seul ainsi.Mon ami quitta nonchalamment son fauteuil et, <strong>le</strong>s mains enfoncées dans <strong>le</strong>spoches <strong>de</strong> sa robe <strong>de</strong> chambre, s’approcha pour regar<strong>de</strong>r par-<strong>de</strong>ssus monépau<strong>le</strong>.On était au mois <strong>de</strong> février, il faisait un temps clair et froid, et la neige,tombée en abondance la veil<strong>le</strong>, recouvrait encore <strong>le</strong> sol d’une couche ouatéequi scintillait sous <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il d’hiver. Au milieu <strong>de</strong> la chaussée, el<strong>le</strong> avait étéréduite à l’état <strong>de</strong> boue brunâtre par <strong>le</strong> passage <strong>de</strong>s voitures, mais, sur <strong>le</strong>scôtés et sur <strong>le</strong>s tas où on l’avait rejetée au bord <strong>de</strong>s trottoirs, el<strong>le</strong> était<strong>de</strong>meurée aussi blanche que si el<strong>le</strong> était toute récente. Le bitume avait éténettoyé et gratté, mais la surface n’en <strong>de</strong>meurait pas moins glissante, <strong>de</strong>sorte que <strong>le</strong>s passants étaient plus rares que <strong>de</strong> coutume, à tel point mêmequ’il ne venait absolument personne du côté <strong>de</strong> la station du chemin <strong>de</strong> fermétropolitain, à part cet homme dont <strong>le</strong>s manières excentriques avaient attirémon attention.Il pouvait avoir une cinquantaine d’années. Il était grand, fort et d’aspectimposant avec une grosse figure aux traits accusés et à l’expressionautoritaire. Vêtu avec une sévérité qui n’excluait pas l’élégance, il portaitune redingote noire, un chapeau <strong>de</strong> soie aux ref<strong>le</strong>ts étincelants, <strong>de</strong>s guêtresbrunes impeccab<strong>le</strong>s et un pantalon gris per<strong>le</strong> d’une coupe parfaite.- 1 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock HolmesCependant son allure contrastait singulièrement avec la dignité <strong>de</strong> saphysionomie et <strong>de</strong> sa mise, car il courait très vite, en faisant par moments <strong>de</strong>petits bonds, comme quelqu’un qui n’est pas habitué à un pareil effort. Et,tout en courant, il <strong>le</strong>vait et abaissait <strong>le</strong>s mains avec <strong>de</strong>s gestes saccadés,secouait sa tête en tous sens et se contorsionnait <strong>le</strong> visage d’une façonextraordinaire.– Que diab<strong>le</strong> peut-il bien avoir ? murmurai-je. Il a l’air <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r <strong>le</strong>snuméros <strong>de</strong>s maisons.– Je crois que c’est ici qu’il vient, dit Holmes en se frottant <strong>le</strong>s mains.– Ici ?– Oui, j’ai idée qu’il vient me consulter. Il y a <strong>de</strong>s symptômes sur <strong>le</strong>squelson ne se trompe pas. Tenez ! Que vous disais-je ?De fait, l’homme, tout en soufflant comme un phoque, se précipita au mêmemoment vers notre porte et se mit à carillonner <strong>de</strong> tel<strong>le</strong> façon que tous <strong>le</strong>séchos <strong>de</strong> la maison furent réveillés.Quelques instants après, il faisait irruption dans la pièce où nous étions,toujours soufflant, toujours gesticulant, mais avec une tel<strong>le</strong> expression <strong>de</strong>souffrance et <strong>de</strong> désespoir que nos sourires firent aussitôt place à lastupéfaction et à la pitié. Pendant un bon moment, il <strong>de</strong>meura incapab<strong>le</strong>d’articu<strong>le</strong>r un seul mot, se balançant <strong>de</strong> droite et <strong>de</strong> gauche et s’arrachant <strong>le</strong>scheveux comme un homme qui a complètement perdu la tête. Puis, seremettant d’un bond sur pied, il se cogna <strong>le</strong> front contre <strong>le</strong> mur avec une tel<strong>le</strong>force que nous nous élançâmes vers lui pour <strong>le</strong> retenir et <strong>le</strong> ramener vers <strong>le</strong>centre <strong>de</strong> la pièce.- 2 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock HolmesSherlock Holmes <strong>le</strong> poussa dans un fauteuil et, s’asseyant à côté <strong>de</strong> lui, semit à lui tapoter <strong>le</strong>s mains et à lui par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> ce ton affab<strong>le</strong> et apaisant dont ilsavait si bien se servir.– Vous êtes venu me trouver pour me conter votre histoire, n’est-ce pas ? luidit-il. Mais, en ce moment, vous êtes fatigué d’avoir trop couru. Alors,prenez votre temps, reposez-vous un peu ; vous m’expliquerez ensuite <strong>de</strong>quoi il s’agit et, si je puis vous sortir d’embarras, comptez sur moi.L’homme continua <strong>de</strong> ha<strong>le</strong>ter pendant une ou <strong>de</strong>ux minutes encore,cherchant visib<strong>le</strong>ment à maîtriser la vio<strong>le</strong>nte émotion à laquel<strong>le</strong> il était enproie. Puis il s’essuya <strong>le</strong> front avec son mouchoir, serra <strong>le</strong>s lèvres et setourna vers nous.– Vous me prenez sans doute pour un fou, n’est-ce pas ? dit-il.– Je pense plutôt qu’il a dû vous arriver un grand malheur, répliqua Holmes.– Ah ! vous pouvez <strong>le</strong> dire !… Un malheur si soudain et si terrib<strong>le</strong> qu’il y a<strong>de</strong> quoi en perdre la raison. Le déshonneur, je l’aurais subi s’il l’avait fallu,bien que j’aie toujours marché jusqu’ici la tête haute. Un chagrin intime, jem’y serais éga<strong>le</strong>ment résigné ; n’en avons-nous pas tous notre part ici-bas ?Mais <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux réunis et sous une forme aussi effroyab<strong>le</strong>, c’est trop ! Lecourage me manque. Et puis, il n’y a pas que moi en cause. Si l’on ne trouvepas moyen <strong>de</strong> remédier à cette horrib<strong>le</strong> affaire, <strong>le</strong>s plus hauts personnagesd’Ang<strong>le</strong>terre eux-mêmes auront à en pâtir.– Je vous en prie, monsieur, remettez-vous, reprit Holmes, et expliquez-moiclairement qui vous êtes et ce qui vous est arrivé.- 3 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– Mon nom ne vous est probab<strong>le</strong>ment pas inconnu, reprit notre visiteur. Jesuis A<strong>le</strong>xan<strong>de</strong>r Hol<strong>de</strong>r, <strong>de</strong> la Banque Hol<strong>de</strong>r et Stevenson, dansThreadneed<strong>le</strong> Street.Ce nom nous était, en effet, très familier, puisque c’était celui du principalassocié <strong>de</strong> l’une <strong>de</strong>s plus importantes banques privées <strong>de</strong> la Cité <strong>de</strong> Londres.Que s’était-il donc passé pour que l’un <strong>de</strong>s premiers citoyens <strong>de</strong> Londres setrouvât en aussi mauvaise passe ? Nous attendions, tout palpitants <strong>de</strong>curiosité. Enfin, faisant un nouvel effort, notre visiteur parvint à se reprendresuffisamment pour être en état <strong>de</strong> commencer son récit.– Je me rends compte qu’il n’y a pas <strong>de</strong> temps à perdre, nous dit-il, et je suistout <strong>de</strong> suite parti à votre recherche lorsque l’inspecteur <strong>de</strong> police m’aconseillé <strong>de</strong> solliciter votre concours. Je suis venu à Baker Street par <strong>le</strong>chemin <strong>de</strong> fer souterrain, et j’ai fait <strong>le</strong> reste du chemin au pas <strong>de</strong> course, car<strong>le</strong>s cabs ne vont pas vite par ce temps <strong>de</strong> neige. Voilà pourquoi vous m’avezvu arriver si essoufflé, car je n’ai pas l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> prendre beaucoupd’exercice. Mais je commence à me sentir mieux à présent, et je vaism’efforcer <strong>de</strong> vous exposer <strong>le</strong>s faits aussi brièvement et en même tempsaussi clairement que possib<strong>le</strong>.« Vous n’ignorez certainement pas que l’une <strong>de</strong>s premières conditions <strong>de</strong>réussite pour un établissement <strong>de</strong> crédit est <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s placementsrémunérateurs pour <strong>le</strong>s fonds dont il dispose et <strong>de</strong> chercher à augmenter <strong>le</strong>plus possib<strong>le</strong> ses relations et <strong>le</strong> nombre <strong>de</strong> ses déposants. L’un <strong>de</strong>splacements <strong>le</strong>s plus lucratifs rési<strong>de</strong> dans <strong>le</strong>s prêts d’argent contre garantiesabsolument sûres. Nous avons effectué beaucoup d’opérations <strong>de</strong> cet ordreau cours <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières années, et nombreuses sont <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>sappartenant à l’aristocratie auxquel<strong>le</strong>s nous avonsavancé <strong>de</strong> grosses sommes contre <strong>le</strong>s garanties offertes par <strong>le</strong>urs ga<strong>le</strong>ries <strong>de</strong>tab<strong>le</strong>aux, <strong>le</strong>urs bibliothèques ou <strong>le</strong>ur orfèvrerie.- 4 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes« Hier matin, alors que j’étais dans mon bureau à la banque, un <strong>de</strong> nosemployés me remit une carte <strong>de</strong> visite. Je bondis en lisant <strong>le</strong> nom, car c’étaitcelui… Mais peut-être vaut-il mieux que je ne vous <strong>le</strong> répète pas, même àvous, et je me contenterai <strong>de</strong> vous dire que c’était un nom universel<strong>le</strong>mentconnu, un <strong>de</strong>s noms <strong>le</strong>s plus illustres d’Ang<strong>le</strong>terre. J’en fus tel<strong>le</strong>mentinterloqué que, lorsque mon visiteur se présenta, je trouvai à peine <strong>le</strong>s motsqu’il fallait pour lui exprimer à quel point j’étais flatté d’un tel honneur ;mais il m’interrompit tout <strong>de</strong> suite pour m’exposer immédiatement <strong>le</strong> but <strong>de</strong>sa démarche avec l’empressement que l’on met à se débarrasser d’une tâchedésagréab<strong>le</strong>.« – Monsieur Hol<strong>de</strong>r, commença-t-il, j’ai entendu dire que vous consentiez<strong>de</strong>s avances d’argent.« – Notre maison <strong>le</strong>s consent lorsque <strong>le</strong>s garanties sont bonnes, répondis-je.– J’ai besoin <strong>de</strong> cinquante mil<strong>le</strong> livres, reprit-il, et il me <strong>le</strong>s faut séancetenante. Naturel<strong>le</strong>ment je pourrais m’adresser à n’importe <strong>le</strong>quel <strong>de</strong> mesamis, qui me prêterait cette somme dix fois pour une, mais je préfèrem’adresser à une banque et traiter l’affaire moi-même. Quand on occupe unesituation comme la mienne, il va <strong>de</strong> soi que l’on ne tient pas à avoird’obligations envers personne.« – Et pour combien <strong>de</strong> temps désireriez-vous faire cet emprunt ?m’informai-je.– J’ai une très forte somme à toucher lundi prochain, et, à ce moment, jeserai très certainement en mesure <strong>de</strong> vous rembourser ce que vous jugerezbon <strong>de</strong> me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r. Mais ce qui est absolument indispensab<strong>le</strong>, c’est que jedispose tout <strong>de</strong> suite <strong>de</strong> la somme que je vous ai indiquée.« – Je me ferais un plaisir <strong>de</strong> la pré<strong>le</strong>ver immédiatement sur mes fondspersonnels pour ne pas vous faire attendre, répondis-je, mais cette somme- 5 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmesdépasse <strong>de</strong> beaucoup mes disponibilités. D’autre part, si je vous consenscette avance au nom <strong>de</strong> notre établissement, je me verrai dans l’obligation,par égard pour mon associé, <strong>de</strong> prendre, même vis-à-vis <strong>de</strong> vous, toutes <strong>le</strong>sgaranties d’usage.« – Je préfère <strong>de</strong> beaucoup qu’il en soit ainsi, dit-il en mettant sur sesgenoux un grand écrin carré en maroquin noir qu’il avait déposé à côté <strong>de</strong> sachaise en entrant. Vous avez sans nul doute entendu par<strong>le</strong>r du diadème <strong>de</strong>béryls ?« – L’un <strong>de</strong>s plus précieux joyaux <strong>de</strong> la Couronne ? hasardai-je.« – Précisément.« Il ouvrit l’écrin, et je vis apparaître, étalé sur un fond <strong>de</strong> velours fincou<strong>le</strong>ur chair, l’incomparab<strong>le</strong> joyau dont il venait <strong>de</strong> me par<strong>le</strong>r.« – Il y a trente-neuf énormes béryls, poursuivit-il, et <strong>le</strong> prix <strong>de</strong> la montureen or est incalculab<strong>le</strong>. En l’estimant au plus juste, ce diadème représente <strong>le</strong>doub<strong>le</strong> <strong>de</strong> la somme que je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, et je suis prêt à vous <strong>le</strong> laisserentre <strong>le</strong>s mains à titre <strong>de</strong> garantie.« Je restai un moment hésitant, regardant alternativement mon illustrevisiteur et <strong>le</strong> précieux écrin qu’il m’avait mis entre <strong>le</strong>s mains.« – Vous doutez <strong>de</strong> sa va<strong>le</strong>ur ? questionna-t-il.« – Pas <strong>le</strong> moins du mon<strong>de</strong>. Je me <strong>de</strong>mandais seu<strong>le</strong>ment…- 6 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes« – Si j’avais <strong>le</strong> droit d’en disposer ainsi ? Rassurez-vous, jamais je n’auraissongé un seul instant à <strong>le</strong> faire si je n’avais eu la certitu<strong>de</strong> absolue <strong>de</strong>pouvoir vous <strong>le</strong> reprendre dans quatre jours. Si je vous <strong>le</strong> laissemomentanément ainsi, c’est uniquement pour la forme. Trouvez-vous que cesoit un gage suffisant ?« – Amp<strong>le</strong>ment suffisant.« – Rappe<strong>le</strong>z-vous, monsieur Hol<strong>de</strong>r, que je vous donne là une très gran<strong>de</strong>preuve <strong>de</strong> confiance, basée exclusivement surl’éloge que l’on m’a fait <strong>de</strong> vous. Je vous recomman<strong>de</strong> non seu<strong>le</strong>ment d’êtrediscret afin que cette histoire ne parvienne aux oreil<strong>le</strong>s <strong>de</strong> personne, maisencore et surtout <strong>de</strong> veil<strong>le</strong>r avec <strong>le</strong> plus grand soin sur ce diadème, car il vasans dire que cela provoquerait un gros scanda<strong>le</strong> s’il était endommagé d’unefaçon quelconque. Le plus léger acci<strong>de</strong>nt serait presque aussi grave que saperte tota<strong>le</strong>, car, comme il n’existe pas au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> béryls comparab<strong>le</strong>s àceux-ci, il serait impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>le</strong>s remplacer. Mais j’ai entière confiance envous, et je viendrai vous <strong>le</strong> réclamer moi-même lundi matin.« Voyant que mon client avait hâte <strong>de</strong> s’en al<strong>le</strong>r, je ne lui <strong>de</strong>mandai pasd’autres explications, et, appelant mon caissier, je lui donnai ordre <strong>de</strong> versercinquante mil<strong>le</strong> livres. Mais, une fois seul, avec <strong>le</strong> précieux écrin sur la tab<strong>le</strong><strong>de</strong>vant moi, je ne pus me défendre d’une certaine angoisse en réfléchissant àl’énorme responsabilité que je venais d’assumer. Il était bien évi<strong>de</strong>nt que, cejoyau faisant partie <strong>de</strong>s biens nationaux, un épouvantab<strong>le</strong> scanda<strong>le</strong> seproduirait s’il lui arrivait malheur. Je regrettais déjà sincèrement d’avoirconsenti à m’en charger. Mais, comme il était désormais trop tard pour meraviser, je me contentai <strong>de</strong> l’enfermer dans mon coffre-fort particulier et meremis au travail.« Quand vint <strong>le</strong> soir, je me dis qu’il serait impru<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> laisser <strong>de</strong>rrière moidans mon bureau un objet aussi précieux. Nombre <strong>de</strong> banquiers ont étécambriolés déjà, et ce qui était arrivé à d’autres pouvait tout aussi bien- 7 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmesm’arriver à moi. Dans quel<strong>le</strong> situation terrib<strong>le</strong> ne me trouverais-je pas enpareil cas ? Je décidai donc que, pendant ces quelques jours, j’emporteraistoujours l’écrin à l’al<strong>le</strong>r et au retour afin <strong>de</strong> ne pas <strong>le</strong> perdre <strong>de</strong> vue uninstant, et, dès ce soir-là, je pris un cab afin <strong>de</strong> <strong>le</strong> ramener chez moi, àStreatham. Ce n’est qu’après avoir enfermé l’écrin à clé, au premier étage,dans <strong>le</strong> bureau <strong>de</strong> mon cabinet <strong>de</strong> toi<strong>le</strong>tte, que je commençai à respirer pluslibrement.« Et maintenant, un mot sur ma maison, monsieur Holmes, car je tiens à ceque vous vous fassiez une idée très nette <strong>de</strong> la situation. Mon garçond’écurie et mon groom couchent au-<strong>de</strong>horset sont, par conséquent, hors <strong>de</strong> cause. J’ai trois servantes qui sont chez moi<strong>de</strong>puis <strong>de</strong>s années et dont l’honnêteté est au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> tout soupçon. Uneautre, Lucy Parr, la secon<strong>de</strong> femme <strong>de</strong> chambre, n’est à mon service que<strong>de</strong>puis quelques mois. Mais el<strong>le</strong> s’est présentée avec <strong>de</strong>s certificatsexcel<strong>le</strong>nts et m’a donné jusqu’ici entière satisfaction. C’est une fort joliefil<strong>le</strong>, qui a beaucoup d’admirateurs, et l’on en voit assez souvent, auxa<strong>le</strong>ntours, qui la guettent sur son passage. C’est la seu<strong>le</strong> chose qu’on puisselui reprocher, mais nous n’en sommes pas moins convaincus qu’el<strong>le</strong> est trèssérieuse.« Voilà pour <strong>le</strong>s domestiques. Quant à ma famil<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> est si peu nombreusequ’il ne me faudra pas longtemps pour vous la décrire. Je suis veuf et n’aiqu’un seul fils, Arthur, qui ne m’a apporté que <strong>de</strong>s désillusions, monsieurHolmes, <strong>le</strong>s plus pénib<strong>le</strong>s désillusions. Mais c’est peut-être un peu ma faute.On m’a toujours dit que je <strong>le</strong> gâtais trop, et c’est fort possib<strong>le</strong>. Quand j’ai eu<strong>le</strong> malheur <strong>de</strong> perdre ma femme, qui m’était si chère, j’ai naturel<strong>le</strong>mentreporté sur lui toute mon affection. Je ne pouvais supporter <strong>de</strong> <strong>le</strong> voirsoucieux un seul instant, et je ne lui ai jamais rien refusé. Peut-être aurait-ilmieux valu, pour lui comme pour moi, que je fusse plus sévère, mais jecroyais bien faire en agissant ainsi.- 8 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes« Comme tous <strong>le</strong>s pères, je n’avais qu’un désir : celui <strong>de</strong> lui voir prendre lasuite <strong>de</strong> mes affaires ; malheureusement, il n’avait aucun goût pour cela. Ilétait trop capricieux, trop fantasque, et, pour dire la vérité, je n’aurais pasosé lui confier <strong>le</strong>s sommes importantes journel<strong>le</strong>ment déposées à la banque.Tout jeune encore, il était <strong>de</strong>venu membre d’un cerc<strong>le</strong> aristocratique où,grâce à ses charmantes manières, il ne tarda pas à <strong>de</strong>venir l’ami intime <strong>de</strong>beaucoup <strong>de</strong> gens très riches et habitués à jeter l’argent par <strong>le</strong>s fenêtres.Entraîné par <strong>le</strong>ur mauvais exemp<strong>le</strong>, il essuya <strong>de</strong> si lour<strong>de</strong>s pertes au jeu etaux courses qu’il en fut maintes fois réduit à venir me supplier <strong>de</strong> lui faire<strong>de</strong>s avances sur l’argent <strong>de</strong> poche que je lui accordais, afin d’acquitter ses<strong>de</strong>ttes d’honneur. Il essaya bien, à plusieurs reprises, il est vrai, <strong>de</strong> fuir lapernicieuse compagnie dans laquel<strong>le</strong> il s’était fourvoyé, mais son ami, sirGeorge Burnwell, avait un tel ascendant sur lui qu’il y revenait toujours.« Et vraiment, je ne suis pas surpris qu’un homme tel que sir GeorgeBurnwell ait exercé une si profon<strong>de</strong> influence sur lui, car il l’a fréquemmentamené chez moi, et j’avoue que je <strong>le</strong> trouvais moi-même excessivementsympathique. Il est plus âgé qu’Arthur et possè<strong>de</strong> infiniment d’expérience ;c’est un homme qui a été partout, qui a tout vu et qui possè<strong>de</strong> en outre <strong>le</strong>savantages d’être un brillant causeur et un très beau garçon. Malgré cela,quand je pense à lui <strong>de</strong> sang-froid, quand je ne subis plus <strong>le</strong> charmecaptivant <strong>de</strong> sa présence, j’ai la conviction que ses propos cyniques etl’expression que j’ai parfois surprise dans ses yeux <strong>le</strong> désignent comme unhomme dont il faut beaucoup se méfier. C’est mon opinion, et cel<strong>le</strong>éga<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> ma petite Mary, qui possè<strong>de</strong> une clairvoyance féminine trèsdéveloppée.« Il ne me reste plus désormais que son portrait à el<strong>le</strong> à vous faire. Ce n’estque ma nièce, mais il y a cinq ans, lorsque, par suite <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> mon frère,el<strong>le</strong> se trouva subitement seu<strong>le</strong> et sans appui, je l’adoptai et j’ai toujoursveillé sur el<strong>le</strong> <strong>de</strong>puis comme si el<strong>le</strong> était ma fil<strong>le</strong>. C’est mon rayon <strong>de</strong> so<strong>le</strong>il ;el<strong>le</strong> est aussi douce et aussi affectueuse que jolie ; c’est une excel<strong>le</strong>nteménagère, une maîtresse <strong>de</strong> maison incomparab<strong>le</strong>, ce qui ne l’empêche pas- 9 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmesd’être aussi charmante, aussi tranquil<strong>le</strong> et aussi charitab<strong>le</strong> qu’une femmepeut l’être. El<strong>le</strong> est <strong>de</strong>venue mon bras droit, et je ne pourrais plus me passerd’el<strong>le</strong>. Il n’y a qu’une seu<strong>le</strong> chose pour laquel<strong>le</strong> el<strong>le</strong> m’a résisté. A <strong>de</strong>uxreprises, mon fils, qui est très épris d’el<strong>le</strong>, lui a <strong>de</strong>mandé sa main, et, <strong>le</strong>s<strong>de</strong>ux fois, el<strong>le</strong> la lui a refusée. Je crois que, si quelqu’un avait dû <strong>le</strong> ramenerdans <strong>le</strong> droit chemin, c’est bien el<strong>le</strong>, et ce mariage aurait pu faire <strong>de</strong> lui unautre homme ; mais désormais, hélas ! il est trop tard… il n’y faut plussonger !« Maintenant que vous connaissez tous ceux qui habitent sous mon toit,monsieur Holmes, je vais reprendre la suite <strong>de</strong> ma lamentab<strong>le</strong> histoire.« Ce soir-là, pendant que nous prenions <strong>le</strong> café au salon, après <strong>le</strong> dîner, jecontai à Arthur et à Mary ce qui m’était arrivé et <strong>le</strong>ur décrivis <strong>le</strong> précieuxtrésor que j’avais rapporté en m’abstenant seu<strong>le</strong>ment <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur dire <strong>le</strong> nom <strong>de</strong>mon client. Je suis certain que Lucy Parr, qui nous avait servi <strong>le</strong> café, s’étaitretirée à ce moment-là, mais je ne pourrais jurer qu’el<strong>le</strong> avait refermé laporte en s’en allant. Mary et Arthur, qui m’avaient écouté avec beaucoupd’intérêt, <strong>de</strong>mandèrent à voir <strong>le</strong> fameux diadème, mais je jugeai préférab<strong>le</strong><strong>de</strong> n’y point toucher.« – Où l’avez-vous mis ? me <strong>de</strong>manda Arthur.« – Dans mon bureau.« – Eh bien ! espérons que la maison ne sera pas cambriolée cette nuit,répliqua-t-il.« – Mon bureau est fermé à clé, repris-je.- 10 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes« – Bah ! n’importe quel<strong>le</strong> vieil<strong>le</strong> clé suffirait à l’ouvrir. Je me rappel<strong>le</strong> fortbien, étant gamin, l’avoir ouvert avec cel<strong>le</strong> <strong>de</strong> l’armoire du cabinet <strong>de</strong>débarras.« Comme il avait l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> dire toutes <strong>le</strong>s bêtises qui lui passaient par latête, je n’attachai aucune importance à cette réf<strong>le</strong>xion. Pourtant, il merejoignit, ce soir-là, dans ma chambre avec une mine très grave.« – Écoutez, père, me dit-il en baissant <strong>le</strong>s yeux, pourriez-vous me donner<strong>de</strong>ux cents livres ?« – Non, ripostai-je d’un ton sec. Je n’ai été que trop généreux avec vousjusqu’ici.« – Vous avez été très bon, je <strong>le</strong> reconnais, me dit-il ; mais il me fautabsolument cet argent, sinon je ne pourrai jamais plus me montrer au cerc<strong>le</strong>.« – Eh bien ! j’en serai fort aise ! m’écriai-je.« – Peut-être, mais vous ne voudriez tout <strong>de</strong> même pas me <strong>le</strong> voir quitterdéshonoré. Pour moi, je ne pourrais supporter une tel<strong>le</strong> honte. Il me faut cetargent coûte que coûte, et, si vous me <strong>le</strong> refusez, je m’y prendrai d’une autrefaçon.« J’étais furieux, car c’était la troisième fois dans <strong>le</strong> mois qu’il me réclamaitainsi <strong>de</strong> l’argent.« – Vous n’aurez pas un sou <strong>de</strong> moi, m’écriai-je, exaspéré.« Alors il s’inclina et sortit sans un mot.- 11 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes« Lorsqu’il fut parti, j’ouvris mon bureau et, m’étant assuré que mon trésorétait en sûreté, <strong>le</strong> remis soigneusement sous clé ; puis, je me mis à faire <strong>le</strong>tour <strong>de</strong> la maison afin <strong>de</strong> m’assurer si tout était bien fermé, tâche que jeconfiais habituel<strong>le</strong>ment à Mary, mais que je crus bon d’accomplir moi-mêmece jour-là. Lorsque je re<strong>de</strong>scendis l’escalier, Mary el<strong>le</strong>-même était à l’une<strong>de</strong>s fenêtres du vestibu<strong>le</strong> et, en me voyant approcher, la ferma et en assujettit<strong>le</strong> loquet.« – Dites-moi, papa, me <strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong> d’un air un peu troublé, me semblat-il,avez-vous donné à Lucy la permission <strong>de</strong> sortir ce soir ?« – Certainement non.« – Eh bien ! je viens <strong>de</strong> la voir rentrer par la porte <strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière. El<strong>le</strong> n’étaitsans doute allée que jusqu’à la petite gril<strong>le</strong>pour voir quelqu’un, mais je n’approuve quand même pas cela, et il faudra ymettre bon ordre.« – Faites-lui-en l’observation <strong>de</strong>main matin, à moins que vous ne préfériezque je m’en charge. Vous êtes certaine que c’est bien fermé partout ?« – Absolument certaine, papa.« Je l’embrassai, regagnai ma chambre et m’endormis peu après.« Je m’efforce, monsieur Holmes, <strong>de</strong> vous rapporter tout ce qui peut avoirquelque rapport avec l’affaire dont je vous par<strong>le</strong>. Néanmoins, s’il y aquelque chose qui ne vous semb<strong>le</strong> pas clair, vous n’avez qu’à me poser <strong>de</strong>squestions.– Au contraire, je trouve que vous êtes parfaitement explicite.- 12 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– Je suis maintenant arrivé à un point <strong>de</strong> mon récit où je désirerais l’êtredavantage. Même en temps ordinaire, j’ai toujours <strong>le</strong> sommeil peu profond,mais cette nuit-là, en raison sans doute <strong>de</strong>s inquiétu<strong>de</strong>s auxquel<strong>le</strong>s j’étais enproie, je dormais encore plus légèrement que jamais. Vers <strong>de</strong>ux heures dumatin, je fus réveillé par un bruit provenant <strong>de</strong> l’intérieur <strong>de</strong> la maison. Cebruit avait cessé avant que je fusse complètement réveillé, mais j’avais gardél’impression que c’était une fenêtre qui venait <strong>de</strong> se refermer doucement.J’écoutai <strong>de</strong> toutes mes oreil<strong>le</strong>s. Tout à coup, à ma profon<strong>de</strong> horreur,j’entendis très distinctement <strong>de</strong>s pas étouffés dans la pièce à côté. Toutpalpitant d’angoisse, je me glissai hors <strong>de</strong> mon lit et guettai par la porteentrouverte ce qui se passait dans mon cabinet <strong>de</strong> toi<strong>le</strong>tte.« – Arthur ! criai-je. Misérab<strong>le</strong> ! Vo<strong>le</strong>ur ! Comment osez-vous toucher à cediadème ?« Le gaz était à <strong>de</strong>mi baissé, tel que je l’avais laissé en me couchant, et monmalheureux fils, simp<strong>le</strong>ment vêtu <strong>de</strong> sa chemise et <strong>de</strong> son pantalon, était<strong>de</strong>bout près <strong>de</strong> la lumière, tenant <strong>le</strong> diadème entre ses mains. Il semblaitemployer toutes ses forces à <strong>le</strong> tordre ou à <strong>le</strong> briser. Au cri que je poussai, illâcha <strong>le</strong> joyau et <strong>de</strong>vint pâ<strong>le</strong> comme un mort. Je saisis <strong>le</strong> diadème etl’examinai. Il manquait une <strong>de</strong>s extrémités ainsi que trois <strong>de</strong>s béryls.« – Misérab<strong>le</strong> ! répétai-je, fou <strong>de</strong> rage. Vous l’avez brisé ! Vous m’avezdéshonoré pour toujours ! Où sont <strong>le</strong>s pierres que vous avez volées ?« – Volées ! se récria-t-il.« – Oui, volées ! hurlai-je en <strong>le</strong> secouant par l’épau<strong>le</strong>.« – Il n’en manque aucune. Il ne peut en manquer aucune, me répondit-il.- 13 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes« – Il en manque trois. Et vous savez où el<strong>le</strong>s sont. Seriez-vous donc aussimenteur que vo<strong>le</strong>ur, par hasard ? Je vous ai vu, <strong>de</strong> mes yeux vu, essayer d’enarracher encore une autre.« – Assez d’insultes, protesta-t-il, je n’en supporterai pas davantage. Puisquec’est ainsi que vous me traitez, n’atten<strong>de</strong>z pas un mot <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> moi. Jem’en irai <strong>de</strong> chez vous aujourd’hui même, et, à l’avenir, je me débrouil<strong>le</strong>raiseul.« – Si vous vous en al<strong>le</strong>z <strong>de</strong> chez moi, ce sera aux mains <strong>de</strong> la police !m’exclamai-je au comb<strong>le</strong> <strong>de</strong> la fureur. J’entends que cette affaire soitéclaircie complètement.« – Ne comptez pas sur moi pour vous fournir aucune explication, meriposta-t-il avec un emportement dont je ne l’aurais pas cru capab<strong>le</strong>. Si vousappe<strong>le</strong>z la police, vous pourrez vous adresser à el<strong>le</strong> pour découvrir ce quevous vou<strong>le</strong>z savoir.« Le bruit <strong>de</strong> notre discussion avait réveillé tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>. Mary fut lapremière à faire irruption dans ma chambre et, en voyant <strong>le</strong> diadème etl’attitu<strong>de</strong> d’Arthur, el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vina aussitôt ce qui s’était passé. Un cri s’échappa<strong>de</strong> sa gorge, et el<strong>le</strong> tomba inanimée sur <strong>le</strong> parquet. J’envoyai la femme <strong>de</strong>chambre chercher la police et <strong>de</strong>mandai qu’on procédât à une enquête.Lorsque l’inspecteur, accompagné d’un constab<strong>le</strong>, pénétra dans la maison,Arthur, qui, l’air sombre et <strong>le</strong>s bras croisés, était <strong>de</strong>meuré immobi<strong>le</strong> à lamême place, me <strong>de</strong>manda si j’avais l’intention <strong>de</strong> déposer une plainte contrelui. Je lui répondis qu’il ne pouvait plus être question <strong>de</strong> liqui<strong>de</strong>r cette affaireentre nous et que, comme <strong>le</strong> diadème brisé faisait parti <strong>de</strong>s biens nationaux,j’étais fermement décidé à laisser en tout et pour tout la justice suivre soncours.- 14 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes« – Vous n’al<strong>le</strong>z du moins pas, dit-il, me faire arrêter tout <strong>de</strong> suite. Il y auraittout intérêt, et pour vous, et pour moi, à ce que l’on m’autorisât à sortir cinqminutes.« – Afin <strong>de</strong> vous donner <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> fuir ou <strong>de</strong> cacher ce que vous avez volé,m’écriai-je.« Puis, envisageant dans toute son horreur la situation dans laquel<strong>le</strong> j’allaisme trouver placé, je <strong>le</strong> suppliai <strong>de</strong> se souvenir que mon honneur personneln’était pas seul en cause, mais encore celui <strong>de</strong> quelqu’un bien plus hautplacé que moi, et qu’enfin cette histoire risquait <strong>de</strong> faire éclater un scanda<strong>le</strong>qui révolutionnerait tout <strong>le</strong> pays. En m’avouant ce qu’il avait fait <strong>de</strong>s troispierres manquantes, il pourrait, au contraire, éviter tout cela.« – Pourquoi ne pas dire franchement la vérité ? insistai-je. Vous avez étépris sur <strong>le</strong> fait, et que vous avouiez ou non, vous n’en serez pas moinscoupab<strong>le</strong>. Efforcez-vous plutôt <strong>de</strong> réparer votre faute dans la mesure dupossib<strong>le</strong> en m’expliquant où se trouvent <strong>le</strong>s béryls, et je vous promets <strong>de</strong> toutpardonner.« – Gar<strong>de</strong>z votre pardon pour ceux qui l’implorent, me répliqua-t-il en sedétournant avec un rire sarcastique.« Je compris qu’il était trop buté pour se laisser ébran<strong>le</strong>r par quoi que ce soit<strong>de</strong> ce que je pourrais lui dire. Dans ces conditions, il ne me restait plus qu’unseul parti à prendre. J’appelai l’inspecteur et déposai une plainte contre monfils. On l’arrêta immédiatement, on <strong>le</strong> fouilla, on perquisitionna dans sachambre et dans toute la maison ; mais il fut impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> retrouver <strong>le</strong>spierres nul<strong>le</strong> part, et ni prières, ni menaces ne purent déci<strong>de</strong>r mon misérab<strong>le</strong>fils à par<strong>le</strong>r. On l’a incarcéré ce matin, et, après avoir rempli toutes <strong>le</strong>sformalités exigées par la police, je suis immédiatement accouru vous voir,comptant sur votre habi<strong>le</strong>té si vantée pour débrouil<strong>le</strong>r cette énigme. La- 15 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmespolice déclare n’y rien comprendre. Si vous vou<strong>le</strong>z bien entreprendre uneenquête à votre tour, je vous donne carte blanche pour <strong>le</strong>sfrais qui en pourront résulter. J’ai déjà d’ail<strong>le</strong>urs offert une récompense <strong>de</strong>mil<strong>le</strong> livres afin d’encourager <strong>le</strong>s recherches. Mon Dieu, que vais-je <strong>de</strong>venir! En une seu<strong>le</strong> nuit, j’ai perdu mon honneur, mon fils et <strong>le</strong> trésor que l’onm’avait confié. Je vais sûrement en tomber tout à fait fou !Il se prit la tête à <strong>de</strong>ux mains et se mit à se balancer <strong>de</strong> droite et <strong>de</strong> gauche,en geignant doucement comme un enfant accablé <strong>de</strong> chagrin.Sherlock Holmes, <strong>le</strong>s sourcils froncés, <strong>le</strong>s yeux fixés sur <strong>le</strong> feu, resta un longmoment si<strong>le</strong>ncieux.– Recevez-vous beaucoup ? <strong>de</strong>manda-t-il enfin.– Personne, sauf mon associé et sa famil<strong>le</strong>, et parfois un ami d’Arthur. SirGeorge Burnwell est venu plusieurs fois ces temps <strong>de</strong>rniers. C’est tout, jecrois.– Al<strong>le</strong>z-vous beaucoup dans <strong>le</strong> mon<strong>de</strong> ?– Arthur, oui. Mais Mary et moi restons toujours à la maison, car nousn’aimons guère à sortir, ni l’un, ni l’autre.– C’est rare chez une jeune fil<strong>le</strong>.– El<strong>le</strong> est d’un naturel plutôt calme. Et puis, el<strong>le</strong> est moins jeune que vous nesemb<strong>le</strong>z <strong>le</strong> croire. El<strong>le</strong> a vingt-quatre ans.– D’après ce que vous me dites, cette affaire l’a fort bou<strong>le</strong>versée aussi.– Terrib<strong>le</strong>ment ! El<strong>le</strong> en paraît même encore plus affectée que moi.- 16 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– Vous êtes aussi convaincus l’un que l’autre <strong>de</strong> la culpabilité <strong>de</strong> votre fils ?– Comment ne <strong>le</strong> serions-nous pas, alors que je l’ai vu, <strong>de</strong> mes yeux vu, avec<strong>le</strong> diadème dans <strong>le</strong>s mains ?– Je n’estime pas que ce soit là une preuve absolument irréfutab<strong>le</strong>. Le restedu diadème était-il endommagé ?– Oui, il était tordu.– Ne pensez-vous pas, en ce cas, qu’il ait plutôt été en train <strong>de</strong> chercher à <strong>le</strong>redresser ?– Je vous remercie d’essayer d’atténuer ainsi sa part <strong>de</strong> responsabilité et lamienne. Mais vous n’y parviendrez pas. D’abord, quel<strong>le</strong> raison avait-il d’êtrelà ? Et, s’il était animé <strong>de</strong> si bonnes intentions, pourquoi ne l’a-t-il pas dittout <strong>de</strong> suite ?– En effet, mais, par contre, s’il était coupab<strong>le</strong>, pourquoi n’a-t-il pas tenté <strong>de</strong>se disculper par un mensonge ? A mon avis, son si<strong>le</strong>nce peut être interprétéaussi bien dans un sens que dans l’autre. Il y a plusieurs particularitéssingulières dans cette affaire. Que pense la police du bruit qui vous a réveillé?– El<strong>le</strong> présume que ce <strong>de</strong>vrait être celui que fit Arthur en refermant la porte.– Allons donc ! Est-ce qu’un homme qui vient pour vo<strong>le</strong>r fait claquer <strong>le</strong>sportes au risque <strong>de</strong> réveil<strong>le</strong>r toute la maison ? Et la disparition <strong>de</strong>s pierres,comment l’explique-t-on ?– On continue à son<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s parquets et à tout mettre sens <strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>ssous dansl’espoir <strong>de</strong> <strong>le</strong>s retrouver.- 17 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– A-t-on pensé à regar<strong>de</strong>r en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la maison ?– Oh, oui ! Et avec quel zè<strong>le</strong> ! On a déjà retourné tout <strong>le</strong> jardin.– Voyons, cher monsieur, reprit Holmes, ne comprenez-vous donc pas quecette affaire est beaucoup plus abstruse que la police et vous n’étiez, àpremière vue, tentés <strong>de</strong> <strong>le</strong> croire ? Le cas vous a paru, à vous, fort simp<strong>le</strong> ; àmoi, il me semb<strong>le</strong> fort comp<strong>le</strong>xe. Réfléchissez un peu à ce qu’implique votrehypothèse. D’après vous, votre fils se relève la nuit, s’en va, non sans courir<strong>le</strong>s plus grands risques, jusqu’à votre cabinet <strong>de</strong> toi<strong>le</strong>tte, ouvre votre bureau,en retire <strong>le</strong> diadème, en brise un morceau rien qu’avec ses mains, s’en vacacher trois <strong>de</strong>s trente-neuf pierres avec tant d’habi<strong>le</strong>té que personne nepourra ensuite <strong>le</strong>s retrouver, puis rapporte <strong>le</strong>s trente-six autres dans ce mêmecabinet <strong>de</strong> toi<strong>le</strong>tte où il est si fortement exposé à être découvert. Alors,franchement, cela vous paraît vraisemblab<strong>le</strong> ?– Mais quel<strong>le</strong> autre hypothèse vou<strong>le</strong>z-vous envisager ! s’écria <strong>le</strong> banquieravec un geste désespéré. Si ses intentions n’avaient pas été malhonnêtes, estcequ’il ne s’expliquerait pas ?– C’est à nous <strong>de</strong> <strong>le</strong> découvrir, répondit Holmes. Aussi, monsieur Hol<strong>de</strong>r, sivous <strong>le</strong> vou<strong>le</strong>z bien, nous allons maintenant nous rendre ensemb<strong>le</strong> àStreham, où nous nous emploierons pendant une heure à vérifierminutieusement certains détails.Mon compagnon mit beaucoup d’insistance à m’entraîner avec eux dansl’expédition qu’ils allaient entreprendre, ce que j’acceptai d’ail<strong>le</strong>urs avecempressement, car j’avais été à la fois très ému et très intrigué par <strong>le</strong> récitque nous venions d’entendre. J’avoue qu’en ce qui me concerne laculpabilité du fils du banquier me paraissait aussi évi<strong>de</strong>nte qu’el<strong>le</strong> l’étaitpour son malheureux père ; néanmoins j’avais une tel<strong>le</strong> foi dans <strong>le</strong>sjugements <strong>de</strong> Sherlock Holmes qu’il me semblait que l’on pouvait conserver- 18 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmesencore quelque espoir tant qu’il se refuserait à accepter la théorie jusqu’àprésent admise.Il n’ouvrit pour ainsi dire pas la bouche durant tout <strong>le</strong> trajet qu’il nous fallutparcourir pour gagner la banlieue sud et resta continuel<strong>le</strong>ment absorbé dansses méditations, <strong>le</strong> menton incliné sur la poitrine et <strong>le</strong> chapeau rabattu sur <strong>le</strong>syeux. Notre client semblait avoir repris un peu <strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur en écoutantraisonner mon ami, et il alla même jusqu’à engager avec moi uneconversation à bâtons rompus au sujet <strong>de</strong> ses affaires.Un court voyage en chemin <strong>de</strong> fer et une marche plus courte encore nousamenèrent à Fairbank, la mo<strong>de</strong>ste rési<strong>de</strong>nce du grand financier.Fairbank était une maison quadrangulaire d’assez vastes dimensionsconstruite en pierre blanche et un peu en retrait <strong>de</strong> la route. Une alléecarrossab<strong>le</strong> à doub<strong>le</strong> évolution encerclant une pelouse couverte <strong>de</strong> neige lareliait aux <strong>de</strong>ux gran<strong>de</strong>s gril<strong>le</strong>s donnant accès à la propriété. Sur <strong>le</strong> côtédroit, une petite barrière en bois, qui servait d’entrée <strong>de</strong> service, permettait,en suivant un étroit sentier bordé <strong>de</strong> haies soigneusement taillées, <strong>de</strong> gagnerla porte <strong>de</strong> la cuisine. Sur <strong>le</strong> côté gauche, courait un petit chemin conduisantaux écuries, qui, lui, n’était pas englobé dans la propriété, car, bien querarement utilisé, il était ouvert à tout <strong>le</strong> mon<strong>de</strong>.Holmes nous quitta <strong>de</strong>vant la porte d’entrée et fit <strong>le</strong>ntement <strong>le</strong> tour <strong>de</strong> lamaison en commençant par la faça<strong>de</strong> pour continuer ensuite par <strong>le</strong> sentierréservé aux fournisseurs et par <strong>le</strong> jardin <strong>de</strong> <strong>de</strong>rrière et revenir enfin par <strong>le</strong>chemin <strong>de</strong>s écuries. Son absence se prolongea même si longtemps que M.Hol<strong>de</strong>r et moi finîmes par entrer dans la sal<strong>le</strong> à manger afin d’attendre sonretour au coin du feu.Alors que nous étions si<strong>le</strong>ncieusement assis <strong>de</strong> la sorte en face l’un <strong>de</strong>l’autre, la porte s’ouvrit, et une jeune fil<strong>le</strong> entra. El<strong>le</strong> était d’une tail<strong>le</strong> un peu- 19 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmesau-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> la moyenne, mince et élancée, et avait <strong>de</strong>s cheveux et <strong>de</strong>s yeux<strong>de</strong> cou<strong>le</strong>ur sombre, qui,en raison <strong>de</strong> son extrême pâ<strong>le</strong>ur, paraissaient encore plus sombres qu’ils nel’étaient en réalité. Je ne me rappel<strong>le</strong> pas avoir jamais vu chez aucunefemme pâ<strong>le</strong>ur aussi accusée que la sienne. Ses lèvres aussi étaientcomplètement exsangues, mais el<strong>le</strong> avait en revanche <strong>le</strong>s yeux tout rougis àforce d’avoir p<strong>le</strong>uré. En la voyant pénétrer si<strong>le</strong>ncieusement ainsi dans lapièce, j’eus l’impression que son chagrin était encore plus profond que celuidu banquier, et c’était d’autant plus frappant qu’on la <strong>de</strong>vinait très énergiqueet capab<strong>le</strong>, par conséquent, <strong>de</strong> se dominer mieux qu’un autre.Sans se préoccuper <strong>de</strong> ma présence, el<strong>le</strong> alla droit à son onc<strong>le</strong> et, d’un gestetrès féminin, lui caressa légèrement <strong>le</strong>s cheveux.– Vous avez <strong>de</strong>mandé que l’on remette Arthur en liberté, dites, mon onc<strong>le</strong> ?<strong>de</strong>manda-t-el<strong>le</strong>.– Non, non, mon enfant, il faut que cette affaire soit complètement éclaircie.– Mais je suis tel<strong>le</strong>ment sûre qu’il est innocent. Vous savez combien noussommes intuitives, nous autres femmes. Je suis convaincue qu’il n’a pas fait<strong>de</strong> mal, et que vous regretterez un jour d’avoir été si dur envers lui.– Pourquoi refuse-t-il <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r, alors, s’il est innocent ?– Qui sait ? Peut-être parce qu’il est exaspéré <strong>de</strong> voir que vous <strong>le</strong>soupçonnez ainsi.– Comment ne <strong>le</strong> soupçonnerais-je pas dès lors que je l’ai surpris moi-même<strong>le</strong> diadème entre <strong>le</strong>s mains ?- 20 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– Oh ! il ne l’avait pris que pour <strong>le</strong> regar<strong>de</strong>r. Je vous en prie, rapportez-vousenà moi : je vous donne ma paro<strong>le</strong> qu’il est innocent. Laissez tomberl’affaire et qu’il n’en soit plus question. C’est si épouvantab<strong>le</strong> <strong>de</strong> penser quenotre cher Arthur est en prison !– Non, jamais je ne laisserai tomber l’affaire tant que <strong>le</strong>s pierres n’auront pasété retrouvées.., jamais, Mary ! Votre affection pour Arthur vous empêche<strong>de</strong> penser aux horrib<strong>le</strong>s conséquences qui en résulteront pour moi. Aussi,loin d’étouffer l’affaire, j’ai amené <strong>de</strong> Londres quelqu’un qui m’ai<strong>de</strong>ra àpousser <strong>le</strong>s recherches encore plus loin.– C’est monsieur ? questionna-t-el<strong>le</strong> en se retournant pour me regar<strong>de</strong>r.– Non, son ami. Il nous a priés <strong>de</strong> <strong>le</strong> laisser seul. Il est en ce moment du côtédu chemin <strong>de</strong>s écuries.– Le chemin <strong>de</strong>s écuries ? répéta-t-el<strong>le</strong> en <strong>le</strong>vant ses noirs sourcils.Qu’espère-t-il donc découvrir par là ?… Ah ! <strong>le</strong> voici sans doute ?…J’espère, monsieur, que vous réussirez à prouver, comme j’en ai pour mapart l’intime conviction, que mon cousin Arthur est innocent du crime donton l’accuse.– Je partage entièrement votre avis, ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong>, et je compte bien arriverà rétablir la vérité, répondit Holmes en revenant sur ses pas pour essuyer sur<strong>le</strong> paillasson ses chaussures p<strong>le</strong>ines <strong>de</strong> neige. C’est, je présume, àma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> Mary Hol<strong>de</strong>r que j’ai l’honneur <strong>de</strong> par<strong>le</strong>r ?… Vous permettez,ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong>, que je vous pose une ou <strong>de</strong>ux questions ?– Mais bien volontiers, monsieur, si cela peut vous ai<strong>de</strong>r dans vosrecherches.– Vous n’avez rien entendu cette nuit, pour votre part ?- 21 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– Rien, jusqu’au moment où mon onc<strong>le</strong> a commencé d’é<strong>le</strong>ver la voix. Dèsque je l’entendis, je m’empressai <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre.– C’est vous qui aviez fermé la maison hier soir. Etes-vous bien sûre d’avoirrabattu <strong>le</strong> loquet <strong>de</strong> toutes <strong>le</strong>s fenêtres ?– Oui, monsieur.– Et étaient-el<strong>le</strong>s toutes, ce matin, tel<strong>le</strong>s que vous <strong>le</strong>s aviez laissées hier soir?– Oui, monsieur.– L’une <strong>de</strong> vos femmes <strong>de</strong> chambre a un amoureux, n’est-ce pas ? et si je neme trompe, vous avez averti votre onc<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> était allée <strong>le</strong> voir ?– Oui, c’est el<strong>le</strong> qui a servi <strong>le</strong> café dans <strong>le</strong> salon, et il est possib<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> aitentendu ce que disait mon onc<strong>le</strong> au sujet du diadème.– Ah, bon ! Et cela vous amène à supposer qu’el<strong>le</strong> aurait été en aviser sonamoureux et que tous <strong>de</strong>ux auraient combiné <strong>le</strong> vol ensemb<strong>le</strong> ?– A quoi bon se perdre ainsi en vagues conjectures ? s’écria <strong>le</strong> banquier avecimpatience. Puisque je vous répète que j’ai surpris Arthur avec <strong>le</strong> diadèmedans ses mains.– Atten<strong>de</strong>z un peu, monsieur Hol<strong>de</strong>r. Nous repar<strong>le</strong>rons <strong>de</strong> cela plus tard.Revenons à cette fil<strong>le</strong>, ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong>. Vous l’avez vue rentrer par la porte <strong>de</strong>la cuisine, probab<strong>le</strong>ment ?– Oui, en allant m’assurer que <strong>le</strong>s verrous étaient bien poussés, je l’ai vuequi rentrait furtivement. J’ai même aperçu l’homme dans l’ombre.- 22 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– Vous <strong>le</strong> connaissez <strong>de</strong> vue ?– Oh ! oui, c’est <strong>le</strong> fruitier qui nous livre nos légumes. Il s’appel<strong>le</strong> FrancisProsper.– Il se tenait, poursuivit Holmes, à gauche <strong>de</strong> la porte… c’est-à-dire àquelques pas plus haut sur <strong>le</strong> sentier ?– C’est cela.– Et il a une jambe <strong>de</strong> bois ?Une lueur d’inquiétu<strong>de</strong> passa dans <strong>le</strong>s yeux expressifs <strong>de</strong> la jeune fil<strong>le</strong>.– Ma paro<strong>le</strong>, vous êtes un véritab<strong>le</strong> sorcier ! s’écria-t-el<strong>le</strong>. Comment pouvezvoussavoir cela ?El<strong>le</strong> avait posé cette question en souriant, mais <strong>le</strong> masque grave et maigre <strong>de</strong>Sherlock Holmes était <strong>de</strong>meuré immuab<strong>le</strong>.– Je désirerais maintenant monter au premier, dit-il. Mais, auparavant, il fautque je retourne donner un coup d’œil à l’extérieur <strong>de</strong> la maison. J’ai besoind’inspecter <strong>le</strong>s fenêtres du rez-<strong>de</strong>-chaussée.Il se mit aussitôt à <strong>le</strong>s passer rapi<strong>de</strong>ment en revue l’une après l’autre, maisne s’arrêta à proprement par<strong>le</strong>r que <strong>de</strong>vant cel<strong>le</strong> du vestibu<strong>le</strong>, qui était assezgran<strong>de</strong> et <strong>de</strong>vant laquel<strong>le</strong> passait <strong>le</strong> chemin <strong>de</strong>s écuries. En <strong>de</strong>rnier lieu, ill’ouvrit et en examina attentivement <strong>le</strong> rebord à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa loupe.- 23 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– Maintenant, nous allons pouvoir monter, annonça-t-il fina<strong>le</strong>ment.Le cabinet <strong>de</strong> toi<strong>le</strong>tte du banquier était une petite pièce, fort simp<strong>le</strong>mentmeublée et recouverte d’un tapis gris, dans laquel<strong>le</strong> on remarquait un bureauet un grand miroir.Holmes alla d’abord au bureau et en étudia avec soin la serrure.– De quel<strong>le</strong> clé s’est-on servi pour l’ouvrir ? s’informa t-il.– De cel<strong>le</strong> dont mon fils lui-même a parlé.., la clé <strong>de</strong> l’armoire du cabinet <strong>de</strong>débarras.– Vous l’avez là ?– C’est cel<strong>le</strong> qui est ici sur la toi<strong>le</strong>tte.Sherlock Holmes s’en saisit et ouvrit <strong>le</strong> bureau.– Une serrure si<strong>le</strong>ncieuse, constata-t-il. Je ne m’étonne pas qu’on ne vous aitpas réveillé en la faisant fonctionner. C’est sans doute cet écrin qui renferme<strong>le</strong> diadème ? Regardons-<strong>le</strong>.Il ouvrit l’écrin, en sortit <strong>le</strong> joyau et <strong>le</strong> posa sur la tab<strong>le</strong>. C’était une piècemagnifique, et <strong>le</strong>s trente-six pierres étaient absolument incomparab<strong>le</strong>s. Al’une <strong>de</strong>s extrémités, la monture était brisée net : c’est <strong>de</strong> là qu’avait étéarrachée la partie supportant <strong>le</strong>s trois pierres disparues.– Tenez, monsieur Hol<strong>de</strong>r, dit Holmes, voici <strong>le</strong> coin qui faisait pendant àcelui que l’on a soustrait. Puis-je vous <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r <strong>de</strong> <strong>le</strong> casser ?Le banquier recula d’horreur.- 24 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– Jamais je n’oserais faire cela, se récria-t-il.– Alors, c’est moi qui <strong>le</strong> ferai, dit Holmes en tirant brusquement <strong>de</strong> toutesses forces sur <strong>le</strong> diadème, sans toutefois réussir à <strong>le</strong> rompre.« Je sens qu’il cè<strong>de</strong> un peu, ajouta-t-il ; mais, bien que je possè<strong>de</strong> une forceexceptionnel<strong>le</strong> dans <strong>le</strong>s doigts, je crois qu’il me faudrait un certain tempspour en venir à bout. Un homme ordinaire n’y parviendrait certainement pas.Enfin, en admettant que j’y réussisse, qu’arriverait-il, selon vous, monsieurHol<strong>de</strong>r ? Cela ferait un bruit sec, comme un coup <strong>de</strong> revolver, soyez-encertain. Et vous préten<strong>de</strong>z dire que tout cela s’est passé à quelques pas <strong>de</strong>votre lit sans que vous ayez rien entendu ?– Je ne sais que penser. C’est à n’y rien comprendre.– Peut-être cela <strong>de</strong>viendra-t-il plus compréhensib<strong>le</strong> avant peu. Qu’en pensezvous,ma<strong>de</strong>moisel<strong>le</strong> ?– J’avoue que je suis toujours aussi embarrassée que mon onc<strong>le</strong>.– Votre fils, monsieur Hol<strong>de</strong>r, ne portait ni chaussures, ni pantouf<strong>le</strong>s lorsquevous l’avez vu ?– Non, rien que son pantalon et sa chemise.– Je vous remercie. Nous pouvons nous vanter d’avoir eu une chanceextraordinaire au cours <strong>de</strong> cette enquête, et ce sera bien notre faute si nousne découvrons pas <strong>le</strong> mot <strong>de</strong> l’énigme. Avec votre permission, monsieurHol<strong>de</strong>r, je vais à présent poursuivre mes recherches à l’extérieur.Il sortit seul, conformément au désir qu’il avait exprimé, car, ainsi qu’il nousl’expliqua, <strong>de</strong> nouvel<strong>le</strong>s empreintes <strong>de</strong> pas ne feraient que compliquer sa- 25 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmestâche. Au bout d’une longue heure <strong>de</strong> travail, il rentra enfin, <strong>le</strong>s pieds p<strong>le</strong>ins<strong>de</strong> neige et la physionomie aussi impénétrab<strong>le</strong> que jamais.– Je crois que, cette fois, j’ai vu tout ce qu’il y avait à voir, monsieur Hol<strong>de</strong>r,déclara-t-il. Il ne me reste plus qu’à rentrer chez moi.– Mais <strong>le</strong>s pierres, monsieur Holmes, où sont-el<strong>le</strong>s ?– Je ne puis vous <strong>le</strong> dire.Le banquier se tordit <strong>le</strong>s mains.– Jamais je ne <strong>le</strong>s reverrai maintenant ! gémit-il. Et mon fils ? Vous avez <strong>de</strong>l’espoir ?– Mon opinion ne s’est aucunement modifiée.– Alors, pour l’amour du ciel, que s’est-il tramé chez moi cette nuit ?– Si vous vou<strong>le</strong>z bien me rendre visite <strong>de</strong>main matin entre neuf et dix, jeferai mon possib<strong>le</strong> pour vous fournir <strong>le</strong>s éclaircissements que vous désirez.Mais il est bien entendu, n’est-ce pas ? que vous me donnez carte blanche dumoment que je rentre en possession <strong>de</strong>s pierres et que vous vous engagez àme défrayer <strong>de</strong> tous <strong>le</strong>s frais que cela aura pu entraîner ?– Je donnerais ma fortune entière pour <strong>le</strong>s retrouver.– Très bien. J’étudierai la question d’ici là. Au revoir. Il se peut que je soisobligé <strong>de</strong> revenir ici avant ce soir.Je me rendais très bien compte que mon compagnon avait d’ores et déjà sonopinion, mais je n’avais toujours pas la moindre idée <strong>de</strong> ce qu’el<strong>le</strong> pouvaitêtre. En regagnant Londres avec lui, j’essayai plusieurs fois <strong>de</strong> <strong>le</strong> son<strong>de</strong>r sur- 26 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmesla question, mais il faisait toujours dévier la conversation aussitôt, <strong>de</strong> sortequ’à la fin je dus y renoncer. Il n’était pas encore trois heures quand nousrentrâmes. Holmes passa aussitôt dans sa chambre et en ressortit peu aprèssous <strong>le</strong>s apparences d’un vulgaire vagabond. Avec son col re<strong>le</strong>vé, son pa<strong>le</strong>totcrasseux et râpé, sa cravate rouge et ses chaussures éculées, il en avait <strong>le</strong>type accompli.– Je crois que cela pourra al<strong>le</strong>r, dit-il après s’être regardé dans la glace quisurmontait la cheminée. J’aurais bien voulu vous emmener avec moi,Watson, mais je crois qu’il est préférab<strong>le</strong> que j’y ail<strong>le</strong> seul. Peut-être suis-jesur la bonne piste, peut-êtrevais-je faire un fiasco comp<strong>le</strong>t ; en tout cas, je ne tar<strong>de</strong>rai pas à <strong>le</strong> savoir.J’espère être <strong>de</strong> retour dans quelques heures.Il alla au buffet, se coupa une tranche <strong>de</strong> bœuf qu’il glissa entre <strong>de</strong>uxmorceaux <strong>de</strong> pain et, muni <strong>de</strong> ce frugal repas, partit immédiatement enexpédition.J’achevais tout juste <strong>de</strong> prendre mon thé lorsqu’il rentra, <strong>de</strong> fort bonnehumeur, cela se voyait, en balançant au bout <strong>de</strong> ses doigts une vieil<strong>le</strong> bottineà élastiques qu’il jeta dans un coin.– Je suis seu<strong>le</strong>ment venu vous dire un petit bonjour en passant, me dit-il ense versant une tasse <strong>de</strong> thé ; je repars tout <strong>de</strong> suite.– Où cela ?– Oh ! à l’autre bout du West End. Je ne rentrerai peut-être pas <strong>de</strong> bonneheure. Si je tardais trop, ne m’atten<strong>de</strong>z pas.- 27 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– Ça marche ?– Comme ci, comme ça. Je n’ai pas à me plaindre. Depuis que je vous aiquitté, je suis retourné à Streatham, mais je ne suis pas entré dans la maison.C’est un charmant petit problème, et j’aurais été navré <strong>de</strong> ne pas l’avoirétudié. Mais assez babillé comme cela ; il est temps que j’ail<strong>le</strong> me dépouil<strong>le</strong>r<strong>de</strong> cette innommab<strong>le</strong> défroque pour reprendre ma tenue correcte habituel<strong>le</strong>.Je voyais très bien, rien qu’à sa façon d’être, qu’il était beaucoup plussatisfait qu’il ne voulait <strong>le</strong> laisser paraître. Ses yeux pétillaient, et ses jouesordinairement blêmes s’étaient même un peu colorées. Il passa rapi<strong>de</strong>mentdans sa chambre et, quelques minutes après, la porte du vestibu<strong>le</strong>, claquéebruyamment, m’annonça qu’il s’était à nouveau mis en route pour une <strong>de</strong> cesparties <strong>de</strong> chasse qui lui procuraient tant <strong>de</strong> plaisir.Je l’attendis jusqu’à minuit, mais, voyant qu’il ne revenait pas, je me décidaià al<strong>le</strong>r me coucher. Son retard n’était pas pour me surprendre d’ail<strong>le</strong>urs, car,lorsqu’il se lançait sur la piste d’un criminel, il n’était pas rare qu’ils’absentât pendant plusieurs jours et plusieurs nuits <strong>de</strong> suite. A quel<strong>le</strong> heurerentra-t-il ? Je l’ignore ; toujours est-il que, <strong>le</strong> <strong>le</strong>n<strong>de</strong>main matin, quand je<strong>de</strong>scendis prendre mon petit déjeuner, je <strong>le</strong> trouvai déjà à tab<strong>le</strong>, une tasse <strong>de</strong>café d’une main et son journal <strong>de</strong> l’autre, avec un air aussi frais et dispos ques’il avait passé toute la nuit dans son lit.– Vous m’excuserez d’avoir commencé sans vous, Watson, me dit-il ; maisvous vous rappe<strong>le</strong>z que notre client doit venir d’assez bonne heure ce matin.– C’est vrai, il est déjà neuf heures passées, répondis-je. Tenez, c’est peutêtrebien lui. Il m’a semblé entendre sonner.De fait, c’était notre ami <strong>le</strong> financier. Je fus stupéfait <strong>de</strong> voir <strong>le</strong> changementqui s’était opéré en lui, car sa figure, hier encore si large et si p<strong>le</strong>ine, étaitmaintenant toute défaite et toute creuse, et l’on eût dit que ses cheveux- 28 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmesavaient encore blanchi. Il fit son entrée d’un air las et abattu, encore pluspénib<strong>le</strong> à voir que son exaltation <strong>de</strong> la veil<strong>le</strong>, et se laissa tomber lour<strong>de</strong>mentdans un fauteuil que j’avais poussé vers lui.– Je ne sais pas ce que j’ai pu faire pour être si cruel<strong>le</strong>ment éprouvé, soupirat-il.Il y a <strong>de</strong>ux jours encore, j’étais en p<strong>le</strong>in bonheur et en p<strong>le</strong>ine prospérité,sans aucun souci au mon<strong>de</strong>. A présent, me voici, à mon âge, condamné audéshonneur et à la solitu<strong>de</strong>. Tous <strong>le</strong>s malheurs s’abattent sur moi en mêmetemps. Ma nièce Mary m’a abandonné.– El<strong>le</strong> vous a abandonné ?– Oui. On a trouvé ce matin son lit intact, sa chambre vi<strong>de</strong> et ce bil<strong>le</strong>t à monnom sur la tab<strong>le</strong> du vestibu<strong>le</strong>. Je lui avais dit hiersoir, avec chagrin mais sans colère, que, si el<strong>le</strong> avait épousé mon fils, toutcela ne serait pas arrivé. J’ai peut-être eu tort <strong>de</strong> lui faire cette réf<strong>le</strong>xion, carc’est à cela qu’el<strong>le</strong> fait allusion dans <strong>le</strong> bil<strong>le</strong>t qu’el<strong>le</strong> m’a laissé en partant :« MON ONCLE CHÉRI,Je me rends compte que j’ai été la cause du malheur qui vous accab<strong>le</strong> et que,si j’avais agi différemment, ce malheur ne vous aurait peut-être pas étéinfligé. Sans cesse obsédée par cette pensée, je sens que je ne pourrai plusvivre heureuse sous votre toit, et mieux vaut que je vous quitte pourtoujours. Ne vous tourmentez pas au sujet <strong>de</strong> mon avenir, il est assuré, etsurtout ne me cherchez pas, car ce serait vous donner un mal inuti<strong>le</strong> et nem’ai<strong>de</strong>rait en rien, au contraire. Vivante ou morte, je continuerai toujours àvous aimer tendrement.Mary »« Qu’a-t-el<strong>le</strong> voulu dire en m’écrivant cela, monsieur Holmes ? Faut-il enconclure qu’el<strong>le</strong> songerait à se suici<strong>de</strong>r ?- 29 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– Non, non, pas <strong>le</strong> moins du mon<strong>de</strong>. Tout compte fait, c’est peut-être ce quipouvait arriver <strong>de</strong> mieux. J’espère, monsieur Hol<strong>de</strong>r, que vous serez bientôtau bout <strong>de</strong> vos peines.– Le ciel vous enten<strong>de</strong>, monsieur Holmes ! Mais, pour me dire cela, il fautque vous ayez appris quelque chose. Oui, vous avez sûrement découvert dunouveau. Où sont <strong>le</strong>s pierres ?– Trouveriez-vous excessif <strong>de</strong> <strong>le</strong>s payer mil<strong>le</strong> livres pièce ?– J’en donnerais dix <strong>de</strong> bon cœur.– Ce serait inuti<strong>le</strong>. Trois mil<strong>le</strong> livres pour <strong>le</strong>s trois suffiront amp<strong>le</strong>ment. Maisil y a aussi une petite récompense, n’est-cepas ? Vous avez votre carnet <strong>de</strong> chèques sur vous ?… Bon, voici une plume.Inscrivez quatre mil<strong>le</strong> livres en bloc.Tout ahuri, <strong>le</strong> banquier signa <strong>le</strong> chèque <strong>de</strong>mandé. Holmes alla à son bureau,y prit dans un tiroir un petit morceau d’or triangulaire sur <strong>le</strong>quel étaientenchâssés trois béryls et <strong>le</strong> jeta sur la tab<strong>le</strong>.Avec un cri <strong>de</strong> joie, notre client s’en saisit.– Vous <strong>le</strong>s avez ! balbutia-t-il. Je suis sauvé !… Sauvé !Il manifestait sa joie avec autant d’expansion qu’il avait manifestéauparavant sa dou<strong>le</strong>ur et pressait frénétiquement contre sa poitrine <strong>le</strong>spierres retrouvées.– Mais vous avez une autre <strong>de</strong>tte à acquitter, monsieur Hol<strong>de</strong>r, reprit d’unevoix plus dure Sherlock Holmes.- 30 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– Une autre <strong>de</strong>tte ? répéta <strong>le</strong> banquier. Fixez votre prix ; je vais vous rég<strong>le</strong>rcela tout <strong>de</strong> suite.– Non, il ne s’agit pas <strong>de</strong> moi. Ce que vous <strong>de</strong>vez, ce sont <strong>de</strong> très humb<strong>le</strong>sexcuses à votre fils, ce nob<strong>le</strong> garçon, qui s’est conduit en cette pénib<strong>le</strong>circonstance comme je serais fier <strong>de</strong> voir mon fils <strong>le</strong> faire si j’avais <strong>le</strong>bonheur d’en avoir un.– Ce n’est donc pas Arthur qui avait pris <strong>le</strong>s pierres ?– Je vous l’ai déjà dit et je vous <strong>le</strong> répète aujourd’hui : non, ce n’est pas lui.– Vous en êtes sûr ? Alors, courons vite <strong>le</strong> retrouver pour lui annoncer tout<strong>de</strong> suite que nous avons découvert la vérité.– Il <strong>le</strong> sait déjà. Après avoir tout tiré au clair, j’ai eu un entretien avec lui, et,comme il me refusait <strong>de</strong> me rien dire, c’est moi qui ai parlé pour lui montrerque je savais tout. Alors il a bien été forcé <strong>de</strong> m’avouer que j’avais raison etm’a mis au courant <strong>de</strong> quelques détails qui m’échappaient encore. Mais,quand il saura que vous connaissez la vérité, peut-être se déci<strong>de</strong>ra-t-il à sortir<strong>de</strong> sa réserve.– Alors, pour l’amour du ciel, donnez-moi la clé <strong>de</strong> cette extraordinaireénigme !– Très volontiers, et je vous montrerai en même temps comment je m’y suispris pour la découvrir. Mais laissez-moi d’abord vous expliquer ce qui serapour moi <strong>le</strong> plus pénib<strong>le</strong> à dire et pour vous <strong>le</strong> plus pénib<strong>le</strong> à entendre. Uneintrigue s’est nouée entre sir George Burnwell et votre nièce Mary, et ilsviennent <strong>de</strong> s’enfuir ensemb<strong>le</strong>.– Ma Mary ? Impossib<strong>le</strong> !- 31 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– C’est malheureusement plus que possib<strong>le</strong>, c’est certain. Ni vous ni votrefils ne connaissiez la véritab<strong>le</strong> personnalité <strong>de</strong> cet homme lorsque vousl’avez admis dans votre intimité. C’est l’un <strong>de</strong>s plus dangereux individusd’Ang<strong>le</strong>terre, un joueur ruiné, un coquin capab<strong>le</strong> <strong>de</strong>s pires canail<strong>le</strong>ries, unhomme sans cœur et sans conscience. Votre nièce n’avait jamais eu affaire à<strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> cette espèce. Lorsqu’il lui a juré qu’il l’aimait, comme il l’avaitfait à cent autres avant el<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> se figurait être la seu<strong>le</strong> à lui avoir jamaisinspiré un tel sentiment. Le diab<strong>le</strong> seul pourrait dire <strong>de</strong> quels mots il s’estservi pour la subjuguer, mais toujours est-il qu’el<strong>le</strong> finit par n’être plusqu’un jouet entre ses mains et qu’el<strong>le</strong> avait, presque chaque soir, <strong>de</strong>s ren<strong>de</strong>zvousavec lui.– Je ne peux pas, je ne veux pas croire une chose semblab<strong>le</strong> ! s’écria <strong>le</strong>banquier, dont la figure était <strong>de</strong>venue livi<strong>de</strong>.– Eh bien ! je vais vous raconter ce qui s’est passé dans votre maison l’autrenuit. Votre nièce, lorsqu’el<strong>le</strong> crut que vous étiez retiré dans votre chambre,<strong>de</strong>scendit furtivement au rez-<strong>de</strong>-chaussée et parla à son amoureux à lafenêtre qui donne sur <strong>le</strong> chemin <strong>de</strong>s écuries. Il <strong>de</strong>meura auprès d’el<strong>le</strong> fortlongtemps, comme <strong>le</strong> prouvaient <strong>le</strong>s empreintes <strong>de</strong> ses pas qui avaientcomplètement traversé la neige. El<strong>le</strong> lui parla du diadème, ce qui excita sacupidité <strong>de</strong> gredin, et il la plia à sa volonté. Je suis persuadé qu’el<strong>le</strong> vousaimait <strong>de</strong> tout son cœur, mais il est <strong>de</strong>s femmes chez qui l’amour l’emportesur toutes <strong>le</strong>s autres affections, et j’ai idée qu’el<strong>le</strong> doit être <strong>de</strong> cel<strong>le</strong>s-là. Apeine avait-el<strong>le</strong> eu <strong>le</strong> temps d’écouter <strong>le</strong>s indications qu’il lui donnait qu’el<strong>le</strong>vous vit <strong>de</strong>scendre l’escalier. Alors el<strong>le</strong> s’empressa <strong>de</strong> refermer la fenêtre etvous parla <strong>de</strong> l’escapa<strong>de</strong> <strong>de</strong> la femme <strong>de</strong> chambre avec son amoureux àjambe <strong>de</strong> bois, ce qui d’ail<strong>le</strong>urs était parfaitement réel.« Votre fils Arthur monta se coucher peu après la conversation qu’il avaiteue avec vous, mais il dormit mal en raison <strong>de</strong> l’inquiétu<strong>de</strong> que lui donnaientses <strong>de</strong>ttes <strong>de</strong> jeu. Vers <strong>le</strong> milieu <strong>de</strong> la nuit, ayant entendu un pas léger passer<strong>de</strong>vant la porte <strong>de</strong> sa chambre, il se <strong>le</strong>va, regarda dans <strong>le</strong> couloir et eut la- 32 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmessurprise <strong>de</strong> voir sa cousine <strong>le</strong> traverser sur la pointe <strong>de</strong>s pieds et disparaîtreensuite dans votre cabinet <strong>de</strong> toi<strong>le</strong>tte. Pétrifié <strong>de</strong> stupéfaction, il enfila à lahâte son pantalon et attendit dans l’obscurité, curieux <strong>de</strong> savoir ce qui allaitse passer. Au bout <strong>de</strong> quelques instants, votre nièce ressortit, et, à la lueur <strong>de</strong>la lampe qui éclairait <strong>le</strong> couloir, votre fils s’aperçut qu’el<strong>le</strong> tenait <strong>le</strong> précieuxdiadème entre ses mains. Il la laissa <strong>de</strong>scendre l’escalier et, tout frémissantd’horreur, courut sans bruit se cacher <strong>de</strong>rrière la tenture qui est près <strong>de</strong> votreporte, à une place d’où il pouvait observer ce qui se passait dans <strong>le</strong> vestibu<strong>le</strong>en bas. Il vit alors sa cousine ouvrir si<strong>le</strong>ncieusement la fenêtre, tendre <strong>le</strong>diadème au-<strong>de</strong>hors à quelqu’un que l’obscurité rendait invisib<strong>le</strong>, puisrefermer la fenêtre et regagner rapi<strong>de</strong>ment sa chambre en passant tout près<strong>de</strong> l’endroit où il se tenait caché <strong>de</strong>rrière la tenture.« Tant qu’el<strong>le</strong> était là, il ne pouvait intervenir sans compromettreirrémédiab<strong>le</strong>ment cette jeune fil<strong>le</strong> qu’il aimait. Mais, dès qu’el<strong>le</strong> futdisparue, il comprit quel désastre ce serait pour vous et l’importance qu’il yavait à <strong>le</strong> réparer. Alors, pieds nus, tel qu’il était, il se précipita en bas <strong>de</strong>l’escalier, sauta dans la neige et partit en courant à travers <strong>le</strong> chemin <strong>de</strong>sécuries, où il entrevoyait une silhouette sombre <strong>de</strong>vant lui sous <strong>le</strong> clair <strong>de</strong>lune. Sir George Burnwell essaya <strong>de</strong> l’esquiver, mais Arthur <strong>le</strong> rattrapa, etune lutte s’engagea entre eux, votre fils tirant <strong>le</strong> diadème d’un côté pendantque son adversaire tirait <strong>de</strong> l’autre. Au cours <strong>de</strong> la bagarre, votre fils frappasir George d’un coup <strong>de</strong> poing qui lui fit une b<strong>le</strong>ssure au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> l’œil.Puis quelque chose se rompit net, et votre fils, emportant <strong>le</strong> diadème, rentraen courant, referma la fenêtre et remonta dans votre cabinet <strong>de</strong> toi<strong>le</strong>tte. C’estau moment où il venait <strong>de</strong> constater que <strong>le</strong> diadème avait été tordu dans lalutte et où il s’efforçait <strong>de</strong> <strong>le</strong> redresser que vous l’avez surpris.– Est-ce possib<strong>le</strong> ? balbutia <strong>le</strong> banquier.- 33 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– Et vous l’avez exaspéré en l’outrageant odieusement à l’instant même oùvous auriez dû, au contraire, <strong>le</strong> remercier cha<strong>le</strong>ureusement. Du reste, iln’aurait pu vous expliquer la vérité qu’en dénonçant cette jeune fil<strong>le</strong> qui,pourtant, ne méritait pas d’égards, et cheva<strong>le</strong>resque jusqu’au bout, il préférase taire plutôt que <strong>de</strong> la trahir.– Voilà donc pourquoi el<strong>le</strong> a poussé ce cri et a perdu connaissance, s’écriaM. Hol<strong>de</strong>r. O mon Dieu, faut-il que j’aie été assez aveug<strong>le</strong> et stupi<strong>de</strong> ! EtArthur qui m’avait <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> lui permettre <strong>de</strong> sortir cinq minutes ! Lebrave garçon voulait retourner voir si <strong>le</strong> morceau qui manquait n’était pasresté à l’endroit où il s’était battu.« Comme je l’ai mal jugé !– A mon arrivée à la maison, poursuivit Holmes, mon premier soin fut d’enfaire soigneusement <strong>le</strong> tour afin <strong>de</strong> m’assurer s’il n’y avait pas sur la neige<strong>de</strong>s empreintes susceptib<strong>le</strong>s <strong>de</strong> me mettre sur la voie. Je savais qu’il n’avaitpas neigé à nouveau <strong>de</strong>puis la veil<strong>le</strong> au soir et que, comme il avait gelé trèsfort pendant la nuit, <strong>le</strong>s empreintes, s’il en existait, seraient <strong>de</strong>meuréesintactes. Je commençai par longer <strong>le</strong> sentier <strong>de</strong>s fournisseurs, mais jem’aperçus que tout y avait été piétiné et qu’il serait impossib<strong>le</strong> <strong>de</strong> rienreconnaître. Un peu plus loin, par contre, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la porte <strong>de</strong> la cuisine, jeconstatai qu’une femme était restée <strong>de</strong>bout à la même place, en conversationavec un homme dont l’une <strong>de</strong>s empreintes, petite et ron<strong>de</strong>, montrait qu’ilavait une jambe <strong>de</strong> bois. Je pus même me rendre compte qu’ils avaient étédérangés, attendu que la femme était revenue en courant vers la porte, ainsique <strong>le</strong> prouvaient ses traces, profon<strong>de</strong>s à la pointe et légères au talon, tandisque l’homme à la jambe <strong>de</strong> bois, après avoir attendu encore un peu, avait finipar s’en al<strong>le</strong>r. Je pensai tout <strong>de</strong> suite qu’il s’agissait peut-être <strong>de</strong> la servanteet <strong>de</strong> son amoureux, dont vous m’aviez parlé, et,renseignements pris, je vis que je ne m’étais pas trompé. En faisant <strong>le</strong> tourdu jardin, je ne re<strong>le</strong>vai pas autre chose que <strong>de</strong>s empreintes sans butdéterminé que je présumai avoir été produites par <strong>le</strong>s policiers ; mais, une- 34 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmesfois dans <strong>le</strong> chemin <strong>de</strong>s écuries, j’y découvris, écrite <strong>de</strong>vant moi sur la neige,une histoire très longue et très comp<strong>le</strong>xe.« Il y avait là <strong>de</strong>ux doub<strong>le</strong>s lignes d’empreintes : <strong>le</strong>s premières produites parun homme chaussé ; <strong>le</strong>s secon<strong>de</strong>s, je <strong>le</strong> constatai avec joie, appartenant à unhomme ayant marché nu-pieds. D’après <strong>le</strong> récit que vous m’aviez fait,j’acquis immédiatement la conviction que ce <strong>de</strong>rnier était votre fils. Lepremier avait marché en venant et en repartant, mais l’autre avait coururapi<strong>de</strong>ment et, comme l’empreinte <strong>de</strong> son pied nu recouvrait par endroitscelui <strong>de</strong> l’homme chaussé, il était évi<strong>de</strong>nt qu’il avait dû passer après lui. Je<strong>le</strong>s suivis, et je vis qu’el<strong>le</strong>s aboutissaient à la fenêtre du vestibu<strong>le</strong>, oùl’homme chaussé avait foulé toute la neige à force d’attendre. Ensuite, jerepris cette piste en sens inverse jusqu’à l’emplacement où el<strong>le</strong> se terminait,à une centaine <strong>de</strong> mètres <strong>de</strong> là, dans <strong>le</strong> chemin <strong>de</strong>s écuries. Je vis <strong>le</strong> <strong>de</strong>mitourdécrit par l’homme chaussé lorsqu’il était revenu sur ses pas,l’emplacement où la neige était toute piétinée comme si une lutte y avait eulieu, et fina<strong>le</strong>ment quelques gouttes <strong>de</strong> sang qui me confirmèrent dans cettesupposition. L’homme chaussé avait ensuite couru <strong>le</strong> long du chemin, et jeretrouvai plus loin quelques nouvel<strong>le</strong>s traces <strong>de</strong> sang qui me prouvèrent quec’était lui qui avait été b<strong>le</strong>ssé ; mais, quand j’arrivai à la grand-route, je visqu’on l’avait déblayée et qu’il ne subsistait par conséquent plus aucune trace<strong>de</strong> ce côté.« En revanche, lorsque, en pénétrant dans la maison, j’examinai, comme ilvous en souvient, à la loupe, <strong>le</strong> rebord <strong>de</strong> la boiserie <strong>de</strong> la fenêtre duvestibu<strong>le</strong>, je pus tout <strong>de</strong> suite me rendre compte que quelqu’un l’avaitfranchie, car on distinguait nettement <strong>le</strong>s contours d’un pied humi<strong>de</strong> qui s’yétait posé en rentrant.« Je commençai alors à pouvoir me former une opinion sur ce qui avait dû sepasser. Un homme avait attendu <strong>de</strong>vant la fenêtreet quelqu’un lui avait apporté <strong>le</strong>s pierres ; votre fils avait été témoin <strong>de</strong> lascène, s’était élancé à la poursuite du vo<strong>le</strong>ur, avait lutté avec lui, chacun- 35 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmestirant <strong>de</strong> son côté sur <strong>le</strong> diadème et provoquant ainsi une rupture que ni l’unni l’autre n’aurait pu effectuer à lui tout seul. Fina<strong>le</strong>ment, il était revenu à lamaison, en possession du joyau reconquis dont il avait cependant laissé uneportion aux mains <strong>de</strong> son adversaire. Jusque-là, tout était parfaitement clair.Ce qu’il s’agissait maintenant <strong>de</strong> découvrir, c’est qui était <strong>le</strong> vo<strong>le</strong>ur et qui luiavait livré <strong>le</strong> diadème.« En vertu d’une maxime dont j’ai <strong>de</strong>puis longtemps vérifié la justesse,lorsque l’on a écarté d’un problème tous <strong>le</strong>s éléments impossib<strong>le</strong>s, ce quireste, si invraisemblab<strong>le</strong> que cela puisse paraître, est forcément la vérité.Étant donné que ce n’était pas vous qui aviez livré <strong>le</strong> diadème, ce ne pouvaitêtre que votre nièce ou l’une <strong>de</strong>s servantes. Mais, si c’était une servante,quel<strong>le</strong> raison aurait eu votre fils <strong>de</strong> se laisser accuser à sa place ? Aucune,n’est-ce pas ? Tandis que, du fait qu’il aimait sa cousine, il était tout naturelqu’il n’eût pas voulu la trahir, surtout puisqu’il s’agissait d’un secret dont larévélation l’aurait déshonorée. Me rappelant que vous l’aviez vue à lafenêtre et qu’el<strong>le</strong> s’était plus tard évanouie lorsqu’el<strong>le</strong> avait aperçu <strong>le</strong>diadème, je passai immédiatement du domaine <strong>de</strong> la simp<strong>le</strong> conjecture àcelui <strong>de</strong> la certitu<strong>de</strong> absolue.« Ceci posé, quel pouvait être son complice ? Quelqu’un qu’el<strong>le</strong> aimait,incontestab<strong>le</strong>ment, car quel autre aurait pu lui faire oublier l’affection et lareconnaissance qu’el<strong>le</strong> <strong>de</strong>vait avoir pour vous ? Je savais que vous sortiezpeu, et que votre cerc<strong>le</strong> d’amis était fort restreint. Mais, parmi ces <strong>de</strong>rniers,figurait sir George Burnwell, et j’avais déjà entendu par<strong>le</strong>r <strong>de</strong> lui commed’un vil suborneur. Il y avait donc tout lieu <strong>de</strong> penser que l’homme chaussén’était autre que lui et que, par conséquent, c’était lui qui avait en sapossession <strong>le</strong>s trois pierres disparues. Même se sachant découvert parArthur, il pouvait se considérer à l’abri <strong>de</strong>s poursuites, car votre fils, en <strong>le</strong>dénonçant, aurait voué au déshonneur sa propre famil<strong>le</strong>.« Votre seul bon sens suffira à vous faire <strong>de</strong>viner quel<strong>le</strong>s mesures je prisensuite. Sous <strong>le</strong>s apparences d’un vagabond, je me rendis à la maison <strong>de</strong> sir- 36 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock HolmesGeorge, m’arrangeai pour lier connaissance avec son va<strong>le</strong>t <strong>de</strong> chambre,appris <strong>de</strong> cette façon que son maître avait été b<strong>le</strong>ssé la nuit précé<strong>de</strong>nte, etfina<strong>le</strong>ment, moyennant six shillings, acquis la preuve dont j’avais besoin enachetant une <strong>de</strong> ses vieil<strong>le</strong>s paires <strong>de</strong> chaussures que je rapportai à Streathamet qui, ainsi que je l’avais prévu, s’adaptaient exactement aux empreintes.– J’ai vu en effet un vagabond mal vêtu hier dans <strong>le</strong> chemin, dit M. Hol<strong>de</strong>r.– Précisément. C’était moi. Alors, sûr désormais <strong>de</strong> mon fait, je rentrai chezmoi me changer. Mais <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> qu’il allait me falloir jouer ensuite était d’unedélicatesse extrême, car, pour éviter tout scanda<strong>le</strong>, il était nécessaire d’éviterl’intervention <strong>de</strong> la police, et je savais qu’un gredin aussi avisé que celuiauquel nous avions affaire nous tiendrait par-là complètement paralysés.J’allai donc <strong>le</strong> voir moi-même. Bien entendu, il commença par tout nier,puis, quand il s’aperçut que j’étais capab<strong>le</strong> <strong>de</strong> lui raconter en détail tout cequi s’était passé, il essaya <strong>de</strong> faire <strong>le</strong> bravache et s’arma d’un casse-tête qu’ilavait décroché au mur. Mais je connaissais mon homme, et je lui braquaimon revolver à la tête sans lui laisser <strong>le</strong> temps <strong>de</strong> frapper. Alors, ilcommença à se montrer un peu plus raisonnab<strong>le</strong>. Je lui expliquai que nousétions prêts à lui verser une in<strong>de</strong>mnité en échange <strong>de</strong>s pierres qu’il détenait :un millier <strong>de</strong> livres pour chaque. Cela lui arracha pour la première fois <strong>de</strong>sparo<strong>le</strong>s <strong>de</strong> regret.« – Le diab<strong>le</strong> m’emporte ! s’écria-t-il. Je <strong>le</strong>s ai lâchées toutes <strong>le</strong>s trois poursix cents livres.« J’eus tôt fait <strong>de</strong> lui faire dire l’adresse du rece<strong>le</strong>ur auquel il <strong>le</strong>s avaitcédées, en lui promettant qu’aucune plainte ne serait déposée contre lui. Jem’y rendis aussitôt et, après bien <strong>de</strong>s marchandages, je parvins à me fairerendre <strong>le</strong>s pierres à raison <strong>de</strong>mil<strong>le</strong> livres pièce. Ce résultat obtenu, je passai prévenir votre fils que toutétait arrangé et, <strong>de</strong> là, rentrai me coucher vers <strong>de</strong>ux heures du matin, après cequi peut s’appe<strong>le</strong>r une bonne journée <strong>de</strong> travail.- 37 -


Arthur Conan Doy<strong>le</strong> - Sherlock Holmes– Une journée qui a épargné à l’Ang<strong>le</strong>terre un gros scanda<strong>le</strong> politique, ajouta<strong>le</strong> banquier en se <strong>le</strong>vant. Monsieur Holmes, je ne sais vraiment pas commentvous exprimer ma reconnaissance, mais vous verrez cependant que vousn’avez pas eu affaire à un ingrat. Votre habi<strong>le</strong>té surpasse véritab<strong>le</strong>ment toutce que l’on m’en avait dit. Et maintenant, il faut que je coure retrouver moncher fils, afin <strong>de</strong> lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r pardon <strong>de</strong> tout <strong>le</strong> mal que je lui ai fait. Quantà ce que vous me dites <strong>de</strong> ma Mary, j’en ai <strong>le</strong> cœur littéra<strong>le</strong>ment brisé. Sansdoute ne pourrez-vous pas, en dépit <strong>de</strong> toute votre habi<strong>le</strong>té, me dire où el<strong>le</strong>est maintenant ?– Je crois pouvoir vous affirmer, sans crainte <strong>de</strong> me tromper, répliquaHolmes, qu’el<strong>le</strong> est là où se trouve sir George Burnwell.Et il est non moins certain que, si gran<strong>de</strong> qu’ait pu être sa faute, <strong>le</strong> châtimentqui l’attend sera bien plus grand encore.- 38 -

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