TémoignagesChrétiens au milieu des musulmansMgr Henri Coudray interrogépar Jean MalleinFin septembre, Mgr Henri Coudray,préfet apostolique du futurdiocèse de Mongo, un territoiregrand comme la France dans l’Estdu Tchad, faisait un bref passage àAvignon. Venant de l’Institut Notre-Dame de Vie dont fait partie l’un deses prêtres et qui intéresse l’un deses professeurs de collège, il venaitvoir Mgr Cattenoz qu’il avait connuMusulmans et Chrétiens et leurLivre Saint (photo site eglisemongo.org)au séminaire de N’Djanema, avantde poursuivre son voyage en Europepour parler de la mission en Belgiqueet en Allemagne, au titre d’évêque desréfugiés. Ils sont, en effet, 230 000dans sa préfecture, venus du Darfourvoisin, tous musulmans.Sa demande, qu’il devait faireégalement à d’autres évêques : uneaide fi nancière pour construire sacathédrale, « une église de 800 placesqui soit digne, assez grande pour desrassemblements plus importants etqui puisse inscrire, dans un milieu trèsislamisé, la présence chrétienne ».C’est pour relayer cette demandedans la feuille « Alléluia » 1 queje devais le rencontrer, en mêmetemps qu’une autre personne, pourRCF. Cette dernière ayant du retard,Mgr Cattenoz me laissa seul unmoment avec son invité, occasionpour moi d’être saisi par le solidealliage de simplicité fraternelle et defoi qui émanait de lui.Car, si ce jésuite d’origine savoyardeaime à se défi nir comme « un ordinairesans caractère » (un « ordinaire » dulieu, comme un évêque en son diocèse,mais à qui manque le « caractère » del’ordination épiscopale), il ne manquaitpas pour autant de caractère, àmoins qu’il ne faille l’avoir mauvais1 Voir la feuille Alléluia-service N°973 du 12octobre 2008, consultable sur le site www.diocese-avignon.frpour qu’on en parle. Or, alors qu’ilm’expliquait non sans humour cequ’était un préfet apostolique, je mesuis surpris à le tutoyer, une familiaritéqui ne l’a nullement gêné, que j’airéprimée comme inconvenante, maisqui me fi t goûter quelque chose de lafraternité chrétienne qui vient du cœuret qui donne confi ance.Et j’ai également rencontré un <strong>homme</strong>de foi dont je vais retranscrire ici quelquespropos.« Une Eglise desfrontières »C’est le titre que l’on peut lire sur lesite http://eglisemongo.org ouvert enseptembre dernier : « Entre désert etplaines herbeuses ; entre populationsnomades et sédentaires ; entre ethniesarabes et négro africaines ; entreIslam, Animisme et Christianisme ;entre chrétiens du Nord du pays etchrétiens du Sud ». Les six petits diocèsesdu sud du Tchad, le cinquièmeou le sixième du territoire du pays,où vit la moitié de sa population, sontmajoritairement chrétiens, alors que lapréfecture apostolique, prise en 2001sur la partie Est de l’immense archidiocèsede N’Djaména et qui compte1 700 000 habitants, est musulmaneà 95 %. Les chrétiens déclarés, plusdu double de ceux qui sont enregistrésdans les paroisses, catholiqueset protestants réunis, ne représententque 1 % de cette population. Réfl exiond’un chrétien du Sud : ‘Dans le Sud,c’est évident, tout le monde veut êtrechrétien. Dans le Nord, si vous êteschrétiens, c’est par choix, et nousavons besoin de votre témoignageparce que ça nous encourage beaucoupà être chrétien, surtout avecl’avancée de l’Islam ’.« Dans la préfecture, poursuitMgr Coudray, il y a un tiers d’autochtoneset les autres chrétiens sont desallogènes venus du sud, chrétiensou en route vers le christianisme, quiservent là comme militaires ou fonctionnairespour 8, 15 ans ou plus…Il y viennent en traînant les pieds,18
parce que pour eux, c’est une terreennemie, où, disent-ils, leurs parentsont été massacrés, ce qui n’est pasfaux, sauf qu’ils ne l’ont pas été à titrede chrétiens, mais, comme on dit auTchad, à titre de sudistes, commemembres des ethnies qui étaient dansla situation dominante au moment oùa éclaté la guerre civile. Ces gens duSud arrivent effarouchés. Avant 2001,l’église d’Abéché était administréedepuis N’Djaména, à 950 km, sansautoroute ! Maintenant, ils se sententsoutenus, on les visite plus souvent etle fait de trouver d’autres chrétiens quivivent sans complexe avec des musulmans,cela les met à l’aise, malgré lefanatisme quotidien dont ils souffrent.Par exemple, quand tout le monde serassemble dans les rues et s’inclineau moment de la prière, pour ne pass’incliner avec les autres, il faut êtrefort ».Et puis, l’identité de l’évêque estimportante.Un missionnaire qui afait l’église buissonnière« J’ai un parcours très atypique. J’aifait l’Eglise buissonnière. J’avais unevocation missionnaire, mais de l’extrême: je suis toujours allé plus loin etmaintenant l’Eglise me demande decréer un diocèse ! Si vous m’aviez dit,il y a dix ans, que je de<strong>vrai</strong>s construireune cathédrale, j’aurais été complètementstupéfait et maintenant ça meparaît évident ».« C’est la 32 e année de ma vie queje passe au Tchad… J’ai commencéen étant professeur d’arabe au lycéed’Abéché, la capitale arabo-islamiquedu pays. Pendant dix ans, ma« lune de miel » de prêtre jésuite, j’aiété coopérant. Oui, un français pourenseigner l’arabe, c’est peu banal ! Etaprès, j’allais dans l’église d’Abéché,porte ouverte, célébrer l’eucharistieavec les religieuses libanaises. Lesgens savaient très bien qui j’étais etj’ai noué là des liens très importantsavec des collègues et des élèves quiont pris des responsabilités dans lepays.Il y a 15 ans, les Français étaient trèsmal vus, puis ils ont réussi à se faireaimer. Mais, depuis deux ans, à causedu soutien inconditionnel de la Franceau pouvoir d’Idriss Déby, qui est honnidans le Nord et dans le Sud, il n’estpas confortable d’être Français…Je peux très bien me faire fl inguer,mais ce qui me donne confi ance,c’est que je n’ai jamais eu de problèmedepuis le début. J’ai, <strong>Dieu</strong> m’adonné, un don : j’aime ces <strong>homme</strong>set ces femmes, même si j’ai du mal àsupporter ceux qui sont au service durégime actuel et qui sont particulièrementarrogants, mais lorsque je saiscomment ils en sont venus là, quelle aété leur éducation, je leur pardonne.Ces <strong>homme</strong>s vivent dans un milieuparticulièrement hostile, à la fois àcause du désert et de la vendetta.Les enfants sont éduqués à l’agressivité.Entre Faya et Koro Toro, il y aun puits qu’il ne faut absolument pasmanquer… Des gens arrivés en voituretrouvent au puits un enfant de10 ans, seul. Comment tu t’appelles ?Mon nom ne t’intéresse pas. Qu’est-ceque tu fais là ? Ca ne te concerne pas.L’enfant n’en a pas dit plus. Il n’avaitpas peur. On a appris plus tard qu’ilrepérait les chameaux à acheter…Donc, quand ils voient que tu n’as paspeur, que tu les estimes, que tu parlesleur langue, si tu as les cheveuxblancs, si tu parles sans agressivité…En 1979, à l’occasion d’un court cessez-le-feuaprès 23h de combats terribles,les militaires français sont venusnous demander si nous voulions venirchez eux. Nous avions les enfants del’internat, il y avait la famille du gardien…On leur a dit : ‘On part pas, onreste’.Trois semaines après, la famille dugardien venait prendre des nouvelles.J’étais dans le garage, à côté, et j’aientendu quelque chose qui m’a renvoyéaux paroles <strong>vrai</strong>ment dites par leChrist : ‘Les Pères ont dit : non, on neveut pas partir, ce sont nos enfants etnos frères. S’ils meurent, on va mouriravec eux et s’ils vivent, on va vivreavec eux’. On n’a pas dit ça, maisle fond est <strong>vrai</strong> et on n’avait pas lechoix ».Comparaison avec l’Eglise qui esten France« Dans certains endroits, on sent uneEglise nouvelle qui naît, ailleurs uneEglise qui est en train de faire sa mue,pour moi c’est le terme positif pour direqui est en train de mourir dans le senschrétien de mourir, pour donner, pourrenaître… Pour moi qui viens d’uneEglise hyper minoritaire ce n’est pasen nombre de fi dèles que je calcule,c’est en capacité de se mobiliser pourfaire que l’Eglise naisse. Or, dans lescommunautés qui sont réparties danscet immense territoire, il y en a environ90 (pour seulement 10 prêtres, moiétant le dixième !), je viens comme lepasteur pour apporter l’encouragementet l’interpellation de l’Evangile,les sacrements évidemment, mais laplupart du temps c’est moi qui suisévangélisé par la présence de ceschrétiens qui tiennent tout seuls ». ■Chrétiennes et musulmanes ausecours des réfugiés(photo site eglisemongo.org)19