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Les groupes informels de jeunes au regard du régime est-allemand :

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Emmanuel Droit, « <strong>Les</strong> "peer groups" dans l’espace public en RDA : <strong>de</strong> la stigmatisation à lareconnaissance ? (1960-1980) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°7, janvier-avril 2009.www.histoire-politique.fr.<strong>Les</strong> « peer groups » dans l’espace public en RDA :De la stigmatisation à la reconnaissance ?(1960- 1980)Emmanuel Droit« Dans notre société, le parti et la <strong>jeunes</strong>se ne font qu’un parce que le socialisme, avec ses objectifs <strong>de</strong>paix et <strong>de</strong> bien-être populaire, correspond <strong>au</strong>x idé<strong>au</strong>x <strong>de</strong> la <strong>jeunes</strong>se <strong>de</strong> la jeune génération et offre àtous les <strong>jeunes</strong> la perspective d’un avenir sûr 1 . » Erich Honecker, 10 e congrès <strong>du</strong> SED, avril 1981Penser la distinction espace public-espace privé en RDA exige <strong>de</strong> dépasser l’oppositionschématique entre un espace public contrôlé par le parti communiste <strong>au</strong> pouvoir 2 , leSED (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands), et <strong>de</strong>s espaces privés que lepubliciste ou<strong>est</strong>-<strong>allemand</strong> Günter G<strong>au</strong>ss a qualifié pour la société <strong>est</strong>-alleman<strong>de</strong> <strong>de</strong>« niches 3 ». Ce contraste schématique se retrouve dans le film Good Bye Lenin <strong>de</strong>Wolfgang Becker où la datcha <strong>de</strong> la famille Kerner constitue l’unique lieu <strong>de</strong> vérité oùla parole vraie peut se dire. <strong>Les</strong> frontières entre espace public et espace privé sontcomplexes voire même difficiles à délimiter, comme nous le rappelle l’existence d’unepolice secrète très bien implantée <strong>au</strong> sein <strong>de</strong> la société <strong>est</strong>-alleman<strong>de</strong> (le ministèrepour la Sécurité <strong>de</strong> l’Etat, Stasi en <strong>allemand</strong>) et capable <strong>de</strong> pénétrer <strong>de</strong> façon trèsefficace la vie privée <strong>de</strong>s gens.Pour mener à bien cette réflexion, il nous paraît essentiel <strong>de</strong> déconstruire le discourspolitique officiel, c’<strong>est</strong>-à-dire la réalité telle que la rêvent ou la mettent en scène lesdirigeants communistes, pour se pencher concrètement sur la mise en œuvre <strong>du</strong> projetsocialiste. Il ne f<strong>au</strong>t pas être victime <strong>de</strong> l’illusion idéologique pro<strong>du</strong>ite par ce <strong>régime</strong> <strong>de</strong>dictature qui se donne à voir comme une réalité cohérente et fermée sur elle-même. Lamise en scène d’un « certain » espace public dans le cadre <strong>de</strong> manif<strong>est</strong>ations officiellescomme par exemple le 1 er mai n’indique nullement ce qu’il <strong>est</strong> pour ceux quil’inv<strong>est</strong>issent 4 . La délicate qu<strong>est</strong>ion <strong>de</strong> la définition <strong>de</strong>s contours <strong>de</strong> l’espace public et<strong>de</strong> ses rapports avec la sphère privée dans la société <strong>est</strong>-alleman<strong>de</strong> exigent uneapproche interactionniste. Cela implique <strong>de</strong> se livrer à une anatomie minutieuse <strong>de</strong>srapports <strong>de</strong> pouvoir entre les représentants <strong>de</strong> l’État, leurs institutions et les citoyensen se concentrant sur les lieux et les acteurs 5 .1Erich Honecker, « Bericht <strong>de</strong>s ZK <strong>de</strong>r SED an <strong>de</strong>n. Parteitag <strong>de</strong>r SED, avril 1981 », dans Henner Barthel(dir.), Politische Re<strong>de</strong>n in <strong>de</strong>r DDR. Eine kritische Dokumentation, St Ingberg, Röhrig, 1998, p. 44.2Sigrid Meuschel, Legitimation und Parteiherrschaft in <strong>de</strong>r DDR. Zum Paradox von Stabilität undRevolution in <strong>de</strong>r DDR 1945-1989, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1992.3Günter G<strong>au</strong>ss, Wo Deutschland liegt, Hamburg, Hoffmann et Campe, 1983.4Jérome Bazin, « Le 1 er mai à Berlin-Est dans les années 1950 », Vingtième siècle. Revue d’histoire,n° 98, avril-juin 2008, p. 141-148.5Dans son ouvrage Im R<strong>au</strong>m lesen wir Zeit, l’historien <strong>allemand</strong> Karl Schlögel souligne que l’histoire nese déroule pas seulement dans le temps mais dans l’espace. <strong>Les</strong> événements ont bien lieu quelque part ;les processus historiques sont spatialisés. Karl Schlögel, Im R<strong>au</strong>m lesen wir Zeit. ÜberZivilisationsgeschichte und Geopolitik, Munich, Hanser, 2003.- 1 -


Emmanuel Droit, « <strong>Les</strong> "peer groups" dans l’espace public en RDA : <strong>de</strong> la stigmatisation à lareconnaissance ? (1960-1980) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°7, janvier-avril 2009.www.histoire-politique.fr.<strong>Les</strong> <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> (peer groups) <strong>de</strong> Berlin-Est, étudiés <strong>au</strong> cours <strong>de</strong> lapério<strong>de</strong> 1960-1980, nous offrent l’occasion <strong>de</strong> réfléchir à la distinction espace publicespaceprivé, et plus précisément à la qu<strong>est</strong>ion <strong>du</strong> réinv<strong>est</strong>issement par les <strong>jeunes</strong> entant qu’acteurs soci<strong>au</strong>x <strong>de</strong> l’espace public à <strong>de</strong>s fins privées. Derrière le terme flou <strong>de</strong>« <strong>jeunes</strong> », nous incluons selon la définition en vigueur en RDA les adolescents et les<strong>jeunes</strong> a<strong>du</strong>ltes âgés <strong>de</strong> quinze à vingt-cinq ans. Leurs origines et leurs statuts soci<strong>au</strong>x(lycéens, apprentis, <strong>jeunes</strong> ouvriers) sont divers mais ils sont unis <strong>au</strong> sein <strong>de</strong> leurs« ban<strong>de</strong>s » par un sentiment <strong>de</strong> camara<strong>de</strong>rie et un horizon <strong>de</strong> références, <strong>de</strong> co<strong>de</strong>s et<strong>de</strong> valeurs culturelles communs.L’inv<strong>est</strong>issement <strong>de</strong> l’espace public par les <strong>jeunes</strong> <strong>est</strong>-<strong>allemand</strong>s interpelle forcémentle <strong>régime</strong> socialiste dont la politique envers la <strong>jeunes</strong>se ne cesse dès la naissance <strong>de</strong> laRDA d’osciller entre la volonté <strong>de</strong> construire l’homme socialiste nouve<strong>au</strong> 6 et unerelative (et toujours éphémère) tolérance <strong>au</strong>x influences culturelles venues <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>occi<strong>de</strong>ntal. <strong>Les</strong> décennies 1960 et 1970 se prêtent parfaitement à l’analyse <strong>de</strong>l’évolution <strong>de</strong>s rapports entre les <strong>au</strong>torités politiques <strong>est</strong>-alleman<strong>de</strong>s et ces <strong>groupes</strong><strong>informels</strong>. Cette pério<strong>de</strong> se caractérise en effet par le passage <strong>de</strong> la stigmatisation à lareconnaissance <strong>de</strong> ces peer groups <strong>au</strong> sein <strong>de</strong> l’espace public. D’où la problématiquequi sous-tend cette contribution : pourquoi le <strong>régime</strong> socialiste en <strong>est</strong>-il venu àreconnaître ces <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> et à leur faire une place <strong>au</strong> sein <strong>de</strong> l’espace public ?À cette qu<strong>est</strong>ion générale s’ajoutent <strong>de</strong>ux interrogations concomitantes : comment lepouvoir a-t-il justifié cette évolution ? cette reconnaissance sociale n’<strong>est</strong>-elle pas <strong>au</strong>final une façon pour le <strong>régime</strong> <strong>de</strong> donner à la <strong>jeunes</strong>se l’illusion <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>l’<strong>est</strong>ime sociale et dans le même temps <strong>de</strong> se donner l’illusion <strong>de</strong> renforcer soncontrôle sur cette catégorie d’âge soupçonnée d’être « potentiellement dangereuse » ?Au cours <strong>de</strong>s années 1960, ces <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> font tout à la fois l’objet d’unepolitique <strong>de</strong> stigmatisation et <strong>de</strong> criminalisation. Le tournant <strong>de</strong>s années 1970 aboutità une reconnaissance partielle <strong>de</strong> ces peer groups dans l’espace public. Il conviendrad’apporter toutes les nuances nécessaires à cette reconnaissance à l’exemple <strong>de</strong>l’analyse d’un film documentaire <strong>est</strong>-<strong>allemand</strong> sur les <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>du</strong>quartier <strong>de</strong> Prenzl<strong>au</strong>er Berg <strong>au</strong> début <strong>de</strong>s années 1980.<strong>Les</strong> <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> en RDA : un exemple <strong>de</strong>« communalisation »Depuis le début <strong>de</strong>s années 1950, le <strong>régime</strong> socialiste tente <strong>de</strong> renforcer son emprisesur la <strong>jeunes</strong>se en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l’école par un encadrement institutionnel reposant sur<strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> masse : les Pionniers et la Jeunesse libre alleman<strong>de</strong> (FDJ) 7 .L’ambition <strong>de</strong> cette socialisation secondaire <strong>est</strong> <strong>de</strong> participer à l’é<strong>du</strong>cation socialiste et<strong>au</strong> contrôle social en atténuant les « effets négatifs » supposés <strong>de</strong> la socialisation6Emmanuel Droit, La construction <strong>de</strong> l’homme socialiste nouve<strong>au</strong> dans les écoles <strong>de</strong> Berlin-Est :acteurs, pratiques, représentations (1949-1989), thèse soutenue en mai 2006 à l’université Paris 1. Aparaître <strong>au</strong>x Presses universitaires <strong>de</strong> Rennes à l’<strong>au</strong>tomne 2009.7Pour une histoire <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong>se, voir entre <strong>au</strong>tres Alan McDougall, Youth Politics inEast Germany. The Free German Youth Movement 1946-1968, Oxford, Oxford University Press, 2004 ;Leonore Ansorg, Kin<strong>de</strong>r im Klassenkampf. Die Geschichte <strong>de</strong>r Pionierorganisation von 1948 bis En<strong>de</strong><strong>de</strong>r 50 er Jahre, Cologne, Böhl<strong>au</strong>, 1997.- 2 -


Emmanuel Droit, « <strong>Les</strong> "peer groups" dans l’espace public en RDA : <strong>de</strong> la stigmatisation à lareconnaissance ? (1960-1980) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°7, janvier-avril 2009.www.histoire-politique.fr.primaire (liée à la cellule familiale 8 ), en invitant les enfants et les adolescents àpartager, par un certain nombre d’activités culturelles et sportives, les normes et lesvaleurs <strong>de</strong> la société socialiste à venir. Ce projet é<strong>du</strong>catif vise <strong>au</strong>ssi à limiter l’influence<strong>de</strong> l’Eglise prot<strong>est</strong>ante qui, par le biais <strong>de</strong> la Junge Gemein<strong>de</strong>, constitue un concurrentdans le champ <strong>de</strong> la <strong>jeunes</strong>se.La construction <strong>du</strong> mur <strong>de</strong> Berlin en 1961 représente une date clé dans l’histoire <strong>de</strong>srapports entre le pouvoir et la société. Elle rend possible la stabilisation <strong>du</strong> <strong>régime</strong>politique, mais également l’acceptation nécessaire <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong>se par lapopulation qui <strong>est</strong> contrainte d’accepter les règles <strong>du</strong> jeu. Là où les sources <strong>du</strong> SEDparlent d’ « engagement », il f<strong>au</strong>t plutôt y voir l’expression d’une activité socialefondée sur le compromis d’intérêt motivé rationnellement : l’appartenance <strong>au</strong>xPionniers et à la FDJ garantit en théorie une scolarité sans humiliations ou pressionséventuelles. C’<strong>est</strong> ce que Max Weber appelle la sociation, c’<strong>est</strong>-à-dire une relationsociale rationnelle d’après « la croyance en son caractère obligatoire »(Verbindlichkeit) 9 .Le projet é<strong>du</strong>catif socialiste visant à créer <strong>du</strong> conformisme se heurte toutefois à laconcurrence d’une forme non institutionnalisée <strong>de</strong> socialisation secondaire, à savoircelle <strong>de</strong>s <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> qui se constituent spontanément à l’échelle <strong>de</strong>s quartiers,<strong>au</strong> nive<strong>au</strong> <strong>de</strong>s rues. Ces peer groups échappent <strong>au</strong> contrôle <strong>de</strong>s instances é<strong>du</strong>cativesofficielles - clubs <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> <strong>de</strong>s quartiers ou cellules <strong>de</strong> base <strong>de</strong>sorganisations <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong>se socialistes dans les établissements scolaires ou lesentreprises.La rue constitue en effet un important lieu <strong>de</strong> socialisation <strong>de</strong> la <strong>jeunes</strong>se 10 . Pour les<strong>au</strong>torités politiques, elle <strong>est</strong> synonyme d’un espace social potentiellement dangereuxqu’il s’agit <strong>de</strong> contrôler, englobant trottoirs, places, routes, entrées d’immeubles, parcspublics… L’enjeu <strong>est</strong> <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>ler cet espace selon les normes officielles. Or, nulle <strong>au</strong>tretranche d’âge n’utilise plus la rue que la <strong>jeunes</strong>se. C’<strong>est</strong> là que se forment <strong>de</strong>s <strong>groupes</strong><strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> qui définissent <strong>de</strong>s stratégies <strong>de</strong> distinction et <strong>de</strong> reconnaissance quidépen<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> leur milieu d’appartenance et <strong>de</strong> leur milieu <strong>de</strong> référence. L’adhésion àune ban<strong>de</strong> suppose la dépendance à une hiérarchie (ces <strong>groupes</strong> se structurent <strong>au</strong>tourd’un chef) et à une solidarité. La ban<strong>de</strong> a son lieu <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>z-vous, son insigne, sesrites, son langage. Le groupe <strong>est</strong> socialisateur lorsqu’il agit comme un élémentrassurant et coordinateur, à l’abri <strong>du</strong>quel peut s’épanouir l’<strong>au</strong>tonomie indivi<strong>du</strong>elle. Legroupe <strong>est</strong> en fait socialisateur dans la mesure où il indivi<strong>du</strong>alise. <strong>Les</strong> peer groupsrelèvent ainsi <strong>de</strong> la catégorie wébérienne <strong>de</strong> la communalisation(Vergemeinschaftung), c’<strong>est</strong>-à-dire lorsque la « disposition <strong>de</strong> l’activité sociale sefon<strong>de</strong> (…) sur le sentiment subjectif (…) <strong>de</strong>s participants d’appartenir à une mêmecommun<strong>au</strong>té 11 » unie par la camara<strong>de</strong>rie. La communalisation <strong>est</strong> donc avant toutune relation sociale basée sur une sorte <strong>de</strong> conscience commun<strong>au</strong>taire, le sentimentsubjectif d’appartenir à un groupe.8La loi <strong>de</strong> 1965 sur la famille exclut officiellement tout antagonisme entre la famille et la sociétésocialiste, censées former une unité.9Max Weber, Économie et société. <strong>Les</strong> catégories <strong>de</strong> la sociologie, Paris, Plon, (1971) 1995, p. 78.10Jürgen Zinnecker, „Strassensozialisation. Ein Kapitel <strong>au</strong>s <strong>de</strong>r Geschichte von Kindheit und Pädagogik“,dans Christel A<strong>de</strong>ck (dir.), Straßenkin<strong>de</strong>r und Kin<strong>de</strong>rarbeit. Sozialisationstheorie, historische undkulturvergleichen<strong>de</strong> Studien, Frankfurt/M, IKO-Verlag, 1997, p. 93-116.11Max Weber, op. cit., p. 79.- 3 -


Emmanuel Droit, « <strong>Les</strong> "peer groups" dans l’espace public en RDA : <strong>de</strong> la stigmatisation à lareconnaissance ? (1960-1980) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°7, janvier-avril 2009.www.histoire-politique.fr.Il <strong>est</strong> intéressant <strong>de</strong> noter que ces <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> (quasi exclusivementmasculins 12 ) mélangent le plus souvent <strong>de</strong>s élèves <strong>de</strong> l’enseignement général et <strong>de</strong>sapprentis. Ils correspon<strong>de</strong>nt <strong>au</strong> besoin d’affirmation <strong>de</strong> la <strong>jeunes</strong>se dans la société,dans la mesure où la <strong>jeunes</strong>se, en quête <strong>de</strong> reconnaissance, entend montrer saspécificité dans l’espace public. Ce genre <strong>de</strong> problèmes n’<strong>est</strong> évi<strong>de</strong>mment propre ni àl’Allemagne, ni <strong>au</strong>x sociétés socialistes, mais tout simplement l’expression d’unesociété marquée par un processus <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rnisation. Cette observation nous permet<strong>de</strong> souligner combien il <strong>est</strong> important <strong>de</strong> réinscrire l’expérience communiste dans unehistoire <strong>de</strong> longue <strong>du</strong>rée. Déjà à l’époque <strong>du</strong> II e Reich, les <strong>au</strong>torités politiquesréfléchissaient <strong>au</strong> moyen <strong>de</strong> contrer le phénomène <strong>de</strong>s peer groups par la mise enplace <strong>de</strong> clubs <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> à l’échelle <strong>de</strong>s quartiers 13 .Ces ban<strong>de</strong>s se forment <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> <strong>de</strong>s quartiers et se réunissent, après l’école ou letravail, dans <strong>de</strong>s lieux publics spécifiques. Le plus souvent, il s’agit <strong>de</strong> places, <strong>de</strong> gares<strong>de</strong> trains <strong>de</strong> banlieue (S-Bahn), <strong>de</strong> parcs ou d’entrées d’immeubles. Dansl’arrondissement <strong>de</strong> Friedrichshain, la police a relevé <strong>de</strong>s groupements <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> surla Dreieckplatz et la Boxhagener Platz 14 . À Lichtenberg, un groupe se réunit dans unparc (le parc Letnik) près <strong>de</strong> Karlshorst. Ces <strong>jeunes</strong> matérialisent concrètement leurréinv<strong>est</strong>issement <strong>de</strong> l’espace public en traçant une ligne délimitant leur « territoire » :ils utilisent pour ce faire <strong>de</strong>s canettes <strong>de</strong> bière ou leurs mobylettes. 15 Ce qui réunit leplus souvent ces adolescents <strong>au</strong> style v<strong>est</strong>imentaire commun (blousons en cuir, jeans)dans les années 1960, c’<strong>est</strong> la musique occi<strong>de</strong>ntale 16 (Beat- und Rockmusik) qu’ilsécoutent <strong>de</strong> façon « trop bruyante » <strong>au</strong> goût <strong>du</strong> voisinage 17 . Dans leurs rapports, lesagents <strong>de</strong> la police populaire (Volkspolizei) soulignent que ces <strong>groupes</strong> ont parfois <strong>de</strong>scontacts entre eux à l’intérieur d’un arrondissement ou avec <strong>de</strong>s <strong>groupes</strong> d’<strong>au</strong>tresarrondissements mais ces phénomènes r<strong>est</strong>ent rares.L’écart entre le conformisme atten<strong>du</strong> par les <strong>au</strong>torités politiques et les stratégies <strong>de</strong>distinction développées par ces peer groups con<strong>du</strong>it le <strong>régime</strong> socialiste dans lesannées 1960 à voir dans ces stratégies <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> déviance. <strong>Les</strong> fonctionnairescommunistes, qu’ils soient agents <strong>de</strong> police ou employés <strong>de</strong>s services é<strong>du</strong>catifs <strong>de</strong> laville <strong>de</strong> Berlin-Est, analysent ces <strong>groupes</strong> à l’<strong>au</strong>ne d’une grille d’interprétation danslaquelle ces <strong>jeunes</strong> seraient <strong>de</strong>s « agents <strong>de</strong> l’impérialisme culturel » occi<strong>de</strong>ntal<strong>de</strong>stiné à « pervertir la <strong>jeunes</strong>se socialiste 18 ». La rue apparaît comme un espacecontre-pédagogique dont le contrôle apparaît comme vital, d’où le recours dans lessources officielles <strong>au</strong> champ lexical <strong>de</strong> la guerre. Cette pratique <strong>de</strong> langage va souvent<strong>de</strong> pair chez ces fonctionnaires avec une expérience <strong>de</strong> combats <strong>de</strong> rue contre les nazisà l’époque <strong>de</strong> la République <strong>de</strong> Weimar. En outre, cette représentation <strong>de</strong> la ruecomme l’école <strong>de</strong> l’immoralité n’<strong>est</strong> pas spécifique à la RDA. Elle s’inscrit dans la12Cela peut être lié à un effet <strong>de</strong> sources mais les archives locales et régionales ne mentionnent à <strong>au</strong>cunmoment <strong>de</strong>s <strong>groupes</strong> féminins. Par ailleurs, les <strong>groupes</strong> sont rarement mixtes.13Rolf Lindner, « Ban<strong>de</strong>nwesen und Klubwesen im wilhelminischen Reich und in <strong>de</strong>r WeimarerRepublik », dans Geschichte und Gesellschaft, tome 10, n° 3, 1984, p. 352-375.14Lan<strong>de</strong>sarchiv Berlin (LAB), C REP 135-12/5, Rat Friedrichshain, Ordnung und Sicherheit, 1962-70,non paginé ; LAB C REP 131-12/5 160, Rat Mitte, Kriminalitätsanalysen für <strong>de</strong>n Bezirk Mitte 1964-66,non paginé.15LAB, C REP 135-12/5, op. cit.16Uta Poiger, Jazz, Rock and Rebels. Cold War Politics and American Culture in a Divi<strong>de</strong>d Germany,Berkeley, University of California Press, 2000.17LAB, C REP 135-12/5, op. cit.18Ibid.- 4 -


Emmanuel Droit, « <strong>Les</strong> "peer groups" dans l’espace public en RDA : <strong>de</strong> la stigmatisation à lareconnaissance ? (1960-1980) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°7, janvier-avril 2009.www.histoire-politique.fr.tradition <strong>de</strong> la critique <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> ville (Großstadt) <strong>du</strong> début <strong>du</strong> XX e siècle. Le topos<strong>de</strong>s dangers <strong>de</strong> la rue n’<strong>est</strong> donc pas propre à la dictature socialiste. Dans les rapports<strong>de</strong> police, les agents relèvent les comportements provocateurs dans la rue (prise àparti <strong>de</strong>s personnes âgées, <strong>de</strong>s <strong>jeunes</strong> filles), dans les cinémas (sifflets et remarquesnégatives lorsque <strong>de</strong>s fonctionnaires <strong>du</strong> parti apparaissent sur les écrans), ce qui lescon<strong>du</strong>it à conclure que ces <strong>jeunes</strong> ont un potentiel criminel important. C’<strong>est</strong> ainsi queles <strong>au</strong>torités <strong>est</strong>-alleman<strong>de</strong>s pro<strong>du</strong>isent, à partir <strong>de</strong>s années 1960, un discours <strong>de</strong>stigmatisation politique à l’égard <strong>de</strong> ces <strong>groupes</strong> <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> qui « nuisent » à l’ordresocialiste régissant l’espace public.La construction d’un « milieu négatif 19 » ou latransformation d’une sous-culture en contre-cultureAu début <strong>de</strong>s années 1960 et <strong>de</strong> façon définitive après la construction <strong>du</strong> mur <strong>de</strong>Berlin, les dirigeants en charge <strong>de</strong> la politique <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong>se (notamment ErichHonecker, secrétaire général <strong>de</strong> la FDJ, et sa femme Margot, ministre <strong>de</strong> l’E<strong>du</strong>cation)opèrent une « reprise en main » <strong>de</strong>s comportements et <strong>de</strong>s valeurs <strong>au</strong> sein <strong>de</strong> la<strong>jeunes</strong>se <strong>est</strong>-alleman<strong>de</strong>. En dépit d’une ligne officielle plus tolérante incarnée par leresponsable <strong>de</strong> la commission pour la <strong>jeunes</strong>se, Kurt Turba, entre 1963 et 1965 <strong>au</strong> sein<strong>du</strong> bure<strong>au</strong> politique <strong>du</strong> SED, le <strong>régime</strong> fait la chasse <strong>au</strong>x influences occi<strong>de</strong>ntales <strong>au</strong>sein <strong>de</strong>s établissements scolaires, <strong>de</strong>s cellules <strong>de</strong>s organisations <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong>se et <strong>de</strong>l’espace public. <strong>Les</strong> <strong>au</strong>torités ne font que prolonger un combat mené parallèlement enRFA et en RDA dans les années 1950 contre « la littérature <strong>de</strong> canive<strong>au</strong> » (Schan<strong>du</strong>ndSchmutzliteratur). Des enquêtes d’opinion et les rapports émanant <strong>de</strong>s instancesé<strong>du</strong>catives relèvent l’influence néfaste <strong>de</strong> l’Occi<strong>de</strong>nt sur la <strong>jeunes</strong>se socialiste. Lacommission pour les qu<strong>est</strong>ions <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong>se présidée par P<strong>au</strong>l Verner <strong>au</strong> sein <strong>du</strong> comitécentral <strong>du</strong> SED affirme <strong>au</strong> début <strong>de</strong>s années 1960 que « le nouvel ordre socialiste <strong>de</strong> lasociété exige que tous les êtres <strong>de</strong> RDA <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s êtres socialistes. C’<strong>est</strong> pourquoiil <strong>est</strong> nécessaire <strong>de</strong> vérifier toutes les mesures d’é<strong>du</strong>cation socialiste <strong>de</strong> la <strong>jeunes</strong>sedans le cadre <strong>du</strong> travail, <strong>de</strong> l’apprentissage et <strong>de</strong> la vie en entreprise, à l’école etpendant les loisirs et d’éliminer tous les obstacles 20 ».<strong>Les</strong> peer groups – que les fonctionnaires <strong>de</strong> police ou <strong>du</strong> SED qualifientindifféremment <strong>de</strong> « ban<strong>de</strong>s », <strong>de</strong> « cliques » ou <strong>de</strong> « groupements » - constituent un<strong>de</strong> ces obstacles. Le combat <strong>est</strong> mené avant tout à l’extérieur <strong>de</strong>s établissementsscolaires <strong>au</strong> sein <strong>de</strong> l’espace public. Ce changement <strong>de</strong> lieu s’explique en partie par <strong>de</strong>sraisons techniques. Le développement <strong>du</strong> transistor portatif permet <strong>au</strong>x <strong>jeunes</strong>d’écouter <strong>de</strong> la musique, après les cours ou le travail, dans l’espace public (parcs,places, stations <strong>de</strong> S-Bahn). Ces « intrusions » d’une sous-culture dans l’espace publicofficiel sont rapportées par la police populaire qui transmet l’information <strong>au</strong>xdirigeants <strong>de</strong>s entreprises ou <strong>au</strong>x chefs d’établissement comme c’<strong>est</strong> le cas en avril1968 dans l’arrondissement <strong>de</strong> Berlin-Mitte : « <strong>Les</strong> organes <strong>de</strong> la police populaire ontinformé le 3 avril 1968 la 13 e école que sous la con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> l’élève K., le 2 avril vers19Thomas Lin<strong>de</strong>nberger, « Herrschaftslegitimation, Sozialdisziplinierung und die Konstruktion einesnegativen Milieus in <strong>de</strong>r SED-Diktatur », Geschichte und Gesellschaft, tome 31, n°2, 2005, p. 227-254.20SAPMO, DY 30/IV 2/16/90, SED Abt. Jugend, Analysen, Berichte und Informationen an <strong>de</strong>nVorsitzen<strong>de</strong>n <strong>de</strong>r Kommission für Jugendfragen beim ZK P<strong>au</strong>l Verner über die Jugendarbeit beimweiteren Aufb<strong>au</strong> <strong>de</strong>s Sozialismus in <strong>de</strong>r DDR, octobre 1959-novembre 1962, p. 42.- 5 -


Emmanuel Droit, « <strong>Les</strong> "peer groups" dans l’espace public en RDA : <strong>de</strong> la stigmatisation à lareconnaissance ? (1960-1980) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°7, janvier-avril 2009.www.histoire-politique.fr.17h45, cinq <strong>au</strong>tres élèves <strong>de</strong> 9 e classe ont <strong>de</strong>scen<strong>du</strong> la Linienstrasse et ont faitpubliquement scandale. Ils ont écouté avec leurs postes radio <strong>de</strong> la musique beat trèsfort 21 . »Cette surveillance policière s’accompagne dès le début <strong>de</strong>s années 1960 <strong>de</strong> la mise enplace d’un fichier <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> national pour les <strong>jeunes</strong> qualifiés <strong>de</strong> « voyous ». En moinsd’un an, plus <strong>de</strong> 7 000 <strong>jeunes</strong> y sont enregistrés pour l’ensemble <strong>de</strong> la RDA 22 . Cettepratique d’étiquetage débouche sur une stigmatisation <strong>de</strong> ces <strong>groupes</strong>, voire mêmeentre 1964 et 1968 sur leur criminalisation. À partir <strong>du</strong> milieu <strong>de</strong>s années 1960, cettepolitique con<strong>du</strong>it à la création <strong>de</strong> la catégorie juridique <strong>du</strong> Rowdytum étudiée avecbe<strong>au</strong>coup <strong>de</strong> finesse par l’historien <strong>allemand</strong> Thomas Lin<strong>de</strong>nberger 23 . Cette façon <strong>de</strong>créer <strong>de</strong> la délinquance <strong>au</strong> nive<strong>au</strong> statistique repose sur une grille d’interprétationpolitico-militariste qui classe ces <strong>jeunes</strong> parmi les « ennemis <strong>de</strong> la RDA ». Touteréflexion <strong>de</strong> nature sociologique sur le fonctionnement <strong>de</strong> la société socialiste, sur laplace faite <strong>au</strong>x <strong>jeunes</strong> dans l’espace public <strong>est</strong> inexistante. Il ne r<strong>est</strong>e <strong>de</strong> la place quepour <strong>de</strong>s pensées alarmistes relatives à <strong>de</strong>s dangers d’insurrection et d’anarchie,be<strong>au</strong>coup <strong>de</strong> fonctionnaires en poste ayant en mémoire le soulèvement <strong>du</strong> 17 juin1953. Afin <strong>de</strong> « reprendre » le contrôle <strong>de</strong> l’espace public, le <strong>régime</strong> en <strong>est</strong> arrivé àconfondre norme sociale et norme juridique et à transformer par le biais <strong>de</strong> lastigmatisation politique une sous-culture en une contre-culture.Cette politisation <strong>du</strong> social s’accompagne d’une volonté irréaliste <strong>de</strong> faire disparaîtreces <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> en renforçant l’implantation <strong>de</strong> la FDJ dans les quartiers 24 . LaRDA s’inscrit dans la tradition <strong>de</strong>s clubs <strong>de</strong> loisirs <strong>de</strong>stinés <strong>au</strong>x enfants d’ouvriers ;l’objectif étant <strong>de</strong> détourner les <strong>jeunes</strong> <strong>de</strong> la rue (« Kin<strong>de</strong>r von <strong>de</strong>r Strasse holen »)comme lieu <strong>de</strong> socialisation afin <strong>de</strong> véhiculer, par le biais d’activités <strong>de</strong> loisirsencadrées, les idées et les valeurs socialistes. <strong>Les</strong> <strong>au</strong>torités é<strong>du</strong>catives cherchentégalement à renforcer le rése<strong>au</strong> <strong>de</strong> collectifs <strong>de</strong> loisirs dans les écoles. Mais cettevolonté é<strong>du</strong>cative se heurte à un manque <strong>de</strong> moyens techniques et humains et surtoutà l’échec <strong>de</strong> la politique répressive <strong>du</strong> <strong>régime</strong>. Cette impasse con<strong>du</strong>it le <strong>régime</strong> à opérerdans les années 1970 une « révolution copernicienne ».Le tournant <strong>de</strong>s années 1970 ou la reconnaissance <strong>du</strong>caractère socialiste <strong>de</strong>s peer groupsÀ partir <strong>de</strong>s années 1970, le terrain d’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Berlin-Est montre que le <strong>régime</strong>pro<strong>du</strong>it peu d’enquêtes et d’analyses statistiques sur le caractère déviant <strong>de</strong>s peergroups. La rupture quantitative avec les années 1960 interpelle l’historien et laissesupposer une phase <strong>de</strong> reflux <strong>de</strong> la politique <strong>de</strong> criminalisation. L’absence d’archivessur la criminalisation <strong>de</strong>s <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> dans les années 1970 <strong>au</strong> Lan<strong>de</strong>sarchiv <strong>de</strong>Berlin invite à formuler <strong>de</strong>ux hypothèses. D’un côté, la surveillance et le traitement<strong>de</strong>s peer groups sont désormais traités par la police politique 25 . De l’<strong>au</strong>tre, on peutpenser que le <strong>régime</strong> reconnaît désormais ces <strong>jeunes</strong> comme faisant partie <strong>de</strong> l’espace21LAB, C REP 120/263, sans titre, p. 29.22SAPMO, DY 30/IV 2/16/90, op. cit., p. 42.23Thomas Lin<strong>de</strong>nberger, Volkspolizei. Herrschaftspraxis und öffentliche Ordnung im SED-Staat 1952-68, Köln, Böhl<strong>au</strong>, 2003.24LAB, C REP 145-12/5 458, Rat Treptow, Innere Angelegenheiten, Jugendkriminalität, 1961-1964, p. 8.25Le travail d’exploitation <strong>de</strong>s archives <strong>de</strong> la Stasi étant très compliqué, cette hypothèse mériterait d’êtrecreusée.- 6 -


Emmanuel Droit, « <strong>Les</strong> "peer groups" dans l’espace public en RDA : <strong>de</strong> la stigmatisation à lareconnaissance ? (1960-1980) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°7, janvier-avril 2009.www.histoire-politique.fr.public socialiste. Afin <strong>de</strong> combler le fossé entre la réalité et le discours officiel, le<strong>régime</strong> entend en effet intégrer les peer groups dans la pensée é<strong>du</strong>cative officielle.Cette « révolution copernicienne » s’inscrit dans le cadre <strong>de</strong> la ligne culturelled’ouverture pratiquée par Honecker entre son accession en 1971 <strong>au</strong> pouvoir et 1976.Elle s’appuie sur le retour en grâce <strong>de</strong> la sociologie en RDA <strong>de</strong>puis la fin <strong>de</strong>s années1960, illustré notamment par la création en 1966 <strong>de</strong> l’Institut central pour la recherchesur la <strong>jeunes</strong>se (Zentralinstitut für Jugendforschung, ZIJ) 26 . <strong>Les</strong> spécialistes ensciences <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation sont invités dans <strong>de</strong>s ouvrages collectifs à légitimer l’existence<strong>de</strong>s peer groups tout en établissant une différence entre les <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> <strong>de</strong><strong>jeunes</strong> en RDA et dans les pays capitalistes <strong>de</strong> façon à souligner le caractèreirré<strong>du</strong>ctiblement socialiste <strong>de</strong> ces peer groups <strong>est</strong>-<strong>allemand</strong>s 27 . Cette nouvelleperception trouve un écho dans <strong>de</strong>s revues culturelles comme Sonntag ouWeltbühne 28 . Reprenant la distinction classique <strong>de</strong> Ferdinand Tönnies entrecommun<strong>au</strong>té et société pour mieux la dépasser, leurs <strong>au</strong>teurs soulignent que la sousculture<strong>de</strong>s <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> socialistes ne peut être l’expression d’uneopposition <strong>de</strong> principe <strong>de</strong> la <strong>jeunes</strong>se contre la société socialiste. Ils tentent <strong>de</strong>montrer que les normes et les règles in<strong>du</strong>ites par ce type <strong>de</strong> socialisation sont <strong>de</strong>l’ordre d’une socialisation secondaire compatible avec les valeurs <strong>de</strong> la sociétésocialiste. Au sein <strong>de</strong> ces peer groups, le futur citoyen <strong>de</strong> RDA apprend les règles <strong>du</strong>vivre ensemble, développe le sentiment <strong>de</strong> solidarité nécessaire à son intégrationfuture dans un collectif <strong>au</strong> sein d’une entreprise, tout en s’épanouissantpersonnellement. Sociologues et journalistes qui se font l’écho <strong>de</strong> ces théoriesé<strong>du</strong>catives rejettent l’amalgame avec la déviance, parlant <strong>au</strong> contraire <strong>de</strong> processustout à fait normal pour la <strong>jeunes</strong>se socialiste. Il f<strong>au</strong>t noter qu’à la même époque, lasociologie <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation ou<strong>est</strong>-alleman<strong>de</strong> met en avant l’importance <strong>de</strong>s <strong>groupes</strong><strong>informels</strong> <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> dans le développement personnel <strong>de</strong> l’indivi<strong>du</strong> 29 .En soulignant le rôle positif <strong>de</strong> cette instance <strong>de</strong> socialisation, le <strong>régime</strong> accepte <strong>de</strong>mettre en pratique une politique <strong>de</strong> reconnaissance sociale <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation informelle.Il transcen<strong>de</strong> le domaine <strong>du</strong> juridique (abandonnant l’attitu<strong>de</strong> stigmatisante voirecriminalisante) pour développer ce que l’on pourrait appeler <strong>de</strong> l’<strong>est</strong>ime sociale. Àl’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> la sociologie, la RDA tente <strong>de</strong> se donner l’illusion qu’il existe unecommun<strong>au</strong>té <strong>de</strong> valeurs entre le <strong>régime</strong> politique et sa <strong>jeunes</strong>se. Cette évolutiontra<strong>du</strong>it à la fois le souci d’inclure ces <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> dans la « cité socialiste » enrelativisant leur particularisme et la volonté <strong>de</strong> faire croire que ces peer groupsconstituent l’accès privilégié à la personnalité socialiste.Cette stratégie relève moins d’une concession ou d’un don purement gratuit envers la<strong>jeunes</strong>se que d’une volonté <strong>de</strong> réaffirmer son pouvoir. Tout <strong>du</strong> moins <strong>de</strong> s’en donnerl’illusion. Pour reprendre la terminologie wébérienne, le <strong>régime</strong> exploite dans lesannées 1970 la notion <strong>de</strong> communalisation en la ré<strong>du</strong>isant à une sociation.Toutefois, cette volonté d’ouverture, bien qu’affirmée dans les écrits, a <strong>du</strong> mal àtrouver une tra<strong>du</strong>ction dans l’image officielle que le pouvoir entend diffuser dansl’espace public.26Walter Friedrich, Peter Förster, Kurt Starke (dir.), Das Zentralinstitut für Jugendforschung Leipzig1966-1990. Geschichte, Metho<strong>de</strong>n, Erkenntnisse, Berlin, Edition Ost, 1999.27Collectif d’<strong>au</strong>teurs, Die Freizeit <strong>de</strong>r Jugend, Berlin, 1981.28Peter Voss, « Vergruppt o<strong>de</strong>r Vergesellschaftet ? », dans Sonntag, 17, 1976 ; Wolfgang Reischock, « DieJungs an <strong>de</strong>r Ecke », dans Weltbühne, tome 19, 1983, p. 569-571.29Sabine Hoffmann, Freundschaftsgruppen, dans Elternh<strong>au</strong>s und Schule, n° 4, 1982, p. 18-19.- 7 -


Emmanuel Droit, « <strong>Les</strong> "peer groups" dans l’espace public en RDA : <strong>de</strong> la stigmatisation à lareconnaissance ? (1960-1980) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°7, janvier-avril 2009.www.histoire-politique.fr.<strong>Les</strong> limites <strong>de</strong> la reconnaissance sociale dans l’espacepublicÀ l’appui <strong>de</strong> l’analyse d’un film documentaire portant sur les <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> d’unquartier <strong>de</strong> Berlin-Est (Prenzl<strong>au</strong>er Berg), il s’agira dans un <strong>de</strong>rnier temps <strong>de</strong> montrerles limites <strong>de</strong> la reconnaissance sociale <strong>de</strong> ces peer groups par le <strong>régime</strong>. Ainsi, si ces<strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong>se sont tolérés dans l’espace public, ils ne sont pas, <strong>au</strong>xyeux <strong>du</strong> <strong>régime</strong>, dignes d’être présentés à la société par le biais <strong>de</strong> vecteurs culturels <strong>de</strong>masse comme le cinéma.Günter Jordan, documentariste pour la DEFA 30 (Deutsche Film AG), réalise en 1982un court-métrage d’une quinzaine <strong>de</strong> minutes sur <strong>de</strong>s <strong>jeunes</strong> habitant le quartierpopulaire <strong>de</strong> Prenzl<strong>au</strong>er Berg : « Crier une fois par semaine » (Einmal in <strong>de</strong>r Wocheschreien 31 ). Il s’intéresse tout particulièrement <strong>au</strong>x <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>du</strong>quartier qui se réunissent <strong>au</strong>tour <strong>de</strong> la place Helmholtz. Il montre bien comment cespeer groups échappent <strong>au</strong> contrôle immédiat <strong>de</strong>s instances é<strong>du</strong>catives officielles (unclub <strong>de</strong> la FDJ <strong>est</strong> installé dans une rue donnant sur cette place) et suscitent lasuspicion <strong>de</strong>s générations plus âgées. Ce documentaire <strong>est</strong> accompagné par unechanson <strong>du</strong> groupe rock Pankow qui, tel un leitmotiv, constitue un énergiqueplaidoyer à l’indépendance <strong>de</strong> penser et <strong>de</strong> vivre, <strong>au</strong> refus <strong>de</strong> se laisser « tenir enlaisse ».Descendre dans la rueDiscuter, traîner <strong>au</strong> coin <strong>de</strong> la ruePour voir si <strong>au</strong>jourd’hui encore on glan<strong>de</strong>Ou pour voir si on fait quelque chose en ban<strong>de</strong>Hé, vise la belle planteQui tente le coupHé tu nous rejoins ça te tenteDe passer <strong>du</strong> temps sur la place avec nousOnze, Douze, Treize ansPour comprendre on <strong>est</strong> suffisamment grand…Qu’<strong>est</strong>-ce qu’ont les gens à courir comme celaPourquoi ne sont-ils pas gaisRegar<strong>de</strong>, si le temps ne passe pasIls <strong>au</strong>raient l’air désespéréIl f<strong>au</strong>t toujours <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r l’<strong>au</strong>torisationN’y a-t-il plus personne qui oseraitQui veut être tenu en laisseJe veux penser par moi-même, voir par moi-mêmeOnze, Douze, Treize ansPour comprendre on <strong>est</strong> suffisamment grand…30Caroline Moine, Le cinéma en RDA, entre <strong>au</strong>tarcie et dialogue international, une histoire <strong>du</strong> f<strong>est</strong>ivalinternational <strong>de</strong> films documentaires <strong>de</strong> Leipzig : 1949-1990, thèse <strong>de</strong> doctorat, Paris I, 2005.31Günter Jordan, Einmal in <strong>de</strong>r Woche schreien, 15 minutes , film couleur, 1982/1989.- 8 -


Emmanuel Droit, « <strong>Les</strong> "peer groups" dans l’espace public en RDA : <strong>de</strong> la stigmatisation à lareconnaissance ? (1960-1980) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°7, janvier-avril 2009.www.histoire-politique.fr.Danser, transpirer, planerRêver d’une belle vieDemain je dois <strong>de</strong> nouve<strong>au</strong> me leverEt comme tous les <strong>au</strong>tres aller à l’écoleCrier une fois par semaineÊtre soi-même, une foisOublier toutes ses peurs, une foisNe rien sentir en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> moi-mêmeOnze, Douze, Treize ansPour comprendre on <strong>est</strong> suffisamment grand…Cette chanson anti<strong>au</strong>toritaire <strong>est</strong> une critique très appuyée, non seulement <strong>de</strong>l’é<strong>du</strong>cation socialiste mais <strong>de</strong>s rapports intergénérationnels, qu<strong>est</strong>ion complètementtaboue sous la RDA puisqu’officiellement une société socialiste ne connaît pas <strong>de</strong>conflits. Cette photographie, tirée <strong>du</strong> tournage <strong>du</strong> film documentaire sur la placeHelmholtz <strong>de</strong> Prenzl<strong>au</strong>er Berg à Berlin-Est, permet d’illustrer les relations parfoisdifficiles entre ces <strong>jeunes</strong> et les a<strong>du</strong>ltes.Scène <strong>de</strong> rue tirée <strong>du</strong> film documentaire "Crier une fois par semaine" (Günter Jordan, 1982)Un groupe <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong>, vêtus pour la plupart <strong>de</strong> blousons noirs ou en jean, stationnent<strong>au</strong>tour <strong>de</strong> la place et discutent (bruyamment ?) près <strong>de</strong> leurs mobylettes. Sans douteattiré par le bruit <strong>de</strong> la discussion, un vieux monsieur les observe <strong>de</strong> façonsoupçonneuse à sa fenêtre. Comme ce plan a été considéré comme pouvantéventuellement suggérer un malaise entre générations, le réalisateur l’a coupé <strong>au</strong>montage, anticipant par une forme d’<strong>au</strong>tocensure les réserves <strong>du</strong> directeur <strong>du</strong> studio<strong>de</strong> la DEFA.- 9 -


Emmanuel Droit, « <strong>Les</strong> "peer groups" dans l’espace public en RDA : <strong>de</strong> la stigmatisation à lareconnaissance ? (1960-1980) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°7, janvier-avril 2009.www.histoire-politique.fr.Au final, le film <strong>de</strong> Günter Jordan ne fait qu’illustrer ce que les sociologues <strong>du</strong> milieu<strong>de</strong>s années 1970 s’attachaient à légitimer, à savoir que les relations socialesdéveloppées par les <strong>jeunes</strong> dans <strong>de</strong>s peer groups constituent le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> base <strong>de</strong>l’é<strong>du</strong>cation socialiste. En dépit d’un avis très favorable émis par le directeur <strong>du</strong>département <strong>de</strong> sociologie <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation <strong>au</strong> sein <strong>de</strong> l’Académie <strong>de</strong>s sciencespédagogiques, le film se heurte à la censure officielle illustrée par la sentence <strong>du</strong>directeur <strong>de</strong> studio <strong>de</strong> la DEFA qui résume à elle seule les contradictions <strong>de</strong> lapolitique é<strong>du</strong>cative <strong>de</strong> la RDA : « Nous ne faisons pas <strong>de</strong>s films documentaires sur cequi <strong>est</strong>, mais sur ce qui doit être 32 . »Ce que le SED reproche <strong>au</strong> documentaire, c’<strong>est</strong> <strong>de</strong> ne pas montrer une <strong>jeunes</strong>seencadrée par la FDJ mais qui se socialise elle-même par le biais <strong>de</strong> <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong><strong>au</strong> sein <strong>de</strong> l’espace public. Comme le film <strong>de</strong> Günter Jordan ne respectait pas lescanons idéologiques <strong>du</strong> <strong>régime</strong>, il fut interdit à la projection jusqu’en 1989.Cet exemple tra<strong>du</strong>it la volonté <strong>du</strong> <strong>régime</strong> <strong>de</strong> tolérer l’existence <strong>de</strong> ces <strong>groupes</strong><strong>informels</strong>, <strong>de</strong> les légitimer d’un point <strong>de</strong> vue é<strong>du</strong>catif mais il ne s’agit pas pour <strong>au</strong>tant<strong>de</strong> diffuser cette image <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation socialiste dans l’espace public. Ce que le <strong>régime</strong>souhaite montrer, c’<strong>est</strong> sa domination politique, c’<strong>est</strong>-à-dire une <strong>jeunes</strong>se socialisteorganisée, encadrée par ses organisations <strong>de</strong> masse. <strong>Les</strong> films documentaires ont pourobjectif <strong>de</strong> montrer comment les normes é<strong>du</strong>catives sont mises en application <strong>au</strong>près<strong>de</strong>s <strong>jeunes</strong> et non <strong>de</strong> présenter cette é<strong>du</strong>cation spontanée qui se développe <strong>au</strong> sein <strong>de</strong>speer groups. Cet exemple tra<strong>du</strong>it l’écart entre la réalité <strong>de</strong> l’é<strong>du</strong>cation socialiste et lesocialisme réel tel qu’il doit être présenté <strong>au</strong> public.La RDA s’<strong>est</strong> efforcée <strong>de</strong> diffuser un modèle é<strong>du</strong>catif par le biais d’un rése<strong>au</strong>d’institutions et d’organisations dont le but était <strong>de</strong> créer l’homme socialiste nouve<strong>au</strong>.Cette « entreprise d’État » impliquait <strong>de</strong> ré<strong>du</strong>ire <strong>au</strong>tant que possible les influencesliées à une « m<strong>au</strong>vaise » socialisation primaire dans le cadre <strong>de</strong> la famille ou à laculture occi<strong>de</strong>ntale. Le <strong>régime</strong> socialiste a dû prendre acte <strong>de</strong> la concurrence <strong>de</strong>s<strong>groupes</strong> <strong>informels</strong> en tant que cellules <strong>de</strong> socialisation <strong>de</strong>s <strong>jeunes</strong>, d’<strong>au</strong>tant plus queparallèlement les organisations <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong>se manquaient <strong>de</strong> plus en plus d’attractivité.Ces ban<strong>de</strong>s ont inv<strong>est</strong>i l’espace public, voire même l’ont privatisé matériellement afin<strong>de</strong> montrer leur différence, n’hésitant pas à choquer les a<strong>du</strong>ltes par leurs goûtsv<strong>est</strong>imentaires et leurs attitu<strong>de</strong>s. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la dimension politique voulue par le<strong>régime</strong>, le phénomène <strong>de</strong>s peer groups <strong>est</strong> à réinscrire dans le cadre <strong>de</strong>s rapportsconflictuels pouvant exister entre les générations <strong>au</strong> sein d’une société in<strong>du</strong>striellemo<strong>de</strong>rne. En ce sens, la RDA <strong>de</strong>s années 1960-1970 <strong>est</strong> confrontée à <strong>de</strong>s problèmesque l’on retrouve <strong>au</strong> sein <strong>de</strong>s sociétés d’Europe <strong>de</strong> l’Ou<strong>est</strong> 33 . Une certaine culture <strong>de</strong> la<strong>jeunes</strong>se entend exister <strong>au</strong> sein <strong>de</strong> l’espace public socialiste et sa médiatisation passepar l’existence <strong>de</strong> co<strong>de</strong>s v<strong>est</strong>imentaires, linguistiques différents <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong>s a<strong>du</strong>ltes.Après une phase <strong>de</strong> stigmatisation, voire <strong>de</strong> criminalisation dans les années 1960, le<strong>régime</strong> a tenté d’intégrer les fonctions socialisantes <strong>de</strong> ces peer groups en légitimantleur existence sociale dans les années 1970. De cellules déviantes, ces <strong>groupes</strong><strong>informels</strong> sont <strong>de</strong>venus officiellement les noy<strong>au</strong>x <strong>de</strong>s futurs collectifs <strong>de</strong> la sociétésocialiste. Cette tentative <strong>de</strong> « labellisation » correspond à la volonté <strong>du</strong> <strong>régime</strong>32Papier personnel <strong>de</strong> Günter Jordan, 03.04.1990, non paginé.33Ludivine Bantigny, Le plus bel âge ? Jeunes et <strong>jeunes</strong>se en France <strong>de</strong> l’<strong>au</strong>be <strong>de</strong>s Trente Glorieuses à laguerre d’Algérie, Paris, Fayard, 2007.- 10 -


Emmanuel Droit, « <strong>Les</strong> "peer groups" dans l’espace public en RDA : <strong>de</strong> la stigmatisation à lareconnaissance ? (1960-1980) », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°7, janvier-avril 2009.www.histoire-politique.fr.socialiste <strong>de</strong> se donner l’illusion <strong>de</strong> contrôler une société qu’elle mobilise et domineglobalement <strong>de</strong> moins en moins efficacement.Mais cette reconnaissance dans l’espace public a <strong>de</strong>s limites. Tolérés, ces <strong>groupes</strong> nedoivent pas être montrés dans l’espace public tel qu’ils sont. C’<strong>est</strong> là toute lacontradiction d’un <strong>régime</strong> qui cherche à contrôler l’espace public, ou tout <strong>du</strong> moins àse donner l’illusion que cet espace correspond <strong>au</strong>x normes et <strong>au</strong>x valeurs portées parle pouvoir politique.L’<strong>au</strong>teurAncien doctorant <strong>au</strong> Centre Marc-Bloch <strong>de</strong> Berlin, Emmanuel Droit <strong>est</strong> actuellementmaître <strong>de</strong> conférences en histoire contemporaine à l’université <strong>de</strong> Rennes 2. Il asoutenu en 2006 à l’université <strong>de</strong> Paris 1 une thèse d’histoire sur « la construction <strong>de</strong>l’homme socialiste nouve<strong>au</strong> dans les écoles <strong>de</strong> Berlin-Est (1949-1989) : acteurs,pratiques, représentations » (à paraître <strong>au</strong>x PUR à l’<strong>au</strong>tomne 2009). Il a récemmentpublié : Emmanuel Droit, Sandrine Kott (dir.), Die ost<strong>de</strong>utsche Gesellschaft. Einetransnationale Perspektive, Berlin, Links Verlag, 2006 ; Michel Christian, EmmanuelDroit, « Écrire l’histoire <strong>du</strong> communisme : l’histoire sociale <strong>de</strong> la RDA et <strong>de</strong> la Polognecommuniste en Allemagne, en Pologne et en France », Genèses, n°61, décembre 2005,p. 118-133.RésuméLa RDA s’<strong>est</strong> efforcée <strong>de</strong> former une <strong>jeunes</strong>se socialiste par le biais d’un rése<strong>au</strong>d’institutions et d’organisations <strong>de</strong> masse. Cette « entreprise d’État » impliquait <strong>de</strong>ré<strong>du</strong>ire <strong>au</strong>tant que possible les influences liées à une « m<strong>au</strong>vaise » socialisation <strong>du</strong>e<strong>au</strong>x <strong>groupes</strong> <strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>informels</strong>. Au cours <strong>de</strong>s années 1960, ces « ban<strong>de</strong>s » font à lafois l’objet d’une politique <strong>de</strong> stigmatisation et <strong>de</strong> criminalisation. Le tournant <strong>de</strong>sannées 1970 aboutit à une reconnaissance partielle <strong>de</strong> ces peer groups dans l’espacepublic. Il conviendra d’apporter toutes les nuances nécessaires à cette reconnaissance àl’exemple <strong>de</strong> l’analyse d’un film documentaire <strong>est</strong>-<strong>allemand</strong> sur les <strong>groupes</strong> <strong>informels</strong><strong>de</strong> <strong>jeunes</strong> <strong>du</strong> quartier <strong>de</strong> Prenzl<strong>au</strong>er Berg <strong>au</strong> début <strong>de</strong>s années 1980.Mots clés : communisme ; é<strong>du</strong>cation ; <strong>jeunes</strong>se ; politisation ; socialisation.AbstractThe GDR tried to e<strong>du</strong>cate a socialist youth with a network of institutions and massorganisations. This state policy implicated to re<strong>du</strong>ce as much as possible the influencesof a “corrupted socialisation” <strong>du</strong>e to the peer groups. During the 60s, this bands are atthe same time subjects of stigmatisation and criminalisation. The turning point of the70s in<strong>du</strong>ced a partial acceptance of the peer groups in public. Nevertheless, we need toun<strong>de</strong>rline the limits of this state acceptance with the example of a documentary. Thisfilm about the peer groups of Prenzl<strong>au</strong>er Berg in East-Berlin at the beginning of the1980s showed the real socialism.Key words : communism ; e<strong>du</strong>cation ; youth ; politicisation ; socialisation.Pour citer cet articleEmmanuel Droit, « <strong>Les</strong> "peer groups" dans l’espace public en RDA : <strong>de</strong> lastigmatisation à la reconnaissance ? (1960-1980) », Histoire@Politique. Politique,culture, société, N°7, janvier-avril 2009.- 11 -

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