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ITW Daniel ZAGURYDaniel Zagury, chef de service au centre psychiatrique du Bois-de-Bondy, expert psychiatreprès la cour d’appel de Paris, est intervenu pour cette deuxième émission sur les crimessériels.Auteur d’une centaine d’articles médicaux légaux, ayant participé à des ouvrages collectifs,Daniel Zagury a été membre du groupe de travail sur les crimes en série. Il a pu éclairercette commission à partir de son expérience d’expert psychiatre, puisqu’il a pratiquél’examen psychiatrique de Patrice Alègre, Guy Georges, Pierre Chanal notamment.A leur naissance, personne n’aurait pu prédire que demain, ces individus feraient la« Une » des journaux. Alors qui devient tueur en série ?Ne devient pas tueur en série qui veut ! Il faut un certain nombre de conditions. La premièrecondition, c’est ce que j’ai appelé un tripôle à pondération variable. Cela veut dire que l’ontrouve toujours chez ces personnalités un pôle psychopathique, c'est-à-dire des éléments depersonnalité autour de l’impulsivité, de la carence morale, de l’instabilité, de l’appétence pourl’alcool et les toxiques. On trouve toujours un pôle pervers et on trouve toujours uneangoisse sous-jacente qui est au maximum une angoisse de registre psychotique et auminimum une angoisse de dissolution de néantisation. Il y a toujours ces trois éléments,seulement ces trois éléments s’organisent différemment. Il faut donc ce tripôle, il faut qu’il yait une biographie lourde et il faut également que la première expérience criminelle deviennela matrice des suivantes. Puisque au fond, la première fois qu’un futur tueur en série tue, ilne sait pas encore qu’il va devenir un tueur en série. Quelque chose va se produire aumoment du premier crime qui fait que ça va appeler à un deuxième, puis un troisième, puisun quatrième crime, etc.A vous écouter, cela veut dire qu’il y a un terrain familial propice ?J’ai examiné en France une douzaine de tueurs en série. Je n’ai jamais pour ce qui meconcerne et pour ceux que j’ai examinés, de tueurs en série qui avaient grandi dans unemaison au toit fumant, avec un papa et une maman qui se câlinaient et qui faisaient desbisous à leurs enfants le soir au moment de faire dodo. J’ai toujours vu des sujets qui avaientvécus dans la carence, les sévices, les abus sexuels, les violences, les viols à la préadolescence,etc. Donc terrain familial propice, oui, c'est-à-dire histoire particulière, histoiresingulière marquée de violences, d’abus et de carence. Néanmoins et fort heureusement,tous ceux qui connaissent ces histoires, là ne vont pas devenir des tueurs en série.Quand vous êtes amené à réaliser une expertise psychiatrique suite à une saisine dela Justice, quels sont les éléments que vous tentez de mettre en évidence ?D’abord, on fait un examen psychiatrique. Le premier but de l’expertise pénale est de savoirsi le sujet est un malade mental ou pas, étant bien entendu que généralement lesauthentiques malades mentaux ont des séries moins longues, se font appréhender plus viteet ont quand même un certain nombre de particularités qui sont assez bien connues pour cequi concerne leur passage à l’acte criminel. Une fois éliminée la pathologie psychiatriqueavérée, il faut essayer de rendre compte du profil de personnalité. Qui est le monsieur,parfois la dame, plus souvent le monsieur, qui est en face de moi. D’où vient-il ? Quelle estson histoire ? Quelle est sa biographie ? Quelle est son enfance ? Quelles sont sesrelations ? A-t-il des liens sociaux ? Vous imaginez toute une série de questions qui font,qu’on va essayer tout simplement de saisir quelle a été la dynamique de son existence, etquels sont les mécanismes psychologiques chez lui prévalant. La troisième dimension est de


tenter de rendre compte des crimes. Pourquoi est-ce qu’il tue ? Alors pourquoi, c’est unequestion que je n’aime pas beaucoup parce que « pourquoi », c’est une questionmétaphysique. La question qui me paraît plus importante, c’est comment. Si on répond trèsbien à la question du comment, on commence un tout petit peu à aborder le « pourquoi ».Donc, on essaye d’analyser les passages à l’acte criminel. On essaye quand même d’allerjusqu’au bout, non seulement d’une appréciation, la plus fine possible, sur le planpsychiatrique, psychologique et criminologique mais aussi, pédagogique. Ce n’est pas toutde comprendre, encore faut-il parvenir à rendre compte de la manière la plus éclairantepossible, de choses extrêmement complexes, à des sujets qui ne sont pas des spécialisteset qui sont les magistrats et qui sont le jury populaire.Concrètement, comment se déroule une expertise ?On est quand même dans une expertise ; on ne fait pas un mémoire clinique. On estplusieurs experts généralement trois parfois deux. On se partage le travail. Par exemple,lorsque l’on a fait l’expertise de Guy Georges, Henry Grinspan avait étudié le dossier del’enfant Guy Georges, notamment les dossiers scolaires, éducatifs, le dossier de la DASS, etavait porté essentiellement ses questions sur l’enfance. Dubec avait l’examen médicopsychologiqueet avait essentiellement travaillé l’évolution du processus criminel. Moi-même,je faisais la synthèse. J’ai essentiellement abordé la partie psychiatrique et la structurationpédagogique du rapport. Personnellement, je le vois une fois très longue ou bien deux fois,ou bien trois fois, jamais plus parce que quand vous avez recueilli une cinquantaine, unesoixantaine de pages de notes, je vous assure que vous avez beaucoup d’éléments. Vousavez ensuite un gros dossier à étudier. Après, tout cela se met en place dans votreordinateur de bord. Je fais ensuite un plan de rédaction. Quand je sens que j’ai à peu prèssaisi l’essentiel, je commence à rédiger après m’être réuni avec mes collègues, après avoiréchangé, discuté. Alors, si on n’est pas d’accord sur un point, on va y retourner et siéventuellement on n’est toujours pas d’accord, on va y retourner ensemble.Lorsque vous rencontrez un tueur en série, mettez-vous en place des gardes fouspour éviter la manipulation ?Si j’y vais avec une grande distance, avec l’idée « je ne vais surtout par me faire avoir », jerecueillerai probablement des informations extrêmement parcellaires. Parce que l’importantn’est pas de ne pas se faire manipuler, l’important c’est lorsque l’on se fait manipuler, d’enprendre conscience. Mon métier à moi, c’est d’entrer en relation avec les autres et puisd’essayer d’expliquer comment le sujet fonctionne. Comment cela s’est passé pour lui danssa vie ? Quel type de relation, il va instaurer avec moi ? Donc, je peux avoir desmouvements de répulsion, de dégout, à la limite du malaise. Mais, je peux avoir aussi desmouvements de sympathie, ou je peux avoir des moments pendant lesquels j’oublie que jesuis avec un tueur en série. Quand on fait un examen psychiatrique, on essaie de savoirquel est l’univers du sujet. Qu’est-ce qu’il regarde à la télé ? Qu’est-ce qu’il écoute à laradio ? Vous seriez surpris. On va se mettre à échanger. Je me souviens d’un tueur en sérieavec lequel je m’étais engagé dans une grande discussion sur le foot. On a donc parléfootball pendant un bon moment, jusqu’au moment où je me suis dit mais enfin, quoi ! Je nesuis pas au café du commerce avec un copain. Je suis avec un tueur en série qui a tué uncertain nombre de personnes dans des conditions absolument épouvantables. L’importantn’est pas qu’à un moment donné, j’ai été copain-copain avec lui pour parler foot, l’importantest que je puisse explorer avec lui les différentes facettes de sa personnalité. Effectivement,si je ne suis jamais pris dans son fonctionnement mental, je ferais une très mauvaiseexpertise. Et en l’occurrence, c’est d’autant plus important, que, on s’aperçoit qu’avec lessujets qui fonctionnent dans le clivage du moi, on est pris dans leur fonctionnementpsychique. Il faut être pris dans leur fonctionnement et se déprendre de ce fonctionnement.


Parmi toutes les expertises que vous avez pu pratiquer, quel sont les points communsque vous avez pu trouver à tous ces tueurs en série ? OU peut-être des différences ?Quand vous avez un peu de névrose, quand vous avez un peu de culpabilité, quand vousavez un petit peu d’empathie pour vos congénères, vous ne commettez pas des actespareils. Ou si vous les commettez, vous ne les recommettez pas et recommettez pas encore.Si vous répétez de tels actes, c’est bien que cela vous apporte un certain bénéfice. Il y adonc une organisation de la personnalité qui est formellement la même. Mais certains sonttrès psychopathes, par exemple Guy Georges et Alègre, certains sont très pervers, etcertains sont plus proches de la psychose. Ce triangle ne s’organise pas de la même façon.Les points communs, c’est une biographie toujours lourde, la répétition évidemment pardéfinition. Un autre point commun, c’est que la dynamique des passages à l’acte ne s’arrêtepas spontanément, c'est-à-dire elle cesse quand il y a une limite externe et la plupart d’entreeux disent d’ailleurs, « si on ne m’avait pas arrêté, j’aurai continué ». L’autre point commun,c’est l’absence de culpabilité. Si vous ressentez de la culpabilité, vous n’allez pasrecommencer et recommencer encore. Un autre point commun est que l’un des gains de cescrimes, c’est la toute puissance narcissique ; c'est-à-dire « je suis dieu, je décide de la vie etde la mort ». J’essayais dans le procès Alègre d’expliquer au jury ce que pouvait avoiréprouvé Alègre au moment des faits dont il ne parlait pas. L’image qui m’était venue, c’étaitcelle de Charlie Chaplin dans le dictateur où il joue avec la map monde et ou au fond, il estle monde entier dans une espèce de jouissance absolue. Dans l’immense majorité des cas,l’existence d’antécédents judiciaires. Ce sont les points communs. Alors les différences, il yen a beaucoup. Il y a ceux qui sont organisés. Il y a ceux qui sont désorganisés. Il y a ceuxqui sont malades mentaux, ceux qui sont plus psychopathes, plus pervers, pluspsychotiques. Il y a ceux qui sont très intelligents. Il y en a quelques uns bien que ce soit unmythe. Il y en a qui sont débiles. Il y a ceux qui nient avoir commis. Il y a ceux qui admettentles crimes. Il y a ceux qui sont, pour la plupart d’entre eux, semi-marginaux ou marginaux etpuis il y en a très rarement en France, il y a des personnalités qui sont intégréessocialement, ce qui était le cas de Chanal, dans la collectivité militaire. La plupart d’entre euxont honte de leurs actes. Il est rarissime qu’ils les légitiment en disant « voilà ce que j’ai fait,voilà pourquoi je l’ai fait, c’est bien ce que j’ai fait ». Il y a enfin ceux qui tuent. On al’impression que ce sont des crimes utilitaires. Moi, je pense plutôt qu’ils sont pseudoutilitaires. Par exemple, les tueurs de personnes âgées qui au départ vont tuer pour piquerune télé, pour piquer des bijoux, et au fur et à mesure, vont chercher un gain plus obscur del’ordre de la jouissance, de toute puissance. Il y a les vagabonds itinérants comme le routarddu crime ou comme Joseph Vacher, à la fin du XIXème siècle. Il y a les malades mentaux,les criminels sexuels comme Guy Georges ou Alègre. Donc, il y a beaucoup de pointscommuns comme vous le voyez, mais il y a aussi beaucoup de différences parce queChanal, Guy Georges, Lastenet, Alègre, Plumain, De La Brillère, enfin pour citer quelquesuns que j’ai examiné, sont des sujets extrêmement différents les uns des autres.Peut-on parler d’un profil de tueur en série français et d’un profil de tueur en sérieaméricain ?Pour autant que je puisse comparer, il y a effectivement un certain nombre de différences.La première est quantitative. Je me souviens d’un colloque où il y avait un policier américainet la question lui a été posée de savoir pourquoi, à son avis, il y avait moins de tueurs ensérie en France. Il avait répondu : « il n’y en a pas moins. C’est que vous ne savez pas lesrepérer. » Ce n’est pas très gentil pour les policiers français, mais c’était sa réponse. Jepense tout de même qu’il y en a moins. Je pense que le crime en série n’est pas dissociablede la géographie et de la culture. Donc, il faut s’attendre à ce que dans certaines régions, il yen a plus ou moins. La deuxième différence, ce sont les séries extrêmement longuesspectaculairement longues qu’on peut voir aux Etats-Unis. Alors, on a invoqué le gigantismeterritorial. On a invoqué le fractionnement des polices. Mais à tout cela, les américains ont


quand même répondu par des progrès tout à fait considérables, en termes de recherchepolicière, d’investigation et de police scientifique. Il y a la médiatisation. Tout le monde estpersuadé que le tueur en série recherche la gloire et qu’il est gonflé d’orgueil de ses exploitsdans la presse. J’ai demandé à tous les tueurs en série français quelle était leur position parrapport à la médiatisation. La réponse a toujours été la même : « c’est quand on parlait demoi, je me planquais », ou bien une espèce de haine viscérale des journalistes et desmédias. Il y a là aussi un facteur me semble-t-il différentiel et l’exemple le plus parlant estcelui de Chanal où si on se place dans l’hypothèse de sa culpabilité, il se serait suicidé pourque ne soit pas révélée cette part d’ombre, cette part cachée, cette part honteuse de luimêmepour laquelle il avait tout sauf de la fierté. Il me semble aussi que dans la scène ducrime, on ne voit pas en France ce que l’on voit aux Etat Unis, c'est-à-dire une espèce dedéfit de provocation à la police. Par exemple, une image qui m’avait beaucoup frappée dansun congrès, c’était une malheureuse qui avait été tuée et le tueur avait introduit un canon defusil dans son vagin ; une façon de provoquer celui qui va arriver sur la scène du crime, lesenquêteurs. Si on cherche des tueurs en série français avec des critères venus d’ailleurs, onrisque bien de ne pas les trouver. Il me semble qu’il faudrait constituer un thésaurus,notamment des expertises qui ont été pratiquées en France sur tous les tueurs en sérieconnus et travailler sur ces éléments cliniques de manière conjointe entre psychiatres,psychologues, criminologues et policiers pour essayer d’en tirer un maximum d’informations ;peut-être en faisant le pari que cette meilleure connaissance de l’existant criminel permettraune meilleure investigation.On parle souvent de tueurs fous, lorsque l’on parle de tueur en série. Sont-ils vraimentfous ?Fou, pour moi cela ne veut rien dire. Pour moi psychiatre, la maladie mentale est irréductibleà la conception populaire qu’on peut se faire de la folie ou alors je ne suis plus psychiatre. Ily a quelques tueurs en série qui sont des malades mentaux mais ils ne sont pas si fréquent,ne serait-ce que parce qu’il faut pouvoir maîtriser les modalités de passage à l’acte. Il fautpouvoir être capable d’y renoncer quand les circonstances ne s’y prêtent pas, et si on estenvahi par le délire, on a peu de chance de répondre à ces critères là. Il est bien évidentqu’ils ont tous des distorsions, des troubles, des altérations de la personnalité dans desregistres généralement psychopathiques, et pervers qui sont très importants. La question surle plan médico-légal est de savoir s’ils étaient capables de ne pas le faire au moment où ilsl’ont fait. Or, quand vous posez la question à la plupart des tueurs en série vous vousapercevez que s’il y a trop de policiers, s’il y a trop de monde, si la victime ne se plie pas àce qu’ils en attendent, un certain nombre de fois, ils renoncent par prudence à leurs forfaitscriminels. Quelque soit la complexité de la personnalité, son altération et ses troubles, àpartir du moment où on est capable de renoncer, c’est qu’on est responsable de ses actes.Il y a à la fois une fascination et une répulsion de l’opinion publique pour ces affairesde crimes en série. Pourquoi ?Il y a dans cette fascination des éléments troubles, obscurs, qui au fond, relèvent de notresadisme ou relèvent de mouvements psychiques très archaïques où la souffrance de l’autrenous dégage de la notre et où la mort de l’autre nous permet de nous sentir vivants. Je nepense pas que cet intérêt assez généralisé pour ces questions, soit seulement le reflet d’unsadisme ou d’un coté très obscur de nos personnalité. Je pense qu’il y a aussi une énigme.Qu’est-ce qui fait que des gens peuvent fonctionner, désirer, avancer de cette manière là ?Qu’est-ce qui fait que donner la mort à l’autre puisse être objet de jouissance ? Dans quellemesure cela interpelle une interrogation sur l’humanité en générale, et dans quelle mesurecela interpelle en chacun d’entre nous une interrogation sur notre propre fonctionnementpsychique inconscient. Il est évident que ça soulève des interrogations anthropologiquesassez vertigineuses.


De tous les contacts que vous avez pu avoir avec les tueurs en série, quelle image engardez-vous ?C’est parfois des choses qui ont l’air assez petites. Le premier tueur en série que j’aiexaminé et qui d’ailleurs m’avait quasiment traumatisé, l’image que je garde de lui, c’était del’imaginer à un moment donné, après avoir décapité un vieux monsieur, il a mis la tête dansson sac à dos puis il est allé au bar-PMU discuter avec ses copains. C’est une imageeffectivement qui m’est restée. Chanal m’avait beaucoup impressionné par la force, lapuissance avec laquelle il refusait de répondre à certaines questions quand elles touchaientà son intimité. Je lui avais posé une question sur sa biographie et il m’a répondu « Joker ».C’était clair, net, précis. Je n’y suis pas revenu. Ce qui compte pour moi, c’est le sentimentd’avoir au mieux éclairé la justice sur la personnalité d’un homme à un moment donné et surson parcours.Propos recueillis par Emmanuel Provin

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