TROISIÈME PARTIEDU MEURTRE AU POINT DE VUE ÉPIDÉMIQUEET ENDÉMIQUECHAPITRE PREMIERINFLUENCE DES GRANDS BOULEVERSEMENTS SOCIAUXSUR LA CONTAGIONCRIMES DES FOULES — LA GUERREDans les chapitres précédents, nous avonsessayé de faire voir comment un indivi<strong>du</strong> pouvaiten <strong>contagion</strong>ner un autre. Mais la <strong>contagion</strong>ne s'étend jamais qu'à un petit nombre, de personnes,elle est isolée, elle naît sur place, ellemeurt également sur place, ce sont de véritables cassporadiques. A certaines époques, au contraire, iléclate, sous des influences imparfaitement déterminées,de violentes épidémies de <strong>meurtre</strong>. Nousallons rechercher quel en est le processus, commentnaissent et se développent ces idées de <strong>meurtre</strong>qui envahissent brusquement tout un peuple,ou une partie de ce peuple, une secte.On a vu que jusqu'ici nous avons été très sobrede considérations générales sur les causes qui peuventprovoquer un indivi<strong>du</strong> isolé à suivre l'exempled'un meurtrier. Nous avons cité un grand nombrede faits dans lesquels la <strong>contagion</strong> sporadique étaitévidente, préférant ainsi appuyer l'idée que nous
218 LA CONTAGION DU MEURTREsoutenons sur des observations palpables, plutôtque sur des considérations médico-philosophiques,toujours plus ou moins discutables. Nous suivronsle même plan dans ce chapitre; mais les grandesépidémies de <strong>meurtre</strong> ayant plus frappé les auteursque les cas isolés, beaucoup ont donné leur opinionà ce sujet :« Ce penchant à tuer, ce désir de porter atteinteà l'existence, peut se révéler dès la première enfancepar certains goûts et certaines directionsd'idées. Il est des enfants qui sont remarquablespar leur instinct féroce, qui prennent plaisir à tuerles animaux, à faire <strong>du</strong> mal à leurs camarades.Chez l'a<strong>du</strong>lte, ce penchant s'accroît, et l'on en rencontrequi éprouvent <strong>du</strong> bonheur à voir couler lesang, à le répandre, qui s'en enivrent. Si ce penchantse développe sous l'influence des passionspolitiques ou religieuses, il peut devenir épidémiqueet faire surgir des misérables qui égorgent jusqu'àce qu'ils ne trouvent plus de victimes. Ceux qui ontété témoins des massacres de septembre 1792, àParis, disent que le troisième jour, les égorgeursne pouvaient plus s'arrêter 1 . »« L'organe de l'imitation dans le cerveau est unde ceux qui se présentent en première ligne avecceux de la combativité et de la cruauté. En tempsd'anarchie et de révolution, tous les crimes qui secommettent sont l'œuvre de ces trois points <strong>du</strong> cerveauqui commandent en maître à la raison et àl'intelligence qu'ils se sont subordonnées. Alorsl'homme qui est né cruel, retrousse ses manches etGRANDS BOULEVEKSEMENTS SOCIAUX 219se fait pourvoyeur de la guillotine. Il aura pourimitateurs la foule de ceux qui voulaient un modèle,un boute-en-train de ce qu'ils se sentaient capablesd'exécuter. Les victimes seront les hommes faibleset moutons, ceux que les bons modèles, les exemplesde sagesse et de raison, ont ren<strong>du</strong> humains etpieux, chez lesquels les organes de la cruauté et del'imitation, s'il ont existé en eux forts et prépondérants,ont cédé au labor improbus de l'intelligenceet <strong>du</strong> sentiment 1 . »« Que se passe-t-il dans le cœur des hommes,quand ils sont ainsi collectivement entraînés versle <strong>meurtre</strong>, vers l'effusion <strong>du</strong> sang ? D'où naît cepouvoir imitatif qui les subjugue et qui les porte àse détruire ainsi les uns les autres ? Le point culminantde la recherche s'arrête à une dispositionhomicide primordiale, à une sorte de fureur instinctive,funestes attributs de l'humanité, qui trouve unpuissant auxiliaire dans le penchant imitatif. Descirconstances extérieures de toutes sortes, agissantsur ces puissances virtuelles, les mettent en branleet les font éclater dans le monde. Ici, c'est la vue,<strong>du</strong> sang qui fait naître l'idée d'en répandre ; là, c'estle prosélytisme, l'esprit de corps, l'esprit de parti,qui appellent à leur service les passions malfaisantesde tout genre, et qui arment la main del'homme pour répandre le sang ; ailleurs, c'est uneimagination continuellement agacée par les sollicitationsd'un tempérament irritable, qui se troubleau récit de quelque événement sinistre, qui prendfeu et flamme quand la publicité s'efforce de l'as-1. Andral. Pathologie interne, t. III, p. 59.1- Uuvergne. Les Forçats, p. 206.