2. UN MONISME ÉNERGÉTIQUEIl faudrait éviter de parler de « Dieu » dans lecontexte <strong>du</strong> nouveau <strong>paradigme</strong>, car ce termeévoque spontanément un Être transcendantpersonnel créateur - celui dont le rationalismeet les maîtres <strong>du</strong> soupçon ont définitivementréglé le sort. Pour le <strong>Nouvel</strong> Âge, le divinconsiste en une énergie impersonnelle qui sediffuse en un spectre de fréquences, allant dela pure lumière jusqu’à la matière, ultimecondensation <strong>du</strong> rayonnement divin. AliceBailey précise :« Ce que le savant appelle énergie, l’homme religieuxl’appelle Dieu, et cependant les deux ne fontqu’un, n’étant que le dessein manifesté, dans lamatière physique, d’une grande Identité extra-systémique.La nature est l’apparence <strong>du</strong> corps physique<strong>du</strong> Logos et les lois de la nature sont les loisgouvernant les processus naturels de ce corps. LaVie de Dieu, son énergie, sa vitalité, se trouvantdans chaque atome manifesté ; son essence habitetoutes les formes 5 . »L’Énergie divine, en pulsation continue <strong>du</strong>haut en bas de l’échelle vibratoire, engendresans cesse la multiplicité des êtres commeautant d’états particuliers de sa propre substanceomniprésente. D’une manière beaucoupplus prosaïque, Dan Brown fait dire à l’héroïned’Anges et démons:« Dieu, c’est l’énergie qui circule dans les synapsesde notre cerveau, et dans le tréfonds de nos cœurs.Dieu est partout! » (AD, pp. 536)Même son de cloche dans le Da Vinci Code :voici un dialogue entre Vittoria et le directeur<strong>du</strong> CERN :« Mon père (un physicien de haut vol) a prouvé nonseulement que l’on peut créer de la matière à partirde rien, mais que le big bang et la Genèse peuvents’expliquer en supposant simplement la présenced’une énorme source d’énergie.- Vous voulez dire Dieu ? demanda Kohler.- Dieu, Bouddha, la Force ultime, Jehovah, le pointd’unicité, quel que soit le nom qu’on lui donne, lerésultat est le même. La science et la religion sonten fait d’accord sur un postulat : l’énergie pure estla matrice de la création. » (DVC, pp. 88-89)Dan Brown ne se soucie guère des règles lesplus élémentaires de l’épistémologie : depuisquand une thèse métaphysique (l’acte de créationex nihilo) peut-elle être « prouvée » par lesphysiciens? Notre prof d’anglais confond -apparemment sans s’en rendre compte - lenéant (métaphysique) avec le vide (physique),qui représente l’état fondamental <strong>du</strong> champénergétique. Faut-il préciser que la transformationde l’énergie en matière n’a rien à voir avecla création à partir de rien ? L’identification decette « énorme source d’énergie » avec Dieu nesemble pas poser davantage de problèmes àM. Dan Brown : la Cause première est tout simplementidentifiée avec la cause antérieure demême nature la plus reculée dans l’ordre chronologiqueà laquelle on puisse faire appel pourrendre compte <strong>du</strong> phénomène étudié. Auquelcas, il s’agit toujours d’une cause seconde, denature physique, qui nécessite comme toutesles autres causes secondes intermédiaires uneCause première, transcendante, dont elle tireson existence. <strong>Le</strong> refus a priori de toute causalitétranscendante devait inévitablementcon<strong>du</strong>ire à donner à cette « énergie pure » unstatut divin en la déclarant subsistante par ellemême(« causa sui ») - ce qui est la définition <strong>du</strong>Premier Principe. Nous sommes ainsi ramenésà un monisme énergétique et à un émanationnisme(« l’énergie matrice de la création ») defortune, auxquels sont identifiées en vrac lesTraditions orientales et occidentales sans distinction6 .Il est clair que Dan Brown ne s’encombre pasde subtilités philosophiques ; l’important estpour lui d’arriver à la conclusion « scientifiquementconfirmée » et confessée par toutesles religions selon laquelle tout le manifestéémergerait d’une énergie divine primordialeen perpétuelle transformation interne. II s’agitbien sûr d’un axiome que Dan Brown reçoit demanière acritique <strong>du</strong> nouveau <strong>paradigme</strong> -comme bon nombre de nos contemporains.Mais mille affirmations péremptoires ne fontpas encore une démonstration ; hélas, de nosjours, elles suffisent à emporter l’assentimentd’un grand nombre.2
3. LES PRINCIPES MOTEURSDE L’ÉMANATIONNISMESi la diversité des êtres n’est pas suscitée par laParole créatrice <strong>du</strong> Dieu transcendant, la multipliciténe peut apparaître au sein de l’océanénergétique divin que par mode d’émanation.Ce qui con<strong>du</strong>it à la conception d’une substancedivine en perpétuelle évolution, engendrant etréintégrant périodiquement les univers.M me Blavatsky confesse :« Nous croyons à un Principe universel et divin,racine de Tout, d’où tout procède et en qui tout seraabsorbé à la fin <strong>du</strong> grand cycle de l’Être. Notre déitén’est ni au paradis, ni dans n’importe quel arbre,bâtiment ou montagne particuliers, elle est partout,dans tout atome <strong>du</strong> Cosmos visible ou invisible,comme dans toute molécule divisible, car elle est lepouvoir mystérieux de l’évolution et de l’involution,la potentialité créatrice, omniprésente, omnipotenteet même omnisciente. Bref notre déité estl’éternel architecte de l’univers - un architecte quiévolue sans cesse mais ne crée point; et cet universlui-même n’est pas fait mais se développe, en s’épanouissanthors de sa propre essence 7 . »<strong>Le</strong> Dr Encausse - alias Papus - exprime cettemême doctrine dans un langage néoplatonisant,que l’ésotérisme <strong>du</strong> XIX° siècle affectionneparticulièrement :« D’après le système des émanations, l’unité absolueen Dieu constitue l’âme spirituelle de l’univers,le principe de l’existence, [...]; cette unité créatrice,inaccessible à l’entendement même, pro<strong>du</strong>it parémanation, une diffusion de lumière qui, procédant<strong>du</strong> centre à la circonférence, va en perdant insensiblementde son éclat et de sa pureté, à mesurequ’elle s’éloigne de sa source jusqu’aux confins desténèbres dans lesquelles elle finit par se confondre;en sorte que ses rayons (...), devenant de moins enmoins spirituels, et (...) se condensent (...) et, prenantune forme matérielle, forment toutes lesespèces d’êtres que le monde renferme. Ainsi l’onadmet entre l’Être suprême et l’homme une chaîneincalculable d’êtres intermédiaires dont les perfectionsdécroissent en proportion de leur éloignement<strong>du</strong> principe créateur 8 . »3L’émanation des êtres résulterait de l’interactionféconde de deux forces complémentairesqui se différencient périodiquement au sein del’Énergie divine. Ces dynamismes intradivinsportent des noms différents selon les traditions;la dénomination actuellement la plus envogue - et utilisée par Dan Brown - estempruntée au taoïsme : il s’agit <strong>du</strong> binômeyin/yang que notre auteur identifie aux principesmasculin et féminin, et par extension àJésus et Marie-Madeleine. Commentant laCène de <strong>Le</strong>onardo Da Vinci, sir <strong>Le</strong>igh Teabingfait remarquer à Sophie :« Notez la correspondance entre leurs vêtements:robe rouge et cape bleue pour Jésus - robe bleue etcape rouge pour Marie-Madeleine. Yin et yang,complémentarité entre le masculin et le féminin. »(DVC, pp. 306)Complétons la liste de nos binômes à l’écoled’Éliphas Lévi :« L’univers est balancé par deux forces qui le maintiennenten équilibre: la force qui attire et celle quirepousse. <strong>Le</strong>s Anciens ont représenté ce mystère parla lutte d’Eros et d’Antéros, par le combat de Jacobavec l’ange, par l’équilibre de la montagne d’or quetiennent liée, avec le serpent symbolique de l’Inde,les dieux d’un côté et de l’autre les démons. II setrouve aussi figuré par le ca<strong>du</strong>cée d’Hermanubis,par les deux chérubins de l’arche, par les deuxsphinx <strong>du</strong> chariot d’Osiris, par les deux séraphins,le blanc et le noir 9 . »L’émanation qui résulte de l’interaction de cescoprincipes est un phénomène cyclique : del’Un originel à la réintégration dansl’Identique, en passant par une série d’étapesqui ne sont que des transformations éphémères- et finalement illusoires - à l’intérieur dela Substance divine. Ce mouvement n’est pasorienté, il n’a ni finalité ni raison d’être : le samsaraou éternel recommencement est de l’ordrede la nécessité interne de l’Être divin :« L’éternité de l’Univers, in toto, comme plan illimité,est périodiquement le terrain de jeu d’innombrablesUnivers se manifestant et disparaissantincessamment, explique M me Blavatsky. Uneexpiration de « l’essence inconnue » pro<strong>du</strong>it lemonde, et une inspiration le fait disparaître. Ce processusa été en action de toute éternité, et notre universactuel n’est que l’un des termes d’une sérieinfinie qui n’a pas eu de commencement et quin’aura pas de fin 10 .»Rappelons que le dynamisme de la création, telqu’il ressort de la Révélation judéo-chrétienne,est tout au contraire franchement orienté, finalisé.S’adressant à Dieu, saint Augustin