Recherche scientifique et conflits d'intérêts : que peut le droit
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<strong>Recherche</strong> <strong>scientifi<strong>que</strong></strong> <strong>et</strong> <strong>conflits</strong> d’intérêts : <strong>que</strong><strong>peut</strong> <strong>le</strong> <strong>droit</strong> ?La problémati<strong>que</strong> du conflit d’intérêts ne date pasd’aujourd’hui. Les stoïciens en re<strong>le</strong>vaient déjà la teneur <strong>et</strong> <strong>le</strong>smanifestations. Il s’agit d’une problémati<strong>que</strong> d’essence humaine quirenvoie l’homme à lui-même c’est-à-dire en ex ante, à une mora<strong>le</strong> enpost ante à une éthi<strong>que</strong>, toutes deux présupposées bonnes.La notion de « conflit d’intérêts » est cependant malaisée àdistinguer de notions voisines comme - notamment - cel<strong>le</strong>s de conflitde va<strong>le</strong>urs, de probité ou encore de cel<strong>le</strong> d’éthi<strong>que</strong>.Non forcément visualisé ni concrétisé, <strong>le</strong> conflit de va<strong>le</strong>urs estimpossib<strong>le</strong> à sanctionner en tant <strong>que</strong> tel. Souvent réduit à dedouloureux tirail<strong>le</strong>ments <strong>et</strong> à de lancinantes <strong>que</strong>stions, il se révè<strong>le</strong>banal <strong>et</strong> protéiforme. Tous <strong>le</strong>s secteurs de la vie professionnel<strong>le</strong> s’yprêtent : fonction publi<strong>que</strong>, professions libéra<strong>le</strong>s, assurances, ban<strong>que</strong>s,expertises de tous ordres, sociétés…. Pourquoi alors précisément ces<strong>que</strong>stionnements dans <strong>le</strong> cadre particulier de la recherche<strong>scientifi<strong>que</strong></strong> ?A cause, d’une part, de l’obj<strong>et</strong> même de la recherche<strong>scientifi<strong>que</strong></strong>, intrinsè<strong>que</strong>ment nob<strong>le</strong> <strong>et</strong> théori<strong>que</strong>ment désintéressé. Acause, d’autre part, de ses buts qui sont la réf<strong>le</strong>xion orientée vers ladécouverte <strong>et</strong> la recherche d’une avancée, fondamenta<strong>le</strong> ou appliquée.Un flou cependant entoure ses tenants (pourquoi c<strong>et</strong>terecherche ?) <strong>et</strong> ses aboutissants (à qui profitera c<strong>et</strong>te recherche ?),lové au plus profond des secr<strong>et</strong>s si<strong>le</strong>nces de l’homme <strong>et</strong> de ses<strong>que</strong>stionnements. L’ombre envahit la <strong>que</strong>stion de savoir si je veuxseu<strong>le</strong>ment prouver ou éga<strong>le</strong>ment me prouver. L’avancée d’une science,<strong>que</strong>l<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> soit (biologie, physi<strong>que</strong>, anthropologie, <strong>droit</strong> <strong>et</strong>…médecine, notamment) se ramène bien au fond à la mise à ladisposition d’un intel<strong>le</strong>ct.
Mais rien n’est simp<strong>le</strong>. Des va<strong>le</strong>urs imperturbab<strong>le</strong>s doiventguider ces recherches orientées vers <strong>le</strong>s avancées des sciences, de laréf<strong>le</strong>xion <strong>et</strong> de la compréhension, vers <strong>le</strong> bien-être de l’humanité. Lapremière d’entre el<strong>le</strong> est justement la liberté de recherche, soustenduedu <strong>droit</strong> à la connaissance, pétrie de <strong>que</strong>stionnementscontinus, accompagnée de la possibilité d’expérimenter. Le progrès<strong>scientifi<strong>que</strong></strong> étant - postulat - une va<strong>le</strong>ur en soi, la <strong>que</strong>stionessentiel<strong>le</strong> consisterait à savoir si c<strong>et</strong>te liberté de recherche devraitêtre érigée en liberté fondamenta<strong>le</strong>.Inévitab<strong>le</strong> accompagnateur de ces pérégrinations, indispensab<strong>le</strong>régulateur de la vie socia<strong>le</strong> <strong>et</strong> de ses microcosmes, <strong>le</strong> <strong>droit</strong> viendraitlimiter <strong>et</strong> structurer ces continuel<strong>le</strong>s recherches. Le <strong>droit</strong> est au cœurde l’évolution des sociétés.L’homme avec son bien-être, <strong>et</strong> ses désirs se r<strong>et</strong>rouve ainsi aucœur du tripty<strong>que</strong> recherche-<strong>conflits</strong> d’intérêts-<strong>droit</strong>. Des <strong>que</strong>stionstaraudantes <strong>et</strong> naïves surgissent alors, simp<strong>le</strong>s à poser <strong>et</strong> malaisées deréponse : pourquoi <strong>le</strong>s <strong>conflits</strong> d’intérêts, inhérents à la naturehumaine, devraient-ils tous être tous mauvais, l’essentiel ne résidantpas en <strong>le</strong>ur existence intrinsè<strong>que</strong> mais au choix à <strong>le</strong>ur apporter. Maisun conflit d’intérêt n’existant aux yeux des autres <strong>et</strong> particulièrementdu <strong>droit</strong>, <strong>que</strong> s’il est extériorisé, <strong>le</strong> verdict <strong>le</strong> concernant ne devraittomber qu’au moment de ce choix ; ce ne sera alors plus un conflitd’intérêts mais une autre forme d’infraction plus ou moins grave.Pourquoi ces <strong>conflits</strong> devraient-ils être plus angoissants pourcertaines personnes, dont <strong>le</strong> chercheur (ou <strong>le</strong> médecin): son activitél’obligerait-el<strong>le</strong> à être intrinsè<strong>que</strong>ment meil<strong>le</strong>ur qu’un autre ? Enfin<strong>que</strong> <strong>peut</strong> <strong>le</strong> <strong>droit</strong> face à ces troub<strong>le</strong>s <strong>que</strong>stionnements, face à c<strong>et</strong>teprotection contre ses mauvais escients, face à c<strong>et</strong>te humanité autourde la<strong>que</strong>l<strong>le</strong> tout tourne ? Que <strong>peut</strong> <strong>le</strong> <strong>droit</strong> contre la naturehumaine ? Peut-il, au nom de la régulation socia<strong>le</strong>, limiter la libertédes chercheurs ?1. ChoixLa <strong>que</strong>stion <strong>peut</strong> paraître dérangeante. El<strong>le</strong> n’en existe pasmoins : <strong>le</strong> faiseur de texte, législateur ou pouvoir règ<strong>le</strong>mentaire,<strong>peut</strong>-il lui-même vivre un conflit d’intérêts au moment de direou d’élaborer <strong>le</strong> <strong>droit</strong> ?a. Avant-dire <strong>droit</strong>. Le texte juridi<strong>que</strong> par sa présencemême, reflète <strong>le</strong>s choix d’une intelligence, d’un raisonnement<strong>et</strong> d’un moment. Le compromis est celui d’un homme <strong>et</strong>
d’un temps, de circonstances <strong>et</strong> de rapports de force. Tous<strong>le</strong>s textes juridi<strong>que</strong>s recè<strong>le</strong>nt c<strong>et</strong>te tension mais certains plus<strong>que</strong> d’autres du fait de <strong>le</strong>urs enjeux. Tiraillé entre desva<strong>le</strong>urs opposées, ne sachant plus très bien <strong>que</strong>l intérêtplacer au-dessus de l’autre il tente un amalgame qui ne <strong>peut</strong>être systémati<strong>que</strong>ment heureux. Le texte alambiqué relatif à laprotection des données généti<strong>que</strong>s 1 reflète bien c<strong>et</strong>te situationcarrefour entre des intérêts de poursuite de recherchesd’avenir <strong>et</strong> de protection du patrimoine généti<strong>que</strong> national.Mais ces <strong>conflits</strong> peuvent être trop puissants pour l’homme,risquant de l’emporter, <strong>et</strong> il se résoudra alors à n’y pasrépondre, à <strong>le</strong>ur opposer un farouche si<strong>le</strong>nce. L’encadrementde la recherche en matière d’organismes généti<strong>que</strong>mentmodifiés semb<strong>le</strong> être aux prises depuis de longues annéesavec <strong>le</strong>s exigences de libre importation de certains produitsvitaux agro alimentaires.b. Champs du <strong>droit</strong>. En lui-même, tout conflit d’intérêts estgrave car risquant d’être résolu dans <strong>le</strong> mauvais sens, <strong>le</strong>simplications en étant <strong>le</strong> plus souvent souterraines aux yeuxdu chercheur : l’anthropologie ou la sociologie peuvent toutautant <strong>le</strong> m<strong>et</strong>tre en mauvaise posture. Cependant, il estindéniab<strong>le</strong> <strong>que</strong> <strong>le</strong>s champs de la recherche <strong>scientifi<strong>que</strong></strong> neprésentent pas tous la même sensibilité <strong>et</strong> ne nécessitentpas tous avec la même intensité un balisage. Quels sontceux qui s’avèreraient plus ouverts aux <strong>conflits</strong> d’intérêts oudans <strong>le</strong>s<strong>que</strong>ls ces mêmes <strong>conflits</strong> d’intérêts, mal résolus,auraient des consé<strong>que</strong>nces plus graves ? Les recherches surl’être humain, du fait même de son matériau de baseseraient-el<strong>le</strong>s plus propices aux <strong>conflits</strong> <strong>que</strong> d’autres ?Lesdites recherches nécessitant une masse considérab<strong>le</strong> definancement ou ayant des enjeux importants (financierscomme la recherche pharmaceuti<strong>que</strong> ou politi<strong>que</strong>s comme larecherche en matière nucléaire) sont-el<strong>le</strong>s plus propices aux<strong>conflits</strong>?2. Réalitésa. Impuissance du <strong>droit</strong>. Tentant de devancer <strong>le</strong>sévènements, courant constamment, tel Sisyphe derrière sonrocher, derrière de mythi<strong>que</strong>s espoirs de contrô<strong>le</strong>, <strong>le</strong> <strong>droit</strong> ne1 Loi 2004-63 du 27 juill<strong>et</strong> 2004 relative à la protection des données à caractère personnel, <strong>et</strong>plus particulièrement son chapitre V section 3.
<strong>peut</strong> tout imaginer, ni tout prévoir, surtout s’il s’acharne àse décliner en textes bavards <strong>et</strong> détaillés. C<strong>et</strong>te tournurerécente de notre <strong>droit</strong> se révè<strong>le</strong> d’ail<strong>le</strong>urs à la prati<strong>que</strong>encore plus inuti<strong>le</strong> <strong>que</strong> sa forme épurée 2 . Mais surtout, <strong>le</strong><strong>droit</strong> est impuissant contre <strong>le</strong> conflit d’intérêts en lui-mêmeà cause de la nature insaisissab<strong>le</strong> de ce dernier. Que <strong>peut</strong><strong>le</strong> <strong>droit</strong> contre une fugace hésitation ou une éphémèr<strong>et</strong>entation ? Son objectivité réclame des faits, pour éviter desombrer dans l’arbitraire du procès d’intention. Nul<strong>le</strong> règ<strong>le</strong>de <strong>droit</strong> ne <strong>peut</strong> obliger chercheurs <strong>et</strong> laboratoirespharmaceuti<strong>que</strong>s à entamer des recherches sur certainesmaladies, à évolution fata<strong>le</strong> mais peu (ou mal) répandues,tout comme el<strong>le</strong> ne <strong>peut</strong> trancher en matière debrev<strong>et</strong>abilité du génome ou d’autopsies <strong>scientifi<strong>que</strong></strong>s. Le <strong>droit</strong>ne <strong>peut</strong> qu’interdire aveuglément <strong>le</strong>s velléités conflictuel<strong>le</strong>s<strong>et</strong> prévoir de sanctionner transgressions <strong>et</strong> mauvais choix.Ressortie tel un épouvantail poussiéreux, la règ<strong>le</strong> de <strong>droit</strong> ser<strong>et</strong>rouvera alors livrée à la subjective interprétation du juge.b. Déli<strong>que</strong>scence du <strong>droit</strong>. Le <strong>droit</strong> « classi<strong>que</strong> » serait-il enpasse d’être supplanté par d’autres formes de <strong>droit</strong> ? Le« bon » <strong>droit</strong>, partiel<strong>le</strong>ment moulé sur <strong>le</strong>s règ<strong>le</strong>s mora<strong>le</strong>s, a-t-il sa place dans <strong>le</strong> domaine mouvant <strong>et</strong> délicat des<strong>conflits</strong> d’intérêts? Il semb<strong>le</strong> plus probab<strong>le</strong> <strong>que</strong> la normeaura davantage à l’avenir un aspect auto suggéré, en tantqu’émanation des professionnels eux-mêmes. Le signe en est<strong>le</strong>s dizaines de chartes <strong>et</strong> de codes de conduite signés par<strong>le</strong>s hommes du métier. C<strong>et</strong>te régulation dite « soft », enmarge du <strong>droit</strong> sanctionnateur, s’avèrerait plus adéquate <strong>que</strong>celui-ci ? Autorégulation issue de la profession el<strong>le</strong>-même, unpeu à l’image de l’exigence de déclaration, de la part desmédecins, des présents reçus de la part des laboratoirespharmaceuti<strong>que</strong>s ou encore de la consultation obligatoiredes comités d’éthi<strong>que</strong> <strong>et</strong> de recherche avant d’entamer desessais clini<strong>que</strong>s ou de publier un artic<strong>le</strong>.Conclusions. L’homme <strong>et</strong> ses tirail<strong>le</strong>ments, l’homme <strong>et</strong> sonbien-être, l’homme <strong>et</strong> son besoin de pouvoir, se trouve au cœurdes débats sur <strong>le</strong>s <strong>conflits</strong> d’intérêts dans <strong>le</strong> domaine de larecherche. Il faudra uni<strong>que</strong>ment prendre garde de ne sombrer2 Jac<strong>que</strong>line MORAND DEVILLER : Les territoires du <strong>droit</strong>. Réf<strong>le</strong>xions sur la généralité <strong>et</strong> l’impersonnalitéde la règ<strong>le</strong> de <strong>droit</strong>. Mélanges en l’honneur de A-H. MESNARD, LGDJ 2006.
dans l’écueil <strong>que</strong> l’on cherchait à éviter : ériger <strong>le</strong> <strong>droit</strong> tel unmur contre ce qu’il cherchait initia<strong>le</strong>ment à protéger, soit larecherche <strong>scientifi<strong>que</strong></strong>. Encore une fois, il sera fait appel au bonsens des hommes d’action, à <strong>le</strong>ur éthi<strong>que</strong>, pour tenter demodérer des consé<strong>que</strong>nces négatives de certains choix.AAM