13.07.2015 Views

PDF - 2.09 Mo - edytem - Université de Savoie

PDF - 2.09 Mo - edytem - Université de Savoie

PDF - 2.09 Mo - edytem - Université de Savoie

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LES COLS ROUTIERSDANS LA TRAVERSEE DES MONTAGNES FRANÇAISES- CONTRIBUTION À UNE DÉFINITION PLURIVALENTE ET DYNAMIQUE -par Xavier BERNIERMaître <strong>de</strong> Conférences en Géographie,Laboratoire EDYTEM, UFR CISM, <strong>Université</strong> <strong>de</strong> <strong>Savoie</strong>, Campus scientifique, F 73376 Le Bourget du Lac Ce<strong>de</strong>x,xavier.bernier@univ-savoie.frRÉSUMÉL’objectif <strong>de</strong> cet article est <strong>de</strong> proposer une réflexion géographique sur la place <strong>de</strong>s cols routiers dans la traversée <strong>de</strong>s montagnesfrançaises. Quelque 2 244 sites reconnus par la toponymie peuvent être i<strong>de</strong>ntifiés à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> critères multiples. Le niveau d’équipementet les activités associées à un col sont révélateurs <strong>de</strong> ses fonctions actuelles et héritées et contribuent à donner du sens auxlieux. Dans les dynamiques spatiales liées au passage et à la dialectique d’ouverture et <strong>de</strong> fermeture <strong>de</strong> la montagne, <strong>de</strong>s logiquesrécurrentes peuvent être dégagées. Inscrits sur <strong>de</strong>s itinéraires parfois valorisés, les cols sont les objets <strong>de</strong> pratiques touristiques quimodifient les représentations et les processus <strong>de</strong> territorialisation. Seule une lecture plurivalente et dynamique peut permettre d’enabor<strong>de</strong>r la complexité. Col « passage », col « équipé », le col est ainsi dans certains cas « point focal » quand il <strong>de</strong>vient un haut-lieuremarquable et attractif. D’abord col « topographique » avant d’apparaître comme un col « sommet », il définit avec le « pied <strong>de</strong>col » un triptyque pour une nouvelle approche <strong>de</strong> la verticalité en montagne. L’ensemble ainsi constitué dans la dynamique actuelle<strong>de</strong>s réseaux donne sans doute un sens nouveau à la montagne.MOTS-CLÉS : COL ROUTIER, MONTAGNE, FRANCE, TRANSPORTS, TRAVERSÉE, AMÉNAGEMENT, EQUIPEMENTS ET PRATIQUES TOURISTIQUES, DEFINI-TIONS ÉVOLUTIVES, REPRÉSENTATIONS.ABSTRACTThe purpose of this paper is to set up a geographical approach to the problem of road passes in crossing french mountains. Some2244 places may be i<strong>de</strong>ntified with toponymy and selection criteria. Development <strong>de</strong>nsity and amount activities in the pass areaare revealing current and former functions. Different mo<strong>de</strong>ls of spatial dynamics are <strong>de</strong>termined by the opening/closing dialecticsin crossing’s logic.Some road passes are on touristic routes with many touristic equipments and different practices. It takes part of complex processesof representation and territorialization. « Crossing pass », « <strong>de</strong>veloped pass », this kind of place is sometime also a « target pass »,specially when road passes are High Places. We can make the assumption that the set of « topographical pass », « top pass » and« foot pass » is <strong>de</strong>termining a new approach of verticality and a new <strong>de</strong>finition of mountain through the medium of transports.KEY-WORDS : ROAD PASS, MOUNTAIN, FRANCE, TRANSPORTS, CROSSING, DEVELOPMENT, TOURISTIC EQUIPMENTS AND PRACTICES, EVOLVINGDEFINITIONS, REPRESENTATIONS.Collection EDYTEM - Cahiers <strong>de</strong> Géographie - n°2 - 2004 91


Traverser les montagnesINTRODUCTION - L’EXISTENCE D’UN COL ROUTIER EST D’ABORD FONDÉE PAR SA RECONNAISSANCETOPONYMYQUEA l’heure où la question <strong>de</strong> la circulation transmontagnar<strong>de</strong>est plutôt posée dans une perspective « encreux », à travers les problèmes <strong>de</strong> transports inhérentsà <strong>de</strong>s fonds <strong>de</strong> vallée souvent décrits comme asphyxiés,et les nombreux projets <strong>de</strong> tunnels et <strong>de</strong> développementdu ferroutage, il peut paraître anachronique <strong>de</strong>s’intéresser aux cols routiers. Lieux forts d’itinérairesparfois réduits à une valeur touristique, ils semblent eneffet s’inscrire davantage dans une logique <strong>de</strong> « pleins »et d’adaptation aux reliefs quand, ailleurs, la volontéd’effacement <strong>de</strong> l’obstacle prési<strong>de</strong> désormais à la conception<strong>de</strong> la traversée. Sans doute les cols routiers neproposent-ils pas dans la plupart <strong>de</strong>s cas d’alternativessatisfaisantes aux gran<strong>de</strong>s percées transmassifs, en particulierpour les flux <strong>de</strong> fret, mais leur étu<strong>de</strong> géographiqueest révélatrice <strong>de</strong> dynamiques complexes et d’uneréalité toujours en mouvement. Par ailleurs, leur rôle aété déterminant au XIX ème siècle dans la mesure où l’oncirculait plus alors sur les versants que dans <strong>de</strong>s fonds<strong>de</strong> vallées pas toujours sécurisés et viabilisés. Un renversementhistorique s’est ensuite opéré ; il est rappelépar B. DEBARBIEUx [2002] quand il évoque ce transit quia d’abord épousé les Alpes avant <strong>de</strong> divorcer d’elles.La dénomination française du « col » renvoie <strong>de</strong>prime abord à une <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> la forme du lieu.Le mot vient du latin « collum » (cou) par l’imagedu rétrécissement entre <strong>de</strong>ux masses ; il évoque un« point déprimé entre <strong>de</strong>ux sommets, ensellement surune crête, facilitant le passage » [R. BRUNET, 1992].Il est alors légitime <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> « coltopographique » ou « col en V » commedéfinition première en quelque sorte pourun espace qui propose ici une ouverturedans le passage transmontagnard ou ledépart d’ascensions (Figure 3). Maisdans un certain nombre <strong>de</strong> cas, l’axe <strong>de</strong>Col topographique.transport n’épouse pas la topographie. On peut citer icile col <strong>de</strong> Restefond dans le département <strong>de</strong>s Alpes <strong>de</strong>Haute-Provence ou celui du Plan Nicolas sur la routedu Galibier en <strong>Savoie</strong>, <strong>de</strong>ux cas où le ruban routierne s’inscrit pas sur les <strong>de</strong>ux versants topographiquesdu col. Les reportages du Tour <strong>de</strong> France présententpar ailleurs régulièrement le <strong>Mo</strong>nt Ventoux, le <strong>Mo</strong>ntAigoual ou les stations <strong>de</strong> Courchevel, l’Alpe d’Huez,Saint-Lary… comme <strong>de</strong>s « cols », appellation incontestablementabusive ici du point <strong>de</strong> vue topographique.Inversement, sur un itinéraire routier <strong>de</strong> montagne,nombreux sont les lieux non assimilés à un col qui, parleurs seules caractéristiques topographiques, pourraientrevendiquer cette appellation. Point bas dans sa versiontopographique ou point haut d’un itinéraire dont il estun <strong>de</strong>s « sommets », le col routier ne saurait donc êtrecirconscrit dans sa définition à une version topographique.Les espaces étudiés doivent aussi être parcouruspar une route à la chaussée recouverte, garantie théoriqueà la circulation <strong>de</strong> tous les véhicules <strong>de</strong> tourisme[X. BERNIER, à par. 2004]. L’ouverture au trafic peut êtreréglementée et limitée éventuellement dans le temps,en fonction par exemple <strong>de</strong>s conditions climatiques ou<strong>de</strong> l’exposition aux risques. Le niveau d’aménagement<strong>de</strong> ces espaces plus ou moins ouverts et restreints estd’autant plus conséquent qu’ils sont les articulationsprincipales <strong>de</strong> routes touristiques ou <strong>de</strong> manifestationssportives comme le Tour <strong>de</strong> France. Leur niveau <strong>de</strong>territorialisation et leur notoriété sont parfois aussire<strong>de</strong>vables d’une situation sur d’anciennes voies <strong>de</strong>passage ou liés à <strong>de</strong>s coïnci<strong>de</strong>nces administratives,frontières ponctuelles entre départements, régions oupays. Il semble bien en fait qu’un col soit d’abord fondédans son existence par la toponymie [BIBES, 2002] etqu’il peut être recensé seulement lorsqu’il est nommécomme tel. Face à un ensemble bien sûr très hétérogène,cet article se propose <strong>de</strong> dégager <strong>de</strong>s logiquesrécurrentes dans les dynamiques spatiales liées à latraversée et à la dialectique d’ouverture et <strong>de</strong> fermeture<strong>de</strong> la montagne.I - QUAND LA GÉOGRAPHIE DES COLS ROUTIERS RÉVÈLE L’INTENSITÉ DU PASSAGE TRANSMONTAGNARDOU LA VOLONTÉ DE CONTRÔLE DE L’OUVERTURE ET DE LA FERMETURE DANS LES ÉCHANGESLa nomenclature <strong>de</strong>s cols i<strong>de</strong>ntifiés commetels dans la toponymie doit être élargie aux synonymescomme celui <strong>de</strong> « port », ce mot d’ancien françaisdont l’usage a prévalu jusqu’au XVII ème siècle avantd’être remplacé par celui <strong>de</strong> col. Si les cartes, les gui<strong>de</strong>sou l’observation <strong>de</strong>s panneaux sur le terrain constituentun matériau précieux pour l’établissement d’uncatalogue, les travaux <strong>de</strong> certaines sociétés cyclotouristespeuvent également être mobilisés. La Confrérie<strong>de</strong>s Cent Cols en particulier, créée en 1972, proposeune somme qui fait autorité. M. <strong>de</strong> BREBISSON [2000],membre <strong>de</strong> cette Confrérie, ne recense pas moins <strong>de</strong>248 termes synonymes <strong>de</strong> col et a pu tenter <strong>de</strong> préciserleurs contours sémantiques. Les cartes <strong>de</strong>s termesutilisés (Figure 1) traduisent une gran<strong>de</strong> richesse <strong>de</strong>langage, en particulier pour les départements alpins et92


XAVIER BERNIERLes cols routiers dans la traversée <strong>de</strong>s montagnes françaises - Contribution à une définition...pyrénéens 1 . (même si beaucoup <strong>de</strong>s termes apparaissentdans <strong>de</strong>s constructions pléonastiques 2 ).Parmi tous les espaces ainsi i<strong>de</strong>ntifiés, une proportionparfois non négligeable <strong>de</strong> « cols » ne correspondpas aux critères topographiques et doit donc être exclue.« Les collets, les pas, les golets, les caps, les coulets,etc. ne sont retenus que dans une proportion variant <strong>de</strong>20 à 60 %. Par exemple, beaucoup <strong>de</strong>s collets dans lesHautes-Alpes sont <strong>de</strong>s collines (environ les <strong>de</strong>ux tiers),nombre <strong>de</strong> golets <strong>de</strong> l’Ain <strong>de</strong>s lieux-dits » [ibid. cit.]. Entout état <strong>de</strong> cause, trois grands modèles <strong>de</strong> distributionspatiale <strong>de</strong>s synonymes employés pour nommer un colpeuvent être mis à jour en France.En plus du mot col lui-même, un certain nombre<strong>de</strong> termes sont uniformément répandus. Ils semblentcorrespondre à la déclinaison locale <strong>de</strong> quelques racinesprincipales : le « col » <strong>de</strong>venu « colette », « colla<strong>de</strong> »,« colle », « collet », « collo », le « pas » et ses dérivés :« passage » et « passe », ou encore le « port » retrouvédans « portail », « portillon », « portus ».Au contraire, certains termes paraissent bien i<strong>de</strong>ntifiésà un massif ou à une zone : « bocca », « foce »,« forca » en Corse, « cot », « couilla<strong>de</strong> », « couret »,« hourquette » dans les Pyrénées, « baisse », « coulet »,« couletet », dans les Alpes du Sud, « golet » et « goulet »en Rhône-Alpes, « tracol », « tranchée », « trescol » surles marges du Massif Central.Une troisième catégorie relève enfin <strong>de</strong> synonymesisolés ou peu répandus comme par exemple « lepo »,« lepoa », « lepoua » dans les Pyrénées-Atlantiques et enparticulier au Pays Basque, ou encore « hal » et « hauteur» en Alsace. Si leur dénomination renvoie parfoisà l’évocation <strong>de</strong> leur fonction (le « pass » anglosaxonou le « port » pyrénéen), l’altitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s cols est bien sûrvariable. En France, le plus bas est en Corse du Sudà 19 m (Bocca di a guardia, N 198) et le plus élevé en<strong>Savoie</strong> (col <strong>de</strong> l’Iseran, N 202 - 2764 m).Au final, sur la base <strong>de</strong> cette métho<strong>de</strong> et <strong>de</strong>s critèresprécé<strong>de</strong>mment cités (« seront retenus les passagesnommés et ceux dont le nom est mentionné sur unecarte Michelin ou IGN ou matérialisé par un panneaudirectionnel ou sommital », BIBES, 2002), le catalogueChauvot met à jour 2244 lieux en 2002 en France 3 . Letravail ainsi fourni met à jour une géographie <strong>de</strong>s colsroutiers dont la production cartographique n’est passans surprises (Figure 2).Une première lecture pourrait amener à penserque la répartition <strong>de</strong>s cols propose une signature <strong>de</strong>sreliefs. A l’échelle départementale, quelques résultatssemblent venir corroborer cette hypothèse : l’absence<strong>de</strong> cols routiers (aucun n’est recensé dans l’Aisne, leLoiret et le Territoire <strong>de</strong> Belfort, un seul dans l’Aube,le Calvados, la Charente, l’Indre, le Maine-et-Loire,la Mayenne, la Meuse, la Nièvre, les Yvelines, leTarn-et-Garonne et l’Yonne) ou leur forte présence(127 dans la Drôme, 124 en Corse du Sud, 121 enArdèche, 108 dans les Pyrénées-Atlantiques, 104 dansles Pyrénées-Orientales et dans les Alpes-Maritimes)paraît fournir un négatif plutôt fidèle <strong>de</strong> la carte durelief. Une analyse plus fine vient pourtant troublercette corrélation. A telle enseigne par exemple que les<strong>de</strong>ux seuls départements français complètement montagnardsau regard du décret du 23 Juin 1961 4 , la Lozèreet les Hautes-Alpes, sont relativement peu dotés avec56 et 59 cols 5 . Dans le même ordre d’idées, que dire<strong>de</strong>s chiffres <strong>de</strong> l’Aveyron (12), <strong>de</strong> la Corrèze (12), duDoubs (12) et du Jura (11) dont la faiblesse contreditla vigueur orographique <strong>de</strong>s départements ? Tous cesrésultats d’apparence contradictoire nous amènent entout cas à approfondir et à dépasser la simple définition« topographique » d’un col.Dans le franchissement <strong>de</strong> l’obstacle, la carte <strong>de</strong>scols révèle en fait moins le relief lui-même que leséchanges dont il est le support. Lieux <strong>de</strong>passage (Figure 3) entre <strong>de</strong>ux espaces, ilstémoignent par leur présence <strong>de</strong> l’intensité<strong>de</strong>s communications passées ou actuelles.C’est dans cette perspective que la carte(Figure 2) livre les lignes <strong>de</strong>s Pyrénées ou<strong>de</strong>s Vosges, les arcs cévenols, jurassiensColpassage.ou alpins, les monts du Cantal, <strong>de</strong> la Ma<strong>de</strong>leine ou duForez, la <strong>Mo</strong>ntagne Noire ou les Causses. C’est ainsiqu’ils faut lire aussi les <strong>Mo</strong>nts <strong>de</strong> Lacaune, du Vivarais,1Onze synonymes différents ont ainsi pu être i<strong>de</strong>ntifi és pour le seul département <strong>de</strong> l’Ariège, neuf pour les Hautes-Pyrénées, lesAlpes-Maritimes, la Haute-Garonne, et encore huit pour l’Isère, les Pyrénées-Orientales, les Alpes-<strong>de</strong>-Haute-Provence et l’Ardèche.2Il n’est en effet pas rare <strong>de</strong> rencontrer <strong>de</strong>s « cols du Pas, <strong>de</strong> la Baisse, <strong>de</strong> la Colette, <strong>de</strong> la Coura<strong>de</strong>, <strong>de</strong>s Coutchets, <strong>de</strong> Creux, <strong>de</strong> laFenêtre, <strong>de</strong> Foce, <strong>de</strong> Port, <strong>de</strong> Porte, <strong>de</strong> Pertus, <strong>de</strong> Porteille, <strong>de</strong> Portet, <strong>de</strong> Pourtanelle, du Trou, du Seuil, du Sattel ; etc. Or tous cestermes et bien d’autres se suffi sent à eux-mêmes. Les exemples, avec d’autres termes, sont tout aussi fréquents : Pas <strong>de</strong> la Baisse,<strong>de</strong> la Brèque, <strong>de</strong> la Colle, du Coulet, etc, ou brèche <strong>de</strong> la Cochette, du Cot… » [M. DE BRÉBISSON, 2000].3Les DOM-TOM ne sont pas pris en compte.4Le décret du 23 juin 1961 défi nit la zone <strong>de</strong> montagne comme “... le territoire <strong>de</strong>s communes qui sont situées dans une proportiond’au moins 80 % <strong>de</strong> leur superficie à une altitu<strong>de</strong> supérieure à 600 mètres au-<strong>de</strong>ssus du niveau <strong>de</strong> la mer ou dans lesquelles ledénivellement entre les limites altimétriques inférieures et supérieures du territoire cultivé n’est pas inférieur à 400 mètres”. Dansles faits, cela équivaut alors à classer en zone <strong>de</strong> montagne 4263 communes soit 11,2 % <strong>de</strong>s communes françaises dans quarantedépartements, dont <strong>de</strong>ux seulement, les Hautes-Alpes et la Lozère, sont pris dans leur totalité.5Ces résultats placent la Lozère au 16 e rang et les Hautes-Alpes au 17 e pour le nombre <strong>de</strong> cols routiers !Collection EDYTEM - Cahiers <strong>de</strong> Géographie - n°2 - 2004 93


Traverser les montagnes 94Figure 1 - Les synonymes utilisés pour désigner un col routier dans les départements français :trois gran<strong>de</strong>s fréquences dans les aires d’extension.


XAVIER BERNIERLes cols routiers dans la traversée <strong>de</strong>s montagnes françaises - Contribution à une définition...Figure 2 - Les cols routiers et les zones <strong>de</strong> montagne en France, d’après Catalogue Chauvot [BIBES, 2002]et travaux M. LIAUDON (inédits). Limites <strong>de</strong>s zones <strong>de</strong> montagne d’après la Loi <strong>Mo</strong>ntagne <strong>de</strong> 1985 (loi 85-30 du 9-1-1985).du Beaujolais, du Lyonnais ou encore à plus gran<strong>de</strong>échelle la Sainte-Victoire, la Sainte-Baume ou l’Estérel.A l’exception <strong>de</strong> la plaine d’Aléria et <strong>de</strong> la partie la plusélevée en altitu<strong>de</strong>, la Corse est <strong>de</strong>nsément couverte. Etsi les vallées du Rhône et du Rhin apparaissent ici clai-rement en négatif 6 , c’est bien sûr pour mieux signalerleur attractivité et le développement historique <strong>de</strong>s relationsà travers les espaces montagnards environnants. Ace sta<strong>de</strong>, au moins <strong>de</strong>ux « anomalies » semblent <strong>de</strong>voirattirer l’attention. Le très faible marquage du <strong>Mo</strong>rvandoit peut-être à la faible emprise spatiale du massifet surtout aux gran<strong>de</strong>s routes commerciales qui ontsu très tôt le contourner. Dans les Alpes, une logiqueoriginale apparait : les fortes <strong>de</strong>nsités <strong>de</strong> la zone externerenvoient à une logique d’accès tandis que la plus faiblereprésentation <strong>de</strong> la partie interne s’explique par l’altitu<strong>de</strong>plus élevée, avec une concentration <strong>de</strong> cols <strong>de</strong>plus <strong>de</strong> 2 000 m [BERNIER, à par. 2004], par la présenceimportante <strong>de</strong> tunnels et surtout par la concentrationspatiale progressive <strong>de</strong>s flux qui en résulte.6On notera en particulier dans cette logique la dissymétrie entre les parties occi<strong>de</strong>ntale et septentrionale du Massif Central et lesparties orientale et méridionale avec une très forte <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong> cols routiers à l’est et au sud.Collection EDYTEM - Cahiers <strong>de</strong> Géographie - n°2 - 2004 95


Traverser les montagnesPoint <strong>de</strong> passage souvent obligé, lien parfois stratégique,le col routier a longtemps été et <strong>de</strong>meure danscertains cas un lieu <strong>de</strong> contrôle. Son niveau d’équipementet les pratiques qui lui sont associées sont révélateurs<strong>de</strong> ses fonctions actuelles et héritées. Certains colsont ainsi été fortifiés, monumentalisés 7 , dotés <strong>de</strong> tunnelset aménagés à <strong>de</strong>s fins touristiques, sportives, festivesou commémoratives. La monumentalisation et lafortification, plus fréquente en pied <strong>de</strong> col, attestent <strong>de</strong>cette fonction. Dans le cas <strong>de</strong>s ouvrages <strong>de</strong> Restefond-La Bonette, les aménagements ont été réalisés au collui même. Le rattachement <strong>de</strong> la <strong>Savoie</strong> et du Comté<strong>de</strong> Nice à la France a créé en 1860 les bases d’unenouvelle frontière qui traversait la haute montagnealpine [O.T. <strong>de</strong> SAINT-ETIENNE-DE-TINÉE, 1997]. Aprèsquelques achats <strong>de</strong> terrains réalisés par le gouvernementfrançais dès 1877, les premiers programmes <strong>de</strong>fortification ont débuté dès 1879 pour s’achever dansles <strong>de</strong>rnières années du XIX ème siècle. La prise <strong>de</strong> position<strong>de</strong>s « Alpini », troupes militaires <strong>de</strong> montagne et laparticipation <strong>de</strong> l’Italie à la Triplice en 1882, n’ont pasété étrangères à cette accélération et à l’affectation <strong>de</strong>sChasseurs Alpins à Nice et à Barcelonnette en 1888.Dans les années 1930, d’autres ouvrages sont venuscompléter cet ensemble avec en particulier le fort<strong>de</strong> Rimplas qui a préfiguré le programme <strong>de</strong> la ligneMaginot. La fortification d’autres grands cols francoitalienscomme le <strong>Mo</strong>nt-Cenis renvoie à cette mêmechronologie et à cette même logique [FORRAY, 1998].A une autre échelle <strong>de</strong> temps, le col s’inscrit danscette même dialectique d’ouverture et <strong>de</strong> fermeture[BERNIER, 2003]. Celle-ci peut être subie, en raison <strong>de</strong>sconditions climatiques hivernales (c’est le cas pourbeaucoup <strong>de</strong> cols routiers d’altitu<strong>de</strong>), d’une situationd’exposition aux risques (une <strong>de</strong>s voies d’accès au col<strong>de</strong> la Charmette en Chartreuse, propriété <strong>de</strong> l’O.N.F. quin’a pas les moyens d’assurer son entretien et sa sécurisation,est ainsi aujourd’hui fermée à la circulation) ou<strong>de</strong> <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la chaussée. La gestion <strong>de</strong>s accès participeparfois d’une politique volontariste <strong>de</strong> contrôledu trafic. Le développement du vélo routier [MESTRE-GONGUET, 2002] est l’occasion d’une fermeture estivaled’une journée réservant l’usage <strong>de</strong> la chaussée auxcyclistes. C’est par exemple le cas, dans le département<strong>de</strong>s Hautes-Alpes, pour les cols du Granon, du Lautaretou <strong>de</strong> l’Izoard. La tenue <strong>de</strong> manifestations sportivescomme Le Tour <strong>de</strong> France donne également lieu à <strong>de</strong>sbouclages routiers. Plus étonnant, la tenue du sommetdu G 8 à Evian du 1 er au 3 juin 2003 a amené les autoritéscette année-là à retar<strong>de</strong>r l’ouverture du col du PetitSaint-Bernard au 4 juin afin <strong>de</strong> ne pas avoir à contrôlerun point frontalier supplémentaire 8 .Inversement, les différents acteurs cherchentparfois à étendre l’ouverture. Le tunnel du Galibier,inauguré en 2002 après 26 ans <strong>de</strong> fermeture, permet, àquelques lacets du « sommet » <strong>de</strong> la route (à 2642 m),d’écrêter le col en quelque sorte. Il autorise ainsi unepério<strong>de</strong> d’ouverture plus longue <strong>de</strong> quelques semaineset <strong>de</strong>s trafics plus importants. Ce passage estd’autant plus important qu’il correspond à une limiteadministrative, entre les départements <strong>de</strong> la <strong>Savoie</strong> et<strong>de</strong>s Hautes-Alpes et entre les régions Rhône-Alpes etProvence-Alpes-Côte-d’Azur. Un équipement semblableexiste au col <strong>de</strong>s <strong>Mo</strong>ntets à quelques kilomètres<strong>de</strong> Chamonix et sur la route <strong>de</strong> la Suisse. Un tunnelbimodal (voie ferrée et route) permet <strong>de</strong> maintenir lepassage routier en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> fort enneigement, d’avalanchesou d’autres formes d’exposition aux risques.Frontière « ponctuelle », le col routier renvoie plus quejamais à la définition du col « passage » (Figure 3). Uneautre illustration peut être trouvée au port <strong>de</strong> Pailhèresen Ariège où un alignement <strong>de</strong> colonnes matérialise lefranchissement. Dans le folklore local, ces colonnes,récemment réhabilitées, servaient traditionnellement<strong>de</strong> repères pour les préposés <strong>de</strong>s postes en cas <strong>de</strong> neige,en particulier pour échanger le courrier <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux valléesd’Ax-les-Thermes et Mijanès. Le col fait lien ; ilest le support et le point obligé du transit.Et le trafic peut d’ailleurs être très important, ycompris pour <strong>de</strong>s cols <strong>de</strong> plus <strong>de</strong> 2000 m d’altitu<strong>de</strong>.Ouverte toute l’année, la route du col du Lautaret(2057 m) a ainsi enregistré en 2001 une moyenneannuelle <strong>de</strong> 1375 véhicules par jour avec un pic <strong>de</strong>5151 passages en une journée. La même année, le coldu <strong>Mo</strong>nt-Cenis (2081 m) affichait une moyenne <strong>de</strong>1693 véhicules pour un maximum <strong>de</strong> 5415 unités en24 h. Dans ce <strong>de</strong>rnier cas, il n’est pas rare d’observerl’été une quantité significative <strong>de</strong> poids lourds qui,malgré le caractère souvent illégal <strong>de</strong> cette circulation,cherchent à économiser le prix du passage du tunneldu Fréjus. Aux cols <strong>de</strong> Larche (Figure 4), <strong>de</strong> Ten<strong>de</strong>, du<strong>Mo</strong>ntgenèvre ou du Somport par exemple, la problématiquedu passage doit donc être abordée en parallèleavec <strong>de</strong>s équipements tunneliers existants ou en projet.Les volumes <strong>de</strong> trafic enregistrés en altitu<strong>de</strong> peuvent eneffet être relativement significatifs et certains cols routiersont <strong>de</strong>s arguments pour proposer une alternativeattractive avec <strong>de</strong>s franchissements non payants.La géographie <strong>de</strong>s cols routiers se révèle finalementsignificative <strong>de</strong> formes <strong>de</strong> passage aussi nombreusesque variées. Au-<strong>de</strong>là, la valeur d’un col semblebel et bien déterminée par les activités et les fonctionsqu’il abrite.7Voir dans ce même numéro l’article <strong>de</strong> Christophe Gauchon.8Un décalage semblable avait été initialement prévu pour le col du <strong>Mo</strong>nt-Cenis, mais la route du col a fi nalement été ouverte le9 mai, soit dans un calendrier habituel.96


Traverser les montagnesFigure 3 - Le système - col dans la traversée <strong>de</strong>s montagnes françaises.Les cols routiers sont aussi le théâtre d’autresactivités qui nécessitent <strong>de</strong>s équipements plus oumoins lourds [BERNIER, à par. 2004]. Il s’agit parfois<strong>de</strong> constructions touristiques « légères »qui se résument à un ou <strong>de</strong>ux bancs, unparking sommaire, <strong>de</strong>s panneaux informatifspour les randonnées. L’existence<strong>de</strong> maisons-portes témoigne, quant àelle, <strong>de</strong> la présence ou <strong>de</strong>s limites <strong>de</strong>parcs nationaux (au col du Lautaretpour les Ecrins) ou <strong>de</strong> parcs naturels régionaux (auxcols <strong>de</strong> l’Izoard et d’Agnel pour le parc naturel régionaldu Queyras). Points <strong>de</strong> fixation pour une fréquentationtouristique ou lieux d’expérimentation en altitu<strong>de</strong>, les98Coléquipé.cols routiers abritent dans quelques cas <strong>de</strong> véritableslaboratoires scientifiques dont les jardins botaniquessont une expression aboutie : ainsi ceux du Petit Saint-Bernard (« Chanousia ») [JANIN, 1978], du <strong>Mo</strong>nt-Cenis,du Lautaret et même du Tourmalet (où il est localisé audépart <strong>de</strong> l’ascension côté Barèges et non au col luimême).Au col <strong>de</strong>s <strong>Mo</strong>ntets déjà cité, la présence <strong>de</strong>la réserve naturelle <strong>de</strong>s Aiguilles Rouges est prolongéeen quelque sorte par un chalet laboratoire et un sentierécologique ouverts au public.Les infrastructures d’accueil (hébergement ourestauration, magasin <strong>de</strong> souvenirs) témoignent danscertains cas d’un stationnement touristique durable surplace. Certaines stations <strong>de</strong> ski n’hésitent d’ailleurs pas


XAVIER BERNIERLes cols routiers dans la traversée <strong>de</strong>s montagnes françaises - Contribution à une définition...Figure 4 - Le système - col dans la traversée <strong>de</strong>s montagnes françaises à travers quelques exemples(Clichés X. Bernier sauf « Pied <strong>de</strong> Col » <strong>de</strong> Gilles Garofolin, Mairie <strong>de</strong> Chambéry) .à s’approprier <strong>de</strong>s cols qui <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s nœuds dansle réseau <strong>de</strong> pistes skiables : Croix <strong>de</strong> Fer (Saint-Sorlind’Arves), <strong>Mo</strong>nt-Cenis (Val Cenis), Vars (station éponyme),Portet (Saint-Lary Soulan), Lombar<strong>de</strong> (Isola2000), ou encore Tentes (Gavarnie-Gèdre). Parfois, lecol sert <strong>de</strong> point <strong>de</strong> jonction entre les domaines <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxstations : Barèges-la <strong>Mo</strong>ngie au Tourmalet, La Rozière-<strong>Mo</strong>ntvalezan et La Thuile au Petit Saint-Bernard, Alloset Pra Loup au col d’Allos. Ceci sans citer les cas où leséquipements sont parfois très proches du col (Pailhèresou Lautaret) ou sont aujourd’hui démantelés (télésiègedu Galibier côté savoyard).Si les activités touristiques et sportives trouventun lieu d’expression privilégié au niveau <strong>de</strong>s cols, ellessont en concurrence et parfois même en conflit avecpar exemple les acteurs du mon<strong>de</strong> agro-sylvo-pastoral.Les routes <strong>de</strong> montagne traversent notamment <strong>de</strong>salpages, <strong>de</strong>stinations privilégiées <strong>de</strong>s troupeaux pendantles pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> transhumance. Des concentrations<strong>de</strong> plusieurs centaines <strong>de</strong> têtes d’ovins en provenanceCollection EDYTEM - Cahiers <strong>de</strong> Géographie - n°2 - 2004 99


Traverser les montagnes<strong>de</strong>s plaines <strong>de</strong> la Crau ne sont ainsi pas rares au niveau<strong>de</strong>s grands cols alpins. Elles nécessitent parfois l’implantation<strong>de</strong> passages canadiens comme au col <strong>de</strong> laCayolle. Ces micro-équipements placés en travers <strong>de</strong>l’enrobé, avec une petite cavité recouverte <strong>de</strong> tubesrotatifs alignés, ont pour fonction d’empêcher la divagation<strong>de</strong>s troupeaux. Le niveau <strong>de</strong> pastoralisation estsouvent moins important que par le passé, mais le colest érigé en <strong>de</strong>stination symbolique dont s’emparent lesacteurs du tourisme pour promouvoir certaines manifestations.Les nombreuses fêtes pastorales liées à lamontée à l’alpage (Tourmalet) suscitent parfois d’importantsrassemblements. La fête <strong>de</strong>s bergers au PetitSaint-Bernard occasionne en plein air une messe, ungrand marché artisanal et la célèbre bataille <strong>de</strong>s reines(« Cino Chabloz »).Le col routier <strong>de</strong>vient alors plus que jamais « pointfocal » (Figure 3) en ce sens qu’il concentre<strong>de</strong> multiples fonctions et correspondà une définition plurivalente, à la foiscol « topographique », col « sommet »,col « passage » et col « équipé ». Pôleremarquable et attractif, il <strong>de</strong>vient souventun haut-lieu touristique et acquiertColpoint focal.<strong>de</strong>s dimensions symboliques dans les représentationsterritoriales.III - LE COL COMME LIEU DE CRISTALLISATION ET DE FOCALISATION IDENTITAIRESLes cols routiers portent aussi parfois les témoignagesd’activités passées. Les bâtiments historiques,comme les hospices, fréquents au niveau <strong>de</strong>s cols d’altitu<strong>de</strong>,sont tantôt patrimonialisés tantôt réappropriéspour d’autres activités (évoquons ici le musée retraçantl’histoire locale dans l’hospice récemment réhabilitédu Petit Saint-Bernard [GAIDE, 1996]). <strong>Mo</strong>numents etédifices religieux ont le plus souvent gardé leur fonctionpremière comme la chapelle <strong>de</strong> l’Iseran construitepar Novarina (Figure 4) où peuvent se dérouler <strong>de</strong>scérémonies religieuses, comme ailleurs sur les pentesdu col <strong>de</strong> la Bonette. Ils sont incontestablement ici <strong>de</strong>slieux <strong>de</strong> mémoire ; C. GAUCHON le montre bien dans cenuméro à travers les exemples du Petit Saint-Bernar<strong>de</strong>t du <strong>Mo</strong>nt-Cenis. Lieux <strong>de</strong> mémoire mais aussi pointsforts du territoire montagnard dont ils sont alors unrepère culturel que les populations s’approprient et perpétuentpar <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> ritualisation plus ou moinsélaborées. L’ouverture annuelle <strong>de</strong> la route d’un colpeut par exemple être marquée par <strong>de</strong>s célébrationsrégulières pour lesquelles l’engouement est croissant.Toujours au col du Petit Saint-Bernard, la Pass Pitchuest fêtée tantôt côté Tarentaise, tantôt côté Val d’Aosteet célèbre les liens qui unissent les habitants <strong>de</strong>s <strong>de</strong>uxvallées.Plus originales sont les formes nouvelles d’appropriation<strong>de</strong>s cols qui les reconnaissent comme lieux <strong>de</strong>cristallisation et <strong>de</strong> focalisation i<strong>de</strong>ntitaires. Quelquesexemples peuvent témoigner <strong>de</strong> cette tendance quiintègre <strong>de</strong>s formes <strong>de</strong> ritualisation plus ou moinsélaborées quand elles ne connaissent pas un prolongementmonumental. Comment ne pas évoquer ici lecol Jérôme Cavalli, sur la départementale 732, entreGigors-Lozeron et Combovin dans le département <strong>de</strong> laDrôme… Récemment rebaptisé (août 2002) du nom <strong>de</strong>cet aviateur et as <strong>de</strong> la voltige né dans la région (1905-1943), il s’inscrit dans une dimension symbolique <strong>de</strong>col « commémoratif » pourrait-on dire, exprimée ainsipar les promoteurs du projet 10 : « Ce sera une premièredans les annales <strong>de</strong>s dénominations <strong>de</strong>s circuits routiers,car tous les emplacements similaires portent <strong>de</strong>snoms <strong>de</strong> lieux-dits. Jérôme Cavalli symbolise la volonté<strong>de</strong> tout un département à mettre en valeur chacun <strong>de</strong>ssiens ayant, par leur sens artistique ou leur mérite <strong>de</strong>patriote, contribué à la gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la France ».Ailleurs, <strong>de</strong>s cols sont choisis comme lieux d’expressionévénementielle. A un moment où la législationsur les raves-parties se durcissait en France, le colfranco-italien <strong>de</strong> Larche (Figure 4) a été choisi pourabriter un Technival entre le jeudi 15 août et le dimanche19 août 2002. Quelque 17000 amateurs <strong>de</strong> musiquetechno se sont ainsi retrouvés à 200 mètres du col, côtéitalien. Pendant la manifestation, la route françaised’accès au col a été le théâtre d’un face à face entreraveurs, à l’origine d’opérations-escargots, et C.R.S.cherchant à multiplier les contrôles. Cet événementa montré les limites d’un espace, par définition restreintet fragile à près <strong>de</strong> 2000 mètres d’altitu<strong>de</strong>, pouraccueillir <strong>de</strong>s rassemblements <strong>de</strong> cette ampleur.Une autre fête symbolique s’est tenue pourla première fois le dimanche 15 juin 2003 sur 11cols vosgiens (Col <strong>de</strong>s Croix/Château-Lambert,924 m ; O<strong>de</strong>ren, 1164 m ; Calvaire/Tanet, 1144 m ;Sainte-Marie, 772 m ; Saâles, 556 m ; Hantz, 817 m ;Donon, 1009 m ; Saverne, 410 m ; Pierre <strong>de</strong>s 12Apôtres, 411 m ; Grand Wintersberg/La Liese, 580 m ;Fleckenstein/Litschhof, 478 m). Organisée par 21communautés <strong>de</strong> communes et les <strong>de</strong>ux parcs naturelsrégionaux <strong>de</strong>s Ballons <strong>de</strong>s Vosges et <strong>de</strong>s Vosges duNord, elle avait pour but <strong>de</strong> « transcen<strong>de</strong>r les frontièresadministratives et psychologiques entre Alsaciens,Lorrains et Francs-Comtois ». Des navettes <strong>de</strong> bus,gratuites ou au prix d’un euro ont été mises en placepour transporter les participants sur place, participantsauxquels ont été proposés visites guidées, animationspédagogiques, dégustations <strong>de</strong> produits régionaux,10Gaston Emery, prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l’association « En envol avec Jérôme Cavalli ».100


XAVIER BERNIERLes cols routiers dans la traversée <strong>de</strong>s montagnes françaises - Contribution à une définition...participations à <strong>de</strong>s ateliers d’artisans, cartes postalesgratuites et affranchies… Le franc succès <strong>de</strong> l’opérationen dit long sur la symbolique <strong>de</strong>s cols dans lesreprésentations territoriales. Ailleurs, les parcs naturelsrégionaux n’hésitent d’ailleurs plus à s’approprier lescols comme points focaux <strong>de</strong> leur activité. Ainsi le col<strong>de</strong> Porte dans le P.N.R. <strong>de</strong> la Chartreuse abrite-t-il <strong>de</strong>smarchés paysans sous la houlette du parc [BERNIER,2003] et le col du Granier s’aprête-t-il à héberger unemaison <strong>de</strong> promotion <strong>de</strong> cette même structure.Déjà évoqués, les cols routiers <strong>de</strong>s Vosges sont lesupport d’autres formes <strong>de</strong> cristallisation i<strong>de</strong>ntitaire.Ainsi 400 élus locaux n’ont-ils pas hésité à occuper leshauteurs du massif pour bloquer les routes, du Dononau Bussang, en passant par le Hantz, Saâles, Urbeis,Sainte-Marie, le Bonhomme, la Schlucht et O<strong>de</strong>ren.Leur objectif : « dénoncer les couloirs à camions »avec <strong>de</strong>s barrages filtrants. La journée, organisée parL’AMV (Association du Massif Vosgien) le mercredi8 octobre 2003, a connu une réelle adhésion locale.On a pu dénombrer plus <strong>de</strong> 100 personnes uniquementà Bussang, par exemple. Toutes avaient à cœur <strong>de</strong>dénoncer ainsi les nuisances occasionnées par le reportdu trafic sur les cols <strong>de</strong>puis la fermeture du tunnel <strong>de</strong>Sainte-Marie-aux-Mines. Lieu d’expression politique,le col <strong>de</strong>vient aussi enjeu territorial à travers <strong>de</strong>s sloganscomme « les cols vosgiens aux Vosgiens !».Ailleurs, d’autres manifestations i<strong>de</strong>ntitaires revêtentun caractère plus festif, avec justement l’apparition<strong>de</strong> fêtes <strong>de</strong> cols pour commémorer tel ou tel événementou pour célébrer leur ouverture. Le col ainsi inventéou réinventé <strong>de</strong>vient alors un point fort du territoiremontagnard.CONCLUSION - DU COL AU PIED DE COL, DU PIED DE COL AU COL, LA DYNAMIQUE DES RÉSEAUX DETRANSPORTS DANS LA TRAVERSÉE DES MONTAGNESOn ne peut réfléchir aux cols <strong>de</strong> montagne sansréfléchir à la notion <strong>de</strong> pied <strong>de</strong> col. La définition <strong>de</strong>ce <strong>de</strong>rnier est bien sûr tributaire <strong>de</strong> sesfonctions sur un axe <strong>de</strong> transport. Uneapproche restrictive en fait le point <strong>de</strong>commencement <strong>de</strong> l’ascension vers lecol. Mais on peut l’étendre au départ d’unitinéraire en montagne, matérialisé alorsPied <strong>de</strong> col.par un croisement ou une signalisation indicative. Dansune logique <strong>de</strong> franchissement d’obstacle, le pied <strong>de</strong>col peut être considéré comme le pôle technique et économico-politiqueau niveau duquel on change <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>ou d’opérateur dans les transports. Il s’inscrit alors souventdans une dynamique historique d’externalisationqui le fait se situer dans une périphérie toujours pluséloignée <strong>de</strong>s montagnes. Pour le col du <strong>Mo</strong>nt-Cenis(France / Italie) par exemple, ce glissement a successivementconféré à Lanslebourg puis <strong>Mo</strong>dane le statut <strong>de</strong>pied <strong>de</strong> col, statut que revendiqueront peut-être <strong>de</strong>mainBourgneuf-Aiton (et son pendant italien Orbassano),Chambéry, Culoz ou Ambérieu, notamment avec lamise en place <strong>de</strong> plates-formes <strong>de</strong> ferroutage [BERNIER,2002]. Et ce, même si le franchissement s’effectue àtravers <strong>de</strong> longs tunnels qui prolongent les fonds <strong>de</strong>vallées.<strong>Mo</strong>ins que jamais, le col ne saurait donc se résumerà une forme topographique. Sa définition ne peutêtre que dynamique et plurivalente et doit se faire enassociation avec le ou les pieds <strong>de</strong> col. L’ensemble ainsiLe système-col.constitué dans la dynamique actuelle <strong>de</strong>s réseaux donnesans doute un sens nouveau à la montagne, « à traversles transports » pourrait-on dire (Figure 3 : le triptyque« col sommet - col topographique - pied <strong>de</strong> col »). Celuid’un espace franchi, d’un territoire traversé, territoiredont les acteurs locaux ne sont pas prêts à abandonnerla maîtrise <strong>de</strong> la traversée.Collection EDYTEM - Cahiers <strong>de</strong> Géographie - n°2 - 2004 101


Traverser les montagnesRemerciementsQue soient remerciés ici pour leur ai<strong>de</strong> les membres <strong>de</strong> la Confrérie <strong>de</strong>s Cent Cols qui ont fourni une précieuse documentation ainsiqu’Antoine Beyer pour les cols vosgiens. Cet article doit aussi beaucoup à la relecture critique et effi cace <strong>de</strong> MM. ChristopheGauchon, Patrick Pigeon et Jean Varlet. La contribution <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier pour la partie sémiologique a été déterminante.BIBLIOGRAPHIEBERNIER X. (2002). - Dynamiques <strong>de</strong>s réseaux <strong>de</strong> transportset recompositions régionales en zone <strong>de</strong> montagne :éléments <strong>de</strong> réflexion à travers les pays <strong>de</strong> <strong>Savoie</strong>.- Cahiers du CIRTAI (Centre Interdisciplinaire <strong>de</strong>Recherches en Transports et Affaires Internationales), LeHavre, 40-50.BERNIER X. (2003). - Transports, parcs nationaux et parcsnaturels régionaux dans les Alpes françaises : lesinteractions entre les objectifs <strong>de</strong> l’accessibilité, <strong>de</strong> laprotection et <strong>de</strong> l’aménagement. - RGA, 91, 2, 27-39.BERNIER X. à par. (2004). - Les cols routiers français <strong>de</strong>haute altitu<strong>de</strong> : approche multifactorielle <strong>de</strong>s enjeuxenvironnementaux et territoriaux liés aux transports. - LesCahiers Nantais, 10 p.BIBES J.-P. et al. (2002). - Catalogue <strong>de</strong>s cols <strong>de</strong> France – LeChauvot. Editions <strong>de</strong>s Cent Cols, 214 p.BREBISSON M. DE (1997). - Comment appeler un col enFrance. - Revue « Le Randonneur » (anciennement« Revue du Randonneur du Val d’Authie »), 6, 16-20 et« Revue du Club <strong>de</strong>s Cent Cols », 1996, 24, 36-37.BREBISSON M. DE (1997). - Col : étymologie, définition.- Revue Le Randonneur (anciennement Revue duRandonneur du Val d’Authie), 7, 52-55 et Revue du Club<strong>de</strong>s Cent Cols, 1998, 26, 36-37.CANAL A. et al. (1996). - Col du Petit-St-Bernard : opération«Cols verts» ». - D.R.A.C. Rhône-Alpes , 114p.COLLECTIF (1992). - Atlas <strong>de</strong>s cols <strong>de</strong>s Vosges – Jura »,Altigraph Edition, 240p.COLLECTIF (1996). - Atlas <strong>de</strong>s cols <strong>de</strong>s Pyrénées. - AltigraphEdition, 4 volumes.COLLECTIF (1997). - Atlas <strong>de</strong>s cols du Massif Central. -Altigraph Edition, 127p.COLLECTIF (1996-2001). - Atlas <strong>de</strong>s cols <strong>de</strong>s Alpes. - AltigraphEdition, 5 volumes.COLLECTIF (1997). - Le site <strong>de</strong> la Bonette. - Office du Tourisme<strong>de</strong> St-Etienne-<strong>de</strong>-Tinée, 29 p.DEBARBIEUX B. (2002). - La traversée <strong>de</strong>s Alpes, une histoired’échelles et d’intérêts, d’épousailles et <strong>de</strong> divorces.R.G.A, 90, 3, Traverser les Alpes, 11-24.FONTANA J.-L. et al. (1999). - La Route <strong>de</strong>s Gran<strong>de</strong>s Alpes.- Gallimard, 188 p.FORRAY F. (1992). - Franchir les Alpes. - L’histoire en <strong>Savoie</strong>,106, 1-18.FORRAY F. et al. (1998). - <strong>Mo</strong>nt-Cenis : les couleurs du temps.Ed. Il Punto, 142 p.GAIDE G. et al. (1996). - Un col, <strong>de</strong>s hommes : le Petit Saint-Bernard . - La Fontaine <strong>de</strong> Siloé, 322 p.HUDRY M. (1971). - Les cols entre Tarentaise et Maurienne- Aperçus historiques . - Le Vieux Conflens, 90, 77-87.JANIN B. (1978). - Chanousia : le jardin alpin du Petit-St-Bernard. - Musumeci Editeur, 134 p.MARTIN J.-M. & CHATEAU B. (2000). - Traverser les Alpes : laroute en question. - PUG, 176 p.MESTRE-GONGUET C. (2002). - Le vélo routier dans ledépartement <strong>de</strong>s Hautes-Alpes (France) : les itinérairespartagés. - R.G.A., 2002, 1, 83-94.O.T. <strong>de</strong> St-Etienne-<strong>de</strong>-Tinée (1997). - Le site <strong>de</strong> la Bonette.- 29 p.REVUE DE GÉOGRAPHIE ALPINE (2002). - Traverser les Alpes.- R.G.A., 90, 3, 116 p.REYNAUD C. & POINCELET M. (2000). - Recherche européenneet traversées alpines. - Actes du séminaire d’Annecy, 9-10sept. 1999, 194 p.REYNAUD J. (2003). - Les confins du domaine central <strong>de</strong>schartreux du Val Sainte-Marie. - Les Cahiers <strong>de</strong> Léoncel- Revue drômoise – société d’archéologie, d’histoire et <strong>de</strong>géographie <strong>de</strong> la Drôme, 18, 55-69.SAMIVEL & NORANDE S. (1996). - Les grands cols <strong>de</strong>s Alpes :histoire et aventures. - Glénat, 214 p.102

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!