13.07.2015 Views

- 155 - Les industries textiles se sont mises en place ... - Laines.be

- 155 - Les industries textiles se sont mises en place ... - Laines.be

- 155 - Les industries textiles se sont mises en place ... - Laines.be

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

- <strong>155</strong> -<strong>Les</strong> <strong>industries</strong> <strong>textiles</strong> <strong>se</strong> <strong>sont</strong> mi<strong>se</strong>s <strong>en</strong> <strong>place</strong> progressivem<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dantle dix-neuvième siècle, époque où, comme on l'a vu, le travatl des fibres<strong>textiles</strong> a été affecté <strong>en</strong> Europe Contin<strong>en</strong>tale par ce qu'il est conv<strong>en</strong>u d'appelerla "Révolution Industrielle". <strong>Les</strong> caractéristiques techniques et économiques spécifiquesdu textile aurai<strong>en</strong>t été compatibles avec plusieurs modèles de répartitiongéographique. Le but de ce chapitre est d'essayer de préci<strong>se</strong>r par quelcheminem<strong>en</strong>t on est arrivé à la conc<strong>en</strong>tration décrite précédemm<strong>en</strong>t.Pour cela il est nécessaire de faire appel aux travaux des histori<strong>en</strong>s.Ces derniers r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t des difficultés pour étudier 1 'in~ustrie textile naissante,car il s'agit d'une activité éparpillée géographiquem<strong>en</strong>t et dont les structures de production <strong>sont</strong> très morcelées. Des données de ba<strong>se</strong>, comme le nombredes actifs, <strong>sont</strong> très difficiles à déterminer quand de multiples opérations <strong>se</strong>réali<strong>se</strong>nt <strong>en</strong>core à domicile; par ailleurs, des phénomènes conjoncturels extrémem<strong>en</strong>tbrutaux font varier l'emploi de façon énorme <strong>en</strong> des laps de temps trèsbrefs. Il est de ce fait difficile de suivre avec précision le processus parlequel un c<strong>en</strong>tre supplante peu à peu les autres. Rares <strong>sont</strong> les oeuvres qui,comme la thè<strong>se</strong> de Cl. Fohl<strong>en</strong>, réali<strong>se</strong>nt un travail original concernant la quasitotalité du textile français (<strong>se</strong>ule la soie n'est pas pri<strong>se</strong> <strong>en</strong> considérationdans cet ouvrage).Pour essayer d'expliquer le dynamisme d'un foyer textile, il faudraitpouvoir analy<strong>se</strong>r de façon préci<strong>se</strong> les comportem<strong>en</strong>ts des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s et de leursdirigeants. Pour des raisons faciles à compr<strong>en</strong>dre, ces études <strong>sont</strong> très rares(un très bon exemple a été réalisé par Cl. Fohl<strong>en</strong> dans sa thè<strong>se</strong> <strong>se</strong>condaire, mai<strong>se</strong>lle ne porte malheureu<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t pas sur la région étudiée). <strong>Les</strong> quelques r<strong>en</strong><strong>se</strong>ignem<strong>en</strong>tsdisponibles suggèr<strong>en</strong>t des hypothè<strong>se</strong>s; ils ne <strong>sont</strong> pas as<strong>se</strong>z nombreuxpour fournir des certitudes.Par ailleurs, la lecture des études réc<strong>en</strong>tes d'histoire économiquedonne l'impression que le problème de la conc<strong>en</strong>tration spatiale des activitésn'est pas celui qui intéres<strong>se</strong> le plus les histori<strong>en</strong>s de l'économie. Leur att<strong>en</strong>tionest davantage accaparée par la question du rythme de la croissance aucours du dix-neuvième siècle (.).(.) Texte de la note page suivante.


- 156 -Le schèma exposé ci-dessous conti<strong>en</strong>t, par conséqu<strong>en</strong>t, des élém<strong>en</strong>ts quine <strong>sont</strong> pas aussi solidem<strong>en</strong>t étayés qu'on le souhaiterait. En particulier, il esttrès difficile de quantifier. <strong>Les</strong> chiffres cités par les ouvrages provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tsouv<strong>en</strong>t de recoupem<strong>en</strong>ts complexes, comme l'expliqu<strong>en</strong>t les auteurs eux-mêmes.(..)L'essor du textile dans la région du Nord-Pas-de-Calais au cours dudix-neuvième siècle n'est pas un phénomène isolé: ce <strong>sont</strong> toutes les <strong>industries</strong>de cette époque qui s'épanouis<strong>se</strong>nt alors dans ces deux départem<strong>en</strong>ts. Ces derniersbénéfici<strong>en</strong>t <strong>en</strong> effet d'un <strong>en</strong><strong>se</strong>mble de conditions propices à la croissanceéconomique <strong>en</strong> général. Tous les facteurs qui vont être évoqués n'ont pas joué<strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> faveur du textile, mais ils ne <strong>se</strong>ront <strong>en</strong>visagés que par rapportà cette <strong>se</strong>ule industrie.LES CONDITIONS GENERALES QUI FAVORISENT AU DIX-NEUVIEME SIEGLE L'ESSOR DESINDUSTRIES TEXTILES DANS LA REGION NORD-PAS-DE-CALAISProximité de la Grande-Bretagne.(.) Il s'agit <strong>en</strong> particulier de <strong>se</strong> demander si la notion de "take off n del'économiste W. Rostowa correspondu ou non à une réalité dans la France dudix-neuvième siècle. Sur ce sujet on peut consulter notamm<strong>en</strong>t : Cl. Fahi<strong>en</strong>"Qu'est ce que la Révolution Industrielle" (ouvrage cité). F. Crouzet "Encorela croissance économique françai<strong>se</strong> au XIX ème ll (Revue du Nord, jt.-<strong>se</strong>pt. 1972).M. Gillet "Au XIX ème, industrialisation linéaire ou industrialisation parbonds ?" (Revue Economique, <strong>se</strong>pt. 1972). De nombreu<strong>se</strong>s indications bibliographiquesaccompagn<strong>en</strong>t ces études.(..) L'auteur nia pas cherché à <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre des recherches personnelles importante<strong>se</strong>n ce domaine, car pour faire progres<strong>se</strong>r véritablem<strong>en</strong>t l'état de laquestion, il faudrait procéder à des dépouillem<strong>en</strong>ts systématiques qui pourrai<strong>en</strong>têtre à eux <strong>se</strong>uls l'objet d'une ou plusieurs thè<strong>se</strong>s.


- 157 -Le voisinage de la Grande-Bretagne est un élém<strong>en</strong>t favorable. C'estdans ce pays, <strong>en</strong> effet, qu'ont été réalisés presque tous les progrès décisifspour l'industrialisation du textile. Non <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t les brevets y ont été déposésmais c'est là que <strong>sont</strong> construits les meilleurs matériels.L'exemple de la filature de lin est typique à cet égard (.) : lepremier métier vraim<strong>en</strong>t efficace fut réalisé par le Français Philippe de Girardà la suite d'un concours lancé, <strong>en</strong> 1810, par le gouvernem<strong>en</strong>t impérial pourpromouvoir l'utilisation de cette fibre susceptible de réduire la demande decoton (c'est l'époque du "Blocus Contin<strong>en</strong>tal"). Ce métier, mis au point aumom<strong>en</strong>t de la chute de l'Empire, ne r<strong>en</strong>contre guère de succès <strong>en</strong> France et sonutilisation comm<strong>en</strong>ce véritablem<strong>en</strong>t, après son transfert, plus ou moins légal,<strong>en</strong> Angleterre, à Leeds. Quelques années plus tard, les industriels françaispour développer cette activité chez eux doiv<strong>en</strong>t <strong>se</strong> procurer, clandestinem<strong>en</strong>t(..),du matériel anglais; car la technique mi<strong>se</strong> au point par Philippe de Girarda r<strong>en</strong>contré, <strong>en</strong> Grande-Bretagne, un terrain avide de nouveautés et les matériel<strong>sont</strong> reçu des améliorations qui r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t les installations robustes et bi<strong>en</strong> aupoint. En 1860 <strong>en</strong>core (..) un industriel déclare qu'il préfère commander sonmatériel de filature <strong>en</strong> Angleterre, <strong>en</strong> dépit des droits de douane qui subsistai<strong>en</strong>t(on était juste avant la signature du traité commercial).Dans les premières déc<strong>en</strong>nies du siècle, les Britanniques, pour pré<strong>se</strong>rverleur avance technique, interdi<strong>se</strong>nt l'exportation du matériel. Il faut(.) cf. Paul Billaux, ouvrage cité.(..) cf. Louis Merchier, ouvrage cité.


- 158 -souv<strong>en</strong>t le faire v<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> fraude plece par pièce, ce qui suppo<strong>se</strong> un grand nombrede voyages. Il est commode de <strong>se</strong> trouver à <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t quelques dizaines dekilomètres des rivages anglais. Même <strong>en</strong> dehors de ces cas extrêmes, séjourner<strong>en</strong> Grande-Bretagne est considéré comme la meilleure forme d'appr<strong>en</strong>tissage pourles jeunes responsables économiques. Faire v<strong>en</strong>ir des technici<strong>en</strong>s britannique<strong>se</strong>st souv<strong>en</strong>t indisp<strong>en</strong>sable pour acclimater les nouvelles technologies (.).Le voisinage d'une industrie plus développée pourrait être un danger,dans la mesure où <strong>se</strong>s produits supplanterai<strong>en</strong>t les fabrications françai<strong>se</strong>s mêmesur le marché intérieur. Cette m<strong>en</strong>ace ne <strong>se</strong> concréti<strong>se</strong> guère <strong>en</strong> raison de lapré<strong>se</strong>nce de barrières douanières élevées jusqu'<strong>en</strong> 1860, c'est-à-dire p<strong>en</strong>dantla période cruciale où nais<strong>se</strong>nt les <strong>industries</strong> <strong>textiles</strong> régionales.La plupart des patrons du textile <strong>sont</strong> à cette époque farouchem<strong>en</strong>t protectionniste<strong>se</strong>t ce n'est pas un hasard si l'un des animateurs de la "Ligue pourla Déf<strong>en</strong><strong>se</strong> du Travail National" <strong>se</strong>ra l'industriel roubaisi<strong>en</strong> A. t~imerel (..).L'exist<strong>en</strong>ce de ces droits de douane incite des Britanniques à v<strong>en</strong>ir s'installer<strong>en</strong> France pour avoir librem<strong>en</strong>t accès à ce marché. En Grande-Bretagne les structuresde production <strong>sont</strong> <strong>en</strong>core très morcelées et les industriels qui débarqu<strong>en</strong>tà Calais ou à Dunkerque n'ont pas la puissance financière ou commerciale quileur permettrait de monter des usines <strong>be</strong>aucoup plus puissantes que celles dela bourgeoisie locale. Ces investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts britanniques ne risqu<strong>en</strong>t pas d'étoufferles initiatives régionales; au contraire, ils pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t une valeur d'exemple,ils form<strong>en</strong>t de la main-d'oeuvre, et prouv<strong>en</strong>t la r<strong>en</strong>tabilité des nouvelles techniques,incitant par là les <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs locaux à les imiter.La région Nord-Pas-de-Calais est évidemm<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> placée pour accueillirces Britanniques qui désir<strong>en</strong>t rester à proximité de leur pays d'où ils font <strong>en</strong>-(.) Cette empreinte s'est longtemps marquée par l'utilisation de mesures britanniques(<strong>en</strong> 1974, les filteries D.M.C. continu<strong>en</strong>t à v<strong>en</strong>dre, <strong>en</strong> France, desbobines de fil de 100 yards) ou l'emploi de termes empruntés à la langue anglai<strong>se</strong>:à Calais, par exemple, de nos jours <strong>en</strong>core, on appelle "wheeleu<strong>se</strong>s" lesouvrières qui bobin<strong>en</strong>t le fil destiné au métier à d<strong>en</strong>telle.(..) Des diverg<strong>en</strong>ces de vue s'ob<strong>se</strong>rv<strong>en</strong>t parfois: les petits tis<strong>se</strong>urs du Cambrésis,par exemple, souhait<strong>en</strong>t importer le moins cher possible les filés qu'ilsconsomm<strong>en</strong>t.


- 159 -core souv<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>ir des pièces détachées ou certains produits <strong>textiles</strong>.En Grande-Bretagne, égalem<strong>en</strong>t, <strong>se</strong> trouv<strong>en</strong>t de grandes <strong>place</strong>s de commercialisationdes matières premières. Or le développem<strong>en</strong>t de l'industrie textile<strong>en</strong>traîne l'obligation de <strong>se</strong> procurer des matiéres brutes d'origine de plu<strong>se</strong>n plus lointaine. <strong>Les</strong> nouveaux grands producteurs de laine <strong>sont</strong>, après 1850,des territoires britanniques de l 'hémisphère sud ou un pays dans lequel l'influ<strong>en</strong>cebritannique est forte, l'Arg<strong>en</strong>tine. <strong>Les</strong> premières quantités de lainequi arriv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Europe de ces lointaines contrées <strong>sont</strong> commercialisées à Londres.Quand, après 1860, les négociants régionaux ont eu le mérite d'alleracheter sur <strong>place</strong> ces matières premières pour court-circuiter le marché londoni<strong>en</strong>,ils ont dû s'adapter aux pratiques commerciales et à la langue des Britanniques: ils devai<strong>en</strong>t les posséder parfaitem<strong>en</strong>t pour <strong>en</strong>trer <strong>en</strong> compétitionavec les négociants d'outre-Manche. Le coton aussi vi<strong>en</strong>t principalem<strong>en</strong>t de paysde langue anglai<strong>se</strong> (U.S.A. notamm<strong>en</strong>t) ou sous influ<strong>en</strong>ce économique britannique(après 1860, Egypte, Soudan, Inde parfois). Une nouvelle matière textile faitson apparition <strong>en</strong> Europe, au cours de cette période: le jute, il est cultivéuniquem<strong>en</strong>t dans le B<strong>en</strong>gale et les Ecossais mett<strong>en</strong>t au point sa filature: ilsdiffu<strong>se</strong>ront cette activité <strong>en</strong> France à Dunkerque, ou dans la vallée de laSomme (le nom des Etablis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts "Carmichaël", installés à Ailly, Y perpétue<strong>en</strong>core de nos jours cette influ<strong>en</strong>ce), c'est-à-dire dans des régions proches desitinéraires des cargos apportant la matière première.La Grande-Bretagne pouvait fournir égalem<strong>en</strong>t du charbon mais cela n'aeu qu'un intérêt très limité pour la région qui disposait d'autres sources deravitaillem<strong>en</strong>t très abondantes.Le voisinage de la Belgique a été un avantage fort appréciable. Cetaspect a été étudié de façon très préci<strong>se</strong> par F. L<strong>en</strong>tacker, dans sa thè<strong>se</strong> àlaquelle <strong>sont</strong> empruntées la plupart des remarques qui suiv<strong>en</strong>t. Le fait que lesterritoires situés au nord de la région étudiée ai<strong>en</strong>t appart<strong>en</strong>u à un autre Etat,


- 160 -a permis de protéger le Nord-Pas-de-Calais contre la concurr<strong>en</strong>ce des <strong>industries</strong><strong>textiles</strong> <strong>be</strong>lges. Il est aisé d'apporter la preuve de ce fait, car il s'est trouvéque, p<strong>en</strong>dant quelques années, cette frontière a été abolie: de 1795 à 1814,les territoires de l'actuelle Belgique <strong>sont</strong> annexés à la France. Cette périodevoit l'apparition de l'industrie textile sur le contin<strong>en</strong>t et tous les témoignage~des contemporains et les études des histori<strong>en</strong>s montr<strong>en</strong>t que le textile de larégion Nord-Pas-de-Calais est alors moins dynamique que celui des départem<strong>en</strong>tsrécemm<strong>en</strong>t annexés: le Préfet Dieudonné, dans sa célèbre statistique du Nordpubliée <strong>en</strong> 1804, constate le déclin de la bonneterie de Saint-Amand-les-Eauxet l'explique par le développem<strong>en</strong>t de la production des régions <strong>be</strong>lges de Tournaiet de Pérulwez. Ceci n'est pas le plus grave, car il s'agit somme toute d'uneactivité <strong>en</strong>core artisanale appelée à <strong>se</strong> modifier profondém<strong>en</strong>t. Il est frappantde constater, par contre, que dans la filature de coton, <strong>se</strong>ule branche employantalors des techniques industrielles, c'est Gand qui devi<strong>en</strong>t le c<strong>en</strong>tre le plusimportant et le plus dynamique (.).Liévins Bauw<strong>en</strong>s, l'un des plus remarquables capitaines d'industrie detoute l'époque impériale, introduit sur le contin<strong>en</strong>t les premiers métiers àfiler le coton mécaniquem<strong>en</strong>t. Il monte son premier établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t à Paris, <strong>en</strong>1800, et <strong>en</strong> installe aussitôt un autre, à Gand, sa ville d'origine, <strong>en</strong> 1801.Un mouvem<strong>en</strong>t d'émulation <strong>se</strong> décl<strong>en</strong>che, dû <strong>en</strong> partie à Bauw<strong>en</strong>s lui-mème qui inciteles membres de sa nombreu<strong>se</strong> famille à <strong>se</strong> lancer dans l'industrie.En quelques années, un c<strong>en</strong>tre complet s'édifie à Gand: 8 filaturesmécaniques fonctionn<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1808, avec 88.702 broches et 2.783 ouvriers; lamachine à vapeur est utilisée. Le tissage à main <strong>se</strong> développe dans cette mêmeville et, de plus, <strong>se</strong>s <strong>industries</strong> font tis<strong>se</strong>r à domicile jusqu'à Arras, Avesne<strong>se</strong>t Saint-Qu<strong>en</strong>tin, incorporant dans leur orbite économique une partie de la région(.) cf. R. Blanchard, thè<strong>se</strong> citée, et J. D'hondt "L'industrie cotonnière gantoi<strong>se</strong>à l'époque françai<strong>se</strong> ll , Revue d'histoire moderne et contemporaine 1955,pp. 232-279. On peut consulter égalem<strong>en</strong>t: F. Leleux "Liévin Bauw<strong>en</strong>s industrielgantois". S.E.V.P.E.N. 1969, 371 pages.


- IGI -du Nord-Pas-de-Calais. Bauw<strong>en</strong>s fabrique des métiers à filer et t<strong>en</strong>te d'adapterles nouvelles techniques à la laine et au lin dont il a, le premier, l'idée demouiller les fibres pour faciliter la filature. Si l'on songe que la plus grandepartie de cette production s'écoulait sur les marchés de la France actuelle, oncompr<strong>en</strong>d à quel concurr<strong>en</strong>t redoutable <strong>se</strong> trouvait confrontée la région lilloi<strong>se</strong>notamm<strong>en</strong>t, où la filature de coton débutait alors timidem<strong>en</strong>t (cf. ci-dessous).Ces <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s gantoi<strong>se</strong>s <strong>sont</strong> certes fragiles sur le plan financierla chute de l'Empire, précédée par la faillite de Bauw<strong>en</strong>s lui-même, les soumetà rude épreuve, mais il <strong>en</strong> reste un acquit technologique considérable et unemain-d'oeuvre expérim<strong>en</strong>tée. A partir de 1815, une politiqué douanière constamm<strong>en</strong>tprotectionniste libère la région du Nord-Pas-de-Calais de cette concurr<strong>en</strong>cepratiquem<strong>en</strong>t jusqu'<strong>en</strong> 1860, tandis que l'industrie textile <strong>be</strong>lge ne dispo<strong>se</strong> plusque d'un marché considérablem<strong>en</strong>t réduit, surtout après 1830, lorsque la séparationd'avec les Pays-Bas la prive des débouchés offerts par ce pays et <strong>se</strong>s colonies.La pré<strong>se</strong>nce de la frontière <strong>be</strong>lge ne suffit pas à décl<strong>en</strong>cher la croissancede l'industrie textile du Nord qui avait <strong>se</strong>s racines sur <strong>place</strong>, mais ellehandicape gravem<strong>en</strong>t des rivaux dangereux.L'exist<strong>en</strong>ce de la Belgique a pré<strong>se</strong>nté d'autres avantages pour l'industrietextile de la région Nord-Pas-de-Calais. Ce pays a mis à sa dispositionde l'énergie et un peu de matières premières, des ré<strong>se</strong>aux de voies de communicationet surtout des hommes.Sans repré<strong>se</strong>nter une part considérable des coûts de production, l'énergieétait un élém<strong>en</strong>t indisp<strong>en</strong>sable pour l'industrialisation du textile. La régionne pouvait guère compter sur l'utilisation de la force hydraulique, <strong>en</strong> raison dela faibles<strong>se</strong> d'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble de son relief et de l'ab<strong>se</strong>nce de rivières aux débitsnotables.Le charbon apportait une solution idéale à ce problème. La Belgique<strong>en</strong> fut le principal fournis<strong>se</strong>ur étranger p<strong>en</strong>dant tout le dix-neuvième siècle.Son rôle a été important pour la région du Nord, car la mi<strong>se</strong> <strong>en</strong> valeur int<strong>en</strong>sivedes bassins <strong>be</strong>lges a démarré plus tôt que celle des gi<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts français situésdans les départem<strong>en</strong>ts du Nord et du Pas-de-Calais. <strong>Les</strong> chiffres cités parF. L<strong>en</strong>tacker <strong>sont</strong> éloqu<strong>en</strong>ts: <strong>en</strong> 1855, le bassin du Nord produit 600.000 tonnes


- 162 -alors que la Belgique expédie 610.000 tonnes <strong>en</strong> France. En 1859, les chiffres<strong>sont</strong> respectivem<strong>en</strong>t de 1.530.000 et de 3.300.000 tonnes. C'est <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t vers1870, grâce à la mi<strong>se</strong> <strong>en</strong> valeur des gi<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts du Pas-de-Calais, que la productionrégionale dépas<strong>se</strong> les importations <strong>en</strong> prov<strong>en</strong>ance de Belgique. Ceci signifieque, p<strong>en</strong>dant des déc<strong>en</strong>nies, l'industrie textile du Nord a utilisé <strong>en</strong> partie descharbons <strong>be</strong>lges dont les principaux puits étai<strong>en</strong>t dans le Borinage, c'est-à-direà proximité de la frontière françai<strong>se</strong>. Le ré<strong>se</strong>au de voies navigables permettaitun transport commode, notamm<strong>en</strong>t vers la région de Roubaix-Tourcoing. La proximitéde la Belgique a, de cette façon, permis à l'industrie régionale de dispo<strong>se</strong>rde charbon <strong>en</strong> abondance, avant même que le gi<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t du Nord-Pas-de-Calaisconnais<strong>se</strong> sa pleine mi<strong>se</strong> <strong>en</strong> valeur.L'avantage ne portait pas <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t sur les quantités disponibles maisaussi sur les prix. L'industriel pouvait faire jouer à son profit la concurr<strong>en</strong>ce<strong>en</strong>tre les divers charbonnages. Jusque vers 1880, cela contraint les compagniesdu Nord à aligner leurs tarifs sur ceux des produits <strong>be</strong>lges, <strong>en</strong> dépit des droitsde douane qui les frappai<strong>en</strong>t nos voisins ayant <strong>be</strong>soin d'exporter ori<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>tleurs prix de v<strong>en</strong>te plutôt à la bais<strong>se</strong>.Cet état de cho<strong>se</strong>s fut lourd de conséqu<strong>en</strong>ces sur le plan des localisationsde l'industrie textile, à l'intérieur même de la région (.). La meilleuresituation n'était pas nécessairem<strong>en</strong>t la proximité des gi<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts français, carpour comp<strong>en</strong><strong>se</strong>r les moindres bénéfices faits sur les marchés extérieurs à la région,où la concurr<strong>en</strong>ce étrangère était vive (par exemple lorsqu'arriv<strong>en</strong>t lescharbons britanniques acheminés par voie maritime) les sociétés minières ré<strong>se</strong>rvai<strong>en</strong>tle tarif le plus élevé possible à leurs cli<strong>en</strong>ts les plus proches. Ceux-cine bénéficiai<strong>en</strong>t donc pas pleinem<strong>en</strong>t de la r<strong>en</strong>te de situation qu'aurait pu leurprocurer la proximité de la mine. La localisation la plus avantageu<strong>se</strong> est celle(.) cf. la thè<strong>se</strong> citée de M. Gillet, notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ce qui concerne la politiquetarifaire pratiquée par les différ<strong>en</strong>ts charbonnages du Nord et du Pas-de-Calais.


- 163 -où il est possible de mettre constamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> concurr<strong>en</strong>ce les fournis<strong>se</strong>urs françai<strong>se</strong>t <strong>be</strong>lges, car cela garantit un approvisionnem<strong>en</strong>t plus sûr et au moindrecoût. <strong>Les</strong> régions frontalières <strong>se</strong> trouvai<strong>en</strong>t de cette façon particulièrem<strong>en</strong>tbi<strong>en</strong> placées et notamm<strong>en</strong>t l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille qui dispo<strong>se</strong> rapidem<strong>en</strong>t deliaisons fluviales avec tous ces bassins.La Belgique pouvait égalem<strong>en</strong>t fournir un autre produit utile à l'industrietextile: le lin. Ces livraisons, à vrai dire, ne concernèr<strong>en</strong>t pas tellem<strong>en</strong>tles lins bruts mais surtout les lins teillés (.). Courtrai devint, après1850, le principal c<strong>en</strong>tre d'Europe Occid<strong>en</strong>tale pour le rouis$age-teillage de cettefibre, travaillant même la majeure partie des lins bruts français.La proximité de ce foyer de négoce et de première transformation de lamatière première était un avantage pour les filateurs de la région lilloi<strong>se</strong>, quipouvai<strong>en</strong>t s'y ravitailler aisém<strong>en</strong>t (il n'y avait plus de droits de douane après1860 sur ces produits), <strong>en</strong> dépit des protestations des cultivateurs français. <strong>Les</strong>fabricants d'ailleurs sout<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t, cette fois, les réductions tarifaires, affirmantque sans elles ils ne <strong>se</strong>rai<strong>en</strong>t plus compétitifs. De fait, les déc<strong>en</strong>nies1860-1880 <strong>sont</strong> à la fois celles où s'affirme l'essor du marché de Courtrai et oùla région du Nord-Pas-de-Calais acquiert une supériorité écrasante, <strong>en</strong> France,dans la filature du lin (..) puisque, <strong>en</strong> 1870, elle dispo<strong>se</strong>, à elle <strong>se</strong>ule, destrois quarts des broches, contre à peine 50 % <strong>en</strong> 1851.Au fur et à mesure de sa croissance, l'industrie textile va chercher<strong>se</strong>s matières premières et livre <strong>se</strong>s produits finis de plus <strong>en</strong> plus loin. Il luiest par conséqu<strong>en</strong>t très utile de dispo<strong>se</strong>r des meilleurs ré<strong>se</strong>aux de communicationpossibles. Là <strong>en</strong>core la pré<strong>se</strong>nce de la Belgique est un avantage: elle permetpar exemple de choisir <strong>en</strong>tre Dunkerque et Anvers (... ) pour faire v<strong>en</strong>ir les(.) F. L<strong>en</strong>tacker m<strong>en</strong>tionne qu'<strong>en</strong> 1870, la moitié des lins préparés utilisés parla filature françai<strong>se</strong> prov<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t de Belgique.(..) cf. L. Merchier, ouvrage cité, et Cl. Fohl<strong>en</strong> "La conc<strong>en</strong>tration dans l'industrietextile françai<strong>se</strong> au milieu du dix-neuvième siècle", article cité.(...) cf. la citation particulièrem<strong>en</strong>t significative d'un contemporain, rapportéepar F. L<strong>en</strong>tacker dans sa thè<strong>se</strong>: ilLeport <strong>be</strong>lge (Anvers) repré<strong>se</strong>ntait unevéritable provid<strong>en</strong>ce par <strong>se</strong>s <strong>se</strong>rvices de steamers".


- 164 -laines d'outre-mer. Pour les liaisons avec l'Est de la France, on pouvait utili<strong>se</strong>rles ré<strong>se</strong>aux ferrés français ou <strong>be</strong>lges etc ... Même s'il y recourt fort peu,cette li<strong>be</strong>rté de choix est un atout précieux pour l'industriel, qui s'<strong>en</strong> <strong>se</strong>rtpour faire pression sur les transporteurs nationaux de tous ordres, qui ne <strong>sont</strong>plus <strong>en</strong> position de monopole.La Belgique a été <strong>en</strong>fin une source considérable de main-d'oeuvre, etc'est probablem<strong>en</strong>t par ce biais que sa pré<strong>se</strong>nce a le plus favorisé l'épanouis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tde l'industrie textile du Nord-Pas-de-Calais. Au cours du temps, ce courantmigratoire a intéressé des catégories différ<strong>en</strong>tes de population et s'est faitsuivant des modalités variées.L'apport <strong>en</strong> dirigeants et <strong>en</strong> capitaux reste relativem<strong>en</strong>t limité (.),<strong>be</strong>aucoup moins important que dans la métallurgie par exemple. Certes, <strong>en</strong> 1828,12 % des familles patronales établies à Lille-Roubaix-Tourcoing provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t deBelgique, mais la moitié d'<strong>en</strong>tre elles résidai<strong>en</strong>t initialem<strong>en</strong>t dans des communessituées <strong>en</strong>tre Mouscron et M<strong>en</strong>in, c'est-à-dire à proximité immédiate de la Frontière: il n'était pas étonnant que certains de leurs membres s'install<strong>en</strong>t àquelques kilomètres de là, <strong>en</strong> France, d'autant que les patrimoines fonciers <strong>se</strong>répartissai<strong>en</strong>t as<strong>se</strong>z souv<strong>en</strong>t de part et d'autre d'une ligne de séparation politiquefinalem<strong>en</strong>t relativem<strong>en</strong>t réc<strong>en</strong>te. D'autres familles, comme les Wallaertarrivés vers 1750 de Courtrai, étai<strong>en</strong>t fixées depuis longtemps. Au total, onpeut considérer que cet apport n'a intéressé qu'une fraction très minoritairede la clas<strong>se</strong> dirigeante, même si ces mouvem<strong>en</strong>ts <strong>se</strong> <strong>sont</strong> traduits par un soldepositif <strong>en</strong> faveur du Nord.La Belgique a fourni, par contre, une part fort appréciable de la maind'oeuvresalariée. Ces travailleurs quittai<strong>en</strong>t leur pays <strong>en</strong> raison des difficultéséconomiques graves que connais<strong>se</strong>nt p<strong>en</strong>dant tout le dix-neuvième siècle lesFlandres et le Hainaut Occid<strong>en</strong>tal Belges. Après la chute de l'Empire, des ou-(.) Pour tout ce développem<strong>en</strong>t cf. la thè<strong>se</strong> de F. L<strong>en</strong>tacker à laquelle <strong>sont</strong>empruntées notamm<strong>en</strong>t toutes les données chiffrées. La thè<strong>se</strong> de R. Blanchardconti<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t des remarques intéressantes sur ce thème.


- 165 -vriers gantois émigr<strong>en</strong>t à Lille qui profite ainsi des connaissances techniquesqu'ils ont de l'industrie moderne. Cep<strong>en</strong>dant, la plupart des émigrants appart<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>tau <strong>se</strong>cteur artisanal. Dans la Belgique de 1819, sur 400.000 emplois rattachésà ce que l'on appelerait de nos jours le <strong>se</strong>cteur <strong>se</strong>condaire, 300.000étai<strong>en</strong>t occupés par des travailleurs à domicile dont l'imm<strong>en</strong><strong>se</strong> majorité s'adonnaità la filature et au tissage du lin. La mécanisation de ces activités, qui<strong>se</strong> <strong>place</strong>, <strong>en</strong> Belgique, surtout dans la <strong>se</strong>conde moitié du siècle, va libérer de<strong>se</strong>ffectifs considérables. Une part de ces actifs vi<strong>en</strong>dra chercher du travail dansle textile du Nord.C'est un apport extrêmem<strong>en</strong>t précieux pour les industriels de la région,car, au mom<strong>en</strong>t où leurs activités connais<strong>se</strong>nt une pha<strong>se</strong> de croissance, ils trouv<strong>en</strong>tune main-d'oeuvre as<strong>se</strong>z peu exigeante, <strong>en</strong> raison de la modicité des salairespratiqués dans son pays d'origine. De plus, leur statut d'étrangers les contraintà faire preuve de modération sur le plan social. Leur pré<strong>se</strong>nce permet au patronatde pe<strong>se</strong>r sur le niveau des salaires de l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble des travailleurs. Il estégalem<strong>en</strong>t plus facile de lic<strong>en</strong>cier ces immigrés <strong>en</strong> cas de ral<strong>en</strong>tis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t économique.Par ailleurs, cette main-d'oeuvre est as<strong>se</strong>z compét<strong>en</strong>te car elle a souv<strong>en</strong>tune certaine pratique du travail artisanal textile, surtout <strong>en</strong> tissage. Sonniveau de formation de départ est, <strong>en</strong> fait, le même que celui des salariés françaisqui provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t fréquemm<strong>en</strong>t de localités où le travail manuel est <strong>en</strong> déclin.Le nombre des Belges qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>se</strong> fixer dans la région est considérable. <strong>Les</strong>différ<strong>en</strong>tes estimations faites par F. L<strong>en</strong>tacker <strong>sont</strong> très éloqu<strong>en</strong>tes: <strong>en</strong>tre1871 et 1892, 28,6 % de la population de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille <strong>sont</strong> nés <strong>en</strong>Belgique. Au cours des déc<strong>en</strong>nies 1860-1880, des communes telles que Roubaix,Wattrelos, Halluin ont une population originaire <strong>en</strong> majorité de Belgique. Il estévid<strong>en</strong>t que ce mouvem<strong>en</strong>t a particulièrem<strong>en</strong>t profité aux <strong>industries</strong> étudiées, carce <strong>sont</strong> les communes de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille où la monoactivité textile estla plus prononcée, qui pré<strong>se</strong>nt<strong>en</strong>t les plus forts pourc<strong>en</strong>tages de Belges.Ce ré<strong>se</strong>rvoir de main-d'oeuvre était d'autant plus précieux que le Nord-Pas-de-Calais ne disposait pas d'autre source extérieure de cette importance.En effet, les principaux foyers d'émigration français, comme l'Ouest, étai<strong>en</strong>t


- 166 -<strong>be</strong>aucoup plus éloignés et, surtout, subissai<strong>en</strong>t avant tout l'attraction de larégion parisi<strong>en</strong>ne qui constituait <strong>en</strong>tre eux et le Nord un écran infranchissable.Même dans une région aussi proche que la Picardie, l'attrait de Paris étaitdifficile à contre balancer; il s'exerçait d'ailleurs sur les habitants duNord-Pas-de-Calais eux-mêmes.A partir des années 1880-1890, le mouvem<strong>en</strong>t d'émigration des Belges<strong>se</strong> ral<strong>en</strong>tit sérieu<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t. Le textile n'<strong>en</strong> perd pas pour autant cette catégorie detravailleurs car les migrants devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t Frontaliers, c'est-à-dire qu'ils rest<strong>en</strong>tdomiciliés dans leur pays d'origine mais occup<strong>en</strong>t un emploi dans les usinesfrançai<strong>se</strong>s. C'est le résultat de l'essor des moy<strong>en</strong>s de communication: ré<strong>se</strong>auxde chemin de fer de banlieue, tramways, bicyclettes, autocars à partir de 1920.Le coût de la vie est moins cher <strong>en</strong> Belgique, le taux de change est favorableau franc français. L'industrie textile du Nord continue ainsi à utili<strong>se</strong>r desdizaines de milliers de travailleurs, avec la plupart des avantages r<strong>en</strong>contrésprécédemm<strong>en</strong>t,Ce mouvem<strong>en</strong>t a atteint son apogée <strong>en</strong>tre 1925 et 1930, Ces salariésvont <strong>en</strong> France chercher du travail <strong>en</strong> partie parce que les grands c<strong>en</strong>tres <strong>textiles</strong><strong>sont</strong> proches de la frontière, mais, inver<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t, la persistance de ceflux justifie le mainti<strong>en</strong> de ces <strong>industries</strong> dans les localisations héritées desannées 1850-1890, Il est clair que la région de Roubaix-Tourcoing et l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mblede la Vallée de la Lys textile, du fait du tracé de la frontière et de leurposition au contact du Hainaut Occid<strong>en</strong>tal et de la Flandre, étai<strong>en</strong>t particulièrem<strong>en</strong>tbi<strong>en</strong> placés pour tirer partie au maximum de cette situation,Il est as<strong>se</strong>z difficile d'évaluer l'influ<strong>en</strong>ce réelle de la proximité dela région parisi<strong>en</strong>ne. Cette dernière n'a guère fourni de capitaux, contrairem<strong>en</strong>tà ce qui s'est passé dans les chemins de fer par exemple, et les sociétés <strong>textiles</strong>familiales n'ont pas de li<strong>en</strong>s de dép<strong>en</strong>dance vis-à-vis des grandes banquesnationales; il arrive que celles-ci fournis<strong>se</strong>nt des crédits à court terme pourcouvrir le financem<strong>en</strong>t des achats de matières premières, mais elles ne <strong>sont</strong>


- 167 -guère pré<strong>se</strong>ntes dans le capital des firmes (.). Paris prive le Nord des grandscourants de migration, mais offre un marché de consommation et de commercialisationimportant, d'autant que l'industrie de la confection s'y développe. De cepoint de vue, la relative proximité de la capitale peut être utile à l'industrie1.<strong>Les</strong> ressources matérielles.La région, on l'a déjà évoqué, a bénéficié au dix-neuvième siècle dela mi<strong>se</strong> <strong>en</strong> exploitation, sur une grande échelle, de son gi<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t houiller. Celui-ci,toutefois ne devi<strong>en</strong>t réellem<strong>en</strong>t important qu'après 1860 : au cours dela période 1843-1847, la région n'extrait que le quart de la production nationale; après 1886, ce pourc<strong>en</strong>tage atteint 50 % et <strong>en</strong> 1908-1912, 66 %. F. L<strong>en</strong>tackerconstate, dans sa thè<strong>se</strong>, qu'après 1885, l'abondance des charbons du Pas-de-Calaispè<strong>se</strong>, à Roubaix-Tourcoing, sur les prix des charbons <strong>be</strong>lges importés. Ceci estintéressant dans la mesure où les métiers <strong>textiles</strong> plus complexes et plus rapid<strong>en</strong>écessit<strong>en</strong>t à la fin du siècle proportionnellem<strong>en</strong>t plus d'énergie (..).Pourtant le Bassin Houiller n'a pas été un noyau de fixation de l'industrietextile: le charbon n'y était qu'un peu moins coûteux par rapport aureste de la région; différ<strong>en</strong>ce trop faible pour attirer à elle <strong>se</strong>ule le textilepour lequel le prix de l'énergie n'est pas un élém<strong>en</strong>t fondam<strong>en</strong>tal. Mais, surtout,le travail de la mine nécessitait <strong>be</strong>aucoup de main-d'oeuvre au point qu'il fallait<strong>en</strong> faire v<strong>en</strong>ir du reste de la région ou même de l'extérieur. Cette situation(.) cf. J. Laloux, thè<strong>se</strong> citée.(..) Cl. Fahi<strong>en</strong> estime que, vers 1830, un cheval-vapeur faisait mouvoir <strong>en</strong>moy<strong>en</strong>ne 700 broches de filature, contre 100 à 120 <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t vers les années1870.


- 168 -r<strong>en</strong>dait les régions houillères peu attractives pour la plupart des autres <strong>industries</strong>.M. Gillet y voit la raison es<strong>se</strong>ntielle du mainti<strong>en</strong> de la monoactivitéhouillère dans tout l'ouest du bassin. Il <strong>se</strong>mblerait que le textile puis<strong>se</strong> échapperà cette répulsion puisqu'il emploie, dans certaines branches tout au moins,une grande quantité de main-d'oeuvre féminine que les mines n'étai<strong>en</strong>t pas susceptiblesd'occuper. Il faut <strong>se</strong> souv<strong>en</strong>ir toutefois que, même <strong>en</strong> filature, lesag<strong>en</strong>ts de maîtri<strong>se</strong>, les régleurs, les mécanici<strong>en</strong>s et l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble du personneld'<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> <strong>sont</strong> des hommes. Leur pré<strong>se</strong>nce et leur compét<strong>en</strong>ce <strong>sont</strong> indisp<strong>en</strong>sablesIl aurait été difficile de les recruter dans le Bassin Minier car les sociétéshouillères offrai<strong>en</strong>t des salaires honorables et surtout une grande stabilitéde l'emploi, ce qui n'était guère le cas dans le textile. Il était plus intéressantpour cette dernière industrie d'être à proximité de la Belgique qui fournissaitdes travailleurs d~s deux <strong>se</strong>xes.Le Nord-Pas-de-Calais fournit du lin. C~te culture, au début dudix-neuvième siècle, était <strong>be</strong>aucoup plus largem<strong>en</strong>t répandue à travers la régionque de nos jours. Dans sa statistique de 1804, le Préfet du Nord, Dieudonné,m<strong>en</strong>tionne la production de lins fins notamm<strong>en</strong>t dans le Douaisis, la région deSaint-Amand-les-Eaux et le Cambrésis. Le lin est aussi largem<strong>en</strong>t cultivé dansle Pas-de-Calais. Cette culture est diffusée égalem<strong>en</strong>t dans tout le quartNord-Ouest de la France ou elle est parfois associée au chanvre. La plupart deces régions ne réussiront pas à pas<strong>se</strong>r du stade artisanal à celui de la grandeindustrie.L'essor de la filature mécanique, va correspondre à un déclin de laculture du lin <strong>en</strong> France, y compris dans le Nord-Pas-de-Calais. <strong>Les</strong> industrielssouhait<strong>en</strong>t dispo<strong>se</strong>r de la matière première la moins chère possible, alors quele cultivateur réclame un prix d'autant plus élevé que de nouvelles spéculationsrémunératrices s'offr<strong>en</strong>t à lui, grâce, par exemple, à l'ext<strong>en</strong>sion de la culturede la <strong>be</strong>tterave à sucre dans le Nord-Pas-de-Calais. De plus <strong>en</strong> plus, l'<strong>industries</strong>e tourne vers les lins d'importation: la Russie grâce à <strong>se</strong>s provinces baltes,au climat favorable et à la main-d'oeuvre abondante, devi<strong>en</strong>t, à partir du SecondEmpire, un fournis<strong>se</strong>ur important. En 1889, le Nord possède 89 % du total des


- 169 -broches françai<strong>se</strong>s et les lins v<strong>en</strong>us de Russie repré<strong>se</strong>nt<strong>en</strong>t 85 % de l'approvisionnem<strong>en</strong>tde l'industrie françai<strong>se</strong> (.). Cette matière transitait souv<strong>en</strong>tpar la Belgique et était préparée à Courtrai. Le développem<strong>en</strong>t de l'industriea donc été facilité par le fait qu'elle a su <strong>se</strong> pas<strong>se</strong>r de la production régionale.Il est significatif, à cet égard, de constater qu'<strong>en</strong> 1887 le Norda moins du huitième de la superficie françai<strong>se</strong> consacrée au lin.Il faut évoquer rapidem<strong>en</strong>t le problème de l'eau. Ce ne fut certainem<strong>en</strong>tpas un atout pour la région, dépourvue de rivières importantes ou degrandes nappes non-calcaires. <strong>Les</strong> dérivations réalisées à parti! de la Lyspour ravitailler Roubaix-Tourcoing, puis les forages opérés dans la nappedu calcaire carbonifère tradui<strong>se</strong>nt les difficultés r<strong>en</strong>contrées par le principalfoyer textile du Nord. La région de Fourmies elle-même, au climat plus humide,ne dispo<strong>se</strong> pas de nappes aux ré<strong>se</strong>rves abondantes. L'eau n'a été qu'un facteurde localisation de <strong>se</strong>cond ordre, c'est-à-dire qu'à l'intérieur d'un foyertextile, les activités les plus exigeantes <strong>en</strong> eau <strong>se</strong> disposai<strong>en</strong>t plutôt àproximité des rivières: c'est ainsi que la Marque, dans l'agglomération deRoubaix-Tourcoing, a été un lieu de conc<strong>en</strong>tration de blanchis<strong>se</strong>ries et deteintureries. Ce fut la même cho<strong>se</strong> pour la Vallée de la Lys, à l'intérieurde l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille. Toutefois ces implantations n'ontpas été systématiques. <strong>Les</strong> peignages, dont les <strong>be</strong>soins <strong>en</strong> eau <strong>sont</strong> pourtant considérables,n'ont pas été attirés par les rivières qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d'être m<strong>en</strong>tionnées.L'anci<strong>en</strong>neté et l'importance du travail textile dans le Nord-Pas-de-Calais <strong>sont</strong> un fait bi<strong>en</strong> connu ( ..). Il est <strong>be</strong>aucoup plus difficile de détermi-(.) cf. L. Merchier,ouvrage cité.(..) Voir notamm<strong>en</strong>t la réc<strong>en</strong>te IIHistoire des Pays-Bas Français" ouv. cité.


- PO -ner qu'elle était exactem<strong>en</strong>t, à la veille de l'industrialisation, la <strong>place</strong>occupée par la région, par rapport au reste de la France. Dans son étude surl'industrie lainière au dix-huitième siècle, T. J. Markovitch a dû r<strong>en</strong>oncer,faute de docum<strong>en</strong>ts précis, à évaluer la part de cette activité localisée <strong>en</strong>Flandre et au Hainaut. Il <strong>se</strong>mble d'après les quelques élém<strong>en</strong>ts dont il a pudispo<strong>se</strong>r qu'elle ne devait pas s'élever à plus de quelques pour c<strong>en</strong>t.<strong>Les</strong> premières données sérieu<strong>se</strong>s dat<strong>en</strong>t du début du dix-neuvièmesiècle, lorsque Dieudonné élabore sa statistique, mais alors, la révolutionindustrielle est déjà <strong>en</strong> marche. La situation des différ<strong>en</strong>ts foyers à cetteépoque <strong>se</strong>ra évoquée ci-dessous. D'une façon générale, on constate que l'on fileet tis<strong>se</strong> un peu partout dans les deux départem<strong>en</strong>ts. Cela suppo<strong>se</strong> la pré<strong>se</strong>nce detoute une population habituée au maniem<strong>en</strong>t des fibres et au travail minutieuxqu' e 11es exi g<strong>en</strong>t. Toutefoi sil n'<strong>en</strong> résu1 te pas que des avantages : l' industri <strong>en</strong>aissante doit s'efforcer d'élaborer des articles aussi bons que ceux produitsà la main, dont la qualité était déjà fort honorable. Plus les artisans <strong>sont</strong>habiles et plus il <strong>se</strong>ra difficile de les supplanter. Par ailleurs, la pré<strong>se</strong>nced'un grand nombre de travailleurs très qualifiés peut <strong>en</strong>traîner des réactionshostiles de leur part, vis-à-vis de toute forme de mécanisation, comme ce futsouv<strong>en</strong>t le cas <strong>en</strong> Angleterre ou dans la région lyonnai<strong>se</strong>. Si de multiplesplaintes fur<strong>en</strong>t émi<strong>se</strong>s dans le Nord contre les "mécaniques" et la "grande industrie",elles ne <strong>se</strong> transformèr<strong>en</strong>t guère <strong>en</strong> manifestations viol<strong>en</strong>tes caril s'agissait surtout de ruraux as<strong>se</strong>z mal organisés sur le plan social (.).L'exist<strong>en</strong>ce d'une tradition textile antérieure à la révolution industriellea pré<strong>se</strong>nté deux avantages principaux: le processus d'industrialisations'est étalé sur plusieurs déc<strong>en</strong>nies. La filature <strong>se</strong> mécani<strong>se</strong> <strong>en</strong> général 20 ou 30ans avant le tissage. De ce fait, il arrive un mom<strong>en</strong>t où la production des filésdevi<strong>en</strong>t surabondante, car les tis<strong>se</strong>rands n'ont pas accru dans la même propor-(.) cf. par exemple la thè<strong>se</strong> citée de C. Blai<strong>se</strong> sur le tissage à main dans leCambrésis.


- 171 -tion leur capacité de fabrication et ceci constitue un frein au développem<strong>en</strong>tde l'industrie. La pré<strong>se</strong>nce d'un grand nombre de tis<strong>se</strong>rands à main est alorsun avantage pour l'industriel qui trouve sur <strong>place</strong> un marché intéressant.<strong>Les</strong> filatures mécaniques du Nord ont bénéficié de cet atout; elles ontrapidem<strong>en</strong>t éliminé la production manuelle des filés, car l'ouvrier d'usineavait une productivité plusieurs dizaines de fois supérieures à celle del'artisan. Cette main-d'oeuvre r<strong>en</strong>due disponible et habituée au travail <strong>textiles</strong>'est alors tournée vers le tissage.Jusqu'aux <strong>en</strong>virons de 1850, les métiers à tis<strong>se</strong>r manuels <strong>se</strong> multipli<strong>en</strong>tdans la région (.) et constitu<strong>en</strong>t un débouché très appréciable pour lafilature locale. <strong>Les</strong> industriels les plus dynamiques <strong>sont</strong> d'ailleurs les premiersà favori<strong>se</strong>r ce mouvem<strong>en</strong>t, allant parfois jusqu'à installer eux-mêmes desmétiers chez des artisans à domicile auxquels ils fournis<strong>se</strong>nt les filés. Lapossibilité donnée à l'industriel de réali<strong>se</strong>r ce g<strong>en</strong>re d'opérations est doublem<strong>en</strong>tavantageu<strong>se</strong> pour lui, car il peut produire des fils sur une plus grandeéchelle et <strong>en</strong> même temps retirer un bénéfice de la rev<strong>en</strong>te de ces tissus dontil assure lui-même la commercialisation. En offrant un contexte favorable audéveloppem<strong>en</strong>t de ce g<strong>en</strong>re d'activité, la région a facilité la croissance des<strong>industries</strong> <strong>textiles</strong> naissantes, c'est-à-dire au mom<strong>en</strong>t où elles étai<strong>en</strong>t lesplus vulnérables.Après 1850-1860, l'importance du tissage manuel est plutôt un obstacleà l'industrialisation. Ces artisans habiles <strong>se</strong> cont<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t de prix de façontrès faibles, car ils aécept<strong>en</strong>t des journées de travail très longues et ont peude matériel à amortir. Cela contribue à r<strong>en</strong>dre leurs produits plus longtempscompétitifs par rapport à ceux de l'industrie.Le <strong>se</strong>cond avantage procuré par la tradition textile a été l'exist<strong>en</strong>ced'une clas<strong>se</strong> de négociants ou de marchands-transformateurs. Ces derniers v<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>tà l'extérieur les produits des artisans ou les faisai<strong>en</strong>t travailler(.) L'essor du tissage manuel est favorisé égalem<strong>en</strong>t par la diffusion dans larégion, à partir du dix-neuvième siècle <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t, de la navette volante quiaméliore <strong>be</strong>aucoup la productivité de ce tissage.Dans la Vallée de la Lys notamm<strong>en</strong>t, il arrive que les logem<strong>en</strong>ts eux-mêmessoi<strong>en</strong>t fournis pour attirer des tis<strong>se</strong>rands v<strong>en</strong>ant de la Flandre <strong>be</strong>lge.


1"- 172 -à façon. Ce groupe a joué un rôle important car, dans <strong>se</strong>s rangs, <strong>se</strong> <strong>sont</strong>recrutés nombre d'industriels (.). On considère souv<strong>en</strong>t que l'atout décisiffut pour eux d'investir les capitaux tirés du négoce. Ce n'est probablem<strong>en</strong>tpas cet aspect qui a été es<strong>se</strong>ntiel. On ne dispo<strong>se</strong> guère d'états de fortunesde ces négociants mais les quelques exemples qui <strong>se</strong>ront donnés ci-dessousmontr<strong>en</strong>t que, souv<strong>en</strong>t, ils ne possédai<strong>en</strong>t pas de capitaux considérables.Et, de toute façon, au début, l'industrie textile n'était pas très exigeantesur ce plan.Le principal avantage des négociants fut surtout une bonne connaissancedu marché et de <strong>se</strong>s exig<strong>en</strong>ces; ils <strong>sont</strong> capables de choisir les matièrespremières, de <strong>se</strong> livrer à des calculs de r<strong>en</strong>tabilité et de s'adapter à laversatilité de leurs cli<strong>en</strong>ts. Toutes ces qualités <strong>se</strong>ront particulièrem<strong>en</strong>tnécessaires à l'industriel. De plus, le négociant doit <strong>se</strong> dé<strong>place</strong>r fréquemm<strong>en</strong>tpour <strong>se</strong>s affaires ( ..) ; dès la fin du dix-huitième siècle <strong>be</strong>aucoup circul<strong>en</strong>tà cheval à travers toute la France, la Belgique et la Hollande notamm<strong>en</strong>t. Ils<strong>se</strong> r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t fréquemm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Grande-Bretagne. Ceci améliore leurs connaissances,les informe des dernières nouveautés techniques et commerciales. Ce type d'activitésfut souv<strong>en</strong>t une excell<strong>en</strong>te école de formation au métier d'industriel,et c'était d'autant plus précieux qu'il n'existait aucune autre forme d'<strong>en</strong><strong>se</strong>ignem<strong>en</strong>torganisé <strong>en</strong> ce domaine.Cette tradition textile a comporté des élém<strong>en</strong>ts favorables, mais ilne faut pas exagérer son rôle, car elle existait égalem<strong>en</strong>t dans d'autres régionsde France qui ont vu leur importance décroître au cours du dix-neuvième siècle.Inver<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t, un c<strong>en</strong>tre comme Calais ignorait le travail textile et allait pourtantconnaître une brillante réussite dans cette branche industrielle.(.) cf. l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble des publications citées de J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte.(.. ) cf. J. Toulemonde • ouvrage ci té.! :


- 173 -Au début de la révolution industrielle, la région Nord-Pas-de-Calai<strong>se</strong>st déjà fortem<strong>en</strong>t peuplée: sa d<strong>en</strong>sité, <strong>en</strong> 1801, 100 habitants au kilomètrecarré, est supérieure à celle de la France de 1974. Dans les <strong>se</strong>cteurs où vont<strong>se</strong> développer les plus grands c<strong>en</strong>tres <strong>textiles</strong>, cette accumulation de populationétait <strong>en</strong>core plus considérable: la d<strong>en</strong>sité du départem<strong>en</strong>t du Nord s'élève a-lors à 132 et celle de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille à 250 (.).Pour qu'un grand c<strong>en</strong>tre textile s'édifie, il était nécessaire de dispo<strong>se</strong>rde ressources notables <strong>en</strong> main-d'oeuvre, car la mécanisation était <strong>en</strong>corerelativem<strong>en</strong>t peu poussée dans cette branche. Toutefois une surabondance detravailleurs pouvait constituer un frein dans la mesure où des salaires trèsbas n'incitai<strong>en</strong>t pas les responsables économiques à rechercher les techniquesles plus productives. L'étude citée de F. Dornic sur la famille Cohin, grands~égociants <strong>en</strong> toile sarthois du dix-neuvième siècle, est typique à cet égard;l'auteur montre comm<strong>en</strong>t les faibles prix de façon payés aux artisans à domicileexpliqu<strong>en</strong>t que ces <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs install<strong>en</strong>t tardivem<strong>en</strong>t des tissages mécaniques,alors que leur puissance financière leur aurait permis de le faire bi<strong>en</strong> plustôt. Il est évid<strong>en</strong>t que si l'abondance de la main-d'oeuvre avait été le facteurdécisif, l'Ouest de la France, dans son <strong>en</strong><strong>se</strong>mble, <strong>se</strong>rait dev<strong>en</strong>u un grand foyertextile.Dans la région du Nord-Pas-de-Calais, la situation a été favorableà l'industrialisation du textile, car, s'il était possible de recruter des travailleurs,le développem<strong>en</strong>t simultané d'autres activités, extraction houillère,métallurgie, <strong>industries</strong> alim<strong>en</strong>taires comme la bras<strong>se</strong>rie ou la sucrerie etc ... ,créait une certaine pression sur le marché de l'emploi.Si les salaires restai<strong>en</strong>t trop bas, le personnel le plus qualifiépouvait <strong>se</strong> tourner vers d'autres branches. L'industriel était incité à mécani<strong>se</strong>r,(.) Source Annuaire statistique régional. INSEE, Lille 1951.


- 174 -ne <strong>se</strong>rait-ce qu'<strong>en</strong> raison de la m<strong>en</strong>ace qu'il devinait à terme. Pour attirerles Belges eux-mêmes il fallait leur offrir des rémunérations plus élevéesque dans leur pays et les dissuader de choisir les travaux agricoles, lebâtim<strong>en</strong>t etc .•. De ce point de vue, ce n'est pas un hasard si les industrles<strong>textiles</strong> les plus fortem<strong>en</strong>t mécanisées <strong>se</strong> <strong>sont</strong> épanouies dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tde Lille où exist<strong>en</strong>t des branches industrielles variées. Au contraire, <strong>en</strong>Flandre Intérieure, l'ab<strong>se</strong>nce d'activités concurr<strong>en</strong>tes et la surcharge démographiqueont retardé la mécanisation. Lorsque l'industrie textile y débutevraim<strong>en</strong>t, il lui est alons difficile de rivali<strong>se</strong>r avec les c<strong>en</strong>tres moderne<strong>se</strong>t puissants édifiés <strong>en</strong>tre temps ailleurs. La situation, bi<strong>en</strong> que diamétralem<strong>en</strong>topposée à celle du Bassin Minier y aboutissait à un résultat finalsimilaire.Le Nord-Pas-de-Calais a égalem<strong>en</strong>t eu la chancede dispo<strong>se</strong>r de très nombreux "<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs" de tal<strong>en</strong>t, c'est-à-dire de g<strong>en</strong>sayant le goût du risque économique et l'aptitude à transpo<strong>se</strong>r sur le planindustriel les derniers perfectionnem<strong>en</strong>ts de la technologie. L'action de ceshommes s'est d'ailleurs manifestée dans la plupart des branches industriellesqui <strong>se</strong> <strong>sont</strong> créées dans la région au cours de la première moitié du dix-neuvièmesiècle, et pas <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t dans les activités <strong>textiles</strong>. C'est cep<strong>en</strong>dantdans celles-ci que leur rôle a été particulièrem<strong>en</strong>t important <strong>en</strong> raison ducontexte général de l'époque: l'Etat français n'intervi<strong>en</strong>t guère directem<strong>en</strong>tpour promouvoir telle ou telle branche de l'économie. Lorsque sa sollicitude<strong>se</strong> manifeste, c'est <strong>en</strong> faveur de <strong>se</strong>cteurs bi<strong>en</strong> précis : les chemins de fer,par exemple, qui bri<strong>se</strong>nt les cadres de la vie économique traditionnelle.Pour le textile, l'Etat <strong>se</strong> cont<strong>en</strong>te de faire jouer les tarifs douaniersou d'appliquer des lois sociales à caractère général (celle de 1841 surla réglem<strong>en</strong>tation du travail des <strong>en</strong>fants, par exemple). Seule l'action desparticuliers à l'esprit <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>ant amorce le processus d'industrialisationet permet ainsi de concréti<strong>se</strong>r les pot<strong>en</strong>tialités d'un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t géographiquefavorable.Le volume de capitaux nécessaires pour <strong>se</strong> lancer dans l'industrie textil<strong>en</strong>aissante est bi<strong>en</strong> plus faible que dans la sidérurgie ou les chemins de fer.


- 175-Un peu partout, de nombreu<strong>se</strong>s personnes ont la possibilité matérielle de monterune <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> textile, car celui qui possède quelques métiers mécanique<strong>se</strong>st déjà un producteur notable, à un mom<strong>en</strong>t où une part appréciable de la productionest <strong>en</strong>core assurée par les artisans mais cette situation ne dure pas,et une sélection impitoyable va éliminer ceux qui ne <strong>se</strong> moderni<strong>se</strong>nt pas régulièrem<strong>en</strong>t.C'est par ce processus que le textile s'est conc<strong>en</strong>tré géographiquem<strong>en</strong>tlà où <strong>se</strong> trouvai<strong>en</strong>t le plus d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs dynamiques. Cette évolution s'étalesur plusieurs déc<strong>en</strong>nies. Comme cette jeune industrie est susceptible de fournirdes profits très appréciables, celui qui a débuté modestem<strong>en</strong>t peut fort bi<strong>en</strong>résister s'il réinvestit systématiquem<strong>en</strong>t <strong>se</strong>s bénéfices. L'article industrieldispo<strong>se</strong> <strong>en</strong> effet d'un marché <strong>en</strong> voie d'expansion très rapide: le produit artisanalde qualité, très l<strong>en</strong>t à fabriquer, était coûteux et ré<strong>se</strong>rvé de ce fait àune minorité de la population. L'abais<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t des prix consécutif à l'industrialisation,permet à de larges couches de consommateurs de <strong>se</strong> porter acquéreursdes nouveaux articles <strong>textiles</strong>. A cela il faut ajouter la croissance généralede la population. Toutes proportions gardées, l'industriel <strong>se</strong> trouve dans unesituation proche de celle des fabricants d'appareils d'électro-ménager, dans lesannées 1950 : un marché qui s'ét<strong>en</strong>d à mesure que la production <strong>se</strong> mécani<strong>se</strong>.<strong>Les</strong> quelques exemples précis dont on dispo<strong>se</strong> montr<strong>en</strong>t qu'effectivem<strong>en</strong>tl'accumulation du capital pouvait <strong>se</strong> faire à une allure rapide. L'ouvrage déjàcité de J. Toulemonde conti<strong>en</strong>t un graphique (page 233) retraçant, à l'époque oùnaissait l'industrie, l'évolution de la fortune de Floris Toulemonde, membre del'une des grandes familles industrielles <strong>textiles</strong> de la région roubai sf <strong>en</strong>ne : demoins de 50.000 francs <strong>en</strong> 1833, elle s'élève à plus d'un million, 25 ans plustard. J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte avance, dans sa thè<strong>se</strong>, pour les années 1850-1870, destaux de profit de l'ordre de la à 20 % du capital investi dans le tissage arm<strong>en</strong>tièrois,époque à laquelle il <strong>se</strong> mécani<strong>se</strong> (.). Cela ne signifie pas que la tâche(.) D'autres exemples <strong>se</strong>ront cités ci-dessous (cf. notamm<strong>en</strong>t l'analy<strong>se</strong> des débutsdes firmes Agache, Prouvost et Thiriez). On manque toutefois d'analy<strong>se</strong>s systématiquespour voir s'il s'agissait ou non de cas exceptionnels. Cette situationn'était évidemm<strong>en</strong>t pas propre au Nord: l'ouvrage de D.C. Coleman (Courtaulds,an economic and social history i Oxford, Clar<strong>en</strong>don Press, 1965 T. l 274 p.) faità partir d'une docum<strong>en</strong>tation préci<strong>se</strong>, montre que, <strong>en</strong>tre 1830 et 1848, les profits<strong>sont</strong> <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne, chaque année, de 26 % du capital investi. Courtaulds est alorsune <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> purem<strong>en</strong>t textile spécialisée dans le,travail de la soie.


- 175 bis -de l'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur soit aisée à cette époque: il devait choisir les métiersparmi un foisonnem<strong>en</strong>t de types de matériels, réussir à former la main-d'oeuvre,résister aux très brutales et très fréqu<strong>en</strong>tes cri<strong>se</strong>s économiques. <strong>Les</strong> tal<strong>en</strong>tspropres de l'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur étai<strong>en</strong>t plus décisifs que la pos<strong>se</strong>ssion initiale dequelques dizaines de milliers de francs <strong>en</strong> plus ou <strong>en</strong> moins.La nécessité de réinvestir les bénéfices pour rester compétitif <strong>en</strong>dépit de la rapidité des progrès techniques, <strong>en</strong>traîne une situation apparemm<strong>en</strong>tparadoxale: l'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur textile fait des profits élevés, doit consacrer <strong>be</strong>aucoupde temps à une activité difficile et limiter son train de vie par rapportà son niveau de fortune réel. La situation <strong>se</strong> complique si, comme cela est fréqu<strong>en</strong>t,l'affaire a été fondée par plusieurs personnes physiques car il faut que.chacun des associés accepte cet état de cho<strong>se</strong>s. Dans ce contexte, la forte cohér<strong>en</strong>cedes structures familiales devi<strong>en</strong>t un atout: les li<strong>en</strong>s créés <strong>en</strong>tre lesindividus aid<strong>en</strong>t à supporter les t<strong>en</strong>sions qui surgis<strong>se</strong>nt dans la gestion desaffa ires. Le <strong>se</strong>ntim<strong>en</strong>t que la réussite de l'<strong>en</strong>trepri <strong>se</strong> <strong>se</strong>ra celle de la famill eà laquelle on <strong>se</strong> <strong>se</strong>nt profondém<strong>en</strong>t attachée, permet de compr<strong>en</strong>dre que l'individuaccepte de restreindre son niveau de vie: il a consci<strong>en</strong>ce d'ètre au <strong>se</strong>rvice dequelque cho<strong>se</strong> qui dépas<strong>se</strong> sa simple personne. Si l'asc<strong>en</strong>sion sociale est réc<strong>en</strong>te,il est d'ailleurs plus facile de con<strong>se</strong>rver un style de vie pas trop éloigné decelui des origines. Dans ces conditions, la volonté farouche de ce patronat depré<strong>se</strong>rver son indép<strong>en</strong>dance <strong>se</strong> compr<strong>en</strong>d mieux (.)La joie d'être l'artisan principal de sa réussite et le maître d'une<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> dynamique est <strong>en</strong> quelque sorte une comp<strong>en</strong>sation psychologique à la(.) La plupart des études historiques et des témoignages publiés concern<strong>en</strong>t lepatronat de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille, dont le comportem<strong>en</strong>t <strong>se</strong> rapproche le plusde celui décrit ici. CL. Fohl<strong>en</strong> montre la différ<strong>en</strong>ce avec le patronat de la Normandiequi consacre une part importante de <strong>se</strong>s profits <strong>en</strong> achat de bi<strong>en</strong>s foncier<strong>se</strong>t qui a un train de vie plus fastueux. Cela explique le déclin relatif de cetterégion après 1860.


- 176 -relative austérité des moeurs (.). La pratique religieu<strong>se</strong> catholique rigoureu<strong>se</strong>dans cette bourgeoisie devi<strong>en</strong>t elle aussi un élém<strong>en</strong>t favorable car elle r<strong>en</strong>forcela cohésion de la famille. De même la grande fécondité de ce patronatn'est pas une gêne lors de la période d'expansion, car les postes de direction<strong>se</strong> multipli<strong>en</strong>t avec le développem<strong>en</strong>t de la firme et l'essaimage de <strong>se</strong>s filiales.La pré<strong>se</strong>nce de ce type d'hommes a donc revêtu une importance décisive<strong>en</strong> raison du contexte socio-économique de cette période (..). L'essor de l'industrietextile dans le Nord-Pas-de-Calais au dix-neuvième siècle s'explique<strong>en</strong> bonne partie par un concours de circonstances. Il n'est guère possible dedo<strong>se</strong>r la part relative de chacune d'elles. Ce qui importe surtout au géographe,c'est de constater que presque toutes étai<strong>en</strong>t liées à un certain contexte historiqueet que par conséqu<strong>en</strong>t leurs effets fur<strong>en</strong>t limités à une certaine période.La région du Nord-Pas-de-Calais n'avait pas une vocation "naturelle"à être une grande région textile. Ce <strong>sont</strong> des événem<strong>en</strong>ts conting<strong>en</strong>ts qui ontredonné un lustre particulier à cette activité. Ceci montre immédiatem<strong>en</strong>t lafragilité relative de cette conc<strong>en</strong>tration géographique. Il convi<strong>en</strong>t maint<strong>en</strong>antde voir comm<strong>en</strong>t ces différ<strong>en</strong>ts facteurs <strong>se</strong> <strong>sont</strong> combinés pour donner à chaquefoyer textile la spécialisation, le poids et le rayonnem<strong>en</strong>t constatés dans lechapitre précéd<strong>en</strong>t.(.) Lorsque le grand industriel roubaisi<strong>en</strong>, Alfred Motte, donne à <strong>se</strong>s usinesdes signes particuliers (cheminées et murs crénelés), ne signifie-t-il pas quece <strong>sont</strong> elles qui doiv<strong>en</strong>t témoigner aux yeux du public de sa puissance ? un peucomme ces princes de la R<strong>en</strong>aissance qui voulai<strong>en</strong>t que leurs châteaux soi<strong>en</strong>t id<strong>en</strong>tifiable<strong>se</strong>ntre tous, mais ici c'est l'outil de production lui-même qui devi<strong>en</strong>tobjet de gloire.(..) Des études de psycho-sociologie historique comparées <strong>se</strong>rai<strong>en</strong>t nécessairespour expliquer pourquoi ce type de comportem<strong>en</strong>t a été particulièrem<strong>en</strong>t répandudans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille <strong>en</strong> particulier. Des réflexions intéressantes surce thème peuv<strong>en</strong>t être glanées dans le colloque réuni par le C.N.R.S. <strong>en</strong> 1970 sur"L'industrialisation <strong>en</strong> Europe au cours du dix-neuvieme siecle", cf. notamm<strong>en</strong>tles réflexions de P. Chaunu sur l'échec industriel de la Normandie.


- 177 -b~_EQ~~~IIQ~_Q~~_Q!EE~~~~I~_Ç~~I~~~_I~~IIb~~_Q~~Q~Q:E~~:Q~:Ç~b~I~·Avant la Révolution Industrielle, ces deux communes ont un chiffrede population qui les <strong>place</strong> parmi les villes moy<strong>en</strong>nes du départem<strong>en</strong>t du Nord<strong>en</strong> 1801, Roubaix compte 8.700 habitants et Tourcoing 12.000 (.). L'importanceplus grande de Tourcoing n'est pas surpr<strong>en</strong>ante car cette localité <strong>se</strong> trouve àproximité de la route qui, par Roncq et Halluin, relie Lille à Courtrai et àGand, tandis que Roubaix <strong>se</strong> trouve complétem<strong>en</strong>t à l'écart de toute voie decirculationnotable.Lille, au même mom<strong>en</strong>t, avec <strong>se</strong>s 60.000 habitants, les surpas<strong>se</strong> trèsnettem<strong>en</strong>t; et pourtant, la capitale des Flandres Françai<strong>se</strong>s ne les domine pasà proprem<strong>en</strong>t parler. Roubaix et Tourcoing constitu<strong>en</strong>t des c<strong>en</strong>tres de production<strong>textiles</strong> autonomes sur les plans techniques, financiers et commerciaux. Cetteindép<strong>en</strong>dance avait été rev<strong>en</strong>diquée depuis des siècles et acqui<strong>se</strong> progressivem<strong>en</strong>tElle est dev<strong>en</strong>ue totale au cours de la <strong>se</strong>conde moitié du dix-huitième siècle (..)<strong>Les</strong> deux villes travaill<strong>en</strong>t la laine mais <strong>se</strong> situ<strong>en</strong>t à des stades différ<strong>en</strong>ts du(.) Source: Cl. Fohl<strong>en</strong> "Roubaix au XIXèrne", article cité.(..) La rivalité <strong>en</strong>tre Lille et Roubaix-Tourcoing <strong>se</strong> manifeste dès la fin duMoy<strong>en</strong>-Age. <strong>Les</strong> différ<strong>en</strong>tes chartes et statuts accordés par les autorités donn<strong>en</strong>tlieu à des contestations incessantes <strong>en</strong>tre les bourgeoisies des trois villes. En1762, <strong>en</strong>core, les Lillois bataill<strong>en</strong>t pour obt<strong>en</strong>ir la susp<strong>en</strong>sion de llédit libérantle travail textile. <strong>Les</strong> g<strong>en</strong>s de Roubaix-Tourcoing obti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pleinem<strong>en</strong>t satisfaction<strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1776. Ils form<strong>en</strong>t alors juridiquem<strong>en</strong>t un c<strong>en</strong>tre pleinem<strong>en</strong>tautonome et rival de Lille, ce Qu'ils etai<strong>en</strong>t <strong>en</strong> fait depuis bi<strong>en</strong> longtemps.Sur ce point, consulter notamm<strong>en</strong>t la rec<strong>en</strong>te "Histoire des Pays-Bas Fr-ança.i a'",


- 178 -cycle de transformation: Tourcoing <strong>se</strong> spéciali<strong>se</strong> dans le lavage et le peignage(.), tandis que Roubaix <strong>se</strong> consacre au tissage et à la finition des étoffes.Toutes deux ne ras<strong>se</strong>mbl<strong>en</strong>t pas sur leur territoire la totalité desouvriers; elles <strong>sont</strong> surtout le siège des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s qui anim<strong>en</strong>t cette activité.De ce fait, l'importance réelle de Roubaix et de Tourcoing est plus grandeque ne le fait apparaître le volume limité de leur population. Le marchand tourqu<strong>en</strong>noisachète lui-mème de la laine brute, la fait peigner dans son atelier artisanalou dans les campagnes <strong>en</strong>vironnantes par des g<strong>en</strong>s, qui peuv<strong>en</strong>t ètre desimples façonniers, ou travailler pour leur propre compte. De toute façon, larev<strong>en</strong>te du ruban de peigné <strong>se</strong> fait. par l'intermédiaire d'un négociant de la villeDe même le "fabricant" roubaisi<strong>en</strong> <strong>se</strong> procure des fils de laine élaborés dans lescommunes rurales et les fait tis<strong>se</strong>r dans sa ville ou dans les campagnes. Seulsles teintures et apprêts <strong>se</strong> font presque toujours à Roubaix dans des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>sspécialisées et généralem<strong>en</strong>t façonnières (..).Ce schéma est évidemm<strong>en</strong>t très simpliste et la réalité offre une gammede situations très variées, depuis celle du négociant pur, <strong>se</strong> cont<strong>en</strong>tant de rev<strong>en</strong>dreles tissus réalisés par les artisans, jusqu'au cas du marchand-transformateurqui acquiert de la laine et rev<strong>en</strong>d des étoffes achevées. Il faut soulignerque ce "fabricant" ne possède, au mieux, qu'une petite partie des moy<strong>en</strong>sde production. C'est de sa fonction de négociant qu'il tire l'es<strong>se</strong>ntiel de sonprofit. Pour lui, le principal est de savoir choisir <strong>se</strong>s matières premières et<strong>en</strong>suite de v<strong>en</strong>dre au meilleur compte. Même lorsqu'il a un atelier de transformation,il s'<strong>en</strong> ab<strong>se</strong>nte souv<strong>en</strong>t, car il ti<strong>en</strong>t à faire <strong>se</strong>s achats et <strong>se</strong>s v<strong>en</strong>teslui-même (...). Pour réussir une meilleure opération, il n'hésite pas à <strong>se</strong> r<strong>en</strong>dre(.) Sans avoir l'exclusivité de cette fonction, Tourcoing assure <strong>en</strong>viron lesquatre cinquièmes du peignage dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille. La moitié de saproduction est v<strong>en</strong>due <strong>en</strong> l'état, au dehors (d'après Dieudonné).(..) Cf. notamm<strong>en</strong>t les ouvrages cités de P. Maurer et J. Van d<strong>en</strong> Driessche.(...) P<strong>en</strong>dant l'ab<strong>se</strong>nce du négociant, l'épou<strong>se</strong> assure la surveillance de l'atelieret la gestion courante de l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>. Ceci acc<strong>en</strong>tue l'aspect familial dela firme et accroît l'intérêt que pr<strong>en</strong>d la femme au succès de l'affaire.


- 179 -as<strong>se</strong>z loin de son domicile, au <strong>be</strong>soin à l'étranger. Dès la fin du dix-huitièmesiècle, une grande partie des laines travaillées <strong>sont</strong> achetées dans les ProvincesUnies. La laine n'est d'ailleurs pas la <strong>se</strong>ule matière utilisée <strong>en</strong> tissage: lelin l'est aussi (.). D'une façon générale ce qui caractéri<strong>se</strong> ce fabricant, quia peu d'immobilisations, c'est sa grande souples<strong>se</strong>. Il cherche avant tout à saisirles opportunités offertes par le marché. Il modifie facilem<strong>en</strong>t sa gammed'articles et n'hésite pas à réorgani<strong>se</strong>r son activité.Ces marchands apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à des familles installées dans ces localitésdepuis très longtemps, des siècles parfois (..). P. Maurer, dans son étudecitée, relève un aspect très typique de cette situation: à Roubaix, <strong>en</strong>tre 1750et 1760, 187 <strong>en</strong>trées ont lieu dans le corps de métier des fabricants de tissus78 % des nouveaux maîtres ne font que succéder à leur propre père. Ceci n'estpas très étonnant dans la mesure où Roubaix-Tourcoing, placées à l'écart desgrandes voies de passage, n'attir<strong>en</strong>t pas les g<strong>en</strong>s v<strong>en</strong>us de l'extérieur.Toutesces familles <strong>se</strong> livrant aux mêmes activités, dans un espace géographiquerestreint, ont eu largem<strong>en</strong>t le temps de contracter de multiples alliancesmatrimoniales, avant même la Révolution Industrielle. Il s'agit, par conséqu<strong>en</strong>t,d'une bourgeoisie qui <strong>se</strong> dé<strong>place</strong> <strong>be</strong>aucoup pour des motifs professionnelstout <strong>en</strong> étant profondém<strong>en</strong>t <strong>en</strong>racinée sur le plan familial.Ces négociants, ces marchands-transformateurs domin<strong>en</strong>t sans contesteleurs villes. <strong>Les</strong> édiles <strong>se</strong> recrut<strong>en</strong>t parmi eux. L'ab<strong>se</strong>nce de toute fonction administrativeou judiciaire empêche l'apparition d'un autre type de bourgeoisie,et à fortiori d'une nobles<strong>se</strong> de ro<strong>be</strong>. <strong>Les</strong> propriétaires fonciers eux-mêmes ne(.) P. Maurer considère que, <strong>en</strong> 1789, la laine repré<strong>se</strong>nte les trois quarts desmatières premières utilisées à Roubaix.(..) Nombreux exemples dans les ouvrages et articles cités de J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte, J. Toulemonde et J. Van D<strong>en</strong> Driessche.


- 180 -form<strong>en</strong>t pas un groupe vraim<strong>en</strong>t distinct. Le marchand dont les affaires prospèr<strong>en</strong>tachète facilem<strong>en</strong>t des terres. Le "laboureur" aisé organi<strong>se</strong> la v<strong>en</strong>te desproduits de sa ferme, qui peuv<strong>en</strong>t ètre des fibres de lin, prête de l'arg<strong>en</strong>t àun par<strong>en</strong>t qui réali<strong>se</strong> des opérations de négoce, à moins qu'il ne décide des'y livrer lui-même, si les circonstances <strong>sont</strong> favorables (.).La réussite dans les affaires est le meilleur moy<strong>en</strong>, dans ces villes,pour acquérir la considération générale et montrer que l'on est digne d'accéderaux plus hautes fonctions municipales. Il règne un climat psycho-social favorableà l'épanouis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de l'esprit d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>. Ceci <strong>se</strong> traduit de façon manifestesur le plan des institutions: alors qu'à Lille cohabit<strong>en</strong>t plusieurs corporations<strong>textiles</strong> qui <strong>se</strong> querell<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre elles et <strong>sont</strong> régies par des dispositionstatillonnes, parfois hostiles à l'expansion des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s, puisqu'ilne faut pas, par exemple, posséder plus de six métiers à tis<strong>se</strong>r; ri<strong>en</strong> de <strong>se</strong>mblabl<strong>en</strong>'existe à Tourcoing ou à Roubaix. Dans cette dernière ville, on trouveun <strong>se</strong>ul corps de métier organisé <strong>en</strong> jurandes, celui des fabricants de tissus, etles réglem<strong>en</strong>ts <strong>sont</strong> fixés, <strong>en</strong> accord avec les marchands, au cours d'as<strong>se</strong>mbléespleinières. Aucune mesure ne limite le nombre de métiers dont peut dispo<strong>se</strong>r unfabricant. Dans ce contexte, il est facile de créer de nouveaux types d'étoffes,et d'utili<strong>se</strong>r les procédés de fabrication modernes. A Lille, par contre, on <strong>se</strong>heurtera aux règles anci<strong>en</strong>nes et aux fréqu<strong>en</strong>tes récriminations des membres descorporations voisines considérant que le produit nouveau empiète sur le domainede leurs fabrications.<strong>Les</strong> marchands-transformateurs de Roubaix-Tourcoing ne <strong>se</strong>mbl<strong>en</strong>t pasavoir eu des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s très puissantes: <strong>en</strong> 1774, les frères Delaoutre dispo<strong>se</strong>ntd'un atelier employant 16 ouvriers et possédant 16 métiers; ils appa-(.) <strong>Les</strong> deux activités, l'exploitation de la terre, et le négoce <strong>sont</strong> dans lapratique <strong>be</strong>aucoup moins séparées que l'on pourrait l'imaginer. J. Toulemondecite notamm<strong>en</strong>t le cas de marchands acquérant des moutons, <strong>en</strong> Hollande, utilisantleur laine, et mettant <strong>en</strong>suite les bêtes à l'embouche dans la région deRoubaix-Tourcoing avant d'aller les rev<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> tant qu'animaux de boucherie.


- 181 -rais<strong>se</strong>nt comme des fabricants très importants (cf. P. Maurer). En 1806, lesprincipaux peigneurs de laine tourqu<strong>en</strong>nois : Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong>, Motte-Claris<strong>se</strong>, Masurel,Desurmont occup<strong>en</strong>t <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t de 20 à 40 ouvriers (cf. J. Toulemonde). Certes,cela ne r<strong>en</strong><strong>se</strong>igne pas sur l'état exact des patrimoines. Toutefois, ceux-ciétai<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t morcelés, car ces familles étai<strong>en</strong>t très prolifiques. La rlches<strong>se</strong>véritable du jeune bourgeois, c'est plutôt son ré<strong>se</strong>au d'alliances familialesmême s'il n'a pas personnellem<strong>en</strong>t <strong>be</strong>aucoup de fortune, il peut bénéficier dusouti<strong>en</strong> financier et des con<strong>se</strong>ils pratiques des nombreux membres de sa famille.Roubaix et Tourcoing abord<strong>en</strong>t avec prud<strong>en</strong>ce la Révolution Industrielle(.). Tourcoing est durem<strong>en</strong>t touchée, car les fils de coton produits mécaniquem<strong>en</strong>tconcurr<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t la laine dont le peignage manuel est très coûteux. Dieudonné remarqueque l'ouvrier tourqu<strong>en</strong>nois ne peigne <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne que trois kilos de lainepar jour. En 1801, le Préfet considère que cette activité s'est réduite de moitiépar rapport à 1789. <strong>Les</strong> laines à l'état brut provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>en</strong> majeure partiede l'étranger: Hollande, Italie, Espagne. Roubaix s'est adaptée avec plus defacilité et tis<strong>se</strong> de plus <strong>en</strong> plus de coton (..). La filature est effectuée dans(.) Il est remarquable que, dans ces deux villes, ne <strong>se</strong>ra réalisée aucune inv<strong>en</strong>tionfondam<strong>en</strong>tale à l'inver<strong>se</strong> de ce qui s'est passé à Bradford, Mulhou<strong>se</strong> ou Lyon.L'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur de Roubaix-Tourcoing <strong>se</strong> comporte comme un gestionnaire avisé cherchant,parmi ce qui existe, le matériel offrant les conditions de productionles plus économiques. Au <strong>be</strong>soin, il s'efforce de l'améliorer pour épargner dela matière première ou augm<strong>en</strong>ter la productivité. On ne r<strong>en</strong>contre pas d'inv<strong>en</strong>teurconcevant une nouvelle technique pour répondre à un concours, comme Philippe deGirard (quitte <strong>en</strong>suite à exploiter avec difficultés leurs brillantes inv<strong>en</strong>tions)ou d'industriel fondant sa réussite sur la mi<strong>se</strong> au point d'une nouvelle .technique,CGmme le Britannique Hold<strong>en</strong> avec sa peigneu<strong>se</strong>.En schématisant on pourrait dire que la m<strong>en</strong>talité du négociant qui s'intéres<strong>se</strong>d'abord à l'aspect financier des cho<strong>se</strong>s s'oppo<strong>se</strong> à celle de l'ingénieur qui imaginele matériel techniquem<strong>en</strong>t le plus évolué. De plus, le travail des métaux esttraditionnellem<strong>en</strong>t ab<strong>se</strong>nt de la région de Roubaix-Tourcoing. Ce contexte expliquesans doute une certaine l<strong>en</strong>teur, au début, dans l'adoption des "mécaniques Il et,par la suite, le médiocre développem<strong>en</strong>t de l'industrie de la construction dumatérieltextile.(..) Pour tout ce développem<strong>en</strong>t cf. l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble de la bibliographie citée à proposde ces deux villes, et particulièrem<strong>en</strong>t les écrits de Cl. Fahi<strong>en</strong>.


- 182 -la région lilloi<strong>se</strong>, ou dans les campagnes, a l'aide des "petites mécaniquesanglai<strong>se</strong>s" (les j<strong>en</strong>nies), comme les appe11e Dieudonné. Il s'agit de matérielssimples, peu coûteux, qui remplac<strong>en</strong>t le rouet. Roubaix produit des étoffesd'habillem<strong>en</strong>t fantaisie, les "nankinets". "Chaque année, on voit sortir destissus d'une nouvelle inv<strong>en</strong>tion", remarque le Préfet du Nord, ce quj montrebi<strong>en</strong> le souci des fabricants de suivre les évolutions du marché. En 1801, cesmétiers a tis<strong>se</strong>r le coton <strong>sont</strong> dix fois plus nombreux a Roubaix (1.100) qu'aTourcoing qui <strong>se</strong> lance moins vite dans une fabrication plus éloignée de saspécialitétraditionnelle.A partir du Premier Empire, la reglon de Roubaix-Tourcoing s'ori<strong>en</strong>tevers le travail du coton qui va dev<strong>en</strong>ir la fibre la plus utilisée jusque vers1850 (.). <strong>Les</strong> <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs de cette région cherch<strong>en</strong>t a rester pré<strong>se</strong>nts surle marché des articles d'habillem<strong>en</strong>t et, par conséqu<strong>en</strong>t, adopt<strong>en</strong>t toutes lesnouveautés au fur et a mesure que le progrès technique les r<strong>en</strong>d possibles.Pour alim<strong>en</strong>ter les métiers manuels, apparais<strong>se</strong>nt des filatures de coton. Cellesci<strong>se</strong> cré<strong>en</strong>t dans les premières déc<strong>en</strong>nies ; la première machine a vapeur estsignalée <strong>en</strong> 1818. Quelques années plus tard, on assiste a la multiplication desmétiers jacquard. Ils <strong>sont</strong> intéressants puisqu'ils permett<strong>en</strong>t d'élaborer desétoffes très variées. Ils <strong>sont</strong> répartis dans les campagnes ou ras<strong>se</strong>mblés dansdes ateliers qui n'utili<strong>se</strong>nt pas <strong>en</strong>core la vapeur. Jusque vers 1840, <strong>se</strong>ule lafilature de coton s'est véritablem<strong>en</strong>t industrialisée. Roubaix dispo<strong>se</strong> d'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tsqui <strong>sont</strong> parmi les plus grands de la région: une unité de 40.000 broche<strong>se</strong>st édifiée <strong>en</strong> 1842. Cette évolution <strong>se</strong> fait surtout au profit de Roubaixdont la population surpas<strong>se</strong> nettem<strong>en</strong>t celle de Tourcoing: <strong>en</strong> 1851, les chiffres<strong>sont</strong> respectivem<strong>en</strong>t de 34.700 habitants et de 27.600.Le travail de la laine n'avait pas disparu complètem<strong>en</strong>t. A partir de(.) R. Blanchard, dans sa thè<strong>se</strong>, <strong>en</strong> 1906, avait bi<strong>en</strong> souligné cette rupturedans la tradition du travail de la laine, au cours des premières déc<strong>en</strong>niesdu dix-neuvième siècle: "11 <strong>se</strong>mblerait que le travail de la laine à Roubaixfût une survivance directe de la plus anci<strong>en</strong>ne des <strong>industries</strong> flamandes ...La fabrication actuelle est d'origine réc<strong>en</strong>te." (cf. page 404).


- 183 -1830, on comm<strong>en</strong>ce à la filer mécaniquem<strong>en</strong>t. Le tissage des tapis et moquettesapparaît à Tourcoing; les fabricants utili<strong>se</strong>nt notamm<strong>en</strong>t les <strong>se</strong>rvices deBelges v<strong>en</strong>us de Tournai où cette activité périclitait.A partir de 1835, dans les tissages, on lance des étoffes mélangées,laine et coton: le <strong>se</strong>cond réduit le prix, la première améliore la qualité.L'utilisation de la laine est freinée par le coût trop élevé du peignage manuel(.). Cette hypothèque est levée, à partir des années 1850, grâce aux peigneu<strong>se</strong>sde l'alsaci<strong>en</strong> Heilmann et du britannique Hold<strong>en</strong>. La période 1850-1870 <strong>se</strong> caractéri<strong>se</strong>par un retour massif vers la laine. Avec l'industrialisation du peignageet de la filature, cette fibre s'impo<strong>se</strong> pour la production des articles dequalité dans lesquels <strong>se</strong> spéciali<strong>se</strong>nt Roubaix et Tourcoing, qu'il s'agis<strong>se</strong> detissus d'habillem<strong>en</strong>t ou de tapis (..).De plus, les laines de l'hémisphère sud comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à arriver <strong>en</strong> quantitésnotables. La guerre de Sécession provoque, p<strong>en</strong>dant quelques années, unr<strong>en</strong>chéris<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t considérable du coton. Au cours de ces deux déc<strong>en</strong>nies, le tissagemécanique <strong>en</strong> usine devi<strong>en</strong>t compétitif par rapport au travail manuel. La régionrecrute une main-d'oeuvre abondante parmi les anci<strong>en</strong>s artisans. Le flot<strong>be</strong>lge atteint son maximum d'int<strong>en</strong>sité, car les tis<strong>se</strong>urs manuels de lin subis<strong>se</strong>nteux aussi la concurr<strong>en</strong>ce des machines qui <strong>se</strong> mont<strong>en</strong>t dans les c<strong>en</strong>tres industrielsde la Belgique. C'est la période où la croissance démographique de Roubaixest la plus rapide: <strong>en</strong>tre 1851 et 1872, la ville fait plus que doubler <strong>en</strong>atteignant 76.000 habitants, au lieu de 34.000 au début de l'Empire. Le développem<strong>en</strong>tde Tourcoing est un peu moins rapide (+ 57 %). Après 1870, la croissance<strong>se</strong> poursuit; les spécialisations acqui<strong>se</strong>nt <strong>se</strong> mainti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t ou <strong>se</strong> r<strong>en</strong>forc<strong>en</strong>t.(.) Des essais <strong>sont</strong> faits sur <strong>place</strong> pour mettre au point des machines satisfaisantes;les réalisations les plus intéressantes <strong>sont</strong> faites par Morel et Binetqui, fait significatif, ne <strong>sont</strong> pas originaires de la région mais vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t desArd<strong>en</strong>nes où ils s'étai<strong>en</strong>t d'abord livrés au travail des métaux.(..) Cette évolution est favorisée par la mi<strong>se</strong> au point, sous le Second Empire,par le Roubaisi<strong>en</strong> Vandamme, d'une machine à <strong>en</strong>coller automatique. Cette opérationconsiste à <strong>en</strong>duire les fils de chaîne pour qulils support<strong>en</strong>t la t<strong>en</strong>sionlorsqu'ils <strong>sont</strong> mis sur le métier à tis<strong>se</strong>r.


- 184 -Le succès de l'industrie textile dans cette agglomération s'expliquepar l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble des facteurs évoqués dans la première partie de ce chapitre.Deux d'<strong>en</strong>tre eux ont joué tout particulièrem<strong>en</strong>t: la proximité de la Belgique,d'où v<strong>en</strong>ait la plus grande partie de la main-d'oeuvre et le dynamisme de labourgeoisie textile traditionnelle. J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte estime que plus de lamoitié des familles patronales de Roubaix-Tourcoing étai<strong>en</strong>t déjà domiciliéesdans ces villes <strong>en</strong> 1789, et s'y consacrai<strong>en</strong>t au travail et au négoce des fibres,C'est une proportion plus forte que partout ailleurs, surtout si l'on songe quepresque toutes les firmes importantes ont été fondées par ces vieilles dynasties<strong>textiles</strong> ou avec leur appui.De par sa formation et sa m<strong>en</strong>talité, cette bourgeoisie était très bi<strong>en</strong>adaptée aux conditions économiques de cette période. La forte solidarité quiexistait <strong>en</strong>tre tous <strong>se</strong>s membres était particulièrem<strong>en</strong>t précieu<strong>se</strong>: l'industrietextile était une activité hasardeu<strong>se</strong>. L'appui financier ou le souti<strong>en</strong> économique(commandes, assistance technique, fournitures de matières premières etc ... )accordés par la famille <strong>en</strong> cas de difficultés ont permis de surmonter bi<strong>en</strong> descri<strong>se</strong>s (.). Quelques exemples précis aideront à compr<strong>en</strong>dre le rôle de ces groupesfamil iaux (..).<strong>Les</strong> Motte ont constitué la famille sans doute la plus prolifique etla plus puissante industriellem<strong>en</strong>t, au cours du dix-neuvième siècle. En 1784,un marchand peigneur, de vieille souche tourqu<strong>en</strong>noi<strong>se</strong>, épou<strong>se</strong> une demoi<strong>se</strong>lleClaris<strong>se</strong> originaire de cette même ville (... ). Son dernier fils, né <strong>en</strong> 1796,poursuit <strong>se</strong>s études, jusqu'à 20 ans, dans un collège de Cambrai et épou<strong>se</strong> la(.) Encore fallait-il que l'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur <strong>en</strong> question soit jugé sérieux et compét<strong>en</strong>tpar les membres des familles appar<strong>en</strong>tées. Ceci l'<strong>en</strong>courageait à s'implanterà Roubaix-Tourcoing où il gardait plus facilem<strong>en</strong>t le contact avec <strong>se</strong>s bailleursde fonds ou <strong>se</strong>s con<strong>se</strong>illers familiaux.(..) Sources: <strong>en</strong><strong>se</strong>mble des ouvrages cités et <strong>en</strong>quêtes personnelles.(... ) En 1962, J. Toulemonde estimait le nombre des desc<strong>en</strong>dants de ce couple à8.344, dont 1.869 prov<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t de mariages consanguins.


- 185 -fi~le d'un anci<strong>en</strong> maire de Roubaix. Il assure alors la gestion d'une filature decoton ouverte par son <strong>be</strong>au-père. Il a 14 <strong>en</strong>fants dont 10 atteign<strong>en</strong>t l'âge adultetous ne peuv<strong>en</strong>t être employés dans l'affaire. Le troisième fils épou<strong>se</strong> une Dewavrinappart<strong>en</strong>ant à une famille de statut social comparable. Etant cadet, ilne peut espérer obt<strong>en</strong>ir la direction de l'usine de son père; c'est pourquoi ilfonde sa propre <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> qui <strong>se</strong>ra le noyau du groupe t4otte-Dewavrin (.)., ,, ,Plusieurs de <strong>se</strong>s frères <strong>se</strong> lanc<strong>en</strong>t aussi dans l'industrie, aidés parleur famille: favori<strong>se</strong>r l'installation d'un cadet, rermet d'éviterles disputes lors du partage de l'héritage; cela est possible car l'on est dansune période d'expansion où les capitaux nécessaires pour fonder une affaire ne<strong>sont</strong> pas <strong>en</strong>core très élevés. Parmi cette génération, le plus brillant est d'abordLouis Motte-Bossut. Il s'installe à Roubaix et, avec l'aide de sa mère, deplusieurs frères, oncles et <strong>be</strong>aux-frères, monte la plus vaste filature de cotonexistant dans toute la région du Nord à cette époque (..). Son <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> réussit(... ) et, à son tour, il installe un <strong>be</strong>au-frère, <strong>en</strong> 1857, <strong>en</strong> lui rachetantune filature installée à Auchy-les-Hesdin, dans le Pas-de-Calais. Son plus jeunefrère, Alfred, bénéficie aussi de l'appui familial, lorsqu'il t<strong>en</strong>te la constructiond'une grande usine intégrée: filature, tissage, teinture. C'est un échec,mais, grâce au souti<strong>en</strong> de <strong>se</strong>s proches, il surmonte cette épreuve et emploiealors un autre système: il crée des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts spécialisés auxquels il associe,<strong>en</strong> qualité de gérants, des hommes choisis <strong>en</strong> raison de leurs compét<strong>en</strong>ces,même s'ils n'apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas à une famille patronale. C'est ainsi qu'une filaturede laine peignée est fondée, <strong>en</strong> 1872, <strong>en</strong> association avec un Poris<strong>se</strong>(.) La répétition des mêmes patronymes à créé l'habitude d'associer le nom du mariet celui de l'épou<strong>se</strong> pour distinguer les différ<strong>en</strong>ts membre d'une même famille.(..) La famille Motte, avant son accession à l'industrie moderne, n'a pas unepuissance financière comparable à celle de la grande bourgeoisie mulhousi<strong>en</strong>ne,conune les Dollfus, que Cl. Fahi<strong>en</strong> range dans le "patriciat" de cette ville.L'accession à un niveau de riches<strong>se</strong> comparable <strong>se</strong> <strong>place</strong> après 1850 <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t.(...) La liste des filateurs de coton de Roubaix-Tourcoing établie par Cl. Fahi<strong>en</strong>dans sa thè<strong>se</strong>, montre que Motte-Bossut, <strong>en</strong> 1862, dispo<strong>se</strong> de 40 % du total desbroches installées à Roubaix. L'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble du pot<strong>en</strong>tiel des Motte repré<strong>se</strong>nte letiers de celui de toute l'agglomération.


- 186 -dont le père était simple trieur de laine. Une teinturerie est créée avec desMei11assoux, technici<strong>en</strong>s compét<strong>en</strong>ts dans cette spécialité, et originaires de laCreu<strong>se</strong>. Ils avai<strong>en</strong>t auparavant prouvé leurs tal<strong>en</strong>ts dans un établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t deSuresnes où Alfred Motte les recruta.La grande famille patronale apparaît, dans ces conditions, comme unesorte de banque d'affaires qui souti<strong>en</strong>t les initiatives des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs jugéssérieux et compét<strong>en</strong>ts, même s'ils ont peu de fortune personnelle. La <strong>se</strong>ule exig<strong>en</strong>ceest qu'ils adopt<strong>en</strong>t un comportem<strong>en</strong>t conforme à ce que les bailleurs defonds estim<strong>en</strong>t devoir être celui d'un industriel. Ce milieu patronal n'est pa<strong>se</strong>ncore fermé, mais les multiples solidarités qui exist<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les hommes etles firmes contribu<strong>en</strong>t à lui donner une forte homogénéité et à uniformi<strong>se</strong>r lesattitudes. Toutes ces <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s ont t<strong>en</strong>dance égalem<strong>en</strong>t à faire bloc pourlutter contre la concurr<strong>en</strong>ce des c<strong>en</strong>tres <strong>textiles</strong> extérieurs et cela favori<strong>se</strong><strong>be</strong>aucoup le développem<strong>en</strong>t de Roubaix-Tourcoing.La plupart des autres familles accêd<strong>en</strong>t moins rapidem<strong>en</strong>t que les Motteà la puissance industrielle. Charles Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong> débute <strong>en</strong> 1858. Son père étaitnégociant <strong>en</strong> laine à Tourcoing; il triait lui-même avec <strong>se</strong>s cinq ouvriers. Ilavait perdu une partie de sa fortune <strong>en</strong> sout<strong>en</strong>ant un neveu. Son fils, au comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t,travaille de <strong>se</strong>s propres mains dans son usine. Il parvi<strong>en</strong>t à monter,<strong>en</strong> 1860, un tissage mécanique de 100 métiers, <strong>en</strong> s'associant avec <strong>se</strong>s deuxfrères et grâce à l'appui de Jules Joire, banquier à Tourcoing et ami personnelde la famille. Par la suite, il contribue à sauver l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> pourtant concurr<strong>en</strong>ted'un de <strong>se</strong>s <strong>be</strong>aux-frères, un Lepoutre. Le groupe familial connaît unepremière scission <strong>en</strong> 1894 : les desc<strong>en</strong>dants de Charles et ceux de son frèreLouis <strong>se</strong> sépar<strong>en</strong>t et constitu<strong>en</strong>t deux <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s distinctes.Ce phénomène comm<strong>en</strong>ce à être fréqu<strong>en</strong>t à cette époque, car la multiplicationdes héritiers incite à la fragm<strong>en</strong>tation des firmes. Ceci n'est pastrès grave, car l'expansion générale de la production permet aux établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tsissus de ces démembrem<strong>en</strong>ts de retrouver une taille suffisante. Toutefois, ilest certain que, dès cette époque, le mainti<strong>en</strong> de la structure familiale de<strong>se</strong>ntrepri<strong>se</strong>s freine la constitution de très grands groupes intégrés. La solidarité


- 187 -familiale n'évite pas la création de firmes indép<strong>en</strong>dantes dans leur gestionquotidi<strong>en</strong>ne.<strong>Les</strong> Lorthiois <strong>sont</strong> peigneurs de laine à Tourcoing au cours du dixhuitièmesiècle. Un membre de cette famille <strong>se</strong> lance, <strong>en</strong> 1838, dans le tissagedu tapis. Il utili<strong>se</strong> <strong>en</strong>core des métiers manuels; il crée même une unité àTournai, ville r<strong>en</strong>ommée pour la fabrication de ce g<strong>en</strong>re d'articles. Vers 1880,<strong>se</strong>s desc<strong>en</strong>dants adopt<strong>en</strong>t, parmi les premiers, les métiers mécaniques anglaisWilton. En 1882, on ajoute un départem<strong>en</strong>t tissage et ameublem<strong>en</strong>t. Une scissions'opère peu après avec la constitution d'une autre société spécialisée dans l<strong>en</strong>égoce de la laine, une autre <strong>en</strong>core regroupe bi<strong>en</strong>tôt l'activité tissage ameublem<strong>en</strong>t.<strong>Les</strong> Prouvost apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t à l'une des plus anci<strong>en</strong>nes fa- !milles de négociants implantées à Roubaix; <strong>en</strong> 1795, l'un des leurs est mairede la commune. Ils ne début<strong>en</strong>t dans l'industrie qu'<strong>en</strong> 1851, lorsque AmédéeProuvost crée un peignage mécanique dans sa ville natale. Pour réali<strong>se</strong>r cetteopération, il s'est associé à trois frères Lefebvre, âgés, comme lui, d'unetr<strong>en</strong>taine d'années et qui possèd<strong>en</strong>t déjà un tissage de coton de plusieurs c<strong>en</strong>tainesde salariés. Il a fallu, <strong>en</strong> outre, contracter un emprunt auprès d'unfinancier lillois. L'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t compte à l'origine <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t 21 peigneu<strong>se</strong>ssa production atteint tout juste 90 tonnes <strong>en</strong> 1853.Il est significatif de constater que l'héritier d'une famille importantea eu <strong>be</strong>soin de nombreux concours pour monter une unité de taille modeste.En cette période favorable, la croissance est rapide (.) et les bénéfices <strong>se</strong>rv<strong>en</strong>tà rembour<strong>se</strong>r rapidem<strong>en</strong>t le prêt et à assurer l'autofinancem<strong>en</strong>t. En 1867,la production est de 4.000 tonnes. Dans les années suivantes, l'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tpoursuit son expansion et devi<strong>en</strong>t le <strong>se</strong>cond peignage de cette région, justeaprès l'unité implantée à Croix par l'industriel et inv<strong>en</strong>teur britannique,(.) Ceci <strong>en</strong>traîne des déménagem<strong>en</strong>ts successifs à l'intérieur de Roubaix.Pour plus de précisions, cf. notre article sur le groupe Prouvost-Masurel.


- 188 -IsaacHold<strong>en</strong>.La famille tourqu<strong>en</strong>noi<strong>se</strong> des Masurel ne s'intéres<strong>se</strong> à l'industrieproprem<strong>en</strong>t dite qu'à partir de 1851, <strong>en</strong> montant un atelier de retordage; elle<strong>se</strong> limite longtemps à ce <strong>se</strong>ul stade, puis, <strong>en</strong> 1884, réali<strong>se</strong> une intégration versl'amont <strong>en</strong> <strong>se</strong> mettant à produire elle-même les fils qu'elle as<strong>se</strong>mblait dans saretorderie.Ainsi qu'on le constate, la période p<strong>en</strong>dant laquelle les firmes lesplus importantes id<strong>en</strong>tifiées vers 1950 pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t leur essor, s'ét<strong>en</strong>d schématiquem<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tre 1850 et 1890. Dans quelques cas, la pha<strong>se</strong> de croissance principale<strong>se</strong> <strong>place</strong> vers 1880-1914, lorsque des familles puissantes peuv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core financerde nouvelles implantations (.) : le groupe Lepoutre, par exemple, ne <strong>se</strong> <strong>place</strong>aux tout premiers rangs des firmes lainières qu'à partir des années 1900.Cep<strong>en</strong>dant toutes les firmes industrielles <strong>textiles</strong> de Roubaix-Tourcoingn'ont pas été fondées par des membres des vieilles familles bourgeoi<strong>se</strong>s.Des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs d'origine <strong>be</strong>aucoup plus modeste ont réussi à accéder à lafonction patronale, spécialem<strong>en</strong>t dans deux cas:1) ils exerc<strong>en</strong>t leurs tal<strong>en</strong>ts dans des branches qui <strong>se</strong> <strong>sont</strong> industrialiséesl<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t ou tardivem<strong>en</strong>t; la teinturerie <strong>en</strong> est peut-être le meilleurexemple, car la multiplicité de <strong>se</strong>s traitem<strong>en</strong>ts, restés souv<strong>en</strong>t as<strong>se</strong>z empiriques,lais<strong>se</strong> des chances de succès à l 'habile pratici<strong>en</strong> ( ..). L'industrie dutissage d'ameublem<strong>en</strong>t et du tapis offre des situations analogues. Il ne fautpas oublier d'ailleurs que ce grand c<strong>en</strong>tre, aux productions abondantes et variées,offre un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t favorable à l'épanouis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de firmes moy<strong>en</strong>nesou petites aux activités très spécialisées.(.) Parfois aussi, il s'agit de firmes de négoce qui abord<strong>en</strong>t très tardivem<strong>en</strong>tl'activité industrielle. Leur réussite dans le commerce de la laine leur afourni les capitaux suffisants. C'est ainsi que le groupe Vandeputte devi<strong>en</strong>tfilateur au l<strong>en</strong>demain de la Première Guerre Mondiale <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t.(..) <strong>Les</strong> établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts Derache-Constant ont été fondés au début du XXème sièclepar un simple artisan installant quelques métiers dans une vieille ferme situéeà l'em<strong>place</strong>m<strong>en</strong>t de l'usine édifiée par la suite. En teinturerie un certain nombrede réussites de ce g<strong>en</strong>re fur<strong>en</strong>t l'oeuvre de Belges, les Browaeys, par exemple.Cf. à ce sujet la thè<strong>se</strong> de F. L<strong>en</strong>tacker.


- 189 -II) ils cré<strong>en</strong>t leurs usines au mom<strong>en</strong>t du démarrage de l'industrialisation (.).Dans les années 1890-1900, la plupart des groupes <strong>textiles</strong> importants<strong>sont</strong> déjà pré<strong>se</strong>nts; les <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s créées par la suite, <strong>se</strong>ront des émanationsde familles ou de firmes déjà <strong>en</strong> <strong>place</strong>. Entre 1890 et 1914, la croissance de cefoyer industriel <strong>se</strong> poursuit mais à un rythme moins rapide. Dans la mesure oùl'on peut l'évaluer (..), la conc<strong>en</strong>tration technique ne <strong>se</strong>mble pas progres<strong>se</strong>rdans les branches les plus mécanisées (peignage de la laine et filature). Elle<strong>se</strong> poursuit certainem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tissage où disparais<strong>se</strong>nt les derniers ateliersruraux cont<strong>en</strong>ant des métiers manuels (... ). Une nette t<strong>en</strong>dance à l'intégration<strong>se</strong> manifeste et l'on voit apparaître des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s regroupant plusieursopérations du cycle de transformation ou méme l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble de celui-ci.Dans le domaine de l'industrie lainière, Roubaix et Tourcoing affirm<strong>en</strong>tleur suprématie car elles contrôl<strong>en</strong>t le négoce des matières premières.L'ouverture, <strong>en</strong> 1883, à Roubaix, du <strong>se</strong>ul marché à terme de laines peignées deFrance consacre cette préémin<strong>en</strong>ce. Cette fonction est dev<strong>en</strong>ue capitale car l'industrielainière françai<strong>se</strong>, à partir des années 1880, doit faire v<strong>en</strong>ir les troisquarts de <strong>se</strong>s fibres de l'étranger. <strong>Les</strong> négociants de Roubaix-Tourcoing ontété les premiers à <strong>se</strong> procurer la laine directem<strong>en</strong>t dans les nouveaux paysproducteurs (Arg<strong>en</strong>tine et Australie notamm<strong>en</strong>t). <strong>Les</strong> autres c<strong>en</strong>tres <strong>textiles</strong>français doiv<strong>en</strong>t, par conséqu<strong>en</strong>t, recourir de plus <strong>en</strong> plus à leurs <strong>se</strong>rvices(.) La société Hannart Frères, la plus importante unité de teinture <strong>en</strong> 1910,avait été créée, <strong>en</strong> 1819, par un simple artisan roubaisi<strong>en</strong>. Même dans le peignage,où lion r<strong>en</strong>contre des usines de vastes dim<strong>en</strong>sions, dès les années 1900,certaines ont été fondées par des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs sans grande fortune personnelleon peut citer le peignage Malard créé par un ingénieur, et les établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tsLéon Binet (actuel Peignage de la Tossée) édifiés par un habile mécanici<strong>en</strong>.(..) Cf. H<strong>en</strong>nebicque, article cité. D'après l'auteur le pourc<strong>en</strong>tage des broches,<strong>en</strong> filature de laine peignée, situées à Roubaix-Tourcoing, dans des grandes usines(plus de 20.000 broches) reste constant <strong>en</strong>tre 1896 et 1914.( ... ) J. Toulemonde estime que, pour la <strong>se</strong>ule ville de Roubaix, <strong>en</strong>tre 1894 et1914, 45 fabricants repré<strong>se</strong>ntant 9.862 métiers à tis<strong>se</strong>r ces<strong>se</strong>nt leurs activités.


- 190 -pour leur approvisionnem<strong>en</strong>t, surtout s'ils font des articles <strong>en</strong> laine peignée.Le cycle cardé peut utili<strong>se</strong>r plus facilem<strong>en</strong>t les laines de France. Cette situationest évidemm<strong>en</strong>t profitable aux firmes industrielles de Roubaix-Tourcoingqui <strong>sont</strong> proches géographiquem<strong>en</strong>t de ces maisons de négoce auxquelles lesrattach<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t des li<strong>en</strong>s de par<strong>en</strong>té (.).A la veille de la Première Guerre Mondiale (..), l'agglomération deRoubaix-Tourcoing compr<strong>en</strong>d 16 peignages avec <strong>en</strong>viron 1.900 peigneu<strong>se</strong>s et 12à 13.000 ouvriers ; 60 % de ce matériel <strong>se</strong> trouv<strong>en</strong>t à Roubaix. En filature delaine peignée, on dénombre 821.000 broches réparties <strong>en</strong> 87 unités occupant18.000 ouvriers. Le pot<strong>en</strong>tiel de production est comparable à celui de la régionde Fourmies dont les broches, toutefois, <strong>sont</strong> plus anci<strong>en</strong>nes. La filaturecardée compte cinq fois moins de broches et ne repré<strong>se</strong>nte qu'une faiblepart du matériel français (le quart, Alsace exclue) alors que la peignée repré<strong>se</strong>nte40 % des broches nationales (... ). La filature de coton utili<strong>se</strong> plusd'un million de broches (1.156.000) et occupe 8.000 ouvriers. On voit que cetteactivité est loin d'avoir disparu de Roubaix-Tourcoing et, <strong>en</strong> même temps,qu'elle est <strong>be</strong>aucoup plus mécanisée que la filature de la laine qui emploiedeux fois plus de main-d'oeuvre avec un nombre de broches inférieur. Dansce domaine, ce foyer dispo<strong>se</strong> du sixième du pot<strong>en</strong>tiel frança is (Alsace exclue).En tissage, les données chiffrées <strong>sont</strong> plus incertaines. <strong>Les</strong> fabrication<strong>se</strong>t les types de métiers <strong>sont</strong> <strong>be</strong>aucoup plus variés qu'<strong>en</strong> filature. Le(.) Certains peignages <strong>sont</strong> associés directem<strong>en</strong>t à des maisons de négocela famille Prouvost crée, par exemple, sa propre firme de négoce au début duvingtièmesiècle.(..) Sources es<strong>se</strong>ntielles: ouvrages cités de G. Sayet et R. Pierreu<strong>se</strong> etannuaire statistique régional de l'I.N.S.E.E., édition de 1951.(...) Au total, le Nord dispo<strong>se</strong> alors d'<strong>en</strong>viron 80 % des broches de filaturepeignée françai<strong>se</strong>, c'est-à-dire qu'il a déjà une <strong>place</strong> <strong>se</strong>nsiblem<strong>en</strong>t comparableà celle qu'il occupera vers 1950. En peignage, sa part est du même ordre(le c<strong>en</strong>tre rémois n'a que 200 peigneu<strong>se</strong>s).


- 191 -tissage manuel a comp1étem<strong>en</strong>t disparu ou presque (.). On estime que, <strong>en</strong> 1914,une c<strong>en</strong>taine de tissages de laine pour habillem<strong>en</strong>t occupe près de 25.000personnes. <strong>Les</strong> deux tiers <strong>se</strong> trouv<strong>en</strong>t à Roubaix. Vingt établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts possèd<strong>en</strong>tmoins de 50 métiers, mais 12 <strong>en</strong> ont plus de 500 ; cette activité compr<strong>en</strong>dainsi des unités de taille extrêmem<strong>en</strong>t variée. Il y a une quinzaine d'usinesd'étoffes pour ameublem<strong>en</strong>t et <strong>en</strong>viron autant pour les tapis. Enfin on compteune quarantaine d'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts non-intégrés que l'on peut rattacher à l'industriede l'<strong>en</strong>noblis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t (blanchim<strong>en</strong>t, teinture et apprêts).Il est frappant d'ob<strong>se</strong>rver déjà l'exist<strong>en</strong>ce de quelques grandesfirmes. Elles jou<strong>en</strong>t un rôle moteur; les plus petites doiv<strong>en</strong>t <strong>se</strong> moderni<strong>se</strong>rpour résister à leur concurr<strong>en</strong>ce ou dev<strong>en</strong>ir leurs façonnières (..).En peignage de laine, quatre <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s (Isaac Hold<strong>en</strong>, AmédéeProuvost, Peignage de la Tossée, Alfred Motte et Cie) ont plus de 1.000 salariés.<strong>Les</strong> Filatures François Masurel compt<strong>en</strong>t 100.000 broches à filer età retordre; la société Caul1iez-Delaoutre 75.000. <strong>Les</strong> filatures J. Desurmontet Charles Pollet ont chacune plus de 1.000 salariés. <strong>Les</strong> firmes <strong>sont</strong> pluspetites <strong>en</strong> filature cardée: aucune n'atteint le millier d'ouvriers, <strong>se</strong>ule lamaison Lemaire et Dillies <strong>se</strong> rapproche de ce <strong>se</strong>uil, grâce à une autre usinedansles Ard<strong>en</strong>nes.En tissage, certaines sociétés emploi<strong>en</strong>t <strong>be</strong>aucoup de salariés carelles <strong>sont</strong> intégrées et produi<strong>se</strong>nt leurs propres fils: Charles Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong>,Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong> Frères, Leclercq-Dupire, Auguste et Louis Lepoutre, <strong>sont</strong> dans cecas et dépas<strong>se</strong>nt les 2.000 personnes. Ces <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s ne <strong>se</strong> cantonn<strong>en</strong>t pas(.) R. Pierreu<strong>se</strong> signale <strong>en</strong>core 200 métiers manuels pour les étoffes d'ameublem<strong>en</strong>tà Roubaix. Dans ces fabrications les matériels <strong>sont</strong> plus complexes, lesséries plus courtes i le travail avec des moy<strong>en</strong>s artisanaux siest maint<strong>en</strong>u pluslongtemps.(..) L'ouvrage de G. Sayet est la source es<strong>se</strong>ntielle sur ce point: il a étérédigé à l'occasion d'une exposition internationale t<strong>en</strong>ue, <strong>en</strong> 1911, à Roubaix.Il pré<strong>se</strong>nte une notice descriptive as<strong>se</strong>z détaillée des différ<strong>en</strong>tes firmes participantes.Il est peu probable que des firmes importantes de Roubaix-Tourcoing<strong>se</strong> soi<strong>en</strong>t abst<strong>en</strong>ues de participer à une manifestation de ce g<strong>en</strong>re.


- 192 -dans les tissus pure laine, mais font des articles laine et soie, et cherch<strong>en</strong>tainsi à concurr<strong>en</strong>cer, plus ou moins, les fabricants lyonnais.L'<strong>en</strong>noblis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t est dominé par la société Hannart Frères qui occupe2.400 salariés et possède deux usines, l'une à Roubaix, l'autre à Wasquehal;la Marque ne suffit plus à l'approvisionnem<strong>en</strong>t de ces établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> eau eton a recours à des forages. <strong>Les</strong> <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s Motte jou<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t un rôle depremier plan dans cette branche: Motte et Delesclu<strong>se</strong>, Motte et Meillassoux,Motte et Marquette emploi<strong>en</strong>t au total <strong>en</strong>viron 2.000 ouvriers (.).La bonneterie comm<strong>en</strong>ce à <strong>se</strong> développer de manière industrielle àTourcoing et à Roubaix. Cette dernière ville compte neuf établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts appart<strong>en</strong>antà cette branche <strong>en</strong> 1900. Il convi<strong>en</strong>t de remarquer le rôle joué par lesgrandes firmes lainières <strong>en</strong> ce domaine: la société André Lepoutre contrôletrois bonneteries <strong>en</strong> 1913. L'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> Jules Desurmont élabore aussi, àTourcoing, des étoffes tricotées <strong>en</strong> quantités considérables.<strong>Les</strong> <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s de Roubaix-Tourcoing tout <strong>en</strong> investissant un peudans la région de Fourmies s'intéres<strong>se</strong>nt surtout à l'étranger. Des implantation<strong>sont</strong>' eu lieu <strong>en</strong> Belgique, les principales <strong>sont</strong>: un peignage de laineMotte à Estaimpuis, une filature et un tissage de laine à Dottignies (Motteégalem<strong>en</strong>t). Un tissage de tapis Lorthiois à Mouscron. Ces créations de proximité<strong>sont</strong> finalem<strong>en</strong>t as<strong>se</strong>z limitées et ne concern<strong>en</strong>t que la Belgique francophone.Des réalisations <strong>be</strong>aucoup plus considérables ont été effectuées <strong>en</strong>(.) Bi<strong>en</strong> qu'elles soi<strong>en</strong>t juridiquem<strong>en</strong>t distinctes, l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>sde la famille Motte de Roubaix doiv<strong>en</strong>t alors employer 6.000 salariés <strong>en</strong>vironet constituer le groupe le plus puissant de cette agglomération, sans mêmet<strong>en</strong>ir compte des implantations situées à l'étranger. L'originalité de cet <strong>en</strong><strong>se</strong>mbleest de travailler à la fois le coton et la laine bi<strong>en</strong> qu'il <strong>se</strong> consacresurtout à cette dernière fibre. En outre, s'il est pré<strong>se</strong>nt à tous les stades detransformation, sa <strong>place</strong> est surtout notable au début et à la fin du cycle,c'est-à-dire <strong>en</strong> peignage et <strong>en</strong> teinture. Cette situation un peu curieu<strong>se</strong> signifiequ'il n'y a pas intégration technique. Peignage et unités qe teinture travaill<strong>en</strong>tà façon, es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t pour des firmes extérieures au groupe.


- 193 -Europe c<strong>en</strong>trale et ori<strong>en</strong>tale; cette aire géographique <strong>se</strong>mblant être cellequi a reçu le plus d'investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>textiles</strong> originaires de Roubaix-Tourcoing(.). En 1913, dans la Pologne sous contrôle rus<strong>se</strong>, on dénombre, à Lodz, unpeignage-filature de laine (Motte et Desurmont) et une filature de laine peignée(Société Allart et Rous<strong>se</strong>au) ; à proximité de cette ville on r<strong>en</strong>contreun établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t Motte et Meillassoux de filature-tissage-teinture de coton;à Czestochowa, une usine intégrée de laine, peignage, filature, tissage etteinture (Motte et Meillassoux et Caulliez-Delaoutre). La famille Motte contrôle<strong>en</strong> outre une filature de laine à Lublinic, <strong>en</strong> Haute-Silésie; <strong>en</strong> Russie, lesMotte ont une filature et un tissage de jute à Odessa et, dans la région deMoscou, un tissage de laine intégré (<strong>en</strong> association avec Desurmont et Meillassoux),une teinturerie et une filature de coton. A Aix-la-Chapelle, la sociétéAndré et Louis Lepoutre d un tissage de 300 salariés. <strong>Les</strong> établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tsCharles Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong> possèd<strong>en</strong>t une filiale industrielle <strong>en</strong> Hongrie; la sociétéTi<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong> Frères une grande usine intégrée de filature-tissage de laine àVérone.Des implantations plus lointaines ont été effectuées: des Lepautreont créé un établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Arg<strong>en</strong>tine et des usines appart<strong>en</strong>ant égalem<strong>en</strong>t àl'industrie lainière ont été implantées aux U.S.A., dans le Rhode-Island, pardes Masurel, des Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong> et des Lepautre, à la suite notamm<strong>en</strong>t des relèvem<strong>en</strong>tsde droits de douane effectués par le présid<strong>en</strong>t Mac Kinley <strong>en</strong> 1890.La motivation es<strong>se</strong>ntielle de ces investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts est le désir dev<strong>en</strong>dre sur des marchés prct.éqés . <strong>Les</strong> firmes responsables témoign<strong>en</strong>t de leur volontéde mieux résister aux variations conjoncturelles, <strong>en</strong> multipliant les lieuxde v<strong>en</strong>te. C'est un comportem<strong>en</strong>t logique qui prouve leur puissance: elles ne <strong>se</strong>cont<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t pas de subir passivem<strong>en</strong>t l'élévation des tarifs douaniers. Toutes(.) En plus des ouvrages m<strong>en</strong>tionnés ci-dessus, cf. sur ce point l'étude citéede P. Catrice et de J. et F. Meillassoux.


- 194 -ces implantations <strong>sont</strong> le fait du groupe Motte ou de familles ou d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>slainières, ce qui confirme que ce <strong>sont</strong> bi<strong>en</strong> ces milieux qui domin<strong>en</strong>t le mondeéconomique de Roubaix-Tourcoing. Il est remarquable que ces créations extérieures<strong>se</strong> font souv<strong>en</strong>t grâce à l'association de plusieurs firmes de Roubaix-Tourcoing,ou tout au moins qu'elles <strong>se</strong> regroup<strong>en</strong>t dans les mêmes c<strong>en</strong>tres étrangers.Dans ce domaine-là, égalem<strong>en</strong>t, les familles de la bourgeoisie textile deRoubaix-Tourcoing font preuve de leur solidarité habituelle.En 1914, Roubaix et Tourcoing form<strong>en</strong>t incontestablem<strong>en</strong>t le c<strong>en</strong>tretextile le plus puissant du Nord, celui dont le rayonnem<strong>en</strong>t est le plus considérable.Tout ceci s'est produit <strong>en</strong> dehors de l'interv<strong>en</strong>tion lilloi<strong>se</strong>. Cesvilles constituai<strong>en</strong>t deux foyers indép<strong>en</strong>dants de Lille ; elles le <strong>sont</strong> restée<strong>se</strong>t ont acquis dans le textile une importance ~i<strong>en</strong> plus grande que le chef-lieudu Nord. Leur essor industriel a provoqué une vive croissance démographique.plus vive que celle de Lille même: <strong>en</strong> 1801, la population de Roubaix et deTourcoing réunies repré<strong>se</strong>nte le tiers de celle du chef-lieu, <strong>en</strong> 1911, 94 %.Cette évolution a contribué à compliquer la structure du re<strong>se</strong>au urbain del'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t: Roubaix, métropole lainière de rayonnem<strong>en</strong>t mondial, est unsimple chef-lieu de canton.Lors de la Première Guerre Mondiale, les Allemands mett<strong>en</strong>t hors d'étatde fonctionner le matériel de production qu'ils démont<strong>en</strong>t et dont ils récupèr<strong>en</strong>tles métaux. La reconstitution de l'outil de travail <strong>se</strong> fait sans modificationdes structures professionnelles.Entre les deux guerres, on n'ob<strong>se</strong>rve pas de modifications profondesmais une continuation des t<strong>en</strong>dances précéd<strong>en</strong>tes: réduction du nombre des producteur<strong>se</strong>n tissage habillem<strong>en</strong>t, 13 <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s disparais<strong>se</strong>nt au cours de cettepériode; <strong>en</strong> 1938, il subsiste 75 unités avec 25.000 métiers, c'est-à-direun nombre de matériels comparable à celui de 1913 (cf. J. Toulemonde). <strong>Les</strong> autresbranches du tissage ne connais<strong>se</strong>nt pas d'évolution <strong>se</strong>nsible du nombre des firmes.


- 195 -En filature, le nombre de broches ne varie guère pour le coton maiss'accroît <strong>en</strong> laine peignée où il dépas<strong>se</strong>, <strong>en</strong> 1938, le million d'unités. Il estalors nettem<strong>en</strong>t supérieur à celui de la région de Fourmies où, de plus, lematériel est un peu moins moderne, mais le déclin relatif de celle-ci n'estpas un fait nouveau: c'est une évolution qui <strong>se</strong> poursuit depuis 1890 (cf. cidessous).La grande cri<strong>se</strong> des années 1930 n'épargne pas Roubaix-Tourcoing: laproduction des filés de coton, <strong>en</strong> 1932, année la plus médiocre, repré<strong>se</strong>nte 60 %de celle de 1929 ; <strong>en</strong> 1938, le tonnage produit repré<strong>se</strong>nte plus de 80 % de celuid'avant la cri<strong>se</strong>. Si l'on <strong>en</strong> juge par le poids des matières traitées dans lesétablis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de conditionnem<strong>en</strong>t (.), la production de laines peignées diminuede près de 50 % au cours de la cri<strong>se</strong> et ne <strong>se</strong> rétablit pas par la suite; lepeignage est moins affecté: la réduction est <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t d'un tiers car cetteactivité est peu répandue à l'étranger et des exportations <strong>se</strong> poursuiv<strong>en</strong>t versles pays où les peignages ne suffi<strong>se</strong>nt pas à couvrir les <strong>be</strong>soins nationaux.La bonneterie connaît un essor incontestable: elle compte une cinquantained'unités à la veille de la Seconde Guerre Mondiale. Ce développerr<strong>en</strong>tconcerne surtout les articles chaussants, la chaus<strong>se</strong>tte d'hommes <strong>en</strong> particulier.Le mouvem<strong>en</strong>t frontalier s'est poursuivi et amplifié jusqu'à la Cri<strong>se</strong>car le progrès des moy<strong>en</strong>s de transport permettait de recruter des travailleursrésidant de plus <strong>en</strong> plus loin de Roubaix-Tourcoing. Leur effectif s'éleva àplusieurs dizaines de milliers <strong>en</strong> 1930 (..). Il diminue très <strong>se</strong>nsiblem<strong>en</strong>tavec les difficultés économiques. <strong>Les</strong> dévaluations du franc français, à partir(.) <strong>Les</strong> données chiffrées de ce paragraphe <strong>sont</strong> empruntées à l'annuaire statistiquerégional de l'I.N.S.E.E. de 1951 qui conti<strong>en</strong>t une partie rétrospectiveimportante.(..) Cf. les thè<strong>se</strong>s de F. L<strong>en</strong>tacker et de G. Vand<strong>en</strong>broucke.


- 196 -de 1936, acc<strong>en</strong>tuèr<strong>en</strong>t ce déclin, car elles pénalisai<strong>en</strong>t les ouvriers vivant <strong>en</strong>Belgique.Au cours de cette période, des groupes familiaux déjà puissants r<strong>en</strong>forc<strong>en</strong>tleurs positions. <strong>Les</strong> Lorthiois, par exemple, construi<strong>se</strong>nt deux usinesde tapis, l'une à Tourcoing et l'autre à Halluin, tout <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ant le contrôled'une filature de coton à Roubaix. <strong>Les</strong> familles Toulemonde et Mulliez cré<strong>en</strong>tles filatures de Saint-Lièvin à Wattrelos qui devi<strong>en</strong>dront importantes, surtoutaprès 1945. En liaison plus ou moins étroite avec la cri<strong>se</strong>, deux vieilles filaturesde laine peignée comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à organi<strong>se</strong>r de manière systématique lav<strong>en</strong>te par correspondance de leurs articles, ce <strong>sont</strong> "les Trois Suis<strong>se</strong>s" et"la Redoute". Ces <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s <strong>sont</strong> <strong>en</strong>core de taille modeste, quelques c<strong>en</strong>tainesde salariés <strong>en</strong> 1938, mais les dirigeants qui les conduiront, par la suite, ausuccès <strong>sont</strong> déjà <strong>en</strong> <strong>place</strong>.Le rayonnem<strong>en</strong>t du c<strong>en</strong>tre de Roubaix-Tourcoing continue de s'ét<strong>en</strong>drepar l'implantation d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s à l'étranger, particulièrem<strong>en</strong>t après 1930,lorsque tous les marchés d'exportation <strong>se</strong> héris<strong>se</strong>nt de barrières douanières (.).La famille Leclercq-Dupire crée une grande unité, filature, tissage et teinturede la laine, à Ypres, <strong>en</strong> Belgique. L'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> Paul et Jean Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong>, issued'une scission interv<strong>en</strong>ue <strong>en</strong> 1921 au <strong>se</strong>in des Etablis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts Charles Ti<strong>be</strong>rghi<strong>en</strong>,(.) Des pri<strong>se</strong>s de participation <strong>se</strong> produi<strong>se</strong>nt égalem<strong>en</strong>t dans d1autres régions<strong>textiles</strong> françai<strong>se</strong>s. Toutes n'ont pas été détectées. <strong>Les</strong> faits cités ici provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>td'<strong>en</strong>quêtes directes m<strong>en</strong>ées auprès d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s ou d'anci<strong>en</strong>s responsableséconomiques. Quelques firmes de Roubaix-Tourcoing pas<strong>se</strong>nt sous contrôleextérieur, deux usines de tapis, par exemple, <strong>sont</strong> repri<strong>se</strong>s par la puissantesociété de Beauvais, la M.F.T.C .. Ces cas <strong>sont</strong> rares. <strong>Les</strong> groupes prépondérantsau début du siècle, t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à accroître leur importance mais les rapports deforce respectifs <strong>en</strong>tre les uns et les autres évolu<strong>en</strong>t suivant les tal<strong>en</strong>ts deleurs dirigeants. <strong>Les</strong> créations de filiales ou les pri<strong>se</strong>s de participation <strong>sont</strong>la plupart du temps de simples opérations financières, c'est-à-dire qu'il n'ya pas spécialisation des unités et échanges de produits <strong>en</strong>tre elles. De ce pointde vue, on n'assiste pas à une véritable restructuration industrielle.


- 197 -implante, après 1930, des unités de tissage d'habillem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Belgique, auxPays-Bas et <strong>en</strong> Grande-Bretagne. La société Motte-Dewavrin,branche de la familleMotte demeurée à Tourcoing, intalle à Roschdale, <strong>en</strong> Angleterre, une filatureet unpeignage.L'un des faits les plus marquants, au cours de cette période, estl'asc<strong>en</strong>sion du groupe Prouvost. Après 1918, le peignage Hold<strong>en</strong> disparaît;celui de la famille Prouvost acquiert alors la première <strong>place</strong> <strong>en</strong> France. Plusieursjeunes dirigeants, repré<strong>se</strong>ntant la troisième génération d'industriels,avai<strong>en</strong>t fondé, <strong>en</strong> 1912, une filature de laine (.). Cette unité pr<strong>en</strong>d son essorà partir de 1926, avec le lancem<strong>en</strong>t d'un fil à tricoter v<strong>en</strong>du sous sa propremarque, le "Pingouin", et distribué <strong>en</strong> partie par des détaillants qui luiétai<strong>en</strong>t liés par des contrats d'exclusivité. En 1938, la société assure 8,1 %de la production françai<strong>se</strong> de laine peignée et occupe la première <strong>place</strong> danscette spécialité. P<strong>en</strong>dant ces mêmes déc<strong>en</strong>nies, le groupe avait pris le contrôled'une filature de laine <strong>en</strong> Tchécoslovaquie et créé un peignage aux U.S.A.,dans le Rhode Island, à proximité des autres usines montées par les g<strong>en</strong>s deRoubaix-Tourcoing, mais la si<strong>en</strong>ne <strong>se</strong>ra la <strong>se</strong>ule à survivre à la cri<strong>se</strong> de 1929.En 1939, le groupe Prouvost est l'un des plus dynamiques, et il est fortem<strong>en</strong>tintégré sur le plan industriel.La Seconde Guerre Mondiale ne provoque pas de destructions notables ( ..)(.) <strong>Les</strong> trois instigateurs de cette création avai<strong>en</strong>t alors moins de 30 ans etaspirai<strong>en</strong>t accéd:r ainsi plus rapidem<strong>en</strong>t à de véritables postes de responsabilité.Il Y avait là poursuite de la tradition <strong>se</strong>lon laquelle le fils de familledigne de ce nom doit prouver sa valeur <strong>en</strong> développant sa propre affaire. C'étaitaussi une évolution logique qui complétait l'intégration du groupe. Le peignagefournit des cadres à la nouvelle usine mais une partie des capitaux fut empruntéeà l'extérieur de la famille (cf. notre étude de ce groupe citée <strong>en</strong> bibliographie).(..) <strong>Les</strong> filiales situées dans les pays d'Europe Ori<strong>en</strong>tale <strong>sont</strong> évidemm<strong>en</strong>t nationaliséesaprès 1945, comme l'avai<strong>en</strong>t été celles situées <strong>en</strong> Russie après 1918.De nouveaux investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>sont</strong> effectués à l'étranger <strong>en</strong>tre 1945 et 1954,principalem<strong>en</strong>t sur le contin<strong>en</strong>t américain (Colombie, Brésil et U.S.A.) et <strong>en</strong>AfriQue du Sud. Ils <strong>sont</strong> surtout le fait du groupe Prouvost (cf. châpitre précéd<strong>en</strong>tla liste des implantations étrangères des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s de Roubaix-Tourcoing).


- 198 -La période de l'après-guerre est marquée par une vigoureu<strong>se</strong> demande intérieurequi permet le mainti<strong>en</strong> <strong>en</strong> activité de presque toutes les firmes existantes. Ilfaudra att<strong>en</strong>dre les années 1950 pour que s'amorce une remi<strong>se</strong> <strong>en</strong> cau<strong>se</strong> profondequi <strong>se</strong>ra évoquée dans les chapîtres ultérieurs.L'industrie textile a trouvé à Roubaix-Tourcoing un milieu particulièrem<strong>en</strong>tpropice à son épanouis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t. Ce qui frappe le géographe, c'est l'accumulation,sur le territoire même de ces communes, de la quasi-totalité des usinesde ce complexe: la répartition spatiale est exactem<strong>en</strong>t à l'opposée de celle dela région lyonnai<strong>se</strong>. Cela est dû aux conditions particulières de l'<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tgéographique: la frontière <strong>be</strong>lge empêchait une dissémination aisée desusines au Nord, à l'Ouest et à l'Est. Au Sud, l'agglomération lilloi<strong>se</strong> interdisaitégalem<strong>en</strong>t toute implantation. Des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de production aurai<strong>en</strong>tpu être créés ailleurs, <strong>en</strong> Flandre Intérieure, par exemple; mais il auraitfallu s'installer à 30 ou 40 kilomètres, au delà de la zone d'influ<strong>en</strong>ce de laVallée de la Lys, dans des régions souv<strong>en</strong>t mal des<strong>se</strong>rvies <strong>en</strong> voies de communicationavec Roubaix-Tourcoing. Il était <strong>be</strong>aucoup plus commode de rester sur<strong>place</strong> et de profiter du ré<strong>se</strong>rvoir de main-d'oeuvre <strong>be</strong>lge (,).Si le textile est dev<strong>en</strong>u l'activité es<strong>se</strong>ntielle d'une agglomérationde plus de 300.000 habitants, <strong>en</strong> 1954, c'est aussi <strong>en</strong> raison du faible développem<strong>en</strong>tdes autres branches de l'économie: Lille groupe toutes les fonctionsadministratives et militaires ainsi que l'<strong>en</strong><strong>se</strong>ignem<strong>en</strong>t supérieur. Le rayonne-(.) L'attraction de la frontière <strong>se</strong> marque, à l'intérieur même de l'agglomération: <strong>en</strong> dépit de l'imbrication des espaces urbanisés et des usines, on constateune plus grande importance des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts industriels dans les partiesles plus proches de la Belgique: le Nord de Roubaix et Wattrelos, par exemple,conc<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t <strong>be</strong>aucoup d'unités importantes (Peignage Motte, Prouvost, FilaturesProuvost ...) construite après 1880, c'est-à-dire lorsque débute le mouvem<strong>en</strong>tfrontalier.


- 199 -m<strong>en</strong>t commercial de Roubaix-Tourcoing est égalem<strong>en</strong>t très limité. Lille exerceson attraction sur la population de cette agglomération et fait écran <strong>en</strong>trecette dernière et le reste de la France. De l'autre côté de la frontière,Ypres, Courtrai, Tournai constitu<strong>en</strong>t des c<strong>en</strong>tres anci<strong>en</strong>s bi<strong>en</strong> équipés et leuraire d'influ<strong>en</strong>ce est <strong>be</strong>aucoup plus considérable que ne le lais<strong>se</strong>rait suppo<strong>se</strong>rle chiffre de leur population (.).Dans le domaine industriel, les investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts extérieurs à la régionétai<strong>en</strong>t naturellem<strong>en</strong>t plus attirés par Lille que par Roubaix-Tourcoing.Or, les <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs de ces deux villes <strong>se</strong> tournai<strong>en</strong>t presque tous vers letextile, car les succès initiaux r<strong>en</strong>contrés dans ce domaine incitai<strong>en</strong>t lesautres à faire de même. Le textile est, on l'a vu, peu susceptible d'attirerd'autres activités. De plus, le patronat local ne souhaitait pas tellem<strong>en</strong>tvoir <strong>se</strong> développer des branches qui aurai<strong>en</strong>t offert des salaires plus élevés.La crainte d'une raréfaction de la main-d'oeuvre était constamm<strong>en</strong>t pré<strong>se</strong>ntedans les milieux dirigeants.C'est un <strong>en</strong><strong>se</strong>mble complexe de facteurs qui explique le rôle écrasantdu textile dans cette agglomération. Leur caractère <strong>en</strong> bonne partie accid<strong>en</strong>telne fut pas souv<strong>en</strong>t perçu ; la conc<strong>en</strong>tration géographique frappait par sonaspect exceptionnel, <strong>be</strong>aucoup <strong>en</strong> ont conclu, plus ou moins confusèm<strong>en</strong>t, quecela découlait de qualités particulières, mal définies mais inimitables, propresà cette agglomération. Celle-ci, <strong>en</strong> quelque sorte, aurait été prédestinée à <strong>se</strong>consacrer au textile. Ce mythe dev<strong>en</strong>ait à son tour un facteur psychologiquefavorisant le mainti<strong>en</strong> sur <strong>place</strong> du textile.(.) De plus, p<strong>en</strong>dant très longtemps, pour des raisons de change <strong>en</strong> particulier,les Frontaliers effectuai<strong>en</strong>t tous leurs achats <strong>en</strong> Belgique, si bi<strong>en</strong> que lecommerce de Roubaix et de Tourcoing ne bénéficiai<strong>en</strong>t même pas de la totalitédes salaires distribués par l'industrie de ces deux villes.


- 200 -Au dix-huitième siècle, Lille est un c<strong>en</strong>tre textile au passé glorieux,dont les activités <strong>sont</strong> variées et la plupart du temps <strong>en</strong> déclin. La célébritéde la ville avait reposé sur la production d'étoffes de laine. Celle-ci diminued'abord devant la concurr<strong>en</strong>ce de foyers plus dynamiques comme Roubaix ( ..).Par la suite, le développem<strong>en</strong>t du coton <strong>en</strong>traîne la quasi-disparition de lalaine, avant méme le début véritable de la Révolution Industrielle. Dieudonnéestime que, <strong>en</strong> 1789, 120 métiers à tis<strong>se</strong>r <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t utilisai<strong>en</strong>t cette fibre<strong>en</strong> 1801, il n'<strong>en</strong> dénombrait plus que 35 ; subsistai<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> outre, quelquesfabricants de couvertures (9 <strong>en</strong> 1801).Le coton apparaît dans le courant du dix-huitième siècle. Sa filature<strong>se</strong> faisait d'abord dans les campagnes à l'aide de rouets. Vers 1770-1780, la"j<strong>en</strong>ny", matériel peu coûteux <strong>se</strong> substitue à lui et reste diffusêedans les villages.Dieudonné signale que, <strong>en</strong> 1801, "A pré<strong>se</strong>nt presque tout <strong>se</strong> file à lamécanique" .En filature, le travail <strong>en</strong> atelier <strong>se</strong> manifeste timidem<strong>en</strong>t à cetteépoque. Le Préfet du Nord considère qu'une <strong>se</strong>ule véritable manufacture existe<strong>en</strong> 1801, celle de Lefebvre-Bourghelle, à Seclin: elle compte 90 ouvriers,occupe un anci<strong>en</strong> bâtim<strong>en</strong>t religieux et n'utili<strong>se</strong> pas la vapeur. C'est par conséqu<strong>en</strong>tun établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core bi<strong>en</strong> modeste. Un cinquième des fils de cotonest v<strong>en</strong>du <strong>en</strong> dehors du départem<strong>en</strong>t, le reste <strong>se</strong>rt à produire des étoffes mixtes(chaine lin, trame coton), par exemple des toiles à carreaux. Dieudonné estimeque, au début de l'Empire, 100 métiers <strong>se</strong> consacr<strong>en</strong>t à cette activité, soit lamoitié de ceux qu'il dénombre dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t.(.) <strong>Les</strong> sources es<strong>se</strong>ntielles <strong>sont</strong> les thè<strong>se</strong>s de Cl. Fohl<strong>en</strong>, J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tteet P. Pierrard i lorsqu'il est fait référ<strong>en</strong>ce à ces ouvrages, les noms des auteurs<strong>sont</strong> simplem<strong>en</strong>t cités.(..) P. Maurer montre dans son diplôme, précédemm<strong>en</strong>t évoqué, que, à partir dela déc<strong>en</strong>nie 1750-1760, la production de pièces de tissus <strong>en</strong> laine de la <strong>place</strong>de Lille est inférieure à celle de Roubaix.


- 201 -Lille dispo<strong>se</strong> de trois des quatre manufactures d'impression detoiles de coton <strong>en</strong> fonctionnem<strong>en</strong>t dans le départem<strong>en</strong>t du Nord, <strong>en</strong> 1801. Lecoton n'est pas, à cette époque, la branche principale du textile lilloismais c'est cette ville qui, à l'intérieur de son arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t, est lapremière à s'y lancer; elle forme un c<strong>en</strong>tre complet et autonome. P<strong>en</strong>danttout l'Empire, le développem<strong>en</strong>t de cette activité est l<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> partie àcau<strong>se</strong> de la concurr<strong>en</strong>ce <strong>be</strong>lge dont Dieudonné soulignait déjà la vigueur,dans sa description du départem<strong>en</strong>t.La fibre qui, au début du dix-neuvième siècle, occupe le plus detravailleurs est le lin: il est filé dans les campagnes. Lille <strong>en</strong> tis<strong>se</strong> pourproduire des étoffes as<strong>se</strong>z grossières, du g<strong>en</strong>re notamm<strong>en</strong>t toile à matelas.La ville compte 320 métiers de ce type, <strong>en</strong> 1801. La spécialité véritable duchef-lieu du Nord est la filterie : les filés <strong>sont</strong> as<strong>se</strong>mblés dans de petitsateliers de retordage artisanaux ayant, à l'époque de Dieudonné, cinq ouvrier<strong>se</strong>n moy<strong>en</strong>ne et produisant cinq kilos de fils par jour. C'est une activité anci<strong>en</strong>neà Lille. <strong>Les</strong> fils conditionnés <strong>sont</strong> <strong>en</strong> grande partie v<strong>en</strong>dus et utiliséssur <strong>place</strong> car cette ville est dev<strong>en</strong>ue, dans la <strong>se</strong>conde moitié du dix-huitièmesiècle, un grand c<strong>en</strong>tre de d<strong>en</strong>telles à la main, surclassant <strong>en</strong> particulierVal<strong>en</strong>ci<strong>en</strong>nes, où s'élabor<strong>en</strong>t des produits plus fins. Plus de 10.000 d<strong>en</strong>tellièresviv<strong>en</strong>t à Lille, <strong>en</strong> 1801.Le textile lillois, dans son <strong>en</strong><strong>se</strong>mble, reste caractérisé, jusqu'<strong>en</strong>1815 au moins, par des structures de production très artisanales; il n'estpas ori<strong>en</strong>té es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t vers la mode comme Roubaix, ou vers la très hautequalité comme le Cambrésis. Toutes ces branches, à l'exception du coton, <strong>sont</strong>,ainsi que le montre les évaluations de Dieudonné, plus ou moins <strong>en</strong> déclin oustagnantes.Le travail textile traditionnel n'a pas <strong>en</strong>traîné la formation d'uneclas<strong>se</strong> de négociants ou de fabricants puissants: les réglem<strong>en</strong>ts malthusi<strong>en</strong>sdes corporations, les rivalités qui éclatai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre elles ont empêché le dé-


- 202 -ve10ppem<strong>en</strong>t d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s de grande ampleur (.). Le lin est acquis sur <strong>place</strong>;le coton est <strong>en</strong>core acheté <strong>en</strong> petites quantités et ne donne pas lieu à <strong>be</strong>aucoupd'opérations de négoce à Lille même. C'est une situation différ<strong>en</strong>te de celle dela laine qui avait provoqué à Roubaix-Tourcoing, on l'a vu, l'exist<strong>en</strong>ce d'unvéritable commerce international. <strong>Les</strong> produits finis lillois, <strong>en</strong> raison de leurmédiocre qualité ne <strong>se</strong> diffu<strong>se</strong>nt pas très loin. En 1815, il n'y a pas à Lillede firmes possédant la puissance financière d'un Do11fus-Mieg à Mulhou<strong>se</strong> (cf.Cl. Foh1<strong>en</strong>) ni non plus de groupe homogène et solidaire de négociants-transformateurs,comme à Roubaix-Tourcoing.L'industrialisation du textile <strong>se</strong> manifeste d'abord par le développem<strong>en</strong>tde la filature de coton. De très nombreu<strong>se</strong>s <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s <strong>se</strong> <strong>sont</strong> créée<strong>se</strong>t ont disparu par la suite. Celles qui ont subsisté ont généralem<strong>en</strong>t prisnaissance très tôt, <strong>en</strong>tre 1815 et 1848, et connu une croissance progressive.Elles n'atteign<strong>en</strong>t une puissance véritable qu'à partir du Second Empire, alorsqu'<strong>en</strong> Alsace le processus avait été plus précoce.L'usage de la machine à vapeur est relativem<strong>en</strong>t tardif: <strong>en</strong> 1818,Auguste Mille est le premier à <strong>en</strong> introduire une à Lille. En 1832, (cf. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte) sur 50 établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de filature de coton 1i110ls, la moitié <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>tdisposait d'installations de ce g<strong>en</strong>re. L'usine moy<strong>en</strong>ne n'a que 3.600 brochesmais certaines dépas<strong>se</strong>nt les 10.000. <strong>Les</strong> différ<strong>en</strong>tes cri<strong>se</strong>s économiques qui ponctu<strong>en</strong>tles déc<strong>en</strong>nies suivantes <strong>en</strong>traîn<strong>en</strong>t la disparition de la plupart des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>scréées dans le premier tiers du siècle.La conc<strong>en</strong>tration technique progres<strong>se</strong> inexorablem<strong>en</strong>t :le nombre.moy<strong>en</strong> debroches par filature double <strong>en</strong>tre 1832 et 1849, puis <strong>en</strong>tre cette année et 1869.Il est alors de 16.000 <strong>en</strong>viron, et atteindra 30.000 <strong>en</strong> 1900 (..). A cette date,(.) En 1776, un Lillois, Cuvelier-Brame, avait été autorisé à créer une manufactureroyale de tissus de soie. Ce privilège permettait de dépas<strong>se</strong>r la tailleautorisée par les réglem<strong>en</strong>ts corporatifs. La famille resta dans le textile audix-neuvième siècle, mais l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> ne connut pas de développem<strong>en</strong>t à l'époqueindustrielle et disparut.(..) La progression de la conc<strong>en</strong>tration est <strong>en</strong>core plus forte que ne le fontapparaître ces chiffres, car la capacité de production d'une broche <strong>en</strong> 1900 estbi<strong>en</strong> supérieure à ce qu'elle était <strong>en</strong> 1832.


- 203 -subsist<strong>en</strong>t 20 filatures de coton dans l'agglomération lilloi<strong>se</strong>; une dizained'<strong>en</strong>tre elles, généralem<strong>en</strong>t les plus grandes, existai<strong>en</strong>t déjà <strong>en</strong> 1833. Ellesdominai<strong>en</strong>t ce foyer depuis 1870 et <strong>se</strong>ront <strong>en</strong>core pré<strong>se</strong>ntes <strong>en</strong> 1954. <strong>Les</strong> étudespréci<strong>se</strong>s faites dans cette branches montr<strong>en</strong>t clairem<strong>en</strong>t que si le textile apermis des réussites éclatantes, le métier d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eur y fut néanmoins trèsaléatoire, jusque vers 1870.La famille Le Blan (.) <strong>se</strong> lance dans l'industrie vers 1816-1817. Originairede Solre-le-Château, dans l'Avesnois, elle <strong>se</strong> livrait au négoce destoiles à la fin du dix-huitième siècle. La fortune de Juli<strong>en</strong>, lorsqu'il montesa première usine, est certainem<strong>en</strong>t modeste, car il doit s'associer successivem<strong>en</strong>tavec plusieurs bailleurs de fonds, dont l'un est directeur de la monnaieà Lille. Il <strong>se</strong> cont<strong>en</strong>te au début de travailler à façon. En 1832, il ne produitque 50 tonnes de filés par an et essaie de faire un peu de négoce de tissus. <strong>Les</strong>années bénéficiaires succèd<strong>en</strong>t à des périodes de difficultés graves.En 1836, lassé de ne pas connaître une véritable réussite dans lecoton, Juli<strong>en</strong> Le Blan t<strong>en</strong>te une opération de grande ampleur dans le lin: ilinvestit sa fortune et emprunte pour édifier une usine de 6.000 broches accompagnéed'un tissage de 100 métiers, exemple rare d'intégration à cette époque.L'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t est construit à quelques kilomètres de Lille, à Pér<strong>en</strong>chies.Par sa conception et son mode de financem<strong>en</strong>t, cette unité est <strong>en</strong> avance sur lesautres firmes existant à cette époque.La cri<strong>se</strong> qui culmine, <strong>en</strong> 1848, provoque la faillite de l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>Le Blan, rachetée par Droulers et Agache (cf. ci-dessous). Après cette épreuve,Juli<strong>en</strong> doit att<strong>en</strong>dre 1855 pour monter, à Lille, une nouvelle filature de lin<strong>be</strong>aucoup plus modeste puisqu'elle ne comporte que 1.300 broches. La conjonctureplus favorable permet des bénéfices plus réguliers qui <strong>sont</strong> utilisés pour édifierune filature de coton de 20.000 broches dans les dernières années du Second(.) Ces diver<strong>se</strong>s monographies provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t des indications collectéesdans la thè<strong>se</strong> de J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte, qui a procédé à des <strong>en</strong>quêtesdirectes auprès des firmes et des familles intéressées.


- 204 -Empire. La famille dès lors accède à la puissance financière. En 1888, unescission familiale <strong>se</strong> produit. F. Codacionni signale, dans sa thè<strong>se</strong>, que, <strong>en</strong>1911, l'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t Le Blan est l'une des deux <strong>se</strong>ules usines <strong>textiles</strong> installéesà Lille même, ayant plus de mille salariés.La famille Wallaert est fixée à Lille depuis 1750 et apparti<strong>en</strong>t àla petite bourgeoisie. Le père de celui qui <strong>se</strong> lance dans la filature du cotonest négociant <strong>en</strong> épicerie, son frère orfèvre. Plusieurs membres de cegroupe familial vont faire successivem<strong>en</strong>t leur <strong>en</strong>trée dans l'industrie <strong>en</strong>s'appuyant les uns les autres. En 1815, J.B. Wallaert-Desmons crée un établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tqui connaît une croissance régulière: 10.000 broches <strong>en</strong> 1832, ce qui<strong>en</strong> fait l'un des plus importants de la <strong>place</strong> de Lille; 15.000 <strong>en</strong> 1850, 22.000<strong>en</strong> 1860.Entre temps, ava it été fondée une autre fi lature de coton ("Wa 11aertFrères et Soeurs" dev<strong>en</strong>ue <strong>en</strong>suite "Wa11aert Frères et Desmedt") qui <strong>se</strong> développeplus l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t: 2.800 broches <strong>en</strong> 1832, 11.000 <strong>en</strong> 1850. En 1863, aprèsavoir affirmé sa position dans la filature, le groupe monte un tissage àLille. En 1869, les diver<strong>se</strong>s sociétés fusionn<strong>en</strong>t sous la raison sociale"Wa 11aert Frères". La nouvelle fi rme possède alors 50.000 broches de fi la ture.Quelques années plus tard, comm<strong>en</strong>ce la production de fil à coudre sousune marque propre à l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> (fil "au louis d'or"). La croissance <strong>se</strong> poursuitsous la Troisième République. En 1911, Wallaert Frères dispo<strong>se</strong> de troisfilatures, avec 105.000 broches (soit <strong>en</strong>viron 5 % du pot<strong>en</strong>tiel de la régionlilloi<strong>se</strong>), et de deux retorderies avec 70.000 broches (<strong>en</strong>viron 10 % du pot<strong>en</strong>tiellillois). La société réali<strong>se</strong> <strong>en</strong> outre le blanchim<strong>en</strong>t et la teinture. Sondépartem<strong>en</strong>t tissage compr<strong>en</strong>d 500 métiers répartis pour moitié à Lille et àHalluin, où elle est pré<strong>se</strong>nte depuis 1895.La famille Thiriez <strong>se</strong> lance, plus tardivem<strong>en</strong>t que les deux précéd<strong>en</strong>tes,dans l'industrie textile. Originaire de Lorraine, elle s'est fixée au Quesnoy,dans le Nord, vers 1750. François-Jo<strong>se</strong>ph, un maître-tailleur, s'installe àLille vers la fin du dix-huitième siècle. Son fils exerce notamm<strong>en</strong>t les fonctionsde courtier <strong>en</strong> coton; son petit-fils, Juli<strong>en</strong>-Romuald, crée sa propre


- 205 -<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> <strong>en</strong> 1833. Il s'associe avec un fonctionnaire, <strong>en</strong>core <strong>en</strong> activité,car il dispo<strong>se</strong> de très peu de capitaux; il apporte surtout sa compét<strong>en</strong>cetechnique acqui<strong>se</strong> <strong>en</strong> travaillant comme salarié dans une filature. La nouvelleusine est modeste avec, au début, 2.300 broches et elle comm<strong>en</strong>ce par uti1'<strong>se</strong>run manège à chevaux comme force motrice. L'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> <strong>se</strong> spéciali<strong>se</strong> dans lesfilés fins. pour tulle notamm<strong>en</strong>t. En 1845, elle s'agrandit car J.R. Thiriezmonte une usine plus vaste dans la banlieue de Lille, à Esquermes (communeabsorbée par Lille <strong>en</strong> 1858). Il s'associe, à égalité, avec la famille d'unconstructeur de matériel. <strong>Les</strong> apports Thiriez <strong>se</strong> mont<strong>en</strong>t à 49.000 F. au lieude 2.000 <strong>en</strong> 1833 : exemple frappant de l'accumulation à cette époque, ducapital au <strong>se</strong>in d'une <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> bi<strong>en</strong> gérée.En 1853, Alfred, fils ainé de J.R. Thiriez, avait fondé sa propreaffaire, à l'âge de vingt ans. <strong>Les</strong> deux sociétés fusionn<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> 1857, et dispo<strong>se</strong>ntde 17.000 broches, ce qui n'est pas <strong>en</strong>core très considérable; c'està partir du mom<strong>en</strong>t où l'affaire n'est plus dirigée que par les membres d'une<strong>se</strong>ule famille qu'elle connaît le succès véritable. En 1860, la firme perd unepartie de <strong>se</strong>s cli<strong>en</strong>ts car la concurr<strong>en</strong>ce des filés fins britanniques est dev<strong>en</strong>ueplus vive à la suite du traité de libre-échange signé cette année-là.La société <strong>se</strong> tourne alors vers la production de fils à coudre <strong>en</strong>coton. Ce type d'articles n'est pas <strong>en</strong>core très répandu car, traditionnellem<strong>en</strong>tles fi1tiers utili<strong>se</strong>nt le lin. Toute la famille unit <strong>se</strong>s efforts pour améliorerles procédés de finition du fil et lui donner une plus <strong>be</strong>lle appar<strong>en</strong>ce. Laréussite technique <strong>se</strong>ra couronnée par le succès commercial car, au cours decette déc<strong>en</strong>nie, le début de la diffusion de la machine à coudre favori<strong>se</strong> le filde coton plus souple et moins cassant que son rival. Il s'<strong>en</strong>suit une périodede grand essor au cours de laquelle la famille s'intègre aux couches supérieuresde la bourgeoisie lilloi<strong>se</strong>. En 1889, la firme à 90.000 broches de filature et50.000 de retordage. Toutes les opérations <strong>sont</strong> intégrées, y compris la confectiondes bobines <strong>en</strong> bois sur lesquelles est pré<strong>se</strong>nté le fil. 1.535 travailleurs<strong>sont</strong> employés par l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> qui a lancé tout un programme de logem<strong>en</strong>ts etd'oeuvressociales.<strong>Les</strong> trois exemples qui vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t d'être décrits <strong>sont</strong> significatifs de


- 206 -l'évolution du coton dans la région lilloi<strong>se</strong> la plupart des firmes ont étéfondées par des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs peu fortunés qui ont accumulé progressivem<strong>en</strong>tleurs capitaux par autofinancem<strong>en</strong>t, au prix de <strong>be</strong>aucoup d'obstination et d'habileté.<strong>Les</strong> firmes lilloi<strong>se</strong>s accèd<strong>en</strong>t à la puissance véritable quelques déc<strong>en</strong>niesaprès celles de l'Alsace (.).Rares <strong>sont</strong> les <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s notables nées après 1850. On peut citerla société Crépy créée, <strong>en</strong> 1860, par une famille aux moy<strong>en</strong>s importants, carelle s'adonnait depuis longtemps à l'industrie des huiles et des grais<strong>se</strong>s quis'était <strong>be</strong>aucoup développée dans la région lilloi<strong>se</strong>, au cours du dix-neuvièmesiècle. La filature de coton n'a reçu de l'anci<strong>en</strong>ne activité textile ni <strong>se</strong>scapitaux, ni <strong>se</strong>s dirigeants. Le retard initial des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s lilloi<strong>se</strong>s, parrapport à celles de l'Est, explique que, <strong>en</strong> 1914, le chef-lieu du Nord ne dispo<strong>se</strong>que du quart du matériel de production de la France d'alors, c'est-à-dire<strong>en</strong> excluant l'Alsace sous occupation allemande.Au début du vingtième siècle, des capitaux anglais mont<strong>en</strong>t une filatureà Hellemmes; d'emblée" une installation de 180.000 broches est mi<strong>se</strong> <strong>en</strong><strong>se</strong>rvice. Avant 1914, la firme lilloi<strong>se</strong> Delebart-Mallet, l'une des quatre premièresde la <strong>place</strong>, fondée <strong>en</strong> 1830, pas<strong>se</strong> sous contrôle britannique. Ceci montreclairem<strong>en</strong>t les limites du rayonnem<strong>en</strong>t lillois.Le travail du lin est la <strong>se</strong>conde activité textile lilloi<strong>se</strong> a êtreaffectée par l'industrialisation. Dès 1829, on dénombre une douzaine de filaturesmécaniques, ce chiffre est d'autant plus remarquable que le matériel utilisén'est pas <strong>en</strong>core au point. En 1832, 1.500 ouvriers <strong>sont</strong> employés dans cettebranche. <strong>Les</strong> résultats économiques <strong>sont</strong> médiocres car l'on obti<strong>en</strong>t <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>tdes filés très grossiers. Cette situation révèle deux faits significatifs1) la faibles<strong>se</strong> technologique des constructeurs de métiers régionaux,(.) Un Schlum<strong>be</strong>rger, par exemple, pcssède, <strong>en</strong> 1835, une filature de 37.500 broches.Cl. Fohl<strong>en</strong> a bi<strong>en</strong> montré comm<strong>en</strong>t, dès 1850, le patriciat mulhousi<strong>en</strong> aaccédé à la puissance. Cf. <strong>en</strong> particulier les indications concernant la firmeDollfus-Mieg : <strong>en</strong> 1839, elle est complètem<strong>en</strong>t intégrée (possédant même un charbonnage)et emploie 4.200 personnes (y compris toutefois un "certain nombre detis<strong>se</strong>rands à main) .


- 207 -incapables de mettre au point un matériel comparable à celui dont dispo<strong>se</strong>ntlesBritanniques.II) Le vif désir des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs lillois de mécani<strong>se</strong>r cette opération.Parmi ces firmes pionnières <strong>se</strong> trouve l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> Agache et Drou1ers.En 1829, Donat Agache, fils d'une famille d'agriculteurs d'Hem, qui cultivaitle lin, et 1ui-mème négociant <strong>en</strong> lins bruts, s'associe avec Flor<strong>en</strong>tin Drou1ers.Ce dernier est originaire de Wattrelos où son père était distillateur. Depuis1820, il s'efforçait de filer du lin sur des métiers <strong>en</strong> bois rudim<strong>en</strong>taires fabriquéspar le constructeur David Van de Weghe v<strong>en</strong>u s'installer à Lille, aprèsavoir quitté sa Belgique natale. Comme toutes <strong>se</strong>s concurr<strong>en</strong>tes, la firme Agacheutili<strong>se</strong> à cette époque l'énergie animale.L'industriel Scrive-Labbé va permettre le démarrage véritable decette industrie. Il avait pris la succession de son père, négociant lillois fondateurd'une fabrique de cardes <strong>en</strong> 1795. Ne parv<strong>en</strong>ant pas 1ui-méme à mettre aupoint des métiers à filer le lin, il <strong>se</strong> r<strong>en</strong>d <strong>en</strong> Angleterre, <strong>se</strong> fait embauchercomme ouvrier chez un constructeur britannique et rapporte clandestinem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong>1834, des dessins et des pièces dont l'exportation était toujours interdite (.).Rapidem<strong>en</strong>t des firmes françai<strong>se</strong>s copi<strong>en</strong>t ces métiers, <strong>en</strong> faisant appel, au <strong>be</strong>soin,à des ouvriers spécialisés d'outre-Manche. Ceci est intéressant, car lanécessité de recourir à la fraude élevait <strong>be</strong>aucoup le prix de revi<strong>en</strong>t du matérielimporté.Très rapidem<strong>en</strong>t les <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s achèt<strong>en</strong>t ces machines. Des contructeursde métiers comme Scrive-Labbé et Van de Weghe devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t eux-mémes industriels<strong>textiles</strong>, situation peu fréqu<strong>en</strong>te dans la région du Nord. En 1840,plus de 100.000 broches <strong>sont</strong> <strong>en</strong> activité. Cet <strong>en</strong>gouem<strong>en</strong>t <strong>se</strong> compr<strong>en</strong>d, carles très nombreux tis<strong>se</strong>rands manuels qui existai<strong>en</strong>t dans <strong>be</strong>aucoup de régionsde France, et notamm<strong>en</strong>t dans le Nord, offrai<strong>en</strong>t un débouché considérable.Des difficultés subsistai<strong>en</strong>t pourtant <strong>en</strong> raison de la concurr<strong>en</strong>ce des filés(.) Il s'agissait de matériels construits suivant les principes établis <strong>en</strong>France, vingt ans plus tôt, par Philippe de Girard.


- 208 -britanniques; celle-ci fut r<strong>en</strong>due inoff<strong>en</strong>sive par le relèvem<strong>en</strong>t des tarifsdouaniers français, <strong>en</strong> 1842.L. Merchier, dans son étude citée, a dressé la liste des filatures delin qui, <strong>en</strong> France, avai<strong>en</strong>t plus de 5.000 broches, <strong>en</strong> 1840. Le <strong>se</strong>uil choisi estélevé si l'on songe que, <strong>en</strong> raison de sa plus grande complexité, le coût d'installationd'une broche à filer le lin et quatre à cinq fois plus élevé que s'ils'agissait de travailler le coton (.). Sur 13 établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de ce type, six <strong>se</strong>trouv<strong>en</strong>t dans le Nord-Pas-de-Calais, dont quatre à Lille ou dans <strong>se</strong>s <strong>en</strong>virons.Scrive-Labbé a une unité de 10.000 broches. Agache et Drou1ers une de 6.000, demême que Le Blan à Pér<strong>en</strong>chies. La dernière a été fondée par un membre de la familleWa11aert. Cette fois, contrairem<strong>en</strong>t à ce qui s'est passé pour le coton, leNord devi<strong>en</strong>t immédiatem<strong>en</strong>t le c<strong>en</strong>tre principal de la nouvelle activité. C'est unavantage considérable, car les autres grandes usines <strong>sont</strong> géographiquem<strong>en</strong>t as<strong>se</strong>zdispersées (Ami<strong>en</strong>s, Rou<strong>en</strong>, Bol<strong>be</strong>c, Cho1et ... ). La pré<strong>se</strong>nce d'un grand foyerattire les constructeurs de matériel et les technici<strong>en</strong>s britanniques.<strong>Les</strong> deux autres grandes filatures du Nord-Pas-de-Calais <strong>se</strong> trouv<strong>en</strong>t àFrèv<strong>en</strong>t et à Boulogne-sur-Mer. La Vallée de la Lys ne <strong>se</strong> lance que timidem<strong>en</strong>tdans cette nouvelle production; l'avantage initial 1i11ois"est, par conséqu<strong>en</strong>t,considérable. Il convi<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t de remarquer que ces grands industrielsn'apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas à des familles de maître-fi1tiers ou de g<strong>en</strong>s qui travai11a~ntle lin sous l'Anci<strong>en</strong> Régime. Des desc<strong>en</strong>dants de fi1tiers, comme les Descamps,ont monté des petites unités, dès 1802, à Lin<strong>se</strong>lles dans le cas de la famillecitée; mais la fi1terie proprem<strong>en</strong>t dite (retordage, apprêt et conditionnem<strong>en</strong>tdes fils) reste très artisanale. <strong>Les</strong> firmes qui s'y livr<strong>en</strong>t ont des ressourceslimitées, il ne leur est guère facile de monter rapidem<strong>en</strong>t des usines modernes.(.) Estimations prov<strong>en</strong>ant des calculs établis, dans leurs ouvrages cités, parL. Merchier et Aftalion.


- 209 -La position de la région sur le plan national s'améliore régulièrem<strong>en</strong>t,au cours des déc<strong>en</strong>nies suivantes: <strong>en</strong> 1857, le Nord conc<strong>en</strong>tre les deux tiersdu pot<strong>en</strong>tiel de production national au lieu de 40 % dix ans plus tôt. L'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tde Lille, c'est-à-dire es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t le chef-lieu, dispo<strong>se</strong> à lui<strong>se</strong>ul de 60 % des broches françai<strong>se</strong>s. Ce dernier pourc<strong>en</strong>tage décro't au coursdes années suivantes, car la Guerre de Sécession ouvre une ère de facilité pourla filature du lin qui pr<strong>en</strong>d mom<strong>en</strong>taném<strong>en</strong>t sa revanche sur le coton partoutdes établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts installés à la hâte, surgis<strong>se</strong>nt dans les régions aptes à laculture du lin.En 1867, la région du Nord-Pas de Calais, pri<strong>se</strong> dans son <strong>en</strong><strong>se</strong>mble,a con<strong>se</strong>rvé son importance relative, mais celle de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille adiminué <strong>en</strong> raison de l'expansion très rapide de c<strong>en</strong>tres comme Dunkerque (cf.C1.Foh1<strong>en</strong>) <strong>be</strong>aucoup de ces firmes disparais<strong>se</strong>nt dans les années qui suiv<strong>en</strong>t leretour à un ravitaillem<strong>en</strong>t normal <strong>en</strong> coton. Cette fibre continue par la suiteà conquérir, peu à peu, les marchés traditionnels du lin comme, par exemple,celui de la fi1terie (.).Cette situation provoque une contraction de l'appareil de productionqui <strong>se</strong> fait aux dép<strong>en</strong>s des firmes les plus réc<strong>en</strong>tes et les plus petites. Enoutre, la région lilloi<strong>se</strong> est bi<strong>en</strong> placée pour <strong>se</strong> ravitailler <strong>en</strong> lins d'importation.En 1899, le Nord-Pas de Calais possède 90 % des broches françai<strong>se</strong>s(95 % <strong>en</strong> 1914). <strong>Les</strong> neuf dixièmes du pot<strong>en</strong>tiel régional <strong>se</strong> locali<strong>se</strong>nt dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tde Lille. <strong>Les</strong> cantons lillois, à eux <strong>se</strong>uls, <strong>en</strong> ont 40 % et, <strong>en</strong> incluantdes communes comme Pér<strong>en</strong>chies et Seclin qui dép<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t de ce c<strong>en</strong>tre textile.on atteint 70 %.(.) Des industriels (cf. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte), desc<strong>en</strong>dant <strong>en</strong> droite ligne demaître-filtiers du dix-huitième siècle, subsist<strong>en</strong>t dans cette branche jusqu'auvingtième siècle, comme les Descamps et les Crespel. Très attachés au lin, ce ne<strong>sont</strong> pas eux qui lanc<strong>en</strong>t le fil de coton ; si bi<strong>en</strong> que la filterie de coton nerepré<strong>se</strong>nte pas, <strong>en</strong> fait, une conversion de l'activité linière traditionnelle,comme on pourrait le p<strong>en</strong><strong>se</strong>r. Le r<strong>en</strong>ouveau a été l'oeuvre es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t degroupes industriels réc<strong>en</strong>ts d'origine cotonnière.


- 210 -Au cours de cette période, la firme Agache a conquis la premlere <strong>place</strong><strong>en</strong> France. En 1848, elle avait repris la grande usine Le Blan de Pér<strong>en</strong>chies etl'avait développée. En 1860, elle emploie 1.200 salariés. <strong>Les</strong> deux familles,Drou1ers et Agache, <strong>se</strong> sépar<strong>en</strong>t au cours de l'année 1872. Agache obti<strong>en</strong>t, partirage au sort l'usine de Pér<strong>en</strong>chies ; celle de Lille restant a l'autre famille.La société Agache rachète des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts concurr<strong>en</strong>ts et remporte des succèséconomiques dans le travail des étoupes de lin qui donn<strong>en</strong>t des fils grossiers,mais bon marché, trés demandés par le tissage arm<strong>en</strong>tièrois, pour les toiles ausage militaire. En 1914, la société a 55.000 broches (10 % du total français)320 métiers a tis<strong>se</strong>r et 3.500 salariés. C'est la firme la plus puissante de larégion lilloi<strong>se</strong> (.).Le tissage du lin n'est pas trés important a Lille; cette ville, <strong>en</strong>1900, compte trois a quatre fois moins de métiers qu'Arm<strong>en</strong>tières. <strong>Les</strong> métiersré<strong>se</strong>rvés uniquem<strong>en</strong>t au coton <strong>sont</strong> <strong>en</strong> plus petit nombre <strong>en</strong>core dans le chef-lieudu Nord. <strong>Les</strong> tissages ont été implantés par des filateurs désireux de réali<strong>se</strong>rune intégration verticale.<strong>Les</strong> exemples de négociants-transformateurs de toiles montant destissages mécaniques ont été <strong>be</strong>aucoup plus rares qu'a Arm<strong>en</strong>tières. On peut citerla famille Huet qui crée un tissage a La Madeleine, <strong>en</strong> 1904, mais elle <strong>en</strong> avaitd'abord implanté un à Halluin, <strong>en</strong> 1879. Une autre unité importante est développéea Lille <strong>en</strong> 1890, par les Frémaux ; c'est un cas intéressant car il s'agit d'une<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> de négoce de toiles arm<strong>en</strong>tièroi<strong>se</strong> qui a d'ailleurs déja créé desunités dans sa ville d'origine. Elle installe à Lille d'abord <strong>se</strong>s <strong>se</strong>rvices(.) La famille est probablem<strong>en</strong>t la plus puissante de toute la région du NordEdouard Agache avait épousé la fille du grand industriel et chimiste Kuhlmann,ce'qui lui avait permis de cumuler la direction de ces deux <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s importantes.Il siégeait <strong>en</strong> outre dans des con<strong>se</strong>ils d'administration de sociétés decharbonnages (cf.J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte et M. Gillet).


- 211 -commerciaux et, peu à peu, l'appareil de production (.).Le tissage ne trouVE pas son terrain d'élection dans l'agglomérationlilloi<strong>se</strong>; le tulle qui s'étaH un mom<strong>en</strong>t développé, disparaît après 1860, devantla concurr<strong>en</strong>ce britannique et celle de Calais (..). La fabrication des tissu<strong>se</strong>xige une main-d'oeuvre es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t masculine dont le recrutem<strong>en</strong>t devi<strong>en</strong>trelativem<strong>en</strong>t plus difficile par suite de l'essor d'<strong>industries</strong> comme l'impt'imerieou la métallurgie, avec les ateliers de construction mécanique de Fives, parexemple.La disparition complète de la d<strong>en</strong>telle à main, vers 1850, supprimeun grand nombre d'emplois féminins, ce qui crée une situation favorable pourla filature qui emploie plus de femmes que d'hommes (...). Il <strong>se</strong>rait possiblede faire v<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> ville les tis<strong>se</strong>rands à main des régions rurales voisines,cela <strong>se</strong> produit parfois, mais il est aussi t<strong>en</strong>tant de les regrouper <strong>en</strong> ateliersimplantés dans leurs communes de résid<strong>en</strong>ce les terrains y <strong>sont</strong> moins ch=rsqu'à Lille et il arrive que l'on puis<strong>se</strong> réutili<strong>se</strong>r des locaux où avai<strong>en</strong>t étéras<strong>se</strong>mblés des métiers manuels. La Vallée de la Lys offre à cet égard bi<strong>en</strong> desavantages et bénéficie de nombreux investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts lillois (.... ).(.) Pour tout ce développem<strong>en</strong>t cf. J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte.(..) Le tissage à main disparaît aussi définitivem<strong>en</strong>t à cette époque. Ce <strong>sont</strong>les condltlons de vie de ces artisans, travaillant dans des caves pour rechercherl'humidité, qui ont inspiré la pathétique et célèbre description du médecinVillermé.(...) Une autre forme de conversion existe pour les d<strong>en</strong>telllères ou leurs fliles:la confection (cf. sur ce point la thè<strong>se</strong> de R. Blanchard). Cette activité pr<strong>en</strong>dson essor, après 1860, et <strong>se</strong> conc<strong>en</strong>tre l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> ateliers. <strong>Les</strong> industrlels<strong>textiles</strong> intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t peu dans cette branche. Seuls les fabricants de linge demalson organi<strong>se</strong>nt eux-mêmes la confection d'une partie de leurs articles.(.... ) La situation avait été différ<strong>en</strong>te à Roubaix-Tourcolng, car la métallurgies'y développait peu et ces villes disposai<strong>en</strong>t de <strong>be</strong>aucoup d'espaces libres.On fabriquait des étoffes d'habillem<strong>en</strong>t et d'ameublem<strong>en</strong>t, articles très variés,nécessitant une surveillance constante de l'industriel pour vérifier les dessinsfaire les échantillons etc ... à Lille, on fait faire des tissus de grande <strong>se</strong>rie.


- 212 -En définitive, Lille a dû pour l'es<strong>se</strong>ntiel son essor textile, moinsà sa tradition dans ce domaine, qu'au fait d'avoir été une grande ville dès ledébut du dix-neuvième siècle. C<strong>en</strong>tre important aux activités multiples, la villedisposait d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs aux origines professionnelles et géographiques <strong>be</strong>aucoupplus variées qu'à Roubaix-Tourcoing. Noeud de communications as<strong>se</strong>z bi<strong>en</strong>équipée, elle attire les technici<strong>en</strong>s et constructeurs de matériel britanniques,comme le montre éloquemm<strong>en</strong>t la liste dressée par P. Pierrard pour les années 1860,Lille a égalem<strong>en</strong>t bénéficié, jusqu'<strong>en</strong> 1870, d'un apport considérable de <strong>be</strong>lges:F. Codacionni signale, dans sa thè<strong>se</strong>, que, <strong>en</strong> 1872, sur une population de 158.000habitants, on compte 29,4 % d'étrangers originaires de ce pays (.).En 1914, le c<strong>en</strong>tre textile lillois a acquis <strong>se</strong>s caractéristiques de1954. Une bourgeoisie s'est constituée qui contracte des alliances matrimonialesde plus <strong>en</strong> plus nombreu<strong>se</strong>s avec son homologue de Roubaix-Tourcoing; un milieupatronal homogène <strong>se</strong> forme, bi<strong>en</strong> que les activités des deux c<strong>en</strong>tres rest<strong>en</strong>t trèsdiffér<strong>en</strong>tes.La première Guerre Mondiale <strong>en</strong>traîne de nombreu<strong>se</strong>s destructions dematériel <strong>en</strong> raison de l'occupation allemande et parfois des combats: par exemple,il ne reste plus ri<strong>en</strong> de la grande usine Agache, à Pér<strong>en</strong>chies. Au cours des hostilités,certains fabricants ont monté des installations de production provisoiresdans le reste de la France. La société Thiriez <strong>en</strong> a con<strong>se</strong>rvé une usine à Doull<strong>en</strong>s,dans le départem<strong>en</strong>t de la Somme et la firme Le Blan un établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t à Mantes.Des firmes <strong>en</strong> ont profité pour s'intéres<strong>se</strong>r à l'industrie cotonnière normande.Le mouvem<strong>en</strong>t <strong>se</strong> poursuivra lors de la cri<strong>se</strong> économique des années 1930 (.. J.guerreLa filature de lin avait perdu 88 % de son matériel au cours de latoutes les broches ne <strong>sont</strong> pas remplacées après la fin des hostilités,(.) Cet auteur signale égalem<strong>en</strong>t la pré<strong>se</strong>nce, <strong>en</strong> 1886, de 1.086 Britanniques.L'importance de cette colonie est à mettre <strong>en</strong> rapport avec leur rôle dans l'industrie,mis <strong>en</strong> valeur par P. Pierrard.(..) Il est as<strong>se</strong>z difficile de <strong>se</strong> r<strong>en</strong><strong>se</strong>igner exactem<strong>en</strong>t sur cet aspect: la périodeest trop proche pour avoir susciter <strong>be</strong>aucoup d'études historiques. L'<strong>en</strong>quêtedirecte est difficile, <strong>be</strong>aucoup de ces firmes ayant disparu <strong>en</strong>tre 1954et 1965. <strong>Les</strong> donnees citees à propos d'Agache <strong>sont</strong> tire,es directem<strong>en</strong>t des rapportsd'activité de cette société, aimablem<strong>en</strong>t mis à la disposition de l'auteur.


- 213 -car c'est déjà une activité <strong>en</strong> difficultés.La cri<strong>se</strong> des années 1930 amène une quasi-disparition des exportationsde nombreu<strong>se</strong>s firmes ces<strong>se</strong>nt de produire. Dans son étude citée, J. Malézieuxdénombre dix fermetures, dans l'agglomération lilloi<strong>se</strong>, <strong>en</strong>tre 1930 et 1935. Lasociété Agache, par contre, améliore <strong>en</strong>core sa position au cours de cette période:l'usine de Pér<strong>en</strong>chies est reconstruite et agrandie; une filature de coton estrachetée à La Madeleine, une de lin à Seclin. Elle pr<strong>en</strong>d le contrôle d'un tissageà Arm<strong>en</strong>tières, d'une blanchis<strong>se</strong>rie au Pont de Nieppe. En 1928, la firme occupeplus de 4.000 salariés. En 1931, elle possède 73.000 broches à filer le lin,soit 15 % du total français. Elle est égalem<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>ue une importante <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>de filature de coton. En 1934, elle comm<strong>en</strong>ce à faire de la ficelle agricole <strong>en</strong>sisal,à Seclin.L'industrie du coton aussi est touchée par la cri<strong>se</strong> ( .) : <strong>en</strong> 1935, lamoitié des broches de filature <strong>sont</strong> arrêtées. En 1938, la production n'atteintpas <strong>en</strong>core le niveau de 1913 ; ces difficultés permett<strong>en</strong>t aux firmes importantesde r<strong>en</strong>forcer leur préémin<strong>en</strong>ce, sans que les structures de production <strong>en</strong> soi<strong>en</strong>tpour autant bouleversées. C'est ainsi que la société Thiriez absor<strong>be</strong> la firmeparisi<strong>en</strong>ne Cartier-Bresson dont les moy<strong>en</strong>s de production <strong>sont</strong> conc<strong>en</strong>trés dansl'usinelilloi<strong>se</strong>.Au cours de la déc<strong>en</strong>nie qui précède l~ Seconde Guerre Mondiale, lesusines de l'agglomération lilloi<strong>se</strong>, les filatures <strong>en</strong> particulier, comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t àorgani<strong>se</strong>r le ramassage, par Cir, de la main-d'oeuvre féminine de la région desmines. L'industrie textile, ivec <strong>se</strong>s périodes de chômage et son ambiance detravail pénible, attire de moins <strong>en</strong> moins la popul~tion résid<strong>en</strong>te. Ce phénomène( .) cf. Baracca, Bonnot, Dozier, Vermeul<strong>en</strong>, étude citée.


- 214 -TABLEAU N° 19EVOLUTION DU NOMBRE DE BROCHES A FILER LE LIN EN FRANCEET DANS LA REGION NORD -PAS DE CALAISSources P. Billaux, L. Merchier, Annuaire statistique régional (édition 1951)Année France <strong>en</strong>tière Nord-Pas de Calais Arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t deLill e1847 282.000 118.0001857 452.000 304.000 272.0001867 625.000 415.0001899 485.000 444.000 399.0001914 577 .000 552.0001927 490.000 471.0001950 439.000 415.000(N.B. Il s'agit du nombre de broches <strong>en</strong> activité.)


- 215 -TABLEAU W 20EVOLUTION DE LA SURFACE PLANTEE EN LIN EN FRANCE ET DANS LE NORD-PAS DE CALAISUnité : hectareSources : P. Billaux, L. Merchier, Annuaire statistique régional (édition 1951)Année France <strong>en</strong>tière Nord Pas-de-CalaisIB42 98.600 10.226 7.5211862 105.455 9.640 17.3801877 71.163 9.6481899 17.594 1.361 1.0381902 21. 996 7.5381929 28.200 6.700 3.1001938 38.400 4.600 2.1001948 30.800 3.500 2.600


- 216 -affecte as<strong>se</strong>z peu des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts tels que ceux d'Agache à Pér<strong>en</strong>chies ou deThiriez à Loos, qui log<strong>en</strong>t une grande partie de leur personnel et dispo<strong>se</strong>nt desalariés travaillant pour eux depuis parfois plus d'une génération. <strong>Les</strong> oeuvressociales mi<strong>se</strong>s <strong>en</strong> <strong>place</strong>, dès le dix-neuvième siècle, et la puissance des firmescontribu<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t à créer un climat de sécurité qui leur donne une bonneimage de marque et facilite le recrutem<strong>en</strong>t de leur main-d'oeuvre.La Seconde Guerre Mondiale n'<strong>en</strong>tra1ne pas de grandes destruction<strong>se</strong>lle est suivie par la pri<strong>se</strong> de contrôle de la • Cotonnière de Fives' par legroupe Boussac, première <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> textile françai<strong>se</strong> à cette époque.L'industrie textile lilloi<strong>se</strong> n'a pas acquis le méme rayonnem<strong>en</strong>t quecelle de Roubaix-Tourcoing, mais l'économie de la ville ne repo<strong>se</strong> pas es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>tsur elle. En dépit de leur proximité géographique, ces deux grands foyer<strong>sont</strong> con<strong>se</strong>rvé leur autonomie. Par la nature de leu~ activités <strong>textiles</strong>, leurdiffér<strong>en</strong>ciation s'est même acc<strong>en</strong>tuée au cours de la Révolution industrielle.Dans toute cette région, le textile est très répandu à la veille de laRévolution industrielle. Il constitue probablem<strong>en</strong>t la ressource principale dela majeure partie de la population. Cette activité est surtout ori<strong>en</strong>tée versle travail du lin. La plupart des paysans le cultive et valori<strong>se</strong> leurs récoltespar le tissage de toiles ordinaires. Le textile est pré<strong>se</strong>nt dans toutes lescommunes et les structures de production <strong>sont</strong> très artisanales: <strong>be</strong>aucoup detis<strong>se</strong>rands ne <strong>se</strong> livr<strong>en</strong>t à cette occupation que p<strong>en</strong>dant la morte-saison.Presque tous <strong>sont</strong> des travailleurs indép<strong>en</strong>dants. Ils vont eux-mêmesv<strong>en</strong>dre leurs toiles dans des foires qui <strong>se</strong> ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à intervalles réguliers;ce mode de commercialisation est tout à fait analogue à celui des produits agricoles.L'émiettem<strong>en</strong>t géographique et technique de la production est d'autant pluspoussé qu'il n'y a jamais eu de corps de métiers ou de jurandes. Au dix-huitièmesiècle, <strong>en</strong> fait, sinon <strong>en</strong> droit, la fabrication est libre dans toute la Valléede la Lys.


- 217 -La v<strong>en</strong>te des toiles au consommateur <strong>se</strong> fait par l'intermédiaire d<strong>en</strong>égociants qui effectu<strong>en</strong>t eux-mêmes, ou par l'<strong>en</strong>tremi<strong>se</strong> de faconniers, le blanchim<strong>en</strong>t.Au début du dix-neuvième siècle, rares <strong>sont</strong> les <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs qui ontun atelier de tissage et ce dernier est toujours de dim<strong>en</strong>sion modeste: J.Lam<strong>be</strong>rt·Dan<strong>se</strong>tte <strong>en</strong> dénombre six, <strong>en</strong> 1806, à Arm<strong>en</strong>tières; ils emploi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne 14salariés.Même sur le plan commercial, cette activité n'est pas conc<strong>en</strong>trée géographiquem<strong>en</strong>t:au moins <strong>se</strong>pt ou huit localités <strong>sont</strong> le théâtre de foires animées,y compris des petits c<strong>en</strong>tres comme La Gorgue ou Estaires. Aucune ville ne dépas<strong>se</strong>les 8.000 habitants. Arm<strong>en</strong>tières <strong>se</strong>ule avoisine ce chiffre. Ces divers foyersne <strong>sont</strong> pas hiérarchisés <strong>en</strong>tre eux. La finition, elle aussi, est répartie<strong>en</strong>tre de nombreu<strong>se</strong>s communes: le blanchim<strong>en</strong>t <strong>se</strong> réali<strong>se</strong> par exposition destoiles que l'on humidifie souv<strong>en</strong>t. <strong>Les</strong> ét<strong>en</strong>dues planes qui bord<strong>en</strong>t les rivesde la Lys <strong>se</strong> prêt<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> à cette opération. Ces blanchis<strong>se</strong>ries <strong>en</strong>tourées deprairies s'égrèn<strong>en</strong>t régulièrem<strong>en</strong>t le long du fleuve dans un cadre tout à faitrural. Dieudonné <strong>en</strong> dénombre 13 à Estaires, 10 à La Gorgue, 15 à Ste<strong>en</strong>werck,7 à Arm<strong>en</strong>tières etc Le blanchim<strong>en</strong>t est une spécialité de la vallée de laLys à l'échelle régionale, mais Arm<strong>en</strong>tières ne le contrôle pas.Le <strong>se</strong>cteur de Comines-Wervicq s'individuali<strong>se</strong> déjà par la pré<strong>se</strong>nce dequelques productions spécifiques: la filterie à Wervicq et surtout la rubanerieà Comines (.). Cette activité était repré<strong>se</strong>ntée dès le dix-huitième siècleoù un atelier avait été monté par un marchand d'Ypres coupé d'une partie de sacli<strong>en</strong>tèle par la fixation de la frontière <strong>en</strong>tre la France et les Pays-BasAutrichi<strong>en</strong>s. Le travail <strong>se</strong> fait à domicile, la finition <strong>en</strong> atelier. On utili<strong>se</strong>uniquem<strong>en</strong>t du lin ( et non pas la soie comme à Saint-Eti<strong>en</strong>ne) et élabore plutôtdes cordons que des rubans proprem<strong>en</strong>t dits. En 1801, Dieudonné dénombre 100(.) cf. E. Flam<strong>en</strong>t, article cité.


- 218 -métiers à Comines, plus des trois quarts de tous ceux du départem<strong>en</strong>t. En 1805,les 25 fabricants cominois emploi<strong>en</strong>t 100 ouvriers <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t, et le plus importantd'<strong>en</strong>tre eux, 15. Là <strong>en</strong>core il ne s'agit que d'un artisanat. La m<strong>en</strong>talitéest as<strong>se</strong>z con<strong>se</strong>rvatrice sur le plan technique: il faut att<strong>en</strong>dre 1815 pour quele coton comm<strong>en</strong>ce à être utilisé.La Vallée de la Lys ne dispo<strong>se</strong> pas d'un c<strong>en</strong>tre urbain et attractifcomme la région lilloi<strong>se</strong>; <strong>se</strong>s négociants <strong>sont</strong> moins puissants financièrem<strong>en</strong>tque ceux de Roubaix-Tourcoing et n'ont pas leur habitude du commerce à longuedistance sur des marchés difficiles comme ceux de la mode. <strong>Les</strong> artisans decette région n'ont pas la grande habilité technique de ceux du Cambrésis. Parconséqu<strong>en</strong>t la Vallée de la Lys n'offre pas, à priori, des conditions très favorablesà l'industrialisation du textile. Sa situation n'est pas tellem<strong>en</strong>t différ<strong>en</strong>tede celle de la Flandre Intérieure qui connaîtra plus d'échecs que de succès.En raison de ce contexte, la modernisation du textile dans la Vallée de la Lys<strong>se</strong> caractéri<strong>se</strong> par deux faits fondam<strong>en</strong>taux1) La mécanisation <strong>se</strong> produit plus tardivem<strong>en</strong>t que dans le reste de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tde Lille.II) <strong>Les</strong> activités qui <strong>se</strong> développ<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t <strong>sont</strong> celles qui nécessit<strong>en</strong>t lemoins de capitaux.Comme toujours, c'est par la filature de coton que comm<strong>en</strong>ce l'industrialisation.De petits établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts apparais<strong>se</strong>nt sous le Premier Empire, à Arm<strong>en</strong>tièresnotamm<strong>en</strong>t. La ville (cf.J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte) compte 53 ouvriers danscette branche, <strong>en</strong> 1812, et 440, <strong>en</strong> 1824. Le rôle es<strong>se</strong>ntiel revi<strong>en</strong>t alors à lafamille Dan<strong>se</strong>tte, dont les membres étai<strong>en</strong>t à l'origine des propriétaires terri<strong>en</strong>sd'Halluin. Ils <strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans le textile <strong>en</strong> <strong>se</strong> livrant au négoce des toiles ets'intéres<strong>se</strong>nt à la filature pour <strong>se</strong> procurer les filés nécessaires aux tis<strong>se</strong>randsà domicile qu'ils faisai<strong>en</strong>t travailler.Ceci est la règle générale dans la Vallée de la Lys: la filature n'estpas développée pour elle-même mais uniquem<strong>en</strong>t par souci d'intégration; l'activitéprincipale des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s reste le tissage ou parfois l'<strong>en</strong>noblis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t destoiles. <strong>Les</strong> conséqu<strong>en</strong>ces de cette situation <strong>sont</strong> graves: la filature ne reçoitpas systématiquem<strong>en</strong>t tous les investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts puisqu'elle a une <strong>place</strong> subordonnée,


- 219 -En 1847, la plus grande usine n'a que 6.000 broches, ce qui est peu par rapportà Roubaix ou à Lille.Lorsque, à partir de 1850, le tissage de cette reglon s'ori<strong>en</strong>te d<strong>en</strong>ouveau vers le lin, la filature du coton décline dans la Vallée de la Lys, quipr<strong>en</strong>d un retard considérable dans cette branche. Cette activité ne connaîtra une<strong>se</strong>conde pha<strong>se</strong> d'expansion que vers la fin du dix-neuvième siècle, à un mom<strong>en</strong>toù le marché est déjà <strong>en</strong> grande partie occupé par des firmes puissantes. LaVallée de la Lys est dès lors condamnée à jouer un rôle de <strong>se</strong>cond plan: 100.000broches de filature de coton <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t exist<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> 1900, dans la région arm<strong>en</strong>tièroi<strong>se</strong>.La filature mécanique du lin débute très timidem<strong>en</strong>t dans la Vallée dela Lys. Après quelques t<strong>en</strong>tatives avortées au début du siècle, le premier établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tarm<strong>en</strong>tièrois est créé <strong>en</strong> 1840 ; mais, dans cette ville, il reste le <strong>se</strong>ulp<strong>en</strong>dant une dizaine d'années. Cette activité ne pr<strong>en</strong>d son essor qu'à partir de1860, dans l'euphorie provoquée par la Guerre de Sécession. Des firmes lilloi<strong>se</strong>spuissantes exist<strong>en</strong>t déjà et, dès les années 1880, la concurr<strong>en</strong>ce du coton <strong>en</strong>traîneune contraction de l'appareil de production (cf. A. Aftalion). <strong>Les</strong> <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>sde la Vallée de la Lys ne bénéfici<strong>en</strong>t que d'une période as<strong>se</strong>z courte pour assurerleurdéveloppem<strong>en</strong>t.La filterie égalem<strong>en</strong>t ne <strong>se</strong> moderni<strong>se</strong> que très tardivem<strong>en</strong>t. La firmecominoi<strong>se</strong> la plus importante, Cousin Frères, a été créée, <strong>en</strong> 1848, par une famillelocale; la première machine à vapeur n'est installée qu'<strong>en</strong> 1860 ; la sociétéreste très longtemps fidèle au lin. Cette évolution explique que la Vallée de laLys, <strong>en</strong> 1899 (cf. L. Merchier) ne dispo<strong>se</strong> que du quart des broches à filer lelin du Nord-Pas de Calais; le principal foyer est Arm<strong>en</strong>tières, suivi de Halluinet des communes <strong>en</strong>vironnantes.L'activité es<strong>se</strong>ntielle de la Vallée de la Lys reste le tissage, celuiciconnaît une indiscutable expansion p<strong>en</strong>dant la première moitié du dix-neuvièmesiècle: les progrès de la filature mécanique fournis<strong>se</strong>nt une matière premièreabondante dont la distribution est assurée par les marchands-transformateurs,ce qui r<strong>en</strong>force la position de ces derniers vis-à-vis des artisans. Certainsnégociants cré<strong>en</strong>t de petits ateliers où <strong>sont</strong> ras<strong>se</strong>mblés des métiers manuels.


- 220 -Le tissage <strong>se</strong> développe sans <strong>se</strong> mécani<strong>se</strong>r car le métier mécaniqu<strong>en</strong>'est pas tellem<strong>en</strong>t plus rapide et coûte plus cher (.). Le prix de façondes artisans <strong>sont</strong> bas car ils <strong>sont</strong> nombreux. Lorsque, vers 1850, l'essor industrielde Lille, Roubaix, Tourcoing crée un appel de main-d'oeuvre qui pourraitles raréfier, l'arrivée massive des Belges permet de comp<strong>en</strong><strong>se</strong>r cette influ<strong>en</strong>ce.Dans ce domaine ci <strong>en</strong>core, la mécanisation <strong>se</strong>ra tardive. Une autre caractéristiqueimportante est à signaler: le retour vers le tissage du lin à partir desannées 1840, alors que depuis l'Empire le coton t<strong>en</strong>dait à pr<strong>en</strong>dre la première<strong>place</strong>. La raison économique <strong>en</strong> est simple: la mi<strong>se</strong> au point de la filaturemécanique du lin abais<strong>se</strong> le prix de revi<strong>en</strong>t de fils qui avai<strong>en</strong>t con<strong>se</strong>rvé toutleur prestige pour l'élaboration des toiles destinées au linge de maison, spécialitétraditionnelle de la Vallée de la Lys (..). Ce r<strong>en</strong>ouveau a eu <strong>be</strong>aucoupde conséqu<strong>en</strong>ces car il cantonnait les firmes sur un marché dont les débouchésallai<strong>en</strong>t <strong>se</strong> restreindre après 1880 les obligeant à opérer une conversion versles tissus métis.Le tissage manuel connaît son apogée à Arm<strong>en</strong>tières vers 1860 (...). Lepremier établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t mécanisé n'apparaît qu'<strong>en</strong> 1848, dix ans après Lille. En1870, subsist<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core plusieurs milliers de métiers à mai~, tandis que 3.000métiers mécaniques fonctionn<strong>en</strong>t. C'est au cours de la déc<strong>en</strong>nie 1860-1870 ques'édifi<strong>en</strong>t <strong>be</strong>aucoup de fortunes patronales, car la " famine de coton" a permisd'amortir rapidem<strong>en</strong>t le matériel et d'accumuler les capitaux.Le négoce de toile avait suscité des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s puissantes faisanttravailler parfois des c<strong>en</strong>taines de tis<strong>se</strong>rands. La plupart pourtant ne réussis<strong>se</strong>ntpas à pas<strong>se</strong>r au stade industriel. Un rec<strong>en</strong><strong>se</strong>m<strong>en</strong>t précis, effectué parJ. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte, montre que le quart <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t des négociants-transformateurs(.) En 1860, J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte, estime le rapport de un à dix.(.. ) Le travaIl des fils de lin, moins souples que ceux dp coton, n'incitait pasà utili<strong>se</strong>r des métiers mécaniques dont la rapidité accroissaIt le rIsque de cas<strong>se</strong>.( ... ) J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte estime que, <strong>en</strong> 1860 1le tissage manuel emploie dansla région d'Arm<strong>en</strong>tières 21.000 personnes et le mécanique gOQ. cf.la thè<strong>se</strong> de cetauteur pour tout ce développem<strong>en</strong>t et notamm<strong>en</strong>t l'étude préci<strong>se</strong> des orIgines dela firme Coisne et Lam<strong>be</strong>rt.


- 221 -de toiles réussit cette conversion.L'exemple de la firme Coisne et Lam<strong>be</strong>rt permet de bi<strong>en</strong> saisir le mécanismede l'asc<strong>en</strong>sion des firmes modernes. En 1853, H<strong>en</strong>ri Coisne, fils d'une famillede propriétaires terri<strong>en</strong>s de Lomme, repr<strong>en</strong>d une <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> de tissagemanuel à Arm<strong>en</strong>tières. L'actif total de celle-ci, marchandi<strong>se</strong>s et matériel compris<strong>se</strong> monte à 60.000 francs <strong>en</strong> 1854. En 1856, la firme s'agrandit d'une blanchis<strong>se</strong>rie.En 1862, Léopold Lam<strong>be</strong>rt, jeune <strong>be</strong>lge dynamique, est associé à l'affaire.Il apportait peu de capitaux (50.000 F) mais avait prouvé sa compét<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> travaillantcomme salarié dans l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> qui compr<strong>en</strong>ait alors 150 métiers à main.De 1862 à 1866, la moy<strong>en</strong>ne des bénéfices d'exploitation <strong>se</strong> monte à 40.000 francspar an ; cette somme permet de financer, <strong>en</strong> 1865, la construction d'un tissagemécanique qui emploie 200 ouvriers. Le contrat d'association avait prévu que lesassociés ne pouvai<strong>en</strong>t toucher que 3.000 francs par an plus un intérêt de 5 % dumontant de leurs apports; le reste du bénéfice d'exploitation étant obligatoirem<strong>en</strong>tlaissé à la disposition de l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>.Il <strong>se</strong>rait hasardeux de prét<strong>en</strong>dre qu'Arm<strong>en</strong>tières devait nécessairem<strong>en</strong>tdev<strong>en</strong>ir le principal foyer textile de la Vallée de la Lys, surtout si l'on <strong>se</strong>souvi<strong>en</strong>t que <strong>be</strong>aucoup des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs qui ont su tirer partie de la périodefavorable, n'étai<strong>en</strong>t pas originaires de cette ville; il y avait même quelquesbritanniques. Cet essor industriel <strong>se</strong> traduit de façon très nette dans l'évolutiondémographique : <strong>en</strong> 1850, la ville a <strong>en</strong>viron 8.000 habitants, chiffre comparableà celui du début du dix-neuvième siècle; on atteint 11.900 <strong>en</strong> 1861 et19.000 <strong>en</strong> 1872. Par la suite la croissance <strong>se</strong> poursuit à un rythme moins rapide:29.000 <strong>en</strong> 1900, puis c'est la stagnation due au développem<strong>en</strong>t du mouvem<strong>en</strong>t frontalieret aux problèmes que connaît l'industrie linière.Dès 1890, 20 % des filés utilisés par le tissage <strong>sont</strong> <strong>en</strong> coton et unefirme comme Coisne et Lam<strong>be</strong>rt a 150 métiers ré<strong>se</strong>rvés uniquem<strong>en</strong>t à cette fibre.Un regain d'activité <strong>se</strong> manifeste après 1900 grâce aux commandes militaires


- 222 -qui devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t un des principaux débouchés de l'industrie linière. Cela pré<strong>se</strong>ntel'avantage d'apporter des ordres importants, mais la branche <strong>se</strong> trouve cantonnéedans un marché trés spécifique et aléatoire à long terme.La plupart des autres communes de la vallée de la Lys, situées <strong>en</strong> avald'Arm<strong>en</strong>tières, connais<strong>se</strong>nt une période d'industrialisation du tissage du lin<strong>en</strong>core plus tardive: à Halluin, Lemaitre- Demeestère, fondée <strong>en</strong> 1837, <strong>se</strong> mécani<strong>se</strong><strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1870. A Roncq, les établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts Delahous<strong>se</strong> réali<strong>se</strong>nt cette opération<strong>en</strong> 1891. Il s'agit de firmes créées par des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs locaux. Maistoutes ces communes offrai<strong>en</strong>t un terrain favorable aux grandes <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s deLille, Roubaix et Tourcoing. Ces localités <strong>sont</strong> d'autant plus attractives qu'elles<strong>sont</strong> jumelées avec des cités <strong>be</strong>lges qui <strong>se</strong> transform<strong>en</strong>t <strong>en</strong> communes-dortoir etaccrois<strong>se</strong>nt <strong>be</strong>aucoup les disponibilités <strong>en</strong> main-d'oeuvre (.). Ceci <strong>en</strong>traîne dans<strong>be</strong>aucoup de cas la perte de l'autonomie d'une bonne partie des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts.Le travail de la laine est introduit à Halluin, Lin<strong>se</strong>lles et Roncq par des g<strong>en</strong>sde Roubaix-Tourcoing.Une exception notable à ce processus de subordination s'ob<strong>se</strong>rve, toutefois,dans la rubanerie (..), à Comines et à Wervicq. Cette activité évolue as<strong>se</strong>zpeu jusqu'<strong>en</strong> 1850. Certes, une conc<strong>en</strong>tration s'est opérée: 8 fabricants au lieude 25, mais la technique de production reste artisanale; le travail <strong>se</strong> fait àdomicile dans de petites maisons édifiées par les patrons pour accueillir lamain-d'oeuvre, notamm<strong>en</strong>t les Belges.En 1852, la première activité de Comines reste la filterie avec 655salariés tandis que le tissage de rubans ne procure du travail qu'à 545 personnes.L'industrialisation s'effectue sous le Second Empire: la première machineà vapeur est installée vers 1850. Des perfectionnem<strong>en</strong>ts réalisés <strong>en</strong> partie àComines même par H<strong>en</strong>ri Gallant accrois<strong>se</strong>nt très <strong>se</strong>nsiblem<strong>en</strong>t la productivitédes métiers mécaniques. Le travail <strong>se</strong> conc<strong>en</strong>tre <strong>en</strong> ateliers et l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>(.) L'immigration <strong>be</strong>lge avait déjà <strong>be</strong>aucoup gonflé leur population, l'exemplele plus spectaculaire est celui d'Halluin: <strong>en</strong> 1900, sur 16.600 habitants, 9.000<strong>sont</strong> <strong>be</strong>lges; <strong>en</strong> 1872, la proportion de ces derniers atteignait les trois quarts(cf. D. Vermander, D.E.S. cité).(..) cf. E. Flam<strong>en</strong>t et J. Lam<strong>be</strong>rt-Dan<strong>se</strong>tte.


- 223 -Lauwicq, repri<strong>se</strong> <strong>en</strong>suite par la famille de l 'habile technici<strong>en</strong> H. Gallant,devi<strong>en</strong>t la première <strong>en</strong> France dans cette spècialité, avec 400 salariés, <strong>en</strong> 1875.La mécanisation a été tardive, mais Comines est parmi les premiers c<strong>en</strong>tres àl'adopter; pour une fois la Vallée de la Lys n'est pas <strong>en</strong> retard et s'est résolum<strong>en</strong>ttournée vers l'utilisation du coton. Cette réussite provoque l'ext<strong>en</strong>sionde la branche et, <strong>en</strong> 1914, 11 établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts <strong>sont</strong> <strong>en</strong> activité dans les deuxcommunes employant 860 rubaniers, sans compter le personnel auxiliaire et lesétablis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de teinture. <strong>Les</strong> <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s <strong>sont</strong> de taille moy<strong>en</strong>ne mais con<strong>se</strong>rv<strong>en</strong>tleur indép<strong>en</strong>dance, car les grandes firmes <strong>textiles</strong> de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t deLille n'o<strong>se</strong>nt pas s'av<strong>en</strong>turer dans ce <strong>se</strong>cteur très spécialisé.A la veille de la Première Guerre Mondiale, les <strong>industries</strong> <strong>textiles</strong> dela Vallée de la Lys pré<strong>se</strong>nt<strong>en</strong>t déjà la répartition spatiale qui <strong>se</strong>ra <strong>en</strong>core laleur dans les années 1950. La guerre fut particulièrem<strong>en</strong>t destructrice dans ce<strong>se</strong>cteur, car, aux déprédations commi<strong>se</strong>s par l'occupant, s'ajoutèr<strong>en</strong>t des dégâtscausés par les opérations militaires proprem<strong>en</strong>t dites.Entre les deux Guerres Mondiales, on n'ob<strong>se</strong>rve pas de transformationradicale mais une poursuite de l'accrois<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t du rôle des firmes principale<strong>se</strong>t l'acc<strong>en</strong>tuation de l'empri<strong>se</strong> de Lille, Roubaix et Tourcoing sur toute la partieaval de la Vallée de la Lys. Dans la région arm<strong>en</strong>tièroi<strong>se</strong> des filatures de linferm<strong>en</strong>t, dont cinq <strong>en</strong>tre 1930 et 1935, et le glis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t vers le coton s'acc<strong>en</strong>tue.Une firme comme Coisne et Lam<strong>be</strong>rt <strong>se</strong> consacre désormais uniquem<strong>en</strong>t à cette fibre.Elle crée une filature à Bailleul et ouvre un nouvel établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t à La Chapelled'Arm<strong>en</strong>tières (filature, retorderie, tissage) (.).Entre les deux Guerres des <strong>en</strong>couragem<strong>en</strong>ts <strong>sont</strong> prodigués par les autoritésfrançai<strong>se</strong>s pour favori<strong>se</strong>r le développem<strong>en</strong>t d'une industrie nationale du(.) Entre 1945 et 1954, la firme installe des unités cotonnières au Maroc, auSénégal et <strong>en</strong> Afrique du Sud, confirmant ainsi de façon indiscutable sa <strong>place</strong>de première <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> textile d'Arm<strong>en</strong>tières et de toute la Vallée de la Lys.


- 224 -teillage du lin; ceci <strong>en</strong>traîne l'arrivée d'un certain nombre de producteurs<strong>be</strong>lges. La Vallée de la Lys proche de la Belgique et des filatures de lin estévidemm<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> placée pour accueillir ces implantations,(sans oublier que l'ony cultive toujours cette fibre). Il faut noter, toutefois (Cf. P. Billaux), qu'<strong>en</strong>1939 50 à 65 % des lins français étai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core teillés à Courtrai.Le caractère généralem<strong>en</strong>t tardif de l'industrialisation textile dansla Vallée de la Lys et sa spécialisation dans le tissage, activité la moinsconc<strong>en</strong>trée sur le plan géographique et technique, n'ont pas permis la constitutiond'un c<strong>en</strong>tre de grande importance et aucune ville n'a eu le temps de polari<strong>se</strong>rà son profit tout cet <strong>en</strong><strong>se</strong>mble.On a assisté à une différ<strong>en</strong>ciation croissante des divers <strong>se</strong>cteurs dela Vallée de la Lys, au cours de l'industrialisation: la partie amont, de Mervilleà Arm<strong>en</strong>tières, a connu la stagnation ou même parfois le déclin (.), la disparitiondu tissage manuel n'ayant été comp<strong>en</strong>sée que par quelques implantationsréalisées par des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s arm<strong>en</strong>tièroi<strong>se</strong>s.La " Cité de la toile" a acquis une importance et un rayonnem<strong>en</strong>tqu'elle n'avait pas avant la Révolution Industrielle. S<strong>en</strong>sible déjà dans cetteville, le rôle de la frontière a été considérable <strong>en</strong> aval car c'est elle, <strong>en</strong>grande partie, qui r<strong>en</strong>dait ces communes attractives pour les investis<strong>se</strong>urs deRoubaix-Tourcoing ou de Lille. <strong>Les</strong> créations qui ne pouvai<strong>en</strong>t <strong>se</strong> faire <strong>en</strong> Flandre<strong>be</strong>lge <strong>se</strong> localisai<strong>en</strong>t là, <strong>en</strong>traînant une ségrégation <strong>en</strong>tre la rive françai<strong>se</strong> où<strong>se</strong> conc<strong>en</strong>trai<strong>en</strong>t les usines et la rive <strong>be</strong>lge où s'installai<strong>en</strong>t les travailleurs.Halluin, proche de Roubaix-Tourcoing <strong>en</strong> a reçu des activités nouvelles.(.) Entre 1801 et 1954, la population de la plupart de ces communes augm<strong>en</strong>tefort peu et parfois décllne comme à Estaires. Cf. N. Despringhère, D.E.S. cité.


- 225 -Cbmines et Wervicq ont acc<strong>en</strong>tué leur originalité, d'autant que la frontière,sans l'empêcher complétem<strong>en</strong>t, a freiné considérablem<strong>en</strong>t la diffusion de la rubaneriedans les communes <strong>be</strong>lges voisines.Cette partie du Nord-Pas de Calais est l'une de celles où la traditiontextile fut la plus brillante et où le travail textile était <strong>en</strong>core le plus répanduau début du dix-neuvième siècle. Le r<strong>en</strong>om du Cambrésis était fondé sur laproduction de toiles de lin trés fines, appelées" batiste ", du nom de leurinv<strong>en</strong>teur supposé. Au dix-<strong>se</strong>ptième et dix-huitième siècles ces articles étai<strong>en</strong>tappréciés dans toute l'Europe Occid<strong>en</strong>tale et <strong>en</strong> Grande-Bretagne notamm<strong>en</strong>t( ..).On utilisait le lin d'origine locale.Initialem<strong>en</strong>t réalisé dans les villes, le tissage s'était, au cours dudix-huitième siècle, trés largem<strong>en</strong>t diffusé dans les campagnes. A la veille dela Révolution, les métiers <strong>sont</strong> presque tous installés dans les zones ruralesde l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Cambrai. Dieudonné évalue, <strong>en</strong> 1801, leur nombre à 13.286,soit <strong>en</strong>viron 90 % de tous ceux du départem<strong>en</strong>t du Nord. Cambrai et <strong>se</strong>s <strong>en</strong>vironsimmédiats possèd<strong>en</strong>t moins de 5 % du total des métiers de leur arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t,qui <strong>se</strong> <strong>sont</strong> surtout diffusés au sud et à l'est du chef-lieu. Toutes les commune<strong>se</strong>n ont, aucune ne domine les autres les plus importantes <strong>en</strong> abrit<strong>en</strong>t plusieursc<strong>en</strong>taines. <strong>Les</strong> deux principaux <strong>en</strong><strong>se</strong>mbles <strong>sont</strong> le canton de Clary (27 % de l'arron,dis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t) et celui de Marcoing au sud (25 %). Ces communes rurales ne constituempas des c<strong>en</strong>tres autonomes car la finition et le négoce <strong>se</strong> conc<strong>en</strong>tr<strong>en</strong>t dans troisvilles périphériques: Val<strong>en</strong>ci<strong>en</strong>nes, Saint-Qu<strong>en</strong>tin et Cambrai. Cette dernière,<strong>en</strong> dépit de sa proximité des zones de production, ne joue pas le rôle principal :(.) <strong>Les</strong> sources es<strong>se</strong>ntielles <strong>sont</strong> Dieudonné pour la situation au début du dixneuvièmesiècle; L. Bajart et surtout R. Bricout pour l'évolution ultérieure.(.. ) En Anglais, <strong>en</strong>core de nos jours, le t.erme de Il Cambric II désigne les batiste<strong>se</strong>t les toiles très fines de lin. Le fait que ce nom soit dev<strong>en</strong>u un terme dulangage courant indique à la fois le prestige et la diffusion des articles duCambrésis.


- 226 -Val<strong>en</strong>ci<strong>en</strong>nes, <strong>en</strong> 1789, a quatre fois plus d'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de blanchîm<strong>en</strong>t queCambrai. Saint-Qu<strong>en</strong>tin, dont l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t produit moitié moins de piècesque celui de Cambrai, a un négoce <strong>be</strong>aucoup plus important (.). Le Cambrésis <strong>se</strong>pré<strong>se</strong>nte, à cette époque, comme une région d'artisanat textile diffus et spécialisé; il est as<strong>se</strong>z mal polarisé par les villes voisines.Le Cambrésis connaît des difficultés croissantes à partir de la <strong>se</strong>condemoitié du dix-huitième siècle. La concurr<strong>en</strong>ce des étoffes fines de coton, mous<strong>se</strong>line<strong>se</strong>t tulles, <strong>en</strong> est la raison fondam<strong>en</strong>tale. Au début, ces articles bénéfici<strong>en</strong>td'un <strong>en</strong>gouem<strong>en</strong>t dû à la mode. Sur le marché des produits de luxe, la nouveautéattire toujours <strong>be</strong>aucoup. Mais bi<strong>en</strong>tôt ce <strong>sont</strong> des cau<strong>se</strong>s économiquesprofondes qui favori<strong>se</strong>nt l'essor du coton: cette fibre <strong>se</strong> file mécaniquem<strong>en</strong>t,ce qui n'est pas <strong>en</strong>core le cas du lin et le tissage mécanique du tulle est misau point <strong>en</strong> Grande-Bretagne, dans la première déc<strong>en</strong>nie du dix-neuvième siècle.La concurr<strong>en</strong>ce britannique devi<strong>en</strong>t irrésistible, mème si le gouvernem<strong>en</strong>t françaisprohi<strong>be</strong> l'introduction de ces articles <strong>en</strong> France. Dès 1801, Dieudonné constateque le nombre des métiers à tis<strong>se</strong>r les toiles de lin a diminué, dans le Cambrésis.de près de 30 % par rapport à 1789 ; cette réduction a affecté à peu près égalem<strong>en</strong>tles divers foyers de production.Cette reglon dispo<strong>se</strong> d'une main-d'oeuvre habile et abondante (la d<strong>en</strong>sitéde l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Cambrai atteint 147 habitants au kilomètre carré <strong>en</strong>1821) dont l'activité principale est condamnée à un dépéris<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t irrémédiable.Une conversion économique s'impo<strong>se</strong>. L'impulsion peut difficilem<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>ir descommunes rurales où <strong>se</strong> r<strong>en</strong>contr<strong>en</strong>t presque uniquem<strong>en</strong>t des artisans peu <strong>en</strong>traînésau calcul économique et appauvris par les difficultés du mom<strong>en</strong>t.(.) Au début du dix-hultième siècle, par exemple, un négociant de Salnt-Qu<strong>en</strong>tin tL. Crommelin, qui avait émigré à la suite de la révocation de l'Edit de Nantes,contribua <strong>be</strong>aucoup à développer le travail du lin <strong>en</strong> Ulster. Il fut aidé par destis<strong>se</strong>urs du Cambrésis (Cf. P. Billaux).


- 227 -On pourrait imaginer que les villes voisines soi<strong>en</strong>t les instigatricesdu r<strong>en</strong>ouveau, car elles dispo<strong>se</strong>nt d'un certain nombre de négociants. Ce ne <strong>se</strong>rapas le cas. Cambrai, qui ne t<strong>en</strong>ait déjà plus qu'un rôle limité à la fin du dixhuitièmesiècle, stagne et devi<strong>en</strong>t un foyer textile de plus <strong>en</strong> plus <strong>se</strong>condaire.Val<strong>en</strong>ci<strong>en</strong>nes perd d'abord, au début du dix-neuvième siècle, son activité de fabricationde la d<strong>en</strong>telle au profit de Lille, elle est <strong>en</strong>suite rapidem<strong>en</strong>t accaparéepar le développem<strong>en</strong>t des activités minièr,~s et métallurgiques.Saint-Qu<strong>en</strong>tinconnaît un certain essor de la filature du coton dans les premières déc<strong>en</strong>niesdu dix-neuvième siècle, mais celui-ci est bi<strong>en</strong>tôt freiné par la concurr<strong>en</strong>ce desrégions de Mulhou<strong>se</strong> et de Lille. Saint-Qu<strong>en</strong>tin aura, au début, un rôle non-négligeablecomme <strong>place</strong> de négoce et contribuera à diffu<strong>se</strong>r la broderie à la fin dudix-neuvième siècle, mais son influ<strong>en</strong>ce <strong>se</strong>ra <strong>en</strong> définitive as<strong>se</strong>z limitée (.).Le r<strong>en</strong>ouvellem<strong>en</strong>t des activités <strong>textiles</strong> <strong>se</strong> fait très l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t, à lasuite d'initiative isolées v<strong>en</strong>ues souv<strong>en</strong>t de l'extérieur. De notre point de vue,il est surtout intéressant d'essayer de compr<strong>en</strong>dre pourquoi la production destulles et d<strong>en</strong>telles devi<strong>en</strong>t prépondérante et comm<strong>en</strong>t Caudry va progressivem<strong>en</strong>tdominer cet <strong>en</strong><strong>se</strong>mble. Au début du dix-neuvième siècle, <strong>en</strong> effet, cette localiténe <strong>se</strong> distingue guère des autres: <strong>en</strong> 1804, elle a moins de 2.000 habitants(1.926), alors que Le Cateau atteint 4.000. A 100 ou 200 unités près, <strong>en</strong> plus ou<strong>en</strong> moins, Villers-Outréaux, Clary, Busigny, Quiévy, ont une importance comparableet des spécialisations <strong>textiles</strong> id<strong>en</strong>tiques. <strong>Les</strong> jeux <strong>sont</strong> donc loin d'être faitsd'avance.Vers 1820, les premiers élém<strong>en</strong>ts de r<strong>en</strong>ouveau <strong>se</strong> manifest<strong>en</strong>t, Au Cateauapparaît la filature de la laine mais l'époque n'est pas <strong>en</strong>core propice à l'expansionde cette activité. Comme à Roubaix-Tourcoing, son développem<strong>en</strong>t <strong>se</strong> <strong>place</strong>après 1850. Cette évolution <strong>se</strong> fait parallèlem<strong>en</strong>t à celle de la région voisine(.) Cf. la thè<strong>se</strong> d'A. Demangeon. L'auteur m<strong>en</strong>tionne l'exist<strong>en</strong>ce de <strong>se</strong>pt filaturesmécaniques de coton <strong>en</strong> 1810 et leur déclin après 1840.


- 228 -de Fourmies. Toutefois Le Cateau constitue toujours un c<strong>en</strong>tre distinct de celuide l'Avesnois et <strong>be</strong>aucoup plus ori<strong>en</strong>té vers le tissage.Vers 1823-1825, des Britanniques introdui<strong>se</strong>nt dans la région des métiersmécaniques à tulle qui ne <strong>sont</strong> pas <strong>en</strong>core mus par la vapeur. Comme lesAnglais interdi<strong>se</strong>nt l'exportation de ces matériels et que les Français prohib<strong>en</strong>tles importations de tulle, tous les échanges <strong>se</strong> font clandestinem<strong>en</strong>t, ce qui nefacilite pas le travail des histori<strong>en</strong>s. Dès 1815-1816, des métiers arriv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>France, non <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t à Calais, mais aussi à Lille, Saint-Qu<strong>en</strong>tin, Douai, Ca<strong>en</strong>,Rou<strong>en</strong> même.<strong>Les</strong> motifs de ces implantations n'étai<strong>en</strong>t peut-être pas toujours industriels: elles pouvai<strong>en</strong>t <strong>se</strong>rvir de • couverture· à des importations frauduleu<strong>se</strong>sde tulles anglais que l'on <strong>se</strong> cont<strong>en</strong>tait de finir <strong>en</strong> France pour maquillerleur prov<strong>en</strong>ance. Le Cambrésis n'est pas la première région à recevoir ces matériels,mais il était normal que, tôt ou tard, les mécanici<strong>en</strong>s anglais vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tdans ce <strong>se</strong>cteur dont ils connaissai<strong>en</strong>t la réputation d'habilité de la maind'oeuvre.Le premier métier fut installé non à Caudry mais à Beauvois par unBelge, Carpriau, assisté de mécanici<strong>en</strong>s britanniques (.).Cambrai <strong>en</strong> reçoitquelques uns, <strong>en</strong> 1835 <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t.L'arrivée de ce matériel suscite l'intérêt des tis<strong>se</strong>rands les plusdynamiques mais il n'y a pas d'<strong>en</strong>gouem<strong>en</strong>t général: il faut appr<strong>en</strong>dre une nouvelletechnique et cet équipem<strong>en</strong>t est plus coûteux que les métiers traditionnels.Par ailleurs, si l'artisan connaît des difficultés, lui-même ou des membresde sa famille ont souv<strong>en</strong>t des activités autres, le travail des champs notamm<strong>en</strong>t.Habitué aux fluctuations conjoncturelles, il espère toujours qu'une brusqueflambée de la demande lui fournira l'occasion de retrouver des gains substantiels( ..)La production du tulle <strong>se</strong> diffu<strong>se</strong> progressivem<strong>en</strong>t 10 ans plus tard,(.) La proximité des c<strong>en</strong>tres de blanchim<strong>en</strong>t de Saint-Qu<strong>en</strong>tin et de Val<strong>en</strong>ci<strong>en</strong>nes,pouvait faciliter le maquillage év<strong>en</strong>tuel des tulles v<strong>en</strong>us d'Angleterre. Onconnaît peu de cho<strong>se</strong>s sur Carpriau et R. Bricout <strong>se</strong> demande, non sans vrai<strong>se</strong>mblance,s'il ne s'agissait pas d'une prête-nom utilisé par des Britanniques pourne pas attirer l'att<strong>en</strong>tion sur leurs activités.(..) Pour la description et la persistance de cette m<strong>en</strong>talité, jusqu'à la findu dix-neuvième siècle, cf. la thè<strong>se</strong> de C. Blai<strong>se</strong>, qui date de 1899.


- 229 -<strong>en</strong> 1833, l'annuaire statistique du départem<strong>en</strong>t du Nord signale la pré<strong>se</strong>nced'une vingtaine d'ateliers dans cette région: quatre <strong>sont</strong> à Beauvois, troisà Cambrai, <strong>se</strong>pt à Caudry. Cette dernière localité est la <strong>se</strong>ule à posséder <strong>en</strong>plus une usine de construction de métiers à tulle. En dehors de Cambrai et duCateau, c'est la <strong>se</strong>ule commune ayant plus de 3.000 habitants (3.343). On constateque Caudry comm<strong>en</strong>ce à pr<strong>en</strong>dre un léger avantage à l'intérieur de cet <strong>en</strong><strong>se</strong>mbletextile. Au total (cf. carte n° 8), 11 communes, contigües pour la plupart,font du tulle.Cette activité ne repré<strong>se</strong>nte pas la <strong>se</strong>ule forme de conversion et<strong>be</strong>aucoup de tis<strong>se</strong>rands <strong>se</strong> <strong>sont</strong> mis à produire de nouveaux g<strong>en</strong>res d'étoffes surleurs métiers traditionnels. Schématiquem<strong>en</strong>t, et pour autant que les sourcessoi<strong>en</strong>t préci<strong>se</strong>s, on peut dire que le nord de la région (Avesnes-les-Au<strong>be</strong>rt,Saint-Hilaire, Viesly) reste plutôt fidèle au lin; tandis que l'ouest (LeCateau, Briastre, Haussy) <strong>se</strong> tourne vers la laine. Le sud (Maurois, Maretz,Villers-Outréaux) travaille le coton, peut-être sous l'influ<strong>en</strong>ce du négoce deSaint-Qu<strong>en</strong>tin. Ces contrastes ne <strong>sont</strong> pas <strong>en</strong>core trés tranchés mais une différ<strong>en</strong>ciations'amorce. Il est clair qu'il <strong>se</strong>rait difficile de chercher des cau<strong>se</strong>sgénérales systématiques; le choix heureux de quelques individus <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>antspouvant à lui <strong>se</strong>ul, par effet d'incitation, modifier l'ori<strong>en</strong>tation de la productionde ces communes qui rest<strong>en</strong>t petites. Il est certain que le tulle demeureune activité globalem<strong>en</strong>t très minoritaire dans l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble du Cambrésis textile.L'évolution constatée <strong>se</strong> produit très l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> raison des structuresartisanales de la production. La première machine à vapeur apparaît àCaudry, <strong>en</strong> 1852, <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t, lorsque la ville a tout juste 3.500 habitants. Alorsque Calais est déjà dev<strong>en</strong>u un c<strong>en</strong>tre d<strong>en</strong>tellier, toute cette région <strong>en</strong> estrestée es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t au tulle uni et ne contrôle guère la commercialisationde <strong>se</strong>s articles. Cl. Fohl<strong>en</strong> a publié, dans sa thè<strong>se</strong>, un tableau très significatifde la répartition des métiers à tulle dans le départem<strong>en</strong>t du Nord, <strong>en</strong> 1860:sur 478 unités dénombrées dans le Cambrésis, les deux tiers <strong>sont</strong> à Caudry, cequi montre que cette ville joue maint<strong>en</strong>ant le rôle principal dans sa région pourcette activité. L'autre c<strong>en</strong>tre important du départem<strong>en</strong>t est Lille avec 284 méûe~


~r ~I ~~I~~I ~0'0:'w0-


1,/1\\, ,.,u/,\1,r11"1\\\\'-..._fj(~1,1,;{",..."~~


ex>Ul


- 230 -dans cette ville, un fabricant possède <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne 10 métiers contre 2,5 dansle Cambrésis. Même pour l'époque, Caudry et <strong>se</strong>s <strong>en</strong>virons ont des structures deproduction très émiettées.<strong>Les</strong> années 1860 <strong>en</strong>traîn<strong>en</strong>t une période de cri<strong>se</strong> générale dans leCambrésis l'ouverture des frontières aux articles britanniques est catastrophiquepour les producteurs de tulle uni français, car les anglais ont des filsde coton moins cher et surtout un matériel <strong>be</strong>aucoup plus moderne. En 1867, lesdeux tiers des métiers <strong>en</strong> <strong>se</strong>rvice <strong>se</strong>pt ans plus tôt ont disparu.Par ailleurs, au cours de ces années, le tissage <strong>se</strong> mécani<strong>se</strong> vraim<strong>en</strong>tet comm<strong>en</strong>ce à être effectué dans des usines équipées de machines à vapeur ; cecicrée une rude concurr<strong>en</strong>ce pour les nombreux tis<strong>se</strong>rands à main qui constitu<strong>en</strong>talors l'es<strong>se</strong>ntiel de la main-d'oeuvre textile de cette région, et nécessite uneréorganisation des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s. Mais, pour les mêmes raisons que précédemm<strong>en</strong>t,cette évolution est as<strong>se</strong>z l<strong>en</strong>te: vers 1900, il reste <strong>en</strong>core plusieurs milliersde tis<strong>se</strong>rands à la main dans l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble du Cambrésis.La première solution apportée aux difficultés que connaissait leCambrésis consista à <strong>se</strong> lancer dans la fabrication de la d<strong>en</strong>telle, qui procuraità Calais, au même mom<strong>en</strong>t, une grande prospérité. Cette implantation va faire deCaudry la principale ville du Cambrésis textile. Plusieurs raisons expliqu<strong>en</strong>tcette promotion: la ville occupe déjà la première <strong>place</strong> pour le tulle; elleattire les activités annexes (maisons de négoce, teintureries, dessinateurs etc ..La gamme de <strong>se</strong>s articles comporte des tulles fantaisie nécessitant une plusgrande technicité: le passage à la d<strong>en</strong>telle <strong>en</strong> est r<strong>en</strong>du plus facile.Le démarrage véritable de cette pha<strong>se</strong> de prospérité <strong>se</strong> <strong>place</strong> vers 1880.Il fut favorisé au début par l'installation de bureaux de négociants étrangers,Anglais souv<strong>en</strong>t, qui, <strong>en</strong> raison de la demande générale de d<strong>en</strong>telle <strong>en</strong> Europe,cherchai<strong>en</strong>t à s'assurer un approvisionnem<strong>en</strong>t sûr auprès des nouveaux producteurs.L'achat de matériel fut facilité par l'interv<strong>en</strong>tion de petites banques locales(Debail et Co, par exemple) qui <strong>se</strong>rvai<strong>en</strong>t d'organismes prêteurs sans pour autantcontrôler les <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s car celles-ci remboursai<strong>en</strong>t le plus rapidem<strong>en</strong>tpossible ces crédits pour sauvegarder leur indép<strong>en</strong>dance.Entre 1880 et 1885, 300 métiers Leavers neufs <strong>sont</strong> installés.


- 231 -En 1914, ils <strong>sont</strong> 600 au total dans la région de Caudry, répartis <strong>en</strong>tre 177fabricants. Un grand nombre de petites firmes subsist<strong>en</strong>t: la prospérité permettaitaux petits artisans ou au habiles contrema'tres d'acheter un métiera crédit, et cela suffisait pour dev<strong>en</strong>ir un producteur indép<strong>en</strong>dant; les principauxfabricants, <strong>en</strong> effet, disposai<strong>en</strong>t d'usines plus vastes que ne l'auraitnécessité leur propre parc de matériel, ils louai<strong>en</strong>t les <strong>place</strong>s disponibles aces artisans. La commercialisation pouvait <strong>se</strong> faire par l'intermédiaire desmaisons de commission. Cette structure freine le développem<strong>en</strong>t des firmes importantespuisque les commissionnaires peuv<strong>en</strong>t s'appuyer sur les artisans, al'équilibre financier fragile, pour concurr<strong>en</strong>cer les fabricants susceptiblesde v<strong>en</strong>dre eux-mémes leurs articles.L'essor de cette région, à la fin du dix-neuvième siècle, est favorisépar un r<strong>en</strong>ouveau du tulle uni. La demande porte sur les articles destinésaux moustiquaires; elle s'explique aussi par l'apparition de la broderie mécaniquepour laquelle le tulle <strong>se</strong>rt de support. Grâce à cela, on dénombre 550métiers modernes à tulle <strong>en</strong> 1913.La broderie à la main avait persisté dans la région de Saint-Qu<strong>en</strong>tinvers 1870 y apparais<strong>se</strong>nt des machines importées de Suis<strong>se</strong> àù elles avai<strong>en</strong>t étémi<strong>se</strong>s au point. Le progrès décisif <strong>se</strong> <strong>place</strong>, toutefois, plus tardivem<strong>en</strong>t: <strong>en</strong>1893, les Suis<strong>se</strong>s adapt<strong>en</strong>t le système jacquard au métier et les ornem<strong>en</strong>ts lesplus complexes <strong>sont</strong> dès lors réalisables mécaniquem<strong>en</strong>t. <strong>Les</strong> premières machinesde ce type <strong>sont</strong> installées a Caudry <strong>en</strong> 1906. En 1913, la région <strong>en</strong> possédait<strong>en</strong>viron 35. Cette activité réc<strong>en</strong>te qui exige moins d'investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts que lad<strong>en</strong>telle est extrêmem<strong>en</strong>t morcelée: la moitié des producteurs <strong>sont</strong> des artisansdisposant d'un <strong>se</strong>ul métier; un tout petit nombre de firmes <strong>en</strong> ont plus de deuxau total, on dénombre 630 métiers pour 248 firmes.Au cours de ces déc<strong>en</strong>nies, l'essor de Caudry est trés rapide. De 1860à 1880, la population oscille aux al<strong>en</strong>tours de 4.500 habitants. En 1901, ellea doublé et, <strong>en</strong> 1911, atteint 13.400, dépassant de plus de 3.000 unités celledu Cateau, alors que cette dernière commune était deux fois plus peuplée queCaudry <strong>en</strong> 1870. Cambrai reste, avec 28.000 habitants, la ville la plus importantede l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t, bi<strong>en</strong> qu'elle n'ait pas profité du r<strong>en</strong>ouvellem<strong>en</strong>ttextile. Toutefois, <strong>en</strong> valeur absolue, son accrois<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre 1872 et 1913,


- 232 -qui est de 6.000 unités, est inférieur à celui de Caudry qui s'est élevé à9.000 (.).Caudry affirme son rôle de capitale car elle pré<strong>se</strong>nte déjà la situationob<strong>se</strong>rvée <strong>en</strong> 1954 : les activités et <strong>se</strong>rvices annexes <strong>se</strong> group<strong>en</strong>t sur <strong>sont</strong>erritoire et elle conc<strong>en</strong>tre la majeure partie des métiers à d<strong>en</strong>telle. Son importanceest moins grande dans la broderie qui a rayonné à partir de Saint-Qu<strong>en</strong>tin et a attiré davantage les artisans du sud de la région, notamm<strong>en</strong>t ceuxde Villers-Outréaux; cette commune est déjà le principal c<strong>en</strong>tre après Caudry.La prospérité de la d<strong>en</strong>telle n'incitait pas les caudrési<strong>en</strong>s à <strong>se</strong> consacrer <strong>en</strong>grand nombre à la broderie. Cambrai compte, au total, moins de vingt métiersà tulle ou à broder et ne joue qu'un rôle négligeable.L'essor de Caudry n'a pas provoqué, comme à Calais, la conc<strong>en</strong>trationdes activités <strong>en</strong> une <strong>se</strong>ule ville. Le r<strong>en</strong>ouveau du tulle, le succès de la d<strong>en</strong>telleont favorisé leur diffusion spatiale, comme le montre la carte n° 8 <strong>en</strong>comparant l'ext<strong>en</strong>sion géographique de ces activités <strong>en</strong> 1833 et à la fin du dixneuvièmesiècle; des artisans <strong>en</strong> difficultés ont trouvé dans ces productionsun moy<strong>en</strong> de <strong>se</strong> convertir tout <strong>en</strong> restant dans leur commune d'origine.En 1913, ces fabrications connais<strong>se</strong>nt leur plus large implantationgéographique, atteignant même deux communes de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t d'Avesnes(Poix du Nord et Bavai). La carte n° 8 montre que ces localités form<strong>en</strong>t presquetoutes un bloc compact autour de Caudry. Comme cette ville <strong>en</strong> est le c<strong>en</strong>tred'animation principal, on peut parler d'une" région de Caudry" qui atteintalors sa plus grande ampleur.L'autre source de r<strong>en</strong>ouveau pour l'industrie textile du Cambrésis,(.) Cette population est de recrutem<strong>en</strong>t es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t local: R. Bricoutrelève que, <strong>en</strong> 1906, 70 % des habitants v<strong>en</strong>us de l'extérieur <strong>sont</strong> nés à moinsde 40 kilomètres de la ville. <strong>Les</strong> étrangers repré<strong>se</strong>nt<strong>en</strong>t moins de 1 % du total,ce <strong>sont</strong> surtout des Belges. L'homogénéité de la population est telle que 15patronymes <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t <strong>sont</strong> portés alors par 43 % des habitants.


- 233 -dans la <strong>se</strong>conde moitié du dix-neuvième siècle a été le développem<strong>en</strong>t du travailde la laine, Le Cateau devint un c<strong>en</strong>tre complet pratiquant peignage, filatureet tissage, Vers 1860, ces trois activités <strong>sont</strong> parfois réunies au <strong>se</strong>in d'unemême <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> comme celle de Paturle Lupin (,) qui possède notamm<strong>en</strong>t 400 métiersà tis<strong>se</strong>r (tous ne <strong>sont</strong> pas <strong>en</strong>core ras<strong>se</strong>mblés <strong>en</strong> atelier).A la veille de la Première Guerre Mondiale ( .) on peut estimer à<strong>en</strong>viron 10.000 le nombre de métiers à tis<strong>se</strong>r la laine <strong>en</strong> <strong>se</strong>rvice dans cetterégion. La filature est peu importante; lorsqu'elle existe, c'est intégréeau tissage, si bi<strong>en</strong> qu'il ya très peu de v<strong>en</strong>tes. En 1910, pour toutes ces raisons,le bureau de conditionnem<strong>en</strong>t du Cateau traite un tonnage de fils de laineinférieur au dixième de celui de FourmiesDans cette branche industrielle, on note la pré<strong>se</strong>nce d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>sde taille importante: <strong>en</strong> 1910, la firme Th Michau et C", dont l'usine est àBeduvois, possède 2.000 métiers et procure du travail à 2 500 personnes, parfoisdispersées dans de petits ateliers ruraux La société Seydoux et Co réali<strong>se</strong>toutes les pha<strong>se</strong>s du cycle de transformation de la laine et dispo<strong>se</strong> d'unitésde production au Cateau, à Bousies et à Maurois ainsi qu'à Sabadell, <strong>en</strong> Espagne.Elle a, au total 2.400 salariés (...). <strong>Les</strong> intérêts de Roubaix-Tourcoing ne <strong>sont</strong>pas ab<strong>se</strong>nts dans cette activité, et la firme roubaisi<strong>en</strong>ne d'Halluin-Lepers possède,par exemple, un tissage de 350 métiers au Cateau. La ville principaledu Cambrésis lainier est incontestablem<strong>en</strong>t cette dernière localité qui a <strong>en</strong>viron11.000 habitants, <strong>en</strong> 1911. Elle ne domine pourtant pas sa branche comme Caudryle fait dans la si<strong>en</strong>ne: par exemple, les deux grandes sociétés m<strong>en</strong>tionnéesci-dessus ont leurs <strong>se</strong>rvices commerciaux et leurs sièges sociaux à Paris.(.) diaprés A. Falleur, thè<strong>se</strong> citée.(.. ) Ces r<strong>en</strong><strong>se</strong>ignem<strong>en</strong>ts <strong>sont</strong> tirés de l'ouvrage cité de G. Sayet.(...) Ces <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s ont un nombre de salariés considérable, supérieur à celuide la plupart des firmes de Roubaix-Tourcoing. Ceci s'explique <strong>en</strong> partie parune mécanisation <strong>be</strong>aucoup moins poussée: la société Seydoux, par exemple, <strong>se</strong>livre <strong>en</strong>core au tissage manuel, tout <strong>en</strong> disposant de plusieurs dizaines demilliers de broches de filature.


- 234 -Le travail du lin n'a pas disparu du nord du Cambrésis, notamm<strong>en</strong>t dansle <strong>se</strong>cteur Haspres-Avesnes lez Au<strong>be</strong>rt. A la veille de 1914, une fois <strong>en</strong>core, lesgrands traits de la répartition géographique ob<strong>se</strong>rvée <strong>en</strong> 1955, <strong>sont</strong> déjà <strong>en</strong><strong>place</strong>. Des conversions successives et incomplètes ont diversifié la région. Laplus <strong>be</strong>lle réussite a été celle des d<strong>en</strong>telles, tulles et broderies, activitésbi<strong>en</strong> adaptées à la nature d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s qui rest<strong>en</strong>t proches de l'artisanat.le caractère tardif de cet essor n'a guère donné le temps aux firmes de cettebranche d'accéder à une taille importante, d'autant plus que leur asc<strong>en</strong>sionétait freinée par l'émiettem<strong>en</strong>t des structures professionnelles et l'exist<strong>en</strong>ce,même <strong>en</strong>tre 1880 et 1914, de cri<strong>se</strong>s conjoncturelles brutales.La Guerre de 1914-1918 <strong>se</strong> traduit, comme dans tous les territoiresoccupés par la mi<strong>se</strong> hors d'usage de tout le matériel textile. La reconstructionvoit quelques producteurs de tulles, d<strong>en</strong>telles ou broderies, ces<strong>se</strong>r leur activitédans des communes situées sur les marges du foyer principal : c'est le cas deCambrai, Briastre, Bavai notamm<strong>en</strong>t (cf. carte n° 8) ; cette contraction estlégère. La rénovation du matériel ne s'accompagne pas d'une modification notabledes structures de production. En 1922, la Chambre de Commerce de Cambrai dénombre273 fabricants de tulles et d<strong>en</strong>telles dont les trois quarts <strong>se</strong> trouv<strong>en</strong>t àCaudry et 197 producteurs de broderies qui pour le tiers d'<strong>en</strong>tre-eux <strong>sont</strong> implantésà Caudry (.).La cri<strong>se</strong> de 1929 touche très durem<strong>en</strong>t une activité qui exportait,(.) <strong>Les</strong> relevés effectués par R. Bricout dans les archives du syndicat des ouvrlerstullistes, indiqu<strong>en</strong>t plutôt une t<strong>en</strong>dance à l'accrois<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de l'émiettem<strong>en</strong>t:<strong>en</strong> 1909-1912, les établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts occupant moins de 10 tullistes regroupai<strong>en</strong>t55 % de ces ouvriers. Après 1920, ce pourc<strong>en</strong>tage s'élève à 80 % et nediminue que légèrem<strong>en</strong>t vers 1931 (71 %). Ces résultats peuv<strong>en</strong>t avoir été affectéspar une variation du taux de syndicalisation (mais celui-ci était déjàélevé chez ces ouvriers qualifiés avant la Guerre). Ces données confirm<strong>en</strong>t, pourle moins, le mainti<strong>en</strong> du morcellem<strong>en</strong>t de la production.


- 235 -directem<strong>en</strong>t ou indirectem<strong>en</strong>t, la majeure partie de <strong>se</strong>s articles vers les grandspays industrialisés,U.S.A. et Allemagne notamm<strong>en</strong>t. Ces difficultés ne modifi<strong>en</strong>tpas profondèm<strong>en</strong>t les structures de la profession. Toutes les firmes <strong>sont</strong> atteinœ~la plupart <strong>se</strong> cont<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t d'att<strong>en</strong>dre des jours meilleurs. Patrons et ouvriers onttoujours connu des périodes de difficultés et font preuve, <strong>en</strong> définitive, de<strong>be</strong>aucoup de pati<strong>en</strong>ce, d'autant que les premiers ont peu de frais fixes <strong>en</strong> raisonde la petite taille de leurs firmes. <strong>Les</strong> <strong>se</strong>conds n'ont pas perdu tout contactavec la terre. On constate des cessations d'activité et des v<strong>en</strong>tes de métiers(.) ; les faillites, par contre, rest<strong>en</strong>t exceptionnelles. La broderie, aux productionsplus variées, est moins touchée; des métiers <strong>sont</strong> acquis par des artisanspour cette raison. La population de Caudry ne varie pratiquem<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong>tre1911 et 1936 (..). Une fois de plus, cette région témoigne de son aptitude à supporterles cri<strong>se</strong>s.<strong>Les</strong> autres activités <strong>textiles</strong> du Cambrésis connais<strong>se</strong>nt égalem<strong>en</strong>t desdifficultés économiques. La reconstruction s'était traduite par la diminutionde moitié du nombre des métiers à tis<strong>se</strong>r la laine. Ceci n'<strong>en</strong>traînait pas nécessairem<strong>en</strong>tune bais<strong>se</strong> de la capacité de production car il s'agissait de métiersmodernes, mais cela réduit toutefois <strong>se</strong>nsiblem<strong>en</strong>t le nombre des emplois. Lacri<strong>se</strong> des années 1930 provoque la disparition des grandes maisons ou leur pri<strong>se</strong>de contrôle par des firmes de Roubaix-Tourcoing. La plus grande partie du matérielreste inoccupée. Il est frappant de constater que, <strong>en</strong> 1937 <strong>en</strong>core, mêmes'ils <strong>sont</strong> souv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> chomâge, des tis<strong>se</strong>urs <strong>se</strong> <strong>se</strong>rv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core de métiers manuelspour produire des toiles fines <strong>en</strong> lin ( ...).(.) <strong>Les</strong> achats de métiers à d<strong>en</strong>telle ces<strong>se</strong>nt complètem<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant cette périodele parc diminue de 300 unités <strong>en</strong>viron par obsol<strong>en</strong>ce, destruction ou v<strong>en</strong>te.(,.) P<strong>en</strong>dant cette même période, la population de Calais régres<strong>se</strong> <strong>se</strong>nsiblem<strong>en</strong>tbi<strong>en</strong> que cette ville dispo<strong>se</strong> d'activités portuaires et de quelques <strong>industries</strong>non-<strong>textiles</strong>. Par contre, Caudry est purem<strong>en</strong>t textile.(...) L. Bajart estime que, pour tout le Cambrésis, 1.200 métiers manuels <strong>sont</strong><strong>en</strong>core <strong>en</strong> état de marche <strong>en</strong> 1937.


- 236 -La Seconde Guerre Mondiale ne provoque que fort peu de destructions etne remet pas <strong>en</strong> cau<strong>se</strong>, par consèqu<strong>en</strong>t, les structures de production traditionnelles.Le Cambrèsis textile a connu la même èvo1ution d'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble que lesautres foyers de la règion du Nord mais à un rythme <strong>be</strong>aucoup plus l<strong>en</strong>t, de tellesorte que les structures de production <strong>sont</strong> restèes plus proches des formesanci<strong>en</strong>nes. Cela <strong>se</strong> traduit èga1em<strong>en</strong>t sur le plan gèographique : <strong>se</strong>s limites,au dèbut dèS annèes 1950, ne <strong>sont</strong> pas très différ<strong>en</strong>tes de celles qui existai<strong>en</strong>tau temps du Prèfet Oieudonnè. Le <strong>se</strong>ul fait nouveau a étè l'apparition d'un pôled'animation, Caudry, au milieu de cet <strong>en</strong><strong>se</strong>mble rural peu diffèr<strong>en</strong>ciè antèrieurem<strong>en</strong>t.~1ais là <strong>en</strong>core, 1 'èvo1ution n'a pas è tê poussée jusqu'à son terme, puisqueCaudry ne domine pas toutes les activitès <strong>textiles</strong> et que son rayonnem<strong>en</strong>tn'affecte pas toutes les communes de cet <strong>en</strong><strong>se</strong>mble.La req ion de Fourmies et d'Avesnes, à l'au<strong>be</strong> de la Rèvo1ution industrielle,ne joue pas un grand rôle dans la production des articles <strong>textiles</strong>. Cettesituation n'est d'ailleurs pas nouvelle et si l'on remonte le cours de 1 'histoireon constate que c'est la fabrique de draperie de Mau<strong>be</strong>uge qui fut le c<strong>en</strong>tre leplus notable de cette règion jusqu'au dix-huitième siècle. Au dèbut du dix-neuvièmesiècle, Fourmies n'est, à vrai dire, qu'un gros bourg n'atteignant pas3.000 habitants, donc moins peup1è qu'Avesnes. Ce fut l'une des raisons du choixde cette dernière comme sous-prèfecture.La statistique de Oieudonnè montre des activitès varièes, peu importantesà 1 'èche11e du dèpartem<strong>en</strong>t et ori<strong>en</strong>tèe vers la confection d'objets de qua-1itè mèdiocre. Le contexte est très différ<strong>en</strong>t de celui du Cambrésis voisin: <strong>en</strong>1801, on travaille un peu la laine des Ard<strong>en</strong>nes pour faire des ètoffes grossières(.) La source principale est la thè<strong>se</strong> de A. Falleur. Elle a été écrite <strong>en</strong> 1930 ;de ce fait, son auteur a <strong>en</strong>core pu r<strong>en</strong>contrer et interroger des témoins oculairesdes années 1890 dont on verra llimportance ci-dessous.


- 237 -tout le cycle de transformation est <strong>en</strong>core manuel ; le Préfet du Nord estimeque cette production a diminué de moitié depuis la période pré-révolutionnaire.Le travail du lin est, au début du dix-neuvième siècle, la principale branchetextile de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t d'Avesnes, qui ne dispo<strong>se</strong> pourtant que de 7 à 8 %des rouets et des métiers à tis<strong>se</strong>r les gros fils de lin du départem<strong>en</strong>t. On yproduit très peu de fils fins. <strong>Les</strong> deux dernières retorderies élaborant ce typed'articles fermeront à Fourmies <strong>en</strong> 1833. En 1801, 240 métiers à tis<strong>se</strong>r les toilesfines <strong>sont</strong> dénombrés, soit à peine 3 % du pot<strong>en</strong>tiel de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t voisin deCambrai.Dieudonné signale <strong>en</strong>core la pré<strong>se</strong>nce d'un peu de bonneterie: quelquesdizaines d'artisans, au total, à Fourmies et à Sains-du-Nord; mais leur nombreest <strong>en</strong> diminution car ils résist<strong>en</strong>t mal à la concurr<strong>en</strong>ce <strong>be</strong>lge. Le développem<strong>en</strong>tindustriel ne pourra guère s'appuyer sur une tradition textile vêritable. Enoutre, la population n'est pas très abondante: la d<strong>en</strong>sité de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>td'Avesnes est <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> 1801, de 72 habitants au kilomètre carré, chiffreas<strong>se</strong>z faible pour la région du Nord. Ri<strong>en</strong> ne prédispo<strong>se</strong> vraim<strong>en</strong>t l'Avesnois à<strong>se</strong> lancer dans le travail d'une fibre textile particulière.L'industrie pr<strong>en</strong>d naissance à Fourmies un peu plûs tardivem<strong>en</strong>t quedans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille. En 1810, une filature de coton est montée parun habitant de la bourgade, Louis Jo<strong>se</strong>ph Legrand; les métiers <strong>sont</strong> mus parles eaux de l'Helpe. L'énergie du relief est suffisante, <strong>en</strong> effet, dans ce <strong>se</strong>cteurpour permettre l'utilisation de la force hydraulique. Cette création resteisolée: le travail d'une fibre nouvelle, le coton, suscite peut d'intérêt dansune région où il n'était guère apparu jusque-là. Louis Jo<strong>se</strong>ph Legrand, lui-même,installe, <strong>en</strong> 1825, une filature de laine mécanique, imitant <strong>en</strong> cela PaturleLupin qui avait créé son unité, <strong>en</strong> 1818, au Cateau. La matière première utiliséeest de prov<strong>en</strong>ance es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t françai<strong>se</strong>.L'époque n'est pas <strong>en</strong>core très favorable à l'essor de la filature dela laine peignée <strong>en</strong> raison de la non-mécanisation du peignage. <strong>Les</strong> deux industrielscités font preuve pourtant d'un réel dynamisme dans le travail de lalaine: ils adopt<strong>en</strong>t la machine à vapeur vers 1840. Legrand complète sa filaturepar des ateliers où est pratiqué le peignage à main. Dès les années 1850,


- 238 -ils acquièr<strong>en</strong>t des premleres peigneu<strong>se</strong>s mécaniques. Le tissage mécanique apparaît<strong>en</strong> 1853, chez Paturle Lupin, au Cateau. L'exemple de Louis Jo<strong>se</strong>ph Legranda été suivi à Fourmies même où d'autres filatures fur<strong>en</strong>t crêées. En 1844,51.000 broches <strong>sont</strong> <strong>en</strong> activité dans les arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de Cambrai et d'Avesnes,ce dernier <strong>en</strong> regroupe la grande majorité. Ce nombre double au cours des dixannées suivantes pour s'élever à 112.000 <strong>en</strong> 1855. <strong>Les</strong> capitaux investis dans cesinstallations prov<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t souv<strong>en</strong>t des rev<strong>en</strong>us de la terre.La filature de la laine peignée connaît son véritable essor après lesannées 1850. De 1855 à 1890, la région de Fourmies bénéficie d'une expansionremarquable: le nombre de broches à filer atteint 651.000 <strong>en</strong> 1867 ( pour lesc<strong>en</strong>tres de Fourmies, le Cateau et Vervins) et 930.000 <strong>en</strong> 1890. Pour autant quel'on puis<strong>se</strong> comparer les broches <strong>en</strong>tre elles, cela repré<strong>se</strong>nte un pot<strong>en</strong>tiel deproduction comparable à celui de l'agglomération de Roubaix-Tourcoing. En mêmetemps, les autres branches de l'industrie lainière <strong>se</strong> <strong>sont</strong> mécanisées et développées: <strong>en</strong> 1890, le <strong>se</strong>cteur de Fourmies-Le Cateau compté 630 peigneu<strong>se</strong>s répartie<strong>se</strong>n 26 usines dont 21 apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t à des filatures. Le tissage s'est égalem<strong>en</strong>trépandu: on dénombre 16.000 métiers mécaniques, dont un quart <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>tpour l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t d'Avesnes.Au cours de cette pha<strong>se</strong> de croissance, Fourmies affirme sa primauté:c'est non <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t le premier c<strong>en</strong>tre de production mais aussi la ville où <strong>se</strong>crée, <strong>en</strong> 1874, la " Société du Commerce et de l'Industrie Lainière de Fourmies"Cette association rayonne sur les arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts d'Avesnes et de Vervins etsuscite l'installation, <strong>en</strong> 1875, à Fourmies même, d'un bureau de conditionnem<strong>en</strong>tdes fils de laine peignée. Elle organi<strong>se</strong> à partir de 1885 des cours de peignageet de filature, toujours dans cette même localité (.).(.) La Société Industrielle de Lille est créée <strong>en</strong> 1873. Ces groupem<strong>en</strong>ts, syndicatspatronaux avant la lettre, étai<strong>en</strong>t fondés à l'imitation de la SociétéIndustrielle de Mulhou<strong>se</strong>, qui avait joué un rôle si important dans le développem<strong>en</strong>tdes activités de cette ville.


- 239 -Fourmies qui avai<strong>en</strong>t <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t 3.400 habitants <strong>en</strong> 1851, dépas<strong>se</strong> Avesne<strong>se</strong>n 1860, atteint l'effectif de 10.000 <strong>en</strong> 1872 et approche celui de 15.000 <strong>en</strong>1890. Elle n'est surpassée dans son arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t que par Mau<strong>be</strong>uge qui, elle,ne doit ri<strong>en</strong> au textile. En 1846, la population de Fourmies repré<strong>se</strong>nte le tiers<strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t de celle des communes <strong>en</strong>vironnantes (.). En 1890, ces dernières <strong>se</strong> <strong>sont</strong>accrues <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne de 60 %, grâce à l'essor du textile, mais la <strong>se</strong>ule ville deFourmies a un nombre d'habitants égal à 83 % du leur. Le phénomène de polarisationest par conséqu<strong>en</strong>t incontestable.En dépit de son expansion, cette région textile pré<strong>se</strong>nte des faible<strong>se</strong>s:la croissance s'est réalisée par la multiplication de petites <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s sansque nais<strong>se</strong>nt de très grandes firmes: <strong>en</strong> 1890, on compte 83 filatures. Entre1855 et 1867, <strong>en</strong>viron 500.000 nouvelles broches ont été installées, mais répartie<strong>se</strong>ntre 38 usines. Il <strong>se</strong>mble bi<strong>en</strong> que le nombre de broches par filature n'aitguère progressé <strong>en</strong> quarante ans. Ce foyer industriel n'est pas vraim<strong>en</strong>t complet,car l'<strong>en</strong>noblis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t n'y est pas repré<strong>se</strong>nté. On continue es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t à travaillerdes laines v<strong>en</strong>ant de France ou achetées à des négociants de Roubaix-Tourcoing qui, eux, depuis parfois des déc<strong>en</strong>nies, vont les chercher directem<strong>en</strong>tchez les nouveaux grands producteurs de l 'hémisphère sud.A. Falleur remarque fort justem<strong>en</strong>t que Fourmies est un c<strong>en</strong>tre industrielet non pas un marché, c'est-à-dire une <strong>place</strong> animée par tout un <strong>en</strong><strong>se</strong>mblede négociants.<strong>Les</strong> firmes fourmi si<strong>en</strong>nes, face à la concurr<strong>en</strong>ce des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s deRoubaix-Tourcoing, <strong>se</strong> spéciali<strong>se</strong>nt dans l'élaboration des filés les plus finsces articles <strong>sont</strong> <strong>en</strong> grande partie exportés vers les U.S.A. ou l'Allemagne etleur v<strong>en</strong>te est étroitem<strong>en</strong>t soumi<strong>se</strong> aux moindres variations des tarifs douanier<strong>se</strong>t de la mode. Il est difficile d'expliquer de façon complète les raisons de cesfaibles<strong>se</strong>s. A. Falleur oppo<strong>se</strong> le caractère" joueur" et audacieux de l'industrielde Roubaix-Tourcoing à la prud<strong>en</strong>ce de celui de Fourmies. Cela demanderait(.) Anor, Féron, Glageon, Ohain, Trélon, Wignehies.


- 240 -à être précisé par l'analy<strong>se</strong> de la gestion des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s. Il <strong>se</strong>rait intéressant,<strong>en</strong> particulier, de savoir si, lors des pha<strong>se</strong>s d'expansion, le taux deprofit a été aussi élevé que dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille et si le réinvestis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tdes bénéfices a été suffisamm<strong>en</strong>t pratiqué. D'après A. Falleur, <strong>be</strong>aucoupde ces industriels <strong>sont</strong> restés <strong>en</strong> même temps des propriétaires herbagers.Une partie du bénéfice tiré du travail de la laine a peut-être été détournépar ce biais de l'industrie (.).La fragilité des structures industrielles ne permet pas à la régionde surmonter les difficultés conjoncturelles qu'elle r<strong>en</strong>contre à partir de1890, notamm<strong>en</strong>t lorsque le Bill Mac Kinley lui fait perdre <strong>se</strong>s débouchés surle marché américain et que le protectionisme <strong>se</strong> r<strong>en</strong>force égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Allemagne(..). Entre 1890 et les années 1910-1914, le nombre de broches de filaturediminue de 10 % celui des métiers à tis<strong>se</strong>r stagne et le peignage décline <strong>se</strong>nsiblem<strong>en</strong>t: 80 % des peigneu<strong>se</strong>s disparais<strong>se</strong>nt au cours de cette période. Le bureaude conditionnem<strong>en</strong>t de Fourmies voit pas<strong>se</strong>r 2.174 tonnes de filés de laine peignéE<strong>en</strong> 1900, contre 1.987 <strong>en</strong> 1910, alors qu'<strong>en</strong>tre ces deux dates, les tonnages traitéspar ceux de Roubaix et de Tourcoing crois<strong>se</strong>nt de 14 %. Certes, <strong>en</strong> 1910, leCambrésis la région de Vervins et l'Avesnois produi<strong>se</strong>nt 23.000 tonnes de filésde laine, contre <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t 20.000 à Roubaix-Tourcoing. L'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t d'Avesnesà lui <strong>se</strong>ul, fournit 15.000 tonnes. Ces chiffres ne doiv<strong>en</strong>t pas faire illusion:la région de Fourmies devi<strong>en</strong>t un c<strong>en</strong>tre économiquem<strong>en</strong>t subordonné à l'autre grandfoyer lainier du Nord ( ... ).<strong>Les</strong> industriels de Fourmies ont r<strong>en</strong>oncé peu à peu au peignage, à partirdu mom<strong>en</strong>t où ils devai<strong>en</strong>t faire v<strong>en</strong>ir leurs matières premières d'outre-mer:ils <strong>sont</strong> plus loin des ports maritimes que Roubaix-Tourcoing et <strong>be</strong>aucoup plus(.) On sait que Cl. Fohl<strong>en</strong> a vu dans un mécanisme de ce g<strong>en</strong>re l'une des raisonsde la décad<strong>en</strong>ce d'une partie du textile normand après 1860.(..) Ce contexte de cri<strong>se</strong> est <strong>en</strong> partie responsable de la tragique fusilladedu premier Mai 1891 au cours de laquelle neuf ouvriers <strong>sont</strong> tués par la troupeam<strong>en</strong>ée pour maint<strong>en</strong>ir l'ordre.(...) Tous ces chiffres provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de l'ouvrage cité de G. Sayet.


- 241 -mal reliés à Anvers ou à Dunkerque, et, surtout, il leur fallait pas<strong>se</strong>r par l'intermédiairedes négociants du c<strong>en</strong>tre concurr<strong>en</strong>t. Ces derniers préfèr<strong>en</strong>t voirtraiter leurs laines là où ils ont leurs <strong>en</strong>trepôts et où <strong>se</strong> trouv<strong>en</strong>t des installationsplus modernes; <strong>en</strong> outre, on l'a vu, des li<strong>en</strong>s de famille exist<strong>en</strong>tsouv<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les négociants et les <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s de peignage de Roubaix-Tourcoing.Il n'est pas étonnant que Fourmies ne dispo<strong>se</strong> plus, <strong>en</strong> 1910, que de moins de 5 %des peigneu<strong>se</strong>s du départem<strong>en</strong>t du Nord.<strong>Les</strong> filateurs qui connais<strong>se</strong>nt des difficultés d'écoulem<strong>en</strong>t de leur productionr<strong>en</strong>onc<strong>en</strong>t progressivem<strong>en</strong>t à travailler pour leur propre compte et <strong>se</strong>cont<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t de filer à façon pour les maisons de Roubaix-Tourcoing, auxquellesde toute façon, ils doiv<strong>en</strong>t acheter leurs rubans de peignés. <strong>Les</strong> producteursde la région de Fourmies nombreux et peu puissants <strong>sont</strong> <strong>en</strong> position de faibles<strong>se</strong>lors de la négociation de ces contrats avec les donneurs d'ordres (.). Certainesusines, à partir de cette époque pas<strong>se</strong>nt sous le contrôle direct de firmes deRoubaix-Tourcoing. 27 filatures disparais<strong>se</strong>nt <strong>en</strong>tre 1890 et 1914.Dans les années 1910-1914, la reglon de Fourmies a acquis son caractèrees<strong>se</strong>ntiel, une forte spécialisation dans la <strong>se</strong>ule filature de la lainepeignée. <strong>Les</strong> difficultés r<strong>en</strong>contrées après 1890 <strong>se</strong> <strong>sont</strong> traduites par une diminutionde près de 4.000 habitants de l'<strong>en</strong><strong>se</strong>mble Fourmies-Wignehies-Trélon-GlageonAnor-Avesnes. En 1914, dans les limites fixées au chapitre deux, la région deFourmies compr<strong>en</strong>d 640.000 broches à filer et à retordre la laine peignée, répartie<strong>se</strong>ntre 50 <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s. Aucune n'a plus de 27.000 broches, les plus petite<strong>se</strong>n possèd<strong>en</strong>t 7 à 8.000. C'est dire que les fermetures ob<strong>se</strong>rvées n'ont pas aboutià une conc<strong>en</strong>tration du pot<strong>en</strong>tiel de production <strong>en</strong> quelques unités importantes.(.) D'aprés A. Falleur les prix de façon bais<strong>se</strong>nt de 30 %, <strong>en</strong>tre 1890 et 1900et les donnAurs d'ordres impo<strong>se</strong>nt des conditions draconni<strong>en</strong>n~s ; c'est ainsique la façonnier doit rembour<strong>se</strong>r la différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>trp le poids total des matièreslivrées et celui des produits finis. Si, par exemple, 100 klJOS de rubans depeignés donn<strong>en</strong>t 95 kilos de fils, il doit payer le prix de cinq kilos de peignés.Ces pratiques ces<strong>se</strong>nt après 1918.


- 242 -Cette région compte, <strong>en</strong> outre, 3.500 métiers à tis<strong>se</strong>r et à peine4.500 broches de filature cardée. Fourmies ras<strong>se</strong>mble sur son <strong>se</strong>ul territoire28 % des métiers et 37 % des broches. Sains, Wignehies, Glageon et Avesnes ontchacune <strong>en</strong>tre 11 et 12 % des broches (Wignehies a de plus 30 % des métiers).Le noyau formé par Fourmies, Wignehies et Glageon conti<strong>en</strong>t la majeure partiedu pot<strong>en</strong>tiel de production, les deux tiers des broches notamm<strong>en</strong>t.Cette conc<strong>en</strong>tration géographique n'est pas remi<strong>se</strong> <strong>en</strong> cau<strong>se</strong> par la PremièreGuerre Mondiale qui acc<strong>en</strong>tue la spécialisation du c<strong>en</strong>tre. <strong>Les</strong> dégâts causéspar l'occupation <strong>sont</strong>, comme toujours, considérables. Pratiquem<strong>en</strong>t tout lematériel de tissage est détruit, ainsi que 88 % de celui de la filature. Après1918, les branches les moins importantes ne <strong>sont</strong> pas reconstituées dans leurétat antérieur: un <strong>se</strong>ul peignage est remonté (il disparaîtra après 1930). L<strong>en</strong>ombre des métiers à tis<strong>se</strong>r est réduit de moitié.Par contre, le pot<strong>en</strong>tiel de la filature peignée est rétabli et celas'accompagne d'une opération de restructuration d'une ampleur unique dans larégion à cette époque: 25 sociétés qui, avant la Guerre, contrôlai<strong>en</strong>t 350.000broches, près des trois cinquièmes du total régional, fusionn<strong>en</strong>t pour formerla Société des Filatures de la Région de Fourmies. <strong>Les</strong> actions de cette firme<strong>sont</strong> introduites à la Bour<strong>se</strong> des Valeurs de Paris <strong>en</strong> 1928. La restructurationdes usines est limitée puisque l'on remet <strong>en</strong> activité 12 filatures, qui rest<strong>en</strong>tdes unités de taille moy<strong>en</strong>ne.D'autres efforts <strong>sont</strong> t<strong>en</strong>tés pour r<strong>en</strong>dre le c<strong>en</strong>tre de Fourmies plusautonome: une teinturerie pour peignés et fils est créée à Fourmies; uneautre destinée aux tissus l'est à Anor. En 1926, est fondé un comptoir de filateurspour t<strong>en</strong>ter d'uniformi<strong>se</strong>r les prix de façon. Une <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> de bonneterieouvre <strong>se</strong>s portes à Trélon, <strong>en</strong> 1925. Ces t<strong>en</strong>tatives vont être plus ou moinscomplètem<strong>en</strong>t brisées par la cri<strong>se</strong> économique qui surgit quelques années plustard. Elles n'avai<strong>en</strong>t eu, d'ailleurs, qu'une portée limitée; il est significatifde constater que la S.F.R.F. continuait de travailler à façon. Au cours desannées 1930, des petites firmes <strong>sont</strong> <strong>en</strong>core repri<strong>se</strong>s par des sociétés deRoubaix-Tourcoing. En 1938 (.), 44 % <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t des broches de filature <strong>sont</strong>(.) D'après J. Bernard, ouvrage cité.


- 243 -<strong>en</strong> activité. La Seconde Guerre Mondiale est suivie, on l'a vu, dès le débutdes années 1950, par des difficultés sérieu<strong>se</strong>s.La région de Fourmies est dev<strong>en</strong>ue rapidem<strong>en</strong>t un grand c<strong>en</strong>tre industrieltextile, spécialisé, comme l'agglomération de Roubaix-Tourcoing, dansl'une des branches les plus mécanisées. Mais, région rurale sans grande ville,elle a, comme le Cambrésis, con<strong>se</strong>rvé des structures de production trop longtempsmorcelées. Elle fut <strong>en</strong>suite contrainte d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre une rénovation particulièrem<strong>en</strong>tdélicate car il lui fallait <strong>en</strong> même temps subir la concurr<strong>en</strong>ce d'unc<strong>en</strong>tre <strong>be</strong>aucoup plus puissant: il ya ici dysharmonie <strong>en</strong>tre le type d'activitétextile choisie et les structures sociales.En 1801, cette localité n'atteint pas les 10.000 habitants; <strong>en</strong> 1821,ce chiffre dépas<strong>se</strong> à peine 12.000. Le port fournit alors à la ville la plusgrande partie de <strong>se</strong>s activités Dès 1815, près de 30.000 voyageurs le fréqu<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tet, <strong>en</strong> 1819, un premier bateau à vapeur est mis <strong>en</strong> <strong>se</strong>rvice sur la ligne CalaisDouvres. Cette facilité des relations incite trois Anglais de Nottingham,Clarck, Webster et Bonnington à introduire, <strong>en</strong> 1816, l'un des premiers métiersmécaniques à tulle sur le contin<strong>en</strong>t. L'opération est difficile puisqu'elle doit<strong>se</strong> faire clandestinem<strong>en</strong>t. Le matériel est démonté et les pièces détachées <strong>sont</strong>expédiées, les unes après les autres, grâce à la complicité de marins français.(.) La source es<strong>se</strong>ntiellp est la thè<strong>se</strong> citée de G. Dubroeucq. On a utiliséégalem<strong>en</strong>t les D.E.S. de F. Jacob et l 1 ouvrage de F. L<strong>en</strong>nel. Au mom<strong>en</strong>t de laRévolution, la ville de Calais a eté morce}pe <strong>en</strong> deux communes : Calais etSaint-Plerre qUi fusionnèr<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 188~. Tous les chiffres cités concern<strong>en</strong>tla ville dans <strong>se</strong>s llmites actuelles.


- 244 -<strong>Les</strong> motivations exactes de ces Britanniques ne <strong>sont</strong> pas connues. Ilsdésirai<strong>en</strong>t certainem<strong>en</strong>t profiter du débouché offert par le marché français oùle tulle était à la mode alors que son importation était interdite. Peut-êtreaussi, voulai<strong>en</strong>t-ils exploiter des métiers mécaniques sans devoir payer de redevancesaux auteurs des brevets et notamm<strong>en</strong>t à Heathcoat. Leur situation est<strong>en</strong> fait un peu ambigue : ils ont <strong>en</strong>freint les lois britanniques et <strong>se</strong> <strong>sont</strong>théoriquem<strong>en</strong>t déconsidérés aux yeux des producteurs de Nottingham. Pourtant, ilscontinu<strong>en</strong>t à <strong>se</strong> procurer, sans grandes difficultés appar<strong>en</strong>tes, des pièces détachée<strong>se</strong>t les fins filés de coton dont ils avai<strong>en</strong>t <strong>be</strong>soin. L'importation deces derniers était pourtant interdite par les autorités françai<strong>se</strong>s qui voulai<strong>en</strong>tprotéger l'industrie naissante de la filature.Il ne faut pas s'étonner de voir toutes ces interdictions dépourvuesd'effets pratiques; elles r<strong>en</strong>chéris<strong>se</strong>nt simplem<strong>en</strong>t le prix des produits: lestraditions de fraude, nées du Blocus Contin<strong>en</strong>tal, <strong>sont</strong> <strong>en</strong>core vivantes et letrafis <strong>en</strong>tre les deux pays est déjà trop important pour permettre un contrôlevraim<strong>en</strong>t efficace, si tant est que les autorités l'ai<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t souhaité.<strong>Les</strong> moy<strong>en</strong>s dont dispo<strong>se</strong>nt ces trois Britanniques <strong>sont</strong> limités et, dèsle début, ils recrut<strong>en</strong>t sur <strong>place</strong> des ouvriers pour remonter et faire fonctionnerles métiers.Ils cherch<strong>en</strong>t à faire fabriquer à Calais même une grande partie despièces et tout d'abord le bâti, élém<strong>en</strong>t le plus <strong>en</strong>combrant et, par conséqu<strong>en</strong>t,le plus difficile à dissimuler à la douane. C'est cho<strong>se</strong> faite vers 1820. <strong>Les</strong>artisans calai si<strong>en</strong>s responsables de cette opération souhait<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite, as<strong>se</strong>zlogiquem<strong>en</strong>t, produire eux-mêmes la totalité du métier. Ceci <strong>se</strong> réali<strong>se</strong> pourla première fois, <strong>en</strong> 1823, dans l'atelier du Calaisi<strong>en</strong> Dubout.<strong>Les</strong> conditions historiques très particulières du mom<strong>en</strong>t ont ainsifavorisé l'assimilation de cette technique par les Français, d'autant que l'écoulem<strong>en</strong>tde cette production sur le marché intérieur est aisé. Dès 1825, unecinquantaine de métiers fonctionn<strong>en</strong>t à Calais et dans <strong>se</strong>s <strong>en</strong>virons. Cette vill<strong>en</strong>'est pas la <strong>se</strong>ule dans le Nord-Pas-de-Calais ou même le reste de la France,où s'implante le tissage mécanique du tulle. Toutefois, elle devi<strong>en</strong>t immêdiateme~


- 245 -le c<strong>en</strong>tre le plus important et le plus moderne. La production a débuté une dizained'années plus tôt que dans le Cambrésis. La main-d'oeuvre, sans aucunetradition textile, adopte d'emblée toute les nouveautés, alors que, dans leCambrésis <strong>be</strong>aucoup d'artisans tis<strong>se</strong>rands ne le font que contraints par l'évolutionéconomique; ils répugn<strong>en</strong>t à devoir abandonner le savoir-faire acquisdans la fabrication des toiles de lin.Calais bénéficie égalem<strong>en</strong>t <strong>be</strong>aucoup de la fréqu<strong>en</strong>ce des contacts avecl'Angleterre et de la pré<strong>se</strong>nce d'un certain nombre de Britanniques. Il est difficilede cerner avec précision ce phénomène mais sa réalité ne fait pas de doute(.).Le métier à tulle reçoit, à Calais, des améliorations qui l'allèg<strong>en</strong>t,le r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t moins coûteux et favori<strong>se</strong>nt sa diffusion. Dès les années 1830-1835,Calais est dev<strong>en</strong>u un c<strong>en</strong>tre de production techniquem<strong>en</strong>t aussi moderne que Nottingham.A partit de 1834, la prohibition sur les filés britanniques de coton estlevée et remplacée par un droit ad valorem de 35 %. Ceci facilite l'approvisionnem<strong>en</strong>tde la <strong>place</strong> <strong>en</strong> matières premières, sans compter que la filature francai<strong>se</strong>est désormais capable de fournir des articles répondant aux exig<strong>en</strong>ces desproducteurs de tulle.L'expansion de cette activité est trés rapide au cours des premleresdéc<strong>en</strong>nies: 514 métiers fonctionn<strong>en</strong>t dès 1832, sur le territoire actuel de laville de Calais. Leur d<strong>en</strong>sité et la fièvre de production <strong>sont</strong> telles que letravail de nuit doit être interdit, <strong>en</strong> 1832, par le maire ce qui incite l'industrieà émigrer vers la commune de Saint-Pierre, moins d<strong>en</strong>sém<strong>en</strong>t peuplée.En 1841, la population totale a doublé par rapport à 1821.Tous les métiers ne <strong>se</strong> trouv<strong>en</strong>t pas à Calais ou à Saint-Pierre. Ce(.) En 1860, les archives municipales révèl<strong>en</strong>t la pré<strong>se</strong>nce de 1.618 étrangersdont, 90 % <strong>sont</strong> Britanniques. Tous n'ont certainem<strong>en</strong>t pas des li<strong>en</strong>s avec le textile; le port provoqu<strong>en</strong>t aussi des courants d'échange <strong>en</strong>tre les deux pays. Ilest toutefois invrai<strong>se</strong>mblable que <strong>be</strong>aucoup d'<strong>en</strong>tre eux n'ai<strong>en</strong>t pas travaillédans la de~telle, car c'est déjà l'activité qui domine de façon écrasante toutesles autres. De plus, au cours des déc<strong>en</strong>nies suivantes, alors que le port pr<strong>en</strong>dson essor, on ob<strong>se</strong>rve un déclin rapide de cette communauté britannique qui, <strong>en</strong>1860, repré<strong>se</strong>ntait <strong>en</strong>viron 6 % de la population de la ville.


- 246 -<strong>sont</strong> des machines légères, <strong>en</strong>core mues à la main qui <strong>se</strong> diffu<strong>se</strong>nt aisèm<strong>en</strong>t dansles campagnes <strong>en</strong>vironnantes; on <strong>en</strong> r<strong>en</strong>contre jusqu'à Saint-Omer et Boulogne.Cette activité devi<strong>en</strong>t prépondérante dans le Ca1aisis car elle nécessite <strong>be</strong>aucoupde main-d'oeuvre: il ne faut pas oublier que la d<strong>en</strong>telle proprem<strong>en</strong>t diteest <strong>en</strong>core obt<strong>en</strong>ue <strong>en</strong> ornant, à la main, le tulle mécanique. <strong>Les</strong> structures deproduction rest<strong>en</strong>t très morcelées. Un grand nombre de petits artisans apparais<strong>se</strong>nt;<strong>be</strong>aucoup ne commerciali<strong>se</strong>nt pas eux-mêmes leurs produits et pas<strong>se</strong>nt parl'intermédiaire de commissionnaires qui les font parfois travailler à façon.Grâce à la modicité du coat du matériel et aux possibilités d'écoulem<strong>en</strong>t de lamarchandi<strong>se</strong>, les ouvriers habiles s'install<strong>en</strong>t facilem<strong>en</strong>t à leur compte. Il n'ya pas <strong>en</strong>core d'usines à proprem<strong>en</strong>t parler. <strong>Les</strong> commissionnaires eux-mêmes ne <strong>sont</strong>pas très puissants: ils <strong>sont</strong> nouveaux v<strong>en</strong>us dans cette activité et on ne trouvaitpas, au départ, de grands capitalistes capables d'accaparer la fonction.Après 1840, les données techniques <strong>se</strong> transform<strong>en</strong>t: la productionmécanique de la d<strong>en</strong>telle devi<strong>en</strong>t possible. Un calaisi<strong>en</strong> réussit, à peu prè<strong>se</strong>n même temps que l'Anglais Ferguson, à adapter le système jacquard au métierà tulle, pour tis<strong>se</strong>r la d<strong>en</strong>telle. Ceci confirme le bon niveau technique du c<strong>en</strong>trecalaisi<strong>en</strong> à l'époque. Le métier à tulle surtout utilisé jusque là n'était pasapte à recevoir ce perfectionnem<strong>en</strong>t; il faut r<strong>en</strong>ouveler complètem<strong>en</strong>t le matérielet acheter des métiers Leavers, plus lourds (jusqu'à 10 et 12 tonnes) etplus chers. <strong>Les</strong> vieilles machines <strong>sont</strong> souv<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>dues dans le Cambrésis.Ces nouveaux outils de production ne peuv<strong>en</strong>t plus être mus à la mainla modernisation s'accompagne de l'adoption de la machine à vapeur. <strong>Les</strong> nombreuxartisans répartis dans les campagnes <strong>en</strong>vironnantes ne <strong>sont</strong> pas capables individuellem<strong>en</strong>tde construire un atelier de ce type: le progrès technique <strong>en</strong>traînela conc<strong>en</strong>tration géographique des moy<strong>en</strong>s de production. A partir de 1850~ 1860,la fabrication ne <strong>se</strong> réali<strong>se</strong> pratiquem<strong>en</strong>t plus que dans les usines calaisi<strong>en</strong>nes;<strong>se</strong>uls les travaux de finition <strong>sont</strong> <strong>en</strong>core effectués par des travailleu<strong>se</strong>s à domicile,résidant parfois dans des communes rurales <strong>en</strong>vironnantes. Ces femmes ne<strong>sont</strong> pas toujours directem<strong>en</strong>t employées par le producteur car des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>sassur<strong>en</strong>t la redistribution de ces travaux dans les campagnes.


- 247 -Cette remi<strong>se</strong> <strong>en</strong> cau<strong>se</strong> des structures de production sous l'effet de lamécanisation est classique. La pha<strong>se</strong> de modernisation <strong>se</strong> <strong>place</strong> schématiquem<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tre 1844 et 1860 : <strong>en</strong> 1844, 393 métiers Leavers <strong>sont</strong> <strong>en</strong> activité contre 606<strong>en</strong> 1854. En 1851, on dénombre 7 usines utilisant la machine à vapeur, contre 37<strong>en</strong> 1860. Quand comm<strong>en</strong>ce cette industrialisation le nombre des producteurs <strong>se</strong>réduit d'abord: il diminue de moitié <strong>en</strong>tre 1844 et 1854. Ils <strong>sont</strong> alors 135et possèd<strong>en</strong>t <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne <strong>en</strong>viron quatre métiers. Vers 1860, des fabricants plusimportants <strong>se</strong> dégag<strong>en</strong>t du lot et essay<strong>en</strong>t de commerciali<strong>se</strong>r eux-mémes leursproduits.Le traité de commerce franco-britannique de 1860 est très favorableà l'industrie calaisi<strong>en</strong>ne : le c<strong>en</strong>tre est moderne et les salaires français <strong>sont</strong>moins élevés qu'à Nottingham. Calais <strong>se</strong> met à exporter vers la Grande-Bretagneainsi que vers les U.S.A. qui vont progressivem<strong>en</strong>t dev<strong>en</strong>ir le principal débouché.Au début du vingtième siècle, les <strong>se</strong>ules exportations directes, par mer, versce pays repré<strong>se</strong>nt<strong>en</strong>t 40 % du chiffre d'affaires de la <strong>place</strong>. D'une façon générale,et <strong>en</strong> dépit de cri<strong>se</strong>s conjoncturelles, la période de 1860-1914 constitueune longue pha<strong>se</strong> d'expansion: <strong>en</strong> 1906, on compte 2.700 métiers. La populationde Calais atteint 72.000 habitants, <strong>en</strong> 1911, six fois plus qu'un siècle plus tôt.L3 prospérité de la cité repo<strong>se</strong> es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t sur la d<strong>en</strong>têlle qui, d'après F.L<strong>en</strong>nel, occupe dans la ville et <strong>se</strong>s <strong>en</strong>virons 30.000 personnes dont 7.500 ouvriersmasculins de plus de 18 ans (.).En dépit de l'évolution initialem<strong>en</strong>t constatée, cette croissance s'estaccompagnée d'un mainti<strong>en</strong> de l'émiettem<strong>en</strong>t des structures de production: <strong>en</strong>1906, le nombre moy<strong>en</strong> de métiers par producteur est pratiquem<strong>en</strong>t le même qu'<strong>en</strong>1854. Si quelques <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s importantes <strong>sont</strong> apparues, on r<strong>en</strong>contre toujours(.) Dans les années 1880-1890, Calais a même bénéficié d'une certaine immigration<strong>be</strong>lge dont l'importance culmine <strong>en</strong> 1886. <strong>Les</strong> <strong>be</strong>lges constitu<strong>en</strong>t alors 6 %de la population et supplant<strong>en</strong>t les Britanniques.


- 248 -une foule d'artisans n'ayant qu'un <strong>se</strong>ul métier. En effet, pour dev<strong>en</strong>ir producteur,il suffit d'acheter un métier; qu'il soit au <strong>be</strong>soin d'occasion importepeu car l'ab<strong>se</strong>nce de progrès technique important empêche le matériel de <strong>se</strong> démoder.Des <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s extérieures peuv<strong>en</strong>t assurer la finition ou la v<strong>en</strong>te.Le problème des locaux lui-même et celui de la force motrice ne <strong>se</strong> po<strong>se</strong>nt pas,car apparais<strong>se</strong>nt ceux que l'on a appelés, dans le vocabulaire local, les "usiniers". Ce <strong>sont</strong> des g<strong>en</strong>s qui, à partir du Second Empire, font construire etaménager des bâtim<strong>en</strong>ts industriels as<strong>se</strong>z vastes, dans lesquels les fabricantss'install<strong>en</strong>t <strong>en</strong> payant un simple loyer pour l'utilisation des locaux et de laforce motrice. Ce type de <strong>place</strong>m<strong>en</strong>t connaît un vif succès dans la bourgeoisiecalaisi<strong>en</strong>ne : le loyer est relativem<strong>en</strong>t élevé et, comme un même bâtim<strong>en</strong>t estoccupé par plusieurs producteurs, cela répartit les risques pour le propriétaire.C'est <strong>en</strong> 1900 <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t, qu'est bâtie la première usine individuelle. En 1912,12 % des fabricants <strong>sont</strong> installés dans des locaux leur appart<strong>en</strong>ant. <strong>Les</strong> maisonsde commission aurai<strong>en</strong>t pu amorcer la conc<strong>en</strong>tration industrielle <strong>en</strong> dev<strong>en</strong>antproducteurs, <strong>se</strong>lon le méme processus que celui ob<strong>se</strong>rvé, par exemple, dans laVallée de la Lys. De fait, on constate que des commissionnaires achèt<strong>en</strong>t desdessins et les font <strong>en</strong>suite reproduire à façon par des artisans. Cette évolutionest progressivem<strong>en</strong>t bloquée par l'action des petits producteurs qui obti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>tmême, <strong>en</strong> 1897, que les commissionnaires s'<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t officiellem<strong>en</strong>t à <strong>se</strong> cantonnerdans leur rôle de négociant. Si des firmes disposant de plusieurs dizaines demétiers apparais<strong>se</strong>nt peu à peu, elles <strong>sont</strong> constamm<strong>en</strong>t confrontées à la concurr<strong>en</strong>ced'artisans faisant des articles similaires à des prix compétitifs. Celafreine éfficacem<strong>en</strong>t la conc<strong>en</strong>tration industrielle.Le ras<strong>se</strong>mblem<strong>en</strong>t de petits producteurs <strong>en</strong> un même lieu a certainem<strong>en</strong>tfavorisé la pri<strong>se</strong> de consci<strong>en</strong>ce, par ces derniers, d'intérêts communs à déf<strong>en</strong>dre.Ce n'est qu'au début du vingtième siècle qu'apparaît le véritable industrielpossédant son matériel, <strong>se</strong>s locaux, concevant et commercialisant lui-même <strong>se</strong>sproduits. La période de prospérité touche alors à sa fin. Ces firmes n'aurontplus guère le temps de grandir <strong>be</strong>aucoup, d'autant que les cri<strong>se</strong>s les affect<strong>en</strong>tautant que les autres. <strong>Les</strong> difficultés <strong>sont</strong> généralem<strong>en</strong>t provoquées par la pertede débouchés extérieurs, et les producteurs importants eux-mêmes ne <strong>sont</strong> pasas<strong>se</strong>z puissants pour contourner l'obstacle douanier <strong>en</strong> s'implantant à l'étranger(.). Comme dans le Cambrésis, le caractère toujours aléatoire des v<strong>en</strong>tes gênait


- 249 -les investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts à long terme dans d'autres activités. Par ailleurs, le souv<strong>en</strong>irdes années exceptionnelles offrant des chances de promotion à l'habileconducteur de métier, <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ait le prestige de la d<strong>en</strong>telle. Il aurait été dece fait psychologiquem<strong>en</strong>t difficile (..) d'implanter d'autres branches <strong>textiles</strong>qui n'aurai<strong>en</strong>t pu offrir les mêmes espoirs de gains. A la fin du dix-neuvièmesiècle, apparais<strong>se</strong>nt, toutefois, quelques métiers à broder. Calais a finalem<strong>en</strong>tacquis rapidem<strong>en</strong>t, plus vite que la région de Caudry, les caractéristiquesob<strong>se</strong>rvées dans le chapitre précéd<strong>en</strong>t.La Guerre de 1914-1918 ne remet pas <strong>en</strong> cau<strong>se</strong> les structures de production: Calais est le <strong>se</strong>ul grand c<strong>en</strong>tre textile du Nord-Pas de Calais à échapperà l'occupation et aux destructions. L'activité, freinée par les hostilités,repr<strong>en</strong>d avec le retour à la paix. Par contre, la ville est frappée de façon particulièrem<strong>en</strong>tcruelle par la cri<strong>se</strong> de 1929, puisque son principal cli<strong>en</strong>t étaitles U.S.A. Ces derniers instaur<strong>en</strong>t des droits de douane de 130 % sur la d<strong>en</strong>telleet <strong>sont</strong> peu à peu imités par les autres pays. Un chômage énorme <strong>se</strong> développeà Calais : il intéres<strong>se</strong> <strong>en</strong>viron 5.000 personnes <strong>en</strong> janvier 1936, où ne fonctionn<strong>en</strong>tplus que 200 métiers. Le nombre des habitants de la ville diminue de5.800 <strong>en</strong>tre 1921 et 1936.Cette cri<strong>se</strong> amène une réduction considérable du nombre des produc<strong>en</strong>1936, ils <strong>sont</strong> moins de 200, avec <strong>en</strong>viron 2.100 métiers (... ).teursComme toutes les firmes <strong>sont</strong> touchées, cette diminution résulte <strong>be</strong>aucoup plus(.) Des pays etrangers ont parfois recrute des spécialistes calaisi<strong>en</strong>s pour développerla d<strong>en</strong>telle chez eux, ce fut le cas aux U.S.A., par exemple. Des firmescalaisi<strong>en</strong>nes, <strong>en</strong> tant que telles, ne l'ont jamais fait.( .. ) En outre, lors des pha<strong>se</strong>s de prosperite, la d<strong>en</strong>telle accaparait toute lamain-d'oeuvredisponible.( ... ) Certains producteurs avai<strong>en</strong>t voulu v<strong>en</strong>dre à l'étranger des métiers inemployés; des manifestations groupant des ouvriers et des fabricants empêchèr<strong>en</strong>tces v<strong>en</strong>tes; un décret gouvernem<strong>en</strong>tal finit par les interdire. Des manifestationssimilaires avai<strong>en</strong>t eu lieu à Caudry. Ne pouvant récupéré le capital repré<strong>se</strong>ntépar leur matériel, les firmes étai<strong>en</strong>t d'autant moins t<strong>en</strong>tées d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dreune conversion. Un fabricant réussit quand même à <strong>se</strong> créer un nouveaudébouche <strong>en</strong> mettant au point une d<strong>en</strong>telle elastique pour cor<strong>se</strong>terie.


- 250 -d'arrêts d'activité que d'une conc<strong>en</strong>tration au profit des firmes les plus importantes;on remarque quand même que le nombre moy<strong>en</strong> de métiers par producteurs'est <strong>se</strong>nsiblem<strong>en</strong>t élevé au cours de cette période: il double par rapport audébut du siècle. Des métiers <strong>sont</strong> purem<strong>en</strong>t et simplem<strong>en</strong>t v<strong>en</strong>dus à la ferrailleet plus aucun matériel neuf n'est acquis p<strong>en</strong>dant toutes ces années (.). On <strong>se</strong>cont<strong>en</strong>te d'<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir <strong>en</strong> état de marche une partie du matériel. En fait, on aassisté à l'abandon d'un millier de métiers <strong>en</strong>viron sans que cela <strong>se</strong> soit accompagnéd'une restructuration véritable ou d'un comm<strong>en</strong>cem<strong>en</strong>t de diversification.La deuxième Guerre Mondiale provoque des destructions notables (..).312 métiers <strong>sont</strong> détruits. <strong>Les</strong> dommages de guerre <strong>sont</strong> l'occasion pour quelquesfirmes d'acheter un peu de matériel de bonneterie. Initiative heureu<strong>se</strong> puisquecette branche était appelée à un brillant av<strong>en</strong>ir. Cette nouvelle activité restetoutefois trés marginale, jusque dans les années 1950, car l'après Guerre estmarqué, comme dans le reste du textile, par une prospérité relative.Cette région a disposé, au cours des siècles de c<strong>en</strong>tres <strong>textiles</strong>(.) La plupart des producteurs qui subsist<strong>en</strong>t devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t propriétaires de leursbâtim<strong>en</strong>ts au cours de cette période.(..) <strong>Les</strong> usines <strong>sont</strong> proportionnellem<strong>en</strong>t moins touchées que la ville carelles étai<strong>en</strong>t ab<strong>se</strong>ntes de Calais-Nord, quartier qui fut rasé à près de 100 %.


- 251 -notables, le plus brillant étant sans doute Hondschoote qui, au <strong>se</strong>izième siècle,s'était spécialisé dans la sayetterie, c'est-à-dire dans les étoffes <strong>en</strong> lainepeignée ( . ). A la veille de l'industrialisation, la Flandre Maritime et Intérieure<strong>se</strong> consacre uniquem<strong>en</strong>t au travail du lin. Cette fibre locale est filéeet tissée dans les campagnes; on y produit uniquem<strong>en</strong>t des toiles grossières.D'aprés la statistique de Dieudonné, cet <strong>en</strong><strong>se</strong>mble, <strong>en</strong> 1789 comme <strong>en</strong> 1801, dispo<strong>se</strong>de la moitié des métiers et du quart des rouets du départem<strong>en</strong>t qui utili<strong>se</strong>ntles" lins de gros ". Il s'agit par conséqu<strong>en</strong>t d'une région spécialiséedans la production d'étoffes communes distinées aux usagers locaux ou v<strong>en</strong>duesà l'extérieur par des négociants installés, la plupart du temps, dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tde Lille.Bailleul, <strong>se</strong>ule, témoigne d'une certaine originalité: elle dispo<strong>se</strong>de 15 % des moulins à retordre les fils de lin et, pour cette activité, occupela <strong>se</strong>conde <strong>place</strong> dans le départem<strong>en</strong>t, juste après Lille. La d<strong>en</strong>telle s'y développeégalem<strong>en</strong>t depuis la fin du dix-huitième siècle, parallèlem<strong>en</strong>t au déclinde Val<strong>en</strong>ci<strong>en</strong>nes. Dieudonné estime que, <strong>en</strong> 1801, 1.000 d<strong>en</strong>tellières travaill<strong>en</strong>tà Bailleul et dans les campagnes <strong>en</strong>vironnantes, jusqu'à Cas<strong>se</strong>l. C'est 10 foisplus qu'<strong>en</strong> 1789, mais dix fois moins qu'à Lille, au début du dix-neuvième siècle.La population de cette reglon est d<strong>en</strong><strong>se</strong>: (120 habitants au kilomètrecarré <strong>en</strong> 1801,130 <strong>en</strong> 1821 ) ( ..), surtout si l'on ti<strong>en</strong>t compte de l'ab<strong>se</strong>nced'organismes urbains très importants; l'accrois<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t naturel est <strong>se</strong>nsible.C'est une situation qui <strong>se</strong>mble, à priori, plutôt favorable à l'expansion dutextile d'autant que cette région bénéficie de la pré<strong>se</strong>nce de Dunkerque qui,aprés 1815, importe une partie des matières premières utilisées par l'industrietextile du Nord-Pas de Calais (...)(.) Cf. notamm<strong>en</strong>t les travaux d'Emile Coornaert sur ce sujet. L'ouvrage citéde cet auteur conti<strong>en</strong>t de nombreu<strong>se</strong>s indications préci<strong>se</strong>s sur l'évolution dutextilp de cette région au cours du dix-neuvième siècle.(._) Cette d<strong>en</strong>sité a été calculée <strong>en</strong> pr<strong>en</strong>ant comme limites, celles de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tde Dunkerque telles qu'elles exist<strong>en</strong>t actuellem<strong>en</strong>t; jusqu'<strong>en</strong> 1926,<strong>en</strong> effet, Hazebrouck s'est trouvé à la tête d'un arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t séparé.(.•.) Ce rôle fut limité par le fait que Dunkerque ne pr<strong>en</strong>d vraim<strong>en</strong>t son essorque sous la Troisième République (Cf. la thè<strong>se</strong> de F. L<strong>en</strong>tacker). Dieudonne nefait pas figurer ce port parmi les grands fournis<strong>se</strong>urs de coton du Nord.


- 252 -La rareté des <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs dans cette région ne va pas permettre àl'industrialisation du textile de <strong>se</strong> produire sur une grande échelle; il faudra,pour l'es<strong>se</strong>ntiel, compter sur des initiatives extérieures. Le tissage manuel<strong>se</strong> mainti<strong>en</strong>t p<strong>en</strong>dant la première moitié du dix-neuvième siècle : E. Coornaertconsidère que, <strong>en</strong> 1866, 10.000 métiers <strong>sont</strong> <strong>en</strong>core utilisés, au moins à tempspartiel, par des artisans qui associ<strong>en</strong>t cette activité à l'agriculture. Le tissagede lin est, peu après, durem<strong>en</strong>t touché, car la mécanisation affecte d'abordles toiles ordinaires, spécialité de cette région. La d<strong>en</strong>telle disparaît peu àpeu <strong>en</strong> raison du développem<strong>en</strong>t des c<strong>en</strong>tres de Calais et de Caudry. Le retordagede Bailleul est éclipsé rapidem<strong>en</strong>t par celui de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille.Dunkerque fut le principal foyer de rénovation du textile dans cetterégion, <strong>en</strong> partie grâce à l'influ<strong>en</strong>ce britannique: au début du dix-neuvièmesiècle, un Anglais, David Dickson, apporte des plans de métiers à filer le cotonet s'associe à un armateur dunkerquois, Gaspard Malo, qui fournit les capitaux.Une usine est montée à Coudekerque, et l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong> prospère sous la directiondu Britannique qui <strong>se</strong> fixe définitivem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> France. En 1837, une machine àvapeur est installée, un tissage s'ajoute à la filature; on travaille le lin,le coton et le chanvre. En 1843, Dickson introduit, le premier dans le départem<strong>en</strong>tdu Nord, le travail du jute. La firme compte 900 salariés <strong>en</strong> 1860.Le jute pré<strong>se</strong>nte <strong>be</strong>aucoup d'intérêt pour cette région car il <strong>se</strong>rtà faire des toiles très communes; le tis<strong>se</strong>rand manuel, habitué aux gros filsde lin, s'adapte bi<strong>en</strong> à cette production. Des· fabricants· vont continuer àdistribuer du travail aux artisans des campagnes, jusqu'au l<strong>en</strong>demain de la PremièreGuerre Mondiale. Un des rares <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs originaires de cette région,Vandesmet, monte, <strong>en</strong> 1852, une filature de jute à Watt<strong>en</strong>, localité située aucontact de la Flandre Intérieure et Maritime, à 30 kilomètres de Dunkerque,


- 253 -et reliée à ce port par un canal et une voie ferrée.Un mouvem<strong>en</strong>t d'industrialisation s'amorce au cours de la déc<strong>en</strong>nie 1860:<strong>en</strong> raison de la haus<strong>se</strong> des prix du coton, le lin régional retrouve de l'intérêt,le jute aussi profite de cette situation, car <strong>se</strong>s cours rest<strong>en</strong>t relativem<strong>en</strong>tstables. Plus d'une dizaine de filature <strong>se</strong> cré<strong>en</strong>t dans la région, notamm<strong>en</strong>t àDunkerque. Ces <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s ont des ba<strong>se</strong>s financières fragiles et périclit<strong>en</strong>tpresque toutes vers 1867-1870. Il n'y a pas de banques locales pour les sout<strong>en</strong>ir(.). <strong>Les</strong> plus importants dét<strong>en</strong>teurs de capitaux <strong>sont</strong> les armateurs et négociantsdunkerquois qui <strong>sont</strong> peu intéressés par l'investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t industriel proprem<strong>en</strong>tdit. Ils préfèr<strong>en</strong>t rester dans le domaine d'activité qui était le leur, et dontl'évolution devi<strong>en</strong>t as<strong>se</strong>z brillante après l'avènem<strong>en</strong>t de la Troisième République.C'est <strong>en</strong> bonne partie pour cette raison que ne <strong>se</strong> créera pas un foyer textilepuissant, associant un port fournis<strong>se</strong>ur de matières premières et de capitauxet un arrière-pays riche <strong>en</strong> main-d'oeuvre.Dans le dernier tiers du dix-neuvième siècle, des usines importantes<strong>se</strong> cré<strong>en</strong>t pour travailler le jute, mais elles <strong>sont</strong> l'oeuvre de firmes extérieuresqui estimai<strong>en</strong>t plus rationnel de v<strong>en</strong>ir transformer une fibre bon marché dans sonprincipal port d'importation. Le comptoir linier s'implante·<strong>en</strong> 1898, suivi parla société Weill. Cette dernière, d'origine alsaci<strong>en</strong>ne, s'installe d'abord <strong>en</strong>Lorraine, après 1870, mais s'y trouvant mal reliée aux grands ports importateurs,elle préfère finalem<strong>en</strong>t <strong>se</strong> locali<strong>se</strong>r à Dunkerque où existe de plus une maind'oeuvreformée à ce g<strong>en</strong>re d'activités. Au cours de la première moitié de vingtièmesiècle, ces <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s r<strong>en</strong>forc<strong>en</strong>t leurs positions dans cette région <strong>en</strong>repr<strong>en</strong>ant ou créant des établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts à Hazebrouck et même à Arm<strong>en</strong>tières, dansla Vallée de la Lys. Toutes ces villes <strong>sont</strong> reliées par une voie de chemin defer directe à Dunkerque.(.) Sur cet épisode significatif de l'échec du développem<strong>en</strong>t textile dans cetterégion, cf. notamm<strong>en</strong>t la thè<strong>se</strong> de Cl. Fahi<strong>en</strong>.


- 254 -Dans cette agglomération portuaire, <strong>en</strong> 1913, le textile emploie 5 à6.000 personnes (.), es<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t dans le travail du jute; <strong>en</strong> dehors de cedernier on compte quelques voileries et bâcheries et l'établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t Malo-Dickson qui est multi-fibres. La Flandre Maritime et Intérieure conc<strong>en</strong>tre alor<strong>se</strong>nviron la moitié de l'industrie jutière du départem<strong>en</strong>t. Cette mème année, Dunkerqueimporte 60.000 tonnes de cette matière première. Hazebrouck regroupe,pour sa part, de 1.000 à 1.100 travailleurs <strong>textiles</strong> dans quatre tissages et unefilature. Bailleul dispo<strong>se</strong> de trois usines, tandis que subsist<strong>en</strong>t 900 tis<strong>se</strong>randsà domicile travaillant le jute ou le lin.L'industrialisation du textile ne s'achève qu'<strong>en</strong>tre les Deux GuerresMondiales : à Godewaersvelde et à Boeschepe, <strong>en</strong>tre 1920 et 1930, les dernierstis<strong>se</strong>rands à domicile <strong>sont</strong> remplacés par des ateliers mécanisés sous l'influ<strong>en</strong>ced'une firme régionale (Vandesmet) ou d'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s locales qui, jusqu'à cetteépoque, étai<strong>en</strong>t des donneurs d'ordres. Ce <strong>sont</strong> les <strong>se</strong>cteurs les plus éloignésdes villes principales qui ont con<strong>se</strong>rvé le plus longtemps les anci<strong>en</strong>nes formesde production. Bailleul, pour sa part, bénéficie, <strong>en</strong> 1927, de la création d'unefilature de coton par la firme arm<strong>en</strong>tièroi<strong>se</strong> Coisne et Lam<strong>be</strong>rt. La destructionde la ville au cours de la Guerre 1914-1918 avait provoqué la disparition despetitsateliers.La Seconde Guerre Mondiale <strong>en</strong>traîne un amoindris<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t du pot<strong>en</strong>tieldunkerquois : toutes les usines <strong>en</strong>dommagées ne <strong>sont</strong> pas reconstruites car, <strong>en</strong>tretemps,une partie de leur cli<strong>en</strong>tèle s'est tournée vers les établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts dela Somme qui n'ont guère été affectés par ces évènem<strong>en</strong>ts.L'évolution de cette région, depuis le début du dix-neuvième siècle( ..) <strong>se</strong> caractéri<strong>se</strong>, <strong>en</strong> définitive, par l'échec de la formation de ce qui aurait(.) Cf. E. Thelliez, article cité.(..) La vallée de la Somme ne bénéficiait pourtant pas de la proximité d'un portde l'importance de Dunkerque par contre elle a profité de l'action d'<strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurslocaux très dynamiques la famille Saint a directem<strong>en</strong>t créé au moinsla moitié du pot<strong>en</strong>tiel de production de ce <strong>se</strong>cteur. Cet exemple illustre, àl'évid<strong>en</strong>ce, le rôle déterminant qui revi<strong>en</strong>t, à cette époque, à l'action de quelquesresponsables économiques.


- 255 -pu être un grand foyer textile, Il est frappant de remarquer que, initialem<strong>en</strong>t,la Flandre Maritime et Intérieure n'offrait pas des conditions três différ<strong>en</strong>tesde celles des Vallées de la Somme et de <strong>se</strong>s afflu<strong>en</strong>ts, comme la Nièvre, oùs'est implantée une puissante industrie basée sur le jute et située <strong>en</strong> pleinmilieu rural.Le c<strong>en</strong>tre textile de Saint-Amand-les-Eaux a une origine très anci<strong>en</strong>ne(,). Dès le dix-huitiême siècle, la bonneterie est la principale activité decette région. Le lin, bi<strong>en</strong> qu'il y soit cultivé, n'occupe qu'une <strong>place</strong> limitée,et les fils produits <strong>sont</strong> <strong>en</strong> général utilisés dans le Cambrésis. La laine estfilée à domicile par des travailleurs indép<strong>en</strong>dants; une partie de ces fils estachetée par les" fabricants" de Roubaix-Tourcoing, mais l'es<strong>se</strong>ntiel estdestiné aux bonnetiers locaux. A la veille de la Révolution, il s'agit d'unc<strong>en</strong>tre autonome animé par une vingtaine de marchands-transformateurs installésdans la ville même; ces ateliers urbains emploi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne <strong>se</strong>pt à huit personnes;dix fois plus travaill<strong>en</strong>t à domicile dans les <strong>en</strong>virons. On <strong>se</strong> <strong>se</strong>rttoujours d'une machine à tricoter rudim<strong>en</strong>taire, très proche de celle inv<strong>en</strong>téepar l'Anglais William Lee, aux dix-<strong>se</strong>ptième siècle. On prodûit des articleschaussant <strong>en</strong> laine uniquem<strong>en</strong>t.Dieudonné considérait que ce foyer était, <strong>en</strong> 1789, le <strong>se</strong>cond du départem<strong>en</strong>t,v<strong>en</strong>ant juste après celui de l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t de Lille et ayant une capacitéde production égale à la moitié de celle de ce dernier. <strong>Les</strong> bas tricotésà Saint-Amand les Eaux <strong>se</strong> v<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t jusqu'<strong>en</strong> Bas<strong>se</strong>-Normandie. Ce c<strong>en</strong>tre déclinepar la suite devant la concurr<strong>en</strong>ce <strong>be</strong>lge; <strong>en</strong> 1801, son importance a diminuédes deux tiers par rapport à ce qu'elle était à la veille de la Révolution.La situation de Saint-Amand-les-Eaux s'améliore après 1815.(.) Cf. la Thè<strong>se</strong> de R. Frult, ouvrage cité.


- 256 -Cette branche textile <strong>se</strong> moderni<strong>se</strong> très l<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t. <strong>Les</strong> métiers mécaniquesrapides et le travail <strong>en</strong> atelier ne <strong>se</strong> répand<strong>en</strong>t véritablem<strong>en</strong>t que dansla <strong>se</strong>conde moitié du dix-neuvième siècle (.). <strong>Les</strong> <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s locales ont lapossibilité de <strong>se</strong> rééquiper progressivem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> matériel. <strong>Les</strong> autres activités<strong>textiles</strong>, comme le travail du lin, ne résist<strong>en</strong>t pas à la concurr<strong>en</strong>ce des c<strong>en</strong>tresmodernisés.Avant 1850, quelques <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s de bonneterie mont<strong>en</strong>t des filaturesintégrées de laine et même quelques peignages manuels. C'est une initiative sansl<strong>en</strong>demain: toutes ces installations disparais<strong>se</strong>nt rapidem<strong>en</strong>t et cette région<strong>se</strong> spéciali<strong>se</strong> exclusivem<strong>en</strong>t dans la bonneterie. <strong>Les</strong> travaux de R. Fruit montr<strong>en</strong>tque l'effectif global des actifs de cette branche reste as<strong>se</strong>z constant au coursdu dix-neuvième siècle: <strong>en</strong> 1839, 25 <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s offr<strong>en</strong>t 1.300 emplois dont 150à 200 <strong>en</strong> ateliers. En 1873, 14 subsist<strong>en</strong>t avec 1.000 ouvriers <strong>en</strong> usines et quelquesc<strong>en</strong>taines à domicile. En 1865, ce c<strong>en</strong>tre, par le nombre de personnes employées,est le plus important du Nord. L'évolution ultérieure <strong>se</strong> caractéri<strong>se</strong> parune réduction progressive du nombre des producteurs : 8 <strong>se</strong>ulem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> 1900, àSaint-Amand les Eaux et dans <strong>se</strong>s <strong>en</strong>virons. Le travail à domicile disparaît progressivem<strong>en</strong>tvers 1914.Finalem<strong>en</strong>t, on constate la survivance et la rénovation d'une activiténée avant la Révolution Industrielle diffusée dans toute la région de Saint-Amand les Eaux, à cette époque, elle s'est conc<strong>en</strong>trée géographiquem<strong>en</strong>t dans laville principale. Le c<strong>en</strong>tre a con<strong>se</strong>rvé son autonomie mais son rôle relatif dansle Nord est <strong>en</strong> diminution régulière depuis la fin du dix-neuvième siècle,(.) Même dans la région troy<strong>en</strong>ne, pourtant la plus moderne de France, les conditionsde production rest<strong>en</strong>t artisanale jusqu'<strong>en</strong> 1850 ; le métier Cotton nedevi<strong>en</strong>t majoritaire qu'après 1880. (Cf. " <strong>Les</strong> <strong>industries</strong> de la maille dans l'Au<strong>be</strong>", étude réalisée, <strong>en</strong> 1970, par la Banque de France de Troyes).


- 257 -Dans le chapitre précèd<strong>en</strong>t, on avait relevé la pré<strong>se</strong>nce d'une série detrès petits c<strong>en</strong>tres, notamm<strong>en</strong>t dans l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t d'Arras. Il <strong>se</strong>rait fastidieuxet disproportionné par rapport à leur importance de retracer l'évolutionde chacun d'<strong>en</strong>tre eux. Il convi<strong>en</strong>t toutefois de relever qu'ils constitu<strong>en</strong>t lesvestiges d'une vaste zone où le travail textile était fort répandu avant laRévolution (.). Ce dernier reposait sur le lin, comme il était fréqu<strong>en</strong>t à cetteépoque. En 1842, au mom<strong>en</strong>t où débute l'industrialisation de la filature, le Pasde Calais compte 7.200 hectares consacrés au lin (le Nord, 10.200), ce qui luidonne la troisième <strong>place</strong> <strong>en</strong> France (..). En 1898, au mom<strong>en</strong>t du grand déclin decette culture <strong>en</strong> France, A.Demangeon remarque que l'arrondis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t d'Arras consacre<strong>en</strong>core 530 hectares au lin, ce qui lui donne la première <strong>place</strong> dans la région.Un début d'industrialisation (... ) apparaît vers 1840; il est dûes<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t à des initiatives extérieures à cette région. la réalisation laplus remarquable est l'édification, <strong>en</strong> 1840, d'une filature à Frév<strong>en</strong>t ; avec10.000 broches, cette unité est, à ce mom<strong>en</strong>t-là, l'une des plus importantes deFrance. Elle a été montée par un négociant, Mi11escamps, qui, très rapidem<strong>en</strong>t,l'intègre au Comptoir linier, société fondée, <strong>en</strong> 1846, par des négociants originairesdu Nord et de la Sarthe. le siège est installée à Paris. la firme acquiertoutre l'unité de Frév<strong>en</strong>t, une filature de jute et de lin à Ailly-sur-Somme etun tissage mécanique à Cambrai. C'est un cas as<strong>se</strong>z exceptionnel, à cette époque,d'une firme ayant des implantations mu1tirégiona1es : c'est ainsi que les filésde lin de Frèv<strong>en</strong>t <strong>sont</strong> distribués aux tis<strong>se</strong>rands à domicile puis aux petitsatelierssarthois.Si le Comptoir linier con<strong>se</strong>rve <strong>se</strong>s établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts dans le Pas-de-Calais(.) Dieudonné signale que, <strong>en</strong> 1801, des rouets fil<strong>en</strong>t le coton à Frèv<strong>en</strong>t et àSaint-Pol sur Ternoi<strong>se</strong> pour des Lillois; cette région <strong>en</strong> fait ne travaille quepour des c<strong>en</strong>tres extérieurs.(..) Source: P. Billaux, ouvrage cité.(...) D1après F. Dornic et L. Merchier études citées.


- 258 -(il s'incorpore <strong>en</strong>suite la filature de Bou<strong>be</strong>rs-sur-Canche), il ne les multipliepas dans une région qui perd son principal attrait après 1870, lorsqu'il devi<strong>en</strong>tpréférable d'utili<strong>se</strong>r des lins importés. Comme ce <strong>se</strong>cteur du Pas-de-Calais nedispo<strong>se</strong> pas d'un très bon ré<strong>se</strong>au de voies de communication, le Comptoir Linierpréfère réali<strong>se</strong>r <strong>se</strong>s investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts ultérieurs dans des c<strong>en</strong>tres mieux situéscomme Dunkerque, Hazebrouck ou Arm<strong>en</strong>tières. Toute cette région avait, <strong>en</strong> définitive,des pot<strong>en</strong>tialités qui n'ont guère été utilisées, dès lors que les implantationsdép<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t de firmes dont les c<strong>en</strong>tres de décision <strong>se</strong> trouvai<strong>en</strong>t à l'extérieur.les différ<strong>en</strong>ts facteurs favorables à l'épanouis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>t du textile dansle Nord-Pas de Calais n'ont pas joué partout avec une égale int<strong>en</strong>sité; de cefait, chaque c<strong>en</strong>tre a acquis des caractéristiques propres. Dans tous les cas,pourtant, s'est manifestée une t<strong>en</strong>dance à la conc<strong>en</strong>tration de chaque brancheà l'intérieur d'un ou deux foyers: les peignages de laine <strong>se</strong> <strong>sont</strong> agglutinésà Roubaix-Tourcoing de même que les établis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>ts de d<strong>en</strong>telle <strong>se</strong> <strong>sont</strong> ras<strong>se</strong>mblésà Calais et à Caudry ou dans <strong>se</strong>s <strong>en</strong>virons immédiats. Ceci a <strong>en</strong>traîné progressivem<strong>en</strong>tune grande spécialisation des villes <strong>textiles</strong>. Ce phénomène s'expliquees<strong>se</strong>ntiellem<strong>en</strong>t par une série de facteurs propres à cette époque: la réussitede quelques <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>eurs locaux dans une activité déterminée incite les autresà choisir la même spécialité. Ce phénomène d'imitation peut <strong>se</strong> produire car,à cau<strong>se</strong> du faible volume de capitaux nécessaires, on r<strong>en</strong>contre toujours, au débutde l'industrialisation, un nombre élevé de personnes susceptibles de <strong>se</strong> lancerdans les affaires.Le développem<strong>en</strong>t de plusieurs <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s id<strong>en</strong>tiques <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dre peu à peuune situation favorable à la poursuite de l'expansion de cette branche <strong>en</strong> raisonde1) La pré<strong>se</strong>nce d'un noyau de main-d'oeuvre formée à la pratique des nouvellestechniques. Ceci est important car il n'y a pas d'<strong>en</strong><strong>se</strong>ignem<strong>en</strong>t professionnelorganisé; la formation <strong>se</strong> fait" sur le tas" et comporte <strong>en</strong>core <strong>be</strong>aucoup


259 -de" Tours de main" dont l'acquisition suppo<strong>se</strong> une longue pratique (.).II) <strong>Les</strong> activités complém<strong>en</strong>taires t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à <strong>se</strong> locali<strong>se</strong>r là où elles dispo<strong>se</strong>ntd'un marché important. La pré<strong>se</strong>nce de nombreux producteurs de d<strong>en</strong>telle justifie,par exemple, la création de teintureries spécialisées, de bureaux d'esquis<strong>se</strong>ur<strong>se</strong>t de dessinateurs, de <strong>se</strong>rvices perman<strong>en</strong>ts d'assistance technique des constructeursde matériels etc ...III) Le ras<strong>se</strong>mblem<strong>en</strong>t de nombreux producteurs attire les négociants et les acheteur<strong>se</strong>xtérieurs parce qu'ils sav<strong>en</strong>t qu'ils vont trouver là un grand choix d'articles.Le tis<strong>se</strong>rand installé à Roubaix a plus de chances d'être visité par l'acheteurde tissus parisi<strong>en</strong>s que s'il <strong>se</strong> trouvait à L<strong>en</strong>s ou à Boulogne, où il<strong>se</strong>rait le <strong>se</strong>ul de son espèce (..). Dans ce dernier cas il lui faudrait installerun bureau de v<strong>en</strong>te à Paris ou à Roubaix, ce qui occasionnerait des frais supplém<strong>en</strong>taires.Pour employer le langage des économistes, on peut dire que la localisationdans un c<strong>en</strong>tre déjà constitué <strong>en</strong>traîne, pour l'<strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>, des" économie<strong>se</strong>xternes" qui rédui<strong>se</strong>nt les frais de fonctionnem<strong>en</strong>t et le montant de l'investis<strong>se</strong>m<strong>en</strong>tinitial. La conc<strong>en</strong>tration géographique devi<strong>en</strong>t un palliatif au morcellem<strong>en</strong>tdes <strong>en</strong>trepri<strong>se</strong>s. Elle facilite la multiplication de petites firmes quine peuv<strong>en</strong>t subsister <strong>en</strong> dehors du c<strong>en</strong>tre où elles trouv<strong>en</strong>t les <strong>se</strong>rvices complém<strong>en</strong>tairesindisp<strong>en</strong>sables. La conc<strong>en</strong>tration géographique t<strong>en</strong>d, <strong>en</strong> quelque sorte,à s'auto<strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ir et ceci constitue un facteur supplém<strong>en</strong>taire d'inertie deslocalisations.Le ras<strong>se</strong>mblem<strong>en</strong>t d'une même branche <strong>en</strong> une même ville a des conséqu<strong>en</strong>cesredoutables sur le plan économique et social puisqu'il crée une situation demonoindustrie. Ceci t<strong>en</strong>d égalem<strong>en</strong>t à r<strong>en</strong>forcer le particularisme de la branche(.) Si l'on repr<strong>en</strong>d les exemples evoques ci-dessus du peignage et de la d<strong>en</strong>telle,il est très long de former un trieur de laine qui doit, au toucher, determinerla fines<strong>se</strong> et la qualité de la laine. De même le tulliste n'acquiertque très progressivem<strong>en</strong>t une bonne connaissance de la machine très complexe queconstitue le métier à d<strong>en</strong>telle.(.,) Ceci est particulièrem<strong>en</strong>t vrai au dix-neuvième siècle: les dé<strong>place</strong>m<strong>en</strong>tsrapides <strong>se</strong> font par chemin de fer. Il n'est donc pas commode de visiter <strong>be</strong>aucoupde petits c<strong>en</strong>tres. Il était typique, à cet egard, d'ob<strong>se</strong>rver, à Roubaixle ras<strong>se</strong>mblem<strong>en</strong>t des bureaux de v<strong>en</strong>te des tis~us aux abords de la gare.


- 260 -dans la mesure où ceux qui y travaill<strong>en</strong>t n'ont pas l'occasion de confronterleurs expéri<strong>en</strong>ces professionnelles avec celles d'autres branches industrielles<strong>textiles</strong> ou non.Il apparaît clairem<strong>en</strong>t que l'essor du textile dans le Nord-Pas deCalais résulte d'une évolution complexe qui n'était pas inéluctable. Beaucoupdes facteurs favorables étai<strong>en</strong>t liés au contexte historique social et économiquedu dix-neuvième siècle. Cette constation amène logiquem<strong>en</strong>t à <strong>se</strong> demander si legrand foyer décrit au chapitre précéd<strong>en</strong>t constitue ou non une simple survivanced'une évolution antérieure.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!