36 Mondomix.comCOOPÉRATIVEPhotos tirées du film Indices, de Vincent GlennL’humain au centreLa Direction Humaine des Ressources, coopérative artistique d’un nouveau genre,s’emploie à créer un autre langage culturel et tente d’appliquer les principesdu commerce équitable à la culture. Décryptage d’une utopie ambitieuse.Texte Emmanuelle Piganiol« Notre engagement résidedans notre manière de produire,de co-produire, de réaliser etde questionner en permanence »Raoul Diat, metteur en scène de théâtreInventer une nouvelle forme de collaboration entre les artistes. Telle étaitl’ambition initiale de Jeannot Salvatori (musicien et producteur du SupernaturalOrchestra), Lorca Renoux (danseur chorégraphe) et Vincent Glenn (cinéastedocumentariste, directeur éditorial de D.H.R.) lorsqu’ils ont fondé LaDirection Humaine des Ressources en 2006. Organisée en plusieurs pôlesartistiques, cette coopérative développe des activités classiques comme laproduction et l’édition d’œuvres, ainsi que d’autres, transversales, commedes ateliers pédagogiques et des manifestations d’éducation populaire. Lesrencontres Produit Intérieur Doux, élaborées avec le collectif Richesses, ontfait par exemple intervenir plusieurs disciplines et réseaux associatifs pour ouvrirà l’enjeu du questionnement sur la richesse de notre société.« Je me révolte donc nous sommes »Si la démarche consiste à faire émerger une structure qui puisse porter desénergies à la fois individuelles et communes, toutes révèlent des formes atypiques,voire prototypiques, ainsi qu’un fond militant. Dans un Lexique Évolutifen deux tomes, treize « œuvriers » ont échafaudé au moment des municipalesde 2008 les éléments d’un discours résistant. « Tout ce que nous avons toujoursvoulu déchiffrer sans jamais oser en faire une politique » sous-titre cetterecherche sur les mots, qui incite à dépasser la notion de capitalisme sans secontenter d’être « anti ». Raoul Diat, metteur en scène de théâtre et gérantde la dynamique d’ensemble au sein de la coopérative, précise : « Chacund’entre nous est situé politiquement, mais notre engagement réside avant toutdans notre manière de produire, de co-produire, de réaliser et de questionneren permanence. »D.H.R., qui rayonne principalement en Ile-de-France en intégrant au mieux lesautres régions, rassemble environ 85 sociétaires représentatifs d’une vingtainede structures liées au monde du spectacle, et implique au total 150 personnes.« On s’est monté en coopérative dite de loi de 1947 pour permettre à despersonnes proches de devenir des sociétaires actifs, en nous apportant leurn°44 jan/fev 2011
Théma / Pour les contre-cultures !37soutien humain, mais aussi financier. Nous développons un capitalsocial, mais nos ressources sont impartageables, tout est réinvestidans nos projets et chacun est libre de partir s’il n’est plus en accordavec la ligne éditoriale », explique Raoul Diat.Dans un modèle économique et social à bout de souffle, latentative de D.H.R. est de mettre en valeur un équilibre entrel’épanouissement personnel et les alliances, qui permettent auxartistes d’être moins isolés. Pensée comme un lieu où les forcesconvergent, la coopérative inspire à Raoul Diat ces mots tirés deL’homme Révolté, d’Albert Camus : « Je me révolte, donc noussommes. » Cette idée de la puissance dans le collectif justifie untravail fondé sur l’égalité entre les coopérateurs, la valorisation desmétiers et l’indépendance économique. Évoquant le nom même dela coopérative, le metteur en scène s’amuse : « On a remis l’humainà sa place. »Surnatural Orchestraune décennieen fanfareTexte Emmanuelle PiganiolPhoto D.R.Le premier chantier important de DHR fut le disque-objet du SurnaturalOrchestra en 2009 (voir encadré). Le second est le film deVincent Glenn, Indices, né de l’action menée avec le parcours desensibilisation Produit Intérieur Doux : le film part du constat quele fameux PIB, consubstantiel à l’idée de croissance, occulte desvaleurs essentielles. Le film déroule une succession d’indicateursnécessaires à la construction d’une autre organisation de la société.Ce film-enquête a été diffusé dans des réseaux militants tels quele FAIR (Forum pour d’Autres Indicateurs de Richesse), ou ATTAC.D.H.R. se consacre également à un projet aussi étonnant que viable,inspiré par les AMAP (Association pour le Maintien de l’AgriculturePaysanne). Pour les acteurs du collectif, le commerce équitable estapplicable à toutes les activités, et une Association pour le Maintiendes Cultures Ouvrières va ainsi voir le jour. Véritable « AMAP culturelle», cette AMCO va proposer des paniers de biens culturels.« Ce ne sont pas les saisons qui vont déterminer la proposition,mais notre ligne éditoriale. Dans un souci de cohérence, on a déjàexpérimenté une librairie itinérante et nous allons développer uncatalogue de livres, de disques, de DVD et de spectacles, que l’onrecommandera aux abonnés », développe Raoul Diat. Il déploreau passage le manque de cohésion au sein de l’économie socialeet solidaire. « Dans “savoir-faire”, il y a “faire-savoir”. Nous devonsdésormais consolider notre rapport aux autres en nous faisant connaître.»n Indices,de Vincent Glenn,sortie nationalele 2 mars 2011.n sites web :www.d-h-r.orgBig band à géométrie variable composé d’une vingtainede musiciens qui gravitent autour d’un noyau originel(Antonin Leymarie, Adrien Amey et Nicolas Stephan), leSurnatural Orchestra fête dix ans de pérégrinations musicales.Fanfare pure et dure au moment de sa créationen 2001, dédiée à l’adaptation de musiques klezmer etd’autres issues du folklore méditerranéen, la formations’exprime sur scène avec une fougue incomparable etse permet des expériences multiples, passant avec humourdu ragga à la techno. Le collectif s’impose uneutopie : réussir à fonctionner sans chef de bande ni chefd’orchestre, inviter des musiciens pour leur talent, etpour leur humanité. Chacun apporte ses propres idéeset aucune partition n’accompagne jamais le groupe surscène. L’alchimie de cette forme libre prend et surprend,conduisant le Surnatural Orchestra à jouer dans les lieuxles plus improbables. De concerts de rue en salles dédiées,de résidences en ateliers, ces pionniers du soundpainting(technique d’improvisation dirigée due à WalterThompson) participent aussi avec talent à l’aventureCinémix. Produite par le saxophoniste Jeannot Salvatori,cette formation originale et sans concessions sedistingue par son impertinence sincère.Aux confins du jazz et du klezmer, le Surnatural Orchestraa sorti en 2009 un second album intégré à un coffret,écrin hybride réalisé dans un élan commun avecla coopérative artistique D.H.R.. Un livret de photos deCamille Sauvage ainsi qu’une nouvelle du romancier NicolasFlesch accompagnent un généreux CD, saluantharmonieusement cette démarche hors norme.n Surnatural Orchestra, Sans tête(Coopérative D.H.R., 2009)n http://surnaturalorchestra.free.frn°44 JAN/FEV 2011