La chambre <strong>de</strong> travail, 2011Installation, dimensions variablesbureau gravé en matrice d’impression pour un papier peint et une éditionpapier peint, bureau, chaise, lampes <strong>de</strong> bureau, éditionLa Chambre <strong>de</strong> travail n’est ni tout àfait une installation, ni tout à fait unegravure, ni tout à fait une oeuvre... Ouplutôt, le propos <strong>de</strong> l’artiste, son intention,naviguent sans cesse entre lepapier peint au mur, le bureau gravé,les lampes <strong>de</strong> bureau, le journal étonnantqu’elle a tiré <strong>de</strong> ce bureau... Tousces éléments sont liés, tous participentà l’oeuvre, mais interviennent chacunà leur manière, à un moment : le bureauqu’elle nous présente à la Maison<strong>de</strong>s Arts pourrait potentiellementenvahir le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s mots qui sontgravés à sa surface, <strong>de</strong> perroquets et<strong>de</strong> palmes. Il est à la fois la matrice d’ununivers visuel et le réceptacle <strong>de</strong> sespensées. Il est à ce titre le bureau par excellence,un objet qui traduit la pensée.Il y a aussi <strong>de</strong> la magiedans la Chambre <strong>de</strong> travail,la magie du temps passé à graver lebureau, la magie <strong>de</strong> l’inconstance<strong>de</strong>s impressions, la magie <strong>de</strong> la couleuraussi. Bérénice Merlet développeune économie <strong>de</strong> l’art bien à elle : sespièces témoignent souvent, parfoisironiquement, du plaisir qu’elle tiredu travail <strong>de</strong> la main, <strong>de</strong> la répétition<strong>de</strong>s gestes qui n’en est pas tout àfait une. Malgré leur simplicité apparente,les oeuvres <strong>de</strong> Bérénice Merletsont précieuses, un peu mystérieusesaussi, elles sont habitées par <strong>de</strong>s histoiresque se raconte l’artiste le soir.Julien Zerbone
Texte extrait <strong>de</strong> l’édition réalisée distribuée au publicSe concentrer. S’asseoir et faire <strong>de</strong> l’ordre.Allumer la radio. Eteindre la radio et allumer ITunes.Baisser le son.Se concentrer. Réfléchir… Baisser encore un peu leson.Fermer la porte. Se concentrer !Tailler son crayon, non vi<strong>de</strong>r le réservoir <strong>de</strong> son taillecrayonet taillerson crayon.Se rasseoir, prendre une nouvelle page, propre.Enlever son pull, se concentrer.Faire une liste.Numéroter la liste en triant les choses dans l’ordre <strong>de</strong>leurs importances.Réécrire la liste.Faire silence.Ne plus regar<strong>de</strong>r par la fenêtre.Remettre du volume sonore pour ne plus écouter l’aération.Fermer la fenêtre.Changer la musique,mettre quelque chose <strong>de</strong> calme comme <strong>de</strong> la musiquecalme.Se rasseoir.Faire une liste <strong>de</strong> mots :S’abriter, s’isoler, se terrer, se cacher, se réfugier, sereclure, se confiner,s’abstraire, se chambrer, se séquestrer,se séparer, se protéger, se couvrir, se détacher,se dissimuler, se planquer, se soustraire, setapir, se dérober, se retirer, s’éclipser, se mettre àl’abri, s’enterrer, s’esseuler, se barrica<strong>de</strong>r, se calfeutrer,se clapir, se claquemurer, se mettre à couvert,semotter, se cloîtrer, se clôturer, esquiver, élu<strong>de</strong>r, s’escamoter,s’éva<strong>de</strong>r, s’écarter, échapper, partir, se sauver,se tirer, se dissoudre, se cantonner, se murer, secarapater, se replier, se recroqueviller, se rétracter,s’estomper, se fondre, se camoufler, se masquer, sevolatiliser, se dissiper, décamper, se nicher, se mettreen cage, s’enfermer, se claustrer,Faire semblant d’être partie.Baisser la lumière et ne gar<strong>de</strong>r que la lampe <strong>de</strong> bureau.Espérer que tout le mon<strong>de</strong> pense que vous êtes partie.Se re-concentrer. Réfléchir.Je gratte la surface <strong>de</strong> mon bureau avec la pointe <strong>de</strong>mon compas. Sous le placage sombre, il y a du boismou. Assez mou pour enfoncer la pointe jusqu’aucaoutchouc. S’il n’était pas là ce caoutchouc, peutêtreque je pourrais le transpercer. Faire passer lalumière. Elle arriverait sur ma chaussure. Enfin il faudraitque je déplace ma lampe pour que l’ampoule soitjuste au-<strong>de</strong>ssus mais la lumière passerait et se seraitplus facile <strong>de</strong> retrouver ma gomme quand elle roulepar terre. Se re-concentrer, se mettre un ultimatum,mettre en forme une idée, écrire une page.Rapprocher sa chaise, pas trop.Il y a <strong>de</strong>s choses que l’on nous transmet et qui nousencombrent.Des choses qui battent au creux <strong>de</strong> nos paumes etqui nous gui<strong>de</strong>nt à notre insu. Des transmissions taboues,inconscientes, que l’on nous glisse entre <strong>de</strong>uxphotos <strong>de</strong> famille. Des choses qui nous cachent etdans lesquels on se cache.En plus <strong>de</strong> mon histoire, celle <strong>de</strong> mes parents tous les<strong>de</strong>ux sculpteurs, il y a les outils. Les outils que monpère avait pour tailler, poncer. Ces choses qui dans<strong>de</strong>s boîtes, comme <strong>de</strong>s trésors, <strong>de</strong>viennent pour moiprothèses, extensions <strong>de</strong> mes mains.En m’en emparant, sans y réfléchir, après <strong>de</strong> longuesannées où jamais je n’avais pensé en avoir besoin,ils se sont adaptés à mes outils et ils sont venu lesremplacer. Ces petites mèches qui comme par magiefonctionnent sur mon Dremel Lidl.Comment ai-je pu penser si longtemps que j’étais arrivéelà pas hasard.Surtout je pense qu’il serait content que son investissementdans cetoutillage, qui lui a coûté les yeux <strong>de</strong> la tête, serve. Meserve. Je ne peux pas affirmer qu’il serait fier <strong>de</strong> montravail. Je suis bien à <strong>de</strong>s années lumière <strong>de</strong> sapratique, mais je sculpte. Je sculpte avec lui, l’air<strong>de</strong> rien.Une transmission qui ne m’encombre plus maisqui m’accompagne. Ilreste tout <strong>de</strong> même une histoire à m’approprier,et une petite revanche <strong>de</strong> femme, pour ma mèrequi n’a jamais pu être une artiste mais juste unefemme au foyer, une peintre du dimanche. Unefemme qui a osé sculpter qu’une fois l’artistedisparu.Et j’y travaille à cette revanche, et avec ses outilsen prime.Des outils pour gratter. Qui s’enfoncent dans lebois et le déchiquette. De longues échar<strong>de</strong>s quedu bout <strong>de</strong>s doigts j’arache une par une.Me perdre dans le détail.Un <strong>de</strong>ux trois quatre, faire <strong>de</strong> la répétition uneprotection.Ranger le compas.Et puis il y a ce papier peint, qui envahit l’espaceet le rétrécit. C’est comme si les murs avançaientinexorablement vers moi, doucement vers moi.Il est préférable <strong>de</strong> le regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> loin, pour sesentir en pays exotique. Une petite chaleur triste.Coincée sur mon île réduite à la taille <strong>de</strong> monbureau, j’ai le nez collé à lui. Je ne distingue plusque les blancs qui forment <strong>de</strong> drôles <strong>de</strong> masquestribaux, qui me regar<strong>de</strong>nt.Baisser les yeux.Mon bureau flotte lentement, le vent souffle dansles palmes. Peut-être n’est-ce que l’aération quime fait froid dans le dos.Je n’ai gravé qu’un seul mot.
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