La vérité sur la tuerie de Louxor - Grands Reporters
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Extrait du <strong>Grands</strong> <strong>Reporters</strong>http://www.grands-reporters.com<strong>La</strong> vérité <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>tuerie</strong> <strong>de</strong> <strong>Louxor</strong>Comment un second massacre a été évité<strong>La</strong> vérité <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>tuerie</strong> <strong>de</strong><strong>Louxor</strong>- Articles -Date <strong>de</strong> mise en ligne : mercredi 11 octobre 2006Date <strong>de</strong> parution : 8 dcembre 1997<strong>Grands</strong> <strong>Reporters</strong>Copyright © <strong>Grands</strong> <strong>Reporters</strong> Page 1/5
<strong>La</strong> vérité <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>tuerie</strong> <strong>de</strong> <strong>Louxor</strong>Après le bain <strong>de</strong> sang du 17novembre <strong>de</strong>vant le temple <strong>de</strong> Hatchepsout, <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion locale aempêché les is<strong>la</strong>mistes <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> nouvelles victimes dans <strong>la</strong> Vallée <strong>de</strong>s Rois. Jean-Paul Maria interrogé les <strong>sur</strong>vivants égyptiens et reconstitué l'itinéraire sang<strong>la</strong>nt <strong>de</strong>s terroristes <strong>de</strong> <strong>la</strong>Djamaa Is<strong>la</strong>miyaIl suffit <strong>de</strong> c<strong>la</strong>quer une fois dans ses mains pour comprendre. Le son, sec, va buter contre les murs <strong>de</strong> calcaire rosedu temple, rebondit comme une balle vers <strong>la</strong> paroi <strong>de</strong> <strong>la</strong> montagne qui le renvoie, en écho, aux quatre coins <strong>de</strong> <strong>la</strong>Vallée <strong>de</strong>s Morts. Une simple détonation ressemble à une rafale. Une fusil<strong>la</strong><strong>de</strong>, à l'enfer. Pour arriver jusqu'au pied<strong>de</strong> l'écrasant temple <strong>de</strong> Hatchepsout, fille du roi Thoutmosis I, <strong>la</strong> seule reine-pharaon qui portait <strong>la</strong> barbe, <strong>de</strong>svêtements d'homme et qui épousa son <strong>de</strong>mi-frère, il faut <strong>la</strong>isser le grand parking, à 500mètres <strong>de</strong> là, juste avant leséchoppes <strong>de</strong>s commerçants, marcher jusqu'au guichet d'entrée et grimper les rampes d'accès jusqu'à cette troisièmeterrasse. Là, malgré ses blocs <strong>de</strong> pierre, ses colonnes et ses statues, <strong>la</strong> masse du temple semble être avalée par lesf<strong>la</strong>ncs <strong>de</strong> <strong>la</strong> montagne, ces fa<strong>la</strong>ises en arc <strong>de</strong> cercle, <strong>de</strong> 100mètres <strong>de</strong> hauteur, à pic, sans issue. Un cul-<strong>de</strong>-sacbordé <strong>de</strong> ravins, <strong>de</strong> champs <strong>de</strong> fouilles et <strong>de</strong> barbelés. Une embusca<strong>de</strong> géologique. Et quand, dès les premièresdéf<strong>la</strong>grations, les touristes, en tee-shirts et bermudas, ont abaissé leurs appareils photo pour regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong>rrière eux,ils se sont retrouvés seuls, nus, face à un soleil aveug<strong>la</strong>nt et aux armes <strong>de</strong> guerre du commando is<strong>la</strong>miste. Piégés.C'était une opération imp<strong>la</strong>cable, lâche, sauvage. Et elle a duré une bonne <strong>de</strong>mi-heure, ce matin du 17novembre<strong>de</strong>rnier. Combien étaient les tueurs et qui étaient-ils ? Terroristes professionnels ou jeunes désespérés suicidaires ?Qui les a envoyés ici, ce jour-là, dans ce temple du silence, si loin du Caire et <strong>de</strong>s convulsions <strong>de</strong> <strong>la</strong> Haute-Egypte ?Avec quels ordres ? Tuer, égorger, mutiler, violer comme les GIA algériens ? C'était il y a un mois à peine.Reprenons... « Ils sont arrivés du parking en marchant lentement, habillés <strong>de</strong> vieilles vestes noires, à fermetureEc<strong>la</strong>ir , se rappelle Taïeb, un commerçant installé près <strong>de</strong> l'entrée du temple. Ils étaient six, l'air étrange, le regardtourné vers le sol... » Sur le seuil <strong>de</strong> son magasin, minuscule, encombré <strong>de</strong> bibelots, Taïeb observe ce groupebizarre, ni touristes ni vil<strong>la</strong>geois, qui s'est scindé en <strong>de</strong>ux : « Quatre hommes ont marché vers l'intérieur du temple,les <strong>de</strong>ux autres sont restés face à l'enceinte... » Quand les premières détonations secouent toute <strong>la</strong> vallée, Taïeb voit<strong>de</strong>vant lui un terroriste abattre un policier. A l'intérieur, au guichet, trois fonctionnaires ont <strong>de</strong>mandé leur billet auxvisiteurs ; en guise <strong>de</strong> réponse, les hommes en noir ont ouvert leur veste, sorti leur ka<strong>la</strong>chnikov à crosse courte etlâché une rafale. Un policier et un employé s'écroulent. Déjà trois morts. Ne restent que <strong>de</strong>ux vieux gar<strong>de</strong>schampêtres, en chèche et gal<strong>la</strong>bieh traditionnels, encombrés <strong>de</strong> gros pistolets poussiéreux. L'arme du premiers'enraie au premier coup ; le <strong>de</strong>uxième tire, rate sa cible et se fait coucher d'une balle dans l'épaule. Un gui<strong>de</strong>égyptien venu du Caire, très connu à <strong>Louxor</strong>, s'interpose, sans arme : « Arrêtez <strong>de</strong> tirer ! Il y a <strong>de</strong>s touristes ici ! » Unis<strong>la</strong>miste le met en joue : « Recule ! » L'autre ne bouge pas : « Je ne vous <strong>la</strong>isserai pas faire... » Une balle en pleinfront le tue aussitôt. Il n'y aura plus <strong>de</strong> morts égyptiens ; les hommes en noir ne sont pas venus pour eux, mais pourles touristes. Les is<strong>la</strong>mistes enlèvent leurs vestes et se retrouvent en uniforme noir <strong>de</strong> policier. Sur le front, ilsmettent un ban<strong>de</strong>au en lettres rouges : « Bataillon <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>struction ». Puis ils regroupent les touristes,dos aux colonnes, <strong>de</strong> part et d'autre <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième rampe d'accès, et le massacre commence. Le premiercommerçant qui osera s'approcher découvrira 58corps éparpillés, criblés <strong>de</strong> balles, dans <strong>la</strong> tête et au ventre, oupoignardés. Ou les <strong>de</strong>ux à <strong>la</strong> fois. Il n'y pas eu <strong>de</strong> touristes égorgés, décapités ou mutilés. Ni, contrairement à ce quia été dit, <strong>de</strong> viols. Mais il y a eu « acharnement répétitif à tuer », confirme un diplomate qui a examiné les corps. Destueurs, pris par l'hystérie du sang, levaient les bras au ciel en criant « Al<strong>la</strong>h ! » . Exaltés mais méthodiques. A <strong>la</strong> fin,une gui<strong>de</strong> entendra les tueurs s'interpeller : « Tu as fini ? - Oui. Ça va. J'ai fini. - Bon. Allons-y ! » Aujourd'hui, AhmedSalem Badawi, malgré un gros pansement <strong>sur</strong> sa jambe droite, réalise qu'il a eu <strong>de</strong> <strong>la</strong> chance. Quand il arrive auvo<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> son taxi à Hatchepsout, son fils ma<strong>la</strong><strong>de</strong> <strong>de</strong> 3ans à côté <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong>ux hommes en noir l'arrêtent et l'arrachent<strong>de</strong> son siège : « A p<strong>la</strong>t ventre ! » Lui croit avoir affaire aux habituels policiers locaux, incompétents mais pleins <strong>de</strong>morgue, qui passent leur temps dans les cafés <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville, harcèlent <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion et exigent <strong>de</strong> <strong>la</strong> nourriture, <strong>de</strong>sbakchichs... une p<strong>la</strong>ie. Ahmed Salem veut protester mais un is<strong>la</strong>miste lui tire dans les pieds. Il s'écroule, saigne,rampe vers le temple, croise les autres membres du commando qui ont fini leur tâche. Il les supplie : « Ne faites pas<strong>de</strong> mal à mon fils dans <strong>la</strong> voiture... - Ferme-<strong>la</strong> ! » Dehors, le commando prend un autre taxi en otage, roule à peine200mètres et croise un bus <strong>de</strong> tourisme <strong>de</strong> l'agence Isis, conduit par Haggag al-Nahas, 37ans, un chauffeur connu etrespecté dans <strong>la</strong> région. Il habite <strong>sur</strong> l'autre rive du Nil, dans un petit quartier <strong>de</strong> <strong>Louxor</strong>, mi-vil<strong>la</strong>ge paysan,Copyright © <strong>Grands</strong> <strong>Reporters</strong> Page 2/5
<strong>La</strong> vérité <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>tuerie</strong> <strong>de</strong> <strong>Louxor</strong>mi-banlieue, avec <strong>de</strong>s ruelles étroites, <strong>de</strong>s gosses morveux, <strong>de</strong>s murs troués bouchés avec <strong>de</strong> <strong>la</strong> paille et unemosquée en construction. Haggag est aujourd'hui un homme blessé, ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, sonné. Chaque nuit, il fait le mêmecauchemar : « Ces hommes en noir, aux yeux injectés <strong>de</strong> sang, qui tirent <strong>sur</strong> mon bus, se jettent à l'intérieur et memettent un canon <strong>sur</strong> <strong>la</strong> tempe... » Haggag essuie son front en sueur. Surtout ne pas s'y tromper : Haggag est unhomme remarquable. Sans son courage, les tueurs du commando auraient probablement exécuté <strong>de</strong>s dizainesd'autres touristes. « Emmène-nous à <strong>la</strong> Vallée <strong>de</strong>s Rois ! Tout <strong>de</strong> suite ! », ordonne l'is<strong>la</strong>miste qui le tient en joue. <strong>La</strong>Vallée <strong>de</strong>s Rois ! A 4kilomètres <strong>de</strong> Hatchepsout, c'est un autre cul-<strong>de</strong>-sac fréquenté en saison par... 2000 à 3000touristes. Sans plus <strong>de</strong> protection qu'à Hatchepsout ! Haggag n'hésite pas longtemps : « Je me suis dit : "Je suis unhomme mort. Soit ! Mais je ne les <strong>la</strong>isserai pas massacrer <strong>de</strong>s touristes dans <strong>la</strong> Vallée <strong>de</strong> Rois"... » Il a remarquéque les hommes ont l'accent d'ailleurs, d'Assiout, qu'ils semblent ne pas connaître le chemin. Alors, àl'embranchement vers <strong>la</strong> Vallée <strong>de</strong>s Rois, à gauche, il s'engage résolument... à droite, vers l'hôpital et <strong>la</strong> sortie <strong>de</strong> <strong>la</strong>ville. Et pendant une <strong>de</strong>mi-heure, <strong>sur</strong> un rayon <strong>de</strong> 4kilomètres, il va faire tourner les tueurs en rond ! En espéranttomber <strong>sur</strong> une patrouille. Jusqu'au moment où dans le bus le talkie-walkie volé aux policiers <strong>de</strong> Hatchepsout se metà grésiller : « Attention à tous ! dit une voix, le bus a pris <strong>la</strong> direction <strong>de</strong> l'hôpital. » Cette fois, les tueurs ducommando ont compris. Fou <strong>de</strong> rage, l'un d'eux frappe Haggag à coups <strong>de</strong> crosse dans <strong>la</strong> tête et l'épaule :« Tu noustrompes... Fils <strong>de</strong> chien ! Demi-tour ! Vers <strong>la</strong> Vallée <strong>de</strong>s Rois ! » Haggag doit obéir. Il ne sait pas que déjà toute <strong>la</strong>popu<strong>la</strong>tion du vil<strong>la</strong>ge <strong>de</strong> Gourna court les collines. A l'annonce du massacre, les femmes sont sorties en hur<strong>la</strong>nt et ens'arrachant les cheveux comme si elles pleuraient <strong>la</strong> mort <strong>de</strong> leurs proches. Les gens <strong>de</strong> Gourna, anciensdécouvreurs <strong>de</strong> trésors et pilleurs <strong>de</strong> tombes, <strong>de</strong>venus aujourd'hui commerçants, gui<strong>de</strong>s, artisans ou chauffeurs <strong>de</strong>taxi défen<strong>de</strong>nt les sites pharaoniques comme <strong>de</strong>s paysans défen<strong>de</strong>nt leurs terres. Mais ce sont aussi <strong>de</strong>s genspaisibles et hospitaliers, bouleversés par cette <strong>tuerie</strong>, par <strong>la</strong> vue du sang <strong>de</strong> ces touristes qu'ils accueillent toutel'année. Aussi, quand le bus du commando arrive au carrefour vers <strong>la</strong> Vallée <strong>de</strong>s Rois, il essuie une volée <strong>de</strong> pierreset trouve le chemin coupé par <strong>de</strong>s voitures, <strong>de</strong>s motocyclettes et <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> vil<strong>la</strong>geois qui font barrage <strong>de</strong> leurscorps. Les is<strong>la</strong>mistes ont beau tirer en l'air. Rien n'y fait. <strong>La</strong> foule reflue mais ne cè<strong>de</strong> pas. Et Christian Leb<strong>la</strong>nc, unarchéologue français installé à Gourna, écarquille les yeux en voyant un bus filer en direction <strong>de</strong> <strong>la</strong> Vallée <strong>de</strong>sReines, poursuivi par une escoua<strong>de</strong> <strong>de</strong> véhicules du vil<strong>la</strong>ge. Toujours au vo<strong>la</strong>nt, Haggag, bien que groggy, s'obstineà vouloir faire arrêter les tueurs en les conduisant droit vers un barrage p<strong>la</strong>cé à l'entrée d'une piste <strong>de</strong> terre : « J'aifait <strong>de</strong>s appels <strong>de</strong> phares pour avertir les policiers en poste. » Après ? Des coups <strong>de</strong> feu sont échangés, <strong>de</strong>uxpoliciers sont touchés, le bus stoppe, un pneu crevé, et Haggag s'évanouit. Mission accomplie. Les hommes ducommando abandonnent alors le véhicule et courent droit vers <strong>la</strong> montagne en traînant l'un <strong>de</strong>s leurs, touché à unejambe. Derrière eux, <strong>la</strong> chasse s'organise. Il y a un officier <strong>de</strong> police, armé, et une bonne partie <strong>de</strong>s gens <strong>de</strong> Gourna,en savates, chèches et tuniques traditionnelles. Les autres policiers arrivent - enfin ! -, et les vil<strong>la</strong>geois les précè<strong>de</strong>nt,leur indiquent le meilleur sentier, encerclent les collines et coupent <strong>la</strong> retraite aux fuyards. Le terrain est dur,rocailleux, en pente, le commando doit abandonner son blessé qui est aussitôt achevé par un policier. « Les autres,jeunes et bien entraînés, couraient très vite,mais ils ont fait l'erreur <strong>de</strong> s'engager dans un petit oued sec, coincé entre<strong>de</strong>ux collines. Nous, on connaît bien le coin... Et il n'y pas <strong>de</strong> sortie possible ! », dit Ahmed Ab<strong>de</strong>l Basset engrimaçant <strong>de</strong> douleur. On lui a extrait une balle du ventre, et sa bles<strong>sur</strong>e le fait encore souffrir. Ahmed a été l'un <strong>de</strong>spremiers à approcher l'entrée <strong>de</strong> l'oued, une anfractuosité dans le rocher, <strong>la</strong>rge <strong>de</strong> 1 mètre, longue <strong>de</strong> 10, encul-<strong>de</strong>-sac. Un piège. « Tous les policiers, raconte-t-il, ont ouvert un feu d'enfer <strong>sur</strong> l'ouverture <strong>de</strong> <strong>la</strong> roche, le temps<strong>de</strong> couvrir <strong>la</strong> progression <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux autres hommes, bien armés et protégés par <strong>de</strong>s gilets pare-balles. Et quand le tir<strong>de</strong> couverture a cessé, les <strong>de</strong>ux policiers se sont jetés à l'intérieur en mitrail<strong>la</strong>nt tout. » Quand Ahmed pénètre à sontour dans l'oued, tous les is<strong>la</strong>mistes ont été criblés <strong>de</strong> balles : « J'ai entendu un terroriste, mourant, gémir : "Maman !Ai<strong>de</strong>-moi..." et il est mort. Un autre a réussi à tirer une <strong>de</strong>rnière fois. <strong>La</strong> balle a frappé le rocher... et j'ai ramassé lericochet dans le ventre. » Cette fois, les 6 membres du commando sont morts. C'est fini. Et les policiers doiventretenir les vil<strong>la</strong>geois en furie qui veulent brûler les corps <strong>de</strong>s terroristes ou les jeter aux chiens. Un autre homme nedécolère pas. Un mois plus tôt, le 12octobre, le prési<strong>de</strong>nt Hosni Moubarak était assis, rayonnant, face à une scèned'opéra. On donnait « Aïda » <strong>de</strong> Verdi <strong>de</strong>vant un public en smoking, <strong>de</strong>s membres du gouvernement, <strong>de</strong>s diplomateset <strong>de</strong>s invités étrangers, comme l'acteur Sean Connery. Une soirée réussie, dans un décor truffé <strong>de</strong> policiers,p<strong>la</strong>nté... <strong>sur</strong> <strong>la</strong> terrasse du temple <strong>de</strong> Hatchepsout, aujourd'hui sali du sang <strong>de</strong> 58personnes. Comme si lesis<strong>la</strong>mistes avaient choisi <strong>de</strong> frapper là où le régime avait voulu briller. En arrivant <strong>sur</strong> p<strong>la</strong>ce le len<strong>de</strong>main, Moubaraka tout <strong>de</strong> suite compris l'incroyable légèreté du dispositif policier. Il invective son ministre <strong>de</strong> l'Intérieur : « Je veux voirles commerçants <strong>de</strong> Hatchepsout ! - Heu... Impossible. Ils ont fermé leurs boutiques. » Un rugissement : « Je veuxCopyright © <strong>Grands</strong> <strong>Reporters</strong> Page 3/5
<strong>La</strong> vérité <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>tuerie</strong> <strong>de</strong> <strong>Louxor</strong>les voir ! Immédiatement. » Les commerçants disent tout : le premier barrage à près <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux kilomètres du temple, <strong>la</strong>mollesse <strong>de</strong>s policiers, les terroristes qui prennent tout leur temps pour massacrer... Moubarak le militaire est blême:« Un p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> sécurité, ça ? Non ! Un p<strong>la</strong>n <strong>de</strong> clown ! » Les sanctions pleuvent : 21hauts responsables <strong>de</strong> <strong>la</strong> sécuritésont rétrogradés, le chef <strong>de</strong> <strong>la</strong> sûreté <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville se retrouve simple employé au département électrique <strong>de</strong> <strong>la</strong> police.Et le ministre est remp<strong>la</strong>cé par le général Habib al-A<strong>de</strong>li, jusqu'alors chef <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> sécurité <strong>de</strong> l'Etat, qui,<strong>de</strong>puis un mois, essayait <strong>de</strong> faire prendre au sérieux ses informations <strong>sur</strong>... une attaque probable d'is<strong>la</strong>mistes contreun site touristique. On savait ! Et il aurait suffi <strong>de</strong> renforcer le dispositif policier pour éviter <strong>la</strong> catastrophe : le régimeétait trop sûr <strong>de</strong> lui. Pourtant, <strong>de</strong>puis 1992, <strong>la</strong> guerre entre le pouvoir et les is<strong>la</strong>mistes <strong>de</strong>s Djamaa Is<strong>la</strong>miya estterrible : d'un côté, 1200personnes assassinées, hauts responsables, policiers, chrétiens d'Egypte - les coptes - et92étrangers ; <strong>de</strong> l'autre, une répression impitoyable, <strong>de</strong>s villes entières <strong>de</strong> <strong>la</strong> Haute-Egypte sous couvre-feu, <strong>la</strong>torture à l'électricité, 16000is<strong>la</strong>mistes détenus, 98is<strong>la</strong>mistes condamnés à mort dont 61ont été exécutés. Et unetraque permanente qui a abouti, il y a près <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans, à <strong>la</strong> mort d'un grand chef militaire <strong>de</strong>s Djamaa, Ta<strong>la</strong>t YacineHamman, tombé avec ses dossiers, ses agents, ses réseaux. Des coups <strong>de</strong> boutoir qui ont secoué toutel'organisation is<strong>la</strong>miste <strong>de</strong>s Djamaa. Des treize membres du Madjliss Echoura, le conseil is<strong>la</strong>mique <strong>de</strong>s origines, 6sont en prison et ne cessent <strong>de</strong> prôner l'arrêt <strong>de</strong> <strong>la</strong> violence. Un septième, le cheikh aveugle Omar Ab<strong>de</strong>l Rahman,détenu aux Etats-Unis, appelle lui aussi à <strong>la</strong> trêve. Les six autres, éparpillés en exil, se divisent en <strong>de</strong>ux courantsprincipaux : celui d'Oussama Rushdi, basé aux Pays-Bas, très politique, et un autre, militaire et radical, basé dansl'Afghanistan <strong>de</strong>s talibans. Ce courant, dur, est regroupé autour <strong>de</strong> trois chefs : d'abord, Al-Istambouli, le frère <strong>de</strong>l'officier qui a mené le commando <strong>de</strong> mort contre l'ex-prési<strong>de</strong>nt Sadate. Et Rifaï Ahmed Taha, qui signe souvent lescommuniqués les plus fermes. Enfin, Moustapha Hamza, un nom à retenir, ce nom que l'on a retrouvé <strong>sur</strong> un tract<strong>la</strong>issé par les tueurs <strong>de</strong> Hatchepsout <strong>sur</strong> les lieux mêmes du massacre. Hamza ? Pour les jeunes is<strong>la</strong>mistes enarmes d'Egypte, c'est l'équivalent du Che ! Hamza... 40ans, étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> commerce, sept ans <strong>de</strong> prison aprèsl'assassinat <strong>de</strong> Sadate, condamné <strong>de</strong>ux fois à mort, a <strong>la</strong>ncé <strong>la</strong> tentative d'assassinat contre Moubarak àAddis-Abeba, rejoint le Soudan qu'il quitte pour l'Afghanistan... Un mythe vivant ! Sur p<strong>la</strong>ce, dans <strong>la</strong> haute valléed'Egypte, entre Assiout, Miniah, Quena et Sohag, <strong>de</strong>s groupuscules <strong>de</strong> combattants, souvent sortis <strong>de</strong>s facultés, fontle coup <strong>de</strong> feu, se réfugient dans <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> canne à sucre touffus et dorment dans les grottes <strong>de</strong>s montagnes.Voilà <strong>de</strong>ux ans qu'ils courent, traqués, vivant avec <strong>la</strong> mort ou <strong>la</strong> torture qui les attend en cas <strong>de</strong> capture. Ceux-làn'ont plus rien à perdre, ne connaissent pas les chefs historiques emprisonnés et ont <strong>de</strong>s contacts difficiles avec leschefs <strong>de</strong> l'étranger. Des <strong>de</strong>sperados, engagés dans une course à <strong>la</strong> violence, livrés à eux-mêmes, suicidaires. Maisqui invoquent le nom <strong>de</strong> Hamza. On est loin <strong>de</strong>s actions régulières et ciblées <strong>de</strong>s Djamaa d'autrefois qui abattaientquotidiennement un policier ou un bijoutier copte ici, un haut responsable là. Désormais ; on a franchi un <strong>de</strong>gré dansl'horreur, comme avec ces 9gosses mitraillés dans une église en février, au sud <strong>de</strong> Miniah ; ou ces petits policiersarrêtés à <strong>de</strong> faux barrages, triés, ligotés, criblés <strong>de</strong> balles. Sauvagerie, désorganisation, violence pour seul discours,tout ce<strong>la</strong> ressemble à une algérianisation d'une partie <strong>de</strong>s Djamaa, une dérive <strong>sur</strong> le mo<strong>de</strong> GIA. <strong>La</strong> comparaisons'arrête là, bien sûr : l'Egypte n'est pas l'Algérie. L'inquiétant, c'est cet éc<strong>la</strong>tement <strong>de</strong> <strong>la</strong> Djamaa que révèlel'ava<strong>la</strong>nche <strong>de</strong> communiqués qui a suivi l'attentat <strong>de</strong> <strong>Louxor</strong>. D'abord un premier texte ma<strong>la</strong>droit, mal informé, par<strong>la</strong>nt<strong>de</strong> « prise d'otages » qui aurait mal tourné à cause <strong>de</strong> <strong>la</strong> réaction brutale... <strong>de</strong>s forces <strong>de</strong> l'ordre. Ensuite, un appel à<strong>la</strong> trêve, sous conditions. Enfin, une proc<strong>la</strong>mation annonçant « <strong>la</strong> fin <strong>de</strong>s actions contre les touristes » et expliquantque « le commando était formé <strong>de</strong> nouveaux venus à <strong>la</strong> Gaamat et qu'il avait agi sans ordres » . Plus d'attentatscontre les touristes ? On respirait... quand un <strong>de</strong>rnier communiqué a démenti tous les autres en <strong>la</strong>nçant un appel à <strong>la</strong>guerre ! On peut s'y perdre. Pourtant, l'explication est simple. Des Pays-Bas <strong>la</strong> tendance Oussama Rushdi,écoeurée par <strong>la</strong> <strong>tuerie</strong>, veut faire marche arrière tandis qu'à Londres ou en Afghanistan, les hommes du c<strong>la</strong>nMoustapha Hamza veulent continuer. ! D'ailleurs, l'un <strong>de</strong>s membres du commando qui a opéré à <strong>Louxor</strong> s'appelleMedhat, il avait 32ans, dix <strong>de</strong> plus que ses complices, anciens étudiants en mé<strong>de</strong>cine ou sortis <strong>de</strong>s facs <strong>de</strong> droit. Luiétait déjà responsable d'une bonne douzaine d'attentats <strong>de</strong>puis 1982. Condamné, emprisonné, libéré, il a fui vers lePakistan, puis l'Afghanistan, avant <strong>de</strong> revenir en Egypte par le Soudan. Sans doute avec <strong>de</strong>s directives du c<strong>la</strong>nHamza. Totalement en contradiction avec les chefs historiques réfugiés en Europe ou détenus au Caire ! Le totaldésarroi du mouvement, on le lit au Caire, dans les yeux <strong>de</strong> Me Mountassir al-Zayat, porte-parole <strong>de</strong>s chefs Djamaaen prison, barbu, cravate et bretelles <strong>sur</strong> <strong>de</strong>s épaules trop <strong>la</strong>rges qui débor<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> son fauteuil. Un colosse <strong>la</strong>s,embarrassé, presque craintif aujourd'hui : « Des mois, <strong>de</strong>s années qu'on se bat pour une solution par le dialogue...En vain. Tout s'est effondré avec <strong>Louxor</strong>. » Le dialogue ? <strong>La</strong> trêve ? On en est loin avec cette f<strong>la</strong>que <strong>de</strong> sang qui ataché pour longtemps les murs du temple <strong>de</strong> Hachepsout, en plein coeur <strong>de</strong> <strong>la</strong> vallée du Nil.Copyright © <strong>Grands</strong> <strong>Reporters</strong> Page 4/5
<strong>La</strong> vérité <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>tuerie</strong> <strong>de</strong> <strong>Louxor</strong>JEAN-PAUL MARICopyright © <strong>Grands</strong> <strong>Reporters</strong> Page 5/5