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<strong>L’Algérie</strong><br />
<strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°164 | 12 octobre 2015<br />
Traduit de l’anglais<br />
International Crisis Group<br />
Headquarters<br />
Avenue Louise 149<br />
1050 Brussels, Belgium<br />
Tel: +32 2 502 90 38<br />
Fax: +32 2 502 50 38<br />
brussels@crisisgroup.org
Table des matières<br />
Synthèse ....................................................................................................................................<br />
i<br />
I. Introduction ..................................................................................................................... 1<br />
II. L’héritage de la « décennie noire » .................................................................................. 2<br />
A. Un lent r<strong>et</strong>our à la normalité ..................................................................................... 2<br />
B. Tensions internes <strong>et</strong> politique étrangère ................................................................... 4<br />
C. Tournant décisif : la crise des otages de Ain Amenas................................................ 6<br />
III. Un triangle difficile : l’Algérie, le Maroc <strong>et</strong> la France ...................................................... 9<br />
IV. Affronter les cri<strong>ses</strong> du voisinage ...................................................................................... 13<br />
A. Libye : facilitation <strong>et</strong> confinement ............................................................................. 14<br />
B. Mali : médiation partisane ? ...................................................................................... 17<br />
C. Tunisie : coopération <strong>et</strong> profondeur stratégique ....................................................... 20<br />
V. Conclusion ........................................................................................................................ 23<br />
ANNEXES<br />
A. Carte de l’Algerie .............................................................................................................. 25<br />
B. A propos de l’International Crisis Group ........................................................................ 26<br />
C. Rapport <strong>et</strong> Briefings sur Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord depus 2013 ........................ 27<br />
D. Crisis Group Board of Trustees ........................................................................................ 29
International Crisis Group<br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164 12 octobre 2015<br />
Synthèse<br />
<strong>L’Algérie</strong> est en passe de devenir un intermédiaire indispensable de la stabilité en<br />
Afrique du Nord <strong>et</strong> au Sahel. Alors que l’insécurité, l’ingérence étrangère <strong>et</strong> la polarisation<br />
augmentent partout dans la région, ce pays a promu, à certains moments importants,<br />
le dialogue <strong>et</strong> le renforcement de l’Etat comme les meilleurs moyens pour<br />
sortir <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong> de la crise <strong>et</strong> préserver dès lors sa propre sécurité à long terme. Ce<br />
que d’aucuns appellent « le r<strong>et</strong>our » de l’Algérie à la politique régionale, après une<br />
longue absence depuis sa guerre civile ou « décennie noire » dans les années 1990, a<br />
été positif à bien des égards : son approche de la promotion de l’inclusion <strong>et</strong> du compromis<br />
pour stabiliser <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong>, mue par un intérêt personnel éclairé, offre une<br />
occasion à un système international qui a lutté pour faire face aux défis engendrés<br />
par les soulèvements arabes. Mais les ambitions algériennes ont des limites auto-imposées.<br />
Une scène politique nationale moribonde, un régime déchiré par les factions<br />
<strong>et</strong> l’incertitude quant au futur successeur d’Abdelaziz Bouteflika, un président malade,<br />
ont embrumé l’horizon politique. Les relations avec d’autres puissances ayant du<br />
poids dans la région, notamment le Maroc <strong>et</strong> la France, disposent encore d’une marge<br />
d’amélioration.<br />
Après plus d’une décennie passée à privilégier les relations avec les Etats-Unis <strong>et</strong><br />
l’Union européenne (UE), l’Algérie « recalibre » sa politique étrangère. Le ministre des<br />
Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, un diplomate de carrière <strong>et</strong> africaniste respecté,<br />
a revitalisé la diplomatie à l’égard du continent <strong>et</strong> <strong>ses</strong> environs, démontrant<br />
ainsi le souhait de son pays d’être le point d’ancrage d’un voisinage perturbé. Cela a<br />
été en partie une réaction nécessaire à des turbulences sans précédent aux frontières<br />
de l’Algérie. Le long d’une grande zone de l’est <strong>et</strong> du sud de <strong>ses</strong> frontières terrestres<br />
de 6 500 kilom, le pays doit en eff<strong>et</strong> composer avec des Etats grandement affaiblis <strong>et</strong><br />
des menaces jihadistes. Les soulèvements arabes <strong>et</strong> la crise malienne <strong>et</strong> leurs conséquences<br />
suscitent pour la première fois en Libye, en Tunisie <strong>et</strong> au Mali, tout comme<br />
dans la vaste région du Sahel, des risques liés à la sécurité transfrontalière. L’attaque<br />
jihadiste de janvier 2013 contre un complexe de traitement de gaz naturel à Ain Amenas<br />
l’a amplement prouvé.<br />
Depuis le bouleversement régional de 2011, l’Algérie a joué un rôle important,<br />
parfois crucial, dans les cri<strong>ses</strong> politiques <strong>et</strong> sécuritaires de trois de <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong>. En<br />
Libye, elle a soutenu les négociations de l’Organisation des Nations Unies (ONU) <strong>et</strong><br />
mené sa propre diplomatie discrète depuis la mi-2014 pour réconcilier les factions<br />
belligérantes. Au Mali, elle a accueilli les pourparlers tenus sous son égide entre le<br />
gouvernement <strong>et</strong> les factions rebelles du nord, pour stabiliser le pays <strong>et</strong> pour empêcher<br />
également le sécessionnisme du nord. En Tunisie, elle a appuyé de manière discrète<br />
mais cruciale le consensus entre les islamistes <strong>et</strong> les laïcs qui a été la source de<br />
la stabilité de ce pays depuis 2014. Lamamra <strong>et</strong> d’autres hauts responsables ont dans<br />
ces cas-là défendu les solutions politiques plutôt que la polarisation, l’agitation sociale<br />
<strong>et</strong> les conflits armés. Compte tenu de la rar<strong>et</strong>é des acteurs capables <strong>et</strong> désireux<br />
de jouer un rôle constructif dans la région cela est très positif, en particulier au Sahel<br />
qui est peut-être le plus grand espace non gouverné au monde, tout du moins partiellement.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015<br />
Page ii<br />
Des contraintes pèsent néanmoins sur l’aspiration à un rôle de premier plan dans<br />
la région. Elles concernent d’abord la politique intérieure, où le régime a fait preuve<br />
de moins de souplesse. La succession de Bouteflika fait craindre une ouverture à une<br />
concurrence entre les élites <strong>et</strong> à l’agitation populaire. Les appels pour préparer une<br />
ouverture politique réussie ont été repoussés, incitant certains dans l’opposition à<br />
accuser le président <strong>et</strong> son entourage de rigidité <strong>et</strong> de stagnation. En toile de fond<br />
immuable à ces préoccupations, le contexte régional rendra plus risquée une transition<br />
déjà délicate, l’attention des institutions militaires <strong>et</strong> des services de renseignement,<br />
dont le rôle est démesuré en politique intérieure <strong>et</strong> en gouvernance, étant<br />
tournée vers l’autre côté des frontières. La détérioration de la situation sécuritaire<br />
régionale touche également la politique intérieure, puisqu’elle ne constitue que l’un<br />
des champs de bataille dans les nombreu<strong>ses</strong> divisions notoires sans précédent entre<br />
la présidence <strong>et</strong> un puissant « Etat profond » centré sur les services de renseignements<br />
militaires.<br />
Inversement, la politique intérieure, où le changement est d’une lenteur extrême,<br />
entrave toute tentative d’adapter la doctrine de politique étrangère (<strong>et</strong> la doctrine<br />
militaire qui s’y rapporte) à l’évolution de la situation. Traditionnellement portée sur<br />
les relations d’Etat à Etat, l’Algérie a commencé, <strong>et</strong> doit continuer, à étayer <strong>ses</strong> relations<br />
diplomatiques traditionnelles en nouant des liens avec les acteurs non étatiques<br />
qui se multiplient dans la région. Longtemps influente sur les affaires africaines,<br />
mais occupant une place relativement marginale dans le monde arabe, elle devrait<br />
coopérer avec les Etats du Golfe, qui s’affirment de plus en plus en Afrique du Nord,<br />
<strong>et</strong> leur plaider sa cause par la persuasion <strong>et</strong> non en se contentant de lancer des<br />
piques. Les relations avec la France, l’ancienne puissance coloniale, <strong>et</strong> le Maroc voisin<br />
sont déchirées par des tensions <strong>et</strong> des rivalités souvent inutiles, otages d’une histoire<br />
que la plupart des Algériens n’ont pas vécue.<br />
Le pays s’aiderait davantage en surmontant, ou du moins en diminuant, ces tensions<br />
dans la mesure du possible. Le changement générationnel en cours de l’ensemble<br />
des dirigeants politiques <strong>et</strong> des institutions offre une occasion de le faire, à condition<br />
qu’il y ait des homologues compréhensifs. Une plus grande participation algérienne<br />
à titre d’intermédiaire pragmatique de la stabilité <strong>et</strong> des compromis politiques au<br />
Maghreb <strong>et</strong> des conflits au Sahel doit être saluée, surtout à une époque d’insécurité<br />
régionale <strong>et</strong> de polarisation idéologique accrues.<br />
Alger/Bruxelles, 12 septembre 2015
International Crisis Group<br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164 12 octobre 2015<br />
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
I. Introduction<br />
Longtemps repliée sur elle-même dans la mesure où elle se consacrait à la réconciliation<br />
politique après une décennie de guerre civile dans les années 1990, l’Algérie<br />
brigue le leadership régional dans son voisinage proche, affirmant clairement sa volonté<br />
d’être une ancre de stabilité dans une région troublée. De ce fait, elle a souvent<br />
facilité de façon constructive la résolution de conflits <strong>et</strong> la recherche de consensus chez<br />
<strong>ses</strong> <strong>voisins</strong>, notamment la Libye, le Mali <strong>et</strong> la Tunisie.<br />
Le présent rapport de synthèse évalue la politique étrangère redynamisée de<br />
l’Algérie sous trois angles. Le rapport développe d’abord l’interaction entre la politique<br />
intérieure <strong>et</strong> une politique étrangère traditionnellement non-interventionniste,<br />
issue de la « décennie noire » des années 1990 <strong>et</strong> dans le contexte des fractures de<br />
plus en plus notoires au sein de la classe dirigeante <strong>et</strong> de l’inquiétude grandissante<br />
suscitée par la succession d’un président malade, Abdelaziz Bouteflika. Le rapport<br />
suit ensuite l’évolution (ou l’absence d’évolution) des rivalités avec la France <strong>et</strong> le<br />
Maroc au Maghreb <strong>et</strong> au Sahel. Il examine enfin l’approche plus profondément engagée,<br />
largement constructive, adoptée à l’égard des cri<strong>ses</strong> politiques <strong>et</strong> sécuritaires<br />
en Libye, au Mali <strong>et</strong> en Tunisie depuis 2011. Le rapport s’appuie sur des discussions<br />
avec des représentants en Algérie <strong>et</strong> dans les pays <strong>voisins</strong>, ainsi qu’avec divers autres<br />
acteurs internationaux. Il vient compléter les précédents rapports de Crisis Group<br />
sur les cri<strong>ses</strong> en Afrique du Nord <strong>et</strong> au Sahel. 1<br />
1 Ces rapports comprennent les publications suivantes consacrées aux <strong>voisins</strong> de l’Algérie : briefings<br />
Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord de Crisis Group N°41, La Tunisie des frontières : (II) : terrorisme<br />
<strong>et</strong> polarisation régionale, 21 octobre 2014 ; <strong>et</strong> N°37, L’exception tunisienne : succès <strong>et</strong> limites du<br />
consensus, 5 juin 2014 ; <strong>et</strong> rapports N°148, La Tunisie des frontières : jihad <strong>et</strong> contrebande, 28 novembre<br />
2013 ; N°157, Libya: G<strong>et</strong>ting Geneva Right, 26 février 2015 ; rapports Afrique N°227, Le<br />
Sahel central : au cœur de la tempête, 25 juin 2015 ; <strong>et</strong> N°226, Mali : la paix à marche forcée ?, 22<br />
mai 2015 ; <strong>et</strong> briefing Afrique N°104, Mali : dernière chance à Alger, 18 novembre 2014.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 2<br />
II. L’héritage de la « décennie noire »<br />
Lorsque le monde arabe est ébranlé par des bouleversements en 2011, les Algériens<br />
estiment qu’ils ont déjà vécu une expérience similaire, pour laquelle ils ont payé un<br />
lourd tribut au cours de la « décennie noire ». Le conflit meurtrier entre insurgés<br />
islamistes <strong>et</strong> forces de sécurité (1992-1997) est alors déclenché par l’annulation, par<br />
les autorités, des élections en passe d’être remportées par le Front islamique du salut<br />
(FIS). 2 Nonobstant les condamnations de la conduite de l’Etat – en particulier par<br />
les organisations des droits de l’homme <strong>et</strong> les gouvernements étrangers qui soupçonnaient<br />
les forces de sécurité d’avoir participé au massacre de centaines de civils<br />
dans les villages à l’extérieur d’Alger 3 – le récit national qui prévaut est que l’Etat a<br />
vaincu les terroristes. L’amertume quant à l’isolement du pays, notamment un embargo<br />
des Etats-Unis sur les armes, à un moment de grande vulnérabilité, reste forte,<br />
tout comme le sentiment d’abandon par la communauté internationale dans l’épreuve<br />
alors traversée par l’Algérie. 4<br />
A. Un lent r<strong>et</strong>our à la normalité<br />
Le président Bouteflika a été propulsé au pouvoir en 1999 sur une plateforme de<br />
pacification <strong>et</strong> de réconciliation nationale, entamant un long processus de réengagement<br />
à l’égard des partenaires internationaux. 5 Il instaurait déjà la coopération<br />
avec les Etats-Unis <strong>et</strong> la France fondée sur les intérêts mutuels dans le secteur de<br />
l’énergie lorsque les attentats du 11 septembre 2001 ont eu lieu aux Etats-Unis. Affirmant<br />
l’Algérie sur la ligne de front d’une guerre contre le terrorisme depuis longtemps,<br />
qui venait tout juste d’atteindre le sol américain, il a réussi à forger des liens<br />
plus solides avec Washington en matière de sécurité, m<strong>et</strong>tant ainsi fin à l’isolement<br />
de son pays <strong>et</strong> restaurant sa légitimité internationale. En 2002, les Etats-Unis ont<br />
levé leur embargo sur les armes imposé à l’Algérie pendant dix ans <strong>et</strong> commencé à<br />
l’inclure dans les forums régionaux portant sur la sécurité, notamment le Dialogue<br />
2 L’expérience de l’Algérie de ce que <strong>ses</strong> citoyens perçoivent comme leur version antérieure du<br />
« Printemps arabe » avait commencé en 1980 par des manifestations alors connues sous le nom de<br />
« Printemps berbère » <strong>et</strong> culminé en 1988 avec les manifestations d’« octobre noir » pour le pluralisme<br />
politique <strong>et</strong> les réformes démocratiques. Malgré la répression brutale des forces de sécurité,<br />
ces manifestations ont fini par imposer l’ouverture du régime politique à parti unique. En décembre<br />
1991, le Parti du Front islamique du salut (FIS) a remporté, avec une majorité écrasante, les premières<br />
élections multipartites depuis l’indépendance. L’armée a annulé les élections après le premier<br />
tour, dissous le Parlement, suspendu la constitution <strong>et</strong> décrété l’état d’urgence. <strong>L’Algérie</strong> a passé la<br />
« décennie noire » suivante plongée dans une guerre civile opposant divers groupes islamistes (certains<br />
bénéficiant de l’expérience des Algériens qui avaient combattu l’Union soviétique en Afghanistan)<br />
contre le gouvernement. Près de 200 000 personnes seraient mortes dans le conflit.<br />
3 Sur la guerre civile algérienne <strong>et</strong> son dénouement, voir le rapport Afrique de Crisis Group N°24,<br />
The Algerian Crisis: Not Over Y<strong>et</strong>, 20 octobre 2000.<br />
4 Entr<strong>et</strong>iens de Crisis Group, responsables algériens, anciens officiers de l’armée, chercheurs, Alger,<br />
décembre 2014-février 2015.<br />
5 Loi sur la concorde civile promue par Bouteflika puis par l’amnistie, voir le rapport Afrique de Crisis<br />
Group N°31, La concorde civile : Une initiative de paix manquée, 9 juill<strong>et</strong> 2001. Le processus a<br />
abouti à une Charte pour la paix <strong>et</strong> la réconciliation nationale, approuvée par référendum en 2005.<br />
Les Algériens ont salué les mesures pour m<strong>et</strong>tre fin à la violence, mais l’amnistie <strong>et</strong> le traitement<br />
des disparus ont suscité des critiques qui persistent encore.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 3<br />
méditerranéen de l’Otan (lancé en 1994). 6 Pour certains, ces efforts consacrés à regagner<br />
son statut en Occident semblaient être entrepris au détriment de la place historique<br />
de l’Algérie en Afrique <strong>et</strong> dans son voisinage immédiat, notamment par le biais<br />
de l’Union africaine (UA) <strong>et</strong> de <strong>ses</strong> prédécesseurs, où les diplomates algériens ont joué<br />
un rôle prépondérant. 7<br />
Bouteflika avait promis au cours de sa première campagne électorale de ne pas<br />
être « les trois quarts d’un président » (c’est-à-dire ne pas être un homme de paille<br />
pour les militaires), marquant ainsi sa volonté de défier la forte emprise de l’armée<br />
sur le pouvoir depuis l’ère du président Houari Boumediene (1965-1978) <strong>et</strong> une succession<br />
de présidents faibles au cours de la « décennie noire ». Malgré des violences<br />
sporadiques <strong>et</strong> des attaques plutôt fréquentes contre les forces de sécurité, la menace<br />
activiste subsistante pour l’Etat <strong>et</strong> la société s’est largement dissipée sous la houl<strong>et</strong>te<br />
de Bouteflika. 8 Il a également réussi à renforcer une présidence affaiblie, en partie<br />
parce qu’en améliorant le contexte de sécurité <strong>et</strong> en aidant la réconciliation nationale<br />
à voir le jour, il a rendu moins nécessaires l’armée <strong>et</strong> les services de renseignement<br />
dans la vie du pays.<br />
Néanmoins, malgré l’intégration des partis d’opposition, dont les islamistes, dans<br />
les gouvernements d’unité nationale successifs depuis la fin des années 1990, 9 la<br />
politique reste largement autoritaire <strong>et</strong> dominée par la présidence <strong>et</strong> les services de<br />
sécurité. L’expérience des années 1990 continue à porter ombrage à la vie politique,<br />
de nombreux Algériens (<strong>et</strong> des responsables occidentaux) étant convaincus d’un lien<br />
étroit entre sécurité <strong>et</strong> stabilité, <strong>et</strong> le style autoritaire de Bouteflika 10 – dont elles<br />
dépendent peut-être. Le gouvernement a levé en mars 2011 l’état d’urgence de dixneuf<br />
ans en réaction à la vague de protestations nationales inspirées par celles qui<br />
ont eu lieu en Tunisie <strong>et</strong> en Egypte, même si elles n’ont jamais pris de l’ampleur. Mais<br />
il a également adopté une nouvelle loi imposant des peines plus lourdes aux manifestations,<br />
qui restent illégales.<br />
La raison pour laquelle l’Algérie n’a pas connu les mêmes troubles que <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
réside dans l’inquiétude parmi la population <strong>et</strong> l’élite que les soulèvements arabes<br />
ravivent les turbulences des années 1990 ; la hausse considérable des dépen<strong>ses</strong> de<br />
l’Etat pour répondre aux exigences socioéconomiques en est une autre. Dans la mesure<br />
où la situation se détériorait ailleurs, le gouvernement brandissait le chaos qui<br />
s’étendait à l’ensemble de la région, <strong>et</strong> à la propre histoire difficile de l’Algérie, comme<br />
6 Voir Y. Zoubir, “The United States and Algeria: the Cautious Road to Partnership”, The Maghreb<br />
Center Journal, Issue 1, spring/summer 2010.<br />
7 Bouteflika <strong>et</strong> Mourad Medelci, ancien ministre des Affaires étrangères, sont perçus comme ayant<br />
déclassé la politique africaine traditionnelle de l’Algérie en s’abstenant de visiter les pays du Sahel à<br />
sa frontière <strong>et</strong> en négligeant les liens avec d’autres Etats africains. Abdelaziz Rahabi, ancien diplomate<br />
<strong>et</strong> ministre de la communication, a déclaré : « Il n’y avait pas de politique africaine. <strong>L’Algérie</strong> a<br />
annulé 1,3 milliard de dollars de d<strong>et</strong>tes de tous les pays africains, sans rien obtenir en r<strong>et</strong>our. Elle<br />
aurait dû plutôt saisir l’occasion d’investir dans ces pays ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Alger, septembre<br />
2014.<br />
8 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, responsable de la sécurité, Alger, octobre 2014.<br />
9 Voir le rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord de Crisis Group N°29, Islamisme, violence <strong>et</strong><br />
réforme en Algérie : tourner la page, 30 juill<strong>et</strong> 2004.<br />
10 Pour les partisans de Bouteflika, la continuité représente la stabilité ; s’il n’y a pas eu une démocratisation<br />
substantielle de la vie politique, la fin de la guerre civile <strong>et</strong> le rétablissement de l’ordre<br />
public ont été des réalisations majeures que tout changement politique pourrait saper. Le Printemps<br />
arabe, dans ce contexte, sert de mise en garde. Entr<strong>et</strong>iens de Crisis Group, responsables publics,<br />
Alger, décembre 2014 ; diplomate occidental, Alger, octobre 2014.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 4<br />
une mise en garde contre un soulèvement révolutionnaire <strong>et</strong> comme une justification<br />
du statuquo.<br />
Pendant les élections présidentielles d’avril 2014, lors desquelles Bouteflika a<br />
remporté un quatrième mandat controversé 11 sans campagne (pour raison de santé<br />
après une attaque cérébrale invalidante en 2013 12 ), il a fait des cri<strong>ses</strong> de la Libye, de<br />
la Tunisie <strong>et</strong> du Mali une question de politique intérieure. Bien qu’il n’ait pas fait<br />
d’apparitions publiques, il a reçu des visites hebdomadaires très médiatisées du chef<br />
de l’état-major de l’armée, Gaid Salah, durant lesquelles ils ont discuté de sécurité <strong>et</strong><br />
de stabilité. Le message peu subtil était le suivant : compte tenu des troubles régionaux,<br />
l’Algérie pouvait difficilement se perm<strong>et</strong>tre une transition de l’ensemble des<br />
dirigeants. Les critiques dénoncent la stratégie de réélection du président comme<br />
équivalant à un « chantage sécuritaire », axée sur la perspective d’instabilité <strong>et</strong> de<br />
troubles au cas où le statuquo serait menacé <strong>et</strong> l’armée détournerait son attention de<br />
la protection contre les menaces extérieures vers la levée de l’expansion des pouvoirs<br />
présidentiels sous son autorité. 13<br />
B. Tensions internes <strong>et</strong> politique étrangère<br />
Au cœur de ces tensions internes, les questions se posent de savoir qui succédera à<br />
Bouteflika, comment cela influera sur l’équilibre des pouvoirs <strong>et</strong> la répartition des<br />
rôles entre civils <strong>et</strong> militaires – notamment le puissant département du renseignement<br />
<strong>et</strong> de la sécurité (DRS) – <strong>et</strong> si le système dirigeant mis en place depuis des décennies<br />
peut <strong>et</strong> doit être réformé. Dans ce débat, la politique étrangère <strong>et</strong> de sécurité n’est<br />
qu’un des champs de bataille parmi d’autres.<br />
Les détracteurs du président affirment que son infirmité paralyse les institutions<br />
du pays : depuis son attaque cérébrale, il est en eff<strong>et</strong> quasi totalement absent de la<br />
sphère publique, le cabin<strong>et</strong> se réunit tous les trois mois au-lieu de tous les mois <strong>et</strong> le<br />
parlement est largement considéré comme moribond. Son refus de se r<strong>et</strong>irer malgré<br />
son état de santé a incité des rivaux potentiels comme Ali Benflis – premier ministre<br />
durant le premier mandat de Bouteflika <strong>et</strong> son principal adversaire lors des élections<br />
présidentielles de 2014 – à l’accuser de laisser s’installer un dangereux vide du<br />
pouvoir. 14<br />
11 En 2008, Bouteflika a fait adopter, de manière controversée, un amendement constitutionnel<br />
supprimant la limitation des mandats, lui perm<strong>et</strong>tant ainsi de briguer un troisième mandat un an<br />
plus tard <strong>et</strong> un quatrième mandat en 2014.<br />
12 Selon des responsables occidentaux qui l’ont rencontré, Bouteflika est confiné en fauteuil roulant<br />
<strong>et</strong> doit utiliser un microphone car <strong>ses</strong> cordes vocales sont fragilisées. Bien qu’il semblerait faire<br />
preuve de son agilité intellectuelle habituelle, rien ne perm<strong>et</strong> de savoir avec certitude combien<br />
d’heures par jour il peut être actif. Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Alger, décembre 2014. Bouteflika a été<br />
hospitalisé en France à plusieurs repri<strong>ses</strong> depuis sa première attaque cérébrale en 2013. Certains<br />
politiciens de l’opposition ont avancé qu’il n’est plus en mesure de gouverner <strong>et</strong> que la présidence a<br />
de multiples (<strong>et</strong> concurrents) centres de décision. Voir par exemple, Hacen Ouali, “Ali Benflis à<br />
l’ouverture du congrès de son parti : « Des forces extraconstitutionnelles ont pris pos<strong>ses</strong>sion du centre<br />
de décision », El Watan, 14 juin 2014.<br />
13 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Abdelaziz Rahabi, ancien-diplomate <strong>et</strong> ministre, Alger, septembre 2014.<br />
14 Selon Benflis, c’est ce vide, <strong>et</strong> non l’autoritarisme, qui caractérise la politique actuelle. Il a indiqué<br />
que les émeutes récurrentes dans la ville méridionale de Ghardaïa <strong>et</strong> la manifestation sans précédent<br />
d’octobre 2014 des unités de police antiémeutes qui y avaient été déployées <strong>et</strong> qui ont défilé<br />
jusqu’au Palais du gouvernement à Alger, étaient emblématiques de ce vide. « Le centre national de<br />
décision s’effrite <strong>et</strong> se disperse <strong>et</strong> la puissance de la pression, l’influence <strong>et</strong> les groupes d’intérêt
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 5<br />
Parallèlement, un débat sur le rôle des forces de sécurité <strong>et</strong> leur influence politique<br />
est prôné par la présidence <strong>et</strong> <strong>ses</strong> alliés. Les détracteurs du DRS insistent sur la<br />
nécessité de s’éloigner de l’héritage des années 1990 <strong>et</strong>, notamment après la fin de<br />
l’état d’urgence en 2011, de faire revenir les forces armées avec des pouvoirs limités<br />
en matière de défense qui leur incomberaient dans un régime politique démocratique.<br />
15 Les officiers supérieurs du DRS <strong>et</strong> de l’armée en général ém<strong>et</strong>traient de manière<br />
chronique des soupçons quant à l’importance <strong>et</strong> à l’utilité d’un gouvernement<br />
civil qui, à leurs yeux, manque d’efficacité <strong>et</strong> donne des résultats incertains par rapport<br />
au processus décisionnel militaire. 16 Face à une grave menace interne dans les<br />
années 1990, les autorités civiles <strong>et</strong> militaires avaient collaboré pour éviter l’effondrement<br />
de l’Etat ; 17 aujourd’hui, lorsque les menaces à la sécurité semblent provenir<br />
surtout de l’instabilité des pays <strong>voisins</strong>, certains préconisent que le DRS <strong>et</strong> l’armée se<br />
consacrent au contrôle des frontières au lieu de s’ingérer dans les affaires intérieures.<br />
Dans une certaine mesure, cela est déjà arrivé : au cours de la dernière décennie,<br />
le rôle dominant joué par l’armée dans les années 1990 a décliné, même si elle reste<br />
un puissant acteur national en coulisse. Depuis 2013, Bouteflika a également pris des<br />
mesures sans précédent pour réduire officiellement le pouvoir du DRS en particulier.<br />
En septembre 2013, il a en eff<strong>et</strong> dépouillé le DRS de trois de <strong>ses</strong> bureaux stratégiques,<br />
dissolvant la police judiciaire <strong>et</strong> transférant au chef de l’état-major le contrôle<br />
du bureau de presse de l’armée <strong>et</strong> de la Direction centrale de la sécurité de l’armée. 18<br />
Trois officiers supérieurs du DRS ont été contraints de prendre leur r<strong>et</strong>raite, tandis<br />
qu’un quatrième a été placé sous contrôle judiciaire. En octobre 2014, les officiers<br />
supérieurs du DRS détachés auprès de ministères sont rappelés <strong>et</strong> le service d’écoutes<br />
téléphoniques est placé sous le contrôle du ministère de la Justice. Les spéculations<br />
publiques <strong>et</strong> privées pour savoir à quel point ces mesures pèsent se poursuivent ;<br />
pour de nombreux observateurs, le DRS reste l’acteur le plus puissant en matière de<br />
politique intérieure. 19 Néanmoins, le départ à la r<strong>et</strong>raite en septembre 2015 du généremplace<br />
le pouvoir de l’Etat ». Communiqué d’Ali Benflis, reproduit in « Ali Benflis : la situation à<br />
Ghardaïa révèle la vacance du pouvoir », Le Matin, 14 octobre 2014.<br />
15 Voir par exemple c<strong>et</strong> entr<strong>et</strong>ien avec le dirigeant du FLN Amar Saadani : Achira Mammeri, « Saïd<br />
Bouteflika, Constitution, DRS : Amar Saâdani nous dit tout », Tout sur l’Algérie, 16 avril 2015.<br />
16 Voir la préface d’Abdelhamid Mehri dans « Problématique Algérie », par le colonel r<strong>et</strong>raité du<br />
DRS Mohamed Chafik Mesbah, Le Soir d’Algérie (Alger, 2009).<br />
17 “Sans c<strong>et</strong>te harmonie institutionnelle, l’Etat se serait effondré dans les années 1990. La situation<br />
était bien pire que celle subie par la Libye en 2011 ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, haut responsable<br />
algérien, Alger, octobre 2014.<br />
18 Voir le « Décr<strong>et</strong> présidentiel no. 13-309 du 8 septembre 2013 », Journal officiel de la République<br />
algérienne démocratique <strong>et</strong> populaire.<br />
19 Entr<strong>et</strong>iens de Crisis Group, ancien agent du DRS, écrivains opposants, analystes politiques <strong>et</strong> diplomates<br />
occidentaux, Alger <strong>et</strong> Paris, novembre 2014-février 2015. La rivalité entre la présidence <strong>et</strong><br />
le DRS est un pilier de la presse <strong>et</strong> des blogs algériens, ainsi que de la presse internationale. Voir,<br />
par exemple, Mélanie Matarese, « Abdelaziz Bouteflika s’attaque aux services secr<strong>et</strong>s algériens », Le<br />
Figaro, 12 septembre 2013 ; Fayçal Hamdani, « Restructuration des services secr<strong>et</strong>s : comment la<br />
DCSA a supplanté le DRS », Tout sur l’Algérie, 12 août 2015 ; « 10 observations sur la crise de l’été<br />
2013 en Algérie », blog Observations confidentielles (https://7our.wordpress.com/2013/09/13/10-<br />
observations-sur-la-crise-de-l<strong>et</strong>e-2013-en-algerie), 13 septembre 2013 ; « Pressing for Depth », The<br />
Moor Next Door blog (https://themoornextdoor.wordpress.com/2015/08/04/pressing-for-depth),<br />
4 août 2015.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 6<br />
ral-major Mohammed « Toufik » Mediène, à la tête du DRS depuis 25 ans, indique,<br />
avec les mesures ci-dessus, que l’influence de l’institution semble s’étioler. 20<br />
Si des signes de tensions ressurgissent à l’occasion, la présidence <strong>et</strong> le DRS collaborent<br />
de toute évidence. 21 Une vision donnant trop d’importance à la conspiration<br />
dans la dynamique interne du régime a tendance à minimiser l’évolution de la perception<br />
de la menace de l’Algérie <strong>et</strong> de son environnement régional. Certains changements<br />
relatifs au personnel <strong>et</strong> aux politiques de ces dernières années doivent être<br />
pris au pied de la l<strong>et</strong>tre, comme un ajustement de la stratégie de sécurité, <strong>et</strong> non pas<br />
nécessairement (ou seulement) le refl<strong>et</strong> d’une lutte politique interne qu’une grande<br />
partie de la presse <strong>et</strong> de l’opposition algériennes ont tendance à relayer. 22 Il ne serait<br />
pas surprenant qu’un débat de politique interne sur la façon d’affronter les défis de<br />
sécurité se tienne <strong>et</strong> les répon<strong>ses</strong> obtenues influeraient sur l’équilibre des pouvoirs<br />
nationaux.<br />
C. Tournant décisif : la crise des otages de Ain Amenas<br />
L’attaque du 16 janvier 2013 contre le complexe gazier de Tinguentourine à Ain Amenas,<br />
dans la province d’Illizi au sud-est du pays près de la frontière libyenne, perpétrée<br />
par le groupe jihadiste al-Murabitoun de Mokhtar Belmokhtar, a marqué un tour-<br />
20 Mediène a été remplacé par le général Athman Tartag, un vétéran de DRS qui avait été détaché<br />
auprès de la présidence. Plusieurs observateurs étrangers à Alger ont vu dans sa nomination le signal<br />
d’un certain degré de continuité, notamment dans le cadre d’un effort de restructuration <strong>et</strong> de professionnalisation<br />
de l’appareil de sécurité plus que comme le refl<strong>et</strong> d’une lutte pour le pouvoir au<br />
sein du régime : une façon de faire naître « une plus grande efficacité organisationnelle induite par<br />
l’évolution de la situation sécuritaire », pour reprendre les mots d’un attaché militaire. Entr<strong>et</strong>ien de<br />
Crisis Group, attaché militaire, Alger, septembre 2015. Un analyste algérien ayant de bonnes relations<br />
avec les responsables de la sécurité s’est exprimé ainsi : « L’objectif est de professionnaliser<br />
l’armée <strong>et</strong> de recentrer le DRS sur son cœur de métier, qui est l’espionnage <strong>et</strong> le contre-espionnage.<br />
La réputation du DRS de tout savoir <strong>et</strong> voir est follement exagérée. La restructuration perm<strong>et</strong>tra de<br />
reporter l’attention sur le Sahel <strong>et</strong> le Maghreb <strong>et</strong> d’accorder une plus grande priorité à la lutte<br />
contre le terrorisme ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Alger, septembre 2015. Un journaliste a dit, « Le<br />
président ramène le DRS à ce qu’il était dans les années 1970. Le régime n’a plus un système dualiste<br />
; la guerre des clans est terminée ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Alger, septembre 2015. Bien sûr,<br />
il peut y avoir une raison simple pour la r<strong>et</strong>raite de Mediène : le bruit court depuis longtemps qu’il<br />
était malade, tandis que d’autres généraux qui étaient puissants dans les années 1990 sont déjà à la<br />
r<strong>et</strong>raite ou décédés.<br />
21 Les relations entre la présidence <strong>et</strong> le DRS sont opaques, complexes <strong>et</strong> donc difficiles à comprendre,<br />
d’autant plus que ces deux institutions sont hermétiquement fermées. Un ancien officier<br />
du DRS qui reste proche de l’institution a suggéré que, quelles que soient les mesures adoptées officiellement,<br />
le département peut continuer à s’appuyer sur un réseau de personnalités dont l’influence<br />
est ressentie bien au-delà des voies officielles pour le contrôle ou l’influence des principales<br />
institutions de l’Etat. Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Paris, novembre 2014. Un écrivain algérien en exil<br />
critique vis-à-vis du régime a indiqué que finalement l’agence constitue l’ossature de l’Etat profond<br />
<strong>et</strong> aura donc des chances de survivre même à l’éviction des dirigeants, bien que clés : « [l’ancien<br />
président Houari] Boumediene disait souvent que l’armée était l’épine dorsale du pays – <strong>et</strong> que les<br />
services de renseignement étaient donc sa moelle épinière ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Paris, novembre<br />
2014.<br />
22 Le remplacement de trois personnalités haut placées de la sécurité intérieure, notamment ceux<br />
chargés de la sécurité personnelle du président Bouteflika, en juill<strong>et</strong> 2015, après les informations<br />
non confirmées d’un attentat déjoué (par des assaillants inconnus, ou tout au moins dont les noms<br />
n’ont pas été divulgués) contre sa résidence à l’extérieur d’Alger, en est un bon exemple. Voir Achira<br />
Mammeri, « Changements dans l’armée : Bouteflika verrouille à tous les étages », Tout sur l’Algérie,<br />
27 juill<strong>et</strong> 2015.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 7<br />
nant. 23 Elle a en eff<strong>et</strong> montré comment l’instabilité des pays <strong>voisins</strong> peut menacer les<br />
intérêts nationaux, en particulier dans l’immense étendue du désert méridional difficile<br />
à contrôler, où sévissent le commerce illicite de marchandi<strong>ses</strong>, d’armes, de<br />
drogues <strong>et</strong> la traite de personnes. 24 Elle a aussi fait prendre conscience du défi posé<br />
par l’effondrement de la sécurité de l’Etat – <strong>et</strong> l’absence d’interlocuteurs fiables – en<br />
Libye, d’où étaient venus les assaillants. L’attentat, suivi de la prise de plus de 800<br />
otages par des militants jihadistes, a démontré la profonde transformation des enjeux<br />
de sécurité nationale : habituée à lutter contre les menaces internes, comme elle<br />
l’avait fait essentiellement dans le nord du pays lors de la « décennie noire », l’Algérie<br />
doit maintenant lutter contre les menaces extérieures de groupes radicaux transnationaux<br />
opérant dans les Etats faibles <strong>et</strong> les territoires non gouvernés le long de <strong>ses</strong><br />
frontières méridionales.<br />
L’attaque d’Ain Amenas a déclenché des récriminations à propos des niveaux de<br />
préparation en matière de sécurité. Dans un reproche exceptionnellement public,<br />
Amar Saadani, le secrétaire général du Front de libération nationale au pouvoir, a<br />
déclaré que Mediène, chef de longue date du DRS, aurait dû démissionner après<br />
avoir échoué d’empêcher l’incident. 25 Ces critiques d’un haut responsable du parti au<br />
pouvoir, considéré comme proche de la présidence, à l’encontre d’une personnalité<br />
vue par beaucoup comme un faiseur de rois encore plus puissant que le président,<br />
étaient sans précédent. Réagissant immédiatement aux événements d’Ain Amenas,<br />
Bouteflika a imposé des contrôles stricts aux frontières. Il a ordonné la ferm<strong>et</strong>ure<br />
des points de passage vers la Libye <strong>et</strong> le Mali, a conditionné l’accès aux zones frontalières<br />
à une autorisation militaire <strong>et</strong> déployé des forces terrestres <strong>et</strong> aériennes pour<br />
faire respecter les nouvelles règles, m<strong>et</strong>tant particulièrement l’accent sur la frontière<br />
libyenne. 26 Quelques 100 000 soldats sont maintenant déployés activement aux<br />
frontières, soit au moins près du double du nombre précédent. 27 L’armée a créé une<br />
23 Quelques semaines à peine après l’intervention militaire française au Mali, les militants d’al-<br />
Murabitoun – un groupe allié à al-Qaeda – dirigé par Mokhtar Belmokhtar, dit “M. Marlboro” pour<br />
son réseau de contrebande de cigar<strong>et</strong>tes à travers le Sahel – ont traversé la frontière sud de l’Algérie<br />
à partir de la Libye <strong>et</strong> pris plus de 800 otages à l’usine de gaz Tiguentourine. 39 otages étrangers <strong>et</strong><br />
un garde algérien ainsi que 29 militants ont été tués durant la crise de deux jours <strong>et</strong> l’opération de<br />
sauv<strong>et</strong>age qui a suivi. Tiguentourine représentait alors 10 pour cent de la production de gaz naturel<br />
algérienne, générant des rec<strong>et</strong>tes d’environ 5 millions de dollars par jour. L’usine – une jointventure<br />
de Statoil Norvège, BP <strong>et</strong> la compagnie nationale Sonatrach – était gardée par l’armée algérienne.<br />
Belmokhtar, connu aussi sous le nom de Khaled Abou El Abbas, né en Algérie, est un ancien<br />
commandant d’al-Qaeda au Maghreb islamique pour la région du Sahel, actif dans la région depuis<br />
les années 1990. Ciblé par une frappe aérienne américaine dans la ville d’Ajdabiya à l’est de la Libye<br />
le 13 juin 2015, il aurait survécu.<br />
24 Lorsque Kadhafi dirigeait la Libye, les gendarmes <strong>et</strong> la police algérienne des frontières patrouillaient<br />
leur côté de la frontière, tandis que les forces libyennes patrouillaient le leur. Le côté libyen<br />
n’est contrôlé aujourd’hui ni par la police ni par des milices, comme les garde-frontières touareg<br />
issus des anciennes forces de sécurité de l’ère Kadhafi. Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, garde-frontières<br />
touareg libyens, Tripoli, mars 2015.<br />
25 « Amar Saadani demande la démission du général Toufik <strong>et</strong> défend Chakib Khelil », Maghreb<br />
émergent, 3 février 2014. Saadani a accusé le DRS d’« outrepasser <strong>ses</strong> prérogatives » <strong>et</strong> de faire<br />
obstacle à la construction d’un Etat civil.<br />
26 Mohamed Ben Ahmad, « <strong>L’Algérie</strong> ferme la plupart de <strong>ses</strong> frontières », El Khabar, 22 mai 2014.<br />
Près de 40 000 soldats auraient été déployés pour renforcer les forces paramilitaires – Groupement<br />
des gardes-frontières (GGF), police de l’air <strong>et</strong> des frontières (PAF), police des douanes <strong>et</strong> gendarmes<br />
– déjà chargés de contrôler la frontière libyenne.<br />
27 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, diplomate algérien de haut rang, New York, mars 2015.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 8<br />
nouvelle zone militaire – la septième, taillée dans la quatrième <strong>et</strong> la sixième – le long<br />
de la frontière où le niveau de risque est le plus élevé, celle avec la Libye, au sud-est ;<br />
dans le sillage de la saisie de Syrte par les combattants de l’Etat islamique en février<br />
2015, l’armée s’est engagée à détruire à vue tout convoi non identifié de véhicules<br />
approchant du côté libyen. 28 Le commandant de la nouvelle zone a été doté d’importantes<br />
ressources pour lutter contre la menace jihadiste <strong>et</strong> la contrebande, y compris<br />
le contrôle de l’armée, des forces aériennes, de la police des frontières, des gardes<br />
nationaux <strong>et</strong> de la gendarmerie. 29<br />
La militarisation de la frontière a suscité de nouvelles difficultés. Sa ferm<strong>et</strong>ure<br />
ayant provoqué une pénurie de produits alimentaires dans la province libyenne de<br />
Ghat, les manifestants se sont rassemblés dans la ville de Djan<strong>et</strong> à la frontière sud-est<br />
(dans la province algérienne d’Illizi) pour dénoncer la crise humanitaire en cours. 30 En<br />
réponse, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a chargé le Croissant-Rouge algérien<br />
de préparer un convoi humanitaire pour Ghat <strong>et</strong> des villes libyennes voisines <strong>et</strong><br />
ordonné un assouplissement des contrôles aux frontières. 31<br />
Le conflit <strong>et</strong> les conséquences d’un vide sécuritaire ont franchi les frontières à<br />
d’autres occasions aussi. L’impact de l’opération Serval de la France en 2013 au Mali<br />
a été ressenti le long de la frontière entre l’Algérie <strong>et</strong> le Mali, changeant ainsi l’équilibre<br />
du pouvoir entre les groupes <strong>et</strong>hniques locaux en concurrence. 32 A Ghat <strong>et</strong> à Tamanrass<strong>et</strong><br />
– des provinces respectivement proches des frontières libyennes <strong>et</strong> maliennes<br />
– les Algériens ont protesté contre la ferm<strong>et</strong>ure des frontières. De même, les groupes<br />
jihadistes dirigés par des Algériens ont cherché refuge dans la réserve naturelle du<br />
mont Chaambi en Tunisie, près de la frontière algérienne, suite à l’affaiblissement de<br />
la sécurité qui y sévit depuis 2011. 33 Recrutant des militants tunisiens <strong>et</strong> autres, ils ont<br />
mené des attaques en Tunisie <strong>et</strong> participé à la contrebande transfrontalière.<br />
La crise d’Ain Amenas a confirmé aux dirigeants algériens qu’avec les principales<br />
menaces pour la sécurité du pays à l’extérieur de <strong>ses</strong> frontières, ils ne peuvent plus se<br />
perm<strong>et</strong>tre c<strong>et</strong>te politique étrangère relativement passive suivie pendant une grande<br />
partie de la décennie écoulée depuis la fin de la guerre civile.<br />
28 « Algeria rai<strong>ses</strong> alert level along border with Libya », Middle East Monitor, 4 juin 2015.<br />
29 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, responsable de la lutte antiterroriste, Alger, mai 2015.<br />
30 La pénurie de produits alimentaires dans la province libyenne de Ghat peut avoir empiré aussi<br />
suite à la lutte entre les milices tebu <strong>et</strong> touareg, en particulier après septembre 2014, lorsque la route<br />
reliant Sebha, la principale ville-comptoir du sud à la province de Ghat a été fermée, imposant ainsi<br />
une plus grande dépendance à l’égard de l’Algérie. Observations de Crisis Group, Sebha, mars 2015.<br />
31 Voir « Algeria to send shipments of humanitarian aid to Libya », Middle East Monitor, 24 novembre<br />
2014.<br />
32 Les milices arabes d’autodéfense ont poussé comme des champignons après que les Idnan touareg<br />
aient appelé la France à lancer des frappes aériennes contre leurs rivaux, les trafiquants bérabiche<br />
à Ain Khalil (Mali), qui, affirmaient-ils, étaient des combattants appartenant au groupe jihadiste<br />
Mouvement pour l'unicité <strong>et</strong> le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO) malien du nord. Le conflit tribal<br />
qui en a découlé s’est propagé au-delà de la frontière dans le village algérien de Bordj Badji Mokhtar.<br />
Entr<strong>et</strong>iens de Crisis Group, rebelles du Nord du Mali, Alger, octobre 2014. Voir aussi « “Dieu a<br />
maudit beaucoup de personnes c<strong>et</strong>te semaine à Bordj Badji Mokhtar”: le douloureux réveil de Bordj<br />
Badji Mokhtar », Tamoudre, 23 août 2013.<br />
33 Crisis Group a largement fait état du fait que la frontière Algérie-Tunisie devenait un refuge pour<br />
les militants jihadistes. Voir le rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°148, La Tunisie des<br />
frontières : jihadisme <strong>et</strong> contrebande, 28 novembre 2013.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 9<br />
III. Un triangle difficile : l’Algérie, le Maroc <strong>et</strong> la France<br />
Ayant vaincu chez elle une insurrection islamiste – les responsables parlent aujourd’hui<br />
des groupes armés comme d’une menace « résiduelle » – l’Algérie se considère<br />
comme un îlot de stabilité entouré de pays instables. 34 Sa stratégie régionale<br />
consiste à établir une « politique de voisinage » qui favorise l’intégration horizontale<br />
entre les pays du Sahel, l’Algérie jouant à la fois le rôle de pivot <strong>et</strong> de protecteur, par<br />
opposition au voisinage plutôt tourné vers l’Occident (vers la France, les Etats-Unis<br />
<strong>et</strong> d’autres puissances étrangères) pour résoudre <strong>ses</strong> problèmes. Parallèlement, Alger<br />
résiste aux pressions l’incitant à devenir le « gendarme de la région » sous-traité pour<br />
protéger l’Occident de la violence jihadiste <strong>et</strong> de l’immigration clandestine ou intervenir<br />
militairement dans les cri<strong>ses</strong> régionales. 35 Si elle souhaite s’affirmer comme<br />
une puissance régionale, elle veut le faire selon <strong>ses</strong> propres conditions, notamment<br />
parce que <strong>ses</strong> responsables considèrent que la politique occidentale récente – en<br />
particulier l’intervention de l’Otan en Libye – est très mal conçue <strong>et</strong> irresponsable. 36<br />
<strong>L’Algérie</strong> est également soucieuse de maintenir la cohérence de sa doctrine traditionnelle<br />
de politique étrangère. 37<br />
La démarche de l’Algérie face aux cri<strong>ses</strong> libyenne, malienne <strong>et</strong> tunisienne ne peut<br />
pas être considérée indépendamment de <strong>ses</strong> relations avec le Maroc, son rival traditionnel,<br />
ou avec la France <strong>et</strong> les Etats-Unis qui ont signalé le Sahel comme une préoccupation<br />
prioritaire <strong>et</strong> dont les politiques <strong>et</strong> la volonté d’afficher leur puissance peuvent<br />
s’opposer aux intérêts algériens. Dans un sens, la nouvelle politique de voisinage<br />
vise à affirmer l’influence du pays dans la région, que ce soit dans le contexte d’une<br />
34 Un ancien responsable a indiqué que l’UE alimente c<strong>et</strong>te perception en encourageant l’Algérie à<br />
se voir comme une extension de l’accord de Schengen sur les frontières de l’UE : « Les Européens<br />
veulent que Schengen commence à Tamanrass<strong>et</strong>. Ils veulent contrôler les flux humains vers le nord.<br />
Mais ceux-ci doivent être surveillés à la source, <strong>et</strong> non pas après leur arrivée au Maroc ou en Algérie<br />
! Nous avons donc une responsabilité internationale dans le sens où les Occidentaux pensent<br />
que nous devons stabiliser la région ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Abdelaziz Rahabi, Alger, septembre<br />
2014. Le souhait de certains Etats membres de l’UE d’obtenir l’aide des pays d’Afrique du<br />
Nord pour la gestion des flux transméditerranéens de personnes, notamment en hébergeant des<br />
centres de traitement pour les migrants <strong>et</strong> les réfugiés, peut être à l’origine de c<strong>et</strong>te réflexion. Entr<strong>et</strong>iens<br />
de Crisis Group, responsables de l’UE, Bruxelles, mai 2015.<br />
35 Entr<strong>et</strong>iens de Crisis Group, responsables actuels <strong>et</strong> anciens, Alger, octobre-décembre 2014. Un<br />
conseiller présidentiel en matière de lutte antiterroriste a explicitement rej<strong>et</strong>é une approche militaire,<br />
faisant remarquer que la Constitution interdit à l’armée d’intervenir dans d’autres Etats. Voir<br />
« Kamel Rezzag Bara : l’Algérie refuse le rôle de gendarme dans la région », radioalgerie.n<strong>et</strong>, 11 juin<br />
2015. L’article 26 de la constitution stipule que « <strong>L’Algérie</strong> se défend de recourir à la guerre pour<br />
porter atteinte à la souverain<strong>et</strong>é légitime <strong>et</strong> à la liberté d’autres peuples ».<br />
36 Un haut fonctionnaire s’est plaint en particulier de ce qu’il a qualifié de décision de perm<strong>et</strong>tre à<br />
des combattants touareg pro-Kadhafi « d’échapper à la Libye au Mali avec toutes leurs armes »,<br />
lorsque l’Otan a contrôlé l’espace aérien libyen <strong>et</strong> aurait pu bombarder la colonne qui s’enfuyait –<br />
un accord conclu, selon lui, pour renverser rapidement le régime de Kadhafi, au détriment de la<br />
stabilité du nord du Mali. Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Alger, décembre 2014.<br />
37 La doctrine algérienne de politique étrangère menée après l’indépendance se fonde sur le respect<br />
des principes comme ceux de la souverain<strong>et</strong>é nationale <strong>et</strong> de l’intégrité territoriale, le nationalisme<br />
économique, le non-alignement positif <strong>et</strong> le soutien à la décolonisation <strong>et</strong> aux mouvements de libération.<br />
<strong>L’Algérie</strong> n’a envoyé des forces militaires à l’étranger qu’à deux repri<strong>ses</strong> : les guerres israéloarabes<br />
de 1967 <strong>et</strong> 1973. Les récents efforts de construction de la paix rappellent son rôle au cours de<br />
succès diplomatiques internationaux dans le passé, comme l’accord de 1975 entre l’Irak <strong>et</strong> l’Iran<br />
mené par Alger, le rôle des diplomates algériens dans la libération des otages américains en Iran en<br />
1981 <strong>et</strong> la médiation dans la guerre de 2000 entre l’Ethiopie <strong>et</strong> l’Erythrée.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 10<br />
telle concurrence ou pour éviter que <strong>ses</strong> intérêts <strong>et</strong> positions soient ignorés à des<br />
moments décisifs (comme en Libye en 2011).<br />
Les relations <strong>et</strong> les rivalités entre l’Algérie, le Maroc <strong>et</strong> la France sont particulièrement<br />
importantes. Alger <strong>et</strong> Rabat ont tendance à considérer les relations bilatérales<br />
sur la base d’un jeu à somme nulle : tout gain en stature régionale pour l’un est<br />
considéré automatiquement par l’autre comme une perte pour lui-même. 38 Le Maroc<br />
perçoit l’hégémonie algérienne au Sahel comme une menace pour son influence<br />
croissante en Afrique de l’Ouest (il est le plus gros investisseur africain dans la région)<br />
<strong>et</strong> pour <strong>ses</strong> revendications sur le Sahara occidental, en particulier sur le plan<br />
diplomatique, étant donné que la plupart des pays ayant reconnu la République<br />
arabe sahraouie démocratique (RASD) du Mouvement Polisario sont africains. Cela<br />
a poussé le Maroc à quitter l’UA pour protester contre l’adhésion de la RASD, ce qui<br />
l’a marginalisé dans la diplomatie du continent en dehors de son rôle en Afrique de<br />
l’Ouest. 39 <strong>L’Algérie</strong> considère le Maroc comme un trublion plutôt qu’un rival. 40<br />
L’amélioration ou le déclin des relations entre Alger <strong>et</strong> Rabat avec Paris est à son<br />
tour également considéré comme se faisant au détriment de l’autre. 41 Les relations<br />
38 <strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> le Maroc sont entrés brièvement en guerre pour un différend frontalier en 1963, peu<br />
après l’indépendance de l’Algérie vis-à-vis de la France. C<strong>et</strong>te « guerre des sables » a donné un ton<br />
de la méfiance entre les deux pays (en dépit du fait que le conflit frontalier ait été finalement réglé)<br />
qui a tourné à l’hostilité permanente en raison de l’appui de l’Algérie en 1975 aux revendications du<br />
Front Polisario à l’autodétermination du Sahara occidental, une colonie espagnole revendiquée par<br />
le Maroc. Le conflit du Sahara occidental est la principale source de tension entre les deux pays, le<br />
Maroc considérant que la position de l’Algérie vise à l’isoler. <strong>L’Algérie</strong> quant à elle affirme que sa<br />
position est fondée sur des principes, mue par le respect du droit international <strong>et</strong> des normes internationales<br />
relatives à la décolonisation. Les deux pays sont en concurrence pour l’influence au<br />
Maghreb <strong>et</strong> en Afrique de l’Ouest <strong>et</strong> y présentent fréquemment des initiatives diplomatiques rivales.<br />
Entr<strong>et</strong>iens de Crisis Group, diplomates algérien, marocain, arabe, occidental <strong>et</strong> d’Afrique subsaharienne,<br />
<strong>et</strong> responsables de l’ONU, Alger, Rabat, Le Caire, Paris, Bruxelles <strong>et</strong> New York, octobre<br />
2014-juill<strong>et</strong> 2015. C<strong>et</strong>te rivalité est devenue un élément permanent dans les medias des pays depuis<br />
les années 1970 <strong>et</strong> incontournable dans le discours nationaliste.<br />
39 Selon un diplomate marocain chevronné, les efforts déployés par l’Algérie pour exercer une influence<br />
régionale visent principalement à exclure le Maroc : « Leur objectif est d’obtenir une certaine<br />
influence dans la région. Ils nous excluent toujours. S’il y a une initiative, une réunion, leur première<br />
réaction est d’exclure le Maroc. Leur premier objectif n’est pas de lutter contre le terrorisme ; c’est<br />
d’exclure le Maroc ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, New York, mars 2015. Un diplomate algérien a exprimé<br />
des sentiments similaires à propos de la diplomatie marocaine : « Ils sont très durs envers<br />
nous ; ils ne veulent jamais coopérer. Nous nous connaissons très bien : ils nous connaissent <strong>et</strong><br />
nous les connaissons ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, New York, mars 2015. Les médias des deux pays<br />
dépeignent souvent systématiquement les succès diplomatiques de l’un comme une défaite pour<br />
l’autre (par exemple Alger accueillant les négociations sur le Mali ou le Maroc les négociations sur<br />
la Libye).<br />
40 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, responsable de la sécurité algérienne, Alger, octobre 2014.<br />
41 « Nous sommes coincés dans un triangle avec l’Algérie <strong>et</strong> le Maroc », a noté un diplomate français<br />
à Rabat. « Le rapprochement de la France avec l’Algérie après l’opération Serval au Mali a été<br />
très mal prise ici ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Rabat, août 2015. Un responsable français a décrit la<br />
dimension nationale du triangle : « Pour les Algériens aussi bien que pour les Marocains, la gauche<br />
française est avec l’Algérie, <strong>et</strong> la droite française avec le Maroc. Nous sommes les victimes de c<strong>et</strong>te<br />
image ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Paris, novembre 2014. Au cours de 2014, en partie en raison<br />
des améliorations des relations de la France avec l’Algérie sous la présidence de François Hollande<br />
(mais aussi en raison de la convocation par un juge français d’un haut responsable de la sécurité<br />
marocaine pour violation des droits de l’homme), une crise diplomatique s’est produite avec le Maroc,<br />
entraînant la suspension de certains dossiers de coopération sécuritaire <strong>et</strong> judiciaire. Voir Thierry
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 11<br />
franco-algériennes sont, pour les deux pays, compliquées par une guerre d’indépendance<br />
qui continue à résonner dans la politique nationale – surtout pour une classe<br />
politique algérienne ancrée dans le credo révolutionnaire du Front de libération nationale.<br />
<strong>L’Algérie</strong> considère la France comme un véritable rival au Sahel, même si elle<br />
est également un partenaire. La France a une forte présence militaire <strong>et</strong> un rayonnement<br />
politique important dans <strong>ses</strong> deux anciennes colonies, le Mali <strong>et</strong> le Niger, <strong>et</strong><br />
plus généralement en Afrique francophone. Si les responsables pensent que l’action<br />
militaire de la France en Libye <strong>et</strong> au Mali a eu des eff<strong>et</strong>s déstabilisateurs <strong>et</strong> a nui aux<br />
intérêts algériens, 42 les deux pays ont des intérêts de sécurité communs <strong>et</strong> ont renforcé<br />
la coopération entre leurs armées <strong>et</strong> leurs services de renseignement au cours<br />
des dernières années. 43 Au demeurant, ils continuent pourtant à avoir une approche<br />
fortement divergente en matière de sécurité au Sahel, en particulier en ce qui concerne<br />
le recours à la force militaire.<br />
Conformément à la résolution 2085 (20 décembre 2012) du Conseil de sécurité<br />
de l’ONU autorisant le déploiement d’une mission de soutien dirigée par l’Afrique<br />
pour rétablir l’ordre constitutionnel <strong>et</strong> l’intégrité territoriale du Mali <strong>et</strong> une demande<br />
officielle de l’aide française par les autorités intérimaires maliennes, l’Algérie a coopéré<br />
avec l’opération Serval, l’intervention militaire dirigée par la France. Un agent<br />
r<strong>et</strong>raité des services de renseignements algériens a déclaré :<br />
L’opération militaire française a été soutenue par l’ONU. Face à un Etat malien<br />
qui s’effrite <strong>et</strong> au chaos qui se propageait, les Français ont rapidement présenté<br />
une résolution à l’ONU autorisant l’emploi de la force au Mali. Le gouvernement<br />
malien a accepté la présence des forces françai<strong>ses</strong>, <strong>et</strong> l’Algérie ne peut donc pas<br />
s’y opposer. 44<br />
Cela étant dit, l’Algérie est insatisfaite de la mesure relativement limitée dans laquelle<br />
la France a partagé <strong>ses</strong> informations sur <strong>ses</strong> activités au nord du Mali, des<br />
opérations qui ont une incidence directe sur l’Algérie, notamment par le biais de<br />
l’afflux de réfugiés ou des combattants en fuite. 45<br />
Oberlé, « Hollande s’empêtre dans la rivalité maroco-algérienne », Le Figaro, 6 janvier 2015. Les<br />
relations se sont améliorées en 2015 après l’intervention de Hollande dans la crise.<br />
42 Certains chefs rebelles maliens disent qu’ils pensent que la France a promis de soutenir une<br />
guerre touareg pour l’indépendance en 2011, en échange de l’abandon de Kadhafi <strong>et</strong> la coopération<br />
dans la lutte antiterroriste au nord du Mali, <strong>et</strong> que la France les a abandonnés après qu’ils aient été<br />
maîtrisés par les groupes jihadistes <strong>et</strong> que la présidence soit passée de Sarkozy à Hollande. Voir, par<br />
exemple, l’entr<strong>et</strong>ien avec l’ancien ministre des relations extérieures du Mouvement national pour la<br />
libération de l’Azawad (MNLA) Hama ag Mahmoud : « La France nous a donné son feu vert pour<br />
l’indépendance d’Azawad », Courrier du Sahara, janvier 2014. L’accusation selon laquelle la France<br />
aurait attisé le séparatisme touareg le long de la frontière algérienne en vue de renverser le régime<br />
libyen <strong>et</strong> d’imposer un nouvel ordre de sécurité au nord du Mali, si cela s’avérait vrai, est considérée<br />
par les médias algériens <strong>et</strong> certains responsables au mieux comme une ingérence <strong>et</strong> au pire comme<br />
une escalade dangereuse qui encercle l’Algérie, le seul pays de la région qui demeure en dehors de la<br />
sphère d’influence de la France. Entr<strong>et</strong>iens de Crisis Group, responsables algériens, octobredécembre<br />
2014. Pour un exemple de l’inquiétude dans les médias algériens concernant un « encerclement<br />
» par des ba<strong>ses</strong> militaires étrangères, voir Brahim Takheroubt, « <strong>L’Algérie</strong> encerclée par des<br />
ba<strong>ses</strong> militaires », L’Expression, 4 février 2013 ; <strong>et</strong> Rafik Bahri, « Avec comme conséquence l’encerclement<br />
total de l’Algérie : Essebsi offre <strong>ses</strong> ba<strong>ses</strong> à l’Otan », Algérie Patriotique, 22 mai 2015.<br />
43 Voir, par exemple, Jean-Marie Guénois, « La France <strong>et</strong> l’Algérie s’accordent pour former les<br />
imams à la laïcité », Le Figaro, 19 décembre 2014.<br />
44 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Alger, novembre 2014.<br />
45 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, diplomate occidental, Alger, octobre 2014.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 12<br />
<strong>L’Algérie</strong> est également en compétition avec la France pour façonner l’infrastructure<br />
de sécurité de la région. Alger est le principal partisan du processus de Nouakchott,<br />
lancé par l’UA en mars 2013, qui réunit onze pays du Maghreb, du Sahel <strong>et</strong><br />
d’Afrique de l’Ouest pour promouvoir la coopération régionale en matière de sécurité.<br />
46 <strong>L’Algérie</strong> considère ce processus comme une alternative aussi bien à la Communauté<br />
économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui a été incapable<br />
de faire face à la crise malienne en 2012, qu’aux forces de maintien de la paix<br />
de l’ONU qui ne disposent pas d’un cadre politique. 47 Des responsables affirment<br />
que le processus de Nouakchott a déjà amélioré de façon mesurable l’échange de<br />
renseignements, <strong>et</strong> des formations conjointes de personnel <strong>et</strong> de patrouilles mixtes<br />
sont envisagées.<br />
Au Sahel, la France promeut une approche différente de la sécurité qui miroite<br />
parfois celle de l’Algérie. Elle a par exemple lancé une Unité régionale de fusion de<br />
renseignements lors d’une réunion à Paris, juste après l’enlèvement en 2014 par<br />
Boko Haram de plusieurs centaines de jeunes filles d’une école de Chibok (Nigéria).<br />
C<strong>et</strong>te unité présente des similitudes frappantes avec l’Unité de fusion <strong>et</strong> de liaison,<br />
basée à Alger, qui consiste en une plateforme d’échange d’informations créée en<br />
2010 <strong>et</strong> réunissant les chefs des services de renseignement des Etats du Sahel préoccupés<br />
par les menaces transfrontalières. Un jour après le lancement du processus de<br />
Nouakchott, le « G5 du Sahel » soutenu par la France (un cadre pour promouvoir la<br />
coordination de la sécurité entre la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad <strong>et</strong> le Burkina<br />
Faso), a convoqué un somm<strong>et</strong> extraordinaire à Nouakchott. Les chefs d’Etat du<br />
Mali, de la Mauritanie <strong>et</strong> le Burkina Faso ont participé aux somm<strong>et</strong>s consécutifs.<br />
Enfin, en juill<strong>et</strong> 2014, la France a lancé l’opération Barkhane, qui a succédé à<br />
l’opération Serval, non seulement pour poursuivre <strong>ses</strong> opérations au Mali, mais aussi<br />
pour établir une architecture de collecte de renseignements <strong>et</strong> une capacité de projection<br />
de force à travers le Sahel, notamment par le biais des ba<strong>ses</strong> installées au<br />
Tchad, au Niger, en Côte d’Ivoire <strong>et</strong> au Burkina Faso. Le principal partenaire régional<br />
de la France est le Tchad, le seul pays du Sahel en mesure de déployer des troupes<br />
dans la région. Barkhane est une opération plus ambitieuse, plus militarisée visant à<br />
apporter la stabilité au Sahel. C’est la raison pour laquelle l’Algérie la voit comme une<br />
tentative d’encerclement de la part de la France <strong>et</strong> de <strong>ses</strong> alliés, qui réduirait encore<br />
l’influence de l’Algérie <strong>et</strong> ouvrirait la voie à des interventions militaires supplémentaires<br />
à <strong>ses</strong> frontières. C<strong>et</strong>te situation est particulièrement préoccupante dans le contexte<br />
du resserrement des relations en matière de sécurité entre la Tunisie <strong>et</strong> l’Occident<br />
(notamment l’Otan) <strong>et</strong> la possibilité d’une nouvelle intervention militaire occidentale<br />
en Libye pour freiner les flux migratoires <strong>et</strong>/ou combattre l’Etat islamique (EI).<br />
46 Le processus de Nouakchott comprend l’Algérie, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée, la<br />
Libye, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria, le Sénégal <strong>et</strong> le Tchad <strong>et</strong> est mené sous les auspices<br />
de l’Architecture africaine de paix <strong>et</strong> de sécurité (APSA) de l’UA. Les chefs des services de renseignement<br />
des Etats membres se réunissent tous les deux mois, les ministres des Affaires étrangères<br />
tous les trois mois.<br />
47 Le ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra a déclaré, « La CEDEAO était mal équipée<br />
pour affronter une situation très confuse <strong>et</strong> asymétrique, où l’appartenance tribale est beaucoup<br />
plus importante que l’affiliation idéologique. Le processus de Nouakchott tente de répondre à ce<br />
problème ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Alger, 21 décembre 2014.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 13<br />
IV. Affronter les cri<strong>ses</strong> du voisinage<br />
La politique de l’Algérie à l’égard de <strong>ses</strong> trois <strong>voisins</strong> en difficulté – la Libye, le Mali<br />
<strong>et</strong> la Tunisie – comporte deux caractéristiques essentielles. La première est qu’elle<br />
voit sa propre expérience dans le traitement des groupes radicaux <strong>et</strong> l’intégration des<br />
islamistes traditionnels comme un modèle qui peut <strong>et</strong> doit être exporté. Alger soutient<br />
avoir été en mesure, après la « décennie noire », de déraciner la violence islamiste <strong>et</strong><br />
les facteurs qui y contribuent par la réconciliation <strong>et</strong> des mesures de déradicalisation,<br />
en prêtant attention aux doléances socioéconomiques, <strong>et</strong> par la force brutale le<br />
cas échéant. Même s’il subsiste des poches de militantisme dans le pays, la menace<br />
de violences internes a été contenue ; le recrutement <strong>et</strong> la radicalisation semblent<br />
diminuer. 48 Le gouvernement a mis en avant internationalement <strong>ses</strong> programmes de<br />
déradicalisation, notamment en tandem avec les programmes sur la lutte contre<br />
l’extrémisme sous commandement américain <strong>et</strong> en soutenant la Ligue des oulémas<br />
du Sahel, qui promeut le rite malékite de l’islam sunnite (historiquement dominant<br />
au Maghreb <strong>et</strong> au Sahel) comme un bastion contre l’intégrisme. 49<br />
Malgré les failles des initiatives de réconciliation de l’après-guerre civile propres<br />
à l’Algérie – largement fondées sur la défaite militaire des groupes armés plutôt que<br />
sur des mesures politiques favorables à la réforme 50 – le calme relatif <strong>et</strong> la marginalisation<br />
des groupes radicaux depuis 1999 lui ont donné la confiance nécessaire pour<br />
éviter le type de discours « éradicateur », farouchement anti-islamiste, défendu par<br />
exemple par l’Egypte depuis le renversement du président Mohammed Morsi en juill<strong>et</strong><br />
2013. L’approche d’Alger a été facilitée par ce qui restait de la politique islamiste<br />
organisée après 2000. Le Mouvement de la société pour la paix (MSP, connu sous<br />
son acronyme arabe Hamas) inspiré des Frères musulmans, faisait partie d’une coalition<br />
pro-Bouteflika pendant une grande partie des années 2000, perm<strong>et</strong>tant au régime<br />
de faire valoir qu’étant donné qu’il intégrait les islamistes pacifiques dans le<br />
gouvernement, il y avait des possibilités de surmonter la fracture islamiste laïque qui<br />
avait défini la guerre civile des années 1990.<br />
Le second principe fondamental est que l’Algérie nourrit un intérêt pour des<br />
Etats centralisés forts à <strong>ses</strong> frontières, l’incitant à lutter contre les forces centrifuges<br />
qui pourraient mener à la partition, formelle ou informelle, <strong>et</strong> à la multiplication des<br />
acteurs avec lesquels elle aurait à traiter. C<strong>et</strong>te crainte découle à la fois de son expérience<br />
postcoloniale <strong>et</strong> de l’idéologie <strong>et</strong> réalité des territoires non ou peu gouvernés<br />
le long de <strong>ses</strong> frontières. Comme de nombreux pays, l’Algérie préfère avoir une contrepartie<br />
locale bien structurée <strong>et</strong> est mal à l’aise face à des acteurs non étatiques.<br />
48 Le nombre décroissant d’Algériens combattant à l’étranger étaye également c<strong>et</strong>te conclusion. Une<br />
estimation officielle algérienne évalue le nombre de personnes parties se battre en Syrie à moins de<br />
70, contre plus de 1 600 en provenance du Maroc <strong>et</strong> plus de 3 000 de Tunisie. Voir aussi R. Barr<strong>et</strong>t,<br />
“Foreign Fighters in Syria”, The Soufan Group, juin 2014.<br />
49 <strong>L’Algérie</strong> s’est engagée à tenir un somm<strong>et</strong> régional sur la déradicalisation dans le cadre du suivi<br />
du Somm<strong>et</strong> de la Maison Blanche pour contrer l’extrémisme violent organisé en février 2015 <strong>et</strong> participe<br />
au forum mondial de lutte contre le terrorisme dirigé par les Etats-Unis <strong>et</strong> lancé en marge de<br />
l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2011. Voir “Joint Communiqué on the U.S.-Algeria<br />
Strategic Dialogue”, U.S. Department of State, 8 avril 2015. La Ligue des oulémas du Sahel a été<br />
lancée par l’Algérie, le Mali, le Niger <strong>et</strong> la Mauritanie en janvier 2013. Elle est, dans une certaine<br />
mesure, en compétition avec les initiatives déjà pri<strong>ses</strong> par le Maroc dans la région, notamment la<br />
formation d’imams au Mali, ce qui laisse penser que les programmes de dé-radicalisation <strong>et</strong> de lutte<br />
contre l’extrémisme sont un autre domaine sur lequel Rabat <strong>et</strong> Alger sont en concurrence.<br />
50 Voir le rapport de Crisis Group, Islamism, Violence and Reform in Algeria, op. cit.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 14<br />
Elle se fait également l’écho d’un refrain régional commun – que les soulèvements<br />
arabes depuis 2011 ont affaibli l’Etat, ou blessé le « prestige de l’Etat » (hibat aldawla),<br />
qui, même s’il est autoritaire, est le seul rempart face aux conflits sociaux <strong>et</strong><br />
à la désintégration. Dans le contexte arabe ou africain subsaharien, l’échec, ou du<br />
moins la crise, de l’Etat postcolonial est une source de grande inquiétude dans toute<br />
la région, y compris en Algérie.<br />
A. Libye : facilitation <strong>et</strong> confinement<br />
En Libye, l’Algérie cherche une solution politique fondée sur le dialogue <strong>et</strong> l’inclusivité<br />
comme un rempart tant contre les groupes jihadistes que contre une nouvelle ingérence<br />
étrangère, afin de renforcer les institutions de l’Etat <strong>et</strong> leur capacité à contrôler<br />
les frontières. <strong>L’Algérie</strong> est restée officiellement neutre vis-à-vis du soulèvement<br />
anti-Kadhafi (même si certains croient avoir discerné une orientation pro-Kadhafi) <strong>et</strong><br />
s’est opposée à l’intervention de l’Otan de 2011. 51 Si Alger a longtemps eu de froides<br />
relations avec l’ancien régime, elle avait prévenu que l’intervention militaire française<br />
dans le nord du Mali se traduirait par des querelles tribales intestines, l’inondation<br />
de la région par les armes <strong>et</strong> une hausse rapide des attaques jihadistes – tout<br />
s’est réalisé. 52 Les agents de sécurité ont contesté la campagne internationale, qui a<br />
brisé le monopole de l’Etat sur la sécurité <strong>et</strong> autonomisé les milices peu fiables qui se<br />
battent depuis lors <strong>et</strong> se sont révélées incapables de rétablir l’ordre, en particulier<br />
aux frontières. 53 L’effondrement du régime de Kadhafi a également permis la création<br />
d’un havre pour les militants suite à l’intervention militaire française de 2013<br />
dans le nord du Mali. 54<br />
51 Une visite de Sadek Bougu<strong>et</strong>taya, un membre du comité central du Front de libération nationale<br />
(FLN) <strong>et</strong> membre du Parlement, à une réunion de tribus libyennes pro-Kadhafi à Tripoli le 8 mai<br />
2011 dans le cadre d’une délégation officielle du FLN a attiré des accusations de soutien militaire<br />
algérien au régime de Kadhafi. Bougu<strong>et</strong>taya a été cité dans la presse algérienne comme ayant fait<br />
valoir que « aucun moudjahid [dans le contexte algérien, « ancien combattant »] n’accepte <strong>et</strong> ne<br />
supporte que des forces du Pacte de l’Otan bombardent <strong>et</strong> massacrent un peuple frère à qui nous<br />
unissent les liens étroits de nos traditions, de notre langue, de notre religion, de notre rite malékite<br />
<strong>et</strong> des frontières communes de la glorieuse révolution du 1 er novembre 1954 ». Voir « Sadek Bougu<strong>et</strong>taya<br />
nous écrit », Le Soir d’Algérie, 17 mai 2011. <strong>L’Algérie</strong> a également donné refuge à plusieurs<br />
membres en fuite de la famille Kadhafi, même s’ils ont dû par la suite quitter le pays.<br />
52 Dans un entr<strong>et</strong>ien de mars 2011, Mourad Medelci, alors ministre des Affaires étrangères, a déclaré :<br />
« Nous avons dit à la communauté internationale : faisons attention, si vous continuez ainsi, vous<br />
allez devoir gérer un problème de recrudescence non pas du terrorisme, mais des capacités offertes<br />
aux terroristes dont la nuisance va s’exprimer davantage. Notre message est d’attirer l’attention sur<br />
les eff<strong>et</strong>s secondaires de ce premier “séisme”, car nous constatons que les Libyens sont en train de<br />
s’entr<strong>et</strong>uer. Il y a un second “séisme” qui risque de se préparer avec le foisonnement d’armes dans<br />
la région ». Voir entr<strong>et</strong>ien dans L’Expression, 24 mars 2011.<br />
53 En janvier 2013, les Premiers ministres algériens, libyen <strong>et</strong> tunisien se sont réunis dans la ville<br />
libyenne de Ghadamès pour discuter de l’amélioration de la sécurité transfrontalière. La coopération<br />
entre l’Algérie <strong>et</strong> la Tunisie a progressé dans les domaines sécuritaire, politique <strong>et</strong> économique,<br />
mais l’aggravation du conflit en Libye a rendu pratiquement impossible la coopération avec ce pays,<br />
à la grande frustration d’Alger. « Ils ont un nouveau chef d’Etat tous les six mois », a affirmé un diplomate<br />
algérien. Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Alger, octobre 2014.<br />
54 Entr<strong>et</strong>iens de Crisis Group, responsables de la sécurité française <strong>et</strong> algérienne, Paris <strong>et</strong> Alger, octobre-décembre<br />
2014. Du point de vue algérien, l’utilisation de la Libye comme point de transit par<br />
les auteurs de l’attentat contre le complexe gazier d’Ain Amenas a souligné la nécessité de m<strong>et</strong>tre fin<br />
aux divisions de la Libye <strong>et</strong> de rétablir un Etat capable d’imposer la sécurité aux frontières du pays
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 15<br />
Depuis la désintégration de la transition libyenne en juill<strong>et</strong> 2014 <strong>et</strong> la division du<br />
gouvernement en deux autorités rivales, l’Algérie a prôné la réconciliation nationale<br />
par un processus inclusif réunissant les rivaux, notamment des islamistes <strong>et</strong> des responsables<br />
de l’époque de Kadhafi. Comme l’a expliqué un responsable, réunissant<br />
« tout le monde, sauf les terroristes », une catégorie qui, aux yeux d’Alger, inclut quiconque<br />
refusant de s’engager dans la politique électorale, comme Ansar al-Sharia ou<br />
les affiliés de l’Etat islamique <strong>et</strong> d’al-Qaeda. 55 Elle a fait pression pour une solution<br />
démocratique consensuelle débouchant sur des élections <strong>et</strong> une nouvelle constitution.<br />
A c<strong>et</strong>te fin, elle a collaboré étroitement avec le représentant spécial <strong>et</strong> chef de<br />
la mission d’appui des Nations unies en Libye, Bernardino León, en accueillant les<br />
négociations entre les différents partis politiques libyens, sous l’égide de l’ONU. 56<br />
<strong>L’Algérie</strong> considère en eff<strong>et</strong> que privilégier une solution politique à la crise <strong>et</strong> la réémergence<br />
des institutions de l’Etat est non seulement une priorité en soi, mais aussi<br />
la condition pour lutter contre la propagation du jihadisme violent. 57<br />
Bien que l’Algérie, avec cinq autres <strong>voisins</strong> de la Libye (l’Egypte, le Soudan, le<br />
Tchad, le Niger <strong>et</strong> la Tunisie), ait favorisé une approche pilotée <strong>et</strong> coordonnée par la<br />
région, elle est en désaccord avec la décision de l’Egypte de soutenir, politiquement<br />
<strong>et</strong> militairement, le Parlement internationalement reconnu de Tobrouk. Elle est particulièrement<br />
opposée à d’autres Etats plus éloignés, comme les Emirats arabes unis<br />
ou la Jordanie, qui ont une influence en Libye en soutenant les factions pro-Tobrouk. 58<br />
– ou tout au moins un interlocuteur fiable avec qui coordonner le contrôle des frontières <strong>et</strong> l’échange<br />
du renseignement.<br />
55 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Abdelkader Messahel, ministre délégué chargé des Affaires maghrébines<br />
<strong>et</strong> africaines, 22 décembre 2014.<br />
56 Lors de la première tentative de médiation de l’ONU entre les parlementaires libyens en septembre<br />
2014, qui a eu lieu dans la ville libyenne de Ghadamès près du lieu où les frontières du pays<br />
croisent celles de l’Algérie <strong>et</strong> la Tunisie, l’Algérie a tenté de convaincre les membres de boycotter la<br />
Chambre des représentants (le parlement élu en juin 2014, qui siège actuellement à Tobrouk) <strong>et</strong> d’y<br />
siéger. Elle s’efforce depuis de convaincre les parties de former un gouvernement d’unité nationale<br />
<strong>et</strong> à reprendre la transition qui s’était effondrée en juill<strong>et</strong> 2014. Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, ministre<br />
des Affaires étrangères Ramtane Lamamra, Alger, 21 décembre 2014. Le ministre délégué chargé<br />
des Affaires maghrébines <strong>et</strong> africaines, Abdelkader Messahel, qui gère le dossier libyen de l’Algérie,<br />
a affirmé être en contact « quasi quotidien » avec Bernardino León. En mars 2015, l’Algérie a accueilli<br />
le premier cycle de négociations entre les partis politiques libyens, même si les responsables disent<br />
qu’ils avaient déjà mené des activités inten<strong>ses</strong> de diplomatie discrète avec un large éventail d’acteurs<br />
libyens. Un analyste de la politique étrangère proche du gouvernement a déclaré qu’il y a eu « 200<br />
réunions secrètes dans le cadre des préparatifs pour les pourparlers d’Alger ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis<br />
Group, Alger, décembre 2014. Les pourparlers comprenaient les anciens fidèles de Kadhafi, un<br />
point sur lequel les responsables algériens, plus que les autres bailleurs de fonds du processus mené<br />
par l’ONU, ont souvent insisté. Un second cycle de la piste des politiques-partis a été conduit à Alger<br />
en juin 2015, peu avant la présentation aux participants libyens par l’ONU d’un quatrième proj<strong>et</strong><br />
d’accord. Sur les pourparlers libyens sous l’égide de l’ONU, voir le rapport Moyen-Orient <strong>et</strong><br />
Afrique du Nord de Crisis Group N° 157, Libya: G<strong>et</strong>ting Geneva Right, 26 février 2015. Entr<strong>et</strong>ien<br />
de Crisis Group, Ramtane Lamamra ministre des Affaires étrangères, Alger, 21 décembre 2014. <br />
57 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Abdelkader Messahel, ministre délégué chargé des affaires maghrébines<br />
<strong>et</strong> africaines, Alger, 22 décembre 2014.<br />
58 En marge d’une réunion des ministres des Affaires étrangères du Mouvement des non-alignés<br />
réunion tenue en mai 2014 à Alger, un « plan de voisinage » a été convenu pour la Libye, assignant<br />
à l’Egypte le rôle de médiateur politique <strong>et</strong> chargeant l’Algérie d’améliorer la sécurité. L’initiative<br />
intervient en partie pour calmer la discussion sur une nouvelle intervention étrangère. Mais les<br />
agendas des <strong>voisins</strong> ont commencé à diverger en août 2014, lorsque la participation de l’Egypte aux<br />
frappes aériennes (qui auraient été effectuées par des avions des EAU opérant à partir d’une base<br />
aérienne située dans le nord-ouest égyptien) contre Aube Libye, une coalition de milices soutenant
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 16<br />
Comme l’a déclaré un diplomate algérien de haut rang : « Je me demande comment<br />
les pays du Conseil de coopération du Golfe réagiraient si nous étions intervenus au<br />
Yémen. Je comprends les préoccupations de nos <strong>voisins</strong>, mais pas celles des autres<br />
[qui sont plus éloignés] ». 59<br />
En février 2015, l’Algérie a adopté une position de force au Conseil de sécurité des<br />
Nations unies contre l’appel de l’Egypte pour une levée partielle de l’embargo sur les<br />
armes imposé à la Libye (en place depuis février 2011) pour perm<strong>et</strong>tre aux armes de<br />
circuler du côté de Tobrouk. 60 Elle considère en eff<strong>et</strong> que l’approche égyptienne est<br />
déterminée par l’hostilité à l’islam politique, en particulier aux Frères musulmans,<br />
même s’ils ne constituent qu’une p<strong>et</strong>ite partie de la coalition soutenant le parlement<br />
basé à Tripoli. 61 Alger s’est également activement opposée à une nouvelle intervention<br />
militaire (même plus limitée) en Libye – promue par la France <strong>et</strong> certains de <strong>ses</strong><br />
alliés africains qui craignent que le sud de la Libye ne devienne une plaque tournante<br />
pour les groupes militants du Sahel. Elle rej<strong>et</strong>te l’idée des conséquences possibles<br />
qu’elle trouve naïve, tout comme l’était selon elle la première intervention de l’Otan. 62<br />
« C<strong>et</strong>te fois, nous voulons être écoutés », a affirmé un haut responsable :<br />
Si l’idée est de neutraliser [le leader d’al-Mokhtar Murabitoun] Belmokhtar <strong>et</strong> les<br />
terroristes, c’est bien. Mais ce qui nous inquiète c’est que les demandes d’intervention<br />
viennent de l’extérieur. Or elles doivent venir de l’intérieur. Ceux de<br />
Tobrouk disent qu’ils veulent une intervention, mais il n’y a pas de consensus en<br />
Libye. Il n’y a par conséquent pas d’alternative au dialogue. 63<br />
Le plus gros problème, du point de vue d’Alger, n’est pas l’idéologie des différents<br />
partis, mais l’absence d’un Etat efficace qui assure la sécurité interne <strong>et</strong> la coordination<br />
avec les pays <strong>voisins</strong>. Le responsable a poursuivi :<br />
le gouvernement de Tripoli, a écarté sa neutralité en tant que médiateur. Il était à craindre que ces<br />
frappes aériennes <strong>et</strong>, plus généralement, le soutien militaire des pays du Golfe devraient augmenteraient<br />
les risques de guerre civile <strong>et</strong>, à terme, éventuellement la partition de la Libye.<br />
59 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, New York, mars 2015. Plus généralement, les responsables algériens<br />
perçoivent les rôles des EAU <strong>et</strong> du Qatar dans le soulèvement de 2011 contre le régime de Kadhafi<br />
comme ayant été profondément perturbateurs.<br />
60 Un diplomate algérien de haut rang a affirmé : « Il serait complètement fou de lever l’embargo. Il<br />
est militairement impossible pour une partie de venir à bout de l’autre. Résoudre le problème par<br />
les armes conduira à un chaos total ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, New York, mars 2015.<br />
61 Le ministre délégué chargé des Affaires maghrébines <strong>et</strong> Affaires africaines Abdelkader Messahel a<br />
déclaré : « L’Egypte a un problème avec <strong>ses</strong> Frères musulmans, mais elle ne devrait pas proj<strong>et</strong>er<br />
cela sur la Libye. Les Frères musulmans de Libye n’occupent pas une grande place dans l’échiquier<br />
politique ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Alger, 22 décembre 2014. <strong>L’Algérie</strong> a refusé de suivre l’exemple<br />
de l’Egypte <strong>et</strong> de certains Etats du Golfe dans la répression des islamistes politiques <strong>et</strong> rej<strong>et</strong>é l’appel<br />
lancé en janvier 2014 par les membres de la Ligue arabe pour déclarer les Frères musulmans une<br />
organisation terroriste.<br />
62 L’appel lancé aux armées occidentales pour assurer un « service après-vente » en Libye, lancé à<br />
Dakar au Forum international pour la paix <strong>et</strong> la sécurité conduit par la France en décembre 2014, a<br />
trouvé un certain écho, mais a semblé perdre du terrain au moment où les négociations de l’ONU<br />
entre les parties libyennes ont décollé. Au mois de mars 2015, les autorités françai<strong>ses</strong> minimisaient<br />
la possibilité d’une action militaire, étant donné que le président Hollande s’était prononcé contre.<br />
Entr<strong>et</strong>iens de Crisis Group, responsables français, Paris, mars-avril 2015.<br />
63 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Abdelkader Messahel, ministre délégué chargé des Affaires maghrébines<br />
<strong>et</strong> africaines, Alger, 22 décembre 2014.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 17<br />
L’Etat y est quasiment inexistant, contrairement à la Tunisie ou à l’Egypte. Lorsque<br />
vous [à savoir l’Otan <strong>et</strong> les rebelles libyens] avez aboli le régime, vous avez<br />
aboli l’Etat ; c’était un effondrement de régime, pas un changement de régime. Et<br />
il n’y a pas eu d’efforts systématiques pour reconstruire l’Etat depuis la chute de<br />
Kadhafi. 64<br />
La détérioration de la situation en Libye, en dépit de l’accord provisoire de juill<strong>et</strong><br />
2015 sous l’égide de l’ONU pour la création d’un gouvernement d’entente nationale,<br />
<strong>et</strong> des problèmes croissants de sécurité, pourrait contraindre l’Algérie à changer de<br />
tactique. 65 En juin 2015, en réaction à des informations selon lesquelles des factions<br />
affiliées à l’Etat islamique à Syrte avaient pris le contrôle de l’aéroport local, l’Algérie<br />
a déclenché l’alerte au plus haut niveau sur sa frontière avec la Libye, aurait déployé<br />
encore plus de soldats pour la garder <strong>et</strong> donné des instructions de tirer pour tuer les<br />
intrus. 66<br />
B. Mali : médiation partisane ?<br />
<strong>L’Algérie</strong> se fait l’apôtre de la préservation de l’intégrité territoriale du Mali par le<br />
biais d’un règlement politique négocié du conflit, tout en luttant contre l’insécurité<br />
sur sa frontière sud liée à la marée montante jihadiste. Elle cherche également à<br />
s’affirmer comme un intermédiaire sahélien essentiel du pouvoir, parfois en concurrence<br />
avec les Etats occidentaux actifs dans la région, comme la France <strong>et</strong> les Etats-<br />
Unis, ainsi qu’avec le Maroc qui a maintenu <strong>ses</strong> propres liens avec des acteurs maliens.<br />
<strong>L’Algérie</strong> a été le médiateur en chef du Dialogue intermalien, organisé à Alger<br />
depuis juill<strong>et</strong> 2014, qui a été axé sur le territoire contesté du nord <strong>et</strong> la décentralisation<br />
des institutions de Bamako. 67 Visant à préserver l’intégrité territoriale du Mali,<br />
Alger a cherché à freiner non seulement les ambitions séparatistes de certains dans<br />
le nord, mais aussi un important mouvement vers le fédéralisme. Elle vise plus généralement<br />
à aider à reconstruire l’Etat, à reconstituer son armée <strong>et</strong> à résoudre le problème<br />
de la sécurité dans le nord. 68<br />
La Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), représentant les principaux<br />
groupes rebelles du nord du Mali, a promis à <strong>ses</strong> partisans qu’elle n’acceptera<br />
rien de moins que l’autonomie, tandis que le gouvernement s’est engagé à ne faire<br />
64 Ibid.<br />
65 Voir la déclaration de Crisis Group, « The Libyan Political Dialogue: An Incompl<strong>et</strong>e Consensus »,<br />
16 juill<strong>et</strong> 2015. Pour l’instant, il n’y a eu aucun signe de changement important, ou d’une discussion<br />
concernant un « plan B ». A la Ligue arabe autant qu’en public, Alger a énergiquement maintenu sa<br />
ligne anti-interventionniste <strong>et</strong> pro-négociations sur la Libye. Si, toutefois, il devait faire face à une<br />
menace plus sérieuse dans son voisinage immédiat, il pourrait décider de recentrer <strong>ses</strong> efforts pour<br />
composer avec quiconque est près de la frontière, au détriment d’une vision plus élargie, renonçant<br />
ainsi, ou du moins en m<strong>et</strong>tant de côté, son rôle régional.<br />
66 Voir « Algeria rai<strong>ses</strong> alert level along border with Libya », Middle East Monitor, 4 juin 2015.<br />
67 Après le cessez-le-feu de mai 2014, l’Algérie a remplacé la Communauté économique des Etats de<br />
l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) <strong>et</strong> la Mission de stabilisation multidimensionnelle intégrée des Nations<br />
unies au Mali (MINUSMA) comme médiateur de file <strong>et</strong> a commencé à accueillir le Dialogue<br />
intermalien entre deux coalitions de groupes armés de caractère déstructuré. Briefing Afrique de<br />
Crisis Group N°104, Mali : dernière chance à Alger, 18 novembre 2014.<br />
68 Le ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra a affirmé : « Nous voyons trois priorités :<br />
la question du Nord sous tous <strong>ses</strong> aspects, notamment son utilisation comme base arrière des groupes<br />
radicaux, ainsi que le trafic de drogue <strong>et</strong> la traite d’êtres humains ; la sécurité <strong>et</strong> l’intégration des<br />
militants dans les structures de l’Etat <strong>et</strong> les négociations ; <strong>et</strong> la question de la gouvernance, des élections<br />
<strong>et</strong> de la restructuration de l’Etat ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Alger, 21 décembre 2014.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 18<br />
aucun compromis sur l’intégrité territoriale. Les médiateurs algériens privilégient la<br />
décentralisation par rapport à l’autonomie, de manière à laisser plus de pouvoir au<br />
gouvernement central. Ils soutiennent par exemple l’idée de rendre les institutions<br />
de Bamako plus inclusives <strong>et</strong> représentatives des populations du nord, mais s’opposent<br />
à l’idée d’accorder à leurs institutions locales une plus grande autonomie. 69 L’accord<br />
négocié à Alger, signé à Bamako le 15 mai 2015 – alors que certains groupes du Nord,<br />
dont la CMA, le boycottaient à l’époque – reflète c<strong>et</strong>te perspective, ce qui montre la<br />
partialité d’Alger à l’égard d’une entente qu’elle considère comme la plus à même de<br />
préserver l’intégrité territoriale du Mali <strong>et</strong> donc <strong>ses</strong> propres intérêts. 70<br />
Les pressions inten<strong>ses</strong> exercées sur la coalition rebelle pour accepter l’accord ont<br />
été perçues par certains dirigeants rebelles comme pilotées par le DRS contre le jugement<br />
Lamamra. 71 Vrai ou pas, cela reflète le doute perpétuel des interlocuteurs<br />
concernant celui qui tire vraiment les ficelles à Alger : les responsables civils ou<br />
l’armée. Les médiateurs algériens affirment avoir perdu patience avec les luttes intestines<br />
de la CMA <strong>et</strong> ont redoublé d’efforts pour que l’accord soit conclu afin<br />
d’éviter de perdre l’élan acquis. 72 Les tensions liées au refus de certains groupes de<br />
signer a provoqué une nouvelle spirale de violence dans la région de Menaka au nord<br />
en avril 2015, ce qui laisse à penser que la pression pourrait s’avérer avoir été contreproductive,<br />
comme l’avait fait valoir Crisis Group. 73 Les représentants de la CMA ont<br />
cédé à la pression internationale <strong>et</strong> ont signé l’accord lors d’une cérémonie qui s’est<br />
déroulée à Bamako le 20 juin, <strong>et</strong> ce malgré l’opposition continue des rebelles du Nord<br />
<strong>et</strong> des réfugiés. 74<br />
Avec le Dialogue intermalien, c’est la quatrième fois en trois décennies que<br />
l’Algérie a été le principal médiateur dans des cri<strong>ses</strong> entre le gouvernement malien <strong>et</strong><br />
les mouvements séparatistes arabo-touareg. 75 Alger n’a cessé d’appuyer l’intégrité<br />
territoriale du Mali, s’est opposée au séparatisme touareg dans les pays <strong>voisins</strong> <strong>et</strong> a<br />
tenté de gérer le caractère multinational de l’identité touareg ; 76 comme l’a souligné<br />
69 Pour reprendre les paroles du ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra, “il y a deux<br />
séries de questions que nous devons aborder : le territoire <strong>et</strong> les institutions à Bamako. Par exemple,<br />
un sénat (pas nécessairement élu) comme celui que nous avons en Algérie, avec un tiers des sénateurs<br />
qui ne sont pas tenus d’être des politiciens nommés par le président. Le nombre de députés<br />
du nord devrait augmenter à Bamako ; l’exécutif doit donner plus d’espace aux habitants du Nord,<br />
car ce sont eux qui mènent les rébellions. Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Alger, 21 décembre 2014.<br />
70 Pour des commentaires sur l’accord proposé <strong>et</strong> la poussée de violence au nord du Mali, voir le<br />
rapport Afrique Crisis Group N°226, Mali : la paix à marche forcée ?, 22 mai 2015. Crisis Group a<br />
recommandé que les négociateurs, dont l’Algérie, relancent une phase complémentaire de négociations<br />
pour renforcer l’accord par des clau<strong>ses</strong> supplémentaires sur la résolution des conflits locaux<br />
au nord du Mali par le dialogue politique.<br />
71 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, chef rebelle malien, Alger, février 2015.<br />
72 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, médiateur algérien, Alger, mai 2015.<br />
73 Voir le rapport de Crisis Group, Mali : la paix à marche forcée ?, op. cit.<br />
74 Des protestations contre c<strong>et</strong>te signature ont eu lieu à Kidal, dans le nord du Mali, <strong>et</strong> dans les<br />
camps de réfugiés de Mbera, à l’est de la Mauritanie. Ils comprenaient des membres du MNLA, <strong>et</strong><br />
de la société civile touareg y ont participé. Voir la déclaration du « Comité de crise <strong>et</strong> de sauvegarde<br />
des idéaux du MNLA », 20 juin 2015, tamazgha.fr.<br />
75 <strong>L’Algérie</strong> a joué un rôle central dans les accords de Tamanrass<strong>et</strong> de janvier 1991, le pacte national<br />
d’avril 1992 <strong>et</strong> l’accord d’Alger de juill<strong>et</strong> 2006.<br />
76 Si c<strong>et</strong>te position est conforme aux principes de l’UA <strong>et</strong> de l’ONU relatifs à l’intégrité territoriale <strong>et</strong><br />
à l’inviolabilité des frontières postcoloniales, elle est souvent interprétée comme fondée sur les intérêts<br />
<strong>et</strong> liée à la crainte de l’Algérie qu’un Etat touareg indépendant ou autonome sème l’agitation<br />
dans sa propre région du Sud.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 19<br />
un responsable, « [la ville algérienne méridionale de] Tamanrass<strong>et</strong> est une capitale<br />
touareg ». 77 C<strong>et</strong>te position contraste avec celle de la Libye de Kadhafi, qui a armé <strong>et</strong><br />
entraîné les combattants touareg pour sa « légion islamique », les a utilisés dans les<br />
forces de sécurité de son régime <strong>et</strong> a soutenu un Etat indépendant comme solution<br />
au « problème touareg » du Sahara. 78 Avec la disparition de Kadhafi, le seul voisin<br />
restant de l’Algérie ayant une certaine influence sur le Mali est le Maroc, mais du<br />
point de vue d’Alger, il a surtout joué un rôle de trublion, manipulant les mouvements<br />
touaregs pour créer des problèmes à l’Algérie. 79<br />
Suite au renversement de Kadhafi, l’Algérie était dans la course pour l’hégémonie<br />
sous-régionale au Sahel, fondée sur un certain nombre de facteurs : les communautés<br />
du nord du Mali <strong>et</strong> du Niger dépendent de la contrebande algérienne pour leur<br />
survie, en particulier des produits de base subventionnés <strong>et</strong> de l’essence ; 80 plusieurs<br />
communautés arabes <strong>et</strong> touareg du Sahara traversent la frontière entre l’Algérie <strong>et</strong> le<br />
Mali ; <strong>et</strong> la redoutable armée algérienne <strong>et</strong> <strong>ses</strong> services de renseignement, déployée<br />
le long des frontières avec six Etats sahariens (ainsi que des parties du Sahara occidental<br />
qui ne sont pas sous le contrôle de l’armée marocaine), lui donnent une prééminence<br />
<strong>et</strong> une pertinence inégalées.<br />
Au-delà de l’organisation de la médiation malienne, l’Algérie propose également<br />
un plan d’infrastructure à long terme pour le développement du Sahel, destiné à réduire<br />
la criminalité <strong>et</strong> la violence insurrectionnelle. La route transsaharienne est sa<br />
pierre angulaire <strong>et</strong> des discussions sont en cours pour un gazoduc qui acheminerait<br />
le gaz naturel du Niger vers l’Europe en passant par l’Algérie, fournissant aux pays<br />
du Sahel en cours de route l’énergie nécessaire au pompage de l’eau. 81 Ce plan ambitieux<br />
reste largement soumis aux capacités régionales <strong>et</strong> au soutien international.<br />
Bien que des fonds aient été engagés, l’insécurité est un obstacle à la construction au<br />
Mali <strong>et</strong> au Niger, où des tronçons cruciaux reliant des segments finalisés de l’autoroute<br />
de 4 500km, ainsi que 3 500km des ramifications prévues s’étendant jusqu’au Mali<br />
<strong>et</strong> à la Tunisie, ne sont toujours pas asphaltés. 82<br />
77 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Alger, décembre 2014.<br />
78 Voir Dida Badi, « Les relations des Touaregs aux Etats, Le cas de l’Algérie <strong>et</strong> de la Libye », Note<br />
de l’Institut Français des relations internationales (IFRI), 24 juin 2010.<br />
79 Par exemple, le roi Mohammed VI du Maroc a invité le secrétaire général du MNLA <strong>et</strong> fervent<br />
sécessionniste, Bilal Ag Cherif, pour une visite officielle en février 2o14, à la veille des débuts du<br />
Dialogue d’Alger ; sept mois plus tard, alors que les négociations à Alger touchaient à leur fin, le<br />
MNLA a tenu une conférence de presse à Rabat appelant à une « véritable conférence internationale<br />
», rem<strong>et</strong>tant ainsi en question l’impartialité des pourparlers d’Alger. Voir Ibrahima Coulibaly,<br />
« Bilal Ag Cherif, chef du MNLA reçu par le roi du Maroc : le Maroc s’implique dans la résolution de<br />
la crise malienne », maliweb.n<strong>et</strong>, 4 février 2014.<br />
80 Les produits alimentaires subventionnés <strong>et</strong> l’essence provenant d’Algérie en contrebande sont<br />
moins chers <strong>et</strong> plus facilement accessibles que les produits en provenance de Bamako dans les villes<br />
maliennes du nord comme Kidal <strong>et</strong> Gao, qui sont plus tournées vers le nord que vers le sud <strong>et</strong> plus<br />
proches culturellement <strong>et</strong> économiquement de villes en croissance rapide du sud algérien comme<br />
Tamanrass<strong>et</strong> qu’il ne le sont de Bamako ou de Niamey. Voir Judith Scheele, Smugglers and Saints<br />
of the Sahara: Regional Connectivity in the Twenti<strong>et</strong>h Century (Cambridge, 2012).<br />
81 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Groun, Ramtane Lamamra, ministre des Affaires étrangères, Alger, 21 décembre<br />
2014. L’idée de l’autoroute transsaharienne reliant les Etats sahéliens est promue par<br />
l’Algérie depuis les années 1970, dans le cadre d’un « système routier transafricain ». Il relie actuellement<br />
l’Algérie, le Niger <strong>et</strong> le Nigéria <strong>et</strong> il est prévu de l’étendre au Mali, à la Tunisie <strong>et</strong> au Tchad.<br />
82 En 2012, la Banque africaine de développement a octroyé 184 490 000 de dollars en subventions<br />
<strong>et</strong> prêts au Niger <strong>et</strong> au Tchad. Le Fonds d’investissement public algérien a financé sa propre section<br />
de 19,2 millions de dollars.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 20<br />
C. Tunisie : coopération <strong>et</strong> profondeur stratégique<br />
La révolution tunisienne comptait deux séries de défis. Elle avait tout d’abord offert<br />
au parti islamiste An-Nahda une occasion d’exercer le pouvoir exécutif dans un pays<br />
dont l’élite dirigeante partage depuis longtemps l’anti-islamisme de la classe dirigeante<br />
algérienne. Compte tenu de sa suspension du succès électoral des islamistes<br />
dans les années 1990, l’accueil par Alger d’un gouvernement de troïka formé par<br />
Nahda après les élections tunisiennes d’octobre 2011, était loin d’être garanti. Ensuite,<br />
le désordre postrévolutionnaire de l’état de la sécurité en Tunisie avait affaibli<br />
ce qui avait longtemps été une frontière orientale sûre, en l’exposant à des risques<br />
élevés venant non seulement de Tunisie même, mais aussi de Libye. <strong>L’Algérie</strong> perçoit<br />
la Tunisie comme un corridor stratégique – une extension de sa propre zone en direction<br />
de la Libye. 83 Vu sous c<strong>et</strong> angle, une Tunisie stable assure une profondeur stratégique<br />
contre une menace grandissante du jihad transnational utilisant la Libye<br />
comme base pour déstabiliser la région. 84<br />
Quelles qu’aient été <strong>ses</strong> appréhensions à propos de l’ouverture aux islamistes,<br />
l’Algérie a joué en coulisse un important rôle dans la stabilisation de la transition<br />
politique post-Ben Ali, notamment par des interventions critiques pendant la crise<br />
entre les partis d’opposition <strong>et</strong> le gouvernement dirigé par An-Nahda en 2013, puis<br />
lors du dialogue national qui a suivi. Elle a également octroyé à la Tunisie 200 millions<br />
de dollars sous forme de prêts <strong>et</strong> dépôts en mai 2014 <strong>et</strong> encouragé une coopération<br />
solide en matière de lutte antiterroriste <strong>et</strong> de sécurité transfrontalière. Les attaques<br />
contre les soldats tunisiens <strong>et</strong> algériens dans la région du mont Chaambi ont cimenté<br />
la nécessité d’une approche coordonnée pour la sécurité des frontières. 85 <strong>L’Algérie</strong><br />
voit le manque d’expérience de la Tunisie dans la lutte contre la menace jihadiste <strong>et</strong><br />
la protection de la frontière commune de 965km comme une opportunité pour renforcer<br />
la coopération <strong>et</strong> approfondir sa politique de voisinage. 86 En février 2015, le<br />
président Béji Caïd Essebsi a effectué sa première visite officielle à l’étranger en<br />
Algérie afin de « renforcer la coopération » entre les deux pays.<br />
Le fait de voir arriver les islamistes au pouvoir lors des premières élections libres<br />
en Tunisie en octobre 2011 a rappelé des souvenirs douloureux à l’Algérie, où, selon<br />
un responsable de la sécurité, « les islamistes ont juré d’utiliser la démocratie pour<br />
83 « La sécurité de la Tunisie, c’est notre sécurité, nous n’avons pas d’autre choix que de soutenir la<br />
stabilité là-bas », a déclaré un diplomate algérien de haut rang. Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, New<br />
York, mars 2015.<br />
84 Un ancien haut responsable de la sécurité tunisienne a commenté : « Les Algériens veulent que<br />
les factions fassent la paix en Libye. Mais combien de temps peuvent-ils attendre ? L’argent <strong>et</strong> les<br />
armes passent les frontières. Il y a un axe jihadiste qui progresse vers l’ouest [à partir de la Libye].<br />
Finalement, nous dépendons d’une solution éventuelle en Libye, tout comme les Algériens. Le terrorisme<br />
à la frontière Tunisie-Algérie vit des liens avec la Libye. La Tunisie n’est pas la cible, c’est<br />
juste un point de passage indispensable vers l’Algérie ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Tunis, mars 2015.<br />
85 Voir le rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°148, La Tunisie des frontières : jihad <strong>et</strong> contrebande,<br />
28 novembre 2013 ; <strong>et</strong> le briefing Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord de Crisis Group N°41,<br />
La Tunisie des frontières (II) : terrorisme <strong>et</strong> polarisation régionale, 21 octobre 2014. Certains articles<br />
de la presse algérienne ont laissé entendre que l’armée algérienne entre directement dans le<br />
territoire tunisien, une information rej<strong>et</strong>ée par les responsables dans les deux pays. Voir « Les<br />
failles de la sécurité tunisienne », El Watan, 20 mars 2015.<br />
86 Un accord bilatéral établi la communication entre les deux armées <strong>et</strong> un comité de coordination<br />
afin d’améliorer la mise en commun des informations relatives aux activités de lutte contre le terrorisme.<br />
Voir Geoff D. Porter, « Algeria Moves Toward Regional Security Cooperation, Within Limits<br />
», World Politics Review, 12 septembre 2013.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 21<br />
détruire la démocratie ». 87 Les responsables de la sécurité se sont montrés nerveux à<br />
propos de l’ascension politique des islamistes, voyant An-Nahda comme un écran de<br />
fumée pour les groupes extrémistes comme Ansar al-Sharia (un refrain régulier sur<br />
les adversaires du parti en Tunisie, du moins jusqu’à ce qu’un gouvernement dirigé<br />
par Nahda interdise le groupe). 88 Ils rappellent que le dirigeant d’An-Nahda, Rached<br />
Ghannouchi, avait exprimé son soutien au FIS dans les années 1990 <strong>et</strong> s’était opposé<br />
à la décision des Frères musulmans algériens dans l’initiative de consensus national<br />
en 1994 pour travailler au sein du système algérien. 89 Au-delà des questions de sécurité,<br />
il y avait la question de l’optique : la transition rapide <strong>et</strong> extrêmement pacifique<br />
d’un régime dictatorial à des élections libres <strong>et</strong> régulières dans la Tunisie voisine a<br />
souligné l’échec de l’Algérie à m<strong>et</strong>tre en œuvre des réformes démocratiques de fond. 90<br />
Pourtant, l’Algérie a défié les attentes qu’elle chercherait à torpiller l’influence<br />
politique islamiste en Tunisie, en partie parce que Nahda n’a pas suivi une ligne<br />
islamiste extrémiste <strong>et</strong> s’est montré plus sévère à l’égard des groupes radicaux tel<br />
qu’Ansar al-Sharia. Bouteflika a reçu Ghannouchi <strong>et</strong> Essebsi (un laïc convaincu,<br />
alors à la tête du parti Nida Tounes <strong>et</strong> aujourd’hui également président de la Tunisie)<br />
à un moment critique de la transition, des réunions considérées essentielles pour<br />
la réussite du Dialogue national en 2013-2014. 91 Aujourd’hui, Ghannouchi est un<br />
« ami » de Bouteflika <strong>et</strong> il soutient Abdelaziz Mokri, le leader du MSP. Comme le<br />
propre parti algérien inspiré des Frères musulmans orientée, il est idéologiquement<br />
analogue à An-Nahda, mais contrairement à son homologue tunisien, il s’est opposé<br />
au recours aux armes du FIS dans les années 1990. Aujourd’hui, dit-il, An-Nahda a<br />
changé :<br />
Il y a une cohérence totale entre la politique d’An-Nahda <strong>et</strong> celle de l’Algérie, <strong>et</strong><br />
nous appuyons cela. La Tunisie représente l’exception du Printemps arabe. An-<br />
Nahda bénéficie du soutien de la majorité [en Tunisie], mais a pourtant décidé de<br />
se r<strong>et</strong>irer du gouvernement de son plein gré. Cela n’est jamais arrivé dans le<br />
monde arabe. C’était un acte de sagesse. 92<br />
L’expérience tunisienne de la cohabitation constitue également une aubaine potentielle<br />
pour le MSP, étant donné que la volonté d’An-Nahda de partager le pouvoir<br />
avec l’élite politique laïc représente une évolution du modèle mis en place par le<br />
MSP, qui participe aux coalitions gouvernementales depuis deux décennies. Les<br />
87 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Alger, octobre 2014. Il s’agit d’une référence au porte-parole du FIS<br />
Ali Belhadj, qui avait demandé, en 1992, « Si nous avons la loi de Dieu, pourquoi nous faudrait-il la<br />
loi du peuple ? »<br />
88 Ibid. Le gouvernement dirigé par An-Nahda –du Premier ministre Ali Larayedh – a déclaré Ansar<br />
al-Sharia « organisation terroriste » en août 2013, même si beaucoup de <strong>ses</strong> adversaires continuent<br />
à accuser le parti de complaisance à l’égard de la frange radicale du mouvement islamiste en<br />
2011-2012.<br />
89 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Sidahmed Boulil, ancien ministre <strong>et</strong> responsable des relations extérieures<br />
du MSP, Alger, septembre 2014.<br />
90 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, grand homme politique tunisien laïc, Tunis, avril 2015.<br />
91 Des rencontres bilatérales consécutives distinctes entre Bouteflika <strong>et</strong> le dirigeant (laïc) du Nida<br />
Tounes Béji Caïd Essebsi (président de la Tunisie depuis décembre 2014) <strong>et</strong> le dirigeant (islamiste)<br />
d’An-Nahda Rached Ghannouchi se sont déroulées à Alger les 10 <strong>et</strong> 11 septembre 2013. Elles auraient<br />
constitué un tournant décisif dans le Dialogue national tunisien. Entr<strong>et</strong>iens de Crisis Group,<br />
hommes politiques tunisiens <strong>et</strong> diplomates occidentaux en poste à Tunis, novembre 2013-janvier<br />
2014.<br />
92 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Abderrazak Mokri, président du MSP, Alger, décembre 2014.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 22<br />
responsables du MSP soutiennent que ce qui a été présenté comme un « modèle de<br />
consensus » du Printemps arabe unique à la Tunisie est en fait façonné d’après l’expérience<br />
algérienne de formation d’une coalition de divers partis lors du Consensus<br />
national de 1994. 93 (Cependant, contrairement à la récente expérience tunisienne,<br />
l’Algérie ne tolère certains partis islamistes qu’en tant que subordonnés au sein d’un<br />
système politique qui concentre le pouvoir entre les mains de l’armée <strong>et</strong> de la présidence.)<br />
Si le MSP a pleinement soutenu la politique tunisienne de l’Algérie, il est au<br />
premier plan de l’opposition pour réclamer une « transition démocratique gérée »<br />
à domicile. 94<br />
La principale raison pour laquelle l’Algérie soutient des gouvernements de consensus<br />
depuis le milieu de l’année 2013 (après une période au cours de laquelle de<br />
nombreux observateurs politiques tunisiens ont cru qu’ils ne toléreraient pas la<br />
domination d’An-Nahda) est qu’elle considère qu’An-Nahda soutient <strong>ses</strong> efforts en<br />
communiquant avec les islamistes libyens, <strong>et</strong> en devenant des intermédiaires. 95 Il est<br />
difficile de dire si elle le fait en raison de la pression algérienne ou en calculant être<br />
mieux servie par une solution politique en Libye parce que sa partie sud est fortement<br />
exposée à un conflit qui s’intensifie de l’autre côté de la frontière. 96 Indépendamment<br />
de cela, Alger a vraiment son mot à dire dans l’avenir de l’équilibre encore<br />
précaire en Tunisie. Cela rend certains Tunisiens nerveux ; ils s’inquiètent non seulement<br />
de l’ingérence de leur voisin, mais aussi de la dépendance excessive dont la<br />
stabilité de leur pays dépend à un moment où l’Algérie pourrait être confrontée à sa<br />
propre instabilité croissante.<br />
93 Ghannouchi aussi bien que le dirigeant vétéran d’An-Nahda Abdelfattah Morou se sont rendus<br />
dans les bureaux du MSP pour une consultation informelle sur la façon de promouvoir les valeurs<br />
conservatrices tout en travaillant au sein des coalitions au pouvoir. Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Sidahmed<br />
Boulil, ancien ministre <strong>et</strong> responsable des relations extérieures du MSP, Alger, septembre<br />
2014.<br />
94 Le MSP a quitté la coalition de Bouteflika au pouvoir à la veille de l’élection présidentielle d’avril<br />
2014, <strong>et</strong> lance depuis régulièrement des appels pour une transition démocratique sous la forme<br />
d’une coalition des partis de l’opposition, la Coordination nationale pour les libertés <strong>et</strong> une transition<br />
démocratique (CNLTD).<br />
95 « Ghannouchi a un rôle essentiel à jouer dans l’approche régionale de l’Algérie. L’approche égyptienne<br />
[en Libye] ne fonctionne pas, l’opération Dignité de Haftar ne fonctionne pas. … Les Egyptiens<br />
veulent éliminer les islamistes, mais c’est impossible ». Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, haut responsable<br />
algérien, décembre 2015.<br />
96 Certains Tunisiens prétendent que Nida Tounes est divisé sur la Libye, le ministre des Affaires<br />
étrangères Taieb Baccouche représentant une faction plus pro-Tobrouk, la faction soutenue par les<br />
Emirats, tandis qu’Essebsi serait plus proche de l’Algérie <strong>et</strong> favoriserait la neutralité. C<strong>et</strong>te division<br />
se reflète dans An-Nahda, dont certains dirigeants appuient Tripoli <strong>et</strong> dont d’autres, en partie à<br />
cause de l’Algérie, favorisent une position neutre. Entr<strong>et</strong>iens de Crisis Group, hommes politiques<br />
tunisiens <strong>et</strong> hauts responsables de la sécurité, Tunis, novembre 2014-mars 2015.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 23<br />
V. Conclusion<br />
L’instabilité de son voisinage <strong>et</strong> les nouvelles menaces transfrontalières font apparaître<br />
pour l’Algérie la nécessité d’adapter sa politique étrangère, notamment la militarisation<br />
des frontières qu’elle n’avait ni prévue, ni souhaitée. L’éclatement du conflit<br />
de 2012 au Mali a été particulièrement sans précédent, impliquant pour la première<br />
fois non seulement les Arabes <strong>et</strong> les Touaregs qui combattaient le gouvernement<br />
central, mais aussi les insurgés jihadistes <strong>et</strong> les trafiquants. 97 Conjugués à l’insuffisance<br />
des capacités de contrôle des frontières <strong>et</strong> aux vides sécuritaires dans le sud de<br />
la Libye <strong>et</strong> dans la région tunisienne du mont Chaambi, trois nouveaux fronts d’insurrection<br />
jihadiste se sont ouverts aux frontières de l’Algérie, instaurant ainsi une<br />
nouvelle donne stratégique.<br />
Les risques sont importants alors que le pays s’adapte à c<strong>et</strong>te nouvelle réalité<br />
stratégique. L’augmentation des dépen<strong>ses</strong>, en particulier pour les déploiements de<br />
troupes dans les zones frontalières, est coûteuse <strong>et</strong> pourrait peser sur le budg<strong>et</strong> national<br />
à un moment où la capacité militaire est mise à niveau de façon plus générale.<br />
Les dépen<strong>ses</strong> militaires ont été doublées entre 2004 <strong>et</strong> 2013, faisant de l’Algérie le<br />
premier pays africain avec un budg<strong>et</strong> militaire dépassant les 10 milliards de dollars,<br />
soit 5 pour cent de son PIB. 98 Les déploiements de l’armée <strong>et</strong> des forces aériennes<br />
pour protéger sa longue frontière contre un ennemi en grande partie invisible se<br />
heurtent à la possibilité d’une longue guerre d’usure. 99 Le coût de la poursuite de ces<br />
efforts augmente, <strong>et</strong> les finances publiques subissent la pression exercée par la chute<br />
des prix du pétrole <strong>et</strong> ces dépen<strong>ses</strong> doivent rivaliser avec les revendications sociales<br />
à un moment d’incertitude politique. D’amples réserves en devi<strong>ses</strong> peuvent donner<br />
un répit de quelques années, mais des choix difficiles se présenteront rapidement,<br />
surtout si les prix du pétrole continuent à planer à leur niveau actuel. Des décisions<br />
devront peut-être effectivement être pri<strong>ses</strong> quand le pays accède à sa première transition<br />
de pouvoir en plus de seize ans.<br />
Néanmoins, il y aurait beaucoup à gagner en jouant un rôle stabilisateur prépondérant<br />
dans les conflits régionaux. Le recentrage sur son sud perm<strong>et</strong> à l’Algérie<br />
de r<strong>et</strong>rouver une place névralgique dans la diplomatie africaine : acteur de second<br />
rang au Moyen-Orient <strong>et</strong> en Méditerranée, elle peut en eff<strong>et</strong> avoir une réelle emprise<br />
en Afrique, en particulier avec la fin de l’ère Kadhafi. Son influence au Sahel – de plus<br />
en plus considéré par la communauté internationale comme un no-man’s land non<br />
gouverné <strong>et</strong> un refuge pour les jihadistes – l’aide à asseoir son statut d’interlocuteur<br />
régional indispensable de l’UE <strong>et</strong> des Etats-Unis <strong>et</strong> à régler <strong>ses</strong> griefs de longue date,<br />
comme le fait par exemple que les acteurs extérieurs ne prennent pas suffisamment<br />
en compte <strong>ses</strong> intérêts dans la région. D’autres acteurs, dans la région <strong>et</strong> ailleurs, devraient<br />
reconnaître que la politique algérienne est mue par la crainte qu’une période<br />
prolongée d’instabilité régionale finisse par nuire à <strong>ses</strong> intérêts. Les Etats occidentaux,<br />
en particulier les membres de l’Otan, devraient être particulièrement attentifs à<br />
97 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, Ramtane Lamamra, ministre des Affaires étrangères, Alger, décembre<br />
2014.<br />
98 « Military spending continues to fall in the West, but ri<strong>ses</strong> everywhere else, says SIPRI », Stockholm<br />
International Peace Research Institute, 14 avril 2014. « Military expenditure as a percentage<br />
of GDP, World Development Indicators », World Bank, 2010-2014.<br />
99 Entr<strong>et</strong>ien de Crisis Group, responsable de la lutte antiterroriste algérienne, Alger, octobre 2014.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 24<br />
ces préoccupations compte tenu de leur contribution involontaire à la déstabilisation<br />
de la région, notamment par leur intervention de 2011 en Libye.<br />
Pour pouvoir remplir le rôle d’intermédiaire de la stabilité régionale qu’elle s’est<br />
assignée, l’Algérie devra améliorer son engagement vis-à-vis d’éventuels partenaires,<br />
notamment le Maroc, <strong>et</strong> apaiser les craintes selon lesquelles elle chercherait l’hégémonie<br />
régionale au détriment des autres. 100 Elle devra aussi donner la priorité aux<br />
efforts déployés à long terme pour pacifier durablement les conflits où elle a une<br />
influence considérable, comme au Mali, au-lieu d’imposer des accords en faveur de<br />
résultats à court terme. En fin de compte, tout comme les Algériens disent qu’ils veulent<br />
être écoutés, il en est de même pour leurs partenaires potentiels : la crédibilité<br />
du nouveau rôle de l’Algérie dépend non seulement de sa capacité de projection de<br />
puissance <strong>et</strong> de son influence, mais aussi de celle à fournir des offres qui répondent<br />
aux intérêts de <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong>.<br />
Alger/Bruxelles, 12 septembre 2015<br />
100 Un premier pas vers l’amélioration des relations algéro-marocaines consisterait pour les deux<br />
pays à cesser de se critiquer en public <strong>et</strong> à entreprendre des efforts pour des relations bilatérales<br />
plus structurées <strong>et</strong> constructives – quelles que soient les différences qui continuent à exister sur des<br />
questions comme le Sahara occidental – en s’engageant sur des questions d’intérêt commun : la sécurité<br />
frontalière, le contrôle de l’immigration, la lutte contre le terrorisme, le commerce <strong>et</strong><br />
l’investissement bilatéral, la sécurité énergétique, <strong>et</strong>c. Chercher à s’inclure mutuellement dans les<br />
initiatives régionales, même symboliquement, constituerait une amélioration. L’obstacle à l’amélioration<br />
des relations entre Alger <strong>et</strong> Rabat est dans une large mesure psychologique ; même un p<strong>et</strong>it<br />
dégel pourrait ouvrir la voie à des améliorations durables, comme la réouverture de leur frontière<br />
commune, fermée depuis 1994.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 25<br />
Annexe A: Carte de l’Algérie<br />
Avec l’aimable autorisation de l’Université du Texas à Austin
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 26<br />
Annexe B : A propos de l’International Crisis Group<br />
L’International Crisis Group est une organisation non gouvernementale indépendante à but non lucratif<br />
qui emploie près de 125 personnes présentes sur les cinq continents. Elles élaborent des analy<strong>ses</strong> de<br />
terrain <strong>et</strong> font du plaidoyer auprès des dirigeants dans un but de prévention <strong>et</strong> de résolution des conflits<br />
armés.<br />
La recherche de terrain est au cœur de l’approche de Crisis Group. Elle est menée par des équipes<br />
d’analystes situées dans des pays à risque ou à proximité de ceux-ci. À partir des informations recueillies<br />
<strong>et</strong> des évaluations de la situation sur place, Crisis Group rédige des rapports analytiques rigoureux qui<br />
s’accompagnent de recommandations pratiques destinées aux dirigeants politiques internationaux. Crisis<br />
Group publie également CrisisWatch, un bull<strong>et</strong>in mensuel de douze pages offrant régulièrement une<br />
brève mise à jour de la situation dans la plupart des pays en conflit (en cours ou potentiel).<br />
Les rapports <strong>et</strong> briefings de Crisis Group sont diffusés à une large audience par courrier électronique.<br />
Ils sont également accessibles au grand public via le site intern<strong>et</strong> de l’organisation : www.crisisgroup.org.<br />
Crisis Group travaille en étroite collaboration avec les gouvernements <strong>et</strong> ceux qui les influencent, notamment<br />
les médias, afin d’attirer leur attention <strong>et</strong> de promouvoir <strong>ses</strong> analy<strong>ses</strong> <strong>et</strong> recommandations politiques.<br />
Le Conseil d’administration de Crisis Group, qui compte d’éminentes personnalités du monde politique,<br />
diplomatique, des affaires <strong>et</strong> des médias, s’engage directement à promouvoir les rapports <strong>et</strong> les<br />
recommandations auprès des dirigeants politiques du monde entier. Le Conseil d’administration est présidé<br />
par Mark Malloch-Brown, ancien vice-secrétaire général des Nations unies <strong>et</strong> administrateur du Programme<br />
des Nations unies pour le développement (PNUD), <strong>et</strong> par Ghassan Salamé, doyen de l’Ecole<br />
des affaires internationales de Sciences Po Paris.<br />
Le président-directeur général de Crisis Group, Jean-Marie Guéhenno, a pris <strong>ses</strong> fonctions le 1 er septembre<br />
2014. Monsieur Guéhenno était le secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la<br />
paix des Nations unies de 2000 à 2008, <strong>et</strong> l’envoyé spécial adjoint des Nations unies <strong>et</strong> de la Ligue arabe<br />
en Syrie en 2012. Il a quitté ce poste pour présider la commission de rédaction du livre blanc français de<br />
la défense <strong>et</strong> de la sécurité nationale en 2013.<br />
Crisis Group a son siège à Bruxelles <strong>et</strong> dispose de bureaux ou de représentations dans 34 villes :<br />
Bagdad/Souleimaniye, Bangkok, Beyrouth, Bichkek, Bogotá, Dakar, Dubaï, Gaza, Islamabad, Istanbul,<br />
Jérusalem, Johannesburg, Kaboul, Le Caire, Londres, Mexico, Moscou, Nairobi, New York, Pékin, Séoul,<br />
Toronto, Tripoli, Tunis <strong>et</strong> Washington. Crisis Group couvre environ 70 pays <strong>et</strong> territoires touchés ou menacés<br />
par des cri<strong>ses</strong> sur quatre continents. En Afrique, il s’agit de : Burkina Faso, Burundi, Cameroun,<br />
Côte d’Ivoire, Erythrée, Ethiopie, Guinée, Guinée-Bissau, Kenya, Libéria, Madagascar, Nigéria, Ouganda,<br />
République centrafricaine, République démocratique du Congo, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Soudan<br />
du Sud, Tchad <strong>et</strong> Zimbabwe ; en Asie : Afghanistan, Cachemire, Corée du Nord, Détroit de Taïwan, Indonésie,<br />
Kazakhstan, Kirghizstan, Malaisie, Myanmar, Népal, Ouzbékistan, Pakistan, Philippines, Sri<br />
Lanka, Tadjikistan, Thaïlande, Timor-Leste <strong>et</strong> Turkménistan ; en Europe : Arménie, Azerbaïdjan, Bosnie-<br />
Herzégovine, Chypre, Géorgie, Kosovo, Macédoine, Russie (Caucase du Nord), Serbie <strong>et</strong> Turquie ; au<br />
Moyen-Orient <strong>et</strong> en Afrique du Nord : Algérie, Bahreïn, Egypte, Iran, Irak, Israël/Palestine, Jordanie, Liban,<br />
Libye, Maroc, Sahara occidental, Syrie, Tunisie <strong>et</strong> Yémen ; <strong>et</strong> en Amérique latine <strong>et</strong> aux Caraïbes :<br />
Colombie, Guatemala, Mexique <strong>et</strong> Venezuela.<br />
Crisis Group reçoit le soutien financier d’un grand nombre de gouvernements, de fondations institutionnelles<br />
<strong>et</strong> de donateurs privés. Actuellement, Crisis Group entr<strong>et</strong>ient des relations avec les agences <strong>et</strong><br />
départements gouvernementaux suivants: l’Agence américaine pour le développement international, le<br />
ministère australian des Affaires étrangères <strong>et</strong> du commerce, l’Agence autrichienne pour le développement,<br />
le ministère canadien des Affaires étrangères, du commerce <strong>et</strong> du développement, l’Instrument de<br />
stabilité de l’Union européenne, la Principauté du Liechtenstein, le Département fédéral des affaires<br />
étrangères de la Confédération suisse, le ministère danois des Affaires étrangères, le ministère finlandais<br />
des Affaires étrangères, le ministère français des Affaires étrangères, le ministère luxembourgeois des<br />
Affaires étrangères, le ministère néerlandais des Affaires étrangères, le ministère néo-zélandais des Affaires<br />
étrangères <strong>et</strong> du commerce, le ministère norvégien des Affaires étrangères, le ministère suédois<br />
des Affaires étrangères, <strong>et</strong> Irish Aid.<br />
Crisis Group entr<strong>et</strong>ient aussi des relations avec les fondations suivantes : la Carnegie Corporation de<br />
New York, la Fondation Adessium, la Fondation John D. <strong>et</strong> Catherine T. MacArthur, la Foundation Koerber,<br />
Global Dialogue, la Fondation de Henry Luce, la Fondation Tinker, la Fondation Robert Bosch, le<br />
Fonds Ploughshares, le Fonds Rockefeller Brothers, les Fondations Open Soci<strong>et</strong>y, <strong>et</strong> l’Initiative Open<br />
Soci<strong>et</strong>y pour l’Afrique de l’Ouest.<br />
Octobre 2015
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 27<br />
Annexe C : Rapports <strong>et</strong> briefings sur Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong><br />
Afrique du Norddepuis 2012<br />
Israël/Palestine<br />
Back to Basics: Israel’s Arab Minority and the<br />
Israeli-Palestinian Conflict, Rapport Moyen-<br />
Orient N°119, 14 mars 2012 (aussi disponible<br />
en arabe).<br />
The Emperor Has No Clothes: Palestinians and<br />
the End of the Peace Process, Rapport Moyen-Orient<br />
N°122, 7 mai 2012 (aussi disponible<br />
en arabe).<br />
Light at the End of their Tunnels? Hamas & the<br />
Arab Uprisings, Rapport Moyen-Orient N°129,<br />
14 août 2012 (aussi disponible en arabe).<br />
Israel and Hamas: Fire and Ceasefire in a New<br />
Middle East, Rapport Moyen-Orient N°133, 22<br />
novembre 2012 (aussi disponible en arabe).<br />
Extreme Makeover? (I): Israel’s Politics of Land<br />
and Faith in East Jerusalem, Rapport Moyen-<br />
Orient N°134, 20 décembre 2012 (aussi disponible<br />
en arabe <strong>et</strong> hébreu).<br />
Extreme Makeover? (II): The Withering of Arab<br />
Jerusalem, Rapport Moyen-Orient N°135, 20<br />
décembre 2012 (aussi disponible en arabe <strong>et</strong><br />
hébreu).<br />
Buying Time? Money, Guns and Politics in the<br />
West Bank, Rapport Moyen-Orient N°142, 29<br />
mai 2013 (aussi disponible en arabe).<br />
Leap of Faith: Israel’s National Religious and the<br />
Israeli-Palestinian Conflict, Rapport Moyen-<br />
Orient N°147, 21 novembre 2013 (aussi disponible<br />
en arabe <strong>et</strong> hébreu).<br />
The Next Round in Gaza, Rapport Moyen-Orient<br />
N°149, 25 mars 2014 (aussi disponible en<br />
arabe).<br />
Gaza and Israel: New Obstacles, New Solutions,<br />
Briefing Moyen-Orient N°39, 14 juill<strong>et</strong> 2014.<br />
Bringing Back the Palestinian Refugee Question,<br />
Rapport Moyen-Orient N°156, 9 octobre<br />
2014 (aussi disponible en arabe).<br />
Toward a Lasting Ceasefire in Gaza, Briefing<br />
Moyen-Orient N°42, 23 octobre 2014 (aussi<br />
disponible en arabe).<br />
The Status of the Status Quo at Jerusalem’s<br />
Holy Esplanade, Rapport Moyen-Orient<br />
N°159, 30 juin 2015 (aussi disponible en<br />
arabe <strong>et</strong> hébreu).<br />
No Exit? Gaza & Israel B<strong>et</strong>ween Wars, Rapport<br />
Moyen-Orient N°162, 26 août 2015. (aussi<br />
disponible en arabe).<br />
Egypte/Syrie/Liban<br />
Lebanon’s Palestinian Dilemma: The Struggle<br />
Over Nahr al-Bared, Rapport Moyen-Orient<br />
N°117, 1 mars 2012 (aussi disponible en<br />
arabe).<br />
Now or Never: A Negotiated Transition for Syria,<br />
Briefing Moyen-Orient N°32, 5 March 2012<br />
(aussi disponible en arabe <strong>et</strong> en russe).<br />
Syria’s Phase of Radicalisation, Briefing Moyen-<br />
Orient N°33, 10 avril 2012 (aussi disponible en<br />
arabe).<br />
Lost in Transition: The World According to<br />
Egypt’s SCAF, Rapport Moyen-Orient/Afrique<br />
du Nord N°121, 24 avril 2012 (aussi disponible<br />
en arabe).<br />
Syria’s Mutating Conflict, Rapport Moyen-Orient<br />
N°128, 1 er août 2012 (aussi disponible en<br />
arabe).<br />
Tentative Jihad: Syria’s Fundamentalist Opposition,<br />
Rapport Moyen-Orient N°131, 12 octobre<br />
2012 (aussi disponible en arabe).<br />
A Precarious Balancing Act: Lebanon and the<br />
Syrian Conflict, Rapport Moyen-Orient N°132,<br />
22 novembre 2012 (aussi disponible en<br />
arabe).<br />
Syria’s Kurds: A Struggle Within a Struggle,<br />
Rapport Moyen-Orient N°136, 22 janvier 2013<br />
(aussi disponible en arabe <strong>et</strong> en kurde).<br />
Too Close For Comfort: Syrians in Lebanon,<br />
Rapport Moyen-Orient N°141, 13 mai 2013<br />
(aussi disponible en arabe).<br />
Syria’s M<strong>et</strong>astasising Conflicts, Rapport Moyen-<br />
Orient N°143, 27 juin 2013 (aussi disponible<br />
en arabe).<br />
Marching in Circles: Egypt's Dangerous Second<br />
Transition, Rapport Moyen-Orient/Afrique du<br />
Nord N°35, 7 août 2013 (aussi disponible en<br />
arabe).<br />
Anything But Politics: The State of Syria’s Political<br />
Opposition, Rapport Moyen-Orient N°146,<br />
17 octobre 2013 (aussi disponible en arabe).<br />
Flight of Icarus? The PYD’s Precarious Rise in<br />
Syria, Rapport Moyen-Orient N°151, 8 mai<br />
2014 (aussi disponible en arabe).<br />
Lebanon’s Hizbollah Turns Eastward to Syria,<br />
Rapport Moyen-Orient N°153, 27 mai 2014<br />
(aussi disponible en arabe).<br />
Rigged Cars and Barrel Bombs: Aleppo and the<br />
State of the Syrian War, Rapport Moyen-<br />
Orient N°155, 9 septembre 2014 (aussi disponible<br />
en arabe).<br />
Lebanon’s Self-Defeating Survival Strategies,<br />
Rapport Moyen-Orient N°160, 20 juill<strong>et</strong> 2015<br />
(aussi disponible en arabe).<br />
New Approach in Southern Syria, Rapport<br />
Moyen-Orient N°163, 2 septembre 2015.<br />
Afrique du Nord<br />
Tunisie : lutter contre l’impunité, restaurer la sécurité,<br />
Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord<br />
N°123, 9 mai 2012.<br />
Tunisie : relever les défis économiques <strong>et</strong> sociaux,<br />
Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord<br />
N°124, 6 juin 2012.
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 28<br />
Divided We Stand: Libya’s Enduring Conflicts,<br />
Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°130,<br />
14 septembre 2012 (aussi disponible en<br />
arabe).<br />
Tunisie: violences <strong>et</strong> défi salafiste, Rapport<br />
Moyen-Orient/Afrique du Nord N°137, 13 février<br />
2013 (aussi disponible en anglais <strong>et</strong> en<br />
arabe).<br />
Trial by Error: Justice in Post-Qadhafi Libya,<br />
Rapport Moyen-Orient/Afrique du Nord N°140,<br />
17 avril 2013 (aussi disponible en arabe).<br />
La Tunisie des frontières : jihad <strong>et</strong> contrebande,<br />
Moyen-Orient/Afrique du Nord N°148, 28 novembre<br />
2013 (aussi disponible en anglais <strong>et</strong><br />
en arabe).<br />
L’exception tunisienne : succès <strong>et</strong> limites du<br />
consensus, Briefing Moyen-Orient/Afrique du<br />
Nord N°37, 5 juin 2014 (aussi disponible en<br />
arabe).<br />
La Tunisie des frontières (II) : terrorisme <strong>et</strong> polarisation<br />
régionale, Briefing Moyen-Orient <strong>et</strong><br />
Afrique du Nord N°41, 21 octobre 2014 (aussi<br />
disponible en anglais <strong>et</strong> en arabe).<br />
Elections en Tunisie : vieilles blessures, nouvelles<br />
craintes, Briefing Moyen-Orient <strong>et</strong><br />
Afrique du Nord N°44, 19 décembre 2014.<br />
Libya: G<strong>et</strong>ting Geneva Right, Rapport Moyen-<br />
Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°157, 26 fevrier<br />
2015. (aussi disponible en arabe).<br />
Réforme <strong>et</strong> stratégie sécuritaire en Tunisie,<br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord<br />
N°161, 23 juill<strong>et</strong> 2015.<br />
Irak/Iran/Golfe<br />
In Heavy Waters: Iran’s Nuclear Program, the<br />
Risk of War and Lessons from Turkey, Rapport<br />
Moyen-Orient N°116, 23 février 2012<br />
(aussi disponible en arabe <strong>et</strong> en turc).<br />
Popular Protest in North Africa and the Middle<br />
East (IX): Dallying with Reform in a Divided<br />
Jordan, Rapport Moyen-Orient N°118, 12<br />
mars 2012 (aussi disponible en arabe).<br />
Iraq and the Kurds: The High-Stakes Hydrocarbons<br />
Gambit, Rapport Moyen-Orient<br />
N°120, 19 avril 2012 (aussi disponible en<br />
arabe <strong>et</strong> en kurde).<br />
The P5+1, Iran and the Perils of Nuclear Brinkmanship,<br />
Briefing Moyen-Orient N°34, 15 juin<br />
2012.<br />
Yemen: Enduring Conflicts, Threatened Transition,<br />
Rapport Moyen-Orient N°125, 3 juill<strong>et</strong><br />
2012 (aussi disponible en arabe).<br />
Déjà Vu All Over Again: Iraq’s Escalating Political<br />
Crisis, Rapport Moyen-Orient N°126, 30<br />
juill<strong>et</strong> 2012 (aussi disponible en arabe).<br />
Iraq’s Secular Opposition: The Rise and Decline<br />
of Al-Iraqiya, Rapport Moyen-Orient N°127, 31<br />
juill<strong>et</strong> 2012 (aussi disponible en arabe).<br />
Spider Web: The Making and Unmaking of Iran<br />
Sanctions, Rapport Moyen-Orient N°138, 25<br />
février 2013 (aussi disponible en farsi).<br />
Yemen’s Military-Security Reform: Seeds of<br />
New Conflict?, Rapport Moyen-Orient N°139,<br />
4 avril 2013 (aussi disponible en arabe).<br />
Great Expectations: Iran’s New President and<br />
the Nuclear Talks, Briefing Moyen-Orient<br />
N°36, 13 août 2013 (aussi disponible en farsi).<br />
Make or Break: Iraq’s Sunnis and the State,<br />
Rapport Moyen-Orient N°144, 14 août 2013<br />
(aussi disponible en arabe).<br />
Yemen’s Southern Question: Avoiding a Breakdown,<br />
Rapport Moyen-Orient N°145, 25 septembre<br />
2013 (aussi disponible en arabe).<br />
Iraq: Falluja’s Faustian Bargain, Rapport Moyen-<br />
Orient N°150, 28 avril 2014 (aussi disponible<br />
en arabe).<br />
Iran and the P5+1: Solving the Nuclear Rubik’s<br />
Cube, Rapport Moyen-Orient N°152, 9 mai<br />
2014 (aussi disponible en farsi).<br />
The Huthis: From Saada to Sanaa, Rapport<br />
Moyen-Orient N°154, 10 juin 2014 (aussi disponible<br />
en arabe).<br />
Iraq’s Jihadi Jack-in-the-Box, Briefing Moyen-<br />
Orient N°38, 20 juin 2014.<br />
Iran and the P5+1: G<strong>et</strong>ting to “Yes”, Briefing<br />
Moyen-Orient N°40, 27 août 2014 (aussi disponible<br />
en farsi).<br />
Iran Nuclear Talks: The Fog Recedes, Briefing<br />
Moyen-Orient N°43, 10 décembre 2014 (aussi<br />
disponible en farsi).<br />
Yemen at War, Briefing Moyen-Orient N°45, 27<br />
mars 2015 (aussi disponible en arabe).<br />
Arming Iraq’s Kurds: Fighting IS, Inviting Conflict,<br />
Rapport Moyen-Orient N°158, 12 mai<br />
2015 (aussi disponible en arabe).
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 29<br />
Annexe D : Conseil d’administration de l’International Crisis Group<br />
PRESIDENT-DIRECTEUR<br />
GENERAL<br />
Jean-Marie Guéhenno<br />
Professeur « Arnold Saltzman »<br />
d’études sur la paix <strong>et</strong> les conflits,<br />
Université de Columbia ; ancien soussecrétaire<br />
général du Département<br />
des opérations de maintien de la paix<br />
des Nations unies<br />
PRESIDENTS DU<br />
CONSEIL<br />
Lord (Mark) Malloch-Brown<br />
Ancien vice-secrétaire général des<br />
Nations unies <strong>et</strong> administrateur du<br />
Programme des Nations unies pour le<br />
développement (PNUD)<br />
Ghassan Salamé<br />
Directeur, Ecole des affaires internationales,<br />
Sciences Po Paris<br />
VICE-PRESIDENTE<br />
DU CONSEIL<br />
Ayo Obe<br />
Juriste, chroniqueuse <strong>et</strong> présentatrice<br />
de télévision, Nigéria<br />
AUTRES MEMBRES<br />
DU CONSEIL<br />
Morton Abramowitz<br />
Ancien secrétaire d’Etat adjoint <strong>et</strong><br />
ambassadeur des Etats-Unis en Turquie<br />
Fola Adeola<br />
Directeur général fondateur, Guaranty<br />
Trust Bank Plc; Fondateur <strong>et</strong> président,<br />
FATE Foundation<br />
Celso Amorim<br />
Ancien ministre brésilien des Relations<br />
extérieures; ancien ministre de la Défense<br />
Hushang Ansary<br />
Président, Parman Capital Group LLC<br />
Nahum Barnea<br />
Editorialiste en chef de Yedioth Ahronoth,<br />
Israël<br />
Samuel Berger<br />
Président, Albright Stonebridge Group<br />
LLC ; ancien conseiller à la sécurité<br />
nationale des Etats-Unis<br />
Carl Bildt<br />
Ancien ministre des Affaires étrangères<br />
de la Suède<br />
Emma Bonino<br />
Ancienne ministre italienne des Affaires<br />
étrangères <strong>et</strong> vice-présidente du<br />
Sénat ; ancienne commissaire européenne<br />
pour l’aide humanitaire<br />
Lakhdar Brahimi<br />
Membre, The Elders; Diplomate des<br />
Nations unies; ancien ministre algérien<br />
des Affaires étrangères<br />
Micheline Calmy-Rey<br />
Ancienne présidente <strong>et</strong> ministre<br />
des Affaires étrangères de la Confédération<br />
suisse<br />
Cheryl Carolus<br />
Ancienne haut-commissaire de<br />
l’Afrique du Sud auprès du Royaume-<br />
Uni <strong>et</strong> secrétaire générale du Congrès<br />
national africain (ANC)<br />
Maria Livanos Cattaui<br />
Ancienne secrétaire générale à la<br />
Chambre de commerce internationale<br />
Wesley Clark<br />
Ancien commandant suprême des<br />
forces alliées de l’Otan en Europe<br />
Sheila Coronel<br />
Professeur « Toni Stabile » de pratique<br />
de journalisme d’investigation<br />
<strong>et</strong> directrice du Centre Toni Stabile<br />
pour le journalisme d’investigation,<br />
Université de Columbia<br />
Mark Eyskens<br />
Ancien Premier ministre de Belgique<br />
Lykke Friis<br />
Ancienne ministre du Climat <strong>et</strong> de<br />
l’Energie <strong>et</strong> ministre à l’Egalité des<br />
sexes du Danemark ; ancienne rectrice<br />
à l’Université de Copenhague<br />
Frank Giustra<br />
Président-directeur général, Fiore<br />
Financial Corporation<br />
Alma Guillermopri<strong>et</strong>o<br />
Écrivain <strong>et</strong> journaliste, Mexique<br />
Mo Ibrahim<br />
Fondateur <strong>et</strong> président, Fondation Mo<br />
Ibrahim ; fondateur, Celtel International<br />
Wolfgang Ischinger<br />
Président, Forum de Munich sur les<br />
politiques de défense; ancien viceministre<br />
allemand des Affaires étrangères<br />
<strong>et</strong> ambassadeur de l’Allemagne<br />
en Grande-Br<strong>et</strong>agne <strong>et</strong> aux Etats-Unis<br />
Asma Jahangir<br />
Ancienne présidente de l'Association<br />
du Barreau de la Cour suprême du<br />
Pakistan ; ancien rapporteur spécial<br />
des Nations unies sur la liberté de<br />
religion ou de conviction<br />
Yoriko Kawaguchi<br />
Ancienne ministre japonaise des Affaires<br />
étrangères<br />
Wadah Khanfar<br />
Co-fondateur, Forum Al Sharq ; ancien<br />
directeur général du réseau Al Jazeera<br />
Wim Kok<br />
Ancien Premier ministre des Pays-Bas<br />
Ricardo Lagos<br />
Ancien président du Chili<br />
Joanne Leedom-Ackerman<br />
Ancienne secrétaire internationale de<br />
PEN International ; romancière <strong>et</strong> journaliste,<br />
Etats-Unis<br />
Sankie Mthembi-Mahanyele<br />
Directrice du Central Energy Fund,<br />
Ltd.; ancienne secrétaire générale<br />
adjointe du Congrès national africain<br />
(ANC)<br />
Lalit Mansingh<br />
Ancien ministre indien des Affaires<br />
étrangères, ambassadeur auprès des<br />
Etats-Unis <strong>et</strong> haut-commissaire au<br />
Royaume-Uni<br />
Thomas R Pickering<br />
Ancien sous-secrétaire d’Etat américain<br />
; ambassadeur des Etats-Unis aux<br />
Nations unies, en Russie, en Inde, en<br />
Israël, au Salvador, au Nigéria <strong>et</strong> en<br />
Jordanie<br />
Karim Raslan<br />
Fondateur, directeur exécutif <strong>et</strong> président-directeur<br />
général de KRA Group<br />
Olympia Snowe<br />
Ancienne sénatrice américaine <strong>et</strong><br />
membre de la Chambre des représentants<br />
George Soros<br />
Président, Open Soci<strong>et</strong>y Institute<br />
Javier Solana<br />
Ancien haut représentant de l’Union<br />
européenne pour la Politique étrangère<br />
<strong>et</strong> de sécurité commune, secrétaire<br />
général de l’Otan <strong>et</strong> ministre espagnol<br />
des Affaires étrangères<br />
Pär Stenbäck<br />
Ancien ministre finlandais des Affaires<br />
étrangères<br />
Jonas Gahr Støre<br />
Ancien ministre norvégien des Affaires<br />
étrangères<br />
Lawrence H. Summers<br />
Ancien directeur du National Economic<br />
Council <strong>et</strong> secrétaire du Trésor des<br />
Etats-Unis ; président émérite de<br />
l’Université d’Harvard<br />
Wang Jisi<br />
Membre du comité de conseil en politique<br />
étrangère du ministère des Affaires<br />
étrangères chinois ; ancien directeur,<br />
Ecole des affaires internationales,<br />
Université de Pékin<br />
Wu Jianmin<br />
Vice-directeur exécutif, China Institute<br />
for Innovation and Development Strategy<br />
; membre du comité de conseil en<br />
politique étrangère du ministère des<br />
Affaires étrangères chinois ; ancien<br />
ambassadeur chinois aux Nations<br />
unies <strong>et</strong> en France
<strong>L’Algérie</strong> <strong>et</strong> <strong>ses</strong> <strong>voisins</strong><br />
Rapport Moyen-Orient <strong>et</strong> Afrique du Nord N°164, 12 octobre 2015 Page 30<br />
CONSEIL PRESIDENTIEL<br />
Groupe éminent de donateurs privés <strong>et</strong> d’entrepri<strong>ses</strong> qui apportent un soutien <strong>et</strong> une expertise essentiels<br />
à Crisis Group.<br />
ENTREPRISES<br />
BP<br />
Investec Ass<strong>et</strong> Management<br />
Shearman & Sterling LLP<br />
Statoil (U.K.) Ltd.<br />
White & Case LLP<br />
DONATEURS PRIVES<br />
Anonyme (4)<br />
Scott Bessent<br />
David Brown & Erika Franke<br />
Stephen & Jennifer Dattels<br />
Herman De Bode<br />
Andrew Groves<br />
Frank Holmes<br />
Reynold Levy<br />
Ford Nicholson & Lisa<br />
Wolverton<br />
Maureen White<br />
CONSEIL CONSULTATIF INTERNATIONAL<br />
Donateurs privés <strong>et</strong> entrepri<strong>ses</strong> qui fournissent une contribution essentielle aux activités de prévention des<br />
conflits armés de Crisis Group.<br />
ENTREPRISES<br />
APCO Worldwide Inc.<br />
Atlas Copco AB<br />
BG Group plc<br />
Chevron<br />
Edelman<br />
Equinox Partners<br />
HSBC Holdings plc<br />
Lockwood Financial Ltd<br />
MasterCard<br />
M<strong>et</strong>Life<br />
Shell<br />
Yapı Merkezi Construction and<br />
Industry Inc.<br />
DONATEURS PRIVES<br />
Anonymous<br />
Samuel R. Berger<br />
Stanley Bergman & Edward<br />
Bergman<br />
Elizab<strong>et</strong>h Bohart<br />
Neil & Sandra DeFeo Family<br />
Foundation<br />
Joseph Edelman<br />
Neemat Frem<br />
S<strong>et</strong>h & Jane Ginns<br />
Ronald Glickman<br />
Rita E. Hauser<br />
Geoffrey Hsu<br />
George Kellner<br />
Faisel Khan<br />
Cleopatra Kitti<br />
David Levy<br />
Leslie Lishon<br />
Ana Luisa Ponti & Geoffrey<br />
R. Hogu<strong>et</strong><br />
Kerry Propper<br />
Michael L. Riordan<br />
Nina K. Solarz<br />
Horst Sporer<br />
VIVA Trust<br />
CONSEIL DES AMBASSADEURS<br />
Les étoiles montantes de divers horizons qui, avec leur talent <strong>et</strong> leur expertise, soutiennent la mission de<br />
Crisis Group.<br />
Luke Alexander<br />
Gillea Allison<br />
Amy Benziger<br />
Elizab<strong>et</strong>h Brown<br />
Tripp Callan<br />
Lynda Hammes<br />
Matthew Magenheim<br />
Rahul Sen Sharma<br />
Leeanne Su<br />
AJ Twombly<br />
Dillon Twombly<br />
CONSEILLERS<br />
Anciens membres du Conseil d’administration qui maintiennent leur collaboration avec Crisis Group <strong>et</strong> apportent<br />
leurs conseils <strong>et</strong> soutien (en accord avec toute autre fonction qu’ils peuvent exercer parallèlement).<br />
Martti Ahtisaari<br />
Président émérite<br />
George Mitchell<br />
Président émérite<br />
Gar<strong>et</strong>h Evans<br />
Président émérite<br />
Kenn<strong>et</strong>h Adelman<br />
Adnan Abu-Odeh<br />
HRH Prince Turki al-Faisal<br />
Óscar Arias<br />
Ersin Arıoğlu<br />
Richard Armitage<br />
Diego Arria<br />
Zainab Bangura<br />
Shlomo Ben-Ami<br />
Christoph Bertram<br />
Alan Blinken<br />
Lakhdar Brahimi<br />
Zbigniew Brzezinski<br />
Kim Campbell<br />
Jorge Castañeda<br />
Naresh Chandra<br />
Eugene Chien<br />
Joaquim Alberto Chissano<br />
Victor Chu<br />
Mong Joon Chung<br />
Pat Cox<br />
Gianfranco Dell’Alba<br />
Jacques Delors<br />
Alain Destexhe<br />
Mou-Shih Ding<br />
Uffe Ellemann-Jensen<br />
Gernot Erler<br />
Marika Fahlén<br />
Stanley Fischer<br />
Malcolm Fraser<br />
Carla Hills<br />
Swanee Hunt<br />
James V. Kimsey<br />
Aleksander Kwasniewski<br />
Todung Mulya Lubis<br />
Allan J. MacEachen<br />
Graça Machel<br />
Jessica T. Mathews<br />
Barbara McDougall<br />
Matthew McHugh<br />
Miklós Ném<strong>et</strong>h<br />
Christine Ockrent<br />
Timothy Ong<br />
Olara Otunnu<br />
Lord (Christopher) Patten<br />
Shimon Peres<br />
Victor Pinchuk<br />
Surin Pitsuwan<br />
Fidel V. Ramos