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Intelligence et Rorschach

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Neuropsychiatrie de l’enfance <strong>et</strong> de l’adolescence 50 (2002) 362–364<br />

www.elsevier.com/locate/ea<br />

<strong>Intelligence</strong> <strong>et</strong> <strong>Rorschach</strong><br />

N. Rausch de Traubenberg<br />

Le <strong>Rorschach</strong> n’est pas un test d’intelligence à proprement<br />

parler, mais un test de personnalité. Quel que soit le<br />

caractère ambigü de ce terme, force nous est de l’accepter<br />

puisque le test est dû à une conception globaliste de<br />

l’individu <strong>et</strong> qu’il en éclaire en eff<strong>et</strong> plusieurs aspects à<br />

l’encontre d’autres épreuves qui, elles, ne visent que des<br />

traits isolés de celui-ci.<br />

• la capacité recherchée ;<br />

• l’intérêt <strong>et</strong> la volonté d’aboutir ;<br />

• l’émotivité enfin.<br />

Le poids relatif de chacun de ces facteurs dans le résultat<br />

final est différent suivant les tests <strong>et</strong> suivant les individus <strong>et</strong><br />

il est difficile à évaluer objectivement. L’influence de l’un<br />

des facteurs sur les autres, autrement dit leur interpénétration<br />

est primordiale à connaître pour prévoir l’efficience,<br />

l’adaptation d’un suj<strong>et</strong> donné aux exigences auxquelles le<br />

monde extérieur va le soum<strong>et</strong>tre. En termes concr<strong>et</strong>s ceci<br />

nous place devant le caractère factice de la dissociation que<br />

nous opérons lorsque nous parlons d’intelligence, d’émotivité<br />

ou d’intérêt <strong>et</strong> lorsque nous interprétons un résultat de<br />

test en fonction de l’une de ces données à l’exclusion des<br />

deux autres. Il est, en eff<strong>et</strong>, presque banal de constater<br />

l’échec scolaire de suj<strong>et</strong>s intelligents, mais très émotifs ou<br />

absorbés par des activités imaginatives ou le succès<br />

d’autres, plus calmes, moins intelligents <strong>et</strong> à intérêts plus<br />

limités.<br />

Si cela est vrai pour des épreuves simples, spécifiques,<br />

d’habil<strong>et</strong>é motrice ou de représentation spatiale par exemple,<br />

ce n’en est que plus vrai pour des « réactifs » aussi<br />

complexes que les tests de personnalité. C’est donc en<br />

pleine conscience de ces difficultés de dissocier les éléments<br />

les uns des autres que nous allons présenter l’un de ces<br />

éléments, l’aspect intellectuel, cognitif de la personnalité,<br />

tel qu’il se reflète au test de <strong>Rorschach</strong>.<br />

Rappelons que le test de <strong>Rorschach</strong> se compose de dix<br />

planches représentant des taches d’encre noires <strong>et</strong> polychromes,<br />

très peu structurées, que le suj<strong>et</strong> est invité à interpréter<br />

dans des conditions aussi dénuées de limitation que possible<br />

1 .<br />

<strong>Rorschach</strong> lui-même cherchant à caractériser la perception<br />

<strong>et</strong> l’appréhension des suj<strong>et</strong>s intelligents s’aperçut que 7<br />

facteurs différenciaient ces 120 suj<strong>et</strong>s d’autres suj<strong>et</strong>s moins<br />

intelligents.<br />

• Un pourcentage élevé de formes bien vues, un grand<br />

nombre de réponses kinesthésiques, un grand nombre<br />

de réponses globales, un mode d’appréhension riche,<br />

un ordre logique dans l’apparition successive des modes<br />

d’appréhension, un pourcentage assez bas de réponses<br />

à contenu animal <strong>et</strong> un pourcentage moyen de<br />

réponses originales.<br />

Dans la mesure où ils s’accordent sur les définitions de<br />

l’intelligence, les continuateurs de <strong>Rorschach</strong> puisent dans<br />

c<strong>et</strong>te liste avec des variations minimes les données nécessaires<br />

à l’évaluation :<br />

• des capacités d’organisation, de synthèse ;<br />

• du mode de pensée, concr<strong>et</strong> ou abstrait ;<br />

• du caractère logique précis, objectif <strong>et</strong> adapté de la<br />

pensée.<br />

Il va sans dire que ces évaluations n’ont rien de numérique,<br />

donc de comparable à un quotient intellectuel ou à un<br />

âge mental précis <strong>et</strong> qu’elles visent plutôt à définir un type<br />

d’intelligence, un niveau d’intégration des expériences.<br />

Ajoutons cependant que quelques psychologues ont entrepris<br />

jusqu’à l’étude de corrélations entre les facteurs de<br />

<strong>Rorschach</strong>, réduits en formules, voire pondérés, <strong>et</strong> les<br />

quotients intellectuels obtenus au Wechsler Bellevue ou au<br />

Terman-Stanford, mais qu’ils se sont trouvés aux prises<br />

avec des difficultés dûes au caractère émotionnel du stimulus<br />

qui crée des inhibitions, des blocages <strong>et</strong> qui modifie,<br />

dans certains cas, le mode de pensée.<br />

> Première parution : Revue de neuropsychiatrie infantile <strong>et</strong> d’hygiène<br />

mentale de l’enfance 1957 ; 5 (3-4) : 95-99. © L’Expansion<br />

Scientifique Française.<br />

1<br />

Voir : Rev. de Neuropsychiat. Inf. Nov. Déc. I955, N o II-I2. Test de<br />

<strong>Rorschach</strong>, p. 582.<br />

© 2002 Éditions scientifiques <strong>et</strong> médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.<br />

PII:S0222-9617(02)00118-6


N. Rausch de Traubenberg / Neuropsychiatrie de l’enfance <strong>et</strong> de l’adolescence 50 (2002) 362–364 363<br />

Aussi bien les capacités d’organisation, de combinaison<br />

voire de synthèse que le caractère de la pensée évoluent<br />

avec l’âge <strong>et</strong> non seulement avec l’individu. Les modifications<br />

dûes à l’âge sont importantes au point de faire dire à<br />

certains psychologues que les <strong>Rorschach</strong> d’enfants n’ont<br />

pas d’intérêt au point de vue des caractéristiques individuelles,<br />

tant celles-ci sont recouvertes par les caractéristiques de<br />

développement.<br />

Intellectuellement parlant, il y a certes, de grandes<br />

différences entre des réponses telles que : colonne vertébrale,<br />

nuage, 2 patineurs poussant une luge, temple, parc<br />

zoologique, victoire de Samothrace, feuille ou chauvesouris,<br />

peinture de Picasso, <strong>et</strong>c..., réponses données à une<br />

même planche interprétée dans son ensemble.<br />

L’évaluation théorique de ces réponses du point de vue<br />

intellectuel peut avoir différents points de départ dont deux<br />

au moins méritent d’être précisés:<br />

• le premier « classique » mais un peu écarté actuellement,<br />

basé sur la théorie associationniste de Bleuler qui<br />

pousse à tenir compte de la quantité de bonnes associations,<br />

c’est-à-dire de réponses où il y a une correspondance<br />

objective entre la tâche <strong>et</strong> l’interprétation. En<br />

d’autres termes placé en face d’un élément perçu<br />

visuellement, le suj<strong>et</strong> choisit dans son souvenir une<br />

donnée qui correspond plus ou moins au stimulus, car<br />

pour Bleuler, interpréter une tache d’encre n’est pas<br />

percevoir à proprement parler, mais compléter subjectivement<br />

une perception sensorielle. Il y a donc une<br />

précision, une exactitude dans c<strong>et</strong>te correspondance qui<br />

joue en eff<strong>et</strong> un grand rôle dans l’adaptation à la réalité<br />

objective. Il semble qu’elle doit être envisagée dans le<br />

contexte perceptif, car bien des formes données par les<br />

suj<strong>et</strong>s ne sont point tant mauvaises que primitives <strong>et</strong><br />

cliniquement c<strong>et</strong>te distinction a une grande importance<br />

pour les diagnostics quotidiens.<br />

• le second plus proprement « perceptif » <strong>et</strong> c’est au<br />

développement de la perception que nous nous adresserons<br />

pour distinguer, en suivant Claparède, le grand<br />

psychologue suisse, les étapes :<br />

„ de la perception syncrétique, diffuse, globale qui<br />

donne lieu à des réponses telles que « arbre »,<br />

« feuille », « nuage », où tous les détails sont absorbés<br />

dans un tout. La vision est globale, quelquefois<br />

basée sur un tout p<strong>et</strong>it détail « pars pro toto », <strong>et</strong>la<br />

réponse est alors une « maison » parce que l’on<br />

assimile les espaces blancs à des fenêtres, ou un<br />

« loup », à partir de ces mêmes espaces qui sont des<br />

yeux, c<strong>et</strong>te fois-ci. Ces mêmes interprétations se<br />

transforment, vers 8 ans en un « temple probablement<br />

chinois », mais avant c<strong>et</strong> âge il y a une vision<br />

schématique, simplifiée, stylisée, sans élaboration <strong>et</strong><br />

sans distinction des parties qui forment l’ensemble.<br />

„ de la perception analytique primitive qui donne lieu à<br />

une augmentation de réponses de p<strong>et</strong>its détails, à des<br />

descriptions « pointu »«creux ». C<strong>et</strong> intérêt pour des<br />

formes isolées, partielles, semble correspondre, en<br />

lecture, à la possibilité de distinguer des mots entiers<br />

à l’aide d’un élément saillant, ceci entre 5 <strong>et</strong> 7 ans.<br />

„ de la perception analytique supérieure qui perm<strong>et</strong> au<br />

suj<strong>et</strong> de découper les ensembles, de désagréger le tout<br />

<strong>et</strong> qui ne peut se faire que lorsqu’il y a une certaine<br />

plasticité, une souplesse qui engage à se détacher<br />

d’une première perception globale ou à la désarticuler.<br />

Le nombre de réponses de ce type — grand<br />

détail — augmente en eff<strong>et</strong> beaucoup à 8 ans passant<br />

de 35 % à 6 ans à 54 % à 8 ans pour se maintenir ainsi<br />

jusqu’à l’âge adulte. Notre expérience personnelle<br />

nous apporte là un renseignement pratique, à savoir<br />

que les enfants, faisant facilement des analyses de<br />

grammaire en français <strong>et</strong> en latin, donnent dans leurs<br />

protocoles un pourcentage important de détails, de<br />

découpes bien vues, à l’encontre de ceux qui manifestent<br />

de grandes difficultés dans ces matières <strong>et</strong> qui<br />

ne sont pas plus ou moins intelligents, mais simplement<br />

moins aptes à disloquer, à séparer en parties<br />

distinctes les ensembles qu’on leur présente.<br />

„ de la perception synthétique qui donne lieu à des<br />

réponses bien articulées, combinées, voire à trois<br />

dimensions, des véritables organisations avec utilisation<br />

des éléments couleur aussi bien que forme, <strong>et</strong>c...<br />

Il paraît donc possible de tracer un certain parallélisme<br />

entre un niveau de perception <strong>et</strong> une manière de s’adapter à<br />

la réalité <strong>et</strong> si le terme de parallélisme est trop osé, parlons<br />

au moins d’une certaine relation entre les deux manifestations.<br />

Bien des psychologues ont été tentés de chercher des<br />

liens étroits <strong>et</strong> précis entre la manière de percevoir <strong>et</strong> le type<br />

de caractère : on a pu avancer ainsi que les adultes dont les<br />

perceptions restent surtout globales sont essentiellement des<br />

« réceptifs », alors que ceux qui analysent <strong>et</strong> découpent le<br />

matériel perceptif sont des gens actifs, qui impriment leur<br />

personnalité au stimulus extérieur.<br />

Ces mêmes éléments perceptifs peuvent être considérés<br />

comme significatifs de « mécanismes de défense » contre<br />

l’angoisse qui apparaît devant le caractère émotionnel des<br />

taches. Nous ne pouvons que signaler c<strong>et</strong> aperçu trop<br />

éloigné de notre but.<br />

• le troisième qui est le caractère plastique, élastique<br />

des structures, du « travail mental » apanage des suj<strong>et</strong>s<br />

intelligents, dont la manifestation la plus certaine est la<br />

capacité d’organiser le matériel. C’est ainsi que Beck<br />

envisage la combinaison des données globales <strong>et</strong> détaillées<br />

comme essentielle <strong>et</strong> élabore un système de<br />

cotation « note d’organisation » qui est attribuée à la<br />

réponse même si la forme est mal vue.


364 N. Rausch de Traubenberg / Neuropsychiatrie de l’enfance <strong>et</strong> de l’adolescence 50 (2002) 362–364<br />

Au risque de paraître incompl<strong>et</strong> ne nous engageons point<br />

plus avant dans la présentation des facteurs plus spécifiquement<br />

intellectuels du <strong>Rorschach</strong>. Ce serait dissocier beaucoup<br />

trop les choses <strong>et</strong> passer à côté de l’apport essentiel de<br />

ce test, dont les facteurs donnent simultanément l’intelligence<br />

<strong>et</strong> l’affectivité.<br />

L’élément perceptif <strong>et</strong> l’élément formel sont plus ou<br />

moins apparents dans le test suivant l’importance de l’élément<br />

couleur : voici à côté de l’élaboration intellectuelle la<br />

réaction émotionnelle dont le mode d’action ou l’absence<br />

d’action va déterminer le comportement du suj<strong>et</strong>.<br />

L’action est positive quand elle pousse le suj<strong>et</strong> à intégrer<br />

ses expériences émotionnelles dans le fonctionnement intellectuel<br />

<strong>et</strong> à assouplir, à enrichir celui-ci, elle est au contraire<br />

négative quand elle relâche l’effort intellectuel du suj<strong>et</strong>, ce<br />

quiafréquemment pour eff<strong>et</strong> de le renvoyer à un stade<br />

d’élaboration plus primitive. Sans avoir d’eff<strong>et</strong> manifeste<br />

sur les réactions, elle peut les paralyser, les bloquer en<br />

quelque sorte, les arrêter, causant ainsi un préjudice notable<br />

au suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> rendant toute évaluation des capacités intellectuelles<br />

impossible. C’est plus spécialement en pensant à ces<br />

cas que nous insistons sur la nécessité de posséder un niveau<br />

mental du suj<strong>et</strong> examiné, car les tests de niveau mental sont<br />

composés d’épreuves plus strictement intellectuelles <strong>et</strong><br />

peuvent donner lieu à une réussite d’autant meilleure qu’il<br />

ne s’y infiltre presqu’aucun élément affectif. La comparaison<br />

des résultats, même si elle ne peut encore être quantifiable,<br />

est fructueuse puisqu’elle va nous perm<strong>et</strong>tre d’analyser<br />

la profondeur de l’eff<strong>et</strong> perturbateur des conditions<br />

affectives sur le fonctionnement intellectuel du suj<strong>et</strong>.<br />

Dans d’autres cas, l’intellectuel peut dominer parfaitement<br />

l’affect, le nier même, n’en tenir aucun compte, le<br />

reléguer au rang des choses inutiles dont on ne peut que<br />

s’étonner <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te attitude transparaît aisément dans le test,<br />

non seulement dans les interprétations mais aussi <strong>et</strong> surtout<br />

dans les commentaires <strong>et</strong> le comportement du suj<strong>et</strong>. À<br />

l’inverse, certains protocoles vous donnent l’image d’un<br />

réel envahissement par les émotions, le suj<strong>et</strong> ne donne pas<br />

de réponses formelles, rien que des réponses couleur, donc<br />

affectives, « un feu provoqué des deux côtés <strong>et</strong>unmélange<br />

de fumée », « couleurs pour un tissu imprimé », « arc-enciel<br />

», <strong>et</strong>c...<br />

Ces quelques réflexions soumises à votre attention n’ont<br />

d’autre obj<strong>et</strong> que celui de souligner l’intérêt du test de<br />

<strong>Rorschach</strong> dans l’appréciation de l’écart qu’il y a chez<br />

certains suj<strong>et</strong>s entre le potentiel, la capacité intellectuelle <strong>et</strong><br />

ce que l’on appelle couramment le rendement, l’efficience.<br />

C<strong>et</strong>te appréciation n’est ni absolue, ni idéale, mais elle est<br />

possible. Certains suj<strong>et</strong>s à niveaux limites aux tests d’intelligence<br />

donnent des <strong>Rorschach</strong> riches <strong>et</strong> bien structurés,<br />

sont donc inhibés dans des conditions scolaires ou purement<br />

formelles de fonctionnement intellectuel <strong>et</strong> ont besoin d’une<br />

stimulation émotionnelle, d’une atmosphère affective pour<br />

donner leur maximum. D’autres par contre obtiennent de<br />

très bons résultats aux tests de niveau <strong>et</strong> ne donnent que peu<br />

de preuves de c<strong>et</strong>te intelligence au <strong>Rorschach</strong>, il s’opère<br />

comme une réduction d’un test à l’autre, une baisse d’activité<br />

mentale, un resserrement de possibilités. Tenter de<br />

préciser la raison de c<strong>et</strong>te réduction est un problème<br />

d’importance primordiale, problème qui nécessite un travail<br />

d’équipe entre psychiatres <strong>et</strong> psychologues.<br />

Ce n’est donc pas tellement l’intelligence que l’on teste<br />

au <strong>Rorschach</strong>, mais le développement intellectuel dans le<br />

cadre de la personnalité.

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