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JOURNAL DE BORD

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2016<br />

LOUR<strong>DE</strong>S<br />

Journal de bord<br />

Jean Réglat<br />

Emilie Boutan<br />

Mathis Brunetaux<br />

1


Nous avons eu la chance, le 30 Septembre 2016 de nous rendre au CNSAD assister à<br />

la représentation de la maquette de Lourdes, pièce de Paul Toucang.<br />

Dans le cadre d’un projet d’études théâtrales, nous avons convenu de réaliser un<br />

dossier dans lequel nous tenterions de retranscrire sous une forme libre notre ressenti<br />

face à cette œuvre. Inexplicablement et spontanément, le désir nous est venu d’aller<br />

sur les traces de l’auteur, à Lourdes, matrice originelle de la pièce.<br />

C’était une sorte de pèlerinage, un parallèle étonnant entre le texte, le vécu de<br />

spectateur et la ville.<br />

Une enquête aussi, où nous avons pu constituer une multitude d’indices à vous<br />

dévoiler, sous forme écrite, visuelle ou auditive.<br />

Les écrits sont libres et spontanés, rédigés sur l’instant et laissés inchangés ; les<br />

photos prises à la dérobée et les enregistrements imprévus.<br />

Mais leur tout vous présente une multitude de ressentis qui dévoilent notre expérience<br />

personnelle du lien intime qui relie la pièce à la ville.<br />

Bonne expérience.<br />

Jean, Mathis, Emilie<br />

2


Mathis. Paul nous a envoyé des indices concernant sa pièce : Lourdes.<br />

Une photo, un texte, une vidéo et un enregistrement.<br />

Première rencontre avec lui.<br />

J’ai relevé deux phrases :<br />

« J’aime les esprits et je n’ai aucune conviction »<br />

Et<br />

« On gagne de la puissance à se rapprocher de la mort ».<br />

Jean. J’ai hâte de marcher sur les traces de sa création et de sa démarche artistique.<br />

Emilie. On part à Lourdes.<br />

Décision imprévue, spontanée vers une sorte d’inconnu.<br />

3


Indice envoyé par Paul le 16 Septembre 2016<br />

4


Paul.<br />

5


31 Octobre 2016<br />

Jean.<br />

Nous venons d’arriver à la Cité St Pierre située sur les hauteurs de Lourdes.<br />

J’écris dans mon Journal.<br />

8h45 - Le réveil de Mathis sonne. On se lève.<br />

11h - On prend le métro jusqu’à l’extrême Ouest de Toulouse pour commencer à faire<br />

du stop.<br />

12h10 - Première voiture s’arrête. C’est un jeune homme. Quand on lui parle de notre<br />

projet il sourit.<br />

13h environ - Deuxième voiture qui s’arrête. Lui nous qualifie de « Charlot ». Il trouve<br />

qu’on fait pas l’affaire en matière de stop. Il nous dépose sur l’autoroute selon lui<br />

c’est une super idée ! On se rend vite compte que non.<br />

14h - Au milieu de l’autoroute. Le bruit des voitures, la pollution et le mépris (ou<br />

l’étonnement ?) dans le regard des gens. Je peste contre le type qui nous a laissé ici.<br />

Une voiture s’arrête. Il veut bien nous déposer à Tarbes ! TARBES !<br />

15h environ – Plus que 21 km.<br />

On passe le panneau « Lourdes ».<br />

Ca y est, ça commence.<br />

17h35 – Il faut qu’on trouve où dormir.<br />

18h – Arrivé à la Cité St Pierre. Un accueil formidable. On prend une chambre pour<br />

deux jours.<br />

Pensée : Quelle place a la SAINTE VIERGE dans la pièce de Paul ?<br />

20h - On lit Paul.<br />

21h40 - Arrivé au restaurant chinois. La carte nous guide à merveille.<br />

J’aperçois l’Aquarium. Les poissons âmes.<br />

On entre. On flotte. Le vin est bon. Merci Paul.<br />

22h30 -. Le château de Lourdes.<br />

On grimpe. C’est interdit mais on escalade. C’est magnifique.<br />

Ce soir-là dans Lourdes on croise des monstres. Des gens à têtes de morts. Les morts à<br />

Lourdes c’est pas étonnant. Mais eux, c’est faux morts.<br />

Ils jouent. Ils enfilent le costume de la mort. Ils se glissent en elle. Puis marchent,<br />

rigolent fument et boivent. Halloween à Lourdes c’est étrange.<br />

Je sais plus quelle heure il est. On marche.<br />

Le bruit de l’eau.<br />

6


Le sanctuaire.<br />

Minuit et trois minutes. Putain de Vigipirate. L’entrée nous est refusée.<br />

La nuit. L’Hôtel Soubirous. Sa façade. On s’assoit. On lit Paul.<br />

Il y a du bruit, des cris, c’est la fête.<br />

On rentre à la Cité.<br />

Emilie.<br />

- Journée :<br />

Premier contact : un mendiant indien. Son regard aussi bien que son insistance nous<br />

ont « happés ».<br />

Pourquoi associons-nous tout ce que nous voyons à cette pièce/expérience ?<br />

Et, maintenant, foyer Saint Pierre. Paisible. Perdu dans la montagne.<br />

A Lourdes, les cloches sonnent sans arrêt.<br />

La montagne est silencieuse. Et la ville ?<br />

Nous descendons vers elle.<br />

- Soir :<br />

Lecture du passage « rêve collectif – comédie musicale », mystique.<br />

Sanctuaire. Lieu avec une aura incroyable ?<br />

La pièce nous fait vivre cette escapade sous un prisme totalement mystique.<br />

Il y a une Marie dans la pièce, elle est la plus vulgaire. Mais quel rapport avec la<br />

Vierge ? A Lourdes, elle est partout.<br />

Pauvres flamands roses.<br />

Nous quittons le bar. On garde le sanctuaire pour tout à l’heure, il fait sombre. Tout est<br />

fermé. La nuit engloutit tout, la fumée des mégots s’évapore sans nous réchauffer.<br />

Dans le restaurant, nous trois, un couple silencieux et aquarium entier avec des<br />

poissons borgnes, tous.<br />

Nous irons demain soir.<br />

Fête des défunts dans le sanctuaire.<br />

7


Mathis.<br />

- Journée<br />

De Toulouse à Lourdes, on se retrouve coincés sur l’autoroute, comme le Van dans la<br />

pièce.<br />

Je n’ai pas envie de m’identifier.<br />

Je veux ressentir.<br />

Mes ressentis : des inconnus dans les voitures nous font la visite de la région, de leur<br />

village, de leur vie.<br />

Nous y sommes. Il n’y a pas eu de transition en entrant dans la ville.<br />

Un peu plus loin, nous discutons de la pièce devant une fontaine, dans une ruelle.<br />

Derrière Emilie et moi et face à Jean, un vieux barbu apparaît le temps d’une seconde<br />

à une fenêtre.<br />

Est-il aveugle ? Une apparition ? Il y a des crucifix sur le mur derrière l’endroit où il<br />

se tenait.<br />

Quelque chose dans la ville est spécial. Présence divine ?<br />

J’ai l’impression que tout le monde est à la recherche de quelque chose.<br />

Quand on est arrivé, en voulant passer par le sanctuaire, un monsieur nous a dit qu’il<br />

fallait faire le tour, comme si l’entrée se faisait sous condition d’avoir un but précis.<br />

Nous on arrive en nomades. Décalage.<br />

Si on devait avoir un but précis dans Lourdes :<br />

Trouver la merveille du spectacle.<br />

Comme les personnages de Paul.<br />

- Soir :<br />

Nous flottons, le soir d’Halloween, au milieu des morts-vivants dans la ville.<br />

Là où nos pas nous guident.<br />

J’ai l’impression que tout autour de moi est un décor. Comme si nous trois, nous<br />

avions trouvés ce quelque chose, qui serait un état d’équilibre entre le rêve et la réalité.<br />

Nous déambulons sans but dans la ville.<br />

Rue Duprat. Au milieu de la salle : un aquarium de poissons-âmes.<br />

Comme des enfants, on reste là, fascinés par l’eau.<br />

Nous avons lu un extrait de la pièce. Au hasard. Et c’était beau.<br />

Les mots s’entrechoquaient et j’ai compris que Paul avait réussi à faire de sa pièce un<br />

échantillon de l’essence mystique de Lourdes.<br />

J’ai la sensation d’entrer dans l’intimité de Paul. Dans son processus d’écriture.<br />

8


9


1 er Novembre 2016<br />

Emilie.<br />

- Journée :<br />

On écrit une Lettre à Paul.<br />

C’est étrange, elle est constituée de nos trois ressentis mis en commun, mais elle ne<br />

semble être le fruit que d’une seule pensée.<br />

10


- Nuit :<br />

Nous sommes seuls dans le sanctuaire. Tout est silence.<br />

Je marche vers la vierge, et derrière, le monument.<br />

Ils sont là. Un groupe de fidèles. Des bougies éclairent leurs faces d’un orange doré.<br />

Leurs voix suaves et sacrées réchauffent l’atmosphère, brisent le silence. Ils font face à<br />

la vierge, éclairée d’une lumière blanche. Dos au sanctuaire.<br />

« Ave Maria ».<br />

Au centre, Marie éclatante et morte, figée dans la pierre blanche qui regarde tristement<br />

le sanctuaire, entourée de cette chorale aux multiples bougies scintillantes qui<br />

psalmodie.<br />

Je lève les yeux : ciel noir d’encre. Tout semble trop éclairé ici-bas.<br />

J’ai l’impression d’être au fond d’un puits.<br />

Ce sanctuaire est un lieu stérile de tout ce qui est autre. Les sons, les voix, le silence,<br />

les lumières, les températures et le vent s’y mêlent.<br />

Un enfant crie, joue et court alors qu’un groupe de priants, chantants russes chandelles<br />

à la main progresse vers le sacré, vers les portes basses.<br />

En haut du sanctuaire : là où l’eau coule, les hommes se changent en pierre.<br />

Malaise, observations. Encore silence. Je n’arrive pas à penser.<br />

Tout est symétrique. Je suis au centre de la nuit et je disparais.<br />

J’écris appuyée sur la roche humide. Ici la source derrière du verre.<br />

L’eau est un aquarium dans l’aquarium. On le regarde ce petit trou de rien du tout d’où<br />

suinte faiblement l’eau. Et on n’en voit pas le fond.<br />

Il semble ne jamais finir. Et il nous attire. Loin.<br />

Les bougies allumées se reflètent sur la surface et c’est beau.<br />

Sous le caillou, le liquide transperce la roche poreuse. Il pleure.<br />

Un arbre de feu humide regarde la vierge.<br />

Je quitte la grotte. J’ai très froid. Les bougies sont loin et je suis seule. On est censés<br />

se retrouver dans une heure. Angoisse. L’air est glacé et solide.<br />

Seule sur l’esplanade en face de la vierge morte.<br />

Enfin je les retrouve.<br />

Mathis face à une Bernadette sombre sans yeux.<br />

11


Marche jusqu’au brûloir, l’étendue d’herbe de l’autre côté du Gave, face à la source.<br />

Nous sommes seuls, complètement cette fois.<br />

Les bougies éclairent un peu. Rangées en ligne dans des caisses de métal.<br />

Ici, ambiance de mort.<br />

Ce sont des crématoriums. La cire goutte et le feu crépite.<br />

Tous ces corps, ces maladies, cette vieillesse, qui ont touché la vapeur.<br />

J’étouffe.<br />

On entend le train au loin.<br />

12


13


Mathis.<br />

Dans le calme de la nature. Les cloches continuent de sonner.<br />

Est-ce que la merveille du spectacle c’est la capacité à créer ?<br />

Le soir nous sommes allés dans le sanctuaire et seuls, au milieu de chants slaves, nous<br />

avons déambulé dans la basilique souterraine, en haut des marches de la cathédrale,<br />

devant la grotte, de l’autre côté de la rive du Gave, là où les ex-voto brûlent.<br />

J’ai peur de ne pas avoir les mots pour parler, écrire ce que nous avons vécu.<br />

Pris par mes pensées et réflexions, je suis sorti du sanctuaire<br />

Sans révélation particulière.<br />

Ni sur la religion, ni sur la ville,<br />

Ni sur la pièce de Paul.<br />

Jean.<br />

Mot à Paul<br />

Paul tu es notre Dieu ici, notre gourou. (Je te tutoie, c’est l’usage chez les adeptes).<br />

On marche sur tes traces. Je suis dans la ville de Bernadette. Certes. Dans la sainte<br />

ville de la sainte vierge Marie. Certes. Mais surtout je suis dans la ville de ta<br />

création. J’ai l’impression d’être dans ton imagination. Quel spectacle. Quelle<br />

merveille. Je suis presque ému. Je crois qu’on te doit quelque chose Paul. Ne seraitce<br />

de la reconnaissance. Lourdes avec toi c’est vraiment cool.<br />

14


2 Novembre 2016<br />

2 Novembre 2016<br />

3 e Lettre aux Adeptes<br />

Amis de la communauté,<br />

Notre guide nous envoie en pèlerinage. Nous y sommes. Les cloches sonnent<br />

sans cesse et se répondent, peut être pour faire peur à l’ogre dépuceleur de la<br />

forêt ?<br />

Lourdes c’est comme un océan dans lequel on flotte.<br />

La vapeur mystique qui règne dans la ville nous porte et nous glissons sur les<br />

émanations de son aura. Tout semble concorder.<br />

Parfois on a l’impression d’être des poissons en train d’évoluer dans l’aquarium<br />

qu’est Lourdes. Alors on pense que les spectateurs de cet aquarium nous<br />

regardent, qu’on joue, qu’on est là pour les impressionner.<br />

Dans cette ville, collusion entre le texte, le vécu de spectateur et le lieu. Etrange,<br />

pas de mots.<br />

Notre voyage initiatique dans le Las Vegas des défunts est marqué par des<br />

stations, comme un chemin de croix où nous suivons le script de la pièce.<br />

Cette nuit : fête des défunts.<br />

La ville serait-elle réellement habitée par la mort ?<br />

Nous descendons dans le sanctuaire. La nuit est glacée. La basilique ressemble<br />

au ventre de l’ogre. Et la pierre grise et poreuse fascine et rebute.<br />

On se met à errer, séparés, chacun seul, dans le fond d’un puits.<br />

Le ciel est noir d’encre et toute la zone est déserte. Les rares touristes sont<br />

immobiles.<br />

Le bâtiment domine ; la vierge pâle, blanche, morte le regarde d’en bas.<br />

Des chants slaves montent en fumée vers le ciel et les flash d’appareil photo sur<br />

les murs de la grotte sont des apparitions vaines ou des hallucinations vierges.<br />

Traversée du Gave, grotte dans notre dos. On quitte le sacré. Désert. Silence<br />

épais.<br />

Ici, brûloir. La cire goutte. Les bougies sont amassées dans des cages en métal.<br />

Nous faisons face à une allée de crématoriums.<br />

Pour la première fois, la mort se ressent.<br />

Ambiance paradoxale. Intensions de prière déposées et leur tout m’étouffe :<br />

alliance de la volonté pure et du feu de l’enfer.<br />

Je crois que nous avons contemplé la merveille du spectacle. C’est en fermant<br />

les yeux que nous la voyons le mieux.<br />

15<br />

Fait à Lourdes,<br />

Emilie, Jean, Mathis


Emilie.<br />

Nous sommes au Paradis.<br />

Cité Saint Pierre. Dans la montagne. Musique.<br />

Quand est-ce arrivé déjà ? Comment ? Dans quel état l’ai-je reçu ?<br />

Trop mystique.<br />

Jean.<br />

Dans la nuit de Mardi à Mercredi, une nouvelle journée a passé.<br />

C’est très dur de quitter notre bulle.<br />

On s’étonne nous même de notre investissement dans ce projet.<br />

Mathis.<br />

Jour de départ. Dernière matinée dans la montagne apaisante.<br />

J’ai réussi à écrire.<br />

16


3 Novembre 2016 :<br />

Mathis.<br />

« Moi, président de la République… ».<br />

Nous sommes rentrés de Lourdes dans la nuit, on redescend doucement, notre<br />

sensation de planer diminue et on retrouve le métro, les parisiens qui marchent<br />

normalement dans la rue.<br />

Notre bulle crève et peu à peu se vide de son air.<br />

Je veux respirer.<br />

En allumant la télévision, le débat de la primaire de la droite se joue. Les acteurs<br />

parlent mais j’entends blablablablabla.<br />

Ils parlent cafard ? Paul est politique tout de même.<br />

Un acteur s’appelle Poisson, il y a de quoi sourire légèrement mais pas jusqu’à voir un<br />

signe du destin ou d’une force surnaturelle. Un pur hasard.<br />

Ce détail insignifiant aurait-il compté si nous étions à Lourdes autour du script de la<br />

pièce ? Toutes ces réflexions que nous avons menées sur la pièce n’étaient-elles qu’un<br />

délire entre potes ? Ou alors cela veut-il dire que je commence à faire la différence<br />

entre un élément important à la pièce de Paul et un simple hasard ?<br />

Il faut encore construire un musée de cire et tailler dans les cierges notre réflexion et<br />

retranscrire au mieux les émotions procurées par Lourdes lors de ces trois jours<br />

immensément intenses.<br />

17


18


Jean.<br />

Lourdes c’est fini<br />

Le car dépasse le panneau sur lequel le nom de Lourdes est barré d’un trait rouge.<br />

Le wagon bouge et j’écris mal. Je suis couché dans ce train couchette en direction de<br />

Paris. Je suis fatigué mais mes pensées m’empêchent de dormir.<br />

Ou est-ce que c’est le ronflement de la dame d’à côté ?<br />

Un étroit faisceau de lumière jaune éclaire ma page blanche. Il fait chaud. Plus rien à<br />

voir avec l’air glacial de Lourdes. J’aurais voulu y rester plus longtemps. Suis- je seul<br />

dans ce compartiment ? J’ai l’impression de rêver.<br />

Le sanctuaire, la vierge, la croix dorée et les bougies viennent ensemble toquer à la<br />

porte de mon esprit. Je me souviens de la basilique St Pie X. Il y faisait terriblement<br />

froid. Je ne ressentais pas la chaleur de Dieu. Je ne voyais que le béton froid. Le<br />

squelette mort de l’ogre. L’arche renversée.<br />

Au centre, une scène. Le prêtre y joue ses plus beaux actes. La scénographie est<br />

minimale. Une croix en fer, un autel et une multitude de projecteurs. Tout résonne.<br />

Tout se fait écho. Je crois entendre mon cœur battre.<br />

Plus tard : Vagabondage dans Lourdes. C’est ce soir que nous avons décidé de<br />

retourner au sanctuaire. Comme depuis le début de notre séjour Lourdes est déserte.<br />

Une force de sécurité surveille l’entrée. On entre.<br />

On se met dans l’ambiance. La pièce de Paul c’est notre psychotrope à nous.<br />

ON SE LANCE.<br />

Le visage immaculé ? PHARE AU MILIEU <strong>DE</strong> LA NUIT. Les chants orthodoxes<br />

s’élèvent dans l’air et me parviennent. Frissons. Je flotte plus que jamais. La nuit<br />

cache des défauts. Ici tout est merveilleux. Le spectacle continue.<br />

La grotte. Appréhension. Pyramide de cierges vers la vierge. Une femme embrasse la<br />

roche. L’eau ruissèle. Les poissons âmes se heurtent aux parois.<br />

Une intention de prière.<br />

Le bruloir. Quel spectacle. La solitude. Toute cette mort représentée. Plus le cierge est<br />

gros plus la maladie doit être grave. Plus le cierge est gros et plus il est cher. Les<br />

malades sont toujours perdants.<br />

A-t-on trouvé la merveille du spectacle ?<br />

Une chose est sûre : Lourdes est emplie d’une vapeur mystique qui lui est particulière.<br />

J’ai ressenti, j’ai éprouvé cette ville. Ce Las Vegas de la mort. Ce Disneyland de la<br />

religion. Dernières consolation des malades.<br />

Je crois que je vais arrêter là le cours de mes pensées. Je n’entendais plus le bruit du<br />

train.<br />

Finalement je crois bien que cette pièce me parle, vraiment.<br />

19


Emilie.<br />

La ville<br />

Ici, pour nous la pièce, les sensations et la ville sont intrinsèquement mélangées.<br />

L’impression que cette atmosphère autre, mystique et chargée de sensations est<br />

présente à l’état latent dans Lourdes.<br />

La pièce, le texte maintenant nous semblent être un échantillon de l’atmosphère totale<br />

de la ville. Une première marche qui invite à s’y rendre.<br />

La représentation nous permet de glisser un peu dans cet océan merveilleusement fou.<br />

Ici on y est plongés. Tellement qu’on flotte au-dessus.<br />

Etrange plus encore, la lecture du texte nous faisait passer d’un état « normal »<br />

à un état d’ouverture totale aux perceptions.<br />

On se promène, on rigole, on boit un coup. Et puis on décide de se mettre en condition<br />

de recevoir la ville dans ce qu’elle est.<br />

Dimension presque religieuse, sectaire, mystique.<br />

On s’arrête alors. Chacun de nous trois lit un passage, un mot, une phrase à voix haute.<br />

Immédiatement, nous changeons le prisme avec lequel nous abordons le sensible<br />

émanant de notre entourage.<br />

Le Texte est un pont pour nous ici.<br />

Tensions, transition permanente de nos identités entre ces deux mondes superposés.<br />

Deux matrices confondues. Il est le code qui ouvre l’arcade.<br />

La pièce est le champignon.<br />

Mais on est si bien dans l’Etat de rêve. On est ailleurs. On joue.<br />

Les autres sont des passants, des adjuvants, des acteurs qui évoluent tout autour.<br />

Sentiment de puissance. De mise en scène. Projecteurs braqués sur nous.<br />

Suivre le tracé où nos corps nous emmènent.<br />

Fin de la pièce : lumière, merveille. Envoi en mission ?<br />

La pièce et l’ambiance mystique, spirituelle de Lourdes se sont croisées ici.<br />

C’était imprévu.<br />

Nous avons suivi le processus inverse : Lourdes joue la pièce, le texte est le spectateur.<br />

Et une fois partis ?<br />

20


Mathis.<br />

Musée de Cire<br />

Les cierges, colonnes vertébrales, se courbent. Les perles de cire ruissèlent sur ces<br />

corps funestes et sombres.<br />

Comme une auréole sur leur tête, des dizaines de petites flammes flottent et veillent<br />

sur les sépultures de prières. Le feu danse et consume.<br />

La travée de la nef est bordée d’esprits.<br />

Discrète dans le silence, la rencontre fatale entre la cire brûlante le temps d’un instant<br />

et le cierge infiniment glacial anime ce cimetière de feu.<br />

Altercation violente entre deux mondes.<br />

« Le monde terrestre et le monde céleste,<br />

Celui des vivants et celui des morts ».<br />

Le pèlerin se courbe. Vieux, malade, il conduit ses pas par la prière. Silencieux.<br />

De chaudes perles salées ruissèlent sur ses joues glaciales. Impuissant, il fond.<br />

Entre deux mondes, entre deux rives, le bruit du torrent déchaîné est assimilé au<br />

silence pieux.<br />

C’est dans le sas aquatique de la mort que le reflet des étoiles lutte pour vivre.<br />

C’est dans ce sas que le banc de poissons lutte à contre-courant pour ne pas se laisser<br />

happer et s’écraser sur la pierre froide et tranchante.<br />

Le jour est revenu. Le Soleil chauffe nos cœurs comme nos âmes, les folles feuilles<br />

flottent et bruissent. La sève grimpe vers le ciel, nos visages s’éclairent,<br />

Les yeux perdus dans le ciel.<br />

La symphonie du nouveau monde retentit.<br />

Je suis vivant c’est merveilleux.<br />

21

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