Etre jeune en province Nord
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chapitre 1<br />
Notre analyse s’attachera à se débarrasser des préjugés les plus persistants et du socioc<strong>en</strong>trisme<br />
lat<strong>en</strong>t à l’égard de la <strong>jeune</strong>sse et <strong>en</strong> particulier de la <strong>jeune</strong>sse kanak, <strong>en</strong> les mettant à l’épreuve<br />
des résultats.<br />
II.2.b – « Les traditionalistes » versus « les modernistes »<br />
Les discours sur la <strong>jeune</strong>sse de la <strong>province</strong> <strong>Nord</strong> consist<strong>en</strong>t très souv<strong>en</strong>t à la disqualifier. On la<br />
décrit comme victime de l’occid<strong>en</strong>talisation (le monde des blancs), dépossédée de ses repères<br />
culturels parce que coupée de la vie <strong>en</strong> tribu, ou <strong>en</strong>core, comme manquant d’ambitions, de<br />
motivations, de goûts pour l’effort.<br />
Ces descriptions r<strong>en</strong>voi<strong>en</strong>t à deux conceptions différ<strong>en</strong>tes (les « traditionalistes » et les<br />
« modernistes ») qui s’affront<strong>en</strong>t, mais dont les positions parfois se recoup<strong>en</strong>t.<br />
Dans les deux cas, la culture est considérée comme étant figée, immuable.<br />
Les traditionalistes se désespèr<strong>en</strong>t de voir la <strong>jeune</strong>sse se pervertir au contact du « monde des<br />
blancs », la considérant tantôt comme victime, tantôt l’accusant de vouloir nier, rejeter ou<br />
s’éloigner de sa culture (sa tradition). Ces discours sont souv<strong>en</strong>t accompagnés de la peur de<br />
voir disparaître les fondem<strong>en</strong>ts de la société kanak <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drant des t<strong>en</strong>sions, des conflits <strong>en</strong>tre<br />
les anci<strong>en</strong>nes générations et les plus <strong>jeune</strong>s.<br />
Cette nostalgie du passé laisse les deux parties <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce incapables de communiquer.<br />
Les « modernistes » considèr<strong>en</strong>t, eux, que les <strong>jeune</strong>s kanak sont réfractaires aux exig<strong>en</strong>ces de<br />
l’insertion économique et sociale parce que leur culture ne leur fournit pas les prédispositions<br />
nécessaires (leur culture ne les pousse pas à l’action, leur échec scolaire ou les difficultés d’accès<br />
à l’emploi résulterai<strong>en</strong>t d’une m<strong>en</strong>talité communautaire où la compétitivité, l’esprit d’initiative<br />
– caractéristiques de la modernité – serai<strong>en</strong>t inexistants…). De cette vision, émane tout un<br />
<strong>en</strong>semble de dispositifs institutionnels pour parer, suppléer, panser, réparer les manques<br />
supposés que la société kanak n’a pas pu développer faute de capacité ou de volonté.<br />
Ainsi, la <strong>jeune</strong>sse kanak est doublem<strong>en</strong>t stigmatisée. D’une part, elle est considérée comme<br />
ayant perdu les valeurs et les repères traditionnels. D’autre part, elle serait <strong>en</strong> incapacité<br />
d’intégrer les valeurs constitutives de la société dominante, occid<strong>en</strong>tale. Elle doit alors se<br />
positionner à la fois par rapport à sa propre communauté (les par<strong>en</strong>ts, les anci<strong>en</strong>s) et par<br />
rapport à la société dominante et faire face aux préjugés. Mais comme le fait ironiquem<strong>en</strong>t<br />
remarquer Mona Belleau (2009) à propos des <strong>jeune</strong>sses autochtones « combi<strong>en</strong> de <strong>jeune</strong>s nonautochtones<br />
peuv<strong>en</strong>t prét<strong>en</strong>dre connaître leur culture dans les moindres détails <strong>en</strong> plus de celle<br />
des autochtones de leur pays ? Pour ceux qui le peuv<strong>en</strong>t, c’est souv<strong>en</strong>t grâce à un travail de<br />
longue haleine exigeant ouverture d’esprit et rigueur. Et pourtant, nous nous att<strong>en</strong>dons à ce<br />
qu’un <strong>jeune</strong> autochtone ait acquis toutes ses connaissances tout naturellem<strong>en</strong>t ».<br />
Cette remarque, replacée dans le contexte de la Nouvelle-Calédonie, est intéressante parce<br />
que jamais posée. Or, nous demandons aux <strong>jeune</strong>s kanak qu’ils maîtris<strong>en</strong>t parfaitem<strong>en</strong>t leur<br />
culture, et <strong>en</strong> plus celle des europé<strong>en</strong>s. Mais, combi<strong>en</strong> de <strong>jeune</strong>s non kanak connaiss<strong>en</strong>t<br />
<strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t leur culture, et combi<strong>en</strong> sont-ils à connaître celle des kanak ?<br />
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