Le Fils du Jaguar

Le Fils
du Jaguar
Roman
Illustrations de Fabienne Maignet
EDITIONS DELAHAYE
40, rue Carnot, 89100 SENS

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L’AmerriSSAGe
La lumière s’éteignit soudainement. Le soleil disparut, caché
par des nuages de plus en plus sombres : un orage approchait.
La météo avait pourtant prédit un temps plus clément pour cette nuit.
Le Boeing 747 poursuivait sa route transatlantique dans son océan
brumeux. Les passagers recevaient successivement leur repas, tandis
que d’autres attendaient en lisant ou en visionnant un film sur leur
écran.
Parmi eux, un jeune garçon contemplait le ciel à travers le hublot.
Sous ses fins cheveux blonds légèrement ondulés, son regard laissait
paraître des yeux verts qui viraient au bleu gris. Sans doute était-ce
dû à son humeur sombre.
Son père et lui volaient vers le nouveau monde, comme l’ont fait
bien des Français auparavant par bateau, pour trouver du travail au
pays de la fortune. Encore aujourd’hui, au XXIe siècle, Michel avait
l’impression de revivre un peu leur histoire. Son père, Jean Castan,
avait fini par se décider. Sept ans après la mort prématurée de son
épouse, il avait voulu changer de vie. Prendre un nouveau cap, dans
un tout autre environnement. C’est pour cela qu’avec son expérience
d’ingénieur, il avait enfin sauté sur l’occasion d’une mutation à
Miami pour intégrer une nouvelle filiale de son entreprise.
– Mr Mickael !
Michel tourna la tête. Son père revenait à son siège à côté de lui,
un sourire moqueur aux lèvres. Depuis l’annonce de leur départ pour
les États-Unis, il aimait le surnommer ainsi. Blond comme son fils,
c’était un homme qui inspirait confiance.
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L’aMerrissage
– Je suppose que nous n’avons pas reçu notre repas, à moins que
tu n’aies tout englouti en mon absence ?
Devant le visage enjoué de son père, l’adolescent lui rendit un
sourire timide et s’éloigna de la vitre.
***
Minuit venait de s’afficher à sa montre et Michel était encore
éveillé. Il restait au moins trois heures avant d’atterrir à Miami, mais
il n’arrivait toujours pas à dormir. Son père semblait y être parvenu.
Comment faisait-il donc ?
Depuis la fin du dîner, l’avion n’avait cessé de vibrer et d’être
secoué. Un désagrément courant, sans doute, dû aux turbulences
provoquées par l’orage. Les gens ne semblaient pas inquiets, somnolant
ou continuant de regarder leur film.
Évidemment, un accident d’avion restait aujourd’hui très rare,
avec des appareils de plus en plus modernes et des conditions de
sécurité accrues. Mais avec tout ce que montrent les médias : les
détournements volontaires et les crashs inexpliqués, il y avait des
raisons de ne pas être totalement serein…
Michel ne se sentait pas tranquille. L’avion tanguait de plus en
plus et commençait même à le rendre malade.
Soudain, un signal lumineux s’alluma au-dessus de sa tête.
Le symbole indiquant d’attacher sa ceinture venait de s’éclairer en
jaune pour tous les passagers. La voix du pilote résonna dans l’appareil,
mais Michel ne comprit pas les directives données en anglais.
De toute façon, il n’était pas difficile de deviner ce qu’il fallait faire.
Il secoua son père.
– Papa ! Papa, réveille-toi !
Ce dernier sortit difficilement de son sommeil.
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Je ne sais pas. Mais on doit s’attacher.
Tous deux bouclèrent leur ceinture.
Michel sentit soudain l’avion tanguer sensiblement à gauche. Il
regarda par le hublot.
Il avait peine à voir dehors, le ciel complètement obscurci par
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Le FiLs du jaguar
l’orage et la nuit. Seuls quelques éclairs lui permirent d’apercevoir
l’aile du Boeing. La lampe rouge au bout pointait effectivement à
45 degrés vers le bas.
– Papa, je crois qu’on tourne.
– Je pense aussi. On dirait qu’on prend de l’altitude.
– Pourquoi ? Qu’est-ce qui se passe ?
– Je ne sais pas. Peut-être que le pilote essaie de contourner la
zone orageuse. Ne t’inquiète pas. Ce n’est pas la première fois que
ça arrive.
Son père se montra rassurant et convainquit presque Michel. Il
jeta un nouveau coup d’œil par la vitre. L’avion s’était repositionné
à l’horizontal.
Le garçon espérait sortir rapidement de cette zone de turbulences
pour retrouver une situation normale. Il avait l’impression d’être
embarqué dans un manège à sensations mais sans savoir quand cela
allait s’arrêter.
Un coup violent le plaqua soudain contre la paroi. Sa tête percuta
le hublot, lui infligeant une vive douleur à la tempe. Sonné par le
choc, les bruits lui semblèrent lointains. La voix de son père résonna.
– Michel, ça va ?
Les mains sur sa tête douloureuse, il se sentait déconnecté de la
réalité. Il lui sembla entendre vaguement une autre voix, inaudible,
celle du pilote.
Il sentit les mains de son père pour le forcer à le regarder mais
eut peu de réactions. Il vit ce dernier déplier devant lui une étrange
serviette en plastique jaune.
– Mets ça en vitesse !
Michel retrouva progressivement ses esprits, mais pas assez rapidement
pour son père qui lui fit endosser le gilet de sauvetage et
commença à le sangler à la taille. Le garçon vit au-dessus de son
épaule une hôtesse de l’air crier des ordres, un gilet à la main.
Une fois Michel prêt, son père saisit le sien sous le siège et l’enfila
à son tour.
Le garçon n’arrivait pas à comprendre toute cette agitation. Tout
allait trop vite. Les secousses étaient d’une ampleur impressionnante,
comme si un tremblement de terre s’était réveillé à l’intérieur
même de l’avion. Les passagers paniquaient. Des enfants pleuraient.
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L’aMerrissage
La moitié n’avait pas encore fixé leur gilet lorsqu’une hôtesse hurla
de toutes ses forces :
– BRACE ! BRACE !
– Penche-toi ! cria son père.
Instinctivement, Michel s’exécuta, se baissant le plus bas possible,
la tête collée contre ses jambes.
– Mets tes mains derrière la tête !
Il obéit, et se recroquevilla en position de sécurité.
– Allez, accroche-toi, entendit-il en sentant une dernière fois la
main de son père lui tapoter le dos.
Des cris résonnaient et ils s’intensifièrent lorsqu’ils comprirent
que l’avion piquait sensiblement vers le bas.
– On va se crasher !
– On va mourir !
– NON !
Michel se boucha les oreilles. L’avion filait dans une descente
vertigineuse qui secouait la carlingue.
Cela dura quelques secondes qui semblèrent des heures pour les
passagers. Michel vit sa fin arriver.
« Seigneur, je t’en prie… ! ».
L’impact fut d’une intensité indescriptible. Elle emporta le garçon
dans un autre monde. Irréel et obscur. La mort.
Une force le tira en arrière avec une violence inouïe. Michel fut
projeté contre son dossier. Il crut un instant apercevoir un flash
lumineux, comme une déflagration. Une trombe d’eau déferla à
l’intérieur de l’appareil. Il perçut une série d’explosions, comme
du verre qui éclate, avant de sentir son visage arrosé par une pluie
fraîche et humide.
– Michel !
Le garçon ne parvenait plus à s’orienter. S’était-il passé une
heure ? Une seconde ? Était-il dans les airs ? Sur terre ou dans un
autre monde ? Il se sentait comme absent.
– Michel ! Regarde-moi !
Son père. Son père était là, avec lui.
Il sortit à grand-peine de son engourdissement.
– Tu es avec moi ?
Son visage se trouvait à quelques centimètres de celui de son père.
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Le FiLs du jaguar
– Ça va ?
Michel dut faire un effort considérable pour hocher la tête.
– Allez, viens ! Dépêche-toi !
Son père le dessangla de son siège, l’empoigna et le força à se
lever. Ce n’est qu’une fois debout que Michel revint enfin à la réalité.
La partie avant de l’appareil ainsi qu’une majorité des sièges de
droite étaient ensevelies sous la surface de l’eau. Celle-ci déferla
dans l’avion, noyant le reste des passagers déjà presque tous inertes.
C’était la panique totale. Les quelques survivants situés à l’arrière
comme Michel et son père se ruaient vers la porte de sortie qui
venait de s’ouvrir. Les passagers s’écrasaient les uns sur les autres
pour gagner l’issue. Par chance, Michel et son père ne se trouvaient
qu’à une rangée seulement de la porte, et du bon côté.
Quand Michel arriva à l’ouverture, un toboggan gonflable se
dressait à ses pieds. Toujours agrippé à Jean, le garçon se lança
au-dehors de l’appareil. Ils atterrirent tous les deux sur la bâche, et
glissèrent à toute vitesse jusqu’au bas du toboggan.
Trois personnes se trouvaient déjà là, aspergées sans cesse par des
trombes d’eau violentes.
Jamais Michel n’avait vu un spectacle aussi dramatique, pas
même au cinéma. Sous un ciel opaque, la mer se déchaînait. À croire
que Poséidon jouait avec l’aéronef de soixante-dix mètres de long.
Cela devait faire dix secondes à peine que Michel et son père
avaient quitté le Boeing lorsqu’une énorme vague s’abattit sur l’aile
gauche, pourtant haute de 10 mètres.
Elle la pulvérisa comme un tas de brindilles avant de se jeter sur
le toboggan. Tous les occupants furent engloutis.
Précipité dans une eau glaciale, Michel fut entraîné dans un tourbillon
marin. Luttant pour se libérer, il tenta de regagner la surface.
Lorsqu’enfin il y parvint, après quelques brasses frénétiques, il
chercha son père.
– Papa ! Papa ! hurla-t-il.
Mais son cri se perdit dans les rafales de vent. Entre les trombes
d’eau et l’obscurité de la nuit, il ne voyait presque rien.
De nombreux débris filaient rapidement à la vitesse des vagues.
Michel chercha de quoi s’agripper et repéra une grande planche
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L’aMerrissage
métallique. Après avoir réussi à s’accrocher, il regarda s’il y avait
des survivants, mais en vain.
Emporté à plusieurs dizaines de mètres, le garçon assista aux derniers
instants du gigantesque Boeing 747. L’appareil, privé de ses
ailes et devenu le souffre-douleur de vagues bien plus hautes que
lui, se renversa soudain avant d’être englouti dans l’océan déchaîné.
Horrifié, Michel voulut sortir de ce cauchemar.
– À l’aide ! Aidez-m…
Il n’eut pas le temps d’achever sa phrase : une énorme vague le
recouvrit. Il but la tasse. Il toussa alors qu’il était encore sous la
surface. La lame était à peine passée qu’une autre surgit. Michel
s’agrippa de toutes ses forces à son radeau improvisé, luttant pour
survivre.
Mais les nombreux chocs et le froid l’épuisèrent. Il sombra dans
les ténèbres.
***
Le bruit d’un moteur parvint aux oreilles du garçon inconscient.
« Je dois être dans un hélicoptère… » pensa-t-il.
Peu à peu, il sortit de sa torpeur.
« Non… on dirait… des vagues. »
Il cligna des yeux. Son visage baignait sur une surface mouvante
qui tanguait sans cesse. Une éclaboussure le réveilla complètement.
Michel découvrit avec effroi sa réalité. Il était toujours au milieu
de l’océan, allongé à un morceau de fuselage.
Désorienté, il lui fallut quelques minutes pour retrouver la
mémoire : la tempête, le crash, le toboggan…
Il regarda la mer autour de lui et chercha des débris du Boeing.
Mais il ne trouva aucune trace de l’avion, ni des passagers, ni même
de son père. Il n’y avait que le bleu sombre de la mer qui s’étendait
à perte de vue. Le soleil commençait à pointer à l’horizon.
– C’est pas vrai… Où suis-je ?
Le garçon gémit, désemparé. Son cœur s’accéléra, et un fourmillement
traversa sa poitrine. Il réalisait combien sa situation était
catastrophique. Il était seul, perdu dans l’océan, et son père avait
disparu.
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