MÉMOIRE - Laure Botella
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Université Paris-Est Créteil<br />
UFR des Lettres et Sciences humaines<br />
Département de communication politique et publique<br />
Mémoire de communication politique et publique en France et Europe<br />
CRITIQUES, INJURES ET DIFFAMATIONS ENVERS LES DIRIGEANT·E·S<br />
POLITIQUES : L’IMPACT DES RÉSEAUX SOCIAUX DANS LEUR DIFFUSION<br />
Présenté par <strong>Laure</strong> <strong>Botella</strong><br />
Sous la direction de Pierre-Emmanuel Guigo<br />
Stages effectués au sein du pôle communication du cabinet ministériel de Najat Vallaud-Belkacem,<br />
ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, puis à<br />
Villeurbanne, auprès de la candidate lors de sa campagne législative.<br />
Maître de stage : Jonathan Debauve<br />
Promotion 2015/2017 – Session septembre 2017<br />
1
REMERCIEMENTS<br />
Je souhaite tout d’abord vivement remercier Mme la ministre Najat Vallaud-Belkacem ainsi que les<br />
membres de son cabinet ministériel. Je pense notamment à :<br />
- M. Jonathan Debauve, mon tuteur de stage, ancien conseiller en charge de la communication ;<br />
- Mme Eléonore Slama, ancienne cheffe de cabinet ;<br />
- M. Razak Ellafi, ancien conseiller en charge de la veille et de la prospective et Mme Aline Royer,<br />
ancienne chargée de mission numérique, qui ont en plus accepté de m’accueillir dans leur bureau ;<br />
- Mme Carole Bur, ancienne conseillère en charge de la presse ;<br />
ainsi que tous les autres membres du cabinet, pour m’avoir si bien accueillie et conseillée durant ces<br />
six mois. Merci du fond du cœur pour cette expérience, et tout ce que j’ai pu apprendre et entreprendre.<br />
Je tiens à remercier tout particulièrement M. Pierre-Emmanuel Guigo, mon maître de mémoire, pour<br />
l’ensemble de ses conseils et de son soutien tout au long de la rédaction de ce travail.<br />
Pour leurs conseils, je remercie également Mmes Claire Oger et Caroline Ollivier-Yaniv, professeures<br />
à l’UPEC, pour leurs cours lors des « Ateliers Mémoires » ; ainsi que M. Jean-Faustin Betayene,<br />
directeur du département des études qualitatives chez Harris Interactive France, que j’ai sollicité lors<br />
de la rédaction de mon guide d’entretien.<br />
En outre, pour avoir accepté de m’accorder un entretien et de me transmettre leurs expériences,<br />
j’adresse tous mes remerciements à :<br />
- Mme la Premier ministre Edith Cresson ;<br />
- Mme la ministre Najat Vallaud-Belkacem ;<br />
- M. Frédéric Giudicelli, ancien responsable adjoint du Pôle presse et communication, en charge du<br />
numérique de l'Élysée ;<br />
- Mme Eléonore Slama, ancienne cheffe de cabinet de la ministre de l’Éducation nationale, de<br />
l’Enseignement supérieur et de la Recherche ;<br />
- M. Jonathan Debauve, ancien conseiller en charge de la communication auprès de la ministre de<br />
l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ;<br />
- M. Razak Ellafi, ancien conseiller en charge de la veille et de la prospective auprès de la ministre de<br />
l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ;<br />
- M. Matthieu Protin, ancien conseiller en charge des discours et de l'éducation artistique et culturelle ;<br />
- M. Christian Delporte, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Versailles-Saint-Quentinen-Yvelines,<br />
Directeur de la revue Le Temps des médias ;<br />
2
- M. Jean-Christophe Gatuingt, co-fondateur de Visibrain ;<br />
- M. Adrien Derain, responsable de la riposte numérique de Benoît Hamon ;<br />
- M. Allan Boumaran, responsable de la riposte numérique pour les « Jeunes avec Macron » ;<br />
- @OnZeLeft, Internaute, soutien d’Emmanuel Macron.<br />
Enfin, ce mémoire n’aurait pas pu voir le jour sans l’ensemble des professeur·e·s, des<br />
professionnel·le·s et des camarades que j’ai pu rencontrer au cours de mon parcours universitaire.<br />
Merci pour leurs encouragements et leurs enseignements.<br />
Nota Bene : L’université Paris-Est Créteil l’autorisant, ce mémoire a été rédigé en écriture inclusive.<br />
3
SOMMAIRE<br />
REMERCIEMENTS 2<br />
SOMMAIRE 4<br />
INTRODUCTION 6<br />
I. Hypothèses 7<br />
II. Corpus et méthodologie 8<br />
III. Annonce de plan 10<br />
CHAPITRE 1. LA FRONTIERE ENTRE LES CRITIQUES, LES INJURES ET LES DIFFAMATIONS : DES DEFINITIONS LIEES AU CONTEXTE<br />
HISTORIQUE ET SOCIETAL 11<br />
I. La critique : une définition qui reste floue 12<br />
1. De la première encyclopédie à nos jours 12<br />
2. Le point de vue des interviewé·e·s 13<br />
II. L’injure et la diffamation : des définitions, encyclopédiques comme juridiques, qui ont évolué au<br />
fil des siècles 14<br />
1. Des premières définitions aux trois lois de « Serre » 14<br />
a. Les premières définitions de l’injure 14<br />
b. La calomnie et le libelle diffamatoire 17<br />
2. Des trois lois « de Serre » à aujourd’hui 19<br />
a. L’injure publique : une définition qui reste constante 19<br />
b. La diffamation : une double définition 20<br />
III. Illustration par le cas du Figaro-Magazine qualifiant Najat Vallaud-Belkacem de « Khmère<br />
rose » 22<br />
CHAPITRE 2. L’UTILISATION DES CRITIQUES, DES INJURES ET DES DIFFAMATIONS À DES FINS POLITIQUES : DU MOYEN ÂGE AU<br />
XX E SIÈCLE 26<br />
I. La place des critiques, injures et diffamations avant la Révolution française 27<br />
1. Quand la diffamation permet d’éliminer un adversaire : le cas du pape Boniface VIII 27<br />
a. Un engrenage qui débute avant l’élection du pape Boniface VIII 28<br />
b. Du retournement de situation jusqu’aux accusations post-mortem 29<br />
2. Libelles diffamatoires et calomnies envers les puissant·e·s : l’utilisation des pamphlets contre la<br />
royauté 32<br />
II. Les femmes en politique : les critiques, injures et diffamations au service de la misogynie 35<br />
1. Une différence de traitement vis-à-vis des femmes : le cas de Lucien Neuwirth et de Simone<br />
Veil 36<br />
2. Edith Cresson, « la Pompadour de Mitterrand » 37<br />
CHAPITRE 3. CRITIQUES, INJURES ET DIFFAMATIONS : QUAND INTERNET BOUSCULE LES CODES DE LA COMMUNICATION ET DE<br />
L’INFORMATION 43<br />
I. Internet : un média indispensable à l’extrême droite 44<br />
1. Le Front national : premier parti à avoir utilisé internet dans sa communication 44<br />
a. S’exprimer en dehors des médias traditionnels : une nécessité pour l’extrême droite 44<br />
b. Un parti qui sait utiliser les innovations technologiques à son avantage 46<br />
2. Une fachosphère qui se développe, de plus en plus décomplexée 48<br />
a. Une multitude de sites internet 49<br />
b. Internet : une transparence néfaste pour le Front national ? 53<br />
II. Quand les journalistes basent leurs articles sur les sujets « tendances » au risque de relayer de<br />
fausses informations 55<br />
1. Une homogénéisation croissante de l’information 57<br />
4
2. Une recherche constante de nouvelles informations provoquant une quantité d’informations au<br />
détriment de sa qualité ? 61<br />
CHAPITRE 4. LA SPECIFICITE DES INJURES ET DIFFAMATIONS SUR INTERNET : ILLUSTRATION AVEC DEUX PERSONNALITES<br />
POLITIQUES 66<br />
I. « Najat Vallaud-Belkacem a imposé l’arabe à l’école et veut islamiser la France » : une ministre,<br />
cible de prédilection 66<br />
1. Contexte de la polémique 67<br />
2. Présentation d’une sélection de protagonistes 68<br />
a. Une polémique débutant le 9 août 2015 … 68<br />
b. Reprise le 31 mai 2016 par l’extrême droite … 70<br />
c. Et amplifiée par Bruno Le Maire le 1 er juin 2016 71<br />
3. Quand la droite républicaine débat sur une fausse information, tout en gardant des verbatims<br />
proches de ceux de l’extrême droite 73<br />
II. François Hollande et les sans-dents : lorsque la polémique est plus du fait des médias<br />
traditionnels que des réseaux sociaux numériques 81<br />
1. Contexte de la polémique 82<br />
2. Analyse 83<br />
CHAPITRE 5. LES RESEAUX SOCIAUX : UN OUTIL DEVENU INDISPENSABLE DANS LA LUTTE CONTRE LES CRITIQUES, INJURES ET<br />
DIFFAMATIONS 93<br />
I. En politique, un outil indispensable pour répondre aux critiques et à la diffamation 93<br />
1. Répondre aux critiques et diffamations via des comptes spécifiques 95<br />
a. Des comptes animés par les équipes 95<br />
b. Les comptes des membres de l’équipe 97<br />
2. Le recours aux sympathisants et aux militants lors des ripostes 99<br />
II. « Najat Vallaud-Belkacem a réformé l’orthographe » : ou quand les réseaux sociaux<br />
numériques permettent une riposte efficace 101<br />
1. Contexte de la polémique 102<br />
2. Riposte et analyse 103<br />
a. Une riposte préparée en amont par l’équipe 103<br />
b. Avec une défense sans précédent de la part des internautes 105<br />
CONCLUSION 111<br />
I. Les réseaux sociaux numériques ont révolutionné la nature des critiques, injures et diffamations<br />
en libérant la parole 111<br />
II. Avec l’instantanéité de la diffusion, et parfois le manque de vérification préalable, il semble que<br />
tout prenne une ampleur démesurée ; 113<br />
III. L’arrivée des réseaux sociaux numériques est, à l’inverse, un véritable outil pour les<br />
personnes critiquées, injuriées et/ou diffamées, leur offrant une opportunité de réponse et de<br />
transparence plus rapide. 114<br />
BIBLIOGRAPHIE ET SOURCES 118<br />
I. Ouvrages généraux 118<br />
II. Autres ouvrages 118<br />
III. Ouvrages collectifs 119<br />
IV. Articles de revues 119<br />
V. Articles de presse 120<br />
VI. Émissions de télévision 123<br />
VII. Sites internet 123<br />
VIII. Enquêtes et études 124<br />
IX. Entretiens 124<br />
5
INTRODUCTION<br />
« Réseau social : Mode d’interactions sociales qui facilite la création et l’échange<br />
d’information et de contenus entre des individus et entre individus et organisations. »<br />
Mercator-Publicitor 1<br />
La critique et l’injure, voire la diffamation, ont toujours été utilisées contre les dirigeant·e·s politiques.<br />
Ainsi, au début du 14 e siècle, le pape Boniface VIII se fait emprisonner par le roi de France Philippe Le<br />
Bel, accusé « de ne pas croire à l’eucharistie, de violer le secret de la confession, de ne pas respecter jeûne<br />
et abstinence, de se faire adorer, d’adorer des idoles, de posséder un démon privé, de s’adonner à des<br />
pratiques magiques, telles les fumigations, les invocations et les consultations des démons » 2 . Cette<br />
accusation le suivit même après sa mort, puisqu’un procès à titre posthume sera exigé.<br />
Si la diffamation a pu être utilisée contre la papauté, elle a également pu être une arme contre la<br />
royauté, comme le montreront les différents pamphlets accusatoires envers les roi Henri III et Louis<br />
XVI, ainsi qu’envers la reine Marie-Antoinette.<br />
Dans la deuxième moitié du 20 e siècle, avec des femmes de plus en plus nombreuses en responsabilité<br />
politique, les attaques misogynes, un temps moins fréquentes, refont leurs apparitions : lorsque les<br />
hommes étaient toujours attaqués de par leurs fonctions et étaient « interchangeables », les attaques<br />
envers les dirigeantes politiques étaient toujours bien plus personnelles.<br />
Mais quelle est la situation aujourd’hui, en France, depuis l’apparition d’Internet et des réseaux<br />
sociaux numériques ?<br />
En cette ère d’immédiateté, le buzz et la « Tendance Twitter » sont pris en compte dans l’écriture<br />
d’articles de presse. Et ceci peut se comprendre lorsque nous savons que « les attentats du 13 novembre<br />
2015 ont d’abord été signalés via des tweets, avant même que la télévision ne relaie le sujet, une dizaine de<br />
minutes plus tard. […] Une véritable révolution dans la fabrique de l’information », comme le rappelle<br />
Pierre-Emmanuel Guigo dans son ouvrage « Com et politique, les liaisons dangereuses ? : 10 questions<br />
1<br />
MERCATOR-PUBLICITOR, Lexique du Marketing, 11e édition [en ligne], [consulté le 10 septembre 2017]. P. 572. Disponible<br />
sur : http://www.mercator-publicitor.fr/lexique-marketing-definition-reseaux-sociaux<br />
2<br />
PARAVICINI BAGLIANI Agostino, Boniface VIII : Un pape hérétique ?, Payot, 2003, P. 10.<br />
6
pour comprendre la communication politique » 3 . Cependant, si de nombreux·ses journalistes tentent<br />
de « réinformer » et mènent des campagnes de « désintox », d’autres peuvent participer à la<br />
propagation de fausses informations pour des raisons que nous aborderons dans ce mémoire.<br />
Les réseaux sociaux numériques deviennent également un véritable « défouloir », avec des propos<br />
parfois haineux, où des personnes peuvent à présent donner leurs avis sur tout, et créer du buzz, voire<br />
où elles sont plus crues, respectées et considérées que des expert·e·s pourtant reconnu·e·s.<br />
Ces différents éléments nous permettent de relever une problématique globale : Du Pape Boniface VIII<br />
au Moyen âge à Najat Vallaud-Belkacem aujourd’hui, les dirigeant·e·s politiques ont toujours essuyé<br />
critiques, injures, voire diffamations. A l’ère des réseaux sociaux numériques, peut-on dire que ces<br />
outils ont modifié leur nature et leur propagation ?<br />
I. Hypothèses<br />
La définition de cette problématique nous permet ainsi de poser plusieurs hypothèses :<br />
Ø De prime abord, une hypothèse semble s’imposer : celle répondant par la positive à notre<br />
problématique. Oui, les réseaux sociaux numériques ont, en quelque sorte, révolutionné la<br />
nature des critiques, injures et diffamations en libérant la parole violente ;<br />
Ø Par ailleurs, avec l’instantanéité de la diffusion, et parfois le manque de vérification préalable,<br />
il semble que tout prenne une ampleur démesurée, certain·e·s journalistes reprenant même<br />
ce qui est en « tendance » sur les réseaux sociaux numériques, que ce soit dans les articles en<br />
ligne ou, pire, dans les journaux télévisés. Dans ce dernier cas, la diffusion, sortira du cercle<br />
restreint des internautes et se verra donc accrue ;<br />
Ø Enfin, une troisième hypothèse s’impose : et si l’arrivée des réseaux sociaux numériques était,<br />
à l’inverse, un véritable outil pour les personnes critiquées, injuriées et/ou diffamées, leur<br />
offrant une opportunité de réponse et de transparence plus rapide ? De plus, nous pouvons voir<br />
qu’au Moyen âge, des personnes diffamées pouvaient en mourir quand, aujourd’hui, les<br />
personnes injuriées et/ou diffamées peuvent s’appuyer sur une « communauté » qui n’hésitera<br />
pas à prendre leur défense.<br />
3<br />
GUIGO Pierre-Emmanuel, Com et politique, les liaisons dangereuses ? : 10 questions pour comprendre la communication<br />
politique, Arkhe editions, 2017, 202 pages. P. 86<br />
7
II.<br />
Corpus et méthodologie<br />
La méthodologie utilisée pour ce mémoire a pour objectif de vérifier si l’apparition des réseaux sociaux<br />
numériques a eu un impact ou non dans la propagation des critiques, des injures et des diffamations<br />
envers les personnalités politiques ainsi que sur la riposte de ces dernières. Pour cela, nous avons<br />
utilisé plusieurs méthodologies différentes et complémentaires, afin de récolter les données<br />
nécessaires : différents entretiens, une recherche documentaire et une analyse quantitative et<br />
qualitative de verbatim provenant d’une sélection de commentaires et de tweets.<br />
Des entretiens ont tout d’abord été réalisés auprès de militant·e·s, de professionnel·le·s ou de<br />
personnalités politiques, ayant pu être victimes de critiques, d’injures voire de diffamations, ou ayant<br />
participé à des ripostes. Ces entretiens, d’une durée d’un quart-heure à une heure, ont été réalisés en<br />
fonction des disponibilités de nos interlocuteurs et interlocutrices. Nous avons préparé plusieurs<br />
guides d’entretien, que nous adaptions en fonction de l’interwievé·e, l’entretien de la personnalité<br />
politique différant de celle d’un·e de ses collaborateurs ou collaboratrices, par exemple. Les différents<br />
guides d’entretien se trouvent dans l’Annexe I.<br />
Nous avons contacté des personnalités de droite comme de gauche, ou leurs communicants, ainsi que<br />
des journalistes et des militant·e·s en charge de ripostes. Nous avons ainsi pu réaliser :<br />
- cinq entretiens en face à face : la Premier ministre Edith Cresson, Frédéric Giudicelli,<br />
Eléonore Slama, Jonathan Debauve et Matthieu Protin ;<br />
- quatre entretiens par téléphone : la ministre Najat Vallaud-Belkacem, Allan<br />
Boumaran, Christian Delporte et Adrien Derain ;<br />
- deux entretiens par échange de mails : Razak Ellafi et Jean-Christophe Gatuingt ;<br />
- un entretien par messagerie instantanée : @OnZeLeft.<br />
L’ensemble de ces entretiens ont été retranscrits et se trouvent dans l’Annexe II. Cependant,<br />
considérant la teneur et les personnalités interrogées, pour permettre une plus grande spontanéité,<br />
ces entretiens, et donc cette annexe, resteront confidentiels. Par conséquent, seul mon maître de<br />
mémoire et sa co-jury y auront accès. Nous valoriserons, dans le corps de ce mémoire, les extraits que<br />
nous considérons pertinents pour répondre à nos hypothèses.<br />
Ensuite, nous avons mené une recherche documentaire nous permettant de construire un corpus à la<br />
fois encyclopédique, juridique et théorique. Dans la mesure où notre travail porte, entre autres, sur<br />
une évolution des critiques, injures et diffamations ; nous avons souhaité, dans un premier temps, voir<br />
l’évolution des définitions encyclopédiques et juridiques de ces termes. Si cette recherche<br />
documentaire s’est faite sur internet et n’était pas exhaustive, la période étudiée va du Moyen âge à<br />
nos jours. Notre travail intègre également des extraits provenant d’ouvrages et d’articles de revues.<br />
8
Ceci nous a permis de trouver des illustrations et exemples de critiques, d’injures et de diffamations<br />
sur cette même période.<br />
Enfin, pour illustrer l’impact des réseaux sociaux numériques, nous avons décidé d’étudier trois cas<br />
particuliers de diffamations envers le Président de la République François Hollande et la ministre de<br />
l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Najat Vallaud-Belkacem. Les<br />
exemples ont été choisis en raison :<br />
• de leurs impacts présumés ;<br />
• de leurs reprises dans les médias traditionnels ;<br />
• de l’importance accordée par les différent·e·s interviewé·e·s ;<br />
• ou parce que l’autrice de ce mémoire avait elle-même participé, lors de son stage, à la riposte<br />
d’une de ces diffamations.<br />
Pour chaque illustration, nous avons à la fois étudié des statuts Facebook, des tweets et des articles<br />
périodiques en ligne.<br />
Pour Twitter, aucun tri préalable n’a été réalisé, si ce n’est sur les mots clés qui ont servi à la<br />
recherche. L’ensemble des tweets trouvés sur une période, concernant un mot clé, a été extrait du<br />
réseau social.<br />
Pour les statuts Facebook, comme pour les articles, nous avons en revanche décidé, de façon<br />
arbitraire, de ne retenir que ceux qui étaient les plus populaires (nombre de commentaires, nombre<br />
de partages, nombre de vues dans le cas d’une vidéo, etc.). Comme nos illustrations concernaient des<br />
personnalités de gauche, nous avons, pour Facebook, regardé plus précisément des statuts provenant<br />
de la droite ou de l’extrême droite. Ceci permettait, par ailleurs, de voir quelles auraient pu être, ou<br />
ont été, les ripostes envisagées sur ces statuts. Pour chacun de ces statuts, nous avons extrait<br />
l’ensemble des commentaires et réponses aux commentaires.<br />
Cette masse d’informations a ensuite été nettoyée pour pouvoir réaliser différents comptages. Cela<br />
nous a permis d’extraire des exemples de tweets et commentaires représentatifs et d’en analyser la<br />
terminologie utilisée, leur densité et leur violence. Pour Facebook, nous en avons également déduit<br />
des statistiques, dont le nombre de personnes différentes et la moyenne de commentaires par<br />
personne.<br />
Nous terminerons ces illustrations par des graphiques, réalisés à l’aide des logiciels Tropes 4 et<br />
WordArt 5 (logiciels libres de droit sur internet).<br />
4<br />
Tropes. Disponible sur : http://tropes.fr/<br />
5<br />
Wordart. Disponible sur : https://wordart.com/<br />
9
III.<br />
Annonce de plan<br />
Dans notre premier chapitre, de façon à bien comprendre les notions abordées dans ce mémoire, nous<br />
verrons quelles frontières existent entre les critiques, les injures et les diffamations. Nous<br />
détaillerons, à chaque fois, les évolutions des définitions juridiques et encyclopédiques, de la première<br />
encyclopédie à nos jours. Puis nous illustrerons ces évolutions par un exemple contemporain, l’article<br />
du Figaro qualifiant Najat Vallaud-Belkacem de « Khmère rose », en l’appliquant à chacune des<br />
périodes étudiées.<br />
Pour remettre dans une perspective historique les notions d’injure et de diffamation, nous<br />
expliquerons, dans notre deuxième chapitre, comment pouvaient être utilisées les critiques, injures et<br />
diffamations à des fins politiques, du Moyen âge au XX e siècle. Nous étudierons alors la place des<br />
critiques, injures et diffamations avant la Révolution française, puis lorsqu’elles se sont mises au<br />
service de la misogynie, depuis que les femmes ont des postes de pouvoir.<br />
Notre troisième chapitre portera sur le bousculement des codes de la communication et de<br />
l’information, suite à l’arrivée d’Internet, puis des réseaux sociaux numériques. Nous expliquerons en<br />
quoi maîtriser ces nouveaux codes était une nécessité pour le Front national puis parlerons ensuite de<br />
la place que peuvent avoir certain·e·s journalistes en basant leurs articles sur les sujets « tendances »,<br />
au risque de relayer des informations erronées, et tenterons d’en expliquer les raisons.<br />
Nous nous concentrerons ensuite sur deux illustrations, lors de notre quatrième chapitre. Ces<br />
exemples sont ressortis spontanément lors des entretiens que nous avons eu. Il s’agissait pour le<br />
premier exemple de la polémique autour de la réforme des ELCO, où l’extrême droite et la droite<br />
républicaine ont accusé Najat Vallaud-Belkacem de vouloir imposer l’arabe à l’école. Le second<br />
exemple traité est celui de la potentielle utilisation du terme « sans-dents » par le Président de la<br />
République François Hollande. Dans les deux cas, nous présenterons le contexte, les protagonistes<br />
avant de voir l’exploitation qui en a été faite sur les réseaux sociaux ou dans la presse.<br />
Enfin, dans notre dernier chapitre, nous verrons les ripostes possibles sur les réseaux sociaux à<br />
travers l’expérience de militants ou de collaborateurs, puis en analysant la riposte telle qu’elle s’est<br />
organisée dans les réseaux sociaux après que Vanessa Burggraf ait indiqué à tort, lors de l’émission<br />
« On n’est pas couché », que Najat Vallaud-Belkacem était à l’origine de la réforme de l’orthographe.<br />
10
CHAPITRE 1. LA FRONTIERE ENTRE LES CRITIQUES, LES INJURES ET LES<br />
DIFFAMATIONS : DES DEFINITIONS LIEES AU CONTEXTE HISTORIQUE ET<br />
SOCIETAL<br />
« C’est la loi qui définit par ailleurs l’injure publique. » De la même façon, la diffamation est « dans un<br />
cadre légal bien défini. La diffamation c’est affirmer quelque chose de faux sur une personne, qui porte<br />
préjudice. L’injure publique, c’est une injure publique. » déclare Frédéric Giudicielli, ancien conseiller<br />
adjoint à la communication 6 , sur la partie numérique, de François Hollande. Selon Jonathan Debauve,<br />
ancien conseiller en charge de la communication de Najat Vallaud-Belkacem, « on bascule dans l’injure<br />
dès lors qu’on commence à diffamer, à mentir, et à utiliser des mots injurieux. » 7 Mais la place de la<br />
publicité de cette injure est très importante. Il illustre cette importance par un exemple :<br />
l’apprentissage de l’Islam en cinquième. « Je ne pense pas […] que l’apprentissage de l’islam en cinquième<br />
dans les programmes d’histoire, aurait pris, si un certain nombre de parlementaires de droite, y compris de<br />
la droite républicaine, n’avait pas cherché à volontairement biaiser, exploiter, quelque chose qui était faux,<br />
puisque l’islam est dans les programmes d’histoire depuis les années 1950, avec la naissance du<br />
monothéisme, voire même avant. » Mais la place de l’origine de Najat Vallaud-Belkacem restait<br />
importante : « Ça arrange beaucoup de gens de jouer sur les peurs, de laisser entendre que Najat Valaud-<br />
Belkacem a une double allégeance. Tout cela pour moi, cela relève de l’insulte, de la diffamation. » 8 Pour<br />
l’ancienne ministre de l’Éducation nationale, « cela devient diffamation quand cela prétend porter des<br />
informations à la connaissance publique qui n’en sont pas. » 9 Elle cite l’exemple de la scolarisation de ses<br />
enfants : « lorsque l’on fait courir le bruit que je scolarise mes enfants dans le secteur privé, c’est une<br />
information qui n’en est pas une. On la fait courir publiquement, et elle est diffamante parce qu’elle cherche<br />
à me porter atteinte ».<br />
Tou.te.s les interviewé·e·s sont donc unanimes ou presque : ce sont les définitions juridiques, et donc<br />
la loi, qui définissent la frontière entre les critiques, les injures et la diffamation. Si la critique n’est pas<br />
condamnable, et est même souhaitable en démocratie, ce n’est pas le cas de l’injure et de la<br />
diffamation, qui sont encadrées juridiquement. Mais la loi et les définitions, juridiques et<br />
encyclopédiques, ont évolué au fil des siècles, certaines définitions venant même en remplacer<br />
d’autres.<br />
6<br />
GIUDICELLI Frédéric, ancien responsable adjoint du Pôle presse et communication, en charge du numérique de l'Élysée.<br />
Entretien réalisé le 4 août 2017.<br />
7<br />
DEBAUVE Jonathan, ancien conseiller en charge de la communication de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé le 11<br />
mai 2017.<br />
8<br />
Ibid.<br />
9<br />
VALLAUD-BELKACEM Najat, ancienne ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.<br />
Entretien réalisé le 23 juin 2017.<br />
11
I. La critique : une définition qui reste floue<br />
Nous démontrerons ici que le mot « critique » a une définition qui reste floue, quelle que soit la période<br />
étudiée.<br />
1. De la première encyclopédie à nos jours<br />
Dans les différentes encyclopédies, les définitions du mot « critique » ne dépassent pas l’exemple de<br />
la critique artistique. Qu’il s’agisse de critique littéraire ou portant sur une œuvre d’art, le domaine<br />
politique est peu abordé. C’est le cas aussi bien de la première encyclopédie française écrite sous la<br />
direction de Denis Diderot et, partiellement, de D'Alembert 10 que pour celle du 21 ème siècle et<br />
notamment l’encyclopédie Larousse 11 .<br />
Par exemple, Diderot et D’Alembert définissent la critique de trois façons différentes :<br />
- Le critique en tant que personne : « auteur qui s’adonne à la critique. On comprend sous ce nom divers<br />
genres d’écrivains dont les travaux & les recherches embrassent diverses parties de la Littérature » ;<br />
- La critique en tant que censure : « Critique s’applique aux ouvrages littéraires ; censure aux ouvrages<br />
théologiques, ou aux propositions de doctrine, ou aux mœurs. » Cette définition est, de façon surprenante,<br />
la seule que nous ayons trouvé dans nos recherches mentionnant un domaine politique ;<br />
- La critique en tant que point de vue : « On peut la considérer sous deux points de vûe généraux : l’une<br />
est ce genre d’étude à laquelle nous devons la restitution de la Littérature ancienne. […] Le second point de<br />
vûe de la critique, est de la considérer comme un examen éclairé & un jugement équitable des productions<br />
humaines. » Il s’agit ici d’esprit critique, soit par rapport à un travail théologique passé, comme, par<br />
exemple, revisiter le travail des copistes et de leurs interprétations des différents textes théologiques ;<br />
soit par rapport à un travail intellectuel comme les sciences ou les arts. Dans ce cadre-là, la critique<br />
est d’ailleurs associée à la notion de recherche de vérité.<br />
Nous remarquons que, dans le dictionnaire Larousse actuel, ces définitions du mot critique ont peu<br />
changé. Elles sont toujours divisées de trois façons différentes. Il s’agit soit de « l’art de juger des<br />
œuvres littéraires ou artistiques » 12 , soit d’une « personne qui étudie les œuvres littéraires ou<br />
10<br />
DIDEROT Denis et LE ROND D'ALEMBERT Jean, Critique. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des<br />
métiers, 1751-1765. Consultable en ligne :<br />
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/CRITIQUE<br />
11<br />
Encyclopédie Larousse. Consultable en ligne : http://www.larousse.fr/encyclopedie<br />
12<br />
critique, nom féminin. In Larousse [en ligne]. Larousse, [consulté le 15 juillet 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/critique/20575?q=critique<br />
12
artistiques » 13 , soit d’un point de vue, « qui a pour objet de discerner les qualités et les défauts » 14 . Seule<br />
une notion paraît nouvelle : la critique comme adjectif, « qui expose à un grave danger ; dangereux » 15 .<br />
Comme toute encyclopédie, la dernière encyclopédie Larousse détaille ces définitions en les<br />
élargissant à d’autres domaines, comme la critique génétique ou la masse critique. Là encore, il n’y a<br />
pas de réelle définition précise de la critique. Cette dernière pouvant être à la fois une personne, un<br />
adjectif ou une tournure d’esprit. Pourtant, comme nous allons le voir, aujourd’hui, dans l’esprit des<br />
personnalités que nous avons interviewées, la notion de critique est claire.<br />
2. Le point de vue des interviewé·e·s<br />
Recevant dès le début, quel que soit l’interlocuteur ou l’interlocutrice, les mêmes descriptions, à<br />
quelques nuances près, de ce que pouvait être une critique et surtout de sa différentiation avec l’injure<br />
et la diffamation, nous avons ensuite supprimé ces questions de notre questionnaire. Seules trois<br />
personnes nous ont donc donné leur définition de la critique.<br />
Ainsi, pour Najat Vallaud-Belkacem, « La critique a un fondement. L’insulte et la diffamation n’en ont pas.<br />
Ou alors ils sont inexistants. » 16 Selon elle, critiquer « c’est ne pas être d’accord avec une solution apportée<br />
à un problème. Mais c’est qualifier le problème. Injurier, c’est ne pas s’intéresser au fond du problème et<br />
c’est prendre la personne pour le problème. »<br />
Jonathan Debauve, ancien conseiller à la communication de Najat Vallaud-Belkacem, semble penser<br />
la même chose. Pour lui, la critique « est tout ce qui relève d’une argumentation raisonnée ». Que l’on<br />
soit d’accord ou non avec cette critique, « elle est constructive, elle est argumentée, elle n’est pas<br />
insultante » et « c’est le jeu de la démocratie » 17 .<br />
Pour Eléonore Slama, ancienne cheffe de cabinet de Najat Vallaud-Belkacem, la différence entre la<br />
critique et l’injure, en plus d’être juridique, tient de la manière de l’exprimer : « On a le droit de ne pas<br />
d’accord avec la politique menée, on a le droit de dire, bien évidemment, mais il y a une façon de le dire. »<br />
C’est « dire que l’on n’est pas d’accord avec sa 18 politique, par exemple la réforme du collège, parce que l’on<br />
trouve que ce n’est pas une bonne chose pour les enfants, c’est une chose. Par contre, invectiver la ministre,<br />
(…) là on est dans le domaine de l’injure. » 19<br />
13<br />
Ibid.<br />
14<br />
Ibid.<br />
15<br />
Ibid.<br />
16<br />
VALLAUD-BELKACEM Najat, ancienne ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.<br />
Entretien réalisé le 23 juin 2017.<br />
17<br />
DEBAUVE Jonathan, ancien conseiller SLAMA en charge de la communication de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien<br />
réalisé le 11 mai 2017.<br />
18<br />
NDLR : la politique de la ministre<br />
19<br />
SLAMA Eléonore, ancienne cheffe de cabinet de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé le 11 mai 2017.<br />
13
Et effectivement, si la critique n’a pas de définition très précise, ce n’est pas le cas de l’injure, comme<br />
nous le verrons, avant d’aborder la diffamation, dans la partie suivante. Ces définitions ont évolué tant<br />
sur le plan juridique qu’encyclopédique.<br />
II.<br />
L’injure et la diffamation : des définitions, encyclopédiques comme<br />
juridiques, qui ont évolué au fil des siècles<br />
« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme :<br />
tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans<br />
les cas déterminés par la Loi. »<br />
Article 11 de la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.<br />
Près d’un siècle après, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse s’inspirera de cet article. Cette<br />
loi, selon Rémy Fontier, « porte mal son nom et pourrait être appelée plus justement “loi sur la liberté de<br />
communication” ». 20 En effet, s’il s’agit de la première loi garantissant la liberté de la presse, elle définit<br />
aussi de façon très précise les notions d’injures et de diffamations, qui s’appliqueront à chaque<br />
citoyen·ne·s.<br />
1. Des premières définitions aux trois lois de « Serre »<br />
Nous verrons que la loi du 29 juillet 1881 aura un impact significatif. Cependant, contrairement à ce<br />
que nous pourrions penser, c’est la loi du 17 mai 1819 sur les délits de presse qui est charnière dans<br />
l’évolution des définitions, encyclopédiques comme juridiques, des mots injures et diffamations. Il y eut<br />
en effet un avant et un après « loi du 17 mai 1819 sur les délits de presse ».<br />
a. Les premières définitions de l’injure<br />
« La loi divine ordonne de pardonner toutes les injures en général » 21<br />
C’est ainsi que dans leur encyclopédie Diderot et d’Alembert parle de la peine exigible par l’Église en<br />
cas d’injure. Ils définissent par ailleurs cette dernière par sa jurisprudence 22 :<br />
20<br />
FONTIER Rémy, « La diffamation, l'outrage et l'injure : définitions et exemples concernant les agents publics, associations<br />
et syndicats », Journal du droit des jeunes, 2004/1 (N° 231), P. 19-24. DOI : 10.3917/jdj.231.0019. URL :<br />
http://www.cairn.info/revue-journal-du-droit-des-jeunes-2004-1-page-19.htm<br />
21<br />
DIDEROT Denis et LE ROND D'ALEMBERT Jean, Injure. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des<br />
métiers, 1751-1765. Tome 8, PP. 752-754. Consultable en ligne :<br />
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/INJURE<br />
22<br />
Ibid.<br />
14
« INJURE, s. f. (Jurisprud.) dans une signification étendue se prend pour tout ce qui est fait<br />
pour nuire à un tiers contre le droit & l’équité : quidquid factum injuriâ, quasi non jure<br />
factum ; c’est en ce sens aussi qu’on dit, volenti non fit injuria. »<br />
Il y avait alors trois manières de commettre une injure : « par paroles, par écrit ou par effet » 23 , c’est à<br />
dire :<br />
- une injure orale, qu’elle se fasse en la présence de l’injurié·e ou non, par chansons<br />
considérées comme outrageantes ou encore par menaces envers sa personne, ses<br />
biens ou son honneur ;<br />
- une injure écrite, qu’il s’agisse d’une composition ou d’une chanson, d’un poème ou<br />
d’un libelle diffamatoire 24 . Peuvent être poursuivis aussi bien l’auteur·trice que<br />
l’imprimeur·se ;<br />
- une injure physique, « par gestes & autres actions, sans frapper la personne & sans lui<br />
toucher ; ou bien en la frappant de soufflets, de coups de poings ou de piés, de coups de bâton<br />
ou d’épée, ou autrement. » 25<br />
Concernant l’injure par effet, il est bon de noter qu’il ne s’agissait pas que d’un geste violent à l’égard<br />
d’une personne. L’encyclopédie cite l’exemple d’un « jeune homme ayant (…) montré son derriere à un<br />
juge de village qui tenoit l’audience, le juge en dressa procès-verbal & decréta le délinquant, lequel fut<br />
condamné à demander pardon au juge étant à genoux, l’audience tenante, & à payer une aumône<br />
considérable, applicable aux réparations de l’auditoire » 26 . Ainsi, montrer une partie de son corps pouvait<br />
être considéré comme une injure. De la même façon, un déguisement pouvait être perçu comme tel. Il<br />
était de ce fait interdit « aux comédiens & à toutes autres personnes dans les bals, de se servir d’habits<br />
ecclésiastiques ou religieux, parce que cela tourneroit au mépris des personnes de cet état & des<br />
cérémonies de l’Eglise » 27 .<br />
Bien entendu, il y avait plusieurs circonstances aggravantes à l’injure, qui était alors considérée<br />
comme une injure « atroce ». Il s’agissait, dans le cas d’une injure physique, que la victime se retrouve<br />
grièvement blessée ou que le visage ait été attaqué. De la même façon, le lieu où avait été faite ou dite<br />
l’injure importait, et était beaucoup plus grave « dans les églises, dans les palais des princes, dans la salle<br />
de l’audience, & surtout si l’offensé étoit en fonction » 28 . Tout comme la fonction de la personne injuriée.<br />
23<br />
Ibid.<br />
24<br />
NDLR : Voir partie II.1.b.<br />
25<br />
DIDEROT Denis et LE ROND D'ALEMBERT Jean, Injure. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des<br />
métiers, 1751-1765. Tome 8, PP. 752-754. Consultable en ligne :<br />
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/INJURE<br />
26<br />
Ibid.<br />
27<br />
Ibid.<br />
28<br />
Ibid.<br />
15
Ainsi, « plus l’offensé est élevé en dignité, plus l’injure devient grave ; comme si c’est un magistrat, un duc,<br />
un prince, un ecclésiastique, un prélat, &c. » 29 . La « qualité » de l’offenseur·se et de l’offensé·e était si<br />
importante, qu’il est noté dans le Traité de la justice criminelle de France de Jousse (part. IV, tit. XXIV,<br />
art. 3) que « si l’injure, même verbale, est prononcée par une personne de basse condition contre une<br />
personne noble ou élevée en dignité, la peine va jusqu’à l’emprisonnement » 30 .<br />
Et, d’une manière générale, comme nous le verrons dans la partie suivante en évoquant les libelles<br />
diffamatoires, les injures faites par écrit, étaient considérées comme plus graves que les injures<br />
verbales, « par la raison que, verba volant, scripta manent » 31 .<br />
La loi des 19-22 juillet 1794 sur la police municipale et correctionnelle précisa également la peine de<br />
l’injure faite envers un fonctionnaire public. Ainsi, les articles 19 et 20 punissaient « d’une amende, qui<br />
ne pouvait excéder dix fois la contribution mobilière et d’un emprisonnement qui ne pouvait excéder deux<br />
années, les outrages ou menaces par paroles ou par gestes, faits aux fonctionnaires publics dans l’exercice<br />
de leurs fonctions » 32 . Par ailleurs, le code pénal de 1810, distinguera le délit d’injures avec la<br />
contravention d’injures, dans les articles 375 et 376. De plus, les articles 222 et suivants « punissent,<br />
comme délit spécial, l’outrage envers les magistrats de l’ordre administratif ou judiciaire dans l’exercice ou<br />
à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions » 33 .<br />
Si un édit de décembre 1704 a fixé les peines encourues pour chaque sorte d’injures, celles-ci se<br />
révèlent être finalement arbitraires, « c’est-à-dire que la peine plus ou moins rigoureuse dépend des<br />
circonstances & de ce qui est arbitré par le juge » 34 . Nous sommes donc loin de l’époque classique où,<br />
d’après la loi des Douze Tables, l’auteur d’un « Libellus famosus » (injure écrite), une personne rendue<br />
coupable d’en rendre un public, se voyait condamnée à la mort 35 . Pourtant, nous verrons que la peine<br />
de mort pour ce type de crime était encore en vigueur il y a seulement quelques siècles.<br />
29<br />
Ibid.<br />
30<br />
BERTHELOT Marcelin et une société de savants et de gens de lettres, Injure. La grande encyclopédie inventaire raisonné des<br />
sciences, des lettres et des arts, en 31 volumes, 1885-1902. Volume 20, PP. 804-805. Consultable en ligne :<br />
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k246558/f824.image<br />
31<br />
DIDEROT Denis et LE ROND D'ALEMBERT Jean, Injure. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des<br />
métiers, 1751-1765. Tome 8, PP. 752-754. Consultable en ligne :<br />
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/INJURE<br />
32<br />
BERTHELOT Marcelin et une société de savants et de gens de lettres, Injure. La grande encyclopédie inventaire raisonné des<br />
sciences, des lettres et des arts, en 31 volumes, 1885-1902. Volume 20, PP. 804-805. Consultable en ligne :<br />
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k246558/f824.image<br />
33<br />
Ibid.<br />
34<br />
DIDEROT Denis et LE ROND D'ALEMBERT Jean, Injure. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des<br />
métiers, 1751-1765. Tome 8, PP. 752-754. Consultable en ligne :<br />
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/INJURE<br />
35<br />
BERTHELOT Marcelin et une société de savants et de gens de lettres, Injure. La grande encyclopédie inventaire raisonné des<br />
sciences, des lettres et des arts, en 31 volumes, 1885-1902. Volume 20, PP. 804-805. Consultable en ligne :<br />
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k246558/f824.image<br />
16
. La calomnie et le libelle diffamatoire<br />
« L’église, dit le célebre M. Pascal, a différé aux calomniateurs, aussi-bien qu’aux<br />
meurtriers, la communion jusqu’à la mort. Le concile de Latran a jugé indignes de l’état<br />
ecclésiastique ceux qui en ont été convaincus, quoiqu’ils s’en fussent corrigés ; & les auteurs<br />
d’un libelle diffamatoire, qui ne peuvent prouver ce qu’ils ont avancé, sont condamnés par le<br />
pape Adrien à être fouettés, flagellentur ». 36<br />
Comme nous l’avons vu dans l’introduction de cette deuxième partie, le mot diffamation n’est<br />
réellement défini qu’à partir de la loi du 17 mai 1819 sur les délits de presse. Auparavant, nous ne<br />
parlons pas de diffamation, mais de calomnie.<br />
Ainsi, dans l’encyclopédie de Diderot et d’Alembert, le mot calomnie est défini de la façon suivante 37 :<br />
« CALOMNIE, s. f. (Morale.) on calomnie quelqu’un, lorsqu’on lui impute des défauts ou des<br />
vices qu’il n’a pas. La calomnie est un mensonge odieux que chacun réprouve & déteste, ne<br />
fût-ce que par la crainte d’en être quelque jour l’objet. Mais souvent tel qui la condamne,<br />
n’en est pas innocent lui-même : il a rapporté des faits avec infidélité, les a grossis, altérés<br />
ou changés, étourdiement peut-être, & par la seule habitude d’orner ou d’exagérer ses<br />
récits. »<br />
Nous pouvons remarquer que la connotation morale est très présente. Elle l’est d’autant plus, qu’il est<br />
précisé que :<br />
« Un moyen sûr, & le seul qui le soit, pour ne point calomnier, c’est de ne jamais médire. » 38<br />
La seule mention de diffamation fait référence au libelle diffamatoire, qui n’est autre qu’une calomnie<br />
écrite. En effet, le « libelle diffamatoire est un livre, écrit ou chanson, soit imprimé ou manuscrit, fait &<br />
répandu dans le public exprès pour attaquer l’honneur & la réputation de quelqu’un. » 39 La différence réside<br />
dans le fait que la notion de réalité de l’accusation ne soit pas mentionnée, contrairement à la calomnie.<br />
Cette notion de vérité figure d’ailleurs dans l’article 370 du code pénal de 1810, qui précise que<br />
: « lorsque le fait imputé sera légalement prouvé vrai, l’auteur de l’imputation sera à l’abri de toute peine. » 40 .<br />
36<br />
DIDEROT Denis et LE ROND D'ALEMBERT Jean, Calomnie. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et<br />
des métiers, 1751-1765. Tome 2, PP. 563-564. Consultable en ligne :<br />
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/CALOMNIE<br />
37<br />
Ibid.<br />
38<br />
Ibid.<br />
39<br />
DIDEROT Denis et LE ROND D'ALEMBERT Jean, Libelle. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des<br />
métiers, 1751-1765. Tome 9, PP. 459-460. Consultable en ligne :<br />
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/LIBELLE<br />
40<br />
BERTHELOT Marcelin et une société de savants et de gens de lettres, Calomnie. La grande encyclopédie inventaire raisonné<br />
des sciences, des lettres et des arts, en 31 volumes, 1885-1902. Volume 8, PP. 962-964. Consultable en ligne :<br />
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k246438/f970.image<br />
17
Une calomnie écrite rentre donc dans la définition du libelle diffamatoire, dès lors que celle-ci est<br />
rendue publique dans la volonté de nuire.<br />
Alors que « la loi divine ordonne de pardonner toutes les injures en général » 41 , la calomnie était mise au<br />
même plan que le meurtre. Ainsi, dès le XIIe siècle, lors du premier concile de Latran, les deux étaient<br />
considérés comme des crimes punissables de « différé la communion jusqu’à la mort » 42 . La personne<br />
coupable de calomnie, comme de meurtre, se voyait interdite de communion, c’est-à-dire rejetée de la<br />
communauté religieuse. Elle était alors excommuniée, jusqu’au jour de sa mort, ce qui signifiait à<br />
l’époque l’exclusion de la société. Le roi Charles IX aggrava encore la peine puisque, dans l’article 13<br />
de l’édit du 17 janvier 1561, il déclara que « tous imprimeurs, semeurs et vendeurs de placards et libelle<br />
diffamatoire, serait punie du fouet pour la première fois, et, pour la seconde, de la vie » 43 . Le libelle<br />
diffamatoire est donc puni de flagellation, puis de mort en cas de récidive.<br />
Au XVIIIe siècle, « la peine de la calomnie était arbitraire et se proportionnait à la nature du crime pour<br />
lequel l’accusation était intentée, à la qualité des personnes et aux circonstances » 44 Mais cette peine ne<br />
pouvait dépasser « la valeur de trois journées de travail ou d’un emprisonnement qui ne pouvait excéder<br />
trois jours » d’après l’article 605 du code des délits et des peines du 3 brumaire, an 4 45 .<br />
Si la calomnie a une définition précise, liée à sa définition juridique, nous verrons que ce n’est pas le<br />
cas pour la diffamation. La notion de vérité a une place centrale dans la définition de la calomnie,<br />
qu’elle soit juridique ou encyclopédique. Pourtant, cette notion n’est pas immédiatement présente dans<br />
la définition juridique de diffamation, hors cas particulier, et ne l’est pas dans sa définition<br />
encyclopédique. Ainsi, lors de l’écriture de la loi de 1819, la notion de vérité disparût, lorsque la<br />
calomnie fut remplacée par la diffamation. De la même façon, suite à cette loi, à l’exception de la<br />
dénonciation calomnieuse, le mot calomnie disparaît des textes juridiques, jusqu’à disparaître<br />
progressivement des définitions encyclopédiques.<br />
41<br />
DIDEROT Denis et LE ROND D'ALEMBERT Jean, Injure. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des<br />
métiers, 1751-1765. Tome 8, PP. 752-754. Consultable en ligne :<br />
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/INJURE<br />
42<br />
DIDEROT Denis et LE ROND D'ALEMBERT Jean, Calomnie. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et<br />
des métiers, 1751-1765. PP. 563-564. Consultable en ligne :<br />
https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Encyclop%C3%A9die/1re_%C3%A9dition/CALOMNIE<br />
43<br />
BERTHELOT Marcelin et une société de savants et de gens de lettres, Diffamation. La grande encyclopédie inventaire<br />
raisonné des sciences, des lettres et des arts, en 31 volumes, 1885-1902. Volume 14, PP. 526-528. Consultable en ligne :<br />
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24649b/f534.image<br />
44<br />
BERTHELOT Marcelin et une société de savants et de gens de lettres, Calomnie. La grande encyclopédie inventaire raisonné<br />
des sciences, des lettres et des arts, en 31 volumes, 1885-1902. Volume 8, PP. 962-964. Consultable en ligne :<br />
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k246438/f970.image<br />
45<br />
Ibid.<br />
18
2. Des trois lois « de Serre » à aujourd’hui<br />
Suivant les revendications de 1789, Hercule de Serre, Garde des Sceaux sous Louis XVIII, écrivit trois<br />
lois définissant la liberté de la presse en 1819, « remplaçant un régime préventif d’autorisation par un<br />
régime répressif, assorti de l’obligation du cautionnement destiné à payer d’éventuels dommages-intérêts<br />
et amendes » 46 . Ces lois posent le cadre des interdictions faites à la presse, et par extension à tout<br />
individu. Elles sont de quatre types en 1819 :<br />
- l'offense à la personne royale ;<br />
- la provocation publique aux crimes et aux délits :<br />
- tout outrage à la morale publique et religieuse ou aux bonnes mœurs ;<br />
- l’injure publique et la diffamation.<br />
Cinq autres s’ajouteront en 1881.<br />
Pour la première fois, une définition juridique de la diffamation est écrite, remplaçant la calomnie, et<br />
distincte de l’injure. Si ces lois permettaient d’encadrer la presse, définissant les délits et les peines<br />
auxquelles elle encourait pour son non-respect, ces définitions sont maintenant applicables à chaque<br />
citoyen·ne.<br />
Nous ne traiterons ici que des définitions, et de leurs évolutions, de l’injure puis de la diffamation. Mais<br />
il est intéressant de noter que l’offense à la personne royale s’est transformée en offense au Président<br />
de la République, dans l’article 26 de la loi de 1881. Jusqu’au 5 août 2013, date de l’abrogation de cet<br />
article, l’injure envers le Président de la République était alors punissable de 12 000€ d’amende, quand<br />
la diffamation l’était de 45 000€ !<br />
a. L’injure publique : une définition qui reste constante<br />
« Injure n.f. : Parole qui blesse d'une manière grave et consciente. » 47<br />
Lors de sa première définition juridique, l’article 375 du code pénal de la loi du 17 mai 1819 précisait<br />
que les expressions employées devaient contenir « l’imputation d’un vice déterminé » 48 . Cette notion<br />
disparaîtra lors de l’écriture de la loi du 29 juillet 1881 sur les libertés de la presse.<br />
Dans la loi du 29 juillet 1881 sur les libertés de la presse, l’injure est définie comme suit, dans l’article<br />
29 :<br />
46<br />
HALPERIN Jean-Louis, « Diffamation, vie publique et vie privée en France de 1789 à 1944 », Droit et cultures [En ligne], 65<br />
| 2013-1, mis en ligne le 01 octobre 2013, consulté le 18 août 2017. URL : http://droitcultures.revues.org/3073<br />
47<br />
injure, nom féminin. In Larousse [en ligne]. Larousse, [consulté le 15 juillet 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/injure/43162?q=injure<br />
48<br />
BERTHELOT Marcelin et une société de savants et de gens de lettres, Injure. La grande encyclopédie inventaire raisonné des<br />
sciences, des lettres et des arts, en 31 volumes, 1885-1902. Volume 20, PP. 804-805. Consultable en ligne :<br />
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k246558/f824.image<br />
19
« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération<br />
de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. Toute expression<br />
outrageante, termes de mépris ou invective, qui ne renferme l’imputation d’aucun fait, est<br />
une injure. » 49<br />
Seul·e le ou la juge pourra alors décider si l’expression en question est une injure ou non. De plus, si<br />
le statut de la personne injuriée rentre toujours en compte, s’il s’agit d’un·e membre d’une<br />
administration (tribunaux, armée, ministères, etc.), la notion de statut social disparaît : les princes,<br />
ducs, ecclésiastiques, prélats, etc. ne sont plus mentionnés comme circonstance aggravante, lorsqu’il<br />
était alors précisé que le délit s’aggravait s’il était commis « par une personne de basse condition contre<br />
une personne noble ou élevée en dignité » 50 . Tout comme il n’est plus interdit pour un·e citoyen·ne de se<br />
déguiser avec des habits ecclésiastiques ou religieux.<br />
La notion de publicité est quant à elle renforcée. Si elle était auparavant considérée comme une<br />
circonstance aggravante, elle est depuis cette loi nécessaire pour que l’injure soit un délit correctionnel<br />
et punie d’un emprisonnement de six jours à trois mois et/ou d’une amende de 16 à 500 Fr 51 . Sans,<br />
l’injure sera pénalisée seulement d’une contravention, par l’article 471 numéro 11 du code pénal 52 .<br />
Enfin, il faudra attendre le 1 er juillet 1972 pour que les injures à caractère racistes soient punissables<br />
par la loi et que les associations puissent saisir la justice. Cette loi a été renforcée par la loi Perben II<br />
du 9 mars 2004, avec un délai de prescription qui passe à un an. A noter qu’il ne s’agissait que des<br />
injures portant sur l’ethnie, la nation, la race ou la religion, les injures à caractère homophobe n’ayant<br />
été ajoutées que le 31 décembre 2004.<br />
Aujourd’hui, l’injure publique est punissable de 12 000€ d’amende, quand l’injure publique à caractère<br />
raciste, sexiste, homophobe ou handiphobe est passible de six mois de prison et 22 500€ d’amende 53 .<br />
Nous allons voir maintenant ce qu’il en est de la diffamation.<br />
b. La diffamation : une double définition<br />
Contrairement à l’injure publique, dont la définition encyclopédique est liée à sa définition juridique, y<br />
compris dans son évolution, la diffamation comprend deux définitions distinctes : une définition<br />
49<br />
Ibid.<br />
50<br />
Ibid.<br />
51<br />
Ibid.<br />
52<br />
LAROUSSE Pierre et AUGÉ Claude, Injure. Nouveau Larousse illustré, dictionnaire universel encyclopédique, 8 volumes,<br />
1898. Volume 5, p.289. Consultable en ligne : https://archive.org/stream/nouveaularoussei05laro#page/288/mode/2up<br />
53<br />
Injure, In Service Public. [consulté le 15 juillet 2017] Disponible sur : https://www.servicepublic.fr/particuliers/vosdroits/F32077<br />
20
encyclopédique et une définition juridique. Si la calomnie concerne obligatoirement des dires ou écrits<br />
qui s’avèrent inexacts ou faux, ce n’est pas nécessairement le cas pour la diffamation.<br />
En effet, en 1819, la diffamation est définie par la loi sur les délits de presse de la façon suivante :<br />
« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération<br />
de la personne ou du corps auquel le fait est réputé est une diffamation. » 54<br />
Ainsi, la notion de vérité n’entrait pas forcément en ligne de compte. Cette définition a fait d’ailleurs<br />
l’objet de nombreuses critiques, puisqu’elle consistait également à punir la médisance, même si cette<br />
dernière était basée sur des faits réels. Seule la volonté de nuire ou de porter atteinte à l’honneur de<br />
la personne était prise en compte. De plus, il était interdit en procès de prouver la véracité des<br />
accusations, ceci pouvant entrainer une plus grande publicité néfaste à l’honneur de la personne<br />
diffamée et induire un scandale qui pourrait être à l’origine d’un désordre public 55 .<br />
C’est dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, par ses articles 30 et 31, que la notion de<br />
vérité réapparait, mais uniquement lorsque la diffamation porte sur des personnes publiques, lorsque<br />
les faits « sont relatifs à leurs qualités ou à leurs fonctions » 56 .<br />
C’est avec l’arrêt de la Chambre Criminelle du 12 octobre 1954, que la possibilité de démontrer la vérité<br />
du fait imputé sera possible pour tout·e citoyen·ne. En effet, la Chambre Criminelle a « clairement<br />
affirmé que les dispositions de l’article 35 "ont une portée générale" et "autorisent la preuve de la vérité des<br />
faits diffamatoires dans toutes circonstances et à l’égard de toute personne, n’exceptant seulement que les<br />
cas limitativement énumérés" » 57 .<br />
Par conséquent, aujourd’hui, selon le site Service Public, « la diffamation est une fausse accusation qui<br />
porte atteinte à l'honneur et à la considération d'une personne » 58 . Nous constatons donc que cette<br />
définition correspond, presqu’au mot près, à celle de la calomnie utilisée jusqu’en 1819.<br />
54<br />
BERTHELOT Marcelin et une société de savants et de gens de lettres, Diffamation. La grande encyclopédie inventaire<br />
raisonné des sciences, des lettres et des arts, en 31 volumes, 1885-1902. Volume 14, PP. 526-528. Consultable en ligne :<br />
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k24649b/f534.image<br />
55<br />
Ibid.<br />
56<br />
Ibid.<br />
57<br />
MENOTTI Sylvie, La preuve de la vérité du fait diffamatoire, In Cours de cassation. Rapport annuel. 2004. [consulté le 3<br />
août 2017] Disponible sur :<br />
https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport_2004_173/deuxieme_partie_tudes_documents<br />
_176/tudes_theme_verite_178/fait_diffamatoire_6395.html<br />
58<br />
Diffamation, In Service Public. [consulté le 15 juillet 2017] Disponible sur : https://www.servicepublic.fr/particuliers/vosdroits/F32079<br />
21
Cependant, sa définition encyclopédique n’a pas évolué. En effet, aussi bien dans le Grand Larousse de<br />
la Langue Française de 1971-1978 que dans sa version actualisée, la notion de véracité n’apparaît pas.<br />
Ainsi, diffamer est défini comme suit :<br />
« Chercher à perdre quelqu'un de réputation en lui imputant un fait qui porte atteinte à son<br />
honneur, à sa considération. » 59<br />
Si nous n’avons pu retrouver dans les textes de loi de 1819 ni dans ceux de 1881 les peines encourues,<br />
nous savons que le justiciable était passible de la Cour d’assise. Par ailleurs, lors du célèbre procès<br />
d’Emile Zola pour son « J’accuse », publié dans l’Aurore, qu’en 1898, ce dernier a été condamné à la<br />
peine maximale, qui était d’un an d’emprisonnement et 7 550 francs (amende + frais de justices), pour<br />
ses attaques contre l’état-major 60 .<br />
Aujourd’hui, la diffamation publique est punissable d’une amende de 12 000 €. Si la diffamation est<br />
envers un·e élu·e, parlementaire, policier·e, gendarme ou magistrat·e « en raison de ses fonctions »,<br />
elle est punissable d’une amende de 45 000 €. En cas de diffamation pour « des motifs racistes, sexistes,<br />
homophobes ou à l'encontre des handicapés », l’auteur ou l’autrice est passible d’un an de prison et<br />
d’une amende de 45 000 € 61 .<br />
Si la loi de 1881 est souvent citée comme précurseuse de la liberté de la presse, elle n’est finalement<br />
qu’une adaptation de celle de 1819. Ce sera le cas des lois qui suivront, y compris des articles de lois<br />
concernant le numérique qui abordent le sujet. Ainsi, la loi pour la confiance dans l'économie<br />
numérique du 21 juin 2004 réaffirme dans son premier article que la liberté de communication : « La<br />
communication au public par voie électronique est libre ».<br />
III.<br />
Illustration par le cas du Figaro-Magazine qualifiant Najat Vallaud-<br />
Belkacem de « Khmère rose »<br />
Pour mieux comprendre et visualiser l’évolution des définitions de l’injure et de la diffamation, nous<br />
allons prendre l’exemple de l’article du Figaro-Magazine qualifiant Najat Vallaud-Belkacem de<br />
59<br />
diffamer, verbe transitif. In Larousse [en ligne]. Larousse, [consulté le 15 juillet 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/diffamer/25429<br />
60<br />
MICHEL Pierre, Mirbeau et le paiement de l’amende de Zola pour « J’accuse ». « Cahiers Octave Mirbeau », 2009 (N°16), PP.<br />
211-214. URL : https://fr.scribd.com/doc/50882558/Pierre-Michel-Mirbeau-et-le-paiement-de-l-amende-de-Zola-pour-Jaccuse<br />
61<br />
Diffamation, In Service Public. [consulté le 15 juillet 2017] Disponible sur : https://www.servicepublic.fr/particuliers/vosdroits/F32079<br />
22
« Khmère rose ». Il est à noter que ce tableau serait également valable pour toute personne « haut<br />
placée », « notable », ministre ou non, fonctionnaire ou non.<br />
Le 14 février 2014, le Figaro-Magazine, reprenant les termes d’Hervé Mariton, qualifie Najat Vallaud-<br />
Belkacem de « Khmère rose », faisant référence au « Khmer rouge ». Pour rappel, le régime dictatorial<br />
cambodgien « Khmer rouge » causa plusieurs centaines de milliers de morts. Comparer Najat Vallaud-<br />
Belkacem à une « Khmère » relève de l’injure et de la diffamation. D’autant plus que, pour Razak Ellafi,<br />
« Il y a clairement une exploitation politique et commerciale de l’injure et de la diffamation » 62 .<br />
Cet article est d’ailleurs cité en exemple par Jonathan Debauve comme une des attaques l’ayant le plus<br />
marqué et pour laquelle une riposte juridique aurait peut-être dû avoir lieu 63 .<br />
« Là, ils avaient largement dépassé les bornes. Si on qualifiait quelqu’un de stalinien … On<br />
n’imagine pas dire Najat Staline. Et si l’on avait dit Adolphe Vallaud-Belkacem, est-ce que<br />
cela n’aurait pas plus choqué ? Alors que Khmer rouge, ce sont des gens qui ont été<br />
condamnés pour crime contre l’humanité. C’est grave, c’est très grave. On a laissé passer.<br />
Peut-être à tort. Je ne sais pas. »<br />
62<br />
ELLAFI Razak, ancien conseiller en charge de la veille et de la prospective de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé le<br />
4 septembre 2017.<br />
63<br />
DEBAUVE Jonathan, ancien conseiller en charge de la communication de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé le 11<br />
mai 2017.<br />
23
Date de la loi / Siècle Loi Type d’accusation Peine maximale encourue<br />
Entre 451 et 449 av. Jésus Christ Loi des Douze Tables « Libellus famosus » (injure écrite)<br />
XII e siècle Premier Concile de Latran Libelle diffamatoire Excommunication.<br />
XVI e siècle Édit du 17 janvier 1561 Libelle diffamatoire<br />
XVIII e siècle<br />
XIX e siècle<br />
Code des délits et des peines<br />
du 3 brumaire, an 4<br />
Loi du 29 juillet 1881 sur la<br />
liberté de la presse<br />
Calomnie<br />
Diffamation<br />
Actuellement Code pénal, Article R625-8 Diffamation<br />
La mort pour l’auteur de l’article,<br />
l’éditeur, le propriétaire, l’imprimeur et<br />
le distributeur du journal. Et toute<br />
personne qui en assurerait la diffusion.<br />
Flagellation puis mort en cas de<br />
récidive pour l’auteur de l’article,<br />
l’éditeur, le propriétaire, l’imprimeur et<br />
le distributeur du journal. Et toute<br />
personne qui en assurerait la diffusion.<br />
Amende de trois journées de travail et<br />
un emprisonnement de trois jours.<br />
Un an d’emprisonnement et 7 550<br />
francs (amende + frais de justices)<br />
Amende de 45 000 €. Ne regardant ici<br />
que le titre de l’article et non son<br />
contenu, nous partons du principe que la<br />
diffamation n’est pas à caractère raciste<br />
ou sexiste.<br />
24
Le tableau ci-dessus résume ainsi l’évolution des définitions et peines, en fonction des siècles, qui<br />
auraient pu être appliquées à l’article du Figaro. Les peines maximales indiquées dans les<br />
différentes lois sont évidemment à replacer dans un contexte historique, à des périodes où les<br />
peines prononcées pour vol ou mendicité sont également très sévères avec le regard que nous avons<br />
aujourd’hui. Ainsi, dans son article « De l'évolution pénale » 64 , Maurice Cusson écrit que :<br />
« L’on ne peut pas ignorer que les peines infligées aujourd’hui dans les démocraties<br />
occidentales sont beaucoup moins dures que celles qui étaient communément<br />
distribuées aux criminels dans les siècles passés ainsi que celles qui le sont encore dans<br />
la plupart des Etats de la planète. »<br />
Et effectivement, si l’article du Figaro était punissable de mort au XVIe siècle pour l’auteur, l’éditeur,<br />
l’imprimeur et le distributeur, en cas de récidive, c’est loin heureusement d’être le cas aujourd’hui.<br />
Cependant, aujourd’hui comme au Moyen âge, à la Renaissance ou au siècle des Lumières, les<br />
risques encourus n’ont pas empêché caricatures mais surtout injures, calomnies et diffamations de<br />
proliférer. C’est d’ailleurs ce que nous rappelle Matthieu Protin lorsqu’il aborde la différence entre<br />
critiques, injures et diffamations 65 : « On oublie que l’on vient d’un monde encore plus violent. Si l’on<br />
regarde la vie politique en France, même au XIXe siècle, c’est super violent. » Ce sera l’objet de notre<br />
prochain chapitre.<br />
64<br />
CUSSON Maurice, De l'évolution pénale. Déviance et société, 1990 - Vol. 14 - N°3. PP. 315-323. [consulté le 9<br />
septembre 2017]. Disponible sur : www.persee.fr/doc/ds_0378-7931_1990_num_14_3_1194<br />
65<br />
PROTIN Matthieu, ancien conseiller en charge des discours et de l'éducation artistique et culturelle. Entretien réalisé<br />
le 12 mai 2017.<br />
25
CHAPITRE 2. L’UTILISATION DES CRITIQUES, DES INJURES ET DES<br />
DIFFAMATIONS À DES FINS POLITIQUES : DU MOYEN ÂGE AU XX E SIÈCLE<br />
« Il est difficile de déterminer le point d’inflexion à partir duquel les informations et les<br />
avis deviennent des opinions, puis le passage des relations interpersonnelles et privées<br />
à la sphère du public, et enfin, comment cet “esprit public”, fait de l’air du temps, devient<br />
une “opinion publique”. »<br />
Cette phrase, pourtant tellement d’actualité, est extraite du livre « Les rois de papier » d’Annie<br />
Duprat 66 . Elle parle de l’« opinion commune » du peuple, aujourd’hui connue sous le terme<br />
d’« opinion publique », vis-à-vis des familles royales. Dans ce livre, elle décrit également de quelle<br />
façon les « papiers » écrits contre les rois ont pu nuire à l’image de ces derniers dans l’opinion<br />
commune, avec des pamphlets qui « circulent parfois en forme de dialogue, demandant des réponses<br />
ou se présentant comme des réponses à d’autres textes » 67 .<br />
Mais cette phrase pourrait également s’appliquer aux critiques et injures subies, entre autres, par<br />
Simone Veil puis Edith Cresson.<br />
Si le sujet englobe ici près de huit siècles d’histoire de critiques, injures et diffamations, il ne s’agit<br />
évidemment pas d’en aborder l’ensemble de façon exhaustive. Nous aurions pu parler des journaux<br />
satiriques tels que « L’assiette au beurre » ou « La chandelle », de la seconde guerre mondiale et<br />
des journaux de la résistance. Nous aurions également pu décrire les raisons du suicide de Roger<br />
Salengro ou plus récemment l’affaire du sang contaminé qui a nui à la carrière de <strong>Laure</strong>nt Fabius.<br />
Nous avons préféré opter pour quelques cas qui nous semblaient illustrer, voire apporter des<br />
réponses, positives ou négatives, à nos hypothèses. Ainsi, nous verrons qu’à travers les siècles, les<br />
accusations, injurieuses ou non, restent semblables.<br />
Dans un premier temps, nous aborderons l’histoire tragique du pape Boniface VIII et de sa querelle<br />
avec le roi Philippe le Bel. Nous verrons ensuite les similitudes avec les accusations portées envers<br />
le roi Henri III, puis la reine Marie-Antoinette. Dans un second temps, les injures et diffamations<br />
seront vues sous l’angle de la misogynie en faisant une brève comparaison des traitements réservés<br />
à Lucien Neuwirth et à Simone Veil, avant de terminer par l’expérience vécue, et expliquée, par Edith<br />
Cresson lorsqu’elle est devenue Premier ministre 68 en 1991.<br />
66<br />
DUPRAT Annie, Les rois de papier. La caricature de Henri III à Louis XVI, Belin, 2002, 369 pages. P. 124<br />
67<br />
Ibid. P. 38<br />
68<br />
NDLR : Lorsque nous avons contacté Edith Cresson, nous nous adressions à elle en tant que « ancienne première<br />
ministre ». Dans ses réponses, elle a signé systématiquement « Ancien Premier ministre ». Par conséquent, pour<br />
respecter sa démarche, nous avons décidé de ne pas féminiser son statut.<br />
26
I. La place des critiques, injures et diffamations avant la Révolution<br />
française<br />
Au fur et à mesure de notre recherche, nous avons découvert les très grandes similitudes dans les<br />
accusations. Nous avons donc décidé de développer davantage le cas du pape Boniface VIII, pour<br />
éviter les répétitions et pour deux autres raisons. La première est qu’il nous a semblé intéressant<br />
d’étudier un cas qui l’est peu. La seconde est, qu’au risque de paraître anachronique, les<br />
accusations portées à l’encontre du pape Boniface VIII, y compris après sa mort, peuvent être<br />
considérées comme les premières diffamations, au sens encyclopédique du terme, connues et qui<br />
ont été développées à l’encontre d’un responsable politique dans le cadre d’une lutte de pouvoir.<br />
Elles en ont en tout cas toutes les caractéristiques.<br />
1. Quand la diffamation permet d’éliminer un adversaire : le cas du pape Boniface VIII<br />
Le Pape Boniface VIII est aujourd’hui méconnu du grand public. Or son antagonisme avec le roi<br />
Philippe le Bel a eu comme conséquence le célèbre procès des Templiers. Cette lutte de pouvoir a<br />
pour origine les très graves problèmes de trésorerie de la royauté française. A contrario, l’Eglise<br />
est extrêmement riche entre son patrimoine, les biens des Templiers, la dîme, les dons des fidèles,<br />
etc. Le roi souhaite donc imposer ces revenus ecclésiastiques, ce que l’Eglise a toujours refusé.<br />
Ceci entrainera une lutte entre la papauté, pouvoir intemporel, et la royauté, pouvoir temporel.<br />
Mais ne limiter cette lutte qu’à ces problèmes financiers serait simpliste, comme le montre le livre<br />
d’Agostino Bagliani Paravicini 69 . En effet, comme le verrons dans cette partie, l’antagonisme entre<br />
le roi Philippe le Bel et le pape Boniface VIII a été exacerbé par des querelles d’égo et personnelles.<br />
Cette lutte des pouvoirs ne s’est faite que sur la fin, avec des moyens militaires. Pendant près d’une<br />
quinzaine d’années, elle s’est faite aux moyens de pressions, de bulles papales, de manifestes<br />
royaux et de lettres interposées, de dénonciations et de calomnies. Nous monterons dans un<br />
premier temps l’engrenage entre le pape Boniface VIII et le roi Philippe le Bel, mais surtout avec<br />
son légiste Guillaume de Nogaret et le cardinal Pietro Colonna. Cet engrenage débutera avant<br />
l’élection du pape Boniface VIII pour se terminer plusieurs années après la mort de ce dernier.<br />
69<br />
PARAVICINI BAGLIANI Agostino, Boniface VIII : Un pape hérétique ?, Payot, 2003, 516 pages. ISBN : 978-2228897686<br />
27
a. Un engrenage qui débute avant l’élection du pape Boniface VIII<br />
Selon plusieurs historien·ne·s, dont Julien Thery, l’engrenage commença lors de l’ouverture du<br />
procès de l’Abbé Bernard Saisset en mars 1292. Benedetto Caetani, alors cardinal, est nommé par<br />
le pape Martin IV pour défendre l’Abbé Bernard Saisset lors de son procès contre le roi Philippe Le<br />
Bel. Ce procès avait pour objet les droits seigneuriaux sur la ville de Palmier et opposait l’Abbé et<br />
le Comte de Foix, ce dernier souhaitant montrer sa suprématie. Le roi comptait profiter de ce procès<br />
pour généraliser au profit des seigneurs locaux, et donc à son propre profit, la suprématie du<br />
pouvoir temporel (la royauté et les seigneurs locaux) sur le pouvoir intemporel (la papauté et les<br />
ecclésiastiques). Juge et parti, le roi se prononça en faveur du Comte de Foix 70 .<br />
Le 25 décembre 1294, Benedetto Caetani fut élu sous le nom du pape Boniface VIII et, dès juillet<br />
1295 souhaita réaffirmer la supériorité du pouvoir ecclésiastique sur celui de la royauté. Le 25<br />
février 1296, il alla jusqu’à publier une bulle (Bulle Clericis laicos) menaçant d’excommunier ceux<br />
qui souhaiteraient lever l’impôt sur les biens du Clergé.<br />
En mai 1297, le pape Boniface VIII rentre en conflit avec les cardinaux Colonna. Il les accuse, sans<br />
véritables preuves, d’avoir orchestré le vol du trésor de sa famille, qui a eu lieu le 3 mai. De rage, il<br />
fait envoyer un mandat de comparution aux deux cardinaux. Mais, dans ce courrier, le clerc de la<br />
chambre apostolique commet l’erreur de retranscrire « car il veut savoir s’il est le pape ».<br />
Ce dernier les accusera d’être des ennemis de l’Église et leur retirera leur dignité cardinalice le 10<br />
mai 1297. Le même jour, les Colonna publieront leur premier mémoire accusatoire contre Boniface<br />
VIII, profitant de la phrase « car il veut savoir s’il est le pape » pour remettre en cause sa légitimité :<br />
« Nous répondons à la dernière phrase que votre commandement, si on peut l’appeler ainsi – que vous<br />
vouliez savoir si vous étiez le pape – en vous déclarant que nous ne croyons pas que vous soyez le papier<br />
légitime. » Ils l’accuseront d’avoir tué son prédécesseur, le pape Célestin V : « Fréquemment nous<br />
avons entendu de nombreuses personnes de grande autorité, aussi bien des ecclésiastiques que des<br />
sécurisées, douter que le renoncement [au pontificat] décidé par Célestin fut légitimée canonique. ». 71 Il<br />
est à noter qu’il s’agit de ouï-dire, et que les Colonna ne citeront aucun nom.<br />
70<br />
THERY Julien, « Le pionnier de la théocratie royale. Guillaume de Nogaret et les conflits de Philippe le Bel avec la<br />
papauté », Guillaume de Nogaret. Un Languedocien au service de la monarchie capétienne, Nîmes, Lucie éditions, 2012, P.<br />
108-109. URL :<br />
https://www.academia·edu/1998079/_Le_pionnier_de_la_th%C3%A9ocratie_royale_Guillaume_de_Nogaret_et_les_conf<br />
lits_de_Philippe_le_Bel_avec_la_papaut%C3%A9_dans_Guillaume_de_Nogaret._Un_languedocien_au_service_de_la_<br />
monarchie_cap%C3%A9tienne_dir._B._Moreau_N%C3%AEmes_Lucie_Editions_2012_p._101-128<br />
71<br />
PARAVICINI BAGLIANI Agostino, Boniface VIII : Un pape hérétique ?, Payot, 2003, 516 pages. pp 163-173.<br />
28
Suite à ce mémoire, la violence montera d’un cran, avec l’envoi de l’armée du pape contre les<br />
Colonna, qui finiront par se soumettre au pape durant automne 1298. Malgré cette soumission, le<br />
pape continuera, en faisant détruire la forteresse de Palestrina, ville des Colonna, en y répandant<br />
du sel, la privant de son statut de cité et de la dignité cardinalice.<br />
Ci-dessous un tableau résume les principales dates de la dynamique du conflit entre le pape<br />
Boniface VIII, le roi Philippe Le Bel et les cardinaux Colonna. Nous avons décidé de n’y inclure que<br />
les bulles papales et les événements les plus importants :<br />
25 février 1296<br />
Dates importantes 72<br />
Bulle Clericis laicos, excommunication de ceux exigeant des<br />
contributions du Clergé<br />
3 mai 1297 Début du conflit avec les Colonna avec le vol du trésor de Boniface VIII<br />
10 mai 1297<br />
Boniface VIII accuse les cardinaux Colonna d’être des ennemis de<br />
l’Église et leur retire leur dignité cardinalice<br />
Premier mémoire des cardinaux Colonna contre Boniface VIII, où ils<br />
remettent en cause sa légitimité et l’accusent d’avoir tué son<br />
prédécesseur, Célestin V<br />
14 décembre 1297 Croisade de Boniface VIII contre les Colonna<br />
Automne 1298<br />
Soumission des Colonna au pape Boniface VIII<br />
Mais le pape Boniface VIII y perdra cependant la bataille de l’opinion. En effet, cette dernière « n'a<br />
pas compris pourquoi le pape s'est acharné contre les Colonna après que ceux-ci se furent repentis<br />
publiquement et à genoux de leurs attaques contre sa personne. » 73 C’est à partir de là que les<br />
accusations se multiplieront contre le pape Boniface VIII. Nous ne serons plus dans une guerre entre<br />
le pape et les Colonna mais, contre le roi Philippe le Bel, et son légiste Guillaume de Nogaret.<br />
b. Du retournement de situation jusqu’aux accusations post-mortem<br />
Bernard Saisset, nommé Évêque entre temps par Boniface VIII, est fait prisonnier, accusé, et ses<br />
serviteurs torturés. Cette fois-ci, c’est directement le roi Philippe le Bel qui l’accuse de « simoniaque<br />
manifeste » et d’avoir « répandu de nombreuses paroles erronées, tendant à l’hérésie, contre la foi<br />
catholique ». Cependant, de façon surprenante, il est également accusé « d’avoir dit de Boniface VIII<br />
qu’il était “le diable incarné” ». En raison des relations entre Boniface VIII et l’Évêque Saisset, cette<br />
accusation est peu crédible et ressemble à une provocation contre le pape. Par ailleurs, pour pouvoir<br />
exécuter Bernard Saisset, sa charge d’Évêque doit lui être retirée, chose que seul le pape peut faire.<br />
72<br />
Inspiré de la « Chronologie de la vie de Benedetto Caetani, 1230 env-1303 » dans PARAVICINI BAGLIANI Agostino,<br />
Boniface VIII : Un pape hérétique ?, Payot, 2003, 516 pages. pp 462 – 463.<br />
73<br />
BRIEL Patricia, Portrait de Boniface VIII, pape de tous les excès, Le Temps [en ligne], 20 septembre 2003, [consulté le 9<br />
août 2017]. Disponible sur : https://www.letemps.ch/culture/2003/09/20/portrait-boniface-viii-pape-exces<br />
29
Chose que le pape se refusera de faire. Il exigera au contraire du roi sa libération, pour qu’il puisse<br />
s’expliquer devant lui 74 .<br />
Un an après, le 18 novembre 1302, le pape Boniface VIII publia une nouvelle bulle (Bulle Unam<br />
Sanctam) proclamant la suprématie de l’Église sur l’État et l’obligation du roi de se soumettre. En<br />
réponse à cette bulle, Guillaume de Nogaret dénonce, devant le conseil royal réunit au Louvre, le<br />
pape comme étant illégitime, hérétique et simoniaque 75 . Il ne s’en prend plus à l’Évêque Saisset<br />
mais au pape lui-même.<br />
Le roi Philippe Le Bel, hésitant au début à s’attaquer au pape, accepte finalement que Guillaume de<br />
Nogaret et Pietro Colonna fassent Boniface prisonnier dans sa résidence d’Anagni (attentat<br />
d’Anagni) pour le convoquer devant le concile. A peine trois semaines après, des suites de blessures<br />
qu’il se serait faites lui-même, le pape Boniface VIII décède. Certains disent qu’il serait devenu fou,<br />
à la suite de l’attentat et aurait frappé sa tête contre le mur. D’autres affirment qu’il aurait été<br />
empoisonné 76 .<br />
Vous trouverez ci-dessous un tableau résumant la chronologie de ces évènements :<br />
Printemps 1301<br />
5 décembre 1301<br />
18 novembre 1302<br />
12 mars 1303<br />
Dates importantes 77<br />
Accusation de faits de haute trahison par le roi envers l’Évêque<br />
Bernard Saisset<br />
Bulle Ausculta filii, qui rappelle la supériorité du pouvoir spirituel<br />
(papauté) sur le pouvoir temporel (royauté)<br />
Bulle Unam Sanctam, qui proclame la suprématie de l’Église sur<br />
l’État et l’obligation de se soumettre au pape.<br />
Guillaume de Nogaret dénonce Boniface VIII comme illégitime,<br />
hérétique et simoniaque devant le conseil royal réunit au Louvre<br />
14 juin 1303 Nouvelles accusations de Guillaume de Plaisians contre Boniface VIII<br />
7 septembre 1303 Attentat d’Agnani par Sietra Colonna et Guillaume de Nogaret<br />
8-9 septembre 1303 Capture de Boniface VIII<br />
11–12 octobre 1303 Décès, trois semaines après sa libération, de Boniface VIII<br />
74<br />
THERY Julien, « Le pionnier de la théocratie royale. Guillaume de Nogaret et les conflits de Philippe le Bel avec la<br />
papauté », Guillaume de Nogaret. Un Languedocien au service de la monarchie capétienne, Nîmes, Lucie éditions, 2012, PP.<br />
112-115. URL :<br />
https://www.academia·edu/1998079/_Le_pionnier_de_la_th%C3%A9ocratie_royale_Guillaume_de_Nogaret_et_les_conf<br />
lits_de_Philippe_le_Bel_avec_la_papaut%C3%A9_dans_Guillaume_de_Nogaret._Un_languedocien_au_service_de_la_<br />
monarchie_cap%C3%A9tienne_dir._B._Moreau_N%C3%AEmes_Lucie_Editions_2012_p._101-128<br />
75<br />
PARAVICINI BAGLIANI Agostino, Boniface VIII : Un pape hérétique ?, Payot, 2003, 516 pages. pp 337-339.<br />
76<br />
Ibid. pp 393-394.<br />
77<br />
Inspiré de la « Chronologie de la vie de Benedetto Caetani, 1230 env-1303 » dans PARAVICINI BAGLIANI Agostino,<br />
Boniface VIII : Un pape hérétique ?, Payot, 2003, 516 pages. Pp 462 – 463.<br />
30
Mais les accusations ne cessent pas avec le décès du pape Boniface VIII. Au contraire, elles<br />
redoublèrent de violence. En effet, Philippe le Bel exigea du nouveau pape, Clément V, la tenue d’un<br />
procès posthume contre le pape Boniface VIII. L’objectif reste toujours la primauté de la royauté sur<br />
la papauté. Le pape Boniface VIII, bien que décédé, subi toutes les accusations que le droit canon<br />
autorise : il est alors accusé de tous les maux et de tous les vices (du non-respect du jeûne et de<br />
l’abstinence, à la possession d’un démon privé, en passant par la sodomie et la simonie). Avec plus<br />
de trente accusations, « il est donc un “hérétique manifeste”, disent en définitive ses accusateurs,<br />
déviant de la foi catholique. Il est un “hérétique parfait” » 78 .<br />
Mais le pape Clément V, durant l’été 1310, souhaite réduire les accusations à celles d’hérésie.<br />
Finalement, le pape Clément V décide de clôturer le procès, en 1311 et de ne pas retenir les charges<br />
à son encontre, les jugeant trop anciennes. Au contraire, il va se retourner contre le roi Philippe le<br />
Bel, souhaitant prouver son zèle. Guillaume de Nogaret profitera une nouvelle fois des accusations<br />
contre le roi Philippe le Bel pour faire attaquer la papauté à travers l’affaire du Temple 79 .<br />
Cependant, la partie que nous venons de traiter reste à relativiser pour plusieurs raisons. Tout<br />
d’abord, à cause de l’éloignement temporel de ce récit. Il a longtemps existé, par exemple, un débat<br />
sur l’âge du Pape au moment de son décès et ce n’est que très récemment que les historien·ne·s<br />
sont tombé·e·s d’accord sur un âge aux alentours de 68 ans. Elle est également à relativiser car le<br />
seul historien contemporain à avoir témoigné sur l’histoire de l’antagonisme entre le pape Boniface<br />
VIII et le roi Philippe le Bel est Giacomo Stefaneschi, proche du pape, qui l’a créé cardinal en 1295.<br />
Si nous sommes certain·e·s de l’existence des accusations grâce à Jean Coste, qui a répertorié tous<br />
les articles d’accusations et témoignages du procès de Boniface VIII 80 , aujourd’hui encore, nous ne<br />
savons cependant pas de source certaine si toutes ces accusations sont fausses ou s’il y a une part<br />
de vérité. En revanche, il s’agit ici d’un bel exemple de diffamations, utilisées à des fins politiques,<br />
largement diffusées auprès de l’opinion, menant à la mort du diffamé, et amplifiée après celle-ci.<br />
Hérésie, parjure, homosexualité, mœurs légères, remise en question de la légitimité, etc. telles<br />
sont, entre autres, les accusations portées contre le pape Boniface VIII … et que nous retrouverons<br />
78<br />
PARAVICINI BAGLIANI Agostino, Boniface VIII : Un pape hérétique ?, Payot, 2003, 516 pages. pp 9-10<br />
79<br />
THERY Julien, « Le pionnier de la théocratie royale. Guillaume de Nogaret et les conflits de Philippe le Bel avec la<br />
papauté », Guillaume de Nogaret. Un Languedocien au service de la monarchie capétienne, Nîmes, Lucie éditions, 2012, p<br />
118. URL :<br />
https://www.academia·edu/1998079/_Le_pionnier_de_la_th%C3%A9ocratie_royale_Guillaume_de_Nogaret_et_les_conf<br />
lits_de_Philippe_le_Bel_avec_la_papaut%C3%A9_dans_Guillaume_de_Nogaret._Un_languedocien_au_service_de_la_<br />
monarchie_cap%C3%A9tienne_dir._B._Moreau_N%C3%AEmes_Lucie_Editions_2012_p._101-128<br />
80<br />
Jean Coste a répertorié les articles d’accusations et les témoignages dans son livre « Jean Boniface VIII en procès.<br />
Articles d'accusation et deposition des témoins (1303-1311) » publié en décembre 1995.<br />
31
deux siècles plus tard, envers le roi Henri III, comme envers la reine Marie-Antoinette, épouse du<br />
roi Louis XVI. De la même façon, ces accusations iront au-delà de la mort du roi Henri III. Ainsi, « la<br />
propagande qui se déchaîne contre lui n’aura plus de limites, ni dans les termes, ni dans la durée,<br />
puisqu’elle se poursuit même au-delà de l’assassinat du roi » 81 .<br />
Au Moyen âge, dans l’exemple que nous avons vu, il s’agissait d’accusations envers un puissant,<br />
perpétré par un autre puissant, dans le cadre d’une lutte de pouvoir. Dans les cas que nous allons<br />
voir à présent, les critiques, injures, libelles diffamatoires et/ou calomnies sont proférées par les<br />
« intellectuel·le·s » de l’époque.<br />
2. Libelles diffamatoires et calomnies envers les puissant·e·s : l’utilisation des pamphlets 82<br />
contre la royauté<br />
« Dans ses lubriques attitudes,<br />
Antoinette aurait bien voulu,<br />
N’en pas demeurer aux préludes,<br />
Et que L… l’eut mieux foutue ;<br />
Mais à cela que peut-on dire,<br />
On sait bien que le pauvre Sire<br />
Trois ou quatre fois condamné<br />
Par la salubre Faculté<br />
Pour impuissance très complète<br />
Ne peut satisfaire Antoinette. »<br />
« Le Roi, comme l'on dit, accole, baise et lèche<br />
De ses poupins mignons le teint frais nuit et jour.<br />
Eux, pour avoir argent, lui prêtent tour à tour<br />
Leurs fessiers rebondis et endurent la brèche. »<br />
RONSARD, à propos du roi Henri III 84<br />
Anonyme, tiré des Amours de Charlot et Toinette,<br />
à propos de Marie-Antoinette et de Louis XVI 83<br />
Ces libelles diffamatoires 85 , très violents, rédigés sous la forme de pamphlets et poèmes, circulaient<br />
« sous le manteau », de façon anonyme, comme c’est le cas pour le premier. Mais Pierre de<br />
Ronsard, poète de la Renaissance, vers 55 ans, écrivit ce libelle diffamatoire, de façon provocatrice,<br />
en le signant, du vivant Henri III. Bien qu’alors très âgé pour l’époque, Ronsard risquait la<br />
flagellation, voire la mort en cas de récidive, comme nous l’avons vu dans le premier chapitre.<br />
Ils ont été, dans les deux cas, écris dans un contexte politique violents : guerre de religion pour<br />
Henri III ; famine et environnement pré-révolutionnaire pour le couple Louis XVI et Marie-Antoinette.<br />
81<br />
DUPRAT Annie, Les rois de papier. La caricature de Henri III à Louis XVI, Belin, 2002, 369 pages. P. 40<br />
82<br />
Dans son livre « Les rois de papier, La caricature de Henri III à Louis XVI », Annie Duprat reconnaît que le terme<br />
pamphlet sera ainsi nommé qu’à partir des années 1580. Elle assume cependant l’anachronisme et utilisera ce terme<br />
également en parlant du roi Henri III.<br />
83<br />
DUPRAT Annie, Les rois de papier. La caricature de Henri III à Louis XVI, Belin, 2002, 369 pages. PP. 83-84<br />
84<br />
LE ROUX Nicolas, Henri III et ses mignons : Ronsard disait-il vrai ?, Historia n°845, mai 2017 [consulté le 6 septembre<br />
2017]. Disponible sur : http://www.historia.fr/henri-iii-et-ses-mignons-ronsard-disait-il-vrai<br />
85<br />
NDLR : cf la définition donnée au chapitre I.<br />
32
Et l’ensemble des pamphlets et caricatures a conduit à une détérioration de l’image des deux<br />
souverains.<br />
Ainsi, selon Annie Duprat 86 , quoiqu’il fasse, Henri III subissait critiques et calomnies. Par exemple,<br />
même s’il était un :<br />
« Roi très pieux, Henri III est accusé d’être un sorcier ; quand il fait retraite dans un<br />
monastère, on prétend qu’il y va violer les religieuses ; s’il se montre soucieux d’établir<br />
un protocole digne de la monarchie française, c’est qu’il est orgueilleux et se met à l’écart<br />
de sa cour… »<br />
Il est alors traité d’«“hypocrite”, un terme fréquemment utilisé à l’époque pour dénoncer les<br />
hérétiques ».<br />
Annie Duprat constate malgré tout une différence entre les deux époques. S’il y a peu de pamphlets<br />
sur l’épouse de Henri III, les principales accusations sont portées envers Marie-Antoinette, épouse<br />
de Louis XVI. Si ce dernier est vu comme un roi impuissant et manipulé par son épouse, il est malgré<br />
tout préservé et presque apprécié de ses sujets. Marie-Antoinette, quant à elle, est accusée d’avoir<br />
des mœurs légères, d’entretenir des relations lesbiennes, de dilapider les biens publics, et en plus<br />
d’être une étrangère. Il s’agit bien d’une « inversion significative des genres » 87 .<br />
Le scandale du « collier de la reine » en est un bel exemple, puisqu’il est resté à travers les siècles.<br />
Coupable ou non, innocentée ou non par le procès, la reine Marie-Antoinette, sera l’objet de<br />
« pamphlets libertins, pour ne pas dire obscènes, […] diffusés, à la ville comme à la cour, puisqu’on dit<br />
même que la reine en trouvait chaque matin sur sa table de nuit ! » comme l’écrira Annie Duprat 88 . Elle<br />
ajoute plus loin que « l’on ne compte pas moins de 106 estampes concernant cette affaire dans la seule<br />
collection du baron De Vinck à la Bibliothèque nationale de France » 89 . Et il ne s’agit ici que des<br />
pamphlets répertoriés dans cette collection, non de l’exhaustivité des pamphlets, chansons<br />
grivoises, images et dessins qui ont pu circuler à l’époque.<br />
Et pourtant, sans rentrer dans les détails de l’affaire, la reine était innocente et victime d’une<br />
escroquerie 90 . Plus intéressant pour notre propos est le fait que la reine continua d’être vilipendée,<br />
raillée et diffamée. Nous sommes quatre ans avant la révolution. Consciente de ceci, Marie-<br />
Antoinette et le roi organisent ce que nous appellerions aujourd’hui une riposte de communication<br />
86<br />
DUPRAT Annie, Les rois de papier. La caricature de Henri III à Louis XVI, Belin, 2002, 369 pages. P. 45<br />
87<br />
Ibid. P. 84<br />
88<br />
Ibid. P. 140<br />
89<br />
Ibid.P. 140<br />
90<br />
VITAL-DURAND Gabriel Vital-Durand, 25 janvier 1785 - L'Affaire du collier de la Reine, Herodote.net [en ligne], 24<br />
janvier 2016 [consulté le 8 septembre 2017]. Disponible sur : https://www.herodote.net/25_janvier_1785-evenement-<br />
17850125.php<br />
33
politique puisque, dans les tableaux officiels, la reine n’apparaîtra plus comme une jeune femme<br />
avec ses plus beaux atours mais comme une mère de famille aimante, protectrice de ses enfants et<br />
donc de la France. Elle fera de nouveau appel à la peintre Élisabeth Louise Vigée Le Brun, peintre<br />
officielle de la reine, qui en 1787 exposera au salon, le tableau « Marie-Antoinette, Reine de France<br />
et ses enfants » 91 . Nous voyons ci-dessous la reine, à quatre ans d’intervalle, peinte par la même<br />
artiste :<br />
Marie-Antoinette, Reine de France,<br />
portrait dit à la rose (1783)<br />
Marie-Antoine, Reine de France<br />
et ses enfants - (1787)<br />
Mais deux ans avant la Révolution française, alors que l’épouse de Henri III sera épargnée par les<br />
satyres de son époque, « Marie-Antoinette est une des cibles favorites du persiflage pré-révolutionnaire<br />
et accompagne Louis XVI dans l’opprobre qui suit la crise de Varenne » 92 .<br />
Ainsi, la volonté de changer d’image, la réalité historique, les démentis, ou l’absence de démenti<br />
pour ne pas alimenter les rumeurs, rien n’y fera :<br />
« La calomnie, fille rusée de la propagande, n’hésite pas à s’acharner sur les deux<br />
femmes 93 , épluchant chacun de leurs gestes, analysant chacun de leurs propos, pour y<br />
trouver, contre toute vraisemblance le plus souvent, mais c’est la loi du genre, de quoi<br />
nourrir chansons et libelles polissons. » 94 .<br />
91<br />
CORNETTE Joël, Marie-Antoinette restaure son image, Histoire par l'image [en ligne], mars 2013, [consulté le 10<br />
Septembre 2017]. Disponible sur : http://www.histoire-image.org/etudes/marie-antoinette-restaure-son-image<br />
92<br />
DUPRAT Annie, Les rois de papier. La caricature de Henri III à Louis XVI, Belin, 2002, 369 pages. P. 16<br />
93<br />
NDLR : Les deux épouses royales. Cependant, comme nous l’avons écrit plus haut, l’épouse de Henri III était peu<br />
victime de pamphlets et chansons satyriques, bien qu’apparemment tout autant épiée que Marie-Antoinette.<br />
94<br />
DUPRAT Annie, Les rois de papier. La caricature de Henri III à Louis XVI, Belin, 2002, 369 pages. P. 149<br />
34
Dans les cas de Henri III et de Marie-Antoinette, les libelles diffamatoires et les calomnies se<br />
terminèrent par une mort violente. Alors que le roi Henri III fut assassiné par un moine en août<br />
1589 95 , la reine Marie-Antoinette fut condamnée à la décapitation après un procès politique qui<br />
repris un grand nombre des calomnies diffusées jusqu’alors, en ajoutant d’autres, comme l’inceste.<br />
Cette dernière diffamation, la reine refusera de la démentir, indiquant au cours de son procès : « Si<br />
je n'ai pas répondu, c'est que la nature elle-même refuse de répondre à de telles accusations faites à une<br />
mère. J’en appelle à toutes les mères ! » 96 . Or, si lors de son procès, Louis XVI ne subit pas d’attaques<br />
personnelles, tel ne fut pas le cas de Marie-Antoinette. Était-ce par qu’elle était femme ? Nous<br />
verrons en effet des exemples où les femmes en politique ont été particulièrement attaquées, sur<br />
leur personne plus que sur le fond. Comme par le passé, elles doivent faire face à des injures et<br />
diffamations, plus qu’à des critiques. Nous verrons également que les rumeurs sont tenaces et l’un<br />
des principaux moyens de propager ces attaques.<br />
II. Les femmes en politique : les critiques, injures et diffamations au service<br />
de la misogynie<br />
« De toute façon, quand tu es une femme tu perds quoi qu’il arrive. On trouvera toujours moyen de te<br />
trouver un défaut. Voilà. » Ces propos ont été tenus par Matthieu Protin 97 au sujet Najat Vallaud-<br />
Belkacem. Et ils pourraient très bien s’appliquer à Edith Cresson. Dans un article du Monde, Jean-<br />
Louis Andréani écrira en 2006 : « C'est le premier échec du président vieillissant dans le choix d'un<br />
Premier ministre. Elle ne tient qu'un an. » 98 Mais pouvait-elle « tenir » plus longtemps ? En effet, dans<br />
son entretien, Edith Cresson nous a indiqué, par exemple, que lors de sa nomination au ministère<br />
de l’Agriculture, la première phrase du président de la FNSEA, de l’époque a été de dire : « On voit<br />
le mépris dans lequel le Président de la République tient l’agriculture, puisqu’il a nommé une femme à<br />
ce poste. ». Pire, lors de la « première réunion d’agriculteurs » à laquelle elle s’est rendue, en<br />
présence d’environ 800 agriculteurs environ, « il y avait une grande banderole tendue d’un bout à<br />
l’autre de la scène, où était écrit en grandes lettres rouges : “Edith, on t’espère meilleure au lit qu’au<br />
ministère ”.» 99 Comme si l’on ne pouvait « expliquer la promotion d’une femme que par la promotion-<br />
95<br />
DIGNAT Alban, Un moine poignarde le roi Henri III, Herodote.net [en ligne], 23 septembre 2016 [consulté le 8<br />
septembre 2017]. Disponible sur : https://www.herodote.net/1er_aout_1589-evenement-15890801.php<br />
96<br />
Ministère de la Justice : Le procès de Marie-Antoinette, [en ligne], 17 octobre 2017, [consulté le 8 septembre 2017].<br />
Disponible sur : http://www.justice.gouv.fr/histoire-et-patrimoine-10050/proces-historiques-10411/le-proces-de-marieantoinette-22697.html<br />
97<br />
PROTIN Matthieu, ancien conseiller en charge des discours et de l'éducation artistique et culturelle. Entretien réalisé<br />
le 12 mai 2017.<br />
98<br />
ANDREANI Jean-Louis : Que reste-t-il des années Mitterrand ?, Le Monde Société [en ligne], 2 janvier 2006 [consulté le<br />
8 septembre 2017]. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/societe/article/2006/01/02/que-reste-t-il-des-anneesmitterrand_726461_3224.html<br />
99<br />
NDLR : La réponse d’Edith Cresson fut de dire au début de son intervention : « Cela tombe bien que je sois ministre de<br />
l’agriculture, parce que comme j’ai affaire à des porcs, je vais devoir m’occuper d’eux. »<br />
35
canapé » et non par ses compétences. Sans remonter à Philippe le Bel, où les femmes ne pouvaient<br />
de toute façon pas exercer de responsabilités, nous verrons que le traitement réservé aux femmes<br />
politiques a toujours été différent de celui des hommes. Tout d’abord, nous ferons une brève<br />
comparaison entre les accueils réservés à Lucien Neuwirth puis à Simone Veil, lors de la<br />
présentation de leurs lois respectives, qui portaient pourtant sur le même sujet à savoir le librearbitre<br />
des femmes à disposer de leur corps. Enfin, nous verrons le sort qui a été réservé à Edith<br />
Cresson, première et dernière femme Premier ministre en France.<br />
1. Une différence de traitement vis-à-vis des femmes : le cas de Lucien Neuwirth et de Simone<br />
Veil<br />
Lucien Neuwirth est né le 18 mai 1924 à Saint-Étienne. Durant la seconde guerre mondiale, il<br />
combattra en Belgique puis aux Pays-Bas. En 1945, il est arrêté puis se fait fusiller. Par chance, il<br />
ne sera que blessé.<br />
Simone Veil est née le 13 juillet 1927 à Nice. Déportée en 1944, elle finira par en sortir vivante, bien<br />
qu’elle perdra la majorité de sa famille suite à la guerre.<br />
Ces deux figures de la politique française ont un passé similaire, tous les deux ayant subi et survécu<br />
à la seconde guerre mondiale, de façon presque miraculeuse. Et ce n’est pas tout ce qu’ils ont en<br />
commun. En effet, Lucien Neuwirth et Simone Veil ont permis une avancée considérable dans les<br />
droits de la femme, l’un en légalisant la pilule contraceptive, alors qu’il était député gaulliste, l’autre<br />
en légalisant l’avortement, en tant que ministre sous Valéry Giscard d’Estaing.<br />
Les deux ont alors subi une contestation féroce de la part de leur propre camp, leurs lois finissant<br />
par être votées grâce à l’opposition parlementaire. Pourtant, en y regardant de plus près, nous<br />
pouvons constater que la nature des arguments ne furent pas les mêmes. Si elle fut politique envers<br />
Lucien Neuwirth, les député·e·s utilisèrent des arguments bien plus personnels envers Simone Veil.<br />
Ainsi, un des collègues de Lucien Neuwirth, le 1 er juillet 1967, commença son propos en disant 100 :<br />
« Il est regrettable qu’un tel projet ne puisse être discuté à huit clos comme aux assises quand il s’agit<br />
d’une affaire de mœurs. », avant de terminer son intervention :<br />
« D’autres parts, les maris ont-ils songé que, désormais, c’est la femme qui détiendra le<br />
pouvoir absolu d’avoir ou ne pas avoir d’enfants en absorbant la pilule, même à leur insu,<br />
100<br />
SEPT SUR SEPT, Lucien Neuwirth : la contraception, INA, 8 décembre 1981 [consulté le 7 septembre 2017]. 1 vidéo,<br />
3min38. Disponible sur : https://www.ina.fr/video/CAA8101822001<br />
36
les hommes perdront la fière conscience de leur virilité féconde et les femmes ne seront<br />
plus que des objets de volupté stérile. »<br />
Comme nous pouvons le constater, aucune critique personnelle n’est faite à l’encontre de Lucien<br />
Neuwirth dans cette intervention parlementaire. Pire encore, c’est la femme qui est critiquée, parce<br />
que, selon ce député, avoir accès à la contraception aurait des conséquences sur la virilité<br />
masculine. De plus, ce député affirma alors que, ne risquant plus de tomber enceinte durant un<br />
rapport, les femmes risqueraient alors d’avoir une sexualité plus libérée. Ainsi, alors que Lucien<br />
Neuwirth défend une loi de libération féminine, c’est la femme qui est cible de critiques, et non<br />
l’auteur de cette loi.<br />
Cependant, il est à noter que tenir ce débat impactera sa fille, alors scolarisée en école privée. Des<br />
parents d’élèves ont demandé à ce qu’elle soit retirée de l’institution, ce qui arriva. Mais, si cela a<br />
eu un impact sur sa vie personnelle, nous pouvons supposer que cela aurait eu lieu, qu’importe le<br />
député présentant la loi. C’était alors le député, qui était attaqué, et non l’homme.<br />
Si Lucien Neuwirth subit des injures, cela n’ira pas vraiment plus loin que des surnoms tels que «<br />
Lulu la pilule » ou de « l'immaculée contraception » 101 , quand, pour Simone Veil, son histoire<br />
personnelle fut mise en avant. En effet, alors que celle-ci fut insultée de nazie, que certains députés<br />
comparèrent l’avortement aux chambres à gaz, aucune mention de la guerre, ni de son histoire<br />
personnelle, du fait qu’il ait été exécuté et miraculé, ne fut faite par l’opposition envers Lucien<br />
Neuwirth.<br />
La preuve, peut-être, que le traitement reste différent lorsqu’il s’agit d’un homme que lorsqu’il<br />
s’agit d’une femme. La vie personnelle, les injures sexistes et misogynes sont privilégiées lorsqu’il<br />
s’agit d’attaquer une femme politique. Quand les critiques et injures faites à un homme politique,<br />
sont finalement adressées envers le dirigeant et sa politique, qu’importent son histoire et sa vie<br />
personnelle.<br />
2. Edith Cresson, « la Pompadour de Mitterrand »<br />
Le 11 mars 1983, dans un article du Monde, Françoise Giroud disait « La femme serait vraiment l’égale<br />
de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente ». Et l’ensemble<br />
des interviewé·e·s, qui ont travaillé au cabinet de Najat Vallaud-Belkacem, nous ont dit que<br />
101<br />
Ibid.<br />
37
eaucoup des critiques qu’elle recevait s’expliquaient par le fait qu’elle était jeune, jolie, d’origine<br />
marocaine mais également parce qu’elle était une femme.<br />
Les propos de Françoise Giroud s’appliquent donc encore aujourd’hui, notamment à Najat Vallaud-<br />
Belkacem. Ils s’appliquaient évidemment, lorsqu’Edith Cresson est devenue Premier ministre le 15<br />
mai 1991. Elle nous dit ainsi : « Et pour les femmes, évidemment il y a un créneau qui s’ouvre, qui est<br />
beaucoup plus vaste, avec l’imaginaire collectif : “les femmes sont incapables, nulles, frivoles etc. ”» 102 .<br />
Or selon Edith Cresson, l’image devrait en être différente puisque :<br />
« En général, les femmes ont un comportement beaucoup plus sérieux, dans la vie<br />
politique, que les hommes. Et que d’innombrables fois j’ai sollicité des femmes pour<br />
occuper des fonctions ou bien venir sur ma liste municipale, beaucoup m’ont dit : “je ne<br />
sais pas si je serais capable ”. Pas un seul homme, pas un, jamais, ne m’a répondu cette<br />
phrase. » 103<br />
« Nulle » n’est pas le terme exact utilisé par Henri Emmanuelli, concernant Edith Cresson comme<br />
elle le dit 104 :<br />
« Quand j’étais à Matignon, j’ai voulu faire en sorte que les délais de paiement soient<br />
réduits. Parce que ceux qui tentent les entreprises, et surtout les petites évidemment, ce<br />
sont les délais de paiement. Et les délais de paiement viennent de très haut. Cela vient de<br />
l’État qui paye avec retard les entreprises. Et les entreprises payent avec retard. Donc,<br />
j’avais fait auprès de la CGPME, à ce moment-là, qui est maintenant la CPME, un discours<br />
là-dessus. Et j’ai été très applaudie. Et quand je suis sortie, je crois que c’était à Bordeaux,<br />
Henri Emmanuelli qui était le député local disait aux journalistes : “elle est stupide, c’est<br />
une conne”. »<br />
Ainsi, contrairement à Najat Vallaud-Belkacem, qui fut comme nous le verrons défendue par son<br />
camp, Edith Cresson ne le fut pas.<br />
Ce n’est évidemment pas l’opposition parlementaire qui la défendit. Loin de là, puisqu’en effet, à<br />
peine nommée, François d’Aubert, député de la Mayenne, dira devant les caméras de télévision :<br />
« c'est la Pompadour qui rentre à Matignon ». Et Edith Cresson de rappeler qu’elle fut 105 :<br />
« élue et réélue député, maire, conseiller général, j’avais été cinq fois ministre, j’avais la<br />
légitimité du suffrage universel et bien non c’était la Pompadour. Alors que d’autres,<br />
puisque dans la Constitution, le président nomme qui il veut, il peut très bien nommer<br />
quelqu’un qui n’est pas élu. Pompidou était Premier ministre et n’était pas élu, Barre<br />
102<br />
CRESSON Edith, ancien Premier ministre. Entretien réalisé le 5 septembre 2017.<br />
103<br />
Ibid.<br />
104<br />
Ibid.<br />
105<br />
Ibid.<br />
38
aussi. Donc, on peut nommer un non élu. Moi, j’avais la légitimité du suffrage universel,<br />
et cela ne valait rien. On ne peut expliquer la promotion d’une femme que par la<br />
promotion canapé. »<br />
Et elle ne fut pas défendue par les médias qui ont au contraire amplifié les injures et diffamations à<br />
son encontre. Ainsi, elle confie à Raphaëlle Bacqué, dans le livre l’enfer à Matignon 106 :<br />
« Dans une démocratie, il y a une majorité, une opposition. Nous étions dans la majorité,<br />
nous avions une opposition, très bien. Mais là, j'avais deux oppositions. J'avais une<br />
opposition normale et l'opposition des médias, en particulier la première chaîne de<br />
télévision qui avait décidé qu'il fallait faire la peau du Premier ministre. [...] »<br />
Les réseaux sociaux numériques n’existaient pas à l’époque, mais la violence des injures et des<br />
diffamations y était tout aussi importante. Et elles étaient relayées dans les journaux télévisés,<br />
comme ce fut le cas de François d’Aubert. Elle l’était également avant les journaux télévisés dans<br />
une émission satirique de grande écoute : « le bébête-show » 107 , qui comptait sept millions de<br />
téléspectateurs par jour.<br />
Les personnalités politiques y étaient représentées en marionnettes, autour d’un comptoir de café<br />
avec Jean Roucas. Comme au temps des caricatures faites sur les rois Henri III et Louis XVI, un<br />
bestiaire est constitué pour représenter les personnalités politiques. Ainsi François Mitterrand y<br />
était représenté en grenouille, Michel Rocard en corbeau, Raymond Barre en ours en peluche,<br />
Georges Marchais en cochon … Edith Cresson fut représentée en panthère lascive surnommée « A<br />
ma botte » :<br />
Voici la retranscription d’un premier extrait. Edith Cresson a succédé à Michel Rocard et cette<br />
séquence s’est déroulée 30 secondes après le début de la première émission qui a suivi sa<br />
nomination :<br />
106<br />
BACQUÉ Raphaëlle, L’Enfer de Matignon. Albin Michel, 10 septembre 2008, 320 pages.<br />
107<br />
BÉBÊTE SHOW, Bebete Show 05 Tempete dans le Cresson, Youtube, 1 er juin 2015 [consulté le 3 septembre 2017]. 1<br />
vidéo, 1h28min23. Extrait à partir de 44min50. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=VtcA3D7mt0M<br />
39
Marionnette de M. Rocard 108 : « Mais franchement qu’est-ce que tu lui trouves ? »<br />
Marionnette de F. Mitterrand : « Et bien rien ! Justement rien ! Voilà ! Comme cela, elle ne<br />
me fera pas d’ombre. Parce que physiquement, physiquement, elle est pas … hein… elle est<br />
pas. On ne la voit pas. Bon. Ce qu’elle raconte ou rien, c’est pareil. Et elle fait tout ce que je lui<br />
dis. »<br />
J. Roucas : « Et absolument tout ce que vous lui dîtes ? »<br />
Marionnette de F. Mitterrand : « Absolument ! »<br />
Jean Roucas utilise un ton qui ne peut laisser aucun doute sur la connotation sexuelle sousentendue<br />
dans les propos. Et si le physique est régulièrement moqué dans cette émission satyrique,<br />
Raymond Barre étant décrit par exemple comment étant « assis entre cinq chaises », et non entre<br />
deux, il est évident que les termes utilisés relayaient alors les propos de François d’Aubert vus plus<br />
haut.<br />
Voici également deux autres morceaux choisis :<br />
- Marionnette de Jack Lang s’adressant à la marionnette de F. Mitterrand : « Elle a été<br />
très bien. Elle a répété tout le discours que tu lui as écrit hier »<br />
- Marionnette d’E. Cresson s’adressant à celle de F. Mitterrand : « Chéri, chéri, je suis<br />
très embêtée chéri. (…) Ils me cassent les boutiques, ils me font des grèves partout… »<br />
Ces séquences, Edith Cresson ne les regardait pas. « Parce que je n’avais pas le temps. Et puis mes<br />
collaborateurs m’ont dit : “vous devriez regarder quand même parce que c’est monstrueux” » 109 Elle<br />
ajoute : « Effectivement, quand j’ai vu cela… Mais j’ai arrêté de le regarder parce que je ne voulais pas<br />
non plus être démoralisée et perdre de ma pugnacité. J’en avais besoin. » Elle admet enfin que cela a<br />
pu nuire à son image parce que, selon elle, les gens ne la connaissaient pas :<br />
« Enfin je n’étais pas très connue. J’avais fait beaucoup de local, à Châtellerault, j’avais<br />
réindustrialisé, j’avais fait beaucoup de choses. J’ai fait beaucoup de choses dans les<br />
ministères que j’ai occupés, avec un certain succès. Bon, voilà. Je ne me faisais pas de la<br />
publicité. Je n’étais pas connue du grand public. Donc c’était facile. »<br />
Mais cette émission n’était pas la seule. En réalité, elle a fait partie d’un ensemble d’articles, de<br />
reportages qui ne portaient pas sur le fond de la politique d’Edith Cresson, que chacun était en droit<br />
de critiquer, mais sur la personnalité. Certains de ces articles sont recensés dans le livre de<br />
Raphaëlle Bacqué, cité plus haut.<br />
108<br />
Ibid. NDLR : Ce passage se trouve après 44 minutes de la bande vidéo<br />
109<br />
CRESSON Edith, ancien Premier ministre. Entretien réalisé le 5 septembre 2017.<br />
40
Si Edith Cresson reconnaît avoir été soutenue par les associations féministes de l’époque, elle reste<br />
aujourd’hui encore très virulente vis-à-vis de la seule femme qui selon elle l’a attaquée, à savoir<br />
Claude Sarraute. Cette dernière était alors chroniqueuse au journal le Monde et écrivait un billet<br />
quotidien, personnel et sarcastique, qui était publié en quatrième de couverture. Claude Sarraute<br />
avait écrit en parlant d’Edith Cresson : « J'imagine mal mon Mimi te repoussant du pied, agacé par tes<br />
câlineries de femelle en chaleur... », phrase qu’elle a cité plus de 30 ans après. Mais elle ajoute avoir<br />
reçu « plus de 3000 lettres de soutien après sa démission, de gens qui étaient indignés, et qui ont<br />
manifesté. » 110<br />
Jean-Luc Mano, en réponse à Anne-Sophie Mercier, dans un article du Monde 111 , a d’ailleurs dit en<br />
2010 :<br />
« On l'a oublié, mais le “Bébête Show”, diffusé [de 1983 à 1995] sur TF1 avec 7 millions de<br />
téléspectateurs, ça, c'était de l'extrême violence. Au “Bébête Show”, on sentait la volonté<br />
de tuer. Quand Edith Cresson était présentée en panthère lascive se roulant aux pieds de<br />
Mitterrand, on avait affaire, à une heure de grande écoute, à un délire machiste<br />
inimaginable aujourd'hui, avec une femme Premier ministre présentée comme une<br />
putain. »<br />
Nous souhaitions démontrer ici que les femmes, en plus des critiques habituelles faites envers<br />
tout·e dirigeant·e, subissait des attaques personnelles d’une rare violence, quand les hommes en<br />
étaient épargnés. Or, nous avons montré, à travers les cas de Boniface VIII ou des rois Henri III et<br />
Louis XVI, que les attaques étaient également personnelles. Boniface VIII et Henri III étaient accusés<br />
d’homosexualité, de mœurs légères, etc., quand Louis XVI l’était d’impuissance et d’être manipulé<br />
par son épouse. Cependant, avec l’arrivée des femmes au pouvoir, en tant que dirigeantes et non en<br />
tant qu’« épouses de » et femmes d’influence, les attaques personnelles se sont focalisées sur les<br />
femmes tandis que, vis-à-vis des hommes, il s’agissait de critiques sur le fond.<br />
Et en réalité, contrairement à ce que disait Jean-Luc Mano, certaines personnalités politiques, tout<br />
comme certains chroniqueurs ou certaines chroniqueuses, se permettent encore des remarques<br />
sexistes, et les exemples ne manquent pas. Aujourd’hui encore, il y a toujours une différence de<br />
traitement vis-à-vis des femmes politiques, souvent ramenées qu’à leurs corps, ou bien à leurs<br />
tenues. Ainsi, en juillet 2012, « des députés huent Cécile Duflot et sa robe à fleurs. L’un d’eux apostrophe<br />
110<br />
Ibid.<br />
111<br />
MERCIER Anne-Sophie, Politique : dans le piège des humoristes, Le Monde Magazine [en ligne], 25 décembre 2010<br />
[consulté le 8 septembre 2017] . Disponible sur : http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2010/12/25/politiquesdans-le-piege-des-humoristes_1456788_3236.html<br />
41
la ministre d’un vigoureux : “Enlève les boutons !” » 112 . Ce genre de remarques à l’Assemblée nationale<br />
arrivent fréquemment, « surtout après le déjeuner quand ils ont bu un coup » 113 , comme nous le dit<br />
Edith Cresson, parlant plutôt d’« une évolution de façade ». Cependant, comme le souligne la<br />
sociologue <strong>Laure</strong> Bereni, ces propos seront aujourd’hui immédiatement repris sur les réseaux<br />
sociaux numériques. Ainsi, selon elle, « les réseaux sociaux ont bien évidemment décuplé la force de<br />
ces discours. Tout commentaire sexiste d’un homme politique est désormais susceptible d’être rendu<br />
public, dans une stratégie de "shaming"» 114 . De la même façon, nous pouvons constater que les<br />
journalistes traitant de sujets « futiles » au lieu de parler du fond sont vivement critiqué·e·s sur les<br />
réseaux sociaux numériques.<br />
Mais les réseaux sociaux numériques ont-ils réellement provoqué une autocensure et un<br />
« shaming » systématiques ? N’ont-ils pas conduit au contraire à la multiplication de contrevérités<br />
en favorisant la prise de parole des extrêmes ? N’ont-ils pas permis au contraire de diffuser<br />
plus largement et plus rapidement l’information ou la désinformation ? Ce sont les deux<br />
thématiques que nous développerons au chapitre suivant.<br />
112<br />
ECOIFFIER Matthieu, FAURE Sonya et LUYSSEN Johanna, Femmes en politique, un match contre les machos,<br />
Libération [en ligne], 4 mai 2015 [consulté le 28 août 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.liberation.fr/france/2015/05/04/femmes-en-politique-un-match-contre-les-machos_1289649<br />
113<br />
CRESSON Edith, ancien Premier ministre. Entretien réalisé le 5 septembre 2017.<br />
114<br />
ECOIFFIER Matthieu, FAURE Sonya et LUYSSEN Johanna, Femmes en politique, un match contre les machos,<br />
Libération [en ligne], 4 mai 2015 [consulté le 28 août 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.liberation.fr/france/2015/05/04/femmes-en-politique-un-match-contre-les-machos_1289649<br />
42
CHAPITRE 3. CRITIQUES, INJURES ET DIFFAMATIONS : QUAND INTERNET<br />
BOUSCULE LES CODES DE LA COMMUNICATION ET DE L’INFORMATION<br />
Comme nous l’avons vu en introduction, selon une étude du CRÉDOC de 2016, 85% des Français·es<br />
avaient accès à Internet et 74% y accédaient tous les jours (95 % des 18-24 ans). Par ailleurs, 56%<br />
étaient inscrit·e·s sur au moins un réseau social numérique 115 . Cependant, si ces taux continuent<br />
d’augmenter, ils n’ont pas toujours atteint ces niveaux, pour des raisons techniques. Ainsi, comme<br />
le montre le graphique ci-dessous, en 1998, seulement 4% de la population, âgée de plus de 18 ans,<br />
avait un accès à internet à son domicile :<br />
Comme nous le verrons, c’est pourtant en 1996 que le Front national devient le premier parti doté<br />
d’un site internet, avant même donc la création de cette enquête. Nous verrons que, bien avant la<br />
chaîne YouTube de Jean-Luc Mélenchon et des Insoumis, le Front national avait vu dans Internet la<br />
possibilité d’avoir accès directement à ses électeurs, alors qu’il était absent de l’ensemble des<br />
plateaux de télévision ou presque. Internet est ainsi devenu un média indispensable à l’extrême<br />
droite, d’autant que l’expression y est libre et non encore régulée, ou si peu. L’ancienneté de son<br />
expérience lui a permis d’y acquérir une expertise technique mais aussi une efficacité certaine en<br />
communication numérique. L’extrême droite a ainsi utilisé internet, et continue de le faire, comme<br />
outil de « réinformation », selon leurs propres termes, étant sous-entendu que l’information vue<br />
sur les médias classiques n’en était pas. Nous aborderons donc dans une seconde partie la question<br />
115<br />
CRÉDOC, Le baromètre du numérique 2016 [en ligne]. 244 pages. [consulté le 3 août 2017] Disponible sur :<br />
http://www.credoc.fr/pdf/Rapp/R333.pdf<br />
43
de l’information à l’heure des réseaux sociaux numériques et de sa crédibilité, lorsque certain·e·s<br />
journalistes basent leurs articles sur les sujets « tendances » au risque de relayer de fausses<br />
informations.<br />
I. Internet : un média indispensable à l’extrême droite<br />
« J’ai réussi à convaincre Jean-Marie Le Pen sans difficulté car il a toujours cherché les moyens de<br />
communiquer directement avec le peuple. », confie Arnaud Soyez, militant frontiste, à Dominique<br />
Albertini et David Doucet pour leur livre « La Fachosphère. Comment l'extrême droite remporte la<br />
bataille d'Internet » 116 . Il nous parle du début des années 1990, alors que la très grande majorité des<br />
français·es n’ont pas encore entendu parler d’internet. Nous verrons ainsi qu’internet est entré dans<br />
la stratégie globale de communication du Front national, d’abord par nécessité, puis comment<br />
l’extrême droite s’est emparée de cet outil, au point d’en maîtriser tous les codes, voire de les créer.<br />
1. Le Front national : premier parti à avoir utilisé internet dans sa communication<br />
Durant la campagne présidentielle de 2017, Jean-Luc Mélenchon et de la France Insoumise ont été<br />
loués pour leur innovation : hologramme, chaîne YouTube avec une vidéo par semaine, création d’un<br />
jeu vidéo par les militants, etc. Cependant, comme le montrent Dominique Albertini et David Doucet<br />
dans « La Fachosphère, comment l’extrême droite remporte la bataille du net », la France<br />
Insoumise n’a rien inventé (à l’exception peut-être de l’utilisation d’hologrammes). Une nécessité<br />
pour un Front national qui n’a que peu accès aux médias traditionnels, et qui saura s’adapter et<br />
utiliser les innovations technologiques à son avantage.<br />
a. S’exprimer en dehors des médias traditionnels : une nécessité pour l’extrême droite<br />
Les réglementations sur le temps de parole et le pluralisme ont évolué au fil des décennies. Avant<br />
les années 2000, la règle des « trois tiers » s’appliquait hors période électorale officielle. Il s’agissait<br />
d’une répartition du temps de parole entre un tiers pour le gouvernement, un tiers pour la majorité<br />
parlementaire et un tiers pour l’opposition parlementaire. Mais un dossier du Conseil supérieur de<br />
l’audiovisuel (CSA) nous indique qu’il était très compliqué de respecter cette règle. Ainsi, entre 1989<br />
et 1999, le temps de parole était réparti de la façon suivante 117 : « 34 % pour le gouvernement, 26 %<br />
pour la majorité et 38 % pour l'opposition » soit un « constant décalage entre l'objectif théorique des<br />
116<br />
ALBERTINI Dominique et DOUCET David, La Fachosphère. Comment l'extrême droite remporte la bataille d'Internet.,<br />
Flammarion, 2016, 299 pages. P. 62<br />
117<br />
CSA, Réflexion sur les modalités du Pluralisme, CSA [en ligne] 2 août 2006 [consulté le 3 septembre 2017]. Disponible<br />
sur : http://www.csa.fr/Etudes-et-publications/Les-dossiers-d-actualite/Reflexions-sur-les-modalites-du-pluralisme<br />
44
trois-tiers et la réalité d'une couverture privilégiant l'opposition parlementaire et le gouvernement (et ce,<br />
quelle que soit leur couleur politique) ». Cette règle semblait donc favoriser l’opposition<br />
parlementaire, au détriment de la majorité parlementaire. Il s’agit donc de l’opposition<br />
parlementaire, représentée à l’Assemblée nationale ou au Sénat. Or, en 1997, le Front national n’a<br />
qu’un seul député, Jean-Marie Le Chevallier, qui verra son élection invalidée un an après. Le parti<br />
sera donc très peu présent dans les médias.<br />
En février 2000, cette règle des « trois tiers » a été remplacée par le « principe de référence ». Il<br />
s’agissait de « respecter un équilibre entre le temps d'intervention des membres du gouvernement, celui<br />
des personnalités appartenant à la majorité parlementaire et celui des personnalités appartenant à<br />
l'opposition parlementaire et leur assurer des conditions de programmation comparables » 118 ainsi que<br />
de donner accès aux médias aux « personnalités appartenant à des formations politiques non<br />
représentées au Parlement » 119 . En 2009, suite à une décision du Conseil d’État, les interventions du<br />
Président de la République est également comptabilisé, celles-ci, « en raison de leur contenu et de<br />
leur contexte », relevant « du débat politique national » 120 .<br />
Ne disposant d’aucun parlementaire, le Front national n’est donc pas considéré comme appartenant<br />
à l’opposition parlementaire, et n’est invité sur les plateaux qu’en tant que « formation politique non<br />
représentée au Parlement ». Et nous pouvons voir que les temps de parole accordés au Front<br />
national, en 2000 et en 2001, avant les élections présidentielles de 2002, sont ridiculement faibles.<br />
Ainsi, en agrégeant les données fournies par le CSA, nous obtenons les résultats suivants :<br />
Temps de parole sur les 6 chaînes nationales de télévision<br />
2000 121 2001 122<br />
Présidence de la République 12h0min28s 13h30min56s<br />
Gouvernement 56h28min12s 54h2min9s<br />
PS 41h13min42s 35h36min47s<br />
RPR 34h28min28s 37h9min52s<br />
UDF 20h39min46s 20h34min28s<br />
Démocratie libérale 10h5min22s 11h31min27s<br />
Verts 9h0min54s 15h39min28s<br />
PCF 6h3min26s 9h12min31s<br />
118<br />
Ibid.<br />
119<br />
Ibid.<br />
120<br />
CSA, Le pluralisme hors période électorale, CSA [en ligne], [consulté le 3 septembre 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.csa.fr/Television/Le-suivi-des-programmes/Le-pluralisme-politique-et-les-campagnes-electorales/Lepluralisme-hors-periode-electorale<br />
121<br />
CSA, Relevés des temps d’intervention des personnalités politiques hors campagnes électorales - Les temps<br />
d'intervention sur l'année 2000, CSA [en ligne], [consulté le 3 septembre 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.csa.fr/csapluralisme/tableau?annee=2000<br />
122<br />
CSA, Relevés des temps d’intervention des personnalités politiques hors campagnes électorales - Les temps<br />
d'intervention sur l'année 2001, CSA [en ligne], [consulté le 3 septembre 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.csa.fr/csapluralisme/tableau?annee=2001<br />
45
RPF 4h25min5s 3h30min36s<br />
Mouvement des Citoyens 1h29min59s 8h18min1s<br />
PRG 0h41min14s 1h11min39s<br />
Divers Majorité 0h32min11s 3h38min26s<br />
FN 0h18min14s 0h36min36s<br />
MPF 0h17min30s 1h22min16s<br />
Sans tenir compte des tous partis d’extrême gauche ou de DLC, le FN représentait 0,15% du total<br />
de temps de parole en 2000 et 0,28% en 2001, pour des résultats électoraux bien plus élevés. En<br />
2001, le temps de parole du Front national est même deux fois moindre que celui du Mouvement<br />
Pour la France de Philippe de Villiers.<br />
Le Front national a donc dû s’adapter à ce manque d’accès dans les médias traditionnels. Bien que<br />
peu de foyers disposaient d’un accès à internet, le parti exploitera cet outil en voie de développement<br />
pour diffuser ses messages.<br />
b. Un parti qui sait utiliser les innovations technologiques à son avantage<br />
En effet, déjà dans les années 1990, le Front national sortira un jeu vidéo, pour promouvoir Jean-<br />
Marie Le Pen. Ce jeu se présentait comme un Pac-Man, avec « un mini Le Pen » qui doit attraper<br />
des flammes tricolores « en prenant bien soin d’éviter “les ennemis de la France qui rôdent” : François<br />
Mitterrand, Lionel Jospin, Jacques Chirac, Alain Juppé et Fodé Sylla, le président de SOS Racisme. » Ce<br />
jeu sera cependant rapidement retiré de la vente, suite à une plainte de SOS Racisme. 123<br />
Le Front national s’est donc rapidement adapté aux innovations technologiques, malgré des<br />
préjugés que l’on pourrait avoir : « On pouvait légitimement penser qu’un parti d’extrême droite<br />
revendiquant des valeurs traditionalistes ne seraient pas à la pointe de la modernité et préférerait le livre<br />
et l’affiche au numérique », comme le disait l’ancien député Yves Cochet 124 . Il sera pourtant l’un des<br />
premiers mouvements à avoir une page minitel. Ce sera alors l’un des premiers sites politiques<br />
« vitrines », présentant le parti et son histoire, avec une vision édulcorée de celle-ci :<br />
« Cela répondait à une urgence, explique Arnaud Soyez, le militant frontiste à l’origine<br />
des trois sites, à l’époque secrétaire nationale aux adhésions. Nous avions lancé 3615<br />
NATIO en pleine campagne électorale, parce que nous cherchions un moyen de relayer<br />
un éditorial plus rapidement qu’avec un journal du parti ou un bulletin interne. (…). C’était<br />
basique, il n’y avait que trois ou quatre pages, dont l’une était consacrée à un historique<br />
123<br />
ALBERTINI Dominique et DOUCET David, La Fachosphère. Comment l'extrême droite remporte la bataille d'Internet.,<br />
Flammarion, 2016, 299 pages. P. 63<br />
124<br />
Ibid. P. 66<br />
46
du mouvement et l’autre à une liste des numéros des différents secrétaires<br />
départementaux. » 125<br />
C’est au printemps 1996, alors que moins de 4% de la population a un accès à internet, que le parti<br />
lancera le premier site politique, deux semaines avant celui des Verts. C’est la campagne<br />
présidentielle américaine, opposant Bill Clinton à Bob Dole, qui a inspiré Martial Bild, alors<br />
secrétaire général du Front national. Mais c’est bien en apprenant que les Verts comptaient<br />
également en lancer un, qu’ils décidèrent de le lancer plus rapidement. Sur la page d’accueil, on<br />
pouvait y lire :<br />
« Loin de la censure et du boycott médiatique, le site officiel du Front national est un outil<br />
d’information pour tous ceux qui veulent découvrir, mieux connaître ou simplement<br />
communiquer avec le mouvement de Jean-Marie Le Pen. » 126<br />
Dans le Journal Officiel du Front national, le parti se justifiera de la création de ce site, expliquant<br />
qu’il s’agit de :<br />
« Fournir au plus large public (national et international), une information à la source,<br />
expliquer le Front national et ses propositions sans le filtre médiatique et briser par là<br />
même le mur du silence qui nous entoure (…) Internet nous offre aujourd’hui la possibilité<br />
de communiquer directement et à moindre frais avec notre public. » 127<br />
Tout est dit dans ces deux citations. Ainsi, durant la campagne présidentielle de 2002, le Front<br />
national sera le premier à lancer son site de campagne, six mois avant les autres. « Sur son site, le<br />
parti lepéniste propose en accès libre des fils d’argumentaires à télécharger, pour convaincre les<br />
signataires potentiels » pour sa candidature. Jean-Marie Le Pen disait à Georges Moreau « il faut<br />
passer le filtre médiatique, dépasser tous ces connards des télévisions qui nous crachent à la gueule<br />
matin, midi et soir. » 128<br />
Mais surtout, le plus innovant pour l’époque était encore d’utiliser Internet comme une plate-forme<br />
de vidéos, trois ans avant le lancement de YouTube. Ainsi, chaque semaine durant la campagne des<br />
présidentielles de 2002, le président du Front national poste une vidéo sur un site dédié : Lepen.tv.<br />
« L’idée était de dire aux gens qui se plaignaient de ne jamais voir Le Pen à la télé qu’ils pouvaient enfin<br />
le voir sur Internet, à l’heure de leur choix » explique Romain, webmaster du site 129 .<br />
125<br />
Ibid. P. 62<br />
126<br />
Ibid. P. 68<br />
127<br />
Ibid. P. 70<br />
128<br />
Ibid. P. 75<br />
129<br />
Ibid. PP. 76-77<br />
47
Mais nous verrons que le Front national a des difficultés pour rester à la pointe de l’innovation.<br />
Aujourd’hui, le Front national se voit en compétition avec moult sites Internet, puisqu’il paraît<br />
inenvisageable qu’un parti, ou qu’un·e candidat·e, n’ait pas son propre site. Enfin, une multitude de<br />
sites identitaires et d’extrême droite a vu le jour, et les réseaux sociaux numériques ont permis de<br />
mettre en lumière l’arrière vitrine du parti, se retournant ainsi contre les cadres du parti.<br />
2. Une fachosphère qui se développe, de plus en plus décomplexée<br />
La Fachosphère est un terme régulièrement utilisé par les politiques, les journalistes et les<br />
militant·e·s partisan·e·s. Ce terme est également utilisé dans ce mémoire. Il désigne la « propagande<br />
d’extrême droite » 130 . Il s’agit d’un mot-valise, fusionnant l’abréviation de « fasciste » qui désigne<br />
« de manière familière et péjorative, tout sympathisant d’extrême droite » 131 et « sphère », qui est un<br />
« milieu, presque un petit univers » 132 . Dominique Albertini et David Doucet, dans leur livre « La<br />
Fachosphère, comment l’extrême droite remporte la bataille du net », définisse ce terme de la<br />
manière suivante 133 :<br />
« La fachosphère, c’est donc l’extrême droite dans sa diversité : identitaires et<br />
maurrassiens, frontistes et disciples du gourou Alain Soral, néofascistes et “cathos<br />
tradis”. »<br />
Linkfluence, en partenariat avec Le<br />
Monde, a réalisé une carte de cette<br />
fachosphère, appelée dans l’article<br />
« blogosphère » 134 . Elle montre les<br />
liaisons qui existent entre les différents<br />
univers de la fachosphère.<br />
130<br />
Ibid. P.8<br />
131<br />
Ibid. P.9<br />
132<br />
Ibid. P.9<br />
133<br />
Ibid. P.10<br />
134<br />
MESTRE Abel et MONNOT Caroline, Les familles de l'extrême droite sur le Net, Le Monde [en ligne], 4 juillet 2011<br />
[consulté le 3 septembre 2017]. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/politique/article/2011/07/04/les-familles-de-lextreme-droite-sur-le-net_1544700_823448.html<br />
48
Les personnes concernées, quant à elles, vont plutôt s’appeler la « réinfosphère » et<br />
« insistent ainsi sur la mission que se donnent certains d’entre eux : fournir une<br />
information corrigée des “bobards” attribués aux médias, voire carrément passée sous<br />
silence par les canaux du “système” – un concept manié par l’extrême droite radicale<br />
française depuis les années 1950. » 135<br />
D’ailleurs, nous constatons que l’extrême droite a peut-être gagné la bataille de la sémantique. En<br />
effet, les journaux traditionnels, tels que Le Monde ou Libération par exemple, vont plutôt parler de<br />
« désintox » que de réinformation, qui reste connoté, laissant ainsi ce terme à l’extrême droite.<br />
Si nous avons décidé de ne pas aborder les « cathos tradis » dans le cadre de ce travail, nous allons<br />
voir que cette définition concerne moult sites internet, avec forte audience, et qu’internet conduit à<br />
la fois à une transparence qui peut être néfaste pour le Front national tout en gardant une opacité<br />
dans ses campagnes.<br />
a. Une multitude de sites internet<br />
Si la fachosphère est « l’un des secteurs les plus dynamiques de la toile » 136 , nous nous concentrerons<br />
ici sur trois sites en particulier, les plus influents, que nous vous présenterons : Fdesouche,<br />
Boulevard Voltaire et Égalité et Réconciliation.<br />
Fdesouche est lancé en 2005 sous la forme d’un blog, et devient un site relayant des<br />
actualités dès l’année suivante.<br />
« La devise de Fdesouche, c’est de faire le moins d’analyse possible. Il s’agit de faire<br />
passer une idée politique par la concentration et le choix d’articles trouvés ailleurs. On<br />
fonctionne sur le principe d’un copier-coller. Ensuite, ce sont nos lecteurs qui font<br />
l’analyse : à eux d’analyser, de disserter, et de montrer où est la manipulation s’il y en a<br />
une. »<br />
C’est ainsi que Pierre Sauterel, principal collaborateur, présente le site à Dominique Albertini et<br />
David Doucet 137 . Si son siège social est en Inde et que son propriétaire allégué est Tilak Raj, il est<br />
impossible de savoir s’il existe véritablement. Selon les auteurs du livre « La Fachosphère, comment<br />
l’extrême droite remporte la bataille du net », il n’est « qu’un leurre pour échapper aux poursuites<br />
judiciaires » 138 . Le Décodex du Monde décrit ce site de la manière suivante 139 :<br />
135<br />
ALBERTINI Dominique et DOUCET David, La Fachosphère. Comment l'extrême droite remporte la bataille d'Internet.,<br />
Flammarion, 299 pages. P.10<br />
136<br />
Ibid. P.8<br />
137<br />
Ibid. PP. 25-26<br />
138<br />
Ibid. P. 25<br />
139<br />
DÉCODEX, fdesouche. Le Monde [en ligne], [consulté le 3 septembre 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.lemonde.fr/verification/source/fdesouche/<br />
49
« Un blog d'extrême droite fondé par un ancien cadre du Front national, Pierre Sautarel.<br />
Le site produit peu d'informations lui-même, mais il est alimenté par une sorte de « revue<br />
de presse », principalement axée autour de thèmes chers à l'extrême droite<br />
(immigration, identité, faits divers...). Si la plupart des sources utilisées sont fiables, la<br />
présentation des faits par le site est souvent trompeuse. Il relaie également parfois des<br />
rumeurs non vérifiées, sur un ton interrogatif. »<br />
C’est également ce qu’affirment Dominique Albertini et David Doucet dans leur livre : « Fdesouche<br />
n’hésite pas à relayer des rumeurs non vérifiées, du moment que celles-ci servent son propos, se<br />
contentant de prendre ses lecteurs à témoins : “Info ou Intox ?” » 140<br />
Boulevard Voltaire est un site d’extrême droite, lancé par Robert Ménard et Dominique Jamet le 1 er<br />
octobre 2012. Le site est jugé raciste et homophobe par les médias traditionnels, et un de ses<br />
contributeurs, Didier Pleux, psychologue clinicien et psychothérapeute, finit d’ailleurs par partir<br />
considérant que « le mariage homosexuel est diabolisé, l'expression "racisme antiblanc" valorisée,<br />
l'islamophobie banalisée » 141 . Ce site est également connu pour relayer de nombreuses<br />
désinformations. « Le site s’est fait le vecteur de diffusion de nombreuses intox de droite et d’extrême<br />
droite », comme l’indique Libération. Le journal étaye son article de plusieurs exemples comme<br />
l’accusation envers Christiane Taubira d’avoir « “facilité la fuite” de 236 détenus », quand la loi mise<br />
en cause datait en fait de 2004 ; la création d’une intox sur « nouvelle taxe contre les familles » ainsi<br />
qu’une « citation construite de toutes pièces de Bernard Cazeneuve et les “racines chrétiennes” de la<br />
France » 142 . Le site a par ailleurs été condamné en novembre 2014 à 1 000 € d’amende pour<br />
« incitation à la discrimination et à la haine contre l'ensemble des musulmans » 143 .<br />
Égalité et Réconciliation est une association loi de 1901 dont, depuis 2010, le but est « la promotion<br />
des idées de l’essayiste Alain Soral sur la gauche des valeurs et la droite du travail » 144 . L’association a<br />
été fondée en 2007 par Alain Soral, avec deux anciens membres du Groupe Union de Défense (GUD)<br />
Philippe Péninque et Jildaz Mahé O'Chinal. Le Décodex du Monde définit ce site comme 145 :<br />
140<br />
ALBERTINI Dominique et DOUCET David, La Fachosphère. Comment l'extrême droite remporte la bataille d'Internet.,<br />
Flammarion, 299 pages. P. 27<br />
141<br />
PLEUX Didier, "Boulevard Voltaire", le site de l'intolérance. Le Monde [en ligne], 22 octobre 2012, [consulté le 24 août<br />
2017]. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/10/22/boulevard-voltaire-le-site-de-lintolerance_1779115_3232.html<br />
142<br />
COQUAZ Vincent, La fachosphère inquiète de la diffusion de fake news... par la fachosphère, Libération [en ligne], 7<br />
mai 2017, [consulté le 24 août 2017]. Disponible sur : http://www.liberation.fr/desintox/2017/05/07/la-fachosphereinquiete-de-la-diffusion-de-fake-news-par-la-fachosphere_1567848<br />
143<br />
RTL ET AFP, Islamophobie : une militante et Boulevard Voltaire condamnés pour provocation à la haine, RTL [en<br />
ligne], 18 novembre 2014, [consulté le 24 août 2017]. Disponible sur : http://www.rtl.fr/actu/societe-faitsdivers/islamophobie-une-militante-et-boulevard-voltaire-condamnes-pour-provocation-a-la-haine-7775412703<br />
144<br />
Alain Soral, petit idéologue et grand épicier, Article 11 [en ligne], 15 novembre 2013 [consulté le 3 septembre 2017].<br />
Disponible sur : http://www.article11.info/?Alain-Soral-petit-ideologue-et<br />
145<br />
DÉCODEX, Égalité et Réconciliation. Le Monde [en ligne], [consulté le 3 septembre 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.lemonde.fr/verification/source/egalite-et-reconciliation/<br />
50
« Le site de la mouvance du militant « nationaliste révolutionnaire » Alain Soral, qui<br />
reprend de nombreux articles de sites peu fiables, dont de nombreuses fausses<br />
informations et théories conspirationnistes. »<br />
et indique que :<br />
« Ce site diffuse un nombre significatif de fausses informations et/ou d’articles<br />
trompeurs. Restez vigilant et croisez avec d’autres sources plus fiables. Si possible,<br />
remontez à l’origine de l’information. »<br />
Mais surtout, Égalité et Réconciliation est extrêmement bien référencé.<br />
Le mot égalité recherché sur Google devrait<br />
logiquement nous conduire vers la devise de<br />
notre pays. Pourtant, les premiers résultats<br />
dirigent vers le site d’Alain Soral, comme nous<br />
pouvons le voir ci-contre.<br />
Ainsi, en plus de diriger vers le site internet luimême,<br />
Google conduit vers trois articles du<br />
site, dont un plutôt complotiste.<br />
Si cela peut paraître surprenant de premier abord, cela ne l’est finalement pas lorsque nous savons<br />
qu’il s’agit du premier site politique français, en termes d’audience. Ainsi, en 2016, le site obtenait<br />
8,1 millions de visiteurs mensuels. Antoine Bevort, pour un billet de blog sur Médiapart, a utilisé les<br />
données Alexa du 19 octobre 2016 pour classer les trente premiers sites français politiques en<br />
termes d’audience 146 :<br />
146<br />
BEVORT Antoine, Les trente sites politiques français ayant le plus d’audience sur le Web, Le Club Médiapart [en<br />
ligne], 21 octobre 2016 [consulté le 4 septembre 2017]. Disponible sur : https://blogs.mediapart.fr/antoinebevort/blog/211016/les-trente-sites-politiques-francais-ayant-le-plus-d-audience-sur-le-web-0<br />
51
Comme nous pouvons le constater, Égalité et Réconciliation est le site politique français le plus<br />
visité, suivi ensuite par Fdesouche, qui comptabilise 4,5 millions de visites mensuelles. Comme<br />
souligné dans le billet blog, les sites d’extrême droite sont extrêmement bien classés puisque « sur<br />
les dix premiers sites politiques, 7 appartiennent à l’extrême droite. Seuls les sites institutionnels du<br />
Sénat et de l’Assemblée nationale s’insèrent dans ce top ten » 147 . Si ce tableau récapitulatif n’intègre<br />
pas les médias dans ce classement, il est cependant à noter qu’Égalité et Réconciliation est « mieux<br />
classé que celui de Mediapart, qui dans les données d’Alexa occupe le 317e rang » 148 . Enfin, le site du<br />
Front national est en douzième position et est « de loin, le premier des sites des partis politiques » 149 .<br />
147<br />
Ibid.<br />
148<br />
Ibid.<br />
149<br />
Ibid.<br />
52
Le succès du Front national sur les réseaux sociaux numériques est indéniable. Cependant, nous<br />
verrons dans quelle mesure la parole décomplexée et les nombreux dérapages des militant·e·s,<br />
comme des candidat·e·s, peut lui nuire.<br />
b. Internet : une transparence néfaste pour le Front national ?<br />
« Si Internet « libère » la parole de Marine Le Pen, il a le même effet auprès de ses<br />
détracteurs, mais aussi de militants moins présentables que leur présidente » 150 .<br />
Cette citation du livre de Dominique Albertini et David Doucet a pu se vérifier durant les élections<br />
régionales de 2015. En effet, durant cette campagne, moult journaux ont mis en exergue les<br />
nombreux dérapages commis par des candidat·e·s Front national aux régionales. Ainsi, plusieurs<br />
journaux, dont Marianne, publieront un article sur Pierre Dinet, candidat FN en Aquitaine-Limousin-<br />
Poitou-Charentes, et le statut Facebook qu’il a posté au lendemain des attentats : « Oui nous sommes<br />
en guerre, et il est plus que temps de prendre les armes et de libérer la FRANCE de cette hydre puante<br />
et mortifère qu'est l'islam » 151 avait dit le candidat. Le Figaro, quant à lui, recensera une multitude de<br />
dérapages provenant des candidat·e·s de ce parti, comme Thierry Sénéclauze, candidat dans la<br />
Drôme, qui affirmait que « Nous allons affronter une guerre civile qui va déboucher sur une troisième<br />
guerre mondiale. La France a besoin d'un coup d'État » ou Samuel Poitier, candidat en Loire-<br />
Atlantique, qui, le jour des attentats envers Charlie Hebdo, commentera l’exécution d’un policier<br />
« La lâcheté des musulmans n'a pas de limites: tirer sur un homme à terre qui implore » 152 .<br />
L’autre exemple le plus probant est celui d’Anne-Sophie Leclère, ancienne candidate aux<br />
municipales de 2014. Sur Facebook, elle avait publié une photo d’un singe et une photo de Christiane<br />
Taubira, légendant « à 18 mois » et « maintenant ». Interrogée sur ce statut lors d’un reportage de<br />
l'émission « Envoyé spécial » sur France 2, elle réitérera : « C'est une sauvage. À la limite, je préfère<br />
la voir dans un arbre [...] que de la voir au gouvernement. ». Elle fut exclue du parti et Florian Philippot<br />
150<br />
ALBERTINI Dominique et DOUCET David, La Fachosphère. Comment l'extrême droite remporte la bataille d'Internet.,<br />
Flammarion, 299 pages. P. 92<br />
151<br />
RIETH Bruno, Régionales : nouveau dérapage raciste d'un candidat FN, Marianne [en ligne], 25 novembre 2015<br />
[consulté le 4 septembre 2017]. Disponible sur : https://www.marianne.net/politique/regionales-nouveau-derapageraciste-dun-candidat-fn<br />
152<br />
DE BONI Marc, Régionales : le FN à nouveau confronté aux outrances de certains candidats, Le Figaro [en ligne], 1 er<br />
décembre 2015 [consulté le 4 septembre 2017]. Disponible sur : http://www.lefigaro.fr/politique/lescan/couacs/2015/12/01/25005-20151201ARTFIG00017-regionales-le-fn-a-nouveau-confronte-aux-outrances-decertains-candidats.php<br />
53
prétextera une « erreur de casting ». L’ancienne Garde des Sceaux décidera de porter plainte pour<br />
injure raciale, et l’ex-candidate fut condamnée à 3 000 € d’amende avec sursis 153 .<br />
Si les exemples ne manquent pas, nous pouvons constater que tous ces dérapages ont eu lieu sur<br />
des réseaux sociaux numériques, qu’il s’agisse de Facebook ou de Twitter. Ainsi, sans les réseaux<br />
sociaux numériques, peut-être que le parti aurait pleinement réussi sa dédiabolisation, gardant<br />
ainsi sa vitrine présentable.<br />
Dans le même temps, pourtant, se joue une campagne bien plus opaque et difficile à identifier. Si<br />
Internet a rendu transparent tout propos des dirigeants sur les réseaux sociaux numériques, une<br />
opacité règne dans les campagnes se déroulant par mails. En effet,<br />
« la fachosphère repose aussi sur une multitude d’initiatives décentralisées et souvent<br />
anonymes : commentaires xénophobes sur les sites de presse, messages postés sur les<br />
réseaux sociaux, photomontages, … Ou encore le système, un peu oublié et pourtant bien<br />
vivant, des “chaines de mails”, ces messages que chaque destinataire est invité à faire<br />
suivre à ses contacts ».<br />
Encore aujourd’hui, des chaînes de mails sont envoyées par des militants, et peuvent faire bien plus<br />
de mal que des hoax diffusés sur les réseaux sociaux numériques. Jonathan Debauve nous en<br />
parle 154 :<br />
« Mais le pire du pire ce ne sont même pas des réseaux sociaux mais les mails. Il y a plein<br />
de mails, qu’on ne voit pas du tout circuler. On n’a aucune visibilité là-dessus et il n’y a<br />
rien à faire contre cela, car c’est complètement opaque. Et, ça, ça fait beaucoup,<br />
beaucoup, beaucoup de mal. Il y a des gens qui m’ont transféré des mails en me disant :<br />
“regarde ce qu’ils circulent par mail”. »<br />
Malheureusement, il poursuit sur l’impossibilité de riposter :<br />
« Et il n’y a rien à faire. Parce que comment peut-on recontacter ces gens-là ? Ce n’est<br />
pas possible … On ne va pas refaire un mail pour dire : “Contacte 10 personnes”, etc. »<br />
Comme nous l’avons vu, certains sites de cette fachosphère n’hésitent pas à « relayer des rumeurs<br />
non vérifiées » tant qu’elles servent leurs propos. Le Front national, ou ses militant·e·s, partageant<br />
fréquemment des articles en provenance de ces sites, crédibilise ainsi leurs contenus – même si ce<br />
n’est pas forcément l’information non vérifiée qu’ils ou elles partagent. Pour faire face à la<br />
153<br />
AFP, Taubira comparée à un singe : l'ex-candidate FN condamnée à 3 000 euros avec sursis, Le Point [en ligne], 28<br />
septembre 2016 [consulté le 4 septembre 2017]. Disponible sur : http://www.lepoint.fr/justice/taubira-comparee-a-unsinge-l-ex-candidate-fn-condamnee-a-3-000-euros-avec-sursis-28-09-2016-2071955_2386.php<br />
154<br />
DEBAUVE Jonathan, ancien conseiller en charge de la communication de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé<br />
le 11 mai 2017.<br />
54
multiplication de ces désinformations, plusieurs journalistes ont décidé de créer des rubriques de<br />
désintox. Ainsi, nous pouvons entre autres citer Les décodeurs du Monde, LibéDésintox du journal<br />
Libération, ou pour la télévision avec Arte Désintox. Leur rôle est, de façon pédagogique, de<br />
démonter les fausses informations qui propagées par la fachosphère. Par exemple, lorsque<br />
Boulevard Voltaire avait partagé une fausse citation de Bernard Cazeneuve, alors ministre de<br />
l’Intérieur, Les décodeurs du Monde avaient alors écrit un article de désintox 155 . Le travail des<br />
journalistes est donc essentiel pour informer les citoyen·ne·s et de nombreux·ses journalistes<br />
jouent ce rôle. Cependant, nous nous concentrerons ici sur celles et ceux qui parfois, pour des<br />
raisons que nous aborderons, ne le font pas. Ainsi, nous verrons dans quelle mesure, des<br />
journalistes, peuvent relayer parfois de fausses informations.<br />
II.<br />
Quand les journalistes basent leurs articles sur les sujets « tendances<br />
» au risque de relayer de fausses informations<br />
Lorsque l’on va sur le site de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels,<br />
on trouve une condition d’attribution de la carte uniquement en termes de ressources financière ou<br />
quantitative. Ainsi, « La loi, dans son article L 7111-3, indique "est journaliste professionnel toute<br />
personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou<br />
plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques, ou agences de presse et qui<br />
en tire le principal de ses ressources". » Pour la commission, il doit s’agir « d'une occupation principale<br />
et régulière (3 mois consécutifs pour une première demande) » et qui « procure au postulant l'essentiel<br />
de ses ressources soit plus de 50%. » Si la commission est composée de représentant·e·s des<br />
journalistes comme des employeurs ou employeuses, ainsi que de correspondant·e·s régionaux, il<br />
n’est fait pas fait mention de la définition du métier de journaliste si ce n’est pour dire<br />
« Naturellement, les fonctions exercées doivent être de nature journalistique. Enfin, l’employeur doit être<br />
une entreprise de presse (écrite ou audiovisuelle) ou une agence de presse agréée. » 156<br />
Mais aucune notion de charte éthique que l’on retrouve sur le site du Syndicat National des<br />
journalistes par exemple dont la dernière version date de mars 2011 157 , n’est mentionnée. Dans cette<br />
charte sont mentionnés plusieurs engagements dont :<br />
155<br />
LAURENT Samuel, Les fausses citations de Bernard Cazeneuve sur les « racines chrétiennes » et le djihad, Le Monde<br />
[en ligne], 3 mai 2016 [consulté le 4 septembre 2017]. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/lesdecodeurs/article/2016/05/03/les-fausses-citations-de-bernard-cazeneuve-sur-les-racines-chretiennes-et-ledjihad_4913085_4355770.html?xtmc=boulevard_voltaire&xtcr=19<br />
156<br />
Commission de la Carte d'Identité des Journalistes Professionnels [consulté le 6 septembre 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.ccijp.net/article-35-faq.html<br />
157<br />
Charte d’éthique professionnelle des journalistes, SNJ [en ligne], [consulté le 6 septembre 2017].<br />
http://www.snj.fr/content/charte-d%E2%80%99%C3%A9thique-professionnelle-des-journalistes<br />
55
« • Tient l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour<br />
les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire,<br />
l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le<br />
mensonge, la manipulation, la censure et l’autocensure, la non vérification des faits, pour<br />
les plus graves dérives professionnelles ;<br />
• Exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d’où qu’elles<br />
viennent. »<br />
Cependant, cette charte, selon Christian Delporte 158 « s’est imposée dans l’imaginaire collectif comme<br />
une référence. Et par ailleurs, notamment dans les radios, à la télévision, dans un certain nombre de<br />
magazines, il y a des chartes internes, d’ordre éthique. »<br />
Voici, malgré tout, trois phrases extraites des interviews que nous avons réalisées :<br />
« En France, la presse est très très sujette à caution. D’ailleurs je sais que beaucoup<br />
d’hommes politiques le pensent. Bien sûr ils ne le disent pas. Parce que la presse est<br />
“indépendante”. Mais on peut être indépendant et malhonnête. Et encore une fois, ce<br />
n’est pas contre-pouvoir, c’est un anti-pouvoir », Edith Cresson 159 ;<br />
« Et je vois aussi comment certains travaillent. Ils ne vont pas rechercher les sources. On<br />
est dans une société très connectée, l’objectif c’est quand même de produire<br />
énormément, d’être toujours à la pointe de l’info. », Eléonore Slama 160 ;<br />
« Déjà je pense que la situation de la presse en France est extrêmement compliquée. J’ai<br />
été frappé, lorsque j’ai vécu au Québec, de la qualité des entretiens et du fait qu’il y avait<br />
des journalistes qui ne servaient pas la soupe et allaient plutôt au fond des choses et<br />
mettaient vraiment en danger, en problématique, ce qu’on leur opposait », Matthieu<br />
Protin 161 .<br />
Nous aurions pu trouver d’autres verbatim, durs à l’égard des journalistes, dans ces interviews.<br />
Mais nous aurions également pu trouver une multitude de commentaires, parfois injurieux et<br />
menaçant envers les journalistes, sur les réseaux sociaux numériques, durant des meetings<br />
politiques, voire par des personnalités politiques elles-mêmes. Ce fut le cas de Jean-Luc<br />
158<br />
DELPORTE Christian, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines,<br />
Directeur de la revue Le Temps des médias. Entretien réalisé le 8 septembre 2017.<br />
159<br />
CRESSON Edith, ancien Premier ministre. Entretien réalisé le 5 septembre 2017.<br />
160<br />
SLAMA Eléonore, ancienne cheffe de cabinet de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé le 11 mai 2017.<br />
161<br />
PROTIN Matthieu, ancien conseiller en charge des discours et de l'éducation artistique et culturelle. Entretien réalisé<br />
le 12 mai 2017.<br />
56
Mélenchon, qui insulta un journaliste de CàVous de « sale con » et de « hyène » 162 , ou dernièrement<br />
d’Alain Juppé, en réaction à un article dans le Canard Enchainé 163 :<br />
L’image des journalistes ne cesse de se détériorer, de façon de plus en plus violente et assumée.<br />
Nous essayerons d’en comprendre les raisons en abordant l’homogénéisation croissante de<br />
l’information et la quantité d’informations qui se fait peut-être au détriment de sa qualité.<br />
1. Une homogénéisation croissante de l’information<br />
Déjà, en 1996, dans son livre « Sur la télévision » 164 , Pierre Bourdieu disait des journalistes qu’ils<br />
traitaient des mêmes sujets : « ils en ont parlé, il faut qu’on en parle aussi ». Plus de 20 ans après,<br />
Julia Cagé, Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud, dans leur ouvrage « L’information à tout prix »<br />
indique que sur « 64% de ce qui est publié en ligne est du copié-collé pur et simple » 165 .<br />
La meilleure illustration en est d’ailleurs le copié-collé de cette phrase, apparu au moment de la<br />
sortie de ce livre, que l’on peut retrouver grâce à une recherche sur Google. Si l’on met de côté<br />
l’INA, éditeur du livre, nous constatons que dans la recherche « 64% de ce qui est publié est du copiécollé<br />
pur et simple », des sites comme la-croix.com, Konbini.com, Scoopnest.com ou leparisien.fr,<br />
reprennent cette phrase.<br />
162<br />
KUCINSKAS Audrey, "Sale con", "hyène": Jean-Luc Mélenchon insulte un journaliste de "C à vous", l’Express [en<br />
ligne], 21 mars 2017 [consulté le 6 septembre 2017]. Disponible sur http://www.lexpress.fr/actualite/politique/lfi/salecon-hyene-jean-luc-melenchon-insulte-un-journaliste-de-c-a-vous_1891386.html<br />
163<br />
NDLR : Le 6 septembre 2017, le Canard Enchainé reporta des propos soi-disant tenus par Alain Juppé. Il aurait dit,<br />
concernant Virginie Calmels « Si vous avez un parquet en bon état, ne l’invitez pas ». En réaction, Alain Juppé déjeunera<br />
avec elle le lendemain, et publiera ce tweet. Disponible sur : https://twitter.com/alainjuppe/status/905755952057606145<br />
164<br />
BOURDIEU Pierre, Sur la télévision, Liber-Raisons d'agir, 1996, 95 pages.<br />
165<br />
CAGÉ Julia, HERVÉ Nicolas et VIAUD Marie-Luce, L'information à tout prix, Paris, INA, 2017, 220 pages.<br />
57
Dans leur livre J. Cagé, N. Hervé et M.L. Viaud fournissent les résultats de deux études scientifiques,<br />
issues d’un travail qui a commencé en 2012, publiées en 2016 puis en 2017, avant d’être rassemblées<br />
dans leur livre à dimension plus pédagogique. Il·elles ont réalisé une analyse des contenus de<br />
l’ensemble des articles de presse, édités sur internet, sur l’année 2013. La collecte de données a<br />
ainsi porté sur « 2 548 634 documents, soit environ 7000 documents par jour » 166 . En utilisant des<br />
méthodes de « big data », et en créant leurs propres algorithmes de comparaison, ils en sont arrivés<br />
au chiffre de 64%. Il·elles ont également démontré que 19% des documents n’ont aucune originalité,<br />
quand 21% le sont entièrement (graphique de droite ci-dessus, reproduction de la page 52 de leur<br />
livre). S’il·elles reconnaissent que l’analyse sémantique réalisée est quantitative et non qualitative<br />
(pas de détection de ce qui est positif ou négatif par exemple), ils indiquent aussi que « leur corpus<br />
de médias ne comprend ni les agrégateurs, ni les réseaux sociaux, qui prennent aujourd’hui une<br />
importance croissante dans la propagation de l’information sur Internet » 167 . Il est donc fort probable<br />
que le chiffre de 64% serait plus élevé avec leur prise en compte, d’autant que les retweets avec ou<br />
sans commentaires, et donc les « copié-collé », sont le principe même de la transmission de<br />
l’information sur Twitter.<br />
166<br />
Ibid. P. 27<br />
167<br />
Ibid. P. 93<br />
58
Ci-dessous d’une dépêche AFP où 89,36% des verbatim sont repris par le Nouvel Observateur 168 .<br />
Christian Delporte n’y voit cependant pas un problème. En effet, selon lui,<br />
« les journalistes sont obligés, aujourd’hui, de nourrir des sites, et il y a une différence<br />
entre la version papier et la version site. Il faut que cela soit renouvelé constamment. Et<br />
la principale source des journalistes est institutionnelle et vient des agences. Donc moi,<br />
cela ne me choque pas à partir du moment où on annonce la couleur, où on donne la<br />
source. Et la plupart des journaux le font. Ils disent AFP. Donc, je ne vois pas en quoi c’est<br />
un problème. On ne peut pas demander aux journalistes d’enquêter de manière<br />
approfondie et de renouveler constamment le site. » 169<br />
Par ailleurs, dans leur étude, Il·elles calculent le temps moyen de transmission d’une information<br />
entre le « news breaker » (ou créateur d’information) et la reprise par un concurrent. Si le délai<br />
moyen est de trois heures (175 minutes), il peut être plus rapide lorsque l’information est issue d’un<br />
média avec une forte réputation, telle que le Monde ou Mediapart. Ainsi, Il·elles indiquent que « la<br />
moitié des évènements se propagent en moins de 25 minutes ; un quart en seulement … 230<br />
secondes » 170 . Elle est même quasi instantanée (4 secondes), lorsque l’information vient de l’AFP,<br />
dans 10% des cas. Cela indique probablement que 10% des articles, signés AFP, sont produits par<br />
168<br />
Ibid. PP. 64-65<br />
169<br />
DELPORTE Christian, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines,<br />
Directeur de la revue Le Temps des médias. Entretien réalisé le 8 septembre 2017.<br />
170<br />
CAGÉ Julia, HERVÉ Nicolas et VIAUD Marie-Luce, L'information à tout prix, Paris, INA, 2017, 220 pages P. 45<br />
59
des robots qui ont pour seules tâches de faire un copié-collé de la dépêche AFP, de la mettre en<br />
forme avec la charte graphique du média et de mettre l’article en ligne. Ces délais sont résumés<br />
dans le graphique de gauche ci-dessous.<br />
Le graphique de droite illustre, quant à lui, la propagation de l’information et les liaisons entre les<br />
médias qui sont apparues à l’analyse. Il s’agit ici de la propagation de l’information lorsque le journal<br />
« Le Monde » révèlera en exclusivité, le 21 octobre 2013, l’affaire des écoutes de la NSA en France<br />
et dans le monde. La position du journal « Le Monde » est évidemment centrale, puisque le créateur<br />
de l’information.<br />
Certes, selon Christian Delporte 171 , « il y a beaucoup de mimétisme, il y a une sélection collective des<br />
nouvelles, donc on a l’impression qu’il est aussi la même chose. Mais c’est parce que le système est<br />
comme cela. Il n’y a pas forcément de mauvaises intentions ou de la paresse de la part des journalistes.<br />
Mais il y a un certain nombre de contraintes qui font partie du métier. »<br />
« Copié-collé » et vitesse de propagation de l’information, ce sont les deux principaux résultats de<br />
cet ouvrage. C’est d’ailleurs le ressenti de beaucoup des interviewé·e·s. Par exemple, pour<br />
Eléonore Slama, « maintenant, en une seconde c’est un tourbillon. Cela va super vite et cela prend une<br />
ampleur démesurée en quelques minutes » 172 . C’est d’ailleurs un problème pour Matthieu<br />
Protin « parce qu’il ne faut pas confondre la rapidité qui peut exister dans un système de communication<br />
et le temps nécessaire à l’élaboration du message (…). En fait, ce n’est pas parce qu’il y a des mails, des<br />
171<br />
DELPORTE Christian, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines,<br />
Directeur de la revue Le Temps des médias. Entretien réalisé le 8 septembre 2017.<br />
172<br />
SLAMA Eléonore, ancienne cheffe de cabinet de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé le 11 mai 2017.<br />
60
éseaux sociaux etc. qu’une enquête journalistique ne demande pas toujours autant de temps » 173 . Et tout le<br />
monde est d’accord sur une chose : la conséquence sur la qualité de l’information. « Si les<br />
journalistes ont une part de responsabilité », comme le dit Najat Vallaud-Belkacem, « avec la<br />
multiplication des médias, avec la nécessité pour eux de faire le buzz, d’être les premiers à sortir l’info,<br />
etc., il y a de moins en moins de précautions prises en termes de vérification des rumeurs, des<br />
informations. Et malheureusement on se retrouve souvent des choses non sourcées, non vérifiées, non<br />
croisées, qui sont reprises par les médias. »<br />
2. Une recherche constante de nouvelles informations provoquant une quantité d’informations<br />
au détriment de sa qualité ?<br />
Dans un article du Monde Campus, Sylvie Octobre, sociologue, cite le témoignage d’un adolescent<br />
« rencontré lors d'une enquête [qui] lui a dit, très justement : “S'il y avait la guerre, je l'apprendrais sur<br />
Facebook.” ». Selon elle, « Aujourd'hui, les premiers pourvoyeurs d'info sont les réseaux sociaux. » 174 .<br />
Si elle parlait de la génération Z, c’est-à-dire des jeunes nés après 1990, Eléonore Slama le fait ellemême<br />
« tous les jours, lorsqu’il se passe quelque chose, la première chose que je fais, c’est de regarder<br />
sur Twitter quels sont les sujets en tête, pour essayer d’avoir l’information. » 175 Elle rajoute ensuite que,<br />
lors d’un attentat, si elle regarde évidemment les sites de la Préfecture et du ministère de<br />
l’Intérieur, son réflexe est d’abord de regarder ce qu’il se dit sur les réseaux sociaux numériques.<br />
Puis de conclure : « Même nous, même si on sait que l’information n’est pas forcément bonne, on<br />
regarde tout cela ».<br />
Razak Ellafi pense que les journalistes en feraient de même : « Tous les dimanches matin, les journaux<br />
de buzz, à la recherche d’articles à click publient les clashs d’ONPC. Ils regardent ce qui circule sur<br />
Twitter pour déterminer le contenu et l’angle de leur article. » 176 . De plus en plus de reprises des<br />
réseaux sociaux numériques dans les articles en ligne, puis papier, voire à la télévision.<br />
Et effectivement, pour Christian Delporte, les journalistes utilisent sans doute beaucoup les réseaux<br />
sociaux numériques comme source. Mais il ajoute que « cela ne veut pas dire qu’ils ne vérifient pas<br />
l’information. […] Et puis, Twitter est une source importante pour les intellectuels » 177 .<br />
173<br />
PROTIN Matthieu, ancien conseiller en charge des discours et de l'éducation artistique et culturelle. Entretien réalisé<br />
le 12 mai 2017.<br />
174<br />
BURATTI Laura, Les jeunes lisent toujours, mais pas des livres, Le Monde Campus [en ligne], 24 septembre 2014,<br />
[consulté le 24 août 2017]. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/campus/article/2014/09/24/les-jeunes-lisenttoujours-mais-pas-des-livres_4491903_4401467.html<br />
175<br />
SLAMA Eléonore, ancienne cheffe de cabinet de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé le 11 mai 2017.<br />
176<br />
ELLAFI Razak, ancien conseiller en charge de la veille et de la prospective de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien<br />
réalisé le 4 septembre 2017.<br />
177<br />
DELPORTE Christian, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines,<br />
Directeur de la revue Le Temps des médias. Entretien réalisé le 8 septembre 2017.<br />
61
Il est à noter que la recherche de buzz existait déjà avant l’apparition des réseaux sociaux<br />
numériques. En effet, pour Edith Cresson, en 1991, les journalistes « décrivait uniquement comment<br />
j’étais habillée, si j’avais un bracelet de telle ou telle nature. J’ai eu un très grave accident de voiture, et<br />
comme je porte des collants, j’avais une cicatrice au genou, qui se voyait et ils disaient “comment peutelle<br />
sortir avec des bas filés ?” Donc les journalistes se mettaient quasiment à genoux sur le trottoir pour<br />
filmer mes jambes lorsque je sortais de la voiture » 178 ou encore « Le but c’était d’essayer de faire du<br />
buzz » 179 , sans parler du fond ni des résultats. Il est à noter que le traitement des femmes faite par<br />
certain·e·s journalistes n’a pas changé depuis cette époque.<br />
Christian Delporte, historien des médias, « s’inscrit en faux » contre l’idée que les journalistes<br />
fournissent une information de moins bonne qualité. Pour lui, il est vrai<br />
« qu’il peut y avoir peu de vérification de l’information, parce que cela va vite. Mais pour<br />
autant, si on calcule l’ensemble de l’information qui est diffusée, 99 % des informations<br />
qui sont données, ont été vérifiée […] Donc je pense que les journalistes aujourd’hui sont<br />
quand même beaucoup plus scrupuleux sur l’information qui leur est donnée que cela<br />
n’était le cas il y a 30 ans. » 180<br />
Buzz, « Copié-collé », vitesse de propagation de l’information, et baisse de la qualité également,<br />
mais dont l’explication serait d’après Matthieu Protin une baisse des effectifs : « la plupart des<br />
rédactions fonctionnent avec insuffisamment de personnel. Ils ont fait sauter les postes de secrétaires<br />
de rédaction, (…) qui vérifient, recoupent, remisent et corrigent » 181 .<br />
Et c’est effectivement confirmé par les données fournies par le site du CCIPJ 182 qui indique un<br />
passage de 35928 cartes de presse professionnelles en 2015 à 35238 en 2016, et donc une forte<br />
baisse.<br />
Or Julia Cagé, Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud montrent, dans leur ouvrage, le lien qui existe<br />
entre la création d’information originale et le nombre de journalistes présent·e·s dans une<br />
rédaction 183 :<br />
178<br />
CRESSON Edith, ancien Premier ministre. Entretien réalisé le 5 septembre 2017.<br />
179<br />
Ibid.<br />
180<br />
DELPORTE Christian, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines,<br />
Directeur de la revue Le Temps des médias. Entretien réalisé le 8 septembre 2017.<br />
181<br />
PROTIN Matthieu, ancien conseiller en charge des discours et de l'éducation artistique et culturelle. Entretien réalisé<br />
le 12 mai 2017.<br />
182<br />
35238 CARTES ATTRIBUÉES EN 2016, CCIJP, 4 janvier 2017 [consulté le 6 septembre 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.ccijp.net/article-33-cartes-attribuees-en.html<br />
183<br />
CAGÉ Julia, HERVÉ Nicolas et VIAUD Marie-Luce, L'information à tout prix, Paris, INA, 2017, 220 pages. P. 86<br />
62
De la même manière, Il·elles montrent que la<br />
création d’information est liée au statut des<br />
journalistes présents dans la rédaction. Or 22%<br />
des journalistes (nouvelle carte comprises)<br />
sont des pigistes. Pour Matthieu Protin, la<br />
précarisation de la profession pourrait<br />
effectivement expliquer les difficultés des<br />
médias en termes de qualité et de production<br />
d’information. Par exemple, « on demande à un<br />
journaliste télé de faire des témoignages, cela ne<br />
coûte pas cher et cela donne l’impression que l’on<br />
parle aux gens etc. » 184<br />
Et par ailleurs, les journalistes aujourd’hui « sont sur tous les fronts en même temps. Ils doivent<br />
compléter, ils doivent très vite fournir l’information à leurs journaux, et puis réagir également sur les<br />
réseaux sociaux. » nous dit Christian Delporte 185 , avant de reprendre : « On le voit, lorsqu’ils sont dans<br />
une réunion publique, outre le papier qu’ils vont faire, le papier en presse écrite ou audiovisuelle, ils<br />
doivent réagir vite sur les réseaux sociaux et s’approprier notamment Twitter. »<br />
Matthieu Protin ajoute 186 :<br />
« il y a dans les médias une difficulté à se positionner par rapport aux réseaux sociaux.<br />
Et finalement, on se rend compte que ceux qui résistent le mieux, ce sont ceux qui ne sont<br />
pas dans la surenchère, c’est-à-dire ce ne sont pas ceux qui sont pas dans le continu et<br />
dans le temps court, mais qui vont privilégier le temps long. Je pense à Mediapart, qui<br />
est l’exemple typique. Mais il en a d’autres. Il y a « 6 mois » [NDLR : magazine en ligne]<br />
qui sont dans d’autres aspects, avec un public de niches, mais qui sont quand même, à<br />
mon sens, assez intéressants. Alors que les autres, du coup, se trouvent en concurrence<br />
avec des réseaux sociaux qui sont aussi, à leur manière, des médias. »<br />
184<br />
PROTIN Matthieu, ancien conseiller en charge des discours et de l'éducation artistique et culturelle. Entretien réalisé<br />
le 12 mai 2017.<br />
185<br />
DELPORTE Christian, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines,<br />
Directeur de la revue Le Temps des médias. Entretien réalisé le 8 septembre 2017.<br />
186<br />
PROTIN Matthieu, ancien conseiller en charge des discours et de l'éducation artistique et culturelle. Entretien réalisé<br />
le 12 mai 2017.<br />
63
Ainsi, pour reprendre les termes de l’ouvrage, ce sont les médias de référence, pour lesquels la<br />
réputation est importante, qui s’en sortiraient le mieux … en termes de réputation en tout cas.<br />
Les journalistes ont été attaqué·e·s lors des dernières élections présidentielles, avec une violence<br />
rarement vue, par les personnalités politiques comme par les internautes au point que le SNJ ait dû<br />
faire un communiqué indiquant qu’il dénonçait « le jeu dangereux de certains candidats à l’élection<br />
présidentielle et proches de ces candidats, qui s’en prennent aux médias et aux journalistes, comme<br />
responsables de tous leurs maux. Attaquer les journalistes, c’est agresser la démocratie » 187 .<br />
Et au moment où un journaliste devient porte-parole du Président de la République et où des<br />
personnalités politiques deviennent chroniqueurs ou chroniqueuses 188 , les journalistes continuent<br />
de s’organiser. C’est le cas, par exemple, avec les articles de désintox (Libédésintox, Les Décodeurs,<br />
etc.) par exemple. Et effectivement, selon Christian Delporte, il y a « aujourd’hui des tas de journaux<br />
qui font ce que l’on appelle de la désintox. Cela n’existait pas avant. » 189<br />
Comme nous l’avons vu, nous pouvons avoir le sentiment qu’il y a un vrai désaveu des Français·es<br />
vis-à-vis des médias traditionnels, d’autant plus que les médias « alternatifs » d’extrême droite,<br />
prônant une « réinformation » sont extrêmement bien référencés sur internet. Pourtant Christian<br />
Delporte nous rappelle qu’effectivement, « à part les hommes politiques, il n’y a guère que les médias<br />
qui sont le plus rejetés par les Français ». Mais l’historien ajoute qu’en creusant<br />
« un peu, vous vous apercevez que les Français disent : “là les journalistes ne sont pas<br />
pertinents”, mais ils lisent, ils écoutent et ils regardent. Et quand on leur demande : “estce<br />
que vous croyez le journal que vous lisez, la radio que vous écoutez, ou le journal que<br />
vous regardez ?” Ils vous disent : “oui”. Donc, en fait, la défiance c’est toujours pour les<br />
autres. C’est “les médias”. C’est parce que ces médias ont pris un rôle considérable dans<br />
notre société. On est du matin au soir assailli d’informations, et ce à cause des multiples<br />
supports dont je vous parlais. Et en plus, l’information est devenue instantanée.<br />
Notamment, outre les réseaux sociaux, avec les chaînes d’information continue. » 190<br />
187<br />
Communiqué de presse : L'information est un bien public, SNJ, 1 er avril 2017 [consulté le 6 septembre 2017].<br />
Disponible sur : http://www.snj.fr/article/linformation-est-un-bien-public-433701137<br />
188<br />
NDLR : Bruno-Roger Petit est depuis le 1 er septembre porte-parole du Président de la République Emmanuel Macron,<br />
alors qu’il était auparavant journaliste. Depuis la rentré 2017, Julien Dray, Raquel Garrido, Aurélie Filippetti, etc.<br />
deviennent chroniqueur·euse.s.<br />
189<br />
DELPORTE Christian, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines,<br />
Directeur de la revue Le Temps des médias. Entretien réalisé le 8 septembre 2017.<br />
190<br />
Ibid.<br />
64
Nous avons ainsi vu l’influence des réseaux sociaux numériques sur la diffusion de l’information ou<br />
de la désinformation, notamment relayée par l’extrême droite. Cependant, la rapidité a sans doute<br />
comme conséquence, selon Matthieu Protin 191 , un « phénomène d’absence finalement de recul,<br />
d’absence de regard d’autrui, qui joue un rôle sur le respect de la norme [..] et bien on se retrouve avec<br />
un retour de la violence verbale » après « un temps de pacification que l’on a connu durant les 30<br />
glorieuses » par exemple.<br />
De la même façon, Christian Delporte 192 considère « que l’on est, et les réseaux sociaux y aident sans<br />
doute, dans une période où la parole violente se libère. […] Il suffit de voir comment la parole raciste se<br />
libère sur les réseaux sociaux. » Ce point est également souligné par Pierre-Emmanuel Guigo<br />
lorsqu’il écrit 193 : « Cette libération de la parole offre une tribune sans précédent d’expression raciste ou<br />
sexiste ».<br />
Nous démontrerons dans le chapitre suivant, par plusieurs analyses quantitatives et qualitatives,<br />
qu’effectivement la parole raciste et misogyne s’est libérée.<br />
191<br />
PROTIN Matthieu, ancien conseiller en charge des discours et de l'éducation artistique et culturelle. Entretien réalisé<br />
le 12 mai 2017.<br />
192<br />
DELPORTE Christian, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines,<br />
Directeur de la revue Le Temps des médias. Entretien réalisé le 8 septembre 2017.<br />
193<br />
GUIGO Pierre-Emmanuel, Com et politique, les liaisons dangereuses ? : 10 questions pour comprendre la communication<br />
politique, Arkhe editions, 2017, 202 pages. P. 127<br />
65
CHAPITRE 4. LA SPECIFICITE DES INJURES ET DIFFAMATIONS SUR<br />
INTERNET : ILLUSTRATION AVEC DEUX PERSONNALITES POLITIQUES<br />
Les dirigeant·e·s sont la cible de moult injures et diffamations. Nous avons vu que c’était le cas<br />
depuis des siècles, avec notamment la querelle entre le pape Boniface VIII et le roi Philippe le Bel<br />
ou la misogynie manifeste qu’a subi Edith Cresson lorsqu’elle est devenue Premier ministre. Entre<br />
Christine Boutin qui se fait régulièrement injurier sur les réseaux sociaux numériques, Christiane<br />
Taubira, dont les détracteurs ont été jusqu’à la comparer à un singe, ou Emmanuel Macron, qui a<br />
subi une campagne homophobe et sexiste lorsqu’il était candidat à la présidentielle, les exemples<br />
actuels pour illustrer notre propos ne manquent pas.<br />
Si nous traiterons, dans le cadre des ripostes, brièvement l’exemple d’Emmanuel Macron, nous<br />
avons décidé d’étudier les réactions sur les réseaux sociaux numériques envers deux personnalités,<br />
alors qu’elles étaient en fonction au même moment : Najat Vallaud-Belkacem, ministre de<br />
l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et François Hollande,<br />
Président de la République.<br />
Nous partions du principe que ces deux dirigeant·e·s avaient subi des injures et menaces, lors de<br />
deux polémiques : la réforme des ELCO et les « sans-dents ». Dans notre souvenir, ces polémiques<br />
avaient été aussi violentes l’une que l’autre, seule la nature des injures différant (sexisme,<br />
islamophobie, etc.).<br />
Pour vérifier cette hypothèse, nous avons effectué des analyses sur ce qu’il pouvait se dire sur les<br />
réseaux sociaux numériques. Nous avons ainsi réalisé une sélection que nous assumons non<br />
représentative exemplaire. En effet, nous nous sommes concentré·e·s sur quatre statuts et/ou<br />
articles par cas étudié. L’objet de ce mémoire n’étant pas d’analyser l’exhaustivité des critiques,<br />
injures et diffamations que peuvent subir des personnalités politique, mais d’en faire une illustration<br />
par des exemples précis.<br />
I. « Najat Vallaud-Belkacem a imposé l’arabe à l’école et veut islamiser<br />
la France » : une ministre, cible de prédilection<br />
Jeune, jolie, franco-marocaine, avec des convictions de gauche, voici les raisons récurrentes citées<br />
dans nos entretiens pour expliquer les attaques subies par Najat Vallaud-Belkacem. Voici deux<br />
exemples de verbatim :<br />
66
« Najat Vallaud-Belkacem, parce que c’est une femme, parce qu’elle est jeune, parce<br />
qu’elle est d’origine maghrébine, et bien, c’est un peu un condensé de l’ensemble de la<br />
haine d’un certain nombre d’individus. Donc oui, elle reste une cible facile » Eléonore<br />
Slama 194 ;<br />
« On l’attaque parce qu’elle est d’origine marocaine. On l’attaque parce que c’est une<br />
femme, qu’elle est jeune, qu’elle a des convictions affirmées, fortes, contre<br />
l’homophobie, contre le sexisme, contre les violences faites aux femmes, qu’elle défend<br />
ses convictions. Et que ça, ça leur est insupportable » Jonathan Debauve 195 .<br />
Matthieu Protin 196 ajoute en plus « qu’être Ministre de l’Education nationale, c’est un peu comme être<br />
sélectionneur de l’équipe de France de football. C’est-à-dire que tout le monde est concerné, tout le<br />
monde se sent ultra compétent dans le truc. Et donc personne n’a peur d’attaquer et de contre-attaquer »<br />
Et effectivement, comme Edith Cresson, elle fut attaquée en tant que femme. Mais après avoir vu le<br />
contexte de la polémique sur la réforme des ELCO, comme verrons que la « fachosphère » a été<br />
particulièrement violente contre Najat Vallaud-Belkacem, sur les réseaux sociaux numériques,<br />
mais qu’elle ne fut pas la seule, la droite républicaine décidant à son tour de tronquer l’information.<br />
1. Contexte de la polémique<br />
La polémique de l’arabe à l’école rentre dans le cadre de la réforme des Enseignements de langue<br />
et de culture d’origine (ELCO). Les ELCO ont été mis en place suite à une directive européenne du<br />
25 juillet 1977. Leur objectif est de permettre aux enfants, dont l’un des parents n’est pas Français,<br />
d’apprendre leur langue d’origine, si la famille le souhaite. Par exemple, un enfant dont le père ou<br />
la mère est immigré·e d’origine espagnole, pourra apprendre l’espagnol dès le primaire. Suite à des<br />
accords bilatéraux, ces ELCO concernent neuf pays : l'Algérie, la Croatie, l'Espagne, l'Italie, le<br />
Maroc, le Portugal, la Serbie, la Tunisie et la Turquie. Dans le cadre des ELCO, les pays recrutaient<br />
les enseignant·e·s et les payaient, sans aucun contrôle de l’Éducation nationale. Najat Vallaud-<br />
Belkacem a souhaité réintégrer ces enseignements dans le cadre de l’école Républicaine, avec des<br />
professeur·e·s recruté·e·s et contrôlé·e·s par l’Éducation nationale, et des programmes définis par<br />
cette dernière. Il s’agissait d’éviter « l’entre-soi » et donc les risques de communautarisme. Ces<br />
ELCO, suite à cette réforme, disparaitront définitivement en 2018, pour être intégrés et accessibles<br />
à tous les élèves dans le cadre de l’enseignement des langues vivantes dès le CP, au même titre<br />
194<br />
SLAMA Eléonore, ancienne cheffe de cabinet de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé le 11 mai 2017.<br />
195<br />
DEBAUVE Jonathan, ancien conseiller en charge de la communication de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé<br />
le 11 mai 2017.<br />
196<br />
PROTIN Matthieu, ancien conseiller en charge des discours et de l'éducation artistique et culturelle. Entretien réalisé<br />
le 12 mai 2017.<br />
67
que l’anglais. Si l’hébreu, le russe ou le japonais sont également intégrés à ce nouvel apprentissage<br />
des langues, c’est l’arabe qui a soulevé une vive polémique.<br />
Suite à une recherche sur Facebook avec les mots « Najat Vallaud-Belkacem arabe », nous avons<br />
décidé de retenir les statuts apparaissant en premier et ayant le plus de de commentaires, à savoir :<br />
« La Gauche m’a tuer », « Boulevard Voltaire », David Rachline et Bruno Le Maire. Nous verrons<br />
d’ailleurs avec l’article de « La Gauche m’a tuer » que cette polémique existait déjà en août 2015.<br />
Mais c’est bien lors de la réforme des ELCO, que la polémique s’amplifia, celle-ci étant reprise et<br />
déformée par l’extrême droite, mais surtout par la droite républicaine. Nous commencerons par<br />
présenter les protagonistes, avant de mener une analyse comparative des différents commentaires<br />
présents sur les statuts sélectionnés. Il est à noter que certains commentaires relèvent de<br />
l’incitation à la haine voire de la menace de mort. Tous les commentaires cités ci-dessous, ou mis<br />
en dans l’Annexe III, sont évidemment publics et non publiés dans un statut privé.<br />
2. Présentation d’une sélection de protagonistes<br />
Nous allons ici, pour des raisons de compréhension, expliquer et présenter les différents<br />
protagonistes et leur influence sur les réseaux sociaux numériques. La chronologie est ici<br />
importante puisqu’elle démontrera que la polémique est partie de la droite extrême, avant d’être<br />
reprise près d’un an plus tard par l’extrême droite puis la droite républicaine.<br />
a. Une polémique débutant le 9 août 2015 …<br />
Une première polémique sur « l’arabe à l’école » a commencé en août 2015, après le passage de<br />
Najat Vallaud-Belkacem dans l’émission « C à vous » sur France 5. La ministre est alors interrogée<br />
sur les couvertures de Valeurs Actuelles. Elle en vient à discuter de l’opposition de certains parents<br />
d’élèves en Corse à ce que leurs enfants apprennent, pour la kermesse de l’école, un couplet de la<br />
chanson Imagine, de John Lennon, en cinq langues différentes, dont l’arabe. Ces parents en étant<br />
venu à menacer les enseignantes, à taguer l’intérieur de la cour de l’école (« Les arabes dehors »<br />
en Corse), la kermesse a donc été annulée pour des raisons de sécurité et une plainte déposée par<br />
le Rectorat. Durant cette interview, la ministre a ainsi défendu les enseignantes et dit :<br />
« En ma qualité de ministre de l’Éducation nationale, dans la politique que je mène pour<br />
développer les langues étrangères, l’arabe sera évidemment dans le panel des langues,<br />
parce qu’il faut le développer, parce qu’on a besoin de cette diversité des langues et je<br />
condamne ce type de comportements. » 197<br />
197<br />
C À VOUS. Najat Vallaud-Belkacem sur "Valeurs Actuelles" - C à vous - 17/06/2015 [vidéo en ligne]. Youtube, 18 juin<br />
2015 [consulté le 24 août 2017]. 1 vidéo, 2min54. https://www.youtube.com/watch?v=LXX6fYTEO4U<br />
68
C’est donc deux mois après que « La Gauche m’a tuer » a lancé la polémique, titrant un article 198 :<br />
« Najat Belkhacem (sic) : “l’enseignement de l’arabe à l’école doit être développé” ».<br />
« La Gauche m’a tuer » se présente comme<br />
étant le premier média d’opinion de droite. Ce<br />
site a été créé par Mike Borowski, ancien<br />
militant du syndicat l’UNI, ancien cadre de<br />
l’UMP. Il était dans le « LipDub » officiel des<br />
Jeunes Républicains en 2010, aux côtés de<br />
figures emblématiques du parti comme Jean-<br />
Pierre Raffarin, Xavier Bertrand, Rachida Dati,<br />
Nadine Morano, etc. Il se revendique de la<br />
« droite réactionnaire, la vraie » 199 .<br />
Il a également contribué, en tant qu’auteur, à des articles sur Boulevard Voltaire. « Les gens pensent<br />
que c’est de l’information mais on fait de l’idéologie », confie-t-il à Marianne au sujet de son site. Il<br />
revendique alors être « anti-politiquement correct, anti-féministes, anti-fonctionnaires et antipragmatisme<br />
» 200 .<br />
Nous n’avons pas ici de statistiques démontrant le fait que « La Gauche m’a tuer » soit ou non le<br />
« premier média d’opinion de droite ». Cependant, nous savons qu’actuellement 449 481 personnes<br />
aiment leur page Facebook et que 18,3K personnes sont abonnées à leur compte Twitter.<br />
D’ailleurs, le statut « Najat Belkhacem : “l’enseignement de l’arabe à l’école doit être développé” »<br />
a suscité 1,9K « j’aime », a été commenté 1,9K fois et été partagé 2 415 fois.<br />
198<br />
FACEBOOK, Najat Belkhacem : « l’enseignement de l’arabe à l’école doit être développé » Partagez massivement, La<br />
gauche m’a tuer [en ligne], 9 août 2015 [consulté le 24 août 2017]. Disponible sur :<br />
https://www.facebook.com/lagauchematuer1/posts/1143372105692015<br />
199<br />
MIKE BOROWSKI, Twitter [en ligne], [consulté le 24 août 2017]. Disponible sur : https://twitter.com/BOROWSKIMIKE<br />
200<br />
GIRARD Etienne, Sept ans après le lipdub de l'UMP, on a retrouvé ceux qui voulaient "changer le mooondeuh".<br />
Marianne [en ligne], 10 décembre 2016, [consulté le 24 août 2017]. Disponible sur :<br />
https://www.marianne.net/politique/sept-ans-apres-le-lipdub-de-l-ump-retrouve-ceux-qui-voulaient-changer-lemooondeuh<br />
69
Cependant, la polémique sur le sujet commença véritablement suite à une Question au<br />
Gouvernement sur la réforme des ELCO, posée le 25 mai 2016 par Annie Gennevard, députée Les<br />
Républicains. La ministre fut interrogée sur le sujet le 31 mai 2016 par Jean-Jacques Bourdin. Nous<br />
présenterons dans un premier temps les réactions de l’extrême droite suite à cette interview, puis<br />
celle de Bruno Le Maire, interrogé lui-même le lendemain par le journaliste de RMC/BFM TV.<br />
b. Reprise le 31 mai 2016 par l’extrême droite …<br />
Le 31 mai 2016, Najat Vallaud-Belkacem, interrogée par Jean-Jacques Bourdin, explique ce que<br />
sont les ELCO, et quelle réforme elle compte mettre en place. La retranscription de ce passage se<br />
trouve dans l’Annexe IV. La ministre confirme bien la possibilité qu’auront les enfants, dont la<br />
famille le souhaitera, d’apprendre, parmi un panel de plusieurs langues étrangères, l’arabe dès le<br />
CP. Mais elle explique également que cela se fera dorénavant dans le cadre de l’Éducation nationale,<br />
avec la suppression prochaine des ELCO.<br />
Les statuts de Boulevard Voltaire 201 et de David Rachline 202 étant sortis le même jour, nous les<br />
traiterons simultanément.<br />
Boulevard Voltaire est un site d’extrême-droite lancé par Robert Ménard et Dominique Jamet le 1 er<br />
octobre 2012, que nous vous avons présenté dans le chapitre précédent. Sa page Facebook est<br />
201<br />
FACEBOOK, Najat Vallaud-Belkacem tente de justifier l’enseignement de l’arabe à l’école, Boulevard Voltaire [en<br />
ligne], 31 mai 2016 [consulté le 24 août 2017]. Disponible sur :<br />
https://www.facebook.com/bvoltaire.fr/posts/1030113187054040<br />
202<br />
FACEBOOK, Au lieu d'enseigner correctement le français aux enfants, Najat Vallaud-Belkacem préfère instaurer le<br />
communautarisme à l'école !, David Rachline [en ligne], 31 mai 2016 [consulté le 24 août 2017]. Disponible sur :<br />
https://www.facebook.com/rachlinedavid/videos/10153431239001106/<br />
70
aimée par 166 934 personnes quand son compte Twitter affiche 26,7K abonnés. Le statut Facebook<br />
sur la ministre a suscité 1,6K réactions, 589 commentaires et a été partagé près de 2 500 fois.<br />
David Rachline, quant à lui, est un cadre du Front national de 29 ans. Ancien coordinateur du Front<br />
national de la jeunesse, il est élu maire de Fréjus le 5 avril 2014, fonction qu’il cumule avec celle de<br />
sénateur du Var depuis le 1 er octobre 2014 203 .<br />
Il est suivi par 30K personnes sur Twitter et sa page Facebook est aimée par 87 920 personnes. Son<br />
statut sur la ministre a suscité 2,7K réactions, 1,8K commentaires et a été partagé 2,7K fois.<br />
Sur les trois minutes et quarante-six secondes de cette partie de l’interview, David Rachline ne<br />
partagera que les trente premières secondes de celle-ci, tronquant ainsi les explications<br />
nécessaires à la compréhension de la réforme des ELCO. Pour Boulevard Voltaire, l’article en<br />
question ayant été supprimé ou déplacé, nous ne pouvons voir s’il en est de même.<br />
c. Et amplifiée par Bruno Le Maire le 1 er juin 2016<br />
Enfin, le 1 er juin 2016, le lendemain de l’interview de Najat Vallaud-Belkacem, Bruno Le Maire est<br />
l’invité de Jean-Jacques Bourdin sur RMC / BFM TV.<br />
Bruno Le Maire était, au moment de l’interview, un cadre du parti « Les Républicains »<br />
(anciennement UMP). Il est élu député de l’Eure en 2007, puis sera réélu en 2012 et en 2017 (sous<br />
l’étiquette LREM cette fois). Il a été secrétaire d’État aux Affaires européennes entre décembre 2008<br />
et juin 2009, avant de devenir ministre de l’Agriculture jusqu’en mai 2012. En 2012, il tentera de se<br />
présenter à la présidence du parti mais ne récolta pas les parrainages nécessaires à sa<br />
candidature 204 . Il se représentera en 2014 et obtiendra cette fois-ci un peu moins de 30% des voix,<br />
contre Nicolas Sarkozy et Hervé Mariton 205 . En février 2016, il annoncera sa candidature à la<br />
primaire de la droite et du centre 206 . L’interview se situe donc le cadre de cette campagne, pour<br />
laquelle il arrivera cinquième avec 2,9% des voix. Après la victoire d’Emmanuel Macron, il se dira<br />
prêt à travailler avec lui, et sera qualifié de traitre par les cadres de son parti 207 .<br />
203<br />
Biographie [en ligne]. David Rachline. [consulté le 24 août 2017]. Disponible sur : http://davidrachline.fr/biographie/<br />
204<br />
LE MONDE.FR AVEC AFP, NKM et Le Maire renoncent à la présidence de l'UMP, Le Monde [en ligne], 18 septembre<br />
2012, [consulté le 24 août 2017]. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/09/18/nathaliekosciusko-morizet-ne-briguera-pas-la-presidence-de-l-ump_1761640_823448.html<br />
205<br />
GARAT Jean-Baptise, Présidence de l'UMP : avec 29% des voix, Bruno Le Maire devient incontournable, Le Figaro [en<br />
ligne], 29 novembre 2014, [consulté le 24 août 2017]. Disponible sur : http://www.lefigaro.fr/politique/2014/11/29/01002-<br />
20141129ARTFIG00210-presidence-de-l-ump-avec-29-des-voix-bruno-le-maire-devient-incontournable.php<br />
206<br />
GOAR Matthieu, A Vesoul, Bruno Le Maire annonce sa candidature à la primaire, Le Monde [en ligne], 23 février 2016,<br />
[consulté le 24 août 2017]. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2016/02/23/avesoul-bruno-le-maire-annonce-sa-candidature-a-la-primaire_4870515_4854003.html<br />
207<br />
QUINAULT MAUPOIL Tristan, Bruno Le Maire confirme être en contact avec Macron, la droite parle de «trahison», Le<br />
Figaro [en ligne], 8 mai 2017, [consulté le 24 août 2017]. Disponible sur :<br />
71
Il sera nommé ministre de l’Économie et des Finances le 17 mai 2017 et quittera le parti « Les<br />
Républicains », pour rejoindre celui de « La République En Marche », à son entrée au gouvernement<br />
d’Édouard Philippe.<br />
Lors de son passage chez Jean-Jacques Bourdin le 1 er juin 2016, partagé sur son statut Facebook 208 ,<br />
voici ce qu’il a déclaré :<br />
« Qu’est-ce qu’a proposé exactement Najat Vallaud-Belkacem ? Parce que c’est un sujet<br />
trop important pour ne pas être précis. Elle a dit : “l’enseignement des langues et des<br />
cultures des pays d’origine, financés par des pays étrangers, ce n’est plus possible.”<br />
J’étais le premier à réclamer la suppression de l’enseignement des langues et des<br />
cultures des pays d’origine, parce que j’estime qu’en France, c’est le français et la culture<br />
française qu’il faut d’abord apprendre. (…) Les ELCO. »<br />
Cet extrait de la retranscription, dont l’intégralité se trouve dans l’Annexe V, démontre bien que<br />
Bruno Le Maire connaissait le sujet des ELCO. Pourtant, durant son interview, il a refusé de<br />
mentionner d’autres langues que l’arabe, ni où les langues seraient enseignées si ce n’était pas à<br />
l’école – ceci malgré les nombreuses relances de la part de Jean-Jacques Bourdin.<br />
Il en est de même dans son statut Facebook,<br />
où il affirme que « Najat Vallaud-Belkacem<br />
souhaite rétablir l’enseignement de l’arabe au<br />
CP », sans faire mention ni d’option ni d’autres<br />
langues. Il est suivi par 124 895 personnes sur<br />
sa page Facebook et a 297K abonnés sur son<br />
compte Twitter 209 . De plus, son statut sur la<br />
ministre a suscité 25K réactions, 3K<br />
commentaires et a été partagé 12,6 K fois.<br />
Quant à l’extrait de son interview, il a été<br />
visionné 898K fois.<br />
Enfin, ses déclarations ont eu un impact sur la nature des reprises médias. En effet, si auparavant,<br />
une recherche Google donnait, sur la première page, des titres parlant du FN qui « cible Najat<br />
http://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/2017/05/08/35003-20170508ARTFIG00065-bruno-le-maire-confirmeetre-en-contact-avec-macron-la-droite-parle-de-trahison.php<br />
208<br />
FACEBOOK, Najat Vallaud-Belkacem souhaite rétablir l'enseignement de l'arabe au CP. J'y suis totalement opposé<br />
(…), Bruno Le Maire [en ligne], 1 er juin 2016 [consulté le 24 août 2017]. Disponible sur :<br />
https://www.facebook.com/blm27/videos/1160042610726483/<br />
209<br />
NDLR : il s’agit des statistiques actuelles, le 24 août 2017 et non de celles de juin 2016. Entre temps, Bruno Le Maire<br />
étant devenu ministre de l’Économie et des Finances, ses statistiques ont probablement augmenté depuis sa<br />
nomination.<br />
72
Vallaud-Belkacem » (Le Figaro), ou qui « exagère l’instauration de l’enseignement de l’arabe » (Le<br />
Lab, Europe 1), l’intervention de Bruno Le Maire a modifié le ton utilisé. Toujours sur la première<br />
page de recherche Google, 20 Minutes titre en citant ses propos, RTL demande si l’arabe sera<br />
réellement imposé, etc.<br />
Avant l’intervention de Bruno Le Maire<br />
Après l’intervention de Bruno Le Maire<br />
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’intervention de Bruno Le Maire a marqué le conseiller en<br />
communication de Najat Vallaud-Belkacem, Jonathan Debauve. Cet exemple est apparu<br />
spontanément dans son entretien. En effet, si le sujet des ELCO peut être considéré comme trop<br />
technique pour les citoyen·ne·s, il était parfaitement maîtrisé par Bruno Le Maire.<br />
Nous remarquons par ailleurs que Bruno Le Maire utilise des éléments de langage proches de ceux<br />
de David Rachline. Quand le sénateur FN dit que « Najat Vallaud-Belkacem préfère instaurer le<br />
communautarisme à l’école », le député de l’Eure écrit que « L’apprentissage de l’arabe au CP<br />
mènera droit au communautarisme ! ». Si, comme nous l’avons vu, il y a de la désinformation faite<br />
sciemment dans ces quatre statuts, nous n’y trouvons pas d’injures ou de menaces. En revanche,<br />
nous verrons qu’elles sont bien présentes dans leurs commentaires, y compris sur ceux de Bruno<br />
Le Maire, pourtant de la droite dite « républicaine ».<br />
3. Quand la droite républicaine débat sur une fausse information, tout en gardant des verbatims<br />
proches de ceux de l’extrême droite<br />
Dans les tableaux ci-dessous, nous démontrons que l’impact du statut Facebook de Bruno Le Maire<br />
est plus important que ceux de l’extrême droite. En effet, à lui seul, Bruno Le Maire a suscité plus<br />
de commentaires, réponses comprises, que les trois autres réunis. De la même façon, il a 2,5 fois<br />
plus de partages de son statut Facebook que les trois autres réunis, alors qu’à eux trois, ils ont 5,6<br />
73
fois plus d’abonnés que lui 210 . À noter cependant que David Rachline, comme nous le reverrons<br />
ensuite, effectue sans doute une modération très active de sa page Facebook. En effet, il est le seul<br />
à avoir un décompte de commentaires, réponses comprises, inférieur à l’affichage du nombre de<br />
commentaires donné par Facebook (réponses non comprises). La différence entre les deux provient<br />
du fait qu’on ne peut afficher les commentaires masqués ou supprimés par l’administrateur de la<br />
page.<br />
Bruno Le<br />
Maire<br />
La gauche<br />
m'a tuer<br />
Boulevard<br />
Voltaire<br />
David<br />
Rachline<br />
Commentaires (affichage Facebook) 3K 1,9K 550 1,6K<br />
Commentaires, réponses comprises 4062 2083 669 1237<br />
Nombre de vues (dans le cas d’une vidéo ;<br />
affichage Facebook)<br />
898 K NC NC 309K<br />
Nombre de partages (affichage Facebook) 12 K 2,4K 1,2K 1,2K<br />
Nombre de personnes différentes dans les<br />
commentaires<br />
Nombre d'interventions maximum pour un<br />
statut<br />
3237 1788 546 1058<br />
56 9 16 15<br />
Comme nous le verrons, il y a beaucoup plus de débats entre commentateurs et commentatrices,<br />
dans les réponses au statut de Bruno Le Maire que chez les trois autres. Par ailleurs, des personnes<br />
interviennent jusqu’à 56 fois.<br />
Ce débat se retrouve dans le nombre de mots utilisés en moyenne par commentaire : plus de 18<br />
mots en moyenne pour Bruno Le Maire, la moitié pour David Rachline.<br />
Total de mots dans<br />
les commentaires<br />
Nombre de<br />
commentaires,<br />
réponses comprises<br />
Nombre moyen de<br />
mots par<br />
commentaire<br />
Bruno Le Maire 73751 4062 18,16<br />
La gauche m'a tué 27762 2083 13,33<br />
Boulevard Voltaire 8746 669 13,07<br />
David Rachline 11333 1237 9,16<br />
Cette densité est d’ailleurs constatée par le développement d’une argumentation dans un grand<br />
nombre de commentaires répondant au statut de Bruno Le Maire. Ainsi, nous pouvons distinguer<br />
trois groupes d’argumentaires : les argumentaires construits et opposés à la réforme, des<br />
210<br />
NDLR : Attention, a contrario de Twitter, nous ne pouvons pas détecter si la page a procédé à des achats de fans. Il est<br />
donc possible que ces chiffres soient biaisés.<br />
74
commentaires plutôt positifs et défendant la réforme et enfin un troisième groupe franchement<br />
opposé avec un discours proche de celui de l’extrême droite.<br />
75
En revanche, parmi les commentaires au statut de David Rachline, voici ce que nous pouvons<br />
trouver :<br />
Comme nous le constatons, le débat est quasiment inexistant.<br />
Par ailleurs, pour David Rachline, lorsqu’une analyse textuelle avec le logiciel Troppes ou une<br />
représentation graphique avec le logiciel WordArt sont réalisées, nous constatons de façon<br />
surprenante que le mot « arabe », pourtant justifié dans le mesure où le sujet porte sur cette langue,<br />
est totalement inexistant dans les commentaires (zéro occurrence !). De toute évidence, une<br />
modération a été faite, d’autant qu’en cliquant sur les réponses à un commentaire, leur nombre<br />
varie toujours à la baisse. Nous ne savons cependant pas s’il s’agit d’un filtre automatique<br />
bannissant le commentaire comprenant le terme « arabe », ou d’une modération faite<br />
manuellement sur ce statut.<br />
En effet, pour les trois autres statuts étudiés, le terme « arabe », de façon logique, apparaît dans<br />
les trois premières citations.<br />
La gauche m’a tuer<br />
Boulevard Voltaire<br />
76
David Rachline<br />
Bruno Le Maire<br />
Si le terme « arabe » apparaît dans les commentaires de trois des quatre statuts, ce n’est pas<br />
toujours dans le même sens. Il peut parfois désigner la langue en elle-même, ou être utilisé en<br />
injure envers la ministre, en raison de ses origines marocaines.<br />
Pour le voir, nous avons étudié de façon plus précise l’ensemble de ces commentaires. Ainsi, nous<br />
avons répertorié les termes violents, ou qui apparaissaient régulièrement dans des commentaires<br />
violents, avant de les comptabiliser et de les classer par ordre décroissant d’utilisation. Nous avons<br />
également comptabilisé le nombre de points d’exclamation contenus dans les commentaires,<br />
partant du principe que l’utilisation du point d’exclamation dans ce contexte peut représenter la<br />
colère, comme les différents exemples le montrent.<br />
Nombre de commentaires (réponses<br />
comprises)<br />
Bruno Le<br />
Maire<br />
La gauche<br />
m'a tuer<br />
Boulevard<br />
Voltaire<br />
David<br />
Rachline<br />
4062 2083 669 1237<br />
Nombres de termes violents 465 619 192 187<br />
Nombre de commentaires avec un terme<br />
violent<br />
% de commentaires avec au moins un<br />
terme violent<br />
Nombre de commentaires avec au moins<br />
un "!"<br />
413 531 170 170<br />
10% 25% 25% 14%<br />
1288 690 219 353<br />
% de commentaires avec un "!" 32% 33% 33% 29%<br />
Nombre maximum de "!" dans un<br />
commentaire<br />
54 54 52 37<br />
De façon assez surprenante, le pourcentage de commentaires avec un point d’exclamation est à peu<br />
près identique entre les quatre statuts. De plus, à l’exception de David Rachline qui, comme nous<br />
l’avons vu, semble procéder à une modération massive, le nombre maximum de points<br />
d’exclamation dans un commentaire est quasiment identique. Nous avons ainsi trouvé des<br />
commentaires avec plus de cinquante points d’exclamation (!).<br />
77
Pour ce qui est des termes violents, ou utilisés dans un contexte violent, ils sont,<br />
proportionnellement, beaucoup moins nombreux chez Bruno Le Maire, mais existent malgré tout.<br />
C’est d’ailleurs ce que constatait Frédéric Giudicielli : « Globalement, c’est plus compliqué avec la<br />
droite. On ne peut pas dire que cela tombe facilement dans l’injure avec la droite. » 211 Les voici dans le<br />
détail :<br />
Bruno Le<br />
Maire<br />
La gauche<br />
m'a tuer<br />
Boulevard<br />
Voltaire<br />
David<br />
Rachline<br />
Nombre de commentaires<br />
4062 2083 669 1237<br />
(réponses comprises)<br />
Conne 87 108 24 66<br />
Merde 66 130 23 4<br />
Maroc 36 56 32 19<br />
Bled 32 62 8 26<br />
Islam 49 19 13 16<br />
Haine 47 10 18 8<br />
Connasse 11 58 11 0<br />
Salope 6 41 11 14<br />
Voile 29 18 10 6<br />
Mort 33 16 5 9<br />
Putain 18 25 7 2<br />
Pute 6 31 7 0<br />
Tuer 11 11 2 3<br />
Facho 8 3 9 0<br />
Nazi 10 1 6 0<br />
Pétasse + petasse 2 14 2 2<br />
Balle 6 4 0 2<br />
Baffe 1 4 0 2<br />
Daesh 3 1 0 1<br />
Cuisse 0 1 2 0<br />
Fusil 0 2 1 0<br />
Pendre 4 2 0 6<br />
Bûcher + bucher 0 2 1 1<br />
La liste de l’ensemble de ces propos, extrêmement violents, se trouve dans l’Annexe III. Nous avons<br />
décidé de n’en conserver ci-dessous que quelques-uns, à titre d’illustrations, tels quels, sans<br />
correction.<br />
211<br />
GIUDICELLI Frédéric, ancien responsable adjoint du Pôle presse et communication, en charge du numérique de<br />
l'Élysée. Entretien réalisé le 4 août 2017.<br />
78
Injures : morceaux choisis<br />
quelle connasse celle la avec un nom pareille elle devrait mm pas être au<br />
pouvoir de la France c une honte pour notre patrie comme tous ceux qui sont<br />
aux pouvoirs vive le FN vive Marine vive la France<br />
La Gauche m’a<br />
tuer<br />
Boulevard Voltaire<br />
David Rachline<br />
Bruno Le Maire<br />
et quoi encore??de quel droit??ici c'est CHEZ-NOUS on est en "FRANCE"au cas<br />
ou elle aurais "oublier"et aucun droit d'imposer "çà langue"dans nos<br />
école!!qu"elle aille une fois de plus ce faire "fouttre"quel<br />
"retourne"au"BLED"connasse!!<br />
Espèce de connasse on est en France pas dans ton bled tu nous emmerde<br />
Quelle retourne dans son pays cette petasse la France aux français on a pas le<br />
droit d imposer une langue au primaire la langue on la choisi cette femme est<br />
dangereuse comme DAESCH<br />
Qu elle ail ce faire encule on apprendra pas l arabe au français avant l français !<br />
Sale pute<br />
j'hallucine complètement, mais putain virez là cette connasse avec ses idées de<br />
merde, mais quel honte!!!!!<br />
Elles feras venir du bled des imam issus de daesch pour laver le cerveaux des<br />
gamins et en faire des futurs terroristes.....Faut qu'elle arrête sont cirque cette<br />
saloperie !!!!!<br />
Saloperie retourne dans le trou puent d'où tu n'aurais jamais dû sortir<br />
complètement à la masse cette pétasse!!!!!.<br />
Que cette éducation nationale minable commence déjà à mettre dans son<br />
programme scolaire du primaire un apprentissage CORRECT du Français... lu,<br />
parlé, écrit !! Pour l'instant c'est loin d'être le cas .... bref, encore une<br />
proposition de merde venant d'une pétasse prête à n'importe quoi pour se faire<br />
mousser<br />
Cette pute de ministre veut vraiment donner et aservir ce pays au arabe on est<br />
en train de ce faire complètement bouffer .....<br />
Qu ils aillent se faire enculer!!!! Mes gamine jamais apprendront ça!! Pourquoi<br />
pas le portugais ou l italien ...·etc mais où ont vas t es pas contente pov'pute<br />
rentre dans ton pays salope!!!! Si tu peu amener valls et hollande se serai une<br />
bonne idée sa au moins !!!!!<br />
Pour rappel, les injures tenues dans l’espace public, sont punissables d’une amende de 12 000 €.<br />
Concernant les injures raciales, présentes en majorité dans les exemples ci-dessus, elles sont<br />
punissables de six mois de prison et de 22 500 € d’amende.<br />
Nous avons décidé de ne pas nous attarder sur les potentielles incitations ou menaces de viols,<br />
celles-ci n’étant présentes que dans les commentaires du statut de « La Gauche m’a tuer », et<br />
pratiquement pas chez les autres. En revanche, concernant les menaces de mort ou de violence<br />
physique, elles sont présentes dans l’ensemble des statuts, même si c’est dans des proportions<br />
moindres pour les commentaires aux statuts de Bruno Le Maire et de David Rachline.<br />
79
La Gauche m’a tuer<br />
Boulevard Voltaire<br />
David Rachline<br />
Bruno Le Maire<br />
Incitation au meurtre / à la violence : morceaux choisis<br />
Va te faire foutre avec ton arabe sale pute tu te crois protégé mais tu va<br />
mourir !<br />
On prépare les fusils<br />
elle merite une balle a force de chercher elle va trouver<br />
Il peut pas avoir un sniper devant ta fenêtre grosse salope histoire qu'on<br />
soit tranquille quoi.. si plus tard mes enfants apprennent l'arabe je crois<br />
que je vais enculer le mettre ou la maîtresse<br />
A Fusiller comme tous les autres<br />
Au bûcher!!! ????????<br />
Au bûcher !!!<br />
On sait qui pendre en 2017, une buveuse de pisse de chameaux.<br />
Faut la pendre<br />
Qu'elle aille se pendre, il apprenne le français en cp chez eux?<br />
Qu'elle aille se pendre !<br />
Pour information, les menaces de mort sont punissables de trois ans d'emprisonnement et de 45<br />
000 € d'amende 212 .<br />
Malgré tout, nous remarquons que les incitations au meurtre ou au suicide sont quasi-inexistantes<br />
dans les commentaires du statut de Bruno Le Maire. Les menaces de mort, quant à elles, en sont<br />
absentes, ou en tout cas sous les termes sélectionnés. Comme nous l’avons vu, l’argumentation est<br />
plus étoffée, voire plus nuancée, avec des personnes prenant parfois la défense de la ministre. Si la<br />
violence verbale reste présente, elle est proportionnellement beaucoup plus faible. Cependant,<br />
nous remarquons que, contrairement à David Rachline, aucune modération ne semble être faite sur<br />
sa page Facebook. Ainsi, il laisse passer tout propos injurieux. Enfin, en tronquant l’information qu’il<br />
partage, et de par son audience, Bruno Le Maire laisse se développer un débat, tout en sachant<br />
pertinemment que son fondement est faux.<br />
Si cela pose le problème de la responsabilité de personnalités politiques, la question de la<br />
communication rentre quand même en compte. En effet, certains commentaires, sous le statut de<br />
Bruno Le Maire, montrent clairement une mauvaise information. Certains demandent, par exemple,<br />
« (…) Pourquoi pas le chinois, ca aurait déjà plus de sens. (…) » ou « (…) Cependant cette langue (arabe)<br />
peut être optionnelle comme le chinois, le russe ou autre... » Or, le chinois, le russe, etc. font bien partie<br />
des langues optionnelles concernées par la réforme des ELCO et de l’apprentissage des langues en<br />
primaire. D’ailleurs, Jonathan Debauve reconnaît que les choses n’ont pas été mises en perspective<br />
212<br />
CODE PÉNAL, Article 222-17. [consulté le 24 août 2017]. Disponible sur :<br />
https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idSectionTA=LEGISCTA000006181752&cidTexte=LEGITEXT000006070719&<br />
dateTexte=20100209<br />
80
dans un premier temps, même si la ministre l’a fait ensuite très rapidement, dans l’émission de<br />
Jean-Jacques Bourdin. En effet, si elle a répondu avec ses « tripes » à la Question au gouvernement,<br />
elle ne répondait pas vraiment à la question de la députée Annie Genevard.<br />
« Trop souvent, nous raisonnons comme si tout le monde connaissait la situation dans<br />
laquelle nous sommes. Ainsi, quand on parle des ELCO, quand on parle de l'arabe, il est<br />
indispensable de dire d'où on part, où l'on va. Et c'est là qu'on a pu commettre une erreur.<br />
On a expliqué où l'on voulait aller, “renforcer le contrôle des ELCO” (ce que demandaient<br />
tous les partis politiques) sans rappeler ce qu'étaient les ELCO et qu'ils n'étaient pas de<br />
notre fait. » 213<br />
S’il concède une erreur de communication, sur le fond, il n’empêche que la droite dite républicaine<br />
« exploite de façon très malhonnête cela », et dit que « Najat Vallaud-Belkacem impose l’arabe, tout en<br />
sachant pertinemment que c’est faux ».<br />
Aujourd’hui encore, parce que la droite l’a fait rentrer dans le débat public, malgré les nombreuses<br />
désintox que la ministre a pu réaliser, certaines personnes, dont des journalistes, continuent de<br />
croire qu’elle a souhaité imposer l’arabe en CP. Ainsi, lors de son passage à l’émission « On n’est<br />
pas couché » sur France 2 du 21 mai 2017, lorsque Najat Vallaud-Belkacem tente l’ironie en disant<br />
« Vous savez que je n’ai pas imposé l’arabe à l’école, hein ? », la journaliste Vanessa Burggraf lui<br />
répondit « Non, mais vous l’avez voulu … ».<br />
II.<br />
François Hollande et les sans-dents : lorsque la polémique est plus<br />
du fait des médias traditionnels que des réseaux sociaux numériques<br />
Nous avons vu que Najat Vallaud-Belkacem était attaquée de façon extrêmement violente sur les<br />
réseaux sociaux numériques, lorsqu’une fausse information était reprise et diffusée. Nous allons à<br />
présent voir ce qu’il en est du Président de la République François Hollande, lorsqu’une information,<br />
non vérifiée, est sortie dans un livre. Dans notre souvenir, l’histoire des « sans-dents » avait<br />
provoqué une polémique très violente vis-à-vis du Président de la République. Nous avons donc<br />
souhaité vérifier ce qu’il en était réellement sur les réseaux sociaux numériques. Pour cela, nous<br />
avons procédé au même type d’analyse que pour la ministre Najat Vallaud-Belkacem. Nous vous<br />
présenterons donc le contexte de cette polémique, puis les protagonistes, avant de faire une analyse<br />
comparative entre ces derniers.<br />
213<br />
DEBAUVE Jonathan, ancien conseiller en charge de la communication de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé<br />
le 11 mai 2017.<br />
81
1. Contexte de la polémique<br />
« En réalité, le président n'aime pas les pauvres. Lui, l'homme de gauche, dit en privé :<br />
'les sans-dents', très fier de son trait d'humour. »<br />
Cette phrase, nous la trouvons dans le livre de Valérie Trierweiler « Merci pour ce moment », publié<br />
le 4 septembre 2014 214 . Ancienne compagne du Président de la République, Valérie Trierweiler<br />
retrace, dans ce livre, son histoire d’amour avec ce dernier. Il a été publié neuf mois après leur<br />
rupture. Malgré le fait qu’il traite d’un sujet privé, que nous n’aborderons pas ici, ce livre aura<br />
également un impact politique.<br />
L’ensemble des médias traditionnels, y compris généralistes, se saisira du sujet. D’ailleurs, une<br />
recherche sur septembre 2014, fait apparaître 3 740 résultats, avec en tête le Figaro, Europe 1, LCI,<br />
etc.<br />
Ce livre a été découvert par l’Élysée, lorsque de nombreux journaux en ont publié les « meilleures<br />
feuilles ». En effet, Frédéric Giudicelli, ancien responsable adjoint du Pôle presse et communication,<br />
en charge du numérique de l'Élysée, nous le confirme dans notre entretien. Son équipe était<br />
notamment en charge de « la veille, Twitter et presse, pour que des alertes partent en SMS, quand il y<br />
214<br />
TRIERWEILER Valérie, Merci pour ce moment, Les arènes, 4 septembre 2014, 320 pages.<br />
82
avait des événements majeurs pour lesquels on avait besoin d’une réaction politique » 215 . Il ajoute plus<br />
loin que « c’est nous qui avons prévenu (François) Hollande de la parution du livre ».<br />
Aucune stratégie de communication de crise n’a été mise en place, comme on peut d’ailleurs le voir<br />
sur le compte Twitter officiel du président, ou sur celui de son équipe 216 :<br />
« Non, la stratégie… pour le coup, cela remettait en cause tellement ce qu’il est<br />
intrinsèquement, en tant que personne, en tant qu’homme politique, que la seule<br />
stratégie était qu’il réagisse avec sincérité, ce qu’il a fait. (…) Après, la réaction de<br />
(François) Hollande, où il réagit, les larmes aux yeux, cela a aussi clos, à un moment<br />
donné, la polémique pour une bonne partie des gens qui ont vu que : non ce n’était pas<br />
possible. »<br />
À l’époque, nous étions partis de l’idée préconçue que cette polémique avait surtout eu lieu à<br />
gauche, ou à l’extrême-gauche. Frédéric Giudicelli indique pourtant que « l’utilisation systématique<br />
de l’expression, pendant des mois, c’était la droite et l’extrême droite » 217 .<br />
Nous avons donc choisi de réaliser une analyse sur deux articles de médias classés à droite, ainsi<br />
que sur Boulevard Voltaire. Enfin, nous avons ressorti tous les tweets de septembre 2014 contenant<br />
les hashtag « #SansDent » et/ou « #SansDents ».<br />
2. Analyse<br />
Contrairement à nos hypothèses, une page d’extrême droite, comme Boulevard Voltaire, a très peu<br />
repris cette histoire. C’est le cas également pour d’autres médias ou personnalités d’extrême<br />
droite. Ainsi, par exemple, David Rachline n’en fait pas mention sur sa page. Concernant « La Gauche<br />
m’a tuer », s’ils reprennent brièvement l’expression, alors qu’elle est déjà rentrée dans le langage<br />
courant, ils ne partagent pas non plus les « meilleures feuilles » du livre de Valérie Trierweiler.<br />
215<br />
GIUDICELLI Frédéric, entretien réalisé en face à face le 4 août 2017. L’intégralité de cet entretien se trouve dans<br />
l’Annexe II, confidentielle.<br />
216<br />
NDLR : @Elysee_Com. Ce compte est utilisé par l’équipe du Président Hollande, pour riposter aux critiques et/ou<br />
fausses informations. En septembre 2014, aucun tweet n’avait été fait sur le sujet.<br />
217<br />
GIUDICELLI Frédéric, entretien réalisé en face à face le 4 août 2017.<br />
83
Nous avons donc choisi de nous concentrer sur les commentaires présents sur un article du<br />
« Point » 218 , les commentaires du statut Facebook du Figaro 219 et les commentaires du statut<br />
Facebook de Boulevard Voltaire 220 .<br />
Outre ces commentaires, nous avons également décidé de réaliser une analyse des hashtags sur<br />
Twitter sur le mois de septembre 2014. En effet, comme nous le verrons, c’est surtout sur Twitter<br />
que la polémique a été relativement importante.<br />
218<br />
Livre de Trierweiler : "sans-dents", l'expression qui ne passe pas, Le Point [en ligne], 3 septembre 2014 [consulté le<br />
25 août 2017] Disponible sur : http://www.lepoint.fr/politique/livre-de-trierweiler-sans-dents-l-expression-qui-passemal-03-09-2014-1859768_20.php<br />
219<br />
FACEBOOK, Les « sans-dents », l’expression de François Hollande qui choque le monde politique, Le Figaro [en<br />
ligne], 4 septembre 2014 [consulté le 25 août 2017]. Disponible sur :<br />
https://www.facebook.com/lefigaro/posts/10152320319851339<br />
220<br />
FACEBOOK, À quand la révolte des sans-dents ?, Boulevard Voltaire [en ligne], 6 septembre 2014 [consulté le 25 août<br />
2017]. Disponible sur : https://www.facebook.com/bvoltaire.fr/posts/695493683849327<br />
84
Article du<br />
Article du<br />
Boulevard<br />
Point<br />
Figaro<br />
Voltaire<br />
Twitter<br />
(Site)<br />
(Facebook)<br />
(Facebook)<br />
Commentaires 217 748 34 10776<br />
Commentaires, réponses<br />
comprises<br />
217 763 43 1237<br />
Nombre de partages (affichage<br />
Facebook)<br />
12 K 2,2K 190 1,2K<br />
Nombre de personnes différentes 197 697 38 3944<br />
Nombre d'interventions maximum 3 7 3 107<br />
Mais, comme nous pouvons le voir dans le tableau ci-dessus, il y a finalement peu de réactions de<br />
la part des internautes. En effet, si plus de 10 000 tweets ont été recensés, sur la période d’un mois,<br />
ce nombre n’est finalement pas si élevé, pour une polémique autant médiatisée. Nous avons en effet<br />
pu recenser l’ensemble des tweets. Or, nous le verrons plus loin, cela n’a pu être le cas pour la<br />
polémique de la réforme de l’orthographe qui dépasse, en une journée, les 18 000 tweets maximum<br />
que nous pouvions copier depuis Twitter.<br />
Autre exemple avec Boulevard Voltaire : il n’y a que 43 commentaires, réponses comprises, quand<br />
il y en avait 669 pour Najat Vallaud-Belkacem. Pour l’article du Figaro, qui a été supprimé depuis,<br />
son statut a été celui qui avait le plus grand nombre de partages et de commentaires, la majorité<br />
des autres médias peinant à atteindre les 100 commentaires.<br />
Nous voyons, dans les nuages de mots ci-dessous, que les termes utilisés sont singulièrement les<br />
mêmes, le sujet (ici « sans dents ») arrivant en premier.<br />
Le Point<br />
Le Figaro<br />
85
Boulevard Voltaire<br />
Twitter<br />
Par ailleurs, l’argumentation est relativement développée. Même sur Boulevard Voltaire, les<br />
commentaires sont plus longs de quelques mots (19,09 mots par commentaire contre 13,07 contre<br />
Najat Vallaud-Belkacem). Sur le site du Point, nous avons même de très longs commentaires, la<br />
moyenne étant de 43,72 mots. Sur Twitter, le nombre de caractères étant limité à 140, il ne nous a<br />
pas paru pertinent de comptabiliser le nombre de mots.<br />
Total de mots dans<br />
les commentaires<br />
Nombre de<br />
commentaires,<br />
réponses comprises<br />
Nombre moyen de<br />
mots par<br />
commentaire<br />
Article du Point (Site) 9488 217 43,72<br />
Article du Figaro (Facebook) 10748 763 14,09<br />
Boulevard Voltaire (Facebook) 821 43 19,09<br />
Twitter 11333 10776 9,16<br />
Comme pour Najat Vallaud-Belkacem, nous avons sélectionné plusieurs commentaires. Cependant,<br />
les injures sont beaucoup moins présentes envers le Président de la République qu’envers son<br />
ancienne ministre.<br />
Si elles restent présentes sur Boulevard Voltaire, elles sont beaucoup moins nombreuses qu’envers<br />
Najat Vallaud-Belkacem. Certains commentaires sont même neutres. Enfin, de par leur faible<br />
nombre, nous constatons un très faible intérêt pour le sujet.<br />
86
Article du point<br />
(Site)<br />
Article du<br />
Figaro (Site)<br />
Boulevard<br />
Voltaire<br />
(Facebook)<br />
Twitter<br />
Commentaires négatifs : morceaux choisis<br />
Sans-dents est un terme qui ne s'invente pas ! Il ne fait aucun doute que ça devait<br />
amuser le "précieux ridicule" de l'Elysée. Qu'il se méfie parce quand les sansdents<br />
auront aussi perdu leurs culottes, ils s'appelleront les "sans-culottes" ? Ca<br />
vous dit quelque chose M. Le racketteur des Français qui bossent ?<br />
Bref, mon opinion est faite, elle confirme ce que je pensais du personnage qui<br />
sous des apparences joviales, a la blagounettes faciles est en fait un etre<br />
mysterieux, froid, sans etats d'ames tout le contraire de ce qu'il veut faire paraitre<br />
de lui !<br />
Cet homme est cynique, c'est un goujat, un mufle, il l'a démontré à plusieurs<br />
reprises. Ce livre enfonce le clou. Dans ces discours, il dit tour à tour, qu'il n'aime<br />
pas : les riches, la finance et les banquiers, les patrons, maintenant les pauvres,<br />
lui qui en a créé des centaines par sa gestion désastreuse, ses compagnes qu''il<br />
jette comme des Kleenex, mais s'aime t'il lui même ? Comment peut il se vouloir<br />
le président de tout les français alors qu'il déteste 90% de la population. Bravo à<br />
ceux qui l'ont élu, mais ne dit on pas que l'erreur est humaine ?<br />
ils lui ont fait quoi a louis VXI les sans culottes ? et a hollande, les sans dents vont<br />
lui faire quoi ?lol<br />
c'est terrible cette expression je ne pense pas qu'elle mente car cela ne s'invente<br />
pas c'est tellement abject et révèle bien le caractère de cet homme sans coeur ! la<br />
façon dont il a congédié celle qu'il qualifiait de femme de sa vie en méprisant la<br />
mère de ses enfants montre à quel point cet homme est pitoyable et méprisable, il<br />
y a de l'écoeurement dans mon commentaire et je ne suis sans doute pas la seule<br />
c'est presque incroyable et pourtant cela doit être vrai, Mme Trierweiler n'aurais<br />
pas écrit ceci si ce n'était pas le vérité, ce serait diffamatoire ! Quelle claque<br />
magistrale, quelle honte pour qui disait "Moi Président ..·etc..." Belle tirade au<br />
comble du mensonge et de l'hypocrisie ! Une démission s'impose tant le<br />
déshonneur est grand !<br />
c'est normal, gauchiasses et syndicats sont à la solde du parti socialope. ces<br />
gens-là sont juste capables de faire grève pour préserver leurs minables petits<br />
avantages d'un autre âge, et emmerder les gens qui bossent. ils ne servent à rien.<br />
d'ailleurs la plupart ne sont que des petits fonctionnaires, ou assimilés<br />
fonctionnaires. ils sont dans le même sac à merde qu'hollandouille.<br />
oui mais les sans dents sont aussi sans couilles ou sont tous les gauchos qui étaient<br />
dans la rue pour un oui ou pour un non sous présidence de droite la c'est presque<br />
pire et personne, pas de journalistes, de profs, de syndicats<br />
pendez le !!!<br />
Cynisme et esprit de dérision et de moquerie, gavés de suffisance. Incarnation de<br />
l'esprit de mépris #sansdent du pouvoir en place. #honte<br />
#Hollande : un type qui tient pas ses bonnes femmes, comment veux-tu qu'il<br />
tienne la France?<br />
Cette #gauche donneuse de leçons qui se moque des pauvres #SansDent et qui se<br />
gave... #PS #honte #Hollande http://fb.me/1lmUA5ozp<br />
87
Fait surprenant, nous avons constaté, à la fois pour le Point et le Figaro, dont les lecteurs et les<br />
lectrices sont plutôt classés à droite, des commentaires défendant François Hollande, comme nous<br />
pouvons le voir dans le tableau ci-dessous :<br />
Article du point<br />
(Site)<br />
Article du<br />
Figaro (Site)<br />
Boulevard<br />
Voltaire<br />
(Facebook)<br />
Twitter<br />
Commentaires positifs : morceaux choisis<br />
Peu importe qu'elles soient vraisemblables. Elles ne le sont guère et il ne faut pas<br />
faire confiance au ressentiment d'une femme jalouse pour connaître la vérité sur<br />
l'homme qui l'a quittée. Mais la majorité de l'opinion, qui rejette François<br />
Hollande, quitte à lui trouver quelques mérites lorsqu'il ne sera plus au pouvoir,<br />
gobera toutes les accusations qui alimentent sa colère ou ses préjugés.<br />
Avant de prendre pour argent comptant ce qui est rapporté par une femme<br />
visiblement très possessive et jalouse contre celui "qu'elle aime", j'attendrai que<br />
des personnes moins impliquées confirment ce propos.<br />
Pas un ne s'interroge sur la véracité du jugement de Trierveiler comme si ce qui<br />
est rapporté est la Vérité... Bizarre ! Aucune relativité dans les appréciations,<br />
aucune distance à partir du moment où Hollande est présenté sous un mauvais<br />
aspect. Et personne évidemment ne s'interroge sur la personnalité de cette<br />
femme, peut-être affabulatrice, distante mal aimée des français et qui a besoin<br />
d'un scoop pour se venger, pour se faire de l'argent, pour se faire passer pour une<br />
victime. A l"Elysée, ses caprices n'ont pas laissé, semble t-il, de très bons<br />
souvenirs. Que les medias s'en donnent à coeur joie... Mais. Le monde et ses<br />
problèmes autrement plus graves a continué d'exister aujourd'hui et demain<br />
encore !<br />
Un peu de retenu tous ceux qui insultent le président, primo vous n'en savez rien<br />
de la teneur des propos , deuxio vous ne voyez pas le ridicule d'une femme qui<br />
pense se venger d'un homme en racontant leurs histoires d'amour sur place<br />
publique<br />
Vous suivez comme des chiens les dires d'une femme trahie. Vous ne pouvez pas<br />
avoir un avis sans être obligé d'attendre qu'on vous donne les moyens d'en avoir un<br />
?<br />
et elle vous pensez qu'elle déshonneur la gente féminine!! si il a vraiment tenu ces<br />
propos étant donné qu'elle vient de milieu pauvre que faisait elle avec lui? Je n'aime<br />
pas du tout Hollande , je pense qu'elle veut se venger tout en s'en mettant plein les<br />
poches.<br />
La tristesse de la nana. 11 après sérieusement. Lâche l'affaire meuf. #Trierweiler<br />
#Hollande #SansDent #Bassesse<br />
Qui peut croire les accusation dune femme trompée #sansdent<br />
En même temps quand une ex écrit un bouquin pour se venger, j'ai un doute que<br />
tout soit vrai. #sansDent #Hollande<br />
88
Cependant, ces défenses restent à relativiser. Il s’agit, le plus souvent, de critiques, parfois sexistes<br />
(femme jalouse, trompée, qui cherche à se venger, etc.), vis-à-vis de Valérie Trierweiler, plus que<br />
d’une défense à proprement parler du Président de la République.<br />
À noter malgré tout que certains commentaires prennent la défense de l’ancienne journaliste,<br />
comme celui-ci :<br />
« Oui bien sûr, ce livre est avant tout une vengeance de femme bafouée, mais n'oubliez<br />
pas qu'elle est avant tout une bonne journaliste, ce ne sont pas des déclarations d'une<br />
star du showbiz, donc elle sait mieux que qui conque que ses déclarations vont être<br />
décortiquées, analysées et scannérisées, alors on ne peut que croire ce qu'elle dit, en<br />
plus il parait que ce genre de " blagounettes " à deux balles " les sans dents " étaient<br />
coutumiers chez le Normal et devant plusieurs témoins. (…) »<br />
France Info affirme dans un article, qui date du 5 septembre 2014, que « Ça fait un carton sur les<br />
réseaux sociaux » 221 . Pourtant, à l’exception de la création de pages Facebook ou d’un compte Twitter<br />
spécifique « Sans-dents », qui ne comptabilisent respectivement que jusqu’à 40 000 « fans » et 1680<br />
abonnés, nous constatons qu’il n’y a pas eu de fort impact sur les réseaux sociaux numériques,<br />
malgré l’hypothèse que nous avions faite au départ. Même dans l’article de France Info, les<br />
exemples de tweets cités sont très peu retweetés. Le nombre de retweet varie en effet de 14 (!) à<br />
204 pour le Parti de Gauche. Cela reste donc relativement faible.<br />
221<br />
BERNARD Marie-Violette, Pourquoi l'expression "les sans-dents" est un sérieux accroc dans la carrière de Hollande,<br />
France Info [en ligne], 5 septembre 2014 [consulté le 27 août 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.francetvinfo.fr/politique/valerie-trierweiler/pourquoi-l-expression-les-sans-dents-restera-un-serieuxaccroc-dans-la-carriere-de-hollande_686147.html<br />
89
Enfin, l’impact sur la cote de confiance du président François Hollande, a été inexistant, il est vrai<br />
sur une cote déjà faible 222 :<br />
Mais si, comme nous l’avons vu, l’impact a été relativement faible sur les réseaux sociaux<br />
numériques, ce n’est pas le cas dans les médias généralistes. En effet, une recherche Google avec<br />
les mots clés « sans dents Hollande » nous donne 3 740 résultats sur le mois de septembre 2014,<br />
et plus de 510 000 résultats sans option de période de recherche. Nous sommes donc dans un cas<br />
où l’impact médiatique semble peu repris sur les réseaux sociaux numériques, ou de façon peu<br />
coordonnée.<br />
222<br />
KANTAR TNS, Cotes de popularités des Présidents et Premiers ministres, du 1 er janvier au 31 décembre 2014.<br />
Disponible sur : http://www.tns-sofres.com/dataviz?type=1&code_nom=hollande<br />
NDLR : Il est à noter que, lorsque l’on regarde les résultats issus d’autres instituts, les résultats sont également très<br />
stables. Les résultats de l’IFOP peuvent par exemple être consultés sur :<br />
http://www.parismatch.com/Actu/Politique/Sondage-exclusif-Ifop-Fiducial-Francois-Hollande-21-points-Manuel-Valls-<br />
17-692692#<br />
90
Il aurait pu être intéressant d’élargir l’analyse à l’ensemble des données textuelles présentes sur<br />
les réseaux sociaux numériques. Cependant, pour des raisons techniques, financières et de temps,<br />
ceci n’a pu être fait dans le cadre de ce mémoire.<br />
Malgré tout, contrairement à nos suppositions de départ, l’étude faite sur les « sans-dents » est un<br />
contre-exemple de la corrélation entre médias et réseaux sociaux numériques. Nous avions vu<br />
précédemment que ces derniers pouvaient être une source pour certain·e·s journalistes, soit en<br />
raison de la rapidité de l’information, soit en raison du nombre important de réactions que l’on peut<br />
y trouver. À l’inverse, des papiers, en presse écrite ou audiovisuelle, peuvent être l’objet de vives<br />
réactions sur les réseaux sociaux numériques.<br />
Or ce ne fut pas le pas le cas pour les « sans-dents ». Malgré un très grand nombre de retombées<br />
presse et audiovisuelles, cette polémique, bien que relayée, le fut beaucoup moins que d’autres et<br />
de façon, malgré tout, bien moins virulente que ce à quoi nous nous attendions.<br />
Il n’en reste pas moins que l’expression « sans-dents » est restée dans le langage courant. Elle est<br />
utilisée, encore aujourd’hui, même contre son successeur, Emmanuel Macron. Par exemple, nous<br />
pouvons citer ces deux tweets : « Mais bien sûr, il a raison, c'est leurs fautes. Ces bandes d'illettrés<br />
alcooliques fainéants #SansCostard & #SansDent Bien fait pour eux ?? » et « Oui ! Pour la gauche,<br />
Macron, il y a : les "sans dents", il y a "les riens", il y a "les riens sans dents" » qui datent respectivement<br />
du 6 mai et du 1 er septembre 2017.<br />
« Qu ils aillent se faire enculer!!!! Mes gamine jamais apprendront ça!! Pourquoi pas le<br />
portugais ou l italien ...·etc mais où ont vas t es pas contente pov'pute rentre dans ton<br />
pays salope!!!! Si tu peu amener valls et hollande se serai une bonne idée sa au moins<br />
!!!!! »<br />
Comme nous l’avons vu, ces injures proviennent de commentaires postés sur le statut Facebook de<br />
Bruno Le Maire au moment de l’annonce de la réforme des ELCO. Ce message, contenant de<br />
multiples injures tenues dans l’espace public, est punissable d’une amende de 12 000 €.<br />
Et en effet, Pierre-Emmanuel Guigo, dans son ouvrage, disait à propos des réseaux sociaux<br />
numériques : « On peut y exprimer des opinions bien plus ouvertement, “protégés” par l’anonymat du<br />
web. Ainsi, les réactions, y compris les plus extrêmes, se déchainent. Une petite visite sur la page<br />
91
Facebook d’un leader politique permet de constater le déchaînement des internautes dans les<br />
commentaires, souvent négatifs et allant jusqu’à l’injure. » 223<br />
Dans les cas que nous avons étudiés, les internautes se « lâchent » encore plus que nous ne le<br />
pensions. Sans donner ici le nom de son auteur, il est à noter que le message ci-dessus n’a pas été<br />
écrit sous couvert d’anonymat. Par ailleurs, non seulement nous pouvons trouver des injures, mais<br />
également des menaces physiques, de viol ou de mort. Dans ce cas, précisons qu’il ne s’agit pas de<br />
propos tenus sur les commentaires des statuts Facebook ou des comptes Twitter de la droite<br />
républicaine mais de ceux de la fachosphère.<br />
A contrario, ayant réalisé l’étude sur les « sans-dents » à la suite de celle sur la polémique des<br />
ELCO, nous nous attendions à autant de violence et de menaces. Si les propos tenus à l’encontre du<br />
Président de la République furent parfois injurieux, la haine exprimée n’est pas du même niveau.<br />
Ainsi, en présélectionnant les termes énoncés plus haut, sans aucune exhaustivité, nous avons<br />
obtenu près de cinquante pages d’injures et de menaces contre Najat Vallaud-Belkacem, et cela<br />
uniquement en nous concentrant sur les commentaires de quatre statuts Facebook 224 .<br />
Nous pourrions presque comparer l’écart de violence à l’encontre du Président de la République<br />
François Hollande et de la ministre Najat Vallaud-Belkacem à celui qui existait entre Louis XVI et<br />
Marie-Antoinette. Le premier était raillé et méprisé, parfois avec une certaine commisération,<br />
tandis que la seconde était traitée comme une étrangère, aux mœurs légères, voulant le mal de son<br />
pays et responsable de sa situation : une parfaite bouc-émissaire.<br />
En revanche, comme nous allons le voir dans notre dernier chapitre, les réseaux sociaux<br />
numériques n’ont pas seulement rendu visible toutes ces violences, mais permettent également<br />
d’organiser des ripostes.<br />
223<br />
GUIGO Pierre-Emmanuel, Com et politique, les liaisons dangereuses ? : 10 questions pour comprendre la communication<br />
politique, Arkhe editions, 2017, 202 pages. PP. 125-126<br />
224<br />
NDLR : Cf Annexe III.<br />
92
CHAPITRE 5. LES RESEAUX SOCIAUX : UN OUTIL DEVENU INDISPENSABLE<br />
DANS LA LUTTE CONTRE LES CRITIQUES, INJURES ET DIFFAMATIONS<br />
Les réseaux sociaux numériques (Facebook, Twitter, Instagram, etc.) se développant en France de<br />
façon continue, le numérique prenant une place de plus en plus importante dans les campagnes<br />
électorales, les personnalités politiques, de même que les marques, ont intégré le numérique dans<br />
leur stratégie de communication. Ainsi, à l’Elysée, rien que sur le numérique, Frédéric Giudicelli<br />
nous dit 225 : « On était huit au total, moi inclus. Et la majeure partie des gens qui étaient là, c’était sur la<br />
veille justement. Trois postes et demi sur la veille. Il y avait deux JRI 226 , il y avait un community manager,<br />
qui faisait de la veille aussi. Et j’avais un adjoint. ». C’est cette équipe qui informait le Président de la<br />
République, François Hollande « qui n’avait pas accès à ses comptes ». Dans l’équipe de Najat<br />
Vallaud-Belkacem, la « team numérique » comportait un conseiller, une chargée de mission et,<br />
parfois, un·e stagiaire. Outre les ripostes, que nous verrons plus loin, une partie du travail consistait<br />
à réaliser des veilles quotidiennes sur les réseaux sociaux numériques. Ainsi, pour Najat Vallaud-<br />
Belkacem 227 :<br />
« Tout responsable politique aujourd’hui a la nécessité de bien contrôler, d’être vigilant<br />
sur ce qui circule sur les réseaux sociaux, pour parer à toute éventualité de reprise par<br />
les médias plus classiques de ces « informations ». Donc oui la stratégie est celle qui<br />
demande de se tenir au courant, d’être très vigilant et de ne pas sous-estimer les<br />
horreurs qui peuvent circuler sur les réseaux. »<br />
Nous verrons donc dans quelle mesure les réseaux sociaux numériques sont devenus<br />
indispensables pour répondre aux critiques et à la diffamation, avec les différentes utilisations qui<br />
en sont faites, avant d’illustrer ce propos par le cas de l’émission « On n’est pas couché » du 20 mai<br />
2017, où Najat Vallaud-Belkacem était invitée et a dû répondre à Vanessa Burggraf sur une<br />
« fakenews ».<br />
I. En politique, un outil indispensable pour répondre aux critiques et à la<br />
diffamation<br />
Quand les marques répondent quasiment systématiquement à chaque mention sur les réseaux<br />
sociaux numériques, les personnalités politiques le font très exceptionnellement. Il s’agit plus d’un<br />
225<br />
GIUDICELLI Frédéric, ancien responsable adjoint du Pôle presse et communication, en charge du numérique de<br />
l'Élysée. Entretien réalisé le 4 août 2017.<br />
226<br />
NDLR : Journalistes Reporter d’Image<br />
227<br />
VALLAUD-BELKACEM Najat, ancienne ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la<br />
Recherche. Entretien réalisé le 23 juin 2017.<br />
93
phénomène culturel que d’un phénomène lié aux réseaux sociaux numériques. En effet, Edith<br />
Cresson nous dit que, d’une manière générale, avant comme avec les réseaux sociaux numériques,<br />
« ce n’est pas la peine de répondre. Si vous répondez, ils en rajoutent. “Elle a dit que…”. Ils prennent une<br />
phrase et ils la trafiquent de façon à ce que cela devienne autre chose. » 228<br />
Razak Ellafi, quant à lui, est plus nuancé que l’ancien Premier ministre 229 :<br />
« Il ne faut pas forcément toujours y répondre. Faut-il répondre à un imbécile qui insulte<br />
une ministre ? Cependant les cas où des ministres ou des candidats ont répondu, c’est à<br />
chaque fois que des rumeurs, propagées par Internet, prenaient de l’ampleur. L’exemple<br />
le plus frappant ou le plus connu étant la rumeur sur la liaison Macron – Gallet. Ou quand<br />
l’injure est faite publiquement, comme lorsque Mariton et le Figaro traitent Najat de<br />
Khmère Rose. Dans ces cas-là, lorsque l’attaque devient largement publique, ne pas<br />
répondre, c’est donner du crédit à la rumeur. »<br />
En effet, certaines personnalités répondront à quelques occasions, comme Najat Vallaud-<br />
Belkacem, ci-dessous, répondant avec ironie à une invitation de « Valeurs Actuelles » :<br />
228<br />
CRESSON Edith, ancien Premier ministre. Entretien réalisé le 5 septembre 2017.<br />
229<br />
ELLAFI Razak, ancien conseiller en charge de la veille et de la prospective de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien<br />
réalisé le 4 septembre 2017.<br />
94
A contrario d’autres, comme Christine Boutin ci-dessous, répondent systématiquement ou<br />
presque :<br />
En effet, en raison du nombre très important d’informations à traiter, la plupart du temps, les<br />
équipes numériques se concentrent sur les tweets ou statuts circulant le plus. Plusieurs stratégies<br />
peuvent alors être mises en place : de la plus officielle avec des comptes spécifiques à la plus<br />
spontanée, par des sympathisant·e·s, en passant par les comptes personnels des différents<br />
membres des équipes.<br />
1. Répondre aux critiques et diffamations via des comptes spécifiques<br />
De plus en plus, les personnalités politiques ont des comptes spécifiques, animés par leurs équipes.<br />
Ils sont utilisés pour valoriser le travail de la personnalité mais également pour répondre aux<br />
critiques et/ou diffamations. Ils sont cependant à distinguer des comptes personnels des membres<br />
de ces équipes qui sont également utilisés dans le cadre de ripostes. Sans être des comptes officiels,<br />
les comptes spécifiques impliquent la personnalité politique elle-même, puisqu’ils engagent toute<br />
l’équipe. Nous verrons ici comment ces comptes peuvent être utilisés.<br />
a. Des comptes animés par les équipes<br />
Suite aux différents entretiens que nous avons réalisés, et à l’expérience personnelle de l’autrice,<br />
nous allons traiter ici deux cas différents : @Elysee_Com et @DirectNVB. Il ne s’agit que des comptes<br />
Twitter, les pages Facebook n’étant pas prise en compte ici. L’objectif de cette partie est en effet de<br />
montrer l’organisation dans la gestion de ces comptes.<br />
Dans les deux cas, nous constatons une grande autonomie dans l’utilisation de ces comptes, le<br />
Président de la République comme la ministre n’étant pas systématiquement consultés avant une<br />
mise en ligne.<br />
95
Pour Frédéric Giudicelli, le compte @Elysee_Com 230 :<br />
« permettait de faire l’interaction et de répondre. […] Et quand il y avait un propos qui était<br />
faux sur un média, par exemple sur la vie privée de François Hollande, sur des choses<br />
qui étaient plus interne, pas un truc comme une dépêche AFP ou un communiqué de<br />
l’Élysée, on utilisait ce compte pour répondre aux médias, leur donnant les éléments.»<br />
Il nous confirme par ailleurs qu’il y avait bien, le plus souvent, une reprise dans les médias à la<br />
suite de la publication sur le compte @Elysee_Com.<br />
Ainsi dans les deux cas, des vignettes d’information comme de désintox, y sont postées, et parfois<br />
des rappels à la loi :<br />
Dans cet exemple, un professeur de philosophie<br />
affirmait que Najat Vallaud-Belkacem scolarisait<br />
ses enfants dans le secteur privé. Il mentionnait<br />
également « un retour de la guillotine ». L’équipe<br />
numérique du cabinet a décidé de le mettre en<br />
garde. L’auteur a supprimé son tweet dans la<br />
minute.<br />
Nous constatons cependant une différence dans la gestion des deux comptes. Autant, le compte<br />
@DirectNVB était presque géré d’une manière institutionnelle, autant l’équipe de communication<br />
numérique de l’Elysée, par le biais de @Elysee_Com, maniait beaucoup plus l’ironie et le<br />
sarcasme 231 :<br />
« Pour le coup nous on avait le choix. Il fallait plutôt être cassant sur ce compte. Cela<br />
permettait l’ironie. Plutôt à l’opposé de ce qu’on fait en général, en relations presse.<br />
Quand on avait des trucs ridicules, caricaturaux, on se permettait de leur taper dessus<br />
ouvertement. »<br />
Bien évidemment, les membres des équipes numériques possèdent leurs propres comptes Twitter,<br />
voire plusieurs. Ces derniers sont utilisés à titre personnel, mais également lors de ripostes.<br />
230<br />
GIUDICELLI Frédéric, ancien responsable adjoint du Pôle presse et communication, en charge du numérique de<br />
l'Élysée. Entretien réalisé le 4 août 2017.<br />
231<br />
Ibid.<br />
96
. Les comptes des membres de l’équipe<br />
Comme pour les comptes spécifiques, les membres des cabinets avaient accès aux différents<br />
argumentaires. Par exemple Jonathan Debauve nous raconte que 232 :<br />
« Lorsque cela va un peu plus largement, dans ces cas-là, on répond. Avec des comptes<br />
personnels, pas les comptes directs de la ministre. »<br />
Il a d’ailleurs lui-même<br />
« écrit un long billet sur Facebook, très long, que j’avais traité, et qui avait été repartagé<br />
je ne sais pas combien de centaines de fois. Pour mettre un stop à cela. Je n’ai jamais fait<br />
quasiment ce genre de truc, mais je l’ai fait sur la réforme de l’orthographe. »<br />
Lorsqu’une veille est réalisée sur les réseaux sociaux numériques, pour connaître les mentions<br />
faites sur une personnalité, il est fréquent de trouver des imprécisions, voire des contre-vérités ou<br />
des injures. Il est parfois impératif d’y répondre, principalement lorsque le tweet commence à<br />
circuler. Mais comment différencier la diffamation sciemment faite, de la mauvaise information ? Et<br />
donc, comment adapter son discours ? En effet, dans le premier cas (la diffamation), la réponse<br />
importe peu, quand dans le second cas (la mauvaise information), la diplomatie et l’argumentation<br />
peuvent corriger l’erreur et améliorer l’image de la ministre.<br />
Voici un exemple de riposte, faite via le compte de l’autrice, mais réfléchie avec Razak Ellafi :<br />
Lorsque le cabinet a vu ce tweet commencer à circuler, la première initiative a été de se renseigner<br />
en interne pour savoir de quel manuel il s’agissait. Avant d’en avoir la réponse par les services du<br />
ministère, un internaute, professeur, a fait une copie d’écran du tweet, avec un lien vers le manuel<br />
et l’a directement assimilée à un membre de la « fachosphère » :<br />
232<br />
DEBAUVE Jonathan, ancien conseiller en charge de la communication de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé<br />
le 11 mai 2017.<br />
97
Fachosphère ? Pas fachosphère ? Dans le doute, le cabinet a préféré lui envoyer l’information, en<br />
utilisant la diplomatie, via le compte d’une membre de l’équipe (l’autrice de ce mémoire, dans le cas<br />
présent). En conséquence, l’internaute a retweeté la réponse avec des remerciements, avant de<br />
supprimer son tweet et de faire circuler, sur les réseaux sociaux numériques, l’information<br />
correcte.<br />
Si nous avons vu des exemples de ripostes qui fonctionnent, il est à noter que l’ensemble des<br />
interviewé·e·s confirme que de telles réponses ne peuvent être faites de façon systématique en<br />
raison de leur nombre. Cependant, l’équipe d’Emmanuel Macron, pendant la campagne des<br />
présidentielle, tentait de répondre systématiquement. Ainsi, Allan Boumaran, en charge de la<br />
« team riposte » auprès des « Jeunes avec Macron », nous dit 233 :<br />
« Alors un moment il y a eu un hashtag, qui avait commencé sur la fashosphère, sur<br />
Twitter, qui était : “le vrai Macron”. Notre objectif était de faire une masse de tweets, pour<br />
noyer toutes les intox, toutes les fakenews qui pouvaient être répandues sur le candidat.<br />
Pour que leur hashtag soit un peu intoxiqué par nos tweets. »<br />
Et en effet, selon Jonathan Debauve 234 , « l’équipe Macron a bien compris comment répondre à toutes<br />
les attaques […] parfois par l’humour, parfois par des démentis très clairs ». Pourtant, « malgré tout, il<br />
y a un nombre de fausses informations qui continuent à circuler sur Emmanuel Macron, dont les gens<br />
sont persuadés de la véracité ».<br />
233<br />
BOUMARAN Allan, ancien responsable de la riposte numérique pour les « Jeunes avec Macron ». Entretien réalisé le<br />
25 août 2017.<br />
234<br />
DEBAUVE Jonathan, ancien conseiller en charge de la communication de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé<br />
le 11 mai 2017.<br />
98
2. Le recours aux sympathisants et aux militants lors des ripostes<br />
Frédéric Giudicelli, Razak Ellafi, comme Allan Boumaran, confirment avoir eu recours à des<br />
sympathisant·e·s et/ou des militant·e·s lors de ripostes, disposant tous de listes à qui ils envoyaient<br />
des argumentaires.<br />
« On avait un pool d’activistes, qu’on fournissait et qu’on activait. On leur donnait des<br />
éléments d’explication pour qu’ils les relaient, et des arguments pour pouvoir aussi être<br />
arguments contre arguments. […] C’était des éléments assez courts d’explication. »<br />
Frédéric Giudicelli 235<br />
« Des fiches nous étaient envoyées. Ensuite on avait l’outil Télégram, où on envoyait des<br />
informations sur les réformes proposées, sur les critiques contre le candidat, sur les<br />
critiques que l’on avait sur les autres candidats, etc… », Allan Boumaran 236<br />
« La meilleure veille possible est celle qui s’appuie sur un large réseau de militants,<br />
d’amis qui peuvent faire remonter les attaques », Razak Ellafi 237<br />
Lors de la dernière campagne électorale, l’application Télégram était ainsi principalement utilisée<br />
comme outil de transmission des données. En revanche, comme ceux du Front National, les<br />
militants mélenchonistes ont utilisé l’outil Discord. Ainsi, Adrien Derain, responsable de la team<br />
riposte de Benoit Hamon durant la campagne présidentielle, nous indique que :<br />
« Les supporters de Jean-Luc Mélenchon, […] étaient extrêmement nombreux, […]<br />
étaient hyper bien formés, avec des moyens extrêmement intéressants. Je pense<br />
notamment à […] l’utilisation de Discord, qui est une application qui délivre des messages<br />
et qui a permis de multiplier leur puissance d’action sur les réseaux sociaux, et de faire<br />
une campagne extrêmement active. » 238<br />
Les « riposteurs et riposteuses » semblent être recruté·e·s en fonction de leur activisme spontané<br />
sur les réseaux sociaux numériques : « Un responsable de l'équipe numérique me l'a proposé après<br />
avoir vu que je soutenais le candidat Macron. Assez naturellement, donc. », nous dit @OnZeLeft, militant<br />
« En Marche ! » 239 . C’est également le cas d’Adrien Derain : « Cela faisait longtemps que j’étais dans<br />
le réseau militant. Et puis j’avais commencé à travailler pour la campagne des primaires, en octobre<br />
235<br />
GIUDICELLI Frédéric, ancien responsable adjoint du Pôle presse et communication, en charge du numérique de<br />
l'Élysée. Entretien réalisé le 4 août 2017.<br />
236<br />
BOUMARAN Allan, ancien responsable de la riposte numérique pour les « Jeunes avec Macron ». Entretien réalisé le<br />
25 août 2017.<br />
237<br />
ELLAFI Razak, ancien conseiller en charge de la veille et de la prospective de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien<br />
réalisé le 4 septembre 2017.<br />
238<br />
DERAIN Adrien, Responsable de la team « riposte numérique » de Benoît Hamon, pendant la campagne des<br />
présidentielles de 2017. Entretien réalisé le 7 septembre 2017.<br />
239<br />
@OnZeLeft, internaute, soutien d’Emmanuel Macron. Entretien réalisé le 4 septembre 2017.<br />
99
2016. » nous dit-il 240 . Pour l’équipe Riposte numérique d’Emmanuel Macron lors de la campagne<br />
présidentielle, aucune formation particulière n’était proposée. Ce n’était pas le cas en revanche<br />
chez Benoît Hamon, où des formations à la riposte et à l’utilisation des réseaux sociaux numériques<br />
avaient été organisées, dans le local de campagne et en live Facebook ou par Skype, par Adrien<br />
Derain. Pour ce dernier, les moyens utilisés ont été identiques lors de la primaire et lors de l’élection<br />
présidentielle : « Il y avait toujours l’utilisation de Télégram, la mobilisation numérique, la formation » 241 .<br />
Selon Allan Boumaran, l’équipe riposte numérique d’Emmanuel Macron était composée de 50 à 60<br />
membres actifs 242 . Celle de Benoît Hamon en comportait 173.<br />
Concernant les militants des partis politiques, Frédéric Giudicelli, nous dit 243 :<br />
« Nous, pour le coup, il n’y a jamais eu de mélange des genres assez malsain, comme, je<br />
pense, on peut le voir actuellement avec la présidence Macron. Nous, on n’a jamais, pour<br />
le coup, travaillé avec le PS. On est toujours resté en dehors de cela, à cause de la<br />
distinction entre l’Élysée et le parti politique, … On avait nos propres activistes que l’on<br />
connaissait par la campagne de 2012, avec lesquels on avait créé des liens par la suite,<br />
avec qui on travaillait en direct. Je pense que le PS devait avoir ses propres relais. »<br />
Ainsi, @OnZeLeft nous dit qu’il recevait certains éléments de l’équipe communication et numérique<br />
du président François Hollande, vers la fin du mandat, lorsque son « soutien à Hollande s'est<br />
intensifié » 244 . Cependant, il considère que les contenus étaient moindres, pour aider les militant·e·s<br />
« à défendre l'action et le bilan », en comparaison avec le président Emmanuel Macron aujourd’hui.<br />
En effet, si l’« excès de communication », faite par le nouveau Président, peut parfois être reproché<br />
par certain·e·s citoyen·ne·s, le militant considère que la communication et la pédagogie restent<br />
essentielles, et pense que « le nouvel exécutif fait davantage attention à cela ».<br />
En raison de la mobilisation sur les réseaux sociaux numériques, parfois importante tout en étant<br />
transpartisane, Sébastien Denaja, ancien député PS, dit dans un article de Libération 245 : « J’ai déjà<br />
entendu des collègues dire : "On ne peut plus faire des écarts comme avant sinon on se retrouve sur<br />
Twitter." » Ce qui s’applique au sexisme s’applique également, comme nous allons le voir, aux<br />
ripostes à des dérapages. Nous allons ainsi étudier le cas particulier d’une riposte préparée par<br />
240<br />
DERAIN Adrien, Responsable de la team « riposte numérique » de Benoît Hamon, pendant la campagne des<br />
présidentielles de 2017. Entretien réalisé le 7 septembre 2017.<br />
241<br />
Ibid.<br />
242<br />
BOUMARAN Allan, ancien responsable de la riposte numérique pour les « Jeunes avec Macron ». Entretien réalisé le<br />
25 août 2017.<br />
243<br />
GIUDICELLI Frédéric, ancien responsable adjoint du Pôle presse et communication, en charge du numérique de<br />
l'Élysée. Entretien réalisé le 4 août 2017.<br />
244<br />
@OnZeLeft, internaute, soutien d’Emmanuel Macron. Entretien réalisé le 4 septembre 2017.<br />
245<br />
ECOIFFIER Matthieu, FAURE Sonya et LUYSSEN Johanna, Femmes en politique, un match contre les machos,<br />
Libération [en ligne], 4 mai 2015 [consulté le 28 août 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.liberation.fr/france/2015/05/04/femmes-en-politique-un-match-contre-les-machos_1289649<br />
100
l’ancien cabinet de Najat Vallaud-Belkacem mais, surtout, relayée sur les réseaux sociaux<br />
numériques de façon spontanée et transpartisane.<br />
II. « Najat Vallaud-Belkacem a réformé l’orthographe » : ou quand les<br />
réseaux sociaux numériques permettent une riposte efficace<br />
« La plupart des Français sont persuadés que Najat Vallaud-Belkacem a mené la réforme de<br />
l’orthographe alors que cette réforme date de 1990 », nous dit Jonathan Debauve 246 . Cette citation se<br />
vérifie une semaine après notre entretien. En effet, Vanessa Burggraf, qui possède une carte de<br />
presse, accusera l’ancienne ministre d’être à l’origine de cette réforme. Nous commencerons par<br />
rappeler ce qu’est la réforme de l’orthographe et son origine, ainsi que les différentes polémiques<br />
qui en ont découlé, avant d’analyser la riposte transpartisane qui suivra.<br />
246<br />
DEBAUVE Jonathan, ancien conseiller en charge de la communication de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé<br />
le 11 mai 2017.<br />
101
1. Contexte de la polémique<br />
La langue française est une langue vivante, qui a connu de multiples évolutions au cours des siècles.<br />
Depuis Richelieu, les modifications des règles de la langue française sont proposées et actées par<br />
l’Académie française. En 1990, l’Académie française a approuvé une réforme de l’orthographe<br />
proposée par le Conseil supérieur de la langue française 247 . Cette réforme consistait à simplifier les<br />
règles d’orthographe, laissant par exemple la possibilité de supprimer les accents circonflexes<br />
lorsqu’ils n’étaient pas nécessaires à la compréhension du mot (par exemple : pas de suppression<br />
de l’accent circonflexe du mot « jeûne », qui n’a pas le même sens que « jeune » mais une possible<br />
suppression de celui du mot « hôpital »).<br />
En 2016, certains éditeurs et certaines éditrices ont décidé de changer leur ligne éditoriale en<br />
appliquant cette réforme à des manuels scolaires. En février 2016, la ministre Najat Vallaud-<br />
Belkacem a alors été accusée d’avoir réformé l’orthographe, et de niveler le niveau par le bas. La<br />
polémique est née suite à un reportage pour le journal télévisé de TF1. Jonathan Debauve nous<br />
explique 248 :<br />
« Quand on pense que l’orthographe, on n’y était pour rien. (Avant la diffusion du<br />
reportage,) j’ai eu le journaliste de TF1. Il nous a dit qu’il allait faire un sujet là-dessus.<br />
Je lui ai dit “tu vas lancer une polémique qui n’a pas lieu d’être puisqu’on n’a pas introduit de<br />
réforme de l’orthographe”. Il m’a répondu : “oui mais il se trouve qu’il y a un manuel scolaire<br />
qui a fait ce choix-là”. Je lui ai dit : “Oui, mais les manuels scolaires, ce n’est pas nous qui<br />
décidons. Liberté éditoriale. S’ils ont décidé de le faire, ils ont décidé de le faire. On n’y est<br />
pour rien.” Il a décidé de faire le sujet. On sait ce qui est arrivé… »<br />
En effet, le ministère de l’Éducation nationale n’a plus aucun pouvoir sur le contenu des<br />
programmes scolaires, depuis la création du Conseil supérieur des programmes (8 juillet 2013),<br />
mais uniquement sur la forme (nombre d’heures, etc.) et n’en avait déjà plus sur l’édition des<br />
manuels scolaires. Par ailleurs, le communiqué de la ministre Najat Vallaud-Belkacem rappelle<br />
que « Les programmes de 2016 font référence à la règle en vigueur tout comme les programmes<br />
précédents de 2008 adoptés lorsque Xavier Darcos était ministre de l’Éducation nationale » 249 .<br />
247<br />
JOURNAL OFFICIEL, Les rectifications de l’orthographe, Académie française, le 6 décembre 1990, 17 pages.<br />
Disponible sur : http://www.academie-francaise.fr/sites/academie-francaise.fr/files/rectifications_1990.pdf<br />
248<br />
DEBAUVE Jonathan, ancien conseiller en charge de la communication de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé<br />
le 11 mai 2017.<br />
249<br />
VALLAUD-BELKACEM Najat, Quelques éléments importants sur l’orthographe et le décret du 6 décembre 1990 [en<br />
ligne], 4 février 2016 [consulté le 28 août 2017]. Disponible sur : http://www.najat-vallaudbelkacem.com/2016/02/04/quelques-elements-importants-sur-lorthographe-et-le-decret-du-6-decembre-1990/<br />
102
C’est pour cette raison que l’accusation envers la ministre a été considérée comme une<br />
« fakenews » par les journalistes et la polémique a rapidement été close.<br />
Du moins, c’est ce que le ministère pensait … jusqu’au 20 mai 2017, et le passage de Najat<br />
Vallaud-Belkacem à l’émission « On n’est pas couché ». Elle n’était alors plus ministre mais<br />
candidate aux élections législatives à Villeurbanne, bien qu’invitée comme ancienne ministre. Elle<br />
est alors interrogée par Yann Moix et Vanessa Burggraf, en partie sur son bilan et sur son<br />
autobiographie (ne pouvant être interrogée comme candidate pour des raisons de temps de parole).<br />
Alors que Najat Vallaud-Belkacem aborde le sujet de la réforme des programmes, souhaitant parler<br />
du nombre d’heures supplémentaires de français, Vanessa Burggraf dit : « On a vu la réforme de<br />
l’orthographe. Là cela m’a atterrée » 250 . Lorsque la ministre explique qu’elle n’a jamais mené de<br />
réforme de l’orthographe et qu’il s’agit d’une « fakenews », Vanessa Burggraf insiste en donnant<br />
l’exemple : « Mais c’est pas vrai parce que dans l’école de ma fille, je suis désolée, il y a des dictées où<br />
l’on enlève l’accent circonflexe. On enlève les petits tirets et le mot oignon, on ne l’écrit plus o-i-g-n-o-n<br />
mais o-g-n-o-n ». Najat Vallaud-Belkacem est alors sidérée, et réaffirme qu’il s’agit d’une<br />
« fakenews ».<br />
Comme nous allons le voir, cet échange a suscité de vives réactions sur les réseaux sociaux<br />
numériques, ainsi que de la part de journalistes. Alors que, dans l’illustration précédente, Najat<br />
Vallaud-Belkacem est injuriée et menacée, les internautes se mobilisent ici pour prendre sa<br />
défense. Et, au contraire, certain·e·s vont jusqu’à injurier la journaliste.<br />
2. Riposte et analyse<br />
Au moment de l’émission, l’autrice de ce mémoire était en stage auprès de Najat Vallaud-Belkacem.<br />
Une partie de ce qui suit, et notamment la préparation de la riposte, est un témoignage de sa part.<br />
Nous parlerons dans ce cas de l’ancien cabinet ministériel, en général.<br />
a. Une riposte préparée en amont par l’équipe<br />
L’émission étant enregistrée le 18 mai 2017, au lendemain de la passation de pouvoir, Najat<br />
Vallaud-Belkacem explique à son ancien cabinet le déroulement de l’émission, comme le confirme<br />
250<br />
ON N’EST PAS COUCHÉ, Najat Vallaud-Belkacem - On n'est pas couché, Youtube [en ligne] 20 mai 2017 [consulté le<br />
28 août 2017]. 54min56. Extrait à partir de 39min. Disponible sur :<br />
https://www.youtube.com/watch?v=qgNvQ8BTZUE&t=1s<br />
103
Razak Ellafi 251 : « Aussitôt après l’enregistrement, la ministre et les membres de l’équipe qui avaient<br />
assisté à l’enregistrement nous ont alertés. Et nous ont permis de nous préparer ».<br />
.<br />
Concernant le passage décrit ci-dessus, Najat Vallaud-Belkacem avait demandé à Catherine Barma,<br />
la productrice de l’émission, soit de couper le passage au montage, soit d’indiquer, par un bandeau,<br />
qu’une vérification avait été faite et que l’accusation était erronée, anticipant une potentielle<br />
humiliation de la journaliste. Comme la productrice le confirmera elle-même dans l’émission<br />
« Quotidien » de Yann Barthès, le vendredi 9 juin 2017, sur TMC, cela a été refusé.<br />
Mais, ne sachant pas, jusqu’à la diffusion de l’émission, si ce passage serait supprimé ou corrigé, il<br />
a été décidé de prévoir une riposte pour les réseaux sociaux numériques. Plusieurs vignettes,<br />
accompagnées de sources, ont ainsi été préparées par l’autrice de ce mémoire. « Des messages<br />
simples, factuels, sourcés pour démentir les accusations mensongères et autres fake news qui<br />
circulaient sur la ministre. » reprend Razak Ellafi 252 . Bien que mentionné seulement brièvement, il a<br />
été décidé d’en faire une également sur l’arabe au CP et la réforme des ELCO 253 .<br />
L’ancien cabinet a ensuite envoyé ces vignettes à une liste de diffusion, en leur demandant de ne les<br />
diffuser que si et seulement si l’extrait était maintenu. « Nous avons pu aussi prévenir les amis, les<br />
militants qui pouvaient nous aider à les diffuser. » nous dit Razak Ellafi 254 .<br />
Au moment de la diffusion de ce passage, les membres de l’ancien cabinet ont également tweeté<br />
ces vignettes, comme Eléonore Slama ou Razak Ellafi :<br />
251<br />
ELLAFI Razak, ancien conseiller en charge de la veille et de la prospective de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien<br />
réalisé le 4 septembre 2017.<br />
252<br />
Ibid.<br />
253<br />
NDLR : voir chapitre 4, partie I.<br />
254<br />
ELLAFI Razak, ancien conseiller en charge de la veille et de la prospective de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien<br />
réalisé le 4 septembre 2017.<br />
104
À noter que ces deux comptes ont atteint leurs records de retweets et de likes.<br />
Mais l’équipe et la liste de diffusion n’ont pas été les seules à réagir sur les réseaux sociaux<br />
numériques. En effet, ce passage a suscité un nombre considérable de réactions sur Twitter, les<br />
internautes prenant la défense de Najat Vallaud-Belkacem.<br />
b. Avec une défense sans précédent de la part des internautes<br />
Nous avons relevé les tweets sur moins d’une semaine, avec uniquement le hashtag #ONPC. Il est<br />
à noter que de nombreux tweets existaient par ailleurs, sans ce hashtag, comme par exemple :<br />
Par ailleurs, en raison du nombre de tweets et de retweets, ils ont été relevés jour par jour.<br />
Cependant, toujours en raison de leur nombre, la journée du 21 mai n’a pu être relevée entièrement.<br />
Nous dépassions alors les 18 000 tweets, dont une copie est possible depuis Twitter, le système<br />
bloquant systématique une fois cette limite dépassée.<br />
Ci-dessous, les statistiques concernant l’extraction, non exhaustive donc, qui a pu être faite sur le<br />
#ONPC du 20 au 24 mai 2017 :<br />
Échantillon Twitter, du 20 au 24 mai 2017<br />
Nombre de tweets originaux 5731<br />
Nombre de retweets 29534<br />
Nombre de retweets maximal pour un tweet 19656<br />
Nombre de j’aime 65214<br />
Nombre de j’aime maximal pour un tweet 16734<br />
105
Nous avons vu que certain·e·s membres du cabinet avaient battu leurs records en termes de nombre<br />
de retweets. Ce fut également le cas de @ParisPasRose (qui ne fait pas partie de la liste de diffusion<br />
de l’ancien cabinet) :<br />
Suite à un échange de messages privés sur Twitter, ielle 255 nous a précisé : « C'est le plus grand<br />
nombre de RT que j'ai jamais eu, et il a dû me rapporter +2000 abonnés en 48h ! ». Ielle nous a par<br />
ailleurs fourni les statistiques de ce tweet :<br />
Statistiques du tweet 256<br />
Impressions 257 2 116 553<br />
Vues du média 687 395<br />
Engagements totaux 278 257<br />
Engagement avec le média 182 857<br />
Ouvertures des détails 40 671<br />
Retweets 19 656<br />
J’aime 16 734<br />
Clics sur le profil 13 836<br />
Clics sur les hashtags 2 359<br />
Clics du lien 1 136<br />
Réponses 925<br />
Ielle a grandement participé au succès de cette riposte, comme nous le dit Razak Ellafi 258 :<br />
255<br />
NDLR : Ne connaissant pas l’identité de @ParisPasRose ni son genre, et cet·te internaute écrivant en non-genré et en<br />
écriture inclusive, nous prenons le parti d’utiliser un article neutre pour le ou la désigner. Ainsi, en écriture non-genrée,<br />
le mot-valise « ielle » fusionne les articles il et elle.<br />
256<br />
NDLR : Chaque détenteur ou détentrice d’un compte Twitter a accès aux statistiques de ses tweets.<br />
257<br />
NDLR : Nombre de fois où le tweet a été vu.<br />
258<br />
ELLAFI Razak, ancien conseiller en charge de la veille et de la prospective de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien<br />
réalisé le 4 septembre 2017.<br />
106
« Le buzz a été très amplifié par le fait que Claire Underwood @ParisPasRose ait publié<br />
la vidéo extraite de l’émission. Elle l’a publié très tôt vers 6h du matin et cela a permis à<br />
de très nombreuses personnes qui n’avaient pas vu le clash de voir cette réponse très<br />
forte et d’avoir donc envie de la diffuser et de défendre la ministre. Claire Underwood est<br />
très suivie et n’apparait pas comme une membre de l’équipe de Najat ni comme une<br />
groupie, ce qui a permis à des gens de gauche, d’extrême gauche ou même du centre<br />
droit de la RT. Ensuite, Claire Underwood est une militante LGBT et Najat pour son<br />
combat en faveur du mariage pour tous et la mise en place des premières politiques de<br />
lutte contre l’homophobie est très appréciée parmi les militants LGBT, cela a contribué à<br />
amplifier la circulation du tweet. »<br />
D’un point de vue quantitatif, la riposte a donc bien fonctionné, d’autant que cette fois-ci, les réseaux<br />
sociaux numériques se sont emparés spontanément du sujet. Si un débat a eu lieu, la majorité des<br />
tweets ont pris la défense de l’ancienne ministre. Cependant, nous n’avons pu faire une<br />
comptabilisation complète des verbatims positifs et des verbatims négatifs, qui pourraient<br />
confirmer ceci. De même, il aurait été intéressant de visualiser la carte de diffusion de ce tweet,<br />
grâce à des outils d’analyse spécialisés.<br />
Cependant, le nuage de mots suivant semble confirmer notre hypothèse :<br />
Pour réaliser ce nuage de mots, nous avons<br />
retirés le hashtag #ONPC, ainsi que les noms<br />
des protagonistes. Mais il apparaît bien que<br />
« journaliste », « fake », « news », « hoax »,<br />
« fakenews », sont les premiers termes<br />
utilisés par les internautes.<br />
En plus des tweets déjà montrés, voici quelques exemples que nous pouvons trouver :<br />
#Burggraf en relayant des Hoax va finir par nous faire regretter Caron #Polony #Zemmour( qnd<br />
même pas)! @ruquierofficiel #ONPC<br />
Pôpa t'as vu comme @VanessaBurggraf relaie bien nos hoaxes sur @najatvb ? 259<br />
Qd tu rends crédible une vieille & fausse rumeur crée par l'extrême droite,tu n'es plus<br />
journaliste à mes yeux #ONPC<br />
259<br />
NDLR : le « pôpa » est une référence à la marionnette de Marine Le Pen s’adressant à celle de son père, dans les<br />
Guignols de l’Info sur Canal +.<br />
107
Si seulement quelques tweets ont été insultants envers Vanessa Burggraf (par exemple : « Quand je<br />
pense que ces saloperies de "journalistes" de #ONPC sont payés par le service public... »), la majorité<br />
des tweets, bien que non insultants, ont été particulièrement violents à l’égard de la journaliste,<br />
remettant parfois en cause la profession elle-même : « L'état d'une bonne partie de la presse<br />
politique... et la c'est meme une journaliste de la chaîne publique #onpc ».<br />
Pourtant, les journalistes ont tout de suite réagi, suite à l’ampleur que cela prenait sur les réseaux<br />
sociaux numériques. Tou·te·s, ou presque, se sont désolidarisé·e·s de Vanessa Burggraf, et ont<br />
partagé des articles de désintox.<br />
Ainsi, sur les réseaux sociaux numériques, nous avons par exemple @LibéDésintox 260 et<br />
@Samuel<strong>Laure</strong>nt 261 qui ont rapidement réagi :<br />
L’émission attaquée, les producteurs et productrices ont pris la défense de la journaliste, au lieu de<br />
faire un mea culpa. Vanessa Burggraf ira même jusqu’à partager un article de blog, qui peut passer<br />
à s’y méprendre à un article de Marianne 262 . Or ce billet de blog est écrit par une personne<br />
clairement opposée à la ministre, d’une part. Et d’autre part, dans ce billet de blog, nous pouvons<br />
voir que son auteur cite un article d’Arrêt Sur Images pour illustrer son propos. Or l’article en<br />
question concluait pourtant sur le fait que la ministre n’était en rien dans la réforme de<br />
260<br />
LIBÉDÉSINTOX, Un peu de lecture pour @VanessaBurggraf : non, @najatvb n'a fait aucune réforme de l'orthographe,<br />
Twitter [en ligne], 21 mai 2017 [consulté le 28 août 2017]. Disponible sur :<br />
https://twitter.com/LibeDesintox/status/866212891434897408<br />
261<br />
LAURENT Samuel, Déjà fait l'an dernier. Elle a raison., Twitter [en ligne], 21 mai 2017 [consulté le 28 août 2017].<br />
Disponible sur : https://twitter.com/samuellaurent/status/866202341653065728<br />
262<br />
@loysbonod, Oui, le ministère de l'Éducation nationale a bien imposé la réforme de l'orthographe, Marianne<br />
« débattons ! », Blog [en ligne], 21 mai 2017[consulté le 28 août 2017]. Disponible sur :<br />
https://www.marianne.net/debattons/blogs/lutte-des-classes/oui-le-ministere-de-l-education-nationale-bien-imposela-reforme<br />
108
l’orthographe. D’ailleurs, l’auteur d’Arrêt sur images lui-même finira par twitter 263 , quand Samuel<br />
<strong>Laure</strong>nt écrira de nombreux tweets de désintox 264 :<br />
Dans le même temps, de nombreux articles parlant de ce passage ont été publiés dès le lendemain.<br />
Mais nous pouvons nous demander si, finalement, tel n’était pas l’objectif initial de l’émission,<br />
comme le suppose Razak Ellafi 265 :<br />
« Ces émissions sont très préparées. J’imagine qu’en conférence de rédaction, ils avaient<br />
étudié, avec <strong>Laure</strong>nt Ruquier, les angles d’attaque contre Najat. […] On peut imaginer que<br />
<strong>Laure</strong>nt Ruquier […] avait besoin de se faire un gros buzz sur une ministre qui déclenche<br />
à chaque fois la polémique. Vanessa Burggraf n’a pas décidé d’évoquer ces polémiques<br />
sur le plateau (au moment de l’interview). Je ne pense pas du tout. »<br />
Cependant, si tel était l’objectif, il s’est retourné contre la production et surtout la journaliste.<br />
Comme nous l’avons vu, les réseaux sociaux numériques deviennent indispensables aux<br />
responsables politiques, à la fois pour savoir ce qu’il se dit à leur sujet (veille numérique), que pour<br />
informer sur leurs actions et enfin répondre aux attaques et aux diffamations qui se multiplient.<br />
Cependant, si l’illustration que nous avons choisi d’analyser ici s’avère être une réussite en termes<br />
de riposte, elle n’est pas représentative de l’ensemble des ripostes. Selon Razak Ellafi, si celle-ci a<br />
été un succès, c’est en raison de plusieurs facteurs, en autres 266 :<br />
263<br />
ROCHAT Sébastien, #ONPC : J'adore quand mon article de 2016 sur l'orthographe aboutit à des titres opposés...,<br />
Twitter [en ligne], 22 mai 2017 [consulté le 28 août 2017]. Disponible sur :<br />
https://twitter.com/SebastienRochat/status/866569039312822272<br />
264<br />
LAURENT Samuel, Face à 5 enquêtes sur la pseudo réforme de l’orthographe (…), Twitter [en ligne], 22 mai 2017<br />
[consulté le 28 août 2017]. 11 tweets (à dérouler). Disponible sur :<br />
https://twitter.com/samuellaurent/status/866555819516715008<br />
265<br />
ELLAFI Razak, ancien conseiller en charge de la veille et de la prospective de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien<br />
réalisé le 4 septembre 2017.<br />
266<br />
Ibid.<br />
109
« 1- Le public a été sensibilisé pendant les campagnes US et française à la notion de<br />
« fake-news » et le fait que Najat mette un doigt dessus, dans une émission, était sans<br />
doute une première ;<br />
2- Vanessa Burggraf n’en était pas à sa première, elle a déjà provoqué la colère de<br />
nombreuses personnes de gauche, qui lui reprochaient son mépris de classe vis-à-vis du<br />
candidat du NPA. Et à gauche, nombreux ont vu une nouvelle attaque de la droite qu’il<br />
fallait combattre ;<br />
3- Les journalistes comme les politiques font partie des professions très décriées, très<br />
contestées. Mais les journalistes sont rarement mis en accusation, on voit rarement leurs<br />
fautes ou leurs manipulations de manière si claire et caricaturale. Beaucoup avaient donc<br />
envie de montrer un exemple de “manip”. »<br />
Enfin, il insiste sur la grande préparation des informations mises en circulation par le cabinet, ainsi<br />
que sur la réponse forte et sincère donné par Najat Vallaud-Belkacem, visiblement choquée par<br />
cette accusation. Il est à noter que la sincérité avait également été mise en avant par Frédéric<br />
Giudicelli dans le cas de la polémique des « Sans-dents », vue plus haut. Malgré toutes les<br />
techniques de communication existantes, ce facteur semble être finalement la meilleure riposte.<br />
110
Conclusion<br />
Dans ce mémoire, nous souhaitions vérifier chacune des hypothèses suivantes :<br />
Ø Les réseaux sociaux numériques ont révolutionné la nature des critiques, injures et<br />
diffamations en libérant la parole ;<br />
Ø Avec l’instantanéité de la diffusion, et parfois le manque de vérification préalable, il semble<br />
que tout prenne une ampleur démesurée ;<br />
Ø L’arrivée des réseaux sociaux numériques est, à l’inverse, un véritable outil pour les<br />
personnes critiquées, injuriées et/ou diffamées, leur offrant une opportunité de réponse et<br />
de transparence plus rapide.<br />
Alors que nous pensions pouvoir répondre par l’affirmative à l’ensemble de ces questions, nos<br />
recherches nous ont finalement conduit à d’autres conclusions.<br />
I. Les réseaux sociaux numériques ont révolutionné la nature des<br />
critiques, injures et diffamations en libérant la parole<br />
« La circulation des informations, vraies ou mensongères, contribue à la constitution d’un<br />
air du temps qui peut s’ériger en un système de croyances, de pensées et de réflexions,<br />
mobilisables alors dans le combat politique. »<br />
Cette citation est issue du livre « Les rois de papier » 267 et parle des rois Henri III et Louis XVI.<br />
Pourtant, elle peut s’appliquer à l’ensemble des personnalités qui ont illustré notre travail : le pape<br />
Boniface VIII, Simone Veil, Edith Cresson, François Hollande et Najat Vallaud-Belkacem.<br />
Ainsi, comme nous l’avons vu dans notre premier chapitre, les définitions juridiques et<br />
encyclopédiques ont évolué au cours des siècles, et il en est de même pour les peines encourues<br />
pour injures et/ou diffamations. En revanche, nous avons constaté, dans notre deuxième chapitre,<br />
que ce n’était pas le cas de la nature des accusations portées. Seule peut-être l’accusation faite au<br />
pape Boniface VIII de posséder un « démon privé » 268 n’est plus faite aujourd’hui aux personnalités<br />
politiques françaises.<br />
267<br />
DUPRAT Annie, Les rois de papier. La caricature de Henri III à Louis XVI, Belin, 2002, 369 pages. P. 12<br />
268<br />
PARAVICINI BAGLIANI Agostino, Boniface VIII : Un pape hérétique ?, Payot, 2003, 516 pages. P. 10<br />
111
Par exemple, le pape Boniface VIII et le roi Henri III ont été accusés, à plusieurs siècles d’intervalles,<br />
entre autres d’homosexualité comme de vendre leur âme au diable. Nous avons pu retrouver ces<br />
accusations durant la dernière campagne des présidentielles de 2017. Ainsi, Emmanuel Macron a<br />
été attaqué, sur les réseaux sociaux numériques, sur une prétendue homosexualité, comme si<br />
l’homosexualité pouvait remettre en question ses capacités de dirigeant. De la même façon,<br />
nombreux.ses sont celles et ceux à l’avoir accusé « d’être un suppôt du Medef », le Medef étant de<br />
nos jours, pour certain·e·s, devenu le nouveau « diable ». Enfin, Louis XVI a été régulièrement<br />
considéré comme le « jouet » manipulé par Marie-Antoinette 269 . Or combien de fois n’avons-nous<br />
pas lu cette remarque, ce « questionnement », à propos de la relation que le Président entretient<br />
avec son épouse, en référence à la différence d’âge et au fait que Mme Macron, avant de le devenir,<br />
avait été son enseignante.<br />
De la même façon qu’Edith Cresson a été traitée de « Pompadour », Najat Vallaud-Belkacem a subi<br />
le même type d’attaques que Marie-Antoinette plus de deux siècles après elle. Comme nous l’avons<br />
longuement vu dans notre quatrième chapitre, selon ses détracteurs ou détractrices, Najat Vallaud-<br />
Belkacem serait une étrangère de par sa bi-nationalité, aux mœurs légères, traitée de « pute » avec<br />
des caricatures et des montages pornographiques 270 , accusée de souhaiter le mal de son pays en<br />
voulant « islamiser la France », et responsable de tout ce qui va mal à l’École.<br />
Finalement, comme le dit Matthieu Protin 271 , nous retrouvons de nos jours « une violence qui était<br />
celle, même au-delà du XIXe siècle, des gazettes, des libelles, de tout ce qui pouvait circuler. Par exemple,<br />
pendant la fronde au XVIIe siècle, toutes les chansons, toutes les caricatures, c’était méga-violent. »<br />
Ainsi, les réseaux sociaux numériques, comme nous l’avons montré, même s’ils ont libéré une<br />
parole qui avait faiblie au cours des « 30 glorieuses », n’ont pas révolutionné la nature des critiques,<br />
injures et diffamations.<br />
Enfin, cette violence est à relativiser. Même si Najat Vallaud-Belkacem subit moult menaces, il est<br />
à noter que : le pape Boniface VIII, le roi Henri III, le roi Louis XVI et la reine Marie-Antoinette sont<br />
décédé·e·s d’une mort violente, suite aux accusations portées contre eux·elle.<br />
De la même façon, comme nous l’avons vu dans notre premier chapitre, les diffamateurs et les<br />
diffamatrices ainsi que les responsables de leurs publications, ne sont plus, en théorie, menacé·e·s<br />
269<br />
DUPRAT Annie, Les rois de papier. La caricature de Henri III à Louis XVI, Belin, 2002, 369 pages. PP. 31-32<br />
270<br />
NDLR : Si nous n’avons abordé les photo-montages de nature pornographiques, ils sont nombreux à circuler sur elle.<br />
271<br />
PROTIN Matthieu, ancien conseiller en charge des discours et de l'éducation artistique et culturelle. Entretien réalisé<br />
le 12 mai 2017.<br />
112
de mort pour leurs écrits. Cependant, à l’heure actuelle, c’est loin d’être le cas dans tous les pays,<br />
notamment sous régime dictatorial. Ainsi, dans ses rapports de décembre 2016, Reporter Sans<br />
Frontière a comptabilisé 53 journalistes assassinés parce que journalistes 272 , et 400 journalistes<br />
otages ou détenus, parce que journalistes 273 . Sans oublier, qu’en France, le 7 janvier 2015, huit<br />
journalistes de Charlie Hebdo sont morts pour leurs caricatures.<br />
II.<br />
Avec l’instantanéité de la diffusion, et parfois le manque de<br />
vérification préalable, il semble que tout prenne une ampleur<br />
démesurée ;<br />
En revanche, au vu de leur quantité astronomique, ces critiques, injures et diffamations ont pris<br />
une ampleur démesurée, comme nous l’avons montré dans nos deux derniers chapitres, même si<br />
les réseaux sociaux numériques n’en sont peut-être pas la seule cause.<br />
Lorsque nous recherchons une définition de ce qu’est un réseau social, nous n’en trouvons pas, si<br />
ce n’est sur le site de Mercator-Publicitor : « Mode d’interactions sociales qui facilite la création et<br />
l’échange d’information et de contenus entre des individus et entre individus et organisations. » 274<br />
Matthieu Protin nous a dit 275 : « Avant cela circulait sous le manteau. La diffamation concernant la<br />
femme de Pompidou “qui participait à des partouzes”, ce qui se disait avant dans les petits milieux<br />
autorisés, maintenant va se faire sur Internet, sur la place publique. » Il indique par ailleurs que l’« on<br />
vivait dans une espèce d’écosystème, alors avec une diffusion plus restreinte mais quand même assez<br />
efficace. ». Et comme nous avons pu le voir dans notre chapitre 2, plusieurs pamphlets étaient en<br />
fait des réponses à de précédents pamphlets publiés. Ainsi, Annie Duprat, dans son livre nous décrit<br />
les pamphlets comme des écrits se donnant « pour des réponses à des textes précédents et des<br />
dialogues au fil des semaines, mais aussi au travers de la France » 276 . Et de nombreuses éditions sont<br />
annotées comme « sur la copie de… ». En réalité, il ne s’agit rien d’autre que des réponses aux<br />
commentaires et aux tweets que nous pouvons voir actuellement.<br />
Nous voyons donc bien la similitude avec les réseaux sociaux numériques tels qu’ils existent<br />
actuellement. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’avoir des interactions avec des individus et sur<br />
272<br />
Bilan 2016 des journalistes tués dans le monde, Reporters sans frontières [en ligne], 16 décembre 2016 [consulté le 9<br />
septembre 2017]. Disponible sur : https://rsf.org/sites/default/files/rsf_2016-part_2-fr.pdf<br />
273<br />
Bilan 2016 des journalistes détenus, otages et disparus dans le monde, Reporters sans frontières [en ligne], 9<br />
décembre 2016 [consulté le 9 septembre 2017]. Disponible sur : https://rsf.org/sites/default/files/rsf_2016-fr.pdf<br />
274<br />
MERCATOR-PUBLICITOR, Lexique du Marketing, 11e édition [en ligne], [consulté le 10 septembre 2017]. P. 572.<br />
Disponible sur : http://www.mercator-publicitor.fr/lexique-marketing-definition-reseaux-sociaux<br />
275<br />
PROTIN Matthieu, ancien conseiller en charge des discours et de l'éducation artistique et culturelle. Entretien réalisé<br />
le 12 mai 2017.<br />
276<br />
DUPRAT Annie, Les rois de papier. La caricature de Henri III à Louis XVI, Belin, 2002, 369 pages. P. 37<br />
113
Facebook et Twitter que nous avons étudiés dans notre recherche, d’effectuer des commentaires<br />
ou de faire des annotations sur des écrits.<br />
Les différences entre le 17 e siècle et aujourd’hui ne portent finalement que sur la rapidité et la<br />
quantité, les deux étant liées mais pas nécessairement.<br />
En effet, quand il ne faut plus aujourd’hui qu’une microseconde à un statut ou à un commentaire<br />
pour circuler entre une multitude d’individus, qui appartiennent à un même réseau social, tout en<br />
habitant à 20 000 kilomètres les uns des autres, il fallait dans la première moitié du 19 e siècle 47<br />
heures par exemple pour qu’un courrier envoyé, par la Poste de Lyon, arrive à Strasbourg 277 . Les<br />
ordres de grandeurs devaient être identiques au 17 e siècles ou auparavant. À cela s’ajoute une<br />
alphabétisation plus grande. Car la diffusion des injures est forcément plus importante dans un pays<br />
où 99 % 278 de la population est alphabétisée, comme c’est le cas aujourd’hui de la France, que dans<br />
un pays où ce même taux était estimé aux alentours de 40 %, comme c’était le cas de la France peu<br />
avant la Révolution française 279 .<br />
Or si les historien·ne·s peuvent connaître des difficultés de vérification des sources liées à<br />
l’ancienneté ou l’absence de documents, aux traductions, ou aux interprétations propres aux<br />
copistes, les difficultés de vérification des sources sont aujourd’hui liées, comme nous l’avons vu<br />
dans notre chapitre 3, à la masse d’informations, à leur rapidité de mise à disposition et pour les<br />
journalistes aux contraintes actuelles, liées à leur profession.<br />
III.<br />
L’arrivée des réseaux sociaux numériques est, à l’inverse, un<br />
véritable outil pour les personnes critiquées, injuriées et/ou<br />
diffamées, leur offrant une opportunité de réponse et de transparence<br />
plus rapide.<br />
Cependant, comme nous l’avons vu dans notre chapitre 5, des ripostes, bien organisées et<br />
préparées, permettent parfois de contrer les désinformations qui peuvent circuler. Par ailleurs,<br />
comme nous le dit Christian Delporte 280 : « Je suis historien, je travaille sur le journalisme depuis le<br />
XIXe siècle, globalement ils font bien mieux leur travail qu’il y a 100 ans… » Ainsi, les journalistes sont<br />
aujourd’hui plus scrupuleux dans leurs recherches d’informations et de sources. Et de nombreuses<br />
277<br />
JOLY Gérard, La poste aux chevaux en 1833, [en ligne], [consulté le 8 septembre 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.philatelie-epernay.fr/IMG/pdf/La_Poste_aux_chevaux_en_1833.pdf<br />
278<br />
DAMGÉ Mathilde et JUBLIN Matthieu, Qui sont les illettrés en France ? Le Monde [en ligne], 18 septembre 2014<br />
[consulté le 9 septembre 2017]. Disponible sur : http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2014/09/18/qui-sont-lesillettres-en-france_4490014_4355770.html<br />
279<br />
IUFM de Créteil, CNDP, [en ligne], décembre 2005 [consulté le 9 septembre 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.cndp.fr/bienlire/01-actualite/c-en-parle24-Imp.htm#A34<br />
280<br />
DELPORTE Christian, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines,<br />
Directeur de la revue Le Temps des médias. Entretien réalisé le 8 septembre 2017.<br />
114
édactions, pour contrer les contre-vérités, dont celles, très nombreuses, que nous pouvons trouver<br />
sur la fachosphère, ont à présent des rubriques de « désintox ». Mais encore faut-il que les<br />
personnes propageant les fausses informations croient à la véracité des articles et sources de<br />
désintox …<br />
Il s’agit donc d’un véritable outil mais dont les limites sont, comme cela ressort de tous nos<br />
entretiens, la masse gigantesque d’information à disposition ou à traiter et l’impossibilité de pouvoir<br />
la vérifier ou la contrer systématiquement.<br />
Dans notre premier chapitre, nous avons défini les notions d’injure et de diffamation avec les peines,<br />
qui vont respectivement jusqu’à 25 000 € d’amende pour la première à un an d’emprisonnement et<br />
45 000 € d’amende pour la seconde. Dans ce cadre, par exemple, Eléonore Slama a ainsi fait mettre<br />
en place une lettre type pour répondre aux injures ou aux diffamations envers la ministre, indiquant<br />
à leurs auteurs ou leurs autrices que « Sous couvert de tel article de loi, vous êtes passibles de … Donc<br />
si vous réitérez, votre courrier sera transmis au procureur. » 281 . Elle indique que, d’une manière<br />
générale, suite à ce courrier, il n’y a jamais eu de récidive.<br />
La loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 réaffirme dans son premier<br />
article que la liberté de communication : « La communication au public par voie électronique est libre ».<br />
Ainsi, la cellule Pharos a été créée en 2009, pour lutter entre autres contre les incitations à la haine<br />
ou les expressions du racisme et de la xénophobie sur Internet, qu’il s’agisse des réseaux sociaux<br />
numériques ou des forums, blogs, etc.<br />
Pourtant, nous constatons la différence de traitement faite entre l’imprimé et le numérique.<br />
Frédéric Giudicelli 282 nous dit que « la plate-forme Pharos » est très lente. « Même moi, quand je<br />
transmettais, que j’avais des relais comme ça, quand je passais par le cabinet du Ministère de l’intérieur,<br />
les comptes n’étaient pas fermés. Cela mettait des semaines. » Ce qui met donc plusieurs semaines<br />
lorsque c’est en numérique met pourtant quelques heures lorsque c’est un imprimé-papier. Par<br />
exemple, Danielle Mitterrand avait engagé une procédure en référé contre le magazine Paris-<br />
Match, qui avait publié la photo de François Mitterrand sur son lit de mort, et avait eu gain de cause<br />
avec le retrait des exemplaires des kiosques à journaux quelques heures plus tard.<br />
281<br />
SLAMA Eléonore, ancienne cheffe de cabinet de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé le 11 mai 2017.<br />
282<br />
GIUDICELLI Frédéric, ancien responsable adjoint du Pôle presse et communication, en charge du numérique de<br />
l'Élysée. Entretien réalisé le 4 août 2017.<br />
115
La question n’est donc pas celle de la loi, mais celle de son application et de la lenteur de la justice<br />
lorsqu’il s’agit du numérique. Frédéric Giudicelli 283 est ainsi « intimement convaincu que tant que<br />
Twitter et Facebook n’auront pas été condamnés une bonne fois pour toute, en tant qu’hébergeur, et<br />
continueront à prendre des délais monstrueux pour retirer des contenus, pour fermer des comptes »,<br />
rien ne changera.<br />
Toutes les personnes interrogées sont unanimes sur les réseaux sociaux numériques : la masse est<br />
trop importante pour pouvoir riposter, ou déposer plainte, à chaque tweet, commentaire ou billet de<br />
blog injurieux ou diffamatoire. « On ne peut pas passer notre temps à déposer une plainte. On ne peut<br />
pas le faire tout le temps, parce qu’il y en a trop. » nous dit par exemple Eléonore Slama 284 .<br />
Frédéric Giudicelli 285 nous dit également que : « Si l’on commence à répondre au cas par cas, dans un<br />
cadre ouvert où n’importe qui fait plus de 200 ou 300 retweets, on ne s’en sort pas. On n’est pas une<br />
équipe taillée pour ce genre de travail. »<br />
Cependant, Najat Vallaud-Belkacem pense malgré tout 286 « avec du recul, je me dis que les actions en<br />
justice doivent être plus fréquentes sur le sujet. » Selon elle, « désormais, lorsque l’on est un<br />
responsable public, il faudrait avoir quelqu’un en charge de la réponse juridique en permanence à ses<br />
côtés. Parce que le problème, c’est qu’il en vient tous les jours de nouvelles. »<br />
Se pose alors le problème du traitement de la quantité d’information : des militant·e·s ou des<br />
cellules de veille ou de communication ne seront jamais assez nombreux·ses pour réaliser<br />
manuellement ces traitements. En effet, pour réaliser l’extraction manuelle des verbatim utilisés<br />
dans les analyses quantitatives et qualitatives de nos deux derniers chapitres, près de deux<br />
semaines à temps plein ont été nécessaires. Et ces extractions sont très très loin d’être exhaustives.<br />
De la même manière, pour savoir s’il s’agissait ou non d’injures et/ou de menaces, il nous a fallu<br />
une autre semaine à temps plein.<br />
Des outils, comme par exemple Visibrain ou NodeXL, existent cependant pour réaliser ces<br />
extractions de façon exhaustive. Ils permettent également de réaliser rapidement des analyses<br />
statistiques et des graphiques de viralité. Mais ceci ne peut se faire qu’à condition de savoir ce que<br />
283<br />
Ibid.<br />
284<br />
SLAMA Eléonore, ancienne cheffe de cabinet de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé le 11 mai 2017.<br />
285<br />
GIUDICELLI Frédéric, ancien responsable adjoint du Pôle presse et communication, en charge du numérique de<br />
l'Élysée. Entretien réalisé le 4 août 2017.<br />
286<br />
VALLAUD-BELKACEM Najat, ancienne ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la<br />
Recherche. Entretien réalisé le 23 juin 2017.<br />
116
nous cherchons a priori. En effet, là encore les limites quantitatives fixées par Twitter, par exemple,<br />
font que les extractions doivent être faite au jour le jour, ou presque, et non a posteriori.<br />
De tels outils permettront peut-être que la loi soit enfin appliquée sur Internet et les réseaux sociaux<br />
numériques. En effet, nous pouvons très bien imaginer qu’à l’aide d’algorithmes, ces logiciels<br />
puissent automatiquement :<br />
Ø Extraire les verbatim ;<br />
Ø D’en faire une analyse sémantique plus précise qu’à l’heure actuelle, notamment détecter<br />
la nuance entre l’ironie et la véritable injure ;<br />
Ø Détecter les signaux faibles pour anticiper la réponse aux critiques et aux rumeurs ;<br />
Ø Classer les tweets, commentaires et statuts Facebook, billets de blog, etc. tombant sous le<br />
coup de la loi ;<br />
Ø Créer des réponses automatiques pour chacun·e comme celles qu’Eléonore Slama avait<br />
mises en place pour le courrier écrit, lorsqu’elle était cheffe de cabinet de Najat Vallaud-<br />
Belkacem ;<br />
Ø Détecter si une action (suppression du post/tweet/commentaire/autre) a été ou non faite par<br />
le détenteur ou la détentrice du compte.<br />
Jean-Christophe Gatuingt, co-fondateur de Visibrain, pense en effet qu’il sera possible à l’avenir<br />
d’utiliser ce genre d’outils pour classer les tweets, les statuts et commentaires Facebook qui<br />
tomberaient sous le coup de la loi, ainsi que de créer des réponses automatiques pour chacune et<br />
détecter par la suite si une action est réalisée. Comme Frédéric Giudicelli, il pense que ce sont les<br />
plateformes elles-mêmes qui doivent le faire, ayant « à la fois la responsabilité, la data et les<br />
ressources technologiques pour mettre en place ce genre de procédé » 287 . Cependant, Frédéric<br />
Giudicelli apporte une nuance, pensant que les plateformes ne le feront pas tant qu’elles n’auront<br />
pas été condamnées.<br />
Mais à la vitesse à laquelle va l’innovation technologique dans le domaine du numérique, ne doutons<br />
pas que ces outils le permettront probablement dans un proche avenir, transformant notamment le<br />
métier de veille numérique et, plus généralement, de communicant·e.<br />
287<br />
GATUINGT Jean-Christophe, co-fondateur de Visibrain. Entretien le 14 septembre 2017.<br />
117
Bibliographie et sources<br />
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BERTHELOT Marcelin et une société de savants et de gens de lettres, La grande encyclopédie<br />
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Dunod-Editeur<br />
II.<br />
Autres ouvrages<br />
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BILGER Philippe, Le droit de la presse. Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2003,<br />
128 pages. Disponible sur : http://www.cairn.info/le-droit-de-la-presse--9782130535591.htm<br />
BOURDIEU Pierre, Sur la télévision, Liber-Raisons d'agir, 1996, 95 pages.<br />
CRESSON Edith, Histoires françaises. Editions du Rocher, 2006, 300 pages.<br />
DUPRAT Annie, Les rois de papier. La caricature de Henri III à Louis XVI, Belin, 2002, 369 pages.<br />
GUIGO Pierre-Emmanuel, Com et politique, les liaisons dangereuses ? : 10 questions pour<br />
comprendre la communication politique, Arkhe editions, 2017, 202 pages.<br />
PARAVICINI BAGLIANI Agostino, Boniface VIII : Un pape hérétique ?, Payot, 2003, 516 pages. ISBN :<br />
978-2228897686<br />
118
III.<br />
Ouvrages collectifs<br />
ALBERTINI Dominique et DOUCET David, La Fachosphère. Comment l'extrême droite remporte la<br />
bataille d'Internet., Flammarion, 2016, 299 pages.<br />
CAGÉ Julia, HERVÉ Nicolas et VIAUD Marie-Luce, L'information à tout prix, Paris, INA, 2017, 220<br />
pages.<br />
IV.<br />
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FONTIER Rémy, « La diffamation, l'outrage et l'injure : définitions et exemples concernant les<br />
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Michel-Mirbeau-et-le-paiement-de-l-amende-de-Zola-pour-J-accuse<br />
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ON N’EST PAS COUCHÉ, Najat Vallaud-Belkacem - On n'est pas couché, Youtube [en ligne] 20 mai<br />
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https://www.youtube.com/watch?v=qgNvQ8BTZUE&t=1s<br />
SEPT SUR SEPT, Lucien Neuwirth : la contraception, INA, 8 décembre 1981 [consulté le 7<br />
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Ministère de la Justice [consulté le 8 septembre 2017]. Disponible sur : http://www.justice.gouv.fr<br />
Service Public [consulté le 15 juillet 2017]. Disponible sur : https://www.service-public.fr<br />
Syndicat National des Journalistes [consulté le 6 septembre 2017]. Disponible sur :<br />
http://www.snj.fr/<br />
Wordart. Disponible sur : https://wordart.com/<br />
VIII.<br />
Enquêtes et études<br />
CRÉDOC, Le baromètre du numérique 2016 [en ligne]. 244 pages. Disponible sur :<br />
http://www.credoc.fr/pdf/Rapp/R333.pdf<br />
KANTAR TNS, Cotes de popularités des Présidents et Premiers ministres, du 1er janvier au 31<br />
décembre 2014. Disponible sur : http://www.tns-sofres.com/dataviz?type=1&code_nom=hollande<br />
REPORTERS SANS FRONTIÈRES, Bilan 2016 des journalistes tués dans le monde, du 16 décembre<br />
2016. Disponible sur : https://rsf.org/sites/default/files/rsf_2016-part_2-fr.pdf<br />
REPORTERS SANS FRONTIÈRES, Bilan 2016 des journalistes détenus, otages et disparus dans le<br />
monde, du 9 décembre 2016. Disponible sur : https://rsf.org/sites/default/files/rsf_2016-fr.pdf<br />
IX.<br />
Entretiens<br />
BOUMARAN Allan, ancien responsable de la riposte numérique pour les « Jeunes avec Macron ».<br />
Entretien réalisé le 25 août 2017.<br />
CRESSON Edith, ancien Premier ministre. Entretien réalisé le 5 septembre 2017.<br />
DEBAUVE Jonathan, ancien conseiller en charge de la communication de Najat Vallaud-Belkacem.<br />
Entretien réalisé le 11 mai 2017.<br />
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DELPORTE Christian, Professeur d’histoire contemporaine, Université de Versailles-Saint-<br />
Quentin-en-Yvelines, Directeur de la revue Le Temps des médias. Entretien réalisé le 8 septembre<br />
2017.<br />
DERAIN Adrien, ancien responsable de la riposte numérique de Benoît Hamon. Entretien réalisé le<br />
6 septembre 2017.<br />
ELLAFI Razak, ancien conseiller en charge de la veille et de la prospective de Najat Vallaud-<br />
Belkacem. Entretien réalisé le 4 septembre 2017.<br />
GIUDICELLI Frédéric, ancien responsable adjoint du Pôle presse et communication, en charge du<br />
numérique de l'Élysée. Entretien réalisé le 4 août 2017.<br />
PROTIN Matthieu, ancien conseiller en charge des discours et de l'éducation artistique et<br />
culturelle. Entretien réalisé le 12 mai 2017.<br />
SLAMA Eléonore, ancienne cheffe de cabinet de Najat Vallaud-Belkacem. Entretien réalisé le 11<br />
mai 2017.<br />
VALLAUD-BELKACEM Najat, ancienne ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement<br />
supérieur et de la Recherche. Entretien réalisé le 23 juin 2017.<br />
@OnZeLeft, internaute, soutien d’Emmanuel Macron. Entretien réalisé le 4 septembre 2017.<br />
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