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Histoire environnementale du cannabis en CA

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HISTOIRE ENVIRONNEMENTALE DU <strong>CA</strong>NNABIS EN <strong>CA</strong>LIFORNIE<br />

MARTA JONVILLE<br />

SPEAP 2018


La ruée vers l’or, Hollywood, le Summer of Love, la Silicon Valley et plus récemm<strong>en</strong>t<br />

la ruée vers l”’Or Vert” ont provoqué dans l’ouest américain des vagues migratoires<br />

inégalées qui ont créés des paysages sociologiques puissamm<strong>en</strong>t avant-gardistes et<br />

innovants, mais aussi des dégradations <strong><strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tale</strong>s énormes. Une culture<br />

favorable à l’expérim<strong>en</strong>tation politique s’est développée et c’est peut-être ce qui a<br />

permis au Cannabis d’être récemm<strong>en</strong>t légalisée pour usage récréatif après l’avoir été<br />

pour usage médicale. Sa mise <strong>en</strong> application le 1er janvier 2018 est l’issue d’un<br />

processus militant porté par militants de la contre-culture, artistes, hippies,<br />

écologistes, vétérans <strong>du</strong> Viet-Nam et de la guerre <strong>du</strong> Golfe, depuis les années 30. Un<br />

écosystème humain/plante s’est co-développé p<strong>en</strong>dant plusieurs siècles sur ces<br />

terres autant de manière libre quand le Chanvre était cultivé pour sa fibre, que cachée<br />

quand le Cannabis est dev<strong>en</strong>u illégal. La culture hors-réseau des hippies n'est que<br />

l'une des nombreuses relations importantes que les Américains ont nouées avec<br />

Cannabis au cours <strong>du</strong> XXe siècle. Le parcours culturel de la plante est passée <strong>du</strong><br />

«narcotique» démoniaque des travailleurs Mexicains et des Afro-américains jouant<br />

<strong>du</strong> jazz, à la chérie de la contre-culture, à un médicam<strong>en</strong>t légitime et <strong>en</strong>fin une drogue<br />

récréative populaire.<br />

Deux variétés de Cannabis pouss<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Californie et sont arrivées par deux routes<br />

différ<strong>en</strong>tes :<br />

Le Cannabis d’abord cultivées dans le piémont de l'Himalaya et dans les montagnes<br />

de l'Hin<strong>du</strong> Kush. D’Inde, le Cannabis Indica a suivi les commerçants <strong>en</strong> Afrique, il a<br />

atteint l'Angola au début des années 1800 et a été intro<strong>du</strong>it dans le Nouveau Monde<br />

vers 1810 via le commerce d'esclaves <strong>en</strong>tre l'Angola et le Brésil. Les populations<br />

d'Amérique c<strong>en</strong>trale et d'autres pays <strong>du</strong> Nouveau Monde ont appris à connaître et à<br />

cultiver la plante et l’ont propulsé vers le nord, au Mexique. Puis, dans la foulée<br />

chaotique de la chute <strong>du</strong> dictateur mexicain Porfirio Diaz <strong>en</strong> 1911, des milliers de<br />

Mexicains migrateurs ont emm<strong>en</strong>é le Cannabis –Marijuana- à travers le Rio Grande et<br />

dans l'Ouest américain.<br />

Des traces archéologiques suggèr<strong>en</strong>t que le chanvre était cultivé <strong>en</strong> Chine il y a 6000<br />

ans. En 1492, les Europé<strong>en</strong>s faisai<strong>en</strong>t son commerce depuis des siècles. Ses fibres<br />

puissantes le r<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t très précieux dans la pro<strong>du</strong>ction de cordages et de voiles pour<br />

les marines d'Europe. En 1545, la Couronne espagnole a mandaté la culture <strong>du</strong><br />

chanvre <strong>en</strong> Nouvelle-Espagne et sa culture à grande échelle au Mexique a comm<strong>en</strong>cé<br />

à la fin <strong>du</strong> dix-huitième siècle. Les Mexicains indigènes ont découvert la plante <strong>en</strong> la<br />

travaillant dans les champs espagnols, l'ont cultivé dans leurs propres jardins. Les<br />

espagnols cultivai<strong>en</strong>t aussi le chanvre au Chili et dans le sud de la Californie.<br />

C’est ainsi que Chanvre est dev<strong>en</strong>u un pilier <strong>du</strong> paysage <strong>du</strong> Nouveau Monde.


Et c’est d’abord pour la qualité de ses fibres qu’elle a été cultivé largem<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

Californie pour fabriquer la toile qui étai<strong>en</strong>t t<strong>en</strong><strong>du</strong>es sur de nombreuses charp<strong>en</strong>tes<br />

<strong>en</strong> bois qui composai<strong>en</strong>t des expéditions vers l'ouest. Des concessions comme celle de<br />

John Sutter près de l’actuelle Sacram<strong>en</strong>to cultivai<strong>en</strong>t abondamm<strong>en</strong>t le chanvre.<br />

La découverte de l’or fut la première cause <strong>du</strong> désamour pour la plante.<br />

Le début de la ruée vers l’or met fin à l’utopie de la famille Sutter qui rêvait de faire de<br />

la Californie (état Mexicain à l’époque) une colonie pastorale. De 1848 à 1855,<br />

300.000 av<strong>en</strong>turiers s’install<strong>en</strong>t autours de Sacram<strong>en</strong>to pour chercher de l’or et la<br />

Californie devi<strong>en</strong>t un état Américain <strong>en</strong> 1850.<br />

Lorsque la Marijuana est arrivée au Mexique, Les “Herbolarias” les femmes de la<br />

médecine indigène, recueillait <strong>du</strong> Cannabis sauvage - probablem<strong>en</strong>t Sativa et Indica,<br />

car les deux avai<strong>en</strong>t des qualités médicinales, et les v<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t sur les marchés pour<br />

leurs propriétés médicinales et relaxantes. De là, elle a été transporté principalem<strong>en</strong>t<br />

par les soldats, de casernes <strong>en</strong> casernes. L'usage répan<strong>du</strong> de la marijuana dans les<br />

armées mexicaines de la fin <strong>du</strong> XIXe siècle et <strong>du</strong> début <strong>du</strong> XXe siècle a présagé<br />

l'adoption de la drogue par l'armée américaine au Vietnam dans les années 1960.<br />

Dans les deux cas, les conflits militaires ont facilité l'intro<strong>du</strong>ction de variétés de<br />

Cannabis aux États-Unis.<br />

Le Cannabis était considéré comme faisant partie de la pharmacopée américaine.<br />

À la fin <strong>du</strong> XIXe siècle, il était inclus dans divers remèdes maison, dans les teintures et<br />

dans les pharmacies. Il était inscrit dans la Pharmacopée américaine comme<br />

médicam<strong>en</strong>t pour plus de c<strong>en</strong>t maladies <strong>en</strong> 1840. On l’utilise pour la rage, le<br />

rhumatisme, l’épilepsie, le tétanos, comme relaxant musculaire et les préparation se<br />

v<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t <strong>en</strong> pharmacie de manière libre. Par ailleurs le Cannabis redonne de l’appétit<br />

aux grands malades et jusqu’<strong>en</strong> 1890, les médecins s’accord<strong>en</strong>t et constat<strong>en</strong>t que le<br />

Cannabis a égalem<strong>en</strong>t des effets très bénéfiques sur la dépression, migraine,<br />

l’épilepsie et parfois l’asthme et les règles douloureuses (dysménorrhées) et même<br />

pour les pati<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> fin de vie pour les distraire et diminuer leur stress.<br />

Au même mom<strong>en</strong>t sur le canal de Panama, les soldats Portoricains et Américains<br />

utilis<strong>en</strong>t le Cannabis, mais les médecins comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à le considérer comme un<br />

narcotique qui r<strong>en</strong>force l’excitation sexuelle et la perte de contrôle et <strong>en</strong> 1890, le<br />

médecin Maximo Silva écrit que la Marijuana r<strong>en</strong>force toutes les “terribles qualités”<br />

des humbles. Il donne une vision infernale des g<strong>en</strong>s qui <strong>en</strong> consomme : une foule<br />

diabolique, des putains, des brutes et des meurtriers dont la personnalité et les vices<br />

sont acc<strong>en</strong>tués par les effets de la drogue. En raison de son utilisation répan<strong>du</strong>e chez<br />

les soldats (Alfonso Luis Velasco <strong>en</strong> 1889 ont noté que les soldats <strong>en</strong> campagne<br />

manquai<strong>en</strong>t de tout et que la marijuana et les prostituées étai<strong>en</strong>t la seule consolation<br />

pour les soldats <strong>en</strong>gagés dans l'armée»), les criminels et le reste des classes


laborieuses, le Cannabis comm<strong>en</strong>ce à cette époque à développer une réputation peu<br />

recommandable comme substance destructrice <strong>du</strong> m<strong>en</strong>tale et dé-socialisante.<br />

À la fin <strong>du</strong> XIXème siècle <strong>en</strong>tre <strong>en</strong> pharmacopée l’aspirine, les barbiturique et les<br />

chloral hydraté qui font, petit à petit sortir le Cannabis des prescriptions médicales.<br />

Durant les vingt premières années <strong>du</strong> XXème siècle, les Américains s'inquiétai<strong>en</strong>t <strong>du</strong><br />

nombre croissant des Mexicains chassés vers le nord par la viol<strong>en</strong>ce de la révolution<br />

mexicaine. Cette peur grandi et les Américains blâm<strong>en</strong>t les Mexicains de leur voler des<br />

emplois.<br />

Il <strong>en</strong> résulte qu’<strong>en</strong> 1915, la Californie est le premier état des État Unis à r<strong>en</strong>dre la<br />

plante illégale.<br />

En 1930, Harry J. Anslinger est nommé commissaire d'un départem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t<br />

nouveau : le Bureau Fédéral des Stupéfiants, il <strong>en</strong> fait une histoire personnelle et il se<br />

donne comme mission de détruire les champs de Cannabis. Il crée une mythologie<br />

catastrophiste autours de la plante et raconte toutes sortes d'histoires effrayantes<br />

jouant sur les t<strong>en</strong>sions raciales et sexuelles de la Grande Dépression, arguant que la<br />

Marijuana fait se mêler des hommes noirs et des femmes blanches dans des clubs de<br />

jazz, et qu'elle con<strong>du</strong>it les Mexicains fumant de la "loco weed" à des crimes viol<strong>en</strong>ts.<br />

Il s’agissait évidemm<strong>en</strong>t plus de stigmatiser les utilisateurs que de pointer les pseudo<br />

dangers de la Marijuana.<br />

Le gouvernem<strong>en</strong>t trouve un allié de taille dans la personne de Hearst qui, avec son<br />

empire de la presse relaie cette propagande avec des manchettes telles que «Murder<br />

Weed Found Up and Down Coast», et n'a jamais manqué une occasion de diaboliser<br />

les Mexicano-Américains.


Dans la foulée, le Congrès adopta la Loi d’imposition de la Marihuana <strong>en</strong> août 1937.<br />

La loi fonctionnait comme une prohibition fiscale exigeant que quiconque cultive ou<br />

v<strong>en</strong>de <strong>du</strong> Cannabis paie une am<strong>en</strong>de très élevée, et fait de tout achat ou possession de<br />

Cannabis une infraction fédérale.<br />

Cette campagne de propagande m<strong>en</strong>ée par le gouvernem<strong>en</strong>t fédéral est <strong>en</strong> grande<br />

partie responsable de la mauvaise réputation qui s’est accrue au fil des années et a<br />

fonctionné comme une sorte d'effacem<strong>en</strong>t de la mémoire. Non seulem<strong>en</strong>t ils ont fait<br />

taire l'expéri<strong>en</strong>ce médicale légitime de Cannabis depuis des déc<strong>en</strong>nies, mais ils ont si<br />

bi<strong>en</strong> réussi à transformer l’opinion publique <strong>du</strong> pays contre la Marijuana que<br />

pratiquem<strong>en</strong>t personne n'a dit un mot à propos de Chanvre, que la loi a égalem<strong>en</strong>t<br />

interdit. Le Chanvre, la plante qui avait aidé les Américains à déclarer leur<br />

indép<strong>en</strong>dance, à combattre la marine britannique et à couvrir les wagons sur la route<br />

de l'Ouest, était désormais destiné à être associé et confon<strong>du</strong>e avec la Marijuana,<br />

comme l’«assassin de la jeunesse».<br />

Mais les immigrés continu<strong>en</strong>t à fumer et à cultiver de la marijuana domestique sur<br />

des terres louées ou privées, dans leurs jardins ou dans les paysages irrigués de<br />

l'Ouest pour les aider à supporter leur travail agricole épuisant La v<strong>en</strong>te de l'herbe<br />

complète aussi leur rev<strong>en</strong>us quand des préjugés raciaux les empêch<strong>en</strong>t de travailler.<br />

La plante trouve facilem<strong>en</strong>t sa place dans le paysage vernaculaire habité, <strong>en</strong>tre les<br />

lignes des champs de maïs, dans les arrière-cours, les terrains vagues des villes, sur<br />

les berges de ruisseau, les rebords des fossés. Ces premiers pro<strong>du</strong>cteurs ont créé un<br />

système informel d'agriculture hors-la-loi dans tout l'Ouest des États Unis<br />

d’Amérique.


Et bi<strong>en</strong> qu'il ait été mis hors la loi, les Américains blancs absorb<strong>en</strong>t une partie des<br />

connaissances traditionnelles des Mexicains sur le Cannabis et sa culture. Dans les<br />

déc<strong>en</strong>nies qui suiv<strong>en</strong>t les années 1920, un segm<strong>en</strong>t de plus <strong>en</strong> plus diversifié<br />

d’Américains comm<strong>en</strong>ce à fumer de la marijuana.<br />

Dans les années 30 la culture populaire et le jazz s’<strong>en</strong> empar<strong>en</strong>t, Louis Amstrong et<br />

Cab Calloway commett<strong>en</strong>t “That Funny” et “Reefer Man”, particip<strong>en</strong>t à r<strong>en</strong>dre<br />

sympathique le Cannabis et <strong>en</strong>vahi progressivem<strong>en</strong>t la culture blanche américaine.<br />

Dans les années 1950, ils comm<strong>en</strong>c<strong>en</strong>t à la faire pousser eux-mêmes, profitant de son<br />

effet relaxant qui ouvre l'esprit.<br />

La Beat G<strong>en</strong>eration associa le Cannabis à une vague naissante de non-conformisme<br />

qui allait se transformer <strong>en</strong> une rébellion de masse dans les années à v<strong>en</strong>ir. Ils ont été<br />

la courroie de transmission clé pour la propagation de la marijuana dans l'Amérique<br />

grand public. Un petit groupe de fumeurs blancs de la classe moy<strong>en</strong>ne, autrefois<br />

confinés aux clubs de jazz est dev<strong>en</strong>u un phénomène national p<strong>en</strong>dant le tumulte<br />

social connu sous le nom de «Sixties», quand, aux yeux <strong>du</strong> gouvernem<strong>en</strong>t, elle devi<strong>en</strong>t<br />

une infamie.<br />

En 1957 une vague de désobéissance civile émerge avec un point d’acmé <strong>en</strong> 1958 à<br />

Trafalgar Square, où converg<strong>en</strong>t étudiants, et pacifistes et où née la p<strong>en</strong>sé contreculturelle.<br />

En 1961, Timothy Leary, organise un symposium sur le « human spirit<br />

control » ou particip<strong>en</strong>t sci<strong>en</strong>tifique et personnalités littéraires, il s’<strong>en</strong> suit l’ouvrage<br />

“The Politics of Ecstasy” publié <strong>en</strong> 1968 qui met le voyage au cœur de la p<strong>en</strong>sée hippie<br />

et fait de la drogue (LSD et Cannabis) le véhicule <strong>du</strong> “Trip”. Parallèlem<strong>en</strong>t All<strong>en</strong><br />

Ginsberg, organise à San Francisco le rassemblem<strong>en</strong>t <strong>du</strong> “Human Be-In” au Gold<strong>en</strong><br />

Gate Park, le 14 janvier 1967 qui aboutira au Summer of Love et fera de la Californie<br />

le c<strong>en</strong>tre névralgique mondiale de la p<strong>en</strong>sée hippie.<br />

Dégoûtés de la culture dominante et frustrés par le rejet des activités philosophiques<br />

par le complexe militaro-in<strong>du</strong>striel, Ginsberg, Jack Kerouac et une foule d'autres<br />

jeunes artistes, activistes, musici<strong>en</strong>s et poètes s’amourach<strong>en</strong>t avec le Cannabis. Les<br />

effets neurobiologiques de sa résine et l'adaptabilité <strong><strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tale</strong><br />

exceptionnelle de la plante ont fait de la Marijuana une substance désirable, la drogue<br />

parfaite pour un peuple pacifiste et anti-establishm<strong>en</strong>t.<br />

Si la plupart de la génération Beat se cont<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t de fumer de la marijuana cultivée<br />

au Mexique, d'autres ont préféré cultiver la leur. En plus d'avoir un<br />

approvisionnem<strong>en</strong>t personnel, cela leur donnai<strong>en</strong>t des rev<strong>en</strong>us conv<strong>en</strong>ables. Leur<br />

rétic<strong>en</strong>ce à accepter des emplois traditionnels et rémunérés signifiait qu'ils devai<strong>en</strong>t


trouver d'autres sources de rev<strong>en</strong>u, et quoi de mieux que de fournir à leurs camarades<br />

à fumer une herbe cultivée à la maison ?<br />

Mais, dans les années 1970, chaque niveau de gouvernem<strong>en</strong>t aux États-Unis était<br />

perturbé par la relation des hippies avec le Cannabis. La bonne question à se poser est<br />

pourquoi les hippies, et pourquoi le Cannabis ?<br />

Les législateurs p<strong>en</strong>sai<strong>en</strong>t que les formes de relation instituée <strong>en</strong>tre<br />

hommes/plantes/nature se trouvai<strong>en</strong>t dans l’agriculture dite “moderne”, qui<br />

consistait <strong>en</strong> une maitrise et une domination de la nature, l’état avait ainsi autorité<br />

pour déterminer ce qui constituait une relation appropriée. Un paysage «politique»<br />

ou officiellem<strong>en</strong>t modifié est id<strong>en</strong>tifié par l’État comme promoteur d’un bon ordre qui,<br />

<strong>en</strong>tre autres, pro<strong>du</strong>it des citoy<strong>en</strong>s respectueux de la loi, par opposition au paysage<br />

«vernaculaire», ne pro<strong>du</strong>isant que <strong>du</strong> désordre. L’opposition nature-culture constitue<br />

ici la légitimation d’un état dit « moderne ». Aux yeux des hippies, tout le paysage<br />

américain - avec ses routes goudronnées qui quadrillai<strong>en</strong>t des fermes mécanisées, ses<br />

pelouses bi<strong>en</strong> découpées qui divisai<strong>en</strong>t les banlieues <strong>en</strong> parcelles id<strong>en</strong>tiques, et ses<br />

fausses promesse de prospérité pour tous ceux qui y vivai<strong>en</strong>t - était l’esprit d’un<br />

paysage de conformité forcée. L'État dép<strong>en</strong>sait énormém<strong>en</strong>t de temps et d'arg<strong>en</strong>t<br />

pour influ<strong>en</strong>cer les plantes, inversem<strong>en</strong>t les hippies permettai<strong>en</strong>t aux plantes de les<br />

influ<strong>en</strong>cer.<br />

Illustration dans “The San Francisco Oracle”


Dans ce contexte on peut compr<strong>en</strong>dre qu’un mouvem<strong>en</strong>t qui comptait parmi ses<br />

membres Gary Snyder -figure importante de l'écologie profonde (Deep ecology) et <strong>du</strong><br />

bio-régionalisme-, ait pu déranger la grande <strong>en</strong>treprise de modernisation par un<br />

nettoyage <strong>en</strong> règle des espaces agricoles <strong>en</strong>trepris à l’époque. Le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t anti villes,<br />

anti-pro<strong>du</strong>ctivité, anti-consommation, et écologiste allait de pair avec un mode de vie<br />

stigmatisé par la presse institutionnelle et des politici<strong>en</strong>s conservateurs. On accuse<br />

les hippies d’être sales, fainéants, drogués, de déf<strong>en</strong>dre activem<strong>en</strong>t la marijuana, le<br />

communisme, les relations extraconjugales, Mao Tse-toung, et les émeutes. Ils sont<br />

chassés, ce qui les amène, de gré ou de force, à s’isoler et à disparaître pour pouvoir<br />

continuer leur mode de vie, et créer leurs espaces propres <strong>en</strong> « dehors de la société ».<br />

L'Ouest était clairsemé de vastes ét<strong>en</strong><strong>du</strong>es sauvages <strong>en</strong> 1973. Une communauté Beat<br />

s’installe dans le désert <strong>du</strong> “Triangle d'Émeraude” au nord de la Californie, à l’ouest<br />

de Garbeville où ils cré<strong>en</strong>t un <strong>en</strong>semble de fermes rustiques. Et bi<strong>en</strong> sûr, les Beats et<br />

les hippies, comme les immigrants mexicains avant eux, découvr<strong>en</strong>t que le Cannabis<br />

tropical est bi<strong>en</strong> adapté à la plupart des climats et des paysages de l'Ouest américain.<br />

Cachés sous la couverture naturelle et accid<strong>en</strong>tée de la forêt côtière <strong>du</strong> nord de la<br />

Californie, quelque 3000 plantes soigneusem<strong>en</strong>t cultivées pouss<strong>en</strong>t dans des<br />

parcelles, des serres et <strong>en</strong>tre les légumes des hippies à l'ouest de Garberville.<br />

Pour le plaisir, la philosophie et le profit, les hippies se sont glissés avec le Cannabis<br />

dans les espaces laissés vacant par l’agriculture int<strong>en</strong>sive, les terrains urbains non<br />

quadrillés par l’urbanisme , les cabanes isolées et des jardins communaux et les<br />

communes. En établissant des communes et des parcelles de Cannabis illégales <strong>en</strong><br />

dehors des limites physiques et idéologiques des lois et de la culture dominante, les<br />

hippies américains et les cultivateurs de Marijuana ont créé leur propre paysage<br />

«vernaculaire». Au cours des années 60 et 70, des années de culture con<strong>du</strong>is<strong>en</strong>t à<br />

l'accumulation de connaissances horticoles.<br />

La contre-culture perturbatrice ébranle l'administration Nixon et les conservateurs<br />

de tout le pays.<br />

La Marijuana est assimilée à l'héroïne <strong>en</strong> tant que drogue de l'annexe 1 de la loi “<br />

Controlled Substances Act ” de 1970. Aux yeux de l'État américain <strong>en</strong> 1973, les<br />

squatters <strong>du</strong> comté de Humboldt <strong>du</strong> nord de la Californie ne vivai<strong>en</strong>t pas seulem<strong>en</strong>t<br />

des vies non-pro<strong>du</strong>ctives qui ne respectai<strong>en</strong>t pas une forme de modernité r<strong>en</strong>table et<br />

polluante ; ils <strong>en</strong>freignai<strong>en</strong>t aussi la loi <strong>en</strong> <strong>en</strong> cultivant et <strong>en</strong> s'adonnant à un mauvais<br />

type de nature récréative.<br />

En 1973, le présid<strong>en</strong>t Nixon, avec les conservateurs et les prohibitionnistes cré<strong>en</strong>t la<br />

« Drug Enforcem<strong>en</strong>t Ag<strong>en</strong>cy » et <strong>en</strong> quelques années, 10 000 ag<strong>en</strong>ts opèr<strong>en</strong>t dans le<br />

monde. S’<strong>en</strong> suiv<strong>en</strong>t des poursuites infernales dans les vallées californi<strong>en</strong>nes pour<br />

faire cesser la culture <strong>du</strong> Cannabis.<br />

Mais la contre-culture n'était pas le seul groupe d'Américains à utiliser de la<br />

Marijuana dans le bouleversem<strong>en</strong>t culturel des années soixante. Des milliers de


soldats américains au Vietnam, ouverts à tout ce qui leur permettrait de se<br />

débarrasser des horreurs <strong>du</strong> combat, roul<strong>en</strong>t et fum<strong>en</strong>t des souches de Cannabis<br />

tropicales. Alors que le Mexique continue d'être la principale source de Marijuana des<br />

États-Unis jusqu’aux années 1980, à partir de 1960, le pool génétique <strong>du</strong> Cannabis<br />

nord-américain a comm<strong>en</strong>cé à se diversifier. Les soldats rev<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t de la guerre des<br />

États-Unis au Vietnam avec des variétés d'indica tropicales, et les cultivateurs (dans<br />

certains cas, les vétérans eux-mêmes) les intro<strong>du</strong>isir<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Californie et dans d'autres<br />

<strong>en</strong>droits de l'Ouest.<br />

À la fin des années 1970, le «Triangle d'Émeraude» possédait tous les ingrédi<strong>en</strong>t pour<br />

dev<strong>en</strong>ir le premier foyer national <strong>du</strong> Cannabis. Les hippies avai<strong>en</strong>t cultivé p<strong>en</strong>dant au<br />

moins une déc<strong>en</strong>nie dans un climat généralem<strong>en</strong>t favorable ; un paysage accid<strong>en</strong>té et<br />

peu peuplé a aidé les pro<strong>du</strong>cteurs à éviter la détection. Dans ce processus, il s’est<br />

pro<strong>du</strong>it une coévolution humain/plante et le Cannabis lui-même a subi des<br />

changem<strong>en</strong>ts. Pour satisfaire les exig<strong>en</strong>ces d'une culture de la Marijuana qui <strong>du</strong>rait<br />

depuis des déc<strong>en</strong>nies, les cultivateurs américains des années 1970 et 1980 ont<br />

fusionné les anci<strong>en</strong>nes techniques de culture avec la technologie moderne pour<br />

inv<strong>en</strong>ter des milliers de nouvelles sous-espèces, chacune pro<strong>du</strong>isant sa propre<br />

marijuana et dev<strong>en</strong>ant plus r<strong>en</strong>table. L'effondrem<strong>en</strong>t d'autres secteurs légitimes de<br />

l'économie régionale a r<strong>en</strong><strong>du</strong> la pro<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> Cannabis très attrayante. Quand<br />

l'anci<strong>en</strong> gouverneur californi<strong>en</strong>, Ronald Reagan, déclarait <strong>en</strong> 1976 que «le Cannabis<br />

pouvait très bi<strong>en</strong> constituer l'une des m<strong>en</strong>aces les plus dangereuses pour toute une<br />

génération d'Américains», sa culture faisait vivre des communautés <strong>en</strong>tières dans la<br />

partie nord de l'État.<br />

Par ailleurs, le Cannabis a été une fois de plus le prétexte parfait pour stigmatiser les<br />

minorités, contrôler les esprits et les voix de la dissid<strong>en</strong>ces. Ceux qui l'ont cultivé ou<br />

utilisé, ont été étiquetés, catégorisés, manipulés, arrêtés, condamnés à des am<strong>en</strong>des<br />

et <strong>en</strong>fermés. Mais pour ceux qui ont réussi à échapper à la loi, la culture a été une<br />

source de rev<strong>en</strong>us, un remède, et un échappatoire aux réalités de l’Amérique militaroin<strong>du</strong>strielle,<br />

hyper-consumériste et ségrégationniste de ces années -là.<br />

Dans les années 80 l’administration Reagan privilégie et favorise les grands<br />

pro<strong>du</strong>cteurs agroalim<strong>en</strong>taires et les cocaïnomanes de Wall-Street, siphonnant le reste<br />

de l’économie. Elle relance égalem<strong>en</strong>t la « guerre contre la drogue » à une échelle sans<br />

précéd<strong>en</strong>t. Des tactiques et <strong>du</strong> personnel militaire sont employés. La première dame,<br />

Nancy Reagan, lance une campagne «Just-Say-No» et le présid<strong>en</strong>t lui-même inaugure<br />

une pratique invasive <strong>du</strong> dépistages de drogue.<br />

Sous la pression, les cultivateurs de l'Ouest réagiss<strong>en</strong>t <strong>en</strong> déplaçant leur culture à<br />

l'intérieur des habitations, <strong>en</strong> la cultivant sous des lampes et <strong>en</strong> l'arrosant avec des<br />

systèmes d'irrigation faits maison. En assumant un contrôle complet sur<br />

l'<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t de leurs plantes, les pro<strong>du</strong>cteurs découvr<strong>en</strong>t qu'ils peuv<strong>en</strong>t


déterminer son cycle de croissance et croiser différ<strong>en</strong>tes espèces ; le résultat est<br />

littéralem<strong>en</strong>t des milliers de nouvelles sous-espèces de Cannabis, plus puissantes que<br />

leurs ancêtres.<br />

C'était un désastre <strong>du</strong> point de vue des fonctionnaires <strong>du</strong> gouvernem<strong>en</strong>t, dont la<br />

tactique lourde avait pour but d'éliminer la plante de la Terre.<br />

Des déc<strong>en</strong>nies de recherche, combinée aux efforts de groupes militants comme,<br />

l’Organisation nationale pour la réforme des lois sur la Marijuana (NORL) ont aidé à<br />

changer la perception de l’opinion publique américaine sur le Cannabis et <strong>en</strong> 1996, la<br />

« California Proposition 215 est promue » qui légalise l’usage médicale <strong>du</strong> Cannabis.<br />

Les cultures se sont multipliées, ce qui a créé une forme d’agriculture int<strong>en</strong>sive<br />

d’intérieur de Cannabis (telle qu’elle a été développée dans les années 1980),<br />

dev<strong>en</strong>ant la favorite des cli<strong>en</strong>ts. Mais elle a un coût élevé pour l'<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. Les<br />

opérations de culture <strong>en</strong> intérieur à grande échelle nécessit<strong>en</strong>t d'énormes quantités<br />

d'énergie fossile pour alim<strong>en</strong>ter l'éclairage et les systèmes de contrôle climatique<br />

avancés. Selon les estimations actuelles, jusqu'à 3% de l'énergie californi<strong>en</strong>ne est<br />

consacrée à la culture de marijuana <strong>en</strong> intérieur chaque année. Même une culture<br />

extérieure, si elle est légalisée, pourrait s'avérer dégradante pour l'<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t,<br />

car la demande nécessiterait de grandes surfaces forestières californi<strong>en</strong>nes.<br />

Il restai<strong>en</strong>t jusqu’au 1er Janvier 2018, des petites exploitations illégales de Cannabis<br />

<strong>en</strong> Californie.<br />

La plantation de Copperhead que j’ai pu visiter l’été 2017 était cachée au bout d’un<br />

chemin de terre à une heure tr<strong>en</strong>te de la première station-service et à deux heures de<br />

Santa-Cruz.<br />

La culture était <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t bio, sans pesticides et l’arrosage fait à la main.<br />

Loin des grandes exploitations elle donnait la possibilité à toute sorte de marginaux,<br />

de nouveaux exclus, d’illégaux, d’artistes <strong>du</strong> monde <strong>en</strong>tier de travailler et de ne pas<br />

être séparés de ce qui nous r<strong>en</strong>d vivant.<br />

La légalisation est c<strong>en</strong>sée avoir pour vertu de réguler les abus <strong>en</strong> terme de culture et<br />

d’écologie (vols d’eau, utilisation exagérée de pesticides, déforestations) mais si le<br />

Cannabis est aux plantes ce que les sorcières sont aux humains, une <strong>en</strong>tité, délaissée,<br />

oubliée, détestée, pourchassée, calomniée, stigmatisée, adorée, brûlée, cachée et<br />

réhabilitée, devant l’échec de la répression, on peut se demander si son acceptation<br />

(légalisation) ne serait pas le dernier recours <strong>du</strong> capitalisme pour discipliner les corps<br />

et les plantes, et la cloche qui sonne le glas de l’utopie hippie, contre-culturelle qui<br />

donnait <strong>en</strong>core aux marginaux la possibilité d’exister, comme « Le champignon de la


fin <strong>du</strong> monde » donne la possibilité de vivre sur les ruines <strong>du</strong> capitalisme. Comme le<br />

souligne Isabelle St<strong>en</strong>gers, le capitalisme c’est : « être séparé de ce qui nous r<strong>en</strong>d<br />

vivant » et pour Anna Tsing, c’est aussi une histoire d'expropriation. Et l'expropriation<br />

est l'aliénation : une condition dans laquelle on arrête aussi de p<strong>en</strong>ser, d'imaginer et<br />

de remarquer les êtres et des relations particulières. En ce s<strong>en</strong>s, l'histoire<br />

<strong>en</strong>vironn<strong>en</strong>tale <strong>du</strong> Cannabis <strong>en</strong> Californie est aussi une histoire de la normalisation<br />

des corps et des plantes.<br />

Copperhead, Californie 2017


Copperhead, Californie 2017


Copperhead, Californie 2017<br />

Bibliographie<br />

Timothy Leary, PhD, The Politics of ECSTASY<br />

The San Francisco Oracle By Sally Zimmerman<br />

Smoke Signals, une histoire sociale de la marijuana. Martin Lee<br />

http://www.canorml.org/california_<strong>cannabis</strong>_laws<br />

https://fr<strong>en</strong>chdistrict.com/californie-nord/articles/<strong>cannabis</strong>-loi-consommationmedicale-plantation/<br />

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cannabis_indica<br />

http://tpele<strong>cannabis</strong>1.e-monsite.com/pages/l-origine-<strong>du</strong>-<strong>cannabis</strong>.html<br />

Isabelle St<strong>en</strong>gers « au temps des catastrophes, résister à la barbarie qui vi<strong>en</strong>t »<br />

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ru%C3%A9e_vers_l%27or_<strong>en</strong>_Californie#cite_note-<br />

Harvsp|Starr|2005|p=80-10<br />

Douzet, Frédérick, et Bruce E. Cain. « Le paradoxe multiculturel de la<br />

Californie », Politique américaine, vol. 9, no. 3, 2007, pp. 13-31.


Quand la ruée vers l'or tuait une utopie californi<strong>en</strong>ne, Antoine Bourguilleau<br />

Humboldt county, le c<strong>en</strong>tre névralgique de la culture <strong>du</strong> <strong>cannabis</strong><br />

http://www.cabaneachanvre.com/fr/cont<strong>en</strong>t/1003-proprietes-<strong>du</strong>-chanvre-textile<br />

Marijuana , Mormon Racists , Mexican Bandidos, and Crazy Que<strong>en</strong> Carlotta<br />

The Racial History of Weed By SARAH HAYLEY BARRETT<br />

Utilisations historiques et culturelles <strong>du</strong> <strong>cannabis</strong> et le « débat sur la marijuana » au<br />

canada<br />

http://tpele<strong>cannabis</strong>1.e-monsite.com/pages/l-origine-<strong>du</strong>-<strong>cannabis</strong>.html<br />

Regards sur la drogue. De la beat g<strong>en</strong>eration aux cités Dominique Duprez<br />

These : Rocky Mountain High: an <strong>en</strong>vironm<strong>en</strong>tal history of <strong>cannabis</strong> in the American<br />

West, Nick Johnson<br />

Le Champignon de la fin <strong>du</strong> monde, Anna Tsing,<br />

Face à Gaïa, Bruno Latour

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