Terroirs2019N1-AnimauxJardin_TOTAL
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LES ANIMAUX D’ICI<br />
L’incroyable salamandre tachetée se rencontre entre Port-Valais et Saint-Maurice. wordpress<br />
DES ANIMAUX FABULEUX<br />
PRÈS DE CHEZ NOUS<br />
Avec leur allure de mini-dinosaure tacheté et de dragonnet bleu,<br />
ils nous plongent dans un univers fantasmagorique.<br />
Tritons et salamandres sont pourtant bien réels. A défaut d’être<br />
éternels en Valais.<br />
JOËLLE ANZÉVUI<br />
Le voisinage de nos mares, sources et cours d’eau<br />
est peuplé d’animaux étonnants, semblant tout<br />
droit sortir d’un bestiaire fantastique. A commencer<br />
par le triton, du nom d’un dieu marin de la<br />
mythologie grecque, mi-homme mi-poisson, perçu tel<br />
l’équivalent masculin des sirènes. Ou la salamandre,<br />
élément du feu, auquel on prêtait autrefois la faculté<br />
de résister aux flammes. Plus concrètement, tritons<br />
et salamandres relèvent de la tribu des urodèles. A<br />
l’instar de tous les membres de la famille des batraciens,<br />
ils sont strictement protégés par une ordonnance<br />
fédérale. Si le Valais, sec et pentu, n’est pas a<br />
priori un eldorado pour ces espèces, ces dernières ont<br />
néanmoins bénéficié de zones humides favorables au<br />
développement de leurs populations. Mais… car il y<br />
a toujours un «mais» dans toutes les belles histoires.<br />
La disparition ou dégradation progressive des biotopes<br />
aquatiques et terrestres depuis le siècle dernier remet<br />
aujourd’hui clairement en question la survie des urodèles.<br />
Les changements climatiques noircissent encore<br />
le tableau: assèchement de plans d’eau, crues ou sécheresse<br />
en période de reproduction, démarrage trop hâtif<br />
de la migration printanière. Les situations extrêmes<br />
perturbent aussi les végétaux, les insectes et mollusques<br />
dont les urodèles se nourrissent. Sans glisser dans la<br />
morosité, découvrons plutôt ce discret petit peuple de<br />
l’ombre et les mesures visant à revitaliser leur biotope,<br />
en compagnie du biologiste Flavio Zanini, directeur<br />
d’un bureau d’écologie appliquée à Sion.<br />
TERROIRS35
LES ANIMAUX D’ICI<br />
Des animaux fabuleux près de chez nous<br />
La salamandre noire est le seul batracien suisse pouvant se reproduire en dehors des plans d’eau. Choucas-star@bluewin.ch<br />
UNE RELATION<br />
SPÉCIALE À L’EAU<br />
Bien qu’ils adoptent la majorité du temps un<br />
comportement terrestre, tritons et salamandres sont<br />
dépendants des milieux aquatiques pour se reproduire.<br />
TEXTES JOËLLE ANZÉVUI<br />
La salamandre tachetée, reconnaissable<br />
à ses bandes ou taches jaunes, n’est pas<br />
nageuse mais elle rejoint cependant de<br />
petits cours d’eau bien oxygénés ou des<br />
vasques de torrents latéraux à faible débit<br />
au printemps, pour mettre bas plusieurs<br />
dizaines de larves, appelées à leur tour à<br />
rejoindre la terre ferme quelques mois<br />
plus tard. La tritonne manifeste plus d’attrait<br />
pour l’eau stagnante des plans d’eau,<br />
mares et marais. Les ballets amoureux et<br />
aquatiques des couples tritons ne passent<br />
d’ailleurs pas inaperçus. En période de<br />
reproduction, la tritonne emballe ses œufs<br />
(plusieurs centaines) dans les feuilles de<br />
plantes aquatiques. Ses larves se développent<br />
dans l’eau et deviennent adultes<br />
en quelques semaines, le temps de passer<br />
des branchies aux poumons, et donc de<br />
l’eau à la terre ferme.<br />
RÉHABILITATION DE LEURS HABITATS<br />
Cet indispensable passage par l’eau est<br />
aujourd’hui complexifié par la dégradation<br />
de leurs biotopes de reproduction.<br />
Les milieux aquatiques disparaissent suite<br />
au drainage de zones humides, à la remise<br />
en état de carrières et autres milieux pionniers.<br />
Pour ne rien arranger, la suppression<br />
des haies, buissons, tas de bois où les<br />
urodèles trouvent refuge et nourriture<br />
contribue à la détérioration de leur qualité<br />
de vie. Pollution des eaux par les insecticides,<br />
disparition de forêts mixtes, densité<br />
du trafic sur leurs trajectoires de<br />
Il est interdit de déplacer des batraciens. Nous<br />
intervenons chez des particuliers pour déplacer<br />
le cas échéant ces espèces vers un habitat conforme<br />
à leurs besoins.» FLAVIO ZANINI, BIOLOGISTE ET DIRECTEUR DE DROSERA ÉCOLOGIE APPLIQUÉE SA<br />
migration saisonnière, compétition et prédation<br />
de la grenouille rieuse (espèce invasive)<br />
participent encore à leur déclin. Pour<br />
Flavio Zanini, il y a néanmoins une prise<br />
de conscience. «Nous avons des bases légales<br />
et des moyens à disposition pour promouvoir<br />
des projets de réhabilitation d’habitats pour<br />
batraciens. Le canton et la Confédération<br />
disposent de quelques moyens financiers pour<br />
réaliser et initier des projets et des actions<br />
de sensibilisation diverses sont en cours. Mais<br />
la tâche n’est pas simple et le chemin est<br />
encore long. D’ailleurs, pour créer un plan<br />
d’eau accueillant, il ne suffit pas de faire un<br />
trou! Selon les caractéristiques de chaque<br />
espèce, le lieu choisi, l’habitat terrestre et<br />
l’accessibilité, les rives seront aménagées différemment.<br />
La profondeur, la période de mise<br />
en eau et la couverture végétale environnante<br />
sont aussi fondamentales. Des structures<br />
permettant la création de caches (pierriers,<br />
souche, bois mort) sont à disposer de manière<br />
correcte.» Sans parler d’optimisme, Flavio<br />
Zanini veut y croire d’autant que la réhabilitation<br />
de zones humides propices aux<br />
tritons et salamandres profite également<br />
à d’autres espèces animales et végétales.<br />
MARES AUX TRITONS<br />
Chacun peut contribuer au maintien de<br />
ce petit peuple des zones humides. La<br />
multiplication des mares et étangs de jardins<br />
privés a un impact bénéfique sur les<br />
populations de tritons, notamment<br />
alpestres. «Un jardin aménagé de façon sauvage,<br />
proche de la nature, représente aussi<br />
un habitat favorable aux urodèles.»<br />
36 TERROIRS
Parure nuptiale<br />
La couleur générale du triton alpestre est plutôt<br />
gris-bleuâtre chez le mâle. Mais en période des amours,<br />
ses couleurs explosent. tritonpxhere.com<br />
La peau de la salamandre tachetée est luisante, d’aspect huileux. wordpress<br />
ZOOM<br />
LA REVUE NATURE DE JULIEN PERROT<br />
La Salamandre, c’est 3 magazines bimestriels<br />
(adultes/ados/enfants), une dizaine de livres par an,<br />
3 documentaires, 1 festival annuel et une intense<br />
production digitale. Rencontre avec son créateur,<br />
le biologiste Julien Perrot.<br />
Pourquoi ce choix de titre: La Salamandre?<br />
J’avais 11 ans. Le faisceau de ma lampe a surpris<br />
dans un bois, un soir de pluie, un bout en plastique<br />
jaune et noir… qui bougeait. Une première!<br />
J’ai aussi pu observer par la suite une salamandre<br />
posant ses larves dans l’eau. Le miracle de la vie<br />
en direct. C’est ainsi que j’ai trouvé sans le savoir<br />
à ce moment-là le nom symbolique de la revue<br />
que j’allais publier dès 1983.<br />
Passionné par les batraciens<br />
Directeur du bureau d’écologie appliquée<br />
Drosera SA centralisé à Sion, Flavio Zanini,<br />
biologiste et titulaire d’un doctorat EPFL,<br />
représente aussi le KARCH (Centre de<br />
coordination pour la protection des amphibiens<br />
et des reptiles de Suisse) pour les batraciens<br />
du Valais romand. Sacha Bittel<br />
Quel est l’objectif de La Salamandre? Apprendre<br />
à connaître, aimer et respecter la nature. Présenter<br />
un univers fascinant observable près de chez soi<br />
et au fil des saisons. Sensibiliser les gens à<br />
l’écologie par le biais d’une revue – qui en est à<br />
son 250 e numéro – dont la dimension artistique<br />
contribue à témoigner de la beauté de notre<br />
environnement.<br />
Pourquoi cette fascination pour elle? La<br />
salamandre fait partie du club des impopulaires.<br />
Elle a longtemps été associée à un être diabolique<br />
et toxique. Elle a donné un sens à ma vie et inspiré<br />
le travail de toute une équipe pour une cause<br />
essentielle.<br />
Quiz<br />
SALAMANDRE TACHETÉE<br />
VRAI OU FAUX?<br />
Elle donne directement naissance à ses<br />
petits.<br />
Vrai Elle est ovovivipare (ou larvipare). Ses<br />
larves sortent de leur œuf translucide au<br />
moment de la libération dans l’eau. La femelle<br />
peut conserver la semence du mâle pour<br />
d’autres fécondations, sans passer par un<br />
nouvel accouplement.<br />
Sa peau secrète une substance laiteuse<br />
toxique. Vrai Les glandes situées en arrière de<br />
la tête et sur son dos produisent une sécrétion<br />
toxique. Une substance corrosive qui empêche<br />
son dessèchement et la protège des prédateurs.<br />
Soumise à un stress important, une salamandre<br />
peut aussi gicler un jet de liquide empoisonné.<br />
Elle mange sa mue. Vrai Salamandres et<br />
tritons muent à intervalles réguliers. Ils<br />
ingurgitent souvent leur ancienne peau très fine.<br />
Elle est muette. Faux Elle est capable de<br />
produire des émissions sonores, tels des<br />
grognements légers et des piaulements.<br />
Elle est cannibale. Vrai Le cannibalisme peut<br />
se déclencher lors de grandes différences entre<br />
les classes d’âge des larves dans un même<br />
point d’eau.<br />
Elle peut régénérer un membre. Vrai Elle peut<br />
régénérer l’une de ses pattes en quelques mois.<br />
Comme les tritons.<br />
Elle vit longtemps. Vrai 20 ans de longévité<br />
dans la nature et même 50 ans en captivité.<br />
TERROIRS37
LES ANIMAUX D’ICI<br />
Des animaux fabuleux près de chez nous<br />
Bien adaptée au climat montagnard alpin, la salamandre noire est cependant difficile à observer. Drosera<br />
Les tritons<br />
alpestres<br />
Lents sur terre,<br />
ils sont très vifs<br />
dans l’eau. Drosera<br />
En l’absence de prédateurs, la salamandre tachetée vit longtemps. Drosera<br />
LE PETIT PEUPLE DES<br />
URODÈLES EN VALAIS<br />
Discrets, difficiles à observer, menacés, tritons et salamandres gardent<br />
une part de mystère.<br />
JOËLLE ANZÉVUI<br />
6%<br />
seulement des<br />
jeunes tritons<br />
survivent à leur<br />
développement<br />
aquatique.<br />
(source revue La<br />
Salamandre)<br />
SALAMANDRE TACHETEE<br />
LA CHABLAISIENNE<br />
Chaque salamandre tachetée arbore une<br />
parure cutanée unique. Nocturne et terrestre,<br />
mesurant maximum 20 cm, elle<br />
est présente dans le Chablais valaisan et<br />
vaudois mais absente dans le reste du<br />
Valais. Plus d’une vingtaine de lieux de<br />
reproduction sont répertoriés entre Port-<br />
Valais et Saint-Maurice où elle trouve un<br />
climat humide adapté à ses besoins. On<br />
la rencontre le plus facilement les jours<br />
de pluie. Le reste du temps, elle se calfeutre<br />
dans la litière des forêts, les tas de<br />
feuilles, galeries d’animaux, cavités sous<br />
les souches et roches. Carnivore, elle se<br />
nourrit de petits invertébrés, de larves, de<br />
cloportes, coléoptères, moustiques, têtards<br />
38 TERROIRS<br />
et autres petits organismes. Elle secrète<br />
des toxines pouvant occasionner chez l’humain<br />
de légères irritations. L’humidité de<br />
sa peau est maintenue par un mucus colonisé<br />
d’une riche flore bactérienne. Evitez<br />
donc de la toucher (c’est par ailleurs interdit)<br />
et faites attention à vos yeux quand<br />
vous l’observez.<br />
SALAMANDRE NOIRE<br />
LA MONTAGNARDE<br />
De couleur unie, plus fine et plus rapide<br />
que la salamandre tachetée, elle mesure<br />
environ 12 cm et se reproduit en mettant<br />
au monde deux jeunes déjà métamorphosés<br />
de 5 cm. Sa gestation peut durer jusqu’à<br />
5 ans. On la rencontre par temps humide<br />
(mais pas trop froid) sur les hauts de Collonges,<br />
au Sanetsch, à Derborence, Bettmeralp,<br />
essentiellement sur la frontière<br />
cantonale entre Berne et le Valais. Comme<br />
la tachetée, elle est toxique et son régime<br />
alimentaire se compose de petits insectes,<br />
mollusques, perce-oreilles, larves, etc.<br />
TRITON ALPESTRE<br />
HAUT EN COULEURS<br />
La couleur générale est plutôt gris-bleuâtre<br />
chez le mâle mais en livrée nuptiale, il est<br />
d’une rare beauté avec sa fine crête dorsale<br />
ponctuée de noir et de blanc, ses flancs<br />
marbrés de bleu et son ventre d’un orange<br />
profond. Bien réparti en Valais, de la plaine<br />
jusqu’à 2000 mètres, il arbore une petite<br />
crête sur le dos et une queue plate. La<br />
femelle, un peu plus grande (jusqu’à 11 cm),
LES ANIMAUX D’ICI<br />
Des animaux fabuleux près de chez nous<br />
Le triton palmé<br />
Il est le plus petit des tritons<br />
autochtones. Romain Datcharry<br />
est plus terne et plus grisâtre avec le dos<br />
tacheté. Les tritons vivent à proximité des<br />
mares, étangs et autres lieux humides où<br />
ils se reproduisent et se nourrissent de<br />
vers de vase, vers de terre, de petits escargots,<br />
d’insectes aquatiques, de cloportes…<br />
Ils subissent une forte prédation, à l’état<br />
larvaire par les dytiques et larves de libellules.<br />
A l’âge adulte par les oiseaux, hérons<br />
cendrés, couleuvres. L’introduction de<br />
poissons dans les sites de reproduction<br />
est aussi catastrophique pour l’espèce.<br />
Classé sur liste rouge, le triton alpestre<br />
fait partie des amphibiens profitant le plus<br />
des petits étangs de jardin nouvellement<br />
implantés. Le lac des Briesses à Crans-<br />
Montana est un site d’importance nationale<br />
où l’observer.<br />
À<br />
SAVOIR<br />
PARADE NUPTIALE EXCEPTIONNELLE<br />
La parade des tritons est une danse aquatique complexe.<br />
Le mâle barre le chemin de la femelle, la renifle, la stoppe<br />
et se met à danser. Sa queue se retourne et ondule.<br />
Son cloaque émet des phéromones, entraînés par le<br />
courant jusqu’au nez de la femelle. Dès que la tritonne se<br />
montre intéressée, le mâle émet un petit sac de sperme<br />
dans l’eau, que la femelle absorbe avec son cloaque.<br />
L’étang de Fontaine la Combe à Collombey-Muraz accueille des salamandres tachetées, des tritons alpestres et palmés. DR<br />
TRITON PALMÉ<br />
LE PLUS PETIT<br />
Quelques rares stations en Bas-Valais<br />
attestent de sa présence, le triton palmé<br />
se complaît dans les plans<br />
d’eau forestiers. Ce petit urodèle<br />
(de 7 à 8 cm), est historiquement<br />
plus rare et<br />
moins répandu en Valais. Sa<br />
population est donc plus<br />
sensible à des modifications<br />
de son habitat, pouvant<br />
même conduire à sa disparition.<br />
Le mâle est brun, avec<br />
des flancs tachetés de noir,<br />
et deux rangées de points<br />
entourant une bande orange<br />
courent le long de sa queue.<br />
Son ventre est orange clair, parfois parsemé<br />
de légères taches. Il se reconnaît bien<br />
à la bande foncée traversant ses yeux et<br />
ses pattes. Il se nourrit de mollusques aquatiques,<br />
petits insectes, micro-organismes,<br />
algues et têtards de grenouilles.<br />
TRITON CRÊTÉ<br />
A la saison des amours, le dos et la queue<br />
du mâle s’ornent en effet d’une crête<br />
impressionnante, fortement dentelée, lui<br />
conférant une dégaine de petit dragon. Sa<br />
présence n’est plus attestée en Valais depuis<br />
1983. Les dernières observations de cet<br />
urodèle pouvant atteindre 16 cm (18 cm<br />
pour la femelle) à l’étang le Rosel à Dorénaz<br />
date de plus de 35 ans.<br />
La population suisse des tritons crêtés a diminué de moitié ces 25 dernières années. Drosera<br />
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