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Fanm Ouvé Zié'w MAG # 14

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Le procès des insurgé.es<br />

L’Insurrection vaincue, la répression est terrible. De 300 à<br />

500 personnes sont arrêtées, une centaine seront jugées.<br />

Allaient-elles et ils avoir un procès équitable ? En fait, le<br />

seul but de l’instruction (confiée à l’armée) fut de prouver<br />

que l’insurrection était le résultat d’un complot qu’il fallait<br />

réprimer sévèrement pour éviter toute récidive.<br />

Ce fut donc un drôle de procès où les témoins à charge<br />

les plus passionnés (ceux qui se considéraient comme<br />

victimes de l’insurrection) défilèrent à la barre pour<br />

dire qu’après tout, ils n’étaient plus très sûrs de leur<br />

témoignage.<br />

Où des émeutiers (et surtout des émeutières) furent<br />

cité.es seulement comme témoins dans l’espoir que pour<br />

sauver leur peau, elles et ils chargent les principales et<br />

principaux accusé.es.<br />

Où, lorsque des témoins accusèrent à la barre le magistrat<br />

instructeur de pressions (menaces de prison et même de<br />

mort !) le Président du tribunal n’ordonna pas d’enquête,<br />

mais au contraire les menaça lui aussi ou les fit même<br />

jeter en prison.<br />

Où un même individu comparut sous plusieurs noms, ou<br />

bien sous son seul surnom (par exemple Lumina Sophie<br />

au lieu du patronyme, Marie-Philomène Roptus) ou même<br />

sous des sobriquets infamants comme Lolo Roche ou<br />

Gueule Puce !<br />

Où le Président du tribunal montra dans son langage le<br />

plus vif mépris pour les accusés et entrava la défense<br />

(il l’empêcha par exemple de poser des questions sur le<br />

comportement de Codé, au nom de la liberté de ce colon<br />

nostalgique de l’esclavage !)<br />

Où la défense elle-même ne s’impliqua pas : certains<br />

avocats arrivèrent au tribunal sans connaître leurs clients<br />

ou ce qui leur était reproché. D’autres furent carrément<br />

absentéistes. Les plus zélés - les rares que leurs clients<br />

pouvaient payer - se contentèrent de pousser ceux-ci à<br />

charger les autres accusés. D’autres encore ne plaidèrent<br />

pas, s’en remettant à la « sagesse des magistrats » ;<br />

tandis que d’autres enfin prononçaient de véritables<br />

panégyriques à la louange des « victimes » de l’insurrection<br />

(par exemple, de Codé, présenté comme une espèce de<br />

Christ !), ou bien à la louange de ceux qui avaient tenté<br />

de circonscrire ou de mater le mouvement ! Il est vrai<br />

que ces avocats étaient des blancs ou des mulâtres qui<br />

défendaient leurs intérêts de classe et qui parfois avaient<br />

même participé à la répression en tant que volontaires.<br />

Cette mascarade atteignit son but - justifier des verdicts<br />

sévères : les condamnations allèrent de la peine<br />

de mort (8 exécutions au Polygone de Desclieux, à<br />

Fort-de-France) à deux ans de réclusion simple avec<br />

amende, en passant par des relégations au bagne, surtout<br />

en Guyane. Cependant, plusieurs accusé.es, y compris<br />

celles et ceux sur lesquel.les pesaient les plus lourdes<br />

charges, parvinrent à s’enfuir et ne furent jamais repris,<br />

preuve que malgré la répression féroce, une solidarité<br />

réelle et active existait dans la population rurale.<br />

Les ouvrier.es agricoles et d’usine étaient donc défait.es<br />

et vaincu.es. La fin du XIXe siècle fut marquée par une<br />

aggravation de leur exploitation et de leur misère. Mais<br />

petit à petit se forgera un mouvement ouvrier autonome<br />

qui mènera les grandes grèves ouvrières du XXe siècle.<br />

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Le Procès de Lumina<br />

Toute l’incurie et la désinvolture à l’œuvre dans le procès<br />

des insurgé.es sont, bien sûr, multipliées par N quand il<br />

s’agit des femmes insurgées, et tout particulièrement, de<br />

la principale d’entre elles, Lumina.<br />

D’abord, le tribunal ne prend pas la peine de rechercher<br />

son vrai patronyme, Marie Philomène Roptus, et elle<br />

comparaît sous ses surnoms de Lumina Sophie, dite<br />

Surprise. (Aussi, lorsque son fils naît en prison, il reçoit<br />

du régisseur de la prison centrale le nom de Théodore<br />

Lumina !) On ne se préoccupe pas non plus de son âge,<br />

on lui attribue 19 ans alors qu’elle en a 23.<br />

Son procès sera uniquement à charge : un témoin la désigne<br />

avec quelque mépris comme « la reine de la compagnie »<br />

au milieu « des pillardes et des incendiaires » !<br />

Le gouverneur Menche de Loisne la présente comme<br />

« la flamme de la révolte ».<br />

Pourtant, on ne la juge pas comme Cheffe de<br />

l’insurrection, car en tant que femme, on ne la pense<br />

pas capable de jouer ce rôle. Mais elle est accusée de<br />

pillage et d’incendie. Des témoins assurent qu’elle aurait<br />

proféré deux épouvantables blasphèmes : « Il ne faut rien<br />

épargner, le bon Dieu aurait une case sur la terre que je<br />

la brûlerais parce qu’il doit être un vieux béké ! » et : « Je<br />

brûlerai ma mère, et Dieu même s’il le faut ! »<br />

Ces formules, bien sûr, ne sont pas à prendre au pied<br />

de la lettre ! C’est ce qu’on appelle en bon français des<br />

superlatifs ou des hyperboles, c’est-à-dire des manières<br />

dire avec passion une détermination sans faille. Mais<br />

ce droit de s’exprimer passionnément est dénié aux<br />

accusés, et encore plus aux femmes accusées. Lumina<br />

est stigmatisée parce qu’elle ne manifeste pas le respect<br />

qu’il faut envers les valeurs les plus sacrées de la société<br />

coloniale : Dieu et la maternité. Cependant, dans la réalité,<br />

le système ne montra aucun égard ni aucune pitié envers<br />

les sentiments maternels et grands-maternels de sa mère<br />

Zulma lorsqu’il expédia sa fille au bagne de Guyane et<br />

lorsqu’il laissa mourir en prison son petit-fils, Théodore...<br />

En fait, Lumina est condamnée pour avoir mené et<br />

menacé des hommes. Parce qu’elle « est » une espèce<br />

de monstre, anti-homme, anti-femme, anti-mère. Parce<br />

qu’elle est un mauvais exemple pour les autres femmes,<br />

une menace contre la famille, la religion, l’ordre social et<br />

les rapports établis entre les sexes. Un véritable danger<br />

pour la société coloniale, patriarcale et de classes !<br />

Elle est condamnée à être déportée au bagne de Saint-<br />

Laurent du Maroni. Et là, le système colonial essaie de<br />

l’exploiter jusqu’au bout, puis qu’on la marie avec un<br />

paysan breton, bagnard ayant purgé sa peine, dans<br />

l’espoir chimérique qu’elle participe au « peuplement de<br />

la Guyane » et donc à la mise en valeur de la colonie !<br />

Mais épuisée par les épreuves, le climat et les mauvais<br />

traitements, elle meurt à 31 ans, ayant chèrement payé<br />

son désir de justice sociale et raciale.<br />

Cependant, par son refus de se conformer à l’idéal de<br />

femme soumise de l’époque, elle est un modèle pour nous,<br />

femmes d’aujourd’hui, et demeure à jamais invaincue.<br />

<strong>Fanm</strong> Ouvè <strong>Zié'w</strong> N°<strong>14</strong><br />

Directrice de la publication : Huguette Bellemare<br />

Coordinatrice : George Arnauld<br />

Mise en page : Gaële Coquille<br />

Rédactrices : Huguette Bellemare, George Arnauld<br />

Mail : asso.culture.egalite@gmail.com<br />

Tél : 0696 53 71 16 / 0696 76 20 13 // www.cultureegalite.fr<br />

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