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SEP 2019 - N°<strong>14</strong><br />
Edito<br />
Se battre pour les droits des femmes, se battre pour que celles-ci soient reconnues dans<br />
toute leur dignité et comme des êtres humains à part entière, telle est la contribution<br />
de Culture Égalité à la transformation de notre société, à la transformation de ce monde<br />
de plus en plus impitoyable pour les plus démuni.es - dont les femmes sont la grande<br />
majorité.<br />
Mais que fait Culture Egalité, au quotidien ? Elle écoute, accompagne les femmes dans<br />
son espace, Kay <strong>Fanm</strong>. Elle organise des rencontres afin que les femmes prennent<br />
conscience de la situation d’oppression qui est la nôtre et surtout que nous mettions en<br />
place les attitudes et actions nécessaires pour nous en sortir tant individuellement que<br />
collectivement. Oui collectivement, car notre changement individuel ne suffit pas pour<br />
une émancipation totale.<br />
Culture Egalité consacre aussi beaucoup énergie à faire connaître celles qui avant nous<br />
se sont engagées dans de durs combats contre l’esclavage, le racisme, l’injustice,<br />
l’exploitation des populations noires laborieuses de notre pays et de toute la région<br />
caribéenne. Cette volonté de les sortir de l’ombre est indispensable à notre propre<br />
construction de femmes « aux 12 sangs ».<br />
Nous allons donc, une fois de plus, rappeler à votre mémoire la dure vie de Lumina<br />
Sophie dite Surprise - Marie-Philomène Roptus de son vrai nom. Nous la découvrons<br />
lors de l’Insurrection du Sud, la plus grande révolte qu’a connue la Martinique. Elle paya<br />
cher sa colère, sa rage, son cri pour dire NON à la volonté de ceux qui les méprisaient,<br />
qui les humiliaient, elle et ses sœurs et frères de combat. Leurs batailles furent âpres<br />
mais elles et ils ne lâcheront pas !<br />
Alors continuons cette longue route, ne courbons pas l’échine et disons ensemble<br />
NON à tout ce qui atteint notre dignité.<br />
L'Insurrection du Sud<br />
BREF RAPPEL DES FAITS, RÔLE DES FEMMES<br />
SEPTEMBRE 1870, 22 ans après l’abolition : Un jeune artisan noir au travail, Lubin, est<br />
cravaché par un colon blanc qui estime qu’il ne lui cède pas le passage assez rapidement.<br />
Lubin porte plainte, mais il est débouté. Quelques jours après, il se fait justice. Il est<br />
alors condamné à 7 ans de bagne en Guyane. La population s’indigne, se solidarise<br />
avec lui et profite de la défaite de Sedan et de la proclamation de la 3e République<br />
pour réclamer justice. C’est le début d’une insurrection qui mobilise pendant 5 jours la<br />
petite paysannerie noire, et au cours de laquelle un béké particulièrement nostalgique de<br />
l’esclavage, Codé, est tué et des plantations, pillées et ou incendiées.<br />
Les femmes (très jeunes, en général) jouèrent un rôle important dans dette révolte. On<br />
connaît surtout le nom de Lumina Sophie, de Rosanie Soleil et de Madeleine Clem, mais il<br />
y en eut bien d’autres. Même si les autorités judiciaires (et un peu aussi leurs compagnons<br />
de lutte) s’efforcèrent de réduire leur participation au rôle d’appoint traditionnel, elles n’en<br />
payèrent pas moins par de lourdes peines (prison, déportation) la grande peur infligée<br />
aux possédants.<br />
Comme chaque année, CE nous invite à célébrer ces valeureux et ces valeureuses<br />
ancêtres et surtout à nous montrer dignes d’elles et eux.<br />
NOTRE<br />
MATRIMOINE<br />
LUMINA À JAMAIS INVAINCUE FOZ XIV<br />
DANS LA FAMILLE ROPTUS, J’APPELLE ...<br />
Marche théâtralisée à la rencontre de 3 femmes d’exception !<br />
Dans les hauteurs du Vauclin, entre La Broue et Coulée d’Or,<br />
avec la grand-mère Reine Sophie, la mère Zulma et Lumina.<br />
la Flamme<br />
de la révolte<br />
SAMEDI 11 OCTOBRE : 18H<br />
Conférence<br />
« Claude Carbet, vous connaissez ? »<br />
@ Yatch Club à Fort-de-France<br />
DIMANCHE 10 NOVEMBRE<br />
Marche Théâtralisée @ Vauclin<br />
« Dans la famille Roptus, j’appelle....»<br />
participation 5 euros.<br />
SAMEDI 23 NOVEMBRE<br />
Manifestation autour des violences<br />
faites aux femmes.<br />
LUNDI 25 NOVEMBRE<br />
Journée pour l’élimination<br />
des violences faites aux femmes<br />
MARDI 10 DÉCEMBRE<br />
Journée des droits humains<br />
ELLES ONT FAIT NOTRE CARAÏBE<br />
ET LES AMÉRIQUES<br />
UNE VIDÉO DE 45 MINUTES !<br />
Anacaona, Flore Gaillard... et les autres<br />
l’histoire de 8 femmes qui ont résisté face à<br />
l’esclavage, aux injustices et au racisme.
Le procès des insurgé.es<br />
L’Insurrection vaincue, la répression est terrible. De 300 à<br />
500 personnes sont arrêtées, une centaine seront jugées.<br />
Allaient-elles et ils avoir un procès équitable ? En fait, le<br />
seul but de l’instruction (confiée à l’armée) fut de prouver<br />
que l’insurrection était le résultat d’un complot qu’il fallait<br />
réprimer sévèrement pour éviter toute récidive.<br />
Ce fut donc un drôle de procès où les témoins à charge<br />
les plus passionnés (ceux qui se considéraient comme<br />
victimes de l’insurrection) défilèrent à la barre pour<br />
dire qu’après tout, ils n’étaient plus très sûrs de leur<br />
témoignage.<br />
Où des émeutiers (et surtout des émeutières) furent<br />
cité.es seulement comme témoins dans l’espoir que pour<br />
sauver leur peau, elles et ils chargent les principales et<br />
principaux accusé.es.<br />
Où, lorsque des témoins accusèrent à la barre le magistrat<br />
instructeur de pressions (menaces de prison et même de<br />
mort !) le Président du tribunal n’ordonna pas d’enquête,<br />
mais au contraire les menaça lui aussi ou les fit même<br />
jeter en prison.<br />
Où un même individu comparut sous plusieurs noms, ou<br />
bien sous son seul surnom (par exemple Lumina Sophie<br />
au lieu du patronyme, Marie-Philomène Roptus) ou même<br />
sous des sobriquets infamants comme Lolo Roche ou<br />
Gueule Puce !<br />
Où le Président du tribunal montra dans son langage le<br />
plus vif mépris pour les accusés et entrava la défense<br />
(il l’empêcha par exemple de poser des questions sur le<br />
comportement de Codé, au nom de la liberté de ce colon<br />
nostalgique de l’esclavage !)<br />
Où la défense elle-même ne s’impliqua pas : certains<br />
avocats arrivèrent au tribunal sans connaître leurs clients<br />
ou ce qui leur était reproché. D’autres furent carrément<br />
absentéistes. Les plus zélés - les rares que leurs clients<br />
pouvaient payer - se contentèrent de pousser ceux-ci à<br />
charger les autres accusés. D’autres encore ne plaidèrent<br />
pas, s’en remettant à la « sagesse des magistrats » ;<br />
tandis que d’autres enfin prononçaient de véritables<br />
panégyriques à la louange des « victimes » de l’insurrection<br />
(par exemple, de Codé, présenté comme une espèce de<br />
Christ !), ou bien à la louange de ceux qui avaient tenté<br />
de circonscrire ou de mater le mouvement ! Il est vrai<br />
que ces avocats étaient des blancs ou des mulâtres qui<br />
défendaient leurs intérêts de classe et qui parfois avaient<br />
même participé à la répression en tant que volontaires.<br />
Cette mascarade atteignit son but - justifier des verdicts<br />
sévères : les condamnations allèrent de la peine<br />
de mort (8 exécutions au Polygone de Desclieux, à<br />
Fort-de-France) à deux ans de réclusion simple avec<br />
amende, en passant par des relégations au bagne, surtout<br />
en Guyane. Cependant, plusieurs accusé.es, y compris<br />
celles et ceux sur lesquel.les pesaient les plus lourdes<br />
charges, parvinrent à s’enfuir et ne furent jamais repris,<br />
preuve que malgré la répression féroce, une solidarité<br />
réelle et active existait dans la population rurale.<br />
Les ouvrier.es agricoles et d’usine étaient donc défait.es<br />
et vaincu.es. La fin du XIXe siècle fut marquée par une<br />
aggravation de leur exploitation et de leur misère. Mais<br />
petit à petit se forgera un mouvement ouvrier autonome<br />
qui mènera les grandes grèves ouvrières du XXe siècle.<br />
NOTRE MATRIMOINE<br />
CE peut organiser une projection, une marche pour<br />
vos élèves, votre comité d’entreprise, votre syndicat,<br />
le personnel de votre entreprise, en famille...<br />
CONTACTEZ-NOUS ➡<br />
Le Procès de Lumina<br />
Toute l’incurie et la désinvolture à l’œuvre dans le procès<br />
des insurgé.es sont, bien sûr, multipliées par N quand il<br />
s’agit des femmes insurgées, et tout particulièrement, de<br />
la principale d’entre elles, Lumina.<br />
D’abord, le tribunal ne prend pas la peine de rechercher<br />
son vrai patronyme, Marie Philomène Roptus, et elle<br />
comparaît sous ses surnoms de Lumina Sophie, dite<br />
Surprise. (Aussi, lorsque son fils naît en prison, il reçoit<br />
du régisseur de la prison centrale le nom de Théodore<br />
Lumina !) On ne se préoccupe pas non plus de son âge,<br />
on lui attribue 19 ans alors qu’elle en a 23.<br />
Son procès sera uniquement à charge : un témoin la désigne<br />
avec quelque mépris comme « la reine de la compagnie »<br />
au milieu « des pillardes et des incendiaires » !<br />
Le gouverneur Menche de Loisne la présente comme<br />
« la flamme de la révolte ».<br />
Pourtant, on ne la juge pas comme Cheffe de<br />
l’insurrection, car en tant que femme, on ne la pense<br />
pas capable de jouer ce rôle. Mais elle est accusée de<br />
pillage et d’incendie. Des témoins assurent qu’elle aurait<br />
proféré deux épouvantables blasphèmes : « Il ne faut rien<br />
épargner, le bon Dieu aurait une case sur la terre que je<br />
la brûlerais parce qu’il doit être un vieux béké ! » et : « Je<br />
brûlerai ma mère, et Dieu même s’il le faut ! »<br />
Ces formules, bien sûr, ne sont pas à prendre au pied<br />
de la lettre ! C’est ce qu’on appelle en bon français des<br />
superlatifs ou des hyperboles, c’est-à-dire des manières<br />
dire avec passion une détermination sans faille. Mais<br />
ce droit de s’exprimer passionnément est dénié aux<br />
accusés, et encore plus aux femmes accusées. Lumina<br />
est stigmatisée parce qu’elle ne manifeste pas le respect<br />
qu’il faut envers les valeurs les plus sacrées de la société<br />
coloniale : Dieu et la maternité. Cependant, dans la réalité,<br />
le système ne montra aucun égard ni aucune pitié envers<br />
les sentiments maternels et grands-maternels de sa mère<br />
Zulma lorsqu’il expédia sa fille au bagne de Guyane et<br />
lorsqu’il laissa mourir en prison son petit-fils, Théodore...<br />
En fait, Lumina est condamnée pour avoir mené et<br />
menacé des hommes. Parce qu’elle « est » une espèce<br />
de monstre, anti-homme, anti-femme, anti-mère. Parce<br />
qu’elle est un mauvais exemple pour les autres femmes,<br />
une menace contre la famille, la religion, l’ordre social et<br />
les rapports établis entre les sexes. Un véritable danger<br />
pour la société coloniale, patriarcale et de classes !<br />
Elle est condamnée à être déportée au bagne de Saint-<br />
Laurent du Maroni. Et là, le système colonial essaie de<br />
l’exploiter jusqu’au bout, puis qu’on la marie avec un<br />
paysan breton, bagnard ayant purgé sa peine, dans<br />
l’espoir chimérique qu’elle participe au « peuplement de<br />
la Guyane » et donc à la mise en valeur de la colonie !<br />
Mais épuisée par les épreuves, le climat et les mauvais<br />
traitements, elle meurt à 31 ans, ayant chèrement payé<br />
son désir de justice sociale et raciale.<br />
Cependant, par son refus de se conformer à l’idéal de<br />
femme soumise de l’époque, elle est un modèle pour nous,<br />
femmes d’aujourd’hui, et demeure à jamais invaincue.<br />
<strong>Fanm</strong> Ouvè <strong>Zié'w</strong> N°<strong>14</strong><br />
Directrice de la publication : Huguette Bellemare<br />
Coordinatrice : George Arnauld<br />
Mise en page : Gaële Coquille<br />
Rédactrices : Huguette Bellemare, George Arnauld<br />
Mail : asso.culture.egalite@gmail.com<br />
Tél : 0696 53 71 16 / 0696 76 20 13 // www.cultureegalite.fr<br />
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