L' arbre à pensée
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Titre : L’arbre à pensée
Auteur : Yannick Sabzé.
Genre : conte.
© By BAMI, Juin 2015
Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour
tous les pays.
Couverture : Yansabs et Christian Patrick Akre
Du même auteur :
Cent ans sans temps d’aimer (Nouvelles). By Ifrikiya, Avril 2012;
By Bami, Juin 2015.
Jeux de maux (Poèmes, récits). By Bami, Juin 2015.
A paraître :
Camerounesque (Nouvelles)
Binzi (Conte illustré)
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L’arbre à pensée
Yannick Sabzé
Le roi Awaro de Sanmaïnde avait accordé à ses sujets une vie paisible et
prospère pendant soixante-dix ans. La reine Azoula avait su grâce à son
affection et ses rêves l’aider à bien gouverner ce royaume qui avait connu dans
un lointain passé les pires calamités. Ces précieux rêves lui avaient à
plusieurs reprises sauvé la vie car, les graves crises auxquelles il avait fait face
avaient été résolues sans qu’il n’ait recours à la solution ultime.
Contrairement à ce qu’exige la coutume et à la différence des autres rois,
le roi Awaro n’avait épousé qu’une femme. Jamais il n’avait regretté ce
choix fait par amour. Bien que de leur union n’était né qu’un enfant, une fille,
il n’avait pas cherché à avoir un garçon qui lui succéderait sur le trône en
épousant d’autres femmes.
Cependant, depuis qu’il avait fait trois fois déjà ce rêve dans lequel ses
ancêtres venaient le chercher pour l’emmener dans la forêt silencieuse,
grande était son angoisse car il ne savait pas quoi faire. La reine avait compris
la signification de ce rêve dont il avait néanmoins pris soin de lui parler. Elle
savait ce qui faisait souffrir son roi et elle en souffrait tout autant. Un matin,
elle avait secoué son mari pour le tirer de son sommeil. Pleine de joie, elle
lui avait dit qu’elle venait de faire un rêve dans lequel un de ses sujets, après
avoir bravé les épreuves du youlorungo, s’asseyait sur le trône avec à ses côtés
la princesse. Les zbiris, hommes de main du roi, étaient allés du nord au
sud et de l’ouest à l’est de Sanmaïnde pour appeler les plus braves du royaume
à se rendre au Palais. Comme cela leur avait été ordonné par le kumothi, le
conseil suprême des sages composé du roi, de la reine et des vingt-et-un
notables, ils n’avaient pas révélé les causes du rassemblement.
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Yannick Sabzé
Une semaine après, trois cents hommes se tenaient dans la grande cour du
palais. Tous connaissaient les vertus du silence mais cela ne les
empêchait pas de s’interroger les uns les autres sur la raison du
rassemblement tant leur curiosité était grande.
« Le roi a peut-être besoin de nouveaux zbiris » disait un.
« Peut-être qu’il va y avoir une guerre et il a besoin de généraux » disait
un autre.
Lorsque le roi apparut au balcon, le brouhaha s’évanouit. Les
Sanmaïndiens présents dans la cour posèrent un genou au sol et
courbèrent la tête pour saluer leur roi.
- Je reçois vos salutations et vous salue en retour, leur dit le roi. Vous
pouvez vous lever.
Le souverain de Sanmaïnde marqua une pause pendant laquelle il
observait, l’air grave, ces hommes suspendus à ses lèvres.
-N’est-ce pas le cours normal des choses lorsque au pied de l’arbre on rencontre
des feuilles séchées ?
-C’est le cours normal des choses, répondirent en chœur plusieurs.
-A-t-on à s’étonner de trouver, lors de la belle saison de jeunes feuilles
sur les branches de l’arbre ? interrogea-t-il.
-On n’a pas à s’étonner, répondirent-ils.
-Eh bien ! mes chers, sachez que je suis la feuille séchée qui sent le moment de
sa chute proche. Le kumothi a décidé que, comme je n’ai pas eu de garçon, l’un
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de vous sera la jeune feuille qui prendra ma place sur l’arbre. Le futur roi devra
au préalable surmonter toutes les épreuves du youlorungo, après quoi il épousera
la princesse Wahimili afin que le règne reste dans la maison des Awaro.
« Wahimili ! » s’exclama t-on dans la foule. La fille du roi avait fait rêver plus
d’un dans le royaume et même au-delà. Sa beauté était telle que certains se
demandaient si elle n’était pas une fée incarnée. En plus de sa beauté, un
don faisait d’elle une femme précieuse pour la communauté : celui de guérir par
ses chansons mélodieuses et harmonieuses tous ceux qui souffraient d’une
quelconque maladie de l’âme ; celui d’attirer, toujours grâce à ses chansons, les
imibeurdies, ces oiseaux qui annulaient les mauvais présages.
-Maintenant, reprit le roi, je crois que vous comprenez pourquoi les zbiris n’ont
pas donné la raison du rassemblement. Je sais que vous n’êtes pas venus
par intérêt. Ce sera avec la joie et la paix dans le cœur que je cèderai mon trône
au vainqueur. Je vous souhaite donc beaucoup de courage, braves gens de
Sanmaïnde.
Là-dessus, le roi se retira sous les acclamations de ses sujets. Un notable se
présenta.
-Dans deux jours commenceront les épreuves, leur dit-il. Demain, il vous
sera dit en quoi consistent ces épreuves. Mais avant tout cela, le roi a
prévu pour vous de la nourriture, de la boisson et des divertissements.
Qu’on ouvre les portes du palais, ordonna t-il.
Les portes s’ouvrirent, faisant découvrir aux trois cents une vaste
salle richement décorée dans laquelle un grand buffet les attendait. Des
hôtesses vêtues de pagnes multicolores, toutes très belles de figure et aux
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formes généreuses, sur le visage desquelles se dessinaient des sourires
avenants les invitèrent.
Lorsque vint le crépuscule, plusieurs demandèrent à être conduits
dans leur chambre. Certains par contre restèrent jusque très tard dans la
nuit, mangeant et buvant à l’excès tellement la nourriture et la boisson du
Palais étaient délicieuses. Les hôtesses murmurèrent à l’oreille de tous ceux dont
elles indiquèrent les chambres qu’elles étaient le divertissement offert par le roi.
Les notables n’attendirent pas de voir poindre à l’horizon le premier rayon
de soleil et d’entendre le premier chant du coq pour ordonner aux zbiris
de réveiller les candidats. Une fois que tous se retrouvèrent dans la grande cour,
le plus gradé des notables, à en juger par le nombre de griffes de lion fixées sur
sa chéchia, prit la parole.
-Les zbiris nous ont révélé que le réveil a été très pénible pour certains ; ils nous
ont également appris qu’un homme et une femme ont pu dormir sur un lit prévu
pour une personne… A ceux-là nous voulons dire que se concentrer est
déjà toute une épreuve et c’est elle qui les élimine. Ils doivent rentrer chez eux
sur-le-champ.
Des voix chargées de tristesse s’élevèrent. Tous ceux-là qui comprenaient
leur grossière erreur soupiraient en secouant la tête.
-Le roi a néanmoins été bon envers vous, reprit le notable. Il ordonne à ceux qui
ont couché avec des femmes de les épouser et donne nourriture et boisson à ceux
qui en veulent encore.
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Cent soixante huit personnes quittèrent le Palais. Le reste des braves
fut conduit dans la salle de réunion du kumothi pendant que le soleil s’occupait
de réveiller la nature et les êtres.
Les dix principaux généraux de l’armée avaient été désignés pour
affronter les candidats lors de la première épreuve. C’est grâce à leur
force titanesque que le royaume avait été débarrassé des dyclopos, ces
effroyables créatures surgies de l’autre monde qui capturaient les femmes et
les filles pour les manger.
A la fin de la journée, cent vingt-deux braves avaient été incapables
d’immobiliser pendant trente secondes leur adversaire, de les faire sortir
de l’aire du combat ou de plaquer leur dos au sol. Ils étaient repartis chez eux
avec trois pièces d’or données par le roi comme lot de consolation. Vingt
quatre heures de repos avaient été accordées aux dix braves vainqueurs avant le
début de la seconde épreuve. Pendant quarante jours et quarante nuits, ils
allaient devoir affronter deux adversaires bien plus redoutables que les
généraux : la faim et la soif.
Amad ne pouvait pas s’empêcher de sourire tellement il était débordant de
joie et de confiance. Assis sur une grande et belle chaise en rotin au milieu de la
salle d’audience du palais, il regardait le trône entièrement en or en face de lui
aux côtés duquel se trouvaient deux imposantes sculptures en bronze
représentant un lion. « Bientôt, oui très bientôt je serai assis sur toi, cher trône »
se disait-il en attendant la famille royale qu’attendaient aussi les notables et les
zbiris présents dans la salle. Durant l’épreuve de la faim et de la soif, il n’avait
pas manqué de marquer sa satisfaction toutes les fois que se désistait un
adversaire. Le trente-huitième jour, lorsque le seul rival qu’il lui restait
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mourut d’inanition, il ne put ni pleurer ni jubiler tellement il était faible. Le
quarantième jour, les notables étaient venus le chercher. Il n’avait plus que la
peau sur les os et du sang sortait de sa bouche. Après deux jours de soins
intensifs, il était là, dans cette salle, attendant que le roi lui-même lui pose le
problème de l’épreuve de l’esprit.
Le roi, sa femme et sa fille entrèrent. Les yeux charmeurs chargés
de tendresse d’Amad restaient rivés sur la princesse Wahimili. Ce regard appuyé
ne passa pas inaperçu.
-Oh ! oui, elle est belle ma fille, n’est-ce pas ? demanda le roi qui, au
lieu d’aller s’asseoir se dirigea plutôt vers Amad. Elle sera ta femme et
ce trône t’appartiendra si tu parviens à nous donner la solution du problème que
je vais te poser.
-Ô mon roi, posez le problème. Votre fille sera ma femme et ce trône
m’appartiendra, j’en suis sûr.
L’assurance qu’afficha Amad, loin de rassurer le roi, l’inquiéta plutôt.
-Eh bien, c’est ce que nous allons voir. Que ferais-tu en tant que roi, s’il arrivait
qu’une armée suréquipée et surentraînée vienne te faire la guerre ? Si tu
ordonnes le combat, elle vous extermine tous. Si tu te rends, vous
devenez de pauvres esclaves jusqu’à la fin des temps. Tu sais que les
Sanmaïndiens n’ont jamais été esclaves et qu’ils préfèrent la mort à
l’esclavage. Se battre ou se rendre ne sont pas les solutions. Amad ne prit pas
le temps de réfléchir et répondit aussitôt après que le roi eut fini de poser le
problème.
-Je pense…
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Il ne put achever sa phrase parce que sa bouche avait subitement disparu,
sous le regard horrifié de l’assistance. Une force invisible se saisit de lui,
le souleva et le jeta avec violence contre le sol neuf fois de suite. Du sang jaillit
de ses oreilles, de ses narines et de ses yeux dont on ne voyait plus que
le blanc. Elle tordit ses membres jusqu’à les briser. La somme de toutes ces
douleurs que n’avait pu extérioriser Amad fit que son cœur explosa. Son
corps sans vie reposait sur la chaise en rotin que la violence des
projections avait renversé et brisé. Tous dans la salle étaient médusés.
-Il a… il… a… a-t-il dit… il a dit qu’il pense ? bégaya le roi.
Comment ? Pourquoi ? Que faire ? Que vais-je faire ? Que va devenir mon
royaume ?
Le monarque sortit de la salle en répétant ces questions. La consternation
se lisait sur le visage de tous ceux-là qui le suivirent. En quelques
minutes, ils atteignirent le grand jardin situé derrière le Palais. Il avançait
sans prêter attention aux couleurs et aux odeurs, aux chants d’oiseaux et au
bruissement de l’eau, toutes ces choses qui remplissaient pourtant toujours
son âme de joie lorsqu’il s’y trouvait. Quand il arriva au centre du jardin,
il s’arrêta devant un arbre entièrement bleu, haut d’environ deux mètres
n’ayant qu’un rameau à l’extrémité duquel se trouvait une goutte de sève
coagulée.
L’arbre à pensée avait poussé au centre du royaume de Sanmaïnde lorsque
l’éternité égrena sa première seconde, entraînant ainsi le commencement
du temps et du Tout. Les hommes, femmes et enfants de Sanmaïnde
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avaient été crées sans la faculté de penser. Pour faire des choix et prendre des
décisions, ils se fiaient à l’instinct et aux rêves prémonitoires. Tous
connaissaient l’existence de l’arbre et la propriété de son fruit : celui qui
en mangerait trouverait la solution à son problème, quel qu’il fut. Tous
savaient que seul le roi était autorisé à manger le fruit et ceci seulement en
cas d’absolue nécessité. Seuls les membres du kumothi n’ignoraient pas que la
consommation du fruit de l’arbre à pensée n’était pas sans conséquence : il
entraînerait l’aliénation de l’esprit du roi et la mort de quelqu’un d’autre que
le roi. Les chroniqueurs de Sanmaïnde avaient noté que deux rois s’étaient
servis du fruit pour sortir, l’un d’une guerre et l’autre d’une crise économique.
Tous ceux qui s’étaient aventurés dans l’autre monde pour chercher quelque
chose qui aurait pu guérir les rois fous n’étaient jamais revenus.
Debout devant l’arbre, le roi regardait fixement la goutte de sève coagulée
comme s’il attendait qu’elle lui donne les réponses aux multiples questions qu’il
se posait. Lui qui n’était pas sûr de vivre encore plus d’un an se demandait ce
qu’il pourrait faire pour vivre pendant mille ans, le temps pour le fruit de
se développer pleinement. Il ne savait pas que penser du rêve de sa femme car
celui qui d’après ce rêve devait être roi gisait dans son sang dans la salle
d’audience du palais. « Les rêves ne nous ont pourtant jamais trompés ! »
s’exclama t-il. Le roi fut saisi d’épouvante et il sentit ses pieds se dérober sous
lui. Un zbiri attrapa de justesse le roi qui avait perdu connaissance. Les femmes
pleuraient. La fin du royaume de Sanmaïnde semblait être là.
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Adma s’était plusieurs fois demandé s’il sortait réellement de la
matrice de la femme qui pleurait devant lui. Victime de toutes sortes
d’injustices et de mauvais traitements, il ne s’était jamais vengé, n’avais
jamais cherché à fuir ceux qui lui menaient la vie dure. Comme une brebis
qu’on mène à la boucherie, il se laissait faire. Il se laissait traiter de
démon, se demandant comment son frère pouvait être qualifié d’ange.
Lorsque les zbiris annoncèrent l’appel du roi, soupçonnant qu’il pouvait s’agir
de quelque chose de bon, elle lui avait interdit de s’y rendre, menaçant de le
maudire s’il désobéissait. Elle ne voulait pas qu’il fasse de l’ombre à son
préféré. Malheureusement, son préféré Amad avait péri à cause de sa
désobéissance sanctionnée par les esprits de l’arbre à pensée. Lorsqu’elle
lui demanda d’aller dans l’autre monde pour essayer de trouver si quelque
chose ou quelqu’un pouvait ramener son frère jumeau à la vie, il soupira de
dépit. Il se demandait comment elle pouvait ainsi verser d’abondantes larmes
pour l’envoyer à la mort. Elle n’ignorait pas que personne n’était jamais revenu
de l’autre monde. Adma était cette fois-ci convaincu du manque d’amour de sa
mère envers lui car il se rendait compte qu’elle préférait ne pas avoir de fils
plutôt que de vivre avec lui.
Adma avait laissé sa mère dans la wêê, la salle dans laquelle sont gardés
les corps pendant trois jours avant d’êtres enterrés pour rejoindre le roi et
sa suite dans le jardin. Il leur communiqua sa décision d’aller dans l’autre
monde. Le temps du réconfort que leur procura cette nouvelle fut très bref
parce que tous avaient en tête le fait que personne n’y était jamais revenu.
-Mon roi, rappelle-toi mon rêve, c’est lui que j’avais vu assis sur ton
trône, chuchota la reine.
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-Mais… ton rêve parlait du youlorungo ! Celui-ci s’en va affronter la mort.
De plus, comment savoir que c’est bien lui, vu qu’il est jumeau ?
-J’ai probablement mal interprété, répondit la reine.
-Nous verrons bien si c’est lui, dit le roi en soupirant.
Huit notables se placèrent tout autour de l’arbre, formèrent un
cercle en se tenant les mains les uns des autres puis prononcèrent les
formules qui permettaient d’ouvrir le passage vers l’autre monde. Un trou se
forma au centre du tronc de l’arbre. Des étincelles multicolores virevoltaient
autour de ce trou.
Le roi prit Adma par la main et le conduisit devant le trou.
-Dites à ma mère que je l’aime en dépit de tout ce qu’elle m’a fait, leur
recommanda t-il. Wahimili, je m’étais interdit de rêver de toi. Tu es si belle, si
douce, si… pure ; mon rêve allait certainement t’éclabousser, moi qui ne
suis même pas digne de te regarder. Toutefois, sache que si je réussis ma
mission alors je ferai de toi la femme la plus heureuse de la terre.
Adma entra dans le trou. Lorsque celui-ci commença à se refermer sur lui,
Wahimili ne put refréner son envie de pleurer et éclata en sanglots. Tous
ressentirent un vif pincement au cœur quand le trou disparut complètement.
Adma dompta le sentiment de peur qui voulut l’envahir à cause de
l’obscurité profonde dans laquelle il se retrouva. Il constata le vide autour de lui
après avoir étendu les mains. Il resta sur place pendant un très long
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moment, songeant à la direction à prendre. Il se décida à aller tout droit
devant lui, avançant à petit pas et en tâtonnant. Après de longues heures
de marche, l’obscurité s’effaça soudainement. Adma était dans une clairière
ensoleillée.
« Tiens, le soleil dans l’autre monde ! » pensa t-il. Au moment où il leva le pied
pour continuer, une voix se fit entendre : « Ne me piétine pas. » Il eut
un mouvement de recul. Il baissa la tête et remarqua une brindille. « Aie
pitié de moi. Je t’en supplie ramasse-moi », implora la brindille. Croyant que
c’était un piège, il se leva pour s’en aller mais la brindille le supplia avec
plus d’ardeur. Finalement, il éprouva de la pitié et, bien qu’il ne comprenait pas
comment une brindille pouvait parler, il la ramassa. A peine s’était-il redressé
qu’une horde de dyclopos apparut autour de lui. Des zoungoufs sortirent de terre
en poussant des cris méphistophéliques. Une armée de regeuks venant du ciel
fonça sur lui. Les dyclopos, les zoungoufs et les regeuks étaient des monstres
assoiffés de sang, tout aussi forts qu’ils étaient laids.
« Séa o set nana o séséa o set » cria la brindille. C’était la formule qui la
métamorphosa en une grosse massue en bois d’ébène autour de laquelle
jaillissaient de minuscules éclairs. Une vague de puissance submergea
Adma qui était émerveillé de sentir une énergie nouvelle parcourir son
corps. « Tu as bien fait de me prendre, poursuivit la brindille. Si tu ne l’avais
pas fait, tu aurais été réduit en miettes par ces créatures en moins de temps
qu’il ne faut pour le dire. Avec moi à tes côtés, sache que la victoire est
assurée. Sois courageux ! Allez, sus à l’ennemi ! »
La clairière ne garda pas une seule trace de lutte lorsque le dernier
monstre tomba, terrassé par le coup fatal que lui asséna Adma : tout avait
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disparu. « C’était un rêve ou quoi ? » se demanda t-il, étonné de constater
que même la brindille-massue avait disparu. Comme pour lui répondre, une
trappe s’ouvrit sous ses pieds. Le hurlement de terreur qu’il poussa
accompagna sa glissade jusqu’au bout d’un toboggan. Il tomba sur ses
fesses devant un être hilare qui avait l’apparence d’un homme mais qui était
entièrement transparent.
-L’expression du visage de tous ceux qui sont arrivés jusqu’à moi m’a toujours
fait rire. Ah ! ce cri de terreur qui venait du fond de tes entrailles… Tu t’es pissé
dessus ? Il faut me pardonner si je t’accueille en me moquant de toi.
C’est comme çà que je suis. J’aime rire. Je suis fou du rire. J’aime piquer des
crises de fou rire. D’ailleurs, il faudra que tu me fasses rire si tu veux continuer
sinon… Je m’appelle Raman et toi ?
La volubilité de Raman et ses moqueries énervèrent Adma. Il se leva en se tâtant
les fesses.
-Ah ! çà c’est drôle, tu te masses les fesses. Tu as eu mal ? Par contre, ce qui est
moins drôle c’est ta nervosité. C’est contagieux çà. Comment t’appelles-tu ?
-Adma, répondit-il sèchement
-Adma ? Ça n’a rien de risible et ta façon de répondre n’a rien de drôle.
Vraiment, tu ne veux pas me faire rire ? Bien, puisqu’il en est ainsi…
Orokokrokokrok !
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La terre trembla sous les pas de l’énorme animal tout noir aux yeux
rouges et aux longs crocs bien acérés qui approchait. Adma n’avait
jamais entendu parler d’un être aussi redoutable. Il émanait de cette bête
féroce une désagréable odeur.
-Je te présente mon orokokrokokrok, reprit Raman. Je lui ai appris à dévorer ses
victimes en commençant par les pieds, ce qui me permet de bien rire en
entendant les appels à l’aide. Je t’accorde une seule occasion de me faire
rire. Fais vite parce qu’attendre ne me fait pas rire.
-Tu sais ce qu’a répondu le cœur au poumon le jour où ce dernier a demandé : «
quand est-ce que tu cesseras de me taper sur le système » ?
-Non. Qu’a-t-il répondu ? s’empressa de demander Raman.
-« Le jour où tu cesseras de me pomper l’air. »
Raman éclata de rire. Il se plia en deux, se tenant les côtes. Il se mit à se rouler
par terre. Il rit ainsi pendant plus d’une demi-heure. Lorsqu’il se releva,
son visage était mouillé de larmes.
-C’est plutôt spirituel, pour quelqu’un qui vient d’un monde où on ne pense pas,
avait-il dit en haletant.
« C’est certainement parce que tu me pompes l’air et que tu me tapes sur
le système, espèce de bizarrerie dont j’aperçois les organes internes » s’était dit
Adma intérieurement.
-C’est bien. C’est même très bien. Tu obtiens le droit de consommer l’airbe.
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L’arbre à pensée
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Le transparent lui demanda de cueillir la plante qui avait instantanément
poussé devant ses pieds et de la manger. Lorsqu’Adma le fit, il se sentit
soulever de terre.
Adma s’était évanoui à cause de la vitesse vertigineuse avec
laquelle l’airbe l’avait transporté. Lorsqu’il se réveilla, une petite fille
l’accueillit.
-Salut ! Je t’ai laissé dormir depuis un jour et demi que tu es là. J’aurai pu faire
éclater le tonnerre près de tes oreilles que ça n’aurait rien fait. L’effet de
l’airbe… Je m’appelle Maï et toi ?
-Faire éclater le tonnerre près de mes oreilles ? demanda t-il, l’air dubitatif.
Après le court mais violent roulement de tonnerre qu’il entendit, Adma
donna son nom en bégayant de peur.
-Oh ! mais n’aie pas peur… enfin… si… aie un tout petit peur, lui dit-elle avant
d’éclater de rire. Écoute, reprit-elle, si tu as un conte pour moi, je
t’aiderai à traverser le labyrinthe obscur et parsemé de pièges qui mène chez
mon père.
-Vas-tu te fâcher si mon conte n’est pas long ? demanda Adma un peu inquiet.
-hum… non ! S’il est bon ça ira. Je ne serai pas obligé de te faire éclater la tête
avec mes éclairs.
A ces mots, des gouttes de sueurs perlèrent sur le front d’Adma. Sa mine
déconfite émut Maï.
-Allons, ne fais pas cette tête, lui dit-elle. Assied-toi.
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-Où ? demanda t-il.
Un tabouret apparut et il s’assit.
-Si tu as soif, tu peux boire çà.
Une calebasse pleine d’un liquide bleuâtre apparut devant ses pieds.
-Qu’est-ce que c’est ? s’enquit-il.
-De la bave d’orokokrokokrok.
-Beurk ! fit-il, dégoûté.
-Je plaisante, je plaisante, reprit la fillette qui riait à gorge déployée.
C’est le nectar du fruit d’un arbre qu’on ne trouve qu’ici, le rinemangor. C’est
très bon, boit.
Adma qui n’avait rien pris comme aliment depuis presque deux jours bût
goulûment. Il s’étonnait qu’après plusieurs gorgées, la quantité ne diminuait pas.
Lorsqu’il déposa la calebasse, celle-ci était pleine à ras bord. Il regarda Maï. Elle
lui fit un clin d’œil. Après un long rot, Adma commença son histoire : «
Dans une lointaine forêt vivait Konli, l’oiseau aux plumes dorées. Les
habitants de cette forêt ne voyaient pas le soleil comme tous les êtres peuplant
la surface de la terre. Konli leur apportait la chaleur et la lumière dont ils avaient
besoin pour vivre grâce au pouvoir qu’avaient ses plumes de propager des
rayons bienfaisants. Chaque jour, à l’aube, une voix le tirait de son
sommeil en lui disant : ‘ vole, Konli, vole. N’oubli pas : tu ne dois jamais te
rabaisser à toucher la terre. Le jour où tu toucheras la terre, tu seras mis à nu.
Vole, Konli, vole et fais du bien ’ Konli étendait alors ses ailes et se mettait à
voler, réveillant ainsi les habitants de la forêt. Basiliki Bakoko, le méchant
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souverain des profondeurs voulait étendre son influence jusqu’à la surface :
il voulait que tout autour de lui ne soit que ténèbres. Il vouait une haine
mortelle à Konli, le seul obstacle à la réalisation de son dessein machiavélique.
Il avait envoyé plusieurs fois des espions pour observer Konli afin de
trouver le moyen de le supprimer. Ceux-ci en avaient été incapables. ‘ On ne
peut pas capturer Konli, il voltige sur les branches des arbres les plus hauts ’
avaient-ils expliqué au roi. Dans sa rage, il les avait fait exécuter. Un jour, Atan
Sasan Séser Panterser, le premier conseiller du souverain monta à la
surface pour espionner l’oiseau-soleil. Après plusieurs semaines passées
caché dans les fourrées, il remarqua que de minuscules choses tombaient :
c’était les miettes des noix dont Konli se nourrissaient pour avoir l’énergie
qui lui permettait de faire du bien. Atan Sasan Séser Panterser que sa grande
intelligence avait hissé au sommet du royaume eut l’idée de piéger Konli en se
servant de ces noix. Il fit part de son plan au roi. Le roi demanda à ses
sorciers et magiciens s’ils étaient capables de créer ces noix. Comme réponse, ils
se mirent à en créer devant lui. Très satisfait, il monta avec eux à la
surface. Atan Sasan Séser Panterser dit aux enchanteurs de faire un
énorme tas de noix qui devait s’élever le plus haut possible. Une fois que
cela fut fait, ils se cachèrent et attendirent. »
Adma marqua une pause. Il prit la calebasse et bût. Le même phénomène
se produisit. Maï, toute excitée, ne le quittait pas des yeux. Il rota et se racla la
gorge avant de poursuivre : « La bonne odeur des noix parvint jusqu’à
Konli. Lorsqu’il découvrit le grand tas de noix, il écarquilla les yeux.
‘Waouh ! Des noix, des noix, des noix… une montagne de noix !’
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Sans réfléchir, il se mit à les manger. Au fur et à mesure qu’il mangeait,
il descendait vers la terre, ne se rendant pas compte du danger. Konli
semblait hypnotisé. Quand il réalisa qu’il était trop descendu, il voulut
s’envoler mais il ne le put pas parce qu’il était trop lourd. Chaque effort qu’il fit
pour se sauver le faisait dégringoler. Sa chute l’entraîna jusqu’à terre. Les
unes après les autres, ses plumes se détachaient de son corps, et, au fur et
à mesure qu’elles se détachaient, l’intensité de la lumière diminuait dans
la forêt. Basiliki Bakoko sortit en jubilant de sa cachette. Tous se mirent
à se moquer de Konli en lui donnant des coups. Honteux et confus, il
pleurait amèrement. Exultant de joie, les habitants des ténèbres prirent les
plumes et s’en allèrent dans leur royaume.
-Qu’as-tu fait ? demanda la voix qui réveillait Konli tous les matins.
-Je demande pardon. Je n’aurai pas dû être gourmand, répondit-il.
-Tu es pardonné, lui dit la voix. Écoute, j’avais prévu tout ceci dès avant
la création du Tout. Mon ennemi Basiliki Bakoko n’aurait pas dû te tendre ce
piège car j’ai crée tes plumes avec la capacité de libérer une puissance
destructrice le jour où elles entreront dans le royaume des ténèbres. Ce fut
l’apocalypse dès que Basiliki Bakoko et les siens franchirent la frontière.
Les choses et les âmes furent entièrement détruites et le sort jeté par les
enchanteurs qui empêchait à ceux de la surface de jouir des bienfaits du
soleil fut conjuré. Des plumes multicolores poussèrent sur Konli. La voix
lui donna le nom d’oiseau arc-en-ciel car, un arc-en-ciel se dessinait dans
les airs lorsqu’il volait, égayant ainsi tous les habitants de la forêt par ce
beau spectacle. »
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L’arbre à pensée
Yannick Sabzé
-Fin ! s’exclama Maï en applaudissant, l’air ravi. Ton conte m’a plu. Tu mérites
mon aide. Luxio ! Un éclair apparut. Effrayé, Adma recula.
-Tu… tu… vas quand même… me… tuer ?
-N’aie pas peur, je ne vais pas te tuer, répondit-elle. As-tu déjà
chevauché un éclair ? Je suis certaine que non. Monte dessus, il va te conduire
chez mon père. Comme tu m’es très sympathique, je te donne deux conseils :
premièrement, à question bizarre réponse bizarre et deuxièmement, ne
cherche pas à discourir.
Allez, va.
-Merci, lui dit-il en montant sur l’éclair.
Adma n’avait rien vu du labyrinthe tellement la traversée avait été rapide.
Il se trouvait dans un jardin au centre duquel se trouvait un arbre
totalement blanc. Un vieil homme au visage figé apparut.
-Bonjour, brave jeune homme. Je suis le sage Hohil Konê Touh, gardien
de l’arbre à anti-pensée. Je sais pourquoi tu es là. Si tu veux la solution
à ton problème qui est là devant toi, il faut que tu répondes absolument à
mes questions. Es-tu prêt ?
-C’est pour un instant comme celui-ci que je suis ici.
-Bien. Alors, dis-moi, à quoi sert le chchchchchchchfeutepeuk ?
-Le quoi ? demanda Adma, ébahi.
Le sage ne répondit rien, ne répéta même pas la question. Adma se
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L’arbre à pensée
Yannick Sabzé
demanda pendant un long moment ce que pouvait bien signifier une telle
question jusqu’à ce qu’il se souvint des conseils de Maï.
-Le chchchchchchchfeutepeuk sert tout simplement à chchchchchchchfeuter
le peuk, ô grand sage Hohil Konê Touh.
Le sage se mit à hocher doucement la tête en souriant.
-Tu me surprends agréablement, Adma.
-vous connaissez mon nom ?
-Je suis surpris que tu me le demandes. Que peux-tu me dire sur… le néant ?
-Le néant ? Rien.
-Félicitations, Adma. Vraiment, bravo. Si tu avais dit : « le néant est… »,
tu aurais été immédiatement annihilé par l’esprit de l’arbre à anti-pensée car ce
qui n’est pas ne peut pas être.
Après un tremblement de terre, des éclairs et de retentissants coups de
tonnerre, l’arbre à anti-pensée disparut, laissant un trou et devant ce trou,
son fruit.
-Tu as été jugé digne de manger ce fruit. Il va te donner le pouvoir de penser par
toi-même. Tu pourras redonner la vie à un mort ou redonner ses sens à un aliéné.
Si tu veux, tu peux garder pour toi le pouvoir de penser. Cependant, il te suffira
de dire aux tiens « pensez » pour qu’ils puissent eux aussi exercer leur
entendement. Retourne maintenant d’où tu viens. Adieu.
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L’arbre à pensée
Yannick Sabzé
Étant passé par le trou laissé par l’arbre à anti-pensée, Adma se
retrouva au centre du jardin du roi de Sanmaïnde, précisément là où se trouvait
l’arbre à pensée qui avait disparut. Tous se jetèrent à son cou.
-J’ai un cadeau pour vous, leur dit-il au milieu des effusions.
-Lequel ? demanda le roi.
-Le plus beau que je puisse te donner mon roi, c’est de te dire pense !
reine, Wahimili, pensez ! Vous tous habitants de Sanmaïnde, pensez !
Ma
Une étrange sensation les envahit. Ils étaient devenus capables de penser.
-Il faut que je voie ma mère. Tous le suivirent dans la wêê. Sa mère n’avait rien
fait d’autre que de rester près du corps d’Amad. Elle bondit en le voyant.
-Mon fils ! Tu es revenu ! Peux-tu le sauver ? demanda t-elle avec anxiété.
-Oui, mère, je suis revenu. Ton fils va revenir à la vie, ne t’inquiète plus. Amad,
je te ressuscite ! cria t-il avec force en touchant la poitrine de son frère.
Amad se leva sous les regards émerveillés de tous ceux qui étaient là.
Le mariage du roi Adma et de la reine Wahimili combla la mesure
de bonheur des Sanmaïndiens. La mère et le frère du nouveau roi étaient assis à
la table d’honneur. Ils étaient très fiers de leur parent. « Les rêves ne
nous ont jamais trompés » chuchotta Awaro de Sanmaïnde à sa femme.
FIN
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