Les nouveaux cahiers de la semaine - décembre 2020
Simone Pheulpin - Les nouveaux cahiers de la semaine - décembre 2020
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Découverte
Simone
Pheulpin
L’art du pli
Sous ses doigts, le tissu rêche et brut devient de délicates sculptures.
Comme de subtiles coquillages ou d’étonnants fossiles, les œuvres de
SIMONE PHEULPIN, native de LA BRESSE dans les Vosges, s’exposent à travers
le monde. De New York à Dubaï en passant par Londres ou Paris.
« L’œuvre surgit dans son temps et de son
temps mais elle devient œuvre d’art par ce
qui lui échappe ».
L’œuvre surgit dans
son temps et de son temps
mais elle devient œuvre d’art
par ce qui lui échappe.”
ANDRÉ MALRAUX
@ Apollonia Robin - Maison Parisienne
A la question « pourquoi ? », elle dit ne pas savoir
répondre. Mais comment, ça, Simone Pheulpin
l’explique aisément. Elle plie et empile des
bandes de coton brut, fixant chaque pli d’une
épingle. « J’utilise 25 kilos d’épingles par an. Uniquement
de la Manufacture Bohin qui se trouve
en Normandie », précise l’artiste. Ces accumulations
singulières de tissu donnent naissance
à des sculptures qui donnent à voir la matière
différemment. Entre les kilomètres de coton
fabriqués à Eloyes dans ses Vosges natales
et les kilos d’épingles, ses œuvres naissent
de gestes répétés encore et encore dans une
pratique presque rituelle, presque magique.
« Avant je créais des panneaux très colorés que je
rigidifiais avec ce tissu apprêté. J’ai toujours aimé
créer et avec le tissu j’ai un rapport particulier »,
dit-elle. Gamine, Simone jouait avec les enfants
des ouvriers des usines textiles dans la vallée
de La Bresse. Les ateliers et les balles de coton
étaient son terrain de jeu.
Pas besoin
de décodeur
Simone Pheulpin passe de nombreuses heures
par jour à son travail, qu’a-t-elle à dire de
plus ? À qui lui parle, elle se montre attentive
et aimable, mais peu prolixe. Une qualité vosgienne
précieuse où les mots sont comptés
pour ne dire que l’essentiel. Aux commentaires
qui vantent ses prouesses, elle préfère les propos
qui, en quête de profondeur, la touchent
quand ils évoquent les méandres du temps.
Aucune phrase ne lui va mieux que celle d’André
Malraux dans La Métamorphose des Dieux :
« L’œuvre surgit dans son temps et de son temps
mais elle devient œuvre d’art par ce qui lui
échappe ».
@ Apollonia Robin - Maison Parisienne
L’atelier de Simone Pheulpin ne ressemble à
aucun autre. Pour ses mains, elle n’a besoin
que d’une table, celle de son salon. Derrière la
chaise où elle s’installe face à la lumière, sur le
mur, il y a les photos de ses deux enfants, celles
des petits-enfants. Des dessins... d’eux certainement.
Quelques cartes postales, une petite
sculpture de Marie-Rose Lortet.
A la regarder faire, le mouvement est presque
invisible. Elle ne prémédite rien, mais d’instinct
elle sait ce qu’elle espère. Elle se lance
sans croquis, ni dessin, portée par son enthousiasme.
« Lorsque je commence une sculpture,
j’ai toujours la forme en tête mais parfois le final
est très différent ». Simone Pheulpin ne s’impose
aucune limite si ce n’est celle du format. « Je
travaille actuellement sur une commande. Le
postulat de départ était une sculpture de 2,40 sur
1,20 mètre. Impossible pour moi qui travaille as-
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Les Nouveaux Cahiers de La Semaine / Décembre 2020 / 51
Découverte
Par un échange sans fin, enrichissant à la fois
le contemplé et le contemplant, de telles œuvres sont rares,
et communément tenues pour plus précieuses que toutes
les autres choses.” MARCEL PROUST
@Apollonia Robin
sise de réaliser quelque chose de cette taille d’autant
que c’est assez lourd ensuite à transporter.
Alors j’ai proposé de réaliser plutôt un triptyque ».
C’est avec cette même simplicité et ce bon
sens qu’elle aime que l’on lise ses œuvres. « Il
n’y a pas besoin de décodeur. Il suffit de regarder,
de toucher parfois et de se laisser porter. Je
suis contente quand les gens me disent que ça
les fait voyager. »
Ses sculptures sont le résultat d’une expression
instinctive. La souplesse du matériau et le
mouvement de superposition conduisent à des
formes avec lesquelles jouent l’ombre et la lumière.
Elles sont le reflet d’une harmonie avec
le monde naturel. Le travail de Simone Pheulpin
invite par l’émotion à aller au-delà de ce que
nous voyons, afin de saisir des réalités qui, bien
qu’analogues à celles de la nature, nous transportent
dans un ailleurs insaisissable habituellement.
La phrase de Marcel Proust semble avoir
été faite sur-mesure pour ces sculptures de
tissu : « Elles se laissent contempler, sans commentaires
extérieurs et, par un échange sans fin,
enrichissent à la fois le contemplé et le contemplant,
de telles œuvres sont rares, et communément
tenues pour plus précieuses que toutes les
autres choses ». Simone Pheulpin a créé tout un
monde de plis qui s’expose de Paris à New York,
de Dubaï à Londres.
CÉLINE LUTZ
@Apollonia Robin
Photos : @ Apollonia Robin - Maison Parisienne
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