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Maria valtorta Jésus-Christ 943 pages

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Maria Valtorta

Les cent épisodes les plus importants

de la vie de Jésus-Christ


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Introduction

Je tiens à vous présenter ici une figure assez extraordinaire du mysticisme chrétien : il s'agit de Maria

Valtorta.

Maria Valtorta est une italienne, née à Naples en 1897 et décédée en 1961 alors âgée de 64 ans. Son père

était sous-officier de cavalerie et sa mère professeur de Français.

En 1924, Maria s'engage dans L'Action catholique. En 1925, elle s'offre à L'Amour miséricordieux

(Références biographiques provenant de la toile) puis en 1931, elle se donne au Seigneur comme victime

expiatoire pour les péchés des hommes.

Comme de grands mystiques ou sublimes stigmatisées, la santé de Maria se détériore. À partir du Ier avril

1934, elle demeure définitivement clouée au lit.

De 1943 à 1947, elle reçoit la visite du Seigneur Jésus-Christ dans sa chambre qui lui dictera 15 000 pages

manuscrites relatant sa vie et ses actes dans des détails circonstanciés exceptionnels.

Il est sidérant de comparer les versions développées de Maria Valtorta à celles synthétiques proposées dans

les Quatre Évangiles.

Les Faits principaux de la vie publique du Christ s'enrichissent de détails, de perceptions, de prolongements

narratifs qui ne sauraient venir d'une âme imaginative. C'est certainement sous l'égide de Jésus que Maria a

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été choisie pour être le calame du Rédempteur, le secrétaire zélé et obéissant du Fils de Dieu.

Le fait relaté y est considérablement amplifié, y est explicité avec des lumières nouvelles rendant plus

accessibles encore les Actes du Fils.

Je vais vous proposer à suivre des fragments comparatifs. Il est à considérer que jamais Maria ne contredit

en quoi que ce soit les passages du Nouveau Testament. Elle ne fait que fortifier, qu'accroître la Parole et les

Actes de Jésus-Christ, notre sauveur.

Franck Lozac’h

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TOME I

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L'Annonciation

Voici ce que je vois : Marie, une très jeune adolescente - quinze ans au plus à la voir - est dans une petite

pièce rectangulaire. Une vraie chambre de jeune fille.

Contre le plus long des deux murs, se trouve le lit : une couchette basse, sans rebords couverte de nattes ou

de tapis. On les dirait étendus sur une table ou une claie à roseaux. Ils sont en effet rigides et ne forment pas

de courbes comme il arrive sur nos lits. Sur l'autre mur, une étagère avec une lampe à huile, des rouleaux de

parchemin, un travail de couture soigneusement plié que l'on dirait de la broderie. À côté, vers la porte qui

est ouverte sur le jardin, mais couverte d'un rideau qu'un vent léger remue, est assise sur un tabouret bas la

Vierge.

Elle file du lin très blanc et doux comme de la soie. Ses petites mains, un peu moins claires que le lin, font

tourner agilement le fuseau. Le petit visage, jeune est si beau, si beau, légèrement courbé, avec un léger

sourire, comme si elle caressait ou suivait quelque douce pensée.

Un profond silence, dans la petite maison et le jardin. Une paix profonde, tant sur le visage de Marie que

dans son environnement. La paix et l'ordre. Tout est propre et en ordre et le milieu très humble en son aspect

et dans l'ameublement, presque comme une cellule, a quelque chose d'austère et en même temps de royal à

cause de la netteté et du soin avec lequel sont disposées les étoffes sur le lit, les rouleaux, la lumière, le petit

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broc de cuivre près de la lumière et, avec dedans un faisceau de branches fleuries, branches de pêchers ou de

poiriers, je ne sais, mais ce sont certainement des arbres à fruit avec des fleurs légèrement rosées.

Marie se met à chanter à voix basse et puis elle élève un peu la voix. Ce n'est pas du grand "chant", mais

c'est déjà une voix qui vibre dans la petite pièce et où on sent vibrer son âme, Je ne comprends pas les

paroles, c'est certainement de l’hébreu. Mais comme elle répète fréquemment : "Jéhovah" je comprends qu'il

s'agit de quelque chant sacré, peut-être un psaume. Peut-être Marie se rappelle les cantiques du Temple et ce

doit être un doux souvenir car elle pose sur son sein les mains qui tiennent le fil et le fuseau et elle lève la

tête en l'appuyant en arrière sur le mur ; son visage brille de vives couleurs et ses yeux, perdus dans je ne sais

quelle douce pensée, sont rendus plus luisants par des pleurs retenus mais qui les font paraître plus grands.

Et pourtant ses yeux rient, sourient à une pensé qu'ils suivent et l'abstraient de ce qui l'entoure. Le visage de

Marie émerge du vêtement blanc et très simple, rosé et encadré par les tresses qu'elle porte comme une

couronne autour de la tête. On dirait une belle fleur.

Le chant se change en une prière : "Seigneur, Dieu Très-Haut, ne tarde pas d'envoyer ton Serviteur pour

apporter la paix sur la terre. Suscite le temps favorable et la vierge pure et féconde pour l'avènement de ton

Christ. Père, Père Saint, accorde à ta servante d'offrir sa vie dans ce but. Accorde-moi de mourir après avoir

vu ta Lumière et ta Justice sur la terre et d'avoir vu, accomplie, la Rédemption. O Père Saint envoie à la terre

ce qui a fait soupirer les Prophètes. Envoie à ta servante le Rédempteur. Qu'à l'heure où se terminera ma

journée s'ouvre pour moi ta demeure parce que ses portes auront déjà été ouvertes par ton Christ, pour tous

ceux qui ont espéré en Toi. Viens, viens, ô Esprit du Seigneur.

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Viens vers tes fidèles qui t'attendent. Viens, Prince de la Paix !..." Marie reste ainsi hors d'elle-même...

Le rideau remue plus fort, comme si quelqu'un, par derrière faisait un courant d'air ou le secouait pour

l'écarter. Et une lumière blanche de perle, associée à l'argent pur, rend plus clairs les murs légèrement jaunes,

plus vives les couleurs des étoffes, plus spirituel le visage levé de Marie. Dans la lumière, et sans que la

tenture soit écartée sur le mystère qui s'accomplit - même elle ne remue plus : elle pend absolument rigide

contre les montants, comme si c'était un mur qui isole l'intérieur de l'extérieur - dans cette lumière se prosterne

l'Archange.

Il doit nécessairement prendre un aspect humain. Mais cet aspect transcende l'humain. De quelle chair est

formée cette figure très belle et fulgurante ? De quelle substance Dieu l'a-t-elle matérialisée pour la rendre

sensible aux sens de la Vierge ? Seul Dieu peut posséder ces substances et s'en servir si parfaitement. C'est

un visage, c'est un corps, ce sont des yeux, une bouche, des cheveux et des mains comme les nôtres, mais ce

n'est pas notre opaque matière. C'est une lumière qui a pris la couleur de la chair , des yeux, de la chevelure,

des lèvres, une lumière qui se meut et sourit et regarde et parle.

"Salut, Marie, pleine de Grâce, salut !" La voix est un doux accord comme de perles qui tombent sur un

métal précieux.

Marie tressaille et baisse les yeux. Et elle tressaille davantage quand elle voit cette créature de lumière

agenouillée à un mètre environ de distance d'elle, les mains croisées sur la poitrine la regardant avec un

infini respect.

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Marie se dresse debout et se serre contre le mur. Elle devient pâle, puis rouge. Son visage exprime

étonnement, effarement. Elle serre inconsciemment les mains sur son sein, en les cachant sous ses longues

manches. Elle se courbe presque pour cacher le plus possible son corps. Une attitude de suave pudeur.

"Non. Ne crains pas. Le Seigneur est avec Toi ! Tu es bénie entre toutes les femmes."

Mais Marie continue à craindre. D'où est venu cet être extraordinaire ? Est-ce un envoyé de Dieu ou du

Trompeur ?

"Ne crains pas, Marie !" répète l'Archange. "Je suis Gabriel, l'Ange de Dieu. Le Seigneur m'a envoyé vers

Toi. Ne crains pas parce que tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Et maintenant, tu vas concevoir dans ton sein

et enfanteras un Fils et tu Lui donneras comme nom "Jésus". Il sera grand, on l'appellera le Fils du Très-

Haut (et il le sera en réalité) et le Seigneur Dieu Lui donnera le trône de David son père et il régnera

éternellement sur la maison de Jacob et son Règne n'aura jamais de fin. Comprends, ô sainte Vierge, aimée

du Seigneur, sa Fille bénie, appelée à être la Mère de son Fils, quel Fils tu engendreras."

"Comment cela peut-il se faire si je ne connais point d'homme ? Est-ce que le Seigneur Dieu n'accueille pas

l'offrande de sa servante et ne me veut pas vierge par amour pour Lui ?"

"Non, ce ne sera pas par œuvre d'homme que tu seras Mère, ô Marie. Tu es l'éternelle Vierge, la Sainte de

Dieu. L'Esprit Saint descendra sur Toi et la puissance du Très-Haut te couvriras de son ombre. Pour cela, on

appellera Saint celui qui naîtra de toi, Saint et Fils de Dieu. Tout est possible au Seigneur notre Dieu.

Élisabeth, stérile, a conçu dans sa vieillesse un fils qui sera le Prophète de ton Fils, celui qui Lui préparera le

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chemin. Le Seigneur lui a enlevé son opprobre et son souvenir restera parmi les peuples uni à ton nom,

comme le nom de sa créature à celui de ton Saint, et jusqu'a la fin des siècles les nations vous proclameront

bienheureuses pour la grâce du Seigneur venue jusqu'à vous et jusqu'à toi spécialement, venue aux nations

par ton intermédiaire. Élisabeth en est à son sixième mois et le poids qu'elle porte fait monter en elle la joie

et la fera monter davantage quand elle connaîtra ta propre joie. Rien n'est impossible à Dieu, Marie, pleine

de Grâce. Que dois-je dire à mon Seigneur ? Ne te laisse pas troubler par aucune pensée. Le Seigneur

veillera sur tes intérêts si tu te fies à Lui. Le monde, le Ciel, l'Éternel attendent ta parole !"

Marie, croisant à son tour ses mains sur sa poitrine et se courbant en une profonde inclination dit : "Voici la

servante du Seigneur. Qu'il me soit fait selon sa parole."

L'Ange étincelle de joie. Il adore, parce que certainement il voit l'Esprit de Dieu s'abaisser sur la Vierge,

toute courbée dans son consentement. Puis il disparaît, sans remuer la tenture qu'il laisse tirée sur le Mystère

saint.

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L’Annonciation

26 Le sixième mois, l'ange Gabriel, par Dieu,

Dans une ville de Galilée appelée

Nazareth fut donc envoyé 27 à une vierge

Fiancée à un homme qui s'appelait Joseph

De la maison de David ; le nom de la vierge

Était Marie. 28 Entrant chez elle, il dit : "Salut,

Comblée de grâce ! (Car) le Seigneur est avec toi."

29 Et à cette parole, elle fut toute troublée

Parce qu'elle ne demandait ce que pouvait être

Cette salutation, 30 Et l’ange lui dit : "Sois

Sans crainte, Marie puisque tu as trouvé grâce

Auprès de Dieu. 31 Et voici que tu concevras

Tu enfanteras un fils, tu l'appelleras

Du nom de Jésus.32 Il sera grand et sera

Appelé Fils du Très-Haut Et le Seigneur Dieu

Lui donnera le trône de David, son père,

33 Et il règnera sur la maison de Jacob

Pour tous les siècles, et son règne n’aura pas de fin."

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34 Marie dit à l’ange : "Comment cela sera-t-il,

Puisque je ne connais pas d'homme ? 35 Et, répondant

L’ange lui dit : "L'Esprit Saint surviendra sur toi,

Alors la puissance du Très-Haut te prendra

Sous son ombre ; et c’est pourquoi l’être saint qui naîtra

Sera appelé Fils de Dieu. 36 Et ta parente,

Elizabeth, voici a conçu elle aussi

Un fils dans sa vieillesse. Ce mois est le sixième

Elle qu’on appelait stérile ; 37 rien n'est impossible

De la part de Dieu." 38 Marie dit : "Je suis l'esclave

Du Seigneur, et qu'il m’advienne selon ta parole !"

Et l’ange la quitta.

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La Visitation

Je suis dans un pays montagneux. Ce ne sont pas de hautes montagnes, mais ce ne sont plus des collines.

Elles ont déjà des cimes et des gorges de vraies montagnes comme on en voit sur notre Apennin toscoombrien.

La végétation est drue et magnifique. Il y a en abondance des eaux fraîches qui conservent vertes

les prairies et productifs les vergers peuplés de pommiers, de figuiers avec, autour des maisons, des vignes.

Ce doit être le printemps car les grappes sont déjà grosses comme des grains de vesce et les pommiers

commencent à ouvrir leurs bourgeons qui maintenant paraissent verts, sur les branches supérieures des

figuiers il y a des fruits qui sont déjà bien formés. Ensuite les prés ne sont que tapis moelleux aux mille

couleurs. Les troupeaux sont en train d'y paître, ou bien ils se reposent, taches blanches sur l'émeraude de

l'herbe.

Marie gravit, avec sa monture, un chemin en assez bon état qui doit être la principale voie d'accès. Elle

monte, parce que le pays dont l'aspect est assez régulier est situé plus haut. Celui qui me renseigne

habituellement me dit : "Cet endroit, c'est Hébron." Vous me parliez de montagne. Mais je ne suis pas fixée,

je ne sais si "Hébron" désigne tout le pays ou l'agglomération. Je n'en dis donc que ce que j'en sais.

Voilà que Marie entre dans la cité. C'est le soir : des femmes sur les portes observent l'arrivée de l'étrangère

et en parlent entre elles. Elles la suivent de l’œil et ne se rassurent qu'en la voyant s'arrêter devant une des

plus belles maisons située au milieu du pays. Devant se trouve un jardin puis, en arrière et autour, un verger

bien entretenu. Vient ensuite une vaste prairie qui monte et descend suivant le relief de la montagne pour

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aboutir à un bois de haute futaie; ensuite j'ignore ce qu'il y a. La propriété est entourée d'une haie de ronces

et de rosiers sauvages. Je ne distingue pas bien ce qu'ils portent. La fleur et le feuillage de ces buissons se

ressemblent beaucoup et tant que le fruit n'est pas formé sur les branches, il est facile de se tromper. Sur le

devant de la maison, sur le côté donc qui fait face au pays, la propriété est entourée d'un petit mur blanc sur

lequel courent des branches de vraies roses, pour l'instant sans fleurs, mais déjà garnis de boutons. Au centre,

une grille de fer qui est fermée. On se rend compte que c'est la maison d'un notable du pays ou d'un habitant

assez fortuné, Tout, en effet, indique sinon la richesse, au moins l'aisance certainement. Il y a beaucoup

d'ordre.

Marie descend de sa monture et s'approche de la grille. Elle regarde à travers les barreaux et ne voit

personne. Alors elle cherche à manifester sa présence. Une petite femme qui, plus curieuse que les autres l'a

suivie, lui indique un bizarre agencement qui sert de clochette. Ce sont deux morceaux de métal fixés sur un

axe. Quand on remue l'axe avec une corde, ils battent l'un contre l'autre en faisant un bruit qui imite celui

d'une cloche ou d'un gong.

Marie tire la corde, mais si gentiment que l'appareil tinte légèrement et personne ne l'entend. Alors, la

femme, une petite vieille, tout nez et menton et entre les deux une langue qui en vaut dix, s'accroche à la

corde et tire, tire, tire. Un vacarme à réveiller un mort. "C'est cela qu'il faut faire. Autrement comment

pouvez-vous faire entendre ? Sachez qu' Élisabeth est vieille, et aussi Zacharie. Et à présent il est muet et

sourd par-dessus le marché. Les domestiques sont aussi vieux, le savez-vous ? N'êtes-vous jamais venue ?

Connaissez-vous Zacharie ? Vous êtes..."

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Pour délivrer Marie de ce déluge de renseignements et de questions, survient un petit vieux qui boîte. Ce doit

être un jardinier ou un agriculteur, car il a en mains un sarcloir et, attachée à la ceinture, une serpette. Il

ouvre et Marie entre en remerciant la petite vieille mais... hélas ! sans lui répondre. Quelle déception pour la

curieuse !

À peine à l'intérieur, Marie dit : "Je suis Marie de Joachim et d'Anne, de Nazareth. Cousine de vos maîtres."

Le petit vieux s'incline et salue et se met à crier : "Sara ! Sara !" Il rouvre la grille pour faire rentrer l'âne

resté dehors parce que Marie, pour se défaire de la petite vieille importune, s'est glissée vite, vite, à l'intérieur

et que le jardinier, aussi rapide qu'elle, a fermé la grille, au nez de la commère et, tout en faisant entrer la

monture, il dit : "Ah ! grand bonheur et grande peine en cette maison ! Le Ciel a donné un fils à la stérile,

que le Très-Haut en soit béni ! Mais Zacharie est revenu, il y a sept mois, muet de Jérusalem. Il se fait

comprendre par signes ou en écrivant. Vous l'avez peut-être appris ? La patronne vous a tant désirée au

milieu de cette joie et de cette peine ! Souvent elle parlait de vous avec Sara et disait : "Si j'avais encore ma

petite Marie avec moi ! Si elle avait encore été au Temple ! J'aurais demandé à Zacharie de l'amener. Mais

maintenant le Seigneur l'a voulue comme épouse à Joseph de Nazareth. Elle seule pouvait me donner du

réconfort dans cette peine et m'aider à prier Dieu, car elle est si bonne, et au Temple tout le monde la pleure.

À la dernière fête, quand je suis allée avec Zacharie la dernière fois à Jérusalem pour remercier Dieu de

m'avoir donné un fils, j'ai entendu ses maîtresses me dire : 'Le Temple semble avoir perdu les chérubins de la

Gloire depuis que la voix de Marie ne résonne plus en ces murs'. " Sara ! Sara ! Ma femme est un peu

sourde, mais viens, viens que je te conduise."

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Au lieu de Sara, voilà, en haut d'un escalier au flanc d'un côté de la maison, une femme d'âge plutôt avancé,

déjà toute ridée avec des cheveux très grisonnants. Ses cheveux devaient être très noirs parce que très noirs

sont encore ses cils et ses sourcils et qu'elle était très brune, le teint de son visage l'indique clairement.

Contrastant étrangement avec sa vieillesse évidente, sa grossesse est déjà très apparente, malgré l'ampleur de

ses vêtements. Elle regarde en faisant signe de la main. Elle a reconnu Marie. Elle lève les bras au ciel avec

un : "Oh !" étonné et joyeux et se hâte, autant qu'il lui est possible, à la rencontre de Marie. Marie aussi

toujours réservée dans sa démarche se met à courir agile comme un faon et elle arrive au pied de l'escalier en

même temps qu'Élisabeth. Marie reçoit sur son cœur avec une vive allégresse sa cousine qui pleure de joie

en la voyant.

Elles restent embrassées un instant et puis Élisabeth se détache de l'étreinte avec un : "Ah !" où se mêlent la

douleur et la joie et elle porte la main sur son ventre grossi. Elle penche son visage, pâlissant et rougissant

alternativement. Marie et le serviteur tendent les mains pour la soutenir parce qu'elle vacille comme si elle se

sentait mal. Mais Élisabeth, après être restée une minute comme recueillie en elle-même, lève un visage

tellement radieux qu'il semble rajeuni. Elle regarde Marie avec vénération en souriant comme si elle voyait

un ange et puis elle s'incline en un profond salut en disant : "Bénie es-tu parmi toutes les femmes ! Béni le

Fruit de ton sein ! (elle prononce ainsi deux phrases bien détachées). Comment ai-je mérité que vienne à

moi, ta servante, la Mère de mon Seigneur ? Voilà qu'au son de ta voix l'enfant a bondi de joie dans mon

sein, et lorsque je t'ai embrassée, l'Esprit du Seigneur m'a dit les très hautes vérités dans les profondeurs de

mon cœur. Bienheureuse es-tu d'avoir cru qu'à Dieu serait possible même ce qui ne semble pas possible à

l'esprit humain ! Bénie es-tu parce que, grâce à ta foi, tu feras accomplir les choses qui t'ont été prédites par

le Seigneur et les prophéties des Prophètes pour ce temps-ci ! Bénie es-tu pour le Salut que tu as engendré

pour la descendance de Jacob ! Bénie est-tu pour avoir apporté la Sainteté à mon fils qui, je le sens, bondit

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comme une jeune chevrette pour la joie qu'il éprouve, en mon sein ! C'est qu'il se sent délivré du poids de la

faute, appelé à être le Précurseur, sanctifié avant la Rédemption par le Saint qui croît en toi !"

Marie, avec deux larmes, qui comme des perles descendent de ses yeux qui rient vers sa bouche qui sourit, le

visage levé vers le ciel et les bras levés aussi, dans la pose que plus tard, tant de fois aura son Jésus, s'écrie :

"Mon âme magnifie son Seigneur" et elle continue le cantique comme il nous a été transmis. À la fin, au

verset : "Il a secouru Israël son serviteur... etc." elle croise les mains sur sa poitrine, s'agenouille, prosternée

jusqu'à terre en adorant Dieu.

Le serviteur s'était respectueusement éclipsé quand il avait vu qu'Élisabeth ne se sentait plus mal et qu'elle

confiait ses pensées à Marie. Il revient du verger avec un vieillard imposant aux cheveux blancs et à la barbe

blanche, qui de loin, avec de grands gestes et des sons gutturaux, salue Marie.

"Zacharie arrive" dit Élisabeth en touchant à l'épaule la Vierge absorbée dans sa prière. "Mon Zacharie est

muet. Dieu l'a puni de n'avoir pas cru. Je t'en parlerai plus tard, mais maintenant, j’espère le pardon de Dieu

puisque tu es venue, toi la Pleine de Grâce."

Marie se lève et va à la rencontre de Zacharie et s'incline devant lui jusqu'à terre. Elle embrasse le bord du

vêtement blanc qui le couvre jusqu'à terre. Il est très ample ce vêtement et attaché à la taille par un large

galon brodé.

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Zacharie par gestes souhaite la bienvenue, et ensemble ils rejoignent Élisabeth. Ils entrent tous dans une

vaste pièce très bien disposée. Ils y font asseoir Marie et lui font servir une tasse de lait qu'on vient de traire -

il écume encore - avec des petites galettes.

Élisabeth donne des ordres à la servante, finalement apparue avec les mains enfarinées et des cheveux encore

plus blancs, qu'ils ne le sont en réalité à cause de la farine dont ils sont saupoudrés. Peut-être était-elle en

train de faire le pain. Elle donne aussi à un serviteur, que j'entends appeler Samuel, l'ordre de porter le coffre

de Marie dans une chambre qu'elle lui indique. Tous les devoirs d'une maîtresse de maison à l'égard de son

hôte.

Marie répond entre temps aux questions que lui fait Zacharie en écrivant avec un stylet sur une tablette

enduite de cire. Je comprends, par les réponses, qu'il lui parle de Joseph, et qu'il lui demande comment elle

se trouve épousée. Mais je comprends aussi que Zacharie n'a eu aucune lumière surnaturelle sur l'état de

Marie et sa condition de Mère du Messie. C'est Élisabeth qui, approchant de son mari et lui mettant

affectueusement une main sur l'épaule comme pour une chaste caresse, lui dit : "Marie est mère, elle aussi.

Réjouis-toi de son bonheur." Mais elle n'ajoute rien. Elle regarde Marie et Marie la regarde mais ne l'invite

pas à en dire plus, et elle se tait.

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La Visitation

39 En ces jours-là, Marie

Partit et se rendit avec empressement

Vers la montagne, vers une ville de Juda ;

Alors, entrée dans la maison de Zacharie,

Elle salua Élisabeth.

41 Elizabeth

Entendit la salutation de Marie et

L’enfant tressauta dans son ventre, Élisabeth

Fut remplie de l’Esprit Saint, 42 elle poussa un grand cri

Et dit : "Bénie es-tu entre les femmes, béni

Le fruit de ton ventre ! 43 Et d’où m'est-il donné

Que vienne vers moi la mère de mon Seigneur ?44 Car,

Vois-tu, dès que la voix de ta salutation

Est arrivée à mes oreilles a tressailli

D’allégresse l'enfant dans mon sein. 45 Bien-heureuse

Est celle qui a cru en l’accomplissement

De ce qui lui avait été dit de la part

Du Seigneur !"

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La naissance du Baptiste

Au milieu des choses repoussantes que nous offre à cette heure le monde, voilà que descend du Ciel - et je ne

sais pas comment cela peut-il arriver, puisque je suis comme un fétu de paille que le vent soulève, dans ces

heurts continuels avec la méchanceté humaine, si opposée à tout ce qui vit en moi - descend du Ciel cette

vision de paix.

C'est encore et toujours la maison d'Élisabeth. Par une belle soirée d'été encore éclairée par le soleil

couchant et où déjà l'arc de la lune semble une virgule d'argent posée sur une immense draperie d'azur foncé.

Les rosiers répandent leur forte odeur et les abeilles font leurs derniers vols, gouttes d'or bourdonnantes dans

l'air tranquille et chaud du soir. Des prés il arrive une forte odeur de foin séché au soleil, une odeur de pain,

dirait-on, de pain chaud sorti du four, Peut-être vient-elle aussi des nombreux linges étendus à sécher un peu

partout et que Sara est en train de plier.

Marie se promène lentement, donnant le bras à sa cousine. Tout doucement elles montent et descendent sous

la tonnelle à demi éclairée.

Marie a l’œil à tout, et tout en s'occupant d'Élisabeth, elle voit que Sara s'emploie à replier une longue pièce

de toile qu'elle a enlevée de dessus une haie. "Attends-moi, assieds-toi là" dit-elle à sa parente et elle s'en va

aider la vieille servante en tirant sur la toile pour défaire les plis et en la pliant avec soin. "Elle se ressent

encore du soleil, elle est chaude dit-elle avec un sourire. Et pour faire plaisir à la femme, elle ajoute : "Cette

toile, depuis ton blanchissage est devenue belle comme elle ne l'a jamais été. Il n'y a que toi pour faire si bien

les choses."

Sara s'en va toute fière avec sa charge de toile parfumée.

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Marie retourne vers Élisabeth et lui dit : "Encore quelques pas. Ça te fera du bien." Mais, puisque Élisabeth

ne voudrait pas bouger, elle lui dit : "Allons seulement voir si les colombes sont toutes dans leurs nids et si

l'eau de leur baignoire est propre, puis, nous revenons à la maison."

Les colombes doivent être les préférées d'Élisabeth. Quand elles sont devant la petite tour rustique, les

colombes sont déjà toutes rassemblées : les femelles sur les nids, les mâles immobiles devant elles, mais en

voyant les deux femmes, ils roucoulent encore pour les saluer, Élisabeth en est toute émue. La faiblesse due

à son état la domine et lui inspire des craintes qui la font pleurer . Elle s'appuie sur sa cousine : "Si j'allais

mourir... mes pauvres colombes ! Toi tu ne restes pas. Si tu restais à la maison, il ne m'importerait pas de

mourir. J'ai eu la plus grande joie qu'une femme puisse avoir, une joie que je ne m'étais résignée à ne jamais

connaître. Et même de la mort je ne pourrai me plaindre au Seigneur. Lui, qu'Il en soit béni, m'a comblée de

ses bontés. Mais il y a Zacharie... et il y aura l'enfant. L'un vieux et qui se trouverait comme perdu dans un

désert, sans sa femme. L'autre pauvre petit et qui serait comme une fleur destinée à mourir de froid parce

qu'il n'aurait pas sa maman. Pauvre bébé sans les caresses de sa mère !..."

"Mais pourquoi cette tristesse ? Dieu t'a donné la joie d'être mère et Il ne te l'enlèvera pas quand elle est à

son comble. Le petit Jean aura tous les baisers de sa maman et Zacharie tous les soins de son épouse fidèle,

jusqu'à la vieillesse la plus avancée. Vous êtes deux branches du même arbre. L'une ne mourra pas en

laissant l'autre à sa solitude."

"Tu es bonne et tu me réconfortes. Mais moi, je suis tellement vieille pour avoir un fils. Et maintenant que le

moment de le mettre au monde est venu, j'ai peur."

"Oh ! non, Jésus est ici ! Il ne faut pas avoir peur là où Jésus se trouve. Mon Enfant a allégé ta souffrance, tu

l'as dit, quand il était comme un bouton, tout juste formé. Maintenant qu'il se développe de plus en plus et

qu'il est déjà en moi comme un être bien vivant - je sens battre son petit cœur tout près de ma poitrine et j'ai

l'impression d'avoir un petit oiseau au nid par le battement léger de son petit cœur - maintenant il t'épargnera

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tout danger. Tu dois avoir foi."

"Oui, j'ai foi, mais si je venais à mourir ... n'abandonne pas tout de suite Zacharie. Je sais que tu penses à ta

maison, mais reste encore un peu pour aider mon homme dans les premiers jours de deuil."

"Je resterai pour jouir de ta joie et de la sienne et je ne partirai que lorsque tu seras forte et joyeuse. Mais,

tiens-toi tranquille, Élisabeth, tout ira bien. Ta maison ne manquera de rien à l'heure de ta souffrance.

Zacharie sera servi par la plus affectueuse servante, tes fleurs seront soignées et tes colombes aussi, et tu

retrouveras les unes et les autres joyeuses et belles pour fêter le joyeux retour de leur maîtresse. Rentrons

maintenant, je te vois pâlir ..."

Oui, il me semble que ma souffrance redouble. Peut-être l'heure est-elle venue. Marie, prie pour moi."

"Je t'aiderai par ma prière, jusqu'au moment où ta peine s'épanouira en joie."

Les deux femmes rentrent lentement à la maison.

Élisabeth se retire dans son appartement. Marie, adroite et prévoyante, donne des ordres, prépare tout ce qu'il

est possible de prévoir et réconforte Zacharie inquiet.

Dans la maison où l’on veille cette nuit et où on entend les voix étrangères des femmes qu'on a appelées à

l'aide, Marie reste vigilante, comme un phare dans une nuit de tempête. Toute la maison gravite autour d'elle.

Et elle, douce et souriante, veille à tout. Elle prie, quand elle n'est pas appelée par une chose ou une autre,

elle se recueille dans la prière. Elle est dans la pièce où on se rassemble toujours pour le repas et pour le

travail. Et, avec elle, se trouve Zacharie qui pousse des soupirs et circule, inquiet. Ils ont déjà prié ensemble,

puis Marie a continué de prier. Même à présent que le vieillard, fatigué a pris un siège et s'est assis près de la

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table et se tait tout songeur, elle prie. Et, quand elle le voit dormir pour de bon, la tête sur les bras croisés qui

s'appuient sur le table, elle délace ses sandales pour faire moins de bruit et chemine les pieds nus, Elle fait

moins de bruit qu'un papillon tournoyant dans une pièce. Elle prend le manteau de Zacharie et le pose sur lui

si délicatement qu'il continue à dormir dans la tiédeur de la laine qui le défend de la fraîcheur de la nuit,

entrant par bouffées par la porte souvent ouverte. Puis elle revient prier. Et toujours avec plus d'âme, elle

prie à genoux, les bras étendus, lorsque les cris de la malade se font plus perçants.

Sara entre et lui fait signe de sortir. Marie sort déchaussée dans le jardin. "La maîtresse vous désire." dit-elle.

"Je viens" et Marie longe la maison, monte l'escalier ...On dirait un ange blanc qui tourne dans la nuit

tranquille et constellée d'étoiles. Elle entre chez Élisabeth.

"Oh ! Marie ! Marie ! Quelle douleur ! Je n'en puis plus. Marie ! Quelle souffrance il faut endurer pour être

mère !"

Marie la caresse affectueusement et lui donne un baiser.

"Marie ! Marie ! Laisse-moi mettre la main sur ton sein !"

Marie prend les deux mains ridées et gonflées et se les pose sur l'abdomen arrondi en les tenant pressées de

ses mains lisses et légères. Et elle parle doucement, maintenant qu'elles sont seules : "Jésus est là qui se rend

compte et voit. Confiance, Élisabeth. Son cœur saint bat plus fort parce qu'il travaille en ce moment pour ton

bien. Je le sens palpiter comme si je le tenais entre mes mains. Je comprends les paroles que par ses

battements l'Enfant me dit. Il me dit en ce moment : "Dis à la femme qu'elle ne craigne pas. Encore un peu

de douleur. Et puis, au lever du soleil, au milieu de tant de roses qui attendent pour s'ouvrir sur leur tige ce

rayon matinal, sa maison aura sa rose la plus belle et ce sera Jean mon Précurseur."

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Élisabeth pose aussi son visage sur le sein de Marie et pleure doucement.

Marie reste ainsi quelque temps parce qu'il lui semble que la douleur s'endort, se relâche et se calme. Elle fait

signe à tous de rester tranquilles. Elle reste debout, blanche et toute belle dans le faible rayonnement de la

lampe à huile, comme un ange qui veille sur la souffrance. Elle prie. Je la vois remuer les lèvres, Mais,

même si je ne les voyais pas remuer, je comprendrais qu'elle prie par l'expression extasiée de son visage.

Le temps passe et la douleur reprend Élisabeth. Marie l'embrasse de nouveau. Elle descend, rapide, dans le

rayon de lune et court voir si le vieillard dort encore. Il dort et gémit tout en rêvant. Marie a un geste de pitié.

Elle se remet à prier.

Le temps passe, le vieillard se réveille et jette un regard étonné comme s'il se souvenait mal pourquoi il se

trouve là. Puis, il se rappelle, il a un geste et une exclamation gutturale. Puis il écrit : "N'est-il encore pas

né ?" Marie fait signe que non. Zacharie écrit : "Quelle douleur ! Ma pauvre femme ! En sortira-t-elle sans

mourir ?"

Marie prend la main du vieil homme et le rassure : "À l'aube, sous peu, le bambin sera né. Tout ira bien.

Élisabeth est forte. Comme il va être beau, ce jour - puisqu'il va bientôt faire jour - où ton enfant verra la

lumière ! Le plus beau jour de ta vie ! Ce sont de grandes grâces que le Seigneur te réserve pour toi, et ton

enfant en est l'annonciateur."

Zacharie secoue la tête tristement et montre sa bouche muette. Il voudrait dire tant de choses et ne le peut.

Marie comprend et répond : "Le Seigneur te donnera une joie complète. Crois en Lui complètement, espère

infiniment, aime totalement. Le Très-Haut t'exaucera au-delà de ce que tu espères. Il veut cette foi totale

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pour laver ta défiance passée. Dis en ton cœur, avec moi : "Je crois" Dis-le à chaque battement de ton cœur.

Les trésors de Dieu s’ouvrent pour qui croit en Lui et en sa puissante bonté.

La lumière commence à pénétrer par la porte entr'ouverte. Marie l'ouvre. L'aube répand une lumière blanche

sur la terre humide. Il y a une forte odeur de terre et de verdure humides. On entend les premiers pépiements

des oiseaux qui s'appellent d'une branche à l'autre.

Le vieil homme et Marie vont sur le seuil de la porte. Ils sont pâles après une nuit sans sommeil et la lumière

de l'aube les fait encore plus pâles. Marie remet ses sandales, va au pied de l'escalier et écoute. Quand une

femme se montre, elle fait un signe et revient. Rien encore.

Marie va dans une pièce et revient avec du lait chaud qu'elle donne à boire au vieillard. Elle va voir aux

colombes. Elle revient pour disparaître dans cette pièce. Peut-être est-ce la cuisine, Elle fait un tour,

surveille. Elle semble avoir eu un sommeil merveilleux tant elle est vive et tranquille.

Zacharie fait les cent pas, nerveux, monte et descend à travers le jardin. Marie le regarde avec pitié. Puis elle

entre de nouveau dans la même pièce, et agenouillée près de son métier, elle prie de toute son âme, parce que

les plaintes de la malade se font plus déchirantes. Elle se courbe jusqu'à terre pour prier l'Éternel. Zacharie

rentre et la voit prosternée ainsi et il pleure, le pauvre vieux. Marie se relève et le prend par la main. Elle

semble être la mère de cette vieillesse désolée et verse sur elle le réconfort.

Ils se tiennent ainsi, l'un près de l'autre dans le soleil qui rosit l'air du matin et c'est ainsi que les rejoint la

nouvelle joyeuse : "Il est né ! Il est né ! Un garçon ! Heureux père ! Un garçon, frais comme une rose, beau

comme le soleil, fort et vigoureux et bon comme sa mère. Joie à toi, père béni par le Seigneur qu'un fils t'a

été donné pour que tu l'offres à son Temple. Gloire à Dieu qui a accordé une postérité à cette maison !

Bénédiction à toi et au fils qui est né de toi ! Puisse sa descendance perpétuer ton nom dans les siècles des

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siècles à travers les générations et les générations et qu'elle conserve toujours l'alliance du Seigneur Éternel."

Marie, avec des larmes de joie, bénit le Seigneur. Et puis les deux reçoivent le petit, apporté au père pour

qu'il le bénisse. Zacharie ne va pas trouver Élisabeth. Il reçoit le bambin qui crie comme un perdu, mais ne

va pas trouver sa femme.

C'est Marie qui y va, portant affectueusement le bébé qui se tait tout à coup, à peine Marie l'a-t-elle pris dans

ses bras. La commère qui la suit remarque le fait. "Femme" dit-elle à Élisabeth, "ton enfant s'est tu tout d'un

coup quand Elle l'a pris. Regarde comme il dort tranquille. Et Dieu sait s'il est remuant et fort. Maintenant,

regarde, on dirait une petite colombe."

Marie met la créature près de la mère et la caresse en remettant en ordre ses cheveux gris. "La rose est née."

lui dit-elle doucement. "Et tu es en vie. Zacharie est heureux."

"Il parle ?"

"Pas encore, mais espère dans le Seigneur. Repose-toi, maintenant. Je resterai avec toi."

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Naissance de Jean Baptiste et visite des voisins

57 Quant à Élisabeth, le temps fut révolu

Où elle devait enfanter, elle donna naissance

À un fils. 58 Ses voisins et ses parents apprirent

Que le Seigneur avait fait éclater pour elle

Sa miséricorde, et ils s'en réjouissaient

Avec elle.

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La Nativité de Jésus

Je vois encore l'intérieur de ce pauvre refuge pierreux où, partageant le sort des animaux, Marie et Joseph

ont trouvé asile.

Le petit feu sommeille ainsi que son gardien. Marie soulève doucement la tête de sa couche, et regarde. Elle

voit Joseph, la tête inclinée sur la poitrine, comme s'il réfléchissait, et elle pense que la fatigue a triomphé de

sa bonne volonté de rester éveillé. Elle sourit, d'un bon sourire. Faisant moins de bruit que ne peut en faire

un papillon qui se pose sur une rose, elle s'assied, puis s'agenouille. Elle prie avec un sourire radieux sur le

visage. Elle prie, les bras étendus non pas précisément en croix, mais presque, les paumes dirigées vers le

haut et en avant, et elle ne paraît pas fatiguée de cette pose pénible. Puis, elle se prosterne, le visage contre le

foin, dans une prière encore plus profonde. Une prière prolongée.

Joseph s'éveille. Il voit le feu presque mort et l'étable presque dans les ténèbres. Il jette une poignée de

brindilles et la flamme se réveille. Il y ajoute des branches plus grosses, puis encore plus grosses car le froid

doit être piquant, le froid de la nuit hivernale et tranquille qui pénètre partout dans ces ruines. Le pauvre

Joseph tout près comme il l'est de la porte - appelons ainsi l'ouverture que son manteau essaye d'obstruer -

doit être gelé. Il approche les mains près de la flamme, défait ses sandales et approche ses pieds. Il se

chauffe. Quand le feu est bien pris, et que sa clarté est assurée, il se tourne. Il ne voit rien, pas même cette

blancheur du voile de Marie qui traçait une ligne claire sur le foin obscur. Il se lève et lentement s'approche

de la couchette.

"Tu ne dors pas, Marie ?" demande-t-il. Il le demande trois fois, jusqu'à ce qu'elle en prenne conscience et

réponde : "Je prie."

"Tu n'as besoin de rien ?"

"Non, Joseph."

"Essaie de dormir un peu, de reposer au moins."

"J'essaierai, mais la prière ne me fatigue pas."

"Adieu, Marie."

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"Adieu, Joseph."

Marie reprend sa position. Joseph pour ne plus céder au sommeil s'agenouille près du feu et il prie. Il prie

avec les mains qui lui couvrent le visage. Il ne les enlève que pour alimenter le feu et puis il revient à sa

brûlante prière. A part les crépitements du bois et le bruit du sabot de l'âne, qui de temps en temps frappe le

sol, on n'entend rien.

Un faisceau de lumière lunaire se glisse par une fissure du plafond et semble une lame immatérielle d'argent

qui s'en va chercher Marie. Il s'allonge peu à peu à mesure que la lune s'élève dans le ciel et l'atteint

finalement. Le voilà sur la tête de l'orante. Il la nimbe d'une blancheur éclatante.

Marie lève la tête comme pour un appel du ciel et elle s'agenouille de nouveau. Oh ! comme c'est beau ici !

Elle lève sa tête qui semble resplendir de la lumière blanche de la lune, et elle est transfigurée par un sourire

qui n'est pas humain. Que voit-elle ? Qu'entend-elle ? Qu'éprouve-t-elle ? Il n'y a qu'elle qui pourrait dire ce

qu'elle vit, entendit, éprouva à l'heure fulgurante de sa Maternité. Je me rends seulement compte qu'autour

d'elle la lumière croit, croit, croit. On dirait qu'elle descend du Ciel, qu'elle émane des pauvres choses qui

l'environnent, qu'elle émane d'elle surtout.

Son vêtement, d'azur foncé, a à présent la couleur d'un bleu d'une douceur céleste de myosotis, les mains et

le visage semblent devenir azurés comme s'ils étaient sous le feu d'un immense et clair saphir. Cette couleur

me rappelle, bien que plus légère, celle que je découvre dans la vision du saint Paradis et aussi celle de la

vision de l'arrivée des Mages. Elle se diffuse surtout toujours plus sur les choses, les revêt, les purifie, leur

communique sa splendeur.

La lumière se dégage toujours plus du corps de Marie, absorbe celle de la lune, on dirait qu'elle attire en elle

tout ce qui peut arriver du ciel. Désormais, c'est elle qui est la Dépositaire de la Lumière, celle qui doit

donner cette Lumière au monde. Et cette radieuse, irrésistible, incommensurable, éternelle, divine Lumière

qui va être donnée au monde, s'annonce avec une aube, une diane, un éveil de la lumière, un chœur d'atomes

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lumineux qui grandit, s'étale comme une marée qui monte, monte en immenses volutes d'encens, qui descend

comme un torrent, qui se déploie comme un voile...

La voûte, couverte de fissures, de toiles d'araignées, de décombres en saillie qui semblent miraculeusement

équilibrées, noire, fumeuse, repoussante, semble la voûte d'une salle royale. Chaque pierre est un bloc

d'argent, chaque fissure une clarté opaline, chaque toile d'araignée un baldaquin broché d'argent et de

diamants. Un gros lézard, engourdi entre deux blocs de pierre, semble un collier d'émeraude oublié là, par

une reine ; une grappe de chauve-souris engourdies émettent une précieuse clarté d'onyx. Le foin qui pend de

la mangeoire la plus haute n'est plus de l'herbe : ce sont des fils et des fils d'argent pur qui tremblent dans

l'air avec la grâce d'une chevelure flottante.

La mangeoire inférieure, en bois grossier, est devenue un bloc d'argent bruni. Les murs sont couverts d'un

brocart où la blancheur de la soie disparaît sous une broderie de perles en relief. Et le sol... qu'est-ce

maintenant le sol ? Un cristal illuminé par une lumière blanche. Les saillies semblent des roses lumineuses

jetées sur le sol en signe d'hommage ; et les trous, des coupes précieuses, d'où se dégagent des arômes et des

parfums.

Et la lumière croît de plus en plus. L'œil ne peut la supporter. En elle, comme absorbée par un voile de

lumière incandescente, disparaît la Vierge... et en émerge la Mère.

Oui, quand la lumière devient supportable pour mes yeux, je vois Marie avec son Fils nouveau-né dans ses

bras. Un petit Bébé rose et grassouillet qui s'agite et se débat avec ses mains grosses comme un bouton de

rose et des petits pieds qui iraient bien dans le cœur d'une rose ; qui vagit d'une voix tremblotante

exactement comme celle d'un petit agneau qui vient de naître, ouvrant la bouche, rouge comme une petite

fraise de bois, montrant sa petite langue qui bat contre son palais couleur de rose; qui remue sa petite tête si

blonde qu'on la croirait sans cheveux, une petite tête ronde que la Maman soutient dans le creux de l'une de

ses mains pendant qu'elle regarde son Bébé et l'adore, pleurant et riant tout ensemble et qu'elle s'incline pour

y déposer un baiser, non pas sur la tête innocente, mais sur le milieu de la poitrine sous lequel se trouve le

petit cœur, qui bat, qui bat pour nous... là où un jour sera la blessure. Elle la panse d'avance, cette blessure,

sa Maman, avec son pur baiser d'Immaculée.

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Le bœuf éveillé par la clarté se dresse avec un grand bruit de sabots et il mugit. L'âne relève la tête et brait.

C'est la lumière qui les réveille, mais j'aime penser qu'ils ont voulu saluer leur Créateur pour eux-mêmes et

pour tous les animaux.

Joseph aussi, qui comme extasié priait avec autant d'intensité qu'il s'était abstrait de tout ce qui l'entourait, se

secoue et entre ses doigts dont il se couvre le visage, il voit filtrer la lumière étrange. Il découvre le visage,

lève la tête, se retourne. Le bœuf debout, lui cache Marie, mais elle l'appelle : "Joseph, viens."

Joseph accourt et devant le spectacle s'arrête comme foudroyé de révérence, il va tomber à genoux là où il se

trouve. Mais Marie insiste : "Viens, Joseph." Elle appuie la main gauche sur le foin et tenant de la main

droite l'Enfant qu'Elle serre sur son cœur, elle se lève et se dirige vers Joseph qui marche hésitant, pris entre

le désir d'avancer et la peur d'être irrespectueux.

Au pied de la couche les deux époux se rencontrent et se regardent en pleurant de bonheur.

"Viens" dit Marie "offrons Jésus au Père."

Pendant que Joseph s'agenouille, elle, debout, entre les deux poutres qui soutiennent la voûte, élève sa

Créature entre ses bras et dit : "Me voici. C'est pour Lui, ô Dieu, que je te dis cette parole. Me voici pour

faire ta volonté. Et avec Lui, moi, Marie et Joseph mon époux. Voici tes serviteurs, Seigneur. Que soit

accomplie par nous, à toute heure et en toute occasion, ta volonté pour ta gloire et ton amour." Puis Marie se

penche et dit : "Prends, Joseph" et Elle offre l'Enfant.

"Moi ! À Moi ! Oh ! Non ! Je ne suis pas digne !" Joseph est tout effrayé, anéanti à l'idée de devoir toucher

Dieu.

Mais Marie insiste en souriant : "Tu en es bien digne. Personne ne l'est plus que toi. C'est pour cela que Dieu

t'a choisi. Prends-le, Joseph, et tiens-le pendant que je cherche les langes."

Joseph, rouge comme la pourpre, avance les bras et prend le petit bourgeon de chair qui crie parce qu'il a

froid. Quand il l'a entre les bras, il ne persiste pas dans l'intention de le tenir par respect éloigné de lui. Il le

serre contre son cœur et éclatant en sanglots : "Oh ! Seigneur ! Mon Dieu !" et il se penche pour baiser ses

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petits pieds et les sent glacés. Alors, il s'assoit sur le sol, le serre sur son sein. Avec son habit marron, avec

ses mains il s'ingénie à le couvrir, à le réchauffer, à le défendre contre la bise nocturne. Il voudrait bien aller

du côté du feu, mais là il y a un courant d'air qui entre par la porte. Mieux vaut rester où il est. Il vaut mieux

même aller entre les deux animaux qui les protégeront du courant d'air et donneront un peu de chaleur. Il va

se mettre entre le bœuf et l'âne avec les épaules tournées vers la porte, penché sur le Nouveau-né pour lui

faire de sa poitrine une niche dont les parois sont une tête grise aux longues oreilles et un grand museau

blanc aux naseaux fumants et aux bons yeux humides.

Marie a ouvert le coffre et en a tiré les linges et les langes. Elle est allée près du feu pour les réchauffer. La

voilà qui va vers Joseph et enveloppe le Bébé dans les linges tiédis, puis elle protège la petite tête avec son

voile. "Où allons-nous le mettre maintenant ?" dit-elle.

Joseph regarde autour, réfléchit... "Attends" dit-il. "Poussons plus loin les deux animaux et leur foin. Tirons

en bas le foin de la mangeoire qui est plus haut et mettons-le ici à l'intérieur. Le bord de cette mangeoire le

protégera de l'air, le foin lui fera un oreiller et le bœuf par son souffle le réchauffera un peu." Et Joseph se

met à l'ouvrage, pendant que Marie berce son Petit en le serrant sur son cœur et en appuyant sa joue sur la

petite tête pour la réchauffer.

Joseph ravive le feu sans épargner le bois pour faire une belle flamme. Il réchauffe le foin et peu à peu le

sèche et le met sur le sein pour l'empêcher de refroidir. Puis, quand il en a assez amoncelé pour faire un

petit matelas à l'Enfant, il va à la mangeoire et l'arrange pour en faire un berceau. "C'est prêt." dit-il.

"Maintenant il faudrait bien une couverture pour empêcher le foin de le piquer, et pour le couvrir..."

"Prends mon manteau." dit Marie.

"Tu auras froid."

"Oh ! cela ne fait rien ! La couverture est trop rugueuse. Le manteau est doux et chaud. Je n'ai pas du tout

froid. Mais que Lui ne souffre plus."

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Joseph prend l'ample manteau de moelleuse laine bleue sombre et l'arrange en double sur le foin, avec un

pli qui penche hors de la crèche. Le premier lit du Sauveur est prêt.

Et la Mère, de sa douce démarche ondoyante, le porte et le dépose, le recouvre avec le pli du manteau

qu'elle amène aussi autour de la tête nue qui enfonce dans le foin, à peine protégé des piqûres par le mince

voile de Marie. Il ne reste à découvert que le petit visage gros comme le poing, et les deux, penchés sur la

crèche, radieux, le regardent dormir son premier sommeil. La chaleur des langes et du foin a arrêté ses

pleurs et apporté le sommeil au doux Jésus.

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La visite des Mages

2 1 Quand Jésus fut né à Bethléem de Judée,

Dans les jours du roi Hérode, voici que des mages

Du levant se présentèrent à Jérusalem

Et dirent : “ Où est le roi des Juifs qui vient de naître ?

Puisque nous avons vu son étoile au Levant,

Et nous sommes venus nous prosterner devant lui. ”

À cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé,

Et tout Jérusalem avec lui. 4 Rassemblant

Tous les grands prêtres ainsi que les scribes du peuple,

Il leur demanda où devait naître le Christ.

5 Ils lui dirent : “ À Bethléem de Judée, ainsi

C’est écrit par le prophète :

6 Et toi, Bethléem,

Terre de Juda, tu n’es certainement pas

Le moindre des chefs-lieux de Juda ; c’est de toi

Qu’un chef sortira qui fera paître mon peuple,

Israël. ”

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7 Alors Hérode appelant les mages

En secret, se fit préciser par eux le temps

Où l’étoile était apparue. 8 Les envoyant

À Bethléem, il dit : “ Allez vous renseigner

Exactement sur l’enfant, et quand vous saurez,

Annoncez-le moi pour que moi aussi je vienne

Me prosterner devant lui. ”

9 Or, après avoir

Entendu le roi, ils s’en allèrent et voilà :

L’étoile qu’ils voyaient au Levant les précédait,

Et elle vint se placer au-dessus de l’enfant.

À la vue de l’étoile, d’une fort grande joie

Ils se réjouirent. 11 Et, entrés dans la maison

Ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, tombèrent

Prosternés devant lui, et ouvrant ses trésors

Ils lui présentèrent en dons de l’or, de l’encens,

Et de la myrrhe.

12 Avertis de ne pas retourner

En songe vers Hérode, c’est par un autre chemin

Qu’ils se retirèrent dans leur pays.

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L’Adoration des bergers

Plus tard je vois une vaste étendue de campagne. La lune est au zénith et elle cingle tranquille dans un ciel

tout constellé. Les étoiles paraissent des clous de diamant enfoncés dans un immense baldaquin de velours

bleu foncé. Et la lune rit au milieu avec sa figure toute blanche d'où descendent des fleuves de lumière

laiteuse qui donnent une teinte blanche au paysage. Les arbres dépouillés de leur feuillage se détachent plus

grands et sombres sur cette blancheur, pendant que les murets qui surgissent çà et là ressemblent à du lait

caillé. Une maisonnette, dans le lointain, semble être un bloc de marbre de Carrare.

Sur ma droite, je vois une sorte de hangar qui est construit partie en maçonnerie, partie en bois. De là, sort de

temps en temps un bêlement intermittent et bref. Ce doit être des brebis qui rêvent ou qui croient l'aube

proche à cause du clair de lune. C'est une clarté, excessive même, tant elle est intense, et qui s'accroît comme

si l'astre s'approchait de la terre ou étincelait par suite d'un mystérieux incendie.

Un berger s'avance sur le seuil. Il lève le bras à hauteur du front pour ménager ses yeux et regarde en l'air. Il

semble impossible qu'on doive s'abriter de la clarté de la lune, mais elle est si vive qu'elle éblouit, en

particulier celui qui sort d'un enclos, d'ordinaire ténébreux. Tout est calme, mais cette clarté est étonnante.

Le berger appelle ses compagnons. Ils vont tous à la porte. Un tas d'hommes hirsutes, de tous âges. Il y a des

adolescents et d'autres qui déjà blanchissent. Ils commentent le fait étrange et les plus jeunes ont peur,

spécialement un garçon d'une douzaine d'années qui se met à pleurer, s'attirant les moqueries des plus vieux.

"De quoi as-tu peur, sot que tu es ?" lui dit le plus vieux." Tu ne vois pas que l'air est tranquille ? Tu n'as

jamais vu un clair de lune ? Es-tu toujours resté sous la robe de la maman comme un poussin sous la poule

couveuse ? Mais, tu en verras des choses ! Une fois j'étais allé vers les monts du Liban, plus loin encore. Je

montais. J'étais jeune et la marche ne me fatiguait pas. J'étais riche aussi à cette époque... Une nuit, je vis une

lumière telle que je pensai qu'Élie allait revenir avec son char de feu. Le ciel était tout embrasé. Un vieux - le

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vieux c'était lui - me dit : "Un grand événement va bientôt se produire dans le monde. Et pour nous ce fut un

événement : l'arrivée des soldats de Rome. Oh ! tu en verras si tu vis..."

Mais le pastoureau ne l'écoute plus. Il semble n'avoir plus peur. En effet, il quitte le seuil et s'esquive de

derrière les épaules d'un berger musclé derrière lequel il s'était réfugié et sort dans le parc qui se trouve

devant le hangar. Il regarde en l'air et marche comme un somnambule ou comme s'il était hypnotisé par

quelque chose qui le captive totalement. À un moment il crie : "Oh !" et reste comme pétrifié, les bras

légèrement ouverts. Les autres se regardent, étonnés.

"Mais qu'a donc ce sot ?" dit quelqu'un.

"Demain je le ramène à sa mère. Je ne veux pas d'un fou pour garder les brebis" dit un autre.

Et le vieux qui a parlé précédemment dit alors : "Allons voir avant de juger. Appelez aussi les autres qui

dorment et prenez des bâtons. Il y a peut-être une mauvaise bête ou des malandrins..."

Ils rentrent, ils appellent les autres bergers et sortent avec des torches et des matraques. Ils rejoignent

l'enfant.

"Là, là" murmure-t-il en souriant. "Au-dessus de l'arbre regardez cette lumière qui arrive. On dirait qu'elle

s'avance sur un rayon de lune. La voilà qui approche. Comme elle est belle !"

"Moi, je ne vois qu'une clarté un peu vive."

"Moi aussi."

"Moi aussi." disent les autres.

"Non. Je vois quelque chose qui ressemble à un corps" dit un autre en qui je reconnais le berger qui a donné

le lait à Marie.

"C'est un... c'est un ange !" crie l'enfant. "Le voilà qui descend et s'approche... Par terre ! À genoux devant

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l'Ange de Dieu !"

Un "oh !" prolongé et respectueux s'élève du groupe des bergers qui tombent le visage contre terre et

paraissent d'autant plus frappés par l'apparition qu'ils sont plus âgés. Les plus jeunes sont à genoux et

regardent l'ange qui s'approche toujours plus, et s'arrête en l'air déployant ses grandes ailes, blancheur de

perles dans la blancheur lunaire qui l'enveloppe, au-dessus du mur d'enceinte.

"Ne craignez pas, je ne vous porte pas malheur. Je vous apporte la nouvelle d'une grande joie pour le peuple

d'Israël et pour tous les peuples de la terre." La voix angélique, c'est une harpe harmonieuse qui accompagne

des voix de rossignols.

"Aujourd'hui, dans la cité de David, est né le Sauveur." À ces mots, l'ange ouvre plus grandes ses ailes et les

agite comme par un tressaillement de joie et une pluie d'étincelles d'or et de pierres précieuses paraît s'en

échapper. Un véritable arc-en-ciel qui dessine un arc de triomphe au-dessus du pauvre parc.

"...le Sauveur qui est le Christ." L'ange brille d'une lumière plus éclatante. Ses deux ailes, maintenant

arrêtées et tendues vers le ciel semblent deux voiles immobiles sur le saphir de la mer, deux flammes qui

montent ardentes.

"...Christ, le Seigneur !" L'ange replie ses ailes de lumière et s'en couvre comme d'un survêtement de

diamant sur un habit de perles, il s'incline comme pour adorer avec les bras serrés sur le cœur et le visage qui

disparaît, incliné comme il est sur la poitrine, dans l'ombre du haut des ailes repliées. On ne voit plus qu'une

forme allongée et lumineuse, immobile pendant la durée d'un Gloria.

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Mais voici qu'il bouge. Il rouvre les ailes et lève son visage où la lumière s'épanouit en un sourire

paradisiaque et il dit : "Vous le reconnaîtrez à ces signes : dans une pauvre étable, derrière Bethléem, vous

trouverez un bébé enveloppé dans des langes couché dans une mangeoire d'animaux, parce que pour le

Messie, il n'y a pas eu de toit dans la cité de David." En disant cela, l'ange devient grave, même triste.

Mais des Cieux arrive une foule - oh ! quelle foule ! - une foule d'anges qui lui ressemblent, une échelle

d'anges qui descendent dans l'allégresse, éclipsent la lune par leur lumière paradisiaque. Ils se rassemblent

autour de l'ange annonciateur, en agitant leurs ailes, en répandant des parfums, en une harmonie musicale où

toutes les voix les plus belles de la création se retrouvent, mais portées à la perfection de leur sonorité. Si la

peinture est l'effort de la matière pour devenir lumière, ici la mélodie est l'effort de la musique pour exprimer

aux hommes la beauté de Dieu, et entendre cette mélodie c'est connaître le Paradis, où tout est harmonie de

l'amour qui de Dieu se donne, se répandant pour réjouir les bienheureux et retourner de ceux-ci à Dieu et Lui

dire : "Nous t'aimons !"

Le "Gloria" angélique se répand en ondes de plus en plus étendues sur la campagne tranquille, ainsi que la

lumière. Les oiseaux unissent leurs chants pour saluer cette lumière précoce et les brebis leurs bêlements

pour ce soleil anticipé, comme si les animaux qui saluaient leur Créateur, venu au milieu d'eux pour les

aimer comme Homme et en plus comme Dieu.

Le chant décroît, et la lumière aussi pendant que les anges remontent aux Cieux... Les bergers reviennent à

eux-mêmes.

"As-tu entendu ?"

"Allons-nous voir ?"

"Et les animaux ?"

"Oh ! il ne leur arrivera rien. Allons pour obéir à la parole de Dieu."

"Mais, où aller ?"

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"N'a-t-il pas dit qu'il était né aujourd'hui et qu'il n'avait pas trouvé de logement à Bethléem ?" Et le berger

qui a donné le lait c'est lui qui parle maintenant. "Venez, je sais. J'ai vu la femme et elle m'a fait de la peine.

Je lui ai indiqué un endroit pour elle, parce que je pensais bien qu'elle ne trouverait pas de logement, et à

l'homme je lui ai donné du lait pour elle. Elle est si jeune et si belle. Elle doit être bonne comme l'ange qui

nous a parlé. Venez, venez. Allons prendre du lait, des fromages, des agneaux et des peaux tannées de

brebis. Ils doivent être très pauvres et... qui sait quel froid pour Celui que je n'ose nommer ! Et penser que

j'ai parlé à la Mère comme à une pauvre épouse ! ..."

Ils vont au hangar et en sortent, peu après, portant qui des récipients de lait, qui des fromages ronds

enveloppés dans des filets de sparterie, qui des paniers avec un agneau bêlant, qui des peaux de brebis

apprêtées.

"Moi je porte une brebis qui a eu un agneau il y a un mois. Son lait est excellent. Il pourra leur être utile si la

femme en manque. Elle me semblait une bambine, et si pâle ! ... Un teint de jasmin, au clair de lune" dit le

berger du lait. Et il les conduit.

Ils s'en vont éclairés par la lune et des torches après avoir fermé le hangar et l'enceinte. Ils vont par les

sentiers champêtres, à travers des haies de ronces dépouillées par l'hiver. Ils font le tour de Bethléem et

arrivent à l'étable non par le chemin qu'avait suivi Marie, mais en sens contraire. Ainsi ils ne passent pas

devant les grottes mieux aménagées mais trouvent immédiatement le refuge qu'ils cherchent. Ils

s'approchent.

"Entre !"

"Moi, je n'ose pas."

"Entre, toi."

"Non."

41


"Regarde au moins."

"Toi, Lévi qui as vu l'ange le premier, cela veut dire que tu es plus bon que nous, regarde." Vraiment ils

l'avaient d'abord traité de fou... mais maintenant il leur est utile que le gamin ose ce que eux n'osent pas.

L'enfant hésite mais se décide ensuite. Il s'approche du refuge, écarte un peu le manteau... et s'arrête en

extase.

"Que vois-tu ?" lui demandent-ils anxieux à voix basse.

"Je vois une femme toute jeune et belle et un homme penché sur une mangeoire et j'entends... j'entends un

bébé qui pleure et la femme lui dit d'une voix... oh ! quelle voix !"

"Que dit-elle ?"

"Elle dit : "Jésus, mon tout petit ! Jésus, amour de ta Maman ! Ne pleure pas, mon petit Enfant !"

Elle dit : "Oh ! si je pouvais te dire : 'Prends le lait, mon tout petit ! ' Mais je ne l'ai pas encore ! " Elle dit :

"Tu as si froid, mon amour ! Le foin te pique. Quelle douleur pour ta Maman de t'entendre pleurer ainsi !

Sans pouvoir te soulager." Elle dit : "Dors, ma petite âme ! Mon cœur se fend de t'entendre et de voir tes

larmes." Elle l'embrasse et réchauffe ses petits pieds avec ses mains. Elle est penchée abaissant ses mains sur

la mangeoire.

"Appelle ! Montre que tu es là !"

"Moi non. Vous plutôt qui nous avez conduit et la connaissez."

Le berger ouvre la bouche et se borne à un soupir bruyant.

Joseph se retourne et vient à la porte. "Qui êtes-vous ?"

"Des bergers. Nous vous apportons de la nourriture et de la laine. Nous venons adorer le Sauveur."

"Entrez."

Ils entrent dans l'étable qui s'éclaire à la lumière des torches. Les vieux poussent les jeunes devant eux.

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Marie se retourne et sourit : "Venez !" dit-elle. "Venez !" et elle les invite de la main et par son sourire et elle

prend le garçon qui a vu l'ange et l'attire à elle, tout près de la crèche. Et l'enfant regarde, radieux.

Les autres, invités aussi par Joseph, s'avancent avec leurs cadeaux, et avec des paroles brèves, émues, les

déposent aux pieds de Marie. Ils regardent le petit Bébé qui pleure doucement et ils sourient, émus et

heureux.

L'un d'eux plus hardi dit : "Prends, Mère, elle est soyeuse et propre. Je l'avais préparée pour le bambin qui va

bientôt naître chez nous, mais je te la donne. Mets ton Fils dans cette laine, elle sera douce et chaude." Et il

offre une peau de brebis, une très belle peau avec une longue toison de laine toute blanche.

Marie soulève Jésus et l'en enveloppe. Elle le montre aux bergers qui, à genoux sur la litière du sol, le

regardent extasiés.

Ils se font plus hardis et l'un d'eux propose : "Il faudrait Lui donner une gorgée de lait ou mieux de l'eau et

du miel. Mais nous n'avons pas de miel. On en donne aux tout petits. J'ai sept enfants, je suis au courant... "

"Voilà du lait. Prends, Femme. "

"Mais il est froid. Il faut du chaud. Où est Élie ? C'est lui qui a la brebis."

Élie doit être l'homme au lait, mais il n'est pas là. Il s'est arrêté dehors et regarde par une fente et il est perdu

dans l'obscurité de la nuit.

"Qui vous a amenés ici ?"

"Un ange nous a dit de venir et Élie nous a conduits. Mais où est-il à présent ?"

Un bêlement de la brebis le trahit.

"Avance, on demande de toi."

43


Il entre avec la brebis, intimidé d'être le plus remarqué.

"C'est toi ?" dit Joseph qui le reconnaît. Et Marie lui sourit en disant : "Tu es bon."

Ils traient la brebis, et trempant l'extrémité d'un linge dans le lait chaud et écumeux, Marie baigne les lèvres

du Petit qui suce cette douceur crémeuse. Ils sourient tous, et plus encore lorsque avec le coin de la toile

encore entre les lèvres, Jésus s'endort dans la tiédeur de la laine.

"Mais vous ne pouvez rester ici. Il fait froid et humide. Et puis... avec cette odeur d'animaux ! Ça ne va pas...

et ça ne va pas pour le Sauveur."

"Je le sais." dit Marie avec un grand soupir. "Mais il n'y a pas de place pour nous à Bethléem."

"Prends courage, ô Femme. Nous allons te chercher une maison."

"Je vais en parler à ma patronne" dit l'homme au lait, Élie. "Elle est bonne. Elle vous accueillera, dut-elle

vous céder sa pièce. Dès qu'il va faire jour, je lui en parle. Elle a sa maison toute pleine, mais elle vous

donnera une place."

"Pour le Petit au moins. Moi et Joseph, n'importe si nous restons encore par terre. Mais pour le Petit..."

"Ne soupire pas, Femme, j'y pense. Je raconterai à beaucoup de gens ce qui nous a été dit. Vous ne

manquerez de rien. Pour le moment, prenez ce que notre pauvreté peut vous donner. Nous sommes des

bergers..."

"Nous sommes pauvres, nous aussi" dit Joseph. "Et ne pouvons vous dédommager."

"Oh ! nous ne voulons pas ! Même si vous le pouviez nous ne le voudrions pas ! Le Seigneur nous a déjà

récompensés. La paix, il l'a promise à tout le monde. Les anges disaient : "Paix aux hommes de bonne

volonté". Mais à nous, il l'a déjà donnée car l'ange a dit que cet Enfant, c'est le Sauveur, le Christ, le

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Seigneur. Nous sommes pauvres et ignorants, mais nous savons que les Prophètes disent que le Sauveur sera

le Prince de la Paix et à nous il a dit d'aller l'adorer. Ainsi il nous a donné sa paix. Gloire à Dieu au plus haut

des Cieux et gloire à celui qui est son Christ ! Et toi, sois bénie, Femme qui l'as engendré ! Tu es Sainte

puisque tu as mérité de le porter ! Commande-nous, comme une Reine, car nous serons contents de te servir.

Que pouvons-nous faire pour toi ?"

"Aimer mon Fils, et avoir toujours dans le cœur vos pensées de maintenant."

"Mais pour toi, tu ne désires rien ? Tu n'as pas de parents à qui faire savoir que ton Fils est né ?"

"Oui, j'en aurais. Mais ils ne sont pas près d'ici. Ils sont à Hébron..."

"J'y vais moi." dit Élie. "Qui sont-ils ?"

"Zacharie, le prêtre, et Élisabeth ma cousine."

"Zacharie, oh ! Je le connais bien. En été je vais sur ces montagnes où il y a de riches et beaux pâturages et

je suis l'ami de son berger. Quand je vais te savoir arrangée, je vais chez Zacharie."

"Merci, Élie."

"De rien. C'est grand honneur pour moi, pauvre berger, d'aller parler au prêtre et de lui dire : "Le Sauveur est

né."

"Non. Tu lui diras : "Marie de Nazareth, ta cousine, a dit que Jésus est né, et de venir à Bethléem."

"C'est ainsi que je dirai."

"Dieu t'en récompense, je me souviendrai de toi, de vous tous..."

"Tu parleras à ton Enfant de nous ?"

"Oui."

"Je suis Élie."

"Moi Lévi."

"Moi Samuel."

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"Moi Jonas."

"Moi Isaac."

"Moi Tobie."

"Moi Jonathas."

"Et moi Daniel."

"Et Siméon, moi."

"Et moi, mon nom est Jean."

"Moi je m'appelle Joseph et mon frère Benjamin, nous sommes jumeaux."

"Je me rappellerai vos noms."

"Il nous faut partir... Mais nous reviendrons... Et nous t'en amènerons d'autres pour adorer ! ..."

"Comment revenir au parc en laissant ce Petit ?"

"Gloire à Dieu qui nous l'a montré !"

"Fais-nous baiser son habit." dit Lévi avec un sourire d'ange.

Marie lève doucement Jésus et, assise sur le foin, présente aux baisers, les pieds minuscules, enveloppés d'un

linge. Ceux qui ont de la barbe se l'essuient d'abord. Tous, presque, pleurent et quand ils doivent partir, ils

sortent à reculons, laissant leur cœur près de la crèche...

La vision se termine ainsi pour moi : Marie assise sur la paille avec l'Enfant sur son sein et Joseph qui

accoudé au bord de la crèche, regarde et adore.

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Naissance de Jésus et visite des bergers

2 1 Or donc,

En ces jours-là, parut un édit de César

Auguste de recenser le monde entier, 2 (Aussi)

Ce premier recensement eut lieu pendant que

Quirinius était gouverneur de Syrie.

3 Tout le monde allait se faire recenser, chacun

Dans sa ville. 4 Et Joseph monta de Galilée,

Quittant la ville de Nazareth, vers la Judée,

Vers la ville de David qui s’appelle Bethléem,

Car il était de la maison, de la lignée

De David, 5 pour ne faire inscrire* avec Marie,

Sa fiancée, qui était enceinte.

6 C'est pendant

Qu’ils étaient là que le moment d’enfanter vint

Pour elle. 7 Elle enfanta son fils, le premier né.

Alors elle l’emmaillota et elle le coucha

Dans une mangeoire parce qu'il n’y avait pas

De place pour eux à l'hôtellerie.

8 Au pays

Il y avait des bergers qui vivaient aux champs

Et passaient les veilles de la nuit à veiller

Sur leur troupeau.9 L’Ange du Seigneur fut près deux

Alors la gloire du Seigneur les enveloppa

De sa clarté, ils furent d'une grande frayeur

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Saisis. 10 L’ange leur dit : " Soyez sans crainte, voici

Je vous annonce la bonne nouvelle d’une joie

Immense, qui sera pour tout le peuple : 11 Aujourd’hui

Il est né pour vous, dans la ville de David,

Un Sauveur qui est Christ Seigneur. 12 Voici pour vous

Le signe : (ainsi) vous trouverez un nouveau-né

Emmailloté et couché dans une mangeoire."

*recenser

13 Soudain se joignit à l’ange une multitude

De l’armée céleste qui louait Dieu et disait :

14 "Gloire à Dieu au plus haut, et sur terre paix aux hommes,

Qui ont sa faveur !"

15 Quand les anges les eurent quittés

Pour le ciel, les bergers disaient* entre eux : "Passons

Donc jusqu’à Bethléem, et voyons cette chose

Qui est arrivée et que le Seigneur nous a

Fait connaître." 16 Ils vinrent en hâte, ils trouvèrent Marie

Et Joseph, et le nouveau-né dans la mangeoire

Couché. 17 Ayant vu, ils firent connaître la chose

Qui leur avait été dite de cet enfant, 18 tous ceux

Qui les entendirent allaient en s'émerveillant

De ce que leur disaient les bergers. 19 Elle, Marie

Gardait avec soin toutes ces choses, dans son cœur

Les repassant. 20 Et les bergers s'en retournèrent,

Glorifiant, louant Dieu pour tout ce qu'ils avaient

Entendu et vu, selon ce qui leur avait

Été annoncé.

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Présentation de Jésus au Temple

Je vois partir d'une petite maison très modeste un couple de personnes. D'un petit escalier extérieur descend

une très jeune mère avec, entre ses bras, un bébé dans un lange blanc.

Je reconnais, c'est notre Maman. C'est toujours elle, pâle et blonde, agile et si gentille en toutes ses

démarches. Elle est vêtue de blanc, avec un manteau d'azur pâle qui l'enveloppe. Sur la tête un voile blanc.

Elle porte son Bébé avec tant de précautions. Au pied du petit escalier, Joseph l'attend auprès d'un âne gris.

Joseph est habillé de marron clair, aussi bien pour l'habit que pour le manteau. Il regarde Marie et lui sourit.

Quand Marie arrive près de l'âne, Joseph se passe la bride sur le bras gauche, et prend pour un moment le

Bébé qui dort tranquille pour permettre à Marie de mieux s'installer sur la selle. Puis, il lui rend Jésus et ils

se mettent en marche.

Joseph marche à côté de Marie en tenant toujours la monture par la bride et en veillant qu'elle marche droit

et sans trébucher. Marie tient Jésus sur son sein et, par crainte que le froid ne puisse Lui nuire, elle étend sur

Lui un pli de son manteau. Ils parlent très peu, les deux époux, mais ils se sourient souvent.

La route qui n'est pas un modèle du genre se déroule à travers une campagne que la saison a dépouillée.

Quelque autre voyageur se rencontre avec les deux ou les croise, mais c'est rare.

Puis voici des maisons qui se découvrent et des murs qui enserrent une ville. Les deux époux entrent par une

porte, puis commence le parcours sur le pavé très disjoint de la ville. La marche devient beaucoup plus

difficile, soit à cause du trafic qui fait arrêter l'âne à tout moment, soit parce que sur les pierres et les

crevasses qui les interrompent il a de continuelles secousses qui dérangent Marie et l'Enfant.

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La route n'est pas plane : elle monte bien que légèrement. Elle est étroite entre les hautes maisons aux

entrées aussi étroites et basses et aux rares fenêtres sur la rue. En haut, le ciel se montre avec tant de

morceaux d'azur de maison à maison ou de terrasse à terrasse. En bas sur la rue, il y a des gens qui crient et

croisent, d'autres personnes à pied ou à âne, ou conduisant des ânes chargés et d'autres, en arrière d'une

encombrante caravane de chameaux. À un certain endroit passe avec beaucoup de bruits de sabots et d'armes

une patrouille de légionnaires romains qui disparaissent derrière une arcade qui enjambe une rue très étroite

et pierreuse.

Joseph tourne à gauche et prend une rue plus large et plus belle. J'aperçois l'enceinte crénelée que je connais

déjà tout au fond de la rue.

Marie descend de l'âne près de la porte où se trouve une sorte d'abri pour les ânes. Je dis "abri" parce que

c'est une espèce de hangar ou mieux d'abri couvert jonché de paille avec des piquets munis d'anneaux pour

attacher les quadrupèdes. Joseph donne quelque argent à un garçon qui est accouru, pour acheter un peu de

foin et il tire un seau d'eau è un puits rudimentaire situé dans un coin, pour la donner à l'âne.

Puis, il rejoint Marie et ils entrent tous deux dans l'enceinte du Temple. Ils se dirigent d'abord vers un

portique où se trouvent ces gens que Jésus fustigea plus tard vigoureusement : les marchands de tourterelles

et d'agneaux et les changeurs. Joseph achète deux blanches colombes. Il ne change pas d'argent. On se rend

compte qu'il a déjà ce qu'il faut.

Joseph et Marie se dirigent vers une porte latérale où on accède par huit marches, comme on dirait qu'ont

toutes les portes, en sorte que le cube du Temple est surélevé au-dessus du sol environnant. Cette porte a un

grand hall comme les portes cochères de nos maisons en ville, pour en donner une idée, mais plus vaste et

plus décoré. La il y a à droite et à gauche deux sortes d'autels c'est-à-dire deux constructions rectangulaires

dont au début je ne vois pas bien à quoi elles servent. On dirait des bassins peu profonds car l'intérieur est

plus bas que le bord extérieur surélevé de quelques centimètres.

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Je ne sais si c'est Joseph qui a appelé : voilà qu'accourt un prêtre. Marie offre les deux pauvres colombes et

moi qui comprends leur sort, je détourne mon regard. J'observe les ornements du très lourd portail, du

plafond, du hall. Il me semble pourtant voir, du coin de l’œil, que le prêtre asperge Marie avec de l'eau, Ce

doit être de l'eau, car je ne vois pas de tache sur son habit. Puis, Marie, qui, en même temps que les colombes

avait donné au prêtre une petite poignée de monnaie (j'avais oublié de le dire), entre avec Joseph dans le

Temple proprement dit, accompagnée par le prêtre.

Je regarde de tous côtés. C'est un endroit très orné. Sculptures à têtes d'anges avec rameaux et ornements

courent le long des colonnes, sur les murs et le plafond. Le jour pénètre par de longues et drôles fenêtres,

étroites, sans vitres naturellement et disposées obliquement sur le mur. Je suppose que c'est pour empêcher

d'entrer les averses.

Marie s'introduit jusqu'à un certain endroit, puis s'arrête. À quelques mètres d'elle il y a d'autres marches et

au-dessus une autre espèce d'autel au-delà duquel il y a une autre construction.

Je m'aperçois que je croyais être dans le Temple et au contraire j'étais au-dedans des bâtiments qui entourent

le Temple proprement dit, c'est-à-dire le Saint, et au-delà duquel il semble que personne, en dehors des

prêtres, ne puisse entrer. Ce que je croyais être le Temple n'est donc qu'un vestibule fermé qui, de trois côtés,

entoure le Temple où est renfermé le Tabernacle. Je ne sais si je me suis très bien expliquée, mais je ne suis

pas architecte ou ingénieur.

Marie offre le Bébé, qui s'est éveillé et tourne ses petits yeux innocents tout autour, vers le prêtre, avec le

regard étonné des enfants de quelques jours. Ce dernier le prend sur ses bras et le soulève à bras tendus, le

visage vers le Temple en se tenant contre une sorte d'autel qui est au-dessus des marches. La cérémonie est

achevée. Le Bébé est rendu à sa Mère et le prêtre s'en va.

51


Il y a des gens, des curieux qui regardent. Parmi eux se dégage un petit vieux, courbé qui marche

péniblement en s'appuyant sur une canne, Il doit être très vieux, je dirais plus qu'octogénaire. Il s'approche de

Marie et lui demande de lui donner pour un instant le Bébé. Marie le satisfait en souriant.

C'est Siméon, j'avais toujours cru qu'il appartenait à la caste sacerdotale et au contraire, c'est un simple

fidèle, à en juger du moins par son vêtement. Il prend l'Enfant, l'embrasse. Jésus lui sourit avec la

physionomie incertaine des nourrissons. Il semble qu'il l'observe curieusement, parce que le petit vieux

pleure et rit à la fois et les larmes font sur sa figure des dessins emperlés en s'insinuant entre les rides et

retombant sur la barbe longue et blanche vers laquelle Jésus tend les mains : C'est Jésus, mais c'est toujours

un petit bébé et, ce qui remue devant lui, attire son attention et lui donne des velléités de se saisir de la chose

pour mieux voir ce que c'est. Marie et Joseph sourient, et aussi les personnes présentes qui louent la beauté

du Bébé.

J'entends les paroles du saint vieillard et je vois le regard étonné de Joseph, l'émotion de Marie, les réactions

du petit groupe des personnes présentes, les unes étonnées et émues aux paroles du vieillard, les autres prises

d'un fou rire. Parmi ces derniers se trouvent des hommes barbus et de hautains membres du Sanhédrin qui

hochent la tête. Ils regardent Siméon avec une ironique pitié. Ils doivent penser que son grand âge lui a fait

perdre la tête. Le sourire de Marie s'éteint en une plus vive pâleur, lorsque Siméon lui annonce la douleur.

Bien qu'elle sache, cette parole lui transperce l'âme. Marie s'approche davantage de Joseph pour trouver du

réconfort ; elle serre passionnément son Enfant sur son sein et, comme une âme altérée, et le boit les paroles

d'Anne qui, étant femme, a pitié de la souffrance de Marie et lui promet que l'Éternel adoucira l'heure de sa

douleur en lui communiquant une force surnaturelle : "Femme, Celui qui a donné le Sauveur à son peuple ne

manquera pas de te donner son ange pour soulager tes pleurs. L'aide du Seigneur n'a pas manqué aux grandes

femmes d'Israël et tu es bien plus que Judith et que Yaël. Notre Dieu te donnera un cœur d'or très pur pour

résister à la mer de douleur par quoi tu seras la plus grande Femme de la création, la Mère. Et toi, Petit,

souviens-toi de moi à l'heure de ta mission."

Ici s'arrête pour moi la vision.

52


Présentation de Jésus au Temple

22 Et quand ce fut le jour

De les purifier, selon la loi de Moïse,

Pour le présenter au Seigneur, ils l’emmenèrent

À Jérusalem 23 selon qu’il est dans la Loi

Du Seigneur écrit : " Tout mâle premier-né sera

Consacré au Seigneur, 24 pour offrir en sacrifice

Selon ce qui est dit dans la Loi du Seigneur :

(Ou) une paire de tourterelles ou deux petits

De colombes.

25 Et voici qu'il y avait un homme

À Jérusalem, son non était Syméon.

Cet homme était juste et pieux ; or, il attendait

La consolation d’Israël et l’Esprit Saint

Était sur lui. 26 Il avait été averti

Par l'Esprit qu’il ne verrait pas la mort avant

D'avoir vu le Christ du Seigneur. 27 Et par l’Esprit,

Il vint dans le Temple, or les parents amenaient

L'enfant Jésus pour faire à son égard selon

La coutume imposée par la Loi, 28 dans ses bras

Il le reçut, bénit Dieu et dit :

Le Nunc dimitis.

29 "Maintenant,

Ô Maître, renvoie ton esclave en paix selon

Ta parole, 30 puisque mes yeux ont vu ton salut,

31 Que tu as préparé en face de tous les peuples,

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Lumière qui se révèlera aux nations, gloire

De ton peuple Israël.

Prophétie de Syméon.

33 Et son père et sa mère

Étaient étonnés de ce qu’on disait de lui.

34 Syméon les bénit et il dit à Marie,

Sa mère : "Vois ; car cet enfant est là pour la chute

Et pour le relèvement (aussi) de beaucoup

En Israël et il doit être un signe en lutte

À la contradiction - 35 et toi-même, une épée

Te transpercera l’âme, pour que de biens des cœurs

Les raisonnements ne dévoilent.

Prophétie d’Anne.

36 Il y avait

Une prophétesse Anne (la) fille de Phamonel,

De la tribu d’Aser. En âge, elle était fort

Avancée. 37 Depuis sa virginité, après

Avoir habité avec son époux pendant

Sept ans, elle était restée veuve, alors âgée

De quatre-vingt-quatre ans, elle ne s’écartait pas

Du Temple, et rendait un culte à Dieu nuit et jour

Par des jeûnes et des prières, 38 Et au même moment,

Survenant, elle remerciait Dieu et elle parlait

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De l’enfant à tous ceux espérant le rachat

De Jérusalem.

Vie cachée de Jésus à Nazareth.

39 Et lorsqu’ils eurent achevé

Tout selon la Loi du Seigneur, ils retournèrent

En Galilée dans leur ville, Nazareth. 40 L’enfant

Croissait et se fortifiait et se remplissait

De sagesse. La grâce de Dieu était sur lui.

55


La fuite en Égypte

C'est la nuit. Joseph dort sur sa couchette dans sa chambre minuscule. Un sommeil tranquille de qui se

repose de beaucoup de travail accompli honnêtement et soigneusement.

Je le vois dans l'obscurité de la pièce, à peine amoindrie par un filet de lumière lunaire qui entre par la fente

de la fenêtre à peine entrebâillée mais pas fermée complètement, comme si Joseph avait chaud dans ce petit

local, ou comme s'il voulait avoir ce petit filet de lumière pour pouvoir se régler sur l'aube et se lever

promptement. Il repose sur un côté, et dans son sommeil sourit à je ne sais quelle vision, qu'il a, à un songe.

Mais le sourire se change en effroi. Il soupire profondément comme s'il avait un cauchemar et s'éveille en

sursaut.

Il s'assied sur le lit, se frotte les yeux et regarde autour de lui. Il regarde vers la petite fenêtre d'où vient le

filet de lumière, La nuit est profonde, mais il saisit le vêtement étendu au pied du lit, et toujours assis sur le

lit l'enfile sur la tunique blanche aux manches courtes qu'il a sur la peau. Il écarte les couvertures, met les

pieds à terre et cherche ses sandales. Il les enfile et les lace. Il se lève et se dirige vers la porte en face de son

lit, pas celle qui est sur le côté du lit et qui conduit à la pièce où furent accueillis les Mages. Il frappe

doucement, à peine un tic-tic, avec l'extrémité des doigts.

Il doit comprendre qu'on l'invite à entrer, car il ouvre précautionneusement la porte et la referme sans bruit.

Avant de se diriger vers la porte, il a allumé une petite lampe à huile à une seule flamme et s'éclaire avec

elle. Il entre, dans une chambre un peu plus grande que la sienne et où se trouve une couchette basse près

d'un berceau. Il y a déjà une veilleuse allumée dont la petite flamme qui tremble dans un coin semble une

petite étoile lumineuse faible et dorée qui permet de voir sans gêner le sommeil de qui dort.

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Mais Marie ne dort pas. Elle est agenouillée près du berceau dans son vêtement clair et elle prie, veillant

Jésus qui dort tranquillement. Jésus qui a l'âge où je l'ai vu dans la vision des Mages. Un enfant d'un an

environ, beau, rose et blond avec sa jolie petite tête aux cheveux bouclés enfoncée dans l'oreiller et une main

fermée sous la gorge.

"Tu ne dors pas ?" demande Joseph à voix basse, étonné. "Pourquoi ? Jésus n'est pas bien ?"

"Oh, non ! Il est bien. Je prie. Mais je dormirai après. Pourquoi es-tu venu, Joseph ?" Marie parle en restant à

genoux comme elle était.

Joseph parle à voix très basse pour ne pas éveiller le Bébé mais avec animation.

"Il faut partir tout de suite d'ici, mais tout de suite. Prépare le coffre et un sac avec tout ce que tu peux y

mettre. Je préparerai le reste. J'emporterai le plus de choses possible... À l'aube nous fuyons. Je le ferais

encore plus tôt, mais je dois parler à la propriétaire de la maison..."

"Mais pourquoi cette fuite ?"

"Je t'expliquerai après, c'est pour Jésus. Un ange me l'a dit : "Prends l'Enfant et la Mère et fuis en Égypte."

Ne perds pas de temps. Je vais préparer tout ce que je puis."

Pas besoin de dire à Marie de ne pas perdre de temps. Dès qu'elle a entendu parler d'un ange, de Jésus et de

fuir, elle a compris qu'il y a danger pour sa Créature et a bondi debout plus pâle avec son visage de cire, en

portant angoissée une main sur son cœur. Elle a commencé à marcher, rapide et légère, à ranger les

vêtements dans le coffre et dans un grand sac qu'elle a étendu sur son lit encore intact, Elle est angoissée

mais elle ne perd pas la tête, elle fait les choses avec empressement mais aussi avec ordre. De temps en

temps en passant près du berceau, elle regarde le Bébé qui dort, sans savoir.

57


"As-tu besoin d'aide ?" demande de temps à autre Joseph en passant la tête à la porte entrebâillée.

"Non, merci." répond toujours Marie.

Seulement quand le sac est plein et il doit être lourd, elle appelle Joseph pour qu'il l'aide à le fermer et à

l'enlever du lit. Mais Joseph ne veut pas qu'on l'aide et se débrouille seul en prenant le long paquet et en le

portant dans sa petite pièce.

"Est-ce que je dois prendre les couvertures de laine ?" demande Marie.

"Prends le plus possible, car le reste nous le perdrons. Mais prends tout ce que tu peux. Ce sera utile parce

que... parce que nous devons rester loin longtemps, Marie !..." Joseph est très triste en disant cela.

Et pour Marie on peut penser ce qu'il en est. Elle plie en soupirant ses couvertures et celles de Joseph, qui les

lie avec une corde.

"Nous laisserons les courte-pointes et les nattes, dit-il en ficelant les couvertures. Même si je prends trois

ânes, je ne peux trop les charger. Nous avons à parcourir une longue et pénible route, en partie à travers les

montagnes et en partie dans le désert. Couvre bien Jésus. Les nuits seront tellement froides dans les

montagnes et le désert. J'ai pris les cadeaux des Mages qui nous seront utiles là-bas. Tout ce que j'ai, je le

dépense pour acheter les deux ânes. Nous ne pouvons pas les renvoyer et je dois payer comptant. Je vais sans

attendre l'aube. Je sais où les trouver. Toi, finis de tout préparer." et il sort.

Marie recueille encore quelque objet, puis après avoir observé Jésus, elle sort et revient avec des petits

vêtements qui paraissent encore humides, peut-être lavés de la veille. Elle les plie, les enroule dans un linge

et les met avec le reste. Plus rien. Elle se tourne et voit dans un coin un petit jouet de Jésus : une petite brebis

taillée dans le bois. Elle la prend en sanglotant et l'embrasse. Le bois porte les traces des petites dents de

Jésus et les oreilles de la brebis sont toutes mordillées. Marie caresse cet objet sans valeur, taillé dans un

morceau de bois blanc, mais de si grand prix pour elle parce que il lui dit l'affection de Joseph pour Jésus et

lui parle de son Bébé. Elle le joint aux autres objets sur le coffre fermé. Maintenant il n'y a vraiment plus

rien. Jésus seulement dans son berceau. Marie pense qu'il faudrait bien préparer le Bébé. Elle va au berceau

et le remue un peu pour réveiller le Petit. Mais il gémit un instant, se retourne et continue de dormir. Marie

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caresse doucement les boucles de ses cheveux. Jésus ouvre sa petite bouche pour bailler. Marie se penche et

le baise sur la joue. Jésus achève de se réveiller. Il ouvre les yeux. Il voit la Maman et sourit et tend ses

mains vers son sein.

"Oui, amour de ta Maman. Oui, le lait. Avant l'heure habituelle... Mais tu es toujours prêt à sucer ta Maman,

mon saint petit agneau !"

Jésus rit et joue en agitant ses petits pieds hors des couvertures agitant les bras avec une de ces joies

enfantines, si charmantes à voir. Il appuie ses pieds contre l'estomac de sa Maman, se courbe et appuie sa

tête blonde sur son sein. Puis il se rejette en arrière et rit en saisissant les cordons qui ferment le vêtement de

Marie et en essayant de l'ouvrir. Dans sa chemisette de lin, il apparaît très beau, grassouillet, rose comme

une fleur.

Marie se penche et restant ainsi en travers du berceau dont elle se fait une protection, elle pleure et rit à la

fois, pendant que le Bébé babille avec ces paroles - qui n'en sont pas - de tous les bébés et où on distingue

nettement "Maman". Il la regarde étonné de la voir pleurer. Il étend la main vers les larmes claires qui

sillonnent les joues de Marie et la mouille en faisant des caresses. Puis dans cette délicieuse attitude, il

s'appuie de nouveau sur le sein maternel, se serre tout contre en le caressant de sa petite main.

Marie baise sa chevelure, le prend, s'assied et l'habille. Voilà : le petit vêtement de laine est enfilé et ses

pieds ont chacun des sandales minuscules. Elle lui donne le lait et Jésus suce avidement le bon lait de sa

Maman. Quand il lui semble qu'à droite il n'en vient plus qu'un peu, il s'en va chercher à gauche et rit, et ce

faisant il regarde par en dessous sa Maman. Puis il s'endort, la tête sur le sein de Marie, sa petite joue rose et

ronde contre le sein blanc et arrondi de sa Mère.

59


Marie se relève, doucement et le dépose sur la courte pointe de son lit. Elle le couvre de son manteau. Elle va

au berceau et plie les petites couvertures. Elle se demande si elle doit prendre aussi le petit matelas. Il est si

petit ! Elle peut le prendre, Elle le met, avec l'oreiller, près des objets qui sont déjà sur le coffre ; et elle

pleure sur le berceau vide, pauvre Maman, persécutée dans sa Créature !

Joseph revient : "Es-tu prête ? Jésus l'est-il aussi ? As-tu pris ses couvertures, sa petite couchette ? Nous ne

pouvons emporter le berceau, mais au moins qu'il ait son petit matelas, le pauvre Petit qu'ils cherchent à faire

mourir !"

"Joseph !" Elle pousse un cri pendant qu'elle s'accroche au bras de Joseph.

"Oui, Marie, à le faire mourir ! Hérode veut sa mort... parce qu'il en a peur ... pour son pouvoir royal, il a

peur de cet Innocent, ce fauve immonde. Que fera-t-il quand il apprendra qu'il est en fuite, je ne sais. Mais

nous serons loin alors. Je ne crois pas qu'il se vengera en le cherchant jusqu'en Galilée. Déjà il serait trop

difficile de découvrir que nous sommes Galiléens et encore moins de Nazareth, et qui nous sommes,

exactement. À moins que Satan ne l'aide pour le remercier d'être pour lui un serviteur dévoué. Mais... si cela

arrivait... Dieu nous aidera de son côté. Ne pleure pas Marie. Te voir pleurer m'afflige bien plus que de

devoir partir pour l'exil. "

"Pardonne-moi, Joseph ! Ce n'est pas pour moi que je pleure; ni pour le peu de bien que je perds. C'est pour

toi... Tu as déjà dû tellement te sacrifier ! Et maintenant tu vas te trouver sans clients, sans maison ! Combien

je te coûte, Joseph !"

"Combien ? Non, Marie. Tu ne me coûtes pas. Tu me consoles. Toujours. Ne pense pas à demain. Nous

avons les richesses des Mages. Elles nous aideront pour les premiers temps. Puis, je trouverai du travail. Un

ouvrier honnête et capable se débrouille, tout de suite. Tu as vu ici. Je n'arrivais pas à trouver du temps pour

tout faire."

"Je sais, mais qui te guérira de ta nostalgie ?"

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"Et toi, qui te guérira de la nostalgie de la maison qui t'est si chère ?"

"Jésus. En le possédant j'ai encore ce que j'ai eu là-bas."

"Et moi, possédant Jésus, je possède la patrie que j'espérais retrouver il y a quelques mois. Je possède mon

Dieu. Tu vois que je n'ai rien perdu de ce qui par-dessus tout m'est cher. Il nous suffit de sauver Jésus et

alors tout nous reste. Même si nous ne devions plus voir ce ciel, ces campagnes et celles plus chères de la

Galilée, nous aurions tout parce que nous l'avons, Lui. Viens, Marie, l'aube commence à poindre il est temps

de saluer notre hôtesse et de charger nos affaires. Tout ira bien."

Marie se lève obéissante. Elle s'enveloppe dans son manteau pendant que Joseph fait un dernier paquet qu'il

emporte en sortant.

Marie soulève délicatement le Bébé, l'enveloppe dans un châle et le serre sur son cœur. Elle regarde les murs

qui l'ont abritée des mois durant et les effleure de la main. Bienheureuse maison qui as mérité d'être aimée et

bénie par Marie ! Elle sort. Elle traverse la petite pièce qui était celle de Joseph, elle entre dans l'autre pièce.

La propriétaire, toute en larmes, l'embrasse et la salue. Soulevant un coin du châle, elle baise au front le

Bébé qui dort tranquille. Ils descendent le petit escalier extérieur.

Il y a une première clarté de l'aube qui permet tout juste de distinguer les objets. Dans cette pénombre on

aperçoit les trois montures. La plus robuste porte les charges. Les autres ont la selle. Joseph s'applique à bien

disposer le coffre et les paquets sur le bât du premier âne. Je vois empaquetés et posés sur le haut du sac les

outils de charpentier. De nouveau, adieux et larmes, puis Marie monte sur son âne pendant que la

propriétaire tient Jésus à son cou et le baise une dernière fois avant de le rendre à sa Mère, Joseph aussi

monte en selle après avoir attaché son âne à celui qui porte les bagages pour être libre de tenir l'ânon de

Marie.

61


La fuite commence pendant que Bethléem, qui rêve encore à la scène fantasmagorique des Mages, dort

tranquillement, inconsciente de ce qui l'attend.

C'est la fin de la vision.

62


Fuite en Égypte et massacre des Innocents

13 Et voilà

Qu’un Ange du Seigneur, quand ils se retirèrent

Apparut en songe à Joseph et dit ceci :

“ Lève-toi, prends l’enfant et sa mère, en Égypte

Fuis, et restes-y jusqu’à ce que je te parle.

Car Hérode va rechercher l’enfant pour le prendre. ”

14 Ainsi lui, se leva, prit de nuit l’enfant

Et sa mère, et il se retira en Égypte.

Il y fit jusqu’à la mort d’Hérode, pour remplir

Cette parole du Seigneur par le prophète,

Qui dit ceci :

D’Égypte, j’ai appelé mon fils.

Or Hérode, voyant qu’il avait été joué

Par les mages entra en fureur et envoya

Tuer de Bethléem, de tout son territoire

Tous les garçons âgés de moins de deux années

D’après la durée qu’il s’était fait préciser

Par les mages. 17 Alors fut remplie cette parole

Du Prophète Jérémie qui dit :

18 Une voix

Est entendue dans Rama, sanglots, longue plainte,

C’est Rachel qui pleure ses enfants et ne veut pas

Être consolée car ils ne sont plus.

63


La discussion de Jésus avec les Docteurs au Temple

Je vois Jésus. C'est un adolescent. Vêtu d'une tunique qui me semble de lin blanc et lui descend jusqu'aux

pieds. Il se drape par-dessus dans une étoffe rectangulaire d'un rouge clair. Il est tête nue avec des cheveux

longs qui lui descendent à moitié des oreilles, plus foncés que lorsque je l'ai vu plus petit. C'est un garçon

robuste, très grand pour son âge, mais dont le visage est vraiment enfantin.

Il me regarde et me sourit en me tendant les mains. Un sourire pourtant qui ressemble déjà à celui que je Lui

vois adulte : doux et plutôt sérieux. Il est seul. Je ne vois rien d'autre en ce moment. Il est appuyé à un petit

mur au-dessus d'une ruelle toute en montées et descentes, pierreuse avec au milieu un creux qui, par temps

de pluie, se transforme en ruisseau. Pour l'heure il est à sec car la journée est belle.

Il me semble de m'approcher aussi du muret et de regarder à l'entour et en bas comme fait Jésus. Je vois un

groupe de maisons rassemblées sans alignement. Il y en a de hautes, de basses et orientées dans tous les sens.

Cela ressemble - la comparaison est pauvre mais assez juste - à une poignée de cailloux blancs jetés sur un

terrain sombre. Les rues et ruelles apparaissent comme des veines au milieu de cette blancheur. Ça et là des

arbres sortent d'entre les murs. Beaucoup sont en fleurs et beaucoup couverts de feuilles nouvelles. Ce doit

être le printemps.

À gauche, par rapport à moi qui regarde, il y a une grande agglomération, disposée sur trois rangées de

terrasses couvertes de bâtiments, et puis des tours, des cours et des portiques au centre desquels se dresse un

bâtiment plus haut, majestueux, très riche, à coupoles rondes qui brillent au soleil comme si elles étaient

couvertes de métal, cuivre ou or. Le tout est entouré d'une muraille crénelée, de créneaux à la façon de M

comme si c'était une forteresse. Une tour plus haute que les autres à cheval sur une rue plutôt étroite et qui

est en saillie domine nettement cette vaste agglomération. On dirait une sentinelle sévère.

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Jésus regarde fixement cet endroit, puis il se retourne appuyant de nouveau le dos au muret comme il était

d'abord, puis il regarde un petit monticule qui est en face de l'agglomération, un monticule couvert de

maisons jusqu'à la base et ensuite dénudé. Je vois qu'une rue se termine là avec un arceau au-delà duquel il

n'y a plus qu'une rue pavée de pierres quadrangulaires, irrégulières et mal assemblées. Elles ne sont pas

exagérément grandes comme les pierres des routes consulaires romaines. Elles ressemblent plutôt aux pierres

classiques des vieux trottoirs de Viareggio (je ne sais s'ils existent encore) mais mal assemblées. Une

mauvaise route. Le visage de Jésus devient tellement sérieux que je me mets à chercher sur ce monticule la

cause de cette mélancolie. Mais je ne trouve rien de spécial. C'est une hauteur dénudée. C'est tout. En

revanche, je perds Jésus. En effet, quand je me retourne, il n'est plus là. Et je m'assoupis avec cette vision.

...Quand je me réveille, avec au cœur le souvenir de cette vision, après avoir retrouvé un peu de forces et de

calme, car tout le monde dort, je me trouve dans un endroit que je n'ai jamais vu. Il y a des cours, des

fontaines, des maisons, ou plutôt des pavillons que des maisons. Cela semble être en effet plutôt des

pavillons que de maisons. Il y a là une foule nombreuse, habillée à l'ancienne mode hébraïque et beaucoup

de cris. En regardant autour de moi, je me rends compte que je suis à l'intérieur de cette agglomération que

Jésus regardait. Je vois en effet la muraille crénelée qui l'entoure, la tour qui fait sentinelle et l'imposant

bâtiment qui se dresse au centre et sur lequel s'appuient les portiques très beaux et vastes où se trouve une

foule occupée qui à une chose, qui à une autre.

Je me rends compte que je me trouve dans l'enceinte du Temple de Jérusalem. Je vois des pharisiens en

longs vêtements flottants, des prêtres vêtus d'habits de lin avec une plaque de métal précieux au sommet de

la poitrine et sur le front et d'autres points qui luisent ça et là sur les vêtements très amples et blancs que

retient à la taille une ceinture de grand prix. Puis, il y en a d'autres, moins chamarrés qui doivent encore

appartenir à la caste sacerdotale et qui sont entourés de disciples plus jeunes. Je vois que ce sont des docteurs

de la Loi.

65


Je me trouve égarée au milieu de tous ces personnages, ne sachant pas bien ce que j'ai à faire là dedans. Je

m'approche d'un groupe de docteurs où a débuté une discussion théologique. Une grande foule s'en approche

aussi.

Parmi les "docteurs" il y a un groupe à la tête duquel se trouve un certain Gamaliel avec un autre, âgé et

presque aveugle, que soutient Gamaliel au cours de la discussion. Celui-là, je l'entends appeler Hillel (je

mets l'H parce que je vois qu'il y a une aspiration au début du nom), il semble le maître ou le parent de

Gamaliel parce que ce dernier le traite avec confiance et respect en même temps. Le groupe de Gamaliel a

des vues plus larges, alors qu'un autre groupe, et c'est le plus nombreux, est dirigé par un certain Sciammaï et

est caractérisé par une intransigeance haineuse et rétrograde que l'Évangile met si bien en lumière.

Gamaliel, entouré d'un groupe important de disciples, parle de la venue du Messie. S'appuyant sur la

prophétie de Daniel, il soutient que le Messie doit être déjà né. En effet, depuis une dizaine d'années environ,

les soixante-dix semaines indiquées par la prophétie sont accomplies, à dater du décret de reconstruction du

Temple. Sciammaï le combat en affirmant que s'il est vrai que le Temple a été reconstruit, il n'est pas moins

vrai que l'esclavage d'Israël n'a fait que croître et que la paix qu'aurait dû apporter avec lui Celui que les

Prophètes appellent "le Prince de la paix" est bien loin d'exister dans le monde et spécialement à Jérusalem

opprimée par un ennemi qui ose pousser sa domination jusqu'à l'enceinte du Temple dominée par la Tour

Antonia remplie de légionnaires romains, prêts à apaiser avec leur épée tout soulèvement patriotique.

La discussion, pleine d'arguties, tire en longueur : chaque maître fait étalage d'érudition pas tant pour vaincre

son rival que pour s'imposer à l'admiration des auditeurs. Cette intention est évidente.

Du groupe serré de ses fidèles sort une fraîche voix d'enfant : "C'est Gamaliel qui a raison."

Mouvement de la foule et du groupe des docteurs. On cherche l'interrupteur. Mais pas besoin de le chercher ;

il ne se cache pas. Il se manifeste et s'approche du groupe des "rabbi". Je reconnais mon Jésus adolescent. Il

est sûr de Lui et franc, avec des yeux intelligents qui étincellent.

66


"Qui es-tu ?" Lui demande-t-on.

"Un fils d'Israël venu accomplir ce que la Loi ordonne."

La réponse hardie et sûre d'elle-même le rend sympathique et Lui vaut des sourires d'approbation et de

bienveillance. On s'intéresse au petit Israélite.

"Comment t'appelles-tu ?"

"Jésus de Nazareth."

La bienveillance s'atténue dans le groupe de Sciammaï. Mais Gamaliel, plus bienveillant, poursuit le

dialogue en même temps que Hillel. Ou plutôt c'est Gamaliel qui, respectueusement, dit au vieillard :

"Demande quelque chose à l'enfant."

"Sur quoi fondes-tu ta certitude ? " demande Hillel. (Je mets les noms en tête des réponses pour abréger et

rendre plus clair).

Jésus : "Sur la prophétie qui ne peut faire erreur sur l'époque et les signes qui l'ont accompagnée quand ce

fut le moment de sa réalisation. C'est vrai que César nous domine. Mais le monde était tellement paisible et

la Palestine si calme quand expirèrent les soixante-dix semaines qu'il fut possible à César d'ordonner un

recensement dans ses domaines. Il ne l'aurait pas pu s'il y avait eu la guerre dans l'Empire et des

soulèvements en Palestine. Comme ce temps était accompli, ainsi va se terminer l'autre intervalle de temps

de soixante-deux semaines plus une depuis l'achèvement du Temple, pour que le Messie soit consacré et que

se réalise la suite de la prophétie pour le peuple qui ne l'a pas accepté. Pouvez-vous avoir des doutes ? Ne

vous rappelez-vous pas de l'étoile que virent les Sages d'Orient et qui alla justement se poser dans le ciel de

Bethléem de Juda et que les prophéties et les visions, depuis Jacob et par la suite, indiquent ce lieu comme

destiné à accueillir la naissance du Messie, fils du fils du fils de Jacob, à travers David qui était de

Bethléem ? Ne vous rappelez-vous pas Balaam ? "Une Étoile naîtra de Jacob." Les Sages d'Orient, auxquels

la pureté et la foi gardaient ouverts les yeux et les oreilles, ont vu l'Étoile et compris son nom : "Messie" et

ils sont venus adorer la Lumière allumée dans le monde."

67


Sciammaï, le regard livide : "Tu dis que le Messie est né au temps de l'Étoile à Bethléem Ephrata ?"

Jésus : "Je le dis."

Sciammaï : "Alors il n'existe plus. Tu ne sais pas, Enfant, qu'Hérode fit tuer tous les garçons de un jour à

deux ans de Bethléem et des environs ? Toi qui connais si bien les Écritures, tu dois aussi savoir cela : "Un

cri s'est élevé... C'est Rachel qui pleure ses enfants. Les vallées et les collines de Bethléem qui ont recueilli

les pleurs de Rachel mourante sont restées remplies de ces pleurs, et les mères l'ont répété sur leurs fils

massacrés. Parmi elles, il y avait certainement aussi la Mère du Messie."

Jésus : "Tu te trompes, vieillard. Les pleurs de Rachel se sont changés en hosanna, parce que là où elle avait

mis au jour "le fils de sa douleur", la nouvelle Rachel a donné au monde le Benjamin du Père céleste, le Fils

de sa droite, Celui qui est destiné à rassembler les peuples sous son sceptre et à le libérer de la plus terrible

servitude."

Sciammaï : "Et comment, s'il a été tué ?"

Jésus : "N'as-tu pas lu, en parlant d'Élie ? Il fut enlevé dans un char de feu Et le Seigneur Dieu ne pourra pas

avoir sauvé son Emmanuel pour qu'il fût le Messie de son peuple ? Lui qui a ouvert la mer devant Moïse

pour qu'Israël rejoignit à pieds secs son territoire, II n'aura pas pu ordonner à ses anges de sauver son Fils,

son Christ, de la férocité de l'homme ? En vérité je vous le dis : le Christ vit et il est parmi vous et quand sera

venue son heure, il se manifestera dans sa puissance." Jésus, en disant ces paroles que je souligne, a dans la

voix un éclat qui remplit l'espace. Ses yeux brillent encore davantage et comme mus par le pouvoir et la

promesse, il tend le bras et la main droite comme pour un serment. C'est un enfant, mais il est solennel

comme un homme.

Hillel : "Enfant, qui t'a enseigné ces paroles ?"

Jésus : "L'Esprit de Dieu. Je n'ai pas de maître humain. C'est la parole de Dieu que vous entendez par mes

lèvres."

Hillel : "Viens, parmi nous, que je te voie de près, ô Enfant ! Mon espérance se ravive au contact de ta foi et

mon âme s'illumine au soleil de la tienne."

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Et on fait asseoir Jésus sur un siège élevé entre Gamaliel et Hillel et on Lui apporte des rouleaux pour qu'il

les lise et les explique. C'est un examen en règle. La foule se presse et écoute.

La voix enfantine de Jésus lit : "Console-toi, ô mon peuple. Parlez au cœur de Jérusalem, consolez-la car son

esclavage est fini... Voix de quelqu'un qui crie dans le désert : préparez les chemins du Seigneur.... Alors

apparaîtra la gloire du Seigneur...".

Sciammaï: "Tu le vois. Nazaréen ! Ici on parle d'esclavage fini. Jamais comme à présent nous sommes

esclaves. Ici on parle d'un précurseur. Où est-il ? Tu radotes !"

Jésus: "Je te dis que c'est à toi plus qu'aux autres que t'invite le Précurseur. À toi et à tes semblables.

Autrement tu ne verras pas la gloire du Seigneur et tu ne comprendras pas la parole de Dieu, parce que la

bassesse, l'orgueil, la dissimulation t'empêcheront de voir et d'entendre."

Sciammaï: "C'est ainsi que tu parles à un maître ?"

Jésus: "C'est ainsi que je parle, ainsi que je parlerai jusqu'à la mort. Car au-dessus de mon intérêt il y a celui

du Seigneur et l'amour pour la Vérité dont je suis le Fils. Et j'ajoute pour toi, ô rabbi, que l'esclavage dont

parle le Prophète et dont je parle Moi aussi, n'est pas celui que tu crois, et la royauté n'est pas celle à laquelle

tu penses. Mais au contraire, c'est par les mérites du Messie que l'homme sera libéré de l'esclavage du Mal

qui le sépare de Dieu et le caractère du Christ s'imprime sur les esprits libérés de tout joug et soumis à son

règne éternel. Toutes les nations inclineront la tête, ô race de David, devant le Germe né de toi et devenu

l'arbre qui couvre toute la terre et s'élève jusqu'au Ciel. Au Ciel et sur la terre toute bouche louera son Nom

et tout genou fléchira devant le Consacré de Dieu, le Prince de la paix, celui qui enivrera de Lui-même toute

âme fatiguée et rassasiera toute âme affamée, le Chef, le Saint qui conclura une alliance entre la terre et le

Ciel. Non pas comme celle qui fut conclue avec les Pères d'Israël quand Dieu les fit sortir d'Égypte, en les

traitant encore comme des serviteurs, mais en gravant la pensée de la Paternité céleste dans les esprits des

hommes avec la Grâce nouvellement versée en eux par les mérites du Rédempteur par qui tous les bons

connaîtront le Seigneur, et le Sanctuaire de Dieu ne sera plus abattu ni détruit."

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Sciammaï : "Mais ne blasphème pas, Enfant ! Rappelle-toi Daniel. Il dit qu'après la mort du Christ, le

Temple et la Cité seront détruits par un peuple et un chef qui viendra pour cela. Et Toi, tu soutiens que le

Sanctuaire de Dieu ne sera plus abattu ! Respecte les Prophètes !"

Jésus : "En vérité je te dis qu'il y a Quelqu'un qui est plus que les Prophètes et tu ne le connais pas, ni ne le

connaîtras pas parce qu'il te manque de vouloir le connaître. Et je t'affirme que tout ce que j'ai dit est vrai. Il

ne connaîtra plus la mort, le vrai Sanctuaire, mais comme Celui qui le sanctifie, il ressuscitera pour la vie

éternelle et à la fin des jours du monde, il vivra au Ciel."

Hillel : "Écoute, Enfant. Aggée dit : " ...II viendra le Désiré des Nations. Grande sera la gloire de cette maison

et de cette dernière plus que de la première." Il veut peut-être parler du même sanctuaire

que Toi ?"

Jésus : "Oui, Maître, c'est cela qu'il veut dire. Ta droiture t'achemine vers la Lumière et Moi je te dis : quand

le Sacrifice du Christ sera accompli, la paix viendra vers toi parce que tu es un Israélite sans malice."

Gamaliel : "Dis-moi, Jésus. La paix dont parlent les Prophètes, comment peut-on l'espérer si la guerre vient

détruire ce peuple ? Parle et éclaire-moi aussi."

Jésus : "Ne te souviens-tu pas. Maître, de ce que dirent ceux qui furent présents la nuit de la naissance du

Christ ? Que les troupes angéliques chantèrent : "Paix aux hommes de bonne volonté." Mais la volonté de ce

peuple n'est pas bonne et il n'aura pas la paix. Il méconnaîtra son Roi, le Juste, le Sauveur parce qu'il attend

un roi revêtu de la puissance humaine alors que Lui est le Roi de l'esprit. Ce peuple ne l'aimera pas, parce

que le Christ prêchera ce qui ne plaît pas à ce peuple. Le Christ ne combattra pas des ennemis pourvus de

chars et de cavalerie, mais les ennemis de l'âme qui inclinent vers des jouissances infernales le cœur de

l'homme créé pour le Seigneur. Et cela, ce n'est pas la victoire qu'Israël attend de Lui. Il viendra, Jérusalem,

ton Roi monté sur " l'ânesse et l'ânon", c'est à dire les justes d'Israël et les gentils. Mais l'ânon, je vous le dis,

lui sera plus fidèle et le suivra précédant l'ânesse et grandira sur la route de la Vérité et de la Vie. Israël, à

cause de sa volonté mauvaise, perdra la paix et souffrira en elle-même, pendant des siècles, ce qu'il a fait

souffrir à son Roi réduit par eux à être l'Homme des Douleurs dont parle Isaïe."

70


Sciammaï : "Ta bouche profère à la fois des enfantillages et des blasphèmes, Nazaréen. Réponds : et où est

le Précurseur ? Quand l'avons-nous eu ?"

Jésus : "Il existe. Malachie ne dit-il pas : "Voici que j'envoie mon ange préparer devant Moi le chemin et

immédiatement viendra à son Temple le Dominateur que vous cherchez et l'Ange du Testament que vous

désirez ardemment " ? Donc, le Précurseur précède immédiatement le Christ. Il est déjà là, comme le Christ.

S'il y avait des années entre celui qui prépare le chemin au Seigneur et le Christ, tous les chemins

s'encombreraient et dévieraient. Dieu le sait et il a décidé que le Précurseur précède d'une seule heure le

Maître. Quand vous verrez ce Précurseur, vous pourrez dire : "La mission du Christ est commencée." À toi

je dis : le Christ ouvrira beaucoup d'yeux et beaucoup d'oreilles quand Il viendra par ces chemins. Mais ce ne

sont pas les tiens ni ceux de tes semblables, car vous lui donnerez la mort en échange de la Vie qu'il vous

apporte. Mais quand, plus grand que ce Temple, plus haut que le Tabernacle enfermé dans le Saint des

Saints, plus haut que la Gloire que soutiennent les Chérubins, le Rédempteur sera sur son trône et sur son

autel, la malédiction pour les déicides et la vie pour les gentils couleront de ses mille et mille blessures. Car

Lui, ô maître toi qui l'ignores, n'est pas, je le répète, Roi d'une domination humaine, mais d'un Royaume

spirituel, et ses sujets seront uniquement ceux qui par leur amour sauront renaître en leur esprit et comme

Jonas, après une première naissance, renaître sur d'autres rivages : "ceux de Dieu" à travers la régénération

spirituelle qui viendra par le Christ qui donnera la vraie vie à l'humanité."

Sciammaï et son entourage : "Ce Nazaréen est Satan !"

Hillel et les siens : "Non. Cet enfant est un Prophète de Dieu. Reste avec nous, Petit. Ma vieillesse

transmettra ce qu'elle sait à ton savoir et tu seras Maître du Peuple de Dieu."

Jésus : "En vérité, je te dis que si beaucoup étaient comme toi, le salut arriverait à Israël. Mais mon heure

n'est pas venue. Les voix du Ciel me parlent et, dans la solitude je dois les recevoir jusqu'à ce que mon heure

arrive. Alors, avec mes lèvres et mon sang, je m'adresserai à Jérusalem, et mon sort sera celui des Prophètes

lapidés et assassinés par elle. Mais, au-dessus de mon être, il y a celle du Seigneur Dieu, auquel je soumets

Moi-même pour qu'il fasse de Moi l'escabeau de sa gloire, en attendant que Lui fasse du monde un escabeau

pour les pieds du Christ. Attendez-Moi à mon heure. Ces pierres entendront de nouveau ma voix et frémiront

71


à ma dernière parole. Bienheureux ceux qui, en cette voix, auront écouté Dieu et croiront en Lui par son

entremise. À ceux-là le Christ donnera son Royaume dont votre égoïsme rêve qu'il sera tout humain alors

qu'il est céleste. Pour l'avènement de ce Royaume, Moi, je dis: "Voici ton serviteur, Seigneur, venu pour

faire ta Volonté. Réalise-la entièrement, car je brûle de l'accomplir."

Et ici se termine la vision de Jésus avec son visage enflammé d'ardeur spirituelle, tourné vers le ciel, les bras

ouverts, debout au milieu des docteurs stupéfaits.

72


Jésus parmi les docteurs

41 Et ses parents se rendaient à Jérusalem

Chaque année pour la fête de Pâque. 42 Lorsqu’il eut

Douze ans, comme c’était la coutume pour la fête

Ils y montèrent, 43 une fois les jours accomplis

Comme ils s’en retournaient, l’enfant Jésus resta

À Jérusalem à l’insu de ses parents.

44 Croyant qu’il était dans la caravane, ils firent

Une journée de chemin, ils le recherchaient

Parmi leurs parents et connaissances.45 Et toujours

À sa recherche, et pourtant ne le trouvant pas

Ils s'en retournèrent à Jérusalem.

46 Au bout,

De trois jours, ils le trouvèrent dans un Temple, assis

Au milieu des docteurs. Et il les écoutait,

Et il les interrogeait. 47 Tous ceux qui l’entendaient

Étaient en extase devant son intelligence

Et ses réponses.48 En le voyant, ils furent frappés

D’étonnement, et sa mère lui dit : "Mon enfant,

Pourquoi nous as-tu fait cela ? Ton père et moi,

Vois ! Nous te cherchons tourmentés." 49 Et il leur dit :

"Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas

Que je dois être aux affaires de mon Père ? " 50 Et eux

Ne comprirent pas la parole qui leur avait dite.

73


TOME II

74


Baptême de Jésus au Jourdain

Je vois une plaine inhabitée et sans végétation. Il n'y a pas de champs cultivés, quelques rares plantes

formant çà et là des touffes, comme des familles de végétaux là où le sol a un peu de profondeur et se trouve

moins aride. Remarquez que ce terrain aride et inculte est à ma droite alors que le Nord se trouve derrière

moi, et se prolonge pour moi dans la direction du Sud.

À gauche, en revanche, je vois un fleuve aux berges plutôt basses qui coule lentement lui aussi du Nord au

Sud. D'après le mouvement très lent de l'eau, je comprends que son lit n'a pas une pente très forte et que ce

fleuve coule dans une sorte de dépression de la plaine. Le courant est à peine suffisant pour empêcher la

stagnation de l'eau et la formation d'un marécage. L'eau n'a pas de profondeur : c'est un point où l'on aperçoit

le fond. J'estime qu'il n'y a pas plus d'un mètre de profondeur, un mètre et demi au maximum. Large comme

l'Arno vers S. Minato-Empoli : je dirais vingt mètres. Mais je n'ai pas le coup d’œil et mes estimations sont

approximatives. Pourtant l'eau est d'un azur légèrement vert à proximité des berges où l'humidité du sol

entretient une bande verte touffue qui réjouit l’œil fatigué de cette morne étendue de pierres et de sable qui

s'étend indéfiniment en avant.

Cette voix intérieure dont je vous ai expliqué que j'entends m'expliquer ce que je dois remarquer et savoir,

m'avertit que je vois la vallée du Jourdain. Je l'appelle vallée, parce que c'est l'appellation habituelle de la

place où coule un fleuve, mais ici, il me paraît inexact de lui donner ce nom parce que une vallée suppose

des collines et dans le voisinage je n'en vois pas trace, En résumé, je me trouve près du Jourdain, et l'espace

désolé que j'aperçois sur ma droite est le désert de Juda.

Si parler de désert est juste pour désigner ce lieu inhabité et sans trace du travail de l'homme, il convient

moins à l'idée que nous nous faisons du désert. Ici, pas de dunes du désert comme nous le concevons, mais

seulement une terre dénudée parsemée de pierres et de débris, comme sont les terrains d'alluvion après une

crue.

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Dans le lointain, des collines. Et puis, près du Jourdain une grande paix, une ambiance spéciale qui dépasse

celle d'un paysage ordinaire, quelque chose qui rappelle ce qu'on ressent sur les bords du lac Trasimène.

C'est un lieu qui évoque des vols angéliques et des voix célestes. Je ne sais pas bien exprimer ce que

j'éprouve, mais j'ai le sentiment de me trouver dans un lieu qui parle à l'esprit.

Pendant ces observations, je vois la scène envahie par les gens le long - par rapport à moi - de la rive droite

du Jourdain. Il y a beaucoup d'hommes et une grande variété d'habillements. Quelques-uns semblent des

gens du peuple, d'autres des riches, il y en a assez, plusieurs paraissent des pharisiens, avec leurs vêtements

ornés de franges et de galons.

Au milieu, debout sur un rocher un homme que je reconnais du premier coup pour le Baptiste bien que ce

soit la première fois que je le vois. Il parle à la foule et je vous assure que sa prédication manque plutôt de

douceur. Jésus a appelé Jacques et Jean "les fils du tonnerre", mais alors quel nom donner à ce fougueux

orateur ? On pourrait pour Jean-Baptiste parler de coup de foudre, d'avalanche, de tremblement de terre, tant

il est impétueux et sévère dans son discours et ses gestes.

Il parle de la venue du Messie et exhorte les auditeurs à préparer leurs cœurs en les débarrassant de ce qui les

encombre et en redressant leurs pensées. Mais c'est un parler frénétique et rude : Le Précurseur n'a pas la

main légère de Jésus pour soigner les blessures des cœurs. C'est un médecin qui les met à nu, fouille et taille

sans pitié.

Pendant que je l'écoute - je ne rapporte pas ses paroles, parce que ce sont celles des Évangélistes mais qui

dévalent en un discours torrentiel - je vois s'avancer le long d'un sentier le long de la bordure herbeuse et

ombragée qui côtoie le Jourdain, mon Jésus. Ce chemin de campagne, plutôt sentier que chemin, semble

dessiné par les caravanes et les voyageurs qui pendant des années et des siècles l'ont parcouru pour arriver à

un point où le fond du lit se relève et permet de passer à gué. Le sentier continue sur l'autre rive du fleuve et

se perd dans la verdure de l'autre berge.

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Jésus est seul. Il marche lentement et en avançant il arrive derrière Jean. Il avance sans bruit, tout en écoutant

la voix tonnante du Pénitent du désert, comme si Jésus était aussi une des nombreuses personnes qui

venaient vers Jean pour se faire baptiser et se préparer à la purification pour la venue du Messie. Rien ne

distingue Jésus des autres gens. Il semble un homme du peuple pour son vêtement, un seigneur pour la

beauté de ses traits, mais aucun signe divin ne le distingue de la foule.

Cependant on dirait que Jean sent une particulière émanation spirituelle. Il se retourne et identifie tout de

suite la source de cette émanation. Il descend vivement du rocher qui lui servait de chaire et s'en, va d'un air

dégagé vers Jésus qui est arrêté à quelques mètres d'un groupe et s'appuie au tronc d'un arbre.

Jésus et Jean se fixent un moment. Jésus, avec son regard d'azur, si doux. Jean avec son œil sévère, très noir,

plein d'éclairs. Les deux, vus rapprochés, sont l'antithèse l'un de l'autre. Tous les deux grands - c'est leur

unique ressemblance - ils sont différents pour tout le reste. Jésus blond, aux longs cheveux peignés, au teint

blanc ivoire, aux yeux d'azur, au vêtement simple, mais majestueux. Jean, hirsute aux cheveux noirs qui

retombent à plat sur les épaules et taillés en escalier, avec une barbe noire coupée à ras qui lui couvre

presque tout le visage qui n'empêche pas de découvrir ses joues creusées par le jeûne, des yeux noirs

fiévreux, la peau bronzée par le soleil et les intempéries et le poil épais qui la couvre, demi nu avec son

vêtement de peau de chameau retenu à la taille par une ceinture de peau et qui lui couvre le torse, descendant

à peine au dessous de ses flancs amaigris et laissant à droite les côtes découvertes, les côtes sur lesquelles se

trouve, unique tissu, la peau tannée par l'air : en vis-à-vis, on dirait un sauvage et un ange.

Jean, après avoir fixé sur Lui son regard pénétrant, s'écrie : "Voici l'Agneau de Dieu. Comment peut-il se

faire que mon Seigneur vienne vers moi ?"

Jésus répond tranquillement : "C'est pour accomplir le rite de pénitence."

"Jamais, Seigneur. C'est moi qui dois venir à Toi pour être sanctifié, et c'est Toi qui viens vers moi ?"

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Et Jésus, en lui mettant une main sur la tête, parce que Jean s'était incliné devant Jésus, lui répond : "Permets

que tout se fasse comme je veux, pour que s'accomplisse toute justice et que ton rite achemine les hommes

vers un plus haut mystère et qu'il leur soit annoncé que la Victime est dans ce monde."

Jean l'observe avec un œil dont une larme adoucit le regard, et le précède vers la rive. Jésus enlève son

manteau et sa tunique, gardant une sorte de caleçon court et descend dans l'eau où se trouve déjà Jean. Jean

le baptise en Lui versant sur la tête de l'eau du fleuve, avec une sorte de tasse suspendue à sa ceinture et qui

semble être une coquille ou une demi calebasse séchée et vidée.

Jésus est proprement l'Agneau, Agneau dans la blancheur de sa chair, la modestie de ses traits, la douceur de

son regard.

Pendant que Jésus remonte sur la rive, et qu'après s'être vêtu; il se recueille en prière, Jean le montre à la

foule et témoigne de l'avoir reconnu au signe que l'Esprit de Dieu lui avait indiqué et qui désignait

infailliblement le Rédempteur.

Mais je suis polarisée par le spectacle de Jésus qui prie et je ne vois plus que cette figure lumineuse qui se

détache sur le fond vert de la rive.

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Baptême de Jésus

13 Alors survient Jésus venant de Galilée

Au Jourdain près de Jean pour être baptisé

Par lui.

14 Mais celui-ci voulait l’en empêcher :

“ J’ai besoin d’être baptisé par toi, c’est toi

Qui viens vers moi ? ”

15 Et répondant, Jésus lui dit :

Pour l’instant, laisse ; il convient que nous remplissions

Ainsi toute justice.” Et il le laissa faire.

16 Sitôt baptisé, Jésus remonta des eaux

Et voilà que les cieux s’ouvrirent ; il vit l’Esprit

De Dieu descendre, comme une colombe, et venir

Sur lui.

Et voilà que des cieux, une voix dit :

“ Celui-ci est mon Fils, le Bien-aimé, qui a

Toute ma faveur. ”

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Jésus tenté par le Diable au désert

Je vois la solitude pierreuse déjà vue à ma gauche dans la vision du Baptême de Jésus au Jourdain.

Cependant, je dois y avoir pénétré profondément, parce que, en fait, je ne vois plus le beau fleuve aux eaux

lentes et azurées ni la veine verte qui le côtoie sur ses deux rives, alimentée par cette artère aquatique. Ici,

rien que la solitude, des pierres, une terre brûlée, réduite à l’état de poussière jaunâtre qu’à chaque instant le

vent soulève en petits tourbillons. On dirait le souffle d’une bouche fiévreuse tant ils sont secs et brûlants,

torturants aussi pour la poussière qu’ils entraînent avec eux dans le nez et la gorge. Çà et là, très rares, des

petits buissons épineux dont on ne sait comment ils peuvent résister dans cette désolation. On dirait quelques

rares touffes de cheveux sur le crâne d’un homme chauve. Au-dessus, un ciel impitoyablement azuré ; en bas

le sol aride, autour, des rochers et le silence. C’est tout ce que je vois comme nature.

Un énorme rocher forme un embryon de grotte. Assis sur une roche traînée à l’intérieur, Jésus se tient adossé

à la paroi. Il s’y repose du soleil brûlant. Celui qui m’avertit intérieurement m’indique que cette roche sur

laquelle il est assis lui sert aussi d’agenouilloir et d’oreiller quand il prend quelques heures de repos, enroulé

dans son manteau, à la lueur des étoiles et dans l’air froid de la nuit. De fait, là tout près, se trouve la besace

que je lui ai vu prendre à son départ de Nazareth. C’est tout son avoir et comme elle est flasque, je

comprends qu’elle est vide du peu de nourriture qu’y avait mise Marie.

Jésus est très maigre et pâle. Il est assis avec les coudes appuyés sur les genoux et les avant-bras portés en

avant, les mains jointes avec les doigts entrelacés. Il médite. De temps à autre il lève son regard et le

promène alentour et regarde le soleil presque au zénith dans le ciel azuré. De temps en temps et en particulier

après avoir regardé les alentours et levé les yeux vers la lumière du soleil, il ferme les yeux et s’appuie sur le

rocher qui lui sert d’abri, comme pris de vertige.

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Je vois apparaître l’horrible gueule de Satan. Il ne se présente pas sous la forme où nous nous le représentons

avec cornes, queue, etc. etc. On dirait un Bédouin enveloppé dans son habit et son manteau qui semble un

domino de mascarade. Sur la tête, le turban dont les pans lui descendent jusqu’aux épaules pour les abriter,

et sur les côtés du visage, de sorte que de ce dernier on ne voit qu’un triangle étroit, très brun avec des lèvres

minces et tordues, des yeux très noirs et renfoncés, d’où sortent des éclairs magnétiques. Deux pupilles qui

te pénètrent jusqu’au fond du cœur où on ne lit rien, ou une seule parole : mystère. Le contraire de l'œil de

Jésus qui vous fascine lui aussi par ses effluves magnétiques qui vous pénètrent jusqu’au cœur mais où on lit

aussi que dans son cœur il n’y a que bonté et amour pour toi. L'œil de Jésus est pour l’âme une caresse. L'œil

de Satan est un double poignard qui vous perce et vous brûle.

Il s’approche de Jésus : "Tu es seul ?"

Jésus le regarde sans répondre.

"Comment es-tu arrivé ici ? Tu t’es perdu ?"

Jésus le regarde de nouveau et se tait.

"Si j’avais de l’eau dans ma gourde, je t’en donnerais. Mais je n’en ai pas. Mon cheval est crevé et je me

dirige à pied vers le gué. Là je boirai et je trouverai quelqu’un qui me donne un pain. Je connais la route.

Viens avec moi, je te conduirai. "

Jésus ne lève plus les yeux.

"Tu ne réponds pas ? Sais-tu que si tu restes ici tu vas mourir ? Déjà le vent se lève. Il va y avoir la tempête.

Viens. "

Jésus serre les mains dans une muette prière.

"Ah ! C’est donc bien toi ? Depuis le temps que je te cherche ! Et maintenant, cela fait si longtemps que je

t’observe. Depuis le moment où tu as été baptisé. Tu appelles l’Éternel ? Il est bien loin. Maintenant tu es sur

terre et au milieu des hommes. Et chez les hommes, c’est moi qui suis roi. Pourtant, tu me fais pitié et je

veux t’aider parce que tu es bon et que tu es venu te sacrifier, pour rien. Les hommes te haïront à cause de ta

bonté. Ils ne comprennent que or et mangeaille et jouissance. Sacrifice, souffrance, obéissance sont pour eux

des paroles mortes, plus mortes que cette terre-ci et ses alentours. Ils sont plus arides encore que cette

poussière. Il n’est que le serpent pour se cacher ici en attendant de mordre et aussi le chacal pour te mettre en

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pièces. Allons, viens. Ils ne méritent pas que l’on souffre pour eux. Je les connais mieux que toi."

Satan s’est assis en face de Jésus, Il le fouille de son regard terrible, et sourit de sa bouche de serpent. Jésus

se tait toujours et prie mentalement.

"Tu te défies de moi. Tu as tort. Je suis la sagesse de la terre. Je puis te servir de maître pour t’aider à

triompher. Vois : l’important, c’est de triompher. Puis, quand on s’est imposé au monde et quand on l’a

séduit, alors on le mène où l’on veut. Mais d’abord, il faut être comme il leur plaît, comme eux, les séduire

en leur faisant croire que nous les admirons et que nous les suivons dans leurs pensées.

Tu es jeune et beau. Commence par la femme. C’est toujours par elle qu’on doit commencer. Je me suis

trompé en amenant la femme à la désobéissance. J’aurais dû la conseiller d’une autre manière. J’en aurais

fait un meilleur instrument et j’aurais vaincu Dieu. J’ai été trop pressé. Mais Toi ! Je t’enseigne car il y a eu

un jour où je t’ai regardé avec une joie angélique et un reste de cet amour est demeuré en moi. Mais Toi,

écoute-moi et profite de mon expérience. Donne-toi une compagne, où Toi, tu ne réussiras pas, elle réussira.

Tu es le nouvel Adam : Tu dois avoir ton Ève.

Et puis, comment peux-tu comprendre et guérir les maladies des sens, si tu ne sais pas ce que c’est. Ne saistu

pas que la femme est le noyau d’où naît la plante de la passion et de l’orgueil ? Pourquoi l’homme veut-il

régner ? Pourquoi veut-il être riche, puissant ? Pour posséder la femme. Elle est comme l’alouette. Elle a

besoin d’un scintillement qui l’attire. L’or et la domination sont les deux faces du miroir qui attire les

femmes et la cause des maux du monde. Regarde : derrière mille délits d’apparences diverses il y en a neuf

cent, au moins, qui ont leur racine dans la faim de la possession de la femme ou dans la volonté d’une

femme brûlée d’un désir que l’homme ne satisfait pas encore ou ne satisfait plus. Va vers la femme si tu

veux savoir ce qu’est la vie et après, seulement tu sauras soigner et guérir les maux de l’humanité.

Elle est belle, tu sais, la femme ! Il n’est rien de plus beau au monde. L’homme possède la pensée et la force.

Mais la femme ! Sa pensée est un parfum, son contact est caresse de fleurs. Sa grâce est un vin enivrant, sa

faiblesse est comme un écheveau de soie ou les boucles frisées d’un bébé entre les mains de l’homme. Sa

caresse est une force qui se communique à la nôtre et l’enflamme. La souffrance disparaît, et la fatigue, et les

soucis quand il se pose auprès d'une femme. Elle est entre nos bras comme un bouquet de fleurs.

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Mais, imbécile que je suis ! Tu as faim et je te parle de femme. Ta vigueur est épuisée. Pour cette raison, ce

parfum de la terre, cette fleur de la création, ce fruit qui donne et suscite l’amour te parait sans valeur. Mais

regarde ces pierres, comme elles sont rondes et polies, dorées sous les rayons du soleil couchant. Ne diraiton

pas des pains ? Toi, Fils de Dieu, Tu n’as qu’à dire : " Je le veux ", pour qu’elles deviennent un pain

odorant, comme celui qu’à cette heure les ménagères tirent du four pour le repas de la famille. Et ces acacias

si arides, si Tu le veux, ne peuvent-ils pas se couvrir de fruits délicieux, de dattes sucrées comme le miel ?

Rassasie-toi, Fils de Dieu. Tu es le Maître de la terre. Elle se penche pour se mettre à tes pieds et apaiser ta

faim.

Tu vois comme tu pâlis et chancelles, rien qu’à entendre parler de pain. Pauvre Jésus ! Es-tu affaibli au point

de ne plus pouvoir commander au miracle ? Veux-tu que je le fasse pour Toi ? Je ne suis pas à ton niveau,

mais je puis faire quelque chose. Je me priverai pendant un an de ma force, je la rassemblerai toute, mais je

veux te servir parce que Tu es bon et que je me souviens toujours que Tu es mon Dieu, même si maintenant

j’ai démérité de te donner ce nom. Aide-moi de ta prière pour que je puisse... "

"Tais-toi. Ce n’est pas seulement de pain que vit l’homme, mais de toute parole qui vient de Dieu."

Le démon a un sursaut de rage. Il grince des dents et serre les poings, mais il se maîtrise et ses dents se

desserrent pour ébaucher un sourire.

"Je comprends. Tu es au-dessus des nécessités de la terre et cela te dégoûte de te servir de moi. Je l’ai mérité.

Mais, viens alors et vois ce qui se passe dans la Maison de Dieu. Vois comme les prêtres aussi ne se refusent

pas à composer entre l’esprit et la chair, parce que, enfin ce sont des hommes et pas des anges. Accomplis un

miracle spirituel. Je te porte sur le pinacle du Temple et là-haut, Tu te transfigures en une merveilleuse

beauté. Ensuite, appelle les cohortes angéliques et dis leur de te faire de leurs ailes entrelacées une estrade

pour tes pieds et de te faire descendre ainsi dans la cour principale. Qu’ils te voient et se rappellent qu’il y a

un Dieu. De temps à autre, ces manifestations sont nécessaires parce que l’homme a une mémoire si courte,

spécialement pour ce qui est spirituel. Tu sais comme les anges seront heureux de te donner où poser ton

pied et une échelle pour que tu descendes ! "

"Ne mets pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu" a-t-il été dit."

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"Tu comprends que même ton apparition ne changerait pas les choses et que le Temple continuerait d’être

marché et corruption. Ta divine sagesse le sait, que les cœurs des ministres du Temple sont un nid de vipères

qui s’entre dévorent pour arriver au pouvoir. Il n’y a pour les dompter que la puissance humaine.

Alors, viens. Adore-moi. Je te donnerai la terre. Alexandre. Cyrus, César, tous les plus grands conquérants

du passé, ou encore vivants seront semblables à de vulgaires chefs de caravanes par rapport à Toi qui auras

tous les royaumes de la terre sous ton sceptre et avec les royaumes toutes les richesses, toutes les splendeurs

de la terre, et femmes, et chevaux et soldats et temples. Tu pourras élever partout ton Signe quand Tu seras

le Roi des Rois et le Seigneur du monde. Alors, Tu seras obéi et respecté par le peuple et le sacerdoce.

Toutes les castes t’honoreront et Te serviront parce que Tu seras le Puissant, l’unique, le Seigneur.

Adore-moi un seul instant ! Enlève-moi la soif que j’ai d’être adoré ! C’est elle qui m’a perdu. Mais elle est

restée en moi et me brûle. Les flammes de l’Enfer sont fraîcheur de l’air au matin, en comparaison de cette

ardeur qui me brûle au dedans. C’est mon enfer, cette soif. Un instant, un seul instant, ô Christ, Toi qui es

bon ! Un instant de joie pour l’Éternel Torturé ! Fais-moi éprouver ce que veut dire être Dieu et je te serai

dévoué, obéissant comme un esclave pour toute la vie, pour toutes tes entreprises. Un instant ! Un seul

instant, et je ne te tourmenterai plus !" Et Satan se jette à genoux, suppliant.

Jésus s’est mis debout, au contraire. Plus amaigri après ces jours de jeûne, il semble encore plus grand. Son

visage est terrible de sévérité et de puissance. Ses yeux sont deux saphirs qui jettent des flammes. Sa voix est

un tonnerre qui se répercute dans la cavité du rocher et se répand sur les roches et la terre désolée, quand il

dit : "Va-t’en Satan. Il est écrit : ‘Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et serviras Lui seul’"

Satan avec un cri déchirant de damné et de haine inexprimable, saute debout, terrible à voir dans sa fureur,

dans sa personnalité toute fumante. Et puis il disparaît avec un nouveau hurlement de malédiction.

Jésus s’assied, fatigué en appuyant sa tête en arrière contre le rocher. Il paraît à bout. Il sue. Mais des êtres

angéliques viennent de leurs ailes renouveler l’air dans la chaleur étouffante de la grotte, la purifiant et la

rafraîchissant. Jésus ouvre les yeux et sourit. Je ne le vois pas manger. On dirait qu’il se nourrit du parfum

du Paradis et en sort revigoré.

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Le soleil disparaît au couchant. Jésus prend la besace vide et, accompagné par les anges qui volant au-dessus

de Lui, lui font une douce lumière, pendant que la nuit tombe très rapidement, il se dirige vers l’Est ou plutôt

vers le Nord Est. Il a repris son expression habituelle, sa démarche assurée. Il lui reste seulement comme

souvenir de son jeûne prolongé un aspect plus ascétique avec son visage amaigri et pâle et ses yeux ravis

dans une joie qui n’est pas de cette terre.

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Tentation au désert

4 1 Alors Jésus fut conduit

Au désert par l’Esprit afin d’être tenté

Par le diable. 2 Il eut faim après avoir jeûné

Quarante jours et quarante nuits.

3 S’avançant

Le tentateur lui dit : “ Si tu es Fils de Dieu, dis

Que ces pierres soient des pains. ”

Mais répondant, il dit :

“ Il est écrit : ce n’est pas seulement de pain

Que vivra l’homme, mais de toute parole qui sort

Par la bouche de Dieu.”

5 Or le diable le prend

Avec lui dans la ville sainte, il le plaça

Sur le pignon du Temple, 6 il lui dit : “Si tu es

Fils de Dieu, jette-toi en bas ; il est écrit :

À ses anges, il donnera des ordres pour toi

Et sur leurs mains ils t’élèveront afin que

Ton pied ne heurte pas de pierre.”

7 Jésus lui dit :

“ Il est encore écrit : Tu ne tenteras pas

Le Seigneur ton Dieu.”

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8 Encore le diable le prend

Avec lui dans une montagne très élevée

Et il lui montre tous les royaumes du monde

Et leur gloire, il lui dit : 9 “Je te le donnerai,

Tout cela, si tu tombes, devant moi, prosterné.”

10 Jésus lui dit : “ Va-t’en, Satan, il est écrit :

C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras,

À lui seul tu rendras un culte.”

11 Alors le diable

Le laisse, et voilà que des anges à son service

S’approchèrent.

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Jésus aux noces de Cana

Les noces de Cana : Je vois une maison, une vraie maison orientale : un cube blanc plus large que haut, avec

de rares ouvertures, surmontée d'une terrasse qui sert de toit et est entourée d'un muret de un mètre environ

et ombragée par une tonnelle de vigne qui grimpe jusque là et étend ses rameaux au delà du milieu de cette

terrasse ensoleillée.

Un escalier extérieur monte le long de la façade au niveau d'une porte qui s'ouvre à mi-hauteur de la façade.

Au-dessous, il y a au niveau du sol des portes basses et rares, pas plus de deux de chaque côté, qui donnent

accès dans des pièces basses et sombres. La maison s'élève au milieu d'une espèce de cour plutôt une

pelouse, au centre de laquelle se trouve un puits. Il y a des figuiers et des pommiers. La maison donne sur la

route sans être à bord de route. Elle est un peu en retrait et un sentier traverse la pelouse jusqu'à la route qui

semble être une maîtresse route.

On dirait que la maison est à la périphérie de Cana : maison de paysans propriétaires qui vivent au milieu de

leur petit domaine. La campagne s'étend au delà de la maison avec ses lointains de tranquille verdure. Il fait

un beau soleil et l'azur du ciel est très pur. Au début, je ne vois rien d'autre. La maison est solitaire.

Puis je vois deux femmes avec de longs vêtements et un manteau qui sert aussi de voile. Elles avancent sur

la route et puis sur le sentier. L'une plus âgée, sur les cinquante ans, en habits foncés de couleur fauve

marron, comme de laine naturelle. L'autre est en vêtements plus clairs, avec un habit d'un jaune pâle et un

manteau azur. Elle semble avoir à peu près trente-cinq ans. Elle est très belle, svelte et elle a une contenance

pleine de dignité bien que toute gentillesse et humilité. Quand elle est plus proche, je remarque la couleur

pâle du visage, les yeux azurés et les cheveux blonds qui apparaissent sur le front, sous le voile. Je reconnais

Marie la Très Sainte. Qui est l'autre, brune et plus âgée, je ne sais. Elles parlent entre elle et la Madone

sourit. Quand elles sont tout à côté de la maison, quelqu'un sûrement chargé de guetter les arrivées, avertit et

à leur rencontre arrivent des hommes et des femmes, tous en habit de fête. Tout le monde leur fait fête et

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surtout à Marie la Très Sainte.

L'heure semble matinale, je dirais vers les neuf heures peut-être plus tôt, car la campagne a encore cet aspect

de fraîcheur des premières heures du jour avec la rosée qui rend l'herbe plus verte et la pelouse qui n'est pas

empoussiérée. La saison me paraît printanière car l’herbe des prés n'est pas brûlée par le soleil d'été et dans

les champs, les blés sont en herbe, sans épis, tout verts. Les feuilles du figuier et du pommier sont vertes et

encore tendres mais je ne vois pas de fleurs sur le pommier et je ne vois pas de fruits, ni sur le pommier ni

sur le figuier ni sur la vigne. C'est que le pommier a déjà fleuri depuis peu, mais les petits fruits ne se voient

pas encore. Marie, très fêtée et accompagnée par un homme âgé qui doit être le propriétaire, monte l'escalier

extérieur et entre dans une grande salle qui paraît occuper tout ou en grande partie, l'étage.

Je crois comprendre que les pièces du rez-de-chaussée sont les vraies pièces d'habitation, les dépenses, les

débarras et les celliers et que l'étage est réservé à des usages spéciaux : fêtes exceptionnelles ou à des travaux

qui demandent beaucoup de place ou à l'emmagasinage des produits agricoles. Pour les fêtes on la débarrasse

et on l'orne, comme aujourd'hui de branches vertes, de nattes, de tables garnies.

Au centre, il y en a une très riche, avec dessus déjà ; des amphores et des plats garnis de fruits. Le long du

mur, à ma droite une autre table garnie mais moins richement. À ma gauche une sorte de longue crédence

avec dessus des plats de fromages et d'autres aliments qui me semblent des galettes couvertes de miel et de

friandises. Par terre, toujours à ma gauche d'autres amphores et six grands vases en forme de brocs de cuivre,

plus ou moins. Pour moi ce serait des jarres.

Marie écoute avec bienveillance ce que tous lui disent puis gentiment quitte son manteau et aide à terminer

les préparatifs pour la table. Je la vois aller et venir rangeant les lits de table, redressant les guirlandes de

fleurs, donnant meilleur aspect aux coupes de fruits;veillant à ce que les lampes soient garnies d'huile. Elle

sourit et parle très peu et à voix très basse. Par contre, Elle écoute beaucoup et avec combien de patience.

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Un grand bruit d'instruments de musique (peu harmonieux, en vérité) se fait entendre sur la route. Tout le

monde, à l'exception de Marie, court dehors. Je vois entrer l'épouse toute parée et heureuse, entourée des

parents et des amis, à côté de l'époux qui est accouru à sa rencontre le premier.

Ici il se produit un changement dans la vision :

Je vois, au lieu de la maison, un pays. Je ne sais si c'est Cana ou une autre bourgade voisine. Je vois Jésus

avec Jean et un autre qui pourrait être Jude Thaddée, mais pour ce second, je pourrais me tromper. Pour

Jean, je ne me trompe pas. Jésus est vêtu de blanc et a un manteau azur foncé. En entendant le bruit de la

musique, le compagnon de Jésus demande un renseignement à un homme du peuple et en fait part à Jésus. "

Allons faire plaisir à ma Mère." dit Jésus en souriant et il se met en route à travers les champs avec ses deux

compagnons dans la direction de la maison. J'ai oublié de dire mon impression que Marie est ou parente ou

très amie des parents de l'époux car je les vois en grandes confidences.

Quand Jésus arrive, le veilleur habituel prévient les autres. Le maître de maison, en même temps que son

fils, l'époux, et que Marie, descend à la rencontre de Jésus et le salue respectueusement. Il salue aussi les

deux autres et l'époux fait la même chose. Mais, ce qui me plaît, c'est le salut plein d'un amoureux respect de

Marie à son Fils et réciproquement. Pas d'épanchements, mais un tel regard accompagne les paroles de la

salutation : "La paix avec Toi", et un tel sourire qui vaut cent baisers et cent embrassements. Le baiser

tremble sur les lèvres de Marie, mais Elle ne le donne pas. Elle pose seulement sa petite main blanche sur

l'épaule de Jésus et effleure une boucle de sa longue chevelure. Une caresse d'une pudique énamourée.

Jésus monte à côté de sa Mère, suivi des deux disciples et du propriétaire et il entre dans la salle de réception

où les femmes s'occupent à ajouter des sièges et des couverts pour les trois hôtes qu'on n'attendait pas, me

semble-t-il. Je dirais que la venue de Jésus était incertaine et celle de ses deux compagnons absolument

imprévue.

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J'entends distinctement la voix pleine, virile; très douce du Maître dire en entrant dans la salle : " La paix soit

dans cette maison, et la bénédiction de Dieu sur vous tous." Salut cumulatif à toutes les personnes présentes

et plein de majesté. Jésus domine tout le monde par sa stature et son aspect. C'est l'hôte et inattendu, mais il

semble le roi de la fête, plus que l'époux, plus que le maître de maison. Tout en restant humble et

condescendant, c'est Lui qui en impose.

Jésus prend place à la table centrale, avec l'époux, l'épouse, les parents des époux et les amis plus influents.

Aux deux disciples, par respect pour le Maître, on donne des sièges à la même table.

Jésus tourne le dos au mur où sont les jarres. Il ne les voit donc pas, ni non plus l'affairement du majordome

autour des plats de rôti qu'on amène par une trappe auprès des crédences.

J'observe une chose. Sauf les mères des époux et Marie, aucune femme ne siège à cette table, Toutes les

femmes se trouvent, et elles font un grand bruit, à la table le long du mur. On les sert après les époux et les

hôtes de marque. Jésus est près du maître de maison et a en vis-à-vis Marie qui est à côté de l'épouse. Le

repas commence, et je vous assure que l'appétit ne manque pas et encore moins la soif. Deux mangent et

boivent peu, ce sont Jésus et sa Mère, qui aussi parle très peu. Jésus parle un peu plus. Mais tout en parlant

peu, il n'est, dans sa conversation, ni renfrogné ni dédaigneux. C'est un homme courtois, mais pas bavard.

Quand on l'interroge, il répond, s'intéresse à ce qu'on Lui dit et donne son avis, mais ensuite se recueille en

Lui-même comme quelqu'un habitué à la méditation. Il sourit mais ne rit jamais. S'il entend quelque

plaisanterie trop aventurée, il fait celui qui n'entend pas. Marie se nourrit de la contemplation de son Jésus et

aussi Jean qui est au bout de la table et reste suspendu aux lèvres de son Maître.

Marie s'aperçoit que les serviteurs parlotent avec le majordome et que celui-ci est gêné et Elle comprend

qu'il y a quelque chose de désagréable. "Fils" dit-elle doucement en attirant l'attention de Jésus avec cette

parole, "Fils, ils n'ont plus de vin."

"Femme, qu'y a-t-il, désormais entre Moi et Toi ?" Jésus en disant cette phrase sourit encore plus doucement

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et Marie sourit, comme deux qui savent une vérité qui est leur joyeux secret que tous les autres ignorent.

Marie ordonne aux serviteurs : "Faites ce que Lui vous dira. " Marie a lu dans les yeux souriants de son Fils

l'assentiment, voilé d'un grand enseignement pour tous les "appelés."

Et Jésus ordonne aux serviteurs : "Emplissez d'eau les cruches."

Je vois les serviteurs emplir les jarres de l'eau apportée du puits. (J'entends le grincement de la poulie qui

monte et descend le seau qui déborde). Je vois le majordome qui se verse un peu de ce liquide avec un regard

de stupeur, qui ressaie avec une mimique d'un plus grand étonnement et le goûte. Il parle au maître de

maison et à l'époux son voisin.

Marie regarde encore son Fils et sourit ; puis recevant un sourire de Lui, incline la tête en rougissant

légèrement. Elle est heureuse.

Dans la salle passe un murmure. Les têtes se tournent vers Jésus et Marie. On se lève pour mieux voir. On va

vers les jarres. Un silence, puis un chœur de louanges à Jésus.

Mais Lui se lève et dit une seule parole : "Remerciez Marie" et puis il quitte le repas. Sur le seuil il répète :

"La paix à cette maison et la bénédiction de Dieu sur vous" et il ajoute : "Mère, je te salue.

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Les Noces de Cana

2 1 Et le troisième jour, il y eut une noce

À Cana de Galilée, la mère de Jésus

Y était. 2 Jésus fut invité à la noce

Avec ses disciples. 3 Le vin venant à manquer,

La mère de Jésus lui dit : "Ils n'ont pas de vin."

4 Et Jésus lui dit : "Que me veux-tu, femme ? Mon heure

N'est pas encore arrivée." 5 Sa mère aux servants

Dit : " Faites tout ce qu'il vous dira."

6 Il y avait

Là pour les purifications des juifs, six jarres

De pierre, contenant chacune deux ou trois mesures.

7 Jésus dit aux servants : "Remplissez d'eau ces jarres."

Ils les remplirent jusqu'au bord, 8 Il leur dit : "Puisez

Maintenant, et portez-en au chef du festin."

Et ils en portèrent ; 9 quand le chef eut goûté l'eau

Devenue vin (il ne savait pas d'où cela

Venait les servants le savaient eux qui avaient

Puiser l'eau), le chef appelle le marié 14 et dit :

"Tout le monde sert d'abord le bon vin, quand les gens

Sont ivres, le moins bon. Et toi tu as gardé

Le bon vin jusqu'à présent."

Des signes de Jésus ; il le fit à Cana

11 Tel fut le premier

93


De Galilée, et il manifesta sa gloire

Et ses disciples crurent en lui.

12 Il descendit

Après quoi à Capharnaüm avec sa mère,

Ses frères et ses disciples, et ils n'y demeurèrent

Que quelques jours.

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Jésus chasse les marchands du Temple

Je vois Jésus qui entre avec Pierre, André, Jean et Jacques, Philippe et Barthélemy dans l'enceinte du

Temple. Il y a une très grande foule qui y entre et qui en sort. Pèlerins qui arrivent par bandes de tous les

coins de la ville.

Du haut de la colline sur laquelle le Temple est construit, on voit les rues de la ville, étroites et sinueuses, qui

fourmillent de passants. Il semble qu'entre le blanc cru des maisons se soit étendu un ruban mouvant de mille

couleurs. Oui, la cité a l'aspect d'un jouet bizarre fait de rubans multicolores entre deux alignements de

maisons blanches et qui convergent tous vers le point où resplendissent les coupoles de la Maison du

Seigneur.

Puis, à l'intérieur, c'est une vraie foire. Plus aucun recueillement dans le lieu saint. On court, on appelle, on

achète des agneaux, on crie et on maudit à cause du prix exagéré, on pousse les pauvres bêtes bêlantes dans

des parcs. Ce sont de rudimentaires enclos délimités par des cordes et des pieux, aux entrées desquelles se

tient le marchand ou éventuellement le propriétaire qui attend des acheteurs. Coups de bâtons, bêlements,

jurons, réclamations, insultes pour les valets peu pressés de rassembler et d'enclore les animaux ou pour les

acheteurs qui lésinent sur le prix ou qui s'éloignent, insultes plus fortes pour les gens prévoyants qui ont

amené l'agneau de chez eux.

Autour des comptoirs de change, autre vacarme. Je ne sais si c'est toujours ainsi ou à l'occasion de la Pâque ;

on se rend compte que le Temple fonctionnait comme la Bourse ou le marché noir : La valeur des monnaies

n'était pas fixée. Il y avait le cours légal qui était certainement déterminé, mais les changeurs en imposaient

un autre, en s'appropriant un pourcentage arbitraire pour le change. Et je vous assure qu'ils s'y entendaient

pour étrangler les clients !... Plus un client était pauvre, plus il venait de loin, plus on le dépouillait. Les

vieux plus que les jeunes, ceux qui arrivaient d'au-delà de la Palestine plus que les vieux.

De pauvres petits vieux regardaient et regardaient encore leur pécule mis de côté, avec combien de peine,

tout le long de l'année, l'enlevaient de leur sein et l'y remettaient cent fois en tournant autour des changeurs

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et finissaient enfin par revenir au premier qui se vengeait de leur éloignement temporaire en augmentant

l'agio du change... Et les grosses pièces quittaient, au milieu des soupirs les mains du propriétaire pour passer

dans les griffes de l'usurier en échange de monnaie plus légère. Puis, pour le choix, une nouvelle tragédie de

comptes et de soupirs devant les marchands d'agneaux qui aux petits vieux, à moitié aveugles, colloquaient

les agneaux les plus chétifs.

Je vois revenir deux petits vieux, lui et elle, qui poussent un pauvre agnelet que les sacrificateurs ont dû

trouver défectueux. Plaintes, supplications, impolitesses, grossièretés se croisent sans que le vendeur s'en

émeuve.

"Pour ce que vous voulez payer, galiléens, c'est déjà trop beau ce que je vous ai donné. Allez-vous-en ! ou

ajoutez cinq autres deniers pour en avoir un plus beau !"

"Au nom de Dieu ! Nous sommes pauvres et vieux ! Veux-tu nous empêcher de faire la Pâque, la dernière,

peut-être ? Est-ce que ce que tu nous as pris ne suffit pas pour une petite bête ?"

"Faites place, crasseux.Voici que vient à moi Joseph l'Ancien. Il m'honore de sa préférence. Dieu soit avec

toi ! Viens, choisis !"

Il entre dans l'enclos et prend un magnifique agneau, celui qu'on appelle Joseph l'Ancien ou Joseph

d'Arimathie. Il passe avec un riche habit, tout fier, sans un coup d’œil aux pauvres qui gémissent à la porte et

même à l'entrée de l'enclos. Il les bouscule, pour ainsi dire, en sortant avec l'agneau gras qui bêle.

Mais Jésus aussi est maintenant tout près. Lui aussi a fait son achat et Pierre, qui probablement a payé pour

Lui, tire derrière lui un agneau convenable. Pierre voudrait aller tout de suite vers le lieu où l'on sacrifie.

Mais Jésus tourne à droite vers les deux petits vieux effarés, en larmes, indécis que la foule bouscule et que

le vendeur insulte.

Jésus, si grand que la tête des deux vieux lui arrive à la hauteur du cœur met une main sur l'épaule de la

femme et demande : "Pourquoi pleures-tu, femme ?"

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La petite vieille se retourne et voit cet homme grand et jeune, solennel en son bel habit blanc et son manteau

couleur de neige tout neuf et propre. Elle doit le prendre pour un docteur à cause de son habit et de son

aspect et, stupéfaite, car les docteurs et les prêtres ne font aucun cas des gens et ne protègent pas les pauvres

contre la rapacité des marchands, elle dit les raisons de leur chagrin.

Jésus se retourne vers l'homme aux agneaux : "Change cet agneau à ces fidèles. Il n'est pas digne de l'autel

comme il n'est pas digne que tu profites de deux pauvres vieux parce que faibles et sans défense."

"Et Toi, qui es-tu ?"

"Un juste."

"Ton parler et celui de tes compagnons indiquent que tu es galiléen. Peut-il jamais y avoir un juste

en Galilée ?"

"Fais ce que je te dis et sois juste, toi."

"Écoutez ! Écoutez le galiléen défenseur de ses pairs ! Il veut nous faire la leçon, à nous qui sommes du

Temple !" L'homme rit et se moque contrefaisant l'accent galiléen qui est plus chantant et plus doux que

celui de Judée, au moins à ce qu'il me semble.

Des gens font cercle et d'autres marchands et changeurs prennent la défense de leur complice contre Jésus.

Parmi les assistants deux ou trois rabbins ironiques. L'un d'eux demande : "Es-tu docteur ?" Sur un ton qui

ferait perdre patience à Job.

"Tu l'as dit."

"Qu'enseignes-tu ?"

"Voici ce que j'enseigne : rendre la Maison de Dieu, maison de prière et non pas place d'usuriers et de

marchands. Voilà mon enseignement." Jésus est terrible. Il semble l'archange mis sur le seuil du Paradis

perdu. Il n'a pas aux mains d'épée flamboyante, mais ses yeux irradient la lumière et foudroient les moqueurs

et les sacrilèges.

À la main, il n'a rien. Seule sa sainte colère. Et avec elle, cheminant rapide et imposant au milieu des

comptoirs, il éparpille les monnaies méticuleusement rangées selon leur valeur, renverse tables petites et

grandes et tout tombe avec fracas sur le sol avec grand bruit de métaux qui rebondissent et de bois bousculés

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avec cris de colère, d'effarement et d'approbations. Puis il arrache des mains des gardiens de bestiaux des

cordages qui attachaient bœufs ; brebis et agneaux ; il en fait un martinet très dur dont les nœuds coulants

assemblent les lanières. Il se lève, le fait tournoyer et l'abaisse sans pitié. Oui, je vous l'assure, sans pitié.

La grêle imprévue s'abat sur les têtes et les échines. Les fidèles s'esquivent, admirant la scène. Les

coupables, poursuivis jusqu'en dehors de l'enceinte se sauvent à toutes jambes, laissant par terre l'argent et en

arrière les bêtes de toutes tailles, dans une grande confusion de jambes, de cornes, d'ailes. C'est à qui court,

s'échappe en volant. Les mugissements, les bêlements, les roucoulements des colombes et des tourterelles en

même temps que les rires et les cris des fidèles derrière les usuriers en fuite dépassent jusqu'au lamentable

chœur des animaux qu'on égorge certainement dans un autre coin.

Des prêtres accourent, en même temps que des rabbins et de pharisiens. Jésus est encore au milieu de la cour,

revenant de sa poursuite. Il a encore en main le martinet.

"Qui es-tu ? Comment te permets-tu de faire cela, en troublant les cérémonies prescrites ? De quelle école

proviens-tu ? Pour nous, nous ne te connaissons pas. Nous ne savons pas qui tu es."

"Je suis Celui qui peut. Je peux tout. Détruisez seulement ce Temple vrai, et Je le ressusciterai pour donner

louange à Dieu. Je ne trouble pas, Moi, la sainteté de la Maison de Dieu ni les cérémonies. Mais c'est vous

qui la troublez en permettant que dans sa demeure s'installent les usuriers et les mercantis. Mon école c'est

l'école de Dieu ; la même école qui fut celle de tout Israël par la bouche de l'Éternel qui parlait à Moïse.

Vous ne me connaissez pas ? Vous me connaîtrez. Vous ne savez pas d'où je viens. Vous le saurez."

Et se tournant vers le peuple sans plus s'occuper des prêtres dominant l'entourage par sa taille, revêtu de son

habit blanc, le manteau ouvert et flottant en arrière des épaules, les bras étendus comme un orateur au

moment le plus pathétique de son discours il dit :

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"Écoutez, vous d'Israël ! Dans le Deutéronome il est dit : "Tu établiras des juges et des magistrats à toutes les

portes... et ils jugeront le peuple avec justice, sans partialité à l'égard de personne. Tu n'auras pas d'égards

particuliers pour quiconque. Tu n'accepteras pas de cadeaux, car les cadeaux aveuglent les sages et troublent

les paroles des justes. Tu suivras avec justice le juste sentier pour vivre et posséder la terre que le Seigneur

ton Dieu t'aura donnée. "

Écoutez, vous d'Israël ! Dans le Deutéronome il est dit : "Les prêtres et les lévites et tous ceux de la tribu de

Lévi n'auront aucun partage ni hérédité avec le reste d'Israël, parce qu'ils doivent vivre avec le sacrifice du

Seigneur et avec les offrandes que l'on fait à Lui ; ils n'auront aucune part avec ce que leurs frères possèdent,

parce que le Seigneur est leur héritage."

Écoutez, vous d'Israël ! Dans le Deutéronome il est dit : "Tu ne prêteras à intérêt à ton frère, ni argent, ni

grain, ni quelque autre chose. Tu pourras prêter à intérêt à l'étranger ; au contraire, à ton frère tu prêteras sans

intérêt ce dont il a besoin."

C'est cela qu'a dit le Seigneur. Maintenant vous voyez que c'est sans justice à l'égard du pauvre que les juges

siègent en Israël. Ce n'est pas en faveur du juste mais de celui qui est fort que l’on penche. Être pauvre, être

peuple, cela veut dire subir l'oppression. Comment le peuple peut-il dire : "Celui qui nous juge est juste" s'il

voit que seuls les puissants sont respectés et écoutés, tandis que le pauvre ne trouve personne qui veuille

l'entendre ? Comment le peuple peut-il respecter le Seigneur s'il voit que ne le respectent pas ceux qui en ont

plus que d'autres le devoir ? Est-ce respecter le Seigneur que de violer son commandement ? Et pourquoi,

alors, en Israël ont-ils des propriétés et reçoivent-ils des cadeaux des publicains et des pécheurs, qui agissent

ainsi pour avoir la bienveillance des prêtres, et ceux-ci l'acceptent pour avoir un coffret bien garni ?

C'est Dieu qui, est l'héritage de ses prêtres. Pour eux, Lui, le Père d'Israël est plus Père qu'aucun autre père

ne l'a jamais été, et Il pourvoit à leur nourriture comme il est juste. Mais, pas plus qu'il ne soit juste. Il n'a

promis aux serviteurs de son Sanctuaire ni richesses ni propriétés. Pendant l'éternité, ils auront le Ciel pour

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récompenser leur justice, comme l'ont Moïse et Élie, et Jacob et Abraham. Mais sur cette terre ils ne doivent

avoir qu'un vêtement de lin et un diadème d'or incorruptible : pureté et charité. Le corps doit être le serviteur

de l’esprit qui est le serviteur du Dieu, Vrai. Ce n'est pas le corps qui doit dominer l'esprit et s'opposer à

Dieu. On m'a demandé de quelle autorité Je fais cela. Et eux, de quelle autorité profanent-ils le

commandement de Dieu et permettent-ils, à l'ombre des murs sacrés, l'usure au détriment des frères d’Israël

venus pour obéir au commandement de Dieu ? On m'a demandé de quelle école Je viens et J'ai répondu : "De

l'école de Dieu." Oui, Israël, Je viens te ramener à cette école sainte et immuable.

Qui veut connaître la Lumière, la Vérité, la Vie, qui veut entendre la voix de Dieu parlant à son peuple, qu'il

vienne à Moi. Vous avez suivi Moïse à travers les déserts, ô vous d'Israël. Suivez-moi, que je vous conduise,

à travers un désert bien plus triste, vers la vraie Terre bienheureuse, à travers la mer qui s'ouvre au

commandement de Dieu, c'est vers elle que je vous entraîne : Relevant mon Signe, je vous guéris de tout

mal.

L'heure de la Grâce est venue. Ils l'ont attendue, les Patriarches, et ils sont morts en l'attendant. Ils l'ont

prédite, les Prophètes, et ils sont morts avec cette espérance. Ils l'ont rêvée les justes, et ils sont morts

réconfortés par ce rêve. Maintenant, elle s'est levée.

Venez. "Le Seigneur va juger son peuple et faire miséricorde à ceux qui le servent", comme Il l'a promis par

la bouche de Moïse."

Les gens qui font cercle autour de Jésus sont restés, bouche bée à l'écouter. Puis, ils commentent la parole du

nouveau Rabbi et interrogent ses compagnons.

Jésus se dirige vers une autre cour séparée de celle-ci par un portique. Ses amis le suivent, et la vision prend

fin.

100


Les vendeurs chassés du Temple

12 Puis

Jésus entra dans le Temple de Dieu, alors

Il chassa tous ceux qui vendaient et achetaient

Dans le Temple ; c’est alors qu’il renversa les tables

Des changeurs, et les sièges de ceux qui vendaient

Les colombes. 13 Il leur dit ceci : “ Il est écrit

Ma maison s’appellera maison de prière,

Vous, vous en faites une caverne de brigands.”

14 Des aveugles et des boiteux vers lui dans le Temple

S’avancèrent ; il les guérit. En voyant les choses

Merveilleuses qu’il avait produites, et les enfants

Qui criaient dans le Temple et disaient : “ Hosanna

Au Fils de David ! ”, les grands prêtres avec les scribes

S’indignèrent et lui dirent :

“ Tu entends ce qu’ils disent ? ”

Jésus leur dit : “ Oui, ne l’avez-vous jamais lu :

Par la bouche des tout petits, et des nourrissons

Tu t’es formé une louange ?”

17 Et, les quittant,

Sortant de la ville, pour aller à Béthanie,

Il y passa la nuit.

101


La pêche miraculeuse

Jésus dit à Simon : "Appelle les deux autres. Nous allons sur le lac jeter le filet."

"Maître, j'ai les bras rompus d'avoir jeté et relevé le filet toute la nuit, et pour rien. Le poisson est au fond et

qui sait où."

"Fais ce que je te dis, Pierre. Écoute toujours Celui qui t'aime."

"Je ferai ce que tu dis par respect pour ta parole" et il appelle à haute voix les commis et aussi Jacques et

Jean. "Nous allons la pêche. Le Maître le veut." Et pendant qu'ils s'éloignent, il dit Jésus : "Pourtant, Maître,

je t'assure que ce n'est pas l'heure favorable. À cette heure les poissons, qui sait où ils sont à se reposer !..."

Jésus assis à la proue sourit et se tait.

Ils font un arc de cercle sur le lac, et puis, jettent le filet. Quelques minutes d'attente et puis la barque est

secouée étrangement, attendu que sous le soleil déjà haut sur l'horizon le lac est lisse comme du verre fondu.

"Mais ce sont les poissons, Maître !" dit Pierre, les yeux écarquillés.

Jésus sourit et se tait.

"Hissez ! hissez !" ordonne Pierre aux commis. Mais la barque penche du côté du filet. "Ohé ! Jacques ! Jean !

Vite ! Venez ! Avec les rames ! Vite !"

102


Ils accourent et les efforts des mariniers réussissent à hisser le filet sans abîmer la proie.

Les barques accostent. Elles sont exactement l'une contre l'autre. Un panier, deux, cinq, dix. Ils sont tous

remplis d'une proie stupéfiante et il y a encore tant de poissons qui frétillent dans le filet : argent et bronze

vivants qui s'agitent pour échapper à la mort. Alors il n'y a plus qu'une solution : renverser dans le fond de la

barque ce qui reste dans le filet. On le fait et alors c'est tout un frémissement de vies qui agonisent. Les

pécheurs ont les pieds dans cette surabondance, jusqu'au dessus de la cheville et les barques s'enfoncent au

delà de la ligne de flottaison à cause de la charge excessive.

"À terre ! Virez ! Faites force de voiles ! Attention au fond ! Préparez les perches pour empêcher le heurt. Il

y a trop de poids !"

Tant que dure la manœuvre, Pierre ne réfléchit pas. Mais une fois débarqué, il ouvre les yeux et comprend. Il

est tout effrayé "Maître Seigneur ! Éloigne-toi de moi ! Je suis un homme pécheur Je ne suis pas digne d'être

auprès de Toi !" Il est à genoux sur la grève humide.

Jésus le regarde et sourit. "Lève-toi ! Suis-moi ! Je ne te lâche plus. Désormais tu seras pêcheur d'hommes et

avec toi, tes compagnons que voici. Ne craignez plus rien, je vous appelle. Venez !"

"Tout de suite, Seigneur. Vous autres, occupez-vous des barques, portez tout à Zébédée et à mon beau-frère.

Allons, tous pour Toi, Jésus ! Que l'Éternel soit béni pour ce choix."

Et la vision prend fin.

103


Appel aux quatre premiers disciples

5 1 Or donc, comme la foule le serrait de près

Pour écouter la parole de Dieu tandis

Qu’il était au bord du lac de Guennérareth,

Debout, 2 il vit deux barques arrêtés sur le bord

Du lac. Et les pécheurs en étaient descendus,

Ils lavaient leurs filets, 3 Étant monté dans un

Des bateaux qui étaient à Simon, il pria

Celui-ci de s’éloigner un peu de la terre

Et s'étant assis, du bateau il enseignait

Les foules.

4 Quand il eut cessé de parler il dit

À Simon : "Avance en eau profonde et lâchez

Vos filets pour la pêche." 5 Répondant, Simon dit :

6 "Chef, nous nous sommes fatigués toute la nuit

Sans rien prendre, mais sur ta parole, je vais lâcher

Les filets." Ainsi l’ayant fait, ils capturèrent

Une multitude grande de poissons ; les filets

Se déchiraient. 7 Ils firent signe à leurs associés

Dans l'autre bateau de venir pour les aider.

Ils vinrent et on remplit les deux bateaux, au point

Qu'ils s'enfonçaient.

8 À cette vue, Simon-Pierre

Tomba aux genoux de Jésus, en disant : "Sors

D'auprès de moi, Seigneur, je suis un homme pécheur !"

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9 Car l'effroi l’avait envahi lui et tous ceux

Qui étaient avec lui à cause de cette pêche

De poissons qu’il avait faite; 10 de même Jacques et Jean,

Fils de Zébédée, qui étaient les compagnons

De Simon. Jésus dit à Simon : " Sois sans crainte ;

Car ce sont des hommes que tu prendras désormais."

10 Ayant ramené les bateaux à terre, laissant tout

Ils le suivirent.

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Appel de Matthieu parmi les disciples

Ils sont arrivés sur la place. Jésus va tout droit au comptoir de la gabelle où Matthieu est en train de faire ses

comptes et de vérifier les monnaies qu'il répartit par catégories en les mettant dans des sacs de diverses

couleurs qu'il place dans un coffre de fer que deux serviteurs attendent de transporter autre part. À peine

l'ombre projetée par la grande taille de Jésus s'allonge sur le comptoir, Matthieu lève la tête pour voir celui

qui vient payer en retard. Pierre, en attendant, dit à Jésus le tirant par la manche : "Il n'y a rien à payer,

Maître. Que fais-tu ?"

Mais Jésus ne s'en occupe pas. Il fixe Matthieu qui, tout de suite s'est levé par respect. Un second regard

pénétrant. Mais ce n'est pas, comme l'autrefois, le regard du juge sévère. C'est un regard d'appel affectueux.

Il l'enveloppe, le pénètre d'amour. Matthieu devient rouge. Il ne sait que faire, que dire...

"Matthieu, fils d'Alphée, l'heure est sonnée. Viens. Suis-Moi !" lui déclare Jésus majestueusement.

"Moi ? Maître, Seigneur ! Mais sais-tu qui je suis ? C'est pour Toi, pas pour moi, que je le dis..."

"Viens, suis-Moi, Matthieu, fils d'Alphée" répète Jésus plus doucement.

"Oh ! comment puis-je avoir trouvé grâce près de Dieu ? Moi... Moi..."

"Matthieu, fils d'Alphée, j'ai lu dans ton cœur. Viens, Suis-Moi." La troisième invitation est une caresse.

"Oh ! tout de suite, mon Seigneur !" et Matthieu, en pleurant, sort de derrière le comptoir sans plus s'occuper

de ramasser les pièces de monnaies éparses, de fermer le coffre. Rien.

"Où allons- nous, Seigneur ? demande-t-il quand il est près de Jésus. Où me conduis-tu ?"

"Dans ta maison. Veux-tu donner l'hospitalité au Fils de l'homme ?"

"Oh !... mais... mais que vont-ils dire ceux qui te haïssent ?"

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"Moi, j'écoute ce qu'on dit au Ciel, et là, on dit : "Gloire à Dieu pour un pécheur qui se sauve !", et le Père

dit : "Éternellement la Miséricorde se lèvera dans les Cieux et se répandra sur la terre et puisque Je t'aime

d'un amour éternel, d'un amour parfait, voici qu'aussi, à ton égard J'use de miséricorde". Viens. Et par ma

venue, en plus du cœur, que ta maison soit sanctifiée."

"Je l'ai déjà purifiée par l'espérance que j'avais dans l'âme... mais que mon esprit ne pouvait admettre qu'elle

fût vraie... Oh ! moi avec tes saints..." et il regarde les disciples.

"Oui, avec mes amis. Venez. Je vous unis. Et soyez frères." Les disciples sont tellement stupéfaits qu'ils

n'ont pas encore trouvé manière de dire une parole. Ils ont cheminé en groupe, derrière Jésus et Matthieu, sur

la place toute ensoleillée, et maintenant absolument déserte, par un bout de route qui brûle dans un soleil

éblouissant. Il n'y a personne dans les rues. Mais seulement le soleil et la poussière.

Ils entrent dans la maison. Une belle maison avec une large entrée qui donne sur la rue. Une jolie cour

ombragée et fraîche, au delà de laquelle on en voit une grande organisée en jardin.

"Entre, mon Maître ! Apportez de l'eau et des boissons."

Les serviteurs accourent avec tout ce qu'il faut.

Matthieu sort pour donner des ordres, pendant que Jésus et les siens se rafraîchissent. Puis, il revient. "Viens

maintenant, Maître. La salle est plus fraîche... Maintenant des amis vont venir ... Oh ! je veux que ce soit

grande fête ! C'est ma régénération... C'est ma... ma circoncision vraie, celle-là... Tu m'as circoncis le cœur

par ton amour ...Maître, ce sera la dernière fête... Mainte- nant, plus de fêtes pour le publicain Matthieu. Plus

de fêtes de ce monde... Seulement la fête intérieure, celle d'être racheté et de te servir... d'être aimé de Toi...

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Combien j'ai pleuré... Combien ces derniers mois... Cela fait presque trois mois que je pleure... Je ne savais

comment faire... je voulais venir ...Mais, comment venir vers Toi, Saint, avec mon âme souillée ?"

"Tu l'as lavée par ton repentir et par ta charité. Pour Moi et pour le prochain. Pierre ? Viens ici."

Pierre qui n'a pas encore parlé, tant il est ébahi, s'avance. Les deux hommes, âgés tous les deux, petits,

trapus, sont en face l'un de l'autre, et Jésus est entre eux deux, souriant, beau.

"Pierre, tu m'as demandé tant de fois qui était l'inconnu de la bourse apportée par Jacques. Le voici : il est

là."

"Qui ? Ce vol... Oh ! pardon, Matthieu ! Mais qui pouvait penser que c'était toi, toi, vraiment. qui nous

désespérais par ton usure, que tu fusses capable de t'arracher chaque semaine un morceau de ton cœur pour

donner cette riche obole ?"

"Je le sais. Je vous ai injustement taxés. Mais, voici que je m'agenouille devant vous tous et que je vous dis :

ne me chassez pas ! Lui m'a accueilli. Ne soyez pas plus sévères que Lui."

Pierre, qui a Matthieu à ses pieds, le relève d'un seul coup, rudement, affectueusement : "Debout, debout ! Pas

à moi, ni aux autres. Ce n'est qu'à Lui qu'il faut demander pardon. Nous... allons, nous sommes tous plus ou

moins voleurs comme toi... Oh ! je l'ai dit ! Maudite langue ! Mais moi, je suis fait comme ça : ce que je

pense, je le dis, ce que j'ai sur le cœur, je l'ai sur les lèvres. Viens, que nous fassions un pacte d'affectueuse

paix." et il embrasse Matthieu sur les joues.

108


Les autres aussi le font avec plus ou moins d'affection. Je dis cela, car André est retenu par sa timidité, et

Judas Iscariote est glacial. On dirait qu'il embrasse un tas de reptiles, tant son accolade est détachée et brève.

Matthieu sort, entendant du bruit.

"Pourtant, Maître, dit Judas Iscariote, il me semble que cela n'est pas prudent. Déjà les pharisiens d'ici

t'accusent, et Toi... Voilà un publicain parmi les tiens ! Un publicain après une prostituée !... As-tu décidé ta

ruine ? S'il en est ainsi, dis-le car..."

"Que nous filions, pas vrai ?" dit Pierre ironique.

109


Appel de Lévi

13 Et il sortit de nouveau le long de la mer.

Toute la foule vint à lui. Il leur enseignait

14 Et, en passant, il vit Lévi, le fils d’Alphée,

Assis au bureau du péage. Et il lui dit :

“ Suis-moi.” Et se levant, il le suivit.

110


Incise

Je me permets ici d'ajouter un passage inconnu des miracles accomplis par Jésus-Christ.

Cet épisode n'a jamais été évoqué dans les Quatre Évangiles et moins encore dans Les Actes des Apôtres.

L'extraordinaire de la situation y est admirablement décrit.

Je laisse évidemment au lecteur le droit d'intégrer ce passage ou de le refuser et de le mépriser comme une

imposture.

111


Jésus fait le miracle de la lame brisée à la Porte des poissons

Je vois Jésus qui va tout seul sur un chemin ombragé, on dirait dans une fraîche petite vallée bien arrosée. Je

dis une petite vallée car elle est encaissée entre deux élévations du sol et au centre passe un petit cours d'eau.

Le lieu est désert, à l'heure matinale. Le jour doit à peine pointer, une belle journée tranquille du

commencement de l'été, et à part les chants des oiseaux dans les arbres - ce sont surtout des oliviers

principalement sur la colline de gauche, alors que l'autre plus dépouillée, a des arbustes bas : lentisques,

acacias épineux, agaves, etc..- à part ces chants et le triste roucoulement des tourterelles sauvages qui font

leurs nids dans les creux d'une colline, plus aride, on n'entend rien. Le petit torrent lui-même, dont les eaux

peu abondantes coulent au centre de son lit, semble ne faire aucun bruit et s'en va, réfléchissant dans ses

eaux la verdure qui l'entoure et lui donne une couleur d'émeraude foncée.

Jésus franchit un petit pont primitif : un tronc à moitié équarri, jeté sur le torrent, sans garde fou, sans rien

pour se protéger, et il continue son chemin sur l'autre rive.

Maintenant, on voit des murs et des portes et des marchands de légumes et de victuailles qui se pressent aux

portes encore fermées pour entrer dans la ville. Les ânes braient et se bagarrent, Les propriétaires eux-mêmes

ne plaisantent pas. Insultes et même coups pleuvent non seulement sur les échines des ânes, mais aussi sur

les têtes des hommes.

Deux hommes en viennent sérieusement aux mains à cause de l'âne de l'un d'eux, qui s'est servi dans le

panier de laitues de l'autre, et en a mangé beaucoup ! Ce n'est peut-être qu'un prétexte pour rallumer une

ancienne querelle. De fait on sort de dessous les vêtements deux coutelas, courts et larges comme la main :

c'est semble-t-il des dagues courtes mais bien affilées. Elles brillent au soleil. Cris des femmes, brouhaha des

hommes. Mais personne n'intervient pour séparer les deux qui se préparent à un duel rustique.

112


Jésus, qui s'avançait, méditatif, lève la tête, voit la scène et à pas très rapides accourt entre les deux.

"Arrêtez, au Nom de Dieu !" ordonne-t-il.

"Non ! Je veux en finir avec ce chien maudit !"

"Moi aussi ! Tu nous tiens par la frange ? Je te ferai une frange avec tes entrailles."

Les deux tournent autour de Jésus, le bousculant, l'insultant pour qu'il ne les sépare plus, cherchant à

s'atteindre sans y réussir parce que Jésus, avec des mouvements de son manteau dévie les coups et leur

bouche la vue. Il en a même le manteau lacéré. La foule crie : "Dégage-toi, Nazaréen et tire-toi de là." Mais

Lui ne bouge pas et tâche de les calmer, recommandant l'esprit à Dieu. Inutile ! La colère rend fous les deux

combattants.

Jésus va faire un miracle. Il ordonne une dernière fois : "Je vous commande d'arrêter."

"Non ! Éloigne-toi ! Va ton chemin, chien de Nazaréen !" Alors Jésus étend les mains, avec son aspect de

puissance fulgurante. Il ne dit pas une seule parole, mais les lames tombent en morceaux par terre comme

des lames de verre qu'on aurait heurtées contre un rocher.

Les deux regardent les poignées courtes qui leur restent entre les mains. La stupeur fait tomber la colère. La

foule aussi crie stupéfaite.

"Et maintenant ? demande Jésus avec sévérité. Où est votre force ?"

Jusqu'aux soldats, de garde à la porte, accourus aux derniers cris regardent avec stupeur et l'un d'eux se

penche pour ramasser des morceaux des lames et les essaie sur l'ongle, ne pouvant croire que c'est de l'acier.

113


"Et maintenant ? répète Jésus. Où est votre force ? Sur quoi basez-vous votre droit ? Sur ces morceaux de

métal qui maintenant ne sont plus que des débris dans la poussière ? Sur ces morceaux de métal qui n'avaient

d'autre force que celle du péché de colère contre un frère, vous dépouillant par ce péché de toute bénédiction

de Dieu et par conséquent de toute force ? Oh ! malheureux ceux qui se basent sur des moyens humains pour

vaincre, et ignorent que ce n'est pas la violence mais la sainteté qui rend victorieux sur terre et au-delà ! Car

Dieu est avec les justes.

Écoutez tous, vous d'Israël, et vous aussi soldats de Rome. La Parole de Dieu parle pour tous les fils

d'hommes ; et ce ne sera pas le Fils de l'homme qui la refusera aux Gentils.

Le second des commandements du Seigneur est celui de l'amour du prochain. Dieu est bon et veut la

bienveillance parmi ses fils. Celui qui manque de bienveillance pour son prochain ne peut se dire fils de

Dieu et ne peut avoir Dieu avec lui. L'homme n'est pas un animal sans raison qui attaque et comme ayant

droit à une proie. L'homme a une raison et une âme. Par la raison, il doit savoir se conduire en homme. Par

l'âme il doit savoir se conduire en saint. Celui qui n'agit pas ainsi se met au-dessous des animaux. Il s'abaisse

jusqu'à embrasser les démons, car il leur livre son âme par le péché de colère. Aimez. Je ne vous dis pas

autre chose. Aimez votre prochain comme le Seigneur Dieu d'Israël le veut. Ne soyez pas du sang de Caïn.

Et pourquoi l'êtes-vous ? Pour un peu d'argent, vous qui pouviez être homicides. D'autres pour un lopin de

terre. Pour une meilleure place. Pour une femme. Que sont toutes ces choses ? Éternelles ? Non, elles durent

moins que la vie qui n'est qu'un instant de l'éternité. Et que perdez-vous en les recherchant ? La paix

éternelle qui est promise aux justes et où le Messie vous conduira ensemble à son Royaume. Venez sur le

chemin de la Vérité. Suivez la Voix de Dieu. Aimez-vous. Soyez honnêtes. Soyez continents. Soyez

humbles et justes. Allez et méditez."

"Qui es-tu, Toi qui dis de semblables paroles et dont la volonté brise les épées ? Un seul fait ces choses : le

Messie. Même Jean le Baptiste n'est pas plus que Lui. Es-tu peut-être le Messie ?" se demandent trois ou quatre

qui sont là.

"Je le suis."

114


"Toi ! Es-tu celui qui guérit les maladies et prêche Dieu en Galilée ?"

"Je le suis."

"J'ai une vieille maman qui meurt, sauve-la !"

"Et moi, tu vois ? Je suis en train de perdre mes forces par les souffrances. J'ai des enfants encore tout petits.

Guéris-moi !"

"Rentre à ta maison. Ta mère ce soir te préparera le repas. Et toi, sois guéri, Je le veux !"

La foule pousse un cri. Puis, elle demande : "Ton Nom ! Ton Nom !"

"Jésus de Nazareth."

"Jésus ! Jésus ! Hosanna ! Hosanna !" La foule est en allégresse. Les ânes peuvent faire ce qu'ils veulent.

Personne n'en a plus cure. Des mères accourent de l'intérieur de la ville, on se rend compte que le bruit du

miracle s'est répandu. Elles lèvent leurs bébés. Jésus les bénit et sourit. Il cherche à fendre la foule, le cercle

des gens qui l'acclament pour entrer dans la cité et aller où il veut. Mais la foule ne veut rien savoir : "Reste

avec nous ! En Judée ! En Judée ! Nous sommés fils d'Abraham, nous aussi !" crie-t-elle.

"Maître ! - C'est Judas qui arrive vers Lui - Maître tu m'as devancé. Mais qu'arrive-t-il ?"

"Le Rabbi a fait un Miracle ! Pas en Galilée, ici, c'est ici avec nous que nous le voulons."

"Tu le vois, Maître ? Tout Israël t'aime et il est juste que tu restes ici aussi. Pourquoi t'en aller ?"

"Je ne me dérobe pas, Judas. Je suis venu exprès seul pour que la rudesse des disciples galiléens ne heurte

pas la susceptibilité juive. Je veux rassembler toutes les brebis d'Israël sous le sceptre de Dieu."

"C'est pour cela que je t'ai dit : "prends-moi." Je suis juif et je sais comment prendre mes concitoyens. Tu

resteras donc à Jérusalem ?"

"Peu de jours. Pour attendre un disciple juif, lui aussi. Puis j'irai à travers la Judée..."

"Oh ! je viendrai avec Toi. Je t'accompagnerai. Tu viendras dans mon pays, Je te conduirai à ma maison. Tu

viendras, Maître ?"

"Je viendrai... Du Baptiste, toi qui es juif et vis près des puissants, ne sais-tu rien ?"

115


"Je sais qu'il est encore en prison, mais qu'ils veulent le libérer car la foule menace de se révolter si on ne lui

rend pas son Prophète. Tu le connais ?"

"Je le connais."

"Tu l'aimes ? Que penses-tu de lui ?"

"Je pense qu'il n'y a eu personne de plus grand que lui qui est semblable à Élie."

"Le considères-tu vraiment comme le Précurseur ?"

"Oui, il l'est. C'est l'étoile du matin qui annonce le soleil. Heureux ceux qui se sont préparés à la venue du

soleil à travers sa prédication."

"Il est très sévère, Jean."

"Pas plus pour les autres que pour lui."

"C'est vrai, mais il est difficile de le suivre dans sa pénitence Toi, tu es plus bon et il est facile de t'aimer."

"Et pourtant..."

"Et pourtant, Maître ?"

"Et pourtant comme on le hait pour son austérité, on me haïra pour ma bonté, parce que l'une et l'autre

annoncent Dieu, et Dieu est haï par les méchants. Mais il est dit qu'il en sera ainsi. Comme il me précède

dans la prédication, ainsi il me précèdera dans la mort. Malheur pourtant aux assassins de la Pénitence et de

la Bonté."

"Pourquoi, Maître, ces tristes pressentiments ? La foule t'aime tu le vois..."

"Parce que la chose est certaine. La foule humble, oui, elle m'aime. Mais la foule n'est pas toute humble ni

composée d'humbles. Mais mon pressentiment n'est pas tristesse. C'est la vision tranquille de l'avenir et

l'adhésion à la volonté du Père qui m'a envoyé pour cela. Et c'est pour cela que je suis venu. Nous voilà au

Temple. Moi je vais au Bel Midrash, pour enseigner les foules. Reste si tu veux."

"Je resterai à tes côtés. Je n'ai qu'un seul but : te servir et te faire triompher."

116


Ils entrent au Temple et tout se termine.

117


TOME III

118


La samaritaine Fotinaï

"Je m'arrête ici. Allez en ville. Achetez tout ce qu'il faut pour le repas. Nous mangerons ici."

"Nous y allons tous ?"

"Oui, Jean. C'est bien que vous alliez en groupe."

"Et Toi? Tu restes seul... Ils sont samaritains..."

"Ce ne seront pas les pires parmi les ennemis du Christ. Allez, allez. Je prie, en vous attendant, pour vous et

pour eux."

Les disciples s'en vont à regret et à trois ou quatre reprises ils se retournent pour regarder Jésus qui s'est assis

sur un muret exposé au soleil près du bas et large bord d'un puits. Un grand puits, presque une citerne,

tellement il est large. En été il doit être ombragé par de grands arbres, maintenant dépouillés. On ne voit pas

l'eau, mais le terrain, près du puits, montre clairement qu'on a puisé de l'eau à cause des petites mares et des

empreintes circulaires laissées par les brocs humides. Jésus s'assied et médite, dans son attitude ordinaire, les

coudes appuyés sur les genoux et les mains jointes en avant, le corps légèrement incliné et la tête penchée

vers la terre. Puis il sent un bon petit soleil qui le réchauffe et il laisse glisser son manteau de dessus sa tête

et de ses épaules tout en le gardant encore replié sur sa poitrine.

Il lève la tête pour sourire à une bande de moineaux querelleurs qui se disputent une grosse mie de pain

perdue par quelque personne près du puits. Mais les oiseaux s'enfuient à l'arrivée d'une femme qui vient au

puits avec une amphore vide qu'elle tient par une anse de la main gauche, pendant que sa main droite écarte

avec surprise son voile pour voir quel est l'homme assis là. Jésus sourit à cette femme sur les trente-cinq à

quarante ans, grande, aux traits fortement dessinés, mais beaux. Elle a, dirions-nous, le type presque

espagnol avec son teint olivâtre, les lèvres très rouges et plutôt épaisses, des yeux démesurément grands et

noirs sous des sourcils très touffus et les tresses couleur de jais que l'on voit sous le voile léger. Même les

119


formes, qui tendent à l'embonpoint, présentent nettement le type oriental légèrement adouci comme celui des

femmes arabes. Elle est vêtue d'une étoffe à rayures multicolores, serrée à la ceinture, tendue sur les hanches

et la poitrine grassouillettes, et retombant ensuite en une sorte de volant ondulant jusqu'à terre. Quantité de

bagues et de bracelets aux mains grassouillettes et brunes et aux poignets que l'on voit sous les manches de

lin. Au cou un lourd collier d'où pendent des médailles, je dirais des amulettes car il y en a de toutes les

formes. De pesantes boucles d'oreilles descendent jusqu'au cou et brillent sous le voile.

"La paix soit avec toi, femme. Me donnes-tu à boire ? J'ai beaucoup marché et j'ai soif."

"Mais, n'es-tu pas juif ? Et tu me demandes à boire, à moi samaritaine. Qu'est-il donc arrivé ?

"Sommes-nous réhabilités ou est-ce vous qui êtes humiliés ? Sûrement un grand évènement est survenu si un

juif parle poliment à une samaritaine. Je devrais cependant te dire : 'Je ne te donne rien pour punir en Toi

toutes les insultes que depuis des siècles les juifs nous adressent'."

"Tu as bien parlé. Un grand évènement est survenu et pour cela beaucoup de choses sont changées et un plus

grand nombre changeront. Dieu a fait un grand don au monde et pour cela beaucoup de choses sont

changées. Si tu connaissais le don de Dieu et quel est Celui qui te dit : "Donne-moi à boire", peut-être toimême,

tu Lui aurais demandé à boire et Lui t'aurait donné de l'eau vive. "

"L'eau vive est dans les veines de la terre, et ce puits la possède. Mais il est à nous." La femme est railleuse

et présomptueuse.

"L'eau appartient à Dieu. Comme la bonté appartient à Dieu. Comme la vie appartient à Dieu. Tout

appartient à un Dieu Unique, femme. Et tous les hommes viennent de Dieu : les samaritains comme les juifs.

Ce puits n'est-il pas celui de Jacob ? Et Jacob n'est- il pas le chef de notre race ? Si par la suite une erreur

nous a séparés, cela ne change rien à notre origine."

"Notre erreur, n'est-ce pas ?" demande la femme agressive.

"Ni la nôtre, ni la vôtre. Erreur de quelqu'un qui avait perdu de vue la Charité et la Justice. Moi, je ne

t'attaque pas et je n'attaque pas ta race. Pourquoi veux-tu être agressive ?"

120


"Tu es le premier juif que j'entends parler ainsi. Les autres... Mais, pour revenir au puits, oui, c'est celui de

Jacob et il a une eau si abondante et si claire que nous de Sychar nous la préférons aux autres fontaines.

Mais il est très profond. Tu n'as pas d'amphore ni d'outre. Comment pourrais-tu donc atteindre pour moi l'eau

vive ? Es-tu plus que Jacob, notre saint Patriarche, qui a trouvé cette veine abondante, pour lui, ses enfants,

ses troupeaux et nous l'a laissée en souvenir de lui et comme cadeau ?"

"Tu l'as dit. Mais qui boit de cette eau aura encore soif. Moi, au contraire, j'ai une eau telle que celui qui

l'aura bue ne sentira plus la soif. Mais elle n'appartient qu'à Moi et je la donnerai à qui me la demande. Et en

vérité je te dis que celui qui aura de l'eau que je lui donnerai, aura toujours en lui la fraîcheur et n'aura plus

soif, car mon eau deviendra en lui une source intarissable, éternelle."

"Comment ? Je ne comprends pas. Es-tu un mage ? Comment un homme peut-il devenir un puits ? Le

chameau boit et fait une provision d'eau dans le creux de son ventre. Mais ensuite il la consomme et elle ne

lui dure pas toute sa vie. Et tu dis que ton eau dure toute la vie ?"

"Davantage encore : elle jaillira jusqu'à la vie éternelle. En celui qui la boit elle jaillira jusqu'à la vie éternelle

et donnera des germes de vie éternelle, car c'est une source de salut."

"Donne-moi de cette eau s'il est vrai que tu la possèdes. Je me fatigue à venir jusqu'ici. Si je l'ai, je n'aurai

plus soif et je ne deviendrai jamais malade ni vieille."

"Il n'y a que cela qui te fatigue ? Rien d'autre ? Et tu n'éprouves pas d' autre besoin que de puiser pour boire,

pour ton misérable corps ? Penses-y. Il y a quelque chose qui est plus que le corps: c'est l'âme. Jacob n'a pas

seulement donné de l'eau du sol, pour lui et pour les siens. Mais il s'est préoccupé de se procurer pour lui et

de donner la sainteté, l'eau de Dieu."

"Vous nous dites : païens, vous... Si c'est vrai ce que vous dites, nous ne pouvons pas être saints..." La

femme a perdu son ton impertinent et ironique et elle est soumise et légèrement confuse.

121


"Même un païen peut être vertueux. Et Dieu, qui est juste, le récompensera pour le bien qu'il aura fait. Ce ne

sera pas une récompense parfaite, mais, je te le dis, entre un fidèle souillé d'une faute grave et un païen sans

faute, Dieu regarde avec moins de rigueur le païen. Et pourquoi, si vous savez être tels, ne venez-vous pas au

Vrai Dieu ? Comment t'appelles-tu ? "

"Fotinaï."

"Eh bien, réponds-moi, Fotinaï. Ne souffres-tu pas de ne pouvoir aspirer à la sainteté parce que tu es

païenne, comme tu dis, parce que tu es dans les nuées d'une antique erreur, comme Moi je dis ? "

"Oui, que j'en souffre. "

"Et alors, pourquoi ne vis-tu pas au moins en païenne vertueuse ?"

"Seigneur !… "

"Oui, peux-tu le nier ? Va appeler ton mari et reviens avec lui."

"Je n'ai pas de mari... " La confusion de la femme grandit.

"Tu as bien dit. Tu n'as pas de mari. Tu as eu cinq hommes et maintenant tu as avec toi quelqu'un qui n'est

pas ton mari. Était-ce nécessaire, cela ? Même ta religion ne conseille pas l'impureté. Le Décalogue, vous

l'avez, vous aussi. Pourquoi alors, Fotinaï, vis-tu ainsi ? Ne te sens-tu pas lasse d'être la chair de tant

d'hommes, au lieu d'être l'honnête épouse d'un seul ? N'as-tu pas peur de ta vieillesse, quand tu te trouveras

seule avec tes souvenirs ? Avec tes regrets ? Avec tes peurs ? Oui, même celles-là. La peur de Dieu et des

spectres.

Où sont tes enfants ?"

La femme baisse complètement la tête et ne parle pas.

"Tu ne les as pas sur la terre. Mais leurs petites âmes, auxquelles tu as interdit de voir la lumière du jour,

t'adressent des reproches. Toujours. Bijoux... beaux vêtements... riche maison... table bien garnie... Oui.

Mais le vide, les larmes et la misère intérieure. Tu es une délaissée, Fotinaï. Et ce n'est qu'avec un repentir

sincère, moyennant le pardon de Dieu et par conséquent de tes enfants que tu peux devenir riche. "

122


"Seigneur, je vois que tu es un prophète, et j'ai honte..."

"Et à l'égard du Père qui est aux Cieux, tu n’éprouvais pas cette honte, quand tu faisais le mal? Ne pleure pas

de découragement devant l'Homme... Viens ici, Fotinaï, près de Moi. Je te parlerai de Dieu. Peut-être tu ne

Le connaissais pas bien. Et c'est pour cela, certainement pour cela, que tu as tant erré. Si tu avais bien connu

le vrai Dieu, tu ne te serais pas ainsi avilie. Lui t'aurait parlé et t'aurait soutenue..."

"Seigneur, nos pères ont adoré sur cette montagne. Vous dites que c’est seulement à Jérusalem que l'on doit

adorer. Mais, tu le dis : il n'y a qu'un seul Dieu. Aide-moi à voir où et comment je dois adorer..."

"Femme, crois-moi. Bientôt viendra l'heure où ce ne sera ni sur la montagne de Samarie ni à Jérusalem que

sera adoré le Père. Vous adorez Celui que vous ne connaissez pas. Nous adorons Celui que nous

connaissons, car le salut vient des juifs. Je te rappelle les Prophètes. Mais l'heure viendra. Déjà elle est

commencée où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, non plus suivant les rites antiques

mais avec le rite nouveau où il n'y aura plus de sacrifices, ni d'hosties d'animaux consumés par le feu. Mais

le sacrifice éternel de l'Hostie Immaculée brûlée par le Feu de la Charité. Culte spirituel dans un Royaume

spirituel. Et il sera compris de ceux qui savent adorer en esprit et en vérité. Dieu est Esprit. Ceux qui

l'adorent doivent l'adorer spirituellement."

"Tu as de saintes paroles. Moi, je sais, car nous aussi nous savons quelque chose, que le Messie est sur le

point de venir. Le Messie, Celui qu'on appelle aussi "le Christ". Quand il sera venu, il nous enseignera toutes

choses. Tout près d'ici se trouve aussi celui qu'on dit être son Précurseur. Et beaucoup vont l'écouter. Mais il

est si sévère !... Toi, tu es bon... et les pauvres âmes n'ont pas peur de Toi. Je pense que le Christ sera bon.

On l'appelle le Roi de la Paix. Tardera-t-il beaucoup à venir ? "

"Je t'ai dit que son temps est déjà présent."

"Comment le sais-tu ? Tu es peut-être son disciple ? Le Précurseur a beaucoup de disciples. Le Christ aussi

en aura."

123


"C'est Moi, qui te parle, qui suis le Christ Jésus."

"Toi!... Oh!..." La femme, qui s'était assise près de Jésus, se lève et va s'enfuir.

"Pourquoi t'enfuis-tu, femme ?"

"C'est que je suis horrifiée de me mettre près de Toi. Tu es saint..."

"Je suis le Sauveur. Je suis venu ici - ce n'était pas nécessaire - parce que je savais que ton âme était lasse

d'être errante. Tu as la nausée de ta nourriture... Je suis venu te donner une nourriture nouvelle et qui

t'enlèvera nausée et fatigue... Voici mes disciples qui reviennent avec mon pain. Mais déjà je suis nourri de

t'avoir donné les premières miettes de ta rédemption."

Les disciples lorgnent plus ou moins discrètement la femme, mais personne ne parle. Elle s'en va sans plus

penser à l'eau ni à son amphore.

"Voici, Maître." dit Pierre. "Ils nous ont bien traités. Il y a du fromage, du pain frais, des olives et des pommes.

Prends ce que tu veux. Cette femme a bien fait de laisser son amphore. Nous aurons plus vite fait qu'avec nos

petites gourdes. Nous boirons et nous les remplirons sans avoir à demander autre chose aux samaritains, et sans

les côtoyer aussi à leurs fontaines. Tu ne manges pas ?

Je voulais trouver du poisson pour Toi, mais il n 'yen a pas. Peut-être cela t'aurait-il plu davantage.

Tu es fatigué et pâle."

"J'ai une nourriture que vous ne connaissez pas. Ce sera mon repas. Je serai bien restauré."

Les disciples se regardent entre eux, s'interrogeant du regard. Jésus répond à leurs muettes interrogations :

"Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé pour achever l’œuvre qu'Il désire que

j'accomplisse. Quand le semeur jette la semence, peut-il dire qu'il a déjà tout fait pour dire qu'il a la récolte ?

124


Non, certainement pas, combien il a encore à faire pour dire : "Voici que mon travail est achevé ! Et jusqu'à

cette heure, il lie peut se reposer. Regardez ces champs sous le gai soleil de la sixième heure. Il y a seulement

un mois, et même moins, la terre était nue, sombre parce que les pluies l'avaient battue. Maintenant, regardez.

Des tiges innombrables de blé, qui viennent de percer, d'un vert très tendre qui dans cette grande lumière

semble encore plus clair, la couvrent, pour ainsi dire, d'un voile léger presque blanc. C'est la moisson future et

vous dites en la voyant : "Dans quatre mois, c'est la récolte. Les semeurs engageront des moissonneurs, parce

que si un semeur suffit pour ensemencer, il faut un grand nombre d'ouvriers pour moissonner. Semeurs et

moissonneurs sont heureux ; Celui quia semé un petit sac de grains et qui doit maintenant préparer ses

greniers pour la récolte, aussi bien que ceux qui, en quelques jours, gagnent de quoi vivre pendant quelques

mois." Dans le champ de l'esprit, aussi, ceux qui moissonnent ce que j'ai semé se réjouissent avec Moi et

comme Moi, parce que je leur donnerai mon salaire et ce qu'il leur est dû. Je leur donnerai de quoi vivre dans

mon Royaume éternel. Vous, vous n'avez qu'à moissonner ; le travail le plus dur, c'est Moi qui l'ai fait. Et

pourtant je vous dis : "Venez faire la moisson dans mon champ. Je suis heureux de vous voir chargés des

gerbes de ma. récolte. Quand j'aurai semé tout mon grain, inlassablement, partout, et que vous aurez fait la

récolte, alors sera accomplie la volonté de Dieu et je m'assiérai au banquet de la céleste Jérusalem." Voici

qu'arrivent les samaritains avec Fotinaï. Usez de charité envers eux. Ce sont des âmes qui viennent à Dieu."

125


La révélation du Sauveur du monde aux Samaritains

4 1 Quand le Seigneur sut que les Pharisiens

Avaient entendu dire que Jésus faisait plus

De disciples, et qu'il en baptisait plus que Jean,

2 Pourtant ce n'était pas Jésus qui baptisait

Lui-même, mais ses disciples - 3 il quitta la Judée

Et il s'en alla de nouveau en Galilée.

4 Or il lui fallait traverser la Samarie.

5 Alors il vint dans une ville de Samarie

Appelée Sychar, près du domaine que Jacob

Avait donné à Joseph, son fils. 6 Se trouvait

Là la Source de Jacob.

Jésus, fatigué

Du voyage, était assis à même la Source.

C'était environ la sixième heure. 7 Une femme

De Samarie vient pour puiser de l'eau. Jésus

Lui dit : "Donne-moi à boire." 8 Ses disciples étaient

En effet partis à la ville pour acheter

Des provisions. 9 La femme samaritaine lui dit :

"Comment ! Toi qui es juif, tu me demandes à boire,

À moi qui suis femme samaritaine ! " Car les Juifs

N'ont pas en effet avec les Samaritains

De relations. 10 Jésus répondit et lui dit

Ceci : "Si tu savais le don de Dieu, qui est

Celui qui te dit : donne-moi à boire, c'est toi

Qui l'en aurait prié et il t'aurait donné

126


De l'eau vive ". Elle lui dit : "Tu n'as rien pour puiser

Seigneur, le puits est profond. Comment l'aurais-tu

Cette eau vive ? 12 Serais-tu plus grand que notre père

Jacob, toi, qui nous a donné ce puits, y a bu

Lui, ses fils et ses bêtes ?"

13 Or Jésus répondit

Et lui dit : "Quiconque boit cette eau aura

Encore soif, 14 celui qui boira de l'eau que moi

Je lui donnerai n'aura donc plus jamais soif ;

L'eau que je lui donnerai deviendra en lui

Une source d'eau qui jaillira pour la vie

Éternelle."

15 La femme lui dit : "Donne-la-moi

Seigneur cette eau, et ainsi je n'aurais plus soif,

Je n'aurais plus à me rendre ici pour puiser."

16 Il lui dit : "Va, appelle ton mari et viens

Ici. 17 Mais la femme répondit, et elle dit :

"Je n'ai pas de mari" . Jésus lui dit : " Tu as

Bien dit : "Je n'ai pas de mari, 18 car tu as eu

Cinq maris, et maintenant celui que tu as

N'est pas ton mari ; en cela tu as dit vrai."

19 La femme lui dit : "Je vois que tu es un prophète,

Seigneur !...20 Pourtant nos pères ont sur cette montagne

Adoré, vous, vous dites que c'est à Jérusalem

Qui est le Lieu où il faut adorer." 21 Et Jésus

Lui dit : "Crois-moi bien, femme, elle vient, l'heure où ce n'est

Ni sur cette montagne, ni à Jérusalem

127


Que vous adorerez le Père. 22 Vous adorez,

Vous, ce que vous ne connaissez pas ; pourtant nous,

Nous adorons ce que nous connaissons. Des Juifs

Vient le Salut, 23 elle vient l'heure, - et c'est maintenant

Où les véritables adorateurs adoreront

Le Père, en esprit et en vérité, tels sont,

En effet, les adorateurs que le Père cherche

24 Dieu est esprit, ceux qui adorent doivent adorer

En esprit et en vérité."

25 La femme lui dit :

"Je sais que le Messie, celui qu'on nomme Christ

Doit venir, aussi quand il viendra, celui-là,

Il nous annoncera toutes choses." 26 Or Jésus

Lui dit : "Je le suis, moi qui te parle."

27 Là-dessus

Vinrent ses disciples, ils étaient étonnés

De ce qu'il parlait avec une femme ; aucun

Pourtant ne dit : "Que lui veux-tu ? " Ou : "Avec elle

Pourquoi parles-tu ? " 28 La femme laissa donc sa cruche

Et s'en alla à la ville, et elle dit aux gens :

29 "Venez donc pour voir un homme qui m'a dit en tout

Ce que j'ai fait. Mais ne serait-il pas le Christ ?"

30 Ils sortirent de la ville, ils venaient vers Jésus.

31 Les disciples entre temps le priaient en disant :

"Rabbi, mange." 32 Mais il leur dit : "Moi, j'ai à manger

Une nourriture que vous ne connaissez pas,

Vous." 33 Alors les disciples se disaient entre eux :

"Quelqu'un lui aurait-il apporté à manger ?"

34 Et Jésus leur dit : "Mon aliment, c'est de faire

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La volonté de Celui, qui m'a envoyé

Et d'accomplir son oeuvre. 35 Ne dites-vous pas, vous :

Encore quatre mois et la moisson vient ? Voici

Que je vous dis : Levez les yeux, voyez les champs

Sont blancs pour la moisson.36 Aussi le moissonneur

Va recevoir un salaire, (il va) amasser

Du fruit pour la vie éternelle, et le semeur

Pourra se réjouir avec le moissonneur.

37 C'est en cela que le proverbe est véridique :

Autre est le semeur, autre est le moissonneur.38 Moi,

Je vous ai envoyés moissonner là où vous,

Vous n'avez pas peiné ; et d'autres ont peiné

Et c'est vous qui profitez de leur peine."

39 Beaucoup

De Samaritains de cette ville crurent en lui

Pour la parole de cette femme qui témoignait :

"Il m'a dit en tout ce que j'ai fait."

40 Et vers lui

Vinrent les Samaritains, ils le prièrent chez eux

De demeurer, et il y demeura deux jours.

41 Et c'en un bien plus grand nombre qu'ils crurent à cause

De sa parole à lui, 42 ils disaient à la femme :

"Ce n'est plus à cause de tes dires que nous croyons ;

Nous avons entendu nous-mêmes et nous savons

Qu'il est vraiment le Sauveur du monde."

129


Les habits neufs et le vin nouveau

"C'est vrai. Une autre question, Maître. Pourquoi les disciples de Jean font-ils de grands jeûnes et pas les

tiens ? Nous ne disons pas que tu ne dois pas manger. Même le prophète Daniel fut saint aux yeux de Dieu,

tout en étant un grand de la cour de Babylone, et Toi tu es plus que lui. Mais eux..."

"Bien souvent, ce qu'on n'obtient pas par le rigorisme, on l'obtient par la cordialité. Il y a des êtres qui ne

viendraient jamais au Maître, et c'est le Maître qui doit aller à eux. D'autres viendraient au Maître, mais ils

ont honte d'y aller parmi la foule. Vers eux aussi le Maître doit aller. Et puisqu'ils me disent : "Sois mon hôte

pour que je puisse te connaître" j'y vais, en tenant compte non pas de la jouissance d'une table opulente, ni

des conversations qui pour Moi sont tellement pénibles, mais encore et toujours de l'intérêt de Dieu. Ceci

pour Moi. Et puisque souvent au moins une des âmes que j'aborde de cette façon se convertit, et toute

conversion est une fête nuptiale pour mon âme, une grande fête à laquelle prennent part tous les anges du

Ciel et que bénit le Dieu éternel, ainsi mes disciples, les amis de Moi-l'Epoux, jubilent avec l'Époux leur

Ami. Voudriez-vous voir les amis dans la douleur pendant que Moi je jubile ? Pendant que je suis avec eux ?

Mais le temps viendra où ils ne m'auront plus. Et alors ils feront de grands jeûnes. À temps nouveaux,

nouvelles méthodes. Jusqu'à hier : auprès du Baptiste, c'était la cendre de la Pénitence. Aujourd'hui, dans

mon aujourd'hui, c'est la douce manne de la Rédemption, de la Miséricorde, de l'Amour. Les méthodes

anciennes ne pourraient se greffer sur mon action, comme mes méthodes n'auraient pu être mises en œuvre

alors, hier seulement, car la Miséricorde n'était pas encore sur la terre, maintenant, elle y est. Non plus le

Prophète, mais le Messie à qui tout a été remis par Dieu, est sur la terre. À chaque temps les choses qui lui

sont utiles. Personne ne coud un morceau d'étoffe neuve sur un vieux vêtement, parce qu'autrement, surtout

au moment du lavage, l'étoffe neuve se rétrécit et déchire l'étoffe vieille et la déchirure s'élargit encore. De la

même façon, personne ne met du vin nouveau dans de vieilles outres parce que autrement le vin fait éclater

les outres incapables de supporter le bouillonnement du vin nouveau et celui-ci se répand hors des outres

qu'il a crevées. Mais le vin vieux qui a déjà travaillé, on le met dans de vieilles outres, et le vin nouveau dans

des outres neuves. Car une force doit s'équilibrer avec une autre qui doit lui être égale. Il en est ainsi

maintenant. La force de la nouvelle doctrine impose des méthodes nouvelles pour sa diffusion. Et Moi, qui

sais, je les emploie."

130


"Merci, Seigneur. Maintenant nous sommes contents. Prie pour nous. Nous sommes de vieilles outres.

Pourrions-nous résister à ta force ?"

"Oui, parce que le Baptiste vous a tannés et parce que ses prières, unies aux miennes, vous donneront cette

possibilité. Partez avec ma paix et dites à Jean que je le bénis."

"Mais... selon Toi, vaut-il mieux pour nous rester avec le Baptiste ou avec Toi ?"

"Tant qu'il y a du vin vieux, il est plus agréable de le boire parce qu'il flatte davantage le palais. Plus tard...

parce que l'eau malsaine qui se trouve partout vous dégoûtera, vous aimerez le vin nouveau."

"Crois-tu que le Baptiste sera repris ?"

"Certainement. Je lui ai déjà envoyé une mise en garde. Allez, allez. Jouissez de votre Jean tant que vous le

pouvez et faites-lui plaisir. Après, vous m'aimerez, Moi. Et cela vous sera pénible aussi... car personne, après

avoir goûté le vin vieux ne désire tout de suite le vin nouveau. Il dit : "Le vin vieux était meilleur." Et en

effet, j'aurai une saveur spéciale qui vous paraîtra âpre. Mais vous vous habituerez à la longue à cette saveur

vitale. Adieu, amis. Dieu soit avec vous."

131


Discussion sur le jeûne

33 Alors

Ils lui diront ceci : "Les disciples de Jean

Jeûnent fréquemment et ils font des prières,

Et pareillement aussi ceux des Pharisiens,

Mais les tiens mangent et boivent !"

34 " Est-ce que vous pouvez

Faire jeûner les compagnons de l’époux pendant,

Que l’époux ne trouve avec eux ? leur dit Jésus

Viendront des jours...et lorsque l’époux leur sera

Enlevé, alors ils jeûneront, en ces jours."

36 Et il leur disait encore une parabole :

37 "Personne ne déchire une pièce d’un manteau neuf

Pour rapiécer un vieux manteau ; car autrement

On déchirera le neuf et la pièce prise

Au neuf ne s'accordera pas au vieux.

Et personne

Ne met du vin nouveau dans des outres vieilles, certes,

Car du moins le vin nouveau crèvera les outres,

Il ne répandra, les outres seront perdues.

38 Ainsi le vin nouveau, c’est dans des outres neuves

Qu'il faut le mettre. 39 Et personne après avoir bu

Du vin vieux, ne veut du nouveau. En effet

On dit : "C'est le vieux qui est bon."

132


L’élection des douze apôtres

Il y a une aube qui blanchit les montagnes et semble adoucir cette pente sauvage où l'on n'entend que le bruit

du torrent qui écume tout au fond, bruit qui, répercuté par les montagnes remplies de cavernes, produit une

rumeur particulière. Là, à l'endroit où ont fait halte les disciples, il n'y a que quelque timide bruissement dans

les frondaisons et les plantes : des premiers oiseaux qui se réveillent, des derniers animaux nocturnes qui

regagnent leurs tanières. Une bande de lièvres ou de lapins sauvages, qui sont en train de ronger un bas

buisson de mûres, s'enfuient effrayés par la chute d'une pierre. Puis ils reviennent timidement, levant les

oreilles pour entendre le moindre bruit et, voyant que tout est tranquille, reviennent à leur buisson. La rosée

humecte tous les feuillages, toutes les pierres, et le bois exhale une forte odeur de mousse, de menthe et de

marjolaine.

Un rouge-gorge descend jusqu'au bord d'une caverne dont une pierre qui fait saillie sert de toit et, remuant la

tête, bien droit sur ses pattes soyeuses, tout prêt à s'enfuir, il regarde à l'intérieur, regarde par terre, murmure

ses "cip cip" interrogateurs et... gourmands des miettes de pain qui sont par terre, mais il ne se décide à

descendre que lorsqu'il se voit devancé par un gros merle qui avance en sautant de biais, amusant avec son

air de gamin et son profil de vieux notaire auquel il ne manque que les lunettes pour être au complet. Alors

le rouge-gorge descend aussi et se met derrière le hardi monsieur qui de temps à autre enfonce son bec jaune

dans la terre humide en quête de... archéologie comestible et puis s'en va après un "ciop" ou un bref

sifflement tout à fait polisson. Le rouge-gorge se gave de miettes et reste stupéfait quand il voit que le merle,

entré tranquillement dans la caverne silencieuse, en sort avec une croûte de fromage qu'il bat et rebat sur une

pierre pour la mettre en morceau et s'en faire un copieux repas. Puis il retourne à l'intérieur, jette un regard

furtif et, ne trouvant plus rien, fait un beau sifflement moqueur et s'envole pour finir son chant à la cime d'un

rouvre qui plonge sa tête dans l'azur du matin. Le rouge-gorge s'envole aussi à cause d'un bruit qu'il entend

venir de l'intérieur de la caverne... et il reste sur une petite branche qui pend dans le vide.

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Jésus s'avance sur le seuil et émiette du pain en appelant tout doucement les oiseaux par un sifflement

modulé qui imite bien le cri de plusieurs petits oiseaux. Puis il s'écarte et s'en va plus haut, s'arrêtant contre

une paroi rocheuse pour ne pas effrayer ses amis qui descendent vivement : d'abord le rouge-gorge et puis

d'autres de différentes espèces. J'aime à penser, parce que j'en ai l'expérience, que les animaux, même les

plus méfiants, s'approchent de ceux en qui par instinct ils sentent non des ennemis mais des protecteurs.

L'immobilité de Jésus ou son regard font qu'après peu de temps les oiseaux sautent à quelques centimètres de

Jésus. Le rouge-gorge, maintenant rassasié, vole au-dessus du rocher auquel s'appuie Jésus, s'agrippe à un

petit brin de clématite et se balance au-dessus de la tête de Jésus avec le désir de descendre sur sa tête blonde

ou sur son épaule. Le repas est fini. Le soleil dore la cime des montagnes et puis les plus hautes branches des

bosquets pendant que la vallée est encore toute entière plongée dans la pâle lumière de l'aube. Les oiseaux

s'envolent, satisfaits et rassasiés, vers le soleil et chantent à pleins gosiers.

"Et maintenant allons réveiller mes autres fils." dit Jésus. Il descend parce que sa grotte est la plus élevée. Et,

allant d'une grotte à l'autre, il appelle par leur nom les douze dormeurs.

Simon, Barthélemy, Philippe, Jacques, André répondent tout de suite. Matthieu, Pierre et Thomas sont plus

lents à répondre. Et alors que Jude Thaddée va à la rencontre de Jésus dès qu'il le voit sur le seuil, déjà prêt

et bien éveillé, l'autre cousin et ainsi que l'Iscariote et Jean dorment à poings fermés si bien que Jésus doit les

secouer sur leur lit de feuilles pour qu'ils se réveillent.

Jean, appelé le dernier, dort si profondément qu'il ne se rend pas compte de Celui qui l'appelle. Dans les

nuées du sommeil à moitié interrompu, il marmotte : "Oui, maman, je viens tout de suite..." Mais ensuite il

se tourne. Jésus sourit, s'assied sur le lit de feuilles ramassées dans le bois, il s'incline et baise sur la joue son

Jean qui ouvre les yeux et reste immobile comme une statue en voyant là Jésus. Il s'assied tout d'un coup et

dit : "Tu as besoin de moi ? Me voici."

134


"Non, je t'ai éveillé comme tous les autres. Mais tu m'as pris pour ta maman. Alors je t'ai donné un baiser

pour faire comme les mères."

Jean n'a que ses sous-vêtements car il a mis son habit et son manteau pour couvertures. Il s'attache au cou de

Jésus et il s'y réfugie, la tête entre l'épaule et la joue en disant : "Oh ! Tu es bien plus que la mère, Toi ! Je

l'ai quittée pour Toi, mais Toi, je ne te quitterais pas pour elle ! Elle m'a enfanté à la terre, mais Toi, tu

m'enfantes au Ciel. Oh ! je le sais !"

"Que sais-tu de plus que les autres ?"

"Ce que m'a dit le Seigneur dans cette grotte. Vois-tu, je ne suis jamais venu te trouver et je pense que les

compagnons ont dit que c'était indifférence et orgueil. Mais, ce qu'ils pensent ne m'importe pas. Je sais que

tu connais la vérité. Je ne suis pas venu vers Jésus-Christ, le Fils de Dieu Incarné, mais vers ce que tu es au

sein du Feu qu'est l'Amour Éternel de la Trinité Très Sainte, sa Nature, son Essence, son Essence véritable -

oh ! je ne sais dire tout ce que j'ai pourtant compris dans cette grotte noire, obscure qui est devenue pour moi

tellement pleine de lumières, dans cette froide caverne où j'ai été brûlé d'un feu qui n'avait pas de forme,

mais qui est descendu au fond de mon être et l'a enflammé d'un doux martyre, dans cet antre sans voix mais

qui m'a chanté des vérités célestes - mais, ce que tu es, Seconde Personne de l'ineffable Mystère qui est Dieu

et que je pénètre, car Il m'a aspiré à Lui et je l'ai eu toujours avec moi. Et tous mes désirs, tous mes pleurs,

toutes mes demandes, je les ai versés en ton sein divin, Verbe de Dieu. Et il n'y a jamais eu de parole, parmi

celles si nombreuses que j'ai entendues de Toi, aussi vaste que celle que tu m'as dite ici, Toi, Dieu Fils ; Toi,

Dieu comme le Père ; Toi, Dieu comme l'Esprit Saint ; Toi qui es le pivot de la Triade. ..oh ! peut-être je

blasphème ! mais c'est ainsi qu'il me semble parce que, s'il n'y avait pas Toi, Amour venu du Père et Amour

qui retourne au Père, voilà qu'il manquerait l'Amour, le Divin Amour, et la Divinité ne serait plus Trine et il

Lui manquerait l'attribut qui convient le plus à Dieu: son amour ! Oh ! j'ai tant ici. Mais c'est comme de l'eau

qui bouillonne contre une écluse et qui ne peut sortir... il me semble mourir , tant est violent et sublime le

tumulte qui m'est descendu dans le cœur du moment où je t'ai compris... mais pour rien au monde je ne

voudrais en être libéré... Fais-moi mourir de cet amour, mon doux Dieu !" Jean sourit et pleure, haletant,

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enflammé par son amour, abandonné sur la poitrine de Jésus, comme si la flamme l'épuisait. Et Jésus le

caresse, brûlant d'amour à son tour.

Jean se ressaisit sous un flot d'humilité qui le fait supplier : "Ne dis pas aux autres ce que je t'ai dit.

Certainement, eux aussi ont su vivre de Dieu comme j'ai vécu pendant ces jours. Mais laisse sur mon secret

la pierre du silence."

"Sois tranquille, Jean. Personne ne connaîtra tes noces avec l'Amour. Habille-toi. Viens. Nous devons

partir."

Jésus sort sur le sentier où déjà se trouvent les autres. Les visages ont un aspect plus vénérable, plus

recueilli. Les plus âgés semblent des patriarches. Les jeunes ont quelque chose de mûr, de digne

qu'auparavant la jeunesse cachait. L'Iscariote regarde Jésus avec un timide sourire sur son visage marqué par

les larmes. Jésus le caresse en passant. Pierre... ne parle pas. Et c'est si étrange chez lui que cela étonne plus

que tout autre changement. Il regarde attentivement Jésus, mais avec une dignité nouvelle qui semble lui

agrandir le front aux tempes un peu dégarnies et rendre plus sévère l’œil où jusqu'alors il y avait une lueur de

malice. Jésus l'appelle près de Lui et le tient tout proche, en attendant Jean qui sort finalement. Je ne sais dire

si son visage est plus pâle ou plus rouge, mais il y brille une flamme qui ne change pas la couleur mais

pourtant est visible. Tous le regardent.

"Viens ici, Jean, près de Moi et toi aussi, André, et toi, Jacques de Zébédée. Puis toi Simon, puis toi

Barthélemy, Philippe et vous, mes frères et Matthieu. Judas de Simon, ici, en face de Moi. Thomas, viens ici.

Assoyez-vous. Je dois vous parler."

Ils s'assoient, tranquilles comme des enfants, tous un peu absorbés dans leur monde intérieur et pourtant

attentifs à Jésus comme ils ne l'ont jamais été.

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"Savez-vous ce que je vous ai fait ? Vous le savez tous. Votre âme, l'a dit à votre raison. Mais l'âme, qui ces

jours a été reine, a enseigné à la raison deux grandes vertus : l'humilité et le silence, fils de l'humilité et de la

prudence qui sont les filles de la charité.

Il y a seulement huit jours, vous seriez venus proclamer, comme de braves enfants qui veulent étonner et

dépasser le rival, vos prouesses, vos nouvelles connaissances. Maintenant, vous vous taisez. D'enfants, vous

êtes devenus des adolescents. Maintenant, vous savez qu'avec cette proclamation, vous pourriez mortifier le

compagnon qui peut-être a moins reçu de Dieu, et vous vous taisez. Vous êtes, en outre, comme des jeunes

filles qui ne sont plus impubères. Il est né en vous une sainte pudeur sur les métamorphoses que vous a

révélées le mystère nuptial des âmes avec Dieu. Ces cavernes, le premier jour vous ont paru froides, hostiles,

repoussantes... maintenant vous les regardez comme des chambres nuptiales, parfumées et lumineuses. En

elles, vous avez connu Dieu. Auparavant vous saviez quelque chose de Lui, mais vous ne le connaissiez pas

dans l'intimité qui de deux fait un seul. Parmi vous, il y a des hommes depuis longtemps mariés, d'autres qui

ont eu avec les femmes des rapports trompeurs, quelques-uns qui, pour des causes diverses, sont chastes.

Mais ceux qui sont chastes savent maintenant ce qu'est l'amour parfait comme le savent ceux qui sont

mariés. Et même je peux dire que personne, comme celui qui ignore le désir de la chair, ne sait ce qu'est

l'amour parfait. Car Dieu se révèle aux vierges dans toute sa plénitude pour la joie qu'Il éprouve de se donner

à celui qui est pur en retrouvent quelque chose de Lui-même, très Pur, dans la créature pure de la luxure et

pour compenser ce qu'elle se refuse par amour pour Lui.

En vérité, je vous dis qu'à cause de l'amour que j'ai pour vous et à cause de la sagesse que je possède, si je

n'avais pas le devoir d'accomplir l’œuvre du Père, je voudrais vous garder ici, et rester avec vous, isolés,

certain qu'ainsi je ferais de vous, et promptement, de grands saints, sans plus de défaillances, de défections,

de chutes, de ralentissements, de retours en arrière. Mais, je ne puis pas. Je dois aller, vous devez aller. Le

monde nous attend, le monde profané et profanateur qui a besoin de maîtres et de rédempteurs. J'ai voulu

vous faire connaître Dieu pour que vous l'aimiez beaucoup plus que le monde, qui avec toutes ses affections

ne vaut pas un seul sourire de Dieu. J'ai voulu vous faire méditer sur ce qu'est le monde et sur ce qu'est Dieu

pour vous faire désirer ce qui est le meilleur. En ce moment, vous n'aspirez qu'à Dieu. Oh ! si je pouvais

vous fixer à cette heure, à cette aspiration ! Mais le monde nous attend. Et nous allons vers le monde qui

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nous attend. Au nom de la sainte Charité : comme Elle m'a envoyé au monde, ainsi je vous envoie par mon

ordre au monde. Mais, je vous en conjure ! Comme on garde une perle en son écrin, gardez en votre cœur le

trésor de ces jours où vous vous êtes regardés, soignés, relevés, revêtus, unis à Dieu. Et comme les pierres de

témoignage élevées par les Patriarches en souvenir des alliances avec Dieu, conservez et gardez ces précieux

souvenirs en votre cœur.

À partir d'aujourd'hui, vous n'êtes plus mes disciples préférés mais les apôtres, les chefs de mon Église. De

vous viendront, au cours des siècles, toutes ses hiérarchies et on vous appellera maîtres, ayant pour Maître

votre Dieu en sa triple puissance, sagesse, charité. Je ne vous ai pas choisis parce que vous étiez les plus

méritants, mais pour un ensemble complexe de causes qu'il n'est pas nécessaire que vous connaissiez

maintenant. Je vous ai choisis à la place des bergers qui sont mes disciples depuis l'époque où j'étais un bébé

vagissant. Pourquoi l'ai-je fait ? Parce que c'était bien de le faire. Parmi vous, il y a des galiléens et des juifs,

des savants et des ignorants, des riches et des pauvres. Tout cela au point de vue du monde. Afin qu'on ne

dise pas que j'ai préféré une seule catégorie. Mais vous ne suffirez pas pour tout ce qu'il y a à faire. Ni

maintenant, ni plus tard.

Vous n'avez pas tous, présent à la mémoire, un passage du Livre. Je vous le rappelle. Au second livre des

Paralipomènes, au vingt neuvième chapitre, on raconte comment Ezéchias, roi de Juda, fit purifier le

Temple. Après qu'il fut purifié, il fit faire des sacrifices pour le péché, pour le royaume, pour le sanctuaire et

pour Juda et après on commença l'offrande individuelle. Mais comme les prêtres ne suffisaient pas pour les

immolations, on appela à l'aide les lévites, consacrés par un rite plus court que les prêtres.

C'est ce que je ferai. Vous êtes les prêtres, préparés par de longs soins par Moi, Pontife Éternel. Mais vous

ne suffisez pas au travail toujours plus grand des immolations individuelles au Seigneur leur Dieu. Je vous

associe donc les disciples qui restent disciples. Ceux qui nous attendent au pied de la montagne, ceux qui

déjà sont plus élevés, ceux qui sont répandus sur la terre d'Israël et qui seront ensuite disséminés en tous les

points de la terre. À eux seront donnés des fonctions de même importance parce que la mission est unique,

mais leur classement sera différent aux yeux du monde, non pas aux yeux de Dieu auprès de Qui réside la

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justice. Ainsi le disciple obscur, ignoré des apôtres et de ses confrères, qui vivra saintement en conduisant à

Dieu les âmes, sera plus grand que l'apôtre renommé qui n'a d'apôtre que le nom, et qui rabaisse sa dignité

d'apôtre en poursuivant des buts humains.

Les devoirs des apôtres et des disciples seront toujours ceux des prêtres et des lévites d'Ezéchias : pratiquer

le culte, abattre les idolâtries, purifier les cœurs et les lieux, prêcher le Seigneur et sa Parole. Il n'est pas sur

la terre de fonction plus sainte, ni de dignité plus élevée que la vôtre. Mais c'est pour cela que je vous ai dit :

"Écoutez-vous, examinez-vous." Malheur à l'apôtre qui tombe ! Il entraîne avec lui beaucoup de disciples et

eux entraînent un nombre bien plus grand de fidèles. C'est la ruine qui grossit toujours plus comme une

avalanche ou comme le cercle qui s'étend sur le lac à la suite des pierres jetées au même point.

Serez-vous tous parfaits ? Non. L'esprit qui vous anime durera-t-il ? Non. Le monde lancera ses tentacules

pour étrangler votre âme. Ce sera la victoire du monde, fils de Satan pour les cinq dixièmes, esclave de Satan

pour encore trois dixièmes, indifférent à Dieu pour les deux dixièmes qui restent, victoire qui éteindra la

lumière dans le cœur des saints. Défendez vous-mêmes par vous-mêmes contre vous, contre le monde, la

chair, le démon. Mais surtout défendez-vous de vous-mêmes. Soyez en garde, ô fils, contre l'orgueil, la

sensualité, la duplicité, la tiédeur, l'assoupissement spirituel, contre la cupidité ! Quand l’être inférieur élève

la voix et pleurniche sous prétexte de cruautés à son détriment, faites le taire en disant : "Pour un instant de

privation que je te donne, je te procure, et pour l'éternité, le banquet extatique que tu as eu dans la caverne à

la fin de la lune de Scebat."

Allons. Allons à la rencontre des autres qui en grand nombre attendent ma venue. Ensuite j'irai pour

quelques heures à Tibériade, et vous, en parlant en public de Moi, vous irez m'attendre au pied de la

montagne sur la route directe de Tibériade à la mer. Je viendrai là et monterai pour prêcher. Prenez les sacs

et les manteaux. Le séjour est terminé et l'élection est faite."

139


L’élection des douze apôtres

10 1 Alors, appelant à lui ses douze disciples

Il leur donna pouvoir sur les esprits impurs

Pour les chasser, pour soigner toute maladie,

Toute langueur.

2 Voici les noms des douze apôtres :

D’abord Simon appelé Pierre, avec son frère

André ; Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean ;

3 Philippe et Barthélemy ; Thomas et Matthieu

Le percepteur ; Jacques, (le) fils d’Alphée et Thaddée,

4 Simon le Cananéen ainsi que Judas l’Iscariote,

Et c’est celui-là même qui allait le livrer.

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Le Sermon sur la montagne. "Vous êtes le sel de la terre."

Or donc, écoutez, et vous, et vous : apôtres et disciples. Vous, apôtres, avez déjà entendu ces idées. Mais

maintenant, vous les comprendrez plus profondément. Vous, disciples, vous ne les avez pas entendues, ou

d'une manière fragmentaire. Il faut les graver dans vos cœurs, car je vais me servir toujours plus de vous

puisque le troupeau du Christ ne cesse d'augmenter, car le monde vous assaillira toujours plus, le nombre des

loups allant croissant contre Moi, le Pasteur, et contre mon troupeau. Je veux vous mettre entre les mains les

armes qu'il faut pour défendre la Doctrine et mon troupeau. Ce qui suffit au troupeau ne suffit pas à vous,

petits bergers. S'il est permis aux brebis de faire des erreurs en broutant des herbes qui rendent le sang amer

et exaspèrent les désirs, il ne vous est pas permis à vous de commettre les mêmes erreurs en amenant un

troupeau nombreux à sa ruine. Réfléchissez que là où se trouve un berger idolâtre les brebis périssent

empoisonnées ou assaillies par les loups.

Vous êtes le sel de la terre et la lumière du monde. Mais si vous manquez à votre mission, vous deviendrez

un sel insipide et inutile. Rien ne pourra plus vous rendre la saveur si Dieu n'a pu vous la donner si, en ayant

reçu le don, vous lui avez fait perdre sa saveur en le diluant dans les eaux fades et souillées de l'humanité, en

l'adoucissant avec la douceur corrompue des sens, en mêlant au sel pur de Dieu des déchets et des déchets

d'orgueil, de convoitise, de gourmandise, de luxure, de colère, de paresse, de sorte que l'on a un grain de sel

pour sept fois sept grains de chaque vice. Votre sel alors n'est qu'un mélange de pierraille où se trouve perdu

le pauvre grain de sel, de pierraille qui grince sous les dents, qui laisse dans la bouche un goût de terre et

rend la nourriture répugnante et désagréable. Il n'est même plus bon pour des usages inférieurs car un savoir

pétri des sept vices nuirait même aux missions humaines. Et alors le sel n'est bon qu'à être jeté et à être foulé

aux pieds insouciants des hommes. Que de peuple, que de peuple pourra ainsi piétiner les hommes de Dieu !

Car ces appelés auront permis au peuple insouciant de les piétiner, car ils ne sont plus la substance vers

laquelle on accourt pour trouver la saveur de choses nobles, célestes, mais ils seront uniquement : des

déchets.

141


Vous êtes la lumière du monde. Vous êtes comme ce sommet qui a été le dernier à perdre le soleil et le

premier à recevoir la lumière argentée de la lune. Celui qui se trouve en haut brille, et on le voit car l’œil,

même le plus distrait, se pose parfois sur les hauteurs. Je dirais que l’œil matériel, dont on dit qu'il est le

miroir de l'âme, reflète le désir de l'âme, le désir souvent inaperçu, mais toujours vivant tant que l'homme

n'est pas un démon, le désir des hauteurs, des hauteurs où la raison place instinctivement le Très-Haut. Et en

cherchant les Cieux il lève, au moins quelquefois dans le courant de la vie, l’œil vers les hauteurs.

Je vous prie de vous rappeler ce que tous nous faisons, depuis la plus tendre enfance, en entrant à Jérusalem.

Où se précipitent les regards ? Vers le mont Moriahque couronne le triomphe de marbre et d'or du Temple. Et

quand nous sommes dans son enceinte ? Nous regardons les coupoles précieuses qui resplendissent au soleil.

Que de beautés il y a dans l'enceinte sacrée, répandues dans ses atriums, dans ses portiques et ses cours ! Mais

l’œil s'élance vers le haut. Je vous prie encore de vous souvenir de nos voyages. Où va notre œil, comme pour

oublier la longueur du chemin, la monotonie, la fatigue, la chaleur, ou la boue ? Vers les cimes, même si elles

sont peu élevées, même si elles sont lointaines. Et comme nous sommes soulagés de les voir apparaître, quand

nous sommes dans une plaine uniformément plate ! y a-t-il de la boue en bas ? En haut c'est la pureté. y a-t-il

une chaleur étouffante en bas ? En haut c'est la fraîcheur. L'horizon est-il limité en bas ? Là-haut il s'étend

sans limites. Et, rien qu'à les regarder, il semble que le jour soit moins chaud, la boue moins gluante, la

marche moins triste. Et puis, si une cité brille au sommet d'une montagne, voilà qu'alors il n'est pas d'yeux qui

ne l'admirent. On dirait même qu'une localité sans importance s'embellit si on la place, presque aérienne, au

sommet d'une montagne. Et c'est pour cela que dans la religion vraie et celles qui sont fausses, toutes les fois

qu'on l'a pu, on a construit les temples sur un lieu élevé et, s'il n'y avait pas de colline ou de montagne, on leur

a fait un piédestal de pierre en construisant à force de bras la plate-forme sur laquelle on placerait le temple.

Pourquoi agit-on ainsi ? Parce qu'on veut que l'on voie le temple pour qu'il rappelle par sa vue la pensée vers

Dieu.

J'ai dit également que vous étiez une lumière. Celui qui le soir allume une lampe dans la maison,

où la met-il ? Dans un trou, sous le four ? Dans la grotte qui sert de cave ? Ou renfermée

ans un coffre ? Ou encore simplement et seulement la cache-t-il sous un boisseau ? Non,

142


parce qu'alors il serait inutile de l'allumer. Mais il place la lampe sur le haut d'une console ou bien il l'accroche

son porte-lampe pour qu'étant placée en haut elle éclaire toute la pièce et illumine tous les habitants qui s

trouvent. Mais cela, précisément parce que ce que l'on place en hauteur est chargé de rappeler Dieu et de donner

lumière, doit être à la hauteur de son devoir.

Vous qui devez rappeler le Vrai Dieu, faites alors en sorte de ne pas avoir en vous le paganisme aux sept

éléments. Autrement vous deviendriez des hauts-lieux profanes avec des bois sacrés, dédiés à tel ou tel dieu

et vous entraîneriez dans votre paganisme ceux qui vous regardent comme des temples de Dieu. Vous devez

porter la lumière de Dieu. Une lampe sale, une lampe qui n'est pas garnie d'huile, fume et ne donne pas de

lumière, elle sent mauvais et n'éclaire pas. Une lampe cachée derrière un tube de quartz sale ne crée pas la

gracieuse splendeur, ne crée pas le brillant jeu de la lumière sur le minéral propre, mais elle languit derrière

le voile de fumée noire qui rend opaque son abri diamantin.

La lumière de Dieu resplendit là où se trouve une volonté diligente pour enlever chaque jour les scories que

produit le travail lui-même, avec les contacts inévitables, les réactions, les déceptions. La lumière de Dieu

resplendit quand la lampe est garnie d'un liquide abondant d'oraison et de charité. La lumière de Dieu se

multiplie en d'infinies splendeurs quand s'y trouvent les perfections de Dieu dont chacune suscite dans le

saint une vertu qui s'exerce héroïquement si le serviteur de Dieu tient le quartz inattaquable de son âme à

l'abri de la noire fumée de toutes les mauvaises passions fumeuses. Quartz inattaquable. Inattaquable ! (Jésus

parle d'une voix de tonnerre dans cette conclusion et la voix résonne dans l'amphithéâtre naturel.) Dieu seul a

le droit et le pouvoir de rayer ce cristal, d'y écrire son Nom très saint avec le diamant de sa volonté. Alors ce

Nom devient un ornement qui multiplie les facettes de surnaturelle beauté sur le quartz très pur.

Mais si l'imbécile serviteur du Seigneur, en perdant le contrôle de lui-même et la vue de sa mission toute

entière et uniquement surnaturelle, laisse marquer sur ce cristal de faux ornements, des égratignures et non

des gravures, des chiffres mystérieux et sataniques tracés par la griffe de feu de Satan, alors non, la lampe

admirable n'a plus sa splendide et toujours intacte beauté, mais elle se lézarde et se ruine, étouffant la

flamme sous les débris du cristal éclaté ou, si elle ne se lézarde pas, produit un amas de signes d'une nature

143


non équivoque sur lesquels sa suie se dépose, s'insinue et corrompt.

Malheur ! Trois fois malheur aux pasteurs qui perdent la charité, qui se refusent de monter jour après jour

pour faire monter le troupeau qui attend leur ascèse pour monter. Je les frapperai en les faisant tomber de

leur place et en éteignant toute leur fumée.

Malheur ! Trois fois malheur aux maîtres qui repoussent la Sagesse pour se saturer d'une science souvent

contraire, toujours orgueilleuse, parfois satanique parce qu'elle les réduit à leur humanité car - écoutez bien

et retenez - alors que le destin de tout homme est de devenir semblable à Dieu par la sanctification qui fait de

l'homme un fils de Dieu, le maître, le prêtre devrait dès cette terre en posséder déjà l'aspect, le seul, celui de

fils de Dieu. Il devrait avoir l'aspect d'une créature toute âme et toute perfection. Il devrait avoir, pour aspirer

vers Dieu ses disciples. Anathème aux maîtres chargés d'assurer l'enseignement surhumain qui deviennent

des idoles de savoir humain.

Malheur ! Sept fois malheur à ceux, parmi mes prêtres, dont l'esprit est mort, qui sont devenus insipides,

dont la chair souffre d'une tiédeur maladive, dont le sommeil est rempli d'apparitions hallucinantes de tout ce

qui existe, sauf le Dieu Un et Trin ; plein de toutes sortes de calculs, sauf le désir surnaturel d'augmenter les

richesses des cœurs et de Dieu. Ils vivent, ensevelis dans leur humanité, mesquins, engourdis, entraînant

dans leurs eaux mortes ceux qui les suivent croyant qu'il sont la "vie". Malédiction de Dieu sur ceux qui

corrompent mon petit troupeau, mon troupeau aimé. Ce n'est pas à ceux qui périssent par suite de votre

indolence, ô serviteurs défaillants du Seigneur, mais à vous que je demanderai des comptes et que

j'imposerai une punition, pour toute heure et pour tout temps gâchés pour tout le mal qui a pu survenir ou en

résulter.

Rappelez-vous ces paroles. Et maintenant, allez. Je monte sur la cime. Mais vous, dormez. Demain, pour le

troupeau, le Pasteur ouvrira les pâturages de la Vérité."

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Sel de la terre et lumière du monde

13 “ Vous êtes, vous,

Le sel de la terre. Mais si le sel s’affadit,

Avec quoi sera-t-il salé ? Il n’est plus bon

À rien qu’à être jeté dehors, piétiné

Par les hommes.

14 Vous êtes, vous, la lumière du monde.

Une ville ne se peut cacher quand elle est

Située sur une montagne. 15 Personne n’allume

Une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais bien

Sur le lampadaire, et elle brille dans la maison

Pour tous.

16 Que brille votre lumière devant les hommes

Afin qu’ils voient vos belles œuvres et glorifient

Votre père qui est dans les cieux.

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Le sermon sur la montagne, les Béatitudes, première partie

Dieu ne vous fait pas violence dans votre pensée ni non plus dans votre sanctification. Vous êtes libres. Mais

Il vous rend la force. Il vous délivre de la domination de Satan. À vous de reprendre le joug infernal, ou de

mettre à votre âme des ailes d'ange. Tout dépend de vous pour me prendre comme frère pour que je vous

guide et vous nourrisse d'une nourriture immortelle.

"Comment conquérir Dieu et son Royaume en suivant une autre voie plus douce que la voie sévère du Sinaï

?" dites-vous. Il n'y a pas d'autre chemin, il y a celui-ci. Mais cependant ne le regardons pas sous le jour de la

menace, mais sous le jour de l'amour. Ne disons pas : "Malheur si je ne fais pas ceci !" en restant tremblants

dans l'attente du péché, de n'être pas capable de ne pas pécher. Mais disons : "Bienheureux serai-je si je fais

ceci" et avec un élan de joie surnaturelle, joyeux, élançons-nous vers ces béatitudes, qui naissent de

l'observation de la Loi comme les roses naissent dans un buisson épineux.

Bienheureux si je suis pauvre en esprit, car alors le Royaume des Cieux est à moi !

Bienheureux si je suis doux, parce que j'aurai la Terre en héritage !

Bienheureux si je suis capable de pleurer sans me révolter, car je serai consolé !

Bienheureux si plus que du pain et du vin qui rassasient la chair, j'ai faim de justice. La Justice me

rassasiera !

Bienheureux si je suis miséricordieux, car je profiterai de la divine miséricorde !

Bienheureux si je suis pur de cœur, car Dieu se penchera sur mon cœur pur, et moi je Le verrai !

Bienheureux si j'ai l'esprit de paix, car Dieu m'appellera son fils, car je serai dans la paix et dans l'amour, et

Dieu est l'Amour qui aime celui qui est semblable à Lui !

Bienheureux si, par fidélité à la justice, je suis persécuté parce que pour me dédommager des persécutions

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de la terre, Dieu me donnera le Royaume des Cieux !

Bienheureux si on m'outrage et si on m'accuse à tort pour savoir être ton fils, ô Dieu! Ce n'est pas la

désolation mais la joie que cela doit m'apporter, car cela me mettra au niveau de tes meilleurs serviteurs, les

Prophètes, qui furent persécutés pour la même raison et avec lesquels je crois fermement que je partagerai la

même récompense, grande, éternelle, dans le Ciel qui m'appartient !"

Regardons ainsi le chemin du salut à travers la joie des saints.

"Bienheureux serai-je si je suis pauvre en esprit."

Oh ! fièvre satanique des richesses à quels délires tu conduis les hommes ! Les riches, les pauvres. Le riche

qui vit pour son or, idole infâme de son esprit en ruines. Le pauvre qui vit de la haine qu'il a pour le riche qui

possède l'or, et même s'il ne se rend pas matériellement homicide, il proclame ses anathèmes contre les

riches, leur souhaitant toutes sortes de maux. Il ne suffit pas de ne pas commettre le mal, il faut encore ne pas

désirer le faire. Celui qui maudit en souhaitant malheurs et mort ne diffère pas beaucoup de celui qui tue

matériellement, car il a en lui le désir de voir périr celui qu'il hait. En vérité je vous dis que le désir n'est

qu'un acte que l'on retient, comme le fruit d'une conception déjà formé mais non expulsé. Le désir mauvais

empoisonne et corrompt, car il dure davantage que l'acte violent. Il s'enracine plus profondément que l'acte

lui-même.

Celui qui est pauvre en esprit, s'il est matériellement riche ne pèche pas à cause de l'or, mais avec son or il

réalise sa sanctification parce qu'il en fait de l'amour. Aimé et béni, il est semblable à ces sources qui sauvent

les voyageurs dans les déserts et qui se donnent sans avarice, heureuses de pouvoir se donner pour soulager

ceux qui désespèrent. S'il est réellement pauvre, il est joyeux dans sa pauvreté et trouve son pain agréable. Il

est joyeux car il échappe à la fièvre de l'or, son sommeil ignore les cauchemars et il se lève bien reposé pour

se mettre tranquillement à son travail qui lui est léger parce qu'il le fait sans avidité et sans envie.

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L'homme peut être riche matériellement avec l'or, moralement par ce qu'il affectionne. Sous le nom d'or, on

comprend non seulement les ressources pécuniaires, mais les maisons, les champs, les bijoux, les meubles,

les troupeaux, tout ce qui en somme donne l'aisance à la vie. Les richesses morales consistent dan s: les liens

de parenté ou de mariage, les amitiés, les richesses intellectuelles, les charges publiques. Comme vous le

voyez, pour la première catégorie le pauvre peut dire : "Oh ! pour moi, il me suffit de ne pas envier celui qui

possède et je me contente de la situation qui m'est imposée" ; pour la seconde, celui qui est pauvre doit

encore se surveiller car le plus misérable des hommes peut devenir coupable si son esprit n'est pas détaché.

Celui qui s'attache immodérément à quelque chose, celui-là pèche.

Vous direz : "Mais alors, nous devons haïr le bien que Dieu nous a accordé ? Mais alors, pourquoi

commande-t-Il d'aimer le père, la mère, l'épouse, les enfants et pourquoi dit-Il : 'Tu aimeras ton prochain

comme toi-même ?" Il faut distinguer. Nous devons aimer le père, la mère, l'épouse et le prochain, mais dans

la mesure que Dieu nous a fixée : "comme nous-mêmes". Tandis que Dieu doit être aimé par-dessus tout et

avec tout nous-mêmes. Nous ne devons pas aimer Dieu comme nous aimons ceux qui nous sont les plus

chers : celle-ci parce qu'elle nous a allaités, cette autre parce qu'elle dort sur notre poitrine et qu'elle nous

donne des enfants, mais nous devons l'aimer avec tout nous-mêmes : c'est-à-dire avec toute la capacité

d'aimer qui existe dans l'homme : amour de fils, amour d'époux, amour d'ami et oh! ne vous scandalisez pas !

amour de père. Oui, pour les intérêts de Dieu, nous devons avoir le même soin qu'un père a pour ses enfants

pour lesquels il veille avec amour sur ses biens et les développe, et s'occupe et se préoccupe de sa croissance

physique et culturelle et de sa réussite dans le monde.

L'amour n'est pas un mal et ne doit pas devenir un mal. Les grâces que Dieu nous accorde ne sont pas un mal

et ne doivent pas devenir un mal. Elles sont amour. C'est par amour qu'elles sont données. C'est avec amour

qu'il faut user de ces richesses d'affections et de biens que Dieu nous accorde. Et seul celui qui ne s'en fait

pas des idoles, mais des moyens pour servir Dieu dans la sainteté, montre qu'il n'a pas d'attachement

coupable pour ces biens. Il pratique alors la sainte pauvreté d'esprit qui se dépouille de tout pour être plus

libre de conquérir le Dieu Saint, Suprême Richesse. Conquérir Dieu, c'est-à-dire posséder le Royaume des

Cieux.

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"Bienheureux serai-je si je suis doux."

Cela peut sembler contraster avec les exemples de la vie journalière. Ceux qui manquent de douceur

semblent triompher dans les familles, dans les villes et les nations. Mais est-ce un vrai triomphe ? Non. C'est

la peur qui en apparence tient soumis ceux qui sont accablés par un despote, mais en réalité, ce n'est qu'un

voile qui cache le bouillonnement de la révolte contre le tyran. Ils ne possèdent pas les cœurs de leurs

familiers, ni de leurs concitoyens, ni de leurs sujets ceux qui sont coléreux et dominateurs. Ils ne soumettent

pas les intelligences et les esprits à leurs enseignements ces maîtres du "je l'ai dit et je l'ai dit". Mais ils ne

forment que des autodidactes, des gens qui recherchent une clef qui puisse ouvrir les portes closes d'une

sagesse ou d'une science dont ils soupçonnent l'existence et qui est opposée à celle qu'on leur impose.

Ils n'amènent pas à Dieu ces prêtres qui ne vont pas à la conquête des esprits avec une douceur patiente,

humble, aimante, mais qui semblent des guerriers armés qui se lancent à l'attaque, tant ils marchent avec

violence et intransigeance contre les âmes... Oh! pauvres âmes ! Si elles étaient saintes, elles n'auraient pas

besoin de vous, prêtres, pour rejoindre la Lumière. Elles l'auraient déjà en elles. Si elles étaient justes, elles

n'auraient pas besoin de vous, juges, pour être retenues par le frein de la justice. Elles l'auraient déjà en elles.

Si elles étaient saines, elles n'auraient besoin de personne pour les soigner. Soyez donc doux. Ne mettez pas

les âmes en fuite. Attirez-les par l'amour, car la douceur c'est de l'amour tout comme la pauvreté d'esprit.

Si vous êtes doux vous aurez la Terre en héritage. Vous amènerez à Dieu ce domaine qui appartenait à Satan.

En effet votre douceur, qui est aussi amour et humilité, aura vaincu la Haine et l'Orgueil en tuant dans les

âmes le roi abject de l'orgueil et de la haine, et le monde vous appartiendra et donc appartiendra à Dieu, car

vous serez les justes qui reconnaissent Dieu comme le Maître absolu de la création, à qui on doit donner

louange et bénédiction et rendre tout ce qui Lui appartient.

"Bienheureux serai-je si je sais pleurer sans me révolter."

La douleur existe sur la terre, et la douleur arrache des larmes à l'homme. La douleur n'existait pas. Mais

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l'homme l'a apportée sur la terre, et par la dépravation de son intelligence s'efforce de la faire croître, de

toutes les façons. Il y a les maladies, les malheurs qu'amènent la foudre, la tempête, les avalanches, les

tremblements de terre, mais voilà que l'homme pour souffrir et surtout pour faire souffrir - car nous

voudrions que ce soit non pas nous, mais les autres qui pâtissent des moyens étudiés pour faire souffrir -

voilà que l'homme invente des armes meurtrières toujours plus terribles et des tortures morales toujours plus

astucieuses. Que de larmes l'homme arrache à l'homme à l'instigation de son roi secret, Satan ! Et pourtant,

en vérité je vous dis que ces larmes n'amoindrissent pas l'homme mais le perfectionnent.

L'homme est un enfant distrait, un étourdi superficiel, un être d'intelligence tardive jusqu'à ce que les larmes

en fassent un adulte, réfléchi, intelligent. Seuls ceux qui pleurent ou qui ont pleuré savent aimer et

comprendre. Aimer les frères qui pleurent comme lui, les comprendre dans leurs douleurs, les aider avec une

bonté qui a éprouvé comme cela fait mal d'être seul quand on pleure. Et ils savent aimer Dieu, car ils ont

compris que tout est douleur excepté Dieu, parce qu'ils ont compris que la douleur s'apaise si on pleure sur le

cœur de Dieu, parce qu'ils ont compris que les larmes résignées qui ne brisent pas la foi, qui ne rendent pas

la prière aride, qui ne connaissent pas la révolte, changent de nature, et de douleur deviennent consolation.

Oui. Ceux qui pleurent en aimant le Seigneur seront consolés.

"Bienheureux serai-je si j'ai faim et soif de justice."

Du moment où il naît jusqu'au moment où il meurt, l'homme est avide de nourriture. Il ouvre la bouche à sa

naissance pour saisir le tétin, il ouvre les lèvres pour absorber de quoi se restaurer dans les étreintes de

l'agonie. Il travaille pour se nourrir. La terre est pour lui comme un sein gigantesque auquel il demande

incessamment sa nourriture pour ce qui meurt. Mais, qu'est l'homme ? Un animal ? Non, c'est un fils de

Dieu. En exil pendant des années plus ou moins nombreuses, mais sa vie n'est pas finie quand il change de

demeure.

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Il y a une vie à l'intérieur de la vie comme dans une noix il y a le cerneau. Ce n'est pas la coque qui est la

noix, mais c'est le cerneau intérieur qui est la noix. Si vous semez une coque de noix, rien ne pousse, mais si

vous semez la coque avec la pulpe, il naît un grand arbre. Il en est ainsi de l'homme. Ce n'est pas la chair qui

devient immortelle, c'est l'âme. Et il faut la nourrir pour l'amener à l'immortalité à laquelle, par amour, elle

peut amener la chair dans la résurrection bienheureuse. La nourriture de l'âme, c'est la Sagesse et la Justice.

On les absorbe comme un liquide et une nourriture fortifiants. Et plus on s'en nourrit, plus augmente la sainte

avidité de posséder la Sagesse et de connaître la Justice. Mais il viendra un jour où l'âme insatiable de cette

sainte faim sera rassasiée. Ce jour viendra. Dieu se donnera à son enfant, il l'attachera directement à son sein,

et l'enfant au Paradis se rassasiera de la Mère admirable qui est Dieu Lui-même et ne connaîtra jamais plus la

faim mais se reposera bienheureux sur le sein divin. Aucune science humaine n'atteint cette science divine.

La curiosité de l'intelligence peut être satisfaite, mais pas les besoins de l'esprit. Et même à cause de la

différence de saveur, l'esprit éprouve du dégoût et détourne sa bouche du tétin amer, préférant souffrir de

faim qu'absorber une nourriture qui n'est pas venue de Dieu.

N'ayez aucune crainte, vous qui êtes assoiffés ou affamés de Dieu ! Restez fidèles et vous serez rassasiés par

Celui qui vous aime.

"Bienheureux serai-je si je suis miséricordieux."

Qui, d'entre les hommes, peut dire : "Je n'ai pas besoin de miséricorde"? Personne. Or si dans l'ancienne Loi

il est dit : "Oeil pour oeil et dent pour dent" pourquoi ne devrait-on pas dire dans la nouvelle : "Qui aura été

miséricordieux trouvera miséricorde" ? Tous ont besoin de pardon.

Eh bien ! ce n'est pas la formule et la forme d'un rite, qui ne sont que des symboles extérieurs accordés à

l'opaque esprit humain, qui obtiennent le pardon. Mais c'est le rite intérieur de l'amour, ou encore de la

miséricorde. Que si on a imposé le sacrifice d'un bouc ou d'un agneau et l'offrande de quelques pièces de

monnaie, cela fut fait parce qu'à la base de tout mal on trouve encore toujours deux racines : la cupidité et

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l'orgueil. La cupidité est punie par la dépense qu'il faut faire pour l'offrande, l'orgueil par la confession

publique du rite : "Je célèbre ce sacrifice parce que j'ai péché." Et cela se fait aussi pour annoncer les temps

et les signes des temps, et le sang répandu est la figure du Sang qui sera répandu pour effacer les péchés des

hommes.

Bienheureux donc celui qui sait être miséricordieux pour ceux qui sont affamés, nus, sans toit, pour ceux

encore plus misérables qui sont ceux qui ont un mauvais caractère qui fait souffrir ceux qui le possèdent et

ceux qui vivent avec eux. Ayez de la miséricorde. Pardonnez, compatissez, secourez, instruisez, soutenez.

Ne vous enfermez pas dans une tour de cristal en disant : "Moi, je suis pur, et je ne descends pas parmi les

pécheurs". Ne dites pas : "Je suis riche et heureux et je ne veux pas entendre parler des misères d'autrui."

Pensez que plus vite que la fumée que disperse un grand vent votre richesse peut se dissiper et aussi votre

santé, votre aisance familiale. Et rappelez-vous que le cristal fait office de loupe et que ce qui serait passé

inaperçu en vous mêlant à la foule, vous ne pourrez plus le tenir caché si vous vous établissez dans une tour

de cristal, seuls, séparés, éclairés de tous côtés.

Miséricorde pour accomplir un sacrifice secret, continuel, saint d'expiation et obtenir miséricorde.

"Bienheureux serai-je si j'ai le cœur pur."

Dieu est Pureté. Le Paradis est le Royaume de la Pureté. Rien d'impur ne peut entrer au Ciel où est Dieu. Par

conséquent, si vous êtes impurs, vous ne pourrez entrer dans le Royaume de Dieu. Mais, oh ! joie ! Joie

anticipée que Dieu accorde à ses fils ! Celui qui est pur possède dès cette terre un commencement de Ciel,

car Dieu se penche sur celui qui est pur, et l'homme qui vit sur la terre voit son Dieu. Il ne connaît pas la

saveur des amours humaines mais il goûte, jusqu'à l'extase, la saveur de l'amour divin. Il peut dire : "Je suis

avec Toi et Tu es en moi. Je te possède donc et je te connais comme l'époux très aimable de mon âme." Et

croyez que celui qui possède Dieu subit, inexplicables à lui-même, des changements substantiels qui le

rendent saint, sage, fort. Sur ses lèvres s'épanouissent des paroles, et ses actes possèdent une puissance qui

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n'est pas de la créature, mais de Dieu qui vit en elle.

Qu'est la vie de celui qui voit Dieu ? Béatitude. Et vous voudriez vous priver d'un pareil don par une fétide

impureté ?

"Bienheureux serai-je si j'ai un esprit pacifique."

La paix est une des caractéristiques de Dieu. Dieu n'est que dans la paix. Car la paix est amour alors que la

guerre est haine. Satan, c'est la Haine. Dieu, c'est la Paix. Personne ne peut se dire fils de Dieu et Dieu ne

peut reconnaître pour son fils un homme qui a un esprit irascible et toujours prêt à déchaîner des tempêtes.

Non seulement, mais de même ne peut se dire fils de Dieu celui qui, ne déchaînant pas personnellement des

tempêtes, ne contribue pas par sa grande paix à calmer les tempêtes suscitées par d'autres. Le pacifique

répand la paix même s'il se tait. Maître de lui-même et J'ose dire maître de Dieu, il la porte comme une

lampe porte sa lumière, comme un encensoir répand son parfum, comme une outre porte son liquide, et il

produit la lumière parmi les nuées fumantes des rancœurs. Il purifie l'air des miasmes des aigreurs, il calme

les flots furieux des procès par cette huile suave qu'est l'esprit de paix qui émane des fils de Dieu.

Faites que Dieu et les hommes puissent vous appeler ainsi.

"Bienheureux serai-je si je suis persécuté pour mon amour de la Justice."

L'homme est tellement satanisé qu'il hait le bien partout où il se trouve, qu'il hait celui qui est bon, comme si

celui qui est bon, jusque par son silence, l'accusait et lui faisait des reproches. En effet la bonté de quelqu'un

fait paraître encore plus noire la méchanceté du méchant. En effet la foi du vrai croyant fait ressortir encore

plus vivement l'hypocrisie du faux croyant. En effet, il ne peut pas ne pas être détesté par ceux qui sont

injustes, celui qui par sa manière de vivre témoigne sans cesse en faveur de la justice. Et alors, voilà qu'on se

déchaîne contre ceux qui aiment la justice.

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Ici, aussi, c'est comme pour les guerres. L'homme progresse dans l'art satanique de persécuter plus qu'il ne

progresse dans l'art saint de l'amour. Mais il ne peut que persécuter ce dont la vie est brève. L'éternel qui est

dans l'homme échappe aux pièges et acquiert ainsi une vitalité plus vigoureuse du fait de la persécution. La

vie s'enfuit par les blessures qui saignent ou pour les privations qui épuisent celui qui est persécuté, mais le

sang fait la pourpre du futur roi et les privations sont autant d'échelons pour s'élever jusqu'aux trônes que le

Père a préparés pour ses martyrs, auxquels sont réservés les sièges royaux du Royaume des Cieux.

"Bienheureux serai-je si on m'outrage et me calomnie."

Ne faites que ce qui peut mériter que votre nom soit inscrit dans les livres célestes, là où ne sont pas notés les

noms d'après les mensonges des hommes et les louanges décernées à ceux qui les méritent le moins. Mais

où, par contre, sont inscrites avec justice et amour les oeuvres des bons pour qu'ils puissent recevoir la

récompense promise à ceux qui sont bénis de Dieu.

Jusqu'à présent on a calomnié et outragé les Prophètes. Mais quand s'ouvriront les portes des Cieux, comme

des rois imposants, ils entreront dans la Cité de Dieu et ils seront salués par les anges, chantant de joie. Vous

aussi, vous aussi, outragés et calomniés pour avoir appartenu à Dieu, aurez le triomphe céleste et quand le

temps sera fini et le Paradis rempli, alors toute larme vous sera chère parce que par elle vous aurez conquis

cette gloire éternelle qu'au nom du Père je vous promets.

Allez. Demain je vous parlerai encore. Que restent seulement les malades pour que je les secoure dans leurs

peines. Que la paix soit avec vous, et que la méditation du salut par le moyen de l'amour vous mette sur la

route qui aboutit au Ciel."

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Les béatitudes Matthieu 5 1-12

5 1 Voyant

Les foules, il monta dans la montagne, ses disciples

Quand il se fut assis, s’avancèrent vers lui.

2 Ouvrant la bouche, il les enseignait en disant :

3 “ Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, le règne

Des cieux est à eux ”. 4 Heureux les doux, de la terre

Ils hériteront. 5 Heureux ceux qui sont en deuil,

Ils seront consolés. 6 Heureux ceux qui ont faim

Et soif de justice, car ils seront rassasiés.

7 Heureux les miséricordieux, ils obtiendront

La miséricorde. 8 Heureux ceux qui ont le cœur

Purifié, ils verront Dieu. 9 Heureux ceux qui font

Œuvre de paix, parce qu’ils seront appelés

Fils de Dieu. 10 Heureux ceux qui sont persécutés

À cause de la justice, car le règne des cieux

Est à eux.

11 Heureux lorsqu’on vous insultera,

Lorsqu’on vous persécutera et qu’on dira

Faussement contre vous toutes sortes de mal,

À cause de moi, (heureux) serez-vous.

12 Soyez

Dans la joie et exultez, car votre salaire

Est grand dans les cieux. Et l’on a persécuté

Ainsi les prophètes d’avant vous.

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La maison bâtie sur le roc

Jésus, debout sur un rocher, parle à une foule nombreuse. C'est un endroit alpestre. Une colline solitaire entre

deux vallées. Le sommet de la colline est en forme de joug ou plutôt en forme de bosse de chameau, de sorte

qu'à peu de mètres de la cime elle offre un amphithéâtre naturel où la voix résonne avec netteté comme dans

une salle de concert très bien construite.

La colline n'est qu'une fleur. Ce doit être la belle saison. Les moissons des plaines commencent à prendre

une couleur blonde et seront bientôt prêtes pour la faux. Au nord une montagne élevée resplendit avec son

névé au soleil. Immédiatement au-dessous, à l'orient, la mer de Galilée paraît un miroir brisé dont les

innombrables éclats semblent des saphirs embrasés par le soleil. Elle éblouit avec son scintillement azur et or

sur lequel ne se reflète que quelques nuages floconneux qui traversent un ciel très pur et les ombres mobiles

de quelques voiles. Ce doit être encore les premières heures de la matinée car l'herbe de la montagne a

encore quelques diamants de rosée disséminés parmi les tiges. Au-delà du lac de Génésareth il y a des

plaines éloignées qui par l'effet d'un léger brouillard, peut-être la rosée qui s'évapore, semblent prolonger le

lac mais avec des teintes d'opale veinée de vert, et plus loin encore une chaîne de montagnes dont la côte très

capricieuse fait penser à un dessin de nuages sur un ciel serein.

Certains sont assis sur l'herbe ou sur des pierres, d'autres sont debout. Le collège apostolique n'est pas au

complet. Je vois Pierre et André, Jean et Jacques, et j'entends qu'on appelle les deux autres Nathanaël et

Philippe. Puis, il y en a un autre qui est ou qui n'est pas dans le groupe. C'est peut-être le dernier arrivé : ils

l'appellent Simon. Les autres ne sont pas là, à moins que je ne les distingue pas au milieu de la foule

nombreuse.

Le discours est déjà commencé depuis un moment. Je comprends qu'il s'agit du sermon sur la montagne.

Mais les béatitudes sont déjà énoncées. Je dirais même que le discours approche de sa fin car Jésus dit :

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"Faites ceci et vous en serez grandement récompensés, car le Père qui est aux Cieux est miséricordieux avec

les bons et sait rendre au centuple. Je vous dis donc..."

Un grand mouvement se produit dans la foule qui se trouve vers le sentier conduisant au plateau. Les gens

les plus proches de Jésus se retournent. L'attention se détourne. Jésus cesse de parler et tourne son regard

dans la même direction que les autres. Il est sérieux et beau dans son habit bleu foncé, avec les bras croisés

sur la poitrine et le soleil qui effleure son visage avec le premier rayon qui passe au-dessus du pic oriental de

la colline.

"Faites place, plébéiens" crie une coléreuse voix d'homme. "Faites place à la beauté qui passe"... quatre jolis

cœurs tout pomponnés s'avancent et l'un est certainement un romain car il porte la toge. Ils portent en

triomphe sur leurs mains croisées pour faire un siège Marie de Magdala, encore grande pécheresse.

Elle rit de sa bouche très belle, elle rejette en arrière sa tête à la chevelure d'or toute en tresses et boucles

retenues par des épingles précieuses et par une lame d'or parsemée de perles qui enserre le sommet du front

comme un diadème et d'où descendent de légères boucles pour voiler ses yeux splendides rendus encore plus

grands et plus séduisants par un savant artifice. Le diadème, ensuite, disparaît derrière les oreilles sous la

masse des tresses qui retombent sur le cou très blanc et découvert. Et même... le découvert va bien au-delà

du cou. Les épaules sont découvertes jusqu'aux omoplates et la poitrine beaucoup plus encore. Son vêtement

est retenu aux épaules par deux chaînettes d'or. Les manches sont inexistantes. Le tout est recouvert, si l'on

peut dire, par un voile qui sert uniquement à mettre la peau à l'abri du bronzage. Le vêtement est très léger et

la femme se jetant, comme elle fait, par cajolerie, sur l'un ou l'autre de ses adorateurs, semble se jeter nue sur

eux. J'ai l'impression que le romain est le préféré, car c'est à lui que s'adressent de préférence les sourires et

les coups d’œil et il reçoit plus souvent la tête sur son épaule.

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"Voilà, la déesse est satisfaite." dit le Romain. "Rome a donné une monture à la nouvelle Vénus et là se

trouve l'Apollon que tu as voulu voir. Charme-le donc... mais laisse-nous aussi quelques bribes de tes

charmes."

Marie rit et d'un mouvement agile et provocant se jette à terre découvrant ses pieds chaussés de sandales

blanches avec des boucles d'or et une partie de la jambe. Puis couvrant le tout, le vêtement très ample, de

laine fine comme le voile et très blanc, retenu à la taille, mais très bas à la hauteur des hanches, par une

ceinture à boucles d'or dénouées. Et la femme se dresse comme une fleur de chair, une fleur impure, éclose

par un sortilège sur le plateau vert où se trouvent quantité de muguets et de narcisses sauvages.

Elle est belle plus que jamais. La bouche petite et pourpre semble un œillet qui se détache sur la blancheur

d'une dentition parfaite. Le visage et le corps pourraient satisfaire le peintre ou le sculpteur le plus difficile

tant pour les teintes que pour les formes. Large de poitrine avec des hanches bien proportionnées, avec une

taille naturellement souple et fine en comparaison de la poitrine et des hanches, elle semble une déesse

comme l'a dit le Romain, une déesse sculptée dans un marbre légèrement rosé sur lequel l'étoffe légère se

tend sur les côtés pour retomber ensuite en plis nombreux sur le devant. Tout est étudié pour plaire.

Jésus la regarde fixement, et elle soutient effrontément son regard en riant et en se tournant légèrement à

cause des chatouilles que le Romain, lui fait en passant sur ses épaules et sur son sein découverts un brin de

muguet cueilli dans l'herbe. Marie, avec un courroux étudié et faux, relève son voile en disant : "Respecte

ma candeur" ce qui fait éclater les quatre en un bruyant éclat de rire.

Jésus continue de la fixer. Quand le bruit des éclats de rire s'atténue, comme si l'apparition de la femme avait

rallumé la flamme du discours qui tombait, Jésus reprend la parole et ne la regarde plus. Mais il regarde ses

auditeurs qui paraissent agités et scandalisés par cette aventure.

158


Jésus reprend : "J'ai dit d'être fidèles à la Loi, humbles, miséricordieux, d'aimer non seulement les frères nés

des mêmes parents mais tous ceux qui sont pour vous des frères parce qu'ils ont la même origine humaine. Je

vous ai dit que le pardon est plus utile que la rancœur, qu'il vaut mieux compatir que d'être inexorables. Mais

maintenant je vous dis qu'on ne doit pas condamner si on n'est pas exempt du péché qui nous porterait à

condamner. Ne faites pas comme les scribes et les pharisiens qui sont sévères avec tout le monde, mais pas

avec eux-mêmes. Ils appellent impur ce qui est extérieur et peut ne souiller que l'extérieur, et ils accueillent

l'impureté au plus profond de leur sein, dans leur cœur.

Dieu n'est pas avec ceux qui sont impurs, car l'impureté corrompt ce qui est la propriété de Dieu : les âmes,

et surtout les âmes des petits qui sont les anges répandus sur la terre. Malheur à ceux qui leur arrachent les

ailes avec la cruauté de fauves démoniaques et qui jettent dans la boue ces fleurs du Ciel en leur faisant

connaître le goût de la matière ! Malheur !... Il vaudrait mieux qu'ils meurent brûlés par la foudre plutôt que

d'arriver à un tel péché !

Malheur à vous, riches et jouisseurs ! Car c'est justement parmi vous que fermente la plus grande impureté à

laquelle l'oisiveté et l'argent servent de lit et d'oreiller ! Maintenant, vous êtes repus. La nourriture des

concupiscences vous arrive jusqu'à la gorge et vous étrangle. Mais vous aurez faim, une faim redoutable et

que rien ne rassasiera ni n'adoucira pendant l'éternité. Maintenant vous êtes riches. Que de bien vous

pourriez faire avec votre richesse ! Mais vous en faites un mal pour vous et pour les autres. Vous connaîtrez

une pauvreté atroce un jour, lequel n'aura pas de fin. Maintenant vous riez. Vous vous prenez pour des

triomphateurs. Mais vos larmes rempliront les étangs de la Géhenne et elles ne s'arrêteront plus.

Où se niche l'adultère ? Où se niche la corruption des jeunes filles ? Qui a deux ou trois lits de débauche, en

plus de son lit d'époux, et sur lesquels il répand son argent et la vigueur d'un corps que Dieu lui a donné sain

pour qu'il travaille pour sa famille et non pour qu'il s'épuise en débauches dégoûtantes qui le mettent audessous

d'une bête immonde ? Vous avez appris qu'il a été dit : "Ne commets pas l'adultère." Mais Moi, je

vous dis que celui qui aura regardé une femme avec un désir impur, que celle qui est allée vers un homme

avec un désir impur, avec cela seulement, a déjà commis l'adultère en son cœur. Aucune raison ne justifie la

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fornication, Aucune. Ni l'abandon et la répudiation d'un mari. Ni la pitié envers une femme répudiée. Vous

n'avez qu'une seule âme. Quand elle est engagée avec une autre par un pacte de fidélité, qu'elle ne mente pas,

autrement ce beau corps avec lequel vous péchez ira avec vous, âmes impures, dans des flammes qui ne

s'éteindront pas. Mutilez-le plutôt, mais ne le tuez pas pour toujours par la damnation. Redevenez hommes,

vous, les riches, sentines vermineuses du vice, redevenez hommes pour ne pas inspirer le dégoût au Ciel..."

Marie, au commencement, a écouté avec un visage qui était un poème de séduction et d'ironie, éclatant de

temps à autre en rires méprisants. Sur la fin du discours elle devient rouge de colère. Elle comprend que,

sans la regarder, c'est à elle que Jésus parle. Sa colère s'enflamme toujours plus. Elle se révolte et à la fin elle

n'y résiste plus. Elle s'enveloppe méprisante dans son voile et, suivie par les regards de la foule qui la

méprise et par la voix de Jésus qui la poursuit, elle se sauve à toutes jambes sur la pente en laissant des

morceaux de vêtements aux chardons et aux églantiers qui sont aux bords du sentier. Elle rit de rage et de

mépris.

Jésus reprend : "Vous êtes indignés de cet événement. Cela fait deux jours que notre refuge, bien au-dessus

de la boue, est troublé par le sifflement de Satan. Ce n'est donc plus un refuge, et nous allons le quitter. Mais

je veux terminer pour vous ce code du "plus parfait" dans cette ampleur de lumière et d'horizon. Ici,

réellement, Dieu apparaît dans sa majesté de Créateur et, en voyant ses merveilles, nous pouvons croire

fermement que le Maître c'est Lui et non pas Satan. Le Malin ne pourrait même pas créer un brin d'herbe.

Mais Dieu peut tout. Que cela nous réconforte. Mais vous êtes maintenant tous au soleil. Et cela vous gêne.

Dispersez-vous alors sur les pentes. Il y a de l'ombre et de la fraîcheur. Prenez votre repas, si vous voulez. Je

vous parlerai du même sujet. Plusieurs raisons nous ont retardés. Mais ne le regrettez pas. Ici, vous êtes avec

Dieu."

La foule crie : "Oui, oui, avec Toi" et les gens s'en vont sous les bosquets épars du côté de l'orient de façon

que le versant de la colline et les branches les abritent du soleil déjà trop chaud.

Entre temps, Jésus dit à Pierre de démonter la tente.

160


"Mais... nous partons réellement ?"

"Oui."

"Parce qu'elle est venue, elle ? ..."

"Oui, mais ne le dis à personne et surtout pas au Zélote. Il en resterait affligé à cause de Lazare. Je ne puis

permettre que la parole de Dieu soit exposée au mépris des païens..."

"Je comprends, je comprends..."

"Alors, comprends aussi une autre chose."

"Laquelle, Maître ?"

"La nécessité de se taire en certains cas. Je me fie à toi. Tu m'es si cher mais tu es aussi d'une impulsivité qui

te fait faire des observations blessantes."

"Je comprends... tu ne veux pas à cause de Lazare et de Simon..."

"Et pour d'autres encore."

"Tu penses qu'il y en aura aujourd'hui ?"

"Aujourd'hui, demain et après-demain et toujours. Et il sera toujours nécessaire de surveiller l'impulsivité de

mon Simon de Jonas. Va, va faire ce que je t'ai dit."

Pierre s'en va, en appelant à son aide ses compagnons. L'Iscariote est resté pensif dans un coin. Jésus

l'appelle par trois fois parce qu'il n'entend pas. À la fin, il se retourne : "Tu me veux, Maître ?" demande-t-il.

"Oui, va toi aussi prendre ta nourriture et aider tes compagnons."

"Je n'ai pas faim. Ni Toi non plus."

"Moi non plus, mais pour des motifs opposés. Tu es troublé, Judas ?"

"Non, Maître. Fatigué..."

"Maintenant nous allons sur le lac, et puis en Judée, Judas. Et chez ta mère. Je te l'ai promis..."

Judas se sent mieux. "Tu viens bien avec moi seul ?"

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"Mais certainement. Aime-moi bien, Judas. Je voudrais que mon amour fût en toi au point de te préserver de

tout mal."

"Maître... je suis un homme. Je ne suis pas un ange. J'ai des moments de fatigue. Est-ce un péché d'avoir

besoin de dormir ?"

"Non, si tu dors sur ma poitrine. Regarde là les gens, comme ils sont heureux et comme il est gai d'ici, le

paysage. Cependant la Judée aussi doit être très belle au printemps."

"Très belle, Maître. Seulement, là-bas sur les montagnes qui sont plus élevées qu'ici, le printemps est plus

tardif. Mais les fleurs sont très belles. Les pommeraies sont une splendeur. La mienne, grâce aux soins de

maman, est une des plus belles. Et quand elle s'y promène avec des colombes qui lui Courent après pour

avoir du grain, crois bien que c'est une vue apaisante pour le cœur."

"Je le crois. Si ma Mère n'est pas trop fatiguée, j'aurais plaisir à l'amener chez la tienne. Elles s'aimeraient,

car elles sont bonnes toutes les deux." Judas, séduit par cette idée, redevient tranquille. Il oublie son manque

d'appétit et sa fatigue et court vers ses compagnons en riant joyeusement. Grand comme il est, il défait sans

fatigue les nœuds les plus élevés et il mange son pain et ses olives, joyeux comme un enfant. Jésus le regarde

avec compassion et puis se dirige vers ses apôtres.

"Voici du pain, Maître, et un œuf. Je me le suis fait donner par ce riche habillé de rouge. Je lui ai dit : "Tu es

heureux d'écouter. Lui parle et il est épuisé. Donne-moi un de tes œufs. Cela fera plus de bien à Lui qu'à toi"

"Mais, Pierre !"

"Non, Maître ! Tu es pâle comme un bébé qui suce un sein épuisé, et tu es en train de devenir maigre comme

un poisson après les amours. Laisse-moi faire ; je ne veux pas avoir de reproches à me faire. Maintenant, je

vais le mettre dans cette cendre chaude. Ce sont les branchages que j'ai brûlés. Tu vas le boire. Je ne sais

combien de temps il y a... combien de jours ? Des semaines certainement qu'on ne mange que du pain et des

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olives et un peu de lait... Hum ! On dirait qu'on se purge. Et Toi, tu manges moins que tous et tu parles pour

tous. Voici l’œuf. Bois-le tant qu'il est tiède. Cela te fera du bien."

Jésus obéit et voyant que Pierre ne mange que du pain, il lui demande : "Et toi ? Les olives ?"

"Chut ! Elles vont me servir après. Je les ai promises."

"À qui ?"

"À des enfants. Pourtant, s'ils ne se tiennent pas tranquilles jusqu'à la fin, je mange les olives et je leur donne

les noyaux, c'est-à-dire des claques."

"Mais, très bien !"

"Hé ! je ne les donnerai jamais. Mais si on ne fait pas ainsi ! J'en ai tant reçu, moi aussi, et si on avait dû me

donner toutes celles que je méritais pour mes gamineries, j'aurais dû en recevoir dix fois plus ! Mais cela fait

du bien. C'est parce que j'en ai reçu que je suis ainsi."

Tout le monde rit de la sincérité de l'apôtre. "Maître, je voudrais te dire qu'aujourd'hui c'est vendredi et que

ces gens... je ne sais s'ils pourront se procurer des vivres à temps pour demain ou regagner leurs maisons" dit

Barthélemy.

"C'est vrai ! C'est vendredi !" disent plusieurs.

"Peu importe. Dieu y pourvoira, mais nous le leur dirons." Jésus se lève et va à sa nouvelle place au milieu

de la foule éparse parmi les bosquets. "En premier lieu, je vous rappelle que c'est vendredi. Maintenant je

vous dis que ceux qui craignent de ne pouvoir regagner à temps leurs maisons ou n'arrivent pas à croire que

Dieu donnera demain la nourriture à ses fils, peuvent se retirer tout de suite pour que la nuit ne les surprenne

pas en route."

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Sur toute la foule, une cinquantaine de personnes se lèvent. Les autres restent où elles sont.

Jésus sourit et commence à parler. "Vous avez appris qu'il a été dit autrefois : "Ne commets pas l'adultère".

Ceux parmi vous, qui m'ont entendu dans d'autres endroits, savent que plusieurs fois j'ai parlé de ce péché.

Parce que, faites bien attention, ce péché n'intéresse pas une seule personne, mais intéresse deux ou trois

personnes. Et je m'explique. Celui qui commet l'adultère pèche pour lui-même, il pèche pour sa complice, il

pèche en portant au péché la femme ou le mari trahi qui peuvent en arriver au désespoir ou à pécher euxmêmes.

Ceci pour le péché consommé. Mais je vous dis en plus. Je vous dis : "Non seulement le péché

consommé, mais le désir de le consommer est déjà péché." Qu'est-ce que l'adultère ? C'est le désir fiévreux

de celui ou de celle qui n'est pas à nous. On commence à pécher par le désir, on continue par la séduction, on

complète par la persuasion, l'acte couronne le tout.

Comment commence-t-on ? Généralement par un regard impur. Et cela nous ramène à ce que je disais

auparavant. L’œil impur voit ce qui est caché à celui qui est pur, et par l’œil, la soif entre dans le gosier, la

faim dans le corps, la fièvre dans le sang. Soif, faim, fièvre charnelle. C'est le commencement du délire. Si

l'autre, la personne regardée est honnête, celui qui délire reste seul à se retourner sur des charbons ardents,

ou bien il en arrive à calomnier pour se venger. Si elle est malhonnête, elle se fait complice du regard et alors

commence la descente vers le péché. Aussi je vous dis : "Celui qui regarde une femme en la désirant, a déjà

commis l'adultère car dans sa pensée il a déjà commis l'acte qu'il désire. Plutôt que cela, si ton œil droit est

pour toi occasion de scandale, arrache-le et jette-le loin de toi. Mieux vaut pour toi être borgne que de

tomber pour toujours dans les ténèbres infernales. Et si ta main droite a péché, coupe-la et jette-la. Il vaut

mieux pour toi avoir un membre de moins plutôt que de tomber tout entier dans l'enfer. Il est vrai qu'il est dit

que ceux qui sont difformes ne peuvent servir Dieu dans le Temple. Mais après la vie, ceux qui sont

difformes de naissance, s'il sont saints ou ceux qui le sont par vertu, deviendront plus beaux que des anges et

serviront Dieu en l'aimant dans la joie du Ciel.

Il a été dit aussi : "Que celui qui renvoie sa femme lui donne un libellé de divorce". Mais c'est une chose à

réprouver. Elle ne vient pas de Dieu. Dieu dit à Adam : "C'est la compagne que j'ai faite pour toi. Croissez et

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multipliez-vous sur la terre, remplissez-la et soumettez-la à votre pouvoir." Et Adam, rempli d'une

intelligence supérieure car le péché n'avait pas encore troublé sa raison sortie parfaite de Dieu, s'écria :

"Voilà enfin l'os de mes os et la chair de ma chair. On l'appellera Virago, c'est-à-dire un autre moi-même

parce qu'elle est tirée de l'homme. Pour ce motif, l'homme laissera son père et sa mère et les deux seront une

seule chair." Et avec l'éclat d'une splendeur accrue, l'éternelle Lumière approuva avec un sourire ce qu'avait

dit Adam et qui devint la loi première, irréformable. Maintenant, si à cause de la dureté toujours plus grande

de l'homme, le législateur humain dut faire une nouvelle loi; si à cause de l'inconstance croissante de

l'homme, il dut mettre un frein et dire : "Si pourtant tu l'as répudiée, tu ne peux la reprendre", cela n'efface

pas la loi première, authentique, née au Paradis Terrestre et approuvée par Dieu.

Moi, je vous dis : "Quiconque renvoie sa propre femme, excepté le cas de l'adultère bien établi, l'expose à

l'adultère." Parce que, en effet, que fera dans quatre-vingt-dix pour cent des cas la femme répudiée ? Elle

fera un second mariage. Avec quelles conséquences ? Oh ! il y en aurait à dire sur ce sujet ! Ne savez-vous

pas que vous pouvez provoquer des incestes involontaires avec cette manière d'agir ? Que de larmes versées

pour une luxure ! Oui. Une luxure. Cela n'a pas d'autre nom. Soyez francs. On peut tout surmonter quand

l'esprit est droit. Mais tout se prête à motiver les satisfactions de la sensualité quand l'esprit est luxurieux.

Frigidité de la femme, lourdeur, inaptitude aux affaires, humeur grincheuse, amour du luxe, on peut tout

surmonter, même les maladies, même l'irascibilité, si on s'aime saintement. Mais comme après quelque

temps on ne s'aime plus comme au premier jour, voilà qu'alors on regarde comme impossible ce qui est plus

que possible et l'on jette une pauvre femme à la rue et on l'envoie à sa perdition. Commet l'adultère celui qui

répudie sa femme, et celui qui l'épouse après la répudiation. Seule la mort rompt le mariage. Souvenez-vousen.

Et si vous avez fait un choix malheureux, portez-en les conséquences comme une croix. Vous serez deux

malheureux mais saints, vous ne ferez pas de vos enfants des êtres plus malheureux, ces innocents qui ont

davantage à souffrir de ces situations difficiles. L'amour de vos enfants devrait vous faire réfléchir cent et

cent fois, même dans le cas de la mort du conjoint. Oh ! si vous savez vous contenter de ce que vous avez eu

et auquel Dieu a dit : "Cela suffit" ! Si vous saviez, vous veufs et vous veuves, voir dans la mort non pas un

amoindrissement mais une élévation à une perfection de procréateurs ! Être mère, même pour la mère

défunte. Être père, même pour le père disparu. Avoir deux âmes en une, recueillir l'amour des enfants sur les

lèvres refroidies de la personne qui meurt et dire : "Pars en paix, sans crainte pour ceux qui sont venus de toi.

Je continuerai à les aimer, pour toi et pour moi, de les aimer deux fois, je serai père et mère, et l'infortune de

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l'orphelin ne pèsera pas sur eux. Ils ne connaîtront pas la jalousie naturelle de l'enfant du conjoint remarié

pour celui ou celle qui prend la place sacrée d'une mère, d'un père appelés par Dieu à une autre demeure."

Fils, mon enseignement arrive à sa fin, comme va vers sa fin le jour qui déjà décline, avec le soleil, vers

l'occident. De cette rencontre sur la montagne, je veux que vous vous rappeliez les paroles. Gravez-les dans

vos cœurs. Relisez-les souvent. Qu'elles soient pour vous un guide perpétuel. Et par-dessus tout soyez bons

avec ceux qui sont faibles. Ne jugez pas pour n'être pas jugés. Souvenez-vous qu'il pourrait arriver le

moment où Dieu vous rappellerait : "C'est ainsi que tu as jugé. Tu savais donc que c'était mal. Tu as donc

commis le péché en sachant bien ce que tu faisais. Maintenant subis ta peine."

La charité est déjà une absolution. Ayez la charité en vous, pour tous et à tout propos. Si Dieu vous donne

tant de secours pour vous garder droits, ne vous enorgueillissez pas. Mais cherchez à monter , si longue que

soit l'échelle de la perfection, et tendez la main à ceux qui sont fatigués, ignorants, à ceux qui sont victimes

de subites déceptions. Pourquoi regarder avec tant d'attention le fétu dans l’œil de ton frère si tu ne te soucies

pas d'abord d'enlever la poutre qui est dans le tien ? Comment peux-tu dire à ton prochain : "Laisse-moi

enlever ce fétu de ton œil" alors que t'aveugle la poutre qui est dans le tien ? Ne sois pas hypocrite, fils.

Enlève d'abord la poutre que tu as dans le tien et alors tu pourras enlever le fétu à ton frère sans l'abîmer

complètement.

Évitez aussi l'imprudence comme le manque de charité. Je vous ai dit : "Tendez la main à ceux qui sont

fatigués, ignorants, victimes de déceptions imprévues." Mais, si c'est charité d'instruire les ignorants,

d'encourager ceux qui n'en peuvent plus, de donner de nouvelles ailes à ceux qui pour de multiples raisons

ont brisé les leurs, c'est une imprudence de dévoiler les vérités éternelles à ceux qui sont infectés par le

satanisme. Ils s'en empareront pour jouer aux prophètes, pour se glisser parmi les simples, pour corrompre,

détourner, souiller de manière sacrilège les choses de Dieu. Respect absolu, savoir parler et savoir se taire,

savoir réfléchir et savoir agir, voilà les vertus du vrai disciple pour faire des prosélytes et servir Dieu. Vous

avez une raison et, si vous êtes justes, Dieu vous donnera toutes ses lumières pour guider encore mieux votre

raison. Pensez que les vérités éternelles ressemblent à des perles. On n'a jamais vu jeter des perles aux

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pourceaux qui préfèrent des glands et de puantes eaux de vaisselle aux perles précieuses. Ils les piétineraient

sans pitié et après, furieux d'avoir été trompés, ils se retourneraient contre vous pour vous mettre en pièces.

Ne donnez pas les choses saintes aux chiens. Ceci pour maintenant et pour plus tard.

Je vous ai parlé longuement, mes fils. Écoutez mes paroles. Celui qui les écoute et les met en pratique est

comparable à un homme réfléchi qui, voulant construire une maison, choisit un terrain rocheux. Certes il

peinera pour faire les fondations. Il lui faudra travailler avec le pic et le ciseau, se durcir les mains et se

fatiguer les reins. Mais ensuite il pourra couler la chaux dans les fentes de la roche et y poser les briques

serrées comme dans une muraille de forteresse et la maison s'élèvera solide comme une montagne. Que

viennent les intempéries, les ouragans, que les pluies fassent déborder les fleuves, que les vents soufflent,

que les flots la frappent, la maison résistera à tout. Ainsi en est-il de celui dont la foi a de solides fondations.

Au contraire, celui qui écoute sans se laisser pénétrer et ne s'efforce pas de graver mes paroles dans son cœur

parce qu'il sait que pour cela il devrait se donner de la peine, éprouver de la souffrance, extirper trop de

choses, celui-là est semblable à celui qui par paresse et sottise construit sa maison sur le sable. Sitôt que

viennent les intempéries, la maison vite construite aussi vite s'écroule et l'imbécile regarde désolé les

décombres et l'anéantissement de son capital. Et ici, il ne reste qu'une ruine qu'on peut réparer en faisant des

frais et en se donnant du mal. Mais pour l'édifice d'un esprit qui s'est écroulé parce qu'il était mal bâti, il ne

reste plus rien pour la reconstruction. Dans l'autre vie, pas de construction. Malheur à celui qui n'a que des

décombres à présenter !

J'ai fini. Maintenant je descends vers le lac et je vous bénis au nom du Dieu Un et Trin. Que ma paix soit

avec vous."

Mais la foule crie : "Nous venons avec Toi. Laisse-nous venir ! Personne n'a des paroles comme les

tiennes !"

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Et ils se mettent à suivre Jésus qui descend non pas du côté par où il est monté, mais par le côté opposé et

s'en va directement vers Capharnaüm. La descente est plus abrupte, mais beaucoup plus rapide, et ils ont vite

fait d'arriver au pied de la montagne qui débouche dans une plaine verte et fleurie.

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Les malédictions

24 "Malheur à vous,

Les riches, vous avez eu votre consolation

25 Et malheur à vous les repus de maintenant

Vous aurez faim. Malheur, vous riez maintenant,

Car vous connaîtrez le deuil et les larmes 26 Malheur,

Quand tous les hommes diront du bien de vous. C'est bien

De cette manière, en effet qu’avec les faux

Prophètes leurs pères agissaient.

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La parabole du Semeur

Écoutez, et peut-être vous comprendrez mieux comme peuvent être différents les fruits d'un même travail.

Un semeur s'en alla semer. Ses champs étaient nombreux et de différentes valeurs. Certains étaient un

héritage de son père et la négligence y avait laissé proliférer les plantes épineuses. D'autres, c'était lui qui les

avait acquis : il les avait achetés tels quels à un homme négligent et les avait laissés dans cet état. D'autres

encore étaient coupés de routes car cet homme aimait le confort et il ne voulait pas faire beaucoup de chemin

pour aller d'une pièce à l'autre. Enfin il y en avait quelques-uns, les plus proches de la maison auxquels il

avait consacré tous ses soins pour avoir une vue agréable devant sa demeure. Ces derniers étaient bien

débarrassés des cailloux, des ronces, du chiendent et d'autres encore.

L'homme prit donc son sac de grains de semence, les meilleurs des grains, et il commença l'ensemencement.

Le grain tomba dans la bonne terre ameublie, labourée, propre, bien fumée des champs les plus proches de la

maison. Il tomba sur les champs coupés de chemins et de sentiers, en y amenant de plus la crasse de

poussières arides sur la terre fertile. Une autre partie tomba sur les champs où l'ineptie de 1'homme avait

laissé proliférer les plantes épineuses. Maintenant la charrue les avait bousculées, il semblait qu'elles

n'existaient plus, mais elles étaient toujours là parce que seul le feu, la radicale destruction des mauvaises

plantes les empêche de renaître. Le reste de la semence tomba sur les champs achetés depuis peu et qu'il

avait laissés comme ils étaient sans les défricher en profondeur, sans les débarrasser de toutes les pierres

répandues dans le sol qui y faisait un pavage où les racines tendres ne pouvaient pénétrer. Et puis, après

avoir tout emblavé, il revint à la maison et dit : "Oh ! c'est bien ! Maintenant je n'ai plus qu'à attendre la

récolte." Et puis il se délectait parce qu'au fil des jours il voyait lever épais le grain dans les champs proches

de la maison, et cela poussait... oh ! le soyeux tapis ! et puis les épis... oh ! quelle mer ! puis les blés

blondissaient et chantaient, en battant épi contre épi, un hosanna au soleil L'homme disait : "Tous les autres

champs vont être comme ceux-ci ! Préparons les faux et les greniers. Que de pain ! Que d'or !" Et il se

délectait...

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Il coupa le grain des champs les plus proches et puis passa à ceux hérités de son père, mais laissés sans

culture. Et il en resta bouche bée. Le grain avait abondamment poussé car les champs étaient bons et la terre,

amendée par le père, était grasse et fertile. Mais sa fertilité avait agi aussi sur les plantes épineuses,

bousculées mais toujours vivaces. Elles avaient repoussé et avaient formé un véritable plafond de ramilles

hérissées de ronces au travers duquel le grain n'avait pu sortir qu'avec quelques rares épis. Le reste était mort

presque entièrement, étouffé.

L'homme se dit : "J'ai été négligent à cet endroit, mais ailleurs il n'y avait pas de ronces, cela ira mieux." Et il

passa aux champs récemment acquis. Sa stupeur fit croître sa peine. Maigres et maintenant desséchées les

feuilles du blé gisaient comme du foin sec répandu de partout. Du foin sec. "Mais comment ? Mais

comment ?" disait l'homme en gémissant. "Et pourtant, ici il n'y a pas d'épines ! Et pourtant la semence était la

même ! Et pourtant le blé avait poussé épais et beau ! On le voit aux feuilles bien formées et nombreuses.

Pourquoi alors tout est-il mort sans faire d'épis ?" Et avec douleur il se mit à creuser le sol pour voir s'il

trouvait des nids de taupes ou autres fléaux. Insectes et rongeurs non, il n'y en avait pas. Mais, que de pierres,

que de pierres ! Un amas de pierraille. Les champs en étaient littéralement pavés et le peu de terre qui les

recouvrait n'était qu'un trompe-l’œil. Oh ! s'il avait creusé le terrain quand c'était le moment ! Oh ! s'il avait

creusé avant d'accepter ces champs et de les acheter comme un bon terrain ! Oh ! si au moins, après avoir fait

l'erreur de les acheter au prix proposé sans s'assurer de leur qualité, il les avait améliorés en se fatiguant ! Mais

désormais c'était trop tard et les regrets étaient inutiles.

L'homme se releva humilié et il se rendit aux champs qu'il avait coupés de petits chemins pour sa

commodité... Et il déchira ses vêtements de douleur. Ici, il n'y avait rien, absolument rien... La terre foncée

du champ était couverte d'une légère couche de poussière blanche... L'homme tomba sur le sol en gémissant :

"Mais ici, pourquoi ? Ici il n'y a pas d'épines ni de pierres, car ce sont nos champs. L'aïeul, le père, moimême,

nous les avons toujours possédés et pendant des lustres et des lustres nous les avons rendus fertiles.

J'y ai ouvert les chemins, j'ai enlevé de la terre aux champs, mais cela ne peut les avoir rendus stériles à ce

point..." Il pleurait encore quand une réponse à ses plaintes douloureuses lui fut donnée par une bande de

nombreux oiseaux qui s'abattaient des sentiers sur le champ et du champ sur les sentiers pour chercher,

chercher, chercher des graines, des graines, des graines... Le champ, devenu un canevas de sentiers sur les

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bords desquels était tombé du grain, avait attiré une foule d'oiseaux qui avaient mangé d'abord le grain

tombé sur les chemins et puis celui du champ jusqu'au dernier grain.

Ainsi l'ensemencement, le même pour tous les champs, avait donné ici le cent pour un, ailleurs soixante,

ailleurs trente, ailleurs rien. Entende qui a des oreilles pour entendre. La semence, c'est la Parole : elle est la

même pour tous. Les endroits où elle tombe : ce sont vos cœurs. Que chacun en fasse l'application et

comprenne. La paix soit avec vous."

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Parabole du semeur

Il disait : “ Voilà le semeur

Est sorti semer. 4 Et de ses semences, les unes

Sont tombées le long du chemin ; et les oiseaux

Sont venus et les ont dévorées. 5 Or parmi

La rocaille, d’autres sont tombées, elles n’avaient pas

Beaucoup de terre, et elles ont levé aussitôt,

Faute d’avoir beaucoup de terre, 6 le soleil

S’étant levé, elles ont alors été brûlées

N’ayant pas de racine, elles ont séché. 7 Parmi

Les épines d’autres sont tombées et les épines

Ont monté et les ont étouffées. 8 D’autres sont

Tombées dans la bonne terre et elles ont donné

Du fruit, celle-ci cent et celle-là soixante,

Celle-la trente. 9 Que celui qui a des oreilles

Entende ! ”

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La parabole du bon grain et de l’ivraie

« En cette belle période où les grains forment l'épi, je veux vous proposer une parabole empruntée au grain.

Écoutez.

Le Royaume des Cieux est semblable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ. Mais, pendant

que 1'homme et ses serviteurs dormaient, son ennemi est arrivé et a semé des graines d'ivraie sur les sillons

et puis s'en est allé. Personne, au début, ne s'aperçut de rien. L'hiver arriva avec les pluies et le givre. Arriva

la fin du mois de Tébeth et le grain germa, le vert tendre des petites feuilles qui pointaient à peine. Elles

paraissaient toutes égales dans leur enfance innocente. Vint le mois de Scebat et puis d'Adar. Les plantes se

formèrent et les épis formèrent leurs grains. On vit alors que le vert n'était pas que du grain mais qu'il y avait

aussi de l'ivraie bien enroulée avec ses vrilles fines et tenaces sur les tiges du blé.

Les serviteurs du maître allèrent à la maison et lui dirent : "Seigneur, quelles graines as-tu semées ? Ce

n'était pas des graines de choix qui n'étaient pas mélangées à d'autres semences ?"

"Mais si, certainement. J'en ai choisi les grains, tous de même qualité. Et j'aurais bien vu s'il y avait eu

d'autres semences."

"Et pourquoi alors tant d'ivraie a-t-il poussé parmi ton grain ?" Le maître réfléchit et puis il dit : "C'est un

ennemi qui m'a fait cela pour me faire du tort." Les serviteurs demandèrent alors : "Veux-tu que nous allions

parmi les sillons et que patiemment nous dégagions les épis de l'ivraie en arrachant ce dernier ? Commande,

et nous le ferons."

174


Mais le maître répondit : "Non. Vous pourriez, en le faisant, arracher aussi le grain et presque certainement

abîmer les épis encore tendres. Laissez-les ensemble jusqu'à la moisson. Alors je dirai aux moissonneurs : '

Fauchez tout ensemble ; puis, avant de lier les gerbes, maintenant que la sécheresse a rendu friables les

vrilles de l'ivraie, et que les épis serrés sont plus robustes et plus durs, séparez l'ivraie du grain." et faites-en

des bottes à part. Vous les brûlerez ensuite et cela fera une fumure pour le sol. Quant au bon grain, vous le

porterez dans les greniers et il servira à faire du pain excellent, pour la honte de l'ennemi qui n'aura gagné

que d'être méprisable à Dieu à cause de sa méchanceté."

Maintenant, réfléchissez entre vous que de fois et de quelle abondance sont les semailles de l'Ennemi dans

vos cœurs. Et comprenez comme il faut veiller avec patience et constance pour faire en sorte que peu d'ivraie

se mélange au grain choisi. Le sort de l'ivraie, c'est de brûler. Voulez-vous brûler ou devenir citadins du

Royaume ? Vous dites que vous voulez être citadins du Royaume. Eh bien, sachez l'être. Le bon Dieu vous

donne la Parole. L'ennemi veille pour la rendre nuisible, car la farine de grain mélangée à la farine d'ivraie

donne un pain amer et nocif pour les intestins. Sachez, par votre bonne volonté, s'il y a de l'ivraie dans votre

âme, la mettre à part pour la jeter, pour n'être pas indignes de Dieu. Allez, fils, la paix soit avec vous.

Les gens se dispersent lentement. Dans le jardin il ne reste que les huit apôtres et en plus Élie, son frère, sa

mère et le vieil Isaac qui se nourrit l'âme à regarder son Sauveur.

« Venez autour de Moi et écoutez. Je vous explique le sens complet de la parabole qui a encore deux aspects

en plus de celui que j'ai dit à la foule.

Dans son sens universel, la parabole a cette explication : le champ, c'est le monde. La bonne semence, ce

sont les fils du Royaume de Dieu semés par Dieu dans le monde en attendant d'arriver à leur fin et d'être

coupés par la Faucheuse et amenés au Maître du monde pour qu'Il les mette dans ses greniers. L'ivraie ce

sont les fils du Malin répandus, à leur tour, sur le champ de Dieu dans l'intention de faire de la peine au

Maître du monde et de nuire aussi aux épis de Dieu. L'Ennemi de Dieu les a, par un sortilège, semés exprès,

car vraiment le diable dénature l'homme jusqu'à en faire une créature qui soit sienne et il la sème pour

corrompre les autres qu'il n'a pas pu asservir autrement. La moisson, ou mieux la formation des gerbes et

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leur transport dans les greniers, c'est la fin du monde et ce sont les anges qui en sont chargés. Il leur a été

ordonné de rassembler les créatures après la fauchaison et de séparer le grain de l'ivraie et de même que dans

la parabole on brûle cette dernière, ainsi seront brûlés dans le feu éternelles damnés, au Jugement Dernier.

Le Fils de l'homme les enverra pour enlever de son Royaume tous les artisans de scandale et d'iniquité. Car

alors le Royaume se trouvera sur la terre et au Ciel et aux citoyens du Royaume sur la terre seront mêlés de

nombreux fils de l'Ennemi. Ceux-ci atteindront, comme il est dit aussi par les Prophètes, la perfection du

scandale et de l'abomination dans toute leur activité terrestre et donneront de terribles ennuis aux fils de

l'esprit. Dans le Royaume de Dieu, aux Cieux, on aura déjà expulsé ceux qui sont corrompus, car la

corruption n'entre pas au Ciel. Donc, les anges du Seigneur en passant la faux dans les rangs de la dernière

récolte, faucheront et sépareront le grain de l'ivraie et jetteront cette dernière dans la fournaise ardente où il

n'y a que pleurs et grincements de dents, et emmèneront au contraire les justes, le grain de choix, dans la

Jérusalem éternelle où ils brilleront comme des soleils dans le Royaume de Celui qui est mon Père et le

vôtre.

Voilà le sens général. Mais pour vous, il y en a encore un autre qui répond à des questions que plusieurs fois

et spécialement depuis hier soir vous vous posez. Vous vous demandez : "Mais, dans la masse des disciples,

il peut donc y avoir des traîtres ?" et en votre cœur vous frémissez d'horreur et de peur. Il peut y en avoir. Il y

en a certainement.

Le Semeur répand le bon grain. Dans ce cas, plus que répandre on pourrait dire : "choisit", car le Maître, que ce

soit Moi ou que ce soit le Baptiste, avait choisi ses disciples. Comment alors se sont- ils dévoyés ? Non, ce n'est

pas cela qu'il faut dire. Je me suis mal exprimé en parlant de "semence" pour les disciples. Vous pourriez mal

comprendre. Je vais dire alors "champ". Autant de disciples autant de champs, choisis par le Maître pour former

l'aire du Royaume de Dieu, les biens de Dieu. Sur eux le Maître se fatigue pour les cultiver afin qu'ils donnent

le cent pour cent. Tous les soins. Tous. Avec patience. Avec amour. Avec sagesse. Avec fatigue. Avec

constance. Il voit aussi leurs mauvaises tendances, leur aridité et leur avidité. Il voit leurs entêtements et leurs

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faiblesses. Mais il espère, il espère toujours, et fortifie son espérance par la prière et la pénitence, car il veut les

amener à la perfection.

Mais les champs sont ouverts. Ce ne sont pas des jardins bien clos, entourés de murailles épaisses, dont le

maître est le seul propriétaire et où il puisse seul entrer. Ils sont ouverts, placés au centre du monde, parmi le

monde. Tous peuvent s'en approcher, tous peuvent y pénétrer. Tous et tout. Oh ! il n’y a pas seulement

l'ivraie comme mauvaise semence ! L'ivraie : pourrait être le symbole de la légèreté amère de l’esprit du

monde. Mais voilà qu'y naissent, jetées par l'ennemi. toutes les autres semences. Voici les orties. Voici le

chiendent. Voici la cuscute. Voici les liserons. Voici enfin la ciguë et les poisons. Pourquoi ? Pourquoi ?

Que sont-ils ? Les orties : les esprits piquants, indomptables qui blessent par surabondance de venin et qui

donnent tant de désagrément. Le chiendent : les parasites qui épuisent le maître et qui ne savent

qu'importuner et sucer, profitant de son travail et faisant du tort aux personnes de bonne volonté qui

tireraient réellement un plus grand fruit si le maître n'était pas troublé et dérangé par les soins qu'exige le

chiendent. Les liserons inertes qui ne s'élèvent de terre qu'en profitant des autres. La cuscute : tourment sur

le chemin déjà pénible du maître et pour les disciples fidèles qui le suivent. Ils s'accrochent, s'enfoncent,

déchirent, griffent, apportent méfiance et souffrance. Les poisons : les criminels parmi les disciples, ceux qui

en arrivent à trahir et à éteindre la vie comme la ciguë et les autres plantes toxiques. Avez-vous jamais vu

comme elle est belle, avec ses petites fleurs qui deviennent des petites boules blanches, rouges, bleu violet ?

Qui dirait que cette corolle étoilée, blanche ou à peine rosée avec son petit cœur d'or, qui dirait que ces

coraux multicolores si semblables aux autres baies qui font les délices des oiseaux et des enfants peuvent,

arrivés à maturité, donner la mort ? Personne. Et les innocents se jettent dessus. Ils les croient bons comme

eux-mêmes... ils les cueillent et en meurent. Ils les croient tous bons comme eux ! Oh ! quelle vérité qui

élève le maître et condamne celui qui le trahit ! Comment ? La bonté ne désarme pas ? Elle ne rend pas le

malveillant inoffensif ? Non. Elle ne le rend pas tel, car 1'homme tombé et devenu la proie de l'Ennemi est

insensible à tout ce qui est supérieur. Tout ce qui est supérieur change pour lui d'aspect. La bonté devient une

faiblesse qu'il est permis de piétiner et qui exacerbe sa malveillance comme, chez un fauve, la volonté

d'égorger est exacerbée par l'odeur du sang. Et même le maître est toujours un innocent... et il laisse le traître

l'empoisonner car il ne peut penser qu'un homme puisse être le meurtrier de celui qui est innocent. Chez les

disciples, les champs du Maître, viennent les ennemis. Ils sont si nombreux. Le premier c'est Satan. Les

autres, ses serviteurs, à savoir les hommes, les passions, le monde et la chair. Voilà, voilà que le disciple ils

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l'atteignent plus facilement parce qu'il ne reste pas tout près du Maître, mais il se tient en équilibre entre le

Maître et le monde. Il ne sait pas, il ne veut pas se séparer de ce qui est monde, chair, passion et démon, pour

être tout entier à celui qui l'amène à Dieu. Sur lui ils répandent leurs semences le monde, la chair, les

passions, le démon. L'or, la puissance, la femme, l'orgueil, la peur d'être mal jugé par le monde, l'esprit

d'utilitarisme. "Les grands sont les plus forts. Voici que je les sers pour les avoir comme amis" Et on devient

criminel et on se damne pour ces misérables choses !...

Pourquoi le Maître qui voit l'imperfection du disciple, même s'il ne veut pas se rendre à la pensée : "Celui-ci

me donnera la mort", ne l'exclut-il pas immédiatement de sa suite ? C'est ce que vous vous demandez. Parce

qu'il est inutile de le faire. S'il le faisait, cela ne l'empêcherait pas de l'avoir comme ennemi, doublement

ennemi et plus acharné, par la rage ou la douleur d'être découvert ou d'être chassé. La douleur, oui, Car

parfois le disciple mauvais ne se rend pas compte qu'il est tel. Le travail du démon est tellement subtil qu'il

ne le remarque pas. Il devient un démon sans soupçonner qu'il subit cette transformation. La rage. Oui. La

rage d'être connu pour ce qu'il est quand il n'est pas inconscient du travail de Satan et de ses adeptes : les

hommes qui tentent celui qui est faible par ses faiblesses, pour enlever du monde le saint qui les offense à

cause de leur méchanceté qu'ils comparent à sa bonté. Et alors le saint prie et s'abandonne à Dieu. "Que soit

fait ce que Tu permets qu'on fasse." dit-il. Il ajoute seulement cette réserve : "Pourvu que cela serve à ton

but." Le saint sait que l'heure viendra où la mauvaise ivraie sera séparée de sa moisson. Par qui ? Par Dieu

Lui-même qui ne laisse pas faire au-delà de ce qui est utile au triomphe de sa volonté d'amour. »

« Mais si tu admets que c'est toujours Satan et ses adeptes... il me semble que la responsabilité du disciple en

est diminuée. » dit Mathieu.

« Ne le pense pas. Si le Mal existe, le Bien aussi existe et il y a dans l'homme le discernement, et avec lui la

liberté. »

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« Tu dis que Dieu ne laisse pas faire au-delà de ce qui est utile au triomphe de sa volonté d'amour. Donc

cette erreur est utile s'Il la permet et elle sert au triomphe de la volonté divine. » ajoute l'Iscariote.

« Et tu conclus, comme Mathieu, que cela justifie le crime du disciple. Dieu avait créé le lion sans férocité et

le serpent sans venin. Maintenant, l'un est féroce, l'autre est venimeux. Mais Dieu les a séparés de l'homme

pour cette raison. Médite sur cela et fais-en l'application. Rentrons. Le soleil est déjà fort, trop fort comme

pour un commencement d'orage, et vous êtes fatigués par une nuit sans sommeil. »

Élie dit : « La maison a en haut une pièce grande et fraîche. Vous pourrez y reposer. »

Ils montent par l'escalier extérieur. Mais seuls les disciples s'étendent sur les nattes pour se reposer. Jésus

sort sur la terrasse ombragée dans un coin par un rouvre très haut et il s'absorbe dans ses pensées.

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Parabole de l’ivraie

24 Et il leur proposa une autre

Parabole : le royaume des Cieux est semblable

À l’homme qui a semé de la bonne semence

Dans son champ. 25 Pourtant pendant que les gens dormaient,

Son ennemi est venu, et il a semé

De l’ivraie au milieu du blé et est parti.

26 Lorsque l’herbe a germé et fait du fruit, l’ivraie

Aussi s’est montrée. 27 Or les esclaves du maître

S’approchant, lui dirent : “ Seigneur, n’est-ce pas

De la bonne semence que tu as dans ton champ

Semée ? Mais d’où provient cette ivraie ? ”

28 Il leur dit :

“ Un ennemi a fait cela.” Et les esclaves

Lui disent : “ Veux-tu que nous allions la récolter ? ”

29 Il leur dit : “ Non ! De peur qu’en récoltant l’ivraie,

Vous me déraciniez le blé en même temps

Qu’elle. 30 Laissez-les croître ensemble jusqu’à la moisson.

Au moment de la moisson, aux moissonneurs

Je dirai : “ Récoltez d’abord l’ivraie ; en bottes

Liez-la pour la brûler ; ramassez le blé

Dans mon grenier.”

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La tempête apaisée

Une barque à voile pas excessivement grande mais pas petite. C'est une barque de pêche sur laquelle peuvent

aisément se mouvoir cinq ou six personnes. Elle fend les eaux d'un lac d'une couleur bleu intense.

Jésus dort à la poupe. Il est vêtu de blanc comme à l'ordinaire. Il a la tête posée sur le bras gauche, et sous

son bras et sa tête il a mis son manteau gris-bleu replié plusieurs fois. Il est assis, pas allongé, sur le fond de

la barque et appuie sa tête sur la tablette qui se trouve à l'extrémité de la poupe. Je ne sais pas le nom que lui

donnent les marins. Il dort tranquillement. Il est fatigué. Il est tranquille.

Pierre est au gouvernail, André s'occupe des voiles, Jean et deux autres dont je ne sais qui ils sont, remettent

en ordre amarres et filets au fond de la barque, comme s'ils avaient l'intention de se préparer à pêcher, peutêtre

pendant la nuit. Je dirais que le jour décline car le soleil descend déjà à l'occident. Les disciples ont tous

remonté leurs tuniques pour être plus libres dans leurs mouvements et pour aller d'un endroit à l'autre de la

barque en passant par-dessus les rames, les sièges, les paniers et les filets sans être gênés par leurs

vêtements. Ils ont tous enlevé leurs manteaux. Je vois le ciel s'obscurcir et le soleil qui se cache derrière des

nuages d'orage débouchés à l'improviste de derrière la pointe d'une colline. Le vent les pousse rapidement

vers le lac. Le vent pour l'instant est en haut et le lac est encore tranquille. Seulement il prend une teinte plus

sombre et se plisse en surface. Ce ne sont pas encore des vagues mais déjà l'eau commence à remuer.

Pierre et André observent le ciel et le lac et se disposent à manœuvrer pour accoster. Mais le vent s'abat sur

le lac, et en quelques minutes, tout bouillonne et écume. Les flots qui s'entrechoquent et heurtent le bateau,

l'élèvent, l'abaissent, le retournent en tous sens, empêchent la manœuvre du gouvernail comme le vent gêne

celle de la voile qu'il faut carguer.

Jésus dort. Ni les pas, ni les voix excitées des disciples, ni non plus le sifflement du vent et le choc des

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vagues contre les flancs du bateau et la proue ne l'éveillent. Ses cheveux flottent au vent et il reçoit quelques

embruns. Mais Lui dort. Jean va de la proue à la poupe et le couvre de son manteau qu'il a tiré de dessous

une tablette. Il le couvre avec un délicat amour.

La tempête devient de plus en plus brutale. Le lac est noir comme si on y avait versé de l'encre, strié par

l'écume des vagues. La barque engloutit de l'eau et se trouve poussée au large par le vent. Les disciples suent

à la manœuvre et pour écoper l'eau que les vagues projettent. Mais cela ne sert à rien. Eux maintenant

pataugent dans l'eau qui leur arrive à mi-jambe et la barque ne cesse de s'alourdir.

Pierre perd son calme et sa patience. Il donne le gouvernail à son frère, et en titubant va vers Jésus qu'il

secoue vigoureusement. Jésus s'éveille et lève la tête.

"Sauve-nous, Maître, nous périssons !", lui crie Pierre (il lui faut crier pour se faire entendre).

Jésus regarde son disciple fixement, il regarde les autres et puis il regarde le lac : "As-tu foi que je puisse

vous sauver ?"

"Vite, Maître", crie Pierre, alors qu'une vraie montagne d'eau, partant du milieu du lac se dirige rapidement

sur la pauvre barque. On dirait une trombe tant elle est élevée et effrayante.

Les disciples qui la voient venir s'agenouillent et s'agrippent où et comme ils peuvent, persuadés que c'est la

fin.

Jésus se lève, debout sur la tablette de la proue. Sa figure blanche se détache sur la tempête livide. Il étend

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les bras vers la lame et dit au vent : "Arrête et tais-toi" et à l'eau : "Calme-toi. Je le veux."

Alors l'énorme vague se dissout en écume qui retombe sans dégâts. Un dernier rugissement qui s'éteint en un

murmure, comme était le sifflement du vent qui se change en un soupir. Et sur le lac pacifié revient la

sérénité du ciel et l'espérance et la foi dans le cœur des disciples.

La majesté de Jésus je ne puis la décrire. Il faut la voir pour la comprendre. Et je la goûte en mon intime, car

elle m'est toujours présente et je revois comme était tranquille le sommeil de Jésus et comme était puissant

son empire sur les vents et les flots.

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La tempête apaisée

23 Et quand il fut monté

Dans le bateau, le suivirent ses disciples. 24 Voilà

Qu’il y eut une grande secousse dans la mer

De sorte que le bateau était recouvert

Par les vagues. 25 Mais Lui cependant dormait. S’étant

Avancés, ils l’éveillèrent en disant : “ Seigneur,

Sauve-nous nous périssons ! ”

26 Il leur dit : “ Pourquoi

Êtes-vous craintifs, gens de peu de foi ? ” Alors

Il se leva, menaça les vents et la mer

Il se fit un grand calme.

27 Les hommes furent étonnés :

“ Quel est celui-là ? Même les vents et la mer

Lui obéissent.”

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Les possédés géraséniens

Tout le monde s'écarte du flanc de la montagne parce que des pierres et de la terre roulent et bondissent sur

la pente, et on regarde étonné.

"Voici, voici ! Là-bas ! Deux hommes.. complètement nus...qui viennent vers nous en gesticulant. Des

fous..."

"Ou des possédés" répond Jésus à l'Iscariote qui le premier a vu les deux possédés venir vers Jésus.

Ils doivent être sortis de quelque caverne dans la montagne. Ils crient. Le plus rapide à la course se précipite

vers Jésus. Il semble un étrange gros oiseau plumé tant il est rapide, ramant avec ses bras comme si c'était des

ailes. Il s'abat aux pieds de Jésus en criant : "Te voilà ici, Maître du monde ? Qu'ai-je à faire avec Toi, Jésus,

Fils du Dieu Très-Haut ? Est-elle déjà venue l'heure de notre châtiment ? Pourquoi es-tu venu nous tourmenter

avant le temps ?" L'autre possédé, soit que sa langue soit liée, soit que le démon le paralyse, ne fait que se jeter

à plat ventre par terre et pleurer et puis, s'étant assis, il reste comme inerte, jouant avec des cailloux et avec ses

pieds nus. Le démon continue de parler par la bouche du premier qui se tord par terre dans un paroxysme de

terreur. On dirait qu'il veut réagir et ne peut qu'adorer, attiré et repoussé en même temps par la puissance de

Jésus. Il crie : "Je t'en conjure, au nom de Dieu, cesse de me tourmenter. Laisse-moi partir !"

"Oui, mais hors de celui-ci. Esprit immonde, sors de ces hommes et dis ton nom."

"Légion c'est mon nom, car nous sommes nombreux. Nous les possédons depuis des années et par eux nous

brisons cordes et chaînes et il n'est pas de force d'homme qui puisse résister

À cause de nous ils sont une terreur et nous nous servons d'eux pour que les gens te blasphèment. Nous nous

vengeons sur eux de ton anathème. Nous abaissons l'homme au-dessous de la bête fauve pour qu'on se

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moque de Toi. Il n'est pas de loup, de chacal ou d'hyène, pas de vautour ni de vampire semblables à ceux que

nous tenons. Mais ne nous chasse pas. L'enfer est trop horrible !..."

"Sortez ! Au nom de Jésus, sortez !" Jésus a une voix de tonnerre, et ses yeux dardent des éclairs.

"Laisse-nous au moins entrer dans ce troupeau de porcs que tu as rencontré."

"Allez."

Avec un cri bestial, les démons quittent les deux malheureux et, à travers un tourbillon de vent qui fait

ondoyer les chênes comme des herbes, ils s'abattent sur les porcs très nombreux. Les animaux se mettent à

courir comme des possédés à travers les chênes avec des cris vraiment démoniaques. Ils se heurtent, se

blessent, se mordent, et enfin se précipitent dans le lac lorsque, arrivés à la cime de la haute falaise, ils n'ont

plus pour refuge que l'eau qu'elle domine. Pendant que les gardiens, bouleversés et désolés, hurlent

d'épouvante, les bêtes, par centaines, avec des bruits sourds se précipitent dans les eaux tranquilles où ils

produisent des tourbillons d'écume. Ils coulent, reviennent en surface, se retournent montrant leurs panses

rondes ou leurs museaux pointus avec des yeux terrifiés et finalement se noient.

Les bergers courent en criant vers la ville. Les apôtres, arrivés sur le lieu du désastre, reviennent en disant :

"Il n'y en a pas eu un seul de sauvé ! Tu leur as rendu un bien mauvais service !"

Jésus calmement répond : "Mieux vaut que périssent deux milliers de porcs qu'un seul homme. Donnez un

vêtement à ces gens-là. Ils ne peuvent pas rester ainsi."

Le Zélote ouvre un sac et donne un de ses vêtements. Thomas donne le second. Les deux hommes sont

encore un peu étourdis, comme s'ils sortaient d'un lourd sommeil plein de cauchemars.

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"Donnez-leur de la nourriture. Qu'ils recommencent à vivre en hommes."

Pendant que les deux mangent le pain et les olives qu'on leur a donnés et boivent à la gourde de Pierre, Jésus

les observe.

À la fin ils parlent : "Qui es-tu ?" dit l'un.

"Jésus de Nazareth."

"Nous ne te connaissons pas" dit l'autre.

"Votre âme m'a connu. Levez-vous maintenant et rentrez chez vous."

"Nous avons beaucoup souffert, je crois, mais je ne me rappelle pas bien. Qui est celui-là ?" demande celui

que le démon faisait parler et il montre son compagnon.

"Je ne sais pas. Il était avec toi."

"Qui es-tu ? Et pourquoi es-tu ici ?" demande-t-il à son compagnon.

272> Celui qui était comme muet et qui est encore le plus inerte, dit : "Je suis Démétrius. C'est Sidon, ici ?"

"Sidon est au bord de la mer, homme. Ici, tu es au-delà du lac de Galilée."

"Et pourquoi suis-je ici ?"

Personne ne peut donner de réponse. Voilà que les gens arrivent suivis des gardiens. Ils semblent apeurés et

curieux. Quand ensuite ils voient les deux possédés habillés, leur stupeur augmente.

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"Celui-ci c'est Marc de Giosia !... Et celui-là le fils du marchand païen !…"

"Cet autre, c'est Celui qui les a guéris et qui a fait périr nos porcs, car les démons qui étaient entrés en eux

les ont affolés" disent les gardiens.

"Seigneur, tu es puissant, nous le reconnaissons. Mais tu nous as déjà fait trop de mal ! Un dommage de

plusieurs talents. Va-t’en, nous t'en prions, que ta puissance ne fasse pas écrouler la montagne pour la

plonger dans le lac. Va-t’en..."

"Je m'en vais. Je ne m'impose à personne.", et Jésus revient sur par le chemin déjà fait, sans discuter. Vient,

derrière les apôtres, le possédé qui parlait. Derrière, à distance, plusieurs habitants de la ville, pour voir s'il

part réellement.

Ils suivent à nouveau le sentier rapide et reviennent à l'embouchure du petit torrent, près des barques. Les

habitants restent sur la berge à regarder. Le possédé délivré descend derrière Jésus.

Dans les barques, les garçons sont épouvantés. Ils ont vu la pluie de porcs qui tombaient dans le lac et

regardent encore les corps qui surnagent toujours plus nombreux, toujours plus gonflés avec leurs panses

arrondies à l'air et leurs courtes pattes raidies fixées comme des pieux sur une masse de lard.

"Mais qu'est-ce qui est arrivé ?" demandent-ils.

"Nous allons vous le dire. Maintenant détachez les amarres et partons... Où, Seigneur ?" dit Pierre.

"Dans le golfe de Tarichée."

L'homme qui les a suivis, maintenant qu'il les voit monter dans les barques, dit en suppliant: "Prends-moi

avec Toi, Seigneur."

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"Non, rentre chez toi. Les tiens ont le droit de t'avoir. Parle leur des grandes choses que t'a faites le Seigneur

et comment Il a eu pitié de toi. Cette région a besoin de croire. Allume les flammes de la foi par

reconnaissance pour ton Seigneur. Va. Adieu."

"Réconforte-moi au moins par ta bénédiction, que le démon ne me reprenne pas."

"Ne crains pas. Si tu ne le veux pas, il ne reviendra pas. Mais je te bénis. Va en paix."

Les barques s'éloignent de la rive en direction est-ouest. Alors seulement, pendant qu'elles fendent les flots

où flottent les cadavres des porcs, les habitants de la cité qui n'a pas voulu Le Seigneur quittent la berge et

s'en vont.

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Les démoniaques gadaréniens

28 Et quand il fut sur l’autre rive,

Au pays des gadaréniens, vinrent au-devant

De lui deux démoniaques qui sortaient des tombeaux

Ils étaient terribles et personne ne parvenait

À passer par ce chemin. 29 Voici qu’ils se mirent

À crier : “ Que nous veux-tu, Fils de Dieu ? Viens-tu

Jusqu’ici pour nous tourmenter avant le temps

30 Il y avait loin d’eux un troupeau de nombreux

Cochons en train de paître. Les démons le priaient

En disant ceci : “ Si tu nous chasses, envoie-nous

Dans le troupeau de cochons. ” 31 Il leur dit : “ Allez. ”

Ceux-ci sortirent et s’en allèrent dans les cochons.

32 Voici que tout le troupeau s’élançant du haut

De l’escarpement dans la mer, et ils moururent

Dans les eaux.

33 Les gardiens s’enfuirent et s’en allèrent

À la ville, ils racontèrent tout, y compris

L’affaire des démoniaques. Au-devant de Jésus

Voici que toute la ville sortit, ils le virent

Et ils le prièrent de quitter leur territoire.

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Résurrection du fils de la veuve de Naïm

Naïm devait avoir une certaine importance au temps de Jésus. La ville n'est pas grande, mais bien construite,

enfermée dans l'enceinte de ses murs, elle s'étend sur une colline basse et riante, un contrefort du petit

Hermon, dominant de haut une plaine très fertile qui oblique vers le nord-ouest.

On y arrive, en venant d'Endor, après avoir traversé un cours d'eau qui est certainement un affluent du

Jourdain. Pourtant, de cet endroit, on ne voit plus le Jourdain, et pas davantage sa vallée, parce que des

collines le cachent en faisant vers l'est un arc en forme de point d'interrogation.

Jésus s'y rend par une grand-route qui unit la région du lac à l'Hermon et à ses pays. Derrière Lui marchent

de nombreux habitants d'Endor qui n'arrêtent pas de parler entre eux.

La distance qui sépare le groupe apostolique des murs est maintenant très courte : deux cents mètres, au

maximum. La grand-route entre directement dans la ville par une porte qui est ouverte en grand, car c'est

plein jour. On peut voir ce qui arrive immédiatement après les murs. C'est ainsi que Jésus, qui parlait avec

ses apôtres et le nouveau converti, voit venir, dans un grand bruit de pleureuses et un semblable apparat

oriental, un cortège funèbre.

« Nous allons voir, Maître ? » disent plusieurs. Et déjà parmi les habitants d'Endor, plusieurs se sont

précipités pour voir.

« Allons-y » dit Jésus par condescendance.

« Oh ! ce doit être un enfant car tu vois combien de fleurs et de rubans il y a sur la litière ? » dit Judas de

Kériot à Jean.

« Ou bien c'est une vierge » répond Jean.

191


« Non, c'est sûrement un jeune garçon à cause des couleurs qu'ils ont mises et puis, il n'y a pas de myrtes... »

dit Barthélemy.

Le cortège funèbre sort des murs. Ce qu'il y a sur la litière que les porteurs tiennent bien haut sur leurs

épaules, il n'est pas possible de le voir. On devine le corps étendu dans ses bandelettes et couvert d'un drap,

seulement par la forme qu'il dessine et on se rend compte que c'est un corps qui a déjà atteint son

développement complet car il est aussi long que la litière.

À côté une femme voilée, que soutiennent des parents ou des amies, chemine en pleurant. Ce sont les seules

vraies larmes dans cette comédie larmoyante. Quand un porteur rencontre une pierre, un trou, une bosse de la

route, cela donne une secousse à la litière et la mère gémit : « Oh ! non ! Allez doucement ! Il a tant souffert,

mon petit ! » et elle lève une main tremblante pour caresser le bord de la litière. Elle ne saurait faire plus et,

dans cette impuissance, elle baise les voiles qui flottent et les rubans que le vent soulève parfois et qui

viennent effleurer la forme immobile.

« C'est la mère » dit Pierre ému et dans son œil fin et bon brille une larme. Mais il n'est pas le seul à avoir les

larmes aux yeux devant ce déchirement : Le Zélote, André, Jean et jusqu'au toujours jovial Thomas ont dans

les yeux la lueur d'une larme. Tous, tous sont profondément émus. Judas Iscariote murmure : « Si c'était

moi ! Oh ! ma pauvre mère... »

Jésus a dans les yeux une douceur intolérable, tant elle est profonde. Il se dirige vers la litière.

La mère sanglote plus fort car le cortège tourne en direction du tombeau déjà ouvert. Voyant que Jésus va

toucher la litière, elle l'écarte violemment. Qui sait ce qu'elle peut craindre dans son délire ? Elle crie : « Il

est à moi ! » et elle regarde Jésus avec des yeux hagards.

192


« Je le sais, mère. Il est à toi. »

« C'est mon fils unique ! Pourquoi la mort pour lui, pour lui qui était bon et qui m'était si cher, ma joie de

veuve ? Pourquoi ? » La foule des pleureuses fait retentir plus haut ses cris funèbres et rétribués pour faire

écho à la mère qui continue : « Pourquoi lui et pas moi ? Ce n'est pas juste que celle qui a engendré voit périr

son fruit. Le fruit doit vivre, car autrement, car autrement à quoi servent ces entrailles qui se déchirent pour

mettre au monde un homme ? » et elle se frappe le ventre, féroce et désespérée.

« Ne fais pas ainsi ! Ne pleure pas, mère » Jésus lui prend les mains dans une étreinte puissante et les retient

de sa main gauche pendant qu'avec la droite il touche la litière en disant aux porteurs : « Arrêtez-vous et

posez-la à terre. »

Les porteurs obéissent et descendent le brancard qui reste soutenu par ses quatre pieds.

Jésus saisit le drap qui couvre le mort et le rejette en arrière, découvrant la dépouille. La mère crie sa douleur

en appelant le nom de son fils, je crois : « Daniel ! »

Jésus, qui tient toujours les mains de la mère dans la sienne, se redresse, imposant par l'éclat de son regard,

avec son visage des miracles les plus puissants et, abaissant sa main droite, il ordonne avec toute la

puissance de sa voix : « Jeune homme ! Je te le dis : lève-toi ! »

Le mort, comme il est, avec ses bandelettes, se lève pour s'asseoir sur la litière et, appelle : « Maman ! » il

l'appelle avec la voix balbutiante et effrayée d'un enfant terrorisé.

« Il est à toi, femme. Je te le rends au nom de Dieu. Aide-le à se débarrasser du suaire. Et soyez heureux. »

193


Et Jésus va se retirer. Mais, oui ! La foule le bloque à la litière sur laquelle la mère s'est penchée et où elle

s'embrouille au milieu des bandelettes pour faire vite, vite, vite, pendant que les lamentations de l'enfant ne

cessent d'implorer : « Maman ! Maman ! »

Le suaire est enlevé, les bandelettes sont enlevées, la mère et le fils peuvent s'embrasser et ils le font sans

tenir compte du baume et qu'ensuite la mère essuie du cher visage, des chères mains, avec les bandelettes

elles-mêmes. Puis, n'ayant rien pour l'habiller, la mère quitte son manteau et l'en revêt, et tout permet de le

caresser...

Jésus la regarde... il regarde ce groupe affectueux serré contre les bords de la litière qui maintenant n'est plus

funèbre et il pleure. Judas Iscariote voit ces larmes et demande : « Pourquoi pleures-tu, Seigneur ? »

Jésus tourne vers lui son visage et dit : « Je pense à ma Mère... » Cette brève conversation ramène l’attention

de la femme vers son Bienfaiteur. Elle prend son fils par la main et le soutient. En effet il est comme

quelqu'un dont le corps supporte un reste de torpeur. Elle s'agenouille en disant : « Toi aussi, mon fils, bénis

ce Saint qui t'a rendu à la vie et à ta mère » et elle se penche pour baiser le vêtement de Jésus pendant que la

foule chante l'hosanna à Dieu et à son Messie, désormais connu pour ce qu'il est. En effet les apôtres et les

habitants d'Endor se sont chargés de dire qui a accompli le miracle.

Toute la foule maintenant s'écrie : « Que soit béni le Dieu d'Israël ! Que soit béni le Messie, son Envoyé !

Que soit béni Jésus, fils de David ! Un grand Prophète s'est élevé parmi nous ! Dieu a vraiment visité son

peuple ! Alléluia ! Alléluia ! »

Finalement Jésus peut se dégager de l'étreinte et entrer dans la ville. La foule le suit et le poursuit, exigeante

dans son amour.

194


Un homme accourt et le salue profondément. « Je te prie de rester sous mon toit. »

« Je ne peux. La Pâque m'interdit toute halte sauf celles qui sont fixées d'avance. »

« Dans quelques heures, ce sera le crépuscule et c'est vendredi… »

« Justement je dois, avant le crépuscule, avoir achevé mon étape.

Je te remercie tout de même, mais ne me retiens pas. »

« Mais, je suis le chef de la synagogue. »

« Et avec cela, tu veux dire que tu en as le droit. Homme : il suffisait que je m'attarde une heure et cette mère

n'aurait pas recouvré son fils. Je vais où d'autres malheureux m'attendent. Ne retarde pas leur joie par

égoïsme. Je viendrai certainement une autre fois et je resterai avec toi à Naïm plusieurs jours. Pour l'instant,

laisse-moi aller. »

L'homme n'insiste plus. Il dit seulement : « C'est dit. Je t'attends. »

« Oui. La paix soit avec toi et avec les habitants de Naïm. À vous aussi d'Endor, paix et bénédiction.

Retournez à vos maisons. Dieu vous a parlé par le miracle. Faites qu'il arrive en vous, à force d'amour, autant

de résurrections au Bien qu'il y a de cœurs. »

Un dernier chœur d'hosannas, puis la foule laisse aller Jésus qui traverse en diagonale la ville et sort dans la

campagne, vers Esdrelon.

195


Résurrection du fils de la veuve de Naïm

11 Vers une ville appelée

Naïm, ensuite il fit route. Aussi ses disciples

Et une foule nombreuse allaient avec lui.

12 Et lorsqu'il fut près de la Porte de la fille,

Voilà qu’on emportait un mort, un fils unique

Dont la mère était veuve, Il y avait alors

Une foule considérable de gens de la ville

Avec elle. 13 La voyant, le Seigneur eut pitié

D’elle et lui dit : "Ne pleure pas."14 Et, s'avançant,

Il toucha le cercueil, les porteurs s’arrêtèrent.

Et il dit : "Jeune homme, je te le dis : Lève-toi !

15 Le mort se dressa, sur son séant et se mit

À parler. Puis Jésus le rendit à sa mère.

16 La crainte les prit tous et ils glorifiaient Dieu

En disant ceci : "Un grand prophète s’est levé

Parmi nous, Dieu a visité son peuple !" Alors

Cette parole se répandit à son sujet

Dans la Judée entière et toute la contrée.

196


Le mauvais riche et le pauvre Lazare

Et maintenant que vous avez séparé les besoins du corps de ceux de l'âme par un acte d'amour envers

l'enfant, écoutez la parabole que j'ai pensée pour vous.

Il y avait une fois un homme très riche. Les plus beaux vêtements étaient pour lui. Et il se pavanait dans ses

habits de pourpre et de byssos sur les places publiques et dans sa maison. Ses concitoyens le respectaient

comme le plus puissant du pays et des amis flattaient son orgueil pour en tirer profit. Les appartements

étaient ouverts tous les jours pour de magnifiques festins où la foule des invités, tous riches et donc pas

besogneux, se pressaient et flattaient le mauvais riche. Ses banquets étaient renommés pour l'abondance des

mets et des vins exquis.

Mais, dans la même cité, il y avait un mendiant, un grand mendiant. Grand dans sa misère comme l'autre

était grand dans sa richesse. Mais sous la croûte de la misère humaine du mendiant Lazare était caché un

trésor encore plus grand que la misère de Lazare et que la richesse du mauvais riche. Et c'était la sainteté

vraie de Lazare. Il n'avait jamais transgressé la Loi, même par besoin et surtout il avait obéi au

commandement de l'amour de t Dieu et du prochain. Lui, comme font toujours les pauvres, se tenait à la

porte des riches pour demander l'obole et ne pas mourir de faim. Et il allait chaque soir à la porte du mauvais

riche dans l'espoir d'avoir au moins des restes des pompeux banquets servis dans les salles richissimes.

Il s'allongeait sur le chemin près de la porte et attendait patiemment. Mais si le riche s'apercevait de sa

présence, il le faisait chasser, parce que ce corps couvert de plaies, mal nourri, en lambeaux étaient un

spectacle trop affligeant pour ses invités. Le riche parlait ainsi. En réalité, c'était parce que la vue de la

misère et de la bonté de Lazare était pour lui un reproche continuel. Plus compatissants que lui étaient ses

chiens bien nourris, qui portaient des colliers précieux. Ils s'approchaient du pauvre Lazare et léchaient ses

plaies, glapissant de joie à cause de ses caresses et qui venaient lui apporter des restes des riches tables.

197


Ainsi, grâce à ces animaux, Lazare survivait malgré l'absence de nourriture car pour ce qui était de l'homme,

il serait mort puisqu'il ne lui permettait même pas de pénétrer dans les salles après le repas pour ramasser les

débris tombés des tables.

Un jour Lazare mourut. Personne ne s'en aperçut sur la terre, personne ne le pleura. Au contraire, ce jour-là

et par la suite, le riche se réjouit de ne plus voir sur son seuil cette misère qu'il appelait "opprobre", Mais au

Ciel, les anges s'en aperçurent. À son dernier soupir, dans sa tanière froide et nue étaient présentes les

cohortes célestes qui dans un éblouissement de lumières recueillirent son âme et la portèrent avec des chants

d'hosanna dans le sein d'Abraham.

Il se passa quelque temps et le riche mourut. Oh ! quelles funérailles fastueuses ! Toute la ville, déjà

informée de son agonie et qui se pressait sur la place où s'élevait sa demeure pour se faire remarquer comme

amie du personnage, par curiosité, par intérêt de la part des héritiers, s'unit au deuil, les cris s'élevèrent

jusqu'au ciel et avec les cris de deuil les louanges mensongères pour le "grand", le "bienfaiteur", le "juste"

qui était mort.

La parole de l'homme peut-elle changer le jugement de Dieu ? L'apologie humaine peut-elle changer ce qui

est écrit dans le livre de la Vie ? Non, elle ne le peut. Ce qui est jugé est jugé, et ce qui est écrit est écrit. Et

malgré ses funérailles solennelles, le mauvais riche eut l'esprit enseveli dans l'enfer.

Alors, dans cette horrible prison, buvant et mangeant le feu et les ténèbres, trouvant haine et torture de tous

côtés et à tout instant de cette éternité, il éleva son regard vers le Ciel. Vers le Ciel qu'il avait vu dans une

lueur fulgurante, pendant un atome de minute et dont la beauté indicible qui lui restait présente était un

tourment parmi les tourments atroces. Et il vit là-haut Abraham. Lointain mais lumineux, bienheureux... et

dans son sein, lumineux et bienheureux lui aussi, était Lazare, le pauvre Lazare, auparavant méprisé,

repoussant, miséreux, et maintenant ?... Et maintenant beau de la lumière de Dieu et de sa sainteté, riche de l'

amour de Dieu, admiré non par les hommes, mais par les anges de Dieu.

198


Le mauvais riche cria en pleurant : "Père Abraham, aie pitié de moi ! Envoie Lazare car je ne puis espérer

que tu le fasses toi-même, envoie Lazare tremper dans l'eau l'extrémité de son doigt et la poser sur ma langue

pour la rafraîchir car je souffre affreusement dans cette flamme qui me pénètre sans arrêt et me brûle !"

Abraham répondit : "Souviens-toi, fils, que tu as eu tous les biens pendant ta vie, alors que Lazare eut tous

les maux. Lui a su de son mal faire un bien, alors que de tes biens, tu n'as su faire que le mal. Il est donc

juste que lui soit consolé et que toi tu souffres. De plus il n'est plus possible de le faire. Les saints sont

répandus sur la surface de la terre pour que les hommes en tirent avantage. Mais quand, malgré ce voisinage,

1'homme reste tel qu'il est - dans ton cas : un démon - il est inutile ensuite de recourir aux saints. Maintenant

nous sommes séparés. Les herbes dans le champ sont mélangées, mais après la fauchaison, on sépare les

mauvaises des bonnes. Il en est ainsi de vous et de nous. Nous avons été ensemble sur la terre, et vous nous

avez chassés, tourmentés de mille manières, vous nous avez oubliés, n'observant pas la loi d'amour.

Maintenant nous sommes séparés. Entre vous et nous il y a un tel abîme que ceux qui voudraient passer d'ici

vers vous ne le peuvent pas, ni vous qui êtes là-bas ne pouvez franchir l'abîme effroyable pour venir vers

nous."

Le riche, pleurant plus fort cria : " Au moins, ô père saint, envoie, je t'en prie, Lazare à la maison de mon

père. J'ai cinq frères. Je n'ai jamais compris l'amour, même entre parents, mais maintenant je comprends

quelle chose terrible c'est de ne pas être aimé. Et puisque ici, où je suis, c'est la haine, maintenant j'ai

compris, pendant cet atome de temps que mon âme a vu Dieu, ce que c'est que l'Amour. Je ne veux pas que

mes frères souffrent les mêmes peines que moi. Je suis épouvanté pour eux à la pensée qu'ils mènent la

même vie que moi. Oh ! envoie Lazare leur faire connaître le lieu où je suis et pour quel motif j'y suis et leur

dire que l'enfer existe et que c'est quelque chose d'atroce et que celui qui n'aime pas Dieu et son prochain va

en enfer. Envoie-le! Qu'ils pourvoient à temps et ne soient pas contraints de venir ici, dans ce lieu d'éternels

tourments."

Mais Abraham répondit : "Tes frères ont Moïse et les Prophètes. Qu'ils les écoutent."

199


Et en gémissant en son âme torturée le mauvais riche répondit: "Oh ! père Abraham ! Un mort leur fera

davantage impression... Écoute-moi ! Aie pitié !"

Mais Abraham dit : "S'ils n'ont pas écouté Moïse et les Prophètes, ils ne croiront pas davantage quelqu'un qui

ressuscitera pour une heure d'entre les morts pour leur dire des paroles de Vérité. Et d'ailleurs, il n'est pas

juste qu'un bienheureux quitte mon sein pour aller recevoir des offenses des fils de l'Ennemi. Pour lui, le

temps des injures est passé. Maintenant il est dans la paix et y reste sur l'ordre de Dieu qui voit l'inutilité

d'une tentative de conversion près de ceux qui ne croient même pas à la parole de Dieu et ne la mettent pas

en pratique."

Cette parabole a un sens si clair qu'il ne faut pas l'expliquer. Ici, vraiment a vécu, en conquérant la sainteté le

nouveau Lazare, mon Jonas, dont la gloire près de Dieu est évidente dans la protection qu'il donne à celui qui

espère en lui. Vers vous, oui, Jonas peut venir comme protecteur et ami, et y viendra si vous êtes toujours

bons. Je voudrais, et je vous dis ce que je lui ai dit au printemps dernier, je voudrais pouvoir vous venir en

aide à tous, même matériellement, mais je ne puis, et j'en souffre. Je ne peux que vous montrer le Ciel. Je ne

peux que vous enseigner la grande sagesse de la résignation en vous promettant le futur Royaume. N'ayez

jamais de haine, pour aucune raison. La Haine est puissante dans le monde, mais la Haine a toujours une

limite. L'Amour n'a pas de limite pour sa puissance ni dans le temps. Aimez donc, pour que l'Amour vous

défende et vous réconforte sur la terre et vous récompense au Ciel. Il vaut mieux être Lazare que le mauvais

riche, croyez-le. Arrivez à le croire et vous serez bienheureux.

Ne voyez pas dans le châtiment qu'ont subi ces champs une parole de haine, même si les faits pouvaient

justifier cette haine. N'interprétez pas mal le miracle. Je suis l'Amour et je n'aurais pas frappé. Mais puisque

l'Amour ne pouvait faire plier le riche cruel, je l'ai abandonné à la Justice et elle a exercé la vengeance du

martyre de Jonas et de ses frères. Quant à vous, tirez l'enseigne- ment de ce miracle: la Justice est toujours en

éveil, même si elle paraît absente et Dieu, étant le Maître de toute la création, peut se servir, pour l'exercer,

des êtres les plus petits comme les chenilles et les fourmis pour mordre le cœur de celui qui fut cruel et avide

et le faire mourir en vomissant le poison qui l'étrangle.

200


Je vous bénis maintenant. Mais je prierai pour vous à chaque nouvelle aurore. Et toi, père, n'aie plus de souci

pour l'agneau que tu me confies. Je te le ramènerai de temps en temps pour que tu puisses te réjouir en le

voyant croître en sagesse et en bonté sur le chemin de Dieu. Il sera ton agneau de cette pauvre Pâque, le plus

agréable des agneaux présentés à l'autel de Jéhovah. Jabé, salue ton vieux père et puis viens vers ton

Sauveur, vers ton bon Berger. La paix soit avec vous !"

"Oh ! Maître ! Bon Maître ! Te quitter !..."

"Oui, c'est pénible. Mais il ne serait pas bien que le surveillant vous trouve ici. Je suis venu à cet endroit

exprès pour vous éviter des punitions. Obéissez pour l'amour de l'Amour qui vous donne ce conseil."

Les malheureux se lèvent, les larmes aux yeux, et ils vont vers leur calvaire. Jésus les bénit encore, et puis, la

main de l'enfant dans la sienne, avec l'homme d'Endor de l'autre côté, il retourne par le chemin déjà fait à la

maison de Michée, rejoint par André et Jean qui, après leur service de garde, retrouvent leurs frères.

201


Le mauvais riche et le pauvre Lazare

19 Or il y avait un homme riche

Vêtu de pourpre et de lin fin qui festoyait

Chaque jour splendidement. 20 Un pauvre du nom

De Lazare gisait près de son portail, couvert

D'ulcères, 21 Il aurait voulu de ce qui tombait

De la table du riche se rassasier…Bien plus,

Les chiens même venaient lécher ses ulcères.

22 Or donc

Le pauvre mourut, et dans le sein d'Abraham

Il fut emporté par les anges. Le riche aussi

Mourut, et il fut enseveli.

23 "Dans l’Hadès,

Levant les yeux, il se trouvait dans les tortures,

Il voit Abraham de loin, Lazare dans son sein.

24 Et il s’écria : Père Abraham, aie pitié

De moi, et envoie Lazare pour tremper le bout

De son doigt dans l'eau pour se rafraîchir la langue,

Parce que je suis tourmenté dans cette flamme.

Alors Abraham dit : 25 " Mon enfant, souviens-toi :

Tu as reçu tes biens pendant ta vie, Lazare

Pareillement les maux ; et maintenant ici,

Il est consolé, et toi, tu en tourmenté.

202


26 Pourtant ce n’est pas tout car entre nous et vous

Un grand abîme a été établi de sorte

Que ceux qui voudraient passer d'ici à chez vous

Ne le puissent pas, pour qu’on ne traverse pas

Non plus de là-bas à chez nous.

27 Alors il dit :

Je te prie, Père, de l’envoyer dans la maison

De mon père, 28 parce que j’ai cinq frères ; qu’il leur porte

Son témoignage pour qu’ils ne s’en viennent pas eux

Aussi dans ce lieu de la torture.29 Et Abraham

De dire ceci : Ils ont Moïse et les Prophètes

Qu'ils les écoutent. 30 Mais il dit : Non, père Abraham,

Mais si quelqu’un de chez les morts va les trouver,

Ils se repentiront.31 Il lui dit : du moment

Qu'ils n’ont pas écouté Moïse et les Prophètes

Même si quelqu'un d’entre les morts ressuscite,

Ils ne seront pas convaincus."

203


Le Pater

"Écoutez. Quand vous priez dites ainsi : "Notre Père qui es aux Cieux, que soit sanctifié ton Nom, que vienne

ton Royaume sur la terre comme il l’est dans le Ciel, et que sur la terre comme au Ciel soit faite ta volonté.

Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien, remets-nous nos dettes comme nous les remettons à nos

débiteurs. Ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du Malin."

Jésus s’est levé pour dire la prière et tous l’ont imité, attentifs, émus.

"Il ne faut pas autre chose, mes amis. Dans ces mots est renfermé comme en un cercle d’or tout ce qu’il faut

à l’homme pour l’esprit, pour la chair et le sang. Avec cela demandez ce qui est utile à celui-là ou à ceux-ci.

Et si vous faites ce que vous demandez, vous acquerrez la vie éternelle. C’est une prière si parfaite que les

vagues des hérésies et le cours des siècles ne l’entameront pas. Le christianisme sera morcelé par la morsure

de Satan et beaucoup de parties de ma chair mystique seront détachées, séparées, formant des cellules dans

le vain désir de se créer un corps parfait comme le sera le Corps mystique du Christ, c’est-à-dire formé de

tous les fidèles unis dans l’Église apostolique qui sera, tant que la terre existera, l’unique véritable Église.

Mais ces petits groupes séparés, privés par conséquent des dons que je laisserai à l’Église Mère pour nourrir

mes enfants, garderont toujours le titre d’églises chrétiennes à cause de leur culte pour le Christ et, au sein de

leur erreur, elles se souviendront toujours qu’elles sont venues du Christ. Eh bien, elles aussi prieront avec

cette prière universelle. Rappelez-vous-en. Méditez-la continuellement. Appliquez-la à votre action. Il ne

faut pas autre chose pour se sanctifier. Si quelqu’un était seul, dans un milieu païen, sans églises, sans livres,

il aurait déjà tout ce que l’on peut savoir en méditant cette prière et dans son cœur une église ouverte pour la

dire. Il aurait une règle de vie et une sanctification assurée.

204


"Notre Père".

Je l’appelle "Père". C’est le Père du Verbe, c’est le Père de Celui qui s’est incarné. C’est ainsi que je veux

que vous, vous l’appeliez parce que vous êtes un avec Moi, si vous demeurez en Moi. Il fut un temps où

l’homme devait se prosterner pour soupirer au milieu des craintes de l’épouvante : "Dieu !" Celui qui ne

croit pas en Moi ni dans ma parole est encore dans cette crainte paralysante... Observez l’intérieur du

Temple. Non seulement Dieu, mais aussi le souvenir de Dieu est caché aux yeux des fidèles par un triple

voile. Séparation par la distance, séparation par les voiles, tout a été pris et appliqué pour dire à celui

qui prie : "Tu es fange. Lui est Lumière. Tu es abject. Lui est Saint. Tu es esclave. Lui est Roi."

Mais maintenant !... Relevez-vous ! Approchez-vous ! Je suis le Prêtre Éternel. Je puis vous prendre par la

main et vous dire : "Venez." Je puis saisir les rideaux du vélarium et les ouvrir, ouvrant tout grand

l’inaccessible lieu fermé jusqu’à maintenant. Fermé ? Pourquoi ? Fermé à cause de la Faute, oui, mais encore

plus étroitement fermé par la pensée avilie des hommes. Pourquoi fermé si Dieu est Amour, si Dieu est Père

? Je peux, je dois, je veux vous conduire non pas dans la poussière mais dans l’azur; non pas au loin, mais

tout près ; non pas comme esclaves, mais comme fils sur le cœur de Dieu. "Père ! Père !" dites cette parole et

ne vous lassez pas de la dire. Ne savez-vous pas que chaque fois que vous la dites, le Ciel rayonne de la joie

de Dieu ? Ne diriez-vous que ce mot, avec un amour véritable, vous feriez déjà une prière agréable au

Seigneur. "Père ! Mon père !" disent les petits à leur père. C’est la parole qu’ils disent la première : "Mère,

père". Vous êtes les petits enfants de Dieu. Je vous ai engendrés du vieil homme que vous étiez. Ce vieil

homme, je l’ai détruit par mon amour, pour faire naître l’homme nouveau, le chrétien. Appelez donc du nom

que les petits connaissent le premier le Père Très Saint qui est aux Cieux.

"Que soit sanctifié ton Nom".

Oh ! Nom, plus que tout autre, saint et suave, Nom que la terreur du coupable vous a appris à voiler sous un

autre nom. Non, plus Adonaï, plus. C’est Dieu. C’est le Dieu qui dans un excès d’amour a créé l’humanité.

Que l’Humanité de l’avenir, avec les lèvres purifiées par le bain que je prépare, l’appelle de son Nom, se

réservant de comprendre avec la plénitude de la sagesse le sens de cet Incompréhensible lorsque, fondue

205


avec Lui, l’Humanité avec les meilleurs de ses enfants, sera élevée jusqu’au Royaume que je suis venu

fonder.

"Que vienne ton Règne sur la terre comme au Ciel".

Désirez de toutes vos forces cet avènement. Ce serait la joie sur la terre, s’il venait.

Le Règne de Dieu dans les cœurs, dans les familles, entre les citoyens, entre les nations. Souffrez, prenez de

la peine, sacrifiez-vous pour ce Règne. Que la terre soit un miroir qui reflète en chacun la vie des Cieux. Il

viendra. Un jour tout cela viendra. Des siècles et des siècles de larmes et de sang, d’erreurs, de persécutions,

de brouillard traversé d’éclairs de lumière qu’irradiera le Phare mystique de mon Église - si elle est une

barque qui ne sombrera pas, elle est aussi un rocher qui résistera aux vagues et elle tiendra bien haut la

Lumière, ma Lumière, la Lumière de Dieu - tout cela précédera le moment où la terre possèdera le Royaume

de Dieu. Ce sera alors comme le flamboiement d’un astre qui, après avoir atteint la perfection de son

existence, se désagrège, fleur démesurée des jardins éthérés pour exhaler dans une rutilante palpitation son

existence et son amour aux pieds de son Créateur. Mais cela viendra. Et ensuite, ce sera le Royaume parfait,

bienheureux, éternel du Ciel.

"Et que sur la terre comme au Ciel soit faite ta volonté".

L’anéantissement de la volonté propre au profit de celle d’un autre ne peut se produire que lorsqu’on a

atteint le parfait amour pour cette créature. L’anéantissement de la volonté propre au profit de celle de Dieu

ne peut se produire que quand on a atteint la perfection des vertus théologales à un degré héroïque. Au Ciel,

où tout est sans défauts, s’accomplit la volonté de Dieu. Sachez, vous, fils du Ciel, faire ce que l’on fait au

Ciel.

"Donne-nous notre pain quotidien".

Quand vous serez au Ciel, vous ne vous nourrirez que de Dieu. La béatitude sera votre nourriture. Mais, ici-bas,

vous avez encore besoin de pain. Et vous êtes les petits enfants de Dieu. Il est donc juste de dire : "Père, donne-

206


nous le pain". Avez-vous peur qu’Il ne vous écoute pas ? Oh ! non ! Réfléchissez : supposez que l’un de vous

ait un ami et qu’il s’aperçoive qu’il manque de pain pour rassasier un autre ami ou un parent arrivé chez lui à la

fin de la seconde veille. Il va trouver l’ami son voisin et lui dit : "Ami, prête-moi trois pains, car il m’est arrivé

un hôte et je n’ai rien à lui donner à manger." Peut-il s’entendre répondre de l’intérieur de la maison : "Ne

m’ennuie pas car j’ai déjà fermé la porte et bloqué les battants, et mes enfants dorment déjà à mes côtés. Je ne

peux me lever et te donner ce que tu veux" ? Non. S’il s’est adressé à un véritable ami et qu’il insiste, il aura ce

qu’il demande. Il l’aurait même s’il s’était adressé à un ami pas très bon. Il l’aurait à cause de son insistance car

celui auquel il demande ce service, pour n’être plus importuné, se hâterait de lui en donner autant qu’il en veut.

Mais vous, quand vous priez le Père, vous ne vous adressez pas à un ami de la terre, mais vous vous tournez

vers l’Ami Parfait qui est le Père du Ciel. Aussi, je vous dis : "Demandez et l’on vous donnera, cherchez et

vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira." En effet, à qui demande on donne, qui cherche finit par

trouver, à qui frappe on ouvre la porte. Qui, parmi les enfants des hommes, se voit présenter une pierre, s’il

demande du pain à son propre père ? Qui se voit donner un serpent à la place d’un poisson grillé ? Il serait

un criminel le père qui agirait ainsi à l’égard de ses enfants. Je l’ai déjà dit et je le répète pour vous

encourager à des sentiments de bonté et de confiance. De même donc que quelqu’un dont l’esprit est sain ne

donnerait pas un scorpion à la place d’un œuf, avec quelle plus grande bonté Dieu ne vous donnera-t-Il pas

ce que vous demandez ! Puisqu’Il est bon, alors que vous, plus ou moins, vous êtes mauvais. Demandez

donc avec un amour humble et filial votre pain au Père.

"Remets-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs".

Il y a les dettes matérielles et les dettes spirituelles. Il y a encore les dettes morales. C’est une dette

matérielle, l’argent ou la marchandise qu’on vous a prêtés et qu’on doit rendre. C’est une dette morale,

l’estime que l’on exige sans réciprocité, et l’amour que l’on veut mais que l’on ne donne pas. C’est une dette

spirituelle, l’obéissance à Dieu, de qui on exigerait beaucoup, quitte à Lui donner bien peu, et l’amour qu’on

doit avoir pour Lui. Mais Il nous aime et doit être aimé comme on aime une mère, une épouse, un fils de qui

on exige tant de choses. L’égoïste veut avoir et ne donne pas. Mais l’égoïste est aux antipodes du Ciel. Nous

avons des dettes envers tout le monde. De Dieu au parent, de celui-ci à l’ami, de l’ami au prochain, du

prochain au serviteur et à l’esclave, car tous sont des êtres comme nous. Malheur à qui ne pardonne pas ! Il

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ne sera pas pardonné. Dieu ne peut pas, par justice, remettre ce que l’homme Lui doit à Lui Très Saint si

l’homme ne pardonne pas à son semblable.

"Ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du Malin".

L’homme qui n’a pas éprouvé le besoin de partager avec nous le souper de la Pâque m’a demandé, il y a

moins d’un an : "Comment ? Tu as demandé de ne pas être tenté et d’être aidé dans la tentation contre ellemême

?" Nous étions nous deux, seuls... et j’ai répondu.

Une autre fois, nous étions quatre dans un endroit isolé, et j’ai répondu de nouveau. Mais il n’était pas

encore satisfait, car dans un esprit compliqué, il faut d’abord ouvrir une brèche en démolissant la forteresse

perverse de sa suffisance. Et, pour cette raison, je le dirai encore une fois, dix, cent fois jusqu’à ce que tout

soit accompli.

Mais vous qui n’êtes pas cuirassés par des doctrines malheureuses et des passions plus malheureuses encore,

veuillez prier ainsi. Priez avec humilité pour que Dieu empêche les tentations. Oh ! l’humilité ! Se connaître

pour ce que l’on est ! Sans s’avilir, mais se connaître. Dire : "Je pourrais céder même s’il me semble que je

ne le puisse pas car je suis, pour moi-même, un juge imparfait. Par conséquent, mon Père, délivre-moi, si

possible, des tentations en me tenant tellement proche de Toi afin de ne pas permettre au Malin de me nuire."

Car, souvenez-vous-en, ce n’est pas Dieu qui porte au Mal, mais c’est le Mal qui tente. Priez le Père pour

qu’Il soutienne votre faiblesse au point qu’elle ne puisse être induite en tentation par le Malin.

J’ai dit, mes bien-aimés. C’est ma seconde Pâque au milieu de vous. L’an dernier nous avons seulement

ensemble rompu le pain et partagé l’agneau. Cette année, je vous donne la prière. J’aurai d’autres dons pour

mes autres Pâques parmi vous afin que, quand je serais allé là où me veut le Père, vous ayez un souvenir de

Moi, l’Agneau, dans toute fête de l’agneau mosaïque.

208


Levez-vous et partons. Nous rentrerons en ville à l’aurore. Ou plutôt : demain, toi Simon, et toi mon frère (il

indique Jude), vous irez prendre les femmes et l’enfant. Toi, Simon de Jonas, et vous autres, resterez avec

Moi jusqu’à ce qu’ils reviennent. Ensuite nous irons ensemble à Béthanie."

Ils descendent jusqu’à Gethsémani où ils rentrent à la maison pour se reposer.

209


La vraie prière, Le Pater

7 “ Dans vos prières

Ne rabâchez pas comme les païens. Ils croient

Qu’avec leur bavardage, ils seront exaucés.

8 Ne leur ressemblez pas ; votre Père sait de quoi

Vous avez besoin, avant que vous lui ayez

Demandé. 9 Vous, vous prierez ainsi :

Notre père

Qui es dans les cieux, que sanctifié soit ton Nom,

10 Que vienne ton règne, que soit faite ta volonté,

Sur la terre comme au ciel. 11 Donne-nous aujourd’hui

Notre pain de la journée, 12 remets-nous nos dettes

Comme nous, nous avons remis à nos débiteurs,

Et ne nous fais donc pas entrer en tentation.

Délivre-nous du mauvais.

14 “ Si vous remettez

Aux hommes leurs fautes, votre Père Céleste à vous

Aussi, vous remettra, 15 si vous ne remettez pas

Aux hommes, votre Père non plus ne remettra pas

Vos fautes.

210


Le Fils prodigue

Écoutez. C'est une belle parabole qui vous guidera par sa lumière dans tant de cas.

Un homme avait deux fils. L'aîné était sérieux, travailleur, affectueux, obéissant. Le second était intelligent

plus que son aîné, qui en vérité était un peu borné et se laissait guider pour n'avoir pas à se donner la peine

de décider par lui-même ; mais il était aussi par contre, rebelle, distrait, ami du luxe et du plaisir, dépensier et

paresseux. L'intelligence est un grand don de Dieu, mais c'est un don dont il faut user sagement. Autrement

c'est comme certains remèdes qui employés indûment ne guérissent pas mais tuent. Le père suivait son droit

et son devoir en le rappelant à une vie plus sage, mais c'était sans résultat, sauf d'essuyer des réponses

méchantes et de voir son fils se durcir dans ses idées mauvaises.

Enfin, un jour, après une dispute plus envenimée, le cadet dit : "Donne-moi ma part des biens. Ainsi je

n'entendrai plus tes reproches ni les plaintes du frère. Chacun sa part et que tout soit fini."

"Prends garde" répondit le père "tu seras bientôt ruiné. Que feras-tu, alors ? Réfléchis que je ne serai pas

injuste en ta faveur et que je ne reprendrai pas la plus petite somme à ton frère pour te la donner."

"Je ne te demanderai rien. Sois tranquille. Donne-moi ma part." Le père fit estimer les terres et les objets

précieux. Après avoir constaté que l'argent et les bijoux avaient autant de valeur que les terres, il donna à

l'aîné les champs et les vignes, les troupeaux et les oliviers, et au cadet il donna l'argent et les bijoux que le

cadet vendit tout de suite pour avoir tout en argent. Cela fait, en peu de jours, il s'en alla dans un pays

lointain où il vécut en grand seigneur, dépensant ce qu'il avait en bombances de toutes sortes, se faisant

passer pour un fils de roi car il avait honte de dire : "Je suis un campagnard", reniant ainsi son père. Festins,

amis et amies, vêtements, vins, jeux... vie dissolue... Il vit bien vite s'épuiser ses réserves et arriver la misère.

Et avec la misère, pour l'alourdir, il survint dans le pays une grande disette qui fit fondre le reste de ses

ressources. Il aurait voulu aller trouver son père, mais il était orgueilleux et ne s'y décida pas. Il alla alors

211


trouver un homme riche du pays qui avait été son ami dans l'abondance et il le pria en disant : "Prends-moi

parmi tes serviteurs en souvenir des profits que je t'ai procurés". Voyez comme l'homme est sot ! Il préfère

se mettre sous le joug d'un maître au lieu de dire à son père : "Pardon ! Je me suis trompé !" Ce jeune avait

appris tant de choses inutiles avec son intelligence éveillée, mais il n'avait pas voulu apprendre le dicton de

l'Ecclésiastique : "Comme il est infâme, celui qui abandonne son père, et comme Dieu maudit celui qui

tourmente sa mère". Il était intelligent, mais il n'était pas sage.

L'homme à qui il s'était adressé, en échange de tout ce dont il avait profité au détriment du jeune imbécile, mit

ce sot à la garde des porcs. Il était en effet dans un pays païen où il y avait beaucoup de porcs. II l'envoya donc

faire paître dans ses possessions les troupeaux de porcs. Crasseux, en lambeaux, puant, affamé - car la

nourriture était mesurée pour tous les serviteurs et surtout pour les plus bas placés et lui, étranger, gardien de

porcs et méprisé, il rentrait dans cette catégorie - il voyait les porcs se rassasier de glands et il soupirait : "Si je

pouvais au moins m'emplir le ventre de ces fruits ! Mais ils sont trop amers ! La faim elle-même ne me les fait

pas trouver bons." Et il pleurait en pensant aux riches festins de satrape qu'il avait fait peu de temps avant, au

milieu des rires, des chants, des danses... et puis il pensait aux honnêtes repas abondants de sa maison lointaine,

aux portions que le père faisait pour tous impartialement, ne gardant pour lui que la plus petite, heureux de voir

le sain appétit de ses fils... et il pensait aussi aux portions que ce juste faisait pour ses serviteurs, et il soupirait :

"Les domestiques de mon père, même les plus bas placés ont du pain en abondance... et moi, ici, je meurs de

faim..."

Un long travail de réflexion, une longue lutte pour briser l'orgueil... Enfin vint le jour où, revenu à l'humilité et

à la sagesse, il se leva et dit : "Je vais trouver mon père ! C'est une sottise cet orgueil qui me tient captif. Et de

quoi ? Pourquoi souffrir en mon corps et plus encore en mon cœur, alors que je peux obtenir le pardon et le

soulagement ? Je vais trouver mon père. C'est dit. Que lui dirai-je ? Mais me voici, dans cette abjection, dans

ces ordures, mordu par la faim ! Je lui dirai : 'Père, j'ai péché contre le Ciel et contre toi, je ne suis plus digne

d'être appelé ton fils ; traite-moi donc comme le dernier de tes serviteurs, mais, tolère-moi sous ton toit. Que je

te vois passer...' Je ne pourrai lui dire : '...parce que je t'aime'. Il ne le croirait pas. Mais ma vie le lui dira, et lui

le comprendra et, avant de mourir, il me bénira encore... Oh ! je l'espère, parce que mon père m'aime." Et

revenu le soir au pays, il prit congé du maître et, mendiant le long du chemin, il revint à sa maison. Voici les

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champs paternels... et la maison... et le père qui dirigeait les travaux, vieilli, amaigri par la souffrance, mais

toujours bon... Le coupable, en voyant cette ruine dont il était la cause, s'arrêta intimidé... mais le père, tournant

son regard, le vit et courut à sa rencontre, car il était encore loin. Après l'avoir rejoint, il lui jeta les bras autour

du cou et l'embrassa. Le père était le seul à avoir reconnu son fils dans ce mendiant humilié et lui seul avait eu

pour lui un mouvement d'amour.

Le fils, serré entre ses bras, la tête sur les épaules de son père, murmura au milieu de ses sanglots : "Père,

permets-moi de me jeter à tes pieds". "Non, mon fils ! Pas à mes pieds, sur mon cœur qui a tant souffert de

ton absence et qui a besoin de revivre en sentant ta chaleur sur ma poitrine." Et le fils, pleurant plus fort, lui

dit : "Oh ! mon père ! J'ai péché contre le Ciel et contre toi. Je ne suis pas digne que tu m'appelles : fils. Mais

permets-moi de vivre parmi tes serviteurs, sous ton toit, te voyant et mangeant ton pain, en te servant, en

buvant ta respiration. Avec chaque bouchée de pain, avec chacune de tes respirations, se refera mon cœur si

corrompu et il deviendra honnête..."

Mais le père, le tenant toujours embrassé, le conduisit vers les serviteurs qui s'étaient rassemblés à distance

et qui observaient et il leur dit : "Vite, apportez ici le plus beau vêtement et des bassines d'eau parfumée,

lavez-le, parfumez-le, habillez-le, mettez-lui des chaussures neuves et un anneau au doigt. Puis prenez un

veau gras et tuez-le. Et qu'on prépare un banquet. Car mon fils était mort, et maintenant il est ressuscité, il

était perdu et il est retrouvé. Je veux que lui aussi retrouve son simple amour de petit enfant. Il faut que je lui

donne mon amour et que la maison soit en fête pour son retour. Il doit comprendre qu'il est toujours pour

moi le dernier-né, tel qu'il était dans son enfance lointaine, quand il marchait à mes côtés me rendant

heureux par son sourire et son babil." Et les serviteurs firent tout cela.

Le fils aîné était dans la campagne et il ne sut rien jusqu'à son retour. Le soir, en revenant à la maison, il la

vit toute illuminée et il entendit le son des instruments et le bruit des danses venir de l'intérieur. Il appela un

serviteur qui courait affairé et lui dit : "Qu'est-ce qui arrive ?" Et le serviteur répondit : "Ton frère est revenu

! Ton père a fait tuer le veau gras parce qu'il a reçu le fils sain et guéri de son grand mal, et il a commandé un

banquet. On n'attend que toi pour commence." Mais l'aîné, en colère parce qu'il lui paraissait injuste de tant

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fêter son cadet qui, outre qu'il était le plus jeune avait été mauvais, ne voulut pas entrer et même il allait

s'éloigner de la maison.

Mais le père, quand il en fut averti, courut dehors et le rejoignit, essayant de le convaincre et le priant de ne

pas assombrir sa joie. L'aîné répondit à son père : "Et tu veux que moi je n'en sois pas fâché ? Tu es injuste et

méprisant à l'égard de ton aîné. Moi, dès que j'ai pu travailler, je t'ai servi, et cela fait bien des années. Je n'ai

jamais transgressé tes ordres, ni même négligé tes désirs. Je suis toujours resté près de toi et je t'ai aimé pour

deux, pour guérir la blessure que t'avait faite mon frère. Et tu ne m'as même pas donné un chevreau pour

faire la fête avec des amis. Et lui qui t'a offensé, qui t'a abandonné, qui a été paresseux et dissipateur et qui

revient poussé par la faim, tu l'honores, et pour lui tu as tué le veau le plus beau. Est-ce que cela vaut la

peine d'être travailleurs et sans vices ! Cela, tu ne devais pas me le faire !' Le père lui dit alors en le serrant

contre son cœur : "Oh ! mon fils ! Et tu peux croire que je ne t'aime pas parce que je n'étends pas un voile de

fête sur tes actions ? Tes actions sont saintes par elles-mêmes, et le monde te loue pour elles. Mais ton frère,

au contraire, a besoin d'être relevé dans l'estime du monde et dans sa propre estime. Et tu crois que je ne

t'aime pas parce que je ne te donne pas une récompense visible ?

Mais matin et soir, à chacune de mes respirations et de mes pensées, tu es présent à mon cœur et à chaque

instant je te bénis. Tu as la récompense continuelle d'être toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à toi.

Mais il était juste de faire un banquet et de festoyer ton frère qui était mort et qui est ressuscité au Bien, qui

était perdu et qui est revenu à notre amour." Et l'aîné se rendit à ces raisons.

C'est ce qui arrive, mes amis, dans la Maison du Père. Et qui se reconnaît dans la situation du cadet de la

parabole, qu'il pense aussi que s'il l'imite dans son retour au Père, le Père lui dit : "Non pas à mes pieds, mais

sur mon cœur qui a souffert de ton absence et qui maintenant est heureux de ton retour." Que celui qui se

trouve dans la situation de l'aîné et sans faute à l'égard du Père, ne soit pas jaloux de la joie paternelle, mais

qu'il y prenne part en donnant son amour à son frère racheté.

J'ai dit

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Le fils perdu et le fils fidèle : "L'enfant prodigue".

11 Il dit

Encore : "Un homme avait deux fils 12 et le plus jeune

Dit à son père : Donne-moi ma part de fortune,

Père, qui me revient. Il leur partagea son bien.

Peu de jours après, ramassant tout, le fils jeune

Partit pour un pays lointain et dissipa

Son bien en vivant dans l’inconduite.

14 Quand il est

Tout dépensé, survint une famine sévère

Dans ce pays, et il commença à manquer.

15 Il alla s’attacher à l’un des citoyens

Du pays qui l'envoya paître ces cochons

Dana ses champs* 16 Il aurait bien voulu se remplir

Le ventre de caroubes que mangeaient les cochons,

Personne ne lui en donnait, 17 Revenant à lui,

Il dit : Mais combien de mercenaires de mon père

Ont du pain en surabondance, et moi je suis

Ici à périr de faim ! 18 Je veux donc partir,

Aller vers mon père et lui dire : contre le Ciel

Et envers toi, Père, j'ai péché. 19 D’être appelé

Ton fils, je ne suis plus digne. Ainsi traite-moi

Comme l’un de tes mercenaires, 20 Or il partit

Et vint vers son père.

Et il était encore loin,

Lorsque son père le vit et fut pris de pitié

Il courut se jeter à son cou, le couvrant

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De baisers.21 Et le fils lui dit : "Contre le Ciel

Et envers toi, Père, j'ai péché. D’être appelé

Ton fils, je ne suis plus digne. 22 À ses esclaves

Le Père dit : apportez la plus belle robe

Vite, et l’en revêtez, mettez-lui un anneau

Au doigt et des chaussures aux pieds. 23 Et amenez

Le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons,

24 Car mon fils que voilà était mort, il est

Revenu à la vie ; car il était perdu,

Il est retrouvé. Ils se mirent à festoyer.

25 Son fils aîné était aux champs. À son retour

Quand il fut près de la maison, il entendit

De la musique et des danses, 26 appelant à lui

Un des serviteurs, il lui demanda alors

Ce que cela pouvait bien être. 27 Celui-ci

Lui dit : C’est ton frère qui est arrivé, ton père

A tué le veau gras, car il l’a recouvré

En bonne santé. 28 Or il se mit en colère,

Il ne voulut pas entrer, et son père sortit

L’en prier. 29 Mais répondant il dit à son père :

Voilà tant d’années que je te suis asservi,

Je n’ai jamais transgressé un seul de tes ordres

Et à moi, tu n’as jamais donné un chevreau

Pour festoyer avec mes amis ; 30 quand ton fils

Que voilà revint après avoir dévoré

(Tout) ton bien avec des prostituées, tu fais

Tuer pour lui le veau gras.

31 "Alors il lui dit :

Mais toi, mon enfant, tu es toujours avec moi,

Tout ce qui est à moi est à toi. 32 Il fallait

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Bien festoyer et se réjouir car ton frère

Que voilà était mort, et il a repris vie.

Et il était perdu, et il est retrouvé !"

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La parabole des dix vierges

En présence des paysans de Giocana, d'Isaac et de nombreux disciples, des femmes, parmi lesquelles Marie

Très Sainte et Marthe et de beaucoup de gens de Béthanie, Jésus parle. Tous les apôtres sont présents.

L'enfant, assis en face de Jésus, ne perd pas une parole. Le discours est commencé depuis peu, car il arrive

encore des gens...

Jésus dit : "...et c'est à cause de cette crainte que je vois si vive chez plusieurs, que je veux vous proposer

aujourd'hui une douce parabole. Douce pour les hommes de bonne volonté, amère pour les autres. Mais ces

derniers ont le moyen de supprimer cette amertume. Qu'ils deviennent, eux aussi, des gens de bonne volonté

et le reproche que la parabole fait naître dans leur conscience cessera d'exister.

Le Royaume des Cieux est la maison des épousailles qui s'accomplissent entre Dieu et les âmes. Le moment

où l'on y entre, c'est le jour des épousailles.

Écoutez donc. Chez nous, c'est une coutume que les jeunes filles escortent l'époux qui arrive, pour le

conduire au milieu des lumières et des chants vers la maison nuptiale avec sa douce épouse. Le cortège

quitte la maison de l'épouse qui, voilée et émue, se dirige vers le lieu où elle sera reine, dans une maison qui

n'est pas la sienne mais qui devient sienne à partir du moment où elle s'unit à son époux. Alors le cortège des

jeunes filles, des amies de l'épouse la plupart, accourent à la rencontre de ces deux heureux pour les entourer

d'un cercle de lumières.

Or il arriva dans un pays que l'on fit des noces. Pendant que les époux, avec leurs parents et amis, s'en

donnaient à cœur joie dans la maison de l'épouse, dix jeunes filles se rendirent à leur place dans le vestibule

de la maison de l'époux, prêtes à sortir à sa rencontre quand le bruit lointain des cymbales et des chants

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viendrait les avertir que les époux avaient quitté la maison de l'épouse pour venir à celle de l'époux. Mais le

banquet, dans la maison des noces, se prolongeait et la nuit survint. Les vierges, vous le savez, gardent

toujours leurs lampes allumées pour ne pas perdre de temps au dernier moment. Or, parmi ces dix vierges

qui avaient leurs lampes allumées et qui éclairaient bien, il y en avait cinq sages et cinq sottes. Les sages,

pleines de prudence, s'étaient munies de petits vases pleins d'huile pour pouvoir remplir les lampes si la

durée de l'attente était plus longue que prévu, alors que les sottes s'étaient bornées à bien remplir leurs petites

lampes.

Les heures passèrent, l'une après l'autre. Conversations gaies, bonnes histoires, plaisanteries charmaient

l'attente. Mais après cela, elles ne surent plus que dire ni que faire. Ennuyées, ou simplement fatiguées, elles

s'assirent plus à leur aise avec leurs lampes allumées toutes proches et tout doucement elles s'endormirent.

Minuit arriva et on entendit un cri : "Voici l'époux, allez à sa rencontre !" Les dix vierges sursautèrent en

entendant l'ordre, prirent les voiles et les guirlandes, se coiffèrent et coururent vers la table où étaient les

lampes. Cinq d'entre elles étaient en train de languir... La mèche, que l'huile ne nourrissait plus, toute

consumée, fumait avec des éclairs de plus en plus faibles, prête à s'éteindre au moindre souffle d'air. Les cinq

autres, au contraire, garnies par les vierges prudentes avant leur sommeil, avaient une flamme encore vive

qui se raviva davantage quand on ajouta de l'huile dans le réservoir de la lampe.

"Oh !" dirent les sottes suppliantes, "Donnez-nous un peu de votre huile, car autrement nos lampes vont

s'éteindre, rien qu'à les prendre. Les vôtres sont déjà belles !..." Mais les prudentes répondirent : "Dehors

souffle le vent de la nuit, et la rosée tombe à grosses gouttes. Il n'y a jamais assez d'huile pour faire une

flamme robuste qui puisse résister au vent et à l'humidité. Si nous vous en donnons, il arrivera que nos

lumières vacilleront elles aussi. Et bien triste serait le cortège des vierges sans les palpitations des petites

flammes ! Allez, courez chez le marchand le plus proche, priez-le, frappez à sa porte, faites-le lever pour

qu'il vous donne de l'huile." Et elles haletantes, froissant leurs voiles, tachant leurs vêtements, perdant les

guirlandes, en se heurtant et en courant, suivirent le conseil de leurs compagnes.

Mais, pendant qu'elles allaient acheter de l'huile, voilà qu'apparaît au fond de la rue l'époux accompagné de

219


l'épouse. Les cinq vierges, qui étaient munies des lampes allumées, allèrent à leur rencontre et, au milieu

d'elles, les époux entrèrent dans la maison pour la fin de la cérémonie, lorsque les vierges auraient escorté en

dernier lieu l'épouse jusqu'à la chambre nuptiale. La porte fut close après l'entrée des époux et qui se trouvait

dehors, dehors resta. Ce fut le sort des cinq sottes qui, arrivées enfin avec leur huile, trouvèrent la porte

verrouillée et frappèrent inutilement en se blessant les mains et en criant d'une voix gémissante : "Seigneur,

Seigneur, ouvre-nous ! Nous faisons partie du cortège des noces. Nous sommes les vierges propitiatoires,

choisies pour apporter honneur et fortune à ton mariage." Mais l'époux, du haut de la maison, quitta pour un

instant les invités plus intimes auxquels il faisait ses adieux pendant que l'épouse entrait dans la chambre

nuptiale, et leur dit : 'En vérité je vous dis que je ne vous connais pas. Je ne sais pas qui vous êtes. Vos

visages n'étaient pas en fête autour de mon aimée. Vous êtes des usurpatrices. Restez donc hors de la maison

des noces." Et les cinq sottes, en pleurant, s'en allèrent par les rues noires, avec leurs lampes désormais

inutiles, leurs vêtements fripés, leurs voiles arrachés, leurs guirlandes défaites ou perdues...

Et maintenant vous comprenez la parole renfermée dans la parabole. Je vous ai dit au début que le Royaume

des Cieux est la maison des épousailles qui s'accomplissent entre Dieu et les âmes. Aux noces célestes sont

appelés tous les fidèles, car Dieu aime tous ses enfants. Les uns plus tôt, les autres plus tard se trouvent au

moment des épousailles et c'est un sort heureux que d'y être arrivé.

Mais écoutez encore. Vous savez que les jeunes filles considèrent comme un honneur et une heureuse

fortune d'être appelées comme servantes autour de l'épouse. Voyons dans notre cas ce que représentent les

personnages et vous comprendrez mieux. L'Époux, c'est Dieu. L'épouse, c'est l'âme d'un juste qui, après

avoir passé le temps des fiançailles dans la maison du Père, c'est-à-dire sous la protection de la doctrine de

Dieu et dans l'obéissance à cette doctrine, en vivant selon la justice, se trouve amenée dans la maison de

l'Époux pour les noces. Les servantes-vierges sont les âmes des fidèles qui, grâce à l'exemple laissé par

l'épouse, cherchent à arriver au même honneur en se sanctifiant. Pour l'épouse, le fait d'avoir été choisie par

l'époux à cause de ses vertus, est le signe qu'elle était un exemple vivant de sainteté. Les jeunes filles sont en

vêtements blancs, propres et frais, en voiles blancs, couronnées de fleurs. Elles ont dans les mains des

lampes allumées. Les lampes sont bien propres, avec la mèche nourrie de l'huile la plus pure afin qu'elle ne

soit pas malodorante.

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En vêtements blancs. La justice pratiquée avec fermeté donne des vêtements blancs et bientôt viendra le jour

qu'ils seront parfaitement blancs, sans même le plus lointain souvenir d'une tache, d'une blancheur

surnaturelle, d'une blancheur angélique.

En vêtements nets. Il faut, par l'humilité, tenir toujours net le vêtement. Il est si facile de ternir la pureté du

cœur, et celui qui n'est pas pur en son cœur ne peut voir Dieu. L'humilité est comme l'eau qui lave.

L'humble, parce que son œil n'est pas obscurci par la fumée de l'orgueil, s'aperçoit tout de suite qu'il a terni

son vêtement. Il court vers son Seigneur et Lui dit : "J'ai perdu la netteté de mon cœur. Je pleure pour me

purifier. Je pleure à tes pieds. Et Toi, mon Soleil, blanchis mon vêtement par ton pardon bienveillant, par ton

amour paternel !"

En vêtements frais. Oh ! La fraîcheur du cœur ! Les enfants la possèdent par suite d'un don de Dieu. Les

justes la possèdent par un don de Dieu et par leur propre volonté. Les saints la possèdent par un don de Dieu

et par une volonté allant jusqu'à l'héroïsme. Mais les pécheurs, dont l'âme est en loques, brûlée,

empoisonnée, salie ne pourront-ils alors jamais plus avoir un vêtement frais ? Oh ! oui, qu'ils peuvent l'avoir.

Ils commencent à l'avoir du moment où ils se regardent avec mépris, ils l'augmentent quand ils ont décidé de

changer de vie, le perfectionnent quand par la pénitence ils se lavent, se désintoxiquent, se soignent, refont

leur pauvre âme. Avec l'aide de Dieu qui ne refuse pas son secours à qui demande son aide sainte, par leur

propre volonté portée à un degré qui dépasse l'héroïsme, car en eux il n'y a pas lieu de protéger ce qu'ils

possèdent, mais de reconstruire ce qu'ils ont abattu, donc effort double et triple et septuple et enfin par une

pénitence inlassable, implacable à l'égard du moi qui était pécheur, ils ramènent leur âme à une nouvelle

fraîcheur enfantine, rendue précieuse par l'expérience qui fait d'eux des maîtres pour ceux qui autrefois

étaient comme eux, c'est-à-dire pécheurs.

En voiles blancs. L'humilité ! J'ai dit : "Quand vous priez ou faites pénitence, faites en sorte que le monde ne

s'en aperçoive pas." Dans les livres sapientiaux, il est dit : "Il n'est pas bien de révéler le secret du Roi."

L'humilité est le voile blanc que l'on met pour le défendre sur le bien que l'on fait et sur le bien que Dieu

nous accorde. Ne pas se glorifier de l'amour privilégié que Dieu nous accorde, ne pas chercher une sotte

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gloire humaine. Le don serait tout de suite enlevé. Mais le chant intérieur du cœur à son Dieu : "Mon âme te

glorifie, ô Seigneur... parce que Tu as tourné ton regard vers la bassesse de ta servante."

Jésus s'arrête un instant et jette un regard vers sa Mère qui rougit sous son voile et s'incline profondément

comme pour remettre en place les cheveux de l'enfant assis à ses pieds, mais en réalité pour cacher l'émotion

de son souvenir...

Couronnée de fleurs. L'âme doit tresser sa guirlande quotidienne d'actes de vertu, car en présence du Très-

Haut, rien ne doit rester de vicieux et rien ne doit rester d'un aspect négligé. Guirlande quotidienne, ai-je dit,

car l'âme ne sait pas quand Dieu-Époux lui apparaîtra pour lui dire : "Viens." Il ne faut donc pas se lasser de

renouveler la couronne. N'ayez pas peur. Les fleurs perdent leur fraîcheur, mais les fleurs des couronnes

vertueuses ne la perdent pas. L'ange de Dieu, que chaque homme a à côté de lui, recueille ces guirlandes

quotidiennes et les apporte au Ciel et on en fera un trône au nouveau bienheureux quand il entrera comme

épouse dans la maison nuptiale.

Elles ont leurs lampes allumées. À la fois pour honorer l'Époux et pour se guider en chemin. Comme elle

est brillante la foi et quelle douce amie elle est ! Elle donne une flamme qui rayonne comme une étoile, une

flamme qui rit car elle est tranquille dans sa certitude, une flamme qui rend lumineux même l'instrument qui

la porte. Même la chair de l'homme que nourrit la foi semble, dès cette terre, devenir plus lumineuse et plus

spirituelle, exempte d'un vieillissement précoce. Car celui qui croit se laisse guider par les paroles et les

commandements de Dieu pour arriver à posséder Dieu, sa fin, et par conséquent il fuit toute corruption, il n'a

pas de troubles, de peurs, de remords, il n'est pas obligé de faire des efforts pour se rappeler ses mensonges

ou pour cacher ses mauvaises actions, et il se conserve beau et jeune de la belle incorruptibilité des saints.

Une chair et un sang, un esprit et un cœur nets de toute luxure pour conserver l'huile de la foi, pour donner

une lumière sans fumée. Une volonté constante pour nourrir toujours cette lumière. La vie de chaque jour

avec ses déceptions, ses constatations, ses contacts, ses tentations, ses frictions, tend à diminuer la foi. Non !

Cela ne doit pas arriver. Allez chaque jour aux sources de l'huile suave, de l'huile de la sagesse, de l'huile de

Dieu.

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Une lampe peu alimentée peut s'éteindre au moindre vent, peut être éteinte par la lourde rosée de la nuit. La

nuit... L'heure des ténèbres, du péché, de la tentation vient pour tous. C'est la nuit de l'âme. Mais si elle se

remplit, elle-même, de foi, sa flamme ne peut être éteinte par le vent du monde ni par le brouillard de la

sensualité.

Pour conclure, vigilance, vigilance, vigilance. L'imprudent qui ose dire : "Oh ! Dieu viendra à un moment où

j'aurai encore la lumière en moi", qui se met à dormir au lieu de veiller, à dormir dépourvu de ce qu'il faut

pour se lever promptement au premier appel, qui attend le dernier moment pour se procurer l'huile de la foi

ou la mèche résistante de la bonne volonté, court le risque de rester dehors à l'arrivée de l'Époux. Veillez

donc avec prudence, avec constance, avec pureté, avec confiance pour être toujours prêts à l'appel de Dieu

car en réalité vous ne savez pas quand Il viendra.

Mes chers disciples, je ne veux pas vous amener à avoir peur de Dieu, mais plutôt à avoir foi en sa bonté.

Aussi bien vous qui restez que vous qui partez, pensez que, si vous faites ce que firent les vierges sages,

vous serez appelés non seulement à escorter l'Époux mais, comme pour la jeune Esther, devenue épouse à la

place de Vasti, vous serez choisis et élus comme épouses car l'Époux aura "trouvé en vous toute grâce et

toute faveur, au-dessus de tout autre." Je vous bénis, vous qui partez. Portez en vous et apportez à vos

compagnons ces paroles que je vous ai adressées. La paix du Seigneur soit toujours avec vous."

Jésus s'approche des paysans pour les saluer encore, mais Jean d'Endor lui glisse à l'oreille : "Maître,

maintenant Judas est là..."

"Peu importe. Accompagne-les jusqu'au char et fais ce que je t'ai dit."

L'assemblée se disperse lentement. Plusieurs parlent à Lazare... Et ce dernier se tourne vers Jésus qui, ayant

quitté les paysans, revient de ce côté, et dit : "Maître, avant de nous quitter, parle-nous encore... C'est ce que

veulent les cœurs de Béthanie."

223


"La nuit descend, mais tranquille et sereine. Si vous voulez vous réunir sur les foins fauchés, je vous parlerai

avant de quitter ce pays ami. Ou bien demain, à l'aurore parce qu'est arrivée l'heure de se séparer."

"Plus tard ! Ce soir !" crient-ils tous.

"Comme vous voulez. Partez, à présent. Au milieu de la première veille je vous parlerai"...

224


Parabole des dix vierges

25 1 Alors le royaume

Des Cieux ressemblera à dix jeunes vierges qui,

Prenant leurs lampes, sortirent au-devant de l’époux.

2 Cinq d’entre elles étaient belles et cinq étaient prudentes.

3 Les folles en prenant leur lampe n’avaient pas pris d’huile

Avec elles 4 mais les prudentes avaient pris de l’huile

Dans les fioles avec leurs lampes. 5 Or l’époux tardait,

Toutes s’assoupirent et s’endormirent.

6 Au milieu

De la nuit, il y eut un cri : Voilà l’époux !

Sortez au-devant de lui. 7 Alors se levèrent

Les jeunes filles et elles garnirent leurs lampes. 8 Les folles

Dirent ceci aux prudentes : donnez-nous de votre huile

Parce que nos lampes s’éteignent. 9 Or les prudentes

Répondirent : cela ne suffirait pas pour nous.

Allez chez les marchands et achetez-vous en.

10 Et tandis qu’elles s’en allaient pour en acheter,

Vint l’époux, et celles qui étaient prêtes avec lui

Entrèrent dans la salle des noces. Et on ferma

La porte. 11 Puis viennent aussi les autres jeunes filles,

Qui disent : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous. 12 Répondant,

Il dit : je ne vous connais pas, en vérité,

Je vous le dis. 13 Veillez donc, car vous ne savez

Ni le jour ni l’heure.

225


Les noces royales

Mais, écoutez, et vous comprendrez mieux comment les inquiétudes, les richesses et les ripailles empêchent

d'entrer dans le Royaume des Cieux.

Un jour, un roi fit les noces de son fils. Vous pouvez imaginer quelle fête il y eut dans le palais du roi. C'était

son unique fils et, arrivé à l'âge voulu, il épousait son aimée. Celui qui était père et roi voulut que tout fût

joie autour de la joie de son aimé devenu finalement l'époux de la bien-aimée. Parmi les nombreuses fêtes

nuptiales, il fit aussi un grand repas. Et il le prépara à loisir, veillant sur chaque détail pour que ce fût Une

réussite magnifique, digne des noces du fils du roi.

Au moment voulu, il envoya ses serviteurs dire à ses amis et à ses alliés et aussi aux principaux grands de

son royaume que les noces étaient fixées pour tel soir et qu'ils étaient invités, qu'ils vinssent pour faire un

digne entourage au fils du roi. Mais amis, alliés et grands du royaume n'acceptèrent pas l'invitation.

Alors le roi, pensant que les premiers serviteurs ne s'étaient pas expliqués comme il faut, en envoya encore

d'autres chargés d'insister et de dire : "Mais venez ! Nous vous en prions. Maintenant tout est prêt. La salle

est préparée. Des vins précieux ont été apportés de partout et déjà dans les cuisines on a amené les bœufs et

les animaux gras pour qu'on les cuise. Les esclaves pétrissent la farine pour faire des desserts et d'autres

pilent les amandes dans les mortiers pour faire des friandises très fines auxquelles ils mélangent les arômes

les plus rares; Les danseuses et les musiciens les plus distingués ont été engagés pour la fête. Venez donc

pour ne pas rendre inutile tant de préparatifs."

Mais les amis, les alliés et les grands du royaume ou bien refusèrent, ou bien dirent : "Nous avons autre

chose à faire" ou bien ils firent semblant d'accepter l'invitation mais ensuite se rendirent à leurs affaires, les

uns à leurs champs, les autres à leurs commerces ou à d'autres choses encore moins nobles. Enfin il y en eut

226


qui, ennuyés par tant d'insistance, prirent les serviteurs du roi et les tuèrent pour les faire taire, parce qu'ils

insistaient: "Ne refuse pas cela au roi parce qu'il pourrait t'en arriver malheur."

Les serviteurs revinrent vers le roi et lui rapportèrent tout ce qui s'était passé. Le roi, enflammé d'indignation,

envoya ses troupes punir les assassins de ses serviteurs et châtier ceux qui avaient méprisé son invitation, se

réservant de récompenser ceux qui avaient promis de venir. Mais, le soir de la fête, à l'heure fixée, il ne vint

personne. Le roi indigné appela ses serviteurs et leur dit : "Qu'il ne soit pas dit que mon fils reste sans

personne pour le fêter en cette soirée de ses noces. Le banquet est prêt, mais les invités n'en sont pas dignes.

Et pourtant le banquet nuptial de mon fils doit avoir lieu. Allez donc sur les places et les chemins, mettezvous

aux carrefours, arrêtez les passants, rassemblez ceux qui s'arrêtent et amenez-les ici. Que la salle soit

pleine de gens qui fassent fête à mon fils."

Les serviteurs s'en allèrent. Sortis dans les rues, répandus sur les places, envoyés aux carrefours, ils

rassemblèrent tous ceux qu'ils trouvèrent, bons ou mauvais, riches ou pauvres, et les amenèrent à la demeure

du roi, leur donnant les moyens pour être dignes d'entrer dans la salle du banquet. Puis ils les y conduisirent

et, comme le roi le voulait, elle fut pleine d'un public joyeux.

Mais le roi entra dans la salle pour voir si on pouvait commencer les festivités et il vit un homme qui, malgré

les moyens que fournissaient les serviteurs, n'était pas en habits de noces. Il lui demanda : "Comment se faitil

que tu sois entré ici sans les vêtements de noces ?" Et il ne sut que répondre car en effet il n'avait pas

d'excuses. Alors le roi appela ses serviteurs et leur dit: "Saisissez-le, attachez-lui les pieds et les mains et

jetez-le hors de ma demeure dans la nuit et la boue gelée. Là il sera dans les larmes et les grincements de

dents comme il l'a mérité pour son ingratitude et l'offense qu'il m'a faite, et à mon fils plus qu'à moi, en

entrant avec un habit pauvre et malpropre dans la salle du banquet où ne doit entrer que celui qui est digne

d'elle et de mon fils."

227


Comme vous le voyez, les soucis du monde, la cupidité, la sensualité, la cruauté attirent la colère du roi, font

en sorte que ceux qui sont pris par tous ces embarras n'entrent jamais plus dans la maison du Roi. Et vous

voyez aussi comment même parmi ceux qui sont invités, par bienveillance à l'égard de son fils, il y en a qui

sont punis.

Combien il y en a au jour d'aujourd'hui sur cette terre à laquelle Dieu a envoyé son Verbe !

Les alliés, les amis, les grands de son peuple, Dieu les a vraiment invités par l'intermédiaire de ses serviteurs

et les fera inviter d'une manière pressante à mesure que l'heure de mes Noces approchera. Mais ils

n'accepteront pas l'invitation parce que ce sont de faux alliés, de faux amis et qu'ils ne sont grands que de

nom car ils sont pleins de bassesse. (Jésus élève de plus en plus la voix et ses yeux, à la lueur du feu qui a été

allumé entre Lui et les auditeurs pour éclairer la soirée où manque encore la lune qui est en décroissance et

se lève plus tard ; ses yeux jettent des éclairs de lumière comme s'ils étaient deux pierres précieuses.) Oui, ils

sont pleins de bassesse et, à cause de cela, ils ne comprennent pas que c'est pour eux un devoir et un honneur

d'accepter l'invitation du Roi.

Orgueil, dureté, luxure dressent un mur dans leurs cœurs. Et, dans leur méchanceté, ils me haïssent et ne

veulent pas venir à mes noces. Ils ne veulent pas venir. Ils préfèrent aux noces les tractations avec une

dégoûtante politique, avec l'argent encore plus dégoûtant, avec la sensualité qui est tout ce qu'il y a de plus

dégoûtant. Ils préfèrent le calcul astucieux, la conjuration, la conjuration sournoise, le piège, le crime.

Moi, je condamne tout cela au nom de Dieu. On hait pour cette raison la voix qui parle et les fêtes auxquelles

elle invite. Dans ce peuple on peut chercher ceux qui tuent les serviteurs de Dieu : les Prophètes qui sont les

serviteurs jusqu'à ce jour ; mes disciples qui sont les serviteurs à partir de ce jour. En ce peuple on peut

trouver ceux qui essayent de tromper Dieu et qui disent : "Oui, nous venons" mais qui pensent en leur for

intérieur : "Jamais de la vie !" Il y a tout cela en Israël.

228


Et le Roi du Ciel, pour donner aux noces de son Fils un digne apparat, enverra chercher aux carrefours des

gens qui ne sont ni des amis, ni des grands, ni des alliés, mais qui sont simplement le peuple qui y circule.

Déjà - et par ma main, par ma main de Fils et de serviteur de Dieu - le rassemblement est commencé.

Ils viendront qui qu'ils soient... Et déjà ils sont venus. Et Moi je les aide à se faire propres et beaux pour la

fête des noces. Mais il s'en trouvera, oh ! pour leur malheur il y en aura qui profiteront même de la

magnificence de Dieu, qui leur donne parfums et vêtements royaux pour les faire paraître ce qu'ils ne sont

pas: riches et dignes, il y en aura qui profiteront indignement de toute cette bonté pour séduire, pour gagner...

Individus aux âmes farouches, enlacés par le poulpe répugnant de tous les vices... et qui soustrairont parfums

et vêtements pour en tirer un gain illicite, s'en servant non pour les noces du Fils, mais pour leurs noces avec

Satan.

Eh bien cela arrivera car nombreux sont ceux qui sont appelés mais peu nombreux ceux qui, pour savoir

rester fidèles à l'appel, arrivent à être choisis. Mais il arrivera aussi qu'à ces hyènes, qui préfèrent la

putréfaction à une nourriture vivante, sera infligé le châtiment d'être jetés hors de la salle du Banquet dans

les ténèbres et la boue d'un marais éternel où retentit l'horrible rire de Satan chaque fois qu'il triomphe d'une

âme et où résonnent éternellement les pleurs désespérés des idiots qui suivirent le Crime au lieu de suivre la

Bonté qui les avait appelés.

229


Parabole du festin nuptial Matthieu 22 1-14

22 1 Et prenant la parole, Jésus

Leur dit de nouveau en paraboles : 2 “ Le royaume

Des Cieux est semblable à un roi qui fit des noces

Pour son fils. 3 Il envoya ses esclaves appeler

Les invités. Ils ne voulurent pas venir.

4 Il envoya encore d’autres esclaves, et dit :

“ Dites aux invités : voici que j’ai apprêté

Mon déjeuner, mes taureaux et mes bêtes grasses

Sont égorgés et tout est prêt : venez aux noces.

5 Mais eux, négligeant l’invitation, s’en allèrent,

Qui à son champ, qui à son négoce, 6 et les autres

Se saisissant de ses esclaves, les outragèrent

Et les tuèrent. 7 Le roi pris de colère et,

Envoyant ses armées, il fit périr alors

Ces meurtriers, il incendia leur ville. 8 Il dit

À ses esclaves : la noce est prête ; les invités

N’étaient pas dignes. 9 Rendez-vous donc sur les chemins,

Appelez aux noces tous ceux que vous trouverez.

10 Ces esclaves sortirent sur les chemins, rassemblant

Tous ceux qu’ils trouvèrent, mauvais et bons ; et la salle

Fut remplie de convives.

11 Entrant pour observer

Les convives, le roi vit un homme qui n’était pas

Là revêtu d’un vêtement de noce. 12 Alors

Il lui dit : “ Mon ami, comment es-tu entré

En ce lieu sans avoir de vêtement de noce ? ”

230


Celui-ci resta bouche close. 13 Et le roi dit

Aux serviteurs ceci : “ Liez-lui pieds et mains

Et jetez-le dans les ténèbres, du dehors ;

Là seront les sanglots, les grincements de dents.

14 Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. ”

231


TOME IV

232


La parabole de la brebis perdue

Jésus parle à la foule. Monté sur le bord planté d'arbres d'un torrent, il parle à une foule nombreuse répandue

dans un champ dont le blé est coupé et qui présente l'aspect désolant des chaumes brûlés par le soleil.

C'est le soir. Le crépuscule descend, mais déjà la lune monte. Une belle et claire soirée d'un début d'été. Des

troupeaux rentrent au bercail et le tintement des sonnailles se mêle au chant perçant des grillons ou des

cigales, un grand : gri, gri, gri...

Jésus prend la comparaison des troupeaux qui passent. Il dit : "Votre Père est comme un berger attentif. Que

fait le bon pasteur ? Il cherche de bons pâturages pour ses brebis, où il n 'y pas de ciguë ni de plantes

dangereuses, mais des trèfles agréables, des herbes aromatiques et des chicorées amères mais bonnes pour la

santé. Il cherche une place où se trouve en même temps que la nourriture, de la fraîcheur, un ruisseau aux

eaux limpides, des arbres qui donnent de l'ombre, où il n'y a pas d'aspics au milieu de la verdure. Il ne se

soucie pas de trouver des pâturages plus gras parce qu'il sait qu'ils cachent facilement des serpents aux

aguets et des herbes nuisibles, mais il donne la préférence aux pâturages de montagne où la rosée rend

l'herbe pure et fraîche, mais que le soleil débarrasse des reptiles, là où l'on trouve un bon air que remue le

vent et qui n'est pas lourd et malsain comme celui de la plaine. Le bon pasteur observe une par une ses

brebis. Il les soigne si elles sont malades, les panse si elles sont blessées. À celle qui se rendrait malade par

gloutonnerie, il élève la voix, à celle qui prendrait du mal à rester dans un endroit trop humide ou trop au

soleil, il dit d'aller dans un autre endroit. Si une est dégoûtée, il lui cherche des herbes acidulées et

aromatiques capables de réveiller son appétit et les lui présente de sa main en lui parlant comme à une

personne amie.

233


C'est ainsi que se comporte le bon Père qui est aux Cieux avec ses fils qui errent sur la terre. Son amour est

la verge qui les rassemble, sa voix leur sert de guide, ses pâturages c'est sa Loi, son bercail le Ciel.

Mais voilà qu'une brebis le quitte. Combien il l'aimait ! Elle était jeune, pure, candide comme une nuée

légère dans un ciel d'avril. Le berger la regardait avec tant d'amour en pensant à tout le bien qu'il pouvait lui

faire et à tout l'amour qu'il pourrait en recevoir. Et elle l'abandonne.

Le long du chemin qui borde le pâturage, un tentateur est passé. Il ne porte pas une casaque austère, mais un

habit aux mille couleurs. Il ne porte pas la ceinture de peau avec la hache et le couteau suspendus, mais une

ceinture d'or d'où pendent des sonnettes au son argentin, mélodieux comme la voix du rossignol, et des

ampoules d'essences enivrantes... Il n'a pas le bourdon avec lequel le bon pasteur rassemble et défend les

brebis, et si le bourdon ne suffit pas, il est prêt à les défendre avec sa hache ou son couteau et même au péril

de sa vie. Mais ce tentateur qui passe a dans les mains un encensoir tout brillant de pierres précieuses d'où

s'élève une fumée qui est à la fois puanteur et parfum, qui étourdit comme éblouissent les facettes des bijoux,

oh ! combien faux ! Il va en chantant et laisse tomber des poignées d'un sel qui brille sur le chemin obscur...

Quatre-vingt-dix-neuf brebis le regardent sans bouger.

La centième, la plus jeune et la plus chère, fait un bond et disparaît derrière le tentateur. Le berger l'appelle,

mais elle ne revient pas. Elle va, plus rapide que le vent, rejoindre celui qui est passé et, pour soutenir ses

forces dans sa course, elle goûte ce sel qui pénètre au-dedans et la brûle d'un délire étrange qui la pousse à

chercher les eaux noires et vertes dans l'obscurité des forêts. Et, dans les forêts, à la suite du tentateur, elle

s'enfonce, elle pénètre, monte et descend et elle tombe... une, deux, trois fois. Et une, deux, trois fois, elle

sent autour de son cou l'embrassement visqueux des reptiles, et assoiffée, elle boit des eaux souillées, et

affamée, elle mord des herbes qui brillent d'une bave dégoûtante.

234


Que fait pendant ce temps le bon pasteur ? Il enferme en lieu sûr les quatre-vingt-dix-neuf brebis fidèles et

puis se met en route et ne s'arrête pas jusqu'à ce qu'il trouve des traces de la brebis perdue. Puisqu'elle ne

revient pas à lui, qui confie au vent ses appels, il va vers elle. Il la voit de loin, enivrée et enlacée par les

reptiles, tellement ivre qu'elle ne sent pas nostalgie du visage qui l'aime, et elle se moque de lui. Et il la

revoit, coupable d'être entrée comme une voleuse dans la demeure d'autrui, tellement coupable qu'elle n'ose

plus le regarder... Et pourtant le pasteur ne se lasse pas... et il va. Il la cherche, la cherche, la suit, la harcèle.

Il pleure sur les traces de l'égarée ; lambeaux de toison ; lambeaux d'âme ; traces de sang ; délits de toutes

sorte ; ordures ; témoignages de sa luxure. Il va et la rejoint.

Ah ! je t'ai trouvée, mon aimée ! Je t'ai rejointe ! Que de chemin j'ai fait pour toi ! Pour te ramener au bercail.

Ne courbe pas ton front souillé. Ton péché est enseveli dans mon cœur. Personne, excepté moi qui t'aime, ne

le connaîtra. Je te défendrai contre les critiques d'autrui, je te couvrirai de ma personne pour te servir de

bouclier contre les pierres des accusateurs. Viens. Tu es blessée ? Oh ! montre-moi tes blessures. Je les

connais, mais je veux que tu me les montres, avec la confiance que tu avais quand tu étais pure et quand tu

me regardais moi, ton pasteur et ton dieu, d'un oeil innocent. Les voilà. Elles ont toutes un nom. Oh ! comme

elles sont profondes ! Qui te les a faites si profondes ces blessures au fond du cœur ? Le Tentateur, je le sais.

C'est lui qui n'a ni bourdon ni hache mais qui blesse plus profondément avec sa morsure empoisonnée et,

après lui, ce sont les faux bijoux de son encensoir, qui t'ont séduite par leur éclat... et qui étaient un soufre

infernal qui se produisait à la lumière pour te brûler le cœur. Regarde combien de blessures, combien de

toison déchirée, combien de sang, combien de ronces !

Oh ! pauvre petite âme illusionnée ! Mais dis-moi : si je te pardonne, tu m'aimeras encore ? Mais dis-moi : si

je te tends les bras, tu t'y jetteras ? Mais dis-moi : as-tu soif d'un amour bon ? Et alors : viens et reviens à la

vie. Reviens dans les pâturages saints. Tu pleures. Tes larmes mêlées aux miennes lavent les traces de ton

péché, et Moi, pour te nourrir, puisque tu es épuisée par le mal qui t'a brûlée, je m'ouvre la poitrine, je

m'ouvre les veines et je te dis : "Nourris-toi, mais vis !"

235


Viens que je te prenne dans mes bras. Nous irons plus rapidement aux pâturages saints et sûrs. Tu oublieras

tout de cette heure de désespoir et tes quatre-vingt-dix-neuf sœurs, les bonnes, jubileront pour ton retour. Je

te le dis, ma brebis perdue, que j'ai cherchée en venant de si loin, que j'ai retrouvée, que j'ai sauvée, qu'on fait

une plus grande fête parmi les bons pour une brebis perdue qui revient que pour les quatre-vingt-dix-neuf

justes qui ne se sont pas éloignées du bercail."

Jésus ne s'est jamais retourné pour regarder vers le chemin qui se trouve derrière Lui et par lequel est arrivée,

dans la pénombre du soir, Marie de Magdala, encore très élégante, mais habillée, du moins, et couverte d'un

voile foncé qui cache ses traits et ses formes. Mais, quand Jésus arrive à ces paroles : "Je t'ai trouvée, mon

aimée", Marie passe la main sous son voile et pleure doucement et sans arrêt. Les gens ne la voient pas car

elle est au-delà du talus qui borde le chemin. Il n'y a pour la voir que la lune désormais haute, et l'esprit de

Jésus...

Qui me dit. "Le commentaire est dans la vision, mais je t'en parlerai encore. Maintenant repose-toi, car c'est

l'heure. Je te bénis, Maria fidèle."

236


La brebis égarée

12 Que vous ensemble ? Si un homme

À cent brebis et qu’une vienne à s’égarer

Ne laissera-t-il pas les quatre-vingt-dix-neuf

Sur les montagnes afin d’aller à la recherche

De l’égarée ? 13 S’il lui arrive de la trouver,

En vérité, je vous dis qu’il s’en réjouit

Plus que des quatre-vingt-dix-neuf qui ne sont pas

Égarées. 14 De même, ce n’est pas la volonté

De votre Père qui est dans les cieux que périsse

Un seul de ces petits.

237


Parabole du trésor caché

Jésus se trouve sur le chemin qui du lac de Méron va vers celui de Galilée. Il y a avec Lui le Zélote et

Barthélemy, et ils semblent attendre près d'un torrent, réduit à un filet d'eau qui pourtant nourrit des plantes

touffues, les autres qui arrivent de deux côtés différents.

La journée est torride, et pourtant beaucoup de gens ont suivi les trois groupes qui ont dû prêcher à travers

les campagnes en ache- minant les malades vers le groupe de Jésus et en parlant de Lui à ceux qui sont en

bonne santé. Un grand nombre de miraculés forment un groupe heureux assis parmi les arbres, et en eux la

joie est telle qu'ils ne sentent même pas l'ennui de la chaleur, de la poussière, de la lumière éblouissante,

toutes choses qui ne mortifient pas qu'un peu tous les autres.

Quand le groupe dirigé par Jude Thaddée arrive le premier près de Jésus, apparaît avec évidence la fatigue

de ceux qui le forment et de ceux qui le suivent. En dernier lieu vient le groupe dirigé par Pierre où se

trouvent beaucoup de gens de Corozaïn et de Bethsaïda.

"Nous avons travaillé, Maître, mais il faudrait qu'il y ait plusieurs groupes... Tu vois. Aller au loin, ce n'est

pas possible à cause de la chaleur. Et alors, comment faire ? On dirait que le monde s'agrandisse au fur et à

mesure que nous travaillons davantage, en éparpillant les pays et en allongeant les distances. Je ne m'étais

jamais rendu compte que la Galilée était si grande. Nous n'en travaillons qu'un coin, tout juste un coin, et

nous n'arrivons pas à l'évangéliser, tant elle est vaste et si nombreux sont ceux qui ont besoin de Toi et qui te

désirent" soupire Pierre.

"Ce n'est pas que le monde s'agrandisse, Simon" répond le Thaddée. "C'est que s'étend la notoriété de notre

Maître."

238


"Oui, c'est vrai. Regarde combien de gens. Certains nous suivent depuis ce matin. Aux heures les plus

chaudes, nous nous sommes réfugiés dans un bois, mais même maintenant que le soir approche, la marche

est pénible. Et ces pauvres gens sont beaucoup plus loin de leurs maisons que nous. Si cela continue

d'augmenter ainsi, je ne sais pas comment nous ferons...", dit Jacques de Zébédée.

"En octobre les bergers viendront aussi." dit André pour le réconforter.

"Hé ! oui ! Les bergers, les disciples, c'est bien ! Mais ils ne servent que pour dire : "Jésus est le Sauveur. Il

est ici". "Rien de plus." répond Pierre.

"Mais, au moins, les gens sauront où le trouver. Maintenant, au contraire ! Nous venons ici, et eux accourent

ici ; pendant qu'ils viennent ici, nous allons ailleurs et eux doivent nous courir après. Et avec des enfants et

des malades, ce n'est pas bien pratique."

Jésus parle : "Tu as raison, Simon-Pierre. J'ai Moi aussi compassion de ces âmes et de ces foules, Pour

beaucoup, ne pas me trouver à un moment donné, ce peut être une cause irréparable de malheur. Regardez

comme ils sont las et troublés ceux qui n'ont pas encore la certitude de ma Vérité, et comme ils sont affamés

ceux qui ont déjà goûté ma parole et ne savent plus s'en passer, et nulle autre parole ne les contente plus. Ils

semblent des brebis sans berger qui errent ici et là sans trouver quelqu'un pour les conduire et les nourrir. J'y

pourvoirai, mais vous, vous devez m'aider. De toutes vos forces spirituelles, morales et physiques. Ce n'est

plus en groupes nombreux, mais deux par deux que vous devez savoir aller. Et j'enverrai deux par deux les

meilleurs des disciples. C'est que la moisson est vraiment grande. Oh ! cet été, je vous préparerai à cette

grande mission. Pour Tamuz, nous serons rejoints par Isaac avec les meilleurs disciples. Et je vous

préparerai. Vous n'y suffirez pas encore, car si la moisson est vraiment grande, les ouvriers en revanche sont

peu nombreux, Priez donc le Maître de la terre qu'il envoie beaucoup d'ouvriers à sa moisson."

239


"Oui, mon Seigneur. Mais cela ne changera pas beaucoup la situation de ceux qui te cherchent", dit Jacques

d'Alphée.

"Pourquoi, mon frère ?"

"Parce qu'ils ne cherchent pas seulement la doctrine et la parole de Vie, mais aussi la guérison de leurs

langueurs, de leurs maladies, de toutes leurs infirmités que la vie ou Satan apportent à la partie inférieure ou

supérieure de leur être, et cela, il n 'y a que Toi qui puisses le faire, parce qu'en Toi il y a la Puissance."

"Ceux qui sont un avec Moi arriveront à faire ce que je fais et les pauvres seront secourus dans toutes leurs

misères. Mais vous n'avez pas encore en vous ce qu'il faut pour le faire. Essayez de vous surpasser vousmêmes,

de fouler vos tendances humaines pour faire triompher l'esprit. Assimilez non seulement ma parole

mais son esprit, c'est-à-dire sanctifiez-vous par elle et ensuite vous pourrez tout. Et maintenant allons leur

dire ma parole puisqu'ils ne veulent pas s'en aller sans que je leur aie donné la parole de Dieu. Et ensuite

nous retournerons à Capharnaüm. Là aussi il y a des gens qui attendent..."

"Seigneur, mais est-ce vrai que Marie de Magdala t'a demandé pardon dans la maison du pharisien ?"

"C'est vrai, Thomas."

"Et tu le lui as donné ?" demande Philippe.

"Je le lui ai donné."

"Mais tu as mal fait !" s'écrie Barthélemy.

"Pourquoi ? Elle avait un repentir sincère et méritait le pardon."

"Mais tu ne devais pas le lui donner dans cette maison, publiquement..." Lui reproche l'Iscariote.

"Mais je ne vois pas en quoi je me suis trompé."

240


"En ceci : tu sais ce que sont les pharisiens, combien d'arguties ils ont en tête, comme ils te surveillent,

comme ils te calomnient, comme ils te haïssent. Il y en avait un, à Capharnaüm, qui était un ami et c'était

Simon. Et tu appelles dans sa maison une prostituée pour profaner sa maison et scandaliser l'ami Simon."

"Je ne l'ai pas appelée, Moi. Elle y est venue. Ce n'était pas une prostituée, c'était une repentie. Cela change

beaucoup. Si on n'avait pas de dégoût de l'approcher avant et de toujours la désirer, même en ma présence,

maintenant qu'elle n'est plus une chair mais une âme, on ne doit pas avoir de dégoût de la voir entrer pour

s'agenouiller à mes pieds et pleurer, en s'accusant, s'humiliant dans une humble confession publique que

renferment ces pleurs. Simon le pharisien a eu sa maison sanctifiée par un grand miracle : "la résurrection

d'une âme". Sur la place de Capharnaüm, il y a maintenant cinq jours, il me demandait : "Tu as fait ce seul

miracle ?" et il répondait lui-même : "Certainement pas" et il avait un grand désir d'en voir un. Je le lui ai

donné. Je l'ai choisi pour être le témoin, le paranymphe de ces fiançailles de l'âme avec la Grâce. Il doit en

être fier."

"Au contraire, il en est scandalisé. Peut-être tu as perdu un ami."

"J'ai trouvé une âme. Cela vaut la peine de perdre l'amitié d'un homme, sa pauvre amitié d'homme, pour

rendre à une âme l'amitié avec Dieu."

"C'est inutile. Avec Toi, on ne peut obtenir une réflexion humaine. Nous sommes sur la terre, Maître !

Rappelle-le-toi. Et ce sont les lois et les idées de la terre qui prédominent. Tu agis suivant la méthode du

Ciel, tu te meus dans ton Ciel que tu as dans le cœur, tu vois tout à travers les clartés du Ciel. Mon pauvre

Maître ! Comme tu es divinement incapable de vivre parmi nous qui sommes pervers !" Judas l'Iscariote

l'embrasse, admiratif et désolé, disant pour terminer : "Et je m'en afflige, parce que tu te crées tant d'ennemis

par excès de perfection."

241


"Ne t'en afflige pas, Judas. Il est écrit qu'il en est ainsi. Mais comment sais-tu que Simon est offensé ?"

"Il n'a pas dit qu'il est offensé, mais à Thomas et à moi, il a fait comprendre que ce n'est pas une chose à

faire. Tu ne devais pas l'inviter dans sa maison, où il n'entre que des personnes honnêtes."

"Bien ! Pour l'honnêteté des gens qui vont chez Simon, n'en parlons pas." dit Pierre.

"Et je pourrais dire que la sueur des prostituées a coulé plusieurs fois sur le dallage, sur les tables, et ailleurs

chez Simon le pharisien" dit Mathieu.

"Mais pas publiquement", réplique l'Iscariote.

"Non, avec une hypocrisie attentive à le cacher."

"Tu vois qu'il change alors."

"C'est un changement aussi l'entrée d'une prostituée qui entre pour dire : "Je laisse mon péché infâme" au

lieu de celle qui entre pour dire : "Me voici à toi pour accomplir ensemble le péché."

"Mathieu a raison" disent-ils tous.

"Oui il a raison. Mais eux ne pensent pas comme nous et il faut en venir à des compromis avec eux, s'adapter

à eux pour les avoir comme amis."

"Cela jamais, Judas. En matière de vérité, d'honnêteté, de conduite morale, il n'y a pas d'adaptation ni de

compromis" dit Jésus d'une voix de tonnerre. Et il termine : "Du reste, je sais que j'ai bien agi, et en vue du

bien. Cela suffit. Allons congédier ces gens fatigués."

Et il s'en va vers ceux qui, éparpillés sous les arbres, regardent dans sa direction, anxieux de l'entendre.

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"La paix à vous tous qui, pendant des stades et à la canicule, êtes venus entendre la Bonne Nouvelle. En

vérité je vous dis que vous commencez à comprendre ce qu'est le Royaume de Dieu, combien précieuse est

sa possession et combien il est heureux de lui appartenir. Et pour vous toute fatigue perd la valeur qu'elle a

pour les autres, parce que l'âme commande en vous et dit à la chair : "Réjouis-toi que je t'accable. C'est pour

ton bonheur que je le fais. Quand tu seras réunie à moi, après la résurrection finale, tu m'aimeras dans la

mesure où je t'ai piétinée et tu verras en moi ton second sauveur." N'est-ce pas ce que dit votre esprit ? Mais

bien sûr qu'il le dit ! Vous maintenant vous basez vos actions sur l'enseignement de mes paraboles lointaines.

Mais maintenant je vous donne d'autres lumières pour vous rendre toujours plus énamourés de ce Royaume

qui vous attend et dont la valeur est sans mesure.

Écoutez : Un homme était allé par hasard dans un champ pour prendre du terreau et le porter dans son jardin.

Voilà qu'en creusant avec fatigue la terre dure, il trouve sous une couche de terre un filon de métal précieux.

Que fait alors cet homme ? Il recouvre de terre sa découverte. Il n'hésite pas à travailler davantage encore,

car la découverte en vaut la peine. Et puis, il va chez lui, rassemble toutes ses richesses en argent et en

objets, et ces derniers il les vend pour avoir beaucoup d'argent. Puis il va trouver le propriétaire du champ et

lui dit : "Ton champ me plaît. Combien en veux-tu ?" "Mais il n'est pas à vendre." dit l'autre. Mais l'homme

offre une somme toujours plus forte, disproportionnée avec la valeur du champ et il finit par décider le

propriétaire qui pense : "Cet homme est fou ! Mais puisqu'il l'est, j'en profite. Je prends la somme qu'il

m'offre. Ce n'est pas de l'usure, puisque c'est lui qui veut me la donner. Avec elle je m'achèterai au moins

trois autres champs, et plus beaux." et il vend, convaincu d'avoir fait une affaire merveilleuse. Mais, au

contraire, c'est l'autre qui fait une bonne affaire, car il se prive d'objets qu'un voleur peut emporter ou que

l'on peut perdre ou consommer, et il se procure un trésor qui, parce qu'il est vrai, naturel, est inépuisable.

Cela vaut donc la peine qu'il sacrifie ce qu'il a pour cette acquisition, en restant pendant quelque temps avec

la seule possession du champ, mais en réalité il possède pour toujours le trésor qui y est caché.

Vous, vous l'avez compris et vous faites comme l'homme de la parabole. Quittez les richesses éphémères

pour posséder le Royaume des Cieux. Vous les vendez aux imbéciles de ce monde, les leur cédez, acceptez

qu'on se moque de vous pour ce qui, aux yeux du monde, paraît une sotte manière d'agir. Agissez ainsi,

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toujours, et un jour votre Père qui est dans les Cieux, avec joie vous donnera votre place dans le Royaume.

Retournez dans vos maisons avant que vienne le sabbat et, pendant le jour du Seigneur, pensez à la parabole

du trésor qu'est le Royaume céleste. La paix soit avec vous."

Les gens s'éparpillent lentement sur les routes et les sentiers de campagne pendant que Jésus s'en va en

direction de Capharnaüm dans le soir qui descend.

Il y arrive en pleine nuit. Ils traversent en silence la ville silencieuse au clair de la lune qui est la seule lampe

qui existe pour les ruelles obscures et mal pavées. Ils entrent en silence dans le petit jardin à côté de la

maison, croyant que tout le monde est au lit.

Mais, au contraire, une lampe luit dans la cuisine et trois ombres, rendues mobiles par le mouvement de la

flamme, se projettent sur le muret blanc du four qui est tout près.

"Il y a des gens qui t'attendent, Maître. Mais cela ne peut pas aller ainsi ! Maintenant je vais leur dire que tu

es trop fatigué. Monte sur la terrasse en attendant."

"Non, Simon. Je vais à la cuisine. Si Thomas a retenu ces personnes, c'est signe qu'il y a un motif sérieux."

Mais, pendant ce temps, ceux qui sont à l'intérieur ont entendu le chuchotement et Thomas, le propriétaire de

la maison, vient sur le seuil.

"Maître, il y a la dame habituelle. Elle t'attend depuis hier au coucher du soleil. Elle est avec un serviteur" et

puis, à voix basse : "Elle est très agitée. Elle pleure sans arrêt..."

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"C'est bien. Dis-lui devenir en haut. Où a-t-elle dormi ?"

"Elle ne voulait pas dormir, mais finalement elle s'est retirée pour quelques heures vers l'aube, dans ma

chambre. Le serviteur, je l'ai fait dormir dans un de vos lits."

"C'est bien, il y dormira encore cette nuit et toi, tu dormiras dans le mien."

"Non, Maître. J'irai sur la terrasse, sur des nattes. Je dormirai aussi bien."

Jésus monte sur la terrasse. Voilà Marthe qui monte, elle aussi. "La paix à toi, Marthe."

Un sanglot Lui répond.

"Tu pleures encore ? Mais n'es-tu pas heureuse ?" De la tête Marthe fait signe que non. "Mais pourquoi,

donc? …"

Une longue pause, pleine de sanglots. Enfin, dans un gémissement : "Depuis plusieurs soirs, Marie n'est plus

revenue. Et on ne la trouve pas. Ni moi, ni la nourrice, ni Marcelle, ne la trouvons... Elle était sortie en

commandant le char. Elle était très bien mise... Oh ! elle n'avait pas voulu remettre mon vêtement !... Elle

n'était pas à moitié nue, elle en a encore de ceux-ci, mais elle était très provocante dans ce... Et elle avait pris

avec elle or et parfums... et elle n'est plus revenue. Elle a renvoyé le serviteur aux premières maisons de

Capharnaüm en disant. "Je reviendrai avec une autre compagnie." Mais elle n'est plus revenue. Elle nous a

trompés ! Ou bien elle s'est sentie seule, peut-être tentée... ou il lui est arrivé malheur... Elle n'est plus

revenue..." Et Marthe se glisse à genoux, en pleurant la tête appuyée sur l'avant bras qu'elle amis sur un tas

de sacs vides.

Jésus la regarde et dit lentement, avec assurance, dominateur : "Ne pleure pas. Marie est venue à Moi il y a

trois soirs. Elle m'a parfumé les pieds, elle a mis à mes pieds tous ses bijoux. Elle s'est consacrée ainsi, et

pour toujours, en prenant place parmi mes disciples. Ne la dénigre pas en ton cœur. Elle t'a surpassée."

"Mais où, où est alors ma sœur ?" crie Marthe en relevant son visage bouleversé. "Pourquoi n'est-elle pas

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revenue à la maison ? Elle a peut-être été attaquée ? Elle a peut-être pris une barque et elle s'est noyée ?

Peut-être un amant qu'elle a repoussé l'a enlevée ? Oh ! Marie ! Ma Marie ! Je l'avais retrouvée et je l'ai tout

de suite perdue !" Marthe est vraiment hors d'elle. Elle ne pense plus que ceux qui sont en bas peuvent

l'entendre. Elle ne pense plus que Jésus peut lui dire où est sa sœur. Elle se désespère sans plus réfléchir à

rien.

Jésus la prend par les poignets et la force à rester tranquille, à l'écouter, la dominant de sa haute taille et de

son regard magnétique. "Assez ! Je veux que tu aies foi en mes paroles. Je veux que tu sois généreuse. Tu as

compris ?" Il ne la laisse que quand Marthe s'est un peu calmée.

"Ta sœur est allée goûter sa joie, s'entourant d'une solitude sainte, parce qu'elle a en elle la pudeur supersensible

de ceux qui sont rachetés. Je te l'ai dit à l'avance. Elle ne peut supporter le regard doux, mais

inquisiteur des parents sur son nouveau vêtement d'épouse de la Grâce. Et ce que je te dis est toujours vrai.

Tu dois me croire."

"Oui, Seigneur, oui. Mais ma Marie a été trop, trop au pouvoir du démon. Il l'a reprise tout d'un coup, il..."

"Il se venge sur toi de la proie qu'il a perdue pour toujours. Dois-je donc voir que toi, la courageuse, tu

deviens sa proie pour une frayeur folle et sans raison d'être ? Dois-je voir qu'à cause d'elle qui maintenant

croit en Moi, tu perds la belle foi que je t'ai toujours connue ? Marthe ! Regarde-moi bien. Écoute-moi.

N'écoute pas Satan. Ne sais-tu pas que quand il est obligé d'abandonner sa proie par une victoire que Dieu

remporte sur lui, il se met tout de suite à agir, cet inlassable bourreau des êtres, cet inlassable voleur des

droits de Dieu, pour trouver d'autres proies ? Ne sais-tu pas que ce sont les tortures d'une tierce personne, qui

résiste aux assauts parce qu'elle est bonne et fidèle, qui affermissent la guérison d'un autre esprit ? Ne sais-tu

pas que rien n'est isolé de tout ce qui arrive et existe dans la création, mais que tout suit une loi éternelle de

dépendances et de conséquences qui fait qu'une action de quelqu'un a des répercussions naturelles et

surnaturelles très étendues ? Tu pleures ici, toi tu connais ici le doute atroce et tu restes fidèle à ton Christ

même à cette heure de ténèbres. Là-bas, dans un endroit voisin que tu ne connais pas, Marie sent se

dissoudre le der- nier doute sur l'infinité du pardon qu'elle a obtenu. Ses pleurs se changent en sourire et ses

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ombres en lumière. C'est ton tourment qui l'a conduite là où se trouve la paix, là où les âmes se régénèrent

auprès de la Génératrice sans tache ; auprès de celle qui est tellement Vie qu'elle a obtenu de donner au

monde le Christ qui est la Vie. Ta sœur est chez ma Mère ! Oh ! ce n'est pas la première qui rentre sa voile

dans ce port paisible après que le doux rayon de la vivante Étoile Marie l'a appelée sur ce sein d'amour, par

l'amour muet et actif de son Fils ! Ta sœur est à Nazareth."

"Mais comment y est-elle allée, ne connaissant pas ta Mère, ta maison ?.. Seule... Pendant la nuit... Ainsi...

Sans moyens... Avec ce vêtement... Un si long chemin... Comment ?"

"Comment ? Comme 1'hirondelle fatiguée va au nid natal traversant mers et montagnes, triomphant des

tempêtes, des nuages et des vents contraires. Comme vont les hirondelles aux lieux de leur hivernage, par un

instinct qui les guide, par une tiédeur qui les invite, par le soleil qui les appelle. Elle aussi est accourue vers

le rayon qui l'appelle... vers la Mère universelle. Et nous la verrons revenir à l'aurore, heureuse... sortie pour

toujours des ténèbres, avec une Mère à son côté, la mienne, et pour n'être jamais plus orpheline. Peux-tu

croire cela ?"

"Oui, mon Seigneur." Marthe est comme fascinée. En effet Jésus a été un dominateur. Grand, debout, et

pourtant légèrement incliné au-dessus de Marthe agenouillée, il a parlé lentement d'un ton pénétrant, comme

pour passer dans la disciple bouleversée. Peu de fois je l'ai vu avec cette puissance pour persuader par sa

parole quelqu'un qui l'écoute. Mais à la fin, quelle lumière, quel sourire sur son visage !

Marthe le reflète par un sourire et une lumière plus apaisée sur son propre visage.

"Et maintenant va te reposer, en paix." Et Marthe Lui baise les mains et descend rassérénée…

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Misère des foules

35 Jésus parcourait toutes les villes et les bourgs

Il enseignait dans leurs synagogues, proclamait

La bonne nouvelle du règne et guérissait

Toute maladie et toute langueur.

36 Voyant

Les foules, il s’émut car elles étaient excédées

Et rejetées comme des brebis qui n’ont pas

De berger. 37 Il dit à ses disciples : “ Quelle moisson

Et si peu d’ouvriers ! 38 Priez le Seigneur de la moisson

De dépêcher des ouvriers à sa moisson.”

Parabole du trésor et de la perle

44 “ Or le royaume des Cieux est comme un trésor

Caché dans un champ. Et l’homme qui l’a trouvé

Le recache, et dans sa joie, il s’en va, il vend

Ce qu’il a et achète le champ.

45 “ Le royaume

Des Cieux est encore semblable à un négociant

Qui cherche de belles perles. 46 Alors ayant trouvé

Une perle de grand prix, il s’en va et vend

Ce qu’il a et l’achète.

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La parabole des pêcheurs

Jésus commence à parler : "Des pêcheurs prirent le large et jetèrent à la mer leurs filets et après le temps

nécessaire les tirèrent à bord. C'est avec beaucoup de fatigue qu'ils accomplissaient ainsi leur travail par

ordre d'un maître qui les avait chargés de fournir sa ville de poissons de premier choix en leur disant aussi :

"Pour les poissons nuisibles ou de mauvaise qualité, ne les transportez même pas à terre. Rejetez-les à la

mer. D'autres pêcheurs les prendront. Comme ils travaillent pour un autre patron, ils les porteront à sa ville

parce que là on consomme ce qui est nuisible et ce qui rend de plus en plus horrible la ville de mon ennemi.

Dans la mienne : belle, lumineuse, sainte, il né doit entrer rien de malsain."

Une fois le filet tiré à bord, les pêcheurs commencèrent le triage. Les poissons étaient abondants, d'aspect, de

grosseur et de couleurs différents. Il y en avait de bel aspect mais dont la chair était pleine d'arêtes, d'un goût

détestable dont la panse était remplie de boue, de vers, d'herbes en décomposition qui augmentaient le goût

détestable de la chair des poissons. D'autres, au contraire, avaient un aspect désagréable, une gueule qui

semblait le visage d'un criminel ou d'un monstre de cauchemar, mais les pêcheurs savaient que leur chair est

exquise. D'autres, parce qu'ils étaient insignifiants, passaient inaperçus. Les pêcheurs travaillaient,

travaillaient. Les paniers étaient déjà remplis de poissons exquis, et dans le filet il y avait des poissons

insignifiants. "Maintenant, cela suffit. Les paniers sont pleins. Jetons tout le reste à la mer." dirent de

nombreux pêcheurs. Mais l'un d'eux qui avait peu parlé, alors que les autres vantaient ou tournaient en

ridicule les poissons qui leur tombaient entre les mains, resta à fouiller dans le filet et parmi le menu fretin

découvrit encore deux ou trois poissons qu'il mit par-dessus les autres dans les paniers. "Mais, que fais-tu ?"

demandèrent les autres. "Les paniers sont pleins, superbes. Tu les abîmes en mettant par-dessus, de travers,

ce pauvre poisson-là. On dirait que tu veuilles le faire passer pour le plus beau." "Laissez-moi faire. Je

connais cette espèce de poissons et je sais quel profit et quel plaisir ils donnent."

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C'est la parabole qui se termine avec la bénédiction du patron au pêcheur patient, connaisseur et silencieux

qui a su distinguer dans la masse les meilleurs poissons.

Maintenant écoutez l'application que j'en fais. Le maître de la cité belle, lumineuse, sainte, c'est le Seigneur.

La cité, c'est le Royaume des cieux. Les pêcheurs, mes apôtres. Les poissons de la mer, l'humanité où se

trouvent toutes sortes de personnes. Les bons poissons, les saints.

Le maître de la cité affreuse, c'est Satan. La cité horrible, l'Enfer. Ses pêcheurs le monde, la chair, les

passions mauvaises incarnées dans les serviteurs de Satan, soit spirituels c'est-à-dire les démons, soit

humains qui sont les corrupteurs de leurs semblables. Les mauvais poissons, l'humanité indigne du Royaume

des Cieux, les damnés.

Parmi ceux qui pêchent des âmes pour la Cité de Dieu, il y aura toujours ceux qui rivaliseront avec le savoir

patient du pêcheur qui sait persévérer dans la recherche, justement dans les couches de l'humanité où ses

autres compagnons plus impatients ont enlevé seulement ce qui paraissait bon à première vue. Et il y aura

aussi malheureusement des pêcheurs qui, étant distraits et bavards, alors que le triage demande attention et

silence pour entendre la voix des âmes et les indications surnaturelles, ne verront pas les bons poissons et les

perdront. Et il y en aura qui, par trop d'intransigeance, repousseront aussi les âmes qui ne sont pas parfaites

extérieurement mais excellentes pour tout le reste.

Que vous importe si un des poissons que vous capturez pour Moi, montre les signes des luttes passées,

présente les mutilations produites par tant de causes, si elles ne blessent pas son esprit ? Que vous importe si

un de ceux-ci, pour se délivrer de l'Ennemi, s'est blessé et se présente avec ces blessures, si son intérieur

manifeste la claire volonté de vouloir appartenir à Dieu ? Âmes éprouvées, âmes sûres. Plus que celles qui

sont comme des enfants sauvegardés par les langes, le berceau, la mère et qui dorment rassasiés et bons ou

sourient tranquilles, mais qui pourtant par la suite, avec la raison et l'âge et les vicissitudes de la vie qui se

présentent, pourront donner de douloureuses surprises de déviations morales.

250


Je vous rappelle la parabole de l'enfant prodigue. Vous en entendrez d'autres parce que je m'efforcerai

toujours à faire pénétrer en vous la rectitude du discernement dans la manière d'examiner les consciences et

de choisir le mode de guider les consciences qui sont uniques et chacune, par conséquent, a sa façon

spéciale de sentir et de réagir devant les tentations et les enseignements. Ne croyez pas qu'il soit facile de

faire le tri des âmes. C'est tout le contraire. Cela exige un œil spirituel tout éclairé par la lumière divine, cela

exige une intelligence pénétrée par la divine Sagesse, cela exige la possession de vertus à un degré héroïque

et avant toutes choses la charité. Cela exige la capacité de se concentrer dans la méditation car toute âme

est un texte obscur qu'il faut lire et méditer. Cela exige une union continuelle avec Dieu en oubliant tous les

intérêts égoïstes. Vivre pour les âmes et pour Dieu. Surmonter les préventions, les ressentiments, les

antipathies. Être doux comme des pères et de fer comme les guerriers. Doux pour conseiller et redonner du

courage. De fer pour dire : "Cela n'est pas permis et tu ne le feras pas" ou : "cela est bon à faire et tu le

feras." Parce que, pensez-y bien, beaucoup d'âmes seront jetées dans les marais infernaux. Mais il n 'y aura

pas que des âmes de pécheurs. Il y aura aussi des âmes de pêcheurs évangéliques : celles d’entre elles qui

auront failli à leur ministère en contribuant à la perte de beaucoup d'esprits.

Un jour viendra, le dernier jour de la terre, le premier de la Jérusalem complète et éternelle, où les anges,

comme les pêcheurs de la parabole, sépareront les justes des mauvais pour qu'au commandement inexorable

du Juge les bons aillent au Ciel et les mauvais au feu éternel. Et alors sera connue la vérité en ce qui

concerne les pêcheurs et ceux qu'ils auront péchés, les hypocrisies tomberont et le peuple de Dieu apparaîtra

tel qu'il est avec ses chefs et ceux qu'ils auront sauvés. Nous verrons alors que tant de ceux qui sont

extérieurement les plus insignifiants ou extérieurement les plus malmenés, sont les splendeurs du Ciel et que

les pêcheurs tranquilles et patients sont ceux qui ont fait davantage et qui resplendissent maintenant de

pierres précieuses pour tous ceux qu'ils auront sauvés.

La parabole est dite et expliquée."

"Et mon frère ?!… Oh ! mais !…" Pierre le regarde, le regarde... puis regarde Marie-Magdeleine...

"Non, Simon. Pour elle, je n'ai aucun mérite. Le Maître seul a agi." dit André avec franchise.

"Mais les autres pêcheurs, ceux de Satan, ils prennent donc les restes ?" demande Philippe.

251


"Ils essaient de prendre les meilleurs, les âmes capables d'un plus grand prodige de la Grâce et ils se servent

des hommes eux- mêmes pour le faire, en plus de leurs tentations. Il y en a tant dans le monde qui, pour un

plat de lentilles, renoncent à leur droit d'aînesse !"

"Maître, tu disais l'autre jour qu'il y en a beaucoup qui se laissent séduire par les choses du monde. Ce

seraient encore ceux qui pêchent pour Satan ?" demande Jacques d'Alphée.

"Oui, mon frère. Dans cette parabole, 1'homme se laisse séduire par la richesse qui pouvait lui donner

beaucoup de jouissances en perdant tout droit au Trésor du Royaume. Mais en vérité je vous dis que sur cent

hommes il n'y en a qu'un tiers qui sait résister à la tentation de l'or ou à d'autres séductions et de ce tiers il n'y

en a que la moitié qui sache le faire d'une manière héroïque. Le monde meurt asphyxié parce qu'il s'enserre

volontairement dans les liens du péché. Il vaut mieux être dépouillé de tout que d'avoir des richesses

dérisoires et illusoires. Sachez agir comme des bijoutiers avisés. Quand ils savent que dans un endroit on a

pêché une perle rarissime, ils ne se soucient pas de garder dans leurs coffres-forts quantité de petits bijoux,

mais ils liquident tout pour acheter cette perle merveilleuse."

"Mais alors pourquoi Toi-même fais-tu des différences dans les missions que tu donnes aux personnes qui te

suivent, et pourquoi nous dis-tu que nous les missions nous devons les regarder comme un don de Dieu?

Alors il faudrait aussi renoncer à ces missions parce que ce sont des choses insignifiantes par rapport au

Royaume des Cieux." dit Barthélemy.

"Ce ne sont pas des choses insignifiantes : ce sont des moyens. Ce seraient des choses sans importance ou,

pour mieux dire, ce seraient des fétus de paille souillés s'ils devenaient un but humain dans la vie. Ceux qui

manœuvrent pour avoir un poste dans un but humain intéressé, font de ce poste, même s'il est saint, un fétu

de paille souillé. Mais faites-en une acceptation obéissante, un devoir joyeux, un holocauste total, et vous en

ferez une perle rarissime. La mission est un holocauste, si on l'accomplit sans réserves, c'est un martyre,

c'est une gloire. Elle fait couler larmes, sueur et sang, mais elle forme la couronne d'une royauté éternelle."

"Tu sais vraiment répondre à tout !"

252


"Mais m'avez-vous compris ? Comprenez-vous ce que je vous dis par des comparaisons trouvées dans les

choses de chaque jour, éclairées pourtant par une lumière surnaturelle qui en fait une explication pour des

choses éternelles ?"

"Oui, Maître."

"Rappelez-vous alors la méthode pour instruire les foules. Car c'est un des secrets des scribes et des rabbis :

le souvenir. En vérité je vous dis que chacun de vous, instruit de la sagesse qui assure la possession du

Royaume des Cieux, est semblable à un père de famille qui sort de son trésor les choses utiles pour sa

famille en utilisant les choses anciennes ou les nouvelles dans l'unique but de procurer le bien-être à ses

propres enfants. La pluie s'est arrêtée. Laissons les femmes en paix et allons chez le vieux Tobie qui va

ouvrir les yeux de son esprit sur les choses de l'au-delà. La paix à vous, femmes."

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Parabole du filet

47 Le royaume des Cieux

Est semblable à une senne lancée dans la mer,

Et qui ramasse de tout. 48 Quand elle est remplie,

On la ramène sur le rivage, on s’assoit

Et on récolte dans des vases ce qu’il y a

De bon mais ce qui est mauvais, on le rejette.

49 Et il en sera ainsi à la fin des mondes :

Les anges sortiront et ils sépareront

Les mauvais des justes, 50 ils les jetteront

Dans le feu de la fournaise ; là, il y aura

Les sanglots et les grincements de dents.

254


La drachme perdue

Les gens affluent dans la rue. Jésus commence à parler : "Une femme avait dix drachmes dans sa bourse

Mais alors qu'elle faisait un mouvement, la bourse tomba de son sein, en s'ouvrant, et les pièces tombèrent

par terre. Elle les ramassa avec l'aide des voisines présentes et les compta. Il y en avait neuf. La dixième était

introuvable. Comme le soir était proche et que la lumière manquait, la femme alluma la lampe, la posa par

terre et, ayant pris un balai se mit à balayer attentivement pour voir si la pièce avait roulé loin de l'endroit où

elle était tombée. Mais la drachme ne se trouvait pas. Les amies s'en allèrent, lassées de chercher. La femme

déplaça alors le coffre, l'étagère, un autre coffre lourd, remua les amphores et les cruches placées dans la

niche du mur. Mais la drachme ne se trouvait pas. Alors elle se mit à quatre pattes et chercha dans le tas de

balayures, placé auprès de la porte de la maison, pour voir si la drachme avait roulé hors de la maison en se

mélangeant aux épluchures de légumes. Et elle trouva enfin la drachme toute sale, presque enfouie dans les

balayures qui étaient retombées sur elle.

La femme, pleine de joie, la prit, la lava, l'essuya. Elle était plus belle qu'auparavant, maintenant. Et elle la

montra aux voisines appelées de nouveau à grands cris, celles qui s'étaient retirées après les premières

recherches, en leur disant : "Voilà ! Vous voyez ? Vous m'avez conseillée de ne pas me fatiguer davantage,

mais j'ai persisté et j'ai retrouvé la drachme perdue. Réjouissez-vous donc avec moi qui n'ai pas eu la douleur

de perdre un seul de mes trésors." Votre Maître aussi, et avec Lui ses apôtres, fait comme la femme de la

parabole. Il sait qu'un mouvement peut faire tomber un trésor. Toute âme est un trésor et Satan, qui hait

Dieu, provoque les mauvais mouvements pour faire tomber les pauvres âmes. Il y en a qui dans la chute

s'arrêtent près de la bourse, c'est-à-dire vont à peu de distance de la Loi de Dieu qui garde les âmes sous la

protection des commandements. Et il y en a qui vont plus loin, c'est-à-dire s'éloignent davantage encore de

Dieu et de sa Loi. Il y en a enfin qui roulent jusque dans les balayures, les ordures, la boue. Et là elles

finiraient par périr et être brûlées dans les feux éternels, comme les immondices que l'on brûle dans des

endroits spéciaux.

255


Le Maître le sait et il cherche inlassablement les pièces perdues. Il les cherche partout, avec amour. Ce sont

ses trésors, et il ne se fatigue pas, ni ne se laisse dégoûter par rien. Mais il fouille, il fouille, remue, balaie

jusqu'à ce qu'il trouve. Et lorsqu'il a trouvé, il lave par son pardon l'âme retrouvée, et il appelle ses amis : le

Paradis tout entier et tous les bons de la terre, et dit : "Réjouissez- vous avec Moi, parce que j'ai trouvé ce qui

s'était égaré et c'est plus beau qu'auparavant car mon pardon en a fait quelque chose de nouveau."

En vérité je vous dis qu'il y a grande fête au Ciel et que les anges de Dieu et les bons de la terre se

réjouissent pour un pécheur qui se convertit. En vérité je vous dis qu'il n'y a rien de plus beau que les larmes

du repentir. En vérité je vous dis que seuls les démons ne savent pas, ne peuvent pas se réjouir pour cette

conversion qui est un triomphe de Dieu. Et je vous dis aussi que la manière dont un homme accueille la

conversion d'un pécheur donne la mesure de sa bonté et de son union à Dieu.

La paix soit avec vous."

Les gens comprennent l'instruction et regardent Marie-Magdeleine venue s'asseoir à la porte avec le petit

bébé dans les bras, peut-être pour se donner une contenance. Les gens s'éloignent lentement et il ne reste que

la maîtresse de la petite maison et sa mère, arrivée avec les enfants. Il manque Benjamin encore à l'école.

256


La drachme perdue

8 Quelle femme, si elle a dix drachmes, qu'elle perde une drachme

N'allume pas une lampe et ne balaie la maison.

Et ne cherche avec soin jusqu'à ce qu’elle la trouve ?

9 Quand elle l’a trouvée, elle convoque ses amies

Et ses voisines et elle dit : Réjouissez-vous

Avec moi parce que je l'ai trouvée, la drachme

Que j'avais perdue ! 10 Et ainsi, je vous le dis,

Que pour un seul pécheur qui se repent, il naît

De la joie devant les anges de Dieu."

257


Instructions aux apôtres pour le début de l’apostolat

Jésus regarde, un par un, ses douze et c'est comme s'il regardait à douze reprises la même page et y lisait à

douze reprises la parole qui y est inscrite : incompréhension. Il sourit et poursuit.

"J'ai donc décidé de vous envoyer pour pénétrer plus avant et plus à fond que je ne pourrais le faire, Moi tout

seul. Cependant entre ma manière d'évangéliser et la vôtre, il y aura des différences imposées par la

prudence, dont je dois user pour ne pas vous exposer à de trop grandes difficultés, à des dangers trop sérieux

pour votre âme et aussi pour votre corps, et pour ne pas nuire à mon œuvre. Vous n'êtes pas encore assez

formés pour pouvoir aborder n'importe qui sans dommage pour vous ou pour lui, et vous êtes encore moins

héroïques, au point de défier le monde par l'Idée en allant au devant des vengeances du monde.

Aussi dans vos tournées, vous n'irez pas me prêcher parmi les gentils et n'entrerez pas dans les villes de

samaritains, mais vous irez vers les brebis perdues de la maison d'Israël. Il y a encore tant à faire parmi elles,

car en vérité je vous dis que les foules qui vous paraissent si nombreuses autour de Moi sont la centième

partie de celles qui, en Israël, attendent encore le Messie et ne le connaissent pas et ne savent pas qu'il est

vivant. Portez-leur la foi et la connaissance de ma personne. Sur votre chemin, prêchez en disant : "Le

Royaume des Cieux est proche." Que ce soit la base de ce que vous annoncez. Appuyez sur elle votre

prédication. Vous avez tant entendu parler par Moi du Royaume ! Vous n'avez qu'à répéter ce que je vous ai

dit. Mais l'homme, pour être attiré et convaincu par les vérités spirituelles, a besoin de douceurs matérielles

comme s'il était un éternel enfant qui n'étudie pas une leçon et n’apprend pas un métier s'il n'est pas alléché

par une douceur de la mère ou d'une récompense du maître d'école ou du maître d'apprentissage. Moi, afin

que vous ayez le moyen que l'on vous croie et qu'on vous recherche, je vous accorde le don du miracle..."

Les apôtres, sauf Jacques d'Alphée et Jean, bondissent debout, criant, protestant, s'exaltant, chacun suivant

son tempérament.

258


Réellement, pour se pavaner à l'idée de faire un miracle, il n'y a que l'Iscariote qui, avec l'inconscience d'une

accusation fausse et intéressée, s'écrie : "Il était temps pour nous de le faire pour que nous ayons un

minimum d'autorité sur les foules !"

Jésus le regarde, mais ne dit rien. Pierre et le Zélote qui sont en train de dire : "Non, Seigneur ! Nous ne

sommes pas dignes d'une si grande chose ! Cela revient aux saints", interloquent Judas auquel Le Zélote dit :

"Comment te permets-tu de faire un reproche au Maître, homme sot et orgueilleux ?" et Pierre : "Le

minimum ? Et que veux-tu faire de plus que le miracle ? Devenir Dieu, toi aussi ? As-tu la même

démangeaison que Lucifer ?"

"Silence." intime Jésus, et il poursuit : "Il y a une chose qui est plus que le miracle et qui convainc également

les foules et avec plus de profondeur et de durée : une vie sainte. Mais, vous en êtes encore loin et toi, Judas,

plus loin que les autres. Mais laissez-moi parler, car c'est une longue instruction.

Allez donc, guérissant les infirmes, purifiant les lépreux, ressuscitant les morts du corps et de l'esprit, car le

corps et l'esprit peuvent être également infirmes, lépreux, morts. Et vous aussi sachez comment on s'y prend

pour opérer le miracle : par une vie de pénitence, une prière fervente, un désir sincère de faire briller la

puissance de Dieu, une humilité profonde, une charité vivante, une foi enflammée, une espérance qui ne se

trouble pas pour les difficultés d'aucune sorte. En vérité, je vous dis que tout est possible à celui qui possède

en lui ces éléments. Même les démons s'enfuiront au Nom du Seigneur prononcé par vous, si vous avez en

vous ce que j'ai dit. Ce pouvoir vous est donné par Moi et par notre Père. Il ne s'achète pas à prix d'argent.

Seule notre volonté l'accorde et seule une vie juste le maintient. Mais comme il vous est donné gratuitement,

donnez-le gratuitement aux autres, à ceux qui en ont besoin. Malheur à vous, si vous rabaissez le don de

Dieu en le faisant servir à remplir votre bourse. Ce n'est pas votre puissance, c'est la puissance de Dieu.

Usez-en, mais n'en faites pas votre propriété en disant : "Elle m'appartient." Comme elle vous est donnée,

elle peut vous être enlevée. Il y a un instant Simon de Jonas a dit à Judas de Simon : "As-tu la même

démangeaison que Lucifer ?" Il a donné une juste définition. Dire : "Je fais ce que Dieu fait parce que je suis

comme Dieu" c'est imiter Lucifer. Et son châtiment est connu. Comme est connu ce qui arriva aux deux du

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paradis terrestre qui mangèrent le fruit défendu, à l'instigation de l'Envieux qui voulait mettre des autres

malheureux en son Enfer, en plus des anges rebelles qui déjà y étaient, mais aussi par leur démangeaison

personnelle de parfait orgueil. L'unique fruit de ce que vous faites, qu'il vous est permis de prendre, ce sont

les âmes que, par le miracle, vous conquerrez au Seigneur et qui doivent Lui être données. Voilà votre

argent, rien d'autre. Dans l'autre vie vous jouirez de ce trésor.

Allez sans richesses. Ne portez sur vous ni or, ni argent, ni pièces ni monnaie dans vos ceintures, pas de sacs

de voyage avec deux ou plusieurs vêtements, ni sandales de rechange, ni bâton de voyage, ni armes. Car,

pour le moment, vos visites apostoliques seront courtes, et à chaque veille de sabbat nous nous retrouverons

et vous pourrez changer vos vêtements humides de sueur sans avoir à emporter de vêtements de rechange.

Pas besoin de bâton car le chemin est plus doux et ce qui sert sur les collines et les plaines est bien différent

de ce qui sert dans les déserts et sur les hautes montagnes. Pas besoin d'armes. Elles sont bonnes pour les

hommes qui ne connaissent pas la sainte pauvreté et qui ignorent le divin pardon. Mais vous n'avez pas de

trésors à garder et à défendre des voleurs. Le seul à craindre, l'unique larron pour vous, c'est Satan. Et lui se

vainc par la constance et la prière, pas avec les épées et les poignards. Si l'on vous offense, pardonnez. Si on

vous dépouille de votre manteau, donnez aussi votre vêtement. Restez même tout à fait nus par douceur et

détachement des richesses, vous ne scandaliserez pas les anges du Seigneur, ni non plus l'infinie chasteté de

Dieu, car votre charité vêtirait d'or votre corps nu, la douceur ferait office de ceinture et le pardon à l'égard

du voleur vous donnerait un manteau et aussi une couronne royale. Vous seriez donc mieux vêtus qu'un roi.

Et non pas d'étoffes corruptibles, mais de matière incorruptible.

N'ayez pas de préoccupations pour votre nourriture. Vous aurez toujours ce qui convient à votre condition et

à votre ministère car l'ouvrier mérite la nourriture qu'on lui apporte. Toujours. Si les hommes n'y

pourvoyaient pas, Dieu pourvoirait aux besoins de son ouvrier. Je vous ai déjà montré que, pour vivre et

pour prêcher, il n'est pas nécessaire d'avoir le ventre plein de la nourriture que l'on a ingurgitée. C'est la

destinée des animaux immondes dont là mission est celle de s'engraisser pour qu'on les tue et qu'ils

engraissent les hommes. Mais vous, vous ne devez engraisser votre esprit et celui des autres que de

nourritures qui apportent la sagesse. Et la Sagesse se dévoile à un esprit que n'obscurcit pas l'excès de

nourriture et à un cœur qui se nourrit de choses surnaturelles. Vous n'avez jamais été aussi éloquents

260


qu'après votre retraite sur la montagne. Et vous ne mangiez alors que l'indispensable pour ne pas mourir. Et

pourtant, à la fin de la retraite, vous étiez forts et joyeux comme jamais. N'est-ce pas vrai, peut-être ?

Dans toute ville ou localité où vous entrerez, informez-vous qu'il y ait qui mérite de vous accueillir. Non

parce que vous êtes Simon ou Judas ou Barthélemy ou Jacques ou Jean et ainsi de suite, mais parce que vous

êtes les envoyés du Seigneur. Quand bien même vous seriez des rebuts, des assassins, des voleurs, des

publicains, maintenant repentis et à mon service, vous méritez le respect parce que vous êtes mes envoyés. Je

dis plus encore. Je dis : malheur à vous si vous vous présentez comme mes envoyés et si vous êtes

intérieurement abjects et insatanisés. Malheur à vous ! L'enfer c'est encore peu pour récompenser votre

duperie. Mais même si vous étiez ouvertement des envoyés de Dieu et secrètement des rebuts, des

publicains, des voleurs, des assassins, ou même si les cœurs avaient des soupçons à votre égard, presque une

certitude, on doit encore vous donner honneur et respect parce que vous êtes mes envoyés. L’œil, de

l'homme doit dépasser l'intermédiaire, et voir l'envoyé et le but, voir Dieu et son œuvre au-delà de

l'intermédiaire trop souvent défectueux. Ce n'est que dans les cas de fautes graves qui blessent la foi des

cœurs, que Moi présentement, puis mes successeurs, devront décider de couper le membre corrompu. En

effet il n'est pas permis qu'à cause d'un prêtre qui est un démon, les âmes des fidèles se perdent. Il ne sera

jamais permis, pour cacher les plaies qui naîtraient dans le corps apostolique, de permettre qu 'y restent des

corps gangrenés qui éloignent les fidèles par leur aspect répugnant et les empoisonnent par leur puanteur

démoniaque.

Vous prendrez donc des renseignements sur la famille dont la vie est la plus correcte, là où les femmes

savent rester à part, et où les mœurs sont intègres. Vous entrerez là et y demeurerez jusqu'à votre départ de la

localité. N'imitez pas les faux-bourdons qui, après avoir sucé une fleur, passent à une autre plus nourrissante.

Vous, que vous soyez pris en charge par des gens qui vous offrent bon gîte et bonne table, ou par une famille

qui n'est riche que de vertus, restez où vous êtes. Ne cherchez jamais ce qui est le mieux pour le corps qui

périt, mais au contraire donnez-lui toujours ce qu'il y a de pire, en réservant tous les droits à l'esprit. Et, je

vous le dis parce qu'il est bien que vous le fassiez, donnez, dès que vous pouvez le faire, la préférence aux

pauvres pour votre séjour. Pour ne pas les humilier, en souvenir de Moi qui suis et reste pauvre, et qui me

fais gloire d'être pauvre, et aussi parce que les pauvres sont souvent meilleurs que les riches. Vous trouverez

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toujours des pauvres qui sont justes alors que vous aurez rarement l'occasion de trouver un riche sans

injustice. Vous n'avez donc pas l'excuse de dire : "Je n'ai trouvé de bonté que chez les riches" pour justifier

votre désir de bien-être.

En entrant dans une maison, saluez avec mon salut qui est le plus doux qui soit. Dites : "La paix soit avec

vous, la paix soit dans cette demeure" ou bien : "Que la paix vienne dans cette maison." En effet, vous,

envoyés de Jésus et de la Bonne Nouvelle, vous portez avec vous la paix, et votre venue daris un endroit est

pour y apporter la paix. Si la maison en est digne, la paix viendra et demeurera en elle ; si elle n'en est pas

digne, la paix reviendra vers vous. Cependant, efforcez-vous d'être pacifiques pour que vous ayez Dieu pour

Père. Un père aide toujours. Et vous, aidés par Dieu, ferez et ferez bien toutes choses.

Il peut arriver aussi, et même certainement il arrivera, qu'il y aura une ville ou une maison qui ne vous

recevra pas, où les gens ne voudront pas écouter vos paroles, vous chasseront, vous tourneront en dérision ou

même vous poursuivront à coups de pierres comme des prophètes ennuyeux. Et alors vous aurez plus que

jamais besoin d'être pacifiques, humbles, doux, dans votre manière de vivre. Autrement, en effet, la colère

prendra le dessus et vous pécherez en scandalisant ceux que vous devez convertir et en augmentant leur

incrédulité. Alors que si vous acceptez avec paix l'offense de vous voir chassés, ridiculisés, poursuivis, vous

convertirez par la plus belle prédication : la prédication silencieuse de la vraie vertu. Vous retrouverez un

jour les ennemis d'aujourd'hui sur votre chemin, et ils vous diront : "Nous vous avons cherchés, parce que

votre manière d'agir nous a persuadés de la Vérité que vous annoncez. Veuillez nous pardonner et nous

accueillir comme disciples. Car nous ne vous connaissions pas, mais maintenant nous vous connaissons pour

saints et, si vous êtes saints, vous devez être les envoyés d'un saint, et nous croyons maintenant en Lui."

Mais en sortant de la ville ou de la maison où vous n'avez pas été accueillis, secouez jusqu'à la poussière de

vos sandales pour que l'orgueil et la dureté de ce lieu ne s'attache même pas à vos semelles. En vérité je vous

dis : "Au jour du Jugement, Sodome et Gomorrhe seront traitées moins durement que cette ville."

Voici que je vous envoie comme des brebis parmi les loups. Soyez donc prudents comme les serpents et

simples comme les colombes. Car vous savez comment le monde, qui en vérité compte plus de loups que de

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brebis, agit même avec Moi qui suis le Christ. Moi, je puis me défendre par ma puissance, et je le ferai

jusqu'à ce que ce soit l'heure du triomphe temporaire du monde. Mais vous, vous n'avez pas cette puissance,

et vous avez besoin d'une plus grande prudence et de simplicité. Donc plus de sagacité pour éviter

présentement les prisons et les flagellations. En vérité vous, pour le moment, malgré vos protestations que

vous voudriez donner votre sang pour Moi, vous ne supportez même pas un regard ironique ou coléreux.

Puis viendra le temps où vous serez forts comme des héros contre toutes les persécutions, plus forts que des

héros, d'un héroïsme inconcevable pour le monde, inexplicable, et qu'on qualifiera de ''folie". Non, ce ne sera

pas de la folie ! Ce sera l'identification de l'homme avec l'Homme-Dieu, par la force de l'amour, et vous

saurez faire ce que j'aurai déjà fait. Pour comprendre cet héroïsme, il faudra le voir, l'étudier et le juger d'un

point de vue ultra-terrestre. Car c'est une chose surnaturelle qui dépasse toutes les limites de la nature

humaine. Mes héros seront des rois, des rois de l'esprit, éternellement rois et héros…

En ce temps-là, ils vous arrêteront en mettant la main sur vous, ils vous traîneront devant les tribunaux,

devant les chefs et les rois pour qu'ils vous jugent et vous condamnent pour ce qui est un grand péché, aux

yeux du monde, d'être les serviteurs de Dieu, les ministres et les tuteurs du Bien, les maîtres des vertus. Et à

cause de cela vous serez flagellés et punis de mille façons jusqu'à subir la mort. Et vous rendrez témoignage

de Moi devant les rois, les présidents de tribunaux, les nations, confessant par votre sang que vous aimez le

Christ, le Vrai Fils du Vrai Dieu. Quand vous serez dans leurs mains, ne vous mettez pas en peine de ce que

vous devez répondre et de ce que vous aurez à dire. N'ayez alors aucune peine sauf l'affliction à l'égard des

juges et des accusateurs que Satan dévoie au point de les rendre aveugles pour la Vérité. Les paroles à dire

vous seront données à ce moment-là. Votre Père vous les mettra sur les lèvres, parce que, alors, ce ne sera

pas vous qui parlerez pour convertir à la Foi et professer la Vérité, mais ce sera l'Esprit de votre Père qui

parlera en vous.

Alors le frère donnera la mort à son frère, le père à son fils, les fils se dresseront contre leurs parents et les

feront mourir. Non, ne vous évanouissez pas et ne vous scandalisez pas ! Répondez-moi. Pour vous, quel est

le plus grand crime : de tuer un père, un, frère, un enfant ou Dieu Lui-même ?"

263


"Dieu, on ne peut le tuer" dit sèchement Judas Iscariote.

"C'est vrai. C'est un Esprit qu'on ne peut saisir" confirme Barthélemy. Et les autres, tout en se taisant, sont du

même avis.

"Moi, je suis Dieu et Chair" dit calmement Jésus.

"Personne ne pense à te tuer" réplique l'Iscariote.

"Je vous en prie: répondez à ma question."

"Mais il est plus grave de tuer Dieu ! Cela s'entend !"

"Eh bien : Dieu sera tué par l'homme, dans sa Chair d'Homme-Dieu et dans l'âme de ceux qui tueront

l'Homme-Dieu. Donc, comme on arrivera à ce crime sans que son auteur en éprouve de l'horreur, on en

arrivera pareillement au crime des pères, des frères, des fils, contre les fils, les frères, les pères. Vous serez

haïs de tous, à cause de mon Nom, mais celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé. Et quand ils vous

persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre, non par lâcheté, mais pour donner le temps à l'Église du

Christ qui vient de naître, d'arriver à l'âge, non plus d'un bébé faible et incapable, mais à l'âge de la majorité

où elle sera capable d'affronter la vie et la mort sans craindre la Mort. A ceux auxquels l'Esprit conseillera de

fuir, qu'ils fuient. Comme j'ai fui quand j'étais tout petit. En vérité, dans la vie de mon Église se répéteront

toutes les vicissitudes de ma vie d'homme. Toutes. Depuis le mystère de sa formation à l'humilité des

premiers temps, jusqu'aux troubles et aux embûches qu'amènera la férocité des hommes, jusqu'à la nécessité

de fuir pour continuer à exister, depuis la pauvreté, et le travail assidu, jusqu'à beaucoup d'autres choses que

je vis actuellement, que je souffrirai par la suite, avant d'arriver au triomphe éternel. Pour ceux, au contraire,

auxquels l'Esprit conseille de rester, qu'ils restent, car s'ils tombent morts, ils vivront et seront utiles à

l'Église. Car c'est toujours bien ce que l'Esprit de Dieu conseille.

En vérité je vous dis que vous ne finirez pas, vous et vos successeurs, de parcourir les rues et les villes

d'Israël avant que vienne le Fils de l'Homme. Car Israël, à cause de son redoutable péché, sera dispersé

comme la balle saisie par un tourbillon, et répandu sur toute la terre. Et des siècles et des millénaires, l'un

après l'autre et davantage se succéderont avant qu'il soit de nouveau rassemblé sur l'aire d'Arauna le

Jébuséen. Toutes les fois qu'il essaiera, avant l'heure marquée, il sera de nouveau pris par le tourbillon et

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dispersé, parce qu'Israël devra pleurer son péché pendant autant de siècles qu'il y a de gouttes qui pleuvront

des veines de l'Agneau de Dieu immolé pour les péchés du monde. Et mon Église devra aussi elle, qui aura

été frappée par Israël en Moi et en mes apôtres et disciples, ouvrir ses bras de mère et chercher à rassembler

Israël sous son manteau comme une poule le fait avec ses poussins qui se sont écartés. Quand Israël sera tout

entier sous le manteau de l'Église du Christ, alors je viendrai.

Mais cela c'est l'avenir. Parlons des temps qui ne vont pas tarder de venir.

Rappelez-vous que le disciple n'est pas plus que le Maître, et le serviteur plus que le Maître qui commande.

Il suffit pas conséquent au disciple d'être comme le Maître et c'est déjà un honneur immérité, et le serviteur

comme celui qui le commande et c'est déjà de la bonté surnaturelle de vous accorder qu'il en soit ainsi.

S'ils ont appelé Belzébuth le Maître de maison, comment appelleront-ils ses serviteurs ? Et les serviteurs

pourront-ils se révolter si le Maître ne se révolte pas, ne hait, ni ne maudit, mais calme dans sa justice

continue ses œuvres, en remettant le jugement à un autre moment quand... après avoir tout essayé pour les

persuader, il aura constaté en eux l'obstination dans le Mal ? Non. Les serviteurs ne pourront pas faire ce que

leur Maître ne fait pas, mais plutôt l'imiter en pensant qu'eux sont aussi des pécheurs, alors que Lui était sans

péché.

Ne craignez donc pas ceux qui vous appelleront : "démons", Il arrivera un jour où la vérité sera connue et on

verra alors qui était le "démon". Vous ou eux. Il n'y a rien de caché qui ne doive être révélé, ni rien de secret

qui ne doive être connu.

Ce que je vous dis maintenant dans l'obscurité et en secret, car le monde n'est pas digne de connaître toutes

les paroles du Verbe, n'en est pas encore digne et ce n'est pas l'heure de le dire aussi aux indignes, vous,

quand ce sera l'heure que tout doive être connu, dites-le en plein jour, criez du haut des toits ce que

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maintenant je vous dis tout bas m'adressant davantage à votre âme qu'à votre oreille. Car alors le monde aura

été baptisé par le Sang et Satan aura contre lui un étendard grâce auquel le monde pourra, s'il le veut,

comprendre les secrets de Dieu, alors que Satan ne pourra nuire qu'à ceux qui désirent la morsure de Satan et

la préfèrent à mon baiser. Mais huit parties du monde sur dix ne voudront pas comprendre. Seule la minorité

voudra savoir tout pour suivre tout ce qu'est ma Doctrine. Peu importe. Comme on ne peut séparer ces deux

parties saintes de la masse injuste, prêchez aussi du haut des toits ma Doctrine, prêchez-la du haut des

montagnes, sur les mers sans bornes, dans les entrailles de la terre. Quand bien même les hommes ne

l'écouteraient pas, les divines paroles seront recueillies par les oiseaux et les vents, les poissons et les flots, et

les entrailles de la terre en garderont l'écho pour le dire aux sources, aux minéraux, aux métaux, et tous en

jouiront car eux aussi ont été créés par Dieu pour servir d'escabeau à mes pieds et être une joie pour mon

cœur. " Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l'âme, mais craignez seulement celui

qui peut envoyer votre âme à la perdition et, au Jugement Dernier, la réunir au corps ressuscité pour les jeter

dans les feux de l'Enfer. Ne craignez pas. Est-ce que peut-être on ne vend pas deux passereaux pour un sou ?

Et pourtant, sans la permission du Père, pas un d'eux ne tombera malgré tous les pièges de l'homme. Ne

craignez donc pas. Vous êtes connus de mon Père. Il connaît le nombre de cheveux que vous avez sur la tête.

Vous avez plus de valeur qu'un grand nombre de passereaux !

Et je vous dis que celui qui me reconnaîtra devant les hommes, je le reconnaîtrai, Moi, devant mon Père qui

est aux Cieux, Mais celui qui me reniera devant les hommes, Moi aussi, je le renierai devant mon Père.

Reconnaître, ici, veut dire suivre et mettre en pratique ; renier veut dire abandonner mon chemin par lâcheté,

par la triple concupiscence, ou par un calcul mesquin, par affection humaine envers un des vôtres qui m'est

opposé. Parce que cela se produira.

Ne pensez pas que je sois venu établir la concorde sur la terre et à travers la terre. Ma Paix est plus élevée

que les paix faites par calcul pour se tirer d'affaire jour après jour. Je ne suis pas venu apporter la paix mais

le glaive. Le glaive tranchant pour couper les lianes qui retiennent dans la boue et ouvrir les chemins aux

vols du surnaturel. Je suis donc venu séparer le fils du père, la fille de la mère, la bru de la belle-mère. Car je

suis celui qui règne et qui a tous les droits sur ses sujets. Car personne n'est plus grand que Moi quand il

s'agit des droits sur les affections. Car c'est en Moi que tous les amours se centralisent et se subliment : Moi

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je suis Père, Mère, Époux, Frère, Ami et je vous aime comme tel, et comme tel je dois être aimé. Et quand je

dis : "Je veux", il n'y a pas de lien qui puisse résister et la créature est mienne. C'est Moi qui l'ai créée avec le

Père, c'est par Moi-même que je la sauve et Moi j'ai le droit de la posséder.

En vérité, les ennemis de l'homme ce sont les hommes, en plus des démons; et les ennemis de l'homme, du

chrétien, ce seront ceux de sa famille par leurs lamentations, leurs menaces ou leurs supplications. Qui donc

désormais aimera son père et sa mère plus que Moi, n'est pas digne de Moi, qui aime son fils ou sa fille plus

que Moi, n'est pas digne de Moi. Celui qui ne prend pas sa croix quotidienne, complexe, faite de résignation,

de renoncement, d'obéissance, d'héroïsme, de douleurs, de maladies, de luttes, de tout ce que manifeste la

volonté de Dieu ou une épreuve qui vient de l'homme, et ne me suit pas avec elle, n'est pas digne de Moi.

Celui qui tient compte de la vie de la terre plus que de la vie spirituelle, perdra la vraie Vie. Celui qui aura

perdu la vie de la terre par amour pour Moi la retrouvera, éternelle et bienheureuse.

Celui qui vous reçoit, Me reçoit. Celui qui me reçoit, reçoit Celui qui m'a envoyé. Celui qui reçoit un

prophète en tant que prophète, recevra une récompense proportionnée à la charité qu'il donne au prophète.

Celui qui reçoit un juste en tant que juste, recevra une récompense proportionnée à la charité qu'il donne au

juste. Et cela parce que celui qui, dans un prophète reconnaît un prophète, c'est signe qu'il est prophète lui

aussi, c'est-à-dire très saint, parce que l'Esprit de Dieu le tient dans ses bras ; et celui qui aura reconnu un

juste comme juste, prouve que lui-même est juste, car les âmes qui se ressemblent se reconnaissent. À

chacun donc il sera donné selon sa justice.

Mais à qui aura donné même un seul calice d'eau pure à un de mes serviteurs, fût-il même le plus petit - et

sont des serviteurs de Jésus tous ceux qui le prêchent par une vie sainte, et peuvent l'être les rois comme les

mendiants, les sages comme ceux qui ne savent rien, les vieillards comme les tout petits, car à tous les âges

et dans toutes les classes on peut être mes disciples - qui donc aura donné à un de mes disciples ne serait ce

qu'un calice d'eau en mon nom et parce que c'est mon disciple, en vérité je vous dis qu'il ne perdra pas sa

récompense.

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J'ai parlé. Maintenant prions et allons à la maison. Vous partirez à l'aube et ainsi : Simon de Jonas avec Jean,

Simon le Zélote avec Judas Iscariote, André avec Mathieu, Jacques d'Alphée avec Thomas, Philippe avec

Jacques de Zébédée, Jude, mon frère, avec Barthélemy. Ainsi pour cette semaine. Puis je vous donnerai un

nouvel ordre. Prions."

Et ils prient à haute voix...

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Discours apostolique Matthieu 10, 1-42

10 1 Alors, appelant à lui ses douze disciples

Il leur donna pouvoir sur les esprits impurs

Pour les chasser, pour soigner toute maladie,

Toute langueur.

2 Voici les noms des douze apôtres :

D’abord Simon appelé Pierre, avec son frère

André ; Jacques, fils de Zébédée, et son frère Jean ;

3 Philippe et Barthélemy ; Thomas et Matthieu

Le percepteur ; Jacques, (le) fils d’Alphée et Thaddée,

4 Simon le Cananéen ainsi que Judas l’Iscariote,

Et c’est celui-là même qui allait le livrer.

5 Or ces douze, Jésus les envoya en mission

Avec les prescriptions suivantes :

“ Ne prenez pas

La voie des nations, n’entrez pas dans une ville

De Samaritains ; 6 Mais allez vers les brebis

Perdues de la maison d’Israël. 7 Proclamez

Où vous passez que le royaume des cieux vient.

8 Soignez les malades et ressuscitez les morts,

Purifiez les lépreux et chassez les démons.

Vous avez reçu gratuitement, donnez donc

Gratuitement. 9 Et ne vous procurez ni or

Ni argent, ni monnaie, pour vos ceintures. 10 (De même)

Pas de besace pour le chemin, ni deux tuniques,

Ni chaussures, ni bâton ; car l’ouvrier a droit

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À sa nourriture. 11 En quelque ville ou village

Que vous entriez, cherchez-y quelqu’un de digne

Et demeurez là jusqu’à ce que vous partiez.

Et en entrant dans la maison, saluez-la.

Si la maison en est digne, que votre paix vienne

Sur elle ; si elle n’en est pas digne, que votre paix

Retourne vers vous.

14 Si on ne vous accueille pas,

Si on n’écoute pas vos paroles, en sortant

Hors de cette maison ou bien de cette ville

Secouez la poussière de vos pieds.

15 Oui, le jour

Du jugement, en vérité je vous le dis,

Pour le pays de Sodome, de Gomorrhe, se

Plus supportable que pour cette ville.

16 “ Et voilà

Je vous envoie comme des brebis au milieu

De loups. Soyez donc sensés comme les serpents

Et purs comme les colombes.

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Les missionnaires seront persécutés

17 “ Ainsi méfiez-vous

Des hommes : car ils vous livreront aux sanhédrins,

Ils vous fouetteront dans leurs synagogues. 18 Devant

Des gouverneurs, des rois, vous serez amenés

À cause de moi, en témoignage devant eux

Et les nations.

19 Mais lorsque l’on vous livrera

Ne vous inquiétez pas de ce que vous direz

Ni comment, car ce que vous direz vous sera

Donné en cette heure-là ; 20 puisque ce n’est pas vous

Qui parlerez, mais c’est l’Esprit de votre Père

Qui parlera en vous.

21 Et le frère livrera

Son frère à la mort, le père son enfant ; (alors)

Les enfants se dresseront contre les parents

Et les mettront à mort.

22 Vous serez détestés

De tous à cause de moi. Celui qui tiendra

Jusqu’à la fin sera sauvé.

23 Dans telle ville,

Quand ils vous poursuivront, fuyez donc dans une autre.

Je vous le dis, en vérité, vous n’aurez pas

Fini avec les filles d’Israël que le Fils

De l’homme viendra.

271


24 “ Ainsi le disciple n’est pas

Au-dessus de son maître, ni l’esclave au-dessus

De son seigneur. 25 Il suffit au disciple d’être

Comme son maître, à l’esclave comme son seigneur.

Mais qu’ils ont traité de Béelzéboul le maître

De la maison, que ne diront-ils pas des gens

De sa maison !

Parler ouvertement et sans crainte

26 Ne les craignez pas ; il n’y a

Rien de voilà qui ne doive être dévoilé

Et rien de secret qui ne doive être connu.

Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le

En pleine lumière, et ce que vous entendez

À l’oreille, proclamez-le donc sur les terrasses.

27 Ne craignez pas ceux qui tuent le corps

Sans pouvoir tuer la vie. 28 Mais craignez plutôt

Celui qui ne peut perdre et le corps et la vie

Dans la Géhenne.

29 Et ne vendons pas pour un son

Deux moineaux ? Or pas un d’entre eux ne tombe à terre

À l’insu de votre père.

30 Même les cheveux

De votre tête, sont tous comptés. 31 Ne craignez pas :

Vous valez plus que beaucoup de moineaux.

272


32 “ Quiconque

M’avouera devant les hommes, je l’avouerai donc

Moi aussi devant mon Père qui est dans les cieux ;

33 Mais celui qui me renie devant les hommes, moi

Aussi je le renierai devant mon Père

Qui est dans les cieux.

Jésus cause de dissensions

34 “ Ne croyez pas que je sois

Venu mettre la paix sur terre ; je ne suis pas

Venu mettre la paix, mais le sabre. 35 Et je suis

Venu diviser l’homme d’avec son père, la fille

D’avec sa mère, la bru d’avec sa belle-mère.

Et l’homme aura aussi pour ennemis les gens

De sa maison.

Se renoncer pour suivre Jésus

37 Qui aime père ou mère plus que moi

N’est pas digne de moi, et qui aime fils ou fille

Plus que moi n’est pas digne de moi. 38 À ma suite,

Qui ne prend pas sa croix n’est pas digne de moi.

Qui trouve sa vie, la perdra ; qui perd sa vie

À cause de moi la trouvera.

273


Conclusion du discours apostolique

40 Qui vous accueille,

M’accueille, et qui m’accueille accueille celui qui m’a

Envoyé.

41 Qui accueille un prophète en tant que

Prophète recevra donc un salaire de prophète ;

Qui accueille un juste en tant que juste recevra

Un salaire de juste.

42 Quiconque donnera à boire

Une coupe d’eau fraîche, à l’un de ces petits,

Seulement, je vous le dis, il ne perdra pas

Son salaire, en vérité.

274


Es-tu le Messie ?

"Que vouliez-vous me demander ?" demande Jésus après les échanges de salutations avec les deux austères

personnages.

"Parle, Manaën, toi qui sais tout, et Lui es plus attaché" dit l'un des deux.

"Voici, Maître. Tu dois être indulgent si, par trop d'amour, les disciples arrivent à se méfier de Celui qu'ils

croient opposés à leur maître ou désireux de le supplanter. C'est ce que font les tiens et de même ceux de

Jean. C'est une jalousie compréhensible qui montre tout l'amour des disciples pour leurs maîtres. Quant à

moi, je suis impartial, et eux qui sont avec moi peuvent le dire, car je te connais et je connais Jean ; et je

vous aime avec justice, au point que t'aimant Toi, pour ce que tu es, j'ai préféré faire le sacrifice de rester

près de Jean parce que je le vénère, lui aussi, pour ce qu'il est, et actuellement parce qu'il est plus en danger

que Toi. Maintenant, à cause de cet amour qu'attisent par leur rancœur les pharisiens, eux sont arrivés à

douter que tu es le Messie. Et ils l'ont avoué à Jean, croyant lui faire plaisir en lui disant : "Pour nous, c'est

toi qui es le Messie. Il ne peut y avoir quelqu'un de plus saint que toi." Jean a commencé par leur faire des

reproches en les appelant blasphémateurs et puis, après les reproches, avec plus de douceur, il leur a expliqué

tout ce qui te désigne comme le vrai Messie. Enfin, voyant qu'ils n'étaient pas encore persuadés, il a pris

deux d'entre eux, ceux-ci, et leur a dit : "Allez le trouver et dites-lui en mon nom : 'Es-tu celui qui doit venir,

ou devons-nous en attendre un autre ?' " Il n'a pas envoyé les disciples autrefois bergers, car eux croient et il

n'aurait servi à rien de les envoyer. Mais il a choisi parmi ceux qui doutent pour qu'ils t'approchent et que

leurs paroles dissipent les doutes de ceux qui sont comme eux. Je les ai accompagnés pour pouvoir te voir.

J'ai parlé. Toi, maintenant, apaise leurs doutes."

"Mais ne nous crois pas hostiles, Maître ! Les paroles de Manaën pourraient te le faire penser. Nous... nous...

Nous connaissons depuis des années le Baptiste et nous l'avons toujours vu saint, pénitent, inspiré. Toi...

nous ne te connaissons que par les paroles d'autrui. Et tu sais ce qu'est la parole des hommes... Elle crée et

275


détruit renommée et louange par le contraste entre ceux qui exaltent et ceux qui dénigrent, comme un nuage

se forme et se dissipe par l'effet de deux vents contraires."

"Je sais, je sais. Je lis dans votre esprit, et vos yeux lisent la vérité dans ce qui vous entoure, de même que

vos oreilles ont entendu mon entretien avec la veuve. Cela suffirait pour vous persuader. Mais je vous dis :

observez ce qui m'entoure. Ici, il n'y a pas de riches ni de jouisseurs, il n'y a pas de personnes scandaleuses.

Mais des pauvres, des malades, des israélites honnêtes qui veulent connaître la Parole de Dieu. Et rien

d'autre. Celui-ci, celui-là, cette femme, et puis cette fillette, et ce vieillard sont venus ici malades et

maintenant ils sont en bonne santé. Interrogez-les et ils vous diront ce qu'ils avaient et comment je les ai

guéris, et comme ils sont maintenant. Faites, faites. Moi, pendant ce temps, je parle avec Manaën" et Jésus

va se retirer.

"Non, Maître. Nous ne doutons pas de tes paroles. Donne-nous seulement une réponse à apporter à Jean,

pour qu'il voie que nous sommes venus et pour qu'il puisse se baser sur elle pour persuader nos

compagnons."

"Allez rapporter ceci à Jean : "Les sourds entendent, cette fillette était sourde et muette. Les muets parlent, et

cet homme était muet de naissance. Les aveugles voient."

"Homme, viens ici. Dis-leur ce que tu avais dit." s’exprima Jésus en prenant un miraculé par le bras.

Celui-ci dit : "Je suis maçon, et il m'est tombé sur la figure un seau plein de chaux vive. Elle m'a brûlé les

yeux. Depuis quatre ans j'étais dans les ténèbres. Le Messie a humecté mes yeux desséchés avec sa salive et

ils sont redevenus plus frais que quand j'avais vingt ans. Qu'il en soit béni."

Jésus reprend : "Et avec les aveugles, les sourds, les muets guéris, se redressent les boiteux et courent les

estropiés. Voilà ce vieillard qui était tout à l'heure déformé et qui maintenant est droit comme un palmier du

désert et agile comme une gazelle. Se guérissent les maladies les plus graves. Toi, femme, qu'avais-tu ?"

276


"Un mal au sein pour avoir trop donné de lait à des bouches voraces et le mal, avec le sein, me rongeait la

vie. Maintenant, regardez." et elle entrouvre son vêtement, montrant son sein intact et elle ajoute : "Ce n'était

qu'une plaie et ma tunique encore couverte de pus le montre. Maintenant je m'en vais à la maison mettre un

vêtement propre. Je suis forte et heureuse. Alors que seulement hier j'étais mourante, amenée ici par des gens

charitables, et si malheureuse... à cause des enfants qui allaient être sans mère. Louange éternelle

au Sauveur !"

"Vous entendez ? Et vous pouvez interroger le chef de la synagogue de cette ville sur la résurrection de sa

fille et, en allant à Jéricho, passez par Naïm. Informez-vous au sujet du jeune homme ressuscité en présence

de toute la ville et au moment où on allait le mettre au tombeau. Vous pourrez ainsi rapporter que les morts

ressuscitent. Que beaucoup de lépreux sont guéris, vous pouvez le savoir dans de nombreuses localités

d'Israël, mais si vous voulez aller à Sicaminon, cherchez-en parmi les disciples et vous en trouverez

plusieurs. Dites donc à Jean que les lépreux sont purifiés. Et dites, puisque vous le voyez, que la Bonne

Nouvelle est annoncée aux pauvres. Et bienheureux celui qui ne sera pas scandalisé à mon sujet. Dites cela à

Jean. Et dites-lui que je le bénis avec tout mon amour."

"Merci, Maître. Bénis-nous aussi avant notre départ."

"Vous ne pouvez partir par cette chaleur. Soyez donc mes hôtes jusqu'au soir. Vous vivrez pendant un jour la

vie de ce Maître qui n'est pas Jean, mais que Jean aime parce qu'il sait qui il est. Venez à la maison. Il y fait

frais et je vous restaurerai. Adieu, mes auditeurs. La paix soit avec vous." et après avoir congédié les foules,

il rentre à la maison avec les trois hôtes...

...Je ne sais pas ce qu'ils disent pendant ces heures de chaleur étouffante. Ce que je vois maintenant, ce sont

les préparatifs du départ des deux disciples pour Jéricho. Il semble que Manaën reste car on n'a pas amené

son cheval avec les deux ânes robustes devant l'ouverture du mur de la cour. Les deux envoyés de Jean,

277


après plusieurs inclinations au Maître et à Manaën, montent en selle et se retournent encore pour regarder et

saluer jusqu'à ce qu'un détour de la route les dérobe à la vue.

Beaucoup de gens de Capharnaüm se sont rassemblés pour voir ce départ, car la nouvelle de la venue des

disciples de Jean et la réponse que leur a faite Jésus ont fait le tour du pays et je crois aussi des autres pays

voisins. Je vois des personnes de Bethsaïda et de Corozaïn, qui se sont présentées aux envoyés de Jean en

demandant de ses nouvelles et en lui envoyant leurs salutations - ce sont peut-être d'anciens disciples du

Baptiste - qui restent maintenant en groupe avec des gens de Capharnaüm pour commenter. Jésus, avec à son

côté Manaën, va rentrer dans la maison en parlant. Mais les gens se pressent autour de Lui, curieux

d'observer le frère de lait d'Hérode et ses manières pleines de respect pour Jésus et ils désirent parler avec le

Maître.

Il y a aussi Jaïre, le chef de synagogue mais, grâce à Dieu, il n'y a pas de pharisiens. C'est justement Jaïre qui

dit : "Jean sera content ! Non seulement tu lui as envoyé une réponse exhaustive mais aussi, en les retenant,

tu as pu les instruire et leur montrer un miracle."

"Et puis, quel miracle !" dit un homme. "J'avais amené exprès ma fillette aujourd'hui pour qu'ils la voient.

Elle n'a jamais été aussi bien et, pour elle, c'est une joie de venir trouver le Maître. Vous avez entendu, hein ?

sa réponse ? "Je ne me souviens pas de ce que c'est que la mort. Mais je me souviens qu'un ange m'a appelée

en me faisant passer à travers une lumière de plus en plus vive au bout de laquelle était Jésus. Et comme je

l'ai vu alors, avec mon esprit qui revenait en moi, je ne le vois plus maintenant. Vous et moi, en ce moment,

nous voyons l'Homme, mais mon esprit a vu le Dieu renfermé dans l'Homme." Et comme elle est devenue

bonne, depuis lors ! Elle l'était bonne, mais maintenant c'est vraiment un ange. Ah ! pour moi, que tous

disent ce qu'ils veulent, il n'y a de saint que Toi !"

"Mais Jean aussi est saint." dit quelqu'un de Bethsaida.

"Oui, mais il est trop sévère."

"Il ne l'est pas davantage pour les autres que pour lui-même."

278


"Mais il ne fait pas de miracles et l'on dit qu'il jeûne pour être comme un mage."

"Et pourtant il est saint" la discussion s'étend dans la foule. Jésus lève la main et l'étend avec le geste

habituel qu'il a quand il réclame le silence et l'attention parce qu'il veut parler. Le silence se fait tout de suite.

Jésus dit : "Jean est saint et grand. Ne regardez pas ses manières de faire ni l'absence de miracles. En vérité

je vous le dis : "C'est un grand du Royaume de Dieu." C'est là qu'il apparaîtra dans toute sa grandeur.

Plusieurs se lamentent de ce qu'il était et est sévère jusqu'à paraître dur. En vérité je vous dis que lui a fait un

travail de géant pour préparer les voies du Seigneur, et celui qui travaille ainsi n'a pas de temps à perdre en

mollesses. Ne disait-il pas lui, quand il était le long du Jourdain, les paroles où Isaïe l'annonce, lui et le

Messie : "Toute vallée sera comblée, toute montagne sera abaissée, les voies tortueuses seront redressées et

les voies raboteuses aplanies." et cela pour préparer les voies au Sauveur et Roi ? Mais, en vérité, il a fait,

lui, plus que tout Israël pour me préparer la route ! Et qui doit abattre les montagnes et combler les vallées,

redresser les chemins et rendre douces les montées pénibles, ne peut que travailler avec rudesse. C'est qu'il

était le Précurseur et il ne me devançait que de quelques lunes et il fallait que tout soit fait avant que le Soleil

soit haut sur le jour de la Rédemption. Ce jour est arrivé, le Soleil monte pour resplendir sur Sion et de là sur

tout le monde. Jean a préparé la route, comme il le devait. Qu'êtes-vous allés voir dans le désert ? Un roseau

que le vent courbe dans toutes les directions ? Mais qu'êtes-vous allés voir ? Un homme vêtu souplement ?

Mais ces gens habitent les maisons des rois, enveloppés de vêtements souples et servis avec respect par mille

serviteurs et courtisans, courtisans eux aussi d'un pauvre homme. Ici, il y en a un. Demandez-lui s'il n'a pas

de dégoût pour la vie de cour et de l'admiration pour le rocher solitaire et rugueux sur lequel en vain se ruent

la foudre et la grêle et sur lequel luttent les vents imbéciles pour l'arracher alors qu'il reste solide avec l'élan

de toutes ses parties vers le ciel, avec sa pointe qui d'en haut prêche la joie tant elle est élancée, pointue

comme une flamme qui s'élève.

Voilà ce qu'est Jean. C'est ainsi que le voit Manaën car il a compris la vérité de la vie et de la mort, et il voit

la grandeur là où elle se trouve, même si elle se cache sous des apparences sauvages.

279


Et vous, qu'avez-vous vu en Jean quand vous êtes allés le voir ? Un prophète ? Un saint ? Je vous le dis : il est

plus qu'un prophète. Il est plus que beaucoup de saints, plus que des saints car c'est lui dont il est écrit : "Voici

que J'envoie devant vous mon ange pour préparer ton chemin devant Toi."

Réfléchissez. Vous savez que les anges sont de purs esprits créés par Dieu à sa ressemblance spirituelle,

servant de lien entre l'homme : perfection de la création visible et matérielle, et Dieu : perfection du Ciel et

de la Terre, Créateur du Royaume spirituel et du règne animal. Dans l'homme, même le plus saint, il y a

toujours la chair et le sang pour mettre un abîme entre lui et Dieu. Et l'abîme s'approfondit par suite du péché

qui alourdit même ce qu'il y a de spirituel dans l'homme. Voici alors que Dieu crée les anges, créatures qui

atteignent le sommet de l'échelle de la création comme les minéraux en marquent la base, les minéraux, la

poussière qui forme la terre, les matières inorganiques en général. Purs miroirs de la Pensée de Dieu,

flammes qui s'appliquent à agir par amour, prêts pour comprendre, empressés d'agir, libres dans leur volonté

comme nous, mais d'une volonté toute sainte qui ignore les révoltes et l'entraînement du péché. Voilà ce que

sont les anges adorateurs de Dieu, ses messagers auprès des hommes, nos protecteurs, qui nous donnent la

Lumière qui les enveloppe et le Feu qu'ils recueillent de leur adoration.

Jean est appelé : "ange" par la parole prophétique. Eh bien, je vous le dis : "Parmi ceux qui sont nés de la

femme, il ne s'en est jamais levé un plus grand que Jean Baptiste." Et pourtant le plus petit du Royaume des

Cieux sera plus grand que lui-homme. Car quelqu'un du Royaume des Cieux est fils de Dieu et non fils de la

femme. Tendez donc tous à devenir citoyens du Royaume.

Que vous demandiez-vous l'un à l'autre ?"

"Nous disions : "Mais est-ce que Jean sera dans le Royaume ? Et comment y sera-t-il ?""

"Lui, en son esprit est déjà du Royaume et il y sera après la mort comme un des soleils les plus brillants de

l'éternelle Jérusalem. Et cela à cause de la Grâce qui, en lui, est sans défaut et à cause de sa propre volonté.

Car il a été et il est violent même avec lui-même, pour une fin sainte...À partir du Baptiste le Royaume des

Cieux appartient à ceux qui savent le conquérir par la force opposée au Mal et ce sont les violents qui le

280


conquièrent. Car maintenant, on connaît ce qu'il faut faire et tout est donné pour cette conquête. Ce n'est plus

le temps où ne parlaient que la Loi et les Prophètes. Eux ont parlé jusqu'à Jean. Maintenant c'est la Parole de

Dieu qui parle et elle ne cache pas un iota de ce qu'il faut savoir pour cette conquête. Si vous croyez en Moi,

vous devez donc voir Jean comme l'Élie qui doit venir. Qu'entende qui a des oreilles pour entendre.

Mais, à qui comparerai-je cette génération ? Elle est semblable à celle que décrivent ces garçons qui, assis

sur la place, crient à leurs compagnons : "Nous avons joué et vous n'avez pas dansé ; nous avons entonné des

lamentations et vous n'avez pas pleuré." De fait, est venu Jean qui ne mange ni ne boit, et cette génération

dit : "Il peut agir ainsi, car il a le démon qui l'aide." Le Fils de l'homme est venu, qui mange et boit, et ils

disent : "C'est un gros mangeur et un buveur, ami de publicains et de pécheurs." Ainsi la Sagesse voit ses fils

lui rendre justice ! En vérité je vous le dis que seuls les tout petits savent reconnaître la vérité parce qu'il n'y

a pas de malice en eux."

"Tu as bien parlé, Maître." dit le chef de la synagogue. "Voilà pourquoi ma fille, encore sans malice, te voit

tel que nous n'arrivons pas à te voir. Et pourtant cette ville et celles voisines voient déborder sur elles ta

puissance, ta sagesse et ta bonté et, je dois le reconnaître, elles ne progressent qu'en méchanceté à ton égard.

Elles ne se repentent pas et le bien que tu leur donnes produit une fermentation de haine envers Toi."

"Comment parles-tu, Jaïre ? Tu nous calomnies ! Nous sommes ici parce que fidèles au Christ" dit quelqu'un

de Bethsaïda.

"Oui. Nous. Mais combien sommes-nous ? Moins de cent sur trois villes qui devraient être aux pieds de

Jésus. Parmi ceux qui manquent, et je parle des hommes, la moitié est hostile, un quart indifférent, l'autre je

veux penser qu'il ne peut pas venir. N'est-ce pas une faute aux yeux de Dieu ? Et est-ce qu'Il ne punira pas

toute cette rancœur et cet entêtement dans le mal ? Parle Toi, Maître, qui sais et qui, si tu te tais, c'est à cause

de ta bonté mais pas parce que tu ignores. Tu es généreux et on prend cela pour de l'ignorance et de la

faiblesse. Parle donc, et que ta parole puisse secouer au moins les indifférents, puisque les méchants ne se

convertissent pas mais deviennent toujours plus méchants."

281


"Oui, c'est une faute et elle sera punie. Car le don de Dieu ne doit jamais être méprisé ni servir à faire du

mal. Malheur à toi, Corozaïn, malheur à toi Bethsaïda, vous qui faites un mauvais usage des dons de Dieu !

Si à Tyr et à Sidon il y avait eu les miracles produits parmi vous déjà depuis longtemps, vêtus de cilice et

couverts de cendre, ses habitants auraient fait pénitence et seraient venus à Moi. Aussi je vous dis que pour

Tyr et Sidon on usera d'une plus grande clémence que pour vous le jour du Jugement. Et toi, Capharnaüm, tu

crois que seulement pour m'avoir donné l'hospitalité tu seras exaltée jusqu'au Ciel ? Tu descendras jusqu'à

l'enfer. Car si à Sodome avaient été faits les miracles que je t'ai donnés, elle serait encore florissante, parce

qu'elle aurait cru en Moi et se serait convertie, Aussi il y aura plus de clémence pour Sodome au jour du

Jugement dernier, parce qu'elle n'a pas connu le Sauveur et sa Parole et par conséquent sa faute est moins

grande, que pour toi qui as connu le Messie et entendu sa parole et ne t'es pas convertie. Cependant, puisque

Dieu est juste, pour ceux de Capharnaüm, de Bethsaïda et de Corozaïn qui ont cru et se sanctifient en

obéissant à ma parole, on usera d'une grande miséricorde. Car il n'est pas juste que les justes soient englobés

dans la ruine des pécheurs. Pour ce qui concerne ta fille, Jaïre, et la tienne, Simon, et ton enfant, Zacharie, et

tes petits-enfants, Benjamin, je vous dis qu'eux qui sont sans malice voient déjà Dieu. Et vous voyez comme

leur foi est pure et travaille en eux, unie à la sagesse céleste et au désir de charité que les adultes ne

possèdent pas."

Et Jésus, levant les yeux vers le ciel qui s'assombrit vers le soir, s'écrie : "Je te remercie, ô Père, Seigneur du

Ciel et de la Terre, d'avoir caché ces choses aux sages et aux savants et de les avoir révélées aux petits. C'est

ainsi, Père, parce que c'est ainsi qu'il t'a plu de le faire. Tout m'a été remis par mon Père, et personne ne le

connaît en dehors du Fils et de ceux auxquels le Fils aura voulu le révéler. Et Moi, je l'ai révélé aux petits,

aux humbles, aux purs, car Dieu se communique à eux, et la vérité descend comme une semence sur les

terres libres, et sur elle le Père fait pleuvoir ses lumières pour qu'elle s'enracine et produise une plante. En

vérité le Père prépare ces esprits de ceux qui sont petits par l'âge ou par leur volonté pour qu'ils connaissent

la vérité et que j'aie la joie de leur foi."

282


Question de Jean-Baptiste et témoignage que lui rend Jésus

18 Alors les disciples de Jean lui annoncèrent

Tout cela, et appelant deux de ses disciples

19 Il les envoya pour dire au Seigneur : "Es-tu

Celui qui doit venir, devons-nous en attendre

Un autre ? 20 Arrivés près de lui, ces hommes dirent :

"Jean le Baptiste nous a envoyés pour te dire :

Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous

Un attendre un autre ?"

21 À cette heure-là, il guérit

Beaucoup de gens de maladies et de fléaux

D’esprits mauvais, à beaucoup d’aveugles, il rendit

La vue. 22 Répondant, il dit : "Allez annoncer

À Jean ce que vous avez pu voir et entendre

Les aveugles recouvrent la vue, les boiteux marchent

Les lépreux sont purifiés et les sourds entendent,

Les morts se relèvent et la bonne nouvelle est

Annoncée aux pauvres, 23 et heureux celui pour qui

Je ne serai pas une raison de scandale !"

24 Or les envoyés de Jean une fois partis,

Jésus commença à dire aux foules au sujet

De Jean : "Pourquoi êtes-vous dans le désert

Sortis ? Pour contempler un roseau agité

Par le vent…25 Pourquoi êtes-vous sortis ? Pour voir

Un homme vêtu de vêtements douillets ?…Voici

283


Que ceux qui ont des habits magnifiques et vivent

Dans les délices se trouvent dans les palais royaux.

26 Pourquoi êtes-vous sortis ? Pour voir un prophète ?…

Oui, je vous le dis, plus qu’un prophète. 27 C’est Celui

Dont il est écrit :

Voici en avant de toi

Que j’envoie mon messager, il préparera

Ton chemin, devant toi.

28 "Je vous le dis : De ceux

Qui sont nés de femmes, il n’en est pas de plus grand,

Que Jean, le plus petit au royaume de Dieu

Est plus grand que lui. 29 Et tout le peuple qui a

Écouté, même les publicains justifiaient

Dieu, et ils se faisaient baptisés du baptême

De Jean, 30 pourtant les Pharisiens et les légistes

Rejetaient le dessein de Dieu à leur égard

Puisqu'ils ont refusé de se faire baptiser

Par lui.

Jugement de Jésus sur sa génération.

31 " À qui donc puis-je assimiler les hommes

De cette génération et à qui sont-ils

Semblables ? 32 Ils sont semblables à des enfants qui sont

Assis sur une place s’interpellant les uns

Les autres disant ceci :

Nous vous avons joué

De la flûte, vous n'avez pas dansé ! Nous nous sommes

284


Lamentés, vous n'avez pas pleuré !

33 " En effet

Jean le Baptiste est venu, il ne mangeait pas

De pain, il ne buvait pas de vin, et vous dîtes :

Il a un démon ! 34 Le Fils de 1’homme est venu,

Qui mange et boit, et vous dîtes : voilà un glouton

Et un ivrogne, un ami des publicains et

Des pécheurs ! Mais la Sagesse par tous ses enfants

A été justifiée. " [ - - - - - -]

285


Prédication de Jésus

"Au nom de Dieu, quitte les pupilles et la langue de cet homme ! Je le veux ! Délivre de toi cette créature ! Il

ne t'est plus permis de la tenir. Va-t-en !" crie Jésus qui tend les mains en commandant.

Le miracle commence par un hurlement de rage du démon et se termine par un cri de joie de celui qui a été

délivré qui crie : "Fils de David ! Fils de David ! Saint et Roi !"

"Comment fait-il pour savoir qui est celui qui l'a guéri ?" demande un scribe.

"Mais tout cela, c'est de la comédie ! Ces gens sont payés pour la faire !" dit un pharisien en haussant les

épaules.

"Mais par qui ? S'il est permis de vous le demander" interroge Jaïre.

"Même par toi."

"Et dans quel but ?"

"Pour rendre célèbre Capharnaüm."

"Ne rabaisse pas ton intelligence en disant des sottises et ne souille pas ta langue par des mensonges. Tu sais

que ce n'est pas vrai, et tu devrais comprendre que tu dis une sottise. Ce qui est arrivé ici est arrivé dans

beaucoup d'endroits en Israël. Alors partout il y en a qui paie ? En vérité je ne savais pas qu'en Israël le petit

peuple était très riche ! Parce que vous, et avec vous tous les grands, vous ne payez certainement pas pour

cela. Alors c'est le petit peuple qui paie, lui qui est le seul qui aime le Maître."

"Tu es chef de la synagogue et tu l'aimes. Ici, il y a Manaën et, à Béthanie, il y a Lazare de Théophile. Ceuxci

ne sont pas du petit peuple."

286


"Mais ils sont honnêtes, et moi aussi et nous n'escroquons personne, en rien, Et encore moins dans les choses

de la foi. Nous autres, nous ne nous le permettons pas car nous craignons Dieu et nous avons compris que ce

qui plaît à Dieu c'est l'honnêteté."

Les pharisiens tournent le dos à Jaïre et s'en prennent aux parents de l'homme guéri : "Qui vous a dit de venir

ici ?"

"Qui ? Beaucoup de gens, déjà guéris ou leurs parents."

"Mais, que vous ont-ils donné ?"

"Donné ? L'assurance que Lui l'aurait guéri."

"Mais était-il vraiment malade ?"

"Oh ! Esprits sournois ! Vous croyez que tout ceci est une feinte ? Allez à Gadara et, si vous ne croyez pas,

informez-vous du malheur de la famille Anna d'Ismaël"

Les gens de Capharnaüm, indignés, manifestent bruyamment alors que des galiléens, venus des environs de

Nazareth, disent : "Et pourtant, c'est le fils du menuisier Joseph !"

Les habitants de Capharnaüm, fidèles à Jésus, crient : "Non. C'est celui qu'il se dit et que l'homme guéri

appelé : "Fils de Dieu et Fils de David."

"Mais n'exaltez pas davantage le peuple avec vos affirmations !" dit un scribe avec mépris.

"Et qui est-il alors, selon vous ?"

"Un Belzébuth !"

"Oh ! Langues de vipères ! Blasphémateurs ! Possédés ! Cœurs aveugles ! Notre ruine ! Même la joie du

Messie, vous voudriez nous l'enlever, hein ? Usuriers ! Cailloux arides !" Un beau vacarme !

287


Jésus, qui s'était retiré à la cuisine pour boire un peu d'eau, se présente sur le seuil juste à temps pour

entendre, une fois encore, la sotte accusation que ressassent les pharisiens : "Ce n'est qu'un Belzébuth,

puisque les démons Lui obéissent. Le grand Belzébuth son père, l'aide et il ne chasse les démons que par

l'influence de Belzébuth, prince des démons."

Jésus descend les deux marches du seuil et s'avance tout droit, sévère et calme en s'arrêtant justement en face

du groupe scribo-pharisaïque, En les fixant d'un regard perçant il dit : "Même sur la terre, nous voyons qu'un

royaume divisé en factions opposées devient intérieurement faible qu'on attaque facilement et que les états

voisins dévastent pour en faire leur esclave. Sur la terre aussi, nous voyons qu'une cité divisée en factions

contraires perd sa prospérité, et il en est de même d'une famille dont les membres sont divisés entre eux par

la haine. Elle s'effrite et devient un émiettement qui ne sert à personne et qui fait rire ses concitoyens. La

concorde n'est pas seulement un devoir, mais une habilité, car elle garde les hommes indépendants, forts et

aimants. C'est à cela que devraient réfléchir les patriotes, les gens de la même cité ou les membres d'une

même famille quand, par le désir d'un intérêt particulier, ils se trouvent portés à des séparations et à des

vexations qui sont toujours dangereuses parce qu'elles opposent les groupes les uns aux autres et détruisent

les affections.

C'est cette habileté, en fait, que mettent en œuvre ceux qui sont les maîtres du monde. Observez Rome dans

son indéniable puissance, si pénible pour nous. Elle domine le monde, mais elle est unie dans un même

dessein, une seule volonté : "dominer". Même parmi eux, il y aura certainement des divergences, des

antipathies, des révoltes. Mais cela reste au fond. À la surface c'est un seul bloc, sans failles, sans

turbulences. Ils veulent tous la même chose et réussissent parce qu'ils la veulent. Et ils réussiront tant qu'ils

voudront la même chose.

Regardez cet exemple humain d'une habile cohésion et pensez : si ces enfants du siècle sont ainsi, qu'est-ce

que ne sera pas Satan ? Eux, pour nous, sont des satans, mais leur satanicité de païens n'est rien en

comparaison du satanisme parfait de Satan et de ses démons. Là, dans ce royaume éternel, sans siècles, sans

fin, sans limite de ruse et de méchanceté, là où on jouit de nuire à Dieu et aux hommes et où leur respiration

288


est de nuire, leur douloureuse jouissance, unique, atroce avec une perfection maudite, s'est opérée la fusion

des esprits unis dans une seule volonté : "nuire"

Maintenant si, comme vous voulez le soutenir pour faire douter de Ma puissance, Satan est celui qui m'aide

parce que Moi je suis un Belzébuth inférieur, n'arrive-t-il pas que Satan est en désaccord avec lui-même et

avec ses démons s'il chasse ceux-ci de ses possédés ? Et s'il y a désaccord, son royaume pourra-t-il jamais

durer ? Non, cela n'est pas. Satan est tout ce qu'il y a de plus fourbe et ne se nuit pas à lui-même, Lui vise à

étendre et non pas à réduire son royaume dans les cœurs. Sa vie, c'est de "dérober, nuire, mentir, blesser,

troubler". Dérober les âmes à Dieu et la paix aux hommes. Nuire aux créatures du Père en Lui donnant un

grand chagrin. Mentir pour dévoyer. Blesser pour jouir, Troubler parce qu'il est le Désordre. Et il ne peut

changer, Il est éternel en son être et dans ses méthodes.

Mais répondez à cette question : si Moi je chasse les démons au nom de Belzébuth, au nom de qui vos fils

les chassent-ils ? Vous voudrez reconnaître alors qu'eux aussi sont des Belzébuth ? Maintenant, si vous le

dites, eux verront en vous des calomniateurs. Et si leur sainteté est telle qu'ils ne réagissent pas à

l'accusation, vous vous jugerez par vous-mêmes en avouant qu'il y a beaucoup de démons en Israël, et Dieu

vous jugera au nom des fils d'Israël accusés d'être des démons. Car, d'où que vienne le jugement, eux, au

fond, seront vos juges, là où le jugement n'est pas suborné par des influences humaines.

Si, ensuite, comme il est vrai, je chasse les démons par l'Esprit de Dieu, c'est donc la preuve qu'est arrivé à

vous le Royaume de Dieu et le Roi de ce Royaume. Ce Roi a une puissance telle qu'aucune force opposée à

son Royaume ne peut lui résister. C'est pour cela que j'attache et contrains ceux qui sont les usurpateurs des

fils de mon Royaume à sortir des endroits qu'ils occupent et à me rendre leur proie pour que j'en prenne

possession. Est-ce que par hasard ce n'est pas ce que fait quelqu'un qui veut entrer dans une maison habitée

par un homme fort pour lui enlever ses biens, bien ou mal acquis ? C'est ainsi qu'il fait, Il entre et le ligote et,

après l'avoir fait, il peut piller la maison. Moi, je ligote l'ange des ténèbres qui a pris ce qui m'appartient et je

lui enlève le bien qu'il m'a dérobé, Et Moi seul je peux le faire, parce que je suis le seul Fort, le Père du

siècle à venir, le Prince de la Paix."

289


"Explique-nous ce que tu veux dire quand tu dis : "Père du siècle à venir." Crois-tu vivre jusqu'au nouveau

siècle et, plus sottement encore, penses-tu créer le temps ? Toi, pauvre homme ? Le temps appartient à

Dieu.", demande un scribe.

"Et c'est toi, scribe, qui me le demandes ? Ne sais-tu donc pas qu'il y aura un siècle qui aura un

commencement et qui n'aura pas de fin, et qui sera le mien ? C'est en lui que je triompherai, rassemblant

autour de Moi ceux qui sont ses fils et eux vivront éternellement comme ce siècle que j'aurai créé, et déjà je

suis en train de le créer en mettant l'esprit en valeur, au-dessus de la chair et au. dessus du monde et audessus

des enfers que je chasse parce que je peux tout.

Pour ce motif, je vous dis que celui qui n'est pas avec Moi est contre Moi et que celui qui ne rassemble pas

avec Moi, disperse. Parce que je suis Celui qui suis. Et celui qui ne croit pas à cela, qui est déjà prophétisé,

pèche contre l'Esprit Saint dont la parole a été dite par les prophètes, et qui n'est ni mensonge ni erreur, et qui

doit être crue sans résistance.

Parce que je vous le dis : tout sera pardonné aux hommes, tout péché et tout blasphème, parce que Dieu sait

que l'homme n'est pas seulement esprit mais chair, et chair tentée qui est soumise à des faiblesses imprévues.

Mais le blasphème contre l'Esprit ne sera pas pardonné. Qui aura parlé contre le Fils de l'homme sera encore

pardonné parce que la pesanteur de la chair qui enveloppe ma Personne et enveloppe l'homme qui parle

contre Moi, peut encore induire en l'erreur. Mais celui qui aura parlé contre l'Esprit Saint ne sera pas

pardonné ni dans cette vie, ni dans la vie future, parce que la Vérité est ce qu'elle est : nette, sainte,

indéniable et exprimée à l'esprit d'une manière qui ne conduit pas à l'erreur, en ce sens que commettent

l'erreur ceux qui volontairement veulent l'erreur. Nier la Vérité dite par l'Esprit Saint, c'est nier la Parole de

Dieu et l'Amour que cette parole a donné par amour pour les hommes. Et le péché contre l'Amour n'est pas

pardonné.

290


Mais chacun donne les fruits de son arbre. Vous donnez les vôtres et ce ne sont pas de bons fruits. Si vous

donnez un arbre bon pour qu'il soit planté dans le verger, il donnera de bons fruits, mais si vous donnez un

arbre mauvais, mauvais sera le fruit qu'on cueillera sur lui, et tout le monde dira: "C'est arbre n'est pas bon."

Car c'est à ses fruits que l'on reconnaît l'arbre.

Et vous, comment croyez-vous pouvoir bien parler, vous qui êtes mauvais ? Car la bouche parle de ce qui

remplit le cœur. Et c'est de la surabondance de ce que nous avons en nous que proviennent nos actes et nos

paroles. L'homme bon tire de son bon trésor des choses bonnes, L'homme mauvais tire de son trésor des

choses mauvaises. Il parle, il agit d'après ce qu'il a en son intérieur.

Et en vérité, je vous dis que la paresse est une faute, mais mieux vaut ne rien faire que de faire des choses

mauvaises. Et je vous dis aussi qu'il vaut mieux se taire que de tenir des propos oiseux et méchants. Même si

le silence est oisiveté, pratiquez-le plutôt que de pécher par la langue. Je vous assure que de toute parole dite

par oisiveté, on demandera aux hommes de se justifier au jour du Jugement, et je vous dis que les hommes

seront justifiés par les paroles qu'ils auront dites et que c'est par leurs paroles qu'ils seront condamnés.

Attention, par conséquent, vous qui en dites tant qui sont plus qu’oiseuses, parce que non seulement elles

sont oiseuses, mais font du mal, et dans le but d'éloigner les cœurs de la Vérité qui vous parle."

Les pharisiens se consultent avec les scribes, et puis tous ensemble, faisant semblant d'être polis, ils

demandent : "Maître, il est plus facile de croire à ce que l'on voit. Donne-nous donc un signe pour que nous

puissions croire que tu es ce que tu dis être."

"Est-ce que vous vous rendez compte qu'en vous se trouve le péché contre l'Esprit Saint qui a indiqué à

plusieurs reprises que je suis le Verbe Incarné ? Verbe et Sauveur, venu au temps marqué, précédé et suivi

par des signes prophétiques, opérant ce que dit l'Esprit."

291


Ils répondent : "Nous croyons à l'Esprit, mais comment pouvons-nous croire en Toi si, de nos yeux, nous ne

voyons pas un signe ?"

"Comment alors pouvez-vous croire à l'esprit dont les actions sont spirituelles si vous ne croyez pas aux

miennes qui sont sensibles pour vos yeux ? Ma vie en est pleine. Cela ne suffit pas encore ? Non. Je réponds

Moi-même que non. Ce n'est pas suffisant. À cette génération adultère et perverse qui cherche un signe, il ne

sera donné qu'un signe : celui du prophète Jonas. En effet, comme Jonas est resté trois jours dans le ventre de

la baleine, ainsi le Fils de l'homme restera trois jours dans les entrailles de la terre. En vérité, je vous dis que

les Ninivites ressusciteront le jour du Jugement avec tous les hommes et ils se lèveront contre cette

génération et la condamneront. Car ils ont fait pénitence à la voix du prophète Jonas et vous pas. Et ici il y a

quelqu'un qui est plus que Jonas. Et ainsi ressuscitera et se dressera contre vous la Reine du Midi et elle vous

condamnera, parce qu'elle est venue des confins de la terre pour entendre la Sagesse de Salomon. Et ici, il y

a quelqu'un qui est plus que Salomon."

"Pourquoi dis-tu que cette génération est adultère et perverse ? Elle ne l'est pas plus que les autres. Il y a les

mêmes saints qu'il y avait dans les autres. La société d'Israël n'a pas changé. Tu nous offenses."

"C'est vous qui vous offensez de vous-mêmes en nuisant à vos âmes, car vous les éloignez de la Vérité, et du

Salut par conséquent. Mais je vais vous répondre quand même. Cette génération n'est sainte que dans ses

vêtements et son extérieur. Intérieurement elle n'est pas sainte. Il y a en Israël les mêmes noms pour

désigner1es mêmes choses, mais il n'y a pas la réalité des choses. Ce sont les mêmes coutumes, les mêmes

vêtements et les mêmes rites, mais il leur manque l'esprit. Vous êtes adultères parce que vous avez répudié le

mariage spirituel avec la Loi divine, et dans une seconde union adultère, vous avez épousé la loi de Satan.

Vous n'êtes circoncis que dans un membre caduc. Le cœur n'est plus circoncis. Et vous êtes mauvais parce

que vous vous êtes vendus au Mauvais. J'ai parlé."

292


"Tu nous offenses trop, mais pourquoi, s'il en est ainsi, ne délivres-tu pas Israël du démon pour qu'il

devienne saint ?"

"Israël en a-t-il la volonté ? Non. Ils l'ont, ces pauvres qui viennent pour être délivrés du démon parce qu'ils

le sentent en eux comme un fardeau et une honte. Vous vous ne ressentez pas cela. Et c'est inutilement que

vous en seriez délivrés, parce que, n'ayant pas la volonté de l'être, vous seriez tout de suite repris et d'une

manière encore plus forte. Quand un esprit immonde est sorti d'un homme, il erre dans des lieux arides pour

chercher du repos et ne le trouve pas. Notez qu'il ne s'agit pas de lieux matériellement arides. Ils sont arides

parce qu'ils lui sont hostiles en ne l'accueillant pas, comme la terre aride est hostile à la semence. Alors

il dit : "Je reviendrai à ma maison d'où j'ai été chassé de force et contre ma volonté. Et je suis certain qu'il

m’accueillera et me donnera le repos." En effet, il revient vers celui qui lui appartenait et souvent il le trouve

disposé à l'accueillir parce que, je vous le dis en vérité, que l'homme a plutôt la nostalgie de Satan que celle

de Dieu, et si Satan ne s’empare pas de ses membres par une autre possession, il se lamente. Il s'en va donc,

et il trouve la maison vide, balayée, ornée, parfumée par la pureté. Alors il va prendre sept autres démons

parce qu'il ne veut plus la perdre et, avec ces sept esprits pires que lui, il y entre et s'y établissent tous. Et ce

second état de quelqu'un qui s'est converti une première fois et qui s'est perverti une seconde fois est pire que

le premier. Car le démon peut apprécier à quel point cet homme est affectionné à Satan et ingrat envers Dieu

et parce qu'aussi Dieu ne revient pas là où on a piétiné ses grâces, et ceux qui ont déjà éprouvé une

possession rouvrent leurs bras à une possession plus forte. La rechute dans le satanisme est pire qu'une

rechute dans une phtisie mortelle déjà guérie une première fois. Elle n'est plus susceptible d'amélioration ni

de guéri- son. Ainsi en sera-t-il aussi de cette génération qui, convertie par le Baptiste, a voulu de nouveau

être pécheresse parce qu'elle est affectionnée au Mauvais et non pas à Moi."

Une rumeur qui ne vient pas d'une approbation ou d'une protestation court à travers la foule qui se presse

maintenant si nombreuse que la rue est pleine outre le jardin et la terrasse. Il y a des gens à cheval sur le

muret, d'autres qui sont sur le figuier du jardin et sur les arbres des jardins voisins, car tout le monde veut

entendre la discussion entre Jésus et ses ennemis. La rumeur, comme un flot qui arrive du large au rivage,

arrive de bouche en bouche jusqu'aux apôtres qui sont le plus près de Jésus, c'est-à-dire Pierre, Jean, le

293


Zélote et les fils d'Alphée. Les autres, en effet, sont les uns sur la terrasse, les autres dans la cuisine, sauf

Judas Iscariote qui est sur la route, parmi la foule.

Et Pierre, Jean, le Zélote et les fils d'Alphée saisissent cette rumeur et disent à Jésus : "Maître, il y a ta Mère

et tes frères. Ils sont là dehors, sur la route, et ils te cherchent car ils veulent te parler. Donne l'ordre à la

foule de s'écarter pour qu'ils puissent venir vers Toi, parce que c'est sûrement un motif important qui les a

amenés jusqu;ici pour te chercher."

Jésus lève la tête et voit, derrière les gens, le visage angoissé de sa Mère qui lutte pour ne pas pleurer

pendant que Joseph d'Alphée lui parle tout excité, et il voit les signes de dénégation de sa Mère, répétés,

énergiques, malgré l'insistance de Joseph. Il voit aussi le visage embarrassé de Simon (d’Alphée) qui est

visiblement affligé, dégoûté... Mais Jésus ne sourit pas et ne donne pas d'ordre. Il laisse l'Affligée à sa

douleur et ses cousins là où ils sont.

Il abaisse les yeux sur la foule et, répondant aux apôtres qui sont près de Lui, il répond aussi à ceux qui sont

loin et qui essaient de faire valoir le sang plus que le devoir. "Qui est ma Mère ? Qui sont mes frères ?" Il

tourne son regard sévère, dans son visage qui pâlit à cause de la violence qu'il doit se faire pour placer le

devoir au-dessus de l'affection et du sang et pour désavouer le lien qui l'attache à la Mère, pour servir le Père

et il dit, en désignant d'un large geste la foule qui s'empresse autour de Lui, à la lumière rouge des torches et

à celle argentée de la lune presque pleine : "Voici ma mère et voici mes frères. Ceux qui font la volonté de

Dieu sont mes frères et mes sœurs, ils sont ma mère. Je n'en ai pas d'autres. Et les miens seront tels si les

premiers et avec une plus grande perfection que tous les autres ils feront la volonté de Dieu jusqu'au sacrifice

total de toute autre volonté ou voix du sang et des affections."

La foule fait entendre un murmure plus fort, comme celle d'une mer soudain soulevée par le vent.

Les scribes se mettent à fuir en disant : "C'est un possédé. Il renie jusqu'à son sang !"

294


Les parents avancent en disant : "C'est un fou ! Il torture jusqu'à sa Mère !"

Les apôtres disent : "En vérité cette parole est toute héroïsme !"

La foule dit : "Comme il nous aime !"

À grand-peine, Marie avec Joseph et Simon fendent la foule. Marie n'est que douceur, Joseph absolument

furieux, Simon embarrassé. Ils arrivent près de Jésus. Et Joseph l'attaque tout de suite : "Tu es fou ! Tu

offenses tout le monde. Tu ne respectes pas même ta Mère. Mais, maintenant, je suis ici, moi, et je t'en

empêcherai. Est-il vrai que tu vas comme ouvrier çà et là ? Et alors, si c'est vrai, pourquoi ne travailles-tu pas

dans ta boutique pour nourrir ta Mère ? Pourquoi mens-tu en disant que ton travail c'est la prédication,

paresseux et ingrat que tu es, si ensuite tu vas travailler pour de l'argent dans une maison étrangère ?

Vraiment, tu me sembles possédé par un démon qui te fait divaguer. Réponds !" Jésus se retourne et prend

par la main le petit Joseph, l'approche près de Lui et le lève en le prenant par dessous les bras et dit : "Mon

travail a été de donner à manger à cet innocent et à ses parents et de les persuader que Dieu est bon, Il a été

de prêcher à Corozaïn l'humilité et la charité. Et pas seulement à Corozaïn, mais aussi à toi, Joseph, frère

injuste. Mais Moi, je te pardonne parce que je sais que tu as été mordu par les dents de serpent. Et je te

pardonne aussi à toi, Simon inconstant. Je n'ai rien à pardonner à ma Mère ni à me faire pardonner par elle

parce qu'Elle juge avec justice. Que le monde fasse ce qu'il veut. Moi, je fais ce que Dieu veut et, avec la

bénédiction du Père et de ma Mère, je suis heureux plus que si le monde entier m'acclamait roi selon le

monde. Viens, Mère, ne pleure pas. Eux ne savent pas ce qu'ils font. Pardonne-leur."

"Oh ! mon Fils ! Je sais. Tu sais. Il n'y a rien d'autre à dire..."

"Il n'y a rien d'autre à dire aux gens que ceci : "Allez en paix."

Jésus bénit la foule puis, tenant Marie de la main droite et de la gauche l'enfant, il se dirige vers l'escalier et

le monte le premier.

295


Jésus et Béelzéboul

22 On lui présenta un homme

Aveugle et muet. Il le soigna, le muet

Parlait et voyait. 23 Et toutes les foules, hors d’elles,

Disaient : “ Ne serait-il pas le fils de David ? ”

24 Or, en entendant cela, les Pharisiens dirent :

“ Mais c’est par Béelzéboul, le chef des démons

Qu’il chasse les démons ! ”

25 Il savait leurs pensées,

Il dit : “ *Tout royaume divisé contre lui-même

Se détruit, toute ville ou maison divisée

Contre elle-même ne tiendra pas. 26 Si le Satan chasse

Le Satan, il est donc divisé contre lui-même.

Comment se maintiendra son royaume ? 27 Et si moi,

Par Béelzéboul, je chasse les démons,

Vos fils, par qui les chassent dont-ils ? Voilà pourquoi

Eux seront vos juges. 28 Si c’est par l’Esprit de Dieu

Que je chasse les démons, le règne de Dieu

Est près de vous.

29 Ou bien, comment quelqu’un peut-il

Entrer dans la maison de celui qui est fort

Et s’emparer de ses affaires, s’il n’a d’abord

Lié celui qui est fort ? Alors il mettra

Sa maison au pillage.

296


30 “ Qui n’est pas avec moi

Est contre moi, qui n’amasse pas avec moi

Disperse. 31 C’est pourquoi je vous dis que tout péché

Ou blasphème sera remis aux hommes, le blasphème

Contre l’Esprit ne sera pas remis.

31 Celui

Qui dit une parole contre le Fils de l’homme,

Elle lui sera remise, celui qui en dit une

Contre l’Esprit saint, elle ne lui sera remise

Ni dans cet âge-ci ni dans l’autre.

* Il leur dit.

Les paroles font juges du cœur

33 Ou bien faites

L’arbre bon et son fruit sera bon ; ou bien faites

L’arbre pourri et son fruit sera pourri. Au

Fruit, on reconnaît l’arbre.

34 Comment pouvez-vous dire

De bonnes choses * engeance de vipères, mauvais

Que vous êtes ? Ce que dit la bouche vient du trop plein

Du cœur.

35 Ainsi l’homme bon de son bon trésor,

Tire du bon ; l’homme mauvais, de son mauvais

Trésor, tire du mauvais.

297


36 Or, je vous le dis,

Toute parole oiseuse que les hommes auront

Dites, ils en rendront compte au jour du Jugement ;

37 Ainsi par tes paroles tu seras justifié,

Par tes paroles, tu seras condamné. ”

Le signe de Jonas

38 Alors

Quelques uns des scribes et des Pharisiens lui dirent

À part : “ Nous voudrions voir un signe de toi,

Maître. ”

39 Il leur répondit : “ Une génération

Mauvaise et adultère recherche un signe ! … De signe,

Il ne lui en sera donc pas donné, sinon

Celui du prophète Jonas. 40 De même, en effet,

Que Jonas a été dans le ventre du monstre

Trois jours et trois nuits, le Fils de l’homme dans le cœur

De la terre sera trois jours et trois nuits.

41 Alors

Les hommes de Ninive, lors de ce Jugement

Se dresseront avec cette génération,

Ils la condamneront, car ils se repentirent

À la proclamation de Jonas ; il y a

Ici plus que Jonas !

42 La Reine du Midi

Se lèvera, lors de ce Jugement, avec

298


Cette génération, elle la condamnera

Car elle est venue pour écouter la sagesse

De Salomon, des extrémités de la terre ;

Il y a ici plus que Salomon !*

Retour offensif de l’esprit immonde

43 Ainsi

Lorsque l’esprit impur sort de l’homme, il parcourt

Des lieux arides à la recherche du repos

Et n’en trouve pas.

44 Il dit : “ Je retournerai

Dans ma maison d’où je suis sorti ”. Quand il vient,

Il la trouve vacante, balayée et en ordre.

45 Or il va prendre avec lui sept autres esprits

Plus mauvais que lui, puis ils viennent habiter là,

Et le dernier état de cet homme devient pire

Que le premier. Il en sera également

De cette génération mauvaise ! ”

La vraie parenté de Jésus

46 Il parlait

Encore aux foules, voilà que sa mère et ses frères

Étaient dehors, cherchant à lui parler.

47 Quelqu’un

Lui dit ceci : “ Voilà que ta mère et tes frères

Sont dehors et cherchent à te parler. ”

299


48 A celui

Qui le lui disait, il répondit : “ Mais qui est

Ma mère ? Et qui sont mes frères ? ” 49 Et tendant la main

Vers ses disciples, il dit ceci : “ Voilà ma mère

Et mes frères ! Car celui qui fait la volonté

De mon Père qui est dans les cieux, c’est lui qui est

Mon frère, et ma sœur, et ma mère. ”

300


La mort de Jean-Baptiste

Jésus est en train de guérir des malades, sans autre assistance que celle de Manaën. Ils sont dans la maison

de Capharnaüm, dans le jardin ombragé à cette heure matinale. Manaën n'a plus de précieuse ceinture ni de

lame d'or au front. Son vêtement est retenu serré par un cordon de laine et son couvre-chef par une bande

étroite de toile. Jésus est tête nue comme toujours quand il est à la maison.

Après avoir fini de guérir et de consoler les malades, Jésus monte avec Manaën dans la chambre du haut et

ils s'assoient tous les deux sur Je bord de la fenêtre qui regarde la colline, parce que le côté du lac est tout

inondé par le soleil, encore bien chaud bien que la canicule soit passée depuis quelque temps.

"D'ici peu les vendanges vont commencer." dit Manaën,

"Oui, et puis les Tabernacles vont arriver et l'hiver sera vite là, Toi, quand comptes-tu partir ?"

"Hum !... Moi je ne partirais jamais... Mais je pense au Baptiste, Hérode est un faible. Quand on a su

l'influencer en bien, il ne devient pas bon, il reste au moins… non sanguinaire. Mais peu nombreux sont ceux

qui lui donnent de bons conseils. Et cette femme !… Cette femme !… Mais je voudrais rester ici jusqu'au

retour de tes apôtres. Non pas que je présume beaucoup de moi… mais je vaux encore quelque chose… bien

que mon crédit soit très diminué depuis qu'ils ont compris que je suis les chemins du Bien. Mais cela ne

m'importe pas. Je voudrais avoir le vrai courage de tout abandonner pour te suivre complètement, comme

ces disciples que tu attends, Mais y réussirai-je jamais ? Nous qui ne sommes pas du peuple, nous hésitons

davantage à te suivre, pourquoi ?"

"Parce que pour vous retenir, vous avez les tentacules des pauvres richesses."

"À vrai dire je sais aussi que certains qui ne sont pas riches, à proprement parler, mais savants ou en passe de

le devenir, eux aussi ne viennent pas."

301


"Eux aussi ont les tentacules des pauvres richesses qui les retiennent. On n'est pas riche seulement d'argent.

Il y a aussi la richesse du savoir. Peu de gens arrivent à reconnaître comme Salomon : "Vanité des vanités.

Tout n'est que vanité", reprise et amplifiée non seulement matériellement mais en profondeur dans le

Cioelet. As-tu cette pensée présente à l'esprit ? La science humaine est vanité, car augmenter seulement le

savoir humain "c'est fatigue et affliction de l'esprit et qui développe la science développe aussi les ennuis."

En vérité je te dis qu'il en est ainsi, Et je dis aussi qu'il n'en serait pas ainsi si la science humaine était

soutenue et consolidée par la sagesse surnaturelle et le saint amour de Dieu. Le plaisir est vanité parce qu'il

ne dure pas, mais se dissipe rapidement après avoir brûlé en laissant cendres et vide, les biens accumulés par

des industries variées sont vanité pour l'homme qui meurt et qui les laisse à d'autres et qu'avec ses biens il ne

peut repousser la mort. La femme, vue en tant que femme et désirée comme telle, est vanité. On en conclut

que l'unique chose qui ne soit pas vanité, c'est la sainte crainte de Dieu et l'obéissance à ses commandements,

c'est-à-dire la sagesse de l'homme qui n'est pas seulement chair mais possède la seconde nature : la

spirituelle. Qui sait conclure ainsi et vouloir, sait se détacher de tout tentacule de pauvre possession et aller

librement à la rencontre du Soleil.

"Je veux me rappeler ces paroles. Combien tu m'as donné en ces jours ! Maintenant je peux aller dans les

laideurs de la Cour, qui ne paraît lumineuse qu'aux sots, qui paraît puissante et libre et n'est que misère,

prison et ténèbre, et y aller avec un trésor qui me permettra d'y vivre mieux en attendant le mieux. Mais

arriverai-je jamais à ce mieux qui consiste à t'appartenir totalement ?"

"Tu y arriveras."

"Quand ? L'an prochain ? Ou plus tard ? Ou quand la vieillesse me rendra sage ?"

"Tu y arriveras en atteignant la maturité d'esprit et la perfection du vouloir dans le déroulement de quelques

heures."

Manaën le regard pensif, interrogateur... Mais il ne demande pas autre chose.

Un silence. Puis Jésus dit : "As-tu jamais approché Lazare de Béthanie ?"

302


"Non, Maître. Je peux dire que non. Que s'il y a eu quelque rencontre, cela ne peut s'appeler amitié. Tu sais...

Hérode avec moi, et Hérode contre lui... Donc..."

"Lazare maintenant te verrait au-delà des choses, en Dieu. Tu dois chercher à t'en approcher comme

condisciple."

"Je le ferai, si tu le veux..."

Des voix de gens agités se font entendre dans1e jardin. Ils demandent avec anxiété : "Le Maître ! Le Maître !

Est-il ici ?"

La voix chantante de la maîtresse de maison leur répond : "Il est dans la chambre du haut. Qui êtes-vous ?

Des malades ?"

"Non, des disciples de Jean et nous voulons Jésus de Nazareth."

Jésus se présente à la fenêtre en disant : "La paix soit à vous... Oh ! C'est vous ? Venez ! Venez !"

Ce sont les trois bergers : Jean, Matthias et Siméon. "Oh! Maître !" disent-ils en levant la tête et en montrant

un visage affligé. Même la vue de Jésus ne les rassérène pas.

Jésus quitte la pièce en allant à leur rencontre sur la terrasse. Manaën le suit. Ils se rencontrent justement là

où l'escalier débouche sur la terrasse ensoleillée.

Les trois s'agenouillent en baisant le sol. Et puis Jean dit, au nom de tous : "C'est l'heure de nous recueillir,

Seigneur, parce que nous sommes ton héritage" et des larmes descendent sur le visage du disciple et de ses

compagnons.

Jésus et Manaën poussent un seul cri : "Jean !?"

303


"On l'a tué..."

La parole tombe comme si c'était un énorme fracas qui couvre toute rumeur du monde. Et pourtant elle a été

dite très doucement. Mais elle pétrifie celui qui la dit et ceux qui l'entendent. Il semble que la terre, pour la

recueillir et pour frémir d'horreur, suspende toute rumeur tant il y a un moment de silence profond et de

profonde immobilité chez les animaux, dans les frondaisons, dans l'air. Suspendu le roucoulement des

colombes, coupée la flûte d'un merle, rendu muet le chœur des passereaux, et comme si s'était brisé tout d'un

coup son organe, une cigale qui stridule se tait à l'improviste pendant que s'arrête le vent qui caressait les

pampres et les feuilles, en faisant un bruit qui imite le froissement de la soie et le grincement des pieux.

Jésus devient d'une pâleur d'ivoire alors que ses yeux se dilatent en s'humectant de larmes. Il ouvre les bras

en parlant, et sa voix est profonde par l'effort qu'il fait pour la rendre assurée : "Paix au martyr de la justice et

à mon Précurseur." Puis il croise les bras et recueille son esprit et certainement il prie, en s'unissant à l'Esprit

de Dieu et à celui du Baptiste.

Manaën n'ose pas faire un geste. Au contraire de Jésus, il a vivement rougi et il a eu un mouvement de

colère. Puis il s'est raidi, et tout son trouble se manifeste par le mouvement mécanique de sa main droite qui

tiraille le cordon de son vêtement et de sa main gauche qui, involontairement, cherche le poignard... et

Manaën secoue la tête en se plaignant de la faiblesse de son esprit qui ne se souvient pas qu'il s'est désarmé

pour être "le disciple de Celui qui est doux, auprès de Celui qui est doux."

Jésus rouvre sa bouche et ses yeux. Son visage, son regard, sa voix ont repris la majesté divine qui Lui est

habituelle. Il ne Lui reste qu'une tristesse grave que tempère la paix. "Venez. Vous allez me raconter. À

partir d'aujourd'hui vous êtes miens."

Et il les conduit dans la pièce dont il ferme la porte laissant les rideaux à demi-fermés pour tempérer la

lumière et créer une atmosphère de recueillement autour de leur douleur et de la beauté de la mort du

304


Baptiste, pour mettre une séparation entre cette perfection de vie et le monde corrompu. "Parlez" commandet-il.

Manaën semble pétrifié. Il est près du groupe mais ne dit pas un mot. "C'était le soir de la fête... L'événement

était imprévisible... Deux heures seulement auparavant, Hérode s'était entretenu avec Jean et l'avait congédié

avec bienveillance... Et peu, peu avant qu'arrivât... l'homicide, le martyre, le crime, la glorification, il avait

envoyé au prisonnier un serviteur avec des fruits glacés et des vins rares. Jean nous avait distribué ces

choses... Lui n'a jamais changé son austérité... Il n'y avait que nous parce que, grâce à Manaën, nous étions

au palais pour servir aux cuisines et aux écuries. Et c'était une faveur qui nous permettait de voir toujours

notre Jean... Nous étions aux cuisines, Jean et moi, pendant que Siméon surveillait les serviteurs de l'écurie

pour qu'ils traitassent avec soin les montures des hôtes... Le palais était plein de grands, de chefs militaires et

de seigneurs de Galilée. Hérodiade s'était enfermée dans ses appartements à la suite d'une violente scène

entre elle et Hérode, survenue le matin..."

Manaën interrompt : "Mais quand la hyène est-elle venue ?"

"Deux jours avant. On ne l'attendait pas... Elle avait dit au monarque qu'elle ne pouvait vivre loin de lui et

être absente le jour de sa fête. Vipère et magicienne comme toujours, elle avait fait d'Hérode un jouet... Mais

le matin de ce jour Hérode, bien que déjà ivre de vin et de luxure, avait refusé d'accorder à la femme ce

qu'elle demandait à grands cris... Et personne ne pensait que c'était la vie de Jean !...

Elle était restée dans ses appartements, dédaigneuse. Elle avait renvoyé les mets royaux envoyés par Hérode

dans de la vaisselle précieuse. Elle avait gardé seulement un plateau précieux plein de fruits, et en échange

elle avait donné pour Hérode une amphore de vin drogué,.. Drogué... Ah ! Ivre comme il l'était, sa nature

vicieuse suffisait bien pour le pousser au crime !

Par ceux qui faisaient le service de la table nous avons su, qu'après la danse des mimes de la cour ou plutôt

au milieu, Salomé avait fait irruption en dansant dans la salle du banquet, et les mimes, devant la princesse,

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s'étaient plaquées contre les murs. La danse était parfaite, nous a-t-on dit, lubrique et parfaite. Digne des

hôtes... Hérode... Oh ! peut-être un nouveau désir d'inceste fermentait en son intérieur !... Hérode, à la fin de

cette danse dit, enthousiasmé, à Salomé : "Tu as bien dansé ! Je jure que tu as mérité une récompense. Je jure

que je te la donnerai. Je jure que je te donnerai tout ce que tu peux me demander. Je le jure en présence de

tous. Et une parole de roi est fidèle, même sans serments. Demande donc ce que tu veux."

Et Salomé, feignant l'embarras, l'innocence et la modestie, s'enveloppant de ses voiles, avec une moue

pudique, après tant d'impudicité, dit : "Permets-moi. ô grand, de réfléchir un moment. Je vais me retirer et

puis je reviendrai, parce que ta faveur m'a troublée"... et elle se retira pour aller trouver sa mère.

Selma m'a dit qu'elle entra en riant et en disant : "Mère, tu as gagné. Donne-moi le plateau." Hérodiade, avec

un cri de triomphe, ordonna à l'esclave de remettre à sa fille le plateau qu'elle avait conservé auparavant, en

disant : "Va, et reviens avec la tête haïe et je t'habillerai de perles et d'or." Et Selma, horrifiée, obéit...

Salomé rentra en dansant dans la salle et, en dansant, alla se prosterner aux pieds du roi, Elle dit : "Sur ce

plateau que tu as envoyé à ma mère, pour marquer que tu l'aimes et que tu m'aimes, je veux la tête de Jean.

Et puis je danserai encore, puisque cela te plaît tant. Je danserai la danse de la victoire parce que j'ai vaincu !

Je t'ai vaincu, roi ! J'ai vaincu la vie et je suis heureuse !" Voilà ce qu'elle a dit et que nous a répété un

échanson ami.

Et Hérode se troubla, pris entre deux décisions : être fidèle à sa parole, être juste. Mais il ne sut pas être

juste, car c'est un injuste. Il fit signe au bourreau qui était derrière le siège royal, et celui-ci, ayant pris des

mains de Salomé le plateau qu'elle présentait, descendit de la salle du festin vers les pièces du bas. Nous le

vîmes, Jean et moi, traverser la cour... et peu après nous entendîmes le cri de Siméon : "Assassins !" et puis

nous le vîmes repasser avec la tête sur le plateau... Jean, ton Précurseur était mort..."

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"Siméon, peux-tu me dire comment il est mort ?" demande Jésus après un moment.

"Oui. Il était en prière... Il m'avait dit auparavant : "D'ici peu les deux envoyés vont revenir et ceux qui ne

croient pas croiront. Mais, cependant, rappelle-toi que si je ne vivais plus à leur retour, comme quelqu'un qui

est près de la mort, je te dis encore pour que tu le leur redises : 'Jésus de Nazareth est le vrai Messie'. " Il

pensait toujours à Toi... Le bourreau entra. Je criai à haute voix. Jean leva la tête et le vit, Il se leva et dit :

"Tu ne peux que m'enlever la vie. Mais la vérité qui dure, c'est qu'il n'est pas permis de faire le mal." Et il

allait me dire quelque chose quand le bourreau fit tournoyer sa lourde épée, pendant que Jean était debout, et

la tête tomba du buste avec un grand flot de sang qui rougit sa peau de chèvre et rendit blanc comme de la

cire le visage maigre où les yeux restèrent vivants, ouverts, accusateurs. Elle roula à mes pieds... Je tombai

en même temps que son corps, évanoui par le trop de douleur... Après... après… Après qu'Hérodiade l'eut

lacérée, la tête fut jetée aux chiens. Mais nous la recueillîmes promptement et nous l'attachâmes avec le tronc

dans un voile précieux. De nuit nous avons recomposé le corps et nous l'avons transporté hors de

Machéronte. Nous l'avons embaumé dans un bosquet d'acacias tout près de là dès le lever du soleil avec

l'aide d'autres disciples... Mais il fut encore pris pour être de nouveau lacéré. Car elle ne peut le détruire et

elle ne peut lui pardonner... Et ses esclaves, craignant d'être mis à mort, ont été plus féroces que des chacals

pour nous enlever cette tête. Si tu avais été là, Manaën..."

"Si j'y avais été... Mais c'est sa malédiction, cette tête... Cela n'enlève rien à la gloire du Précurseur même si

le corps est incomplet. N'est-ce pas, Maître ?"

"C'est vrai. Même si les chiens l'avaient détruit, sa gloire n'aurait pas changé."

"Et sa parole n'a pas changé, Maître. Ses yeux, bien que blessés, lacérés, disent encore : "Cela ne t'est pas

permis." Mais nous l'avons perdu !" dit Mathias.

"Et maintenant nous sommes à Toi, parce que c'est ce que lui a dit, en disant aussi que tu le sais déjà."

"Oui. Depuis des mois vous m'appartenez. Comment êtes-vous venus ?"

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"À pied, par étapes. Long, pénible le chemin, sous le soleil brûlant et parmi les sables brûlants, encore plus

brûlant par la douleur. Il y a environ vingt jours que nous marchons..."

"Maintenant vous allez vous reposer."

Manaën demande : "Dites : est-ce que Hérode ne s'est pas étonné de mon absence ?"

"Si. Il a été d'abord inquiet, puis furieux mais passée sa fureur, il a dit : "Un juge de moins." C'est ce que

nous a rapporté l'échanson ami."

Jésus dit : "Un juge de moins ! Il a Dieu pour juge et cela lui suffit. Venez où nous dormons. Vous êtes

fatigués et poussiéreux, vous trouverez des vêtements et des sandales de vos compagnons. Prenez-les,

changez-vous. Ce qui appartient à l'un, appartient à tous. Toi, Mathias, qui es grand, tu peux prendre l’un de

mes vêtements. Puis nous pourvoirons. Dans la soirée, puisque c'est la veille du sabbat, mes apôtres

viendront. La semaine prochaine Isaac viendra avec ses disciples, puis viendront Benjamin et Daniel, après

les Tabernacles, Élie, Joseph et Lévi viendront aussi. Il est temps qu'aux douze s'unissent les autres. Allez

maintenant vous reposer."

Manaën les accompagne et puis revient. Jésus reste avec Manaën. Il s'assied, pensif, visiblement attristé, la

tête inclinée sur la main, le coude appuyé sur le genou pour le soutenir. Manaën est assis près de la table et

ne bouge pas. Mais il est sombre. Son visage est une tempête.

Longtemps après, Jésus lève la tête, le regarde et demande : "Et toi ? Que vas-tu faire maintenant ?"

"Je ne le sais pas encore... Le projet de rester à Machéronte est fini. Mais je voudrais encore rester près de la

cour, pour savoir... et ainsi pouvoir te protéger."

"Il te conviendrait mieux de me suivre sans atermoiement. Mais je ne te force pas. Tu viendras quand sera

détruit, molécule après molécule, le vieux Manaën."

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"Je voudrais aussi enlever cette tête à cette femme. Elle n'est pas digne de la posséder..."

Jésus esquisse un pâle sourire et dit franchement : "Et puis, tu n'es pas encore mort aux richesses humaines,

mais tu m'es quand même cher. Je sais que je ne te perds pas, même si j'attends. Je sais attendre..."

"Maître, je voudrais te donner ma générosité pour te consoler... parce que tu souffres. Je le vois."

"C'est vrai. Je souffre. Beaucoup ! Beaucoup !..."

"Seulement pour Jean ? Je ne crois pas. Tu le sais en paix."

"Je le sais en paix et je le sens tout près."

"Et alors ?"

"Et alors !... Manaën, qu'est-ce que l'aube précède ?"

"Le jour, Maître. Pourquoi le demandes-tu ?"

"Parce que la mort de Jean précède le jour où je serai le Rédempteur. Et ce qu'il y a d'humain en Moi frémit à

cette pensée... Manaën, je vais sur la colline. Toi reste pour recevoir ceux qui viennent, pour secourir ceux

qui sont déjà venus. Reste jusqu'à mon retour. Puis... tu feras ce que tu voudras. Adieu."

Et Jésus quitte la pièce. Il descend doucement l'escalier, traverse le jardinet, par derrière, il prend un sentier

au milieu des jardins abandonnés et des vergers d'oliviers, de pommiers, de vignes et de figuiers. Il remonte

la pente d'une petite colline d'où il disparaît à ma vue.

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Exécution de Jean le Baptiste

3 Hérode avait arrêté Jean,

Il l’avait fait enchaîner et emprisonner

À cause d’Hérodiade, la femme de Philippe,

Son frère ; 4 car Jean lui disait : “ Tu n’as pas le droit

De l’avoir. ” 5 Pourtant tout en voulant le tuer,

Il craignait la foule qui tenait pour un prophète

Jean.

6 Quand ce fut l’anniversaire d’Hérode, la fille

d’Hérodiade dansa en public et elle plut

À Hérode. 7 Alors il jura de lui donner

Ce qu’elle demanderait.

8 Elle, poussée par sa mère :

“ Donne-moi, dit-elle la tête de Jean

Le Baptiste sur un plat ”. 9 Bien qu’attristé, le roi

À cause des serments et des convives donna

L’ordre qu’on la lui donne. 10 Alors il envoya

Décapiter Jean dans sa prison, 11 et la tête

Fut décapitée sur le plat(eau) à la fillette

Qui l’apporta à sa mère. 12 Alors s’avançant

Ses disciples prirent le corps et l’ensevelirent,

Puis ils vinrent informer Jésus.

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La première multiplication des pains

C'est toujours le même endroit. Seulement le soleil ne vient plus de l'orient en filtrant à travers le fourré qui

borde le Jourdain en ce lieu sauvage près de l'endroit où les eaux du lac débouchent dans le lit du fleuve,

mais il arrive, pareillement oblique, du couchant, pendant qu'il descend dans une gloire de rouge, en rayant

le ciel de ses derniers rayons. Et sous l'épais feuillage, la lumière est très adoucie et tend vers les teintes

paisibles du soir. Les oiseaux, enivrés du soleil qu'ils ont eu tout le jour, de la nourriture abondante qu'ils ont

prise dans les campagnes voisines, se livrent à une bacchanale de trilles et de chants au sommet des arbres.

Le soir tombe avec les pompes finales de la journée. Les apôtres le font remarquer à Jésus qui donne

toujours son enseignement d'après les exemples qui se présentent à Lui.

"Maître, le soir approche, l'endroit est désert, éloigné des maisons et des villages, ombreux et humide. Sous

peu, ici il ne sera plus possible de nous voir ni de marcher. La lune se lève tard. Renvoie le peuple pour qu'il

aille à Tarichée ou aux villages du Jourdain pour acheter de la nourriture et chercher un logement."

"Il n'est pas nécessaire qu'ils s'en aillent. Donnez-leur à manger, ils peuvent dormir ici comme ils ont dormi

en m'attendant."

"Il ne nous reste que cinq pains et deux poissons, Maître, tu le sais."

"Apportez-les-moi."

"André, va chercher l'enfant. C'est lui qui garde la bourse. Il y a peu de temps il était avec le fils du scribe et

deux autres, occupé à se faire des couronnes de fleurs en jouant au roi." André y va vivement et aussi Jean et

Philippe se mettent à chercher Margziam dans la foule toujours en déplacement. Ils le trouvent presque en

même temps, avec son sac de vivres en bandoulière, un long sarment de clématite enroulé autour de la tête et

une ceinture de clématite de laquelle pend, en guise d'épée, une massette dont la garde est la massette

proprement dite, la lame sa tige. Avec lui, il y en a sept autres pareillement chamarrés, et ils font un cortège

au fils du scribe, un enfant très grêle, avec l’œil très sérieux de qui a tant souffert qui, plus fleuri que les

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autres, tient le rôle de roi.

"Viens, Margziam. Le Maître te demande !"

Margziam plante là ses amis et s'en va rapidement, sans même enlever ses... ornements floraux, mais les

autres le suivent aussi et Jésus est vite entouré d'une couronne d'enfants enguirlandés. Il les caresse pendant

que Philippe sort du sac un paquet avec du pain, au milieu duquel sont enveloppés deux gros poissons : deux

kilos de poissons, un peu plus. Insuffisants même pour les dix-sept, ou plutôt les dix-huit avec Manaën, de la

troupe de Jésus. On apporte ces vivres au Maître.

"C'est bien. Maintenant apportez-moi des paniers. Dix-sept, un pour chacun. Margziam donnera la nourriture

aux enfants ..."

Jésus regarde fixement le scribe qui est toujours resté près de Lui et lui demande : "Veux-tu donner, toi

aussi, la nourriture aux affamés ?"

"Cela me plairait, mais moi aussi j'en suis démuni."

"Donne la mienne. Je te le permets."

"Mais... tu as l'intention de rassasier presque cinq mille hommes, et en plus les femmes et les enfants, avec

ces deux poissons et ces cinq pains ?"

"Sans aucun doute. Ne sois pas incrédule. Celui qui croit, verra s'accomplir le miracle."

"Oh ! alors, je veux bien distribuer la nourriture, moi aussi !"

"Alors, fais-toi donner un panier, toi aussi."

Les apôtres reviennent avec des paniers et des corbeilles larges et peu profonds, ou bien profonds et étroits.

Et le scribe revient avec un panier plutôt petit. On se rend compte que sa foi ou son manque de foi lui a fait

l’a fait choisir comme le plus grand possible.

"C'est bien. Mettez tout ici devant et faites asseoir les foules en ordre, en rangs réguliers, autant que

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possible."

Et pendant cette opération, Jésus élève les pains avec les poissons par-dessus, les offre, prie et bénit. Le

scribe ne le quitte pas un instant des yeux. Puis, Jésus rompt les cinq pains en dix-huit parts et de même les

deux poissons en dix-huit parts. Il met un morceau de poisson, un bien petit morceau, dans chaque panier et

fait des bouchées avec les dix-huit morceaux de pain. Chaque morceau en plusieurs bouchées. Elles sont

nombreuses relativement : une vingtaine, pas plus. Chaque morceau est placé dans un panier, après avoir été

fragmenté, avec le poisson.

"Et maintenant prenez et donnez à satiété. Allez. Va, Margziam, le donner à tes compagnons."

"Oh ! comme c'est lourd !" dit Margziam en soulevant son panier et en allant tout de suite vers ses petits

amis. Il marche comme s'il portait un fardeau.

Les apôtres, les disciples, Manaën, le scribe le regardent partir ne sachant que penser... Puis ils prennent les

paniers, et en secouant la tête, se disent l'un à l'autre : "Le gamin plaisante ! Ce n'est pas plus lourd qu'avant."

Le scribe regarde aussi à l'intérieur et met la main pour tâter au fond du panier parce qu'il n'y a plus

beaucoup de lumière, là, sous le couvert où Jésus se trouve, alors que plus loin, dans la clairière, il fait

encore assez clair. Mais pourtant, malgré la constatation, ils vont vers les gens et commencent la

distribution. Ils donnent, ils donnent, ils donnent. Et de temps à autre, ils se retournent, étonnés, de plus en

plus loin, vers Jésus qui, les bras croisés, adossé à un arbre, sourit finement de leur stupeur.

La distribution est longue et abondante... Le seul qui ne manifeste pas d'étonnement c'est Margziam qui rit,

heureux de remplir de pain et de poisson les mains de tant de pauvres enfants. Il est aussi le premier à revenir

vers Jésus, en disant : "J'ai tant donné, tant, tant !... car je sais ce que c'est que la faim ..." et il lève son visage

qui n'est plus émacié qu'en un souvenir maintenant disparu cependant il pâlit, en écarquillant les yeux... Mais

Jésus le caresse et le sourire revient, lumineux, sur ce visage enfantin qui, confiant, s'appuie contre Jésus,

son Maître et Protecteur.

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Tout doucement les apôtres et les disciples reviennent, rendus muets par la stupeur. Le dernier, le scribe qui

ne dit rien. Mais il fait un geste qui est plus qu'un discours : il s'agenouille et baise la frange du vêtement de

Jésus.

"Prenez votre part, et donnez-m'en un peu. Mangeons la nourriture de Dieu."

Ils mangent en effet du pain et du poisson, chacun selon son appétit... Pendant ce temps, les gens, rassasiés,

échangent leurs impressions. Même ceux qui sont autour de Jésus se risquent à parler en regardant Margziam

qui, en finissant son poisson, plaisante avec les autres enfants.

"Maître, demande le scribe, pourquoi l'enfant a-t-il tout de suite senti le poids, et nous pas ? J'ai même fouillé

à l'intérieur. Il n'y avait toujours que ces quelques bouchées de pain et cet unique morceau de poisson. J'ai

commencé à sentir le poids en allant vers la foule, mais si cela avait pesé pour la quantité que j'ai donné, il

aurait fallu un couple de mulets pour le transport, non plus le panier, mais un char complet chargé de

nourriture. Au début, j'y allais doucement... puis je me suis mis à donner, à donner, et pour ne pas être

injuste, je suis revenu vers les premiers en faisant une nouvelle distribution parce qu'aux premiers j'avais

donné peu de chose. Et pourtant, il y en a eu assez."

"Moi aussi, j'ai senti que le panier devenait lourd pendant que j'avançais, et tout de suite j'ai donné

abondamment, car j'ai compris que tu avais fait un miracle." dit Jean.

"Moi, au contraire, je me suis arrêté et me suis assis, pour renverser sur mon vêtement le fardeau et me

rendre compte... Alors j'ai vu des pains et des pains, et j'y suis allé." dit Manaën.

"Moi, je les ai même compté pour ne pas faire piètre figure. Il y avait cinquante petits pains. Je me suis dit :

"Je vais les donner à cinquante personnes, et puis je reviendrai." Et j'ai compté. Mais, arrivé à cinquante, il y

avait toujours le même poids. J'ai regardé à l'intérieur. Il y en avait encore tant. Je suis allé de l'avant et j'en ai

donné par centaine. Mais cela ne diminuait jamais." dit Barthélemy.

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"Moi, je le reconnais, je n'y croyais pas. J'ai pris dans mes mains les bouchées de pain et ce petit morceau de

poisson et je les regardais en disant : "À quoi cela va servir ? Jésus a voulu plaisanter !..." et je les regardais, je

les regardais, restant caché derrière un arbre, espérant et désespérant de les voir croître. Mais c'était toujours la

même chose. J'allais revenir quand Mathieu est passé et m'a dit : "Tu as vu comme ils sont

beaux ?"

"Quoi ?" ai-je dit.

"Mais les pains et les poissons !... "

"Tu es fou ? Moi, je vois toujours des morceaux de pain."

"Va les distribuer avec foi, et tu verras. J’ai jeté dans le panier ces quelques bouchées et je suis allé avec

réticence… Et puis… pardonne-moi, Jésus car je suis pécheur !", dit Thomas.

"Non, tu es un esprit du monde. Tu raisonnes comme les gens du monde."

"Moi aussi, Seigneur, alors", dit l’Iscariote. "Au point que j’ai pensé donner une pièce avec le pain en

pensant : "Ils mangeront ailleurs." J’espérais t’aider à faire meilleure figure. Que suis-je donc, moi ? Comme

Thomas ou davantage ?"

"Bien plus que Thomas, tu es "monde."

"Mais pourtant j’ai pensé faire l’aumône pour être Ciel ! C’étaient mes deniers à moi…"

"Aumône à toi-même et à ton orgueil et non pas à Dieu. Ce dernier n’en a pas besoin et l’aumône à ton

orgueil est une faute, pas un mérite."

Judas baisse la tête et se tait.

"Moi de mon côté, dit Simon le Zélote, je pensais que cette bouchée de poisson, ces bouchées de pain, il me

fallait les fragmenter pour qu’elles suffisent. Mais je ne doutais pas qu’elles auraient suffit pour le nombre et

la valeur nutritive. Une goutte d’eau, donnée par Toi, peut être plus nourrissante qu’un banquet."

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"Et vous, que pensiez-vous ?" demande Pierre aux cousins de Jésus.

"Nous nous rappelions Cana… et nous ne doutions pas" dit sérieusement Jude.

"Et toi, Jacques, mon frère, tu n’as pensé qu’à cela ?"

"Non. J’ai pensé que c’était un sacrement. Comme tu m’en as parlé… Est-ce ainsi ou je me trompe ?"

Jésus sourit : "Oui et non. À la vérité de la puissance d’une goutte d’eau, exprimée par Simon, il faut ajouter

ta pensée pour une figure lointaine. Mais ce n’est pas encore un sacrement."

Le scribe garde une croûte entre ses doigts.

"Qu’en fais-tu ?"

"Un… souvenir."

"Je la garde moi aussi. Je la mettrai au cou de Margziam dans un sachet.", dit Pierre.

"Moi, je la porterai à notre mère." dit Jean.

"Et nous ? Nous avons tout mangé…" disent les autres, mortifiés.

"Levez-vous. Faites de nouveau le tour avec les paniers, recueillez les restes. Séparez les gens les plus

pauvres d’avec les autres et amenez-les-moi ici, avec les paniers. Et puis vous, mes disciples, allez tous vers

les barques et prenez le large pour aller à la plaine de Génésareth. Je vais congédier les gens après avoir fait

une distribution aux plus pauvres et puis je vous rejoindrai."

Les apôtres obéissent... et reviennent avec douze paniers combles de restes, et suivis d'une trentaine de

mendiants ou de personnes très misérables.

"C'est bien. Allez."

Les apôtres et ceux de Jean saluent Manaën et s'en vont avec un peu de regret de quitter Jésus. Mais ils

obéissent. Manaën attend, pour quitter Jésus, que la foule, aux dernières lueurs du jour, s'en aille vers les

villages ou cherche une place pour dormir parmi les joncs hauts et secs. Puis il fait ses adieux. Avant lui s'en

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est allé le scribe, un des premiers même, parce que, avec son petit garçon, il a suivi les apôtres.

Lorsque tout le monde est parti ou s'est endormi, Jésus se lève, bénit les dormeurs et à pas lents se dirige vers

le lac, vers la péninsule de Tarichée élevée de quelques mètres comme si c'était une avancée de colline dans

le lac. Lorsqu'il en a rejoint le pied, sans entrer dans la ville, mais en la côtoyant, il gravit le monticule et

s'installe sur un rocher, pour prier, face à l'azur et à la blancheur du clair de lune dans la nuit sereine.

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Première multiplication des pains

13 L’ayant appris

Jésus se retira en bateau vers un lieu

Désert, à l’écart. Mais les foules l’apprirent, à pied

Depuis les villes, elles le suivirent. 14 En débarquant

Il vit une foule nombreuse, il eut pitié

D’eux et guérit leurs infirmes.

15 Or, le soir venu,

Les disciples s’approchèrent et lui dirent ceci :

“ Le lieu est désert, et l’heure est passée, renvoie

Les foules pour qu’elles s’en aillent dans les bourgs acheter

À manger. ”

16 Jésus leur dit : “Elles n’ont pas besoin

De s’en aller. Donnez-leur vous-mêmes à manger.”

17 Mais ils lui disent : “ Nous n’avons ici que cinq pains

Et deux poissons. ” 18 Et il dit : “ Apportez-les moi

Ici.” 19 Il donna l’ordre aux foules de l’étendre

Et ayant pris les cinq pains et les deux poissons

Regardant au ciel, il dit la bénédiction,

Il rompit les pains et les donna aux disciples

Qui les donnèrent aux foules. 20 Tous en mangèrent et furent

Rassasiés, et l’on enleva ce qui restait

Des morceaux : douze couffins pleins ! 21 Or ceux qui mangèrent

Étaient environ cinq mille hommes, sans compter femmes

Et enfants.

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Jésus marche sur les eaux

La soirée est avancée. Il fait presque nuit car on voit à peine sur le sentier qui grimpe sur un coteau où l'on

voit ça et là des arbres qui me semblent être des oliviers mais étant donné le peu de lumière, je ne puis

l'assurer. En somme, ce sont des arbres de taille moyenne, avec une épaisse frondaison et tordus comme le

sont d'ordinaire les oliviers.

Jésus est seul, habillé de blanc avec son manteau bleu foncé. Il monte et s'enfonce parmi les arbres. Il

chemine d'un pas allongé et tranquille, sans hâte, mais à cause de la longueur de ses foulées il fait, sans se

presser, beaucoup de chemin. Il marche jusqu'à ce qu'il rejoigne une sorte de balcon naturel d'où la vue

s'étend sur le lac tout à fait paisible sous la lumière des étoiles dont les yeux de lumière fourmillent

maintenant dans le ciel. Le silence enveloppe Jésus de son embrassement reposant. Il le détache des foules et

de la terre et les Lui fait oublier, en l'unissant au ciel qui semble s'abaisser pour adorer le Verbe de Dieu et le

caresser de la lumière de ses astres.

Jésus prie dans sa pose habituelle : debout et les bras en croix. Il a derrière Lui un olivier et paraît crucifié

sur ce fût obscur. La frondaison le dépasse de peu, grand comme il est, et remplace, par une parole qui

convient au Christ, l'inscription de la croix. Là-bas : "Roi des Juifs." Ici : "Prince de la paix." L'olivier

pacifique s'exprime bien pour qui sait entendre. Jésus prie longuement, puis il s'assied sur le balcon qui sert

de base à l'olivier, sur une grosse racine qui dépasse et il prend son attitude habituelle : les mains jointes et

les coudes sur les genoux. Il médite. Qui sait quelle divine conversation il échange avec le Père et l'Esprit en

ce moment où il est seul et peut être tout à Dieu. Dieu avec Dieu !

Il me semble que plusieurs heures passent ainsi car je vois les étoiles se déplacer et plusieurs sont déjà

descendues à l'occident.

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Justement pendant qu'un semblant de lumière, ou plutôt de luminosité parce que cela ne peut encore

s'appeler lumière, se dessine à l'extrême horizon du côté de l'orient, un frisson de vent secoue l'olivier. Puis,

c'est le calme. Puis, il reprend plus fort. Avec des pauses syncopées, il devient de plus en plus violent. La

lumière de l'aube qui commençait à peine, est arrêtée dans sa progression par une masse de nuages noirs qui

viennent occuper le ciel, poussée par des rafales de vent toujours plus fortes. Le lac aussi a perdu sa

tranquillité. Il me semble qu'il va subir une bourrasque comme celle que j'ai déjà vue dans la vision de la

tempête. Le bruissement des feuilles et le grondement des flots remplissent maintenant l'espace, il y a un

moment si tranquille.

Jésus sort de sa méditation. Il se lève. Il regarde le lac. Il y cherche, à la lumière des étoiles qui restent et de

l'aube malade, et il voit la barque de Pierre qui avance péniblement vers la rive opposée, mais n'y arrive pas.

Jésus s'enveloppe étroitement dans son manteau dont il relève le bord, qui traîne et qui le gênerait dans la

descente, sur sa tête, comme si c'était un capuchon, et il descend rapidement, non par la route qu'il avait

suivie mais par un sentier rapide qui rejoint directement le lac. Il va si vite qu'il semble voler.

Il parvient à la rive fouettée par les vagues qui font sur la grève une bordure bruyante et écumeuse. Il

poursuit rapidement son chemin comme s'il ne marchait pas sur l'élément liquide tout agité, mais sur un

plancher lisse et solide. Maintenant Lui devient lumière. Il semble que le peu de lumière qui arrive encore

des rares étoiles qui s'éteignent et de l'aube orageuse se concentre sur Lui et elle forme une sorte de

phosphorescence qui éclaire son corps élancé. Il vole sur les flots, sur les crêtes écumeuses, dans les replis

obscurs entre les vagues, les bras tendus en avant avec son manteau qui se gonfle autour des joues et qui

flotte, comme il peut, serré comme il est autour du corps, avec un battement d'ailes.

Les apôtres le voient et poussent un cri d'effroi que le vent apporte à Jésus.

« Ne craignez pas. C'est Moi.» La voix de Jésus, malgré le vent contraire, se répand sans difficulté sur le lac.

« Est-ce bien Toi, Maître ? » demande Pierre. « Si c'est Toi, dis-moi de venir à ta rencontre en marchant

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comme Toi sur les eaux. »

Jésus sourit : « Viens » dit-il simplement, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde de marcher

sur l'eau. Et Pierre, demi-nu comme il est avec une courte tunique sans manches, fait un saut par-dessus bord

et va vers Jésus.

Mais, quand il est à une cinquantaine de mètres de la barque et à peu près autant de Jésus, il est pris par la

peur. Jusque-là, il a été soutenu par son élan d'amour. Maintenant l'humanité a raison de lui et... il tremble

pour sa vie. Comme quelqu'un qui se trouve sur un sol qui se dérobe ou sur des sables mouvants, il

commence à chanceler, à s'agiter, à s'enfoncer. Plus il s'agite et tremble de peur, plus il s'enfonce.

Jésus s'est arrêté, et le regarde. Sérieux, il attend mais il ne lui tend même pas la main. Il garde ses bras

croisés. Il ne fait plus un pas et ne dit plus un mot.

Pierre s'enfonce. Disparaissent les chevilles, puis les jambes, puis les genoux. Les eaux arrivent à l'aine, la

dépassent, montent vers la ceinture. La terreur se lit sur son visage. Une terreur qui paralyse aussi sa pensée.

Ce n'est plus qu'une chair qui a peur de se noyer. Il ne pense même pas à se jeter à l'eau. À rien. Il est hébété

par la peur.

Finalement, il se décide à regarder Jésus. Et il suffit qu'il le regarde pour que son esprit commence à

raisonner, à saisir où se trouve le salut. « Maître, Seigneur, sauve-moi. »

Jésus desserre ses bras et, comme s'il était porté par le vent et par l'eau, il se précipite vers l'apôtre et lui tend

la main en disant : « Oh ! Homme de peu de foi. Pourquoi as-tu douté de Moi ? Pourquoi as-tu voulu agir

tout seul ? »

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Pierre, qui s'est agrippé convulsivement à la main de Jésus, ne répond pas. Il le regarde pour voir s'il est en

colère, il le regarde avec un reste de peur qui se mêle au repentir qui s'éveille. Mais Jésus sourit et le tient

étroitement par le poignet jusqu'à ce que, après avoir rejoint la barque, ils en franchissent le bord et y entrent.

Et Jésus commande : « Allez à la rive. Lui est tout trempé. » Et il sourit en regardant le disciple humilié.

Les vagues s'apaisent pour faciliter l'abordage et la ville, vue l'autre fois du haut d'une colline, apparaît audelà

de la rive.

La vision s'arrête ici.

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Jésus marche sur la mer

16 Le soir

Venu, ses disciples descendirent à la mer

Et, 17 montés dans un bateau, de l'autre côté,

De la mer à Capharnaüm, ils s'en allaient.

Déjà, l'obscurité était venue, Jésus

Ne les avait pas encore rejoints, 18 et la mer

S'agitait du souffle d'un grand vent.19 Or après

Avoir ramé vingt-cinq ou trente stades, ils voient

Jésus marcher sur la mer et se rapprocher

Du bateau, et ils eurent peur. 20 Mais il leur dit :

"C'est moi ; n'ayez pas peur." 24 Ils allaient donc le prendre

Dans le bateau, aussitôt le bateau toucha

Terre au lieu où ils allaient.

323


Renoncer pour suivre Jésus

Jésus se dirige vers le Temple. Il est précédé par les disciples en groupes, et suivi par les femmes disciples

en groupe : sa Mère, Marie de Cléophas, Marie Salomé, Suzanne, Jeanne de Chouza, Élise de Béthsur,

Annalia de Jérusalem, Marthe et Marcelle. Marie de Magdala n'est pas là. Autour de Jésus, les douze apôtres

et Margziam.

Jérusalem est dans la pompe de ses jours de solennité. Des gens sur toutes les routes, et de toutes les régions.

Cantiques, discours, murmures de prières, imprécations des âniers, quelques pleurs de bébés et, au-dessus de

tout cela, un ciel clair qui se montre entre les maisons et un soleil qui descend joyeux pour raviver les

couleurs des vêtements, pour embraser les couleurs mourantes des tonnelles et des arbres que l'on aperçoit ça

et là au-delà des murs des jardins clos ou des terrasses.

Parfois Jésus croise des personnes de sa connaissance et le salut est plus ou moins respectueux selon

l'humeur de celui qu'il croise. C'est ainsi qu'est profond, mais condescendant, celui de Gamaliel. Ce dernier

regarde fixement Etienne, qui lui sourit du groupe des disciples, et qu'après s'être incliné devant Jésus,

Gamaliel appelle à part et lui dit quelques mots, après quoi Etienne revient dans son groupe. Plein de

vénération est le salut du vieux chef de la synagogue Cléophas d'Emmaüs, qui se dirige avec ses concitoyens

vers le Temple. Dur comme une malédiction la réponse au salut de Jésus des pharisiens de Capharnaüm.

De la part des paysans de Giocana, conduits par l'intendant, c'est un prosternement dans la poussière de la

route pendant qu'ils baisent les pieds de Jésus. La foule s'arrête pour observer avec étonnement ce groupe

d'hommes qui. à un carrefour se précipitent en criant aux pieds d'un homme jeune qui n'est pas un pharisien

ni un scribe renommé, qui n'est pas un satrape ni un courtisan puissant, et quelqu'un demande qui c'est. Et un

chuchotement se répand : "C'est le Rabbi de Nazareth, celui dont on dit qu'il est le Messie."

324


Prosélytes et gentils l'entourent alors avec curiosité, poussant le groupe contre le mur, créant un

encombrement dans la toute petite place, jusqu'à ce qu'un groupe d'âniers les disperse en maudissant

l'obstruction. Mais la foule, sans tarder, se rassemble de nouveau, séparant les femmes des hommes,

exigeante, brutale dans ses manifestations qui sont encore de la foi. Tout le monde veut toucher les

vêtements de Jésus, Lui dire un mot, l'interroger. Et c'est un effort inutile parce que leur hâte elle-même, leur

anxiété, leur agitation pour passer aux premiers rangs, en se repoussant mutuellement, fait que personne n'y

réussit, et même les questions et les réponses se fondent en une rumeur inintelligible.

Le seul qui s'arrache à la scène, c'est le grand-père de Margziam, qui a répondu par un cri au cri de son petitfils

et, tout de suite après avoir vénéré le Maître, a serré sur son cœur son enfant et se tenant ainsi, appuyé

sur les talons, les genoux à terre, l'a assis sur son sein, l'admire et le caresse avec des larmes et des baisers

joyeux, le questionne et l'écoute. Le vieillard est déjà au Paradis, tant il est heureux.

Les soldats romains accourent, croyant qu'il y a quelque rixe et se font un passage. Mais, quand ils voient

Jésus, ils ont un sourire et se retirent tranquillement, se bornant à conseiller à ceux qui sont là de laisser libre

l'important carrefour. Et Jésus obéit de suite, profitant de l'espace libre qu'ont fait les Romains qui le

précèdent de quelques pas comme pour Lui ouvrir le chemin, en réalité pour revenir à leur poste de garde car

la garnison romaine est très renforcée, comme si Pilate savait qu'il y a du mécontentement dans la foule et

comme s'il craignait un soulèvement dans ces jours où Jérusalem est remplie d'hébreux venus de toute part.

Et il est beau de le voir aller précédé du détachement romain comme un roi dont on dégage la route pendant

qu'il se rend à ses propriétés. Il a dit, tout en se déplaçant, à l'enfant et au vieillard : "Restez ensemble et

suivez-moi" et à l'intendant : "Je te prie de me laisser tes hommes. Ils seront mes hôtes jusqu'au soir."

L'intendant répond avec déférence : "Qu'il en soit en tout comme tu veux" et il s'en va seul après un profond

salut.

325


Il est désormais près du Temple, et le fourmillement de la foule, réellement comme des fourmis près de la

fourmilière, est encore plus dense, lorsqu'un paysan de Giocana crie : "Voici le maître !" et, imité par les autres,

il tombe à genoux pour le saluer. Jésus reste debout au milieu du groupe des paysans parce qu'ils étaient serrés

autour de Lui, et il tourne son regard vers le point indiqué. Il rencontre le regard d'un pharisien richement vêtu,

qui n'est pas nouveau pour moi, mais je ne sais pas où je l'ai vu. Le pharisien Giocana est avec d'autres de sa

caste : un tas d'étoffes précieuses, de franges, de boucles, de ceintures, de phylactères, tout cela plus ample que

d'ordinaire. Giocana regarde attentivement Jésus : un regard de pure curiosité mais pourtant pas irrévérencieux.

Il a même un salut plutôt empesé : il incline tout juste la tête. Mais c'est toujours un salut auquel Jésus répond

avec déférence. Et même deux ou trois autres pharisiens saluent pendant que d'autres regardent avec mépris ou

font semblant de regarder ailleurs, et un seul lance une insulte. C'est sûr car je vois que ceux qui entourent Jésus

sursautent, et même Giocana se retourne tout d'un coup pour foudroyer du regard l'insulteur, un homme plus

jeune que lui, aux traits marqués et durs.

Quand on les a dépassés et les paysans osent parler, l'un d'eux dit : "C'est Doras, Maître, celui qui t'a

maudit."

"Laisse-le faire. J'ai vous qui me bénissez." dit calmement Jésus.

Appuyé, avec d'autres, à une archivolte, se trouve Manaën, et comme il voit Jésus, il lève les bras avec une

exclamation de joie : "C'est une agréable journée, puisque je te trouve !" et il vient vers Jésus, suivi de ceux

qui l'accompagnent. Il le vénère sous l'archivolte ombragée où les voix résonnent comme sous une coupole.

Juste au moment où il le vénère, passent tout près du groupe apostolique les cousins Simon et Joseph avec

d'autres nazaréens... et ils ne saluent pas... Jésus les regarde avec tristesse mais ne dit rien. Jude et Jacques,

excités, se parlent entre eux. Et Jude s'enflamme d'indignation et puis il part en courant, sans que son frère

puisse le retenir. Mais Jésus le rappelle d'un si impérieux : "Jude, viens ici !" que le fils agité d'Alphée

revient en arrière...

326


"Laisse-les faire. Ce sont des semences qui n'ont pas encore senti le printemps. Laisse-les dans l'obscurité de

la motte rétive. Je les pénétrerai quand même, même si la motte devient de la jaspe qui enveloppe la

semence. Je le ferai au moment voulu."

Mais plus forts que la réponse de Jude d'Alphée, résonnent les pleurs de Marie d'Alphée, désolée. La longue

plainte d'une personne humiliée...

Mais Jésus ne se retourne pas pour la consoler bien que cette plainte résonne nettement sous l'archivolte qui

lui fait de multiples échos. Il continue de parler avec Manaën qui lui dit : "Ceux qui sont avec moi, sont des

disciples de Jean. Ils veulent, comme moi, t'appartenir."

"La paix soit aux bons disciples. Là, en avant, ce sont Mathias, Jean et Siméon, avec Moi pour toujours. Je

vous accueille comme je les ai accueillis parce que m'est cher tout ce qui me vient du saint Précurseur."

Et, après avoir rejoint l'enceinte du Temple, Jésus donne des ordres à l'Iscariote et à Simon le Zélote pour les

achats d'usage et les offrandes d'usage. Puis il appelle le prêtre Jean et dit : "Toi qui appartiens à ce lieu, tu

t'occuperas d'inviter quelque lévite que tu sais digne de connaître la Vérité. Car vraiment, cette année, je puis

célébrer une fête joyeuse. Jamais plus il n'y aura un jour aussi doux..."

"Pourquoi, Seigneur ?" demande le scribe Jean.

"Parce que je vous ai autour de Moi, tous, présents visiblement ou spirituellement."

"Mais toujours nous y serons ! Et avec nous beaucoup d'autres" affirme avec véhémence l'apôtre Jean et tous

font chorus.

Jésus sourit et se tait pendant que le prêtre Jean va en avant avec Etienne dans le Temple pour exécuter

l'ordre. Jésus lui crie par derrière : "Rejoignez-nous au Portique des Païens."

327


Ils entrent et presque aussitôt rencontrent Nicodème qui fait un profond salut, mais ne s'approche pas de

Jésus. Pourtant il échange avec Jésus un sourire entendu et paisible.

Pendant que les femmes s'arrêtent à l'endroit qui leur est permis, Jésus, avec les hommes, se rend à la prière à

l'endroit réservé aux hébreux, et puis il revient, après avoir accompli tous les rites, pour retrouver ceux qui

l'attendent au Portique des Païens.

Les portiques très vastes et très élevés sont remplis d'une foule qui écoute les instructions des rabbins. Jésus

se dirige vers l'endroit où il voit arrêtés les deux apôtres et les deux disciples envoyés en avant. Tout de suite

on fait cercle autour de Lui, et aux apôtres et disciples s'unissent aussi d'autres personnes nombreuses qui

étaient ça et là dans la cour de marbre remplie de gens. La curiosité est telle que certains élèves des rabbins,

je ne sais si c'est spontanément ou envoyés par les maîtres, s'approchent du cercle qui se serre autour de

Jésus.

Jésus demande à brûle-pourpoint : "Pourquoi vous pressez-vous autour de Moi ? Dites-le. Vous avez des

rabbis connus et sages, bien vus de tout le monde. Moi, je suis l'Inconnu et le Mal vu. Pourquoi alors venezvous

à Moi ?"

"Parce que nous t'aimons" disent certains, et d'autres : "Parce que tu as des paroles différentes des autres", et

d'autres encore : "Pour voir tes miracles" et "Parce que nous avons entendu parler de Toi" et "Parce que Toi

seul as des paroles de vie éternelle et des œuvres qui correspondent aux paroles" et enfin : "Parce que nous

voulons nous unir à tes disciples."

Jésus regarde les gens au fur et à mesure qu'ils parlent comme s'il voulait les transpercer par le regard pour

lire leurs impressions les plus cachées, et certains, ne résistant pas à ce regard, s'éloignent ou bien se cachent

derrière une colonne ou des gens plus grands qu'eux.

328


Jésus reprend : "Mais savez-vous ce que cela veut dire et ce que cela impose de venir derrière Moi ? Je vais

répondre à ces seules paroles, parce que la curiosité ne mérite pas qu'on lui réponde et parce que celui qui a

faim de mes paroles me donne, en conséquence, son amour et désire s'unir à Moi. Car, parmi ceux qui ont

parlé, il y a deux groupes : les curieux, dont je ne m'occupe pas, les volontaires que j'instruis, sans feinte, de

la sévérité de cette vocation.

Venir à Moi comme disciple, cela veut dire renoncer à tous les amours pour un seul amour : le mien. Amour

égoïste pour soi-même, amour coupable pour les richesses, pour la sensualité ou la puissance, amour honnête

pour l'épouse, amour saint pour la mère, le père, amour affectueux des fils et des frères ou pour les fils et les

frères, tout doit céder à mon amour, si on veut être mien. En vérité je vous dis que plus libres que les oiseaux

qui planent dans les cieux doivent être mes disciples, plus libres que les vents qui parcourent les espaces sans

que personne les retienne, personne ni rien. Libres, sans lourdes chaînes, sans lacets d'amour matériel, sans

même les fils d'araignée fins des plus légères barrières. L'esprit est comme un papillon délicat enfermé dans

un lourd cocon de chair, et son vol peut s'alourdir ou s'arrêter tout a fait, par l'action d'une iridescente et

impalpable toile d'araignée, l'araignée de la sensualité, du manque de générosité dans le sacrifice. Moi, je

veux tout, sans réserve. L'esprit a besoin de cette liberté de donner, de cette générosité de donner, pour

pouvoir être certain de ne pas rester pris dans la toile d'araignée des affections, des coutumes, des réflexions,

des peurs, tendues comme les fils de cette araignée monstrueuse qu'est Satan, voleur des âmes.

Si quelqu'un veut venir à Moi et ne hait pas saintement son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et

ses sœurs, et jusqu'à sa vie, il ne peut être mon disciple. J'ai dit : "hait saintement". Vous, dans votre cœur,

vous dites : "La haine, Lui l'enseigne, n'est jamais sainte. Lui, donc se contredit." Non. Je ne me contredis

pas. Je dis de haïr la pesanteur de l'amour, la passion chamelle de l'amour pour le père et la mère, l'épouse et

les enfants, les frères et les sœurs, et la vie elle-même mais, d'autre part, j'ordonne d'aimer avec la liberté

légère, qui est le propre des esprits, les parents et la vie. Aimez-les en Dieu et pour Dieu, ne faisant jamais

passer Dieu après eux, vous occupant et vous préoccupant de les amener là où le disciple est arrivé, c'est-àdire

à Dieu Vérité. Ainsi vous aimerez saintement les parents et Dieu, en conciliant les deux amours et en

faisant des liens du sang non pas un poids mais une aile, non pas une faute, mais la justice. Même votre vie,

vous devez être prêts à la haïr pour me suivre. Hait sa vie celui qui, sans peur de la perdre ou de la rendre

329


humainement triste, la consacre à mon service. Mais ce n'est qu'un semblant de haine. Un sentiment qui est

appelé de manière incorrecte : "haine", par la pensée de l'homme qui ne sait pas s'élever, de l'homme

uniquement terrestre, de peu supérieur à la brute. En réalité cette haine apparente qui est le refus des

satisfactions sensuelles à l'existence, pour donner une vie toujours plus grande à l'esprit, c'est de l'amour.

C'est de l'amour, le plus élevé qui existe, le plus béni.

Ce refus des basses satisfactions, cette interdiction de la sensualité des affections, ce risque des reproches et

des commentaires injustes, des punitions, des répudiations, des malédictions et, peut-être des persécutions,

est une suite de peines. Mais il faut les embrasser et se les imposer comme une croix, un gibet sur lequel on

expie toutes les fautes passées pour aller justifiés vers Dieu, et par lequel on obtient de Dieu toute grâce

vraie, puissante, sainte, pour ceux que nous aimons. Celui qui ne porte pas sa croix et ne me suit pas, celui

qui ne sait pas le faire, ne peut pas être mon disciple.

Pensez-y donc beaucoup, beaucoup, vous qui dites : "Nous sommes venus parce que nous voulons nous unir

à tes disciples". Ce n'est pas de la honte, mais de la sagesse, de se peser, de se juger, d'avouer à soi-même et

aux autres: "Je n'ai pas l'étoffe d'un disciple". Et quoi ? Les païens ont, à la base de l'un de leurs

enseignements, la nécessité de "se connaître soi-même", et vous, Israélites, pour conquérir le Ciel, vous ne

sauriez pas le faire ?

Car, rappelez-le vous toujours, bienheureux ceux qui viendront à Moi. Mais, plutôt que de venir pour me

trahir Moi et Celui qui m'a envoyé, il vaut mieux ne pas venir du tout et rester les fils de la Loi comme vous

l'avez été jusqu'à présent.

Malheur à ceux qui, ayant dit : "Je viens", nuisent au Christ en trahissant l'idée chrétienne, en scandalisant

les petits, les gens honnêtes ! Malheur à eux ! Et pourtant il y en aura et toujours il y en aura !

330


Imitez donc celui qui veut construire une tour. Il commence par calculer attentivement les dépenses

nécessaires et il compte son argent pour voir s'il a de quoi la terminer pour qu'après avoir fait les fondations

il ne doive pas suspendre les travaux parce qu'il n'a plus d'argent. En ce cas, il perdrait aussi ce qu'il

possédait avant, en restant sans tour et sans talents et en échange il s'attirerait les moqueries du peuple qui

dirait : "Il a commencé à construire sans pouvoir finir. Maintenant, il peut s'emplir l'estomac avec les ruines

de sa construction inachevée."

Imitez encore les rois de la terre, en faisant servir les pauvres événements du monde à un enseignement

surnaturel. Eux, quand ils veulent faire la guerre à un autre roi, examinent tout avec calme et attention, le

pour et le contre, ils réfléchissent pour voir si l'intérêt de la conquête vaut le sacrifice de la vie des sujets, ils

étudient s'il est possible de conquérir ce lieu, si leurs troupes, inférieures de moitié en nombre à celles de leur

rival, même si elles sont plus combatives, peuvent vaincre, et pensant avec justesse qu'il est improbable que

dix mille viennent à bout de vingt mille, avant que se produise la rencontre ils envoient au rival une

ambassade avec de riches présents, et apaisant le rival déjà inquiet des mouvements de troupes de l'autre, le

désarment par des témoignages d'amitié, font disparaître ses soupçons et font avec lui un traité de paix, en

vérité toujours plus avantageux qu'une guerre, aussi bien humainement que spirituellement.

Ainsi vous devez agir avant de commencer la nouvelle vie et se mettre contre le monde. Parce que voici ce

qu'implique d'être mes disciples : aller contre le tourbillonnement et la violence de l'entraînement du monde,

de la chair, de Satan. Et si vous ne vous sentez pas le courage de renoncer à tout par amour pour Moi, ne

venez pas à Moi, parce que vous ne pouvez pas être mes disciples."

"C'est bien. Ce que tu dis est vrai" admet un scribe qui s'est mêlé au groupe. "Mais si nous nous dépouillons

de tout, avec quoi allons-nous te servir ensuite ? La Loi a des commandements qui sont comme de la

monnaie que Dieu donne à l'homme pour que, en s'en servant, il se procure la vie éternelle. Tu dis :

"Renoncez à tout" et tu indiques le père, la mère, les richesses, les honneurs. Dieu a pourtant donné ces

choses et nous a dit, par la bouche de Moïse, de s'en servir saintement pour paraître juste aux yeux de Dieu.

Si tu nous enlèves tout, qu'est-ce que tu nous donnes ?"

331


"Le véritable amour, je l'ai dit, ô rabbi. Je vous donne ma doctrine qui n'enlève pas un iota à la Loi ancienne,

mais au contraire la perfectionne."

"Alors, nous sommes tous des disciples égaux parce que nous avons tous les mêmes choses."

"Nous les avons tous, selon la Loi mosaïque. Pas tous selon la Loi perfectionnée par Moi selon l'Amour.

Mais tous n'atteignent pas, dans cette Loi, la même somme de mérites. Même parmi les disciples qui

m'appartiennent, tous n'arriveront pas à avoir une égale somme de mérites et certains, parmi eux, non

seulement n'auront pas cette somme, mais perdront aussi leur unique monnaie : leur âme."

"Comment ? À qui on a donné davantage, il restera davantage. Tes disciples, ou mieux tes apôtres, te suivent

dans ta mission et sont au courant de tes façons de faire, ils ont reçu énormément, tes disciples effectifs ont

beaucoup reçu, moins ceux qui ne sont disciples que de nom, rien ceux qui, comme moi, ne t'écoutent que

par hasard. Il est évident que les apôtres recevront énormément au Ciel, beaucoup les disciples effectifs,

moins ceux qui ne le sont que de nom, rien ceux qui sont comme moi."

"Humainement c'est évident, et c'est mal aussi humainement. Car tous ne sont pas capables de faire fructifier

les biens qu'ils ont reçus. Écoute cette parabole et pardonne-moi si je développe trop ici mon enseignement.

Mais Moi je suis l'hirondelle de passage et je ne séjourne que peu de temps dans la Maison du Père, car je

suis venu pour le monde entier et ce petit monde du Temple de Jérusalem ne veut pas que je suspende mon

vol et que je reste là où la gloire de Dieu m'appelle."

"Pourquoi dis-tu cela ?"

"Parce que c'est la vérité."

332


Le scribe regarde autour de lui, et puis il baisse la tête. Que ce soit la vérité, il le voit écrit sur trop de visages

de membres du Sanhédrin, de rabbis et de pharisiens qui ont grossi de plus en plus le groupe qui entoure

Jésus. Visages bleus de rage ou rouges de colère, regards qui équivalent à des paroles de malédiction et

crachats empoisonnés, rancœur qui fermente de tous côtés, désir de brutaliser le Christ, qui reste seulement

un désir par peur de la foule qui entoure le Maître, dévouée et prête à tout pour le défendre, peur aussi peutêtre

d'être punis par Rome qui est bienveillante envers le doux Maître galiléen.

333


Renoncer pour suivre Jésus

37 Qui aime père ou mère plus que moi

N’est pas digne de moi, et qui aime fils ou fille

Plus que moi n’est pas digne de moi. 38 À ma suite,

Qui ne prend pas sa croix n’est pas digne de moi.

Qui trouve sa vie, la perdra ; qui perd sa vie

À cause de moi la trouvera.

334


La parabole des talents

Jésus se remet calmement à exposer sa pensée par la parabole : "Un homme, qui était sur le point de faire un

long voyage et de s'absenter pour longtemps, appela tous ses serviteurs et leur confia tous ses biens. À l'un il

donna cinq talents d'argent, à un autre deux talents d'argent, à un troisième un seul talent d'or. À chacun

selon sa situation et son habileté. Et puis il partit.

Maintenant le serviteur qui avait reçu cinq talents d'argent s'en alla faire valoir habilement ses talents et,

après quelque temps, ceux-ci lui en rapportèrent cinq autres. Celui qui avait reçu deux talents fit la même

chose et il doubla la somme qu'il avait reçue. Mais celui auquel le maître avait donné davantage, un talent

d'or pur, paralysé par la peur de ne pas savoir faire, par celle des voleurs, de mille choses chimériques et

surtout par la paresse, fit un grand trou dans la terre et y cacha l'argent de son maître.

De nombreux mois passèrent, et le maître revint. Il appela tout de suite ses serviteurs pour qu'ils lui

rendissent l'argent donné en dépôt. Celui qui avait reçu cinq talents d'argent se présenta et il dit : "Voici, mon

seigneur. Tu m'en as donné cinq. Comme il me semblait qu'il était mal de ne pas faire fructifier l'argent que

tu m'avais donné, je me suis débrouillé et je t'ai gagné cinq autres talents. Je n'ai pas pu faire davantage...".

"C'est bien, très bien, serviteur bon et fidèle. Tu as été fidèle pour le peu, actif et honnête. Je te donnerai de

l'autorité sur beaucoup de choses. Entre dans la joie de ton maître."

Puis celui qui avait reçu deux talents se présenta et dit : "Je me suis permis d'employer tes biens dans ton

intérêt. Voici les comptes qui montrent comment j'ai employé ton argent. Tu vois ? Il y avait deux talents

d'argent, maintenant il y en a quatre. Es-tu content. mon seigneur ?" Et le maître fit au bon serviteur la même

réponse qu'au premier.

335


Arriva en dernier celui qui, jouissant de la plus grande confiance de son maître, avait reçu le talent d'or. Il le

sortit de sa cachette et il dit : "Tu m'as confié la plus grande valeur parce que tu sais que je suis prudent et

fidèle, comme moi je sais que tu es intransigeant et exigeant, et que tu ne supportes pas des pertes pour ton

argent mais en cas de perte, tu t'en prends à celui qui est près de toi. Car, en vérité, tu moissonnes où tu n'as

pas semé et tu récoltes où tu n'as rien répandu, ne faisant pas cadeau de la moindre pièce de monnaie à ton

banquier ou à ton régisseur, pour aucune raison. Il te faut autant d'argent que tu en réclames. Or moi,

craignant de diminuer ce trésor, je l'ai pris et l'ai caché. Je ne me suis fié à personne ni non plus à moi-même.

Maintenant, je l'ai déterré et je te le rends. Voici ton talent."

"Ô serviteur injuste et paresseux ! En vérité, tu ne m'as pas aimé puisque tu ne m'as pas connu et que tu n'as pas

aimé mon bien-être, ayant laissé mon argent improductif. Tu as trahi l'estime que j'avais eue pour toi et c'est toimême

qui te contredis, t'accuses et te condamnes. Tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé, que je récolte

où je n'ai rien répandu. Et pourquoi alors n'as-tu pas fait en sorte que je puisse moissonner et récolter ? C'est

ainsi que tu réponds à ma confiance ? C'est ainsi que tu me connais ? Pourquoi n'as-tu pas porté mon argent aux

banquiers pour qu'à mon retour je le retire avec les intérêts ? Je t'avais instruit avec un soin particulier dans ce

but et toi, paresseux et imbécile, tu n'en as pas tenu compte. Que te soit donc enlevé le talent et tout autre bien,

et qu'on le donne à celui qui a les dix talents."

"Mais lui en a déjà dix alors que celui-ci reste sans rien..." lui objecta-t-on.

"C'est bien. À celui qui possède et le fait fructifier, il sera donné encore davantage et au point qu'il

surabonde. Mais à celui qui n'a pas parce qu'il n'a pas la volonté d'avoir, on enlèvera ce qui lui a été donné.

Quant au serviteur inutile qui a trahi ma confiance et a laissé improductifs les dons que je lui avais fait, qu'on

l'expulse de ma propriété et qu'il s'en aille pleurer et se ronger le cœur."

Voilà la parabole. Comme tu le vois, ô rabbi, à qui avait reçu le plus il est resté le moins, car il n'a pas su

mériter de conserver le don de Dieu. Et il n'est pas dit qu'un de ceux dont tu dis qu'ils ne sont disciples que

de nom ayant par conséquent peu de chose à faire valoir et même de ceux qui, comme tu dis, m'entendent

par hasard et qui n'ont comme unique capital que leur âme, n'arrive pas à avoir le talent d'or et même ce qu'il

336


aura rapporté, qu'on aura enlevé à quelqu'un qui avait davantage reçu. Infinies sont les surprises du Seigneur

parce qu'innombrables sont les réactions de l'homme. Vous verrez des païens arriver à la vie éternelle et des

samaritains posséder le Ciel, et vous verrez des Israélites purs et qui me suivent perdre le Ciel et l'éternelle

Vie."

337


La parabole des talents

Évangile selon Matthieu 24, 14-30

14 “ Et c’est comme un homme qui,

Partant en voyage, a appelé ses esclaves

Et leur a confié ses biens. 15 A l’un il donna

Cinq talents, l’autre deux, et à l’autre un seul,

À chacun selon sa capacité, alors

Il partit.

Très vite, 16 celui qui savait reçu

Les cinq talents alla les faire valoir, alors

Il en gagna cinq autres. 17 Celui des deux talents,

De même, en gagna deux autres. 18 Celui qui avait

Reçu un talent s’en alla creuser la terre

Et cacher l’argent de son maître.

19 Longtemps après

Vient le seigneur de ces esclaves, et avec eux

Il règle ses comptes. 20 Alors s’avançant, celui

Qui avait reçu les cinq talents présenta

Cinq autres talents, en disant : c’est cinq talents,

Seigneur, que tu m’avais confiés, alors voici

Cinq autres talents que j’ai gagnés. Son Seigneur

Lui déclara ceci : 21 C’est bien ! Esclave bon

Et fidèle, sur peu tu as donc été fidèle

Sur beaucoup je t’établirai. Et dans la joie

De ton seigneur, entre. 22 S’avançant aussi, celui

Des deux talents dit : Seigneur, c’est bien deux talents

338


Que tu m’avais confiés : voici que j’ai gagné

Deux autres talents. 23 Son seigneur lui déclara :

C’est bien ! Esclave bon et fidèle ; car sur peu,

Tu as été fidèle, et je t’établirai

Sur beaucoup. Entre dans la joie de ton Seigneur.

24 S’avançant aussi, celui qui avait perçu

Un talent dit ceci : je savais que tu es

Un homme dur, Seigneur, et ainsi tu moissonnes

Où tu n’as pas ensemencé et tu ramasses

Où tu n’as rien répandu, 25 alors pris de peur,

Je suis allé cacher ton talent dans la terre.

Vois, tu as là ce qui est à toi. 26 Répondant,

Son Seigneur lui dit : mauvais esclave, paresseux !

Tu savais que je moissonne là où je n’ai pas

Ensemencé, que je ramasse là où je n’ai pas

Répandu. 27 Il te fallait mettre mon argent

Chez les banquiers, et en revenant moi j’aurais

Trouvé ce qui est à moi avec intérêt.

28 Enlevez-lui donc son talent et donnez-le

À celui qui a les dix talents. 29 Car on donnera

À celui qui a, ainsi il aura en plus ;

Mais celui qui n’a pas, on lui enlèvera

Même ce qu’il a. 30 Jetez-le dans les ténèbres

Du dehors, l’esclave inutile ; et là seront

Les sanglots et les grincements de dents.

339


La parabole des ouvriers de la onzième heure

Que dites-vous ? Parlez. Vous dites qu'il est tard ? Non. Écoutez une parabole.

Un maître sortit au point du jour pour engager des travailleurs pour sa vigne et il convint avec eux d'un

denier pour la journée.

Il sortit de nouveau à l'heure de tierce et, réfléchissant que les travailleurs engagés étaient peu nombreux,

voyant d'autre part sur la place des travailleurs désœuvrés qui attendaient qu'on les embauche, il les prit et il

leur dit : " Allez à ma vigne, et je vous donnerai ce que j'ai promis aux autres." Et ils y allèrent.

Il sortit à sexte et à none et il en vit d'autres encore et il leur dit : "Voulez-vous travailler dans mon domaine

? Je donne un denier par jour à mes travailleurs." Ces derniers acceptèrent et ils y allèrent.

Il sortit enfin vers la onzième heure et il en vit d'autres qui paressaient au coucher du soleil. "Que faitesvous,

ainsi oisifs ? N'avez-vous pas honte de rester à rien faire pendant tout le jour ?" leur demanda-t-il.

"Personne ne nous a embauchés pour la journée. Nous aurions voulu travailler et gagner notre nourriture,

mais personne ne nous a appelés à sa vigne."

"Eh bien, je vous embauche pour ma vigne. Allez et vous aurez le salaire des autres." Il parla ainsi, car c'était

un bon maître et il avait pitié de l'avilissement de son prochain.

340


Le soir venu et les travaux terminés, l'homme appela son intendant et lui dit : "Appelle les travailleurs, et

paie-leur leur salaire selon ce que j'ai fixé, en commençant par les derniers qui sont les plus besogneux,

n'ayant pas eu pendant la journée la nourriture que les autres ont eue une ou plusieurs fois et qui, même par

reconnaissance pour ma pitié, ont travaillé plus que tous. Je les ai observés : renvoie-les, pour qu'ils aillent

au repos qu'ils ont bien mérité et pour jouir avec les leurs du fruit de leur travail." Et l'intendant fit ce que le

maître ordonnait en donnant à chacun un denier.

Vinrent en dernier ceux qui travaillaient depuis la première heure du jour. Ils furent étonnés de ne recevoir,

eux aussi, qu'un seul denier, et ils se plaignirent entre eux et à l'intendant qui leur dit : "J'ai reçu cet ordre.

Allez vous plaindre au maître et pas à moi." Ils s'y rendirent et ils dirent : "Voilà, tu n'es pas juste ! Nous

avons travaillé douze heures, d'abord à la rosée et puis au soleil ardent et puis de nouveau dans l'humidité du

soir, et tu nous a donné le même salaire qu'à ces paresseux qui n'ont travaillé qu'une heure !... Pourquoi

cela ?" Et l'un d'eux, surtout, élevait la voix en se déclarant trahi et indignement exploité.

"Ami, en quoi t'ai-je fait tort ? De quoi ai-je convenu avec toi à l'aube ? Une journée de travail continu pour

un denier de salaire. N'est-ce pas ?"

"C'est vrai. Mais tu as donné la même chose à ceux qui ont si peu travaillé…"

"N'as-tu pas accepté ce salaire qui te paraissait convenable ?"

"Oui, j'ai accepté, parce que les autres donnaient encore moins."

"As-tu été maltraité ici par moi ?"

"Non, en conscience, non."

"Je t'ai accordé un long repos pendant le jour et la nourriture, n'est-ce pas ? Je t'ai donné trois repas. Et on

n'était pas convenu de la nourriture et du repos. N'est-ce pas ?"

"Oui, ils n'étaient pas convenus."

"Pourquoi alors les as-tu acceptés ?"

341


"Mais... Tu as dit : 'Je préfère agir ainsi pour que vous ne soyez pas trop lassés en revenant chez vous'. Et

cela nous semblait trop beau... Ta nourriture était bonne, c'était une économie, c'était..."

"C'était une faveur que je vous faisais gratuitement et personne ne pouvait y prétendre.

N'est-ce pas ?"

"C'est vrai."

"Je vous ai donc favorisés. Pourquoi vous lamentez-vous ? C'est moi qui devrais me plaindre de vous qui,

comprenant que vous aviez affaire à un bon maître, vous travailliez nonchalamment alors que ceux qui

étaient venus après vous, avec le bénéfice d'un seul repas, et les derniers sans repas, travaillaient avec plus

d'entrain faisant en moins de temps le même travail que vous avez fait en douze heures. Je vous aurais trahis

si, pour payer ceux-ci, je vous avais enlevé la moitié de votre salaire. Pas ainsi. Prends donc ce qui te revient

et va-t’en. Voudrais-tu venir chez moi pour m'imposer tes volontés ? Moi, je fais ce que je veux et ce qui est

juste. Ne sois pas méchant et ne me porte pas à l'injustice. Je suis bon."

Ô vous tous qui m'écoutez, je vous dis en vérité que Dieu le Père propose à tous les hommes les mêmes

conditions et promet un même salaire. Celui qui avec zèle se met au service du Seigneur sera traité par Lui

avec justice, même s'il n'a pas beaucoup travaillé à cause de l'imminence de sa mort. En vérité je vous dis

que ce ne sont pas toujours les premiers qui seront les premiers dans le Royaume des Cieux, et que là-haut

on verra de ceux qui étaient les derniers devenir les premiers et d'autres qui étaient les premiers être les

derniers. Là on verra beaucoup d'hommes, qui n'appartiennent pas à Israël, plus saints que beaucoup d'Israël.

Je suis venu appeler tout le monde, au nom de Dieu. Mais si les appelés sont nombreux, peu nombreux sont

les choisis, car peu nombreux sont ceux qui veulent la Sagesse.

342


Parabole des ouvriers envoyés à la vigne

20 1 “ Le royaume des Cieux

Est semblable à un maître de maison qui est

Sorti de l’aube pour embaucher des ouvriers

Pour sa vigne. 2 Il convint avec les ouvriers

D’un denier pour la journée et les envoya

À sa vigne. 3 Quand il sortit vers la troisième heure

Il en vit d’autres qui se tenaient sur la place

Publique, oisifs. 4 Et à ceux-là, il dit : “ Allez

Vous aussi, à la vigne, et je vous donnerai

Ce qui est juste.” 5 Ils y allèrent. Puis il sortit

Encore vers la sixième et vers la neuvième heure,

Il fit de même. 6 Vers la onzième heure, il sortit

Et il en trouva d’autres qui se tenaient là.

Et il leur dit : “ Pourquoi vous êtes-vous tenus

Ici toute la journée oisifs ? 7 Ils lui disent :

“ C’est que personne ne nous a embauchés ”. “ Allez

Leur dit-il, vous aussi à la vigne. ”

8 Le soir venu,

Le Seigneur de la vigne dit à son intendant :

“ Appelle les ouvriers et en commençant

Par les derniers, jusqu’aux premiers, paie-les.

343


9 Étant

Venus, ceux de la onzième heure reçurent chacun

Un denier. 10 Et étant venus, les premiers crurent

Qu’ils recevraient davantage ; et ils reçurent eux

Aussi, chacun un denier.

11 Et le recevant,

Ils murmuraient contre le maître de maison,

12 En disant ceci : “ Ces derniers n’ont fait qu’une heure,

Tu les as fait nos égaux, à nous qui avons

Porté le poids du jour et la chaleur brûlante.

13 Mais répondant à l’un d’eux, il dit : mon ami,

Je ne te lèse en rien. N’est-ce pas d’un denier

Que nous sommes convenus ? 14 Prends donc ce qui est

À toi, va-t-en. Je veux donner à ce dernier

Autant qu’à toi. 15 Est-ce que je n’ai pas le droit

De faire ce que je veux de mon bien ? Ou as-tu

L’œil mauvais parce que je suis bon ? 16 C’est ainsi

Que les derniers seront premiers, et les premiers

Derniers. (Car il y a beaucoup d’appelés, mais peu

D’élus.”)

344


La mère cananéenne

Mais voilà qu'accourt une femme qui n'est pas de la maison, une pauvre femme en pleurs,

honteuse... Elle marche courbée, presque en rampant et, arrivée près du groupe au milieu duquel se

trouve Jésus, elle se met à crier : "Aie pitié de moi, ô Seigneur, Fils de David ! Ma fillette est toute

tourmentée par le démon qui lui fait faire des choses honteuses. Aie pitié parce que je souffre tant et

que je suis méprisée par tous à cause de cela. Comme si ma fille était responsable de faire ce qu'elle

fait… Aie pitié, Seigneur, Toi qui peux tout. Élève ta voix et ta main et commande à l'esprit impur

de sortir de Palma. Je n'ai que cette enfant et je suis veuve…Oh ! ne t’en va pas ! Pitié !…"

En effet Jésus qui a fini de bénir les membres de la famille et qui a réprimandé les adultes d'avoir parlé de sa

venue - et eux s'excusent en disant : "Nous n'avons pas parlé, crois-le, Seigneur !" - s'en va montrant une

dureté inexplicable envers la pauvre femme qui se traîne sur les genoux en tendant des bras suppliants,

haletante alors qu'elle dit : "C'est moi, moi qui t'ai vu hier pendant que tu passais le torrent, et j'ai entendu

qu'on te disait : "Maître." Je vous ai suivis parmi les buissons et j'ai entendu leurs conversations. J'ai compris

qui tu es... Et ce matin, je suis venue alors qu'il faisait encore nuit, pour rester ici sur le seuil comme un petit

chien jusqu'au moment où Sara s'est levée et m'a fait entrer. Oh ! Seigneur, pitié ! Pitié ! D'une mère et d'une

petite !"

Mais Jésus marche rapidement, sourd à tout appel. Ceux de la maison disent à la femme : "Résigne-toi ! Il ne

veut pas t'écouter. Il l'a dit : c'est pour ceux d'Israël qu'il est venu..."

Mais elle se lève, à la fois désespérée et pleine de foi, et elle répond : "Non. Je le prierai tant qu'il

m'écoutera." Et elle se met à suivre le Maître ne cessant de crier ses supplications qui attirent sur le seuil des

maisons du village tous ceux qui sont éveillés et qui, comme ceux de la maison de Jonas, se mettent à la

suivre pour voir comment la chose va finir.

345


Les apôtres pendant ce temps se regardent entre eux étonnés et ils murmurent : "Pourquoi agit-il ainsi ? Il ne

l'a jamais fait !..." Et Jean dit : "À Alexandroscène il a pourtant guéri ces deux."

"C'étaient des prosélytes, pourtant" répond le Thaddée.

"Et celle qu'il va guérir maintenant ?"

"Elle est prosélyte, elle aussi" dit le berger Anna.

"Oh ! mais que de fois il a guéri aussi des gentils ou des païens ! La petite romaine, alors ? ..." dit André

désolé, qui ne sait pas se tranquilliser de la dureté de Jésus envers la femme cananéenne.

"Je vais vous dire ce qu'il y a" s'exclame Jacques de Zébédée. "C'est que le Maître est indigné. Sa patience

est à bout, devant tant d'assauts de la méchanceté humaine. Ne voyez-vous pas comme il est changé ? Il a

raison ! Désormais il ne vase donner qu'à ceux qu'il connaît. Et il fait bien !"

"Oui. Mais en attendant, elle nous suit en criant, avec une foule de gens à sa suite. Lui, s'il veut passer

inaperçu, a trouvé moyen d'attirer l'attention même des arbres..." bougonne Matthieu.

"Allons Lui dire de la renvoyer... Regardez ici le beau cortège qui nous suit ! Si nous arrivons ainsi sur la

route consulaire, nous allons être frais ! Et elle, s'il ne la chasse pas, ne va pas nous lâcher..." dit le Thaddée

fâché, qui de plus se retourne et dit à la femme : "Tais-toi et va-t-en !" Et ainsi fait Jacques de Zébédée. Mais

la femme ne s'impressionne pas des menaces et des injonctions et continue de supplier.

"Allons le dire au Maître, qu'il la chasse, Lui, puisqu'il ne veut pas l'écouter, Cela ne peut pas durer ainsi !" dit

Matthieu, alors qu'André murmure : "La pauvre !" et Jean ne cesse de répéter : "Moi, je ne comprends pas...

Moi, je ne comprends pas..." Il est bouleversé, Jean, de la façon d'agir de Jésus.

Mais désormais, en accélérant leur marche, ils ont rejoint le Maître qui s'en va rapidement comme si on le

poursuivait. "Maître ! Mais renvoie cette femme ! C'est un scandale ! Elle crie derrière nous ! Elle nous fait

346


remarquer de tout le monde ! La route se remplit toujours plus de passagers... et beaucoup la suivent. Dis-lui

qu'elle s'en aille."

"Dites-le-lui, vous. Moi, je lui ai déjà répondu."

"Elle ne nous écoute pas. Allons ! Dis-le-lui, Toi. Et avec sévérité."

Jésus s'arrête et se retourne. La femme prend cela pour un signe de grâce, et elle hâte le pas, elle élève le ton

déjà aigu de sa voix et son visage pâlît car son espoir grandit.

"Tais-toi, femme, et retourne chez toi ! Je l'ai déjà dit : "Je suis venu pour les brebis d'Israël". Pour guérir les

malades et rechercher celles d'entre elles qui sont perdues. Toi, tu n'es pas d'Israël."

Mais la femme est déjà à ses pieds et les baise en l'adorant et en tenant serrées ses chevilles, comme si elle

était une naufragée qui a trouvé un rocher où se réfugier, et elle gémit : "Seigneur, viens à mon secours ! Tu

le peux, Seigneur. Commande au démon, Toi qui es saint... Seigneur, Seigneur, tu es le Maître de tout, de la

grâce comme du monde. Tout t'est soumis, Seigneur. Je le sais. Je le crois. Prends donc ce qui est en ton

pouvoir et sers-t-en pour ma fille."

"Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants de la maison et de le jeter aux chiens de la rue."

"Moi, je crois en Toi. En croyant, de chien de la rue je suis devenue chien de la maison. Je te l'ai dit : je suis

venue avant l'aube me coucher sur le seuil de la maison où tu étais, et si tu étais sorti de ce côté là, tu aurais

buté contre moi. Mais tu es sorti de l'autre côté et tu ne m'as pas vue. Tu n'as pas vu ce pauvre chien

tourmenté, affamé de ta grâce, qui attendait pour entrer en rampant où tu étais, pour te baiser ainsi les pieds,

en te demandant de ne pas le chasser..."

347


"Il n'est pas bien de jeter le pain des enfants aux chiens." répète Jésus.

"Mais pourtant les chiens entrent dans la pièce où le maître mange avec ses enfants, et ils mangent ce qui

tombe de la table, ou les restes que leur donnent les gens de la maison, ce qui ne sert plus. Je ne te demande

pas de me traiter comme une fille et de me faire asseoir à ta table : Mais donne-moi, au moins, les miettes..."

Jésus sourit. Oh ! comme son visage se transfigure dans ce sourire de joie !…

Les gens, les apôtres, la femme, le regardent avec admiration... sentant que quelque chose va arriver.

Et Jésus dit : "Oh ! femme ! Grande est ta foi. Et par elle tu consoles mon esprit. Va donc, et qu'il te soit fait

comme tu veux. Dès ce moment, le démon est sorti de ta petite. Va en paix. Et comme de chien perdu tu as

su vouloir être chien domestique, ainsi sache à l'avenir être fille, assise à la table du Père. Adieu."

"Oh ! Seigneur ! Seigneur ! Seigneur !... Je voudrais courir pour voir ma Palma chérie... Je voudrais rester

avec Toi, te suivre ! Béni ! Saint !"

"Va, va, femme. Va en paix."

Et Jésus reprend sa route alors que la cananéenne, plus agile qu'une enfant, s'éloigne en courant, suivie de la

foule curieuse de voir le miracle...

"Mais pourquoi, Maître, l'as-tu faite tant prier pour ensuite l'écouter ?" demande Jacques de Zébédée.

"À cause de toi et de vous tous. Cela n'est pas une défaite, Jacques. Ici, je n'ai pas été chassé, ridiculisé,

maudit... Que cela relève votre esprit abattu. J'ai déjà eu aujourd'hui ma nourriture très douce. Et j'en bénis

Dieu. Et maintenant allons trouver cette autre qui sait croire et attendre avec une foi assurée."

"Et mes brebis, Seigneur ? Bientôt je devrai prendre une autre route que la tienne pour aller à ma pâture..."

Jésus sourit, mais ne répond pas.

348


Il est beau d'aller, maintenant que le soleil réchauffe l'air et fait resplendir comme des émeraudes les feuilles

nouvelles des bois et les herbes des prairies, changeant en chaton tout calice de fleur à cause des gouttes de

rosée qui brillent dans les pétales multicolores des fleurettes des champs. Et Jésus va, souriant. Et les

apôtres, qui ont subitement repris courage, le suivent en souriant...

349


Guérison de la fille d’une Cananéenne

21 Alors sortant

De là, Jésus se retira dans la province

De Tyr et de Sidon. 22 Une Cananéenne,

Voici sortit de ce territoire et se mit

À crier ceci : “ Aie pitié de moi, Seigneur,

Fils de David ! ma fille souffre d’un démon

Cruellement ! ”

23 Jésus ne lui répondit pas

Un mot. S’avançant, ses disciples le priaient

En disant : “ Renvoie-la, car elle crie derrière nous ”.

24 Et il répondit : “ Je n’ai été envoyé

Qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ”.

25 Mais elle vint se prosterner devant lui et dit :

“ Seigneur, secours-moi ! ” 26 Il répondit ceci :

“ Ce n’est pas bien de prendre le pain des enfants

Et de le jeter aux petits chiens. ”

27 Elle dit : “ Oui,

Seigneur, pourtant les petits chiens mangent des miettes

Qui tombent de la table de leur Seigneur. ”

28 Alors

Jésus lui répondit : “ Ô femme, ta foi est grande,

Qu’il te soit fait comme tu veux. ” Sa fille sur l’heure

Fut guérie.

350


La dernière place au banquet

Prenez toujours comme règle de conduite cela : quand on vous invite à un banquet de noces, choisissez

toujours la dernière place. Double honneur vous en reviendra quand le maître vous dira : "Ami,

avance."Honneur de mérite et honneur d'humilité. Alors que... Ô triste moment pour un orgueilleux d'avoir la

honte de s'entendre dire : "Va là-bas, au fond, car il y a quelqu'un qui est plus que toi". Et faites la même

chose dans le banquet secret de votre esprit pour les noces avec Dieu. Qui s'humilie sera exalté, et qui

s'exalte sera humilié.

Ismaël, ne me hais pas parce que Moi je te soigne. Moi, je ne te hais pas. Je suis venu pour te guérir. Tu es

plus malade que cet homme. Tu m'as invité pour te donner du lustre à toi-même et satisfaire tes amis.

Souvent tu invites, mais par orgueil et pour ton plaisir. Ne le fais pas. N'invite pas les riches, les parents, les

amis. Mais ouvre ta maison, ouvre ton cœur aux pauvres, aux mendiants, aux estropiés, aux boiteux, aux

orphelins et aux veuves. Ils ne te donneront en échange que des bénédictions. Mais Dieu les changera pour

toi en grâces. Et à la fin. ..oh ! à la fin, quel sort bienheureux pour tous les miséricordieux qui seront

récompensés par Dieu à la résurrection des morts !

Malheur à ceux qui caressent seulement une espérance de profit et puis ferment leur cœur au frère qui ne

peut plus servir. Malheur à eux ! Je ferai les vengeances de ceux qui ont été abandonnés."

"Maître... je... je veux te satisfaire. Je prendrai encore ces enfants."

"Non."

"Pourquoi ?"

"Ismaël ?!…"

351


Ismaël baisse la tête. Il veut faire l'humble. Mais c'est une vipère à laquelle on a pressé le venin et elle ne

mord plus parce qu'elle sait qu'elle n'en a plus, mais pourtant elle attend le moment de mordre...

Eléazar essaie de ramener la paix en disant : "Bienheureux ceux qui prennent part au banquet de Dieu dans

leur esprit et dans le Royaume éternel. Mais crois-le, Maître, c'est la vie qui nous apporte des obstacles. Les

charges... les occupations..."

Jésus dit la parabole du banquet et pour finir : "Les charges... les occupations, as-tu dit. C'est vrai. C'est pour

cela que je t'ai dit, au commencement de ce banquet, que mon Royaume se conquiert par des victoires sur

soi-même et non par des victoires sur des champs de bataille. La place au grand Banquet est pour ces

humbles de cœur qui savent être grands par leur fidèle amour qui ne mesure pas le sacrifice et qui surmonte

tout pour venir à Moi. Même une heure suffit pour changer un cœur. Pourvu que ce cœur le veuille. Et il

suffit d'une parole. Je vous en ai tant dit. Et je regarde... Dans un cœur va naître une plante sainte. Dans les

autres, des ronces pour Moi et, dans ces ronces, des aspics et des scorpions. Peu importe. Je vais droit mon

chemin. Qui m'aime me suive. Je vais en appelant à ma suite. Que ceux qui ont le cœur droit viennent à Moi.

Je vais en instruisant. Que ceux qui cherchent la justice s'approchent de la Fontaine. Pour les autres... pour

les autres c'est le Père Saint qui les jugera.

Ismaël, je te salue. Ne me hais pas. Réfléchis. Et rends-toi compte que j'ai été sévère par amour, non par

haine. Paix à cette maison et à ceux qui l'habitent, paix à tous si vous la méritez."

352


Sur le choix des places

7 Il disait

Ensuite une parabole pour les invités,

Remarquant qu'ils choisissaient les premiers divans,

Il leur disait : 8 " Tu es invité à des noces,

Ne va pas t'étendre sur le premier divan

De peur que quelqu'un de plus estimé que toi

N'ait été aussi invité, 9 et que celui

Qui vous a invités, toi et lui ne s'en viennent

Te dire : Cède-lui la place. Car tu te mettrais,

Plein de honte, à aller occuper la dernière place.

10 Quand tu es invité, à la dernière place

Va t'étendre pour que celui qui t'a invité

A son arrivée vienne te dire : Mon ami,

Monte plus haut. Alors il y aura pour toi

De l'honneur, à la face de ceux qui sont à table

Avec toi, 11 parce que quiconque s'élève sera

Abaissé, quiconque s'abaisse, sera élevé."

Sur le choix des invités.

12 Et il disait encore à celui qui l'avait

Invité : " Tu fais un déjeuner ou tu fais

Un dîner, n'appelle ni tes amis ni tes frères

Ni tes parents ni de riches voisins de peur

Qu'eux aussi ne t'invitent à leur tour et te rendent

La pareille.13 Lorsque tu fais une réception,

Invite des pauvres, des infirmes, des boiteux.

353


14 Heureux seras-tu de ce qu'ils n'ont pas de quoi

Te rendre ! Et lors de la résurrection des justes

Cela te sera rendu."

Sur les invités qui se dérobent.

15 Or l'un des convives,

À ces mots, lui dit : " Heureux celui qui prendra

Son repas dans le royaume de Dieu ! " 16 Il lui dit

Ceci : " Un homme faisait un grand dîner auquel

Il invita beaucoup de monde. 17 Il envoya

Son enclave à l'heure du dîner afin de dire

Aux invités : Venez, parce que maintenant

C'est prêt.18 Et tous d'un commun accord, n'excusèrent.

Le premier lui dit : j’ai acheté une terre.

Il me faut aller la voir ; je t'en prie, tiens-moi

Pour excusé. 19 Un autre dit : j'ai acheté

Cinq paires de bœufs, aussi je vais les essayer

Je t'en prie, tiens-moi pour excusé. 20 Et un autre

Dit : Je viens de me marier, je ne puis venir.

21 "Et à son retour, l'esclave annonça cela

À son Seigneur. Le maître de maison alors

Pris de colère dit à son enclave : dans les places

Et les rues de la ville, sors vite et fais entrer

Ici les pauvres et les infirmes, et les aveugles

Et les boiteux. 22 L'esclave dit : ce que tu as,

Seigneur commandé est fait, il y a encore

De la place. 23 Et le Seigneur dit à l'esclave : sors

Dans les chemins et le long des clôtures, et force

Les gens à entrer, que ma maison se remplisse.

354


24 Je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient

Été invités ne goûtera mon dîner."

355


Le figuier stérile

Écoutez cette parabole. On pourrait l'intituler : "La parabole du bon cultivateur".

Un riche avait une grande et belle vigne dans laquelle se trouvaient des figuiers de différentes qualités. À la

vigne était préposé un de ses serviteurs, vigneron expérimenté et qui connaissait la taille des arbres à fruits. Il

faisait son devoir par amour pour son maître et pour les arbres. Tous les ans, le riche, à la belle saison, venait

à plusieurs reprises à sa vigne pour voir mûrir les raisins et les figues et les goûter, les cueillant sur les arbres

de ses propres mains. Un jour donc, il se dirigea vers un figuier qui donnait des fruits d'excellente qualité,

l'unique arbre de cette qualité qui existât dans la vigne. Mais ce jour aussi, comme les deux années

précédentes, il le trouva tout en feuilles et sans aucun fruit. Il appela le vigneron et lui dit : "C'est la

troisième année que je viens chercher des fruits sur ce figuier et je ne trouve que des feuilles. On voit que cet

arbre a fini de fructifier. Coupe-le donc. Il est inutile qu'il soit ici à occuper une place, et prendre ton temps,

pour ne rien rapporter. Scie-le, brûle-le et nettoie le terrain de ses racines et mets à sa place une nouvelle

plante. D'ici quelques années elle donnera des fruits." Le vigneron, qui était patient et aimant, répondit : "Tu

as raison. Mais laisse-moi encore faire cette année. Je ne vais pas le scier, mais au contraire, avec encore

plus de soin, je vais bêcher tout autour, y mettre du fumier, et l'émonder. Qui sait s'il ne va pas encore

donner des fruits ? Si après ce dernier essai il ne donne pas de fruit, j'obéirai à ton désir et je le couperai."

Corozaïn c'est le figuier qui ne donne pas de fruit. Je suis le bon Cultivateur, et le riche impatient c'est vous.

Laissez faire le bon Cultivateur."

"C'est bien. Mais ta parabole ne conclut pas. Le figuier, l'année suivante, a-t-il donné de fruit ?" demande le

Zélote.

356


"Il n'a pas fait de fruit et on l'a coupé. Mais le cultivateur a été justifié d'avoir coupé une plante encore jeune

et florissante parce qu'il avait fait tout son devoir. Moi aussi je veux être justifié pour ceux auxquels je dois

appliquer la hache et que je dois enlever de ma vigne, où se trouvent des arbres stériles et empoisonnés, nids

de serpents, qui absorbent les sucs nutritifs, parasites, plantes vénéneuses qui gâtent leurs condisciples ou

leur nuisent, ou encore qui pénètrent par leurs racines nuisibles pour proliférer sans être appelés, dans ma

vigne, rebelles à toute greffe, entrés seulement pour espionner, dénigrer, stériliser mon champ. Ceux- là, je

les couperai quand tout aura été tenté pour les convertir. Et pour l'instant, avant d'employer la hache, j'essaie

les cisailles et la serpette de l'émondeur, et j'élague et je greffe... Oh ! ce sera un travail dur, pour Moi qui le

fais, pour ceux qui le subiront. Mais il faut le faire, pour que l'on puisse dire au Ciel : "Il a tout fait, mais eux

sont devenus toujours plus stériles et plus mauvais, plus il les a émondés, greffés, déchaussés, fumés, suant à

force de fatigues et pleurant des larmes de sang... Nous voici au village, allez tous en avant chercher un

logement. Toi, Judas de Kériot, reste avec Moi."

Ils restent seuls, et dans la pénombre du soir ils avancent l'un près de l'autre dans le plus grand silence.

Enfin Jésus dit, comme s'il se parlait à Lui-même : "Et pourtant, même si on est tombé dans la disgrâce de

Dieu en contrevenant à sa Loi, on peut toujours redevenir ce qu'on était, en renonçant au péché..."

Judas ne répond rien.

Jésus reprend : "Et si on a compris qu'on ne peut avoir le pouvoir de Dieu, parce que Dieu n'est pas là où se

trouve Satan, on peut facilement y remédier en préférant ce que Dieu accorde à ce que veut notre orgueil."

Judas se tait.

Ils sont déjà à la première maison du village. Jésus, comme s'il se parlait toujours à Lui-même, dit : "Et

penser que j'ai souffert une dure pénitence pour qu'il se repente et revienne à son Père..."

357


Judas sursaute, lève la tête, le regarde... mais ne dit rien.

Jésus aussi le regarde... et puis il demande : "Judas, à qui je parle ?"

"À moi, Maître. C'est à cause de Toi que je n'ai plus de pouvoir. Car tu me l'as enlevé pour en donner

davantage à Jean, à Simon, à Jacques, à tous, excepté à moi. Tu ne m'aimes pas, voilà ! Et je finirai par ne

pas t'aimer et par maudire l'heure où je t'ai aimé, en me ruinant aux yeux du monde pour un roi qui ne sait

pas combattre, qui se laisse dominer même par la plèbe. Ce n'est pas ce que j'attendais de Toi !"

"Ni Moi non plus de toi. Mais je ne t'ai jamais trompé, Moi. Et je ne t'ai jamais contraint. Pourquoi donc

restes-tu à mes côtés ?"

"Parce que je t'aime. Je ne peux plus me séparer de Toi. Tu m'attires et me dégoûtes. Je te désire comme l'air

pour respirer et... tu me fais peur. Ah ! je suis maudit ! Je suis damné ! Pourquoi tu ne chasses pas le démon,

Toi qui le peux ?" Le visage de Judas est livide et bouleversé, fou, apeuré, haineux. ...Il rappelle déjà, bien

que faiblement, le masque satanique de Judas du Vendredi Saint.

Et le visage de Jésus rappelle le Nazaréen flagellé qui, assis dans la cour du Prétoire sur un baquet renversé,

regarde ceux qui se moquent de Lui avec toute sa pitié pleine d'amour. Il parle, et il semble qu'il y ait déjà un

sanglot dans sa voix : "Pourquoi n'y a-t-il pas de repentir en toi, mais seulement de la haine contre Dieu,

comme si c'était Lui qui était coupable de ton péché."

Judas dit entre ses dents une vilaine imprécation...

358


"Maître, nous avons trouvé. Cinq dans un endroit, trois dans un autre, deux dans un troisième et un

seulement dans deux autres. Il n'a pas été possible de faire mieux." disent les disciples.

"C'est bien ! Moi, je vais avec Judas de Kériot." dit Jésus.

"Non. Je préfère être seul. Je suis inquiet. Je ne te laisserais pas reposer..."

"Comme tu veux,.. Alors j'irais avec Barthélemy. Vous vous ferez ce que vous voudrez. En attendant, allons

où il y a le plus de place, pour pouvoir souper ensemble."

359


Parabole du figuier stérile

6 Il disait cette parabole : "Quelqu’un avait

Un figuier planté dans sa vigne. Aussi il vint

Y chercher du fruit et n’en trouva pas. 7 Il dit

Au vigneron : voilà trois années que je viens

Chercher du fruit sur ce figuier sans en trouver,

Coupe-le ; pourquoi donc encombre-t-il la terre ?

Mais celui-ci répondant, lui dit : laisse-le,

Seigneur encore cette année, le temps que je creuse

Autour et que je mette du fumier. 9 Peut-être

Fera-t-il du fruit à l’avenir… Sinon, certes

Tu le couperas."

360


Pierre devient chef des Apôtres

"Mais les gens, vous qui les approchez si familièrement plus que Moi, et sans la crainte que je peux leur

inspirer, que disent-ils que je suis ? Et comment définissent-ils le Fils de l'homme ?"

"Certains disent que tu es Jésus, c'est-à-dire le Christ, et ce sont les meilleurs. D'autres t'appellent Prophète,

d'autres seulement Rabbi, et d'autres, tu le sais, te disent fou et possédé."

"Quelques-uns pourtant se servent pour Toi du nom que tu te donnes et ils t'appellent : "Fils de l'homme"

"Et certains aussi disent que cela ne peut-être, parce que le Fils de l'homme c'est une chose bien différente.

Et cela n'est pas toujours négation car, au fond, ils admettent que tu es plus que Fils de l'homme : tu es le Fils

de Dieu. D'autres, au contraire, disent que tu n'es même pas le Fils de l'homme, mais un pauvre homme que

Satan agite ou que bouleverse la folie. Tu vois que les opinions sont nombreuses et toutes différentes" dit

Barthélemy.

"Mais pour les gens, qu'est-ce donc que le Fils de l'homme ?"

"C'est un homme où sont toutes les vertus les plus belles de l'homme, un homme qui réunit en lui-même

toutes les qualités requises d'intelligence, de sagesse, de grâce, dont nous pensons qu'elles étaient en Adam

et certains, à ces qualités, ajoutent celle de ne pas mourir. Tu sais que déjà circule le bruit que Jean Baptiste

n'est pas mort, mais seulement transporté ailleurs par les anges et qu'Hérode, pour ne pas se dire vaincu de

Dieu, et plus encore Hérodiade, ont tué un serviteur et, après l'avoir décapité, ont présenté comme le cadavre

361


du Baptiste le corps mutilé du serviteur. Les gens racontent tant de choses ! Ainsi plusieurs pensent que le

Fils de l'homme est Jérémie ou bien Élie, ou l'un des Prophètes et même le Baptiste en personne, en qui

étaient grâce et sagesse et qui se disait le Précurseur du Christ. Le Christ : l'Oint de Dieu. Le Fils de

l'homme : un grand homme né de l'homme. Un grand nombre ne peut admettre, ou ne veut pas admettre, que

Dieu ait pu envoyer son Fils sur la terre. Tu l'as dit hier : "Ne croiront que ceux qui sont convaincus de

l'infinie bonté de Dieu". Israël croit davantage dans la rigueur de Dieu que dans sa bonté..." dit encore

Barthélemy.

"Oui. En effet ils se sentent si indignes qu'ils jugent impossible que Dieu soit assez bon pour envoyer son

Verbe pour les sauver. Ce qui fait obstacle à leur croyance c'est la dégradation de leurs âmes." confirme le

Zélote, et il ajoute : "Tu dis que tu es le Fils de Dieu et de l'homme. En effet, en Toi, se trouve toute grâce et

toute sagesse comme homme. Et je crois réellement que quelqu'un qui serait né d'Adam en état de grâce

t'aurait ressemblé pour la beauté, l'intelligence et toute autre qualité. Et en Toi brille Dieu pour la puissance.

Mais qui peut le croire de ceux qui se croient dieux et qui mesurent Dieu sur eux-mêmes, dans leur orgueil

démesuré ? Eux, les cruels, les haineux, les rapaces, les impurs, ils ne peuvent certainement pas penser que

Dieu ait poussé sa douceur jusqu'à se donner Lui-même pour les racheter, son amour pour les sauver, sa

générosité pour se livrer à l'homme, sa pureté pour se sacrifier parmi nous. Ils ne le peuvent pas, eux qui sont

si impitoyables et pointilleux pour rechercher et punir les fautes."

"Et vous, qui dites-vous que je suis ? Dites-le vraiment d'après votre jugement, sans tenir compte de mes

paroles et de celles d'autrui. Si vous étiez obligés de me juger, qui diriez-vous que je suis ?"

"Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant" s'écrie Pierre en s'agenouillant, les bras tendus en haut, vers Jésus

qui le regarde avec un visage tout lumineux et qui se penche afin de le relever pour l'embrasser en disant :

"Tu es bienheureux, ô Simon, fils de Jonas ! Car ce n'est pas la chair ni le sang qui te l'ont révélé, mais mon

Père qui est dans les Cieux. Dès le premier jour que tu es venu vers Moi, tu t'es posé cette question, et parce

que tu étais simple et honnête, tu as su comprendre et accepter la réponse qui te venait du Ciel. Tu n'avais

362


pas vu les manifestations surnaturelles comme ton frère et Jean et Jacques. Tu ne connaissais pas ma sainteté

de fils, d'ouvrier, de citoyen comme Jude et Jacques, mes frères. Tu n'as pas profité d'un miracle et tu ne m'as

pas vu en accomplir, et je ne t'ai pas donné de signe de ma puissance comme je l'ai fait et comme l'ont vu

Philippe, Nathanaël, Simon le Cananéen, Thomas, Judas. Tu n'as pas été subjugué par ma volonté comme

Mathieu le publicain. Et pourtant tu t'es écrié : "Il est le Christ !" Dès la première heure que tu m'as vu, tu as

cru et jamais ta foi n'a été ébranlée.

C'est pour cela que je t'ai appelé Céphas, et pour cela c'est sur toi, Pierre, que j'édifierai mon Église et les

puissances de l'Enfer ne prévaudront pas contre elle. C'est à toi que je donnerai les clefs du Royaume des

Cieux. Et tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les Cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre

sera délié dans les Cieux, ô homme fidèle et prudent dont j'ai pu éprouver le cœur. Et ici, dès cet instant, tu

es le chef auquel il faut donner l'obéissance et le respect comme à un autre Moi-même. Et c'est tel que je le

proclame devant vous tous." Si Jésus avait écrasé Pierre sous une grêle de reproches, les pleurs de Pierre

n'auraient pas été aussi forts. Il pleure et éclate en sanglots, le visage sur la poitrine de Jésus. Des pleurs qui

n'auront leur égal que dans ceux incoercibles de sa douleur d'avoir renié Jésus. Maintenant ce sont des pleurs

faits de mille sentiments humbles et bons... Un peu encore de l'ancien Simon le pêcheur de Bethsaïda qui, à

la première annonce de son frère, avait dit en riant : "Le Messie t'apparaît !... Vraiment !" incrédule et

plaisant - mais un peu de l'ancien Simon s'effrite sous ces pleurs pour faire apparaître, sous la couche mince

de son humanité, toujours plus nettement le Pierre, Pontife de l'Église du Christ.

Quand il lève son visage, timide, confus, il ne sait faire qu'un geste pour dire tout, pour promettre tout, pour

se donner tout entier à son nouveau ministère : celui de jeter ses bras courts et musclés au cou de Jésus et de

l'obliger à se pencher pour l'embrasser, en mêlant ses cheveux et sa barbe un peu hérissés et grison- nants,

aux cheveux et à la barbe soyeux et dorés de Jésus, le regardant ensuite d'un regard adorant, affectueux,

suppliant de ses yeux un peu bovins, luisants et rougis par les larmes qu'il a versées, en tenant dans ses mains

calleuses, larges; épaisses, le visage ascétique du Maître penché sur le sien, comme si c'était un vase d'où

coulait une liqueur vivifiante... et il boit, boit, boit douceur et grâce, sécurité et force, de ce visage, de ces

yeux, de ce sourire...

363


Ils se séparent enfin, reprenant leur route vers Césarée de Philippe et Jésus dit à tous : "Pierre a dit la vérité.

Beaucoup en ont l'intuition, vous vous la connaissez. Mais vous, pour l'instant, ne dites à personne ce qu'est

le Christ, dans la vérité complète qui vous est connue. Laissez Dieu parler dans les cœurs comme il parle

dans le vôtre. En vérité je vous dis que ceux qui, à mes affirmations et aux vôtres apportent la foi parfaite et

le parfait amour, arrivent à savoir le vrai sens des mots : "Jésus, le Christ, le Verbe, le Fils de l'homme et de

Dieu."

364


Profession de foi et Primauté de Pierre

13 Jésus interrogeant

Était venu dans la région de Césarée

De Philippe, ses disciples aussi : “ Au dire des gens,

Qui est le fils de l’homme ? ” 14 Et ils dirent : “ Pour les uns :

Jean le Baptiste ; et pour les autres : Élie, pour les autres :

Jérémie ou l’un des prophètes. ”

15 Et il leur dit :

“ Et vous, que dites-vous que je suis ? ” 16 Simon Pierre

Lui dit : “ Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant ! ”

17 Lui répondant, Jésus lui dit : “ Heureux es-tu,

Simon Bar-Toma, car ce ne sont pas la chair

Et le sang qui t’ont révélé cela ; mais c’est

Mon Père qui est dans les cieux ! 18 Et moi je te dis

Que tu es Pierre, et sur ce roc je bâti

Mon église, et les portes de l’Hadès contre elle

Ne prévaudront pas. 19 Je te donnerai les clefs

Du royaume des cieux, et ce que tu lieras

Sur la terre se trouvera lié dans les cieux,

Ce que tu délieras sur la terre, dans les cieux

Se trouvera délié.” 20 Puis il enjoignit

Aux disciples de ne dire à personne que lui

Était le Christ

365


Le signe de Jonas

La ville doit être de construction récente comme Tibériade et Ascalon. Construite Sur un plan incliné que

domine une forteresse hérissée de tours, entourée de murailles cyclopéennes, défendue par des fossés

profonds dans lesquels descend en partie l'eau de deux ruisseaux qui, après s'être presque réunis en formant

un angle, s'éloignent ensuite en s'écoulant, l'un au-dehors de la ville et l'autre vers l'intérieur. De belles rues,

des places, des fontaines, une présentation des constructions à la mode de Rome, disent qu'ici aussi

l'obéissance servile des Tétrarques s'est manifestée en piétinant tout respect pour les usages de la Patrie.

La ville, sans doute parce qu'elle est un nœud de grandes routes qu'empruntent les caravanes qui vont à

Damas, Tyr, Séphet ou Tibériade, comme l'indiquent à toutes les portes les plaques indicatrices, est remplie

de gens en mouvement, piétons, cavaliers, caravanes d'ânes et de chameaux se croisent dans les rues larges

et bien tenues, et des groupes de commerçants ou de désœuvrés stationnent sur les places, sous les portiques,

près des habitations luxueuses, peut-être y a-t-il aussi des Thermes, pour parler affaires ou pour passer le

temps dans des bavardages sans importances.

"Sais-tu où nous pourrons les trouver ?" demande Jésus à Pierre.

"Oui. Ceux que j'ai interrogés m'ont dit que les disciples du Rabbi ont l'habitude de se réunir pour les repas

dans une maison de fidèles israélites près de la citadelle. Et ils me l'ont décrite. Je ne puis me tromper : une

maison d'Israël même dans son aspect extérieur, avec une façade sans fenêtres extérieures, avec un haut

portail muni d'une ouverture, et sur le côté du mur une petite fontaine et les hautes murailles du jardin qui se

prolongent dans de petites ruelles, et une terrasse élevée sur un toit rempli de pigeons."

"C'est bien. Alors, allons-y"...

Ils traversent toute la ville jusqu'à la citadelle. Ils arrivent à la maison qu'ils cherchent et frappent. À

l'ouverture se présente le visage ridé d'une petite vieille.

Jésus s'avance, salue : "La paix soit avec toi, femme. Les disciples du Rabbi sont-ils revenus ?"

366


"Non, homme. Ils sont du côté de la "Grande Source" avec d'autres, venus de plusieurs pays de l'autre rive

pour chercher justement le Rabbi. Ils sont tous à l'attendre. Es-tu aussi de ceux-là ?"

"Non. Je cherchais les disciples."

"Alors, regarde : tu vois cette route qui est presque en face de la fontaine ? Prends-la et monte jusqu'à ce que

tu arrives à une haute muraille de pierre d'où il sort de l'eau dans une sorte de vasque et qui forme après un

petit ruisseau. Tu les trouveras tout près, Mais tu viens de loin ? Veux-tu te rafraîchir, entrer ici pour les

attendre ? Si tu veux, je vais appeler mes maîtres. Ce sont de bons israélites, tu sais ? Et ils croient au

Messie. Disciples seulement pour l'avoir vu une fois à Jérusalem, au Temple. Mais maintenant les disciples

du Messie les ont instruits sur Lui, et ont fait des miracles ici, parce que..."

"C'est bien, brave femme. Je reviendrai plus tard avec les disciples. La paix à toi. Retourne à tes

occupations." dit Jésus avec bonté mais aussi avec autorité pour arrêter ce flot de paroles.

Ils se remettent en marche, et les plus jeunes des apôtres rient de bon cœur de la scène de la femme et font

même sourire Jésus.

"Maître." dit Jean "elle paraissait être la "Grande Source" ne te semble-t-il pas ? Ses paroles sortaient à flots

continus, et elle a fait de nous autant de vasques qui débordent en ruisseaux de paroles..."

"Oui. J'espère que les disciples n'auront pas fait de miracle sur sa langue... Ce serait le cas de dire : vous avez

fait trop de miracle" dit le Thaddée qui, contrairement à son habitude, rit de bon cœur.

"Le plus beau c'est quand elle va nous voir revenir, et qu'elle verra que c'était le Maître ! Qui arrivera à la

faire taire ?" demande Jacques de Zébédée.

"Non, au contraire elle restera muette de stupeur" dit Mathieu en prenant part aux commentaires des jeunes.

"J'en louerai le Très-Haut si la stupeur lui paralyse la langue. C'est sans doute parce que je suis presque à

jeun, mais ce qu'il y a de certain, c'est que le tourbillon de ses paroles m'a fait tourner la tête" dit Pierre.

"Et comme elle criait ! Est-elle peut-être sourde ?" demande Thomas.

"Non. Elle nous croyait sourds." dit l'Iscariote.

367


"Laissez-la tranquille, la pauvre vieille ! Elle était bonne et croyante. Son cœur est généreux comme sa

langue." dit Jésus mi-sérieux.

"Oh ! alors ! mon Maître, cette vieille est héroïque tant elle est généreuse." dit Jean en riant de bon cœur.

La paroi rocheuse et calcaire est déjà visible et déjà on entend le murmure de l'eau qui retombe dans la

vasque.

"Voici le ruisseau. Suivons-le... Voilà la fontaine... et là... Benjamin ! Daniel ! Abel ! Philippe ! Hermastée !

Nous sommes ici ! Le Maître est là !" crie Jean à un important groupe d'hommes qui sont rassemblés autour

de quelqu'un qu'on ne voit pas.

"Tais-toi, garçon, ou tu ressembleras, toi aussi, à cette vieille poule." conseille Pierre.

Les disciples se sont retournés et ils ont vu. Voir et se précipiter en sautant en bas de la terrasse a été une

seule chose. Je vois, maintenant que le groupe se disloque, qu'aux nombreux disciples, anciens désormais,

sont mêlés des habitants de Cédès et aussi du village du sourd-muet. Ils doivent avoir pris des chemins plus

directs car ils sont arrivés avant le Maître. La joie est grande, Beaucoup de questions et de réponses aussi.

Jésus patiemment écoute et répond jusqu'à ce que, avec deux autres, s'amène le maigre et souriant Isaac

chargé de provisions.

"Allons à la maison hospitalière, mon Seigneur, et là tu nous diras ce que nous n'avons pas pu dire, parce que

nous, nous ne le savions même pas. Ceux-ci, les derniers venus - et il sont avec nous depuis quelques heures

- veulent savoir ce qu'est pour Toi le signe de Jonas que tu as promis de donner à la génération perverse qui

te persécute." dit Isaac.

"Je l'expliquerai tout en marchant..." Aller ! Ce n'est pas facile ! Comme si une odeur de fleurs s'était

répandue dans l'air et que de nombreuses abeilles fussent accourues vers elle, de tous côtés accourent des

gens pour se réunir à ceux qui sont autour de Jésus.

368


"Ce sont nos amis" explique Isaac, "Des gens qui ont cru et qui t'attendaient..."

"Des gens qui, de ceux-ci et de lui spécialement, ont eu des grâces" crie quelqu'un de la foule en montrant

Isaac.

Isaac rougit et, comme pour s'excuser, il dit : "Moi, je suis le serviteur. Lui est le Maître. Vous qui attendez,

voici le Maître Jésus !"

Alors oui ! Le coin tranquille de Césarée, un peu excentrique, confiné comme il l'est à la périphérie, devient

plus agité qu'un marché, et plus bruyant. Hosanna ! Acclamations ! Supplications ! Il y a de tout. Jésus

avance très lentement, enserré par cette tenaille d'amour. Mais il sourit et bénit. Si lentement que certains ont

le temps de s'éloigner vivement pour répandre la nouvelle et pour revenir avec des amis ou des parents, en

tenant des enfants à bout de bras pour qu'ils puissent arriver sans dommage jusqu'à Jésus qui les caresse et

les bénit.

Ils arrivent ainsi à la maison d'où ils étaient venus et ils frappent. La vieille servante de tout à l'heure entend

les voix et elle ouvre sans hésitation. Mais... elle voit Jésus au milieu de la foule qui l'acclame, et elle

comprend... Elle tombe parterre en gémissant : "Pitié, mon Seigneur. Ta servante ne t'avait pas reconnu et ne

t'a pas vénéré !"

"Il n'y a pas de mal, ô femme. Tu ne connaissais pas l'homme, mais tu croyais en Lui. C'est cela qu'il faut

pour être aimé de Dieu. Lève-toi et conduis-moi à tes maîtres."

La petite vieille obéit, tremblante de respect. Mais elle voit les maîtres anéantis eux aussi par le respect,

écrasés contre le mur, au fond de l'entrée un peu obscure. Elle les montre : "Les voici."

"La paix à vous et à cette maison. Que le Seigneur vous bénisse pour votre foi dans le Christ et pour votre

charité envers ses disciples" dit Jésus en allant à la rencontre des deux petits vieux conjoints, ou bien frère et

sœur.

369


Ils le vénèrent, l'accompagnent dans la vaste véranda où, sous un lourd voile, de nombreuses tables ont été

préparées. La vue s'étend sur Césarée et sur les montagnes qui sont par derrière et sur les côtés. Les pigeons

croisent leurs vols de la terrasse au jardin rempli de plantes et de fleurs.

Pendant qu'un vieux serviteur ajoute des places, Isaac explique : "Benjamin et Anne accueillent non

seulement nous, mais ceux qui viennent à ta recherche. Ils le font en ton Nom."

"Que chaque fois le Ciel les bénisse."

"Ah ! nous avons les moyens et nous n'avons pas d'héritiers. À la fin de notre vie, nous adoptons comme

héritiers les pauvres du Seigneur" dit simplement la petite vieille.

Et Jésus lui met la main sur sa tête blanchie en disant : "Et cela te rend mère plus que si tu avais conçu sept

et sept fois. Mais maintenant permettez-moi d'expliquer ce qu'ils désiraient savoir, pour pouvoir congédier

ensuite les habitants et nous asseoir à table."

La terrasse est envahie par les gens et il en entre toujours et ils se pressent dans les endroits.. libres. Jésus est

assis au milieu d'une couronne d'enfants qui le regardent extasiés, de leurs yeux innocents. Il tourne le dos à

la table et il sourit à ces enfants, même en abordant ce sujet sérieux. Il semble lire sur les visages innocents

les mots de la vérité dont on Lui demande l'explication.

"Écoutez. Le signe de Jonas que j'ai promis aux méchants, et que je vous promets aussi à vous, non que vous

soyez mauvais, mais au contraire pour que vous puissiez arriver à la perfection de la foi quand vous le verrez

accompli, le voici. Comme Jonas resta trois jours dans le ventre du monstre marin et puis fut rendu à la terre

pour convertir et sauver Ninive, il en sera de même pour le Fils de l'homme. Pour calmer les vagues d'une

grande tempête satanique, les grands d'Israël croiront utile de sacrifier l'Innocent. Ils ne feront qu’accroître

leurs périls, parce qu'en plus de Satan qui les trouble, ils auront Dieu pour les punir après leur crime. Ils

pourraient vaincre la tempête de Satan en croyant en Moi, mais ils ne le font pas parce qu’ils voient en Moi

370


la raison de leurs troubles, de leurs peurs, de leurs dangers et un démenti à leur sainteté qui n'est pas sincère.

Mais, quand ce sera l'heure, le monstre insatiable qu'est le ventre de la terre qui engloutit tout homme qui

meurt, se rouvrira pour rendre la Lumière au monde qui l'a reniée.

Voici donc : de même que Jonas fut pour les Ninivites un signe de la puissance et de la miséricorde du

Seigneur, ainsi le Fils de l'homme le sera pour cette génération. Avec la différence que Ninive s'est convertie

alors que Jérusalem ne se convertira pas, car elle est pleine de la génération mauvaise dont j'ai parlé. Aussi la

Reine du Midi se lèvera au Jour du Jugement contre les hommes de cette génération et la condamnera. Car

elle est venue, à son époque, des confins de la terre pour entendre la sagesse de Salomon, tandis que cette

génération qui me possède au milieu d'elle ne veut pas m'entendre et me persécute et me chasse comme un

lépreux et un pécheur, Moi qui suis beaucoup plus que Salomon. Les Ninivites aussi se lèveront au Jour du

Jugement contre la génération mauvaise qui ne se convertit pas au Seigneur son Dieu, eux qui se sont

convertis à la prédication d'un homme. Moi, je suis plus qu'un homme, fût-il même Jonas ou quelque autre

Prophète.

Je donnerai donc le signe de Jonas à qui demande un signe sans équivoque possible. C'est un et un signe que

je donnerai à ceux qui ne veulent pas courber leur front arrogant devant les preuves déjà données de vies qui

reviennent grâce à ma volonté. Je donnerai tous les signes. Et celui d'un corps décomposé qui redevient

vivant et intact, et celui d'un Corps qui par Lui-même se ressuscite parce qu'à son Esprit est donné tout

pouvoir. Mais ce ne seront pas des grâces. Elles ne rendront pas moins accablante la situation, ni ici, ni dans

les livres éternels. Ce qui est écrit est écrit Et comme des pierres pour une prochaine lapidation, les preuves

s'accumuleront. Contre Moi, pour me nuire sans y réussir. Contre eux, afin de les faire passer pour l'éternité

sous la condamnation de Dieu, réservée aux incrédules pervers.

Voilà le signe de Jonas dont j'ai parlé. Avez-vous autre chose à demander ?"

"Non, Maître. Nous le rapporterons au chef de notre synagogue qui était très près de la vérité dans son

jugement sur le signe promis."

371


"Mathias est un juste. La vérité se révèle aux justes comme elle se révèle à ces innocents qui mieux que tout

autre savent qui je suis. Avant de vous congédier, permettez-moi d'entendre louer la miséricorde de Dieu par

les anges de la terre. Venez, enfants."

Les enfants, qui étaient restés tranquilles avec peine, accourent vers Lui.

"Dites-moi, enfants sans malice, pour vous quel est mon signe ?"

"Que tu es bon."

"Que tu fais guérir maman par ton Nom."

"Que tu aimes bien tout le monde."

"Que tu es beau, pas comme peut l'être un homme."

"Que tu rends bon même celui qui était mauvais comme mon père."

Chaque petite bouche d'enfant annonce une douce particularité de Jésus et révèle les peines que Jésus a

changées en sourires.

Mais le plus gentil de tous est un petit de quatre ans qui grimpe sur les genoux de Jésus et se serre à son cou

en disant : "Ton signe, c'est que tu aimes bien tous les enfants et que les enfants t'aiment bien. Ils t'aiment

ainsi..." et il ouvre ses petits bras grassouillets, et il rit, pour se serrer de nouveau au cou de Jésus en frottant

sa petite joue d'enfant à la joue de Jésus, qui l'embrasse en demandant : "Mais pourquoi m'aimez-vous bien si

vous ne m'avez jamais vu auparavant ?"

"Parce que tu sembles l'ange du Seigneur."

"Tu ne l'as jamais vu, mon petit..." dit en souriant Jésus pour l'éprouver.

L'enfant reste un moment interdit, mais ensuite il rit en montrant ses petites dents, et il dit : "Mais mon âme

l'a bien vu ! Maman dit qu'elle est en moi, et elle est ici, et Dieu la voit, et l'âme a vu Dieu et les anges, et

elle les voit. Et mon âme te connaît parce que tu es le Seigneur."

372


Jésus le baise au front en disant : "Que par ce baiser la lumière croisse dans ton intelligence." et il le dépose

par terre, et l'enfant court en sautant vers son père en tenant sa main appliquée sur le front, à l'endroit où il a

reçu le baiser, et il crie : "À maman, à maman ! Qu'elle mette son baiser au même endroit que le Seigneur et

que la voix lui revienne et qu'elle ne pleure plus."

On explique à Jésus que c'est une épouse qui a un mal à la gorge, qui désire le miracle et qui n'a pas été

guérie par les disciples qui n'ont pu atteindre ce mal tant il est profond.

.

"Elle sera guérie par le plus petit disciple, son petit garçon. Va en paix, homme. Et aie la foi comme ton fils."

dit Jésus en congédiant le père du petit.

Il embrasse les autres enfants qui sont restés, voulant avoir le même baiser sur le front, et il congédie les

habitants. Il reste les disciples et les gens de Cédès et de l'autre localité.

Pendant que l'on s'occupe des vivres, Jésus commande le départ pour le lendemain de tous les disciples qui

le précéderont à Capharnaüm pour s'unir à d'autres venus d'autres lieux. "Vous prendrez ensuite avec vous

Salomé, les épouses et les filles de Nathanaël et de Philippe, et Jeanne et Suzanne à mesure que vous irez

vers Nazareth. Là, vous prendrez ma Mère et la mère de mes frères et vous les accompagnerez à Béthanie,

dans la maison où se trouve Joseph, sur les terres de Lazare. Nous viendrons par la Décapole."

"Et Margziam ?" demande Pierre.

"J'ai dit : "Précédez-moi à Capharnaüm". Je n'ai pas dit : "Allez". Mais de Capharnaüm, on pourra prévenir

les femmes de notre arrivée, de façon qu'elles soient prêtes quand nous irons à Jérusalem par la Décapole.

Margziam, qui est maintenant un jeune homme, ira avec les disciples en accompagnant les femmes..."

373


"C'est que... je voulais amener aussi ma femme à Jérusalem, la pauvre. Elle l'a toujours désiré et... elle n'était

jamais venue car moi, je ne voulais pas d'ennuis... Mais je voudrais lui faire plaisir, cette année. Elle est si

bonne !"

"Mais oui, Simon. Raison de plus pour que Margziam aille avec elle. Nous ferons le voyage lentement et

nous nous retrouverons là- bas…"

Le vieux maître de maison dit : "Si peu de temps chez moi ?"

"Père, j'ai encore beaucoup à faire, et je veux être à Jérusalem au moins huit jours avant la Pâque. Rends-toi

compte que la première phase de la lune d'Adar est terminée..."

"C'est vrai. Mais je t'ai tant désiré !… De t'avoir, il me semble que je suis dans la Lumière du Ciel... et la

lumière doit s'éteindre à ton départ."

"Non, père. Je te la laisserai dans le cœur, et à ta femme. À toute cette maison hospitalière."

Ils s'assoient aux tables, et Jésus fait l'offrande et il bénit la nourriture que le serviteur distribue ensuite aux

différentes tables.

374


Le signe de Jonas

38 Alors

Quelques-uns des scribes et des Pharisiens lui dirent

À part : “ Nous voudrions voir un signe de toi,

Maître. ”

39 Il leur répondit : “ Une génération

Mauvaise et adultère recherche un signe ! … De signe,

Il ne lui en sera donc pas donné, sinon

Celui du prophète Jonas. 40 De même, en effet,

Que Jonas a été dans le ventre du monstre

Trois jours et trois nuits, le Fils de l’homme dans le cœur

De la terre sera trois jours et trois nuits.

41 Alors

Les hommes de Ninive, lors de ce Jugement

Se dresseront avec cette génération,

Ils la condamneront, car ils se repentirent

À la proclamation de Jonas ; il y a

Ici plus que Jonas !

42 La Reine du Midi

Se lèvera, lors de ce Jugement, avec

Cette génération, elle la condamnera

Car elle est venue pour écouter la sagesse

De Salomon, des extrémités de la terre ;

Il y a ici plus que Salomon !

375


Jésus blâme Pierre

Jésus, les bras croisés, les a écouté parler en les regardant à tour de rôle. Maintenant il fait signe qu'il va

parler et il dit : « Le Fils de l'homme sera livré aux mains des hommes parce qu'il est le Fils de Dieu, mais

parce qu'il est aussi le Rédempteur de l'homme. Et il n'y a pas de rédemption sans souffrance. Ma souffrance

atteindra le corps, la chair et le sang, pour réparer les péchés de la chair et du sang. Elle sera morale pour

réparer les péchés de l'âme et des passions. Elle sera spirituelle pour réparer les fautes de l'esprit. Elle sera

complète. Aussi, à l'heure fixée, je serai pris dans Jérusalem, et après avoir beaucoup souffert, de la part des

Anciens et des Grands Prêtres, des scribes et des pharisiens, je serai condamné à une mort infamante. Et

Dieu laissera faire parce qu'il doit en être ainsi, car je suis l'Agneau qui expie pour les péchés du monde

entier. Et dans une mer d'angoisse, que partagera ma Mère et quelques autres personnes, je mourrai sur le

gibet. Trois jours après, par ma seule volonté divine, je ressusciterai pour une vie éternelle et glorieuse

comme Homme et je serai de nouveau Dieu au Ciel avec le Père et l'Esprit. Mais auparavant je devrai

souffrir toutes sortes d'opprobres et avoir le cœur transpercé par le Mensonge et la Haine. »

Un chœur de cris scandalisés s'élève dans l'air tiède et parfumé du printemps.

Pierre, le visage effrayé, et scandalisé lui aussi, prend Jésus par le bras et l'amène un peu à part en Lui disant

doucement à l'oreille : « Oh ! Seigneur ! Ne dis pas cela. Ce n'est pas bien. Tu vois ? Eux se scandalisent. Tu

tombes dans leur estime. Pour aucune raison tu ne dois permettre cela ; mais aussi, une pareille chose ne

t'arrivera jamais. Pourquoi donc l'envisager comme vraie ? Tu dois monter toujours davantage dans l'estime

des hommes si tu veux t'affirmer, et tu dois terminer, peut-être, par un dernier miracle comme celui de

réduire en cendres tes ennemis. Mais ne jamais t'avilir et te rendre pareil à un malfaiteur que l'on punit. » Et

Pierre paraît un maître ou un père affligé qui fait des reproches pleins d'un amour angoissé à un fils qui a dit

une sottise.

376


Jésus, qui s'était un peu penché pour écouter le murmure de Pierre, se redresse sévère, avec des éclairs dans

les yeux, mais des éclairs de courroux, et il crie fort pour que tous entendent et que la leçon serve à tous : «

Va loin de Moi, toi qui en ce moment es un satan qui me conseille de manquer à l'obéissance envers mon

Père ! C'est pour cela que je suis venu ! Non pour les honneurs ! Toi, en me conseillant l'orgueil, la

désobéissance, la dureté sans charité, tu tentes de m'amener au mal. Va ! Tu es pour Moi un scandale ! Tu ne

comprends pas que la grandeur réside non dans les honneurs mais dans le sacrifice et que ce n'est rien de

paraître un ver pour les hommes si Dieu nous regarde comme des anges ? Toi, homme sot, tu ne comprends

pas ce qui est grandeur pour Dieu et raison de Dieu et tu vois, juges, entends, parles, avec ce qui est de

l'homme. »

Le pauvre Pierre reste anéanti sous ce reproche sévère ; il s'écarte mortifié et il pleure... et ce ne sont pas les

larmes de joie de quelques jours auparavant, mais les larmes de désolation de quelqu'un qui comprend qu'il a

péché et qu'il a fait souffrir celui qu'il aime. Et Jésus le laisse pleurer. Il se déchausse, relève le vêtement et

passe à gué le ruisseau. Les autres l'imitent en silence. Personne n'ose dire un seul mot. En arrière de tous, se

trouve le pauvre Pierre qu'Isaac et le Zélote essaient en vain de consoler, André se retourne plusieurs fois

pour le regarder, et puis il murmure quelque chose à Jean qui est tout affligé. Mais Jean secoue la tête en

signe de refus.

Alors André se décide. Il court en avant, rejoint Jésus, l'appelle doucement avec une crainte visible :

« Maître ! Maître !... »

Jésus le laisse appeler plusieurs fois. À la fin, il se retourne, l'air sévère et il demande : « Que veux-tu ? »

« Maître, mon frère est affligé... il pleure... »

« Il l'a mérité. »

« C'est vrai, Seigneur. Mais lui, c'est toujours un homme... Il ne peut pas toujours bien parler. »

377


« En effet aujourd'hui il a très mal parlé. » répond Jésus. Mais il est déjà moins sévère et un éclair souriant

adoucit son œil divin.

André s'enhardit et prolonge sa plaidoirie en faveur de son frère : « Mais tu es juste et tu sais que c'est son

amour pour Toi qui l'a fait errer ... »

« L'amour doit être lumière et non pas ténèbres. Il l'a rendu ténèbres et s'en est enveloppé l'esprit. »

« C'est vrai, Seigneur. Mais les bandes on peut les enlever quand on veut. Ce n'est pas comme d'avoir l'esprit

ténébreux. Les ban- des, c'est l'extérieur. L'esprit, c'est l'intérieur, le noyau vivant... L'intérieur de mon frère

est bon. »

« Qu'il enlève alors les bandes qu'il s'est mises. »

« Certainement il le fera, Seigneur ! Il y est déjà occupé. Retourne-toi et regarde comme il est défiguré par

les larmes que tu ne consoles pas. Pourquoi es-tu si sévère avec lui ? »

« C'est parce qu'il a le devoir d'être "le premier" comme je lui ai fait l'honneur de l'être. Celui qui reçoit

beaucoup doit donner beaucoup... »

« Oh ! Seigneur ! C'est vrai, oui. Mais ne te souviens-tu pas de Marie de Lazare ? De Jean d'Endor ?

D’Aglaé ? De la Belle de Corozaïn ? De Lévi ? À eux tu as tout donné... et eux ne t'avaient donné que

l'intention de se racheter... Seigneur !... Tu m'as écouté pour la Belle de Corozaïn et pour Aglaé... Ne

m'écouterais-tu pas pour ton et mon Simon qui a péché par amour pour Toi ? »

Jésus abaisse ses yeux sur le doux qui se fait audacieux et pressant en faveur de son frère, comme il le fut,

silencieusement, pour Aglaé et la Belle de Corozaïn, et son visage resplendit de lumière : « Va appeler ton

frère » dit-il « et amène-le ici. »

« Oh ! merci, mon Seigneur ! J'y vais... » et il s'éloigne, en courant rapide comme l'hirondelle.

« Viens, Simon. Le Maître n'est plus en colère contre toi. Viens, il veut te le dire. »

378


« Non, non. Moi, j'ai honte... Il y a trop peu de temps qu'il m'a fait des reproches... Il me veut pour m'en faire

encore... »

« Comme tu le connais mal ! Allons, viens ! Tu crois que je pourrais t'amener pour te faire encore

souffrir ? Si je n'étais pas certain que c'est une joie qui t'attend, je n'insisterais pas. Viens. »

« Mais que vais-je Lui dire ? » dit Pierre en se mettant en route un peu à regret, freiné par ses sentiments

humains, excité par son esprit qui ne peut se passer de la condescendance de Jésus et de son amour. « Que

vais-je Lui dire ? » continue-t-il à demander.

« Mais rien ! Montre-lui ton visage, et cela suffira. » dit André pour encourager son frère.

Tous les disciples, à mesure que les deux les dépassent, regardent les deux frères et sourient, comprenant ce

qui arrive.

Ils rejoignent Jésus. Mais Pierre s'arrête au dernier moment. André ne fait pas d'histoires. En le poussant

énergiquement comme il le fait à la barque pour la pousser au large, il le pousse en avant. Jésus s'arrête...

Pierre lève son visage;.. Jésus abaisse le sien... Ils se regardent... Deux grosses larmes roulent sur les joues

toutes rougies de Pierre...

« Viens ici, grand enfant irréfléchi, que je te serve de père en essuyant ces larmes. » dit Jésus, et il lève la

main sur laquelle est encore la marque du coup de pierre de Giscala, et il essuie avec les doigts ces deux

larmes.

379


« Oh ! Seigneur ! M'as-tu pardonné ? » demande Pierre en tremblant, en prenant la main de Jésus dans les

siennes et en le regardant avec deux yeux de chien fidèle qui veut se faire pardonner par son maître fâché.

« Je ne t'ai jamais condamné... »

« Mais avant... »

« Je t'ai aimé. C'est amour de ne pas permettre qu'en toi prennent racine des déviations de sentiment et de

sagesse. Tu dois être le premier en tout, Simon-Pierre. »

« Alors... alors tu m'aimes bien encore ? Tu me veux encore ? Ce n'est pas que je veuille la première place,

tu sais ? Il me suffit même d'avoir la dernière, mais être avec Toi, à ton service... et mourir à ton service,

Seigneur, mon Dieu ! »

Jésus lui passe son bras autour des épaules et le serre tout contre Lui. Alors Simon, qui n'a pas quitté l'autre

main de Jésus, la couvre de baisers... heureux. Et il murmure : « Combien j'ai souffert !... Merci, Jésus. »

« Remercie ton frère, plutôt. Et sache à l'avenir porter ton fardeau avec justice et héroïsme. Attendons les

autres. Où sont-ils ? »

Ils se sont arrêtés où ils étaient quand Pierre a rejoint Jésus, pour laisser au Maître la liberté de parler à son

apôtre mortifié. Jésus leur fait signe d'avancer. Et avec eux, se trouvent quelques paysans qui avaient laissé

leur travail dans les champs pour venir interroger les disciples.

Jésus a toujours la main sur l'épaule de Pierre et il dit : « Par ce qui est arrivé, vous avez compris que c'est

une chose sévère que d'être à mon service. C’est à lui que j’ai adressé le reproche, mais il était pour tous,

380


parce que les mêmes pensées étaient dans la plus grande partie de vos cœurs, ou bien formées ou en germe.

De cette façon je les ai brisées, et celui qui les cultive encore montre qu'il ne comprend pas ma Doctrine, ma

Mission, ma Personne.

Je suis venu pour être le Chemin, la Vérité et la Vie. Je vous donne la Vérité par ce que j'enseigne. Je vous

aplanis le Chemin par mon sacrifice, je vous le trace, je vous l'indique. Mais la Vie, je vous la donne par ma

mort. Et souvenez-vous que quiconque répond à mon appel et se met dans mes rangs pour coopérer à la

rédemption du monde doit être prêt à mourir pour donner aux autres la Vie. Ainsi quiconque veut venir à ma

suite doit être prêt à se renoncer, à renier son vieux lui-même avec ses passions, ses tendances, ses habitudes,

ses traditions, ses pensées, et me suivre avec son nouveau lui-même.

Que chacun prenne sa croix comme Moi je la prendrai. Qu'il la prenne même si elle lui semble trop

infamante. Qu'il laisse le poids de sa croix écraser son lui-même humain pour libérer son lui-même spirituel,

auquel la croix ne fait pas horreur mais au contraire est un point d'appui et un objet de vénération, car l'esprit

sait et se souvient. Et qu'il me suive avec sa croix. Est-ce qu'à la fin du chemin l'attendra la mort

ignominieuse comme elle m'attend ? Il n'importe. Qu'il ne s'afflige pas, mais au contraire qu'il se réjouisse,

car l'ignominie de la terre se changera en une grande gloire au Ciel, alors que ce sera un déshonneur d'être

lâche en face des héroïsmes spirituels, Vous ne cessez de dire que vous voulez me suivre jusqu'à la mort.

Suivez-moi alors, et je vous conduirai au Royaume par un chemin âpre mais saint et glorieux, au terme

duquel vous conquerrez la Vie qui ne change pas pour l'éternité. Cela sera "vivre". Suivre, au contraire, les

chemins du monde et de la chair, c'est "mourir". De cette façon si quelqu'un veut sauver sa vie sur la terre il

la perdra, tandis que celui qui perdra sa vie sur la terre à cause de Moi et par amour pour mon Évangile, la

sauvera. Mais réfléchissez : à quoi servira à l'homme de gagner le monde entier si ensuite il perd son âme ?

Et encore gardez-vous bien, maintenant et à l'avenir, d'avoir honte de mes paroles et de mes actions. Cela

aussi serait "mourir". En effet celui qui aura honte de Moi et de mes paroles au milieu de cette génération

sotte, adultère et pécheresse, dont j'ai parlé, et espérant en tirer protection et avantages La flattera en me

reniant, Moi et ma Doctrine, et en jetant les paroles qu'il a eues dans les gueules immondes des porcs et des

381


chiens pour avoir en récompense des excréments en guise de paiement, celui-là sera jugé par le Fils de

l'homme quand il viendra dans la gloire de son Père et avec les anges et les saints pour juger le monde. Lui

alors rougira de tous ces adultères et fornicateurs, de ces lâches et de ces usuriers et il les chassera de son

Royaume, parce qu'il n'y a pas de place dans la Jérusalem céleste pour les adultères, les lâches, les

fornicateurs, les blasphémateurs et les voleurs. Et en vérité je vous dis qu'il y a ici certains de ceux qui sont

présents parmi ceux et celles qui sont mes disciples qui ne goûteront pas la mort avant d'avoir vu se fonder le

Royaume de Dieu, avec son Roi qui aura reçu la couronne et l'onction. »

Ils reprennent leur marche en parlant avec animation pendant que le soleil descend lentement dans le ciel...

382


Première annonce de la Passion

31 Ensuite il se mit

À leur enseigner que le Fils de l'homme devait

Souffrir énormément, être par les anciens

Rejeté, par les grands prêtres et les scribes (aussi)

Être tué, trois jours après ressusciter

32 C'est ouvertement qu'il disait la chose. Aussi,

Pierre le prit à part et il le réprimanda.

33 Mais lui se retournant et voyant ses disciples,

Réprimanda Pierre et il dit : "Va-t’en, arrière

De moi, Satan ! Car tes pensées ne sont pas celles

De Dieu, mais celles des hommes."

Conditions pour suivre Jésus

34 Appelant à lui

La foule avec ses disciples, il leur dit ceci :

"Si quelqu'un veut venir à ma suite, que lui-même

Se renie, qu'il prenne sa croix, et qu'il me suive.

35 Car celui qui veut sauver sa vie la perdra,

Celui qui perdra sa vie à cause de moi

Et de l'Évangile la sauvera. 36 Quel profit,

En effet, y a-t-il pour un homme à gagner

Le monde entier et apporter un préjudice

À sa vie. 37 Que peut, en effet, donner un homme

En échange de sa vie ? 38 Celui qui aura

383


Eu à rougir de moi, de mes paroles aussi

Dans cette génération (qui est) adultère

Et pécheresse, le Fils de l'homme rougira donc

De lui lorsqu'il viendra dans la gloire de son Père

Avec les saints anges."

384


La Transfiguration

Je suis avec mon Jésus sur une haute montagne. Avec Jésus, il y a Pierre, Jacques et Jean. Ils montent encore

plus haut et le regard se porte vers des horizons ouverts dont une belle et tranquille journée permet de voir

nettement les détails jusque dans les lointains.

La montagne ne fait pas partie d'un ensemble montagneux comme celui de la Judée, elle s'élève isolée et, par

rapport à l'endroit où nous nous trouvons, elle a l'orient en face, le nord à gauche, le sud à droite et en arrière

à l'ouest la cime qui dépasse encore de quelques centaines de pas.

Elle est très élevée et l'œil peut découvrir un large horizon. Le lac de Génésareth semble un morceau de ciel

descendu pour s'encadrer dans la verdure, une turquoise ovale enserrée dans des émeraudes de différentes

teintes, un miroir qui tremble et se ride sous un vent léger et sur lequel glissent, avec l'agilité des mouettes,

les barques aux voiles tendues, légèrement penchées vers l'onde azurine, vraiment avec la grâce du vol d'un

alcyon qui survole l'eau à la recherche d'une proie. Puis, voilà que de l'immense turquoise sort une veine,

d'un bleu plus pâle là où la grève est plus large, et plus sombre là où les rives se rapprochent et où l'eau est

plus profonde et plus sombre à cause de l'ombre qu'y projettent les arbres qui croissent vigoureux près du

fleuve qui les nourrit de sa fraîcheur. Le Jourdain semble un coup de pinceau presque rectiligne dans la

verdure de la plaine. Des petits villages sont disséminés à travers la plaine des deux côtés du fleuve.

Quelques-uns sont tout juste une poignée de maisons, d'autres sont plus vastes, avec déjà des airs de villes.

Les grand-routes sont des lignes jaunâtres dans la verdure. Mais ici, du côté de la montagne, la plaine est

beaucoup mieux cultivée et plus fertile, très belle. On y voit les diverses cultures avec leurs différentes

couleurs riant au beau soleil qui descend du ciel serein. Ce doit être le printemps, peut-être mars, si je tiens

compte de la latitude de la Palestine, car je vois les blés déjà grands, mais encore verts, qui ondulent comme

une mer glauque, et je vois les panaches des plus précoces parmi les arbres à fruits qui étendent des nuées

blanches et rosées sur cette petite mer végétale, puis les prés tout en fleurs avec le foin qui a déjà poussé,

dans lesquelles brebis qui paissent semblent des tas de neige amoncelée un peu partout sur la verdure.

385


Tout à côté de la montagne, sur des collines qui en forment la base, des collines basses et de peu d'étendue,

se trouvent deux petites villes, l'une vers le sud et l'autre vers le nord. La plaine très fertile s'étend

particulièrement et avec plus d'ampleur vers le sud.

Jésus, après un court arrêt à l'ombre d'un bouquet d'arbres, qu'il a certainement accordé par pitié pour Pierre

qui dans les montées fatigue visiblement, reprend l'ascension. Il va presque sur la cime, là où se trouve un

plateau herbeux que limite un demi-cercle d'arbres du côté de la côte.

"Reposez-vous, amis, je vais là-bas pour prier" et il montre de la main un énorme rocher, un rocher qui

affleure de la montagne et qui se trouve par conséquent non vers la côte mais vers l'intérieur, vers le sommet.

Jésus s'agenouille sur l'herbe et appuie sa tête et ses mains au rocher, dans la pose qu'il aura aussi dans sa

prière au Gethsémani. Le soleil ne le frappe pas, car la cime Lui donne de l'ombre. Mais le reste de

l'emplacement couvert d'herbe est tout égayé par le soleil jusqu'à la limite de l'ombre du bouquet d'arbres

sous lequel se sont assis les apôtres.

Pierre enlève ses sandales, en secoue la poussière et les petits cailloux et il reste ainsi, déchaussé, ses pieds

fatigués dans l'herbe fraîche, presque allongé, la tête sur une touffe d'herbe qui dépasse et lui sert d'oreiller.

Jacques l'imite, mais pour être plus à l'aise, il cherche un tronc d'arbre pour s'y appuyer le dos couvert de son

manteau.

Jean reste assis et observe le Maître. Mais le calme de l'endroit, le petit vent frais, le silence et la fatigue

viennent aussi à bout de lui, et sa tête tombe sur la poitrine et les paupières sur ses yeux. Aucun des trois ne

dort profondément, mais ils sont sous le coup de cette somnolence estivale qui les étourdit.

386


Ils sont éveillés par une clarté si vive qu'elle fait évanouir celle du soleil et qui se propage et pénètre jusque

sous la verdure des buissons et des arbres sous lesquels ils se sont installés.

Ils ouvrent leurs yeux étonnés et ils voient Jésus transfiguré. Il est maintenant tel que je le vois dans les

visions du Paradis, naturellement sans les Plaies et sans la bannière de la Croix, mais la majesté du visage et

du corps est pareille, pareille en est la clarté et pareil le vêtement qui est passé d'un rouge foncé à un tissu

immatériel de diamant et de perles qui est son vêtement au Ciel. Son visage est un soleil qui émet une

lumière sidérale, mais très intense, et ses yeux de saphir y rayonnent. Il semble encore plus grand, comme si

sa gloire avait augmenté sa taille. Je ne saurais dire si la clarté, qui rend phosphorescent même le plateau,

provient toute entière de Lui ou bien si à sa clarté propre se mélange toute celle qu'a concentrée sur son

Seigneur toute la lumière qui existe dans l'Univers et dans les Cieux. Je sais que c'est quelque chose

d'indescriptible.

Jésus est maintenant debout, je dirais même qu'il est au-dessus de la terre car entre Lui et la verdure du pré il

y a une sorte de vapeur lumineuse, un espace fait uniquement de lumière et sur lequel il semble qu'il se

dresse. Mais elle est si vive que je pourrais me tromper et l'impossibilité de voir le vert de l'herbe sous les

pieds de Jésus pourrait venir de cette lumière intense qui vibre et produit des ondes, comme on le voit

parfois dans les incendies. Des ondes, ici, d'une couleur blanche incandescente. Jésus reste le visage levé

vers le ciel et il sourit à une vision qui le transporte.

Les apôtres en ont presque peur, et ils l'appellent, car il ne leur semble plus que ce soit leur Maître tant il est

transfiguré. "Maître ! Maître !" appellent-ils doucement mais d'une voix angoissée.

Lui n'entend pas.

"Il est en extase, dit Pierre tout tremblant. Que peut-il bien voir ?"

Les trois se sont levés. Ils voudraient s'approcher de Jésus, mais ils ne l'osent pas.

387


La lumière augmente encore avec deux flammes qui descendent du ciel et se placent aux côtés de Jésus.

Quand elles sont arrêtées sur le plateau, leur voile s'ouvre et il en sort deux personnages majestueux et

lumineux. L'un est plus âgé, au regard perçant et sévère et avec une longue barbe séparée en deux. De son

front partent des cornes de lumière qui m'indiquent que c'est Moïse. L'autre est plus jeune, amaigri, barbu et

poilu, à peu près comme le Baptiste auquel je dirais qu'il ressemble pour la taille, la maigreur, la

conformation et la sévérité. Alors que la lumière de Moïse est d'une blancheur éclatante comme celle de

Jésus, surtout pour les rayons du front, celle qui émane d'Élie ressemble à la flamme vive du soleil.

Les deux Prophètes prennent une attitude respectueuse devant leur Dieu Incarné et bien que Jésus leur parle

familièrement ils n'abandonnent pas leur attitude respectueuse. Je ne comprends pas un mot de ce qu'ils

disent.

Les trois apôtres tombent à genoux, tremblants, le visage dans les mains. Ils voudraient regarder, mais ils ont

peur. Finalement Pierre parle : "Maître, Maître ! Écoute-moi." Jésus tourne les yeux en souriant vers son

Pierre qui s'enhardit et dit : "C'est beau d'être ici avec Toi, Moïse et Élie... Si tu veux, nous faisons trois

tentes pour Toi, pour Moïse et pour Élie, et nous nous tiendrons ici pour vous servir..."

Jésus le regarde encore et il sourit plus vivement. Il regarde aussi Jacques et Jean, d'un regard qui les

embrasse avec amour. Moïse aussi et Élie regardent fixement les trois. Leurs yeux étincellent. Ce doit être

comme des rayons qui pénètrent les cœurs.

Les apôtres n'osent pas dire autre chose. Effrayés, ils se taisent. Ils semblent un peu ivres et comme

stupéfaits. Mais quand un voile qui n'est pas un nuage ni du brouillard, qui n'est pas un rayon, enveloppe et

sépare les Trois glorieux derrière un écran encore plus brillant que celui qui les entourait déjà et les cache à

la vue des trois, une Voix puissante et harmonieuse vibre et remplit d'elle-même tout l'espace, les trois

tombent le visage contre l'herbe.

388


"Celui-ci est mon Fils Bien-Aimé, en qui Je me suis complu. Écoutez-le."

Pierre, en se jetant à plat ventre, s'écrie : "Miséricorde pour moi, pécheur ! C'est la Gloire de Dieu qui

descend !" Jacques ne souffle mot. Jean murmure avec un soupir, comme s'il allait s'évanouir : "Le Seigneur

parle !"

Personne n'ose relever la tête, même quand le silence est redevenu absolu. Ils ne voient donc pas non plus le

retour de la lumière à son état naturel de lumière solaire pour montrer Jésus resté seul et redevenu le Jésus

habituel dans son vêtement rouge. Il marche vers eux en souriant, il les secoue, les touche et les appelle par

leurs noms.

"Levez-vous ! C'est Moi. Ne craignez pas." dit-il, car les trois n'osent pas lever le visage et invoquent la

miséricorde de Dieu sur leurs péchés, craignant que ce soit l'Ange de Dieu qui veut les montrer au Très-

Haut.

"Levez-vous, donc. Je vous le commande." répète Jésus avec autorité. Eux lèvent le visage et ils voient Jésus

qui sourit.

"Oh ! Maître, mon Dieu !" s'écrie Pierre. "Comment ferons-nous pour vivre auprès de Toi, maintenant que

nous avons vu ta Gloire ? Comment ferons-nous pour vivre parmi les hommes et nous, hommes pécheurs,

maintenant que nous avons entendu la Voix de Dieu ?"

"Vous devrez vivre auprès de Moi et voir ma gloire jusqu'à la fin. Soyez-en dignes car le temps est proche.

Obéissez au Père qui est le mien et le vôtre. Retournons maintenant parmi les hommes, parce que je suis

venu pour rester parmi eux et les amener à Dieu. Allons. Soyez saints en souvenir de cette heure, soyez forts

389


et fidèles. Vous aurez part à ma gloire la plus complète. Mais ne parlez pas maintenant de ce que vous avez

vu, à personne, pas même à vos compagnons. Quand le Fils de l'homme sera ressuscité d'entre les morts, et

retourné dans la gloire de son Père, alors vous parlerez. Parce qu'alors il faudra croire pour avoir part à mon

Royaume."

390


La transfiguration

28 Environ

Huit jours après ces paroles, prenant avec lui

Pierre et Jean et Jacques, Il monta dans la montagne

Pour prier. 29 Il priait, l’aspect de son visage

Devint autre, ses habits devinrent d’une blancheur

Étincelante. 30 Et voici que deux hommes parlaient

Avec lui : c’était Moïse et Élie 31 qui, en gloire

Apparus, parlaient de son départ qu'il allait

Accomplir à Jérusalem. 32 Pierre avec ceux

Qui étaient avec lui, alourdis de sommeil,

Se réveillèrent, ils virent sa gloire et les deux hommes

Qui se tenaient avec lui. 33 Or, comme ceux-ci

Se séparaient de lui, Pierre dit à Jésus : " Chef,

Il est bon que nous soyons ici ; faisons donc

Trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une

Pour Élie." Il ne savait pas ce qu'il disait.

34 Comme il disait cela, advint une nuée

Et elle les prenait sous son ombre ; ils eurent peur

En pénétrant dans la nuée. 35 De la nuée

Advint une voix qui disait : "Celui-ci est

Mon fils, l'Élu : écoutez-le !" 36 Et quand advint

La voix, Jésus se trouva seul, et eux gardèrent

Le silence, et ils n'annoncèrent à personne rien

En ces jours-là, de ce qu'ils avaient vu.

391


Le plus grand dans le Royaume des Cieux

Le petit Benjamin de Capharnaüm

Moi, je supprime la limite du "parmi nous" et j'élargis la question aux limites du monde entier, présent et

futur, et je réponds : Le plus grand dans le Royaume des Cieux, c'est le plus petit parmi les hommes, c'est-àdire

celui que les hommes considèrent comme "le plus petit". Celui qui est simple, humble, confiant,

ignorant, par conséquent l'enfant, ou celui qui sait se refaire une âme d'enfant. Ce n'est pas la science, ni la

puissance, ni la richesse, ni l'activité, même si elle est bonne, qui vous rendront "le plus grand"dans le

Royaume bienheureux. Mais d'être comme des tout petits par l'amour, l'humilité, la simplicité, la foi.

Observez comme m'aiment les enfants et imitez-les. Comme ils croient en Moi, et imitez-les. Comme ils se

souviennent de ce que je dis, et imitez-les. Comme ils font ce que j'enseigne, et imitez-les. Comme ils ne

s'enorgueillissent pas de ce qu'ils font, et imitez-les. Comme ils n'ont pas de jalousie pour Moi ni pour leurs

compagnons, et imitez-les. En vérité je vous dis que, si vous ne changez pas votre manière de penser, d'agir

et d'aimer, et si vous ne vous refaites pas sur le modèle des tout petits, vous n'entrerez pas dans le Royaume

des Cieux. Eux savent ce que vous savez, ce qu'il y a d'essentiel dans ma doctrine. Mais avec quelle

différence ils pratiquent ce que j'enseigne ! Vous, vous dites pour toute bonne action que vous

accomplissez : "J'ai fait", L'enfant dit : "Jésus, je me suis souvenu de Toi aujourd'hui, et à cause de Toi j'ai

obéi, j'ai aimé, j'ai contenu un désir de me battre... et je suis content parce que Toi, je le sais, tu sais quand je

suis bon et tu en es content." Et encore considérez les enfants quand ils agissent mal, Avec quelle humilité ils

me l'avouent : " Aujourd'hui j'ai été méchant. Et cela me déplaît parce que je t'ai donné de la douleur." Ils ne

cherchent pas d'excuses. Ils savent que je sais, ils croient, ils souffrent de ma douleur.

Oh ! ils sont chers à mon cœur, les enfants, en qui il n'y a pas d'orgueil, pas de duplicité, pas de

392


luxure ! Moi, je vous le dis : devenez semblables à des petits, si vous voulez entrer dans mon Royaume.

Aimez les petits comme l'exemple angélique que vous pouvez encore avoir. Vous devriez être comme des

anges. Pour vous excuser, vous pourriez dire : "Nous ne voyons pas les anges." Mais Dieu vous donne les

enfants comme modèles et eux, vous les avez parmi vous. Et si vous voyez un enfant abandonné

matériellement, ou abandonné moralement, et qui peut périr, accueillez-le en mon Nom, parce qu'eux sont

très aimés de Dieu. Et quiconque accueille un enfant en mon Nom, m'accueille Moi-même, parce que je suis

dans l'âme des enfants, qui est innocente. Et celui qui m'accueille, accueille Celui qui m'a envoyé, le

Seigneur Très-Haut.

Et gardez-vous de scandaliser un de ces petits dont l’œil voit Dieu. On ne doit jamais donner de scandale à

personne. Mais malheur, trois fois malheur, à celui qui déflore la candeur ignorante des enfants ! Laissez-les

anges, le plus que vous pouvez. Trop répugnants sont le monde et la chair pour l'âme qui vient des Cieux ! Et

l'enfant, par son innocence, est encore tout âme. Respectez l'âme de l'enfant et son corps lui-même, comme

vous respectez un lieu sacré. Sacré est aussi l'enfant car il a Dieu en lui, En tout corps se trouve le temple de

l'Esprit, mais le temple de l'enfant est le plus sacré et le plus profond, et il est au-delà du double Voile. Ne

remuez même pas les voiles de la sublime ignorance de la concupiscence par le vent de vos passions. Je

voudrais un enfant dans toute famille, au milieu de toute réunion de personnes, pour qu'il serve de frein aux

passions des hommes.

L'enfant sanctifie, restaure et rafraîchit par le seul rayonnement de ses yeux sans malice. Mais malheur à

ceux qui enlèvent sa sainteté à l'enfant par leur scandaleuse manière d'agir ! Malheur à ceux qui par leur

conduite licencieuse transmettent leur malice aux enfants ! Malheur à ceux qui par leurs propos et leur ironie

blessent la foi que les enfants ont en Moi ! Il vaudrait mieux qu'à tous ceux-là on attache à leur cou une

meule de moulin, et qu'on les jette à la mer pour qu'ils s'y noient avec leurs scandales. Malheur au monde

pour les scandales qu'il donne aux innocents ! Car, s'il est inévitable qu'il arrive des scandales, malheur à

l'homme qui les provoque par sa faute !

393


Personne n'a le droit de faire violence à son corps et à sa vie, car la vie et le corps viennent de Dieu, et Lui

seul a le droit d'en prendre une partie ou le tout. Pourtant je vous dis que si votre main vous scandalise, il

vaut mieux que vous la coupiez, que si votre pied vous porte à donner du scandale, il est bien que vous le

coupiez. Il vaut mieux pour vous entrer manchots ou boiteux dans la Vie que d'être jetés au feu éternel avec

les deux mains et les deux pieds. Et s'il ne suffit pas d'un pied ou d'une main coupés, faites couper aussi

l'autre main ou l'autre pied, pour ne plus donner de scandale et pour avoir le temps de vous repentir avant

d'être jetés là où le feu ne s'éteint pas et ronge comme un ver pour l'éternité. Et si c'est votre œil qui est pour

vous occasion de scandale, arrachez-le. Il vaut mieux être borgne que d'être dans l'enfer avec les deux yeux.

Avec un seul œil ou même sans aucun, arrivés au Ciel, vous verrez la Lumière, alors qu'avec les deux yeux

scandaleux, vous verrez dans l'enfer les ténèbres et l’horreur. Et rien d'autre. Rappelez-vous tout cela. Ne

méprisez pas les petits, ne les scandalisez pas, ne vous moquez pas d'eux. Ils sont plus que vous, car leurs

anges ne cessent de voir Dieu qui leur dit les vérités qu'ils doivent révéler aux enfants et à ceux qui ont un

cœur d'enfant.

Et vous, comme des enfants, aimez-vous entre vous, sans disputes, sans orgueil. Restez en paix entre vous.

Ayez un esprit de paix pour tous. Vous êtes frères, au nom du Seigneur, et non pas ennemis. Il n'y a pas, il ne

doit pas y avoir d'ennemis pour les disciples de Jésus. L'unique Ennemi, c'est Satan. Pour lui, soyez des

ennemis implacables, entrez en lutte contre lui et contre les péchés qui amènent Satan dans les cœurs. Soyez

infatigables dans le combat contre le mal quelque soit la forme qu'il prenne.

394


Le scandale

5 Quiconque

Accueille un enfant comme celui-ci, c’est moi

Qu’il accueille. 6 Pourtant quiconque scandalise un seul

De ces petits qui croient en moi, il serait mieux

Pour lui qu’on le suspende à une meule d’âne

Autour du cou, ou qu’on le noie en pleine mer

Dans les profondeurs. 7 Malheur pour le monde à cause

Des scandales ! Certes, c’est une nécessité

Qu’arrivent les scandales. Pourtant malheur à l’homme

Par qui vient le scandale. 8 Si ta main ou ton pied

Te scandalise, retranche-le et jette-le

Loin de toi. Mieux vaut pour toi entrer dans la vie

Estropié ou boiteux, qu’être au feu éternel

Jeté avec tes deux mains, ou bien tes deux pieds.

10 Gardez-vous de mépriser un de ces petits

Car je vous dis que les anges dans les cieux

Regardent constamment la Face de mon Père

Qui est dans les cieux.”

395


La seconde multiplication des pains

Je vois un endroit qui n'est certainement pas une plaine. Ce n'est pas non plus la montagne. Il y a des

montagnes à l'orient, mais elles sont un peu loin. Puis il y a une petite vallée et des hauteurs plus basses et

plates; des plateaux herbeux. Il semble que ce soit les premières pentes d'un groupe de collines. Le terrain est

plutôt aride et sans arbres. Il y a une herbe courte et rare, disséminée sur un terrain caillouteux. Çà et là

quelques rares touffes de buissons épineux. Du côté de l'occident, l'horizon s'élargit vaste et lumineux. Je ne

vois pas autre chose comme nature. il fait encore jour mais je dirais que le soir commence, car l'occident est

rouge à cause du crépuscule alors que les monts du côté de l'orient sont déjà violets dans la lumière qui

devient crépusculaire. Un commencement de crépuscule qui rend plus sombres les failles profondes, et

presque violettes les parties plus élevées.

Jésus est debout sur un gros rocher et il parle à une foule très nombreuse répandue sur le plateau. Les

disciples l'entourent. Lui, encore plus haut sur son rustique piédestal, domine une foule de gens de tous âges

et de toutes conditions qui l'entourent.

Il doit avoir accompli des miracles car je l'entends dire : "Ce n'est pas à Moi mais à Celui qui m'a envoyé que

vous devez offrir louange et reconnaissance. Et la louange, ce n'est pas celle qui sort comme un souffle des

lèvres distraites. Mais c'est celle qui monte du cœur et qui est le véritable sentiment de votre cœur. Celle-la

est agréable à Dieu. Que ceux qui sont guéris aiment le Seigneur d'un amour de fidélité, et que l'aiment les

parents de ceux qui sont guéris. Du don de la santé retrouvée ne faites pas un mauvais usage. Plus que des

maladies du corps, ayez peur des maladies du cœur. Et n'ayez pas la volonté de pécher. Car tout péché est

une maladie. Et il y en a qui sont tels qu'ils peuvent donner la mort. Maintenant donc vous tous, qui à cette

heure vous vous réjouissez, ne détruisez pas par le péché la bénédiction de Dieu. Votre joie tarirait car les

mauvaises actions enlèvent la paix, et là où il n 'y a pas de paix, il n'y a pas de joie. Mais soyez saints, soyez

parfaits comme votre Père le veut. Il le veut parce qu'Il vous aime, et à ceux qu'il aime, il veut donner un

Royaume. Mais dans son Royaume saint n'entrent que ceux que la fidélité à la Loi rend parfaits. La paix de

Dieu soit avec vous."

396


Jésus se tait. il croise les bras sur la poitrine et, les bras ainsi croisés, il observe la foule qui est autour de

Lui. Puis il regarde tout autour. Il lève les yeux vers le ciel serein qui devient toujours plus sombre à mesure

que la lumière décroît. Il réfléchit. Il descend de son rocher. Il parle aux disciples : "J'ai pitié de ces gens. Ils

me suivent depuis trois jours. Ils n'ont plus de provisions avec eux. Nous sommes loin de tout village. Je

crains que les plus faibles souffrent trop, si Moi je les renvoie sans les nourrir."

"Et comment veux-tu faire, Maître ? Tu le dis : nous sommes loin de tout village. Dans ce lieu désert, où

trouver du pain ? Et qui nous donnerait assez d'argent pour en acheter pour tout le monde ?"

"N'avez-vous rien avec vous ?"

"Nous avons quelques poissons et quelques morceaux de pain : les restes de notre nourriture, Mais cela ne

suffit pour personne. Si tu les donnes à ceux qui sont les plus proches, cela va faire du grabuge. Tu nous en

prives et tu ne fais du bien à personne." C'est Pierre qui parle.

"Apportez-moi ce que vous avez." Ils apportent un petit panier avec à l'intérieur sept morceaux de pain. Ce

ne sont même pas des pains entiers. Il semble que ce soit de gros morceaux coupés dans de grandes miches.

Ensuite les poissons petits, c'est une poignée de pauvres bestioles roussies.

"Faites asseoir cette foule par groupes de cinquante et qu'ils restent tranquilles et silencieux, s'ils veulent

manger."

Les disciples, les uns montant sur des pierres, les autres circulant parmi les gens, se donnent du mal pour

mettre l'ordre réclamé par Jésus. À force d'insister ils y réussissent. Quelque enfant pleurniche parce qu'il a

faim et sommeil, quelque autre parce que, pour le faire obéir, la mère ou quelque autre parent lui a

administré une gifle.

Jésus prend les pains, pas tous naturellement : deux à la fois, un dans chaque main, les offre et puis les pose

et le bénit. Il prend les petits poissons. Il y en a si peu qu’ils tiennent tous dans le creux de ses longues

mains. Il les offre eux aussi et puis les pose et les bénit aussi.

397


"Et maintenant prenez, faites le tour de la joule et donnez abondamment à chacun."

Les disciples obéissent.

Jésus, debout, blanche silhouette qui domine tout ce peuple assis en larges groupes qui couvrent tout le

plateau, observe et sourit.

Les disciples vont et vont, toujours plus loin. Ils donnent et donnent encore. Et le panier est toujours plein de

nourriture. Les gens mangent, alors que le soir descend et il y a un grand silence et une grande paix.

398


Seconde multiplication des pains

32 Jésus appela à lui

Ses disciples et dit : “ J’ai pitié de cette foule,

Car voilà déjà trois jours qu’ils restent avec moi,

Et ils n’ont pas de quoi manger. Je ne veux pas

Les renvoyer à jeun de peur qu’ils ne défaillent

En chemin. ”

33 Les disciples lui disent : “ Où trouver

Dans un désert assez de pains pour rassasier

Une telle foule ? 34 Et Jésus leur dit : “ Combien

De pains avez-vous ? ”, “ Sept avec quelques petits

Poissons ”, dirent-ils.

35 Il ordonna à la foule

De s’étendre par terre, 36 et il prit les sept pains

Et les poissons, et rendant grâces, il les rompit ;

Il les donnait aux disciples, les disciples aux foules.

37 Et ils mangèrent tous, ils furent rassasiés.

Or ce qui restait des morceaux, on l’enleva :

Sept corbeilles pleines ! 38 Quant aux mangeurs, ils étaient

Quatre mille, sans compter femmes et enfants.

Il renvoya les foules, entra dans le bateau,

Puis il vint dans le territoire de Magadan.

399


Le pain du ciel

Jésus en tête, par derrière le cortège des autres, ils vont à la belle synagogue de Capharnaüm et Jésus, salué

par Jaïre, y entre et il ordonne que toutes les portes restent ouvertes pour que ceux qui n'arrivent pas à entrer

puissent l'entendre de la rue et de la place qui sont à côté de la synagogue.

Jésus va à sa place, dans cette synagogue amie, de laquelle aujourd'hui sont absents heureusement les

pharisiens, peut-être déjà partis en grande pompe pour Jérusalem. Et il commence à parler.

"En vérité je vous dis : vous me cherchez non pas pour m'entendre ni pour les miracles que vous avez vus,

mais pour ce pain que je vous ai donné à manger à satiété et sans frais. Les trois quart d'entre vous c'est pour

cela qu'ils me cherchaient, et par curiosité, venant de toutes parts de notre Patrie. Il manque donc à la

recherche l'esprit surnaturel, et reste dominant l'esprit humain avec ses curiosités malsaines, ou pour le

moins d'une imperfection infantile, non pas simple comme celle des tout petits, mais diminuée comme

l'intelligence d'un esprit obtus. Et avec la curiosité, il reste la sensualité et un sentiment vicié. La sensualité

qui se cache, subtile comme le démon dont elle est la fille, derrière des apparences et des actes qui sont bons

en apparence, et le sentiment vicié qui est simplement une déviation morbide du sentiment et qui, comme

tout ce qui est "maladie", ressent le besoin et le désir des drogues qui ne sont pas la simple nourriture, le bon

pain, la bonne eau, l'huile pure, le, premier lait qui suffit pour vivre, pour bien vivre. Le sentiment vicié veut

les choses extraordinaires pour en être remué et pour éprouver le frisson qui plaît, le frisson maladif des

paralysés qui ont besoin de drogues pour éprouver des sensations qui leur donnent l'illusion d'être intègres et

virils. La sensualité qui veut satisfaire sans fatigue la gourmandise, dans ce cas, avec du pain qui n'a pas

coûté de sueurs, puisque Dieu l'a donné par bonté.

Les dons de Dieu ne sont pas l'ordinaire, ils sont l'extraordinaire. On ne peut y prétendre, ni se livrer à la

paresse en disant : "Dieu me les donnera." Il est dit : "Tu mangeras ton pain mouillé par la sueur de ton

front" c'est-à-dire le pain gagné par le travail. Si Celui qui est Miséricorde a dit : "J'ai pitié de ces foules qui

400


me suivent depuis trois jours et n'ont plus rien à manger et qui pourraient tomber en route avant d'avoir

atteint Ippo sur le lac, ou Gamala, ou d'autres villes", et a pourvu à leurs besoins, il n'est pourtant pas dit

qu'on doive le suivre pour ce motif. C'est pour bien davantage qu'un peu de pain, destiné à devenir ordure

après la digestion, que l'on doit me suivre. Ce n'est pas pour la nourriture qui emplit le ventre, mais pour

celle qui nourrit l'âme, car vous n'êtes pas seulement des animaux qui doivent brouter et ruminer, ou fouiller

avec le groin et s'engraisser. Mais vous êtes des âmes ! C'est cela que vous êtes ! La chair c'est le vêtement,

l'être c'est l'âme. C'est elle qui est immortelle, La chair, comme tout vêtement, s'use et finit, et ne mérite pas

qu'on s'en occupe comme si c'était une perfection à laquelle il faut donner tous ses soins.

Cherchez donc ce qu'il est juste de se procurer, non ce qui est injuste. Cherchez à vous procurer non la

nourriture qui périt, mais celle qui dure pour la vie éternelle. Celle-là, le Fils de l'homme vous la donnera

toujours, quand vous la voudrez. Car le Fils de l'homme a à sa disposition tout ce qui vient de Dieu et peut

vous le donner; Lui est Maître, et Maître magnanime, des trésors de Dieu Père qui a imprimé sur Lui son

sceau pour que les yeux honnêtes ne soient pas confondus. Et si vous avez en vous la nourriture qui ne périt

pas, vous pourrez faire les œuvres de Dieu, étant nourris de la nourriture de Dieu."

"Que devons-nous faire pour faire les œuvres de Dieu ? Nous observons la Loi et les Prophètes. Nous

sommes donc déjà nourris de Dieu et nous faisons les œuvres de Dieu."

"C'est vrai. Vous observez la Loi, ou plutôt vous "connaissez" la Loi. Mais connaître n'est pas pratiquer.

Nous connaissons, par exemple, les lois de Rome et pourtant un israélite fidèle ne les pratique pas autrement

que dans les formules qui lui sont imposées par sa condition de sujet. Pour le reste nous, je parle des

israélites fidèles, nous ne pratiquons pas les usages païens des Romains tout en les connaissant. La Loi que

vous tous connaissez et les Prophètes devraient en effet vous nourrir de Dieu et vous donner par conséquent

la capacité de faire les œuvres de Dieu. Mais pour faire cela, elles devraient être devenues une seule chose

avec vous, comme l'air que vous respirez et la nourriture que vous assimilez, qui se changent tous les deux

en vie et en sang. Alors qu'ils restent étrangers, tout en étant dans votre maison, comme peut l'être un objet

de la maison qui vous est connu et utile, mais qui s'il venait à manquer ne vous enlèverait pas l'existence.

401


Alors que... Oh ! essayez un peu de ne pas respirer pendant quelques minutes, essayez de rester sans

nourriture pendant des jours et des jours... et vous verrez que vous ne pouvez vivre. Ainsi devrait se ressentir

votre moi de la dénutrition et de son asphyxie de la Loi et des Prophètes, puisque vous les connaissez mais

ne les assimilez pas et qu'ils ne deviennent pas une seule chose avec vous. C'est cela que je suis venu

enseigner et donner : le suc, l'air de la Loi et des Prophètes, pour rendre le sang et la respiration à vos âmes

qui meurent de faim et d'asphyxie. Vous ressemblez à des enfants qu'une maladie rend incapables de savoir

ce qui peut les nourrir. Vous avez des provisions de nourriture, mais vous ne savez pas qu'elles doivent être

mangées pour se changer en une chose vitale, et qu'elles deviennent vraiment nôtres, par une fidélité vraie et

pure à la Loi du Seigneur qui a parlé à Moïse et aux Prophètes pour vous tous. Venir donc à Moi pour avoir

l'air et le suc de la Vie éternelle, c'est un devoir. Mais ce devoir présuppose en vous une foi. Car si quelqu'un

n'a pas la foi, il ne peut croire à mes paroles, et s'il ne croit pas il ne vient pas me dire : "Donne-moi le vrai

pain". Et s'il n'a pas le vrai pain, il ne peut pas faire les œuvres de Dieu n'ayant pas la capacité de les faire.

Par conséquent pour être nourris de Dieu et pour faire l'œuvre de Dieu, il est nécessaire que vous fassiez

l'œuvre-base qui est celle-ci : croire en Celui que Dieu a envoyé."

"Mais quels miracles fais-tu donc pour qu’il nous soit possible de croire en Toi comme en un envoyé de

Dieu et pour qu'on puisse voir sur Toi le sceau de Dieu ? Que fais-tu que déjà, sous une forme plus modeste,

n'aient pas fait les Prophètes ? Moïse t'a même surpassé, puisque non pas une seule fois mais pendant

quarante années il a nourri nos pères d'une nourriture merveilleuse. C'est écrit que nos pères, pendant

quarante années, mangèrent la manne dans le désert et il est dit par conséquent que Moïse leur donna à

manger du pain venu du ciel, lui qui pouvait."

"Vous êtes dans l'erreur. Ce n'est pas Moïse, mais c'est le Seigneur qui a pu faire cela. Et dans l'Exode on lit :

"Voici : Je ferai pleuvoir du pain du ciel. Que le peuple sorte et qu'il recueille ce qui suffit pour chaque jour,

et qu'ainsi Je me rende compte si le peuple marche selon ma Loi. Et le sixième jour qu'il en ramasse le

double par respect pour le septième jour, le sabbat." Et les hébreux virent le désert se recouvrir chaque matin

de cette chose minuscule qui ressemble à ce qui est pilé dans le mortier, et au grésil, semblable à la graine de

coriandre, et au bon goût de fleur de farine mélangée à du miel." Ce n'est donc pas Moïse, mais le Seigneur

402


qui a procuré la manne. Dieu qui peut tout. Tout. Punir et bénir, enlever et accorder. Et Moi, je vous le dis,

que des deux choses, Il préfère bénir et accorder plutôt que punir et enlever.

Moïse, comme il est dit dans l'Ecclésiastique, était "cher à Dieu et aux hommes, sa mémoire était bénie, car

il était rendu par Dieu semblable aux saints dans leur gloire, grand et terrible pour les ennemis, capable de

susciter les prodiges et mettre fin à eux, glorieux en présence des rois, son ministre en présence du peuple, il

avait vu la gloire de Dieu et entendu la voix du Très-Haut, il était le gardien des préceptes et de la Loi de vie

et de science." Aussi Dieu, comme dit la Sagesse, par amour pour Moïse, nourrit son peuple avec le pain des

anges, et lui envoya du ciel un pain déjà fait, sans fatigue, un pain délicieux et d'une douce saveur. Et -

souvenez bien de ce que dit la Sagesse - et puisqu'il venait du ciel, de Dieu, et qu'il montrait la douceur

divine envers ses fils, il avait pour chacun le goût que chacun voulait, et procurait à chacun les effets qu'il

désirait, étant utile aussi bien au tout petit, à l'estomac encore imparfait, qu'à l'adulte à l'appétit et à la

digestion vigoureux, qu'à la fillette délicate et qu'au vieillard décrépit. Et même, pour montrer que ce n'était

pas œuvre d'homme, il renversa les lois des éléments car il résistait au feu, ce pain mystérieux qui, au lever

du soleil, fondait comme du givre. Ou plutôt : le feu - c'est toujours la Sagesse qui parle - oublia sa propre

nature par respect pour l’œuvre de Dieu son Créateur et pour les besoins des justes de Dieu, de sorte qu'alors

qu'il a l'habitude de s'enflammer pour tourmenter, ici il se fit doux pour faire du bien à ceux qui faisaient

confiance au Seigneur. Alors c'est pour cela, qu'en se transformant de toutes manières, il servit à la grâce du

Seigneur, leur nourrice à tous, selon les besoins de celui qui priait le Père éternel, pour que ses fils bienaimés

apprennent que ce n'est pas la reproduction des fruits qui nourrit les hommes, mais que c'est la parole

du Seigneur qui conserve ceux qui croient en Dieu. En effet le feu ne consumait pas, comme il le pouvait, la

douce manne, même pas si la flamme était haute et puissante, alors que suffisait à la fondre le doux soleil du

matin, afin que les hommes se rappellent et qu'ils apprennent que les dons de Dieu doivent être recherchés

dès le commencement du jour et de la vie, et que pour les avoir, il faut devancer la Lumière et se lever pour

louer l'Éternel dès la première heure du matin.

C'est cela que la manne enseignait aux hébreux, et Moi, je vous le rappelle parce que c'est un devoir qui dure

et durera jusqu'à la fin des siècles. Cherchez le Seigneur et ses dons célestes, sans paresser jusqu'aux heures

tardives du jour ou de la vie. Levez-vous pour le louer avant même que le loue le soleil levant, et nourrissez-

403


vous de sa parole qui consacre et préserve et conduit à la Vie vraie. Ce n'est pas Moïse qui vous a donné le

pain du Ciel mais, en vérité, Celui qui l'a donné, c'est le Père Dieu, et maintenant, en vérité, c'est mon Père

qui vous donne le vrai Pain, le Pain nouveau, le Pain éternel qui descend du Ciel, le Pain de miséricorde, le

Pain de Vie, le Pain qui donne au monde la Vie, le Pain qui rassasie toute faim et enlève toute langueur, le

Pain qui donne à celui qui le prend la Vie éternelle et l'éternelle joie."

"Donne-nous, ô Seigneur, ce pain et nous ne mourrons plus."

"Vous mourrez comme tout homme meurt, mais vous ressusciterez pour la Vie éternelle si vous vous

nourrissez saintement de ce Pain, parce qu'il rend incorruptible celui qui le mange. Pour ce qui est de vous, il

sera donné à ceux qui le demandent à mon Père avec un cœur pur, une intention droite, et une sainte charité.

C'est pour cela que j'ai enseigné à dire : "Donne-nous le Pain quotidien." Mais pour ceux qui s'en nourriront

indignement, il deviendra un grouillement de vers d'enfer, comme les paniers de manne conservés contre

l'ordre reçu. Et ce Pain de santé et de vie deviendra, pour eux, mort et condamnation. Car le plus grand

sacrilège sera commis par ceux qui mettront ce Pain sur une table spirituelle corrompue et fétide, et le

profaneront en le mêlant à la sentine de leurs inguérissables passions. Mieux vaudrait pour eux ne l'avoir

jamais pris !"

"Mais où est ce Pain ? Comment le trouve-t-on ? Quel nom a-t-il ?"

"Moi, je suis le Pain de Vie. C'est en Moi qu'on le trouve. Son nom est Jésus. Qui vient à Moi n'aura plus

faim, et celui qui croit en Moi n'aura plus jamais soif, parce que les fleuves célestes se déverseront en lui,

éteignant toute ardeur matérielle. Je vous l'ai dit, désormais. Vous m'avez connu désormais, et pourtant vous

ne croyez pas. Vous ne pouvez croire que tout ce qui est, est en Moi. Et pourtant, il en est ainsi. C'est en Moi

que sont tous les trésors de Dieu. C'est à Moi qu'est donné tout ce qui appartient à la terre, et sont donc

réunis en Moi les Cieux glorieux et la terre militante, et jusqu'à la peineuse et expectante masse de ceux qui

sont morts dans la grâce de Dieu sont en Moi, car en Moi et pour Moi est tout pouvoir. Et Moi, je vous le

404


dis : tout ce que le Père me donne viendra à Moi. Et je ne chasserai pas celui qui vient à Moi car je suis

descendu du Ciel pour faire non pas ma volonté mais la volonté de Celui qui m'a envoyé. Et la Volonté de

mon Père, du Père qui m'a envoyé la voici : que je ne perde aucun de ceux qu'Il m'a donnés, mais que je les

ressuscite au dernier jour. Maintenant la Volonté du Père qui m'a envoyé est que quiconque connaît le Fils et

croit en Lui ait la Vie éternelle et que je puisse le ressusciter au Dernier Jour, en le voyant nourri de la Foi en

Moi et marqué de mon sceau."

Il se fait un bourdonnement qui n'est pas discret dans la synagogue et au-dehors à cause des paroles

nouvelles et hardies du Maître. Et Lui, après avoir un moment repris haleine, tourne ses yeux étincelants de

ravissement là où on murmure davantage et ce sont précisément les groupes où il y a des juifs. Il

recommence à parler.

"Pourquoi murmurez-vous entre vous ? Oui, je suis le Fils de Marie de Nazareth, fille de Joachim de la race

de David, vierge consacrée au Temple, et puis épousée par Joseph de Jacob, de la race de David. Vous avez

connu, beaucoup d'entre vous, les justes qui donnèrent la vie à Joseph, menuisier de race royale, et à Marie,

vierge héritière de souche royale. Cela vous fait dire : "Comment celui-ci peut-il se dire descendu du Ciel ?"

et le doute naît en vous. Je vous rappelle les Prophètes sur l'Incarnation du Verbe. Et je vous rappelle

comment, plus pour nous israélites que pour tout autre peuple, il est de foi que Celui que nous n'osons pas

appeler ne peut pas se donner une Chair selon les lois humaines et de plus selon les lois d'une humanité

déchue. Le Très Pur, l'Incréé, s'Il s'est mortifié jusqu'à se faire Homme pour l'amour de l'homme, ne pouvait

choisir qu'un sein de Vierge plus pur que les lys pour revêtir de Chair sa Divinité. Le Pain descendu du Ciel

au temps de Moïse a été placé dans l'arche d'or, recouverte du Propitiatoire, veillée par les chérubins,

derrière les voiles du Tabernacle. Et avec le Pain était la Parole de Dieu. Et il était juste qu'il en fût ainsi,

parce que le plus grand respect doit être donné aux dons de Dieu et aux tables de sa très Sainte Parole. Mais

alors, qu'est-ce qui aura été préparé par Dieu pour sa propre Parole et pour le vrai Pain qui est venu du Ciel ?

Une arche plus inviolée et plus précieuse que l'arche d'or, couverte du précieux Propitiatoire de sa pure

volonté d'immolation, veillée par les chérubins de Dieu, voilée d'une candeur virginale, d'une humilité

parfaite, d'une charité sublime, et de toutes les vertus les plus saintes.

405


Et alors ? Vous ne comprenez pas encore que ma Paternité est au Ciel et que par conséquent c'est de là que je

viens ? Oui, je suis descendu du Ciel pour accomplir le décret de mon Père, le décret de salut des hommes

selon ce qui a été promis au moment même de la condamnation et répété aux Patriarches et aux Prophètes.

Mais cela, c'est la foi. Et la foi est donnée par Dieu à ceux qui ont une âme de bonne volonté. Aussi personne

ne peut venir à Moi, s'il n'est pas conduit à Moi par mon Père, qui le voit dans les ténèbres, mais avec un vrai

désir de la lumière. Il est écrit dans les Prophètes : "Ils seront tous instruits par Dieu." Voilà, c'est dit. C'est

Dieu qui leur apprend où ils doivent aller pour être instruits par Dieu. Tout homme donc qui, au fond de

son esprit droit, a entendu parler Dieu, a appris de mon Père à venir vers Moi."

"Et qui veux-tu qui ait entendu Dieu, ou vu son Visage ?" demandent plusieurs qui commencent à montrer

des signes d'irritation et de scandale. Et ils finissent par dire : "Tu délires ou tu es illusionné."

"Personne n'a vu Dieu excepté celui qui est de Dieu. Celui-là a vu le Père et c'est Moi qui suis Celui-là. Et

maintenant écoutez le Credo de la Vie future sans lequel on ne peut se sauver.

En vérité, en vérité je vous dis que celui qui croit en Moi a la Vie éternelle. En vérité, en vérité je vous dis

que je suis le Pain de la Vie éternelle.

Vos pères, dans le désert, ont mangé la manne et ils sont morts, car la manne était une nourriture sainte mais

temporelle et elle donnait la vie pour autant qu'il était nécessaire d'arriver à la Terre Promise par Dieu à son

peuple. Mais la Manne que je suis n'aura pas de limites de temps ni de puissance. Non seulement elle est

céleste, mais elle est divine, et elle produit ce qui est divin : l'incorruptibilité, l'immortalité de ce que Dieu a

créé à son image et à sa ressemblance. Elle ne durera pas quarante jours, quarante mois, quarante années,

quarante siècles. Mais elle durera tant que durera le Temps, et elle sera donnée à tous ceux qui ont pour elle

une faim sainte et agréable au Seigneur, qui se réjouira de se donner sans mesure aux hommes pour lesquels

Il s'est incarné pour qu'ils aient la Vie qui ne meurt pas.

406


Moi, je puis me donner, je puis me transsubstantier par amour pour les hommes, de sorte que le pain

devienne Chair et que la Chair devienne Pain, pour la faim spirituelle des hommes qui sans cette Nourriture

mourraient de faim et de maladies spirituelles. Mais si quelqu'un mange de ce Pain avec justice, il vivra

éternellement. Le pain que je donnerai, ce sera ma Chair immolée pour la Vie du monde; ce sera mon Amour

répandu dans les maisons de Dieu pour que viennent à la table du Seigneur ceux qui sont aimants ou

malheureux et qu'ils trouvent un réconfort pour leur besoin de se fondre en Dieu et un soulagement pour

leurs peines."

"Mais comment peux-tu nous donner ta Chair à manger ? Pour qui nous as-tu pris ? Pour des fauves

sanguinaires ? Pour des sauvages ? Pour des homicides ? Nous avons de la répugnance pour le sang et le

crime."

"En vérité, en vérité je vous dis que bien des fois l'homme est plus qu'un fauve et que le péché rend plus que

sauvage, que l'orgueil donne une soif homicide, et que ce n'est pas à tous ceux qui sont présents que

répugneront le sang et le crime. Et même dans l'avenir l'homme sera tel parce que Satan, la sensualité et

l'orgueil, en font une bête féroce. Et c'est pour satisfaire un besoin plus grand que jamais que vous devez et

que l'homme devra se guérir lui-même des germes terribles par l'infusion du Saint.

En vérité, en vérité je vous dis que si vous ne mangez pas la Chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez

pas son Sang, vous n'aurez pas en vous la Vie. Celui qui mange dignement ma Chair et qui boit mon Sang a

la Vie éternelle et je le ressusciterai au Dernier Jour. Car ma Chair est vraiment une Nourriture et mon

Sang un Breuvage. Celui qui mange ma Chair et qui boit mon Sang reste en Moi, et je reste en lui. Comme le

Père vivant m'a envoyé, et que je vis par le Père, de même ce lui qui me mange vivra lui aussi par Moi et ira

où je l'envoie, et il fera ce que je veux et il vivra avec austérité comme homme, et sera ardent comme un

séraphin, et il sera saint, car pour pouvoir se nourrir de ma Chair et de mon Sang, il s'interdira les fautes et

il vivra en s'élevant pour finir son ascension aux pieds de l'Éternel."

407


"Mais celui-là est fou ! Qui peut vivre de cette façon ? Dans notre religion il n'y a que le prêtre qui doive se

purifier pour offrir la victime. Ici Lui veut faire de nous autant de victimes de sa folie. Cette doctrine est trop

pénible et ce langage est trop difficile ! Qui peut l'écouter et le pratiquer ?" murmurent ceux qui sont

présents et plusieurs sont des disciples réputés tels.

Les gens se dispersent en commentant, et très réduits apparaissent les rangs des disciples quand restent seuls

dans la synagogue le Maître et les plus fidèles. Je ne les compte pas, mais je dis qu'on arrive à peu près à une

centaine. Il doit donc y avoir eu une forte défection même dans les rangs des anciens disciples depuis

longtemps au service de Dieu. Parmi ceux qui sont restés, il y a les apôtres, le prêtre Jean et le scribe Jean,

Étienne, Hermas, Timon, Hermastée, Agape, Joseph, Salomon, Abel de Bethléem de Galilée, et Abel le

lépreux de Corozaïn avec son ami Samuel, Élie (celui qui renonça à ensevelir son père pour suivre Jésus),

Philippe d'Arbela, Aser et Ismaël de Nazareth, et en plus d'autres dont je ne connais pas les noms. Tous

ceux-ci parlent doucement en commentant la défection des autres et les paroles de Jésus qui reste pensif, les

bras croisés, appuyé à un haut pupitre.

"Et vous vous scandalisez de ce que je vous ai dit ? Et si je vous disais que vous verrez un jour le Fils de

l'homme monter au Ciel où il était auparavant et s'asseoir à côté du Père ? Et qu'avez-vous compris, absorbé,

cru, jusqu'à présent ? Et avec quoi avez-vous écouté et assimilé ? Seulement avec ce qui est humain ? C'est

l'esprit qui vivifie et a de la valeur. La chair ne sert à rien. Mes paroles sont esprit et vie, et c'est avec

l'esprit qu'il faut les écouter et les comprendre pour en avoir la vie. Mais il y en a beaucoup parmi vous dont

l'esprit est mort parce qu'il est sans foi. Beaucoup d'entre vous ne croient pas vraiment, et c'est inutilement

qu'ils restent près de Moi. Ils n'en auront pas la Vie, mais la Mort.

Car ils y restent, comme je l'ai déjà dit, ou par curiosité ou par affection humaine, ou pire, pour des fins

encore plus indignes. Ils n'ont pas été amenés ici par le Père en récompense de leur bonne volonté, mais par

Satan. Personne, en vérité, ne peut venir à Moi, si cela ne lui est pas accordé par le Père. Allez-vous-en aussi,

vous qui restez difficilement parce que vous avez honte, humainement, de m'abandonner, mais qui avez

408


honte encore davantage de rester au service de quelqu'un qui vous semble "fou et dur". Allez. Il vaut mieux

que vous soyez loin pour nuire."

Et plusieurs autres se retirent des disciples, parmi lesquels le scribe Jean et Marc, le gérasénien possédé,

guéri en envoyant les démons dans les porcs. Les disciples bons se consultent et courent après ceux qui ont

abandonné, en essayant de les arrêter. Dans la synagogue il y a maintenant Jésus, le chef de la synagogue, et

les apôtres...

Jésus se tourne vers eux qui, mortifiés, restent dans un coin, et il dit : "Voulez-vous vous en aller, vous

aussi ?" Il le dit sans amertume et sans tristesse. Mais avec beaucoup de sérieux.

Pierre dans un élan douloureux Lui dit : "Seigneur, et où veux-tu qu'on aille ? Vers qui ? Tu es notre vie et

notre amour. Toi seul as les paroles de Vie éternelle. Nous savons que tu es le Christ, le Fils de Dieu. Si tu

veux, chasse-nous. Mais nous, pour ce qui est de nous, nous ne te quitterons pas, pas même... pas même si tu

ne nous aimais plus..." et Pierre pleure sans bruit, avec de grosses larmes... André aussi, Jean, les deux fils

d'Alphée, pleurent ouvertement, et les autres pâles ou rouges, par suite de l'émotion, ne pleurent pas, mais

souffrent visiblement.

"Pourquoi devrais-je vous chasser ? N'est-ce pas Moi qui vous ai choisis vous douze ?"

Jaïre prudemment, s'est retiré pour laisser Jésus libre de réconforter ou de réprimander ses apôtres. Jésus, qui

remarque sa retraite silencieuse, dit, en s'assoyant accablé, comme si la révélation qu'il fait Lui coûtait un

effort supérieur à ce qu'il peut faire, épuisé comme il l'est, dégoûté, endolori : "Et pourtant, l'un de vous est

un démon."

409


La parole tombe lente, effrayante, dans la synagogue, où il n'y a que la lumière des nombreuses lampes qui

soit joyeuse... et personne n'ose rien dire. Mais ils se regardent l'un l'autre, avec un frisson de peur et en se

posant une question angoissée, et par une question encore plus angoissée et intime, chacun s'examine luimême...

Personne ne bouge pendant un moment. Et Jésus reste seul sur son siège, les mains croisées sur les genoux,

la tête baissée. Il la lève enfin et il dit : "Venez. Je ne suis pourtant pas un lépreux ! Ou bien vous me croyez

tel ?.."

Alors Jean s'avance rapidement et s'enlace à son cou en disant : "Avec Toi, alors, dans la lèpre, mon seul

amour. Avec Toi, dans la condamnation. Avec Toi, dans la mort, si tu crois que cela t'attende..." et Pierre

rampe à ses pieds, il les Lui prend et les pose sur ses épaules en sanglotant : "Presse-moi, foule-moi aux

pieds ! Mais ne me fais pas penser que tu te méfies de ton Simon."

Les autres voyant que Jésus caresse les deux premiers s'avancent et le baisent sur ses vêtements, sur ses

mains, sur ses cheveux... Seul l'Iscariote ose le baiser au visage.

Jésus se lève tout à coup, et semble le repousser brusquement tant son mouvement est imprévu,

et il dit : "Allons à la maison. Demain soir, à la nuit, nous partirons en barques pour Ippo. "

410


Discours dans la synagogue de Capharnaüm

22 Or le lendemain,

La foule qui était restée de l'autre côté

De la mer avait bien vu qu'il n'y avait eu

Là qu'une barque et que Jésus n'y était pas

Entré avec ses disciples, que seuls ses disciples

Étaient partis. 23 Cependant s'en vinrent des barques

De Tibériade, près de l'endroit où l'on avait

Mangé après que le Seigneur eut rendu grâce.

Quand la foule vit que Jésus n'était pas là,

Ni ses disciples non plus, alors elle monta

Dans les barques et vint à Capharnaüm chercher

Jésus. 25 Et l'ayant trouvé de l'autre côté

De la mer, ils lui dirent : "Rabbi, mais quand es-tu

Arrivé ici ? "

26 Et Jésus leur répondit :

"En vérité, en vérité je vous le dis :

Vous me cherchez, non parce que vous avez vu

Des signes, mais parce que vous avez pu manger

Des pains et vous avez pu être rassasiés.

27 Travaillez à acquérir non la nourriture

Qui périt, mais la nourriture qui pour la vie

Éternelle demeure. C'est celle que le Fils de l'homme

Vous donnera ; parce que c'est lui que le Père,

Dieu a marqué d'un sceau."

411


28 Et ils lui dirent ceci :

"Pour les œuvres de Dieu, que devons nous donc faire

Comme travail ? " 29 Jésus répondit et leur dit :

"L'œuvre de Dieu, c'est que vous croyiez en celui

Qu'il a envoyé."

30 Ils lui dirent donc : "Quel signe

Fais-tu pour que nous voyions et que nous croyions

Toi ? À quoi travailles-tu ? 31 Nos pères ont mangé

La manne au désert, selon qu'il se trouve écrit :

"Il leur a donné à manger un pain venu

Du ciel."

32 Alors Jésus leur dit : "En vérité,

En vérité, je vous le dis, (non) ce n'est pas

Moïse qui vous donna le pain qui vient du ciel,

Mais c'est mon Père qui vous le donne le pain qui vient

Du ciel, le véritable ; 33 car le pain de Dieu, c'est

Celui qui descendu du ciel et donne la vie

Au monde." 34 Ils lui dirent : "Seigneur, donne-nous toujours

Ce pain-là."

35 Jésus leur dit : "Moi, je suis le pain

De vie ; celui qui vient vers moi n'aura pas faim,

Et celui qui croit en moi n'aura jamais soif.

36 Mais je vous l'ai dit : vous m'avez vu et pourtant

Vous ne croyez pas. 27 Tout ce que le Père me donne

Arrivera vers moi, celui qui vient vers moi,

Je ne le jetterai pas dehors, 38 car je suis

Descendu du ciel, non pour faire ma volonté

À moi, mais la volonté de Celui

412


Qui m'a envoyé. De tout ce qu'il m'a donné,

Que je ne perde rien, que je le ressuscite

Au dernier jour.40 Puisque telle est la volonté

De mon Père. Que quiconque voit le Fils et croit

En Lui, ait la vie éternelle, qu'au dernier Jour

Je le ressuscite.

41 Pourtant les juifs murmuraient

À son sujet car il avait dit : "Moi, je suis

Le pain descendu du ciel" . Ainsi ils disaient :

"Mais n'est-ce point là Jésus, le fils de Joseph

Dont nous connaissons le père et la mère ? Comment

Dit-il maintenant : "Je suis descendu du ciel ?"

43 Jésus répondit et il leur dit : "Entre vous

Ne murmurez pas. 44 Nul ne peut venir à moi

Si le Père qui m'a envoyé, ne l'attire ; moi

Je le ressusciterai donc au dernier Jour.

45 Il se trouve écrit dans les Prophètes : Tous seront

Instruits par Dieu. Quiconque a entendu le Père

Et a reçu son enseignement vient vers moi.

46 Non que personne ait vu le Père, sinon celui

Qui vient d'auprès de Dieu, et il a vu le Père.

47 En vérité, en vérité, je vous le dis

Celui qui croit a la vie éternelle.

48 Moi, je suis

L e pain de vie. 49 Vos pères ont mangé au désert

La manne, ils sont morts. 50 Tel est le pain qui descend

Du ciel, et que celui qui en mange ne meurt pas.

413


51 Moi, je suis le pain, le pain vivant descendu

Du ciel, celui qui mange de ce pain vivra

À jamais ; et le pain que moi je donnerai,

C'est ma chair, pour la vie du monde."

52 Pourtant les Juifs

Disputaient entre eux : "Comment, disaient-ils, cet homme

Peut-il nous donner sa chair à manger ? "

53 Jésus

Leur dit ceci : "En vérité, en vérité

Je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair

Du Fils de l'homme, si vous ne buvez pas son sang,

Vous n'aurez pas la vie en vous. 54 Mais qui consomme

Ma chair et boit mon sang a la vie éternelle,

Et moi, je le ressusciterai au dernier Jour.

55 Car ma chair est la vraie nourriture et mon sang

Est une vraie boisson. 56 Et celui qui consomme

Ma chair et boit mon sang demeure, en moi et moi

En lui.57 De même que le Père, qui est vivant

M'a envoyé et que moi je vis par le Père,

Celui qui me consomme vivra, aussi, par moi,

Lui. 58 C'est le pain descendu du ciel. Il n'est pas

Comme celui qu'ont mangé les pères, ils sont morts.

Celui qui consomme ce pain vivra à jamais" .

59 Et voilà ce que dit Jésus, en enseignant

En synagogue, à Capharnaüm.

60 Or beaucoup

De ses disciples, après l'avoir entendu, dirent

414


"Ce langage est pur. Qui peut l'entendre ? " 61 Mais, sachant

En lui-même que murmuraient ses disciples, Jésus

Leur dit : "Cela vous scandalise ? 62 Si donc vous voyiez

Le Fils de l'homme monter où il était avant !

63 C'est l'esprit qui fait vivre, la chair ne sert de rien ;

Moi, les paroles que je vous ai dites sont esprit

Et elles sont vie. 64 Pourtant il en est parmi vous

Qui ne croient pas ! " Car Jésus savait en effet

Dès le commencement ceux qui n'avaient pas foi

Et celui qui le livrerait.

65 Et il disait :

"Voilà pourquoi je vous disais que nul ne peut

Venir vers moi, si cela ne lui a été

Donné par le Père."

66 À partir de ce moment,

Beaucoup de ses disciples se retournèrent et cessèrent

D'aller avec lui.

415


Le divorce

« Pourquoi me suivez-vous ? »

« Parce que tu es le Maître et que nous voulons être éclairés sur un point obscur de la Loi. »

« Il n'y a pas de points obscurs dans la Loi de Dieu. »

« En elle, non. Mais, hé ! hé !... Mais sur la Loi sont venues les "ajoutés" comme tu dis, hé ! hé !... et ils ont

créé l'obscurité. »

« De la pénombre, tout au plus. Et il suffit de tourner son intelligence vers Dieu pour la dissiper. »

« Ce n'est pas tout le monde qui sait le faire. Nous, par exemple, nous restons dans la pénombre. Tu es le

Rabbi, hé ! hé ! Aide-nous donc. »

« Que voulez-vous savoir ? »

« Nous voulions savoir s'il est permis à l'homme de répudier pour un motif quelconque sa propre femme.

C'est une chose qui arrive souvent, et chaque fois cela fait du bruit où cela arrive. Les gens s'adressent à nous

pour savoir si cela est permis et nous répondons suivant les cas. »

« En approuvant le fait accompli quatre-vingt dix fois sur cent. Pour les dix pour cent que vous n'approuvez

pas, il s'agit des pauvres ou de vos ennemis. »

« Comment le sais-tu ? »

« Parce qu'il en arrive ainsi dans toutes les choses humaines. Et j'ajoute une troisième classe : celle où si le

divorce était permis, il se justifierait davantage, celle des cas pénibles, tels qu'une lèpre incurable, une

condamnation à vie, ou une maladie honteuse... »

« Alors, pour Toi, ce n'est jamais permis ? »

« Ni pour Moi, ni pour le Très-Haut, ni pour aucune âme droite. N'avez-vous pas lu que le Créateur, au

commencement des jours, a créé l'homme et la femme ? Et qu'il les créa mâle et femelle. il n’avait pas

416


besoin de le faire. S'il l'avait voulu, il aurait pu, pour le roi de la Création, fait à son image et à sa

ressemblance, créer un autre mode de procréation et il aurait été également bon, tout en étant différent de

tout autre moyen naturel. Et il dit : "C'est pour ce motif que l'homme quittera son père et sa mère et s'unira

avec la femme, et les deux seront une seule chair." Dieu les a donc unis en une seule unité. ils ne sont donc

plus "deux" chairs mais "une" seule. Ce que Dieu a uni, parce qu'il a vu que c'était "une chose bonne", que

l'homme ne le sépare pas, parce que si cela arrivait, ce ne serait plus une chose bonne. »

«Mais pourquoi alors Moïse a-t-il dit : "Si un homme a pris une femme mais qu'elle n'a pas trouvé grâce à

ses yeux pour quelque chose de honteux, il lui écrira un libelle de répudiation, le lui remettra en mains

propres et la renverra de sa maison"? »

« Il l'a dit à cause de la dureté de votre cœur. Pour éviter par un ordre des désordres trop graves : C'est pour

cela qu'il vous a permis de répudier vos femmes. Mais au commencement il n'en a pas été ainsi. Car la

femme est plus qu'une bête laquelle, selon les caprices de son maître ou les libres circonstances naturelles,

est soumise à tel ou tel mâle, chair sans âme qui s'accouple pour la reproduction. Vos femmes ont une âme

comme vous, et il n'est pas juste que vous la piétinez sans compassion. S'il est dit dans sa condamnation :

"Tu seras soumise au pouvoir de ton mari et lui te dominera" cela doit se produire selon la justice et non

selon la tyrannie qui lèse les droits d'une âme qui est libre et digne de respect.

Vous, en répudiant alors que ce n'est pas permis, vous offensez l'âme de votre compagne, la chair jumelle qui

s'est unie à la vôtre, le tout qu'est la femme que vous avez épousée en exigeant son honnêteté, alors que vous,

parjures, vous allez vers elle, déshonorés, diminués, parfois corrompus, et vous continuez de l'être en

profitant de toute occasion pour la blesser et donner libre cours à vos passions insatiables. Vous faites de vos

femmes des prostituées ! Pour aucun motif vous ne pouvez vous séparer de la femme qui vous est unie selon

la Loi et la Bénédiction. Ce n'est que dans le cas où la grâce vous touche, quand vous comprenez que la

femme n'est pas un objet que l'on possède mais une âme et que par conséquent elle a des droits égaux aux

vôtres d'être reconnue comme faisant partie intégrante de l'homme et non pas comme son objet de plaisir, et

c'est seulement dans le cas où votre cœur est assez dur pour ne pas épouser une femme après en avoir joui

417


comme d'une prostituée, seulement pour faire disparaître le scandale de deux personnes qui vivent ensemble

sans la bénédiction de Dieu sur leur union que vous pouvez renvoyer une femme. C'est qu'alors il ne s'agit

pas d'union mais de fornication, et qui souvent n'est pas honorée par la venue des enfants supprimés contre

nature ou éloignés comme déshonorants.

Dans aucun autre cas, dans aucun autre. Car si vous avez des enfants illégitimes d'une concubine, vous avez

le devoir de mettre fin au scandale en l'épousant si vous êtes libres. Je ne m'arrête pas à l'adultère consommé

au détriment d'une femme ignorante. Pour lui, il y a les pierres de la lapidation et les flammes du Schéol.

Mais pour celui qui renvoie sa propre épouse légitime parce qu'il en est las et qui en prend une autre, il n'y a

qu'un jugement : c'est un adultère. Et aussi celui qui prend une femme répudiée car si l'homme s'est arrogé le

droit de séparer ce que Dieu a uni, l'union matrimoniale continue aux yeux de Dieu et est maudit celui qui

passe à une seconde femme sans être veuf. Et maudit celui qui, après avoir répudié sa femme, après l'avoir

abandonnée aux craintes de l'existence qui la font consentir à de nouvelles noces pour avoir du pain, la

reprend si elle reste veuve du second mari. Car bien qu'étant veuve, elle a été adultère par votre faute et vous

redoubleriez son adultère.

Avez-vous compris, ô pharisiens qui me tentez ? » Ceux-ci s'en vont penauds, sans répondre.

« L'homme est sévère. S'il était à Rome, il verrait pourtant fermenter une boue encore plus fétide » dit un

romain.

Certains hommes de Gadara murmurent aussi : « C'est une chose difficile que d'être homme s'il faut être

aussi chaste !... »

Et certains disent plus haut : « Si telle est la situation de l'homme par rapport à la femme, il vaut mieux ne

pas se marier. »

418


Et les apôtres aussi tiennent ce raisonnement alors qu'ils reprennent le chemin vers la campagne, après avoir

quitté les gens de Gadara. Judas en parle d'un air méprisant. Jacques en parle avec respect et réflexion. Jésus

répond à l'un et à l'autre : « Ce n'est pas tous qui comprennent cela, ni qui le comprennent comme il faut.

Certains, en effet, préfèrent le célibat pour être libres de satisfaire leurs vices. D'autres c'est pour éviter la

possibilité de pécher, en n'étant pas de bons maris. Mais il y en a seulement quelques-uns auxquels il est

accordé de comprendre la beauté d'être exempts de sensualité et même d'un désir honnête de la femme. Et ce

sont les plus saints, les plus libres, les plus angéliques sur la terre. Je parle de ceux qui se font eunuques pour

le Royaume de Dieu. Parmi les hommes, il y en a qui naissent tels; d'autres que l'on rend tels. Les premiers

sont une monstruosité qui doit susciter la compassion, pour les seconds c'est un abus condamnable. Mais il y

a enfin la troisième catégorie : celle des eunuques volontaires qui sans se faire violence, et par conséquent

avec un double mérite, savent adhérer à la demande de Dieu et vivent comme des anges pour que l'autel

délaissé de la terre ait encore des fleurs et de l'encens pour le Seigneur. Ces derniers refusent de satisfaire la

partie inférieure de leur être pour faire grandir la partie supérieure, par laquelle ils fleurissent au Ciel dans

les parterres les plus proches du trône du Roi. Et en vérité je vous dis que ce ne sont pas des mutilés, mais

des êtres doués de ce qui manque à la plupart des hommes. Non pas les objets d'un mépris imbécile, mais

plutôt d'une grande vénération. Que le comprenne celui qui doit le comprendre et le respecte, s'il le peut. »

Ceux qui sont mariés parmi les apôtres chuchotent entre eux. « Qu'avez-vous ? » demande Jésus.

« Et nous ? » dit Barthélemy au nom de tous. « Nous ne savions pas cela et nous avons pris femme. Mais il

nous plairait d'être comme tu dis... »

« Il ne vous est pas défendu de l'être désormais. Vivez dans la continence en voyant dans votre compagne

une sœur, et vous en aurez grand mérite aux yeux de Dieu. Mais hâtez le pas pour être à Pella avant la

pluie. »

419


Question sur le divorce

19 1 Quand Jésus eut achevé

Ces discours, il quitta la Galilée et vint

Dans le territoire de la Judée, au-delà

Du Jourdan. 2 Et des foules nombreuses le suivirent,

Là, il les guérit.

3 Des Pharisiens s’approchèrent

Vers lui, pour le mettre à l’épreuve et dirent : “ Est-il

Permis de répudier pour n’importe quel motif

Sa femme ? ”

4 Répondant, il dit : “ N’avez-vous pas lu

Que le Créateur, dès le commencement, mâle

Et femelle Il les fit, et à cause de cela

Dit : L’homme abandonnera ses père et mère

Et il s’attachera à sa femme, et les deux

Deviendront une seule chair. 6 Et c’est pourquoi

Ils ne seront plus deux, mais une seule chair.

Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. ”

7 Ils lui dirent : “ Pourquoi Moïse a-t-il commandé

De donner une lettre de séparation

Avant de renvoyer ? ”

De votre dureté vous a autorisé

8 Il dit : “ Moïse, à cause

De renvoyer vos femmes, mais au commencement

420


Il n’en a pas été ainsi : 9 car je vous dis

Que celui qui - sauf pour cas de fornication -

Renvoie sa femme et se marie avec une autre

Est adultère.”

421


La continence volontaire

10 Les disciples lui disent : “ Mieux vaut

Ne pas se marier si telle est la condition

De l’homme avec la femme. ”

11 “ Tous ne comprennent pas

Cette parole, leur dit-il, mais ceux-là à qui

Seulement cela est donné. 12 Car il y a,

En effet, des eunuques qui sont nés tel du ventre

De leur mère, et il y a des eunuques qui ont

Été rendus eunuques par les hommes, il y a

Des eunuques qui se sont rendus eunuques eux-mêmes

À cause du royaume des Cieux. Que celui

Qui peut comprendre comprenne ! ”

422


Le nombre des élus

Un autre de Rama demande : "Seigneur, sont-ils peu nombreux ceux qui se sauvent ?"

"Si l'homme savait se conduire avec respect envers lui-même et avec un amour respectueux pour Dieu, tous

les hommes se sauveraient comme Dieu le désire. Mais l'homme n'agit pas ainsi. Et comme un sot il s'amuse

avec le clinquant au lieu de prendre l'or véritable. Soyez généreux dans votre recherche du Bien. Cela vous

coûte ? C'est en cela que réside le mérite. Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite. L'autre, large et

attirante, c'est une séduction de Satan pour vous dévoyer. Celle du Ciel est étroite, basse, nue et sévère. Pour

y passer il faut être agile, léger, sans faste et sans matérialité. Il faut être spirituel pour pouvoir le faire.

Autrement, quand sera venue l'heure de la mort, vous n'arriverez pas à la franchir. Et en vérité on en verra

beaucoup qui chercheront à entrer sans pouvoir y réussir tant la matérialité les rend obèses, tant les pompes

mondaines les rendent compliqués, tant les raidit la croûte du péché, tant l'orgueil qui est leur squelette les

rend incapables de se plier. Et alors le Maître du Royaume viendra fermer la porte, et alors ceux qui sont

dehors, ceux qui n'auront pas pu entrer au moment voulu, en restant dehors frapperont à la porte en criant:

"Seigneur, ouvre-nous ! Nous sommes là aussi". Mais Lui dira : "En vérité, Je ne vous connais pas, et Je ne

sais pas d'où vous venez."

Et eux : "Mais comment ? Tu ne te souviens pas de nous ? Nous avons mangé et bu avec Toi et nous t'avons

écouté quand Tu enseignais sur nos places." Mais Lui répondra : "En vérité Je ne vous reconnais pas. Plus Je

vous regarde et plus vous m'apparaissez comme rassasiés de ce que J'ai déclaré nourriture impure. En vérité

plus Je vous scrute et plus Je vois que vous n'êtes pas de ma famille. En vérité, voici, maintenant Je vois de

qui vous êtes les fils et les sujets : de l'Autre. Vous avez pour père Satan, pour mère la Chair, pour nourrice

l'Orgueil, pour serviteur la Haine pour trésor vous avez le péché, les vices sont vos pierres précieuses Sur

votre cœur est écrit 'Égoïsme'. Vos mains sont souillées des vols faits aux frères. Hors d'ici ! Loin de Moi.

vous tous, artisans d'iniquité." Et alors, alors que des profondeurs des deux viendront étincelants de gloire,

Abraham, Isaac, Jacob, et tous les prophètes et les justes du Royaume de Dieu, eux, ceux qui n'auront pas eu

423


amour mais égoïsme, pas le sacrifice mais la mollesse, seront chassés au loin, relégués là où les pleurs sont

éternels et où il n'y a que terreur. Et ceux qui seront ressuscités glorieux, venus de l'orient et de l'occident, du

nord et du midi, se rassembleront à la table nuptiale de l'Agneau, le Roi du Royaume de Dieu. Et on verra

alors que beaucoup qui paraissaient les "plus petits" dans l'armée de la terre seront les premiers dans la

population du Royaume. Et de même aussi on verra que tous les puissants d'Israël ne seront pas tous

puissants au Ciel, et que tous ceux que le Christ a choisis pour être ses serviteurs n'ont pas su mériter d'être

choisis pour la table nuptiale. Mais aussi on verra que beaucoup que l'on croyait "les premiers" seront non

seulement derniers, mais ne seront même pas derniers. Car nombreux sont ceux qui sont appelés, mais peu

nombreux sont ceux qui de leur élection ont su se faire une vraie gloire."

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La porte étroite

Le rejet des Juifs infidèles et l’appel des païens

22 Il cheminait par villes et villages

Enseignant et faisant route vers Jérusalem.

23 Quelqu’un lui dit : Seigneur, est-ce que les sauvés

Seront peu nombreux ? Et il lui dit : "Pour entrer

Par la porte étroite, luttez parce que beaucoup

Chercheront à entrer et n’y parviendront pas,

Je vous le dis."

25 Dès que le maître de maison

Se sera levé et aura fermé la porte

Et que, restés dehors vous vous serez mis

À frapper à la porte en disant : "Ouvre-nous

Seigneur, il vous dira : je ne sais d'où vous êtes.

Et vous vous mettrez à dire : Nous avons mangé,

Bu devant toi, tu as enseigné sur nos places.

Alors il vous dira : je ne sais d’où vous êtes.

Écartez-vous de moi, ouvriers d'injustice,

Vous tous ! Là seront les sanglots, les grincements

De dents quand vous verrez Abraham, Isaac

Jacob, tous les prophètes, au royaume de Dieu,

Et vous chassés dehors. 29 Et on arrivera

Du levant, du couchant, du nord, du midi,

On se mettra à table au royaume de Dieu.

425


30 Et voilà qu'il y a des derniers qui seront

Premiers, et Il y a des premiers qui seront

Derniers.

426


Parabole de l'intendant fidèle

Mais écoutez une parabole et vous verrez que les riches aussi peuvent se sauver tout en étant riches, ou

réparer leurs erreurs passées en usant bien des richesses même si elles ont été mal acquises. Car Dieu, le Très

Bon, laisse toujours de nombreux moyens à ses fils pour qu'ils se sauvent.

Il y avait donc un riche qui avait un intendant. Certains qui étaient ses ennemis parce qu'ils enviaient sa

bonne situation, ou bien très amis du riche et par conséquent soucieux de son bien-être, accusèrent

l'intendant devant son maître. "Il dissipe tes biens, ou bien il se les approprie, ou bien il néglige de les faire

fructifier. Fais attention ! Défends-toi !"

Le riche, après avoir entendu ces accusations répétées, commanda à l'intendant de comparaître devant lui. Et

il lui dit : "On m'a dit de toi telle et telle chose. Pourquoi donc as-tu agi de cette façon ? Rends-moi compte

de ta gestion, car je ne te permets plus de t'en occuper. Je ne puis me fier à toi et je ne puis donner un

exemple d'injustice et de laisser faire qui encouragerait les autres serviteurs à agir comme tu as agi. Va et

reviens demain avec toutes les écritures, pour que je les examine afin de me rendre compte de l'état de mes

biens avant de les confier à un nouvel intendant." Et il renvoya l'intendant qui s'en alla préoccupé se disant

en lui-même : "Et maintenant ? Comment vais-je faire maintenant que le maître m'enlève l'intendance ? Je

n'ai pas d'économies parce que, persuadé comme je l'étais de l'échapper belle, je dépensais tout ce que je

prenais. M'embaucher comme paysan sous un maître, cela ne me va pas car je ne suis plus habitué au travail

et alourdi par la bonne chère. Demander l'aumône, cela me va encore moins. C'est trop humiliant ! Que

faire ?"

En réfléchissant longuement, il trouva un moyen de sortir de sa pénible situation. Il dit ! "J'ai trouvé ! De la

même façon que je me suis assuré jusqu'à présent une existence confortable, désormais je vais m'assurer des

amis qui me reçoivent par reconnaissance lorsque je n'aurai plus l'intendance. Celui qui rend service a

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toujours des amis. Allons donc rendre service pour que l'on me rende service, et allons-y de suite avant que

la nouvelle se répande et qu'il soit trop tard."

Il alla chez plusieurs débiteurs de son maître, et il dit au premier : "Combien dois-tu à mon maître pour la

somme qu'il t'a prêtée au printemps il y a trois ans ?"

Et l'autre répondit : "Cent barils d'huile pour la somme et les intérêts."

"Oh ! mon pauvre ! Toi, avec tant d'enfants, toi, avec des enfants malades, devoir tant donner ?! Mais ne t'at-il

pas donné pour une valeur de trente barils ?"

"Si. Mais j'étais dans un besoin pressant, et lui me dit: 'Je te le donne, mais à condition que tu me donnes ce

que la somme te rapportera en trois ans'. Elle m'a rapporté une valeur de cent barils, et je dois les donner."

"Mais c'est un usurier ! Non. Non. Lui est riche et tu as à peine de quoi manger. Lui a peu de famille, et toi

une famille si nombreuse. Écris que cela t'a rapporté cinquante barils et n'y pense plus. Je jurerai que c'est

vrai, et tu en profiteras."

"Mais tu ne me trahiras pas ? S'il vient à savoir ?"

"Penses-tu ? Je suis l'intendant et ce que je jure est sacré. Fais comme je te dis, et sois heureux."

L'homme écrivit, signa et il dit : "Sois béni ! Mon ami et mon sauveur ! Comment t'en récompenser ?"

"Mais en aucune façon ! Mais si à cause de toi je devais souffrir et être chassé tu m'accueillerais par

reconnaissance."

"Mais bien sûr ! Bien sûr ! Tu peux y compter."

L'intendant alla trouver un autre débiteur auquel il tint à peu près le même discours. Celui-ci devait rendre

cent boisseaux de grain car pendant trois années la sécheresse avait détruit ses récoltes et il avait dû

428


emprunter au riche pour nourrir sa famille.

"Mais tu n'y penses pas : doubler ce qu'il t'a donné ! Refuser le blé ! Exiger le double de quelqu'un qui a faim

et a des enfants, alors que les vers attaquent ses réserves trop abondantes ! Écris quatre-vingts."

"Mais s'il se souvient qu'il m'en a donné vingt et puis vingt et puis dix ?"

"Mais que veux-tu qu'il se rappelle ? C'est moi qui te les ai donnés, et moi je ne veux pas m'en souvenir. Fais,

fais ainsi et tire-toi d'affaire. Il faut de la justice entre pauvres et riches ! Pour moi, si j'étais le patron, je n'en

réclamerais que cinquante, et peut-être même, je t'en ferais cadeau."

"Tu es bon. Si tout le monde était comme toi! Souviens-toi que ma maison est pour toi une maison amie."

L'intendant alla chez les autres avec la même méthode, se déclarant prêt à souffrir pour remettre les choses

en place avec justice. Et promesses d'aides et de bénédictions plurent sur lui. Rassuré 516> pour l'avenir, il

s'en alla tranquillement trouver le maître qui, de son côté, avait filé l'intendant et découvert son jeu. Il le loua

pourtant en disant : "Ta manière d'agir n'est pas bonne et je ne l'approuve pas. Mais je loue ton adresse. En

vérité, en vérité, les enfants du siècle sont plus avisés que ceux de la Lumière."

Et ce que disait le riche, Moi aussi, je vous le dis : "La fraude n'est pas belle, et pour elle je ne louerai

jamais personne. Mais je vous exhorte à être au moins comme les enfants du siècle, avisés avec les moyens

du siècle, pour les faire servir de monnaie pour entrer dans le Royaume de la Lumière." C'est-à-dire, avec

les richesses terrestres, moyens injustement répartis et employés pour acquérir un bien-être passager, sans

valeur dans le Royaume éternel, faites-vous-en des amis qui vous en ouvriront les portes. Faites du bien avec

les moyens dont vous disposez, restituez ce que vous ou d'autres de votre famille, ont pris indûment,

détachez-vous de l'affection maladive et coupable pour les richesses. Et toutes ces choses seront comme des

amis qui à l'heure de la mort vous ouvriront les portes éternelles et vous recevront dans les demeures

429


bienheureuses.

Comment pouvez-vous exiger que Dieu vous donne ses biens paradisiaques, s'il voit que vous ne savez pas

faire bon usage même des biens terrestres ? Voulez-vous, supposition impossible, qu'il admette dans la

Jérusalem céleste des éléments dissipateurs ? Non, jamais. Là-haut on vivra dans la charité et la générosité et

la justice. Tous pour Un et tous pour tous. La Communion des Saints est une société active et honnête, c'est

une société sainte. Et il n'y a personne qui puisse y entrer, s'il s'est montré injuste et infidèle.

Ne dites pas : "Là-haut nous serons fidèles et justes car là-haut nous aurons tout sans crainte d'aucune sorte".

Non. Qui est infidèle dans les petites choses serait infidèle même s'il possédait le Tout et qui est injuste dans

les petites choses est injuste dans les grandes. Dieu ne confie pas les vraies richesses à celui qui dans

l'épreuve terrestre montre qu'il ne sait pas user des richesses terrestres. Comment Dieu pourrait-Il vous

confier un jour au Ciel la mission de soutenir vos frères sur la Terre quand vous avez montré que vous ne

savez que soutirer et frauder ou conserver avidement ? Il vous refusera donc votre trésor, celui qu'il vous

avait réservé, pour le donner à ceux qui ont su être avisés sur la Terre, en faisant servir à des oeuvres justes

et saines ce qui est injuste et malsain.

Personne ne peut servir deux maîtres. Car il appartiendra à l'un ou à l'autre, ou bien il haïra l'un ou l'autre.

Les deux maîtres que l'homme peut choisir sont Dieu ou Mammon. Mais si vous voulez appartenir au

premier, vous ne pouvez revêtir les uniformes, écoutez la voix, employer les moyens du second. »

430


L’intendant infidèle

16 1 Et il disait aussi aux disciples : "Il était

Un homme riche qui avait un gérant, celui-ci

Lui fut dénoncé comme dissipant ses biens.

2 L'appelant, il lui dit : Qu'est-ce que j'entends dire

De toi ? 3 Rends compte de ta gestion, tu ne peux plus

Gérer. 3 Le gérant se dit en lui-même : que faire

Car mon seigneur me retire la gestion ? Bêcher,

Je n'en ai pas la force ; mendier ? mais j’aurais honte…

4 Je sais ce que je vais faire lorsque je serai

Relevé de cette gestion pour qu'on m'accueille

Dans d’autres maisons.

5 Alors appelant à lui

L'un après l’autre, les débiteurs de son seigneur

Il dit au premier : Mais combien à mon seigneur

Dois-tu ? Celui-ci dit : 6 cent baths d'huile. Il lui dit :

Prends donc ton billet, assieds-toi et écris vite

Cinquante. 7 Puis il dit à un autre : et toi combien

Dois-tu ? Il dit cent kors de blé. Et il lui dit :

Prends ton billet, écris : quatre-vingts.

8 Le Seigneur

Loua le gérant malhonnête d’avoir agi

De façon prudente. Les fils de ce monde-ci

Sont bien plus prudents que les fils de la lumière.

431


Le bon emploi de l’argent.

9 "Moi, je vous dis : Faites-vous ainsi des amis

Avec le Mammon de la malhonnêteté,

Pour que lorsqu’il viendra à faire défaut, ceux-ci

Vous accueillent dans les tentes éternelles.10 Car qui est

Fidèle en petit est aussi fidèle en grand.

11 Si donc vous ne vous êtes pas montrés fidèles

Dans le malhonnête Mammon, qui vous confiera

Le bien véritable ? 12 Si dans le bien étranger

Vous n’étiez pas fidèles, qui vous donnera le vôtre ?

13 "Aucun domestique ne peut servir deux seigneurs :

(Ou bien) il haïra et il aimera l'autre ;

Il s’attachera à l’un et méprisera

L’autre. Vous ne pouvez donc servir Dieu et Mammon."

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TOME VI

433


Parabole des deux fils et la volonté du père

Puis Jésus parle :

"La paix soit avec vous. À vous tous qui m'entourez, je veux proposer une parabole et que chacun en

recueille l'enseignement et la partie qui lui convient davantage.

Écoutez : un homme avait deux fils. S'étant approché du premier, il lui dit : "Mon fils, viens travailler

aujourd'hui dans la vigne de ton père". C'était une grande marque d'honneur de son père ! Il jugeait le fils

capable de travailler là où jusqu'alors c'était le père qui avait travaillé. C'était signe qu'il voyait en son fils de

la bonne volonté, de la constance, des capacités, de l'expérience, et de l'amour pour le père. Mais le fils, un

peu distrait par des choses du monde, craignant de paraître un serviteur - Satan use de ces mirages pour

éloigner du bien - craignant des moqueries et peut-être aussi des représailles des ennemis de son père, qui

n'osaient pas lever la main sur lui mais qui auraient eu moins d'égards pour le fils, répondit : "Je n'y vais pas.

Je ne désire pas y aller." Le père alla alors trouver l'autre fils pour lui dire ce qu'il avait dit au premier. Et le

second fils répondit aussitôt : "Oui, père, j'y vais tout de suite."

Pourtant qu'arriva-t-il ? Le premier fils avait l'âme droite. Après un moment de faiblesse dans la tentation, de

révolte, il se repentit d'avoir déplu à son père, et sans rien dire il s'en alla à la vigne. Il travailla tout le jour

jusque tard dans la soirée. Il revint satisfait à la maison avec dans le cœur la paix du devoir accompli. Le

second, au contraire, menteur et faible, sortit de la maison, c'est vrai, mais ensuite il perdit son temps à flâner

dans le village, à faire des visites inutiles à des amis influents dont il espérait tirer du profit. Et il disait dans

son cœur : "Le père est vieux et il ne sort pas de la maison. Je lui dirai que j'ai obéi, et il le croira..."

434


Mais le soir venu pour lui aussi, il revint à la maison, son aspect las d'homme oisif, ses vêtements sans faux

plis, le manque d'assurance du salut donné au père qui l'observait et le comparaît avec l'aîné, qui était revenu

fatigué, sale, mal peigné, mais joyeux et sincère avec son regard franc, humble et bon, qui, sans vouloir se

vanter du devoir accompli, voulait pourtant dire au père : "Je t'aime et avec vérité, tellement que pour te faire

plaisir, j'ai vaincu la tentation", parlaient clairement à l'intelligence du père, qui embrassa son fils fatigué en

lui disant : "Tu es béni parce que tu as compris l'amour !"

En effet qu'en pensez-vous ? Lequel des deux avait aimé ? Certainement Vous dites : "Celui qui avait fait la

volonté de son père." Et qui l'avait faite ? Le premier ou le second fils ? "

"Le premier." répond la foule unanime.

"Le premier. Oui. En Israël aussi, et vous vous en lamentez, ce ne sont pas ceux qui disent : "Seigneur !

Seigneur !" en se frappant la poitrine sans avoir au cœur un vrai repentir de leurs péchés - et c'est si vrai que

leur cœur devient de plus en plus dur - ce ne sont pas ceux qui observent les rites avec ostentation pour qu'on

les appelle saints, mais dans la vie privée sont sans charité et sans justice; ce ne sont pas eux, qui se

révoltent, en vérité, contre la Volonté de Dieu qui m'envoie et qui l'attaquent comme si c'était la volonté de

Satan, et cela ne sera pas pardonné ; ce ne sont pas eux qui sont les saints aux yeux de Dieu. Mais ce sont

ceux qui, en reconnaissant que Dieu fait bien tout ce qu'il fait, accueillent l'Envoyé de Dieu et écoutent ses

paroles pour savoir mieux faire, toujours mieux ce que veut le Père, qui sont saints et chers au Très-Haut.

En vérité je vous le dis : les ignorants, les pauvres, les publicains, les courtisanes passeront avant beaucoup

de ceux que l'on appelle "maîtres", "puissants", "saints", et entreront dans le Royaume de Dieu. Et ce sera

justice. En effet Jean est venu vers Israël pour le conduire sur les chemins de la Justice, et une trop grande

partie en Israël ne l'a pas cru, l'Israël qui se donne à lui-même les titres de "docte et saint", mais les

publicains et les courtisanes ont cru en lui. Et Moi je suis venu, et les doctes et les saints ne me croient pas,

mais croient en Moi les pauvres, les ignorants, les pécheurs. Et j'ai fait des miracles, et à ces miracles ils

435


n'ont même pas cru, et il ne leur est pas venu le repentir de ne pas croire en Moi. Au contraire leur haine est

venue sur Moi et sur ceux qui m'aiment.

Eh bien je dis : "Bienheureux ceux qui savent croire en Moi, et faire cette volonté du Seigneur en laquelle se

trouve le salut éternel". Augmentez votre foi et soyez constants. Vous posséderez le Ciel parce que vous

aurez su aimer la Vérité.

Allez. Dieu soit avec vous, toujours."

Il les bénit et les congédie, et puis, à côté de Nicodème, il va vers la maison du disciple pour y rester pendant

la grosse chaleur...

436


Parabole des deux fils

28 “ Que vous ensemble ? Car un homme avait deux enfants.

S’avançant vers le premier, il dit : “ Mon enfant,

Va-t-en aujourd’hui pour travailler à la vigne. ”

29 Et répondant, celui-ci dit : je ne veux pas,

S’étant repenti, il y alla. 30 S’avançant

Vers le second, il lui dit la même chose. L’autre

Répondit : “ J’y vais, Seigneur, il n’y alla pas. ”

31 “ Lequel des deux a fait la volonté du père ? ”

Ils disent : “ Le premier ”. Et Jésus leur dit ceci :

“ En vérité, je vous dis que les publicains,

Et les prostituées au royaume de Dieu

Vous précèdent. 32 Car Jean est venu dans un chemin

De justice vers vous, et vous ne l’avez pas cru ;

Les publicains et les prostituées l’ont cru.

Et vous, voyant cela vous ne vous êtes pas

Davantage repentis pour enfin croire en lui !

437


La foi qui déplace les montagnes

Là aussi on est en pleine moisson. Il vaudrait mieux dire : on était... maintenant les faux ne servent plus car il

n'y a plus un seul épi dans ces champs encore plus proches du rivage de la Méditerranée que ceux de

Nicodème. En effet Jésus n'est pas allé à Arimathie mais dans le domaine que Joseph possède dans la plaine,

du côté de la mer, et qui, avant la moisson, devait être une autre petite mer d'épis tant il est étendu.

Une maison large, basse, toute blanche se trouve là, au milieu des champs moissonnés. Une maison de

campagne, mais bien tenue. Ses quatre aires sont remplies de quantité de gerbes, disposées en faisceaux

comme font les soldats avec leurs armes quand ils font la pause au camp. Des nombreux chars amènent ce

trésor des champs aux aires, et des hommes nombreux les déchargent et les mettent en tas. Joseph va d'une

aire à l'autre et veille à ce que tout soit fait et bien fait.

Un paysan, du haut d'un tas de gerbes amoncelées sur un char, annonce : "Nous avons fini, maître. Tout le

grain est sur tes aires. C'est le dernier char de la dernière pièce."

"C'est bien. Décharge les gerbes et puis dételle les bœufs et conduis-les aux abreuvoirs et aux étables. Ils ont

bien travaillé et mérité leur repos. Vous aussi vous avez bien travaillé et mérité le repos. Mais la dernière

fatigue sera légère car, pour des bons cœurs, la joie d'autrui est un soulagement. Maintenant nous allons faire

venir les fils de Dieu pour leur donner le don du Père. Abraham, va les appeler" dit-il ensuite en s'adressant à

un patriarche qui est peut-être le premier des serviteurs paysans de ce domaine de Joseph.

Je le pense, en voyant le respect évident des autres serviteurs pour ce vieillard qui ne travaille pas mais qui

surveille et donne des conseils pour aider le maître.

438


Et le vieillard s'en va... Je le vois qui se dirige vers une construction vaste et très basse, plus semblable à un

hangar qu'à une maison, pourvue de deux portails gigantesques qui montent jusqu'à la gouttière. Je pense que

c'est une sorte de magasin où l'on abrite les chars et tout l'attirail agricole. Il entre à l'intérieur et en sort suivi

d'une foule hétérogène de tous les âges... et de toutes les misères... Il y a des êtres efflanqués mais sans

disgrâces physiques, et il y a des estropiés, des aveugles, des manchots, des yeux malades... Beaucoup de

veuves entourées de nombreux orphelins et aussi des femmes dont le mari est malade, tristes, abattues,

décharnées à cause des veilles et des sacrifices qu'elles font pour soigner le malade.

Ils avancent avec cet aspect particulier des pauvres qui se rendent là où ils vont recevoir des bienfaits :

regards timides, embarras de pauvres honnêtes, et pourtant un sourire qui affleure par dessus la tristesse que

des jours de douleur ont imprimée sur les pâles visages et pourtant une petite étincelle triomphale, une sorte

de réponse à l'acharnement du destin dans la longue série des jours tristes, un défi : "Pour nous aussi, c'est un

jour de fête. Aujourd’hui, c'est fête, réjouissance, et soulagement pour nous !"

Les petits écarquillent les yeux devant les tas de gerbes plus hauts que la maison, et en les montrant disent à

leurs mères : "Pour nous ? Oh ? c'est beau !" Les vieillards murmurent : "Que le Bénit bénisse celui qui a

pitié !" Les mendiants, les estropiés, les aveugles, les manchots, ceux qui ont les yeux malades : "Nous

aurons du pain, nous aussi, sans devoir tendre la main !" Et les malades à leurs parents : "Au moins nous

pourrons nous soigner en sachant que vous ne souffrirez pas pour nous. Les remèdes nous feront du bien,

maintenant." Et les parents aux malades : "Vous voyez ? Maintenant vous ne direz plus que nous jeûnons

pour vous laisser une bouchée de pain. A présent, soyez donc heureux !..." Et les veuves aux orphelins :

"Mes enfants, il faudra bénir beaucoup le Père des cieux qui vous tient lieu de père et le bon Joseph qui est

son administrateur. Maintenant nous ne vous entendrons plus pleurer de faim, ô fils qui n'avez que vos mères

pour vous donner de l'aide... Les pauvres mères qui n'ont de riche que leur cœur..."

439


C'est un chœur et un spectacle réjouissant, mais qui fait venir aussi les larmes aux yeux...

Joseph, qui a devant lui ces malheureux, se met à parcourir les rangs, appelant les gens un par un, leur

demandant combien ils sont dans la famille, de quand date le veuvage, ou la maladie, et le reste... et il prend

note. Et pour chaque cas il commande aux paysans serviteurs : "Donnes-en dix." "Donnes-en trente."

"Donnes-en soixante" dit-il après avoir entendu un vieillard à moitié aveugle qui vient à lui avec dix-sept

petits-enfants, tous au-dessous de douze ans, enfants de ses enfants, morts l'un pendant la moisson de l'année

précédente, l'autre en enfantant... "et, dit le vieillard, le mari s'est consolé en se remariant au bout d'un an, me

laissant les cinq fils en me disant qu'il s'en serait occupé. Jamais d'argent par contre !... Maintenant ma

femme est morte, et je suis seul... avec eux..."

"Donnes-en soixante au vieux père. Et toi, père. Reste pour que je te donne des vêtements pour les petits."

Le serviteur fait remarquer que s'il en donne soixante chaque fois, il n'y aura pas assez de grain pour tout le

monde.

"Et où est ta foi ? Est-ce pour moi, peut-être, que j'entasse les gerbes et que je les distribue ? Non. Pour les

fils les plus chers au Seigneur. Le Seigneur, Lui-même, pourvoira à ce qu'il y en ait assez pour tous" répond

Joseph au serviteur.

"Oui, maître. Mais le nombre, c'est le nombre..."

"Mais la foi, c'est la foi. Et moi, pour te montrer que la foi peut tout. j'ordonne de doubler la mesure déjà

donnée aux premiers. Qui a eu dix en ait dix autres, et qui vingt, vingt autres, et qu'on en donne cent vingt au

vieillard. Fais ! Faites !"

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Les serviteurs haussent les épaules et obéissent.

Et la distribution continue au milieu de l'étonnement joyeux des bénéficiaires qui se voient donner une

mesure dépassant leurs plus folles espérances.

Et Joseph en sourit, caressant les petits qui s'affairent à aider leurs mères, ou aide les estropiés à faire leur

petit tas, aide les vieux trop chancelants pour le faire, ou les femmes trop affaiblies. Il fait mettre de côté

deux malades pour les faire bénéficier d'autres secours, comme il a fait pour le vieillard aux dix-sept petitsenfants.

Les tas qui étaient plus hauts que la maison sont maintenant très bas, presque au sol. Mais tous ont

eu leur part, et abondamment. Joseph demande : "Combien de gerbes reste-t-il encore ?"

"Cent douze, maître." disent les serviteurs après avoir compté les gerbes qui restent.

"Bien. Vous en prendrez..." Joseph parcourt la liste des noms qu'il a relevés et puis il dit : "Vous en prendrez

cinquante. Vous les emporterez pour la semence car c'est une semence sainte, et que le reste soit donné aux

chefs de familles à raison d'une gerbe par tête. Ils sont exactement soixante-deux ici."

Les serviteurs obéissent. Ils portent les cinquante gerbes et donnent le reste. Maintenant les aires n'ont plus

les gros tas d'or, mais par terre il y a soixante-deux tas de tailles différentes. Leurs propriétaires s'affairent à

les lier et à les charger sur des carrioles primitives, ou sur des ânes qu'ils sont allés détacher d'une palissade à

l'arrière de la maison.

Le vieil Abraham, qui a parlé avec les principaux des paysans serviteurs, s'avance avec eux vers le maître

qui leur demande : "Eh bien ? Vous avez vu ? Il y en a eu pour tous et il en restait !"

441


"Mais, maître, ici il y a un mystère ! Nos champs ne peuvent pas donner le nombre de gerbes que tu as

distribuées. Je suis né ici et j'ai soixante-dix-huit ans. Je fais la moisson depuis soixante-six ans. Et je sais.

Mon fils avait raison. Sans un mystère, nous n'aurions pas pu donner autant !..."

"Mais nous les avons pourtant bien données, Abraham. Tu étais à côté de moi. Les gerbes ont été données

par les serviteurs. Il n'y a pas de sortilège, ce n'est pas une irréalité. Les gerbes, on peut encore les compter.

Elles sont encore là, bien que séparées en tant de parties."

"Oui, maître. Mais... il n'est pas possible que les champs en aient donné autant !"

"Et la foi, mes fils ? Et la foi ? Qu'en faites-vous ? Le Seigneur pouvait-il démentir son serviteur qui

promettait en son Nom et pour une fin qui était sainte ?"

"Alors tu as fait un miracle ?!" disent les serviteurs déjà prêts pour l'hosanna.

"Je ne suis pas un homme à faire des miracles, moi. Je suis un pauvre homme. C'est le Seigneur qui a agi. Il

a lu dans mon cœur et II y a vu deux désirs : le premier était de vous amener à ma propre foi. Le second était

de donner tant, tant, tant à mes frères malheureux. Dieu a consenti à mes désirs... et Il a agi... Que Lui en soit

béni !" dit Joseph en s'inclinant respectueusement comme s'il était devant un autel.

"Et son serviteur avec Lui." dit Jésus qui jusqu'alors était resté caché au coin d'une maisonnette entourée

d'une haie, four ou pressoir, et qui maintenant apparaît ouvertement sur l'aire où se trouve Joseph.

"Mon Maître et mon Seigneur !!" s'écrie Joseph en tombant à genoux pour vénérer Jésus.

442


"La paix à toi. Je suis venu pour te bénir au nom du Père, pour récompenser ta charité et ta foi. Je suis ton

hôte. ce soir. Veux-tu ?"

"Oh ! Maître ! Tu me le demandes ? Seulement... Seulement, ici, ]e ne pourrai te faire honneur... Je suis au

milieu des serviteurs et des paysans... dans ma maison de campagne... Je n'ai pas de nappes fines je n'ai pas

de majordomes ni de serviteurs qualifiés... Je n’ai pas de mets raffinés... Je n'ai pas de vins choisis... Je n’ai

pas d'amis . Ce sera une bien pauvre hospitalité... Mais tu m'excuseras. Pourquoi, Seigneur, ne m'as-tu pas

fait prévenir ? J'aurais pourvu à tout... Mais. Avant-hier. Hermas avec les siens était ici... Je m'en suis même

servi pour prévenir ceux auxquels je voulais donner, rendre, ce qui appartient à Dieu... Mais, il ne m'a rien

dit, Hermas ! Si j'avais su !... Permets-moi. Maître, de donner des ordres que je cherche à y remédier...

Pourquoi souris-tu ainsi ?" demande Joseph, finalement. Il est tout sens dessus dessous a cause de la joie

imprévue et de la situation que lui juge... désastreuse.

"Je souris pour tes tracas inutiles. Mais, Joseph, que cherches-tu ! Ce que tu as ?"

"Ce que j'ai ? Je n'ai rien."

"Oh ! comme tu es homme maintenant ! Pourquoi n’es-tu plus le Joseph spirituel d'il y a un instant, quand tu

parlais en sage ? Quand tu promettais avec assurance à cause de ta foi, et pour donner la foi ?"

"Oh ! Tu as entendu ?"

"J'ai entendu et vu. Joseph. Cette haie de lauriers est très pratique pour voir que ce que j'ai semé n'est pas

mort en toi, et c’est pour cela que je te dis que tu te donnes des tracas inutiles. Tu n’as pas de majordomes ni

de domestiques qualifiés ? Mais ou la charité s'exerce il y a Dieu. Et où il y a Dieu. il y a ses anges. Et quels

majordomes veux-tu avoir qui soient plus capables qu’eux ? Tu n'as pas de mets ni de vins recherchés ? Et

quelle nourriture veux-tu me donner et quelle boisson plus recherchée que l'amour que tu as eu pour eux et

que celui que tu as pour Moi ? Tu n'as pas d'amis pour me faire honneur ? Et eux ? Quels amis plus chers

que les pauvres et les malheureux pour le Maître qui a nom Jésus ? Allons.

443


Joseph ! Même si Hérode se convertissait et m'ouvrait ses appartements pour me recevoir et me faire

honneur dans un palais purifié, et s'il y avait avec lui, pour m'honorer, les chefs de toutes les castes, je

n'aurais pas une cour plus choisie que celle-là à laquelle je veux Moi aussi dire une parole et faire un cadeau.

Permets-tu ?"

"Oh ! Maître ! Mais tout ce que tu veux, je le veux ! Commande."

"Dis-leur qu'ils se réunissent, ainsi que les serviteurs. Pour nous il y aura toujours un pain... Il vaut mieux

qu'ils écoutent ma parole que courir ça et là affairés en pauvres soins."

Les gens s'entassent, empressés, étonnés...

Jésus parle : "Ici vous avez déjà appris que la foi peut multiplier le grain quand ce désir vient d'un désir

d'amour. Mais ne bornez pas votre foi aux besoins matériels. Dieu a créé le premier grain de froment et,

depuis lors, le froment a épié pour fournir le pain des hommes. Mais Dieu a créé aussi le Paradis qui attend

ses habitants. Et il a été créé pour ceux qui vivent dans la Loi et restent fidèles malgré les épreuves

douloureuses de la vie. Ayez foi, et vous réussirez à vous garder saints avec l'aide du Seigneur, tout comme

Joseph a réussi à vous distribuer le grain en double mesure pour vous rendre deux fois heureux et confirmer

ses serviteurs dans la foi. En vérité, en vérité je vous dis que si l'homme avait foi dans le Seigneur, et s'il

agissait pour un juste motif, les montagnes elles-mêmes, enracinées dans le sol par leurs viscères de roches,

ne pourraient résister et, sur l'ordre de celui qui a foi dans le Seigneur, elles se déplaceraient. Avez-vous foi

en Dieu ?" demande-t-il en s'adressant à tous.

"Oui, ô Seigneur !"

"Qui est Dieu pour vous ?"

"Le Père très Saint, comme les disciples du Christ l'enseignent."

"Et le Christ, qui est-il pour vous ?"

444


"Le Sauveur, le Maître, le Saint !"

"Cela seulement ?"

"Le Fils de Dieu. Mais il ne faut pas le dire car les pharisiens nous persécutent si nous le disons."

"Mais vous, vous croyez qu'il l'est ?"

"Oui, ô Seigneur."

"C'est bien, croissez dans votre foi. Même si vous vous taisez, les pierres, les arbres, les étoiles, le sol, toutes

les choses, proclameront que le Christ est le vrai Rédempteur et Roi. Ils le proclameront à l'heure de son

élévation, quand Lui sera dans la pourpre très sainte et avec la couronne de la Rédemption. Bienheureux

ceux qui sauront le croire dès maintenant, et le croiront davantage à ce moment-là, et auront foi dans le

Christ et par conséquent la vie éternelle. L'avez-vous cette foi inébranlable dans le Christ ?"

"Oui, ô Seigneur. Apprends-nous où Il est, et nous le prierons d'augmenter notre foi pour être heureux ainsi."

Et la dernière partie de la prière, la font non seulement les pauvres, mais aussi les serviteurs, les apôtres et

Joseph.

"Si vous avez de la foi gros comme une graine de moutarde, et si cette foi qui est une perle précieuse vous la

gardez dans votre cœur, sans vous la faire enlever par aucune chose humaine, ou surhumaine et mauvaise,

vous pourriez tous même dire à ce mûrier puissant qui ombrage le puits de Joseph : "Déracine-toi et

transplante-toi dans les flots de la mer."

"Mais le Christ, où est-Il ? Nous l'attendions pour être guéris. Les disciples ne nous ont pas guéris, mais ils

nous ont dit : "Lui le peut." Nous, nous voudrions guérir pour travailler" disent les hommes malades ou

handicapés.

445


"Et croyez-vous que le Christ le puisse ?" demande Jésus en faisant signe à Joseph de ne pas dire que le

Christ c'est Lui.

"Nous le croyons. Lui est le Fils de Dieu. Il peut tout."

"Oui. Il peut tout... et il veut tout !" crie Jésus en étendant avec autorité le bras droit et en l'abaissant comme

pour jurer. Et il termine par un cri puissant : "Et qu'il en soit ainsi, pour la gloire de Dieu !"

Et il va s'en aller vers la maison. Mais ceux qui ont été guéris, une vingtaine, crient, accourent, et l'enserrent

dans un emmêlement de mains tendues pour le toucher, le bénir, chercher ses mains, ses vêtements, pour le

baiser, le caresser. Ils l'isolent de Joseph, de tout le monde...

Et Jésus sourit, caresse, bénit... Il se dégage lentement et, encore poursuivi, il disparaît dans la maison alors

que les hosannas s'élèvent dans le ciel qui prend des couleurs violacées au commencement du crépuscule.

446


Puissance de la foi

Et les Apôtres dirent au Seigneur :

"Ajoute-nous de la foi. 6 Et le Seigneur dit :

"Si vous aviez gros comme un grain de sénevé

Vous diriez à ce mûrier : déracine-toi

Et plante-toi dans la mer, et il vous aurait

Obéi !

447


Jésus au banquet du synhédriste et pharisien

Jésus se dresse debout, et tenant ses mains appuyées sur le bord de la table, il commence ses invectives :

"Vous autres pharisiens, vous lavez l'extérieur de la coupe et du plat, et vous vous lavez les mains et les pieds,

comme si le plat et la coupe, les mains et les pieds devaient entrer dans votre esprit que vous aimez proclamer

pur et parfait. Mais ce n'est pas vous, mais Dieu qui doit le proclamer. Eh bien sachez ce que Dieu pense de

votre esprit. Lui pense qu'il est rempli de mensonge, de souillure et de violence, il est plein de méchanceté et

rien de ce qui vient de l'extérieur ne peut corrompre ce qui est déjà corruption."

Il détache sa main droite de la table et involontairement commence à faire des gestes alors qu'il continue :

"Mais Celui qui a fait votre esprit comme Il a fait votre corps, ne peut-Il pas exiger, au moins dans une égale

mesure, pour l'intérieur le respect que vous avez pour l'extérieur ? Ô sots qui changez les deux valeurs et en

intervertissez l'importance, mais est-ce que le Très-Haut ne voudra pas pour l'esprit un soin plus grand, lui

qu'il a fait à sa ressemblance et qui par la corruption perd la vie éternelle, que pour la main ou le pied dont la

saleté peut être lavée facilement et qui, même s'ils restaient sales n'auraient pas d'influence sur la pureté

intérieure ? Et est-ce que Dieu peut se préoccuper de la propreté d'une coupe ou d'un plateau alors que ce

sont des choses sans âmes et qui ne peuvent avoir de l'influence sur votre âme ?

Je lis ta pensée, Simon Boetos. Non. Elle ne s'impose pas. Ce n'est pas par souci de santé, pour protéger la

chair, la vie, que vous prenez ces soins, que vous pratiquez ces purifications. Le péché charnel, et aussi les

péchés de gourmandise, d'intempérance, de luxure, sont plus nuisibles à la chair qu'un peu de poussière sur

les mains ou sur un plat. Et pourtant vous les pratiquez sans vous préoccuper de protéger votre existence et

de sauvegarder votre famille. Et vous faites des péchés de plusieurs espèces car, outre la contamination de

l'esprit et de votre corps, le gaspillage de substance, le manque de respect pour les vôtres, vous offensez le

Seigneur par la profanation de votre corps, temple de votre esprit, où devrait se trouver le trône de l'Esprit

Saint; et vous offensez aussi le Seigneur par le péché que vous faites en estimant qu'il vous revient de vous

448


protéger des maladies qui viendraient d'un peu de poussière, comme si Dieu ne pouvait intervenir pour vous

protéger des maux physiques si vous recourez à Lui avec un esprit pur.

Mais Celui qui a créé l'intérieur n'a-t-Il pas peut-être créé l'extérieur et réciproquement ? Et n'est-ce pas

l'intérieur qui est le plus noble et qui porte davantage l'empreinte de la divine ressemblance ?

Faites alors des œuvres qui soient dignes de Dieu et non pas des mesquineries qui ne s'élèvent pas au-dessus

de la poussière pour laquelle et de laquelle elles sont faites, de la pauvre poussière qu'est l'homme considéré

comme créature animale, fange qui a reçu une forme et qui redevient poussière que disperse le vent des

siècles. Faites des œuvres qui demeurent, qui soient des œuvres royales et saintes, des œuvres couronnées

par la divine bénédiction. Faites des œuvres de charité et faites l'aumône, soyez honnêtes, soyez purs dans

vos œuvres et dans vos intentions et, sans recourir à l'eau des ablutions, tout sera pur en vous.

Mais que vous croyez-vous ? Que vous êtes en règle parce que vous payez les dîmes sur les épices ? Non.

Malheur à vous, ô pharisiens, qui payez les dîmes de la menthe et de la rue, de la moutarde et du cumin, du

fenouil et des autres herbes, et qui négligez ensuite la justice et l'amour de Dieu. Payer les dîmes est un

devoir et il faut le faire, mais il y a des devoirs plus élevés et eux aussi il faut les accomplir. Malheur à celui

qui observe les choses extérieures et néglige celles intérieures basées sur l'amour de Dieu et du prochain.

Malheur à vous, pharisiens, qui aimez les premières places dans les synagogues et dans les assemblées et qui

aimez à être honorés sur les places publiques et qui ne pensez pas à faire des œuvres qui vous donnent une

place au Ciel et qui vous méritent le respect des anges. Vous êtes semblables à des tombeaux cachés qui

passent inaperçus pour celui qui les frôle et n'en éprouve pas de dégoût, mais qui serait dégoûté s'il pouvait

voir ce qu'ils renferment. Dieu pourtant voit les choses les plus secrètes et ne se trompe pas quand Il vous

juge."

Il est interrompu par un docteur de la Loi, qui lui aussi se lève pour le contredire : "Maître, en parlant ainsi,

tu nous offenses nous aussi ; et cela ne te convient pas parce que nous ensuite nous devons te juger."

449


"Non. Pas vous. Vous ne pouvez pas me juger. Vous êtes ceux qu'on juge et non pas ceux qui jugent, et

Celui qui vous juge c'est Dieu. Vous pouvez parler, émettre des sons avec vos lèvres. Mais même la voix la

plus puissante n'arrive pas aux Cieux et ne parcourt pas toute la terre. Après un peu d'espace, c'est le

silence... et après un peu de temps, c'est l'oubli. Mais le jugement de Dieu c'est une voix qui demeure et n'est

pas sujette à l'oubli. Des siècles et des siècles se sont écoulés depuis que Dieu a jugé Lucifer et qu'il a jugé

Adam, mais la voix de ce jugement ne s'éteint pas, mais les conséquences de ce jugement existent. Et si

maintenant je suis venu rapporter la Grâce aux hommes, par l'intermédiaire du Sacrifice parfait, le jugement

sur l'acte d'Adam reste ce qu'il est et il sera toujours appelé "Faute d'origine". Les hommes seront rachetés,

lavés par une purification supérieure à toute autre. Mais ils naîtront avec cette marque, car Dieu a jugé que

cette marque doit exister sur tout être né de la femme, sauf pour Celui qui a été fait non par œuvre d'homme

mais par l'Esprit Saint, et pour la Préservée et le Présanctifié, vierges pour l'éternité. La Première pour

pouvoir être la Vierge Mère de Dieu, le second pour pouvoir être le Précurseur de l'Innocent en naissant déjà

pur, par l'effet d'une jouissance anticipée des mérites infinis du Sauveur Rédempteur.

Et Moi, je vous dis que Dieu vous juge, et il vous juge en disant : "Malheur à vous, docteurs de la Loi, car

vous chargez les gens de fardeaux qu'ils ne peuvent porter, en faisant un châtiment du Décalogue paternel

donné par le Très-Haut à son Peuple." Lui c'est avec amour et par amour qu'il l'avait donné, pour que fût aidé

par un juste guide, l'homme, l'éternel enfant, imprudent et ignorant. Et vous à la place des lisières par

lesquelles Dieu soutenait affectueusement ses créatures, pour leur permettre d'avancer sur sa route et

d'arriver à son cœur, vous avez substitué des montagnes de pierres coupantes, lourdes, torturantes, un

labyrinthe de prescriptions, un cauchemar de scrupules, qui écrasent l'homme, l’égarent, l'arrêtent, lui font

craindre Dieu comme un ennemi. Vous semez d'obstacles la marche des cœurs vers Dieu. Vous séparez le

Père de ses fils. Vous niez, par vos surcharges, cette douce, bénie, véritable Paternité. Mais vous, de votre

côté, ces fardeaux que vous imposez aux autres, vous ne les touchez pas, pas même du bout du doigt. Vous

vous croyez justifiés seulement pour les avoir imposés. Mais, ô sots, vous ne savez pas que vous serez jugés

sur ce que vous avez jugé être nécessaire pour se sauver ? Vous ne savez pas que Dieu vous dira : "Vous

disiez que votre parole était sacrée, qu'elle était juste. Eh bien, Moi aussi, Je la considère comme telle. Et

puisque vous l'avez imposée à tous et que vous avez jugé vos frères sur la façon dont ils l'ont accueillie et

pratiquée, voilà que Moi, Je vous juge sur votre parole et puisque vous n'avez pas fait ce que vous avez dit

de faire, soyez condamnés."

450


Malheur à vous qui élevez des tombeaux aux prophètes que vos pères ont tués. Et quoi ? Vous croyez

diminuer avec cela la grandeur de la faute de vos pères ? De la supprimer aux yeux de la postérité ? Non, au

contraire, vous témoignez que vos pères ont fait ces œuvres. Non seulement cela, mais les approuvez, tout

disposés à les imiter, en élevant ensuite un tombeau au prophète persécuté, pour pouvoir dire : "Nous nous

l'avons honoré." Hypocrites ! C'est pour cela que la Sagesse de Dieu a dit : "Je leur enverrai des prophètes et

des apôtres, et eux en tueront certains et persécuteront les autres, pour que l'on puisse demander à cette

génération le sang de tous les prophètes qui a été répandu depuis la création du monde et par la suite, depuis

le sang d'Abel jusqu'au sang de Zacharie, tué entre l'Autel et le Sanctuaire." Oui, en vérité, en vérité je vous

dis que de tout ce sang des saints il en sera demandé compte à cette génération qui ne sait reconnaître Dieu là

où Il est, et persécute le juste et lui perce le cœur parce que le juste est une. confrontation vivante avec leur

injustice.

Malheur à vous, docteurs de la Loi, qui vous vous êtes emparés de la clef de la science et avez fermé son

temple pour éviter d'y entrer et d'être jugés par elle, et qui n'avez pas permis aux autres d'y entrer. En effet

vous savez que si le peuple était instruit de la vraie Science, c'est-à-dire de la Science sainte, il pourrait vous

juger. Et alors vous préférez qu'il soit ignorant pour qu'il ne vous juge pas. Et vous me haïssez parce que je

suis la Parole de Sagesse, et vous voudriez m'enfermer avant le temps dans une prison, dans un tombeau

pour que je ne parle plus.

Mais je parlerai tant qu'il plaira à mon Père que je parle. Et ensuite ce seront mes œuvres qui parleront plus

encore que mes paroles. Et ils parleront mes mérites plus encore que les œuvres, et le monde sera instruit et

il saura, et il vous jugera. Le premier jugement sur vous. Et puis viendra le second, le jugement particulier

pour chacun de vous à sa mort, et enfin le dernier : l'Universel. Et vous vous souviendrez de ce jour, de ces

jours et vous, vous seuls connaîtrez le Dieu terrible que vous vous êtes efforcés d'agiter comme une vision de

cauchemar devant les esprits des simples, alors que vous, à l'intérieur de votre tombeau, vous vous êtes

moqués de Lui et du premier et principal commandement : celui de l'amour, le dernier donné sur le Sinaï,

que vous n'avez pas respecté et auquel vous n'avez pas obéi.

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C'est inutilement, ô Elchias, que tu n'as pas de représentations figurées dans ta maison. C'est inutilement, ô

vous tous, que vous n'avez pas d'objets sculptés dans vos maisons. C'est à l'intérieur du cœur que vous avez

l'idole, plusieurs idoles. Celle de vous croire des dieux, celles de vos concupiscences. Venez, vous autres.

Partons."

Et, en se faisant précéder par les douze, il sort le dernier.

Un silence...

Puis ceux qui sont restés poussent un grand cri en disant tous ensemble : "Il faut le poursuivre, le prendre en

défaut, trouver des objets d'accusation ! Il faut le tuer !"

Un autre silence.

Et puis deux s'en vont dégoûtés par la haine et les propos des pharisiens : l'un est le parent d'Elchias et l'autre

celui qui. par deux fois, a défendu le Maître. Alors que ceux qui sont restés se demandent : "Et comment ?"

Un autre silence.

Puis, avec un éclat de rire éraillé, Elchias dit : "Il faut travailler Judas de Simon..."

"Bon ! C'est une bonne idée, mais tu l'as offensé !..."

"Moi, j'y pense" dit celui que Jésus a appelé Simon Boetos. "Moi, et Eléazar d'Anna... Nous allons le

circonvenir..."

"Un peu de promesses..."

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"Un peu de peur..."

"Beaucoup d'argent..."

"Non. Pas beaucoup... Des promesses, des promesses de beaucoup d'argent..."

"Et puis ?"

"Quoi : et puis ?"

"Hé ! Puis. Tout terminé, que lui donnerons-nous ?"

"Mais rien ! La mort. Ainsi... il ne parlera plus." dit lentement et cruellement Elchias.

"Hou ! la mort..."

"Tu en as horreur ? Mais, allons ! Si nous tuons le Nazaréen qui... est un juste... nous pourrons tuer aussi

l'Iscariote qui est un pécheur..."

Il y a des hésitations...

Mais Elchias, se levant, dit : "Nous demanderons conseil aussi à Anna... Et vous verrez qu'il... dira que l'idée

est bonne. Et vous y viendrez vous aussi... Oh ! vous y viendrez..."

Ils sortent tous derrière leur hôte qui s'en va en disant : "Vous y viendrez... Vous y viendrez !"

453


Sept malédictions aux scribes et aux Pharisiens

13 “ Malheur

À vous scribes et Pharisiens hypocrites, qui

14 Fermez le royaume des Cieux devant les hommes ;

Car vous, vous n’entrez pas et ceux qui veulent entrer,

Vous ne les laissez pas entrer.

15 “ Malheur à vous

Scribes et Pharisiens hypocrites, parce que

Vous parcourez la mer, le continent pour faire

Un prosélyte, quand il l’est, vous en faites un fils

De Géhenne deux fois plus que vous !

16 Malheur à vous,

Guides aveugles qui dites : par le Sanctuaire

Si quelqu’un jure, ce n’est rien ; mais si qu’un jure

Par l’or de Sanctuaire, il est (donc) tenu.

17 Fous,

Et aveugles, car quel est donc le plus grand ? L’or ou

Le Sanctuaire qui a sanctifié l’or ?

18 Vous dites

Encore : Si quelqu’un jure par l’autel, ce n’est rien ;

Mais si quelqu’un jure par l’offrande qui est dessus,

Il est tenu.

19 Aveugles ! Car quel est le plus grand :

L’offrande ou bien l’autel qui sanctifie l’offrande ?

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20 Celui qui jure par l’autel, jure par l’autel

Et par tout ce qui est dessus ; 21 celui qui jure

Par le Sanctuaire, jure par le Sanctuaire

Et par Celui qui l’habite ; 22 et celui qui jure

Par le ciel, jure (donc) par le trône de Dieu

Et par Celui qui est assis.

23 “ Et Malheur

À vous, scribes et Pharisiens hypocrites car

Vous acquittez la dîme de la menthe, du fenouil

Et du cumin … et pourtant vous avez laissé

Ce qui est le plus lourd dans la Loi, la justice,

La miséricorde et la foi ! Il fallait faire

Ceci et ne pas faire cela. 24 Guides aveugles,

Qui filtrez le moucheron et engloutissez

Le chameau !

25 “ Malheur à vous, scribes, Pharisiens

Hypocrites, puisque vous purifiez l’extérieur

De la coupe et de l’écuelle, à l’intérieur

Ils sont remplis de rapine et d’incontinence.

26 Pharisiens aveugles, purifiez en premier

Le dedans de la coupe afin que le dehors

Aussi devienne pur.

27 “ Scribes et Pharisiens

Hypocrites, malheur à vous ! Vous ressemblez

A des sépulcres blanchis : ils paraissent beaux

A l’extérieur, mais à l’intérieur ils sont pleins

D’ossements de mort et de toute impureté !

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28 Ainsi de vous : à l’extérieur vous paraissez

Justes aux hommes, à l’intérieur vous êtes pleins

D’hypocrisie et d’illégalité.

29 Malheur

À vous, scribes, Pharisiens hypocrites, car

Vous avez bâti les sépulcres des prophètes,

Vous ornez les tombeaux des justes ; 30 pourtant vous dites :

Si nous avions été là aux jours de nos pères,

Nous n’aurions jamais participé avec eux

Au meurtre des prophètes. 31 Ainsi vous témoignez

Contre vous-mêmes, que vous êtes le fils de ceux

Qui ont tué les prophètes. Vous aussi, comblez

La mesure de vos pères !

Crimes et châtiments prochains

33 Engeance de vipères,

Serpents * comment pouviez-vous fuir le jugement

De la Géhenne ? 34 C’est pourquoi, voici que j’envoie

Moi, vers vous des prophètes, des sages avec des scribes

Alors vous en tuerez, vous en crucifierez

Vous en fouetterez dans vos synagogues. De ville

En ville, vous en poursuivre. 35 Et viendra sur vous

Tout le sang juste qui a été répandu

Sur cette terre * depuis le sang d’Abel le juste

Jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie,

Que vous avez tué entre le sanctuaire

Et l’autel. 36 En vérité, je vous le dis, tout

Cela se fera sur cette génération.

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* l’ordre veut : vipères, engeance de vipères. La terre.

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La conversion de Zachée

Je vois une grande place qui semble un marché, ombragée de palmiers et d'autres arbres plus bas et feuillus.

Les palmiers ont poussé ça et là, en désordre, et balancent leurs touffes de feuilles que fait craquer un vent

chaud et élevé. Le vent soulève une poussière rougeâtre comme s'il venait d'un désert, ou au moins de terres

incultes, de terres rougeâtres. Les autres arbres par contre forment une sorte de long portique le long des

côtés de la place, un portique d'ombre, et dessous se sont réfugiés vendeurs et acheteurs dans une cohue

agitée et hurlante.

Dans un coin de la place, précisément là où débouche la rue principale, il y a un primordial office de

collecteur d'impôts. Il y a des balances et des mesures, un banc sur lequel est assis un petit homme qui

surveille, observe et encaisse. Tout le monde parle avec lui comme s'il était très connu. J'apprends que c'est

Zachée le gabeleur parce que beaucoup l'appellent, les uns pour lui poser des questions sur les événements

de la ville, et ce sont les étrangers, et les autres pour lui verser leurs taxes. Plusieurs s'étonnent de le voir

préoccupé. En effet il paraît distrait et absorbé dans une réflexion. Il répond par monosyllabes et parfois par

signes. Cela étonne beaucoup de gens et on comprend qu'à l'ordinaire Zachée est loquace. Quelqu'un lui

demande s'il se sent mal, ou bien s'il a des parents malades. Mais il dit que non.

Deux fois seulement il marque un vif intérêt. La première, quand il interroge deux hommes qui viennent de

Jérusalem et qui parlent du Nazaréen en racontant ses miracles et ses prédications. Alors Zachée pose de

nombreuses questions : "Est-il vraiment bon comme on le dit ? Ses paroles correspondent-elles à ce qu'il

fait ? La miséricorde qu'il prêche en use-t-il ensuite réellement ? Pour tous ? Même pour les publicains ? Estil

vrai qu'il ne repousse personne ?" Et il écoute et réfléchit et soupire.

Une autre fois c'est quand quelqu'un lui montre un homme barbu qui passe sur son âne, chargé de mobilier.

"Tu vois, Zachée ? C'est Zacharie, le lépreux. Depuis dix ans, il vivait dans un tombeau. Maintenant qu'il est

guéri, il rachète du mobilier pour sa maison vidée par application de la Loi quand lui et les siens furent

déclarés lépreux. "

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"Appelez-le."

Zacharie vient.

"Tu étais lépreux ?"

"Je l'étais et, avec moi, ma femme et mes deux enfants. La maladie prit d'abord la femme, et nous ne nous en

sommes pas aperçus tout de suite. Les enfants la prirent en dormant sur la mère, et moi en m'approchant de

ma femme. Nous étions tous lépreux ! Quand les gens s'en aperçurent, ils nous expulsèrent du village... Ils

auraient pu nous laisser dans notre maison. C'était la dernière... au bout de la route. Nous ne leur aurions pas

donné d'ennuis... Nous avions déjà laissé pousser la haie, haute, très haute pour n'être même pas vus. C'était

déjà un tombeau... mais c'était notre maison... On nous a chassés. Dehors ! Dehors ! Aucun village ne voulait

de nous. C'était juste ! Même notre village ne voulait pas de nous. Nous nous sommes installés près de

Jérusalem, dans un tombeau vide. Là il y a beaucoup de malheureux. Mais les enfants, dans le froid de la

caverne, sont morts. La maladie, le froid et la faim les ont vite tués... C'étaient deux garçons... ils étaient

beaux avant de tomber malades, robustes et beaux, bruns comme deux mûres d'août, bouclés, éveillés. Ils

étaient devenus deux squelettes couverts de plaies... Plus de cheveux, les yeux fermés par des croûtes, leurs

petits pieds et leurs mains tombaient en squames blanches.

Ils sont tombés en poussière sous mes yeux, mes enfants !... Ils n'avaient plus figure humaine ce matin-là où

ils sont morts à quelques heures d'intervalle... Je les ai ensevelis au milieu des cris de la mère, sous un peu de

terre et beaucoup de pierres comme des charognes d'animaux... Quelques mois plus tard, la mère est morte...

et je suis resté seul...

J'attendais la mort, et je n'aurais même pas eu une fosse creusée de mains d'hommes... J'étais déjà presque

aveugle quand un jour est passé le Nazaréen. De mon tombeau j'ai crié : "Jésus, Fils de David, aie pitié de

moi !" Un mendiant, qui n'avait pas eu peur de m'apporter son pain, m'avait dit qu'il avait été guéri de sa

cécité en appelant le Nazaréen par ce cri. Et il disait : "Il ne m'a pas seulement donné la vue des yeux, mais

celle de l'âme. J'ai vu que Lui est le Fils de Dieu et je vois tout à travers Lui. C'est pour cela que je ne te fuis

pas, frère, mais que je t'apporte du pain et la foi. Va vers le Christ. Qu'il y en ait un de plus pour le bénir."

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Je ne pouvais marcher. Mes pieds, ulcérés jusqu'à l'os, ne me permettaient pas de marcher... et puis... j'aurais

été lapidé si on m'avait vu. Je suis resté attentif à son passage. Lui passait souvent pour aller à Jérusalem. Un

jour j'ai vu, comme je pouvais voir, un nuage de poussière sur la route et une foule et j'ai entendu des cris. Je

me suis traîné au sommet de la colline où étaient les grottes sépulcrales et, quand il m'a semblé voir une tête

blonde qui brillait nue parmi les autres couvertes, j'ai crié, fort, de toutes mes forces. J'ai crié trois fois,

jusqu'à ce que mon cri Lui arriva.

Il s'est retourné, il s'est arrêté. Puis il s'est avancé, seul. Il est venu juste au-dessous de l'endroit où j'étais et il

m'a regardé. Beau, bon, avec une voix, un sourire !... Il a dit : "Que veux-tu que je te fasse ?"

"Je veux être guéri".

"Crois-tu que je le puisse ? Pourquoi ?" m'a-t-il demandé.

"Parce que tu es le Fils de Dieu."

"Tu le crois ?"

"Je le crois" ai-je répondu. "Je vois le Très-Haut étinceler de toute sa gloire sur ta tête. Fils de Dieu, aie pitié

de moi !"

Et Lui alors a étendu une main avec un visage qui était tout feu. Ses yeux semblaient deux soleils d'azur, et il

a dit : "Je le veux. Sois purifié." et il m'a béni avec un sourire !... Ah ! quel sourire ! J'ai senti une force qui

entrait en moi comme une épée de feu qui courait chercher mon cœur, qui courait dans les veines. Le cœur,

qui était si malade, avait retrouvé ses vingt ans ; le sang, glacé dans mes veines, est redevenu chaud et vif.

Plus de douleur, plus de faiblesse et une joie, une joie !... Il me regardait et de son sourire, il me rendait

bienheureux. Puis il a dit : "Va, montre-toi aux prêtres. Ta foi t'a sauvé." Alors j'ai compris que j'étais guéri

et j'ai regardé mes mains, mes jambes. Les plaies n'existaient plus. Où l'os était avant découvert il y avait une

chair rosée et fraîche. J'ai couru à un ruisseau et je me suis regardé. Le visage aussi était pur. J'étais pur !

J'étais pur après dix ans d'horreur !... Ah ! pourquoi n'était-il pas passé avant, pendant les années où ma

femme et mes enfants étaient vivants ? Lui nous aurait guéris. Maintenant, tu vois ? Je fais des achats pour

ma maison... Mais je suis seul !... "

460


"Tu ne l'as plus vu ? "

"Non. Mais je sais qu'il est dans les parages et je suis venu ici exprès. Je voudrais le bénir encore et qu'il me

bénisse pour avoir la force dans ma solitude. "

Zachée baisse la tête et se tait. Le groupe se sépare.

Il passe du temps. L'heure devient chaude. Le marché se disperse. Le gabeleur, la tête appuyée sur la main,

réfléchit assis à son banc.

"Voici, voici le Nazaréen !" crient des enfants en montrant la rue principale.

Femmes, hommes, malades, mendiants, s'empressent de courir à sa rencontre. La place reste vide. Seuls des

mulets et des chameaux, attachés aux palmiers, restent à leurs places, et Zachée reste à son banc.

Mais ensuite il se lève et il monte sur son banc. Il ne voit encore rien car beaucoup de gens ont détaché des

branches et les balancent comme pour faire fête à Jésus qui apparaît penché sur des malades. Alors Zachée

enlève son vêtement et, ne gardant que sa seule tunique courte, il grimpe sur l'un des arbres. Il monte non

sans peine sur le tronc gros et lisse qu'il embrasse mal avec ses jambes et ses bras courts. Mais il y réussit, et

il se met à califourchon sur deux branches comme sur un perchoir. Ses jambes pendent de cette balustrade et

lui se penche, à partir de la ceinture, comme quelqu'un qui est à une fenêtre et qui regarde.

La foule arrive sur la place. Jésus lève les yeux et il sourit au spectateur solitaire perché dans les branches.

"Zachée, descends tout de suite. Aujourd'hui je reste chez toi. " ordonne-t-il.

461


Zachée, après un moment de stupeur, le visage tout rouge d'émotion, se laisse glisser à terre comme un sac.

Il est agité et il n'en finit plus de remettre son vêtement. Il ferme ses registres et sa caisse avec des gestes

qu'il voudrait rapides et qui n'en sont que plus lents. Mais Jésus est patient et, en attendant, il caresse des

enfants.

Enfin Zachée est prêt. Il s'approche du Maître et le conduit vers une belle maison entourée d'un vaste jardin

et qui est au centre du village. C'est un beau village, et même une ville de peu inférieure à Jérusalem pour ses

bâtiments, sinon pour son étendue.

Jésus entre et, pendant qu'il attend que le repas soit préparé, il s'occupe des malades et des bien portants.

Avec une patience... dont Lui seul est capable.

Zachée va et vient en se donnant beaucoup de mal. Il ne se tient pas de joie. Il voudrait parler avec Jésus,

mais Jésus est toujours entouré par une foule de gens.

Finalement Jésus les congédie tous en disant : "Revenez au coucher du soleil. Maintenant rentrez chez vous.

La paix à vous. "

Le jardin se vide, et l'on sert le repas dans une salle belle et fraîche qui donne sur le jardin. Zachée a très bien

fait les choses. Je ne vois pas de gens de sa famille, aussi je pense que Zachée était célibataire, entouré

seulement de nombreux serviteurs.

À la fin du repas, quand les disciples s'éparpillent à l'ombre des buissons pour se reposer, Zachée reste avec

Jésus dans la salle fraîche. Et même pendant un moment Jésus reste seul car Zachée se retire comme pour

laisser reposer Jésus. Mais ensuite il revient et il regarde en écartant un peu le rideau. Il voit que Jésus ne

dort pas, mais réfléchit. Alors il s'approche. Il a dans ses bras un coffre pesant. Il le pose sur la table, près de

Jésus, et il dit : "Maître... on m'a parlé de Toi, il y a un certain temps. Un jour, sur une montagne, tu as dit

462


tant de vérités que nos docteurs ne savent plus dire. Elles me sont restées dans le cœur... et depuis lors, je

pense à Toi... Puis on m'a dit que tu es bon et que tu ne repousses pas les pécheurs. Moi, je suis pécheur,

Maître. On m'a dit que tu guéris les malades. J'ai le cœur malade, parce que j'ai fraudé, parce que j'ai pratiqué

l'usure, parce que j'ai été vicieux, voleur, dur envers les pauvres. Mais maintenant, voici, je suis guéri parce

que tu m'as parlé. Tu t'es approché de moi, et le démon de la sensualité et de la richesse s'est enfui. Et moi, à

partir d'aujourd'hui, je suis tien, si tu ne me refuses pas, et pour te montrer que je nais de nouveau en Toi,

voici que je me dépouille des richesses mal acquises. Je te donne la moitié de mon avoir pour les pauvres et

l'autre moitié servira à restituer en quadruple ce que j'ai pris frauduleusement. Je sais qui j'ai fraudé. Et puis,

après avoir rendu à chacun ce qui lui appartient, je te suivrai, Maître, si tu le permets... "

"Je le veux. Viens. Je suis venu pour sauver et appeler à la Lumière. Aujourd'hui la Lumière et le Salut sont

venus à la maison de ton cœur. Ceux qui, au-delà du portail, murmurent parce que je t'ai racheté en

m'assoyant à ton banquet, oublient que comme eux, tu es fils d'Abraham et que je suis venu sauver ce qui

était perdu et pour donner la Vie à ceux dont l'esprit était mort. Viens, Zachée. Tu as compris ma parole

mieux que beaucoup de ceux qui me suivent seulement pour pouvoir m'accuser. Aussi, désormais, tu seras

avec Moi."

La vision se termine ainsi.

463


Zachée

19 1 Entré dans Jéricho

Il traversait la ville. 2 Voici qu'un homme du nom

De Zachée qui était un chef de publicains

Et fort riche, 3 voulait savoir qui était Jésus,

Mais il ne le pouvait à cause de la foule,

Car il était petit. 4 Il courut en avant

Et il monta sur un sycomore pour le voir

Car il devait passer par-là. 5 Quand en ce lieu

Il arriva, Jésus leva les yeux et dit :

"Zachée, hâte-toi de descendre car il me faut

Aujourd'hui demeurer chez toi." 6 Il se hâta

De descendre et le reçut avec joie. 7 Et tous

À cette vue murmuraient et disaient : "Il est

Entré loger chez un pécheur ! 8 Zachée, debout,

Dit au Seigneur ceci : Voici, Seigneur, je donne

La moitié de mes biens aux pauvres, et si j’ai fait

Du tort à quelqu’un, je lui rendrai le quadruple."

Et Jésus lui dit : "Le salut est arrivé

Aujourd'hui pour cette maison, parce que lui

Aussi est un fils d’Abraham. 10 Le Fils de l'homme

Est venu chercher et sauver ce qui était

Perdu."

464


Le levain des Pharisiens

Jésus va à la rencontre de son miraculé qui, en le voyant, s'arrachant les cheveux en s'agenouillant, dit :

"Rends-moi le premier démon ! Par pitié pour moi, pour mon âme ! Que t'ai-je fait pour que tu me nuises à

ce point ?"

Et sa mère, elle aussi à genoux : "Il délire de peur, Seigneur ! N'accueille pas ses paroles blasphématrices,

mais délivre-le de la peur que ces cruels ont mise en lui, pour qu'il ne perde pas la vie de l'âme. Tu l'as

délivré une fois !... Oh ! par pitié pour une mère, délivre-le encore !"

"Oui, femme, ne crains pas ! Fils de Dieu, écoute !" Et Jésus appuie ses mains sur la chevelure en désordre

du malheureux que fait délirer une peur surnaturelle : "Écoute et juge. Juge par toi-même car maintenant ton

jugement est libre et tu peux juger avec justice. Il y a une manière sûre pour savoir si un prodige vient de

Dieu ou du démon. Et c'est ce que l'âme éprouve. Si le fait extraordinaire vient de Dieu, il verse dans l'âme la

paix, La paix et une joie pleine de majesté. S'il vient d'un démon, c'est le trouble et la souffrance qui

viennent avec ce prodige. Et c'est aussi des paroles de Dieu que viennent la paix et la joie, alors que de celles

d'un démon, que ce soit un démon esprit ou un démon homme, viennent le trouble et la souffrance. Et c'est

aussi du voisinage de Dieu que viennent la paix et la joie, alors que du voisinage des esprits ou des hommes

mauvais viennent le trouble et la souffrance. Maintenant réfléchis, fils de Dieu. Quand, en cédant au démon

de la luxure, tu as commencé à accueillir en toi ton oppresseur, jouissais-tu de la joie et de la paix ?"

L'homme réfléchit, et en rougissant, il répond : "Non, Seigneur."

"Et quand ton perpétuel Adversaire t'a pris tout à fait, avais-tu la paix et la joie ?"

465


"Non, Seigneur, jamais. Tant que j'ai compris, tant que j'ai eu un reste de liberté d'esprit, il m'est venu

trouble et souffrance de la violence de l'Adversaire. Ensuite.,. je ne sais pas... Je n'avais plus une intelligence

capable de comprendre ce que je souffrais… J'étais inférieur à une bête... Mais même dans cet état où je

paraissais moins intelligent qu'un animal... oh ! Comme je pouvais encore souffrir ! Je ne sais dire de quoi...

L'enfer est terrible ! Ce n'est qu'horreur... et on ne peut dire ce que c'est..." L'homme tremble au souvenir

rudimentaire de ses souffrances de possédé. Il tremble, il pâlit, il sue... Sa mère l'embrasse, le baise sur la

joue pour l'arracher à ce cauchemar... Les gens commentent à mi-voix.

"Et quand tu t'es réveillé avec ta main dans la mienne ? Qu'as-tu éprouvé ?"

"Oh ! un étonnement si doux... et puis une joie, une paix plus grande encore... Il me semblait sortir d'une

sombre prison remplie d'un grouillement de serpents innombrables et d'un air horriblement empuanti et, en

même temps, j'entrais dans un jardin en fleurs, plein de soleil, de chants... J'ai connu le Paradis.., mais lui

aussi ne peut se décrire..." L'homme sourit, comme ravi par le souvenir de sa brève et récente heure de joie.

Puis il soupire et dit pour finir : "Mais cela a été vite fini..."

"En es-tu sûr ? Dis-moi, maintenant que tu es près de Moi et que tu es loin de ceux qui t'ont troublé,

qu'éprouves-tu ?"

"La paix encore. Ici, près de Toi, je ne puis croire que je suis damné, et leurs paroles me semblent des

blasphèmes... Mais moi, je les ai crues... N'ai-je donc pas péché contre Toi ?"

"Ce n'est pas toi qui as péché, mais eux. Lève-toi, fils de Dieu, et crois à la paix qui est en toi. La paix vient

de Dieu. Tu es avec Dieu. Ne pèche pas et ne crains pas." et il enlève les mains de dessus la tête de l'homme

en le faisant lever.

"Il en est vraiment ainsi, Seigneur ?" demandent plusieurs.

466


"Vraiment, il en est ainsi. Le doute suscité par des paroles intentionnellement nuisibles a été la dernière

vengeance de Satan sorti de lui, vaincu, désireux de reprendre sa proie perdue."

Avec beaucoup de bon sens, un homme du peuple dit : "Mais alors... les pharisiens... ils ont servi Satan !" et

beaucoup applaudissent cette juste observation.

"Ne jugez pas. Il est quelqu'un qui juge."

"Mais, au moins, nous sommes francs dans notre jugement... et Dieu voit que nous jugeons des fautes

évidentes. Eux feignent d'être ce qu'ils ne sont pas. Leurs actions sont mensongères et leurs intentions ne

sont pas bonnes. Et pourtant ils ont plus de succès que nous, qui sommes honnêtes et sincères. Ils sont notre

terreur. Ils étendent leur puissance jusque sur la liberté de croyance. On doit croire et pratiquer comme il leur

plaît, et ils nous menacent parce que nous t'aimons. Ils essaient de ramener tes miracles à des sorcelleries, à

inspirer la peur de Toi. Ils conspirent, oppriment, nuisent..." La foule parle tumultueusement. Jésus fait un

geste pour imposer silence et il dit : "N'accueillez pas dans votre cœur ce qui vient d'eux, ni leurs

insinuations, ni leurs explications, et pas même l'idée : "Ils sont méchants et pourtant ils triomphent." Ne

vous rappelez-vous pas les paroles de la Sagesse : "Bref est le triomphe des criminels" et celles des

Proverbes : "Ne suis pas, ô fils, les exemples des pécheurs et n'écoute pas les paroles des impies, car ils

resteront empêtrés dans les chaînes de leurs fautes et trompés par leur grande sottise" ? Ne mettez pas en

vous ce qui vient de ceux que vous-mêmes, malgré votre imperfection, vous jugez injustes. Vous mettriez en

vous le même levain qui les corrompt. Le levain des Pharisiens, c'est l'hypocrisie. Qu'elle n'existe jamais en

vous, ni à l'égard des formes du culte envers Dieu, ni dans vos relations avec vos frères. Gardez-vous du

levain des Pharisiens. Pensez qu'il n'y a rien de secret qui ne puisse être découvert, rien de caché qui ne

finisse par être connu.

Vous voyez. Ils m'avaient laissé partir et puis ils avaient semé la zizanie là où le Seigneur avait semé le bon

grain. Ils croyaient avoir agi avec finesse et en sortir victorieux. Et il aurait suffit que vous ne m'ayez pas

trouvé, que j'eusse passé le fleuve sans laisser de traces sur l'eau qui reprend son aspect après que la proue

l'ait ouverte, pour que triomphe leur mauvaise action, présentée sous un jour favorable. Mais leur jeu a été

467


vite découvert et leur action mauvaise neutralisée. Et il en est ainsi de toutes les actions de l'homme. Il en est

Un au moins qui les connaît et sait y parer. Ce qui a été dit dans l'obscurité finit par être dévoilé par la

Lumière, ce que l'on trame dans le secret d'une chambre peut être découvert comme si on l'avait préparé sur

une place. C'est que tout homme peut avoir quelqu'un qui le dénonce. C'est que tout homme est vu par Dieu

qui peut intervenir pour démasquer les coupables. Il faut donc agir toujours honnêtement pour vivre dans la

paix. Et que celui qui vit ainsi n’ait pas peur, ni en cette vie, ni pour l'autre vie. Non, mes amis, je vous le

dis: que celui qui agit en juste n'aie pas peur.

Pas peur de ceux qui tuent, oui, de ceux qui peuvent tuer le corps mais qui, après cela, ne peuvent faire rien

d'autre. Moi, je vous dis ce que vous avez à craindre. Craignez ceux qui, après vous avoir fait mourir,

peuvent vous envoyer en enfer, c'est-à-dire les vices, les mauvais compagnons, les faux maîtres, tous ceux

qui insinuent le péché ou le doute dans le cœur, ceux qui essaient de corrompre l'âme en plus du corps et de

vous amener à vous séparer de Dieu et à avoir des pensées de désespoir à l'égard de la divine Miséricorde.

C'est cela que vous avez à craindre, je vous le répète, car alors vous serez morts pour toujours.

Mais pour le reste, pour votre existence, ne craignez pas. Votre Père ne perd pas de vue un seul de ces petits

oiseaux qui font leurs nids dans le feuillage des arbres, aucun d'eux ne tombe dans le filet sans que son

Créateur le sache. Et pourtant leur valeur matérielle est bien petite : cinq passereaux pour deux as. Et nulle

est leur valeur spirituelle. Malgré cela, Dieu s'en occupe. Comment donc n'aurait-Il pas soin de vous ? De

votre vie ?? De votre bien ?? Même les cheveux de votre tête sont connus du Père, et aucune injustice que

l'on fait à ses fils ne passe inaperçue, parce que vous êtes ses fils, donc beaucoup plus que des passereaux qui

font leurs nids sur les toits et dans les feuillages. Et vous restez des fils tant que de vous-mêmes vous ne

renoncez pas à l'être, par votre libre volonté.

Et on renonce à cette filiation quand on renie Dieu et le Verbe que Dieu a envoyé parmi les hommes pour

amener les hommes à Dieu. Alors, lorsque quelqu'un ne veut pas me reconnaître devant les hommes,

craignant que cette reconnaissance ne lui soit dommageable, alors aussi Dieu ne le reconnaîtra pas pour son

fils, et le Fils de Dieu et de l'homme ne le reconnaîtra pas devant les anges du Ciel. Qui m'aura renié devant

les hommes sera renié comme fils devant les anges de Dieu. Et celui qui aura mal parlé et parlé contre le Fils

468


de l'homme, il lui sera encore pardonné parce que je réclamerai son pardon auprès du Père, mais celui qui

aura blasphémé contre l'Esprit Saint, ne sera pas pardonné.

Pourquoi cela ? Parce que tous ne peuvent connaître l'étendue de l'Amour, sa parfaite infinité, et voir Dieu

dans une chair semblable à toute chair d’homme. Les gentils, les païens ne peuvent croire cela par croyance,

car leur religion n’est pas amour. Même parmi nous, le respect craintif qu'Israël a pour Jéhovah peut

empêcher de croire que Dieu se soit fait homme et le plus humble des hommes. C'est une faute de ne pas

croire en Moi, mais quand elle s'appuie sur une crainte excessive de Dieu elle est encore pardonnée. Mais il

ne peut être pardonné celui qui ne se rend pas à la vérité qui transparaît de mes actes et qui refuse à l'Esprit

d'Amour d'avoir pu tenir la parole donnée d'envoyer le Seigneur au temps fixé, le Sauveur précédé et

accompagné par les signes prédits. Eux, ceux qui me persécutent, connaissent les prophètes. Les prophéties

sont remplies de Moi. Ils connaissent les prophéties et ils savent ce que je fais. La vérité est manifeste. Mais

ils la nient parce qu'ils veulent la nier. Ils nient systématiquement que je sois non seulement le Fils de

l'homme, mais le Fils de Dieu prédit par les prophètes, Celui qui est né d'une Vierge non par le vouloir de

l'homme mais de l'Amour Éternel, de l'Esprit Éternel qui m'a annoncé pour que les hommes puissent me

reconnaître. Eux, pour pouvoir dire que persiste la nuit de l'Attente du Christ, s'obstinent à garder leurs yeux

fermés pour ne pas voir la Lumière qui est dans le monde, et par conséquent renient l'Esprit Saint, sa Vérité,

sa Lumière. Et pour eux il y aura un jugement plus sévère que pour ceux qui ne savent pas. Et de me dire

"satan" ne leur sera pas pardonné car l'Esprit fait, par Moi, des œuvres divines et non sataniques. Et de porter

les autres au désespoir, quand l'Amour les a portés à la paix, cela ne sera pas pardonné, parce que ce sont

toutes des offenses au Saint-Esprit.

À cet Esprit Paraclet qui est Amour et donne l'amour et demande l'amour et qui attend mon holocauste

d'amour pour se répandre en amour sage, illuminateur dans le cœur de mes fidèles. Et quand cela sera arrivé,

ils vous persécuteront encore en vous accusant devant les magistrats et les princes dans les synagogues et les

tribunaux, alors ne vous préoccupez pas de penser à la manière de vous défendre. L'Esprit Lui-même vous

dira ce que vous avez à répondre pour servir la Vérité et conquérir la Vie, de la même manière que le Verbe

est en train de vous donner ce qu'il faut pour pouvoir entrer dans le Royaume de la Vie Éternelle.

469


Allez en paix, dans ma Paix, dans cette Paix qui est Dieu et que Dieu exhale pour en saturer ses fils. Allez et

ne craignez pas. Je ne suis pas venu pour vous tromper mais pour vous instruire, non pour vous perdre mais

pour vous racheter. Bienheureux ceux qui sauront croire à mes paroles.

Et toi, homme, deux fois sauvé, sois fort et souviens-toi de ma paix pour dire aux tentateurs : "N'essayez pas

de me séduire. Ma foi est que Lui est le Christ." Va, ô femme. Va avec lui et restez en paix.

Adieu. Retournez à vos maisons et laissez le Fils de l’homme à son humble repos sur l'herbe avant qu'il

reprenne sa route de persécuté, à la recherche d'autres personnes à sauver, jusqu'à la fin. Que ma paix reste

avec vous."

Il les bénit et retourne à l'endroit où ils ont mangé, et les apôtres avec Lui. Une fois les gens partis, ils

s'étendent, la tête sur les sacs, et le sommeil les prend bientôt dans la lourde chaleur de l'après-midi et le

lourd silence de ces heures torrides.

470


Parler ouvertement et sans crainte

12 1 Sur ces entrefaites, la foule s’était rassemblée

Par dizaine, de milliers, et l’on se piétinait,

Il se mit à dire à ses disciples d'abord :

"Gardez-vous du levain - c'est de l’hypocrisie

Des Pharisiens.2 Rien n'est voilé qui ne sera

Dévoilé et rien n’est secret qui ne sera

Connu. 3 C'est pourquoi tout ce que vous avez dit

Dans les ténèbres sera donc en pleine lumière

Entendu, ce que vous avez dit à l’oreille

Dans les lieux retirés, sera sur les terrasses

Proclamé.

4 "Je vous le dis à vous, mes amis :

Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et qui n'ont

Après cela rien de plus à faire. 5 Mais je vais

Vous montrer qui craindre : craignez Celui qui, après

Avoir tué, a le pouvoir à la géhenne

De jeter. Oui, je vous le dis, craignez-le donc,

Celui-là. 6 Cinq moineaux ne se vendent-ils pas

Deux as ? Pourtant pas un d’entre eux n'est en oubli

Devant Dieu ! 7 Même les cheveux de votre tête

Sont tous comptés. Soyez sans crainte car vous valez

Plus qu’une multitude de moineaux.

8 "Quiconque,

Je vous le dis, se sera déclaré pour moi

Devant les hommes, le Fils de l'homme aussi pour lui

Se déclarera devant les anges de Dieu.

471


9 Celui qui me renie devant les hommes, sera

Renié devant les anges de Dieu. 10 Et quiconque

Dira une parole contre le Fils de l'homme,

Il lui sera fait rémission ; à qui aura

Blasphémé contre l’Esprit Saint,* de rémission

Il n’en sera point fait.

11 Lorsqu’on vous conduira

Devant les synagogues, devant les magistrats

Et les pouvoirs, ne vous mettez pas en souci

De ce que vous répondrez ni de la façon,

Ou de ce que vous direz, 12 car le Saint Esprit

Vous enseignera à l'heure même ce qu’il faut dire."

*le texte veut : l'Esprit Saint.

472


Les serviteurs inutiles

Écoutez. En vérité je vous dis que personne ne doit se vanter de faire son propre devoir et exiger pour cela,

qui est un devoir, des faveurs spéciales.

Judas a rappelé que vous m'avez tout donné ; et il m'a dit qu'en retour j'ai le devoir de vous satisfaire pour ce

que vous faites.

Mais rendez-vous un peu compte. Parmi vous, il y a des pêcheurs, des propriétaires terriens, plus d'un qui

possède un atelier, et le Zélote qui avait un serviteur. Eh bien, quand les garçons de la barque, ou les

hommes qui comme serviteurs vous aidaient à l'oliveraie, à la vigne ou dans les champs, ou les apprentis de

l'atelier, ou simplement le serviteur fidèle qui s'occupait de la maison ou de la table, avaient fini leur travail,

vous mettiez-vous par hasard à les servir ?

Et n'en est-il pas ainsi dans toutes les maisons et toutes les affaires ? Quel homme, ayant un serviteur qui

laboure ou qui fait paître, ou un ouvrier à l'atelier, lui dit quand il a fini le travail : "Va tout de suite à table" ?

Personne. Mais soit qu'il revienne des champs, soit qu'il ait déposé ses outils, tout patron dit : "Fais-moi à

manger, mets-toi en tenue et, avec des vêtements propres, sers-moi pendant que je mange et bois. Après, tu

mangeras et boiras." Et on ne peut pas dire que cela soit dureté de cœur. En effet le serviteur doit servir son

maître et le maître ne lui a pas d'obligation, parce que le serviteur a fait ce que son maître au matin lui avait

commandé. En effet, si le maître a le devoir d'être humain avec son propre serviteur, le serviteur a aussi le

devoir de ne pas être paresseux et dissipateur, mais de coopérer au bien-être de celui qui l'habille et le nourrit.

Supporteriez-vous que vos mousses, vos ouvriers agricoles ou autres, votre domestique, vous disent : "Sersmoi,

puisque j'ai travaillé" ? Je ne crois pas.

473


De même vous, en regardant ce que vous avez fait et ce que vous faites pour Moi - et, dans l'avenir, en

regardant ce que vous ferez pour continuer mon œuvre et continuer à servir votre Maître - vous devez

toujours dire, parce que vous verrez aussi que vous avez toujours fait beaucoup moins que ce qu'il était juste

de faire pour être au pair avec tout ce que vous avez eu de Dieu : "Nous sommes des serviteurs inutiles car

nous n'avons fait que notre devoir." Si vous raisonnez ainsi, vous ne sentirez plus de prétentions ni de

mécontentements s'élever en vous, et vous agirez avec justice."

Jésus se tait. Tous réfléchissent. Pierre donne un coup de coude à Jean qui réfléchit en tenant ses yeux bleu

clair fixés sur les eaux, qui de la couleur indigo passent à l'argent azuré sous les rayons de la lune, et il lui

dit : "Demande-lui quand quelqu'un fait plus que son devoir. Moi, je voudrais arriver à faire plus que mon

devoir..."

"Moi aussi, Simon. Je pensais justement à cela." lui répond Jean avec son beau sourire sur les lèvres, et il

demande à haute voix : "Maître, dis-moi : l'homme, ton serviteur, ne pourra-t-il jamais faire plus que son

devoir pour te dire avec ce plus, qu'il t'aime complètement ?"

"Enfant, Dieu t'a tant donné, qu'en toute justice, ton héroïsme serait toujours peu. Mais le Seigneur est si bon

qu’Il ne mesure pas ce que vous Lui donnez avec sa mesure infinie, mais qu'Il le mesure avec la mesure

limitée de la capacité humaine. Et quand Il voit que vous avez donné sans parcimonie, avec une mesure

comble, débordante, généreuse, alors Il dit : "Ce serviteur m'a donné plus que son devoir ne lui imposait ;

aussi Je lui donnerai la surabondance de mes récompenses."

"Oh ! Comme je suis content ! Moi, alors, je te donnerai une mesure débordante pour avoir cette

surabondance !" s'écrie Pierre.

474


"Oui, tu me la donneras, vous me la donnerez. Tout homme aimant la Vérité, la Lumière, me la donnera. Et

ils seront avec Moi surnaturellement heureux."

475


Servir avec humilité

7 "Qui d’entre vous, s'il a un esclave

Qui laboure ou garde ses bêtes, à son retour

Des champs lui dira : vite, viens donc te mettre à table ?

8 Ne lui dira-t-il pas plutôt : Prépare-moi

De quoi dîner, ceins-toi pour me servir jusqu’à

Ce que j'aie mangé et bu ; puis tu mangeras

Et boiras à ton tour. 9 Aura-t-il un merci

Pour l’esclave d'avoir fait ce qui était prescrit ?

10 Et ainsi de vous : lorsque vous aurez fait tout

Ce qui vous a été prescrit, vous direz donc :

Nous sommes des esclaves inutiles nous avons

Fait ce que nous devions faire !"

476


S’il se repent, pardonne-lui sept fois

Jésus, qui est en avant d'une dizaine de mètres, se retourne, ombre blanche dans la nuit, et il dit : "Il n'y a pas

de limite pour l'amour et le pardon. Il n'y en a pas. Ni en Dieu, ni dans les vrais fils de Dieu. Tant qu'il y a de

la vie, il n'y a pas de limite. L'unique barrière à la descente du pardon et de l'amour, c'est la résistance

impénitente du pécheur. Mais s'il se repent, il est toujours pardonné. Pécherait-il même non pas une, deux,

trois fois par jour, mais davantage.

Vous aussi, vous péchez et vous voulez que Dieu vous pardonne et vous allez vers Lui en disant : "J'ai

péché ! Pardonne-moi.", et le pardon vous est doux, comme il est doux à Dieu de pardonner. Vous n'êtes pas

des dieux, par conséquent moins grave est l'offense que vous fait un de vos semblables que ne l'est l'offense

qu'il fait à Celui qui n'est semblable à aucun autre. Ne vous semble-t-il pas ? Et pourtant Dieu pardonne.

Vous aussi, faites de même. Prenez garde à vous ! Prenez garde que votre intransigeance ne se change pour

vous en dommage, en provoquant l'intransigeance de Dieu envers vous.

Je l'ai déjà dit, mais je le répète encore : soyez miséricordieux pour obtenir miséricorde. Personne n'est assez

exempt de péché pour pouvoir être inexorable envers Je pécheur. Regardez les poids qui pèsent sur votre

cœur avant ceux qui pèsent sur le cœur d'autrui. Enlevez d'abord les vôtres de votre esprit et puis tournezvous

vers ceux des autres pour montrer aux autres non pas la rigueur qui condamne, mais l'amour qui instruit

et aide à se délivrer du mal. Pour pouvoir dire, sans que le pécheur vous impose silence, pour pouvoir dire :

"Tu as péché envers Dieu et envers le prochain" il faut n'avoir pas péché ou au moins avoir réparé le péché.

Pour pouvoir dire à celui qui est mortifié d'avoir péché : "Aie foi que Dieu pardonne à qui se repent" comme

serviteurs de ce Dieu qui pardonne à qui se repent, vous devez montrer tant de miséricorde dans le pardon.

Alors vous pourrez dire : "Vois-tu, ô pécheur repenti ? Moi, je pardonne tes fautes sept et sept fois parce que

je suis le serviteur de Celui qui pardonne un nombre incalculable de fois à celui qui se repent autant de fois

de ses péchés. Pense alors comme te pardonne le Parfait si moi, parce que seulement je suis son serviteur, je

sais pardonner. Aie foi !"

477


C'est ainsi que vous devez pouvoir dire et le dire par l'action, non par les paroles. Le dire en pardonnant. Par

conséquent si votre frère pèche, reprenez-le avec amour, et s'il se repent, pardonnez-lui. Et si au

commencement du jour il a péché sept fois et qu'il vous dise sept fois : "Je me repens", pardonnez-lui autant

de fois. Avez-vous compris ? Me promettez-vous de le faire ? Pendant que lui est au loin, me promettezvous

d'en avoir compassion ? De m'aider à le guérir par le sacrifice de vous maîtriser quand lui se trompe?

Ne voulez-vous pas m'aider à le sauver ? C'est un frère d'esprit, votre frère qui vient d'un unique Père, un

frère de race qui vient d'un unique peuple, un frère de mission puisqu'il est apôtre comme vous. C'est trois

fois que vous devez l'aimer par conséquent. Si dans votre famille vous aviez un frère qui cause de la peine à

votre père, et qui fait parler de lui, ne chercheriez-vous pas à le corriger pour que votre père ne souffre plus

et que les gens ne parlent plus de votre famille ? Et alors ? Votre famille n'est-elle pas une plus grande et

plus sainte famille, dont le Père est Dieu et dont je suis l'Aîné ? Pourquoi alors ne voulez-vous pas consoler

le Père et Moi-même et nous aider à rendre bon le pauvre frère qui, croyez-le, n'est pas heureux d'être

ainsi..."

478


Correction fraternelle

"Si ton frère vient à pécher, réprimande-le

S'il ne repent, remets-lui. 4 Si sept fois le jour

Il pèche contre toi, et que sept fois il retourne

Vers toi, en disant : "Je me convertis, tu lui

Remettras."

479


Soyez prudents comme des serpents

et simples comme des colombes

Écoutez : il est dit de ne pas confier son cœur à l'étranger parce que nous ne connaissons pas ses habitudes.

Mais pouvons-nous dire que nous connaissons le cœur même de celui qui est notre compatriote ? Le cœur de

l'ami ? Celui du parent ? Il n'y a que Dieu qui connaisse parfaitement le cœur de l'homme, et l'homme n'a

qu'un moyen pour connaître le cœur de son semblable et comprendre s'il est vraiment son compatriote, ou

bien son véritable ami et son vrai parent.

Quel est ce moyen ? Où se trouve-t-il ? Dans le prochain lui-même et en nous. Dans ses actions et ses

paroles et dans le jugement droit que nous formons. Quand, dans les paroles du prochain, dans ses actions,

ou dans les actions qu'il voudrait que nous fassions, nous nous rendons compte, par le jugement droit que

nous formons, qu'il n'y a pas de bien, alors nous pouvons dire : "II n'a pas un cœur bon, et je dois m'en

méfier." Il faut le traiter avec charité, parce qu'il souffre du malheur le plus grave : d'avoir l'esprit malade,

mais il ne faut pas le suivre dans ses actions, ni prendre ses paroles comme vraies et sages et encore moins

suivre ses conseils.

Ne vous laissez pas ruiner par l'orgueilleuse pensée : "Moi, je suis fort et le mal des autres n'entre pas en

moi. Moi, je suis juste, et même si j'écoute ceux qui sont injustes, je me garde juste." L'homme est un abîme

profond, où sont tous les éléments du bien et du mal. Nous aident à grandir et à devenir rois, les premiers,

les aides de Dieu ; aident à développer les éléments mauvais et à faire régner la nocivité, les passions et les

amitiés mauvaises. Tous les germes du mal et toutes les aspirations au bien dorment dans l'homme par la

volonté aimante de Dieu, par la volonté mauvaise de Satan qui suggestionne, qui tente, qui excite, alors que

Dieu attire, réconforte, aime. Satan tente pour séduire. Dieu travaille pour conquérir. Et ce n'est pas

toujours Dieu qui a la victoire, car la créature est lourde tant qu'elle ne fait pas de l'amour sa loi et, à cause

de sa lourdeur, elle descend et se laisse attirer plus facilement vers ce qui est assouvissement immédiat et de

ce qu'il y a de plus bas dans l'homme.

480


Pour ce que je dis de la faiblesse humaine, vous pouvez comprendre combien il est nécessaire de se méfier

de soi-même et de faire grandement attention à notre prochain, pour ne pas unir le venin d'une conscience

impure à ce qui fermente déjà en nous. Quand on comprend qu'un ami est la ruine de notre cœur, quand ses

paroles troublent la conscience, quand ses conseils apportent le scandale, il faut savoir quitter l'amitié qui

est dommageable. En y demeurant, on finirait par voir périr l'esprit, parce que l'on passerait à des actions

qui éloignent Dieu, qui empêchent la conscience endurcie de comprendre les inspirations de Dieu.

Si un homme qui est coupable de péchés graves pouvait, voulait parler, pour dire comment il est arrivé à ces

péchés, on verrait qu'à l'origine il y a eu une amitié mauvaise..."

"C'est vrai !" reconnaît à voix basse Samuel de Nazareth.

"Méfiez-vous de ceux qui, après vous avoir combattu sans motif, vous comblent tout à coup d'honneurs et de

cadeaux.

Méfiez-vous de ceux qui louent toutes vos actions et sont prêts à toutes les louanges : c'est-à-dire ils louent le

paresseux comme un bon travailleur, l'adultère comme un mari fidèle, le voleur comme un homme honnête,

le brutal comme un homme doux, le menteur comme un homme sincère, le mauvais fidèle et le pire des

disciples comme des modèles. Ils le font pour vous ruiner et se servir de votre ruine pour leurs projets

astucieux.

Fuyez ceux qui veulent vous enivrer de louanges et de promesses, pour vous faire faire des actions que vous

n'accepteriez pas de faire si vous n'étiez pas ivres.

Et quand vous avez juré fidélité à quelqu'un, évitez de traiter avec ses ennemis ; ils ne peuvent vous

fréquenter que pour nuire à celui qu'ils haïssent et lui nuire avec votre aide même.

481


Ouvrez les yeux. J'ai dit : soyez rusés comme les serpents outre que d'être simples comme des colombes, car

pour traiter des choses de l'esprit, la simplicité est sainte, mais pour vivre dans le monde sans se nuire à soimême

et à ses amis, il faut une ruse qui sache découvrir les ruses de ceux qui haïssent les saints. Le monde

est un nid de serpents. Sachez connaître le monde et ses combinaisons. Et puis, en restant des colombes, pas

dans la boue où restent les serpents, mais à l'abri, en haut du rocher, ayez le cœur simple des fils de Dieu. Et

priez, priez car, en vérité je vous le dis, le grand Serpent siffle autour de vous, et parce que vous êtes en

grand danger et que celui qui ne veille pas périra. Oui. Parmi les disciples, il y en aura qui périront, pour la

plus grande joie de Satan et l'infinie douleur du Christ."

"Qui donc, Seigneur ? Peut-être quelqu'un qui n'est pas des nôtres, un prosélyte, quelqu'un... qui n'est pas de

Palestine, quelqu’un..."

"Ne cherchez pas. N'est-il pas dit par hasard que l'abomination entrera, comme déjà elle est entrée, dans le

lieu saint ? Or, si on peut pécher même près du Saint, est-ce que quelqu'un de ceux qui me suivent ne pourra

pas pécher, qu'il soit galiléen ou juif ? Veillez, veillez, mes amis. Veillez sur vous-mêmes et sur les autres,

veillez sur ce que vous disent les autres et sur ce que vous dit votre conscience. Et si par vous-mêmes vous

n'avez pas la lumière pour voir clair, venez à Moi. Je suis la Lumière."

Pierre bricole et murmure derrière le dos de Jean qui fait des signes de dénégation. Jésus tourne vers lui son

regard, le voit... Pierre se donne une contenance et fait semblant de s'éloigner. Jésus se lève, sourit

légèrement... Puis il entonne la prière, bénit, prend congé. Il reste seul pour prier encore.

482


Évangile selon Matthieu 10,16

16 “ Et voilà

Je vous envoie comme des brebis au milieu

De loups. Soyez donc sensés comme les serpents

Et purs comme les colombes.

483


TOME VII

484


Les dix lépreux

Judas l'Iscariote le regarde, et peut-être il parlerait, mais il en est empêché par un cri qui arrive à eux d'un

monticule dominant le petit village qu'ils sont en train de côtoyer, en cherchant la route pour y entrer.

"Jésus ! Rabbi Jésus ! Fils de David et notre Seigneur, aie pitié de nous."

"Des lépreux ! Allons, Maître, autrement le village va accourir et nous retenir dans ses maisons." disent les

apôtres.

Mais les lépreux ont l'avantage d'être en avance sur eux, montés sur le chemin, mais à cinquante mètres au

moins du village. Ils descendent en boitant et courent vers Jésus en répétant leur cri.

"Entrons dans le village, Maître, eux ne peuvent pas y entrer." disent certains apôtres, mais d'autres

répliquent : "Déjà des femmes viennent regarder. Si nous entrons, nous éviterons les lépreux, mais pas d'être

reconnus et retenus."

Et pendant qu'ils se demandent ce qu'il faut faire, les lépreux s'approchent de plus en plus de Jésus, qui sans

souci des mais et des si des apôtres, poursuit son chemin. Les apôtres se résignent à le suivre alors que des

femmes, avec des enfants à leurs jupons, et quelques vieillards restés dans le village viennent voir, en se

tenant à distance prudente des lépreux, qui cependant s'arrêtent à quelques mètres de Jésus et supplient

encore : "Jésus, aie pitié de nous !"

Jésus les regarde un instant, puis sans s'approcher de ce groupe de douleur, il demande : "Êtes-vous de ce

village ?"

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"Non, Maître, de différents endroits. Mais cette montagne où nous restons donne de l'autre côté sur la route

de Jéricho et cet endroit est bon pour nous..."

"Allez alors au village le plus proche de votre montagne, et montrez-vous aux prêtres."

Et Jésus reprend sa marche en se déplaçant sur le bord du chemin pour ne pas effleurer les lépreux qui le

regardent avancer, sans avoir autre chose qu'un regard d'espoir dans leurs pauvres yeux malades. Et Jésus,

arrivé à leur hauteur, lève la main pour les bénir.

Les gens du village, déçus, retournent dans leurs maisons... Les lépreux grimpent de nouveau sur la

montagne pour aller vers leur grotte ou vers le chemin de Jéricho.

"Tu as bien fait de ne pas les guérir. Ceux du village ne nous auraient plus laissé aller..."

"Oui, et il faudrait arriver à Éphraïm avant la nuit."

Jésus marche en silence. Désormais le village est caché à la vue par les détours de la route très sinueuse car

elle suit les caprices de la montagne au pied de laquelle elle est taillée...

Mais une voix les rejoint : "Louange au Dieu Très-Haut et à son vrai Messie. En Lui se trouve toute

puissance, sagesse et pitié ! Louange au Dieu Très-Haut, qui en Lui nous a accordé la paix. Louez-le, vous

tous, hommes de Judée et de Samarie, de la Galilée et d'au-delà du Jourdain, jusqu'aux neiges du très haut

Hermon, jusqu'aux pierres brûlées de l'Idumée, jusqu'aux sables baignés par les eaux de la Mer Grande, que

résonne la louange au Très-Haut et à son Christ. Voici accomplie la prophétie de Balaam. L'Étoile de Jacob

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resplendit sur le ciel rétabli de la patrie réunie par le vrai Berger. Voilà accomplies aussi les promesses faites

aux patriarches ! Voici, voici la parole d'Élie qui nous aima. Écoutez-la, ô peuples de Palestine, et

comprenez-la. On ne doit plus boiter des deux côtés, mais on doit choisir pour la lumière de l'esprit, et si

l'esprit est droit, il fera un bon choix. Lui est le Seigneur, suivez-le ! Ah ! jusqu'à présent nous avons été

punis parce que nous ne nous sommes pas efforcés de comprendre ! L'homme de Dieu a maudit le faux autel

en prophétisant : "Voici que va naître de la maison de David un Fils appelé Josias qui immolera sur l'autel et

consumera les os d'Adam. Et alors l'autel se déchirera jusqu'aux viscères de la Terre et les cendres de

l'immolation se répandront au nord et au midi, à l'orient et là où le soleil se couche." Ne faites pas comme le

sot d'Ochosias, qui envoyait consulter le dieu d'Acaron alors que le Très-Haut était en Israël. Ne soyez pas

inférieurs à l'ânesse de Balaam qui pour son respect à l'esprit de lumière aurait mérité la vie, alors que serait

tombé frappé le prophète qui ne voyait pas. Voici la Lumière qui passe parmi nous. Ouvrez lus yeux, ô

aveugles de l'esprit, et voyez" et l'un des lépreux les suit de plus en plus près même sur la grand-route

désormais rejointe, en indiquant Jésus aux pèlerins.

Les apôtres, fâchés, se retournent deux ou trois fois en intimant au lépreux, parfaitement guéri, l'ordre de se

taire. Et ils vont jusqu'à le menacer la dernière fois.

Mais lui, cessant d'élever ainsi la voix pour parler à tout le monde, répond : "Et que voulez-vous ? Que je ne

glorifie pas les grandes choses que Dieu m'a faites ? Voulez-vous que je ne le bénisse pas ?"

"Bénis-le dans ton cœur et tais-toi." lui répondent-ils, fâchés.

"Non, je ne puis me taire. Dieu met les paroles sur mes lèvres." et il reprend à haute voix : "Gens des deux

endroits de frontière, gens qui passez par hasard, arrêtez-vous pour adorer Celui qui régnera au nom du

Seigneur. Je me moquais de tant de paroles, mais maintenant je les répète car je les vois accomplies. Voici

que toutes les nations s'ébranlent et viennent joyeuses vers le Seigneur par les chemins des mers et des

déserts, par les collines et les monts. Et nous aussi, peuple qui avons cheminé dans les ténèbres, nous allons

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marcher vers la grande Lumière qui a surgi, vers la Vie, en sortant de la région de la mort. Loups, léopards et

lions que nous étions, nous allons renaître dans l'Esprit du Seigneur et nous nous aimerons en Lui, à l'ombre

du Rejeton de Jessé devenu un cèdre sous lequel campent les nations rassemblées par Lui aux quatre coins

de la Terre. Voici venir le jour où la jalousie d'Éphraïm prendra fin parce qu'il n'y a plus Israël et Juda, mais

un seul Royaume : celui du Christ du Seigneur. Voilà, je chante les louanges du Seigneur qui m'a sauvé et

consolé. Voilà, je dis : louez-le et venez boire le salut à la source du Sauveur. Hosanna ! Hosanna aux

grandes choses que Lui fait ! Hosanna au Très-Haut qui a placé au milieu des hommes son Esprit en le

revêtant de chair, pour qu'il devienne le Rédempteur !"

Il est inépuisable. Les gens viennent plus nombreux, se groupent, encombrent la route. Ceux qui étaient en

arrière accourent, ceux qui étaient en avant rebroussent chemin. Les gens d'un petit village, près duquel ils

sont maintenant, s'unissent aux passants.

"Mais fais-le taire, Seigneur. C'est un samaritain : les gens le disent. Il ne doit pas parler de Toi si tu ne

permets même pas que nous te précédions en t'annonçant !" disent les apôtres indisposés.

"Mes amis, je répète les paroles de Moïse à Josué, fils de Num, qui se lamentait de ce que Eldad et Madad

prophétisaient dans les campements : "Es-tu jaloux pour moi, à ma place ? Oh ! si le peuple tout entier

prophétisait ainsi et si le Seigneur pouvait donner à tous son esprit !" Mais cependant je vais m'arrêter et je

vais le renvoyer pour vous faire plaisir."

Et il s'arrête en se retournant et en appelant à Lui le lépreux guéri, qui accourt et se prosterne devant Jésus en

baisant la poussière.

"Lève-toi. Et les autres où sont-ils ? N'étiez-vous pas dix ? Les neufs autres n'ont pas éprouvé le besoin de

remercier le Seigneur. Et quoi ? Sur dix lépreux dont un seul était samaritain, il ne s'est trouvé que cet

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étranger pour éprouver le besoin de revenir pour rendre gloire à Dieu, avant de se rendre lui-même à la vie et

à sa famille ? Et on l'appelle "samaritain". Ils ne sont plus ivres alors les samaritains, puisqu'ils voient sans

avoir la berlue et accourent sans chanceler sur le chemin du Salut ? La Parole parle donc un langage

étranger, s'il est compris par les étrangers et pas par ceux de son peuple ?"

Il tourne ses yeux magnifiques sur une foule de tous les lieux de la Palestine qui se trouve là. Et ces yeux

dans leur éclat sont insoutenables... Plusieurs baissent la tête et poussent leurs montures ou s'éloignent...

Jésus abaisse les yeux sur le samaritain agenouillé à ses pieds, et son regard devient très doux. Il lève la

main, qui pendait le long de son côté, en un geste de bénédiction et dit : "Lève-toi et va-t’en. Ta foi a sauvé

en toi quelque chose de plus que ta chair. Avance dans la Lumière de Dieu. Va."

L'homme baise de nouveau la poussière et, avant de se lever, demande : "Un nom, Seigneur. Un nom

nouveau, puisque tout est nouveau en moi, et pour toujours."

"Dans quelle terre nous trouvons-nous ?"

"Dans celle d'Éphraïm."

"Et désormais tu t'appelleras Ephrem, parce que c'est deux fois que la Vie t'a donné la vie. Va."

L'homme se lève et s'en va.

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Les gens de l'endroit et quelques pèlerins voudraient retenir Jésus, mais Lui les subjugue par son regard qui

n'est pas sévère, mais au contraire est très doux quand il les regarde, mais qui doit dégager une puissance car

personne ne fait un geste pour le retenir.

Et Jésus quitte la route sans entrer dans le petit village, traverse un champ, puis un ruisselet et un sentier, et il

monte sur le coteau oriental couvert de bois, et s'y enfonce avec les siens en disant : "Pour ne pas nous

tromper, nous allons suivre la route, mais en restant dans le bois. Après cette courbe, la route s'appuie à cette

montagne. Nous y trouverons quelque grotte pour dormir, pour franchir à l'aube Éphraïm..."

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Les dix lépreux

11 Vers Jérusalem

Il faisait route. Aux confins de la Samarie

Et de la Galilée, il passait. 12 À l’entrée

Du village, il vint à sa rencontre dix lépreux

Qui ne tinrent à distance. 13 ils élevèrent la voix

Et dirent ceci : "Jésus, chef, aie pitié de nous !"

14 Ce que voyant, il leur dit : "Allez vous montrer

Aux prêtres." Et s'en allant, ils furent purifiés.

L’un d'entre eux voyant qu’il avait été guéri,

Revint et il glorifia Dieu d’une voix forte.

16 Et il tomba sur sa face aux pieds de Jésus,

En le remerciant. C'était un Samaritain !

17 Prenant la parole, Jésus dit : "Les dix n’ont pas

Été purifiés ? Et les neuf autres, où sont-ils

18 Il ne s’est trouvé pour revenir rendre gloire

À Dieu, que cet étranger ! " 19 Alors il lui dit

Ceci : "Relève-toi, va ; ta foi t’a sauvé !"

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Savez-vous qui Je Suis ?

Jésus approche lentement. Il passe devant Gamaliel, qui ne lève même pas la tête, et puis il va à sa place de

la veille.

Les gens, maintenant un mélange d'Israélites, de prosélytes et de gentils, comprennent qu'il va parler et ils

murmurent : "Voilà qu'il parle en public, et ils ne Lui disent rien."

"Peut-être que les Princes et les Chefs ont reconnu en Lui le Christ. Hier, Gamaliel, après le départ du

Galiléen, a parlé longuement avec des Anciens."

"Est-ce possible ? Comment ont-ils fait pour le reconnaître tout d'un coup, alors qu'il y a peu de temps, ils le

considéraient comme méritant la mort ?"

"Peut-être Gamaliel possédait-il des preuves..."

"Et quelles preuves ? Quelles preuves voulez-vous qu'il ait en faveur de cet homme ?" réplique quelqu'un.

"Tais-toi, chacal. Tu n'es que le dernier des copistes. Qui t'a questionné ?" et ils se moquent de lui. Il s'en va.

Mais d'autres surviennent, qui n'appartiennent pas au Temple, mais qui sont certainement des juifs

incrédules : "Les preuves, nous les avons, nous. Nous savons d'où il vient, Lui. Mais le Christ, quand il

viendra, personne ne saura d'où il vient. Nous n'en connaîtrons pas l'origine. Mais de Lui !!! C'est le fils d'un

menuisier de Nazareth, et tout son village peut apporter ici son témoignage contre nous, si nous mentons..."

À ce moment on entend la voix d'un gentil qui dit : "Maître, parle-nous un peu, aujourd'hui. On a dit que tu

affirmes que tous les hommes sont venus d'un seul Dieu, le tien. Au point que tu les appelles fils du Père.

Des poètes stoïques de chez nous ont eu aussi cette même idée. Ils ont dit : "Nous sommes de la race de

Dieu." Tes compatriotes nous disent plus impurs que des bêtes. Comment concilies-tu les

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deux tendances ?"

La question est posée conformément aux coutumes des discussions philosophiques, du moins je le crois. Et

Jésus va répondre, quand s'élève avec plus de force la discussion entre les juifs incrédules et ceux qui

croient, et une voix perçante répète : "Lui est un homme ordinaire. Le Christ ne sera pas comme cela. Tout

sera exceptionnel en Lui : forme, nature, origine..."

Jésus se tourne dans cette direction et il dit à haute voix : "Vous me connaissez donc et vous savez d'où je

viens ? En êtes-vous bien sûrs ? Et même ce peu que vous savez ne vous dit rien ? Il ne vous confirme pas

les prophéties ? Mais vous ne connaissez pas tout de Moi. En vérité, en vérité je vous dis que je ne suis pas

venu de Moi, et d'où vous croyez que je suis venu. C'est la Vérité elle-même, que vous ne connaissez pas,

qui m'a envoyé."

Un cri d'indignation s'élève du côté des ennemis.

"La Vérité elle-même. Mais vous ne connaissez pas ses œuvres, vous ne connaissez pas ses chemins, les

chemins par lesquels je suis venu. La Haine ne peut connaître les voies et les œuvres de l'Amour. Les

Ténèbres ne peuvent supporter la vue de la Lumière. Mais Moi je connais Celui qui m'a envoyé parce que je

suis sien, je fais partie de Lui, et je suis un Tout avec Lui. Et Il m'a envoyé, pour que j'accomplisse ce que

veut sa Pensée."

Un tumulte se produit. Les ennemis se précipitent pour mettre la main sur Lui, s'emparer de Lui, le frapper.

Les apôtres, les disciples, le peuple, les gentils, les prosélytes, réagissent pour le défendre D'autres

assaillants accourent au secours des premiers et peut-être réussiraient, mais Gamaliel, qui jusqu'à ce moment

paraissait étranger à tout, quitte son tapis et vient vers Jésus, poussé sous le portique par ceux qui veulent le

défendre, et il crie : "Laissez-le tranquille. Je veux entendre ce qu'il dit."

493


Plus que le détachement des légionnaires qui accourent de l'Antonia pour apaiser le tumulte, agit la voix de

Gamaliel. Le tumulte tombe comme un tourbillon qui se brise, et les cris s'apaisent pour devenir un simple

bourdonnement. Les légionnaires, par prudence, restent près de l'enceinte extérieure, mais sont désormais

inutiles.

"Parle, ordonne Gamaliel à Jésus. Réponds à ceux qui t'accusent." Le ton est impérieux mais pas méprisant.

Jésus s'avance vers la cour. Tranquille, il recommence à parler. Gamaliel reste où il est, et ses disciples

s'affairent à lui apporter son tapis et son siège pour qu'il soit plus à l'aise, mais il reste debout, les bras

croisés, la tête penchée, les yeux fermés, tout concentré pour écouter.

"Vous m'avez accusé sans raison, comme si j'avais blasphémé au lieu de dire la vérité. Moi, ce n'est pas pour

me défendre mais pour vous donner la Lumière, afin que vous puissiez connaître la Vérité, que je parle. Et ce

n'est pas pour Moi-même que je parle, mais je parle pour vous rappeler les paroles auxquelles vous croyez et

sur lesquelles vous jurez. Elles témoignent de Moi. Vous, je le sais, vous ne voyez en Moi qu'un homme qui

vous ressemble, qui vous est inférieur. Et il vous paraît impossible qu'un homme puisse être le Messie. Vous

pensez du moins qu'il devrait être un ange, ce Messie, d'une origine tellement mystérieuse qu'il ne pourrait

être roi qu'à cause de l'autorité que le mystère de son origine suscite. Mais quand donc dans l'histoire de

notre peuple, dans les livres qui renferment cette histoire - et qui seront des livres éternels autant que le

monde car c'est à eux que les docteurs de tous les pays et de tous les temps s'adresseront pour fortifier leur

science et leurs recherches sur le passé à l'aide des lumières de la vérité - quand donc est-il dit dans ces livres

que Dieu ait parlé à un de ses anges pour lui dire : "Tu seras dorénavant pour Moi un Fils, parce que Je t'ai

engendré ?"

Je vois Gamaliel qui se fait donner une petite table et des parchemins et qui s'assoit pour écrire...

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"Les anges, créatures spirituelles, servantes du Très-Haut et ses messagères, ont été créées par Lui comme

l'homme, comme les animaux, comme tout ce qui fut créé. Mais elles n'ont pas été engendrées par Lui. Car

Dieu engendre uniquement un autre Lui-même, car le Parfait ne peut engendrer qu'un Parfait, un autre Être

semblable à Lui-même, pour ne pas avilir sa perfection par la génération d'une créature inférieure à Luimême.

Si donc Dieu ne peut engendrer les anges, ni non plus les élever à la dignité d'être ses fils, quel sera le Fils

auquel Il dit : "Tu es mon Fils. Aujourd'hui Je t'ai engendré ?" Et de quelle nature sera-t-il si, en l'engendrant,

Il dit à ses anges en le montrant : "Et que l'adorent tous les anges de Dieu" ? Et comment sera ce Fils, pour

mériter de s'entendre dire par le Père, par Celui par la grâce duquel les hommes peuvent le nommer avec un

cœur qui s'anéantit dans l'adoration: "Assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis

l'escabeau de tes pieds"? Ce Fils ne pourra être que Dieu comme le Père, dont Il partage les attributs et la

puissance, et avec qui II jouit de la Charité qui les réjouit dans les ineffables et inconnaissables amours de la

Perfection pour Elle-même.

Mais si Dieu n'a pas jugé convenable d'élever un ange au rang de Fils, aurait-Il jamais pu dire d'un homme

ce qu'il a dit de Celui qui ici vous parle - et plusieurs d'entre vous qui me combattez, étiez présent quand Il

l'a dit - là-bas, au gué de Béthabara à la fin des deux années qui ont précédé celle-ci ? Vous l'avez entendu et

avez tremblé. Car la voix de Dieu ne peut se confondre avec nulle autre, et sans une grâce spéciale de Lui,

elle terrasse celui qui l'entend et ébranle son cœur.

Qu'est donc l'Homme qui vous parle ? Serait-il né de la semence et du vouloir de l'homme comme vous tous

? Et le Très-Haut pourrait-Il avoir placé son Esprit pour habiter une chair, privée de la grâce comme l'est

celle des hommes nés d'un vouloir charnel ? Et le Très-Haut pourrait-Il, pour payer la grande Faute, être

satisfait du sacrifice d'un homme ? Réfléchissez. Il n'a pas choisi un ange pour être Messie et Rédempteur,

pourrait-Il alors choisir un homme pour l'être ? Et le Rédempteur pouvait-il être seulement Fils du Père sans

assumer la Nature humaine, mais avec des moyens et des pouvoirs qui surpassent les raisonnements

humains ? Et le Premier-né de Dieu pouvait-il avoir des parents, s'il est le Premier-né éternel ?

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Ne se bouleverse-t-elle pas la pensée orgueilleuse devant ces interrogations qui montent vers les royaumes

de la Vérité, toujours plus proches d'elle, et qui ne trouvent une réponse que dans un cœur humble et plein de

foi ?

Qui doit être le Christ ? Un ange ? Plus qu'un ange. Un homme ? Plus qu'un homme. Un Dieu ? Oui, un

Dieu. Mais avec une chair qui Lui est unie, pour pouvoir accomplir l'expiation de la chair coupable. Toute

chose doit être rachetée par la matière avec laquelle elle a péché. Dieu aurait dû par conséquent envoyer un

ange pour expier les fautes des anges tombés, et qui expiât pour Lucifer et pour ses disciples angéliques. Car,

vous le savez, Lucifer aussi a péché. Mais Dieu n'envoie pas un esprit angélique pour racheter les anges

ténébreux. Ils n'ont pas adoré le Fils de Dieu, et Dieu ne pardonne pas le péché contre son Verbe engendré

par son Amour. Pourtant Dieu aime l'homme et Il envoie l'Homme, l'Unique parfait, pour racheter l'homme

et obtenir la paix avec Dieu. Et il est juste que seul un Homme-Dieu puisse accomplir la rédemption de

l'homme et apaiser Dieu.

Le Père et le Fils se sont aimés et compris. Le Père a dit : "Je veux". Et le Fils a dit : "Je veux". Et puis le

Fils a dit : "Donne-moi." Et le Père a dit : "Prends", et le Verbe eut une chair dont la formation est

mystérieuse, et cette chair s'appela Jésus-Christ, Messie, Celui qui doit racheter les hommes, les amener au

Royaume, vaincre le démon, briser l'esclavage.

Vaincre le démon ! Un ange ne le pouvait pas, ne peut pas, accomplir ce que le Fils de l'homme peut

accomplir. Et pour cela, voilà que Dieu appelle pour la grande œuvre non pas les anges, mais l'Homme.

Voici l'Homme de l'origine duquel vous êtes incertains, ou négateurs, ou pensifs. Voici l'Homme. L'Homme

que Dieu accepte. L'Homme qui représente tous ses frères. L'Homme comme vous pour la ressemblance,

l'Homme supérieur et différent de vous pour la provenance, qui non d'homme, mais de Dieu engendré et

consacré pour son ministère, se tient devant l'autel élevé, afin d'être Prêtre et Victime pour les péchés du

monde, Pontife éternel et suprême, Souverain Prêtre selon l'ordre de Melchisédech.

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Ne tremblez pas ! Je ne tends pas les mains vers la tiare pontificale. Un autre diadème m'attend. Ne tremblez

pas ! Je ne vous enlèverai pas le Rational. Un autre est déjà prêt pour Moi. Mais tremblez seulement que

pour vous ne serve pas le Sacrifice de l'Homme et la Miséricorde du Christ. Je vous ai tant aimés, je vous

aime tant que j'ai obtenu du Père de m'anéantir Moi-même. Je vous ai tant aimés, je vous aime tant que j'ai

demandé de consumer toute la Douleur du monde pour vous donner le salut éternel.

Pourquoi ne voulez-vous pas me croire ? Ne pouvez-vous croire encore ?

N'est-il pas dit du Christ : "Tu es Prêtre éternellement selon l'ordre de Melchisédech"? Mais quand a

commencé le sacerdoce ? Peut-être au temps d'Abraham ? Non. Et vous le savez. Le Roi de Justice et de

Paix qui apparaît pour m'annoncer, par une figure prophétique, à l'aurore de notre peuple, ne vous avertit-il

pas qu'il y a un sacerdoce plus parfait, qui vient directement de Dieu, de même que Melchisédech dont

personne n'a jamais pu donner l'origine et que l'on appelle "le prêtre" et qui demeurera prêtre

éternellement ? Ne croyez-vous plus aux paroles inspirées ? Et si vous y croyez, comment donc, ô docteurs,

ne savez-vous pas donner une explication acceptable aux paroles qui disent, et elles parlent de Moi : "Tu es

prêtre éternellement selon l'ordre de Melchisédech"?

Il y a donc un autre sacerdoce, en outre, avant celui d'Aaron. Et de ce sacerdoce il est dit "tu es", non pas "tu

as été", non pas "tu seras". Tu es prêtre pour l'éternité. Voilà alors que cette phrase annonce que l'éternel

Prêtre ne sera pas de la souche connue d'Aaron, ne sera d'aucune souche sacerdotale, mais sera d'une

provenance nouvelle, mystérieuse comme Melchisédech. Il appartient à cette provenance. Et si la Puissance

de Dieu l'envoie, c'est le signe qu'il veut rénover le Sacerdoce et le Rite pour qu'il devienne utile à

l'Humanité.

Connaissez-vous mon origine ? Non. Connaissez-vous mes œuvres ? Non. Voyez-vous leurs fruits ? Non.

Vous ne connaissez rien de Moi. Vous voyez donc qu'en cela aussi, je suis le "Christ" dont l'Origine, la

Nature et la Mission doivent être inconnues jusqu'au moment où il plaira à Dieu de les révéler aux hommes.

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Bienheureux ceux qui sauront, qui savent croire avant que la Révélation terrible de Dieu ne les écrase de son

poids contre le sol et ne les y cloue et ne les brise sous la fulgurante, puissante vérité tonnée par les Cieux,

criée par la Terre: "Lui était le Christ de Dieu."

Vous dites : "Lui est de Nazareth. Son père, c'était Joseph. Sa Mère, c'est Marie". Non, je n'ai pas de père qui

m'ait engendré comme homme. Je n'ai pas de mère qui m'ait engendré comme Dieu. Et pourtant j'ai une chair

et je l'ai assumée par l'œuvre mystérieuse de l'Esprit, et je suis venu parmi vous en passant par un tabernacle

saint. Et je vous sauverai, après m'être formé Moi-même par la volonté de Dieu, je vous sauverai, en faisant

sortir mon véritable Moi-même du Tabernacle de mon Corps pour consommer le grand Sacrifice d'un Dieu

qui s'immole pour le salut de l'homme.

Père, mon Père ! Je te l'ai dit au commencement des jours : "Me voici pour faire ta Volonté." Je te l'ai dit à

l'heure de grâce avant de te quitter pour me revêtir de la chair pour pouvoir souffrir : "Me voici pour faire ta

Volonté." Je te le dis encore une fois pour sanctifier ceux pour lesquels je suis venu : "Me voici pour faire ta

Volonté." Et je te le dirai encore, toujours, jusqu'à ce que ta Volonté soit accomplie..."

Jésus, qui a levé les bras vers le ciel pour prier, les abaisse maintenant, les croise sur sa poitrine et incline la

tête, ferme les yeux et s'abîme dans une prière secrète.

Les gens chuchotent. Pas tous ont compris, même la plupart (et je suis du nombre) n'ont pas compris. Nous

sommes trop ignorants. Mais nous avons l'intuition qu'il a énoncé de grandes choses, et nous nous taisons

pleins d'admiration.

Les malveillants, qui n'ont pas compris ou n'ont pas voulu comprendre, raillent : "II délire !" Mais ils n'osent

pas en dire davantage et ils s'écartent ou bien se dirigent vers les portes en secouant la tête. Tant de prudence

je crois qu'elle vient des lances et des dagues romaines qui brillent au soleil au bout du mur.

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Gamaliel se fraie un passage parmi ceux qui sont restés. Il arrive près de Jésus qui prie encore, absorbé, loin

de la foule et de cet endroit, et il l'appelle : "Rabbi Jésus !"

"Que veux-tu, rabbi Gamaliel ?" demande Jésus en levant la tête, les yeux encore absorbés dans une vision

intérieure.

"Une explication de Toi."

"Parle."

"Retirez-vous tous !" commande Gamaliel, et sur un tel ton que les apôtres, les disciples, les partisans, les

curieux et les disciples eux-mêmes de Gamaliel, s'écartent en vitesse. Ils restent, seuls l'un en face de l'autre,

et ils se regardent. Jésus toujours plein d'une suave douceur, l'autre autoritaire sans le vouloir, et l'air

involontairement orgueilleux. Expression qui lui est certainement venue d'années d'obséquiosité exagérée.

"Maître... on m'a rapporté certaines de tes paroles dites à un banquet... que j'ai désapprouvé parce qu'il

manquait de sincérité. Moi, je combats ou je ne combats pas, mais c'est toujours ouvertement... J'ai médité

ces paroles. Je les ai confrontées avec celles qui sont dans mon souvenir … Et je t'ai attendu, ici, pour

t'interroger sur elles... Et auparavant, j'ai voulu t'écouter parler... Eux n'ont pas compris. Moi, j'espère

pouvoir comprendre. J'ai écrit tes paroles pendant que tu les disais. Pour les méditer, non pas pour te nuire.

Me crois-tu ?"

"Je te crois. Et veuille le Très-Haut les faire flamboyer à ton esprit."

"Qu'il en soit ainsi. Écoute. Les pierres qui doivent frémir, sont peut-être celles de nos cœurs ?"

"Non, rabbi. Celles-ci (et dans un geste circulaire, il indique les murailles du Temple). Pourquoi le

demandes-tu ?"

"Parce que mon cœur a frémi quand m'ont été rapportées tes paroles du banquet et tes réponses aux

tentateurs. Je croyais que ce frémissement était le signe..."

499


"Non, rabbi. C'est trop peu que le frémissement de ton cœur et celui de quelques autres pour être le signe qui

ne laisse pas de doutes... Même si toi, grâce à un rare jugement d'humble connaissance de toi-même, tu

donnes à ton cœur le nom de pierre. Oh ! Rabbi Gamaliel, ne peux-tu pas vraiment faire de ton cœur de

pierre un lumineux autel pour accueillir Dieu ? Non dans mon intérêt, rabbi, mais pour que ta justice soit

complète..."

Et Jésus regarde avec douceur l'ancien maître qui tourmente sa barbe et passe ses doigts sous son couvrechef

en serrant son front et en murmurant, et il baisse la tête pour le dire : * Je ne puis... Je ne puis encore...

Mais j'espère... Ce signe, est-ce que tu le donneras toujours ?"

"Je le donnerai."

"Adieu, rabbi Jésus."

"Que le Seigneur vienne à toi, rabbi Gamaliel."

Ils se séparent. Jésus fait signe aux siens et avec eux il se dirige hors du Temple.

Scribes, pharisiens, prêtres, disciples de rabbis, se précipitent comme autant de vautours autour de Gamaliel,

qui est en train de passer dans sa large ceinture les feuilles qu'il a écrites.

"Eh bien ? Qu'en penses-tu ? Un fou ? Tu as bien fait d'écrire ces divagations. Elles nous serviront. As-tu

décidé ? Es-tu convaincu ? Hier... aujourd'hui... Plus qu'il n'en faut pour te convaincre." Ils parlent

tumultueusement et Gamaliel se tait pendant qu'il rajuste sa ceinture, renferme l'encrier qu'il y a suspendu,

rend à son disciple la petite table sur laquelle il s'est appuyé pour écrire sur les parchemins.

"Tu ne réponds pas ? Depuis hier, tu ne parles pas..." lui dit pour le décider un de ses collègues.

500


"J'écoute. Pas vous. Lui. Et je cherche à reconnaître dans les paroles de maintenant la parole qui m'a parlé un

jour. Ici."

"Et tu y réussis, peut-être ?" disent plusieurs en riant.

"C'est comme le tonnerre dont la voix est différente selon que l'on est plus proche ou plus loin. Mais c'est

toujours le bruit du tonnerre."

"Un bruit qui ne permet pas de conclure, alors." plaisante quelqu'un.

"Ne ris pas, Lévi. Dans le bruit peut se trouver aussi la voix de Dieu et nous pouvons être assez sots pour

croire que c'est le bruit de nuages qui se déchirent... Ne ris pas non plus toi, Elchias, et toi, Simon, de peur

que le tonnerre ne vienne à se changer en foudre et ne vous réduise en cendres..."

"Alors... toi... tu dis quasi que le Galiléen c'est cet enfant qu'avec Hillel vous croyiez prophète, et que cet

enfant et cet homme soit le Messie..." demande des railleurs, bien qu'en sourdine car Gamaliel se fait

respecter.

"Je ne dis rien. Je dis que le bruit du tonnerre est toujours le bruit du tonnerre."

"Plus proche ou plus lointain ?"

"Hélas ! Les paroles sont plus fortes comme l'âge le comporte. Mais les vingt années écoulées ont rendu mon

intelligence vingt fois plus fermée sur le trésor qu'elle possède. Et le son pénètre plus faiblement..." Et

Gamaliel laisse retomber sa tête sur sa poitrine, pensif.

"Ha ! Ha ! Ha ! Tu vieillis et tu deviens sot, Gamaliel ! Tu prends des fantômes pour des réalités. Ha ! Ha !

Ha !" et tous se mettent à rire.

Gamaliel hausse dédaigneusement les épaules. Puis relève son manteau qui pendait de ses épaules, s'en

enveloppe à plusieurs tours tant il est ample, et tourne le dos à tout le monde sans répliquer un mot, plein de

mépris dans son silence.

501


Discussions populaires sur l'origine du Christ

25 Et des gens de Jérusalem

Disaient : " N'est-ce point celui qu'on cherche à tuer

Là ? 26 Ainsi le voilà qui parle ouvertement,

On ne lui dit rien ! Est-ce que vraiment les chefs

Auraient reconnu qu'il est le Christ ? 27 Nous savons,

D'où il est, lui. Pourtant le Christ quand il viendra

Personne ne connaîtra d'où il est."

28 Et Jésus

Cria donc enseignant dans le Temple et disant :

"Vous ne connaissez et vous savez d'où je suis !

Et ce n'est pas de moi-même que je suis venu ;

Il est véridique, celui qui m'a envoyé,

Vous, vous ne le connaissez pas. 29 Je le connais,

Moi, je viens d'auprès de lui, et c'est lui qui m'a

Envoyé."

30 Ils cherchaient donc à l'appréhender.

Personne ne porta la main sur lui, car son heure

N'était pas encore venue.

502


Jésus, les Pharisiens, l'adultère

Je vois l'intérieur de l'enceinte du Temple, c'est-à-dire une des si nombreuses cours entourées de portiques.

Et je vois aussi Jésus bien enveloppé dans le manteau qui couvre son vêtement, qui n'est pas blanc mais

rouge foncé (il semble que ce soit une lourde étoffe de laine.) Il parle à la foule qui l'entoure.

Je dirais que c'est une journée d'hiver, car tous les gens sont emmitouflés, et il fait plutôt froid car, au lieu de

rester immobiles, les gens marchent vivement comme pour se réchauffer. Il y a du vent qui remue les

manteaux et soulève la poussière des cours.

Le groupe qui se serre autour de Jésus, le seul qui reste en place alors que tous les autres, autour de tel ou tel

maître, vont et viennent, s'ouvre pour laisser passer un détachement de scribes et de pharisiens gesticulants et

plus que jamais venimeux. Ils giclent le venin par leurs regards, leurs visages empourprés, leurs bouches.

Quelles vipères ! Plutôt qu'ils ne la conduisent, ils traînent une femme d'environ trente ans, échevelée, les

vêtements en désordre, comme une personne que l'on a maltraitée, et en larmes. Ils la jettent aux pieds de

Jésus comme un tas de chiffons ou une dépouille morte. Et elle reste là, recroquevillée sur elle-même, le

visage appuyé sur ses deux bras, qui la cachent et lui font un coussin entre son visage et le sol.

"Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère. Son mari l'aimait, ne lui faisait manquer de rien.

C'était la reine de sa maison. Et elle l'a trahi car c'est une pécheresse, une vicieuse, une ingrate, une

profanatrice. C'est une adultère, et comme telle doit être lapidée. Moïse l'a dit. Dans sa loi, il commande que

de telles femmes soient lapidées comme des bêtes immondes. Et elles sont immondes car elles trahissent la

foi conjugale et l'homme qui les aime et les soigne, car elles sont comme une terre jamais rassasiée, toujours

affamée de luxure. Elles sont pires que des courtisanes, car sans la morsure du besoin, elles se donnent pour

donner une nourriture à leur impudicité. Elles sont corrompues. Elles sont contaminatrices. Elles doivent être

condamnées à mort. Moïse l'a dit. Et Toi, Maître, qu'en dis-tu ?"

503


Jésus, qui avait interrompu son discours à l'arrivée tumultueuse des pharisiens et avait regardé la meute

haineuse d'un regard pénétrant et puis avait penché son regard sur la femme avilie, jetée à ses pieds, se tait. Il

s'est penché, tout en restant assis, et avec un doigt il écrit sur les pierres du portique que la poussière

soulevée par le vent couvre d'une couche de terre. Eux parlent, et Lui écrit.

"Maître, nous parlons à Toi. Écoute-nous. Réponds-nous. Tu n'as pas compris ? Cette femme a été prise en

flagrant délit d'adultère. Dans sa maison, dans le lit de son mari. Elle l'a souillé par sa passion."

Jésus écrit.

"Mais c'est un idiot cet homme ! Vous ne voyez pas qu'il ne comprend rien et qu'il trace des signes sur la

poussière comme un pauvre fou ?"

"Maître, pour ton bon renom, parle. Que ta sagesse réponde à nos questions. Nous te le répétons : cette

femme ne manquait de rien. Elle avait vêtements, nourriture, amour. Et elle a trahi."

Jésus écrit.

"Elle a menti à l'homme qui avait confiance en elle. De sa bouche menteuse elle l'a salué et en souriant l'a

accompagné jusqu'à la porte, et puis elle a ouvert la porte secrète et elle a fait entrer son amant. Et pendant

que son homme était absent et travaillait pour elle, elle, comme une bête immonde, s'est vautrée dans sa

luxure."

"Maître, elle a profané la Loi en plus de la couche nuptiale. C'est une rebelle, une sacrilège, une

blasphématrice."

Jésus écrit. Il écrit et, avec le pied chaussé de sa sandale, il efface et il écrit plus loin, en tournant lentement

sur Lui-même pour trouver de la place. On dirait un enfant qui s'amuse. Mais ce qu'il écrit, ce ne sont pas des

mots pour rire. Il a écrit successivement : "Usurier", "Faux", "Fils irrespectueux", "Fornicateur", "Assassin",

"Profanateur de la Loi", "Voleur", "Luxurieux", "Usurpateur", "Mari et père indigne", "Blasphémateur",

"Rebelle à Dieu", "Adultère". Il écrit et écrit de nouveau pendant que parlent de nouveaux accusateurs.

504


"Mais, en somme, Maître ! Ton jugement. La femme doit être jugée. Elle ne peut de son poids contaminer la

Terre. Son souffle est un venin qui trouble les cœurs."

Jésus se lève. Miséricorde ! Quel visage ! Ce sont des éclairs qui tombent sur les accusateurs. Il semble

encore plus grand tant il redresse la tête. On dirait un roi sur son trône tant il est sévère et solennel. Son

manteau est tombé d'une épaule et fait une légère traîne derrière Lui, mais Lui ne s'en occupe pas.

Le visage fermé et sans la plus lointaine trace de sourire sur les lèvres ni dans les yeux, il plante ces yeux en

face de la foule qui recule comme devant deux lames acérées. Il les fixe un par un avec une intensité de

recherche qui fait peur. Ceux qu'il fixe cherchent à reculer dans la foule et s'y perdre, ainsi le cercle s'élargit

et s'effrite comme miné par une force cachée.

Finalement, il parle : "Que celui d'entre vous qui est sans péché jette à la femme la première pierre." Et sa

voix est un tonnerre qu'accompagnent des regards encore plus fulgurants. Jésus s'est croisé les bras, et il reste

ainsi : droit comme un juge qui attend. Son regard ne donne pas de paix : il fouille, pénètre, accuse.

Pour commencer un, puis deux, puis cinq, puis en groupes, ceux qui sont présents, s'éloignent, tête base. Non

seulement les scribes et les pharisiens, mais aussi ceux qui étaient auparavant autour de Jésus et d'autres qui

s'étaient approchés pour entendre le jugement et la condamnation et qui, les uns comme les autres, s'étaient

unis pour insulter la coupable et demander la lapidation.

Jésus reste seul avec Pierre et Jean. Je ne vois pas les autres apôtres.

Jésus s'est remis à écrire, pendant que se produit la fuite des accusateurs, et maintenant il écrit : "Pharisiens",

"Vipères", "Tombeaux de pourriture", "Menteurs", "Traîtres", "Ennemis de Dieu", "Insulteurs de son

Verbe"...

Quand la cour toute entière s'est vidée et qu'un grand silence s'est fait, qu'il ne reste plus que le bruissement

du vent et le bruit d'une fontaine dans un coin, Jésus lève la tête et regarde. Maintenant son visage s'est

apaisé. Il est attristé, mais n'est plus irrité. Il jette un coup d'œil à Pierre qui s'est légèrement éloigné pour

505


s'appuyer à une colonne et à Jean qui, presque derrière Jésus, le regarde de son regard énamouré. Jésus a une

ombre de sourire en regardant Pierre et un sourire plus vif en regardant Jean : deux sourires différents.

Puis il regarde la femme encore prostrée et en larmes à ses pieds. Il l'observe. Il se lève, réajuste son manteau

comme s'il allait se mettre en route. Il fait signe aux deux apôtres de se diriger vers la sortie.

Resté seul, il appelle la femme. "Femme, écoute-moi. Regarde-moi." Il répète son ordre car elle n'ose pas

lever le visage. "Femme, nous sommes seuls. Regarde-moi."

La malheureuse lève un visage sur lequel les larmes et la poussière font un masque avilissant.

"Où sont, ô femme, ceux qui t'accusaient ?" Jésus parle doucement, avec un sérieux plein de pitié. Il se tient

le visage et le corps légèrement penché vers la terre, vers cette misère, et ses yeux sont pleins d'une

expression indulgente et rénovatrice. "Personne ne t'a condamnée ?"

La femme, entre deux sanglots, répond : "Personne, Maître."

"Moi non plus je ne vais pas te condamner. Va et ne pèche plus. Va chez toi, et sache te faire pardonner, par

Dieu et par l'offensé. N'abuse pas de la bonté du Seigneur. Va."

Il l'aide à se relever en la prenant par la main, mais il ne la bénit pas et ne lui donne pas la paix. Il la regarde

s'éloigner, la tête basse et légèrement chancelante sous sa honte, et puis, quand elle est disparue, il s'éloigne à

son tour avec les deux disciples.

506


La femme adultère Évangile selon Jean

8 1 Ils s'en allèrent chacun chez soi. Quant à Jésus

Il s'en alla au mont des Oliviers. 2 Pourtant

À l'aurore, il parut, de nouveau dans le Temple.

Tout le peuple venait vers lui, s'étant assis,

Il les enseignait.3 Les scribes et les Pharisiens

Lui amènent une femme sur prise en adultère,

La plaçant au milieu, 4 ils lui dirent : "Cette femme,

Maître, a été surprise en flagrant délit

D'adultère. 5 Aussi Moïse nous a commandés,

Dans la Loi, de lapider ces femmes-là. Toi,

Que dis-tu ? " 6 Mais ils disaient cela pour le mettre

À l'épreuve, afin d'avoir de quoi l'accuser.

Alors Jésus, se baissant, écrivait du doigt

Sur le sol. 7 Ils persistaient à l'interroger,

Il se redressa et il leur dit : "Que celui

De vous qui est sans péché lui jette le premier

Une pierre." 8 Alors de nouveau, il se baissa,

Il écrivit sur le sol.

9 En entendant cela,

Ils se retirèrent un à un, à commencer

Par les plus vieux, il resta seul avec la femme,

Qui était là au milieu. 10 Et se redressant,

Jésus lui dit ceci : "Femme, où sont-ils ? Personne

Ne t'a condamnée. " 11 Et elle dit : " Personne, Seigneur."

Alors Jésus dit : "Je ne te condamne pas,

Moi non plus. Va ; et désormais ne pèche plus."

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La parabole du juge inique

Il regarde les gens qui se sont rassemblés, une centaine de personnes, et il dit : "Écoutez cette parabole qui

vous dira la valeur de la prière constante.

Vous savez ce que dit le Deutéronome, en parlant des juges et des magistrats. Ils doivent être justes et

miséricordieux en écoutant avec équanimité ceux qui ont recours à eux, en pensant toujours de juger comme

si le cas qu'ils doivent juger était leur cas personnel, sans tenir compte des cadeaux ou des menaces, sans

égards pour les amis coupables et sans dureté à l'égard de ceux qui sont en mauvais termes avec les amis du

juge. Mais si les paroles de la Loi sont justes, les hommes ne le sont pas autant et ils ne savent pas obéir à la

Loi. On voit ainsi que la justice humaine est souvent imparfaite, car rares sont les juges qui savent se garder

purs de la corruption, miséricordieux et patients envers les pauvres comme envers les riches, envers les

veuves et les orphelins, comme ils le sont envers ceux qui ne le sont pas.

Il y avait dans une ville un juge très indigne de sa charge qu'il avait obtenue au moyen d'une parenté

puissante. Il était outre mesure inégal dans ses jugements, car il était toujours porté à donner raison aux

riches et aux puissants, ou à ceux qui étaient recommandés par des riches ou des puissants, ou bien à l'égard

de ceux qui l'achetaient en lui faisant de grands cadeaux. Il ne craignait pas Dieu et il se riait des plaintes des

pauvres et de ceux qui étaient faibles parce qu'ils étaient seuls et sans de puissants défenseurs. Quand il ne

voulait pas écouter quelqu'un qui avait des raisons évidentes de l'emporter sur un riche et auquel il ne

pouvait donner tort d'aucune manière, il le faisait chasser de sa présence en le menaçant de le jeter en prison.

Et la plupart subissaient ses violences en se retirant vaincus et résignés à leur défaite avant que le procès ne

fût ouvert.

Mais dans cette ville, il y avait aussi une veuve chargée d'enfants. Elle devait recevoir une forte somme d'un

homme puissant pour des travaux exécutés par son mari défunt pour le riche puissant. Elle, poussée par le

besoin et l'amour maternel, avait essayé de se faire donner par le riche la somme qui lui aurait permis de

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rassasier ses enfants et de les vêtir pour le prochain hiver. Mais après que se furent révélées vaines toutes les

pressions et les supplications adressées au riche, elle eut recours au juge. Le juge était un ami du riche qui lui

avait dit : "Si tu me donnes raison, le tiers de la somme est pour toi." Aussi, il fut sourd aux paroles de la

veuve qui le priait : "Rends-moi justice contre mon adversaire. Tu vois que j'en ai besoin. Tout le monde

peut dire que j'ai droit à cette somme." Il se montra sourd et la fit chasser par ses commis. Mais la femme

revient une, deux, dix fois, le matin, à sexte, à none, le soir, inlassable. Et elle le suivait sur la route en criant

: "Rends-moi justice. Mes enfants ont faim et froid. Je n'ai pas d'argent pour acheter de la farine et des

vêtements." Elle se faisait trouver sur le seuil de la maison du juge quand il y revenait pour s'asseoir à table

avec ses enfants. Et le cri de la veuve : "Rends-moi justice contre mon adversaire car mes enfants et moi,

nous avons faim et froid" pénétrait jusqu'à l'intérieur de la maison, dans la salle à manger, dans la chambre à

coucher pendant la nuit, insistant comme le cri d'une huppe : "Fais-moi justice, si tu ne veux pas que Dieu te

frappe ! Fais-moi justice. Rappelle-toi que la veuve et les orphelins sont sacrés pour Dieu et malheur à celui

qui les piétine ! Rends-moi justice, si tu ne veux pas souffrir un jour ce que nous souffrons. Notre faim, notre

froid, tu les trouveras dans l'autre vie si tu ne rends pas justice ! Malheureux que tu es !"

Le juge ne craignait pas Dieu et ne craignait pas le prochain. Mais à force d'être harcelé, de se voir devenu

un objet de risée de la part de toute la ville à cause des poursuites de la veuve et aussi un objet de blâme, il

en fut fatigué. Aussi un jour, il se dit en lui-même : "Bien que je ne craigne pas Dieu ni les menaces de la

femme, ni ce qu'en pensent les habitants, cependant, pour en finir avec tant d'ennuis, je donnerai audience à

la veuve et lui rendrai justice, en obligeant le riche à payer. Il me suffit qu'elle ne me poursuive plus et ne

soit plus autour de moi." Et ayant appelé son riche ami, il lui dit : "Mon ami, il ne m'est plus possible de te

satisfaire. Fais ton devoir et paie, car je ne supporte plus d'être harcelé à cause de toi. J'ai parlé." Et le riche

dut débourser la somme conformément à la justice.

C'est la parabole. Maintenant, à vous de l'appliquer.

509


Vous avez entendu les paroles d'un homme inique : "Pour en finir avec tant d'ennuis, je donnerai audience à

la femme." Et c'était un homme inique. Mais Dieu, le Père très bon, pourrait-Il être inférieur au juge

mauvais ? Ne rendra-t-il pas justice à ses enfants qui savent l'invoquer jour et nuit ? Et leur fera-t-il attendre

si longtemps la grâce jusqu'à ce que leur âme accablée cesse de prier ? Je vous le dis : Il leur rendra

promptement justice pour que leur âme ne perde pas la foi. Mais il faut pourtant aussi savoir prier sans se

lasser après les premières prières, et savoir demander des choses bonnes. Et aussi se confier à Dieu en

disant : "Pourtant que soit fait ce que ta Sagesse voit pour nous de plus utile."

Ayez foi. Sachez prier avec foi dans la prière et avec foi en Dieu votre Père. Et Lui vous rendra justice

contre ceux qui vous oppriment, que ce soit des hommes ou des démons, des maladies ou d'autres malheurs.

La prière persévérante ouvre le Ciel et la foi, sauve l'âme, quelle que soit la façon dont la prière est écoutée

et exaucée. Allons !"

Et il se dirige vers la sortie. Il est presque hors de l'enceinte quand, levant la tête pour observer le peu de

gens qui le suivent et les nombreux indifférents ou hostiles qui le regardent de loin, il s'écrie tristement :

"Mais quand le Fils de l'homme reviendra, trouvera-t-il peut-être encore de la foi sur la Terre ?" et en

soupirant, il s'enveloppe plus étroitement dans son manteau pour s'acheminer à grands pas vers le faubourg

d'Ophel.

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Le Juge inique et la veuve importune

18 1 Il leur disait en parabole comment on doit

Toujours prier et ne pas se décourager.

2 Et il disait : "Il y avait dans une ville

Un juge qui ne craignait pas Dieu et se moquait

Des hommes. 3 Il y avait une veuve qui venait

Vers lui, dans cette ville en disant : "Venge-moi

De mon adversaire. 4 Et il refusa longtemps.

Puis Il se dit : Bien que je ne craigne pas Dieu

Et me moque de tout homme, 5 comme cette veuve

Me cause de l'ennui, je vais donc la venger

Afin qu'elle ne vienne plus me rompre la tête.

Le Seigneur dit : "Écoutez ce qu’a dit ce juge

Inique.7 Et Dieu ne vengerait pas ses élus

Qui clament vers lui nuit et jour quand il patiente

À leur sujet ? 8 Je vous dis qu’il les vengera

Bien vite. Le Fils de l’homme trouvera-t-il la foi

Sur la terre quand il viendra ?"

511


Je suis la Lumière du Monde

Jésus est encore à Jérusalem, mais pas à l'intérieur du Temple. Il est pourtant certainement dans une vaste

pièce bien ornée, une des si nombreuses qui se trouvent à l'intérieur de l'enceinte, grande comme un village.

Il y est entré depuis peu ; il est encore en train de marcher à côté de celui qui l'a invité à entrer, peut-être

pour le mettre à l'abri du vent froid qui court sur le Moriah, Derrière Lui, marchent les apôtres et quelques

disciples. Je dis "quelques" car, en dehors d'Isaac et de Margziam, il y a Jonathas et, parmi les gens qui

entrent derrière le Maître, il y a ce lévite Zacharie qui, peu de jours avant, Lui a dit qu'il voulait être son

disciple et il y a aussi deux autres que j'ai déjà vus avec les disciples mais dont je ne connais pas le nom.

Mais parmi eux, bienveillants, il y a aussi les habituels, les inévitables et immanquables pharisiens. Ils

s'arrêtent presque sur la porte, comme s'ils s'étaient trouvés là par hasard pour parler d'affaires, mais ils sont

là pour écouter. Vive est parmi ceux qui sont présents l'attente de la parole du Seigneur. Il regarde cette

assemblée de gens de nationalités visiblement différentes, pas toutes palestiniennes, bien que de religion

hébraïque. Il regarde cette assemblée de personnes dont beaucoup de membres, demain peut-être, se

répandront dans les régions d'où ils viennent et y porteront sa parole en disant : "Nous avons entendu

l'Homme dont on dit qu'il est notre Messie." Et à eux, qui sont déjà instruits dans la Loi, il ne parle pas de la

Loi, comme souvent il le fait quand il comprend qu'il a en face de Lui des gens ignorants ou dont la foi est

ébranlée. Mais il parle de Lui-même pour qu'ils le connaissent.

Il dit : "Je suis la Lumière du monde et celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la

lumière de la vie." Et il se tait après avoir énoncé le thème du discours qu'il développera comme il fait

habituellement quand il va prononcer un grand discours. Il se tait pour laisser aux gens le temps de décider si

le sujet les intéresse ou non, et aussi pour donner à ceux que le sujet annoncé n'intéresse pas le temps de s'en

aller. De ceux qui sont présents, personne ne s'en va ; et même les pharisiens, qui étaient sur la porte occupés

à une conversation contrainte et étudiée, se sont tus et se sont tournés vers l'intérieur de la synagogue au

premier mot de Jésus, et ils entrent en se frayant un passage, autoritaires comme toujours.

512


Quand tout bruit a cessé, Jésus répète la phrase déjà dite, à plus forte voix encore. Il commence et poursuit :

"Je suis la Lumière du monde étant le Fils du Père qui est le Père de la Lumière. Le fils ressemble toujours au

père qui l'a engendré et il a la même nature. De même, je ressemble à Celui qui m'a engendré et j'ai la même

nature. Dieu, le Très-Haut, l'Esprit Parfait et Infini, est Lumière d'Amour, Lumière de Sagesse, Lumière de

Puissance, Lumière de Bonté, Lumière de Beauté. Il est le Père des Lumières et celui qui vit de Lui et en Lui

voit parce qu'il est dans la Lumière, de même que Dieu désire que les créatures voient. Il a donné à l'homme

l'intelligence et le sentiment pour qu'il puisse voir la Lumière, c'est-à-dire Lui-même, et la comprendre et

l'aimer. Et à l'homme Il a donné les yeux pour qu'il puisse voir la chose la plus belle parmi les choses créées,

la perfection des éléments, qui rend visible la Création, celle qui est une des premières actions du Dieu

Créateur et porte le signe le plus visible de Celui qui l'a créée : la lumière, incorporelle, lumineuse, béatifique,

consolante, nécessaire comme l'est le Père de tous : Dieu Éternel et Très-Haut.

Par un ordre de sa Pensée, Il a créé le firmament et la terre, c'est-à-dire la masse de l'atmosphère et la masse

de la poussière, l'incorporel et le corporel, ce qui est très léger et ce qui est lourd, mais tous les deux pauvres

et vides encore, informes encore, parce qu'enveloppés dans les ténèbres, sans astres et sans vie. Mais pour

donner à la terre et au firmament leur vraie physionomie, pour en faire deux choses belles, utiles, adaptées à

la continuation de l'œuvre créatrice, l'Esprit de Dieu - qui se tenait au-dessus des eaux et qui était tout un

avec le Créateur qui créait et l'Inspirateur qui poussait à créer, pour pouvoir aimer non seulement Lui-même

dans le Père et dans le Fils, mais aussi un nombre infini de créatures portant le nom d'astres, planètes, eaux,

mers, forêts, plantes, fleurs, animaux qui volent, se meuvent, rampent, courent, sautent, grimpent, et enfin

l'homme, la plus parfaite des créatures, plus parfait que le soleil parce qu'il a une âme en plus de la matière,

l'intelligence en plus de l'instinct, la liberté en plus de l'ordre, l'homme semblable à Dieu par l'esprit,

semblable à l'animal par la chair, le demi-dieu qui devient dieu par la grâce de Dieu et sa propre volonté,

l'être humain qui par sa volonté peut se transformer en ange, le plus aimé de la Création sensible pour

lequel, tout en le sachant pécheur dès avant l'existence du temps, Il a préparé le Sauveur, la Victime dans

l'Être aimé sans mesure, dans le Fils, dans le Verbe, pour qui tout a été fait - mais pour donner à la terre et

au firmament leur vraie physionomie, disais-je, voilà que l'Esprit de Dieu qui se tenait dans le cosmos crie, et

c'est la Parole qui pour la première fois se manifeste : "Que la lumière soit", et la lumière existe, bonne,

salutaire, puissante pendant le jour, affaiblie pendant la nuit, mais qui ne périra pas tant que le temps

existera. De l'océan des merveilles qu'est le trône de Dieu, le sein de Dieu, Dieu tire la gemme la plus belle,

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et c'est la lumière qui précède la gemme la plus parfaite qui est la création de l'homme, en qui se trouve non

pas un joyau de Dieu, mais Dieu Lui-même, avec son souffle qu'il a envoyé sur la boue pour en faire une

chair et une vie et son héritier dans le Paradis céleste où Lui attend les justes, ses enfants, pour jouir en eux

et eux en Lui.

Si au début de la création Dieu a voulu sur ses œuvres la lumière, si pour faire la lumière Il s'est servi de sa

Parole, si Dieu donne à ceux qu'il aime davantage sa ressemblance la plus parfaite : la lumière, lumière

matérielle joyeuse et incorporelle, la lumière spirituelle sage et sanctifiante, pourra-t-il n'avoir pas donné au

Fils de son amour ce qu'il est Lui-même ? En vérité, à Celui en qui ab æterno, Il se complaît, le Très-Haut a

tout donné, et de ce tout, Il a voulu que la première chose et la plus puissante fût la Lumière, pour que sans

attendre de monter au Ciel les hommes connaissent la merveille de la Triade, ce qui fait chanter les Cieux

dans les chœurs bienheureux, chanter à cause de l'harmonie de la joie éblouie qui vient aux anges de la

contemplation de la Lumière, c'est-à-dire de Dieu, la Lumière qui remplit le Paradis et fait la béatitude de

tous ses habitants.

Je suis la Lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de

la Vie ! De même que la lumière sur la terre informe a permis la vie pour les plantes et les animaux, ainsi ma

Lumière permet aux esprits la Vie éternelle. Moi, la Lumière que je suis, je crée en vous la Vie et je la

conserve, la développe, vous recrée en elle, vous transforme, vous amène à la Demeure de Dieu par des

chemins de sagesse, d'amour, de sanctification. Celui qui a en lui-même la Lumière, possède Dieu en lui, car

la Lumière est une avec la Charité et qui a la Charité possède Dieu. Celui qui a en lui-même la Lumière a en

lui la Vie, car Dieu est là où on accueille son Fils bien-aimé."

"Tu dis des paroles dépourvues de raison. Qui a vu ce qu'est Dieu ? Moïse même n'a pas vu Dieu. En effet, sur

l'Horeb, dès qu'il sut qui parlait du buisson ardent, il se couvrit le visage ; et même les autres fois il ne put le

voir parmi les éclairs éblouissants. Et tu dis que tu as vu Dieu ? À Moïse, qui seulement l'entendit parler, il

resta une splendeur sur le visage. Mais Toi, quelle lumière as-tu sur le visage ? Tu es un pauvre galiléen dont

le visage est pâle comme la plupart d'entre vous. Tu es un malade, fatigué et maigre. En vérité, si tu avais vu

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Dieu et s'il t'aimait, tu ne serais pas comme quelqu'un qui est près de mourir. Tu veux donner la vie, Toi qui ne

l'as même pas pour Toi-même ?" et ils secouent la tête avec une compassion ironique.

"Dieu est Lumière et Moi, je sais ce qu'est sa Lumière car les enfants connaissent leur père et chacun se

connaît lui-même. Moi, je connais mon Père, et je sais qui je suis. Je suis la Lumière du monde. Je suis la

Lumière car mon Père est la Lumière et qu'il m'a engendré en me donnant sa Nature. La Parole n'est pas

dissemblable de la Pensée car la parole exprime ce que pense l'intelligence. Et, du reste, ne connaissez-vous

plus les prophètes ? Ne vous rappelez-vous pas Ézéchiel et surtout Daniel ? Pour décrire Dieu, dont il avait

la vision sur le char des quatre animaux, le premier dit : "Sur le trône se trouvait quelqu'un dont l'aspect

semblait celui d'un homme et en lui et autour de lui, je vis une sorte d'ambre jaune miel qui avait l'apparence

du feu, et de ses reins, au-dessus et au-dessous, j'ai vu comme une sorte de feu qui resplendissait tout autour,

ayant l'aspect de l'arc-en-ciel quand il se forme dans les nuages un jour de pluie, tel était l'aspect de cette

splendeur tout alentour". Et Daniel dit : "J'étais occupé à regarder jusqu'à ce qu'on élevât des trônes et que

s'assît l'Ancien des jours. Ses vêtements étaient blancs comme la neige, ses cheveux comme de la laine d'une

blancheur éclatante, son trône était des flammes vives et les roues de son trône était un feu flamboyant. Un

fleuve de feu courait avec rapidité devant sa face." C'est ainsi qu'est Dieu, et c'est ainsi que je serai quand je

viendrai vous juger."

"Ton témoignage n'est pas valable. Tu te rends témoignage à Toi-même. Alors ton témoignage quelle valeur

a-t-il ? Pour nous, il n'est pas vrai."

"Bien que je me rende témoignage à Moi-même, mon témoignage est vrai car je sais d'où je suis venu et où

je vais. Mais vous vous ne savez ni d'où je viens ni où je vais. Vous avez pour sagesse ce que vous voyez.

Moi, je connais au contraire tout ce qui est inconnu à l'homme, et je suis venu pour que vous aussi le

connaissiez. C'est pour cela que j'ai dit que je suis Lumière, car la lumière fait connaître ce qui était caché

par les ombres. Dans le Ciel, il y a la Lumière ; sur la Terre, c'est surtout le règne des Ténèbres, et elles

cachent les vérités aux esprits car les Ténèbres haïssent les esprits des hommes et elles ne veulent pas qu'ils

connaissent la Vérité et les vérités pour qu'ils ne se sanctifient pas. Et c'est pour cela que je suis venu, pour

que vous ayez la Lumière et par conséquent la Vie. Mais vous vous ne voulez pas m'accueillir. Vous voulez

juger ce que vous ne connaissez pas et cela vous ne pouvez juger, car c'est tellement au-dessus de vous et

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c'est incompréhensible pour quiconque ne le contemple pas avec l'œil de l'esprit et un esprit humble et nourri

de foi. Mais vous, vous jugez selon la chair et vous ne pouvez être dans la vérité de jugement. Moi, au

contraire, je ne juge personne pourvu que je puisse m'abstenir de juger. Je vous regarde avec miséricorde et

je prie pour vous; pour que vous vous ouvriez à la Lumière. Mais quand je dois vraiment juger, alors mon

jugement est vrai car je ne suis pas seul, mais je suis avec le Père qui m'a envoyé et Lui, de sa gloire, voit

l'intérieur des cœurs. Et comme Il voit le vôtre, Il voit le mien. Et s'il voyait dans mon cœur un jugement

injuste, par amour pour Moi et pour l'honneur de sa Justice, il m'en avertirait. Mais le Père et Moi, nous

jugeons d'une seule manière, et nous sommes à deux et non à un seul pour juger et témoigner. Dans votre

Loi, il est écrit que le témoignage de deux témoins qui affirment la même chose doit être compté pour vrai et

valable. Je rends donc témoignage à ma Nature et avec Moi le Père qui m'a envoyé témoigner de la même

chose. Par conséquent ce que je dis est vrai."

"Nous, nous n'entendons pas la voix du Très-Haut. C'est Toi qui dis qu'il est ton Père..."

"Il vous a parlé de Moi sur le Jourdain..."

"C'est bien. Mais tu n'étais pas seul au Jourdain, il y avait Jean aussi. Il pouvait parler de lui. C'était un grand

prophète."

"C'est par vos propres lèvres que vous vous condamnez. Dites-moi : qui parle sur les lèvres des prophètes ?"

"L'Esprit de Dieu."

"Et pour vous, Jean était un prophète ?"

"Un des plus grands, sinon le plus grand."

"Et alors, pourquoi n'avez-vous pas cru à ses paroles et pourquoi n'y croyez-vous pas ? Lui m'avait indiqué

comme l'Agneau de Dieu, venu pour effacer les péchés du monde. À qui lui demandait s'il était le Christ, il

disait : "Je ne suis pas le Christ, mais celui qui le précède. Et derrière moi est Celui qui en réalité me précède

car il existait avant moi, et moi, je ne le connaissais pas, mais Celui qui m'a pris du ventre de ma mère, et qui

m'a investi dans le désert et m'a envoyé baptiser m'a dit : 'Celui sur lequel tu verras descendre l'Esprit est

celui qui baptisera avec L'Esprit Saint et dans le feu." Vous ne vous le rappelez pas ? Et pourtant beaucoup

d'entre vous étaient présents... Pourquoi donc ne croyez-vous pas au prophète qui m'a désigné après avoir

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entendu les paroles du Ciel ? Est-ce cela que je dois dire à mon Père que son peuple ne croit plus aux

prophètes ?"

"Et où est donc ton père ? Joseph le menuisier dort depuis des années dans le tombeau. Tu n'as plus de père."

"Vous ne connaissez ni mon Père, ni Moi. Mais si vous vouliez me connaître, vous connaîtriez aussi mon

vrai Père."

"Tu es un obsédé et un menteur. Tu es un blasphémateur quand tu veux soutenir que le Très-Haut est ton

Père. Et tu mériterais que l'on te frappe conformément à la Loi."

Les pharisiens et d'autres du Temple poussent des cris menaçants alors que les gens les regardent de travers,

pour défendre le Christ.

Jésus les regarde sans ajouter un mot, puis il sort du local par une petite porte latérale qui donne sur un

portique.

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Jésus lumière du monde

12 De nouveau donc, Jésus leur parla en disant :

"Moi, je suis la lumière du monde ; ainsi celui

Qui ne suit ne marche pas dans les ténèbres ;

Il aura au contraire la lumière de la vie."

13 Les Pharisiens lui dirent : "Tu témoignes de toi,

Ton témoignage n'est pas vrai." 14 Alors Jésus

Leur répondit : "Bien que je témoigne de moi,

Mon témoignage est vrai car je sais d'où je suis

Venu et où je vais ; pourtant vous ne savez

D'où je viens ni où je m'en vais. 15 Vous, vous Jugez

Selon la chair, pourtant moi, je ne juge personne.

16 S'il m'arrive de juger, moi, mon jugement

À moi est véridique, car je ne suis par seul ;

Il y a moi et Celui qui m'a envoyé.

17 Il est écrit dans votre Loi, le témoignage

De deux hommes est vrai.18 Moi, je me rends témoignage

Et il témoigne à mon sujet le Père qui m'a

Envoyé." 19 Ils lui disaient : "Où est-il ton Père ? "

Jésus répondit : "Vous ne connaissez ni moi

Ni mon Père ! Mais si vous me connaissiez,

Vous connaîtriez aussi mon Père."

20 Ces paroles,

Il les dit près du Trésor, quand il enseignait

Dans le Temple ; pourtant personne ne l'appréhenda

Parce que son heure n'était pas encore venue.

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Guérison de l'aveugle-né

Jésus sort avec ses apôtres et Joseph de Sephoris se dirigeant vers la synagogue. La journée, limpide et

sereine, réjouit comme une promesse de printemps après les jours venteux et couverts, vrais jours d'hiver.

Beaucoup de gens de Jérusalem sont donc sur les routes, les uns allant vers les synagogues, d'autres en

revenant ou venant d'autres lieux, certains avec leur famille afin de sortir de la ville pour jouir du soleil dans

la campagne. De la Porte d'Hérode, visible de la maison de Joseph de Sephoris, on voit les gens quitter les

murs pour des distractions joyeuses, en plein air. Un plongeon dans la verdure, dans l'espace, dans la liberté,

en dehors des rues étroites entre les hautes maisons. Je crois que la ceinture champêtre qui entourait

Jérusalem avait été voulue spontanément par les habitants qui voulaient concilier la mesure du chemin du

sabbat avec leur désir d'air et de soleil, qu'ils prenaient sur les routes, et non seulement sur les terrasses des

maisons.

Mais Jésus ne va pas vers la porte d'Hérode. Au contraire, il lui tourne le dos pour se diriger vers l'intérieur

de la ville. Mais il n'a fait que quelques pas sur la route plus large, où débouche le petit chemin où se trouve

la maison de Joseph de Sephoris, que Judas de Kériot attire son attention sur un jeune homme qui s'avance

vers eux, en tâtant les murs avec un bâton, en levant en l'air son visage sans yeux, avec la démarche

particulière aux aveugles. Ses habits sont pauvres mais propres, et ce doit être une personne connue de

beaucoup de gens de Jérusalem car plusieurs le montrent du doigt et certains lui disent : "Homme,

aujourd'hui tu t'es trompé de route. Les chemins du Moriah sont tous dépassés, tu es déjà à Bézéta."

"Je ne demande pas d'argent aujourd'hui" répond l'aveugle avec un sourire et il avance toujours avec ce

sourire vers le nord de la ville.

"Maître, observe-le. Il a les paupières soudées ou plutôt je dirais qu'il n'a pas de paupières. Le front rejoint

les joues sans aucune cavité et il semble que par dessous il n'y ait pas de globes oculaires. Il est né ainsi, le

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malheureux, et il mourra de même sans avoir vu une seule fois la lumière du soleil ni le visage d'un homme.

Maintenant, Maître, dis-moi : pour être ainsi puni, il a certainement péché. Mais s'il est né aveugle, comme

c'est certain, comment peut-il avoir péché avant de naître ? Peut-être ses parents ont péché et Dieu les a

punis en le faisant naître ainsi ?"

Les autres apôtres aussi, avec Isaac et Margziam, se serrent près de Jésus pour entendre sa réponse. Et

pressant le pas, comme attirés par la haute taille de Jésus, qui domine la foule, accourent deux

hiérosolymitains de condition aisée qui étaient un peu en arrière de l'aveugle et entre eux se trouve Joseph

d'Arimathie qui ne s'approche pas mais, adossé a un portail élevé sur deux marches, tourne ses regards vers

tous les visages pour les observer.

Jésus répond et on entend clairement ses paroles dans le silence qui s'est fait : "Ni lui ni ses parents n'ont

péché plus que ne pèche tout homme, et peut-être moins aussi, car souvent la pauvreté est un frein pour le

péché. Mais il est né ainsi pour qu'une fois encore, soient manifestées en lui la puissance et les œuvres de

Dieu. Je suis la Lumière venue dans le monde pour que ceux du monde, qui ont oublié Dieu ou perdu son

image spirituelle, voient et se souviennent, et pour que ceux qui cherchent Dieu, ou Lui appartiennent déjà,

soient confirmés dans la foi et dans l'amour. Le Père m'a envoyé pour que, dans le jour qui est encore

accordé à Israël, je complète la connaissance de Dieu en Israël et dans le monde. Voici donc que je dois

accomplir les œuvres de Celui qui m'a envoyé pour témoigner que je puis ce que Lui peut, parce que je suis

Un avec Lui, et pour que le monde sache et voie que le Fils n'est pas dissemblable du Père et pour qu'il croie

en Moi pour ce que je suis. Après viendra la nuit pendant laquelle on ne peut plus travailler, la ténèbre, et

celui en qui ne se sera pas gravé mon signe et la foi en Moi, ne pourra plus le faire dans les ténèbres et la

confusion, la douleur, la désolation et la ruine qui couvriront ces lieux et étourdiront les esprits par la

surexcitation des peines. Mais, tant que je suis dans le monde, je suis Lumière et Témoignage, Parole,

Chemin et Vie, Sagesse, Puissance et Miséricorde. Va donc, rejoins l'aveugle et amène-le ici."

"Vas-y toi, André, je veux rester ici et voir ce que fait le Maître." répond Judas en montrant Jésus qui s'est

penché sur le chemin poussiéreux, a craché sur un petit tas de terre et est en train de délayer avec le doigt la

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poussière dans la salive pour former une boulette de boue. Pendant qu'André, toujours condescendant va

prendre l'aveugle qui va tourner dans le petit chemin où se trouve la maison de Joseph de Sephoris, Jésus

étend la boue sur ses deux index en restant ainsi les mains tendues comme le prêtre pendant la Sainte Messe.

Cependant Judas quitte sa place pour dire à Matthieu et à Pierre : "Venez ici, vous qui n'avez pas une grande

taille, et vous verrez mieux." Et il se met en arrière de tout le monde, presque caché par les fils d'Alphée et

par Barthélemy, qui sont grands.

André revient en tenant par la main l'aveugle qui s'époumone à dire : "Je ne veux pas d'argent. Laisse-moi

aller. Je sais où se trouve celui qu'on appelle Jésus, et je vais pour demander..."

"C'est Jésus qui est devant toi." lui dit André en s'arrêtant devant le Maître.

Jésus, contrairement à son habitude, ne demande rien à l'homme. Il lui étend de suite sur les paupières closes

un peu de la boue qu'il a sur les index et il lui commande : "Et maintenant va le plus rapidement possible à la

citerne de Siloé, sans t'arrêter pour parler avec quelqu'un."

L'aveugle, avec son visage barbouillé de boue, reste un instant perplexe et il ouvre les lèvres pour parler,

puis il les ferme et il obéit. Les premiers pas sont lents comme s'il était pensif ou bien déçu, puis il presse le

pas en rasant le mur avec son bâton, de plus en plus vite, autant que le peut un aveugle, peut-être davantage,

comme s'il se sentait guidé...

Les deux hiérosolymîtains ont un rire sarcastique et, en hochant la tête, ils s'en vont. Joseph d'Arimathie, et

le fait m'étonne, les suit sans même saluer le Maître et il revient sur ses pas, c'est-à-dire vers le Temple, alors

qu'il venait de cette direction. Ainsi, tant l'aveugle que les deux et que Joseph d'Arimathie, vont vers le sud

de la ville, alors que Jésus tourne vers l'occident, et je le perds de vue car la volonté du Seigneur me fait

suivre l'aveugle et ceux qui le suivent.

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Après avoir passé Bézéta, ils entrent tous dans la vallée qui se trouve entre le Moriah et Sion il me semble

l'avoir entendu appeler Tiropéon d'autres fois - ils la suivent toute entière jusqu'à Ophel, la côtoient, sortent

sur la route qui va à la fontaine de Siloé, en restant toujours dans cet ordre : d'abord l'aveugle qui doit être

connu dans ce quartier populaire, puis les deux, en dernier lieu, à quelque distance, Joseph d'Arimathie,

Joseph s'arrête près d'une maisonnette insignifiante, à demi caché par une haie de buis qui fait saillie en

contournant le jardinet de la pauvre maison. Mais les deux s'en vont tout près de la fontaine. Ils observent

l'aveugle qui s'approche avec précaution du vaste bassin et, en tâtant le mur humide, plonge une main qu'il

retire toute ruisselante et il se lave les yeux, une, deux, trois fois. La troisième fois, il presse aussi sur son

visage l'autre main en laissant tomber son bâton et en poussant un cri que semble provoquer la douleur.

Puis il enlève lentement les mains et son précédent cri de douleur se change en un cri de joie : "Oh ! Très-

Haut ! Je vois !" et il se jette à terre comme vaincu par l'émotion, met ses mains pour protéger ses yeux, les

serre aux tempes, anxieux de voir, mais gêné par la lumière et il répète : "J'y vois ! J'y vois ! C'est donc cela

la terre ! La lumière ! L'herbe que je ne connaissais que par sa fraîcheur..." Il se lève tout en restant courbé,

comme quelqu'un qui porte un poids, le poids de sa joie, va au ruisselet qui évacue le trop-plein d'eau et il le

regarde courir, scintillant et riant et il murmure : "Et ceci, c'est l'eau... Voilà ! C'est ainsi que je la sentais

entre mes doigts (il y plonge la main) froide et coulante, mais je ne la connaissais pas... Ah ! Belle ! Belle !

Comme tout est beau !" Il lève le visage et voit un arbre... il s'en approche, le touche, étend la main, attire à

lui une branchette, la regarde et rit, il rit, abrite ses yeux de la main, et il regarde le ciel, le soleil, et deux

larmes tombent de ses paupières vierges qu'il a ouvertes pour contempler le monde... Et il abaisse les yeux

sur l'herbe où une fleur se balance sur sa tige et il voit son image que reflète l'eau du ruisselet, il se regarde et

dit : "C'est ainsi que je suis !" Il observe avec étonnement une tourterelle qui est venue boire un peu plus loin

et une chevrette qui arrache les dernières feuilles d'un rosier sauvage, puis une femme qui vient à la fontaine

avec un bébé sur son sein. Et cette femme lui rappelle sa mère, sa mère au visage inconnu, et levant les bras

au ciel, il s'écrie : "Sois béni, Très-Haut, pour la lumière, pour la mère et pour Jésus !" et il s'en va en

courant, laissant par terre son bâton désormais inutile...

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Les deux n'ont pas attendu de voir tout cela. Dès qu'ils ont vu que l'homme y voyait, ils sont partis en

courant vers la ville.

Joseph, au contraire, reste jusqu'à la fin et quand l'aveugle qui ne l'est plus, lui passe devant pour entrer dans

le dédale des ruelles du quartier populeux d'Ophel, à son tour il quitte sa place et revient sur ses pas, vers la

ville, tout pensif...

Le quartier d'Ophel, toujours bruyant, est maintenant en pleine ébullition. On court à droite, à gauche, on

questionne, on répond.

"Mais vous l'aurez confondu avec un autre..."

"Non, te dis-je. Je lui ai parlé et lui ai dit : "Mais est-ce bien toi, Sidonia surnommé Bartolmaï ?" et lui m'a

dit : "C'est moi". Je voulais lui demander comment c'était arrivé, mais il est parti en courant."

"Où est-il maintenant ?"

"Chez sa mère, certainement."

"Qui ? Qui l'a vu ?" demandent des gens qui accourent.

"Moi. Moi" répondent plusieurs.

"Mais comment est-ce arrivé ?"

"... Je l'ai vu qui courait sans bâton avec deux yeux au visage et j'ai dit : "Regarde ! Ce serait bien Bartolmaï

si..."

"Je te dis que j'en suis toute tremblante. En entrant, il a crié : "Mère, je te vois !"

"Une grande joie pour les parents. Maintenant il pourra aider son père et gagner sa nourriture..."

"La pauvre femme ! Elle a eu un malaise par la joie. Oh ! une chose ! Une chose ! J'étais allée pour

demander un peu de sel et..."

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"Courons chez lui, pour savoir..."

Joseph d'Arimathie se trouve pris au milieu de ce vacarme et, je ne sais si c'est par curiosité ou par esprit

d'imitation, il suit le courant et aboutit dans une impasse, qui se dirigerait vers le Cédron, et où la foule se

presse, empêchant d'entendre à cause de ses cris le bruit du torrent, gonflé par les pluies d'automne.

Et Joseph y arrive quand, d'une autre ruelle qui débouche dans l'impasse, arrivent les deux de tout à l'heure

avec trois autres : un scribe, un prêtre et un troisième que son vêtement ne me permet pas d'identifier. Ils se

fraient un passage, autoritaires, et cherchent à entrer dans la maison bondée. La maison comprend une vaste

cuisine noire comme du goudron, avec un coin qui en est séparé par une cloison rustique au-delà de laquelle

se trouve un grabat et une porte qui donne dans une autre pièce avec un lit plus grand. Une porte, ouverte

dans le mur opposé, fait voir un jardinet de quelques mètres carrés. Et c'est tout.

L'aveugle guéri parle appuyé à une table, répondant à ceux qui l'interrogent, tous de pauvres gens comme lui,

menu peuple de Jérusalem, de ce quartier, qui est peut-être le plus pauvre de tous. Sa mère, debout près de

lui, le regarde et elle pleure en s'essuyant les yeux avec son voile. Le père, un homme usé par le travail, se

tourmente la barbe de sa main agitée par un tremblement.

L'entrée dans la maison est impossible, même aux juifs et aux docteurs autoritaires, et les cinq doivent

écouter du dehors les paroles de l'homme guéri.

"Comment ils se sont ouverts ? Cet homme, que l'on appelle Jésus, m'a barbouillé les yeux avec de la terre

mouillée, et il m'a dit : "Va te laver à la fontaine de Siloé." J'y suis allé, je me suis lavé et mes yeux se sont

ouverts et j'ai vu."

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"Mais comment as-tu fait pour trouver le Rabbi ? Tu disais toujours que tu étais malheureux, car jamais tu ne

le rencontrais même quand il passait par ici pour aller chez Jonas au Gethsémani. Et aujourd'hui, maintenant

qu'on ne sait jamais où il est..."

"Hé ! hier soir, un de ses disciples est venu et il m'a donné deux pièces de monnaie en disant : "Pourquoi ne

cherches-tu pas de voir ?" Je lui ai dit : "J'ai cherché, mais je ne trouve jamais ce Jésus qui fait des miracles. Je

le cherche depuis qu'il a guéri Annalia qui est de mon quartier, mais si je vais dans un endroit, il est dans un

autre..." Et il m'a dit : "Je suis un de ses apôtres, et ce que je Lui dis, moi, il le fait. Viens demain à Bézéta et

cherche la maison de Joseph le galiléen, celui du poisson sec, Joseph de Sephoris, près de la Porte d'Hérode et

du tournant de la place, du côté de l'orient, et tu verras que tôt ou tard il passe par là ou entre dans la maison et

moi, je t'indiquerai au Maître." J'ai dit : "Mais demain, c'est le sabbat." Je voulais dire qu'il ne ferait rien

pendant le sabbat. Il m'a dit : "Si tu veux guérir, c'est le jour, car après on quitte la ville et tu ne sais pas si tu

pourras le rencontrer." Moi, j'ai dit encore : "Je sais qu'on le persécute. J'ai entendu depuis les portes de

l'enceinte du Temple où je vais mendier. Aussi je dis que maintenant qu'ils le persécutent ainsi, il voudra

encore moins qu'on le persécute et il ne me guérira pas le jour du sabbat." Et lui : "Fais ce que je te dis et le

jour du sabbat tu verras le soleil."

Et j'y suis allé. Qui n'y serait pas allé ? Alors que c'est son apôtre qui le dit ! Il m'a dit aussi : "Je suis celui

qu'il écoute le plus, et je viens exprès car tu me fais pitié et je veux que sa puissance resplendisse après qu'ils

l'ont méprisé. Toi, aveugle de naissance, tu la feras resplendir. Je sais ce que je dis. Viens et tu verras." Et j'y

suis allé et je n'étais pas encore arrivé à la maison de Joseph lorsqu'un homme m'a pris par la main, mais

d'après la voix ce n'était pas celui d'hier, et il m'a dit : "Viens avec moi, frère" et je ne voulais pas aller, je

croyais qu'il voulait me donner du pain et de l'argent, peut-être des vêtements, et je lui disais de me laisser

aller parce que je savais où trouver Celui qu'on appelle Jésus. Et l'homme m'a dit : "Voici Jésus. Il est devant

toi." Mais je n'ai rien vu car j'étais aveugle. J'ai senti deux doigts couverts de terre mouillée qui me

touchaient des deux côtés et une voix qui disait : "Va vivement à Siloé et lave-toi et ne parle à personne." et

je l'ai fait. Mais j'étais découragé car j'espérais y voir tout de suite et j'ai failli croire que c'était une

plaisanterie de jeunes gens sans cœur et je me refusais presque à y aller, mais j'ai entendu une sorte de voix

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me dire : "Espère et obéis" et alors je suis allé à la fontaine et je me suis lavé et j'ai vu." Et le jeune s'arrête

extasié pour repenser à la joie de sa première vision...

"Faites sortir l'homme. Nous voulons l'interroger." crient les cinq.

Le jeune homme se fraie un chemin et sort sur le seuil.

"Où est Celui qui t'a guéri ?"

"Je ne le sais pas." dit le jeune homme auquel un ami a murmuré : "Ce sont des scribes et des prêtres."

"Comment ne le sais-tu pas ? Tu disais tout à l'heure que tu le savais. Ne mens pas aux docteurs de la Loi et

au prêtre ! Malheur à celui qui cherche à tromper les magistrats du peuple !"

"Je ne trompe personne. Ce disciple m'a dit : "Il est dans cette maison" et c'était vrai, car j'en étais tout près

quand j'ai été pris et conduit à Lui. Mais où il est maintenant, je ne le sais pas. Le disciple m'a dit qu'ils s'en

vont. Il pourrait déjà avoir franchi les portes."

"Mais où allait-il ?"

"Qu'est-ce que j'en sais ? ! Peut-être en Galilée... Pour la façon dont on le traite ici !..."

"Imbécile et impoli ! Fais attention à la façon dont tu parles, lie du peuple ! Je t'ai demandé par quelle route

il se dirigeait."

"Mais comment voulez-vous que je le sache puisque j'étais aveugle ? Un aveugle peut-il dire où va

un autre ?"

"C'est bien. Suis-nous."

"Où voulez-vous me conduire ?"

"Chez les chefs des pharisiens."

"Pourquoi ? Qu'ont-ils à faire avec moi ? M'ont-ils guéri, par hasard, eux, pour que je doive les remercier ?

Quand j'étais aveugle et que je mendiais, mes mains n'ont jamais palpé leur argent, mes oreilles n'ont jamais

entendu d'eux un mot de pitié, et mon cœur n'a jamais connu leur amour. Que dois-je leur dire ? Il n'y en a

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qu'un à qui je doive dire "merci" après mon père et ma mère, qui pendant tant d'années m'ont aimé

malheureux. Et c'est ce Jésus qui m'a guéri en m'aimant de tout son cœur, comme mes parents avec le leur.

Moi, je ne vais pas trouver les pharisiens. Je reste avec ma mère et mon père pour jouir de voir leurs visages,

et eux mes yeux qui sont nés maintenant, après tant de printemps depuis celui où je suis né, mais sans voir la

lumière."

"Pas tant de paroles. Viens et suis-nous."

"Que non ! Je ne viens pas ! Avez-vous jamais par hasard essuyé une larme à ma mère humiliée par mon

malheur, ou une sueur à mon père épuisé par le travail ? Maintenant je puis le faire par mon aspect et je

devrais les quitter et vous suivre ?"

"Nous te le commandons. Ce n'est pas toi qui commandes, mais le Temple et les chefs du peuple. Si l'orgueil

d'être guéri te ferme l'intelligence pour te rappeler que nous commandons, nous te le rappelons. Avance !

Marche !"

"Mais pourquoi dois-je venir ? Que voulez-vous de moi ?"

"Pour que tu fasses une déposition. C'est le sabbat. Œuvre accomplie pendant le sabbat. Elle doit être

enregistrée à cause du péché, de ton péché et de celui de ce satan."

"C'est vous qui êtes satan ! Vous qui êtes péché ! Et je devrais venir déposer contre celui qui m'a fait du

bien ? Vous êtes ivres ! Je viendrai au Temple pour bénir le Seigneur et rien de plus. J'ai été pendant tant

d'années dans l'ombre de la cécité, mais mes paupières closes n'ont produit de ténèbres que pour mes yeux.

Mon intelligence est restée dans la lumière, malgré cela, dans la grâce de Dieu, et elle me dit que je ne dois

pas faire de tort à l'Unique Saint qui soit en Israël."

"Homme, assez ! Tu ne sais pas qu'il y a des châtiments pour ceux qui s'opposent aux magistrats ?"

"Moi, je ne sais rien. Je suis ici et j'y reste. Et vous n'avez pas intérêt à me nuire. Vous voyez que Ophel tout

entier est de mon côté ?"

"Oui ! Oui ! Laissez-le ! Chacals ! Dieu le protège. Ne le touchez pas ! Dieu est avec les pauvres ! Dieu est

avec nous, affameurs et hypocrites !" Les gens crient et menacent dans une de ces manifestations spontanées

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du peuple qui sont les explosions de l'indignation des humbles envers ceux qui les oppriment, ou d'amour

pour ceux qui les protègent. Et ils crient : "Malheur à vous si vous frappez notre Sauveur ! L'Ami des

pauvres ! Le Messie trois fois Saint. Malheur à vous ! On n'a pas craint les colères d'Hérode, ni celles des

Chefs, quand on a voulu. Nous ne craignons pas les vôtres, vieilles hyènes aux mâchoires édentées ! Chacals

aux ongles coupés ! Inutiles autoritaires ! Rome ne veut pas de tumulte et n'opprime pas le Rabbi car Lui est

paix, mais elle vous connaît. Hors d'ici ! Hors des quartiers de ceux que vous opprimez par des dîmes plus

fortes que leurs ressources, afin d'avoir de l'argent pour satisfaire vos désirs et conclure des marchés

honteux. Descendants de Jason ! De Simon ! Tortionnaires des vrais Eléazar, des saints Onias. Vous

méprisez les prophètes ! Hors d'ici ! Hors d'ici !" Le tumulte s'enflamme toujours plus.

Joseph d'Arimathie, écrasé contre un muret, jusqu'alors spectateur attentif mais inactif des faits, avec une

agilité insoupçonnable chez un homme âgé et de plus empêtré dans ses vêtements et ses manteaux, saute

debout sur le muret et crie : "Silence, habitants. Et écoutez Joseph l'Ancien !"

Une, deux, dix têtes se tournent dans la direction du cri. Elles voient Joseph, on crie son nom. Il doit être

connu et jouir de la faveur populaire car les cris d'indignation font place aux cris de joie : "Il y a Joseph

l'Ancien ! Vive lui ! Paix et longue vie au juste ! Paix et bénédiction au bienfaiteur des malheureux ! Silence,

pour que Joseph parle ! Silence !"

Le silence s'établit non sans mal et, pendant quelques minutes, on entend le bruit du Cédron au-delà de

l'impasse. Toutes les têtes sont tournées vers Joseph, oublieuses de l'objet qui les tournait en direction

opposée : les cinq malheureux et imprévoyants qui ont provoqué le tumulte.

"Habitants de Jérusalem, hommes d'Ophel, pourquoi vous laissez-vous aveugler par les soupçons et la

colère ? Pourquoi manquer au respect et aux coutumes, vous toujours si fidèles aux lois des pères ? Que

craignez-vous ? Peut-être que le Temple soit un Moloch qui ne rend pas ce qu'il accueille ? Peut-être que vos

juges soient tous aveugles, plus que votre ami, aveugles de cœur et sourds en matière de justice ? N'est-il pas

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d'usage qu'un fait prodigieux soit déposé, écrit et conservé par qui de droit pour les Chroniques d'Israël ?

Permettez donc que même pour l'honneur du Rabbi que vous aimez, le miraculé monte faire une déposition

pour l'œuvre que Lui a accomplie. Vous hésitez encore ? Eh bien je me porte garant qu'il n'arrivera aucun

mal à Bartolmaï, et vous savez que je ne mens pas. Comme un fils qui m'est cher, je l'accompagnerai là-haut,

et je vous le ramènerai ici ensuite. Fiez-vous à moi, et ne faites pas du sabbat un jour de péché en vous

révoltant contre vos chefs."

"Il a raison ! On ne doit pas, nous pouvons le croire. C'est un juste. Dans les bonnes délibérations du

Sanhédrin, il y a toujours sa voix." Les gens changent d'idée et finissent par crier : "À toi, oui, notre ami,

nous te le confions !" Et en s'adressant au jeune homme : "Va ! Ne crains pas. Avec Joseph d'Arimathie, tu

es en sécurité comme avec ton père et davantage." et ils ouvrent leurs rangs pour que le jeune homme puisse

rejoindre Joseph qui est descendu de sa tribune improvisée, et quand il passe, ils disent : "Nous venons nous

aussi. Ne crains pas !"

Joseph, dans ses riches vêtements de laine luxueuse, met une main sur l'épaule du jeune homme, et il se met

en route. La tunique bise et usagée du jeune homme, son petit manteau, frottent l'ample vêtement rouge

foncé et le riche manteau encore plus foncé du vieux synhédriste. Par derrière, les cinq, et ensuite les

innombrables gens d'Ophel...

Les voilà au Temple, après avoir traversé les rues centrales, attirant l'attention d'une foule de gens qui se

montrent au doigt l'ancien aveugle en disant : "Mais c'est l'aveugle qui mendiait ! Et maintenant il a des yeux

! Mais peut-être est-ce quelqu'un qui lui ressemble ! Non, c'est certainement lui, et ils le conduisent au

Temple. Allons nous rendre compte." et le cortège grossit toujours plus, jusqu'au moment où les murs du

Temple les engloutissent tous.

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Joseph conduit le jeune homme dans une salle, ce n'est pas le Sanhédrin, où il y a des pharisiens et des

scribes nombreux. Joseph entre, et avec lui Bartolmaï et les cinq. Les gens du peuple d'Ophel sont repoussés

dans la cour.

"Voilà l'homme. Je vous l'ai amené moi-même ayant, sans être vu, assisté à sa rencontre avec le Rabbi et à sa

guérison, et je puis vous dire que ce fut tout à fait fortuit de la part du Rabbi. L'homme, vous l'entendrez dire

vous aussi, fut amené ou plutôt invité à aller où était le Rabbi, par Judas de Kériot, que vous connaissez. Et

moi j'ai entendu, et aussi ces deux ont entendu comme moi car ils étaient présents, comment ce fut Judas qui

engagea Jésus de Nazareth à faire le miracle. Maintenant je dépose ici que s'il y a lieu de punir quelqu'un, ce

n'est pas l'aveugle ni le Rabbi, mais l'homme de Kériot qui, Dieu me voit si je mens en disant ce que pense

mon intelligence, est le seul auteur du fait en tant qu'il l'a provoqué par une manœuvre préméditée. J'ai

parlé."

"Ta déclaration n'annule pas la faute du Rabbi. Si son disciple pèche, le Maître ne doit pas pécher. Et Lui a

péché en guérissant le jour du sabbat. Il a accompli une œuvre servile."

"Cracher par terre n'est pas faire œuvre servile, et toucher les yeux d'un autre n'est pas faire œuvre servile.

Moi aussi je touche l'homme et je ne crois pas pécher."

"Il a fait un miracle le jour du sabbat : c'est en cela qu'est le péché."

"Honorer le sabbat par un miracle est une grâce de Dieu et de sa bonté. C'est son jour. Et le Tout Puissant ne

peut-Il pas le célébrer par un miracle qui fait resplendir sa puissance ?"

"Nous ne sommes pas ici pour t'écouter. Tu n'es pas accusé. C'est l'homme que nous voulons interroger. À

toi de répondre. Comment as-tu obtenu la vue ?"

530


"Je l'ai dit et eux m'ont entendu. Le disciple de ce Jésus m'a dit hier : "Viens et je te ferai guérir." Et je suis

venu, et j'ai senti qu'on me mettait de la boue ici et une voix qui me disait d'aller à Siloé et de me laver. Je

l'ai fait et j'y vois."

"Mais sais-tu qui t'a guéri ?"

"Bien sûr que je le sais ! Jésus. Je vous l'ai dit."

"Mais sais-tu exactement qui est Jésus ?"

"Moi, je ne sais rien. Je suis un pauvre et un ignorant, et il y a peu de temps, j'étais aveugle. Cela, je le sais et

je sais que Lui m'a guéri et s'il a pu le faire Dieu est certainement avec Lui."

"Ne blasphème pas ! Dieu ne peut être avec celui qui n'observe pas le sabbat." crient certains.

Mais Joseph et les pharisiens Eléazar, Jean et Joachim font remarquer : "Et pourtant un pécheur ne peut faire

de tels prodiges."

"Vous êtes séduits vous aussi par ce possédé ?"

"Non. Nous sommes justes, et nous disons que si Dieu ne peut être avec celui qui opère le jour du sabbat, il

n'est pas possible non plus qu'un homme sans l'aide de Dieu fasse qu'un aveugle-né y voie." dit avec calme

Eléazar, et les autres sont de son avis.

"Et le démon, où le mettez-vous ?" crient, hargneux, les mauvais.

"Je ne puis croire, et vous non plus ne le croyez pas, que le démon puisse faire des œuvres capables de faire

louer le Seigneur." dit le pharisien Jean.

"Et qui le loue ?"

"Le jeune homme, ses parents, Ophel tout entier, et moi avec eux, et avec moi tous ceux qui sont justes et ont

une crainte sainte de Dieu." réplique Joseph.

Les mauvais, tout penauds, ne sachant qu'objecter, s'en prennent à Sidonia dit Bartolmaï : "Toi, que dis-tu de

celui qui t'a ouvert les yeux ?"

531


"Pour moi, c'est un prophète, et plus grand qu'Élie avec le fils de la veuve de Sarepta. Car elle a fait revenir

l'âme dans l'enfant, mais ce Jésus m'a donné ce que je n'avais jamais perdu, ne l'ayant jamais eu : la vue. Et si,

en un éclair, il m'a fait des yeux avec rien, sauf un peu de boue, alors qu'en neuf mois ma mère, avec sa chair

et son sang n'a pas réussi à me les faire, il doit être grand comme Dieu qui avec de la boue a fait l'homme."

"Va-t'en ! Va-t'en ! Blasphémateur ! Menteur ! Vendu !" et ils chassent l'homme comme si c'était un damné.

"L'homme ment. Ce ne peut être vrai. Tous peuvent le dire que celui qui est aveugle de naissance ne peut

guérir. C'est peut-être quelqu'un qui ressemble à Bartolmaï, et que le Nazaréen a préparé... ou bien...

Bartolmaï n'a jamais été aveugle."

Devant cette affirmation surprenante, Joseph d'Arimathie réplique : "Que la haine aveugle, on le sait depuis

le temps de Caïn, mais qu'elle rende stupide, on ne le savait pas encore. Vous semble-t-il que quelqu'un

arrive au plein développement de la jeunesse en feignant d'être aveugle pour... attendre un présumable

événement éclatant et très éloigné ? Ou que les parents de Bartolmaï ne connaissent pas leur fils ou se

prêtent à ce mensonge ?"

"L'argent peut tout, et eux sont pauvres."

"Le Nazaréen l'est plus qu'eux."

"Tu mens ! Il Lui passe par les mains des sommes de satrape."

"Mais elles ne s'y arrêtent pas un instant. Ces sommes appartiennent aux pauvres. Elles servent pour le bien,

non pour le mensonge."

"Comme tu le défends ! Et tu es un des Anciens !"

"Joseph a raison. Il faut dire la vérité, quelle que soit la charge que l'homme occupe." dit Eléazar.

532


"Courez rappeler l'aveugle et amenez-le de nouveau ici, et que d'autres aillent chercher les parents et les

ramènent ici." crie Elchias en ouvrant la porte toute grande et en donnant ses ordres à certains qui attendent

dehors. Et sa bouche est presque couverte de bave tant la colère l'étrangle.

Les uns courent d'un côté, les autres de l'autre. Le premier qui revient c'est Sidonia dit Bartolmaï, étonné et

ennuyé. Ils le fichent dans un coin le regardant comme une meute de chiens qui guette un gibier...

Puis, après un bon moment, voilà qu'arrivent ses parents entourés de la foule.

"Vous, venez dedans et les autres dehors !"

Les deux entrent épouvantés et ils voient leur fils là-bas au fond, en bonne forme, mais en état d'arrestation.

La mère gémit : "Mon fils ! Et ce devait être un jour de fête pour nous !"

"Écoutez-nous. C'est votre fils, cet homme ?" demande avec rudesse un pharisien.

"Oui, c'est notre fils ! Et qui voulez-vous que ce soit sinon lui ?"

"Vous en êtes vraiment sûrs ?"

Le père et la mère sont tellement abasourdis par la question qu’avant de répondre ils se regardent.

"Répondez !"

"Noble pharisien, peux-tu penser qu'un père et une mère puissent se tromper à propos de leur enfant ?" dit

humblement le père.

"Mais... pouvez-vous jurer que... Oui. Que pour une somme d'argent il ne vous a pas été demandé de dire

que c'est votre fils alors que c'est quelqu'un qui lui ressemble ?"

"Demandé de dire ? Et par qui donc ? Jurer ? Mais mille fois, et sur l'autel et le Nom de Dieu, si tu veux !" Et

ils l'affirment avec tant d'assurance que le plus obstiné en serait démonté.

Mais les pharisiens ne se démontent pas ! Ils demandent : "Mais votre fils n'était pas né aveugle ?"

"Si, il était né ainsi. Avec les paupières closes et par-dessous le vide, rien..."

533


"Et comment donc y voit-il maintenant ? Il a des yeux sur lesquels s'ouvrent des paupières. Vous ne voudriez

tout de même pas dire que des yeux puissent naître ainsi, comme des fleurs au printemps, et qu'une paupière

s'ouvre absolument comme le fait le calice d'une fleur !" dit un autre pharisien avec un rire sarcastique.

"Nous savons que cet homme est vraiment notre fils depuis presque trente ans, et qu'il est né aveugle, mais

comment maintenant il y voit, nous ne le savons pas et nous ne savons pas qui lui a ouvert les yeux. Du

reste, demandez-le-lui. Il n'est pas idiot et ce n'est pas un enfant. Il a l'âge. Interrogez-le et il vous répondra."

"Vous mentez, s'écrie un des deux qui avaient toujours suivi l'aveugle. Lui, dans votre maison, a raconté

comment il a été guéri et par qui. Pourquoi dites-vous que vous ne le savez pas ?"

"Nous étions tellement abasourdis par la surprise que nous n'avons pas entendu" disent les deux en

s'excusant.

Les pharisiens s'adressent à Sidonia dit Bartolmaï : "Avance ici, toi, et donne gloire à Dieu s'il t'est possible !

Tu ne sais pas que celui qui t'a touché les yeux est un pêcheur ? Tu ne le sais pas ? Eh bien apprends-le.

Nous te le disons, nous qui le savons."

"Mais, ce sera comme vous dites. Pour moi, si c'est un pécheur, je ne le sais pas. Je sais seulement qu'avant

j'étais aveugle et que maintenant j'y vois, et clair."

"Mais que t'a-t-il fait ? Comment t'a-t-il ouvert les yeux ?"

"Je vous l'ai déjà dit et vous m'avez entendu. Maintenant vous voulez l'entendre de nouveau ? Pourquoi ? Peutêtre

voulez-vous devenir ses disciples ?"

"Imbécile ! Sois-le, toi, disciple de cet homme. Nous, nous sommes disciples de Moïse, et nous savons tout

de Moïse et que Dieu lui a parlé. Mais de cet homme nous ne savons rien, ni d'où il vient, ni qui il est, et

aucun prodige du Ciel ne l'indique comme prophète."

"C'est là précisément que se trouve le merveilleux ! Que vous ne savez pas d'où il est et que vous dites

qu'aucun prodige n'indique qu'il soit juste. Mais Lui m'a ouvert les yeux et personne de nous d'Israël n'avait

jamais pu le faire, pas même l'amour d'une mère et les sacrifices de mon père. Une chose pourtant que nous

savons tous, aussi bien vous que moi, c'est que Dieu n'exauce pas le pécheur, mais celui qui craint Dieu et

534


fait sa volonté. On n'a jamais entendu dire que quelqu'un dans le monde entier ait pu ouvrir les yeux à un

aveugle-né, mais cela, Jésus l'a fait. Si Lui n'était pas de Dieu, il n'aurait pas pu le faire."

"Tu es né entièrement dans le péché, et tu as l'esprit difforme autant et plus que ne l'était ton corps, et tu

prétends nous faire la leçon ? Va-t'en, misérable avorton, et fais-toi satan avec ton séducteur. Dehors !

Dehors, tout le monde, plèbe imbécile et pécheresse !" et ils les jettent dehors : fils, père et mère comme si

c'étaient trois lépreux.

Les trois s'en vont rapidement, suivis parleurs amis, mais arrivé hors de l'enceinte, Sidonia se retourne et dit :

"Et restez ! Et dites ce que vous voulez. Ce qu'il y a de vrai c'est que j'y vois et j'en loue Dieu. Et satan, c'est

vous qui le serez, et non pas le Bon qui m'a guéri."

"Tais-toi, fils ! Tais-toi ! Pourvu que cela ne nous fasse pas du mal !..." gémit la mère.

"Oh ! ma mère ! L'air de cette salle t'a empoisonné l'âme, toi qui dans ma douleur m'enseignais à louer Dieu

et qui maintenant dans la joie ne sais pas le remercier, et qui crains les hommes ? Si Dieu m'a tant aimé et t'a

aimée au point de nous donner le miracle, ne saura-t-il pas nous défendre d'une poignée d'hommes ?"

"Ton fils a raison, femme. Allons à notre synagogue pour louer le Seigneur, puisqu'ils nous ont chassés du

Temple. Et allons-y vivement avant la fin du sabbat..."

Et, pressant le pas, ils se perdent dans les chemins de la vallée.

535


Guérison d'un aveugle-né

9 1 En passant

Il vit un homme aveugle de naissance. Alors

Ses disciples l'interrogèrent ainsi : 2"Rabbi,

Qui a péché, lui ou ses parents pour qu'il soit

Né aveugle ?" 3 Et Jésus dit : "Ni lui n'a péché,

Ni ses parents, c'est pour que soient manifestées

En lui les œuvres de Dieu.

4 Il nous faut travailler

Tant qu'il fait jour aux œuvres de Celui qui m'a

Envoyé ; vient la nuit, nul ne peut travailler.

5 Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis

La lumière du monde."

6 Puis ayant dit cela,

Il cracha à terre et fit avec sa salive

De la boue et il mit cette boue sur les yeux

De l'aveugle 7 et il lui dit : "Va à la piscine

De Siloé te laver" (ce qui signifie :

Envoyé). Il s'en alla donc et se lava,

Et quand il revint, il voyait clair.

8 Les voisins

Et ceux qui l'avaient ou auparavant - c'était

Un mendiant - disaient " N'est-ce pas lui qui était

Assis et qui mendiait ? " 9 D'autres disaient : "C'est lui".

D'autres disaient : "Nullement, mais il lui ressemble."

536


Celui-ci disait : "C'est moi". 10 On lui disait donc :

"Comment tes yeux se sont-ils ouverts". Celui-ci

Répondit : " L'homme que l'on appelle Jésus a fait

De la boue, alors il m'en a enduit les yeux,

Il m'a dit : Va à Siloé et lave-toi.

J'y suis allé, m'étant lavé j'ai recouvré

La vue." 12 Et on lui dit : " Où est-il ? " Mais il dit :

"Je n'en sais rien. "

13 Et on amène aux Pharisiens

L'ancien aveugle. 14 Or c'était un sabbat, le jour

Où Jésus avait fait de la boue pour ouvrir

Les yeux. 15 De nouveau donc, les Pharisiens aussi

Lui demandaient comment il avait recouvré

La vue. Et il leur dit : "Il m'a mis de la boue

Sur les yeux et je me suis lavé et je vois."

16 Quelques Pharisiens disaient : "Ce n'est pas un homme

Qui vient d'auprès de Dieu, puisqu'il ne garde pas

Le sabbat."

Mais d'autres disaient : "Comment un homme

Pécheur peut-il faire de tels signes ? " Il y avait

Division parmi eux. 17 Ils disaient de nouveau

À l'aveugle. "Toi, que dis-tu de celui qui t'a

Ouvert les yeux ? " Il dit : " C'est un prophète."

18 Les Juifs

Donc ne crurent pas qu'il avait été aveugle

Et avait recouvré la vue avant d'avoir

Fait venir ses parents. 19 Ils les interrogèrent

En disant : "Est-ce là votre fils dont vous dites,

537


Vous, qu'il est né aveugle ? Comment donc voit-il

À présent ? "

20 Ses parents répondirent et lui dirent

"Nous savons que c'est lui notre fils, il est né

Aveugle. 21 Pourtant comment il y voit maintenant,

Nous n'en savons rien, qui lui a ouvert les yeux,

Nous, nous n'en savons rien. Mais interrogez-le

Il a l'âge et il s'expliquera sur son compte."

22 Ses parents dirent cela parce qu'ils avaient peur

Des Juifs, car les Juifs étaient déjà convenus

Que si quelqu'un le reconnaissait comme Christ,

Il serait exclu de la synagogue. 23 Voilà

Pourquoi ses parents disaient ceci : "Il a l'âge,

Interrogez-le."

24 Donc une seconde fois

Ils appelèrent1lhomme qui avait été aveugle

Et lui dirent : "Rends gloire à Dieu car nous savons,

Nous, que cet homme est un pécheur."

25 Or celui-ci

Répondit : "Si c'est un pécheur, je ne sais pas

Je ne sais qu'une chose, c'est que j'étais aveugle,

Et qu'à présent je vois."

26 "Que t'a-t-il fait ? Comment

Lui dirent-ils, t'a-t-il ouvert les yeux ? " 27 Alors

Il leur répondit : "Mais je vous l'ai déjà dit,

Vous n'avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous

538


L'entendre à nouveau ? Voudriez-vous, vous aussi,

Devenir ses disciples ? "

28 Ils l'insultèrent et dirent :

"C'est toi qui es disciple de cet homme ; nous sommes,

Nous, disciples de Moïse ; 29 pourtant celui-là

Nous ne savons d'où il est. "

30 L'homme répondit

Et leur dit : "C'est étonnant que vous ne sachiez

Vous, d'où il est, alors qu'il m'a ouvert les yeux.

31 Nous savons que Dieu n'exauce pas les pécheurs;

Mais si quelqu'un est pieux et fait sa volonté,

Celui-là, il l'exauce. 32 Jamais on n'a ouï dire

Que quelqu'un ait pu ouvrir d'un aveugle-né

Les yeux. 33 Si cet homme ne venait d'auprès de Dieu,

Il ne pourrait rien faire."

34 Ils répondirent et dirent :

"Mais toi, tu n'es que péché depuis ta naissance,

C'est toi qui nous fais la leçon !" Ils le jetèrent

Dehors.

539


Le bon pasteur

"Tu crois donc au Fils de Dieu et à sa présence en Palestine ?"

"J'y crois. Mais je voudrais le connaître non seulement par l'intelligence mais avec tout moi-même. Si tu sais

qui il est et où il se trouve, dis-le-moi, pour que j'aille à Lui et que je le voie et que je croie complètement en

Lui et que je le serve."

"Tu l'as déjà vu, et il n'est pas nécessaire que tu ailles à Lui. Celui que tu vois en ce moment et qui te parle,

c'est le Fils de Dieu."

Je ne pourrais l'affirmer avec certitude, mais il m'a semblé qu'en disant ces paroles, Jésus a eu pour ainsi dire

une très brève transfiguration en devenant très beau et je dirais resplendissant. Je dirais que pour

récompenser l'humble qui croit en Lui, et le confirmer dans sa foi, il a, pendant la durée d'un éclair, dévoilé

sa future beauté, je veux dire celle qu'il assumera après la Résurrection et qu'il conservera au Ciel, sa beauté

de créature humaine glorifiée, de corps glorifié et fondu dans l'inexprimable beauté de la Perfection qui Lui

appartient. Un instant, dis-je, un éclair. Mais le coin à demi-obscur, où ils se sont retirés pour parler, sous

l'archivolte de la nielle, s'illumine étrangement d'une clarté qui se dégage de Jésus qui, je le répète, devient

très beau.

Puis tout redevient comme avant, sauf le jeune homme qui maintenant est par terre, la figure dans la

poussière, et qui adore en disant : "Je crois, Seigneur, mon Dieu !"

540


"Lève-toi, Je suis venu dans le monde pour apporter la lumière et la connaissance de Dieu et pour éprouver

les hommes et les juger. Ce temps qui est le mien est un temps de choix, d'élection, et de sélection. Je suis

venu pour que ceux qui sont purs de cœurs et d'intention, les humbles, les doux, ceux qui aiment la justice, la

miséricorde, la paix, pour que ceux qui pleurent et que ceux qui savent donner aux diverses richesses leur

valeur réelle et préférer les spirituelles aux matérielles, trouvent ce à quoi leur esprit aspire, et pour que ceux

qui étaient aveugles, parce que les hommes ont élevé des murailles épaisses pour empêcher la Lumière, c'està-dire

la connaissance de Dieu, voient clair, et pour que ceux qui se croient voyants deviennent aveugles..."

"Alors tu hais une grande partie des hommes et tu n'es pas bon, comme tu dis l'être. Si tu l'étais, tu

chercherais à ce que tous voient clair et que ceux qui y voient déjà ne deviennent pas aveugles."

interrompent certains pharisiens qui sont arrivés de la rue principale et se sont approchés avec d'autres,

prudemment, par derrière le groupe apostolique.

Jésus se retourne et les regarde. Il n'a sûrement plus la transfiguration d'une douce beauté, maintenant. C'est

un Jésus bien sévère celui qui fixe sur ses persécuteurs son regard de saphir, et sa voix n'a plus la note d'or

de la joie, mais la note du bronze, et comme le son du bronze elle est incisive et sévère alors qu'il répond :

"Ce n'est pas Moi qui veux qu'ils ne voient pas la vérité ceux qui à présent la combattent. Mais ce sont euxmêmes

qui élèvent des plaques devant leurs pupilles pour ne pas voir et ils se rendent aveugles par leur libre

volonté. Et le Père m'a envoyé pour que la séparation se fasse et que l'on connaisse vraiment les fils de la

Lumière et ceux des Ténèbres, ceux qui veulent voir et ceux qui veulent se rendre aveugles."

"Nous sommes peut-être, nous aussi de ces aveugles ?"

"Si vous l'étiez et cherchiez à voir, vous ne seriez pas fautifs. Mais c'est parce que vous dites : "Nous y

voyons", et ensuite ne voulez pas voir que vous péchez. Votre péché demeure parce que vous ne cherchez

pas à voir tout en étant des aveugles."

541


"Et que devons-nous voir ?"

"La Voie, la Vérité, la Vie. Un aveugle-né, comme l'était celui-ci, peut toujours avec son bâton trouver la

porte de sa maison et y entrer parce qu'il la connaît. Mais si on l'amenait dans d'autres endroits, il ne pourrait

entrer par la porte de la nouvelle maison parce qu'il ne saurait pas où elle se trouve et il se heurterait contre

les murs.

Le temps de la Loi nouvelle est venu. Tout se renouvelle et un monde nouveau, un nouveau peuple, un

nouveau royaume se lèvent. 389> Maintenant ceux du temps passé ne connaissent pas tout cela. Eux

connaissent leur temps. Ils sont comme des aveugles amenés dans un nouveau pays où se trouve la maison

royale du Père, mais de laquelle ils ne connaissent pas l'emplacement.

Je suis venu pour les conduire et les y introduire et pour qu'ils voient. Mais je suis Moi-même la Porte par

laquelle on accède à la maison paternelle, au Royaume de Dieu, à la Lumière, au Chemin, à la Vérité, à la

Vie. Et je suis aussi Celui qui est venu pour rassembler le troupeau resté sans guide et pour le conduire dans

un unique bercail : dans celui du Père. Je connais la porte du Bercail car je suis en même temps la Porte et le

Berger, et j'y entre et en sors comme et quand je veux, et j'y entre librement, et par la porte, car je suis le vrai

Berger.

Quand quelqu'un vient donner aux brebis de Dieu d'autres indications, ou cherche à les dévoyer en les

amenant à d'autres demeures et d'autres chemins, ce n'est pas le bon Berger, mais un faux berger. Et de

même celui qui n'entre pas par la porte du bercail, mais cherche à y entrer par un autre endroit en sautant par

dessus la clôture, n'est pas le berger mais un voleur et un assassin qui y entre avec l'intention de voler et de

tuer, pour que les agneaux qu'il prend n'aient pas de voix pour se plaindre et n'attirent pas l'attention des

gardiens et du berger. Et aussi parmi les brebis du troupeau d'Israël, des faux bergers cherchent à s'insinuer

pour les faire sortir des pâturages, loin du vrai Berger. Et ils y entrent, disposés à les arracher au troupeau par

la violence, et à l'occasion ils sont disposés aussi à les tuer et les frapper de tant de manières, pour les

542


empêcher de parler et de dire au Berger les ruses des faux bergers et de crier vers Dieu de les protéger contre

leurs adversaires et les adversaires du Berger.

Je suis le bon Berger et mes brebis me connaissent, et me connaissent ceux qui sont pour toujours les

portiers du vrai Bercail. Eux ont connu Moi et mon Nom et ils l'ont dit pour qu'il fût connu d'Israël, et ils

m'ont décrit et ils ont préparé mes chemins, et quand ma voix s'est fait entendre, voilà que le dernier d'entre

eux m'a ouvert la porte en disant au troupeau qui attendait le vrai Berger, au troupeau groupé autour de son

bâton : "Voici ! Celui-ci est Celui dont j'ai dit qu'il vient derrière moi. Un qui me précède parce qu'il existait

avant moi et moi, je ne le connaissais pas. Mais pour cela, pour que vous soyez prêts à le recevoir, je suis

venu baptiser avec l'eau pour qu'il soit manifesté en Israël." Et les bonnes brebis ont entendu ma voix et

quand je les ai appelées par leurs noms, elles sont accourues et je les ai amenées avec Moi, comme le fait un

bon berger que les brebis reconnaissent à la voix et qu'elle suivent partout où il va. Et quand il les a fait

toutes sortir, il marche devant elles, et elles le suivent car elles aiment la voix du berger, alors qu'elles ne

suivent pas un étranger, mais au contraire fuient loin de lui, parce qu'elles ne le connaissent pas et le

craignent. Moi aussi, je marche devant mes brebis pour leur indiquer le chemin et pour affronter le premier

les dangers et les signaler au troupeau que je veux conduire en lieu sûr dans mon Royaume."

"Israël ne serait-il plus le royaume de Dieu ?"

"Israël est le lieu d'où le peuple de Dieu doit s'élever à la vraie Jérusalem et au Royaume de Dieu."

"Et le Messie promis, alors ? Ce Messie que tu affirmes être, il ne doit donc pas rendre Israël triomphant,

glorieux, maître du monde, en assujettissant à son sceptre tous les peuples et en se vengeant, oh ! en se

vengeant férocement de tous ceux qui l'ont assujetti depuis qu'il est peuple ? Rien de cela n'est vrai, alors ?

Tu nies les prophètes ? Tu traites de sots nos rabbis ? Tu..."

543


"Le royaume du Messie n'est pas de ce monde. C'est le Royaume de Dieu, fondé sur l'amour. Il n'est rien

d'autre. Le Messie n'est pas le roi des peuples et des armées, mais le roi des esprits. C'est du peuple élu que

viendra le Messie, de la souche royale, et surtout de Dieu qui l'a engendré et envoyé. C'est par le peuple

d'Israël qu'a commencé la fondation du Royaume de Dieu, la promulgation de la Loi d'amour, l'annonce de

la Bonne Nouvelle dont parle le prophète. Mais le Messie sera Roi du monde, Roi des rois, et son Royaume

n'aura pas de limites ni de frontières, ni dans le temps, ni dans l'espace. Ouvrez les yeux et acceptez la

vérité."

"Nous n'avons rien compris à ton radotage. Tu dis des paroles qui n'ont pas de sens. Parle et réponds sans

paraboles. Es-tu, oui ou non, le Messie ?"

"Et vous n'avez pas encore compris ? C'est pour cela que je vous ai dit que je suis la Porte et le Berger.

Jusqu'à présent, personne n'a pu entrer dans le Royaume de Dieu parce qu'il était muré et sans issue, mais

maintenant je suis venu, et la porte d'entrée est faite."

"Oh ! d'autres ont dit qu'ils étaient le Messie, et on les a reconnus ensuite pour des voleurs et des rebelles, et

la justice humaine a puni leur rébellion. Qui nous assure que tu n'es pas comme eux ? Nous sommes las de

souffrir et de faire souffrir au peuple la rigueur de Rome, grâce à des menteurs qui se disent rois et qui

poussent le peuple à la révolte !"

"Non. Elle n'est pas exacte votre phrase. Vous ne voulez pas souffrir, cela est vrai. Mais que le peuple

souffre, vous n'en souffrez pas. C'est si vrai, qu'à la rigueur de ceux qui nous dominent, vous ajoutez votre

rigueur, en opprimant le menu peuple par des dîmes exagérées et par beaucoup d'autres choses. Qui vous

assure que je ne suis pas un malandrin ? Mes actions. Ce n'est pas Moi qui rends lourde la main de Rome,

mais au contraire, puisqu'il m'arrive de la rendre plus légère en conseillant l'humanité à ceux qui nous

dominent et la patience à ceux qui sont dominés. Au moins cela."

544


C'est l'avis de beaucoup de gens. En effet maintenant l'auditoire a beaucoup augmenté et ne cesse de croître

au point que le trafic en est gêné sur la grande rue, et que les gens refluent tous dans la ruelle, sous les voûtes

de laquelle les voix se répercutent. Ils approuvent Jésus en disant : "Bien dit pour les dîmes, c'est vrai ! Lui

nous conseille la soumission et aux romains la pitié."

Les pharisiens, comme toujours, s'aigrissent à cause des approbations de la foule et ils deviennent encore

plus mordants dans le ton avec lequel ils s'adressent au Christ : "Réponds, sans tant de paroles, et prouve que

tu es le Messie."

"En vérité, en vérité je vous dis que je le suis. C'est Moi, Moi seul qui suis la Porte du Bercail des Cieux. Qui

ne passe pas par Moi ne peut entrer. Certes, il y a eu d'autres faux Messies et il y en aura encore. Mais

l'unique et véritable Messie, c'est Moi. Combien sont venus jusqu'ici se disant tels, qui ne l'étaient pas, mais

étaient seulement des voleurs et des brigands. Et pas seulement ceux qui se faisaient appeler Messie par un

petit nombre de gens de leur mentalité, mais aussi d'autres encore qui sans se donner ce nom exigent

pourtant une adoration qui n'est pas même donnée au véritable Messie. Entende celui qui a des oreilles pour

entendre. Cependant remarquez : les brebis n'ont écouté ni les faux Messies, ni les faux bergers et maîtres,

car leur esprit sentait la fausseté de leur voix qui voulait se montrer douce et était cruelle. Seuls les boucs les

ont suivis pour être leurs compagnons de scélératesse. Les boucs sauvages, indomptés, qui ne veulent pas

entrer dans le Bercail de Dieu, sous le sceptre du vrai Roi et Berger. Parce que cela maintenant on l'a en

Israël. Celui qui est le Roi des rois devient le Berger du Troupeau, tandis qu'autrefois celui qui était berger

de troupeaux devint roi, et l'Un et l'autre viennent d'une souche unique, de celle d'Isaïe, comme il est dit dans

les promesses et les prophéties. Les faux bergers n'ont pas parlé sincèrement ni réconforté. Ils ont dispersé et

torturé le troupeau ou l'ont abandonné aux loups, ou l'ont tué pour en tirer profit en les vendant pour s'assurer

la vie, ou lui ont enlevé les pâturages pour en faire des maisons de plaisirs et des bosquets pour les idoles.

Savez-vous ce que sont les loups ? Ce sont les passions mauvaises, les vices que les faux bergers eux-mêmes

ont enseigné au troupeau, en les pratiquant eux les premiers. Et savez-vous ce que sont les bosquets des

idoles ? Ce sont les propres égoïsmes devant lesquels trop de gens brûlent de l'encens. Les deux autres

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choses n'ont pas besoin d'être expliquées, car le sens des mots n'en est que trop clair. Mais que les faux

bergers agissent ainsi, c'est logique. Ce ne sont que des voleurs qui viennent pour dérober, tuer et détruire les

brebis, pour les amener hors du bercail dans de faux pâturages, ou les conduire dans de faux bercails qui ne

sont que des abattoirs. Mais celles qui viennent vers Moi sont en sécurité, et elles pourront sortir pour aller à

mes pâturages ou rentrer pour venir à mes repos et devenir robustes et grasses avec des sucs de sainteté et de

santé. Car je suis venu pour cela : pour que mon peuple, mes brebis, jusqu'ici maigres et affligées, aient la

vie et une vie abondante, une vie de paix et de joie. Et c'est tellement ma volonté, que je suis venu pour

donner ma vie, afin que mes brebis aient la Vie pleine et abondante des fils de Dieu.

Je suis le bon Pasteur. Et un pasteur, quand il est bon, donne sa vie pour défendre son troupeau des loups et

des voleurs, tandis que le mercenaire, qui n'aime pas les brebis mais l'argent qu'il gagne pour les mener au

pâturage, ne se préoccupe que de se sauver lui-même avec son pécule dans son sein, et quand il voit venir le

loup ou le voleur, il s'enfuit, quitte à revenir ensuite pour prendre quelque brebis laissée à moitié morte par le

loup ou égarée par le voleur, et tuer la première pour la manger, ou vendre comme sienne la seconde pour

grossir son magot et dire ensuite au maître, avec des larmes mensongères, qu'il ne s'est pas sauvé une seule

brebis. Qu'importe au mercenaire que le loup saisisse et disperse les brebis, et que le voleur en fasse une

razzia pour les mener au boucher ? A-t-il peut-être veillé sur elles pendant qu'elles grandissaient et s'est-il

donné du mal pour les rendre robustes ? Mais celui qui est le maître, et qui sait combien coûte une brebis,

combien d'heures de fatigue, combien de veilles, combien de sacrifices, celui-là les aime et a soin de ces

brebis qui sont son bien. Mais Moi, je suis plus qu'un maître. Je suis le Sauveur de mon troupeau et je sais

combien me coûte même le salut d'une seule âme, et ainsi je suis prêt à tout pour sauver une âme. Elle m'a

été confiée par mon Père. Toutes les âmes m'ont été confiées avec l'ordre d'en sauver un nombre immense.

Plus je réussirai à en arracher à la mort de l'esprit, plus mon Père en aura de gloire. Et c'est pour cela que je

lutte pour les délivrer de tous leurs ennemis, c'est-à-dire de leur moi, du monde, de la chair, du démon, et de

mes adversaires qui me les disputent pour m'affliger. Moi, je fais cela parce que je connais la Pensée de mon

Père. Et mon Père m'a envoyé pour faire cela parce qu'il connaît mon amour pour Lui et pour les âmes. Et

aussi les brebis de mon troupeau me connaissent Moi et mon amour, et elles sentent que je suis prêt à donner

ma vie pour leur donner la joie.

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Et j'ai d'autres brebis, mais elles ne sont pas de ce Bercail. Aussi elles ne me connaissent pas pour ce que je

suis, et beaucoup ignorent que j'existe et qui je suis. Brebis qui à beaucoup d'entre vous semblent pire que

des boucs sauvages et que vous jugez indignes de connaître la Vérité et d'avoir la Vie et le Royaume. Et

pourtant, il n'en est pas ainsi. Le Père les veut aussi celles-là, et je dois donc les approcher, me faire

connaître, faire connaître la Bonne Nouvelle, les conduire à mes pâturages, les rassembler. Et elles aussi

écouteront ma voix, et elles finiront par l'aimer. Et il y aura un seul Bercail sous un seul Pasteur, et le

Royaume de Dieu sera formé sur la Terre, prêt à être transporté et accueilli dans les Cieux, sous mon sceptre

et mon signe et mon vrai Nom.

Mon vrai Nom ! Il est connu de Moi seulement ! Mais quand le nombre des élus sera complet et qu'au milieu

des hymnes d'allégresse ils s'assoiront au grand repas de noces de l'Époux avec l'Épouse, alors mon Nom

sera connu de mes élus qui par fidélité à Lui se sont sanctifiés, même sans connaître toute l'étendue et toute

la profondeur de ce que c'est d'être marqués de mon Nom, et récompensés de leur amour pour Lui, ni quelle

est la récompense... C'est cela que je veux donner à mes brebis fidèles, ce qui est ma joie même..."

Jésus tourne ses yeux extatiques brillants de pleurs sur les visages tournés vers Lui et un sourire tremble sur

ses lèvres, un sourire tellement spiritualisé dans un visage spiritualisé, qu'un frisson secoue la foule qui se

rend compte du ravissement du Christ en une vision béatifique et son désir d'amour de la voir accomplie. Il

se ressaisit. Il ferme un instant les yeux pour cacher le mystère que voit son esprit et que l'œil pourrait trop

trahir. Et il reprend :

"C'est pour cela que le Père m'aime, ô mon peuple, ô mon troupeau ! Parce que pour toi, pour ton bien

éternel, je donne la vie.

Ensuite, je la reprendrai. Mais avant je la donnerai pour que tu aies la vie et ton Sauveur pour ta propre vie.

Et je la donnerai de sorte que tu t'en repaisses, me changeant de Pasteur en pâturage et en source qui

donneront nourriture et boisson, non pas pour quarante années comme pour les hébreux dans le désert, mais

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pour tout le temps de l'exil à travers les déserts de la Terre. Personne, en réalité, ne m'enlève la vie. Ni ceux

qui en m'aimant de tout eux-mêmes méritent que je m'immole pour eux, ni ceux qui me l'enlèvent à cause

d'une haine sans mesure et d'une sotte peur. Personne ne pourrait me l'enlever si de Moi-même, je ne

consentais pas à la donner et si le Père ne le permettait pas, pris tous les deux d'un délire d'amour pour

l'Humanité coupable. C'est de Moi-même que je la donne, et j'ai le pouvoir de la reprendre quand je veux car

il n'est pas convenable que la Mort puisse l'emporter sur la Vie. C'est pour cela que le Père m'a donné ce

pouvoir, et même que le Père m'a commandé de le faire. Et par ma vie, offerte et consumée, les peuples

deviendront un Peuple unique : le mien, le Peuple céleste des fils de Dieu, pour séparer dans les peuples les

brebis des boucs et pour que les brebis suivent leur Pasteur dans le Royaume de la Vie éternelle."

Jésus, qui jusqu'alors a parlé à haute voix, s'adresse à voix basse à Sidonia dit Bartolmaï, toujours resté

devant Lui avec à ses pieds son panier de pommes odorantes, et il lui dit : "Tu as tout oublié pour Moi.

Maintenant tu vas certainement être puni et perdre ta place. Tu vois ? Je t'apporte toujours de la souffrance.

Pour Moi, tu as perdu la synagogue, et maintenant tu vas perdre ton maître..."

"Et qu'est-ce que je m'en fais si je te possède Toi ? Toi seul as de la valeur pour moi. Et je quitte tout pour te

suivre, pourvu que tu me le permettes. Laisse-moi seulement porter ces fruits à leur acheteur et puis je suis à

Toi."

"Allons ensemble. Puis nous irons chez ton père, car tu as un père et tu dois l'honorer en lui demandant sa

bénédiction."

"Oui, Seigneur, tout ce que tu veux. Pourtant, instruis-moi beaucoup car je ne sais rien, pas même lire et

écrire puisque j'étais aveugle."

"Ne t'en préoccupe pas. Ta bonne volonté te servira d'école."

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Et il s'éloigne pour revenir sur la rue principale, pendant que la foule commente, discute, se querelle même,

hésitant entre les avis opposés qui sont toujours les mêmes : Jésus de Nazareth est-il un possédé

ou un saint ? Les gens, en désaccord, discutent pendant que Jésus s'éloigne.

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Évangile selon saint Jean 9, 35 à 10, 21

35 Et Jésus apprit qu'il l'avait jeté

Dehors, le trouvant, il dit ceci : "Crois-tu, toi,

En le Fils de l'homme ?" 36 Et celui-ci répondit,

Il dit : "Et qui est-il Seigneur pour que je crois

En lui ? " 37 Jésus lui dit : "Tu l'as vu, et celui

Qui parle avec toi, c'est lui." 38 Et il déclara

"Je crois, Seigneur." Il se prosterna devant lui.

39 Et Jésus dit : "C'est pour un jugement que moi

Je suis venu en ce monde, c'est pour que ceux qui

Ne croient pas voient, que ceux qui voient deviennent aveugles."

40 Alors les Pharisiens qui étaient avec lui

Entendirent cela et lui dirent "Est-ce que nous

Aussi nous serions aveugles ?" 41 Et Jésus leur dit :

"Si vous étiez aveugles, vous seriez sans péché.

Mais maintenant, parce que vous dites : nous voyons,

Votre péché demeure donc."

Le bon Berger.

10 1 En vérité,

En vérité, je vous le dis : qui n'entre pas

Par la porte dans l'enclos des brebis, mais pénètre

Par un autre endroit, celui-là est un voleur

Et un brigand. 2 Celui qui entre par la porte,

Est un berger des brebis. 3 Le portier lui ouvre,

Les brebis écoutent sa voix ; et il appelle

Ses brebis, les siennes, et chacune par son nom,

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Il les emmène. 4 Quand toutes, il les a fait sortir

Il marche devant elles, et les brebis le suivent,

Car elles connaissent sa voix. 5 Elles ne suivront pas

Un étranger mais elles le suivront, car la voix

Des étrangers, (non) elles ne la connaissent pas."

6 Telle est la similitude que leur dit Jésus

Mais ils ne connurent pas de quoi il leur parlait.

7 Alors Jésus dit de nouveau : "En vérité,

En vérité, je vous le dis : moi je suis la porte

Des brebis. 8 Tous ceux qui sont venus avant moi

Sont des voleurs et des brigands ; mais les brebis

Ne les ont pas écoutés, 9 Moi, je suis la porte

Si quelqu'un entre par moi, il sera sauvé

Il ira et viendra, il trouvera pâture.

10 Le voleur ne vient que pour voler, égorger,

Et faire périr. Moi, je suis venu pour qu'on ait

La vie, et qu'on l'ait surabondante.

11 "Moi, je suis

Le Berger, le bon berger ! le berger, le bon

Berger, livre sa vie pour les brebis. 12 Celui

Qui n'est pas le berger, le mercenaire, à qui

N'appartiennent pas les brebis, voit-il venir

Le loup, il laisse là les brebis et s'enfuit ;

Le loup les emporte et les disperse. 13 C'est qu'il est

Mercenaire et n'a point souci des brebis, 14 Moi,

Je suis le Berger, le bon berger ; je connais

Mes brebis et mes brebis me connaissent, 15 ainsi

Le Père me connaît et moi je connais le Père.

Je livre ma vie pour mes brebis.16 J'ai encore

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D'autres brebis qui ne sont pas de cet enclos.

Celles-là aussi, il faut que, je les conduise;

Elles écouteront ma voix, et il y aura

Encore un seul troupeau, un seul Berger. 17 Voilà

Pourquoi m'aime le Père : moi je livre ma vie

Pour la reprendre. 18 Personne ne me l'enlève, mais moi,

De moi-même, je la livre. Parce que j'ai pouvoir

De la livrer et j'ai pouvoir de la reprendre,

Et tel est le commandement que j'ai reçu

De mon Père."

19 Or il y eut une division

De nouveau chez les Juifs à cause de ces paroles.

20 Et beaucoup d'entre eux disaient : "Il a un démon

Et il est fou !" Alors pourquoi l'écoutez-vous ?"

21 D'autres disaient : "Ce ne sont pas là des histoires

De démoniaque ; est-ce qu'un démon peut ouvrir

Les yeux des aveugles ?"

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Le Pharisien et le Publicain

Écoutez cette autre parabole pour comprendre quelles sont les choses qui ont de la valeur aux yeux de Dieu.

Elle vous enseignera à vous corriger d'une pensée qui n'est pas bonne et qui est en beaucoup de cœurs. La

plupart des hommes se jugent par eux-mêmes, et comme un homme sur mille est vraiment humble, il se

produit ainsi que l'homme se juge parfait, lui seul parfait, alors que chez le prochain, il remarque des péchés

par centaines.

Un jour deux hommes qui étaient allés à Jérusalem pour affaires, montèrent au Temple, comme il convient à

tout bon Israélite chaque fois qu'il met les pieds dans la Cité Sainte. L'un était pharisien, l'autre publicain. Le

premier était venu pour percevoir les revenus de certains magasins et pour faire ses comptes avec ses

intendants qui habitaient dans les environs de la ville. L'autre pour verser les impôts perçus et pour demander

la pitié au nom d'une veuve qui ne pouvait payer la taxe de sa barque et des filets, car la pêche, faite par

l'aîné des fils, suffisait à peine pour donner à manger à ses nombreux autres fils.

Avant de monter au Temple, le pharisien était passé chez les tenanciers des magasins et avait jeté un coup

d'œil sur ces magasins qu'il avait vu remplis de marchandises et d'acheteurs. Il s'était complu en lui-même, il

avait appelé le tenancier du lieu et lui avait dit : "Je vois que ton commerce marche bien."

"Oui, grâce à Dieu, je suis content de mon travail. J'ai pu augmenter le stock de marchandises, et j'espère

faire encore davantage. J'ai amélioré le magasin, et l'année qui vient je n'aurai pas les dépenses de bancs et

d'étagères et j'aurai donc plus de gain."

"Bien ! Bien ! J'en suis heureux ! Combien paies-tu pour cet endroit ?"

"Cent didrachmes par mois. C'est cher, mais la situation est bonne..."

553


"Tu l'as dit. La situation est bonne. Par conséquent je double la redevance."

"Mais, seigneur, s'écria le marchand. De cette manière, tu m'enlèves tout profit !"

"C'est juste. Dois-je peut-être t'enrichir, et à mes dépens ? Vite. Ou bien tu me donnes deux mille quatre

cents didrachmes et tout de suite, ou je te mets dehors, et je prends la marchandise. Le lieu est à moi, et j'en

fais ce que je veux.''

Ainsi fit-il pour le premier, le second, le troisième de ses tenanciers, doublant pour tous la redevance, restant

sourd à toute prière. Comme le troisième, chargé de famille voulait résister, il appela les gardes et fit poser

les scellés en mettant dehors le malheureux.

Puis, dans son palais, il examina les registres des intendants pour trouver de quoi les punir comme paresseux

et pour accaparer la part qu'ils s'étaient réservée de droit. L'un d'eux avait son fils mourant et, à cause de ses

nombreuses dépenses, il avait vendu une partie de son huile pour payer les remèdes. Il n'avait donc rien à

donner au maître exigeant.

"Aie pitié de moi, maître. Mon pauvre fils va mourir, et après je ferai des travaux supplémentaires pour te

rembourser ce qui te semble juste. Mais maintenant, tu le comprends, je ne puis."

"Tu ne peux pas ? Je vais te faire voir si tu peux ou si tu ne peux pas." Et étant allé au pressoir avec le pauvre

intendant, il enleva le reste d'huile que l'homme s'était réservé pour sa misérable nourriture et pour alimenter

la lampe qui lui permettait de veiller son fils pendant la nuit.

Le publicain, de son côté, étant allé chez son supérieur et ayant versé les impôts perçus, s'entendit dire : "Mais

ici, il manque trois cent soixante as. Comment donc cela ?"

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"Voilà, je vais te le dire. Dans la ville il y a une veuve qui a sept enfants. Le premier seul est en âge de

travailler, mais il ne peut aller loin de la rive avec la barque parce que ses bras sont encore faibles pour la

rame et la voile et il ne peut payer un garçon de barque. Restant près de la rive, il prend peu de poissons, et

sa pêche suffit à peine pour nourrir ces huit malheureuses personnes. Je n'ai pas eu le cœur d'exiger la taxe."

"Je comprends, mais la loi c'est la loi. Malheur, si on savait qu'elle a pitié ! Tout le monde trouverait des

raisons pour ne pas payer. Que le jeune change de métier et vende la barque s'ils ne peuvent pas payer."

"C'est leur pain pour l'avenir... et c'est le souvenir du père."

"Je comprends, mais on ne peut transiger."

"C'est bien. Mais moi, je ne puis penser à huit malheureux privés de leur unique bien. Je paie de ma bourse

les trois cent soixante as."

Après avoir fait ces choses, les deux montèrent au Temple. En passant dans la salle du Trésor, le pharisien

tira avec ostentation de son sein une bourse volumineuse et il la secoua jusqu'à la dernière piécette dans le

Trésor. Dans cette bourse se trouvait l'argent pris en plus aux commerçants et le prix de l'huile enlevée à

l'intendant et vendue tout de suite à un marchand. Le publicain, de son côté, jeta une poignée de piécettes

après avoir pris ce qui lui était nécessaire pour retourner chez lui. L'un et l'autre donnèrent donc ce qu'ils

avaient et même, en apparence, le plus généreux était le pharisien car il avait donné jusqu'à la dernière

piécette qu'il avait sur lui. Cependant, il faut réfléchir que dans son palais il avait d'autre argent et qu'il avait

des crédits ouverts auprès des riches changeurs.

De là, ils allèrent devant le Seigneur. Le pharisien tout à fait en avant près de la limite de l'Atrium des

Hébreux, vers le Saint ; le publicain tout au fond, presque sous la voûte qui menait dans la Cour des

Femmes, et il restait courbé, accablé par la pensée de sa misère par rapport à la Perfection divine. Et ils

priaient l'un et l'autre.

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Le pharisien, tout droit, presque insolent, comme s'il était le maître du lieu et comme si c'était lui qui

daignait rendre hommage à un visiteur, disait : "Voici que je suis venu te vénérer dans la Maison qui est

notre gloire. Je suis venu bien que je sente que Tu es en moi, car je suis juste. Je sais l'être. Cependant, bien

que je sache que c'est par mon mérite que je suis tel, je te remercie, comme la loi le prescrit, de ce que je

suis. Je ne suis pas rapace, injuste, adultère, pécheur comme ce publicain qui, en même temps que moi, a jeté

dans le Trésor une poignée de piécettes. Moi, Tu l'as vu, j'ai donné tout ce que j'avais sur moi. Cet avare, au

contraire, a fait deux parts et il t'a donné la plus petite, l'autre certainement il va la garder pour faire

bombance et pour les femmes. Mais moi, je suis pur. Je ne me contamine pas, moi. Je suis pur et juste, je

jeûne deux fois la semaine, je paie la dîme de tout ce que je possède. Oui, je suis pur, juste et béni car je suis

saint. Gardes-en le souvenir, Seigneur."

Le publicain, dans son coin éloigné, n'osait pas lever son regard vers les portes précieuses du Temple et, en

se frappant la poitrine, il priait ainsi : "Seigneur, je ne suis pas digne de me tenir dans ce lieu. Mais Tu es

juste et saint et Tu me le permets encore, car Tu sais que l'homme est pécheur et que s'il ne vient pas vers

Toi, il devient un démon. Oh ! mon Seigneur ! Je voudrais t'honorer nuit et jour et je dois pendant tant

d'heures être l'esclave de mon travail : dur travail qui m'humilie, parce qu'il est douleur pour mon prochain le

plus malheureux, mais je dois obéir à mes supérieurs parce que c'est mon pain. Fais, ô mon Dieu, que je

sache accommoder le devoir envers mes supérieurs, avec la charité envers mes pauvres frères, pour qu'en

mon travail je ne trouve pas ma condamnation. Tout travail est saint s'il est fait avec charité. Garde ta charité

toujours présente en mon cœur, pour que moi, le misérable que je suis, je sache avoir pitié de ceux qui me

sont soumis, comme Tu as pitié de moi, grand pécheur. J'aurais voulu t'honorer davantage, ô Seigneur, tu le

sais. Mais j'ai pensé que prendre l'argent destiné au Temple pour soulager huit cœurs malheureux était une

chose meilleure que de le verser au Trésor et puis faire verser des larmes de désolation à huit innocents

malheureux. Pourtant, si je me suis trompé, fais-moi le comprendre, ô Seigneur, et je te donnerai jusqu'à la

dernière piécette et je retournerai au pays à pied en mendiant mon pain. Fais-moi comprendre ta justice. Aie

pitié de moi, ô Seigneur, car je suis un grand pécheur". Voilà la parabole.

En vérité, en vérité je vous dis que le pharisien sortit du Temple avec un nouveau péché ajouté à ceux déjà

faits avant de monter au Moriah, alors que le publicain en sortit justifié et la bénédiction de Dieu

556


l'accompagna à sa maison et y demeura, car il avait été humble et miséricordieux et ses actions avaient été

encore plus saintes que ses paroles, alors que le pharisien n'était bon qu'en paroles et extérieurement alors

qu'en son intérieur, il était l'ouvrier de Satan et faisait ses œuvres par orgueil et dureté de cœur, et Dieu le

haïssait pour ce motif.

Celui qui s'exalte sera toujours, tôt ou tard, humilié. Si ce n'est pas ici, ce sera dans l'autre vie. Celui qui

s'humilie sera exalté particulièrement là-haut au Ciel où on voit les actions des hommes dans leur véritable

vérité.

Viens, Zachée, Venez vous qui êtes avec lui et vous, mes apôtres et disciples, et je vous parlerai encore en

particulier."

Et s'enveloppant dans son manteau, il revient dans la maison de Zachée.

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Le Pharisien et le publicain

9 Et il dit encore

À certains qui se prétendaient d’être des justes

Et méprisaient les autres, la parabole suivante :

10 "Deux hommes étaient montés au Temple pour prier ;

L’un était Pharisien, et l'autre publicain.

11 Et le Pharisien, debout, priait en lui-même.

O Dieu je te rends grâce puisque je ne suis pas

Comme le reste des hommes, qui sont des rapaces,

Injustes, adultères, ou bien comme ce publicain

Encore. 12 Je jeûne deux fois la semaine et je donne

La dîme de tout ce que je possède. 13 Se tenant

Au loin le publicain ne voulait même pas

Lever les yeux au ciel, pourtant il ne frappait

La poitrine, en disant : 0 Dieu, prends en pitié

Le pécheur que je suis. 14 Ainsi je vous le dis :

Celui-ci descendit donc chez lui justifié,

L'autre non ; quiconque s’élève sera abaissé,

Celui qui s’abaisse sera élevé."

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TOME VIII

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La résurrection de Lazare

Les voilà à la grille du jardin. Ils la suivent. De nombreuses montures y sont attachées, surveillées par les

serviteurs de chaque propriétaire. Le chuchotement qui vient d'eux attire l'attention de quelques juifs qui se

tournent vers le portail ouvert, juste au moment où Jésus pose le pied à la limite du jardin.

"Le Maître !" disent les premiers qui le voient, et ce mot court comme le bruissement du vent d'un groupe à

l'autre, se propage, s'en va, comme une vague venue de loin et qui se brise sur la rive, jusque contre les murs

de la maison et y pénètre, apporté certainement par de nombreux juifs présents ou par quelques pharisiens,

rabbi ou scribe ou sadducéen, répandus ça et là.

Jésus y entre très lentement alors que tous, tout en accourant de tous côtés, s'écartent du sentier où il marche.

Et comme personne ne le salue, Lui ne salue personne comme s'il ne connaissait même pas un grand nombre

de ceux qui sont rassemblés là pour le regarder la colère et la haine dans les yeux, sauf un petit nombre qui

sont secrètement ses disciples ou qui du moins ont le cœur droit et qui, s'ils ne l'aiment pas comme disciples,

le respectent comme juste. De ce nombre sont Joseph, Nicodème, Jean, Éléazar, un autre Jean scribe, vu à la

multiplication des pains, et encore un autre Jean, qui rassasia les gens à la descente de la montagne des

béatitudes, Gamaliel avec son fils, Josué, Joachim, Manaën, le scribe Joël d'Abia, rencontré au Jourdain dans

l'épisode de Sabéa, Joseph Barnabé disciple de Gamaliel, Chouza qui regarde Jésus de loin, un peu intimidé

de le revoir après sa méprise, ou peut-être retenu par le respect humain et n'osant pas s'avancer comme ami.

Il est certain qu'il n'est salué ni par les amis, ni par ceux qui l'observent sans rancœur, ni par ses ennemis, et

Jésus ne salue pas. Il a seulement fait une vague inclination en mettant le pied dans l'allée. Puis il a continué

tout droit comme s'il était étranger à la foule nombreuse qui l'entoure. Le jeune garçon marche toujours à son

côté, dans ses vêtements de petit paysan, avec ses pieds nus d'enfant pauvre, mais le visage lumineux de

quelqu'un qui est en fête, avec ses petits yeux noirs, vifs, bien ouverts pour tout voir... et pour défier tout le

monde...

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Marthe sort de la maison au milieu d'un groupe de juifs venus pour rendre visite et parmi lesquels se trouvent

Elchias et Sadoc. De sa main elle protège ses yeux las de pleurer, gênés par la lumière, pour voir où est

Jésus. Elle le voit. Elle se détache de ceux qui l'accompagnent et court vers Jésus à quelques pas du bassin

rendu tout brillant par les rayons du soleil. Elle se jette aux pieds de Jésus après s'être inclinée et elle les

baise et, en éclatant en sanglots, elle dit : "Paix à Toi, Maître !"

Jésus aussi, dès qu'il l'a vue près de Lui, lui a dit : "Paix à toi !" et il a levé la main pour la bénir, en laissant

aller celle de l'enfant que Barthélemy a prise tout en l'attirant un peu en arrière.

Marthe poursuit : "Mais il n'y a plus de paix pour ta servante." Elle lève son visage vers Jésus en restant

encore à genoux. Et dans un cri de douleur que l'on entend bien dans le silence qui s'est fait elle s'écrie :

"Lazare est mort ! Si tu avais été là il ne serait pas mort. Pourquoi n'es-tu pas venu plus tôt, Maître ?" Elle a

un ton involontaire de reproche en posant cette question. Puis elle revient au ton accablé de quelqu'un qui n'a

plus la force de faire des reproches et dont l'unique réconfort est de rappeler les dernières actions et les

derniers désirs d'un parent auquel on a cherché à donner ce qu'il désirait et pour qui on n'a pas de remords

dans le cœur : "Il t'a tant appelé, Lazare, notre frère !... Maintenant, tu vois ! Je suis désolée et Marie pleure

sans pouvoir se donner la paix. Et lui n'est plus ici. Tu sais si nous l'aimions ! Nous espérions tout de Toi !..."

Un murmure de compassion pour la femme et de reproche à l'adresse de Jésus, un assentiment à la pensée

sous-entendue : "et tu pouvais nous exaucer car nous le méritions à cause de l'amour que nous avons pour

Toi, et Toi, au contraire, tu nous as déçues" court de groupe en groupe parmi des hochements de tête ou des

regards moqueurs. Seuls quelques secrets disciples, disséminés dans la foule ont des regards de compassion

pour Jésus qui écoute, très pâle et affligé, la femme désolée qui Lui parle. Gamaliel, les bras croisés dans son

ample et riche vêtement de laine très fine, orné de nœuds bleus, un peu à part dans le groupe de jeunes où se

trouve son fils et Joseph Barnabé, regarde fixement Jésus, sans haine et sans amour.

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Marthe, après s'être essuyée le visage, recommence à parler : "Mais même maintenant j'espère car je sais que

tout ce que tu demanderas à ton Père, te sera accordé." Une douloureuse, héroïque profession de foi, dite

d'une voix que les larmes font trembler, avec un regard qui tremble d'angoisse, avec l'ultime espérance qui

lui tremble dans le cœur.

"Ton frère ressuscitera. Lève-toi, Marthe."

Marthe se lève tout en restant courbée en vénération devant Jésus auquel elle répond : "Je le sais, Maître. Il

ressuscitera au dernier jour."

"Je suis la Résurrection et la Vie. Quiconque croit en Moi, même s'il est mort, vivra. Et celui qui croit et vit

en Moi ne mourra pas éternellement. Crois-tu tout cela ?" Jésus, qui d'abord avait parlé d'une voix plutôt

basse uniquement à Marthe, élève la voix pour dire ces phrases où il proclame sa puissance de Dieu, et son

timbre parfait résonne comme une trompette d'or dans le vaste jardin. Un frémissement presque d'épouvante

secoue l'assistance. Mais ensuite certains raillent en secouant la tête.

Marthe, à laquelle Jésus semble vouloir transfuser une espérance de plus en plus forte en tenant la main

appuyée sur son épaule, lève son visage qu'elle gardait penché. Elle le lève vers Jésus, en fixant ses yeux

affligés dans les lumineuses pupilles du Christ et serrant ses mains sur sa poitrine, elle répond avec une

angoisse différente : "Oui, Seigneur. Je crois cela. Je crois que tu es le Christ, le Fils du Dieu Vivant, venu

dans le monde. Et que tu peux tout ce que tu veux. Je crois. Maintenant, je vais prévenir Marie." et elle

s'éloigne rapidement en disparaissant dans la maison.

Jésus reste où il était, ou plutôt il fait quelques pas en avant et s'approche du parterre qui entoure le bassin.

Le parterre est tout éclairé de ce côté par la fine poussière du jet d'eau qu'un vent léger pousse de ce côté

comme un plumet d'argent, et il paraît se perdre, Jésus, dans la contemplation du frétillement des poissons

sous le voile de l'eau limpide, dans leurs jeux qui mettent des virgules d'argent et des reflets d'or dans le

cristal des eaux frappées par le soleil.

562


Les juifs l'observent. Ils se sont involontairement séparés en groupes bien distincts. D'un côté, en face de

Jésus, tous ceux qui Lui sont hostiles, habituellement divisés entre eux par esprit sectaire, maintenant

d'accord pour s'opposer à Jésus. À côté de Lui, derrière les apôtres, auxquels s'est réuni Jacques de Zébédée,

Joseph, Nicodème et les autres d'esprit bienveillant. Plus loin, Gamaliel, toujours à sa place et avec la même

attitude, est seul, car son fils et ses disciples se sont séparés de lui pour se répartir entre les deux groupes

principaux pour être plus près de Jésus.

Avec son cri habituel : "Rabboni !" Marie sort de la maison en courant, les bras tendus vers Jésus. Elle se

jette à ses pieds qu'elle baise en sanglotant. Divers juifs, qui étaient dans la maison avec elle et qui l'ont

suivie, unissent à ses pleurs leurs pleurs d'une sincérité douteuse. Maximin aussi, Marcelle, Sara, Noémi ont

suivi Marie ainsi que tous ses serviteurs et de fortes lamentations s'élèvent. Je crois que dans la maison il

n'est resté personne. Marthe, en voyant pleurer ainsi Marie, redouble elle aussi ses pleurs.

"Paix à toi, Marie. Lève-toi ! Regarde-moi ! Pourquoi ces pleurs semblables à ceux des gens qui n'ont pas

d'espérance ?" Jésus se penche pour dire doucement ces paroles, ses yeux dans les yeux de Marie qui, restant

à genoux, reposant sur ses talons, tend vers Lui ses mains dans un geste d'invocation et ne peut parler tant

elle sanglote : "Ne t'ai-je pas dit d'espérer au-delà de ce qui est croyable pour voir la gloire de Dieu ? Est-ce

que par hasard ton Maître est changé pour que tu aies raison d'être ainsi angoissée ?"

Mais Marie ne recueille pas les mots qui veulent déjà la préparer à une joie trop forte après tant d'angoisse, et

elle crie, finalement maîtresse de sa voix : "Oh ! Seigneur ! Pourquoi n'es-tu pas venu plus tôt ? Pourquoi

t'es-tu tellement éloigné de nous ? Tu le savais que Lazare était malade ! Si tu avais été ici, il ne serait pas

mort, mon frère. Pourquoi n'es-tu pas venu ? Je devais lui montrer encore que je l'aimais. Il devait vivre. Je

devais lui montrer que je persévérais dans le bien. Je l'ai tant angoissé, mon frère ! Et maintenant !

Maintenant que je pouvais le rendre heureux, il m'a été enlevé ! Tu pouvais me le laisser, donner à la pauvre

Marie la joie de le consoler après lui avoir donné tant de douleur. Oh ! Jésus ! Jésus ! Mon Maître ! Mon

Sauveur ! Mon espérance !" et elle s'abat de nouveau, le front sur les pieds de Jésus qui se trouvent de

nouveau lavés par les pleurs de Marie, et elle gémit : "Pourquoi as-tu fait cela, ô Seigneur ? ! Même à cause

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de ceux qui te haïssent et se réjouissent de ce qui arrive... Pourquoi as-tu fait cela, Jésus ? !" Mais il n'y a pas

de reproche dans le ton de la voix de Marie comme dans celui de Marthe, il y a seulement l'angoisse de

quelqu'une, qui outre sa douleur de sœur, a aussi celle d'une disciple qui sent amoindrie dans le cœur d'un

grand nombre l'opinion de son Maître.

Jésus, très penché pour entendre ces paroles qu'elle murmure la face contre terre, se redresse et dit à haute

voix : "Marie, ne pleure pas ! Ton Maître aussi souffre de la mort de l'ami fidèle... car il a dû le laisser

mourir..."

Oh ! quelles railleries et quels regards de joie livide il y a sur les visages des ennemis du Christ ! Ils le voient

vaincu, et s'en réjouissent, alors que les amis deviennent de plus en plus tristes.

Jésus dit encore plus fort : "Mais, je te le dis : ne pleure pas. Lève-toi ! Regarde-moi ! Crois-tu que Moi qui

t'ai tant aimée j'ai fait cela sans motif ? Peux-tu croire que je t'ai donné cette douleur inutilement ? Viens.

Allons vers Lazare. Où l'avez-vous mis ?"

Jésus, plutôt que Marie et Marthe, qui ne parlent pas prises comme elles le sont par des pleurs plus forts,

interroge tous les autres, surtout ceux qui, sortis avec Marie de la maison, semblent les plus troublés. Ce sont

peut-être des parents plus âgés, je ne sais pas. Et ceux-ci répondent à Jésus, visiblement affligé : "Viens et

vois" et ils se dirigent vers l'endroit où se trouve le tombeau à l'extrémité du verger, là où le sol a des

ondulations et des veines de roche calcaire qui affleurent à la surface du sol.

Marthe, à côté de Jésus qui a forcé Marie à se lever et il la conduit, car elle est aveuglée par ses larmes,

montre de la main à Jésus où se trouve Lazare et quand ils sont près de l'endroit elle dit aussi : "C'est ici,

Maître, que ton ami est enseveli." et elle indique la pierre posée obliquement à l'entrée du tombeau.

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Jésus pour s'y rendre, suivi de tout le monde, a dû passer devant Gamaliel. Mais ils ne se sont pas salués.

Ensuite Gamaliel s'est uni aux autres en s'arrêtant comme tous les pharisiens les plus rigides à quelques

mètres du tombeau, alors que Jésus s'avance tout près avec les sœurs, Maximin et ceux qui sont peut-être des

parents. Jésus contemple la lourde pierre qui sert de porte au tombeau et forme un lourd obstacle entre Lui et

l'ami éteint, et il pleure. Les larmes des sœurs redoublent et de même celles des intimes et familiers.

"Enlevez cette pierre" crie Jésus tout d'un coup, après avoir essuyé ses larmes.

Tous ont un geste d'étonnement et un murmure court dans le rassemblement qui a grossi de quelques

habitants de Béthanie qui sont entrés dans le jardin et se sont mis à la suite des hôtes. Je vois certains

pharisiens qui se touchent le front en secouant la tête comme pour dire : "Il est fou !"

Personne n'exécute l'ordre. Même chez les plus fidèles, on éprouve de l'hésitation, de la répugnance à le

faire.

Jésus répète plus fort son ordre, effrayant encore davantage les gens pris par deux sentiments opposés et qui,

après avoir pensé à fuir, s'approchent tout à coup davantage pour voir, défiant la puanteur toute proche du

tombeau que Jésus veut faire ouvrir.

"Maître, ce n'est pas possible" dit Marthe en s'efforçant de retenir ses pleurs pour parler : "Il y a déjà quatre

jours qu'il est là dessous. Et tu sais de quel mal il est mort ! Seul notre amour pouvait le soigner... Maintenant

la puanteur est certainement plus forte malgré les onguents... Que veux-tu voir ?

Sa pourriture ?... On ne peut pas... même à cause de l'impureté de la corruption et..."

"Ne t'ai-je pas dit que si tu crois tu verras la gloire de Dieu ? Enlevez cette pierre, je le veux !"

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C'est un cri de volonté divine... Un "oh !" étouffé sort de toutes les poitrines. Les visages deviennent blêmes,

certains tremblent comme s'il était passé sur tous un vent glacial de mort.

Marthe fait un signe à Maximin et celui-ci ordonne aux serviteurs de prendre les outils pouvant servir à

remuer la lourde pierre.

Les serviteurs s'en vont rapidement pour revenir avec des pics et des leviers robustes. Ils travaillent en

faisant entrer la pointe brillante des pics entre la roche et la pierre, et ensuite ils remplacent les pics par des

leviers robustes et enfin ils soulèvent avec attention la pierre en la faisant glisser d'un côté et en la traînant

ensuite avec précaution contre la paroi rocheuse. Une puanteur infecte sort du sombre trou et fait reculer tout

le monde.

Marthe demande tout bas : "Maître, tu veux y descendre ? Si oui, il faut des torches..." mais elle est livide à

la pensée qu'il doit le faire.

Jésus ne lui répond pas. Il lève les yeux vers le ciel, met ses bras en croix et prie d'une voix très forte, en

scandant les mots : "Père ! Je te remercie de m'avoir exaucé. Je le savais que Tu m'exauces toujours, mais je

le dis pour ceux qui sont présents ici, pour le peuple qui m'entoure, pour qu'ils croient en Toi, en Moi, et que

Tu m'as envoyé !"

Il reste encore ainsi un moment et il semble ravi en extase tellement il est transfiguré alors que, sans plus

émettre aucun son, il dit des paroles secrètes de prière ou d'adoration, je ne sais. Ce que je sais, c'est qu'il a

tellement outrepassé l'humain, qu'on ne peut le regarder sans se sentir le cœur trembler dans la poitrine. Il

semble devenir lumière en perdant son aspect corporel, se spiritualiser, grandir et même s'élever de terre.

Tout en gardant la couleur de ses cheveux, de ses yeux, de sa peau, de ses vêtements, au contraire de ce qui

se passa à la transfiguration du Thabor durant laquelle tout devint lumière et éclat éblouissant, il paraît

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dégager de la lumière et que tout ce qui est de Lui devient lumière. La lumière semble l'entourer d'un halo,

en particulier son visage levé vers le ciel, certainement ravi dans la contemplation du Père.

Il reste ainsi quelque temps, puis redevient Lui : l'Homme, mais d'une majesté puissante. Il s'avance jusqu'au

seuil du tombeau. Il déplace ses bras - que jusqu'à ce moment il avait gardés ouverts en croix, les paumes

tournées vers le ciel - en avant, les paumes vers la terre, et par conséquent les mains se trouvent déjà à

l'intérieur du tunnel du tombeau, toutes blanches dans ce tunnel obscur. Il plonge le feu bleu de ses yeux,

dont l'éclat miraculeux est aujourd'hui insoutenable, dans cette obscurité muette, et d'une voix puissante,

avec un cri plus fort que celui par lequel il commanda sur le lac aux vents de tomber, d'une voix que je ne

Lui ai jamais entendue dans aucun miracle, il crie : "Lazare ! Viens dehors !" L'écho répercute sa voix dans

la cavité du tombeau et se répand ensuite à travers tout le jardin, se répercute contre les ondulations du

terrain de Béthanie, je crois qu'il s'en va jusqu'aux premiers escarpements au-delà des champs et revient de

là, répété et amorti, comme un ordre qui ne peut faillir. Il est certain que de tous les côtés, on entend à

nouveau : "Dehors ! Dehors ! Dehors !"

Tous éprouvent un frisson plus intense, et si la curiosité les cloue tous à leurs places, les visages pâlissent et

les yeux s'écarquillent alors que les bouches s'entrouvrent involontairement avec déjà dans la gorge le cri de

stupeur.

Marthe, un peu en arrière et de côté, est comme fascinée en regardant Jésus. Marie tombe à genoux, elle qui

ne s'est jamais écartée de son Maître, elle tombe à genoux au bord du tombeau, une main sur sa poitrine pour

calmer les palpitations de son cœur, l'autre qui inconsciemment et convulsivement tient un pan du manteau

de Jésus, et on se rend compte qu'elle tremble car le manteau a de légères secousses imprimées par la main

qui le tient.

Quelque chose de blanc semble émerger du plus profond du souterrain. C'est d'abord une petite ligne

convexe, puis elle fait place à une forme ovale, puis à l'ovale se substituent des lignes plus amples, plus

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longues, de plus en plus longues. Et celui qui était mort, serré dans ses bandes, avance lentement, toujours

plus visible, fantomatique, impressionnant, Jésus recule, recule, insensiblement, mais continuellement à

mesure que Lazare avance. La distance entre les deux reste donc la même.

Marie est contrainte de lâcher le pan du manteau, mais elle ne bouge pas de l'endroit où elle est. La joie,

l'émotion, tout, la cloue à l'endroit où elle était.

Un "Osh !" de plus en plus net sort des gorges d'abord fermées par la douleur de l'attente. C'est d'abord un

murmure à peine distinct qui se change en voix, et la voix devient un cri puissant.

Lazare est désormais au bord du tombeau et il s'arrête là, raide, muet, semblable à une statue de plâtre à

peine ébauchée et donc informe, une longue chose, mince à la tête, mince aux jambes, plus large au tronc,

macabre comme la mort elle-même, spectrale, dans la blancheur des bandes contre le fond sombre du

tombeau. Au soleil qui l'enveloppe, les bandes paraissent ça et là laisser couler la pourriture.

Jésus crie d'une voix forte : "Débarrassez-le et laissez-le aller. Donnez-lui des vêtements et de la nourriture."

"Maître !..." dit Marthe, et elle voudrait peut-être en dire davantage, mais Jésus la regarde fixement, la

subjuguant de son regard étincelant, et il dit : "Ici ! Tout de suite ! Tout de suite, apportez un vêtement.

Habillez-le en présence de tout le monde et donnez-lui à manger." Il commande et ne se retourne jamais pour

regarder ceux qui sont derrière et autour de Lui. Son œil regarde seulement Lazare, Marie qui est près du

ressuscité sans souci de la répulsion que donnent à tous les bandes souillées, et Marthe qui halète comme si

son cœur allait éclater et qui ne sait si elle doit crier sa joie ou pleurer...

Les serviteurs se hâtent d'exécuter les ordres. Noémi s'en va en courant la première et la première revient

avec les vêtements qu'elle tient pliés sur son bras. Quelques-uns délient les lacets des bandelettes après avoir

retroussé leurs manches et relevé leurs vêtements pour qu'ils ne touchent pas la pourriture qui coule.

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Marcelle et Sara reviennent avec des amphores de parfums, suivies de serviteurs les uns avec des bassins et

des brocs fumants d'eau chaude, les autres avec des plateaux, des bols pleins de lait, du vin, des fruits, des

fouaces recouvertes de miel.

Les bandelettes étroites et très longues, de lin, me semble-t-il, avec des lisières des deux côtés, certainement

tissées pour cet usage, se déroulent comme des rouleaux de ganse d'une grande bobine et s'entassent sur le

sol, alourdies par les aromates et la pourriture. Les serviteurs les écartent en se servant de bâtons. Ils ont

commencé par la tête, et là aussi il y a la pourriture qui s'est écoulée du nez, des oreilles, de la bouche. Le

suaire placé sur le visage est tout trempé de ces souillures et le visage de Lazare que l'on voit très pâle,

squelettique, avec les yeux tenus fermés par des pommades mises dans les orbites, avec les cheveux collés et

de même la barbiche du menton, en est tout souillé. Le drap descend lentement, le suaire mis autour du

corps, à mesure que les bandelettes descendent, descendent, descendent, libérant le tronc qu'elles avaient

comprimé pendant de nombreux jours, et rendant une forme humaine à ce qu'elles avaient d'abord rendu

semblable à une grande chrysalide. Les épaules osseuses, les bras squelettiques, les côtes à peine couvertes

de peau, le ventre creusé, apparaissent lentement. À mesure que les bandes tombent, les sœurs, Maximin, les

serviteurs, s'empressent d'enlever la première couche de crasse et de baume, et s'y appliquent en changeant

continuellement l'eau rendue détergente par les aromates qu'on y a mis jusqu'à ce que la peau apparaisse

nette.

Lorsqu'on a dégagé le visage de Lazare et qu'il peut regarder, il dirige son regard vers Jésus avant même de

regarder ses sœurs. Il oublie tout et s'abstrait de tout ce qui arrive pour regarder, avec un sourire d'amour sur

ses lèvres pâles et une larme lumineuse au fond des yeux, son Jésus. Jésus aussi lui sourit et a une lueur de

larme dans le coin de l'œil, mais sans parler il dirige le regard de Lazare vers le ciel, Lazare comprend et

remue les lèvres dans une prière silencieuse.

Marthe croit qu'il veut dire quelque chose sans avoir encore de voix et elle demande : "Que me dis-tu, mon

Lazare ?"

"Rien, Marthe. Je remerciais le Très-Haut." La prononciation est assurée, la voix forte.

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Les gens poussent de nouveau un "Oh !" étonné.

Désormais ils l'ont dégagé jusqu'aux hanches, libéré et propre, et ils peuvent le revêtir de la tunique courte,

une sorte de chemisette qui dépasse l'aine pour retomber sur les cuisses.

On le fait asseoir pour dégager ses jambes et les laver. Quand elles apparaissent, Marthe et Marie poussent

un grand cri en montrant les jambes et les bandelettes. Sur les bandelettes qui serraient les jambes, et sur le

suaire posé par-dessous, les écoulements purulents sont si abondants qu'ils forment des grosses gouttes sur

les toiles, mais les jambes visiblement sont tout à fait cicatrisées. Seules les cicatrices rouges bleuâtres

indiquent où elles étaient gangrenées.

Tous les gens crient plus fort leur étonnement. Jésus sourit et aussi Lazare qui regarde un instant ses jambes

guéries, puis s'abstrait de nouveau pour regarder Jésus. Il semble ne pouvoir se rassasier de le voir. Les Juifs,

Pharisiens, Sadducéens, scribes, rabbis, s'approchent avec précaution pour ne pas souiller leurs vêtements.

Ils regardent de tout près Lazare, ils regardent de tout près Jésus. Mais ni Lazare ni Jésus ne s'occupent

d'eux : ils se regardent et tout le reste est inexistant.

Voilà que l'on met les sandales à Lazare. Il se lève, agile, sûr de lui. Il prend le vêtement que Marthe lui

présente et l'enfile tout seul, lie sa ceinture, ajuste les plis. Le voilà, maigre et pâle, mais semblable à tout le

monde. Il se lave encore les mains et les bras jusqu'aux coudes après avoir retroussé ses manches. Et puis

avec une nouvelle eau il se lave de nouveau le visage et la tête, jusqu'à ce qu'il se sente tout à fait net. Il

essuie ses cheveux et son visage, rend la serviette au serviteur et va tout droit vers Jésus. Il se prosterne, Lui

baise les pieds.

Jésus se penche, le relève, le serre contre son cœur en lui disant : "Bien revenu, mon ami. Que la paix soit

avec toi et la joie. Vis pour accomplir ton heureuse destinée. Lève ton visage pour que je te donne le baiser

de salutation." Il dépose un baiser sur les joues et Lazare Lui rend son baiser.

570


C'est seulement après avoir vénéré et embrassé le Maître que Lazare parle à ses sœurs et les embrasse, puis il

embrasse Maximin et Noémi qui pleurent de joie, et certains autres dont je crois qu'ils lui sont apparentés ou

amis très intimes. Puis il embrasse Joseph, Nicodème, Simon le Zélote et quelques autres.

Jésus va personnellement trouver un serviteur qui a sur les bras un plateau avec de la nourriture et il prend

une fouace avec du miel, une pomme, une coupe de vin et il offre le tout à Lazare, après les avoir offerts et

bénits, pour qu'il se restaure. Et Lazare mange avec l'appétit de quelqu'un qui se porte bien. Tout le monde

pousse encore un "Oh !" d'étonnement.

Jésus semble ne voir que Lazare, mais en réalité il observe tout et tout le monde. Voyant qu'avec des gestes

de colère Sadoc avec Elchias, Canania, Félix, Doras et Cornélius et d'autres sont sur le point de s'éloigner, il

dit à haute voix : "Attends un moment, Sadoc. J'ai un mot à te dire, à toi et aux tiens."

Ils s'arrêtent avec une figure de criminels.

Joseph d'Arimathie fait un geste effaré et fait signe au Zélote de retenir Jésus. Mais Lui est déjà en train

d'aller vers le groupe haineux, et il dit à haute voix : "Est-ce que cela te suffit, Sadoc, ce que tu as vu ? Tu

m'as dit un jour que pour croire tu avais besoin, toi et tes pareils, de voir recomposé, en bonne santé, un

homme décomposé. Es-tu rassasié de la putréfaction que tu as vue ? Es-tu capable de reconnaître que Lazare

était mort et que maintenant il est vivant et sain comme il ne l'était pas depuis des années ? Je le sais. Vous

êtes venus ici pour les tenter, pour mettre en eux plus de douleur et le doute. Vous êtes venus ici pour me

chercher, espérant me trouver caché dans la pièce du mourant. Vous êtes venus ici, non par un sentiment

d'amour et le désir d'honorer celui qui s'était éteint mais pour vous assurer que Lazare était réellement mort,

et vous avez continué de venir, vous réjouissant toujours plus à mesure que le temps passait. Si les choses

étaient allées comme vous l'espériez, comme désormais vous croyiez qu'elles iraient, vous auriez eu raison

de vous réjouir. L'Ami qui guérit tout le monde, mais ne guérit pas l'ami. Le Maître qui récompense la foi de

tout le monde, mais pas celle de ses amis de Béthanie. Le Messie impuissant devant la réalité de la mort.

Voilà ce qui vous donnait raison de vous réjouir. Mais voilà : Dieu vous a répondu. Nul prophète n'a jamais

pu rassembler ce qui était décomposé, en plus que mort. Dieu l'a fait. Voilà le témoignage vivant de ce que je

suis. Il y eut un jour où Dieu prit de la boue, lui donna une forme et y insuffla l'esprit de vie et ce fut

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l'homme. J'y étais pour dire : "Que l'on fasse l'homme à notre image et à notre ressemblance", car je suis le

Verbe du Père. Aujourd'hui, Moi, le Verbe, j'ai dit à ce qui était encore moins que de la boue : à la

corruption : "Vis" et la corruption s'est faite de nouveau chair, une chair intègre, vivante, palpitante. La voici

qui vous regarde. Et à la chair j'ai réuni l'esprit qui gisait depuis des jours dans le sein d'Abraham. Je l'ai

rappelé par ma volonté car je puis tout, Moi, le Vivant, Moi, le Roi des rois auquel sont soumises toutes les

créatures et toutes les choses. Maintenant, que me répondez-vous ?"

Il est devant eux, grand, fulgurant de majesté, vraiment Juge et Dieu. Ils ne répondent pas.

Lui insiste : "Ce n'est pas encore assez pour croire, pour accepter l'inéluctable ?"

"Tu n'as tenu qu'une partie de la promesse. Ce n'est pas le signe de Jonas..." dit brutalement Sadoc.

"Vous aurez aussi celui-là. J'ai promis et je tiendrai ma promesse." dit le Seigneur. "Un autre présent ici,

attend un autre signe, et il l'aura. Et comme c'est un juste, il l'acceptera. Vous non. Vous resterez ce que vous

êtes."

Il fait un demi-tour sur Lui-même et il voit Simon, le synhédriste, fils d'Eli-Anna. Il le fixe, le fixe. Il laisse

de côté ceux de tout à l'heure et, arrivé en face de lui, il lui dit, à voix basse mais nette : "C'est heureux pour

toi que Lazare ne se rappelle pas son séjour parmi les morts ! Qu'as-tu fait de ton père, Caïn ?"

Simon s'enfuit en poussant un cri de peur qui se change en un hurlement de malédiction : "Sois maudit,

Nazaréen !" à laquelle Jésus répond : "Ta malédiction monte vers le Ciel et du Ciel le Très-Haut te la

renvoie. Tu es marqué du signe, ô malheureux !"

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Il revient en arrière, parmi les groupes étonnés, presque effrayés. Il rencontre Gamaliel qui se dirige vers la

route. Il le regarde et Gamaliel le regarde. Jésus lui dit sans s'arrêter : "Tiens-toi prêt, ô rabbi. Le signe

viendra bientôt. Je ne mens jamais."

Le jardin se vide lentement. Les juifs sont abasourdis, mais la plupart giclent de la colère par tous leurs

pores. Si leurs regards pouvaient le réduire en cendres, Jésus serait complètement pulvérisé. Ils parlent,

discutent entre eux en s'en allant, si bouleversés maintenant par leur défaite qui ne peuvent plus cacher sous

une apparence hypocrite d'amitié le but de leur présence à cet endroit. Ils s'en vont sans saluer ni Lazare ni

ses sœurs.

Il reste en arrière certains qui ont été conquis au Seigneur par le miracle. Parmi eux se trouve Joseph

Barnabé qui se jette à genoux devant Jésus et l'adore. Un autre est le scribe Joël d'Abia qui fait la même

chose avant de partir à son tour, et d'autres encore que je ne connais pas mais qui doivent être influents.

Pendant ce temps, Lazare, entouré de ses plus intimes, s'est retiré dans la maison. Joseph, Nicodème et les

autres bons saluent Jésus et s'en vont. Partent avec de profondes salutations les juifs qui étaient restés auprès

de Marthe et Marie. Les serviteurs ferment la grille. La maison redevient tranquille.

Jésus regarde autour de Lui. Il voit de la fumée et des flammes au fond du jardin, dans la direction du

tombeau. Jésus, seul, debout au milieu d'un sentier, dit : "La putréfaction qui va être annulée par le feu... La

putréfaction de la mort... Mais celle des cœurs... de ces cœurs, aucun feu ne l'annulera... Pas même le feu de

l'Enfer. Elle sera éternelle... Quelle horreur !... Plus que la mort... Plus que la corruption... Et...Mais qui te

sauvera, ô Humanité, si tu aimes tant d'être corrompue ! Tu veux être corrompue. Et Moi... Moi j'ai arraché

au tombeau un homme par une seule parole... Et avec un flot de paroles... et de douleurs, je ne pourrai

arracher au péché l'homme, les hommes, des millions d'hommes." Il s'assoit et avec ses mains se couvre le

visage, accablé...

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Un serviteur qui passe le voit. Il va à la maison. Peu après Marie sort de la maison. Elle va trouver Jésus,

légère comme si elle ne touchait pas le sol. Elle s'approche, Lui dit doucement : "Rabboni, tu es las... Viens,

ô mon Seigneur. Tes apôtres fatigués sont allés dans l'autre maison, tous, sauf Simon le Zélote... Tu pleures,

Maître ? Pourquoi ?..."

Elle s'agenouille aux pieds de Jésus... l'observe... Jésus la regarde. Il ne répond pas. Il se lève et se dirige vers

la maison, suivi de Marie.

Ils entrent dans une salle. Lazare n'y est pas, ni non plus le Zélote, mais il y a Marthe, heureuse, transfigurée

par la joie. Elle s'adresse à Jésus pour expliquer : "Lazare est allé au bain pour se purifier encore. Oh !

Maître ! Maître ! Que te dire !" Elle l'adore de toute elle-même. Elle remarque la tristesse de Jésus et elle

dit : "Tu es triste, Seigneur ? Tu n'es pas heureux que Lazare..." Il lui vient un soupçon : "Oh ! Tu es réservé

avec moi. J'ai péché. C'est vrai."

"Nous avons péché, ma sœur" dit Marie.

"Non, pas toi... Oh ! Maître. Marie n'a pas péché. Marie a su obéir, moi seule ai désobéi. Je t'ai envoyé

appeler, parce que... parce que je ne pouvais plus les entendre insinuer que tu n'étais pas le Messie, le

Seigneur... et je pouvais plus le voir souffrir... Lazare te désirait tant. Il t'appelait tant... Pardonne-moi,

Jésus."

"Et toi, tu ne parles pas, Marie ?" demande Jésus.

"Maître... moi... Je n'ai souffert alors que comme femme. Je souffrais parce que... Marthe, jure, jure ici,

devant le Maître que jamais, jamais tu ne parleras à Lazare de son délire... Mon Maître... je t'ai connu tout à

fait, ô Divine Miséricorde, dans les dernières heures de Lazare. Oh ! mon Dieu ! Mais comme tu m'as aimée,

Toi, Toi qui m'as pardonnée, Toi, Dieu, Toi, Pur, Toi... si mon frère, qui pourtant m'aime, mais qui est

homme, seulement homme, au fond de son cœur ne m'a pas tout pardonné ? ! Non, je m'exprime mal. Il n'a

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pas oublié mon passé et quand la faiblesse de la mort a émoussé en lui sa bonté que je croyais oublieuse du

passé, il a crié sa douleur, son indignation pour moi... Oh !..." Marie pleure...

"Ne pleure pas, Marie. Dieu t'a pardonnée et a oublié. L'âme de Lazare aussi a pardonné et a oublié, a voulu

oublier. L'homme n'a pas pu tout oublier, et quand la chair a dominé par son dernier spasme la volonté

affaiblie, l'homme a parlé."

"Je n'en éprouve pas d'indignation, Seigneur. Cela m'a servi à t'aimer davantage et à aimer encore plus

Lazare. Dès lors moi aussi je t'ai désiré, car j'étais trop angoissée de penser que Lazare était mort sans paix à

cause de moi... et ensuite, ensuite, quand je t'ai vu méprisé par les juifs... quand j'ai vu que tu ne venais pas

même après la mort, pas même après que je t'avais obéi en espérant au-delà de ce qui est croyable, en

espérant jusqu'à ce que le tombeau s'ouvre, alors mon esprit aussi a souffert. Seigneur, si j'avais à expier, et

certainement je l'avais, j'ai expié, Seigneur..."

"Pauvre Marie ! Je connais ton cœur. Tu as mérité le miracle et que cela t'affermisse dans ton espérance et ta

foi."

"Mon Maître, j'espérerai et je croirai toujours désormais. Je ne douterai plus, jamais plus, Seigneur. Je vivrai

de foi. Tu m'as donné la capacité de croire ce qui est incroyable."

"Et toi, Marthe, as-tu appris ? Non, pas encore. Tu es ma Marthe mais tu n'es pas encore ma parfaite

adoratrice. Pourquoi agis-tu au lieu de contempler ? C'est plus saint. Tu vois ? Ta force, parce qu'elle était

trop tournée vers les choses terrestres, a cédé à la constatation de faits terrestres qui semblent parfois sans

remède. En vérité les choses humaines n'ont pas de remède, si Dieu n'intervient pas. La créature, à cause de

cela, a besoin de savoir croire et contempler, d'aimer jusqu'au bout des forces de l'homme tout entier, avec sa

pensée, son âme, sa chair, son sang, avec toutes les forces de l'homme, je le répète. Je te veux forte, Marthe.

Je te veux parfaite. Tu n'as pas su obéir parce que tu n'as pas su croire et espérer complètement, et tu n'as pas

su croire et espérer parce que tu n'as pas su aimer totalement. Mais Moi, je t'en absous. Je te pardonne,

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Marthe. J'ai ressuscité Lazare aujourd'hui. Maintenant je te donne un cœur plus fort. À lui j'ai rendu la vie. À

toi, j'infuse la force d'aimer, croire et espérer parfaitement. Maintenant soyez heureuses et en paix.

Pardonnez à ceux qui vous ont offensé ces jours-ci..."

"Seigneur, en cela j'ai péché. Il y a un instant j'ai dit au vieux Canania qui t'avait méprisé les autres jours :

"Qui a triomphé ? Toi ou Dieu ? Ton mépris ou ma foi ? Le Christ est le Vivant et il est la Vérité. Moi, je

savais que sa gloire aurait resplendi plus grande, et toi, vieillard, refais ton âme si tu ne veux pas connaître la

mort."

"Tu as bien parlé. Mais ne discute pas avec les méchants, Marie. Et pardonne. Pardonne si tu veux m'imiter...

Voici Lazare. J'entends sa voix."

En effet Lazare rentre, vêtu à neuf et bien rasé, bien peigné et la chevelure parfumée. Avec lui se trouvent

Maximin et le Zélote. "Maître !" Lazare s'agenouille encore pour l'adorer.

Jésus lui met la main sur la tête et sourit en disant : "L'épreuve est surmontée, mon ami. Pour toi et pour tes

sœurs. Maintenant soyez heureux et forts pour servir le Seigneur. Que te rappelles-tu, ami, du passé ? Je

veux parler de tes derniers moments ?"

"Un grand désir de te voir et une grande paix au milieu de l'amour des sœurs."

"Et qu'est-ce qui t'affligeait le plus de quitter en mourant ?"

"Toi, Seigneur, et mes sœurs. Toi parce que je ne pouvais plus te servir, elles parce qu'elles m'ont donné

toute joie..."

"Oh ! moi, frère !" soupire Marie.

"Toi, plus que Marthe. Tu m'as donné Jésus et la mesure de ce qu'est Jésus. Et Jésus t'a donnée à moi. Tu es

le don de Dieu, Marie."

576


"Tu le disais aussi en mourant..." dit Marie et elle étudie le visage de son frère.

"Parce que c'est ma constante pensée."

"Mais moi, je t'ai donné tant de douleur..."

"La maladie aussi m'a donné de la douleur. Mais, par elle, j'espère avoir expié les fautes du vieux Lazare et

d'être ressuscité, purifié pour être digne de Dieu. Toi et moi : tous deux ressuscités pour servir le Seigneur, et

Marthe au milieu de nous, elle qui fut toujours la paix de la maison."

"Tu l'entends, Marie ? Lazare dit des paroles de sagesse et de vérité. Maintenant je me retire et vous laisse à

votre joie..."

"Non, Seigneur, reste avec nous. Ici. Reste à Béthanie et dans ma maison. Ce sera beau..."

"Je resterai. Je veux te récompenser de tout ce que tu as souffert. Marthe, ne sois pas triste. Marthe pense

m'avoir affligé. Mais ma peine n'est pas autant pour vous que pour ceux qui ne veulent pas se racheter. Eux

haïssent de plus en plus. Ils ont le venin dans le cœur... Eh bien... pardonnons."

"Pardonnons, Seigneur." dit Lazare avec son doux sourire... et sur cette parole tout prend fin.

577


Résurrection de Lazare

11 1 Il y avait

Lazare, de Béthanie, le village de Marie

Et de Marthe, sa sœur. 2 Et c'est cette Marie,

Qui oignit le Seigneur de parfums qui avec

Ses cheveux lui essuya les pieds. C'est son frère

Lazare qui était malade, 3 Les sœurs envoyèrent

Dire à Jésus : "Seigneur, il est malade celui

Que tu aimes."

4 En entendant cela, Jésus dit :

"Cette maladie ne s'en va pas à la morts,

Mais à la gloire de Dieu afin que par elle

Soit glorifié le Fils de Dieu." 5 Jésus aimait

Marthe, et sa sœur et Lazare.

6 Quand il eut appris

Qu'il se trouvait malades il demeura, deux jours,

A l'endroit où il se trouvait. 7 Après cela,

Il dit aux disciples : "Retournons donc en Judée."

8 Les disciples lui dirent : "Rabbi, tout récemment

Les Juifs cherchaient à te lapider, de nouveau

Tu t'en vas là-bas !" 9 Alors Jésus répondit :

"N'y a-t-il pas douze heures dans le jour ? Si quelqu’un

Marche le jour il n'achoppe pas car il voit

La lumière de ce monde, 10 mais si quelqu'un la nuit

Marche, il achoppe car la lumière n'est pas en lui."

578


11 Il dit cela, après quoi il leur dit : " Lazare

Notre ami s'est endormi; mais je vais aller

Le réveiller." 12 Les disciples lui dirent : " Seigneur

S'il s'est endormi, il sera sauvé." 13 Jésus

Avait parlé de la mort, mais ils pensèrent eux,

Qu'il parlait du repos du sommeil. 14 Et Jésus

Leur dit ceci ouvertement : " Lazare est mort,

15 Et je me réjouis pour vous de n'avoir pas

Été là, alors que vous croyiez, mais allons

Vers lui."

16 Alors Thomas appelé Didyme dit

Aux autres disciples : "Allons aussi pour mourir

Avec lui, nous !"

17 Jésus vint et il le trouva

Depuis quatre jours au tombeau. 18 Or Béthanie

Était proche de Jérusalem à environ

Quinze stades, 19 et beaucoup de juifs étaient venus

Vers Marthe et vers Marie pour les réconforter

Au sujet de leur frère. 20 Et Marthe, quand elle apprit

Que Jésus venait, partit au-devant de lui,

Pourtant Marie resta assise à la maison.

21 Marthe dit à Jésus : " Si tu avais été là,

Seigneur, mon frère ne serait pas mort ! 22 Maintenant

Je sais que tout ce que tu voudras demander

À Dieu, Dieu te l'accordera. "

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23 Jésus lui dit :

"Ton frère ressuscitera." 24 Et Marthe lui dit :

"Je sais qu'il ressuscitera au dernier Jour,

Lors de la résurrection. 25 Jésus lui dit : "Moi,

Je suis la Résurrection et la Vie : celui

Qui croit en moi, fût-il mort vivra, 26 quiconque vit

Et croit en moi ne mourra jamais. Le crois-tu ?"

27 Elle lui dit : "Oui, Seigneur car moi j'ai toujours cru

Que c'était toi le Christ, le fils de Dieu qui doit

Venir dans le monde."

28 Après avoir dit cela,

Elle appela Marie, sa sœur et elle lui dit

En cachette : "Le maître est là et il t’appelle."

29 Dès qu'elle eut entendu, celle-ci se leva

Rapidement et elle vint vers lui, 30 En effet

Jésus n'était pas encore venu au village,

Mais il était toujours à l’endroit où l'avait

Rencontré Marthe. 31 Et les Juifs qui étaient avec

Marie dans la maison la réconfortaient, et

Voyant que rapidement elle s'était levée

Et qu'elle était sortie, la suivirent. Ils pensaient

Qu'elle allait au tombeau pour y pleurer.

32 Quand donc

Marie vint où était Jésus, en le voyant

Elle tomba à ses pieds et elle lui dit ceci :

"Seigneur, si tu avais été ici, mon frère

Ne serait pas mort ! " 33 Jésus quand il la vit pleu-

Rer, il vit pleurer aussi les Juifs qui l'avaient

580


Accompagné, gronda en son esprit, alors

Il se troubla ; 34 Puis il dit : "Où l'avez-vous mis ?

On lui dit : "Seigneur, viens et vois". 35 Jésus versa

Des larmes. 36 Les Juifs disaient : "Voilà comme il l'aimait !"

37 Certains d'entre eux dirent : "Ne pouvait-il lui qui a

Ouvert les yeux de l'aveugle, faire que celui-là

Ne mourût pas ?"

38 Jésus donc, grondant de nouveau

En lui-même, vient au tombeau. C'était une grotte,

Une pierre était là contre. 39 Jésus dit : "0tez

La pierre." Marthe, la sœur du trépassé, lui dit :

"Mais c'est le quatrième jour, il sent déjà,

Seigneur."

40 Jésus lui dit : "Ne t'ai-je pas dit que,

Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ?" 41 Alors

On ôta la pierre, et Jésus leva les yeux

En haut et dit : "Père, je te rends grâce de m'avoir

Exaucé. 42 Mais, Moi, je savais que tu m'exauces

Toujours. Et c'est à cause de la foule qui m'entoure

Que j'ai parlé, afin qu'ils croient que c'est toi

Qui m'as envoyé." 43 Alors ayant dit cela,

Il cria d'une forte voix : "Lazare, ici,

Dehors !" 44 Le mort sortit, les pieds, les mains liés

De bandes, et son visage était enveloppé

D'un suaire. Et Jésus leur dit : "Déliez-le,

Et laissez-le aller."

581


La parabole du jeune homme riche

Jésus quitte la route de Jéricho pour un chemin secondaire qui va à Doco. Il s'y trouve depuis peu quand,

d'une caravane qui vient je ne sais d'où - une riche caravane qui certainement vient de loin. Les femmes sont

montées sur des chameaux, renfermées dans des palanquins qui oscillent, attachés sur les échines gibbeuses.

Les hommes sont montés sur des chevaux fougueux ou d'autres chameaux - se détache un jeune homme qui

fait agenouiller son chameau et glisse en bas de la selle pour aller vers Jésus. Un serviteur qui est accouru lui

tient la bête par la bride.

Le jeune homme se prosterne devant Jésus et Lui dit après une profonde salutation : "Je suis Philippe de

Canata, fils de vrais Israélites et resté tel. Disciple de Gamaliel jusqu'à la mort de mon père qui m'a mis à la

tête de son commerce. Je t'ai entendu plus d'une fois. Je connais tes actions, j'aspire à une vie meilleure pour

avoir cette vie éternelle dont tu assures la possession à celui qui crée ton Royaume en lui-même. Dis-moi,

bon Maître : que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ?"

"Pourquoi m'appelles-tu bon ? Dieu seul est bon."

"Tu es le Fils de Dieu, bon comme ton Père. Oh ! dis-moi que dois-je faire ?"

"Pour entrer dans la vie éternelle, observe les commandements."

"Lesquels, mon Seigneur ? Les anciens ou les tiens ?"

"Dans les anciens, les miens se trouvent déjà. Les miens ne changent pas les anciens. Ils sont toujours :

adorer d'un amour vrai l'Unique vrai Dieu et respecter les lois du culte, ne pas tuer, ne pas voler, ne pas

commettre l'adultère, ne pas attester le faux, honorer père et mère, ne pas faire du tort au prochain, mais au

contraire l'aimer comme tu t'aimes toi-même. En agissant ainsi, tu auras la vie éternelle."

"Maître, toutes ces choses, je les ai observées depuis mon enfance."

582


Jésus le regarde d'un œil affectueux et doucement il lui demande : "Et cela ne te paraît pas encore

suffisant ?"

"Non, Maître. C'est une si grande chose le Royaume de Dieu en nous et dans l'autre vie. C'est un don infini

Dieu, qui se donne à nous. Je sens que tout est peu de chose de ce qui est devoir, par rapport au Tout, à

l'Infini Parfait qui se donne. Je pense qu'on doit l'obtenir avec des choses plus grandes que celles qui sont

commandées pour ne pas se damner et Lui être agréable."

"Tu parles bien. Pour être parfait il te manque encore une chose. Si tu veux être parfait comme le veut notre

Père des Cieux, va, vends ce que tu as, et donne-le aux pauvres, et tu auras dans le Ciel un trésor qui te fera

aimer du Père qui a donné son Trésor pour les pauvres de la terre. Puis viens et suis-moi."

Le jeune homme s'attriste et devient pensif, puis il se relève en disant : "Je me rappellerai ton conseil..." et il

s'éloigne tout triste.

Judas a un petit sourire ironique et il murmure : "Je ne suis pas le seul à aimer l'argent !"

Jésus se retourne et le regarde... et puis il regarde les onze autres visages qui sont autour de Lui, puis il

soupire : "Comme difficilement un riche entrera dans le Royaume des Cieux dont la porte est étroite, dont le

chemin est escarpé, et que ne peuvent parcourir pour y entrer ceux qui sont chargés du poids volumineux des

richesses ! Pour entrer là-haut, il ne faut que des trésors de vertus, immatériels, et il faut savoir se séparer de

tout ce qui est attachement aux choses du monde et aux vanités." Jésus est très triste.

Les apôtres, entre eux, se regardent du coin de l'œil...

583


Jésus reprend, en regardant la caravane du jeune homme riche qui s'éloigne : "En vérité je vous dis qu'il est

plus facile qu'un chameau passe par le chas d'une aiguille que pour un riche d'entrer dans le Royaume de

Dieu."

"Mais alors qui pourra jamais se sauver ? La misère rend souvent pécheur à cause de l'envie et du peu de

respect pour ce qui appartient à autrui et de la défiance envers la Providence... La richesse est un obstacle à

la perfection... Et alors ? Qui pourra se sauver ?"

Jésus les regarde et leur dit : "Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu, car à Dieu, tout est

possible. Il suffit que l'homme aide son Seigneur par sa bonne volonté. Et c'est de la bonne volonté

d'accepter le conseil reçu et de s'efforcer d'arriver à se libérer des richesses. À se libérer de tout pour suivre

Dieu. Car voici ce que c'est que la vraie liberté de l'homme : suivre les paroles que Dieu murmure au cœur et

ses commandements, ne pas être esclave ni de soi-même, ni du monde, ni du respect humain, et donc pas

esclave de Satan. User de la splendide liberté d'arbitre que Dieu a donné à l'homme pour vouloir librement et

uniquement le Bien et obtenir ainsi la vie éternelle, toute lumineuse. libre, bienheureuse. Il ne faut pas être

esclave même de sa propre vie si pour la seconder on doit résister à Dieu. Je vous l'ai dit : "Celui qui perdra

sa vie par amour pour Moi et pour servir Dieu la sauvera pour l'éternité."

"Voilà ! Pour te suivre nous avons quitté toutes choses, même les plus licites. Que nous en arrivera-t-il

donc ? Entrerons-nous alors dans ton Royaume ?" demande Pierre.

"En vérité, en vérité, je vous dis que ceux qui m'auront suivi de cette façon, et qui me suivront - car il est

toujours temps de réparer la paresse et les fautes faites jusqu'ici, toujours temps tant que l'on est sur la Terre

et que l'on a devant soi des jours où on peut réparer le mal commis - ceux qui me suivront seront avec Moi

dans mon Royaume. En vérité je vous dis que vous qui m'avez suivi dans la régénération vous siégerez sur

des trônes pour juger les tribus de la Terre avec le Fils de l'homme assis sur le trône de sa gloire. En vérité je

vous dis encore qu'il n'y aura personne qui, ayant par amour de mon Nom quitté maison, champs, père, mère,

584


frères, épouse, enfants et sœurs, pour répandre la Bonne Nouvelle et me continuer, qui ne reçoive le centuple

en ce temps et la vie éternelle dans le siècle futur."

"Mais si nous perdons tout, comment pourrons-nous centupler notre avoir ?" demande Judas de Kériot.

"Je répète : ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. Et Dieu donnera le centuple de joie

spirituelle à ceux qui d'hommes du monde auront su se rendre fils de Dieu, c'est-à-dire hommes spirituels. Ils

jouiront de la vraie joie ici et au-delà de la Terre. Et je vous dis encore que ce ne sont pas tous ceux qui

semblent les premiers, et devraient l'être ayant reçu plus que tous, qui seront tels. Et ce ne sont pas tous ceux

qui semblent les derniers, et moins que les derniers, n'étant pas en apparence mes disciples et n'appartenant

même pas au Peuple élu, qui seront les derniers. En vérité beaucoup des premiers deviendront derniers et

beaucoup de derniers, de tout à fait derniers, deviendront premiers... Mais voilà Doco. Allez tous en avant,

sauf Judas de Kériot et Simon le Zélote. Allez m'annoncer à ceux qui peuvent avoir besoin de Moi."

585


Le jeune homme riche

16 Et voilà que quelqu’un

S’avançant vers lui, dit : “ Maître, que dois-je faire

De bon pour avoir la vie éternelle ? ” 17 “ Pourquoi

M’interroges-tu sur ce qui est bon ? lui dit-il.

Un seul est bon. Si tu veux entrer dans la vie,

Garde les commandements. ” 18 Il lui dit : “ Lesquels ? ”

Jésus lui dit : “ Tu ne tueras pas, d’adultère

Tu ne commettras pas, tu ne voleras pas,

Tu ne témoigneras pas, tu ne voleras pas,

Tu ne témoigneras pas faussement, 19 honore

Tes père et mère, et tu aimeras ton prochain

Comme toi-même ! ”

20 Le jeune homme lui dit : “ Cela

En tout, je l’ai observé. Que me manque-t-il

Encore ? ” Et Jésus lui déclara : 21 “ Si tu veux

Être parfait, va, vends tes biens et donnes-en

Le prix aux pauvres, alors tu auras dans les cieux

Un trésor ; puis viens, suis-moi. ”

Entendit cette parole, il partit tout triste,

Il avait beaucoup de propriétés.

22 Lorsque le jeune homme

586


Les deux aveugles de Jéricho

Jésus fait le geste de partir, mais du carrefour désormais dépassé, près des ânes laissés là par les miraculés,

deux autres cris s'élèvent lamentables avec la cadence caractéristique des hébreux : "Jésus, Seigneur ! Fils de

David, aie pitié de moi !" Et de nouveau, plus fort, pour dépasser les cris de la foule qui dit : "Taisez-vous,

laissez aller le Maître La route est longue et le soleil tape de plus en plus fort. Qu'il puisse être sur les

collines avant la chaleur", mais ils crient de nouveau : "Jésus, Seigneur, Fils de David, aie pitié de moi."

Jésus s'arrête de nouveau pour dire : "Allez prendre ceux qui crient et amenez-les ici."

Des volontaires s'en vont. Ils rejoignent les deux aveugles et leur disent : "Venez. Il a pitié de vous. Levezvous

car il veut vous exaucer. Il nous a envoyés pour vous appeler en son nom." et ils cherchent à conduire

les deux aveugles à travers la foule.

Mais si l'un se laisse conduire, l'autre, plus jeune et peut-être plus croyant, prévient le désir des volontaires et

il s'avance seul, avec son bâton qu'il pointe en avant, le sourire et l'attitude caractéristiques des aveugles sur

leur visage levé pour chercher la lumière, et il semble que son ange le conduise tant sa marche est rapide et

sûre. S'il n'avait pas les yeux blancs, il ne semblerait pas aveugle. Il arrive le premier devant Jésus qui l'arrête

en disant : "Que veux-tu que je te fasse ?"

"Que je voie, Maître, Fais, ô Seigneur, que s'ouvrent mes yeux et ceux de mon compagnon." Et l'autre

aveugle étant arrivé, on le fait agenouiller près de son compagnon.

587


Jésus met les mains sur leurs visages levés et il dit : "Qu'il soit fait comme vous le demandez. Allez ! Votre

foi vous a sauvés !"

Il enlève ses mains et deux cris sortent des lèvres des aveugles : "Je vois, Uriel !","Je vois, Bartimée !" et

puis, ensemble : "Béni Celui qui vient au nom du Seigneur ! Béni Celui qui l'a envoyé ! Gloire à Dieu !

Hosanna au Fils de David." et ils se jettent tous deux, le visage au sol, pour baiser les pieds de Jésus. Ensuite

les deux aveugles se lèvent et celui qui s'appelle Uriel dit : "Je vais me montrer à mes parents et puis je

reviens te suivre, ô Seigneur." Mais Bartimée dit de son côté : "Je ne te quitte pas. Je vais envoyer quelqu'un

pour les prévenir. Ce sera toujours de la joie. Mais me séparer de Toi, non. Tu m'as donné la vue, je te

consacre ma vie. Aie pitié du désir du dernier de tes serviteurs."

"Viens et suis-moi. La bonne volonté rend égales toutes les conditions et seul est grand celui qui sait le

mieux servir le Seigneur."

Jésus reprend sa marche au milieu des hosannas de la foule et Bartimée s'y mêle, criant hosanna avec les

autres, et disant : "J'étais venu pour avoir un pain, et j'ai trouvé le Seigneur. J'étais pauvre, maintenant je suis

ministre du Roi saint. Gloire au Seigneur et à son Messie."

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Les deux aveugles de Jéricho

29 Comme ils sortaient

De Jéricho, une grosse foule * le suivit.

30 Or voici que deux aveugles qui étaient assis

Au bord du chemin apprirent que Jésus passait

Ils s’écrièrent : “ Seigneur, aie pitié de nous, Fils

De David ”. 31 La foule les enjoignait de se taire,

Ils crièrent plus fort : “ Seigneur, aie pitié de nous,

Fils de David ! ”

32 Alors Jésus les appela

Et dit en s’arrêtant : “ Mais que voulez-vous donc

Que je fasse pour vous ? ” 33 Et ils lui dirent : “ Seigneur,

Que nos yeux s’ouvrent. ” 34 Et Jésus leur toucha les yeux,

Pris de pitié. Très vite * ils recouvrèrent la vue,

Ils se mirent à sa suite.

* une foule nombreuse, aussitôt.

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L'onction de Béthanie

Pendant que Jésus parlait, je voyais la scène qu’il décrivait : la maison de Béthanie toute fleurie et en fête. La

salle du banquet richement décorée. Marthe affairée et Marie qui s’occupe des fleurs.

Puis l’arrivée de Jésus en compagnie des douze, et sa rencontre avec Marie qui le conduit vers la maison.

Lazare descend en hâte à la rencontre du Maître et entre avec lui dans la maison, dans une pièce qui précède

celle du banquet. Marie porte l’eau dans un bassin et veut laver elle-même les pieds de Jésus. Puis elle

change l’eau et tient le bassin jusqu’à ce que Jésus se soit purifié les mains. Quand il lui rend l’essuie-mains,

elle le lui prend des mains et l’embrasse. Elle s’assied alors par terre, sur un tapis qui recouvre le sol, aux

pieds de Jésus, et l’écoute converser avec son frère ; ce dernier montre à Jésus des rouleaux, de nouvelles

acquisitions qu’il a faites récemment à. Jérusalem. Jésus discute avec Lazare du contenu de ces ouvrages et,

explique les erreurs doctrinales qu’ils contiennent, je crois, ou alors des différences entre ces doctrines du

paganisme et les vraies. Il doit s’agir d’ouvrages littéraires que Lazare, qui est riche et cultivé, a voulu

connaître. Marie ne parle jamais. Elle écoute, et elle aime.

Ils vont ensuite dîner. Les deux sœurs servent à table. Elles ne mangent pas. Seuls les hommes mangent. Les

serviteurs vont et; viennent eux aussi, apportant les plats qui sont riches et beaux. Mais ce sont les deux

sœurs qui servent en personne à table ; elles prennent sur les crédences les plats que les serviteurs y déposent

ainsi que les amphores remplies de vin qu’elles versent. Jésus boit de l’eau. Ce n’est qu’à la fin qu’il accepte

un doigt de vin.

Or vers la fin du banquet, quand déjà le repas ralentit son rythme et tourne surtout en conversation tandis

qu’on passe les fruits et les douceurs, Marie, qui avait disparu pendant quelques minutes, revient avec une

amphore d’albâtre. Elle en brise le col contre le coin d’un meuble pour pouvoir y puiser avec plus de facilité

puis, debout derrière Jésus, elle lui prend les cheveux à pleines mains et les oint. Elle en reconstitue les

boucles et termine en les enroulant mèche par mèche autour de ses doigts. On dirait une mère qui peigne son

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enfant. Lorsqu’elle en a fini, elle embrasse tout doucement la tête de Jésus, puis lui prend les mains, les

embaume et les baise ; elle en fait ensuite de même avec ses pieds.

Les disciples regardent. Jean sourit, comme pour l’encourager. Pierre hoche la tête mais... allez, il sourit lui

aussi dans sa barbe et peu à peu les autres en font autant. Thomas et un autre vieillard grommèlent à voix

basse. Mais Judas, dont le regard est indéfinissable mais certainement mauvais, explose avec mauvaise

humeur :

"Quelle bêtise ! Il n’y a que les femmes pour être aussi sottes ! Pour quoi faire un tel gaspillage ? Le Maître

n’est certes pas un publicain ni une prostituée pour avoir besoin de telles manières efféminées ! Et puis c’est

déshonorant pour lui. Que vont dire les juifs quand ils le sentiront parfumé comme un éphèbe ? Maître, je

m’étonne que tu permettes à une femme de faire de telles sottises. Si elle a des richesses à gaspiller, qu’elle

me les donne pour les pauvres ! Ce sera plus judicieux. Femme, je te le dis, arrête, car tu me dégoûtes !"

Marie le regarde, interdite, et, rougissante, elle est sur le point d’obéir. Mais Jésus lui pose la main sur la

tête, qu’elle tient penchée, puis fait descendre sa main sur son épaule en l’attirant doucement vers lui,

comme pour la défendre : "Laisse-la faire, dit-il. Pourquoi la rabroues-tu ? Personne ne doit reprocher une

œuvre bonne et y voir des sous-entendus que seule la méchanceté enseigne. Elle a accompli une bonne

action à mon égard. Les pauvres, vous en aurez toujours. Moi, je ne serai plus parmi vous mais les pauvres

resteront. Vous pourrez continuer à leur faire du bien, mais pas à moi, car le moment est proche où je vais

vous laisser. Elle a anticipé l’hommage rendu à mon Corps sacrifié pour vous tous, et elle m’a oint pour ma

sépulture, car alors elle ne pourra le faire. Et cela lui aurait trop coûté de ne pas avoir pu m’embaumer. En

vérité je vous dis que, partout où l’Évangile sera annoncé et jusqu’à la fin du monde, on se souviendra de ce

qu’elle vient de faire. Les âmes tireront de son acte un enseignement pour m’offrir leur amour comme un

baume aimé du Christ, et prendre courage dans le sacrifice : ils penseront que tout sacrifice revient à

embaumer le Roi des rois, l’Oint de Dieu, celui dont la grâce descend comme ce nard de mes cheveux pour

féconder les cœurs à l’amour et vers qui l’amour s’élève en un continuel flux et reflux d’amour de moi à mes

âmes et de mes âmes à moi. Judas, imite-la, si tu en es capable. Si tu peux encore le faire. Et puis, respecte

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Marie et moi avec elle. Respecte-toi aussi toi-même. Car ce n’est pas se déshonorer que d’accepter un pur

amour avec un amour pur, en revanche, nourrir la rancœur et faire des insinuations sous l’aiguillon de la

sensualité, voilà qui est déshonorant ! Voici trois ans, Judas, que je t’instruis. Mais je ne suis pas encore

arrivé à te faire changer. Or l’heure est proche. Judas, Judas... Merci, Marie. Persévère dans ton amour.

Jésus dit :

"Bien qu’une créature puisse, de façon absolue, aimer avec générosité et récompenser ceux qui l’ont aimée,

ce n’est jamais que très relatif. En revanche, votre Jésus surpasse tout désir humain, aussi vaste soit-il, et

toute limite de satisfaction. Car votre Jésus est Dieu et, moi, je vous donne avec ma prodigalité de Dieu et de

Dieu bon, à vous qui êtes généreux et qui aimez - car cette page s’adresse tout spécialement à vous, âmes qui

ne vous contentez pas d’obéir aux préceptes mais qui embrassez le conseil et développez votre amour

jusqu’à accomplir de saints actes d’héroïsme - je suscite les miracles pour vous, pour vous accorder de la

joie en échange de toute la joie que vous m’occasionnez. Je me substitue à ce qui vous fait défaut ou je vous

procure ce qui vous est nécessaire. Je ne vous laisse manquer de rien, car vous vous êtes dépouillés de tout

par amour de moi, au point de vivre dans la solitude matérielle ou morale dans un monde qui ne vous

comprend pas, qui vous méprise et qui, reprenant l’ancienne insulte qu’on m’avait déjà adressée, à moi votre

Maître, vous traite de "fous" et voit en votre pénitence et en vos lumières des signes diaboliques. En effet, le

monde asservi à Satan croit que les saints sont des satans, eux qui ont mis le monde sous leurs pieds et s’en

sont fait une échelle pour monter plus haut vers moi et se plonger dans ma Lumière.

Mais laissez-les donc vous traiter de "fous" et de "démons". Je sais que vous êtes les détenteurs de la vraie

sagesse, de l’intelligence droite, et que vous possédez une âme d’ange dans un corps mortel. Je n’oublie pas

le moindre de vos soupirs d’amour et je me souviens de tout ce que vous avez fait pour moi tout comme je

vous défends contre le monde, car je fais connaître aux meilleurs de ce monde ce que vous représentez à mes

yeux, je vous récompense lorsque vient l’heure et que je juge qu’il est temps de mêler quelque douceur à

votre calice.

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Je suis le seul à l’avoir bu jusqu’à la dernière goutte sans l’adoucir avec du miel. Moi qui ai dû me

cramponner à la pensée de ceux qui allaient m’aimer à l’avenir, pour pouvoir résister jusqu’au bout, sans en

venir à maudire l’homme pour qui je répandais mon sang et connaître (plus que connaître : m’y abandonner)

au désespoir devant ma condition d’être abandonné par Dieu.

Ce que j’ai souffert, je ne veux pas que vous le souffriez. Mon expérience a été trop cruelle pour que je vous

l’impose. De plus, ce serait vous tenter au-delà de vos forces. Dieu n’est jamais imprudent. Il désire vous

sauver et non vous perdre. Et vous imposer de vivre certaines heures trop cruelles reviendrait à la perte de

votre âme, qui ploierait comme une branche trop chargée, finirait par se briser et connaîtrait la boue après

avoir connu si bien le ciel.

Je ne déçois jamais ceux qui espèrent en moi. Dis-le, dis-le, dis-le à tous."

593


L’onction de Béthanie

6 Or Jésus était à Béthanie

Dans la maison de Simon le lépreux. 7 Vers lui

S’approcha une femme, elle avait un flacon

De parfum de grand prix, et elle le lui versa

Sur la tête pendant qu’il était à table. 8 Ce que

Voyant, les disciples s’indignèrent et (lui) dirent :

“ À quoi bon cette perte ? 9 Parce qu’on aurait pu

Vendre cela cher et le donner aux pauvres. ”

10 S’en rendant compte, Jésus leur dit : “ Pourquoi causer

Des ennuis à cette femme ? C’est une belle œuvre,

Oui, qu’elle a faite envers moi. ” Toujours vous aurez

Avec vous, les pauvres, vous ne m’aurez pas toujours !

12 Si elle a répandu ce parfum sur mon corps

C’est pour m’ensevelir. 13 Partout, en vérité,

Je vous le dis, où la bonne nouvelle sera

Proclamée par le monde entier, on parlera

De ce qu’elle vint de faire, on se souviendra d’elle. ”

594


La mère et les fils de Zébédée

Les apôtres se sont arrêtés pour les attendre et se sont tous réunis, même Jacques et Jean qui étaient en

arrière de tous avec leur mère. Pendant qu'ils se reposent de la marche et que certains mangent un peu de

pain, la mère de Jacques et Jean s'approche de Jésus et se prosterne devant Jésus qui ne s'est même pas assis

dans sa hâte de reprendre la marche.

Jésus l'interroge, car il est visible qu'elle désire Lui demander quelque chose : "Que veux-tu, femme ? Parle."

"Accorde-moi une grâce, avant que tu t'en ailles, comme tu le dis."

"Et laquelle ?"

"Celle d'ordonner que mes deux fils, qui pour Toi ont tout quitté, siègent l'un à ta droite et l'autre à ta gauche,

quand tu siégeras dans ta gloire dans ton Royaume."

Jésus regarde la femme et puis il regarde les deux apôtres et leur dit : "C'est vous qui avez suggéré cette

pensée à votre mère en interprétant très mal mes promesses d'hier. Le centuple pour ce que vous avez quitté,

vous ne l'aurez pas dans un royaume de la Terre. Vous aussi donc vous devenez avides et sots ? Mais ce n'est

pas vous. C'est déjà le crépuscule empoisonné des ténèbres qui s'avance et l'air souillé de Jérusalem qui

approche et vous corrompt et vous aveugle... Moi, je vous dis que vous ne savez pas ce que vous demandez !

Pouvez-vous peut-être boire le calice que Moi je boirai ?"

"Nous le pouvons, Seigneur."

"Comment pouvez-vous le dire si vous n'avez pas compris quelle sera l'amertume de mon calice ? Ce ne sera

pas seulement l'amertume que je vous ai décrite hier, mon amertume d'Homme de toutes les douleurs. Il y

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aura des tortures que même si je vous les décrivais vous ne seriez pas en condition de comprendre... Et

pourtant, oui, puisque, bien qu'étant comme deux enfants qui ne connaissent pas la portée de ce qu'ils

demandent, puisque vous êtes deux esprits justes et que vous m'aimez, certainement vous boirez à mon

calice. Cependant siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne dépend pas de Moi de vous l'accorder. C'est une

chose accordée à ceux auxquels mon Père l'a préparée."

Les autres apôtres, pendant que Jésus parle encore, critiquent âprement la demande des fils de Zébédée et de

leur mère. Pierre dit à Jean : "Toi aussi ! Je ne te reconnais plus pour ce que tu étais !"

Et l'Iscariote, avec son sourire de démon : "Vraiment les premiers sont les derniers ! Temps de découvertes

surprenantes..." et il rit jaune.

"Est-ce par hasard pour les honneurs, que nous avons suivi notre Maître ?" dit Philippe d'un ton de reproche.

Thomas, au contraire, pour excuser les deux, s'en prend à Salomé en lui disant : "Pourquoi faire mortifier tes

enfants ? Tu devais réfléchir, si eux ne l'ont pas fait, et empêcher cela."

"C'est vrai. Notre mère ne l'aurait pas fait." dit le Thaddée.

Barthélemy ne parle pas, mais son visage marque clairement sa désapprobation.

Simon le Zélote dit, pour calmer l'indignation : "Nous pouvons tous nous tromper..."

596


Matthieu, André et Jacques d'Alphée ne parlent pas, mais visiblement ils souffrent de l'incident qui entache

la belle perfection de Jean.

Jésus fait un geste pour imposer le silence et il dit : "Et quoi ? D'une erreur va-t-il en venir un grand

nombre ? Vous qui exprimez des reproches indignés, ne vous apercevez-vous pas que vous péchez vous

aussi ? Laissez tranquilles vos deux frères. Mon reproche suffit. Leur humiliation est visible, leur repentir

humble et sincère. Vous devez vous aimer entre vous, vous soutenir mutuellement. Car, en vérité, aucun

d'entre vous n'est encore parfait. Vous ne devez pas imiter le monde et les hommes qui en font partie. Dans

le monde, vous le savez, les chefs des nations les dominent et les grands exercent sur elles leur autorité au

nom du chef. Mais parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Vous ne devez pas avoir la prétention de dominer

les hommes, ni vos compagnons. Au contraire que celui qui parmi vous veut devenir plus grand, se fasse

votre ministre, et que celui qui veut être le premier se fasse le serviteur de tous, comme l'a fait votre Maître,

Suis-je venu par hasard pour opprimer et dominer ? Pour être servi ? Non, en vérité, non. Je suis venu pour

servir. Et de même que le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir et pour donner sa

vie pour racheter un grand nombre, ainsi vous devrez savoir faire, si vous voulez être comme je suis et où je

suis. Maintenant, allez, et soyez en paix entre vous comme je le suis avec vous."

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Troisième annonce de la Passion

17 Il allait monter à Jérusalem

Or Jésus prit avec lui les douze à l’écart.

En chemin, il leur dit : 18 “ Voici que nous montons

À Jérusalem, et le Fils de l’homme sera

Livré aux grands prêtres ainsi qu’aux scribes, et à mort

Ils le condamneront, 19 puis ils le livreront

Aux nations, pour qu’on le bafoue et qu’on le fouette

E qu’on le crucifie ; il se relèvera,

Le troisième jour. ”

Demande de la mère des fils de Zébédée

20 Alors s’approcha de lui

La mère du fils de Zébédée avec ses fils

Se prosternant pour lui demander quelque chose.

21 Il lui dit : “ Que veux-tu ? ” Et elle lui dit : “ Ordonne

Que mes deux fils que voici soient l’un à ta droite,

L’autre à ta gauche, assis, dans ton Royaume. ”

22 Jésus

Lui répondit ceci : “ Ce que vous demandez

Vous ne le savez pas. Pouvez-vous boire la coupe

Que moi je vais boire ? ” 24 Ils lui disent : “ Nous le pouvons. ”

À ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi

À l’accorder : car c’est à ceux pour qui mon Père

L’a préparé. ”

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TOME IX

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Le dimanche des rameaux

Jésus a à peine le temps d'entrer dans la maison pour en bénir les habitants que l'on entend une gaie sonnerie

de grelots et des voix en fête. Et tout de suite après, le visage émacié et pâle d'Isaac apparaît dans l'ouverture

de la porte et le fidèle berger entre et se prosterne devant son Seigneur Jésus.

Dans l'encadrement de la porte grande ouverte se pressent de nombreux visages et en arrière on en voit

d'autres... On se bouscule, on se presse, on veut s'avancer... Quelques cris de femmes, quelques pleurs

d'enfants pris au milieu de la cohue, et des salutations, des cris joyeux : "Heureux jour qui te ramène

à nous ! La paix à Toi, Seigneur ! C'est un heureux retour, ô Maître, pour récompenser notre fidélité."

Jésus se lève et fait signe qu'il va parler. Tout le monde se tait, et on entend nettement la voix de Jésus.

"Paix à vous ! Ne vous entassez pas. Maintenant nous allons monter ensemble au Temple. Je suis venu pour

être avec vous. Paix ! Paix ! Ne vous faites pas de mal. Faites place, mes aimés ! Laissez-moi sortir et

suivez-moi, pour que nous entrions ensemble dans la Cité Sainte."

Les gens obéissent tant bien que mal, et font un peu de place, assez pour que Jésus puisse sortir et monter sur

l'ânon. Car Jésus indique le poulain jamais monté jusqu'alors comme sa monture. Alors de riches pèlerins,

qui se pressent dans la foule, étendent sur la croupe de l'ânon leurs somptueux manteaux et quelqu'un met un

genou à terre et l'autre à servir de marchepied au Seigneur qui s'assoit sur l'ânon, et le voyage commence.

Pierre marche à côté du Maître et de l'autre côté Isaac tient la bride de la bête qui n'est pas entraînée, et qui

pourtant marche tranquillement comme si elle était habituée à cet office sans s'emballer ou s'effrayer des

fleurs qui, jetées comme elles le sont vers Jésus, frappent souvent les yeux et le museau de la bête, ni des

branches d'olivier et des feuilles de palmiers agitées devant et autour de lui, jetées par terre pour servir de

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tapis avec des fleurs, ni des cris de plus en plus forts : "Hosanna, Fils de David !" qui montent vers le ciel

serein pendant que la foule se tasse de plus en plus et grossit à cause des nouveaux venus.

Passer par Bethphagé, par les rues étroites et contournées, n'est pas chose facile et les mères doivent prendre

les enfants dans leurs bras, et les hommes protéger les femmes de coups trop violents, et il arrive qu'un père

place son fils sur ses épaules à califourchon et le porte élevé au-dessus de la foule alors que les voix des

petits semblent des bêlements d'agneaux ou des cris d'hirondelles et que leurs menottes jettent des fleurs et

des feuilles d'oliviers que leurs mères leur présentent, et envoient aussi des baisers au doux Jésus...

Une fois sorti des rues étroites de la petite bourgade, le cortège se range et se déploie, et de nombreux

volontaires s'en vont en avant pour prendre la tête et désencombrer le chemin, et d'autres les suivent en

jonchant le sol de branches et quelqu'un, le premier, jette son manteau pour servir de tapis, et un autre, et

quatre, et dix, et cent, et mille, l'imitent. Le chemin a en son milieu une bande multicolore de vêtements

étendus sur le sol, et après le passage de Jésus ils sont repris et portés plus en avant, avec d'autres, avec

d'autres, et toujours des fleurs, des branchages, des feuilles de palmiers s'agitent ou sont jetés par terre, et des

cris plus forts s'élèvent tout autour en l'honneur du Roi d'Israël, à l'adresse du Fils de David, de son

Royaume !

Les soldats de garde à la porte sortent pour voir ce qui arrive. Mais ce n'est pas une sédition et, appuyés sur

leurs lances, ils se rangent de côté pour observer, étonnés ou ironiques, le cortège étrange de ce Roi assis sur

un ânon, beau comme un dieu, simple comme le plus pauvre des hommes, doux, bénissant... entouré de

femmes et d'enfants et d'hommes désarmés criant : "Paix ! Paix !", de ce Roi qui, avant d'entrer dans la ville,

s'arrête un moment à la hauteur des tombeaux des lépreux de Hinnon et de Siloan (je crois bien parler de ces

lieux où j'ai vu d'autres fois des miracles de lépreux) et s'appuyant sur l'unique étrier sur lequel il appuie son

pied, puisqu'il est assis sur l'âne et non à cheval, il se lève et ouvre les bras en criant dans la direction de ces

pentes horribles, où des visages et des corps effrayants se montrent en regardant vers Jésus et élèvent le cri

lamentable des lépreux : "Nous sommes infectés !", pour écarter des imprudents qui pour bien voir Jésus

monteraient aussi sur les terrasses contaminées : "Que celui qui a foi invoque mon Nom et ait la santé grâce

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à cela !" et il les bénit en reprenant sa route et en ordonnant à Judas de Kériot : "Tu achèteras de la nourriture

pour les lépreux et avec Simon tu la leur porteras avant le soir."

Le cortège entre sous la voûte de la Porte de Siloan et puis comme un torrent se déverse dans la ville en

passant par le faubourg d'Ophel - où chaque terrasse est devenue une petite place aérienne remplie de gens

qui crient des hosannas, jettent des fleurs et renversent des parfums en bas, sur la route, en essayant de les

jeter sur le Maître, et l'air est saturé par l'odeur des fleurs qui meurent sous les pas de la foule et des essences

qui se répandent dans l'air avant de tomber dans la poussière de la route - le cri de la foule semble augmenter

et se renforcer comme si chacun criait dans un porte-voix, car les nombreux archivoltes dont Jérusalem est

remplie l'amplifient ne cessant pas de le faire résonner.

J'entends crier, et je crois que cela veut dire ce que disent les évangélistes : "Scialem, Scialem melchil !" (ou

malchit : je m'efforce à rendre le son des paroles, mais il est difficile car elles ont des aspirations que nous

n'avons pas). C'est un bruit continu, semblable à celui d'une mer en tempête dans laquelle n'est pas encore

tombé le bruit de la lame qui fouette la plage et les écueils, qu'une autre lame ramasse et relève en un nouveau

claquement sans jamais s'arrêter. J'en suis assourdie !

Parfums, odeurs, cris, des branches et des vêtements qui s'agitent, couleurs... C'est une vision étourdissante.

Je vois la foule qui n'en finit pas de se mélanger, des visages connus qui apparaissent et disparaissent : tous

les disciples de tous les coins de la Palestine, tous ceux qui suivent Jésus... Je vois pendant un instant Jaïre,

je vois Jaia l'adolescent de Pella (me semble-t-il) qui était aveugle avec sa mère et que Jésus guérit, je vois

Joachim de Bozra et ce paysan de la plaine de Saron avec ses frères, je vois le vieux et solitaire Matthias de

cet endroit près du Jourdain (rive orientale) auprès duquel Jésus se réfugia alors que tout était inondé, je vois

Zachée avec ses amis convertis, je vois le vieux Jean de Nobé avec presque tous ses concitoyens, je vois le

mari de Sara de Jutta... Mais qui peut retenir ces visages et ces noms si c'est un kaléidoscope de visages

connus et inconnus, vus plusieurs fois ou une seule ?... Voici maintenant le visage du pastoureau pris à

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Ennon. Et près de lui le disciple de Corozaïn qui quitta la sépulture de son père pour suivre Jésus ; et tout

près, pour un instant, le père et la mère de Benjamin de Capharnaüm avec leur jeune fils qui manque de

tomber sous les pieds de l'ânon en se jetant en avant pour recevoir une caresse de Jésus. Et -

malheureusement - des visages de pharisiens et de scribes, livides de colère à cause de ce triomphe, qui,

arrogants, fendent le cercle d'amour qui se serre autour de Jésus, et Lui crient : "Fais taire ces fous !

Rappelle-les à la raison ! Ce n'est qu'à Dieu que l'on adresse des hosannas. Dis-leur de se taire !"

À quoi Jésus répond doucement : "Même si je leur disais de se taire et qu'ils m'obéissent, les pierres

crieraient les prodiges du Verbe de Dieu."

En effet les gens crient : "Hosanna, hosanna au fils de David ! Béni Celui qui vient au nom du Seigneur !

Hosanna à Lui et à son Règne ! Dieu est avec nous ! L'Emmanuel est venu ! Il est venu le Royaume du

Christ du Seigneur ! Hosanna ! Hosanna de la Terre jusqu'en haut des Cieux ! Paix ! Paix, mon Roi ! Paix et

bénédiction à Toi, Roi saint ! Paix et gloire dans les Cieux et sur la Terre ! Gloire à Dieu pour son Christ !

Paix aux hommes qui savent l'accueillir ! Paix sur la Terre aux hommes de bonne volonté et gloire dans les

Cieux très Hauts car l'heure du Seigneur est venue !" (et ceux qui poussent ce dernier cri, c'est le groupe

compact des bergers qui répètent le cri de la naissance). Outre ces cris continuels, les gens de Palestine

racontent aux pèlerins de la Diaspora les miracles qu'ils ont vus et à ceux qui ne savent pas ce qui arrive, aux

étrangers qui passent par hasard par la ville et qui demandent : "Mais qui est Celui-là ?

Qu'arrive-t-il ?", ils expliquent : "C'est Jésus ! Jésus, le Maître de Nazareth de Galilée ! Le Prophète ! Le

Messie du Seigneur ! Le Promis ! Le Saint !"

D'une maison dont on a dépassé depuis peu la porte, car la marche est très lente dans une telle confusion, il

sort un groupe de robustes jeunes gens portant en l'air des vases de cuivre pleins de charbon allumé et

d'encens qui brûle en répandant des nuages de fumée odorante. Et leur geste est bien vu et on le répète.

Plusieurs courent en avant ou reviennent en arrière vers leurs maisons pour se faire donner du feu et des

résines odorantes pour les brûler en hommage au Christ.

603


La maison d'Annalia apparaît. La terrasse enguirlandée de vigne avec ses feuilles nouvelles qui tremble à un

doux vent d'avril, a sur le côté qui donne sur la rue toute une rangée de jeunes filles vêtues de blanc et

voilées de blanc, au milieu desquelles se trouve Annalia, avec des corbeilles de pétales de rosés effeuillées et

de muguets qui déjà voltigent en l'air.

"Les vierges d'Israël te saluent, Seigneur !" dit Jean qui s'est frayé un chemin et qui maintenant est à côté de

Jésus, pour attirer son attention sur la guirlande de pureté qui se penche en souriant du parapet pour joncher

le chemin de pétales rouges comme du sang et de muguets blancs comme des perles.

Jésus retient un instant les rênes et arrête l'ânon. Il lève son visage et sa main pour bénir cette virginité

énamourée de Lui, jusqu'à renoncer à tout autre amour terrestre.

Et Annalia se penche et crie : "Ton triomphe, je l'ai vu, ô mon Seigneur ! Prends ma vie pour ta glorification

universelle !" et en criant très fort, pendant que Jésus passe au-dessous de sa maison et avance, elle le salue :

"Jésus !"

Et un autre cri, différent, dépasse la clameur de la foule. Mais les gens, bien qu'ils l'entendent, ne s'arrêtent

pas. C'est un fleuve d'enthousiasme, un fleuve de peuple en délire qui ne peut s'arrêter. Et alors que les

derniers flots de ce fleuve sont encore en dehors de la porte, les premiers montent déjà les pentes qui

conduisent au Temple.

"Ta Mère !" dit Pierre en montrant une maison presque à l'angle d'un chemin qui monte au Moriah et par

lequel le cortège s'est engagé. Et Jésus lève son visage pour sourire à sa Mère qui est en haut, parmi les

femmes fidèles.

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La rencontre d'une caravane nombreuse arrête le cortège quelques mètres après que la maison est dépassée.

Et pendant que Jésus s'arrête avec les autres, en caressant les enfants que les mères Lui présentent, un

homme accourt et se fraie un passage en criant : "Laissez-moi passer ! Une femme est morte. Une jeune fille.

Subitement. Sa mère appelle le Maître. Laissez-moi passer ! Lui l'a déjà sauvée une fois !"

Les gens lui font place et l'homme accourt près de Jésus : "Maître, la fille d'Élise est morte. Elle t'a saluée de

ce cri, puis elle s'est affaissée en disant : "Je suis heureuse", et elle a expiré. Son cœur s'est brisé dans

l'allégresse de te voir triomphant. Sa mère m'a vu sur la terrasse près de sa maison et elle m'a envoyé

t'appeler. Viens, Maître."

"Morte ! Morte Annalia ! Mais hier seulement, elle était saine, en bonne santé, heureuse ?" Les apôtres se

groupent agités, les bergers aussi. Tout le monde l'a vue hier en parfaite santé. Tout à l'heure ils l'ont vue

rose, riante... Ils n'arrivent pas à se persuader du malheur... Ils demandent, s'informent des détails...

"Je ne sais pas. Vous avez tous entendu ses paroles. Elle parlait fort, avec assurance. Puis je l'ai vue

s'affaisser plus blanche que ses vêtements et j'ai entendu crier sa mère... Je ne sais pas autre chose."

"Ne vous agitez pas, elle n'est pas morte. Une fleur est tombée et les anges de Dieu l'ont recueillie pour la

porter dans le sein d'Abraham. Bientôt le lys de la Terre s'ouvrira heureux au Paradis, ignorant pour toujours

l'horreur du monde. Homme, dis à Élise qu'elle ne pleure pas le sort de son enfant. Dis-lui qu'elle a eu une

grande grâce de Dieu, et que d'ici six jours elle comprendra quelle grâce Dieu a faite à sa fille. Ne pleurez

pas. Que personne ne pleure. Son triomphe est encore plus grand que le mien parce que les anges escortent la

vierge pour la conduire à la paix des justes. Et c'est le triomphe éternel qui grandira sans jamais connaître de

descente. En vérité je vous dis que c'est pour vous tous, mais non pour Annalia, que vous avez raison de

pleurer. Allons." Et il répète aux apôtres et à ceux qui l'entourent : "Une fleur est tombée. Elle s'est couchée

en paix et les anges l'ont recueillie. Bienheureuse celle qui est pure de chair et de cœur car bientôt elle va

voir Dieu."

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"Mais comment, de quoi est-elle morte, Seigneur ?" demande Pierre qui ne peut y croire.

"D'amour. D'extase. De joie infinie. Heureuse mort !" Ceux qui sont loin en avant ne savent pas; ceux qui

sont très en arrière ne savent pas. Aussi les hosannas continuent, bien qu'auprès de Jésus il s'est formé un

cercle de pensif silence.

C'est Jean qui le rompt : "Oh ! je voudrais le même sort avant les heures qui vont venir !"

"Moi aussi" dit Isaac. "Je voudrais voir le visage de la jeune fille morte d'amour pour Toi..."

"Je vous prie de me sacrifier votre désir. J'ai besoin de vous près de Moi..."

"Nous ne te laisserons pas, Seigneur. Mais pour cette mère aucun réconfort ?" demande Nathanaël.

"J'y pourvoirai..."

Ils sont aux portes de l'enceinte du Temple. Jésus descend de l'ânon que quelqu'un de Bethphagé prend en

garde.

Il faut se rappeler que Jésus ne s'est pas arrêté à la première porte du Temple, mais qu'il a suivi l'enceinte, en

s'arrêtant seulement quand il se trouve sur le côté nord de l'enceinte, près de l'Antonia. C'est là qu'il descend

et entre dans le Temple comme pour faire voir qu'il ne se cache pas au pouvoir qui domine, se sentant

innocent dans toute sa conduite.

La première cour du Temple présente le chahut habituel des changeurs et des vendeurs de colombes,

passereaux et agneaux, seulement que maintenant les vendeurs sont délaissés car tout le monde est accouru

pour voir Jésus.

Et Jésus entre, solennel dans son vêtement de pourpre, et il tourne ses regards sur ce marché et sur un groupe

de pharisiens et de scribes qui l'observent de dessous un portique.

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Entrée messianique à Jérusalem

21 1 Et lorsqu’ils approchèrent

De Jérusalem, qu’ils s’en vinrent à Bethphagé,

Sur le mont des oliviers, Jésus envoya

Deux disciples, 2 il leur dit : “ Rendez-vous au village

En face de vous, aussitôt vous trouverez

Une ânesse attachée, un ânon avec elle,

Après l’avoir déliée, amenez-la-moi.

3 Et si quelqu’un vous dit quelque chose, vous direz

Que le Seigneur en a besoin et aussitôt

Il les renverra. ” 4 Alors cela arriva

Afin que s’accomplît ce qui avait été

Annoncé par le prophète, quand il dit ceci :

5 Dites à la fille de Sion : voici que ton roi

Vient à toi, modeste et monté sur un ânon,

Sur le petit d’une bête de somme.

6 Alors

Les disciples allèrent, selon ce que leur avait

Prescrit Jésus, ils firent, 7 ils amenèrent l’ânesse

Et l’ânon, et ils posèrent sur eux leurs manteaux,

Il s’assit dessus. 8 La foule nombreuse étendit

Ses manteaux sur le chemin, et d’autres coupaient

Des branches aux arbres, les étendant sur le chemin,

9 Les foules qui le précédaient, celles qui le suivaient

Criaient :

Hosanna au Fils de David ! Béni,

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Celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna

Au plus haut ! ”

10 Quand il entra à Jérusalem

Toute la ville fut secouée ; et l’on disait :

“ Qui est celui-là ? ” 11 Les foules disaient : “ C’est Jésus,

Le prophète de Nazareth en Galilée. ”

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Le Christ, fils et Seigneur de David

Jésus a observé le dialogue et quand les pharisiens passent devant Lui en groupe serré pour s'en aller fâchés,

il les appelle pour leur dire : "Écoutez-moi. Je veux vous demander quelque chose. D'après vous, que vous

semble-t-il du Christ ? De qui est-il le fils ?"

"Ce sera le fils de David." répondent-ils, en marquant le "sera", car ils veulent Lui faire comprendre que Lui

pour eux n'est pas le Christ.

"Et comment donc David, inspiré par Dieu, l'appelle-t-il : Seigneur, en disant : "Le Seigneur a dit à mon

Seigneur : Assieds-toi à ma droite jusqu'à ce que j'ai fait de tes ennemis l'escabeau de tes pieds" ? Si donc

David appelle le Christ : Seigneur, comment le Christ peut-il être son fils ?"

Ne sachant que répondre ils s'éloignent en remâchant leur poison.

Jésus se déplace du lieu où il était, tout envahi par le soleil, pour aller plus loin où se trouvent les bouches du

Trésor, près de la salle du Gazophylacium. Ce côté, encore à l'ombre, est occupé par des rabbis qui pérorent

avec de grands gestes adressés à leurs auditeurs hébreux dont le nombre augmente de plus en plus comme, à

mesure que les heures passent, ne cesse d'augmenter l'affluence des gens vers le Temple.

Les rabbis s'efforcent de démolir par leurs discours les enseignements que le Christ a donnés les jours

précédents ou le matin même. Et toujours plus ils élèvent la voix, plus ils voient augmenter la foule des

fidèles. En effet le lieu, bien que très vaste, fourmille de gens qui vont et viennent en tous sens...

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Au début, je ne vois que des cours et des portiques que je reconnais appartenir au Temple et Jésus, qui

semble un empereur tant il est solennel dans son vêtement rouge vif et son manteau rouge aussi, mais plus

foncé, appuyé à une énorme colonne carrée qui soutient un arc du portique.

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Le Christ, fils et Seigneur de David

41 Il leur dit : "Comment dit-on que le Christ est Fils

De David ? 42 David lui-même au Livre des Psaumes

Dit :

Le Seigneur dit à mon Seigneur : assieds-toi

À ma droite, 43 jusqu’à ce que de tes ennemis

Je t’aie fait un marchepied.

44 David donc l’appelle

Seigneur ; comment alors est-il son fils ?"

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L'obole de la veuve

L'endroit se remplit de gens qui vont et qui viennent dans tous les sens. Il y a des prêtres et des fidèles, des

hommes, des femmes et des enfants. Les uns passent, d'autres s'arrêtent, écoutent les docteurs, d'autres qui

mènent des agneaux ou portent des colombes se dirigent vers d'autres endroits, peut-être pour les sacrifier.

Jésus reste appuyé à sa colonne, il regarde et ne parle pas. Par deux fois même il a été interrogé par les

apôtres et il a fait signe que non, mais il n'a pas parlé. Il observe avec beaucoup d'attention et, d'après son

expression, il semble juger ceux qu'il regarde. Son regard et tout son visage me rappelle l'aspect que je Lui ai

vu dans la vision du Paradis, quand il jugeait les âmes dans le jugement particulier. Maintenant,

naturellement, c'est Jésus, Homme ; là-haut, c'était Jésus Glorieux, et donc encore plus imposant. Mais les

changements d'expression du visage, qui observe fixement, sont les mêmes. Il est sérieux, scrutateur, mais si

parfois il est d'une sévérité à faire trembler le plus effronté, parfois aussi il est si doux, d'une tristesse

souriante, que son regard paraît une caresse.

Il semble ne rien entendre, mais il doit tout écouter. En effet, quand d'un groupe éloigné de quelques mètres,

rassemblé autour d'un docteur, s'élève une voix nasillarde qui proclame : "Plus que tout autre

commandement est valable celui-ci : que tout ce qui est pour le Temple aille au Temple. Le Temple est audessus

du père et de la mère et si quelqu'un veut donner à la Gloire du Seigneur tout ce qu'il a, il peut le faire

et en sera béni car il n'y a pas de sang ni d'affection supérieure au Temple" Jésus tourne lentement la tête

dans cette direction et regarde d'un air... dont je ne voudrais pas qu'il s'adresse à moi.

Il paraît regarder l'ensemble. Mais quand un petit vieux tremblant s'apprête à gravir les cinq marches d'une

espèce de terrasse qui est près de Jésus, et semble conduire à une autre cour plus intérieure, et pointe son

bâton et tombe presque en s'empêtrant dans son vêtement, Jésus allonge son long bras, le saisit et le soutient

et ne le laisse que quand il le voit en sûreté. Le petit vieux lève son visage ridé, regarde son grand sauveur et

murmure une parole de bénédiction, et Jésus lui sourit et caresse sa tête à moitié chauve. Puis il revient

contre sa colonne et s'en détache encore une fois pour relever un enfant qui glisse de la main de sa mère et

tombe à plat ventre, et tombe justement à ses pieds, en pleurant, contre la première marche. Il le relève, le

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caresse, le console. La mère, confuse, remercie. Jésus lui sourit aussi et lui rend le petit. Mais il ne sourit pas

quand passe un pharisien bouffi d'orgueil, ni non plus quand passent en groupe des scribes et d'autres dont je

ne sais pas qui ils sont. Ce groupe salue avec de grands gestes et des courbettes. Jésus les regarde si fixement

qu'il semble les transpercer, et salue mais sans chaleur. Il est sévère. Un prêtre aussi passe et ce doit être un

gros bonnet parce que la foule s'écarte et le salue, et lui passe fier comme un paon. Jésus lui donne un long

regard, un regard tel que celui-ci, qui pourtant est plein d'orgueil, baisse la tête. Il ne salue pas, mais il ne

résiste pas au regard de Jésus.

Jésus cesse de le regarder pour observer une pauvre petite femme, vêtue de marron foncé, qui monte

honteuse les marches et va vers un mur où se trouvent des têtes de lions ou autres animaux du même genre,

la bouche ouverte. Beaucoup s'y rendent, mais Jésus paraissait ne pas s'en occuper. Maintenant, au contraire,

il suit la démarche de la petite femme. Son œil la regarde avec pitié et devient d'une grande douceur quand il

la voit allonger une main et jeter dans la bouche de pierre de l'un de ces lions quelque chose. Et quand la

pauvrette, en se retirant, passe près de Lui, il lui dit le premier : "Paix à toi, femme."

Celle-ci, stupéfaite, lève la tête interdite.

"Paix à toi." répète Jésus. "Va, car le Très-Haut te bénit."

Cette pauvre femme reste bouche bée, puis murmure un salut et s'en va.

"Elle est heureuse dans son malheur." dit Jésus en sortant de son silence. "Maintenant elle est heureuse car la

bénédiction de Dieu l'accompagne. Écoutez, amis, et vous qui êtes autour de Moi. Voyez-vous cette femme ?

Elle n'a donné que deux piécettes, moins qu'il n'en faut pour payer le repas d'un passereau en cage, et

pourtant elle a donné davantage que tous ceux qui, depuis l'ouverture du Temple à l'aurore, ont versé leur

obole au Trésor du Temple.

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Écoutez. J'ai vu des riches en grand nombre mettre dans ces boches des sommes capables de la rassasier

pendant une année et de revêtir sa pauvreté qui n'est décente que parce qu'elle est propre. J'ai vu des riches

qui, avec une satisfaction visible, mettaient des sommes avec lesquelles on aurait pu rassasier les pauvres de

la Cité Sainte pendant un jour ou plus, et leur faire bénir le Seigneur. Mais, en vérité, je vous dis que

personne n'a donné plus qu'elle. Son obole est charité, l'autre ne l'est pas. Elle est générosité, l'autre ne l'est

pas. Elle est sacrifice, l'autre ne l'est pas. Aujourd'hui cette femme ne mangera pas car elle n'a plus rien. Il lui

faudra d'abord travailler pour un salaire pour qu'elle puisse donner du pain à sa faim. Elle n'a pas de

richesses en réserve ; elle n'a pas de parents qui gagnent pour elle. Elle est seule. Dieu lui a enlevé parents,

mari et enfants, lui a enlevé le peu de bien qu'ils lui avaient laissé, et plus que Dieu le lui ont enlevé les

hommes ; ces hommes qui maintenant, avec de grands gestes, vous les voyez ? continuent de jeter à

l'intérieur leur superflu dont une grande partie est extorquée par l'usure aux pauvres mains de ceux qui sont

faibles et qui ont faim. Eux disent qu'il n'y a pas de sang ni d'affection supérieurs au Temple et de cette façon

enseignent à ne pas aimer le prochain. Moi, je vous dis qu'au-dessus du Temple, il y a l'amour. La Loi de

Dieu est amour et Il n'aime pas qui n'a pas pitié de son prochain. L'argent superflu, l'argent souillé par

l'usure, par la rancœur, par la dureté, par l'hypocrisie, ne chante pas la louange de Dieu et n'attire pas sur le

donateur la bénédiction céleste. Dieu le rejette. Il engraisse cette caisse, mais ce n'est pas de l'or pour

l'encens : c'est de la boue qui vous submerge, ô ministres, qui ne servez pas Dieu mais votre intérêt ; mais

c'est un lacet qui vous étrangle, ô docteurs, qui enseignez une doctrine de notre invention ; mais c'est un

poison qui vous corrode ce reste d'âme que vous avez encore, ô pharisiens. Dieu ne veut pas ce qui reste. Ne

soyez pas des Caïns. Dieu ne veut pas ce qui est le fruit de la dureté. Dieu ne veut pas ce qui élevant une

voix plaintive dit : "Je devais rassasier un affamé, mais on m'a refusé pour étaler leurs fastes là-dedans. Je

devais aider un vieux père, une mère chancelante, et on m'a refusé parce que cette aide n'aurait pas été

connue du monde, et je dois résonner ma sonnerie pour que le monde voie le donateur."

Non, Rabbi qui enseignes que ce qui est reste doit être donné à Dieu et qu'il est permis de refuser au père et à

la mère pour donner à Dieu. Le premier commandement c'est : "Aime Dieu de tout ton cœur, de toute ton

âme, de toute ton intelligence, de toute ta force." Ce n'est donc pas le superflu, mais ce qui est notre sang

qu'il faut Lui donner, en aimant souffrir pour Lui. Souffrir, non pas faire souffrir. Et s'il en coûte beaucoup

de donner parce qu'il est désagréable de se dépouiller des richesses, et que le trésor est le cœur de l'homme,

vicieux par nature, c'est justement parce qu'il en coûte qu'il faut donner. Par justice : car tout ce que l'on a,

614


on l'a par la bonté de Dieu. Par amour : car c'est une preuve d'amour d'aimer le sacrifice pour donner de la

joie à ceux qu'on aime. Souffrir pour offrir. Mais souffrir. Non pas faire souffrir, je le répète. Car le second

commandement dit : "Aime ton prochain comme toi-même." Et la loi précise qu'après Dieu, les parents sont

le prochain à qui l'on a l'obligation de donner honneur et aide. Je vous dis donc en vérité que cette pauvre

femme a compris la loi mieux que les sages, et qu'elle est justifiée plus que tout autre et bénie, puisque dans

sa pauvreté elle a tout donné à Dieu alors que vous, vous donnez le superflu et le donnez pour grandir dans

l'estime des hommes. Je sais que vous me haïssez parce que je parle ainsi. Mais tant que cette bouche pourra

parler, elle parlera de cette façon. Vous joignez votre haine pour Moi au mépris pour la pauvresse que je

loue. Mais ne croyez pas faire de ces deux pierres un double piédestal pour votre orgueil. Ce sera la meule

qui vous broiera.

Allons. Laissons les vipères se mordre pour augmenter leur venin. Que celui qui est pur, bon, humble, contrit

et qui veut connaître le vrai visage de Dieu, me suive."

615


L'obole de la veuve

21 1 Et levant

Les yeux, il vit les riches qui dans le Trésor

Mettaient leurs offrandes, 2 Il vit aussi une veuve

Indigente qui y mettait deux leptes, 3 il dit :

"Vraiment, je vous dis que cette veuve, qui est pauvre

A mis plus que tous.4 Car c'est de leur superflu

Que tous ceux-là ont mis dans leurs offrandes, mais elle,

C'est de son indigence ; tout le bien qu’elle avait,

Elle l’a mis."

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Les scribes jugés par Jésus

Jésus abaisse de nouveau la voix quand il recommence à parler : "Cela, je vous l'ai dit pour vous rappeler la

raison d'être des scribes et des Pharisiens, comment et pourquoi ils se sont assis sur le siège de Moïse,

comment et pourquoi ils parlent et que leurs paroles ne sont pas vaines. Faites donc ce qu'ils disent, mais

n'imitez pas leurs actions. Car ils disent d'agir de telle manière, mais ensuite ne font pas ce qu'ils disent qu'il

faut faire. En fait ils enseignent les lois d'humanité du Pentateuque, mais ensuite ils chargent les autres de

fardeaux énormes, impossibles à porter, inhumains, alors que pour eux-mêmes ils ne lèvent même pas le

petit doigt non pour porter ces fardeaux mais même pour les toucher.

Leur règle de vie, c'est d'être vus et remarqués et applaudis pour leurs œuvres, qu'ils font de manière qu'on

les voie, pour en être loués. Et ils contreviennent à la loi de l'amour car ils aiment à se définir séparés et

méprisent ceux qui ne sont pas de leur secte et ils exigent de leurs disciples le titre de maîtres et un culte

qu'eux-mêmes ne donnent pas à Dieu. Ils se croient des dieux pour la sagesse et la puissance ; ils veulent être

supérieurs au père et à la mère dans le cœur de leurs disciples ; ils prétendent que leur doctrine surpasse celle

de Dieu et exigent qu'on la pratique à la lettre même si elle altère la vraie Loi, inférieure à cette dernière plus

que ne l'est cette montagne comparée à la hauteur du Grand Hermon qui domine toute la Palestine. Certains

d'entre eux sont hérétiques en croyant, comme les païens, à la métempsycose et à la fatalité, en niant les uns

ce que les premiers admettent et, de fait sinon effectivement, ce que Dieu même a indiqué comme la foi,

quand Il s'est défini le Dieu unique auquel doit aller le culte et a dit que le père et la mère viennent

immédiatement après Dieu, et comme tels ont le droit d'être obéis plus qu'un maître qui n'est pas divin. Si

maintenant je vous dis : "Celui qui aime son père et sa mère plus que Moi, n'est pas apte au Royaume de

Dieu", ce n'est pas pourtant pour vous inculquer l'indifférence pour les parents que vous devez respecter et

aider et il n'est pas permis de leur enlever un secours en disant : "C'est l'argent du Temple", ou l'hospitalité

en disant : "Ma charge me le défend", ou la vie en disant : "Je te tue parce que tu aimes le Maître", mais c'est

pour que vous ayez pour vos parents l'amour qu'il faut, c'est-à-dire un amour patient et fort dans sa douceur,

qui sait - sans arriver à la haine pour le parent qui pèche ou afflige, en ne vous suivant pas sur le chemin de

la Vie, la mienne - qui sait choisir entre ma loi et l'égoïsme familial et la violence familiale. Aimez vos

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parents, obéissez-leur pour tout ce qui est saint. Mais soyez prêts à mourir, non à donner la mort mais à

mourir, je dis, s'ils veulent vous amener à trahir la vocation que Dieu a mise en vous d'être les citoyens du

Royaume de Dieu que je suis venu former.

N'imitez pas les scribes et les Pharisiens, divisés entre eux bien qu'ils affectent d'être unis. Vous, disciples du

Christ, que vous soyez vraiment unis, une seule chose pour les autres, les chefs pleins de douceur à l'égard

des sujets, les sujets pleins de douceur envers les chefs, une seule chose dans l'amour et le but de votre

union : conquérir mon Royaume et être à ma droite dans l'éternel Jugement. Rappelez-vous qu'un royaume

divisé n'est plus un royaume et ne peut subsister. Soyez donc unis entre vous dans l'amour pour Moi et pour

ma doctrine. Que l'uniforme du chrétien, tel sera le nom de mes sujets, soit l'amour et l'union, l'égalité entre

vous pour les vêtements, la communauté des biens, la fraternité des cœurs. Tous pour chacun, chacun pour

tous.

Que celui qui possède, donne humblement. Que celui qui n'a pas, accepte humblement et expose

humblement ses besoins à ses frères, en les sachant tels ; et que les frères écoutent affectueusement les

besoins des frères, se sentant vraiment tels pour eux. Souvenez-vous que votre Maître a eu souvent faim,

froid et mille autres besoins et privations, et les a exposés humblement aux hommes, Lui, Verbe de Dieu.

Rappelez-vous que sera récompensé celui qui a pitié, quand il ne donnerait qu'une gorgée d'eau. Rappelezvous

qu'il vaut mieux donner que recevoir. Que dans ces trois souvenirs le pauvre trouve la force de

demander sans se sentir humilié, en pensant que je l'ai fait avant lui, et de pardonner si on le repousse, en

pensant que bien des fois on a refusé au Fils de l'homme la place et la nourriture que l'on donne au chien qui

garde le troupeau. Et que le riche trouve la générosité de donner ses richesses, en pensant que le vil argent,

l'odieux argent que Satan fait rechercher et qui cause les neufs dixièmes des ruines du monde, si on le donne

par amour se change en une gemme immortelle et paradisiaque.

Soyez vêtus de vos vertus. Qu'elles soient grandes, mais connues de Dieu seul. Ne faites pas comme les

pharisiens qui portent les phylactères plus larges et les franges plus longues et qui aiment les premiers sièges

dans les synagogues et les marques de respect sur les places et veulent que le peuple les appelle : "Rabbi."

618


Vous n'avez qu'un seul Maître : le Christ. Vous, qui dans l'avenir serez les nouveaux docteurs, je parle à

vous, mes apôtres et mes disciples, souvenez-vous que Moi seul suis votre Maître. Et je le serai encore

quand je ne serai plus parmi vous. Parce que la Sagesse est la seule maîtresse d'enseignement. Ne vous faites

donc pas appeler maîtres car vous êtes vous-mêmes des disciples.

N'exigez pas le nom de père et ne le donnez à personne sur la Terre, parce qu'un seul est le Père de tous :

votre Père qui est dans les Cieux. Que cette vérité vous donne la sagesse de vous sentir vraiment tous frères

entre vous, aussi bien ceux qui dirigent que ceux qui sont dirigés, et aimez-vous par conséquent comme de

bons frères. Et qu'aucun de ceux qui dirigent ne se fasse appeler guide, car il n'y a qu'un seul guide pour vous

tous : le Christ. Que le plus grand d'entre vous soit votre serviteur. Ce n'est pas s'humilier que d'être le

serviteur des serviteurs de Dieu, mais c'est m'imiter, Moi, qui ai été doux et humble, toujours prêt à avoir de

l'amour pour mes frères en Adam et à les aider avec la puissance que j'ai en Moi comme Dieu. Et je n'ai pas

humilié la divinité en servant les hommes. En effet le vrai roi c'est celui qui sait dominer pas tant les

hommes que les passions de l'homme : et en tête de toutes le sot orgueil. Rappelez-vous : celui qui s'humilie

sera exalté et celui qui s'exalte sera humilié.

La Femme, dont le Seigneur a parlé dans le second livre de la Genèse, la Vierge dont il est question dans

Isaïe, la Mère-Vierge de l'Emmanuel, a prophétisé cette vérité des temps nouveaux en chantant : "Le

Seigneur a renversé les puissants de leur trône et II a élevé les humbles." La Sagesse de Dieu parlait sur les

lèvres de Celle qui était Mère de la Grâce et Trône de la Sagesse. Et je répète les paroles inspirées qui m'ont

loué, uni au Père et à l'Esprit-Saint, dans nos œuvres admirables quand, sans offense pour la Vierge, Moi,

l'Homme, je me formais dans son sein sans cesser d'être Dieu. Que ce soit une règle pour ceux qui veulent

enfanter le Christ dans leurs cœurs et arriver au Royaume du Christ. Il n'y aura pas de Jésus : le Sauveur ;

pas de Christ : le Seigneur; et il n'y aura pas de Royaume des Cieux pour ceux qui sont orgueilleux,

fornicateurs, idolâtres, qui s'adorent eux-mêmes et leur propre volonté.

Malheur donc, à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui croyez pouvoir fermer par vos sentences

impraticables - et réellement si elles étaient confirmées par Dieu, ce serait des serrures inviolables pour la

majorité des hommes - qui croyez pouvoir fermer le Royaume des Cieux à la face des hommes qui élèvent

leur esprit vers lui pour trouver de la force dans leur pénible journée terrestre ! Malheur à vous qui n'y entrez

619


pas, qui ne voulez pas y entrer car vous n'accueillez pas la Loi du céleste Règne, et n'y laissez pas entrer les

autres qui sont devant cette porte que vous, par votre intransigeance, renforcez par des fermetures que Dieu

n'y a pas mises.

Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui dévorez le bien des veuves sous prétexte de faire de

longues prières. À cause de cela vous subirez un jugement sévère !

Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui allez par terre et par mer, en dépensant des biens qui ne

vous appartiennent pas, pour faire un seul prosélyte et, quand vous l'avez fait, le rendez fils de l'enfer, deux

fois pire que vous !

Malheur à vous, guides aveugles, qui dites : "Si quelqu'un jure par le Temple, son serment n'est rien, mais s'il

jure par l'or du Temple alors il reste lié par son serment." Sots et aveugles ! Et qu'est-ce qui compte le plus :

l'or, ou le Temple qui sanctifie l'or ? Et qui dites : "Si quelqu'un jure par l'autel son serment ne vaut rien,

mais s'il jure par l'offrande qui est sur l'autel, alors son serment est valide, et il reste lié par son serment."

Aveugles ! Qu'y a-t-il de plus grand : l'offrande, ou l'autel qui sanctifie l'offrande ? Celui donc qui jure par

l'autel jure par lui et par toutes les choses qui sont dessus, et celui qui jure par le Temple jure par lui et par

Celui qui l'habite, et celui qui jure par le Ciel jure par le Trône de Dieu et par Celui qui y est assis.

Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui payez la dîme de la menthe et de la rue, de l'anis et du

cumin, et ensuite négligez les préceptes les plus graves de la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité. Ce

sont elles les vertus qu'il fallait avoir, sans laisser de côté les autres choses moins importantes ! Guides

aveugles qui filtrez les boissons de crainte de vous contaminer en avalant un moucheron qui s'est noyé, et

ensuite avalez un chameau sans vous croire immondes pour cela. Malheur à vous, scribes et pharisiens

hypocrites, qui lavez l'extérieur de la coupe et du plat, mais qui êtes intérieurement remplis de rapines et

d'immondices. Pharisien aveugle, lave d'abord l'intérieur de ta coupe et de ton plat, de façon que l'extérieur

aussi devienne propre.

620


Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui volez dans les ténèbres comme des oiseaux de nuit pour

vos œuvres de péché et négociez pendant la nuit avec les païens, les voleurs et les traîtres, et ensuite, le

matin, après avoir effacé les signes de vos marchés occultes, montez au Temple, bien vêtus.

Malheur à vous qui enseignez les lois de la charité et de la justice contenues dans le Lévitique, et qui êtes

ensuite avides, voleurs, faux, calomniateurs, oppresseurs, injustes, vindicatifs, pleins de haine, et en arrivez à

abattre celui qui vous ennuie, même s'il est de votre sang, et à répudier la vierge qui est devenue votre

épouse, et à répudier les enfants que vous avez eus d'elle parce qu'ils sont infirmes, et à accuser d'adultère

votre femme qui ne vous plaît plus, ou de maladie immonde, pour être débarrassés d'elle, vous, qui êtes

Impurs dans votre cœur libidineux même si vous ne paraissez pas tels aux yeux des gens qui ne connaissent

pas vos actions. Vous êtes semblables à des sépulcres blanchis qui semblent beaux du dehors, mais qui à

l'intérieur sont remplis d'os de morts et de pourriture. C'est la même chose pour vous. Oui, la même chose !

Du dehors, vous semblez justes, mais à l'intérieur vous êtes remplis d'hypocrisie et d'iniquité.

Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui élevez des tombeaux somptueux aux prophètes et

embellissez les tombes des justes en disant : "Si nous avions vécu au temps de nos pères, nous n'aurions pas

été complices de ceux qui ont versé le sang des prophètes et nous n'y aurions pas participé." Et ainsi vous

témoignez contre vous que vous êtes les descendants de ceux qui ont tué vos prophètes. Et vous, du reste,

comblez la mesure de vos pères... Ô serpents, race de vipères, comment échapperez-vous à la condamnation

de la Géhenne ?

Voilà que pour cela, Moi, Parole de Dieu, je vous dis : Moi, Dieu, je vous enverrai de nouveaux prophètes et

sages et scribes. Et de ceux-ci vous en tuerez une partie, vous en crucifierez une partie, vous en flagellerez

une partie dans vos tribunaux, dans vos synagogues, hors de vos murs, et en partie les poursuivrez de ville en

ville, jusqu'à ce que retombe sur vous tout le sang des justes répandu sur la Terre , depuis le sang du juste

Abel jusqu'à celui de Zacharie fils de Barachie, que vous avez tué entre l'atrium et l'autel parce que, par

amour pour vous, il vous avait rappelé votre péché pour que vous vous en repentiez en revenant au Seigneur.

621


C'est ainsi. Vous haïssez ceux qui veulent votre bien et vous rappellent par amour sur les sentiers de Dieu.

En vérité je vous dis que tout cela est sur le point d'arriver, et le crime et ses conséquences. En vérité je vous

dis que tout cela s'accomplira sur cette génération.

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Les scribes jugés par Jésus

45 Il dit

Aux disciples, lorsque tout le peuple l’écoutait :

46 " Gardez-vous des scribes qui se plaisent à circuler

En longues robes, qui aiment les salutations

Sur les places publiques, et dans les synagogues

Les premiers sièges, dans les dîners, les premiers

Divans, 47 ils dévorent les biens des veuves et affectent

De faire de longues prières. Ceux-là subiront

Une condamnation plus sévère !"

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Discours sur la ruine de Jérusalem

Maintenant voilà, écoute, O Jérusalem ! Maintenant voilà, écoutez vous tous qui me haïssez et haïssez tout

ce qui vient de Dieu. Maintenant voilà, écoutez vous qui m'aimez et qui serez entraînés dans le châtiment

réservé à ceux qui persécutent les envoyés de Dieu. Et écoutez vous aussi qui n'êtes pas de ce peuple, mais

qui m'écoutez quand même, vous qui écoutez pour savoir qui est Celui qui vous parle et qui prédit sans avoir

besoin d'étudier le vol, le chant des oiseaux, ni les phénomènes célestes et les viscères des animaux sacrifiés,

ni la flamme et la fumée des holocaustes, parce que tout ce qui est futur est présent pour Celui qui vous

parle. "Cette maison qui est la vôtre vous sera laissée déserte. Moi je vous dis, dit le Seigneur, que vous ne

me verrez plus jusqu'à ce que vous disiez vous aussi : "Béni Celui qui vient au nom du Seigneur."

Jésus est visiblement las et échauffé, à la fois par la fatigue d'un discours prolongé et tonnant et par la

chaleur étouffante de cette journée sans vent. Bloqué contre le mur par une multitude, fixé par des milliers de

pupilles, sentant toute la haine qui de dessous les portiques de la Cour des Païens l'écoute, et tout l'amour ou

au moins l'admiration qui l'entoure, sans souci du soleil qui tombe sur les échines et sur les visages rougis et

en sueur, il apparaît vraiment épuisé. Il a besoin de réconfort et il le cherche en disant à ses apôtres et aux

soixante-douze qui, comme autant de coins, se sont ouverts lentement un passage dans la foule et qui

maintenant sont au premier rang, barrière d'amour fidèle autour de Lui : "Sortons du Temple et allons au

grand air parmi les arbres. J'ai besoin d'ombre, de silence et de fraîcheur. En vérité je vous dis que ce lieu

semble déjà brûler du feu de la colère céleste."

Ils Lui fraient un passage non sans mal et peuvent ainsi sortir par la porte la plus proche où Jésus s'efforce,

mais inutilement, d'en congédier un grand nombre. Ils veulent le suivre à tout prix.

624


Les disciples pendant ce temps observent le cube du Temple qui étincelle au soleil qui est presque au midi,

et Jean d'Ephèse fait observer au Maître la puissance de la construction : "Regarde quelles pierres et quelles

constructions !"

"Et pourtant d'elles, il ne restera pas pierre sur pierre" dit Jésus.

"Non ? Quand ? Comment ?" demandent plusieurs. Mais Jésus ne le dit pas.

625


Discours sur la ruine de Jérusalem. Introduction.

5 Et comme certains disaient du Temple

Qu'il était orné de pierres belles d’offrandes votives,

Il dit : "6 De ce que vous contemplez, s’en viendront

Des jours où ne sera pas laissé pierre sur pierre

Qui ne soit détruite." 7 Ils l'interrogèrent et dirent :

" Maître, quand donc sera aura-t-il lieu, quel sera

Le signe, lorsque cela va arriver ?"

626


Le figuier stérile

Ils vont rentrer dans la ville, toujours par le même sentier écarté qu'ils ont pris le matin d'avant, comme si

Jésus ne voulait pas être entouré par les gens qui l'attendent avant d'être dans le Temple, auquel on accède

vite en entrant dans la ville par la Porte du Troupeau, qui est près de la Probatique. Mais aujourd'hui

plusieurs des soixante-douze l'attendent déjà au-delà du Cédron, avant le pont, et dès qu'ils le voient

apparaître au milieu des oliviers verts gris, dans son vêtement pourpre, ils vont à sa rencontre.

Ils se réunissent pour aller vers la ville. Pierre, qui regarde en avant, en bas de la pente, soupçonnant toujours

de voir apparaître quelque mal intentionné, voit parmi le vert frais des dernières pentes un amas de feuilles

fanées et qui pendent, qui se penchent au-dessus de l'eau du Cédron. Les feuilles recroquevillées et

mourantes, ayant ça et là des taches qui ressemblent à de la rouille, ressemblent à celles d'une plante que les

flammes ont desséchées. De temps à autre la brise en détache une et l'enfouit dans les eaux du torrent.

"Mais c'est le figuier d'hier ! Le figuier que tu as maudit !" crie Pierre en montrant de la main la plante

desséchée et en tournant la tête pour parler au Maître.

Tous accourent, sauf Jésus qui avance de son pas habituel.

Les apôtres racontent aux disciples l'antécédent de ce qu'ils voient et tous ensemble commentent en

regardant stupéfaits Jésus. Ils ont vu des milliers de miracles sur les hommes et les éléments, mais celui-ci

les frappe comme les autres ne l'ont pas fait.

Jésus, qui est survenu, sourit en voyant ces visages stupéfaits et craintifs, et il dit : "Et quoi ? Vous êtes

tellement émerveillés qu'à ma parole un figuier se soit desséché ? Ne m'avez-vous pas vu peut-être

627


ressusciter les morts, guérir les lépreux, donner la vue aux aveugles, multiplier les pains, calmer les

tempêtes, éteindre le feu ? Et vous êtes stupéfaits qu'un figuier se dessèche ?"

"Ce n'est pas pour le figuier. C'est que hier il était robuste quand tu l'as maudit, et maintenant il est sec.

Regarde, il est friable comme de l'argile sèche. Ses branches n'ont plus de moelle. Regarde, elles s'en vont en

poussière" et Barthélemy réduit en poussière entre ses doigts des branches qu'il a facilement cassées.

"Elles n'ont plus de moelle. Tu l'as dit. Et c'est la mort quand il n'y a plus de moelle, aussi bien dans un arbre

que dans une nation, que dans une religion, mais qu'il y a seulement la dure écorce et le feuillage inutile :

férocité et extérieur hypocrite. La moelle, blanche, entière, pleine de sève, correspond à la sainteté, à la

spiritualité. L'écorce dure et le feuillage inutile à l'humanité dépourvue de vie spirituelle et juste. Malheur

aux religions qui deviennent humaines parce que leurs prêtres et leurs fidèles n'ont plus l'esprit vital.

Malheur aux nations dont les chefs ne sont que férocité et verbosité tapageuse dépourvue d'idées fertiles !

Malheur aux hommes auxquels manque la vie de l'esprit !"

"Pourtant si tu devais dire cela aux grands d'Israël, encore que ta parole soit juste, tu ne serais pas sage. Ne te

flatte pas que jusqu'à présent ils t'ont laissé parler. Toi-même le dis que ce n'est pas par conversion de cœur,

mais par calcul. Sache alors, Toi aussi, calculer la portée et les conséquences de tes paroles. Parce qu'il y a

aussi la sagesse du monde en dehors de la sagesse de l'esprit. Et il faut savoir en user à notre avantage. Car

enfin, pour l'instant, on est dans le monde, et pas dans le Royaume de Dieu." dit l'Iscariote sans amertume,

mais d'un ton doctoral.

"Le vrai sage c'est celui qui sait voir les choses sans que les ombres de la propre sensualité et les réflexions

du calcul les altèrent. Je dirai toujours la vérité de ce que je vois."

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"Mais, en somme, ce figuier est mort parce que tu as été Toi à le maudire, ou bien... c'est un pur hasard... un

signe... je ne sais pas ?" demande Philippe.

"C'est tout ce que tu dis. Mais ce que j'ai fait vous aussi vous pourrez le faire si vous arrivez à avoir la foi

parfaite. Ayez-la dans le Seigneur Très-Haut. Et quand vous l'aurez, en vérité je vous dis que vous pourrez

cela et encore davantage. En vérité je vous dis que si quelqu'un arrive à avoir la confiance parfaite dans la

force de la prière et dans la bonté du Seigneur, il pourra dire à cette montagne : "Déplace-toi de là et jette-toi

dans la mer" et si en le disant il n'hésite pas en son cœur, mais croit que ce qu'il ordonne peut se réaliser, ce

qu'il a dit se réalisera."

"Et nous semblerons des magiciens et nous serons lapidés, comme il est dit pour qui exerce la magie. Ce

serait un miracle bien sot et à notre détriment !" dit l'Iscariote en hochant la tête.

"Tu es sot, toi qui ne comprends pas la parabole !" lui réplique Jude.

Jésus ne parle pas à Judas, il parle à tous : "Je vous dis, et c'est une ancienne leçon que je répète à cette

heure : quelque chose que vous demandiez par la prière, ayez la foi de l'obtenir et vous l'aurez. Mais si avant

de prier vous avez quelque chose contre quelqu'un, pardonnez d'abord et faites la paix afin d'avoir pour ami

votre Père qui est dans les Cieux, qui vous pardonne tant et vous comble tant, du matin au soir et du

couchant à l'aurore."

Ils entrent au Temple. Les soldats de l'Antonia les regardent passer.

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Question des Juifs sur l’autorité de Jésus

23 Quand il fut

Entré dans le Temple, les grands prêtres et les anciens

Du peuple, s’avancèrent vers lui, il enseignait :

“ Mais par quel pouvoir fais-tu cela ? disaient-ils,

Et qui t’a donné ce pouvoir ? ” 24 Et répondant,

Jésus leur dit : “ Je vais aussi vous demander

Une chose, moi, si vous me la dites, moi aussi

Je vous dirai par quel pouvoir je fais cela.

25 Et le Baptême de Jean, d’où était-il, du Ciel

Ou des hommes ? ” Ceux-ci faisaient ce raisonnement

En eux-mêmes : si nous répondons ceci : du Ciel,

Il nous dira : “ Pourquoi donc n’avez-vous pas cru

En lui ? Si nous répondons : des hommes, craignons

La foule, tous tiennent Jean pour prophète. ”

28 Ils dirent

À Jésus : “ Nous ne savons pas. ” Et à son tour,

Il leur déclara : “ Je ne vous dirais donc pas

Moi non plus, par quel pouvoir je puis faire cela. ”

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La Cène pascale

C'est le commencement de la souffrance du Jeudi Saint.

Les apôtres - ils sont dix - s'occupent activement de préparer le Cénacle.

Judas, grimpé sur la table, regarde s'il y a de l'huile dans tous les lampions du grand lampadaire qui

ressemble à une corolle de fuchsia double, car la tige de suspension est entourée de cinq ampoules qui

ressemblent à des pétales, puis un second tour, plus bas, qui est une vraie couronne de petites flammes; puis

il y a enfin trois petits lampions suspendus à des chaînettes qui semblent les pistils de la fleur lumineuse.

Puis il saute par terre et aide André à disposer avec art la vaisselle sur la table sur laquelle on a étendu une

nappe très fine. J'entends André qui dit : "Quel lin splendide !"

Et l'Iscariote : "Un des meilleurs de Lazare. Marthe a voulu absolument l'apporter."

"Et ces calices ? et ces amphores, alors ?" observe Thomas qui a mis le vin dans les amphores précieuses et

les regarde avec admiration en se regardant dans leurs fines panses et il en caresse les poignées ciselées d'un

œil de connaisseur.

"Qui sait quelle valeur, hein ?" demande Judas Iscariote.

"C'est travaillé au marteau. Mon père en serait fou. L'argent et l'or en feuilles se plient facilement à la

chaleur. Mais traité ainsi... Un moment peut tout abîmer. Il suffit d'un coup mal donné. Il faut en même

temps de la force et de la légèreté. Tu vois les poignées ? Elles sont tirées de la masse et ne sont pas soudées.

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Choses de riches... Pense que toute la limaille et le dégrossissement se perdent. Je ne sais pas si tu me

comprends."

"Hé ! si je comprends ! C'est comme fait un sculpteur."

"Tout à fait cela."

Tous admirent, puis retournent à leur travail. Tel dispose les sièges et tel autre prépare les crédences.

Pierre et Simon entrent ensemble.

"Oh ! vous êtes venus finalement ! Où êtes-vous allés de nouveau ? Après être arrivés avec le Maître et nous,

vous vous êtes enfuis de nouveau" dit l'Iscariote.

"Encore une tâche avant l'heure" répond brièvement Simon.

"Tu es mélancolique ?"

"Je crois qu'avec ce qu'on a entendu en ces jours et de ces lèvres que jamais on ne trouve mensongères, il y

en a bien une raison."

"Et avec cette puanteur de... Bon ! tais-toi, Pierre" murmure Pierre entre ses dents.

"Toi aussi !... Tu me sembles fou depuis quelques jours. Tu as la figure d'un lapin sauvage qui sent derrière

lui le chacal." répond Judas l'Iscariote.

"Et toi, tu as le museau de la fouine. Toi aussi, tu n'es pas très beau depuis quelques jours. Tu regardes d'une

façon... Tu as même l'œil de travers... Qui attends-tu ou qu'espères-tu voir ? Tu sembles plein d'assurance, tu

veux le faire paraître, mais tu as l'air de quelqu'un qui a peur" réplique Pierre.

"Oh ! Quant à la peur !... Tu n'es certainement pas un héros, toi non plus !"

"Personne de nous ne l'est, Judas. Tu portes le nom du Macchabée, mais tu ne l'es pas. Moi, je dis avec mon

nom : "Dieu fait grâce", mais je te jure que j'ai en moi le tremblement de qui sait porter malheur et d'être

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surtout dans la disgrâce de Dieu. Simon de Jonas, rebaptisé "la pierre", est mou maintenant comme de la cire

près du feu. Il ne se cramponne plus par sa volonté. Lui, que je n'ai jamais vu trembler dans les plus

violentes tempêtes ! Matthieu, Barthélemy et Philippe semblent des somnambules. Mon frère et André ne

font que soupirer. Les deux cousins, qui ont la douleur de la parenté avec celle de l'amour pour le Maître,

regarde-les. Ils semblent déjà des vieillards. Thomas a perdu son entrain, et Simon semble redevenu le

lépreux épuisé d'il y a maintenant trois ans tant il est creusé par la douleur, je dirais corrodé, livide, avili." lui

répond Jean.

"Oui. Il nous a tous suggestionnés par sa mélancolie." observe l'Iscariote.

"Mon cousin Jésus, mon Maître et Seigneur et le vôtre, est et n'est pas mélancolique. Si tu veux dire par ce

nom qu'il est triste à cause de la douleur excessive que tout Israël est en train de Lui donner, et que nous

voyons, et l'autre douleur cachée que Lui seul voit, je te dis : "Tu as raison." Mais si tu uses de ce terme pour

dire qu'il est fou, je te l'interdis." dit Jacques d'Alphée.

"Et n'est-ce pas de la folie qu'une idée fixe de mélancolie ? J'ai fait aussi des études profanes, et je sais. Il a

trop donné de Lui-même. Maintenant il a l'esprit épuisé."

"Ce qui signifie de la démence. N'est-ce pas ?" demande l'autre cousin Jude, apparemment calme.

"Tout à fait cela ! Il avait bien vu ton père, juste de sainte mémoire, à qui tu ressembles pour la justice et la

sagesse ! Jésus, triste destin d'une illustre maison trop vieille et frappée de sénilité psychique, a toujours eu

une tendance à cette maladie, d'abord douce, puis toujours de plus en plus agressive. Tu as vu comme il a

attaqué Pharisiens et scribes, Sadducéens et Hérodiens. Il s'est rendu la vie impossible comme un chemin

couvert d'éclats de quartz. Et c'est Lui qui les a semés. Nous... nous l'aimions tant que l'amour nous l'a caché.

Mais ceux qui l'ont aimé sans l'idolâtrer : ton père, ton frère Joseph, et Simon au début, ont vu juste... nous

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devions ouvrir les yeux en les écoutant. Au contraire, nous avons été tous séduits par sa douce fascination de

malade. Et maintenant... Hélas !"

Jude Thaddée qui, aussi grand que l'Iscariote, est justement en face de lui et paraît l'écouter paisiblement, a

un déclic violent et d'un puissant revers de main il couche Judas sur un des sièges et avec une colère

contenue, sans éclat de voix, se penchant, siffle sur son visage de lâche, et Judas ne réagit pas, craignant

peut-être que le Thaddée soit au courant de son crime : "Voilà pour la démence, reptile ! Et c'est seulement

parce que Lui est à côté et que c'est le soir de Pâque que je ne t'étrangle pas. Mais réfléchis, réfléchis bien !

S'il Lui arrive du mal et qu'il n'est plus là pour arrêter ma force, personne ne te sauve. C'est comme si déjà tu

avais la corde au cou et ce seront ces mains honnêtes et fortes d'artisan galiléen et de descendant du frondeur

de Goliath qui feront ton affaire. Lève-toi, mollasson libertin ! Et surveille ta conduite."

Judas se lève, livide, sans la moindre réaction. Et, ce qui me surprend, personne ne réagit au nouveau geste

du Thaddée. Au contraire !... Il est clair que tous approuvent.

L'ambiance est à peine redevenue tranquille que Jésus entre. Il se présente au seuil de la petite porte par

laquelle sa grande taille passe difficilement, met le pied sur le petit palier et, avec son sourire doux et triste,

dit en ouvrant les bras : "La paix soit avec vous." Sa voix est lasse comme celle de quelqu'un qui souffre

physiquement et moralement.

Il descend, caresse la tête blonde de Jean qui est accouru près de Lui. Comme s'il ignorait tout, il sourit à son

cousin Jude et il dit à l'autre cousin : "Ta mère te prie d'être doux avec Joseph. Tout à l'heure il a demandé

aux femmes de mes nouvelles et des tiennes. Je regrette de ne l'avoir pas salué."

"Tu le feras demain."

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"Demain ?... Mais j'aurai toujours le temps de le voir... Oh ! Pierre ! Nous allons rester finalement un peu

ensemble ! Depuis hier, tu semblés pour Moi un feu follet. Je te vois, puis je ne te vois plus. Aujourd'hui je

puis presque dire que je t'ai perdu. Toi aussi, Simon."

"Nos cheveux plutôt blancs que noirs peuvent t'assurer que nous ne nous sommes pas absentés par désir de la

chair" dit Simon avec sérieux.

"Bien que... à tout âge on peut avoir cette faim... Les vieux ! Pires que les jeunes..." dit l'Iscariote offensif.

Simon le regarde et il va répliquer. Mais Jésus le regarde aussi et dit : "Tu as mal aux dents ? Tu as la joue

droite enflée et rouge."

"Oui, j'ai mal. Mais ce n'est pas la peine de s'en occuper."

Les autres ne disent rien, et l'affaire se termine ainsi.

"Avez-vous fait tout ce qu'il fallait faire ? Toi, Matthieu ? Et toi, André ? Et toi, Judas, as-tu pensé à

l'offrande au Temple ?"

Les deux premiers, aussi bien que l'Iscariote, disent : "Tout est fait de ce que tu avais dit de faire pour

aujourd'hui. Sois tranquille."

"Moi, j'ai apporté les primeurs de Lazare à Jeanne de Chouza, pour les enfants. Ils m'ont dit : "Elles étaient

meilleures ces pommes !" Elles avaient la saveur de la faim, celles-là ! Et c'était tes pommes." dit Jean

souriant et rêvant.

Jésus aussi sourit à un souvenir...

"J'ai vu Nicodème et Joseph" dit Thomas.

"Tu les as vus ? Tu as parlé avec eux ?" demande l'Iscariote avec un intérêt exagéré.

"Oui. Qu'y a-t-il d'étrange ? Joseph est un bon client de mon père."

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"Tu ne l'avais pas dit avant... C'est pour cela que j'ai été étonné !..." Judas essaie de dépailler l'impression,

qu'il avait donnée d'abord, de son inquiétude pour la rencontre de Joseph et de Nicodème avec Thomas.

"Il me semble étrange qu'ils ne soient pas venus ici pour te vénérer. Ni eux, ni Chouza, ni Manaën... Aucun

des..."

Mais l'Iscariote, avec un faux rire, interrompt Barthélemy et il dit : "Le crocodile se terre quand il le faut."

"Que veux-tu dire ? Qu'insinues-tu ?" demande Simon, agressif comme il n'a jamais été.

"Paix, paix ! Mais qu'avez-vous ? C'est la soirée pascale ! Jamais nous n'avons eu un si digne apparat pour

consommer l'agneau. Consommons donc la cène dans un esprit de paix. Je vois que je vous ai beaucoup

troublés par mes instructions de ces derniers soirs. Mais, vous voyez ? J'ai fini ! Maintenant je ne vous

troublerai plus. Tout n'est pas dit de ce qui se rapporte à Moi. Seulement l'essentiel. Le reste... vous le

comprendrez par la suite. Il vous sera dit... Oui. Il viendra Celui qui vous le dira ! Jean, va avec Judas et un

autre, prendre les coupes pour la purification. Et puis assoyons-nous à table." Jésus est d'une douceur

déchirante.

Jean avec André, Jude Thaddée avec Jacques, apportent la vaste coupe, y versent l'eau et offrent l'essuiemains

à Jésus et à leurs compagnons qui font la même chose avec eux. La coupe (qui est un bassin de métal)

est mise dans un coin.

"Et maintenant à vos places. Moi ici, et ici (à droite) Jean et de l'autre côté mon fidèle Jacques. Les deux

premiers disciples. Après Jean ma Pierre forte et après Jacques celui qui est comme l'air. On ne le remarque

pas, mais il est toujours présent et réconforte : André. Près de lui, mon cousin Jacques. Tu ne te plains pas,

doux frère, si je donne la première place aux premiers ? Tu es le neveu du Juste dont l'esprit palpite et plane

sur Moi en cette soirée plus que jamais. Aie la paix, père de ma faiblesse enfantine, chêne à l'ombre duquel

se restaurèrent la Mère et le Fils ! Aie la paix !... Après Pierre : Simon... Simon, viens ici un moment. Je

veux fixer ton visage loyal. Après, je ne te verrai plus que mal car les autres me couvriront ta figure honnête.

Merci, Simon. De tout." et il l'embrasse.

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Simon, quand il le laisse, va à sa place portant ses mains à son visage en marquant son affliction.

"En face de Simon, mon Bartholmaï, deux honnêtetés et deux sagesses qui se reflètent. Ils sont bien

ensemble. Et tout près, toi, Jude mon frère. Ainsi je te vois... et il me semble être à Nazareth... quand

quelque fête nous réunissait tous à une table... Et aussi à Cana... Tu te souviens ? Nous étions ensemble. Une

fête... une fête de noces... le premier miracle... l'eau changée en vin... Aujourd'hui aussi une fête... et

aujourd'hui aussi il y aura un miracle... le vin changera de nature... et il sera..."

Jésus se plonge dans ses pensées, la tête inclinée, et comme isolé dans son monde secret. Les autres le

regardent et ne parlent pas.

Il relève la tête et fixe Judas Iscariote auquel il dit : "Tu seras en face de Moi."

"Tu m'aimes à ce point ? Plus que Simon, que tu veux toujours m'avoir en face de Toi ?"

"Tellement. Tu l'as dit."

"Pourquoi, Maître ?"

"Parce que tu es celui qui a fait plus que tous pour cette heure."

Judas jette un regard changé sur le Maître et sur ses compagnons. Sur le premier avec un air de compassion,

sur les autres avec un air de triomphe.

"Et à côté de toi, d'une part Matthieu, de l'autre Thomas."

"Alors Matthieu à ma gauche et Thomas à ma droite."

"Comme tu veux, comme tu veux, dit Matthieu, il me suffît d'avoir bien en face de moi mon Sauveur."

"Le dernier, Philippe. Voilà, vous voyez ? Qui n'est pas à côté de Moi du côté d'honneur, a l'honneur d'être

en face de Moi."

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Jésus, debout à sa place, verse dans le grand calice placé devant Lui (Tous ont de hauts calices, mais Lui en a

un beaucoup plus grand en plus de celui des autres. Ce doit être le calice rituel.) Il verse le vin. Il l'élève,

l'offre, le repose.

Puis tous ensemble demandent sur le ton du psaume : "Pourquoi cette cérémonie ?" Question de pure forme,

on le comprend, rituelle.

Jésus, en chef de famille, y répond : "Ce jour rappelle notre libération de l'Égypte. Que soit béni Jéhovah qui

a créé le fruit de la vigne." Il boit une gorgée de ce vin qu'il a offert et passe le calice aux autres. Puis il offre

le pain, en fait des morceaux, le distribue, ensuite les légumes trempés dans la sauce rougeâtre qui est dans

quatre saucières.

Une fois terminée cette partie du repas, ils chantent des psaumes tous en chœur.

On apporte de la crédence sur la table et on place en face de Jésus le grand plateau de l'agneau rôti.

Pierre qui a le rôle de... première partie du chœur, si vous voulez, demande : "Pourquoi cet agneau ainsi

présenté ?"

"En souvenir de quand Israël fut sauvé par l'agneau immolé. Le premier-né ne mourut pas là où le sang

brillait sur les montants de la porte et sur l'architrave. Et ensuite, alors que l'Égypte pleurait ses fils premiersnés

qui étaient morts, depuis le palais royal jusqu'aux taudis, les hébreux, commandés par Moïse, se mirent

en marche vers la terre de la libération et de la promesse. Les côtés déjà ceints, les sandales aux pieds, le

bourdon en main, le peuple d'Abraham s'empressa de se mettre en marche en chantant les hymnes de la joie."

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Tous se lèvent debout et entonnent : "Quand Israël sortit d'Égypte et la maison de Jacob du milieu d'un

peuple barbare, la Judée devint son sanctuaire" et cætera.

Maintenant Jésus découpe l'agneau, verse un nouveau calice, le passe après en avoir bu. Puis ils chantent

encore: "Enfants, louez le Seigneur. Que soit béni le Nom de l'Éternel maintenant et toujours dans les

siècles. De l'orient à l'occident Il doit être loué" et cætera.

Jésus donne les parts en faisant attention que chacun soit bien servi, exactement comme un père de famille

parmi ses fils qui lui sont tous chers. Il est solennel, un peu triste, alors qu'il dit : "j'ai ardemment désiré de

manger avec vous cette Pâque. Cela a été mon désir des désirs depuis qu'éternellement j'ai été le "Sauveur".

Je savais que cette heure précéderait cette autre, et la joie de me donner mettait à l'avance ce soulagement à

mon martyre... J'ai ardemment désiré de manger avec vous cette Pâque car jamais plus je ne goûterai du fruit

de la vigne jusqu'à ce que soit venu le Royaume de Dieu. Alors je m'assiérai de nouveau avec les élus au

Banquet de l'Agneau, pour les noces des Vivants avec le Vivant. Mais y viendront seulement ceux qui auront

été humbles et purs de cœur comme je le suis."

"Maître, tout à l'heure tu as dit que qui n'a pas l'honneur de la place, a celui d'être en face de Toi. Comment

alors pouvons-nous savoir qui est le premier d'entre nous ?" demande Barthélemy.

"Tous et personne. Une fois... nous revenions fatigués... avec la nausée de la rancœur des pharisiens. Mais

vous n'étiez pas las pour discuter entre vous qui était le plus grand... Un enfant accourut près de Moi... un de

mes petits amis... Et son innocence adoucit mon dégoût de tant de choses. Ce n'était pas pour dernière votre

humanité opiniâtre. Où es-tu maintenant, petit Benjamin à la réponse sage, venue à toi du Ciel car, ange

comme tu l'étais, l'Esprit te parlait ? Je vous ai dit alors : "Si quelqu'un veut être le premier qu'il soit le

dernier et le serviteur de tous." Et je vous ai donné en exemple l'enfant sage. Maintenant je vous dis : "Les

rois des nations les dominent. Et les peuples opprimés, tout en les haïssant, les acclament et on les appelle

les rois 'Bienfaiteurs', 'Pères de la Patrie', mais la haine couve sous le respect menteur." Mais parmi vous

qu'il n'en soit pas ainsi. Que le plus grand soit comme le plus petit, le chef comme celui qui sert. Qui, en fait,

est le plus grand ? Celui qui est à table ou celui qui sert ? C'est celui qui est à table. Et pourtant, Moi je vous

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sers, et d'ici peu, je vous servirai davantage. Vous êtes ceux qui ont été avec Moi dans les épreuves, et Moi je

dispose pour vous d'une place dans mon Royaume, de même que j'y serai Roi selon la volonté du Père, afin

que vous mangiez et buviez à ma table éternelle et que vous soyez assis sur des trônes pour juger les douze

tribus d'Israël. Vous êtes restés avec Moi dans les épreuves... Il n'y a que cela qui vous donne de la grandeur

aux yeux du Père."

"Et ceux qui viendront ? Ils n'auront pas de place dans le Royaume ? Nous seuls ?"

"Oh ! que de princes dans ma Maison ! Tous ceux qui auront été fidèles au Christ dans les épreuves de la vie

seront des princes dans mon Royaume, car ceux qui auront persévéré jusqu'à la fin dans le martyre de

l'existence seront pareils à vous qui êtes restés avec Moi dans mes épreuves. Je m'identifie avec ceux qui

croient en Moi. La Douleur que j'embrasse pour vous et pour tous les hommes, je la donne comme enseigne

à ceux qui sont particulièrement élus. Celui qui me sera fidèle dans la Douleur sera un de mes bienheureux,

pareil à vous, ô mes aimés."

"Nous avons persévéré jusqu'à la fin."

"Tu le crois, Pierre ? Et Moi, je te dis que l'heure de l'épreuve n'est pas encore venue. Simon, Simon de

Jonas, voilà que Satan a demandé de vous vanner comme le grain. J'ai prié pour toi, pour que ta foi ne vacille

pas. Toi, quand tu te seras repenti, confirme tes frères."

"Je sais que je suis un pécheur. Mais je serai fidèle à Toi jusqu'à la mort. Je n'ai pas ce péché. Je ne l'aurai

jamais."

"Ne sois pas orgueilleux, mon Pierre. Cette heure changera une infinité de choses qui avant étaient ainsi et

qui maintenant seront différentes. Combien !... Elles apportent et imposent des nécessités nouvelles. Vous le

savez. Je vous l'ai toujours dit, même quand nous allions par des chemins écartés, parcourus par des bandits :

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"Ne craignez pas, il ne vous arrivera aucun mal parce que les anges du Seigneur sont avec nous. Ne vous

préoccupez de rien." Vous rappelez-vous quand je vous disais : "N'ayez pas d'inquiétudes pour ce que vous

devez manger et pour le vêtement. Le Père sait de quoi nous avons besoin" ? Je vous disais aussi : "L'homme

est beaucoup plus qu'un passereau et que la fleur qui aujourd'hui est de l'herbe et demain est du foin. Et

pourtant le Père a soin aussi de la fleur et du petit oiseau. Pouvez-vous alors douter qu'il n'ait pas soin de

vous ?" Je vous disais encore : "Donnez à qui vous demande, à celui qui vous offense présentez l'autre joue".

Je vous disais : "N'ayez pas de bourse ni de bâton". Parce que je vous ai enseigné l'amour et la confiance.

Mais maintenant... Maintenant ce n'est plus ce temps. Maintenant je vous dis : "Vous est-il rien manqué

jusqu'à maintenant ? Avez-vous jamais été offensés ?"

"Rien, Maître, Et Toi seul as été offensé."

"Vous voyez donc que ma parole était vraie. Mais maintenant les anges ont tous été rappelés par leur

Seigneur. C'est l'heure des démons... Avec leurs ailes d'or, eux, les anges du Seigneur, se couvrent les yeux,

s'enveloppent et souffrent de ce que leurs ailes ne soient pas couleur du chagrin, car c'est une heure de deuil,

de deuil cruel, sacrilège... Il n'y a pas d'anges sur la Terre ce soir. Ils sont près du trône de Dieu pour couvrir

de leur chant les blasphèmes du monde déicide et les pleurs de l'Innocent. Et nous sommes seuls... Vous et

Moi : seuls. Et les démons sont les maîtres de l'heure. Aussi maintenant nous allons prendre les apparences

et les mesures des pauvres hommes qui se défient et n'aiment pas. Maintenant que celui qui a une bourse

prenne aussi une besace, que celui qui n'a pas d'épée vende son manteau et en achète une, car cela aussi est

dit de Moi dans l'Écriture et doit s'accomplir : "Il a été compté parmi les malfaiteurs." En vérité tout ce qui

me concerne a son but."

Simon, qui s'est levé pour aller au coffre où il a déposé son riche manteau - c'est en effet que ce soir tous ont

pris leurs meilleurs habits, et ont par conséquent leurs poignards, damasquinés mais très courts, plutôt

couteaux que poignards, à leurs riches ceintures - prend deux épées, deux épées véritables, longues,

légèrement courbes, et les porte à Jésus : "Pierre et moi, nous sommes armés ce soir. Nous avons celles-ci,

mais les autres n'ont que le court poignard."

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Jésus prend les épées, les observe, en dégaine une et essaie le tranchant sur l'ongle. C'est une vue étrange et

cela fait une impression encore plus étrange de voir cette arme féroce dans les mains de Jésus.

"Qui vous les a données ?" demande l'Iscariote alors que Jésus observe en silence. Et Judas paraît sur les

épines...

"Qui ? Je te rappelle que mon père était noble et puissant."

"Mais Pierre..."

"Eh bien ? Depuis quand dois-je rendre compte des cadeaux que je veux faire à mes amis ?"

Jésus lève la tête après avoir rengainé l'arme et la rend au Zélote.

"C'est bien, elles suffisent. Tu as bien fait de les prendre. Mais maintenant, avant que l'on boive le troisième

calice, attendez un moment. Je vous ai dit que le plus grand est pareil au plus petit et que Moi je suis le

serviteur à cette table, et que je vous servirai davantage. Jusqu'à présent je vous ai donné de la nourriture,

service pour le corps. Maintenant je veux vous donner une nourriture pour l'esprit. Ce n'est pas un plat du

rituel ancien. Il appartient au nouveau rite. J'ai voulu me baptiser avant d'être le "Maître". Pour répandre la

Parole, ce baptême suffisait. Maintenant le Sang sera répandu. Il faut un nouveau baptême même pour vous

qui pourtant avez été purifiés, par le Baptiste en son temps, et même aujourd'hui au Temple. Mais cela ne

suffit pas encore. Venez que je vous purifie. Suspendez le repas. Il y a quelque chose de plus élevé et de plus

nécessaire que la nourriture donnée au ventre pour le remplir, même si c'est une nourriture sainte comme

celle du rite pascal. Et c'est un esprit pur, disposé à recevoir le don du Ciel qui déjà descend pour se faire un

trône en vous et vous donner la Vie. Donner la Vie à qui est pur."

Jésus se lève, fait lever Jean pour sortir plus facilement de sa place, va à un coffre et quitte son vêtement

rouge pour le plier et le déposer sur le manteau déjà plié, se ceint la taille d'un grand essuie-mains, puis va à

un autre bassin encore vide et propre. Il y verse de l'eau, le porte au milieu de la pièce près de la table, et le

met sur un tabouret. Les apôtres le regardent étonnés.

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"Vous ne me demandez pas ce que je fais ?"

"Nous ne savons pas. Je te dis que nous sommes déjà purifiés." répond Pierre.

"Et je te répète que cela n'a pas importance. Ma purification servira à celui qui est déjà pur à être plus pur."

Il s'agenouille, délace les sandales de l'Iscariote et lui lave les pieds l'un après l'autre. Il est facile de le faire

car les lits-sièges sont tournés de façon que les pieds sont vers l'extérieur. Judas est stupéfait et ne dit rien.

Seulement quand Jésus, avant de chausser le pied gauche et de se lever, fait le geste de lui baiser le pied droit

déjà chaussé, Judas retire vivement son pied et frappe avec la semelle la bouche divine. Il le fait sans le

vouloir. Ce n'est pas un coup fort, mais il me donne tant de douleur. Jésus sourit et à l'apôtre qui Lui

demande : "T'ai-je fait mal ? Je ne voulais pas... Pardon", il dit : "Non, ami. Tu l'as fait sans malice et cela ne

me fait pas mal." Judas le regarde. Un regard troublé, fuyant...

Jésus passe à Thomas, puis à Philippe... il suit le côté étroit de la table et arrive à son cousin Jacques. Il le

lave, et en se levant le baise au front. Il passe à André qui rougit de honte et fait des efforts pour ne pas

pleurer, il le lave, le caresse comme un enfant. Puis c'est Jacques de Zébédée qui ne cesse de murmurer : "Oh

! Maître ! Maître ! Maître ! Tu t'anéantis, mon sublime Maître !" Jean a déjà délacé ses sandales et alors que

Jésus se penche pour lui essuyer les pieds, il s'incline pour baiser ses cheveux. Mais Pierre !... Il n'est pas

facile de le persuader de se prêter à ce rite !

"Toi, me laver les pieds ? N'y pense pas ! Tant que je suis en vie, je ne le permettrai pas. Je suis un ver, tu es

Dieu. Chacun à sa place."

"Ce que je fais, tu ne peux le comprendre maintenant, mais par la suite, tu le comprendras. Laisse-moi faire."

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"Tout ce que tu veux, Maître. Veux-tu me couper le cou ? Fais-le. Mais me laver les pieds, tu ne le feras

pas."

"Oh ! mon Simon ! Tu ne sais pas que si je ne te lave pas tu n'auras pas part à mon Royaume ? Simon,

Simon ! Tu as besoin de cette eau pour ton âme et pour le tant de chemin que tu dois faire. Tu ne veux pas

venir avec Moi ? Si je ne te lave pas, tu ne viens pas dans mon Royaume."

"Oh ! mon Seigneur béni Mais alors lave-moi tout entier ! Pieds, mains et tête !"

"Celui qui, comme vous, a pris un bain n'a besoin que de se laver les pieds, puisqu'il est entièrement pur. Les

pieds... L'homme avec ses pieds va dans les ordures. Et ce serait encore peu car, je vous l'ai dit, ce n'est pas

ce qui entre et sort avec la nourriture qui souille, et ce n'est pas ce qui va sur les pieds, en route, qui

contamine l'homme. Mais c'est ce qui couve et mûrit dans son cœur et sort de là pour contaminer ses actions

et ses membres. Et les pieds de l'homme à l'âme impure vont aux orgies, à la luxure, aux commerces illicites,

aux crimes... Ce sont donc parmi les membres du corps, ceux qui ont une grande partie à purifier... avec les

yeux, avec la bouche... Oh ! homme ! homme ! Créature parfaite un jour, le premier ! Et ensuite tellement

corrompu par le Séducteur ! Et il n'y avait pas de malice en toi, ô homme, et pas de péché !... Et maintenant ?

Tu es tout entier malice et péché, et il n'y a pas de parties de toi qui ne pèche pas !"

Jésus lave les pieds à Pierre, les baise, et Pierre pleure et il prend dans ses grosses mains les mains de Jésus,

les passe sur ses yeux et les baise ensuite.

Simon aussi a quitté ses sandales et se laisse laver. Mais ensuite, quand Jésus va passer à Barthélemy, Simon

s'agenouille et Lui baise les pieds en disant : "Purifie-moi de la lèpre du péché comme tu m'as purifié de la

lèpre du corps, pour que je ne sois pas confondu à l'heure du jugement, mon Sauveur !"

"Ne crains pas, Simon. Tu viendras dans la Cité céleste blanc comme la neige."

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"Et moi, Seigneur ? À ton vieux Bartholmaï que dis-tu ? Tu m'as vu sous l'ombre du figuier et tu as lu dans

mon cœur. Et maintenant que vois-tu, et où me vois-tu ? Rassure un pauvre vieux qui craint de ne pas avoir

la force et le temps pour arriver à ce que tu veux qu'il soit." Barthélemy est très ému.

"Toi aussi, ne crains pas. J'ai dit alors : "Voici un vrai Israélite en qui il n'y a pas de fraude." Maintenant je

dis : "Voilà un vrai chrétien, digne du Christ.'' Où je te vois ? Sur un trône éternel, vêtu de pourpre. Je serai

toujours avec toi."

171> C'est le tour de Jude Thaddée. Celui-ci, quand il voit Jésus à ses pieds, ne sait pas se contenir, il penche

la tète sur son bras appuyé à la table et il pleure.

"Ne pleure pas, doux frère. Tu es maintenant comme quelqu'un qui doit supporter qu'on lui enlève un nerf et

il te paraît ne pas pouvoir le supporter. Mais ce sera une brève douleur. Puis... oh ! tu seras heureux parce

que tu m'aimes. Tu t'appelles Jude, et tu es comme notre grand Jude: comme un géant. Tu es celui qui

protège. Tes actions sont du lion et du lionceau qui rugit. Tu découvriras les impies qui reculeront devant toi,

et les gens iniques seront terrifiés. Moi, je sais. Sois courageux. Une éternelle union resserrera et rendra

parfaite notre parenté dans le Ciel." Il le baise lui aussi sur le front comme l'autre cousin,

"Je suis pécheur, Maître. Pas à moi..."

"Tu étais pécheur, Matthieu. Maintenant tu es l'Apôtre. Tu es une de mes "voix". Je te bénis. Ces pieds, que

de chemin ils ont fait pour avancer toujours, vers Dieu... L'âme les excitait et ils ont quitté tout chemin qui

n'était pas mon chemin. Avance. Sais-tu où finit le sentier ? Sur le sein du Père qui est le mien et le tien."

Jésus a fini. Il enlève la serviette, se lave les mains dans de l'eau propre, reprend son vêtement, retourne à sa

place et dit alors qu'il s'assied à sa place : "Maintenant vous êtes purs, mais pas tous. Seulement ceux qui ont

eu la volonté de l'être."

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Il fixe Judas de Kériot qui fait semblant de ne pas entendre, occupé à expliquer à son compagnon Matthieu

comment son père se décida à l'envoyer à Jérusalem, conversation inutile dont le seul but est de donner une

contenance à Judas qui, malgré son audace, doit se sentir mal à l'aise.

Jésus pour la troisième fois verse du vin dans le calice commun. Il boit, fait boire. Puis il entonne et les autres

font un chœur : "J'aime parce que le Seigneur écoute la voix de ma prière, parce qu'il tend son oreille vers

moi. Je l'invoquerai toute ma vie. J'étais entouré des douleurs de mort" et cætera. Un moment d'arrêt, puis il

recommence à chanter : "J'ai eu foi, c'est pour cela que j'ai parlé. Mais j'ai été fortement humilié. Et je disais

dans mon trouble : "Tout homme est menteur." Il regarde fixement Judas. La voix de mon Jésus, fatiguée ce

soir, reprend sa force quand il s'écrie : "Elle est précieuse devant Dieu la mort des saints." et "Tu as brisé mes

chaînes. Je te sacrifierai une hostie de louange en invoquant le nom du Seigneur." et cætera. Un autre bref

arrêt dans le chant et puis il reprend : "Louez tous le Seigneur, ô nations ; louez-le tous les peuples. Car elle

s'est affermie sur nous sa miséricorde et la vérité du Seigneur dure éternellement." Un autre arrêt bref et puis

un long hymne : "Célébrez le Seigneur car Il est bon, car sa miséricorde dure éternellement..."

Judas de Kériot chante tellement faux que par deux fois Thomas lui redonne le ton de sa puissante voix de

baryton et le regarde fixement. Les autres aussi le regardent car généralement il est bien dans le ton de sa

voix, j'ai compris, qu'il en est orgueilleux comme du reste. Mais ce soir ! Certaines phrases le troublent au

point qu'il chante faux et de même des regards de Jésus qui soulignent certaines phrases. L'une d'elles : "Il

vaut mieux avoir confiance en Dieu que d'avoir confiance en l'homme." Une autre : "Bousculé, j'ai vacillé et

j'allais tomber, mais le Seigneur m'a soutenu." Une autre c'est : "Je ne mourrai pas, mais je vivrai et je

raconterai les œuvres du Seigneur." Et enfin ces deux, que je dis maintenant, étranglent la voix dans la gorge

du Traître : "La pierre rejetée par les constructeurs est devenue la pierre d'angle" et "Béni celui qui vient au

nom du Seigneur !"

Le psaume fini, pendant que Jésus découpe des tranches de l'agneau et les présente, Matthieu demande à

Judas de Kériot : "Mais tu te sens mal ?"

"Non. Laisse-moi tranquille. Ne t'occupe pas de moi."

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Matthieu hausse les épaules.

Jean, qui a entendu, dit : "Le Maître aussi n'est pas bien. Qu'as-tu mon Jésus ? Ta voix est faible comme celle

d'un malade ou de quelqu'un qui a beaucoup pleuré" et il l'embrasse en restant la tête sur la poitrine de Jésus.

"Il a seulement beaucoup parlé, comme moi j'ai beaucoup marché et pris froid." dit Judas nerveux.

Et Jésus, sans lui répondre, dit à Jean : "Tu me connais désormais... et tu sais ce qui me fatigue..."

L'agneau est presque consommé. Jésus, qui a très peu mangé en buvant seulement une gorgée de vin à

chaque calice et en buvant par contre beaucoup d'eau comme s'il était fiévreux, recommence à parler : "Je

veux que vous compreniez mon geste de tout à l'heure. Je vous ai dit que le premier est comme le dernier, et

que je vous donnerai une nourriture qui n'est pas corporelle. C'est une nourriture d'humilité que je vous ai

donnée, pour votre esprit. Vous m'appelez Maître et Seigneur. Vous dites bien car je le suis. Si donc je vous

ai lavé les pieds, vous aussi vous devez le faire l'un pour l'autre. Je vous ai donné l'exemple afin que vous

fassiez comme j'ai fait. En vérité je vous dis : le serviteur n'est pas plus que le Maître, et l'apôtre n'est pas

plus que Celui qui l'a fait tel. Cherchez à comprendre ces choses. Si ensuite, en les comprenant, vous les

mettez en pratique vous serez bienheureux. Mais vous ne serez pas tous bienheureux. Je vous connais. Je

sais qui j'ai choisi. Je ne parle pas de tous de la même manière, mais je dis ce qui est vrai. D'autre part doit

s'accomplir ce qui est écrit à mon sujet : "Celui qui a mangé le pain avec Moi, a levé son talon sur Moi." Je

vous dis tout avant que cela n'arrive, pour que vous n'ayez pas de doutes sur Moi. Quand tout sera accompli,

vous croirez encore davantage que Je suis Moi. Celui qui m'accueille, accueille Celui qui m'a envoyé : le

Père Saint qui est dans les Cieux, et celui qui accueillera ceux que je lui enverrai il m'accueillera Moi-même.

Car je suis avec le Père et vous êtes avec Moi... Mais maintenant accomplissons le rite."

647


Il verse de nouveau du vin dans le calice commun et avant d'en boire et d'en faire boire il se lève, et tous se

lèvent avec Lui et il chante de nouveau un des psaumes d'auparavant : "J'ai eu foi, et c'est pour cela que j'ai

parlé..." et puis un autre qui n'en finit pas. Beau... mais sans fin ! Je crois le retrouver, pour le

commencement et la longueur, dans le psaume 118. Ils le chantent ainsi. Un morceau tous ensemble, puis à

tour de rôle chacun dit un verset et les autres un morceau ensemble, et ainsi jusqu'à la fin. Je crois qu'à la fin

ils ont soif !

Jésus s'assied, il ne s'allonge pas. Il reste assis, comme nous, et il parle : "Maintenant que l'ancien rite est

accompli, je célèbre le nouveau rite. Je vous ai promis un miracle d'amour. C'est l'heure de le faire. C'est

pour cela que j'ai désiré cette Pâque. Dorénavant voilà l'Hostie qui sera consommée dans un perpétuel rite

d'amour. Je vous ai aimés pour toute la vie de la Terre, mes chers amis. Je vous ai aimés pour toute l'éternité,

mes fils. Et je veux vous aimer jusqu'à la fin. Il n'y a pas de chose plus grande que celle-là. Rappelez-vousen.

Je m'en vais, mais nous resterons unis pour toujours grâce au miracle que maintenant j'accomplis."

Jésus prend un pain encore entier, le met sur le calice rempli. Il bénit et offre l'un et l'autre, puis il partage le

pain, en fait treize morceaux et en donne un à chacun des apôtres en disant : "Prenez et mangez. Ceci est

mon Corps. Faites ceci en mémoire de Moi qui m'en vais."

Il donne le calice et dit : "Prenez et buvez. Ceci est mon Sang. Ceci est le calice du nouveau pacte dans le

Sang et par mon Sang qui sera répandu pour vous pour la rémission de vos péchés et pour vous donner la

Vie. Faites ceci en mémoire de Moi."

648


Le repas pascal

14 Lorsque l'heure fut venue

Il ne mit à table, et les Apôtres avec lui.

15 Il leur dit : "J’ai désiré ardemment manger

Cette pâque avec vous avant de souffrir ; 16 car

Je ne le mangerai plus jusqu’à ce qu'elle soit

Accomplis au royaume de Dieu, je le dis*.

17 Ayant reçu une coupe, rendant grâce, il dit :

"Prenez donc ceci et partagez entre vous ;

18 Je vous dis que je ne boirai plus désormais

Du produit de la vigne jusqu'à ce que s'en vienne

Le royaume de Dieu."

*le texte veut : je vous le dis.

Institution de l'Eucharistie.

19 Et ayant pris du pain,

Rendu grâce, il le rompit et le leur donna

En disant : "Ceci est mon corps qui est donné

Pour vous ; faites ceci en mémoire de moi."

20 Et il prit la coupe, de même, après le dîner

En disant : "Cette coupe est la nouvelle alliance

En mon sang, qui est répandu pour vous.

649


Annonce de la trahison.

21 "Voici

La main de celui qui me livre est avec moi

Sur la table, 22 Car le Fils de l'homme va son chemin

Selon ce qui se trouve établi ; mais malheur

À cet homme par qui il est livré !"

À se demander quel était donc parmi eux

Celui qui allait faire cela.

23 Eux se mirent

650


L'agonie au Gethsémani

À peine à temps pour apparaître en ordre à la troupe de sbires, commandée par Judas, qui fait irruption dans

la petite place tranquille en l'éclairant violemment avec une foule de torches allumées. C'est une horde de

bandits déguisés en soldats, des figures de galériens que déforme un sourire démoniaque. Il y a aussi

quelques zélateurs du Temple.

Les apôtres sautent tous dans un coin. Pierre devant, et les autres en groupe derrière. Jésus reste où il est.

Judas s'approche soutenant le regard de Jésus, redevenu le regard étincelant de ses jours les meilleurs. Et il

n'abaisse pas son visage. Au contraire il s'approche avec un sourire de hyène et le baise sur la joue droite.

"Ami, et qu'es-tu venu faire ? C'est par un baiser que tu me trahis ?"

Judas baisse un instant la tête, puis la relève... insensible au reproche comme à toute invitation au repentir.

Jésus, après les premières paroles dites avec la majesté de Maître, prend le ton affligé de qui se résigne à un

malheur.

Les sbires, en criant, s'avancent avec des cordes et des bâtons et cherchent à s'emparer des apôtres en plus du

Christ, sauf de Judas Iscariote, naturellement.

"Qui cherchez-vous ?" demande Jésus calme et solennel.

651


"Jésus, le Nazaréen."

"C'est Moi !" Sa voix est un tonnerre. Devant le monde assassin et à celui innocent, devant la nature et les

étoiles, Jésus se rend ce témoignage ouvert, loyal, plein d'assurance. Je dirais qu'il est heureux de pouvoir se

le donner.

Mais s'il avait dégagé la foudre, il n'aurait pu faire davantage. Tous s'abattent comme une gerbe d'épis

fauchés. Ne restent debout que Judas, Jésus et les apôtres qui reprennent courage au spectacle des soldats

abattus, si bien qu'ils s'approchent de Jésus en menaçant si explicitement Judas que celui-ci fait un saut juste

à temps pour éviter un coup de maître de l'épée de Simon. Poursuivi sans résultat à coups de pierres et de

bâtons que lui lancent par derrière les apôtres qui ne sont pas armés d'épées, il s'enfuit au-delà du Cédron et

disparaît dans l'obscurité d'une ruelle.

"Levez-vous. Qui cherchez-vous ? Je vous le demande de nouveau."

"Jésus, le Nazaréen."

"Je vous ai dit que c'est Moi" dit Jésus avec douceur. Oui : avec douceur. "Laissez donc libres ces autres. Je

viens. Déposez les épées et les bâtons. Je ne suis pas un larron. J'étais toujours parmi vous. Pourquoi ne

m'avez-vous pas pris alors ? Mais c'est votre heure et celle de Satan..."

Mais pendant qu'il parle, Pierre s'approche de l'homme qui déjà tend les cordes pour lier Jésus, et il donne un

coup d'épée maladroit. S'il s'était servi de la pointe, il regorgeait comme un mouton. Ainsi il ne fait que lui

décoller l'oreille qui reste pendante et laisse couler beaucoup de sang. L'homme crie qu'il est mort. Il y a du

désordre entre ceux qui veulent avancer et ceux qui ont peur à la vue des épées et des poignards qui brillent.

"Déposez ces armes. Je vous le commande. Si je voulais, j'aurais les anges du Père pour me défendre. Et toi,

sois guéri. Dans ton âme, si tu peux, pour commencer." Et avant de tendre les mains aux cordes, il touche

l'oreille et la guérit.

652


Les apôtres poussent des cris désordonnés... Oui. Je regrette de le dire, mais c'est ainsi. Qui crie une chose,

qui une autre. L'un crie : "Tu nous as trahis !" et un autre : "Mais il est fou !" et un autre encore : "Et qui peut

te croire ?" Qui ne crie pas s'enfuit...

Et Jésus reste seul,.. Seul avec les sbires... Et le chemin commence...

653


L’arrestation de Jésus

47 Et tandis

Qu’il parlait encore, voici qu’arriva Judas,

Un des Douze, et avec lui une foule nombreuse

Avec des glaives et des bâtons, par les grands prêtres,

Envoyée.

48 Celui qui le livrait leur avait

Donné ce signe : “ Celui à qui je donnerai

Un baiser, c’est lui ; arrêtez-le.” 49 Aussitôt

S’étant avancé vers Jésus, il dit : “ Salut

Rabbi ! ” Il lui donna un long baiser. 50 Jésus

Lui dit : “ Mon ami, fais ce pour quoi tu es là ! ”

Alors, s’étant avancés, ils portèrent les mains

Sur Jésus et l’arrêtèrent. 51 Voici qu’un de ceux

Qui étaient avec Jésus, étendant la main

Tira son glaive, et frappant l’esclave du grand prêtre,

Lui coupa son bout d’oreille. 52 Mais Jésus lui dit :

“ Remets ton glaive à sa place, parce que tous ceux

Qui auront pris le glaive périront par le glaive.

53 Penses-tu que je ne puisse pas invoquer

Mon père qui me fournirait immédiatement

Douze légions d’anges ? 54 Comment donc s’accompliraient

Les Écritures, d’après lesquelles il doit en être

Ainsi ? ”

654


55 A cette heure-là, Jésus dit aux foules :

“ Est-ce contre un brigand que vous êtes sortis

Avec des glaives et des bâtons pour me saisir !

Chaque jour, dans le Temple, j’étais à enseigner

Assis, pourtant vous ne m’avez pas arrêté ”.

56 Tout cela arriva afin que s’accomplissent

Les écrits des prophètes. Alors, tous les disciples

L’ayant laissé, s’enfuirent. (…). [ - - - - - - ]

655


Les procès de Jésus

Commence la douloureuse marche par le petit chemin pierreux qui mène de la petite place où Jésus a été

capturé au Cédron et de là, par un autre chemin, vers la ville. Et tout de suite commencent les moqueries et

les sévices.

Jésus, lié comme il l'est aux poignets et jusqu'à la ceinture comme s'il était un fou dangereux, avec les bouts

des cordes confiés à des énergumènes ivres de haine, est tiré d'un côté et de l'autre comme un chiffon

abandonné à la colère d'une meute de chiens. Mais si c'étaient des chiens ceux qui agissent ainsi ils seraient

encore excusables. Mais ce sont des hommes, bien qu'ils n'aient d'humain que l'aspect. Et c'est pour causer

plus de douleur qu'ils ont pensé à ce liage de deux cordes opposées, dont l'une sert seulement à emprisonner

les poignets et les griffe et les scie par son frottement rugueux, et l'autre, celle de la ceinture, comprime les

coudes contre le thorax, et scie et comprime le haut de l'abdomen, en torturant le foie et les reins où on a fait

un énorme nœud, et où de temps à autre celui qui tient les bouts des cordes donne des coups en s'en servant

comme de fouets et en disant : "Hue ! Aller ! Trotte, baudet !" et il y ajoute aussi des coups de pieds,

appliqués derrière les genoux du Torturé qui chancelle et ne tombe pas seulement parce que les cordes le

tiennent debout. Mais cela n'évite pas pourtant que, tiré à droite par celui qui s'occupe des mains et à gauche

par celui qui tient la corde de la ceinture, Jésus aille heurter les murets et les troncs, et tombe brutalement

contre la rampe du petit pont à cause d'un coup plus cruel reçu au moment où il va franchir le petit pont sur

le Cédron. La bouche contusionnée saigne. Jésus lève les mains liées pour essuyer le sang qui souille la

barbe, et il ne parle pas. C'est vraiment l'agneau qui ne mord pas celui qui le torture.

Des gens pendant ce temps sont descendus prendre des pierres et des cailloux sur la grève, et d'en bas

commence une grêle de pierres sur une cible accessible. En effet la marche s'est ralentie sur le petit pont

étroit et peu sûr sur lequel les gens s'entassent en se gênant les uns les autres, et les pierres frappent Jésus à la

tête, aux épaules, et pas Jésus seul, mais aussi ceux qui l'escortent qui réagissent en lançant des bâtons et en

jetant les pierres elles-mêmes. Et tout sert pour frapper de nouveau Jésus à la tête et au cou. Mais le pont se

dégage, et maintenant la ruelle étroite jette son ombre sur la mêlée car la lune qui commence de descendre

656


n'atteint pas ce sentier contourné et au cours de la cohue beaucoup de torches se sont éteintes.

Mais la haine tient lieu de lumière pour voir le pauvre Martyr dont la haute taille facilite aussi la torture. Il

est le plus grand de tous, il est donc facile de le frapper, de le prendre par les cheveux pour l'obliger à

renverser violemment en arrière la tête, sur laquelle on lance une poignée d'immondices qui doit forcément

entrer dans la bouche et dans les yeux en Lui donnant nausée et souffrance.

On commence la traversée du faubourg d'Ophel, du faubourg où il a répandu tant de bienfaits et de caresses.

La foule pousse des cris pour appeler les dormeurs sur les seuils. Si les femmes poussent des cris de douleur

et fuient terrorisées en voyant ce qui arrive, les hommes, les hommes qui pourtant ont eu de Lui guérisons,

secours, paroles amicales, ou bien baissent la tête par indifférence, affectant du moins insouciance, ou bien

passent de la curiosité à la rancœur, au ricanement, au geste de menace et même suivent le cortège pour

torturer. Satan est déjà au travail...

Un homme, un mari qui veut le suivre pour l'offenser, est saisi par le bras par sa femme qui lui crie :

"Lâche ! Si tu es vivant, c'est grâce à Lui, homme dégoûtant plein de pourriture. Souviens-t'en !" Mais la

femme est vaincue par l'homme qui la frappe bestialement en la jetant par terre, et qui court ensuite rejoindre

le Martyr sur la tête duquel il jette une pierre.

Une autre femme, âgée, cherche à barrer le chemin à son fils qui accourt avec un visage de hyène et avec un

bâton pour frapper lui aussi et elle lui crie : "Assassin de ton Sauveur, tu ne le seras pas tant que je vivrai !"

Mais la malheureuse, frappée par son fils d'un coup de pied brutal à l'aine, s'abat en criant : "Déicide et

matricide ! Pour le sein que tu déchires une seconde fois et pour le Messie que tu frappes, que tu sois

maudit !"

657


La violence s'accroît de plus en plus à mesure qu'on approche de la ville.

Avant d'arriver aux murs - et déjà les portes sont ouvertes et les soldats romains, l'arme au pied, observent

d'où vient le tumulte et comment il se développe, prêts à intervenir si le prestige de Rome en est atteint -

Jean s'y trouve avec Pierre. Je crois qu'ils sont arrivés là par un raccourci qu'ils ont pris en franchissant le

Cédron en amont du pont, et en précédant rapidement la foule qui va lentement gênant elle-même sa marche.

Ils sont dans la pénombre d'une entrée, près d'une petite place qui précède les murs. Ils ont sur la tête leurs

manteaux pour cacher leurs visages. Mais quand Jésus arrive, Jean laisse tomber son manteau et découvre

son visage pâle et bouleversé au clair de lune qui éclaire encore avant de disparaître derrière la colline qui se

trouve au-delà des murs, et que j'entends appeler Tofet par les sbires qui ont capturé Jésus. Pierre n'ose pas

se découvrir, mais cependant il s'avance pour être vu... Jésus les regarde... et a un sourire d'une infinie bonté.

Pierre tourne sur lui-même et revient dans son coin obscur, les mains sur les yeux, courbé, vieilli, déjà une

loque humaine. Jean reste courageusement où il est et ne rejoint Pierre que quand la foule hurlante est

passée. Il le prend par le coude, le conduit comme si c'était un garçon qui guide son père aveugle, et ils

entrent tous deux dans la ville, derrière la foule bruyante.

J'entends les exclamations étonnées, moqueuses, affligées des soldats romains. L'un d'eux maudit ceux qui

l'ont fait lever à cause de ce "mouton imbécile"; un autre se moque des juifs capables de "prendre une

femmelette" ; un autre a pitié de la Victime "qu'il a toujours vue pleine de bonté" ; un autre dit : "J'aurais

préféré qu'ils me tuent que de le voir entre leurs mains. C'est un grand. Ma dévotion va dans le monde à ces

deux : Lui et Rome."

"Par Jupiter !" s'écrie le plus élevé en grade. "Je ne veux pas d'ennuis. Je vais aller trouver le porte-enseigne.

Qu'il y pense lui à le dire à qui de droit. Je ne veux pas que l'on m'envoie combattre les Germains. Ces

hébreux sentent mauvais et ce sont des serpents et des ennuis. Mais ici la vie est en sûreté et je vais finir mon

temps, et près de Pompéi j'ai une fillette !..."

658


Je perds le reste pour suivre Jésus qui s'avance par le chemin qui fait un détour en montée pour aller au

Temple. Mais je vois et comprends que la maison d'Anna, où ils veulent l'amener, est et n'est pas dans ce

labyrinthe qu'est le Temple et qui occupe toute la colline de Sion. Elle est à son extrémité, près d'une série de

murailles, qui semblent marquer ici la limite de la ville, et qui de ce lieu s'étendent avec des portiques et des

cours à travers le flanc de la colline pour arriver dans l'enceinte du Temple proprement dit, c'est-à-dire où

vont les Israélites pour leurs diverses manifestations du culte. Un haut portail ferré s'ouvre dans la muraille.

Vers lui accourent des hyènes volontaires qui y frappent violemment. À peine s'entrouvre-t-il, ils font

irruption à l'intérieur en terrassant presque et en foulant aux pieds la servante venue pour ouvrir et ils

l'ouvrent tout grand pour que la foule hurlante, avec le Capturé au milieu, puisse entrer. Et une fois entrés,

voilà qu'ils la ferment et la barrent, peut-être par peur de Rome ou des partisans du Nazaréen.

Ses partisans ! Où sont-ils ?...

Ils parcourent l'atrium de l'entrée et puis traversent une vaste cour, un couloir, un autre portique et une

nouvelle cour, et ils traînent Jésus en Lui faisant gravir trois marches, et en Lui faisant parcourir presque en

courant les arcades qui s'élèvent au-dessus de la cour pour arriver plus vite à une riche salle où se trouve un

homme âgé habillé en prêtre.

"Que Dieu te console, Anna" dit celui qui semble être l'officier, si on peut appeler ainsi le gredin qui

commande ces brigands. "Voici le coupable. Je le confie à ta sainteté pour qu'Israël soit purifié de la faute."

"Que Dieu te bénisse pour ta sagacité et ta foi."

Belle sagacité ! Il avait suffi de la voix de Jésus pour les faire tomber par terre au Gethsémani.

"Qui es-tu ?"

659


"Jésus de Nazareth, le Rabbi, le Christ. Et tu me connais. Je n'ai pas agi dans les ténèbres."

"Dans les ténèbres, non. Mais tu as dévoyé les foules par des doctrines ténébreuses. Et le Temple a le droit et

le devoir de protéger l'âme des fils d'Abraham."

"L'âme ! Prêtre d'Israël, peux-tu dire que tu as souffert pour l'âme du plus petit ou du plus grand de ce

peuple ?"

"Et Toi alors ? Qu'as-tu fait qui puisse s'appeler souffrance ?"

"Qu'ai-je fait ? Pourquoi me le demandes-tu ? Israël tout entier en parle. De la cité sainte au plus misérable

bourg les pierres elles-mêmes parlent pour dire ce que j'ai fait. J'ai donné la vue aux aveugles : la vue des

yeux et celle du cœur . J'ai ouvert l'ouïe à ceux qui étaient sourds : aux voix de la Terre et aux voix du Ciel.

J'ai fait marcher les estropiés et les paralytiques pour qu'ils commencent leur marche vers Dieu par la chair et

puis avancent avec l'esprit. J'ai purifié les lépreux : des lèpres que la Loi mosaïque signale et de celles qui

rendent infects près de Dieu : les péchés. J'ai ressuscité les morts, et je ne dis pas que ce soit une grande

chose de rappeler à la vie une chair, mais c'est une grande chose de racheter un pécheur, et je l'ai fait. J'ai

secouru les pauvres en enseignant aux hébreux avides et riches le précepte saint de l'amour du prochain et,

en restant pauvre malgré le ruisseau d'or qui m'est passé par les mains, j'ai essuyé plus de larmes Moi seul

que vous tous, possesseurs de richesses. J'ai donné enfin une richesse qui n'a pas de nom : la connaissance de

la Loi, la connaissance de Dieu, la certitude que nous sommes tous égaux et que, aux yeux saints du Père,

égaux sont les pleurs ou les crimes, qu'ils soient versés ou accomplis par le Tétrarque et le Pontife, ou par le

mendiant et le lépreux qui meurt au bord du chemin. C'est cela que j'ai fait. Rien de plus."

"Sais-tu que tu t'accuses Toi-même ? Tu dis les lèpres qui rendent infects aux yeux de Dieu et ne sont pas

signalées par Moïse. Tu insultes Moïse et tu insinues qu'il y a des lacunes dans sa Loi..."

"Pas la sienne : celle de Dieu. C'est ainsi. Plus que la lèpre, malheur de la chair et qui a une fin, je déclare

grave, et telle elle est, la faute qui est un malheur et un malheur éternel de l'esprit."

660


"Tu oses dire que tu peux remettre les péchés. Comment le fais-tu ?"

"Si avec un peu d'eau lustrale et le sacrifice d'un bélier il est permis et croyable qu'on annule une faute, qu'on

l'expie et qu'on en est purifié, comment ne le pourront pas mes pleurs, mon Sang et ma volonté ?"

"Mais tu n'es pas mort. Où est alors le Sang ?"

"Je ne suis pas encore mort. Mais je le serai car c'est écrit. Au Ciel, quand n'existait pas Sion, quand

n'existait pas Moïse, quand n'existait pas Jacob, quand n'existait pas Abraham, quand le roi du Mal mordait

l'homme au cœur et l'empoisonnait lui et ses fils. C'est écrit sur la Terre dans le Livre où sont les paroles des

prophètes. C'est écrit dans les cœurs. Dans le tien, dans celui de Caïphe et des synhédristes qui ne me

pardonnent pas, non, ces cœurs ne me pardonnent pas d'être bon. J'ai absous, en anticipant sur mon Sang.

Maintenant j'accomplis l'absolution avec le bain dans ce Sang."

"Tu nous dis avides et ignorants du précepte d'amour..."

"Et n'est-ce pas vrai ? Pourquoi me tuez-vous ? Pourquoi avez-vous peur que je vous détrône .

Oh ! ne craignez pas. Mon Royaume n'est pas de ce monde. Je vous laisse maître de tout pouvoir. L'Éternel

sait quand Il faut dire le "Suffit" qui vous fera tomber foudroyés..."

"Comme Doras, hein ?"

"Il est mort de colère, non par la foudre du Ciel. Dieu l'attendait de l'autre côté pour le foudroyer."

"Et tu le répètes à moi, son parent ? Tu oses ?"

"Je suis la Vérité. Et la Vérité n'est jamais lâche."

"Orgueilleux et fou !"

"Non : sincère. Tu m'accuses de vous offenser, mais est-ce que par hasard vous ne haïssez pas vous tous ?

Vous vous haïssez l'un l'autre. Maintenant c'est la haine pour Moi qui vous unit. Mais demain, quand vous

m'aurez tué, la haine reviendra parmi vous et plus féroce, et vous vivrez avec cette hyène dans le dos et ce

661


serpent dans le cœur. J'ai enseigné l'amour, par pitié pour le monde. J'ai enseigné à ne pas être avide, à avoir

pitié. De quoi m'accuses-tu ?"

"D'avoir apporté une doctrine nouvelle."

"Ô prêtre ! Israël pullule de doctrines nouvelles : les esséniens ont la leur, les sadochites la leur, les

pharisiens la leur, chacun a sa doctrine secrète qui, pour l'un s'appelle plaisir, pour l'autre or, pour un autre

puissance. Chacun a son idole. Pas Moi. J'ai repris la Loi piétinée de mon Père, du Dieu Éternel, et je suis

revenu dire simplement les dix propositions du Décalogue. Je me suis desséché les poumons pour les faire

entrer dans des cœurs qui ne les connaissaient plus."

"Horreur ! Blasphème ! C'est à moi, prêtre, que tu dis cela ? Il n'a pas de Temple, Israël ? Nous sommes

comme les exilés de Babylone ? Réponds."

"C'est ce que vous êtes et plus encore. Il y a un Temple. Oui. Un édifice. Dieu n'y est pas. Il a fui devant

l'abomination qui est dans sa maison. Mais pourquoi tant m'interroger puisque ma mort est décidée ?"

"Nous ne sommes pas des assassins. Nous tuons si nous en avons le droit pour une faute prouvée. Mais moi,

je veux te sauver. Dis-moi, et je te sauverai. Où sont tes disciples ? Si tu me les livres je te laisse libre. Le

nom de tous, et davantage ceux qui sont secrets que ceux qui sont connus. Dis : Nicodème est à Toi ? Et

aussi Joseph ? Et Éléazar ? Et Gamaliel ? Et... Mais pour celui-ci je le sais... Inutile. Parle, parle. Tu le sais :

je puis te tuer et te sauver. Je suis puissant."

"Tu es fange. Je laisse à la fange le métier d'espion. Je suis Lumière."

Un sbire Lui lâche un coup de poing.

"Je suis Lumière. Lumière et Vérité. J'ai parlé ouvertement au monde, j'ai enseigné dans les synagogues et au

Temple où se rassemblent les juifs, et je n'ai rien dit en secret. Je le répète : pourquoi m'interroges-tu ?

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Interroge ceux qui ont entendu ce que j'ai dit. Eux le savent."

Un autre sbire Lui donne une gifle en criant : "C'est ainsi que tu réponds au Grand Prêtre ?"

"C'est à Anna que je parle. Le Pontife c'est Caïphe. Et je parle avec le respect dû au vieillard. Mais s'il te

semble que j'ai mal parlé, montre-le-moi. Autrement pourquoi me frappes-tu ?"

"Laissez-le faire. Je vais trouver Caïphe. Vous, gardez-le ici jusqu'à ce que j'en décide autrement. Et faites

qu'il ne parle à personne." Anna sort.

Jésus ne parle pas, non, il ne parle pas. Pas même à Jean qui ose rester sur la porte en défiant toute la gent

policière. Mais Jésus doit, sans parole, lui donner un commandement, car Jean, après un regard affligé, sort

de là et je le perds de vue.

Jésus reste au milieu des argousins. Coups de corde, crachats, injures, coups de pied, les cheveux arrachés,

c'est ce qui Lui reste, jusqu'au moment où un serviteur vient dire d'amener le Prisonnier dans la maison de

Caïphe.

Et Jésus, toujours lié et maltraité, sort de nouveau sous les arcades, les parcourt jusqu'à une entrée et puis

traverse une cour où une foule nombreuse se réchauffe à un feu, car la nuit est devenue froide et venteuse

dans ces premières heures du vendredi. Il y a aussi Pierre avec Jean, mêlés à la foule hostile, et ils doivent

avoir un beau courage pour rester là... Jésus les regarde et il a une ombre de sourire sur sa bouche déjà enflée

par les coups reçus.

663


Un long chemin à travers les portiques et les atriums et les cours et les couloirs. Mais quelles maisons

avaient ces gens du Temple ?

Dans l'enceinte pontificale, la foule n'entre pas. Elle est repoussée dans l'atrium d'Anna. Jésus va seul au

milieu des sbires et des prêtres. Il entre dans une vaste salle qui semble perdre sa forme rectangulaire à cause

des nombreux sièges disposés en fer à cheval sur trois côtés, en laissant au milieu un espace vide au-delà

duquel se trouvent deux ou trois fauteuils montés sur des estrades.

Au moment où Jésus va entrer, le rabbi Gamaliel le rejoint, et les gardes donnent un coup au Prisonnier pour

qu'il cède l'entrée au rabbi d'Israël. Mais celui-ci, raide comme une statue, hiératique, ralentit, et en remuant

à peine les lèvres, sans regarder personne, demande :

"Qui es-tu ? Dis-le-moi."

Et Jésus, doucement : "Lis les prophètes et tu auras la réponse. Le premier signe est chez eux. L'autre va

venir."

Gamaliel resserre son manteau et entre, et derrière lui entre Jésus. Pendant que Gamaliel va sur un siège, on

traîne Jésus au milieu de la salle, en face du Pontife : une vraie figure de criminel et on attend qu'entrent tous

les membres du Sanhédrin. Puis la séance commence. Mais Caïphe voit deux ou trois sièges vides et

demande : "Où est Éléazar ? Et où est Jean ?"

Un jeune scribe, je crois, se lève, s'incline et dit : "Ils ont refusé de venir. Voici l'écrit."

"Qu'on le conserve et qu'on écrive, Ils en répondront. Qu'ont les saints membres de ce Conseil à dire à son

sujet ?"

"Je parle. Dans ma maison, Lui a violé le sabbat. Dieu m'est témoin que je ne mens pas. Ismaël ben Fabi ne

ment jamais."

664


"Est-ce vrai, accusé ?"

Jésus se tait.

"Je l'ai vu vivre avec des courtisanes connues. En faisant le prophète, il avait fait de son repaire un lupanar,

et pour comble avec des femmes païennes. Avec moi il y avait Sadoc, Collascebona et Nahoum, fiduciaire

d'Anna. Dis-je le vrai, Sadoc et Collascebona ? Démentez-moi, si je le mérite."

"C'est vrai. C'est vrai."

"Que dis-tu ?"

Jésus se tait.

"Il ne manquait pas une occasion de nous ridiculiser et de nous faire ridiculiser. La plèbe ne nous aime plus à

cause de Lui."

"Tu les entends ? Tu as profané les membres saints."

Jésus se tait.

"Cet homme est possédé du démon. Revenu d'Égypte, il exerce la magie noire."

"Comment le prouves-tu ?"

"Sur ma foi et sur les tables de la Loi !"

"Grave accusation. Disculpe-toi."

665


Jésus se tait.

"Ton ministère est illégal, tu le sais. Il est passible de mort. Parle."

"Illégale est cette séance que nous tenons. Lève-toi, Siméon, et partons." dit Gamaliel.

"Mais rabbi, tu deviens fou ?"

"Je respecte les règles. Il n'est pas permis de procéder comme nous procédons, et j'en ferai une accusation

publique." Et le rabbi Gamaliel sort raide comme une statue, suivi d'un homme d'environ trente-cinq ans qui

lui ressemble.

Il y a un peu de tumulte dont profitent Nicodème et Joseph pour parler en faveur du Martyr.

"Gamaliel a raison. Illicite est l'heure et l'endroit, et les accusations manquent de consistance. Quelqu'un

peut-il l'accuser d'avoir méprisé notoirement la Loi ? Je suis son ami et je jure que je l'ai toujours trouvé

respectueux envers la Loi" dit Nicodème.

"Et moi également. Et pour ne pas souscrire à un crime je me couvre la tête, non à cause de Lui, mais à cause

de nous, et je sors." Et Joseph va descendre de sa place et sortir.

Mais Caïphe braille : "Ah ! vous parlez ainsi ? Que viennent les témoins assermentés, alors. Et écoutez. Puis

vous vous en irez."

Entrent deux figures de galériens. Regards fuyants, sourires cruels, mouvements sournois.

"Parlez."

"Il n'est pas licite de les entendre ensemble" crie Joseph.

"Je suis le Grand Prêtre. Je commande. Et silence !"

666


Joseph donne un coup de poing sur la table et il dit : "Que s'ouvrent sur toi les flammes du Ciel ! À partir de

ce moment, sache que Joseph l'Ancien est ennemi du Sanhédrin et ami du Christ. Et de ce pas je vais dire au

Préteur qu'ici on tue sans respect pour Rome" et il sort en repoussant violemment un jeune scribe maigre qui

voudrait le retenir.

Nicodème, plus paisible, sort sans dire un mot, et en sortant il passe devant Jésus et le regarde...

Nouveau tumulte. On craint Rome. Et la victime expiatoire est encore et toujours Jésus.

"C'est à cause de Toi, tu vois, tout cela ! Tu es le corrupteur des meilleurs juifs. Tu les as prostitués."

Jésus se tait.

"Que parlent les témoins !" crie Caïphe.

"Oui, celui-ci usait le... le... Nous le savions... Comment s'appelle cette chose ?"

"Le tétragramme, peut-être ?"

"Voilà ! Tu l'as dit ! Il évoquait les morts. Il enseignait la rébellion pour le sabbat et la profanation pour

l'autel. Nous le jurons. Il disait qu'il voulait détruire le Temple pour le reconstruire en trois jours avec l'aide

des démons."

"Non. Il disait : il ne sera pas fait par l'homme."

Caïphe descend de son siège et vient près de Jésus. Petit, obèse, laid, il semble un énorme crapaud près d'une

fleur. Car Jésus, malgré ses blessures, ses contusions, souillé et dépeigné, est encore tellement beau et

majestueux.

"Tu ne parles pas ? Quelles accusations ils font contre Toi ! Horribles ! Parle pour enlever de Toi cette

honte."

Mais Jésus se tait. Il le regarde et se tait.

667


"Réponds à moi, alors. Je suis ton Pontife. Au nom du Dieu vivant, je t'en conjure. Dis-moi : es-tu le Christ,

le Fils de Dieu ?"

"Tu l'as dit. Je le suis. Et vous verrez le Fils de l'homme, assis à la droite de la puissance du Père, venir sur

les nuées du ciel. Du reste, pourquoi m'interroges-tu ? J'ai parlé en public pendant trois ans. Je n'ai rien dit de

caché. Interroge ceux qui m'ont entendu. Ils te diront ce que j'ai dit et ce que j'ai fait."

Un des soldats qui le tiennent le frappe sur la bouche en le faisant saigner de nouveau, et crie : "C'est ainsi

que tu réponds, ô satan, au Grand Prêtre ?"

Et Jésus, avec douceur, lui répond comme à celui d'auparavant : "Si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ?

Si j'ai mal parlé, pourquoi ne me dis-tu pas où je me trompe ? Je répète : je suis le Christ, Fils de Dieu. Je ne

puis mentir. Le Grand Prêtre, le Prêtre Éternel, c'est Moi. Et Moi seul je porte le vrai Rational sur lequel il

est écrit : Doctrine et Vérité. Et à elles je suis fidèle, jusqu'à la mort, ignominieuse aux yeux des hommes,

sainte aux yeux de Dieu, et jusqu'à la bienheureuse Résurrection. Je suis l'Oint. Pontife et Roi je suis. Et je

vais prendre mon sceptre et avec lui, comme avec un van, purifier l'aire. Ce Temple sera détruit et

ressuscitera, nouveau, saint, car celui-ci est corrompu et Dieu l'a abandonné à son destin."

"Blasphémateur !" crient-ils tous en chœur.

"En trois jours tu le feras, fou et possédé ?"

"Non pas celui-ci, mais le mien se dressera, le Temple du Dieu vrai, vivant, saint, trois fois saint."

"Anathème !" crient-ils de nouveau en chœur.

Caïphe élève sa voix éraillée et déchire ses vêtements de lin avec des gestes d'horreur étudiés, et il dit :

"Quoi d'autre avons-nous besoin d'entendre des témoins ? Le blasphème est dit. Que faisons-nous donc ?"

Et tous en chœur : "Il est passible de la mort."

668


Et avec des gestes indignés et scandalisés ils sortent de la salle laissant Jésus à la merci des sbires et de la

populace des faux témoins. Ils le giflent, Lui donnent des coups de poing, le couvrent de crachats, Lui

bandent les yeux avec un chiffon et puis, en Lui tirant violemment les cheveux, ils l'envoient ça et là, les

mains liées de façon qu'il heurte les tables, les chaises et les murs et pendant ce temps Lui demandent : "Qui

t'a frappé ? Devine." Plusieurs fois, en Lui faisant des crocs-en-jambe, ils le font tomber par terre et rient

vulgairement en voyant comment, les mains liées, il peine pour se relever.

Les heures passent ainsi, et les bourreaux fatigués songent à prendre un peu de repos. Ils mènent Jésus dans

un débarras en Lui faisant traverser de nombreuses cours an milieu des moqueries de la plèbe déjà

nombreuse dans l'enceinte des maisons pontificales. Jésus arrive dans la cour où se trouve Pierre près de son

feu et il le regarde. Mais Pierre fuit son regard. Jean n'est plus là, je ne le vois pas. Je pense qu'il est parti

avec Nicodème...

L'aube avance avec sa couleur vert pâle. Un ordre est donné : ramener le Prisonnier dans la salle du Conseil

pour un procès plus légal. C'est le moment où Pierre nie pour la troisième fois de connaître le Christ quand

celui-ci passe déjà marqué par ses souffrances. Et dans la lumière verte de l'aube les contusions semblent

encore plus atroces sur le visage terreux, les yeux plus profonds et vitreux, un Jésus assombri par la douleur

du monde... Un coq jette dans l'air à peine remué de l'aube son cri railleur, sarcastique, gamin. Et c'est à ce

moment de grand silence qui s'est fait à l'apparition du Christ, qu'on entend la voix âpre de Pierre qui dit :

"Je le jure, femme. Je ne le connais pas.", affirmation tranchante, sûre, à laquelle comme un rire moqueur

répond de suite le chant gamin du petit coq.

Pierre sursaute. Il tourne sur lui-même pour fuir et se trouve en face de Jésus qui le regarde avec une infinie

pitié, avec une douleur si profonde et si intense qu'elle me brise le cœur comme si après cela, je devais voir

se dissoudre, et pour toujours, mon Jésus. Pierre fait entendre un sanglot et il sort en titubant comme s'il était

ivre. Il s'enfuit derrière deux serviteurs qui sortent dans la rue et se perd dans la route encore à moitié

obscure.

669


Jésus est ramené dans la salle, et ils Lui répètent en chœur la question captieuse : "Au nom du Dieu vrai, disnous

: es-tu le Christ ?" Et ayant eu la réponse d'avant, ils le condamnent à mort et donnent l'ordre de le

conduire à Pilate.

Jésus, escorté par tous ses ennemis, sauf Anna et Caïphe, sort, en repassant par ces cours du Temple où tant

de fois il avait parlé et répandu des bienfaits et guéri, il franchit l'enceinte crénelée, entre dans les rues de la

ville et, plutôt traîné que conduit, descend vers la ville qui rosit dans une première annonce de l'aurore.

Je crois qu'avec l'unique but de le tourmenter plus longuement ils Lui font faire un long tour vicieux dans

Jérusalem, en passant exprès par les marchés, devant les écuries et les auberges remplies de gens à cause de

la Pâque. Et aussi bien les déchets des légumes des marchés que les excréments des animaux des écuries

deviennent des projectiles pour l'Innocent, dont le visage apparaît avec de plus en plus de bleus et de petites

lacérations sanglantes et voilé par les ordures variées qui se sont répandues sur lui, Les cheveux, déjà

alourdis et légèrement plaqués par la sueur sanguinolente et devenus plus opaques, pendent maintenant

dépeignés, mêlés de pailles et d'immondices, tombent sur les yeux parce qu'ils les ébouriffent pour Lui voiler

le visage.

Les gens des marchés, acheteurs et vendeurs, laissent tout en plan pour suivre, et non par amour, le

Malheureux. Les garçons d'écuries et les serviteurs des auberges sortent en masse, sourds aux appels et aux

ordres de leurs maîtresses. Celles-ci, pour dire la vérité, comme presque toutes les autres femmes sont, sinon

toutes opposées aux offenses, du moins indifférentes au tumulte, et se retirent en grommelant parce qu'on les

laisse seules avec tant de clients à servir.

La troupe hurlante grossit de minute en minute. Il semble que, par une épidémie inattendue, les âmes et les

physionomies changent de nature : les premières deviennent des âmes de criminels et les secondes des

masques féroces dans des visages bleus de rage ou rouges de colère, les mains deviennent des griffes et les

bouches prennent la forme et le ululement des loups, les yeux deviennent torves, comme ceux des fous. Seul

670


Jésus est toujours Lui-même, bien que maintenant voilé par les immondices répandues sur son corps et altéré

par les bleus et les œdèmes.

À une archivolte qui resserre le chemin comme un anneau, alors que tout s'engorge et ralentit, un cri fend

l'air : "Jésus !" C'est Élie, le berger, qui cherche à se faire un passage en faisant tournoyer une lourde

matraque. Vieux, puissant, menaçant et fort, il réussit à rejoindre presque le Maître. Mais la foule, déroutée

par l'assaut imprévu, serre ses rangs et sépare, repousse, maîtrise cet homme qui est seul contre tout un

peuple.

"Maître !" crie-t-il pendant que le tourbillon de la foule l'absorbe et le repousse.

"Va !... La Mère... Je te bénis..."

Le cortège dépasse le point étroit. Comme une eau qui retrouve le large après une écluse, il se déverse en

tumulte dans une vaste avenue élevée au-dessus d'une dépression entre deux collines, au bout desquelles sont

de splendides palais de gens riches.

Je recommence à voir le Temple en haut de sa colline, et je comprends que le tour inutile qu'on a fait faire au

Condamné pour en faire un objet de moquerie pour toute la ville et permettre à tout le monde de l'insulter, en

augmentant à chaque pas ceux qui l'insultent, va se fermer en revenant au point de départ.

D'un palais sort au galop un cavalier. Le caparaçon pourpre sur la blancheur du cheval arabe et la majesté de

son aspect, l'épée brandie nue et manœuvrée d'estoc et de taille sur les échines et sur les têtes qui saignent, le

font paraître un archange. Quand en caracolant il fait légèrement cabrer son cheval, en faisant des sabots une

arme de défense pour la monture et son maître, c'est le plus valable pour s'ouvrir un passage à travers la

foule. Ce mouvement fait tomber de la tête le voile pourpre et or qui la couvrait, tenu serré par une bande

d'or, et je reconnais Manaën.

671


"Arrière !" crie-t-il. "Comment vous permettez-vous de troubler le repos du Tétrarque ?" Mais ce n'est

qu'une feinte pour justifier son intervention et sa tentative d'arriver à Jésus. "Cet homme... Laissez-moi le

voir... Écartez-vous, ou j'appelle les gardes..."

Les gens, à cause de la grêle de coups de plat et des ruades du cheval et des menaces du cavalier, s'ouvre, et

Manaën rejoint le groupe de Jésus et des gardes du Temple qui le tiennent.

"Laissez le passage ! Le Tétrarque est plus que vous, serviteurs dégoûtants. Arrière ! Je veux Lui parler." et

il y arrive en chargeant avec son épée le plus acharné des geôliers.

"Maître !..."

"Merci, mais va-t'en ! Et que Dieu te réconforte !" Et, comme il peut avec ses mains liées, Jésus fait un geste

de bénédiction.

La foule siffle de loin, et dès qu'elle voit que Manaën s'est retiré, elle se venge d'avoir été repoussée, par une

grêle de pierres et d'immondices sur le Condamné.

Par l'avenue, qui monte et que le soleil a déjà attiédie, on se dirige vers la Tour Antonia dont la masse

apparaît déjà au loin.

Un cri aigu de femme : "Oh ! mon Sauveur ! Ma vie pour la sienne, ô Éternel !" fend l'air.

Jésus tourne la tête, et il voit en haut de la loge fleurie qui couronne une maison très belle, Jeanne de Chouza

au milieu de ses servantes et serviteurs, avec les petits Marie et Matthias autour d'elle, qui lève les bras au

ciel.

672


Mais le Ciel n'entend pas les prières, aujourd'hui ! Jésus lève ses mains et trace un geste de bénédiction et

d'adieu.

"À mort ! À mort le blasphémateur et le corrupteur, le satan ! À mort ses amis !" et coups sifflets et pierres

volent vers la haute terrasse. Je ne sais si quelqu'un est blessé. J'entends un cri très aigu et je vois le groupe

se séparer et disparaître.

Et en avant, en avant, par la montée... Jérusalem montre ses maisons au soleil, vides, vidées par la haine qui

pousse toute une ville avec ses habitants effectifs et ceux occasionnels venus pour la Pâque, contre Jésus

désarmé.

Des soldats romains, tout un manipule, sort en courant de l'Antonia avec leurs lances dirigées contre la

populace qui se disperse en criant. Restent au milieu du chemin Jésus avec les gardes et les chefs des prêtres,

des scribes et des anciens du peuple.

"Cet homme ? Cette sédition ? Vous en répondrez à Rome." dit avec hauteur un centurion.

"Il est passible de mort selon notre loi."

"Et depuis quand vous a-t-on rendu le jus gladii et sanguinis ?" demande toujours le plus ancien des

centurions, un visage sévère, un vrai romain, qui a une joue creusée par une cicatrice profonde. Et il parle

avec le mépris et le dégoût avec lequel il aurait parlé à des galériens pouilleux.

"Nous savons que nous n'avons pas ce droit. Nous sommes les fidèles sujets de Rome..."

"Ah ! Ah ! Ah ! Entends-les, Longin ! Fidèles ! Sujets ! Charognes ! Je vous donnerais pour vous

récompenser les flèches de mes archers."

673


"Trop noble une telle mort ! Pour les échines des mulets seulement le fouet..." répond Longin avec un

flegme ironique.

Les chefs des prêtres, les scribes et les anciens, écument leur venin. Mais ils veulent arriver à leur but et se

taisent, ils avalent l'offense sans montrer qu'ils la comprennent et, s'inclinant devant les deux chefs, ils

demandent que Jésus soit conduit à Ponce Pilate pour qu'il le juge et le condamne avec la justice bien connue

et honnête de Rome.

"Ah ! Ah ! Ah ! Tu les entends ? Nous sommes devenus plus sages que Minerve... Ici ! Donnez ! Et marchez

en avant ! On ne sait jamais. Vous êtes des chacals et des immondes. Vous avoir par derrière est un danger.

En avant !"

"Nous ne pouvons pas."

"Et pourquoi ? Quand quelqu'un accuse, il doit être devant le juge avec l'accusé. C'est le règlement de

Rome."

"La maison d'un païen est immonde à nos yeux, et nous nous sommes déjà purifiés pour la Pâque."

"Oh ! les pauvres ! Ils se contaminent à entrer !... Et le meurtre de l'unique hébreu qui soit un homme et non

un chacal, un reptile votre pareil, ne vous souille pas ? C'est bien. Restez où vous êtes, alors. Pas un pas en

avant ou on vous enfilera sur les lances. Une décurie autour de l'Accusé. Les autres contre cette racaille qui

sent du bec mal lavé."

Jésus entre au Prétoire au milieu des dix lanciers qui forment un carré de hallebardes autour de sa personne.

Les deux centurions vont en avant. Jésus s'arrête dans un large atrium, au-delà duquel se trouve une cour que

l'on entrevoit derrière un rideau que le vent déplace ; eux disparaissent derrière une porte. Ils rentrent avec le

Gouverneur vêtu d'une toge très blanche sur laquelle il y a pourtant un manteau écarlate. C'est peut-être ainsi

qu'ils étaient quand ils représentaient officiellement Rome.

674


Il entre indolemment, avec un sourire sceptique sur son visage rasé, il frotte entre ses mains des feuilles de

cédrat et les flaire avec volupté. Il va vers un cadran solaire et se retourne après l'avoir regardé. Il jette des

grains d'encens dans un brasier placé aux pieds d'une divinité. Il se fait apporter de l'eau de cédrat et se

gargarise. Il regarde sa coiffure toute bouclée dans un miroir de métal très propre. Il semble avoir oublié le

condamné qui attend son approbation pour qu'on le tue. Il ferait venir la colère même à des pierres.

Comme l'atrium est complètement ouvert par-devant et surélevé de trois hautes marches sur le niveau du

vestibule, qui s'ouvre sur la rue déjà, surélevé de trois autres marches par rapport à celle-ci, les hébreux

voient tout parfaitement et frémissent, mais ils n'osent pas se rebeller par peur des lances et des javelots.

Finalement, après avoir marché en long et en large dans la vaste pièce, Pilate va directement en face de

Jésus, le regarde et demande aux deux centurions : "Celui-ci ?"

"Celui-ci."

"Que viennent ses accusateurs" et il va s'asseoir sur un siège placé sur une estrade. Sur sa tête les insignes de

Rome s'entrecroisent avec leurs aigles dorées et leur sigle puissant.

"Ils ne peuvent pas venir. Ils se contaminent."

"Heu !!! Cela vaut mieux. Nous épargnerons des fleuves d'essences pour enlever l'odeur de bouc à l'endroit.

Faites-les approcher au moins. Ici dessous, et faites attention qu'ils n'entrent pas puisqu'ils ne veulent pas le

faire. Cet homme peut être un prétexte pour une sédition."

Un soldat s'en va porter l'ordre du Procurateur romain. Les autres s'alignent sur le devant de l'atrium à des

distances régulières, beaux comme neuf statues de héros.

675


S'avancent les princes des prêtres, les scribes et les anciens et ils saluent avec des courbettes serviles et ils

s'arrêtent sur la petite place qui est devant le Prétoire, au-delà des trois gradins du vestibule.

"Parlez et soyez brefs. Déjà vous êtes en faute pour avoir troublé la nuit et obtenu par la force l'ouverture des

portes. Mais je contrôlerai. Et mandants et mandataires répondront de la désobéissance au décret." Pilate est

allé vers eux, tout en restant dans le vestibule.

"Nous venons soumettre à Rome, dont tu représentes le divin empereur, notre jugement sur celui-ci."

"Quelle accusation portez-vous contre Lui ? Il me semble inoffensif..."

"Si ce n'était pas un malfaiteur, nous ne te l'aurions pas amené." Et dans leur désir violent d'accuser, ils

s'avancent.

"Repoussez cette plèbe ! Six pas au-delà des gradins de la place. Les deux centuries aux armes !"

Les soldats obéissent rapidement en s'alignant cent sur le gradin extérieur le plus haut, avec le dos tourné au

vestibule, et cent sur la petite place sur laquelle s'ouvre le portail d'entrée à la demeure de Pilate. J'ai dit

portail d'entrée : je devrais dire andron ou arc de triomphe parce que c'est une très vaste ouverture bornée par

une grille, maintenant grande ouverte, qui permet d'entrer dans l'atrium grâce au long couloir du vestibule

large au moins de six mètres, de sorte que l'on voit bien ce qui arrive dans l'atrium surélevé. Au-delà du

vaste vestibule on voit les figures bestiales des juifs qui regardent menaçantes et sataniques vers l'intérieur,

qui regardent au-delà de la barrière armée qui, coude à coude, comme pour une parade, présente deux cents

pointes de lances aux lâches assassins.

"Quelle accusation portez-vous contre Lui ? Je le répète."

"Il a commis un crime contre la Loi des pères."

"Et vous venez me déranger pour cela ? Prenez-le vous et jugez-le selon vos lois."

676


"Nous ne pouvons pas mettre quelqu'un à mort. Nous ne sommes pas savants. Le Droit hébraïque n'est qu'un

enfant déficient devant le Droit parfait de Rome. Comme ignorants et comme sujets de Rome, notre

maîtresse, nous avons besoin..."

"Depuis quand êtes-vous miel et beurre ?... Mais vous avez dit une vérité, ô maîtres du mensonge ! Vous avez

besoin de Rome ! Oui. Pour vous débarrasser de Lui qui vous gène. J'ai compris." Et Pilate rit en regardant le

ciel serein qui s'encadre comme un ruban rectangulaire de turquoise foncée entre les blancs murs de marbre

de l'atrium.

"Dites : en quoi a-t-il commis un crime contre vos lois ?"

"Nous avons trouvé qu'il mettait le désordre dans notre nation et qu'il empêchait de payer le tribut à César,

en se disant le Christ, roi des juifs."

Pilate retourne près de Jésus, qui est au milieu de l'atrium, laissé là par les soldats lié mais sans escorte tant

apparaît nettement sa douceur. Et il Lui demande : "Es-tu le roi des juifs ?"

"Le demandes-tu de toi-même ou parce que d'autres l'insinuent ?"

"Et que veux-tu que m'importe ton royaume ? Suis-je juif, par hasard ? Ta nation et ses chefs t'ont livré pour

que je juge. Qu'as-tu fait ? Je sais que tu es loyal. Parle. Est-ce vrai que tu aspires à régner ?"

"Mon Royaume n'est pas de ce monde. Si c'était un royaume du monde, mes ministres et mes soldats

auraient combattu pour que les juifs ne s'emparent pas de Moi. Mais mon Royaume n'est pas de la Terre et tu

sais que je n'aspire pas au pouvoir."

"C'est vrai. Je le sais, on me l'a dit. Mais tu ne nies pas que tu es roi ?"

"Tu le dis. Je suis Roi. C'est pour cela que je suis venu au monde : pour rendre témoignage à la Vérité. Qui

est ami de la vérité écoute ma voix."

"Et qu'est-ce que c'est la vérité ? Tu es philosophe ? Cela ne sert pas devant de la mort. Socrate est mort

quand même."

"Mais cela lui a servi devant la vie, à bien vivre et aussi à bien mourir. Et à entrer dans la seconde vie sans

677


avoir trahi les vertus civiques."

"Par Jupiter !" Pilate le regarde un moment avec admiration, puis il reprend son sarcasme sceptique. Il fait un

geste d'ennui, Lui tourne le dos, et revient vers les juifs.

"Je ne trouve en Lui aucune faute."

La foule se déchaîne, prise par la panique de perdre sa proie et le spectacle du supplice. Elle crie : "C'est un

rebelle !"

"Un blasphémateur !"

"Il encourage le libertinage !"

"Il pousse à la rébellion !"

"Il refuse le respect à César !"

"Il veut se faire passer pour prophète."

"Il fait de la magie."

"C'est un satan."

"Il soulève le peuple avec ses doctrines en les enseignant dans toute la Judée, à laquelle il est venu de la

Galilée en enseignant."

"À mort !"

"À mort !"

"Il est galiléen ? Tu es galiléen ?" Pilate revient vers Jésus : "Tu les entends comme ils t'accusent ? Disculpetoi."

Mais Jésus se tait. Pilate réfléchit... Et il décide. "Une centurie, et qu'on le conduise à Hérode. Qu'il le juge,

c'est son sujet. Je reconnais le droit du Tétrarque et je souscris à l'avance à son verdict. Qu'on le lui dise.

678


Allez."

Jésus, encadré comme un gredin par cent soldats, traverse de nouveau la ville et rencontre de nouveau Judas

Iscariote qu'il avait déjà rencontré une fois près d'un marché. J'avais oublié auparavant de le dire, écœurée

par la bagarre de la populace. Même regard de pitié sur le traître...

Maintenant il est plus difficile de Lui donner des coups de pieds et de bâtons, mais les pierres et les

immondices ne manquent pas et, si les pierres font seulement du bruit sur les casques et les cuirasses des

romains, elles laissent des marques quand elles atteignent Jésus qui s'avance avec son seul vêtement, ayant

laissé son manteau au Gethsémani.

En entrant dans le fastueux palais d'Hérode, il voit Chouza... qui ne peut le regarder et qui fuit pour ne pas le

voir dans cet état en se couvrant la tête de son manteau.

Le voilà dans la salle, devant Hérode. Et derrière Lui voilà les scribes et les pharisiens, qui ici se sentent à

leur aise, qui entrent en qualité de faux accusateurs. Seul le centurion avec quatre soldats l'escortent devant

le Tétrarque.

Celui-ci descend de son siège et tourne autour de Jésus en écoutant les accusations de ses ennemis. Il sourit

et raille. Puis il feint une pitié et un respect qui ne troublent pas le Martyr, comme ne l'ont pas troublé les

railleries.

"Tu es grand, je le sais. Et je me suis réjoui que Chouza soit ton ami et Manaën ton disciple. Moi... les soucis

de l'État... Mais quel désir de te dire : grand... de te demander pardon... L'œil de Jean... sa voix m'accusent et

sont toujours devant moi. Tu es le saint qui efface les péchés du monde. Absous-moi, ô Christ."

679


Jésus se tait.

"J'ai entendu qu'ils t'accusent de t'être dressé contre Rome. Mais n'es-tu la verge promise pour frapper

Assur ?"

Jésus se tait.

"On m'a dit que tu prophétises la fin du Temple et de Jérusalem. Mais le Temple n'est-il pas éternel comme

esprit, puisqu'il est voulu par Dieu qui est éternel ?"

Jésus se tait.

"Tu es fou ? Tu as perdu ton pouvoir ? Satan te coupe la parole ? Il t'a abandonné ?"

Hérode rit maintenant, mais ensuite il donne un ordre. Et des serviteurs accourent amenant un lévrier dont la

jambe est cassée et qui glapit lamentablement, et un palefrenier idiot dont la tête est pleine d'eau, qui bave,

un avorton, jouet des serviteurs.

Les scribes et les prêtres fuient en criant au sacrilège en voyant le chien sur un brancard.

Hérode, faux et railleur, explique : "C'est le préféré d'Hérodiade. Un cadeau de Rome. Il s'est cassé une patte

hier et elle pleure. Commande qu'il guérisse. Fais un miracle."

680


Jésus le regarde avec sévérité et se tait.

"Je t'ai offensé ? Alors celui-ci. C'est un homme, bien qu'il soit de peu plus qu'une bête. Donne-lui

l'intelligence, Toi, Intelligence du Père... N'est-ce pas ce que tu dis ?" Et il rit, offensant.

Un autre regard plus sévère de Jésus et silence.

"Cet homme est trop abstinent et maintenant il est abruti par les mépris. Du vin et des femmes ici, et qu'on le

délie."

On le délie. Et pendant que des serviteurs en grand nombre apportent des amphores et des coupes, des

danseuses entrent... couvertes de rien. Une frange multicolore de lin ceint pour unique vêtement leur mince

personne de la ceinture aux hanches. Rien d'autre. Bronzées parce que africaines, souples comme de jeunes

gazelles, elles commencent une danse silencieuse et lascive.

Jésus repousse les coupes et il ferme les yeux sans parler. La cour d'Hérode rit devant son indignation.

"Prends celle que tu veux. Vis ! Apprends à vivre !..." Insinue Hérode.

Jésus semble une statue. Les bras croisés, les yeux fermés, il ne bouge pas même quand les danseuses

impudiques le frôlent de leurs corps nus.

"Suffit. Je t'ai traité en Dieu et tu n'as pas agi en Dieu. Je t'ai traité en homme et tu n'as pas agi en homme.

Tu es fou. Un vêtement blanc. Revêtez-le de celui-ci pour que Ponce Pilate sache que le Tétrarque a jugé fou

681


son sujet. Centurion, tu diras au Proconsul qu’Hérode lui présente humblement son respect et vénère Rome.

Allez."

Et Jésus, attaché de nouveau, sort avec une tunique de lin qui Lui arrive aux genoux par dessus son vêtement

rouge de laine.

Et ils reviennent vers Pilate.

Maintenant la centurie fend non sans peine la foule qui ne s'est pas lassée d'attendre devant le palais

proconsulaire. Il est étrange de voir une foule si nombreuse en ce lieu et dans le voisinage, alors que le reste

de la ville paraît vide. Jésus voit les bergers en groupe et ils sont au complet : Isaac, Jonathas, Lévi, Joseph,

Élie, Matthias, Jean, Siméon, Benjamin et Daniel, avec un petit groupe de galiléens où je reconnais Alphée

et Joseph d'Alphée, avec deux autres que je ne connais pas, mais que je dirais juifs à cause de leur coiffure.

Et plus loin, qui s'est glissé à l'intérieur du vestibule à demi caché derrière une colonne, avec un romain que

je dirais un serviteur, il voit Jean. Il sourit à celui-ci et à ceux-là... Ses amis... Mais que sont ces amis si peu

nombreux et Jeanne, et Manaën, et Chouza au milieu d'un océan de haine qui bout ?...

Le centurion salue Ponce Pilate et fait son rapport.

"Ici encore ? ! Ouf ! Maudite race ! Faites avancer la populace et amenez ici l'Accusé. Heu ! Quel ennui !"

Il va vers la foule en s'arrêtant toujours au milieu du vestibule.

"Hébreux, écoutez. Vous m'avez amené cet homme comme fauteur de troubles. Devant vous je l'ai examiné,

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et je n'ai trouvé en Lui aucun des crimes dont vous l'accusez. Hérode pas plus que moi n'a rien trouvé. Et il

nous l'a renvoyé. Il ne mérite pas la mort. Rome a parlé. Cependant, pour ne pas vous déplaire en vous

enlevant votre amusement, je vais vous donner Barabbas. Et Lui, je le ferai frapper par quarante coups de

fustigation. Cela suffit."

"Non, non ! Pas Barabbas ! Pas Barabbas ! Pour Jésus la mort ! Une mort horrible ! Libère Barabbas et

condamne le Nazaréen."

"Écoutez ! J'ai dit fustigation. Cela ne suffit pas ? Je vais le faire flageller alors ! C'est atroce, savez-vous ?

On peut en mourir. Qu'a-t-il fait de mal ? Je ne trouve aucune faute en Lui et je le délivrerai."

"Crucifie-le ! Crucifie-le ! À mort ! Tu protèges les criminels ! Païen ! Satan toi aussi !"

La foule s'avance par-dessous et le premier rang de soldats se déforme dans le heurt car ils ne peuvent se

servir de leurs lances. Mais le second rang, descendant d'un gradin, fait tourner les lances et dégage ses

compagnons.

"Qu'il soit flagellé" commande Pilate à un centurion.

"Combien de coups ?"

"Autant qu'il te semble... Le tout est d'en finir. Et je suis ennuyé. Va."

Jésus est emmené par quatre soldats dans la cour au-delà de l'atrium. Dans cette cour, toute pavée de marbre

de couleur, il y a au milieu une haute colonne semblable à celle du portique. À environ trois mètres du sol

elle a un bras de fer qui dépasse d'au moins d'un mètre et se termine en anneau. On y attache Jésus avec les

mains jointes au-dessus de la tête, après l'avoir fait déshabiller. Il ne garde qu'un petit caleçon de lin et ses

sandales. Les mains, attachées aux poignets, sont élevées jusqu'à l'anneau, de façon que Lui, malgré sa haute

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taille, n'appuie au sol que la pointe des pieds... Et cette position doit être aussi une torture.

J'ai lu, je ne sais où, que la colonne était basse et que Jésus se tenait courbé. Possible. Moi, je dis ce que je

vois.

Derrière Lui se place une figure de bourreau au net profil hébraïque, devant Lui une autre figure pareille. Ils

sont armés d'un fouet fait de sept lanières de cuir, attachées à un manche et qui se terminent par un martelet

de plomb. Rythmiquement, comme pour un exercice, ils se mettent à frapper. L'un devant, l'autre derrière, de

manière que le tronc de Jésus se trouve pris dans un tourbillon de coups de fouets. Les quatre soldats

auxquels il a été remis, indifférents, se sont mis à jouer aux dés avec trois autres soldats qui se sont joints à

eux.

Et les voix des joueurs suivent la cadence des fouets qui sifflent comme des serpents et puis résonnent

comme des pierres jetées sur la peau tendue d'un tambour. Ils frappent le pauvre corps si mince et d'un blanc

de vieil ivoire et qui se zèbre d'abord d'un rosé de plus en plus vif, puis violet, puis il se couvre de traces

d'indigo gonflées de sang, qui se rompent en laissant couler du sang de tous côtés. Ils frappent en particulier

le thorax et l'abdomen, mais il ne manque pas de coups donnés aux jambes et aux bras et même à la tête,

pour qu'il n'y eût pas un lambeau de la peau qui ne souffrît pas.

Et pas une plainte... S'il n'était pas soutenu par les cordes, il tomberait. Mais il ne tombe pas et ne gémit pas.

Seulement, après une grêle de coups qu'il a reçus, sa tête pend sur sa poitrine comme s'il s'évanouissait.

"Ohé ! Arrête-toi ! Il doit être tué vivant." crie et bougonne un soldat.

Les deux bourreaux s'arrêtent et essuient leur sueur.

"Nous sommes épuisés" disent-ils. "Donnez-nous la paie, pour que l'on puisse boire pour se désaltérer..."

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"C'est la potence que je vous donnerais ! Mais prenez... !" et le décurion jette une large pièce à chacun des

deux bourreaux.

"Vous avez travaillé comme il faut. Il ressemble à une mosaïque. Tito, tu dis que c'était vraiment Lui l'amour

d'Alexandre ? Alors nous le lui ferons savoir pour qu'il en fasse le deuil. Délions-le un peu."

Ils le délient et Jésus s'abat sur le sol comme s'il était mort. Ils le laissent là, le heurtant de temps en temps de

leurs pieds chaussés de caliges pour voir s'il gémit.

Mais Lui se tait.

"Qu'il soit mort ? C'est possible ? Il est jeune et c'est un artisan, m'a-t-on dit... et on dirait une dame délicate."

"Maintenant je m'en occupe" dit un soldat. Et il l'assoit, le dos appuyé à la colonne. Où il était, il y a des

caillots de sang... Puis il va à une fontaine qui coule sous le portique, remplit d'eau une cuvette et la renverse

sur la tête et le corps de Jésus. "Voilà ! L'eau fait du bien aux fleurs."

Jésus soupire profondément et il va se lever, mais il reste encore les yeux fermés.

"Oh ! bien ! Allons, mignon ! Ta dame t'attend !..."

Mais Jésus appuie inutilement les mains au sol pour tenter de se redresser.

"Allons ! Vite ! Tu es faible ? Voilà pour te redonner des forces." raille un autre soldat. Et avec le manche de

sa hallebarde il Lui donne une volée de coups au visage et il atteint Jésus entre la pommette droite et le nez,

qui se met à saigner.

Jésus ouvre les yeux, les tourne. Un regard voilé... Il fixe le soldat qui l'a frappé, s'essuie le sang avec la

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main, et ensuite se lève grâce à un grand effort.

"Habille-toi. Ce n'est pas décent de rester ainsi. Impudique !" Et ils rient tous en cercle autour de Lui.

Il obéit sans parler. Il se penche, et Lui seul sait ce qu'il souffre en se penchant vers le sol, couvert de

contusions comme il l'est et avec des plaies qui lorsque la peau se tend s'ouvrent plus encore et d'autres qui

se forment à cause des cloques qui crèvent. Un soldat donne un coup de pied aux vêtements et les éparpille

et chaque fois que Jésus les rejoint, allant en titubant où ils sont tombés, un soldat les repousse ou les jette

dans une autre direction. Et Jésus, qui éprouve une souffrance aiguë, les suit sans dire un mot pendant que

les soldats se moquent de Lui en tenant des propos obscènes.

Il peut finalement se revêtir. Il remet aussi le vêtement blanc resté propre dans un coin. Il semble qu'il veuille

cacher son pauvre vêtement rouge, qui hier seulement était si beau et qui maintenant est sale et taché par le

sang versé au Gethsémani. Et même, avant de mettre sa tunicelle sur la peau, il essuie avec elle son visage

mouillé et le nettoie ainsi de la poussière et des crachats. Et lui, le pauvre, le saint visage, apparaît propre,

marqué seulement de bleus et de petites blessures. Il redresse sa coiffure tombée en désordre, et sa barbe, par

un besoin inné d'être ordonné dans sa personne.

Et puis il s'accroupit au soleil, car il tremble, mon Jésus... La fièvre commence à se glisser en Lui avec ses

frissons, et aussi se fait sentir la faiblesse venant du sang perdu, du jeûne, du long chemin.

On Lui lie de nouveau les mains, et la corde revient scier là où il y a déjà un rouge bracelet de peau

écorchée.

"Et maintenant ? Qu'en faisons-nous ? Moi, je m'ennuie !"

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"Attends. Les juifs veulent un roi, nous allons le leur donner. Celui-là..." dit un soldat.

Et il court dehors, certainement dans une cour qui se trouve derrière, d'où il revient avec un fagot de

branches d'aubépine sauvage. Elles sont encore flexibles car le printemps garde les branches relativement

souples, mais bien dures avec leurs épines longues et pointues. Avec leur dague ils enlèvent les feuilles et les

fleurettes, ils plient les branches en forme de cercle et les enfoncent sur la pauvre tête. Mais la couronne

barbare Lui retombe sur le cou.

"Elle ne tient pas. Plus étroite. Enlève-la."

Ils l'enlèvent et griffent les joues en risquant de l'aveugler et arrachent ses cheveux en le faisant. Ils la

resserrent. Maintenant elle est trop étroite et bien qu'ils l'enfoncent en faisant pénétrer les épines dans la tête,

elle menace de tomber. Ils l'enlèvent de nouveau en Lui arrachant d'autres cheveux. Ils la modifient de

nouveau. Maintenant, elle va bien. Par-devant un triple cordon épineux. En arrière, là où les extrémités des

branches se croisent, c'est un vrai nœud d'épines qui entrent dans la nuque.

"Vois-tu comme tu es bien ? Bronze naturel et vrais rubis. Regarde-toi, ô roi, dans ma cuirasse." bougonne

celui qui a eu l'idée du supplice.

"La couronne ne suffit pas pour faire un roi. Il faut la pourpre et le sceptre. Dans l'écurie il y a un roseau et

aux ordures une chlamyde rouge. Prends-les, Cornélius."

Et quand ils les ont, ils mettent le sale chiffon rouge sur les épaules de Jésus. Avant de mettre dans ses mains

le roseau, ils Lui en donnent des coups sur la tête en s'inclinant et en saluant : "Salut, roi des juifs" et ils se

tordent de rire.

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Jésus les laisse faire. Il se laisse asseoir sur le "trône", un bassin retourné, certainement employé pour

abreuver les chevaux. Il se laisse frapper, railler, sans jamais parler. Il les regarde seulement... et c'est un

regard d'une douceur et d'une souffrance si atroce que je ne puis le soutenir sans m'en sentir blessée au cœur.

Les soldats n'arrêtent leurs railleries qu'en entendant la voix âpre d'un supérieur qui demande que l'on

traduise devant Pilate le coupable.

Coupable ! De quoi ?

Jésus est ramené dans l'atrium maintenant couvert d'un précieux vélarium à cause du soleil. Il a encore la

couronne et le roseau et la chlamyde.

"Avance que je te montre au peuple."

Jésus, bien que brisé, se redresse avec dignité. Oh ! comme il est vraiment roi !

"Écoutez, Hébreux. L'homme est ici, je l'ai puni. Mais maintenant laissez-le aller."

"Non, non ! Nous voulons le voir ! Dehors ! Que l'on voie le blasphémateur."

"Conduisez-le dehors et veillez à ce que l'on ne le prenne pas."

Et pendant que Jésus sort dans le vestibule et se montre dans le carré des soldats, Ponce Pilate le montre de

la main en disant : "Voilà l'homme. Votre roi. Cela ne suffit pas encore ?"

Le soleil d'une journée accablante, qui maintenant descend presque à pic car on est au milieu entre tierce et

sexte, allume et met en relief les regards et les visages. Sont-ils des hommes ? Non, des hyènes enragées. Ils

crient, montrent le poing, demandent la mort...

Jésus est debout. Et je vous assure que jamais il n'a eu la noblesse de maintenant. Pas même quand il faisait

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les miracles les plus puissants. Noblesse de la souffrance. Mais il est tellement divin qu'il suffirait à le

marquer du nom de Dieu. Mais pour dire ce nom il faut être au moins des hommes. Et Jérusalem n'a pas

d'hommes aujourd'hui. Elle n'a que des démons.

Jésus tourne son regard vers la foule, cherche, trouve dans la mer des visages haineux, les visages amis.

Combien ? Moins de vingt amis parmi les milliers d'ennemis... Et il incline la tête, frappé par cet abandon.

Une larme tombe... une autre... une autre... la vue de ses pleurs ne suscite pas la pitié, mais une haine encore

plus forte.

On le ramène dans l'atrium.

"Donc ? Laissez-le aller. C'est justice."

"Non. À mort ! Crucifie-le."

Je vous donne Barabbas."

"Non. Le Christ !"

"Et alors chargez-vous-en. Prenez sur vous de le crucifier, car moi je ne trouve aucune faute en Lui, pour le

faire."

"Il s'est dit le Fils de Dieu. Notre loi prescrit la mort pour celui qui se rend coupable d'un tel blasphème."

Pilate devient pensif. Il rentre, il s'assoit sur son petit trône. Il met la main à son front, son coude, sur son

genou, et il scrute Jésus.

"Approche-toi." dit-il.

Jésus va au pied de l'estrade.

"Est-ce vrai ? Réponds."

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Jésus se tait.

"D'où viens-tu ? Qu'est-ce que Dieu ?"

"C'est le Tout."

"Et puis ? Que veut dire le Tout ? Qu'est le Tout pour celui qui meurt ? Tu es fou... Dieu n'existe pas. Moi,

j'existe."

Jésus se tait. Il a laissé tomber la grande parole et puis il recommence à s'envelopper de silence.

"Ponce : l'affranchie de Claudia Procula demande à entrer. Elle a un écrit pour toi."

"Domine ! Les femmes aussi maintenant ! Qu'elle vienne."

Une Romaine entre et elle s'agenouille pour présenter une tablette de cire. Ce doit être celle où Procula prie

son mari de ne pas condamner Jésus. La femme se retire à reculons pendant que Pilate lit.

"On me conseille d'éviter ton homicide. Est-ce vrai que tu es plus qu'un haruspice ? Tu me fais peur." Jésus

se tait.

"Mais ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir de te libérer ou de te crucifier ?"

"Tu n'aurais aucun pouvoir s'il ne t'avait été donné d'en haut. Aussi celui qui m'a mis entre tes mains est plus

coupable que toi."

"Qui est-ce ? Ton Dieu ? J'ai peur..." Jésus se tait. Pilate est sur des charbons ardents : il voudrait et ne

voudrait pas. Il craint le châtiment de Dieu, il craint celui de Rome, il craint la vengeance des juifs. Un

moment c'est la peur de Dieu qui l'emporte. Il va sur le devant de l'atrium et dit d'une voix tonnante : "Il n'est

pas coupable."

"Si tu le dis, tu es ennemi de César. Celui qui se fait roi est son ennemi. Tu veux libérer le nazaréen. Nous le

ferons savoir à César."

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Pilate est pris par la peur de l'homme.

"Vous voulez sa mort, en somme ? Soit ! Mais que le sang de ce juste ne soit pas sur mes mains." et, s'étant

fait apporter un bassin, il se lave les mains en présence du peuple qui paraît pris de frénésie et crie : "Sur

nous, sur nous son sang. Qu'il retombe sur nous et sur nos enfants. Nous ne le craignons pas. À la croix ! À

la croix !"

Ponce Pilate retourne sur son trône, il appelle le centurion Longin et un esclave. Il se fait apporter par

l'esclave une table sur laquelle il appuie une pancarte et y fait écrire : "Jésus Nazaréen, Roi des Juifs." Et il la

montre au peuple.

"Non, pas ainsi. Pas roi des Juifs, mais qu'il a dit qu'il serait roi des Juifs." Ainsi crient plusieurs.

"Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit." dit durement Pilate, et debout, il étend les mains les paumes en avant et en bas

et ordonne : "Qu'il aille à la croix. Soldat, va, prépare la croix." Et il descend, sans même plus se retourner

vers la foule agitée, ni vers le pâle Condamné. Il sort de l'atrium...

Jésus reste au milieu de l'atrium sous la garde des soldats, attendant la croix.

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Jésus devant Anne et Caïphe. Reniements de Pierre.

12 La cohorte, le tribun, et les grands Juifs

Saisirent Jésus ; ils le lièrent et 13 l'amenèrent

Chez Anne d'abord ; c'était en effet le beau-père

De Caïphe qui était cette année-là grand prêtre.

14 Or Caïphe était celui qui avait donné

Ce conseil aux Juifs : "Il faut qu'un seul homme meure

Pour le peuple."

15 Simon-Pierre suivait Jésus, ainsi

Qu'un autre disciple. Ce disciple était connu

Du grand prêtre, il entra dans la cour du grand prêtre

Avec Jésus, 16 Pierre se tenant près de la porte,

Dehors. L'autre disciple, celui que connaissait

Le grand prêtre sortit, et il parla à celle

Qui gardait la porte, alors il fit entrer Pierre :

17 La servante qui gardait la porte dit donc à Pierre :

"Ne serais-tu pas des disciples de cet homme,

Toi aussi ? Il Mais celui-ci dit : "Je n'en suis pas."

18 Les esclaves et les grands, qui avaient fait un feu

De braises car le temps était froid, se tenaient là

Et se chauffaient. Et Pierre se tenait avec eux,

Il se chauffait.

19 Le grand prêtre donc interrogea

Jésus sur ses disciples et son enseignement.

20 Jésus lui répondit : "Moi, c'est ouvertement

Que j'ai parlé au monde ; j'ai toujours enseigné,

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Moi en synagogue et au Temple, où tous les Juifs

Se réunissent, et je n'ai rien dit en secret.

21 Pourquoi m'interroges-tu ? Mais demande à ceux

Qui ont entendu ce que je leur ai dit : eux,

Ils savent ce que moi, J'ai dit." 22 Quand il dit cela,

Un des grands qui se tenait là donna un coup

À Jésus en disant : "C'est ainsi qu'au grand prêtre

Tu réponds !" Jésus lui répondit : "Si j'ai mal

Parlé, témoigne au sujet du mal ; si j'ai bien

Parlé, pourquoi me frappes-tu ? " 24 Anne, lié,

L'envoya à Caïphe le grand prêtre.

25 Simon-Pierre

Se tenait là et se chauffait, On lui dit donc :

"Ne serais-tu pas, toi aussi de ses disciples ? "

Mais celui-ci nia et dit : "Je n'en suis pas."

26 Un des esclaves du grand prêtre, parent de celui

Dont Pierre avait tranché le bout de l'oreille, dit :

"Ne t'ai-je pas vu, dans le jardin avec lui,

Moi ? " 27 De nouveau donc, Pierre nia, et aussitôt

Un coq chanta.

Jésus devant Pilate.

28 On amena donc de chez Caïphe

Jésus au prétoire. C'était le matin. Mais eux

Pour ne pas se souiller, et pour pouvoir manger

La Pâque rentrèrent par au prétoire.

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29 Or Pilate,

Sortit dehors vers eux et dit :"Contre cet homme,

Quelle accusation portez-vous ? " 30 Ils répondirent

Et lui dirent * : "Si cet homme n'était pas un malfaiteur,

Nous ne te l'aurions pas livré."

Le texte veut : et lui disent

31 Alors Pilate

Leur dit : "Prenez-le, vous, et jugez-le selon

Votre loi. "

" Il ne nous est pas permis de faire

Mourir quelqu'un," lui répondirent les Juifs. 32 C'était

Pour que la parole de Jésus s'accomplît, celle

Qu'il avait dite pour signifier de quelle mort

Il devait mourir.

33 Pilate entra de nouveau

Dans le prétoire appela Jésus et lui dit :

"C'est toi le roi des Juifs. " 34 Et Jésus répondit :

"Est-ce de toi-même que tu dis cela, ou d'autres

Te l'ont-ils dit de moi ? " 35 Pilate répondit :

"Est-ce que je suis Juif, moi ? Car c'est ta nation

Ainsi que les grands prêtres qui t'ont livré à moi ;

Qu'as-tu fait ? "

36 Et Jésus répondit : "Mon royaume

À moi n'est pas de ce monde. Car si mon royaume

À moi était de ce monde, (tous) mes gens à moi

Auraient combattu pour que je ne fusse pas

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Livré aux Juifs, non mon royaume à moi n'est pas

D'ici.". 37 Pilate lui dit donc : "Tu es donc roi, toi ? "

Jésus dit : "C'est toi qui le dis : je suis roi. Moi,

C'est pour cela que je suis né, c'est pour cela

Que je suis venu dans le monde : afin de rendre

Témoignage à la vérité ; et quiconque est

De la vérité écoute ma voix. " 38 Pilate

Lui dit : "Qu'est-ce que la vérité ? "

Ayant dit

Cela, il sortit encore vers les juifs : pour moi,

Leur dit-il, je ne trouve en lui aucun motif

De condamnation. 39 Pourtant vous avez coutume

Que je vous relâche une personne pour la Pâque,

Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ?

40 Ils vociférèrent donc de nouveau "Barabbas,

Pas lui ! " Or Barabbas était un brigand.

19 1 Donc,

Pilate prit Jésus et le fit fouetter. Tressant

Une couronne avec des épines, 2 les soldats

La lui posèrent sur la tête, ils le revêtirent

D'un manteau pourpre. 3 Ils venaient vers lui et disaient :

"Salut, le roi des Juifs ! " Ils lui donnaient des coups.

4 Pilate, de nouveau, sortit dehors il leur dit :

"Je vous l'amène dehors pour que vous connaissiez

Que je ne trouve nul motif de condamnation

En lui."

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5 Alors Jésus sortit dehors, portant

La couronne d'épines et le manteau pourpre. Pilate

Leur dit : "Voici l'homme." 6 Quand ils le virent, les grands prêtres

Ainsi que les grands vociférèrent. "À la croix !

À la croix ! " Pilate leur dit : "Prenez-le, vous,

Crucifiez-le ; car pour moi, je ne trouve pas

En lui de motif de condamnation.

7 Les Juifs

Lui répondirent : "(Mais) nous avons, nous, une Loi,

Selon cette Loi il doit mourir, il s'est fait

Fils de Dieu."

8 Pilate entendit cette parole,

Il eut encore plus peur, 9 Il entra de nouveau

Dans le prétoire. Il dit à Jésus : "D'où es-tu,

Toi ?"

Mais Jésus ne lui fit aucune réponse.

10 Pilate lui dit donc :"Tu ne me parles pas

À moi ! Pourtant tu ne sais pas que j'ai pouvoir

Pour te relâcher, pouvoir pour te crucifier."

11 Jésus répondit : "Tu n'aurais aucun pouvoir

Contre moi, s'il ne t'avait pas été donné

D'en haut ; voilà pourquoi celui qui m'a livré

À toi a un plus grand péché."

12 Et à partir

De ce moment Pilate voulait le relâcher

Les Juifs vociférèrent : "Si tu relâches cet homme,

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Tu n'es pas ami de César ; quiconque se fait

Roi se déclare contre César."

Pilate donc,

Entendant ces paroles, fit appeler Jésus,

Dehors, et il le fit asseoir au tribunal.

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Judas de Kériot après sa trahison

Je vois Judas. Il est seul. Il est vêtu de jaune clair avec un cordon rouge à la taille. Mon admoniteur intérieur

m'avertit que c'est depuis peu qu'a été capturé Jésus et que Judas, qui s'est enfui tout de suite après, est

maintenant en proie à un contraste de pensées. En effet l'Iscariote semble un fauve furieux et traqué par une

meute de mâtins. Tout souffle de vent dans les feuillages, un bruit quelconque sur la route, l'écoulement

d'une fontaine le font sursauter et se retourner soupçonneux et effrayé comme s'il se sentait rejoint par un

justicier. Il tourne la tête en la gardant basse, le cou tordu, il tourne les yeux comme quelqu'un qui veut voir

et a peur de voir. Si un jeu de lumière de la lune crée une ombre d'apparence humaine, il écarquille les yeux,

fait un saut en arrière, devient encore plus livide qu'il ne l'était, s'arrête un instant et puis s'enfuit

précipitamment en revenant sur ses pas, en se détournant par d'autres chemins jusqu'à ce qu'un autre bruit, un

autre jeu de lumière le fait s'arrêter et s'enfuir dans une autre direction.

Dans sa folle marche il va ainsi vers l'intérieur de la ville, mais une clameur du peuple l'avertit qu'il est près

de la maison de Caïphe, et alors, en se portant les mains à la tête et se penchant comme si ces cris étaient

autant de pierres qui le lapident, il s'enfuit, s'enfuit. Et dans sa fuite, il prend une ruelle qui l'amène tout droit

vers la maison où a été consommée la Cène. Il s'en aperçoit quand il est en face à cause d'une fontaine qui

coule à cet endroit du chemin. Les pleurs de l'eau qui tombe goutte-à-goutte dans un petit bassin de pierre, et

un faible sifflement du vent qui s'insinue dans le chemin étroit en produisant une lamentation étouffée,

doivent lui sembler les pleurs de Celui qu'il a trahi et la plainte du Supplicié. Il se bouche les oreilles pour ne

pas entendre et s'échappe, les yeux fermés, pour ne pas voir cette porte par laquelle peu d'heures avant il est

passé avec le Maître et par laquelle il est sorti pour aller prendre les hommes armés pour se saisir de Lui.

Dans cette course aveugle il va heurter un chien errant, le premier chien que je vois depuis que j'ai les

visions, un gros chien gris et hirsute qui s'écarte en grognant, prêt à s'élancer contre celui qui l'a dérangé.

Judas ouvre les yeux et rencontre les pupilles phosphorescentes qui le fixent et il voit la blancheur des crocs

découverts qui semblent produire un rire diabolique. Il pousse un cri de terreur. Le chien, qui peut-être le

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prend pour un cri menaçant, se jette sur lui, et les deux roulent dans la poussière : Judas dessous, paralysé

par la peur, le chien dessus. Quand la bête lâche sa proie, considérée peut-être comme indigne de la lutte,

Judas saigne à cause de deux ou trois morsures et son manteau a de larges déchirures.

Il a été vraiment mordu à la joue, au point précis où il a baisé Jésus, La joue saigne et le sang souille au cou

le vêtement jaunâtre de Judas. Le sang lui fait une sorte de collier, en imbibant le cordon rouge qui serre le

vêtement au cou et il le rend plus rouge encore. Judas met la main à sa joue, il regarde le chien qui s'éloigne

mais le guette dans l'ouverture d'une porte, il murmure : "Belzébuth !" et poussant de nouveau un cri, il

s'enfuit, poursuivi par le chien pendant quelque temps. Il fuit jusqu'au petit pont qui est près du Gethsémani.

Là, soit fatigué de le suivre, soit que l'eau l'éloigné parce qu'il est hydrophobe, le chien abandonne sa proie et

revient en arrière en grognant. Judas, qui s'était jeté dans le torrent pour prendre des pierres et les jeter au

chien, le voyant s'éloigner, regarde autour de lui et s'aperçoit qu'il a de l'eau jusqu'à mi-mollet. Sans

s'occuper de son vêtement de plus en plus trempé, il se penche sur l'eau et boit comme s'il était brûlé par la

fièvre et il lave sa joue qui saigne et doit lui faire mal. À la clarté d'un premier éveil de l'aube il remonte sur

la berge, de l'autre côté comme s'il avait encore peur du chien et n'osait pas revenir vers la ville. Il fait

quelques mètres et se trouve à l'entrée du Jardin des Oliviers. Il crie : "Non ! Non !" en reconnaissant

l'endroit. Mais ensuite, je ne sais par quelle force irrésistible ou par quel sadisme satanique et criminel, il

avance en cet endroit. Il cherche l'endroit où est arrivée la capture. La terre du sentier, foulée par de

nombreux pieds, l'herbe piétinée en un point donné et du sang par terre, peut-être celui de Malchus, lui

montrent que c'est là qu'il a indiqué l'Innocent aux bourreaux.

Il regarde, il regarde... et puis il pousse un cri rauque et fait un saut en arrière. Il crie : "Ce sang, ce sang !..."

et il le montre... à qui ? avec son bras tendu et son index qu'il pointe. Dans la lumière croissante son visage

se montre terreux et spectral. Il semble fou. Il a les yeux écarquillés et brillants comme s'il délirait ; ses

cheveux ébouriffés par la course et la terreur semblent dressés sur sa tête ; la joue qui enfle lui tord la bouche

en un rictus. Son vêtement déchiré, couvert de sang, mouillé, boueux, car la poussière en se mouillant est

devenue de la boue, le rend semblable à un mendiant. Son manteau aussi déchiré et boueux pend d'une

épaule comme une guenille et il s'y empêtre quand, continuant à crier : "Ce sang, ce sang !" il recule comme

si ce sang était devenu une mer qui monte et submerge. Judas tombe à la renverse et se blesse derrière la tête

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en heurtant une pierre. Il pousse un gémissement de douleur et de peur. "Qui est-ce ?" crie-t-il. Il doit avoir

pensé que quelqu'un l'a fait tomber pour le frapper. Il se retourne avec terreur. Personne ! Il se lève.

Maintenant le sang dégoutte aussi sur la nuque. Le cercle rouge s'élargit sur le vêtement. II ne tombe pas par

terre car il y en a peu, le vêtement le boit. Maintenant la corde paraît déjà au cou.

Il marche. Il retrouve la trace du feu allumé par Pierre au pied d'un olivier, mais il ne sait pas que c'est Pierre

qui l'a fait et croit que Jésus était là. Il crie : "Allez ! Allez !" et avec les deux mains tendues en avant, il

paraît repousser un fantôme qui le tourmente. Il s'échappe et va finir justement contre le rocher de l'Agonie.

Maintenant l'aube est nette et permet de bien voir et tout de suite. Judas voit le manteau de Jésus laissé plié

sur le rocher. Il le reconnaît. Il veut le toucher. Il a peur. Il allonge la main et la retire. Il veut. Il ne veut pas.

Mais ce manteau le fascine. Il gémit : "Non ! Non !" Puis il dit : "Oui, par Satan ! Oui, je veux le toucher. Je

n'ai pas peur ! Je n'ai pas peur !" Il dit qu'il n'a pas peur, mais la terreur lui fait claquer des dents, et le bruit

que fait au-dessus de sa tête une branche d'olivier remuée par le vent et qui heurte un tronc voisin, le fait

crier de nouveau. Pourtant il fait un effort et saisit le manteau. Et il rit. Un rire de fou, de démon. Un rire

hystérique, saccadé, lugubre, qui n'en finit pas, car il a vaincu sa peur, et il le dit : "Tu ne me fais pas peur,

Christ. Plus peur. J'avais si grand peur de Toi car je te croyais Dieu et fort. Maintenant tu ne me fais plus

peur, car tu n'es pas Dieu. Tu es un pauvre fou, un faible. Tu n'as pas su te défendre. Tu ne m'as pas réduit en

cendres, comme tu n'as pas lu dans mon cœur la trahison. Mes peurs !... Quel sot ! Quand tu parlais, même

hier soir, je croyais que tu savais. Tu ne savais rien. C'était ma peur qui donnait un sens prophétique à tes

paroles toutes ordinaires. Tu n'es rien. Tu t'es laissé vendre, indiquer, prendre comme une souris dans son

trou. Ta puissance ! Ton origine ! Ah ! Ah ! Ah ! Bouffon ! Le fort, c'est Satan ! Plus fort que Toi. Il t'a

vaincu ! Ah ! Ah ! Ah ! Le Prophète ! Le Messie ! Le Roi d'Israël ! Et tu m'as assujetti pendant trois années !

Avec la peur toujours au cœur ! Et je devais mentir pour te tromper avec finesse quand je voulais jouir de la

vie ! Mais même si j'avais volé et forniqué sans toute l'astuce que je mettais en oeuvre, tu ne m'aurais rien

fait. Poltron ! Fou ! Lâche ! Tiens ! Tiens ! Tiens ! J'ai eu tort de ne pas te faire à Toi ce que je fais à ton

manteau pour me venger du temps où tu m'as tenu esclave par la peur. Peur d'un lapin !... Tiens ! Tiens !

Tiens !"

700


À chaque "Tiens !" il cherche à mordre et à déchirer l'étoffe du manteau. Il le chiffonne dans ses mains. Mais

en le faisant, il l'ouvre et apparaissent les taches qui l'humectent. La furie de Judas s'arrête. Il fixe ces taches.

Il les touche, il les flaire. C'est du sang... Il le déplie. Elle est bien visible l'empreinte laissée par les deux

mains tachées de sang quand il appuyait l'étoffe sur son visage.

"Ah !... Du sang ! Du sang ! Le sien... Non !" Judas laisse tomber le manteau et regarde autour de lui. Contre

le rocher aussi, là où Jésus s'est appuyé le dos quand l'ange le réconfortait, il y a une tache sombre de sang

qui sèche. "Là !... Là !... Du sang ! Du sang !..." Il baisse les yeux pour ne pas voir, et il voit l'herbe toute

rougie par le sang qui est tombé sur elle. Celui-ci, à cause de la rosée qui l'a dilué, paraît tombé depuis peu.

Il est rouge et brille au premier soleil. "Non ! Non ! Non ! Je ne veux pas voir ! Je ne puis voir ce sang ! Au

secours !" Il porte les mains à sa gorge et perd tout contrôle comme s'il se noyait dans une mer de sang.

"Arrière ! Arrière ! Laisse-moi ! Laisse-moi ! Maudit ! Mais ce sang, c'est une mer ! Il couvre la Terre ! La

Terre ! La Terre ! Et sur la Terre il n'y a pas de place pour moi, car je ne puis voir ce sang qui la couvre. Je

suis le Caïn de l'Innocent !" L'idée du suicide je crois qu'elle est venue en ce moment en ce cœur.

Le visage de Judas fait peur. Il se jette du talus et s'enfuit par l'oliveraie, sans revenir par la route déjà faite. Il

semble poursuivi par des fauves. Il revient dans la ville. Il s'enveloppe comme il peut dans son manteau et

cherche à couvrir sa blessure et son visage autant qu'il le peut. Il se dirige vers le Temple. Mais pendant qu'il

va dans cette direction, à un carrefour il se trouve en face des canailles qui traînent Jésus chez Pilate. Il ne

peut se retirer car une autre foule le pousse dans le dos, en accourant pour voir. Et grand comme il est, il

domine forcément et il voit. Et il rencontre le regard du Christ...

Les deux regards s'enlacent un moment. Puis le Christ passe, lié, frappé, et Judas tombe à la renverse comme

s'il s'évanouissait. La foule le piétine sans pitié, et il ne réagit pas. Il doit préférer être piétiné par tout un

monde plutôt que de rencontrer ce regard.

701


Quand la meute déicide est passée avec le Martyr et que le chemin est libre, il se relève et court au Temple.

Il bouscule et renverse presque un garde placé à la porte de l'enceinte. D'autres gardes arrivent pour interdire

l'entrée au forcené, mais lui, comme un taureau furieux, les écarte tous. L'un d'eux, qui s'accroche après lui

pour l'empêcher de pénétrer dans la salle du Sanhédrin où ils sont tous encore rassemblés pour discuter, est

saisi à la gorge, étranglé et jeté, sinon mort certainement moribond, en bas des trois marches.

"Votre argent, maudits, je n'en veux pas" crie-t-il debout au milieu de la salle, à l'endroit où était avant Jésus.

On dirait un démon qui débouche de l'enfer. Ensanglanté, dépeigné, enflammé par le délire, la bave à la

bouche, les mains comme des griffes, il crie et semble aboyer tant sa voix est perçante, rauque, hurlante.

"Votre argent, maudits, je n'en veux pas. Vous m'avez perdu. Vous m'avez fait commettre le plus grand

péché. Comme vous, comme vous je suis maudit ! J'ai trahi le Sang innocent. Qu'ils retombent sur vous ce

Sang et ma mort. Sur vous... Non ! Ah !..." Judas voit le pavé baigné de sang. "Même ici, même ici, il y a du

sang ? Partout ! Partout il y a son sang ! Mais combien de sang a l'Agneau de Dieu pour en couvrir ainsi la

Terre et ne pas en mourir ? Et c'est moi qui l'ai répandu ! À votre instigation. Maudits ! Maudits ! Maudits

pour l'éternité ! Malédiction à ces murs ! Malédiction à ce Temple profané ! Malédiction au Pontife déicide !

Malédiction aux prêtres indignes, aux faux docteurs, aux pharisiens hypocrites, aux juifs cruels, aux scribes

sournois ! Malédiction à moi ! À moi, malédiction ! À moi ! Prenez votre argent et qu'il vous étrangle l'âme

dans la gorge, comme à moi la corde" et il jette la bourse à la figure de Caïphe et s'en va en poussant un cri

alors que les pièces résonnent en s'éparpillant sur le sol après avoir frappé, en la faisant saigner, la bouche de

Caïphe.

Personne n'ose le retenir. Il sort. Il court à travers les chemins. Et fatalement il se trouve à rencontrer deux

fois Jésus à l'aller et au retour de chez Hérode. Il abandonne le centre de la ville pour prendre au hasard les

ruelles les plus misérables et il finit de nouveau contre la maison du Cénacle. Elle est entièrement fermée,

comme abandonnée.

702


Il s'arrête, la regarde. "La Mère !" murmure-t-il. "La Mère !..." Il reste indécis... "Moi aussi, j'ai une mère !

Et j'ai tué un fils à une mère !... Pourtant... je veux entrer... revoir cette pièce. Là, il n'y a pas de sang..." Il

donne un coup à la porte, un autre... un autre...

La maîtresse de maison vient ouvrir et entrouvre la porte, une fente... Et en voyant cet homme bouleversé,

méconnaissable, elle jette un cri et essaie de refermer. Mais Judas, d'un coup d'épaule, l'ouvre toute grande

et, renversant la femme effrayée, passe outre.

Il court vers la petite porte qui donne sur le Cénacle. Il l'ouvre. Il entre. Un beau soleil entre par les fenêtres

grandes ouvertes. Judas pousse un soupir de soulagement. Il entre. Ici, tout est calme et silencieux. La

vaisselle est encore comme on l'a laissée. On comprend que pour le moment, personne ne s'en est occupé. On

pourrait croire qu'on va se mettre à table.

Judas va vers la table. Il regarde s'il y a du vin dans les amphores. Il y en a. Il boit avidement à l'amphore

elle-même qu'il soulève à deux mains. Puis il se laisse tomber assis et appuie sa tête sur ses bras croisés sur

la table. Il ne s'aperçoit pas qu'il est assis justement à la place de Jésus et qu'il a devant lui le calice qui a

servi pour l'Eucharistie. Il s'arrête un moment jusqu'à ce que s'apaise l'essoufflement causé par sa longue

course. Puis il lève la tête et voit le calice, et il reconnaît où il s'est assis.

Il se lève comme possédé. Mais le calice le fascine. Il y a encore au fond un peu de vin rouge et le soleil, en

frappant le métal (qui paraît de l'argent) fait briller ce liquide. "Du sang ! Du sang ! Du sang ici aussi ! Son

Sang ! Son Sang !..." Faites cela en mémoire de Moi !... Prenez et buvez. Ceci est mon Sang... Le Sang du

nouveau testament qui sera versé pour vous..." Ah ! Maudit que je suis ! Pour moi il ne peut plus être versé

pour la rémission de mon péché. Je ne demande pas pardon car Lui ne peut me pardonner. Hors d'ici ! Hors

d'ici ! Il n'y a plus d'endroit où le Caïn de Dieu puisse connaître le repos. À mort ! À mort !..."

703


Il sort. Il se trouve en face de Marie, debout à la porte de la pièce où Jésus l'a quittée. Elle, entendant du

bruit, s'est montrée espérant peut-être voir Jean qui est absent depuis tant d'heures. Elle est pâle comme si

elle avait perdu son sang. Elle a des yeux que la douleur rend encore plus semblables à ceux de son Fils.

Judas rencontre ce regard qui le regarde avec la même connaissance affligée et consciente dont Jésus l'a

regardé en route, et avec un "Oh !" effrayé il s'adosse au mur.

"Judas !" dit Marie, "Judas, qu'es-tu venu faire ?" Les paroles mêmes de Jésus, et dites avec un amour

douloureux. Judas s'en souvient et pousse un cri.

"Judas" répète Marie "qu'as-tu fait ? À tant d'amour tu as répondu en trahissant ?" La voix de Marie est une

caresse tremblante.

Judas va s'échapper. Marie l'appelle d'une voix qui aurait dû convertir un démon. "Judas ! Judas ! Arrête-toi !

Arrête-toi ! Écoute ! Je te le dis en son nom : repens-toi, Judas. Lui pardonne..." Judas s'est enfui. La voix de

Marie, son aspect ont été le coup de grâce, ou plutôt de disgrâce car il résiste.

Il s'en va précipitamment. Il rencontre Jean qui accourt vers la maison pour prendre Marie. La sentence est

prononcée. Jésus va aller au Calvaire. C'est le moment de conduire la Mère à son Fils. Jean reconnaît Judas,

bien qu'il reste bien peu du beau Judas d'il y a peu de temps. "Toi ici ?" lui dit Jean avec un dégoût visible.

"Toi ici ? Malédiction à toi, meurtrier du Fils de Dieu ! Le Maître est condamné. Réjouis-toi, si tu le peux,

mais dégage le chemin. Je vais prendre la Mère. Qu'elle, ton autre Victime, ne te rencontre pas, reptile."

Judas s'enfuit. Il s'est enveloppé la tête dans les lambeaux de son manteau en laissant seulement une fente

pour les yeux. Les gens, le peu de gens qui ne sont pas vers le Prétoire, l'évitent comme s'ils voyaient un fou.

Et il semble tel.

704


Il erre à travers la campagne. Le vent apporte de temps à autre un écho de la clameur qui vient de la foule qui

suit Jésus en Lui adressant des imprécations. Chaque fois qu'un pareil écho arrive à Judas, il hurle comme un

chacal.

Je crois qu'il est réellement devenu fou car il cogne la tête rythrniquement contre les murets de pierre. Ou

bien il est devenu hydrophobe parce que, quand il voit un liquide quelconque : eau, lait porté par un enfant

dans un récipient, de l'huile qui coule d'une outre, il hurle, il hurle et crie : "Du sang ! Du sang ! Son Sang !"

Il voudrait boire aux ruisseaux et aux fontaines. Il ne le peut car l'eau lui paraît du sang et il le dit : "C'est du

sang ! C'est du sang ! Il me noie ! Il me brûle ! J'ai le feu ! Son Sang, qu'il m'a donné hier, est devenu du feu

en moi ! Malédiction à moi et à Toi !"

Il monte et descend les collines qui entourent Jérusalem. Et son œil, irrésistiblement, va au Golgotha. Et par

deux fois il voit de loin le cortège qui monte en serpentant la côte, il regarde et pousse un cri.

Le voilà au sommet. Judas aussi est au sommet d'une petite colline couverte d'oliviers. Il y est pénétré en

ouvrant une fermeture rustique comme s'il en était le maître ou pour le moins très habitué. J'ai l'impression

que Judas ne se souciait pas beaucoup de la propriété d'autrui. Debout sous un olivier à l'extrémité d'un talus,

il regarde vers le Golgotha. Il voit se dresser les croix et il comprend que Jésus est crucifié. Il ne peut voir ou

entendre, mais le délire ou un maléfice de Satan lui font voir et entendre comme s'il était au sommet du

Calvaire.

Il regarde, regarde comme halluciné. Il se débat : "Non ! Non ! Ne me regarde pas ! Ne me parle pas ! Je ne

le supporte pas. Meurs, meurs, maudit ! Que la mort ferme ces yeux qui me font peur, cette bouche qui me

maudit. Mais moi aussi je te maudis puisque tu ne m'as pas sauvé."

705


Son visage est tellement hagard, qu'on ne peut le regarder. Deux filets de bave descendent de sa bouche

hurlante. La joue mordue est livide et enflée et fait paraître son visage déformé. Les cheveux collés, sa barbe

très noire qui a poussé sur ses joues en ces heures, mettent un bâillon lugubre sur ses joues et son menton.

Les yeux, ensuite !... Ils roulent, ils louchent, ils sont phosphorescents. Des yeux de démon. Il arrache de sa

taille le cordon de grosse laine rouge qui la ceint de trois tours. Il en éprouve la solidité en l'enroulant autour

d'un olivier et en tirant de toutes ses forces. Il résiste. Il est solide. Il choisit un olivier qui se prête à ce qu'il

veut faire. Voilà. Celui qui penche au-delà du talus, avec sa chevelure en désordre, va bien. Il monte sur

l'arbre. Il assure solidement un nœud coulant à une branche des plus robustes et qui pend sur le vide. Il a déjà

fait le nœud coulant. Il regarde une dernière fois vers le Golgotha, puis il enfile la tête dans le nœud coulant.

Maintenant il paraît avoir deux colliers rouges à la base du cou. Il s'assoit sur le talus puis d'un coup se laisse

glisser dans le vide.

Le nœud le serre. Il se débat quelques minutes. Ses yeux chavirent, l'asphyxie le rend noir, il ouvre la

bouche, les veines du cou se gonflent et deviennent noires. Il envoie quatre ou cinq coups de pieds dans l'air,

dans les dernières convulsions. Puis la bouche s'ouvre et la langue pend noire et baveuse, les globes oculaires

ouverts sortent de la tête montrant le blanc de l'œil injecté de sang, l'iris disparaît vers le haut. Il est mort. Le

vent fort, qui s'est levé avant l'orage imminent, balance le macabre pendule et le fait tourner comme une

horrible araignée suspendue au fil de sa toile.

706


Mort de Judas

3 Or, Judas, qui l’avait livré,

Le voyant condamné, voulut se repentir

Et il retourna aux grands prêtres et aux anciens

Les trente pièces d’argent, 4 il dit : “ J’ai péché,

J’ai livré un sang innocent. ” Ils répondirent :

“ Que nous importe ? À toi de voir ! ” 5 Ayant jeté

L’argent dans le Sanctuaire, il se retira,

Il alla se prendre. 6 Alors ayant pris l’argent,

Les grands prêtres dirent ceci : “ Il n’est pas permis

De le mettre dans le Trésor, car c’est le prix

Du sang ”. Ils tinrent conseil et achetèrent le Champ

Du potier avec cela, pour la sépulture

Des étrangers. 8 Aussi ce champ s’est appelé :

“ Champ du sang ” jusqu’à ce jour.

9 Alors s’accomplit

Ce qu’avait annoncé Jérémie, le prophète

Quand il dit (ceci) : ils ont pris les trente pièces

D’argent, prix de celui qui était mis à prix,

Qu’ont apprécié des fils d’Israël, 10 ils les ont

Données pour le Champ du Potier, selon ce que

M’a prescrit le Seigneur ”. (…). [ - - - - - - ]

707


Le chemin de croix

Après sa condamnation, Jésus reste ainsi, gardé par les soldats attendant la croix, pas plus d'une demi-heure,

peut-être encore moins aussi. Puis Longin, chargé de présider l'exécution, donne ses ordres.

Mais avant que Jésus soit conduit dehors, sur le chemin, pour recevoir la croix et se mettre en marche,

Longin l'a regardé deux ou trois fois avec une curiosité déjà nuancée de compassion et, avec le coup d'œil de

quelqu'un habitué à certaines choses, il s'approche de Jésus avec un soldat et Lui offre pour le désaltérer une

coupe de vin, je crois, car il coule d'une vraie gourde militaire un liquide d'un blond rosé clair. "Cela te fera

du bien. Tu dois avoir soif et dehors, il y a du soleil, et la route est longue."

Mais Jésus répond : "Que Dieu te récompense de ta pitié, mais ne te prive pas."

"Mais moi, je suis sain et fort. ..Toi... Je ne me prive pas... Et puis volontiers je le ferais dans ce cas pour te

réconforter... Une gorgée... pour me montrer que tu ne hais pas les païens."

Jésus ne refuse plus et boit une gorgée de la boisson. Il a les mains déjà déliées, comme il n'a plus le roseau

ni la chlamyde et il peut le faire Lui-même. Ensuite il refuse, bien que la boisson fraîche et bonne devrait

soulager la fièvre qui déjà se manifeste dans les traces rouges qui s'allument sur ses joues pâles et sur ses

lèvres sèches et gercées.

"Prends, prends. C'est de l'eau et du miel. Cela soutient, désaltère... Tu me fais pitié... oui... pitié... Ce n'était

pas Toi qu'il fallait tuer d'entre les hébreux... Hélas !... Moi, je ne te hais pas... et je chercherai à ne te faire

souffrir que le nécessaire."

708


Mais Jésus ne recommence pas à boire... Il a vraiment soif... La soif terrible de ceux qui ont perdu du sang et

des fiévreux... Il sait que ce n'est pas une boisson narcotinisée et il boirait volontiers. Mais il ne veut pas

moins souffrir. Mais je comprends, comme je comprends ce que je dis grâce à une lumière intérieure que,

plus que l'eau au miel, le réconforte la pitié du Romain.

"Que Dieu te rende en bénédictions ce soulagement" dit-il ensuite. Et il a encore un sourire... un sourire

déchirant avec sa bouche enflée, blessée, qu'il remue difficilement aussi parce que entre le nez et la

pommette droite est fortement enflée la forte contusion du coup de bâton qu'il a reçu dans la cour intérieure

après la flagellation.

Arrivent les deux larrons encadrés chacun par une décurie de soldats. C'est l'heure de partir. Longin donne

les derniers ordres.

Une centurie est disposée sur deux rangs distants de trois mètres l'un de l'autre, et elle sort ainsi sur la place

où une autre centurie a formé un carré pour repousser la foule afin qu'elle ne gêne pas le cortège. Sur la

petite place, se trouvent déjà des hommes à cheval : une décurie de cavalerie avec un jeune gradé qui les

commande et avec les enseignes. Un soldat à pied tient par la bride le cheval moreau du centurion. Longin

monte en selle et va à sa place à deux mètres en avant des onze cavaliers.

On apporte les croix : celles des deux larrons sont plus courtes. Celle de Jésus est beaucoup plus longue. Je

dis que la pièce verticale n'a pas moins de quatre mètres. Je la vois apportée déjà formée.

J'ai lu à ce sujet, quand je lisais... c'est-à-dire il y a des années, que la croix fut formée en haut du Golgotha

et que le long du chemin les condamnés portaient seulement les deux poteaux sur leurs épaules. C'est

possible, mais moi, je vois une vraie croix bien formée, solide, avec les bras parfaitement encastrés dans la

pièce principale et bien renforcée par des clous et des boulons. En fait, si on réfléchit qu'elle était destinée à

709


soutenir le poids appréciable qu'est le corps d'un adulte et à le soutenir même dans les convulsions finales,

appréciables aussi, on comprend qu'elle ne pouvait être montée sur le sommet étroit et incommode du

Calvaire.

Avant de donner la croix à Jésus, on Lui passe au cou l'écriteau avec la mention "Jésus le Nazaréen Roi des

Juifs". La corde qui le soutient s'emmêle dans la couronne qui se déplace et griffe là où il n'y a pas déjà de

griffures et pénètre en de nouveaux points en donnant une douleur nouvelle et en faisant de nouveau couler

du sang. Les gens rient d'une joie sadique, insultent, blasphèment.

Maintenant ils sont prêts, et Longin donne l'ordre de marche : "D'abord le Nazaréen, derrière les deux larrons

; une décurie autour de chacun, les sept autres décuries sur les ailes et comme renfort, et le responsable sera

le soldat qui fait frapper à mort les condamnés."

Jésus descend les trois marches qui amènent du vestibule sur la place. Et il apparaît tout de suite avec

évidence que Jésus est dans des conditions de grande faiblesse. Il vacille en descendant les trois marches,

gêné par la croix qui repose sur son épaule toute écorchée, par l'écriteau qui se déplace devant Lui et dont la

corde scie le cou, par les balancements qu'imprimé au corps la longue pièce de la croix qui saute sur les

marches et sur les aspérités du sol.

Les juifs rient de le voir comme un homme ivre qui tâtonne et ils crient aux soldats : "Poussez-le. Faites-le

tomber. Dans la poussière le blasphémateur !"

Mais les soldats font seulement ce qu'ils doivent faire, c'est-à-dire ordonnent au Condamné de se mettre au

milieu du chemin et de marcher. Longin éperonne son cheval et le cortège se met lentement en mouvement.

Longin voudrait aussi faire vite en prenant le chemin le plus court pour aller au Golgotha car il n'est pas sûr

de la résistance du Condamné. Mais la pègre déchaînée - et l'appeler ainsi, c'est encore un honneur - ne veut

710


pas de cela. Ceux qui ont été les plus rusés sont déjà en avant, au carrefour où la route bifurque pour aller

d'un côté vers les murs, de l'autre vers la ville. Ils s'agitent, crient quand ils voient Longin prendre la

direction des murs. "Tu ne dois pas ! Tu ne dois pas ! C'est illégal ! La Loi dit que les condamnés doivent

être vus par la ville où ils ont péché !" Les juifs, qui sont à la queue du cortège, comprennent que par-devant

on essaie de les frustrer d'un droit et ils unissent leurs cris à ceux de leurs collègues.

Par amour de la paix, Longin prend la route qui va vers la ville et en parcourt un tronçon. Mais il fait signe

aussi à un décurion de venir près de lui (je dis décurion parce que c'est un gradé mais c'est peut-être

quelqu'un que nous appellerions son officier d'ordonnance) et il lui dit doucement quelque chose. Celui-ci

revient en arrière au trot, et à mesure qu'il rejoint le chef de chaque décurie il transmet l'ordre. Ensuite il

revient vers Longin pour dire que c'est fait. Enfin il rejoint sa place primitive dans le rang derrière Longin.

Jésus avance haletant. Chaque trou de la route est un piège pour son pied qui vacille et une torture pour ses

épaules écorchées, pour sa tête couronnée d'épines sur laquelle descend à pic un soleil exagérément chaud

qui de temps à autre se cache derrière un rideau de nuages de plomb, mais qui, même caché, ne cesse pas de

brûler. Jésus est congestionné par la fatigue, par la fièvre et par la chaleur. Je pense que même la lumière et

les cris doivent le tourmenter. Et s'il ne peut se boucher les oreilles pour ne pas entendre ces cris déchaînés,

il ferme à demi les yeux pour ne pas voir la route éblouissante de soleil... Mais il doit aussi les rouvrir parce

qu'il bute contre les pierres et contre les trous et chaque fois qu'il bute, c'est une douleur car il remue

brusquement la croix qui heurte la couronne, qui se déplace sur l'épaule écorchée, élargit la plaie et

augmente la douleur.

Les juifs ne peuvent plus le frapper directement ; mais il arrive encore quelques pierres et quelques coups de

bâton, les premières spécialement dans les petites places remplies par la foule, les seconds au contraire dans

les tournants, dans les petites rues où l'on monte et descend des marches tantôt une, tantôt trois, tantôt

davantage, à cause des dénivellations continuelles de la ville. Là, nécessairement, le cortège ralentit et il y a

toujours quelque volontaire qui défie les lances romaines pour donner un nouveau coup au chef-d'œuvre de

torture qu'est désormais Jésus.

711


Les soldats le défendent comme ils peuvent. Mais même en le défendant ils le frappent parce que les longs

manches des lances, brandies en aussi peu d'espace, le heurtent et le font buter. Mais arrivés à un certain

point les soldats font une manœuvre impeccable et, malgré les cris et les menaces, le cortège dévie

brusquement par un chemin qui va directement vers les murs, en descendant, un chemin qui abrège beaucoup

la route vers le lieu du supplice.

Jésus halète toujours plus. La sueur coule sur son visage en même temps que le sang qui coule des blessures

de la couronne d'épines. La poussière se colle sur ce visage trempé et le maculent de taches étranges, car il y

a aussi du vent maintenant. Des coups de vent syncopés à longs intervalles où retombe la poussière que la

foule a élevée en tourbillons, qui amènent des détritus dans les yeux et dans la gorge.

À la Porte Judiciaire sont déjà entassés quantité de gens, ceux qui, prévoyants, se sont choisis de bonne

heure une bonne place pour voir. Mais un peu avant d'y arriver, Jésus a déjà failli tomber. Seule la prompte

intervention d'un soldat, sur lequel Lui va presque tomber, empêche Jésus d'aller par terre. La populace rit et

crie : "Laissez-le ! Il disait à tous : "Levez-vous". Qu'il se lève Lui, maintenant..."

Au-delà de la porte, il y a un torrent et un petit pont. Nouvelle fatigue pour Jésus d'aller sur ces planches

disjointes sur lesquelles rebondit plus fortement le long bois de la croix. Et nouvelle mine de projectiles pour

les Juifs. Les pierres du torrent volent et frappent le pauvre Martyr...

Alors commence la montée du Calvaire. Un chemin nu, sans un brin d'ombre, avec des pierres disjointes, qui

attaque directement la montée.

Jésus éprouve donc une douleur aiguë dans la montée et avec le poids de la croix qui, longue comme elle est,

doit être très lourde.

712


Il trouve une pierre qui dépasse et, épuisé comme il l'est, il lève trop peu le pied, il bute et tombe sur le

genou droit réussissant pourtant à se relever à l'aide de la main gauche. La foule pousse des cris de joie... Il

se relève, il avance de plus en plus courbé et haletant, congestionné, fiévreux...

L'écriteau, qui cahote devant Lui, Lui gêne la vue et son long vêtement, maintenant qu'il avance courbé,

traîne par terre par devant et gêne sa marche. Il bute de nouveau et tombe sur les deux genoux, en se blessant

de nouveau là où il est déjà blessé, et .la croix qui échappe de ses mains et tombe, après Lui avoir frappé

fortement le dos, l'oblige à se pencher pour la relever et à peiner pour la mettre de nouveau sur ses épaules.

Pendant qu'il le fait on voit nettement sur son épaule droite la plaie faite par le frottement de la croix, qui a

ouvert les plaies nombreuses de la flagellation et en a fait une seule qui transsude de l'eau et du sang, de

sorte que la tunique est toute tachée à cet endroit. Les gens applaudissent même, heureux de ces chutes si

mauvaises.

Longin incite à se hâter, et les soldats, à coups de plat de dague, invitent le pauvre Jésus à avancer. On

reprend la marche avec une lenteur de plus en plus grande malgré tous les efforts.

Jésus semble tout à fait ivre tant sa marche est chancelante et il heurte tantôt l'un tantôt l'autre des deux rangs

de soldats, occupant toute la route. Les gens le remarquent et crient : "Sa doctrine Lui est montée à la tête.

Vois, vois comme il titube !" Et d'autres, qui ne sont pas du peuple, mais des prêtres et des scribes, ricanent :

"Non ! Ce sont les festins dans la maison de Lazare qui encore Lui montent à la tête. Ils étaient bons ?

Maintenant mange notre nourriture..." et d'autres phrases semblables.

Longin, qui se tourne de temps en temps, a pitié et commande une halte de quelques minutes. Et il est

tellement insulté par la populace que le centurion ordonne aux troupes de charger. Et la foule lâche, devant

les lances qui brillent et menacent, s'éloigne en criant et en descendant ça et là sur la montagne.

713


C'est ici que je revois sortir de derrière des décombres, peut-être de quelque muret éboulé, le petit groupe des

bergers. Désolés, bouleversés, poussiéreux, déchirés, ils appellent à eux le Maître par la force de leurs

regards. Et Lui tourne la tête, les voit... Il les fixe comme si c'était des visages d'anges, paraît se désaltérer et

se fortifier de leurs pleurs, et il sourit... On redonne l'ordre d'avancer et Jésus passe juste devant eux et

entend leurs pleurs angoissés. Il tourne avec difficulté la tête de sous le joug de la croix et leur sourit de

nouveau...

Ses réconforts... Dix visages... Une halte sous le soleil brûlant...

Et puis, tout de suite, la douleur de la troisième chute complète. Et cette fois, ce n'est pas qu'il bute. Mais il

tombe par un soudain fléchissement de ses forces, par une syncope. Il s'allonge en se frappant le visage sur

les pierres disjointes, restant dans la poussière, sous la croix retombée sur Lui. Les soldats essaient de le

relever. Mais comme il paraît mort, ils vont le rapporter au centurion. Pendant qu'ils vont et viennent Jésus

revient à Lui, et lentement, avec l'aide de deux soldats dont l'un relève la croix et l'autre aide le Condamné à

se mettre debout, il reprend sa place. Mais il est vraiment épuisé.

"Arrangez-vous pour qu'il ne meure que sur la croix !" crie la foule.

"Si vous le faites mourir avant, vous en répondrez au Proconsul, souvenez-vous-en. Le coupable doit arriver

vivant au supplice." disent les chefs des scribes aux soldats.

Ceux-ci les foudroient de leurs regards féroces mais, par discipline, ne parlent pas.

Longin, cependant, a la même peur que les juifs que le Christ meure en route et il ne veut pas avoir d'ennuis.

Sans avoir besoin que quelqu'un le lui rappelle, il sait quel est son devoir de préposé à l'exécution et il y

pourvoit. Il y pourvoit en désorientant les juifs qui sont déjà accourus en avant par la route qu'ils ont rejointe

de tous les côtés de la montagne en suant, en se griffant pour passer à travers les buissons rares et épineux du

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mont aride et brûlé, en tombant sur les détritus qui l'encombrent comme si c'était un lieu de déblai pour

Jérusalem, sans sentir d'autre peine que celle de perdre un halètement du Martyr, un de ses regards

douloureux, un geste même involontaire de souffrance, et sans d'autre peur que celle de ne pas arriver à avoir

une bonne place. Longin donne donc l'ordre de prendre le chemin le plus long qui monte en lacets au

sommet et qui pour cela est beaucoup moins rapide.

Il semble que ce soit un sentier qui, à force d'être parcouru, soit devenu un chemin suffisamment pratique.

Ce croisement de chemin avec l'autre arrive environ à moitié de la montagne. Mais je vois que plus haut, par

quatre fois, la route directe se trouve coupée par celle qui monte avec beaucoup moins de pente et qui par

compensation est beaucoup plus longue. Et sur cette route, il y a des gens qui montent mais qui ne

participent pas à l'indigne chahut des obsédés qui suivent Jésus pour jouir de ses tourments : des femmes

pour la plupart, en pleurs et voilées, et quelques petits groupes d'hommes très peu nombreux en vérité, plus

en avant de beaucoup que les femmes, qui vont disparaître à la vue quand, en continuant, le chemin fait le

tour de la montagne. Ici le Calvaire a une sorte de pointe faite en museau d'un côté alors que de l'autre elle

tombe à pic. Les hommes disparaissent derrière la pointe rocheuse et je les perds de vue.

Les gens qui suivaient Jésus hurlent de rage. C'était plus beau, pour eux, de le voir tomber. Avec des

imprécations obscènes au Condamné et à ceux qui le conduisent, ils se mettent en partie à suivre le cortège

judiciaire et en partie montent presque en courant par la route rapide pour se dédommager de leur déception

par une excellente place sur le sommet.

Les femmes, qui s'avancent en pleurant, se retournent en entendant les cris, et voient que le cortège tourne de

ce côté. Elles s'arrêtent alors en s'adossant au mont, craignant d'être jetées en bas par les juifs violents. Elles

abaissent encore plus leurs voiles sur leurs visages et il y en a une qui est complètement voilée comme une

musulmane, ne laissant libres que ses yeux très noirs. Elles sont vêtues très richement et ont pour les

défendre un vieil homme robuste dont, enveloppé dans son manteau comme il l'est, je ne distingue pas le

visage. Je ne vois que sa longue barbe plutôt blanche que noire qui sort de son manteau foncé.

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Quand Jésus arrive à leur hauteur elles sanglotent plus fort et se courbent en profondes salutations. Puis elles

s'avancent résolument. Les soldats voudraient les repousser avec leurs lances, mais celle qui est couverte

comme une musulmane écarte un instant son voile devant l'enseigne arrivé à cheval pour voir ce que c'est

que ce nouvel obstacle, et il donne l'ordre de la faire passer. Je ne puis voir son visage ni son vêtement, car

elle a déplacé son voile avec la rapidité d'un éclair et son habit est complètement caché par un manteau qui

arrive jusqu'à terre, lourd, fermé complètement par une série de boucles. La main, qui pour un instant sort de

dessous pour déplacer le voile, est blanche et belle, et c'est avec ses yeux noirs l'unique chose que l'on voit

de cette grande matrone certainement influente puisque l'officier de Longin lui obéit ainsi.

Elles s'approchent de Jésus en pleurant et s'agenouillent à ses pieds pendant que Lui s'arrête haletant... et

pourtant il sait encore sourire à ces pieuses femmes et à l'homme qui les escorte qui se découvre pour

montrer qu'il est Jonathas. Mais celui-ci, les gardes ne le font pas passer, seulement les femmes. L'une d'elles

est Jeanne de Chouza. Elle est plus défaite que quand elle était mourante. De rouge, elle n'a que les traces de

ses pleurs et puis c'est tout un visage de neige avec ses doux yeux noirs qui, ainsi brouillés comme ils le sont,

sont devenus d'un violet foncé comme certaines fleurs. Elle a dans les mains une amphore d'argent et l'offre

à Jésus, mais Lui refuse. D'ailleurs son essoufflement est si grand qu'il ne pourrait même pas boire. De la

main gauche, il s'essuie la sueur et le sang qui Lui tombe dans les yeux, qui, coulant le long de ses joues

rouges et de son cou par les veines gonflées dans le battement essoufflé du cœur, trempe tout son vêtement

sur la poitrine.

Une autre femme, qui a près d'elle une jeune servante avec un coffret dans les bras, l'ouvre, en tire un linge

de lin très blanc, carré, et l'offre au Rédempteur. Il l'accepte et comme il ne peut avec une seule main le faire

par Lui-même, la femme pleine de pitié l'aide, en faisant attention de ne pas heurter la couronne, à le poser

sur son visage. Jésus presse le linge frais sur son pauvre visage et l'y tient comme s'il trouvait un grand

réconfort. Puis il rend le linge et parle : "Merci Jeanne, merci Nique... Sara... Marcella... Élise... Lidia...

Anne... Valeria... et toi... Mais... ne pleurez pas... sur Moi... filles de... Jérusalem... mais sur les péchés... les

vôtres et ceux... de votre ville... Bénis... Jeanne... de n'avoir...plus d'enfants... Vois... c'est une pitié de Dieu...

de ne pas... de ne pas avoir d'enfants... car... ils souffrent de... cela. Et toi aussi... Élisabeth... Mieux... comme

cela a été... que parmi les déicides... Et vous... mères... pleurez sur... vos fils, car... cette heure ne passera

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pas... sans châtiment... Et quel châtiment, s'il en est ainsi pour,.. l'Innocent... Vous pleurerez alors... d'avoir

conçu... allaité et... d'avoir encore... vos fils... Les mères... de ce moment-là... pleureront parce que... en

vérité, je vous le dis... qu'il sera heureux... celui qui alors... tombera... sous les décombres... le premier. Je

vous bénis... Allez... à la maison... priez... pour Moi. Adieu, Jonathas... éloigne-les..."

Et au milieu d'un cri aigu de pleurs féminins et d'imprécations juives, Jésus se remet en marche.

Jésus est de nouveau trempé de sueur. Les soldats aussi suent et les deux autres condamnés, car le soleil de

ce jour d'orage est brûlant comme la flamme et le flanc de la montagne devenu brûlant lui aussi s'ajoute à la

chaleur du soleil. Que devait être l'effet de ce soleil sur le vêtement de laine de Jésus, en contact avec les

blessures des fouets, il est facile de l'imaginer et d'en être horrifié... Mais Lui ne profère pas une plainte.

Seulement, bien que la route soit beaucoup moins rapide et n'ait pas ces pierres disjointes, si dangereuses

pour son pied qui traîne maintenant, Jésus titube toujours plus fort, allant heurter un rang de soldats puis le

rang opposé, et fléchissant de plus en plus vers la terre.

Ils pensent supprimer cet inconvénient en Lui passant une corde à la taille et en la tenant par les deux bouts

comme si c'étaient des rênes. Oui, cela le soutient, mais ne Lui enlève pas son fardeau. Au contraire, la corde

en heurtant la croix, la déplace continuellement sur l'épaule et la fait frapper la couronne qui désormais a fait

du front de Jésus un tatouage sanglant. De plus, la corde frotte la taille où se trouvent tant de blessures et

certainement doit les ouvrir de nouveau. Aussi la tunique blanche se colore à la taille d'un rosé pâle. Pour

l'aider, ils le font souffrir plus encore.

Le chemin continue, il fait le tour de la montagne, revient presque en avant vers la route rapide. Là se trouve

Marie avec Jean. Je dirais que Jean l'a amenée en cet endroit ombragé, derrière la pente de la montagne, pour

qu'elle se refasse un peu. C'est l'endroit le plus escarpé de la montagne. Il n'y a que ce chemin qui la côtoie.

Au-dessous la côte descend rapidement et au-dessus la pente est aussi forte. À cause de cela les cruels la

négligent. Là il y a de l'ombre, car je dirais que c'est le septentrion, et Marie, adossée comme elle l'est à la

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montagne, est à l'abri du soleil. Elle se tient debout appuyée au flanc de la montagne mais elle est déjà

épuisée. Elle aussi halète, pâle comme une morte dans son vêtement bleu très foncé, presque noir.

Jean la regarde avec une pitié désolée. Lui aussi a perdu toute trace de couleur et il est terreux, avec deux

yeux las et écarquillés, dépeigné, les joues creusées comme s'il avait été malade. Les autres femmes : Marie

et Marthe de Lazare, Marie d'Alphée et de Zébédée, Suzanne de Cana, la maîtresse de la maison et d'autres

encore que je ne connais pas, sont au milieu du chemin et elles regardent si le Sauveur arrive. Ayant vu que

Longin arrive, elles accourent près de Marie pour lui donner la nouvelle. Marie, soutenue par le coude par

Jean, se détache, majestueuse dans sa douleur, de la côte du mont et se met résolument au milieu du chemin,

en ne s'écartant qu'à l'arrivée de Longin qui, du haut de son cheval, regarde la femme pâle et celui qui

l'accompagne, blond, pâle, aux doux yeux de ciel comme elle. Et Longin hoche la tête pendant qu'il la

dépasse suivi des onze cavaliers.

Marie essaie de passer entre les soldats à pied mais ceux-ci, qui ont chaud et sont pressés, cherchent

à la repousser avec leurs lances, d'autant plus que du chemin pavé volent des pierres pour protester

contre tant de pitié. Ce sont encore les juifs qui lancent encore des imprécations à cause de l'arrêt

causé par les pieuses femmes et disent : "Vite ! Demain c'est Pâque. Il faut tout finir avant le soir !

Complices qui méprisez notre Loi ! Oppresseurs ! A mort les envahisseurs et leur Christ ! Ils l'aiment !

Voyez comme ils l'aiment ! Mais prenez-le ! Mettez-le dans votre Ville maudite ! Nous vous le cédons !

Nous n'en voulons pas ! Les charognes aux charognes ! La lèpre aux lépreux !"

Longin se lasse et éperonne son cheval, suivi des dix lanciers, contre la canaille qui l'insulte et qui fuit une

seconde fois. C'est en le faisant qu'il voit une charrette arrêtée, montée certainement des cultures maraîchères

qui sont au pied de la montagne et qui attend avec son chargement de salades que la foule soit passée pour

descendre vers la ville. Je pense qu'un peu de curiosité chez le Cyrénéen et ses fils l'ont fait monter jusque là,

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car il n'était vraiment pas nécessaire pour lui de le faire. Les deux fils, allongés sur le tas de légumes,

regardent et rient après les juifs en fuite. L'homme, de son côté, un homme robuste sur les quarante

cinquante ans, debout près de l'âne qui effrayé veut reculer, regarde attentivement vers le cortège.

Longin le dévisage. Il pense qu'il peut lui être utile et lui ordonne : "Homme, viens ici." Le Cyrénéen fait

semblant de ne pas entendre, mais avec Longin on ne plaisante pas. Il répète l'ordre de telle façon que

l'homme jette les rênes à un de ses fils et s'approche du centurion.

"Tu vois cet homme ?" lui demande-t-il, et en parlant ainsi, il se retourne pour indiquer Jésus et il voit à son

tour Marie qui supplie les soldats de la laisser passer. Il en a pitié et crie : "Faites passer la Femme." Puis il

reprend à parler au Cyrénéen : "Il ne peut plus avancer ainsi chargé. Tu es fort. Prends sa croix et porte-la à

sa place jusqu'à la cime."

"Je ne peux pas... J'ai l'âne... il est rétif... les garçons ne savent pas le retenir."

Mais Longin lui dit : "Va, si tu ne veux pas perdre l'âne et gagner vingt coups comme punition."

Le Cyrénéen n'ose plus réagir. Il crie aux garçons : "Allez vite à la maison et dites que j'arrive tout de suite."

et puis il va vers Jésus.

Il le rejoint juste au moment où Jésus se tourne vers sa Mère que seulement alors il voit venir vers Lui, car il

avance si courbé et les yeux presque fermés comme s'il était aveugle, et il crie : "Maman !"

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C'est la première parole depuis qu'il est torturé qui exprime sa souffrance. Car dans cette parole, il y a la

confession de tout et de toute sa terrible douleur de l'esprit, du moral et de la chair. C'est le cri déchiré et

déchirant d'un enfant qui meurt seul, parmi les argousins et au milieu des pires tortures... et qui arrive à avoir

peur même de sa propre respiration. C'est la plainte d'un enfant qui délire et que déchirent des visions de

cauchemar... Et il veut la mère, la mère parce que seul son frais baiser calme l'ardeur de la fièvre, que sa voix

fait fuir les fantômes, que son embrassement rend la mort moins effrayante...

Marie porte la main à son cœur comme si elle avait reçu un coup de poignard et vacille légèrement, mais elle

se reprend, hâte sa marche et en allant les bras tendus vers son Fils martyrisé, elle crie : "Fils !" Mais elle le dit

d'une telle manière que qui n'a pas un cœur d'hyène le sent se fendre par cette douleur.

Je vois que même parmi les romains il y a un mouvement de pitié... et pourtant ce sont des hommes d'armes

habitués aux tueries, marqués de cicatrices - Mais la parole : "Maman !" et "Fils !" sont toujours les mêmes

et pour tous ceux qui, je le répète, ne sont pas pires que des hyènes, et sont dites et comprises partout, et

soulèvent partout des flots de pitié...

Le Cyrénéen a cette pitié... Il voit que Marie ne peut embrasser son Fils à cause de la croix, et qu'après avoir

tendu les mains, elle les laisse retomber, persuadée de ne pouvoir le faire. Elle le regarde seulement, essayant

de sourire de son sourire martyr, pour le réconforter alors que ses lèvres tremblantes boivent ses larmes. Lui,

tordant la tête de sous le joug de la croix, cherche à son tour à lui sourire et à lui envoyer un baiser avec ses

pauvres lèvres blessées et fendues par les coups et la fièvre. Le Cyrénéen, à ce spectacle, se hâte d'enlever la

croix et il le fait avec la délicatesse d'un père, pour ne pas heurter la couronne et ne pas frotter les plaies.

Mais Marie ne peut baiser son Fils... L'attouchement, même le plus léger, serait une torture sur les chairs

déchirées, et Marie s'en abstient. Et puis... les sentiments les plus saints ont une pudeur profonde et ils

veulent le respect ou du moins la compassion. Ici, c'est la curiosité et surtout le mépris. Se baisent seulement

leurs deux âmes angoissées.

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Le cortège se remet en marche sous la poussée des flots d'un peuple furieux qui les presse, les sépare, en

repoussant la Mère contre la montagne, l'exposant au mépris de tout un peuple... Maintenant, derrière Jésus,

marche le Cyrénéen avec la croix. Et Jésus, libéré de ce fardeau, marche mieux. Il halète fortement, portant

souvent la main à son cœur comme s'il avait une grande douleur, une blessure à la région sterno-cardiaque,

et maintenant qu'il le peut, n'ayant plus les mains liées, il repousse les cheveux tombés en avant, tout gluants

de sang et de sueur, jusque derrière les oreilles, pour sentir l'air sur son visage congestionné, il délace le

cordon du cou qui le fait souffrir quand il respire... Mais sa marche est plus facile.

Marie s'est retirée avec les femmes. Elle suit le cortège une fois qu'il est passé, et ensuite, par un raccourci,

elle se dirige vers le sommet de la montagne défiant les imprécations de la plèbe cannibale. Maintenant que

Jésus est libre, le dernier lacet de la montagne est assez vite parcouru et ils sont proches de la cime toute

remplie d'un peuple qui pousse des cris.

Longin s'arrête et il ordonne que tous, inexorablement, soient repoussés plus bas, pour dégager la cime, lieu

de l'exécution. Une moitié de la centurie exécute l'ordre en accourant sur place et en repoussant sans pitié

tous ceux qui s'y trouvent, en se servant pour cela de leurs dagues et de leurs lances. Sous la grêle des coups

de plat et des bâtons les Juifs de la cime s'enfuient. Et ils voudraient se placer sur l'esplanade qui est audessous.

Mais ceux qui y sont déjà ne cèdent pas et parmi ces gens s'allument des rixes féroces. Ils semblent

tous fous.

Comme je l'ai dit l'an dernier, le Calvaire, à son sommet, a la forme d'un trapèze irrégulier, légèrement plus

haut d'un côté, à partir duquel la montagne descend rapidement pour un peu plus de la moitié de sa hauteur.

Sur cette petite place on a déjà préparé trois trous profonds tapissés de briques ou d'ardoises, creusés exprès,

en somme. Tout près d'eux, il y a des pierres et de la terre prêtes pour butter les croix. D'autres trous, par

contre, ont été laissés pleins de pierres. On comprend qu'ils les vident d'une fois sur l'autre selon le nombre

de ceux qui servent.

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Sous la cime trapézoïdale, du côté où la montagne ne descend pas, il y a une sorte de plate-forme en pente

douce qui forme une seconde petite place. De celle-ci partent deux larges sentiers qui côtoient la cime, de

sorte que celle-ci est isolée et surélevée d'au moins deux mètres de tous les côtés.

Les soldats, qui ont repoussé la foule de la cime, apaisent, à coups persuasifs de lances, les rixes et dégagent

le chemin pour que le cortège puisse passer sans encombre dans le bout de chemin qui reste, et ils restent là à

faire la haie pendant que les trois condamnés, encadrés par les cavaliers et protégés en arrière par l'autre

demi-centurie, arrivent au point où ils doivent s'arrêter : au pied du plancher naturel, surélevé qui forme la

cime du Golgotha.

Pendant que cela arrive, j'aperçois les Marie et un peu en arrière d'elles Jeanne de Chouza avec quatre autres

des dames de tout à l'heure. Les autres se sont retirées et elles doivent l'avoir fait par elles-mêmes car

Jonathas est là, derrière sa maîtresse. Il n'y a plus celle que nous appelons Véronique et que Jésus a appelée

Nique, et sa servante manque aussi et aussi la dame toute voilée à laquelle les soldats obéirent. Je vois

Jeanne, la vieille qu'on appelle Élise, Anne et deux que je ne saurais identifier. Derrière ces femmes et les

Marie, je vois Joseph et Simon d'Alphée, et Alphée de Sara avec le groupe des bergers. Ils ont lutté avec

ceux qui voulaient les repousser en les insultant, et la force de ces hommes, que multiplient leur amour et

leur douleur, s'est montrée si violente qu'ils ont vaincu en se créant un demi-cercle libre contre les juifs

lâches qui n'osent que lancer des cris de mort et tendre leurs poings. Mais rien de plus, car les bâtons des

bergers sont noueux et lourds et la force et l'adresse ne manquent pas à ces preux. Et je ne me trompe pas de

parler ainsi. Il faut un vrai courage pour rester aussi peu nombreux, connus comme Galiléens ou fidèles au

Galiléen, contre toute une population hostile. L'unique point, de tout le Calvaire, où on ne blasphème pas le

Christ !

Le mont, des trois côtés qui descendent en pente douce vers la vallée, n'est qu'une fourmilière. La terre

jaunâtre et nue ne se voit plus, et sous le soleil qui va et vient, paraît un pré fleuri de corolles de toutes les

couleurs tant sont serrés les couvre-chefs et les manteaux des sadiques qui le couvrent. Au-delà du torrent,

sur le chemin, une autre foule au-delà des murs, une autre encore. Sur les terrasses les plus proches, une

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autre. Le reste de la ville nu... vide... silencieux. Tout est ici : tout l'amour et toute la haine. Tout le Silence

qui aime et pardonne, toute la Clameur qui hait et lance des imprécations.

Pendant que les hommes préposés à l'exécution préparent leurs instruments en achevant de vider les trous, et

que les condamnés attendent dans leur carré, les juifs réfugiés dans le coin opposé aux Marie les insultent.

Ils insultent même la Mère : "À mort les Galiléens ! À mort ! Galiléens ! Galiléens ! Maudits ! À mort le

blasphémateur galiléen ! Clouez sur la croix même le sein qui l'a porté ! Loin d'ici les vipères qui enfantent

les démons ! À mort ! Purifiez Israël des femmes qui s'allient au bouc !..."

Longin, qui est descendu de cheval, se tourne et voit la Mère... Il ordonne de faire cesser ce chahut. La

demie-centurie, qui était derrière les condamnés, charge la racaille et désencombre complètement la seconde

petite place, alors que les juifs s'échappent à travers la montagne en s'écrasant les uns les autres. Les onze

cavaliers descendent aussi de cheval et l'un d'eux prend les onze chevaux en plus de celui du centurion et les

mène à l'ombre, derrière la côte de la montagne.

Le centurion se dirige vers la cime. Jeanne de Chouza s'avance, l'arrête. Elle lui donne l'amphore et une

bourse, et puis se retire en pleurant, pour aller vers le coin de la montagne avec les autres.

Là-haut, tout est prêt. On fait monter les condamnés. Jésus passe encore une fois près de la Mère qui pousse

un gémissement qu'elle cherche à freiner en portant son manteau sur sa bouche. Les juges la voient et rient et

se moquent d'elle.

Jean, le doux Jean, qui a un bras derrière les épaules de Marie pour la soutenir, se retourne avec un regard

féroce, son œil en est phosphorescent. S'il ne devait pas protéger les femmes, je crois qu'il prendrait à la

gorge quelqu'un de ces lâches.

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À peine les condamnés sont-ils sur le plateau fatal que les soldats entourent la place de trois côtés. Il ne reste

vide que celui qui surplombe.

Le centurion donne au Cyrénéen l'ordre de s'en aller et il s'en va de mauvaise grâce cette fois et je ne dirais

pas par sadisme, mais par amour, si bien qu'il s'arrête près des galiléens en partageant avec eux les insultes

dont la foule prodigue au petit nombre de fidèles au Christ. Les deux larrons jettent par terre leurs croix en

blasphémant.

Jésus se tait. Le chemin douloureux est terminé.

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Sur le chemin du Calvaire

26 Quand ils l’emmenèrent, ils prirent

Un certain Simon de Cyrène qui revenait

Des champs, et ils le chargèrent de porter la croix

Derrière Jésus. 27 Une nombreuse multitude

Du peuple le suivait, des femmes se frappaient

La poitrine et se lamentaient sur lui.

28 Jésus

Se tournant vers elles dit : "Filles de Jérusalem,

Ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes,

Et sur vos enfants ! 29 Voici que viennent des jours

Où l’on dira : Heureuses les stériles, les ventres

Qui n'ont pas enfanté et les seins qui n’ont pas

Nourri ! 30 Et l’on se mettra à dire aux montagnes :

Tombez donc sur nous ! Et aux collines : couvrez-nous !

31 Car si c'est là ce qu’on fait avec du bois vert,

Qu'en sera-t-il du bois sec ?"

32 On menait aussi

Deux autres malfaiteurs pour être exécutés

Avec lui.

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La Crucifixion

Quatre hommes musclés, qui par leur aspect me paraissent juifs et juifs dignes de la croix plus que les

condamnés, certainement de la même catégorie que les flagellateurs, sautent d'un sentier sur le lieu du

supplice. Ils sont vêtus de tuniques courtes et sans manches et ils ont dans les mains des clous, des marteaux

et les cordes qu'ils montrent aux condamnés en se moquant d'eux. La foule est agitée par un délire cruel.

Le centurion offre à Jésus l'amphore pour qu'il boive la mixture anesthésique du vin myrrhé. Mais Jésus la

refuse. Les deux larrons, au contraire, en boivent une quantité. Puis l'amphore à la bouche largement évasée

est placée près d'une grosse pierre, presque en haut de la cime.

On donne aux condamnés l'ordre de se dévêtir. Les deux larrons le font sans aucune pudeur. Ils s'amusent

même à faire des actes obscènes vers la foule et en particulier vers le groupe sacerdotal tout blanc dans ses

vêtements de lin et qui est revenu tout doucement sur la petite place plus basse, en profitant de sa qualité

pour s'insinuer à cet endroit. Aux prêtres se sont unis deux ou trois pharisiens et d'autres puissants

personnages que la haine rend amis. Et je vois des personnes connues comme le pharisien Giocana et Ismaël,

le scribe Sadoc, Éli de Capharnaüm...

Les bourreaux offrent aux condamnés trois loques pour qu'ils se les attachent à l'aine, et les larrons les

prennent avec les plus horribles blasphèmes. Jésus, qui se déshabille lentement à cause de la douleur des

blessures, la refuse. Il pense peut-être garder les courtes culottes qu'il a gardées même dans la flagellation.

Mais quand on Lui dit de les enlever, il tend la main pour mendier le chiffon aux bourreaux pour cacher sa

nudité. C'est vraiment l'Anéanti jusqu'à devoir demander un chiffon aux criminels.

Mais Marie a vu et elle a enlevé le long et fin linge blanc qui lui voile la tête sous le manteau foncé et dans

lequel elle a déjà versé tant de pleurs. Elle l'enlève sans faire tomber le manteau, le donne à Jean pour qu'il le

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présente à Longin pour son Fils. Le centurion prend le voile sans difficulté. Quand Jésus va se déshabiller

complètement, en se tournant non vers la foule mais vers le côté où il n'y a personne, montrant ainsi son dos

sillonné de bleus et des ampoules saignant par les blessures ouvertes ou les croûtes sombres, Longin Lui

présente le voile maternel. Jésus le reconnaît. Il s'en enveloppe en lui faisant faire plusieurs fois le tour du

bassin en le fixant bien pour qu'il ne tombe pas... Et sur le lin baigné seulement jusqu'alors de pleurs,

tombent les premières gouttes de sang, car de nombreuses blessures à peine couvertes de sang coagulé,

quand il se baisse pour enlever ses sandales et déposer ses vêtements, se sont rouvertes, et le sang

recommence à couler.

Maintenant Jésus se tourne vers la foule, et on voit ainsi que la poitrine aussi, les bras, les jambes ont été

toutes frappées par les fouets. À la hauteur du foie il y a un énorme bleu et sous l'arc costal gauche il y a sept

traces en relief, terminées par sept petites déchirures sanglantes à l'intérieur d'un cercle violacé... un coup

féroce de fouet dans cette région si sensible du diaphragme. Les genoux, contusionnés par les chutes répétées

qui ont commencé tout de suite après sa capture et se sont terminées sur le Calvaire, sont noirs d'hématomes

et ouverts sur la rotule, spécialement le genou droit, en une vaste déchirure sanglante.

La foule le méprise en formant une sorte de chœur : "Oh ! Beau ! Le plus beau des enfants des hommes ! Les

filles de Jérusalem t'adorent..." Et elle entonne sur le ton d'un psaume : "Mon aimé est candide et rubicond,

distingué entre mille et mille. Sa tête est d'or pur, ses cheveux des grappes de palmier, soyeux comme la

plume du corbeau. Ses yeux sont comme deux colombes qui se baignent dans des ruisseaux non pas d'eau

mais de lait, dans le lait de son orbite. Ses joues sont des parterres d'aromates, ses lèvres pourpres sont des

lys qui ruissellent une myrrhe précieuse. Ses mains sont faites comme un travail d'orfèvre, terminées en

jacinthe rosé. Son tronc est de l'ivoire veiné de saphir. Ses jambes sont des colonnes parfaites, de marbre

blanc sur des bases d'or. Sa majesté est comme celle du Liban, il est plus majestueux que le cèdre élevé. Sa

langue est imprégnée de douceur et lui n'est que délices." et ils rient et crient aussi : "Le lépreux ! Le

lépreux ! Tu as donc forniqué avec une idole si Dieu t'a ainsi frappé ? Tu as murmuré contre les saints

d'Israël comme Marie de Moïse, si tu as été ainsi puni ? Oh ! Oh ! le Parfait ! Tu es le Fils de Dieu ? Mais

non ! Tu es l'avorton de Satan ! Lui, au moins, Mammon est puissant et fort. Toi... tu es une loque

impuissante et dégoûtante."

727


Les larrons sont attachés sur les croix et amenés à leurs places, l'un à droite, l'autre à gauche par rapport à

celle destinée à Jésus. Ils poussent des cris, des imprécations, des malédictions et surtout lorsque les croix

sont portées près du trou et les secouent, alors que leurs poignets sont sciés par les cordes, leurs blasphèmes

contre Dieu, contre la Loi, les Romains et les Juifs sont infernaux.

C'est le tour de Jésus. Doux il s'allonge sur le bois. Les deux larrons étaient tellement rebelles, que n'arrivant

pas à le faire, les quatre bourreaux avaient dû demander l'intervention des soldats pour les tenir, pour qu'à

coups de pieds ils ne repoussent pas les argousins qui les attachaient par les poignets. Mais pour Jésus, il

n'est pas besoin d'aide. Il se couche et met la tête où on Lui dit de la mettre. Il ouvre les bras comme on Lui

dit de le faire, allonge les jambes comme on le Lui ordonne. Il s'occupe seulement de bien ajuster son voile.

Maintenant son long corps, mince et blanc, se détache sur le bois sombre et le sol jaunâtre. Deux bourreaux

s'assoient sur la poitrine pour la tenir immobile. Et je pense à l'oppression et à la souffrance qu'il doit avoir

ressenties sous ce poids. Un troisième Lui prend le bras droit en le tenant d'une main à la première partie de

l'avant-bras et de l'autre au bout des doigts. Le quatrième, qui a déjà dans les mains le long clou dont la tige

quadrangulaire est en pointe, se termine en une plaque arrondie et plate, large comme un sou d'autrefois,

regarde si le trou déjà fait dans le bois correspond à la jointure radio-ulnaire du poignet. Il va bien. Le

bourreau applique la pointe du clou au poignet, lève le marteau et donne le premier coup.

Jésus, qui avait les yeux fermés, pousse un cri et a une contraction à la suite de la douleur aiguë et ouvre les

yeux qui nagent dans les larmes. Ce doit être une douleur atroce qu'il éprouve... Le clou pénètre en rompant

les muscles, les veines, les nerfs, en brisant les os...

Marie répond au cri de son Fils torturé par un gémissement qui a quelque chose de la plainte d'un agneau

qu'on égorge, et elle se courbe, comme brisée, en tenant sa tête dans ses mains. Jésus pour ne pas la torturer

ne crie plus. Mais les coups sont là, méthodiques, âpres, du fer contre le fer... et on pense que dessous c'est

un membre vivant qui les reçoit.

728


La main droite est clouée. On passe à la gauche. Le trou ne correspond pas au carpe. Alors ils prennent une

corde, lient le poignet gauche et tirent jusqu'à déboîter la jointure et arracher les tendons et les muscles sans

compter qu'ils déchirent la peau déjà sciée par les cordes de la capture. L'autre main aussi doit souffrir car

elle est étirée par contrecoup et autour de son clou le trou s'élargit. Maintenant on arrive à peine au

commencement du métacarpe, près du poignet. Ils se résignent et ils clouent où ils peuvent, c'est-à-dire entre

le pouce et les autres doigts, exactement au centre du métacarpe. Là le clou entre plus facilement, mais avec

une plus grande souffrance car il doit couper des nerfs importants, si bien que les doigts restent inertes alors

que ceux de la main droite ont des contractions et des tremblements qui indiquent leur vitalité. Mais Jésus ne

crie plus, il pousse seulement une plainte rauque derrière ses lèvres fortement fermées, et des larmes de

douleur tombent par terre après être tombées sur le bois.

Maintenant c'est le tour des pieds. À deux mètres et plus de l'extrémité de la croix il y a un petit coin, à peine

suffisant pour un pied. On y porte les pieds pour voir si la mesure est bonne, et comme il est un peu bas, et

que les pieds arrivent difficilement, on étire par les chevilles le pauvre Martyr. Le bois rêche de la croix

frotte ainsi sur les blessures, déplace la couronne qui ainsi arrache de nouveaux cheveux et menace de

tomber. Un bourreau, d'un coup de poing, la remet en place...

Maintenant ceux qui étaient assis sur la poitrine de Jésus se lèvent pour se placer sur les genoux, car Jésus a

un mouvement involontaire pour retirer ses jambes en voyant briller au soleil le clou très long qui, en

longueur et en largeur est le double de ceux qui ont servi pour les mains. Et ils pèsent sur les genoux

écorchés, et pressent les pauvres jambes couvertes de contusions pendant que les deux autres accomplissent

le travail, beaucoup plus difficile de clouer un pied sur l'autre, en cherchant à combiner ensemble les deux

jointures des tarses.

Bien qu'ils s'appliquent à tenir les pieds immobiles à la cheville et aux dix doigts, contre le coin, le pied qui

est dessous se déplace à cause de la vibration du clou, et ils doivent le déclouer presque parce qu'après être

entré dans les parties molles, le clou, déjà épointé pour avoir traversé le pied droit, doit être amené un peu

plus vers le milieu. Et ils frappent, frappent, frappent... On n'entend que le bruit atroce du marteau sur la tête

729


du clou, car sur tout le Calvaire ce ne sont que yeux et oreilles tendues, pour recueillir tout geste et tout bruit

et en jouir...

Par dessus le son âpre du fer, on entend la plainte sourde d'une colombe : le rauque gémissement de Marie

qui se courbe de plus en plus à chaque coup, comme si le marteau la blessait elle, la Mère Martyre. Et on

comprend qu'elle semble près d'être brisée par cette torture. La crucifixion est redoutable, égale à la

flagellation pour la douleur, plus atroce à voir car on voit le clou disparaître dans les chairs vivantes, mais en

compensation, elle est plus brève. Alors que la flagellation épuise par sa durée.

Maintenant la croix est traînée près du trou et elle rebondit sur le sol inégal, en secouant le pauvre Crucifié.

On dresse la croix qui échappe par deux fois à ceux qui la lèvent et retombe une fois soudainement, et une

autre fois sur le bras droit de la croix, en donnant un affreux tourment à Jésus, car la secousse qu'il subit

déplace les membres blessés. Mais quand ensuite on laisse tomber la croix dans son trou, avant d'être

immobilisée avec des pierres et de la terre, elle ondule en tous les sens en imprimant de continuels

déplacements au pauvre Corps suspendu à trois clous, la souffrance doit être atroce.

Tout le poids du corps se déplace en avant et vers le bas, et les trous s'élargissent, en particulier celui de la

main gauche, et s'élargit le trou des pieds alors que le sang coule plus fort. Le sang des pieds coule le long

des doigts par terre et le long du bois de la croix, mais celui des mains suit les avant-bras, car ils sont plus

hauts aux poignets qu'aux aisselles, par suite de la position, et il coule aussi le long des côtes en descendant

de l'aisselle vers la taille. La couronne, quand la croix ondule avant d'être fixée, se déplace car la tête se rabat

vers l'arrière, en enfonçant dans la nuque le gros nœud d'épines qui termine la couronne piquante, et puis

revient se placer sur le front et griffe, griffe sans pitié.

Finalement la croix est bien en place et il n'y a que le tourment d'y être suspendu. On dresse aussi les larrons

qui, une fois mis verticalement, crient comme si on les écorchait vifs à cause de la torture des cordes qui

scient les poignets et rendent les mains noires, en gonflant les veines comme des cordes. Jésus se tait. La

foule ne se tait plus, au contraire, mais reprend son vacarme infernal.

730


Maintenant la cime du Golgotha a son trophée et sa garde d'honneur. À la limite la plus élevée la croix de

Jésus, aux côtés les deux autres. Une demi-centurie de soldats l'arme au pied tout autour du sommet, à

l'intérieur de ce cercle d'hommes armés, les dix cavaliers maintenant démontés qui jouent aux dés les

vêtements des condamnés. Debout, entre la croix de Jésus et celle de droite, Longin. Il semble monter la

garde d'honneur au Roi Martyr. L'autre demi-centurie, au repos, est aux ordres de l'aide de camp de Longin

sur le sentier de gauche et sur la place plus basse, en attendant d'être employée s'il en était besoin. De la part

des soldats, c'est une indifférence à peu près totale. Seul quelqu'un lève parfois son visage vers les crucifiés,

Longin, au contraire, observe tout avec curiosité et intérêt, il confronte, et juge mentalement. Il confronte les

crucifiés, et le Christ spécialement, avec les spectateurs. Son oeil pénétrant ne perd aucun détail et, pour

mieux voir, de la main il protège ses yeux car le soleil doit le gêner.

C'est en fait un soleil étrange, d'un jaune rouge d'incendie. Et puis il semble que l'incendie s'éteigne tout à

coup à cause d'un nuage noir comme de la poix qui surgit de derrière les chaînes juives et qui parcourt

rapidement le ciel et va disparaître derrière d'autres montagnes. Et quand le soleil revient il est si vif que l'œil

ne le supporte que difficilement.

En regardant il voit Marie juste au-dessous du talus, qui tient levé vers son Fils son visage déchiré. Il appelle

un des soldats qui jouent aux dés et lui dit : "Si la Mère veut monter avec le fils qui l'accompagne, qu'elle

vienne. Accompagne-la et aide-la."

Et Marie avec Jean, que l'on croit son fils, monte par un petit escalier creusé dans le tufeau, je crois, et

franchit le cordon de soldats pour aller au pied de la croix, mais un peu à l'écart pour être vue et pour voir

son Jésus. La foule lui déverse aussitôt les insultes les plus outrageantes, en la joignant dans les blasphèmes

à son Fils. Mais elle, de ses lèvres tremblantes et blanches, cherche seulement à le réconforter, avec un

sourire déchiré sur lequel viennent s'essuyer les larmes qu'aucune force de volonté ne réussit à retenir dans

les yeux.

731


Les gens, en commençant par les prêtres, scribes, pharisiens, sadducéens, hérodiens et autres de même

acabit, se procurent le divertissement de faire une sorte de carrousel en montant par le chemin à pic, en

passant le long de la hauteur terminale et en redescendant par l'autre chemin, vice-versa. Et en passant au

pied de la cime, sur la seconde petite place, ils ne manquent pas d'offrir leurs paroles blasphématrices en

hommage au Mourant. Toute la turpitude, la cruauté, toute la haine et la folie dont les hommes sont capables

avec la langue sortent à flots de ces bouches infernales. Les plus acharnés sont les membres du Temple avec

les Pharisiens pour les aider.

"Eh bien ? Toi, Sauveur du genre humain, pourquoi ne te sauves-tu pas ? Il t'a abandonné ton roi Belzébuth ?

Il t'a renié ?" crient trois prêtres.

Et une bande de juifs : "Toi qui pas plus tard qu'il y a cinq jours, avec l'aide du démon, faisais dire au Père...

ah ! ah ! ah ! qu'il t'aurait glorifié, comment donc ne Lui rappelles-tu pas de tenir sa promesse ?"

Et trois Pharisiens : "Blasphémateur ! Il a sauvé les autres, disait-il, avec l'aide de Dieu ! Et il ne réussit pas à

se sauver Lui-même ! Tu veux qu'on te croie ? Alors fais le miracle. Tu ne peux, hein ? Maintenant tu as les

mains clouées, et tu es nu."

Et des Sadducéens et des Hérodiens aux soldats : "Gare à l'envoûtement, vous qui avez pris ses vêtements !

Il a en Lui le signe infernal !"

Une foule en chœur : "Descends de la croix et nous croirons en Toi. Toi qui détruis le Temple... Fou !...

Regarde-la, le glorieux et saint Temple d'Israël. Il est intouchable, ô profanateur ! Et Toi, tu meurs."

732


D'autres prêtres : "Blasphémateur ! Toi, Fils de Dieu ? Et descends de là, alors. Foudroie-nous si tu es Dieu.

Nous ne te craignons pas et nous crachons vers Toi."

D'autres qui passent et hochent la tête : "Il ne sait que pleurer. Sauve-toi, s'il est vrai que tu es l'Élu !"

Les soldats : "Et sauve-toi, donc ! Réduis en cendres cette subure de la subure ! Oui ! Subure de l'empire,

voilà ce que vous êtes, canailles de Juifs. Fais-le ! Rome te mettra au Capitole et t'adorera comme une

divinité !"

Les prêtres avec leurs compères : "Ils étaient plus doux les bras des femmes que ceux de la croix, n'est-ce

pas ? Mais regarde : ils sont déjà prêts à te recevoir tes... (et ils disent un terme infâme). Tu as Jérusalem

toute entière pour te servir de paranymphe." et ils sifflent comme des charretiers.

D'autres lancent des pierres : "Change-les en pains, Toi qui multiplies les pains."

D'autres en singeant les hosannas du dimanche des palmes, lancent des branches, et crient : "Maudit celui

qui vient au nom du Démon ! Maudit son royaume ! Gloire à Sion qui le sépare du milieu des vivants !"

Un pharisien se place en face de la croix, il montre le poing en Lui faisant les cornes et il dît : "Je te confie

au Dieu de Sinaï." disais-tu ? Maintenant le Dieu du Sinaï te prépare au feu éternel. Pourquoi n'appelles-tu

pas Jonas pour qu'il te rende un bon service ?"

Un autre : "N'abîme pas la croix avec les coups de ta tête. Elle doit servir pour tes fidèles. Une légion entière

en mourra sur ton bois. Je te le jure sur Jéhovah. Et pour commencer j'y mettrai Lazare. Nous verrons si tu

l'enlèves à la mort, maintenant."

733


"Oui ! Oui ! Allons chez Lazare. Clouons-le de l'autre côté de la croix." et comme des perroquets, ils imitent

la parole lente de Jésus en disant : "Lazare, mon ami, viens dehors ! Déliez-le et laissez-le aller."

"Non ! Il disait à Marthe et à Marie, ses femmes : "Je suis la Résurrection et la Vie". Ah ! Ah ! Ah ! La

Résurrection ne sait pas repousser la mort, et la Vie meurt !"

"Voici Marie avec Marthe. Demandons-leur où est Lazare et allons le chercher." Et ils s'avancent vers les

femmes pour leur demander avec arrogance : "Où est Lazare ? Au palais ?"

Et Marie-Magdeleine, alors que les autres femmes terrorisées fuient derrière les bergers, s'avance, retrouvant

dans sa douleur sa vieille hardiesse du temps du péché, et elle dit : "Allez. Vous trouverez déjà au palais les

soldats de Rome et cinq cents hommes armés de mes terres et ils vous castreront comme de vieux boucs

destinés aux repas des esclaves aux meules."

"Effrontée ! C'est ainsi que tu parles aux prêtres ?"

"Sacrilèges ! Infâmes ! Maudits ! Tournez-vous ! Derrière vous, vous avez, je le vois, les langues des

flammes infernales."

Les lâches se tournent, vraiment terrorisés, tant est assurée l'affirmation de Marie, mais s'ils n'ont pas les

flammes derrière eux, ils ont aux reins les lances romaines bien pointues. En effet Longin a donné un ordre

et la demi-centurie, qui était au repos, est entrée en faction et elle pique aux fesses les premiers qu'elle

trouve. Ceux-ci s'enfuient en criant et la demi-centurie reste pour fermer l'entrée des deux chemins et pour

faire un barrage à la petite place. Les juifs crient des imprécations, mais Rome est la plus forte.

734


La Magdeleine rabaisse son voile - elle l'avait levé pour parler à ceux qui les insultaient - et revient à sa

place. Les autres se joignent à elle.

Mais le larron de gauche continue ses insultes du haut de sa croix. Il semble qu'il ait voulu rassembler tous

les blasphèmes d'autrui et il les débite tous, en disant pour finir : "Sauve-toi et sauve-nous, si tu veux que l'on

te croie. Le Christ, Toi ? Tu es un fou ! Le monde appartient aux fourbes et Dieu n'existe pas. Moi j'existe.

Cela est vrai, et pour moi tout est permis. Dieu ? Fariboles ! Mises pour nous tenir tranquilles. Vive notre

moi ! Lui seul est roi et dieu !"

L'autre larron, celui de droite, a Marie presque à ses pieds et il la regarde presque plus qu'il ne regarde le

Christ. Depuis un moment il pleure en murmurant : "La mère", il dit : "Tais-toi. Tu ne crains pas Dieu,

même maintenant que tu souffres cette peine ? Pourquoi insultes-tu celui qui est bon ? Et son supplice est

encore plus grand que le nôtre. Et il n'a rien fait de mal."

Mais l'autre continue ses imprécations.

Jésus se tait. Haletant à cause de l'effort que Lui impose sa position, à cause de la fièvre et de son état

cardiaque et respiratoire, conséquence de la flagellation subie sous une forme aussi violente, et aussi de

l'angoisse profonde qui Lui avait fait suer sang, il cherche à se procurer un soulagement, en allégeant le

poids qui pèse sur ses pieds, en se suspendant à ses mains par la force des bras. Peut-être le fait-il pour

vaincre un peu la crampe qui déjà tourmente ses pieds et que trahit un frémissement musculaire. Mais le

même frémissement affecte les fibres des bras qui sont forcés dans cette position et doivent être gelés à leurs

extrémités parce que placés plus haut et délaissés par le sang qui arrive difficilement aux poignets et puis

coule par les trous des clous en laissant les doigts sans circulation. Surtout ceux de gauche sont déjà

cadavériques et restent sans mouvements, repliés vers la paume. Même les doigts des pieds expriment leur

tourment. En particulier les gros orteils, peut-être parce que leur nerf est moins blessé, se lèvent, s'abaissent,

s'écartent.

735


Le tronc ensuite révèle toute sa peine avec son mouvement rapide mais sans profondeur qui le fatigue sans le

soulager. Les côtes, très larges et élevées d'elles-mêmes, car la structure de ce Corps est parfaite, sont

maintenant dilatées plus qu'il ne faut à cause de la position prise par le corps et de l'œdème pulmonaire qui

s'est sûrement formé à l'intérieur. Et pourtant elles ne servent pas à alléger l'effort respiratoire d'autant plus

que tout l'abdomen aide par son mouvement le diaphragme qui se paralyse de plus en plus. La congestion et

l'asphyxie grandissent de minute en minute, comme l'indique la couleur cyanotique qui souligne les lèvres

d'un rosé allumé par la fièvre, et les étirements d'un rouge violet qui badigeonne le cou le long des veines

jugulaires gonflées, et s'élargissent jusqu'aux joues, vers les oreilles et les tempes, alors que le nez est effilé

et exsangue et que les yeux s'enfoncent en un cercle, qui est livide là où il est privé du sang que la couronne

a fait couler.

Sous l'arc costal gauche on voit le coup propagé à partir de la pointe du cœur, irrégulier, mais violent, et de

temps en temps, par l'effet d'une convulsion interne, le diaphragme a un frémissement profond qui se

manifeste par une détente totale de la peau dans la mesure où elle peut s'étendre sur ce pauvre Corps blessé

et mourant.

Le visage a déjà l'aspect que nous voyons dans les photographies du Linceul, avec le nez dévié et gonflé d'un

côté, et même le fait de tenir l'œil droit presque fermé, à cause de l'enflure qui existe de ce côté, augmente la

ressemblance. La bouche, au contraire, est ouverte, avec sa blessure sur la lèvre supérieure désormais réduite

à une croûte.

La soif, donnée par la perte de sang, par la fièvre et par le soleil, doit être intense, au point que Lui, par un

mouvement machinal, boit les gouttes de sa sueur et de ses larmes, et aussi les gouttes de sang qui

descendent du front jusqu'à ses moustaches, et il s'en humecte la langue... La couronne d'épines l'empêche de

s'appuyer au tronc de la croix pour aider la suspension par les bras et soulager les pieds. Les reins et toute

l'épine dorsale se courbent vers l'extérieur en restant détachés du tronc de la croix à partir du bassin vers le

haut, à cause de la force d'inertie qui fait pencher en avant un corps suspendu comme était le sien.

736


Les Juifs, repoussés au-delà de la petite place, ne cessent pas leurs insultes et le larron impénitent leur fait

écho. L'autre, qui maintenant regarde la Mère avec une pitié toujours plus grande, et pleure, lui riposte

âprement quand il se rend compte qu'elle aussi est comprise dans l'insulte.

"Tais-toi ! Rappelle-toi que tu es né d'une femme. Et réfléchis que les nôtres ont pleuré à cause de leurs fils,

et ce furent des larmes de honte... parce que nous sommes des criminels. Nos mères sont mortes... Je

voudrais pouvoir lui demander pardon... Mais le pourrai-je ? C'était une sainte... Je l'ai tuée par la douleur

que je lui ai donnée... Je suis un pécheur... Qui me pardonne ? Mère, au nom de ton Fils mourant, prie pour

moi."

La Mère lève un moment son visage torturé et elle le regarde, ce malheureux qui à travers le souvenir de sa

mère et la contemplation de la Mère va vers le repentir, et elle paraît le caresser de son regard de colombe.

Dismas pleure plus fort, ce qui déchaîne encore plus les moqueries de la foule et de son compagnon. La

première crie : "Bravo ! Prends-la pour mère. Ainsi elle a deux fils criminels !" Et l'autre renchérit : "Elle

t'aime car tu es une copie mineure de son bien-aimé."

Jésus parle pour la première fois : "Père, pardonne-leur parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font !"

Cette prière vainc toute crainte chez Dismas. Il ose regarder le Christ et dit : "Seigneur, souviens-toi de moi

quand tu seras dans ton royaume. Pour moi, il est juste que je souffre ici. Mais donne-moi miséricorde et

paix au-delà de la vie. Une fois je t'ai entendu parler et, dans ma folie, j'ai repoussé ta parole. Maintenant je

m'en repens. De mes péchés, je me repens devant Toi, Fils du Très-Haut. Je crois que tu viens de Dieu. Je

crois en ton pouvoir. Je crois en ta miséricorde. Christ, pardonne-moi au nom de ta Mère et de ton Père très

Saint."

737


Jésus se tourne et le regarde avec une profonde pitié et il a un sourire encore très beau sur sa pauvre bouche

torturée. Il dit : "Moi, je te le dis : aujourd'hui tu seras avec Moi au Paradis."

Le larron repenti se calme et, ne sachant plus les prières apprises pendant son enfance, il répète comme une

oraison jaculatoire : "Jésus Nazaréen, roi des Juifs, aie pitié de Moi. Jésus Nazaréen, roi des Juifs, j'espère en

Toi. Jésus Nazaréen, roi des Juifs, je crois à ta Divinité."

L'autre persiste dans ses blasphèmes.

Le ciel devient toujours plus sombre. Maintenant c'est difficilement que les nuages s'ouvrent pour laisser

passer le soleil. Mais ils s'amoncellent en couches de plus en plus sombres, blanches, verdâtres, se

surmontent, se démêlent selon les caprices d'un vent froid qui parcourt le ciel à intervalles et puis descend

sur la terre et puis se tait de nouveau, et l'air est presque plus sinistre quand il se tait, étouffant et mort, que

quand il siffle, coupant et rapide.

La lumière, d'abord vive outre mesure, est en train de devenir verdâtre. Les visages prennent des aspects

bizarres. Les soldats, sous leurs casques et dans leurs cuirasses d'abord brillantes et devenues maintenant

comme enveloppées dans une lumière verdâtre et sous un ciel de cendre, présentent des profils durs comme

s'ils étaient sculptés. Les juifs, en majorité bruns de peau et de cheveux et de barbe, paraissent des noyés tant

leurs visages deviennent terreux. Les femmes semblent des statues de neige bleutée à cause de leur pâleur

exsangue que la lumière accentue.

Jésus semble devenir sinistrement livide, comme s'il commençait à se décomposer, comme s'il était déjà

mort. La tête commence à retomber sur la poitrine. Ses forces manquent rapidement. Il tremble malgré la

fièvre qui le brûle. Et dans sa faiblesse, il murmure le nom que d'abord il a seulement dit du fond du cœur :

"Maman !" "Maman !" Il le murmure doucement comme dans un soupir, comme s'il éprouvait déjà un léger

738


délire qui l'empêche de retenir autant que sa volonté le voudrait. Et Marie chaque fois ne peut s'empêcher de

Lui tendre les bras comme pour le secourir.

Les gens cruels rient de ce spasme du Mourant et de celle qui le partage. Ils montent de nouveau par derrière

les bergers, qui cependant sont sur la petite place basse, les prêtres et les scribes. Comme les soldats

voudraient les repousser, ils réagissent en disant : "N'y sont-ils pas ces Galiléens ? Nous devons y être nous

aussi qui devons vérifier que justice soit faite complètement, et nous ne pouvons pas voir de loin dans cette

lumière étrange."

En fait beaucoup commencent à s'impressionner de la lumière qui est en train d'envelopper le monde et

certains ont peur. Les soldats aussi regardent le ciel et une sorte de cône qui semble de l'ardoise tant il est

sombre, qui s'élève comme un pin de derrière un sommet. Il semble que ce soit une trombe marine. Il s'élève,

s'élève et il semble qu'il produise des nuages de plus en plus noirs, comme si c'était un volcan vomissant de

la fumée et de la lave.

C'est dans cette lumière crépusculaire et effrayante que Jésus donne Jean à Marie et Marie à Jean. Il penche

la tête car la Mère, pour mieux voir, s'est mise plus près sous la croix, et il lui dit : "Femme, voilà ton fils.

Fils, voilà ta Mère."

Marie a le visage encore plus bouleversé après cette parole qui est le testament de son Jésus, qui n'a rien à

donner à sa Mère sinon un homme, Lui, qui par amour de l'Homme, la prive de l'Homme-Dieu qui est né

d'elle. Mais elle, la pauvre Mère, s'efforce de ne pleurer que silencieusement car elle ne peut pas, elle ne peut

pas ne pas pleurer... Ses larmes coulent malgré les efforts qu'elle fait pour les retenir, bien que sa bouche ait

son sourire déchirant qu'elle fixe sur ses lèvres pour Lui, pour le réconforter Lui...

Les souffrances ne cessent de grandir et la lumière ne cesse de décroître.

739


C'est dans cette lumière de fond marin que sortent de derrière les Juifs Nicodème et Joseph, et ils disent :

"Écartez-vous !"

"Impossible ! Que voulez-vous?" disent les soldats.

"Passer. Nous sommes des amis du Christ."

Les chefs des prêtres se tournent : "Qui ose se déclarer comme ami du rebelle ?" disent les prêtres indignés.

Et Joseph, résolument : "Moi, noble membre du Grand Conseil : Joseph d'Arimathie, l'Ancien, et j'ai avec

moi Nicodème, chef des Juifs."

"Qui pactise avec le rebelle est un rebelle."

"Et qui pactise avec les assassins est un assassin, Eléazar d'Anna. J'ai vécu en juste. Et maintenant je suis âgé

et près de mourir. Je ne veux pas devenir injuste alors que déjà le Ciel descend sur moi et avec Lui le Juge

éternel."

"Et toi, Nicodème ! Je m'étonne !"

"Moi aussi, et d'une seule chose : qu'Israël soit tellement corrompu qu'il ne sait plus reconnaître Dieu."

"Tu me dégoûtes."

"Écarte-toi alors, et laisse-moi passer. Je ne demande que cela."

"Pour te contaminer davantage ?"

"Si je ne me suis pas contaminé en restant près de vous, rien ne me contamine plus. Soldat, pour toi la bourse

et le billet de laissez-passer." Et il passe au décurion le plus proche une bourse et une tablette de cire.

Le décurion en prend connaissance et il dit aux soldats : "Laissez passer les deux."

Joseph et Nicodème s'approchent des bergers. Je ne sais même pas si Jésus les voit, dans ce brouillard de

plus en plus épais et avec son œil qui déjà se voile dans l'agonie. Mais ils le voient et ils pleurent sans respect

humain, bien que sur eux s'acharnent les imprécations des prêtres.

740


Les souffrances sont toujours plus fortes. Le corps éprouve les premières cambrures de la tétanie et chaque

clameur de la foule les exaspère. La mort des fibres et des nerfs s'étend des extrémités torturées au tronc,

rendant de plus en plus difficile le mouvement de la respiration, plus faible la contraction diaphragmatique et

plus désordonné le mouvement cardiaque. Le visage du Christ passe alternativement d'une rougeur intense à

la pâleur verdâtre de celui qui meurt par hémorragie. La bouche se meut avec une fatigue plus grande car les

nerfs surfatigués du cou et de la tête elle-même, qui des dizaines de fois ont servi de levier à tout le corps, en

s'arc-boutant sur la barre transversale de la croix, propagent la crampe jusqu'aux mâchoires. La gorge, enflée

par les carotides engorgées, doit faire mal et doit étendre son œdème à la langue qui paraît grossie et dont les

mouvements sont très lents. La colonne vertébrale, même dans les moments où les contractions tétanisantes

ne la courbent pas en un arc complet de la nuque aux anches, appuyées comme points extrêmes au tronc de

la croix, se courbe de plus en plus en avant, car les membres ne cessent de s'alourdir du poids de la chair

morte.

Les gens voient ces choses peu et mal car la lumière est désormais couleur de cendre sombre et seuls

peuvent bien voir ceux qui sont au pied de la croix.

Jésus à un certain moment s'affaisse tout entier vers l'avant et le bas, comme s'il était déjà mort, il n'halète

plus, la tête pend inerte en avant. Le corps, depuis les hanches vers le haut, est complètement détaché en

faisant un angle avec les bras de la croix.

Marie pousse un cri : "Il est mort !" Un cri tragique qui se propage dans l'air obscurci. Et Jésus semble

réellement mort.

Un autre cri de femme lui répond, et dans le groupe des femmes je vois un mouvement. Puis une dizaine de

personnes s'éloignent en soutenant quelque chose, mais je ne puis voir qui s'éloigne ainsi. Elle est trop faible

la lumière brumeuse. On dirait que l'on est plongé dans une nuée épaisse de cendres volcaniques.

741


"Ce n'est pas possible." crient des prêtres et des Juifs. "C'est une feinte pour nous éloigner. Soldat, pique-le

de ta lance. C'est un bon remède pour Lui rendre la voix." Et comme les soldats ne le font pas, une volée de

pierres et de mottes de terre volent vers la croix, frappant le Martyr et retombant sur les cuirasses romaines.

Le remède, comme disent ironiquement les Juifs, opère le prodige. Certainement une pierre a frappé

adroitement peut-être la blessure d'une main ou la tête elle-même, car ils visaient vers le haut. Jésus pousse

un gémissement pitoyable et revient à Lui. Le thorax recommence à respirer avec beaucoup de peine et la

tête à se tourner de droite à gauche en cherchant un endroit pour se poser afin de moins souffrir, sans trouver

autre chose qu'une peine plus grande.

Avec une grande peine, en s'appuyant une fois encore sur ses pieds torturés, trouvant de la force dans sa

volonté, uniquement en elle, Jésus se raidit sur la croix, se dresse comme s'il était un homme sain dans toute

sa force, il lève son visage en regardant avec des yeux bien ouverts le monde qui s'étend à ses pieds, la ville

lointaine qu'on entrevoit à peine comme une vague blancheur dans la brume, et le ciel noir où tout azur et

toute trace de lumière ont disparu. Et vers ce ciel fermé, compact, bas, semblable à une énorme plaque

d'ardoise sombre, il pousse un grand cri, triomphant par la force de sa volonté, par le besoin de son âme, de

l'obstacle des mâchoires raidies, de sa langue enflée, de sa gorge gonflée : "Eloi, Eloi, lamma scébacténi !"

(je l'entends parler ainsi.)

Il doit se sentir mourir, et dans un abandon absolu du Ciel, pour reconnaître par un tel cri l'abandon paternel.

Les gens rient et se moquent. Ils l'insultent : "Dieu n'a que faire de Toi ! Les démons sont maudits de Dieu !"

D'autres crient : "Voyons si Élie qu'il appelle vient le sauver."

742


Et d'autres : "Donnez-lui un peu de vinaigre, pour qu'il se gargarise la gorge. C'est bon pour la voix ! Élie ou

Dieu, car on ne sait pas ce que veut le fou, sont loin... Il faut de la voix pour se faire entendre !" Et ils rient

comme des hyènes ou comme des démons.

Mais aucun soldat ne donne du vinaigre et personne ne vient du Ciel pour le réconforter. C'est l'agonie

solitaire, totale, cruelle, même surnaturellement cruelle, de la Grande Victime.

Elles reviennent les avalanches de douleur désolée qui déjà l'avaient accablé au Gethsémani. Elle revient la

marée des péchés du monde entier pour frapper le naufragé innocent, pour l'engloutir dans leur amertume.

Elle revient surtout la sensation, plus crucifiante que la croix elle-même, plus désespérante que toute torture,

que Dieu l'a abandonné et que sa prière ne monte pas vers Lui...

Et c'est le tourment final. Celui qui accélère la mort car il exprime les dernières gouttes de sang des pores,

parce qu'il écrase les dernières fibres du cœur, car il termine ce que la première connaissance de cet abandon

a commencé : la mort. Car c'est de cela comme première cause qu'est mort mon Jésus, ô Dieu qui l'as frappé

à cause de nous !

Après ton abandon, par l'effet de ton abandon, que devient une créature ? Ou un fou, ou un mort. Jésus ne

pouvait pas devenir fou car son intelligence était divine et, spirituelle comme l'est l'intelligence, elle

triomphait du traumatisme total de Celui que Dieu frappait. Il devint donc un mort : le Mort, le très Saint

Mort, le Mort absolument Innocent. Mort, Lui qui était la Vie, tué par ton abandon et par nos péchés.

L'obscurité devient encore plus épaisse. Jérusalem disparaît complètement. Les pentes du Calvaire lui-même

semblent s'annuler. Seule la cime est visible, comme si les ténèbres la surélevaient pour recueillir l'unique et

dernière lumière qui restait, en la plaçant comme pour une offrande avec son trophée divin, sur une nappe

d'onyx liquide, pour qu'elle soit vue par l'amour et par la haine.

743


Et de cette lumière qui n'est pas de la lumière vient la voix plaintive de Jésus : "J'ai soif !"

Il y a en effet un vent qui altère même ceux qui sont en bonne santé, un vent continu, maintenant, violent,

chargé de poussière, froid, effrayant. Je pense à la douleur qu'il aura donné par son souffle violent aux

poumons, au cœur, au gosier de Jésus, à ses membres glacés, engourdis, blessés. Mais vraiment tout s'est mis

à torturer le Martyr.

"Un soldat va à un vase où les aides du bourreau ont mis du vinaigre avec du fiel parce que, par son

amertume, il augmente la salivation chez les suppliciés. Il prend l'éponge plongée dans le liquide, l'enfile au

bout d'un roseau fin et pourtant rigide qui est déjà préparé tout près, et il présente l'éponge au Mourant. Jésus

se tend avidement vers l'éponge qui approche. On dirait un enfant affamé qui cherche le sein maternel.

Marie qui voit et certainement a cette pensée, gémit, en s'appuyant sur Jean : "Oh ! et je ne puis même pas

Lui donner une goutte de mes pleurs... Oh ! mon sein pourquoi ne donnes-tu plus le lait ? Oh ! Dieu

pourquoi, pourquoi nous abandonnes-tu ainsi ? Un miracle pour mon Fils ! Qui me soulève pour que je le

désaltère de mon sang, puisque je n'ai pas de lait ?..."

Jésus, qui a sucé avidement l'âpre et amère boisson, détourne la tète dégoûté. Cette boisson doit en plus

brûler les lèvres blessées et gercées. Il se retire, s'affaisse, s'abandonne.

Tout le poids du corps retombe sur les pieds et en avant. Ce sont les extrémités blessées qui souffrent la

peine atroce de s'ouvrir sous le poids d'un corps qui s'abandonne. Plus un mouvement pour soulager cette

douleur. Depuis le bassin jusqu'en haut, tout est détaché du bois et reste ainsi.

La tête pend en avant si pesamment que le cou paraît creusé en trois endroits : à la gorge, complètement

enfoncée, et de part et d'autre du sterno-cléido-mastoïdien. La respiration est de plus en plus haletante et

entrecoupée. C'est déjà plus un râle syncopé qu'une respiration. De temps à autre un accès de toux pénible

744


apporte aux lèvres une écume légèrement rosée. Les intervalles entre deux expirations deviennent toujours

plus longs. L'abdomen est déjà immobile. Seul le thorax se soulève encore, mais avec beaucoup de difficulté

et de peine... La paralysie pulmonaire s'accentue toujours plus.

Et toujours plus faible, se transformant en une plainte enfantine, l'appel : "Maman !" Et la malheureuse

murmure : "Oui, mon Trésor, je suis ici." Et quand la vue qui se voile Lui fait dire : "Maman, où es-tu ? Je

ne te vois plus. Toi aussi tu m'abandonnes ?" ce n'est même plus une parole, mais un murmure à peine

audible pour qui recueille avec le cœur plutôt qu'avec l'ouïe tous les soupirs du Mourant. Elle dit : "Non,

non, Fils ! Moi je ne t'abandonne pas ! Écoute-moi, mon aimé... Maman est ici, elle est ici... et son seul

tourment est de ne pas pouvoir venir où tu es..."

C'est un déchirement... Et Jean pleure sans retenue. Jésus doit entendre ses sanglots, mais il ne dit rien. Je

pense que la mort imminente le fait parler comme s'il délirait et ne sait même pas ce qu'il dit et,

malheureusement, ne comprend pas même le réconfort maternel et l'amour du Préféré.

Longin - qui sans le remarquer a quitté son attitude de repos avec les mains croisées sur la poitrine et les

jambes croisées, à cause de la longueur de l'attente repose tantôt un pied tantôt l'autre, et maintenant au

contraire se raidit dans le garde-à-vous, la main gauche sur son épée, la main droite pendant le long de son

côté comme s'il était sur les marches du trône impérial - ne veut pas s'émouvoir. Mais son visage s'altère

dans l'effort qu'il fait pour vaincre l'émotion et ses yeux brillent d'une larme que seule retient sa discipline de

fer.

Les autres soldats, qui jouaient aux dés, ont cessé, et se sont levés pour remettre les casques qui avaient servi

pour agiter les dés, et se tiennent en groupe près du petit escalier creusé dans le tuffeau, silencieux, attentifs.

Les autres sont de service et ne peuvent changer de position. On dirait des statues. Mais l'un des plus proches

et qui entend les paroles de Marie, bougonne quelque chose entre ses lèvres et hoche la tête.

745


Un silence. Puis nette dans l'obscurité totale la parole : "Tout est accompli !" et ensuite c'est le halètement de

plus en plus rauque avec, entre les râles, des intervalles de silence de plus en plus longs.

Le temps court sur ce rythme angoissé. La vie revient quand l'air est rompu par le halètement âpre du

Mourant... La vie cesse quand ce son pénible ne s'entend plus.

On souffre de l'entendre... on souffre de ne pas l'entendre... On dit : "C'est assez de souffrance !" et on dit :

"Oh Dieu ! que ce ne soit pas son dernier soupir."

Toutes les Marie pleurent, la tête contre le talus. Et on entend bien leurs sanglots car maintenant toute la

foule se tait de nouveau pour recueillir les râles du Mourant.

Encore un silence. Puis, prononcée avec une infinie douceur, dans une ardente prière, la supplication : "Père,

entre tes mains je remets mon esprit !"

Encore un silence. Le râle aussi devient léger. Ce n'est plus qu'un souffle qui sort des lèvres et de la gorge.

Puis, voilà, le dernier spasme de Jésus. Une convulsion atroce, qui paraît vouloir arracher du bois le corps

qui y est fixé par trois clous, monte par trois fois des pieds à la tête, court à travers tous les pauvres nerfs

torturés ; soulève trois fois l'abdomen d'une manière anormale, puis le laisse après l'avoir dilaté comme par

un bouleversement des viscères, et il retombe et se creuse comme s'il était vidé; elle se lève, gonfle, resserre

si fortement le thorax que la peau se creuse entre les côtes qui se tendent en apparaissant sous l'épidémie et

rouvrant les blessures de la flagellation ; elle porte violemment en arrière une, deux, trois fois la tête qui

frappe durement contre le bois ; elle contracte en un seul spasme tous les muscles du visage, en accentuant la

déviation de la bouche à droite, elle fait ouvrir et dilater les paupières sous lesquelles on voit rouler le globe

746


oculaire et apparaître la sclérotique. Le corps se tend tout entier ; dans la dernière des trois contractions c'est

un arc tendu, vibrant, terrible à voir, et puis un cri puissant, impensable en ce corps épuisé, se dégage,

déchire l'air, le "grand cri" dont parlent les Évangiles et qui est la première partie du mot "Maman"... Et plus

rien...

La tête retombe sur la poitrine, le corps en avant, le frémissement cesse et cesse aussi la respiration. il a

expiré.

La Terre répond au cri de Celui qu'on a tué par un grondement effrayant. Il semble que de mille trombes des

géants font sortir un son unique et, sur cet accord terrifiant, voici les notes isolées, déchirantes des éclairs qui

sillonnent le ciel en tous sens, tombant sur la ville, sur le Temple, sur la foule... Je crois qu'il y aura eu des

gens foudroyés car la foule est frappée directement. Les éclairs sont l'unique lumière et irrégulière qui

permette de voir.

Et puis tout à coup, pendant que durent encore les décharges de la foudre, la terre s'ébranle en un tourbillon

de vent cyclonique. Le tremblement de terre et la trombe d'air se fondent pour donner un châtiment

apocalyptique aux blasphémateurs. Le sommet du Golgotha ondule et danse comme un plat dans la main

d'un fou, dans les secousses sussultoires et ondulatoires qui secouent tellement les trois croix qu'il semble

qu'elles doivent les renverser.

Longin, Jean, les soldats s'accrochent où ils peuvent, comme ils peuvent, pour ne pas tomber. Mais Jean

pendant qu'avec un bras il se tient à la croix, avec l'autre soutient Marie qui, à cause de sa douleur et des

secousses, s'abandonne sur son coeur. Les autres soldats, et surtout ceux du côté en pente, ont dû se réfugier

au milieu pour ne pas être jetés en bas de la pente. Les larrons crient de terreur, la foule crie encore plus fort

et voudrait s'enfuir, mais elle ne le peut. Les gens tombent les uns sur les autres, s'écrasent, se précipitent

dans les fentes du sol, se blessent, roulent le long de la pente, deviennent fous.

747


Par trois fois se répète le tremblement de terre et la trombe d'air et puis c'est l'immobilité absolue d'un monde

mort. Seuls des éclairs, mais sans tonnerre, sillonnent encore le ciel et éclairent la scène des Juifs qui fuient

dans tous les sens, les mains dans les cheveux, ou tendues en avant, ou levées vers le ciel, méprisé jusque là

et dont maintenant ils ont peur. L'obscurité est tempérée par une lueur lumineuse qui, aidée par l'émission

silencieuse et magnétique des éclairs, permet de voir que beaucoup restent sur le sol : morts ou évanouis, je

ne sais. Une maison brûle à l'intérieur des murs et les flammes s'élèvent droites dans l'air immobile, mettant

une nuance de rouge vif sur le vert cendre de l'atmosphère.

Marie lève sa tête de dessus la poitrine de Jean et regarde son Jésus. Elle l'appelle car elle le voit mal dans la

faible lumière et avec ses pauvres yeux pleins de larmes. Trois fois elle l'appelle : "Jésus ! Jésus ! Jésus !"

C'est la première fois qu'elle l'appelle par son nom depuis qu'il est sur le Calvaire. Enfin, dans un éclair qui

fait une sorte de couronne sur la cime du Golgotha, elle le voit, immobile, tout penché en avant, avec la tête

tellement inclinée en avant, et à droite, au point de toucher l'épaule avec la joue et les côtes avec le menton,

et elle comprend. Elle tend ses mains qui tremblent dans l'air obscurci et crie : "Mon Fils ! Mon Fils ! Mon

Fils !" Puis elle écoute... Elle a la bouche ouverte, elle semble vouloir écouter même avec elle, comme elle a

les yeux dilatés pour voir, pour voir... Elle ne peut croire que son Jésus n'est plus...

Jean lui aussi a regardé et écouté et il a compris que tout est fini. De ses bras il saisit Marie et cherche à

l'éloigner en disant : "Il ne souffre plus."

Mais avant que l'apôtre termine la phrase, Marie, qui a compris, se dégage, tourne sur elle-même, se penche

vers le sol, porte les mains à ses yeux et crie : "Je n'ai plus de Fils !"

Et puis elle vacille et tomberait si Jean ne la recueillait toute sur son cœur, puis il s'assoit par terre pour

mieux la soutenir sur sa poitrine, jusqu'à ce que les Marie remplacent l'apôtre auprès de la Mère. Elles, en

effet, ne sont plus retenues par le cercle supérieur des soldats, car, maintenant que les juifs se sont enfuis, ils

se sont rassemblés sur la petite place qui est au-dessous pour commenter l'événement.

748


La Magdeleine s'assoit où était Jean, et allonge presque Marie sur ses genoux, la soutenant entre ses bras et

sa poitrine, baisant son visage exsangue, renversé sur son épaule compatissante. Marthe et Suzanne, avec

une éponge et un linge trempés dans le vinaigre, lavent ses tempes et ses narines, pendant que sa belle-sœur

lui baise les mains en l'appelant d'une voix déchirante, et dès que Marie rouvre les yeux, et tourne vers elle

un regard que la douleur rend pour ainsi dire hébété, elle lui dit : "Fille, fille chérie, écoute... dis-moi que tu

me vois... Je suis ta Marie... Ne me regarde pas ainsi !..." Et après que le premier sanglot a ouvert la gorge de

Marie et que les premières larmes tombent, elle, la bonne Marie d'Alphée, dit : "Oui, oui, pleure... Ici avec

moi, comme près d'une maman, ma pauvre, sainte fille", et quand elle l'entend dire : "Oh ! Marie ! Marie ! tu

as vu ?", elle dit en gémissant : "Oui ! oui... mais... mais... fille... oh ! fille !..." Elle ne trouve pas autre chose

et elle pleure la vieille Marie, des pleurs désolés auxquels font écho toutes les autres, c'est-à-dire Marthe et

Marie, la mère de Jean et Suzanne.

Les autres pieuses femmes ne sont plus là. Je pense qu'elles sont parties et avec elles les bergers, quand on a

entendu ce cri de femme...

Les soldats parlent entre eux. :

"Tu as vu les juifs ? Maintenant, ils avaient peur."

"Et ils se frappaient la poitrine."

"Les plus terrifiés c'étaient les prêtres !"

"Quelle peur ! J'ai senti d'autres tremblements de terre. Mais jamais comme celui-là. Regarde : la terre est

restée pleine de crevasses."

"Et il s'est effondré tout un passage de la longue route."

"Et dessous, il y a des corps."

"Laisse-les ! Autant de serpents de moins."

"Oh ! un autre incendie ! Dans la campagne..."

"Mais est-il vraiment mort ?"

749


"Et tu ne vois pas ? Tu en doutes ?"

Apparaissent de derrière la roche Joseph et Nicodème. Certainement ils s'étaient réfugiés derrière l'abri de la

montagne pour se sauver de la foudre. Ils vont trouver Longin. "Nous voulons le Cadavre."

"Seul le Proconsul l'accorde. Allez, et vite, car j'ai entendu dire que les Juifs veulent aller au Prétoire et

obtenir le brisement des jambes. Je ne voudrais pas qu'ils Lui fassent affront."

"Comment le sais-tu ?"

"Rapport de l'enseigne. Allez. Je vous attends."

Les deux se précipitent par la descente rapide et disparaissent.

C'est alors que Longin s'approche de Jean et lui dit un mot que je ne comprends pas, puis il se fait donner

une lance par un soldat. Il regarde les femmes qui s'occupent toutes de Marie qui reprend lentement des

forces. Elles tournent toutes le dos à la croix.

Longin se met en face du Crucifié, étudie bien le coup, et puis le donne. La large lance pénètre profondément

de bas en haut, de droite à gauche.

Jean qui se débat entre le désir de voir et l'horreur de la vision, tourne la tête un instant.

"C'est fait, ami" dit Longin et il ajoute : "C'est mieux ainsi. Comme à un cavalier, et sans briser les os...

c'était vraiment un Juste !"

De la blessure suinte beaucoup d'eau et à peine un filet de sang qui déjà forme des grumeaux. Suinte, ai-je

dit. Il ne sort qu'en filtrant par la coupure nette qui reste inerte. S'il avait encore respiré, elle se serait ouverte

et fermée par le mouvement du thorax et de l'abdomen...

...Pendant que sur le Calvaire tout garde ce tragique aspect, je rejoins Joseph et Nicodème qui descendent par

un raccourci pour faire plus vite.

750


Ils sont presque en bas quand ils rencontrent Gamaliel. Un Gamaliel dépeigné, sans couvre-chef, sans

manteau, avec son splendide vêtement souillé de terre et déchiré par les ronces. Un Gamaliel qui monte en

courant et haletant, les mains dans ses cheveux clairsemés et plutôt gris d'homme âgé. Ils se parlent sans

s'arrêter.

"Gamaliel ! Toi ?"

"Toi, Joseph ? Tu le quittes ?"

"Moi, non. Mais pourquoi es-tu ici ? Et ainsi ?..."

"Chose terrible ! J'étais dans le Temple ! Le signe ! Le Temple tout ouvert ! Le rideau pourpre et jacinthe

pend déchiré ! Le Saint des Saints est découvert ! Anathème sur nous !" Il a parlé en continuant de courir

vers le sommet, rendu fou par la preuve.

Les deux le regardent s'éloigner... ils se regardent... disent ensemble : " 'Ces pierres frémiront à mes

dernières paroles !' Il le lui avait promis !..."

Ils hâtent leur marche vers la ville.

À travers la campagne, entre le mont et les murs, et au-delà, errent, dans l'air encore obscur, des gens à l'air

hébété... Des cris, des pleurs, des lamentations... Il y en a qui disent : "Son Sang a fait pleuvoir du feu !"

D'autres : "Parmi les éclairs Jéhovah est apparu pour maudire le Temple !" D'autres gémissent : "Les

tombeaux ! Les tombeaux !"

Joseph saisit quelqu'un qui se cogne la tête contre les murs et il l'appelle par son nom, en le traînant avec lui

au moment où il entre dans la ville : "Simon, mais qu'est-ce que tu dis ?"

"Laisse-moi ! Un mort toi aussi ! Tous les morts ! Tous dehors ! Et ils me maudissent."

"Il est devenu fou." dit Nicodème.

Ils le laissent et vont vivement vers le Prétoire.

751


La ville est en proie à la terreur. Des gens errent en se battant la poitrine ; des gens font un bond en arrière ou

se retournent épouvantés en entendant derrière eux une voix ou un pas.

Dans un des si nombreux archivoltes obscurs, l'apparition de Nicodème, vêtu de laine blanche - car pour

aller plus vite, il a enlevé sur le Golgotha son manteau foncé - fait pousser un cri de terreur à un Pharisien

qui s'enfuit. Puis il s'aperçoit que c'est Nicodème et il s'attache à son cou, étrangement expansif, en criant :

"Ne me maudis pas ! Ma mère m'est apparue et m'a dit : "Sois maudit pour toujours !" et puis il s'affaisse sur

le sol en disant : "J'ai peur ! J'ai peur !"

"Mais ils sont tous fous !" disent les deux.

-Ils arrivent au Prétoire. C'est seulement là, pendant qu'ils attendent d'être reçus par le Proconsul, que Joseph

et Nicodème réussissent à savoir la raison de telles terreurs. Beaucoup de tombeaux s'étaient ouverts par

suite de la secousse tellurique et il y avait des gens qui juraient en avoir vu sortir les squelettes qui, pendant

un instant, reprenaient une apparence humaine et s'en allaient en accusant ceux qui étaient coupables du

déicide et en les maudissant.

Je les quitte dans l'atrium du Prétoire où les deux amis de Jésus entrent sans faire tant d'histoires de dégoût

stupide et de peur de contamination, et je reviens au Calvaire, rejoignant Gamaliel qui, désormais épuisé,

monte les derniers mètres. Il avance en se battant la poitrine et, en arrivant sur la première des deux petites

places, il se jette parterre, longue forme blanche sur le sol jaunâtre, et il gémit : "Le signe ! Le signe ! Dismoi

que tu me pardonnes ! Un gémissement, même un seul gémissement, pour me dire que tu m'entends et

me pardonnes."

Je comprends qu'il le croit encore vivant. Il ne se détrompe que quand un soldat le heurtant de sa lance

lui dit : "Lève-toi et tais-toi. Inutile ! Il fallait y penser avant. Il est mort. Et moi, païen, je te le dis : Celui

que vous avez crucifié était réellement le Fils de Dieu !"

752


"Mort ? Tu es mort ? Oh!..." Gamaliel lève son visage terrorisé, cherche à voir jusque là haut sur la cime,

dans la lumière crépusculaire. Il voit peu, mais assez pour comprendre que Jésus est mort. Et il voit le

groupe pieux qui réconforte Marie et Jean, debout à gauche de la croix, tout en pleurs, et Longin debout à

droite, dans une posture solennelle et respectueuse.

Il se met à genoux, tend les bras et pleure : "C'était Toi ! C'était Toi ! Nous ne pouvons plus être pardonnés.

Nous avons demandé ton Sang sur nous. Et il crie vers le Ciel, et le Ciel nous maudit... Oh ! Mais tu étais la

Miséricorde !... Je te dis, moi, qui suis le rabbi anéanti de Juda : "Ton Sang sur nous, par pitié." Aspergenous

avec lui ! Car lui seul peut nous obtenir le pardon..." il pleure. Et puis, plus doucement, il reconnaît sa

secrète torture : "J'ai le signe demandé... Mais des siècles et des siècles de cécité spirituelle restent sur ma

vue intérieure, et contre ma volonté de maintenant se dresse la voix de mon orgueilleuse pensée d'hier... Pitié

pour moi ! Lumière du monde, dans les ténèbres qui ne t'ont pas compris, fais descendre un de tes rayons ! Je

suis le vieux juif fidèle à ce qu'il croyait justice et qui était erreur. Maintenant je suis une lande brûlée, sans

plus aucun des vieux arbres de la Foi antique, sans aucune semence ni tige de la Foi nouvelle. Je suis un

désert aride. Opère le miracle de faire se dresser une fleur qui ait ton nom dans ce pauvre cœur de vieil

Israélite entêté. Toi, Libérateur, pénètre dans ma pauvre pensée, prisonnière des formules. Isaïe le dit :"... il a

payé pour les pécheurs et il a pris sur Lui les péchés des multitudes". Oh ! le mien aussi, Jésus de

Nazareth..."

Il se lève. Il regarde la croix qui se fait toujours plus nette dans la lumière qui revient, et puis il s'en va

courbé, vieilli, anéanti.

Sur le Calvaire le silence revient, à peine interrompu par les pleurs de Marie.

Les deux larrons, épuisés par la peur, ne parlent plus.

753


Nicodème et Joseph reviennent rapidement, en disant qu'ils ont la permission de Pilate. Mais Longin, qui ne

s'y fie pas trop, envoie au Proconsul un soldat à cheval pour savoir comment il doit faire aussi avec les deux

larrons. Le soldat va et revient au galop avec l'ordre de remettre Jésus et de briser les jambes des autres, par

volonté des Juifs.

Longin appelle les quatre bourreaux, qui se sont lâchement accroupis sous le rocher et sont encore terrorisés

par l'événement, et ordonne que les deux larrons soient achevés à coups de massue. La chose arrive sans

protestations pour Dismas, auquel le coup de massue déferrée au cœur après avoir frappé les genoux, brise à

moitié sur ses lèvres le nom de Jésus, dans un râle. Pour l'autre larron, c'est avec des malédictions horribles.

Leur râle est lugubre.

Les quatre bourreaux voudraient aussi s'occuper de Jésus pour le détacher de la croix, mais Joseph et

Nicodème ne le permettent pas.

Joseph aussi enlève son manteau et dit à Jean de l'imiter et de tenir les échelles pendant qu'eux montent avec

des leviers et des tenailles.

Marie s'est levée tremblante, soutenue par les femmes, et s'approche de la croix.

Pendant ce temps, les soldats s'en vont, leur besogne terminée. Longin, avant de descendre au-delà de la

place inférieure, se tourne du haut de son cheval pour regarder Marie et le Crucifié. Puis le bruit des sabots

résonne sur les pierres et celui des armes contre les cuirasses, et il s'éloigne de plus en plus.

La paume gauche est déclouée. Le bras retombe le long du Corps qui maintenant pend à demi détaché. Ils

disent à Jean de monter lui aussi, en laissant les échelles aux femmes.

754


Jean, monté sur l'échelle où était d'abord Nicodème, passe le bras de Jésus autour de son cou et le tient ainsi,

tout abandonné sur son épaule, en l'enlaçant par son bras à la taille et il le tient par la pointe des doigts pour

ne pas heurter l'horrible déchirure de la main gauche, qui est presque ouverte. Quand les pieds sont décloués,

Jean a beaucoup de mal à tenir et soutenir le Corps de son Maître entre la croix et son propre corps.

Marie se place déjà au pied de la croix, assise en lui tournant le dos, prête à recevoir son Jésus sur ses

genoux.

Mais le plus difficile c'est de déclouer le bras droit. Malgré tous les efforts de Jean, le Corps pend

complètement en avant et la tête du clou est profondément enfoncée dans la chair, et comme ils ne

voudraient pas le blesser davantage, les deux hommes compatissants peinent beaucoup. Finalement ils

saisissent le clou avec les tenailles et le sortent tout doucement.

Jean tient toujours Jésus par les aisselles, avec la tête renversée sur son épaule, pendant que Nicodème et

Joseph le saisissent l'un aux cuisses, l'autre aux genoux, et le descendent avec précaution en le tenant ainsi

par les échelles.

Arrivés à terre, ils voudraient retendre sur le drap qu'ils ont placé sur leurs manteaux, mais Marie le veut.

Elle a ouvert son manteau en le laissant pendre d'un côté et écarte les genoux pour faire un berceau à son

Jésus.

Pendant que les disciples tournent pour lui donner son Fils, la tête couronnée retombe en arrière et les bras

pendent vers la terre et frotteraient le sol avec les mains blessées si la pitié des pieuses femmes ne les

tenaient pas pour l'empêcher.

755


Maintenant il est sur les genoux de sa Mère... Il semble un grand enfant fatigué qui dort pelotonné sur les

genoux maternels. Marie le tient avec le bras droit qu'elle a passé derrière les épaules de son Fils et le gauche

qu'elle a passé au-dessus de l'abdomen pour le soutenir aux anches. La tête est sur l'épaule maternelle. Elle

l'appelle... l'appelle de sa voix déchirante. Puis elle le détache de son épaule et le caresse avec sa main

gauche, prend et étend les mains et avant de les croiser elle les baise, et pleure sur les blessures. Puis elle

caresse les joues, spécialement là où il y a des bleus et de l'enflure, elle baise les yeux enfoncés, la bouche

restée légèrement tordue vers la droite et entrouverte. Elle voudrait remettre en ordre ses cheveux, comme

elle l'a fait pour la barbe souillée de sang mais, en le faisant, elle rencontre les épines. Elle se pique pour

enlever cette couronne et veut que ce soit elle qui le fasse, avec la seule main qu'elle a de libre et elle

repousse tout le monde en disant : "Non ! Non ! Moi ! Moi !" et il semble qu'elle ait entre ses doigts la tendre

tête d'un nouveau-né tant elle le fait avec délicatesse. Et quand elle a pu enlever cette couronne torturante,

elle se penche pour soigner par ses baisers toutes les éraflures des épines. De sa main tremblante elle sépare

les cheveux en désordre, les remet en ordre, elle pleure et elle parle tout doucement. Avec ses doigts elle

essuie les larmes qui tombent sur les pauvres chairs glacées et couvertes de sang, et elle pense les nettoyer

avec ses larmes et avec son voile qui est encore autour des reins de Jésus. Elle en tire à elle une extrémité et

se met à nettoyer et à essuyer les membres saints. Elle ne cesse de Lui caresser le visage, et puis les mains, et

puis les genoux couverts de contusions, et puis elle remonte pour essuyer le Corps sur lequel tombent ses

nombreuses larmes.

C'est en le faisant que sa main rencontre l'ouverture du côté. La petite main, couverte d'un linge fin, entre

presque toute entière dans le large trou de la blessure. Marie se penche pour voir dans la demie clarté qui

s'est formée, et elle voit. Elle voit le côté ouvert et le cœur de son Fils. Elle crie, alors. Il semble qu'une épée

lui ouvre le cœur, à elle aussi. Elle crie, et puis se renverse sur son Fils et paraît morte, elle aussi.

On la secourt, on la réconforte, on veut lui enlever le divin Mort. Elle cri : "Où, où te mettrai-je ? Dans quel

lieu qui soit sûr et digne de Toi ?" Joseph, tout penché en une inclination respectueuse, la main ouverte

appuyée sur sa poitrine, dit : "Réconforte-toi, ô Femme ! Mon tombeau est neuf et digne d'un grand. Je le

Lui donne. Et Nicodème, mon ami, a déjà porté au tombeau les aromates que lui veut offrir personnellement.

756


Mais, je t'en prie, puisque le soir approche, laisse-nous faire... C'est la Parascève. Sois bonne, ô Femme

sainte !"

Jean aussi et les femmes la prient dans le même sens et Marie laisse enlever de ses genoux son Fils, et elle se

lève, angoissée, pendant qu'on l'enveloppe dans le drap, et elle les prie : "Oh ! faites doucement !"

Nicodème et Jean par les épaules, Joseph par les pieds, soulèvent la Dépouille non seulement enveloppée

dans le drap mais étendue aussi sur les manteaux qui font office de brancard, et ils descendent par le chemin.

Marie, soutenue par sa belle-sœur et la Magdeleine, suivie par Marthe, Marie de Zébédée et Suzanne, qui ont

ramassé les clous, les tenailles, la couronne, l'éponge et le roseau, descend vers le tombeau.

Sur le Calvaire restent les trois croix. Celle du milieu est nue et les deux autres ont leur trophée vivant qui

meurt.

757


Le crucifiement

33 Lorsqu'ils furent arrivés au lieu-dit

"Crâne", ils l’y crucifièrent avec les malfaiteurs,

L'un à droite et l’autre à gauche. 34 Jésus disait : "Père,

Remets-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font." Et

Se partageant ses vêtements, ils les tirèrent

Au sort.

Jésus en croix raillé et outragé.

Le peuple restait là et regardait.

Les chefs, eux, le narguaient : "Il en a sauvé d’autres,

Qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ de Dieu,

L’élu !" Les soldats aussi se moquaient de lui,

Ils s’approchaient pour lui présenter du vinaigre

Et disaient : " Si tu es le roi des juifs, toi-même

Sauve-toi !"

Il y avait aussi au-dessus

De lui une inscription : Celui-ci est le roi

Des juifs.

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Le bon larron.

39 L'un des malfaiteurs suspendus

À la croix l’injuriait : "N'est-ce pas toi qui es

Le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi".

Et prenant la parole et le réprimandant,

L'autre déclara : "Tu ne crains même pas Dieu,

Alors que tu subis la même peine, 41 Pour nous

C’est justice ; nous recevons ce qu'ont mérité

Nos actes, lui n'a rien fait de fâcheux."

42 Il disait :

" Jésus, souviens-toi de moi, lorsque tu viendras

Dans ton royaume," 43 Et il lui dit : " En vérité,

Je te le dis : tu seras dans le Paradis

Avec moi, aujourd’hui."

La mort de Jésus.

44 Et c’était environ

La sixième heure, Il y eut sur toute la terre

Des ténèbres jusqu'à la neuvième heure. Le soleil

Manqua, 45 le rideau du Sanctuaire se fendit

Par le milieu, 46 criant d’une voix forte, Jésus

Dit : "Père, entre tes mains je confie, mon esprit."

Et ayant dit cela, il expira.

759


Après la mort de Jésus.

47 Voyant

Ce qu’il advint, le centurion glorifia Dieu

En disant : “Vraiment cet homme-là était juste !"

48 Toutes les foules qui accourues à ce spectacle

Regardaient ce qu’il advint s’en retournaient (donc)

En se frappant la poitrine.

49 Tous ses familiers

Se tenaient au loin avec des femmes qui depuis

La Galilée l'accompagnaient et qui voyaient

Cela.

L’ensevelissement.

Voici un homme du nom de Joseph

Qui était du conseil, - un homme bon et juste -

Et il ne s’était associé ni à leur dessein

Ni à leur acte ! Il était d'Arimathie, ville

Des Juifs, il attendait le royaume de Dieu.

52 S'avançant vers Pilate, il réclama le corps

De Jésus. 53 Et l’ayant descendu de là croix,

Il le roula dans un linceul et il le mit

Dans une tombe taillée dans le roc, personne

Encore n'y avait été placé. 54 Et c’était

Le jour de la Préparation, et le sabbat

Commençait à luire.

760


Les femmes qui étaient venues

De Galilée, et qui l’avaient accompagné

Regardèrent le tombeau, la façon dont le corps

Avait été mis.

Alors elles s’en retournèrent

Et préparèrent aromates et parfums.

Selon le commandement, elles se tinrent tranquilles,

Le sabbat.

761


La mise au tombeau

Le petit cortège, après avoir descendu le Calvaire, trouve à son pied, creusé dans le calcaire du mont, le

tombeau de Joseph d'Arimathie. Ils y entrent les pieux avec le Corps de Jésus.

Je vois le tombeau fait ainsi. C'est une pièce creusée dans la pierre au fond d'un jardin tout fleuri. Cela

ressemble à une grotte, mais on se rend compte qu'elle est creusée de main d'homme. Il y a la chambre

sépulcrale proprement dite, avec ses loculus (ils sont faits d'une manière différente de ceux des catacombes).

Ce sont des sortes de cavités rondes qui pénètrent dans la pierre comme les trous d'une ruche, pour en donner

une idée. Pour le moment, ils sont tous vides. On voit l'œil vide de chaque loculus comme une tache noire

sur la grisaille de la pierre. Puis, précédant cette chambre sépulcrale, il y a une sorte d'antichambre. En son

milieu, une table de pierre pour l'onction. C'est sur elle que l'on pose le Corps de Jésus dans son drap.

Y entrent aussi Jean et Marie. Pas davantage car cette chambre préparatoire est petite et s'il y avait des

personnes en plus, ils ne pourraient plus bouger. Les autres femmes sont près de la porte, ou plutôt près de

l'ouverture car il n'y a pas de porte proprement dite.

Les deux porteurs découvrent Jésus.

Pendant qu'ils préparent dans un coin sur une espèce de console, à la lumière de deux torches, les bandes et

les aromates, Marie se penche sur son Fils et elle pleure, et de nouveau elle l'essuie avec le voile qui est

encore aux reins de Jésus. C'est l'unique toilette que reçoit le Corps de Jésus, celle des larmes maternelles, et

si elles sont copieuses et abondantes, elles ne servent pourtant qu'à enlever superficiellement et partiellement

la poussière, la sueur et le sang de ce Corps torturé.

762


Marie ne se lasse pas de caresser ces membres glacés. Avec une délicatesse encore plus grande que si elle

touchait celles d'un nouveau-né, elle prend les pauvres mains déchirées, les serre dans 306> les siennes, en

baise les doigts, les allonge, cherche à réunir les lèvres des blessures comme pour les soigner pour qu'elles

fassent moins mal, elle applique sur ses joues ces mains qui ne peuvent plus caresser et elle gémit, elle gémit

dans son atroce douleur. Elle redresse et joint les pauvres pieds qui restent ainsi abandonnés, comme s'ils

étaient mortellement épuisés de tant de chemin parcouru pour nous. Mais ils ont été trop déplacés sur la

croix, surtout celui de gauche qui reste pour ainsi dire à plat, comme s'il n'avait plus de cheville.

Puis elle revient au corps et le caresse, si froid et déjà rigide. Elle voit une nouvelle fois la déchirure de la

lance. Maintenant que le Sauveur est couché sur le dos sur la plaque de pierre, elle est ouverte et béante

comme une bouche, permettant de mieux voir la cavité thoracique (la pointe du cœur se voit distinctement

entre le sternum et l'arc costal gauche, et deux centimètres environ au-dessus se trouve l'incision faite par la

pointe de la lance dans le péricarde et le carde, longue d'un bon centimètre et demi alors que l'ouverture

externe du côté droit est d'au moins sept centimètres). Marie crie de nouveau comme sur le Calvaire. Il

semble que la lance la transperce, tant elle se tord dans sa douleur en portant les mains à son cœur,

transpercé comme celui de Jésus. Que de baisers sur cette blessure, pauvre Mère !

Puis elle revient à la tète renversée et la redresse car elle est restée légèrement renversée en arrière et

fortement à droite. Elle cherche à fermer les paupières qui s'obstinent à rester entrouvertes, et la bouche

restée ouverte, contractée, un peu tordue à droite. Elle peigne les cheveux, qui hier seulement étaient beaux

et qui sont devenus un enchevêtrement alourdi par le sang. Elle démêle les mèches les plus longues, les lisse

sur ses doigts, les enroule pour leur rendre la forme des doux cheveux de son Jésus, si soyeux et si bouclés.

Et elle ne cesse de gémir car elle se souvient de quand il était enfant... C'est le motif fondamental de sa

douleur : le souvenir de l'enfance de Jésus, de son amour pour Lui, de ses soins qui craignaient même de l'air

plus vif pour la petite créature divine, et la comparaison avec ce que Lui ont fait, maintenant, les hommes.

Sa plainte me fait souffrir, et son geste quand elle dit en gémissant : "Que t'ont-ils fait, que t'ont-ils fait, mon

Fils ?" ne pouvant le voir ainsi : nu, raide, sur une pierre, elle le prend dans ses bras en Lui passant le bras

763


sous les épaules, en le serrant de l'autre main sur sa poitrine et en le berçant, du même mouvement qu'à la

grotte de la Nativité. Tout cela me fait pleurer et souffrir comme si une main me fouillait le cœur.

La terrible angoisse spirituelle de Marie.

La Mère est debout près de la pierre de l'onction et caresse, contemple, gémit et pleure. La lumière

tremblante des torches éclaire par instants son visage et je vois de grosses larmes qui roulent sur les joues

très pâles d'un visage dévasté. Et j'entends les paroles, toutes, bien distinctement, bien que murmurées entre

les lèvres, vrai colloque de l'âme maternelle avec l'âme de son Fils. Je reçois l'ordre de les écrire.

"Pauvre Fils ! Que de blessures !... Comme tu as souffert ! Regarde ce qu'ils t'ont fait !... Comme tu es froid,

Fils ! Tes doigts sont glacés, et comme ils sont inertes ! Ils paraissent brisés. Jamais, pas même dans le

sommeil le plus abandonné de l'enfance, ni dans la lourdeur de ta fatigue d'artisan, ils n'étaient ainsi... Et

comme elles sont glacées ! Pauvres mains ! Donne-les à ta Maman, mon trésor, amour saint, mon amour !

Regarde comme elles sont transpercées ! Mais regarde, Jean, quelle déchirure ! Oh ! les cruels ! Ici, ici,

donne à ta Maman cette main blessée. Que je te la soigne. Oh ! je ne te ferai pas mal... J'emploierai baisers et

larmes, et de mon souffle et de mon amour je te les réchaufferai. Donne-moi une caresse, Fils ! Tu es de

glace, moi je brûle de fièvre. Ma fièvre sera soulagée par ta glace et ta glace s'adoucira au contact de ma

fièvre. Une caresse, Fils ! Il y a peu d'heures que tu ne me caresses, et elles me paraissent des siècles. Il y a

eu des mois sans tes caresses et ils me paraissent des heures, parce que j'attendais toujours ton arrivée et de

chaque jour je faisais une heure, de chaque heure une minute, pour me dire que tu n'étais pas éloigné de une

ou plusieurs lunes, mais seulement de quelques jours, mais seulement de quelques heures. Pourquoi

maintenant le temps est-il si long ? Oh ! tourment inhumain ! Parce que tu es mort. Ils t'ont tué ! Tu n'es plus

sur la Terre ! Plus ! En quel qu'endroit que j'envois mon âme pour chercher la tienne et l'embrasser, puisque

te trouver, te posséder, te sentir, était la vie de ma chair et de mon esprit, en quel qu'endroit que je te cherche

avec le flot de mon amour, je ne te trouve plus, je ne te trouve plus ! De Toi, il ne me reste que cette

dépouille froide, cette dépouille sans âme ! Ô âme de mon Jésus, ô âme de mon Christ, ô âme de mon

Seigneur, où es-tu ? Pourquoi avez-vous enlevé l'âme à mon Fils, hyènes cruelles unies à Satan ? Et

764


pourquoi ne m'avez-vous pas crucifiée avec Lui ? Avez-vous eu peur d'un second crime ? (Sa voix devient

de plus en plus forte et déchirante.) Et qu'était-ce de tuer une pauvre femme, pour vous qui n'avez pas hésité

à tuer Dieu fait Chair ? N'avez-vous pas commis un second crime ? Et n'est-ce pas le plus infâme de laisser

une mère survivre à son Fils mis à mort ?"

La Mère, qui en élevant la voix avait aussi levé la tête, maintenant revient se pencher sur le visage éteint et à

parler doucement pour Lui seul : "Dans la tombe, au moins ici, à l'intérieur, nous aurions été ensemble,

comme nous avons été ensemble dans l'agonie sur le bois, et ensemble dans le voyage au-delà de la vie et à

la rencontre de la Vie. Mais si je ne puis te suivre dans le voyage au-delà de la vie, je puis rester ici à

t'attendre."

Elle se redresse et dit à haute voix à ceux qui sont présents : "Éloignez-vous, tous. Moi, je reste. Enfermezmoi

ici avec Lui. Je l'attends. Que dîtes-vous ? Que ce n'est pas possible ? Pourquoi n'est-ce pas possible ? Si

j'étais morte, ne serais-je pas ici, couchée à son côté, en attendant d'être composée ? Je serai à son côté, mais

à genoux. J'y ai été quand Lui vagissait, tendre et rosé, dans une nuit de décembre. J'y serai maintenant dans

cette nuit du monde qui n'a plus le Christ. Oh ! vraie nuit ! La Lumière n'est plus !... Oh ! nuit glaciale !

L'Amour est mort ! Que dis-tu, Nicodème ? Je me contamine ? Son Sang n'est pas contamination. Je ne me

suis pas contaminée en l'engendrant. Ah ! comme tu es sorti, Toi, Fleur de mon sein, sans déchirer des fibres,

mais vraiment comme la fleur du narcisse parfumé qui éclôt de l'âme du bulbe matrice et donne une fleur

même si l'embrassement de la terre n'a pas été sur la matrice. Floraison virginale qui se réalise en Toi, ô Fils

venu de l'embrassement céleste, et né dans l'envahissement des splendeurs célestes."

Maintenant la Mère déchirée se penche de nouveau sur son Fils, restant étrangère à tout ce qui n'est pas Lui, et

elle murmure doucement : "Mais Toi, te le rappelles-tu, Fils, ce sublime revêtement de splendeurs qui revêtait

toutes choses alors que ton sourire naissait au monde ? Te la rappelles-tu cette béatifiante lumière que le Père

envoya des Cieux pour envelopper le mystère de ta floraison et te faire trouver moins repoussant ce monde

obscur, pour Toi qui étais Lumière et venais de la Lumière du Père et de l'Esprit Paraclet ? Et maintenant ?...

Maintenant nuit et froid... Quel froid ! Quel froid ! J'en tremble toute. Plus froid que cette nuit de décembre.

765


Alors il y avait la joie de t'avoir pour me réchauffer le cœur. Et il y en avait deux pour t'aimer... Maintenant...

Maintenant je suis seule et mourante moi aussi. Mais je t'aimerai pour deux : pour ceux qui t'ont si peu aimé

qu'ils t'ont abandonné au moment de la douleur; je t'aimerai pour ceux qui t'ont haï ; pour le monde entier, je

t'aimerai, ô Fils. Tu ne sentiras pas le froid du monde. Non, tu ne le sentiras pas. Tu ne m'as pas ouvert les

entrailles pour naître, mais pour que tu ne sentes pas le froid je suis prête à me les ouvrir et à t'enfermer dans

l'embrassement de mon sein. Te souviens-tu comme ce sein t'a aimé, petit germe palpitant ?... C'est toujours ce

sein. Oh ! c'est mon droit et mon devoir de Mère. C'est mon désir. Il n'y a que la Mère qui puisse l'avoir, qui

puisse avoir pour le Fils un amour aussi grand que l'univers."

La voix est allée en s'élevant et maintenant, avec toute sa force, elle dit : "Partez. Moi je reste. Vous

reviendrez dans trois jours et nous sortirons ensemble. Oh ! revoir le monde appuyée à ton bras, ô mon Fils !

Comme il sera beau le monde à la lumière de ton sourire ressuscité ! Le monde frémissant au pas de son

Seigneur ! La Terre a tremblé quand la mort t'a arraché l'âme et que de ton cœur est sorti ton esprit. Mais

maintenant elle va trembler... oh ! non plus d'horreur et de douleur, mais d'un suave frémissement que je ne

connais pas, mais dont ma féminité a l'intuition, qui émeut une vierge quand, après une absence, elle entend

le pas de son époux qui vient pour les noces. Mieux encore : la Terre frémira d'un frémissement saint,

comme moi j'en ai été bouleversé jusque dans mes profondeurs les plus profondes, quand j'eus en moi le

Seigneur Un et Trin, et quand la volonté du Père avec le feu de l'Amour créa la semence dont tu es venu, ô

mon saint Petit, mon Enfant, tout à moi ! Tout ! Tout de la Maman ! de la Maman !... Tout enfant a un père

et une mère, même le bâtard a un père et une mère. Mais Toi, tu as eu la Maman seule pour faire ta chair de

rosée et de lys, pour te faire ces broderies de veines azurées comme nos rivières de Galilée, et ces lèvres de

grenade, et ces cheveux plus gracieux que la toison blonde des chèvres de nos collines, et ces yeux, deux

petits lacs de Paradis. Non, plutôt qui sont de l'eau d'où vient l'Unique et Quadruple Fleuve du Lieu de

délices, et qui porte avec lui, dans ses quatre branches, l'or, l'onyx, le béryl et l'ivoire, et les diamants, et les

palmes, et le miel, et les rosées, et les richesses infinies, ô Phison, ô Gehon, ô Tigre, ô Euphrate : chemin

pour les anges qui se réjouissent en Dieu, chemin pour les rois qui t'adorent, Essence connue ou inconnue,

mais Vivante, mais Présente même dans le cœur le plus obscur ! C'est seulement ta Maman qui t'a fait cela

avec son "oui"... De musique et d'amour elle t'a formé, de pureté et d'obéissance elle t'a fait, ô ma joie ! Ton

cœur, qu'est-ce que c'est ? La flamme du mien qui s'est partagée pour se condenser en une couronne autour

du baiser de Dieu à sa Vierge. Voilà ce qu'est ton cœur. Ah ! (le cri est déchirant au point que la Magdeleine

766


accourt pour la secourir en même temps que Jean. Les autres n'osent pas et, en pleurs et voilées, elles jettent

un coup d'œil par l'ouverture). Ah ! ils te l'ont brisé ! Voilà pourquoi tu es si froid et pourquoi je suis si

froide ! Tu n'as plus en Toi la flamme de mon cœur et moi je ne puis plus continuer à vivre par le reflet de

cette flamme qui était mienne et que je t'ai donnée pour te faire un cœur. Ici, ici, ici sur ma poitrine ! Avant

que la mort me tue, je veux te réchauffer, je veux te bercer. Je te chantais : "Il n'y a pas de maison, il n'y a

pas de nourriture, il n'y a que la douleur." Ô paroles prophétiques ! Douleur, douleur, douleur pour Toi, pour

moi ! Je te chantais : "Dors, dors sur mon cœur". Même maintenant : ici, ici, ici..."

Et s'assoyant sur le bord de la pierre, elle le prend sur ses genoux en passant un bras de son Fils sur ses

épaules, en appuyant la tête du Fils sur l'épaule et en appuyant sur cette tête la sienne, en le tenant serré

contre sa poitrine, en le berçant, en le baisant, déchirée et déchirante.

Nicodème et Joseph s'approchent en plaçant sur une sorte de siège, qui est de l'autre côté de la pierre, des

vases et des bandes et un linceul propre et un bassin rempli d'eau, me semble-t-il, et des tampons de charpie,

me semble-t-il.

Marie voit et demande à haute voix : "Que faites-vous ? Que voulez-vous ? Le préparer ? Pourquoi ?

Laissez-le sur les genoux de sa Maman. Si j'arrive à le réchauffer, il ressuscite plus tôt. Si j'arrive à consoler

le Père et à le consoler Lui de la haine déicide, le Père pardonne plus tôt, et Lui revient plus tôt."

La Douloureuse délire presque.

"Non, je ne vous le donne pas ! Je l'ai donné une fois, une fois je l'ai donné au monde et il ne l'a pas voulu. Il

l'a tué parce qu'il ne le voulait pas. Maintenant, je ne le donne plus ! Que dites-vous ? Que vous l'aimez ?

Bon ! Mais pourquoi ne l'avez-vous pas défendu ? Vous avez attendu, pour Lui dire que vous l'aimiez, qu'il

ne soit plus quelqu'un qui puisse vous entendre. Quel pauvre amour que le vôtre ! Mais si vous craigniez le

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monde au point de ne pas oser défendre un Innocent, vous deviez au moins me le rendre, à moi, sa Mère,

pour qu'elle défende son Enfant. Elle savait qui Il était et ce qu'il méritait. Vous !... Vous l'avez eu comme

Maître, mais vous n'avez rien appris. N'est-ce pas vrai, peut-être ? Je mens, peut-être ? Mais vous ne voyez

pas que vous ne croyez pas à sa Résurrection ? Vous y croyez ? Non. Pourquoi êtes-vous là, en train de

préparer des bandes et des aromates ? Parce que vous jugez que c'est un pauvre mort, aujourd'hui glacé,

demain corrompu, et c'est pour cela que vous voulez l'embaumer. Laissez là vos pommades. Venez adorer le

Sauveur avec le cœur pur des bergers de Bethléem. Regardez : dans son sommeil, c'est seulement un fatigué

qui se repose. Combien il a fatigué dans sa vie ! Il s'est fatigué toujours plus et dans ces dernières heures,

ensuite !... Maintenant il repose. Pour moi, pour sa Maman, ce n'est qu'un grand Enfant fatigué qui dort. Bien

misérable son lit et sa chambre ! Mais son premier berceau n'était plus beau, ni plus plaisante sa première

demeure. Les bergers adorèrent le Sauveur dans son sommeil d'Enfant. Vous adorez le Sauveur dans son

sommeil de Triomphateur de Satan. Et puis, comme les bergers, allez dire au monde : "Gloire à Dieu ! Le

Péché est mort ! Satan est vaincu ! Que la paix soit sur la Terre et au Ciel entre Dieu et l'homme !" Préparez

les chemins pour son retour. Je vous envoie, Moi que la Maternité fait Prêtresse rituelle. Allez. J'ai dit que je

ne veux pas. Je l'ai lavé de mes pleurs et cela suffit. Le reste est inutile, et ne vous imaginez pas de le mettre

sur Lui. Il sera plus facile pour Lui de se relever s'il est dégagé de ces bandes funèbres et inutiles. Pourquoi

me regardes-tu ainsi, Joseph ? Et toi pourquoi, Nicodème ? Mais l'horreur de cette journée vous a-t-elle

rendus hébétés ? Avez-vous perdu la mémoire ? Ne vous rappelez-vous pas ? "À cette génération mauvaise

et adultère qui cherche un signe, il ne sera donné que le signe de Jonas... Ainsi le Fils de l'homme restera

trois jours et trois nuits dans le cœur de la Terre". Ne vous souvenez-vous pas ? "Le Fils de l'homme va être

livré aux mains des hommes qui le tueront, mais le troisième jour il ressuscitera". Ne vous rappelez-vous

pas ? "Détruisez ce Temple du vrai Dieu et en trois jours je le ressusciterai". Le Temple c'était son Corps, ô

hommes. Tu secoues la tête ? Tu me plains ? Tu me crois folle ? Mais comment ? Il a ressuscité les morts, et

il ne pourra pas se ressusciter Lui-même ? Jean ?"

"Mère !"

"Oui, appelle-moi "mère". Je ne peux vivre en pensant que je ne serai pas appelée ainsi ! Jean : tu étais

présent quand il ressuscita la fillette de Jaïre et le jeune homme de Naïm. Ils étaient bien morts eux, n'est-ce

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pas ? Ce n'était pas seulement un lourd assoupissement ? Réponds."

"Ils étaient morts. La fillette depuis deux heures, le jeune homme depuis un jour et demi."

"Et ils se sont levés à son commandement ?"

"Et ils se sont levés à son commandement."

"Vous avez entendu ? Vous deux, vous avez entendu ? Mais pourquoi secouez-vous la tête ? Ah ! peut-être

vous voulez dire que la vie revient plus vite en celui qui est innocent et jeune. Mais mon Enfant, il est

l'Innocent ! Il est le Toujours Jeune. Il est Dieu, mon Fils !..."

La Mère jette un regard déchirant et fiévreux sur les deux premiers qui, accablés mais inexorables, disposent

les rouleaux des bandes désormais trempées dans les aromates. Marie fait deux pas. Elle a reposé le Fils sur

la pierre avec la délicatesse de quelqu'un qui dépose un nouveau-né dans son berceau. Elle fait deux pas, se

penche au pied du lit funèbre, où la Magdeleine pleure à genoux. Elle la saisit par l'épaule, la secoue,

l'appelle : "Marie, réponds. Eux pensent que Jésus ne peut pas ressusciter parce qu'il est un homme et qu'il

est mort de blessures, mais ton frère n'était-il pas plus âgé que Lui ?"

"Si."

"N'était-il pas qu'une plaie ?"

"Si."

"N'était-il pas déjà décomposé avant de descendre au tombeau ?"

"Si."

"Et n'est-il pas ressuscité au bout de quatre jours d'asphyxie et de décomposition ?"

769


"Si."

"Et alors ?"

Un silence grave et prolongé. Puis un cri inhumain. Marie vacille en portant une main à son cœur. Ils la

soutiennent, mais elle les repousse. Elle paraît repousser les pieux. En réalité elle repousse ce qu'elle est

seule à voir. Et elle crie : "Arrière ! Arrière ! cruel ! Pas cette vengeance ! Tais-toi ! Je ne veux pas

t'entendre ! Tais-toi ! Ah ! il me mord le cœur !"

"Qui, Mère ?"

"Ô Jean, c'est Satan ! Satan qui dit : "Il ne ressuscitera pas. Aucun prophète ne l'a dit". Ô Dieu Très-Haut !

Aidez-moi tous, ô vous esprits bons, ô vous, hommes pieux ! Ma raison vacille ! Je ne me rappelle plus rien.

Que disent les prophètes ? Que dit le psaume ? Oh ! qui va me répéter les passages qui parlent

de mon Jésus ?"

C'est la Magdeleine qui avec sa voix d'orgue dit le psaume de David sur la Passion du Messie.

La Mère pleure plus fort, soutenue par Jean, et ses larmes tombent sur son Fils mort qui en est inondé. Marie

le voit, elle l'essuie et elle dit à voix basse : "Tant de larmes, et quand tu avais si grand soif je n'ai pas même

pu t'en donner une goutte. Et maintenant... je t'inonde ! Tu ressembles à un arbuste sous une épaisse rosée.

Ici, que la Maman t'essuie, Fils ! Tu as goûté tant d'amertume ! Que sur tes lèvres blessées ne tombe pas

aussi l'amertume et le sel des larmes maternelles !..."

Puis elle appelle à haute voix : "Marie. David ne dit pas... Connais-tu Isaïe ? Dis-moi ses paroles..."

La Magdeleine dit le passage sur la Passion et finit dans un sanglot : "...il a livré sa vie à la mort et on l'a

compté parmi les malfaiteurs, Lui qui a enlevé les péchés du monde et a prié pour les pécheurs."

770


"Oh ! Tais-toi ! La Mort, non ! Pas livré à la mort ! Non ! Non ! Oh ! que votre non croyance, en s'alliant à la

tentation de Satan, me met le doute au cœur ! Et devrais-je ne pas te croire, ô Fils ? Ne pas croire à ta sainte

Parole ?! Oh ! Dis-le à mon âme ! Parle. Des rives lointaines où tu es allé pour délivrer ceux qui attendent ta

venue, jette ta voix d'âme à mon âme qui l'attend, à mon âme qui est ici, toute prête à recevoir ta voix. Dis à

ta Mère que tu reviens. Dis : "Le troisième jour, je ressusciterai." Je t'en supplie, Fils et Dieu ! Aide-moi à

protéger ma Foi. Satan l'enroule dans ses spires pour l'étrangler. Satan a enlevé sa bouche de serpent de la

chair de l'homme car tu lui as arraché cette proie, et maintenant il a enfoncé ses crocs venimeux dans la chair

de mon cœur et il en paralyse les palpitations, la force et la chaleur. Dieu ! Dieu ! Dieu ! Ne permets pas que

je me méfie ! Ne laisse pas le doute me glacer ! Ne donne pas à Satan la liberté de m'amener au désespoir !

Fils ! Fils ! Mets ta main sur mon cœur. Elle chassera Satan. Mets-la sur ma tête. Elle y ramènera la

Lumière. Sanctifie mes lèvres par une caresse pour qu'elles aient la force de dire : "Je crois" même contre

tout un monde qui ne croit pas. Oh ! quelle douleur c'est de ne pas croire ! Père ! Il faut beaucoup pardonner

à celui qui ne croit pas. Car, quand on ne croit plus... quand on ne croit plus... toute horreur devient facile. Je

te le dis... moi qui éprouve cette torture. Père, pitié des sans foi ! Donne-leur, Père saint, donne-leur, au nom

de cette Hostie consumée et de moi, hostie qui se consume encore, donne ta foi aux sans foi !"

Un long silence.

Nicodème et Joseph font un signe à Jean et à la Magdeleine.

"Viens. Mère." C'est la Magdeleine qui parle pour chercher à éloigner Marie de son Fils et à séparer les

doigts de Jésus entrelacés dans ceux de Marie qui les baise en pleurant.

La Mère se redresse. Elle est solennelle. Elle étend une dernière fois les pauvres doigts exsangues, pose la

main inerte le long du corps. Puis elle abaisse les bras vers la terre, et bien droite, la tête légèrement

renversée, elle prie et offre. On n'entend pas de parole. Mais par toute son attitude, on comprend qu'elle prie.

C'est vraiment la Prêtresse à l'autel, la Prêtresse au moment de l'offertoire. "Offerimus praeclarae majestati

771


tuae de tuis donis, ac datis, hostiam puram, hostiam sanctam, hostiam immaculatam..."

Puis elle se tourne : "Faites-le donc. Mais Lui ressuscitera. C'est inutilement que vous vous défiez de ma

raison et que vous êtes aveugles à la vérité que Lui vous a dit. C'est inutilement que Satan cherche à attaquer

ma foi. Pour racheter le monde, il manque aussi la torture que Satan vaincu donne à mon cœur. Je la subis et

l'offre pour ceux qui viendront. Adieu, Fils ! Adieu, mon Enfant ! Adieu, mon Petit ! Adieu... Adieu... Saint...

Bon... Très aimé et aimable... Beauté... Joie... Source de salut... Adieu... Sur tes yeux... sur tes lèvres... sur tes

cheveux d'or... sur tes membres glacés... sur ton cœur transpercé... oh ! sur ton cœur transpercé... mon baiser...

mon baiser... mon baiser... Adieu... Adieu !... Seigneur ! Pitié pour moi !"

Les deux préparateurs ont fini la préparation des bandes. Ils vont à la table et dénudent Jésus même de son

voile. Ils passent une éponge, me semble-t-il, ou un morceau de lin sur les membres en une préparation très

rapide des membres qui dégouttent de mille endroits. Puis ils enduisent d'onguents tout le Corps. Ils

l'ensevelissent vraiment sous une couche de pommade. Auparavant ils l'ont soulevé pour nettoyer aussi la

table de pierre sur laquelle ils posent le linceul, qui pend de la tête du lit. Ils le reposent sur la poitrine, et

enduisent tout le dos, les cuisses, les jambes, toute la partie postérieure. Puis ils le tournent délicatement, en

faisant attention à ce que ne s'en aille pas la couche de pommade et puis ils font aussi l'onction de la partie

antérieure. D'abord le tronc, puis les membres. D'abord les pieds, et en dernier lieu les mains qu'ils joignent

sur le bas ventre. La mixture des arômes doit être collante comme de la gomme, car je vois que les mains

restent en place alors qu'avant elles glissaient toujours à cause de leur poids de membres morts. Les pieds,

non. Ils conservent leur position : l'un plus droit, l'autre plus allongé. Pour finir, la tête. Après l'avoir enduite

avec soin, de manière que les traits disparaissent sous la couche d'onguents, ils lient le menton avec une

bande pour maintenir la bouche fermée.

Marie gémit plus fort. Puis ils soulèvent le côté du Linceul qui pend et le replient sur Jésus. Il disparaît sous

la grosse toile du linceul. Ce n'est plus qu'une forme couverte par une toile.

772


Joseph regarde que tout soit bien en place et appuie encore sur le Visage un suaire de lin et d'autres linges,

qui ressemblent à de courtes et larges bandes rectangulaires, qui vont de droite à gauche, au-dessus du Corps

et tiennent en place le Linceul, bien adhérent au Corps. Ce n'est pas le bandage que l'on voit dans les

momies, ni même dans la résurrection de Lazare. C'est un embryon de bandage.

Jésus désormais est annulé. Même sa forme est confondue sous les linges. Cela ressemble à un long paquet

de toile, plus étroit aux extrémités et plus large au milieu, appuyé sur la pierre grise. Marie pleure plus fort.

773


L’ensevelissement

57 Le soir venu, un homme riche, d’Arimmathie,

Du nom de Joseph arriva, qui lui aussi

S’était fait disciple de Jésus. 58 Celui-ci

S’avança vers Pilate, et réclama le corps

De Jésus. Pilate ordonna de le remettre.

59 Puis Joseph prit le corps, et il l’enveloppa

Dans un linceul propre, 60 il le mit dans le tombeau

Tout neuf qu’il s’était fait tailler dans le roc puis,

Ayant roulé une grande pierre à l’entrée

Du tombeau, il s’en alla. 61 Il y avait là

Marie Madeleine et l’autre Marie, assises

En face du sépulcre.

La garde du tombeau

Alors 62 le lendemain,

Le jour d’après la Préparation, les grands prêtres

Et les Pharisiens se rassemblèrent chez Pilate

Et dirent : “ 63 Seigneur, cet imposteur nous avait dit

De son vivant, nous nous en sommes souvenus :

Trois jours après je me relève. 64 Ordonne donc

Qu’on assure le sépulcre jusqu’au troisième jour

Pour éviter que ses disciples ne le dérobent

Et ne disent ceci au peuple : “ De chez les morts

Il s’est révélé, cette dernière imposture

Serait pire que la première !

774


65 Pilate leur dit :

“ Vous avez une garde, allez, assurez-vous

Comme vous l’entendez. ” 66 Ceux-ci allèrent donc

S’assurer du sépulcre, ils scellèrent la pierre

Et placèrent la garde.

775


TOME X

776


La Résurrection

Je revois la joyeuse et puissante Résurrection du Christ.

Dans le jardin, tout est silence et scintillement de la rosée. Au-dessus, un ciel qui devient d’un saphir de plus

en plus clair, après avoir quitté son bleu noir criblé d’étoiles qui, pendant toute la nuit, avaient veillé sur le

monde. L’aube repousse de l’orient vers l’occident les zones encore obscures, comme fait l’eau pendant une

marée haute qui avance toujours plus pour couvrir le rivage obscur, et remplaçant le gris noir du sable

humide par le bleu des eaux marines.

Quelque étoile ne veut pas encore mourir et jette un regard de plus en plus débile sous l’onde de lumière vert

claire de l’aube, d’un blanc laiteux nuancé de gris, comme les feuillages des oliviers engourdis qui

couronnent un coteau peu distant. Et puis elle naufrage, submergée par l’onde de l’aube comme une terre

que recouvre l’eau. Et puis en voilà une de moins... Et puis encore une de moins.., et une autre, et une autre.

Le ciel perd ses troupeaux d’étoiles et seulement là-bas, à l’extrême occident, trois, puis deux, puis une,

restent à regarder ce prodige quotidien qu’est l’aurore qui se lève.

Et voilà : quand un filet de rose trace une ligne sur la soie turquoise du ciel oriental, un soupir de vent passe

sur les feuillages et sur les herbes et dit : "Réveillez-vous. Le jour est revenu." Mais il ne réveille que les

herbes et les feuillages qui frissonnent sous leurs diamants de rosée et ont un bruissement ténu, arpégé par

les gouttes qui tombent.

Les oiseaux ne se réveillent pas encore dans les branches touffues d’un cyprès de grande taille qui semble

dominer comme un seigneur dans son royaume, ni dans l’entrelacement embrouillé d’une haie de lauriers qui

abrite de la tramontane.

777


Les gardes ennuyés, transis de froid, pris par le sommeil, dans des poses variées veillent sur le Tombeau,

dont la porte de pierre a été renforcée, sur ses bords, par une épaisse couche de chaux, comme si c’était un

contrefort, sur le blanc opaque de laquelle se détachent les larges rosaces de cire rouge, imprimées avec

d’autres, directement dans la chaux fraîche, du sceau du Temple.

Les gardes doivent avoir allumé du feu pendant la nuit car il y a de la cendre et des tisons pas encore éteints

sur le sol, et ils doivent avoir joué et mangé, car il y a encore, répandus sur le sol, des restes de nourriture et

des osselets nets qui ont servi certainement pour quelque jeu, comme notre jeu de domino ou notre jeu

enfantin de billes, joués sur un primitif échiquier tracé sur le sentier. Puis ils ont tout laissé en plan par

lassitude pour chercher des poses plus ou moins commodes pour dormir ou pour veiller.

Dans le ciel qui maintenant, à l’orient, a une étendue toute rosée qui s’agrandit de plus en plus dans le ciel

serein, où par ailleurs il n’y a pas encore de rayon de soleil, se présente, venant de profondeurs inconnues, un

météore resplendissant qui descend, boulet de feu d’une splendeur insoutenable, suivi d’un sillage rutilant

qui peut-être n’est que le souvenir de sa splendeur sur notre rétine. Il descend à toute vitesse vers la Terre, en

répandant une lumière si intense, si fantasmagorique, si effrayante dans sa beauté, que la lumière rosée de

l’aurore disparaît éclipsée par cette blancheur incandescente.

Les gardes lèvent la tête, étonnés, parce qu’aussi avec la lumière arrive un grondement puissant,

harmonieux, solennel, qui remplit de lui-même toute la Création. Il vient de profondeurs paradisiaques. C’est

l’alléluia, la gloire angélique qui suit l’Esprit du Christ revenant dans sa Chair glorieuse.

Le météore s’abat contre l’inutile fermeture du Tombeau, l’arrache, la jette parterre, foudroie de terreur et de

bruit les gardes mis comme geôliers du Maître de l’Univers en produisant, avec son retour sur la Terre, un

nouveau tremblement de terre comme il l’avait produit en fuyant la Terre cet Esprit du Seigneur. Il entre

dans le sombre Tombeau qu’éclaire sa lumière indescriptible, et pendant qu’il reste suspendu dans l’air

immobile, l’Esprit se réinfuse dans le Corps sans mouvement sous les bandes funèbres.

778


Tout cela non dans une minute, mais dans une fraction de minute, tant l’apparition, la descente, la

pénétration et la disparition de la Lumière de Dieu a été rapide...

Le “ Je veux” du divin Esprit à sa Chair froide n’a pas de son. Le son est dit par l’Essence à la Matière

immobile. Aucune parole n’est entendue par l’oreille humaine.

La Chair reçoit le commandement et lui obéit en poussant un profond soupir...

Rien d’autre pendant quelques minutes.

Sous le Suaire et le Linceul, la Chair glorieuse se recompose en une beauté éternelle, se réveille du sommeil

de la mort, revient du "rien" où elle était, vit après avoir été morte. Certainement le cœur se réveille et donne

son premier battement, pousse dans les veines le sang gelé qui reste et en crée tout d’un coup la mesure

totale dans les artères vides, dans les poumons immobiles, dans le cerveau obscur, et ramène la chaleur, la

santé, la force, la pensée.

Un autre moment, et voilà un mouvement soudain sous le lourd Linceul. Le mouvement est soudain, depuis

l’instant certainement où il remue ses mains croisées jusqu’au moment où il apparaît debout majestueux,

splendide dans son vêtement de matière immatérielle, surnaturellement beau et imposant, avec une gravité

qui le change et l’élève tout en le laissant Lui-même, l’œil a à peine le temps d’en suivre le développement.

Et maintenant, il l’admire : si différent de ce que la pensée lui rappelle, en forme, sans blessures ni sang,

mais seulement éblouissant de la lumière qui jaillit à flots des cinq plaies et sort par tous les pores de son

épiderme.

779


Il fait son premier pas : dans son mouvement les rayons qui jaillissent des mains et des pieds l’auréolent de

lames de lumière ; depuis la tête nimbée d’un diadème qui est fait des innombrables blessures de la couronne

qui ne donnent plus de sang mais seulement de la splendeur, jusqu’au bord du vêtement quand, en ouvrant

les bras qu’il a croisés sur sa poitrine, il découvre la zone de luminosité très vive qui filtre de son habit en lui

donnant l’éclat d’un soleil à la hauteur du cœur. Alors c’est réellement la "Lumière" qui a pris corps, pas la

pauvre lumière de la Terre, pas la pauvre lumière des astres, pas la pauvre lumière du soleil. Mais la Lumière

de Dieu : toute la splendeur paradisiaque qui se rassemble en un seul Être et Lui donne ses azurs

inconcevables pour pupilles, ses feux d’or pour cheveux, ses candeurs angéliques pour vêtement et coloris,

et tout ce qui est, d’indescriptible pour la parole humaine, la suréminente ardeur de la Très Sainte Trinité, qui

annule par son ardente puissance tout feu du Paradis, en absorbant en Elle-même pour l’engendrer à nouveau

à chaque instant du Temps éternel, Cœur du Ciel qui attire et diffuse son sang, les innombrables gouttes de

son sang incorporel : les bienheureux, les anges, tout ce qui est le Paradis : l’amour de Dieu, l’amour pour

Dieu, tout ce qui est la Lumière qu’est, que forme, le Christ Ressuscité.

Quand il se déplace, en venant vers la sortie, et que l’œil peut voir au-delà de sa splendeur, voici que

m’apparaissent deux clartés très belles, mais semblables à des étoiles par rapport au soleil, l’une d’un côté,

l’autre de l’autre côté du seuil, prosternées en adoration pour leur Dieu qui passe enveloppé dans sa lumière,

béatifiant en son sourire. Il sort abandonnant la funèbre grotte et revenant fouler la terre que la joie réveille et

qui resplendit toute dans sa rosée, dans les couleurs des herbes et des rosiers, dans les innombrables corolles

des pommiers qui s’ouvrent par prodige au premier soleil qui les baise, et au Soleil éternel qui avance sous

eux.

Les gardes sont là, évanouis... Les forces corrompues de l’homme ne voient pas Dieu pendant que les forces

pures de l’univers : les fleurs, les herbes, les oiseaux admirent et vénèrent le Puissant qui passe dans un

nimbe de sa propre Lumière et dans un nimbe de lumière solaire.

Son sourire, le regard se pose sur les fleurs, sur les ramilles, qui se lève vers le ciel serein, et tout prend une

plus grande beauté. Et plus soyeux et plus nuancés sont les millions de pétales qui font une mousse fleurie

780


au-dessus de la tête du Vainqueur. Et plus vifs sont les diamants de rosée. Et plus bleu est le ciel que

réfléchissent ses yeux resplendissants, et plus joyeux le soleil qui peint de gaieté un petit nuage porté par un

vent léger qui vient baiser son Roi avec des parfums enlevés aux jardins et des caresses de pétales soyeux.

Jésus lève la main et bénit et puis, pendant que les oiseaux chantent plus fort et que le vent porte ses

parfums, il disparaît à mes yeux en me laissant dans une joie qui efface le plus léger souvenir de tristesse et

de souffrance et d’hésitation sur le lendemain.

781


Message de l’Ange

28 1 Or, après le sabbat

Quand le premier jour de la semaine commençait

À luire, Marie la Magdaléenne avec l’autre

Marie vinrent regarder le sépulcre. 2 Voilà

Qu’il y eut une grande secousse car un Ange

Du Seigneur descendant du ciel et s’avançant

Avait roulé la pierre, et il était assis

Dessus. 3 Or son aspect était comme l’éclair,

Son vêtement blanc comme la neige. 4 Dans la crainte

Les gardes furent secoués, devinrent comme morts.

5 Prenant la parole, l’Ange dit aux femmes : “ Vous, soyez

Sans crainte ; je sais que c’est Jésus le crucifié

Que vous cherchez. 6 Il n’est pas ici ; car il s’est

Relevé, selon ce qu’il avait dit. Venez

Voir l’endroit où il était mis. 7 Et vite allez

Dire à ses disciples que d’entre les morts, il s’est

Relevé. Et il vous précède en Galilée, voici

Or là vous le verrez. Voilà, je vous l’ai dit. ”

8 Elles s’en allèrent vite du tombeau avec crainte

Et grande joie, et elles coururent vers les disciples

L’annoncer.

782


L'apparition aux saintes femmes

Elles sortent du palais pour rejoindre leurs compagnes. C’est à ce moment qu’arrive le bref et fort

tremblement de terre qui jette de nouveau dans la panique les habitants de Jérusalem, encore terrorisés par

les événements du Vendredi.

Les trois femmes reviennent sur leurs pas précipitamment et restent dans le large vestibule, au milieu des

servantes et des serviteurs qui crient et invoquent le Seigneur, et elles y restent, craignant de nouvelles

secousses...

…La Magdeleine, de son côté, est exactement à la limite de la ruelle qui conduit au jardin de Joseph

d’Arimathie quand la surprend le grondement puissant et pourtant harmonieux de ce signe céleste alors que,

dans la lumière à peine rosée de l’aurore qui s’avance dans le ciel où encore à l’occident résiste une étoile

tenace, et qui rend blond l’air jusqu’alors vert clair, s’allume une grande lumière qui descend comme si

c’était un globe incandescent, splendide, qui coupe en zigzag l’air tranquille.

Marie de Magdala en est presque effleurée et renversée sur le sol.

Elle se penche un moment en murmurant : “Mon Seigneur !” et puis se redresse comme une tige après le

passage du vent et court encore plus rapidement vers le jardin. Elle y entre rapidement comme un oiseau

poursuivi et qui cherche son nid du côté du tombeau taillé dans le roc. Mais bien qu’elle aille vite elle ne

peut être là quand le céleste météore fait office de levier et de flamme sur le sceau de chaux mis pour

renforcer la lourde pierre, ni quand avec le fracas final la porte de pierre tombe en donnant une secousse qui

s’unit à celle du tremblement de terre qui, s’il est bref, est d’une violence telle qu’il terrasse les gardes

comme s’ils étaient morts.

783


Marie, en arrivant, voit ces inutiles geôliers du Triomphateur jetés sur le sol comme une gerbe d’épis

fauchés. Marie-Magdeleine ne rapproche pas le tremblement de terre de la Résurrection. Mais, voyant ce

spectacle, elle croit que c’est le châtiment de Dieu sur les profanateurs du Tombeau de Jésus et elle tombe à

genoux en disant : “Hélas ! Ils l’ont enlevé !”

Elle est vraiment désolée, et elle pleure comme une fillette venue, sûre de trouver son père qu’elle cherche,

et qui trouve au contraire la demeure vide. Puis elle se lève et s’en va en courant trouver Pierre et Jean. Et

comme elle ne pense qu’à prévenir les deux, elle ne pense plus à aller à la rencontre de ses compagnes, à

s’arrêter sur le chemin, mais rapide comme une gazelle elle repasse par le chemin déjà fait, franchit la Porte

Judiciaire et vole sur les routes qui sont un peu animées, s’abat contre le portail de la maison hospitalière et

la bat et la secoue furieusement.

La maîtresse lui ouvre. “Où sont Jean et Pierre ?” demande Marie-Magdeleine haletante.

“Là” et la femme lui indique le Cénacle.

Marie de Magdala entre et dès qu’elle est à l’intérieur, devant les deux étonnés, elle dit à voix basse par pitié

pour la Mère et plus angoissée que si elle avait crié : “Ils ont enlevé le Seigneur du Tombeau ! Qui sait où ils

l’ont mis !” et pour la première fois elle titube et vacille et pour ne pas tomber elle se raccroche où elle peut.

“Mais comment ? Que dis-tu ?” demandent les deux.

Et elle, haletante : “Je suis allée en avant.., pour acheter les gardes... afin qu’ils nous laissent faire. Eux sont

là comme morts... Le Tombeau est ouvert, la pierre par terre... Qui ? Qui a pu faire cela ? Oh ! venez !

Courons...”

784


Pierre et Jean partent tout de suite. Marie les suit pendant quelques pas, puis elle revient en arrière. Elle saisit

la maîtresse de la maison, la secoue avec violence dans son prévoyant amour et lui souffle au visage :

“Garde-toi bien de faire passer quelqu’un chez elle (et elle montre la porte de la pièce de Marie). Rappelletoi

que c’est moi la maîtresse. Obéis et tais-toi.”

Puis elle la laisse épouvantée et elle rejoint les apôtres qui à grands pas vont vers le Tombeau...

…Suzanne et Salomé, pendant ce temps, après avoir quitté leurs compagnes et rejoint les murs, sont

surprises par le tremblement de terre. Effrayées, elles se réfugient sous un arbre et restent là, combattues

entre le désir violent d’aller vers le Tombeau et celui de courir chez Jeanne. Mais l’amour triomphe de la

peur et elles vont vers le Tombeau.

Elles entrent encore effrayées dans le jardin et voient les gardes évanouis.., elles voient une grande lumière

qui sort du Tombeau ouvert. Cela augmente leur effroi et finit de se rendre complet quand, se tenant par la

main pour s’encourager mutuellement, elles se présentent sur le seuil et voient dans l’obscurité de la

chambre sépulcrale une créature lumineuse et très belle, qui sourit doucement, et les salue de la place où elle

est : appuyée à droite de la pierre de l’onction dont la grisaille disparaît devant une si incandescente

splendeur.

Elles tombent à genoux, étourdies de stupeur.

Mais l’ange leur parle doucement : “N’ayez pas peur de moi. Je suis l’ange de la divine Douleur. Je suis

venu pour me réjouir de la fin de celle-ci. Il n’est plus de douleur du Christ, d’humiliation pour Lui dans la

mort. Jésus de Nazareth, le Crucifié que vous cherchez, est ressuscité. Il n’est plus ici ! Il est vide l’endroit

où vous l’avez déposé. Réjouissez-vous avec moi. Allez. Dites à Pierre et aux disciples qu’il est ressuscité et

qu’il vous précède en Galilée. Vous le verrez encore là pour peu de temps, selon ce qu’il a dit.”

785


Les femmes tombent le visage contre terre et quand elles le lèvent elles s’enfuient comme si elles étaient

poursuivies par un châtiment. Elles sont terrorisées et murmurent : “Nous allons mourir ! Nous avons vu

l’ange du Seigneur !”

Elles se calment un peu en pleine campagne, et se concertent. Que faire ? Si elles disent ce qu’elles ont vu,

on ne les croira pas. Si elles disent aussi de venir de là, elles peuvent être accusées par les juifs d’avoir tué

les gardes. Non. Elles ne peuvent rien dire ni aux amis ni aux ennemis...

Craintives, rendues muettes, elles reviennent par un autre chemin à la maison. Elles entrent et se réfugient

dans le Cénacle. Elles ne demandent même pas de voir Marie... Et là, elles pensent que ce qu’elles ont vu est

une tromperie du Démon. Humbles comme elles le sont, elles jugent “qu’il n’est pas possible qu’il leur ait

été accordé de voir le messager de Dieu. C’est Satan qui a voulu les effrayer pour les éloigner de là.”

Elles pleurent et prient comme des fillettes effrayées par un cauchemar...

...Le troisième groupe, celui de Jeanne, Marie d’Alphée et Marthe, vu qu’il n’arrive rien de nouveau se

décide à aller là où certainement leurs compagnes les attendent. Elles sortent dans les rues où maintenant il y

a des gens apeurés qui commentent le nouveau tremblement de terre et le rattachent aux faits du Vendredi et

voient aussi des choses qui n’existent pas.

“Il vaut mieux qu’ils soient tous effrayés ! Peut-être les gardiens le seront aussi et ne feront pas d’objection”

dit Marie d’Alphée.

Et elles vont rapidement vers les murs. Mais pendant qu’elles y vont, Pierre et Jean, suivis de la Magdeleine,

sont déjà arrivés au jardin.

786


Jean, plus rapide, arrive le premier au Tombeau. Les gardes n’y sont plus et l’ange n’y est plus. Jean

s’agenouille, craintif et affligé, sur le seuil ouvert, pour vénérer et recueillir quelque indice des choses qu’il

voit. Mais il voit seulement entassés par terre les linges mis par dessus le Linceul.

“Il n’y est vraiment pas, Simon ! Marie a bien vu. Viens, entre, regarde.”

Pierre, tout essoufflé par la grande course qu’il a faite, entre dans le Tombeau. Il avait dit en route : “Je ne

vais pas oser m’approcher de cet endroit.” Mais maintenant il ne pense qu’à découvrir où peut être le Maître.

Et il l’appelle aussi, comme s’il pouvait être caché dans quelque coin obscur.

L’obscurité, à cette heure matinale, est encore forte dans le Tombeau auquel ne donne de la lumière que la

petite ouverture de la porte sur laquelle font de l’ombre Jean et la Magdeleine... Et Pierre a du mal à voir et

doit s’aider de ses mains pour se rendre compte... Il touche, en tremblant, la table de l’onction et il voit

qu’elle est vide...

“Il n’y est pas, Jean ! Il n’y est pas !... Oh ! Viens toi aussi ! J’ai tant pleuré que je n’y vois presque pas avec

ce peu de lumière.”

Jean se relève et entre. Et pendant qu’il le fait Pierre découvre le suaire placé dans un coin, bien plié avec à

l’intérieur le Linceul soigneusement roulé.

“Ils l’ont vraiment enlevé. Les gardes, ce n’était pas pour nous, mais pour faire cela... Et nous l’avons laissé

faire. En nous éloignant, nous l’avons permis...”

“Oh ! où l’auront-ils mis ?”

787


“Pierre, Pierre ! Maintenant.., c’est vraiment fini !”

Les deux disciples sortent anéantis.

“Allons, femme. Tu le diras à la Mère...”

“Moi, je ne m’éloigne pas. Je reste ici... Quelqu’un viendra... Oh ! moi, je ne viens pas... Ici il y a encore

quelque chose de Lui. Elle avait raison, la Mère... Respirer l’air où il a été c’est l’unique soulagement qui

nous reste.”

“L’unique soulagement... Maintenant tu vois toi aussi que c’était une folie d’espérer...” dit Pierre.

Marie ne répond même pas. Elle s’affaisse sur le sol, justement près de la porte, et elle pleure pendant que

les autres s’en vont lentement.

Puis elle lève la tête et regarde à l’intérieur et, à travers ses larmes, elle voit deux anges assis à la tête et aux

pieds de la pierre de l’onction. Elle est si abrutie, la pauvre Marie, dans sa plus ardente bataille entre

l’espérance qui meurt et la foi qui ne veut pas mourir, qu’elle les regarde hébétée, sans même s’en étonner.

Elle n’a plus que des larmes la courageuse qui a résisté à tout en héroïne.

“Pourquoi pleures-tu, femme ?” demande un des deux enfants lumineux, car ils ont l’aspect de très beaux

adolescents.

“Parce qu’ils ont emporté mon Seigneur et je ne sais où ils me l’ont mis.”

788


Marie n’a pas peur de leur parler, elle ne demande pas : “Qui êtes-vous ?” Rien. Rien ne l’étonne plus. Tout

ce qui peut étonner une créature, elle l’a déjà subi. Maintenant elle n’est plus qu’une chose brisée qui pleure

sans force ni retenue.

L’enfant angélique regarde son compagnon et sourit, et l’autre aussi. Et dans un éclair de joie angélique tous

deux regardent dehors, vers le jardin tout en fleurs avec les millions de fleurs qui se sont ouvertes au premier

soleil sur les pommiers touffus de la pommeraie.

Marie se tourne pour voir ce qu’ils regardent et elle voit un Homme très beau, et je ne sais pas comment elle

peut ne pas le reconnaître tout de suite.

Un Homme qui la regarde avec pitié et lui demande : “Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ?”

Il est vrai que c’est un Jésus assombri par sa pitié envers une créature que trop d’émotions ont épuisée et

qu’une joie imprévue pourrait faire mourir, mais je me demande vraiment comment elle peut ne pas le

reconnaître.

Et Marie, au milieu de ses sanglots : “Ils m’ont pris le Seigneur Jésus ! J’étais venue pour l’embaumer en

attendant qu’il ressuscite... J’ai rassemblé tout mon courage et mon espérance, et ma foi, autour de mon

amour.., et maintenant je ne le trouve plus... Et même j’ai mis mon amour autour de ma foi, de mon

espérance et de mon courage, pour les défendre des hommes... Mais tout est inutile ! Les hommes ont enlevé

mon Amour et avec Lui ils m’ont tout enlevé.., ô mon seigneur, si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu

l’as mis, et moi je le prendrai... Je ne le dirai à personne... Ce sera un secret entre toi et moi. Regarde : je suis

la fille de Théophile, la sœur de Lazare, mais je reste à genoux devant toi, pour te supplier comme une

esclave. Veux-tu que je t’achète son Corps ? Je le ferai. Combien veux-tu ? Je suis riche. Je puis te donner

autant d’or et de gemmes qu’il pèse. Mais rends-le-moi. Je ne te dénoncerai pas. Veux-tu me frapper ? Fais-

789


le. Jusqu’au sang si tu veux. Si tu as de la haine pour Lui, fais-la-moi payer. Mais rends-le-moi. Oh ! ne

m’appauvris pas de cette misère, ô mon seigneur ! Pitié pour une pauvre femme !... Pour moi, tu ne le veux

pas ? Pour sa Mère, alors. Dis-moi ! Dis-moi où est mon Seigneur Jésus. Je suis forte. Je le prendrai dans

mes bras et je le porterai comme un enfant dans un lieu sûr. Seigneur.., seigneur... tu le vois.., depuis trois

jours nous sommes frappés par la colère de Dieu à cause de ce qu’on a fait au Fils de Dieu... N’ajoute pas la

Profanation au Crime... ”

“Marie !” Jésus rayonne en l’appelant. Il se dévoile dans sa splendeur triomphante.

“Rabboni !” Le cri de Marie est vraiment “le grand cri” qui ferme le cycle de la mort. Avec le premier, les

ténèbres de la haine enveloppèrent la Victime des bandes funèbres, avec le second les lumières de l’amour

accrûrent sa splendeur.

Et Marie se lève au cri qui emplit le jardin, court aux pieds de Jésus, et voudrait les baiser.

Jésus l’écarte en la touchant à peine au front avec l’extrémité des doigts : “Ne me touche pas ! Je ne suis pas

encore monté vers mon Père avec ce vêtement. Va trouver mes frères et amis et dis-leur que je monte vers

mon Père et le vôtre, vers mon Dieu et le vôtre. Et ensuite je viendrai vers eux.” Et Jésus disparaît, absorbé

par une lumière insoutenable.

Marie baise le sol où il se trouvait et court vers la maison. Elle entre comme une fusée car le portail est

entrouvert pour livrer passage au maître qui sort pour aller à la fontaine ; elle ouvre la porte de la pièce de

Marie et elle s’abandonne sur son cœur en criant : “Il est ressuscité ! Il est ressuscité !” et elle pleure,

bienheureuse.

790


Et pendant qu’accourent Pierre et Jean, et que du Cénacle s’avancent Salomé et Suzanne apeurées et qu’elles

écoutent son récit, voilà qu’entrent aussi par la rue Marie d’Alphée avec Marthe et Jeanne qui toutes

essoufflées disent que “elles y sont allées elles aussi et qu’elles ont vu deux anges qui se disaient le gardien

de l’Homme-Dieu et l’ange de sa Douleur et qu’ils ont donné l’ordre de dire aux disciples qu’il était

ressuscité.”

Et comme Pierre secoue la tête, elles insistent en disant : “Oui. Ils ont dit : 'Pourquoi cherchez-vous le

Vivant parmi les morts' ? Il n’est pas ici. Il est ressuscité comme il le disait quand il était encore en Galilée.

Ne vous le rappelez-vous pas ? Il disait : “ Le Fils de l’homme doit être livré aux mains des pécheurs et être

crucifié mais le troisième il ressuscitera . ”

Pierre secoue la tête en disant : “Trop de choses ces jours-ci ! Vous en êtes restées troublées.”

La Magdeleine relève la tête du sein de Marie et elle dit : “Je l’ai vu, je lui ai parlé. Il m’a dit qu’il monte

vers le Père et qu’il vient ensuite. Comme il était beau !” et elle pleure comme elle n’a jamais pleuré,

maintenant qu’elle n’a plus à se torturer elle-même pour s’opposer au doute qui surgit de tous côtés.

Mais Pierre et Jean aussi restent très hésitants. Ils se regardent mais leurs yeux se disent : “Imaginations de

femmes !”

Suzanne aussi et Salomé osent alors parler, mais l’inévitable différence dans les détails des gardes qui

d’abord sont là comme morts et ensuite ne sont plus là, des anges qui tantôt sont un et tantôt deux et qui ne

se sont pas montrés aux apôtres, des deux versions sur la venue de Jésus ici et sur le fait qu’il précède les

siens en Galilée, fait que le doute et, même, la persuasion des apôtres augmente de plus en plus.

Marie, la Mère bienheureuse, se tait en soutenant la Magdeleine... Je ne comprends pas le mystère de ce

silence maternel.

791


Marie d’Alphée dit à Salomé : “Retournons-y toutes les deux. Voyons si nous sommes toutes ivres...” Et

elles courent dehors.

Les autres restent, paisiblement ridiculisées par les deux apôtres, 33> près de Marie qui se tait, absorbée

dans une pensée que chacun interprète à sa façon et sans que personne comprenne que c’est de l’extase.

Les deux femmes âgées reviennent : “C’est vrai ! C’est vrai ! Nous l’avons vu. Il nous a dit près du jardin de

Barnabé : “Paix à vous. Ne craignez pas. Allez dire à mes frères que je suis ressuscité et qu’ils aillent d’ici

quelques jours en Galilée. Là nous serons encore ensemble”. C’est ainsi qu’il a parlé. Marie a raison. Il faut

le dire à ceux de Béthanie, à Joseph, à Nicodème, aux disciples les plus fidèles, aux bergers, aller, agir,

agir... Oh ! il est ressuscité !...” Elles pleurent toutes bienheureuses.

“Vous êtes folles, femmes. La douleur vous a troublées. La lumière vous a semblé un ange. Le vent, une

voix. Le soleil, le Christ. Je ne vous critique pas, je vous comprends mais je ne puis croire qu’à ce que j’ai

vu : le Tombeau ouvert et vide et les gardes partis avec le Cadavre volatilisé.”

“Mais si les gardes eux-mêmes disent qu’il est ressuscité ! Si la ville est en émoi et si les Princes des Prêtres

sont fous de colère parce que les gardes ont parlé dans leur fuite éperdue ! Maintenant ils veulent qu’ils

disent autre chose et les paient pour cela. Mais déjà on le sait, et si les juifs ne croient pas à la Résurrection,

ne veulent pas croire, beaucoup d’autres croient...”

“Hum ! Les femmes !...” Pierre hausse les épaules et il va s’en aller.

Alors la Mère, qui a toujours sur son cœur la Magdeleine qui pleure comme un saule sous une averse à cause

de sa trop grande joie et qui baise ses cheveux blonds, lève son visage transfiguré et dit une courte phrase :

“Il est réellement ressuscité. Je l’ai eu dans mes bras et j’ai baisé ses plaies.” Et puis elle se penche sur les

cheveux de la passionnée et elle dit : “Oui, la joie est encore plus forte que la douleur. Mais ce n’est qu’un

792


grain de sable de ce que sera ton océan de joie éternelle. Heureuse es-tu d’avoir par-dessus la raison fait

parler ton esprit.”

Pierre n’ose plus nier, et avec un de ces passages du Pierre d’autrefois, qui maintenant revient affleurer, dit

et crie comme si c’était des autres et non pas de lui que dépendait le retard : “ Mais alors, s’il en est ainsi, il

faut le faire savoir aux autres, à ceux qui sont dispersés dans les campagnes... chercher... agir... Allons,

remuez-vous. S’il devait vraiment venir, qu’il nous trouve au moins ” et il ne s’aperçoit pas qu’il reconnaît

encore qu’il ne croit pas aveuglément à sa Résurrection.

793


Le tombeau vide. Message de l’Ange

28 1 Or, après le sabbat

Quand le premier jour de la semaine commençait

À luire, Marie la Magdaléenne avec l’autre

Marie vinrent regarder le sépulcre. 2 Voilà

Qu’il y eut une grande secousse car un Ange

Du Seigneur descendant du ciel et s’avançant

Avait roulé la pierre, et il était assis

Dessus. 3 Or son aspect était comme l’éclair,

Son vêtement blanc comme la neige. 4 Dans la crainte

Les gardes furent secoués, devinrent comme morts.

5 Prenant la parole, l’Ange dit aux femmes : “ Vous, soyez

Sans crainte ; je sais que c’est Jésus le crucifié

Que vous cherchez. 6 Il n’est pas ici ; car il s’est

Relevé, selon ce qu’il avait dit. Venez

Voir l’endroit où il était mis. 7 Et vite allez

Dire à ses disciples que d’entre les morts, il s’est

Relevé. Et il vous précède en Galilée, voici

Or là vous le verrez. Voilà, je vous l’ai dit. ”

8 Elles s’en allèrent vite du tombeau avec crainte

Et grande joie, et elles coururent vers les disciples

L’annoncer.

794


L’apparition aux saintes femmes

9 Voici, Jésus vint au-devant d’elles

Et leur dit : “ Salut ! “ Elles, s’avançant lui saisirent

Les pieds et se prosternèrent devant lui. 10 Jésus

Leur dit : “ Soyez sans crainte, mais allez annoncer

À mes frères qu’ils doivent s’en aller en Galilée ;

C’est là qu’ils me verront. ”

795


Jésus apparaît aux disciples d'Emmaüs

Sur une route montueuse deux hommes entre deux âges marchent rapidement en tournant le dos à Jérusalem,

dont les hauteurs disparaissent de plus en plus derrière les autres qui se suivent, avec de continuelles

ondulations de sommets et de vallées.

Ils parlent entre eux, et le plus âgé dit à l’autre qui peut avoir trente-cinq ans tout au plus : "Tu crois qu’il a

mieux valu agir ainsi. J’ai une famille et toi aussi. Le Temple ne plaisante pas. Il veut vraiment en finir. A-til

raison ? A-t-il tort ? Je ne le sais pas. Je sais qu’il a l’intention bien claire d’en finir pour toujours avec tout

cela."

"Avec ce crime, Simon. Donne-lui son vrai nom, parce que c’est au moins un crime."

"Cela dépend. En nous, l’amour fermente contre le Sanhédrin. Mais peut-être... qui sait !"

"Rien. L’amour éclaire. Il ne porte pas à l’erreur."

"Le Sanhédrin aussi, les Prêtres aussi et les Chefs aiment. Ils aiment Jéhovah, Celui qu’Israël tout entier a

aimé depuis que le pacte a été conclu entre Dieu et les Patriarches. Alors, pour eux aussi l’amour est lumière

et ne porte pas l’erreur !"

"Ce n’est pas de l’amour pour le Seigneur que le leur. Oui. Israël depuis des siècles est dans cette Foi. Mais

dis-moi : peux-tu dire que c’est encore une Foi celle que nous donnent les Chefs du Temple, les Pharisiens,

les Scribes, les Prêtres ? Tu le vois ? Avec l’or consacré au Seigneur, on le savait déjà, ou du moins on

soupçonnait que cela arrivait, avec l’or consacré au Seigneur ils ont payé le Traître et maintenant ils paient

les gardes. Le premier pour qu’il trahisse le Christ, les seconds pour qu’ils mentent. Oh ! Je ne sais pas

comment la Puissance éternelle s’est bornée à déplacer les murs et à déchirer le Voile ! Je te dis que j’aurais

voulu que les nouveaux philistins soient ensevelis sous les décombres. Tous !"

796


"Cléophas ! Tu serais toute vengeance."

"Je serais vengeance. Car, admettons que Lui n’était qu’un prophète, est-il permis de tuer un innocent ? Car il

était innocent ! L’as-tu jamais vu commettre un des crimes dont on l’a accusé pour le tuer ?"

"Non. Aucun. Pourtant il a fait une erreur."

"Laquelle, Simon ?"

"Celle de ne pas manifester sa puissance du haut de la Croix. Pour confirmer notre foi et pour punir les

incrédules sacrilèges. Il devait relever le défi et descendre de la Croix."

"Il a fait davantage. Il est ressuscité."

"Est-ce que c’est vrai ? Ressuscité comment ? Avec son seul Esprit ou avec l’Esprit et la Chair ?"

"Mais l’esprit est éternel ! Il n’a pas besoin de ressusciter !" s’exclame Cléophas.

"Je le sais moi aussi. Je voulais dire : s'il est ressuscité avec son unique Nature de Dieu, supérieur à toutes les

embûches de l'homme. Car maintenant son Esprit a connu les embûches par la terreur de l'homme. Tu as

entendu, hein ? Marc a dit qu'au Gethsémani, où il allait prier contre un rocher, il y a du sang partout. Et

Jean, qui a parlé avec Marc, lui a dit : "Ne fais pas piétiner cet endroit car il y a du Sang sué par l'Homme-

Dieu". S'il a sué du sang avant d'être torturé, il doit en avoir eu la terreur !"

"Notre pauvre Maître !..." ils se taisent affligés.

Jésus les rejoint et leur demande : "De qui parliez-vous ? Dans le silence j'entendais vos paroles par

intervalles. Qui a été tué ?" C'est un Jésus voilé sous l'apparence modeste d'un pauvre voyageur pressé.

Les deux ne le reconnaissent pas. "Tu es d'ailleurs, homme ? Tu ne t'es pas arrêté à Jérusalem ? Ton

vêtement poussiéreux et tes sandales en cet état nous paraissent appartenir à un pèlerin infatigable."

"Je le suis. Je viens de très loin..."

797


"Tu dois être fatigué, alors. Et tu vas loin ?"

"Très loin. Plus loin encore que de l'endroit d'où je viens."

"Tu fais du commerce ? Des marchés ?"

"Je dois acheter une quantité infinie de troupeaux pour le plus grand Seigneur. Je dois faire le tour du monde

pour choisir des brebis et des agneaux, et descendre même parmi les troupeaux sauvages qui pourtant, quand

ils seront rendus domestiques, seront meilleurs que ceux qui maintenant ne sont pas sauvages."

"Travail difficile. Et tu as continué ta route sans t'arrêter à Jérusalem ?"

"Pourquoi le demandez-vous ?"

"Parce que toi seul sembles ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci."

"Qu'est-il arrivé ?"

"Tu viens de loin et c'est pour cela que peut-être tu ne sais pas. Mais ta façon de parler est pourtant de

Galilée. Aussi, même si tu es serviteur d'un roi étranger ou fils de galiléens expatriés, tu dois savoir, si tu es

circoncis, que depuis trois ans dans notre patrie s'est levé un grand prophète du nom de Jésus de Nazareth,

puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant les hommes, qui allait en prêchant à travers tout le

Pays. Et il se disait le Messie. Ses paroles et ses œuvres étaient réellement du Fils de Dieu, comme Lui se

disait. Mais seulement du Fils de Dieu. Tout Ciel... Maintenant tu sais pourquoi... Mais es-tu circoncis ?"

"Je suis premier-né et consacré au Seigneur."

"Alors tu connais notre Religion ?"

"Je n’en ignore pas une syllabe. Je connais les préceptes et les usages. L’Halachah, La Midrashim et

L’Hagadah me sont connues comme les éléments de l’air, de l’eau, du feu et de la lumière qui sont les

premiers vers lesquels tend l’intelligence, l’instinct, les besoins de l’homme qui vient de naître."

798


"Eh bien, alors tu sais qu’Israël eut la promesse du Messie, mais comme d’un roi puissant qui aurait

rassemblé Israël. Celui-ci, au contraire, n’était pas ainsi..."

"Comment donc ?"

"Lui ne visait pas un pouvoir terrestre. Mais c’était d’un royaume éternel et spirituel qu’il se disait roi. Lui

n’a pas rassemblé, mais au contraire a divisé Israël, car maintenant il est divisé entre ceux qui croient en Lui

et ceux qui le disent malfaiteur. En vérité il n’avait pas l’étoffe d’un roi car il ne voulait que douceur et

pardon. Et comment dominer et vaincre avec ces armes ?... "

"Et alors ?"

"Et alors les Chefs des Prêtres et les Anciens d’Israël l’ont pris et l’ont jugé passible de la mort... en

l’accusant, pour dire vrai, de fautes qui n’étaient pas vraies. Sa faute était d’être trop bon et trop sévère..."

"Comment pouvait-il, s’il était l’un, être l’autre ?"

"Il le pouvait car il était trop sévère en disant la vérité aux Chefs d’Israël et trop bon pour ne pas faire contre

eux des miracles de mort, en foudroyant ses injustes ennemis."

"Il était sévère comme le Baptiste ?"

"Voilà... je ne saurais dire. Il faisait de durs reproches, surtout dans les derniers temps, aux scribes et aux

pharisiens et menaçait ceux du Temple comme marqués par la colère de Dieu. Mais ensuite, si quelqu’un

était pécheur et se repentait, et si Lui voyait dans son cœur un vrai repentir, car le Nazaréen lisait dans les

cœurs mieux qu’un scribe dans le texte, alors il était plus doux qu’une mère."

"Et Rome a permis qu’on tue un innocent ?"

799


"Pilate l’a condamné... Mais il ne le voulait pas et le disait : Juste. Mais ils le menacèrent de l’accuser auprès

de César et il eut peur. En somme il a été condamné à la Croix et y est mort et cela, en même temps que la

crainte des Synhédristes, nous a beaucoup humiliés. Car je suis Cléophas, fils de Cléophas, et lui est Simon,

tous les deux d'Emmaüs, et parents car j'ai épousé sa première fille, et nous étions disciples du Prophète."

"Et maintenant vous ne l'êtes plus ?"

"Nous espérions que ce serait Lui qui libérerait Israël et aussi que, par un prodige, il confirmerait ses paroles.

Au contraire !..."

"Quelles paroles avait-il dites ?"

"Nous te l'avons dit : " Je suis venu au Royaume de David. Je suis le Roi pacifique." et ainsi de suite. Et il

disait : "Venez au Royaume" mais ensuite il ne nous a pas donné le royaume. Et il disait : "Le troisième jour

je ressusciterai." Maintenant c'est le troisième jour qu'il est mort, et même il est déjà accompli car l'heure de

none est déjà passée et Lui n'est pas ressuscité. Des femmes et des gardiens disent que oui, il est ressuscité.

Mais nous nous ne l'avons pas vu. Les gardiens disent, maintenant, qu'ils ont ainsi parlé pour justifier le vol

du cadavre fait par les disciples du Nazaréen. Mais les disciples !... Nous l'avons tous quitté par peur quand il

était vivant... et certainement nous ne l'avons pas dérobé maintenant qu'il est mort. Et les femmes... qui se fie

à elles ? Nous raisonnions à ce propos. Et nous voulions savoir s'il a voulu dire s'il ressusciterait avec l'Esprit

redevenu divin ou si ce serait aussi avec la Chair. Les femmes disent que les anges - car elles disent avoir vu

aussi les anges après le tremblement de terre, et c'est possible car le vendredi déjà des justes sont apparus

hors des tombeaux - elles disent que les anges ont dit que Lui est comme quelqu'un qui n'est jamais mort. Et

c'est tel en effet que les femmes ont semblé le voir. Mais deux de nous, deux chefs, sont allés au Tombeau.

Et, s'ils l'ont vu vide, comme les femmes l'ont dit, ils ne l'ont pas vu Lui, ni là, ni ailleurs. Et c'est une grande

désolation car nous ne savons plus que penser !"

"Oh ! comme vous êtes sots et durs pour comprendre ! Et comme vous êtes lents pour croire aux paroles des

prophètes ! Et cela n'avait-il pas été dit ? L'erreur d'Israël est celle-ci : d'avoir mal interprété la royauté du

800


Christ. C'est pour cela que l'on ne l'a pas cru. C'est pour cela qu'on l'a craint. C'est pour cela que maintenant

vous doutez. En haut, en bas, au Temple et dans les villages, partout on pensait à un roi selon la nature

humaine. Dans la pensée de Dieu la reconstruction du Royaume d'Israël n'était pas limitée, comme elle l'a

été en vous, dans le temps, dans l'espace et dans les moyens.

Pas dans le temps : toutes les royautés, même les plus puissantes, ne sont pas éternelles. Rappelez-vous les

puissants pharaons qui opprimèrent les Hébreux au temps de Moïse. Combien de dynasties ne sont-elles pas

finies, et d’elles ne restent que les momies sans âme au fond des hypogées secrets ! Et il reste un souvenir, si

encore il reste, de leur pouvoir d’une heure, et encore moins, si on mesure leurs siècles sur le Temps éternel.

Ce Royaume est éternel.

Dans l’espace : il était dit : Royaume d’Israël, parce que d’Israël est venue la souche de la race humaine,

parce qu’en Israël, dirais-je, se trouve la semence de Dieu et ainsi, en disant Israël, on voulait dire : le

royaume de ceux qui ont été créés par Dieu. Mais la royauté du Roi Messie n’est pas limitée à la petite

étendue de la Palestine, mais elle s’étend du septentrion au midi, de l’orient à l’occident, partout où il y a un

être qui possède un esprit dans sa chair, c’est-à-dire partout où il y a un homme. Comment un seul aurait-il

pu réunir en lui-même tous les peuples ennemis entre eux, et en faire un unique royaume sans répandre des

fleuves de sang et les assujettir tous par la cruelle oppression des hommes d’armes ? Et comment alors

aurait-il pu être le roi pacifique dont parlent les prophètes ?

Dans les moyens : le moyen humain, ai-je dit, c’est l’oppression. Le moyen surhumain c’est l’amour. Le

premier est toujours limité car les peuples finissent par se révolter contre l’oppresseur. Le second est illimité

parce que l’amour est aimé, ou s’il ne l’est pas, est tourné en dérision. Mais comme c’est une chose

spirituelle il ne peut jamais être directement attaqué. Et Dieu, l’Infini, veut des moyens qui soient comme

Lui. Il veut ce qui n’est pas fini parce qu’Il est éternel : l’esprit ; ce qui appartient à l’esprit ; ce qui mène à

l’Esprit. Voici quelle a été l’erreur : d’avoir conçu dans l’esprit une idée messianique erronée dans les

moyens et dans la forme.

801


Quelle est la royauté la plus élevée ? Celle de Dieu. N’est-ce pas ? Donc cet Admirable, cet Emmanuel, ce

Saint, ce Germe sublime, ce Fort, ce Père du siècle à venir, ce Prince de la paix, ce Dieu comme Celui dont il

vient, car tel il est appelé et tel est le Messie, n’aura-t-il pas une royauté semblable à celle de Celui qui l’a

engendré ? Oui, il l’aura. Une royauté toute spirituelle et éternelle, pure de violence et de sang, ignorante des

trahisons et des injustices. Sa Royauté ! Celle que la Bonté éternelle accorde aux pauvres hommes, pour

donner honneur et joie à son Verbe.

Mais David n’a-t-il pas dit que ce Roi puissant a eu sous ses pieds toute chose pour Lui servir d’escabeau ?

Isaïe n’a-t-il pas dit toute sa Passion et David n’a-t-il pas énuméré, pourrait-on dire, toutes ses tortures ? Et

n’est-il pas dit que Lui est le Sauveur et le Rédempteur qui par son holocauste sauvera l’homme pécheur ? Et

n’est-il pas précisé, et Jonas en est la figure, que pendant trois jours il serait englouti dans le ventre insatiable

de la Terre, et après en serait expulsé comme le prophète l’a été de la baleine ? Et Lui n’a-t-il pas dit : “Mon

Temple, c’est-à-dire mon Corps, le troisième jour après avoir été détruit, sera reconstruit par Moi (c’est-àdire

par Dieu) ?” Et que pensiez-vous ? Que par magie Lui relèverait les ruines du Temple ? Non. Pas les

murs, mais Lui-même. Et Dieu seul pouvait se faire ressusciter Lui-même. Lui a relevé le vrai Temple : son

Corps d’Agneau. Immolé, comme en eut l’ordre et la prophétie Moïse, pour préparer le “passage” de la mort

à la Vie, de l’esclavage à la liberté, des hommes fils de Dieu et esclaves de Satan.

Comment est-il ressuscité ? vous demandez-vous. Je réponds : il est ressuscité avec sa vraie Chair et avec

son Esprit Divin qui l’habite, comme en toute chair mortelle il y a, qui l’habite, l’âme qui est reine dans le

cœur. C’est ainsi qu’il est ressuscité après avoir tout souffert pour tout expier, et pour réparer l’Offense

primitive, et les offenses infinies que chaque jour l’Humanité accomplit. Il est ressuscité comme il était dit

sous le voile des prophéties. Venu à son temps, je vous rappelle Daniel, il a été immolé à son temps. Et,

écoutez et rappelez-vous, au temps prédit après sa mort la ville déicide sera détruite.

Je vous en donne le conseil : lisez, avec l’âme et non avec l’esprit orgueilleux, les prophètes, du début du

Livre aux paroles du Verbe Immolé, rappelez-vous le Précurseur qui l’indiquait comme Agneau, rappelezvous

quel était le destin de l’agneau symbolique de Moïse. C’est par ce sang que furent sauvés les premiers-

802


nés d’Israël. C’est par ce Sang que seront sauvés les premier-nés de Dieu, c’est-à-dire ceux qui par leur

bonne volonté se seront consacrés au Seigneur. Rappelez-vous et comprenez le psaume messianique de

David et le prophète messianique Isaïe. Rappelez-vous Daniel, ramenez à votre mémoire, mais en l’élevant

de la fange à l’azur céleste, toutes les paroles sur la royauté du Saint de Dieu, et comprenez qu’il ne pouvait

vous être donné d’autre signe plus juste, plus fort de cette victoire sur la Mort, de cette Résurrection

accomplie par Lui-même. Rappelez-vous qu’il aurait été contraire à sa miséricorde et à sa mission de punir

du haut de la Croix ceux qui l’y avaient mis. Il était encore le Sauveur, même s’il était le Crucifié méprisé et

cloué à un gibet ! Crucifiés étaient les membres, mais libres étaient son esprit et sa volonté. Et avec ceux-ci,

il a voulu encore attendre pour donner aux pécheurs le temps de croire et d’appeler son Sang sur eux, non

par des cris blasphématoires, mais par des gémissements de contrition.

Maintenant il est ressuscité. Il a tout accompli. Il était glorieux avant son incarnation. Il est trois fois glorieux

maintenant que, après s’être anéanti pendant tant d’années dans une chair, il s’est immolé Lui-même en

portant l’Obéissance à la perfection de savoir mourir sur la Croix pour accomplir la Volonté de Dieu. Très

glorieux avec sa Chair glorifiée, à présent qu’il monte au Ciel et entre dans la Gloire éternelle, en

commençant le Règne qu’Israël n’a pas compris. C’est à ce Royaume, d’une manière plus pressante que

jamais, qu’il appelle avec son amour et l’autorité dont il est plein, les tribus du monde. Comme l’ont vu et

prévu les justes d’Israël et les prophètes, tous les peuples viendront au Sauveur. Et il n’y aura plus de Juifs

ou de Romains, de Scythes ou d’Africains, d’Ibères ou de Celtes, d’Égyptiens ou de Phrygiens. L’au-delà de

l’Euphrate s’unira aux sources du Fleuve éternel. Les Hyperboréens à côté des Numides viendront à son

Royaume, et tomberont les races et les idiomes. Les coutumes et les couleurs de peau et de cheveux n’auront

plus lieu d’exister, mais il y aura un peuple illimité resplendissant et pur, une langue unique, un seul amour.

Ce sera le Royaume de Dieu, le Royaume des Cieux. Un Monarque éternel : l’Immolé ressuscité. Des sujets

éternels : ceux qui croient en sa Foi. Croyez, pour lui appartenir.

Voici Emmaüs, amis. Je vais plus loin. Il n’est pas accordé de repos au Voyageur qui a tant de chemin à

faire."

803


"Seigneur, tu es plus instruit qu’un rabbi. Si Lui n’était pas mort, nous dirions que c’est Lui qui nous a parlé.

Nous voudrions encore entendre de toi d’autres vérités et plus développées. Car maintenant nous, brebis sans

berger, troublées par la tempête de la haine d’Israël, nous ne savons plus comprendre les paroles du Livre.

Veux-tu que nous venions avec Toi ? Vois : tu nous instruirais encore pour compléter l’œuvre du Maître qui

nous a été enlevé."

"Vous l’avez eu si longtemps et vous n’avez pas su acquérir une instruction complète ? N’est-ce pas une

synagogue ?"

"Oui. Je suis Cléophas, fils de Cléophas, le chef de la synagogue, mort dans la joie qu’il a eue d’avoir connu

le Messie."

"Et tu n’es pas encore arrivé à croire sans nuage ? Mais ce n’est pas votre faute. Après le Sang, il manque

encore le Feu. Et ensuite vous croirez car vous comprendrez. Adieu."

"Ô Seigneur, déjà le soir approche et le soleil est à son déclin. Tu es las et assoiffé. Entre. Reste avec nous.

Tu nous parleras de Dieu pendant que nous partagerons le pain et le sel."

Jésus entre et on le sert, avec l’habituelle hospitalité hébraïque, en Lui donnant la boisson et de l’eau pour

ses pieds lassés.

Puis ils se mettent à table et les deux le prient d’offrir pour eux la nourriture.

Jésus se lève, tenant dans ses mains le pain et, les yeux levés vers le ciel rouge du soir, il rend grâces pour la

nourriture et s’assoit. Il rompt le pain et en donne à ses deux hôtes et, en le faisant, il se révèle pour ce qu’il

est : le Ressuscité.

804


Ce n’est pas le Ressuscité resplendissant apparu aux autres qui Lui sont plus chers. Mais c’est un Jésus plein

de majesté, aux plaies bien nettes dans ses longues mains : roses rouges sur l’ivoire de la peau. Un Jésus bien

vivant dans sa Chair recomposée, mais bien Dieu aussi dans la majesté de ses regards et de tout son aspect.

Les deux le reconnaissent et tombent à genoux... Mais quand ils osent relever leur visage, il ne reste de Lui

que le pain rompu.

Ils le prennent et le baisent. Chacun prend son morceau et l’enveloppant dans un linge le met comme une

relique sur sa poitrine.

Ils pleurent en disant : "C’était Lui ! Et nous ne le reconnaissions pas, et pourtant ne sentais-tu pas que ton

cœur brûlait dans ta poitrine pendant qu’il nous parlait et nous expliquait les Écritures ?"

"Oui. Et maintenant il me paraît le voir de nouveau et dans une lumière qui vient du Ciel, la lumière de Dieu.

Et je vois que Lui est le Sauveur."

"Allons. Moi je ne sens plus la lassitude et la faim. Allons le dire à ceux de Jésus, à Jérusalem."

"Allons. Oh ! si mon vieux père avait pu jouir de cette heure !"

"Mais ne dis pas cela ! Lui en a joui plus que nous. Sans le voile dont il s’est servi par pitié pour notre

faiblesse charnelle, le juste Cléophas a vu avec son esprit le Fils de Dieu rentrer au Ciel. Allons ! Allons !

Nous arriverons en pleine nuit, mais si Lui le veut il nous donnera manière de passer. S’il a ouvert les portes

de la mort, il pourra bien ouvrir les portes des murs ! Allons !"

Et dans le couchant entièrement pourpre, ils s’en vont avec empressement vers Jérusalem.

805


Les "pèlerins d'Emmaüs"

13 Voici : ce même jour, deux d’entre eux se rendaient

Vers un village appelé Emmaüs distant

De Jérusalem de soixante stades. 14 Entre eux

Ils conversaient de tout ce qui s'était passé.

15 Or, comme ils conversaient et discutaient, Jésus

En personne s’approcha, et il faisait route

Avec eux. 16 Pourtant, leurs yeux étaient empêchés

De le reconnaître. 17 Il leur dit ceci : "Quelles sont

Donc ces paroles que vous échangez en marchant ?"

Et ils s’arrêtèrent le visage sombre.

18 Prenant

La parole, l’un d’eux du nom de Cléophas lui dit :

"Tu es le seul de passage à Jérusalem

A ne pas savoir ce qui y est arrivé

Ces jours-ci !"

19 Et il leur dit : "Quoi donc ? Ils lui dirent :

Ce qui concerne Jésus le Nazarénien,

Qui s'est montré un prophète bien puissant en œuvre,

En parole devant Dieu et devant tout le peuple ;

20 Et comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré

Pour le condamner à mort et l’ont crucifié.

21 Nous espérions, nous, que c’était lui qui allait

Racheter Israël, mais avec tout cela,

Voilà le troisième jour depuis que ces choses

806


Sont arrivées ! 22 Quelques femmes qui sont des nôtres

Nous ont, il est vrai, stupéfiés. S'étant rendues

De grand matin au tombeau, 23 n'ayant pas trouvé

Son corps, elles sont venues nous dire qu’elles avaient vu

Même une vision d'anges qui le disent en vie,

24 Quelques-uns des nôtres sont allés au tombeau

Et ils ont bien trouvé les choses comme les femmes

L'avaient dites ; lui, ils ne l’ont pas vu !"

25 lui leur dit :

"0 cœurs insensés et lents à croire ce qu’ont dit

Les Prophètes ! 26 N'est-ce point ce que devait souffrir

Là le Christ pour entrer dans sa gloire ?"

27 À partir

De tous les prophètes, à commencer par Moïse

Il leur interpréta ce qui était de lui

Dans toutes les Écritures.

28 Et lorsqu’ils furent près

Du village, où ils se rendaient lui fit semblant

D'aller plus loin. 29 Mais ils le pressèrent, en disant :

"Reste avec nous, le soir vient, déjà le jour baisse."

Il entra pour rester avec eux. 30 Il était

À table avec eux. Ayant pris le pain, il dit

La bénédiction, alors l’ayant rompu

Il le leur remettait. 31 Aussi les yeux s'ouvrirent

Ils le reconnurent… mais il devint invisible.

32 Ils ne dirent l'un à l'autre : "Notre cœur n’est-il pas

Tout brûlant au-dedans de nous quand en chemin

807


Il nous parlait et nous ouvrait les Écritures ?"

33 Et à l’heure même, ils partirent et s'en retournèrent

À Jérusalem. Ainsi ils trouvèrent réunis

Les onze et leurs compagnons 34 qui dirent : "C'est bien vrai !

Il s’est révélé, le Seigneur et à Simon

Il est apparu !" 35 Et eux aussi racontèrent

Ce qui était arrivé en chemin, comment

Il s’était fait reconnaître en rompant le pain.

808


Jésus apparaît aux dix apôtres

Ils sont rassemblés au Cénacle. La soirée doit être bien avancée car aucun bruit ne vient plus de la rue ni de

la maison. Je pense que ceux aussi qui étaient venus avant se sont tous retirés ou dans leurs propres maisons

ou pour dormir, fatigués par tant d’émotions.

Les dix de leur côté, après avoir mangé des poissons, dont il reste encore quelques-uns sur un plateau posé

sur la crédence, sont en train de parler sous la lumière d’une seule flamme du lampadaire la plus proche de la

table. Ils y sont encore assis autour et ils ont des conversations morcelées. Ce sont presque des monologues

Car il semble que chacun, plutôt qu’avec son compagnon, parle avec lui-même. Et les autres le laissent

parler, en parlant peut-être à leur tour de toute autre chose. Pourtant ces conversations décousues, qui

donnent l’impression des rayons d’une roue démontée, on sent qu’elles se rapportent à un seul sujet qui en

est le centre bien qu’ainsi éparpillées, et que c’est Jésus.

“Je ne voudrais pas que Lazare ait mal entendu et que les femmes aient compris mieux que lui...” dit Jude

d’Alphée.

“À quelle heure la Romaine dit-elle l’avoir vu ?” demande Matthieu.

Personne ne lui répond.

“Demain je vais à Capharnaüm” dit André.

“Quelle merveille ! Agir de telle façon que ce soit juste à. ce moment-là que sort la litière de Claudia !” dit

Barthélemy.

“Nous avons mal fait, Pierre, de nous éloigner tout de suite ce matin... Si nous étions restés nous l’aurions vu

comme la Magdeleine.” dit Jean en soupirant.

“Moi, je ne comprends pas comment il peut être à Emmaüs et en même temps dans le palais. Et être ici, chez

809


sa Mère, et en même temps chez la Magdeleine et chez Jeanne...” se dit à lui-même Jacques de Zébédée.

“Il ne viendra pas. Je n’ai pas suffisamment pleuré pour le mériter... Il a raison. Je dis qu’il me fait attendre

pendant trois jours a cause de mes trois reniements. Mais comment, comment ai-je pu faire cela ?”

“Comme il était transfiguré, Lazare ! Je vous dis qu’il paraissait, lui, un soleil. Je pense qu’il lui est arrivé

comme à Moïse après avoir vu Dieu. Et tout de suite - n’est-ce pas, vous qui étiez là ? - tout de suite après

avoir offert sa vie !” dit le Zélote.

Personne ne l’écoute.

Jacques d’Alphée se tourne vers Jean et dit : “Comment a-t-il dit à ceux d’Emmaüs ? Il me semble qu’il nous

a excusé, n’est-ce pas ? N’a-t-il pas dit que tout est arrivé à cause de notre erreur d’israélites sur la façon de

comprendre son Royaume ?”

Jean ne l’écoute pas. Il se tourne pour regarder Philippe et dit à l’air... car il ne parle pas à Philippe : “Pour

moi, il me suffit de savoir qu’il est ressuscité. Et puis... Et puis que mon amour soit toujours plus fort. Vous

avez vu, hein ! Si vous regardez de près il est allé en proportion de l’amour que nous avons eu : la Mère,

Marie-Magdeleine, les enfants, ma mère et la tienne, et puis Lazare et Marthe... Quand à Marthe ? Je dis

quand elle a entonné le psaume de David : “Le Seigneur est mon berger. Il ne me manquera rien. Il m’a mis

dans un lieu d’abondants pâturages. Il m’a conduit aux eaux qui désaltèrent. Il a appelé mon âme à Lui." Tu

te souviens comment elle nous a fait sursauter avec ce chant inattendu ? Et ces paroles sont en relation avec

ce qu’elle a dit : “Il a appelé mon âme à Lui.” En effet Marthe semble avoir retrouvé sa route... Avant elle

était égarée, elle, la courageuse ! Peut-être qu’en l’appelant il lui a dit l’endroit où il la veut. C’est même

certain, car s’il lui a donné rendez-vous il doit savoir où elle sera. Qu’aura-t-il voulu dire en disant :

'l’accomplissement des noces' ?”

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Philippe, qui l’a regardé un moment et puis l’a laissé monologuer, dit en gémissant : “Moi je ne saurai pas

quoi Lui dire s’il vient... Je me suis enfui... et je sens que je vais fuir. D’abord, c’était par peur des hommes.

Maintenant, c’est par peur de Lui.”

“Tous disent qu’il est très beau. Peut-il jamais être plus beau qu’il ne l’était déjà ?” se demande Barthélemy.

“Moi, je Lui dirai : “Tu m’as pardonné sans me parler quand j’étais publicain. Pardonne-moi aussi

maintenant par ton silence car ma lâcheté ne mérite pas que tu me parles”” dit Matthieu.

“Longin dit qu’il s’est demandé : “Dois-je Lui demander de guérir ou de croire”’ ? Mais son cœur a dit : “De

croire” et alors la Voix a dit : “Viens à Moi” et il a senti la volonté de croire et en même temps la guérison.

C’est exactement ce qu’il m’a dit.” affirme Jude d’Alphée.

“Moi, je suis toujours arrêté à la pensée que Lazare a été récompensé tout de suite à cause de son offrande...

J’ai dit, moi aussi : “Ma vie pour ta gloire.”, mais il n’est pas venu.” dit en soupirant le Zélote.

“Que dis-tu, Simon ? Toi qui es cultivé, dis-moi : que dois-je Lui dire pour Lui faire comprendre que je

l’aime et que je Lui demande pardon ? Et toi, Jean ? Tu as parlé beaucoup avec la Mère, aide-moi, Ce n’est

pas de la pitié de laisser seul le pauvre Pierre !”

Jean est ému de compassion pour son compagnon humilié et il dit : “Mais.., mais moi, je Lui dirais

simplement : “Je t’aime”. Dans l’amour est compris aussi le désir du pardon et le repentir. Pourtant.., je ne

sais pas. Simon, que dis-tu ?”

Et le Zélote : “Moi je dirais ce qui était le cri des miraculés : “Jésus, aie pitié de moi !” Je dirais : “Jésus” et

c’est tout, car il est bien plus que le Fils de David !”

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“C’est bien ce que je pense et ce qui me fait trembler. Oh ! je me cacherai la tête... Ce matin aussi, j’avais

peur de le voir et...”

“...et puis tu es entré le premier. Mais ne crains pas ainsi. On dirait que tu ne le connais pas.” lui dit Jean

pour l’encourager.

La pièce s’illumine vivement comme par un éclair éblouissant. Les apôtres se cachent le visage, craignant

que ce soit la foudre, mais ils n’entendent pas de bruit et ils lèvent la tête.

Jésus est au milieu de la pièce, près de la table. Il ouvre les bras en disant : “La Paix soit avec vous.”

Personne ne répond. Les uns sont plus pâles, d’autres plus rouges, ils le fixent tous, craintifs et

suggestionnés, fascinés et en même temps comme pris par le désir de fuir.

Jésus fait un pas en avant en souriant davantage. “Mais ne craignez pas ainsi ! C’est Moi. Pourquoi

êtes-vous ainsi troublés ? Ne me désiriez-vous pas ? Ne vous avais-je pas fait dire que je serais venu ?

Ne vous l’avais-je pas dit dès le soir de Pâque ?”

Personne n’ose parler. Pierre pleure déjà et Jean sourit déjà pendant que les deux cousins, les yeux brillants

et remuant les lèvres sans réussir à parler, semblent deux statues représentant le désir.

“Pourquoi avez-vous dans vos cœurs des pensées si opposées entre le doute et la foi, entre l’amour et la

crainte ? Pourquoi voulez-vous être encore chair et non pas esprit, et avec celui-ci seulement, voir,

comprendre, juger, agir ? Sous la flamme de la douleur ne s’est-il pas brûlé entièrement le vieux moi et

n’a-t-il pas surgi le nouveau moi d’une vie nouvelle ? Je suis Jésus. Votre Jésus ressuscité, comme il vous

l’avait dit. Regardez. Toi qui as vu mes blessures et vous qui ignorez ma torture. Car ce que vous savez est

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bien différent de la connaissance exacte qu’en a Jean. Viens, toi, le premier. Tu es déjà tout à fait pur, si pur

que tu peux me toucher sans crainte. L’amour, l’obéissance, la fidélité t’avaient déjà rendu pur. Mon Sang,

dont tu as été tout inondé quand tu m’as déposé de la Croix, a fini de te purifier. Regarde. Ce sont de vraies

mains et de vraies blessures. Observe mes pieds. Vois comment cette marque est celle du clou ? Oui, c’est

vraiment Moi et non pas un fantôme. Touchez-moi. Les spectres n’ont pas de corps. Moi, j’ai une vraie chair

sur un vrai squelette.” Il met sa main sur la tête de Jean qui a osé aller près de Lui : “Tu sens ? Elle est

chaude et lourde.” Il lui souffle sur le visage : “Et ceci c’est la respiration.”

“Oh ! mon Seigneur !” Jean murmure doucement, ainsi...

“Oui, votre Seigneur. Jean, ne pleure pas de crainte et de désir. Viens vers Moi. Je suis toujours Celui qui

t’aime. Assoyons-nous, comme toujours, à la table. N’avez-vous rien à manger ? Donnez-le-moi donc.”

André et Matthieu, avec des mouvements de somnambules, prennent sur les crédences les pains et les

poissons, et un plateau avec un rayon de miel à peine entamé dans un coin.

Jésus offre la nourriture et mange et il donne à chacun un peu de ce qu’il mange. Et il les regarde, si bon

mais si majestueux, qu’ils en sont paralysés.

Le premier qui ose parler c’est Jacques, frère de Jean : “Pourquoi nous regardes-tu ainsi’ ?”

“Parce que je veux vous connaître.”

“Tu ne nous connais pas encore ?”

“Comme vous ne me connaissez pas. Si vous me connaissiez, vous sauriez qui je suis et vous trouveriez les

mots pour me dire votre tourment. Vous vous taisez, comme en face d’un étranger puissant que vous

craignez. Tout à l’heure vous parliez... Cela fait presque quatre jours que vous vous parlez à vous-mêmes en

disant : ‘Je Lui dirai ceci...” en disant à mon Esprit : “Reviens, Seigneur, que je puisse te dire ceci.”

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Maintenant je suis venu et vous vous taisez ? Suis-je tellement changé que je ne vous paraisse plus Moi ? Ou

bien êtes-vous tellement changés que vous ne m’aimez plus ?”

Jean, assis prés de son Jésus, fait son acte habituel de mettre la tête sur sa poitrine en murmurant : “Moi je

t’aime, mon Dieu” mais il se raidit pour s’interdire cet abandon par respect pour le resplendissant Fils de

Dieu. En effet Jésus semble dégager une lumière tout en étant d’une Chair semblable à la nôtre. Mais Jésus

l’attire sur son Cœur et alors Jean ouvre les digues à ses pleurs bienheureux.

C’est le signal pour tous de le faire.

Pierre, deux places après Jean, glisse entre la table et son siège et il pleure en criant : “Pardon, pardon !

Enlève-moi de cet enfer où je suis depuis tant d’heures. Dis-moi que tu as vu mon erreur pour ce qu’elle a

été. Pas de l’esprit, mais de la chair qui a dominé le cœur. Dis-moi que tu as vu mon repentir... Il durera

jusqu’à la mort. Mais Toi.., mais Toi dis-moi que comme Jésus je ne dois pas te craindre... et moi, et moi je

chercherai de faire si bien que je me ferai pardonner même par Dieu.., et mourir.., ayant seulement un grand

purgatoire à faire.”

“Viens ici, Simon de Jonas.”

“J’ai peur.”

“Viens ici. Ne sois pas plus lâche.”

“Je ne mérite pas de venir près de Toi.”

“Viens ici. Que t’a dit la Mère ? “Si tu ne le regardes pas sur ce suaire, tu n’auras pas le courage de le

regarder jamais plus.” Oh ! homme sot ! Ce Visage ne t’a-t-il pas dit, par son regard douloureux, que je te

comprenais et que je te pardonnais ? Et pourtant je l’ai donné ce linge, pour réconfort, pour guide, pour

absolution, pour bénédiction... Mais que vous a fait Satan pour vous aveugler à ce point ? Maintenant Moi, je

te dis : si tu ne me regardes pas maintenant que sur ma gloire j’ai encore étendu un voile pour me mettre à la

portée de votre faiblesse, tu ne pourras jamais plus venir sans peur à ton Seigneur. Et que t’arrivera-t-il

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alors ? Tu as péché par présomption. Veux-tu maintenant pécher de nouveau par obstination ? Viens, te disje.”

Pierre se traîne sur ses genoux, entre la table et les sièges, avec les mains sur son visage en pleurs. Jésus

l’arrête, quand il est à ses pieds, en lui mettant la main sur la tête. Pierre, en pleurant plus fort, prend cette

main et la baise dans un vrai sanglot sans frein. Il ne sait dire que : “Pardon ! Pardon !”

Jésus se dégage de son étreinte et, en faisant levier de sa main sous le menton de l’apôtre, il l’oblige à lever

la tête et fixe ses yeux rougis, brûlés, déchirés par le repentir avec ses yeux brillants et sereins. Il semble

vouloir lui transpercer l’âme, puis il dit : “Allons. Enlève l’opprobre de Judas. Baise-moi où il m’a baisé.

Lave, avec ton baiser, la marque de la trahison.”

Pierre lève la tête pendant que Jésus se penche encore davantage, et il effleure sa joue puis il incline la tête

sur les genoux de Jésus, et il reste ainsi.., comme un vieil enfant qui a fait du mal, mais qui est pardonné.

Les autres, maintenant qu’ils voient la bonté de leur Jésus, retrouvent un peu de hardiesse et ils s’approchent

comme ils peuvent.

Viennent d’abord ses cousins... Ils voudraient dire tant de choses et n’arrivent à rien dire. Jésus les caresse et

leur donne du courage par son sourire.

Matthieu vient avec André. Matthieu en disant : “Comme à Capharnaüm...” et André : “Moi, moi.., je

t’aime, moi.”

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Barthélemy vient en gémissant : “Je n’ai pas été sage, mais sot, Lui est sage.” et il montre le Zélote auquel

Jésus sourit déjà.

Jacques de Zébédée vient et murmure à Jean : “Dis-le-lui, toi...” Jésus se tourne et dit : “Tu l’as dit depuis

quatre soirs et depuis autant de temps j’ai eu de la compassion pour toi.”

Philippe, en dernier lieu, vient tout courbé, mais Jésus le force à lever la tête et lui dit : “Pour prêcher le

Christ, il faut davantage de courage.”

Maintenant ils sont tous autour de Jésus. Ils s’enhardissent tout doucement, Ils retrouvent ce qu’ils ont perdu

ou craint d’avoir perdu pour toujours. Affleurent de nouveau la confiance, la tranquillité et, bien que Jésus

soit si majestueux qu’il tient ses apôtres dans un respect nouveau, ils trouvent finalement le courage de

parler.

C’est son cousin Jacques qui dit en soupirant : “Pourquoi nous as-tu fait cela, Seigneur ? Tu savais que nous

ne sommes rien et que toute chose vient de Dieu. Pourquoi ne nous as-tu pas donné la force d’être

à tes côtés ?”

Jésus le regarde et sourit.

“Maintenant tout est arrivé. Et tu ne dois plus rien souffrir, mais ne me demande plus cette obéissance.

Chaque heure m’a vieilli d’un lustre et tes souffrances que l’amour et Satan augmentaient également, dans

mon imagination, de cinq fois ce qu’elles ont été ont vraiment consumé toutes mes forces. Il ne m’est resté

rien d’autre pour continuer à obéir que de tenir, comme quelqu’un qui se noie avec les mains blessées, ma

force avec la volonté comme des dents qui serrent une planche, pour ne pas périr... Oh ! ne demande plus

cela à ton lépreux !”

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Jésus regarde Simon le Zélote et sourit.

“Seigneur, tu sais ce que voulait mon cœur. Mais, ensuite, je n’ai plus eu de cœur.., comme s’ils me l’avaient

arraché les gredins qui t’ont pris.., et il m’est resté un trou d’où fuyaient toutes mes pensées antérieures.

Pourquoi as-tu permis cela, Seigneur ?” demande André.

“Moi... tu parles de cœur ? Moi je dis que j’ai été quelqu’un qui n’a plus de raison, comme quelqu’un qui

reçoit un coup de massue sur la nuque. Quand la nuit venue je me suis trouvé à Jéricho... Oh ! Dieu !

Dieu !... Mais un homme peut-il périr ainsi ? Je crois que c’est ainsi la possession. Maintenant je comprends

ce qu’est cette chose redoutable !...” Philippe écarquille encore les yeux en se rappelant sa souffrance.

“Tu as raison, Philippe. Moi je regardais en arrière. Je suis âgé et non dépourvu de sagesse, et je ne savais

plus rien de ce que j’avais su jusqu’à cette heure. Je regardais Lazare, si déchiré mais si sûr, et je me disais :

“Comment peut-il se faire que lui sache encore trouver une raison et moi plus rien ?” dit Barthélemy.

“Moi aussi, je regardais Lazare. Et, puisque je sais à peine ce que tu nous as expliqué, je ne pensais pas au

savoir, mais je disais : ‘Si au moins j’avais le même cœur !” Au contraire je n’avais que douleur, douleur,

douleur. Lazare avait la douleur et la paix... Pourquoi tant de paix pour lui ?”

Jésus regarde tour à tour d’abord Philippe, puis Barthélemy, puis Jacques de Zébédée. Il sourit et se tait.

Jude dit : “Moi j’espérais arriver à voir ce que certainement Lazare voyait. Aussi je restais toujours près de

lui... Son visage !... Un miroir. Un peu avant le tremblement de terre de Vendredi il était comme quelqu’un

qui meurt broyé, et puis il devint tout d’un coup majestueux dans sa douleur. Vous rappelez-vous quand il

dit : “Le devoir accompli donne la paix” ? Nous crûmes nous tous que c’était seulement un reproche pour

nous ou une approbation pour lui-même. Maintenant je pense qu’il le disait pour Toi. C’était un phare dans

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nos ténèbres Lazare. Combien tu lui as donné, Seigneur !”

Jésus sourit et se tait.

“Oui. La vie. Et peut-être avec elle tu lui as donné une âme différente. Pourquoi, enfin, lui est-il différent de

nous ? En effet, il n’est plus un homme. Il est déjà quelque chose de plus qu’un homme et, à cause de ce

qu’il était dans le passé, il aurait dû être encore moins parfait d’esprit que nous. Mais lui s’est fait, et nous...

Seigneur, mon amour a été vide comme certains épis. Il n’a donné que de la bale.” dit André.

Et Matthieu : “Moi, je ne puis rien demander. Car j’ai déjà tant eu avec ma conversion. Mais, oui ! J’aurais

voulu avoir ce qu’a eu Lazare. Une âme donnée par Toi, car je pense moi aussi comme André... ”

“La Magdeleine et Marthe ont été aussi des phares. Serait-ce la race ? Vous ne les avez pas vues. L’une était

pitié et silence. L’autre ! Oh ! si nous avons été tous un faisceau autour de la Bénie, c’est parce que Marie de

Magdala nous a groupés par les flammes de son courageux amour. Oui, j’ai dit : la race. Mais je dois dire :

l’amour. Ils nous ont dépassés en fait d’amour. C’est pour cela qu’ils ont été ce qu’ils ont été” dit Jean.

Jésus sourit et continue de se taire.

“Ils en ont été grandement récompensés pourtant... ”

“C’est à eux que tu es apparu.”

“À tous les trois.”

“À Marie, tout de suite après ta Mère...”

Il est visible que les apôtres ont un regret pour ces apparitions privilégiées.

"Marie te sait ressuscité depuis déjà tant d’heures. Et nous, c’est seulement maintenant que nous pouvons te

voir... ”

“Il n’y a plus de doutes en elles. En nous, au contraire, voilà... c’est seulement maintenant que nous sentons

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que rien n’est fini. Pourquoi à elles, Seigneur, si tu nous aimes encore et si tu ne nous repousses pas ?”

demande Jude d’Alphée.

“Oui. Pourquoi aux femmes, et en particulier à Marie ? Tu as même touché son front et elle dit qu’il lui

semble porter une couronne éternelle. Et à nous, tes apôtres, rien...”

Jésus ne sourit plus. Son visage n’est pas troublé, mais il ne sourit plus. Il regarde sérieusement Pierre qui a

parlé le dernier, reprenant de la hardiesse à mesure que sa peur se dissipe, et il dit :

“J’avais douze apôtres. Et je les aimais de tout mon Cœur. Je les avais choisis, et comme une mère j’avais

pris soin de les faire grandir dans ma Vie. Je n’avais pas de secrets pour eux. Je leur disais tout, je leur

expliquais tout, je leur pardonnais tout. Leurs idées humaines, leurs étourderies, leurs entêtements.., tout. Et

j’avais des disciples. Des disciples riches et des pauvres. J’avais des femmes au passé ténébreux ou de faible

constitution. Mais les préférés, c’était les apôtres.

Mon heure est venue. L’un m’a trahi et livré aux bourreaux. Trois ont dormi pendant que je suais du sang.

Tous, sauf deux, ont fui par lâcheté. Un m’a renié par peur bien qu’il eût l’exemple de l’autre, jeune et

fidèle. Et, comme si cela ne suffisait pas, j’ai eu parmi les douze le suicide d’un désespéré et un qui a tant

douté de mon pardon qu’il n’a cru que difficilement, et grâce à la parole maternelle, à la Miséricorde de

Dieu. En sorte que si j’avais regardé ma troupe, et si j’avais attaché sur elle un regard humain, j’aurais dû

dire : “À part Jean, fidèle par amour, et Simon, fidèle à l’obéissance, je n’ai plus d’apôtres.” C’est cela que

j’aurais dû dire pendant que je souffrais dans l’enceinte du Temple, au Prétoire, dans les rues et sur la Croix.

J’avais des femmes... L’une d’elles, la plus coupable dans le passé, a été, comme Jean l’a dit, la flamme qui

a soudé les fibres brisées des cœurs. Cette femme c’est Marie de Magdala. Tu m'as renié et tu as fui. Elle a

bravé la mort pour rester près de Moi. Insultée, elle a découvert son visage, prête à recevoir les crachats et

les gifles en pensant qu’elle ressemblait ainsi davantage à son Roi crucifié. Méprisée, au fond des cœurs, à

cause de sa foi tenace en ma Résurrection, elle a su continuer à croire. Déchirée, elle a agi. Désolée, ce

matin, elle a dit : “Je me dépouille de tout, mais donnez-moi mon Maître.” Peux-tu encore demander :

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“Pourquoi à elle ?”

J’avais des disciples pauvres, des bergers. Je les ai peu approchés, et pourtant comme ils ont su me confesser

par leur fidélité !

J’avais des disciples timides, comme toutes les femmes de ce pays. Et pourtant elles ont su quitter leurs

maisons et venir dans la marée d’un peuple qui me blasphémait, pour me donner le secours que mes apôtres

m’avaient refuse.

J’avais des païennes qui admiraient le “philosophe”. J’étais cela pour elles. Mais elles ont su s’abaisser aux

usages hébreux, les puissantes romaines, pour me dire, à l’heure de l’abandon d’un monde ingrat : “Nous

sommes pour Toi des amies.”

J’avais le visage couvert de crachats et de sang. Les larmes et la sueur coulaient sur mes blessures. La saleté

et la poussière m’incrustaient la peau. Quelle est la main qui m’a essuyé ? La tienne ? Ou la tienne ? Ou la

tienne ? Aucune de vos mains. Celui-ci était près de la Mère. Celui-ci rassemblait les brebis dispersées.

Vous. Et si mes brebis étaient dispersées comment pouvaient-elles me donner du Secours ? Tu cachais ton

visage par peur du mépris du monde pendant que ton Maître était couvert par le mépris de tout le monde, Lui

qui était innocent.

J’avais soif. Oui. Sache aussi cela. Je mourais de soif. Je n’avais plus que fièvre et douleur, Le Sang avait

déjà coulé au Gethsémani, tiré par la douleur d’être trahi, abandonné, renié, frappé, submergé par le nombre

infini des fautes et par la rigueur de Dieu. Et il avait coulé au Prétoire... Qui a pensé à me donner une goutte

pour mon gosier brûlé ? Une main d’Israël ? Non. La pitié d’un païen. La même main qui, par un décret

éternel, m’ouvrit la poitrine pour montrer que mon Cœur avait déjà une blessure mortelle, et c’était celle que

l’absence d’amour, la lâcheté, la trahison, m’avaient faite. Un païen. Je vous le rappelle : “J’ai eu soif et tu

m’as donné à boire.” Il n’y en eut pas un pour me réconforter dans tout Israël. Ou par impossibilité de le

faire, comme la Mère et les femmes fidèles, ou par mauvaise volonté. Et un païen trouva pour l’inconnu la

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pitié que mon peuple m’avait refusée. Il trouvera au Ciel la gorgée qu’il m’a donnée.

En vérité, je vous le dis : j’ai refusé tout réconfort, car quand on est Victime, il ne faut pas adoucir son sort,

mais je n’ai pas voulu repousser le païen dans l’offrande duquel j’ai goûté le miel de tout l’amour qui me

sera donné par les gentils pour compenser l’amertume que m’a donnée Israël. Il ne m’a pas enlevé la soif.

Mais le découragement, oui. C’est pour cela que j’ai pris cette gorgée ignorée. Pour attirer à Moi celui qui

déjà penchait vers le Bien. Que le Père le bénisse pour sa pitié !

Vous ne parlez plus ? Pourquoi ne me demandez-vous pas encore pourquoi j’ai agi ainsi ? Vous n’osez pas

le demander ? Je vais vous le dire. Je vais tout vous dire des pourquoi de cette heure.

Qui êtes-vous ? Mes continuateurs. Oui. Vous l’êtes malgré votre égarement. Que devez-vous faire ?

Convertir le monde au Christ. Convertir ! C’est la chose la plus difficile et la plus délicate, mes amis. Le

dédain, le dégoût, l’orgueil, le zèle exagéré sont tous très nuisibles pour réussir. Mais comme rien ni

personne ne vous auraient amené à la bonté, à la condescendance, à la charité, pour ceux qui sont dans les

ténèbres, il a été nécessaire - vous comprenez ? - Il a été nécessaire que vous ayez, une bonne fois, brisé

votre orgueil d’hébreux, de mâles, d’apôtres, pour faire place à la vraie sagesse de votre ministère, à la

douceur, à la pitié, à l’amour sans arrogance ni dégoût.

Vous voyez que tous vous ont surpassé dans la foi et dans l’action parmi ceux que vous regardiez avec

mépris ou une compassion orgueilleuse. Tous. Et l’ancienne pécheresse. Et Lazare, trempé d’une culture

profane, le premier qui a pardonné et guidé en mon Nom. Et les femmes païennes. Et la faible épouse de

Chouza. Faible ? En réalité, elle vous surpasse tous ! Première martyre de ma foi. Et les soldats de Rome. Et

les bergers. Et l’hérodien Manaën. Et jusqu’au rabbin Gamaliel. Ne sursaute pas, Jean. Crois-tu que mon

Esprit était dans les ténèbres ? Tous. Et cela pour que demain, en vous rappelant votre erreur, vous ne

fermiez pas votre cœur à ceux qui viennent à la Croix.

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Je vous le dis. Et déjà je sais que, bien que je vous le dise, vous ne le ferez que quand la Force du Seigneur

vous pliera comme des brindilles à ma Volonté, qui est d’avoir des chrétiens de toute la Terre. J’ai vaincu la

Mort, mais elle est moins dure que le vieil hébraïsme. Mais je vous plierai.

Toi, Pierre, au lieu de rester en pleurs et humilié, toi qui dois être la Pierre de mon Église, grave ces amères

vérités dans ton cœur. La myrrhe sert à préserver de la corruption. Imprègne-toi donc de myrrhe. Et quand tu

voudras fermer ton cœur et l’Église à quelqu’un d’une autre foi, rappelle-toi que ce n’est pas Israël, pas

Israël, pas Israël, mais Rome qui m’a défendu et a voulu avoir pitié. Rappelle-toi que ce n’est pas toi, mais

une pécheresse qui a su rester au pied de la Croix et a mérité de me voir la première. Et pour ne pas mériter

le blâme sois l’imitateur de ton Dieu. Ouvre ton cœur et l’Église en disant : “Moi, le pauvre Pierre, je ne puis

mépriser car si je méprise je serai méprisé par Dieu et mon erreur redeviendra vivante à ses yeux.” Malheur

si je ne t’avais pas brisé ainsi ! Ce n’est pas un berger mais un loup que tu serais devenu.”

Jésus se lève avec la plus grande majesté.

“Mes fils, je vous parlerai encore pendant le temps que je resterai parmi vous. Mais pour l’instant je vous

absous et vous pardonne. Après l’épreuve qui, si elle a été humiliante et cruelle, a été aussi salutaire et

nécessaire, que vienne en vous la paix du pardon. Et avec elle dans vos cœurs redevenez mes amis fidèles et

courageux. Le Père m’a envoyé dans le monde. Je vous envoie dans le monde pour continuer mon

évangélisation. Des misères de toutes sortes viendront à vous pour vous demander du soulagement. Soyez

bons en pensant à votre misère quand vous êtes restés sans votre Jésus. Soyez éclairés. Dans les ténèbres, il

n’est pas permis de voir. Soyez purs pour donner la pureté. Soyez amour pour aimer. Puis viendra Celui qui

est Lumière, Purification et Amour. Mais, en attendant, pour vous préparer à ce ministère, je vous

communique l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les

retiendrez, ils leur seront retenus. Que votre expérience vous rende justes pour juger. Que l’Esprit Saint vous

rende saints pour sanctifier. Que la volonté sincère de surmonter votre manque vous rende héroïques pour la

vie qui vous attend. Ce que j’ai encore à dire, je vous le dirai quand l’absent sera revenu. Priez pour lui.

Restez dans ma paix et sans agitation de doute sur mon amour.”

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Et Jésus disparaît comme il était entré, laissant une place vide entre Jean et Pierre. Il disparaît dans une lueur

qui fait fermer les yeux tant elle est forte.

Et quand les yeux éblouis se rouvrent, ils trouvent seulement que la paix de Jésus est restée, flamme qui

brûle et qui soigne et consume les amertumes du passé dans un désir unique : servir.

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Jésus apparaît aux apôtres

36 Tandis qu’il disait cela, lui au milieu d'eux

Se tint, et il leur dit : "Paix sur vous ! 37 Effrayés

Et saisis de peur, ils pensaient voir un esprit.

38 Il leur dit : "Pourquoi êtes-vous troublés, pourquoi

Des raisonnements montent-ils en votre cœur ?

39 Voyez mes mains et mes pieds : c'est moi ! Palpez-moi,

Et voyez bien qu'un esprit n’a ni chair ni os

Comme vous constatez que j’en ai."

40 Ayant dit

Cela, il leur montra ses mains avec ses pieds.

Or, dans leur joie, ils refusaient encore de croire

Et demeuraient étonnés, il leur dit ceci :

"Avez-vous donc ici quelque chose à manger ?"

42 Ils lui remirent un morceau de poisson grillé.

43 Alors l’ayant pris, il le mangea devant eux.

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Jésus apparaît sur les rives du lac

Une nuit calme et une chaleur étouffante. Pas un souffle de vent. Les étoiles, nombreuses et palpitantes,

remplissent le ciel serein. Le lac, calme et immobile au point de paraître un très vaste bassin à l’abri des

vents, reflète sur sa surface la gloire de ce ciel palpitant d’étoiles. Les arbres, le long des rives, forment un

bloc sans frémissement. Si calme est le lac que son flot sur la rive ne donne qu’un très léger bruissement.

Quelque barque au large, à peine visible comme une forme vague qui parfois produit une petite étoile à peu

de distance de l’eau avec sa lanterne attachée au mât de la voile, pour éclairer l’intérieur de la petite

embarcation. Je ne sais pas à quel point du lac nous nous situons. Je dirais que c’est celui qui est le plus au

midi, là où le lac s’apprête à redevenir fleuve. Aux alentours de Tarichée, dirais-je, non parce que je vois la

ville qu’un groupe d’arbres me cache, en s’avançant dans le lac pour faire un petit promontoire montueux,

mais j’en juge ainsi d’après les petites étoiles des lanternes des barques qui s’éloignent vers le nord en se

détachant des rives du lac. Je dis aux alentours de Tarichée, parce qu’il y a là un groupe de cabanes, si peu

nombreuses qu’elles ne forment même pas un village, au pied du petit promontoire. Ce sont de pauvres

maisons, de pêcheurs certainement, presque sur le rivage. Des barques sont tirées au sec sur la petite plage,

d’autres, déjà prêtes pour naviguer, sont dans l’eau près de la rive et si immobiles qu’elles paraissent fixées

au sol, au lieu de se balancer.

Pierre sort la tête d’une maisonnette. La lumière tremblante et un feu allumé dans la cuisine fumeuse éclaire

par-derrière la rude figure de l’apôtre en la faisant ressortir comme un dessin. Il regarde le ciel, il regarde le

lac... Il s’avance jusqu’au bord du rivage puis, en tunique courte et les pieds nus, il entre dans l’eau jusqu’à

mi-cuisses et caresse le bord d’une barque en avançant son bras musclé. Les fils de Zébédée le rejoignent.

"Une belle nuit."

"D’ici peu il y aura la lune."

"Soir de pêche."

"Avec les rames pourtant."

"Il n’y a pas de vent."

825


"Que faisons-nous ?"

Ils parlent lentement, en phrases détachées, comme des hommes habitués à la pêche et aux manœuvres des

voiles et des filets qui demandent de l’attention, et donc peu de paroles.

"Ce serait bien d’y aller. Nous vendrions une partie de la pêche."

Sur la rive viennent les rejoindre André, Thomas et Barthélemy.

"Quelle chaude nuit !" s’exclame Barthélemy.

"Y aura-t-il de la tempête ? Vous rappelez-vous cette nuit ?"demande Thomas.

"Oh ! non ! De la bonace, du brouillard peut-être, mais pas de tempête. Moi... moi je vais pêcher. Qui vient

avec moi ?"

"Nous venons tous. Peut-être on sera mieux au large" dit Thomas qui sue et ajoute; "Il fallait ce feu à la

femme, mais c’est comme si nous avions été aux thermes..."

"Je vais le dire à Simon. Il est tout seul là-bas." dit Jean.

Pierre prépare déjà la barque avec André et Jacques.

"Allons-nous jusqu’à la maison ? Une surprise pour ma mère..."demande Jacques.

"Non. Je ne sais pas si je puis faire venir Margziam. Avant de... de la... Oui, en somme ! Avant d’aller à

Jérusalem - on était encore à Éphraïm - le Seigneur m’a dit qu’il voulait faire la seconde Pâque avec

Margziam. Mais ensuite il ne m’a rien dit d’autre..."

"Il me semble à moi qu’il a dit oui" dit André.

"Oui. La seconde Pâque, oui. Mais le faire venir avant, je ne sais s’il le veut. J’ai fait tant d’erreurs que...

826


Oh ! viens-tu toi aussi ?"

"Oui, Simon de Jonas. Elle me rappellera beaucoup de choses cette pêche..."

"Hé ! à tous elle rappellera beaucoup de choses... Et des choses qui ne reviendront plus... On allait avec le

Maître dans cette barque, sur le lac... Et moi, je l’aimais bien comme si elle avait été un palais de roi et il me

semblait que je ne pourrais vivre sans elle. Mais maintenant que Lui n’y est plus dans la barque... voilà... je

suis dedans et je n’en ai plus de joie." dit Pierre.

"Personne n’a plus la joie des choses passées. Ce n’est plus la même vie. Et même en regardant en arrière…

entre ces heures passées et les heures présentes, il y a au milieu ce temps horrible..." dit Barthélemy on

soupirant.

"Prêts. Venez. Toi au gouvernail, et nous aux rames. Allons vers la baie de Hippo. C’est un bon endroit.

Sou ! Hop ! Sou ! Hop !"

Pierre donne le départ et la barque glisse sur l’eau tranquille avec Barthélemy au gouvernail. Thomas et le

Zélote servent de mousses, prêts à jeter les filets qu’ils ont déjà étendus. La lune se lève, c’est-à-dire dépasse

les monts de Gadara (si je ne me trompe) ou Gamala, en somme ceux qui sont sur la côte orientale mais vers

le sud du lac, et le lac en reçoit le rayonnement qui fait une route de diamant sur les eaux tranquilles.

"Elle nous accompagnera jusqu’au matin."

"S’il ne vient pas de brume."

"Les poissons quittent le fond, attirés par la lune."

827


"Si nous faisons bonne pêche, cela tombera bien, car nous n’avons plus d’argent. Nous achèterons du pain et

nous apporterons des poissons et du pain à ceux qui sont sur la montagne." Des paroles lentes avec de

longues pauses après chaque mot.

"Tu vogues bien, Simon. Tu n’as pas perdu le coup de rame !..." dit le Zélote avec admiration.

"Oui... Malédiction !"

"Mais qu’as-tu ?" demandent les autres.

"J’ai... J’ai que le souvenir de cet homme me poursuit partout. Je me souviens de ce jour où l’on luttait avec

deux barques à qui voguerait le mieux, et lui..."

"Moi, de mon côté, je pensais que l’une des premières fois que j’eus la vision de son abîme de perfidie, ce

fut cette fois que nous avons rencontré, ou plutôt que nous avons abordé, les barques des romains. Vous vous

souvenez ?" dit le Zélote.

"Hé ! si on se rappelle ! Mais !... Lui le défendait... et nous… entre les défenses du Maître et les duplicités

de... de notre compagnon, on n’a jamais bien compris..."dit Thomas.

"Hum ! Moi, plus d’une fois... Mais il disait : ‘Ne juge pas, Simon !’"

"Le Thaddée l’a toujours soupçonné."

"Ce que je n’arrive pas à croire, c’est que celui-ci n’en ait jamais rien su." dit Jacques en donnant un coup de

coude à son frère.

Mais Jean baisse silencieusement la tête.

"Désormais tu peux en parler." dit Thomas.

"Je m’efforce d’oublier. C’est l’ordre que j’ai reçu. Pourquoi voulez-vous me faire désobéir ?"

"Tu as raison. Laissons-le tranquille." dit le Zélote pour le défendre.

828


"Descendez les filets. Doucement... Ramez, vous. Ramez lentement. Tourne à gauche, Bartholmaï. Accoste.

Vire. Accoste. Vire. Le filet est-il tendu ? Oui ? Levez les rames et attendons." commande Pierre.

Comme il est beau le doux lac dans la paix de la nuit, sous le baiser de la lune ! Paradisiaque tant il est pur.

La lune s’y mire en plein du ciel et lui donne l’aspect du diamant, sa phosphorescence tremble sur les

collines, les découvre et semble couvrir de neige les villes de la rive... De temps en temps ils sortent le filet.

Une cascade de diamants tombe en produisant des arpèges sur l’argent du lac. Vide. Ils l’immergent de

nouveau. Ils se déplacent. Ils n’ont pas de chance... Les heures passent. La lune se couche pendant que la

clarté de l’aube se fraie un chemin, incertain, vert azur... Une brume chaude fume du côté des rives,

particulièrement vers l’extrémité sud du lac de Tibériade qui en est voilé et aussi Tarichée. Une brume basse,

peu épaisse, que le premier rayon de soleil fera disparaître. Pour l’éviter, ils préfèrent côtoyer le côté oriental

où elle est moins épaisse pendant qu’à l’ouest, venant du marécage qui est au-delà de Tarichée sur la rive

droite du Jourdain, elle s’épaissit comme si le marécage fumait. Ils voguent, attentifs à éviter quelque péril

sur ses hauts fonds, eux qui connaissent bien le lac.

"Vous, de la barque ! N’avez-vous rien à manger ?" Une voix d’homme vient de la rive, une voix qui les fait

sursauter.

Mais ils haussent les épaules en répondant à haute voix : "Non" et puis entre eux : "Il nous semble toujours

l’entendre !..."

"Jetez le filet à droite de la barque et vous allez trouver."

La droite, c’est vers le large. Ils jettent le filet, un peu perplexes. Secousses, poids qui fait pencher la barque

du côté où se trouve le filet.

"Mais c’est le Seigneur !" crie Jean.

"Le Seigneur, tu dis ?" demande Pierre.

829


"Et tu en doutes ? Il nous a semblé que c’était sa voix, mais ceci en est la preuve. Regarde le filet ! C’est

comme cette fois-là ! C’est Lui, te dis-je. Ô mon Jésus ! Où es-tu ?"

Tous essaient de voir pour percer les voiles de la brume, après avoir bien assuré le filet pour le traîner dans le

sillage de la barque, car c’est une manœuvre dangereuse de vouloir le lever. Et ils rament pour aller à la rive.

Mais Thomas doit prendre la rame de Pierre qui a enfilé en toute hâte sa courte tunique sur ses braies très

courtes. C’était d’ailleurs son unique vêtement comme c’est celui des autres, sauf Barthélemy. Il s’est jeté à

la nage dans le lac et il fend à grandes brasses l’eau tranquille, en précédant la barque. Le premier, il met le

pied sur la petite plage déserte où sur deux pierres, à l’abri d’un buisson épineux, luit un feu de brindilles. Et

là, tout près du feu, se trouve Jésus, souriant et bienveillant.

"Seigneur ! Seigneur !" Pierre est essoufflé par l’émotion et ne peut dire autre chose. Ruisselant d’eau

comme il est, il n’ose pas même toucher le vêtement de son Jésus et il reste prosterné sur le sable, en

adoration, avec la tunique qui lui colle dessus.

La barque frotte sur le sable et s’arrête. Tous sont debout agités par la joie...

"Apportez ici de ces poissons. Le feu est prêt. Venez et mangez." commande Jésus.

Pierre Court à la barque et il aide à hisser le filet et il saisit dans le tas frétillant trois gros poissons. Il les

frappe sur le bord de la barque pour les tuer et les éventre avec son couteau. Mais les mains lui tremblent,

oh ! pas de froid ! Il les rince et les porte où se trouve le feu, il les installe dessus et surveille leur cuisson.

Les autres restent à adorer le Seigneur, un peu loin de Lui, craintifs comme toujours devant Lui qui est

Ressuscité si divinement puissant.

830


"Voilà : ici il y a du pain. Vous avez travaillé toute la nuit et vous êtes fatigués. Maintenant vous allez vous

réconforter. Est-ce prêt, Pierre ?"

"Oui, mon Seigneur." dit Pierre avec une voix encore plus rauque que d’habitude, penché sur le feu, et il

essuie ses yeux qui dégouttent comme si la fumée les faisait pleurer en les irritant en même temps que la

gorge. Mais ce n’est pas la fumée qui lui donne cette voix et ces larmes... Il apporte le poisson qu’il a étendu

sur une feuille râpeuse, il semble que ce soit une feuille de courge qu’André lui a apportée après l’avoir

rincée dans le lac.

Jésus offre et bénit. Il coupe le pain et les poissons et il les distribue en faisant huit parts, et il y goûte Lui

aussi. Ils mangent avec le respect avec lequel ils accompliraient un rite. Jésus les regarde et sourit. Mais il se

tait Lui aussi jusqu’au moment où il demande : "Où sont les autres ?"

"Sur la montagne, où tu as dit. Et nous sommes venus pour pêcher car nous n’avons plus d’argent et nous ne

voulons pas abuser des disciples."

"Vous avez bien fait. Pourtant, dorénavant, vous, les apôtres, vous resterez sur la montagne en prière pour

édifier les disciples par votre exemple. Envoyez ceux-ci à la pêche. Quant à vous, il est bien que vous restiez

là en prière et pour écouter ceux qui ont besoin de conseils ou peuvent venir pour vous donner des nouvelles.

Tenez-les très unis les disciples. Je viendrai bientôt."

"Nous le ferons, Seigneur."

"Margziam n’est pas avec toi ?"

"Tu ne m’avais pas dit de le faire venir si vite."

"Fais-le venir. Son obéissance est finie."

831


"Je le ferai venir, Seigneur."

Un silence. Puis Jésus, qui était resté un peu la tête penchée pour réfléchir, lève la tête et fixe son regard sur

Pierre. Il le regarde avec son regard des heures de plus grand miracle et de plus grand commandement. Pierre

en tressaille presque de peur et se rejette un peu en arrière... Mais Jésus, mettant une main sur l’épaule de

Pierre, le retient de force et lui demande, en le tenant ainsi : "Simon de Jonas, m’aimes-tu ?"

"Certainement, Seigneur ! Tu sais que je t’aime." répond Pierre avec assurance.

"Pais mes agneaux... Simon de Jonas, m’aimes-tu ?"

"Oui, mon Seigneur. Et tu sais que je t’aime." Sa voix est moins assurée, elle est même un peu étonnée par la

répétition de cette question.

"Pais mes agneaux... Simon de Jonas, m’aimes-tu ?"

"Seigneur... Tu sais tout ... Tu sais si moi je t’aime…" la voix de Pierre tremble car s’il est sûr de son amour

il a l’impression que Jésus n’en est pas sûr.

"Pais mes brebis. La triple profession d’amour a effacé la triple négation. Tu es entièrement pur, Simon de

Jonas et Moi, le te dis : prends le vêtement de Pontife et porte la Sainteté du Seigneur au milieu de mon

troupeau. Ceins tes vêtements à ta ceinture et garde-les ceints jusqu’à ce que de Pasteur toi aussi tu

deviendras agneau. En vérité je te dis que quand tu étais plus jeune tu te ceignais par toi-même et tu allais où

tu voulais, mais quand tu auras vieilli tu étendras les mains et un autre te ceindra et te conduira là où tu ne

voudrais pas. Maintenant pourtant c’est Moi qui te dis : "Ceins-toi et suis-moi sur ma propre voie. Lève-toi

et viens."

832


Jésus se lève et Pierre se lève pour aller vers la rive et les autres se mettent à éteindre le feu en l’étouffant

sous le sable. Mais Jean, après avoir ramassé les restes de pain, suit Jésus. Pierre entend le bruit de ses pas et

tourne la tête. Il voit Jean et demande en le montrant à Jésus : “Et de lui qu’arrivera-t-il ?"

"Si je veux qu’il reste jusqu’à ce que je revienne, que t’importe ? Toi, suis-moi."

Ils sont sur la rive. Pierre voudrait encore parler; la majesté de Jésus, les paroles qu’il a entendues le

retiennent. Il s’agenouille et adore, imité par les autres. Jésus les bénit et les congédie. Ils montent dans la

barque et s’éloignent en ramant. Jésus les regarde partir.

833


Apparition au bord du lac de Tibériade

21 1 Après cela Jésus de nouveau

Se manifesta en bord de mer de Tibériade

Il se manifesta ainsi ; 2 il y avait

(Donc) ensemble Simon-Pierre, Thomas appelé

Dydine, Nathanaël (qui était) de Cana

En Galilée, les fils de Zébédée ainsi

Que deux autres de ses disciples, 3 Et Simon-Pierre

Leur dit ceci : "Je m'en vais pécher". Ils lui dirent :

"Nous venons nous aussi avec toi." Ils partirent

Et montèrent dans le bateau ; et cette nuit-là

Ils n'attrapèrent rien.

4 Or le matin venu,

Jésus se tint sur le rivage ; mais ses disciples

Ne savaient pas que c'était Jésus. 5 Jésus donc

Leur dit : " N'auriez-vous pas quelque chose à manger,

Enfants ?" Et ils lui répondirent : "Non." 6 Il leur dit :

"Jetez le filet du côté droit du bateau,

Et vous trouverez." Ainsi donc ils le jetèrent.

Ils ne parvenaient pas à le tirer à cause

De la multitude des poissons. 7 Et le disciple,

Celui que Jésus préférait, dit donc à Pierre :

"C'est le Seigneur !" Simon Pierre sachant que c'était

Le Seigneur se noua alors un vêtement

À la ceinture - il était nu - et se jeta

À la mer. 8 Les autres disciples vinrent dans la barque

Ils n'étaient pas loin de la terre, à environ

Deux cents coudées - et traînaient filet et poissons.

834


9 Quand ils furent descendus à terre, ils aperçoivent

Un feu de braise disposé là ; et du menu

Poisson placé dessus, avec du pain. 10 Jésus

Leur dit : "Apportez (donc) de ces menus poissons

Que vous venez d'attraper". 11 Simon-Pierre monta

Dans le bateau et tira à terre le filet

Rempli de gros poissons : cent cinquante-trois !...bien

Qu'il y en eût autant, ne se déchira pas

Le filet. 12 Jésus leur dit : "Venez déjeuner."

Mais aucun des disciples n'osait lui demander :

"Qui es-tu ?" Ils savaient que c'était le Seigneur.

13 Vient Jésus, qui prend du pain et qui le leur donne

Et du menu poisson pareillement.

14 C'était

Déjà la troisième fois que se révélait

Jésus depuis que d'entre les morts il était

Ressuscité.

15 Quand ils eurent déjeuné, Jésus

Dit (ceci) à Simon-Pierre : "Simon, fils de Jean,

M'aimes-tu plus que ceux-ci ?" Et il lui dit : "Oui,

Seigneur, tu sais, toi que je t'aime tendrement. "

Alors Jésus lui dit : "Fais paître mes agneaux".

16 Il lui dit de nouveau une seconde fois :

"Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ?" Et il lui dit : "Oui,

Seigneur, tu sais, toi que je t'aime tendrement".

Jésus lui dit : "Sois le berger de mes brebis".

17 Et il lui dit une troisième fois : "Simon,

Fils de Jean, m'aimes-tu tendrement ?" Pierre fut

Attristé parce qu'il lui avait demandé

835


Une troisième fois : "M'aimes-tu tendrement ?"

Et il lui dit : "Seigneur, tu sais, toi, toutes choses

Et tu connais, toi, que je t'aime tendrement."

Alors Jésus lui dit : "Fais paître mes brebis.

18 En vérité, en Vérité, je te le dis :

Quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture

Toi-même, et tu allais où tu voulais ; pourtant

Quand tu auras vieilli, tu étendras les mains,

Un autre te ceindra et il te mènera

Où tu ne voudrais pas." 19 C'était pour signifier

Par quel genre de mort il glorifierait Dieu

Qu'il dit cela. Ayant dit cela, il lui dit :

"Suis-moi." 20 Alors se retournant, Pierre voit venir

À leur suite le disciple que Jésus préférait,

Celui-là même qui au dîner sur sa poitrine

S'était renversé et avait dit : "Qui est donc,

Seigneur, celui qui te livre ?" 21 Et Pierre, le voyant

Dit à Jésus : "Et lui, Seigneur ?" 22 Jésus lui dit :

"Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne,

Que t'importe ? Toi, suis-moi." 23 Alors cette parole

Se répandit (donc) parmi les frères : "Ce disciple

Ne doit pas mourir." Mais Jésus n'avait pas dit

À Pierre : "Il ne doit pas mourir", mais "Si je veux

Qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne que t'importe ?"

836


L'apparition aux 500 sur la montagne

Tous les apôtres sont là, tous les disciples bergers et aussi Jonathas que Chouza a renvoyé de son service. Il

y a Margziam et Manaën et beaucoup de disciples des soixante-douze et aussi beaucoup d’autres. Ils sont à

l’ombre des arbres qui, avec leur épais feuillage, tempèrent la lumière et la chaleur. Ils ne sont pas en haut,

vers le sommet où arriva la Transfiguration mais à mi-côte, là où un bois de chênes semble vouloir voiler le

sommet et soutenir les flancs de la montagne avec leurs puissantes racines.

Presque tous sommeillent à cause de l’heure et aussi du manque d’occupation et de la longue attente. Mais il

suffit du cri d’un enfant - je ne sais pas qui c’est car je ne le vois pas de l’endroit où je me trouve - pour que

tous se lèvent dans un premier mouvement impulsif qui se change tout de suite en un prosternement avec le

visage dans l’herbe.

"La paix à vous tous. Me voici parmi vous. Paix à vous. Paix à vous." Jésus passe parmi eux en les saluant,

en les bénissant. Beaucoup pleurent, d’autres sourient bienheureux, mais tous ont une si grande paix.

Jésus se rend pour s’arrêter là où les apôtres et les bergers forment un groupe nombreux avec Margziam,

Manaën, Étienne, Nicolaï, Jean d’Éphèse, Hermas et quelques autres des disciples les plus fidèles dont je ne

me rappelle pas les noms. Je vois celui de Corozaïn qui a laissé l’ensevelissement de son père pour suivre

Jésus, un autre que j’ai vu une autre fois. Jésus prend dans ses mains la tête de Margziam qui pleure en le

regardant, il le baise au front puis le serre sur son cœur.

Puis il se tourne vers les autres et il dit : "Beaucoup et peu. Où sont les autres ? Je sais que nombreux sont

mes disciples fidèles. Pourquoi alors n’y a-t-il ici qu’à peine cinq cents personnes, en ne comptant pas les

enfants fils de tel ou tel d’entre vous ?"

837


Pierre se lève et parle au nom de tous; il était resté à genoux dans l’herbe. "Seigneur, entre le treizième et le

vingtième jour de ta mort un grand nombre sont venus ici des nombreuses villes de Palestine, disant que tu

étais parmi eux. Ainsi beaucoup de nous, pour te voir avant, sont allés avec tel ou tel. Quelques-uns viennent

de partir. Ils disaient, ceux qui sont venus, t’avoir vu et parlé en différents endroits et, ce qui était

merveilleux, tous disaient t’avoir vu le douzième jour après ta mort. Nous avons pensé que c’était une

tromperie de quelqu’un des faux prophètes dont tu as dit qu’ils surgiraient pour tromper les élus. Tu en as

parlé là, sur le mont des Oliviers, le soir d’avant… d’avant..." Pierre, à ce souvenir, est repris par sa douleur,

il baisse la tête et se tait. Deux larmes, suivies par d’autres, tombent de sa barbe sur le sol...

Jésus lui met sa main droite sur l’épaule et Pierre frémit à ce contact et, n’osant pas toucher cette Main avec

les siennes, baisse le cou, le visage, pour caresser de sa joue, pour effleurer de ses lèvres, cette Main

adorable.

Jacques d’Alphée poursuit le récit : "Et nous avons déconseillé de croire à ces apparitions, à ceux d’entre

nous qui se levaient pour courir vers la grande mer, ou vers Bozra, ou Césarée de Philippe, Pella ou Cédés,

sur la montagne prés de Jéricho et dans la plaine, comme dans la plaine d’Esdrelon, sur le grand Hermon

comme à Beteron et à Betsemes, et dans d’autres lieux sans noms parce que ce sont des maisons isolées dans

la plaine près de Jafia ou près de Galaad. Trop incertaines. Certains disaient : “Nous l’avons vu et entendu.”

D’autres envoyaient dire qu’ils l’avaient vu et même qu’ils avaient mangé avec Toi. Oui, nous voulions les

retenir, pensant que c’étaient des pièges de celui qui nous combat, ou même des fantômes vus par des justes

qui à force de penser à Toi finissent par te voir là où tu n’es pas. Mais eux ont voulu aller, les uns dans un

endroit, les autres ailleurs. Et de cette manière nous sommes réduits à moins d’un tiers."

"Vous avez eu raison d’insister pour les retenir. Non pas que je n’ai pas été réellement là où ceux qui sont

venus vous le dire ont dit que j’étais. Mais parce que j’avais dit de rester ici, unis dans la prière en

m’attendant. Et parce que je veux qu’on obéisse à mes paroles, spécialement ceux qui sont mes serviteurs. Si

les serviteurs commencent à désobéir, que feront les fidèles ?

838


Écoutez vous tous qui êtes ici autour de Moi. Rappelez-vous que dans un organisme, pour qu’il soit vraiment

actif et sain, il faut une hiérarchie, c’est-à-dire quelqu’un qui commande, quelqu’un qui transmet les ordres,

et ceux qui obéissent. Ainsi en est-il dans les cours des rois. Ainsi dans les religions, de notre religion

hébraïque aux autres, même impures. Il y a toujours un chef, ses ministres, les serviteurs des ministres, des

fidèles pour finir. Un pontife ne peut agir par lui seul. Un roi ne peut agir par lui seul. Et ce qu’ils ordonnent,

ce sont des choses qui se rapportent uniquement à des contingences humaines ou à des formalités rituelles...

Oui, malheureusement désormais, même dans la religion mosaïque, il ne reste plus que le formalisme des

rites, une suite de mouvements d’un mécanisme qui continue à accomplir les mêmes gestes même

maintenant que l’esprit des gestes est mort. Mort pour toujours. Leur Divin Animateur, Celui qui donnait aux

rites leur valeur, s’est retiré d’au milieu d’eux. Et les rites sont des gestes, rien de plus. Des gestes que

n’importe quel histrion pourrait mimer sur la scène d’un amphithéâtre. Malheur, quand une religion meurt et

de puissance réelle, vivante, devient une pantomime bruyante, extérieure, une chose vide derrière le décor

peint, derrière les vêtements pompeux, un mouvement de mécanismes qui accomplissent des mouvements

donnés, comme une clef fait agir un ressort, mais le ressort aussi bien que la clef n’ont pas conscience de ce

qu’ils font. Malheur ! Réfléchissez !

Souvenez-vous-en toujours, et dites-le à vos successeurs, pour que cette vérité soit connue au cours des

siècles. Elle est moins effrayante la chute d’une planète que la chute de la religion. Si le ciel restait dépeuplé

d’astres et de planètes, ce ne serait pas pour les peuples un malheur pareil à celui de rester sans une

religion réelle. Dieu suppléerait par sa puissance prévoyante aux besoins humains, parce que Dieu peut tout

pour ceux qui, sur une sage voie, ou sur la voie que leur ignorance connaît, cherchent, aiment la Divinité

avec un esprit droit. Mais s’il venait un jour où les hommes n’aimeraient plus Dieu, parce que les prêtres de

toutes les religions auraient fait d’elles uniquement une pantomime vide, en ne croyant pas eux, les

premiers, à la religion, malheur à la Terre !

Or, si je parle ainsi pour ces religions qui sont impures, certaines venues à la suite de révélations partielles à

un sage, d’autres du besoin instinctif de l’homme de se créer une foi pour donner à l’âme la pâture d’aimer

un dieu, car ce besoin est l’aiguillon le plus fort de l’homme, l’état permanent de recherche de Celui qui est,

voulu par l’esprit même si l’intelligence orgueilleuse refuse l’obéissance à n’importe quel dieu, même si

839


l’homme, en ignorant l’âme, ne sait pas donner un nom à ce besoin qui s’agite en son intérieur, que devraije

dire pour celle que je vous ai donnée, pour celle qui porte mon Nom, pour celle dont je vous ai créés

pontifes et prêtres, pour celle que je vous ordonne de propager par toute la Terre ? Pour cette religion

Unique, Vraie, Parfaite, Immuable dans la Doctrine enseignée par Moi, le Maître, complétée par

l’enseignement continu de Celui qui viendra : l’Esprit Saint, Guide très Saint pour mes Pontifes et ceux qui

les aideront, chefs en second dans les diverses Églises créées dans les diverses régions où s’affirmera ma

Parole.

Ces Églises. bien que différentes en nombre, n’auront pas une pensée différente, mais elles seront une seule

chose avec l’Église, en formant par chacune de leurs parties le grand édifice, toujours plus grand, le grand,

le nouveau Temple qui par ses pavillons atteindra tous les confins du monde. Pas différentes dans leur

pensée, ni opposées entre elles, mais unies, fraternelles les unes pour les autres, toutes soumises au Chef de

l’Église, à Pierre, et à ses successeurs, jusqu’à la fin des siècles. Et celles qui pour un motif quelconque se

sépareraient de l’Église Mère, seraient des membres coupés qui ne seraient plus nourris par le sang

mystique qu’est la Grâce qui vient de Moi, Chef divin de l’Église. Semblables à des fils prodigues séparés

volontairement de la maison paternelle, ils seraient dans leur éphémère richesse et dans leur misère

constante et toujours plus grave, réduits à émousser leur intelligence spirituelle par des nourritures et des

vins trop lourds et ensuite à languir en mangeant les glands amers des animaux immondes, jusqu’au moment

où, avec un cœur contrit, ils reviendraient à la maison paternelle en disant : "Nous avons péché. Père,

pardonne-nous et ouvre-nous les portes de ta demeure". Et alors, que ce soit un membre d’une Église

séparée, ou que ce soit une Église entière - oh ! qu’il en soit ainsi, mais où, quand se lèveront de mes

imitateurs assez nombreux capables de racheter ces Églises entières séparées, au prix de leur vie, pour

faire, pour refaire un unique Bercail sous un seul pasteur, ainsi que je le désire ardemment ? - alors, que ce

soit un seul ou une assemblée qui revienne, ouvrez-leur les portes. Soyez paternels. Pensez que tous, pendant

une heure ou plusieurs, peut-être pendant des années, vous avez été, chacun de vous, des fils prodigues

enveloppés dans la concupiscence. Ne soyez pas durs pour ceux qui se repentent. Souvenez-vous !

Souvenez-vous !

840


Plusieurs de vous vous avez fui, il y a aujourd’hui vingt-deux jours. Et la fuite n’était-elle pas une abjuration

de votre amour pour Moi ? Donc comme je vous ai accueillis, à peine repentis, revenus à Moi, faites-le vous

aussi. Tout ce que j’ai fait, faites-le. C’est mon commandement. Vous avez vécu avec Moi pendant trois ans.

Mes œuvres, ma pensée, vous les connaissez. Quand, dans l’avenir, vous vous trouverez en face d’un cas à

trancher, tournez votre regard vers le temps où vous avez été avec Moi et comportez-vous comme Moi je me

suis comporté. Vous ne vous tromperez jamais. Je suis l’exemple vivant et parfait de ce que vous devez faire.

Et rappelez-vous encore que je ne me suis pas refusé Moi-même à Judas de Kériot lui-même... Le Prêtre

doit, par tous les moyens, chercher à sauver. Et que prédomine l’amour, toujours, parmi les moyens

employés pour sauver. Pensez que je n’ai pas ignoré l’horreur de Judas... Mais j’ai, en surmontant toute

répugnance, traité le malheureux comme j’ai traité Jean. À vous.., à vous sera souvent épargnée l’amertume

de savoir que tout est inutile pour sauver un disciple aimé... Et vous pourrez donc agir sans la lassitude qui

vous prend quand vous savez que tout est inutile... On doit travailler même alors.., toujours.., jusqu’à ce que

tout soit accompli...

"Mais tu souffres, Seigneur ! ? ! Oh ! je ne croyais pas que tu puisses souffrir désormais ! Tu souffres encore

pour Judas ! Oublie-le, Seigneur !" crie Jean qui n’a pas détourné son regard de son Seigneur.

Jésus ouvre les bras dans son geste habituel de confirmation résignée d’un fait pénible, et il dit : "C’est

ainsi... Judas a été et il est la douleur la plus grande dans la mer de mes douleurs. C’est la douleur qui reste...

Les autres douleurs ont pris fin avec la fin du Sacrifice. Mais celle-là reste. Je l’ai aimé. Je me suis consumé

Moi-même dans mon effort pour le sauver... J’ai pu ouvrir les portes des Limbes et en tirer les justes, j’ai pu

ouvrir les portes du Purgatoire et en tirer ceux qui se purifiaient. Mais le lieu d’horreur était fermé sur lui,

Pour lui, ma mort a été inutile."

"Ne souffre pas ! Ne souffre pas ! Tu es glorieux, mon Seigneur ! À Toi la gloire et la joie. Tu as consumé ta

douleur !" dit encore Jean en le suppliant.

841


"Vraiment personne ne pensait que Lui pût souffrir encore !" disent-ils tous, étonnés et émus, en parlant

entre eux.

"Et vous ne pensez pas à la douleur que devra encore souffrir mon Cœur au cours des siècles, pour tout

pécheur impénitent, pour toute hérésie qui me nie, pour tout croyant qui m’abjure, et - déchirement des

déchirements - pour tout prêtre coupable, cause de scandale et de ruine ? Vous ne savez pas ! Vous ne savez

pas encore. Vous ne saurez jamais complètement tant que vous ne serez pas avec Moi dans la Lumière des

Cieux. Alors vous comprendrez… En contemplant Judas, j’ai contemplé les élus pour lesquels l’élection se

change en ruine à cause de leur volonté perverse... Oh ! vous qui êtes fidèles, vous qui formerez les futurs

Prêtres, rappelez-vous ma douleur, formez-vous toujours plus à la sainteté pour consoler ma douleur,

formez-les à la sainteté pour que, autant que possible, ne se répète pas cette douleur, exhortez, veillez,

enseignez, combattez, soyez attentifs comme des mères, infatigables comme des maîtres, vigilants comme

des bergers, virils comme des guerriers pour soutenir les prêtres qui seront formés par vous. La faute du

douzième apôtre, faites en sorte, oh ! faites qu’elle ne se répète pas trop dans l’avenir...

Soyez comme j’ai été avec vous, comme je suis avec vous. Je vous ai dit : "Soyez parfaits comme votre Père

des Cieux." Et votre humanité tremble devant un tel commandement. Maintenant plus encore que quand je

vous l’ai dit, parce que maintenant vous connaissez votre faiblesse.

Eh bien, pour vous rendre courage, je vais vous dire : "Soyez comme votre Maître." Je suis l’Homme. Ce

que Moi j’ai fait, vous pouvez le faire. Même les miracles. Oui. Même eux, pour que le monde sache que

c’est Moi qui vous envoie et pour que ceux qui souffrent ne pleurent pas dans le découragement de penser :

"Lui n’est plus parmi nous pour soigner nos malades et nous consoler dans nos douleurs". Pendant ces jours

j’ai fait des miracles pour consoler les cœurs et les persuader que le Christ n’est pas détruit parce qu’on l’a

mis à mort, mais qu’au contraire il est plus fort, éternellement fort et puissant. Mais quand je ne serai plus

parmi vous, vous ferez ce que j’ai fait jusqu’ici et que je ferai encore. Pourtant ce n’est pas tant par la

puissance du miracle mais par votre sainteté que grandira l’amour pour la nouvelle Religion. C’est votre

sainteté, et non le don que je vous transmets, sur laquelle vous devez veiller jalousement. Plus vous serez

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saints et plus vous serez chers à mon Cœur et l’Esprit de Dieu vous illuminera pendant que la Bonté de Dieu

et sa Puissance remplira vos mains des dons du Ciel. Le miracle n’est pas un acte commun et indispensable

pour vivre dans la foi. Et même ! Bienheureux ceux qui sauront rester dans la foi sans moyens

extraordinaires pour les aider à croire ! Cependant le miracle n’est pas non plus un acte si exclusivement

réservé à des temps spéciaux qu’il doive cesser quand ces temps-là ne sont plus. Le miracle existera dans le

monde. Toujours. Et les miracles seront d’autant plus nombreux qu’il y aura plus de justes dans le monde.

Quand on verra se faire très rares les vrais miracles, qu’on dise alors que la foi et la justice sont

languissantes. En effet j’ai dit : "Si vous avez la foi, vous pourrez déplacer les montagnes." En effet, j’ai dit :

"Les signes qui accompagneront ceux qui ont la vraie foi en Moi seront la victoire sur les démons et sur les

maladies, sur les éléments et les embûches."

Dieu est avec celui qui l’aime. Le signe de comme mes fidèles seront en Moi ce sera le nombre et la force

des prodiges qu’ils feront en mon nom et pour glorifier Dieu. À un monde sans miracles vrais, on pourra dire

sans le calomnier : "Tu as perdu la foi et la justice, tu es un monde sans saints."

Donc, pour revenir au début, vous avez bien fait de chercher à retenir ceux qui, pareils à des enfants séduits

par un air musical ou un miroitement étrange, courent se perdre loin des choses sûres. Mais vous voyez ? Ils

en sont punis parce qu’ils perdent ma parole. Pourtant vous aussi avez eu votre tort. Vous vous êtes

souvenus que j’ai dit de ne pas courir çà et là pour toute voix qui affirmait que j’étais dans un endroit. Mais

vous ne vous êtes pas rappelés que j’ai dit aussi que dans sa seconde venue le Christ sera semblable à un

éclair qui sort du levant pour aller au couchant en un temps moins long que le battement d’une paupière.

Or cette seconde venue a commencé au moment de ma Résurrection. Elle aura sa fin par l’apparition du

Christ Juge à tous les ressuscités. Mais auparavant, que de fois j’apparaîtrai pour convertir, pour guérir,

pour consoler, enseigner, donner des ordres ! En vérité, je vous dis : Je vais retourner à mon Père. Mais la

Terre ne perdra pas ma Présence. Je serai vigilant et ami, Maître et Médecin là ou les corps ou les âmes,

pécheurs ou saints, auront besoin de Moi ou seront choisis par Moi pour transmettre mes paroles aux

autres. Car cela aussi est vrai, parce que l’Humanité aura besoin d’un acte continuel d’amour de ma part,

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parce qu’elle a tant de mal à se plier, se refroidit si facilement, oublie si vite, aimant descendre plutôt que de

monter, de sorte que si je ne la retenais pas par des moyens surnaturels ne serviraient pas la loi, l’Évangile,

les secours divins que mon Église dispensera pour conserver l’Humanité dans la connaissance de la Vérité

et dans la volonté de rejoindre le Ciel. Et je parle de l’Humanité qui croit en Moi... toujours peu nombreuse

en comparaison de la grande masse des habitants de la Terre.

Je viendrai. Que celui qui m’aura reste humble. Que celui qui ne m’aura pas ne soit pas avide de m’avoir

pour en être loué. Que personne ne désire ce qui est extraordinaire. Dieu sait quand et où le donner. Il n’est

pas nécessaire d’avoir l’extraordinaire pour entrer dans les Cieux. C’est même une arme qui mal employée

peut ouvrir l’enfer au lieu du Ciel. Et maintenant je vais vous dire comment. Parce que l’orgueil peut surgir,

parce que l’on peut arriver à un état d’esprit méprisable aux yeux de Dieu, parce qu’il ressemble à une

torpeur où quelqu’un se complaît pour caresser le trésor qu’il a eu en se croyant déjà au Ciel parce qu’il a

eu ce don. Non. Dans ce cas, au lieu de devenir flamme et aile, il devient gel et lourde pierre et l’âme tombe

et meurt. Et aussi : un don mal employé peut susciter un vif désir d’en avoir davantage pour en avoir une

plus grande louange. Alors, dans ce cas, au Seigneur pourrait se substituer l’Esprit du Mal pour séduire les

imprudents par des prodiges impurs. Soyez toujours loin des séductions de toutes espèces. Fuyez-les. Soyez

contents de ce que Dieu vous accorde. Lui sait ce qui vous est utile et de quelle manière. Pensez toujours

que tout don est une épreuve en plus d’être un don, une épreuve de votre justice et de votre volonté. Je vous

ai donné les mêmes choses. Mais ce qui vous a rendus meilleurs a ruiné Judas. Etait-ce donc un mal que le

don ? Non. Mais mauvaise était la volonté de cet esprit...

Ainsi en est-il maintenant. J’ai apparu à un grand nombre, non seulement pour consoler et combler de

bienfaits, mais pour vous satisfaire. Vous m’aviez prié de persuader le peuple que je suis ressuscité, le

peuple que ceux du Sanhédrin essaient d’amener à leur pensée. Je suis apparu à des enfants et à des adultes,

le même jour, en des points si éloignés entre eux qu’il faudrait plusieurs jours de marche pour aller de l’un à

l’autre. Mais pour Moi n’existe plus l’esclavage des distances. Et ces apparitions simultanées vous ont

désorienté vous aussi. Vous vous êtes dit : "Ces gens-là ont vu des fantômes." Vous avez donc oublié une

partie de mes paroles, c’est-à-dire que je serai dorénavant à l’orient et à l’occident, au septentrion et au midi,

où je trouverai juste d’être, sans que rien ne me l’empêche, et rapidement comme la foudre qui sillonne le

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ciel. Je suis un Homme véritable. Voici mes membres et mon Corps, solide, chaud, capable de se mouvoir,

de respirer, de parler comme le vôtre. Mais je suis le vrai Dieu. Et si pendant trente-trois ans la Divinité a

été, pour une fin suprême, cachée dans l’Humanité, maintenant la Divinité, bien qu’unie à l’Humanité, a pris

le dessus et l’Humanité jouit de la liberté parfaite des corps glorifiés. Reine avec la Divinité, elle n’est plus

sujette à tout ce qui est limitation pour l’Humanité. Me voici. Je suis avec vous et je pourrais, si je voulais,

être dans un instant aux confins du monde pour attirer à Moi un esprit qui me cherche.

Et quel fruit aura ma présence près de Césarée maritime et dans la haute Césarée, comme au Carit et à

Engaddi, et près de Pella et de Jutta et dans d’autres lieux de Judée et à Bozra et sur le grand Hermon et à

Sidon et aux confins de la Galilée ? Et quel fruit d’avoir guéri un enfant et ressuscité quelqu’un qui avait

expiré depuis peu, et réconforté une angoisse et appelé à mon service quelqu’un qui s’était macéré dans une

dure pénitence et à Dieu un juste qui m’en avait prié, et d’avoir donné mon message à des innocents et mes

ordres à un cœur fidèle ? Est-ce que cela persuadera le monde ? Non. Ceux qui croient continueront de

croire, avec plus de paix, mais pas avec plus de force parce qu’ils savaient déjà vraiment croire. Ceux qui

n’ont pas su croire avec une vraie foi resteront incertains et les mauvais diront que ce sont des délires et des

mensonges les apparitions, et que le mort n’était pas mort mais endormi... Vous souvenez-vous quand je

vous ai dit la parabole du mauvais riche ? J’ai dit qu’Abraham répondit au damné : "S’ils n'écoutent pas

Moïse et les prophètes ils ne croiront pas non plus à quelqu’un qui est ressuscité des morts pour leur dire ce

qu’ils doivent faire." Ont-ils peut-être cru à Moi, Maître, et à mes miracles ? Qu’a obtenu le miracle de

Lazare ? Il a hâté ma condamnation. Qu’a obtenu ma résurrection ? Un accroissement de leur haine. Même

ces miracles de mes derniers temps parmi vous ne persuaderont pas le monde, mais uniquement ceux qui ne

sont plus du monde, ayant choisi le Royaume de Dieu avec ses fatigues et ses peines actuelles et sa gloire

future.

Mais il me plaît que vous ayez été confirmés dans la foi et que vous ayez été fidèles à mon ordre, en restant à

m’attendre sur cette montagne, sans avoir la hâte humaine de jouir de choses même bonnes mais différentes

de celles que je vous avais indiquées. La désobéissance donne un dixième et en enlève neuf. Eux sont allés et

entendront des paroles d’hommes, toujours celles-là. Vous êtes restés et vous avez entendu ma Parole qui,

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même si elle rappelle des choses déjà dites, est toujours bonne et utile. La leçon servira d’exemple à vous

tous, et aussi à eux, pour l’avenir."

Jésus tourne son regard sur ces visages rassemblés là et appelle : "Viens, Élisée d’Engaddi. J’ai quelque

chose à te dire."

Je n’avais pas reconnu l’ancien lépreux, fils du vieil Abraham. C’était alors un spectre squelettique, c’est

maintenant un homme robuste dans la fleur de l’âge. Il s’approche en se prosternant aux pieds de Jésus qui

lui dit : "Une question te tremble sur les lèvres depuis que tu as su que j’ai été à Engaddi, et c’est celle-ci :

"As-tu consolé mon père ?" et Moi, je te dis : "Je l’ai plus que consolé ! Je l’ai pris avec Moi."

"Avec Toi, mon Seigneur. Et où est-il que je ne le vois pas ?"

"Élisée, je suis ici encore pour un temps court. Ensuite je vais à mon Père..."

"Seigneur !... Tu veux dire... Mon père est mort !"

"Il s’est endormi sur mon Cœur. Pour lui aussi est finie la douleur. Il l’a toute consumée, et en restant

toujours fidèle au Seigneur. Ne pleure pas. Ne l’avais-tu pas quitté pour me suivre ?"

"Oui, mon Seigneur..."

"Voilà. Ton père est avec Moi. Donc en me suivant tu viens encore près de ton père."

"Mais quand ? Comment ?"

"Dans sa vigne, là où il a entendu parler de Moi la première fois. Il m’a rappelé sa prière de l’an passé. Je lui

ai dit : "Viens." Il est mort heureux parce que tu as tout quitté pour me suivre."

"Pardonne-moi, si je pleure... C’était mon père..."

"Je sais comprendre la douleur." Il lui met la main sur la tête pour le consoler et il dit aux disciples : "Voici

un nouveau compagnon. Qu’il vous soit cher parce que je l’ai tiré de son tombeau pour qu’il me serve."

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Puis il appelle : "Élie, viens à Moi. Ne sois pas honteux comme quelqu’un qui est étranger parmi des frères.

Tout le passé est détruit. Et toi aussi, Zacharie, qui as quitté père et mère pour Moi, mets-toi avec les

soixante-douze avec Joseph de Cintium. Vous le méritez ayant défié pour Moi les voies des puissants. Et toi,

Philippe, et toi aussi, son compagnon qui ne veux pas être appelé par ton nom parce qu’il te semble horrible,

et prends alors celui de ton père qui est un juste, même s’il n’est pas encore parmi ceux qui me suivent

ouvertement. Voyez-vous tous ? Je n’exclus personne qui ait bonne volonté. Pas ceux qui me suivaient déjà

comme disciples, pas ceux qui faisaient des œuvres bonnes en mon nom même s’ils n’appartenaient pas aux

groupes de mes disciples, pas ceux qui appartenaient à des sectes que n’aiment pas tous, ils peuvent toujours

entrer dans le droit chemin et ne doivent pas être repoussés. Faites comme je fais. J’unis ceux-ci aux anciens

disciples, car le Royaume des Cieux est ouvert à tous ceux qui ont bonne volonté. Et, bien qu’ils ne soient

pas présents, je vous dis de ne pas repousser même les gentils. Moi, je ne les ai pas repoussés quand je les ai

su désireux de la Vérité. Faites ce que j’ai fait. Et toi, Daniel, vraiment sorti de la fosse, non pas aux lions

mais aux chacals, viens, unis-toi à ceux-ci. Et toi, viens aussi, Benjamin. Je vous unis à ceux-ci (il montre les

soixante-douze presque au complet) parce que la moisson du Seigneur donnera beaucoup de fruits et de

nombreux ouvriers sont nécessaires.

Maintenant restons un peu ici pendant que la journée s’écoule. Au soir vous quitterez la montagne et à

l’aurore vous viendrez avec Moi, vous les apôtres, et vous deux que j’ai nommés, et tous ceux qui sont ici

des soixante-douze (il indique Zacharie et ce Joseph de Cintium qui ne m’est pas inconnu). Les autres

resteront ici pour attendre ceux qui ont couru çà et là comme des guêpes oisives pour leur dire en mon nom

que ce n’est pas en imitant les enfants paresseux et désobéissants que l’on trouve le Seigneur. Et d’être tous

à Béthanie vingt jours avant la Pentecôte, car ensuite ils me chercheraient en vain. Assoyez-vous tous,

reposez-vous. Vous, venez avec Moi un peu à part."

Il se met en route en tenant toujours par la main Margziam suivi des onze apôtres. Il s’assoit au plus profond

du bois de chênes et il attire à Lui Margziam qui est très triste, tellement triste que Pierre dit : "Console-le,

Seigneur. Il l’était déjà, maintenant il l’est davantage."

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"Pourquoi, enfant ? N’es-tu pas peut-être avec Moi ? Ne devrais-tu pas être heureux que j’ai dépassé la

douleur ?"

Pour toute réponse Margziam se met à pleurer à chaudes larmes.

"Je ne sais pas ce qu’il a. Je l’ai questionné inutilement. Et puis, aujourd’hui, je ne m’attendais pas à ces

pleurs !" bougonne Pierre, un peu fâché.

"Moi, je le sais, au contraire" dit Jean.

"Tant mieux pour toi ! Pourquoi pleure-t-il alors ?"

"Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il pleure. Cela fait plusieurs Jours..."

"Hé ! je m’en suis aperçu ! Mais pourquoi ?"

"Le Seigneur le sait. J’en suis certain. Et je sais que Lui seul aura la parole qui console" dit encore Jean en

souriant.

"C’est vrai. Je le sais. Et je sais que Margziam, bon disciple, est vraiment un enfant en ce moment, un enfant

qui ne voit pas la vérité des choses. Mais, mon bien-aimé entre tous les disciples, tu ne réfléchis pas que je

suis allé affermir les fois vacillantes, absoudre, recueillir des existences finies, annuler des doutes

empoisonnés inoculés à des gens plus faibles, répondre avec pitié ou rigueur à ceux qui veulent encore me

combattre, témoigner par ma présence que je suis ressuscité là où on travaillait le plus à me dire mort ? Quel

besoin y avait-il de venir vers toi, enfant, dont la foi, l’espérance, la charité, dont la volonté et l’obéissance

me sont connues ? Vers toi pour un instant, quand je t’aurai avec Moi, comme maintenant, plusieurs fois

encore ? Qui fera le banquet de Pâque avec Moi sinon toi seul parmi tous les autres disciples ? Vois-tu tous

ceux-ci ? Eux l’ont faite leur Pâque, et la saveur de l’agneau et du caroseth et des azymes et du vin est

devenu entièrement cendre et fiel et vinaigre pour leurs palais, dans les heures qui ont suivi. Mais toi et Moi,

mon enfant, nous la consommerons dans la Joie, notre Pâque, et ce sera du miel qui descend et se garde tel.

Qui a pleuré alors se réjouira maintenant. Celui qui alors s’est réjoui ne peut prétendre se réjouir de

nouveau."

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"Vraiment... Nous n’étions pas très gais ce jour-là..." murmure Thomas.

"Oui. Notre cœur tremblait..." dit Matthieu.

"Et nous avions un bouillonnement de soupçons et de colère, moi du moins." dit le Thaddée.

"Et vous dites que par conséquent vous voudriez faire tous la Pâque supplémentaire..."

"C’est cela, Seigneur." dit Pierre.

"Un jour tu t’es plains de ce que les femmes disciples et ton fils n’auraient pas pris part au banquet pascal.

Maintenant tu te plains de ce que ceux qui ne se sont pas réjouis alors doivent avoir leur joie."

"C’est vrai. Je suis un pécheur."

"Et Moi, je suis Celui qui compatit. Je veux que vous soyez tous autour de Moi et pas vous seulement, mais

aussi les femmes disciples. Lazare nous donnera encore une fois l’hospitalité. Je n’ai pas voulu tes filles,

Philippe, ni vos épouses, ni Mirta, Noémi et la jeune fille qui est avec elles, ni celui-ci. Jérusalem n’était pas

un lieu pour tous, ces jours-là !"

"C’est vrai ! Il était bien qu’elles n’y soient pas." soupire Philippe.

"Oui. Elles auraient vu notre lâcheté."

"Tais-toi, Pierre, elle est pardonnée."

"Oui. Mais je l’ai avouée à mon fils et je croyais que c’était pour cela qu’il était triste. Je l’ai avouée parce

que chaque fois que je l’avoue, c’est un soulagement. C’est comme si on m’enlevait une grosse pierre de sur

le cœur. Je me sens plus absous chaque fois que je m’humilie. Mais si Margziam est triste parce que tu t’es

montré à d’autres..."

"Pour cela, pas pour autre chose, mon père."

"Et alors sois heureux ! Lui t’a aimé et t’aime. Tu le vois. Je t’avais pourtant parlé de la seconde Pâque..."

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"Moi, je pensais avoir fait trop peu volontiers l’obéissance que Porphyrée m’avait donnée en ton nom,

Seigneur, et que c’était pour cela que tu me punissais. Et je pensais aussi que tu ne te montrais pas à moi

parce que je haïssais Judas et ceux qui t’ont crucifié." avoue Margziam.

"Ne hais personne. Moi, j’ai pardonné."

"Oui. Mon Seigneur, je ne haïrai plus."

"Et ne sois plus triste."

"Je ne le serai plus, Seigneur." Margziam, comme tous ceux qui sont très jeunes, est moins craintif de Jésus

que les autres. Il s’abandonne aux bras de Jésus, maintenant qu’il est certain que Jésus n’est pas en colère

avec Lui. Il y va en toute confiance. Et même il s’y réfugie tout entier comme un poussin sous l’aile

maternelle dans le cercle des bras qui l’attirent à Lui, et avec la disparition de l’angoisse qui le rendait triste

et inquiet depuis des jours, il s’endort heureux.

"C’est encore un enfant." observe le Zélote.

"Oui. Mais quelle peine il a eue ! Porphyrée me l’a dit quand, prévenue par Joseph de Tibériade, elle me l’a

conduit" lui répond Pierre. Puis, au Maître : "Porphyrée aussi à Jérusalem ?" Quel désir dans la voix de

Pierre !

"Toutes. Je veux les bénir avant de monter vers mon Père. Elles ont servi elles aussi et bien souvent mieux

que les hommes."

"Et chez ta Mère, tu n’y vas pas ?" demande le Thaddée.

"Nous sommes ensemble."

"Ensemble ? Quand ?"

"Jude, Jude, et te semble-t-il que Moi qui ai toujours trouvé ma joie près d’elle, je ne suis pas maintenant

avec elle ?"

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"Mais Marie est seule dans sa maison. Ma mère me l’a dit hier."

Jésus sourit et répond : "Derrière le voile du Saint des Saints entre seulement le Grand Prêtre."

"Et alors ? Que veux-tu dire ?"

"Qu’il y a des béatitudes qu’on ne peut décrire et qui ne peuvent être connues. Voilà ce que je veux dire."

Il détache doucement de Lui Margziam et le confie aux bras de Jean qui est le plus proche. Il se lève, les

bénit et pendant qu’eux la tête inclinée, tous à genoux, sauf Jean qui a sur ses genoux la tête de Margziam,

pendant qu’ils reçoivent la bénédiction, il disparaît.

"Il est vraiment comme l’éclair dont il parle." dit Barthélemy...

Ils restent pensifs en attendant le coucher du soleil.

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Le fait de la résurrection. Première épître aux Corinthiens.

15 1 Voilà l'Évangile que je vous ai annoncé,

Frères, auquel vous tenez 2 et par lequel vous êtes

Sauvés, si vous voulez retenir la parole

Que je vous ai annoncée ; sinon, c'est en vain

Que vous auriez cru.

3 Je vous ai transmis d'abord

Moi-même ce que j'avais reçu : le Christ est mort

Selon les Ecritures, pour nos péchés, 4 il a

Eté enseveli, selon les Écritures

Le troisième jour, il a été relevé.

5 Il est apparu à Képhas, ensuite au Douze.

6 Puis il est apparu à plus de cinq cents frères

À la fois. - La plupart vivent encore, quelques-uns

Se sont endormis - 7 il est apparu à Jacques

Puis à tous les apôtres ; 8 or, il m'est apparu

À moi aussi et à l'avorton, après eux tous.

9 Je suis le moindre des apôtres ; le nom d'apôtre

Je ne le mérite pas ; j'ai persécuté

L'Église de Dieu.

10 C'est par la grâce de Dieu

Que je suis ce que je suis, sa grâce envers moi

N'a pas été vaine, car j'ai peiné plus qu'eux tous,

Non pas moi certes, mais la grâce de Dieu qui est

Avec moi.

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11 Bref, voilà ce que nous proclamons

Moi ou eux, et voilà ce que vous avez cru.

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L’Ascension du Seigneur

À l’orient, l’aurore commence à peine à rougir. Jésus se promène avec sa Mère dans les vallons du

Gethsémani. Pas de paroles, seulement des regards d’indicible amour. Peut-être les paroles ont déjà été dites.

Peut-être elles n’ont jamais été dites. Ce sont les deux âmes qui ont parlé : celle du Christ, celle de la Mère

du Christ. Maintenant c’est une contemplation d’amour, une réciproque contemplation. Elle la connaît la

nature humide de rosée, la pure lumière du matin, elles la connaissent les gracieuses créatures de Dieu que

sont les herbes, les fleurs, les oiseaux, les papillons. Les hommes sont absents.

L’aurore s’est complètement levée. Le soleil est déjà haut sur l’horizon, et les apôtres font entendre leurs

voix. C’est un signal pour Jésus et Marie. Ils s’arrêtent. Ils se regardent, l’Un en face de l’Autre, et puis

Jésus ouvre les bras et accueille sa Mère sur sa poitrine... Oh ! c’était bien un Homme, un Fils de Femme !

Pour le croire, il suffit de regarder cet adieu ! L’amour déborde en une pluie de baisers sur la Mère toute

aimée. L’amour couvre de baisers le Fils tout aimé. Il semble qu’ils ne puissent plus se séparer. Quand il

semble qu’ils vont le faire, un autre embrassement les unit encore, et parmi les baisers des paroles de

réciproque bénédiction... Oh ! c’est vraiment le Fils de l’Homme qui quitte celle qui l’a engendré ! C’est

vraiment la Mère qui congédie, pour le rendre au Père, son Fils, le Gage de l’Amour à la toute Pure...

Dieu qui embrasse la Mère de Dieu !...

Finalement la Femme, en tant que Créature, s’agenouille aux pieds de son Dieu qui est pourtant son Fils, et

le Fils, qui est Dieu, impose ses mains sur la tête de sa Mère Vierge, de l’éternelle Aimée, et il la bénit au

Nom du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint, puis il se penche et la relève en déposant un dernier baiser sur son

front blanc comme un pétale de lys sous l’or de ses cheveux si jeunes encore...

Ils vont de nouveau vers la maison et personne, envoyant la paix avec laquelle ils avancent l’Un à côté de

l’Autre, ne penserait au flot d’amour qui les a dominés un peu auparavant. Mais quelle différence en cet

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adieu avec la tristesse des autres adieux désormais dépassés et le déchirement de l’adieu de la Mère à son

Fils tué qu’elle devait laisser seul au Tombeau !...

En celui-ci, même si les yeux brillent des pleurs naturels de celui qui est sur le point de se séparer de l’Aimé,

les lèvres sourient à la joie de savoir que cet Aimé va dans la demeure qui convient à sa Gloire...

"Seigneur ! Ils sont là dehors, entre le mont et Béthanie, tous ceux que tu avais dit à ta Mère vouloir bénir

aujourd’hui" dit Pierre.

"C’est bien. Nous allons maintenant les trouver. Mais venez d’abord. Je veux partager encore le pain avec

vous."

Ils entrent dans la pièce où dix jours avant se trouvaient les femmes pour la cène du quatorzième jour du

second mois. Marie accompagne Jésus jusque-là, puis elle se retire. Il reste Jésus et les onze.

Sur la table il y a de la viande rôtie, des petits fromages et des petites olives noires, une petite amphore de

vin et une d’eau plus grande, et de larges pains. Une table simple, sans apparat pour une cérémonie de luxe,

mais uniquement parce qu’il faut bien manger.

Jésus offre et fait les parts. Il est au milieu entre Pierre et Jacques d’Alphée. C’est Lui qui les a appelés à ces

places. Jean, Jude d’Alphée et Jacques sont en face de Lui, Thomas, Philippe, Matthieu sont d’un côté,

André, Barthélemy, le Zélote de l’autre. Ainsi tous peuvent voir leur Jésus... Le repas est bref, silencieux.

Les apôtres, arrivés au dernier jour de voisinage avec Jésus, et malgré les apparitions successives, collectives

ou individuelles, à partir de la Résurrection, toutes pleines d’amour, n’ont plus jamais perdu cette retenue et

cette vénération qui ont caractérisé leurs rencontres avec Jésus Ressuscité.

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Le repas est fini. Jésus ouvre les mains au-dessus de la table en faisant son geste habituel devant un fait

inéluctable et il dit : "Voici venue l’heure où je dois vous quitter pour retourner vers mon Père. Écoutez les

dernières paroles de votre Maître.

Ne vous éloignez pas de Jérusalem pendant ces jours. Lazare, à qui j’ai parlé, a pourvu une fois encore à

réaliser les désirs de son Maître, et il vous cède la maison de la dernière Cène pour que vous ayez une

demeure où réunir l’assemblée et vous recueillir en prière. Restez là à l’intérieur pendant ces jours et priez

avec assiduité pour vous préparer à la venue de l’Esprit-Saint qui vous complétera pour votre mission.

Rappelez-vous que Moi, qui pourtant étais Dieu, je me suis préparé par une sévère pénitence à mon

ministère d’évangélisateur. Toujours plus facile et plus courte sera votre préparation. Mais je n’exige pas

autre chose de vous. Il me suffit seulement que vous priiez assidûment, en union avec les soixante-douze et

sous la conduite de ma Mère, que je vous recommande avec l’empressement d’un Fils. Elle sera pour vous

une Mère et une Maîtresse d’amour et de sagesse parfaite. J’aurais pu vous envoyer ailleurs pour vous

préparer à recevoir l’Esprit-Saint, mais je veux au contraire que vous restiez ici car c’est Jérusalem négatrice

qui doit s’étonner de la continuation des prodiges divins, donnés pour répondre à ses négations.

Ensuite, l’Esprit-Saint vous fera comprendre la nécessité que l’Église surgisse justement dans cette ville qui,

en jugeant humainement, est la plus indigne de la posséder. Mais Jérusalem c’est toujours Jérusalem, même

si le péché y est à son comble et si c’est ici que s’est accompli le déicide. Cela ne servira à rien pour elle.

Elle est condamnée. Mais si elle est condamnée, tous ses habitants ne le sont pas. Restez ici pour le peu de

justes qu’elle a dans son sein, et restez-y parce que c’est la cité royale et la cité du Temple, et parce que

comme il est prédit par les prophètes ici, où a été oint et acclamé et où s’est levé le Roi Messie, ici doit

commencer son règne sur le monde, et c’est ici encore, où la synagogue a reçu de Dieu le libelle de

répudiation à cause de ses crimes trop horribles, que doit surgir le Temple nouveau auquel accourront des

gens de toutes nations. Lisez les prophètes : en eux tout est prédit. Ma Mère d’abord, puis l’Esprit Paraclet,

vous feront comprendre les paroles des Prophètes pour ce temps. Restez ici jusqu’au moment où Jérusalem

vous répudiera comme elle m’a répudié, et haïra mon Église comme elle m’a haï, en couvant des desseins

pour l’exterminer. Alors portez ailleurs le siège de cette Église que j’aime, car elle ne doit pas périr.

856


Je vous le dis : l’enfer même ne prévaudra pas sur elle. Mais si Dieu vous assure sa protection, ne tentez pas

le Ciel en exigeant tout du Ciel.

Allez en Éphraïm comme y alla votre Maître, parce que ce n’était pas l’heure qu’il soit pris par ses ennemis.

Je vous dis Éphraïm pour vous dire terre d’idoles et de païens. Mais ce ne sera pas Éphraïm de Palestine que

vous devez choisir comme siège de mon Église. Rappelez-vous combien de fois, à vous réunis ou à l’un de

vous en particulier, j’ai parlé de cela en vous prédisant qu’il vous faudrait fouler les routes de la terre pour

arriver à son cœur et fixer là mon Église. C’est du cœur de l’homme que le sang se propage à travers tous les

membres. C’est du cœur du monde que le Christianisme doit se propager par toute la Terre.

Pour l’heure, mon Église est semblable à une créature déjà conçue mais qui se forme encore dans la matrice.

Jérusalem est sa matrice et en son intérieur son cœur encore petit, autour duquel se rassemblent les membres

peu nombreux de l’Église naissante, donne ses petites ondes de sang à ces membres. Mais une fois arrivée

l’heure marquée par Dieu, la matrice marâtre expulsera la créature qui s’est formée en son sein, et elle ira

dans une terre nouvelle, et y grandira pour devenir un grand Corps qui s’étendra sur toute la Terre, et les

battements du cœur de l’Église devenu fort se propageront dans tout son grand Corps. Les battements du

cœur de l’Église, affranchie de tout lien avec le Temple, éternelle et victorieuse sur les ruines du Temple

mort et détruit, vivant dans le cœur du monde pour dire aux hébreux et aux gentils que Dieu seul triomphe et

veut ce qu’Il veut et que ni la rancœur des hommes, ni les troupes d’idoles n’arrêtent son vouloir.

Mais cela viendra par la suite, et en ce temps-là vous saurez ce que faire. L’Esprit de Dieu vous conduira. Ne

craignez pas.

Pour le moment, rassemblez à Jérusalem la première assemblée de fidèles. Puis d’autres assemblées se

formeront à mesure que leur nombre grandira. En vérité je vous dis que les habitants de mon Royaume

deviendront rapidement plus nombreux comme des semences jetées dans une excellente terre. Mon peuple se

propagera par toute la Terre.

857


Le Seigneur dit au Seigneur : "Puisque Tu as fait cela et que pour Moi Tu ne t’es pas épargné, Je te bénirai et

Je multiplierai ta descendance comme les étoiles du ciel et comme les grains de sable qui sont sur le bord de

la mer. Ta descendance possédera la porte de ses ennemis et en ta descendance seront bénies toutes les

nations de la Terre. Bénédiction est mon Nom, mon Signe et ma Loi, là où ils sont reconnus souverains."

Il va venir l’Esprit-Saint, le Sanctificateur, et vous en serez remplis. Faites en sorte d’être purs comme tout

ce qui doit approcher le Seigneur. J’étais Seigneur, Moi aussi comme Lui. Mais sur ma Divinité j’avais

endossé un vêtement pour pouvoir être parmi vous et non seulement pour vous instruire et vous racheter par

les organes et le sang de ce vêtement, mais aussi pour porter le Saint des Saints parmi les hommes, sans

qu’il fût inconvenant que tout homme, même impur, pût poser son regard sur Celui que craignent de

contempler les Séraphins.

Mais l’Esprit-Saint viendra sans être voilé par la chair, et Il se posera sur vous et Il descendra en vous avec

ses sept dons et Il vous conseillera.

Maintenant le conseil de Dieu est chose si sublime qu’il faut vous préparer par une volonté héroïque d’une

perfection qui vous rende semblables à votre Père et à votre Jésus, et à votre Jésus dans ses rapports avec le

Père et l’Esprit-Saint. Donc une charité parfaite et une pureté parfaite, pour pouvoir comprendre l’Amour et

le recevoir sur le trône de votre cœur.

Perdez-vous dans le gouffre de la contemplation. Efforcez-vous d’oublier que vous êtes des hommes, et

efforcez-vous de vous changer en séraphins. Lancez-vous dans la fournaise, dans les flammes de la

contemplation. La contemplation de Dieu ressemble à une étincelle qui jaillit du choc du silex contre le

briquet et produit feu et lumière. C’est une purification le feu qui consume la matière opaque et toujours

impure et la transforme en une flamme lumineuse et pure.

Vous n’aurez pas le Royaume de Dieu en vous si vous n’avez pas l’amour. Parce que le Royaume de Dieu

c’est l’Amour, et il apparaît avec l’Amour, et par l’Amour il s’établit en vos cœurs au milieu de l’éclat d’une

858


lumière immense qui pénètre et féconde, enlève l’ignorance, donne la sagesse, dévore l’homme et crée le

dieu, le fils de Dieu, mon frère, le roi du trône que Dieu a préparé pour ceux qui se donnent à Dieu pour

avoir Dieu, Dieu, Dieu, Dieu seul. Soyez donc purs et saints grâce à l’oraison ardente qui sanctifie l’homme

parce qu’elle le plonge dans le feu de Dieu qu’est la charité.

Vous devez être saints. Non pas dans le sens relatif que ce mot avait jusqu’alors, mais dans le sens absolu

que je lui ai donné en vous proposant la Sainteté du Seigneur comme exemple et comme limite, c’est-à-dire

la Sainteté parfaite. Chez nous, on appelle saint le Temple, saint l’endroit où est l’autel, Saint des Saints le

lieu voilé où se trouvent l’arche et le propitiatoire. Mais je vous dis en vérité que ceux qui possèdent la

Grâce et vivent saintement par amour pour le Seigneur sont plus saints que le Saint des Saints, parce que

Dieu ne se pose pas seulement sur eux, comme sur le propitiatoire qui est dans le Temple pour donner ses

ordres, mais Il habite en eux pour leur donner ses amours.

Vous rappelez-vous mes paroles de la Dernière Cène ? Je vous avais promis alors l’Esprit-Saint. Voilà qu’Il

va venir pour vous baptiser non plus avec l’eau, comme Jean l’a fait avec vous pour vous préparer à Moi,

mais avec le feu pour vous préparer à servir le Seigneur comme il le veut de vous. Voilà que Lui va être ici,

d’ici peu de jours. Et après sa venue, vos capacités croîtront sans mesure et vous serez capables de

comprendre les paroles de votre Roi et de faire les œuvres que Lui vous a dit de faire pour étendre son

Royaume sur la Terre."

"Reconstruiras-tu alors, après la venue de l’Esprit-Saint, le Royaume d’Israël ?" Lui demandent-ils en

l’interrompant.

"Il n’y aura plus de Royaume d’Israël mais mon Royaume. Et il s’accomplira quand mon Père a dit. Il ne

vous appartient pas de connaître les temps et les moments que le Père s’est réservé en son pouvoir. Mais

vous, en attendant, vous recevrez la vertu de l’Esprit-Saint qui viendra sur vous, et vous serez mes témoins à

Jérusalem, en Judée, et en Samarie, et jusqu’aux confins de la Terre, en fondant des assemblées là où des

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hommes sont réunis en mon Nom ; en baptisant les gens au Nom très Saint du Père, du Fils et de l’Esprit

Saint, comme je vous l’ai dit, pour qu’ils aient la Grâce et vivent dans le Seigneur ; prêchant l’Évangile à

toutes les créatures, enseignant ce que je vous ai enseigné, faisant ce que je vous ai commandé de faire.

Et je serai avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde.

Et je veux encore ceci : qu’à présider l’assemblée de Jérusalem ce soit Jacques, mon frère.

Pierre, comme chef de toute l’Église, devra souvent entreprendre des voyages apostoliques, parce que tous

les néophytes désireront connaître le Pontife Chef Suprême de l’Église. Mais grand sera l’ascendant que sur

les fidèles de cette première Église aura mon frère. Les hommes sont toujours des hommes et ils voient en

hommes. Il leur semblera que Jacques me continue, seulement parce qu’il est mon frère. En vérité je vous dis

qu’il est plus grand et semblable au Christ par sa sagesse plutôt que par sa parenté. Mais c’est ainsi. Les

hommes, qui ne me cherchaient pas pendant que l’étais parmi eux, me chercheront maintenant en celui qui

est mon parent. Toi, ensuite, Simon Pierre, tu es destiné à d’autres honneurs..."

"Que je ne mérite pas, Seigneur. Je te l’ai dit quand tu m’es apparu et je te le dis encore en présence de tous.

Tu es bon, divinement bon, en plus que sage, et c’est avec justice que tu as jugé que moi, qui t’ai renié dans

cette ville, je n’étais pas fait pour en être le chef spirituel. Tu veux m’épargner tant de justes mépris…"

"Nous avons été tous pareils, Simon, sauf deux. Moi aussi, j’ai fui. Ce n’est pas à cause de cela, mais à cause

des raisons qu’il a dites, que le Seigneur m’a destiné à cette place ; mais tu es mon chef, Simon de Jonas, et

je te reconnais comme tel et en présence du Seigneur et de tous les compagnons je te promets obéissance. Je

te donnerai ce que je puis pour t’aider dans ton ministère, mais, je t’en prie, donne-moi tes ordres, car tu es le

Chef et moi ton subordonné. Quand le Seigneur m’a rappelé une lointaine conversation, j’ai incliné la tête

pour dire : “Que soit fait ce que tu veux.” C’est ce que je te dirai du moment où, le Seigneur nous ayant

860


quittés, tu seras son Représentant sur la Terre. Et nous nous aimerons en nous aidant dans le ministère

sacerdotal." dit Jacques en s’inclinant de sa place pour rendre hommage à Pierre.

"Oui, aimez-vous entre vous, en vous aidant mutuellement, parce que c’est le commandement nouveau et le

signe que vous appartenez vraiment au Christ.

Ne vous troublez pas pour aucune raison. Dieu est avec vous. Vous pouvez faire ce que je veux de vous. Je

ne vous imposerais pas des choses que vous ne pourriez pas faire car je ne veux pas votre ruine, mais, au

contraire, votre gloire.

Voilà que je vais préparer votre place à côté de mon trône. Soyez unis à Moi et au Père dans l’amour.

Pardonnez au monde qui vous hait. Appelez fils et frères ceux qui viennent à vous, ou sont déjà avec vous

par amour pour Moi.

Soyez dans la paix en me sachant toujours prêt à vous aider pour porter votre croix. Je serai avec vous dans

les fatigues de votre ministère et à l’heure des persécutions, et vous ne périrez pas, vous ne succomberez pas

même si cela semblera à ceux qui voient avec les yeux du monde. Vous serez accablés, affligés, lassés,

torturés, mais ma joie sera en vous car je vous aiderai en tout. En vérité je vous dis que quand vous aurez

pour Ami l’Amour vous comprendrez que tout ce que l’on subit et vit par amour pour Moi devient léger,

même si c’est la lourde torture du monde. Car pour celui qui revêt d’amour tout ce qu’il fait volontairement

ou tout ce qui lui est imposé, le joug de la vie et du monde se change en un joug qui lui est donné par Dieu,

par Moi. Et je vous répète que la charge que je vous impose est toujours proportionnée à vos forces et que

mon joug est léger Car je vous aide à le porter.

Vous savez que le monde ne sait pas aimer. Mais vous, dorénavant, aimez le monde d’un amour surnaturel

pour lui apprendre à aimer. Et s’ils vous disent en vous voyant persécutés : “Est-ce ainsi que Dieu vous

861


aime ? En vous faisant souffrir, en vous donnant la douleur ? Alors ce n’est pas la peine d’appartenir à

Dieu”, répondez : “ La douleur ne vient pas de Dieu. Mais Dieu la permet, et nous en savons la raison et

nous nous glorifions d’avoir la part qu’a eue le Sauveur Jésus, Fils de Dieu.” Répondez : “ Nous nous

glorifions d’être crucifiés et de continuer la Passion de notre Jésus. ”

Répondez par les paroles de la Sagesse : “ La mort et la douleur sont entrées dans le monde par l’envie du

démon, mais Dieu n’est pas l’auteur de la mort et de la douleur et il ne jouit pas de la douleur des vivants.

Toutes les choses qui viennent de Lui sont vie et toutes sont salutaires. ” Répondez : “ À présent nous

semblons persécutés et vaincus, mais au jour de Dieu, les sorts sont changés : nous justes, persécutés sur la

Terre, nous serons glorieux devant ceux qui nous ont tourmentés et méprises. "

Pourtant dites-leur aussi : "Venez à nous ! Venez à la Vie et à la Paix. Notre Seigneur ne veut pas votre

ruine, mais votre salut. C’est pour cela qu’Il a donné son Fils bien-aimé afin que vous soyez tous sauvés."

Et réjouissez-vous de participer à mes souffrances pour pouvoir être ensuite avec Moi dans la gloire.

"Je serai votre récompense extrêmement grande." a promis le Seigneur en Abraham à tous ses serviteurs

fidèles. Vous savez comment se conquiert le Royaume des Cieux : par la force, et on y arrive à travers de

nombreuses tribulations. Mais celui qui persévère comme Moi j’ai persévéré sera où je suis. Je vous ai dit

quel est le chemin et la porte qui conduisent au Royaume des Cieux, et Moi le premier j’ai marché par ce

chemin et suis retourné au Père par cette porte. S’il y avait une autre voie, je vous l’aurais indiquée car j’ai

pitié de votre faiblesse d’hommes. Mais il n’y en a pas d’autre... En vous l’indiquant comme unique chemin

et unique porte, je vous dis aussi, je vous répète quel est le remède qui donne la force pour parcourir ce

chemin et entrer par cette porte : c’est l’amour. Toujours l’amour. Tout devient possible quand nous avons

en nous l’amour. Et tout l’amour vous sera donné par l’Amour qui vous aime, si vous demandez en mon

Nom assez d’amour pour devenir des athlètes de sainteté.

862


Maintenant, donnons-nous le baiser d’adieu, ô mes amis bien-aimés."

Il se lève pour les embrasser. Tous l’imitent. Mais alors que Jésus a un sourire paisible, d’une beauté

vraiment divine, eux pleurent, tous troublés et Jean, s’abandonnant sur la poitrine de Jésus, secoué par tous

les sanglots qui lui rompent la poitrine tant ils sont déchirants, demande au nom de tous, voyant le désir de

tous : "Donne-nous au moins ton Pain pour qu’il nous fortifie à cette heure !"

"Qu’il en soit ainsi !" lui répond Jésus. Et prenant un pain, il le partage en morceaux après l’avoir offert et

bénit, en répétant les paroles rituelles. Et il fait la même chose avec le vin, en répétant ensuite : "Faites ceci en

mémoire de Moi", ajoutant : “qui vous ai laissé ce gage de mon amour pour être encore et toujours avec vous

jusqu’à ce que vous soyez avec Moi dans le Ciel.” Il les bénit et dit : "Et maintenant allons."

Ils sortent de la pièce, de la maison...

Jonas, Marie et Marc sont là dehors, et ils s’agenouillent pour adorer Jésus.

"Que la paix reste avec vous, et que le Seigneur vous récompense pour tout ce que vous m’avez donné" dit

Jésus pour les bénir en passant.

Marc se lève pour dire : "Seigneur, les oliviers, le long du chemin de Béthanie, sont remplis de disciples qui

t’attendent."

"Va leur dire qu’ils se dirigent vers le Camp des Galiléens."

Marc s’éloigne avec toute la vitesse de ses jeunes jambes.

"Ils sont tous venus, alors." disent les apôtres entre eux.

863


Plus loin, assise entre Margziam et Marie de Cléophas, se trouve la Mère du Seigneur. Elle se lève en le

voyant venir, pour l’adorer par toutes les palpitations de son cœur de Mère et de fidèle.

"Viens, Mère, et toi aussi, Marie..." dit Jésus pour les inviter en les voyant arrêtées, clouées par sa majesté

qui resplendit comme au matin de la Résurrection.

Mais Jésus ne veut pas l’accabler par cette majesté et il demande affablement à Marie d’Alphée : "Es-tu

seule ?"

"Les autres... les autres sont en avant... Avec les bergers et... avec Lazare et toute sa famille... Mais ils nous

ont laissées ici, nous, parce que... Oh ! Jésus ! Jésus ! Jésus !... Comment ferai-je à ne plus te voir, Jésus

béni, mon Dieu, moi qui t’ai aimé avant même que tu ne sois né, moi qui ai tant pleuré à cause de Toi quand

je ne savais pas où tu étais après le massacre… moi qui ai eu mon soleil dans ton sourire quand tu es revenu,

et tout, tout mon bien ?... Que de bien ! Que de bien tu m’as donné !... Maintenant oui, que je suis devenue

vraiment pauvre, veuve, seule !... Tant que tu étais là, il y avait tout !... Je croyais avoir connu toute la

douleur ce soir-là... Mais la douleur elle-même, toute la douleur de ce jour, m’avait hébétée et... oui, elle

était moins forte que maintenant... Et puis... tu devais ressusciter. Il me semblait ne pas le croire, mais je

m’aperçois maintenant que je le croyais, car je ne sentais pas ce que je sens maintenant..." elle pleure et

halète tant ses pleurs la suffoquent.

"Bonne Marie, tu t’affliges vraiment comme un enfant qui croit que sa mère ne l’aime pas et l’a abandonné

parce qu’elle est allée à la ville pour lui acheter des cadeaux qui le rendront heureux et qu’elle sera bientôt de

retour vers lui pour le couvrir de caresses et de cadeaux. Et n’est-ce pas ce que je fais avec toi ? Est-ce que je

ne vais pas pour te préparer la joie ? Est-ce que je ne pars pas pour revenir te dire : “Viens, parente et

disciple aimée, mère de mes disciples aimés” ? Est-ce que je ne te laisse pas mon amour ? Est-ce que je ne te

donne pas mon amour, Marie ? Tu sais si je t’aime ! Ne pleure pas ainsi, mais réjouis-toi car tu ne me verras

plus méprisé et épuisé, plus poursuivi et riche seulement de l’amour d’un petit nombre. Et avec mon amour,

je te laisse ma Mère. Jean sera son fils, mais toi sois pour elle une bonne sœur comme toujours. Tu vois ?

Elle ne pleure pas, ma Mère. Elle sait que si la nostalgie de Moi sera la lime qui consumera son cœur,

l’attente sera toujours brève par rapport à la grande joie d’une éternité d’union, et elle sait aussi que notre

séparation ne sera pas absolue au point de lui faire dire : “Je n’ai plus de Fils.” C’était le cri de douleur du

jour de la douleur. Maintenant, dans son cœur, chante l’espérance : “Je sais que mon Fils monte vers le Père,

864


mais ne me laissera pas sans ses spirituels amours.” C’est ce que tu crois toi, et tous... Voici les uns et les

autres. Voici mes bergers."

Les visages de Lazare et de ses sœurs au milieu de tous les serviteurs de Béthanie, le visage de Jeanne

semblable à une rose sous un voile de pluie, et ceux d’Élise et de Nique, déjà marqués par l’âge - et

maintenant les rides se creusent à cause de la peine, car c’est toujours de la peine pour la créature, même si

l’âme jubile à cause du triomphe du Seigneur - et celui d’Anastasica, et les visages liliaux des premières

vierges, et l’ascétique visage d’Isaac, et celui inspiré de Matthias, et le visage viril de Manaën, et ceux

austères de Joseph et Nicodème... Visages, visages, visages...

Jésus appelle près de Lui les bergers, Lazare, Joseph, Nicodème, Manaën, Maximin et les autres des

soixante-douze disciples. Mais il garde surtout près de Lui les bergers pour leur dire : "Ici. Vous près du

Seigneur qui était venu du Ciel, penchés sur son anéantissement, vous près du Seigneur qui retourne au Ciel,

avec vos esprits qui jouissent de sa glorification. Vous avez mérité cette place car vous avez su croire malgré

les circonstances défavorables et vous avez su souffrir pour votre foi. Je vous remercie tous de votre amour

fidèle. Je vous remercie tous. Toi, Lazare, mon ami. Toi, Joseph, et toi, Nicodème, pleins de pitié pour le

Christ quand cela pouvait être un grand danger. Toi, Manaën, qui as su mépriser les faveurs sordides d’un

être immonde pour marcher dans mon chemin. Toi, Étienne, fleur couronnée de justice qui as quitté

l’imparfait pour le parfait et qui seras couronné d’un diadème que tu ne connais pas encore mais que

t’annonceront les anges. Toi, Jean, pour un bref laps de temps frère au sein très pur et venu à la Lumière plus

qu’à la vue. Toi, Nicolaï, qui, prosélyte, as su me consoler de la douleur des fils de cette Nation. Et vous,

disciples bonnes et courageuses, dans votre douceur, plus que Judith. Et toi, Margziam, mon enfant, et qui

dorénavant prends le nom de Martial, en souvenir du petit romain tué sur le chemin et déposé à la grille de

Lazare avec un cartel de défi : “Et maintenant dis au Galiléen qu’il te ressuscite, s’il est le Christ et s’il est

ressuscité”, le dernier des innocents qui en Palestine ont perdu la vie pour me servir bien

qu’inconsciemment, et prémices des innocents de toute Nation qui, venus au Christ, seront pour cela haïs et

éteints prématurément, comme des boutons de fleurs arrachés à leur tige avant qu’ils n’éclosent. Et ce nom,

ô Martial, t’indique ton futur destin : sois apôtre en des terres barbares et conquiers-les à ton Seigneur

comme mon amour a conquis le jeune romain pour le Ciel.

865


Tous, tous bénis par Moi dans cet adieu, pour demander au Père la récompense de ceux qui ont consolé le

douloureux chemin du Fils de l’Homme. Bénie l’Humanité dans sa partie choisie qui existe chez les juifs

comme chez les gentils, et qui s’est montrée dans l’amour qu’elle a eu pour Moi. Bénie la Terre avec ses

plantes et ses fleurs, ses fruits qui tant de fois m’ont fait plaisir et m’ont restauré. Bénie la Terre avec ses eaux

et ses tiédeurs, à cause des oiseaux et des animaux qui bien des fois ont surpassé l’homme pour réconforter le

Fils de l’Homme. Béni sois-tu, soleil et toi, mer, et vous, monts, collines, plaines. Soyez bénies vous, étoiles

qui avez été pour Moi des compagnes dans la prière nocturne et dans la douleur. Et toi, lune, qui m’as éclairé

pour me diriger dans mon pèlerinage d’évangélisateur. Soyez toutes bénies, vous, créatures, œuvres de mon

Père, mes compagnes en cette heure mortelle, amies pour Celui qui avait quitté le Ciel pour enlever à

l’Humanité affligée les tribulations de la Faute qui sépare de Dieu. Et bénis vous aussi, instruments innocents

de ma torture : épines, métaux, bois, cordages tordus, parce que vous m’avez aidé à accomplir la Volonté de

mon Père !"

Quelle voix de tonnerre a Jésus ! Elle se répand dans l’air chaud et tranquille comme le son d’un bronze

qu’on a frappé, elle se propage en ondes sur la mer des visages qui le regardent de tous côtés. Je dis que ce

sont des centaines de personnes qui entourent Jésus qui monte, avec les plus aimés, vers le sommet de

l’Oliveraie. Mais Jésus, arrivé près du Camp des Galiléens où il n’y a plus de tentes à cette époque entre les

deux fêtes, ordonne aux disciples : "Faites arrêter les gens où ils se trouvent, et puis suivez-moi."

Il monte encore jusqu’au sommet le plus haut de la montagne, celle qui est déjà plus proche de Béthanie,

qu’elle domine d’en haut, que de Jérusalem. Serrés autour de Lui sa Mère, les apôtres, Lazare, les bergers et

Margziam. Plus loin, en demi-cercle pour tenir en arrière la foule des fidèles, les autres disciples.

Jésus est debout sur une large pierre qui dépasse un peu, toute blanche au milieu de l’herbe verte d’une

clairière. Le soleil l’investit rendant son vêtement blanc comme la neige et faisant briller comme de l’or ses

cheveux. Ses yeux brillent d’une lumière divine.

Il ouvre les bras en un geste d’embrassement. Il paraît vouloir serrer sur son sein toutes les multitudes de la

Terre que son esprit voit représentées dans cette foule.

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Son inoubliable, son inimitable voix donne le dernier ordre : "Allez ! Allez en mon Nom pour évangéliser les

gens jusqu’aux extrémités de la Terre. Que Dieu soit avec vous, Que son Amour vous réconforte, que sa

Lumière vous guide, que sa Paix demeure en vous jusqu’à la vie éternelle."

Il se transfigure en beauté. Beau ! Beau comme sur le Thabor et davantage. Tous tombent à genoux pour

l’adorer. Lui, pendant que déjà il se soulève de la pierre sur laquelle il est posé, cherche encore une fois le

visage de sa Mère, et son sourire atteint une puissance que personne ne pourra jamais rendre... C’est son

dernier adieu à sa Mère. Il monte, monte... Le soleil, encore plus libre de le baiser, maintenant que nul

feuillage même léger ne vient intercepter ses rayons, frappe de son éclat le Dieu-Homme qui monte avec son

Corps très Saint au Ciel, et dévoile ses Plaies glorieuses qui resplendissent comme de vivants rubis. Le reste

est un sourire de lumière nacrée. C’est vraiment la Lumière qui se manifeste pour ce qu’elle est, en ce

dernier instant comme dans la nuit natale. La Création étincelle de la lumière du Christ qui s’élève. Lumière

qui dépasse celle du soleil. Lumière surhumaine et bienheureuse. Lumière qui descend du Ciel à la rencontre

de la Lumière qui monte...

Et Jésus-Christ, le Verbe de Dieu, disparaît à la vue des hommes dans un océan de splendeurs...

Sur terre, deux bruits seulement dans le silence profond de la foule extasiée : le cri de Marie quand il

disparaît : "Jésus !" et la plainte d’Isaac.

Un religieux étonnement a rendu les autres muets, et ils restent là, jusqu’à ce que deux lumières angéliques

d’une extraordinaire candeur apparaissent sous une forme humaine, pour dire les paroles rapportées dans le

premier chapitre des Actes des Apôtres.

867


Actes des Apôtres 1,4-11

4 Il était avec eux

Un jour, il leur prescrivit de ne pas quitter

Jérusalem, mais d'y attendre la promesse

Du Père : "Celle que vous avez entendue de moi :

Jean a baptisé avec de l'eau, pourtant vous,

C'est dans l'Esprit Saint que vous serez baptisés

D'ici peu de jours."

L'Ascension.

Et eux, s'étant réunis,

L'interrogèrent et dirent : "Est-ce donc en ce temps

Seigneur, que tu vas rétablir la royauté

Pour Israël ?" 7 "Mais il ne vous appartient pas

Leur dit-il, de connaître les temps ou les moments

Que le Père a fixée de son propre pouvoir,

8 L'Esprit Saint survenant sur vous, vous recevrez

De la puissance, vous serez à Jérusalem

Mes témoins ; ainsi que dans toute la Judée,

Et la Samarie et, jusqu'aux confins de la terre."

9 À ces mots, sous leurs regards, il fut élevé,

Et une nuée le déroba à leurs yeux.

10 Et comme ils avaient les yeux fixés vers le ciel

Tandis qu'il s'en allait, voici qu'en habits blancs

Deux hommes se présentèrent à eux, 11 et ils leur dirent :

"Galiléens, pourquoi regardant vers le ciel

868


Vous tenez-vous là ? Ce Jésus, qui a été

Enlevé d'auprès de vous vers le ciel, viendra

De la manière dont vous l'avez vu s'en aller

Vers le ciel."

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La descente de l’Esprit Saint

Il n’y a pas de voix ni de bruits dans la maison du Cénacle. Il n’y a pas de disciples présents, du moins je

n’entends rien qui me permette de dire que dans les autres pièces de la maison sont rassemblées des

personnes. Il y a seulement la présence et les voix des douze et de Marie très Sainte, rassemblés dans la salle

de la Cène.

La pièce semble plus vaste car le mobilier, disposé différemment, laisse libre tout le milieu de la pièce et

aussi deux des murs. Contre le troisième on a poussé la table qui a servi pour la Cène, et entre eux et les

murs, et aussi aux deux côtés les plus étroits de la table, on a mis les lits-sièges qui ont servi à la Cène et le

tabouret qui a servi à Jésus pour le lavement des pieds. Pourtant ces lits ne sont pas disposés

perpendiculairement à la table comme pour la Cène, mais parallèlement, de façon que les apôtres puissent

rester assis sans les occuper tous, en laissant pourtant un siège, le seul mis verticalement par rapport à la

table, tout entier pour la Vierge bénie qui est au milieu de la table, à la place qu’à la Cène occupait Jésus.

Il n’y a pas de nappe ni de vaisselle sur la table, les crédences sont dégarnies et aussi les murs de leurs

ornements. Seul le lampadaire brûle au centre, mais avec la seule flamme centrale allumée ; l’autre cercle de

petites lampes qui sert de corolle au bizarre lampadaire est éteint.

Les fenêtres sont fermées et barrées par une lourde barre de fer qui les traverse. Mais un rayon de soleil

s’infiltre hardiment par un petit trou et descend comme une aiguille longue et fine jusqu’au pavé où il

dessine une tache lumineuse.

870


La Vierge, assise seule sur son siège, a à ses côtés, sur des sièges : Pierre et Jean, Pierre à droite, Jean à

gauche. Mathias, le nouvel apôtre, est entre Jacques d’Alphée et le Thaddée. La Vierge a devant elle un

coffre large et bas de bois foncé et qui est ferme.

Marie est vêtue de bleu foncé. Elle a sur ses cheveux son voile blanc et par-dessus un pan de son manteau.

Les autres ont tous la tête découverte.

Marie lit lentement à haute voix, mais à cause du peu de lumière qui arrive jusque là, je crois plutôt qu’au

lieu de lire elle répète de mémoire les paroles écrites sur le rouleau qu’elle tient déplié. Les autres la suivent

en silence, en méditant. De temps à autre ils répondent si le cas se présente.

Marie a le visage transfiguré par un sourire extatique. Qui sait ce qu’elle voit, de si capable d’allumer ses

yeux comme deux claires étoiles, et de rougir ses joues d’ivoire comme si une flamme rose se réfléchissait

sur elle ? C’est vraiment la Rose mystique...

Les apôtres se penchent en avant, en se tenant un peu de biais pour voir son visage pendant qu’elle sourit si

doucement et qu’elle lit. Sa voix semble un cantique angélique. Pierre en est tellement ému que deux grosses

larmes tombent de ses yeux et, par un sentier de rides gravées aux côtés de son nez, elles descendent se

perdre dans le buisson de sa barbe grisonnante. Mais Jean reflète son sourire virginal et s’enflamme d’amour

comme elle, pendant qu’il suit du regard ce que lit la Vierge sur le rouleau, et quand il lui présente un

nouveau rouleau il la regarde et lui sourit.

La lecture est finie. La voix de Marie s’arrête et on n’entend plus le bruissement des parchemins déroulés et

enroulés. Marie se recueille en une oraison secrète, en joignant les mains sur sa poitrine et en appuyant sa

tête contre le coffre. Les apôtres l’imitent...

871


Un grondement très puissant et harmonieux, qui rappelle le vent et la harpe, et aussi le chant d’un homme et

le son d’un orgue parfait, résonne à l’improviste dans le silence du matin. Il se rapproche, toujours plus

harmonieux et plus puissant, et emplit la Terre de ses vibrations, il les propage et il les imprime à la maison,

aux murs, au mobilier. La flamme du lampadaire, jusqu’alors immobile dans la paix de la pièce close, palpite

comme investie par un vent, et les chaînettes de la lampe tintent en vibrant sous l’onde de son surnaturel qui

les investit.

Les apôtres lèvent la tête effrayés. Ce bruit puissant et très beau, qui possède toutes les notes les plus belles

que Dieu ait données au Ciel et à la Terre, se fait de plus en plus proche, alors certains se lèvent, prêts à

s’enfuir, d’autres se pelotonnent sur le sol en se couvrant la tête avec leurs mains et leurs manteaux, ou en se

frappant la poitrine pour demander pardon au Seigneur. D’autres encore se serrent contre Marie, trop

effrayés pour conserver envers la Toute Pure cette retenue qu’ils ont toujours eue. Seul Jean ne s’effraie pas

car il voit la paix lumineuse de joie qui s’accentue sur le visage de Marie qui lève la tête en souriant à une

chose connue d’elle seule, et qui ensuite glisse à genoux en ouvrant les bras, et les deux ailes bleues de son

manteau ainsi ouvert s’étendent sur Pierre et Jean qui l’ont imitée en s’agenouillant. Mais tout ce que j’ai

gardé en détail pour le décrire s’est passé en moins d’une minute.

Et puis voilà la Lumière, le Feu, Esprit Saint, qui entre avec un dernier bruit mélodieux sous la forme d’un

globe très brillant et ardent dans la pièce close, sans remuer les portes et les fenêtres, et qui plane un instant

au-dessus de la tête de Marie à environ trois palmes de sa tête qui est maintenant découverte, car Marie,

voyant le Feu Paraclet, a levé les bras comme pour l’invoquer et a rejeté la tète en arrière avec un cri de joie,

avec un sourire d’amour sans bornes. Et après cet instant où tout le Feu de Esprit Saint, tout l’Amour est

rassemblé au-dessus de son Épouse, le Globe très Saint se partage en treize flammes mélodieuses et très

brillantes, d’une lumière qu’aucune comparaison terrestre ne peut décrire et descend pour baiser le front de

chaque apôtre.

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Mais la flamme qui descend sur Marie n’est pas une flamme dressée sur son front qu’elle baise, mais une

couronne qui entoure et ceint, comme un diadème, sa tête virginale, en couronnant comme Reine la Fille, la

Mère, l’Épouse de Dieu, la Vierge incorruptible, la toute Belle, l’éternelle Aimée et l’éternelle Enfant, que

rien ne peut avilir, et en rien, Celle que la douleur avait vieillie, mais qui est ressuscitée dans la joie de la

résurrection, partageant avec son Fils un accroissement de beauté et de fraîcheur de la chair, du regard, de la

vitalité, ayant déjà une anticipation de la beauté de son Corps glorieux monté au Ciel pour être la fleur du

Paradis.

Esprit Saint fait briller ses flammes autour de la tête de l’Aimée. Quelles paroles peut-Il lui dire ? Mystère !

Son visage béni est transfiguré par une joie surnaturelle, et rit du sourire des Séraphins pendant que des

larmes bienheureuses semblent des diamants qui descendent le long des joues de la Bénie, frappées comme

elles le sont par la Lumière de Esprit Saint.

Le Feu reste ainsi quelque temps... Et puis il se dissipe... De sa descente il reste comme souvenir un parfum

qu’aucune fleur terrestre ne peut dégager... Le Parfum du Paradis...

Les apôtres reviennent à eux...

Marie reste extasiée. Elle croise seulement les bras sur sa poitrine, ferme les yeux, baisse la tête... Elle

continue son colloque avec Dieu... insensible à tout...

Personne n’ose la troubler.

Jean dit en la désignant : "C’est l’autel. Et c’est sur sa gloire que s’est posée la Gloire du Seigneur..."

"Oui. Ne troublons pas sa joie. Mais allons prêcher le Seigneur et que soient connues ses œuvres et ses

paroles parmi les peuples" dit Pierre avec une surnaturelle impulsivité.

"Allons ! Allons ! L’Esprit de Dieu brûle en moi." dit Jacques d’Alphée.

"Et il nous pousse à agir. Tous. Allons évangéliser les gens."

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Ils sortent comme s’ils étaient poussés ou attirés par un vent ou par une force irrésistible.

Jésus dit :

"Et ici prend fin l’Œuvre que mon amour pour vous a dictée, et que vous avez reçue à cause de l’amour

qu’une créature a eu pour Moi et pour vous.

Elle se termine aujourd’hui : Commémoration de Sainte Zita de Lucques, humble servante qui servit son

Seigneur dans la charité dans cette Église de Lucques dans laquelle j’ai amené, de lieux lointains, mon petit

Jean pour qu’il me serve dans la charité et avec le même amour de Sainte Zita pour tous les malheureux.

Zita donnait son pain aux pauvres. en se souvenant que je suis en chacun d’eux et bienheureux seront à mes

côtés ceux qui auront donné du pain et à boire à ceux qui ont soif et faim.

Marie-Jean a donné mes paroles à ceux qui languissent dans l’ignorance ou dans la tiédeur ou le doute en

matière de Foi, en se rappelant ce qui est dit par la Sagesse que ceux qui se donnent du mal pour faire

connaître Dieu brilleront comme des étoiles dans l’éternité, en glorifiant leur Amour en le faisant connaître

et aimer, et à beaucoup de gens.

Et elle se termine aussi aujourd’hui, jour auquel l’Église élève sur les autels le pur lys des champs, Marie

Thérèse Goretti, dont la tige fut brisée alors que la corolle était encore en bouton. Et brisée par qui, sinon

par Satan, envieux de cette candeur qui resplendissait plus que son ancien aspect angélique ? Brisée parce

que sacrée pour son divin Amant. Marie, vierge et martyre de ce siècle d’infamies où on méprise même

l’honneur de la Femme, en crachant la bave des reptiles pour nier le pouvoir de Dieu de donner une demeure

inviolée à son Verbe qui s’est incarné par l’œuvre de Esprit Saint pour sauver ceux qui croient en Lui.

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Marie-Jean aussi est victime de la Haine qui ne veut pas que l’on célèbre mes merveilles avec l’Œuvre, arme

puissante pour lui arracher tant de proies. Mais Marie-Jean sait aussi, comme le savait Marie-Thérèse, que le

martyre, quelque nom et quelque aspect qu’il ait, est une clef pour ouvrir sans retard le Royaume des Cieux à

ceux qui le souffrent pour continuer ma Passion.

L’Œuvre est finie.

Et avec sa fin, avec la descente de Esprit Saint, se conclut le cycle messianique que ma Sagesse a éclairé

depuis son aube : la Conception Immaculée de Marie, jusqu’à son couchant : la descente de Esprit Saint.

Tout le cycle messianique est œuvre de l’Esprit d’Amour pour qui sait, bien voir. Il est donc juste de le

commencer avec le mystère de l’Immaculée Conception de l’Épouse de l’Amour et de le conclure avec le

sceau du Feu Paraclet sur l’Église du Christ.

Les œuvres manifestes de Dieu, de l’Amour de Dieu, prennent fin avec la Pentecôte. Depuis lors continue

l’intime, le mystérieux travail de Dieu dans ses fidèles, unis au Nom de Jésus dans l’Église Une, Sainte,

Catholique, Apostolique, Romaine, et l’Église, c’est-à-dire ce rassemblement des fidèles : pasteurs, brebis et

agneaux, peut avancer sans errer, grâce à l’opération spirituelle, continuelle de l’Amour, Théologien des

théologiens, Celui qui forme les vrais théologiens, que sont ceux qui sont perdus en Dieu et ont Dieu

en eux : la vie de Dieu en eux grâce à la direction de l’Esprit de Dieu qui les conduit, que sont ceux qui sont

vraiment "fils de Dieu" selon la pensée de Paul.

Et au terme de l’Œuvre je dois mettre encore une fois la plainte que j’ai mise à la fin de chaque année

évangélique, et dans la douleur de voir mépriser mon don, je vous dis : "Vous n’aurez pas autre chose

puisque vous n’avez pas su accueillir ce que je vous ai donné". Et je vous dis aussi ce que je vous ai fait dire

pour vous rappeler sur le droit chemin l’été passé (21-5-46) : "Vous ne me

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verrez pas jusqu’à ce que vienne le jour dans lequel vous direz : "Béni Celui qui vient au nom du Seigneur".

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La Pentecôte

2 1 Comme s'écoulait le jour de la Pentecôte,

Ils étaient tous réunis ensemble. 2 Tout à coup

Vint du ciel un bruit comme d'un violent coup de vent

Qui remplit toute la maison où ils étaient

Assis. 3 Alors ils virent des langues comme de feu

Se partager et se poser sur chacun d'eux.

Et tous furent remplis d'Esprit Saint, et ils se mirent

À parler en d'autres langues, selon que l'Esprit

Leur donnait de les prononcer.

5 Il y avait

Parmi les Juifs qui étaient de Jérusalem,

Des hommes pieux venus de toutes les nations

Qui sont sous le ciel. 6 Et la foule s'assembla

Au bruit qui se fit, alors elle fut confondue

De ce que chacun dans sa propre langue pouvait

Les entendre parler.

7 Ils étaient stupéfaits,

Dans leur étonnement, ils disaient : "Tous ces gens

Qui parlent, ne sont-ils pas Galinéens ? 8 Comment

Dans notre langue maternelle, peut-on chacun

Les entendre ? 9 (Et ainsi) Parthes, Mèdes, Élamites,

Habitants de Mésopotamie, de Judée,

Du Cappadoce, du Pont et d'Asie, 10 de Phrygie,

De Pamphylie, d'Égypte, de région de Libye

Voisine de Cyrène, et de Romains résidant

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Ici, 11 Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes,

Nous les entendons parler des grandeurs de Dieu

Dans nos langues ! "

12 Tous étaient stupéfaits et perplexes,

Ils se disaient I'un l'autre : "Mais qu'est-ce que cela

Veut dire ?" D'autres raillaient et disaient : "Ils sont pleins

De vin doux."

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Le martyre d’Étienne

La salle du Sanhédrin, pareille pour la disposition et pour les personnes à ce qu’elle était, dans la nuit du

jeudi au vendredi, pendant le procès de Jésus. Le Grand Prêtre et les autres sont sur leurs sièges. Au centre,

dans l’espace vide, devant le Grand Prêtre, où était Jésus durant le procès, il y a maintenant Étienne. Il doit

déjà avoir parlé pour confesser sa foi et apporter son témoignage sur la vraie Nature du Christ et sur l’Église,

car le tumulte est à son comble et dans sa violence il est en tout semblable à celui qui s’agitait contre le

Christ dans la nuit fatale de la trahison et du déicide.

Coups de poing, malédictions, blasphèmes horribles sont lancés contre le diacre Étienne qui, sous les coups

brutaux, vacille et chancelle alors que férocement ils le tirent çà et là.

Mais lui garde son calme et sa dignité et même plus encore, Il est non seulement calme et digne, mais même

bienheureux, presque en extase. Sans se soucier des crachats qui coulent sur son visage, ni du sang qui

descend de son nez brutalement frappé, il lève à un certain moment son visage inspiré et son regard

lumineux et souriant pour regarder fixement une vision connue de lui seul. Ensuite il ouvre ses bras en croix

et les lève comme pour embrasser ce qu’il voit. Après cela il tombe à genoux en s’écriant : "Voici que je

vois les Cieux ouverts et le Fils de l’Homme, Jésus, le Christ de Dieu, que vous avez tué, qui siège à la

droite de Dieu."

Alors le tumulte perd le minimum d’humanité et de légalité qu’il gardait encore, et avec la furie d’une meute

de loups, de chacals, de fauves enragés, tous s’élancent sur le diacre, le mordent, le piétinent, le saisissent, le

relèvent en le soulevant par les cheveux, le traînent, le faisant tomber de nouveau, la furie s’opposant à la

furie, car dans la rixe ceux qui cherchent à entraîner le martyr dehors sont contrariés par ceux qui le tirent

dans une autre direction pour le frapper, le piétiner de nouveau.

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Parmi les furieux des plus furieux il y a un jeune homme de petite taille et laid, qu’on appelle Saul. Il est

impossible de décrire la férocité de son visage.

Dans un coin de la salle se tient Gamaliel. Il n’a jamais pris part à la bagarre, ni jamais adressé la parole à

Étienne, ni à aucun puissant. Son dégoût devant la scène injuste et féroce est bien visible. Dans un autre

coin, dégoûté et étranger au procès et à la mêlée, se trouve Nicodème, qui regarde Gamaliel dont le visage a

une expression plus claire que toute parole. Mais tout à coup, et précisément quand il voit que pour la

troisième fois on soulève Étienne par les cheveux, Gamaliel s’enveloppe dans son ample manteau et il se

dirige vers une sortie opposée à celle vers laquelle on traîne le diacre.

Son action n’échappe pas à Saul qui crie : "Rabbi, tu t’en vas ?"

Gamaliel ne répond pas. Saul qui craint que Gamaliel n’ait pas compris que la question s’adressait à lui,

répète et précise : "Rabbi Gamaliel, tu te détournes de ce jugement ?"

Gamaliel se tourne tout d’une pièce et, avec un regard terrible tellement il est dégoûté, hautain et glacial, il

répond seulement : "Oui." Mais c’est un “oui” qui a plus de portée qu’un long discours.

Saul comprend tout ce qu’il y a dans ce “oui” et, abandonnant la meute féroce, il court vers Gamaliel, le

rejoint, l’arrête et lui dit : "Tu ne voudrais pas me dire, ô rabbi, que tu désapprouves notre condamnation."

Gamaliel ne le regarde pas et ne lui répond pas. Saul poursuit : "Cet homme est doublement coupable pour

avoir renié la Loi en suivant un samaritain possédé par Belzébuth, et pour l’avoir fait après avoir été ton

disciple."

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Gamaliel continue à ne pas le regarder et à se taire. Saul, alors, demande : "Mais serais-tu peut-être, toi aussi,

un partisan de ce malfaiteur appelé Jésus ?"

Gamaliel parle maintenant et dit : "Je ne le suis pas encore. Mais si Lui était ce qu’il disait, et en vérité

beaucoup de choses tendent à prouver qu’il l’était, je prie Dieu de le devenir."

"Horreur !" crie Saul.

"Aucune horreur. Chacun a une intelligence pour s’en servir et une liberté pour l’appliquer. Que chacun s’en

serve donc d’après la liberté que Dieu a donnée à tout homme et la lumière qu’il a mise dans le cœur de

chacun. Les justes, maintenant ou plus tard, emploieront ces deux dons de Dieu pour le Bien, et les mauvais

pour le Mal." Et il s’en va en se dirigeant vers la cour où se trouve le trésor et il va s’appuyer contre la même

colonne contre laquelle Jésus avait parlé de la pauvre veuve qui donne au Trésor du Temple tout ce

qu’elle a : deux piécettes. Il est là depuis peu de temps quand Saul le rejoint de nouveau et se plante devant

lui.

Il y a entre les deux un très grand contraste. Gamaliel grand, à l’aspect noble, beau, aux traits fortement

sémitiques, un front haut, des yeux très noirs, intelligents, pénétrants, longs et très enfoncés sous les sourcils

épais et droits, aux côtés d’un nez droit, long et fin qui rappelle un peu celui de Jésus. La couleur de la peau,

aussi, la bouche aux lèvres fines, rappellent celles du Christ. Seulement les moustaches et la barbe de

Gamaliel, autrefois très noires, sont maintenant grisonnantes et plus longues.

Saul, au contraire, est petit, trapu, presque rachitique, avec des jambes courtes et grosses, un peu écartées

aux genoux que l’on voit bien car il a enlevé son manteau et a seulement un vêtement à tunique courte et

grise. Il a les bras courts et musclés comme les jambes, le cou court et trapu qui porte une tête grosse, brune,

avec des cheveux courts et rêches, des oreilles plutôt écartées, un nez camus, de grosses lèvres, des

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pommettes hautes et grosses, un front bombé, des yeux sombres, plutôt bovins, sans douceur, mais très

intelligents sous des sourcils très arqués, épais et hérissés. Les joues sont couvertes d’une barbe hirsute

comme les cheveux et très épaisse, qu’il garde courte. Peut-être à cause de son cou si court, il paraît

légèrement bossu ou avec des épaules très voûtées.

Il se tait un moment en fixant Gamaliel, puis il dit quelque chose à voix basse. Gamaliel lui répond d’une

voix bien nette et forte : "Je n’approuve pas la violence. Pour aucun motif. Tu n’auras jamais de moi une

approbation pour un dessein violent. Je l’ai même dit publiquement, à tout le Sanhédrin, quand on a pris

pour la seconde fois Pierre et les autres apôtres et qu’ils ont été amenés devant le Sanhédrin pour être jugés.

Et je répète la même chose : "Si c’est un dessein et une œuvre humaine, il périra par lui-même ; si cela vient

de Dieu, les hommes ne pourront le détruire, mais au contraire ils pourront être frappés par Dieu. "Ne

l’oublie pas."

"Es-tu le protecteur de ces blasphémateurs, disciples du Nazaréen, toi, le plus grand rabbi d’Israël ?"

"Je suis le protecteur de la justice. Et elle enseigne à être prudent et juste dans les jugements. Je te le répète :

si c’est une chose qui vient de Dieu, elle résistera, sinon elle tombera d’elle-même. Mais moi, je ne veux pas

me tacher les mains avec un sang dont je ne sais pas s’il mérite la mort."

"C’est toi, toi, pharisien et docteur, qui parles ainsi ? Tu ne crains pas le Très-Haut ?"

"Plus que toi. Mais je réfléchis. Et je me souviens... Tu n’étais qu’un enfant, pas encore un fils de la Loi, et

j’enseignais déjà dans ce Temple avec le rabbi le plus sage de ce temps... et avec d’autres qui étaient sages,

mais pas justes. Notre sagesse eut, dans ces murs, une leçon qui nous donna à réfléchir pour le reste de notre

vie. Les yeux du plus sage et du plus juste de notre temps se fermèrent sur le souvenir de cette heure, et son

esprit sur l’étude de ces vérités, entendues des lèvres d’un enfant qui se révélait aux hommes, spécialement

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aux justes. Mes yeux ont continué à veiller, et mon esprit à réfléchir, en coordonnant les événements et les

choses...J’ai eu le privilège d’entendre le Très-Haut parler par la bouche d’un enfant qui fut ensuite un

homme juste, sage, puissant, saint, et qui fut mis à mort justement à cause de ces qualités. Les paroles qu’il a

dites alors ont pu être confirmées par des faits arrivés plusieurs années après, à l’époque dite par Daniel...

Malheureux que je suis de n’avoir pas compris avant ! D’avoir attendu le dernier terrible signe pour croire,

pour comprendre ! Malheureux peuple d’Israël qui n’a pas compris alors et ne comprend pas, même

maintenant ! La prophétie de Daniel et celle d’autres prophètes et de la Parole de Dieu continuent, et elles

s’accompliront pour Israël entêté, aveugle, sourd, injuste, qui continue de persécuter le Messie dans ses

serviteurs !"

"Malédiction ! Tu blasphèmes ! Vraiment il n’y aura plus de salut pour le peuple de Dieu si les rabbis

blasphèment, reniant Jéhovah, le Dieu vrai, pour exalter et croire un faux Messie !"

"Ce n’est pas moi qui blasphème, mais tous ceux qui ont insulté le Nazaréen, et continuent de le mépriser, en

méprisant ses fidèles. Toi, oui, tu le blasphèmes parce que tu le hais, en Lui et dans les siens. Mais tu as

parlé juste en disant qu’il n’y a plus de salut pour Israël. Mais ce n’est pas parce qu’il y a des Israélites qui

passent dans son troupeau, mais parce que Israël l’a frappé à mort, Lui."

"Tu me fais horreur ! Tu trahis la Loi, le Temple !"

"Alors dénonce-moi au Sanhédrin, pour que j’aie le même sort que celui que l’on va lapider. Ce sera le

commencement et la fin heureuse de ta mission. Et moi, à cause de mon sacrifice, je serai pardonné de

n’avoir pas reconnu et compris le Dieu qui passait, Sauveur et Maître, parmi nous, ses fils et son peuple."

Saul, avec un geste de colère, s’éloigne impoliment, pour retourner dans la cour qui donne sur la salle du

Sanhédrin et où continue la clameur de la foule exaspérée contre Étienne. Saul rejoint les argousins dans

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cette cour, s’unit à eux, qui l’attendaient, et il sort avec les autres du Temple, et puis des murs de la ville.

Insultes, moqueries, coups, continuent à l’adresse du diacre qui avance déjà épuisé, blessé, chancelant vers le

lieu du supplice.

Hors des murs, il y a un espace inculte et pierreux, absolument désert. Arrivés là, les bourreaux forment un

cercle en laissant le condamné seul au milieu, avec des vêtements déchirés et couverts de sang en plusieurs

parties du corps à cause des blessures déjà reçues. Ils les lui arrachent avant de s’écarter. Étienne reste avec

une tunique très courte. Tous enlèvent leurs vêtements longs pour rester avec les seules tuniques courtes

comme celle de Saul, à qui ils confient leurs vêtements. Saul ne prend pas part à la lapidation soit qu’il ait

été impressionné par les paroles de Gamaliel, soit qu’il sait qu’il est incapable de viser.

Les bourreaux ramassent des grosses pierres et des silex coupants qui abondent en ce lieu, et ils commencent

la lapidation.

Étienne reçoit les premiers coups en restant debout, et avec un sourire de pardon sur sa bouche blessée. Un

instant avant le début de la lapidation il a crié à Saul, occupé à rassembler les vêtements des bourreaux :

"Mon ami, je t’attends sur le chemin du Christ."

À quoi Saul lui avait répondu : "Porc ! Obsédé !" en unissant aux injures un vigoureux coup de pied dans les

jambes du diacre qui est sur le point de tomber par le coup et la souffrance.

Après plusieurs coups de pierre qui l’atteignent de tous côtés, Étienne tombe à genoux, appuyé sur ses mains

blessées et, se rappelant certainement un lointain épisode, il murmure en touchant ses tempes et son front

blessés : "Comme Lui me l’avait prédit ! La couronne.., les rubis.., ô mon Seigneur, mon Maître, Jésus,

reçois mon esprit !"

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Une autre grêle de coups sur sa tête déjà blessée l’allongent complètement sur le sol qui s’imprègne de son

sang. Pendant qu’il s’abandonne au milieu des pierres, toujours sous une grêle d’autres pierres, il expire en

murmurant : "Seigneur... Père, pardonne-leur... ne leur garde pas rancune pour leur péché... Ils ne savent pas

ce que..." La mort coupe la phrase sur ses lèvres. Un dernier sursaut le pelotonne sur lui-même et il reste

ainsi. Mort.

Les bourreaux s’avancent, lancent sur lui une autre charge de pierres sous lesquelles ils l’ensevelissent

presque. Puis ils reprennent leurs habits et s’en vont, en revenant au Temple, pour rapporter, ivres d’un zèle

satanique, ce qu’ils ont fait.

Pendant qu’ils parlent avec le Grand Prêtre et d’autres personnages puissants, Saul va à la recherche de

Gamaliel. Il ne le trouve pas tout de suite. Il revient, enflammé de haine contre les chrétiens, va trouver les

Prêtres, parle avec eux, se fait donner un parchemin avec le sceau du Temple qui l’autorise à persécuter les

chrétiens. Le sang d’Étienne doit l’avoir rendu furieux comme un taureau qui voit du rouge, ou un vin

généreux donné à un alcoolique.

Il va sortir du Temple quand il voit Gamaliel sous le Portique des Païens. Il va vers lui. Peut-être veut-il

commencer une discussion ou se justifier. Mais Gamaliel traverse la cour, entre dans une salle, ferme la

porte au nez de Saul qui, offensé et furieux, sort en courant du Temple pour persécuter les chrétiens.

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L'arrestation d'Etienne

8 Etienne, rempli de grâce et de puissance, faisait

Des prodiges et de grands signes dans le peuple. 9 Certains

Donc de la synagogue dite des Affranchis,

Des Cyrénéens, des Alexandrins, des gens

De Cilicie et d'Asie se levèrent afin

De discuter avec Etienne ; 10 ils n'étaient pas

De force pour pouvoir s'opposer à la sagesse

Et à l'Esprit par lequel il parlait. Alors

11 Ils subordonnèrent des gens, et eux dirent : "'Nous l'avons

Entendu dire contre Moïse et contre Dieu

Des paroles blasphématoires." 12 Excitant le peuple

Les anciens et les scribes, ils survinrent, s'emparèrent

De lui et l'amenèrent au Sanhédrin. 13 Aussi

Ils produisirent de faux témoins qui dirent : "Cet homme

Ne cesse de prononcer contre le Lieu Saint

Et la Loi des paroles ; 14 nous l'avons, en effet,

Entendu dire que Jésus, ce Nazôréen,

Détruirait ce lieu et changerait les coutumes

Que Moïse nous a transmises."

15 Tous ceux qui siégeaient

Dans le Sanhédrin, fixant les yeux vers Etienne,

Virent son visage pareil à un visage d'ange.

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Le discours d'Etienne.

7 1 Et le grand prêtre dit : "En est-il bien ainsi."

2 Il déclara :

"Frères et pères, écoutez ! Le Dieu

De gloire apparut à notre père Abraham,

Lorsqu'il était en Mésopotamie, avant

D'habiter à Harran, 3 alors il lui dit : Sors

De ton pays et de ta parenté et va

Au pays que je te montrerai - 4 et sortant,

Du pays des Chaldéens, il vint habiter

À Harran. De là, après la mort de son père,

Dieu le fit passer au pays* où maintenant

Vous habitez. 5 Et il ne lui donna aucune

Propriété dans ce pays, et pas de quoi

Poser le pied, il promit de le lui donner

En possession, et à sa descendance aussi

Après lui, bien qu'il n'eût pas d'enfant.6 Ainsi Dieu

Lui parla : "Sa descendance aurait un séjour

En pays étranger et on l'asservirait,

On le maltraiterait durant quatre cents ans.

7 Mais la nation à laquelle ils auront été

Asservis, je la jugerai, moi., a dit Dieu

Après cela, ils sortiront et me rendront

Un culte en ce lieu-ci 8 - Il lui donna l'alliance

De la circoncision et c'est ainsi qu'Abraham

Engendra Isaac et le huitième jour

Le circoncit. Ainsi Isaac pour Jacob

Fit de même, et Jacob pour les douze patriarches.

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*le texte veut : de ce pays.

9 "Les patriarches, devenus jaloux de Joseph

Le vendirent pour l'Égypte. Dieu était avec lui

10 Et il l'arracha à toutes ses afflictions

Et lui donna faveur et sagesse devant

Pharaon, roi Égypte, qui l'établit donc chef

Sur Égypte et sur toute sa maison. 11 Et vint

Une famine sur Égypte et sur Canaan,

Et une grande affliction, nos pères à manger

Ne trouvaient rien, 12 Apprenant qu'il y avait

Des vivres en Égypte, Jacob envoya nos pères

Une première fois, 13 et la seconde fois

Joseph se fit reconnaître de ses frères, la race

De Joseph devint manifeste au Pharaon.

14 Et Joseph fit alors venir Jacob, son père,

Avec toute sa parenté : soixante-quinze

Personnes. 15 Aussi Jacob descendit en Égypte

Il y mourut ainsi que nos pères.16 Et ils furent

Transportés à Sichem et mis dans le tombeau

Qu'Abraham avait acheté à prix d'argent

Aux fils d'Emmor à Sichem.

17 "Approchait le temps

De la promesse que Dieu avait à Abraham

Jurée. Le peuple s'accrut et se multiplia

En Égypte, 18 jusqu'à ce que se leva en Égypte

Un autre roi qui n'avait pas connu Joseph.

19 Celui-là usant d'astuce envers notre race,

Maltraita nos pères jusqu'à leur faire exposer

Leurs nouveaux nés pour qu'ils ne restent pas en vie.

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20 Et c'est à ce moment-là que naquit Moïse,

Qui était divinement beau. Il fut nourri

Trois mois dans la maison de son père ; 21 il avait

Été exposé, et la fille de Pharaon

Le prit et l'éleva comme son propre fils.

22 Et Moïse fut instruit dans toute la sagesse

Des Égyptiens, il était puissant en paroles

Et en œuvres.

23 "Comme il atteignait la quarantaine,

Le désir lui monta au coeur de visiter

Ses frères, les fils d'Israël. 24 Alors en voyant

Un a qui on faisait tort, il prit sa défense

En vengea l'opprimé, en frappant l'Égyptien

25 Ses frères, croyait-il, comprendraient que, par sa main,

Dieu leur accordait le salut. Ils n'avaient pas

Compris. Et le lendemain, il en aperçut

Qui se battaient, il voulait les réconcilier :

Hommes, disait-il, vous êtes frères. Mais pourquoi

Vous faire tort l'un à l'autre ? 27 Celui qui faisait tort

À son prochain le repoussa. Il dit ceci :

Qui donc t'a établi chef et juge sur nous

28 Voudrais-tu me tuer comme tu as tué

Hier, l'Égyptien ? 29 À cette parole, Moïse

S'enfuit, et il alla séjourner au pays

De Madiân où il y engendra deux fils.

30 "Quarante ans s'écoulèrent, un Ange lui apparut

Dans le désert du mont Sinaï dans la flamme

D'un buisson en feu. 31 Et Moïse, voyant cela

Était étonné de cette vision. Advint

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Tandis qu'il avançait pour regarder, la voix.

Du Seigneur : 32 Je suis le Dieu de tes pères, le Dieu

D'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Moïse,

Devenu tout tremblant n'osait pas regarder.

33 Alors le Seigneur lui dit : délie la chaussure

De tes pieds parce que le lien où tu tiens

Est une terre sainte. J'ai vu. J'ai vu le mal

De mon Peuple Égypte, et son gémissement

Je l'ai entendu, aussi je suis descendu

Pour les délivrer. Maintenant, que je t'envoie

En Égypte, viens.

35 "Et ce Moïse qu'ils avaient

Renié en disant : Qui t'a donc établi

Chef et juge ? Ainsi c'est bien Dieu qui l'envoya

Pour être le chef (pour être) le rédempteur

Par l'intermédiaire de l'Ange qui dans le buisson

Lui était apparu. Et c'est lui qui les fit

Sortir en opérant des prodiges et des signes

Au pays Égypte, 4 la mer Rouge, au désert

Pendant quarante ans. 37 Et c'est ce Moïse qui dit

Aux fils d'Israël : Dieu vous suscitera (donc)

D'entre vos frères, un prophète comme moi. 38 Il fut

Lui, lors de l'assemblée au désert avec l'Ange

Qui lui parlait sur le mont Sinaï ainsi

Qu'avec vos pères. Il reçut pour vous les donner

Des oracles de vie. 39 C'est à lui que vos pères

Refusèrent d'obéir ! Mais ils le repoussèrent,

Au contraire, et retournant de coeur, en Égypte

40 Ils dirent à Aaron : Fais-nous des dieux qui marchent

Devant nous : ce Moïse qui nous a fait sortir

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Du pays Égypte, ce qui lui est advenu

Nous ne le savons pas. 41 Ils fabriquèrent un veau

En ces jours-là, et ils offrirent un sacrifice

À l'idole, ils étaient des œuvres de leurs mains

Satisfaits. 42 Mais Dieu se détourna d'eux, alors

Il les livra au culte de 1'Armée du ciel,

Selon qu'il est écrit au livre des Prophètes :

Des victimes et des sacrifices, m'en avez-vous

Offert ?* Pendant quarante ans au désert, maison

D'Israël ? 43 Ainsi vous avez porté la tente

De Molech et l'étoile du dieu Rompha, images _

Que vous avez faite pour les adorer ! Aussi

Vous déporterai-je au-delà de Babylone.

"En effet, nos Pères au désert, avaient la Tente

Du Témoignage, selon qu'avait prescrit Celui

Qui avait dit à Moïse de la faire suivant

Le modèle qu'il avait vu. Et l'ayant reçue,

Nos pères ainsi que Josué, la firent entrer

Dans le pays conquis sur les nations que Dieu

Chassa de devant nos pères ; ainsi en fût-il

*la concordance veut : présenté

Jusqu'aux Jours de David. 46 Celui-ci trouva grâce

Devant Dieu, il demanda alors de trouver

Un abri pour le Dieu de Jacob. 47 Et ce fut

Salomon qui lui construisit une maison.

48 Le Très Haut n'habite pas dans ce qui est fait

De main d’homme, ainsi le dit le prophète :

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49 Le ciel

Est mon trône, la terre, le marche pied de mes pieds.

Quelle maison me bâtirez-vous dit le Seigneur,

Quel sera le lieu de mon repos ? 50 N'est-ce point

Ma main qui fait tout cela ?

51 Mais nuques raides,

Et incirconcis de coeur et d'oreilles, toujours

Vous résistez, vous, à l'Esprit Saint. Et tels furent

Vos pères, tels vous êtes ! 52 Lequel des prophètes vos pères,

N'ont-ils pas persécuté ? Et ils ont tué

Ceux qui annonçaient d'avance la venue du Juste

Dont vous vous êtes faits traîtres et meurtriers,

Maintenant. 53 Vous aviez pourtant reçu la Loi

Par le ministère des anges et ne l'avez pas

Gardée ! "

54 En entendant cela, ils enrageaient

En leurs cœurs, et ils grinçaient des dents contre lui.

Lapidation d'Etienne, Saul persécuteur.

55 Mais lui, rempli d'Esprit Saint et les yeux fixés

Vers le ciel, vit la gloire de Dieu et Jésus

Debout à la droite de Dieu, 56 il dit : "Voici

Que je contemple les cieux ouverts, et le Fils

De l'homme debout à la droite de Dieu."

57 Alors

Ils crièrent d'une forte voix et ils se bouchèrent

892


Les oreilles. D'un commun accord, ils s'élancèrent

Sur lui, 58 ils l’entraînèrent en dehors de la ville

Et le lapidèrent. Les témoins avaient jeté

Leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme, appelé

Saul. 59 Pendant qu'on le lapidait Etienne priait

Et disait : "Seigneur Jésus, reçois mon esprit" .

60 Et s'étant mis à genoux, d'une forte voix,

Il cria : "Seigneur, ne leur compte pas

Ce péché." Et ce disant, il s'endormit.

Lui, approuvait ce meurtre.

8 1 Saul

Il y eut, ce jour-là,

Une grande persécution contre l'Église

De Jérusalem. Tous, exceptés les Apôtres,

Se dispersèrent dans les campagnes de Judée

Et de Samarie.

2 Cependant des hommes pieux

Ensevelirent Etienne, alors ils firent sur lui

Une grande lamentation. Pourtant Saul lui

Ravageait Église, et de maison en maison,

Il allait, traînant hommes et femmes, il les livrait

À la prison.

893


La Dormition

Marie, dans sa petite pièce solitaire, élevée sur la terrasse, est toute vêtue de lin blanc, soit pour le vêtement

qui la couvre entièrement, soit pour son manteau fermé à la base du cou, et qui descend derrière ses épaules,

soit pour le voile très fin qui descend de sa tête. Elle est en train de ranger ses vêtements et ceux de Jésus,

qu’elle a toujours conservés. Elle choisit les meilleurs. Il y en a peu. Des siens, elle prend le vêtement et le

manteau qu’elle avait sur le Calvaire ; de ceux de son Fils, un vêtement de lin qu’il portait habituellement en

été, et le manteau retrouvé au Gethsémani, encore taché du sang qui avait coulé et de la sueur sanguinolente

de cette heure terrible.

Après avoir plié soigneusement ces vêtements, et baisé le manteau taché de sang de son Jésus, elle se dirige

vers le coffre où se trouvent, maintenant depuis des années, rassemblées et conservées les reliques de la

dernière Cène et de la Passion. Elle rassemble tout dans un seul compartiment, celui de dessus, et place tous

les vêtements dans le compartiment inférieur.

Elle est occupée à fermer le coffre quand Jean, monté sans bruit sur la terrasse et qui s’est avancé pour

regarder ce que faisait Marie, peut-être impressionné par sa longue absence de la cuisine, où elle doit être

montée pour passer les heures de la matinée, la fait se retourner en lui demandant : "Que fais-tu, Mère ?"

"J’ai rangé tout ce qu’il est bien de conserver. Tous les souvenirs... Tout ce qui témoigne de son amour et de

sa douleur infinis."

"Pourquoi, ô Mère, rouvrir les blessures de ton cœur en revoyant ces tristes choses ? Tu es pâle, et ta main

tremble... Tu souffres donc de les voir." lui dit Jean en s’approchant d’elle, comme s’il craignait, pâle et

tremblante comme elle est, qu’elle allait se sentir mal et tomber par terre.

894


“Oh ! non, ce n’est pas pour cela que je suis pâle et que je tremble. Ce n’est pas parce que se rouvrent mes

blessures... En vérité, elles ne se sont jamais fermées complètement. Mais j’ai aussi en moi la paix et la joie

et jamais elles n’ont été complètes comme maintenant."

"Jamais comme maintenant ? Je ne comprends pas... À moi, la vue de ces choses pleines d’atroces souvenirs,

réveille l’angoisse de ces heures. Et moi, je ne suis qu’un disciple. Toi, tu es la Mère..."

"Et comme telle, je devrais souffrir davantage, veux-tu dire. Humainement tu dis juste, mais il n’en est pas

ainsi. Je suis habituée à supporter la douleur des séparations d’avec Lui. C’était toujours de la douleur, car sa

présence et son voisinage étaient mon Paradis sur Terre. Mais aussi volontairement et sereinement

supportées, car tout ce qu’il faisait était voulu par son Père, était obéissance à la Volonté divine, et je

l’acceptais donc car moi aussi j’ai toujours obéi aux volontés et aux desseins de Dieu pour moi. Quand Jésus

me quittait, je souffrais, certainement. Je me sentais seule. Ma douleur quand Lui, enfant, me quitta

secrètement pour la discussion avec les docteurs du Temple, Dieu seul l’a mesuré dans sa vraie intensité.

Mais pourtant, à part la question juste que moi, sa mère, je lui ai faite pour m’avoir quittée ainsi, je ne Lui ai

pas dit autre chose. Et de même, je ne l’ai pas retenu quand il me quitta pour devenir le Maître… et j’avais

déjà perdu mon époux, j’étais seule dans une ville qui, sauf quelques personnes, ne m’aimait pas. Et je n’ai

pas montré d’étonnement pour sa réponse au banquet de Cana. Lui faisait la volonté du Père. Moi, je le

laissais libre de la faire. Je pouvais en arriver à un conseil ou à une prière : conseil pour les disciples, prière

pour quelque malheureux. Mais plus que cela, non. Je souffrais quand il me quittait pour aller à travers le

monde qui Lui était hostile, et pécheur au point que d’y vivre était pour Lui une souffrance. Mais quelle joie

quand il revenait à moi ! En vérité elle était si profonde qu’elle compensait pour moi soixante-dix fois sept

fois la douleur de la séparation. Déchirante fut la douleur de la séparation qui suivit sa Mort, mais avec quels

mots pourrais-je dire la joie que j’ai éprouvée quand il m’est apparu ressuscité ? Immense la peine de la

séparation à cause de sa montée vers le Père, et qui ne devrait finir que quand ma vie terrestre serait

accomplie. Maintenant je suis dans la joie, une joie immense comme immense fut la peine, car je sens que

j’ai accompli ma vie. J’ai fait ce que je devais faire. J’ai fini ma mission terrestre. L’autre, la céleste, n’aura

pas de fin. Dieu ma laissée sur la Terre jusqu’à ce que moi aussi, comme mon Jésus, j’ai eu accompli tout ce

que je devais accomplir. Et j’ai en moi cette joie secrète, seule goutte de baume dans ses derniers

895


déchirements pleins d’amertume, qu’a eu Jésus quand il a pu dire : “Tout est accompli.”

"Joie en Jésus ? À cette heure ?"

"Oui, Jean. Une joie incompréhensible pour les hommes, mais compréhensible pour les esprits qui vivent

déjà dans la lumière de Dieu, et qui voient les choses profondes cachées sous les voiles que l’Éternel tend

sur ses secrets de Roi, grâce à cette Lumière. Moi, si angoissée, bouleversée par ces événements, associée à

Lui, à mon Fils, dans l’abandon du Père, je n’ai pas compris alors. La Lumière s’était éteinte pour tout le

monde à cette heure, pour tout le monde qui n’avait pas voulu l’accueillir. Et aussi pour moi. Non à cause

d’une juste punition, mais parce que, devant être Corédemptrice, je devais moi aussi souffrir l’angoisse de

l’abandon des réconforts divins, les ténèbres, la désolation, la tentation de Satan de ne plus me faire croire

possible ce que Lui avait dit, tout ce que Lui souffrit, dans son esprit, du Jeudi au Vendredi. Mais ensuite j’ai

compris. Quand la Lumière, ressuscitée pour toujours, m’est apparue, j’ai compris. Tout. Même la secrète,

extrême joie du Christ quand il put dire : "J’ai tout accompli de ce que le Père voulait que j’accomplisse. J’ai

comblé la mesure de la charité divine en aimant le Père jusqu’à me sacrifier, en aimant les hommes jusqu’à

mourir pour eux. J’ai tout accompli de ce que je devais. Je meurs avec l’esprit content, bien que déchiré dans

ma chair innocente". Moi aussi j’ai tout accompli de ce qui, ab æterno, était écrit que je devais accomplir.

De la génération du Rédempteur à l’aide que je vous apporte à vous, ses prêtres, pour que vous vous formiez

parfaitement. L’Église est désormais formée et forte. L’Esprit-Saint l’éclaire, le sang des premiers martyrs la

cimente et la multiplie, mon aide a contribué à faire d’Elle un organisme saint que la charité envers Dieu et

les frères alimente et fortifie de plus en plus, et où les haines, les rancœurs, les envies, les médisances,

mauvaises plantes de Satan, ne poussent pas. Dieu est content de cela, et Il veut que vous l’appreniez de mes

lèvres, comme Il veut que je vous dise de continuer à grandir en charité pour pouvoir grandir en perfection,

et de même aussi pour le nombre des chrétiens et la puissance de doctrine. Car la doctrine de Jésus est une

doctrine d’amour, parce que la vie de Jésus, et aussi la mienne, ont toujours été conduites et mues par

l’amour. Nous n’avons repoussé personne, nous avons pardonné à tous. À un seul nous n’avons pas pu

donner le pardon parce que lui, esclave de la haine, n’a pas voulu de notre amour sans limites. Jésus, dans

896


son dernier adieu avant sa mort, vous a commandé de vous aimer entre vous. Et il vous a donné aussi la

mesure de l’amour que vous devez avoir entre vous en vous disant : “Aimez-vous les uns les autres comme

je vous ai aimés. C’est à cela que l’on saura que vous êtes mes disciples.” L’Église, pour vivre et grandir, a

besoin de la charité. Charité surtout dans ses ministres. Si vous ne vous aimiez pas entre vous avec toutes

vos forces, et si de même vous n’aimiez pas vos frères dans le Seigneur, l’Église deviendrait stérile, et

difficile et faible serait la nouvelle création et la supercréation des hommes à leur rang de fils du Très-Haut

et de cohéritiers du Royaume du Ciel, car Dieu cesserait de vous aider dans votre mission. Dieu est Amour.

Tout ce qu’Il a fait a été fait par amour. De la Création à l’Incarnation, de celle-ci à la Rédemption, de celleci

encore à la fondation de l’Église, et enfin à la Jérusalem céleste qui rassemblera tous les justes pour qu’ils

jubilent dans le Seigneur. C’est à toi que je dis ces choses, parce que tu es l’Apôtre de l’amour et que tu peux

les comprendre mieux que les autres..."

Jean l’interrompt pour dire : "Les autres aussi aiment et s’aiment."

"Oui. Mais tu es l’Aimant par excellence. Chacun de vous a toujours eu une caractéristique bien sienne,

comme du reste c’est le cas pour toute créature. Toi, dans les douze, tu as toujours été l’amour, le pur, le

surnaturel amour. Peut-être, d’ailleurs : certainement c’est parce que tu es si pur que tu es si aimant. Pierre,

de son côté, a toujours été l’homme, et l’homme franc et impétueux. Son frère, André, était silencieux et

timide autant que l’autre ne l’était pas. Jacques, ton frère, l’impulsif, au point que Jésus l’a appelé le fils du

tonnerre. L’autre Jacques, frère de Jésus, le juste et l’héroïque. Jude d’Alphée, son frère, le noble et loyal,

toujours. La descendance de David était visible en lui. Philippe et Barthélemy étaient les traditionalistes.

Simon le Zélote, le prudent. Thomas, le pacifique. Matthieu, l’humble qui, se souvenant de son passé,

cherchait à passer inaperçu. Et Judas de Kériot, hélas !, la brebis noire du troupeau du Christ, le serpent

réchauffé par son amour a été le satanique menteur, toujours. Mais toi, tout amour, tu peux mieux

comprendre et te faire voix d’amour pour tous les autres, à ceux qui sont éloignés, pour leur dire mon dernier

conseil.

Tu leur diras qu’ils s’aiment et qu’ils aiment tout le monde, même ceux qui les persécutent, pour être une

897


seule chose avec Dieu, comme moi je l’ai été, au point de mériter d’être choisie comme épouse de l’Amour

Éternel pour concevoir le Christ. Je me suis donnée à Dieu sans mesure, tout en comprenant tout de suite

combien de douleur m’en serait venue. Les prophètes étaient présents à mon esprit et la lumière divine me

rendait très claires leurs paroles. Ainsi, dès mon premier “fiat” à l’Ange, j’ai su que je me consacrais à la

plus grande douleur qu’une mère pût supporter. Mais rien n’a mis de limite à mon amour parce que je sais

qu’il est, pour quiconque le pratique, force, lumière, aimant qui attire vers en haut, feu qui purifie et embellit

ce qu’il embrase, transformant et faisant dépasser l’humain pour ceux qu’il prend dans son embrassement.

Oui, l’amour est réellement une flamme. La flamme qui, tout en détruisant ce qui est caduc, qu’il soit une

épave, un rebut, une loque d’homme, en fait un esprit purifié et digne du Ciel. Combien d’épaves, d’hommes

souillés, rongés, finis, vous trouverez sur votre route d’évangélisateurs ! N’en méprisez aucun, mais au

contraire aimez-les pour qu’ils arrivent à l’amour et se sauvent. Versez en eux la charité. Bien souvent

l’homme devient mauvais, parce que personne ne l’a jamais aimé, ou l’a mal aimé. Vous, aimez-les, pour

que l’Esprit-Saint revienne les habiter, après leur purification, ces temples que beaucoup de choses ont vidés

et souillés. Dieu, pour créer l’homme, n’a pas pris un ange, ni des matières choisies. Il a pris de la boue, la

matière la plus vile. Puis, en lui infusant son souffle, c’est-à-dire encore son amour, Il a élevé la matière vile

au rang élevé de fils adoptif de Dieu. Mon Fils, sur son chemin, a trouvé beaucoup d’épaves d’hommes

tombés dans la boue. Il ne les a pas foulés aux pieds par mépris, mais, au contraire, il les a recueillis et

accueillis et en a fait des élus du Ciel. Rappelez-vous-en toujours, et agissez comme Lui l’a fait.

Rappelez-vous tout : les actions et les paroles de mon Fils. Rappelez-vous ses douces paraboles. Vivez-les,

c’est-à-dire mettez-les en pratique. Et écrivez-les pour qu’elles restent pour ceux qui viendront jusqu’à la fin

des siècles, et soient toujours un guide pour les hommes de bonne volonté pour obtenir la vie et la gloire

éternelle. Vous ne pourrez certainement pas répéter toutes les paroles lumineuses de l’Éternelle Parole de

Vie et de Vérité. Mais écrivez-en autant que vous pouvez en écrire. L’Esprit de Dieu, descendu sur moi pour

que je donne au monde le Sauveur et qui est descendu aussi sur vous une première fois et une seconde, vous

aidera à vous souvenir et à parler aux foules de manière à les convertir au Dieu vrai. Vous continuerez ainsi

cette maternité spirituelle que j’ai commencée sur le Calvaire pour donner de nombreux enfants au Seigneur.

Et le même Esprit, en parlant dans les fils recréés du Seigneur, les fortifiera de manière qu’il leur soit doux

898


de mourir dans les tourments, de souffrir l’exil et les persécutions, afin de confesser leur amour pour le

Christ et de le rejoindre dans les Cieux, comme déjà l’ont fait Étienne et Jacques, mon Jacques, et d’autres

encore... Quand tu seras resté seul, sauve ce coffre..."

Jean pâlit et se trouble plus encore qu’il ne l’a fait quand Marie lui a dit qu’elle sentait sa mission accomplie.

Il l’interrompt en s’écriant et en lui demandant : "Mère, pourquoi parles-tu ainsi ? Tu te sens mal ?"

"Non."

"Tu veux me quitter alors ?"

"Non. Je serai avec toi tant que je serai sur la Terre. Mais prépare-toi, mon Jean, à être seul."

"Mais alors tu te sens mal, et tu veux me le cacher !..."

"Non, crois-le. Je ne me suis jamais sentie en force, en paix, en joie comme maintenant. Mais j’ai en moi une

telle jubilation, une telle plénitude de vie surnaturelle que... Oui, que je pense ne pas pouvoir la supporter en

continuant à vivre. Je ne suis pas éternelle, du reste. Tu dois le comprendre. Éternel est mon esprit. La chair,

non. Elle est sujette comme toute chair humaine à la mort."

"Non ! Non ! Ne dis pas cela. Tu ne peux pas, tu ne dois pas mourir ! Ton corps immaculé ne peut mourir

comme celui des pécheurs !"

"Tu es dans l’erreur, Jean. Mon Fils est mort ! Moi aussi, je mourrai. Je ne connaîtrai pas la maladie,

l’agonie, le spasme de la mort. Mais pour ce qui est de mourir, je mourrai. Et du reste sache, mon fils, que si

j’ai un désir qui est mien, tout entier et seulement mien, et qui dure depuis que Lui m’a quittée, c’est

justement celui-ci. C’est mon premier, puissant désir qui est tout mien. Je puis même dire : ma première

volonté. Toute autre chose de ma vie n’a été que consentement de ma volonté au vouloir divin. Vouloir de

Dieu, mis dans mon cœur de petite fille par Lui-même, la volonté d’être vierge. Son vouloir, mon mariage

avec Joseph. Son vouloir ma Maternité virginale et divine. Tout, dans ma vie, a été vouloir de Dieu, et mon

obéissance à sa volonté. Mais vouloir me réunir à Jésus, c’est un vouloir tout mien. Quitter la Terre pour le

Ciel, pour être avec Lui éternellement et sans arrêt ! Mon désir de tant d’années ! Et maintenant je le sens

899


près de devenir une réalité. Ne te trouble pas ainsi, Jean !

Écoute plutôt mes dernières volontés. Quand mon corps, désormais privé de l’esprit vital, sera étendu en

paix, ne me soumets pas aux embaumements en usage chez les hébreux. Désormais je ne suis plus

l’hébraïque, mais la chrétienne, la première chrétienne, si on y réfléchit bien, parce que la première j’ai eu le

Christ, Chair et Sang, en moi, parce que j’ai été sa première disciple, parce que j’ai été avec Lui

Corédemptrice et sa continuatrice ici, parmi vous, ses disciples. Aucun vivant, excepté mon père et ma mère,

et ceux qui ont assisté à ma naissance, n’a vu mon corps. Tu m’appelles souvent : “Arche qui contint la

Parole divine”. Maintenant tu sais que l’Arche ne peut être vue que par le Grand Prêtre. Tu es prêtre, et

beaucoup plus saint et plus pur que le Pontife du Temple. Mais je veux que seul l’Éternel Pontife puisse voir,

au temps voulu, mon corps. Ne me touche donc pas. Du reste, tu vois ? Je me suis déjà purifiée et j’ai mis le

vêtement propre, le vêtement des noces éternelles... Mais pourquoi pleures-tu, Jean !"

"Parce que la tempête de la douleur se déchaîne en moi. Je comprends que je vais te perdre. Comment feraije

pour vivre sans toi ? Je sens mon cœur se déchirer à cette pensée ! Je ne résisterai pas à cette douleur !"

"Tu résisteras. Dieu t’aidera à vivre, et longuement, comme Il m’a aidée. Car s’Il ne m’avait pas aidé, au

Golgotha et sur l’Oliveraie, quand Jésus est mort et quand il est monté, je serais morte, comme est mort

Isaac. Il t’aidera à vivre et à te rappeler ce que je t’ai dit auparavant, pour le bien de tous."

"Oh ! je me rappellerai. Tout. Et je ferai ce que tu veux, pour ton corps aussi. Je comprends aussi que les

rites hébraïques ne servent plus pour toi, chrétienne, et pour toi, toute Pure, qui, j’en suis certain, ne

connaîtras pas la corruption de la chair. Ton corps, déifié comme aucun autre corps de mortel, et parce que tu

as été exempte de la Faute d’origine, et plus encore parce que, outre la plénitude de la Grâce, tu as contenu

en toi la Grâce elle-même, le Verbe, c’est pourquoi tu es la relique la plus véritable de Lui, ne peut pas

connaître la décomposition, la putréfaction de toute chair morte. Ce sera le dernier miracle de Dieu sur toi,

en toi. Tu seras conservée telle que tu es..."

900


"Et ne pleure pas alors !" s’écrie Marie en regardant le visage bouleversé de l’apôtre, tout baigné de larmes.

Et elle ajoute : "Si je me conserve telle que je suis, tu ne me perdras pas. Ne sois donc pas angoissé !"

"Je te perdrai pareillement même si la corruption ne t’atteint pas. Je le sens, et je me sens comme pris par un

ouragan de douleur. Un ouragan qui me brise et m’abat. Tu étais mon tout, surtout depuis que mes parents

sont morts et que sont éloignés les autres frères de sang et de mission, et aussi le bien-aimé Margziam que

Pierre a pris avec lui. Maintenant je reste seul et dans la tempête la plus forte !" et Jean tombe à ses pieds, en

pleurant encore plus fort.

Marie se penche sur lui, lui met la main sur sa tête secouée par les sanglots et lui dit : "Non, pas ainsi.

Pourquoi me donnes-tu de la douleur ? Tu as été si fort sous la Croix, et c’était une scène d’horreur sans

pareille, et à cause de la puissance son martyre et à cause de la haine satanique du peuple ! Si fort pour son

réconfort et le mien, à cette heure ! Et aujourd’hui, au contraire, dans cette soirée de sabbat, si sereine et si

calme, et devant moi qui jouis de la joie imminente que je pressens, tu es ainsi bouleversé ? ! Calme-toi.

Imite, ou plutôt unis-toi à ce qu’il y a autour de nous et en moi. Tout est paix, sois en paix toi aussi. Seuls les

oliviers rompent, par leur léger bruissement, le calme absolu de l’heure. Mais il est si doux ce léger bruit,

qu’il semble un vol d’anges autour de la maison. Et peut-être ils y sont. Car toujours les anges m’ont été

proches, un ou plusieurs, quand j’étais à un moment spécial de ma vie. Ils y furent à Nazareth, quand l’Esprit

de Dieu rendit fécond mon sein vierge. Et ils furent chez Joseph, quand il était troublé et incertain à cause de

mon état et de la manière de se comporter avec moi. Et à Bethléem, par deux fois, quand Jésus naquit et

quand nous avons dû fuir en Égypte. Et en Égypte quand nous fut donné l’ordre de revenir en Palestine. Et

s’ils n’ont pas apparu à moi, parce que le Roi des anges Lui-même était venu à moi dès sa Résurrection, les

anges ont apparu aux pieuses femmes à l’aube du lendemain du sabbat et ils ont donné l’ordre de dire à toi et

à Pierre ce que vous deviez faire. Les anges et la lumière toujours aux moments décisifs de ma vie et de celle

de Jésus. Lumière et ardeur d’amour qui, descendant du Trône de Dieu vers moi, sa servante, et montant de

mon cœur vers Dieu, mon Roi et Seigneur, m’unissaient à Dieu et Lui à moi, pour que s’accomplisse ce qui

était écrit qu’il devait s’accomplir, et aussi pour créer un voile de lumière étendu sur les secrets de Dieu, afin

que Satan et ses serviteurs ne connaissent pas, avant le temps voulu, l’accomplissement du mystère sublime

de l’Incarnation. Ce soir aussi je sens, bien que je ne les voie pas, les anges autour de moi.

901


Et je sens grandir en moi, au dedans de moi la Lumière, une lumière insoutenable telle que celle qui

m’enveloppa quand je conçus le Christ, quand je l’ai donné au monde. Lumière qui vient d’un élan d’amour

plus puissant que celui que j’ai habituellement. C’est par une semblable puissance d’amour que j’ai arraché

des Cieux, avant le temps, le Verbe pour qu’il devienne l’Homme et le Rédempteur. C’est par une semblable

puissance d’amour, telle qu’est celle qui me pénètre ce soir, que j’espère que le Ciel me ravisse et me

transporte là où j’aspire à aller avec mon esprit pour chanter, éternellement, avec le peuple des saints et les

chœurs des anges, mon impérissable “Magnificat” à Dieu pour les grandes choses qu’Il a faites pour moi, sa

servante."

"Pas avec ton seul esprit probablement. Et la Terre te répondra, la Terre qui, avec ses peuples et ses nations,

te glorifiera et te donnera honneur et amour, tant que le monde existera. C’est ce qu’a prédit Tobie de toi,

bien que d’une manière voilée, parce que c’est toi, et non le Saint des Saints, qui as porté vraiment en toi le

Seigneur. Tu as donné à Dieu, toi seule, autant d’amour que tous les Grands Prêtres, et tous les autres du

Temple n’en ont donné pendant des siècles et des siècles. Un amour ardent et toute pureté. C’est pour cela

que Dieu te rendra toute bienheureuse."

"Et Il accomplira mon unique désir, mon unique volonté. Car l’amour, quand il est tellement total qu’il

arrive presque à la perfection comme celui de mon Fils et Dieu, obtient tout, même ce qui paraîtrait, en

jugeant humainement, impossible à obtenir. Souviens-toi de cela, Jean, et dis-le aussi à tes frères. Vous serez

tellement combattus ! Des obstacles de tout genre vous feront craindre une défaite, des massacres de la part

des persécuteurs, et des défections de la part des chrétiens, à la morale... iscariotique, vous déprimeront

l’esprit. Ne craignez pas. Aimez et ne craignez pas. En proportion de la façon dont vous aimerez, Dieu vous

aidera et vous fera triompher de tout et de tous, On obtient tout si on devient séraphins. Alors l’âme, cette

chose admirable, éternelle, qui est le souffle de Dieu infusé en nous, s’élance vers le Ciel, tombe comme une

flamme au pied du Divin Trône, parle et Dieu l’écoute, et elle obtient du Tout Puissant ce qu’elle veut. Si les

hommes savaient aimer comme le commande l’antique Loi, et comme mon Fils a aimé et enseigné à aimer,

ils obtiendraient tout. C’est ainsi que j’aime. C’est pour cela que je sens que je vais cesser d’être sur la Terre,

moi par excès d’amour, comme Lui est mort par excès de douleur. Voilà ! La mesure de ma capacité d’aimer

est comble. Mon âme et ma chair ne peuvent plus la contenir ! L’amour en déborde, me submerge et en

902


même temps me soulève vers le Ciel, vers Dieu, mon Fils. Et sa voix me dit : “Viens ! Sors ! Monte vers

notre Trône et notre Trine embrassement !” La Terre, ce qui m’entoure, disparaît dans la grande lumière qui

me vient du Ciel ! Ses bruits sont couverts par cette voix céleste ! Elle est arrivée pour moi l’heure de

l’embrassement divin, mon Jean !"

Jean s’était un peu calmé, tout en restant troublé, en écoutant Marie. Dans la dernière partie de son entretien,

il la regardait extasié, et comme ravi lui aussi, le visage très pâle comme celui de Marie.

La pâleur de cette dernière se change lentement en une lumière d’une extrême candeur, il accourt près d’elle

pour la soutenir et en même temps il s’écrie : "Tu es comme Jésus quand il s’est transfiguré sur le Thabor !

Ta chair resplendit comme la lune, tes vêtements brillent comme une plaque de diamant posée devant une

flamme d’une extrême blancheur ! Tu n’es plus humaine, Mère ! La pesanteur et l’opacité de la chair sont

disparues ! Tu es lumière ! Mais tu n’es pas Jésus. Lui, étant Dieu en plus que d’être Homme, pouvait se

conduire par Lui-même, là-haut sur le Thabor, comme ici sur l’Oliveraie, dans son Ascension. Toi, tu ne le

peux pas. Tu ne peux te conduire. Viens. Je vais t’aider à mettre ton corps las et bienheureux sur ton lit,

Repose-toi." Et, très affectueusement, il la conduit près du pauvre lit sur lequel Marie s’étend sans même

enlever son manteau.

Croisant les bras sur sa poitrine, et abaissant ses paupières sur ses doux yeux brillants d’amour, elle dit à

Jean qui est penché sur elle : "Je suis en Dieu. Et Dieu est en moi. Pendant que je le contemple et que je sens

son embrassement, dis les psaumes et des pages de l’Écriture qui se rapportent à moi, spécialement à cette

heure. L’Esprit de Sagesse te les indiquera. Récite ensuite l’oraison de mon Fils ; répète-moi les paroles de

l’Archange annonciateur, et celles que m’adressa Élisabeth ; et mon hymne de louange... Je te suivrai avec

ce que j’ai encore de moi sur la Terre..."

Jean lutte contre les pleurs qui lui montent du cœur, s’efforce de dominer l’émotion qui le trouble, de sa très

belle voix qui au cours des années est devenue très semblable à celle du Christ, chose que Marie remarque en

903


souriant et qui lui fait dire : "Il me semble avoir mon Jésus à côté de moi !" Jean entonne le psaume 118,

qu’il dit presque en entier, puis les trois premiers versets du psaume 41, les huit premiers du psaume 38, le

psaume 22 et le premier psaume. Il dit ensuite le Pater, les paroles de Gabriel et d’Élisabeth, le cantique de

Tobie, le chapitre 24ème de l’Écclésiastique, des versets 11 à 46. Pour terminer, il entonne le “Magnificat”.

Mais, arrivé au 9ème verset, il s’aperçoit que Marie ne respire plus, tout en ayant gardé une pose et une

attitude naturelles, souriante, tranquille, comme si elle n’avait pas remarqué l’arrêt de la vie.

Jean, avec un cri déchirant, se jette par terre contre le bord du lit et il appelle à plusieurs reprises Marie. Il ne

sait pas se persuader qu’elle ne peut plus lui répondre, que désormais le corps n’a plus son âme vitale.

Mais il lui faut bien se rendre à l’évidence ! Il se penche sur son visage, resté fixe avec une expression de

joie surnaturelle, et des larmes abondantes pleuvent de ses yeux sur ce suave visage, sur ces mains pures, si

doucement croisées sur sa poitrine. C’est l’unique bain que reçoive le corps de Marie : les pleurs de l’Apôtre

de l’amour et de celui que Jésus lui a donné comme fils adoptif.

Après la première violence de la douleur, Jean, se rappelant le désir de Marie, rassemble les pans de son

ample manteau de lin, qui pendaient des bords du lit, et aussi ceux du voile, qui pendent aussi des deux côtés

de l’oreiller, et étend les premiers sur le corps et les seconds sur la tête.

Marie ressemble maintenant à une statue de marbre blanc, étendue sur le dessus d’un sarcophage. Jean la

contemple longuement et des larmes tombent encore de ses yeux pendant qu’il la regarde.

Ensuite il donne une autre disposition à la pièce en enlevant tout mobilier inutile. Il laisse seulement le lit, la

petite table contre le mur, sur laquelle il place le coffre contenant les reliques ; un tabouret qu’il place entre

la porte qui donne sur la terrasse et le lit où gît Marie ; et une console sur laquelle se trouve la lampe que

Jean allume, car maintenant le soir va venir.

904


Il se hâte ensuite de descendre au Gethsémani pour y cueillir autant de fleurs qu’il peut en trouver et des

branches d’oliviers, dont les olives sont déjà formées. Il remonte dans la petite chambre, et à la clarté de la

lampe, il dispose les fleurs et les feuillages autour du corps de Marie comme s’il était au centre d’une grande

couronne.

Pendant qu’il fait ce travail, il parle à la gisante comme si Marie pouvait l’entendre. Il dit : "Tu as toujours

été le lys de la vallée, la suave rose, la belle olive, la vigne féconde, le saint épi. Tu nous as donné tes

parfums, et l’Huile de Vie, et le Vin des forts, et le Pain qui préserve de la mort l’esprit de ceux qui s’en

nourrissent dignement. Elles font bien autour de toi ces fleurs, simples et pures comme toi, garnies comme

toi d’épines, et pacifiques comme toi. Maintenant approchons cette lampe. Ainsi, près de ton lit, pour qu’elle

te veille et me tienne compagnie pendant que je te veille, en attendant au moins un des miracles que j’attends

et pour l’accomplissement desquels je prie. Le premier est que, selon son désir, Pierre et les autres, que je

ferai prévenir par le serviteur de Nicodème, puissent te voir encore une fois. Le second c’est que toi, ayant

eu en tout un sort semblable à celui de ton Fils, tu doives comme Lui, avant la fin du troisième jour, te

réveiller pour ne pas me rendre orphelin deux fois. Le troisième c’est que Dieu me donne la paix, si ce que

j’espère qu’il arrive pour toi, comme c’est arrivé pour Lazare, qui ne t’était pas semblable, ne devait pas

s’accomplir. Mais pourquoi cela ne devrait-il pas s’accomplir ? Ils sont redevenus vivants la fille de Jaïre, le

jeune homme de Naïm, le fils de Théophile... Il est vrai qu’alors le Maître a agi... Mais Lui est avec toi,

même s’il ne l’est pas d’une manière visible. Et tu n’es pas morte de maladie comme ceux que le Christ a

ressuscités. Mais es-tu vraiment morte ? Morte comme meurt tout homme ? Non. Je sens que non. Ton esprit

n’est plus en toi, dans ton corps, et en ce sens on pourrait parler de mort. Mais, à cause de la manière dont

c’est arrivé, je pense que ce n’est qu’une séparation passagère de ton âme sans faute et pleine de grâce

d’avec ton corps très pur et virginal. Il doit en être ainsi ! Il en est ainsi ! Comment et quand la réunion

arrivera-t-elle avec la vie qui reviendra en toi, je ne sais pas. Mais j’en suis tellement certain que je resterai

ici, à côté de toi, jusqu’à ce que Dieu, par sa parole ou par son action, me montre la vérité sur ton sort."

Jean, qui a fini de mettre tout en ordre s’assoit sur le tabouret, en mettant la lampe par terre près du lit, et il

contemple, en priant, la gisante.

905


L’Assomption de Marie

Combien de jours sont-il passés ? Il est difficile de l’établir sûrement. Si on en juge par les fleurs qui font

une couronne autour du corps inanimé, on devrait dire qu’il est passé quelques heures. Mais si on en juge

d’après le feuillage d’olivier sur lequel sont posées les fleurs fraîches, et dont les feuilles sont déjà fanées, et

d’après les autres fleurs flétries, mises comme autant de reliques sur le couvercle du coffre, on doit conclure

qu’il est passé déjà des journées.

Mais le corps de Marie est tel qu’il était quand elle venait d’expirer. Il n’y a aucun signe de mort sur son

visage, sur ses petites mains. Il n’y a dans la pièce aucune odeur désagréable. Au contraire il y flotte un

parfum indéfinissable qui rappelle l’encens, les lys, les roses, le muguet, les plantes de montagne, mélangés.

Jean, qui sait depuis combien de jours il veille, s’est endormi, vaincu par la lassitude. Il est toujours assis sur

le tabouret, le dos appuyé au mur, près de la porte ouverte qui donne sur la terrasse. La lumière de la

lanterne, posée sur le sol, l’éclaire par en dessous et permet de voir son visage, fatigué, très pâle, sauf autour

des yeux rougis par les pleurs.

L’aube doit maintenant être commencée car sa faible clarté permet de voir la terrasse et les oliviers qui

entourent la maison. Cette clarté se fait toujours plus forte et, pénétrant par la porte, elle rend plus distincts

les objets mêmes de la chambre, ceux qui, étant éloignés de la lampe, pouvaient à peine être entrevus.

Tout d’un coup une grande lumière remplit la pièce, une lumière argentée, nuancée d’azur, presque

phosphorique, et qui croît de plus en plus, qui fait disparaître celle de l’aube et de la lampe. C’est une

lumière pareille à celle qui inonda la Grotte de Bethléem au moment de la Nativité divine. Puis, dans cette

lumière paradisiaque, deviennent visibles des créatures angéliques, lumière encore plus splendide dans la

906


lumière déjà si puissante apparue d’abord. Comme il était déjà arrivé quand les anges apparurent aux

bergers, une danse d’étincelles de toutes couleurs se dégage de leurs ailes doucement mises en mouvement

d’où il vient une sorte de murmure harmonieux, arpégé, très doux.

Les créatures angéliques forment une couronne autour du petit lit, se penchent sur lui, soulèvent le corps

immobile et, en agitant plus fortement leurs ailes, ce qui augmente le son qui existait d’abord, par un vide

qui s’est par prodige ouvert dans le toit, comme par prodige s’était ouvert le Tombeau de Jésus, elles s’en

vont, emportant avec eux le corps de leur Reine, son corps très Saint, c’est vrai, mais pas encore glorifié et

encore soumis aux lois de la matière, soumission à laquelle n’était plus soumis le Christ parce qu’il était déjà

glorifié quand il ressuscita.

Le son produit par les ailes angéliques est maintenant puissant comme celui d’un orgue. Jean, qui tout en

restant endormi s’était déjà remué deux ou trois fois sur son tabouret, comme s’il était troublé par la grande

lumière et par le son des voix angéliques, est complètement réveillé par ce son puissant et par un fort courant

d’air qui, descendant par le toit découvert et sortant par la porte ouverte, forme une sorte de tourbillon qui

agite les couvertures du lit désormais vide et les vêtements de Jean, et qui éteint la lampe et ferme

violemment la porte ouverte.

L’apôtre regarde autour de lui, encore à moitié endormi, pour se rendre compte de ce qui arrive. Il s’aperçoit

que le lit est vide et que le toit est découvert. Il se rend compte qu’il est arrivé un prodige. Il court dehors sur

la terrasse et, comme par un instinct spirituel, ou un appel céleste, il lève la tête, en protégeant ses yeux avec

sa main pour regarder, sans avoir la vue gênée par le soleil qui se lève.

Et il voit. Il voit le corps de Marie, encore privé de vie et qui est en tout pareil à celui d’une personne qui

dort, qui monte de plus en plus haut, soutenu par une troupe angélique. Comme pour un dernier adieu, un

pan du manteau et du voile s’agitent, peut-être par l’action du vent produit par l’assomption rapide et le

mouvement des ailes angéliques. Des fleurs, celles que Jean avait disposées et renouvelées autour du corps

907


de Marie, et certainement restées dans les plis des vêtements, pleuvent sur la terrasse et sur le domaine du

Gethsémani, pendant que l’hosanna puissant de la troupe angélique se fait toujours plus lointain et donc plus

léger.

Jean continue à fixer ce corps qui monte vers le Ciel et, certainement par un prodige qui lui est accordé par

Dieu, pour le consoler et le récompenser de son amour pour sa Mère adoptive, il voit distinctement que

Marie, enveloppée maintenant par les rayons du soleil qui s’est levé, sort de l’extase qui a séparé son âme de

son corps, redevient vivante, se dresse debout, car maintenant elle aussi jouit des dons propres aux corps

déjà glorifiés.

Jean regarde, regarde. Le miracle que Dieu lui accorde lui donne de pouvoir, contre toutes les lois naturelles,

voir Marie qui maintenant qu’elle monte rapidement vers le Ciel est entourée, sans qu’on l’aide à monter,

par les anges qui chantent des hosannas. Jean est ravi par cette vision de beauté qu’aucune plume d’homme,

qu’aucune parole humaine, qu’aucune œuvre d’artiste ne pourra jamais décrire ou reproduire, car c’est d’une

beauté indescriptible.

Jean, en restant toujours appuyé au muret de la terrasse, continue de fixer cette splendide et resplendissante

forme de Dieu - car réellement on peut parler ainsi de Marie, formée d’une manière unique par Dieu, qui l’a

voulue immaculée, pour qu’elle fût une forme pour le Verbe Incarné — qui monte toujours plus haut. Et

c’est un dernier et suprême prodige que Dieu-Amour accorde à celui qui est son parfait aimant : celui de voir

la rencontre de la Mère très Sainte avec son Fils très Saint qui, Lui aussi splendide et resplendissant, beau

d’une beauté indescriptible, descend rapidement du Ciel, rejoint sa Mère et la serre sur son cœur et

ensemble, plus brillants que deux astres, s’en vont là d’où Lui est venu. La vision de Jean est finie.

Il baisse la tête. Sur son visage fatigué on peut voir à la fois la douleur de la perte de Marie et la joie de son

glorieux sort. Mais désormais la joie dépasse la douleur. Il dit : "Merci, mon Dieu ! Merci ! J’avais pressenti

que cela serait arrivé. Et je voulais veiller pour ne perdre aucun détail de son Assomption. Mais cela faisait

908


trois jours que je ne dormais pas ! Le sommeil, la lassitude, joints à la peine, m’ont abattu et vaincu

justement quand l’Assomption était imminente... Mais peut-être c’est Toi qui l’as voulu, ô mon Dieu, pour

ne pas troubler ce moment et pour que je n’en souffre pas trop... Oui. Certainement c’est Toi qui l’as voulu,

comme maintenant tu voulais que je vois ce que sans un miracle je n’aurais pu voir. Tu m’as accordé de la

voir encore, bien que déjà si loin, déjà glorifiée et glorieuse, comme si elle avait été tout prés. Et de revoir

Jésus ! Oh ! vision bienheureuse, inespérée, inespérable ! Oh ! don des dons de Jésus-Dieu à son Jean !

Grâce suprême ! Revoir mon Maître et Seigneur ! Le voir Lui près de sa Mère ! Lui semblable au soleil et

elle à la lune, tous les deux d’une splendeur inouïe, à la fois parce que glorieux et pour leur bonheur d’être

réunis pour toujours ! Que sera le Paradis maintenant que vous y resplendissez, Vous, astres majeurs de la

Jérusalem céleste ? Quelle est la joie des chœurs angéliques et des saints ? Elle est telle la joie que m’a

donnée la vision de la Mère avec le Fils, une chose qui fait disparaître toute sa peine, toute leur peine, même,

que la mienne aussi disparaît, et en moi la paix la remplace. Des trois miracles que j’avais demandés à Dieu,

deux se sont accomplis. J’ai vu la vie revenir en Marie, et je sens que la paix est revenue en moi. Toute mon

angoisse cesse car je vous ai vus réunis dans la gloire. Merci pour cela, ô Dieu. Et merci pour m’avoir donné

manière, même pour une créature très sainte, mais toujours humaine, de voir quel est le sort des saints,

quelle sera après le jugement dernier, et la résurrection de la chair et leur réunion, leur fusion avec l’esprit,

monté au Ciel à l’heure de la mort. Je n’avais pas besoin de voir pour croire, car j’ai toujours cru fermement

à toutes les paroles du Maître. Mais beaucoup douteront qu’après des siècles et des millénaires, la chair,

devenue poussière, puisse redevenir un corps vivant. À ceux-là je pourrai dire, en le jurant sur les choses les

plus élevées, que non seulement le Christ est redevenu vivant par sa propre puissance divine, mais que sa

Mère aussi, trois jours après sa mort, si on peut appeler mort une telle mort, a repris vie et avec sa chair

réunie à son corps elle a pris son éternelle demeure au Ciel à côté de son Fils. Je pourrai dire : “Croyez, vous

tous chrétiens, à la résurrection de la chair à la fin des siècles, et à la vie éternelle des âmes et des corps, vie

bienheureuse pour les saints, horrible pour les coupables impénitents. Croyez et vivez en saints, comme ont

vécu en saints Jésus et Marie, pour avoir le même sort. J’ai vu leurs corps monter au Ciel. Je puis vous en

rendre témoignage. Vivez en justes pour pouvoir un jour être dans le nouveau monde éternel, en âme et en

corps près de Jésus-Soleil et près de Marie, Étoile de toutes les étoiles.” Merci encore, ô Dieu ! Et

maintenant recueillons ce qui reste d’elle. Les fleurs tombées de ses vêtements, les feuillages des oliviers

restés sur le lit, et conservons-les. Tout servira... Oui, tout servira pour aider et consoler mes frères que j’ai

en vain attendus. Tôt ou tard, je les retrouverai..."

909


Il ramasse aussi les pétales des fleurs qui se sont effeuillées en tombant, et rentre dans la pièce en les gardant

dans un pli de son vêtement. Il remarque alors avec plus d’attention l’ouverture du toit et s’écrie : "Un autre

prodige ! Et une autre admirable proportion dans les prodiges de la vie de Jésus et de Marie ! Lui, Dieu, est

ressuscité par Lui-même, et par sa seule volonté il a renversé la pierre du Tombeau, et par sa seule puissance

il est monté au Ciel. Par Lui-même. Marie, toute Sainte, mais fille d’homme, c’est par l’aide des anges que

lui fut ouvert le passage pour son Assomption au Ciel, et c’est toujours avec l’aide des anges qu’elle est

montée là-haut. Pour le Christ, l’esprit revint animer son Corps pendant qu’il était sur la Terre, car il devait

en être ainsi pour faire taire ses ennemis et pour confirmer dans la foi tous ses fidèles. Pour Marie, son esprit

est revenu quand son corps très saint était déjà sur le seuil du Paradis, parce que pour elle il ne fallait pas

autre chose. Puissance parfaite de l’Infinie Sagesse de Dieu !..."

Jean ramasse maintenant dans un linge les fleurs et les feuillages restés sur le lit, y met ceux qu’il a ramassés

dehors, et il les dépose tous sur le couvercle du coffre. Puis il l’ouvre et y place le coussinet de Marie, la

couverture du lit. Il descend dans la cuisine, rassemble les autres objets dont elle se servait : le fuseau et la

quenouille, sa vaisselle, et les met avec les autres choses. Il ferme le coffre et s’assoit sur le tabouret en

s’écriant :

"Maintenant tout est accompli aussi pour moi ! Maintenant je puis m’en aller, librement, là où l’Esprit de

Dieu me conduira. Aller ! Semer la divine Parole que le Maître m’a donnée pour que je la donne aux

hommes. Enseigner l’Amour. L’enseigner pour qu’ils croient dans l’Amour et sa puissance. Leur faire

connaître ce qu’a fait le Dieu-Amour pour les hommes. Son Sacrifice et son Sacrement et Rite perpétuels,

par lesquels, jusqu’à la fin des siècles, nous pourrons être unis à Jésus-Christ par l’Eucharistie et renouveler

le Rite et le Sacrifice comme Lui a commandé de le faire. Tous dons de l’Amour parfait ! Faire aimer

l’Amour pour qu’ils croient en Lui, comme nous y avons cru et y croyons. Semer l’Amour pour que soit

abondante la moisson et la pêche pour le Seigneur. L’amour obtient tout. Marie me l’a dit dans ses dernières

paroles, à moi, qu’elle a justement défini, dans le Collège Apostolique, celui qui aime, l’aimant par

excellence, l’opposé de l’Iscariote qui été la haine, comme Pierre l’impétuosité, et André la douceur, les fils

d’Alphée la sainteté et la sagesse unies à la noblesse des manières, et ainsi de suite. Moi, l’aimant,

maintenant que je n’ai plus le Maître et sa Mère à aimer sur la Terre, j’irai répandre l’amour parmi les

910


nations. L’amour sera mon arme et ma doctrine. Et avec lui je vaincrai le démon, le paganisme et je

conquerrai beaucoup d’âmes. Je continuerai ainsi Jésus et Marie, qui ont été l’amour parfait sur la Terre."

911


Conclusion du Christ

Adieu à l’œuvre

Jésus dit :

"Les raisons qui m’ont poussé à éclairer et à dicter les épisodes et les paroles que j’ai adressées au petit Jean

sont multiples, en plus de la joie de communiquer une exacte connaissance de Moi à cette âme victime et

aimante.

Mais l’âme de tout cela c’est mon amour pour l’Église enseignante et militante et le désir d’aider les âmes

dans leur montée vers la perfection. De me connaître, cela aide à monter. Ma Parole est Vie.

Je nomme les principales :

1.

Les raisons que j’ai dites dans la dictée du 18-1-47 que le petit Jean mettra ici intégralement. C’est la raison

la plus grande car vous allez périr et je veux vous sauver.

La raison la plus profonde du don de cette œuvre, c’est qu’en ces temps où le modernisme, condamné par

mon S. Vicaire Pie X, se corrompt pour donner naissance à des doctrines toujours plus nuisibles, la sainte

Église, représentée par mon Vicaire, ait des ressources de plus pour combattre ceux qui nient le caractère

surnaturel des dogmes ; la divinité du Christ ; la Vérité du Christ, Dieu et Homme, réel et parfait comme elle

nous a été transmise aussi bien par la foi que par son histoire (Évangile, Actes des Apôtres, Lettres

apostoliques, tradition) ; la doctrine de Paul et de Jean et des conciles de Nicée, Éphèse et Chalcédoine,

comme ma vraie doctrine enseignée verbalement par Moi; ma science illimitée parce que divine et parfaite ;

l’origine divine des dogmes, des Sacrements de l’Église Une, Sainte, Catholique, Apostolique ; l’universalité

912


et la continuité, jusqu’à la fin des siècles, de l’Évangile donné par Moi et pour tous les hommes ; la nature

parfaite, dés le début, de ma doctrine qui ne s’est pas formée comme elle est à travers des transformations

successives, mais est telle qu’elle a été donnée : Doctrine du Christ, du temps de la Grâce, du Royaume des

Cieux et du Royaume de Dieu en vous, divine, parfaite, immuable, Bonne Nouvelle pour tous ceux qui ont

soif de Dieu.

Au dragon rouge aux sept têtes, aux dix cornes et aux sept diadèmes sur sa tête, qui par la queue tire le tiers

des étoiles du ciel et les précipite en bas - et en vérité je vous dis qu’elles sont précipitées encore plus bas

que sur la terre - et qui persécute la Femme ; aux bêtes de la mer et de la terre que beaucoup trop adorent,

séduits comme ils le sont par leurs aspects et leurs prodiges, opposez mon Ange qui vole au milieu du ciel en

tenant l’Évangile Éternel bien ouvert même sur les Pages closes jusqu’ici, pour que les hommes puissent se

sauver, grâce à sa lumière. Des spires du grand serpent aux sept gueules, qui veut les noyer dans ses

ténèbres, et qu’à mon retour je retrouve encore la foi et la charité dans le cœur de ceux qui auront persévéré

et qu’ils soient plus nombreux que ce que le travail de Satan et des hommes laisse espérer qu’ils puissent

être.

2.

Réveiller chez les Prêtres et chez les laïcs un vif amour pour l’Évangile et pour ce qui se rapporte au Christ.

Avant tout, une charité renouvelée pour ma Mère, dans les prières de laquelle réside le secret du salut du

monde. C’est Elle, ma Mère, qui est la victorieuse du Dragon maudit. Aidez sa puissance par votre amour

renouvelé envers Elle et par votre foi renouvelée et votre connaissance de ce qui s’y rapporte. C’est Marie

qui a donné au monde le Sauveur. C’est encore d’Elle que le monde aura le salut.

3

Donner aux maîtres spirituels et aux directeurs d’âmes une aide pour leur ministère, en étudiant le monde des

esprits différents qui a vécu autour de Moi et des diverses manières dont je me suis servi pour les sauver.

913


Ce serait on effet une sottise de vouloir employer une méthode unique pour toutes les âmes. Différente est la

manière d’attirer à la Perfection un juste qui y tend spontanément, de celle qu’il faut employer pour celui qui

est croyant mais pécheur, de celle dont il faut user pour un gentil. Vous en avez tant même parmi vous, si

vous arrivez à juger gentils, comme les juge votre Maître, les pauvres êtres qui ont substitué au vrai Dieu

l’idole de la puissance et de la force, ou de l’or, ou de la luxure, ou de l’orgueil de leur savoir. Et différente

est la manière à employer pour sauver les modernes prosélytes, c’est-à-dire ceux qui ont accepté l’idée

chrétienne mais non l’appartenance à la cité chrétienne, en appartenant aux Églises séparées. Qu’on ne

méprise personne, et moins que toutes autres ces brebis égarées. Aimez-les et cherchez à les ramener au

Bercail Unique pour que s’accomplisse le désir du Pasteur Jésus.

Certains objecteront en lisant cette œuvre : “Il ne ressort pas de l’Évangile que Jésus ait eu des contacts avec

des Romains ou des Grecs, et nous rejetons donc ces pages.” Que de choses ne ressortent pas de l’Évangile,

ou transparaissent à peine derrière d’épais rideaux de silence que les Évangélistes ont laissé tomber à cause

de leur infrangible mentalité d’Hébreux à propos d’épisodes qu’ils n’approuvaient pas ! Croyez-vous

connaître tout ce que j’ai fait ?

En vérité je vous dis que même après avoir lu et accepté cette illustration de ma vie publique, vous ne

connaissez pas tout de Moi. J’aurais fait mourir, dans la fatigue d’être le chroniqueur de toutes les journées

de mon ministère, et de toutes les actions accomplies en chacune de ces journées, mon petit Jean si je lui

avais fait connaître tout pour qu’il vous transmette tout ! “Il y a ensuite d’autres choses faites par Jésus dont

je crois que si on les écrivait une par une le monde ne pourrait contenir les livres que l’on devrait écrire.” dit

Jean. À part l’hyperbole, en vérité je vous dis que si on avait dû écrire toutes les actions particulières, toutes

mes instructions particulières, mes pénitences et mes oraisons pour sauver une âme, il aurait fallu les salles

de l’une de vos bibliothèques, et une des plus grandes, pour contenir les livres qui parlent de Moi. Et en

vérité je vous dis aussi qu’il serait beaucoup plus utile pour vous de mettre au feu tant de science inutile

poussiéreuse et malsaine pour faire place à mes livres, que de connaître si peu de choses de Moi et d’adorer

ainsi à ce point ces imprimés presque toujours souillés d’impureté et d’hérésie.

914


4.

Ramener à leur vérité les figures du Fils de l’Homme et de Marie, vrais fils d’Adam pour la chair et le sang,

mais d’un Adam innocent. Comme nous devaient être les fils de l’Homme, si les premiers Parents n’avaient

pas avili leur parfaite humanité - dans le sens du mot homme, c’est-à-dire de créature dans laquelle se trouve

une double nature, la nature spirituelle, à l’image et à la ressemblance de Dieu, et la nature matérielle -

comme vous savez qu’ils ont fait. Des sens parfaits, c’est-à-dire soumis à la raison, malgré leur grande

finesse. Dans les sens, j’inclus les sens moraux avec les sens corporels. Amour complet et donc parfait, à la

fois pour l’époux auquel ne l’attache pas la sensualité, mais seulement le lien d’un amour spirituel, et pour le

Fils, tout aimé, aimé avec toute la perfection d’une femme parfaite pour l’enfant qui est né d’elle. C’est ainsi

qu’Ève aurait dû aimer : comme Marie - c’est-à-dire non pour la jouissance charnelle qu’apportait le fils,

mais parce que ce fils était le fils du Créateur et accomplissement de l’obéissance à son commandement de

multiplier l’espèce humaine.

Et aimé avec toute l’ardeur d’une parfaite croyante qui sait que son Fils est non pas en figure, mais

réellement : Fils de Dieu. À ceux qui trouvent trop affectueux l’amour de Marie pour Jésus, je dis de

considérer qui était Marie : la Femme sans péché et donc sans tare pour sa charité envers Dieu, envers ses

parents, envers son époux, envers son Fils, envers le prochain, de considérer ce que voyait sa Mère en Moi

en plus que d’y voir le Fils de son sein, et enfin de considérer la nationalité de Marie. Race hébraïque, race

orientale, et temps très éloignés des temps actuels. Ainsi de ces éléments ressort l’explication de certaines

amplifications verbales de l’amour qui pour vous peuvent paraître exagérées. Style fleuri et pompeux, même

dans le langage ordinaire, le style oriental et hébraïque. Tous les écrits de ce temps et de cette race en sont

une preuve, et le déroulement des siècles n’a pas beaucoup changé le style de l’Orient.

Parce que vous, vingt siècles plus tard, et quand la perversité de la vie a tué un si grand amour, prétendriezvous

que vous devez trouver en ces pages une Marie de Nazareth telle que la femme indifférente et

superficielle de votre temps ? Marie est ce qu’elle est, et on ne change pas la douce, pure, affectueuse Fille

d’Israël, Épouse de Dieu, Mère virginale de Dieu, en une femme excessivement, morbidement exaltée, ou

une femme glacialement égoïste de votre siècle.

915


À ceux qui jugent trop affectueux l’amour de Jésus pour Marie, je dis de considérer qu’en Jésus était Dieu, et

que Dieu Un et Trin prenait son réconfort en aimant Marie, Celle qui le repayait de la douleur de toute la

race humaine, le moyen pour que Dieu puisse revenir se glorifier de sa Création et qui donne des habitants à

ses Cieux. Et qu’ils considèrent enfin que tout amour devient coupable quand, et seulement, quand il

enfreint l’ordre, c’est-à-dire quand il va contre la volonté de Dieu et le devoir qu’il faut accomplir.

Or considérez : l’amour de Marie a-t-il fait cela ? Mon amour a-t-il fait cela ? M’a-t-elle retenu, par un

amour égoïste, de faire toute la Volonté de Dieu ? Est-ce que par un amour désordonné pour ma Mère, j’ai

peut-être renié ma mission ? Non. L’un et l’autre amour n’ont eu qu’un seul désir : que s’accomplisse la

Volonté de Dieu pour le salut du monde. Et la Mère a fait tous les adieux à son Fils, et le Fils a fait tous les

adieux à sa Mère, en livrant son Fils à la croix de l’enseignement public et à la croix du Calvaire, en livrant

sa Mère à la solitude et au déchirement pour qu’elle soit Corédemptrice, sans tenir compte de notre humanité

qui se sentait déchirer et de notre cœur qui se sentait briser par la douleur. Cela est-il de la faiblesse ? Du

sentimentalisme ? C’est l’amour parfait, ô hommes qui ne savez pas aimer, et qui ne comprenez plus l’amour

et ses voix !

Et cette Œuvre a encore pour but d’éclairer des points qu’un ensemble complexe de circonstances a couvert

de ténèbres et forme ainsi des zones obscures dans la clarté du tableau évangélique et des points qui

semblent des ruptures, et ne sont que des points devenus obscurs, entre l’un ou l’autre épisode, points

indéchiffrables et dans l’éclaircissement desquels se trouve la clef pour comprendre exactement certaines

situations qui s’étaient créées et certaines manières fortes que j’avais dû avoir, qui contrastaient tellement

avec mes exhortations continuelles au pardon, à la douceur et à l’humilité, certaines raideurs envers des

adversaires entêtés et que rien ne pouvait convertir. Souvenez-vous tous, qu’après avoir usé de toute sa

miséricorde, Dieu, pour son honneur, sait aussi dire "Cela suffit" à ceux qui, à cause de sa bonté, se croient

permis d’abuser de sa longanimité et de l’éprouver. On ne se moque pas de Dieu. C’est une parole ancienne

et sage.

916


5

Connaître exactement la complexité et la durée de ma longue passion, qui culmine dans la Passion sanglante

accomplie en quelques heures, qui m’avait consumé en un tourment quotidien qui avait duré des lustres et

des lustres, et était allé toujours en grandissant, et avec ma passion celle de ma Mère à laquelle l’épée de

douleur avait transpercé le cœur pendant un temps égal. Et vous pousser, par cette connaissance, à nous

aimer davantage.

6

Montrer la puissance de ma Parole et ses effets différents selon que celui qui la recevait appartenait à la

troupe des gens de bonne volonté ou à celle de ceux qui avaient une volonté sensuelle qui n’est jamais

droite.

Les Apôtres et Judas, voici deux exemples opposés. Les premiers, très imparfaits, rustres, ignorants,

violents, mais de bonne volonté. Judas, plus instruit que la majorité d’entre eux, raffiné par la vie dans la

capitale et dans le Temple, mais de mauvaise volonté. Observez l’évolution des premiers dans le Bien, leur

montée. Observez l’évolution du second dans le Mal et sa descente.

Qu’ils observent cette évolution dans la perfection des onze bons surtout ceux qui, par un défaut de vision

mentale, ont l’habitude de dénaturer la réalité des saints, en faisant de l’homme qui atteint la sainteté par une

lutte dure, très dure, contre les forces lourdes et obscures, un être contre nature sans passions et sans

frémissements, et par conséquent sans mérites. Car le mérite vient justement de la victoire sur les passions

désordonnées et les tentations que l’on domine grâce à l’amour de Dieu et pour arriver à la fin dernière :

jouir éternellement de Dieu. Qu’ils l’observent ceux qui prétendent que le miracle de la conversion doit venir

uniquement de Dieu. Dieu donne les moyens pour se convertir, mais Il ne violente pas la liberté de l’homme,

et si l’homme ne veut pas se convertir, c’est inutilement qu’il a ce qui pour un autre sert à la conversion.

917


Qu’ils considèrent ceux qui examinent, les multiples effets de ma Parole, non seulement sur l’homme

humain, mais aussi sur l’homme spirituel. Non seulement sur l’homme spirituel, mais aussi sur l’homme

humain. Ma Parole, accueillie avec bonne volonté, transforme l’un et l’autre, en l’amenant à la perfection

extérieure et intérieure.

Les apôtres qui, à cause de leur ignorance et de mon humilité, traitaient le Fils de l’Homme avec une

familiarité excessive - un bon maître parmi eux, rien de plus, un maître humble et patient avec lequel il était

permis de prendre des libertés excessives; mais pour eux n’était pas manque de respect : c’était de

l’ignorance et donc excusable - les apôtres bagarreurs entre eux, égoïstes, jaloux dans leur amour et de mon

amour, impatients avec le peuple, un peu orgueilleux d’être “les Apôtres”, anxieux de l’extraordinaire qui les

indique à la foule comme doués d’un pouvoir stupéfiant, lentement mais continuellement se transforment en

hommes nouveaux, en dominant au début leurs passions pour m’imiter et me faire plaisir, par la suite en

connaissant toujours plus mon vrai Moi, en changeant leurs manières et leur amour jusqu’à me voir, m’aimer

et me traiter comme un Seigneur divin. Sont-ils peut-être encore à la fin de ma vie sur la Terre les

compagnons superficiels et joyeux des premiers temps ? Sont-ils, surtout depuis la Résurrection, les amis qui

traitent le Fils de l’Homme en Ami ? Non. Ils sont les ministres du Roi, d’abord. Ils sont les prêtres de Dieu,

ensuite. Tous différents, complètement transformés.

Qu’ils considèrent cela ceux qui trouveront forte, et jugeront contre nature la nature des apôtres, telle qu’elle

était décrite. Je n’étais pas un docteur difficile ni un roi orgueilleux, je n’étais pas un maître qui juge indigne

de lui les autres hommes. J’ai su compatir. J’ai voulu former en prenant des matières grossières, remplir de

perfections de toute espèce des vases vides, prouver que Dieu peut tout, et d’une pierre tirer un fils

d’Abraham, un fils de Dieu, et d’un rien un maître, pour confondre les maîtres orgueilleux de leur science

qui bien souvent a perdu le parfum de la mienne.

7

Enfin vous faire connaître le mystère de Judas, ce mystère qui est la chute d’un esprit que Dieu avait comblé

918


de bienfaits extraordinaires. Un mystère qui en vérité se répète trop souvent et qui est la blessure qui fait

souffrir le Cœur de votre Jésus.

Vous faire connaître comme on tombe en se changeant de serviteurs et de fils de Dieu en démons et déicides

qui tuent Dieu en eux, en tuant la Grâce, pour vous empêcher de mettre le pied sur des sentiers d’où on

tombe dans l’Abîme, et comment vous enseigner la façon de vous y prendre pour essayer de retenir les

agneaux imprudents qui se poussent vers l’abîme. Appliquez votre intelligence à étudier la figure horrible et

pourtant commune de Judas, complexe où s’agitent comme des serpents tous les vices capitaux que vous

trouvez et que vous avez à combattre dans tel ou tel. C’est la leçon que vous devez surtout apprendre, car ce

sera celle qui vous sera la plus utile dans votre ministère de maîtres spirituels et de directeurs d’âmes.

Combien, dans tout état de la vie, imitent Judas en se donnant à Satan et rencontrent la mort éternelle !

Sept raisons comme il y a sept parties :

I. Protévangile (de la Conception Immaculée de Marie toujours Vierge à la mort de Saint Joseph).

II. Première année de vie publique.

III. Seconde année de vie publique.

IV. Troisième année de vie publique.

V. Pré-Passion (de Tebet à Nisan, c’est-à-dire de l’agonie de Lazare à la Cène de Béthanie).

VI. Passion (de l’adieu à Lazare à ma Sépulture, et les jours suivants jusqu’à l’aube pascale).

VII. De la Résurrection à la Pentecôte.

Que l’on se conforme à cette division des parties comme je l’indique, et qui est la juste.

919


Et maintenant ? Que dites-vous à votre Maître ? Vous ne parlez pas à Moi. Mais vous parlez en votre cœur,

et si seulement vous pouvez le faire, vous parlez au petit Jean. Mais dans aucun de ces deux cas vous ne

parlez avec cette justice que je voudrais voir en vous. Car au petit Jean vous parlez pour lui donner de la

peine, en piétinant la charité envers la chrétienne, votre consœur et l’instrument de Dieu. En vérité je vous

dis encore une fois que ce n’est pas une joie tranquille d’être mon instrument : c’est une fatigue et un effort

continuels, en tout c’est de la douleur car aux disciples du Maître le monde donne ce qu’il a donné au

Maître : de la douleur ; et il faudrait qu’au moins les prêtres, et spécialement les confrères, aident ces petits

martyrs qui avancent sous leur croix... Et parce qu’en votre cœur, en vous parlant à vous-mêmes, vous avez

une plainte d’orgueil, d’envie, d’incrédulité et autres choses. Mais je vais donner une réponse à vos plaintes

et à vos étonnements scandalisés.

Le soir de la Dernière Cène, j’ai dit aux Onze qui m’aimaient :

"Quand l’Esprit Consolateur sera venu, Il vous rappellera tout ce que je vous ai dit." Quand je parlais,

j’avais toujours présents à l’esprit, en plus de ceux qui étaient là, tous ceux qui devraient être mes disciples

en esprit, et avec vérité et volonté de le vouloir. L’Esprit-Saint, qui déjà par sa Grâce, infuse en vous la

faculté de vous rappeler Dieu, en tirant les âmes de l’hébètement de la Faute Originelle et en les délivrant

des obscurcissements qui, à cause de la triste hérédité d’Adam, enveloppent la clairvoyance des esprits créés

par Dieu pour qu’ils jouissent de la vue et de la connaissance spirituelle, complète son œuvre de Maître “en

rappelant” dans le cœur de ceux qui sont conduits par Lui, et qui sont les fils de Dieu, ce que j’ai dit, c’est

cela qui constitue l’Évangile. Rappeler ici, c’est éclairer son esprit. Car ce n’est rien de se rappeler les

paroles de l’Évangile si on n’en comprend pas l’esprit.

Et l’esprit de l’Évangile, qui est amour, on peut le faire comprendre de l’Amour, c’est-à-dire de l’Esprit-

Saint. De même qu’Il a été le véritable auteur de l’Évangile, Il en est aussi le seul Commentateur, puisque

seul l’Auteur d’une œuvre connaît son esprit et le comprend même s’il ne réussit pas à le faire comprendre à

ceux qui la lisent. Mais là où un auteur humain ne réussit pas, car toute perfection humaine est riche de

920


lacunes, y arrive l’Esprit très Parfait et très Sage. En effet, seul l’Esprit-Saint, auteur de l’Évangile, est aussi

Celui qui le rappelle et le commente et le complète au fond des âmes des fils de Dieu.

“Le Consolateur, l’Esprit-Saint, que le Père vous enverra en mon Nom, vous enseignera toute chose, vous

rappellera tout ce que je vous ai dit.” (Jean, chapitre 14, verset 26).

“Quand ensuite sera venu cet Esprit de Vérité, Il vous enseignera toute vérité ; car Il ne vous parlera pas de

Lui-même, mais Il dira tout ce qu’il a entendu et Il vous annoncera l’avenir. Il me glorifiera, car Il recevra

de ce qui est mien et Il vous l’annoncera. Tout ce qu’a le Père est mien ; c’est pour cela que j’ai dit qu’Il

recevra de ce qui est mien et Il vous l’annoncera.” (Jean, chapitre 16, versets 13-14-15).

Que si vous objectez ensuite que l’Esprit-Saint étant le véritable Auteur de l’Évangile, on ne comprend pas

pourquoi Il n’a pas rappelé ce qui est dit dans cette œuvre et ce que Jean fait comprendre que c’est arrivé par

les paroles qui terminent son Évangile, Je vous réponds que les pensées de Dieu sont différentes de celles

des hommes et qu’elles sont toujours justes et sans appel.

Et encore : si vous objectez que la révélation est close avec le dernier Apôtre et qu’il n’y avait rien de plus à

ajouter, puisque le même Apôtre dit dans l’Apocalypse : “Si quelqu’un y ajoute quelque chose, Dieu fera

retomber sur lui les plaies écrites dans ce livre” (Apocalypse, chapitre 22, verset 18), et cela peut se

comprendre de toute la Révélation dont l’Apocalypse de Jean est le dernier couronnement, je vous réponds

qu’avec cette œuvre on n’a rien ajouté à la révélation, mais que l’on a comblé les lacunes qui s’étaient

produites par des causes naturelles et des volontés surnaturelles. Et s’il m’a plu de reconstituer le tableau de

ma Divine Charité comme fait celui qui restaure une mosaïque en remettant les tessères détériorées ou

manquantes pour rendre à la mosaïque sa complète beauté, et si je me suis réservé de le faire en ce siècle où

l’Humanité se précipite vers l’Abîme de la ténèbre et de l’horreur, pouvez-vous me le défendre ?

Pouvez-vous peut-être dire que vous n’en avez pas besoin, vous dont l’esprit est tellement embrumé, sourd,

affaibli aux lumières, aux voix, aux invitations du Haut ?

921


En vérité vous devriez me bénir d’ajouter de nouvelles lumières à la lumière que vous avez et qui ne vous

suffit plus pour “voir” votre Sauveur. Pour voir la Voie, la Vérité et la Vie, et sentir surgir en vous cette

spirituelle commotion des justes de mon temps, pour parvenir à travers cette connaissance à un

renouvellement de vos esprits dans l’amour qui vous sauverait car ce serait une montée vers la perfection.

Je ne dis pas que vous êtes “morts”, mais endormis, assoupis, semblables à des arbres durant le sommeil de

l’hiver. Le Soleil divin vous donne ses splendeurs. Réveillez-vous et bénissez le Soleil qui se donne,

accueillez-le avec joie pour qu’Il vous réchauffe de la surface à l’intérieur, vous réveille, vous couvre de

fleurs et de fruits.

Levez-vous. Venez à mon Don.

“Prenez et mangez. Prenez et buvez.” ai-je dit aux apôtres.

“Si tu connaissais le don de Dieu, et qui est Celui qui te dit :

"Donne-moi à boire", toi-même tu Lui en aurais demandé à Celui qui t’aurait donné de l’eau vive.” ai-je dit à

la Samaritaine.

Je le dis encore maintenant : aux docteurs comme aux samaritains, car les deux classes extrêmes en ont

besoin, et en ont besoin ceux qui sont entre les deux extrêmes. Les premiers pour n’être pas sous-alimentés

et privés de forces même pour eux, et de nourriture surnaturelle pour ceux qui languissent faute de

connaître Dieu, le Dieu-Homme, le Maître et Sauveur. Les seconds parce que les âmes ont besoin d’eau vive

quand ils périssent loin des sources. Ceux qui sont entre les premiers et les seconds, la grande masse de ceux

qui ne sont pas en état de péché grave, mais aussi de ceux qui restent sans avancer, par paresse, tiédeur, par

un concept erroné de la sainteté, ceux qui pensent surtout à ne pas se damner, à être des pratiquants, qui se

perdent dans un labyrinthe de pratiques superficielles, mais qui n’osent pas faire un pas sur le chemin raide,

escarpé de l’héroïcité, afin que par cette œuvre ils aient l’impulsion initiale pour sortir de cet immobilisme et

commencer la route héroïque.

922


C’est Moi qui vous dis ces paroles. Je vous offre cette nourriture et cette boisson vive. Ma Parole est Vie. Et

je veux vous avoir dans la Vie, avec Moi. Et je multiplie ma parole pour contrebalancer les miasmes de

Satan qui détruisent les forces vitales de l’esprit.

Ne me repoussez pas. J’ai soif de me donner à vous parce que je vous aime. C’est ma soif inextinguible. J’ai

un ardent désir de me communiquer à vous pour vous préparer au banquet des noces célestes. Et vous avez

besoin de Moi pour ne pas languir, pour revêtir le vêtement orné pour les Noces de l’Agneau, pour la grande

fête de Dieu lorsque vous aurez surmonté la tribulation dans ce désert rempli d’embûches, de ronces et de

serpents, qu’est la Terre, pour passer à travers les flammes sans subir de dommages, fouler aux pieds les

reptiles, absorber les poisons sans en mourir, ayant Moi en vous.

Et je vous dis encore : “Prenez, prenez cette œuvre et ‘ne la scellez pas’, mais lisez-la et faites-la lire ‘car le

temps est proche’" (Jean, Apocalypse chapitre 22, verset 10) “et que celui qui est saint se rende encore plus

saint” (verset 11).

Que la Grâce de votre Seigneur Jésus-Christ soit avec tous ceux qui dans ce livre voient une approche de

Moi et demandent qu’elle s’accomplisse, pour les défendre, avec le cri de l’Amour : “Viens, Seigneur

Jésus !”

Jésus me dit ensuite en particulier :

"En tête de l’Œuvre tu mettras le premier chapitre de l’Évangile de Jean, du premier verset au verset 18

inclus, intégralement comme c’est écrit. Jean a écrit ces paroles, comme tu as écrit toutes celles rapportées

dans l’Œuvre, sous la dictée de l’Esprit de Dieu. Il n’y a rien à ajouter ou à enlever comme il n’y a rien eu à

ajouter ou à enlever à l’oraison du notre Père, ni à ma prière après la dernière Cène. Toutes les paroles de ces

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points sont une gemme divine et ne doivent pas être touchées. Pour ces points, il n’y a qu’une chose à faire :

prier ardemment L’Esprit-Saint pour qu’il vous en éclaire toute la beauté et la sagesse.

Quand ensuite ta arriveras au point où commence ma vie publique, ta copieras aussi intégralement le premier

chapitre de Jean, du verset 19 à 28 inclus et le troisième chapitre de Luc du verset 3 à 18 inclus, l’un à la

suite de l’autre comme si c’était un seul chapitre. Il y a là tout le Précurseur, ascète de paroles peu

nombreuses et de dure discipline, et il n’y a pas autre chose à dire. Puis tu mettras mon Baptême et tu iras de

l'avant comme je l'ai dit, d'une fois à l'autre. Et ta fatigue est finie. Maintenant il reste l'amour et la

jouissance qui est une récompense.

Mon âme, et que devrais-je te dire ? Tu me demandes avec ton esprit perdu en Moi : "Et maintenant,

Seigneur, que vas-tu faire de moi, ta servante ?"

Je pourrais te dire : "Je vais briser le vase d'argile pour en extraire l'essence et la porter où je suis". Et ce

serait une joie pour nous deux. Mais j'ai encore besoin de toi pour un peu de temps, et encore un peu de

temps, ici, pour exhaler tes parfums qui sont encore l'odeur du Christ qui habite en toi. Et alors je te dirai

comme pour Jean : "Si je veux que tu restes jusqu'à ce que je vienne te prendre, que t'importe-t-il de rester ?"

Paix à toi, ma petite, mon inlassable voix. Paix à toi. Paix et bénédiction. Le Maître te dit : "Merci". Le

Seigneur te dit : "Sois bénie". Jésus, ton Jésus, te dit : "Je serai toujours avec toi car il m'est doux d'être avec

ceux qui m'aiment."

Ma paix, petit Jean. Viens reposer sur ma Poitrine."

924


Et avec ces paroles se terminent aussi les conseils pour la rédaction de l’œuvre et sont données les dernières

explications.

Viareggio, le 28 avril mille neuf cent quarante-sept.

Maria Valtorta

925


Maria Valtorta

Introduction

L’Évangile de l’enfance Tome I

L’Annonciation

La Visitation

La naissance du Baptiste

La Nativité de Jésus

L’Adoration des bergers

La présentation du Jésus au Temple

La fuite en Égypte

La discussion de Jésus avec les Docteurs au Temple

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Première année de la vie publique Tome II

Le Baptême de Jésus

Jésus tenté par le Diable au désert

Jésus aux noces de Cana

Jésus chasse les marchands du Temple

La pêche miraculeuse

Appel de Matthieu parmi les disciples

Jésus fait le miracle de la lame brisée à la Porte des Poissons

Seconde année de la vie publique Tome III

La Samaritaine

Les habits neufs et le vin nouveau

L’élection des douze apôtres

Le Sermon sur la montagne. "Vous êtes le sel de la terre."

927


Le sermon sur la montagne, les Béatitudes, première partie

La maison bâtie sur le roc

La parabole du Semeur

La parabole du bon grain et de l’ivraie

La tempête apaisée

Les possédés géraséniens

Résurrection du fils de la veuve de Naïm

Le mauvais riche et le pauvre Lazare

Le Pater

Le Fils prodigue

La parabole des dix vierges

Les noces royales

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Seconde année de la vie publique Tome IV

La parabole de la brebis perdue

La parabole du trésor caché

La parabole des pêcheurs

La parabole de la drachme retrouvée

Instructions aux apôtres pour le début de l’apostolat

Es-tu le Messie ?

Prédication de Jésus

La mort de Baptiste

La première multiplication des pains

Jésus marche sur les eaux

Renoncer pour suivre Jésus

La parabole des talents

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Troisième année de la vie publique

Tome V

La parabole des ouvriers de la onzième heure

La mère cananéenne

La dernière place au banquet

Le figuier stérile

Pierre devient chef des Apôtres

Le signe de Jonas

Jésus blâme Pierre

La Transfiguration

Le plus grand dans le Royaume des Cieux

La seconde multiplication des pains

Le pain du ciel

Le divorce

Le nombre des élus

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Parabole de l’intendant fidèle

Troisième année de la vie publique

Tome VI

Parabole des deux fils et la volonté du père

La foi qui déplace les montagnes

Jésus au banquet du synhédriste et pharisien

La conversion de Zachée

Le levain des Pharisiens

Les serviteurs inutiles

S’il se repent, pardonne-lui sept fois

Soyez prudents comme des serpents

Troisième année de la vie publique

Tome VII

Les dix lépreux

Savez-vous qui Je Suis ?

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Jésus, les Pharisiens, l’adultère

La parabole du juge inique

Je suis la lumière du monde

Guérison de l’aveugle-né

Le bon pasteur

Le Pharisien et le Publicain

La préparation de la Passion Tome VIII

La résurrection de Lazare

La parabole du jeune homme riche

La mère et les fils de Zébédée

Les deux aveugles de Jéricho

L’onction de Béthanie

932


La Passion

Tome IX

Le dimanche des rameaux

Le Christ, fils et Seigneur de David

L'obole de la veuve

Les scribes jugés par Jésus

Discours sur la ruine de Jérusalem

Le figuier stérile

La Cène pascale

L’agonie au Gethsémani

Les procès de Jésus

Judas de Kériot après sa trahison

Le chemin de croix

La crucifixion

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La mise au tombeau

La Glorification

Tome X

La Résurrection

L’apparition aux saintes femmes

Jésus apparaît aux disciples d'Emmaüs

Jésus apparaît aux dix apôtres

Jésus apparaît sur les rives du lac

L'apparition aux 500 sur la montagne

L’Ascension du Seigneur

La descente de l’Esprit Saint

Le martyre d’Etienne

La Dormition

La Glorification de la Vierge

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Conclusion du Christ

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