DocEtatGénéBio2018
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Participation des EHPAD et USLD du département de l’Aube
aux Etats Généraux de la Bioéthique
Thème retenu : La Fin de Vie
1
Présentation du Comité Ethique Inter Associatif 10
Le Comité Ethique Inter Associatif Aube constitué en association loi 1901 existe
en tant que tel depuis 2011. Cependant bien avant cette date, une association de
directeurs d’EHPAD a œuvré afin de promouvoir les valeurs humaines indispensables
à l’accompagnement de nos aînés vieillissants.
La raison d’être du Comité Ethique est de toujours associer dans son
fonctionnement toutes les parties prenantes, à savoir : les résidents, les familles et les
proches, les professionnels et les personnes en formation qui se destinent aux
différents métiers de l’aide à la personne.
Pour notre Comité cela constitue une règle incontournable, œuvrer ensemble donne
un sens commun à nos actions et une conception élargie et assurée à notre
engagement.
Le Comité est à l’origine de nombreuses initiatives, ainsi en 2017 la création
d’un site internet sur le thème de la maltraitance donne la possibilité à un large public
de s’interroger, de confronter l’opinion aux réalités vécus par les professionnels de
terrain. Différentes situations réelles sont restituées sur le site, chacun peut apporter
sa contribution et comparer son positionnement avec d’autres points de vue.
Il nous a semblé indispensable d’impliquer les résidents des EHPAD à la mise
en place de ce site internet, ceux-ci associés aux professionnels des établissements
volontaires seront les acteurs des photographies illustrant chacune des situations
présentées.
Les performances réalisées par les uns et les autres nous ont étonnées par leur
engagement et leur enthousiasme, ainsi que par leur souci constant de donner le
meilleur d’eux-mêmes.
Au fil des années, le Comité cherche à accroître son audience, à accueillir en
son sein de nouveaux membres, de nouveaux partenaires institutionnels. En 2017, à
l’occasion de la création de son site internet, il a sollicité des centres de formation :
Institut de Formation de la Croix Rouge, Institut de Formation en Soins Infirmiers,
Lycée Marie de Champagne.
Les statuts de l’association ont également été modifiés permettant à tout
établissement ou service du secteur de l’aide à la personne, et à tout particulier,
d’adhérer à l’association et de participer aux travaux qui sont proposés.
Le Comité Ethique Inter Associatif 10 a d’ores et déjà des projets pour les
années à venir tels que : « Etre vieux, le droit au choix et le droit au risque », « A tout
âge la capacité de créer, de s’exprimer par l’art ».
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Le Comité Ethique Inter Associatif 10 … Et les Etats Généraux de la bioéthique
Lorsque nous avons eu connaissance de l’ouverture des Etats généraux de la
bioéthique, et notamment le thème sur la fin de vie, nous ne pouvions que répondre
présent en participant à la réflexion et en apportant notre contribution.
Notre bonne connaissance locale des EHPAD et un travail réalisé en 2014 sur
les Conseils de Vie Sociale, nous confortaient dans le choix du thème retenu, même
si le délai imparti semblait court.
Le Comité prenait la décision de lancer une enquête auprès des EHPAD et
USLD du département de l’Aube, sous forme d’un recueil de données de la situation
vécue dans ces établissements.
Les éléments recueillis sont de deux ordres :
- Des données en chiffres qui sont le reflet des moyens humains et
budgétaires dont disposent les structures,
- Des témoignages de difficultés rencontrées dans l’accompagnement de
résidents en fin de vie.
Nous aurions souhaité une participation plus large de la part des établissements
sollicités, mais après tout le panel ayant répondu est assez représentatif de l’ensemble
des structures du département (répartition équitable des statuts des différents
établissements : publics, commerciaux, associatifs à but non lucratif).
La fin de vie est abordée en établissement dans le quotidien notamment dans
les relations résident - professionnel, ce n’est pas un sujet tabou même si cela reste
encore difficile pour les familles.
Le Conseil de Vie Sociale est un lieu de paroles pour tous où cette thématique
peut permettre des échanges entre tous les membres présents concernés à des
degrés divers, la confrontation est de ce fait indirecte donc moins ardue.
Les directives anticipées et la désignation de la personne de confiance
demandent encore des explications et du temps avant d’entrer dans les habitudes et
les réflexes de chacun, les projets d’établissement intègrent assez largement ces deux
éléments.
Les responsables des établissements ont pris des dispositions en matière de
formation des personnels sur ces sujets et plus généralement sur l’accompagnement
de la fin de vie. Par ailleurs, ils ont désigné des professionnels, souvent la
psychologue, pour porter ces questions. L’augmentation du temps de psychologue ou
la création de poste ces dernières années ne pourront qu’aider en ce sens.
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Les témoignages restitués volontairement dans leur intégralité dans les
dernières pages de ce document, sont l’expression de ce que vivent les soignantsaccompagnants
dans ces situations de fin de vie, dont :
- Communication verbale ou non avec le résident,
- Accompagnement apaisé,
- Désarroi, sentiment d’impuissance face à la souffrance,
- Le résident refuse de s’alimenter et de boire,
- Recherche du consentement de la personne,
- Sentiment de ne pas la comprendre,
- Crainte de mal faire,
- Reproches de la famille,
- Refus par le médecin traitant de l’intervention de l’équipe mobile de soins
palliatifs,
- Présence de la famille : sa place auprès de son parent, son
accompagnement dans le service,
- Non-respect de la volonté, des souhaits (acharnement thérapeutique),
- Surinvestissement = débordement émotionnel, déviance des pratiques
professionnelles,
- Remerciements des familles…
Les établissements d’accueil sont des lieux de vie, la vie continue avec la
maladie, avec la perte progressive des capacités d’autonomie.
Jusqu’au dernier moment de vie, les souhaits des personnes accompagnées
doivent être respectés par les professionnels, c’est leur engagement.
Le positionnement de la famille doit également être respecté, même si parfois il
est en contradiction avec la demande du résident ou au regard des directives
anticipées.
L’établissement se retrouve alors dans une situation inextricable où se heurtent
des valeurs intangibles : respect de l’un et de l’autre, dignité de la personne
accompagnée, devoir de réserve et loyauté du soignant.
C’est aussi pour le soignant le droit d’être affecté par le décès d’un résident dont
il se sentait proche, la « posture » et la « distance professionnelle » n’effacent pas le
sentiment ou l’affection d’un être humain pour son semblable.
L’accompagnement de la fin de vie se doit d’être un acte empreint d’humanité,
les considérations moralisatrices et les préconisations dogmatiques n’ont pas lieu
d’être.
Chaque individu est unique, chaque vie est une histoire singulière, chaque fin
de vie est un moment particulier de la vie à accompagner en partage.
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Périmètre de l’enquête
- 40 résidences auboises ont été contactées.
- 18 ont répondu, soit un échantillon significatif de 45%.
On peut s’interroger sur les raisons des résidences qui n’ont pas répondu :
- Surcharge de travail
- Etude jugée sans intérêt
- Pas de personnel qualifié pour répondre de façon pertinente (psychologue …)
L’étude concerne 1286 résidents, soit une moyenne de 71 résidents par
établissement.
Situation des résidents
✓ Moyenne d’âge des résidents : 87 ans
✓ Durée moyenne de séjour : 38 mois
✓ GIR Moyen Pondéré : 732
✓ Nombre de personnes en capacité de formuler des directives : 495 / 1286,
soit 38,5 %
Ressources techniques au sein des résidences
✓ Nombre de psychologues en poste actuellement : 100 %, chaque établissement
dispose de cette compétence, à temps plein ou à temps partiel.
Soit en moyenne 0.75 ETP (Equivalent Temps Plein) par établissement.
✓ Nombre de médecins coordonnateurs en poste actuellement : seul 1
établissement ne dispose pas de cette ressource toujours à temps partiel.
Soit en moyenne 0.34 ETP par établissement.
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Formation du personnel
14 résidences sur 18 ont mis en place ou ont prévu des formations pour le personnel
sur le thème de l’accompagnement de fin de vie.
Thématiques retenues et en quelle année :
✓ Prise en charge de la personne en fin de vie, notion évoquée en formation
bientraitance
✓ Accompagnement fin de vie et soins palliatifs
✓ Fin de vie et soins palliatifs
✓ Accompagnement des personnes en fin de vie
✓ Formation réalisée par le médecin coordonnateur de l'EHPAD sur la prise en
charge de la douleur en fin de vie
✓ Soins palliatifs avec l'équipe de l'hôpital (2005)
✓ France Alzheimer sensibilisation soins humanitude (2015)
✓ Accompagnement des personnes en fin de vie (2011)
✓ Accompagnement fin de vie (2013)
✓ Soins palliatifs RESCLIN (2015)
✓ Apporter aux participants tous les moyens pour développer leurs capacités à
s'engager dans une démarche d'accompagnement et participer à la mise en
œuvre d'une démarche globale d'accompagnement des personnes âgées en
fin de vie. (2013) Plus action collective régionale pour 3 salariés (2014)
✓ Accompagner la personne en fin de vie (2014 à 2018)
✓ Soins palliatifs (2017 - 2018)
✓ Evaluation de la douleur (2016 à 2018)
✓ Bientraitance / prévention de la maltraitance (2014 à 2018)
✓ Gestes et soins d'urgence (2014 à 2018)
✓ Sensibilisation et échanges sur les soins palliatifs (2015)
✓ Techniques de soins et du bien-être des personnes en fin de vie (2017)
✓ Groupe de parole avec la psychologue des soins palliatifs sur le deuil des
soignants / décès des résidents (2017)
✓ Formation à l'Ecole Supérieure de Commerce sur 3 jours pour 4 AS et 1 ASH
(octobre 2017 - idem en 2018)
✓ Soins palliatifs et traitement de la douleur (prévu 2018)
✓ Tous les ans, les nouveaux salariés sont formés à l’accompagnement de fin de
vie par un organisme de formation.
Projet de vie personnalisé
11 résidences / 18, soit 61,10 % ont intégré les questions relatives à la fin de
vie dans le projet de vie.
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Sujets traités :
✓ Le thème est abordé avec l'usager
✓ Souhaits du résident demandé
✓ Discussion avec la psychologue pour les directives anticipées. Discussion avec
l'infirmière pour la personne de confiance. Discussion avec la direction pour le
choix des pompes funèbres.
✓ Directives anticipées
✓ Des questions larges sont évoquées, mais pas toujours dans le projet
d'accompagnement personnalisé
✓ Recueil systématique des directives anticipées (si le résident est en capacité
de les exprimer)
✓ Seulement pour les résidents en fin de vie
✓ Recueil des directives anticipées, prévenance de la famille en cas de décès et
existence contrat obsèques
✓ Tenue portée lors du décès. Accompagnement par les proches ou non.
Derniers sacrements
✓ A l’entrée d’un résident, ses choix sont recueillis afin de connaître la CAT en
cas de décès.
Projet d’établissement
14 résidences / 18 soit 77,8 % ont intégré les questions relatives à la fin de vie
dans leur projet d’établissement.
Sujets traités :
✓ Le projet d'établissement permet un temps d'expression autour de la fin de vie.
Il permet une complémentarité entre les soins curatifs et les soins palliatifs.
✓ Lors du projet de soins (l'accompagnement de la fin de vie) convention avec le
service d'Hospitalisation A Domicile et l'équipe mobile des soins infirmiers.
✓ Recueil des directives anticipées lors de l'entrée dans l'établissement pour les
résidents qui sont en capacité de s'exprimer
✓ Libre choix
✓ Lorsque les soins spécifiques sont proposés
✓ Convention signée avec les soins palliatifs
✓ Notification de la formation du personnel et des procédures écrites mises en
place
✓ Une thématique spécifique du projet d’établissement est consacrée à la fin de
vie
✓ Recommandations des bonnes pratiques de soins en EHPAD / fin de vie
✓ Chapitre relatif à l'accompagnement en fin de vie
✓ Protocole de fin de vie. Soins de confort et accompagnement psychologique.
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✓ Respect des volontés et convictions de la personne. Soutien à la famille et au
personnel.
✓ Il existe dans le projet d’établissement un chapitre qui évoque
l’accompagnement de fin de vie, le processus, les symptômes et
l’environnement du résident.
Préoccupation des résidents sur le sujet de la fin de vie
Rôle des CVS
Le Conseil de la Vie Sociale peut être un excellent vecteur pour diffuser
l’information et conseiller les résidents de se rapprocher des personnels compétents
pour aborder les sujets délicats de la fin de vie.
Recensement des
thèmes abordés au cours des
réunion du Conseil de la Vie
Sociale :
Rôle des professionnels
Les résidents questionnent les
professionnels sur les sujets
relatifs à la fin de vie.
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Les résidents et leurs droits
26,67 % des résidents en capacité de formaliser leurs directives anticipées l’ont
fait.
Soit 10,26 % du total des résidents qui en disposent.
791 résidents / 1286 ont désigné la personne de confiance, soit 61,51 %.
Les soins palliatifs
L’Unité Mobile de Soins Palliatifs
Recensement des interventions en 2017 :
60 interventions au profit de 33 résidents.
Cas de difficulté ou réticence pour mettre en place cette intervention :
1 seul résident a été concerné
Causes des difficultés dans ces situations :
• Difficulté de mise en place, mais l'équipe mobile a été à l'écoute et s'est montrée
disponible
• Refus d'un médecin traitant
• Pas de difficulté avec cette équipe quand nous y avons fait appel, toutefois,
réticence de certains médecins traitants pour la solliciter
Les soins palliatifs
Recensement des accueils en soins palliatifs en 2017 :
15 résidents ont été accueillis en soins palliatifs.
Cas de difficulté ou réticence pour mettre en place cette intervention :
1 seul résident a été concerné
Causes des difficultés dans ces situations :
Souhait de retour sur la résidence par la résidente pour mourir. Retour à la
résidence et décès le même jour
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Le décès
Recensement des décès en 2017 :
367, soit 28,54 % des résidents.
Recensement des décès dans l’établissement :
261, soit 71,12 % des décès.
Difficultés particulières rencontrées lors d’un décès :
• Epuisement de la famille et du personnel face à une fin de vie prolongée.
Difficulté pour le personnel de faire le deuil des résidents présents depuis
longtemps
• Difficultés d'avoir un médecin pour établir le constat de décès.
• Fin de vie longue et difficile pour les équipes
• Accompagnement d'une famille
• Parfois, les familles sont dans le déni de l’accompagnement de fin de vie
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Situations vécues et expériences personnelles qui ont marqué les professionnels
(03) Lors de l’évolution d’une pathologie rarement rencontrée en EHPAD (maladie de
Chorée de Huntington) sur une personne jeune (décédée à 55 ans). Fin de vie très
difficile à gérer pour l’équipe soignante, malgré l’accompagnement de la psychologue,
du médecin coordonnateur et de l’équipe mobile des soins palliatifs.
(04) La seule situation délicate que nous rencontrons dans notre établissement est
l’accompagnement adéquat lorsque le résident ou la résidente en fin de vie est en
chambre double.
(05) Le personnel de nuit a accompagné une résidente en fin de vie. Connaissant ses
volontés et les souhaits de sa personne de confiance, l’équipe professionnelle formée
à l’accompagnement de fin de vie a su assurer un accompagnement de qualité de
façon apaisée.
Lâcher prise – discussion - main/toucher relationnelle – soins de confort.
(06) Situation Fin de Vie difficile - Madame R. - Situation rapportée par les A.S. et la
psychologue de l’EHPAD.
Profil : Dame porteuse d'une trisomie 21, âgée de 61 ans. Madame ne parle
pas. Cependant elle communique par d'autres moyens (non verbal : gémissements,
refus, conduites d'opposition, sourires, câlins...). Elle sait faire des choix. Elle a des
sœurs qui lui rendent visite plus ou moins régulièrement.
Contexte : Madame R. est entrée à l'EHPAD en Juillet 2006, après avoir vécu
au Lieu de Vie (structure annexe de l'association gestionnaire).
Les équipes remontent le souvenir d'un accompagnement « long » et «
douloureux » aussi bien pour la résidente que pour les professionnels.
Son histoire : début août, Madame R refuse de s'alimenter et de boire. Mise en
place d'une perfusion. A la mi-août, Madame R. boit à nouveau et accepte de
s'alimenter avec des aliments froids, sucrés, mixés (fromage blanc, crème desserts,
compotes...). A la fin du mois, elle accepte de manger à nouveau des aliments en
morceaux. Nous faisons l'hypothèse qu'il lui fallait un temps (comme tout à chacun)
pour intégrer toutes les nouvelles choses qui ponctueront son quotidien. Madame est
fatiguée à ce moment, mais réactive, se lève, observe, communique. Début octobre,
Madame R fait une bronchite. Elle a de la température, est encombrée. Les équipes
se sentent en difficultés, les A.S. ont l'impression de ne pas la comprendre et par
conséquent de faire mal leur travail. A ce moment-là, Madame R. mange plus ou moins
bien selon les jours. Elle est de plus en plus endormie. A la mi-octobre, elle est
hospitalisée en vue de son état de santé (température persistante, encombrement
persistant). Retour 3 jours plus tard, dans le même état avec interdiction de manger «
jusqu'à nouvel ordre » (ce qui peut apparaitre angoissant pour les professionnels - la
représentation d'absence de nourriture signifie mourir de faim). Cependant, elle
semble apeurée. Elle est douloureuse (visage qui se crispe à la moindre manipulation,
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mouvements d'opposition) et refuse d'être « approchée » (ce qui a compliqué
l'accompagnement des soignantes -sentiment de rejet : elles sont là pour « son bien
», mais elle le refuse). L'état général se dégrade. Elle est agitée, cherche cependant
le contact visuel et tactile. Les sœurs sont prévenues de son état de santé
régulièrement et souhaitent que leur sœur ne soit pas à nouveau hospitalisée. Suite à
l'hospitalisation, les soins palliatifs sont contactés. Ils viennent le lendemain et sont
recontactés quelques jours après pour réajuster l'accompagnement/le traitement. A ce
moment, les équipes sont soulagées par le passage des soins palliatifs (cela semble
les aider, les soutenir, elles se sentent entendues dans leurs difficultés et entendues
par rapport à leurs observations : à savoir qu'elle est douloureuse et que son état
empire). Madame est sous perfusion, qu'elle arrache ou pas. En novembre, Madame
R est plus réactive, présence de refus lors des soins (elle communique). Elle est agitée
la nuit. Début novembre, des eaux gélifiées et des crèmes HP, réintroduction petit à
petit d'alimentation mixée, qu'elle mange avec plaisir. Elle communique davantage, est
éveillée. Fin novembre, l'équipe se pose la question de la lever à nouveau. Elle nous
fait comprendre que c'est ce qu'elle souhaite (ou alors nous l'avons interprété comme
ça) à plusieurs reprises. Début décembre, Madame R. est mise en position assise au
lit en vue d'être éventuellement levée. Cependant, l'état de Madame R. se dégrade.
Certains jours, elle n’est pas réactive, endormie. Elle continue tout de même de
manger et de boire. Elle est réceptive aux massages, ce qui semble l'apaiser (son
visage se détend). Elle est douloureuse, ce qui est difficile pour les professionnels, qui
ne peuvent faire les soins, même de confort et qui la voit/la ressentent en souffrance
physique. Elle réagit de moins en moins et fait des pauses respiratoires. En parallèle,
un accompagnement a été mis en place par la psychologue afin d'accompagner les
professionnels mais aussi auprès des résidents avec qui elle avait des affinités
particulières. Régulièrement, des visites étaient organisées pour aller voir Mme R.
L'accord de Madame R. était recherché avant chaque visite, tout comme celui des
résidents du Lieu de Vie. Ce consentement a été de plus en plus difficile à évaluer
pour la psychologue, son état de santé l'empêchant de moins en moins communiquer.
Elle a été longtemps réactive à leur voix.
Début janvier, les soins palliatifs sont contactés à nouveaux. Ils n'ont pas eu le temps
de passer. Madame R. est décédée le 5 janvier 2017.
Les difficultés rencontrées dans ce cas-là :
=> Le handicap est effrayant pour les équipes en EHPAD. Ce sont des pathologies
encore peu rencontrées. Cela a été d'autant plus difficile que Mme R. ne parlait pas,
ne communiquait pas « verbalement ».
=> Accompagnement long, avec une instabilité de son état de santé d'un jour à l'autre,
ce qui a déstabilisé les équipes.
=> Accompagnement psychique de la résidente compliqué, il a été impossible à la
psychologue de savoir si elle était angoissée ou pas, si Mme R. comprenait son état
de santé, si ce qui a été fait a été « souhaité » par la dame ... sans que nous y mettions
nous-mêmes nos propres projections et désirs et angoisses... Le sentiment de ne pas
comprendre et de ne pas pouvoir savoir ce qu'elle souhaitait ou non...
=> La crainte de « malfaire », de passer à côté de quelque chose.
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=> Le caractère imprévu de « l'humain » notamment en situation de fin de vie, avec
ses ressources et ses faiblesses.
=> La souffrance physique de la résidente provoquant un sentiment d'impuissance de
la part des soignants à soulager la résidente.
=> L'après décès : avec les équipes qui ont eu l'impression de n'avoir pas su gérer dès
son arrivée et elles se sont rapidement trouvées en difficulté.
(07) Une fin de vie particulièrement difficile. Une personne avec énormément de plaies,
de douleur. Les soins palliatifs ont été mis en place. Jusqu’à son dernier souffle, elle
était douloureuse. Les personnels soignants étaient impuissants malgré les
traitements mis en place et la prise de soins conforts. Ce fut éprouvant
psychologiquement.
(08) Refus d’acceptation de la part d’une famille qui a entrainé de la colère ainsi que
de la violence envers le personnel soignant. L’équipe de soin s’est sentie remise en
question dans sa pratique professionnelle. La famille est revenue dans l’établissement
à plusieurs reprises sur une longue période après le décès, ce qui a causé un malaise
parmi le personnel.
(09) Expériences relatives à des fins de vie commentées par des membres du
personnel :
- C'est mon premier jour de travail à l’EHPAD, je suis dans un couloir et j'entends
une personne geindre. Je m'approche et entre dans la chambre, une résidente est
alitée et semble douloureuse. Je m'assois à côté d'elle et lui parle, lui prends la main ;
elle ne semble pas s'en rendre compte et continue de geindre. Je me sens démunie
car je n'arrive pas à entrer en communication avec elle pour trouver un moyen de la
soulager. (Psychologue).
- Depuis quelques jours Mme F mange peu et est moins présente. Ce matin je
l'accompagne dans sa toilette et l'habillage, je ne la trouve pas comme d'habitude et
m'inquiète ; j'en fais part l'infirmière et lui demande s'il est possible d'appeler sa fille
pour qu'elle puisse la voir. Sa fille arrive peu après et Mme F décède en sa présence.
(ASH).
- Une résidente ayant une tumeur à la langue avec un pronostic très mauvais,
nécessite du point de vue de l'équipe l'intervention des soins palliatifs. La demande
est faite auprès de son médecin traitant qui n'y voit aucun intérêt car il a une bonne
expérience concernant la prise en charge des personnes âgées. Nous lui demandons
alors une ordonnance anticipée à administrer en cas de plaintes importantes et de
rupture de varices œsophagiennes. La réponse qui nous est donnée est : « si elle
meurt comme cela, ça prendra 2 minutes, cela ne sert à rien ». (l.D.E.)
- Nous sommes en salle à manger à l'heure du repas avec mon binôme, nous
aidons plusieurs résidents à prendre leur repas. Une résidente grabataire depuis très
longtemps passe de période d'éveil à celle de somnolence pendant tout le repas. Je
m'approche pour continuer le repas et j'ai un doute concernant son état. J'appelle ma
collègue le plus discrètement possible et lui demande son avis sur l'état de Mme J. Ma
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collègue et moi appelons l'infirmière et emmenons Mme J à l'écart. L'infirmière arrive
et nous confirme que Mme J est décédée. (AMP).
- Une aide-soignante m'appelle pour une demande concernant une résidente
de l'unité Alzheimer. Je m'y rends et l'aide-soignante me dit que Mme P (qui est alitée
et ne mange plus depuis un certain temps) lui a demandé « une petite coupe ». Je vais
voir la directrice pour lui transmettre la demande qui est acceptée. Nous donnons une
flûte de champagne à Mme P, qui la boit avec plaisir. Mme P décèdera quelques jours
plus tard. (l.D.E.)
(11) La fin de vie de Mme L et le soutien de sa famille nous a particulièrement touché
et réinterrogé sur les propositions dans les accompagnements de fin de vie au sein de
notre structure.
La présence de sa famille 24h/24 lors de ses derniers jours de vie nous a permis de
nous « requestionner » sur l'accompagnement du résident et plus largement de sa
famille. Comment permettre à la famille de trouver « du réconfort » en adaptant le lieu
de vie et le quotidien ? Nous avons naturellement mis à disposition un lit en plus du
fauteuil et proposer des repas et collations aux enfants de Mme présents sur place,
nous avons évoqué les ressources disponibles au sein de l'établissement
(psychologue, l.D.E. ...)
Le médecin traitant de Mme a également été présent auprès d'elle, tous les jours voir
plusieurs fois par jour, prenant à sa charge la dispensation des traitements nécessaires
à l'apaisement de la douleur de Mme. Ce qui a pu dans un premier temps poser
question a été par la suite une ressource importante.
Au sein de notre structure, il n'est pas courant d'avoir une présence familiale et
médicale aussi importante. Ce qui il me semble a permis d'avoir un accompagnement
tout en sérénité et dans la dignité pour Mme mais également pour la famille et les
équipes de l'établissement. Les équipes se sentant soutenues et peut-être aussi «
déchargées » ce qui a semblé les avoir réunis. Les accompagnements de fin de vie «
en absence » pour des résidents familialement isolés sont plus douloureusement
vécus.
(12) Souffrance d’un résident en fin de vie, très insuffisamment pris en charge par son
médecin traitant malgré les nombreuses relances de sa famille et de la résidence. Par
ailleurs, suite à une hospitalisation de ce résident, le médecin hospitalier propose une
intervention (pose d'une GEP), le résident ayant des troubles de la déglutition. La
famille refusant, l'hôpital renvoie le résident en EHPAD. Puis, suite à une nouvelle
hospitalisation de ce même résident et face à l'insistance du médecin hospitalier, la
famille finit par accepter l’intervention préconisée et ce, à la grande surprise de l'équipe
médicale de l'EHPAD connaissant le souhait du résident de mourir et son non
consentement vis-à-vis d'un acharnement thérapeutique. Un entretien entre le
médecin coordonnateur et l’épouse du résident a permis de mettre en évidence que
cette dernière n'avait pas réellement compris la nature et les incidences d'une telle
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intervention. Cette situation a au final profondément choqué l’équipe en raison de la
non prise en compte des volontés du résident.
(14) Lors du décès d’une résidente ayant séjourné 2 ans dans notre établissement,
nous avons constaté un surinvestissement de la part du personnel lors de la fin de vie.
(Personnalité attachante). Ce surinvestissement a induit un débordement émotionnel
ayant entraîné une déviance des pratiques professionnelles qui s’apparentait à un
deuil familial (pleurs, veillée du corps sur le temps de travail en négligeant les autres
résidents). Cette situation a nécessité un rappel concernant la posture professionnelle
et l’intervention de la psychologue des soins palliatifs.
(15) En fin d’année 2017, nous avions 3 résidents en fin de vie qui étaient au sein de
la résidence depuis quelques années. Les trois résidents sont décédés le même jour,
31 décembre. Une résidente a exprimé sa reconnaissance envers l’équipe lors de son
accompagnement. Ce moment de lucidité nous a beaucoup marqués. Les soignants,
malgré la difficulté de gérer les 3 décès sur cette journée ont eu le ressenti d’avoir bien
accompli leur mission d’accompagnement. Les familles ont aussi remercié les équipes
pour la qualité de leur accompagnement.
15
Etude réalisée par le Comité Ethique Inter-Associatif de l’Aube / Avril 2018
CEIA10 2 Rue Benoît Malon 10300 SAINTE SAVINE www.ceia10.fr
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