06.12.2023 Views

Témoignage Catherine Haas

Témoignage de Catherine Haas qui fut cachée et sauvée oar la famille Fourré nommée juste parmi les Nations le 29 juin 2021

Témoignage de Catherine Haas qui fut cachée et sauvée oar la famille Fourré nommée juste parmi les Nations le 29 juin 2021

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

Témoignage<br />

<strong>Catherine</strong> <strong>Haas</strong>, enfant cachée<br />

Mariage de<br />

Basile et<br />

Blanche Fourré,<br />

7 juin 1913<br />

Justes parmi les<br />

Nations.<br />

Une histoire, deux récits<br />

Texte et photos : Marie-Aimée Ide<br />

Au printemps 2024, à Cormes dans la Sarthe, la médaille de Justes parmi<br />

les Nations sera remise à titre posthume à Basile et Blanche Fourré, et à<br />

leur fille Hélène. En 1944, ils avaient recueilli et caché une petite fille de<br />

trois semaines, <strong>Catherine</strong> <strong>Haas</strong>, dont les parents allaient être déportés<br />

à Auschwitz parce que Juifs. Voici son histoire en deux récits exclusifs,<br />

inédits et poignants. Le premier, celui de Thérèse.<br />

« Jamais ma mère ne m’a dit qu’elle avait<br />

quelque chose à me raconter. Je n’ai jamais<br />

vraiment appris l’histoire de <strong>Catherine</strong>,<br />

je l’ai toujours sue. Elle faisait partie<br />

de l’histoire de ma famille. » C’est ainsi que<br />

Thérèse Le Bihan, fille d’Hélène Clément-Fourré<br />

commence son récit. L’arrivée de <strong>Catherine</strong><br />

<strong>Haas</strong> lui a toujours été racontée. C’était un jour<br />

de février 1944, le 17 exactement, Hélène Fourré<br />

attendait sur le quai de la gare de La Ferté-<br />

Bernard. À la demande de Germaine et William<br />

Dewing, médecin de la famille Fourré, Basile<br />

et Blanche avaient accepté d’accueillir un bébé<br />

de trois semaines, <strong>Catherine</strong>. Ses parents, juifs<br />

tous les deux, craignaient pour sa vie. Selon le<br />

souvenir qu’Hélène a transmis à sa fille Thérèse,<br />

c’est Simonne Lévy-<strong>Haas</strong> qui lui confia la petite.<br />

D’après le témoignage de <strong>Catherine</strong>, c’est son<br />

père, Maurice, qui posa sa fille dans les bras de<br />

Thérèse. Mais cela ne change rien à la rupture,<br />

à la douleur de la séparation, à la déchirure.<br />

Le bébé était enveloppé dans un burnous rose.<br />

Thérèse qui n’était pas née à l’époque se souvient<br />

pourtant de ce burnous dont elle habillera<br />

ses poupées. <strong>Catherine</strong> est donc dans les bras<br />

d’Hélène, sur un quai de gare. Faut-il rappeler<br />

qu’elle n’a que trois semaines ? Hélène a 24 ans.<br />

Elle avait dit à ses parents de ne pas s’inquiéter,<br />

qu’elle les aiderait pour s’occuper de la petite.<br />

Personne n’avait hésité devant la demande du<br />

Docteur Dewing, qui, lui, accueillera la sœur<br />

aînée de <strong>Catherine</strong>, et sera également reconnu<br />

Juste avec son épouse. La famille Fourré vivait<br />

pauvrement, dans le dénuement, mais jamais<br />

elle ne s’est posé la question de savoir si elle<br />

aurait les moyens d’élever cette enfant. Basile<br />

et Blanche parlaient peu. Hélène au contraire<br />

était enjouée. Blanche, que <strong>Catherine</strong> plus<br />

tard appellera Maman Petite, était une femme<br />

douloureuse. Elle avait perdu une petite fille et<br />

n’avait jamais quitté le deuil. Toujours habillée de<br />

noir. Thérèse Le Bihan se souvient des visites au<br />

cimetière avec sa grand-mère.<br />

« Maman, dès qu’on la<br />

branchait, elle parlait de<br />

<strong>Catherine</strong>. »<br />

Mais c’est avec Blanche que <strong>Catherine</strong> fera ses<br />

premiers pas, dira ses premiers mots. Avec<br />

Hélène aussi sans doute. Et la famille s’attache à<br />

cette gamine. « Maman dès qu’on la branchait,<br />

elle parlait de <strong>Catherine</strong>. Sa présence a été un fait<br />

marquant de sa vie. »<br />

Fin 1944, Hélène rencontre Abel Clément. Son<br />

futur mari. Abel s’était réfugié à Cormes chez<br />

son frère. Il avait fui le STO, le service de travail<br />

obligatoire. Lors d’une permission, il n’était<br />

pas rentré à Düsseldorf. Caché chez son frère,<br />

il réussit à obtenir des faux papiers et c’est à ce<br />

moment qu’il rencontre sa future femme. Ils se<br />

marient à l’automne 1944 et vivent à l’étage chez<br />

les parents d’Hélène dans le centre de Cormes.<br />

Le danger devient ainsi double pour la famille.<br />

Il y a des soldats allemands dans le village qui<br />

entrent dans les maisons pour trouver à manger.<br />

Il faut cacher et Abel et <strong>Catherine</strong>. « Pourvu<br />

qu’elle ne pleure pas ! » Thérèse a appris qu’au<br />

moins une fois son père est parti se cacher avec<br />

le bébé dans une cave chez des voisins.<br />

<strong>Catherine</strong> va rester à Cormes jusqu’à ses trois ans<br />

et demi. Ses parents sont déportés tous les deux à<br />

Auschwitz. Dans le récit qui suit, <strong>Catherine</strong> décrit<br />

le sort de ses parents. Son père fut assassiné<br />

lors de la marche de la mort qui est partie<br />

d’Auschwitz en janvier 1945. Il est mort du côté de<br />

Rybnik, en Haute-Silésie. Comme l’écrit Daniel<br />

Blatman dans Les marches de la mort : « Après<br />

la guerre, il fut presque impossible d’obtenir<br />

le moindre renseignement sur les milliers de<br />

victimes de ces massacres. » La famille dut donc<br />

se contenter comme vous le lirez plus bas, d’un<br />

seul coup de fil d’un compagnon de détention,<br />

survivant de cette marche génocidaire. Seule, la<br />

mère de <strong>Catherine</strong> reviendra. En juin 1945. Elle<br />

vient dans la Sarthe voir ses filles en juillet et dit<br />

à Hélène qui est enceinte de Bernard, le frère<br />

aîné de Thérèse, qu’elle attendra la naissance du<br />

bébé pour faire revenir <strong>Catherine</strong> à Paris. Mais<br />

le retour sera difficile. Paris, c’est le paradis en<br />

moins. C’est Cormes en moins.<br />

Nous verrons pourquoi.<br />

Nous avons maintenant les éléments, les faits<br />

principaux pour aborder le récit de <strong>Catherine</strong><br />

<strong>Haas</strong>, écrit pour l’attribution du titre de Justes<br />

parmi les Nations. Cette reconnaissance,<br />

attribuée par Yad Vashem, l’institut international<br />

pour la mémoire de la Shoah à Jérusalem, est la<br />

plus haute distinction civile de l’État d’Israël.<br />

Nous n’avons rien retouché à son texte poignant,<br />

ni la mise en page ni la typographie. Nous le<br />

livrons tel quel.<br />

Légende ?<br />

Maurice <strong>Haas</strong>,<br />

père de <strong>Catherine</strong>,<br />

date de la photo<br />

inconnue.<br />

Hélène Clément-<br />

Fourré avec<br />

<strong>Catherine</strong> <strong>Haas</strong> en<br />

2010.<br />

36<br />

• Maine Découvertes # 119 • hiver 2023-2024 • 37


Carte de déporté<br />

politique de<br />

Simone <strong>Haas</strong>,<br />

mère de <strong>Catherine</strong>,<br />

établie par la<br />

République<br />

française en juillet<br />

1954.<br />

<strong>Catherine</strong> à<br />

Cormes en 1944.<br />

Début 2 nd partie<br />

Les souvenirs de <strong>Catherine</strong><br />

HISTOIRE D’UNE ENFANT<br />

CACHÉE<br />

L’histoire de <strong>Catherine</strong> <strong>Haas</strong>, cachée à trois<br />

semaines qui la dédie :<br />

A ses deux enfants, Pascale et Nicolas<br />

A ses 6 petits-enfants : Zoé, Benjamin,<br />

Eliott, Gabriel, Clémentine, Leila<br />

A sa sœur Michèle<br />

A sa nièce Stéfane<br />

A ses amies et amis qui se reconnaîtront<br />

A vous qui voudrez bien lire pour<br />

NE PAS OUBLIER<br />

Avril 2015<br />

Témoignage d’une enfant<br />

cachée<br />

Inutile de vous dire que pour écrire, je<br />

me demande en commençant ce travail<br />

de mémoire, si je pourrai aller jusqu’au<br />

bout. Faire remonter ce passé, remuer mes<br />

souvenirs… ce mélange de ceux qui m’ont été<br />

racontés, de ceux dont je me souviens.<br />

Un mélange brumeux, dont je me rends<br />

compte, soixante-dix ans plus tard, que je ne<br />

peux laisser dans l’oubli.<br />

Au moins deux raisons, me permettent de le<br />

tenter…<br />

1 – L’importance de la transmission et non<br />

celui du devoir.<br />

2 – Parce que ma mère est revenue des camps<br />

de la mort.<br />

Ma mère, décédée à l’âge de 87 ans, j’ai vécu<br />

Auschwitz en play-back pendant 45 ans ! Le<br />

Mazel, l’inconscience, une enfance choyée,<br />

la passion du piano… je ne sais pas… elle est<br />

revenue de l’enfer.<br />

Concernant mon père, en juin 1945, il n’y<br />

avait toujours aucune nouvelle. L’espoir de le<br />

revoir prit fin en novembre 45…<br />

Suite à une annonce passée dans les journaux,<br />

ma mère et ma sœur Michèle surent qu’il<br />

avait été fusillé pendant la grande marche de<br />

Rybnik, à 80 kms d’Auschwitz, le 25 janvier<br />

1945.<br />

Un bijoutier de Marseille, un compagnon de<br />

la grande Marche, téléphona pour confirmer<br />

qu’il avait été lâchement fusillé sous ses yeux<br />

dans la neige et le froid de la Haute-Silésie.<br />

Onze autres membres proches de ma<br />

famille subirent le même sort dont mes deux<br />

grands-pères. Ils avaient près de 75 ans. Et<br />

des cousins, des cousines, dont on n’entendit<br />

plus jamais parler.<br />

Le paradoxe veut que mon père soit mort<br />

d’avoir voulu vivre.<br />

Un grand sportif, escrimeur, parfaitement<br />

bilingue français/ allemand, debout pour<br />

partir pour la grande marche.<br />

Et que ma mère vécut d’avoir voulu mourir,<br />

dans l’hôpital de Birkenau, avec ses 32 kg et<br />

le typhus. Les Allemands, la pensant presque<br />

morte, ne se donnèrent pas la peine de<br />

l’achever.<br />

Les Russes la sauvèrent le 18 janvier 1945.<br />

Et aussi ridicule que cela puisse être, avec<br />

mes cheveux blancs, je reste l’un des plus<br />

jeunes bébés chauves de l’histoire française<br />

de la Shoah !<br />

Une des plus jeunes des enfants Survivants,<br />

née le 24 janvier 1944, dans une clinique de<br />

la rue Bineau à Neuilly, où ma mère, sous un<br />

faux nom, était entrée le 1 janvier 1944 avec<br />

une prudence angoissée, ignorant la date de<br />

mon apparition.<br />

Un instinct maternel de survie, puisque selon<br />

la loi allemande, les femmes juives devaient<br />

accoucher à Rothschild.<br />

1- Qui était la famille<br />

<strong>Haas</strong>/Levy ?<br />

Famille d’Alsace-Lorraine, Strasbourg et<br />

Lunéville. Tant assimilée, que ma mère a<br />

appris à 11 ans qu’elle était juive. Son frère<br />

Jacques revenu tout fiérot de l’école en<br />

expliquant qu’il avait traité Durand de « sale<br />

juif ».<br />

Ce jour-là mon grand-père, (franc-maçon)<br />

se décida à leur expliquer qu’il fallait trouver<br />

d’autres arguments… car ils étaient juifs.<br />

Leur nom : Lévy.<br />

Du côté paternel, juifs pratiquants. Mon père,<br />

ayant fait la guerre de 14/18, Verdun, Légion<br />

d’honneur et Croix de guerre à 21 ans signées<br />

par Pétain, pensait que les années noires<br />

allaient le protéger des lois antisémites qui<br />

pleuvaient tous les jours.<br />

2- La Sarthe<br />

Le 17 février 1944, mon père nous emmenait,<br />

ma sœur de 14 ans et moi – j’avais trois<br />

semaines – pour nous cacher dans la Sarthe.<br />

Un département que connaissait un ami de<br />

mes parents. Le docteur Pierre Caillard, qui à<br />

la sortie de la clinique Bineau nous avait pris<br />

chez lui ma mère et moi.<br />

Ayant fait un remplacement à La Ferté-<br />

Bernard, il avait demandé au docteur Dewing<br />

de nous prendre ma sœur et moi. Il a accepté.<br />

Concernant ma sœur Michèle seule l’école<br />

catholique en a pris le risque.<br />

Quant à moi, je fus accueillie à Cormes… Une<br />

nourrice austère et dépressive tout de noir<br />

vêtue, sa fille Hélène chaleureuse avec de gros<br />

seins, bonne au château et couturière. Elle<br />

adorait les petits. Des conditions de vie d’une<br />

pauvreté incroyable, pas d’eau courante, pas<br />

d’électricité ; quant aux cabinets, c’était une<br />

planche avec un trou, au fond du jardin, et<br />

des journaux en guise de papier toilette.<br />

C’était le paradis… Une mère, ma Maman<br />

Petite et sa fille Hélène avaient pris le relais.<br />

Ma mère revenue des camps en juin 1945, vint<br />

voir ses filles en juillet 1945. Moi, on me laissa,<br />

et en septembre, toujours sans nouvelles de<br />

mon père, ma mère et ma sœur tentèrent de<br />

me récupérer pour vivre dans des conditions<br />

de pauvreté extrême à Paris. L’État français<br />

n’aidait pas les Juifs qui revenaient de l’enfer.<br />

Attribuait une somme dérisoire qui les<br />

obligeait à trouver au plus vite un travail.<br />

Quant à la cellule psychologique, cela n’était<br />

pas encore au goût de l’époque.<br />

J’avais 18 mois. Mes hurlements et le fait<br />

de ne plus manger, montrée à un médecin<br />

sûrement plein de bon sens, leur annonça<br />

que j’allais me laisser mourir de faim.<br />

J’ai gagné la partie et on me reconduisit à<br />

Cormes.<br />

Même manège à deux ans et demi.<br />

Finalement, à trois ans et demi, je ne sais<br />

comment, ma mère et son nouveau mari<br />

eurent raison de moi et je restais à Paris.<br />

A Chaque période de vacances d’été, je<br />

passais mes vacances à Cormes, et ce, jusqu’à<br />

sept ans et demi, tant perturbée par mes<br />

retours à Paris, l’autorité parentale décida<br />

que je ne mettrais plus les pieds à Cormes.<br />

Il faut dire que de cela je m’en souviens.<br />

Le train La Ferté-Bernard/ Paris qui mettait<br />

trois heures pour 160 km, en classe 3 sur des<br />

bancs à barreaux beige espacés, bien trop<br />

durs pour mes petites fesses.<br />

Je pleurais pendant trois heures durant,<br />

désespérée de quitter Cormes. Inutile de<br />

vous dire ce que les séparations affectives<br />

et lointaines ont été douloureuses pour moi,<br />

ayant souvent tenté inconsciemment de<br />

savoir si cette fois-là, je survivrais…<br />

<strong>Catherine</strong> à<br />

Cormes en 1945.<br />

38<br />

• Maine Découvertes # 119 • hiver 2023-2024 • 39


3 – Auschwitz Birkenau<br />

Je m’en excuse auprès de ceux qui n’ont<br />

jamais revu leurs parents, mais je sais qu’au<br />

fond, j’aurais rêvé que personne ne revint<br />

des camps.<br />

Je n’aurais pas eu Auschwitz en playback,<br />

jusqu’au 2 mars 1990, date de la mort de ma<br />

mère…<br />

Mes sorties de petite fille étaient d’aller<br />

chez ses copines des camps de la mort qui<br />

avaient survécu. Jeannette Makewitz, qui<br />

avait accouché de jumeaux en arrivant au<br />

camp et qui m’adorait… vers mes dix ans,<br />

s’est suicidée au gaz. Dora Aziza, modiste<br />

Boulevard Suchet et une ou deux autres, dont<br />

j’ai oublié les noms.<br />

On m’envoyait jouer pendant qu’elles<br />

parlaient, sans doute du camp.<br />

Que puis-je vous dire que vous ressentiriez<br />

des camps ?<br />

Beaucoup plus tard, ma mère devint une<br />

vraie bande magnétique et quand elle avait<br />

une occasion d’être branchée, sur Auschwitz,<br />

on ne pouvait plus l’arrêter…<br />

Enfin, elle osait raconter l’horreur,<br />

transmettre avec une décontraction assez<br />

stupéfiante.<br />

Les appels dans le froid à 5 h du matin… qui<br />

ne servaient à rien puisque personne ne<br />

pouvait s’échapper. La peur des chiens.<br />

La construction des routes qui ne menaient<br />

nulle part, porter des seaux de pierres que<br />

des plus jeunes aidaient (à porter) tant ils<br />

étaient trop lourds pour elle.<br />

Bernard un petit frère, le petit garçon<br />

d’Hélène, né pour mes 18 mois, l’odeur des<br />

noisettes en septembre, le bidon de lait qu’il<br />

fallait chercher à la ferme, les bonbons de<br />

Madame Romingas, l’épicière… Mon premier<br />

souvenir : musical, la crécelle que l’on m’avait<br />

achetée pour la fête du village, mon Papa<br />

Basile (le mari de Maman Petite), jardinier<br />

qui m’emmenait faire les radis, le souvenir<br />

de la terre sous mes ongles…<br />

A Paris avec cette femme que je ne connaissais<br />

pas, ma mère, l’oubli grâce au piano, un<br />

trois quart queue noir Pleyel… son talent de<br />

pianiste surdouée, le bridge – qui pendant la<br />

guerre, leur avait permis à mon père et à elle,<br />

de gagner un peu d’argent pour survivre, le<br />

bruit des klaxons qui montaient du boulevard<br />

Berthier, juste bien sûr en-dessous d’un feu<br />

tricolore... moi qui ne connaissais que le<br />

silence et le bruit des oiseaux…<br />

Et elle, qui n’avait jamais bu une goutte de vin<br />

et n’en boira d’ailleurs jamais, n’ayant jamais<br />

su conduire, apprit à 50 ans.<br />

Elle partit avec sa 4 chevaux, sur les routes de<br />

Normandie, du Maine-et-Loire, et je ne sais<br />

plus vraiment où, vendre dans les fermes du<br />

Bourgogne, pour nous nourrir ma sœur et<br />

moi… chez les paysans qui reconstituaient<br />

leur cave.<br />

Cette guerre-là, était vraiment finie.<br />

Une antinomie qui 71 ans plus tard, créa une<br />

vie chaotique et des moments de bonheur…<br />

d’autres plus difficiles.<br />

Tous ces souvenirs se mélangent, ils n’ont<br />

aucune suite chronologique.<br />

Fin 2 nd partie<br />

Début fin 1 ere partie<br />

« C’est un honneur de faire<br />

partie de cette famille. »<br />

Thérèse le Bihan voit dans cette médaille de<br />

Justes parmi les Nations un honneur pour sa<br />

famille qui est toujours restée proche de la<br />

famille de <strong>Catherine</strong>. Les noms de Basile, Blanche<br />

Fourré et d’Hélène Clément seront gravés sur le<br />

Mur des noms des Justes à Jérusalem et à Paris,<br />

au Mémorial de la Shoah. Thérèse Le Bihan<br />

ajoute : « Mes grands-parents et maman ont<br />

été tellement heureux d’élever cette petite fille.<br />

Petite, je ne comprenais pas ce qui s’était passé,<br />

la guerre, la haine de l’autre... Plus tard, je me suis<br />

documentée, et je me suis dit qu’il devait y avoir<br />

des moments où notre humanité nous quittait.<br />

Nous ne sommes que des êtres humains après<br />

tout. Cela ne veut pas dire que je justifie quoi que<br />

ce soit, mais il me semble que l’esprit doit nous<br />

abandonner à un moment ou un autre. Ce qui<br />

explique les horreurs vécues par <strong>Catherine</strong> et les<br />

siens. Et c’est vertigineux. Mais pour moi, c’est<br />

un honneur de faire partie de cette famille, de ma<br />

famille, où jamais personne n’a pensé avoir fait<br />

quelque chose d’exceptionnel. »<br />

L’écrivain italien Erri De Luca a bien compris ce<br />

sentiment lorsqu’il écrit dans son livre Le plus le<br />

moins que « le courage appartient aux anonymes.<br />

La peur et le courage sont des composantes<br />

de la même énergie et fabriquent l’histoire du<br />

progrès humain ». Les Fourré ont-ils eu peur ?<br />

Sûrement. En tout cas, nous pouvons écrire avec<br />

De Luca qu’ils ont participé au progrès humain,<br />

l’humanité ne les a jamais quittés.<br />

<strong>Catherine</strong> <strong>Haas</strong><br />

et Thérèse<br />

Le Bihan,<br />

fille d’Hélène,<br />

septembre 2023<br />

à Cormes.<br />

Maison de Basile et<br />

Blanche Fourré à<br />

Cormes, un des lieux<br />

où vécu <strong>Catherine</strong>.<br />

Les déportées se précipitaient sur le seul<br />

radiateur, en rentrant dans leurs baraques.<br />

Les premières se brûlaient, les dernières<br />

crevaient de froid.<br />

Travailler dehors toute une journée sous<br />

la pluie, se coucher les chaussures sous<br />

l’oreiller pour qu’elles ne soient pas volées,<br />

trempées toute la nuit. La couverture pour<br />

trois. De cela, je suis sûre que vous pouvez<br />

l’imaginer (lecture des deux lettres de ma<br />

mère, ci-jointes).<br />

La sélection devant le docteur Menguélé. Ma<br />

mère fut envoyée du bon côté… S’il avait été<br />

retrouvé, elle serait allée témoigner contre<br />

lui à Nuremberg.<br />

4- Conséquences d’une<br />

enfance cachée<br />

(Non exhaustive…)<br />

Quelle importance ? MA MERE ME<br />

MONTRAIT L’EXEMPLE ;<br />

Encore aujourd’hui, je ne veux rien oublier.<br />

POUR TRANSMETTRE CE QUE MA MEMOIRE<br />

ME PERMET ENCORE DE FAIRE ;<br />

Mais je veux que vous sachiez que dans la<br />

vie, la volonté de surmonter les difficultés,<br />

exercer sa mémoire pour ne pas oublier,<br />

transmettre et reconnaître les moments<br />

de bonheur qui se présentent, accepter les<br />

choses que l’on ne peut changer, la volonté de<br />

changer celles que l’on peut, la sagesse d’en<br />

connaître la différence.<br />

C’est un grand message d’espoir et de volonté<br />

pour les futures générations.<br />

Fait le 25 avril 2019<br />

Bibliographie<br />

Daniel Blatman, Les marches de la mort, Fayard,<br />

2009.<br />

Gaëlle Nohant, Le bureau d’éclaircissement des<br />

destins, Grasset, 2023.<br />

Les Justes de France, ouvrage collectif, Mémorial<br />

de la Shoah, Fondation pour la mémoire de la<br />

Shoah, 2007.<br />

David Grossman, Une femme fuyant l’annonce,<br />

Points N° 2895, Prix Médicis (Roman étranger)<br />

2011.<br />

Ma vie c’était Cormes, Maman Petite et<br />

Hélène, l’odeur des saucisses grasses<br />

pur porc, le silence, les blés en août avec<br />

40<br />

• Maine Découvertes # 119 • hiver 2023-2024 • 41

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!