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la vie mode d'emploi (life a user's manual) - Meessen De Clercq

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LA VIE MODE D’EMPLOI<br />

(LIFE A USER’S MANUAL)<br />

Ignasi Aballí<br />

A Kassen<br />

Nina Beier<br />

Alighiero Boetti<br />

Sarah Bostwick<br />

Mariana Castillo <strong>De</strong>ball<br />

Susan Collis<br />

Lieven <strong>De</strong> Boeck<br />

Marjolijn Dijkman<br />

Patrick Everaert<br />

Hreinn Fridfinnsson<br />

Dora Garcia<br />

Sofia Hultén<br />

Michael Johansson<br />

Kris Martin<br />

Jorge Méndez B<strong>la</strong>ke<br />

Jonathan Monk<br />

Sarah Ortmeyer<br />

Cornelia Parker<br />

C<strong>la</strong>udio Parmiggiani<br />

Sarah Pickering<br />

Kirsten Pieroth<br />

Wilfredo Prieto<br />

Evariste Richer<br />

Damien Roach<br />

Sylvain Rousseau<br />

Fabrice Samyn<br />

Katrín Sigurdardóttir<br />

Mungo Thomson<br />

Rachel Whiteread<br />

10 SEPTEMBRE – 15 OCTOBRE<br />

Rue de l’Abbaye 2a B 1000 Bruxelles<br />

meessendeclercq.com +32 2 644 34 54


« J’imagine un immeuble parisien dont <strong>la</strong> façade a été enlevée (…) de telle sorte que, du rez-de-chaussée aux mansardes, toutes les<br />

pièces qui se trouvent en façade soient instantanément et simultanément visibles. » G. Perec<br />

La Vie Mode d’Emploi (Life A User’s Manual) est une exposition qui peut être considérée<br />

comme un double hommage. A <strong>la</strong> fois, elle prend c<strong>la</strong>irement appui sur le livre éponyme de Georges<br />

Perec publié en 1978 et célèbre aussi d’une façon détournée le centenaire de <strong>la</strong> construction de <strong>la</strong><br />

maison (1911) dans <strong>la</strong>quelle <strong>la</strong> galerie exerce son activité.<br />

Dans son livre, sous-titré « romans », Perec retrace <strong>la</strong> <strong>vie</strong> d'un immeuble situé au numéro 11 de <strong>la</strong> rue<br />

(imaginaire) Simon-Crubellier, à Paris, entre 1875 et 1975. Chaque chapitre décrit méthodiquement une<br />

pièce précise de l'immeuble. Perec évoque au fil des 600 pages les habitants de l’immeuble ainsi que les<br />

objets qui s’y trouvent et les histoires qui directement ou indirectement le concernent. En parallélisme<br />

avec <strong>la</strong> structure du livre, il a été décidé d’ouvrir littéralement tous les espaces de <strong>la</strong> galerie et d’y<br />

exposer des oeuvres (bureaux, réserves, cuisine,…).<br />

La structure de l’immeuble décrit par Perec se schématise en une sorte d’échiquier carré de dix cases<br />

sur dix cases, des caves aux mansardes. En s’inspirant de <strong>la</strong> progression du cavalier aux échecs, Perec<br />

passe méthodiquement par les cent cases au fil des cent chapitres qui, pour brouiller les pistes, ne sont<br />

que nonante-neuf…<br />

Les salles du rez-de-chaussée regroupent diverses œuvres qui décrivent les jeux, contraintes et<br />

obsessions qui stimulent de nombreux artistes dans <strong>la</strong> création. Perec a écrit son livre en s’imposant des<br />

contraintes mathématico-lexicales qui montrent que l’imaginaire peut être activé grâce à un système que<br />

l’artiste s’assigne lui-même.<br />

Il semb<strong>la</strong>it logique pour accueillir le visiteur de p<strong>la</strong>cer en exergue l’œuvre de Dora Garcia, I Read It<br />

With Golden Fingers (1), qui consiste en une édition originale de La Vie Mode d’Emploi lue par l’artiste en<br />

ayant les doigts enduits de peinture dorée. Belle métaphore de <strong>la</strong> richesse qui se dissimule dans un<br />

ouvrage mais aussi des « émanations de pensées » que <strong>la</strong> lecture peut engendrer, une fois l’ouvrage lu.<br />

Susan Collis (2), quant à elle, a réalisé une intervention qui parcourt toute <strong>la</strong> maison dans sa<br />

verticalité. Partant du principe que l’immeuble décrit par Perec est, au bout du compte, le personnage<br />

principal, l’artiste a opté pour un travail in situ subtil tout en feignant le danger. Elle a dessiné une fissure<br />

au crayon qui paraît bien réelle ; en y regardant de plus près il de<strong>vie</strong>nt difficile de différencier les vraies<br />

fissures de <strong>la</strong> fausse… Pour paraphraser Perec, elle a forcé une « irruption de <strong>la</strong> fiction dans un univers<br />

auquel, à cause de notre cécité quotidienne, nous ne savons plus prêter attention. »<br />

Rez. Salle de gauche<br />

La salle de gauche se focalise sur le puzzle qui a une p<strong>la</strong>ce prépondérante dans La Vie Mode d’Emploi. Audelà<br />

du jeu en lui-même, le puzzle est une reconstruction d’un monde, une façon de rendre à nouveau<br />

intelligible un espace fragmenté. Evariste Richer (3) a fait produire un puzzle en bois par <strong>la</strong> dernière<br />

société capable d’en réaliser en France. L’image reconstituée est une fine trame composée de points<br />

noirs sur fond b<strong>la</strong>nc qu’on retrouve sur les écrans de cinéma. Espace de tous les possibles, cet écran<br />

morcelé et recomposé nous donne à voir ce que notre imagination voudra bien y projeter.<br />

« En dépit des apparences, ce n’est pas un jeu solitaire : chaque geste que fait le poseur de puzzle, le faiseur de<br />

puzzle l’a fait avant lui ; chaque pièce qu’il prend et reprend, qu’il examine, qu’il caresse, chaque combinaison<br />

qu’il essaye et essaye encore, chaque tâtonnement, chaque intuition, chaque espoir, chaque découragement, ont<br />

été décidés, calculés, étudiés par l’autre » (p251).<br />

Hreinn Fridfinnsson (4) nous livre des Urban Impressions dans lesquelles il réassocie des pièces<br />

éparses de divers puzzles. Reconstruction du monde en petites touches colorées comme les<br />

Impressionnistes au XIXe siècle.<br />

Soulignant que le voyage et l’espace sont prépondérants pour Perec, Katrin Sigurdardottir (5)<br />

présente une série de cartes postales transposées sur plâtre, brisées puis réagencées méticuleusement.<br />

Cette perception du monde kaléidoscopique n’est pas sans rapport avec un des personnages du livre qui<br />

collectionne les cartes postales et en envoie à un autre personnage du « romans ». On retrouve cette<br />

idée aussi dans sa pièce montrée au sol (6).<br />

Le collectif danois A Kassen (7) utilise aussi cette idée de morceler l’œuvre et d’en faire une « œuvre<br />

postale ». Copie d’antique en plâtre, <strong>la</strong> sculpture Postal Statue se retrouve en carottes dans des tubes en<br />

carton, prêts à être envoyés.<br />

Ne peut-on pas voir dans le puzzle une suite de fragments qui une fois réagencés dans un certain ordre<br />

recrée un monde ? On pourrait dire que ce sont des discontinuités qui, assemblées suivant un principe<br />

d’enchaînement précis, donne à voir une harmonie.


0<br />

21<br />

3<br />

6<br />

1 Dora Garcia, Read It With Golden Fingers, 2011<br />

2 Susan Collis, Something Between Us, 2011<br />

3 Evariste Richer, Chaque seconde à partir de cet instant, 2011<br />

4 Hreinn Fridfinnsson, Urban Impressions, 2011<br />

5 Katrin Sigurdardottir, Small pieces, 2011<br />

6 Katrin Sigurdardottir, 58 pieces, 2011<br />

7 A Kassen, Postal Statue, 2010<br />

8 Katrin Sigurdardottir, Untitled, 2009<br />

9 Susan Collis, <strong>De</strong>cent International, 2010<br />

10 Sarah Ortmeyer, SCHACH SCHUH, 2011<br />

11 Michael Johansson, Some Assembly Required - Bed Frame Included, 2009<br />

12 Sofia Hultén, Fuck it up and start again, 2001<br />

13 Sarah Pickering, Candles, 2007<br />

14 Jonathan Monk, The Outside of Something, 2009<br />

15 Jonathan Monk, Keep Still, 2001<br />

16 Alighiero Boetti, Talvolta luna talvolta sole, 1992<br />

17 Wilfredo Prieto, Hiroshima 1945, 2011<br />

18 Lieven <strong>De</strong> Boeck, Le Corbeau, 2010<br />

19 Wilfredo Prieto, Che Guevara 1960, 2011<br />

20 Marjolijn Dijkman, Theatrum Orbis Terrarum, 2005-ongoing<br />

21 Mariana Castillo <strong>De</strong>ball, Penser/C<strong>la</strong>sser, 2002-2011<br />

5<br />

7<br />

4<br />

2<br />

2<br />

1<br />

19<br />

12<br />

11<br />

10<br />

18<br />

17<br />

20<br />

9<br />

14<br />

12<br />

13<br />

8<br />

16<br />

15


Rez. Salle de droite<br />

On retrouve Katrin Sigurdardottir (8) avec une œuvre à tiroirs, évolutive en quelque sorte. Le<br />

paysage p<strong>la</strong>cé au sol est composé de parcelles pouvant s’associer et se dissocier <strong>la</strong>issant <strong>la</strong> possibilité de<br />

l’agrandir au besoin.<br />

Créer en s’imposant une contrainte propre est un processus récurrent chez Perec. On retrouve ce goût<br />

de <strong>la</strong> contrainte dans ce travail <strong>De</strong>cent International (9) de Susan Collis. Il s’agit d’un sac en papier<br />

patiemment dessiné à <strong>la</strong> mine de plomb qui fait penser au sac Tati en France. Utilisé entre autres par des<br />

personnes en situation précaire ou des réfugiés, il symbolise l’errance ou du moins l’itinérance.<br />

Sarah Ortmeyer (10) fait référence à l’échiquier, mais aussi à toutes les dualités qui régissent notre<br />

rapport au réel (cases noires, cases b<strong>la</strong>nches, pair/impair, pied gauche/pied droit,…).<br />

Avec Some Assembly Required – Bed Frame Included (11), Michael Johansson s’inspire des kits<br />

d’assemb<strong>la</strong>ge de maquettes. Intéressé par <strong>la</strong> transformation des objets quotidiens, il renverse les<br />

logiques de production avec humour.<br />

Dans sa vidéo Fuck it up and Start again (12), Sofia Hultén fracasse et reconstruit une guitare au cours<br />

de sept séquences successives. Elle met au point dans son travail une typologie de <strong>la</strong> réhabilitation de<br />

l’objet et se base sur des processus répétitifs pour faire et défaire, refaire et redéfaire. Une logique de<br />

puzzle en définitive.<br />

Au mur, Candles (13) de <strong>la</strong> série Fire Scene de Sarah Pickering est une reconstitution d’un intérieur<br />

auquel le feu fut bouté de façon volontaire par les pompiers en guise d’exercice. La nécessité de recréer<br />

cet environnement suivant des contraintes (exiguïté du lieu, amoncellement d’objets,…) et <strong>la</strong> densité<br />

des informations appellent l’idée du romanesque qui est profondément constitutif du « romans » de<br />

Perec.<br />

La grande sculpture présentée au sol The Outside of Something (14) de Jonathan Monk est une œuvre<br />

qui illustre bien l’idée du discontinu. Outre un clin d’œil à Carl André, cette œuvre, qui fait penser à un<br />

puzzle incomplet, interroge l’idée du manque. Les pièces intérieures existent sous <strong>la</strong> forme d’une autre<br />

sculpture, The Inside of Something, mais les deux sculptures ne doivent jamais être montrées dans le<br />

même espace.<br />

Avec les deux photographies de <strong>la</strong> série Keep Still (15), Jonathan Monk s’oblige à former une phrase<br />

ou un mot, sorte de portrait d’un artiste historique (Sol LeWitt et Marcel Broodthaers), en se basant<br />

sur le nombre de personnes photographiées (à chaque personne correspond une lettre).<br />

Le petit tableau-tapisserie d’Alighiero Boetti où il écrit verticalement Talvolta Luna Talvolta Sole (16)<br />

(« Parfois Lune parfois soleil ») est un bel exemple du travail de l’artiste italien. Petite référence<br />

détournée à Perec (et à son livre La Disparition) puisque Boetti décida d’ajouter d'un « e » (conjonction<br />

de coordination « et », en français) entre son prénom et son nom (Alighiero e Boetti), dans une volonté<br />

de dédoublement de <strong>la</strong> personnalité.<br />

Lieven <strong>De</strong> Boeck a choisi de montrer une partie des 365 lettres (18) qui lui sont adressées de<br />

manière anonyme par « Le Corbeau ». A chaque jour de l’expo correspond une lettre qu’une<br />

col<strong>la</strong>boratrice de <strong>la</strong> galerie est chargée d’effacer au Tipp-ex, <strong>la</strong> rendant de <strong>la</strong> sorte illisible. Cet acte<br />

constitue une contrainte quotidienne qui frustre le lecteur mais décharge l’artiste de <strong>la</strong> teneur de ces<br />

lettres.<br />

Dans divers endroits de <strong>la</strong> galerie, Wilfredo Prieto (17-19) illustre parfaitement une des nombreuses<br />

figures de style que Perec a utilisées. En ne révé<strong>la</strong>nt qu’un détail d’une image iconique du XXe siècle, il<br />

fait une synecdoque visuelle (<strong>la</strong> partie va<strong>la</strong>nt pour le tout). Chaque pièce se suffit à elle-même et<br />

pourtant ne recouvre tout son sens que dans le voisinage des autres pièces. Ici est montré un détail de<br />

l’explosion d’Hiroshima.<br />

Videobox<br />

Avec Theatrum Orbis Terrarum (20), Marjolijn Dijkman compile des dizaines d’activités humaines<br />

qu’elle documente sous forme de clichés photographiques qu’elle prend lors de ses nombreux voyages.<br />

Pour cette version, elle projette 8.000 photos réparties dans des catégories bien précises, répertoriées<br />

par ordre alphabétique dans <strong>la</strong> videobox. Sorte d’at<strong>la</strong>s contemporain, son travail est une façon de<br />

décrire le monde, de lui donner forme en observant l’infra-ordinaire.<br />

Mariana Castillo <strong>De</strong>ball a publié en 2002 un essai photographique s’inspirant de l’ouvrage de Perec<br />

intitulé Penser/C<strong>la</strong>sser. Avec le travail présenté ici, elle prolonge l’idée initiale en reproduisant des images<br />

de son bureau qu’elle a prises durant une année. Sept exemples sont ici exposés (21).


Premier étage<br />

En montant, on aperçoit sur <strong>la</strong> fenêtre du pallier une intervention in situ d’Ignasi Aballí (23). Tout<br />

comme Perec, Aballí est fasciné par <strong>la</strong> liste en tant que méthode de compréhension du monde.<br />

Observer, recenser, c<strong>la</strong>sser. Qui dit liste, dit catégories. L’artiste a répertorié un ensemble<br />

d’informations concernant ce qui est potentiellement visible à travers cette fenêtre. Oiseaux et<br />

phénomènes physico-chimiques sont recensés tout en restant invisibles.<br />

La pièce de puzzle de Wilfredo Prieto (22) accrochée près des toilettes est un détail du ready-made<br />

(l’urinoir) Fontaine de Marcel Duchamp.<br />

22 Wilfredo Prieto, Fountain 1917, 2011<br />

23 Ignasi Aballi, Window, 2011<br />

Dans l’alcôve, Stairway, hallway, bedroom, study (24) de Katrin Sigurdardottir est une retranscription<br />

fidèle d’une partie de l’appartement de son enfance à Reykjavik. Œuvre suggérant bien le double emploi<br />

de « mémoire du lieu » et « lieu de mémoire ».<br />

Bureau gauche<br />

Dans Penser/C<strong>la</strong>sser, Perec a écrit « Notes brèves sur l’art et <strong>la</strong> manière de ranger ses livres ». Le nouveau<br />

c<strong>la</strong>ssement des livres de <strong>la</strong> bibliothèque a été dicté par sa proposition de les ranger par couleur.<br />

Contreba<strong>la</strong>nçant cette ivresse colorée, Jorge Méndez B<strong>la</strong>ke montre quatre aquarelles b<strong>la</strong>nches<br />

(25), presque monochromes, qui font référence à l’activité d’un des personnages principaux du livre,<br />

Bartlebooth, tout en posant <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> possibilité de <strong>la</strong> représentation dans l’art.<br />

Poursuivant <strong>la</strong> tâche que Bartlebooth s’était assignée, Méndez B<strong>la</strong>ke efface des paysages marins qu’il a<br />

vus et peints. En les plongeant dans une solution dissolvante, il opte c<strong>la</strong>irement pour un « état zéro de <strong>la</strong><br />

couleur ». Le monochrome de<strong>vie</strong>nt l’emblème de l’irreprésentable et de <strong>la</strong> perte du souvenir.<br />

Kirsten Pieroth (26) a travaillé à partir du préambule de La Vie Mode d’Emploi et en a établi un<br />

nouveau, en recensant tous les mots utilisés par Perec en les c<strong>la</strong>ssifiant suivant des catégories al<strong>la</strong>nt de<br />

« words that could be easily misspelled » à « palindromes » en passant par « the only words beginning<br />

with V ». L’ensemble fait penser à des archives que Perec aurait pu confier au traducteur ang<strong>la</strong>is du<br />

préambule qui n’aurait eu que peu de chances de reconstituer le texte original.<br />

Cuisine<br />

Perec s’est attaché tout au long de ses écrits à décrire le monde réel et <strong>la</strong> complexité de <strong>la</strong> société<br />

<strong>mode</strong>rne. En décrivant <strong>la</strong> quotidienneté, il tente de saisir « non ce que les discours officiels (institutionnels)<br />

appellent l’événement, l’important, mais ce qui est en dessous, l’infra-ordinaire, le bruit de fond qui constitue<br />

chaque instant de notre quotidienneté. » La quête de Michael Johansson n’est pas différente. En<br />

redisposant des ustensiles de cuisine sous un tabouret, il opère un nouvel agencement et confère un<br />

nouveau statut à tous ces objets (27). On retrouve le goût du détail dont fait preuve Susan Collis<br />

avec Untitled (p<strong>la</strong>tinum staples) (28) qui a agrafé une page b<strong>la</strong>nche avec des agrafes en p<strong>la</strong>tine, un des<br />

métaux les plus onéreux.<br />

Bureau droit<br />

Il était trop tentant pour Perec de dé<strong>vie</strong>r de son p<strong>la</strong>n d’écriture qui consistait à décrire 100 pièces. Pour<br />

déjouer cette logique, il décida de n’écrire que 99 chapitres, <strong>la</strong>issant une pièce non décrite. Vou<strong>la</strong>nt<br />

souligner cet constat, il a été décidé de ne pas ouvrir l’appartement se trouvant au dernier étage du<br />

bâtiment. Néanmoins, Ignasi Aballí a proposé d’incorporer cet espace sans l’ouvrir réellement en y<br />

p<strong>la</strong>çant une caméra de surveil<strong>la</strong>nce qui filme 24h/24 un nouveau point de vue chaque jour (30). La<br />

retransmission se fait en temps réel sur un moniteur p<strong>la</strong>cé dans un bureau. Interrogeant de <strong>la</strong> sorte les<br />

limites entre privé et public, entre œuvre et document, Aballí incorpore l’espace privé dans l’espace<br />

public.


Les mécanismes de contrôle et de fiction sont aussi convoqués avec Mire (31) de Lieven <strong>De</strong> Boeck<br />

sous <strong>la</strong> forme de <strong>la</strong> mire peinte sur un « miroir espion ». Initialement créée pour calibrer un écran de<br />

télévision, <strong>la</strong> mire a pratiquement disparu de nos jours.<br />

Patrick Everaert (33) décrit de façon allusive le monde des images tout en rendant leur lecture<br />

impossible puisqu’elles sont écrasées par un mortier en pierre. La frustration <strong>vie</strong>nt du fait que le mortier<br />

empêche toute compréhension des images malgré leur profusion. Le monde des images et de leur<br />

diffusion est à peine reconnaissable avec les deux pièces de Wilfredo Prieto ; il donne à deviner<br />

deux épisodes importants des années 60 : le premier pas de l’homme sur <strong>la</strong> Lune et l’assassinat de John<br />

F. Kennedy (34).<br />

Salle de droite<br />

Cornelia Parker a récupéré des objets commémoratifs en argent (p<strong>la</strong>ts, couverts, coupes…) avant<br />

de les ap<strong>la</strong>tir sous une presse de 250 tonnes. Thirty Pieces of Silver (35) évoque un passé révolu et charrie<br />

des possibilités de lecture diverses. A qui ont appartenu ces objets ? Quelle fut leur <strong>vie</strong> antérieure avant<br />

d’être figés ? Parker traque les minuscules absolus de <strong>la</strong> <strong>vie</strong> humaine, et comme Perec, recherche l’infraordinaire.<br />

« Faites l’inventaire de vos poches, de votre sac. Interrogez-vous sur <strong>la</strong> provenance, l’usage et le devenir de<br />

chacun des objets que vous en retirez. Questionnez vos petites cuillers.<br />

Qu’y a-t-il sous votre papier peint ? (…)<br />

Il m’importe peu que ces questions soient, ici, fragmentaires, à peine indicatives d’une méthode (…). Il<br />

m’importe beaucoup qu’elles semblent triviales et futiles : c’est précisément ce qui les rend tout aussi, sinon plus,<br />

essentielles que tant d’autres au travers desquelles nous avons vainement tenté de capter notre vérité. »<br />

Avec les gouaches intitulées TIME (36), Mungo Thomson archive l’évolution du logo du Time<br />

Magazine au fil du temps. <strong>De</strong>puis 1922, le Time change régulièrement sa fonte et Thomson relève<br />

méthodiquement les variations. On retrouve ce rapport au temps dans les autres œuvres présentées<br />

dans cette salle.<br />

Animé d'une vision poétique d'une grande acuité, C<strong>la</strong>udio Parmiggiani (37) travaille depuis une<br />

quarantaine d'années sur les notions du temps et de <strong>la</strong> mémoire. A travers sa technique de<br />

« <strong>De</strong>locazione » (fumée et suie sur bois), Parmiggiani représente paradoxalement <strong>la</strong> quintessence de<br />

l'objet lui-même en évoquant son absence.<br />

P<strong>la</strong>cée sciemment sur ce mur, <strong>la</strong> Peinture de Chambre (38) de Fabrice Samyn est une intervention sur<br />

un tableau ancien. L’artiste donne forme à une recherche picturale très originale en dévernissant<br />

partiellement et de façon très ordonnée un portrait d’homme datant du 18 e siècle. En ôtant le vernis<br />

jauni, il extirpe cet homme de <strong>la</strong> saleté accumulée au fil du temps. Nous faisons ici face à une intrusion<br />

motivée par <strong>la</strong> spatialité tout en s’appropriant un passé.<br />

Cette pratique n’est pas très éloignée d’une de celles qui poussait Perec à repasser dans les pas d’un<br />

autre écrivain, en retranscrivant des passages tout en les contextualisant différemment.<br />

Cette intervention souligne aussi que toute œuvre est le miroir d’une autre et qu’une œuvre nouvelle<br />

ne prend souvent sa signification qu’en fonction d’œuvres antérieures.<br />

Petit couloir arrière<br />

Positionnée au milieu de l’étroit couloir, le Doorknob (39) de Rachel Whiteread est un mou<strong>la</strong>ge<br />

intérieur d’une poignée de porte creuse. Travail<strong>la</strong>nt souvent sur l’idée domestique, Whiteread livre ici<br />

une pièce qui souligne <strong>la</strong> symétrie de <strong>la</strong> maison et rappelle que l’immeuble décrit par Perec est un<br />

personnage à part entière.<br />

Installées en hauteur, les deux pièces de puzzle de Wilfredo Prieto représentent deux figures<br />

politiques qui ont marqué le XXe siècle, l’un (41) avec <strong>la</strong> plus grande atrocité (Hitler), l’autre (40) en<br />

accélérant <strong>la</strong> chute du communisme (Gorbatchev). Ces pièces permettent de rappeler que <strong>la</strong> mère de<br />

Georges Perec fut déportée et assassinée à Auschwitz tandis que son père, engagé volontaire, fut<br />

mortellement blessé en 1940.<br />

Salle gauche<br />

Avec Shelving for Unlocked Matter and Open Problems (42), Nina Beier réalise une instal<strong>la</strong>tion<br />

composée d’objets trouvés aux puces dont elle a coupé systématiquement <strong>la</strong> partie supérieure et qu’elle<br />

a par <strong>la</strong> suite assemblés en étagères en y posant des p<strong>la</strong>ques de verre. Travail sur <strong>la</strong> collecte, les réseaux,<br />

<strong>la</strong> <strong>vie</strong> et <strong>la</strong> mémoire des objets, les références aux styles et civilisations, <strong>la</strong> pertinence d’un agencement<br />

non défini, Shelving est un bel exemple d’interre<strong>la</strong>tion entre les objets. Face à cette instal<strong>la</strong>tion, Susan<br />

Collis (43) a p<strong>la</strong>cé un travail à peine discernable qui consiste en un trompe l’œil. A première vue, il<br />

apparaît que deux trous de clous n’ont pas été bouchés, or il s’agit de deux diamants noirs subtilement<br />

insérés dans le mur.


1<br />

38<br />

32<br />

34 33<br />

36<br />

35<br />

27<br />

31<br />

37<br />

30<br />

40<br />

24 Katrin Sigurdardottir, Stairway, hallway, bedroom, 2011<br />

25 Jorge Méndez B<strong>la</strong>ke, The Bartlebooth Monument, 2011<br />

26 Kirsten Pieroth, Complete list of words for the trans<strong>la</strong>tion of the preamble of La Vie Mode d’Emploi, 2011<br />

27 Michael Johansson, Domestic Kitchen P<strong>la</strong>nning, 2010<br />

28 Susan Collis, Untitled, 2011<br />

29 Susan Collis, Something Between Us, 2011<br />

30 Ignasi Aballi, 2011<br />

31 Lieven <strong>De</strong> Boeck, Mire, 2011<br />

32 Sarah Pickering, Insurance Job, 2007<br />

33 Patrick Everaert, 2011<br />

34 Wilfredo Prieto, JFK 1963 and Man on the moon, 2011<br />

35 Cornelia Parker, Thirty Pieces of Silver, 2002<br />

36 Mungo Thomson, TIME, 2011<br />

37 C<strong>la</strong>udio Parmiggiani, Senza titolo, 2008<br />

38 Fabrice Samyn, Peinture de chambre 1, ca 1750-2007<br />

39 Rachel Whiteread, Doorknob, 2001<br />

40 Wilfredo Prieto, Mihail Gorvachov, 2011<br />

41 Wilfredo Prieto, Adolf Hitler 1889-1945, 2011<br />

42 Nina Beier, Shelving for Unlocked Matter and Open Problems, 2010<br />

43 Susan Collis, You won’t be seeing me again, 2011<br />

29<br />

24<br />

39<br />

41<br />

28<br />

25<br />

43<br />

26<br />

42<br />

25


Réserve<br />

Mungo Thomson<br />

Untitled (Margo Leavin Gallery, 1970-) (44) est un film en 16mm qui prend comme sujet le Rolodex de <strong>la</strong><br />

galerie Margo Leavin de Los Angeles. Les adresses de milliers de contacts (artistes, collectionneurs,<br />

curateurs, fournisseurs,…) sont filmés et ainsi rendus visibles en cinq minutes. Beau travail silencieux sur<br />

<strong>la</strong> volonté de tout c<strong>la</strong>sser, c<strong>la</strong>ssifier pour rendre fonctionnelles et intelligibles toutes ces informations.<br />

On peut considérer un fichier comme faisant partie des données essentielles d’une galerie, tout comme<br />

une réserve, endroit secret par excellence.<br />

Petit Local technique<br />

Avec Pot noir, Pot b<strong>la</strong>nc, Pot rouge (45), Sylvain Rousseau nous parle de peinture. Il en est question<br />

tout au long du « romans ». On retrouve ici un hommage à Malevitch (b<strong>la</strong>nc sur fond b<strong>la</strong>nc, noir sur<br />

fond b<strong>la</strong>nc, rouge sur fond b<strong>la</strong>nc) qui s’apparente à un exercice de style.<br />

Atelier<br />

Avec John Silver (46) p<strong>la</strong>cé contre un mur dans l’atelier, Susan Collis réintroduit de <strong>la</strong> fiction dans<br />

notre quotidien et nous livre derrière ce qui semble être un banal morceau de bois un ouvrage très fin<br />

fait en bois noble, or et diamants. Damien Roach s’intéresse aussi à l’imperceptible et expose une<br />

table bleue (49) et une chaise orange (48) sur lesquelles il a subtilement gravé des scènes pittoresques.<br />

Sarah Bostwick, quant à elle, représente avec son relief un point de vue qui exista avant les<br />

rénovations du bâtiment (47). Suite à ses repérages en 2008, elle a gravé et moulé une perspective qui<br />

montre <strong>la</strong> pièce où est exposée l’œuvre.<br />

Wunderkammer<br />

Avec DCD (50), Sylvain Rousseau et Benjamin Rondeau font une référence à l’autre ouvrage<br />

mythique de Perec, La Disparition, dans lequel l’écrivain n’utilise que des mots ne comportant aucune<br />

lettre « e » durant tout son récit (plus de 300 pages !). Une gageure pour le français dont le « e » est <strong>la</strong><br />

lettre <strong>la</strong> plus courante ! Le nom de Georges Perec de<strong>vie</strong>nt alors « GORGS PRC » retranscrit sur une<br />

pierre tombale.<br />

Avec End point of La Vie Mode d’Emploi (51), Kris Martin donne <strong>la</strong> dernière touche à cette exposition<br />

en découpant le point final du « romans ».<br />

On aura compris que le romanesque de Perec trouve appui dans les jeux et les contraintes tout comme<br />

pour de nombreux artistes contemporains. La Vie Mode d’Emploi est sans doute l’œuvre <strong>la</strong> plus riche, <strong>la</strong><br />

plus aboutie de Perec. Le vaste réseau qu’il a mis au point, le rapport original entre innovations<br />

formelles et sens profond, <strong>la</strong> profusion des détails et <strong>la</strong> complexité de <strong>la</strong> structure du livre font qu’il<br />

s’agit là, non seulement d’un joyau de <strong>la</strong> littérature mondiale, mais également une source d’inspiration<br />

inépuisable pour de nombreux artistes. Qu’elle puisse l’être pour vous aussi !


-1<br />

44<br />

52<br />

44 Mungo Thomson, Untitled (Margo Leavin Gallery, 1970-), 2009<br />

45 Sylvain Rousseau, Pot noir, Pot b<strong>la</strong>nc, Pot rouge, 2008<br />

46 Susan Collis, John Silver, 2010<br />

47 Sarah Bostwick, Cel<strong>la</strong>r Floor Right, 2011<br />

48 Damien Roach, Cro-Aloha, 2005<br />

49 Damien Roach, Dawn Chorus, 2004<br />

50 Sylvain Rousseau et Benjamin Rondeau, D C D, 2009<br />

51 Kris Martin, Endpoint of “La Vie Mode d’Emploi (Georges Perec), 2011<br />

52 Wilfredo Prieto, Mona Lisa 1503-1506, 2011<br />

53 Wilfredo Prieto, Easyjet, 2011<br />

45<br />

53<br />

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46<br />

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