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s’occupent de marginalisés dans la région<br />
parisienne et en Auvergne, et reçoit l’aide de<br />
l’UNESCO.<br />
Dès 1995, 14 adolescents, 3 filles et 11 garçons,<br />
se préparent au voyage. Le leitmotiv:<br />
«leur montrer qu’ils ne sont pas n’importe<br />
qui. Car la première chose que perdent les<br />
jeunes marginalisés, c’est leur identité.<br />
Leur dire que Sébastien, Marie-Madeleine,<br />
Pascal sont des gens bien, même si on leur<br />
a signifié, dans un passé pas si lointain,<br />
qu’ils n’étaient pas grand-chose. Leur montrer<br />
aussi qu’ils ne vont pas faire n’importe<br />
quoi: on allait aider des gens à se<br />
reloger. On n’allait pas arriver en conquérants,<br />
mais pour participer à un projet<br />
commun». Pendant deux ans, ils participent<br />
en France à des week-ends de marche dans<br />
la montagne qui mettent à l’épreuve leur<br />
Le rap, l’art de la révolte<br />
Dans leurs bouches, la<br />
révolte. Des mots crus<br />
comme la réalité qui les a<br />
engendrés. Le rap, c’est<br />
cela. C’est le talent spontané,<br />
l’anti-star qui émerge<br />
d’un coin de rue perdu,<br />
d’une cité sans nom. Une<br />
voix toute simple mais forte,<br />
sans amplificateur ni falsificateur,<br />
qui vous fait frémir<br />
parce qu’elle parle de la<br />
détresse, de la souffrance<br />
intérieure de toute une<br />
génération; celle d’une jeunesse<br />
sans présent ni futur,<br />
qu’elle soit de Rio, de<br />
Harlem, de Manille ou de<br />
Bamako. Mais c’est aussi<br />
un cri lancé pour se faire<br />
entendre et peut-être comprendre:<br />
«La rue t’apprend<br />
des choses, la rue te prend<br />
6 juin 1999 - N° 113<br />
des choses. Juste devant<br />
la porte, la réalité de tout<br />
simplement être c’qu’on est,<br />
si on n’est pas c’est ceci et<br />
si on n’est pas c’est cela,<br />
on est c’qu’on est et ça personne<br />
ne l’changera».<br />
Jérémie, alias Cool J, vient<br />
à la fois de la République<br />
centrafricaine et des faubourgs<br />
de Paris. Professeur<br />
de Tae Kwen Do (art martial),<br />
membre de l’équipe de<br />
Cool J: «Le sport pour canaliser les énergies».<br />
France, cinq fois champion<br />
national, et fils d’une famille<br />
de rappeurs, il défend le<br />
«rap d’origine», le pur et<br />
dur qui naît dans la rue et<br />
qui évolue avec elle.<br />
Contrairement à «l’autre»<br />
rap, celui des «‘show biz’<br />
qui revendiquent le ghetto,<br />
vendent leur souffrance et<br />
capacité de vie en communauté. Pendant ce<br />
temps, l’association prépare les habitants de<br />
Wardha à l’arrivée de jeunes considérés<br />
comme «difficiles» et marqués par la drogue,<br />
la violence, l’abandon, la maternité à 14 ans...<br />
«La plupart étaient profondément détruits<br />
intérieurement».<br />
Après l’Inde, la Crimée<br />
En 1996 ils construiront 14 maisons (dont<br />
le prix n’excède pas 6/700 dollars) en six<br />
semaines. Lever à 6 heures, puis yoga avant<br />
d’aller travailler sur le chantier où ils suivent<br />
les directives des maçons et des architectes<br />
indiens, fabriquent des briques,<br />
construisent les murs, les fenêtres, les toits...<br />
Le soir, ils découvrent la culture indienne. Ce<br />
qui, plus tard, leur donnera l’impression d’être<br />
«enrichis». Aujourd’hui, Stéphane en parle<br />
© C. DELLOYE<br />
une fois arrivés, oublient<br />
d’où ils viennent».<br />
Le pouvoir de l’argent<br />
transforme-t-il le rap? C’est<br />
pour s’opposer à cette<br />
«dérive» et parce qu’il<br />
«voulait transmettre un<br />
message d’espoir aux<br />
jeunes en détresse, les<br />
aider à vivre autre chose»,<br />
que Cool J monte, il y a<br />
deux ans, un projet de compilation<br />
de rappeurs de<br />
«l’underground» qui, tous,<br />
versent leurs droits pour la<br />
jeunesse en détresse dans<br />
le monde. Ce sont «des lascars:<br />
des jeunes qui se<br />
débrouillent pour s’en sortir<br />
et qui gardent un état d’esprit<br />
pur... comme un diamant».<br />
Leurs textes viennent<br />
«du fond des tripes».<br />
Ils parlent de code d’honneur,<br />
d’identité, de solidarité<br />
entre «frères» qui font<br />
des rappeurs une «grande<br />
famille», de fierté et de<br />
dignité, du sport comme<br />
hygiène de vie, mais aussi<br />
de la révolte face à une<br />
réalité vraiment trop injuste,<br />
trop inégale qui en fait des<br />
«exclus». Ne sont-ils pas<br />
encore trop souvent refoulés<br />
d’une boîte de nuit<br />
parce qu’ils viennent de la<br />
banlieue, alors que la<br />
musique qui passe est justement<br />
la leur?<br />
Initié à la construction<br />
d’une charpente<br />
par un ouvrier indien.<br />
Le hasard fait parfois bien<br />
les choses: l’un des élèves<br />
d’arts martiaux de Cool J<br />
travaille à l’UNESCO où il<br />
présente le projet. Le courant<br />
passe: «Question de<br />
fluide avec une personne»<br />
(en l’occurrence Martine<br />
Bousquet, spécialiste du<br />
Projet spécial «Jeunes»)<br />
explique Cool J. L’UNESCO<br />
parraine l’album «l’Univers<br />
des lascars» (produit par la<br />
maison de disques Da L’As)<br />
qui sort en avril 1999: un<br />
mois après, on comptait<br />
déjà 50 000 ventes! Le produit<br />
des ventes doit aller à<br />
un compte spécial de<br />
l’UNESCO pour l’enfance en<br />
détresse dans le monde,<br />
compte dont Cool J peut<br />
contrôler l’emploi: «Ça fait<br />
plaisir de savoir exactement<br />
tout ce qui va pouvoir<br />
se faire grâce à cet<br />
argent». De plus, une série<br />
de concerts de rap devrait<br />
avoir lieu en Afrique et au<br />
Canada, dans des quartiers<br />
défavorisés ou des bidonvilles<br />
auxquels seront versés<br />
les fonds récoltés. Une<br />
manière pour les rappeurs<br />
de montrer «qu’il ne faut<br />
pas attendre d’être millionnaire<br />
pour être généreux,<br />
pour faire un geste humanitaire».<br />
●<br />
Cristina L’Homme<br />
© HERVÉ BEAUDET