Pourquoi et comment susciter le goût pour l'Histoire au Cycle III à ...

Université du Maine
Faculté de Lettres, Langues et Sciences Humaines
Master 2 Littérature pour la Jeunesse - Parcours « Bibliothèque »
Pourquoi et comment susciter
le goût pour l’Histoire au Cycle III à
travers l’édition pour la jeunesse ?
MEMOIRE PROFESSIONNEL
présenté par
Jeanne Frances El-Sayed Youssef
Sous la direction de Madame Catherine Ridé
Session de septembre 2010

A nos deux petits grands lecteurs,
A notre grand-mère, un siècle de vie
Un petit clin d’œil à « Fantômette »,
qui nous a entraînée dans une aventure dont elle seule a le secret
et sans laquelle nous ne serions pas là aujourd’hui
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« Chacune de nos lectures laisse une graine qui germe »
Jules Renard
(Journal 1887-1904)
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Remerciements
Qu’il nous soit permis ici de remercier chaleureusement :
Ma directrice de mémoire, Madame Catherine Ridé, bibliothécaire formatrice et responsable
du module Bibliothèque en Master 2 Littérature de jeunesse à l’Université du Maine, pour sa
qualité d’attention durant toute cette année de stage et ses conseils avisés pour la rédaction
de ce Mémoire
Ma tutrice, Madame Sylvie Bégué, professeur documentaliste au Lycée français du Caire, pour
sa patience, ses encouragements et sa confiance
Monsieur Bernard Roesch, proviseur du Lycée français du Caire, pour son intérêt envers notre
projet et pour nous avoir permis d’exercer ce stage dans les meilleures conditions possibles.
Sans oublier :
Mon mari et mes enfants pour leur soutien de chaque jour
Mes parents pour leur relecture attentive et pertinente
Charles et Nalini pour l’impression et la compilation de ce Mémoire
Et bien sûr, les enseignants et les bibliothécaires qui ont bien voulu nous faire partager leurs
expériences, ainsi que les enfants de l’Atelier d’Histoire du Lycée français du Caire sans lesquels
ce Mémoire n’aurait pu voir le jour.
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Note : certaines personnes citées dans ce Mémoire ont souhaité garder l’anonymat. Afin de
respecter leur volonté, seuls leur prénom ou leurs initiales ont été mentionnés.
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Sommaire
INTRODUCTION page 7
I. HISTOIRE ET CULTURE HISTORIQUE : STATUTS ET ENJEUX page 10
I.1 LA PLACE DE L’HISTOIRE DANS LA SOCIETE page 11
I.2 LA PLACE DE L’HISTOIRE A L’ECOLE page 21
I.3 L’HISTOIRE A LA BCD DU LYCEE FRANÇAIS DU CAIRE page 37
II. COMMENT RENCONTRER L’HISTOIRE A TRAVERS
LA LITTERATURE ET L'EDITION POUR LA JEUNESSE ? page 50
II.1 L'HISTOIRE DANS LA LITTERATURE POUR LA JEUNESSE page 51
II.2 DECOUVRIR L’HISTOIRE A LA BCD page 67
III. PROJET DE MEDIATION ET ANIMATIONS page 77
III.1 ANIMATIONS DE LECTURE page 79
III.2 LA LECTURE ET LA RECHERCHE DOCUMENTAIRE page 91
III.3 L'HISTOIRE A LA CARTE page 102
CONCLUSION page 111
Annexes page 114
Table des annexes page 115
Bibliographie et sitographie page 151
Table des illustrations page 164
Table des matières page 165
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INTRODUCTION
Elle n’a que quinze ans et s’apprête déjà à faire une entrée remarquée dans le monde
de la littérature avec la publication, le 18 mars dernier, de son premier roman historique « La
fiancée de Tocqueville » aux éditions Balland. Elève en première littéraire au Lycée Henri IV à
Paris, Julia Malye est plongée depuis son plus jeune âge dans les livres d’Histoire de la
bibliothèque paternelle. Fascinée par la récente découverte de sa descendance avec un
soldat de la Révolution et de l’Empire, et la brève idylle de son aïeule, Rosalie Malye, avec
l’historien-écrivain Alexis de Tocqueville, elle imagine alors une rencontre fictive entre ses
ancêtres et les Soult, noble famille dont est issue Agathe, sa meilleure amie. Grâce aux travaux
de recherches effectués pour se documenter, la jeune romancière signe ici un roman emprunt
de réalisme nous donnant l’impression d’avoir réellement vécu ce qu’elle décrit à travers les
aventures de ses deux héroïnes, Hortense et Rosalie, sur fond de guerre d’Espagne et du Paris du
XIX ème siècle.
A l’image de ce projet d’écriture et des recherches historiques qu’il a suscitées, la
généalogie peut être un moyen efficace pour amener les jeunes à s’intéresser à l’Histoire et il
suffit parfois d'une découverte quelque peu insolite pour faire naître une passion. « Chacun fait
à un moment ou à un autre de sa vie, sa rencontre avec l'Histoire » écrivait Pierre Miquel dans sa
« Lettre ouverte aux bradeurs de l'Histoire » 1 . En effet, l’individu n’arrive jamais à ce stade par
hasard. Au départ, il y a certainement eu dans son enfance des attitudes, des comportements,
des mises en situation qui ont facilité la naissance d’un « goût », d’un « intérêt ». Ces différents
facteurs sont à rechercher dans l’environnement immédiat de l’enfant : auprès de membres de
sa famille, mais aussi à l’école et à la bibliothèque. Déjà dans les années 1980, Micheline
Johnson relevait que « certains enfants ont le privilège de vivre, dans leurs familles, des
expériences les mettant au contact des traces laissées par le passé et de se construire ainsi un
capital historique, un stock d’images mentales ou de représentations, celui que nous qualifions
d’implicite » 2 .
Le 24 avril 1981, Bernard Pivot consacrait sa célèbre émission Apostrophes à ce thème :
« Comment donner le goût de l'Histoire aux enfants ? » 3 . Pour en débattre, il avait réuni sur son
plateau Pierre Miquel, Marc Ferro, Jeanne Bourin, André Castelot et Louis Genet 4 . Alors que la
discussion portait sur les différentes approches possibles pour appréhender l’Histoire, tous se sont
accordés à souligner l'importance pour chaque enfant de connaître l'histoire de son pays, de
ses origines et la nécessité vitale de lui enseigner cette discipline. En tant qu’historienne de
1 MIQUEL Pierre, Lettre ouverte aux bradeurs de l’Histoire, « Lettre ouverte », Albin Michel, Paris, 1981
2 JOHNSON Micheline, L’histoire apprivoisée, Boréal Express, Montréal, 1979, p. 97
3 , page
consultée le 25 novembre 2009
4 Pierre Miquel, Marc Ferro, Jeanne Bourin, André Castelot, Louis Genet pour respectivement : Lettre ouverte aux bradeurs de l'histoire,
Comment on raconte l'histoire aux enfants à travers le monde entier (Payot, 1981), Le jeu de la tentation (La Table Ronde, 1981),
Au fil de l'histoire (Lie Acad. Perrin P., 1981) et Histoire du XIX ème siècle (Nathan, 1981)
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formation et convaincue que l’Histoire apporte richesse et satisfaction dans la vie de chacun,
nous avons, nous aussi, souhaité nous questionner sur l’intérêt de transmettre ce goût à des
enfants de huit à dix ans et désiré expérimenter une piste de choix parmi les multiples possibles :
la littérature de jeunesse.
Lectrice assidue de fictions et documentaires historiques, notre cursus universitaire, notre
intérêt personnel et notre rôle de parent nous ont conduite à redécouvrir avec enthousiasme
cette littérature de jeunesse dans les rayons des bibliothèques ou chez les libraires. L’envie de la
faire partager aux enfants s’est rapidement imposée. En 2005, nous avions donc pris l’initiative
de mettre en place des séances d’Histoire pour des enfants du Primaire dans le cadre des
activités extrascolaires du Lycée français du Caire (Egypte). Nous trouvions alors que trop peu
de temps était consacré à l’étude de cette discipline par les enseignants de Cycle III. A cela,
venaient s’ajouter deux motivations strictement personnelles : proposer aux enfants une activité
ludo-éducative originale et leur faire découvrir un éventail aussi large que possible de la
production éditoriale en Histoire pour éveiller en eux la curiosité et approfondir leurs
connaissances dans ce domaine. Ce projet ne cherchait pas à aborder l’Histoire comme
discipline scolaire ni à supplanter le rôle des enseignants. Son objectif était de donner aux
enfants une approche historique riche et variée à travers une sélection tout à fait personnelle de
fictions et documentaires appartenant à la littérature de jeunesse. Dans son ouvrage, Trésors
des récits historiques pour la jeunesse - Cycle III, Michel Peltier recommande « d’aider les élèves
à construire une intelligence du temps historique » 5 . C’est dans cet esprit que nous avions inscrit
notre démarche, en veillant à placer la littérature de jeunesse comme support du projet.
Soucieuse de légitimer ce qui avait été fait « au feeling » il y a maintenant cinq ans, mais
aussi avec la volonté de repenser les dispositifs mis en œuvre grâce à l’apport littéraire et
culturel dispensé par la formation en littérature de jeunesse suivie au cours de notre année à
l’Université du Maine, nous avons eu l’idée de reconduire cette expérience pour mettre en
pratique les nouveaux acquis mais aussi d’approfondir notre réflexion autour de la
problématique suivante : « pourquoi et comment susciter le goût pour l’Histoire au Cycle III à
travers l’édition pour la jeunesse ? ». Compte tenu de nos contraintes professionnelles, de
l’aménagement du temps scolaire différent à l’étranger et des horaires d’ouverture de la
Bibliothèque Centre de Documentation (BCD), nous avons opté, en accord avec la Direction
de l’établissement et les responsables du Master 2 en Littérature de jeunesse, pour la formule
d’un stage en responsabilité filé, avec une intervention chaque mardi après-midi, d’octobre
2009 à juin 2010.
Cette fois, nous sommes partie d’un constat bien précis : le fonds Histoire de la BCD du
Lycée français du Caire n’est que rarement emprunté par les élèves, peu utilisé par les
5 PELTIER Michel, Trésors des récits historiques pour la jeunesse - Cycle III, « Argos Démarches », SCEREN-CRDP, Académie de Créteil, 2002,
p. 18
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enseignants, encore moins mis en valeur par sa responsable. Dès lors, de nombreuses questions
se sont posées : quelles sont les raisons d’un désintérêt pour le fonds Histoire de la BCD ? Est-il
adapté pour transmettre le goût de l’Histoire aux enfants ? Comment lui redonner sa place et
faire vivre ce fonds ? Pourquoi devrait-on donner le goût de l’Histoire aux enfants et comment le
leur faire acquérir ? En quoi la littérature de jeunesse peut-elle contribuer à faire naître cet
intérêt chez les enfants ? Nous avons pu ainsi recadrer notre projet initial autour de la
problématique citée et des ressources de la BCD, et imaginer plusieurs stratégies d’approche :
appropriation du livre à travers des textes accessibles qui visent à associer lecture et plaisir,
animations à caractère ludique autour du livre capables de les séduire. Par sa politique
éditoriale ambitieuse, la littérature de jeunesse est devenue aujourd’hui un vecteur de choix
grâce à ses ouvrages à la fois instructifs et distrayants qui constituent de vrais atouts pour susciter
l’intérêt et le transfert de connaissances aux plus jeunes. Nous verrons que la production
actuelle présente une source importante d’informations et offre un choix multiple de supports
permettant la mise en place d’activités diversifiées susceptibles d’éveiller la curiosité. Grâce à
leurs textes imaginatifs et leurs illustrations, les livres pour la jeunesse possèdent donc les qualités
indispensables pour conquérir le jeune lectorat et rencontrent, de ce fait, un succès justifié et
croissant. Il est vrai que notre tâche nécessitait une planification et une anticipation dans
l’organisation des activités, et nous regrettons la difficulté d’une réelle intervention au sein de
l’équipe pédagogique. Cependant, c’est ce nouvel éclairage et notre modeste projet d’action
en faveur de la lecture de l’Histoire à la BCD que nous souhaitons présenter dans ce Mémoire
professionnel.
Dans un premier temps, nous reviendrons sur les statuts et les enjeux de l’Histoire et de la
culture historique dans la société, à l’école et plus spécifiquement à la BCD du Lycée français
du Caire. Cette analyse nous permettra de nous interroger sur la démarche à adopter pour
susciter le goût pour l’Histoire chez les enfants. Dans un second temps, nous partirons à la
rencontre de l’Histoire à travers l’offre éditoriale pour la jeunesse puis à la BCD, lieu de culture
historique et d’apprentissage. Enfin, dans un troisième et dernier temps, nous exposerons et
analyserons les moyens d’incitation à la lecture et à la pratique de l’Histoire tels que nous les
avons expérimentés avec un petit groupe d’enfants de Cycle III du Lycée français du Caire en
leur faisant découvrir, à travers des activités de lecture et de jeu, des ouvrages de littérature
pour la jeunesse à contenu historique.
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CHAPITRE I
HISTOIRE
ET CULTURE HISTORIQUE :
STATUTS ET ENJEUX
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I. HISTOIRE ET CULTURE HISTORIQUE : STATUTS ET ENJEUX
L’Histoire tient dans l’univers culturel et social de nombreux peuples une place éminente.
Présente dans les discours politiques et les commentaires des journalistes, dans les histoires de
famille ou dans les écoles, dans les manuels et dans les romans, elle est souvent la référence
obligée nécessaire à toute réflexion. « Le passé est un produit à la mode » constatent Nadine
Gautier et Jean-François Rouge. « Jamais on n’a autant cherché à le raconter, à rêver sur son
compte, à le comprendre, à le conserver, à le restaurer, à l’exposer dans des musées, mais aussi
à le recomposer et à le réécrire » précisent-ils encore 6 . En effet, au cours de ces dernières
années, on assiste de plus en plus au rapprochement entre la science historique et la médiation
de l’Histoire à travers la hausse des ventes de livres sur la Préhistoire et l’Histoire, mais aussi le
glissement du statut de l’Histoire vers les domaines du rêve et de l’imaginaire par le biais de la
narration et de la mise en scène.
I.1 La place de l'Histoire dans la société
I.1.1 Qu'est-ce que l'Histoire ?
a. Pour une définition de l'Histoire et de la connaissance historique
Dans le Larousse, la définition de l'Histoire est la suivante : « partie de la vie de l'humanité
connue par des documents ; suite des événements qui ont marqué une période ; science qui
étudie le passé de l'humanité ». Parce que l’Histoire les a toujours fascinés, les hommes se sont
essayés à lui trouver une définition. Le poète Ronsard disait de l’Histoire qu’elle est « le témoin du
temps, la mémoire des âges » 7 . « L’Histoire est un grand miroir où l’on se voit tout entier. Un
homme n’a rien fait qu’un autre ne fasse ou ne puisse faire » 8 écrivait Jean-Jacques Rousseau.
Jules Michelet voyait dans l’Histoire une « résurrection intégrale du passé » 9 . Leopold Ranke
pensait que l’Histoire doit « montrer purement et simplement comment les choses se sont
produites » 10 . Pour l’historien Marc Bloch, « l'Histoire est la science des Hommes dans le temps » 11 .
Mais Maxime, 8 ans, à qui nous demandons ce qu’est l’Histoire, répond : « les histoires, ça
s’arrête toujours, mais l’Histoire, elle, ne s’arrête jamais ». La définition est pertinente, témoignant
du moment où, chez l’enfant, l’imaginaire et la réalité du passé s’autonomisent, et où la
conscience historique, encore embryonnaire, peut commencer à travailler comme telle. Nous
retiendrons ici la définition proposée par Henri-Irénée Marrou : « L’Histoire est la connaissance du
6 GAUTIER Nadine, ROUGE Jean-François, « Le présent au péril du passé », in Passion du passé - Les « fabricants » d’Histoire, leurs rêves et
leurs batailles , Autrement, no 88, mars 1987, p. 8
7 Citation extraite de l’ouvrage d’Héliane Bernard et Alexandre Faure : C’est quoi la mémoire ?, « Phil’ART », Milan Jeunesse, 2008, p. 9
8 ROUSSEAU Jean-Jacques, Chronologie universelle ou histoire générale des temps depuis la création du monde jusqu’à présent
composée et dressée par Rousseau pour son usage, avant-propos, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Tome V, p. 490
9 LEPELTIER Thomas, Compte rendu du livre Michelet ou la subversion du passé d’Arthur Mitzman, in Sciences Humaines, no 111,
décembre 2000
10 On trouvera des explications détaillées à la question « qu’est-ce que l’Histoire ? » sur le site Philosophie et spiritualité, disponible à
l’adresse : , page consultée le 3 mai 2010
11 BLOCH Marc, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, « Références », Armand Colin, Paris, 1997, p. 84
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passé humain » 12 . Elle est un effort de réappropriation par l’historien du présent, et au travers des
traces laissées par les documents ou les vestiges, du passé. « Qui sommes-nous ? D’où venons-
nous ? Où allons-nous ? » constituent la base de l’Histoire pour un grand nombre de spécialistes
comme Marc Ferro. C'est à l'Histoire comme « connaissance du passé » que nous allons nous
intéresser ici avec les enfants.
b. Susciter l’intérêt pour l’Histoire
(i) Quels enjeux ?
Depuis longtemps, mais maintenant plus que jamais, l’Histoire est un phénomène culturel
majeur dans notre société. Même si certains alimentent la controverse sur les enjeux de l’Histoire
et remettent en cause la façon dont elle est enseignée, il n’en demeure pas moins que « les
sondages effectués fréquemment, soit par le ministère soit par des organismes privés, montrent
tous combien l’opinion porte à cette question un attachement profond, voire un intérêt
sourcilleux et que la quasi-totalité de la société la considère au contraire comme un facteur
nécessaire et même indispensable d’une saine instruction » 13 .
Multiples et diversifiées sont les initiatives ou projets organisés par les différents médiateurs
pour donner aux enfants les moyens d’observer, de connaître et de comprendre le passé. Ainsi,
en collaboration avec l’Education nationale, les ateliers-découvertes de l’Abbaye de
Fontdouce (Charente-Maritime) visent à mettre à la portée des enfants le Moyen Âge dans sa
réalité historique et culturelle, et plus particulièrement les ordres bénédictins et cisterciens, en
sollicitant leur sens de l’observation et leur capacité à raisonner : taille de la pierre, enluminure-
calligraphie, cuisine médiévale, jardin de l’Abbaye ou encore sceaux et blasons. D’autres
animations tout aussi attractives sont offertes au jeune public : le temps d'un week-end à
Glanum (Bouches-du-Rhône), chacun peut retourner sur les bancs de l’école et partager la vie
des enfants romains à travers un rallye historique ; tandis que chaque 25 juillet, lors de la Fête
votive de Montaulieu (Drôme), les enfants sont entraînés dans un jeu de piste avant d’affronter,
au cours d’une joute mémorable, un seigneur venu du XIII ème siècle… C’est une « Classe
Paléontologie » que propose l’Association Vivre sans frontières aux enfants de Cycle III avec la
mise à jour de fossiles marins, de plantes aquatiques ou d’empreintes de dinosaures. « Ils
peuvent ainsi se constituer une véritable collection de fossiles qui fera naître peut-être chez
certains de futures vocations » espère l’une des responsables. Apprendre à se repérer dans le
temps en partant à la découverte de l’Histoire à travers ses vestiges et ses faits historiques fait
donc partie des enjeux fondamentaux. « L’Histoire nous apprend notre histoire. Apprendre, voilà
bien un des fondements sur lesquels s’édifie l’espèce humaine » nous rappelle Jean-Marc
12 MARROU Henri-Irénée, De la connaissance historique, Le Seuil, Paris, 1954, rééd. « Points Histoire », p. 32
13 VIGIÉ Marc, « L’enseignement de l’Histoire de France aujourd’hui : réalités, débats et perspectives », Conférence d’introduction aux
rencontres internationales des sections bilingues francophones sur le thème de l’enseignement de l’histoire en français
(CIEP, 6-9 novembre 2002), disponible à l’adresse : , page consultée le 20 mars 2010
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Tonizzo dans son article « Que nous apprend l’Histoire ? » 14 . Or, il convient ici de constater que la
connaissance de l’Histoire tend plus, actuellement, à une connaissance « expérimentale » de
situations et de modes de vie des hommes qui n’a de valeur que dans la mesure où elle instruit
autant sur ce qu’est devenu l’homme que sur ce qu’il a été.
Jean-Marc Tonizzo insiste aussi sur la vocation critique et éducatrice de l’Histoire : « elle
est également enseignement dont nous devons tirer des leçons utiles pour nos actions présentes
et futures. Elle doit nous apprendre par l’exemple à éviter les erreurs du passé et à développer
au contraire ses réussites » 15 . C’est la raison pour laquelle, le 11 novembre 2009, les enfants de
l’école primaire d’Esnes (Nord) se sont retrouvés autour du monument aux morts. Du CP au CM2,
ils ont attendu le maire, prêts à entamer l’hymne national. Ils étaient d’autant plus motivés que
trois d’entre eux s’apprêtaient à recevoir un prix pour leurs travaux menés dans le cadre du
Concours sur le devoir de mémoire organisé par l’Union Nationale des Combattants (UNC),
ayant pour thème : « comment vivaient les femmes pendant que les hommes sont à la
guerre ? ». « Les poilus, la destruction des villages, la vie dans les tranchées n’ont plus de secret
pour nous » a expliqué Léa, impatiente. Le devoir de mémoire est une pratique relativement
récente au sujet de laquelle enseignants et parents, philosophes et historiens, citoyens et
politiciens débattent et s’interrogent. « Pour que l’Histoire puisse remplir sa mission pédagogique,
nous devons y ajouter un puissant devoir de mémoire apte à traverser les générations, une
farouche volonté de ne pas oublier nos plus barbares expériences passées, et une analyse
sérieuse des mécanismes conduisant les hommes et les peuples à des comportements capables
de vider pour un temps l’humanité de tout sens » précise enfin Jean-Marc Tonizzo 16 .
De ce fait, l’Histoire conjugue étroitement culture et conscience citoyenne grâce à des
initiatives qui éduquent en ce sens, en apprenant aux jeunes à se situer dans leur
environnement, à se reconnaître dans une histoire et une civilisation, mais aussi en stimulant leur
curiosité pour aller à la rencontre d’autres peuples. La recherche d’une meilleure
compréhension du monde qui l’entoure et de ses mutations passe donc par la sensibilisation de
l’enfant au rôle qu’il sera susceptible de jouer dans la gestion et l’organisation de son territoire.
Susciter le goût pour l’Histoire s’avère par conséquent une première mais capitale étape pour
amener le jeune à s’interroger sur son passé et le préparer à participer d’une façon responsable
à sa vie sociale future. Et pour favoriser cette envie de connaître l’Histoire, l’enfant ne doit pas
être passif mais acteur de son apprentissage.
(ii) Don ou transmission ?
« Quand j’étais petite, pendant la guerre, nous n’avions ni électricité ni gaz. Le matin,
nous allions chercher du bois pour faire chauffer l’eau et préparer un breuvage qui ressemblait
14 TONIZZO Jean-Marc, « Que nous apprend l’Histoire ? », site « La mécanique universelle », disponible à l’adresse :
, page consultée le 10 janvier 2010
15 TONIZZO Jean-Marc, ibid
16 TONIZZO Jean-Marc, ibid
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à du café. C’était une autre vie » explique Edith, 79 ans. Ce 20 avril 2010, les enfants de l’Ecole
Brantôme (Paris) écoutent avec attention une leçon d’Histoire particulièrement vivante
dispensée par deux septuagénaires venues leur raconter comment elles ont vécu au XX ème
siècle. En général, la magie de ces moments intergénérationnels opère sur le jeune public. Leur
enseignante qui, pour la circonstance, a revêtu une tenue dans le style des années trente, est
convaincue de l’intérêt de la rencontre : « elle permet aux enfants de se situer dans la
succession des générations et dans le temps. Il est aussi important qu’ils connaissent leurs
racines ». Si de telles expériences commencent à émerger, si le rôle de nos aînés dans la société
tend de plus en plus à s’affirmer, les échanges entre générations et le retour à la transmission
orale restent encore l’œuvre d’initiatives isolées. Des initiatives qui apparaissent d’autant plus
symboliques à l’heure où notre société s’interroge sur ce qu’il est important de transmettre et sur
les possibles manières de le faire. « Que transmettre à nos enfants ? » 17 est la question que se
posent l’historien Marc Ferro et le psychiatre Philippe Jeammet dans leur livre paru en 2000.
Avant d’en arriver à la conclusion qu’il n’existe pas de « spécialistes de la transmission », ils se
plaisent à analyser l’évolution des conditions de transmission et la nécessité d’un climat de
confiance pour en tisser le fil. Ils mettent également en évidence les changements des modes
de transmission et les différences de mises en pratique des valeurs : ainsi, la famille n’est plus la
seule entité à transmettre et les enfants, dès leur plus jeune âge, sont soumis à de multiples
influences telles que l’école et les médias qui véhiculent parfois des valeurs contradictoires. Alors
que nous sommes déjà passés d’une civilisation de la transmission à une civilisation de
l’information, l’Histoire est particulièrement concernée.
« Aux plus jeunes, le savoir historique est souvent proposé comme un ensemble de
références objectives, de références qui donnent à croire plus qu’à douter, qui invitent plus à
adhérer qu’à débattre, qui sollicitent plus l’esprit de réception que celui de construction... sans
distinguer le plus souvent ce qui relève des « traces » du passé d’une part, et ce qui relève de
« constructions » qui sont réalisées à partir de ces traces » 18 regrette Thomas Dartige, Directeur
du secteur « documentaire » chez Gallimard. « A condition de ne pas se limiter à l’étude des
manuels scolaires ou des bandes dessinées, ni à la formulation actuelle de la science historique,
l’Histoire qu’on raconte aux enfants permet à la fois de connaître l’identité d’une société et le
statut de celle-ci à travers le temps » explique Marc Ferro dans « Comment on raconte l’Histoire
aux enfants » 19 . Dans cet ouvrage où il analyse les différentes façons dont se transmet l’Histoire, il
souligne que « l'image que nous avons des autres peuples, ou de nous-mêmes est associée à
l'Histoire qu'on nous a racontée quand nous étions enfants. Elle nous marque pour l'existence
17 FERRO Marc, JEAMMET Philippe, Que transmettre à nos enfants ?, Le Seuil, Paris, 2000
18 In Les Cahiers du C.L.P.C.F, Table ronde des éditeurs, Journée d’étude du 22 octobre 2004, disponible à l’adresse :
, page consultée le 5 avril 2010
19 FERRO Marc, Comment on raconte l’histoire aux enfants à travers le monde entier, « Aux origines de notre temps », Payot, Paris, 1983,
p. 8
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entière » 20 . Il y démontre surtout, à travers les exemples d’une quinzaine de sociétés, qu’au-delà
de l’histoire « officielle » et institutionnelle, ce qui marque la conscience collective, ce sont « les
récits, les croyances qui ont une saveur bien plus forte que les analyses. » Il insiste plus
particulièrement sur le caractère fondamental de l’apprentissage de l’Histoire dans la formation
de la pensée et des perceptions, expliquant qu’« à travers le temps et les cultures, l’Histoire naît
de plusieurs foyers qui diffusent, chacun, un discours différent, par ses formes, par ses normes,
par ses besoins » 21 . En réalité, selon le sens de l’Histoire que l’on privilégie, il se joue plus qu’une
simple transmission d’informations : l’Histoire nous apprend à raisonner et à former notre esprit
critique sur le monde qui nous entoure.
Plutôt que de raconter, l’Histoire doit expliquer précise Jacques Le Goff dans « Une vie
pour l’Histoire » 22 car expliquer c’est faire comprendre pour informer, éduquer et transmettre un
savoir. Les Editions du Seuil ont justement lancé, depuis quelques années, une collection qui
s’inscrit dans cette démarche d’explication, de vérité, en tentant de faire la part entre
l’imaginaire et l’Histoire tout en mettant en valeur la notion de transmission intergénérationnelle
entre des spécialistes des différentes époques historiques et leurs descendants : Les Gaulois
expliqués à ma fille 23 , La Préhistoire expliquée à mes petits-enfants 24 , La Résistance expliquée à
mes petits-enfants 25 ou bien encore Auschwitz expliqué à ma fille 26 sont parmi les nombreux titres
parus au cours de la dernière décennie.
« Accumuler les connaissances, les protéger et se les transmettre de génération en
génération, voilà un des traits forts de notre humanité » conclut Jean-Marc Tonizzo 27 .
I.1.2 L'Histoire est partout !
Parce que l’Histoire est au cœur de la vie quotidienne, il est indispensable de donner à
chacun l’envie et la possibilité de découvrir, de comprendre et de s’approprier ses
connaissances.
a. Un patrimoine commun, des mémoires partagées
On ne peut aborder l’Histoire sans évoquer les notions de mémoire et de patrimoine.
Dans « C’est quoi la mémoire ? », livre qui a obtenu en 2008 le Prix spécial du Jury au Salon du
Livre Jeunesse de Montreuil, Héliane Bernard et Alexandre Faure parlent aux enfants de ces
« lieux qui se souviennent » : « les rues, les places, les palais sont de formidables lieux de mémoire,
avec leurs plaques commémoratives, leurs statues, leurs fêtes, leurs murs, leurs monuments
20 FERRO Marc, ibid, p. 7
21 FERRO Marc, ibid, p. 298
22 LE GOFF Jacques, Une vie pour l’Histoire, La Découverte, Paris, 1996
23 BRUNAUX Jean-Louis, Les Gaulois expliqués à ma fille, « Explique A », Seuil, 2010
24 CLOTTES Jean, La Préhistoire expliquée à mes petits-enfants, « Philosophie générale », Seuil, 2002
25 AUBRAC Lucie, La Résistance expliquée à mes petits-enfants, « Explique A », Seuil, 2000
26 WIEVIORKA Annette, Auschwitz expliqué à ma fille, « Explique A », Seuil, 1999
27 TONIZZO Jean-Marc, op. cit.
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chargés d’histoire. Ils appartiennent à notre mémoire à tous. Nous les partageons » 28 . « C’est
quoi le patrimoine ? » 29 est la question que posent, quant à eux, Dominique Irvoas-Dantec et
Fabienne Morel aux enfants dans un très beau livre qui décrypte, grâce à de nombreux
exemples, les différents éléments constitutifs de la mémoire collective (monuments, tableaux,
manuscrits, savoir-faire, paysages, etc.). « Si le patrimoine renvoie à un rapport de filiation, la
mémoire peut se focaliser sur des objets, elle condense, elle exemplarise » explique le
philosophe Jean-Paul Dollé 30 . Ainsi, dans chaque société, les Hommes cherchent à se doter
d'une mémoire commune, mais aussi à se trouver une identité. En témoignent le nombre de
biographies historiques publiées ces dernières années, mais aussi l'intérêt de plus en plus vif des
particuliers pour la généalogie ou la place que lui consacrent les médias. « La connaissance
historique est fondatrice d’identité. Parce qu’elle revendique son ambition de transmettre une
mémoire collective et une culture commune, d’inculquer des valeurs sociales, de donner des
repères fondamentaux, elle entend nourrir et développer un sentiment d’appartenance »
rappelle Marc Vigié 31 . Initié sur le territoire de Seine-Saint-Denis, le projet « Nos mémoires
racontent » vise justement à favoriser la cohésion sociale dans plusieurs quartiers par la création
d’espaces d’échange dont l’objectif principal est de valoriser la mémoire, l’Histoire et le
patrimoine issus de la diversité pour construire une identité culturelle commune. En ce sens,
l’Histoire apprend à l’enfant à « devenir », c’est-à-dire cultiver ce qui a de l’importance et de la
valeur par la transmission de ce que la mémoire a de meilleur.
De même, les associations d’histoire locale et de sauvegarde du patrimoine se sont
multipliées en France. Citons l’exemple de celle fondée en 2001, Montrésor nous raconte, qui
tente de faire revivre dans ses rues, la vie quotidienne et le patrimoine local de ce petit village
du sud de l’Indre-et-Loire à travers des actions comme les pièces de théâtre ou la restauration
des vitrines. Les 26 èmes Journées européennes du patrimoine ont confirmé les 19 et 20 septembre
2009 le lien profond qui unit la population à son patrimoine dans ce qu’il possède de plus riche
et varié 32 . Défendre, protéger, mais aussi ouvrir le patrimoine aux jeunes est devenu une priorité :
des projets séduisants offrent des opportunités à la fois culturelles et ludiques pour susciter
l’intérêt, la curiosité et instaurer chez eux la démarche de s’interroger sur ce qui les entoure,
répondre à leurs questionnements et les inciter à s’intéresser aux multiples aspects de la culture
historique pour lesquels ils ne sont pas souvent sollicités. Promenades architecturales ou parcours
urbains, visites guidées, jardins, expositions, démonstrations adaptées sont autant d’occasions
proposées pour aborder la notion de patrimoine. Ainsi, le Service Patrimoine de la ville de
Fougères (Ille-et-Villaine), ancienne place militaire médiévale, a imaginé, pour son Atelier
28 BERNARD Héliane, FAURE Alexandre, C’est quoi la mémoire ?, op. cit., p. 12
29 IRVOAS-DANTEC Dominique, MOREL Fabienne, C’est quoi le patrimoine ?, « Autrement Junior Arts », Autrement Jeunesse, 2004
30 DOLLÉ Jean-Paul, « Le patrimoine et l’enfant », disponible à l’adresse : , page
consultée le 4 février 2010
31 VIGIÉ Marc, op. cit.
32 Le communiqué de presse du Ministère de la Culture et de la Communication précise qu’« ils étaient plus de 12 millions amoureux du
patrimoine à investir les 15 772 monuments et sites (contre 15 168 en 2008)
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Patrimoine, des approches ludiques : jeu d’orientation dans le château, jeu de l’oie dans le
quartier médiéval, mallettes « pans de bois » ou encore puzzle géant autour de la construction
de la ville. « Des moments magiques si l’on en croit les récits animés qu’en font les enfants »
rapporte l’une des organisatrices. Preuve aussi que l’éducation au patrimoine, dispositif dont
s’est dotée également la ville de Lyon (Rhône), joue un rôle important dans leur
développement : le programme « Le patrimoine et moi » 33 propose aux enfants de maternelle et
de primaire d’étudier leur quartier mais aussi leur ville à travers l’architecture, le paysage, l’art, le
commerce, soit la petite et la grande Histoire.
Le 20 juin 2010, la 13 ème édition de la Journée du Patrimoine de Pays et des Moulins a
aussi montré un goût prononcé pour l’Histoire avec son thème « les dates et les personnages qui
ont fait l’Histoire » : les organisateurs espéraient mettre le passé à la portée des plus jeunes en
évoquant ses grandes dates, ses personnages, ses événements historiques, ses coutumes et
savoir-faire traditionnels, ses archives ou ses témoignages écrits. Le projet « Villes d’art et
d’histoire » œuvre également dans ce sens tout au long de l’année. Par exemple, à Saintes
(Charente-Maritime), les ateliers du mercredi portent sur « comment les livres racontent le
patrimoine ? ». Les enfants y découvrent celui de leur ville avant de se laisser bercer par des
contes typiquement charentais : « les monuments actuels racontent l’histoire de la ville et les
livres traduisent le patrimoine oublié » explique le responsable de la Librairie Le Croît Vif,
partenaire du projet. Enfin, la Fédération Nationale des Associations de Sauvegarde du
Patrimoine (FNASSEM) organise en partenariat avec la revue Arkéo junior, le concours du
meilleur petit journal du patrimoine. Des jeunes, du CM1 à la 5 ème , sont invités cette année à
travailler « sur les traces du passé », avec pour objectif de découvrir l’Histoire du patrimoine de
proximité, aussi bien le patrimoine bâti, que le mobilier naturel ou immatériel, public ou privé. De
tels projets font aujourd’hui de l’Histoire un espace privilégié d’appropriation et d’intégration des
savoirs, « un moyen de rendre l’approche historique plus concrète, de mettre en valeur les
décalages, les spécificités d’une région » 34 .
b. Le passé pour comprendre le présent
Les Historiens s’entendent sur le fait que la pratique de l’Histoire suppose l’intelligence de
la durée. C'est en effet au Cycle III que les enfants commencent à appréhender le temps au-
delà de la journée, du mois ou de l'année. Il s’agit selon Marc Ferro « de faire comprendre la
fonction de l’Histoire, faire le lien entre le passé et le présent » 35 . Certains diront que cela ne sert
à rien d’apprendre à des enfants l’histoire d’il y a 3 000 ans parce que ce n’est pas leur vie
d’aujourd’hui. Marc Ferro n’est pas d’accord : « parce que l’histoire des Egyptiens anciens peut
33 Démarche partenariale initiée en 2005 par la ville de Lyon et l’Education nationale avec le soutien de la DRAC Rhône-Alpes
34 Extrait du document d’application Histoire et Géographie, disponible à l’adresse : ,
page consultée le 9 janvier 2010
35 FERRO Marc, op. cit., p. 19
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être rapprochée de la vie d’aujourd’hui, avec des analogies et des différences » 36 . Et ce dernier
d’insister sur la construction de la chronologie qui va sensibiliser l’enfant à la notion de temps :
« cette chronologie est liée aux âges de la vie, à la chronologie de notre propre existence, qui
certes n’est pas celle des événements historiques. Mais les chronologies sont corrélées (...) Pour
comprendre le temps présent, nous avons quand même intérêt à avoir une vision du passé ».
Ainsi, c’est bien la conscience de la chronologie qui va aider l’enfant à maîtriser son rapport
avec le passé.
Pour Jacques Le Goff, « il est important de connaître le passé pour mieux comprendre le
présent, pour savoir en quoi nous le continuons, en quoi nous nous séparons de lui » 37 . Ainsi, la
découverte des lieux, des personnages, des époques et des concepts qui ont joué un rôle
important dans l’Histoire tend à faire réaliser aux enfants que le présent résulte en grande partie
des choix passés et que pour le comprendre, il faut retourner aux sources ; il vise aussi à leur faire
chercher, analyser et interpréter un certain nombre de données ou de faits afin de connaître ce
passé ; enfin, il leur permet de saisir l’incidence des actions de l’Homme sur le cours de l’Histoire
et de prendre conscience de leurs responsabilités dans le présent et le futur.
Aborder l’Histoire et favoriser le questionnement des enfants, c’est bien appréhender
l’idée que connaître les événements passés vont leur permettre de mieux comprendre le
présent et construire progressivement les outils d’une pensée critique qui leur permettront de se
forger leur propre jugement et par conséquent d’agir de la façon la plus autonome possible
dans le futur. « Il y a, dans cette pratique, l’idée d’apprendre à voir, comprendre et juger, pour
ensuite agir sur son environnement en toute autonomie » explique cette enseignante de
Montbéliard (Doubs). « Lors des séances de recherche, je suis attentive à les encourager à se
poser des questions sur les causes et les conséquences des faits historiques qu’ils présentent »
poursuit-elle. La connaissance de l’Histoire, pour des enfants, ne relève donc pas uniquement
d’un exercice de mémorisation, mais d’une démarche qui doit toujours prendre en compte le
présent et l’actualité. Au cours d’une conférence, le professeur chercheur, Rémi Azémar, a
rappelé à juste titre que « l’interrogation du passé se fait toujours à partir des préoccupations du
présent. Ceci est une clé essentielle pour problématiser les séances en les liant à de vrais enjeux
pour les enfants » 38 . Si la marche de l’Histoire est le fait d’acteurs et d’événements passés et
étrangers à l’enfant (dans le temps et dans l’espace), ceux-ci sont pourtant susceptibles de
produire l’identification. N’est-ce pas cela la finalité de l’enseignement de l’Histoire ?
Comprendre que l’appréhension du passé aide à rendre le monde intelligible et participe à
l’élaboration d’une responsabilité individuelle et collective du monde de demain.
36 FERRO Marc, « Comment les enfants apprennent l’Histoire », in Enfances & Psy, n o 13, janvier 2001, disponible à l’adresse :
, page consultée le 19 avril 2010
37 LE GOFF Jacques, Le Moyen Âge expliqué aux enfants, « Explique A », Seuil, 2006, p. 9
38 AZÉMAR Rémi, « Enseigner l’Histoire au cycle 3 », Conférence de Clermont l’Hérault du 16 janvier 2008, disponible à l’adresse :
, page consultée le 7 février 2010
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I.1.3 L'enfant et l'Histoire
Jusqu’à présent, nous avons vu l’Histoire à travers ce que l’adulte proposait à l’enfant,
dans ce qu’il croit « juste » et « bon », avec pour objectif principal de le rendre acteur et
médiateur de l’Histoire à travers le patrimoine, la mémoire. Mais l’enfant, lui, qu’en pense-t-il ?
a. Quelle perception l’enfant a-t-il de l’Histoire ?
Ainsi, l’enfant découvre d’abord son « historicité » : sa venue au monde, sa petite
enfance, sa place dans la famille, sa généalogie. Il est aussi amené dès son plus jeune âge à
s’interroger sur le passé à travers le paysage urbain, le patrimoine local. Nombreuses et variées
sont les « traces » rencontrées dans son univers quotidien et qu’il faut l’amener à percevoir. Plus
difficile à saisir est le temps historique car il n’appartient pas au temps présent ni au vécu. Dans
son livre « Alain Decaux raconte l’Histoire de France aux enfants », celui-ci imagine une base de
calcul : « si votre père a 35 ans et votre grand-père 65 ans, ajoutez simplement leurs âges, ce qui
vous donne un total de 100 ans. A partir de là, si on vous parle de 1 000 ans, pensez que cela
représente dix fois l’âge de votre père ajouté à celui de votre grand-père. Puisque 15 000 ans
c’est quinze fois 1 000 ans, l’ancienneté de Lascaux correspond à 150 fois les âges additionnés
de votre père et de votre grand-père» 39 . Il semblerait que le premier vrai contact de l’enfant
avec l'Histoire se fasse le plus souvent sous la forme du récit. De nombreux enfants possèdent
des connaissances historiques préalables, même approximatives, acquises en dehors du cadre
scolaire et par le biais d’apprentissages transversaux tels la lecture, la télévision, le cinéma et les
visites d’ordre culturel ou patrimonial. « S’il est vrai que les enfants n’ont pas de repères
historiques, ils ne sont pas pour autant dépourvus de sollicitations de toutes sortes. La télévision
et maintenant les médias les bombardent quotidiennement d’images plus ou moins fugaces,
plus ou moins allusives, qui donnent une impression de connaissance, alors qu’ils sont, dans le
meilleur des cas, les destinataires d’une foule de contenus inorganisés » 40 . « Comment c’était
avant ? », « comment on s’habillait ? », « qu’est-ce qu’on mangeait ? » sont les questions des
enfants qui reviennent le plus souvent. Grande ou petite, l’Histoire les passionne parce qu’elle
leur montre des univers, au temps et à l’espace encore imprécis, mais qui parlent à leur
imaginaire. L’Histoire racontée aux enfants nous conduit par conséquent à nous interroger sur
les limites entre le réel et l’imaginaire. Notre responsabilité est donc de les aider à dépasser ces
limites en leur donnant les moyens d’appréhender la réalité.
D’une manière générale, les enfants aiment l’Histoire parce que cela fait écho à leur
appétit en matière de force, d’aventure, d’intrigue et que cette matière véhicule une certaine
charge émotionnelle, voire parfois dramatique. L’enfant retient ce qui a pu le fasciner, et si l’on
prend l’exemple du Moyen Âge, « c’est l’histoire des Vikings mieux que celle de la féodalité »
39 DECAUX Alain, Alain Decaux raconte l’Histoire de France aux enfants, Librairie Académique Perrin, 2006, p. 9
40 DOREL-FÉRRÉ Gracia, PICOT Françoise, PICOT Claude, Les chemins de l’histoire à l’école - Histoire Cycle 3, Magnard, Paris, 1997, pp. 8-9
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constate Marc Ferro 41 . Un enseignant de CM2 expliquait que la Révolution française est un
thème très apprécié de ses élèves : « ce qui les motive, c’est de voir que de tels
bouleversements ont eu lieu, comment on est parti d’une situation de société d’ordres et
comment tout a été renversé ». Une autre enseignante souligne l’intérêt des enfants pour la
Révolution industrielle : « ils sont impressionnés par les témoignages sur les conditions de travail,
cela bouscule leurs valeurs et les mobilise sur le plan éthique ». Il ne faut pas négliger ces
motivations, ce sont des points d’appui indispensables à la construction des savoirs.
b. Un monde stéréotypé
Pendant longtemps, la mémoire collective a nourri et véhiculé des représentations
stéréotypées et des clichés, et même de véritables mythes. S’il existe bien un domaine où les
enfants continuent d’entretenir volontiers des « fausses images » qui les fascinent et les intriguent
à la fois, c’est bien celui de l’Histoire. Chaque période historique a ses propres stéréotypes. Ainsi,
l’image de l’homme préhistorique est celle d’un être à demi nu et poilu, agressif et violent,
affublé d’une massue et vivant dans un monde hostile et dangereux. Rien de plus attrayant que
d’imaginer de tels hommes faisant du feu avec deux silex après avoir creusé des pièges à
mammouth et chassé les chevaux en les faisant tomber d’une falaise ! De la même façon, les
commentaires de César sur la « Guerre des Gaules » ont figé les Gaulois pour des générations
d’enfants, dans un rôle de vaincus, guerriers indisciplinés et querelleurs, trop désunis pour résister
à la conquête romaine. Dolmens et menhirs ont été longtemps associés aux Gaulois, le mythe
allant jusqu’à attribuer aux druides la pratique de sacrifices humains. La période médiévale
semble être néanmoins, celle qui véhicule le plus de clichés. Les travaux de recherche de
Cécile Boulaire sur le Moyen Âge dans la littérature enfantine lui font conclure qu’« il n’y a qu’un
Moyen Âge. Un pays avec sa géographie, sa population pittoresque, ses mœurs » 42 . « Qui dit
Moyen Âge pense à chevalier, mais aussi à château fort et à cathédrale » confirme Jacques Le
Goff 43 .
Cependant, spécialistes et médiateurs s’efforcent aujourd’hui de lutter contre ces
stéréotypes tenaces. Ainsi, à Solutré-Pouilly (Saône-et-Loire), l’exposition Mythique Préhistoire a
ouvert ses portes le 6 mars dernier pour tenter, jusqu’au 31 janvier 2011, à travers l’iconographie
et une multitude d’objets, de faire comprendre au jeune public l’origine des principaux mythes
sur la Préhistoire et la façon dont ils continuent à influencer leur vision sur cette période. Ainsi, les
enfants apprendront que l’homme des cavernes doit son mythe aux nombreux objets
préhistoriques trouvés à l’entrée des grottes au XIX ème siècle et à la découverte des peintures
pariétales. A S t Hilaire la Forêt (Vendée), le CAIRN - Centre de la Préhistoire propose aux enfants
une immersion totale dans la Préhistoire pour retrouver les gestes des premiers hommes et
41 FERRO Marc, « Comment les enfants apprennent l’Histoire », op. cit.
42 Dans la première partie de son livre, Le Moyen Âge dans la littérature pour enfants (« Interférences », Presses Universitaires de Rennes,
2002), Cécile BOULAIRE explique en détails en quoi « le Moyen Âge est un pays », quittant son statut de période historique pour devenir
une entité à part entière (pp. 16-48)
43 LE GOFF Jacques, op. cit., p. 41
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ompre, par le biais d’ateliers participatifs, avec les fausses idées. Les manuels scolaires et les
historiens cherchent aussi à faire évoluer ces représentations stéréotypées du passé. Jean-Marie
Poissenot est l’auteur de « La Préhistoire illustrée », une trentaine de dessins originaux qu’il publie
dans les manuels scolaires et pédagogiques, en espérant transformer les clichés trop souvent
présents chez le jeune public. Dans son livre « Les Gaulois expliqués à ma fille », le spécialiste de
la période, Jean-Louis Brunaux, dessine une réalité historique bien éloignée des caricatures
issues de la conquête romaine. Le médiéviste Jacques Le Goff a choisi dans « Le Moyen Âge
expliqué aux enfants 44 » de démystifier la période médiévale en faisant le point entre un « vilain »
Moyen Âge, « intolérant, violent et pauvre », et le « beau » Moyen Âge, celui des châteaux-forts
et des cathédrales, des chevaliers et des tournois, des jongleurs et des troubadours que les
enfants adorent. Ainsi, l’accent est mis de plus en plus sur l’héritage artistique du Moyen Âge.
« On le voit dans les domaines de l’art, des institutions, surtout dans les villes ou encore de la
pensée » 45 . Le spécialiste de l’histoire médiévale, Terry Jones, s’est appuyé, quant à lui, sur des
recherches historiques sérieuses afin de réaliser les huit épisodes de la série Sacré Moyen Âge au
cours desquels il se débarrasse des clichés traditionnels pour enquêter sur le rôle et la fonction
véritables des archétypes médiévaux : le paysan, le moine, la damoiselle, le ménestrel, le
chevalier, le philosophe, le hors-la-loi et le roi.
Ces quelques exemples illustrent parfaitement cette volonté récente de vouloir restituer
la vérité au-delà des clichés et des idées reçues. Finalement, comme le fait remarquer à juste
titre Marc Vigié, la société actuelle inventorie ses « lieux de mémoire » car elle a un besoin
constant d’authentifier son passé et par là-même, de fonder ses repères et son identité : « le
spectaculaire essor de l’historiographie, c’est-à-dire l’histoire de l’histoire, l’engouement du
public pour les biographies historiques, les reconstitutions, les commémorations et, plus
récemment, le succès grandissant du Festival d’Histoire de Blois, le démontrent assez. Il n’est pas
donc pas étonnant que l’histoire comme discipline scolaire puise sa légitimité dans sa capacité
à répondre aux questions que la société pose et se pose » 46 .
I.2 La place de l'Histoire à l'école
En 1867, l’enseignement de l’Histoire devient obligatoire. Il vise à mettre en place chez
les élèves « une mémoire collective, nationale, supposée cimenter un passé partagé, commun
à tous, afin de les rassembler dans un même destin, nourri du même sentiment national » 47 . Il est
strictement événementiel jusqu’en 1923, date à laquelle l’Histoire s’ouvre à l’étude des peuples
et des civilisations. Ainsi, pendant plus d’un demi-siècle, l’histoire, la géographie, la morale et
l’instruction civique ont été des enseignements indissociables au service de la patrie et de la
République, insistant sur la connaissance des grands personnages et des faits principaux de
44 LE GOFF Jacques, op. cit.
45 LE GOFF Jacques, op. cit., p. 132
46 VIGIÉ Marc, op. cit.
47 VOGLER Jean, Pourquoi enseigner l’Histoire à l’école, Hachette Education, Paris, 1999, p. 16
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l’histoire nationale. Après une relative stabilité des instructions officielles au cours de la III ème et
de la IV ème République, les textes de 1977 marquent une rupture en préconisant l’éveil à la
curiosité des élèves et l’apprentissage à la réflexion à partir de l’exploitation de documents et
l’observation de leur environnement. Avec 39 heures par an, soit 117 heures sur l’ensemble du
Cycle III, l’Histoire reste l’une des matières les plus difficiles à enseigner, pour des raisons
didactiques, mais aussi parce qu’elle est peu représentée dans le cursus des enseignants du
primaire.
I.2.1 L'enseignement de l'Histoire au Cycle III
La « découverte du monde » fait partie des programmes officiels des deux premiers
cycles et le troisième entame une véritable pratique de l’histoire à l’école primaire. Le Cycle II a
donné aux élèves quelques instruments de mesure du temps historique avec l’introduction des
notions de calendrier et de succession des générations. Le Cycle III, connu sous le nom de
« cycle des approfondissements », intègre l’Histoire et l’Histoire des Arts à « la culture humaniste »,
pilier du socle commun qui « ouvre l’esprit des élèves à la diversité et à l’évolution des
civilisations, des parties du monde, des sociétés, des religions et des arts ; elle leur permet
d’acquérir des repères temporels, spatiaux, culturels et civiques » 48 .
a. L'Histoire dans les nouveaux programmes
Vient de paraître dans les kiosques en avril 2010, ce numéro spécial du magazine Le
Point Jeux entièrement consacré à l’Histoire de France : « Révisez vos classiques ! ». Il propose
aux Français 500 questions pour tester leurs connaissances sur les grandes périodes de l’Histoire
de France en plus de leur offrir un mémento répertoriant 100 dates clés. Cette initiative récente
illustre parfaitement le statut privilégié qui est attribué à ce champ disciplinaire, ainsi que la
nature des contenus et démarches de son enseignement actuel à l’école.
L’intention explicite des programmes de 2002 et de leur version remaniée de 2007 était
de favoriser, par « la comparaison avec des sociétés différentes dans le temps et dans l’espace,
la construction chez les élèves d’une identité forte, à la fois sûre d’elle-même et ouverte, fondée
sur la conscience de s’inscrire dans un héritage et de participer à l’aventure d’un espace
commun à tous les hommes » 49 . L’Histoire y retrouvait sa finalité propre en aidant les élèves à
« construire une intelligence du temps historique et de la diversité des espaces transformés par
l’activité humaine » 50 . Ces mêmes programmes préconisaient clairement que l’école doit
48 BOEN hors série no 3 du 19 juin 2008, p. 24, disponible à l’adresse : , page
consultée le 4 janvier 2010
49 BOEN hors série no 1 du 14 février 2002, p. 65, disponible à l’adresse :
/ BOEN hors série no 5 du 12 avril 2007, p. 69, disponible à l’adresse : ,
pages consultées régulièrement
50 ibid, p. 65 / ibid, p. 69
Page 22 sur 113

susciter chez l’élève toutes les occasions d’une découverte active du monde en lui offrant « la
possibilité de se donner des représentations de ce qui n’est plus » 51 .
Dans le cadre de la réforme de l’école primaire mise en place par le Gouvernement, les
nouveaux programmes de 2008 présentent les grandes orientations qui affichent « l’ambition
retrouvée des programmes disciplinaires ». Dans son discours à la presse du 20 février 2008,
Xavier Darcos, ministre de l’Education nationale, annonçait : « L'histoire fait désormais l'objet
d'un véritable enseignement, introduisant chez l'enfant des repères chronologiques fondés sur la
connaissance des grandes dates de l'histoire de France et l'existence des personnages,
contrairement aux programmes précédents qui affirmaient qu'« à cet âge, il ne s'agit pas
encore de faire de l'histoire ». De Clovis à Clémenceau, de la découverte de l'Amérique par
Christophe Colomb à celle du vaccin contre la rage par Pasteur, les élèves apprendront à
connaître les principaux jalons de l'histoire de France et de l'humanité. C'est dans ce cadre aussi
que les nouveaux programmes font explicitement référence à la question de la traite des Noirs
et de l'esclavage, ainsi qu'à l'extermination des Juifs et des Tsiganes par les nazis » 52 .
Le tableau qui suit en récapitule les grandes lignes :
CE2
CM1
51 Ibid, p. 33
PREHISTOIRE
ANTIQUITE
MOYEN ÂGE
TEMPS MODERNES
GRANDES LIGNES DU PROGRAMME HISTOIRE DU CYCLE III 53
REPARTITION PAR NIVEAU
Les premières traces de vie humaine, la
maîtrise du feu, la naissance de l’agriculture
et de l’élevage, l’apparition de l’art
Les Gaulois, la romanisation et la
christianisation du monde gallo‐romain
Les invasions, la naissance et le
développement du royaume de France, les
relations entre seigneurs et paysans, le rôle
de l’Eglise, les croisades, la découverte de
l’Islam et la guerre de Cent Ans
Le temps des découvertes et des empires
coloniaux, la traite des Noirs et l’esclavage,
la Renaissance, Louis XIV, les Lumières
Repères �
Repères �
Repères �
Repères �
Homme de Tautavel (500 000 ans)
Lascaux (17 000 ans)
Jules César, Vercingétorix
Alésia (‐52 av. J.‐C.)
Baptême de Clovis (496)
Couronnement de Charlemagne (800)
Hugues Capet (987)
Saint Louis
Jeanne d’Arc
Gutenberg
Christophe Colomb (1492)
François I er , Copernic, Galilée
Henri IV et l’édit de Nantes
Richelieu
Louis XIV
Voltaire, Rousseau
52 , site consulté régulièrement
53 Tableau réalisé à partir des instructions des textes officiels
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CM2
LA REVOLUTION
FRANCAISE
Le XIX ème SIECLE
Le XX ème SIECLE
La Révolution française et le Premier Empire,
la Terreur, les grandes réformes de
Napoléon Bonaparte
La France dans une Europe en expansion
industrielle et urbaine, le travail à l’usine, les
progrès techniques, l’émigration et les
colonies, l’installation de la démocratie et de
la République
Les deux conflits mondiaux, l’extermination
des Juifs et des Tziganes par les nazis, la
révolution scientifique et technologique, la
société de consommation, la V ème
République, la construction européenne
Repères �
Repères �
Repères �
Louis XVI
Prise de la Bastille (14/07/1789)
Déclaration des Droits de l’Homme et
du Citoyen (26/08/1789)
Proclamation de la République (1792)
Napoléon I er
Suffrage universel masculin (1848)
Abolition de l’esclavage
Jules Ferry et l’école (1882)
Pasteur, Marie Curie
Loi de séparation de l’Etat et des
Eglises (1905)
Clémenceau, la bataille de Verdun
Armistice du 11 novembre 1918
Appel du 18 juin 1940
Jean Moulin
Armistice du 8 mai 1945
Droit de vote des femmes (1945)
Traité de Rome (1957)
Charles De Gaulle et la fondation de
la V ème République (1958)
Chute du mur de Berlin (1989)
L’Euro (2002)
Alors que les programmes de 2002-2007 incitaient à aller vers l’histoire sociale des
hommes en abordant les différents groupes sociaux, les personnages, les inventions, ceux de
2008 ramènent l’enseignement de l’Histoire à « une lente procession » 54 événementielle. Leurs
contenus ne vont pas sans susciter de vives critiques chez de nombreux spécialistes tels les
professeurs Dominique Desvignes et Marc Loison : « alors que le dernier rapport de l’Inspection
générale réaffirme la nécessité de construire une intelligence du temps historique fait de
simultanéité et de continuité, d’irréversibilité et de rupture, de courte et de longue durée, les
programmes de 2008 semblent prôner une exploration linéaire du temps (...) Les élèves sont
invités à ne retenir des grandes périodes que les personnages ou événements représentatifs » 55 .
b. La difficile mise en œuvre d’une discipline « scolaire »
Même si les observateurs s’accordent à dire que l’Histoire est enseignée plus
systématiquement que par le passé, Jean-Marc Bassaget, inspecteur de l’Education nationale
et auteur de « L’Histoire au Cycle III », constate que le nombre d’heures qui doit être consacré à
l’Histoire est souvent inférieur aux horaires officiels, que les programmations restent formelles et
inégalement suivies, et que les thèmes sont inégalement traités. Ainsi, la Préhistoire et le Moyen
Âge sont longuement enseignés alors que le XX ème siècle l’est beaucoup moins 56 . L’enquête
(voir questionnaire - Annexe 1) que nous avons menée auprès des enseignants de Cycle III du
54 DESVIGNES Dominique, LOISON Marc, « La culture historique en questions : les programmes de l’école primaire de 2008 », in
L’actualité éducative, n o 468, décembre 2008, disponible à l’adresse :
, page consultée le 2 mars 2010
55 DESVIGNES Dominique, LOISON Marc, ibid
56 BASSAGET Jean-Marc, « Enseigner l’Histoire au Cycle 3 », in Conférence du 14 février 2007, Cddp92, disponible à l’adresse :
, page consultée le 5 mars 2010
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Lycée français du Caire et de métropole montre qu’en effet, certains enseignants semblent
peiner à mettre en œuvre de tels programmes. « Les programmes changent trop souvent », « les
programmes sont trop lourds », « les manuels en usage ne sont pas toujours adaptés » sont les
explications qui reviennent les plus souvent de la part du corps enseignant. Dans leur note de
synthèse sur « La didactique de l’histoire » parue dans la Revue française de pédagogie, Nicole
Lautier et Nicole Allieu-Mary soulignent tout particulièrement la spécificité de l’enseignement de
cette discipline qui « privilégie la transmission des savoirs disant la réalité du passé et attachée à
la neutralité du texte enseigné […] peine à mettre en cohérence des finalités intellectuelles
ambitieuses et des activités dans la classe souvent cantonnées à la mémorisation, au repérage
et à la catégorisation » 57 .
La programmation dite « linéaire » est celle mise en place dans la plupart des écoles.
Découpée en six périodes (réparties sur les trois ans du Cycle), les élèves étudient l’Histoire dans
l’ordre chronologique selon lequel les événements se sont produits : « c’est quand on est petit
que l’on étudie les Grecs ; quand on est un peu plus grand, on étudie le Moyen Âge, plus grand
encore, la Révolution française... La notion de temps s’inscrit tout naturellement » nous fait
remarquer Marc Ferro 58 . Jean-Marc Bassaget souligne au contraire les « écueils » d’une telle
programmation qui conduit à un « enseignement exhaustif et encyclopédique » et « ne favorise
pas le travail de cycle » 59 .
C’est pourquoi certains enseignants lui préfèrent la programmation spiralaire « parce
qu’elle donne du sens et une continuité dans l’enseignement ». Cette logique de
programmation nécessite un enseignement en modules qui aborde l’ensemble des mêmes
thèmes sur les trois années mais en y portant un regard, une problématique et un niveau
d’exigence différents selon l’âge des enfants et leurs capacités. Un tel choix n’est cependant
possible que si, chaque année, l’ordre chronologique est respecté et parcouru dans son
intégralité à la fin du cycle. « On étudie une ou deux situations pour chaque période historique.
Toutes les périodes sont revues chaque année. Cette solution s’avère judicieuse pour les classes
à plusieurs niveaux » explique Marie N., enseignante d’une classe de CM1-CM2.
« Raconte-moi l’Histoire… » est une initiative départementale originale qui mérite d’être
citée parce qu’elle illustre le souci des enseignants de mettre en œuvre une programmation qui
ait du sens. Ce « livre d’histoire adapté » est en effet le fruit d’une volonté de la communauté
mahoraise de prendre en compte l’histoire locale en parallèle avec les programmes d’Histoire
de la métropole. Ainsi, ce manuel scolaire présente aux élèves une synthèse entre l’Histoire de
France, l’Histoire des Arts et l’Histoire de Mayotte « pour que les enfants mahorais maîtrisent
57 LAUTIER Nicole, ALLIEU-MARY Nicole, « La didactique de l’histoire », note de synthèse in La Revue française de pédagogie, no 162,
janv.-fév.-mars 2008, pp. 95-131, disponible à l’adresse :
,
page consultée le 16 mai 2010
58 FERRO Marc, « Comment les enfants apprennent l’Histoire », op. cit.
59 BASSAGET Jean-Marc, op. cit.
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autant leur histoire qui évoque des sultans batailleurs ou Younoussa Bamana que l’histoire de la
métropole qui parle des Romains ou de la libération de Paris ».
c. Des compétences et des connaissances spécifiques en Histoire
Les principales compétences et connaissances en Histoire au Cycle III sont les suivantes :
� Distinguer, situer les principales périodes
COMPETENCES CONNAISSANCES
� Participer à l’examen collectif d’un document historique
� Classer des documents selon leur nature, date, origine
� Utiliser les connaissances historiques en éducation civique et dans
les autres enseignements, notamment dans le domaine artistique
� Utiliser à bon escient les temps du passé rencontrés dans les récits
historiques
� Connaître une vingtaine d’événements et leurs dates
� Connaître les hommes qui ont fait notre histoire
� Savoir justifier son point de vue, argumenter
� Connaître l’histoire des sociétés et des courants
de pensée dont notre civilisation est l’héritière
� Comprendre l’unité et la complexité du monde
� Connaître le vocabulaire adapté à la culture historique
� Maîtriser la langue
� Consulter une encyclopédie et Internet � Maîtriser les outils de recherche
Comme nous le montre ce tableau récapitulatif, la construction des savoirs et des savoir-
faire au Cycle III s’acquiert avec les premiers repères spatiaux et chronologiques de l’histoire
nationale, en prenant fortement appui au fil des leçons, sur des événements et des personnages
représentatifs des grandes périodes, choisis essentiellement dans le registre politique et militaire.
Les élèves doivent être en mesure d’« identifier les principales périodes de l’histoire, de
mémoriser quelques repères chronologiques pour les situer les uns par rapport aux autres en
connaissant une ou deux de leurs caractéristiques majeures » 60 . Il leur est aussi demandé de
percevoir les évolutions, les continuités, les transformations et de savoir utiliser un vocabulaire
précis. L’Histoire porte aussi à la connaissance des élèves « des œuvres de référence qui
appartiennent au patrimoine ou à l’art contemporain » 61 . En réalité, toute démarche
d’investigation historique doit être fondée d’une part, sur l’observation de traces du passé
(patrimoine proche ou iconographique) et d’autre part, sur l’exploitation de sources historiques,
lesquelles, en plus de mettre de l’ordre et du sens dans le temps, mettent les méthodes de
l’Histoire au service de la compréhension des héritages.
Sensée privilégier le questionnement et développer curiosité, sens de l’observation et
esprit critique en plaçant le document au cœur des apprentissages, la démarche suscite
encore des interrogations : « cette approche mécanique et superficielle interdit d’en saisir la
cohérence interne » expliquent Dominique Desvignes et Marc Loison qui se demandent s’il s’agit
60 BOEN hors série no 3 du 19 juin 2008, p. 28, disponible à l’adresse : , page
consultée le 4 janvier 2010
61 BOEN hors série no 3 du 19 juin 2008, p. 26, ibid
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là « d’arpenter ou de déchiffrer le passé » 62 . Pour Patrice Bride et Pierre-Philippe Bugnard, « les
finalités présentées dans les programmes invitent à des modes de pensée à « haute tension » :
formation à l’intelligence active, à l’exercice du jugement critique et raisonnable ; construction
de la citoyenneté, de la capacité à agir en personne libre et responsable en comprenant le
monde […] ; appropriation d’une culture, d’une mémoire et d’une prospective du monde » 63 .
Finalement, ces nouveaux textes ne diffèrent pas des précédents en ce sens où les objectifs de
l’enseignement de l’Histoire restent de l’ordre intellectuel, culturel et critique. « Il s’agit bien de
transmettre un savoir fondé sur la raison, de délivrer une culture générale enrichie d’une culture
« historienne », laquelle se nourrit d’un contenu, c’est-à-dire de connaissances factuelles, de
lexiques, de notions - tout en impliquant la maîtrise des opérations intellectuelles, des capacités
et des compétences nécessaires à son usage » 64 .
I.2.2 Quelles pratiques de l'Histoire au Cycle III ?
Dans un article publié dans Les Cahiers Pédagogiques, Pierre-Philippe Bugnard met en
relief les paradoxes des pratiques de l’Histoire à l’école en montrant « l’écart entre les intentions
d’enseignants animés d’une véritable illusion constructiviste et les activités réelles des élèves,
plutôt confinées aux opérations intellectuelles de basse tension » 65 . Nous ne pouvions mettre en
place nos séances sans nous renseigner auparavant sur les pratiques de l’Histoire dans les
classes de Cycle III.
a. La « leçon » d’Histoire
« Ils ne connaissent pas leurs dates », « ils apprennent mal leurs leçons » constatent
souvent les enseignants. En effet, « on entend encore parfois dire que pour être bon en histoire, il
suffit « d’apprendre ses leçons », de mémoriser des dates, des éléments de récits, pour les
restituer lors du contrôle de fin de chapitre » écrivent Patrice Bride et Pierre-Philippe Bugnard 66 .
En dépit d’un discours qui se veut didactique et de réels efforts dans la mise en place de
pratiques innovantes, l’Histoire reste un champ disciplinaire aux formes d’apprentissage encore
très scolaires. Il est d’ailleurs toujours d’usage aujourd’hui d’associer Histoire et « leçon », aussi
bien dans l’esprit des enfants que dans celui des parents, voire même des enseignants. « Pour
eux, l’histoire est écrite une fois pour toutes dans les manuels scolaires » constate Mireille M.,
professeur d’histoire-géographie au Lycée François Rabelais de Chinon (Indre-et-Loire).
62 DESVIGNES Dominique, LOISON Marc, op. cit.
63 BRIDE Patrice, BUGNARD Pierre-Philippe, « Apprendre l’Histoire », in Les Cahiers pédagogiques, Dossier « Apprendre l’Histoire », no 471,
mars 2009, disponible à l’adresse :
, page consultée le 4 mars 2010
64 VIGIÉ Marc, op. cit.
65 BUGNARD Pierre-Philippe, « Au début du 21 ème siècle, où en est la didactique de l’histoire ? », in Les Cahiers pédagogiques, Dossier
« Apprendre l’Histoire », n o 471, mars 2009, disponible à l’adresse :
, page consultée le 4 mars 2010
66 BRIDE Patrice, BUGNARD Pierre-Philippe, op. cit.
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Nous avons mené une petite enquête auprès des élèves de Cycle III pour savoir
comment se déroulaient leurs leçons d’Histoire au Lycée français du Caire. Voici les réponses
types des élèves :
« La maîtresse parle sur un sujet puis nous pose
des questions ».
« Nous suivons sur le livre la leçon lue par la
maîtresse. Elle nous explique et on écrit le
résumé ».
« On lit des textes, puis on recopie le résumé écrit
par la maîtresse au tableau ».
« Parfois, on doit regarder des images et dire ce
qu’on voit dessus, puis la maîtresse fait le
résumé ».
Dans la majorité des cas, le manuel ou des documents photocopiés sont le point de
départ du chapitre et servent de support au langage oral. Le parcours chronologique est
privilégié avec de « courtes plongées dans le passé pour mieux se familiariser avec les périodes
de l’histoire et les différencier » 67 . Pour Pierre-Philippe Bugnard, c’est « la structure même du
cours dialogué qui renforce le constat d’un modèle d’enseignement clos, en cinq temps :
question / réponse / évaluation (sanction) / formalisation / compléments. L’enseignement
contrôle le processus d’argumentation et de vérité en asseyant l’autorité du savoir comme la
sienne. L’élève, privé d’une réelle responsabilité énonciatrice, est simplement invité à adhérer
au discours à apprendre » 68 . Aucun enfant ne nous a montré une réelle motivation ou un
comportement enthousiaste face à cet enseignement, aucun n’attend avec impatience la
leçon d’Histoire hebdomadaire. Guère étonnant si l’on s’en réfère à l’avis de Dominique
Desvignes et Marc Loison : « vouée davantage à l’apprentissage mécanique qu’à la
compréhension de savoirs, cette école propose aux élèves de se laisser charmer par le récit
téléologique d’une histoire de France aux séquences merveilleusement ordonnées » 69 .
La manière d’enseigner est donc un véritable enjeu aujourd’hui pour transmettre la
petite étincelle qui déclenchera l’attente de l’élève et son « appétit » pour cette discipline. Or,
ainsi conçu, l’enseignement de l’histoire à l’école peut-il raisonnablement permettre à ce
dernier de « commencer à comprendre l’unité et la complexité du monde » et de développer
sa « curiosité », son « sens de l’observation » et son « esprit critique » ? Pourtant Adèle A.,
enseignante de CE2-CM1-CM2 en Vendée, est convaincue que « l’Histoire reste une des
matières les plus intéressantes à enseigner car elle est rattachée à un contenu concret qui a un
goût d’aventures, à des images, des références que les élèves, dans l’ensemble, maîtrisent ». Les
séances que nous avons mises en place nous montrent également qu’il suffit souvent de peu
pour susciter plaisir et désir d’apprendre chez l’enfant : une image accrochée au mur qui va
l’« interpeller », une loupe mise à sa disposition pour regarder un document, une mise en
situation qui va stimuler son imaginaire ou jouer sur sa motivation. Rompre avec la pratique de
l'histoire-leçon à l'école pour exploiter des situations-problèmes qui donnent un sens aux
67 DOREL-FÉRRÉ Gracia, PICOT Françoise, PICOT Claude, op. cit., p. 12
68 BUGNARD Pierre-Philippe, op. cit.
69 DESVIGNES Dominique, LOISON Marc, op. cit.
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questionnements du présent sur le passé, c'est la démarche que prône Alain Dalongeville dans
son ouvrage « Enseigner l’Histoire à l’école » 70 . A travers des exemples concrets comme la
confrontation et l’argumentation des points de vue esclavagistes et anti-esclavagistes par les
élèves, il apporte la preuve de la richesse d’une telle méthode à la fois implicante et créatrice.
b. La structuration du temps
Suite à l’enquête menée auprès des enseignants de Cycle III sur leurs pratiques en
Histoire, il apparaît que la construction des apprentissages se fait autour de trois notions : le
temps, le document, le récit.
Comme nous l’avons vu précédemment, l’approche de l’Histoire s’effectue plus
volontiers « dans l’ordre chronologique », ce qui inspire la réflexion suivante à cette
enseignante : « l’Histoire est souvent pour les élèves une suite d’événements emballés dans des
récits ». « L’objectif qu’on nous demande d’atteindre, c’est d’arriver à leur faire situer plusieurs
dates, événements et personnages dans chacune des périodes, et connaître les formes de
pouvoir et de société ; ce qui suppose une continuité de la progression du Cycle III et un
investissement dans la préparation des séances » explique Jacques V., professeur des écoles en
CM1-CM2. Pour ce faire, les enseignants choisissent des documents lisibles, narratifs, ou en
relation avec le quotidien afin de solliciter la curiosité de leurs élèves en les plaçant dans des
situations réflexives par rapport à leurs apprentissages : histoire et mythe, histoire et mémoire,
histoire et actualité. Une très belle recherche historique autour du concept d’ordre
chronologique fut effectuée par une classe de CE2 du Lycée français du Caire en 2007, grâce à
des objets divers trouvés à la maison. Quand les élèves se font historiens-enquêteurs, ils
comprennent bien mieux, par exemple, la question des sources en Histoire, de leur datation, de
leur fiabilité. La frise chronologique est alors le moyen de matérialiser le déroulement du temps
historique pour visualiser le passé.
A Saint-Brice-sous-Forêt (Val d’Oise), un enseignant de CM2 a eu l’idée originale de faire
faire par ses élèves une frise chronologique sous forme de maquettes - une maquette pour
chaque période étudiée. Ainsi, pour l’Antiquité, un fond vertical représentant une ville romaine
sert de support au plateau horizontal qui porte les éléments d’un fort romain et divers
personnages (riche romain, guerrier gaulois, agriculteur, etc.). Le but est de donner aux élèves
une représentation en 3D vivante et attractive d’une réalité historique et de ne pas figer cette
représentation en offrant la possibilité de l’enrichir au fil des séances en faisant appel à leur
esprit critique.
Proposé par le Conservatoire de l’Agriculture de Chartres aux classes de Cycle III,
« l’hygiène à travers l’histoire » est un atelier pédagogique qui vise, à partir de la reconstitution
d’une frise chronologique allant de la période antique à la période contemporaine, à retracer
70 DALONGEVILLE Alain, Enseigner l’Histoire à l’école, Hachette Education, 2006
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les principales évolutions de la notion d’hygiène à travers les siècles et les différentes civilisations.
Après avoir découvert les mythes et légendes liées à l’eau et le rôle de ces croyances dans la
vie des Hommes, les élèves sont invités à explorer les différentes techniques d’adduction d’eau
puis à étudier des documents originaux du XV ème siècle pour comprendre comment fonctionnait
la navigation sur l’Eure.
Enfin, au Lycée français de Caracas (Vénézuela), tous les élèves de Cycle III ont mené à
bien en 2008 l’ambitieux projet de reconstituer une frise chronologique géante présentant les
découvertes et inventions de l’humanité jusqu’à nos jours en utilisant la longueur du couloir de
leur étage. Cette initiative fut l’occasion pour les élèves de chaque niveau de faire des
recherches et de réinvestir leurs connaissances, le défi consistant à ne pas rompre l’échelle du
temps. Quatre types de fiches jalonnent la frise : faits marquants, personnages éminents,
grandes inventions et principaux mouvements artistiques. La silhouette d’un « bonhomme »
symbolisant l’humanité, toujours le même mais vêtu différemment suivant l’époque, traverse le
temps. Le jour de l’inauguration de la frise, les élèves ont joué en plus des scénettes racontant
les grands moments de l’Histoire.
c. Lire, dire, écrire… en Histoire
Les textes officiels soulignent aussi la nécessité de dire, lire et écrire dans toutes les
disciplines, notamment en Histoire. Si au CE2, on s’applique surtout à mettre en valeur la notion
de temps, au Cours Moyen, on va privilégier les mises en relation d’un ensemble de documents
car l’enseignement de l’Histoire s’effectue aussi « par l’usage du récit et l’observation de
quelques documents patrimoniaux » 71 . Ainsi, le récit occupe une place privilégiée car la maîtrise
de la langue est devenue le domaine transversal par excellence. Mais, d’autres documents
viennent encore compléter le récit dans la pédagogie de l’Histoire. Extraits de mémoire,
journaux de voyage, textes mythologiques, affiches sont parmi les multiples occasions de lecture
de l’Histoire qui sont proposées actuellement dans les classes et auxquelles l’enseignant peut
recourir pour organiser des activités variées autour de pratiques d’écriture, de débats, de jeux
de rôle et de recherches documentaires. L’enseignant a ensuite pour mission de « faire
comprendre à l’élève la différence entre un texte littéraire, un document historique, une lecture
littéraire et une lecture historique » 72 .
A la lumière de notre enquête, deux types d’activités sont mises en œuvre dans les
classes de Cycle III : l’enseignant commence par mobiliser les connaissances (ou croyances) de
ses élèves sur un thème précis (les paysans au Moyen Âge, les grands explorateurs par
exemple), puis par groupe de trois ou quatre, il leur fait découvrir plusieurs documents à partir
desquels ils vont conforter ou, au contraire, modifier leurs idées de départ. Ils sont alors invités à
71 BOEN hors série no 3 du 19 juin 2008, p. 24, disponible à l’adresse : , page
consultée le 4 janvier 2010
72 Documents d’application des programmes, Histoire et Géographie Cycle 3, CNDP 2002, p. 8, disponible à l’adresse :
, page consultée le 2 janvier 2010
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expliquer ce qui a changé dans leur représentation. Ainsi, un dialogue autour des écrits est
souvent mis en place avec pour objectif de saisir le contenu du document. La finalité n’est pas
de travailler les stratégies de lecture mais plutôt de les réinvestir : compréhension, sélection,
interprétation - ceci, afin de reconstruire la vie de la société à une époque donnée. Compléter
et légender une carte ; questionner un texte pour pouvoir ensuite l’identifier et en extraire les
informations ; lire un texte historique et débattre ; lire une représentation pour la commenter,
l’interpréter : « les résumés sont les formes d’écrits les plus présents suivis par les documents
légendés, les schémas, dessins, croquis ou graphiques, la description ou le documentaire de
document, et enfin très rarement le travail sur le lexique » constate Philippe Claus, Inspecteur
général de l’Education nationale 73 . Notre enquête nous a en effet permis de distinguer deux
types d’écrits : des écrits intermédiaires sous forme d’exposés, de recherches, et des écrits de
synthèse consignés dans le cahier d’Histoire ; cahier qui accompagne l’élève tout au long du
Cycle III et dans lequel figurent les questions posées au fil des séances ainsi que les réponses
élaborées collectivement (voir exemple - Annexe 3).
« On apprend à comprendre le monde par matières et par disciplines » 74 écrit Marc
Ferro qui regrette que celles-ci ne communiquent pas assez entre elles. Pourtant, certains
enseignants ont à cœur de dépasser la mémorisation des éléments d’un programme et
d’amener ainsi leurs élèves à « penser l’Histoire » en initiant des projets impliquant plusieurs
disciplines. Ainsi, dans le cadre du projet interculturel « Jetons un pont entre nos patrimoines »
auquel a participé l’école Auguste Renoir à Marrakech (Maroc) en 2004-2005, une classe de
CE2 fut chargée de mettre en relation des fables françaises et marocaines médiévales avec les
aspects historiques (habitudes vestimentaires, architecture, iconographie) de leur époque de
rédaction. Après l’examen collectif des documents, les élèves ont travaillé à différencier le récit
historique et le récit imaginé. Puis, ils ont situé dans le temps les informations retenues en prenant
soin de les rattacher aux événements historiques. Si un tel projet a permis de mettre en parallèle
l’Histoire avec la littérature et l’Histoire des Arts, d’autres peuvent faire appel aux sciences. C’est
ce qu’a choisi l’équipe pédagogique des classes de Cycle III de Friesen (Haut-Rhin) en illustrant
ses séances sur la Préhistoire grâce à cette expérience : avec de la poudre de plâtre, de l’eau,
de l’huile, des coquillages et coquilles d’escargots, les élèves ont fabriqué une collection de
faux fossiles pour l’école. Preuve que l’enseignement de l’Histoire permet des approches riches
et variées qui sollicitent d’autres champs disciplinaires et d’autres ouvertures.
73 CLAUS Philippe, « Comment l’histoire et la géographie sont-elles enseignées à l’école primaire ? Constat et évolution en cours », Actes
de séminaire - Acquis des élèves et pratiques d’enseignement à l’école primaire, au collège et au lycée - Direction générale de
l’enseignement scolaire, 5 août 2008, disponible à l’adresse : ,
page consultée le 27 janvier 2010
74 FERRO Marc, « Comment les enfants apprennent l’Histoire », op.cit.
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I.2.3 Quels prolongements possibles de l’Histoire au Cycle III ?
Toutes les connaissances ne peuvent être donc introduites par la seule étude des
documents. Pour construire le temps historique et développer un sens critique, il est important
que les élèves rencontrent des activités qui dépassent le simple cadre de la leçon. « En
technologie, nous avons fabriqué un chadouf dont le principe, le levier, a été utilisé au Moyen
Âge. Un chadouf permet de récupérer l'eau d'une rivière pour irriguer les champs. En arts
plastiques, nous avons fait des enluminures de notre prénom à la manière des moines scripteurs,
qui eux écrivaient les premières lettres d'un chapitre ou d'un paragraphe et illustraient des
lettrines » expliquent Noémie, Laël, Elie dans le journal de la classe. « C’est à l’école qu’ils
doivent vivre des expériences : visite des musées, notamment ceux qui sont consacrés aux
objets de la vie quotidienne ; visite des sites historiques ; organisation d’expositions d’objets
anciens apportés par les enfants eux-mêmes » 75 . Ainsi, l’Histoire permet des activités variées et
plus approfondies.
a. Des sorties classiques
« Il faut les amener à percevoir le fait que, dans leur univers quotidien, il y a des couches
d’histoire, qu’il y a toujours moyen de détecter des traces des différentes époques autour de
soi : ça me semble très important pour la conscience du temps historique et on ne peut pas y
arriver si on ne sort pas de l’école et de la référence aux manuels » nous explique une
enseignante du Lycée français du Caire. C’est pourquoi l’enseignement de l’Histoire au Cycle III
est de plus en plus ponctué par des sorties pédagogiques. Nous trouvons mention de l’histoire
locale et régionale dans le document d’application « Histoire et Géographie », comme « un
moyen de rendre l’approche historique plus concrète, de mettre en valeur les décalages, les
spécificités d’une région ». Jacques Le Goff souligne l’importance des sorties et enquêtes sur le
terrain pour la découverte du monde afin de « montrer aux élèves que l’histoire n’est pas
seulement dans les livres ou dans les musées, mais dans la rue et les campagnes, qu’ils baignent
dedans » 76 .
Primé lors de la remise des Trophées Poitou-Charentes 1999 dans la catégorie « Meilleure
initiative culturelle dans un monument historique privé », le projet « Chevalerie et blason » au
Château de Ternay (Vienne) souhaite apporter un regard nouveau sur les documents liés à
l’histoire de France et d’Europe. Dans son fonds d’archives très bien conservé qui remonte au
XII ème siècle, les enfants découvrent un parchemin enluminé écrit pour le roi de France et datant
de plus de 500 ans. « Le bénéfice d’une telle démarche est connu : rien ne remplace le
document vrai » 77 . Dans la salle des chevaliers, chacun peut fabriquer son blason en fonction de
sa personnalité et selon les règles de l’art héraldique : « ils apprennent les mots gueule, sinople,
75 JOHNSON Micheline, op. cit., p. 97
76 LE GOFF Jacques, NORA Pierre, Faire de l’histoire, Gallimard, Paris, 1974
77 DOREL-FÉRRÉ Gracia, PICOT Françoise, PICOT Claude, op. cit., p. 8
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azur, sable… Ils comprennent la différence entre un « gironné et un taillé » ou un « écartelé et un
coupé ». Ils savent ce que sont les meubles, les émaux et les métaux. Ils reconnaissent l’aigle
« éployé » et le « lion » lampassé ». Cette initiation apporte aux enfants un regard nouveau sur les
documents liés à l’histoire de France et d’Europe. Le 7 mai dernier, les élèves de l’école de
Vernoux (Ain) se sont rendus sur le site archéologique de Soyons. Ils ont découvert avec curiosité
des collections d’objets datant de l’époque paléolithique à l’époque romaine. Les enfants
attentifs ont répondu au questionnaire qui leur a été proposé en recherchant des indices dans
les vitrines. Ils ont été impressionnés par la taille des molaires de mammouth, mais aussi très
intéressés par les outils fabriqués par les premiers hommes. Sur un terrain de fouilles aménagé, ils
ont pu s’initier aux pratiques archéologiques et ont admiré dans la grotte les représentations de
l’ours, du lion et de la hyène des cavernes.
Les enfants du Lycée français du Caire bénéficient, eux aussi, d’opportunités de choix.
Du 13 au 17 avril 2008, une classe de CM2 a été transplantée à Alexandrie pour y visiter les
principaux sites historiques : les catacombes romaines, l’odéon, la villa aux oiseaux, la colonne
de Pompée, le musée gréco-romain, le fort du Sultan Quait Bey. Les explications de
l’archéologue Katrin Machinek ont permis aux élèves de mieux comprendre l’évolution de cette
ville qui a vu se succéder les plus grandes civilisations. Du 6 au 10 mars 2010, les élèves de CM2
ont visité les sites de Louxor et Assouan. « J’ai eu l’impression de voyager dans le pays des
merveilles où rien ne manquait. Le paysage était beau comme si le plus grand peintre du
monde l’avait peint avec toutes les couleurs de la vie » confie Iosifina. « J’ai aimé le temple de
Karnak, la salle des colonnes de 20 m de haut et qui appartient à Amon Rê » écrit Nathan dans
son carnet de bord. Le musée des crocodiles momifiés de Kom Ombo a fasciné Caroline : « ils
mesuraient entre 2 m et 4,3 m et il y avait aussi leurs œufs et leurs sarcophages. Nous sommes les
seuls au monde à pouvoir les voir, excepté les archéologues ! ». Parmi les visites historiques
annuelles des classes de Cycle III de notre établissement, se trouvent la citadelle du Caire qui
abrite la mosquée de Mohamed Ali et bien sûr les célèbres pyramides de Guizeh, Saqqarah et
Dashour.
Sites archéologiques, châteaux, monuments historiques, musées font partie des
excursions types des fins d’année de nos écoles. Les ministères, les communautés locales, les
associations des différentes régions se révèlent être des partenaires actifs qui œuvrent pour
favoriser des initiatives aidant le corps enseignant dans sa mission éducative. Certains services
comme le Service Archéologie de Caen n’hésitent pas à mettre des mallettes pédagogiques
ou leurs documents originaux à la disposition des enseignants pour agrémenter leurs leçons. Les
sites, pour la plupart équipés pour accueillir les scolaires, offrent un éventail d’activités et d’outils
pédagogiques adaptés. Des parcours thématiques sont même spécialement créés pour les
élèves afin de découvrir des expositions comme les Gaulois sous les pommiers ou le costume
antique à Vieux la Romaine (Calvados).
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. Des parcours ambitieux
D’autres sorties donnent lieu à de véritables projets qui montrent que l’enseignement de
l’Histoire entend nourrir et développer un sentiment d’appartenance identitaire et régional.
Marquée par le 90 ème anniversaire de la fin de la première guerre mondiale, l’année
scolaire 2008-2009 aura vu naître de nouvelles pistes éducatives pour les élèves de Cycle III,
comme des travaux de recherche sur l’histoire d’un soldat de leur commune ou diverses études
du patrimoine lié à la guerre. Dans Le nouvel éducateur 78 , Valérie Choulier, enseignante de
CE2-CM1 à Etueffont (Territoire de Belfort), nous explique comment elle a préparé sa classe à
commémorer le 60 ème anniversaire de la libération de leur village en 1944. Collecte des
informations au monument aux morts, lecture des avis de décès des personnes du village durant
la guerre, témoignage d’une habitante sur le jour de la libération et recherches documentaires :
« notre axe de travail en histoire cette année est d’être collecteurs de traces du passé, et là je
me dis que nous y sommes en plein ». Une fois les informations triées, chaque élève est invité à
rédiger un message pour le lâcher de ballons qui aura lieu le jour de la célébration : « cela a
permis un travail très complet : lecture, analyse de documents, enrichissement du vocabulaire,
écriture, découverte du passé de la commune, notion de symbole » se félicite cette
enseignante. Cet exemple en est la preuve : « la sortie pédagogique permet la mise en place
d’une démarche très complète qui va de l’observation directe à la formation d’hypothèses et à
la vérification de celles-ci grâce au document » 79 .
Le nouvel éducateur nous fait part d’une autre expérience intéressante mise en pratique
dans la région Nord Pas-de-Calais depuis plusieurs années, sous la forme de stages d’enfants
« Histoire ». Cette formule fait travailler les élèves sur un corpus de documents historiques prêtés
par la mairie de Lille, le conseil régional, les archives et l’Association Renaissance du vieux Lille,
dans le but de produire un recueil qui présente les 1 000 ans d’histoire de cette ville. « Je mets à
la disposition des enfants des plans de Lille, depuis 1066 jusqu’à aujourd’hui […] Il s’agit de
comparer, faire un inventaire des renseignements donnés par la lecture des plans, de voir ce qui
reste aujourd’hui des traces du passé […] et savoir où aller dans Lille pour trouver ces traces et
reconstituer l’évolution de la ville » explique Sylvain Hannebique, responsable du projet.
Le travail sur des documents authentiques apporte donc une motivation supplémentaire
aux élèves qui comprennent ainsi qu’ils constituent des éléments essentiels de ce « contrat de
vérité » incarné par l’Histoire selon l’expression de Paul Ricœur 80 .
78 « Une commémoration au monument aux morts de notre village », in Le nouvel éducateur, n o 176, février 2006, disponible à l’adresse :
, page consultée le 3 mars 2010
79 DOREL-FÉRRÉ Gracia, PICOT Françoise, PICOT Claude, op. cit., p. 8
80 RICŒUR Paul, Histoire et vérité, Le Seuil, Paris, 1955
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c. La lecture, le chant et le théâtre
Lire peut donner à aimer et à mieux comprendre l’Histoire. D’après notre enquête, parmi
les nombreux prolongements de l’enseignement de cette discipline au Cycle III, on trouve la
littérature et plus particulièrement la littérature de jeunesse. Ainsi, le roman historique, de plus en
plus prisé par les professeurs des écoles, trouve largement sa place à l’école primaire. Nombreux
sont ceux qui exploitent ces récits pour « sensibiliser leurs élèves à l’Histoire ». Ainsi, Sylvie L.,
conseillère pédagogique à Nyons (Drôme), veille à insérer régulièrement des fictions historiques
dans le classement par genre qu’elle fait faire à ses élèves : « les élèves aiment beaucoup les
romans historiques parce que l’on y parle d’enfants de leur âge qui vivent dans des périodes
difficiles et qui surmontent leurs problèmes ». A partir d’un corpus de récits historiques, elle leur
demande aussi de trouver les critères communs à ce genre. Le roman historique permet souvent
de franchir les obstacles liés à la lecture et apporte un éclairage nouveau sur certaines
époques. Sylvie L. a bien voulu partager avec nous ses autres activités de lecture autour de
l’Histoire. Dans « Galerie de portraits », chaque élève prépare en secret la lecture d’une
description de l’un des personnages qu’il aura choisi dans la pile « récits historiques ». Dans
« S.O.S héros », c’est l’enseignant qui lit un passage clé d’une fiction historique. Les élèves ont
alors pour mission d’écrire une lettre au héros pour lui dire ce qu’il pense de son action ou pour
l’aider à résoudre une difficulté.
La chanson ou la poésie deviennent aussi de plus en plus souvent prétexte à aborder
l’Histoire et à se poser des questions. « Les chansons d’époque ou chansons sur une époque sont
des témoignages qui marquent le goût du passé ; la chanson populaire ou folklorique parce
qu’elle raconte, rapporte, interprète, peut être étudiée en Histoire » nous fait remarquer cette
enseignante de Cycle III. Repères des époques et des événements chantés, les chansons
révèlent les permanences et les ruptures dans l’Histoire. Claire S. a fait travailler ses élèves sur un
corpus de vieilles chansons traditionnelles. Le roi Dagobert, Auprès de ma blonde, Malbrough
s’en va t-en guerre, Ah ! ça ira, La Carmagnole, La Marseillaise, Mon père avait 500 moutons,
L’affiche rouge, Nuit et brouillard et beaucoup d’autres encore ont fait l’objet d’un classement
dans le temps et par thème (pouvoir et guerres, société, vie quotidienne, progrès techniques,
mentalités et croyances). Avec les élèves de CE2, elle a « balayé » la frise du temps en
chansons. Pour ceux de CM1, elle a choisi des chants pour chaque époque qui marquent des
événements importants (la Révolution, les guerres du XX ème s.), mais aussi d’autres qui évoquent
les faits de la vie quotidienne (« les travaux et les jours » au Moyen Âge, sous l’Ancien Régime, au
XIX ème s. « quand commence à s’installer l’industrialisation », au XX ème s. « de la tradition au
modernisme »). « La chanson est un excellent élément déclencheur de la séance d’histoire :
immersion dans une époque, dans une ambiance, les élèves posent alors des questions et vont
ensuite chercher des réponses dans des documents historiques ou une documentation
savante » explique l’enseignante.
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Enfin, le théâtre est aussi un moyen de plus en plus expérimenté au Cycle III pour
« pratiquer l’Histoire ». « En passant le pont » est une activité imaginée par Sylvie L. qui vise à
rédiger un passage d’un roman historique à la manière d’une pièce de théâtre. « Avec les
œuvres poétiques et théâtrales, les élèves, guidés par leur enseignant, prolongent
l’interprétation [des textes lus], en cherchant à les transmettre » 81 . En effet, acquérir la culture
théâtrale fait aussi partie des missions de l’école fortement recommandées dans les
programmes actuels. Ainsi, le 19 décembre 2009, dans la salle polyvalente de l’école catholique
Laurent Michard d’Aveizieux (Loire), s’est déroulé le théâtre de Noël sur le Moyen Âge. Depuis le
mois de novembre, la compagnie Gueule de loup aide les enfants à préparer l’événement. Les
impressions que nous livrent les comédiens témoignent du succès de ce genre de projet qui les
sensibilise à la fois à une époque historique et à un mode d’expression artistique. « Il y avait des
jongleurs, des musiciens et des montreurs d’ours » raconte Yaêl. Léoline, elle, a aimé les décors
avec les créneaux du château fort et l’ambiance de la scène. Bien sûr, Célia a préféré le roi et
la reine avec leur fille, sans oublier les gardes et la fée qui essayaient de sauver la princesse.
d. Internet au service de l’Histoire
« Bienvenue à toi, visiteur de l'an de grâce MMX ! Pour cette nouvelle année scolaire, le
Maître du Temps te propose de repartir pour d'autres recherches sur les sites d'histoire. Ta mission
consistera à répondre à seize questions qui seront posées sur ce site tout au long de l'année
scolaire (…) ». C’est ainsi que le « Rallye dans le Temps » proposé par le site Web de l’école
Jacques-Yves Cousteau d’Argentré (Mayenne) a enregistré plus de 42 000 visiteurs en deux ans.
Afin d’aider les enseignants à faire valider la compétence 5 du B2i école sur la
messagerie électronique, la circonscription de Fécamp (Seine Maritime) a mis en place en 2009
pour l’ensemble des élèves de Cycle III des écoles de Rouen, un défi Internet sur les grands
personnages de l’Histoire. Le Centre Départemental de Documentation Pédagogique du Haut-
Rhin propose, quant à lui, sur son site une « promenade en histoire de France : à la recherche du
nom perdu » 82 qui, sous forme de rallye en dix questions, demande l’aide des jeunes internautes
pour retrouver le nom d’un célèbre personnage alsacien ayant vécu au XIX ème siècle.
Si certaines écoles comme celle de Polminhac (Cantal) organisent encore des rallyes
historiques à partir des manuels d’histoire utilisés en classe, bien plus nombreuses sont celles qui
optent pour la formule « Internet ». Beaucoup d’enseignants choisissent ainsi d’engager leur
séance d’Histoire en présentant à leurs élèves une enquête qui se fait à partir d’un ou plusieurs
sites Internet suivi d’un questionnaire à compléter avec les différents éléments de réponse
trouvés sur la Toile. En effet, tout en encourageant le goût des élèves pour la recherche
documentaire dans les livres ou sur le web, ces démarches « virtuelles », très appréciées de la
81 Extrait des programmes de l’école primaire, 2002, in « La littérature de jeunesse au Cycle 3 », in BBF, 2004, t. 49, n o 1, pp. 39-41, disponible
à l’adresse : , page consultée le 8 janvier 2010
82 Adresse du site :
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jeune génération, leur permettent de mobiliser et de relier les compétences du B2i, en particulier
dans le domaine « s’informer » avec celles du domaine de l’étude de la langue et de « la
lecture documentaire ».
CYCLE III
Lire pour se documenter
� Trouver sur Internet des informations
� Apprécier de manière critique les informations trouvées au terme
d’une recherche
� Mettre en œuvre des stratégies ou des
techniques de recherche / utiliser un moteur de recherche
B2i école
S’informer, se documenter
� Savoir utiliser les différents paramètres de navigation
� Savoir repérer les informations affichées sur l’écran
� Saisir une adresse Internet et naviguer sur un site
� Savoir utiliser un mot‐clé ou un menu pour faire une
recherche
Avec l’appui du Ministère de la Défense et en complément de ses missions
traditionnelles, l’ONAC (Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre) a créé
P@sseur de mémoire et Les rouages du temps, deux jeux interactifs en 3D comme support
ludique d’apprentissage à l’enseignement des différents conflits qui ont engagé la France. A
forte valeur pédagogique, ils proposent aux jeunes des énigmes passionnantes et des
personnages attachants pour leur expliquer, à travers une série d’épreuves, tous les conflits et
opérations militaires du XX ème siècle 83 .
Ainsi, les préoccupations pédagogiques sont au centre de l’enseignement de l’Histoire
au Cycle III et, chemin faisant, se donnent un contenu : celui des « traces » laissées par les
Hommes au cours des siècles et des moyens de plus en plus innovants pour y faire accéder les
enfants.
I.3 L'Histoire à la BCD du Lycée français du Caire
Après avoir témoigné dans un premier temps des statuts et des enjeux de l’Histoire dans
la société d’aujourd’hui, puis dans un second temps des différentes pratiques de son
enseignement dans les classes de Cycle III, il est temps de considérer la place occupée par
l’Histoire à la BCD du Lycée français du Caire puisque c’est en ces lieux, et en s’appuyant
essentiellement sur son fonds que nous avons organisé nos séances et tenté de répondre à
notre problématique. Aussi, après avoir expliqué l’art, essayons de comprendre la manière de
transmettre l’Histoire dans cette section jeunesse d’un « lycée d’ambassade ».
I.3.1 Présentation de la bibliothèque
Situé dans le quartier résidentiel de Maadi au sud-est de la capitale égyptienne, le Lycée
français du Caire fait partie des quatre cents établissements du réseau d’enseignement français
à l’étranger qui fonctionne selon les programmes de l’Education nationale. Plus de 1 700 élèves
y sont scolarisés : 50% des effectifs sont Français, le reste étant composé d’Egyptiens (35%) ou
83 Adresse du site :
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d’élèves issus des quarante-quatre autres nationalités représentées. Le site de Maadi 84 compte
environ deux cents élèves en Cycle III répartis dans neuf classes (trois classes par niveau : CE2,
CM1, CM2). Pour les accueillir, la Bibliothèque Centre de Documentation (BCD) de notre
établissement a ouvert ses portes en 1992.
a. Situation
La BCD est située au premier étage, en bout de couloir, et rien ne la distingue au premier
abord des salles de classe qui sont à côté. Ou plutôt si : à bien y regarder, ce sont les seules
baies vitrées qui ne sont pas décorées de travaux d’enfants, se contentant d’attirer le regard
par de grands rideaux, le plus souvent fermés. Pour le visiteur qui entre dans l’établissement,
aucune indication n’en signale l’emplacement, aucun signe extérieur ne permet de la repérer.
En revanche, lorsqu’on franchit la porte de la bibliothèque, l’accueil devient plus chaleureux
grâce aux origamis qui la décorent et la gentillesse empressée de la responsable, toujours prête
à rendre service. Cependant, malgré un effort d’organisation pour rendre l’espace plus
agréable et fonctionnel, le manque de place ne laisse que peu de chance à la perspective de
pouvoir circuler, au plaisir de flâner dans les rayons et de chercher dans les bacs qui
« regorgent », faute de désherbage. Si la place du livre et l’utilisation de la BCD à l’école
primaire sont largement reconnus d’un point de vue pédagogique, il n’en reste pas moins que
des problèmes d’ordre pratique ou administratif se posent souvent pour la constitution,
l’aménagement et la gestion d’un tel lieu dans une école.
b. Fonctionnement
Recrutée comme agent administratif, sa responsable occupe le poste depuis la création
de la bibliothèque en 1992. Le cas si particulier de cette non professionnelle n’ayant aucune
formation en bibliothéconomie ni en littérature de jeunesse avait servi de « contre-exemple
éloquent » à Sylvie Bégué dans son Mémoire professionnel en 2007 : « elle n’a pas créé de
fichier, n’a pas de connaissances en littérature pour la jeunesse ni non plus du secteur éditorial
pour le jeune public, ne lit pas les titres de son fonds » 85 . Grâce aux savoir-faire et au
dévouement de cette stagiaire déjà documentaliste expérimentée, l’organisation de la BCD
s’est considérablement améliorée ces trois dernières années, avec notamment l’informatisation
du fonds ainsi que les efforts de la responsable pour passer les commandes et aménager
l’espace. Si d’une manière générale le fonds a commencé à se renouveler, si les élèves
bénéficient d’un meilleur accès aux livres sur les étagères et peuvent désormais emprunter les
nouveautés exposées, le rôle de la BCD se cantonne encore presque exclusivement au prêt. Les
enfants n’y font que peu de recherches documentaires et ne profitent d’aucune animation. De
84 Le Lycée français du Caire comporte trois antennes pour les classes maternelles et primaires implantées sur trois sites : Maadi (site
principal), Zamalek (centre-ville) et El-Rehab (en périphérie)
85 BÉGUÉ Sylvie, Mémoire professionnel de Master 2, « Littérature de jeunesse et lecture à la BCD : une mission pour un professionnel ?,
sous la direction de Madame Catherine Ridé, Université du Maine, septembre 2007
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plus, cette BCD n’est accessible que durant le temps scolaire (8h - 13h30), avec une
permanence tous les mardis après-midis.
I.3.2 Inventaire du fonds Histoire de la BCD
Grâce au logiciel BCDI3 école, nous avons pu obtenir un « listing » du fonds Histoire en
vue de procéder à son inventaire, mais aussi de choisir les ouvrages en prévision de nos
séances. Au vu de la situation de la BCD il y a encore quelques temps, un tel « listing » est
effectivement louable, mais en y regardant de plus près, force est de constater qu’il n’est
exploitable que partiellement. En effet, le fichier informatique n’est pas correctement rempli et
des données importantes manquent, rendant difficile la représentation de certains livres et une
approche fine des ouvrages proposés. Aussi bien pour les documentaires que pour les fictions,
ne figurent ni les noms des auteurs, ni ceux des illustrateurs, des maisons d’édition et des
collections, amputant la recherche et le choix d’indices précieux. De plus, certains ouvrages
sont fichés alors qu’ils ne sont pas encore mis en rayon ni même commandés comme le montre
l’exemple ci-dessous.
Exemple d’un
ouvrage enregistré
mais absent du
fonds
Exemple type
d’informations
données pour un
ouvrage
De ce fait, deux séances prévues ont dû être modifiées parce que les livres escomptés
manquaient, perte de temps importante pour les utilisateurs du fichier. Pourtant, l’ergonomie de
ce logiciel réduit considérablement le temps de saisie par le choix du nom des auteurs, des
éditeurs, des collections et des descripteurs dans des listes prédéfinies. Ainsi sont évités les risques
de fautes et d’erreurs tout en permettant une recherche rigoureuse et fiable par mots-clés,
auteurs, titres ou éditeurs. L’informatisation d’une BCD visant à rendre plus efficace la gestion du
fonds est une opération lourde qui nécessite des compétences spécifiques : prise en main du
logiciel, indexation et référencement des livres. Or, une pédagogie de la documentation ne
peut être valable que si l’outil informatique de recherche est performant et propose des
ouvrages donnant des informations justes, actualisées et complètes.
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a. La composition du fonds Histoire
Nous avons répertorié 146 ouvrages parmi les
fictions et documentaires à caractère
historique. Le graphique ci-contre présente le
pourcentage du nombre de titres par support
et laisse apparaître que le fonds Histoire se
compose en majeure partie d’ouvrages
documentaires : 62% de documentaires pour
38% de fictions.
Si l’on se base sur le constat courant qui établit que le fonds général est constitué en
moyenne de deux fois plus de livres de fiction que d’ouvrages documentaires, alimentant l’idée
selon laquelle « les documentaires demeurent les mal-aimés » 86 des bibliothèques, il nous semble
normal que la tendance soit inversée dans le cas d’un fonds Histoire en général et du nôtre en
particulier. Nous avons pensé à trois explications possibles : les documentaires se prêtent mieux à
l’enseignement scolaire de l’Histoire tel que nous l’avons vu précédemment et que le laisse
supposer l’acquisition récente de nombreux titres de La vie des enfants, collection à caractère
didactique aujourd’hui publiée par La Martinière Jeunesse 87 . Les documentaires sont aussi
souvent plus appréciés des enfants parce qu’ils comportent des illustrations et qu’ils sont moins
contraignants à lire 88 . Mais cette disparité documentaires-fictions n’est peut-être tout
simplement que la conséquence hasardeuse d’une absence de politique documentaire
concertée, l’achat des ouvrages et la mise à jour du fonds étant fait essentiellement par les
enseignants en fonction de leurs projets ou des besoins non couverts l’année précédente. A ces
raisons vient s’ajouter un autre facteur déterminant : l’équipe pédagogique change
régulièrement, avec des départs et des arrivées d’enseignants aux besoins et attentes à chaque
fois différents. Néanmoins, difficile de dire s’ils sont réellement gênés par cette situation. Sur les
neuf enseignants de Cycle III concernés, seuls trois ont bien voulu répondre à notre
questionnaire sur le fonds Histoire de la BCD. Si les documentaires leur semblent en nombre
suffisant, deux enseignantes regrettent que le roman historique ne soit pas mieux représenté.
Hormis Baraquement 18, lit 22 : que la fête commence 89 ! de Margaret Wild, titre de la sélection
primaire 1993, le fonds ne comporte que deux fictions historiques parmi celles de la liste de
86 ROBINE Nicole, « Les ouvrages documentaires pour la jeunesse », in BBF, 1982, t. 27, n° 9-10, pp. 554-551, disponible à l’adresse :
, page consultée le 29 mars 2010
87 Citons par exemple La vie des enfants au temps du Roi-Soleil de Claude Grimmer (De La Martinière, 2003), La vie des enfants au temps
du futur empereur Napoléon de Philippe Boitel (De La Martinière, 2009) ou encore La vie des enfants travailleurs pendant la révolution
industrielle de Philippe Godard (De La Martinière, 2009). Cette collection est agrémentée d’une superbe iconographie et présente des
textes explicatifs sur un thème ou une période précise pour découvrir comment les enfants vivaient au cours des siècles passés.
88 Il convient de rappeler ici que la majorité des élèves de notre établissement n’étant pas français, beaucoup peuvent éprouver une
certaine réticence à lire une œuvre longue en langue française. De plus, pour les enfants égyptiens, le documentaire correspond
souvent à l’image qu’ils se font du « vrai » livre.
89 WILD Margaret, Baraquement 18, lit 22 : que la fête commence !, « Hors Série Nature », Casterman, 1993
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éférence des œuvres de littérature pour la jeunesse (2004) : Rouge Braise 90 de Rolande Causse
et Les orangers de Versailles 91 d’Annie Pietri. Le fonds compte malgré tout quelques classiques
comme La fiancée du Nil 92 de Christian Jacq, La vengeance de la momie 93 d’Evelyne Brisou-
Pellen et Le pionnier du nouveau monde 94 de Michel Piquemal.
b. Un fonds hétéroclite et inégalement renouvelé
Le fonds Histoire de la BCD est disparate, manquant d’harmonie et d’homogénéité tant
au niveau de sa constitution que de son état général. Il donne à la fois une impression de
vétusté et d’actualité. Comme le montre la figure ci-dessous, sa particularité tient dans la
présence de livres dont l’édition remonte à 20 et 30 ans, voire plus pour six d’entre eux, et de
livres parus récemment.
L’analyse de ce graphique laisse
supposer que le fonds s’est
constitué en deux temps : lors de
la création de la bibliothèque en
1992, cette dernière a hérité de
quelques ouvrages édités avant
1980 et complétés par un fonds
de livres de la décennie 1980-
1990, laissant fortement présumer
qu’ils proviennent des librairies
locales francophones dont les
livres proposés ne sont pas toujours au fait de l’actualité éditoriale française. Puis, durant les huit
années qui ont suivi son ouverture, la BCD a acquis la plus grande partie de son fonds Histoire,
ce qui explique que la majorité des livres mis en rayon ont une date d’édition comprise entre
1990 et 2000. Le fonds s’est par la suite enrichi de vingt-cinq ouvrages supplémentaires édités
entre 2000 et 2005 ; seuls huit livres illustrent la production éditoriale de ces cinq dernières
années. Un tel déséquilibre témoigne une nouvelle fois d’une absence de politique
d’acquisition cohérente, mais aussi de désherbage, ce qui a d’énormes répercussions sur
l’homogénéité du fonds Histoire. Partie intégrante de toute politique d’acquisition et de mise à
disposition des documents, un désherbage régulier s’avère pourtant indispensable. Or, il s’agit là
d’une pratique difficile qui suscite de nombreuses résistances et dans le cas de notre stage, les
enseignants rencontrés regrettent que la responsable se refuse à retirer des rayons les
documents jugés inadéquats tout en étant réticente à leur emprunt par les enfants. Ainsi, sur les
90 CAUSSE Rolande, Rouge Braise, Gallimard, 1985, rééd. « Folio Junior », Gallimard Jeunesse, 2007
91 PIETRI Annie, Les orangers de Versailles, « Estampille », Bayard, 2004
92 JACQ Christian, La fiancée du Nil, Magnard, 1996, rééd. « Tipik Junior », Magnard, 2004
93 BRISOU-PELLEN Evelyne, La vengeance de la momie, Hachette Jeunesse, 2001, rééd. « Le Livre de Poche Jeunesse », Livre de poche
jeunesse, 2007
94 PIQUEMAL Michel, Les pionniers du nouveau monde, Milan, 1988, rééd. « Milan Poche Junior », Milan, 1999
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étagères, des collections des décennies 1970-1980 (La vie privée des hommes) trouvent place à
côté de séries très récentes (La vie des enfants). Or, tous les professionnels du livre le savent : les
enfants choisissent d’abord les livres neufs, ensuite les livres récents, puis par défaut, un « vieux »
livre. Susciter l’envie de lire et, en ce qui nous concerne, de lire l’Histoire, passe non seulement
par la qualité du contenu, mais aussi par l’état du « contenant » car la présentation d’un
document met en valeur les textes et les informations. Quels que soient les progrès techniques
du multimédia, le livre reste le meilleur support de découvertes aussi bien imaginaires que réelles
et la conquête du lecteur passe avant tout par un support actualisé et attractif. Or, les deux
graphiques ci-dessous laissent apparaître que 39% des fictions et 63% des documentaires sont
d’une édition antérieure à 1995. Certes, la valeur d’usage n’est pas un facteur déterminant
d’exclusion : un document peut servir rarement, mais n’en être pas moins précieux. Néanmoins,
« dans le cas des bibliothèques jeunesse, le caractère attractif du livre tant par son état que par
la couverture et la qualité de l’iconographie et du contenu sont indissociables » 95 . « Un livre
matériellement vieilli ne donne pas confiance dans les informations qu'il contient, un livre en
mauvais état ne donne pas envie d’être lu » explique Martine Chouvy du Département
Jeunesse de la Bibliothèque Municipale de Lyon 96 . Elle préconise d’éliminer les livres dont les
informations ont vieilli ou sont devenues fausses du fait de l'évolution des connaissances. Or,
l’Histoire a beau concerner le passé, les connaissances et les découvertes évoluent. « Il faut
avoir un regard exigeant sur les documents dépassés ». Ici, les deux tiers des documentaires se
situent au-delà de l’âge requis pour la catégorie « document historique » allant de cinq à quinze
ans d’édition.
Pour la fiction, de vieilles éditions n’attirent pas plus le lecteur. « Les ouvrages de fiction
prennent aussi de l'âge : couvertures désuètes, images figées, histoires convenues, séries en
grand nombre donnent aux rayonnages une allure passée d’autant que les récentes
techniques éditoriales ont fait vieillir beaucoup d’ouvrages et que les enfants ont pris l’habitude
95 LEROUGE Françoise, METZGER Jean-Paul, « Les bibliothèques publiques - de l’offre commerciale à l’offre culturelle », Cours de l’Ecole
Nationale Supérieure des Sciences de l’Information et des Bibliothèques (ENSSIB), Villeurbanne, septembre 2005
96 CHOUVY Martine, « Rajeunir la BCD », in Liaisons CDI-BCD, février 2004, disponible à l’adresse :
, page consultée le 6 mars 2010
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de voir dans les rayons des hypermarchés une partie de l’actualité éditoriale » commente
Martine Chouvy 97 . 20% des fictions de notre fonds ont plus de 20 ans parmi lesquelles des
classiques de la littérature de jeunesse comme La guerre du feu 98 de J.-H. Rosny Aîné, Les
brigands de la Saint-Michel 99 de Jean-Marc Soyez ou Dans les cheminées de Paris 100 de Marie-
Christine Helgerson, qu’il conviendrait de remplacer par des éditions plus récentes.
Au total, seuls 26% des fictions et 17% des documentaires ont moins de dix ans : des
chiffres éloquents qui suffisent à montrer que ce fonds n’est pas suffisamment actualisé et peut
difficilement prétendre remplir notre mission « de séduction » auprès des enfants.
c. Un fonds lacunaire
L’analyse par support et par période historique met en évidence l’hétérogénéité du
fonds Histoire. Ceci peut expliquer l’image qu’en ont certains enseignants qui trouvent
finalement que ce fonds répond aux critères de choix en offrant des supports variés, des thèmes
diversifiés, voire même une certaine pertinence.
Malgré le fait que toutes les époques sont représentées, les graphiques ci-dessus
montrent une inégale répartition du nombre des fictions et documentaires par période
historique. Ainsi, l’Antiquité arrive nettement en tête grâce aux nombreux documentaires (43) et
fictions (17) sur l’Egypte ancienne, époque sur laquelle les classes de CE2 mettent
particulièrement l’accent : des documentaires généraux à la construction des pyramides en
passant par la vie quotidienne et coutumes au bord du Nil, tous les aspects sont représentés,
avec force redondance. Autre période phare très appréciée des enfants, le Moyen Âge est
bien représenté avec 14 romans et 17 documentaires. A défaut d’en trouver de plus récents,
certains ouvrages obsolètes - Au temps des chevaliers et des châteaux forts 1250-1350 (1976),
Saint Louis (1979), Histoire des Français (1983), Du Guesclin (1984), Au temps de Charlemagne
(1984), A l’abri des châteaux forts (1985) - retrouvent « grâce » aux yeux de certains enseignants
97 CHOUVY Martine, ibid
98 ROSNY AINE J.-H., La guerre du feu, Livre de Poche, 1980, rééd. « Le Livre de Poche Jeunesse », Livre de Poche Jeunesse, 2008
99 SOYEZ Jean-Marc, Les brigands de la Saint-Michel, Hachette, 1984, rééd. « Le Livre de Poche », Hachette Littérature, 2001
100 HELGERSON Marie-Christine, Dans les cheminées de Paris, Flammarion, 1985, rééd. « Castor Poche », Flammarion, 1999
Page 43 sur 113

pour illustrer les nouveaux programmes d’Histoire : « ce sont de vieux ouvrages, mais les enfants
aiment bien regarder leurs images » confie une enseignante.
Si la Préhistoire est présente sous forme de fictions, le fonds documentaire est ici inexistant
avec un seul ouvrage spécialisé : une ancienne édition de Lascaux et son temps 101 d’Henri de
Saint Blanquat et Véronique Ageorges. Alors que cette période est souvent en sur-
représentation dans les rayons des bibliothèques, nous avons émis l’hypothèse que ce choix
était peut-être voulu par l’école pour respecter les convictions religieuses des familles des
enfants scolarisés. En réalité, nous trouvons trace de la Préhistoire dans les ouvrages généraux
tels Le vêtement : ses formes, ses modes, ses usages à travers les siècles 102 de Piero Ventura.
Nous avons souhaité émettre des suggestions pour le fonds Préhistoire de la BCD que nous
présentons en Annexe 4. La Révolution française, le siècle des Lumières, la révolution industrielle
et le XX ème siècle sont les périodes qui comportent à la fois le moins d’ouvrages et les plus
récentes éditions, démontrant un réel effort du corps enseignant pour adapter et actualiser le
fonds en conformité avec les nouveaux textes officiels qui insistent depuis peu sur leur
enseignement. La culture humaniste est représentée par trois anciens documentaires -
Renaissance et humanisme 103 de Jean-Paul Brighelli, La Renaissance : le temps des ambitions 104
d’Alison Cole, une édition sur L’Histoire et la vie d’un château de la Renaissance datant de 1983
- et un ouvrage récent : Artistes à la Renaissance 105 de Martine Lacas. Il faut noter également
l’acquisition de fictions qui ont pour cadre la seconde guerre mondiale comme Le journal
d’Adèle 106 de Paule du Bouchet et Paris Rutabaga 107 de Jean-Louis Besson ; la Shoah est plutôt
bien représentée avec La vague noire 108 de Michèle Kahn, La maison vide 109 de Claude
Gutman ou encore L’enfant à l’étoile jaune 110 d’Armand Toupet.
Si l’Egypte antique est à juste titre à l’honneur, on s’étonnera de l’absence dans notre
BCD d’ouvrages sur l’histoire islamique médiévale ou contemporaine alors que les programmes
scolaires préconisent la découverte de cette civilisation et que le patrimoine local, très riche, fait
l’objet de nombreuses excursions scolaires. Cette lacune oblige les enseignants et les professeurs
d’arabe 111 à chercher leur documentation sur Internet. Pourtant, la littérature pour la jeunesse
offre quelques fictions et documentaires réussis tels Sarah de Cordoue 112 de Rolande Causse, Le
101 (DE) SAINT BLANQUAT Henri, AGEORGES Véronique, Lascaux et son temps, « Les jours de l’histoire », Casterman, 1989, rééd. « Repères »,
Casterman, 2000
102 VENTURA Piero, Le vêtement : ses formes, ses modes, ses usages à travers les siècles, « Objets et choses de la vie des hommes », Gründ,
1993
103 BRIGHELLI Jean-Paul, Renaissance et humanisme, « Encyclopédie », Gallimard, 1992
104 COLE Alison, La Renaissance : le temps des ambitions, « Passions des arts », Gallimard, 1995
105 LACAS Martine, Artistes à la Renaissance, « La vie des enfants », De la Martinière, 2005
106 (DU) BOUCHET Paule, Le journal d’Adèle, « Folio Junior », Gallimard, 1998
107 BESSON Jean-Louis, Paris Rutabaga : souvenirs d’enfance1939-1945, « Albums Junior », Gallimard, 2005
108 KAHN Michèle, La vague noire, Hachette, 1990, rééd. « Les couleurs de l’Histoire », Actes Sud Junior, 2000
109 GUTMAN Claude, La maison vide, Gallimard, 1993, rééd. « Folio Junior », Gallimard Jeunesse, 2010
110 TOUPET Armand, L’enfant à l’étoile jaune, Milan, 1994, rééd. « Milan Poche Junior », Milan, 2007
111 Qu’ils soient arabophones ou non, les élèves de l’école primaire suivent un apprentissage hebdomadaire de la langue et de la culture
arabe.
112 CAUSSE Rolande, Sarah de Cordoue, « Charivari », Belin, 2009
Page 44 sur 113

prince d’Omeyya 113 d’Anthony fon Eisen, Le secret de la reine de Saba 114 de Mohamed Kacimi,
Le faux calife et autres contes 115 , sans oublier Au temps des sultans 116 , Le monde arabo-
musulman 117 et Sur les traces des Arabes et de l’Islam 118 .
I.3.3 Bibliothèque scolaire et école
Ce matin de janvier, les élèves de l’école primaire de Marcel Jeantet (Yvelines)
s’apprêtent à se rendre à la BCD pour y découvrir une trentaine d’ouvrages sur le Moyen Âge
que la bibliothécaire a pris soin de mettre à leur disposition. Ils savent déjà qu’ils auront pour
mission de retrouver le livre source pour chaque extrait que cette dernière leur remettra. Mais
avant de s’exécuter, ils devront être capables d’en préciser le thème et d’expliquer leur
démarche.
a. Des ressources peu exploitées
Alors que la Circulaire du 1 er octobre 1984 stipule que « la BCD est le lieu central de
l’école où tous les enfants peuvent accéder seuls ou avec la classe », l’accueil à celle du Lycée
français du Caire reste limité aux créneaux horaires attribués à chaque classe. Les élèves ne
peuvent donc se rendre seuls à la BCD en dehors du temps qui leur est imparti : une demi-heure
hebdomadaire par classe durant laquelle ils ont l’obligation de choisir un ouvrage à emprunter.
Il n’y a pas de prêt individuel spécial en cas de recherches documentaires ou de lecture dirigée
en classe. Par ailleurs, la bibliothèque fermant ses portes à l’heure où les classes vaquent, les
enseignants se trouvent gênés de ne pouvoir venir consulter le fonds autant qu’ils le
souhaiteraient. Certains sont ainsi obligés d’aller s’approvisionner à la médiathèque du Centre
Français de Culture et de Coopération. A l’absence d’un libre accès qui permettrait
certainement d’optimiser la consultation et l’emprunt des ressources, s’ajoute le fait que le fonds
ne fait l’objet d’aucune mise en valeur particulière. Les documentaires sont cotés suivant le
principe de la classification Dewey qui permet aux enseignants de bénéficier d’outils de
référence communs et aux enfants d’évoluer dans un environnement documentaire cohérent.
Mais on regrettera l’absence d’une signalétique supplémentaire comme le recours aux
gommettes autocollantes se référant à la marguerite ou aux pictogrammes facilitant le
repérage et le rangement. Perfectionner l’indexation des documents permettrait une plus
grande autonomie dans les recherches effectuées par les enfants. Malgré la motivation et le
réel intérêt montrés par les enseignants pour faire vivre leur BCD, les ressources ne restent donc
que partiellement exploitées. Même si certains s’investissent en procédant eux-mêmes aux
achats des livres dont ils ont besoin - des achats ponctuels et occasionnels qui viennent
113 FON EISEN Anthony, WATKINS France-Marie, Le prince d’Omeyya, « Pocket Junior », Pocket Jeunesse, 1999
114 KACIMI Mohamed, Le secret de la reine de Saba, « Au bout du monde », Dapper Eds, 1999
115 Collectif, Le faux calife et autres contes, « Folio Junior », Gallimard Jeunesse, 2002
116 MARUEJOL Florence, HOFFMAN Ginette, Au temps des sultans, « Des enfants dans l’Histoire », Casterman, 2001
117 BARBER Nicolas, Le monde arabo-musulman, « Entrez Chez », Gründ, 2005
118 SEDDIK Youssef, TALLEC Olivier, Sur les traces des Arabes et de l’Islam, « Sur les traces de », Gallimard Jeunesse, 2004
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enflouer le fonds sans qu’aucun désherbage n’ait jamais lieu - beaucoup préfèrent, comme dit
précédemment, opter pour l’outil Internet 119 « plus rapide », « plus pratique » et ne nécessitant
« aucun déplacement ». Le témoignage de cette enseignante qui confie trouver plus
facilement les documents dont elle a besoin sur la Toile et apprécie de pouvoir « ajuster les
informations trouvées pour créer des documents » répondant exactement à ses attentes et aux
recherches de ses élèves montre qu’aujourd’hui, le fonds d’une BCD doit être vivant et évolutif
face aux changements des besoins documentaires et à la diversification des supports. « Autour
du seul problème des acquisitions de la BCD, se posent non seulement la question de la
mobilisation de l’équipe, la question de sa formation aux techniques documentaires et à la
littérature de jeunesse, mais aussi et surtout celle du rôle des enfants et du pouvoir de décision
qu’on leur accorde en la matière » 120 . Cette analyse d’Annick Taysse, institutrice et maître-
formatrice à Tulle (Corrèze), résume bien la situation de la BCD du Lycée français du Caire et
rejoint le constat du professeur-documentaliste Sylvie Bégué : « ici, c’est la présence d’une
personne visiblement peu concernée qui empêche le fonctionnement d’une équipe très
motivée mais considérablement freinée par une gestion et une utilisation du lieu qu’elle ne
maîtrise pas » 121 .
b. Quelles attentes du corps enseignant en matière d’Histoire à la BCD ?
L’école semble ainsi fonctionner sur un « consensus » : il n’y a pas d’initiative de la part
de la bibliothécaire, il n’y a pas de demande non plus de la part des enseignants. Nous l’avons
vu, la fonction principale de la BCD du Lycée français du Caire est le prêt hebdomadaire à
destination des élèves. La plupart des enseignants ne menant aucune activité à la BCD, la
bibliothèque se résume pour eux à « l’endroit où l’on emprunte des livres ». En effet, les classes
qui viennent ponctuellement faire des recherches de documents sont rares et la fréquentation
occasionnelle de la BCD par les enseignants consiste à y chercher des documentaires pour
préparer leurs leçons d’Histoire et servir de support à l’organisation de leurs activités en classe.
S’ils reconnaissent la situation particulière de leur bibliothèque, nous comprenons que les
enseignants ne souhaitent pas s’exprimer sur ce point ni évoquer leurs attentes en matière
d’Histoire à la BCD. « Découragés depuis plusieurs années, ils ne font pas vivre la BCD, même
ceux qui ont une expérience positive en bibliothèque scolaire » 122 explique Sylvie Bégué. Aussi,
afin de pouvoir cerner les besoins du corps enseignant dans le domaine qui nous intéresse, nous
sommes allée enquêter dans d’autres établissements. En réalité, l’Histoire ne fait pas l’objet
d’une mise en situation particulière dans les BCD, comme si ce champ disciplinaire continuait
de « pâtir » de sa réputation trop scolaire. En effet, certains enseignants ne nous ont pas caché
119 Chaque classe est équipée d’un poste ordinateur
120 TAYSSE Annick, « Ni bibliothèque, ni C.D.I. : la Bibliothèque Centre Documentaire à l’école primaire », disponible à l’adresse :
, page consultée le 6 mai 2010
121 BÉGUÉ Sylvie, ibid
122 BÉGUÉ Sylvie, ibid
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leur étonnement face à notre projet de susciter l’intérêt pour l’Histoire en dehors des leçons de
classe hebdomadaires. « Cela n’a même peut-être jamais été proposé mais pourquoi pas ? »
nous écrit Adèle A. C’est pourquoi, en matière d’Histoire, les attentes des enseignants restent
somme toute très classiques : ils demandent d’abord à ce que la bibliothécaire sache mettre à
leur disposition un fonds pertinent et conforme aux programmes, et qu’elle les oriente dans leurs
recherches et le choix des ouvrages adéquats en fonction de leurs projets et activités en classe.
Ils souhaitent aussi qu’elle les aide à mettre en place des séances de recherches pour
accompagner leurs activités. Les réponses à notre enquête montrent que le Moyen Âge est
sans doute la période la plus « plébiscitée » à la BCD par le corps enseignant car « ce sont des
thèmes que les enfants aiment le mieux et dans lesquels ils s’investissent à fond » et que « le
métier d’enseignante devient passionnant dans ces moments-là » confie cette maîtresse de
CM1. Le travail de groupe est souvent privilégié en vue d’être restitué sous forme d’exposés
oraux ou de panneaux d’exposition à destination des autres classes. Les enquêtes à mener en
BCD sont l’autre activité type qui revient le plus souvent dans les pratiques énoncées au
Cycle III. Chaque élève reçoit une fiche avec une série de questions auxquelles il devra
répondre en utilisant les ressources de la bibliothèque. Il fait la démarche de trouver les
documents nécessaires « en consultant la marguerite, en indiquant les classes et sous-classes
concernées et en présentant la liste des ouvrages retenus pour son enquête ». Il emprunte alors
les documents et apprend à les exploiter pour répondre aux questions posées. L’Histoire est un
champ disciplinaire qui se prête finalement à une coopération étroite avec la BCD, ne serait-ce
que par les activités de recherches documentaires qu’elle implique. La bibliothécaire apporte
alors ses compétences et sa spécialisation, soit pour initier le thème qui sera approfondi en
classe, soit pour prolonger la leçon d’Histoire.
c. La collaboration enseignants / bibliothécaire
Dans le cas qui nous concerne, l’équipe pédagogique se trouve en quelque sorte
dépossédée d’un outil pourtant essentiel pour son enseignement. Elle a donc pris l’habitude
d’organiser et de gérer elle-même ses animations. Sandrine F., professeur des écoles, a lu l’an
passé avec sa classe de CM2, Les orangers de Versailles d’Annie Pietri. Ce roman a permis aux
élèves d’aborder autrement l’Histoire tout en développant leur goût pour la lecture. Il aurait très
bien pu être initié à la BCD puis, une fois lancé, être l’occasion de recherches plus approfondies
dans le fonds documentaire, guidées et conseillées par la bibliothécaire. Or, c’est l’enseignante
qui s’est appliquée à faire découvrir aux élèves l’objet-livre en leur faisant observer les première
et quatrième de couverture pour faire émerger le genre : un roman historique sous Louis XIV.
Puis, elle leur a demandé de chercher des éléments d’information sur Madame de Montespan,
Le Nôtre, Louis XIV et la reine, Lully, Molière et Claude des Œillets. L’aide de la bibliothécaire
aurait été autrement plus précieuse que le recours à Internet car la BCD est aussi là pour
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« affirmer l’existence de liens entre apprentissage et pratiques de lecture » 123 . A partir d’extraits
du roman, les élèves ont fait la part entre éléments historiques et romanesques, et mis en lumière
les mœurs et coutumes de la vie à Versailles - la hiérarchie sociale, la nourriture, l’hygiène, les
jardins, la fête et la magnificence - avec pour objectif final d’écrire des textes sur la vie à la cour
(voir Annexe 5).
La note de service n° 505 du 2 juin 1994 précise que « la BCD permet à tous ses utilisateurs
de s'initier à la recherche documentaire et d'aller progressivement dans ce domaine vers des
pratiques plus autonomes et plus efficaces ». L’une des bibliothécaires interrogées attire notre
attention sur le travail de sensibilisation à « la recherche documentaire de qualité, s’appuyant
sur des ouvrages sérieux validés par un comité de rédaction ». Une autre insiste sur l’importance
fondamentale d’apprendre à l’enfant à « tisser des liens avec les documentaires par la mise en
place d’activités hiérarchisées dans leur difficulté et les compétences visées ou mises en
commun ». Même si les résultats de notre enquête laissent à penser que, d’une manière
générale, la BCD est un espace utilisé pour un travail « de classe », sa fréquentation et les
séances qui s’y tiennent sont bien le signe qu’« une structure d’accueil existe avec ses missions
propres, ce qui est tout à fait autre chose que la présence dans une école d’une BCD comme
espace équipé où les classes peuvent se rendre par rapport à leurs objectifs de classe » 124 . En
effet, dans bien des établissements, il existe une réelle collaboration bibliothécaire / enseignants
qui donne lieu à de véritables projets : atelier « les pinceaux de Lascaux », expositions « les
Humanistes » ou « les jeux dans la Rome antique », débat sur l’esclavage, productions sur « les
inventions de Léonard de Vinci », etc. Ils font de la BCD le lieu où l’enfant va mettre en pratique
ses apprentissages et les renforcer. Une animation type « jeu de recherche » ou « course au
trésor » portant sur des documentaires historiques est souvent demandé par l’enseignant à la
bibliothécaire car il favorise « le contact avec des supports d'information variés, actualisés,
attrayants, conformes aux centres d'intérêt des enfants, et cela, au moment même de
l'apprentissage de la lecture. C'est une expérience capitale qui permet de développer chez
l'enfant des capacités de lecteur-chercheur réinvestissables dans tout autre lieu de lecture » 125 .
Mais « la BCD ne saurait être un équipement supplémentaire à l’école : sa mise en place
doit s’insérer dans le projet pédagogique de l’école » rappelle la Circulaire du 1 er octobre 1984.
En effet, Odile Britan le constate : « Les enseignants qui ont fait le choix BCD ont pris conscience
qu'il fallait repenser l'apprentissage de la lecture, réfléchir à d'autres stratégies de formation
pour aller vers une pédagogie plus différenciée, que cette démarche ne pouvait pas être celle
d'une personne isolée mais le choix d'une école : BCD et projet d'établissement vont souvent de
123 Extrait de la Circulaire du 1 er octobre 1984, disponible à l’adresse :
, page consultée le 3 mars 2010
124 FOUCAMBERT Jean, « Qu’est-ce qu’on a fait des BCD…», in Les Actes de Lecture n o 79, septembre 2002, disponible à l’adresse :
, page consultée le 5 mai 2010
125 BRITAN Odile, « La BCD, une nécessité », in BBF, 1991, t. 36, n° 2, pp. 120-123, disponible à l’adresse :
, page consultée le 26 mars 2010
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pair » 126 . Le projet de l’école de Plounéventer (Finistère) qui porte sur la préparation d’un recueil
de récits historiques sur la Révolution française de 1789 à 1794 est un exemple d’une
collaboration réussie entre des classes de CM1-CM2 et leur BCD. A partir d’analyses d’extraits de
film, de textes historiques sélectionnés par la bibliothécaire, les enfants ont pu développer leurs
méthodes de recherches documentaires et reconstruire une chronologie des événements en
vue de rédiger leur propre récit historique. Ils ont ensuite rassemblé l’ensemble de leurs
productions sous forme d’un recueil qu’ils ont préparé et illustré. Un autre exemple nous est
donné par cette bibliothécaire du Gers, laquelle a permis aux enseignants de CM2 de son
établissement de mener à bien leur projet d’écriture d’un roman historique ayant pour cadre la
Rome antique. Dès la rentrée de septembre, elle a mis à la disposition des élèves « Les mystères
romains » 127 de Caroline Lawrence. Cette série littéraire use d’intrigues et de rebondissements
pour relater l’histoire de quatre héros de conditions sociales différentes, vivant à Rome entre
79 et 80 ap. J.-C. Chaque enfant lit le tome de son choix avant d’entamer avec l’enseignant
son propre travail d’écriture. Cette lecture lui permet de réfléchir sur les caractéristiques du
genre historique, d’étudier la vie des personnages dans leur contexte et d’entreprendre avec la
bibliothécaire une démarche de vérification de certains aspects de la civilisation romaine
abordés dans cette série : jeux et courses, esclavage, éruption du Vésuve, révolte des Juifs en
69 ap. J.-C, philosophies épicurienne et stoïcienne.
Les observations ci-dessus ont motivé notre désir de mettre en place des activités
ludiques autour de la littérature de jeunesse afin de susciter chez les enfants du Cycle III le goût
pour l’Histoire. Et quoi de plus encourageant que la joie qu’éprouve Nadia, 10 ans,
s’enthousiasmant à l’idée de lire Les orangers de Versailles :
126 ibid
« Versailles, tout cet art, toute cette musique, tous ces mots, toutes ces paroles.
On te raconte à moi, on me parle de toi, on m’écrit sur toi mais moi je ne te connais pas.
Oh Versailles, raconte-moi ton histoire !
Histoire triste ou histoire heureuse, histoire comique ou histoire d’horreur…
Oh Versailles, raconte-moi ton histoire ! »
127 Edités chez Milan dans la collection « Milan Poche Histoire », la série « Les mystères romains » comporte 13 tomes écrits par Caroline
Lauwrence
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CHAPITRE II
COMMENT
RENCONTRER L’HISTOIRE
à travers la littérature et
l’édition pour la jeunesse ?
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II. COMMENT RENCONTRER L’HISTOIRE A TRAVERS LA
LITTERATURE ET L’EDITION POUR LA JEUNESSE ?
Comme un millier de collégiens en classe de 4 ème , Isabelle participe cette année à la
22 ème édition du Prix du Roman historique jeunesse organisé par la Médiathèque François
Mitterrand et l’Inspection académique de la Vienne. Volontaire pour participer à cette
aventure livresque, elle a lu quatre romans et s’apprête à entamer le dernier. Elle a déjà son
« coup de cœur » mais attend de connaître toute la sélection avant de voter pour celui de son
choix. En compétition cette année : l’histoire émouvante d’un jeune Caucasien contraint à
l’exil 128 , une plongée passionnante dans le monde des Vikings 129 , une enquête policière dans le
Japon du XV ème siècle 130 , la vie quotidienne de deux adolescents en Chine dans les années
1960 131 et la réalité de la société berlinoise des années 1970 132 . « Ce prix, fondé sur le volontariat,
permet à de nombreux jeunes de découvrir le plaisir de la lecture tout en abordant autrement
l’Histoire » se félicite Emmanuel Devillers de l’Inspection académique.
La tendance actuelle cherche à multiplier les initiatives pour déscolariser et approcher
l’Histoire différemment, encourageant de plus en plus la lecture du récit sous toutes ses formes.
C’est un fait : les histoires captivent les enfants. Littérature et édition pour la jeunesse nous
semblent donc être un vecteur incontournable en matière d’incitation à la lecture de l’Histoire
pour laquelle bibliothécaires et BCD ont aussi un rôle à jouer. Si l’offre éditoriale actuelle permet
d’affiner le goût, de créer des désirs et des envies, apprend à découvrir son histoire, à réfléchir
et à grandir, c’est qu’elle puise son inspiration dans l’un des champs les plus féconds de notre
littérature.
II.1 L’Histoire dans la littérature pour la jeunesse
Histoire et littérature sont indissociables depuis l’Antiquité. Tandis qu’Hérodote, dans Les
Historiai, cherche à « préserver de l’oubli ce qu’ont fait les hommes, célébrer les grandes et
merveilleuses actions des Grecs et des Barbares et, en particulier, les motifs qui les portèrent à se
faire la guerre » 133 , Thucydide impose sa recherche de la vérité dans l’Histoire de la guerre du
Péloponnèse qui retrace le conflit entre Athènes et Sparte. Pendant très longtemps, l’Histoire a
retenu à titre de faits des actions politiques et militaires, puis élargi son champ à la littérature, les
écrivains s’inspirant du pittoresque des lieux et du charme du passé tels Racine (Britannicus,
1669) et Madame de La Fayette (La Princesse de Clèves, 1678). « La littérature a de tout temps
128 Le temps des miracles d’Anne-Laure Bondoux, « Millezime », Bayard Jeunesse, 2009
129 Le marteau de Thor de Patrick Weber, « Courants noirs », Gulf Stream, 2009
130 Fleurs de dragon de Jérôme Noirez, « Courants noirs », Gulf Stream, 2008
131 La vie en rouge d’Anne Thiollier, « Scripto », Gallimard Jeunesse, 2009
132 Berlin 73 de Marie-Florence Ehret, « Lire l’Histoire comme un roman », Gulf Stream, 2009
133 HERODOTE, Histoires, Les Belles Lettres, Paris, 1942-1954, 10 vol., édition bilingue de Philippe-Ernest Legrand
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puisé dans l’Histoire pour y trouver un cadre, un décor, une toile de fond » 134 ; l’Histoire s’est aussi
servie de la littérature dans une démarche didactique ou « romantique de renouement avec le
patrimoine national » 135 .
II.1.1 L’héritage littéraire
Etroitement ancrés dans le passé, Histoire et littérature enfantine s’inscrivent dans la
tradition de différents courants qui leur ont permis de conquérir leurs lettres de noblesse.
a. Une littérature partagée
Textes et reproductions de gravures sur bois, fabliaux, contes historiques, romans de
chevalerie : du Moyen Âge au XVIII ème siècle, un certain nombre de livres sont publiés, vecteurs
de transmission morale et conventionnelle, s’adressant tout autant aux adultes qu’aux enfants.
Utilisée comme outil didactique, empruntée de valeurs chrétiennes, l’Histoire est surtout un
réservoir d’exemples pour les milieux lettrés auxquels elle enseigne la conduite à tenir. Ainsi, elle
trouve très tôt sa place dans les traités d’éducation morale comme Le Livre du chevalier de La
Tour Landry (1371), écrit à destination de ses filles et qui contient les Gestes des Roys et
Croniques de France, de Grêce et d’Angleterre et les Histoires de Constantinople dont sont
extraits les exempla qui serviront leur éducation. D’abord privilège des princes et des enfants de
la bourgeoisie, l’Histoire est très souvent écrite par leurs précepteurs qui montrent « une
préoccupation plus fine de l’enfance » 136 : Histoire romaine depuis Auguste jusqu’à Constantin
(1615) de Nicolas Coëffeteau, Histoire de Théodose le grand pour Monseigneur le Dauphin
(1679) de l’abbé Fléchier ou plus tard ce Cours complet d’histoire raconté aux enfants et aux
petits-enfants (1829-1844), écrit par l’abbé Fleury en dix-huit volumes et qui témoigne d’une
intention particulière à leur égard.
Aux XVII ème et XVIII ème siècles, le documentaire à portée historique se compose d’un
ensemble important de biographies et d’histoires des rois et personnages illustres qui visent à
développer le sentiment d’appartenance nationale. Mais l’Histoire va progressivement
répondre au nouvel impératif de la littérature : édifier et pallier en matière d’Histoire aux lacunes
culturelles des lecteurs tout en les divertissant. Ainsi, Les Aventures de Télémaque (1699) écrit par
l’abbé Fénelon pour le duc de Bourgogne, lance une nouvelle forme d’écriture : « la nouveauté
de cette œuvre ne réside pas dans la représentation d’un rapport éducatif idéal, celui qui
s’établit entre Télémaque et son précepteur Mentor, mais dans le fait d’avoir construit le récit
pour capter l’intérêt, la participation émotive, la curiosité intellectuelle et l’adhésion éthique du
lecteur, c’est-à-dire pour gagner son assentiment » 137 . Des écrits moralisateurs et pédagogiques,
134 DURAND-LE GUERN Isabelle, Le roman historique, « 128 », Armand Colin, Paris, 2008, pp. 9-10
135 CHELEBOURG Christian, MARCOIN Francis, La littérature de jeunesse, « 128 », Armand Colin, Paris, 2007, p. 111
136 Ibid, p. 13
137 BERNADINIS Anna-Maria, « La naissance de la littérature pour la jeunesse », in Argos no 5, CRDP de l’Académie de Créteil, novembre
1990, disponible à l’adresse : , page consultée le 10 mars 2010
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on passe à une diversité de formes et de genres littéraires, en « plaidant pour les images qui
donnent de l’agrément tout en faisant mieux sentir les choses » 138 .
b. Une littérature réorientée
Histoire et littérature œuvrent aussi à des fins idéologiques, contribuant à l’émergence
d’une prise de conscience nationale qui modifie peu à peu la matière même de l’Histoire.
Pendant la période révolutionnaire, elle se veut instructive. Dans son Recueil de discours à la
jeunesse (1790), l’abbé Adrien explique que « s’il importe que les jeunes gens conçoivent de très
bonne heure des sentiments patriotiques, il convient qu’on saisisse toutes les grandes occasions
pour développer en eux ce précieux germe qui forme le citoyen ». Dans les écoles publiques de
la République, on fait lire aux enfants Les crimes des rois de France depuis Clovis jusqu’à
Louis XVI (1791) de Louis-Charles de Lavicomterie de même que la lecture de contes historiques
tels Jean de Paris et Histoires chevaleresques écrits par Florian, le neveu de Voltaire.
Avec la publication de Waverley (1814), Walter Scott 139 lance une série d’ouvrages à
caractère historique ayant pour cadre conflits, guerres ou rivalités qui en font le précurseur du
roman historique : Les Aventures de Nigel (1822), Le Talisman (1825). De nombreux écrivains s’en
inspirent, s’appuyant sur une documentation minutieuse pour « nourrir cette tension et cette
complémentarité entre l’aspect romanesque de l’Histoire et les visées historiques du roman » 140 :
Honoré de Balzac (Les Chouans, 1834) 141 , Charles Dickens (Le Conte de deux villes, 1859) 142 ,
Gustave Flaubert (Salammbô, 1862) 143 , Victor Hugo (Les Misérables, 1862 ; Quatrevingt-treize,
1874) 144 et Léon Tolstoï (Guerre et Paix, 1863) 145 . Dès lors, l’Histoire prend son essor, faisant du
XIX ème siècle celui du roman, mais aussi de la philosophie et de la science historique (naissance
de l’égyptologie, débuts de l’archéologie médiévale). Entre 1815 et 1832, le tiers des romans
sont des récits historiques : les choix des auteurs sont révélateurs d’une prise de conscience à
l’égard des événements, le siècle se penche sur son Histoire. Le roman historique, plus moral et
plus instructif, devient lecture de prédilection à destination des enfants. En effet, l'émergence du
roman comme genre majeur de la littérature des adultes et la naissance d'une presse enfantine
vont favoriser l’introduction du plaisir et de l'évasion dans la littérature de jeunesse. Celle-ci
s’approprie alors des œuvres qui ne sont pas initialement conçues pour des enfants mais dont
les thèmes sont susceptibles de les intéresser et manifestent une sensibilité nouvelle à leur égard :
Ivanhoé (1819) et Quentin Durward (1823) de Walter Scott 146 , Notre-Dame de Paris 147 (1831) de
138 CHELEBOURG Christian, MARCOIN Francis, op. cit., p. 14
139 Walter Scott est considéré aujourd’hui comme un auteur pour enfants
140 DURAND-LE GUERN Isabelle, op. cit., p. 29
141 (DE) BALZAC Honoré, Les Chouans, « Folio Classique », Gallimard, 2004
142 DICKENS Charles, Le Conte de deux villes, Editions du Rocher, 1992
143 FLAUBERT Gustave, Salammbô, « Folio Classique », Gallimard, 2005
144 HUGO Victor, Les misérables, « Folio Classique », Gallimard, 2000 ; Quatrevingt-treize, « Folio Classique », Gallimard, 2001
145 TOLSTOI Léon, Guerre et paix, « Folio Roman Poche », Gallimard, 2002
146 SCOTT Walter, Ivanhoé, « Classiques abrégés », L’Ecole des Loisirs, 2003 ; Quentin Durward, « Classiques abrégés », L’Ecole des Loisirs,
2003
147 HUGO Victor, Notre-Dame de Paris, « Folio Classique », Gallimard, 2009
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Victor Hugo, Les Trois Mousquetaires 148 (1844) d’Alexandre Dumas, Le Roman de la momie 149
(1858) de Théophile Gautier, des ouvrages dont « les héros sont confrontés aux événements,
ballotés au gré des tourbillons de l’Histoire, et [dont] le destin se trouve étroitement lié à la
résolution des crises politiques et sociales » 150 .
Par ailleurs, le XIX ème siècle redécouvre le Moyen Âge et l’Antiquité avec Alfred de Vigny
(Cinq-Mars 151 , 1826), Prosper Mérimée (Chronique du règne de Charles IX 152 , 1829) et Edward
George Bulwer-Lytton (Les derniers jours de Pompéi 153 , 1834). L’Histoire est présentée sous un jour
nouveau, le plus souvent sous forme d’intrigue pour intéresser le lecteur. « Les grandes périodes
inspiratrices sont celles qui ont vu le martyre des Chrétiens ou au contraire leurs exploits, avec la
prise de Jérusalem ou l’emprisonnement de Richard Cœur de Lion » 154 . En 1831, dans la préface
de ses Etudes historiques, Chateaubriand déclare que « tout prend aujourd’hui la forme de
l’Histoire ». Il affirme même que « Walter Scott a « perverti le roman et l’Histoire », d’autres
pensent qu’en réalité il a donné le goût de l’Histoire à un grand nombre de lecteurs en
popularisant des époques alors obscures pour beaucoup » 155 . Au début du XX ème siècle, J.-H.
Rosny Aîné s’inspire des travaux de Darwin pour reconstituer la vie des premiers hommes dans
un « voyage dans la très lointaine préhistoire » devenu depuis un classique de la littérature pour
la jeunesse : La Guerre du feu (1909).
c. Petite et grande Histoire : vers une culture de masse
Forme d’expression prisée au XIX ème siècle, le roman historique est d’abord le privilège de
l’aristocratie. Mais l’Histoire se démocratise grâce à la Bibliothèque Bleue qui « colporte » pour le
lectorat populaire un répertoire de livres de morale présentés dans un cadre de fictions. La
production de l’Histoire dans les collections jeunesse se caractérise alors par une certaine
médiocrité, sans réel souci de chronologie et d’exactitude des faits rapportés. L’Histoire cherche
à s’émanciper de la littérature en s’orientant vers un nouveau mode de publication, le
feuilleton, accessible à un large public (Les mystères de Paris 156 (1842) d’Eugène Sue, Le Comte
de Monte-Cristo (1844) et La Reine Margot (1845) d’Alexandre Dumas 157 ). L’école contribue, elle
aussi, à inculquer la discipline et les valeurs citoyennes qui lui sont associées dans les jeunes
esprits avec Le Tour de la France par deux enfants 158 (1877). L’organisation des domaines de la
connaissance, la création d’une maison d’édition par Pierre-Jules Hetzel (1837) reprise par
Hachette (1914), la consécration d’un lectorat par les Lois Guizot (1833) et Ferry (1881), et
148 DUMAS Alexandre, Les trois mousquetaires, « Ldp Jeunesse Refonte », Hachette Jeunesse, 2008
149 GAUTIER Théophile, Le roman de la momie, « Folio Junior », Gallimard Jeunesse, 2010
150 DURAND-LE GUERN Isabelle, op. cit., p. 10
151 (DE) VIGNY Alfred, Cinq-Mars, Lgf, 2006
152 MERIMEE Prosper, Chronique du règne de Charles IX, « Gf », Flammarion, 2007
153 BULWER-LYTTON Edward George, Les derniers jours de Pompéi, « Ldp Jeunesse Référence », Hachette Jeunesse, 2008
154 CHELEBOURG Christian, MARCOIN Francis, op. cit., p. 23
155 PELTIER Michel, Littérature : roman et histoire - Cycle 3, Bordas Pédagogie, Paris, 2003, p. 15
156 SUE Eugène, Les mystères de Paris, « Quarto », Gallimard, 2009
157 DUMAS Alexandre, Le Comte de Monte-Cristo, « Classiques abrégés », L’Ecole des loisirs, 2000 ; La Reine Margot, « Folio Classique »,
Gallimard, 2009
158 GIORDANO Bruno, Le Tour de la France par deux enfants, Belin, 2005
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l’évolution documentaire impulsée par Jules Verne dans son Histoire des grands voyages et des
grands voyageurs (1879-1880) participent aussi à la diffusion de l’Histoire. Le roman historique
devient une forme littéraire dominante au XX ème siècle avec l’apparition des romans de guerre
puis des sagas romanesques qui popularisent l’Histoire et « alimentent une abondante
production de masse, tout en affirmant sa notoriété par d’incontestables chefs-d’œuvre » 159 : Le
Feu (1916) d’Henri Barbusse, L’Adieu aux armes (1932) d’Ernest Hemingway, Pilote de guerre
(1942) de Saint-Exupéry, Les Mémoires d’Hadrien (1951) et L’Œuvre au noir (1968) de Marguerite
Yourcenar, Le Nom de la Rose (1980) d’Umberto Eco. Dans son article Quel(s) roman(s) que
l’Histoire !, Gérard Gengembre explique que « ce phénomène est lié tant à la pérennité d’une
attente du lectorat qu’aux grands mouvements et aux grandes catastrophes historiques d’un
siècle de bouleversements et de convulsions » 160 . L’Histoire « se répand à travers l’Europe
fascinée par le genre « troubadour » qui l’arrache à la morosité des temps [visant] à divertir - au
sens propre et figuré - grâce à son parti pris d’excentricité narrative et temporelle » écrit Brigitte
Krulic 161 .
Récit, journal, biographie romancée, théâtre, cycles : la diversité des formes narratives et
des époques traitées défie l’énumération. Aux vertus nationalistes, religieuses et sociales,
succèdent des valeurs plus humanistes à partir des années 1960. Jusqu’alors essentiellement
constituée d’adaptations, une littérature spécifiquement destinée aux enfants apparaît. Prenant
leur essor dans les années 1970, des collections de poche développent une nouvelle production
de qualité écrite par des auteurs perçus comme les précurseurs des auteurs de romans
historiques jeunesse actuels : Jean Ollivier (Vikings, conquérants des mers, La Farandole, 1975),
Daniel Hénard (L’esclave qui devint roi, Bibliothèque de l’Amitié-Histoire, 1976), Claude Cénac
(Demain l’an Mil, Plein vent, 1976), Christiane Dollard (Le secret de la forêt gauloise, G.P Rouge
et Or, 1977), Jean Séverin (Le soleil d’Olympie, Folio Junior, 1980).
II.1.2 La production et l’offre éditoriale aujourd’hui
Les nouveaux programmes inscrivent résolument l’étude de la langue au cœur des
apprentissages. Comment apprendre à parler, à lire, à écrire en Histoire ? Qualifiée de « manne
pour la jeunesse » par Bertrand Solet, l’édition actuelle offre l’opportunité de prendre
conscience du passé grâce à son large éventail de textes, d’images et ses supports multiples :
romans, magazines, bandes dessinées, documentaires et fictions documentaires. Nous avons
choisi de nous intéresser à deux d’entre eux : la fiction historique et le livre documentaire.
159 GENGEMBRE Gérard, « Quel(s) roman(s) que l’Histoire ! », disponible à l’adresse : , page
consultée le 10 mars 2010
160 ibid
161 KRULIC Brigitte, « Fascination du roman historique. Intrigues, héros et femmes fatales », disponible à l’adresse :
, page consultée le 6 mai 2010
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a. Des collections qui s'adressent aux enfants
Dans un article intitulé Le temps qui passe, Pierre Giolitto explique que « les jeunes
enfants sont aptes, certes modestement, mais de manière rigoureuse, à entrouvrir les portes du
temple de Clio » et estime « qu’il n’est jamais trop tôt pour prendre contact avec cet univers
d’idées, de faits et de sentiments que représente l’Histoire » 162 . L’édition pour la jeunesse l’a bien
compris et s’est lancée depuis une décennie dans une véritable politique de séduction à
destination des enfants.
Le tableau qui suit présente les principales collections proposées par les maisons
d’édition accompagnées de leurs tendances et de leurs spécificités. Nous avons retenu deux
critères pour établir cette liste : chaque collection contient au moins trois titres dont deux ont été
publiés au cours de ces quinze dernières années 163 .
PRINCIPALES
COLLECTIONS
COULEURS DE L’HISTOIRE *
EDITEURS SUPPORTS PRINCIPALES CARACTERISTIQUES
Actes Sud Junior Fiction
T’ETAIS QUI TOI ? Actes Sud Junior Fiction
HISTOIRE * Autrement Junior
Album
documentaire
ALBUMS, QUELLE HISTOIRE ! Casterman Documentaire
DES ENFANTS DANS
L’HISTOIRE
GRANDES PREMIERES DE
L’HISTOIRE
Casterman
Casterman
Album
documentaire
Fiction
documentaire
REPERES/HISTOIRE Casterman Documentaire
LA GRANDE IMAGERIE Fleurus Documentaire
VOIR L’HISTOIRE Fleurus Documentaire
162 GIOLITTO Pierre, « Le temps qui passe », in Le Courrier des maternelles, n o 100, 1998, p. 166
� Prédilection pour des thèmes forts : guerre du
Vietnam, première guerre mondiale, Shoah…
� Lecture vivante de l’Histoire
� Biographies de personnages qui racontent une
époque, une pensée, un pays
� Dessins et illustrations humoristiques
� Réflexion sur le sens de l’Histoire
� Originalité des thèmes : des femmes dans l’Histoire,
l’alimentation dans l’Histoire, les figures de rébellion
au XIX ème siècle, les démocraties
� Plaisir de la découverte associé au grand format
� Visite d’un lieu, d’une civilisation et son évolution au
fil du temps
� Récits de fiction et encadrés documentaires
� Fonction identificatrice mettant en scène un enfant à
un moment de l’Histoire
� Voyages, explorations, découvertes archéologiques
� Dépliant détaillant toutes les grandes avancées depuis
« la première fois »
� Récit largement illustré
� Principaux repères chronologiques
� Iconographie variée : photos et dessins
� Initiation à l’histoire des peuples et des civilisations
� Pages détachables légendées
� Richesse des illustrations
� Large éventail de thèmes et événements historiques
aux principales époques
� Richesse des illustrations
� Collection documentaire innovante (DVD)
163 Ce tableau a été préparé en se basant sur nos propres observations et à partir des différents sites Internet des maisons d’édition
(voir liens en bibliographie)
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JOURNAL D’UN ENFANT
Gallimard Jeunesse
Fiction
documentaire
LES YEUX DE L’HISTOIRE Gallimard Jeunesse Documentaire
MON HISTOIRE Gallimard Jeunesse Fiction
ROMAN HISTORIQUE * Gallimard Jeunesse Fiction
SUR LES TRACES DE
Gallimard Jeunesse
Fiction
documentaire
ENTREZ CHEZ… Gründ Documentaire
L’HISTOIRE COMME UN
ROMAN *
Gulf Stream Fiction
L’HISTOIRE AU MUSEE Hachette Jeunesse Documentaire
VIVRE COMME...
La Martinière
Jeunesse
Documentaire
� Texte accessible et précis pour raconter la vie
quotidienne des enfants d’hier à aujourd’hui
� Fonction identificatrice permettant de découvrir
l’Histoire de façon vivante et intime
� Dépliant panoramique
� Richesse et diversité des illustrations : dessins,
photos, reproductions
� Fonction narrative et informative
� Journaux intimes axés sur une lecture documentée et
complice
� Variété des époques et des thèmes
� Richesse des intrigues
� Mythe et réalité historique à travers la découverte
d’une époque, d’une civilisation autour d’un
personnage historique ou légendaire
� Alternance de textes romancés et parties
documentaires
� Explication des termes difficiles
� Illustrations et graphisme
� Un grand format pour découvrir les grandes
civilisations
� Iconographie riche agrémentée de transparents
� Diversité et originalité des thèmes abordés : guerre
d’Algérie, Renaissance italienne, histoire des Etats‐
Unis, Robin des Bois
� Originalité des textes orientés vers la quête initiatique
� Coédité avec le Musée du Louvre
� Découverte des civilisations à travers les œuvres d’art
� Présentation d’un peuple et de sa civilisation
� Références chronologiques et cartes
� Iconographie commentée et agrémentée d’activités
ARCHIMEDE L’Ecole des loisirs Album � Textes narratifs accompagnés de grandes illustrations
LA VIE DES ENFANTS
J’ETAIS ENFANT *
REGARD D’AUJOURD’HUI
Le Sorbier
Le Sorbier
Documentaire
Fiction
Mango Jeunesse Documentaire
REGARD JUNIOR Mango Jeunesse Documentaire
LES GRANDES AVENTURES
Mila
AU TEMPS DE Milan Jeunesse
Album
documentaire
Fiction
documentaire
DE VIE EN VIE * Milan Jeunesse Documentaire
� Reproduction de documents d’époque
� Références culturelles
� Textes denses
� Portraits de personnages
� Ancienne collection rééditée
� Le récit d’un enfant, son regard, ses réflexions sur une
période troublée : la Commune de Paris, l’Occupation,
la guerre d’Algérie…
� Transmission de l’information au moyen de
techniques graphiques avec une importance
particulière accordée au statut de l’image
� Collection récente et instructive traitant des thèmes
classiques : la Gaule, rois et reines de France
� Illustrations à base d’aquarelles
� Graphismes originaux et amusants
� Interactivité : cartes et dépliants
� Découverte des principales périodes par le biais de
quatre personnages attachants et d’histoires
amusantes
� Rabats richement illustrés
� Portraits très complets de grands personnages à
travers leurs œuvres, leurs actions : Socrate, Martin
Luther King, Darwin…
� Collection abordant de grands thèmes de réflexion
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QUELLE HISTOIRE ! Milan Jeunesse Documentaire � L’Histoire par l’humour
UNE OREILLE DANS
L’HISTOIRE
LE JOURNAL DE L’HISTOIRE Milan Jeunesse
Milan Jeunesse Livre ‐ CD rom
Fiction
documentaire
� Nouvelle collection qui met l’accent sur l’aventure
historique
� Collection innovante (CD‐rom)
� Mise en page sous forme de journal
� Aspects politiques, économiques, sociaux et
artistiques d’une période historique
LE FIL D’ARIANE Milan Jeunesse Album � Mythes et mythologies
MILAN POCHE HISTOIRE Milan Jeunesse Fiction
� Large éventail de sujets
� Collection de la série « Les mystères romains » de
Caroline Lawrence
ROMANS DE LA MEMOIRE * Nathan Fiction � Récits sur les grands conflits du XX ème siècle
NATHAN POCHE HISTOIRE Nathan Fiction
MEGASCOPE Nathan Fiction
documentaire
HISTOIRE ET SOCIETE * Oskar Editions Fiction
HISTOIRES D’HISTOIRE Rue du monde Album
BONJOUR L’HISTOIRE
PEMF Documentaire
� Thèmes riches et diversifiés
� Différents niveaux de lecture
� Histoire romancée d’un personnage
� Compléments documentaires
� L’Histoire à travers des récits de portraits : le
Chevalier Du Guesclin, Aimé Césaire, Louise Michel…
� L’Histoire à travers des récits aux sujets graves :
Hiroshima, Vichy, le colonialisme…
� Textes simples et structurés
� Reproductions de documents d’époque
� Lexique
(*) Ces collections s’adressent plus à des collégiens mais certains titres ou passages soigneusement choisis peuvent convenir à des enfants de 9 et 10 ans.
Si le terme « Histoire » est à juste titre repris dans la majorité des titres de ces collections,
d’autres indices s’appliquent à montrer qu’elles cherchent à « accrocher » le jeune destinataire.
Le mot « enfant » est souvent employé (Des enfants dans l’Histoire, Journal d’un enfant, La vie
des enfants, J’étais un enfant) laissant présumer d’une identification avec le lecteur et des
parcours thématiques sur les différentes étapes et moments de l’enfance : la naissance, la
famille, l’école, les jeux. L’accent est aussi mis sur la richesse iconographique (La grande
imagerie, Voir l’Histoire, Les yeux de l’Histoire, Regard junior) sans oublier l’ouïe (Une oreille dans
l’Histoire). Indissociable de l’Histoire, la notion de temps est également mise en
avant (Repères/Histoire, Regard d’aujourd’hui, Au temps de). Certains titres sont une invitation à
venir découvrir la vie d’autrefois (Vivre comme, Entrez chez, Sur les traces de) tandis que
d’autres installent le lecteur dans une attente prometteuse face à la dimension aventurière de
l’Histoire (Quelle Histoire !, Albums, quelle Histoire !, Les grandes aventures). Le fil d’Ariane ou
Archimède pourront faire l’objet de recherches à la BCD pour comprendre pourquoi ces deux
éditeurs ont appelé ainsi leur collection. Des séries publiées chez Gallimard jeunesse cherchent
à inspirer un sentiment de proximité au lecteur en lui proposant des albums à la couverture
cartonnée fermée par une patte aimantée qui donne au livre l'aspect d'un journal intime (Le
journal d’un enfant) ou des livres avec effet coupe-papier sur la tranche (Mon Histoire). Format
attractif et dispositif texte/iconographie contribuent à forger l’identité des collections tout en
cherchant à fidéliser le lecteur (La grande imagerie, Sur les traces de, Entrez chez). Par ailleurs,
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de nombreux éditeurs optent pour le tutoiement et s’adressent directement au destinataire,
jouant encore sur l’affectif et la convivialité afin de favoriser le pacte de lecture. D’autres
préfèrent lui voir endosser un rôle actif au moyen de tirettes, de rabats ou de transparents à
soulever (Au temps de, Les grandes aventures, Vivre comme) pour l’amener à construire lui-
même ses propres connaissances ou éveiller sa réflexion et son esprit critique (J’étais enfant,
Autrement jeunesse). La diversité des formats, l’inventivité et la créativité des collections
actuelles sont autant de points de repère et d’identification qui vont susciter la curiosité de
l’enfant à l’égard de l’objet-livre, étape décisive précédant l’acte de lecture.
b. Les principales tendances
Preuve de l’importance accordée à ce champ disciplinaire, l’édition pour la jeunesse a
toujours veillé à bien représenter l’Histoire dans ses collections et publications hors série. Même si
aujourd’hui, la production s’ouvre à de nouvelles perspectives telles les avancées
technologiques et scientifiques, l’environnement ou la biodiversité, l’Histoire reste une valeur sûre
et l’intérêt qu’elle revêt, aussi bien du côté des éditeurs que des lecteurs, ne faiblit pas.
D’une manière générale, le dynamisme de la production est marqué par un
réinvestissement régulier des grands faits de civilisation rendus toujours plus accessibles au jeune
lecteur ainsi qu’une volonté de le confronter à de nouveaux thèmes jadis exclus de la littérature
pour la jeunesse. La fascination qu’exercent naturellement l’Antiquité et le Moyen Âge en ont
fait depuis toujours les domaines de prédilection des éditeurs, fictions et documentaires
confondus. Mais, on notera que depuis quelques années, la tendance est aux dinosaures et à la
Préhistoire (Grand Ours 164 ; Yona, fille de la Préhistoire 165 ; La Classe Dinosaures et Préhistoire 166 )
ainsi qu’aux grandes découvertes (Sur les traces de Christophe Colomb 167 ; Le Dico des grandes
découvertes 168 ; La route des tempêtes 169 de Brigitte Coppin) avec une nette préférence pour la
piraterie (Corsaires et pirates 170 ; Prisonnier des pirates 171 ). Tandis que la fiction cherche à élargir
son offre éditoriale en partant à la conquête de nouveaux espaces tels l’Afrique du Nord et les
Amériques, le documentaire historique se démarque par une inégalité des pays et des époques
traités. Certaines périodes, comme la Révolution française et la Shoah, ont progressivement
glissé du documentaire vers l’album et le roman. Guerre secrète à Versailles 172 et la série
d’Anne-Marie Desplat-Duc Les colombes du Roi-Soleil 173 font partie de la vague de romans qui
témoignent de la faveur récente dont jouit le XVII ème siècle dans la littérature pour la jeunesse. Il
164 PLACE François, Grand Ours, « Les Albums Duculot », Casterman, 2005
165 REYNAUD Florence, Yona, fille de la Préhistoire, Pocket Jeunesse, 2005-2009
166 DERAIME Florence, La Classe Dinosaures et Préhistoire, « Encyclopédie de l’imagerie », Fleurus, 2006
167 DUVIOLS Jean-Paul, Sur les traces de Christophe Colomb, « Sur les traces de », Gallimard Jeunesse, 2002
168 COPPIN Brigitte, POMMIER Maurice, Le Dico des grandes découvertes, « Dico de », La Martinière, 2006
169 COPPIN Brigitte, La route des tempêtes, « Castor Poche », Flammarion, 2002
170 COPPIN Brigitte, Corsaires et pirates, « Voir l’Histoire », Fleurus, 2007
171 MIRZA Sandrine, FAGES Erwan, PLACE François, Prisonnier des pirates, « Le Journal d’un enfant », Gallimard jeunesse, 2004
172 TENOR Arthur, Guerre secrète à Versailles, « Hors piste », Gallimard, 2003
173 DESPLAT-DUC Anne-Marie, Les colombes du roi soleil, (9 tomes), « Grands formats », Flammarion, 2005-2010
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faut désobéir : la France sous Vichy 174 , La nuit la plus courte 175 , Je ne suis pas contagieux 176 ,
Grand-père 177 sont des albums et romans qui permettent aujourd’hui d’aborder des sujets
difficiles et de remplir le « devoir » de mémoire avec les enfants.
Si romanciers et éditeurs privilégient toujours le choix d’époques troublées pour bénéficier
d’un espace d’aventures qui apporte le suspens attendu, les thèmes sont revisités sous de
multiples points de vue pour satisfaire le goût de la lecture et stimuler la réflexion des jeunes
destinataires. Le concept éditorial très actuel de l’Histoire « contée » est marqué par le
lancement de collections à mi-chemin entre la fiction et le documentaire (Grandes premières
de l’Histoire, Journal d’un enfant, Sur les traces de). En effet, « une des caractéristiques du
documentaire jeunesse aujourd’hui est qu’il essaye d’accrocher la part du rêve chez le lecteur
et joue de plus en plus sur des ressorts utilisés aussi en fiction : l’identification, l’adhésion à la
narration, les hypothèses de lecture » souligne Catherine Ridé 178 . Par ailleurs, des éditeurs
comme Gulf Stream, Rue du Monde, Mila, L’Ecole des loisirs tentent d’échapper à
l’uniformisation de l’offre conventionnelle : ils proposent une ligne originale à base d’illustrations
sobres, jouant sur d’autres registres comme la poésie, l’humour, la fantaisie afin de « titiller
l’intelligence des enfants, leur esprit critique et leur sensibilité artistique » 179 . L’éditeur PEMF fait
partie de ceux qui cherchent justement à décloisonner l’Histoire par ses collections, Histoire
d’elles et Ecritoires, qui retracent de façon romancée le destin de femmes, hommes politiques,
écrivains ou compositeurs célèbres. Les Petites histoires des hommes créées par Syros traitent,
quant à elles, de sujets de société et d’histoire ancienne.
Partager les savoirs historiques de manière ludique, esthétique et humoristique est aussi
l’objectif d’un grand nombre de ces collections qui souhaitent abandonner la lecture
apprentissage et le style informatif classique pour s’orienter vers la lecture plaisir. Ainsi, la
collection Au temps de joue sur l’affectif et l’humour par le biais de personnages représentatifs
d’une civilisation qui font partager au lecteur leur quotidien et leurs coutumes à travers des
aventures mouvementées sous forme de rabats découpés richement illustrés. Agrippine,
Léonard de Vinci et Charles De Gaulle sont les petites biographies de la nouvelle collection
T’étais qui toi ? 180 dont le style léger et les dessins humoristiques sont « des petits bonheurs de
lecture pour des immersions dans l’Histoire décomplexées et garanties sans poussière » 181 . Cette
recherche de concepts éditoriaux différents reflète le désir d’innover en explorant des domaines
et des thèmes moins convenus tout autant que la difficulté à « accrocher » le lectorat dont les
174 DAENINCKX Didier, Il faut désobéir : la France sous Vichy, « Histoire d’histoire », Rue du monde, 2002
175 SOLET Bertrand, La nuit la plus courte : 6 juin 1944, « Castor Poche », Flammarion, 2004
176 TCHERNIA Gil, VINCENT François, Je ne suis pas contagieux, « Archimède », L’Ecole des loisirs, 2007
177 RAPAPORT Gilles, Grand-père, « Albums », Circonflexe, 1999
178 RIDÉ CATHERINE, Cours de Master 2 Littérature de jeunesse, « Les collections : outils et critères d’analyse », Université du Maine, Année 2009-2010
179 Extrait du site « Rue du Monde », , page consultée le 20 juin 2010
180 Sont parus en 2010 aux éditions Actes Sud dans la collection « T’étais qui toi ? » : Agrippine la jeune de Pénélope PAICHELER et Audrey
GUILLER ; Léonard de Vinci d’Olivier LARIZZA et NIKOL ; Charles De Gaulle de Vincent CUVELLIER et Jean-Christophe MAZURIE
181 , page consultée le 16 juin 2010
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esoins et les capacités ne cessent d’évoluer. Il s’agit également d’inciter le lecteur à la
réflexion et d’ouvrir au débat en recourant à des approches méthodologiques variées mais
aussi « de créer l’émotion, le suspense ou la dramatisation, d’inviter l’enfant à s’identifier aux
personnages, pour mieux l’entraîner à la découverte d’une époque, d’un phénomène ou d’un
problème » 182 .
c. Quand l’Histoire reste « taboue »
Que ce soit sous forme de fiction ou de documentaire, l’Histoire, dans l’édition pour la
jeunesse, reflète les choix et les orientations idéologiques de la société. Ainsi, certains
événements sont abordés prudemment encore aujourd’hui : les croisades (Le chevalier de
Jérusalem 183 d’Odile Weulersse), les guerres de religion et la répression contre les protestants (La
nuit des dragons 184 de Sigrid et Fred Kupferman ; La tour du silence 185 de Christine Féret-Fleury ;
Les deux vengeances du roi Henri 186 de Jean-Côme Noguès). Fait historique pourtant majeur, la
Révolution française doit se contenter des quelques rééditions des années 1980-1990 (La
révolution des Croquants 187 de Claude Cénac ; Les braconniers du roi 188 de Paul Thiès) et de
timides tentatives sur le sujet, à l’image de L’Orphelin de la Bastille 189 , une série de romans
historiques proposée par Frédéric Lenormand. Certains sujets sont presque introuvables en
fiction : les grandes invasions, Napoléon (Le signe de l’aigle 190 d’Evelyne Brisou-Pellen), la Guerre
de 1870 et la Commune de Paris (Bastien, gamin de Paris 191 de Bertrand Solet). Les livres sur les
guerres coloniales et les conquêtes françaises restent également rares : Les rois de l’horizon 192 de
Jeanine Teisson, L’herbe de guerre 193 de Xavière Gauthier. L’Inquisition et les révoltes paysannes
et bourgeoises des XIV ème et XV ème siècles sont des époques inexplorées. Selon Bertrand Ferrier,
plus que de tabous proprement dits, « il y a certaines périodes de l’Histoire dont on ne va pas
parler parce que ce n’est pas rentable. En revanche, il y en a d’autres que l’on va énormément
aborder, que ce soit l’histoire ancienne ou l’histoire contemporaine à travers les guerres, et
notamment la Seconde Guerre mondiale » 194 .
Depuis une décennie, des thèmes, jusqu’alors absents, ont fait leur apparition dans la
littérature pour la jeunesse : l’esclavage (L’esclave qui parlait aux oiseaux 195 d’Yves Pinguilly ;
182 Collectif sous la direction de Françoise Ballanger et Annick Lorant-Jolly, A la découverte des documentaires pour la jeunesse - Cycle III,
6e , 5e , « Argos démarches », La Joie par les livres, CRDP de l’Académie de Créteil, Nancy, 2001, p. 15
183 WEULERSSE Odile, Le chevalier de Jérusalem, « Le Livre de Poche Jeunesse », Hachette, 2004
184 KUPFERMAN Sigrid et Fred, La nuit des dragons, « Ldp Jeunesse Refonte », Hachette Jeunesse, 2007
185 FERET-FLEURY Christine, La tour du silence, « Voyage au temps de », Flammarion, 2003
186 NOGUÈS Jean-Côme, Les deux vengeances du roi Henri, « Cadet Histoire », Oskar, 2006
187 CÉNAC Claude, La révolution des Croquants, La Lauze, 2006
188 THIÈS Paul, Les braconniers du roi, « Courte Echelle », Hatier, 2000
189 LENORMAND Frédéric, L’orphelin de la Bastille, (5 tomes), « Milan poche Histoire », Milan, 2002-2006
190 BRISOU-PELLEN Evelyne, Le signe de l’aigle, « Feeling », Casterman, 2005
191 SOLET Bertrand, Bastien, gamin de Paris, « Toute une histoire », Nouveau Monde Jeunesse, 2009
192 TEISSON Jeannine, Les rois de l’horizon, « Les uns les autres », Syros La Découverte, 2002
193 GAUTHIER Xavière, L’herbe de guerre, « Les uns les autres », Syros, 1993
194 FERRIER Bertrand, in « Sujets tabous, sujets à risques, peut-on tout publier, peut-on tout donner à lire ? », 3 ème parcours professionnel pour
la lecture jeunesse, 11-12 janvier 2005, Marne-la-Vallée, disponible à l’adresse :
, page consultée le 15 juillet 2010
195 PINGUILLY Yves, L’esclave qui parlait aux oiseaux, « Histoire d’histoire », Rue du Monde, 1998
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Betty Coton 196 de Corinne Albaut ; Chasseurs d’esclaves 197 de Bertrand Solet), la guerre
d’Algérie (Midi pile, l’Algérie 198 de Jean-Pierre Vittori ; Oran 62 : la rupture 199 de Pierre Davy) et le
conflit israélo-palestinien (Les pierres du silence 200 de Jacques Venuleth ; Une bouteille dans la
mer de Gaza 201 de Valérie Zenatti). « La culture droits-de-l’hommiste s’intéresse à la tolérance, à
la solidarité, à l’antiracisme, à la haine de toutes formes de dictature […] des idées dont la
littérature jeunesse est actuellement porteuse » comme le souligne Bertrand Solet 202 .
II.1.3 Images et supports d’une culture historique
Patrimoine, symbolique, imaginaire nourrissent les images et supports de l’édition pour la
jeunesse en Histoire. Telle la maison Casterman, l’édition « invite le jeune lecteur à suivre des
héros de son âge, vivant dans un passé proche ou lointain où se mêlent l'aventure et le
quotidien. Tout en restituant la vérité historique, chaque livre ouvre les portes de l'imaginaire et
du rêve qui éveillent chez l'enfant le goût véritable du passé ». Les ouvrages de type fiction ou
documentaire initient les enfants à l’univers des descriptions et des explications du monde
passé : ils proposent des textes précis, riches d’un vocabulaire spécifique tandis que les
illustrations décrivent, démontrent en usant de dessins, schémas, photographies et autres
techniques.
a. Grands classiques et patrimoine
Aujourd’hui, l’Histoire dans la littérature pour la jeunesse s’apparente à un genre à la fois
« vieux » et « neuf ». Le Capitaine Fracasse 203 de Théophile Gautier, Les trois mousquetaires
d’Alexandre Dumas, Ivanhoé de Walter Scott, L’affaire Caïus 204 d’Henry Winterfield, La fille du
capitaine 205 d’Alexandre Pouchkine, Le Prince et le pauvre 206 de Mark Twain ou encore
Jacquou le croquant 207 d’Eugène Le Roy comptent parmi les histoires lues et connues de nos
aïeux. Si ces grands textes d’auteurs français et étrangers initialement destinés aux adultes font
partie aujourd’hui des classiques de toute bibliothèque jeunesse, c’est parce que la littérature
enfantine se les est appropriés, après avoir procédé à de multiples adaptations à destination
des enfants. Objet de rééditions constantes, « la démarche manifeste une volonté de valoriser la
production pour enfants en prenant appui sur l’institution littéraire » d’après Isabelle Nières-
196 ALBAUT Corinne, Betty Coton, « Les couleurs de l’Histoire », Actes Sud, 2005
197 SOLET Bertrand, Chasseurs d’esclaves, « Castor Poche », Flammarion, 2005
198 VITTORI Jean-Pierre, Midi pile, l’Algérie, « Histoire d’histoire », Rue du Monde, 2001
199 DAVY Pierre, Oran 62 : la rupture, « Les romans de la mémoire », Nathan, 2002
200 VENULETH Jacques, Les pierres du silence, « Livre de Poche Jeunesse », Hachette Jeunesse, 2003 (Grand Prix du Livre Jeunesse 1994)
201 ZENATTI Valérie, Une bouteille dans la mer de Gaza, « Medium », L’Ecole des loisirs, 2005
202 SOLET Bertrand, Le roman historique : invention ou vérité ?, « La littérature jeunesse, pour qui, pour quoi ? », Editions du Sorbier, Paris,
2003, p. 45
203 GAUTIER Théophile, Le capitaine Fracasse, « Classiques abrégés », L’Ecole des loisirs, 1993
204 WINTERFIELD Henry, L’affaire Caïus, « Le Livre de Poche », Hachette Jeunesse, 2001
205 POUCHKINE Alexandre, La fille du capitaine, « Le Livre de Poche », Hachette Jeunesse, 2004
206 TWAIN Mark, Le Prince et le pauvre, « Le Livre de Poche Jeunesse », Livre de Poche Jeunesse, 2008
207 LE ROY Eugène, Jacquou le croquant, « Le Livre de Poche Jeunesse », Livre de Poche Jeunesse, 2009
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Chevrel 208 . Parce que « les textes originaux ne passent plus de nos jours et découragent les
jeunes », Bertrand Solet en approuve les adaptations « qui les aident et les incitent à les
découvrir » 209 . Le Roman de Mélusine 210 et Le Roman de Renart 211 font partie des grands textes
classiques du Moyen Âge qui ont été adaptés et mis à la disposition du jeune public. A côté de
ces romans pouvant s’adresser à des enfants à partir de dix ans, il y a les albums dont certains
comme Le mariage de Gauvain 212 de Sélina Hastings et Juan Wijngaard forcent l’admiration
par la qualité du travail sur le texte et l’image. La série Sur les traces de participe à l’édification
de la culture commune chez l’enfant en s’inspirant des textes historiques ou mythologiques tels
l’Iliade, l’Odyssée, l’Enéide, la Bible, la Guerre des Gaules, le Livre des merveilles ou les Mille et
une nuits.
Depuis une dizaine d’années, certains éditeurs se spécialisent aussi dans l’inventaire et la
sauvegarde de notre patrimoine archéologique et historique. Les éditions Serpenoise par
exemple, racontent aux enfants La Préhistoire 213 mais aussi Les Gallo-romains 214 et Les
Mérovingiens en Lorraine 215 . L’Oncle Hansi leur parle de L’Histoire d’Alsace 216 , en réalité une
reprise de l’album publié en Noël 1912. Le jeune public « goûte au patrimoine », et à l’histoire et
l’architecture en particulier grâce aux albums des éditions Millefeuille. Une de leurs collections,
Les bonbecs de l’Histoire, lui explique notamment la fabrication des manuscrits et des
enluminures au Moyen Âge. Forteresse de Salses, château d’Angers, abbaye de Cluny, cité de
Carcassonne, monastère de Brou (…), la série Minitinéraires des Editions du Patrimoine convie les
enfants à une vingtaine de parcours culturels et imaginatifs à travers les comptines et les textes
en rimes de Corinne Albaut. « Ainsi, de page en page, sans itinéraire imposé, se construit une
approche très diversifiée du lieu et de son histoire. C’est une découverte ludique, doucement
pédagogique, qui permet à l’enfant d’acquérir connaissances et vocabulaire » 217 .
b. Spécificités des ouvrages pour la jeunesse
Lieux et personnages, stratégies d’écriture et enjeux esthétiques, véracité des sources
font la spécificité de l’édition Histoire destinée à la jeunesse.
(i) Albums et romans historiques
« Le genre narratif est utilisé pour ses capacités à faire vivre l’objet du savoir » expliquent
Christian Chelebourg et Francis Marcoin 218 . L’Histoire féconde plusieurs genres de la littérature
208 NIERES-CHEVREL Isabelle, « Faire une place à la littérature de jeunesse », in Revue d’Histoire Littéraire de la France, n o 1, vol. 102, 2002,
pp. 97-114, disponible à l’adresse : , page consultée le 28 février 2010
209 SOLET Bertrand, op. cit., p. 120
210 TUSSEAU Jean-Pierre, Le Roman de Mélusine, « Classiques abrégés », L’Ecole des loisirs, 2004
211 LACHET-LAGARDE Monique, Le Roman de Renart, « Littérature française », Flammarion, 2008
212 HASTINGS Sélina, WIJNGAARD Juan, Le mariage de Gauvain, Albin Michel, 1985
213 BASTIEN René, CHIEU Sylvia, La Préhistoire en Lorraine racontée aux enfants, « La Lorraine racontée aux enfants », Serpenoise, 1998
214 BASTIEN René, CHIEU Sylvia, La Lorraine gallo-romaine racontée aux enfants, « La Lorraine racontée aux enfants », Serpenoise, 2000
215 BASTIEN René, CHIEU Sylvia, La Lorraine mérovingienne racontée aux enfants, « La Lorraine racontée aux enfants », Serpenoise, 2001
216 HANSI, HUEN, L'Histoire d'Alsace racontée aux petits enfants par l'Oncle Hansi, Herscher, 1983
217 , page consultée le 20 février 2010
218 CHELEBOURG Christian, MARCOIN Francis, op. cit., p. 77
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enfantine : roman d’aventures ou enquête policière entraînant le lecteur dans des péripéties à
des époques reculées (L’Œil d’Horus 219 ; La fille du Comte Hugues 220 ), roman biographique
mettant en scène un personnage historique (Aliénor d’Aquitaine, une reine à l’aventure 221 ;
L’enfance du Soleil 222 ), roman d’apprentissage (Dans l’officine de Maître Arnaud 223 ) ou roman
de société (Le faucon déniché 224 ; Un chant sous la terre 225 ).
Personnages historiques ayant existé ou héros fictifs - souvent un valet, un orphelin, un(e)
servant(e), un(e) ami(e) ou rival(e) - témoins d’un personnage ou d’une époque, ils sont
nombreux à faire l’Histoire de la littérature pour la jeunesse. « L’intérêt du roman ou du récit
autobiographique est d’ancrer l’Histoire dans la réalité d’une chair, d’une histoire
particulière […] » affirme Bernadette Poulou 226 . Par exemple, dans Paris Rutabaga, Jean-Louis
Besson utilise l’information narrativisée en se basant sur ses dessins réalisés en 1942 pour raconter
la vie menée avec ses parents pendant l’Occupation. Dans Les orangers de Versailles, la
romancière Annie Pietri a recours à la narration informée : l’histoire de Marion, la jeune héroïne,
et l’évolution de ses sentiments envers Madame de Montespan permettent de dispenser au
lecteur de nombreuses informations sociétales sur la vie à la cour. Certains auteurs utilisent la
mise en abyme, usant d’un événement déclencheur qui fait basculer le héros dans le passé (Le
Crayon magique 227 d’Henriette Bichonnier). Aventures, intrigues, rebondissements animent la
quête de ces héros auxquels le jeune lecteur s’identifie tout en intégrant au pacte de lecture
une authenticité des faits rapportés. La représentation de l’Histoire passe encore aujourd’hui par
des personnages, des descriptions de lieux et des motifs types qui aident à la compréhension du
récit et suffisent, bien souvent à eux seuls, à situer la période concernée. Cependant, les auteurs
cherchent aussi à investir des champs méconnus préférant l’histoire socio-économique à
l’histoire événementielle, et proposent un savant mélange d’actions et de tableaux pittoresques
qui exploitent d’autres « images » : ainsi, dans Deux graines de cacao 228 , Evelyne Brisou-Pellen
réalise une fresque très réaliste de la colonisation et de l’esclavage, apportant un éclairage
nouveau sur les liens entre la France et Haïti, la culture et le commerce du cacao à travers le
parcours initiatique de Julien à la recherche de ses racines. Ainsi, toute fiction historique réussie
« doit faire preuve d’une volonté de distanciation, de reconstitution et d’explication » selon la
définition qu’en donne Claudie Bernard 229 .
219 SURGET Alain, L’Œil d’Horus, « Castor Poche », Flammarion, 1999
220 BRISOU-PELLEN, La fille du Comte Hugues, « Romans Dix et Plus », Casterman, 2006
221 COPPIN Brigitte, Aliénor d’Aquitaine, une reine à l’aventure, « Castor Poche », Flammarion, 1999
222 DESPLAT-DUC Anne-Marie, L’enfance du Soleil, « Grands formats », Flammarion, 2007
223 HELGERSON Marie-Christine, Dans l’officine de Maître Arnaud, « Castor Poche », Flammarion, 1999
224 NOGUÈS Jean-Cômes, Le faucon déniché, « Jeunesse », Hachette Jeunesse, 1998
225 REYNAUD Florence, Un chant sous la terre, « Castor Poche », Flammarion, 2001
226 POULOU Bernadette, Colloque du Centre international Charles-Perrault sur le rôle de la conscience historique et politique des enfants
et des jeunes (1995), in Le roman historique : invention ou vérité ? de Bertrand Solet, op. cit., p. 18
227 BICHONNIER Henriette, Le Crayon magique, « Le Livre de Poche Jeunesse », Livre de Poche Jeunesse, 2007
228 BRISOU-PELLEN Evelyne, Deux graines de cacao, « Le Livre de Poche », Hachette Jeunesse, 2002
229 CLAUDIE Bernard, « Lire à l’école », Printemps 2001, in Le roman historique : invention ou vérité ? de Bertrand Solet, op. cit., p. 9
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(ii) Le documentaire « historique »
« Il faut faire découvrir la richesse des documentaires historiques et leur adaptation par
rapport aux questionnements des élèves et aux programmes scolaires » nous écrit cet
enseignant en précisant que « l’Histoire ne se limite pas aux grandes batailles, mais se nourrit de
la vie quotidienne à travers les âges : il est important d’avoir cette vision plus large de
l’approche historique, sinon un simple manuel d’Histoire suffit ».
Autrefois ciment de l’identité nationale ou instruments de mobilisation, les documentaires
« historiques » développent une production entre héritage et culture de masse qui tend
principalement à ancrer les connaissances dans la recherche d’une transmission esthétique et
pédagogique du savoir, et une dimension affective destinées à garantir l’adhésion du lecteur.
« Cette évolution n’est sans doute pas sans rapport avec une conscience de plus en plus aiguë
de la relativité ou de la fragilité des connaissances, mais elle va aussi de pair avec une
profonde transformation des conceptions éducatives » 230 . Comme l’album, le documentaire
joue étroitement sur la complémentarité texte/image, porteuse de sens. Des dessins réalistes aux
photos numériques en passant par les schémas explicatifs et les reproductions de documents,
l’image permet une mise en éclairage des textes ou au contraire une mise à distance facilitant
le questionnement et l’éveil de l’esprit critique. A une iconographie riche et abondante
viennent souvent s’ajouter plusieurs types de textes (narratif, argumentatif, explicatif) et des
rubriques thématiques apportant des informations complémentaires. Aussi, sera t-on
particulièrement attentif à « la lisibilité de la mise en pages […] parce qu’elle organise
visuellement et intellectuellement la répartition entre l’essentiel et l’accessoire, la première
approche et l’approfondissement » 231 . Et ce, d’autant plus que les documentaires historiques
actuels offrent une grande variété de points de vue, se basant notamment sur des sources
directes de l’Histoire comme les témoignages, les articles de journaux, les images d’archives, les
photos, les affiches ou extraits de journaux (Des hommes dans la guerre d’Algérie 232 ; Mon papa
en guerre : lettres de poilus, mots d’enfants (1914-1918) 233 ; Les enfants du silence : mémoires
d’enfants cachés (1939-1945) 234 ).
Les documentaires historiques les plus fascinants sont ceux qui proposent au jeune
lecteur de plonger dans le décor et la réalité de l’événement décrit. Grâce à l’évolution des
connaissances historiques et les progrès technologiques, de nouvelles images enrichissent la
« mise en scène » du savoir. Les reconstitutions de monuments ou de lieux disparus, les images
de synthèse sont de puissants vecteurs de transmission qui donnent à partager l’intimité, aidant
230 BALLANGER Françoise, « Métamorphoses et enjeux du documentaire aujourd’hui », in Les Cahiers du CLPCF, Journée d’études du
22 octobre 2004, disponible à l’adresse :
, page consultée le
25 février 2010
231 Collectif sous la direction de Françoise Ballanger et Annick Lorant-Jolly, op. cit., p. 15
232 BOURNIER Isabelle, FERRANDEZ Jacques, Des hommes dans la guerre d’Algérie, « Documentaire », Casterman, 2010
233 GUENO Jean-Pierre, Mon papa en guerre : lettres de poilus, mots d’enfants (1914-1918), « Librio », J’ai lu, 2004
234 GUENO Jean-Pierre, Les enfants du silence : mémoires d’enfants cachés (1939-1945), « Hors collection », Milan Jeunesse, 2003
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à visualiser ce qu’on a lu autant qu’à apporter des éléments qui rendent l’apprentissage plus
vivant. Les albums documentaires Homo Sapiens parus chez Flammarion mêlent reconstitution
historique et images de synthèse avec un réalisme surprenant. Certains documentaires ne se
contentent pas d’être inventifs ou séduisants, ils sont spectaculaires : ainsi, Je vous écris de
Versailles 235 est un superbe pop-up qui déploie les temps-forts de la vie au château en un
dispositif visuel minutieusement illustré et agrémenté de tiroirs, cachettes, tirettes et dépliants. A
la fois espace de création et champ d’investigation, l’édition pour la jeunesse propose une
multitude d’approches et de sources documentaires pour aider l’enfant à prendre conscience
de la construction historique du monde en faisant de l’Histoire un univers attractif et vivant.
c. L’édition pour la jeunesse : vecteur d’une culture historique ?
Qu’il soit fiction ou documentaire, le livre pour la jeunesse est un facteur de structuration
des connaissances qui enrichit l’imaginaire de l’enfant, lui fait rencontrer des personnages et
des lieux caractéristiques, découvrir un usage particulier de la langue et le patrimoine. Or,
l’Histoire par la narration « requiert deux exigences opposées : une recherche de la vérité
historique et une reconstitution imaginaire des faits » 236 . Il convient donc de s’arrêter sur l’usage
didactique de l’édition pour la jeunesse comme support d’une culture historique. Avec
l’évolution des techniques et le soin apporté à l’écriture, elle offre de nombreux ouvrages de
qualité apportant une reconstitution cohérente qui peut jouer « un rôle de sensibilisation parce
que l’imaginaire est une excellente entrée en matière pour l’Histoire » 237 . Néanmoins, elle est
« emblématique des difficultés que présente la recherche d’un équilibre entre l’art et
l’information » 238 . Permet-elle la constitution de savoirs ? Le professeur Jacques Crinon insiste plus
particulièrement sur la fonction « décorative » de la fiction historique ; pour Christian Chelebourg
et Francis Marcoin, « une ambiance d’époque correctement rendue est plus importante que
l’exactitude des détails qui la composent » 239 . S’il est vrai que certaines publications se
contentent d’une simple fiction pour que le jeune lecteur entre dans l’Histoire, d’autres
avancent une argumentation solide basée sur une documentation riche, preuve de
l’importance accordée à la transmission d’une authenticité : « il faut que je sache tout sur le
sujet, même les choses qui ne me serviront pas directement dans le roman » explique la
romancière Evelyne Brisou-Pellen. Certains auteurs puisent l’inspiration dans les sources mêmes
de l’Histoire : pour écrire Une princesse à Versailles 240 , Anne-Sophie Silvestre a utilisé la
correspondance de la Princesse Palatine à sa tante Sophie de Hanovre pour raconter son destin
de seconde « dame du Royaume » à la cour de Louis XIV. Anne-Marie Desplat-Duc compare
235 SELLIER Marie, DUTRAIT Vincent, CHARBONNEL Olivier, Je vous écris de Versailles, Casterman, 2009
236 RIDÉ CATHERINE, op. cit.
237 DOREL-FÉRRÉ Gracia, PICOT Françoise, PICOT Claude, op. cit., p. 9
238 CHELEBOURG Christian, MARCOIN Francis, op. cit., p. 79
239 Ibid, p. 79
240 SILVESTRE Anne-Marie, Une princesse à Versailles, « Castor Poche », Flammarion, 2003
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l'écrivain de romans historiques à « un brocanteur [qui] fouille dans les vieilleries des archives
pour dénicher un évènement, un fait divers, une phrase qui enrichira son roman ».
Le concept de lecture plaisir ou la dimension ludique recherchée par les éditeurs ne doit
pas faire oublier qu’un grand nombre d’entre eux s’entoure de plus en plus souvent d’historiens
ou autres spécialistes pour co-écrire les ouvrages ou les préfacer, lesquels à défaut de préjuger
de la véracité du récit attestent de l’information donnée. Un comité d’historiens dirige la série
Histoire (Autrement Junior), des spécialistes vérifient les données historiques de la collection Mon
Histoire (Gallimard jeunesse), Pierre Pelot (Préhistoire) et Viviane Koenig (Egypte ancienne)
comptent parmi les auteurs de la collection La vie des enfants (Editions de La Martinière). Les
sources historiques ayant servi à la rédaction de L’Or et la Boue : Haumont 14-16 241 de
Christophe Lambert, proviennent des Archives du Ministère de la Défense, de la Direction de la
Mémoire et du Patrimoine. Par ailleurs, il est aussi de plus en plus fréquent de voir des ouvrages
présenter, à côté des savoirs établis, les hypothèses, les questionnements, les débats qui animent
certains sujets par souci de vérité, mais aussi pour amener le lecteur à se forger une opinion en
le confrontant à divers points de vue. Aussi, l’édition pour la jeunesse compte un grand nombre
de titres susceptibles de contribuer idéalement « à l’acquisition d’une culture personnelle »,
permettre « d’instaurer un dialogue avec les œuvres patrimoniales » et faciliter parfois « l’accès
à la lecture des œuvres classiques » 242 . Comme pour la mémoire, la culture se construit en
établissant des liens entre les informations, c’est-à-dire entre les œuvres lues et les connaissances
construites en Histoire. Isabelle Nières-Chevrel souligne l’importance de la littérature de jeunesse
« dans le tissu culturel d’un pays, dans les références de la vie quotidienne, mais également
dans les différentes expressions artistiques [...]. La littérature de jeunesse est une des
composantes - trop souvent négligées - de ce qui construit une culture nationale » 243 .
II.2 Découvrir l'Histoire à la BCD
« Apprendre au plus grand nombre un savoir menacé de se perdre en le fixant par
l’image, fut, il y a deux siècles, le pari des encyclopédistes. Mettre en place une BCD, élargir son
contenu en direction des objets, procède de la même démarche. La BCD devient alors un lieu
privilégié où peut s’instaurer une relation dynamique entre le faire et le voir […] qui conduit à la
rencontre de l’Histoire, de la vie et des connaissances » 244 .
II.2.1 La BCD : un lieu de culture historique
Anne-Marie Bertrand explique la place occupée par les bibliothèques « par le lien
qu’elles ont avec ces deux passions nationales que sont l’école (le savoir) et le patrimoine (la
241 LAMBERT Christophe, L’Or et la Boue : Haumont 14-16, « Les Romans de la mémoire », Nathan Jeunesse, 2003
242 Bulletin officiel spécial n°6 du 28 août 2008, disponible à l’adresse :
, page consultée le 15 mai 2010
243 NIÈRES-CHEVREL Isabelle, op. cit., p. 97
244 PELTIER Michel, Collectionner et se documenter - La lecture documentaire, « Repères pour agir - premier degré », SCEREN - CRDP
Académie d’Amiens, 2006, p. 43
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mémoire). Elles sont des outils de partage du savoir et des lieux de mémoire [qui] contribuent à
former des citoyens éclairés et jouent ainsi un rôle dans l’apprentissage et l’usage de la
démocratie » 245 .
a. Un lieu de mémoire et de citoyenneté
Si le terme de « bibliothèque » renvoie à une institution très ancienne incarnant la volonté
des Hommes de conserver, mais aussi de rendre accessible leurs actes et leurs pensées, l’idée
de bibliothèques scolaires remonte à la Révolution : « il faut attendre le Second Empire et la série
de circulaires du ministre de l'Instruction publique Rouland pour qu'elles entrent dans les faits. La
grande innovation, c'est qu'à côté de manuels scolaires, on trouve des ouvrages variés » 246 . Ces
fameuses armoires bibliothèques faisaient déjà référence à la volonté de mettre en place un
fonds culturel commun. Selon la jolie formule que lui consacre Michel Peltier, « le musée de
l’école est à la BCD » 247 , allusion aux instructions officielles de 1923 qui « recommandent la
création de musées scolaires pour la formation scientifique des enfants du primaire » 248 . Michel
Peltier nous rappelle la double fonction de la BCD : heuristique (augmenter les connaissances
en développant l’utilisation de documents) et de mémoire. Notre projet de (re)donner une
place de choix à l’Histoire à la BCD s’inscrit particulièrement dans cette tradition du « savoir à
apprendre et à transmettre ». Il trouve tout autant sa place dans le contexte culturel actuel où
Histoire et mémoire tendent à se confondre, et dans la mission de l’école qui est de préparer les
citoyens de demain. L’utilisation du fonds Histoire pour la programmation d’activités tend vers
un idéal qui relève d’une décision majeure dans la construction de la citoyenneté. Ces
animations vont bel et bien permettre aux enfants de tisser des liens entre ce qui fut la première
fonction de la bibliothèque, à savoir préserver la mémoire des Hommes, et participer
pleinement à l’édification de la seconde : construire la mémoire de l’école et enrichir le
patrimoine culturel de la BCD grâce à leurs productions (journaux, exposés, reportages) tout en
bâtissant leur propre culture historique.
b. Un lieu d’apprentissage des savoirs
Lieu central de l’école, la BCD accueille les enfants de classes et d’âges différents qui s’y
côtoient, ont des activités communes et apprennent à vivre ensemble. Emprunts, recherches
documentaires, animations, échanges, rencontres, travaux et expositions, elle est à la fois un
espace de vie et un foyer d’appropriation et de construction des savoirs sous diverses formes :
manipuler, se repérer, choisir, se documenter, lire. « La bibliothèque est aussi le lieu où l’on peut
se former au choix et au maniement des instruments de recherche documentaire, où l’on vient
245 BERTRAND Anne-Marie, Les bibliothèques, « Repères », La Découverte, Paris, 1998, p. 3
246 RIVES Caroline, « Bibliothèques et écoles », in BBF, 1991, t. 36, n° 2, pp. 92-103, disponible à l’adresse :
, page consultée le 20 avril 2010
247 PELTIER Michel, Collectionner et se documenter - La lecture documentaire, op. cit., p. 40
248 PELTIER Michel, ibid, p. 45
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acquérir des compétences en maîtrise de l’information » explique Nicole Le Pottier 249 . En plus de
développer les apprentissages disciplinaires et transversaux en Histoire, elle est donc à même de
pouvoir susciter le goût pour l’Histoire et transmettre une première culture historique. Henri
Moniot insiste néanmoins sur la différence entre les notions « savoir de l’histoire » et
« apprentissage en histoire ». Si la première fait référence à « un patrimoine, […] une érudition »,
la seconde évoque plutôt « un répertoire disponible et son usage ». Henri Moniot insiste sur le fait
que « la culture, c’est l’usage pratique bien intériorisé d’un répertoire […] c’est cela que les
élèves ont besoin d’apprendre » 250 . La BCD est là pour donner le goût de la découverte et
acquérir de nouvelles connaissances en mettant à la disposition des enfants des documents
exploitables. Cela nécessite d’avoir une très bonne connaissance de l’édition pour la jeunesse
et de faire preuve d’esprit critique notamment pour ce qui touche aux « questions vives » liées à
l’esclavage, la colonisation, la Shoah et les faits religieux. Une adaptation aux réalités locales est
parfois nécessaire.
« Développer le goût de lire, permettre l’accès à des lectures diversifiées et la production
de textes multiples, préparer à la recherche documentaire et à l’acquisition d’une méthode
pour un travail autonome » 251 : telles sont les principales missions de la BCD. Sollicités par le corps
enseignant, appréciés des élèves, les rallyes historiques et les défis lecture comptent parmi les
animations types mises en place pour « sensibiliser les élèves à la recherche documentaire de
qualité en Histoire ». On notera que l’Egypte et le Moyen Âge en sont les thèmes privilégiés car,
nous l’avons vu précédemment, ces périodes fascinent naturellement les enfants par les images
qu’elles véhiculent. Aussi, favoriserons-nous les périodes ou les thèmes méconnus pour servir de
support à ces animations et faire « vivre » cette partie souvent inexploitée du fonds.
c. Un lieu d’ouverture culturelle
Dans les années soixante, Louis Cros préconisait de « créer l’école d’une nouvelle
civilisation » 252 , amorçant plusieurs réflexions sur l’introduction de la culture à l’école. Depuis, « les
bibliothèques centres documentaires (BCD) représentent un instrument efficace lorsque leur
fonctionnement est intégré au projet d’école et qu’il s’inscrit dans le projet pédagogique de la
classe et dans la progression au cours des cycles » 253 . Aujourd’hui, la BCD s’affirme comme un
espace évident d’ouverture culturelle qui s’inscrit d’abord dans son action quotidienne en
faveur de la lecture. « 6 romans historiques à lire pour remonter le temps » est une initiative
imaginée par une bibliothécaire de la région parisienne afin d’inciter les enfants de Cycle III à
découvrir six périodes de l’Histoire à travers la fiction historique. Le Prix Azimut est un concours
249 LE POTTIER Nicole, « Les recherches documentaires », in Le métier du bibliothécaire, Association des bibliothèques de France, Editions
du Cercle de la Librairie, 2007, p. 261
250 MONIOT Henri, Didactique de l’Histoire, « Perspectives didactiques », Nathan, Paris, 1993, p. 40, p. 157
251 Extrait de la note de service ministérielle du 30 mars 1994, disponible à l’adresse :
, page consultée le 12 janvier 2010
252 CROS Louis, L’explosion scolaire, CUIP, Paris, 1961
253 Extrait de la note de service ministérielle du 30 mars 1994, op. cit.
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créé par la BCD et le CDI du Lycée franco-japonais de Tokyo pour promouvoir la lecture. Les
élèves volontaires de CM2 et de sixième des quatorze lycées français de la zone Asie Pacifique
votent pour leur ouvrage préféré parmi une sélection de cinq titres établie par les
bibliothécaires. La sélection 2010 a pour thème le roman historique : Romulus et Remus, les fils de
la louve 254 d’Evelyne Brisou-Pellen (Rome), Les quatre bandits du Hénan 255 de Michel Laporte
(Chine ancienne), Le secret de la cathédrale 256 de Béatrice Nicodème (Moyen Âge), Le
violoncelle poilu 257 d’Hervé Mestron (première guerre mondiale), Juin 1940 : peur sur la route 258
de Philippe Barbeau (seconde guerre mondiale). Elire le livre d’une sélection est devenu une
animation classique des bibliothèques car l’enjeu et la compétition qu’elle sous-entend
remportent toujours un franc succès auprès des jeunes lecteurs.
Mais le rôle de la BCD est aussi d’amplifier les actions en faveur de l’Histoire en
sensibilisant les jeunes à des manifestations qui replacent cette discipline dans sa dimension
socio-culturelle. Le festival annuel « Les Rendez-vous de l’Histoire de Blois » témoigne de
l’ouverture de l’Histoire sur le monde et de sa place au cœur de l’actualité. Cette opération à
laquelle participent cent cinquante éditeurs allant des grandes maisons aux éditeurs régionaux,
accueille une immense librairie entièrement consacrée à l’Histoire sous toutes ses formes. En y
emmenant ses classes de CM2, cette bibliothécaire de Poitiers (Vienne) espère « leur montrer
que l’Histoire n’est pas figée, qu’elle peut se lire et s’apprécier ailleurs que dans leurs manuels
scolaires ». Cette année, les lecteurs de CM2 ont participé pour la troisième année consécutive
au Prix du roman historique jeunesse du Loir-et-Cher. Organisé par des documentalistes, le Prix
« vise à développer l’intérêt pour la culture historique et à allier le plaisir de lire et la
connaissance de périodes historiques » 259 . La qualité des ouvrages sélectionnés a été évoquée
de nombreuses fois par les enseignants et la joie de lire par les élèves. Le site web témoigne
d’ailleurs de l’intérêt réciproque des enfants et des auteurs autour des ouvrages de la sélection.
En effet, un tel Prix est l’occasion pour les bibliothécaires et les enseignants d’organiser des
échanges passionnants sous forme de rencontres ou de correspondance au cours desquelles
les auteurs abordent le travail d’écriture du roman historique et les aspects historiques traités.
Ainsi, « la BCD n’apparaît pas alors comme un levier de transformation mais comme un
complément des démarches existantes, comme un lieu commode de réinvestissement des
techniques enseignées » souligne Jean Foucambert 260 .
Senlis, Verdun, Versailles organisent chaque année leur salon du livre d’Histoire. Ces
grandes manifestations offrent des espaces entiers dédiés au livre d’Histoire pour la jeunesse et
peuvent là encore faire l’objet de démarches pour déscolariser la discipline. Sous l’égide de
254 BRISOU-PELLEN Evelyne, Romulus et Remus, les fils de la louve, « Les romans des légendes », Pocket Jeunesse, 2005
255 LAPORTE Michel, Les quatre bandits du Hénan, « Chapitre », Seuil Jeunesse, 2008
256 NICODÈME Béatrice, Le secret de la cathédrale, « Le Livre de Poche Jeunesse », Livre de Poche Jeunesse, 2008
257 MESTRON Hervé, Le violoncelle poilu : et autres histoires de 14-18, « Tempo », Syros, 2009
258 BARBEAU Philippe, Juin 1940 : peur sur la route, « Les Romans de la mémoire », Nathan Jeunesse, 2009
259 L’adresse du site officiel du Prix du roman historique jeunesse est la suivante :
260 FOUCAMBERT Jean, op. cit.
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leurs bibliothécaires, les élèves de Cycle III y rencontrent des historiens passionnés et des auteurs
de récits historiques pour la jeunesse. C’est aussi une formidable occasion d’impliquer les
enfants dans la politique d’acquisition en leur confiant le soin d’acheter de nouveaux livres pour
le fonds Histoire de leur BCD. Enfin, il peut être aussi intéressant d’envisager une forme de
partenariat ponctuel avec les salons du livre d’Histoire à caractère régional pour faire découvrir
aux jeunes le patrimoine historique de leur région.
D’une manière générale, porter à la connaissance et faire participer les élèves à de
telles manifestations permet de mieux connaître le goût de ses lecteurs, de tester leurs réactions
favorables ou non et d’évaluer leurs capacités à « réceptionner » en vue d’amorcer des
séances plus approfondies à la BCD.
II.2.2 Un rôle dans la promotion de l'Histoire
Nous avons enregistré très peu de retours au sujet de notre enquête à destination des
bibliothécaires qui portait sur le fonds Histoire et leurs pratiques en la matière dans leur BCD (voir
questionnaire - Annexe 2). Plutôt que d’un désintérêt, il semblerait tout simplement que l’Histoire
fasse surtout l’objet de projets culturels et citoyens à partir du collège au CDI plus qu’à la BCD
qui privilégie les activités autour du conte (Cycles I et II) et des sciences (Cycle III). Cependant,
les initiatives ou commentaires recueillis auprès de quelques bibliothécaires nous confortent
dans l’idée que l’Histoire, jusqu’alors outil d’apprentissage « sacralisé » et figé dans un acte
purement didactique, affirme aujourd’hui de nouvelles ambitions.
a. L’organisation du fonds Histoire
L’exemple de la BCD du Lycée français du Caire nous a permis de mettre en lumière des
aspects essentiels liés au fonctionnement d’une bibliothèque et l’importance du rôle à jouer
dans la promotion de son fonds. « La composition et la gestion de ce fonds sont capitales et une
grande attention doit être portée à sa constitution : rechercher, introduire à l’école, classer,
travailler sur toutes les formes d’écrit est une démarche largement porteuse d’innovation » 261 .
Les délais de renouvellement du fonds Histoire - notamment pour les documentaires - ne
nécessitent peut-être pas la même rapidité que pour un fonds Sciences, mais procéder à un
état des lieux comme nous l’avons exposé en première partie, permet d’en repérer les
déséquilibres, les lacunes et de prendre la mesure des besoins des élèves et de la communauté
éducative. Ainsi, les documentaires ayant plus de dix ans doivent être soumis à un suivi attentif
de leur état, de leur âge et de leur contenu de façon à les rendre plus attractifs sans pour
autant dépouiller le fonds ; d’où la nécessité de repenser régulièrement la politique
d’acquisition et de désherbage afin d’offrir des documents aux informations fiables et
actualisées.
261 Extrait de la Circulaire n° 84-380 du 1 er octobre 1984, disponible à l’adresse :
, page consultée le 14 avril 2010
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Mettre en place une politique d’acquisition en vue de constituer un fonds Histoire
représentatif de la variété de l’édition actuelle et de la richesse de la littérature pour la jeunesse
revient aussi à s’interroger sur la fonction des fictions et documentaires, et les savoirs et
connaissances qu’ils transmettent. Gilles Boyer, formateur en histoire-géographie à l’IUFM Centre
du Rhône, insiste sur l’importance d’une réflexion sur les finalités de l’enseignement de l’Histoire
et sur ses enjeux. Selon lui, « le travail repose sur la recherche de documents utilisables, en
particulier sur le choix d’albums de littérature de jeunesse à utiliser et sur lesquels s’appuyer […] il
semble primordial que la précision du dispositif didactique soit en mesure de permettre un juste
équilibre entre compréhension d’un processus et émotion, mais aussi qu’il soit en mesure de
sensibiliser de jeunes élèves à la complexité de réalités historiques » 262 . Sélectionner tel ouvrage
plutôt que tel autre au sein d’une production foisonnante pose inéluctablement des problèmes
de repérage et de critères de choix. En effet, si lire l’Histoire semble tâche aisée grâce à l’offre
éditoriale pléthorique, arriver à faire aimer l’Histoire à travers l’édition pour la jeunesse peut
s’apparenter à une tâche complexe pour la bibliothécaire. Des catalogues d’éditeurs et des
revues spécialisées peuvent guider son choix, mais il est aussi important qu’elle se forge sa
propre opinion en lisant, évaluant, comparant afin de se rendre compte de l’intérêt de certains
titres par rapport à d’autres. Il lui est aussi recommandé d’engager une réflexion concertée
avec les enseignants. Alors que les programmes portent sur les « jalons de l’Histoire nationale », le
rôle de la BCD est de mettre en place une politique d’acquisition qui puisse satisfaire à la
réalisation de cet enseignement. On veille à ce que les sujets abordés correspondent aux
préoccupations et/ou aux intérêts des enfants. Une activité fructueuse consiste à faire participer
les futurs lecteurs à la sélection en leur proposant une analyse critique de divers sommaires afin
d’évaluer la lisibilité des titres et la possibilité d’émettre des hypothèses sur le contenu des
chapitres. La diversité de la production éditoriale leur permet d’établir des comparaisons, de
faire émerger certaines caractéristiques et de développer leur sens critique. Finalement, la
sélection impose de faire un tri à plusieurs entrées - valeur documentaire, valeur littéraire,
sélection par époque ou par thème historique - en sachant que le fonds devra être équilibré,
diversifié et adapté. Enfin, l’inventaire du fonds Histoire de la BCD du Lycée français du Caire
nous a fait prendre conscience qu’une attention particulière doit aussi être accordée à
l’acquisition d’ouvrages portant sur le patrimoine historique local. Diriger la constitution du fonds
Histoire ne vise pas uniquement à lui donner corps pour répondre aux différents projets
d’apprentissage mais aussi à la doter de son identité locale pour en faire un lieu unique au sein
d’un réseau.
262 BOYER Gilles, « Questions sensibles en histoire-géographie, quelle formation ? », in Les Cahiers pédagogiques, Dossier « Questions
sensibles et sujets tabous », n o 477, décembre 2009, disponible à l’adresse :
, page consultée le 4 mars 2010
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. La mise en valeur et la gestion du fonds Histoire
Pour faire de la BCD un espace accueillant, la bibliothécaire œuvre à la mise en place
d’un cadre qui contribue à faire naître et grandir le plaisir de lire. Elle joue un rôle de « passeur
culturel » 263 en facilitant l’accès au livre grâce à la mise en valeur de son fonds. Ceci passe par
des campagnes d’affichage qui informent élèves et enseignants des nouvelles acquisitions ou
prennent la forme d’extraits de livres savamment choisis et accrochés sur un panneau de
l’école, se terminant par la formule « la suite au rayon Histoire de la BCD… ». En plus d’un
dispositif de communication, la bibliothécaire peut promouvoir son fonds en aménageant son
espace de façon à capter l’attention des enfants. Ces actions de valorisation peuvent même
faire l’objet de véritables projets comme leur demander d’imaginer une mascotte « gardienne
du fonds Histoire », fabriquer un « arbre à Histoire » dont ils pourraient parer chaque branche de
leurs livres ou personnages historiques préférés, ou décorer la BCD avec une frise chronologique
réalisée à partir des premières de couverture des fictions ou documentaires « historiques » du
fonds. Il nous semble en effet important que les enfants investissent affectivement l’espace
documentaire en contribuant à sa mise en valeur. Lors de séances hebdomadaires à la BCD, la
bibliothécaire peut présenter les livres de son fonds à son public ou pratiquer, suivant l’idée de
Daniel Pennac, la lecture d’extraits à voix haute pour inciter à l’emprunt et sensibiliser les enfants
non lecteurs. De façon ponctuelle, l’exposition ou l’animation peut porter sur un thème précis
ou sur un travail portant à leur connaissance une ou plusieurs collections.
De nombreuses BCD fonctionnent sur la formule « coups de cœur » ou « les romans
historiques qu’on a aimés ». Elles invitent les élèves à partager leurs lectures favorites en en
faisant un résumé soit dans la gazette de la BCD, soit dans le Journal de l’école ou sur le site
Internet de l’établissement s’ils existent. D’autres préfèrent l’activité plus classique qui consiste à
faire lire par les plus grands des extraits de fictions historiques, projet qui pourrait faire l’objet de
séances d’enregistrement dans le studio du Lycée français du Caire en vue d’être retransmis sur
son site radio. La tenue de débats nous semble une façon intéressante d’organiser un espace
de sociabilité pour utiliser notre fonds tout en éveillant l’intérêt des enfants : « grâce à la BCD, les
rapports de chacun avec la chose écrite peuvent devenir un matériau qui se travaille
collectivement » 264 .
Les capacités que les enfants sont amenés à développer en BCD ne sont pas seulement
d’ordre cognitif. Ainsi, une pratique de plus en courante consiste à les faire participer à la
gestion du fonds, leur donnant ainsi à respecter l’objet-livre tout en les faisant réfléchir sur le
fonctionnement de leur espace commun. Associer les enfants aux différentes tâches de la BCD
(commandes, indexation, prêt, classification, rangement des livres) les aide également à
verbaliser leurs choix, exprimer leurs goûts, se repérer, s’approprier le fonds Histoire tout en leur
263 ZAKHARTCHOUK Jean-Michel, Transmettre vraiment une culture à tous les élèves, « Repères pour agir », CRDP d’Amiens, 2006, p. 14
264 FOUCAMBERT Jean, op. cit.
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attribuant un rôle actif qui les valorise et les rend responsables. « La motivation responsabilisante
regroupe le désir d’insertion, l’envie d’être reconnu, le besoin d’agir, la recherche
d’autonomie » 265 . Le travail de cotation est notamment intéressant à leur faire faire car certains
livres en Histoire posent un problème de classification, ce qui peut donner lieu à une discussion
argumentée pour prendre une décision. On aura remarqué pendant nos séances que les
enfants sont particulièrement attentifs et entreprenants lorsqu’on sollicite leur avis ou leur
coopération pour préparer une activité. Aussi, avec des enfants de CM1-CM2, peut-on penser à
donner la responsabilité du fonds à un groupe d’élèves et pousser l’investissement dans la
gestion en leur faisant élaborer, à partir des documents déjà utilisés, des fichiers de recherche
qui serviront aux autres utilisateurs de la BCD.
II.2.3 La BCD et l'Histoire : notre Projet
Il ne s’agit pas d’en rester là, mais de créer un véritable pôle de découverte et de
lecture de l’Histoire. Les textes et l’iconographie de la littérature et de l’édition pour la jeunesse,
différents de ceux des manuels scolaires, peuvent aider les bibliothécaires à « raconter »
l’Histoire et fournissent la matière idéale à des ateliers de lecture « historique ».
a. Un atelier : « Les petits historiens »
Consciente qu’un projet de ce type intriguerait et n’attirerait pas au premier abord les
enfants dans le cadre d’activités extrascolaires privilégiant les sports et la pratique théâtrale,
nous avons jugé opportun de sensibiliser les classes de Cycle III sur les objectifs de nos activités
au moyen d’une affiche composée à cet effet (voir Annexe 6). Malheureusement, et pour des
raisons dont nous n’avons pas eu connaissance, cette affiche n’a pu être distribuée dans les
neuf classes concernées et de nombreux enfants n’ont pas été informés sur la tenue de cet
atelier. Nous avions conjointement demandé la collaboration des enseignants pour qu’ils
incitent leurs élèves à participer au projet et sollicité un partenariat avec eux. Certains
enseignants n’ont pas passé le message et aucun n’a répondu à notre demande de
coopération. Plutôt qu’un désintérêt, nous préférons croire que les circonstances particulières
d’ouverture et de fermeture alternées de l’établissement face à l’épidémie de grippe A ont été
un facteur déstabilisant pour l’équipe pédagogique, ce qui a joué en notre défaveur. Même si
l’opération de lancement du projet s’est avérée peu fructueuse, huit enfants sont venus
s’inscrire pour participer à l’atelier « Les petits historiens ». Six garçons et deux filles ont suivi les
séances hebdomadaires qui se sont déroulées d’octobre 2009 à juin 2010. L’année passant, les
échos des participants et de leurs parents ont vu les choses évoluer : certains enseignants sont
venus prendre des nouvelles de notre initiative, ont commencé à poser des questions, témoigné
leur intérêt. « Nous nous demandions en quoi consistait votre atelier », « les enfants nous en ont
265 POSLANIEC Christian, HOUYEL Christine, Activités de lecture à partir de la littérature de jeunesse, Hachette Education, Paris, 2000, p. 267
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parlé » nous ont-ils dit le plus souvent en insistant sur leur étonnement face à un tel projet,
nouveau et original dans l’établissement.
b. Les principaux objectifs
Nos séances reposent sur la volonté de transférer dans cet atelier des activités
habituellement dévolues à la BCD. Leur principal objectif consiste à communiquer aux enfants
le goût pour l’Histoire, à les intéresser et à éveiller leur curiosité en exploitant différentes pistes
offertes par l’édition pour la jeunesse (fictions et documentaires). En termes d’animations,
multiples sont les actions envisageables en la matière qui aident à transmettre le patrimoine et
sensibiliser à la culture historique. Aussi, nous a-t-il fallu faire des choix, certains s’imposant d’eux-
mêmes lorsque le fonds proposé ne s’y prêtait pas, d’autres étant dictés par des contraintes
d’ordre matériel ou logistique. Par exemple, nous avons dû composer toutes nos séances en ne
bénéficiant que d’un seul exemplaire des ouvrages, ce qui nous a souvent posé des problèmes
d’organisation, voire de conception. Même si nous nous sommes appliquée à choisir des textes
dispensant des informations à la fois pertinentes, fiables et accessibles, la médiation de l’adulte
s’avère indispensable pour « vulgariser une science, répandre une connaissance auprès d’un
public » 266 . Catherine Ridé le rappelle : « il faut être lecteur expert pour lire un livre sur fond
d’histoire et ne pas oublier que chaque époque a une façon spécifique de reconstituer
l’Histoire » 267 . Elle s’appuie sur « la lecture comme jeu », une idée émise par Catherine Tauveron
et Michel Picard selon laquelle le texte guide le lecteur par les stratégies de jeu (game) qu’il
suscite et la stimulation de son imaginaire qui favorise l’identification (playing).
Notre second objectif est de créer des situations de « lecture en vrai » - lecture plaisir,
lecture documentaire, lecture exploration -, lesquelles vont mettre à la disposition des enfants
des titres variés, susceptibles de leur plaire et de leur apporter une motivation supplémentaire
pour lire l’Histoire. Nous avons cherché à diversifier les stratégies de lecture, les contenus, la mise
en réseau à travers trois types d’approche : narrative, thématique et ludique. Nos séances
cherchent aussi à les aider à développer leurs capacités de lecteur et de chercheur autonome.
En effet, « apprendre à varier ses lectures en fonction de son projet personnel : lire pour se
détendre, lire pour s'informer, lire un texte en entier, lire en survol, prendre conscience qu'il n'y a
pas qu'un seul type de lecture, un seul type d'écrit, que l'information est véhiculée par des
supports variés. C'est rendre l'enfant plus actif dans ses démarches de lecture ; c'est le préparer
à s'adapter à l'offre, à varier ses stratégies » 268 .
Le dernier objectif de notre projet vise à élargir la perspective des lecteurs en leur
montrant qu’au-delà de l’acte de lecture, fictions et documentaires historiques peuvent donner
lieu à de multiples activités. Car lire l’Histoire suppose de mettre les enfants en situation
266 LEMERCIER Françoise, « L’apprentissage de l’histoire à travers les documentaires jeunesse », in BBF, 2004, n°2, pp. 117-118, disponible à
l’adrese : , page consultée le 27 février 2010
267 RIDÉ CATHERINE, op. cit.
268 BRITAN Odile, op. cit.
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d’interroger différents textes, d’en resituer le contexte historique, de faire un travail
d’identification pour distinguer la réalité de la fiction, d’en percevoir les possibles interprétations
en vue de se constituer au fil des séances sa propre culture historique. Enfin, à la fin de chaque
séance, nous avons proposé aux enfants une restitution sous forme orale ou écrite pour donner
encore plus de sens à leurs apprentissages.
c. Les moyens mis en place et le fonctionnement
Notre intérêt s’est donc porté sur l’édition pour la jeunesse comme moyen de susciter le
goût pour l’Histoire. Chacune de nos séances nécessitait deux temps de préparation : constituer
d’abord le corpus de livres adéquats pour que nos jeunes lecteurs rencontrent l’Histoire d’une
manière utile et agréable, réunir ensuite les conditions favorables pour mener à bien nos
objectifs. Afin de choisir un fonds d’exploration pertinent, une démarche d’investigation
s’avérait nécessaire pour nous informer et retenir certains critères de sélection : diversité, qualité
et présentation des contenus, support d’apprentissage et de plaisir, originalité aussi car nous
étions attachée à faire découvrir aux enfants des ouvrages moins ordinaires. Ainsi, nous avons
pu exploiter et mettre à profit le fonds offert par la BCD de l’école, mais aussi ceux du CDI et de
la médiathèque du Centre Français de Culture et de Coopération, lorsque le fonds de la BCD
ne correspondait pas aux objectifs recherchés. Notre choix ne s’est pas porté sur des collections
trop didactiques déjà utilisées en classe, mais plutôt sur celles qui permettent une lecture de
détente et de découverte. Il nous paraissait essentiel dans la mesure du possible, d’associer les
enfants à notre démarche en s’interrogeant sur leurs attentes et en tenant compte de leurs
propositions afin qu’ils puissent se sentir véritablement intégrés au projet. En leur donnant à
réfléchir avec nous sur le choix des livres et le déroulement des séances, nous les rendions
acteurs de notre médiation. Ainsi, ils ont particulièrement sollicité la lecture d’albums et les
documentaires jeunesse parmi les ressources proposées. Il est vrai que leurs supports présentent
des formats variés et des formules de présentation différentes ; leurs textes à la fois riches et
synthétiques permettent de capter l’attention des jeunes lecteurs.
Par ailleurs, nous nous sommes attachée à résoudre les difficultés que pouvaient
rencontrer certains enfants dans leur confrontation avec les textes proposés que ce soit au
niveau de la compréhension ou du travail de restitution. En effet, le groupe se composant de
deux élèves de CE2, quatre de CM1 et deux de CM2, nous avons pu profiter de leur nombre
restreint, mais aussi de leurs âges et niveaux de lecture différents pour mettre en place une
pédagogie différenciée tout en privilégiant une forme de lecture intime et conviviale offrant à
chacun la possibilité de s’exprimer et aux plus réservés de s’épanouir. Enfin, la souplesse de
notre mode de fonctionnement, basé sur un système de séance « à la carte », a permis
d’adapter nos interventions au rythme des enfants et ainsi, de pouvoir exploiter, dans les
meilleures conditions, le potentiel offert par l’édition pour la jeunesse et leur transmettre le goût
pour l’Histoire.
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CHAPITRE III
PROJET DE MEDIATION
ET ANIMATIONS
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III. PROJET DE MEDIATION ET ANIMATIONS
Si la BCD et l’édition pour la jeunesse permettent aux enfants de rencontrer l’Histoire, une
des missions du bibliothécaire est d’inciter à la lecture et d’initier à l’acte de « bien lire ». Dans le
cadre de notre projet, nous entendons par médiation, notre intervention auprès des enfants afin
de leur apprendre à mieux connaître le fonds Histoire de leur BCD et des ouvrages de l’édition
pour la jeunesse dans ce domaine. Nos animations et nos activités permettront de favoriser
l’appropriation de l’objet-livre et l’approche de la lecture, mais aussi d’éveiller l’intérêt des
enfants pour l’Histoire.
La réussite d’une médiation exige d’abord une bonne connaissance de l’offre éditoriale
en la matière. Elle doit être ensuite envisagée comme une complémentarité à l’enseignement
scolaire. C’est pourquoi nous avons imaginé des dispositifs pédagogiques qui cherchent à
développer appétence, compétences et autonomie des enfants dans les pratiques de lecture.
Programmées sur une année, ces animations s’inscrivent dans un projet « lecture et
documentation » qui répond aux deux piliers du socle commun 269 :
- tout élève doit être capable de « dégager l’idée essentielle d’un texte lu ou entendu […]
manifester sa compréhension de textes variés, documentaires ou littéraires » (pilier 1) ;
- la culture humaniste « contribue à la formation du jugement, du goût et de la
sensibilité […] Elle se fonde sur l’analyse et l’interprétation des textes et des œuvres
d’époques ou de genres différents. Elle repose sur la fréquentation des œuvres littéraires
qui contribuent à la connaissance des idées et à la découverte de soi » (pilier 5).
La rencontre entre les enfants et l’Histoire à travers l’édition pour la jeunesse donne lieu à
des séances enrichissantes et fécondes. Cette troisième et dernière partie présente les
différentes animations que nous avons mises en place autour des fictions et documentaires
« historiques » afin de sensibiliser les enfants à l’Histoire. Si la programmation et le rythme des
interventions ont suivi, autant que possible, l’ordre chronologique de l’axe historique, nous avons
choisi de les présenter ici par genre, par support ou par thème. Notre ambition de départ était
de faire découvrir le plus grand nombre possible de livres aux enfants. Or, après avoir pris
connaissance du fonds Histoire de la BCD et constaté que celui-ci n’était pas adéquat ou
exploitable selon nos critères d’exigence, nous avons opté pour un choix plus limité de livres,
pertinents et de qualité.
269 Extrait du Décret n o 2006-830 du 11 juillet 2006. Les sept compétences du socle commun peuvent être consultées à l’adresse suivante :
, page consultée le 5 août 2010
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III.1 Animations de lecture
« Le récit est un mode d’entrée dans l’histoire et dans la langue » écrit Benoît Falaize,
chercheur à l’Institut National de Recherche Pédagogique. Il permet en effet d’aborder des
connaissances qu’il serait trop difficile de tirer de l’étude de documents, de rendre l’approche
vivante, en suivant des personnages en action. Le récit peut à la fois susciter l’intérêt pour
introduire une étude qui sera complétée par la lecture de documents ou à l’inverse, conclure et
illustrer une synthèse d’informations.
III.1.1 Entrée culturelle par l'album
L’album est un genre littéraire très apprécié des enfants. Aussi, s’avère t-il être un
médiateur de choix pour faire entrer l’Histoire à la BCD. Il offre à tous la possibilité de partir à la
rencontre d’époques passionnantes et donne les moyens d’asseoir les bases d’une première
culture en incitant à la réflexion : prélèvement d’indices, émission d’hypothèses, comparaisons
et déductions. Il permet également de faciliter l’accès des enfants non lecteurs à la
compréhension de périodes ou de thèmes à caractère historique.
a. Un monde de références historiques et patrimoniales
Si certains auteurs choisissent d’appréhender des thèmes difficiles, une majorité préfère
exploiter la fonction initiale de l’album qui est de faire rêver et de stimuler l’imagination des
enfants. Avec ses notions de temps, de voyage, de mythe, l’Histoire est un puissant ressort qui
véhicule un monde de références générant la construction d’images mentales. En effet, « on
sait que le livre est un lieu d’exploration, d’aventures, d’émotions. L’album invite à rencontrer
l’imaginaire d’un auteur et [ou] d’un illustrateur et incite à se retrouver dans l’histoire qu’il
raconte, dans ses lieux, ses époques pour s’approprier une culture littéraire » explique Dominique
Piveteaud 270 . En plus de procurer du plaisir et d’éveiller la curiosité, la lecture de l’album
constitue le fondement d’une culture partagée et assure la transmission du patrimoine. Les
animations qui suivent présentent quatre albums différents par leur format, leur style et les
thèmes abordés.
b. L'Histoire par l'image : Une ville au fil du temps
La notion du temps qui passe est compliquée pour les enfants. Quelle conscience du
temps historique ont-ils au Cycle III ? Comment parviennent-ils à se situer dans le temps ? En
chaque début d’année, ils construisent avec leur enseignant la frise chronologique des grandes
périodes et, si la plupart ont une idée précise de la succession des différentes époques et savent
situer les périodes les unes par rapport aux autres, ils n’ont que peu de références historiques et
culturelles. Nous avons souhaité débuter nos séances par l’image à travers la lecture exploration
270 PIVETEAUD Dominique, Apprendre à lire et à écrire à partir de l'album par l’Ecole des loisirs, in « Aborder l’Histoire en cycle 1 et cycle 2
par l’album : quels enjeux ? quelles potentialités ? quels apprentissages ? », Mémoire de Sophie Castets pour le recrutement de
professeur des écoles, sous la direction de Mme Danièle Varet, IUFM de Bourgogne, Dijon, 2005, disponible à l’adresse :
, page consultée le 26 juin 2010
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d’Une ville au fil du temps - de la préhistoire à nos jours 271 d’Anne Millard et Steve Noon. De par
ses illustrations en double page légendées et assorties d’un court texte explicatif, ce très bel
album documentaire qui retrace l’histoire d’une ville (imaginaire), de son campement primitif à
la grande métropole, nous a servi de support idéal pour une approche du temps historique et
pour initier les enfants aux notions de « traces » et de patrimoine. Il a offert la possibilité de les
intéresser aux activités donnant lieu à l’évolution d’une ville, et de repérer les principales
transformations du milieu et des modes de vie des hommes qui le peuplent. Dans notre enquête
auprès de bibliothécaires, ce livre a été cité par l’un d’entre eux comme permettant « une
approche différente de la discipline, complémentaire, favorisant le questionnement ».
La lecture de cet album présente l’avantage de pouvoir se faire à deux niveaux : par
époque historique du fait de la richesse de ses informations, mais aussi par thème (vie
quotidienne, habitat, inventions, costumes, moyens de transport, architecture, etc.). Chaque
indice est aisément repérable puisque l’évolution présente toujours le même site et l’observation
le même point de vue. Sensibiliser les enfants aux « traces » qui sont des sources ou des
documents sur lesquels travaillent les historiens vise aussi à leur inculquer une démarche
d’historien, à savoir s’interroger sur leur environnement tout en éduquant leur regard. De plus,
cet album aborde les points forts et les moments clés de chaque grande période qui aident
l’élève à se construire des repères dans le temps et comprendre l’enchaînement des
événements historiques. Pour compléter notre approche et faciliter le repérage de nos jeunes
lecteurs, nous avons fabriqué une frise historique pour l’accrocher au mur.
Cette activité s’est déroulée en deux séances. La séance n o 1 a consisté en des
échanges oraux à travers l’observation des illustrations. Nous avons choisi de commencer la
lecture en explorant le dernier tableau « la ville d’aujourd’hui », un milieu qui, parce que familier
aux enfants, a facilité la mise en place du pacte de lecture. Une fois visualisé, le retour au
premier tableau, « un campement vers 10 000 av. J.-C. », a, sous l’effet de la surprise, capté leur
attention tout en leur faisant prendre conscience de la métamorphose. Nous avons alors
procédé à la lecture des images :
� Les enfants resituent les différentes scènes illustrées dans le temps et nomment les
époques historiques auxquelles elles appartiennent.
� Ils repèrent les indices qui ont transformé le paysage et l’organisation de la ville, et qui
caractérisent le passage d’une époque à une autre.
� Leur intérêt et leur curiosité s’affinent grâce à la recherche d’indices humoristiques et
pittoresques ; leur sens de l’observation est sans cesse stimulé au moyen de petites
énigmes à résoudre telles : « où se trouvent les statues en bois érigées en l’honneur des
dieux ? » ou « Les hommes cherchent à mettre au point un nouveau moyen de transport
271 MILLARD Anne, NOON Steve, Une ville au fil du temps - de la préhistoire à nos jours, « Hors série Découverte Gallimard », Gallimard
Jeunesse, 1998
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aérien. Lequel ? ». L’utilisation d’une loupe est une astuce qui « a décuplé l’appétit » de
nos jeunes lecteurs.
La séance n o 2 a permis d’organiser et de récapituler des indices de l’évolution dans une
grille d’observation que nous avions conçue. Afin de rendre plaisant ce travail de restitution,
nous avons investi les enfants d’une mission de « voyageur du temps chargé de ramener les
indices caractéristiques de chaque période » : chacun devait alors découper les différentes
étiquettes-indices prévues à cet effet et les replacer correctement dans la grille en sachant
respecter la chronologie du temps et des événements (voir Annexe 7).
Cette animation a permis d’amorcer les séances suivantes en introduisant les notions
d’Histoire et de temps historique. Cet album, essentiellement visuel, a séduit les enfants par son
format paysage, support de remarquables fresques présentant une abondance de détails à la
fois instructifs et divertissants. La malice et l’humour de l’illustrateur ont joué un rôle essentiel dans
l’enthousiasme et la curiosité manifestés par le groupe, instaurant un rythme de lecture très
dynamique et enjoué. On pourra organiser des séances de ce type avec d’autres albums de
Steeve Noon et Anne Millard : Le Nil au fil du temps 272 , Un port au fil du temps 273 . On pensera
pour la mise en réseau à un ouvrage qui traite de l’évolution de l’urbanisme et des modes de
vie : Une rue à travers le temps 274 de Nicholas Harris et Brian Lee.
c. Vivre à la Préhistoire : La grotte sacrée
Il y a 14 000 ans, en Aquitaine, Agda et son amie Olna partent, avec leur Clan, ravitailler
les peintres qui décorent la grotte sacrée pour la cérémonie de la chasse. Album apprécié et
recommandé par les scientifiques, La grotte sacrée 275 d’Olivier Melano est une fiction
principalement axée sur l’image qui aborde différents thèmes de la civilisation magdalénienne
à travers le récit chronologique d’une journée. Les dessins descriptifs et informatifs facilitent la
lecture et la compréhension de certains termes comme « propulseur » ou « sagaie ». Le texte
comporte quelques passages dialogués, instaurant un référent affectif. La complémentarité
textes / images et l’alternance plans d’ensemble / gros plans renseignent les jeunes lecteurs sur
les outils et les gestes techniques, le mode de vie, l’art pariétal, les croyances, la faune et la
flore, ce qui fait de cet album un document riche et original à exploiter.
Nous avons préparé une fiche-découverte sur les Magdaléniens qui présente le cadre
géographique et historique dans lequel se passe le récit (voir Annexe 8). Deux approches ont
suscité envie et curiosité de lire l’album : la découverte de la préface du préhistorien Jean
272 MILLARD Anne, NOON Steve, Le Nil au fil du temps : La fabuleuse histoire de l'Egypte de la source du fleuve au delta, Gallimard
Jeunesse, 2003
273 MILLARD Anne, NOON Steve, Un port au fil du temps : L'histoire d'un site portuaire, depuis le campement préhistorique jusqu'au grand
port industriel d'aujourd'hui, Gallimard Jeunesse, 2006
274 HARRIS Nicholas, LEE Brian, Une rue à travers le temps, « Coup d’œil », Casterman, 2008
275 MELANO Olivier, La grotte sacrée, « Archimède », L’Ecole des loisirs, 1999
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Clottes ; la lecture d’un passage rédigé par Christophe Fourloubey, spécialiste des populations
aquitaines au Magdalénien. Les enfants ont réfléchi au sens et à la valeur de leur collaboration.
Le travail d’appropriation de cet album a nécessité trois séances :
� Les enfants découvrent l’objet-livre, dégagent les principales informations et formulent
des hypothèses de lecture. Ils tentent de donner une définition à l’album. Nil, 8 ans,
propose la réponse la plus satisfaisante : « dans l’album, l’image raconte aussi l’histoire ».
� Après avoir procédé à la lecture collective et à voix haute de l’histoire, les jeux de
lecture permettent de se repérer dans l’album et d’en valider la compréhension : les
participants sont invités à reformuler la trame narrative du récit en identifiant les
séquences qui lui appartiennent ou non. Par discrimination visuelle et identification de
mots, ils explorent la relation texte / image en reconstituant les activités du Clan d’Agda
au cours d’une journée. Ils réfléchissent sur le choix du titre « La grotte sacrée ». Louis
suggère un autre titre : « Une journée chez Agda ».
� Le choix d’un axe de recherche sur le thème « l’Homme et la Nature » permet de
dépasser la narration pour extraire de l’album les informations concernant la faune et la
flore à l’époque des Magdaléniens. Un parcours-test en dix points fait découvrir aux
enfants les rapports entre les hommes et la Nature.
� Activité de communication nécessitant une écoute attentive, la lecture à voix haute est
un rituel bien connu des enfants pour le plaisir qu’il leur apporte : acquérir des
connaissances et partager des émotions. Le groupe a montré un vif intérêt pour cet
album, n’hésitant pas à en interrompre la lecture pour détailler les illustrations ou poser
des questions sur la terminologie des outils préhistoriques. De façon spontanée, ils ont
associé plaisir et apprentissage. La journée d’un enfant au sein de sa tribu, objet de
l’album, n’est certainement pas étranger à leur positive réceptivité. Les travaux relatifs
aux différentes activités sont présentés en Annexe 8. D’autres albums d’Olivier Melano
pourront aussi servir de support pour rencontrer l’Histoire : Escapade à la cour des
miracles 276 , Pompéi a disparu 277 , Un espion chez Gutenberg 278 .
d. Appréhender le mythe d'Ulysse : Argos
La lecture qui aborde des textes patrimoniaux comme les mythes s’accorde
parfaitement bien avec l’axe prioritaire du programme de littérature de Cycle III qui est de
« développer une culture littéraire commune et donner à chaque élève un répertoire de
références appropriées à son âge et puisées dans la littérature de jeunesse » 279 .
276 MELANO Olivier, Escapade à la cour des miracles, « Archimède », L’Ecole des loisirs, 2004
277 MELANO Olivier, Pompéi a disparu, « Archimède », L’Ecole des loisirs, 2007
278 MELANO Olivier, Un espion chez Gutenberg, « Archimède », L’Ecole des loisirs, 2009
279 BOEN hors série no 3 du 19 juin 2008, p. 21, disponible à l’adresse : , page
consultée le 4 janvier 2010
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Argos 280 , l’album de Jean-Pierre Miglioli et d’Anne Buguet, incarne cette ouverture
culturelle et permet de faire partager ce patrimoine commun à des enfants de toutes origines.
D’après L’Odyssée d’Homère (Chant XVII), Argos est le chien d’Ulysse qui, fidèle à son maître, le
reconnut immédiatement après vingt ans d’absence, à son retour de la guerre de Troie.
L’album offre une première approche de l’histoire d’Ulysse à travers la lecture dite
« d’adaptation ». Cet album présente l’originalité de faire découvrir l’histoire d’Ulysse à travers le
regard de son chien « devenu vieux », ancrant la connaissance dans une dimension affective. Il
raconte les souvenirs d’Argos - sa jeunesse avec son maître, le départ de celui-ci, l’attente de
son épouse Pénélope et de leur fils Télémaque, le retour d’Ulysse enfin que lui seul reconnaît, - et
permet de sensibiliser les enfants aux principales étapes du voyage d’Ulysse. Par ailleurs, le choix
de ce livre vise à montrer la richesse des illustrations de certains albums. Les images, très belles et
inventives, s’inspirent des vases grecs par leur style et leur chromatisme, et permettent une
ouverture sur l’art et ses fresques illustrées.
Nous avons organisé cette activité autour de deux axes : la lecture par l’image et la
lecture par le texte.
� L’entrée par l’image permet de rendre plus abordable un texte aux références
culturelles abstraites et méconnues des enfants de Cycle III. Aussi, avant même de
raconter l’histoire, chaque enfant a été invité à reconstituer sous forme de mosaïque
certaines fresques de l’album réalisées sur le modèle des poteries grecques aux
personnages cernés de noir sur fond rouge et ocre. Tous ont reconnu le style grec, mais
seul, un élève de CM2 a su préciser que sa fresque représentait le cheval de Troie. La
finesse du trait, la précision des illustrations et l’harmonie des couleurs permettent d’initier
la lecture par l’image. Les enfants ont observé les différents panneaux : dessins, couleurs,
composition, mise en page. Ils ont pris conscience des fonctions de l’image : illustrer,
donner à voir, éclairer l’action, symboliser, expliquer les mots.
� Durant la lecture de l’album, les enfants ont rencontré certains obstacles d’ordre culturel
et intertextuel : personnages (Ulysse, Patrocle, Hector, Pénélope, Télémaque, Homère),
lieux (Ithaque), événements (guerre de Troie). Mais cela ne les a pas empêchés d’être
sensibles au texte, emprunt de poésie, à la manière d’Homère. Ils n’ont pas hésité à
interrompre la lecture pour poser des questions sur les termes qu’ils ne connaissaient pas :
« mélancolique », « rêverie », « batifolant », « mélopée ». Un élève de CM2 ayant déjà de
nombreuses connaissances sur le sujet, a su anticiper sur le texte et décoder aisément
son intertextualité. Il a motivé le reste du groupe en donnant des éclaircissements sur
certains passages du texte (le chant des sirènes par exemple).
Cette lecture a engendré plus d’un questionnement dans la bouche des enfants. Aussi,
nous avons spontanément décidé de leur faire mettre en commun leurs impressions et de
280 MIGLIOLI Jean-Pierre, BUGUET Anne, Argos, « Lo Païs d’Enfance », Le Rocher Jeunesse, 2007
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éfléchir avec eux à un moyen inventif de conserver une trace écrite des interrogations suscitées
par l’album. Rapidement, s’est imposée à eux l’idée de consigner les questions qu’ils aimeraient
poser sous forme de « lettre à Ulysse » (voir Annexe 9).
La découverte collective d’un thème classique que les enfants retrouveront au cours de
leur scolarité est une pratique reconnue pour donner le goût de lire et favoriser des actions
d’éveil culturel. Cette lecture a nécessité un travail de compréhension et d’interprétation qui a
permis de poser les bases d’un comportement de lecteur « averti » et d’un répertoire littéraire.
Même si l’intertextualité a soulevé des questions, l’album rend accessible un thème destiné aux
collégiens et stimule la créativité en développant des représentations mentales et des symboles.
En effet, l’analyse des mythes renvoie à l’imaginaire, mais aussi au questionnement entre réel et
mythe. Les enfants se sont montrés très sensibles à la beauté du texte et des illustrations, attentifs
aussi à la vieillesse du fidèle Argos. Deux ont été particulièrement émus lors des retrouvailles
entre Ulysse et son chien, et à l’annonce de la mort de ce dernier. Certes, les enfants n’ont pas
tout compris, mais cette lecture a laissé en suspens des émotions.
e. Voyager dans l'Antiquité : Pythéas l'explorateur : de Massalia au cercle
polaire
Invitation au rêve et à l’évasion, le récit de voyage est une thématique qu’on retrouve très
souvent dans les albums pour la jeunesse. En Histoire, les grandes découvertes constituent de
puissants ressorts narratifs, donnant matière à emmener les jeunes lecteurs sur les traces des
explorateurs, à éveiller leur curiosité pour des contrées lointaines.
Si les enfants ont entendu parler des grandes découvertes et de Christophe Colomb, ils ne
savent pas que l’Antiquité comptait aussi ses explorateurs. Le mathématicien et astronome grec
Pythéas est né à Massalia (Marseille) au IV ème siècle. Il convainc les notables de la ville, les
Timouques, de financer son expédition jusqu’au mystérieux pays de Thulé pour y rapporter l’ambre
et l’étain. C’est son expédition que Thibaud Guyon choisit de raconter dans son album Pythéas
l’explorateur : de Massalia au cercle polaire 281 . A travers la trame des événements, il fait revivre
l’histoire maritime, les croyances et la perception du monde à cette époque, mais aussi la peur
des marins et la solitude de Pythéas face à l’aspect visionnaire de son projet. Enrichi par des
aquarelles aux contours précis et harmonieux, le texte prend une valeur symbolique qui entraîne
les enfants dans une lecture « experte ».
Durant la séance n o 1, la lecture de l’album a donné lieu à des échanges oraux pour
éclairer certains passages et sensibiliser les élèves aux illustrations. Un globe terrestre, mis à leur
disposition, a accompagné la lecture et permis de soutenir l’attention des enfants qui ont pu,
ainsi, suivre le périple de Pythéas.
281 GUYON Thibaud, REY Jeanine, BROCHARD Philippe, Pythéas l’explorateur : de Massalia au cercle polaire, « Archimède », L’Ecole des
loisirs, 2001
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� La première de couverture les a intrigués. Si la nationalité de Pythéas est rapidement
supposée, le groupe s’interroge sur « Massalia » et ce « bateau au milieu d’une mer
glacée ». « On ne peut pas savoir à quelle époque l’histoire se passe » dit Aly tandis que
les enfants montrent une déception certaine à ne pas comprendre la relation entre le
dessin et le titre. « On comprendra quand on lira l’histoire » dit Yannis. Ici, l’incitation à lire
est peut-être la plus forte.
� Le personnage de Pythéas apporte des précisions : un enfant confirme qu’il s’agit bien
d’un Grec car « on le reconnaît à sa barbe et ses vêtements ». Son camarade remarque
qu’il s’agit aussi d’un personnage important car « on le voit au milieu de l’agora » et « les
gens écoutent ses paroles ». Cette identification faite, les enfants semblent rassurés et le
pacte de lecture noué.
� Les enfants s’attachent à noter les informations qui les renseignent sur le lieu et l’époque :
Massalia, cité grecque de l’Antiquité, dirigée par les « Timouques » et grand port de
marchandises. Les enfants discernent assez facilement l’opposition entre le monde
méditerranéen et le monde nordique mise en évidence par le texte. Ils apprécient tout
particulièrement l’extrait qui relate la ruse du passage du détroit de nuit. Grâce au globe
terrestre, les deux élèves de CM2 comprennent que les « colonnes d’Héraclès » qui
marquent pour les Grecs les limites du monde « civilisé » sont le nom donné au Détroit de
Gibraltar à cette époque.
La séance n° 2 a porté sur la description du voyage et des phénomènes observés. Nous
avons réparti les enfants en trois groupes, chacun étant responsable d’un aspect de l’album :
� L’exploration maritime : ils notent les préparatifs de l’expédition (Pythéas calcule avec un
« gnomon » la latitude de Marseille et construit son bateau), tracent sur le globe
l’itinéraire de Pythéas au fur et à mesure de sa progression. Le but du voyage est le pays
où se récolte l’ambre.
� L’expédition scientifique : ils recherchent au fil des pages les produits et matériaux
ramenés (ambre, étain, minerais, bétail, objets artisanaux) en tentant d’identifier les
contrées de provenance ; ils notent la description des paysages traversés (falaises, îlots,
détroits), les informations (habitat, coutumes, alimentation) sur les peuples rencontrés
(Celtes, Brittons, Pictes, Goths).
� Mythe et réalité : pourquoi Pythéas a t-il été pris pour un affabulateur ? Les enfants ont
eu beaucoup de mal à repérer les phénomènes rencontrés par Pythéas et qui sont
inexpliqués pour l’époque : la marée, l’aurore boréale (« l’endroit où le soleil disparaît
pendant six mois et où l’été, les nuits sont éclairées »), les geysers et les glaces polaires
(les « poumons de la mer » et les « brumes du bout du monde »). Ils ont pensé à relever les
termes ou expressions relatives aux sensations et aux peurs de l’équipage.
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La lecture de l’album est toujours un moment qui privilégie le contact entre les enfants, le
livre et le médiateur. Même si elle a dû être souvent interrompue pour apporter des explications
ou des précisions, l’attrait des lecteurs pour le voyage en a fait un support motivant. De plus, la
complémentarité texte-images a ajouté à cet album une valeur symbolique que notre jeune
public a appréciée. Cette fois, le travail de restitution a été proposé sous une forme originale en
glissant dans une bouteille en verre, un message de Pythéas à décrypter par des enfants… très
surpris (voir Annexe 10).
III.1.2 Histoire d'en lire
« Pas d’Histoire sans histoires, sans hommes ni sans sociétés » écrit Thierry Prieur 282 . Il
explique que le récit historique oblige à construire un « arrière-plan informatif » et à travailler la
« notion de personnage ». Il ajoute également que « les textes produits acquièrent ainsi non
seulement une dynamique narrative mais surtout des enjeux réels qui les rendent souvent
passionnants. Les élèves s'aperçoivent qu'on écrit pour convaincre ou persuader, pour
« changer » le lecteur et le faire réfléchir. L'Histoire devient bien, à travers la fiction certes, ce qui
permet d'interroger le monde contemporain ».
a. Le roman historique
La lecture de romans historiques permet d’accéder au plaisir de lire et de sensibiliser
l’enfant à l’Histoire. « Lire les écrits historiques aide à faire aimer l'Histoire, à en ouvrir l'accès à un
plus grand nombre d'enfants » rappelle à juste titre Michel Peltier 283 . Cette pratique est de plus
en plus encouragée et expérimentée dans les classes car elle est reconnue pour apporter une
mise à distance tout en permettant un approfondissement propice à susciter l’intérêt des
jeunes. Misant sur l’identification du lecteur, leurs récits permettent aussi de rendre plus
accessibles certains points historiques. Mais lire le roman historique à l’école s’inscrit plus souvent
dans une démarche d’écriture que proprement historique : l’Histoire est souvent le point de
départ choisi par l’enseignant pour initier un projet de lecture et d’écriture. Nos activités tendent
à adopter le processus inverse : c’est la lecture qui va permettre de susciter un intérêt pour
l’Histoire chez l’enfant et lui apporter les bases d’une première culture dans ce domaine.
b. Une collection, une époque, un roman : L’Histoire comme un roman
Avec une quinzaine de titres, la collection « L’Histoire comme un roman » éditée chez
Gulf Stream propose « à travers des héros imaginaires, des romans d’aventure qui se déploient
dans un passé rigoureusement restitué, pour faire vivre l’Histoire ». Nous avons choisi d’introduire
nos séances sur le roman historique en présentant quatre titres d’Anie et Michel Politzer, publiés
dans cette collection en 2006 : Wakor, le chasseur des Falaises Blanches, Harald le Viking, Bison-
282 PRIEUR Thierry, « Le roman historique : un genre didactique », disponible à l’adresse :
, page consultée le 15 mars 2010
283 PELTIER Michel, op. cit., p. 15
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Noir, l’indien des plaines et Robin des Bois. Chaque roman fait découvrir un milieu, une époque
et propose un héros auquel le lecteur peut s’identifier. Cette séance visait à aborder avec les
enfants la notion de collection et les différents points qui la caractérisent en vue de créer une
attente de lecture.
� Les enfants manipulent et observent les ouvrages pour comparer et repérer « ce qui se
ressemble » ou au contraire « ce qui se différencie ». « Les livres ont le même format »
annonce un élève, mettant les autres sur la piste. Avant même de s’apercevoir que
l’auteur, l’éditeur, la collection et la typographie sont identiques, ils remarquent que les
illustrations des premières de couverture s’agencent de la même façon, mais
comportent une couleur différente selon le titre. Deux élèves sont responsables de
consigner dans un tableau les résultats de leurs camarades au fur et à mesure de
l’investigation (voir Annexe 11).
� Ils échangent sur les titres afin de faire émerger le genre. Chaque titre se réfère à un
personnage : trois sont fictifs (Wakor, Harald, Bison-Noir), l’un est légendaire (Robin des
Bois). Nous leur rappelons le titre de la collection : « L’Histoire comme un roman ».
Certains termes évoquent une époque : « Robin des Bois » et « viking » sont associés au
Moyen Âge ; « chasseur » et « indien » sont flous. Ils relèvent des noms de lieux : « falaises
blanches » et « plaines », mais « ils ne nous apprennent rien » dit Yannis. Ce sont les dessins
des premières de couverture qui les orientent sur le genre historique : vêtements,
château, arc, flèches (Robin des Bois), drakkar, vêtements, épée (Harald le Viking) ; par
contre, les illustrations de Wakor et Bison-Noir ne sont pas explicites et leur rappellent
plutôt les histoires d’indiens. Les résumés des quatrièmes de couverture confirment leurs
impressions en fournissant des renseignements complémentaires.
� Leur attention est attirée sur les éléments de la mise en page à l’intérieur des livres,
notamment les dessins imprimés sépia de l’illustrateur qui donnent une touche artistique
réussie. Ce travail d’observation qui nécessite de feuilleter les pages à la recherche
d’indices permet une première appropriation des livres. Le groupe constate qu’au début
de chaque ouvrage, il y a « une carte des endroits » et « une présentation des
personnages » de l’histoire. En quoi ces documents nous renseignent-ils sur le caractère
historique du récit ? Sur la carte de présentation de Wakor, Ibrahim reconnaît la Grotte
de la Madeleine et la Vézère que nous avions évoquées lors de la lecture de La grotte
sacrée. Le groupe se met alors à observer la carte et y découvre des termes relatifs à la
Préhistoire : « grotte », « Lascaux », « mammouths ». Pour Harald, le Viking, ce sont les
noms des personnages qui évoquent l’Histoire : « Knut », Thorkel », « Brunehilde ». « Leurs
coiffes et leurs casques montrent aussi que ce sont des vikings » affirme Louis.
Découvrir une collection relève bien d’une activité d’apprentissage vers la lecture. Les
élèves préparent le pacte de lecture en prélevant des informations, en procédant à des
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ecoupements, en mettant en lumière l’aspect identitaire de plusieurs livres entre eux. Ici, les
titres d’un même auteur et illustrateur ont permis une réflexion plus approfondie pour approcher
leur « style ». Le travail de restitution a porté sur les repères visuels qui caractérisent cette
collection et rendent possible la prise d’indices d’historicité (voir Annexe 11).
c. Le « petit observatoire » du roman historique
La lecture comparée de titres, d’événements ou de caractéristiques historiques est aussi
une manière de faciliter l’assimilation et la mise en mémoire tout en stimulant la réflexion critique
sur les différents points de vue.
(i) Sensibiliser les enfants aux romans historiques
� La découverte de l’objet-livre : sur une table sont exposés douze romans, de genres
différents. Le groupe a pour mission d’en extraire les « romans historiques », tâche réalisée
avec aisance grâce aux titres et aux illustrations des premières de couverture ; puis, pour
chaque roman trouvé, ils doivent donner le titre, l’auteur, le personnage principal, la
période et le lieu. Ils savent que les quatrièmes de couverture apportent en général ce
type d’informations. C’est une activité qu’ils réussissent bien et de façon autonome à
l’exception des élèves de CE2 qu’il faut encore guider :
TITRES AUTEURS PERSONNAGES PERIODES HISTORIQUES LIEUX
Dans les cheminées de Paris 284
Papyrus, le triomphe de Bastet 285
Marie-Christine
Helgerson
Evelyne Brisou-
Pellen
Le voleur de soie 286 Odile Weulersse
Le pionnier du nouveau monde 287 Michel Piquemal
Deux graines de cacao 288
Le faucon déniché 289
Benoît 1789 Paris
Papyrus et Théti Egypte ancienne Egypte
Théodore et
Olybrius
Jacques
Baudrier
Evelyne Brisou-
Pellen Julien 1819
Jean-Cômes
Noguès
An VI av. J.-C. Constantinople
1657 Canada
Bretagne /
Haïti
Martin Moyen Âge France
� Le contrat de lecture : après avoir pris soin d’en ôter le titre, plusieurs extraits de chaque
ouvrage sont distribués avec pour mission de retrouver leur livre source. Les critères
énoncés nous font remarquer que les élèves mènent à bien cette opération par la
simple recherche des noms de personnes, faisant office de points de repères pour eux.
C’est pourquoi nous avons pensé à leur glisser des extraits qui n’en comportent pas afin
d’approfondir leur lecture fine. Ils s’attachent alors à faire des recoupements intéressants
284 HELGERSON Marie-Christine, Dans les cheminées de Paris, « Castor Poche », Flammarion, 1999
285 BRISOU-PELLEN Evelyne, Papyrus, le triomphe de Bastet, « Cinéma », Pocket, 1998
286 WEULERSSE Odile, Le voleur de soie, « Le Livre de Poche Jeunesse », Livre de Poche Jeunesse, 2008
287 PIQUEMAL Michel, Le pionnier du nouveau monde, « Milan Poche Junior », Milan, 1999
288 BRISOU-PELLEN Evelyne, Deux graines de cacao, « Le Livre de Poche », Hachette Jeunesse, 2002
289 NOGUÈS Jean-Cômes, Le faucon déniché, « Jeunesse », Hachette Jeunesse, 1998
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en relevant des dates, des noms de lieux (« Nouveau monde », « Constantinople »), des
thèmes qui se réfèrent aux titres, aux illustrations ou aux résumés des quatrièmes de
couverture (« adoption », « violon », « tisserand de soie », « faucon », « ramoneur »,
« cheminée », « déesse », « pharaon »).
D’une manière générale, ils montrent beaucoup de difficultés à organiser leur lecture, ne
prenant pas le temps de lire leurs extraits et voulant trouver tout de suite les réponses.
Finalement, ce sont les deux élèves de CE2 qui nous donnent le plus de satisfaction en adoptant
un comportement de lecteur « positif ». Ce n’est pas paradoxal : comme elles ne lisent pas
encore avec aisance, elles sont beaucoup plus attentives à essayer de comprendre pour
repérer l’information recherchée.
(ii) Le journal fictif : Pendant la guerre de Cent Ans - Journal de Jeanne Letourneur
1418
« C’est le journal intime de Jeanne Letourneur qui raconte la guerre de Cent Ans »
s’exclame Eloi en reconnaissant le livre qu’il a déjà lu. Ecrit par Brigitte Coppin, Le journal de
Jeanne Letourneur 1418 290 offre, en effet, un parcours de lecture intéressant : le récit personnel
de l’héroïne se mêle à l’événement historique ; la qualité des descriptions permet de mettre en
lumière plusieurs aspects de la vie au XV ème siècle. La présentation du livre se rapproche de
celui du journal intime avec un effet coupe-papier sur la tranche. Mais le temps imparti étant
limité, il était difficile d’entrer dans des séances de lecture suivie. De plus, nous avions déjà
constaté avec l’album que les enfants avaient tendance à se lasser au-delà de deux séances
sur un même ouvrage. Aussi, avons-nous opté pour la lecture d’extraits. Nous avons proposé aux
enfants de lire l’incipit et d’en découvrir les fonctions, suivi d’un jeu autour de quelques extraits
sous forme d’indices à trouver.
� Les enfants sont invités à lire l’incipit du journal avec pour consigne de vérifier
l’affirmation d’Eloi en justifiant leurs réponses par des passages du texte :
« C’est un journal intime »
« 23ème jour de mars ».
« je trace les mots ».
« j’ai besoin de poser sur le papier tout ce que je ne
peux plus dire à personne ».
« nous sommes à présent en l’an 1418 après la
naissance du Christ ».
« C’est la guerre »
« les troupes du roi d’Angleterre s’emparent peu à
peu de la Normandie ».
« ces brutes de soldats anglais pillent les maisons ».
« la guerre du roi d’Angleterre contre le roi de France
avait déjà commencé quand elle était petite ».
« à présent que la guerre est revenue ».
Nous les encourageons à poursuivre leur investigation pour rechercher d’autres indices
qui les renseignent sur la situation initiale. La plupart des enfants ont beaucoup de mal à
oser chercher l’information dans le texte et se contentent de le « survoler ». Afin de les
290 COPPIN Brigitte, Pendant la guerre de Cent Ans - Journal de Jeanne Letourneur 1418, « Mon Histoire », Gallimard, 2005
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motiver, nous divisons le groupe en deux équipes. Celle qui ramènera le plus d’indices
aura gagné. Ils s’orientent alors sur le personnage de Jeanne :
Informations trouvées par l’équipe A
Elle n’est pas avec ses parents qui l’ont obligée à
partir.
Elle a peur et a envie de pleurer.
Elle sait écrire.
Son père est drapier à Louviers.
Ses parents s’appellent Thomas et Marie Letourneur.
Elle a 14 ans.
Informations trouvées par l’équipe B
Elle a voyagé sur la charrette des voisins et arrive dans
une maison qu’elle ne connaît pas.
Elle a dû quitter Louviers car les Anglais arrivent mais
ses parents y sont restés.
Le maître de maison est surpris parce qu’elle sait lire et
écrire.
Ses parents tiennent une boutique.
L’héroïne est née le jour de la Saint-Martin.
Ces informations consignées, nous décidons de leur mise en commun en improvisant une
présentation collective de notre héroïne : chaque élève s’exprime à tour de rôle en
reprenant les différents éléments trouvés. Celui qui hésite trop longtemps ou donne une
fausse information est « éliminé » du jeu.
� Afin de dynamiser nos lecteurs, nous proposons lors de la séance suivante un jeu autour
de plusieurs extraits du livre : les deux équipes reçoivent chacune un corpus différent de
textes. Après lecture, chaque équipe est chargée de relever dix indices de lieu, de
temps ou d’historicité, sachant que l’équipe adverse, après échange et lecture de
corpus, devra indiquer si ces indices sont justes ou faux. La tournure ludique et
compétitive motive les enfants qui se mettent à lire consciencieusement à la recherche
d’indices présumés « introuvables » :
Indices
« le 26 mars est le jour de Pâques ».
« Jeanne demande au porteur d’eau de
l’emmener à Paris ».
« La servante Nicolette dort dans la cuisine ».
« Dame Emeline gronde Jeanne car elle se
lave ».
« Pendant le Carême, on mange du pâté ».
« On soigne les voyageurs à l’Hôtel-Dieu ».
« Le vendredi saint, Jeanne doit plier le linge ».
Vrai ou Faux ?
Faux
Faux
Vrai
Vrai
Faux
Vrai
Faux
C’est le 27 mars.
Réponses
C’est le livreur de bois.
Dans l’alcôve de la cuisine.
Jeanne n’a pas le droit de se laver
comme elle le voudrait.
On mange du hareng salé et du
pain sans beurre.
Elle passe la journée dans l’église.
Ces quelques exemples proposés montrent que les enfants se sont attachés à puiser leurs
indices dans les différents aspects de la vie quotidienne de l’héroïne et dans les repères
temporels, et non dans le contexte historique qu’ils n’ont probablement pu saisir ou
apprécier du fait de leur jeune âge. A la fin, tous les extraits ont été mis en commun et
classés suivant leur ordre chronologique en fonction du jour daté.
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Ces deux animations sur le roman historique nous ont fait prendre conscience d’un
certain nombre de points. D’abord, elles mettent en exergue l’importance accordée au choix
des ouvrages qui doit prendre en compte les différents niveaux de lecture : au Cycle III, y
compris au CM2, des difficultés de compréhension continuent de se poser, freinant souvent la
lecture autonome. Le roman historique est délicat à lire par les connaissances qu’il nécessite
pour saisir le sens d’un contexte et le vocabulaire qui lui est associé. Ensuite, la lecture des
extraits de romans historiques dans le cadre d’une initiative comme la nôtre ne suscite pas
réellement l’enthousiasme des enfants. En effet, il est important pour eux qu’il y ait un fil narratif,
a fortiori lorsqu’il s’agit d’Histoire. La recherche des indices d’historicité dans des extraits prend
difficilement en compte la cohérence du récit, essentielle à sa compréhension. Elle a semblé
contraignante aux enfants après la lecture très plébiscitée de l’album, pas forcément plus facile
d’accès, mais offrant la possibilité d’une lecture intégrale qui donne accès au sens. « On
confond magie des rapports affectifs et formation, et l’on néglige l’importance du plaisir cognitif
dans la lecture » explique Catherine Tauveron 291 . Si la lecture d’extraits prend tout son intérêt à
la BCD, en prévision d’un emprunt ou d’une mise en valeur, le roman historique trouve sa place
dans la lecture cursive et l’on penchera plus en faveur d’une sélection avec attribution d’un prix
pour susciter l’intérêt des enfants. La lecture d’un livre comme Le Journal de Jeanne Letourneur
relève à la fois d’une démarche interprétative et interactive, s’appuyant sur des indices textuels
et des connaissances historiques. C’est pourquoi ce livre est vivement recommandé pour un
projet de lecture suivie en classe et en BCD. Côté littéraire, il permet de travailler « l’histoire
racontée » : le journal intime et le carnet de voyage. Le « point de vue » peut être aussi étudié :
l’héroïne issue d’un milieu privilégié est un témoin direct de la guerre de Cent Ans. Le journal
fictif apprend à différencier fiction et réalité : relever les événements historiques abordés permet
de faire prendre conscience aux enfants que ceux-ci ont réellement existé et que la rédaction
de ce type d’ouvrage s’appuie sur des documents authentiques et des recherches de leurs
auteurs sur la période explorée. Un travail documentaire pourra être alors mené à la BCD sur la
guerre de Cent Ans et les conditions de vie qui y sont liées afin d’étudier le « contexte évoqué ».
III.2 La lecture et la recherche documentaire
Le livre documentaire propose des textes qui apportent des informations visant à
accroître les connaissances du lecteur. Former les élèves à la pratique documentaire est l’une
des tâches principales de la bibliothécaire et ce, d’autant plus que la compréhension des
textes et le traitement des informations posent encore souvent problème en fin de Cycle III.
291 TAUVERON Catherine, « Comprendre et interpréter le littéraire à l’école : du texte réticent au texte proliférant », in Repères, n° 19, 1999,
Paris, INRP, pp. 9-38, disponible à l’adresse :
, page consultée le 15 juillet 2010
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III.2.1 La notion de documentaire
Il est possible d’aborder la notion de documentaire en entrant dans l’Histoire par la
découverte de l’objet-livre. Ainsi, la Préhistoire nous a servi de support pour apprendre aux
enfants à différencier fictions et documentaires, et distinguer les différentes fonctions des
premières et quatrièmes de couverture. La séance qui suit visait à leur faire repérer les éléments
constitutifs d’un support, à leur apprendre à anticiper sur le contenu du livre en utilisant des
indices externes (couvertures, illustrations) et à mettre en relation un ensemble de points de
repères pour pouvoir choisir un livre en toute autonomie.
a. Entrer dans l’Histoire par la découverte de l’objet-livre
De par le milieu naturel dans lequel ils évoluent et la particularité de leur mode de vie, les
premiers hommes fascinent les enfants. L’édition pour la jeunesse offre dans ce domaine un
vaste choix en matière de support. Qu’elles présentent plusieurs repères iconographiques sur
une période ou privilégient un thème bien particulier, les premières de couverture aiguisent leur
curiosité et nourrissent leur imaginaire. L’activité a porté sur l’étude des premières et quatrièmes
de couverture de huit documents ayant pour objet « les premiers hommes » : 5 documentaires,
1 fiction historique, 1 album, 1 magazine :
- G. SOBERSKI, Les occupations des hommes dans l’antiquité, « Rencontrer l’Histoire », Epigones, 1986 (source
BCD)
- Collectif, Les premiers hommes, « Les yeux de la découverte », Gallimard, 1989 (source CDI)
- J-L. DEJEAN, Le premier chien, « Le Livre de Poche Jeunesse », Hachette Jeunesse, 1995 (source BCD)
- E. BEAUMONT, L’imagerie des dinosaures et de la préhistoire, Fleurus Enfants, 1997 (source CFCC)
- H. de SAINT-BLANQUAT & V. AGEORGES, Lascaux et son temps, « Repères/Histoire », Casterman, 1999 (source
BCD)
- S. et P. MACHU / G. SALES, Goumbi, un enfant au temps de la pierre polie, « Bande dessinée », Msm, 1999
(source CFCC)
- P. CHAIROPOULOS & C. DELPAS, Le sacre de l’Homme - La naissance des civilisations expliquée aux enfants,
Flammarion, 2007 (source CDI)
- Arkéo Junior, no 166, septembre 2009 (source CDI)
Pour la séance n° 1, nous avons prévu une photocopie couleur des premières de
couverture sans leur titre, des photocopies en noir et blanc des quatrièmes de couverture et les
étiquettes des titres. Les enfants ont mis en place la séance en reconstituant les tangrams des
premières de couverture (sans le titre), auxquelles ils ont associé ensuite les quatrièmes de
couverture.
� Ils décrivent les premières de couverture reconstituées (que représente l’illustration ?, de
quel type d’illustration s’agit-il ? (photo/dessin), quelle place occupe t-elle ?) puis
localisent les informations (auteurs/illustrateurs, maison d’édition/collection). Un élève
remarque que les noms des auteurs et des illustrateurs n’apparaissent pas toujours sur la
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couverture. Pour chaque indice repéré, les enfants attribuent une gommette de couleur
autocollante qu’ils positionnent (collection en orange, éditeur en bleu, auteur en vert,
illustrateur en jaune). Ils émettent des hypothèses de lecture et essayent de définir les
intentions des auteurs en réfléchissant aux titres possibles.
� Ils répertorient les informations communes aux premières de couverture et mettent en
évidence ce que la quatrième de couverture apporte de nouveau (tranche d’âge,
genre, code ISBN, présentation du livre). En cherchant les mots-clés, ils tirent des
informations relatives au contenu des livres et prennent conscience que le texte a
plusieurs fonctions : résumé, extrait, commentaire. Ils confirment leurs premières
hypothèses de lecture ou en émettent de nouvelles.
� En essayant de trouver le rapport le plus évident entre premières, quatrièmes de
couverture et les vrais titres proposés, ils tentent de retrouver le titre exact pour chaque
support. Ils se rendent compte que la signification du titre est renforcée par les éléments
d’illustration. Chaque enfant choisit alors la couverture qui lui plaît en formulant de façon
spontanée son choix et remplit la fiche descriptive préparée à cet effet (voir Annexe 12).
La séance n° 2 est consacrée à la recherche du support « qui permet d’apporter une
réponse à une demande ». Désormais en possession de toutes les informations, les enfants
peuvent comparer les différents supports en vue de les classer : livre documentaire, fiction
historique, magazine. Ils repèrent les formats types et les spécificités de chaque support :
documentaires (« les livres qui nous apprennent des choses ») / fictions (« les livres qui nous
racontent des histoires »). Devant l’aisance des enfants, nous poussons l’investigation plus loin en
les faisant réfléchir sur la pertinence historique des illustrations : quelles représentations
reviennent le plus souvent ?, comment les éléments sont-ils présentés et mis en valeur ?, est-il
possible de les situer de façon précise dans la Préhistoire ? Sous la houlette des CM2, le groupe
dégage les thèmes et les deux périodes de la Préhistoire auxquels ils s’apparentent :
PALEOLITHIQUE NEOLITHIQUE
Cro-magnon - armes - outils (silex) - artisanat -
découverte du feu - art pariétal (Lascaux)
élevage - agriculture - domestication du chien -
premières villes
Un récapitulatif « savoir identifier le support pour chercher une information » leur est
proposé sous forme d’une fiche-devinettes : à partir des indices donnés sur les huit couvertures
étudiées, ils doivent retrouver de quel ouvrage il s’agit (voir Annexe 12).
Cette activité, qui a suivi la lecture d’Une ville au fil du temps, nous a permis de faire
entrer les enfants à la fois dans le Livre et dans l’Histoire. Le choix d’une approche ludique sous
forme de tangrams et l’utilisation de gommettes de couleur ont amusé les enfants et fait la
réussite d’une séance qui, au départ, avait tout de « fastidieux ». En apprenant à maîtriser le
vocabulaire approprié, les enfants ont pris conscience de l’intérêt qu’il y a à rassembler des
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informations sur un livre avant d’en entamer la lecture : première et quatrième de couverture
forment un tout indissociable, titre et illustrations ont une fonction d’information concernant le
sujet et le genre du livre. Cette démarche a éveillé la curiosité des jeunes lecteurs tout en
construisant un horizon d’attente. Ce savoir-faire favorise leur comportement de lecteur, leur
permettant de mieux choisir leurs livres et d’entrer, de façon pertinente, dans la lecture.
Suite à ces deux séances, les enfants ont émis le souhait de « créer leur première de
couverture sur le thème historique de leur choix ». A chacun donc la liberté de s’exprimer tout
en veillant à bien faire figurer l’auteur (et l’illustrateur), le titre, la collection et la maison
d’édition.
CE2 (filles) CM1 (garçons) CM2 (garçons)
2 x Les hommes préhistoriques 2 x La seconde guerre mondiale
1 x Les dinosaures
1 x Les Romains
2 x Les hommes préhistoriques
Si les enfants n’ont pas réellement fait preuve d’imagination au niveau des thèmes
sélectionnés, ils se sont beaucoup investis et ont donné leurs propres noms aux maisons d’édition
et aux collections : « Balou », « Kikalu ? », « Dinosaurus », « Chez Cro-mignon » (voir Annexe 12).
b. Quand l’objet-livre rencontre l’Histoire : « c’est historique ! »
Tout au long de leur scolarité, les élèves seront invités à consulter des livres
documentaires pour effectuer leurs recherches. Pour les y préparer, les bibliothécaires créent
toutes sortes d’animations autour de ce support : présentation, structure, caractéristiques. Aussi,
avant de lancer nos jeunes lecteurs dans la pratique documentaire, nous avons mis en place
une séance d’observation d’une douzaine d’ouvrages avec pour objectif principal de les
familiariser avec le documentaire historique, d’en comprendre l’organisation et la composition.
Pour ce faire, nous avons mis à leur disposition des ouvrages sur des époques et des thèmes
historiques variés, et nous leur avons demandé d’en sélectionner un en sachant justifier leur
choix, tâche qu’ils ont pris très à cœur en retournant les livres dans tous les sens : « j’ai choisi ce
livre parce qu’il est bien illustré et car ça ressemble à une bande dessinée » 292 , « j’aime le titre et
j’aime les pharaons » 293 ou encore « il est bien illustré et on apprend beaucoup de choses » 294 .
Qu’ils soient sensibles au titre, au thème ou aux illustrations, tous ont laissé de côté les
documentaires datant de plus de quinze ans que nous avions glissés dans la pile. Leur choix fait,
nous leur avons distribué une fiche d’exploration à remplir afin de faire apparaître les spécificités
propres à leur documentaire (voir Annexe 13). Prise d’indices, travail d’enquête et formulation
d’hypothèses sont nécessaires pour relever les indications et particularités des premières et
quatrièmes de couverture, se repérer dans le document et savoir différencier la terminologie
(table des matières, sommaire, index ou glossaire) et accéder au sens pour faire émerger le
292 Louis a choisi « Au temps des Gaulois » de Robert Barborini et Stéphane Frattini (« Au temps des », Milan Jeunesse, 2003)
293 Karim a choisi « Pas facile d’être une momie égyptienne » de David Stewart (« L’Histoire au quotidien », Nathan, 2002)
294 Nil a choisi « Les châteaux forts » de Michèle Longour (« Kididoc », Nathan, 2000)
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thème principal et les sujets secondaires. Lors de cette activité, ils n’ont pas hésité à se montrer
méticuleux dans leur manipulation pour s’approprier le livre ainsi que dans la description de leurs
observations, n’oubliant pas de mentionner le prix du livre, le code-barres, le logo de la
collection, des phrases à caractère publicitaire, des « tirettes à actionner ». S’en est suivie une
présentation orale de chaque enfant devant le groupe.
Afin de conclure par une situation de jeu, nous avons proposé à chaque participant de
localiser trois indices dans son documentaire en prévision d’une mise en commun sous forme
d’échange : le camarade voisin devait explorer le documentaire pour retrouver les indices.
Cette séquence a bien sûr enthousiasmé l’ensemble du groupe. Aly, lecteur de L’Egypte
ancienne 295 a demandé à Karim : « qu’offre le soleil à la Terre ? » ; Eloi, lecteur de Pompéi 296 a
demandé à Nour : « à quelle date le Vésuve a-t-il fait éruption ? » ou « qu’est-ce tu vois sur l’arc
de Caligula ? ». D’autres enfants ont eu l’idée de faire porter leurs indices sur les images :
« compte combien de bols il y a sur la table en bois qui n’a pas de nappe » a demandé Nil à
Ibrahim tandis que Yannis peinait à retrouver l’emplacement du « pilon » dans le village gaulois.
Pris par le jeu, les enfants ont poursuivi la séance au-delà du temps qui leur était imparti,
preuve qu’ils ont pris plaisir à ce genre d’animation tout en acquérant des compétences
documentaires : repérage dans le contenu, utilisation des tables des matières et des index,
description de la mise en page et première utilisation d’un vocabulaire historique précis. « C’est
historique ! » se sont-ils exclamés à chaque fois qu’un indice était trouvé.
III.2.2 De la pratique documentaire
La production des documentaires jeunesse sur l’Histoire est abondante. Elle intègre
souvent les dernières connaissances acquises, mises en valeur grâce aux nouvelles technologies
en matière de production d’images. De par leurs entrées multiples, ces ouvrages élargissent et
diversifient les supports d’apprentissage en matière d’initiation à la lecture et à la recherche
documentaire, et conduisent progressivement les enfants vers des pratiques autonomes.
a. S'approprier les outils documentaires : Le jardin médiéval
Tout en sollicitant chez eux leur imaginaire et leur créativité, l’Histoire amène les enfants à
analyser des documents, à adopter un raisonnement comparatif et à en dégager des principes
d’intelligibilité. Le goût des enfants pour le Moyen Âge et leur intérêt pour la nature et le
jardinage nous ont donné envie de leur faire découvrir ce superbe documentaire : Le jardin
médiéval de Vinciane Blanc et Elisabeth Piquet 297 . Richement illustré, il vise d’une part à les
sensibiliser au documentaire à fonction « artistique » et d’autre part aux « jardins médiévaux » et
à « la vie paysanne » de cette époque. De par sa forme et son fond, ce livre se prête
295 BAUSSIER Sylvie, BESNIER Yves, L’Egypte ancienne, « Regard Junior », Mango, 2002
296 HARRIS Nicholas, PETER Dennis, Pompéi, « Albums Quelle Histoire », Casterman, 2001
297 BLANC Vinciane, PIQUET Elisabeth, Le jardin médiéval, « Pouce vert », Le Sablier Jeunesse, 2008
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parfaitement aux activités de tri, classement, hiérarchisation qui sont à la base de toute
démarche de recherche documentaire. Les enfants se sont livrés à une lecture sélective afin de
pouvoir identifier les catégories de plantes qui poussaient dans les différents jardins et l’usage
qui en était fait.
� La séance n° 1 concerne l’appropriation de l’objet-livre. Les enfants doivent réfléchir à la
façon dont l’ouvrage s’organise en vue d’en extraire le maximum d’informations sur les
plantes médiévales et les endroits où elles poussent. Parce qu’au-delà de son caractère
esthétique, l’ouvrage a surtout une fonction descriptive très détaillée, les enfants ont, au
départ, eu du mal à saisir et identifier l’objet de leur recherche. En effet, « le jardin
médiéval » présente diverses entrées possibles : par le lieu (jardin seigneurial, courtil,
herbularium, jardin-verger, marché aux herbes), par une catégorie de plantes
(magiques, secrètes, médicinales, aromatiques), mais aussi par la saison (temps des
moissons, automne) ou par activité (collecte du bois, pique-nique en forêt). Même les
enfants de CM2 éprouvent des difficultés à se repérer car la lecture de ce documentaire
nécessite une approche fine et une méthode de travail qu’ils ne possèdent pas toujours.
Nous décidons de les aider et quelques pistes commencent à émerger : « il y a des
plantes qui guérissent », « il y a le jardin seigneurial avec des plantes pour faire joli », « il y
a des plantes qui sont utilisées pour la cuisine », « il y a des plantes qui ont des pouvoirs
magiques ». Nous les incitons à utiliser les outils du livre (lexique, glossaire), repérer les
chapitres et passages intéressants pour relever les plantes, le « jardin » où elles poussent,
l’endroit où elles sont vendues (marché aux herbes) ou préparées (herbularium).
� La séance n° 2 est consacrée à localiser, comprendre et classer de façon pertinente les
informations que nous livre le texte. Les enfants sélectionnent, collectent, trient,
organisent les données : des familles de plantes apparaissent sous forme de grands
panneaux affichés que chaque enfant vient compléter au fur et à mesure qu’il trouve
une information. Ils s’interrogent aussi car certaines plantes entrent dans plusieurs
catégories à la fois. Afin de les guider dans leur tâche, nous avons mis à leur disposition
un autre documentaire, La beauté par les plantes 298 , lequel représente les plantes et
leurs différentes utilisations. Sept catégories de plantes sont finalement trouvées : nous
suggérons aux enfants de consigner les résultats de leur classement en un jeu des
7 familles des plantes médiévales (voir Annexe 14).
S’il a permis d’initier les enfants à la recherche documentaire, ce superbe ouvrage n’a
pas reçu l’intérêt souhaité. Nous pensons que les enfants étaient trop jeunes pour en apprécier
la véritable valeur. Ils ont eu beaucoup de mal à mener à bien l’activité car le documentaire
apportait des informations détaillées dans un cadre très « technique » et finalement trop
« décontextualisé » du Moyen Âge habituel. De plus, au cours de cette activité, les enfants ont
298 STARY Frantisek, La beauté par les plantes, Gründ, 1984
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été confrontés à des difficultés de compréhension de certains termes, mais surtout
d’organisation et de synthèse. L’approche de ce livre a été intéressante, mais difficile du fait de
ses entrées multiples. Néanmoins, les enfants garderont de ces séances un « goût de l’effort
récompensé » à travers le très beau jeu de cartes qu’ils ont réalisé et la fierté de pouvoir y jouer
dans leurs classes respectives.
b. Se documenter et élargir son regard : La vie des écoliers au temps de Jules
Ferry
« La photographie accompagne l'enfant dès son plus jeune âge. Familière, elle n'en est
pas moins un art visuel à part entière avec ses codes et son langage propre. Elle est une
éducation du regard mais aussi un acte de création : prendre le temps de choisir son sujet, son
cadrage, s'approprier et imaginer l'espace. L'introduction d'une « poétique de l'image » à
l'école est source d'imaginaire, de plaisir, d'étrangeté et de transmission » 299 . La photographie
parle aussi d’Histoire et c’est ce que nous avons souhaité faire prendre conscience aux enfants
à travers deux séances qui associent un travail documentaire à un domaine qu’ils connaissent
bien : l’école. La découverte d’un monde nouveau suscite la curiosité, mais explorer un univers
familier provoque aussi chez les enfants excitation et intérêt. L’ouvrage documentaire La vie des
écoliers au temps de Jules Ferry 300 se prêtait parfaitement à nos objectifs : décrire la
photographie choisie, éventuellement se questionner, rechercher l’information dans le texte et
la restituer sous forme de reformulation écrite (tapée à l’ordinateur).
� L’observation des photos et des illustrations a fait naître une curiosité chez nos jeunes
historiens qui ont pris un réel plaisir à les regarder : « les élèves portent un uniforme », « ils
écrivent avec une plume », « il y a des images d’animaux accrochés au mur », « ils sont
nombreux et serrés mais ils sont sages », « la maîtresse a l’air jeune ». Nous en profitons
pour les faire réfléchir sur les différentes illustrations que comporte ce documentaire
(photographies, gravures, peintures, dessins, affiches) et leur fonction (décorative,
descriptive, informative, propagande). Certaines photos sont source de
questionnement : « qui est Jules Ferry ? est-ce que c’est un enfant de la classe ? », « à
quelle époque sont-ils ? », « est-ce que tous les enfants allaient à l’école ? », « qu’est-ce
qu’ils apprenaient en classe ? », « pourquoi certains enfants sont-ils rasés ? », « qu’est-ce
qu’ils avaient ou utilisaient à l’école et que nous n’avons plus ou que nous utilisons
encore de nos jours ? ».
� Nous les invitons alors à aller chercher les informations dans le texte en leur conseillant
d’utiliser le sommaire pour repérer les chapitres susceptibles d’apporter les réponses à
leurs questions. La difficulté réside toujours dans la conduite du travail, d’où la nécessité
299 Extrait du Plan pour les arts et la culture à l'école - MEN (2001), disponible à l’adresse :
, page consultée le 3 juillet 2010
300 BRISSON Dominique, La vie des écoliers au temps de Jules Ferry, « La vie des enfants », Le Sorbier, 2001
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de leur faire acquérir organisation et méthode. Par exemple, nous leur avons expliqué
l’importance de la prise de notes et du relevé des numéros de pages. Comme à chaque
séance, il y a un travail d’apprentissage systématique à faire pour les mener au résultat
souhaité. Or, il faut veiller à l’intégrer de manière harmonieuse au parcours de lecture
pour conserver leur intérêt.
� « La photographie peut aussi bien déclencher un travail d'écriture ou de mémoire
qu'accompagner une réflexion sur l'identité, l'environnement, la citoyenneté. Les photos
accompagnent ou motivent tous les apprentissages : langage, écriture, lecture, etc. » 301 .
De même la reformulation est le meilleur moyen de s’approprier les données comme
l’explique Jacques Crinon : « les deux fonctions essentielles de l’écrit explicatif comme la
synthèse est d’aider à élaborer une pensée et faire mémoire. Or, on a souvent tendance
à surévaluer la seconde à l’école et on sous-estime, quand on ne néglige pas, la
première en tant que moyen d’apprentissage. L’effort de formulation est aussi effort de
mise en cohérence, voire de conceptualisation » 302 . C’est pourquoi nous avons
demandé aux enfants de reformuler leurs différentes impressions sur les photographies
sous forme de petits paragraphes à taper sur ordinateur, avec notre aide pour la mise en
page. Outil fort apprécié des enfants, nous savions que cette perspective serait une
source de motivation supplémentaire dans leurs recherches (voir Annexe 15).
La photographie est aussi une voie pour devenir lecteur. Elle crée un horizon d’attente et
offre aux plus hésitants la possibilité d’entrer plus facilement dans la lecture du document. Elle
permet à tous d’acquérir d’autres compétences dans la pratique documentaire sous un angle
qui, jouant sur le côté émotionnel, va séduire les enfants.
III.2.3 Du plaisir de lire le documentaire
Le livre documentaire actuel cherche à concilier vérité historique et lecture plaisir. C’est
ce qui en fait « une lecture à part entière, qui fait partie des fameux apprentissages culturels, qui
permet de mettre en mouvement des mécanismes de lecture, des comportements, des
compétences, de mettre en place des situations de lecture qui ne sont pas moins intéressantes
que d’autres » comme nous l’explique Françoise Ballanger de La Joie par les livres 303 .
a. Lorsque le documentaire redevient lecture plaisir
Le Journal de l’Histoire, publié chez Milan Jeunesse depuis 2008, est une collection qui
illustre parfaitement la volonté éditoriale d’orienter le documentaire vers la lecture utile et
agréable. L’Egypte, Rome, le Moyen Âge, les explorateurs, Versailles et Napoléon sont les titres
301 Extrait du Plan pour les arts et la culture à l'école - MEN (2001), op. cit.
302 VIEILLEDENT-GITTON Marie-Jo, « Ecrits d’Histoire(s) : roman historique, manuel et livre documentaire », in La Revue Inter CDI, n o 120,
disponible à l’adresse : , page consultée le 4 avril 2010
303 BALLANGER Françoise, « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », article disponible à l’adresse suivante :
, page consultée le 21 mars 2010
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qui proposent d’aborder l’Histoire de manière vivante sur le modèle d’un reportage d’actualité.
Comme dans un vrai journal, on y trouve des informations sur la politique, l’économie, la société,
les arts et même des portraits people, des interviews et des faits divers.
Nous avons proposé aux enfants de lire les nouvelles dans Le Journal de l’Histoire de
l’Egypte 304 qui donne un aperçu chronologique des grands faits ayant marqué l’Egypte antique,
de l’Ancien Empire à l’époque grecque. Afin de leur faire découvrir cet ouvrage attrayant et les
encourager à lire des textes documentaires courts dans leur intégralité, nous avons imaginé le
« stratagème » suivant. Chaque participant a reçu un lot de cinq articles photocopiés, eux-
mêmes découpés en cinq parties : « l’en-tête », « la une », « le sous-titre », « le texte de l’article »
et « la photo ». Mélangées, les enfants devaient trier les différentes coupures et reconstituer la
« mise en page presse » de chacun des cinq articles afin de pouvoir prendre connaissance des
« actualités de l’Egypte ». En la préparant, nous pensions que cette activité serait facile même si
nous avions pris soin de donner à chaque enfant plusieurs articles sur la même période (Ancien
Empire, Moyen Empire, Nouvel Empire) afin de les inciter à une lecture approfondie. Or, les
enfants se sont encore trouvés là confrontés à un problème de méthode et de savoir-faire. Alors
qu’il paraissait évident de commencer par un tri des différentes coupures (tâche relativement
aisée grâce aux titres choc, aux images et à la typographie), certains ont opéré de manière à
reconstituer le puzzle, d’autres ont misé sur un simple repérage de mots-clés pour associer les
morceaux entre eux sans remarquer que les articles ne traitaient pas nécessairement du même
sujet. Même les enfants de CM2 n’ont pas eu l’idée de restructurer leurs articles en s’appuyant
sur les repères chronologiques, en lisant les informations jusqu’au bout, en faisant preuve de
pertinence et de déduction. Pourtant, nous avions fait le choix de cette collection pour son
avantage à donner des notions d’Histoire essentielles en peu de mots. De plus, ils n’ont pas eu la
curiosité d’utiliser la frise chronologique que nous leur avions distribuée pour les aider à se
repérer. Laborieusement, après avoir procédé au tri et à la lecture de chaque coupure, ils ont
réussi à recomposer les différents articles (voir Annexe 16). La mise en commun de l’ensemble a
donné lieu à une reconstitution chronologique de l’histoire de l’Egypte sous forme de frise
murale qui a finalement impressionné les enfants.
b. Le documentaire à fonction ludique : Qui a volé le trésor de Pharaon ?
Depuis quelques années, l’édition pour la jeunesse a compris que le jeu faisait aussi
partie du pacte de lecture. C’est pourquoi des livres documentaires animés jusqu’aux fictions
« dont on est le héros », les maisons d’édition explorent tous les champs possibles de la fonction
ludique.
304 PAGANON-SIMON Paule, CASALI Dimitri, L’Egypte, « Le Journal de l’Histoire », Milan Jeunesse, 2009
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A la BCD, nous avons trouvé un documentaire « mystère au temps des pyramides » : Qui
a volé le trésor du pharaon ? de Colin King 305 . Sous forme d’enquête à mener, cet ouvrage
documentaire permet aux enfants de découvrir les principaux aspects de la civilisation
égyptienne : vie quotidienne, rites et croyances, hiérarchie sociale. L’objet-livre se compose de
deux parties : un documentaire de type classique avec de nombreuses illustrations en couleur
reconstituant la vie au temps des pharaons, agrémenté d’un « petit musée » qui apporte des
informations supplémentaires sur certains points et présente des photos de monuments, d’objets
ou de bijoux ; en deuxième, un petit livret avec une enquête à mener et une énigme à
résoudre : « qui a volé le collier de Pharaon ? ». Nous avons retenu cet ouvrage pour deux
raisons : d’une part, il donne l’occasion de montrer aux enfants qu’ils peuvent s’informer et
apprendre l’Histoire tout en s’amusant, d’autre part, l’enquête à mener est un puissant vecteur
d’incitation à la lecture tout en guidant les jeunes lecteurs à travers les pages du documentaire.
En effet, par le biais d’un parcours à suivre, ils peuvent circuler de page en page à la recherche
des indices et apprendre sans s’en rendre compte à se documenter de façon autonome.
Pour cette séance, les enfants se sont mis par groupes de deux, répartis de façon à
équilibrer leurs capacités : 2 x (1 CE2 & 1 CM1) et 2 x (1 CM1 & 1 CM2). La mission des enfants fut
bien délicate comme nous le rappelle Karim : « on enquête avec l’aide d’un livre et un fichier
pour résoudre l’énigme pour retrouver le personnage qui a volé le trésor de Pharaon. Nos trois
suspects sont : Kamose, Mosi et Nodjmet ». La recherche du coupable était bien évidemment le
moteur essentiel à la lecture de cet ouvrage. Il leur fallait d’abord rechercher les indices dans les
pages du documentaire proprement dit, puis les répertorier et faire des déductions pour
identifier les coupables possibles. Une motivation supplémentaire était donnée aux équipes
grâce à un système de bonnes réponses aux questions posées sur les rites et les coutumes de
cette époque leur permettant de gagner des points. « La motivation ludique englobe aussi bien
la recherche du plaisir que le désir de gagner, l’envie de partager à l’intérieur d’un groupe la
curiosité » soulignent Christian Poslaniec et Christine Houyel 306 . Notre idée d’équilibrer les équipes
dès le départ s’est avérée judicieuse tout au long de la séance car la tâche n’était pas facile :
une vingtaine d’indices étaient nécessaires pour arriver à démasquer le coupable, chaque
indice laissant le soin aux enfants d’explorer une page de l’album documentaire sur un point
précis de la vie à cette époque et de répondre à la question qui leur permettait de passer à
l’étape suivante. Malgré son aspect ludique, cette activité a demandé aux jeunes lecteurs
organisation et concentration pour localiser correctement l’information et conduire la
recherche simultanée entre le livre-jeu et l’ouvrage documentaire. L’intérêt de cette
collection 307 est que les enfants sont guidés dans leur parcours par le petit roman policier qui leur
indique les pages de l’ouvrage où il leur faut chercher les indices. En suivant les étapes, les
305 KING Colin, Qui a volé le trésor du pharaon ?, « Les détectives de l’Histoire », Casterman, 1998
306 POSLANIEC Christian, HOUYEL Christine, op. cit., p. 267
307 Curieusement, cette collection ne semble pas avoir trouvé le succès escompté car elle ne compte que deux titres : Qui a volé le trésor
de Pharaon ? et Les Aztèques de Philippe Ardagh (Casterman, 1998)
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jeunes lecteurs apprennent par eux-mêmes à se repérer dans le documentaire et se
familiarisent, par le jeu, à utiliser ce type d’ouvrage. Emportés par le suspense, les enfants ont
envie de découvrir toute l’histoire qui leur apporte aussi savoirs et connaissances. Ils ont bien
aimé le livre « car il y a une énigme à résoudre et de l’action ».
c. Observer et comprendre l'Histoire par les arts
L’œuvre d’art est une trace qui, par sa qualité, a échappé à l’oubli. Elle incarne par
conséquent un moment de l’Histoire. « L’histoire des arts porte à la connaissance des élèves des
œuvres de référence qui appartiennent au patrimoine ou à l’art contemporain ; ces œuvres
leur sont présentées en relation avec une époque, une aire géographique (sur la base des
repères chronologiques et spatiaux acquis en histoire et en géographie) […] » 308 . Cela lui donne
donc une valeur documentaire majeure pour sensibiliser les enfants à l’Histoire. Après le succès
de la séance sur les photographies et le goût manifesté pour comprendre et apprendre par
l’observation, nous avions envie de continuer dans cette démarche et exercer leur esprit
critique sur des œuvres de toutes sortes, représentatives d’une période historique (vases,
mosaïques, émaux, vitraux, tableaux, gravures). En effet, la rencontre avec les œuvres d’art
permet de montrer aux enfants d’autres modes de représentation de l’Histoire et de saisir
« furtivement » l’esprit d’une époque.
Le Louvre à la loupe 309 de Claire d’Harcourt présente dans un grand format, de superbes
œuvres d’art de l’Antiquité au XIX ème siècle qui offrent un regard différent sur l’Histoire. A travers
ces reproductions orientées sur le détail, on peut attirer l’attention des enfants sur les indices
d’historicité qu’elles comportent : costumes, mode de vie, architecture, rapports sociaux,
thèmes et techniques des artistes. Une lecture d’image bien menée apprend à poser son
regard, à enrichir l’imaginaire et la créativité. Pour chaque œuvre d’art proposée, nous avons
procédé ainsi : les enfants devaient en définir la nature (portrait, nature morte, tableau religieux
ou à caractère historique, scène de genre) et essayer de la resituer dans le temps. Puis, nous
passions à la phase d’observation proprement dite qui donnait lieu à de très intéressants
échanges oraux : « quel est le sujet ou l’objet représenté ? », « comment se compose le
tableau ? », « quel est le type du dessin ? », « quelles sont les couleurs dominantes ? ». Ils
décrivaient avec d’autant plus de plaisir les lieux, personnages ou objets représentés qu’ils
devaient ensuite retrouver dans l’œuvre une série de détails agrandis « à la loupe » : une
aventure qui les a divertis tout en éduquant leur regard. Nous avons aussi tenté de percevoir
avec les enfants en quoi une œuvre rend compte de son époque et a une portée historique.
Nous avons été très étonnée de constater la qualité d’écoute qu’ils ont accordée à la lecture
des passages explicatifs sur chaque œuvre qui se trouvent à la fin de l’album.
308 BOEN hors série no 3 du 19 juin 2008, p. 26, disponible à l’adresse : , page
consultée le 4 janvier 2010
309 D’HARCOURT Claire, Le Louvre à la loupe, Hors collection, Le Funambule, Seuil Jeunesse, 2001
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Les supports actuels de l’information rendent plus que jamais nécessaire l’apprentissage
de l’interprétation des images, des références qui leur sont spécifiques et du langage qui
permet de les décrire. Ici, l’œil est agréablement sollicité, la sensibilité affinée pour observer les
différentes facettes d’une œuvre. Le livre a tellement séduit les enfants qu’ils ont réclamé une
séance supplémentaire sur cet ouvrage : alors que nous leur expliquions que les autres œuvres
présentées dans le livre nous semblaient d’un accès moins aisé pour leur âge, nous avons été
surprise par la réflexion enthousiaste d’un élève : « si, si, dites-nous tout, on veut tout savoir ! ».
Preuve que lorsque cela leur plaît, la difficulté s’estompe. Ces dizaines de petites loupes qui
accompagnent le parcours de lecture sont autant de points d’entrée concrets dans les œuvres
grâce auxquels aucun artiste n’est inaccessible. Van Eyck, Fra Angelico et même Tiepolo et son
« arracheur de dent » leur racontent une Histoire qui leur parle.
Signe du réel investissement des enfants dans cette activité, ce sont eux qui ont organisé
leur propre travail de restitution à partir de trois autres ouvrages que nous leur avons présentés :
Une histoire de l’art : de la préhistoire à nos jours 310 , La peinture au fil du temps 311 , Voyage au
cœur du Louvre 312 . Tel enfant a désiré y chercher des tableaux des rois de France, tel autre des
scènes religieuses. Ils se sentaient d’autant plus valorisés lorsqu’ils retrouvaient des œuvres vues
la semaine précédente dans Le Louvre à la loupe. Pour d’autres, nous avons organisé un rallye
lecture : des titres leur étant donnés, ils devaient les localiser dans le livre et les consigner dans
un tableau en les classant chronologiquement (voir Annexe 17). « L’art n’est pas accessible par
vertu ou don individuel, mais par l’héritage et l’éducation » disait Pierre Bourdieu. C’est dans cet
esprit que nous avons essayé d’animer nos séances.
III.3 L’Histoire à la carte
Nous ne pouvions envisager de susciter le goût pour l’Histoire sans prendre en compte les
différences culturelles de nos élèves et veiller à leur transmettre quelques connaissances sur
l’Histoire locale.
III.3.1 « Bouillon de culture »
Dans le socle commun des compétences et des connaissances, le pilier 5 nous dit : « la
culture humaniste que dispense l'école donne aux élèves des références communes [...] elle a
pour but de cultiver une attitude de curiosité [...] pour les autres pays du monde (histoire,
civilisation, actualité) [...] Elle développe la conscience que les expériences humaines ont
quelque chose d'universel » 313 . Nos séances y prétendent d’autant plus qu’elles s’adressent à un
groupe d’enfants issus de parents de nationalité et de cultures différentes qui partagent la vie
310 Collectif, Une histoire de l’art : de la préhistoire à nos jours, Hors Collection, De La Martinière Jeunesse, 2009
311 DESNOËTTES Caroline, La peinture au fil du temps, Réunion des Musées Nationaux, 2000
312 SELLIER Marie, BOUVET-LANSELLE Violaine, Voyage au cœur du Louvre, Réunion des Musées Nationaux, 2000
313 Le décret du 11 juillet 2006 organise le contenu du socle commun autour de sept grandes compétences qui définissent ce qu'aucun
élève ne doit ignorer en fin de scolarité, disponible à l’adresse : ,
page consultée le 5 juillet 2010
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de leur pays d’accueil : l’Egypte. Aussi, nous semblait-il important de saisir cette opportunité et
de clore notre projet en leur faisant découvrir quelques aspects de l’Histoire culturelle
égyptienne et de la civilisation arabo-musulmane à travers des textes de l’édition pour la
jeunesse.
a. Autour d’un thème : la naissance de l’Egypte
La mythologie égyptienne raconte l’un des mythes les plus célèbres de la naissance du
monde. A travers elle, les enfants abordent l’histoire et les croyances d’une civilisation. Alors que
les programmes de l’école élémentaire œuvrent pour le partage de références littéraires et la
construction d’un patrimoine culturel commun, les récits mythologiques restent, malgré tout,
peu lus en classe. Pourtant, l’initiation à la mythologie doit être encouragée car il existe « une
relation étroite constatée par d’éminents chercheurs entre les mythes et le psychisme de
l’enfance » 314 . En effet, ces récits mythologiques ne sont pas seulement des fictions : ils mettent
en scène des situations correspondant aux phases de développement et aux besoins
psychologiques de l’enfant ; ils l’aident donc à se construire et à grandir. La mythologie enrichit
l’imaginaire et développe l’imagination. Au Cycle III, on lit surtout les légendes de la mythologie
grecque, plus rarement celle de l’Egypte antique ou celles ayant trait à la cosmogonie.
Pourtant, la littérature pour la jeunesse offre des adaptations des textes sources qui traitent des
grandes questions universelles que l’Homme s’est toujours posées, notamment sur les origines de
la création. La collection « Naissances du Monde » chez Actes Sud Junior fait connaître au jeune
public les mythes fondateurs des grandes civilisations. Nous avons choisi quelques extraits de La
mythologie égyptienne 315 de Claude Helft pour sensibiliser nos jeunes historiens à une première
culture littéraire sur le mystère de la naissance de l’univers chez les Anciens égyptiens. Depuis les
temps archaïques, Atoum, Nout, Isis, Osiris, Horus... tous les dieux égyptiens ont chacun leur
histoire, leur place dans la cosmogonie ; ils prennent des apparences parfois multiples, se parent
d’attributs et exercent des influences diverses. Le premier chapitre de La mythologie égyptienne
raconte l’état originel, l’apparition du premier élément, le déroulement et les étapes de la
création. Situé à l’aube de la création, ce récit chargé de symboles a su trouver l’adhésion des
enfants.
� Nous avons présenté la lecture en demandant aux enfants ce qu’ils entendaient par
« mythologie ». Un élève de CM1 a répondu : « c’est une légende ». Un autre de CM2 a
précisé : « c’est une histoire avec des dieux ». Nous leur expliquons qu’elle évoque un
récit qui raconte l’origine du monde et des hommes. Ici, il s’agit d’un mythe
« cosmogonique » qui raconte la naissance de l’univers.
� La lecture à voix haute du mythe visait à inscrire le récit dans la tradition de l’oralité, mais
aussi à aider les plus jeunes à s’approprier le texte. Cette étape nous semblait importante
314 LAULEY France, PORET Catherine, Littératures : mythes, légendes, contes et fantastiques, Cycle 3, Bordas Pédagogie, 2002
315 HELFT Claude, La mythologie égyptienne, « Les naissances du monde », Actes Sud Junior, 2000
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pour les préparer à la lecture individuelle et leur permettre, quel que soit leur niveau,
d’appréhender le texte avec les outils nécessaires à son appréciation. Les questions des
enfants ont porté sur la signification de termes comme « clapotis », « sperme »,
« affleure », « maugréant », « enjôleuse ». On aura remarqué que lors de chaque lecture
collective, les enfants n’hésitent pas à demander le sens des mots qu’ils ne comprennent
pas, phase importante vers l’acquisition d’un comportement de « lecteur averti ». Ils ont
ensuite réfléchi sur le genre littéraire : en quoi s’agit-il d’un récit mythologique ? ».
� Après leur avoir distribué les extraits photocopiés, nous leur avons demandé de repérer
l’ordre d’apparition des différents « éléments » au fur et à mesure de leur lecture avec,
pour objectif final, de reconstituer l’arbre généalogique des dieux et déesses aux origines
de la création de l’Egypte (voir Annexe 18). La construction du texte n’étant pas très
complexe, les enfants ont réussi à « lire entre les lignes » et surmonter leur manque de
référents culturels pour mener à bien cette activité.
� En seconde partie de séance, les enfants ont reçu de nouveaux extraits du livre
correspondant à la description des dieux et déesses trouvés précédemment. A eux
d’être attentifs lors de leur lecture pour pouvoir relier chacune d’eux au dessin
correspondant (voir Annexe 18). Cette simple activité a mobilisé leur imaginaire tout en
leur permettant de compléter leurs toutes nouvelles connaissances sur les divinités
égyptiennes.
Tout comme le mythe d’Ulysse, la mythologie égyptienne enrichit la culture du jeune
public et s’inscrit dans une mémoire commune. Malgré les difficultés de compréhension
qu’inspirent ces textes dits « littéraires », cette première approche a plutôt été réussie : les
enfants ont montré intérêt et plaisir à les découvrir et à exécuter les tâches proposées. Cette
initiation précoce à des sujets universels peut prétendre préparer les enfants à une rencontre
plus aisée avec des textes fondateurs étudiés au collège. Si l’étude du mythe est une
expérience à mener avec des élèves de Cycle III, il revient cependant au médiateur
d’accompagner la lecture, de la mettre à la portée de tous en leur fournissant les moyens de
la comprendre et en sollicitant leur imagination. Il est d’autant plus intéressant d’aborder ce
genre de textes à cet âge que les enfants sont aptes à faire la différence entre ce qui relève
du rationnel et ce qui appartient au domaine de l’imaginaire. Eventuellement, cette étude
peut faire l’objet d’un projet plus complet si l’on envisage une lecture comparative de
plusieurs cultures à travers les différents textes que nous propose la collection « Naissances du
Monde » 316 .
316 Parmi les titres de la collection : La mythologie indienne de Jean-Charles BLANC (2002), Les héros grecs de Florence NOIVILLE (2002), La
mythologie romaine de Florence NOIVILLE (2003), La mythologie phénicienne de Karine Safa (2004), La mythologie babylonienne de
Karine Safa (2007)
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. Autour d’un personnage : Ibn Battûta
« Il revient chez lui enrichi, non pas de pièces d’or ou de pierres précieuses, mais de ce
qui fait la richesse du voyageur : la mémoire ». Ibn Battûta, célèbre explorateur marocain du
XIV ème siècle, a sillonné le monde et le temps durant près de trente ans. Bien que peu connu en
France, il est l’un des voyageurs majeurs de l'Histoire, son périple l'ayant conduit trois fois plus loin
que celui de Marco Polo. Afin de mieux faire connaître ce personnage et le monde arabe tel
qu’il était perçu au XIV ème siècle, notre choix s’est porté sur Le fabuleux voyage d’Ibn Battûta
(1325-1354) 317 , une adaptation réussie de James Rumford. Cette fois, nous avons laissé les
enfants découvrir l’objet-livre et entrer seuls dans la lecture intégrale de l’album avec pour
objectifs de comprendre le texte descriptif d’un livre érudit et d’être capable d’en dégager les
éléments pertinents.
� La mise en commun des impressions montre que nos jeunes lecteurs ont su dépasser le
niveau de vocabulaire soutenu pour se laisser séduire par cette invitation au voyage
historique et littéraire : le cheval de la couverture enthousiasme Yannis car « il est fait en
écriture arabe » ; « j’aime bien les anciennes cartes du monde qui sont dans le livre » dit
Aly ; « les décorations du livre sont belles parce que c’est écrit en arabe » dit Karim ; « le
chemin dessiné d’Ibn Battûta qui traverse les pays » plaît à Nour. Plus que l’histoire
proprement dite, c’est la mise en page originale qui les a émerveillés. En effet,
entièrement ornementées de calligraphies arabes et chinoises et d’enluminures à la
manière des anciens manuscrits, les pages voient défiler le récit d’Ibn Battûta, avec
cartes géographiques et aquarelles au tracé délicat.
� Echanges oraux autour de l’album :
- Les enfants ont surtout relevé des indices sur le personnage d’Ibn Battûta : « il est né à
Tanger », « il rêve de voyager », « à 21 ans, il va en pèlerinage à La Mecque », « il traverse
beaucoup de pays et voit des choses merveilleuses », « il devient l’ami du sultan », « il a
été blessé par des bandits ».
- Ils ont pu suivre assez facilement la chronologie du voyage et les contrées traversées
grâce à la présentation de chaque double page : texte descriptif court, ruban
symbolisant le trajet parcouru et tableau illustrant la scène décrite. Ils ont su ainsi
reconstituer l’itinéraire du voyageur sous forme de carnet de bord (voir Annexe 19).
� Histoire et voyage : l’album présente des reproductions de cartes d’époque et de courts
extraits du texte original en calligraphie arabe. Il nous renseigne sur la perception que les
hommes avaient du monde au XIV ème siècle. L’auteur prend soin d’utiliser la terminologie
de l’époque : « mer de Rome », « mer Ténébreuse », « mer Inconnue », « montagne de la
lune », « montagne-qui-tue-les-Hindous », « Nil noir » : les enfants se sont amusés à essayer
317 RUMFORD James, Le fabuleux voyage d’Ibn Battûta (1325-1354), Syros Jeunesse, 2002
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de retrouver à quoi ces termes faisaient référence. Au cours de son itinéraire, Ibn Battûta
a aussi répertorié les pays islamiques de l’époque et renseigné les lecteurs sur sa vision de
voyageur. Il a été intéressant de localiser justement les passages qui évoquent la portée
philosophique du voyage : « En voyage, on se sent seul. Puis on se fait un ami »,
« Voyager vous offre mille et une destinées et donne des ailes à votre cœur », « Voyager
vous laisse sans voix, puis fait de vous un conteur », « Voyager vous offre mille et une
patries au-delà des mers, et fait de vous un étranger dans votre propre pays ». Ces
différentes maximes ont donné lieu à un petit débat entre les enfants pour essayer d’en
comprendre le sens. Soudain, un élève de CM2 a eu l’idée de faire la comparaison entre
le voyage d’Ibn Battûta et celui de Pythéas : ce dernier « voulait ramener des richesses »
tandis qu’Ibn Battûta « voyageait pour son plaisir ». Un élève de CM1 a alors évoqué
Ulysse « parti pour faire la guerre de Troie ».
Cette adaptation, véritable hommage à cet explorateur, a enchanté les enfants. Il est
vrai que sa conception et son esthétisme ne peuvent qu’éveiller l’imaginaire des jeunes
lecteurs, les inviter au rêve et au voyage. Il est aussi satisfaisant de voir que certaines lectures
faites en début d’année ont laissé traces, ont trouvé écho avec d’autres et ont été réinvesties
par les enfants. Tout comme la mémoire, la culture se construit en établissant des liens entre les
informations.
c. Autour d'une époque historique : l’Egypte arabo-musulmane
« Un lecteur est d’abord quelqu’un qui fait un parcours de lecture […] La circulation à
travers les livres construit les capacités de lecteur de l’enfant […] C’est parce que l’on sait que
dans les livres il y a un certain nombre d’éléments que l’on a compris, que l’on est capable
d’attendre d’une lecture suivante qu’elle vienne compléter une lecture précédente » rappelle
Françoise Ballanger 318 . L’album d’Ibn Battûta est une ouverture sur le monde et trouve, à juste
titre, un prolongement dans la lecture documentaire. En effet, si la mise en réseau avec d’autres
textes permet d’explorer un genre, d’apprécier les différents traitements d’un thème ou d’un
personnage, elle peut aussi servir à éclairer un texte narratif par la lecture documentaire. Il faut
aider les enfants à penser en termes de « relais », de complémentarité. Pour ce faire, nous avons
retenu l’ouvrage de Nicolas Barber, Le monde arabo-musulman 319 , parce qu’il fait découvrir aux
plus jeunes son histoire et ses coutumes à travers ses dynasties florissantes. Le jeu des
transparents à soulever et les très belles illustrations ont aidé les enfants à partager l’ambiance
d’une époque.
« En Egypte, je vis toutes les richesses apportées par le Nil : de l’or, de l’encens et de la
nourriture en abondance » rapporte Ibn Battûta. Notre consigne aux élèves, répartis par groupe
de deux, était la suivante : en s’appuyant sur le documentaire de Nicolas Barber, ils devaient
318 BALLANGER Françoise, « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », op. cit.
319 BARBER Nicolas, Le monde arabo-musulman, « Entrez chez », Gründ, 2005
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trouver les deux dynasties qui ont fait la splendeur de l’Egypte entre les X ème et XV ème siècles à
l’aide de plusieurs indices destinés à les mettre sur la voie : « la Dynastie 1 a régné du X ème au
XII ème siècle ; elle a fondé la capitale Al-Qahira », « la Dynastie 2 a pris le pouvoir en 1250 ; elle a
gardé Le Caire comme capitale ». La lecture de cet album documentaire visait à donner aux
enfants des outils de compréhension, de connaissance sur le patrimoine et la culture locale. Une
fiche leur a été distribuée pour les guider dans leurs recherches (voir Annexe 20). La démarche
a permis à certains élèves d’établir un lien avec les monuments qu’ils ont visités et les
observations indiquées dans le livre. D’une manière générale, ils ont été sensibilisés à la
découverte de leur environnement et invités à se rendre sur les lieux mentionnés dans l’ouvrage.
En apprenant à porter un regard plus éclairé sur leur ville, les enfants prennent conscience des
notions de protection et de mise en valeur du patrimoine. Ils participent aussi à l’édification
d’une culture « commune » et partagée. Les connaissances acquises sur les dynasties fatimide
et mamelouke leur ont montré le rôle et la place de la culture dans le rayonnement
économique, social et politique des civilisations passées.
Durant cette activité, nous avons noté les progrès réalisés par les enfants au niveau de la
compréhension des textes et dans leur pratique pour rechercher les informations. Lors de ces
dernières séances, les élèves ont fait preuve de beaucoup plus d’autonomie qu’en début
d’année, s’appropriant avec aisance l’objet-livre, ayant recours plus facilement aux différents
outils de recherche, et surtout consacrant le temps nécessaire à la lecture. Il n’était pas rare de
voir certains élèves, au cours de l’activité proposée, s’évader dans la lecture par plaisir. Parce
que ce documentaire offre l’avantage de présenter des textes clairs et concis, agrémentés de
superbes illustrations, les enfants ont aimé y rechercher les informations, et échanger ensemble
pour mener à bien l’activité. Finalement, « la culture littéraire s’élabore [aussi] dans ce besoin de
dire et de se dire aux autres. De partager ses émotions, ses émerveillements, ses
interrogations » 320 .
III.3.2 Prolongements possibles
Les séances qui donnent corps et forme à un projet sont très importantes, mais un projet
vit aussi à travers les divers prolongements qu’il suscite. Faire participer des intervenants
extérieurs permet d’enrichir l’approche d’un thème ou même de donner matière à un projet
fédérateur de plus grande ampleur. Même si notre indisponibilité professionnelle ne nous a pas
permis de pousser plus loin notre initiative en dehors des créneaux impartis, il nous semble
néanmoins important d’aborder, dans cette dernière partie, les prolongements auxquels nous
avons pu penser durant cette année de stage.
320 PANTANELLA Raoul, « Que sait-on quand on est cultivé ? », in Les Cahiers pédagogiques, n° 313, 1993, p. 22
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a. Coopération avec le collège
Le Lycée français du Caire a la chance de regrouper sur le site de Maadi les écoles
maternelle, primaire et secondaire. Exploiter cette proximité est un atout supplémentaire pour
faire travailler différents niveaux de classes sur un projet commun autour de l’Histoire. Or, une
telle médiation nécessite préparation et organisation plusieurs mois à l’avance et nous
regrettons, dans notre cas, que cela n’ait pu être envisagé. Pourtant, certaines de nos séances
pourraient s’inscrire dans un projet d’établissement. Par exemple, le jeu des 7 familles sur les
plantes médiévales aurait très bien pu trouver sa place, l’an passé, dans le cadre de la
« Semaine des Arts » qui portait sur le thème des jardins. De même il aurait été intéressant et
motivant pour nos petits historiens de trouver une continuation « chez les plus grands ». Ainsi,
nous aurions aimé envisager un partenariat avec un professeur d’Histoire ou de Français pour
trouver une suite à notre séance sur la lecture de l’album Argos : les enfants auraient pu
soumettre, à une classe de collégiens, leurs questions au sujet d’Ulysse et de la guerre de Troie.
Ceux-ci auraient fait les recherches nécessaires au CDI pour apporter les réponses et venir les
exposer aux enfants de l’atelier. De même, la séance sur les divinités égyptiennes aurait pu se
prolonger par une intervention des « petits Historiens » dans un cours d’Histoire en classe de
sixième : ils auraient pu raconter aux collégiens dont l’Egypte ancienne est au programme, la
naissance de « l’océan primordial » et « des deux terres », et leur présenter les principaux dieux
et déesses. La lecture du fabuleux voyage d’Ibn Battûta aurait pu trouver un écho favorable
chez un professeur d’Arabe ou un professeur d’Histoire puisque la civilisation arabo-islamique est
au programme des élèves de cinquième. Cela aurait permis des échanges fructueux et
valorisants entre enfants et adolescents. Ainsi, l’année prochaine, Monsieur T. prévoit d’aborder
avec ses élèves « L’Egypte fatimide : de la fondation du Caire à Saladin ». Tout acte de lecture
ne se fait-il pas non plus dans une intention de communication ? Il offre, en tous cas, la
possibilité de tisser un lien entre la BCD et le CDI, et par conséquent d’intégrer les apprentissages
dans une continuité du primaire au secondaire en vue d’une politique pédagogique et
culturelle globale d’accès au livre.
b. Intervention d'un auteur de romans historiques
De nombreux projets trouvent leur réelle dimension dans un partenariat avec des auteurs
de livres pour la jeunesse. Là encore, la visite d’un écrivain de romans historiques aurait pu
donner un sens à notre projet de susciter le goût pour l’Histoire aux enfants. L’expérience menée
au cours de l’année 2008-2009, dans deux classes de CM1 et CM2, montre que ce genre
d’intervention est source d’enrichissement. Les élèves ont écrit Un secret du passé, roman
historique et policier « intégrant deux points de vue : passé et présent ». « Ce projet est né d’une
rencontre avec Katia Sabet 321 , auteur égyptien de romans historiques pour la jeunesse, et de la
321 Katia Sabet est l’auteur d’ouvrages publiés chez Gallimard Jeunesse : Une espionne chez pharaon (« Hors piste », 2010), Le sorcier de
Louxor (« Folio Junior », 2009), Sadi et le général (« Folio Junior », 2005) ainsi que la série « Les sortilèges du Nil ».
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volonté de proposer aux élèves des situations d’écriture motivantes » explique l’une des
enseignantes à l’origine du projet. Sous la direction de cette romancière, les enfants ont
engagé des recherches pour connaître les personnages et les événements représentatifs du
XIX ème siècle (Mohamed Ali, Napoléon, l’expédition d’Egypte) qui ont servi de cadre à leur récit.
Avec un guide et leurs maîtresses, ils se sont rendus à la Citadelle du Caire et à la mosquée de
Mohamed Ali pour faire des repérages et noter leurs impressions qui ont servi à donner plus de
vraisemblance à leur ouvrage. Ainsi, cette sortie a été le point de départ de leur histoire dans
laquelle « deux événements inattendus se produisent : le vol de l’horloge de la mosquée et la
disparition de deux élèves de la classe ».
Tout au long de l’année scolaire, Katia Sabet est venue échanger avec les enfants et a
supervisé leurs travaux d’écriture après les avoir aidés à tisser la trame du roman, à choisir les
titres et organiser les chapitres. « L’intervention de cette spécialiste a permis de baliser le récit »
explique l’enseignante. Il est vrai que les élèves ont dû faire preuve de rigueur, d’esprit
d’analyse, de synthèse, et apprendre à respecter les idées des autres. Mais la présence de
l’auteur a été une source de motivation constante pour mener à terme leur projet. Quant à
Katia Sabet, elle s’est étonnée et réjouie des formidables aptitudes, du dynamisme et de
l’enthousiasme dont les enfants étaient capables. Ce travail de recherche et d’écriture a abouti
à une création originale qui a été présentée en fin d’année devant les parents (voir extrait et
témoignages en Annexe 21).
c. Ecrire un journal : « Il était une fois l'Histoire »
Les nouveaux programmes prévoient la tenue d’un cahier d’Histoire qui accompagne
l’élève tout au long du Cycle III. Il est destiné à rassembler l’ensemble des informations recueillies
tout en mettant l’accent sur la transversalité de la langue à travers des activités de maîtrise des
contenus historiques. Tout projet à la BCD sous-entend un volet « lecture » et un volet « écriture ».
Faire écrire les élèves dans des disciplines où le récit et la description tiennent une place
majeure, c’est leur faire acquérir les compétences attendues en matière de maîtrise de la
langue : « élaborer et écrire un récit (ou une description) d’au moins une vingtaine de lignes,
avec ou sans support (l’analyse de documents peut en être un) en respectant les contraintes
orthographiques, syntaxiques, lexicales et de présentation » 322 . Une restitution, collective ou
individuelle, peut aboutir à la construction d’une courte synthèse permettant de garder une
trace écrite de chaque activité. Aujourd’hui, de plus en plus de BCD ont leur journal, gazette ou
carnet de bord. Dans son article « Un journal à la BCD », Yvanne Chenouf voit dans le
développement de cette pratique « l’émancipation des enfants » : « c’est la liberté d’accéder
aux écrits au fur et à mesure des besoins […] c’est l’apprentissage de la participation […] de
l’engagement utile » explique t-elle 323 . La tenue d’une « trace écrite » permet, en effet,
322 CLAUS Philippe, « Comment l’histoire et la géographie sont-elles enseignées à l’école primaire ? Constat et évolution en cours », op. cit.
323 CHENOUF Yvanne, « Un journal à la BCD », in Les Actes de lecture, n° 29, mars 1990
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d’intégrer les enfants dans l’un des réseaux de communication de l’école tout en lui offrant une
motivation supplémentaire.
Nous avons donc proposé aux enfants de tenir un « Journal de bord ». Après avoir
réfléchi sur son contenu, nous nous sommes mis d’accord sur la démarche à suivre : après
présentation de l’ouvrage, ils prolongent la séance d’écrits et de dessins. Ils y parlent des livres
lus, donnent leur avis, confient leurs impressions, mettent des illustrations ou des extraits qui leur
ont plu. Ils l’ont intitulé « Il était une fois l’Histoire » parce que « c’est une histoire dans l’Histoire ».
Même si tous les élèves étaient régulièrement invités à écrire, une certaine liberté leur était
laissée afin de les responsabiliser. A notre grande surprise, ce sont surtout les élèves de CE2 et de
CM1 qui ont montré le plus d’intérêt à participer à l’écriture de ce journal, allant même parfois
jusqu’à se répartir les tâches : « moi, j’écris sur cet album ; toi, tu écriras sur le suivant ». Ainsi, au
sein d’un groupe, les plus jeunes n’hésitent pas à s’associer utilement à la gestion et à la
réalisation d’actes d’écriture, le groupe devenant alors la « raison d’être » et le « moteur » de
chacun. En participant à l’écriture d’un document comme le « Journal de bord », les élèves ont
fait l’expérience « du passage de ce qui se vit, se sent, se rêve et se pense à ce qui s'analyse, se
distancie et se recrée... » 324 : une autre manière d’ancrer chez les enfants le goût de l’Histoire.
324 PARENT Yves, « Un lieu de production d’écrits », in Les Actes de lecture, n° 25, mars 1989
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CONCLUSION
« L’intérêt pour l’histoire que l’on constate depuis 1970 est lié à la modification de notre
perception. Il ne s’agit plus d’événements militaires ou politiques. On est passé à l’histoire des
hommes, des sociétés, des mentalités » 325 . Nos recherches sur les pratiques de l’Histoire dans
notre pays ont confirmé l’engouement des Français pour ce domaine. Notre projet de susciter le
goût pour l’Histoire à des enfants de Cycle III s’inscrit donc bien dans la tendance actuelle qui
s’illustre par de multiples mises en valeur autour d’un quartier, d’une commune, d’un pays pour
transmettre ce que fut le passé aux jeunes générations. Tandis que l’école s’applique à
enseigner les grands faits de notre histoire nationale, des associations d’histoire locale
s’organisent pour commémorer personnages et événements, et redonner vie aux lieux
d’autrefois, témoignant ainsi du besoin chez l’Homme de connaître ses racines et de trouver un
sens à l’Histoire, c’est-à-dire à sa propre existence.
Certes l’Histoire fascine par les images qu’elle véhicule, l’aventure qu’elle incarne, les
diverses émotions qu’elle fait naître, mais elle reste encore une discipline « cloisonnée » dans
l’esprit des plus jeunes. Or, pour que ces derniers puissent faire les acquisitions attendues, il est
primordial de commencer par éveiller leur curiosité et leur désir de savoir. « Donner l’envie, c’est
l’acte d’enseigner, d’éduquer et d’élever » explique Jean-Paul Dollé 326 . L’incitation à la
découverte fait aussi partie des missions prioritaires d’une BCD. Aussi, avons-nous imaginé une
rencontre entre les enfants et l’Histoire à travers la littérature et l’édition pour la jeunesse. Suite
aux diverses avancées technologiques, mais aussi aux changements apparus dans la manière
d’appréhender les savoirs et les apprentissages, d’importantes évolutions ont marqué la
production de cette dernière décennie : auteurs et éditeurs pour la jeunesse rivalisent de
créativité littéraire et artistique, et font de l’offre un formidable espace d’invitation à la lecture
qui, grâce à son potentiel esthétique, langagier, expressif et éducatif, présente de multiples
possibilités pour susciter l’intérêt des enfants : entre plaisir, information et réflexion, les fictions et
les documentaires donnent du sens à l’Histoire et constituent, par conséquent, un vecteur idéal
que nous avons choisi d’expérimenter.
La préparation de nos séances a permis d’affiner nos connaissances en littérature pour
la jeunesse et d’évaluer l’importance des critères à prendre en compte : par exemple, le choix
des thèmes abordés et le niveau de lecture des ouvrages proposés. L’offre pléthorique de
l’édition rend la tâche du médiateur parfois délicate, nécessitant de pousser la réflexion jusqu’à
une analyse comparative entre plusieurs titres afin de conquérir le public concerné. C’est donc
avec plaisir que nous avons constaté une réelle adhésion des enfants pour les livres sélectionnés
avec une nette préférence pour les documentaires et les albums, fortement plébiscités. Ce
325 LEMERCIER Françoise, « L’apprentissage de l’histoire à travers les documentaires jeunesse », op. cit.
326 DOLLÉ Jean-Paul, op. cit.
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travail de mise en place nous a aussi fait prendre conscience de la diversité des pistes
d’exploitation offertes par l’édition pour la jeunesse, susceptibles de répondre à la fois aux
interrogations des enfants concernant le passé et de remplir la fonction essentielle du livre :
donner du plaisir en lisant l’Histoire.
Les animations qui se sont déroulées sur plusieurs semaines au Lycée français du Caire
ont abouti à une utilisation plus « réfléchie » du fonds Histoire afin de permettre la mise en
pratique de notre problématique et satisfaire notre objectif. Ces séances ont tissé un rapport
affectif et complice entre nous, les enfants et les livres. Si les rencontres avec l’Histoire sont
importantes à tout âge, celles qui surviennent lors de l’apprentissage de la lecture autonome le
sont encore plus. Il s’agit bien d’un moment charnière durant lequel se créent des habitudes de
lecture et se forme le goût. Mais l’appropriation des savoir-faire n’est pas sans présenter des
difficultés au Cycle III et les enfants sont apparus facilement déstabilisés lors de certains
passages à une lecture plus experte qui visait à la compréhension et l’interprétation pour
acquérir des connaissances. Néanmoins, le nombre restreint du groupe et la tenue d’une
vingtaine de séances sur huit mois furent un atout certain pour mener à bien notre entreprise.
Nous avons vu se construire progressivement une attente chez les enfants, une assiduité de plus
en plus marquée, une volonté de s’investir dans le fonctionnement de leur « atelier ». Le fait
d’avoir pu travailler avec les trois niveaux du Cycle III a constitué un moteur de motivation
supplémentaire pour les plus jeunes et de valorisation pour leurs aînés qui ont pris à cœur de les
aider lors des différentes séances. Ainsi, si les deux petites filles de CE2 ont eu parfois plus de mal
à suivre, elles n’en ont pas été moins intéressées, se montrant attentives et consciencieuses.
L’attitude positive du groupe a aussi favorisé la qualité de notre approche auprès des enfants :
elle nous a permis d’apprendre à les connaître, à observer leur comportement de lecteur, à
évaluer les progrès enregistrés, et par conséquent, à pouvoir orienter les supports
d’apprentissage et améliorer le dispositif des animations au fur et à mesure de leur avancement.
Au mois de juin, le souhait manifesté par les enfants de continuer l’an prochain à partager le
plaisir de lire l’Histoire ensemble est la preuve de leur intérêt naissant. Ils ont fait part de leur
étonnement de « ne pas travailler en Histoire », une appréhension qu’ils avaient pourtant
souvent exprimée au cours des premières semaines.
Ce travail de longue haleine a nécessité recherches et réflexions, mais nous a finalement
permis de mieux cerner l’ampleur de la tâche et la teneur des responsabilités qui incombent
aux médiateurs du livre, notamment aux bibliothécaires qui interviennent en milieu scolaire.
Ainsi, comme le rappelle à juste titre Max Butlen : « ils doivent contribuer à former des lecteurs
polyvalents, capables de s’informer, de communiquer, de lire et de rédiger différents types de
textes. La BCD permet d’élargir et de diversifier les supports d’enseignement et de lecture. Lieu
d’information regroupant souvent des supports d’enseignement, elle favorise la lecture des
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images et encourage les apprentissages culturels » 327 . Mais le fait de mener ce projet seule, sans
avoir pu l’intégrer à un projet de classe ou d’école, n’a pas été sans pertuber les enfants qui ont
manifesté le besoin constant de comparer les connaissances apprises durant ces séances à
celles acquises en classe. En effet, Max Butlen ne précise-t-il pas aussi que « la BCD implique un
véritable travail d’équipe des enseignants, modifie les conditions de l’apprentissage de la
lecture et suppose de nouveaux rapports entre l’école et son environnement ». 328
Motivation, émulation, implication sont donc les conditions nécessaires à la réussite
d’une médiation visant à amener les jeunes lecteurs à s’intéresser aux fictions et documentaires
« historiques ».
Le 8 mai 1901, Jules Renard écrivait dans son Journal :
« Chacune de nos lectures laisse une graine qui germe ».
Promouvoir l’Histoire à travers la littérature et l’édition pour la jeunesse, apprendre aux enfants à
parler de leurs lectures et contribuer ainsi à l’éveil de leur esprit critique n’est-ce pas, au fond, ce
à quoi tout médiateur du livre aspire en proposant des situations de lecture et d’apprentissage
aux enfants ? Après avoir transmis le goût pour l’Histoire aux plus jeunes, celui-ci peut, dès lors,
songer à emprunter une voie plus ambitieuse : leur faire acquérir les bases d’une culture
historique.
327 LAGARDE Françoise, « La bibliothèque de l’école. De l’armoire bibliothèque à la BCD », in BBF, 2004, t. 49, n o 1, pp. 22-25, disponible à
l’adresse : , page consultée le 6 août 2010
328 ibid
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