la Mode Historia
L’Amérique n’est plus qu’espoir. Tout a échoué », écrit Max Ernst, en 1935, à la critique d’art Carola Giedon-Welcker. La désillusion de l’artiste allemand perce dans ce courrier en forme de SOS prémonitoire. Se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, telle est la situation de Max Ernst à la veille d’une guerre que le peintre pressent.
L’Amérique n’est plus qu’espoir. Tout a échoué », écrit Max Ernst, en 1935, à la critique d’art Carola
Giedon-Welcker. La désillusion de l’artiste allemand perce dans ce courrier en forme de SOS prémonitoire. Se trouver au mauvais
endroit au mauvais moment, telle est la situation de Max Ernst à la veille d’une guerre que le peintre pressent.
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un<br />
défilé<br />
au fil du<br />
teMps<br />
février 2013 - N° 794<br />
portrait L’oublié de <strong>la</strong> tour eiffel<br />
nos rendez-vous inédits : préhistoire, archéologie,<br />
les routes de l’histoire, l’origine d’une expression…<br />
ce jour-Là<br />
1 er février<br />
1954, l’appel de<br />
l’abbé pierre<br />
<strong>la</strong> <strong>Mode</strong><br />
l’élégance sous toutes ses coutures<br />
depuis le Moyen âge<br />
M 05067 - 794 - F: 5,50 E<br />
3:HIKPKG=\UZZU[:?a@h@j@o@k;
sommaire<br />
Karine Ga<strong>la</strong>ntini -Gil Lefauconnier<br />
Gil Lefauconnier -Gil Lefauconnier<br />
Février 2013<br />
6 aCtUaLités<br />
Aux premiers âges de <strong>la</strong> BD<br />
10 À La Préhistoire<br />
Les premières armes<br />
13 arChéoLoGie<br />
Une légion romaine au pied<br />
de <strong>la</strong> cathédrale de Strasbourg<br />
15 Le MUsée iNsoLite<br />
Le musée de <strong>la</strong> Franc-Maçonnerie<br />
16 L’art De L’histoire<br />
Max Ernst, peintre sombre<br />
des années noires<br />
18 Les roUtes De L’histoire<br />
La route du roi René en Anjou<br />
20 L’iNéDit DU Mois<br />
Les perruques de Marie-Antoinette<br />
21 UN iLLUstre iNCoNNU<br />
Malthus<br />
22 UN Mot, UNe eXPressioN<br />
Prendre des vessies pour des <strong>la</strong>nternes<br />
23 L’air DU teMPs<br />
Douce France<br />
26 Ce JoUr-LÀ<br />
1 er février 1954 : l’appel de l’abbé Pierre<br />
contributeurs<br />
tina anderlini<br />
Professeur d’histoire<br />
de l’art et du bijou à l’Institut<br />
supérieur de décoration<br />
de Longwy, elle rédige<br />
actuellement un livre sur le<br />
costume au XIII e siècle.<br />
4 historia février 2013<br />
Pascal Marchetti-Leca<br />
Il enseigne <strong>la</strong> littérature<br />
à l’Université de Corse.<br />
Il est coauteur de Voleurs<br />
de feu. Moments de grâce<br />
de <strong>la</strong> littérature française<br />
(F<strong>la</strong>mmarion, 2007).<br />
31 Dossier<br />
La mode<br />
Gentes dames et nobles sires du Moyen Âge n’ont pas<br />
attendu <strong>la</strong> Renaissance pour faire de leurs toilettes des<br />
attributs du paraître… avant les sommets d’exubérance<br />
du Grand Siècle. La presse féminine du XIXe siècle apporte<br />
un peu de mesure. Et consacre, au XXe , une nouvelle<br />
profession : celle des grands couturiers…<br />
62 Les DessoUs De…<br />
La construction du Transsibérien<br />
Entre 1891 et 1904 des milliers de « forçats du rail » vont<br />
braver <strong>la</strong> météo et <strong>la</strong> géographie pour édifier ce qui est<br />
encore de nos jours <strong>la</strong> plus longue voie ferrée du monde.<br />
68 sPéCiaL viLLe<br />
Cognac : <strong>la</strong> favorite de François Ier La cité de Charente doit sa renommée mondiale à son<br />
eau-de-vie. C’est oublier qu’elle est aussi imprégnée<br />
d’histoire, comme en témoignent ses monuments…<br />
78 À L’affiChe<br />
84 Livres<br />
91 Mots Croisés<br />
92 Portrait<br />
Édouard Lockroy, l’oublié de <strong>la</strong> tour Eiffel<br />
Tout le monde a oublié ce ministre visionnaire, sans qui<br />
<strong>la</strong> « dame de fer » n’aurait jamais pu voir le jour…<br />
98 iDée reçUe<br />
Les Gaulois sont d’horribles barbares<br />
Joëlle Chevé<br />
Historienne, elle a consacré<br />
une biographie « décapante » à<br />
l’épouse de Louis XIV, Marie-<br />
Thérèse d’Autriche. Dernier<br />
titre paru : Les Grandes<br />
Courtisanes (First, 2012).<br />
Pierre albert<br />
Professeur émérite, il a<br />
publié de nombreux livres<br />
sur l’histoire de <strong>la</strong> presse.<br />
Il prépare <strong>la</strong> 8 e édition de<br />
La Presse française (La<br />
Documentation française).
J. Graf/Divergence - DR<br />
DR -Coll. Lainé<br />
Dossier : <strong>la</strong> mode, p. 31<br />
Didier Grumbach<br />
Président de <strong>la</strong> Fédération<br />
française de <strong>la</strong> couture, du<br />
prêt-à-porter et des créateurs<br />
de mode, il a publié Histoires<br />
de <strong>la</strong> mode, réédité en 2008 aux<br />
Éditions du Regard.<br />
axelle Brodiez-Dolino<br />
Historienne, chargée de<br />
recherche au CNRS-LARHRA,<br />
elle est l’auteur de Emmaüs<br />
et l’abbé Pierre (Presses de<br />
Sciences Po, 2009).<br />
Bridgeman Giraudon<br />
J-F. Rollinger<br />
Spécial ville : Cognac, p. 68<br />
La favorite de François I er<br />
C<strong>la</strong>ude Mossé<br />
Ancien reporter à <strong>la</strong> Radiotélévision<br />
suisse romande, il<br />
a consacré l’un de ses carnets<br />
de route au Transsibérien.<br />
Dernier livre paru : Marie<br />
l’insoumise (H.C. Éd., 2012).<br />
Pascal Lainé<br />
Auteur d’une trentaine de<br />
romans (prix Médicis et prix<br />
Goncourt). Son essai le plus<br />
récent : Édouard Lockroy,<br />
l’oublié de <strong>la</strong> tour Eiffel<br />
(Nouveau Monde éd., 2011).<br />
février 2013 historia 5
« L’Amérique n’est plus<br />
qu’espoir. Tout a<br />
échoué », écrit Max<br />
Ernst, en 1935, à <strong>la</strong><br />
critique d’art Caro<strong>la</strong><br />
Giedon-Welcker. La désillusion<br />
de l’artiste allemand<br />
perce dans ce courrier en<br />
forme de SOS prémonitoire.<br />
Se trouver au mauvais<br />
endroit au mauvais moment,<br />
telle est <strong>la</strong> situation<br />
de Max Ernst à <strong>la</strong> veille<br />
d’une guerre que le peintre<br />
pressent. Celui qui a choisi<br />
de s’installer à Paris dans<br />
les années 1920 pour rejoindre<br />
ses amis surréalistes<br />
ne se fait aucune illusion<br />
concernant les intentions<br />
belliqueuses des nazis qui<br />
viennent d’accéder au pouvoir<br />
en Allemagne. Et les<br />
événements vont lui donner<br />
raison. Outre le danger<br />
que représente Hitler, un<br />
climat délétère envahit <strong>la</strong><br />
France. Le décret-loi sur <strong>la</strong><br />
police des étrangers de mai<br />
1938, puis le texte re<strong>la</strong>tif à<br />
l’internement administratif<br />
de novembre 1938 préfigurent<br />
les lois d’exception.<br />
Dès 1939 sont visés les<br />
milliers de réfugiés espagnols<br />
et les « ressortissants<br />
16 historia février 2013<br />
Fred Stein Archive/adoc-photos<br />
l’art de l’histoire<br />
Max ernst<br />
peintre sombre des<br />
années noires<br />
Il est l’un des cent artistes exposés dans « L’Art en guerre,<br />
France 1938-1947 », au musée d’Art moderne de <strong>la</strong> ville<br />
de Paris, jusqu’au 17 février. Avec La Fuite, une œuvre<br />
moins désespérée que L’Ange du marais, présentée ici.<br />
de puissances ennemies »,<br />
Allemands et Autrichiens<br />
en tête. Les uns sont<br />
parqués dans l’immense<br />
camp de Gurs, à quelques<br />
kilomètres de l’Espagne,<br />
les autres sont envoyés, en<br />
grande majorité, au camp<br />
des Milles, près d’Aix-en-<br />
Provence, sur le terrain<br />
d’une ancienne tuilerie<br />
désaffectée. Antinazis<br />
mais nés du mauvais côté,<br />
ils sont considérés comme<br />
ennemis potentiels de <strong>la</strong><br />
République.<br />
D’abord incarcéré à <strong>la</strong> maison<br />
d’arrêt de Largentière,<br />
en Ardèche, Max Ernst est<br />
ensuite détenu aux Milles,<br />
où il croise d’autres compatriotes<br />
artistes, notamment<br />
Hans Bellmer, Robert<br />
Liebknecht ou Otto Wols.<br />
Il racontera avoir souffert<br />
de <strong>la</strong> poussière de briques,<br />
présente même dans ce<br />
qu’on lui donnait à manger.<br />
Le 28 novembre 1939, il fait<br />
part de son désœuvrement<br />
dans une lettre adressée<br />
à <strong>la</strong> galeriste Jeanne Bucher<br />
: « Je ne travaille pas<br />
ici j’ai bien essayé mais ça<br />
ne marche pas… Bellmer<br />
assez déprimé. » Il finit tou-<br />
tefois par dessiner et par<br />
réaliser des col<strong>la</strong>ges. Durant<br />
ces sombres années,<br />
l’art de Max Ernst reflète<br />
son angoisse. Ses décalcomanies<br />
denses témoignent<br />
de sa vision apocalyptique<br />
de <strong>la</strong> civilisation.<br />
Sou<strong>la</strong>gé, il quitte le camp à<br />
<strong>la</strong> fin décembre, mais pour<br />
y retourner quelques mois<br />
plus tard, lors de l’invasion<br />
allemande de mai 1940. Il<br />
parvient à s’en échapper<br />
et, un peu plus tard, s’installe<br />
à <strong>la</strong> vil<strong>la</strong> Bel Air, à<br />
Marseille, chez Varian<br />
Fry. Ce fonctionnaire de<br />
l’Emergency Rescue Commitee<br />
américan est chargé<br />
de faire sortir de France<br />
200 artistes et intellectuels<br />
(en fait 2 000, au-delà des<br />
professions culturelles).<br />
En mai 1941, Ernst réussit<br />
à rejoindre Lisbonne,<br />
après être passé par Madrid.<br />
En juillet, il s’envole<br />
pour New York avec<br />
<strong>la</strong> collectionneuse d’art<br />
Peggy Guggenheim, qu’il<br />
épouse quelques mois plus<br />
tard. Il y retrouve d’autres<br />
artistes réfugiés, dont<br />
ses amis proches, Marcel<br />
Duchamp et Marc Chagall.<br />
En 1943, il divorce de Peggy<br />
Gugghenheim et épouse<br />
Dorothea Tanning, ellemême<br />
artiste. Inventeur<br />
de <strong>la</strong> technique du grattage<br />
de pigment à même<br />
<strong>la</strong> toile, puis du frottage<br />
qui consiste à noircir une<br />
feuille posée, par exemple,<br />
sur un parquet ; auteur de<br />
col<strong>la</strong>ges spectacu<strong>la</strong>ires,<br />
l’artiste surréaliste exerce<br />
une forte influence sur <strong>la</strong><br />
peinture abstraite américaine<br />
de l’après-guerre qui<br />
se développe et, en particulier,<br />
sur celle de Jackson<br />
Pollock. En novembre 1948,<br />
il obtient <strong>la</strong> nationalité<br />
américaine. Trois ans plus<br />
tard, pour ses 60 ans, une<br />
importante exposition<br />
de son œuvre s’ouvre au<br />
château d’Augustusburg,<br />
à Brühl, sa ville natale,<br />
en Allemagne. Lui et sa<br />
femme s’installent définitivement<br />
à Paris en 1953.<br />
L’année suivante, Ernst<br />
reçoit le grand prix de<br />
peinture de <strong>la</strong> 27 e Biennale<br />
de Venise. Une reconnaissance<br />
qui ne fera que s’amplifier<br />
jusqu’à sa mort, en<br />
1976, à Paris. L<br />
Élisabeth Couturier<br />
akg-images
Un paysage sous-<br />
1 marin. Grâce à <strong>la</strong><br />
technique du grattage<br />
et du frottage, Max<br />
Ernst parvient à donner<br />
du relief à cet univers<br />
aqueux et minéral.<br />
Roches, racines,<br />
végétation, coquil<strong>la</strong>ges<br />
et figures étranges sont<br />
recouverts de mousse<br />
verdâtre. Ce spectacle<br />
doit-il se lire comme <strong>la</strong><br />
métaphore de <strong>la</strong> guerre :<br />
le naufrage des valeurs<br />
humaines ?<br />
2<br />
« L’ange du Marais » (swaMpangeL), 1940. Huile sur toile, 65 x 81 cm. Collection particulière.<br />
Des créatures<br />
2 inquiétantes.<br />
Mi-animaux, mimonstres,<br />
les figures<br />
qui croupissent dans<br />
les eaux troubles de<br />
ce marais semblent<br />
pouvoir changer<br />
d’apparence au gré<br />
des courants. Au<br />
premier p<strong>la</strong>n, de drôles<br />
de poulets sans tête<br />
s’agitent dans tous les<br />
sens. Sont-ils le symbole<br />
de <strong>la</strong> défaite française<br />
après l’invasion<br />
allemande ?<br />
Un vil<strong>la</strong>ge de fin<br />
3 du monde. Tout<br />
en haut du paysage<br />
rocheux figure un<br />
vil<strong>la</strong>ge représenté<br />
en ombre chinoise.<br />
Faut-il y voir <strong>la</strong> fin d’un<br />
monde, l’échec de <strong>la</strong><br />
civilisation ?<br />
3<br />
Une ambiance<br />
4 de c<strong>la</strong>ir-obscur.<br />
Le contraste entre un<br />
fond lumineux, bleu<br />
turquoise, et l’obscurité<br />
en train d’envahir cet<br />
univers souterrain<br />
ajoute au sentiment<br />
d’oppression. Très<br />
au fait des théories<br />
freudiennes, diplômé de<br />
psychologie et victime<br />
des lois d’exclusion,<br />
Max Ernst a-t-il voulu<br />
montrer le triomphe<br />
des zones les plus<br />
noires de l’inconscient ?<br />
L’ange. Avec ses<br />
5 traits féminins,<br />
son visage auréolé<br />
d’une belle chevelure<br />
blonde, il est le seul<br />
représentant de l’espèce<br />
« humaine ». Il porte ses<br />
ailes, non pas dans le<br />
dos, mais sur le torse,<br />
comme si tout était<br />
chamboulé. Ses jambes<br />
paraissent engluées<br />
dans <strong>la</strong> vase. S’agit-il de<br />
l’ange exterminateur ?<br />
Mystère…<br />
février 2013 historia 17<br />
1<br />
5<br />
4
Illustration : Grégory Proch<br />
26 historia février 2013<br />
Ce JoUr-LÀ<br />
1 er février 1954<br />
L’appeL de L’abbé pierre
32<br />
Au Moyen<br />
Âge :<br />
plus haut,<br />
plus long !<br />
Les grands seigneurs<br />
succombent aux canons<br />
de l’époque.<br />
par Tina Anderlini<br />
41<br />
Renaissance<br />
: le chic à<br />
l’italienne<br />
Les tissus riches et<br />
lourds franchissent les<br />
Alpes. De même que le<br />
mouchoir en dentelle.<br />
par Pascal<br />
Marchetti-Leca<br />
Dossier<br />
44<br />
Versailles<br />
frise l’extravagance<br />
Coiffures ahurissantes,<br />
corsets serrés, robes<br />
somptueuses sont de<br />
rigueur à <strong>la</strong> cour du<br />
Roi-Soleil.<br />
par Joëlle Chevé<br />
50<br />
L’essor<br />
de <strong>la</strong> presse<br />
féminine<br />
Les journaux de mode<br />
connaissent, dès le<br />
XIX e siècle, le succès<br />
auprès des femmes<br />
soucieuses d’élégance.<br />
par Pierre Albert<br />
La<br />
mode<br />
55<br />
Haute<br />
couture :<br />
Paris ville<br />
modèle<br />
Depuis 150 ans, les<br />
maisons françaises<br />
s’imposent au monde.<br />
par Didier Grumbach<br />
Soies d’Orient, brocarts d’Italie, dentelles du Nord, robes de<br />
velours, les dames et les seigneurs du Moyen Âge n’ont pas<br />
attendu <strong>la</strong> Renaissance pour faire de leurs toilettes des attributs<br />
du paraître. Mais c’est avec le Grand Siècle que l’exubérance<br />
vestimentaire atteint des sommets. Le XIX e siècle, avec l’avènement<br />
de <strong>la</strong> presse féminine, apporte un peu de mesure. Et consacre<br />
une nouvelle profession : celle des grands couturiers qui vont faire<br />
<strong>la</strong> réputation de <strong>la</strong> France au XX e …
Cartographie Loïc Derrien<br />
en un clin d’œil l’artisanat français, de l’excellence à l’innovation<br />
Soyeux et passementier, badestamier<br />
et plumassier, orfèvre et gantier…<br />
autant de métiers qui évoquent <strong>la</strong><br />
distinction et l’histoire du luxe à <strong>la</strong><br />
française. Apparus dès l’Antiquité,<br />
nombre de ces artisanats ont pris<br />
leur essor en France à partir de <strong>la</strong> fin<br />
du Moyen Âge, en réponse au désir,<br />
commun à <strong>la</strong> monarchie, <strong>la</strong> noblesse<br />
et <strong>la</strong> bourgeoisie, de disposer de si-<br />
Valenciennes<br />
1650 – La dentelle, réputée pour le goût<br />
français de ses dessins et sa finesse,<br />
devient l’objet d’un artisanat prospère<br />
grâce à Françoise Badar, une dentellière<br />
entre prenante. Mise à mal, à partir du<br />
XIX e siècle, par les valenciennes mécaniques,<br />
sa pérennité n’est désormais<br />
assurée que par son enseignement.<br />
Cambrai<br />
XIII e siècle – Le tissage de <strong>la</strong> batiste y<br />
voit le jour. Au-delà des frontières,<br />
cette toile de lin est réputée si fine et<br />
luxueuse que les Lapons en drapent<br />
leurs statues fétiches… Son succès ne cessera<br />
de croître jusqu’au XIX e siècle. En 2012,<br />
si <strong>la</strong> Normandie produit toujours les plus<br />
belles qualités de lin, c’est l’Italie qui<br />
en fait les plus belles étoffes.<br />
Rouen<br />
1656 – Après un <strong>la</strong>ncement peu probant engagé<br />
par Colbert au château de Madrid, l’artisanat<br />
des bas de soie se développe aux alentours de Rouen où,<br />
en 1610, William Lee a inventé le premier métier à<br />
tricoter. Ces articles de luxe connaissent un destin<br />
florissant jusqu’à l’invention des bas<br />
synthétiques avant <strong>la</strong> Seconde Guerre<br />
mondiale. Seuls quelques ateliers disséminés<br />
en France continuent de les fabriquer.<br />
Alençon<br />
1665 – Baptisée « point de France », <strong>la</strong> dentelle à l’aiguille<br />
produite dans <strong>la</strong> manufacture d’Alençon devait,<br />
jusqu’à son nom, incarner tout le savoir-faire français<br />
voulu par Colbert. Un pari réussi pour celle qui<br />
sera sacrée « reine des dentelles » au XIX e siècle,<br />
aujourd’hui inscrite au patrimoine culturel de l’Unesco.<br />
Seule une dizaine de dentellières maîtrise cet art.<br />
34 historia février 2013<br />
gnes de puissance et de richesse. La<br />
culture du changement émerge dans<br />
le même temps et favorise l’épanouissement<br />
d’un nouveau phénomène : <strong>la</strong><br />
mode. Il faudra toute <strong>la</strong> perspicacité<br />
de Jean-Baptiste Colbert pour cerner<br />
le potentiel financier qu’elle représente<br />
: « La mode est pour <strong>la</strong> France<br />
ce que les mines [d’or] du Pérou<br />
sont pour l’Espagne. » À compter<br />
Mil<strong>la</strong>u<br />
de 1664, il ouvre des manufactures<br />
pour produire draperies, dentelles,<br />
passements et autres rubans.<br />
Protectionniste d’avant-garde et promoteur<br />
despotique du luxe, il impose<br />
ces articles à <strong>la</strong> cour. Ce dispositif,<br />
associé au rayonnement de <strong>la</strong> France<br />
dans le monde, contribue à asseoir<br />
<strong>la</strong> renommée de son artisanat qui<br />
devient l’une des premières excep-<br />
Tour de France des plus anciennes traditions artisanales<br />
Alençon<br />
Rouen<br />
Mil<strong>la</strong>u<br />
1268 - Étienne Boileau recense, dans son Livre des métiers,<br />
ceux dédiés au travail des peaux. Y figure notamment celui,<br />
très noble, de gantier. Les p<strong>la</strong>teaux calcaires aveyronnais,<br />
propices à l’élevage des moutons, deviennent à cette même<br />
époque, le berceau de <strong>la</strong> ganterie française dont l’activité<br />
perdure à Mil<strong>la</strong>u et Saint-Junien.
tions culturelles françaises. Si les<br />
façonniers du luxe s’emploient à satisfaire<br />
<strong>la</strong> coquetterie des messieurs<br />
du XVII e siècle, ils feront les délices<br />
des dames du XVIII e , entraînées<br />
dans le tourbillon des falba<strong>la</strong>s par<br />
de véritables icônes des élégances.<br />
La Pompadour et Marie-Antoinette<br />
vont tour à tour stimuler <strong>la</strong> création<br />
des colifichets les plus précieux.<br />
Cambrai<br />
Paris<br />
Valenciennes<br />
Saint-Étienne<br />
Lyon<br />
La chute de l’Ancien Régime ne<br />
change guère <strong>la</strong> donne : Joséphine de<br />
Beauharnais, qui ne souffre l’idée de<br />
remettre des gants portés ne serait-ce<br />
qu’une fois, en commandera jusqu’à<br />
985 paires par an… Une aubaine pour<br />
<strong>la</strong> ganterie mil<strong>la</strong>voise ! Au milieu du<br />
XIX e siècle, Charles Worth s’empare<br />
du rôle de prescripteur de mode (lire<br />
page 55) jusqu’alors dévolu aux sou-<br />
Saint-Étienne<br />
verains et à leur cour. Ce faisant, il<br />
ouvre <strong>la</strong> voie aux autres acteurs du<br />
luxe français, qui n’auront de cesse<br />
de dépasser leur statut originel de<br />
fabricant et de développer leur talent<br />
pour l’innovation bien au-delà<br />
de l’excellence inscrite dans leurs<br />
gênes. L<br />
Sophie George, fondatrice des éditions<br />
Falba<strong>la</strong>s spécialisées dans <strong>la</strong> mode<br />
Paris<br />
1599 – Henri IV accorde leurs statuts<br />
aux maîtres plumassiers de Paris dont<br />
l’effectif avoisine alors <strong>la</strong> vingtaine.<br />
L’art du panache prend son plein envol<br />
durant <strong>la</strong> seconde moitié du XIX e siècle,<br />
ce qui permet à dix fois plus d’artisans<br />
d’en faire commerce. En 2012, maisons<br />
de couture et revues de music-hall<br />
demeurent les meilleurs clients des<br />
rares plumassiers qui exercent<br />
toujours à Paris.<br />
1834 – L’apparition de nouveaux transports<br />
développe le goût du voyage et<br />
favorise le développement du métier de<br />
malletier. Les maisons françaises<br />
Goyard et Louis Vuitton, toujours en<br />
activité, lui donneront ses lettres<br />
de noblesse en créant des malles aussi<br />
luxueuses qu’ingénieuses, notamment<br />
destinées au transport des toilettes<br />
couture de <strong>la</strong> haute société.<br />
Lyon<br />
1470 – Louis XI, dit « le roi des<br />
marchands », installe le premier atelier<br />
français de soierie dans son château<br />
de Tours. Cet artisanat va néanmoins se<br />
développer à Lyon par <strong>la</strong> volonté<br />
de François I er (à l’origine de <strong>la</strong> première<br />
fabrique), de Louis XIV et de Colbert,<br />
qui veillera à l’encadrement de sa qualité.<br />
La soie lyonnaise demeure l’un des<br />
fleurons du luxe français.<br />
XIII e siècle – Les crépiniers puis les passementiers, à partir<br />
du XVI e siècle, se distinguent par leur habileté à<br />
façonner de merveilleux ouvrages de fils. Les passementiers<br />
s’installent et prospèrent, non loin des soyeux lyonnais.<br />
En déclin depuis <strong>la</strong> Seconde Guerre mondiale, leur artisanat<br />
est resté un attribut du luxe et de <strong>la</strong> haute couture,<br />
notamment grâce à Yves Saint Laurent.<br />
février 2013 historia 35
Marius/BHdV/Roger-Viollet<br />
Photographie<br />
du début<br />
des années<br />
1890, époque<br />
où il publie<br />
l’essai intitulé<br />
La Défense<br />
navale.<br />
92 historia février 2013<br />
Portrait<br />
éDoUarD LoCKroY<br />
L’oUbLié De La toUr eiffeL