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Num238

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Journal Alhadath-LInternational Num 238, 18 février 2021

Liban

Les Français résidents au Liban ou

binationaux, personae non gratae

dans les banques françaises

Le fondateur du centre de recherches Synaps

a choisi de relater sur Twitter une histoire

personnelle: la fermeture de son compte français

du fait de son lieu de résidence, le Liban. Mais

son histoire n’a rien d’exceptionnel.

Le patron de centre d’études Synaps n’a pas

l’habitude de s’épancher sur ses malheurs

personnels sur Twitter. Encore moins en Français.

Mais Peter Harling a sans doute estimé que sa

mésaventure méritait d’être relatée tant elle est

édifiante, ainsi qu’il le note lui-même. «Début

décembre, la Caisse d’Épargne, banque que

j’utilise depuis mon enfance, m’a subitement

expulsé sans justification ni raison apparente»,

relate-t-il dans une série de Tweets. «La banque

a refusé toute explication, bloqué ma carte bleue

sans préavis, et ignoré mes appels, jusqu’à ce

que j’adopte un ton légaliste. Avant ça, elle avait

déjà retenu mes salaires envoyés du Liban, sans

créditer mon compte, ou rejeter les virements,

sans même m’en tenir informé», ajoute-il.

La raison, beaucoup de Français résidents

au Liban ou de binationaux la connaissent

déjà : dans le système bancaire français voire

européen, ils sont personae non gratae.

Déjà, il était quasi impossible d’ouvrir un

compte sans avoir un capital conséquent ou une

forte wasta dès lors que le Liban apparaissait

comme le lieu de résidence fiscale. Voici que

les banques françaises et européennes ferment

désormais des comptes déjà existants pour le

même motif. «Mon adresse, autrefois banale,

est désormais suspecte. Je réside dans un pays

en banqueroute: le Liban», témoigne encore

Peter Harling. Ce problème, suffisamment de

Français de l›étranger l›ont expérimenté pour

qu›il ait fait l›objet de courriers adressés par des

sénateurs français au ministère de l›Economie et

des Finances hexagonal.

Son témoignage n’a en effet rien d’exceptionnel.

«L’année dernière, j’ai reçu un courrier

m’annonçant que la banque, dont j’étais cliente

depuis 20 ans, fermait mon compte dans les deux

mois. Elle en a décidé du jour au lendemain,

alors que ce compte ne recevait aucun virement

depuis le Liban et qu’il ne pouvait pas y avoir

de fait de suspicion sur l’origine des fonds.

Mon lieu de résidence a suffi à enclencher la

procédure d’exclusion», raconte une créatrice

de bijoux française, qui travaille au Liban.

«La banque n’a par ailleurs absolument pas

tenu compte de la situation mondiale liée au

Covid. Impossible d’aller en France pour régler

le problème, ajoute-elle. J’ai été radiée sans

pouvoir agir».

Blanchiment d’argent

Les difficultés pour les détenteurs de comptes

en France (ou ceux qui désiraient en ouvrir)

ont débuté suite à une application renforcée des

mesures anti-blanchiment : les banques devant

s’assurer de la provenance des fonds lorsque

ceux-ci viennent de l’étranger. « Craignant

que leurs clients résidents fiscaux au Liban

n’utilisent leurs comptes bancaires en France

pour frauder le fisc libanais, en ne déclarant pas

les dépôts détenus en France, certaines banques

françaises ont procédé à la clôture de ces

comptes » explique Youmna Zein, professeure

de droit et avocate spécialiste de droit bancaire.

Mais leur interprétation trop restrictive pose

question. Dans la réponse apportée à une

question du sénateur Christophe Frassa en

2021, le ministère de l’Économie français le

reconnaît à mots couverts : «Il semble que les

refus opposés par les institutions financières

à certaines demandes d›ouverture de compte

formulées par des Français de l›étranger, de

même que de nombreuses ruptures de relation

contractuelle auxquelles ces derniers sont

exposés, procèdent d›une interprétation erronée

des règlementations applicables en matière

de sanctions internationales, des obligations

de vigilance requises par la lutte contre le

blanchiment de capitaux et le financement du

terrorisme. (…) ll n›y a donc, de même, aucune

raison d›empêcher, par principe, une transaction

à destination des pays dans lesquels les Français

de l›étranger sont établis.»

Dans le cas du Liban, le préjudice est d’autant

plus grave que le pays traverse une crise

financière. Il est quasi impossible d’effectuer

des paiements internationaux à partir de cartes

de paiement libanaises. Ce qui, pour une

frange de la population, leur interdit les plaisirs

d’Amazon, de Netflix ou, plus sérieusement,

met des paiements importants comme ceux

relatifs à leur couverture maladie ou leur

assurance retraite en danger. «J’ai un besoin

vital d’un compte en France pour garantir que les

quelques économies qu’il me reste ne seront pas

englouties dans le naufrage du système bancaire

libanais», témoigne une franco-libanaise.

Droit au compte

Pourtant, au regard de la loi française, tout

ressortissant est censé bénéficier du droit

à l›ouverture d›un compte en France dans

l›établissement de crédit de son choix lorsqu’il

n’en détient pas. «C’est un droit institué depuis

1984 et repris dans le Code monétaire et financier

(article 3121-) : toute personne dépourvue

d’un compte de dépôt et qui s’est vue refuser

l’ouverture d’un compte par la banque de son

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choix peut saisir la Banque de France. Celle-ci

peut alors contraindre une banque à lui ouvrir

un compte et lui assurer les services bancaires

de base », souligne Youmna Zein. Cet article du

code monétaire permet ainsi de concilier le droit

de toute personne à un compte avec le droit de

la banque de refuser l’ouverture d’un compte à

telle personne qui le lui demande.

Le problème en effet, c’est que la banque a

également le droit de clôturer le compte de ses

clients. «« Traditionnellement, les banques

avaient un devoir de non-ingérence pour ce qui

concerne les opérations de caisse. Mais au fur

et à mesure du développement des mesures de

lutte contre le blanchiment de capitaux, cette

tradition a été supplantée par une obligation

de vigilance : les banques doivent s’assurer de

l’origine des fonds reçus par leurs clients. En cas

de soupçon, elles ont l’obligation d’en référer

aux organes compétents, en l’occurrence Tracfin

[l’organisme du ministère de l’Économie et

des Finances français, chargé de la lutte contre

la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et le

financement du terrorisme, ndlr]. Avant d’en

arriver là, certaines banques préfèrent clôturer

les comptes de leurs clients, surtout s’ils ne sont

pas rentables. Comme pour tout contrat à durée

indéterminée, il peut être mis fin au contrat par

la volonté unilatérale de chacune des parties,

sous réserve de se rendre coupable d’un abus de

droit. Ainsi les banques ne peuvent pas clôturer

le compte de leur client sans préavis ».

Mais pour Peter Harling, les banques françaises

ont beau jeu de se cacher derrière la nécessité de

«conformité légale» pour virer des clients dont

ils ne veulent pas ou plus. En France, l’éviction

du système bancaire concernerait tout de même

5 à 6 millions de ressortissants. «Tous les ans,

des dizaines de milliers de citoyens français,

exclus du système bancaire, ont recours au

«droit au compte» pour obtenir difficilement

un service minimal. Le plus choquant, c’est de

constater à quel point ce système s’attaque non

pas aux plus véreux, mais aux plus vulnérables,

en jouant sur leurs faiblesses. Les plus riches

pourront se réfugier en Suisse, par exemple, où

les mesures anticorruption servent aux banques

à augmenter leurs tarifs d’entrée», écrit-il.

Dans cette fable du pot de terre contre le pot

de fer, le fondateur de Synaps a un conseil à

l’attention de la communauté franco-libanaise

ou des Français du Liban : le seul compte,

qu’une banque n’a pas le droit de clôturer, est

un plan épargne logement… Alors, par mesure

de précaution ouvrez des PEL…

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