Retour sur la rencontre avec Hubert Ben Kemoun - Jean-Marc Muller
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<strong>Retour</strong> <strong>sur</strong> <strong>la</strong> <strong>rencontre</strong> <strong>avec</strong> <strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong>.<br />
Les deux heures de notre incursion privilégiée en littérature de jeunesse sont écoulées<br />
et celui qui fut pour un moment “notre” auteur est reparti. Quelques impressions fusent<br />
entre nous suite à ce moment d'écoute et d'échange :<br />
“Quel talent pour dire son histoire L'oeuf du coq ! J'en avais <strong>la</strong> chair de poule...”<br />
“Je suis tombée amoureuse !”<br />
“Est-ce que je peux emprunter Ton livre à écrire ?”<br />
“Tu as lu La Gazelle ?”<br />
“Il a tout à fait répondu aux questions qu'on lui a envoyées en vidéo !”<br />
“On n'a pas été à <strong>la</strong> hauteur pour lui, on ne posait pas assez de questions.”<br />
“Oui mais il est déjà tellement présent et généreux qu'on préfère l'écouter !”<br />
Il faut dire qu'<strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> nous parle de nous en même temps que de lui. En<br />
évoquant sa vision et sa pratique de l'écriture, il tisse des liens entre son métier et celui<br />
des enseignants qui sont venus à sa <strong>rencontre</strong>.<br />
/écrivain et enseignant/<br />
Tout d'abord, à ces enseignants, il rend le titre de “maîtres”, terme qu'il préfère<br />
à celui de “professeurs des écoles”. S'apprêtant à dévoiler au fil de son intervention ce qui<br />
selon lui fait <strong>la</strong> grandeur de ce métier, il nous offre d'emblée l'image d'Albert Camus qui,<br />
ayant reçu le prix Nobel de littérature, adressa une chaleureuse lettre de remerciement à<br />
son maître d'école.<br />
Précisons ici que celui qui nous parle, écrivain depuis 25 ans, a enseigné lui<br />
aussi, pendant 31 ans et jusqu'à l'an dernier, dans une c<strong>la</strong>sse Montessori accueil<strong>la</strong>nt des<br />
élèves grands psychotiques. Par ailleurs, il accepte en tant qu'écrivain de nombreuses<br />
invitations à <strong>rencontre</strong>r son public de jeunes lecteurs dans les c<strong>la</strong>sses. Il y a certaines<br />
choses qu'il aime à leur dire : par exemple, que <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> veut dire “fils du cumin” à <strong>la</strong><br />
fois en arabe et en hébreu, qu'on ne devient pas un écrivain comme on peut devenir une<br />
“star” de nos jours, mais que chaque livre naît d'un très long travail, ou encore qu'être un<br />
auteur en 2008 ne signifie pas seulement écrire des livres, mais que c'est aussi écrire<br />
pour <strong>la</strong> radio, pour <strong>la</strong> télévision, pour des troupes de théâtre...<br />
/à l'école du rythme/<br />
En effet, <strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> a d'abord écrit pendant dix ans des pièces de<br />
théâtre radiophoniques et ce fut une excellente école, précise-t-il, pour aborder ensuite<br />
l'écriture jeunesse. Il nous explique y avoir appris un certain sens du rythme et y avoir<br />
forgé sa manière de construire des histoires. Il évoque <strong>avec</strong> humour les mots de son<br />
premier employeur à Radio France lorsque celui-ci le conseil<strong>la</strong> pour l'écriture des<br />
Dramatiques. Elles devaient durer 20 minutes et comporter 4 à 5 personnages maximum.<br />
Il s'agissait d'écrire pour une personne se rendant à un rendez-vous au vo<strong>la</strong>nt de sa<br />
voiture, <strong>la</strong> radio en marche : elle est très en retard mais doit absolument continuer<br />
d'écouter l'histoire, y compris lorsqu'elle aura réussi à se garer : il faut qu'elle soit captivée<br />
jusqu'à <strong>la</strong> fin !<br />
C'est de là qu'est née <strong>la</strong> faculté d'<strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> à écrire pour les jeunes<br />
lecteurs une littérature qu'il définit comme “sans gras”. A ce propos, il dit encore qu'il ne<br />
s'attache pas à faire de jolies phrases, à employer de belles structures grammaticales,<br />
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mais qu'en revanche, il sait raconter des histoires.<br />
/vivre une transformation/<br />
Le message ? “C'est du rab”. Il peut y avoir parfois des messages plus forts,<br />
comme dans L'Oeuf du coq, mais ce n'est pas ce qui vient en avant. L'essentiel est que<br />
les personnages vivent une transformation. Après les événements rencontrés par eux<br />
dans l'histoire, ce ne sera plus jamais comme avant. Ce profond changement qui affecte<br />
les protagonistes de l'oeuvre littéraire pourrait bien expliquer, nous dit l'auteur, les<br />
émotions très fortes que suscite l'acte de lire : il existe une véritable passion de <strong>la</strong> lecture,<br />
mais on peut aussi se trouver confronté à <strong>la</strong> trouille terrible de lire. C'est pour ce<strong>la</strong><br />
qu'<strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> nous suggère d'accompagner réellement les élèves lorsqu'ils se<br />
plongent dans l'univers du livre.<br />
/maîtres nageurs/<br />
Il nous dit que le maître d'école, pour apprendre à lire aux enfants, doit se faire<br />
maître nageur et qu'il ne doit <strong>sur</strong>tout pas s'arrêter en chemin ! Faisant référence à Daniel<br />
Pennac dans Comme un roman, il nous rappelle que l'on perd les adolescents pour <strong>la</strong><br />
lecture en cessant de leur lire des histoires dès lors qu'ils savent le faire eux-mêmes.<br />
Ainsi, il nous demande de garder à l'esprit que lire une histoire à quelqu'un, c'est un<br />
moment d'amour.<br />
/devenir un petit peu plus heureux/<br />
Ce qui rassemble à travers <strong>la</strong> lecture, <strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> affirme que c'est<br />
une seule et même quête : tous les personnages, comme chacun d'entre nous, désirent<br />
tout simplement être un petit peu plus heureux ! Et c'est précisément pour ce<strong>la</strong>, ajoute-t-il,<br />
qu'ils empruntent les chemins de “lis tes ratures”, ou “lie tes ratures”, orthographiés à <strong>la</strong><br />
manière d'André Breton et de l'OuLiPo, le célèbre Ouvroir de Littérature Potentielle.<br />
Autrement dit, en littérature, il faut que quelque chose ne marche pas afin qu'une évolution<br />
puisse avoir lieu. C'est de l'hésitation des sentiments qu'il est alors question : cette<br />
hésitation est ce que l'auteur s'attache à écrire, comme dans son roman Le jour du<br />
meurtre, qu'il évoque à ce sujet.<br />
<strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> met l'accent <strong>sur</strong> ce qu'il y a d'universel en littérature, audelà<br />
du fait qu'elle doive s'accrocher à certains détails techniques pour que l'histoire<br />
“passe”, comme par exemple <strong>la</strong> présence ou l'absence de téléphones portables suivant<br />
les époques, ou le <strong>la</strong>ngage à travers lequel les événements sont vécus selon qu'on est un<br />
adulte ou un enfant... Pour l'essentiel, nous dit l'auteur, seul le décor change. Les mêmes<br />
sentiments sont partagés par tous : on est toujours à côté de ses pompes quand on<br />
s'apprête à embrasser pour <strong>la</strong> première fois <strong>la</strong> personne dont on est amoureux !<br />
/le roman noir/<br />
Lorsqu'on lui demande comment il choisit d'emprunter telle direction d'écriture<br />
plutôt qu'une autre et notamment d'où vient sa prédilection pour les romans noirs souvent<br />
situés dans l'univers du collège, l'auteur répond qu'il aime raconter <strong>la</strong> vie à travers des<br />
situations difficiles auxquelles il faut réagir. Tous simplement, nous dit-il, l'univers du<br />
collège est dur, les collégiens sont durs entre eux, ce<strong>la</strong> fait partie du monde. Ces<br />
adolescents éprouvent tout à fait les mêmes sentiments que des adultes. Un auteur,<br />
ajoute-t-il, ne peut pas être en dehors du monde : “Pour te le mentir, le monde, il faut que<br />
je le connaisse !”.<br />
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ménager une ouverture/<br />
En ce qui concerne <strong>la</strong> spécificité d'écrire pour <strong>la</strong> jeunesse, ayant écrit lui-même,<br />
en dehors des pièces radiophoniques, qui n'ont pas été éditées, un seul livre pour adultes,<br />
il note que <strong>la</strong> différence d'écriture est fine. Elle tient à <strong>la</strong> liberté qu'il peut s'octroyer,<br />
lorsqu'il s'adresse à des adultes, de livrer de manière brute des impressions <strong>sur</strong> <strong>la</strong> vie qui<br />
s'achèveront éventuellement dans une impasse. En revanche, en littérature jeunesse, ce<strong>la</strong><br />
doit finir ouvert, nous dit-il. Il faut que quelque chose vive après <strong>la</strong> fin de l'histoire.<br />
/résister au comment...taire”<br />
Autre point important aux yeux de cet auteur : <strong>la</strong> pédagogie, c'est du rab ! Ses<br />
livres ne doivent pas “faire pédagogie” ! Et, précise-t-il, nous devons être vigi<strong>la</strong>nts afin de<br />
ne pas céder à <strong>la</strong> tentation de l'omniprésent commentaire qui dit <strong>sur</strong>tout “comment taire” !<br />
A l'opposé d'une telle manie <strong>la</strong>ngagière caractéristique de l'univers télévisuel et proposant<br />
un monde préfabriqué où toutes les images sont explicitées, il nous invite à cheminer<br />
ensemble, écrivains, enseignants, à contre-courant : “On ne va pas tout leur prémâcher :<br />
ils ont des dents !“. Il en va ainsi par exemple de son roman Comment ma mère est<br />
devenue célèbre, dans lequel il ne fait pas toute <strong>la</strong> lumière <strong>sur</strong> les questions soulevées au<br />
cours du récit : il appartient aux lecteurs de cheminer <strong>avec</strong> les zones de cette histoire<br />
restées en suspens.<br />
/jouer/<br />
Enfin et <strong>sur</strong>tout, il ne faut pas oublier de jouer, nous rappelle <strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong><br />
<strong>Kemoun</strong>, lui-même passionné par les jeux de mots. Avions-nous remarqué que Mélimos<br />
est l'anagramme du mot sommeil ? Et pourquoi est-il important de proposer aux enfants<br />
des phrases comme “Pénélope <strong>la</strong> poule qui perd les pédales ?”. Bien plus que de leur<br />
enseigner absolument ce qu'est un tautogramme, il s'agit de cultiver <strong>avec</strong> eux le p<strong>la</strong>isir :<br />
une phrase comme celle-là, ça ne sert à rien, mais c'est beau : c'est musical !<br />
Ainsi, au fil de <strong>la</strong> <strong>rencontre</strong>, <strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> s'avère singulièrement<br />
imprégné de préoccupations éducatives et on comprend que son attitude face à ses<br />
lecteurs ne se dessine pas au hasard, mais s'enracine au contraire dans des<br />
convictions fortes.<br />
D'autres questions viennent, qui re<strong>la</strong>ncent <strong>la</strong> description qu'il a entamée de<br />
son métier. Concrètement, comment s'y prend-il ? Quand estime-t-il qu'une histoire est<br />
terminée ? Il nous emmène <strong>avec</strong> lui à <strong>la</strong> découverte des différentes étapes qui se<br />
succèdent depuis l'idée première jusqu'à <strong>la</strong> réalisation finale d'un livre.<br />
/du désir et du temps/<br />
Après 145 livres, nous confie-t-il, se trame toujours pour lui le jeu du désir et de<br />
<strong>la</strong> peur. Il repart de zéro à chaque fois, se demandant s'il va réussir à écrire sa prochaine<br />
histoire. L'é<strong>la</strong>boration d'un récit commence bien avant de se mettre réellement à écrire. Il y<br />
a l'idée qui prend naissance, il y aussi <strong>la</strong> pratique de l'écrivain, qui note régulièrement des<br />
phrases à <strong>la</strong> volée, même si beaucoup de ces écrits du quotidien ne se retrouveront<br />
finalement pas dans ses ouvrages.<br />
Il s'agit, explique-t-il, de savoir <strong>la</strong>isser de côté son histoire, “comme une pâte à<br />
crêpes”. Il faut pouvoir y revenir et lui dire : “Tu m'as manqué”. Et alors, se relire et<br />
ressentir à nouveau les émotions que l'on a voulu partager au lecteur. Comment en effet<br />
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espérer faire rire les autres si déjà on ne se fait pas rire soi-même ? C'est donc le ressenti<br />
qui est à l'oeuvre ici et l'auteur estime avoir fini son histoire lorsqu'elle lui procure enfin, à<br />
<strong>la</strong> relire, toute l'émotion qu'il vou<strong>la</strong>it donner : “Je passe mes histoires au tamis de mes<br />
émotions.”, “Je me raconte mes histoires en les écrivant.”. A ce sujet, Il se rappelle son<br />
épuisement à <strong>la</strong> fin de l'écriture de La gazelle, un roman dont le cours haletant suit le<br />
déroulement des pensées intimes de l'héroïne, marathonienne, au rythme de ses foulées.<br />
Ainsi, de brouillons raturés en relectures de ces manuscrits, s'é<strong>la</strong>bore une<br />
version définitive qui sera tapuscrite et, enfin, envoyée à l'éditeur : à ce stade le récit est<br />
propre, impeccablement présenté : “Avant d'embrasser son amoureuse, on se brosse les<br />
dents !”. C'est alors pour <strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> <strong>la</strong> plus belle histoire du monde. Un<br />
jugement appelé parfois à être révisé postérieurement : il y a une quinzaine de ses<br />
ouvrages qu'il estime finalement moins bons qu'en les écrivant.<br />
/l'éditeur, l'illustrateur/<br />
La naissance d'un livre est un processus long qui met en jeu des interactions<br />
décisives. C'est au bout d'un an et demi en moyenne qu'il paraîtra sous sa forme aboutie<br />
de parallélépipède rectangle et que pourra intervenir pour l'auteur <strong>la</strong> dernière relecture.<br />
Mais jusqu'à cette étape, le rôle de partenaires tels que l'éditeur et l'illustrateur est<br />
essentiel.<br />
A propos de l'éditeur, <strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> dit avoir besoin d'une personne qui<br />
soit capable de proposer des modifications sans toucher à l'essence de ce qu'il veut<br />
écrire. Selon lui, un éditeur apprend à un auteur à le devenir, et réciproquement. Pour ce<br />
qui est de l'illustateur, son appropriation est nécessaire : “Plus il me vole mon histoire, plus<br />
elle est à moi.”.<br />
/auctor/<br />
En regard de ces interventions déterminantes, <strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong>, qui précise<br />
n'avoir jamais fait d'écriture de commande, insiste <strong>sur</strong> <strong>la</strong> liberté essentielle de l'auteur.<br />
L'origine <strong>la</strong>tine de ce nom, comme il nous le rappelle, est “auctor”. Ce terme renvoie non<br />
seulement à <strong>la</strong> notion d'augmentation, d'accroissement, à <strong>la</strong> manière dont pousse une<br />
fleur, mais il constitue aussi <strong>la</strong> racine du mot “autorité”. Ainsi, être auteur, c'est avoir<br />
l'autorité, le pouvoir de décider. Ce qui peut procurer de petits amusements tout<br />
personnels, remarque-t-il <strong>avec</strong> malice, comme de donner le nom de ses amis à des<br />
boulevards, ou à l'inverse d'attribuer le nom d'une personne que l'on n'apprécie pas dans<br />
<strong>la</strong> vie à une sinistre impasse dans <strong>la</strong> fiction...<br />
/étapes de travail/<br />
Mais d'abord, <strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong>, à partir de son idée, choisit une orientation<br />
d'écriture à même de <strong>la</strong> rendre au mieux : il pourra s'agir de <strong>la</strong> donner en dix pages, sans<br />
dé<strong>la</strong>yer, ou au contraire de faire plus long, de jouer à perdre un peu le lecteur pour mieux<br />
le reprendre ensuite. Certaines intuitions re<strong>la</strong>tives au rapport entre texte et image<br />
interviennent dès les premiers temps de l'écriture, alors que l'entrée en scène de<br />
l'illustrateur sera plus tardive.<br />
C'est l'éditeur qui propose un illustrateur <strong>avec</strong> qui col<strong>la</strong>borer et les échanges<br />
d'intentions et de points de vue se feront toujours par son intermédiaire : jamais en direct<br />
<strong>avec</strong> l'illustrateur. Dans cette interaction médiatisée entre l'auteur et l'illustrateur se<br />
précisent les choix de chapitrage, de rythme : il s'agira par exemple de s'accorder <strong>sur</strong><br />
l'endroit où p<strong>la</strong>cer une double page d'illustrations dans le récit. Ces choix, qui naissent de<br />
<strong>la</strong> <strong>rencontre</strong> des sensibilités, se basent aussi <strong>sur</strong> les propositions induites par le texte. En<br />
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effet, si le tapuscrit se déroule “au kilomètre” dans le temps qui précède l'apparition des<br />
images, il comporte déjà des respirations, comme dans l'écriture radiophonique, et se<br />
soucie de préparer un temps de lecture de l'image qui puisse correspondre<br />
harmonieusement au temps de lecture du texte.<br />
/une col<strong>la</strong>boration réussie/<br />
<strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> évoque un exemple de col<strong>la</strong>boration qu'il estime très<br />
réussie : celle <strong>avec</strong> Stéphane Girel pour l'histoire de Pénélope <strong>la</strong> poule de Pâques. Il a<br />
apporté, pour nous les montrer, l'album, ainsi que différentes étapes de travail : ses<br />
brouillons, le tapuscrit, des crayonnés en noir puis en couleur... Il nous explique en quoi<br />
cette mise en images est particulièrement réussie : elle tient compte de <strong>la</strong> question “Où<br />
es-tu quand tu racontes ?”. L'illustrateur a travaillé en cohérence <strong>avec</strong> le récit pour le choix<br />
de son support notamment : le bois <strong>sur</strong> lequel il a créé ses illustrations renforce<br />
l'impression d'une Poule de Pâques qui s'est enterrée dans sa tour d'ivoire. Elle devient<br />
littéralement le bois de l'arbre dans le trou duquel elle s'est si bien cachée. Par ailleurs, le<br />
dessin va à l'essentiel : les jeux de zoom adoptés par Stéphane Girel, lorsque <strong>la</strong> poule est<br />
<strong>sur</strong> le point d'être découverte notamment, et que l'on ne voit apparaître <strong>sur</strong> <strong>la</strong> page que<br />
quelques détails qui trahissent sa présence, dans l'image en gros p<strong>la</strong>n de l'entrée de sa<br />
cachette, font mouche.<br />
Est-ce que l'écrit vient lorsque l'écrivain vient ?<br />
La fin de <strong>la</strong> <strong>rencontre</strong> approche. Comme <strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> l'a précisé, il a tenu au<br />
groupe de jeunes enseignants qui lui font face peu ou prou les mêmes propos que<br />
ceux qu'il aurait adressés à un groupe d'élèves.<br />
Alors, quel est l'enjeu de telles <strong>rencontre</strong>s ? Quelle entrée offrent-elles dans l'écrit ?<br />
/ateliers d'écriture : attention/<br />
L'auteur nous met en garde : il est plus difficile de fabriquer de <strong>la</strong> production<br />
d'écrit que de fabriquer un lecteur. Pouvons-nous décemment proposer aux élèves le<br />
projet d'écrire un roman ? De devenir des écrivains ? Si nous le faisons, ils pourraient bien<br />
nous répondre, à juste titre : “Calme ta joie !”. Les élèves sont conscients des efforts et<br />
des progrès qui leur sont nécessaires pour écrire, et cette conscience doit être respectée.<br />
On pourra peut-être se proposer d'écrire une nouvelle par exemple, ou en tout cas une<br />
forme modeste.<br />
<strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> se rappelle combien il avait du mal à écrire, enfant, <strong>sur</strong> un<br />
sujet libre. Ce<strong>la</strong> lui donnait le vertige. “Mais donnez-moi une contrainte, un bout de phrase,<br />
une accroche, et vous ne pourrez plus m'arrêter.” Il nous offre comme inducteur de<br />
l'imaginaire l'exemple suivant, emprunté à John Le Carré : prenons <strong>la</strong> phrase “Le chat dort<br />
<strong>sur</strong> le tapis.”. Elle est grammaticalement correcte, c'est tout. Ajoutons-lui ces deux mots :<br />
“du chien.”. Alors peut naître une histoire ! L'imaginaire de chacun se réveille : on verra un<br />
chat énorme et un chien tout petit, ou une histoire d'amour entre les deux animaux...<br />
Pour ce qui est des ateliers d'écriture, l'auteur précise qu'il ne s'entend pas très<br />
bien lui-même à les animer : faire écrire à plusieurs exige un suivi long et fastidieux, fait de<br />
négociations permanentes pour choisir entre les diverses propositions des enfants. Mais si<br />
l'on s'y <strong>la</strong>nce, nous dit-il, il faut <strong>sur</strong>tout aller au bout. Ne jamais abandonner le projet<br />
d'écriture en chemin, et offrir aux enfants qui s'y sont risqués une mise en forme qui les<br />
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valorise et leur fasse p<strong>la</strong>isir, même si le travail n'est pas abouti et ne peut qu'être<br />
renéotypé !<br />
/préserver l'intime/<br />
Décidément, <strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> est favorable à l'écriture solitaire : pour le<br />
pouvoir de l'auteur, déjà évoqué et qui, insiste-t-il, ne saurait être partagé, mais aussi pour<br />
<strong>la</strong> plongée dans l'intime que permet cette pratique. C'est pourquoi Ton livre à écrire,<br />
récemment publié et qui suscite un grand intérêt chez les enseignants, est à prendre<br />
comme un livre intime. Nous comprenons <strong>avec</strong> quelle prudence il nous faudra aborder un<br />
tel ouvrage, regorgeant de situations qui sont autant d'invitations à l'écriture, afin de ne<br />
pas en trahir l'intention, de ne pas en faire un répertoire de recettes.<br />
/<strong>avec</strong> ce que l'on est/<br />
Alors, est-ce que l'écrit vient, en présence de l'écrivain, et de quelle manière ? Il<br />
est c<strong>la</strong>ir que c'est <strong>avec</strong> l'envie de fabriquer des lecteurs, et non des auteurs, qu'<strong>Hubert</strong><br />
<strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> <strong>rencontre</strong> des c<strong>la</strong>sses et des maîtres. Des moments au cours desquels il se<br />
refuse à révéler des éléments de sa vie privée : “Vous ne saurez rien de mon nombril !”<br />
En revanche, l'auteur évoque ses propres lectures et souligne combien il<br />
importe de se nourrir : on fabrique un lecteur en lisant soi-même. Ainsi, il invite les futurs<br />
professeurs qui lui font face à envisager leur pratique de manière vivante : “On est un<br />
enseignant <strong>avec</strong> sa propre personne, <strong>avec</strong> l'être humain que l'on est, qui va au théâtre, lit,<br />
voit des expositions”.<br />
Une exhortation à <strong>la</strong> curiosité qui fait écho à <strong>la</strong> vision que cet écrivain dessine<br />
de son métier : évoquant l'image du joueur de flûte de Hammelin, il affirme que les<br />
solutions viennent toujours de l'extérieur. Les auteurs, dit-il, doivent être des joueurs de<br />
flûte. Ils doivent faire regarder leurs lecteurs de tous les côtés, “augmenter le rapporteur<br />
de l'horizon.”.<br />
Deux heures sont passées : c'est un livre à <strong>la</strong> main qu'<strong>Hubert</strong> <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong><br />
nous propose de conclure cet échange. Nous voici ravis en un instant, embarqués<br />
<strong>avec</strong> lui dans l'histoire de L'oeuf du coq, qu'il interprète de <strong>la</strong> voix et du geste et dont il<br />
fait vivre pour nous chaque personnage et chaque é<strong>la</strong>n.<br />
Merci infiniment, monsieur <strong>Ben</strong> <strong>Kemoun</strong> ! Merci pour vos livres, pour votre<br />
disponibilité, pour votre engagement, et pour <strong>la</strong> cerise <strong>sur</strong> le gâteau que sont vos<br />
talents de conteur !<br />
Prise de notes et rédaction du présent document : Charlotte Guilbert, Janvier 2009.<br />
Merci aux personnes ayant participé à <strong>la</strong> <strong>rencontre</strong> de me signaler toute précision ou correction<br />
éventuelle par mail à cette adresse : charlotte.guilbert@alsace.iufm.fr<br />
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