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«Alain avait du cœur, Corinne était une battante» - L'illustré

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Photos: S. Nemeth, DR<br />

La couverture<br />

<strong>«Alain</strong> <strong>avait</strong> <strong>du</strong> <strong>cœur</strong>,<br />

<strong>Corinne</strong> <strong>était</strong> <strong>une</strong> <strong>battante»</strong><br />

En 1975, la ressemblance entre<br />

le frère et la sœur est frappante.<br />

Leurs caractères se complétaient<br />

à merveille.<br />

Tragédie des Crosets<br />

Adrien Rey-Bellet tient à rendre publiquement<br />

hommage à ses deux enfants. Un hommage<br />

équitable. Car la notoriété de la championne<br />

a injustement relégué son frère au second plan.<br />

16 L’ILLUSTRÉ bg 10 mai 2006<br />

Un courage<br />

de montagnard<br />

Adrien Rey-Bellet et son épouse,<br />

Verena, hospitalisée à Lausanne,<br />

doivent affronter un deuil d’<strong>une</strong><br />

indicible cruauté. Le Val-d’Illien fait face<br />

avec un cran qui impose le respect.<br />

L’ILLUSTRÉ 17


Texte: Philippe Clot<br />

Photos: Sedrik Nemeth<br />

Son visage est comme la<br />

montagne: à la fois rude<br />

et noble. Il exprime le<br />

courage. Ce même courage<br />

qui permettait à sa<br />

fille <strong>Corinne</strong> de dévaler les pistes<br />

de descente à 120 km/h et de revenir<br />

au sommet après s’être fait<br />

reconstruire un genou détruit. Et,<br />

dans ces circonstances épouvantables,<br />

il en faut <strong>une</strong> montagne de<br />

courage pour faire front, pour garder,<br />

comme Adrien Rey-Bellet assis<br />

là, à la table à manger d’un neveu,<br />

le torse et le regard droits.<br />

Mais cet homme de 71 ans, ce<br />

«shérif des Crosets», se révèle<br />

aussi beaucoup plus fin, beaucoup<br />

plus sensible que sa réputation de<br />

patriarche ombrageux le laissait<br />

croire. Et, sur ce plan-là, c’est sans<br />

doute son fils Alain qu’on devine<br />

à travers ses mots qui sonnent si<br />

juste.<br />

Alain le modeste,<br />

Alain le camarade<br />

fidèle, Alain l’admirateur<br />

inconditionnel<br />

de sa sœur adorée.<br />

«<strong>Corinne</strong> <strong>était</strong> <strong>une</strong><br />

battante, Alain <strong>avait</strong><br />

<strong>du</strong> <strong>cœur</strong>. Mais bon…<br />

Ils en avaient tous les<br />

deux, <strong>du</strong> <strong>cœur</strong>. Ils<br />

étaient des enfants<br />

magnifiques», se<br />

souvient le père qui,<br />

malgré sa proverbiale<br />

fierté de Val-d’Illien,<br />

ne peut retenir un<br />

sanglot et quelques<br />

larmes, avant de<br />

se ressaisir sur-lechamp.<br />

C’est toujours<br />

<strong>du</strong>r de voir un homme<br />

pleurer. Encore plus<br />

<strong>du</strong>r quand il s’agit<br />

d’<strong>une</strong> telle force de la<br />

nature.<br />

Adrien Rey-Bellet vient de vivre<br />

ce qu’il y a de pire: on a assassiné<br />

ses deux enfants et cruellement<br />

blessé sa femme. «Mais je n’ai pas<br />

le droit de me laisser aller. Nous<br />

avons <strong>une</strong> mission à remplir: nous<br />

occuper de Kevin, le petits-fils.»<br />

18 L’ILLUSTRÉ<br />

Alain et <strong>Corinne</strong><br />

Un injuste déséquilibre<br />

Si le patriarche accepte de recevoir<br />

la presse dans l’appartement<br />

d’un de ses neveux, c’est avant tout<br />

pour rendre un hommage équitable<br />

à ses deux enfants. Car toute la<br />

famille ressent comme <strong>une</strong> injustice<br />

supplémentaire qu’Alain soit<br />

juste mentionné, voire carrément<br />

oublié dans les journaux, sur les<br />

manchettes, dans les images de la<br />

TV. <strong>Corinne</strong> <strong>était</strong> certes la championne,<br />

mais le frère et la sœur<br />

étaient soudés par <strong>une</strong> extraordinaire<br />

complicité. Et, pour les proches,<br />

il est bien sûr impossible de<br />

les dissocier, de les classer. Et le<br />

destin, dans sa cruauté, a même<br />

voulu qu’ils meurent ensemble.<br />

Alain, selon son père, a sans doute<br />

tenté de protéger sa sœur, de faire<br />

de son corps un barrage aux balles<br />

<strong>du</strong> pistolet d’ordonnance, comme<br />

peuvent le laisser penser ses blessures<br />

dans le dos.<br />

Une mort encore plus cruelle<br />

quand on sait qu’Alain devait se<br />

marier civilement vendredi dernier<br />

avec la je<strong>une</strong> femme qui vivait déjà<br />

avec lui aux Crosets. Mais c’est son<br />

enterrement qu’on a dû célébrer ce<br />

jour-là. «Ils s’étaient rencontrés il<br />

«Un ami d’Alain a même pris<br />

un mois de congé pour nous<br />

soutenir» Adrien Rey-Bellet<br />

Alain et son père sur les pistes des Crosets, au milieu des années 80. Le père<br />

et ses deux enfants avaient tous les trois passé leur brevet de professeur<br />

de ski.<br />

y a environ trois ans. Ils faisaient<br />

partie d’<strong>une</strong> même grande bande<br />

de copains et sont tombés amoureux.»<br />

Le papa rappelle le parcours scolaire<br />

de son fils qui allait reprendre<br />

petit à petit la gestion de ce parc de<br />

300 lits qui accueille chaque année<br />

des milliers de touristes et d’écoliers.<br />

Une formation commerciale,<br />

suivie d’un long séjour dans <strong>une</strong><br />

université sportive aux Etats-Unis,<br />

puis en Angleterre. Il <strong>était</strong> devenu<br />

un trilingue français-allemand-<br />

anglais. Alain, qui <strong>avait</strong> profité de<br />

son service militaire pour passer<br />

le permis poids lourd, <strong>avait</strong> aussi<br />

travaillé pour <strong>une</strong> entreprise spécialisée<br />

dans le transport d’œuvres<br />

d’art.<br />

Ce solide montagnard <strong>avait</strong> aussi<br />

tenté sa chance dans le ski de compétition.<br />

«Mais à 16 ans, l’âge où<br />

cela se décide, il a plutôt opté pour<br />

le basket, tandis que <strong>Corinne</strong> <strong>avait</strong><br />

déjà brûlé toutes les étapes. Notez<br />

quand même qu’Alain a passé son<br />

brevet de prof de ski. Il jouait dans<br />

le club de basket de Collombey.<br />

Tous ces grands gaillards à l’enterrement,<br />

c’<strong>était</strong> son équipe. Il y en<br />

a même un qui a pris un mois de<br />

congé pour nous soutenir, c’est dire<br />

si on l’appréciait, ce garçon.»<br />

En ces jours terribles, Adrien<br />

Rey-Bellet n’oublie pas non plus de<br />

saluer avec émotion ceux qui soutiennent<br />

sa famille: «Je remercie<br />

<strong>du</strong> fond de mon <strong>cœur</strong> le CHUV,<br />

à Lausanne. Cet hôpital a délégué<br />

deux doctoresses<br />

et deux infirmières<br />

au chevet de ma<br />

femme. Et un curé<br />

lui a fait <strong>une</strong> messe<br />

en même temps<br />

qu’<strong>avait</strong> lieu la<br />

cérémonie de Vald’Illiez.<br />

C’est <strong>une</strong><br />

très belle attention,<br />

qui a donné de la<br />

force à Verena,<br />

si sévèrement<br />

blessée et qui se<br />

rétablit pourtant<br />

de manière remarquable.<br />

Car,<br />

comme elle me l’a<br />

dit, après la douleur<br />

physique, elle<br />

doit maintenant<br />

affronter la souffrance<br />

morale. Et<br />

hier, lors de l’ensevelissement,<br />

j’ai<br />

reçu <strong>une</strong> foule de<br />

témoignages qui m’ont énormément<br />

touché.»<br />

Il est impossible de ne pas évoquer<br />

aussi ce tragique dimanche<br />

soir, ne serait-ce que pour trouver<br />

un début d’explication à cette folie<br />

meurtrière que rien ne justifie.<br />

Contrairement à ce qui a été dit, il<br />

n’y aurait pas eu de dispute avant le<br />

carnage: «C’est n’importe quoi, ce<br />

qu’on a pu lire. Je l’ai juste croisé<br />

quand il redescendait de l’appartement<br />

de <strong>Corinne</strong>. On s’est serré<br />

la main et je suis allé régler un<br />

Un frère et <strong>une</strong> sœur inséparables<br />

Promos<br />

à 7 et 5 ans<br />

Eté 1979. L’année scolaire<br />

se termine. Les deux enfants ont mis<br />

leur déguisement<br />

de promotions.<br />

Main dans la main<br />

Même pour danser <strong>une</strong> ronde, les<br />

petits Rey-Bellet ne se lâchent pas.<br />

10 mai 2006<br />

Noël 1979<br />

Ce Père Noël de supermarché n’effraie<br />

visiblement pas les deux petits<br />

montagnards.<br />

L’ILLUSTRÉ 19<br />

Photos: DR


20 L’ILLUSTRÉ<br />

Alain et <strong>Corinne</strong><br />

E<strong>du</strong>cation religieuse<br />

En avril 1980 pour <strong>Corinne</strong> et en mai 1982 pour Alain, c’est l’âge de la première<br />

communion.<br />

Chez eux, aux Crosets<br />

Balade en mars 1984 au sommet <strong>du</strong> col de Chésery,<br />

face aux Dents-<strong>du</strong>-Midi.<br />

problème de machine à laver dans<br />

un autre bâtiment.»<br />

Ultime adieu<br />

Gerold Stadler et <strong>Corinne</strong> venaient<br />

de mettre au lit leur fils, sans doute<br />

fatigué par le long trajet en voiture<br />

depuis Saint-Gall. Les époux<br />

avaient bu un café ensemble. Deux<br />

tasses et un biberon sur la table<br />

témoignent de ce dernier entretien.<br />

C’<strong>était</strong> le premier week-end de<br />

garde paternelle après la séparation<br />

<strong>du</strong> couple. Gerold Stadler et son<br />

fils l’avaient passé avec les grandsparents.<br />

Le banquier aurait dit à ses<br />

parents, avant de prendre sa voiture<br />

pour ramener Kevin aux Crosets:<br />

«C’<strong>était</strong> si beau avec vous.» Des<br />

paroles qui résonnent aujourd’hui<br />

comme un ultime adieu.<br />

Après avoir endormi Kevin, les<br />

époux sont ensuite descen<strong>du</strong>s dans<br />

l’appartement des parents Rey-Bellet,<br />

et c’est là que le drame aurait<br />

éclaté d’un coup. «Ma femme a pu<br />

me dire qu’<strong>une</strong> fois dans la pièce<br />

il a tout de suite sorti son pistolet<br />

d’<strong>une</strong> serviette et s’est mis à tirer<br />

sans prononcer le moindre mot. Il<br />

n’y a pas eu de fâcherie. C’est donc<br />

bel et bien un meurtre prémédité,<br />

un assassinat», martèle Adrien<br />

Rey-Bellet.<br />

Le patriarche n’a pas lui-même<br />

enten<strong>du</strong> les coups de feu. «En<br />

revenant, j’entends les cris de ma<br />

future belle-fille.» Adrien Rey-Bellet<br />

découvre <strong>une</strong> scène d’horreur<br />

absolue. Sa future belle-fille, couchée<br />

dans le sang de son futur<br />

mari, tente de le ranimer. «Sandra<br />

m’a tout de suite dit que <strong>Corinne</strong><br />

<strong>était</strong> morte. Je me suis occupé de<br />

ma femme, lui ai fait un garrot à<br />

la cuisse pour stopper l’hémorragie.»<br />

Tous deux ont des réflexes<br />

de montagnard rompus aux premiers<br />

secours. «Je disais à Sandra<br />

de gifler Alain pour qu’il reste<br />

conscient. Mais il <strong>était</strong> trop sévèrement<br />

blessé. Sandra s’est comportée<br />

de manière admirable. Elle a été<br />

vraiment très forte.»<br />

«Il <strong>était</strong> malade»<br />

Pourquoi le meurtrier l’a-t-il épargné<br />

lui ainsi que sa future bellesœur<br />

qui l’a croisé juste après son<br />

forfait, l’arme à la main? «Peut-être<br />

n’<strong>avait</strong>-il plus de munitions. Mais<br />

tout cela n’a plus d’importance.»<br />

Pourquoi a-t-il commis l’irréparable?<br />

«Il devait souffrir d’un dédoublement<br />

de la personnalité. Il <strong>était</strong><br />

malade. Je ne peux donc pas, en<br />

«Nous avons<br />

<strong>une</strong> mission:<br />

nous occuper de<br />

Kevin» Adrien Rey-Bellet<br />

mon for intérieur, lui en vouloir.»<br />

Gerold Stadler s’est-il senti seul<br />

contre tout un clan en ce début,<br />

toujours difficile, de séparation?<br />

Etait-il le Suisse allemand toléré<br />

par les Val-d’Illiens? «Mais pas <strong>du</strong><br />

tout!» s’exclament le père et ses<br />

neveux. «Il <strong>était</strong> sympa et bien<br />

intégré», précise même un membre<br />

de la grande famille. «Et ma<br />

femme est Suisse allemande. Nous<br />

parlons le dialecte. Et lui-même<br />

parlait bien le français», rappelle<br />

Adrien Rey-Bellet.<br />

Symbole malgré lui de cette<br />

fusion des deux cultures, le petitfils<br />

désormais orphelin perpétue<br />

ce bilinguisme: «L’autre jour, il a<br />

même assuré, à 2 ans et demi, la<br />

tra<strong>du</strong>ction entre <strong>une</strong> nièce qui ne<br />

parle pas l’allemand et le fils de la<br />

meilleure amie de <strong>Corinne</strong>, qui ne<br />

parle pas le français.»<br />

Kevin, ce petit bout de chou, est<br />

maintenant au <strong>cœur</strong> d’<strong>une</strong> question<br />

juridique. Qui aura sa garde?<br />

Adrien Rey-Bellet a déjà pris des<br />

mesures pour que son petit-fils soit<br />

élevé en Valais. Or Gerold Stadler<br />

aurait exprimé, avant de se donner<br />

la mort, le souhait que son fils soit<br />

élevé à Abtwil (SG). «Même si je<br />

n’éprouve auc<strong>une</strong> haine pour la<br />

famille Stadler, qui n’y peut rien, la<br />

meilleure défense, c’est l’attaque»,<br />

explique-t-il, avec la même envie<br />

de vaincre que sa fille et le même<br />

<strong>cœur</strong> que son fils. Ph. Ct J<br />

Photos: S. Nemeth, DR

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