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ON NE PAIE PAS ! ON NE PAIE PAS - Le Grand T

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PHOTO © JULIEN CORREC<br />

EN TOURNÉE EN LOIRE-ATLANTIQUE<br />

<strong>ON</strong> <strong>NE</strong> <strong>PAIE</strong> <strong>PAS</strong> ! <strong>ON</strong> <strong>NE</strong> <strong>PAIE</strong> <strong>PAS</strong> !<br />

DARIO FO<br />

MISE EN SCÈ<strong>NE</strong> CHRISTOPHE ROUXEL | THÉÂTRE ICARE<br />

2012/13<br />

1<br />

Licences spectacles 1-142915 2-142916 3-142917


SOMMAIRE<br />

Présentation 3<br />

La pièce 4<br />

Note d’intention 5<br />

Dario Fo, auteur 6<br />

Christophe Rouxel<br />

et le théâtre Icare 8<br />

Extrait 9<br />

La presse en parle 11<br />

Annexes 12<br />

PHOTO © JULIEN CORREC<br />

<strong>ON</strong> <strong>NE</strong> <strong>PAIE</strong> <strong>PAS</strong> !<br />

<strong>ON</strong> <strong>NE</strong> <strong>PAIE</strong> <strong>PAS</strong> !<br />

EN TOURNÉE EN LOIRE-ATLANTIQUE<br />

MACHECOUL<br />

OCT VE 12 21:00<br />

CHÂTEAUBRIANT<br />

VE 19 20:45<br />

SAINT-LYPHARD<br />

VE 26 20:30<br />

PORNICHET<br />

NOV VE 16 20:00<br />

VALLET<br />

MA 20 20:30<br />

LA CHEVROLIÈRE<br />

VE 23 20:30<br />

LIGNÉ<br />

DI 25 17:00<br />

DURÉE : 2h05<br />

PUBLIC : à partir de la 3 e<br />

C<strong>ON</strong>TACTS PÔLE PUBLIC ET MÉDIATI<strong>ON</strong><br />

Manon Albert<br />

albert@le<strong>Grand</strong>T.fr<br />

02 28 24 28 08<br />

Florence Danveau<br />

f.danveau@le<strong>Grand</strong>T.fr<br />

02 28 24 28 17<br />

LE GRAND T<br />

84, rue du Général Buat<br />

BP 30111<br />

44001 NANTES Cedex 1<br />

2


PRÉSENTATI<strong>ON</strong><br />

On ne paie pas ! On ne paie pas !<br />

Par le Théâtre Icare<br />

Texte Dario Fo<br />

Adaptateurs Toni Cecchinato et Nicole Colchat<br />

Mise en scène Christophe Rouxel<br />

Collaboration artistique Luigi de Angelis<br />

Scénographie Silvio Crescoli<br />

Lumières Christophe Olivier<br />

Costumes Caroline <strong>Le</strong>ray<br />

Maquillage Sylvie Aubry<br />

Son Benjamin Rouxel<br />

Régie générale Paul Seiller<br />

Avec Florence Gerondeau, Delphine Lamand, Frédéric Louineau, Didier Morillon et Didier Royant<br />

Production Théâtre Icare<br />

<strong>Le</strong> Théâtre Icare est une compagnie conventionnée, subventionnée par le Ministère de la culture et de la<br />

communication – Drac des Pays de la Loire, la Ville de Saint-Nazaire, le Conseil régional des Pays de la Loire,<br />

et le Conseil général de Loire-Atlantique.<br />

Avec le soutien pour le décor du <strong>Grand</strong> T scène conventionnée Loire-Atlantique<br />

3


LA PIÈCE<br />

« On ne paie pas ! On ne paie pas ! »<br />

C’est le slogan lancé en chœur par un millier de<br />

femmes ulcérées par la montée des prix dans un<br />

supermarché de la banlieue de Milan.<br />

Antonia repart chez elle surchargée de grands pochons<br />

de courses. Elle rencontre Margherita, sa voisine,<br />

qui lui donne un coup de main et elle lui raconte<br />

par le menu la révolte puis la mise à sac du supermarché.<br />

Mais que faire de ces marchandises « volées<br />

» ? <strong>Le</strong> mari d’Antonia, Giovanni, syndicaliste pur,<br />

dur et légaliste, ne supporterait aucun compromis.<br />

Antonia décide de mentir, purement et simplement.<br />

Mais la situation s’accélère. L’État a réagi très vite à<br />

cette atteinte grave à la propriété et au commerce.<br />

La police, puis la gendarmerie, par vagues successives,<br />

ratissent le quartier, procèdent à une fouille<br />

méticuleuse des appartements. Antonia, dépassée<br />

par les évènements, s’emberlificote dans des mensonges<br />

de plus en plus farfelus. Elle cache une partie<br />

des marchandises sous le manteau de sa voisine.<br />

La voilà enceinte ! Giovanni, qui revient du boulot,<br />

est surpris. Il s’interroge. Ce quiproquo va déchaîner<br />

une avalanche d’évènements invraisemblables dont<br />

le grotesque va révéler avec une efficacité redoutable<br />

les dysfonctionnements d’une société en crise<br />

où les rapports d’oppression, de spéculation et de<br />

profit ont acculé les classes modestes à l’indignité.<br />

Et Giovanni peut répondre à ceux qui disent :<br />

« On n’avait pas raison, nous autres, les gens de<br />

gauche ? Voyez !<br />

<strong>Le</strong> capitalisme s’effondre ! »<br />

« … oui, le capitalisme s’écroule… mais il s’écroule<br />

sur nous. »<br />

Visionnez la séquence du journal « 19/20 » de France3 sur On ne paie pas ! On ne paie pas ! en<br />

cliquant sur le lien ci-dessous :<br />

http://www.youtube.com/watch?v=YLoWlRX_9_I&feature=player_embedded<br />

PHOTO © JULIEN CORREC<br />

4


NOTE D’INTENTI<strong>ON</strong><br />

Par Christophe Rouxel<br />

On ne paie pas ! On ne paie pas ! de Dario Fo nous<br />

intéresse parce que l’humeur de la comédie est associée<br />

ici à une réflexion politique pour former une farce<br />

militante jubilatoire. On trouve dans cette proposition<br />

de Dario Fo une formidable virtuosité à conduire<br />

les personnages dans une course haletante, à la fois<br />

absurde et sincère, vers une révolte manifeste d’ouvrières<br />

au milieu des années 70 en Italie. Presque un<br />

demi-siècle plus tard, le texte retrouve une jeunesse<br />

et une efficacité joyeuses. Ici, des femmes et des<br />

hommes finissent par réaliser des actes identiques<br />

et pacifiques pour se venger de trop d’injustices à<br />

leur égard, avec des principes bien différents mais<br />

qui finissent donc par se rejoindre dans les actes.<br />

On ne paie pas ! On ne paie pas !, c’est cette voix de<br />

femme qui crie à son homme : « La classe ouvrière,<br />

qui c’est ? C’est nous… Nous et notre rage, notre<br />

misère et notre désespoir… comme tous ceux qu’on<br />

est en train d’expulser. Regarde-les… pire que des<br />

déportés… Tu ne veux rien savoir, tu te bouches les<br />

yeux. Tu n’es même plus un communiste… tu es un<br />

clérical de gauche… un couillon. » Et son homme de<br />

lui répondre : « Non je ne suis pas un couillon… Moi<br />

aussi, je me fous en rage, et ce n’est pas contre toi,<br />

c’est contre moi… contre mon impuissance. »<br />

<strong>Le</strong>s moments de crises sont tellement récurrents<br />

qu’on finirait par s’y habituer. Alors pour ne pas se<br />

laisser prendre à trop de désabusement, entrons<br />

avec Dario Fo en crises de rires et d’engagement<br />

furieux et joyeux.<br />

C’est dans cet état d’esprit que j’aborde le travail de<br />

On ne paie pas ! On ne paie pas ! ce jour le 24 août<br />

2010, à Saint-Nazaire.<br />

Christophe Rouxel, metteur en scène<br />

PHOTO © JULIEN CORREC<br />

5


DARIO FO, AUTEUR<br />

NOTICE BIOGRAPHIQUE<br />

Dario Fo naît en 1926 à San Giano, village de Lombardie<br />

au bord du lac Majeur, dans une famille prolétaire<br />

de tradition démocratique et antifasciste. Il découvre<br />

très jeune le théâtre populaire et la tradition<br />

orale, par l’intermédiaire de son grand-père, « fabulatore<br />

» connu. Doué en dessin et en peinture – talent<br />

qui lui permettra de dessiner lui-même les affiches<br />

de ses spectacles – il commence par étudier l’art et<br />

l’architecture à Milan.<br />

En 1952, il écrit pour la radio ses premiers monologues<br />

comiques, intitulés Poer nano, « Pauvre nain ».<br />

Il découvre le Piccolo Teatro de Giorgio Strehler, fait<br />

ses débuts d’acteur et écrit des revues de critique<br />

sociale.<br />

En 1954, il épouse Franca Rame, fille d’une grande<br />

famille de comédiens populaires, qui devient son inséparable<br />

partenaire. Ensemble, ils fondent leur première<br />

compagnie professionnelle : la compagnie Fo-Rame.<br />

Jusqu’en 1967, Dario Fo écrit et interprète des comédies<br />

destinées aux théâtres « bourgeois », mais dans<br />

lesquelles il explore la culture populaire et promeut une<br />

critique sociale et politique de l’époque : il fustige les<br />

institutions et les classes dirigeantes tout en déployant<br />

une fantaisie débridée. En 1968 a lieu une<br />

rupture essentielle dans le parcours de Fo : il fonde<br />

l’association « Nuova Scena » avec l’aide du PCI,<br />

« au service des forces révolutionnaires » et s’extrait<br />

du circuit du théâtre « bourgeois ». À cause de<br />

conflits idéologiques, l’association est cependant vite<br />

PHOTO © M. FALSINI<br />

dissoute. En 1970 – seconde rupture – Dario Fo se<br />

détache du parti communiste et crée, avec ses camarades,<br />

un autre collectif théâtral : « La Comune ». Ces<br />

années sont celles des grands succès : Mystère<br />

Bouffe, en 1969, épopée des opprimés inspirée de<br />

la culture médiévale, apporte à Dario Fo une renommée<br />

mondiale ; Mort accidentelle d’un anarchiste,<br />

en 1970, et Faut pas payer, en 1974, sont écrits en<br />

liaison, l’une avec la demande de révision du procès<br />

de l’anarchiste Guiseppe Pinelli défenestré à Milan,<br />

l’autre avec la campagne d’autoréduction des factures<br />

en période d’inflation.<br />

L’anti-conformisme de Dario Fo, ainsi que son engagement<br />

politique et social l’entraînent dans d’innombrables<br />

procès et controverses en Italie, avec l’État,<br />

la police, la télévision, le pape : son émission Canzonissima<br />

est censurée ; selon le pape, Mistero buffo<br />

offense « les sentiments religieux des Italiens ». En<br />

collaboration avec Franca Rame, il écrit une série de<br />

monologues inspirés par la lutte des Italiennes pour<br />

le droit au divorce et la légalisation de l’avortement.<br />

Il invente, dans la veine de Mystère Bouffe, des histoires<br />

désopilantes et graves, comme Histoire du<br />

tigre. En 1980, on lui interdit d’entrer aux États-Unis,<br />

où il devait donner une représentation exceptionnelle,<br />

à cause de son affiliation au « Soccorso Rosso », une<br />

organisation de soutien aux détenus.<br />

Artiste hors normes, il reçoit en 1997 le Prix Nobel<br />

de Littérature pour avoir « dans la tradition des bateleurs<br />

médiévaux, fustigé le pouvoir et restauré la<br />

dignité des humiliés. »<br />

Dario Fo a eu ces dernières années un adversaire de<br />

choix, source inépuisable de satire et de critiques<br />

virulentes de sa part : Silvio Berlusconi.<br />

Sur le plan artistique, Dario Fo est revenu à ses premières<br />

amours : la peinture. Il continue cepandant à<br />

arpenter les scènes du Piccolo Teatro ou les parvis<br />

des églises, lors de spectacles conférences sur l’histoire<br />

de l’art où – avec force, dessins de sa main à<br />

l’appui – il réinvente, avec la fougue irrévérencieuse<br />

qui le caractérise, l’histoire du Caravage, de Giotto,<br />

de Léonard de Vinci, de Mantegna, ou encore celle<br />

de saint François d’Assise ou de Saint-Ambroise, le<br />

saint patron de Milan, sa ville (à la mairie de laquelle<br />

il s’était même présenté en 2006).<br />

6


UN HOMME DE THÉÂTRE : QUELQUES<br />

REPÈRES CHR<strong>ON</strong>OLOGIQUES<br />

1958-1968 : Compagnie Dario Fo – Franca Rame :<br />

période « bourgeoise »<br />

Dario Fo écrit sept comédies, dont Isabelle, trois<br />

caravelles et un charlatan, à partir des modèles populaires<br />

de la farce et de la commedia dell’arte, en<br />

les inscrivant dans un contexte contemporain. Par le<br />

biais de l’ironie et du grotesque, une critique sociale<br />

apparaît déjà.<br />

1968-1970 : Collectif théâtral « Nuova Scena »<br />

La révolution culturelle chinoise, les événements de<br />

mai 1968 en France, les mouvements de lutte en<br />

Italie amènent Dario Fo et Franca Rame à mettre<br />

fin à leur compagnie pour créer l’association Nuova<br />

Scena, « au service des formes révolutionnaires, non<br />

pour réformer l’État bourgeois, mais pour favoriser<br />

la croissance d’un processus révolutionnaire susceptible<br />

de porter au pouvoir la classe ouvrière ». Fo<br />

s’inscrit alors dans un circuit mis sur pied par le PCI.<br />

Parmi les spectacles de cette période : L’Ouvrier<br />

connaît 300 mots, le patron 1000, c’est pour ça qu’il<br />

est le patron ; première version de Mistero Buffo.<br />

1970 : Collectif théâtral de « La Comune »<br />

Dario Fo rompt avec le PCI. Il fonde donc un nouveau<br />

collectif et met sur un pied un nouveau circuit,<br />

« alternatif », distinct du précédent.<br />

Parmi les spectacles de cette période : Mort accidentelle<br />

d’un anarchiste, Feddayn (joué par les Palestiniens<br />

du Front de libération), Guerre du peuple<br />

au Chili (sur les luttes des mineurs chiliens), Faut<br />

pas payer !, L’Enlèvement de Fanfani, Histoire du<br />

tigre et autres histoires. Pendant cette période Mistero<br />

Buffo est développé et repris.<br />

1980-1997: Dario Fo et Franca Rame créent de<br />

nouveaux spectacles, invités et reconnus dans le<br />

monde entier. En 1991, il monte ainsi à la Comédie<br />

Française <strong>Le</strong> Médecin volant et <strong>Le</strong> Médecin malgré<br />

lui.<br />

1997 : Dario Fo reçoit le prix Nobel de Littérature.<br />

Fo a écrit ensuite des comédies Il diavolo con le<br />

zinne (1997) et des monologues construits sur le<br />

modèle de Mistero Buffo : Lu santo jullare Francesco<br />

(1999) et Il tiempo degli uomini liberi (2004).<br />

L’arrivée du deuxième gouvernement Berlusconi lui<br />

inspire L’Anomalo Bicefalo, écrit avec Franca Rame.<br />

7


CHRISTOPHE ROUXEL, METTEUR EN SCÈ<strong>NE</strong> ET LE THÉÂTRE ICARE<br />

Depuis 1979, Christophe Rouxel mène une carrière<br />

professionnelle consacrée au théâtre : acteur, formateur,<br />

metteur en scène et directeur de compagnie.<br />

Attaché à une éthique de théâtre exigeant et populaire,<br />

il n’a cessé d’explorer des modes singuliers de<br />

représentation pour favoriser la rencontre avec de<br />

nouveaux publics.<br />

De 1982 à 1990, à Rieux (56), son village natal, il<br />

dirige un projet de création théâtrale en milieu rural.<br />

Il signe trois mises en scène présentées durant sept<br />

ans devant 70 000 spectateurs. En 1986, il réalise<br />

Port-Nazaire, naissance d’une ville industrielle,<br />

Saint-Nazaire, où il a fondé et installé le Théâtre Icare<br />

en 1984.<br />

Depuis 1990, il s’attache essentiellement à la direction<br />

artistique de cette compagnie, conventionnée<br />

depuis 1995, qui a à son actif plus de trente créations<br />

: Koltès, Weiss, O’Neil, Bourdon, Chevalier,<br />

Valentin, Beckett, Bihan, Wenzel, Simon, Zariab,<br />

Shakespeare, Cannet, Büchner, Duras, Morrison,<br />

Odensten, Claudel, De Angelis, Vauthier, Karge...<br />

Depuis plusieurs années, il a constitué une équipe<br />

d’acteurs et de formateurs, qui intervient dans de<br />

nombreux espaces d’éducation et au sein même du<br />

Théâtre Icare.<br />

Il a encadré de nombreux stages à l’international -<br />

Chili, Portugal (avec l’aide de l’AFAA et de l’Alliance<br />

Française), et en France dans les conservatoires<br />

de Bordeaux, Angers et La Roche-sur-Yon, et participé<br />

à un stage de mise en scène avec Peter Brook<br />

(1993). Il est également sollicité pour des lectures,<br />

comme récitant, avec diverses formations musicales<br />

et comme comédien.<br />

PHOTO © GUY TOUBLANC - CARÈ<strong>NE</strong><br />

Entre 1995 et 2001, il est élu membre du Conseil<br />

Économique et Social de la Région des Pays de la<br />

Loire. Il est membre du jury du Prix d’écriture théâtrale<br />

de Guérande. On ne paie pas ! On ne paie pas<br />

! est la trente-deuxième mise en scène de Christophe<br />

Rouxel avec le Théâtre Icare.<br />

<strong>Le</strong>s mises en scène de Christophe Rouxel pour le<br />

Théâtre Icare :<br />

1985 Chapeau de Banane, de K. Valentin<br />

1987 Outre-mer, d’A. Chevalier<br />

1988 La Dernière Bande, de Samuel Beckett<br />

1990 Jock, de J-L. Bourdon<br />

1991 Chant du coq et Fin de programme<br />

de J-L. Bourdon<br />

1992 Quai Ouest, de Bernard-Maris Koltès<br />

1993 Marat Sade, de Peter Weiss<br />

1994 Max Gericke, de M. Karge<br />

L’Instruction, de Peter Weiss<br />

1995 Medea, de J. Vauthier<br />

1996 Une lune pour les déshérités, d’E. O’Neill<br />

1997 Roberto Zucco, de Bernard-Marie Koltès<br />

1998 Beauregard, de Luigi De Angelis<br />

1999 Chant d’amour pour l’Ulster, de Bill Morrison<br />

2000 L’Échange, de Paul Claudel<br />

Macbeth, d’après William Shakespeare<br />

2001 Woyzeck, de Georg Büchner<br />

2002 L’Affaire de la rue de Lourcine, d’E. Labiche<br />

2003 Ces murs qui nous écoutent, d’après S. Zariâb<br />

Marat Sade, de Peter Weiss<br />

2004 Jazz’n Faust, de F. Smektala et P-G. Verny<br />

Un drôle de silence, de Julien Simon<br />

2005 Don Juan, d’après différents auteurs.<br />

2006 Little Boy la passion, de Jean-Pierre Cannet<br />

2007 Gheel Terre Promise, d’après Per Odensten<br />

2008 La Maladie de la Mort, de Marguerite Duras<br />

Gheel la ville des fous, d’après Per Odensten<br />

2009 Combat de nègre et de chiens, de B-M Koltès<br />

La Princesse de Gheel d’après M. Maeterlinck<br />

2009 La Nuit juste avant les forêts, de B-M Koltès<br />

2011 On ne paie pas ! On ne paie pas ! de Dario Fo<br />

8


EXTRAIT<br />

Giovanni<br />

Qu’est-ce qu’elle a, Margherita ?<br />

Antonia<br />

Qu’est-ce qu’elle devrait avoir, je ne comprends pas.<br />

Giovanni<br />

Ben, là, devant, là… on dirait qu’elle a enflé.<br />

Antonia<br />

Et alors ? C’est la première fois que tu vois une<br />

femme mariée avec un gros ventre ?<br />

Giovanni<br />

Attends, tu es en train de me dire qu’elle est enceinte ?<br />

Antonia<br />

C’est ce qui arrive généralement quand on fait<br />

l’amour avec son mari.<br />

Giovanni<br />

Elle en est à quel mois ? Dimanche dernier, je l’ai<br />

vue, et j’ai pas remarqué…<br />

Antonia<br />

Quand est-ce que tu as remarqué quoi que ce soit<br />

chez une femme, toi ?! Dimanche dernier, c’est dimanche<br />

dernier. Il s’en passe des choses en une<br />

semaine !<br />

Giovanni<br />

Écoute, je suis peut-être crétin, mais pas à ce pointlà.<br />

Luigi ne m’a rien dit.<br />

On bosse à la même chaîne, du matin au soir et il<br />

me met la tête comme ça avec sa petite femme chérie.<br />

Il me l’aurait dit quand-même, si elle attendait un<br />

enfant !<br />

Antonia (qui ne sait pas comment s’en sortir)<br />

Beh… y’a des choses, comme ça que… qu’on n’a<br />

peut-être pas envie d’aller raconter à tout le monde.<br />

C’est gênant…<br />

Giovanni<br />

C’est gênant ? Mais t’es folle ou quoi ? Ça le gênerait<br />

de dire que sa femme est enceinte ? C’est une<br />

honte, maintenant, de mettre sa femme enceinte ?<br />

Antonia (qui cherche ses mots)<br />

Peut-être que… peut-être qu’il ne te l’a pas dit parce<br />

que… Parce qu’il ne le sait pas encore. (Giovanni<br />

la regarde abasourdi. Antonia continue, impertur-<br />

bable.) Et si lui ne le sait pas, comment veux-tu qu’il<br />

te l’annonce, à toi ?<br />

Giovanni<br />

Comment ça qu’il ne le sait pas ?<br />

Antonia<br />

Je ne sais pas, moi, peut-être qu’elle n’a pas voulu<br />

lui dire !<br />

Giovanni<br />

Comment ça, elle n’a pas voulu lui dire ?<br />

Antonia<br />

Ben parce que… parce que Margherita est très réservée…<br />

et aussi parce que Luigi… il est toujours<br />

à dire que c’est encore trop tôt, que c’est pas le<br />

moment, qu’avec la crise on sait pas, qu’ils devraient<br />

d’abord s’établir… et puis qu’on risque de la renvoyer<br />

si elle est enceinte. Tellement flippé qu’il lui a<br />

fait prendre la pilule !<br />

Giovanni<br />

Mais si elle prend la pilule, comment ça se fait qu’elle<br />

est enceinte ?<br />

Antonia<br />

Ben la pilule a pas dû agir comme il faut ! Ça arrive…<br />

Giovanni<br />

Mais si la pilule n’a pas agi comme il faut, pourquoi<br />

elle le cacherait à son mari ? C’est pas sa faute, à<br />

elle !<br />

Antonia<br />

Ben peut-être que la pilule n’a pas agit comme il faut<br />

parce que… parce qu’elle ne la prenait pas, la pilule…<br />

et si tu prends pas la pilule… (elle ne sait plus<br />

quoi dire) il arrive que la pilule ne fasse pas effet…<br />

(elle prend le balai et se met à balayer)<br />

Giovanni<br />

Mais qu’est-ce tu racontes ?<br />

Antonia (tousse nerveusement)<br />

Margherita… Margherita est très catholique… très…<br />

et le Pape a proclamé que prendre la pilule était un<br />

péché mortel…<br />

Giovanni<br />

Dis-moi, tu es tombée folle, c’est ça ? Tu parles<br />

comme une démente, là ! La pilule qui n’agit pas<br />

9


parce qu’on ne la prend pas ! Elle avec un bidon de<br />

neuf mois et son mari qui ne se rend compte de rien,<br />

et maintenant le Pape !<br />

Antonia (de plus en plus en difficulté)<br />

Peut-être que Luigi ne se rendait compte de rien<br />

parce que… Margherita se sanglait !<br />

Giovanni<br />

Elle se sanglait ?<br />

Antonia<br />

Oui, bien serré, toute comprimée, pour que ça se<br />

voie pas. Et aujourd’hui, quand je l’ai vue, comme ça,<br />

je lui ai dit : « Mais Margherita, tu t’emmaillotes encore<br />

? Mais tu es folle ! Tu veux perdre ton bébé ? Mais tu<br />

vas l’étouffer ! Qu’est-ce t’en as à faire qu’ils te renvoient<br />

? Un bébé c’est quand même plus important<br />

que le boulot ! » J’ai bien fait non ?<br />

Giovanni<br />

Bien sûr que tu as bien fait ! Tu as bien fait ! Bien<br />

sûr !<br />

Antonia<br />

Et c’est comme ça qu’on s’est retrouvées à la maison<br />

et qu’elle s’est enfin décidée à se dessangler :<br />

Ploff ! Un ventre !! T’aurais vu ça, Giovanni !<br />

Giovanni<br />

Je l’ai vu !<br />

Antonia<br />

Et je lui ai même dit : « écoute Margherita, si ton mari<br />

fait des histoires, tu lui diras de venir chez moi, et mon<br />

Giovanni, il va lui expliquer la vie, lui, à sa façon ! » J’ai<br />

bien fait ou pas ?<br />

PHOTO © JULIEN CORREC<br />

10


LA PRESSE EN PARLE<br />

« Indignez-vous, avec le sourire… et Dario Fo. <strong>Le</strong><br />

Théâtre Icare réussit une adaptation d’On ne paie<br />

pas ! On ne paie pas !, farce politique du subversif<br />

dramaturge italien, d’une brûlante actualité. L’histoire<br />

d’une émeute de la faim… »<br />

Ouest-France, 14 janvier 2011<br />

« La comédie On ne paie pas ! On ne paie pas ! est<br />

un rayon de soleil dans la brume du quotidien. »<br />

Presse-Océan, 16 janvier 2011<br />

« Engagez-vous ! […] Dans l’écrin parfait de sa scéno<br />

acidulée, la compagnie Théâtre Icare porte l’auteur<br />

avec une énergie débordante… »<br />

<strong>Le</strong> Bruit du Off 2011, 18 juillet 2011<br />

« 10 spectacles nominés aux Coups de cœur du<br />

Club de la presse <strong>Grand</strong> Avignon-Vaucluse : […] On<br />

ne paie pas ! On ne paie pas ! par le Théâtre Icare à<br />

17h35 au Grenier à sel. »<br />

La Provence, 20 juillet 2011<br />

« Désespérément drôle ! Comme Pasolini, il donne<br />

la parole au peuple […] Face à l’agressivité contemporaine,<br />

à la mondialisation envahissante, cette interprétation<br />

de Dario Fo rassemble et réveille. »<br />

La Marseillaise, 24 juillet 2011<br />

11


AN<strong>NE</strong>XES<br />

FAUT <strong>PAS</strong> PAYER ! (DEVENU <strong>ON</strong> <strong>NE</strong> <strong>PAIE</strong> <strong>PAS</strong> ! <strong>ON</strong> <strong>NE</strong> <strong>PAIE</strong> <strong>PAS</strong> !) -<br />

1974 - TEXTE ET C<strong>ON</strong>TEXTE<br />

MATÉRIAUX POUR APPROF<strong>ON</strong>DIR L’ANALYSE<br />

12


III. Faut pas payer ! – 1974 :<br />

texte et contexte<br />

III.1. Histoire(s)<br />

Faut pas payer ! est traversé par l’histoire politique : la pièce s’ancre dans une réalité concrète très précise et<br />

renvoie aux tensions qui parcourent alors le pays. Antonia et Margherita ne peuvent plus payer depuis plusieurs<br />

mois leur loyer, le gaz et l’électricité. Giovanni et Luigi sont en passe de perdre leur travail, leur usine devant être<br />

délocalisée. Même les divergences politiques de ces deux hommes reprennent celles du moment : Luigi pour<br />

l’action directe, sans passer par les partis, Giovanni pour le respect de la loi et des impulsions du syndicat. La<br />

réalité politique et économique est plus qu’une référence dans le théâtre de Dario Fo, elle en est la matière<br />

même.<br />

a. La désobéissance civile<br />

Faut pas payer ! s’inspire des luttes de quartiers des années 70 et d’une forme toute particulière qu’elles<br />

revêtirent : la désobéissance civile. La première manifestation de celle-­‐ci fut l’auto-­‐réduction des loyers dans un<br />

quartier ouvrier de Turin en 1970. <strong>Le</strong> mouvement s’étendit peu à peu à d’autres villes, et d’autres factures : le<br />

chauffage, les transports urbains, l’électricité. Ce mouvement visait à faire prendre en main les revendications<br />

par les intéressés eux-­‐mêmes et permit une résistance assez efficace contre l’augmentation du coût de la vie pour<br />

les ouvriers et petits salariés. Au moment où Dario Fo inventait l’argument de sa pièce à partir du mouvement<br />

d’auto-­‐réduction des factures, des mouvements spontanés contre les augmentations abusives des supermarchés<br />

apparurent, sans qu’on puisse établir de lien d’antériorité ni de causalité entre l’histoire et le théâtre. Ainsi, deux<br />

supermarchés de Milan furent envahis et dévalisés en octobre 1974 par des manifestants, en majorité des<br />

femmes.<br />

b. Des années de plomb<br />

8<br />

La Provincia, 20.10.1974, article conservé par Dario Fo.


<strong>Le</strong>s années 70 en Italie furent nommées les « années de plomb ». Période noire de l’histoire politique, économique<br />

et sociale, elle fut traversée par des conflits et des tensions violentes. Chômage, délocalisation, misère allaient de<br />

pair avec manifestations, radicalisation politique, affrontements, attentats terroristes.<br />

Texte 1 : « Entre « compromis historique » et terrorisme, retour sur l'Italie des années 70 », Toni Negri,<br />

2002.<br />

Toni Negri est l’auteur, entre autres, de La Classe ouvrière contre l'Etat, Galilée, Paris, 1978, et d'Italie rouge et<br />

noire, Hachette, Paris, 1985. Il a été chargé de cours à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm et enseignant à<br />

l'université Paris-­‐VIII, ainsi qu'au Collège international de philosophie.<br />

(…) En Italie, les années 70 commencent, en fait, en 1967-­‐1968 et se terminent en 1983. En 1967-­‐1968 le<br />

mouvement étudiant, comme dans tous les pays développés, érigea des barricades. Pourtant, son envergure et<br />

son impact n'eurent pas la même ampleur que dans les autres pays européens : en Italie, le mai 68 étudiant<br />

proprement dit fut faible.<br />

Mais il n'en va pas de même si on le juge d'un point de vue plus général : il a en effet ouvert, dans le système du<br />

pouvoir, une brèche dans laquelle s'est engouffrée, en vagues successives, la protestation sociale contre un<br />

système qui accumulait les retards dans la modernisation du capitalisme et réprimait le potentiel démocratique<br />

hérité de la lutte antifasciste et de la Résistance.<br />

C'est ainsi qu'après les étudiants d'autres acteurs sociaux se sont imposés sur la scène politique. Par exemple,<br />

1969 est l'année ouvrière des nouveaux conseils d'entreprise (consigli di fabbrica), de l'égalitarisme dans les<br />

augmentations de salaire, du dérèglement des politiques capitalistes en matière de marché du travail. <strong>Le</strong> statut<br />

des travailleurs (statuto dei lavoratori) couronne cette phase des luttes. Viendront l'organisation des pouvoirs<br />

des régions, l'introduction du divorce, l'objection de conscience, sans parler de nombreuses innovations<br />

législatives qui ont « décongelé » la vieille société de l'après-­‐guerre. Autant de réponses institutionnelles à un<br />

enchaînement continu de luttes -­‐ pas seulement étudiantes, ni même ouvrières -­‐ ouvert par 1968.<br />

La « stratégie de la tension »<br />

Vers 1973-­‐1974, le cadre se modifie. Jusqu'à ce moment-­‐là, la relation entre les mouvements sociaux et la<br />

« gauche » avait été, malgré des accidents de parcours, essentiellement dialectique. Après la crise du pétrole de<br />

1973 et les premières contre-­‐offensives capitalistes, les choses changent. La gauche italienne interrompt le<br />

dialogue avec les nouvelles forces sociales, et sa composante majoritaire, le Parti communiste italien (PCI),<br />

propose un « compromis historique » (compromesso storico) à l'adversaire de toujours, la Démocratie chrétienne<br />

(DC).<br />

Or le système politique italien, il faut le rappeler, était alors caractérisé, pour des raisons liées à la position du<br />

pays dans le scénario de la « guerre froide » par son « bipartisme imparfait ». Autrement dit, dans la norme de la<br />

vie parlementaire existait une convention ad excludendum concernant le PCI : quelle que fût sa force électorale, le<br />

[PCI] était exclu du pouvoir, censé rester entre les mains de la Démocratie chrétienne, rempart de l'Occident.<br />

Malgré cette contrainte institutionnelle, les deux forces avaient imaginé un système de pouvoir permettant un<br />

certain équilibre, espérant ainsi modérer les conflits sociaux lorsque ceux-­‐ci débordaient. A côté d'un<br />

« bipartisme imparfait » existait donc ce qu'on appelait un « coassociativisme imparfait ».<br />

Au début des années 70, s'appuyant sur la force électorale croissante que lui offre le développement des<br />

mouvements sociaux, le PCI décide de participer plus en profondeur à la majorité. Il ne se présente plus<br />

seulement comme un « parti de lutte », mais comme un « parti de lutte et de gouvernement ». Du coup, à partir de<br />

1973-­‐1974, le Parlement va travailler dans une unanimité de fait. En 1978, le PCI ira jusqu'à appuyer le nouveau<br />

gouvernement. Ce faisant, il démissionnera des dernières fonctions de contrôle qui lui étaient imparties, dans le<br />

« bipartisme imparfait », en tant que représentant de l'opposition. <strong>Le</strong> « coassociativisme » devenait « parfait ».<br />

<strong>Le</strong>s années 1974 à 1978 voient s'approfondir progressivement l'alliance entre DC et PCI : du gouvernement et du<br />

Parlement, celle-­‐ci s'étend à tout le système de pouvoir, de l'administration centrale à la périphérie, aux<br />

syndicats, à la gestion des moyens de communication et, dulcis in fundo, à la police. Simultanément, les luttes<br />

s'accentuent et les mouvements sociaux rompent définitivement avec toute représentation institutionnelle.<br />

N'oublions pas qu'il s'agissait de batailles de très grande envergure et d'énorme intensité.<br />

Car, au-­‐delà du simple exercice de ce « contre-­‐pouvoir » qu'ils incarnaient depuis 1968, les mouvements sociaux<br />

étaient alimentés par les conséquences des politiques de déflation monétaire et de restructuration industrielle<br />

par lesquelles s'organisait une première -­‐ mais décisive -­‐ « sortie du fordisme » du système productif italien. Or le<br />

« compromis historique » s'était justement bâti autour de ces « politiques d'austérité » contre lesquelles se<br />

dressait la mobilisation sociale.<br />

Ainsi, quand la répression -­‐ celle du patronat dans les usines et celle de la police, bénéficiant d'un nouvel arsenal<br />

législatif, dans la société -­‐ passa les bornes démocratiques, la résistance en vint à son tour à s'armer. C'est surtout<br />

parmi les ouvriers des grandes usines du Nord, sauvagement restructurées, que les Brigades rouges (1)<br />

9


commencèrent à s'organiser ; et c'est dans ces mêmes usines, ou dans les zones limitrophes, qu'apparurent des<br />

pratiques de « justice prolétarienne », tantôt de masse, tantôt clandestines.<br />

A cet enchevêtrement de composantes sociales et politiques, désormais traversé par une série ininterrompue de<br />

luttes ouvrières et de violences urbaines, s'ajoute une variable indépendante et surdéterminée. C'est la<br />

provocation directe -­‐ comment l'appeler, sinon « terroriste » ? -­‐ des organes de l'Etat en charge des obligations<br />

de la « défense atlantique », avant, pendant et après le « compromis historique ».<br />

A partir du massacre de Milan en 1969, ces appareils ne cessent, année après année, d'accroître leur<br />

intervention, des bombes lancées pendant les défilés et les meetings populaires, dans les gares et dans les trains,<br />

jusqu'à l'horrible tuerie de Bologne en 1980 (2) (actuellement, aucun des responsables et des commanditaires de<br />

ces massacres n'est incarcéré). Ces actions criminelles ont évidemment jeté de l'huile sur le feu d'une résistance<br />

qui ne demandait qu'à s'exprimer et en avait les moyens.<br />

En 1977, le mouvement connaît une soudaine et très forte flambée, à partir de Bologne, la ville-­‐vitrine de la<br />

politique urbaine du PCI. A l'issue d'une manifestation, un énième militant y est tué par la police. Une émeute<br />

éclate. <strong>Le</strong> maire communiste et le gouvernement de « compromis historique » envoient les chars balayer les<br />

barricades. A la même période, le secrétaire national du syndicat communiste est expulsé de l'université de<br />

Rome, après de très violents accrochages, par un mouvement étudiant de masse qui s'élargit désormais au<br />

prolétariat urbain.<br />

A Milan, Turin, Naples, Padoue défilent d'énormes cortèges dans lesquels, de plus en plus fréquemment,<br />

apparaissent des groupes extrémistes armés, qui s'affirment comme une des composantes du mouvement. La<br />

résistance ouvrière et les mouvements prolétariens urbains contre les restructurations grandissent<br />

irrésistiblement dans la rancune à l'égard de la trahison de la gauche. S'ensuit une quasi-­‐guerre civile qu'aucun<br />

des acteurs ne contrôle plus. Cette tragédie va se terminer par une défaite. Pour tout le monde.<br />

<strong>Le</strong>s premiers vaincus sont les mouvements sociaux. Totalement coupés des représentants de la gauche<br />

traditionnelle, incapables de donner une forme politique adéquate à l'expression du contre-­‐pouvoir et de<br />

contrôler celui-­‐ci, ils seront entraînés dans le gouffre d'un extrémisme toujours plus aveugle et violent.<br />

L'enlèvement et l'assassinat d'Aldo Moro (3) représenteront l'apogée d'un mouvement qui, mettant en avant ses<br />

objectifs militaires, avait perdu la capacité de mesurer les conséquences politiques de ses actions. Prise dans cet<br />

étau, la mouvance politique qui avait structuré les aspirations de centaines de milliers d'agitateurs et de<br />

militants sera bientôt dissoute par une répression massive et puissante.<br />

<strong>Le</strong>s forces politiques porteuses du « compromis historique » ont cherché, elles aussi, à sortir de l'isolement social<br />

dans lequel elles étaient tombées, mais par une politique de répression pure et simple. Elles gagnèrent, mais ce<br />

fut une victoire à la Pyrrhus. Polices spéciales, prisons spéciales, tribunaux et procès spéciaux, activité spéciale<br />

de gouvernement : l'« urgence » a remodelé, tout en l'isolant encore plus, la structure constitutionnelle d'un<br />

système politique déjà massacré par le « bipartisme imparfait ».<br />

Avec des conséquences dramatiques, et d'abord pour le PCI, qui, à partir de ces années-­‐là, sera à la merci de la<br />

droite, enregistrant une baisse continue de ses suffrages et échouant à rétablir le moindre contact avec des<br />

mouvements sociaux, d'ailleurs marginalisés. <strong>Le</strong> Parti communiste va devenir ce que jamais, dans son histoire<br />

originale et glorieuse, il n'avait été : un groupe bureaucratique cantonné à l'intérieur de la machine du pouvoir et<br />

à l'extérieur de la société. Pour sa part, la Démocratie chrétienne a perdu au cours de ces événements sa position<br />

constitutionnelle centrale : elle s'enfermera dans la gestion de son pouvoir local et n'arrivera plus à se donner les<br />

instruments nécessaires à la compréhension du paysage productif et social au sein duquel la crise était née. C'est<br />

au gouvernement Bettino Craxi (socialiste), mis en place en 1983, qu'incombera la tâche de transformer<br />

l'isolement de la classe politique en une énorme machine de corruption et de dégradation de la société et de<br />

l'Etat. <strong>Le</strong>s années 70 étaient finies. […]<br />

Toni Negri, EspaiMarx, 2002.<br />

NOTES<br />

(1) <strong>Le</strong>s Brigate Rosse (Brigades rouges) étaient, comme Prima Linea (Première ligne, 1976-­‐1980), un des groupes militaires<br />

de l'extrême gauche -­‐ dans laquelle on comptait également, mais agissant sur le seul plan politique, Lotta Continua (Lutte<br />

continue, 1969-­‐1976), Potere Operaio (Pouvoir ouvrier, 1969-­‐1973), etc.<br />

(2) L'explosion d'une bombe dans la Banque de l'agriculture, piazza Fontana, à Milan, le 12 décembre 1969 (16 morts et 98<br />

blessés), marque le début de la « stratégie de la tension », laquelle culminera avec l'attentat à la gare centrale de Bologne, le 2<br />

août 1980 (85 morts et 200 blessés). Dans les deux cas, comme la justice l'a confirmé plus tard, c'est l'extrême droite qui était<br />

l'instrument de ce terrorisme aveugle. Selon les statistiques du ministère italien de l'intérieur, 67,55 % des violences (rixes,<br />

actions de guérilla, destruction de biens) commises en Italie de 1969 à 1980 sont imputables à l'extrême droite, 26,5 % à<br />

l'extrême gauche, et 5,95 % à d'autres.<br />

(3) Au moment de son enlèvement, le 16 mars 1978, Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, négociait avec Enrico<br />

Berlinguer les possibles modalités d'une association du PCI au gouvernement.<br />

10


<strong>Le</strong>xique<br />

Celui-­‐ci est établi à partir des notes de Valeria Tasca proposées à la fin de l’édition de Faut pas payer ! (Editions<br />

Dramaturgie). Pour des informations plus approfondies, on pourra donc s’y reporter.<br />

-­‐ Compromis historique : terme forgé à l’automne 1973, il désigne le pacte d’alliance passé entre la Démocratie<br />

chrétienne et le Parti communiste, dans la perspective de gérer ensemble le pouvoir. Cette alliance consistait<br />

essentiellement à maintenir après la victoire sur les fascistes et les nazis, le bloc politique antifasciste, qui<br />

deviendrait un bloc de pouvoir dans le cadre d’une démocratie bourgeoise progressiste. La gauche<br />

extraparlementaire y vit la preuve définitive que le PCI abandonnait toute perspective révolutionnaire. Cette<br />

alliance se brisa en 1980.<br />

-­‐ Gauche extraparlementaire : l’expression désigne en Italie les secteurs de la gauche qui ne se reconnaissent<br />

pas dans les partis de la gauche historique, le PCI et le PSI, et qui refusent la représentation au Parlement comme<br />

expression politique du prolétariat. Ces organisations se sont formées autour des années 60, autour de deux<br />

axes : l’un, « ouvriériste », l’autre, marxiste léniniste. Parmi ces groupes : Potere Operaio, Gruppi comunisti<br />

rivoluzionari. L’un des journaux représentatifs de cette gauche fut Lotta continua.<br />

-­‐ Lois spéciales : établies entre 1974 et 1982, ces lois spéciales désignent un ensemble de textes et de<br />

dispositions donnant à la police et à la justice des droits accrus pour lutter contre la criminalité dans les grandes<br />

villes et surtout contre les manifestations de lutte armée organisée. Parmi ces mesures : l’interrogatoire par la<br />

police des gens arrêtés, avec avocat, puis sans – mesure qui a entraîné des cas de torture ; l’extension des<br />

mesures de garde à vue et la réduction des cas de liberté provisoire ; l’autorisation des arrestations préventives ;<br />

jusqu’à la loi dite des « repentis », votée en 1982, qui consent d’énormes avantages à ceux qui, inculpés de crimes<br />

politiques, dénoncent leurs co-­‐inculpés.<br />

-­‐ Terrorisme : un mouvement armé clandestin s’est développé en Italie à partir de 1972. Divers éléments de la<br />

gauche extraparlementaire jugèrent qu’un affrontement révolutionnaire entre le prolétariat et l’Etat bourgeois<br />

était imminent. Ils se donnèrent des structures clandestines et s’armèrent. Et pendant plusieurs années<br />

intervinrent dans les luttes sociales, qui se durcirent au cours des années 70. <strong>Le</strong>s premiers actes furent la<br />

dégradation de produits industriels, des locaux de police et de gendarmerie, puis la séquestration de dirigeants<br />

industriels et de syndicalistes « jaunes ». Peu à peu, leurs actes s’aggravèrent, jusqu’aux attentats meurtriers et<br />

aux homicides. L’un des événements les plus marquants fut le meurtre d’Aldo Moro, retenu en otage pendant<br />

plusieurs semaines. Au début des années 80, l’Etat italien lança une contre-­‐offensive très dure contre la lutte<br />

armée et obtint des succès importants conduisant à l’incarcération de plusieurs milliers de militants, réels ou<br />

supposés. L’un des groupes les plus connus de cette lutte armée fut les Brigades rouges.<br />

11


III.2. Une « farce politique »<br />

Texte 2 : Extrait de la préface de Valéria Tasca de Faut pas payer ! , aux éditions Dramaturgie.<br />

« Avec Non si paga !, [Dario Fo] s’approprie le vaudeville, pour démonter une situation qui tantôt s’enlise dans la<br />

grisaille du fourneau à gaz et tantôt débouche sur la menace d’une charge de police. Or le recours au vaudeville,<br />

loin de servir à esquiver le réel, permet de le montrer tel qu’il est, déglingué, incohérent, jusque dans ses<br />

emballements farfelus qui révèlent paradoxalement des mécanismes impitoyables. <strong>Le</strong>s personnages, et<br />

singulièrement Giovanni, jouent le double jeu d’instruments dociles qui actionnent les rouages contre eux-­‐<br />

mêmes, et d’obstacles qui font trébucher la machine ou la projettent sur une trajectoire insensée. Ils sont proches<br />

en cela d’une autre tradition, celle de la commedia dell’arte, et surtout du Zanne balourd, trop sot pour<br />

comprendre les ordres de son maître, ce qui lui permet de désobéir ou mieux encore, d’exécuter au pied de la<br />

lettre les instructions reçues et d’en faire éclater aux yeux l’absurdité. <strong>Le</strong> hasard fournit dans Non si paga ! des<br />

données de départ quasi invraisemblables, comme le veut la tradition comique. C’est la silhouette ventrue de<br />

Margherita qui cache des provisions sous son manteau, ce sont les boîtes de nourriture pour animaux emportées<br />

par Antonia dans sa hâte de remplir son panier à bon compte. A partir de là on a un mécanisme d’enchaînements<br />

rigoureux et rigoureusement insensés. La grossesse de Margherita se transmet par contagion à son amie Antonia<br />

et par miracle au gendarme qui ne voulait pas croire en Sainte Eulalie. La nourriture pour animaux soulève le<br />

dégoût, puis clame la fringale, et devient enfin le repas qu’on partage.<br />

[…]<br />

Dario Fo a écrit que Non si paga ! est une pièce sur la faim. De la razzia initiale au miracle de Sainte Eulalie, on<br />

parle de nourriture, on rêve de nourriture. Tout est dans l’imagination, dans l’assaisonnement. Deux gouttes de<br />

citron et les têtes de lapins se goberaient comme des huîtres. La pâtée pour chien et chat devient un pâté à la<br />

française. La bouillie de millet, trop peu cuite dans une décoction infâme, fait son entrée dans la gastronomie<br />

exotique, par la petite porte du révisionnisme. […] Enfin au lieu de roses de la légende, suave régal pour croyants<br />

repus, Sainte Eulalie fait un miracle en gonflant le ventre de femmes avec de la salade et des choux. De quoi<br />

rassasier un troupeau de zèbres. Dommage que les ouvriers ne soient pas des zèbres, pas plus qu’ils ne sont des<br />

canaris, des chats ou des chiens. Il n’y a de vrai, au bout du compte, que la vie de chien qu’on leur fait mener. »<br />

III. 3. Archives<br />

Valéria Tasca, extrait de la préface de Faut pas payer ! aux Editions Dramaturgie.<br />

a. La création de Faut pas payer ! par le collectif « La Comune »<br />

De cette création, il reste des esquisses de Dario Fo de la scénographie et des personnages et de nombreuses<br />

photos.<br />

Texte 3 : L’usage du dessin, extrait de « J’aime inventer la réalité », entretien avec Dario Fo, Revue du TNS<br />

OutreScène, mai 2004.<br />

« Quand je prépare un spectacle, je déroule tout le texte, séquence de jeu par séquence de jeu, en autant de<br />

dessins que je montre aux acteurs au début du travail. Je dessine le cadre, les jeux de scène, les accessoires, les<br />

gags, et parfois des détails de mimique ou de posture, tels que je les imagine et non pas tels qu’ils doivent être<br />

réalisés : c’est un point de départ, pas un modèle. Quand j’ai monté <strong>Le</strong> Médecin malgré lui et <strong>Le</strong> Médecin volant à la<br />

Comédie Française, je suis arrivé avec deux gros cahiers de dessins. C’est dans mes dessins que je trouve la façon<br />

juste de communiquer l’intention. Je suis toujours resté un figuratif. Pour moi, l’espace est fondamental. Souvent,<br />

je mets en place tout un discours dans les mots et puis, tout doucement, les mots se transforment en sons, en<br />

gestes surtout, en postures, en déplacements. Un soudain renversement de situation, par exemple, provoque le<br />

rire et dans ce cas seulement, la situation provoque la réflexion. <strong>Le</strong> procédé du renversement est celui qui permet<br />

de communiquer l’essentiel avec légèreté. »<br />

Esquisses réalisées pour Faut pas payer !<br />

12


Scénographie imaginée par Dario Fo<br />

13


14<br />

Esquisse pour affiche<br />

Affiche de Dario Fo de Faut pas payer !


Photos de Faut pas payer !<br />

15


. Des affiches de Faut pas payer !<br />

« Faut pas payer ! » fut joué dans de très nombreux pays. <strong>Le</strong>s affiches suivantes témoignent de cette reprise<br />

internationale. Chacune d’elles raconte à sa manière la pièce, mettant l’accent sur la dimension politique ou<br />

comique. Un travail d’analyse de l’image pourrait être réalisé autour de ces représentations iconographiques.<br />

16


III.4 Quelques pistes de réflexions<br />

On peut envisager plusieurs axes pour étudier Faut pas payer !. Ces propositions bien sûr ne sont pas<br />

exhaustives :<br />

- les registres tragique et comique ;<br />

- l’inscription de la thématique de la faim ;<br />

- la notion de « récit » ;<br />

- théâtre et dialectique : le dialogue comme lieu de débat ;<br />

- théâtre et politique ;<br />

- le hors scène ;<br />

- une dramaturgie fondée sur le rythme.<br />

III.5 Extrait<br />

Giovanni, rentrant chez lui, croise Margherita avec un « ventre énorme » : sur l’ordre d’Antonia, elle a caché sous son<br />

manteau des provisions volées. Elle sort.<br />

GIOVANNI Mais qu’est-­‐ce qu’elle a, Margherita ?<br />

ANT<strong>ON</strong>IA Pourquoi, elle devrait avoir quelque chose ?<br />

GIOVANNI Mais… elle est toute gonflée par devant : un ventre énorme !<br />

ANT<strong>ON</strong>IA C’est la première fois que tu vois une femme mariée avec un ventre énorme ?<br />

GIOVANNI Tu veux dire qu’elle est enceinte ?<br />

ANT<strong>ON</strong>IA C’est la moindre des choses qui puissent arriver quand on fait l’amour.<br />

GIOVANNI Mais à quel mois en est-­‐elle ? Je l’ai vue dimanche dernier, je n’ai rien remarqué.<br />

ANT<strong>ON</strong>IA Tu n’as jamais rien compris aux femmes. Depuis dimanche, ça fait déjà une semaine. Et en une<br />

semaine, il peut s’en passer des choses !<br />

GIOVANNI Ecoute, je suis idiot, mais pas à ce point. Nous travaillons à la même chaîne de montage, Luigi et<br />

moi, il me raconte toujours tout ce qui se passe entre sa femme et lui. Et il ne m’a pas dit qu’elle<br />

attendait un enfant.<br />

ANT<strong>ON</strong>IA (ne sachant pas comment s’en sortir.) Ce sont des choses qui… dont… on est gêné d’en parler en<br />

public.<br />

GIOVANNI Gêné ? Mais tu es stupide ? Gêné de dire que sa femme attend un enfant ? Il en aurait honte ?<br />

« Sainte Vierge, j’ai mis ma femme enceinte ! »<br />

ANT<strong>ON</strong>IA (cherchant ses mots.) Il ne te l’a pas dit peut-­‐être … parce qu’il ne le sait pas encore. (Giovanni la<br />

regarde ahuri et elle continue imperturbable) Et si lui ne le sait pas, comment veux-­‐tu qu’il te le<br />

raconte ?<br />

GIOVANNI Il ne le sait pas ?<br />

ANT<strong>ON</strong>IA Eh oui, elle n’a peut-­‐être pas voulu le lui dire.<br />

GIOVANNI Comment pas voulu ?<br />

ANT<strong>ON</strong>IA Eh oui… elle est très réservée… et aussi parce que Luigi… lui répète tous les jours que c’est trop<br />

tôt… que ce n’est pas le moment… avec la crise… que si elle est enceinte, son usine la licenciera…<br />

Tant et si bien qu’il l’oblige à prendre la pilule.<br />

GIOVANNI S’il l’oblige à prendre la pilule, comment se fait-­‐il qu’elle soit enceinte ?<br />

ANT<strong>ON</strong>IA La pilule n’a pas dû agir. Ça arrive.<br />

GIOVANNI Alors pourquoi l’a-­‐t-­‐elle caché à son mari ? Ce n’est pas de sa faute.<br />

ANT<strong>ON</strong>IA Eh bien, c’est que … la pilule n’a pas agi… peut-­‐être … parce qu’elle ne la prenait pas, la pilule. Et<br />

quand on ne prend pas la pilule… (Ne sachant plus quoi dire.)…souvent, elle n’agit pas, la pilule.<br />

GIOVANNI Qu’est-­‐ce que tu racontes ?<br />

ANT<strong>ON</strong>IA (très nerveuse) Margherita est très catholique… et comme le pape a dit que la pilule était un<br />

péché mortel…<br />

GIOVANNI Dis-­‐moi, tu divagues ? La pilule qui n’agit pas quand on ne la prend pas… <strong>Le</strong> pape ! … Elle avec<br />

un ventre de neuf mois et un mari qui ne s’aperçoit de rien !<br />

ANT<strong>ON</strong>IA (de plus en plus en difficulté.) Luigi ne pouvait pas s’en apercevoir, parce que Margherita …<br />

s’emmaillotait.<br />

19<br />

Faut pas payer !, Dario Fo, Premier Temps.


IV. Matériaux pour approfondir l’analyse<br />

IV. 1 Un théâtre populaire<br />

<strong>Le</strong> théâtre de Dario Fo s’inspire et se nourrit du théâtre populaire. De nombreux éléments y renvoient :<br />

l’importance du corps, dans le discours et en jeu ; l’usage de la langue ; l’importance du récit et de l’acteur<br />

conteur.<br />

a. <strong>Le</strong> corps<br />

Texte 4 : « la parole du corps », extrait de Dario Fo : un acteur épique, de Bernard Dort, Travail Théâtral,<br />

1974.<br />

On rencontre dans les spectacles de Dario Fo l’évidence d’un corps contre laquelle viennent s’échouer tous les<br />

tours de l’intellect, tous les raffinements du « jeu dans le jeu ». Que Fo ponctue son jeu de rots, de pets, qu’il nous<br />

donne à entendre le gargouillis d’un estomac affamé ou le ronronnement d’une panse bien remplie ce n’est certes<br />

pas accessoire. C’est le rappel mystérieux de l’existence, des besoins et des satisfactions – les plus immédiats – du<br />

corps. <strong>Le</strong> cul, le ventre, le sexe […] sont les points de référence, d’ancrage. <strong>Le</strong> discours de Fo y ramène toujours.<br />

Car c’est bien du corps, de ses désirs, de ses insatisfactions et de ses satisfactions élémentaires qu’il s’agit. Rein<br />

de populiste là-­‐dedans, mais, bel et bien, une parole profondément populaire. Cette parole « grotesque » qui<br />

double (et peut-­‐être fonde) toute parole « sacrée » ou culturelle. […] Mistero Buffo, ce monologue d’un mime qui<br />

parle et dont la vocation est le dialogue, nous donne accès, le plus simplement du monde, à l’affirmation<br />

première de tout théâtre populaire : celle de la primauté du corps face à tous les travestissements sociaux. »<br />

b. La langue<br />

Texte 5 : l’usage de la langue, extrait de Dario Fo : un acteur épique, Bernard Dort, Travail Théâtral, 1974.<br />

« Il faudrait encore étudier avec précision les variations de langage, les dialectes dont use Dario Fo. Ce qu’il<br />

conteste, c’est la langue nationale et littéraire, établie une fois pour toutes, la lange comme propriété privée dans<br />

le respect de laquelle scène et salle scellent un accord jaloux. En face d’elle, il ressuscite, il élabore ce qu’il appelle<br />

le langage des jongleurs : « Il y avait des centaines de dialectes et une énorme différence, plus grande<br />

qu’aujourd’hui, entre un endroit et l’autre, si bien que le jongleur aurait dû savoir des centaines de dialectes. Alors<br />

qu’est-­‐ce qu’il faisait ? Il en inventait un à lui. Un langage formé sur beaucoup de dialectes, avec la possibilité de<br />

changer des mots à des moments déterminés, et quand il se trouvait dans l’embarras, ne sachant pas quel mot<br />

choisir, pour faire comprendre quelque chose, voilà que tout d’un coup il mettait trois, quatre, cinq synonymes. »*<br />

* Dario Fo, Mistero Buffo<br />

Texte 6 : la langue de Dario Fo, extrait de la « Note du traducteur » de Valeria Tasca pour Faut pas payer !<br />

« La langue de Dario Fo, qu’il s’agisse de théâtre, de manifestes ou d’entretiens, est directe, vive, familière, on se<br />

l’approprie avec plaisir, elle sonne bien à l’oreille. Preuve qu’il s’agit d’une langue d’écrivain, et non de la<br />

transcription réaliste des bredouillements, des platitudes et des approximations du langage courant, celui qu’on<br />

prétend libre parce qu’on n’en perçoit pas la molle et morne rhétorique. Dario Fo utilise systématiquement<br />

toutes les variations possibles entre les dialectes, ceux de l‘Italie du Nord essentiellement et de l’italien. Il en<br />

résulte une langue différente de celle que diffusent les mass media, moins nationale assurément mais bien plus<br />

collective, car elle rappelle l’accent, la gouaille, la verve de gens qu’on a entendus dans la rue. »<br />

Texte 7 : le grommelot, extrait du Gai savoir de l’acteur, Dario Fo.<br />

« Grommelot est un terme d’origine française, forgé par les comédiens et déformé par les Vénitiens qui disaient<br />

gramlotto. C’est un conglomérat de sons qui, sans avoir de signification précise, arrivent à suggérer un sens ; c’est<br />

un jeu d’onomatopées arbitrairement organisées mais qui, grâce aux gestes, aux rythmes et à certaines sonorités,<br />

font passer un discours achevé.<br />

20


On peut articuler des grommelots de toutes sortes, évoquant les structures lexicales les plus variées. La première<br />

forme de grommelot, c’est évidemment celle des enfants. […] Nous pouvons parler tous les grommelots, anglais,<br />

français, allemand, espagnol, napolitain, vénitien, romain, tous, absolument tous ! »<br />

c. <strong>Le</strong> quatrième mur<br />

Texte 8 : « Briser le quatrième mur », extrait du Gai savoir de l’acteur, Dario Fo.<br />

« Une grande partie du théâtre, même moderne, est conçue pour conditionner le public à une totale passivité. A<br />

commencer par le noir complet dans la salle, qui prédispose à une sorte d’anéantissement mental et, par<br />

opposition, crée une attention purement émotive. On suit ce qui se passe sur scène comme si on était au-­‐delà<br />

d’un rideau, d’un quatrième mur qui permet de voir, sans être vu, le déroulement d’histoires intimes et privées,<br />

parfois scabreuses. On les écoute « l’abat-­‐jour baissé », dans le noir, en espion qui se livre au plaisir morbide du<br />

voyeur.<br />

Eh bien ! le souci de briser le quatrième mur était déjà une idée fixe des comédiens dell’arte. Molière lui-­‐même<br />

avait conçu de renouveler le théâtre français à partir de l’intuition vraiment révolutionnaire des hommes de<br />

théâtre italiens. J’ai déjà dit que son maître avait été Scapin et qu’il avait lui-­‐même joué sous ce masque. A partir<br />

de son expérience du milieu des comédiens dell’arte, il avait compris qu’il était important d’impliquer<br />

corporellement le spectateur. Il avait commencé par déplacer la scène vers l’avant. Quand on a construit la<br />

plupart des théâtres, le proscenium arrivait jusqu’à la ligne imaginaire qui relie les deux loges en vis-­‐à-­‐vis, au-­‐<br />

delà du cadre de scène : position idéale pour un acteur qui joue des textes non pas intimistes, mais au contraire<br />

épiques et vraiment populaires. Il est ainsi projeté physiquement vers le parterre, au milieu du public,<br />

complètement en dehors du cadre de scène, à l’extérieur du portique qui délimite la scène proprement dite. Cet<br />

espace s’appelle d’ailleurs avant-­‐scène, et c’est là que Molière fait avancer tous ses acteurs. »<br />

d. L’acteur épique<br />

Texte 9 : le conteur populaire, extrait de la préface de Valeria Tasca de Faut pas payer ! aux éditions<br />

Dramaturgie.<br />

Lire Dario Fo, c’est restituer aux textes leur épaisseur corporelle, retrouver sous l’écriture une parole qui n’est<br />

jamais désincarnée, suspendue dans le vide ? Pour comprendre son langage théâtral (…), la référence la plus<br />

éclairante est celle du conteur populaire (…) : jongleur ou giullare des moralités médiévales, fabulatori ou<br />

conteurs des bourgades d’hier, cantastorie ou chanteurs-­‐conteurs de la Sicile (…). Dario Fo ne refuse pas de se<br />

rattacher aux expériences contemporaines du théâtre politique, comme celle de Piscator et de Brecht, à condition<br />

que parler d’un théâtre et d’un jeu « épiques » soit en même temps redécouvrir un mode de représentation très<br />

ancien, peut-­‐être primitif, encore vivant en tout cas, celui de l’epos, du récit.<br />

La situation du conteur est exemplaire pour le comédien car elle impose avec le public un lien de chaque instant.<br />

(…) Revenir à la tradition des conteurs, c’est restaurer, enrichir et transmettre une culture orale qui constitue la<br />

mémoire du groupe, et comme dit Dario Fo, son « journal parlé » […]. Il prête, comme on dit, sa voix à des<br />

personnages souvent nombreux. N’y en eût-­‐il qu’un, jamais l’être fictif et l’être réel ne se confondent. <strong>Le</strong> conteur<br />

est le maître visible des « ficelles », par lesquelles les événements se constituent en histoire. […] L’histoire, à tous<br />

les sens du mot, ne va pas sans un regard critique sur elle-­‐même. De ces divers décalages, inhérents à la pratique<br />

des conteurs ; le théâtre de Dario Fo tient son pouvoir d’ironie et de charge grotesque.<br />

Texte 10 : <strong>Le</strong>s « fabulatori » du Lac Majeur, Dario Fo, Préface de Allons-­‐y, on commence, farces de Dario Fo.<br />

Tout commence, j’en suis sûr, par le lieu de naissance. En ce qui me concerne, je suis né dans un village au bord<br />

du lac Majeur, près de la frontière suisse. Un pays de contrebandiers et de pêcheurs plus ou moins braconniers.<br />

Deux métiers qui, outre une bonne dose de courage, exigent beaucoup, énormément d’imagination. Il est bien<br />

connu que, si on utilise son imagination à transgresser la loi, on en réserve une partie pour son plaisir personnel<br />

et celui de ses plus proches amis. Voilà pourquoi, ayant grandi dans un milieu où chacun est un personnage, où<br />

chaque personnage cherche une histoire à raconter, j’ai pu aborder le théâtre avec un bagage assez insolite, et<br />

surtout vivant, présent et vrai, comme sont vraies les histoires racontées par des hommes vrais.<br />

21


Il peut sembler un peu gratuit de ramener à cette seule origine ce qui constitue le fond de mes ouvrages, cette<br />

sorte de surréel, de fantastique, de grotesque. Tout ne vient peut-­‐être pas de là ; c’est pourtant de mes<br />

compatriotes que j’ai appris à regarder et à lire les choses de cette façon.<br />

<strong>Le</strong>s fabulatori (conteurs) parcouraient la région du lac Majeur, aux environs de mon village natal, et racontaient<br />

sur les places ou dans les auberges d’étranges histoires, un peu naïves, un peu folles. La simplicité les<br />

caractérisait. Ils racontaient simplement ce qu’ils observaient de la vie quotidienne, mais en le portant jusqu’à<br />

l’exagération. Ces histoires « absurdes » cachaient leur amertume, l’amertume d’une déception et d’une satire<br />

acerbe contre le monde officiel, que peu d’auditeurs sans doute percevaient. [Elles avaient un fond moral,<br />

politique. Nécessairement. Il s’agissait en fin de compte de la défense de celui qui se fait bafouer, exploiter, flouer,<br />

blouser]. Ils racontaient, toujours à la première personne, l’histoire d’étranges pêcheurs qui, lançant leur ligne<br />

avec trop de force, ramenaient les clochers de l’autre rive ; celle d’étranges courses de barques où le batelier,<br />

oubliant de lever lancer, traînait l’île entière derrière sa barque et ne franchissait qu’au second rang la ligne<br />

d’arrivée ; celle de gens qui faisaient la course avec des escargots : quand l’escargot, pour gagner, allait s’écraser<br />

contre une pierre, ils s’apitoyaient et, par esprit chevaleresque, n’avaient plus le cœur de le ramasser pour le<br />

manger ; celle d’étranges explorateurs du monde sous-­‐marin qui découvraient un pays comme celui d’en haut,<br />

mais immobile, parfaitement propre, avec tous ses personnages. (…)<br />

Quand j’avais quatorze ou quinze ans, je m’amusais à reproduire les schémas de ces conteurs. Je croyais qu’ils les<br />

inventaient, j’ai découvert ensuite qu’il s’agissait d’une tradition. Tout cela est resté en moi comme un noyau<br />

positif, structurel.<br />

Texte 11 : le jeu épique, à propos de Mistero Buffo, extrait de Dario Fo : un acteur épique, Bernard Dort,<br />

Travail Théâtral, 1974.<br />

« Fo double littéralement son jeu de commentaires. […] Et c’est précisément cette alternance du jeu et du<br />

commentaire, du langage et de la mimique qui fonde Mistero Buffo.<br />

Certes ces commentaires ont d’abord une fonction d’explication et d’information. Fo explique dans quel contexte<br />

sont nés les textes qu’il va interpréter. […] C’est le commentaire qui fait le pont entre leur passé et notre présent.<br />

Mais la fonction de ce commentaire est aussi proprement sémantique : son rapport au jeu est constitutif du sens<br />

(ou des sens) même de la représentation. […] Dario Fo ne procède pas mécaniquement : du côté du commentaire,<br />

le message ; de celui du jeu, l’illustration. […] Il y a compénétration, entrelacement. <strong>Le</strong> commentaire est loin<br />

d’être pur de tout jeu et le jeu de tout commentaire. […] <strong>Le</strong> sens court du passé au présent, du geste à la parole,<br />

de l’individu à la foule. Il n’est jamais complet nulle part. Il est découpé, livré en brèves séquences, tantôt parlées,<br />

tantôt mimées, séparées les unes des autres et pourtant enchevêtrées. Il ne cesse de s’engendrer dans le<br />

fonctionnement multiple de cet acteur-­‐commentateur qu’est Dario Fo.<br />

Tout ce que, commentant le théâtre épique brechtien, Walter Benjamin écrivait du « jeu interrompu » et du<br />

« gestus que l’on peut citer » s’applique ici à la lettre. Fo pratique une constante interruption. Ses gestes en<br />

demeurent suspendus. Il les regarde, les commente, en rit, les répète ou les prolonge. »<br />

22


IV.2. Théâtre militant<br />

Texte 12 : « Créer des espaces nouveaux », extrait de Fo ou l’espace libre du théâtre, Bernard Dort,<br />

postface de Mort accidentelle d’un anarchiste et Faut pas payer !<br />

Ce livre inscrit ces deux farces « dans un double contexte : celui des luttes politiques italiennes dont [elles sont<br />

issues], celui d’une pratique théâtrale globale, plus large que l’écriture et la représentation, que Fo a toujours<br />

entendu instituer et sur laquelle, parallèlement à sa création, il n’a cessé de réfléchir.<br />

<strong>Le</strong> lexique établi par Valeria Tasca nous fournit les renseignements nécessaires pour déchiffrer les innombrables<br />

références […] aux événements d’actualité, mais surtout il nous permet de réinscrire [ces textes] dans ce qui est<br />

plus qu’un contexte, dans ce qui est [leur] réalité. Ce qui ne veut pas dire bien sûr qu’il [les] referme sur la<br />

situation italienne des années 1970 et le réduit à ne refléter que les combats de l’extrême gauche transalpine<br />

d’alors. Il nous rappelle aussi la spécificité de l’entreprise théâtrale de Fo. En effet, loin de subordonner son<br />

activité à un objectif partisan, Fo n’a cessé d’affirmer l’autonomie et le caractère « unitaire » du travail culturel<br />

comme condition de son efficacité politique. […]<br />

Loin de s’arc-­‐bouter sur une prétendue irrécupérabilité des textes militants ou de rêver à une impossible pureté<br />

des prises de positions idéologiques, Dario Fo élargit le concept de théâtre jusqu’à celui d’espace – d’espace<br />

culturel et politique. Son objectif, c’est l’invention de tels espaces nouveaux : des espaces gérés par la classe<br />

ouvrière, des lieux qui permettent « une confrontation incessante » et où « puissent se développer la discussion<br />

et la dialectique » -­‐ non « un terrain où, à chaque fois, la tendance hégémonique, livrant bataille contre telle ligne<br />

ou tel groupe, cherche à rester la seule maîtresse », car « sur ce terrain-­‐là, il ne peut rien pousser, pas même du<br />

chiendent », mais des espaces libres, où, dans et par le jeu, on peut débattre d’une société nouvelle. »<br />

Texte 13 : « Du théâtre au meeting : une soirée à quarticciolo »<br />

« On nous avait dit : vous vous perdrez en route. Effectivement, ce n’est pas facile d’arriver jusqu’à Quarticciolo,<br />

aux confins de cette banlieue romaine dont les anneaux concentriques grignotent peu à peu la campagne. Nous<br />

suivons la via Nomentanna : les « borgate » de Pasolini ont cédé la place aux H.L.M. des cités-­‐dortoirs. Nous<br />

finissons tout de même par trouver : une place mal éclairée, un minuscule bar où nous nous précipitons pour<br />

acheter un sandwich et le « théâtre » lui-­‐même : un vieux cinéma dont la salle, dépouillée d’ornement, paraît<br />

immense. A l’entrée, un membre du collectif théâtral de la Commune fouille rapidement les spectateurs :<br />

précaution d’usage, mais particulièrement nécessaire en cette soirée qui suit les incidents de Primavalle. On se<br />

souvient que dans cette autre « borgata » de Rome, un incendie criminel avait provoqué la mort d’un militant du<br />

M.S.I. (le parti néo-­‐fasciste italien) et de son jeune frère. Un panneau apposé sur les lieux semblait « signer » le<br />

crime : Giustizia proletaria (justice prolétarienne). […] Un peu partout en Italie, et à Rome tout particulièrement,<br />

l’extrême-­‐gauche craignait des « représailles » fascistes : en fait, ce soir-­‐là, rien ne se produisit, mais une tension<br />

était dans l’air, qui ne favorisait pas le contact du comédien avec le public.<br />

Dario Fo accueille à l’entrée. <strong>Le</strong> groupe de la Commune fonctionne grâce à un système d’abonnement : une carte<br />

d’un coût de 1000 lires (7 F environ) permet d’avoir accès à n’importe quel spectacle du collectif, dans n’importe<br />

quelle ville d’Italie, moyennant un ticket d’entrée d’un prix modique (700 lires, 4.90 F environ). Pendant que les<br />

spectateurs prennent place, Fo nous parle d’une nouvelle tentative d’intimidation dont sa famille a été l’objet le<br />

jour-­‐même. Déjà, quelques semaines auparavant, sa femme, la populaire comédienne Franca Rame, interprète de<br />

la plupart de ses spectacles, a été victime à Milan d’une grave agression de la part d’un commando d’extrême-­‐<br />

droite. Dario Fo et les siens sont contraints de se cacher, de changer sans cesse d’adresse ; la vie de son fils est en<br />

danger et aujourd’hui même est arrivée au domicile de l’acteur une lettre contenant un explosif sans détonateur,<br />

avec sur un bout de papier ces mots : « Simple avertissement ». Nous entrons dans la salle ; elle est remplie aux<br />

deux tiers : « un succès », nous expliquera Fo, théâtre et même cinémas étant d’ordinaire vides pendant le week-­‐<br />

end de Pâques. Il est difficile de se faire une idée du public : jeune en tout cas, beaucoup d’étudiants<br />

apparemment ; des ouvriers aussi ? C’est difficile à dire. Au fond de la salle se dresse la scène : une simple estrade<br />

de bois, dépourvue du moindre élément de décor, mais hérissée de fils électriques ; quelques « spots » fixés sur<br />

un cadre métallique suffiront à éclairer le comédien pendant la représentation. Fo et les jeunes membres de la<br />

Commune (barbes noires, treillis militaires) s’affairent pour régler à vue le son et les éclairages. Normalement<br />

une projection de diapositives accompagne le spectacle, mais Fo nous dira tout à l’heure qu’elle ne pourra avoir<br />

lieu, un commando fasciste ayant fait main basse sur une partie du matériel.<br />

[…]<br />

« Notre théâtre est un théâtre de propagande et de provocation qui soutient les luttes de la classe prolétarienne »,<br />

écrit Dario Fo. A cette fin, chaque représentation du collectif de la Commune est suivie d’un débat, dont les<br />

moments les plus significatifs sont publiés par la suite avec le texte de la pièce. Mais le débat n’est qu’un aspect<br />

de l’action militante des comédiens : le spectacle s’insère dans une pratique politique concrète dont il est<br />

impossible de le séparer, la mobilisation idéologique qu’il provoque s’accompagne d’une sensibilisation du public<br />

23


aux luttes révolutionnaires en cours. On en arrive ainsi à une forme de théâtre-­‐meeting qui peut revêtir les<br />

aspects les plus divers. Ainsi le soir où j’ai vu le Mistero Buffo, l’entracte a permis, outre la vente accoutumée de<br />

documents du collectif de la Commune (textes ou enregistrement des spectacles, photos, films, etc.), une quête en<br />

faveur des éditeurs d’extrême-­‐gauche, Samona et Savelli, dont la maison d’édition venait d’être plastiquée. Et<br />

surtout, à la fin de la représentation, Dario Fo a demandé aux spectateurs de rester pour assister à la projection<br />

d’un film sur la première grande manifestation d’opposition au régime grec : l’occupation de l’université<br />

d’Athènes par les étudiants en grève. La projection, commentée par un des animateurs de la Commune, fut suivie<br />

de la lecture de divers textes ou télégrammes émanant d’organisations révolutionnaires du tiers-­‐monde, et la<br />

soirée (où, exceptionnellement, l’urgence des événements politiques empêcha le déroulement d’un véritable<br />

débat sur le spectacle) s’acheva sur l’exposé d’un avocat romain d’extrême-­‐gauche démontant parfaitement la<br />

version officielle des incidents de Primavalle et mettant en cause les survivances de l’ère fasciste dans le code de<br />

procédure criminelle italien.<br />

IV.3 Revue de presse : un prix Nobel inattendu<br />

Dario Fo, le Nobel imprévu, Valeria Tasca, <strong>Le</strong> Monde, 11 Octobre 1997<br />

<strong>Le</strong> Prix Nobel de littérature pour Dario Fo ! Ce diable d'homme nous a habitués à le trouver là où on ne l'attendait<br />

pas, mais voir l'iconoclaste couronné par une si respectable Académie, et couronné au titre de la littérature, on<br />

en reste pantois « esterrefatto », comme il a dit aux journalistes. Et en même temps, tout joyeux, allégé, dilaté,<br />

réconforté. Je crois entendre son rire devant les commentaires bêtes et pincés que rapporte la presse italienne, et<br />

j'espère qu'il va régaler ses amis d'une improvisation assassine sur les grognons professionnels. Dommage de ne<br />

pas y assister !<br />

[…] Dario Fo est un homme des planches (le palcoscenico des Italiens), il a besoin de leur élasticité pour trouver<br />

le rythme de son souffle et sur ce rythme donner vie à ses mots, comme il a besoin d'un public avec lequel entrer<br />

physiquement en résonance. Avec lui, c'est bien la communauté des acteurs qui est aujourd'hui honorée, et nous<br />

nous en réjouissons. Mais, par goût du paradoxe un goût qu'il ne m'a pas donné mais que j'ai cultivé en le<br />

fréquentant, je revendique volontiers son appartenance à la littérature, au risque de provoquer ses protestations.<br />

Il aime la langue, les mots, les sons, les syllabes, les phrases, les figures, les étymologies...<br />

Quand on aborde Dario Fo par le spectacle, comme il est juste de le faire, on est fasciné par la mobilité du visage,<br />

par la qualité du geste, son ampleur et sa précision, par la variété, la chaleur et la justesse des intonations de voix.<br />

Sans doute est-­‐ce depuis que j'ai abordé la traduction de ses pièces que je suis consciente de son écriture. <strong>Le</strong><br />

traducteur de théâtre est d'abord légitimement préoccupé par les problèmes -­‐ j'énumère dans le désordre -­‐ de<br />

lisibilité, de rythme, de niveaux de langue, de jeux de mots et de mots inventés, d'allusions à l'histoire ou à<br />

l'actualité.<br />

Mais quand il s'agit vraiment d'un auteur, il faut, avec tous ces «problèmes», construire une unité, un style,<br />

presque au sens architectural du terme. <strong>Le</strong> nez sur la page, on perd de vue que Dario Fo est aussi un peintre, un<br />

dessinateur surtout, un scénographe. D'où la lutte à mener avec la ligne écrite pour qu'elle ne se perde pas en<br />

méandres, sinon signifiants, pour que les contours de la réplique ne bavent pas, sinon par choix. Un travail de<br />

l'oreille et de l'œil, en quelque sorte.<br />

C'est aussi une fête : Dario Fo est un écrivain parce qu'il aime la langue, les mots, les sons, les syllabes, les<br />

phrases, les figures, les étymologies... On sait que, depuis Mistero Buffo surtout (1969), il utilise volontiers les<br />

dialectes de l'Italie du Nord, des confins du Piémont et du Milanais jusqu'à la Vénétie. Et comme à cette date il a<br />

pris pour emblème le jongleur (giullare), figure médiévale, il a reconstruit pour la scène une langue archaïque,<br />

portant les traces des vagabondages de ces poètes-­‐comédiens-­‐musiciens, qui les menaient des rives de<br />

l'Adriatique à la vallée du Rhône : c'est le vénéto-­‐provençal, philosophiquement suspect peut-­‐être, mais d'une<br />

grande efficacité poétique.<br />

Dario Fo ne s'en tient pas là. Il aime déplacer les frontières, géographiques, historiques, même biologiques... Il<br />

devient chat, chien, tigre, à volonté, aidé assurément par son habileté mimique : il griffe, il se ramasse pour<br />

bondir, il se détend, il se désarticule, et tout cela sans imitation réaliste, par des gestes qui sont la synthèse des<br />

mouvements naturels. Il invente aussi des mots à dire en crachant de colère ou en hurlant à la lune, mieux : des<br />

mots qui sont par eux-­‐mêmes des grumeaux de colère ou des lambeaux de désespoir. Comme il a entendu un<br />

marionnettiste de Shangaï faire dialoguer un tigre et un soldat, le voilà qui, au retour, parle tigre, avec l'accent de<br />

Bergame.<br />

Cela nous vaut la succulente Histoire du tigre, que les Parisiens ont eu la joie d'entendre et de voir sur la scène du<br />

TEP en 1980. A qui se demanderait comment les Espagnols ont pu communiquer avec les indigènes, Dario Fo<br />

raconte qu'un paysan de la vallée du Pô, embarqué par hasard dans l'une des expéditions de Christophe Colomb,<br />

avait une telle passion pour les langues étrangères qu'il réussit à apprendre l'« indien » : c'est Johan Padan à la<br />

découverte des Amériques, une grande jonglerie de 1991. Adopté par les Indiens, respecté, cajolé, le héros est<br />

parfois pris de nostalgie, au souvenir du vin, du rire des filles et de son dialecte. La langue est un plaisir essentiel,<br />

vital, que l'acteur partage avec le poète. Par bonheur, ils nous le font partager.<br />

24


Et le « grommelot » qu'il prononce et écrit « gramelot » et fait remonter aux comédiens dell'arte ? Désireux de se<br />

faire comprendre du public et d'échapper à la malveillance des sergents du guet, les acteurs italiens<br />

contemporains de Molière avaient, dit-­‐il, inventé un langage « grommelé » restituant à l'oreille le phrasé du<br />

français, mais impossible à noter, donc à censurer.<br />

Sans doute, ici encore, c'est le jeu de l'acteur qui, en grande partie, supplée les lacunes de la signification verbale.<br />

En partie seulement. La musique de la langue est en elle-­‐même porteuse de sens. Décidément, c'est un prix de<br />

poésie qu'on aurait dû décerner à Dario Fo !<br />

Dans ses attendus, l'Académie suédoise lui rend hommage aussi pour avoir « fustigé le pouvoir et restauré la<br />

dignité des humiliés ». <strong>Le</strong> jongleur joue le rôle de bouffon, investi du pouvoir de dire que le roi est nu et que « le<br />

patron n'est qu'une vessie pleine de vent » (La Naissance du jongleur). A cette belle légende solaire répondent les<br />

récits de massacres et d'exactions jalonnait l'histoire de<br />

l'humanité : d'un côté l'espoir, de l'autre la révolte, qui font ensemble la « dignité des humiliés ».<br />

Mais on ne la restaure ni par des images lénifiantes ni par des incantations. Il y faut, selon la formule d'Hubert<br />

Gignoux, « une volée de colère et de rire ». C'est ce que nous apprennent Dario Fo et son Gai savoir. »<br />

<strong>Le</strong> jury Nobel couronne Dario Fo, roi du jonglage et de la comédie<br />

Extraits de l’entretien accordé par Dario Fo à Pierre-­‐André Boutang, diffusé intégralement sur Arte le 17 décembre 1997.<br />

« PAB -­‐ Alors, pour poser toutes les questions idiotes qu'il faut bien poser, est-­‐ce que tu imaginais que tu allais avoir<br />

le prix Nobel ?<br />

DF-­‐ C'est un grand scandale pour l'Italie. Des gens du Corriere della sera ont écrit : "<strong>Le</strong> prix Nobel, c'est foutu. Il<br />

n'existe plus du moment où Dario Fo est dans la sélection finale." Ça, c'est beau ! Mais c'est la première fois dans<br />

l'histoire du prix qu'un acteur, qui écrit aussi, arrive à remporter le prix Nobel. C'est aussi une récompense qui<br />

est donnée à ma compagne de toujours, Franca Rame. Je ne croyais pas que je l'aurais, car j'étais encore dans<br />

l'idée que le Nobel allait aux littéraires purs. <strong>Le</strong> littéraire qui écrit pour écrire et qui reste dans l'écriture. On a<br />

fait le choix révolutionnaire de quelqu'un qui n'a pas écrit tout de suite, mais qui a écrit en conséquence du jeu<br />

qu'il a fait sur scène. Ils ont choisi un comédien qui emploie la voix, le rythme, le geste, la musique, la danse, le<br />

corps...<br />

Tout ! Lorsque j'écris, l'œuvre est déjà composée. C'est une reconstruction écrite de ce qui se passe sur la scène.<br />

Mon grand maître, c'est Ruzzante...<br />

<strong>Le</strong>s Français ne connaissent pas Ruzzante...<br />

Seuls des gens comme Molière ou Shakespeare sont arrivés au niveau de Ruzzante ! De lui, j'ai appris la<br />

possibilité de détruire et de reconstruire la langue... et l'emploi des mots qui n'existent pas... A un certain<br />

moment dans l'écriture, j'écris "grammelot"...<br />

Quand on regarde l'oeuvre complète publiée de Dario Fo, on peut trouver des grammelots. Qu'est-­‐ce que le<br />

grammelot ?<br />

C'est un langage que l'on ne comprend pas, et qui est fait de syllabes et de mots inventés, qui n'existent dans<br />

aucune langue et qui donnent l'impression d'entendre du français, de l'anglais ou de l'allemand par le jeu du<br />

rythme verbal.<br />

Une improvisation ?<br />

Oui, complètement. <strong>Le</strong>s rythmes sont fixés, et puis il y a l'improvisation. L'improvisation, c'est quelque chose<br />

qu'il faut ordonner complètement. On ne peut pas aller, comme cela, alla fiera. Non ! Il faut avoir des règles ! Il<br />

faut s'exercer. Mais pas dans sa chambre ! C'est le public qui donne le rythme, la rigolade, le temps, le silence, etc.<br />

<strong>Le</strong> public, à chaque fois, a une respiration différente. Tu dois obliger le public à respirer comme toi, au même<br />

rythme.<br />

A quel moment est venue la décision de ne pas être un homme de théâtre normal, qui aurait un théâtre, qui jouerait<br />

des pièces devant le public ?<br />

En 1967. Nous jouions Il faut l'agiter, cette dame ! , pièce ironique sur le grotesque de l'Amérique... <strong>Le</strong> public<br />

venait avec une espèce de malaise : il comprenait le jeu, il faisait silence et, à la fin, il sortait avec une espèce de<br />

rage. Alors, on s'est demandé s'il était utile que nous fassions de la provocation de ce genre. <strong>Le</strong>s spectateurs se<br />

sentent « démocratiques » parce qu'ils acceptent la provocation. Ils sortent pleins de rage, en blasphémant. Ils<br />

n'aiment pas ce qu'ils voient. Ils l'acceptent pour le rituel : aller pour prendre des coups de bâton, pour se sentir<br />

« démocratiques ». Ce n'est pas la peine de leur donner cette satisfaction ! Nous devons faire un spectacle qui<br />

s'adresse à des gens qui comprennent ce que nous disons. Et ce sont les gens qui doivent nous dire ce qu'ils<br />

veulent que nous jouions... » Sont nés alors des textes qui parlaient de la classe ouvrière, des étudiants qui sont<br />

sans travail, qui souffrent, qui n'ont pas la possibilité d'arriver dans la vie, des femmes qui ont des difficultés, des<br />

pauvres... et surtout les gens qui n'ont pas de pouvoir, qui doivent agir avec désespoir pour obtenir ce qu'ils ont<br />

le droit d'avoir. Et on ne peut pas le faire dans le même théâtre que celui où viennent les gens normaux.<br />

25


C'est quoi, les gens normaux, pour vous ? Ceux qui ont de l'argent ?<br />

Oui, il y en a qui sont ouverts et d'autres qui sont des "gens de marchandises", des industriels ou, pis encore, des<br />

gens qui travaillent pour des industriels... Nous sommes allés dans la périphérie et nous avons organisé une<br />

collaboration avec le Parti communiste et le Parti socialiste, qui avaient des organisations communes. Nous nous<br />

sommes mis à faire du théâtre. Mais avec tout ! Nous sommes arrivés avec le plateau, la scène, toute la technique.<br />

Et c'était quelque chose d'incroyable ! Au point que l'espace que nous avions n'était pas suffisant : il fallait en<br />

chercher d'autres ! Des palais des sports ouverts, des églises abandonnées, et aussi des églises toujours<br />

consacrées, avec le saint dedans, en accord avec ce mouvement des prêtres-­‐ouvriers. C'est pour cela que<br />

maintenant les journaux de la Curia sont durs avec nous. Ils ont beaucoup souffert !<br />

Quand ils voient des pièces comme <strong>Le</strong> Pape et la Sorcière, on ne peut pas demander au pape ou à la curie romaine de<br />

penser que Dario Fo est leur meilleur ami !<br />

Mais les évêques sont venus voir ce Pape. Je le sais parce que j'étais présent, bien caché... J'ai vu les ministres de<br />

l'Eglise qui regardaient et rigolaient. <strong>Le</strong> jeu de l'ironie, ils l'aimaient. Eux, ils pouvaient rire, mais le peuple<br />

chrétien, lui, ne devait pas rire...<br />

C'était dangereux, ta manière de travailler ? Ça te faisait des ennemis ?<br />

Des gens, parfois, nous ont mis des bombes. Par exemple au Théâtre de Milan. Je suis sûr que c'était la police<br />

spéciale...<br />

Je n'arrive pas à imaginer Dario Fo en habit, sur l'estrade du Nobel, et faisant un discours bien sage !<br />

J'ai déjà porté ce costume sur scène. <strong>Le</strong> frac, ce n'est pas quelque chose qui m'est étranger. C'est un élément de<br />

mon métier ! Je crois que je me sentirai à l'aise. C'est le costume de la comédie ! Je vais parler italien. Je serai<br />

soutenu par la traductrice suédoise. Il y aura une partie écrite, et une autre improvisée ! Et alors j'imagine qu'il y<br />

aura des Japonais ou des Chinois qui ne comprendront pas où ils sont, qui changeront de feuilles, qui les<br />

laisseront tomber ! <strong>Le</strong>s gens diront : "Arrête ! Nous ne comprenons pas !" Ce n'est pas mal ! On arrive à produire<br />

une émotion dans la lecture. Ce n'est pas du "blablabla" mécanique !<br />

Est-­‐ce que tu peux m'expliquer pourquoi tu es si heureux et si fier d'être un «jongleur » ?<br />

<strong>Le</strong> jongleur, c'est le commencement de la fabulation dans l'histoire du monde. <strong>Le</strong> jongleur, c'était celui qui avait<br />

la possibilité d'attirer l'attention des gens de la rue qui passaient. Cet homme attirait l'attention. Avec humour,<br />

avec émotion, avec ironie, avec la cervelle qui commence à bouger et à produire des images. Ça, c'était vraiment<br />

le commencement du théâtre de tous les temps : les jongleurs étaient dans le théâtre grec ! Avant encore, les<br />

premiers qui ont raconté des histoires dans la littérature des Grecs, c'étaient des jongleurs ! Après, il y avait<br />

quelqu'un qui écrivait ce que les jongleurs racontaient. Même la Bible ! <strong>Le</strong> Christ avait cette qualité de prendre<br />

les gens, de leur parler, à partir des images de l'amour, de Dieu, de la conscience de l'amour chez les hommes :<br />

c'était une extraordinaire jonglerie magique ! Je suis content de venir de là !<br />

Et entre le jongleur et le bouffon du roi, y a-­‐t-­‐il une grande différence ?<br />

Disons que le jongleur part toujours de la tragédie pour réaliser son discours. <strong>Le</strong> jongleur a besoin de désespoir,<br />

de souffrance, pour traduire son jeu en joie et en espoir. <strong>Le</strong> jongleur parle de la fin et la traduit en rigolade. La fin<br />

de tout : la fin de l'amour, la fin de la joie. C'est pour cela que le roi devient quelque chose d'idiot dans le jeu du<br />

jongleur. Dieu, qui est à côté de moi, a un visage humain, et il rigole, et il enrage, et il se trompe, et il dit aussi des<br />

mauvaises paroles, et il dit aussi des mensonges.<br />

<strong>Le</strong> jongleur doit toujours faire rire ?<br />

Mais aussi provoquer l'émotion ! Molière disait : « J'aime réussir à faire rire, parce que la tragédie fait descendre<br />

les larmes sur le visage. » Mais les larmes qui coulent font aussi descendre les pensées du cerveau. Et la rigolade,<br />

le rire, restent comme des clous dans la tête. Ce sont des clous de pensée, les clous de la conscience.<br />

On n'arrive pas à imaginer, en France, comment un homme de théâtre peut devenir un homme aussi important dans<br />

les enjeux politiques, sociaux...<br />

J'ai toujours voulu être en dehors d'un jeu politique, rester libre, pour pouvoir attaquer les gens qui sont sur le<br />

même discours, au même niveau culturel, politique. Aujourd'hui, j'attaque les juges, que j'ai beaucoup défendus.<br />

Tu n'as pas l'impression d'avoir lutté pour rien depuis trente ou quarante ans ?<br />

Non ! C'est notre devoir, de continuer. Nous sommes des intellectuels. C'est déjà un grand privilège que la<br />

Fortune nous a donné. La seule façon pour des gens comme nous d'être présents, c'est de faire de l'art, l'art qui<br />

parle des besoins des hommes, de la justice, de la souffrance. Ce n'est pas vrai que le théâtre, c'est quelque chose<br />

que l'on peut voir, comme cela, le soir, détendu... Non ! C'est quelque chose qui fait violence sur les consciences et<br />

qui cherche à faire sortir une nouvelle façon de raisonner.»<br />

IV.4. Liens avec l’actualité<br />

a. Délocalisation<br />

26<br />

Dario Fo, Pierre-­‐André Boutang, <strong>Le</strong> Monde, 10 décembre 1997.


Texte : <strong>Le</strong>s délocalisations d'entreprises, 12 janvier 2004, la Documentation française<br />

JVC, Continental, Alcatel, St microélectronics, Alstom… Ces noms désignent des entreprises dont le point commun<br />

est d'avoir fermé des établissements implantés en France tout en délocalisant leur production vers l'étranger.<br />

Nous assistons à des délocalisations d'entreprises depuis une vingtaine d'années, et ce mouvement va<br />

certainement se poursuivre. Qu'entend-­‐on par le terme "délocalisation" ? Et quel est le mode de traitement par<br />

les pouvoirs publics de ce phénomène ?<br />

Qu'entend-­‐on par délocalisation ?<br />

La délocalisation d'entreprise peut s'entendre selon un sens plus ou moins strict. Au sens strict, elle désigne le<br />

déplacement vers l'étranger d'une activité économique existante en France vers l'étranger dont la production est<br />

ensuite importée en France. La mission interministérielle sur les mutations économiques (MIME) retient ainsi<br />

cette définition et distingue alors les délocalisations d'entreprises de phénomènes telles que les relocalisations<br />

d'entreprises, les localisations de la production et les investissements à l'étranger. La relocalisation d'entreprises<br />

consiste à déplacer son site de production à l'étranger afin de se rapprocher d'un marché et de vendre sa<br />

production sur place. Quant aux localisations de la production à l'étranger, elles constituent une des formes des<br />

investissements à l'étranger.<br />

Caractéristiques des délocalisations<br />

Il n'existe pas de statistiques publiques précises sur les délocalisations. Cependant, selon la MIME, les<br />

délocalisations au sens strict représenteraient globalement autour de 10% du montant des investissements<br />

directs à l'étranger soit 305 millions d'euros environ sur la période 1998-­‐2002. Même si toute suppression d'un<br />

emploi dans le secteur industriel ne fait pas l'objet d'une délocalisation, la diminution de l'emploi industriel en<br />

France constitue un indicateur de l'ampleur de ce phénomène.<br />

<strong>Le</strong>s secteurs de l'industrie concernés par les délocalisations sont nombreux : cuir, textile, habillement,<br />

métallurgie, électroménager, automobile, électronique… Egalement touché, le secteur tertiaire : centres<br />

téléphoniques, informatique, comptabilité… A vrai dire, toute production de masse et tout service répétitif sont<br />

susceptibles d'être délocalisés dans des territoires où le coût de la main d'œuvre est nettement moindre.<br />

La désindustrialisation des uns signe l'industrialisation des autres. <strong>Le</strong>s territoires bénéficiaires des<br />

délocalisations d'entreprises sont l'Inde, le Maghreb, la Turquie, les pays d'Europe centrale et orientale (PECO) et<br />

l'Asie (notamment la Chine). Si les syndicats incriminent la logique financière sous-­‐jacente aux stratégies de<br />

délocalisation, la théorie des avantages économiques, détenus par les pays cités précédemment, en particulier<br />

grâce à un faible coût de la main d'œuvre, peut également expliquer ce phénomène de délocalisation et de<br />

spécialisation économique des territoires.<br />

L'action des pouvoirs publics : anticiper et accompagner les restructurations économiques.<br />

Lors du conseil des ministres du 12 février 2003, le gouvernement actait le fait que l'économie française est<br />

confrontée en permanence à des mutations et restructurations économiques. Pour faire face à ces mutations<br />

conduisant "à des créations et des destructions d'emplois, avec des conséquences difficiles pour les salariés et les<br />

territoires", le gouvernement a créé une mission interministérielle sur les mutations économiques, MIME.<br />

La mission interministérielle a tout d'abord un rôle de veille et d'anticipation des restructurations. En ce sens, est<br />

prévue la mise en place des observatoires régionaux des mutations économiques dont le pilotage sera assuré<br />

conjointement par l'Etat et la région. La région Pays de la Loire a vu naître la première son observatoire en 2003.<br />

La seconde mission de la MIME consiste à accompagner la reconversion économique des territoires et le<br />

reclassement des salariés, notamment en facilitant le travail en commun des différents ministères et en<br />

s'appuyant sur les expériences réussies pour améliorer l'efficacité des dispositifs mis en œuvre<br />

Autre outil créé récemment par le gouvernement : les contrats de site. Ces contrats visent à redynamiser les<br />

bassins d'emploi les plus touchés par les restructurations. Il s'agit d'une stratégie territoriale élaborée par<br />

l'ensemble des acteurs et déclinée en actions à engager immédiatement ou sur une durée de trois, quatre ans.<br />

Douze contrats de site qui devraient être évalués en 2004 ont été signés jusqu'ici.<br />

L'innovation, une des solutions au phénomène des délocalisations ?<br />

Plusieurs leviers d'actions pour les pouvoirs publics existent car la décision d'implantation d'une entreprise ne<br />

dépend pas que du seul coût de la main d'œuvre. <strong>Le</strong> potentiel marchand d'un territoire, les infrastructures,<br />

notamment de transport, la qualification de la main d'œuvre sont également sources d'attractivité.<br />

Dans une interview donnée au journal <strong>Le</strong>s échos en juin 2003, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances<br />

et de l'industrie, explique qu'il souhaite renforcer l'attractivité de la France en mettant l'accent sur l'innovation,<br />

la recherche développement et la formation professionnelle. L'innovation, qu'elle prenne la forme d'un nouveau<br />

matériau, d'une nouvelle technique ou d'un nouveau débouché (fibres synthétiques destinées au secteur de<br />

l'automobile par exemple) est créatrice d'activités. Quant à la formation, elle est le gage d'une main d'œuvre<br />

qualifiée.<br />

<strong>Le</strong> gouvernement actuel a choisi par ailleurs de diminuer les charges sur les salaires, d'alléger les formalités<br />

pesant sur les entreprises ou d'ouvrir à la concurrence le secteur de l'énergie (attendant une baisse du prix de<br />

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l'électricité pour les entreprises). Récemment, en décembre 2003, lors d'un séminaire gouvernemental sur<br />

l'attractivité de la France, il a été décidé d'attirer via différentes aides des compétences étrangères ciblées (post-­‐<br />

doctorants français expatriés, cadres étrangers, étudiants étrangers de haut niveau issus des disciplines<br />

scientifiques, techniques et managériales) ou certaines activités (<strong>ON</strong>G en France, production cinématographique<br />

et artistique).<br />

Il reste que ces différentes actions n'empêchent pas la suppression d'emplois en France. Selon les chiffres de la<br />

Direction de l'animation de la recherche des études et des statistiques (du ministère du travail), au 3ème<br />

trimestre 2003, la France enregistre une disparition nette d'emplois de 20000 emplois, la création d'emplois<br />

dans le secteur tertiaire (+10 000) ne compensant plus la perte d'emplois du secteur industriel (-­‐33 000<br />

emplois) et le taux de chômage sur cette période s'élève à 9,7%.<br />

b. Une campagne d’affichage étonnante : <strong>Le</strong>clerc<br />

<strong>Le</strong>s affiches suivantes reprennent des affiches de mai 1968. A plus d’un égard, elles font songer à Faut pas payer !<br />

et aux affiches présentées ci-­‐dessus. Elles travaillent sur les mêmes symboles. Mais au service cette fois d’un<br />

hypermarché : <strong>Le</strong>clerc.<br />

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