Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
Rive.s<br />
n°<strong>10</strong><br />
Tribune libre<br />
Impressions<br />
de stage<br />
Aurore<br />
ZAMPIERI<br />
38<br />
impressions de stage<br />
Partager le Plaisir d’Une rencontre<br />
qui n’a pas le même impact. Elle est capable de me<br />
regarder pendant de longues minutes, sans parler<br />
et avec un regard fort, dur, triste et figé. Celui-ci<br />
m’a, dans les premiers temps, mis plus d’une fois<br />
mal à l’aise. Au début, j’essayais de faire autre<br />
chose et je n’en suis pas fière. Puis, je soutenais<br />
son regard, par là même sa souffrance. J’étais une<br />
oreille silencieuse, empathique. Elle m’a appris à<br />
accepter le silence, à l’entendre et à lui donner du<br />
sens.<br />
C’est une personne qui semble apprécier d’être<br />
entourée. Elle n’est jamais seule durant la journée.<br />
Lors de l’ouverture de la salle d’hygiène<br />
chaque matin, elle était présente et<br />
regardait les autres se faire coiffer<br />
ou encore maquiller et remettait les<br />
choses en place après mon passage.<br />
Elle ne souhaitait pas être coiffée ou<br />
qu’on touche à son visage. Jusqu’au<br />
jour ou elle me demanda: « Tu peux<br />
me mettre de la laque dans les cheveux? ». Ce<br />
que je fis avec plaisir et avec soin de lui montrer<br />
le résultat dans la glace afin de lui renvoyer<br />
une image d’elle-même et d’amorcer un travail sur<br />
l’estime de soi, la conscience de soi.<br />
Les instants où Clara accepte de laisser de côté<br />
ses monologues et son balai, lui permettent de<br />
s’ouvrir à autre chose, de se laisser aller. Je cite<br />
en exemple mon premier jour de stage durant lequel<br />
j’ai pu danser avec elle et entendre son rire<br />
sincère et naturel. Merci Clara.<br />
Au moment de partir…<br />
Comment leur dire au revoir? Pas évident…<br />
Le tout, qui n’est pas rien, c’est à la fois de ne pas<br />
minimiser le départ et de ne pas le dramatiser…<br />
J’ai pu constater que l’on se sépare différemment<br />
avec chaque personne: certaines comptent les<br />
jours et disent « qu’après, c’est fini »; une autre<br />
relativise et dit: « tu sais, moi je suis pas triste<br />
que tu partes. Tu peux avoir confiance en nous, on<br />
va s’en sortir. Et puis tu va continuer ta vie, ta vie<br />
de femme »; une autre pleure à l’abri des regards<br />
et me dit que « c’est fini, ça y est » tout en me faisant<br />
un câlin et d’autres soulignent le fait « qu’on<br />
mangera un gâteau et boira un coup ».<br />
Comment leur parler de mon « passage » au sein<br />
de cette structure, de ces rencontres? Il m’a paru<br />
important le jour «J» de leur signifier qu’ils m’ont<br />
permis d’arriver chaque matin avec le sourire. Celui<br />
qui fait qu’on souhaite être toujours capable<br />
d’avoir un regard critique sur certaines considérations<br />
ou certains actes, celui qui conforte notre<br />
choix professionnel et qui fait qu’il est difficile de<br />
« Elle m’a appris à<br />
accepter le silence,<br />
à l’entendre et à lui<br />
donner du sens ».<br />
reprendre le rythme de l’I.R.T.S.<br />
Dernier lever: toujours cette odeur de pain grillé,<br />
ces regards endormis, ce sentiment que c’est le<br />
dernier jour et que je ne peux rien y changer.<br />
Dernière réunion sur le pavillon: je me rends<br />
compte que je m’accroche aux choses que les résidents<br />
savent faire, que je les tire vers le haut.<br />
C’est parfois une qualité et parfois une oeillère.<br />
J’évoque cela car l’équipe éducative envisage une<br />
réorientation pour un résident qui, suite à un accident<br />
vasculaire cérébral, éprouve de réelles difficultés<br />
dans les actes de la vie quotidienne. C’est<br />
pour cela qu’ils vont demander une<br />
orientation en foyer d’accueil médicalisé.<br />
Je pensais que plus on l’aiderait<br />
dans les actes de la vie quotidienne,<br />
plus il se laisserait aller. Mais<br />
quelque part n’est-ce pas lui faire<br />
violence que de le laisser s’énerver<br />
lors du repas lorsqu’il est confronté à de nouvelles<br />
limites? (par exemple lorsqu’il tente d’ouvrir un<br />
pot de yaourt et qu’il trouve que cela ne va pas<br />
assez vite). C’était loin d’être un débat simple car<br />
ce résident a tendance à se laisser aller et parvient<br />
parfois à accomplir des actes lorsqu’il est déterminé.<br />
Je m’accrochais au fait que quand il veut, il<br />
peut. Mais n’est-ce pas aussi lui faire violence que<br />
de trop le stimuler? Qu’en pense t-il lui?<br />
16h00: pot de départ. Je les regarde tous et<br />
me remémore une anecdote avec chacun d’entre<br />
eux. Tour d’horizon des visages. Quelle surprise!<br />
Madame X, qui ne sort que très rarement de sa<br />
chambre, est présente. J’étais venu la voir dans<br />
sa chambre la veille et lui avait signifié que sa présence<br />
me ferait plaisir. Gâteaux et boissons font le<br />
bonheur de tous. Petit discours: les mots avaient<br />
du mal à sortir et le discours que j’avais préparé<br />
est parti aux oubliettes. Les seuls mots qui sont<br />
sortis sont ceux évoqués dans le deuxième paragraphe.<br />
Dernier dîner pris avec eux: absence d’appétit;<br />
prolongation de ce moment, rires. Petit tour au<br />
bar du foyer afin de saluer les autres résidents de<br />
l’établissement et d’échanger encore une parole,<br />
un regard, un sourire avec eux.<br />
22h00: le pavillon 6 est presque totalement endormi;<br />
je fais le tour des chambres et leur dit une<br />
dernière fois bonne nuit. Dans le bureau, je laisse<br />
mon trousseau de clés.<br />
22h20: Au revoir petit pavillon!!! Et merci. Un<br />
ailleurs m’attend, d’autres rencontres, d’autres richesses…<br />
Aurore ZAMPIERI