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Juin 2008 10 - cmsea

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Rive.s<br />

n°<strong>10</strong><br />

Tribune libre<br />

Impressions<br />

de stage<br />

Aurore<br />

ZAMPIERI<br />

38<br />

impressions de stage<br />

Partager le Plaisir d’Une rencontre<br />

qui n’a pas le même impact. Elle est capable de me<br />

regarder pendant de longues minutes, sans parler<br />

et avec un regard fort, dur, triste et figé. Celui-ci<br />

m’a, dans les premiers temps, mis plus d’une fois<br />

mal à l’aise. Au début, j’essayais de faire autre<br />

chose et je n’en suis pas fière. Puis, je soutenais<br />

son regard, par là même sa souffrance. J’étais une<br />

oreille silencieuse, empathique. Elle m’a appris à<br />

accepter le silence, à l’entendre et à lui donner du<br />

sens.<br />

C’est une personne qui semble apprécier d’être<br />

entourée. Elle n’est jamais seule durant la journée.<br />

Lors de l’ouverture de la salle d’hygiène<br />

chaque matin, elle était présente et<br />

regardait les autres se faire coiffer<br />

ou encore maquiller et remettait les<br />

choses en place après mon passage.<br />

Elle ne souhaitait pas être coiffée ou<br />

qu’on touche à son visage. Jusqu’au<br />

jour ou elle me demanda: « Tu peux<br />

me mettre de la laque dans les cheveux? ». Ce<br />

que je fis avec plaisir et avec soin de lui montrer<br />

le résultat dans la glace afin de lui renvoyer<br />

une image d’elle-même et d’amorcer un travail sur<br />

l’estime de soi, la conscience de soi.<br />

Les instants où Clara accepte de laisser de côté<br />

ses monologues et son balai, lui permettent de<br />

s’ouvrir à autre chose, de se laisser aller. Je cite<br />

en exemple mon premier jour de stage durant lequel<br />

j’ai pu danser avec elle et entendre son rire<br />

sincère et naturel. Merci Clara.<br />

Au moment de partir…<br />

Comment leur dire au revoir? Pas évident…<br />

Le tout, qui n’est pas rien, c’est à la fois de ne pas<br />

minimiser le départ et de ne pas le dramatiser…<br />

J’ai pu constater que l’on se sépare différemment<br />

avec chaque personne: certaines comptent les<br />

jours et disent « qu’après, c’est fini »; une autre<br />

relativise et dit: « tu sais, moi je suis pas triste<br />

que tu partes. Tu peux avoir confiance en nous, on<br />

va s’en sortir. Et puis tu va continuer ta vie, ta vie<br />

de femme »; une autre pleure à l’abri des regards<br />

et me dit que « c’est fini, ça y est » tout en me faisant<br />

un câlin et d’autres soulignent le fait « qu’on<br />

mangera un gâteau et boira un coup ».<br />

Comment leur parler de mon « passage » au sein<br />

de cette structure, de ces rencontres? Il m’a paru<br />

important le jour «J» de leur signifier qu’ils m’ont<br />

permis d’arriver chaque matin avec le sourire. Celui<br />

qui fait qu’on souhaite être toujours capable<br />

d’avoir un regard critique sur certaines considérations<br />

ou certains actes, celui qui conforte notre<br />

choix professionnel et qui fait qu’il est difficile de<br />

« Elle m’a appris à<br />

accepter le silence,<br />

à l’entendre et à lui<br />

donner du sens ».<br />

reprendre le rythme de l’I.R.T.S.<br />

Dernier lever: toujours cette odeur de pain grillé,<br />

ces regards endormis, ce sentiment que c’est le<br />

dernier jour et que je ne peux rien y changer.<br />

Dernière réunion sur le pavillon: je me rends<br />

compte que je m’accroche aux choses que les résidents<br />

savent faire, que je les tire vers le haut.<br />

C’est parfois une qualité et parfois une oeillère.<br />

J’évoque cela car l’équipe éducative envisage une<br />

réorientation pour un résident qui, suite à un accident<br />

vasculaire cérébral, éprouve de réelles difficultés<br />

dans les actes de la vie quotidienne. C’est<br />

pour cela qu’ils vont demander une<br />

orientation en foyer d’accueil médicalisé.<br />

Je pensais que plus on l’aiderait<br />

dans les actes de la vie quotidienne,<br />

plus il se laisserait aller. Mais<br />

quelque part n’est-ce pas lui faire<br />

violence que de le laisser s’énerver<br />

lors du repas lorsqu’il est confronté à de nouvelles<br />

limites? (par exemple lorsqu’il tente d’ouvrir un<br />

pot de yaourt et qu’il trouve que cela ne va pas<br />

assez vite). C’était loin d’être un débat simple car<br />

ce résident a tendance à se laisser aller et parvient<br />

parfois à accomplir des actes lorsqu’il est déterminé.<br />

Je m’accrochais au fait que quand il veut, il<br />

peut. Mais n’est-ce pas aussi lui faire violence que<br />

de trop le stimuler? Qu’en pense t-il lui?<br />

16h00: pot de départ. Je les regarde tous et<br />

me remémore une anecdote avec chacun d’entre<br />

eux. Tour d’horizon des visages. Quelle surprise!<br />

Madame X, qui ne sort que très rarement de sa<br />

chambre, est présente. J’étais venu la voir dans<br />

sa chambre la veille et lui avait signifié que sa présence<br />

me ferait plaisir. Gâteaux et boissons font le<br />

bonheur de tous. Petit discours: les mots avaient<br />

du mal à sortir et le discours que j’avais préparé<br />

est parti aux oubliettes. Les seuls mots qui sont<br />

sortis sont ceux évoqués dans le deuxième paragraphe.<br />

Dernier dîner pris avec eux: absence d’appétit;<br />

prolongation de ce moment, rires. Petit tour au<br />

bar du foyer afin de saluer les autres résidents de<br />

l’établissement et d’échanger encore une parole,<br />

un regard, un sourire avec eux.<br />

22h00: le pavillon 6 est presque totalement endormi;<br />

je fais le tour des chambres et leur dit une<br />

dernière fois bonne nuit. Dans le bureau, je laisse<br />

mon trousseau de clés.<br />

22h20: Au revoir petit pavillon!!! Et merci. Un<br />

ailleurs m’attend, d’autres rencontres, d’autres richesses…<br />

Aurore ZAMPIERI

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