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à mes parents<br />

à la mémoire de R.M.


Remerciements<br />

Mes premiers remerciements vont à mon directeur de thèse, Jean-Philippe<br />

Genet, qui a non seulement guidé et encouragé cette thèse jusqu’au dernier moment,<br />

mais qui a eu, plus largement, une influence décisive sur l’orientation qu’elle a prise<br />

progressivement au cours de ces dernières années, méthodologiquement mais bien plus<br />

encore intellectuellement.<br />

Cette recherche n’aurait été possible sans le soutien de l’<strong>Université</strong> de <strong>Paris</strong> 1.<br />

J’ai en effet pu bénéficier, durant quatre années, d’un poste d’Attaché Temporaire<br />

d’Education et de Recherche, pour achever cette recherche et commencer à enseigner<br />

(je tiens en particulier à remercier Claude Gauvard pour sa confiance). Le LAMOP a été<br />

également été un lieu stimulant et convivial dans lequel il m’a été agréable de travailler,<br />

et qui a toujours porté avec enthousiasme les initiatives des doctorant-e-s. Merci à<br />

Antoine Destemberg d’avoir partagé nombre de ces projets.<br />

Les résultats de cette recherche n’auraient sans doute jamais été les mêmes sans<br />

les discussions, les interrogations et les conseils des chercheurs et des historiens que j’ai<br />

eu la chance de côtoyer au cours de ces années. Mes remerciements vont en particulier à<br />

Etienne Anheim, Patrick Boucheron, Dominique Iogna-Prat, Renaud Morieux et Valérie<br />

Theis, ainsi qu’à Danièle Arribet-Deroin, Jean-François Bayard, Marie-Christine Bailly-<br />

Maître, Philippe Bernardi, Elma Brenner, Jean et Odette Chapelot, Peter Claughton,<br />

Alain Dallo, Judith Everard, Laurent Feller, Anne-François Garçon, Véronique Gazeau,<br />

Frédérique Lachaud, Stéphane Lamassé, Gabriel Martinez-Gros, Yann Potin, Daniel<br />

Power, Frédéric Saly-Giocanti, Nicholas Vincent et Paul Webster.<br />

J’ai également beaucoup appris auprès de Vincent Challet, Julien Demade,<br />

François Foronda, Thierry Kouamé, Didier Lett, Olivier Mattéoni, Joseph Morsel,<br />

Nicolas Offenstadt et Eric Vallet. Je tiens également à remercier ceux et celles qui<br />

m’ont aidé à finaliser ce travail et ceux dont l’amitié m’a portée jusque là : Marie<br />

Dejoux, Emmanuelle Delattre, Harmony Dewez, Anaïs Kien, Guylène Madeline,<br />

Benjamin Moulet, Priska Morrissey, Camille Taillefer et Magali Watteaux. Enfin, il<br />

m’est difficile de dire tout ce que je dois à Julien. Son amour, sa vitalité intellectuelle,<br />

son regard sur le monde ont été des sources dans lesquelles j’ai puisé pour donner du<br />

sens à ce travail comme à la vie en général.<br />

2


Abréviations<br />

A.N.S.: Anglo Norman Studies, Annual proceedings <strong>of</strong> the Battle Abbey, Boydell press,<br />

Woodbridge.<br />

Acta Plantagenêt: The Acta <strong>of</strong> the Plantagenêts 1154-1204, VINCENT, N., EVERARD, J., and Sir James<br />

HOLT (éds.), History Data Service, UK Data Archive, à paraître.<br />

DNB Oxford Dictionary <strong>of</strong> National Biography, MATTHEW, C., HARRISON, B. et<br />

GOLDMAN, L. (éds.), Oxford University Press, 2004-09. Edition internet:<br />

(http://www.oxforddnb.com)<br />

DICETO RADULF DE DICETO, Opera historica : The Historical works <strong>of</strong> Master Ralph de Diceto<br />

dean <strong>of</strong> London, William STUBBS (éd.), Kraus reprint, Wiesbaden, 1965 [1876], (RS<br />

68,1-2).<br />

J.B.S. : Journal <strong>of</strong> British Studies<br />

C.C.M. : Cahier de Civilisation Médiévale<br />

E.H.R.: English Historical Review<br />

H.J.S.: Haskins Society Journal<br />

HOVEDEN : ROGER DE HOVEDEN, Chronica magistri Rogeri de Houedene, William STUBBS<br />

(éd.), Kraus reprint, Wiesbaden, 1964 [1868-71]. (RS 51, 1-4)<br />

Layettes Layettes du Trésor des chartes. T.I: de l'année 755 à l'année 1223, Alexandre TEULET et<br />

Joseph DE LABORDE (éds.), Plon, <strong>Paris</strong>, 1863.<br />

MRSN : Magni rotuli Scaccarii Normanniae sub regibus Angliae, Thomas STAPLETON (éd.),<br />

Société des Antiquaires de Londres, Londres, 1840-1844.<br />

PETERBOROUGH: BENOÎT DE PETERBOROUGH, The Chronicle <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Henry II and<br />

Richard I, A. D. 1169-1192, William STUBBS, (éd.), London, 1867 (RS 49, 1-2),.<br />

PL MIGNE, Jacques P., Patrologiae cursus completus seu bibliotheca universalis, integra,<br />

uniformis, commoda, oeconomica, omnium ss. patrum, doctorum scriptorumque<br />

ecclesiasticorum, <strong>Paris</strong>, 1844-1865.<br />

PR .. H.II Great Rolls <strong>of</strong> the Pipe for the … Year <strong>of</strong> the Reign <strong>of</strong> King Henry the Second, Pipe Rolls<br />

Society, Londres 1900-2005.<br />

Recueil des actes d’Henri II : Recueil des actes de Henri II, roi d'Angleterre et duc de Normandie<br />

concernant les provinces françaises et les affaires de France, Léopold DELISLE et Élie<br />

BERGER (éds.), C. Klincksieck, <strong>Paris</strong>, 1916-1920.<br />

Foedora RYMER, Thomas and alii, Foedera, conventiones, literæ, et cujuscunque generis acta<br />

publica, inter reges Angliæ, et alios quosvis imperatores, reges, pontifices ... 1967 [1704],<br />

vol I.<br />

T.R.H.S.: Transactions <strong>of</strong> the Royal Historical Society, Royal Historical Society, London.<br />

RHF: Recueil des historiens des Gaules et de la France, Martin BOUQUET et Léopold<br />

DELISLE (éds.), <strong>Paris</strong>: Victor Palme, 1833 - 1869.<br />

Rot. Chart.: Rotuli chartarum In Turri Londinensi asservati, Thomas D. HARDY, (éd.), G. Eyre and<br />

A. Spottiswoode, London, 1837.<br />

Rot. Lit. Claus. : Rotuli litterarum clausarum in Turri Londinensi asservati. I. 1204-1224, Thomas D.<br />

HARDY (éd.), G. Eyre and A. Spottiswoode, London, 1833.<br />

Rot. Lit. Pat. : Rotuli litterarum patentium in Turri Londinensis asservati, Thomas D. HARDY (éd.),<br />

Public Records, London, 1835.<br />

3


TORIGNI : ROBERT DE TORIGNI, Chronique suivie de divers opuscules historiques, Léopold<br />

DELISLE, (éd.), A. Le Brument, Rouen, 1872-1873.<br />

£ : livre sterling<br />

liv. ang. : livre angevine. À cette date, elle équivaut à la livre tournoise, c'est-à-<br />

dire quatre fois moins que la livre sterling. Pour toute comparaison entre les deux<br />

monnaies, il faut donc soit multiplier par quatre les sommes en livre sterling, soit diviser<br />

par quatre les sommes de livre angevine. Dans les graphiques et les cartes élaborés dans<br />

une perspective comparative, c’est cette dernière option qui a été choisie.<br />

N.B. : les notes de bas de page contiennent une forme abrégée des références<br />

bibliographiques. Celles-ci sont présentées sous forme développée dans la bibliographie<br />

en fin de volume.<br />

4


Introduction<br />

La formation de l’empire des Plantagenêt est le résultat d’une politique de<br />

conquêtes territoriales et d’alliances matrimoniales, que l’on peut faire remonter à<br />

l’impérialisme angevin de Foulque V, au XI e siècle. Cette origine angevine de l’empire<br />

a justifié, jusqu’à présent, l’expression d’« empire angevin », forgée à la fin du XIX e<br />

siècle et devenue courante dans l’historiographie britannique 1 . Dès 1096, Foulque étend<br />

ses droits sur la Touraine, qu’il conquiert château par château et construit les grandes<br />

forteresses de Loches, Chinon et Loudun. Puis en 1110, à la mort de son grand-père<br />

maternel, Hélie, le comte du Maine, Foulque hérite de sa principauté. En 1128, une<br />

nouvelle étape est franchie avec le mariage de son fils Ge<strong>of</strong>froy le Bel et de Mathilde, la<br />

fille de Henri I er d’Angleterre, dite l’Empresse parce qu’elle avait été couronnée<br />

impératrice à Rome en tant qu’épouse de l’empereur Henri V. À cette date, Mathilde est<br />

la seule héritière de Henri I er . Celui-ci était parvenu depuis 1106, après une longue<br />

guerre fratricide qui s’achève à la bataille de Tinchebray, à réunir à nouveau sous sa<br />

seule autorité le regnum d’Angleterre et le duché normand. L’« empire normand » 2 était<br />

né en 1066, lorsque Guillaume duc de Normandie était parvenu à conquérir le trône<br />

d’Angleterre à la mort d’Edward le Confesseur, en l’emportant sur Harold FitzGodwin.<br />

L’origine normande constitue donc la seconde racine de l’empire des Plantagenêt, et<br />

pour certains historiens, elle est d’ailleurs la plus légitime. Pour Thomas K. Keefe et<br />

Charles W. Hollister, en effet, l’idée d’un « empire » serait née davantage de la volonté<br />

d’Henri I er plutôt que des ambitions de Foulque d’Anjou 3 . Mais quel qu’en ait été le<br />

concepteur, il est admis que sa réalisation pleine et entière a été principalement l’œuvre<br />

d’Henri II. À la mort de Ge<strong>of</strong>froy le Bel, en 1151, Henri, qui a à peine 20 ans, hérite de<br />

la Normandie, à charge pour lui de la reconquérir ainsi que l’Angleterre, dont le trône<br />

1<br />

GILLINGHAM, J., The Angevin Empire, 1984; BACHRACH, B. S., « The idea <strong>of</strong> the Angevin<br />

Empire », Albion,10: 4 (1978), p. 293-299.<br />

2<br />

LE PATOUREL, J. H., Feudal Empires : Norman and Plantagenet, 1984; Id., The Norman Empire,<br />

1976.<br />

3<br />

HOLLISTER, C. W. et KEEFE, T. K., « The making <strong>of</strong> the Angevin Empire », The Journal <strong>of</strong> British<br />

Studies, 12: 2 (1973), p. 1-25.<br />

5


avait été usurpé à la mort de Henri I er , en 1135, par son cousin Étienne de Blois.<br />

L’année suivante, en 1152, il épouse Aliénor, l’héritière du duché d’Aquitaine, qui vient<br />

d’être répudiée par son premier époux, le roi de France Louis VII. Ainsi, lorsqu’en<br />

décembre 1154, Henri II est couronné roi d’Angleterre à Westminster, il se retrouve<br />

maître d’un espace s’étendant des monts Cheviots aux Pyrénées. Mais son pouvoir n’en<br />

reste pas moins théoriquement en partie soumis au roi de France, auquel il a rendu<br />

hommage pour ses territoires continentaux.<br />

Si l’empire des Plantagenêt n’avait qu’un seul maître, il était composé de<br />

principautés territoriales aux coutumes, aux langues et aux rapports de pouvoir très<br />

différents qui en faisaient un espace pr<strong>of</strong>ondément hétérogène. Cette hétérogénéité ainsi<br />

que son effondrement précoce, au bout de cinquante ans, ont été les principaux<br />

arguments des historiens qui ont refusé de considérer que l’espace politique dominé par<br />

Henri II et ses fils constituait un « empire ». Nous discuterons ces arguments dans le<br />

chapitre 1, qui présente la documentation et expose les bases méthodologiques de cette<br />

étude ainsi que l’historiographie de la problématique impériale. Qu’il soit contesté ou<br />

accepté, le cadre impérial a constitué, depuis près d’une vingtaine d’années, l’objet de<br />

recherches menées au Centre d’Études Supérieures de Civilisation Médiévale de<br />

Poitiers, plus récemment sous la direction de Martin Aurell 4 . Favorisant les perspectives<br />

interdisciplinaires et transnationales, ces travaux ont ainsi permis de mieux saisir ces<br />

spécificités propres à chaque territoire de l’empire des Plantagenêt. S’il est composé de<br />

multiples territoires, aux féodalités contrastées, l’empire constitue également un cadre<br />

commun à partir duquel les comparaisons sont possibles. Son échelle d’analyse permet<br />

en effet de surmonter les schémas narratifs des historiographies nationales et de<br />

proposer, moins un décentrement, comme le prônait John Pocock 5 , qu’une perspective<br />

4 FAVIER, J. (éd.), Henri II Plantagenêt et son temps. Actes du colloque de Fontevraud, 29 septembre-<br />

1er octobre 1990, 1994 ; AURELL, M. (éd.), La cour Plantagenêt, 1154-1204. Actes du colloque tenu à<br />

Thouars du 30 avril au 2 mai 1999, 2000 ; Id. , Noblesses de l'espace Plantagenêt, 1154-1224. Table<br />

ronde tenue à Poitiers le 13 mai 2000, 2001 ; Id., Culture politique des Plantagenêt (1154-1224). Actes<br />

du colloque tenu à Poitiers du 2 au 5 mai 2002, 2003 ; AURELL, M. et TONNERRE, N.-Y. (éds.),<br />

Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages, 2006; La thèse M. BILLORÉ., « Pouvoir et<br />

noblesse en Normandie (fin XII e - début XIII e siècles). De l'autocratie Plantagenêt à la domination<br />

capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de M. Aurell, 2005, à paraître chez Brépols sous le titre :<br />

Pouvoir et noblesse en Normandie. De l’autorité des Plantagenêt à celle des rois de France (1150-1259);<br />

Mais aussi au sein de l’équipe du CRAHM : FLAMBARD HÉRICHER, A. M. et GAZEAU, V. (éds.),<br />

1204, la Normandie entre Plantagenêts et Capétiens. Actes du colloque international tenu du 16 au 19<br />

juin 2004 à Caen et à Rouen, 2007.<br />

5 POCOCK, J. A. G., « British History : a plea for a new subject », The Journal <strong>of</strong> Modern History, 47 :4<br />

(1975), p. 610-621 : propose d’adopter une perspective « archipélagique » incluant l’histoire britannique<br />

dans une histoire impériale, plutôt qu’européenne.<br />

6


comparative, sans tentation uniformisante et attentive à la spécificité propre de chaque<br />

territoire 6 .<br />

Cette étude consacrée à la politique de construction des Plantagenêt s’inscrit<br />

dans cette perspective comparative, cherchant à jeter un pont entre deux<br />

historiographies qui se sont souvent tournées le dos 7 . Certes, de nombreux historiens<br />

britanniques ont travaillé sur la Normandie ou sur le monde anglo-normand, mais les<br />

études transversales, ou globales, sur l’empire des Plantagenêt, ont rarement intéressé<br />

les historiens français et britanniques, à quelques exceptions près et surtout lorsqu’il<br />

s’agissait de discuter de la question de « l’empire » 8 . Contrairement aux travaux qui ont<br />

été menés jusqu’à présent, essentiellement dans un cadre national ou régional, l’analyse<br />

de la politique de construction des Plantagenêt a pour objectif de saisir les différentes<br />

manifestations de l’implantation du pouvoir princier dans chacune de ces principautés,<br />

non pas dans une perspective « identitaire » 9 mais dans le but de comprendre comment<br />

l’organisation des constructions à l’échelle impériale a changé la donne, autrement dit,<br />

comment l’empire a contribué à l’avènement d’un territoire politique.<br />

Cet objectif implique tout d’abord de saisir quelles étaient les spécificités<br />

territoriales de l’empire, du point de vue des rapports de pouvoir et de domination :<br />

Quelles étaient les féodalités des différents territoires de l’empire ? La présentation de la<br />

« marqueterie » territoriale ne doit cependant pas occulter l’idée que le moment impérial<br />

est aussi une étape essentielle dans le long processus de dépersonnalisation et de<br />

spatialisation des rapports de pouvoir qui caractérise la féodalisation de la société<br />

occidentale médiévale.<br />

1.1.1- Territoires et féodalités<br />

L’historiographie britannique a longtemps discuté pour savoir dans quelle<br />

mesure la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant, en 1066, avait<br />

6 C’est le programme que proposait en effet Rees R. Davies, dans un article où il reprochait à la British<br />

History de n’être qu’une déclaration d’intentions sans perspective heuristique, s’il s’agissait juste de<br />

décentrer sans comparer. DAVIES, R. R., « In praise <strong>of</strong> British History », dans The British Isle 1100-<br />

1500. Comparisons, Contrasts and Connections, 1988, p. 9-26.<br />

7 GENET, J.-P., « Histoire politique anglaise, histoire politique française », dans Saint-Denis et la<br />

royauté. Études <strong>of</strong>fertes à Bernard Guenée, 1999, p. 621-636.<br />

8 LE PATOUREL, J. H., « The Plantagenet dominions », History, 50 (1965), p. 289-308 ; BOUSSARD,<br />

J., Le gouvernement d'Henri II Plantagenêt, 1956; GILLINGHAM, J., The Angevin Empire, 1984;<br />

AURELL, M., L'empire des Plantagenêt : 1154-1224, 2004; FAVIER, J., Les Plantagenêts, 2004.<br />

9 BAUDRY, M.-P., « La politique de fortification des Plantagenêt en Poitou 1154-1242 », dans A.N.S.,<br />

2002, p. 43-70; BAUDRY, M.-P. et al. (éds.), Les fortifications dans les domaines Plantagenêt, XIIe-<br />

XIVe siècles. Actes du colloque international tenu à Poitiers, les 11-13 novembre 1994, 2000.<br />

7


contribué à féodaliser le royaume anglo-saxon d’Edward le Confesseur. Depuis la fin du<br />

XIX e siècle et les travaux de John H. Round puis de Frank Stenton sur l’introduction du<br />

service chevalier en Angleterre 10 , la doxa plus ou moins établie véhiculait l’idée que<br />

l’arrivée des Normands avait introduit en Angleterre une forme radicalement nouvelle<br />

de tenure militaire. L’une des manifestations les plus visibles de cette « révolution<br />

féodale » anglaise était notamment la construction massive de châteaux en Angleterre,<br />

qui ont également été introduits par les Normands 11 . L’idée d’une continuité féodale<br />

entre la Normandie et l’Angleterre commence cependant à être remise en cause dans les<br />

années 1960 12 . À partir des années 1970, avec la critique du féodalisme comme<br />

catégorie « tyrannique » de l’écriture de l’histoire, ce schéma est plus violemment<br />

rejeté 13 . Selon Susan Reynolds, l’idée que le féodalisme aurait été introduit en<br />

Angleterre au moment de la conquête relevait d’une conception nationaliste<br />

« pr<strong>of</strong>ondément ancrée dans des traditions linguistiques et pseudo-raciales » 14 . Elle<br />

attribue également la longue prégnance d’une telle idée dans l’historiographie à<br />

l’absence d’histoire réellement comparative entre l’Angleterre et le continent que la<br />

disparité des traditions documentaires rendait difficile. Récemment, la réhabilitation du<br />

concept de féodalisme a été justifiée non plus pour décrire l’introduction d’une<br />

pyramide féodale parfaite (dont les historiens s’accordent aujourd’hui pour dire qu’elle<br />

constitue un mythe), mais pour décrire les transformations sociales qui ont lieu autour<br />

de 1100 15 . Ces transformations ont notamment contribué à insérer l’Angleterre dans un<br />

réseau continental de relations, non seulement féodo-vassaliques, mais aussi<br />

ecclésiastiques. Si la féodalité anglaise était différente des féodalités continentales qui<br />

constituaient l’empire des Plantagenêt, c’est parce qu’elle intégrait en partie l’héritage<br />

10 ROUND, J. H., Feudal England. Historical Studies on the XI th and XII th centuries, 1964; STENTON, F.<br />

M., The First Century <strong>of</strong> English Feudalism, 1066-1166, being the Ford lectures delivered in the<br />

University <strong>of</strong> Oxford in Hilary term 1929, 1968.<br />

11 BROWN, R. A., Origins <strong>of</strong> English Feudalism, 1973.<br />

12 DOUGLAS, D. C., The Norman Conquest and British Historians, being the Thirteenth Lecture on the<br />

David Murray Foundation in the University <strong>of</strong> Glasgow, delivered on February 20th, 1946, 1946;<br />

HOLLISTER, C. W., « The Norman conquest and the genesis <strong>of</strong> English feudalism », The American<br />

Historical Review, 6 (1961), p. 641-664.<br />

13 BROWN, E. A. R., « The tyranny <strong>of</strong> a construct : feudalism and historians <strong>of</strong> medieval Europe », The<br />

American Historical Review, 79: 4 (1974), p. 1063-1088; GILLINGHAM, J., « The introduction <strong>of</strong> the<br />

knight service into England », Ante, 4 (1981), p. 53-64; PRESTWICH, M. O., « Anglo-Norman feudalism<br />

and the problem <strong>of</strong> continuity », Past & Present, 26: 1 (1963), p. 39-57.<br />

14 REYNOLDS, S., Fiefs and Vassals. The Medieval Evidence Reinterpreted, 1994, p. 323-324.<br />

15 CARPENTER, D. A., The Struggle for Mastery, 2003, p. 81-87; HOLT, J. C., « The Casus Regis: the<br />

law and politics <strong>of</strong> succession in the Plantagenet dominions 1185-1247 », dans Colonial England, 1066-<br />

1215, 2003, p. 307-326; HOLT, J. C., Colonial England, 1066-1215, 2003, p. 81-101. Pour un résumé des<br />

débats voir notamment CHIBNALL, M., The Debate on the Norman Conquest, 1999.<br />

8


de la monarchie anglo-saxonne, et son découpage administratif (shire, hundred,<br />

wapentake, etc.), qui donnait des assises territoriales au pouvoir royal. L’intégration des<br />

structures monarchiques anglaises par la nouvelle élite fut sans doute facilitée par le fait<br />

que le pouvoir ducal normand reposait également sur des structures institutionnelles, qui<br />

avaient résisté à l’essor de la seigneurie châtelaine, et sur la permanence d’agents<br />

ducaux, toujours attachés au service du prince 16 .<br />

L’historiographie française a également été marquée par d’importants débats sur<br />

la « révolution féodale ». Cependant, cette expression ne désigne pas le même<br />

phénomène qu’en Angleterre. En France, le débat est né dans les années 1980 des<br />

critiques que Dominique Barthélemy a adressées aux historiens héritiers de Georges<br />

Duby et Pierre Bonnassie, défendant le schéma d’une « mutation » féodale de la société<br />

au tournant des X e -XI e siècle 17 . De ces débats, il ressort aujourd’hui qu’il n’y a pas un<br />

modèle, mais plusieurs processus de féodalisation de la société qui se sont effectués<br />

dans des temporalités et selon des mécanismes différents selon les régions. Ces<br />

conclusions, qui rejoignent d’une certaine manière celles de Susan Reynolds,<br />

s’appliquent aux territoires de l’empire des Plantagenêt. Alors que les rapports « féodo-<br />

vassaliques » sont insérés relativement tôt dans des relations institutionnelles, en<br />

Angleterre et en Normandie, ailleurs la féodalité est avant tout un système décentralisé<br />

et les rapports entre le prince et ses vassaux sont principalement régulés par les<br />

conventiones qui établissent une relation contractuelle 18 . Cependant, tous ces territoires<br />

de l’empire connaissent un processus commun au cours de la seconde moitié du XII e<br />

siècle : celui de la normalisation féodale des rapports sociopolitiques. Susan Reynolds<br />

remarquait en effet que c’est seulement à partir du règne d’Henri II que le terme feodum<br />

devient la norme terminologique dans la documentation aussi bien anglaise que<br />

16 HASKINS, C. H., Norman Institutions, 1918 ; YVER, J., « Les châteaux-forts en Normandie jusqu’au<br />

milieu du XII e siècle : contribution à l’étude du pouvoir ducal », Bulletin de la société des antiquaires de<br />

Normandie, 53 (1955-56), p. 28-112.<br />

17 Il n’est pas question ici d’évoquer ces débats. Je renvoie donc à quelques propositions de résumés :<br />

BARTHÉLEMY, D. et WHITE, S. D., « The "Feudal revolution" », Past & Present, 152 (1996), p. 196-<br />

223 ; BARTHÉLEMY, D., « Nouvelle contribution au débat sur l’an mil en France », dans Les origines<br />

de la féodalité. Hommage à Claudio Sanchez Albornoz, 2000, p. 85-105; LAURANSON-ROSAZ, C.,<br />

« Le débat sur la "mutation féodale" », Scienza & Politica, 26 (2002), p. 3-24.<br />

18 DEBORD, A., La société laïque dans les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984; BOUTOULLE,<br />

F., Le duc et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au XIIe siècle, 2007,<br />

p. 209-228. De même, alors que l’alleu n’existe pas en Angleterre, il constitue une forme de possession de<br />

la terre relativement répandue sur le continent. BARTHÉLEMY, D., La société dans le comté de<br />

Vendôme de l'an mil au XIVe siècle, 1993, parle d’une « révélation féodale » qui se serait effectuée<br />

progressivement entre 970-1150, période au cours de laquelle la seigneurie châtelaine ne se substitue pas<br />

aux alleux mais devient une « sorte de superstructure servant à étayer et articuler l’infrastructure<br />

allodiale ». (p. 506).<br />

9


continentale 19 . Cette normalisation constitue l’aboutissement d’un long processus de<br />

transformation des logiques à la fois sociales et spatiales de la société médiévale<br />

occidentale.<br />

1.1.2- Spatialisation et féodalisation<br />

Au haut Moyen Âge, les rois Francs ont cherché à contrôler leurs espaces par la<br />

concession de diplômes d’immunité qui détachaient les vassi regales de leurs sujétions<br />

territoriales, afin de mieux les lier directement au roi 20 . Une telle organisation du<br />

pouvoir reposait ainsi sur un réseau de fidélités locales qui ne pouvaient que<br />

difficilement recouper l’espace régalien théoriquement délimité par des frontières<br />

territoriales. Le caractère très personnel de la définition des espaces politiques et la<br />

dissociation entre pagus et comitatus, qui renvoyait désormais à l’espace des fidélités<br />

personnelles du comte, s’accélère au cours du X e siècle. La personnalisation des espaces<br />

politiques et le déclin des cadres territoriaux du pouvoir débouchent aux alentours de<br />

l’an mil sur une organisation de l’espace occidental très éclatée et polarisée par des<br />

lieux centraux. La première moitié du XI e siècle constitue cependant une césure<br />

importante. L’apparition de la « blanche robe d’église » et du brun manteau de mottes<br />

constitue la marque spatiale d’une réorganisation pr<strong>of</strong>onde des structures sociales 21 .<br />

Si l’espace féodal reste alors fondamentalement l’espace d’un pouvoir, le<br />

dominium associe désormais la domination des hommes et de la terre de manière de<br />

plus en plus indissociable 22 . On assiste ainsi au passage d’un mode de structuration<br />

sociale parentèlaire à un mode de structuration sociale spatialisée. Selon Michel<br />

Lauwers et Laurent Ripart, l’organisation socio-spatiale féodale est avant tout polarisée<br />

autour des lieux, les loca dominica et les loca sancta 23 . Parce que l’église avait<br />

désormais vocation à personnifier l’Église par sa monumentalisation 24 et parce que la<br />

motte s’imposait comme l’identifiant du seigneur, au moment où l’aristocratie<br />

19 REYNOLDS, S., Fiefs and Vassals. The Medieval Evidence Reinterpreted, 1994, p. 353.<br />

20 ROSENWEIN, B. H., Negotiating Space. Power, Restraint and Privileges <strong>of</strong> Immunity in Early<br />

Medieval Europe, 1999; LAUWERS, M. et RIPART, L., « Représentation et gestion de l’espace dans<br />

l’Occident médiéval », dans Rome et la genèse de l’État moderne : une comparaison typologique, 2007,<br />

p. 115-171.<br />

21 RAOUL GLABER, Les cinq livres de ses histoires (900-1044), PROU, M. (éd.), 1886, p. 42 ;<br />

MORSEL, J., L'aristocratie médiévale : la domination sociale en Occident, Ve-XVe siècle, 2004, p. 96.<br />

22 GENET, J.-P., « La typologie de l’État moderne, le droit, l’espace », dans L’État moderne : le droit,<br />

l’espace et les formes de l’État, 1990, p. 7-17, GUERREAU, A., L'avenir d'un passé incertain, 2001.<br />

23 LAUWERS, M. et RIPART, L., « Représentation et gestion de l’espace dans l’Occident médiéval »,<br />

dans Rome et la genèse de l’État moderne : une comparaison typologique, 2007, p. 115-171.<br />

24 IOGNA-PRAT, D., La maison Dieu, 2006.<br />

10


s’organise en topolignées, l’espace féodal s’inscrit, d’une certaine manière, dans la<br />

continuité du processus de personnalisation de la spatialité qui caractérisait le haut<br />

Moyen Âge. Dans le même temps, en donnant naissance à une aire de domination, la<br />

seigneurie châtelaine, qui était initialement conçue comme un pur agrégat de droits<br />

personnels, suivait un processus parallèle à la formation de l’espace paroissial, autour de<br />

lieux progressivement circonscrits comme sacrés, les reliques, l’église, le cimetière.<br />

L’espace féodal donnait naissance à de puissants ancrages locaux autour desquels de<br />

nouveaux territoires (principautés et royaume d’une part, diocèses et Chrétienté de<br />

l’autre) ont pu se mettre en place. À l’espace éclaté et polarisé des X e et XI e siècles,<br />

succède ainsi un espace aux territorialités multiples, mais de plus en plus hiérarchisées<br />

et organisées dans des ensembles cohérents. Au XII e siècle, le processus de formation<br />

des principautés territoriales se poursuit, pour recouper, entre la seconde moitié du XII e<br />

et la fin du XIII e siècle, l’espace théorique des royaumes du haut Moyen Âge, dont le<br />

souvenir latent, revient comme mode de justification des prétentions impériales des<br />

souverains occidentaux.<br />

Selon Thomas N. Bisson, le processus qui s’opère au cours du XII e siècle est la<br />

« politisation » de l’espace féodal, qui consiste à dépersonnaliser les rapports de pouvoir<br />

pour les insérer dans rapports institutionnalisés 25 . L’instrument de cette politisation est<br />

alors l’émergence d’un nouveau langage, le langage de la comptabilité d’une part, qui<br />

médiatise les rapports du prince, et le langage de la cour, qui conceptualise et théorise à<br />

l’aide du droit et des auteurs classiques les nouveaux rapports de pouvoirs qui se nouent<br />

au cours du XII e siècle. La politisation des rapports de pouvoir tend ainsi à formaliser et<br />

à faire émerger des institutions sociales telles que « les relations féodo-vassaliques » ou<br />

encore « la chevalerie ». Selon Susan Reynolds, en effet, « si tant est que quelque chose<br />

comme des institutions féodo-vassaliques ait existé, elles furent le produit non pas d’un<br />

gouvernement faible et sous administré au haut Moyen Âge, mais d’un gouvernement<br />

de plus en plus bureaucratique et d’un droit savant qui commencèrent à se développer à<br />

partir du XII e siècle » 26 . De même, pour Dominique Barthélemy, « il faut attribuer la<br />

mutation chevaleresque de l’an 1100 à autre chose qu’à l’essor de la classe des<br />

chevaliers », dont l’habitus s’inscrit dans la ligne du haut Moyen Âge et de « sa<br />

germanité ». Ce qui se déroule au XII e siècle est plutôt un effort de justification, à<br />

25<br />

BISSON, T. N., The Crisis <strong>of</strong> the Twelfth Century : Power, Lordship, and the Origins <strong>of</strong> European<br />

Government, 2009, p. 484-499.<br />

26<br />

REYNOLDS, S., Fiefs and Vassals. The Medieval Evidence Reinterpreted, 1994, p. 478-479.<br />

11


travers la ritualisation et l’institutionnalisation de ses pratiques 27 . La politisation des<br />

rapports de pouvoir repose donc ainsi principalement sur la fixation et la verbalisation<br />

des règles, qui sortent dès lors de la coutume. La « renaissance » du droit écrit romain,<br />

la rédaction des coutumes, l’essor des pratiques de chancellerie, la fixation du dogme<br />

chrétien, notamment à Latran IV, participent de l’essor de cette culture de l’écrit qui<br />

organise le savoir et développe des « technologies de l’intellect » qui permettent de<br />

mieux conceptualiser le pouvoir et ainsi de mieux le structurer 28 . L’histoire matérielle<br />

des idées centrée sur l’essor des techniques de l’écrit et sur la scripturalité s’est<br />

développée depuis les années 1980, dans le cadre de l’historiographie de la genèse du<br />

pouvoir étatique. Elle a permis de montrer le lien étroit entre le développement de<br />

savoirs sur le pouvoir et sa politisation 29 .<br />

La conceptualisation de la souveraineté royale qui vient progressivement<br />

remplacer la suzeraineté féodale constitue un phénomène emblématique de ces<br />

transformations 30 . La question de la souveraineté se pose chez un homme comme Suger<br />

à partir du problème du contrôle royal sur l’arrière ban. La réalité de la souveraineté<br />

royale impliquait en effet la possession d’une puissance plénière (plenitudo potestatis),<br />

qui conférait au roi une autorité territoriale semblable à celle des empereurs romains, ce<br />

qui justifiait l’expression selon laquelle le roi était empereur en son royaume. La<br />

définition de la souveraineté constitue alors un enjeu central dans les débats qui<br />

opposent les papes aux empereurs au milieu du XII e siècle, puis aux rois occidentaux à<br />

partir de 1200 31 . Alors que le concept d’imperium se déploie dans la théorie politique,<br />

nous avons cherché à comprendre comment il s’est traduit dans la pratique, non pas<br />

d’un point de vue performatif, mais à travers l’évolution des rapports de pouvoir et<br />

notamment des rapports à l’espace du pouvoir. Au-delà de l’affirmation des prétentions<br />

territoriales des souverains, à l’instar de Frédéric Barberousse qui se déclarait dominus<br />

27 BARTHÉLEMY, D., La chevalerie. De la Germanie antique à la France du XIIe siècle, 2007, p. 9-13<br />

et 481 ; CROUCH, D., The Birth <strong>of</strong> Nobility. Constructing Aristocraty in England and France : 900-<br />

1100, 2005, p. 52-23.<br />

28 GOODY, J., Pouvoirs et savoirs de l'écrit, 2007.<br />

29 CLANCHY, M. T., « Literacy, law and the power <strong>of</strong> the state », dans Culture et idéologie dans la<br />

genèse de l'Etat moderne, 1985, p. 25-34 ; CLANCHY, M. T., From Memory to Written Record :<br />

England, 1066-1307, 1993 [1979] ; voir également les compte-rendus de GENET, J.-P., « Une révolution<br />

culturelle au Moyen Âge », Le Débat, 14 (1981), p. 158-165; GENET, J.-P., « La naissance de l’écrit en<br />

Angleterre », Le Moyen Âge, 88 (1982), p. 323-328.<br />

30 KRYNEN, J., L'empire du roi. Idées et croyances politiques en France, XIIIe-XVe siècle, 1993 ;<br />

ULLMANN, W., « The development <strong>of</strong> the medieval idea <strong>of</strong> sovereignty », E.H.R., 64: 250 (1949), p. 1-<br />

33 ; SENELLART, M., Les arts de gouverner, 1995, p. 21-22.<br />

31 RACINE, P., « Aux origines du droit public: la législation de Frédéric Barberousse à la diète de<br />

Roncaglia (1158) », Le Moyen Âge, 114: 2 (2008), p. 361-368 résume les résultats d’un colloque<br />

allemand consacré à ce thème.<br />

12


mundi en 1158, comment ont-ils concrètement pris possession de l’espace qu’ils<br />

dominaient ?<br />

Le contrôle de l’espace et des lieux devient en effet le nouvel enjeu de la<br />

potestas regis dans un contexte de dépersonnalisation des rapports de pouvoir et de<br />

spatialisation des rapports sociaux. Plus encore que le contrôle des lieux, qui caractérise<br />

le pouvoir féodal, c’est le contrôle d’un territoire, délimité comme espace<br />

d’appartenance d’une communauté, qui fait émerger, dans la pratique, la souveraineté<br />

du pouvoir. Il s’agira ainsi d’analyser les processus de territorialisation à l’œuvre, en<br />

montrant comment les Plantagenêt sont non seulement parvenus à contrôler les lieux en<br />

renforçant leur domination féodale mais ont également accru leur maîtrise territoriale en<br />

insérant les communautés « régnales » 32 dans le jeu des rapports de pouvoir. Cette<br />

insertion a été notamment possible par le développement de l’administration anglo-<br />

normande, véritable moteur de l’émergence d’une société politique, dont l’affirmation<br />

constitue un facteur déterminant de la genèse de l’État moderne. Celui-ci n’apparaît<br />

cependant qu’à partir des années 1250-1350, lorsque le roi cesse d’être principalement<br />

un seigneur entouré de ses vassaux et qu’il devient le souverain d’une communauté<br />

politique au sein d’un territoire délimité 33 . À l’orée de l’époque moderne, les États<br />

monarchiques, la France et l’Angleterre, se définissent en effet avant tout par leur<br />

territoire, en ce sens qu’il est une émanation de la communauté du royaume<br />

territorialement délimité par des frontières 34 .<br />

1.1.3- Présentation des chapitres<br />

Dans cette étude, la problématique du renforcement du pouvoir territorial du roi<br />

et de la formation d’un territoire politique a été abordée à partir de la politique de<br />

construction des Plantagenêt. Nous entendons, par politique de construction, l’action<br />

des Plantagenêt non seulement pour construire des édifices, mais aussi pour les<br />

restaurer, les patronner, ainsi que les démolir. Nous montrerons que cette politique<br />

accompagne la tentative de contrôler non seulement les lieux, mais aussi l’espace de<br />

32 REYNOLDS, S., Kingdoms and Communities in Western Europe, 900-1300, 1986, p. 253-262 ; elle<br />

utilise cet adjectif plus approprié que « national » qui n’a pas de sens au Moyen Âge, pour désigner les<br />

solidarités communautaires au sein des regna.<br />

33 GENET, J.-P., « La genèse de l’État moderne : les enjeux d’un programme de recherche », Actes de la<br />

Recherche en Sciences sociales, 118 (1997), p. 3-18. L’État moderne est le produit « d’une fiscalité<br />

publique acceptée par la société politique et ce dans une dimension territoriale supérieure à celle de la<br />

cité, et dont tous les sujets sont concernés ».<br />

34 GUENÉE, B., « Des limites féodales aux frontières politiques », dans Les lieux de mémoire. vol. 1 : La<br />

Nation, 1997, p. 1103-1124.<br />

13


leur dominium et de leur imperium. Le chapitre 2 sera ainsi consacré à la manière dont<br />

les Plantagenêt ont renforcé leur puissance royale en se saisissant des châteaux mais<br />

aussi des fondations de leurs vassaux, qui constituaient le véritable enjeu de leur<br />

fidélité. Le renforcement de la potestas regis sera appréhendé dans le cadre de<br />

l’évolution des pratiques juridiques ; c’est en effet par l’affirmation du droit de<br />

reddibilité des châteaux que les Plantagenêt ont été à la conquête de leur pouvoir.<br />

L’affirmation de la puissance royale sur les lieux de l’empire n’a cependant pas<br />

uniquement concerné les châteaux féodaux. L’enjeu que représente le contrôle des<br />

établissements monastiques et des réseaux ecclésiastiques a été déterminant dans la<br />

capacité des Plantagenêt à territorialiser leur pouvoir. Plutôt que de traiter de manière<br />

autonome la politique « religieuse » des Plantagenêt à travers leur patronage<br />

architectural, objet de recherche bien exploré 35 , il s’agira au contraire d’insérer leurs<br />

rapports vis-à-vis des constructions monastiques et ecclésiastiques au cœur des<br />

stratégies de contrôle de l’espace et de territorialisation du pouvoir.<br />

Si la potestas regis s’est renforcée dans le cadre d’une affirmation et d’une<br />

normalisation des relations féodo-vassaliques à l’échelle de l’empire, elle s’est dans le<br />

même temps transformée, en se « politisant », c'est-à-dire en avançant sa dimension<br />

« publique », comme mode de justification. Le chapitre 3 sera ainsi consacré à<br />

l’affirmation de cette dimension publique de l’action des Plantagenêt en matière de<br />

construction. Nous discuterons ainsi de la pertinence du concept des « travaux publics »<br />

appliqué à la réalité du XII e siècle, en analysant les multiples niveaux d’intervention des<br />

Plantagenêt en ce qui concerne les constructions qui sortent du cadre de la relation<br />

féodale. Le patronage des communautés urbaines et charitables et de leurs constructions<br />

(remparts, ponts ou hôpitaux) sera ainsi abordé de même que l’essor d’une juridiction<br />

royale sur certaines infrastructures relevant des prérogatives de la Couronne et de la<br />

revendication du monopole de la guerre publique dans le conflit qui oppose Plantagenêt<br />

et Capétiens.<br />

À la suite de ces deux chapitres consacrés au renforcement de la puissance<br />

territoriale des Plantagenêt à l’échelle de leur empire, le chapitre 4 s’attachera à montrer<br />

35 HALLAM, E. M., « Aspects <strong>of</strong> the monastic patronage <strong>of</strong> the English and French royal houses, c.<br />

1130-1270"; HALLAM, E. M., « Henry II as a founder <strong>of</strong> monasteries », Journal <strong>of</strong> Ecclesiastical<br />

History, 28: 2 (1977), p. 113-132; GRANT, L., « Le patronage architectural d'Henri II et de son<br />

entourage », C.C.M., 37 (1994), p. 73-84; GRANT, L., Architecture and Society in Normandy, 1120-<br />

1270, 2005; ANDRAULT-SCHMITT, C., « Le mécénat architectural en question: les chantiers de Saint-<br />

Yrieix, Grandmont et le Pin à l'époque de Henri II », dans La cour Plantagenêt, 1154-1204, 2000, p. 235-<br />

279.<br />

14


comment la construction d’un pouvoir territorial était étroitement liée à la question de la<br />

délimitation de l’espace. Les « frontières » de l’empire seront ainsi analysées à l’échelle<br />

impériale, dans une perspective comparative, au travers des pratiques de construction et<br />

de la manière dont elles ont structuré l’espace frontalier. Il s’agira avant tout de<br />

comprendre la frontière comme un espace dynamique, pr<strong>of</strong>ondément hétérogène et<br />

instable, dont la fixation juridique s’est imposée progressivement au fil des traités, de<br />

plus en plus nombreux, passés entre les Plantagenêt et leurs voisins. Les multiples<br />

frontières de l’empire, qui correspondent à autant de formes territoriales du pouvoir<br />

permettront notamment de mieux saisir comment les Plantagenêt concevaient leur<br />

imperium. L’hétérogénéité et les différents degrés de territorialisation du pouvoir aux<br />

frontières seront étudiés de manière synchronique pour saisir à chaque fois les<br />

territorialités spécifiques qui se font et se défont et qui donnent à l’empire des<br />

Plantagenêt autant de types de frontières qu’il a de territoires.<br />

Le chapitre 5 cherchera à comprendre comment l’itinérance et les choix<br />

résidentiels des Plantagenêt ont constitué un mode d’appropriation et de construction de<br />

l’espace politique. Dans quelle mesure, en effet, ces pratiques spatiales constituaient-<br />

elles un mode de gouvernement à la fois personnel et spatialisé ? Occuper un château,<br />

résider dans un lieu devient en effet un vecteur essentiel de la spatialisation du pouvoir.<br />

Alors que les déplacements carolingiens fonctionnaient sur le mode de la poly-localité<br />

(écosynchronie), les déplacements des Plantagenêt, comme des princes de la même<br />

époque, relèvent davantage de l’écodiachronie, c'est-à-dire non plus du fait d’avoir<br />

plusieurs résidences en même temps, mais de résider dans des châteaux<br />

successivement 36 . L’investissement dans les constructions domestiques y compris<br />

castrales apparaît alors comme un phénomène corollaire de la domestication des<br />

organes de gouvernement et de la curialisation du pouvoir. Localement, en tant que<br />

lieux dans lequel se nouent tout un ensemble de relations sociales, les châteaux royaux<br />

ont également constitué des vecteurs d’affirmation et d’inscription du pouvoir dans<br />

l’espace et le paysage.<br />

Enfin, dans le dernier chapitre, les chantiers de constructions, dans leurs<br />

dimensions financière, humaine et matérielle seront analysés pour montrer en quoi ils<br />

ont constitué, en tant que système technique et administratif, un facteur de la<br />

territorialisation du pouvoir royal. Le chantier constitue en effet un lieu où s’articulent<br />

la maîtrise de l’environnement productif local et le contrôle de l’espace administratif<br />

36 MORSEL, J., L'aristocratie médiévale : la domination sociale en Occident, Ve-XVe siècle, 2004, p. 98.<br />

15


global. La mise en réseau des chantiers, par la circulation des financements, des<br />

ingénieurs royaux et des matériaux de construction traduit en effet la maîtrise que les<br />

Plantagenêt avaient des ressources des territoires de leur empire. La gestion des<br />

ressources à une échelle globale et leur intégration dans des logiques politiques ont ainsi<br />

contribué à faire émerger un système administratif territorialisé. D’une certaine manière,<br />

la perspective des chantiers constitue un point de vue privilégié pour comprendre<br />

comment s’est opérée la territorialisation du pouvoir à travers l’essor de la construction<br />

militaire, du développement de la fiscalité et de l’émergence d’une société politique.<br />

16


Chapitre 1<br />

Corpus, méthodes et historiographie de<br />

l’espace et des constructions des<br />

Plantagenêt<br />

1- Les chantiers de constructions à travers la production<br />

des documents écrits au XII e siècle<br />

Les documents à partir desquels l’historien fonde son travail ont longtemps été<br />

considérés comme des « sources », sans que soit appréhendée leur historicité propre,<br />

c'est-à-dire la place qu’ils occupaient dans la société qui les a produits et conservés 1 .<br />

Depuis plusieurs années, toutefois, les questionnements sur le processus de formation<br />

des « sources » et de la constitution des archives se sont développés, à partir notamment<br />

de la critique de la notion de texte qui dématérialise la source, en la privant de son<br />

support et en cherchant à réinvestir de leurs sens ces productions sociales des sociétés<br />

passées 2 . Ce mouvement de retour au manuscrit, à la matérialité des textes, s’inscrit<br />

dans la continuité des interrogations menées depuis plus d’une vingtaine d’années par<br />

les anthropologues sur la place spécifique tenue par l’écrit dans la société médiévale et<br />

sur la literacy 3 . Jack Goody notamment a permis aux historiens de sortir l’écriture de sa<br />

dignité culturelle et de l’observer dans son efficacité pratique 4 . Le premier travail<br />

d’appropriation de ces concepts anthropologiques en histoire est opéré par Michael<br />

Clanchy, en 1979, qui publie From Memory to Written Record 5 . Il y révèle l’importance<br />

1<br />

MORSEL, J., « Les sources sont-elles "le pain de l'historien"? », Hypothèses 2003. Travaux de l'Ecole<br />

doctorale de <strong>Paris</strong> 1 <strong>Panthéon</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (2004), p. 273-286.<br />

2<br />

CHASTANG, P., Lire, écrire, transcrire. Le travail des rédacteurs de cartulaires en Bas-Languedoc,<br />

XIe-XIIIe siècles, 2001; CHASTANG, P., « L'archéologie du texte médiéval. Autour de travaux récents<br />

sur l'écrit au Moyen Âge », Annales. Histoire, Sciences sociales, 63: 2 (2008), p. 245-270 voir également<br />

les contributions dans ANHEIM, E. et PONCET, O., « Fabrique des archives, fabrique de l'histoire »,<br />

dans Revue de Synthèse, 2004.<br />

3<br />

GOODY, J., La Raison graphique. La domestication de la pensée sauvage, 1986 [1978].<br />

4<br />

MENANT, F.; COQUERY, N. et WEBER, F. (eds.), Écrire, compter, mesurer. Vers une histoire des<br />

rationalités pratiques, 2006, p. 13.<br />

5<br />

CLANCHY, M. T., From Memory to Written Record : England, 1066-1307, 1993 [1979], p. 7: « A<br />

difference between this book and some previous studies <strong>of</strong> records by historians is that it tries to avoid<br />

being prejudiced in favour <strong>of</strong> literacy (…). Furthermore, literate techniques are so necessary to 20 th<br />

17


du moment médiéval dans l’histoire de la culture occidentale de l’écrit et notamment de<br />

la « révolution documentaire » du XII e siècle.<br />

À partir de la seconde moitié du XII e siècle, en effet, l’enregistrement des<br />

affaires, la constitution de registres, le lancement d’enquêtes, témoignent des<br />

changements culturels qui s’opèrent vis-à-vis de l’écrit, dont la pratique cesse d’être un<br />

monopole des clercs pour devenir une véritable technologie répondant aux besoins<br />

concrets de l’administration. Corollaire au développement des institutions monarchiques<br />

en France et en Angleterre, la diffusion de la literacy en dehors du strict cadre de la<br />

cléricature accompagne le développement de nouvelles pratiques sociales mais aussi de<br />

gouvernement avec la mise au point d’instruments de pouvoir et de contrôle 6 . Ce<br />

phénomène se traduit concrètement par l’augmentation quantitative des affaires de<br />

chancellerie et l’apparition de nouvelles instances financières et judiciaires de la<br />

monarchie anglaise 7 . Ainsi, entre la fin du XI e siècle et le début du XIV e siècle s’établit<br />

la suprématie progressive de l’écrit dans la société occidentale, que les historiens ont eu<br />

tendance à mettre en relation avec l’idée d’un mouvement de rationalisation porté par<br />

l’Occident, en marche vers sa modernité. Si cette interprétation est désormais battue en<br />

brèche, il n’en reste pas moins qu’en un peu plus de deux siècles, l’Occident passe d’un<br />

monde sans écriture pratique à un monde où l’écrit domine tout 8 . Autour de 1200 se<br />

situe plus précisément ce que Hagen Keller appelle « le tournant pratique », car c’est à<br />

cette époque que se cristallisent de nouvelles formes de rationalités. Au siècle<br />

précédent, cette petite révolution reste en effet confinée aux administrations royales,<br />

impériales et pontificales. En Angleterre, le système d’enregistrement et de préservation<br />

des documents administratifs royaux se met même probablement en place dès le début<br />

du XII e siècle, à travers l’institution de l’Échiquier 9 . Si l’héritage de la monarchie anglo-<br />

saxonne ne peut être sous-estimé dans l’organisation territoriale et administrative<br />

century western society, and education in them is so fundamental a part <strong>of</strong> the modern individual’s<br />

experience that it is difficult to avoid assuming that literacy is an essential mark <strong>of</strong> civilization. By<br />

contrast, anthropological studies <strong>of</strong> non-literate society (…) suggest that literacy in itself is primarily a<br />

technology » (« a technology <strong>of</strong> the intellect », Jack Goody).<br />

6 GALBRAITH, V. H., « The literacy <strong>of</strong> medieval English kings », Proceedings <strong>of</strong> the British Academy,<br />

21 (1935), p. 201-238; THOMPSON, J. W., The Literacy <strong>of</strong> the Laity in the Middle Ages, 1966.<br />

7 CLANCHY, M. T., From Memory to Written Record : England, 1066-1307, 1993 [1979].<br />

8 Sur le débat au sujet de l’étendue de la maîtrise de l’écrit et de son impact sur le gouvernement<br />

bureaucratique voir aussi : WORMALD, P. C., « The uses <strong>of</strong> literacy in Anglo-Saxon England and its<br />

neighbours », T.R.H.S., 27 (1977), p. 94-114; LOWE, K. A., « Lay literacy in Anglo-Saxon England and<br />

the development <strong>of</strong> the chirograph », dans Anglo-Saxon Manuscripts and their Heritage, 1998, p. 161-<br />

204 ; MENANT, F.; COQUERY, N. et WEBER, F. (eds.), Écrire, compter, mesurer. Vers une histoire<br />

des rationalités pratiques, 2006, p. 20.<br />

9 HAGGER, M., « A Pipe Roll for 25 Henry I », E.H.R., 122: 495 (2007), p. 133-140.<br />

18


anglaise, la mise en place de nouvelles institutions comme l’Échiquier et l’utilisation<br />

d’un personnel de clercs compétents, dès le règne d’Henri I er (1106-1135), ont été de<br />

puissants facteurs d’accentuation de la centralisation du pouvoir anglo-normand puis<br />

angevin 10 . À ce titre la monarchie des Plantagenêt joue un rôle moteur dans l’invention<br />

de nouvelles techniques de gouvernement par l’écrit qui se propagent vers les<br />

institutions locales. L’influence de l’écrit sur l’évolution du droit et des pratiques<br />

juridiques en Angleterre a également été mise en évidence par John Hudson 11 .<br />

Cependant, cette avance anglo-normande dans les pratiques de l’écrit administratif et<br />

judiciaire crée une forte disparité documentaire à l’échelle de l’empire Plantagenêt.<br />

Alors qu’en Angleterre et en Normandie l’institution monarchique et ducale a produit et<br />

conservé une importante masse documentaire, de nature administrative et judiciaire, il<br />

ne reste des autres possessions continentales des Plantagenêt qu’une production<br />

essentiellement diplomatique et littéraire, que les fouilles archéologiques viennent<br />

aujourd’hui ponctuellement compléter. Le corpus des textes qui permettent aujourd’hui<br />

d’analyser précisément la politique de construction d’Henri II et de ses fils ne couvre<br />

donc l’espace de leur empire que de manière partielle et différentiée. Mais cette<br />

hétérogénéité documentaire n’est qu’un reflet parmi d’autres de l’hétérogénéité<br />

juridique, culturelle et linguistique de cet espace, qu’il est donc difficile d’appréhender<br />

dans sa globalité.<br />

Pour comprendre ce que la documentation est capable de nous dire des chantiers<br />

de construction Plantagenêt, une étude préalable de ses usages historiques, c'est-à-dire<br />

de la manière dont elle a été produite et utilisée par les agents de la monarchie<br />

Plantagenêt s’impose donc. Le point de vue qu’elle <strong>of</strong>fre fonctionne en effet comme un<br />

prisme sélectif, qui synthétise les informations en les centralisant. Elle empêche de ce<br />

fait d’aborder le sujet d’un point de vue micro-analytique. La première partie de ce<br />

chapitre sera donc fondée sur l’étude des mécanismes institutionnels dont sont issus les<br />

principaux documents écrits sur lesquels se fonde ce travail. Les erreurs fréquentes sur<br />

l’interprétation des comptes de l’Échiquier ont particulièrement incité à utiliser cet<br />

angle d’approche. Si la documentation des institutions du pouvoir Plantagenêt constitue<br />

la base du corpus des sources de cette thèse, d’autres sources, de nature diverse, ont<br />

également été mises à contribution. Elles n’ont toutefois pas fait l’objet d’analyses<br />

10 VINCENT, N., « Why 1199 ? Bureaucracy and enrolment under John and his contemporaries », dans<br />

English Government in the Thirteenth Century, 2004, p. 18-48; TURNER, R. V., Men Raised from the<br />

Dust. Administrative Service and Upward Mobility in Angevin England, 1988.<br />

11 HUDSON, J., « L'écrit, les archives et le droit en Angleterre (IXe-XIIe siècle) », Revue historique, 638:<br />

1 (2006), p. 3-35.<br />

19


exhaustives : leur utilisation a été essentiellement ponctuelle, de précision ou de<br />

complétion en cas d’absence ou de lacunes des sources issues des institutions du<br />

pouvoir.<br />

1.1- Les institutions du pouvoir Plantagenêt et leur documentation<br />

John Le Patourel décrivait le gouvernement angevin comme une structure à trois<br />

niveaux interconnectés (a three-tiered structure) 12 ; au sommet se trouvait le roi et sa<br />

maisonnée ; au milieu, l’administration des provinces de l’empire conférée à des<br />

sénéchaux, des gouverneurs, ou des justiciers en Angleterre et en Irlande, et à la base,<br />

l’administration locale des shérifs et baillis. Les relations entre ces trois niveaux de<br />

gouvernement n’étaient cependant pas assurées de la même manière dans le monde<br />

anglo-normand et dans le reste de l’empire. Tandis que le système de relations féodo-<br />

vassaliques constituait le mode principal d’organisation du pouvoir en Anjou, en<br />

Aquitaine, en Bretagne et en Irlande, régissant les relations entre le prince et ses agents,<br />

en Angleterre, et dans une moindre mesure en Normandie, cette relation était médiatisée<br />

par une institution : l’Échiquier, dont la vocation de contrôle des agents était effective<br />

par le système de reddition de comptes. De cette institution, il reste l’une des plus<br />

impressionnante série de comptes de cette période : les pipe rolls. La spécificité de ces<br />

rouleaux, qui constituent la base du corpus archivistique sur lequel s’appuie cette thèse,<br />

ne prend véritablement son sens que replacée au sein de l’ensemble de la production des<br />

organes du pouvoir : l’Échiquier mais aussi la maison du roi, où dominent la chambre et<br />

la chancellerie.<br />

1.1.1- L’Échiquier<br />

Le système d’audit et d’enregistrement des comptes<br />

Le royaume d’Angleterre était divisé territorialement, depuis l’époque anglo-<br />

saxonne, en districts correspondant à des unités fiscales et administratives,<br />

indépendantes des divisions ecclésiastiques. La plus grande unité était le shire, auquel<br />

se substitue le county à partir de 1066. Elle était administrée par un shérif, agent chargé<br />

de représenter l’autorité royale, de faire exécuter la justice et de prélever les revenus<br />

royaux. Les shérifs apparaissent dans la documentation sous le terme de vicecomes. Ce<br />

terme ne recouvre cependant la même réalité en Normandie et en Angleterre, où il<br />

12 LE PATOUREL, J. H., « The Plantagenet dominions », History, 50 (1965), p. 289-308.<br />

20


continue de désigner des agents du duc ou du roi, et dans les autres possessions<br />

continentales des Plantagenêt. Au cours des X e et XI e siècles, avec la dissémination de<br />

la potestas et l’appropriation du ban par les seigneurs châtelains, l’<strong>of</strong>fice vicomtal<br />

s’était en effet progressivement vidé de sa substance pour désigner au XII e siècle le<br />

principal seigneur de la région, après le comte ou le duc, et l’équivalent des barones et<br />

des principes 13 . En Normandie et en Angleterre, la force du pouvoir ducal et royal a<br />

globalement contenu l’essor du vicomte, l’empêchant d’acquérir une puissance<br />

autonome 14 . À quelques exceptions, celle des Meulan par exemple, la vicomté ne s’est<br />

donc pas territorialisée. En Angleterre, la charge de shérif était vendue à ferme, à taux<br />

fixe, et le shérif devait, deux fois par an, à Pâques et le jour de la saint Michel (le 25<br />

septembre), se rendre à l’Échiquier, pour s’acquitter de sa ferme. Lors des sessions de<br />

l’Échiquier, l’audit des comptes consistait à enregistrer en détail la somme des dépenses<br />

effectuées par le shérif ou divers agents, selon les prescriptions royales. Cette somme<br />

était alors déduite du montant de la ferme du comté ou des dettes contractées auprès du<br />

Trésor royal, qui était conservé à l’Échiquier. Composé de barons et présidé par le<br />

Justicier du royaume, l’Échiquier était initialement une extension de la cour du roi,<br />

chargée de la reddition des comptes mais aussi du règlement des conflits qui pouvaient<br />

en résulter. Le fonctionnement de cette institution est bien connu grâce au traité écrit, en<br />

1179, par Richard FitzNigel, le trésorier de Henri II 15 . Le Dialogue de l’Échiquier est<br />

un manuel à destination des clercs débutant dans l’institution. Il <strong>of</strong>fre donc une<br />

présentation didactique de l’institution du déroulement des sessions d’audit des<br />

comptes, et de leurs modes d’enregistrement, ou plus exactement d’enrôlement 16 .<br />

Les Grands Rôles de l’Échiquier, plus couramment connus sous le terme de pipe<br />

rolls, à cause de la forme tubulaire qu’ils prennent lorsqu’ils sont enroulés et entreposés,<br />

sont des parchemins cousus les uns à la suite des autres et sur lesquels étaient<br />

13<br />

DAMON, G., « Vicomtes et vicomtés dans le Poitou médiéval (IXe - XIIe siècles). Genèse, modalités<br />

et transformations », dans Vicomtes et vicomtés dans l'Occident médiéval, 2008, p. 223-235 ;<br />

DELHOULME, D. et REMY, C., « Le phénomène vicomtal en Limousin, IXe - XVe siècles », dans Ibid.,<br />

p. 236-249. En Limousin, la mulitplication du titre accompagne cette dissémination.<br />

14<br />

DÉBAX, H., « Des vice-comtes aux vicomtes, des vicomtes aux vicomtés. Introduction », dans Ibid.,<br />

p. 7-19; BOUVRIS, J., « Contribution à l'étude de l'institution vicomtale en Normandie au XIe siècle.<br />

L'exemple de la partie orientale du duché: les vicomtes de Rouen et Fécamp », dans Autour du pouvoir<br />

ducal normand Xe-XIIe siècles, 1985, p. 149-174; BAUDUIN, P., La première Normandie (Xe-XIe siècle)<br />

sur les frontières de la Haute-Normandie identité et construction d'une principauté, 2002<br />

15<br />

RICHARDSON, H. G., « Richard Fitz Neal and the Dialogus de Scaccario », E.H.R., 43 (1928), p. 161-<br />

171.<br />

16<br />

RICHARD FITZNIGEL, Dialogus de Scaccario (and) Constitutio Domus Regis. The Course <strong>of</strong> the<br />

Exchequer. The Establishment <strong>of</strong> the Royal Household, 1983.<br />

21


enregistrés (recto verso) les comptes rendus annuels (à la saint Michel) 17 . Lors de la<br />

session pascale et des sessions préliminaires, seules des notes étaient prises afin de<br />

préparer les rouleaux en les pré-remplissant et pour anticiper les cas de litiges, de sorte<br />

qu’ils puissent être traités séparément de la session de reddition de compte proprement<br />

dite. Ces notes étaient enrôlées sur des memoranda rolls, dont il ne reste que quelques<br />

fragments datant du règne de Jean. Le premier date de 1199-1200, il concerne les<br />

changements liés à la succession au trône, et l’autre de 1207-1208 18 . Il reste également<br />

des fragments de memoranda roll pour la Normandie, suggérant la similarité des<br />

pratiques des deux Échiquiers, anglais et normand, sous le règne de Jean. Ces rouleaux,<br />

qui datent probablement de l’année 1199-1200, ont également été édités 19 . Bien que les<br />

seuls fragments de memoranda roll conservés datent du règne de Jean, Alan R. Brown,<br />

à l’appui des informations du Dialogus, soutient que cette pratique existait dès le règne<br />

de Henri II. Elle semble néanmoins s’être développée avec l’essor général des affaires<br />

traitées à l’Échiquier et avoir été essentiellement utilisée pour régler des problèmes<br />

particuliers 20 . Concernant les informations disponibles sur les chantiers royaux, ces<br />

memoranda rolls comportent relativement peu de données qui ne soient également dans<br />

les pipe rolls, puisque presque toutes les entrées des memoranda rolls ont des entrées<br />

équivalentes dans les pipe rolls des années correspondantes.<br />

L’audit des comptes, tel qu’il se pratiquait à l’Échiquier dans la seconde moitié<br />

du XII e siècle, fonctionnait selon un système précis de calcul à partir d’une table<br />

reproduisant le principe de l’abaque. Cette nouvelle méthode de calcul semble dater du<br />

règne d’Henri I er , sans doute aux alentours de 1118, date à laquelle apparaît la première<br />

occurrence du mot Échiquier 21 . Pour que soient déduites du montant de leur ferme les<br />

sommes dépensées au nom du roi, les shérifs devaient présenter les brefs royaux,<br />

17 RAMSAY, J. H., « The Origin <strong>of</strong> the Name 'Pipe Roll' », E.H.R., 26: 102 (1911), p. 329-330.<br />

18 RICHARDSON, H. G. (éd.), The Memoranda roll for the Michaelmas term <strong>of</strong> the first year <strong>of</strong> the reign<br />

<strong>of</strong> King John (1199-1200): together with fragments <strong>of</strong> the originalia roll <strong>of</strong> the seventh year <strong>of</strong> King<br />

Richard I, 1195-6, the liberate roll <strong>of</strong> the second year <strong>of</strong> King John, 1200-1, and the Norman Roll <strong>of</strong> the<br />

fifth year <strong>of</strong> King John, 1203, 1943.<br />

19 LEBAS, H., « Un fragment de rôle normand inédit de Jean sans terre », Bulletin de la société des<br />

Antiquaires de Normandie, XXIX (1914), p. 21-31. Édition reprise et complétée dans PACKARD, S. R.<br />

(éd.), Miscellaneous records <strong>of</strong> the Norman Exchequer (1199-1204), 1927.<br />

20 Voir l’introduction de R. A. Brown dans CHENEY, C. R. et BROWN, R. A. (eds.), The Memoranda<br />

roll for the tenth year <strong>of</strong> the reign <strong>of</strong> King John, 1207-8 : together with the Curia Regis rolls <strong>of</strong> Hilary 7<br />

Richard I, 1196, and Easter 9 Richard I, 1198 : a roll <strong>of</strong> plate held by Hugh de Neville in 9 John, 1207-8,<br />

and fragments <strong>of</strong> the close rolls <strong>of</strong> 16 and 17 John, 1215-16, 1957, p. 9-10.<br />

21 POOLE, A. L., The Exchequer in the Twelfth Century, being the Ford Lectures delivered in the<br />

University <strong>of</strong> Oxford in Michelmas term 1911, 1912; VINCENT, N., « Why 1199 ? Bureaucracy and<br />

enrolment under John and his contemporaries », dans English Government in the Thirteenth Century,<br />

2004, p. 18-48.<br />

22


comprenant l’ordre d’exécuter ou d’affecter des dépenses. Si les montants s’annulaient,<br />

les shérifs étaient quittes, mais si les dépenses ne recouvraient pas totalement le montant<br />

de la ferme, les sommes dues devaient êtres payées au Trésor. Richard d’Ilchester, qui<br />

avait pour fonction de surveiller l’enregistrement des comptes et d’empêcher le trésorier<br />

de s’endormir, introduisit dans les années 1180 un système de contre-brefs, c’est-à-dire<br />

de copies des brefs envoyés aux shérifs, de sorte que les tentatives de fraudes pouvaient<br />

être décelées et ainsi dissuader les shérifs 22 . Cependant, le mythe de l’efficacité<br />

administrative des Plantagenêt ne doit pas être surestimée. Comme le fait remarquer<br />

Nicholas Vincent, nombre de lettres au nom d’Henri II n’étaient sans doute pas<br />

authentiques, car l’auteur du Dialogue met en garde son disciple sur les fraudes qui<br />

parviennent à échapper au contrôle des finances des shérifs 23 .<br />

Si la nécessité de gérer, de compter et donc de contrôler les ressources du<br />

royaume constitue l’une des causes les plus souvent attribuées à l’essor des pratiques de<br />

l’écrit, écrire n’est, en revanche, nullement indispensable à ces activités. La persistance<br />

de l’usage des tallies dans le système d’enregistrement des dettes ou des avances de<br />

l’Échiquier illustre bien la fonction principale de l’écrit comme instrument du savoir et<br />

de la domination sur le réel 24 . Selon leurs formes du XIII e siècle, car aucune baguette<br />

antérieure n’a survécu au grand incendie qui enflamma le palais de Westminster en<br />

1830, les tallies étaient des baguettes de bois taillées, d’environ 20 centimètres de<br />

long 25 . La somme due était notée par des encoches plus ou moins larges. £1000 étaient<br />

marquées par une taille de l’épaisseur de la paume de la main, £100 par la largeur du<br />

petit doigt, £1 celle d’un grain d’orge et 1 sous était marqué par une simple incision<br />

sans taille 26 . De l’autre coté de la baguette était notés les noms des personnes<br />

impliquées dans la transaction. Une fois la dette acquittée, les baguettes étaient fendues<br />

à la base. Le shérif en gardait la partie longue, tandis que le moignon, désormais appelé<br />

contre-taille, ou recautum, était conservé à l’Échiquier. Ce système permettait d’éviter<br />

22 RICHARD FITZNIGEL, Dialogus de Scaccario (and) Constitutio Domus Regis. The Course <strong>of</strong> the<br />

Exchequer. The Establishment <strong>of</strong> the Royal Household, 1983, p. 27 ; CLANCHY, M. T., From Memory<br />

to Written Record : England, 1066-1307, 1993 [1979] p. 47.<br />

23 VINCENT, N., « Why 1199 ? Bureaucracy and enrolment under John and his contemporaries », dans<br />

English Government in the Thirteenth Century, 2004, p. 18-48, p. 25.<br />

24 KUCHENBURCH, L., « Les baguettes de taille au Moyen Âge: un moyen de calcul sans écriture? »,<br />

dans Écrire, compter, mesurer. Vers une histoire des rationalités pratiques, 2006, p. 113-142.<br />

25 Pour une description de ce système voir JENKINSON, H., « Medieval Tallies, Public and Private »,<br />

Archaeologica or Miscellaneous Tracts, 74 (1925), p. 289-351 et l’introduction de HUNTER, J. (éd.),<br />

The Great Rolls <strong>of</strong> the Pipe for the Second, Third and Fourth Years <strong>of</strong> the Reign <strong>of</strong> King Henry the<br />

Second, 1844.<br />

26 RICHARD FITZNIGEL, Dialogus de Scaccario (and) Constitutio Domus Regis. The Course <strong>of</strong> the<br />

Exchequer. The Establishment <strong>of</strong> the Royal Household, 1983, p.87-88.<br />

23


la multiplication des transferts monétaires, dans le cadre une économie où le médium<br />

argent était encore relativement rare – quoiqu’en pleine expansion.<br />

De la ferme du comté, la firma comitatus, étaient déduites des dépenses<br />

coutumières, dons aux monastères, aumônes, pensions, gages, qui ne nécessitaient pas<br />

d’ordre de paiement. Les autres dépenses, occasionnelles, devaient correspondre à<br />

l’exécution d’un bref royal – elles sont alors notées per breve regis – ou du Justicier qui<br />

était également compétent pour émettre des brefs de paiement, notamment lorsque le roi<br />

se trouvait outre Manche. Ces dépenses n’étaient d’ailleurs pas exclusivement déduites<br />

de la ferme du comté, mais pouvait être affectées à d’autres types de revenus, tels ceux<br />

de la justice, de fermes ou des dettes diverses contractées auprès du trésor royal.<br />

Nombre des dépenses assignées aux chantiers de construction étaient ainsi enregistrées<br />

sur les pipe rolls. Leur dépouillement permet donc d’avoir un aperçu général du budget<br />

de la monarchie anglaise pour ses constructions, bien que la liste des sommes en<br />

question ne sauraient être considérée comme exhaustive. À cela, deux raisons.<br />

La première est que les pipe rolls n’enregistrent pas les balances annuelles des<br />

revenus royaux mais l’état annuel des comptes de shérifs et ceux de certains<br />

responsables de comptes. Si bien que lorsque le roi voulait connaître le montant de son<br />

trésor, il devait procéder à un audit général. La seconde, et consécutive de la première,<br />

est que l’Échiquier n’est pas, à cette date, la seule institution financière de la monarchie<br />

anglaise. La Chambre, qui appartient à la maison du roi, et qui le suit dans son<br />

itinérance, constitue le principal organe financier dans les possessions continentales des<br />

Plantagenêt qui ne disposaient pas d’Échiquier, tandis qu’en Angleterre, son importance<br />

n’a cessé de croître au cours de la période. Cependant, il ne reste quasiment aucune<br />

trace de l’activité financière de la Chambre avant le règne de Henri III. Les quelques<br />

fragments de rôles de paiements émanant de ce département de la curia regis pendant le<br />

règne de Jean contiennent néanmoins de précieuses informations sur les dépenses<br />

affectées aux constructions. Avant d’envisager les modalités de fonctionnement et des<br />

documents qui y étaient produits, un rapide aperçu de l’état des archives et des éditions<br />

disponibles des documents produits par l’Échiquier en Angleterre, aussi bien qu’en<br />

Normandie, s’impose.<br />

Manuscrits et publications des rouleaux de l’Échiquier<br />

Dans l’ensemble, ces rouleaux sont relativement bien conservés, même si<br />

certains présentent d’importantes lacunes physiques. Au XII e siècle, l’écriture<br />

comptable utilise une cursive claire et espacée, commune à tous les écrits de la cour, les<br />

difficultés d’analyse sont donc moins d’ordre paléographiques que matérielles. Au<br />

24


format original des rouleaux, dont la longueur atteint parfois plusieurs mètres – chaque<br />

membrane mesure près de 2 mètres (6 pieds) sur environ 35 centimètres de large (13<br />

inches) de large – ce qui est unique à cette époque, s’ajoute également la question de<br />

l’organisation des informations sur la page (voir l’illustration 1.1). Richard FitzNigel<br />

explique dans son Dialogus le format auquel devait se soumettre les scribes de<br />

l’Échiquier : comment les lignes devaient être tirées et les titres mis en évidence. Ils<br />

sont réglés de haut en bas et des deux cotés, avec un espace raisonnable entre les lignes.<br />

En haut du rouleau sont enregistrés les noms des comtés et des bailliages dont les<br />

comptes sont rendus en dessous. Un espace de trois ou quatre doigts est laissé en blanc,<br />

puis au milieu de la ligne est écrit le nom du comté dont il est question en premier 27 .<br />

Richard FitzNigel emploie également le terme depingitur (dépeint) au lieu de<br />

scribitur (écrit) lorsqu’il décrit comment les noms des shérifs de chaque comté doivent<br />

être faits, ce qui suggère que l’écriture devait être plus élaborée. Parfois, même les mots<br />

en tête des membranes étaient écrits en rouge pour permettre un meilleur repérage lors<br />

des recherches ultérieures 28 . Contrairement aux comptabilités postérieures, les données<br />

quantitatives de ces comptes ne sont pas formellement séparées des informations<br />

qualitatives, par des colonnes ou des tableaux, mais sont insérées au cœur du texte. Seul<br />

le résultat du compte apparaît distinct (in thesauro liberavit ... et quiet est). Toutes les<br />

mentions relatives aux travaux, aux matériaux, aux paiements des ouvriers sont donc<br />

entremêlées avec d’autres types dépenses effectuées par le shérif pour le compte du roi.<br />

Cette écriture crée parfois des équivoques difficiles à interpréter. Ainsi, dans<br />

l’exemple suivant, le paiement de Jone Powis est-il en lien avec le chantier du château<br />

de Chester en 1160 ?<br />

Pour les travaux des ponts du château £20 ; et en paiement de Jone<br />

Powis, 10s. 4d. ; et pour la fortification des châteaux 17s. ; et en<br />

paiement du comte de Chester et de la comtesse £30 ; et pour les<br />

dîmes du connétable Raoul le chapelain 36s. …<br />

Rien ne permet de l’affirmer, hormis la proximité de cette mention avec celles<br />

concernant les travaux effectués à Chester. L’ordre des enregistrements sur les rouleaux<br />

ne suit pas en effet une logique de dépenses mais de recettes. Les entrées concernant les<br />

dépenses de construction sont donc plus ou moins dispersées, selon les sources de<br />

27 Ibid., p. 29: Regulatis igitur rotulis a summo pene usque deorsum et ex utraque parte lineis a se<br />

decenter distantibus, prenotantur in summo rotuli comitatus et baille de quibus infra compotus redditur.<br />

Facto vero modico intervallo quasi trium vel quatuor digitorum prescribitur in medio linee nomen<br />

comitatus de quo primo loco agendum est.<br />

28 CLANCHY, M. T., From Memory to Written Record : England, 1066-1307, 1993 [1979], p. 104.<br />

25


evenus auxquelles elles ont été attribuées. Ainsi, pour l’année 1169-70, onze mentions<br />

de dépenses pour le chantier de Windsor sont relevées sur les fermes des comtés du<br />

Buckinghamshire et du Bedfordshire (p. 25, 27), de l’Oxfordshire (p. 67), du Berkshire<br />

(p.70), du Surrey (p. 162) et sur les fermes des villes de Londres (p. 14), de Faringdon<br />

(p. 70) et de Windsor (p. 73-74). Le dépouillement de ces comptes de construction<br />

implique donc une lecture exhaustive de la totalité du rouleau. En dépit d’une telle<br />

organisation, ces manuscrits <strong>of</strong>frent néanmoins une certaine clarté de lecture, conforme<br />

aux besoins de consultation auxquels ces rouleaux étaient destinés, et rendue possible<br />

par leur écriture préalable aux séances de l’Échiquier. Les quelques lettres royales du<br />

XII e siècle, qui ont subsisté, présentent des qualités formelles similaires, bien qu’elles<br />

n’aient pas vocation à être conservées au-delà des sessions de l’Échiquier au cours<br />

desquelles elles devaient être présentées comme justificatif par leur destinataire<br />

(illustration 2). Leur conservation n’a été une pratique de l’administration royale qu’à<br />

partir du début du XIII e siècle : Hubert Walter le Justicier en chef de Richard (1193-98),<br />

et chancelier de Jean (1199-1205), passe en effet pour être le principal instigateur 29 .<br />

Aucun de ces manuscrits n’est aujourd’hui inédit. La « textualisation » de ces<br />

archives de la monarchie intervient en Angleterre à peu près à la même période que<br />

dans les autres pays européens. Reprenant, en le systématisant, le travail de l’antiquaire<br />

Thomas Madox sur l’Échiquier 30 , Joseph Hunter édite, de 1833 à 1844, les quatre plus<br />

vieux rouleaux conservés ainsi que celui de la première année du règne de Richard<br />

(National Archive, Kew, E 372/2-3-4 et E372/35) 31 . Puis en 1884, la création de la Pipe<br />

Rolls Society se donne pour objectif de continuer cette entreprise de publications des<br />

rouleaux de la monarchie médiévale anglaise. Elle a ainsi édité, entre autres, tous les<br />

volumes du règne de Henri II, Richard et Jean. Au total, cinquante six volumes couvrent<br />

la période allant de 1156 à 1215 (NA, E372/2 à E372/61). Les rôles des deux premières<br />

années (1154-1155) ont disparu, mais les extraits qu’Alexander Swereford en fit au<br />

XIII e siècle pour composer le Livre rouge de l’Échiquier, montrent qu’ils ont existé 32 .<br />

Les volumes publiés sont de longueur variable, mais la tendance à l’épaississement est<br />

29 Ibid., p. 48-50.<br />

30 MADOX, T., The History and Antiquities <strong>of</strong> the Exchequer <strong>of</strong> the Kings <strong>of</strong> England, 1969 [1711].<br />

31 Désormais NA; HUNTER, J. (éd.), Magnum Rotulum Scaccarii, vel Magnum Rotulum Pipae, Anno<br />

Tricesimo-primo Regni Henrici Primi, ut Videtur, quem Plurimi Hactenus Laudarunt pro Rotulo Quinti<br />

Anni Stephani Regi, 1833. Il est à nouveau publié en 1929 par la Pipe Rolls Society. HUNTER, J. (éd.),<br />

The Great Rolls <strong>of</strong> the Pipe for the Second, Third and Fourth Years <strong>of</strong> the Reign <strong>of</strong> King Henry the<br />

Second, 1844; HUNTER, J. (éd.), The Great Roll <strong>of</strong> the Pipe for the first year <strong>of</strong> the Reign <strong>of</strong> King<br />

Richard the First, A.D. 1189-1190, 1844.<br />

32 AMT, E., The Accession <strong>of</strong> Henry II in England : Royal Government Restored : 1149-1159, 1993,<br />

p. 120.<br />

26


très nette au cours de la période, et <strong>of</strong>fre un bon reflet de l’accroissement des affaires<br />

traitées à l’Échiquier. Seuls les derniers rôles du règne de Jean ont souffert de la guerre<br />

civile : les sessions de l’Échiquier ne pouvant plus être assurées à Westminster, elle<br />

furent déplacées puis suspendues. Il manque ainsi le rôle de l’année 1212-1213, et celui<br />

de l’année 1214-1215 a en réalité été enregistré au cours des première années du règne<br />

de Henri III et ne présente que des grandes lignes 33 . Ce rôle témoigne néanmoins de la<br />

volonté de l’Échiquier, pendant la minorité du nouveau roi, de combler les vides laissés<br />

par les troubles de la fin du règne de Jean.<br />

L’édition des pipe rolls propose un texte intégrant dans les notes, ou dans le<br />

texte même, les suppressions, ajouts ou modifications que comportaient les rôles de la<br />

Chancellerie. Les Chancellor’s rolls étaient les rouleaux tenus par les clercs de la<br />

Chancellerie qui assistaient aux sessions de l’Échiquier. Ils y inscrivaient toutes les<br />

affaires qui impliquaient le sceau du roi, de sorte que les Chancellor’s rolls<br />

fonctionnaient à bien des égards comme duplicata des pipe rolls. Leur enregistrement<br />

n’apparaît cependant qu’à partir de 1162 et reste très lacunaire tout au long de la période<br />

(NA, E352/1-21). Cette série permet cependant de combler les quelques lacunes des<br />

pipe rolls : c’est le cas du rouleau jamais retrouvé de la huitième année de règne de<br />

Richard (1195-1196) 34 . Nous reviendrons plus loin sur le rôle et les documents produits<br />

par la Chancellerie. Pour terminer sur les rouleaux de l’Échiquier, il faut mentionner les<br />

rôles des recettes. Dès le règne de Henri II, les Receipts rolls enregistraient les<br />

paiements versés au trésor au cours des différentes sessions. Le plus ancien date de la<br />

31 e année de règne de Henri II (1185), il a été édité en fac-similé et transcrit par Hubert<br />

Hall à partir du manuscrit des National Archive (E 370/1/1 et 2). Il ne concerne<br />

cependant que certains comtés, ce qui laisse penser qu’il existait d’autres exemplaires<br />

perdus aujourd’hui 35 . Quant au rouleau de l’année 1195, il a été édité par Johnson, en<br />

appendice de l’édition du rôle de la septième année de règne de Richard (NA, E 402) 36 .<br />

33<br />

Voir l’introduction de BARNES, P. M. (éd.), A Medieval Miscellany for Doris Mary Stenton, 1962,<br />

p.xi.<br />

34<br />

Voir l’introduction de STENTON, D. M. P. (éd.), The Great Roll <strong>of</strong> the Pipe for the Eighth Year <strong>of</strong> the<br />

Reign <strong>of</strong> King Richard the First, Michaelmas 1196, 1930, p. xv.<br />

35<br />

Seuls le Northamptonshire, Surrey, Cornwall, Buckinghamshire, Bedfordshire, Sussex, Berkshire,<br />

Oxfordshire, London and Middlesex, et le pannage des Forêts royales, ainsi que les honneurs, les<br />

escheats, les églises (y compris les évêchés et les maisons religieuses) ainsi que les emprunts aux Juifs<br />

sont concernés.<br />

36<br />

HALL, H. (éd.), The Receipt roll <strong>of</strong> the Exchequer for Michaelmas term XXXI, Henry II, A. D. 1185,<br />

1899; Receipt roll for the seventh year <strong>of</strong> King Richard I, Easter 1195, édité dans STENTON, D. M. P. et<br />

JOHNSON, C. (eds.), The Great Roll <strong>of</strong> the Pipe for the Seventh Year <strong>of</strong> the Reign <strong>of</strong> King Richard the<br />

First, Michaelmas 1195, 1929, p. 259-63. Ce fragment n’est cependant pas un rôle de recettes de type<br />

normal puisqu’il n’enregistre pas tous les paiements faits au Trésor à Pâques 1196.<br />

27


La fréquence des sessions de l’Échiquier anglais ne semble pas avoir été la<br />

même en Normandie. Les grands rouleaux de l’Échiquier qui siégeait à Caen n’ont<br />

manifestement pas été enregistrés avant les années 1180. Celui de 1180 est même très<br />

vraisemblablement l’un des premiers rouleaux de l’Échiquier de Caen depuis sa<br />

réorganisation en institution financière fonctionnelle. Contrairement à Judith Green qui<br />

voit dans l’arrivée de Richard d’Ilchester, en 1176, le moment de cette refondation,<br />

Vincent Moss pense qu’elle remontait plus probablement aux années 1160, au moment<br />

où Henri II entreprend de réformer les divisions administratives normandes 37 . Il divisa<br />

le duché en bailliages, recouvrant les anciennes vicomtés, et en prévôtés qui devinrent<br />

les deux nouvelles unités d’organisation fiscale 38 . Mais cette superposition des<br />

circonscriptions généra une certaine confusion entre les prélèvements liés à l’ancien et<br />

au nouveau système. De plus, contrairement au système anglais, les détenteurs des<br />

fermes des bailliages normands étaient majoritairement de grands aristocrates, dont le<br />

duc cherchait à s’assurer la loyauté et non des hommes de la petite noblesse, faisant<br />

carrière au service du roi. À la différence des pipe rolls, la publication de ces rouleaux<br />

normands n’a pas été aussi systématique mais elle a été réalisée de chaque côté de la<br />

Manche, donnant lieu à des éditions dédoublées et dispersées. Les archives de<br />

l’Échiquier normand ayant été transférées à Londres par Jean en 1204, ce sont les<br />

Anglais qui ont été les premiers à s’intéresser à ces documents. Dès 1830, Henry Petrie<br />

édite à ses frais une transcription du rouleau l’année 1184. Puis son travail est repris,<br />

amélioré et élargi par Thomas Stapleton qui édite et commente pour la Société des<br />

Antiquaires de Londres, de 1840 à 1844, deux volumes de ces grands rôles 39 . Cette<br />

édition transcrit les manuscrits conservés aux National Archives sous la cote E 373/1-<br />

18. Ils comprennent : le rouleau de 1180, un fragment de celui de 1184, les rouleaux de<br />

1195 et de 1198, un fragment du compte de Garin Glapion en 1200 et 1201, et une<br />

grande partie du rôle de 1203. En 1851, Léopold Delisle publie un autre fragment inédit<br />

du rouleau de 1184 (Archives Nationales, <strong>Paris</strong>, S 4824 n°1) 40 et en 1927, Sidney R.<br />

37<br />

GREEN, J. A., « Unity and disunity in the Anglo-Norman state », Historical Research, 62 (1989),<br />

p. 122 ; MOSS, V., « Normandy in 1180: The Pipe Roll Evidence », dans England and Normandy in the<br />

Middle Ages, 1994, p. 185-195.<br />

38<br />

POWICKE, M., The Loss <strong>of</strong> Normandy : 1189-1204. Studies in the History <strong>of</strong> the Angevin Empire,<br />

1963; MRSN, I, p. 53.<br />

39<br />

DELISLE, L., « Des revenus publics en Normandie au XIIe siècle », Bibliothèque de l’École des<br />

Chartes, 2e série: V (1848-1849), p. 173-210 ; Selon L. Delisle, il devait y avoir un troisième volume non<br />

paru (p. 174, note 3).<br />

40<br />

DELISLE, L., « Magni Scaccarii Normanniae. De anno domini ut videtur MCLXXXIV fragmentum »,<br />

extrait des Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, XVI (1851), réédité dans l’introduction<br />

28


Packard édite la partie restante du compte de Garin Glapion ainsi que onze autres<br />

fragments de rôles normands (NA, 349/1a) 41 .<br />

En France, les rôles de l’Échiquier normand sont réimprimés par Louis Amédée<br />

Lechaudé d’Anisy, en 1845, pour la société des antiquaires de Normandie ainsi que<br />

d’autres documents concernant la Normandie et conservé à la Tour de Londres 42 . Mais<br />

selon Léopold Delisle, l’édition française comporte de nombreuses imperfections en<br />

comparaison de l’édition de Thomas Stapleton 43 , auquel il reconnaît « une habileté au-<br />

dessus de tout éloge » 44 . C’est pour cette raison, et parce que la plupart des historiens –<br />

anglais principalement – qui ont travaillé sur ces documents, ont suivi l’édition de<br />

Stapleton, que les références de cette thèse y renvoient de préférence. Malgré tout le<br />

bien qu’a pu en dire Léopold Delisle, la version de Stapleton comporte de nombreuses<br />

erreurs qui justifient la réédition récemment entreprise par Vincent Moss pour la Pipe<br />

Rolls Society 45 . Cette actualisation permettra de regrouper les différents fragments<br />

publiés séparément depuis 1840. L’une des conclusions à laquelle parvient Vincent<br />

Moss est que les archives subsistant des rouleaux de l’Échiquier normand ne seraient<br />

pas des originaux mais des copies. Ceci apparaît en comparant les manuscrits qui<br />

fournissent des informations indépendantes « suggérant l’existence d’un troisième<br />

document, aujourd’hui disparu : le « pipe roll » original, rédigé pendant les séances de<br />

l’Échiquier, à partir duquel ils ont été copiés » 46 . Cette conclusion rend donc caduque<br />

toutes les réflexions de Haskins, Jenkinson et Stapleton sur les rouleaux normands.<br />

Enfin, en 1941 est publié dans l’Ulster Journal <strong>of</strong> Archaeology, le seul rouleau<br />

de l’Échiquier irlandais conservé pour le règne de Jean 47 . Cet irish pipe roll n’est<br />

du DELISLE, L. et BERGER, É. (eds.), Recueil des actes de Henri II, roi d'Angleterre et duc de<br />

Normandie concernant les provinces françaises et les affaires de France, 1916-1920.<br />

41<br />

PACKARD, S. R. (éd.), Miscellaneous Records <strong>of</strong> the Norman Exchequer (1199-1204), 1927.<br />

42<br />

LÉCHAUDÉ D'ANISY, A., « Grands rôles des échiquiers de Normandie. Première partie »,<br />

Documents historiques / Société des antiquaires de Normandie, 1 (1845).<br />

43<br />

En réalité elle ne fait que les reproduire sans compter les fautes liées à sa propre transcription,<br />

notamment dans la conversion des chiffres romains en chiffres arabes. L’édition de Léchaudé d’Anisy<br />

présente néanmoins un travail d’indexation que n’a pas l’édition de Stapleton. MOSS, V., « A New<br />

Edition <strong>of</strong> the Norman Pipe Rolls/ Une nouvelle édition des rôles de l’Échiquier de Normandie »,<br />

Tabularia, « Etudes », 6 (2006), p. 25-35.<br />

44<br />

DELISLE, L., « Des revenus publics en Normandie au XIIe siècle », Bibliothèque de l’École des<br />

Chartes, 2e série: V (1848-1849), p. 173-210, p.174.<br />

45<br />

Actuellement a paru: MOSS, V., Pipe rolls <strong>of</strong> the Exchequer <strong>of</strong> Normandy for the reign <strong>of</strong> Henry II<br />

1180 and 1184, 2004.<br />

46<br />

MOSS, V., « La perte de la Normandie et les finances de l'État. Les limites des interprétations<br />

financières », dans 1204: La Normandie entre Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 75-92 (p. 76).<br />

47<br />

SWEETMAN, H. S. (éd.), Calendar <strong>of</strong> Documents Relating to Ireland, preserved in Her Majesty's<br />

Public Record Office, 1875; DAVIES, O. et QUINN, D. B., « The Irish Pipe Roll <strong>of</strong> 14 John, 1211-<br />

1212 », Ulster Journal <strong>of</strong> Archaeology, 4 (suppl) (1941), p. 1-76.<br />

29


cependant pas un original et son édition par Oliver Davies et David B. Quinn est<br />

effectuée à partir d’un manuscrit du XVII e siècle de l’Armagh Public Library de Dublin,<br />

appartenant à la collection de Sir James Ware, qui avait été dispersée au XVIII e siècle.<br />

La copie montrait cependant de nombreuses erreurs que les éditeurs ont pu corriger<br />

grâce aux remarques d’Henry Richardson 48 . Ce rouleau n’est sans doute pas le seul qui<br />

ait été produit par l’Échiquier irlandais dont la mise en place précède vraisemblablement<br />

l’année 1200 49 . Cependant, l’ensemble des recettes irlandaises ne transitait pas<br />

nécessairement par l’Échiquier : la Chambre du roi constituait également un puissant<br />

organe financier, en particulier sous le règne de Jean.<br />

1.1.2- La Chambre<br />

La Chambre de la cour Plantagenêt est assez mal connue. Cette instance a en<br />

effet pr<strong>of</strong>ondément évolué avec l’essor et la complexification des pratiques de<br />

gouvernement, ce qui rend les comparaisons avec les états postérieurs plus<br />

qu’approximatives. Au cours du XIII e siècle, en particulier, La Garde-robe remplace<br />

progressivement la Chambre dans ses fonctions, en devenant une organisation beaucoup<br />

plus vaste et plus diversifiée 50 . D’autre part, les quelques documents qui restent de cette<br />

période, la plupart fragmentaires, datent principalement du règne de Jean, presque rien<br />

n’ayant survécu de la Chambre de Henri II.<br />

Les travaux consacrés à cette institution ont principalement considéré le<br />

problème de ses relations avec l’Échiquier. La thèse de Johnward A. Jolliffe, fondée sur<br />

les travaux de Thomas F. Tout, repose sur l’idée d’une rivalité entre les deux<br />

départements financiers débouchant sur la victoire de la Chambre, ne laissant à<br />

l’Échiquier qu’une gestion juridique et administrative, et le vidant de sa fonction de<br />

Trésor royal 51 . Henry G. Richardson revient sur cette thèse en insistant davantage sur la<br />

complémentarité des deux institutions et en expliquant le poids croissant de la Chambre,<br />

par le fait qu’elle était le département des dépenses du roi et de sa maison qui étaient<br />

48<br />

QUINN, D. B., « Corrigenda to The Irish Pipe Rolls <strong>of</strong> 14 John », Ulster Journal <strong>of</strong> Archaeology, 6<br />

(suppl) (1943), p. 34-36.<br />

49<br />

DAVIES, O. et QUINN, D. B., « The Irish Pipe Roll <strong>of</strong> 14 John, 1211-1212 », Ulster Journal <strong>of</strong><br />

Archaeology, 4 (suppl) (1941), p. 1-76 citent Rot. Chart., p.61. 28 avril 1200: Mandamus vobis quod<br />

facietis habere abbati et monachis de Valle sancte Marie de Crockeden centum solidos annuos<br />

percipendos de scaccario nostro in Hiberniae.<br />

50<br />

EDWARDS, J. B., « The English royal chamber and chancery in the reign <strong>of</strong> King John », unpublished<br />

PhD Cambridge, 1973, p. 150.<br />

51<br />

Ibid., TOUT, T. F., Chapters in the Administrative History <strong>of</strong> Mediaeval England : the Wardrobe, the<br />

Chamber and the Small Seals, 1920; JOLLIFFE, J. A., « The Camera Regis under Henry II », E.H.R., 68:<br />

268 (1953), p. 1-21.<br />

30


des consommateurs majeurs 52 . Tous s’accordent pour dire que la Chambre constitue<br />

bien le principal organe financier de la monarchie, une thèse que l’étude du système de<br />

trésors provinciaux de la Chambre sous le règne de Jean tend à consolider 53 . À<br />

l’Échiquier en effet, le système des comptes n’impliquait pas systématiquement un<br />

versement en numéraire, mais visait avant tout à enregistrer l’état des dettes des shérifs<br />

et des bailleurs. La plupart des transactions étaient donc déjà effectuées et l’argent dû<br />

était de plus en plus fréquemment versé directement à la Chambre, comme l’indique un<br />

certain nombre de mentions (in camera liberavit au lieu de in thesauro liberavit).<br />

Quoiqu’il en soit, même l’argent payé au Trésor transitait ensuite par la Chambre, en<br />

tant que principal organe des dépenses royales.<br />

De cette activité de la Chambre, il ne reste cependant que peu de traces. Les<br />

quelques fragments édités permettent toutefois d’analyser la nature des dépenses qui y<br />

étaient effectuées. Deux types de rôles concernant les dépenses directes de la Chambre<br />

ont été conservés : les misae rolls, et les praestita rolls. Les seuls misae rolls qui ont été<br />

conservés et publiés sont ceux des onzième et quatorzième années du règne de Jean<br />

(1209 et 1213) 54 . Celui de 1213 a été édité, en 1844, par Thomas Duffus Hardy,<br />

conservateur des archives de la Tour de Londres, tandis que l’autre a été édité la même<br />

année par Sir Henry Cole 55 . Ils contiennent un compte rendu des dépenses quotidiennes<br />

de la cour, reflet de son économie domestique.<br />

Quelques paiements concernant les constructions apparaissent dans les misae<br />

rolls. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la logique de ces dépenses n’est pas<br />

locale : les dépenses pour des travaux ne sont généralement pas attribuées lorsque le roi<br />

se trouve in situ ni même à proximité. De plus, elles n’ont aucune correspondance dans<br />

les pipe rolls, conformément à l’indépendance des dépenses de la Chambre et de<br />

l’Échiquier. Si le calcul des montants des deux rouleaux permet d’avoir une idée plus<br />

juste du budget global de la monarchie pour ses constructions et d’évaluer la marge<br />

d’erreur des chiffres des pipe rolls, il ne faut cependant pas oublier qu’une partie sans<br />

doute importante des recettes et des dépenses ne transitaient par aucune de ces<br />

52 RICHARDSON, H. G., « The chamber under Henry II », E.H.R.., 69: 273 (1954), p. 596-611;<br />

RICHARDSON, H. G. et SAYLES, G. O., The Governance <strong>of</strong> Mediaeval England : from the Conquest to<br />

Magna Carta, 1963.<br />

53 BROWN, R. A., « The 'Treasury' <strong>of</strong> the later twelfth century », dans Studies presented to Sir Hilary<br />

Jenkinson, 1957, p. 35-49; Rotuli de Liberate ac de misis et praestitis regnante Johannes, HARDY, T. D.<br />

(éd.), 1844.<br />

54 AN, Kew, E 101/349/1B, E101/349/2, E101/349/3<br />

55 COLE, H. (éd.), Documents Illustrative <strong>of</strong> English History in the Thirteenth and Fourteenth Centuries,<br />

Selected from the Records <strong>of</strong> the Department <strong>of</strong> the Queen's Remembrancer <strong>of</strong> the Exchequer, 1844.<br />

31


institutions, comme c’était vraisemblablement le cas pour les revenus tirés des prises de<br />

guerre 56 . Cette estimation n’est donc pas complètement représentative, d’autant plus<br />

qu’elle ne peut être opérée que sur une seule année, la seule pour laquelle nous<br />

disposons des deux rôles : 1208-1209. À cette date, le total des dépenses affectées aux<br />

constructions par la Chambre est d’environ £325 tandis que les dépenses enregistrées à<br />

l’Échiquier sont d’environ £1400 57 . Les dépenses de la Chambre représentent donc cette<br />

année là plus de 20% des dépenses enregistrées à l’Échiquier, une proportion qui n’est<br />

donc pas aussi négligeable que Alan R. Brown le suggérait 58 . Ce pourcentage doit<br />

toutefois être relativisé pour le règne de Henri II, d’une part à cause de l’essor des<br />

affaires traitées à la Chambre, et d’autre part à cause des efforts menés pour reconquérir<br />

la Normandie qui pourraient expliquer l’atténuation des dépenses pour les châteaux<br />

anglais à cette date, et en particulier dans les ordres envoyés aux shérifs. Alan R. Brown<br />

fait également remarquer qu’il n’y a étonnamment que très peu de brefs de paiement<br />

(liberate) ordonnant au Trésor des dépenses pour les constructions, principalement<br />

parce que leur enregistrement sur les pipe rolls était tout à fait occasionnel 59 .<br />

Le second type de paiement émanant de la Chambre était des prêts (prestitae),<br />

en numéraire, en logement, en chevaux, etc. dont les bénéficiaires devaient rendre<br />

compte, le plus souvent à l’Échiquier. Le roi pouvait ainsi faire des avances importantes<br />

dans l’urgence à des individus ou à des communautés : ainsi, en 1197, Guillaume<br />

FitzMartin reçoit 20 marcs en prêt pour refortifier son château dont il rend compte à<br />

l’Échiquier 60 . Cependant, si ces entrées des pipe rolls indiquent que la pratique des prêts<br />

remontait sans doute au règne d’Henri II, les seuls prestitae rolls qui ont été conservés<br />

et publiés datent de la fin du règne de Jean. Sir Henry Cole publie, dès 1835, le<br />

praestita roll de la septième année du règne de Jean (1205) 61 , tandis que Thomas D.<br />

Hardy publie en 1844, celui de la douzième année (1210) 62 et que Sir James Holt se<br />

charge du rouleau qui se trouvait au Carlton Ride Record Office : le rotulus de prestito<br />

56<br />

Je remercie Nicholas Vincent de m’avoir suggérer cette hypothèse.<br />

57<br />

BROWN, R. A., « Royal Castle-Building in England, 1154-1216 », E.H.R., 70: 276 (1955), p. 353-398,<br />

(p. 354, note 5): donne d’autres sommes, car il n’inclut que les dépenses pour les principaux châteaux,<br />

mais les écarts sont significativement identiques (£252 pour les Misae Rolls contre £1314 pour les Pipe<br />

Rolls).<br />

58<br />

Ibid., il souligne que les dépenses enregistrées dans ces fragments étaient bien moins importantes que<br />

celles des Pipe Rolls.<br />

59<br />

Ibid., p. 354, note 4.<br />

60<br />

PR 9 Richard, p. 4. de prestito 20 marcarum ad refirmandum castellum suum de Cammeis de quibus<br />

ipse Willelmus debet respondere.<br />

61 AN, Kew, E101/325/1.<br />

62 AN, Kew, E 101/325/21.<br />

32


de thesauro de annis xiii°, xv°, xvi° et xvii° R. Johannis, sachant que 3 des 4 entrées sur<br />

la dernière membrane appartiennent à la 18 e année du règne 63 . Il existe également un<br />

fragment des sommes prêtées à Guillaume le Maréchal en 1202-1203 concernant la<br />

Normandie 64 . Les Praestita rolls contiennent assez peu d’information sur les chantiers<br />

royaux, mais ils permettent principalement de compléter et d’enrichir les données<br />

enregistrées à l’Échiquier, qui le sont de façon souvent très sommaire. Sur les Praestita<br />

rolls, par exemple, il y a presque toujours une date contrairement aux pipe rolls, ce qui<br />

permet de retrouver l’ordre chronologique que la logique des comptes rendus à<br />

l’Échiquier avait fait disparaître.<br />

Enfin, la Chambre pouvait effectuer des paiements indirectement au moyen de<br />

brefs, qu’elle envoyait, par l’intermédiaire de la chancellerie, aux agents royaux, leur<br />

ordonnant des dépenses dont ils devaient ensuite rendre compte à l’Échiquier. La<br />

plupart des dépenses enregistrées sur les pipe rolls étant ordonnées par bref du roi (per<br />

breve regis), ou parfois du chancelier (per breve cancellarii), il y a de bonnes raisons de<br />

penser que ces ordres émanaient de la Chambre, en tant qu’organe de gestion des<br />

dépenses et des recettes de la maison du roi 65 . Cependant, certains brefs de paiements<br />

provenaient également du Chef Justicier (per breve Galfrido filio Petri), en tant que<br />

« président » de l’Échiquier. Ce dernier avait, en effet, une autorité en matière de<br />

dépenses, principalement lorsque le roi et la Chambre étaient Outre Manche. C’est ce<br />

qu’explique un passage du Dialogue de l’Échiquier :<br />

Le trésorier et les chambellans ne délivraient aucune somme sans en<br />

avoir reçu l’ordre exprès par le roi ou le Chef Justicier. Car ils<br />

devaient avoir l’autorité d’un bref royal pour pouvoir délivrer de<br />

l’argent … 66<br />

Les brefs qui donnaient autorité aux membres de l’Échiquier étaient de plusieurs<br />

sortes. Ceux qui étaient envoyés au trésorier et aux chambellans de l’Échiquier, qui<br />

avaient la charge des c<strong>of</strong>fres royaux, étaient des brefs de paiements (brevium de<br />

liberate), tandis que les Barons de l’Échiquier, dont l’<strong>of</strong>fice était d’entendre et de<br />

63<br />

Voir l’introduction dans HOLT, J. C. et BROWN, R. A. (eds.), Pipe Roll 17 John and Praestita Roll<br />

14-18 John, Roll <strong>of</strong> Summonses 1214, Scutage Rolls 16 John, 1964, p. 71.<br />

64<br />

PACKARD, S. R. (éd.), Miscellaneous Records <strong>of</strong> the Norman Exchequer (1199-1204), 1927, p. 65-69.<br />

65<br />

EDWARDS, J. B., « The English royal chamber and chancery in the reign <strong>of</strong> King John », unpublished<br />

PhD Cambridge, 1973, p. 159.<br />

66<br />

RICHARD FITZNIGEL, Dialogus de Scaccario (and) Constitutio Domus Regis. The Course <strong>of</strong> the<br />

Exchequer. The Establishment <strong>of</strong> the Royal Household, 1983 p. 32 : Thesaurarius et camerarii, nisiregis<br />

expresso mandato vel presidentis iusticarii, susceptam pecuniam non expendunt. Oportet enim ut habeant<br />

auctoritatem rescripti regii de distributa pecunia...<br />

33


contrôler les comptes, recevaient des brefs de comptes (computate) ou d’allocation<br />

(perdono). Dans la mesure où le Trésor royal était responsable et redevable de ces<br />

dépenses, tous les brefs envoyés par la Chambre devaient être conservés par l’Échiquier,<br />

tandis que ceux qui étaient produits à l’Échiquier étaient dupliqués en contre-brefs.<br />

Cette conservation a donné lieu à deux types de rouleaux, le rotulus de brevium de<br />

Liberate et le rotulus de contrabrevium de liberate, regroupés sous la dénomination de<br />

Liberate roll. Un fragment de ce rouleau, concernant les années 1200 à 1203, a été<br />

publié par Thomas D. Hardy, ainsi qu’un fragment du rotulus terrarum et denariorum<br />

liberatarum in Anglia (1204), considéré comme un fragment du liberate roll 67 . En 1943,<br />

H. G. Richardson a publié un nouveau fragment de la seconde année du règne de Jean<br />

(1200-1201) 68 .<br />

Il existe également des fragments de ces liberate rolls concernant l’Échiquier<br />

normand. Dans le volume édité par Thomas D. Hardy, le Rotuli Normanniae, ainsi que<br />

dans le premier tome des Grands rôles de l’Échiquier de Léchaudé d’Anisy, se trouve la<br />

transcription des contre-brefs envoyés aux shérifs pour contrôler leurs comptes rendus<br />

en 1200 69 . Un fragment inédit du rôle de la 5 e année de règne de Jean (1203) est<br />

également édité par H. G. Richardson en 1943 (AN, C64/6/1) 70 . Malgré la disparition du<br />

titre, il suppose qu’il était l’équivalent normand du rotulus terrarum et denariorum<br />

liberatarum in anglia anno regni domini regis Johannis quinto.<br />

Ces brefs et contre-brefs font donc écho aux enregistrements des pipe rolls, ils<br />

apportent parfois quelques informations complémentaires, permettant également de<br />

mieux situer chronologiquement les travaux. La plupart, cependant, ne contient que<br />

rarement les montants des dépenses, qui apparaissent au contraire systématiquement sur<br />

les pipe rolls. Comme tous les actes royaux, les brefs émis par la Chambre étaient<br />

d’abord envoyés à la Chancellerie, <strong>of</strong>fice chargé de leur authentification par l’apposition<br />

du sceau royal, qui en enregistrait des copies. Cette dernière constituait donc le<br />

département le plus actif dans la production de la documentation royale qui n’a<br />

également cessé d’augmenter au cours de la période.<br />

67 Rotuli de Liberate ac de misis et praestitis regnante Johannes, HARDY, T. D. (éd.), 1844.<br />

68 NA, Kew, 62/1/ 5-6 et C64/1, RICHARDSON, H. G. (éd.), The Memoranda roll for the Michaelmas<br />

term <strong>of</strong> the first year <strong>of</strong> the reign <strong>of</strong> King John (1199-1200): together with fragments <strong>of</strong> the originalia roll<br />

<strong>of</strong> the seventh year <strong>of</strong> King Richard I, 1195-6, the liberate roll <strong>of</strong> the second year <strong>of</strong> King John, 1200-1,<br />

and the Norman Roll <strong>of</strong> the fifth year <strong>of</strong> King John, 1203, 1943, p. 88.<br />

69 Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835.<br />

70 RICHARDSON, H. G. (éd.), The Memoranda roll for the Michaelmas term <strong>of</strong> the first year <strong>of</strong> the reign<br />

<strong>of</strong> King John (1199-1200): together with fragments <strong>of</strong> the originalia roll <strong>of</strong> the seventh year <strong>of</strong> King<br />

Richard I, 1195-6, the liberate roll <strong>of</strong> the second year <strong>of</strong> King John, 1200-1, and the Norman Roll <strong>of</strong> the<br />

fifth year <strong>of</strong> King John, 1203, 1943, p. 97.<br />

34


1.1.3- La chancellerie<br />

Selon Raoul C. Van Caenegem, une chancellerie est un <strong>of</strong>fice dans lequel un<br />

personnel régulier et spécialisé formule les actes du gouvernement sensu lato une<br />

personne dont l’autorité publique est formulée par des documents authentiques qui<br />

servent de témoignages ou de notification 71 . Parce que la chancellerie était l’institution<br />

la plus proche du roi, elle était sans doute le meilleur reflet de sa volonté personnelle<br />

dans son expression écrite et l’institution la plus à même de représenter la centralité de<br />

son gouvernement 72 . De nombreuses chartes ont été publiées séparément, dans des<br />

cartulaires ou des recueils de divers documents d’intérêt local. Concernant Henri II,<br />

l’édition d’environ 800 chartes a été entreprise par Léopold Delisle et achevé par Élie<br />

Berger au début du XX e siècle 73 . Depuis la fin des années 1960, Sir James C. Holt et<br />

Nicholas Vincent ont cherché à compléter et à réactualiser le corpus des actes<br />

d’Henri II 74 . Ces volumes qui comptaient 2452 actes en 1995 contiennent maintenant<br />

près de 3200 chartes et notices de chartes perdues et devraient paraître en 2009 ou<br />

2010 75 . Sur cet ensemble, près d’un tiers peut être daté des premières années du règne<br />

d’Henri II, et en grande partie avant 1158, et plus de deux tiers de ces textes concernent<br />

l’Angleterre 76 . On ne doit pas pour autant déduire de ce déséquilibre que les affaires<br />

anglaises occupaient la majeure partie du temps de la chancellerie. En réalité, le système<br />

de l’Échiquier obligeait la chancellerie à émettre de nombreuses lettres de paiements, de<br />

compte ou de don (liberate, computate et perdono) dont très peu ont survécu. Le<br />

déséquilibre chronologique et géographique s’explique également par le fait<br />

qu’Henri II, aux lendemains de son accession au trône, confirma à tous les Earls<br />

d’Angleterre le troisième sou des procès, une coutume qui n’avait aucun équivalent en<br />

France où les récompense en faveur de laïcs ou d’<strong>of</strong>ficiers étaient extrêmement rares.<br />

71<br />

VAN CAENEGEM, R. C., Royal Writs in England from the Conquest to Glanvill : Studies in the Early<br />

History <strong>of</strong> the Common Law, 1959, p. 136.<br />

72<br />

VINCENT, N., « Regional variations in the charters <strong>of</strong> King Henry II (1154-89) », dans Charters and<br />

Charter Scholarship in Britain and Ireland, 2005, p. 70-119.<br />

73<br />

Recueil des actes de Henri II, roi d'Angleterre et duc de Normandie concernant les provinces<br />

françaises et les affaires de France, DELISLE, L. et BERGER, E. (éds.), <strong>Paris</strong>, 1916-1920.<br />

74<br />

HOLT, J. C., « The writs <strong>of</strong> Henry II », dans The History <strong>of</strong> English Law Centenary Essays on 'Pollock<br />

and Maitland', 1996, p. 47-64.<br />

75<br />

VINCENT, N., « Les Normands de l’entourage d’Henri II Plantagenêt », dans Angleterre et Normandie<br />

au Moyen Âge. Actes du Colloque de Cerisy-la-Salle (4-7 octobre 2001), 2003, p. 75-88, p. 76 : annonce<br />

la publication pour 2004, puis 2009.<br />

76<br />

VINCENT, N., « Regional variations in the charters <strong>of</strong> King Henry II (1154-89) », dans Charters and<br />

Charter Scholarship in Britain and Ireland, 2005, p. 70-119; 2200 chartes concernent des bénéficiaires<br />

anglais, 600 normands et 400 pour les autres territoires continentaux, dont moins de 50 pour l’Aquitaine.<br />

35


Le second tome, consacré à Richard I er , comporte déjà 1021 actes, soit 456 de<br />

plus que ceux répertoriés par Lionel Landon 77 . Les actes d’Aliénor d’Aquitaine et de<br />

Jean, comte de Mortain, seront l’objet des tomes suivants. La disproportion entre les<br />

chartes enregistrées par Léopold Delisle et le nouveau corpus peut s’expliquer par la<br />

décision prise par la chancellerie anglaise à partir des années 1220 d’émettre de manière<br />

courante des inspeximus des actes royaux antérieurs. Ainsi, ont été préservées plusieurs<br />

centaines de chartes du XII e siècle pour lesquelles il n’existe aucun équivalent en<br />

France 78 . L’intensification des activités de la chancellerie depuis l’avènement d’Henri II<br />

imposa rapidement une réforme de cette institution. Onze jours après le couronnement<br />

de Jean, la chancellerie royale publia une charte décrivant la structure de l’<strong>of</strong>fice de<br />

chancelier. À ce titre, ce document peut être considéré comme une sorte de<br />

« constitution », sans doute décidée à l’instigation de Hubert Walter, qui apparaît<br />

comme le dataire 79 . Son objet était en partie de créer de nouvelles catégories de<br />

documents tout en affirmant un retour aux pratiques du temps d’Henri II. La<br />

chancellerie était également dotée d’une fonction d’archivage qui permit la conservation<br />

des différents rôles connus aujourd’hui.<br />

Les rôles de la chancellerie étaient composés de trois types d’enregistrements.<br />

Les rotuli chartarum ou Charter rolls, d’une part, qui contiennent les enregistrements<br />

de certaines chartes émises par la chancellerie. Les rôles de lettres, d’autre part, qui sont<br />

de deux sortes – closes et patentes – et enregistrées sur deux rouleaux différents : les<br />

rotuli litterarum patentum et les rotuli litterarum clausarum. Ces trois rouleaux,<br />

conservés à la Tour de Londres, ont été édités par Thomas D. Hardy entre 1833 et<br />

1837 80 . Dès 1828, les rouleaux des lettres de la chancellerie d’Irlande avaient été<br />

consignés dans un volume à part, sous la direction d’Edward Tresham 81 . Ce rouleau qui<br />

était conservé au Rolls Office de Dublin, ne contient cependant que de rares vidimus des<br />

lettres d’Henri II et Jean. En revanche, beaucoup plus utile est le Calendar <strong>of</strong><br />

77<br />

LANDON, L., The Itinerary <strong>of</strong> King Richard I, with Studies on Certain Matters <strong>of</strong> Interest Connected<br />

with his Reign, 1935.<br />

78<br />

VINCENT, N., « Les Normands de l’entourage d’Henri II Plantagenêt », dans Angleterre et Normandie<br />

au Moyen Âge. Actes du Colloque de Cerisy-la-Salle (4-7 octobre 2001), 2003, p. 75-88, (p. 79) ;<br />

VINCENT, N., « The Charter <strong>of</strong> Henry II: the introduction <strong>of</strong> Royal inspeximus revisited », dans Dating<br />

Undated Medieval Charters, 2000, p. 97-122.<br />

79<br />

EDWARDS, J. B., « The English royal chamber and chancery in the reign <strong>of</strong> King John », unpublished<br />

PhD Cambridge, 1973, p. 2 ; Foedera, I, p. 76.<br />

80<br />

HARDY, T. D. (éd.), Rotuli chartarum In Turri Londinensi asservati, 1837; Rotuli normanniae in Turri<br />

londinensi asservati, 1835; Rotuli litterarum clausarum in Turri Londinensi asservati. I. 1204-1224,<br />

HARDY, T. D. (éd.), 1833; Rotuli litterarum patentium in Turri Londinensis asservati, HARDY, T. D.<br />

(éd.), 1835.<br />

81<br />

Rotulorum Patentium et Clausorum Cancellariæ Hiberniæ Calendarium, 1828.<br />

36


Documents relating to Ireland qui contient l’édition des principaux documents, lettres,<br />

chartes, traités concernant cette période 82 . Plus récemment, ont été publiés les rouleaux<br />

de l’Échiquier irlandais pour les trois années 1210-1212, enregistrant les dépenses de<br />

l’expédition de Jean 83 .<br />

La série des Close rolls commence en 1204 (6 John) et a été récemment<br />

complétée par la publication de fragment de 1215 et 1216 84 . Ils contiennent<br />

l’enregistrement de toutes les lettres envoyées par la Chancellerie, fermées par<br />

l’apposition du Grand sceau afin de dissimuler son contenu. À la différence des lettres<br />

closes, les lettres patentes étaient ouvertes et portaient le Grand sceau attaché au bas de<br />

la lettre. Cette distinction apparaît probablement dans les années 1160 85 . On a<br />

longtemps affirmé que la distinction entre ces deux types de lettres était liée à la nature<br />

de leur contenu « privé » ou « public ». Or, la simple lecture de ces rouleaux suffit pour<br />

convaincre que rien ne justifie une telle opposition.<br />

Concernant les patent rolls, les rouleaux couvrant les années 1209 à 1212 (11 e ,<br />

12 e et 13 e années du règne de Jean) sont très incomplets. Les informations concernant<br />

les chantiers y sont toutefois assez nombreuses, quoique sans commune mesure avec les<br />

données des pipe rolls. Les informations sont de même nature que les brefs de paiement<br />

des rouleaux de la Chambre, il manque donc la plupart du temps les données chiffrées,<br />

le coup réel des travaux étant, de fait, souvent difficile à anticiper.<br />

Peu de ces chartes recèlent des renseignements ayant directement trait aux<br />

constructions. Outre les chartes de fondation ou de refondation des monastères qui<br />

ouvrent à l’étude du patronage religieux de ces princes, l’intérêt de ce corpus réside<br />

également dans les informations sur les lieux et les conditions dans lesquelles il a été<br />

émis. Toutefois, sous Henri II, non seulement tous les actes ne comportent pas<br />

systématiquement une datation et un lieu d’émission – la pratique s’impose<br />

progressivement sous le règne de Richard – mais lorsque les chartes sont datées, la<br />

majorité des lieux mentionnés sont situés en Angleterre et en Normandie, ce qui créé un<br />

82<br />

SWEETMAN, H. S. (éd.), Calendar <strong>of</strong> Documents Relating to Ireland, preserved in Her Majesty's<br />

Public Record Office, 1875.<br />

83<br />

DAVIES, O. et QUINN, D. B., « The Irish Pipe Roll <strong>of</strong> 14 John, 1211-1212 », Ulster Journal <strong>of</strong><br />

Archaeology, 4 (suppl) (1941), p. 1-76.<br />

84<br />

CHENEY, C. R. et BROWN, R. A. (eds.), The Memoranda roll for the tenth year <strong>of</strong> the reign <strong>of</strong> King<br />

John, 1207-8 : together with the Curia Regis rolls <strong>of</strong> Hilary 7 Richard I, 1196, and Easter 9 Richard I,<br />

1198 : a roll <strong>of</strong> plate held by Hugh de Neville in 9 John, 1207-8, and fragments <strong>of</strong> the close rolls <strong>of</strong> 16<br />

and 17 John, 1215-16, 1957, p.127-144.<br />

85<br />

CHAPLAIS, P., Diplomatic documents preserved in the Public Record Office. 1, 1101-1272, 1964<br />

p. 11.<br />

37


déséquilibre documentaire pour étudier l’empire des Plantagenêt. Ce constat rend donc<br />

difficile l’interprétation des lieux visités par Henri II à partir des seuls actes. En<br />

revanche, un changement de pratique semble se mettre en place : sous le règne<br />

d’Henri II, les actes de la chancellerie sont datés et localisés (lorsque ils le sont)<br />

uniquement dans des centres urbains significatifs. En revanche, sous le règne de Jean,<br />

certains actes sont émis dans des résidences parfois si éphémères que leur identification<br />

et leur localisation s’avèrent presque impossibles 86 . Nicholas Vincent en déduit un<br />

changement de pratiques des clercs de chancellerie sous le règne de Jean, qui ne restent<br />

plus dans les principaux centres résidentiels de la région dans laquelle le roi poursuit<br />

son itinérance, mais l’accompagnent dans tous ses déplacements 87 . En tenant compte de<br />

ces évolutions, il s’agira toutefois d’évaluer le rapport entre l’investissement dans<br />

certaines demeures royales (reconstructions architecturales) et la fréquence des passages<br />

du roi et les pratiques du pouvoir qui s’y déroulent. De manière générale, les<br />

informations contenues dans les chartes, que ce soit les listes de témoins ou les<br />

indications de lieux, se soumettent mal à une analyse statistique à cause du caractère<br />

lacunaire et aléatoire de leur conservation 88 . L’image fragmentée et peu fiable qu’elles<br />

nous <strong>of</strong>frent de la réalité et des pratiques de pouvoir doit donc être prise telle quelle.<br />

Avec l’Échiquier, la chancellerie était donc le principal organe de production des<br />

archives royales. Tous les actes qui y étaient rédigés n’ont cependant pas été conservés<br />

de manière exhaustive. Au-delà de la sélection au moment des enregistrements, certains<br />

documents ont également été perdus ou ont disparu au fil des compilations successives.<br />

De ces documents, il reste toutefois quelques traces grâce à leur diffusion, en particulier<br />

dans les chroniques contemporaines, qui en reproduisaient parfois le contenu. Dans leur<br />

ensemble, ces documents qui ne présentent souvent qu’un intérêt secondaire ou très<br />

ponctuel pour l’étude de la politique de construction, n’ont pas fait l’objet d’un<br />

dépouillement systématique, mais seulement d’études ciblées. Compte tenu de la<br />

disparité typologique de cette documentation complémentaire, sa présentation suivra de<br />

préférence un ordre thématique.<br />

86 C’est le cas par exemple du Mont Bereulf en Limousin, où se rend Jean le 4 avril 1214, ou encore<br />

Podang ou Pilemin en Poitou, le 5 juin et le 5 juillet 1214.<br />

87 VINCENT, N., « Why 1199 ? Bureaucracy and enrolment under John and his contemporaries », dans<br />

English Government in the Thirteenth Century, 2004, p. 18-48; VINCENT, N., « Les Normands de<br />

l’entourage d’Henri II Plantagenêt », dans Angleterre et Normandie au Moyen Âge. Actes du Colloque de<br />

Cerisy-la-Salle (4-7 octobre 2001), 2003, p. 75-88, (p. 81).<br />

88 Ibid., en particulier p. 76-77.<br />

38


1.2- L’essor du droit et de l’administration : les textes juridiques,<br />

judiciaires et de juridiction<br />

La politique de construction des Plantagenêt ne peut véritablement se<br />

comprendre à l’échelle de leur empire, que replacée dans un contexte plus large et reliée<br />

à l’ensemble des enjeux de pouvoir à l’œuvre dans l’organisation territoriale. Les<br />

sources qui permettent d’appréhender ces enjeux ne concernent donc qu’indirectement<br />

les constructions, mais éclairent souvent des aspects de leur politique. Elles sont de<br />

nature diverse : diplomatique, administrative ou judiciaire.<br />

1.2.1- Pactes, conventions et traités<br />

Pour étudier la délimitation territoriale de l’empire Plantagenêt et son évolution,<br />

l’analyse croisée des sources produites par la diplomatie des Plantagenêt et des<br />

Capétiens apporte des renseignements essentiels. Les pactes, conventions et traités de<br />

paix, contiennent en effet très souvent des clauses de répartition ou de reddition de<br />

châteaux. Les conventions de mariage et d’héritage (aucun testament n’est connu à cette<br />

époque) en particulier étaient centrales dans le processus de distribution et de répartition<br />

du pouvoir. Toutefois ces conventions n’ont qu’assez rarement produit des documents<br />

écrits et archivés de manière autonome. Au début de la période, les promesses orales<br />

accompagnées de serments et de témoins étaient suffisantes pour conclure un pacte ou<br />

une convention, ce qui n’empêchait pas que les clauses soient connues de tous 89 . En<br />

revanche, les traités de paix imposaient plus généralement la rédaction d’actes signés,<br />

surtout lorsqu’ils étaient le résultat d’âpres négociations. La série de traités, de la paix<br />

de Tillières (1194) 90 au Traité du Goulet (1200) 91 , concernant les espaces frontaliers<br />

entre les domaines des Plantagenêt et des Capétiens établit les positions respectives qui<br />

permettent de délimiter cette marge, de manière plus ou moins précise. Toutefois, les<br />

traités de paix « extérieure » ne sont pas les seuls lieux de négociation de l’espace :<br />

deux « traités » de paix sont également connus pour leur tentatives de restauration de<br />

l’ordre brisé à l’intérieur de l’empire.<br />

Le traité de Winchester, qui n’est pas à proprement parler un traité – puisqu’il<br />

s’agit d’une charte unilatérale – est également connu sous le nom de traité de<br />

Westminster, où il fut publié, à la suite de la paix de Wallingford, dont les termes furent<br />

89<br />

LEMARIGNIER, J. F., Recherches sur l'hommage en marche et les frontières féodales, 1945.<br />

90<br />

HOVEDEN, III, p. 257-60.<br />

91<br />

DELABORDE, H. F. et al., Recueil des actes de Philippe Auguste, roi de France, 1916, II, p. 178-185,<br />

n°633.<br />

39


adoptés à Winchester en 1153 92 . Ce document ressemble donc davantage à une<br />

conventio, à l’instar du « traité de Falaise » de 1174. Ce dernier organise la sujétion des<br />

barons révoltés et du royaume d’Écosse à Henri II 93 , tandis que l’accord conclu à<br />

Winchester le 6 novembre 1153, rétablit la paix et fait d’Henri, duc de Normandie,<br />

l’héritier légitime d’Étienne de Blois. L’original a été perdu, mais les contemporains en<br />

relatent certains détails 94 . Une copie faisait également partie des documents enregistrés<br />

dans le Livre rouge de l’Échiquier au XIII e siècle 95 . Il s’agit d’un recueil, sans doute<br />

créé par Richard FitzNigel, enregistrant des documents jugés suffisamment importants<br />

pour faire l’objet d’un enregistrement à conserver. Mais le compilateur du XIII e siècle –<br />

Alexander Swereford – ne l’a pas recopié dans la synthèse qu’il réalise vers 1230. On le<br />

connaît donc par la Chronique de Brompton, compilée sous Edward III, qui le copie<br />

vraisemblablement d’une chronique antérieure. Lorsqu’ils n’apparaissent pas dans les<br />

chartes de chancellerie, c’est donc principalement à travers les sources narratives que<br />

ces documents peuvent être connus 96 . L’étude de ces traités, hommages et promesses<br />

constitue depuis longtemps l’objet de travaux détaillés et appr<strong>of</strong>ondis, menés dans une<br />

perspective de compréhension des problèmes que pose la géographie des espaces<br />

féodaux et de leurs frontières. Jacques Boussard et de Jean-François Lemarignier en<br />

sont les pionniers, mais on peut également citer Lucien Musset et plus récemment Pierre<br />

Bauduin et Daniel Power pour la Normandie 97 . À côté de ces documents qui permettent<br />

92<br />

HOLT, J. C., « 1153: the treaty <strong>of</strong> Winchester », dans The Anarchy <strong>of</strong> King Stephen’s Reign, 1994, p.<br />

291-316 p. 291, note 5.<br />

93<br />

PETERBOROUGH, I, p. 96-99.<br />

94<br />

TORIGNI ; Gesta Stephani, 1976, p. 240 et HENRI DE HUNTINGDON, Historia Anglorum (the<br />

history <strong>of</strong> the English from A.C. 55 to A.D. 1154), 1964 [1879], p. 289. Voir aussi Regesta Regum Anglo-<br />

Normannorum, 1066-1154. III. Regesta Regis Stephani ac Mathildis Imperatricis ac Gaufridi et Henrici<br />

Ducum Normannorum, 1135-1154, 1968, III, n°272, p. 97-99.<br />

95<br />

Liber Rubeus de Scaccario : HALL, H. (éd.), The Red Book <strong>of</strong> the Exchequer, 1965 [1896], p.xxviii.<br />

96<br />

Parmi les archives de la royauté capétienne, certains traités sont enregistrés dans TEULET, A. et DE<br />

LABORDE, J. (eds.), Layettes du Trésor des chartes. T.I: de l'année 755 à l'année 1223, 1863 ; ainsi que<br />

dans DELABORDE, H. F. et al., Recueil des actes de Philippe Auguste, roi de France, 1916. C’est le cas<br />

du traité de 1194 entre Jean comte de Mortain et Philippe Auguste (Layettes, n°412) également reproduit<br />

dans DELISLE, L., Cartulaire normand de Philippe-Auguste, Louis VIII, Saint Louis et Philippe le<br />

Hardi, 1978 [1882], n° 1055 ; du traité de Gaillon de 1196 (Recueil, II, n°517) et Le Goulet en 1200<br />

(Recueil, II, n°633). Pour les sources narratives, voir infra.<br />

97<br />

BOUSSARD, J., Le gouvernement d'Henri II Plantagenêt, 1956; BAUTIER, R. H., La France de<br />

Philippe Auguste: le temps des mutations, 1982; LEMARIGNIER, J. F., Recherches sur l'hommage en<br />

marche et les frontières féodales, 1945; MUSSET, L., « Observations sur l'histoire et la signification de la<br />

frontière normande X-XIIe siècles », Revue historique de droit français et étranger, 41 (1963), p. 545-<br />

546; POWER, D. J. et STANDEN, N. (eds.), Frontiers in question : Eurasian borderlands, 700-1700,<br />

1999; POWER, D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries, 2004;<br />

LEMOINE-DESCOURTIEUX, A., « La frontière normande de l'Avre de la fin du Xe siècle au début du<br />

XIIIe siècle: la défense et les structures du peuplement », Thèse de Doctorat, sous la dir. de François<br />

40


de voir les processus de délimitation de l’espace, une documentation de nature<br />

administrative renseigne sur son organisation sociale et féodale. Il s’agit principalement<br />

d’enquêtes dont l’essor en tant que type documentaire est un fait marquant de la société<br />

médiévale à partir de la seconde moitié du XII e siècle.<br />

1.2.2- Les enquêtes<br />

Le développement des enquêtes reflète parfaitement « l’esprit de bilan » que<br />

remarquait John Baldwin chez les Capétiens, mais qui caractérise aussi l’administration<br />

Plantagenêt, et cela dès le milieu du XII e siècle 98 . À cette date, la pratique des enquêtes<br />

n’est pas une nouveauté. Vingt ans après la conquête de l’Angleterre par Guillaume le<br />

Conquérant, une vaste prospection avait été menée en Angleterre pour dresser l’état du<br />

domaine royal : elle donna lieu au fameux Domesday Book 99 . Henri II ne fait donc que<br />

renouer avec une pratique bien connue lorsqu’il lance ses premières enquêtes sur les<br />

fiefs des chevaliers. En 1166, la rédaction de la Carta Baronum est la première étape de<br />

sa réforme militaire 100 . Elle identifie la plupart des fiefs des chevaliers d’Angleterre qui<br />

n’ont pas encore prêté allégeance formelle au roi, afin que chose soit faite. En 1170, il<br />

lance une enquête sur les activités des shérifs afin de réformer l’administration des<br />

comtés 101 . En 1172, c’est la Normandie qui est cette fois-ci le terrain de l’investigation<br />

sur les fiefs des chevaliers 102 . En octobre 1181, Henri II fait également mener une<br />

enquête en Bretagne, sur les domaines de l’archevêque de Dol 103 . Cette enquête est<br />

confirmée par la bulle papale de Luce III en 1182. Elle est connue sous le nom de<br />

l’archevêque élu de Dol depuis 1177, Rolland, ancien doyen d’Avranches. Par cette<br />

enquête, permettant la restitution de ses droits à l’Église bretonne, selon les principes de<br />

la réforme grégorienne, Henri II s’assurait non seulement la reconnaissance de l’Église<br />

romaine, tout en renforçant son contrôle dans l’espace breton, par le biais du clergé<br />

Neveux, 2003; BAUDUIN, P., La première Normandie (Xe-XIe siècle) sur les frontières de la Haute-<br />

Normandie identité et construction d'une principauté, 2002.<br />

98<br />

BALDWIN, J. W., Philippe Auguste et son gouvernement: les fondations du pouvoir royal en France<br />

au Moyen Âge, 1994.<br />

99<br />

Domesday Book, p. 224.<br />

100<br />

HALL, H. (éd.), The Red Book <strong>of</strong> the Exchequer, 1965 [1896], I, p. 186; KEEFE, T. K., Feudal<br />

Assessments and the Political Community under Henry II and his Sons, 1983.<br />

101<br />

STUBBS, W. et DAVIS, H. W. C., Select Charters and Other Illustrations <strong>of</strong> English Constitutional<br />

History from the Earliest Times to the Reign <strong>of</strong> Edward the First, 1913, p. 147-150; BOORMAN, J.,<br />

« The sheriffs <strong>of</strong> Henry II and their role in civil litigation 1154-89 », PhD thesis, University <strong>of</strong> Reading,<br />

1989.<br />

102<br />

HALL, H. (éd.), The Red Book <strong>of</strong> the Exchequer, 1965 [1896], II, p.624-647.<br />

103<br />

DUINE, F. et ALLENOU, J. (eds.), Histoire féodale des marais, territoire et église de Dol : Enquête<br />

par tourbe ordonnée par Henri II, roi d'Angleterre, 1947 [1917].<br />

41


normand. L’année 1181 est à ce titre significative, puisqu’il s’agit de la date à laquelle<br />

Ge<strong>of</strong>froy, le troisième fils d’Henri II – dont le nom est associé à l’enquête – devient<br />

l’héritier légitime du duché de Bretagne, à la suite son mariage avec Constance, la fille<br />

unique du duc Conan IV 104 .<br />

Après la perte de la Normandie, Jean ordonne également une enquête sur l’état<br />

des possessions des barons félons. Le rotulus de valore terrarum Normannorum<br />

inceptus anno regni Johannis sexto recense les domaines anglais des établissements<br />

religieux et de l’aristocratie normande, confisqués après leur ralliement à Philippe<br />

Auguste 105 . Cette enquête qui estime également la valeur de ces domaines reste<br />

cependant incomplète. Par la suite, le rotulus terrarum liberatarum et contrabrevium de<br />

Normanniae, Andevagi et Pictavi inceptus die Ascensionis domini XIII die maii anno<br />

regni illustrissimi regis Johannis contient les brefs par lesquels Jean concède à ses<br />

partisans les terres ou les rentes de ces barons restés normands 106 . Les fine rolls et les<br />

oblata rolls enregistrent également les sommes versées par les tenanciers de Normandie<br />

et d’Angleterre pour conserver la jouissance de leurs terres, de franchises et privilèges<br />

pour avoir la garde de mineurs et de leurs héritages 107 . La plus importante des enquêtes<br />

de cette époque reste cependant la rédaction du Liber Feodorum ou Book <strong>of</strong> Fees,<br />

également appelé Testa de Nevill, réalisé en 1212 108 .<br />

Outre leur intérêt prosoprographique, ces enquêtes permettent de comprendre<br />

comment les Plantagenêt ont tenté d’appréhender l’espace de leur dominium pour mieux<br />

le maîtriser. L’enquête constitue en effet un véritable instrument de gouvernement qui<br />

ne cessera de se développer au cours du Moyen Âge 109 . Ces enquêtes témoignent ainsi<br />

de l’effort administratif mené pour construire un savoir sur les territoires de l’empire.<br />

Concernant plus précisément les constructions, les enquêtes capétiennes apportent<br />

quelques informations, en particulier l’enquête sur les cent treize « châteaux et<br />

forteresses tenues par le roi Philippe » lancée en 1209 et, plus tardivement, les enquêtes<br />

104 Ibid., p.76 : de mandato Henrici regis Anglie et Gaufridi, filii eius, comitis Britannie, Rollando dolensi<br />

electo natione pisano, per manum Reginaudi Boterel, eo tempore senescalli redonenisis, apud Dolum,<br />

anno videlicet quo predictos comes duxit uxorem.<br />

105 Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.),1835,<br />

106 Rotuli de Liberate ac de misis et praestitis regnante Johannes, HARDY, T. D. (éd.), 1844, BILLORÉ,<br />

M., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe - début XIIIe siècles). De l'autocratie Plantagenêt à la<br />

domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de Martin Aurell, 2005, non publiée.<br />

107 Rotulus Normannaie inceptus die Ascensionsis domini de oblation recepta anno regni Johannis<br />

secundo pour la Normandie. Le paiement des oblata est enregistré sur les pipe rolls.<br />

108 N.A. E164/5-6; MAXWELL-LYTE, H. C. (éd.), Liber Feodorum. The Book <strong>of</strong> Fees, commonly called<br />

Testa de Nevill. Reformed from the earliest MSS., 1920 (vol.1: 1198-1242; vol.2: 1242-1293 et Appendix;<br />

vol.3: <strong>Index</strong>).<br />

109 GAUVARD, C. (éd.), L'enquête au Moyen âge, 2008.<br />

42


d’Alphonse de Poitiers menée en 1243-1245 en Poitou 110 . Les indications de travaux<br />

effectués après la conquête capétienne que l’on trouve dans ces enquêtes couvrent, en<br />

effet, des territoires restés jusque là inaudibles dans les sources administratives.<br />

Autre marqueur de l’hétérogénéité territoriale : le droit. Or, au sein des réformes<br />

engagées par Henri II, dès son avènement, la justice a sans doute été le champ dans<br />

lequel les transformations ont été le plus pr<strong>of</strong>ondes.<br />

1.2.3- Les jugements, assises et constitutions de lois<br />

La « redécouverte » du droit romain au XII e siècle s’est accompagnée, en<br />

pratique, d’un essor considérable des procédures judiciaires et de la documentation<br />

juridique. En Angleterre, l’enregistrement des premiers rôles des cours de justice royale<br />

apparaît sous le règne de Richard, mais il n’est pas impossible qu’ils aient existé dès le<br />

règne d’Henri II. À la fin des années 1160, en effet, de plus en plus de brefs de nature<br />

juridique sont envoyés sous forme de lettre closes 111 . Au cours de cette même décennie<br />

sont enregistrés les actes qui mettent en place la réforme de la justice de droit commun.<br />

Ainsi, les Constitutions et les Assises de Clarendon respectivement en 1164 et 1166<br />

posent les principes de ce nouveau droit commun, fondé sur la compilation et la mise à<br />

l’écrit des anciennes coutumes du royaume, telles qu’elles étaient pratiquées sous le<br />

règne de Henri I er112 . À partir des années 1170 et de manière plus systématique encore<br />

après les Assises à Northampton en 1176, des circuits de juges royaux itinérants – des<br />

Eyres – sont mis en places 113 . Cette justice royale ne vient pas se substituer à la justice<br />

des comtés ou des barons puisqu’elle a pour vocation de n’être qu’une cour d’appel. Les<br />

110 BALDWIN, J. W., Philippe Auguste et son gouvernement: les fondations du pouvoir royal en France<br />

au Moyen âge, 1994, p.377-387 ; CHÂTELAIN, A., « Recherches sur les châteaux de Philippe<br />

Auguste », Archéologie médiévale, 21 (1991), p. 115-161; BARDONNET, A., « Registre des comptes<br />

d'Aphonse comte de Poitiers (1243-1247) », Archives historiques du Poitou, 4 (1875); Ibid., « Comptes et<br />

enquêtes d'Alphonse de Poitou 1253-1269 », 8 (1879); Ibid., « Enquêtes faites en Aunis par ordre<br />

d'Alphonse, comte de Poitou, vers 1260 », 7 (1978).<br />

111 HUDSON, J., Land, law, and lordship in Anglo-Norman England, 1997, p.259.<br />

112 Ibid., p. 257-258. La constitution de Clarendon est connue grâce à sa retranscription par GERVAIS DE<br />

CANTORBERY, The Historical Works, 1965 [1880], I, p. 214, HOVEDEN, I, 231 et Alan de<br />

Tewkesbury, la comparaison de ces trois textes a été effectuée dans KNOWLES, M. D. et al., « Henry II's<br />

Supplement to the Constitutions <strong>of</strong> Clarendon », E.H.R., 87: 345 (1972), p. 757-771. Pour les Assises de<br />

Clarendon, elles sont éditées dans la préface de HOVEDEN, II, p. cii-cv. Voir aussi STUBBS, W. et<br />

DAVIS, H.W.C., Select Charters and Other Illustrations <strong>of</strong> English Constitutional History from the<br />

Earliest Times to the Reign <strong>of</strong> Edward the First, 1913, p. 135-146.<br />

113 RICHARDSON, H. G. et SAYLES, G. O., The Governance <strong>of</strong> Mediaeval England : from the<br />

Conquest to Magna carta, 1963, p.196; STUBBS, W. et DAVIS, H. W. C., Select Charters and Other<br />

Illustrations <strong>of</strong> English Constitutional History from the Earliest Times to the Reign <strong>of</strong> Edward the First,<br />

1913, p. 150-53<br />

43


juges étaient en outre chargés de mener des enquêtes sur le bon fonctionnement de<br />

l’administration royale, et de s’enquérir par exemple, du bon entretien des châteaux<br />

royaux et de juger, le cas échéant, des raisons pour lesquelles ceux qui étaient<br />

responsables de leurs réparations avaient manqué à ce devoir 114 . Parallèlement à ces<br />

cours itinérantes, au niveau central, de nouvelles instances apparaissent. De l’Échiquier,<br />

dont la compétence judiciaire en théorie universelle devenait de plus en plus restreinte<br />

aux litiges d’ordre administratif et aux problèmes de tenures, se détache<br />

progressivement, au cours des années 1190, un Banc commun ou Common Bench. Puis<br />

au cours du XIII e siècle, une nouvelle distinction entre les juges du Bench, chargés de<br />

traiter les cas de droit commun et ceux de la Curia regis, attachés aux plaids de la<br />

Couronne, se fait de plus en plus nette 115 . Le fonctionnement de ce nouveau système de<br />

procédure qui fonde la pratique de la Common Law est décrit par un traité, le Tractactus<br />

de Legibus, attribué à Ranulf Glanvill, le célèbre justicier d’Henri II 116 .<br />

Quant à la pratique d’enregistrer sur les rouleaux, les affaires traitées à la Curia<br />

regis, à l’Échiquier ou au King’s Bench – ces trois appellations ne recoupant qu’une<br />

seule réalité dans la seconde moitié du XII e siècle – elle n’apparaît qu’à partir du règne<br />

de Richard 117 . Les premières séries des Curia regis rolls contiennent l’enregistrement<br />

des plaids de la Couronne (placite corona) et les plaids communs. Contrairement aux<br />

rouleaux de l’Échiquier il s’agit de bandes de parchemins attachées ensemble par leur<br />

partie supérieure. En Normandie, les jugements de l’Échiquier, qui n’étaient consignés<br />

que sous forme abrégée, sont connus par le Très ancien coutumier de Normandie qui<br />

mentionne leur existence pour souligner leur utilité dans la rapidité des décisions de la<br />

cour 118 . Concernant les enregistrements des procès in Eyre, il existe quelques fragments<br />

114<br />

RICHARDSON, H. G. et SAYLES, G. O., The Governance <strong>of</strong> Mediaeval England : from the<br />

Conquest to Magna carta, 1963, p. 180.<br />

115<br />

Voir l’Introduction de RICHARDSON, H. G. (éd.), The Memoranda roll for the Michaelmas term <strong>of</strong><br />

the first year <strong>of</strong> the reign <strong>of</strong> King John (1199-1200): together with fragments <strong>of</strong> the originalia roll <strong>of</strong> the<br />

seventh year <strong>of</strong> King Richard I, 1195-6, the liberate roll <strong>of</strong> the second year <strong>of</strong> King John, 1200-1, and the<br />

Norman Roll <strong>of</strong> the fifth year <strong>of</strong> King John, 1203, 1943, p.xv, mais cette distinction n’existe pas encore au<br />

XIIe siècle.<br />

116 RANULF DE GLANVILL, Tractatus de legibus et consuetudinibus regi Anglie qui Glanvilla<br />

vocatur : The treatise on the laws and customs <strong>of</strong> the realm <strong>of</strong> England commonly called Glanvill, 1993.<br />

117<br />

CHENEY, C. R. et BROWN, R. A. (eds.), The Memoranda roll for the tenth year <strong>of</strong> the reign <strong>of</strong> King<br />

John, 1207-8 : together with the Curia Regis rolls <strong>of</strong> Hilary 7 Richard I, 1196, and Easter 9 Richard I,<br />

1198 : a roll <strong>of</strong> plate held by Hugh de Neville in 9 John, 1207-8, and fragments <strong>of</strong> the close rolls <strong>of</strong> 16<br />

and 17 John, 1215-16, 1957, p. 69-118; "Three rolls <strong>of</strong> the king's court in the reign <strong>of</strong> king Richard the<br />

first. A.D. 1194-1195".<br />

118<br />

TARDIF, E. J., Coutumiers de Normandie. T.1, Le Très ancien coutumier de Normandie, 1977 [1881];<br />

YVER, J., Le "Très ancien coutumier" de Normandie, miroir de la législation ducale? : Contribution à<br />

l'étude de l'ordre public normand à la fin du XIIe siècle, 1971.<br />

44


inclus dans les Rotuli Curiae Regis du règne de Richard et dans la publication de David<br />

Crook, Records <strong>of</strong> the General Eyres 119 . Dans les dernières années du XII e siècle, tous<br />

les rôles de plaids furent assemblés ensemble formant une série appelée les Plea<br />

rolls 120 .<br />

Avant la mise en place de la Common Law, le droit en vigueur était établi par<br />

des codes de lois, régissant les règles du droit féodal. Les Consuetudines et Justicie de<br />

1091, le Quadripartitus de 1114, ainsi que les Leges Henrici Primi, constituent des<br />

collections de lois, reprenant une partie de la législation anglo-saxonne 121 . Ces textes de<br />

lois permettent donc de comprendre selon quelles règles, Henri II pouvait juger ses<br />

barons, confisquer leurs honneurs et détruire leurs châteaux. Comme l’a montré Alain<br />

Boureau, la mise en pratique de ces lois et du droit en général ainsi que la création d’une<br />

jurisprudence étaient répandues en Angleterre à la fin du XII e siècle : en témoignent les<br />

récits que les témoins de cette époque ont transmis par leurs lettres, leurs chroniques ou<br />

par les annales de leur monastère 122 .<br />

1.3- Le développement de la conscience historique et mémorielle<br />

dans les textes narratifs<br />

Dans la seconde moitié du XII e siècle, l’essor de la production administrative<br />

coïncide, en Angleterre, avec un « âge d’or » de l’historiographie et de la production<br />

littéraire 123 . La cour d’Henri II peut être considérée comme le centre intellectuel et<br />

littéraire le plus brillant de cette période. L’afflux de clercs compétents et lettrés à la<br />

cour ne répondait pas en effet aux seuls besoins de l’administration. Conscients que la<br />

119<br />

STENTON, D. M. P. (éd.), Rolls <strong>of</strong> the Justices in Eyre, being the Rolls <strong>of</strong> Pleas and Assizes for<br />

Yorkshire in 3 Henry III (1218-19), 1937; CROOK, D., Records <strong>of</strong> the General Eyre, 1981; CHENEY, C.<br />

R. et BROWN, R. A. (eds.), The Memoranda roll for the tenth year <strong>of</strong> the reign <strong>of</strong> King John, 1207-8 :<br />

together with the Curia Regis rolls <strong>of</strong> Hilary 7 Richard I, 1196, and Easter 9 Richard I, 1198 : a roll <strong>of</strong><br />

plate held by Hugh de Neville in 9 John, 1207-8, and fragments <strong>of</strong> the close rolls <strong>of</strong> 16 and 17 John,<br />

1215-16, 1957, p. 96. Ils font la liste de ces quelques fragments et leurs publications: "Three rolls <strong>of</strong> the<br />

king's court in the reign <strong>of</strong> king Richard the first. A.D. 1194-1195"; PALGRAVE, F. (éd.), Rotuli Curiae<br />

Regis. Rolls and Records <strong>of</strong> the court held before the king's Judiciars <strong>of</strong> Justices, 1835; STENTON, D.<br />

M. P. (éd.), Pleas before the King or his Justices, 1198-1202, 1996 [1952], p.16-29.<br />

120<br />

STENTON, D. M. P. (éd.), Pleas before the King or his Justices, 1198-1202, 1996 [1952].<br />

121<br />

HASKINS, C. H., « The Norman 'Consuetudines et Iusticie' <strong>of</strong> William the Conqueror », E.H.R., 23:<br />

91 (1908), p. 502-508; LIEBERMANN, F., Quadripartitus, ein englisches Rechtsbuch von 1114,<br />

nachgewiesen und, soweit bisher ungedruckt, 1892; POWELL, F. Y., « Review <strong>of</strong> Quadripartitus, ein<br />

englisches Rechtsbuch von 1114 nachgewiesen und so weit bisher ungedruckt », E.H.R., 8: 30 (1893), p.<br />

332-333; DOWNER, L. J. (éd.), Leges Henrici primi, 1972.<br />

122<br />

BOUREAU, A., La loi du royaume : les moines, le droit et la construction de la nation anglaise : XIe-<br />

XIIIe siècles, 2001.<br />

123<br />

GRANSDEN, A., Historical Writing in England, 1998.<br />

45


qualité des individus qui les entourent participe de leur renom et de leur prestige, les<br />

Plantagenêt ont également attiré à eux des lettrés, des « maîtres », pour faire de leur<br />

cour un véritable centre culturel 124 . Cependant, la création littéraire ne peut se réduire<br />

aux productions issues de son mécénat et de sa cour. Les monastères constituent<br />

également des lieux de fabrication de mythes et d’histoires. Tous les textes de cette<br />

période, cependant, sont issus d’une culture cléricale et monastique, qui agit comme<br />

prisme déformant, empêchant de saisir les enjeux pr<strong>of</strong>onds du pouvoir laïc. La partialité<br />

de ces sources provient essentiellement de deux postures qui caractérisent les auteurs de<br />

cette époque. Lorsqu’ils sont extérieurs au monde de la cour, qu’ils soient moines ou<br />

disgraciés, les jugements moraux qu’ils portent sur les actions des souverains<br />

Plantagenêt obèrent la compréhension de leurs intentions, c’est le cas de Giraud de<br />

Barri, par exemple, qui raconte le règne d’Henri II à la lumière du martyr de Becket 125 .<br />

En revanche lorsqu’il s’agit d’auteurs soumis au mécénat du prince, leurs écrits, qui ont<br />

pour fonction de véhiculer l’idéologie du pouvoir, révèlent davantage un univers<br />

idéalisé voire romancé, que la réalité du monde laïc. Les chroniques de Jean de<br />

Marmoutier sur la vie des comtes d’Anjou sont caractéristiques de ce type de récits<br />

substituant le mythe à la réalité 126 . Malgré ces écrans, ces écrits fournissent nombre<br />

d’informations sur les chantiers et la politique de construction des Plantagenêt et en<br />

particulier dans un genre qui caractérise la production textuelle de cette époque : les<br />

chroniques.<br />

1.3.1- Les chroniques et le développement des écrits historiques à la cour des<br />

Plantagenêt<br />

La réévaluation de l’importance des écrits historiques du XII e siècle est<br />

aujourd’hui une tendance réelle de l’historiographie britannique 127 . L’émergence d’une<br />

conscience historique a ainsi été mise en relation non seulement avec l’essor de cette<br />

littérature mais aussi avec la production des chroniques et des généalogies familiales<br />

124 AURELL, M. (éd.), La cour Plantagenêt, 1154-1204. Actes du colloque tenu à Thouars du 30 avril au<br />

2 mai 1999, 2000; AURELL, M. (éd.), Culture politique des Plantagenêt (1154-1224). Actes du colloque<br />

tenu à Poitiers du 2 au 5 mai 2002, 2003.<br />

125 GIRAUD DE BARRI, Opera. 8, De principis instructione Liber, 1891; BARTLETT, R. J., Gerald <strong>of</strong><br />

Wales: A Voice <strong>of</strong> the Middle Ages, 2006, p. 62-79.<br />

126 MARCHEGAY, P. et MABILLE, É., Chroniques des églises d'Anjou, 1968 [1869].<br />

127 FREEMAN, E., Narratives <strong>of</strong> a new order. Cistercian historical writing in England, 1150-1220, 2002.<br />

46


mais aussi avec les biens matériels reflétant le désir des communautés d’articuler et de<br />

disséminer leur histoire en utilisant toute forme de média 128 .<br />

L’essor des chroniques en tant que narrations chronologiquement agencées,<br />

relatant des événements considérés par les acteurs et témoins visuels comme valant la<br />

peine d’être mémorisés au cours du XII e siècle est un phénomène connu 129 . Le<br />

développement d’écrits historiques, à vocation mémorielle constitue en effet un<br />

phénomène prégnant de ce siècle, où la dilatation des horizons géographiques semble<br />

s’accompagner d’une réflexion sur le temps. Si bon nombre des chroniques débutent<br />

avec la Création de l’humanité et <strong>of</strong>frent une compilation plus ou moins détaillée<br />

d’ouvrages antérieurs jusqu’à l’époque où leurs auteurs deviennent des témoins, le<br />

resserrement sur le présent qu’elle opèrent s’accompagne d’une évolution sémantique<br />

qui tend à associer indistinctement les termes de chroniques, histoires ou annales pour<br />

désigner toute œuvre relatant ce qui s’est réellement passé 130 . De manière générale,<br />

l’exposition des événements cherche à révéler les relations pr<strong>of</strong>ondes de cause à effet,<br />

ainsi que la portée politique et morale de ces événements : c’est le cas notamment de la<br />

chronique de la Gesta regis Henrici secundi Benedicti Abbatis 131 . Toutefois, les<br />

chroniques ne se conçoivent pas comme une « représentation du monde », il n’y a pas<br />

de philosophie de l’histoire, ni de spéculation sur ses principes. Le développement des<br />

chroniques apparaît dès la fin du XI e siècle, L’Historia Ecclesiastica d’Orderic Vital<br />

(1075-1042) ou les Gesta Normanorum Ducum (vers 1070) de Guillaume de Jumièges<br />

en témoignent 132 . Si la production textuelle mémorielle s’amplifie autour de 1150, en<br />

revanche, à la fin du siècle et sous le règne de Jean, cette veine littéraire connaît un réel<br />

tarissement.<br />

Les écrits sur le passé<br />

Comme toutes les principales dynasties princières de la France du Nord, celle<br />

des comtes d’Anjou a cherché à valoriser ses origines en commandant la rédaction de<br />

vastes généalogies panégyriques. Ainsi, Jean de Marmoutier rédigea les Chroniques des<br />

128<br />

SHOPKOW, L., History and Community. Norman Historical Writing in the Eleventh and Twelfth<br />

Centuries, 1997.<br />

129<br />

ROTHWELL, H., English historical documents. T.3:1189-1327, 1975, p. 43.<br />

130 GUENÉE, B., « Histoires, annales, chroniques. Essai sur les genres historiques au Moyen Âge »,<br />

Annales. Economies Sociétés Civilisations, 28: 4 (1973), p. 997-1016.<br />

131<br />

BENOÎT DE PETERBOROUGH, The Chronicle <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Henri II and Richard I, A. D. 1169-<br />

1192, 1867.<br />

132<br />

ORDERIC VITAL, The Ecclesiastical History, 1986; The Gesta Normannorum ducum <strong>of</strong> William <strong>of</strong><br />

Jumièges, Orderic Vitalis and Robert <strong>of</strong> Torign", VAN HOUTS, E. M.C. (éd.), 1992-1995<br />

47


comtes d’Anjou sous le patronage d’Henri II dans les années 1170 133 . Mais s’il descend<br />

de la maison d’Anjou, Henri II appartient également par ascendance maternelle à la<br />

lignée des ducs de Normandie et des rois d’Angleterre. Il confie donc à Robert Wace le<br />

projet de retracer les origines de ce peuple pour en construire la mémoire à travers la<br />

rédaction de deux grandes chansons de geste, Le roman de Rou, exaltant la figure de<br />

Rollon et de Le Roman de Brut, reprenant l’Historia Regum Britannie de Ge<strong>of</strong>froy de<br />

Monmouth et la légende du roi Arthur 134 . Selon Amaury Chauou et Jean-Guy<br />

Gouttebroze, l’écriture de l’histoire des Normands s’insère dans des pratiques de<br />

gouvernement, l’orchestration du passé et la construction de mémoires « nationales »,<br />

continuant, sous une autre forme, le projet des Constitutiones de Clarendon 135 . Si ces<br />

récits sur le passé ont contribué à la construction mémorielle des territoires, ce sont les<br />

chroniques sur le présent qui renseignent le mieux sur les constructions matérielles du<br />

territoire.<br />

Les chroniques sur le présent<br />

Concernant la production aulique, Nicolas Vincent a attiré l’attention sur l’arrêt<br />

simultané en 1154 de grandes Histoires contemporaines qui s’étaient développées<br />

autour de 1130 136 . Plutôt que de considérer ce phénomène comme une pure coïncidence,<br />

Nicholas Vincent rassemble de nombreux indices pour démontrer comment les rois<br />

d’Angleterre ont commencé à manipuler les récits historiques, à commencer par leur<br />

propre histoire. Il n’existe en effet aucune biographie royale d’Henri II, alors qu’elle<br />

constituait un genre ancré dans la tradition des ducs de Normandie jusqu’aux Gesta<br />

Stephani qui s’arrêtent précisément en 1154, alors que son auteur ne meurt qu’en<br />

1166 137 . S’il est probable qu’une telle biographie ait existé puis disparu, il faut toutefois<br />

133 HALPHEN, L. (éd.), Chroniques des Comtes d'Anjou et des seigneurs d'Amboise, 1913.<br />

134 ROBERT WACE, Le Roman de Rou, 1970-1974; ROBERT WACE, Arthur dans le Roman de Brut,<br />

2002. Le roman de Rou sera achevé par Benoît de Sainte-Maure, Henri II ayant retiré le projet à Wace<br />

dont les écrits favorisait trop largement le rôle du baronnage, alors que le roi venait de subir une<br />

importante révolte en 1173. Sur ce point, voir CHAUOU, A., « Faire l'histoire: la culture historique à la<br />

cour Plantagenêt et les réseaux ecclésiastiques (11541199) », dans Culture politique des Plantagenêt<br />

(1154-1224), 2003, p. 269-286; CHAUOU, A., L'idéologie Plantagenêt : royauté arthurienne et<br />

monarchie politique dans l'espace Plantagenêt, XIIe-XIIIe siècles, 2001, chapitre II.<br />

135 GOUTTEBROZE, J., « Henri II Plantagenêt, patron des historiographes anglo-normand de langue<br />

d'oïl », dans La Littérature angevine médiévale. Actes du colloque d'Angers 1980, 1981, p. 91-105.<br />

136 VINCENT, N., « The Strange Case <strong>of</strong> the Missing Biography: the Lives <strong>of</strong> the Plantagenet Kings <strong>of</strong><br />

England 1154-1272 », dans Writing Medieval Biography, 750-1250. Essays in honour <strong>of</strong> Pr<strong>of</strong>essor Frank<br />

Barlow, 2006, p. 237-257.<br />

137 Ibid. ; Gesta Stephani, CARLESS DAVIS, R.H. et POTTER K.R.(éds.), 1976, p.xii. L’Historia<br />

Anglorum d’Henri de Huntingdon s’arrête en effet cette année là, de même que la Chronique de<br />

Peterborough.<br />

48


attendre les années 1170 pour que réapparaisse l’écriture des histoires et des chroniques<br />

conservées sur le règne des Plantagenêt. Bien que le meurtre de Thomas Becket<br />

constitue un moment important dans la revitalisation de ces écrits historiques, l’écriture<br />

d’un panégyrique dans la tradition de Guillaume le Poitevin était cependant devenue à<br />

cette date totalement impossible.<br />

Le seul auteur à avoir tenu une chronique entre 1150 et 1170 est Robert de<br />

Torigni, abbé du Mont-Saint-Michel en Normandie, et il la poursuivit jusqu’à sa mort<br />

en 1186. Proche du roi qui favorisa son accession au Mont, Robert de Torigni apparaît<br />

alors comme le seul véritable hagiographe du règne d’Henri II 138 . Son récit des<br />

événements détaille cependant surtout ceux dont le théâtre se trouvait en Normandie et<br />

sur le continent 139 . Selon John Gillingham, les chroniqueurs anglais ont d’ailleurs été<br />

très dépendants de Robert de Torigini qui influença leur conception de l’Aquitaine, en<br />

particulier celles des traîtres poitevins et des hérétiques gascons 140 . Sans sa chronique,<br />

nous ne saurions que peu de choses des actions des Plantagenêt sur le continent, car il<br />

n’existe aucune chronique méridionale de cette époque qui puisse donner un contre<br />

point à cette opinion. Malgré son silence sur les controverses de son temps (l’affaire<br />

Becket par exemple), il s’intéresse de près à la politique d’affirmation du pouvoir<br />

d’Henri II, ce qui lui donne un statut de premier plan dans cette étude 141 .<br />

À partir des années 1170, de nouvelles chroniques anglaises réapparaissent donc<br />

dans le mouvement que provoque la rédaction des Vita de Thomas Becket. La Gesta<br />

Henrici Secundi, relatant les événements allant de 1169 à 1192, longtemps attribuée à<br />

Benoît de Peterborough 142 est aujourd’hui considérée comme la copie de la Gesta<br />

Henrici Secundi et de la Gesta Regis Ricardi, rédigées par Roger de Hoveden – ou<br />

Howden – († vers 1201) 143 . Elle <strong>of</strong>fre un tableau détaillé des gestes du roi et des<br />

membres de sa cour, un aspect qui prévaut toutefois sur la description des événements<br />

138<br />

VAN HOUTS, E. M. C., « Le roi et son historien: Henri II Plantagnêt et Robert de Torigni, abbé du<br />

Mont-Saint-Michel », C.C.M., 37 (1994).<br />

139<br />

Il existe plusieurs editions de Robert de Torigini: ROBERT DE TORIGNI, The chronicle / the<br />

'continuatio Beccensis', 1889; The Gesta Normannorum Ducum <strong>of</strong> William <strong>of</strong> Jumièges, Orderic Vitalis<br />

and Robert <strong>of</strong> Torigni, VAN HOUTS, E.M.C.(éd.), 1992-1995; ROBERT DE TORIGNI, Chronique<br />

suivie de divers opuscules historiques, DELISLE, Léopold (éd.), A. Le Brument, Rouen, 1872-1873.<br />

C’est à cette dernière version que seront renvoyées les références de cette étude.<br />

140<br />

GILLINGHAM, J., « Events and opinions : Norman and English views <strong>of</strong> Aquitaine c.1152 - c.1204 »,<br />

dans The World <strong>of</strong> Eleanor <strong>of</strong> Aquitaine : Literature and Society in Southern France between the<br />

Eleventh and Thirteenth Centuries, 2005, p. 57-82.<br />

141<br />

GRANSDEN, A., Historical Writing in England, 1998, p. 261-63.<br />

142<br />

BENOÎT DE PETERBOROUGH, The Chronicle <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Henri II and Richard I, A. D. 1169-<br />

1192, STUBBS, W. (éd.), 1867.<br />

143<br />

STENTON, D. M. P., « Roger <strong>of</strong> Howden and Benedict », E.H.R., 68: 269 (1953), p. 574-582.<br />

49


politiques 144 . Cette réattribution fait alors de Roger de Hoveden, « le meilleur historien<br />

de la Couronne anglaise au XII e siècle » selon R.W. Southern 145 . Il entre au service du<br />

roi dans les années 1170 et accomplit un certain nombre de missions en Écosse, en<br />

particulier 146 . La plupart de ses informations lui sont parvenues par le biais de lettres, de<br />

témoignages, d’entretiens, en particulier avec des voyageurs et des étrangers lors de son<br />

pèlerinage en Terre Sainte, aux côtés des croisés menés par Richard Cœur-de-Lion.<br />

Outre son Itinerarium Peregrinorum et sa Gesta qui <strong>of</strong>frent une documentation de<br />

première importance pour le règne d’Henri II et le début du règne de Richard, il<br />

commence à rédiger une Chronica vers 1192, s’ouvrant au début des années 1170 et<br />

courant jusqu’en 1201 147 . Reprenant l’essentiel de sa Gesta, elle en omet cependant<br />

certains passages, mais le ton et l’interprétation restent globalement les mêmes 148 . Selon<br />

John Gillingham, si le Roger de Hoveden des années 1170 est fiable pour ce qui<br />

concerne les territoires continentaux de l’empire, il n’en va pas de même pour les<br />

années 1190. À partir de 1192, il semble s’être retiré dans le nord (à Howden ?) et sa<br />

chronique relate surtout la querelle entre l’archevêque et le chapitre d’York ou le travail<br />

administratif des chanceliers Hubert Walter et Ge<strong>of</strong>froy FitzPeter 149 . Ces dernières<br />

années sont donc celles qui sont le plus influencées par l’historiographie romancée et<br />

anecdotique 150 .<br />

Plusieurs similarités rapprochent également les récits de Hoveden de l’Historia<br />

Anglorum de Guillaume de Newburgh, qui commence en 1066 et s’achève en 1197, soit<br />

un an après le début de sa rédaction 151 . Tout d’abord il s’agit de deux historiens du<br />

144<br />

GRANSDEN, A., Historical Writing in England, 1998, p. 222-25.<br />

145<br />

GILLINGHAM, J., « Historians without hindsight : Coggeshall, Diceto and Howden on the early years<br />

<strong>of</strong> John's reign », dans King John. New Interpretations, 1999, p. 1-26, cite SOUTHERN, R. W., Medieval<br />

humanism and other studies, 1970, p.150; GILLINGHAM, J., « Writing the Biography <strong>of</strong> Roger <strong>of</strong><br />

Howden, King's Clerk and Chronicler », dans Writing medieval biography, 750-1250. Essays in honour <strong>of</strong><br />

Pr<strong>of</strong>essor Frank Barlow, 2006, p. 207-220.<br />

146<br />

Voir GILLINGHAM, J., « The Travels <strong>of</strong> Roger <strong>of</strong> Howden and his View <strong>of</strong> th Irish, Scots and<br />

Welsh », dans A.N.S., 1998, p. 151-169.<br />

147<br />

HOVEDEN Sur cet auteur voir aussi BARLOW, F., « Roger <strong>of</strong> Howden », E.H.R., 65:256 (1950), p.<br />

352-360 ; GILLINGHAM, J., « The Travels <strong>of</strong> Roger <strong>of</strong> Howden and his View <strong>of</strong> th Irish, Scots and<br />

Welsh », dans A.N.S., 1998, p. 151-169 ; GRANSDEN, A., Historical Writing in England, 1998, p. 225-<br />

30.<br />

148<br />

GILLINGHAM, J., « Historians without hindsight : Coggeshall, Diceto and Howden on the early years<br />

<strong>of</strong> John's reign », dans King John. New Interpretations, 1999, p. 1-26; GILLINGHAM, J., « Writing the<br />

Biography <strong>of</strong> Roger <strong>of</strong> Howden, King's Clerk and Chronicler », dans Writing medieval biography, 750-<br />

1250. Essays in honour <strong>of</strong> Pr<strong>of</strong>essor Frank Barlow, 2006, p. 207-220.<br />

149<br />

GILLINGHAM, J., « The Unromantic death <strong>of</strong> Richard I », Speculum, 54: 1 (1979), p. 18-41.<br />

150<br />

GRANSDEN, A., Historical Writing in England, 1998, p. 229.<br />

151<br />

GUILLAUME DE NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry II, and Richard I, 1884;<br />

GILLINGHAM, J., « The Travels <strong>of</strong> Roger <strong>of</strong> Howden and his View <strong>of</strong> th Irish, Scots and Welsh », dans<br />

A.N.S., 1998, p. 151-169; GRANSDEN, A., Historical Writing in England, 1998, p. 247-52.<br />

50


Yorkshire, bien que Roger soit un clerc séculier et Guillaume un chanoine du prieuré<br />

augustinien de Newburgh 152 . Tous deux sont considérés comme des auteurs<br />

relativement fiables par les historiens modernes, même si David Corner considère que le<br />

régit de Hoveden est de loin le travail le plus informé et le plus fiable de<br />

l’historiographie anglaise du XII e siècle 153 . Contrairement à celui d’Hoveden en effet, le<br />

travail de Newburgh comporte de nombreux commentaires qui laissent percer sa<br />

personnalité. Contrairement à Hoveden aussi, Newburgh ne peut compter que sur des<br />

chroniques plus ou moins contemporaines comme l’œuvre de Symeon de Durham,<br />

Henri de Huntingdon, Jordan Fantosme, Richard de Devizes, etc.<br />

À partir des années 1180, ils sont rejoints par Radulf de Diceto, doyen de la<br />

cathédrale St Paul de Londres, dont les Imagines historiarum couvrent la période allant<br />

du début du règne de Henri II à 1199, les dernières années allant jusqu’à 1203 étant<br />

probablement l’œuvre d’un continuateur anonyme 154 . La richesse de sa chronique<br />

s’explique par sa proximité des milieux du pouvoir : il correspondait avec les rois et les<br />

prélats et avait accès aux registres royaux. Il <strong>of</strong>fre une image positive d'Henri II qu'il<br />

décrit comme un bon roi intransigeant et un bon père qui sait pardonner à ses fils 155 .<br />

Ces chroniques sont sans doute les mieux informées, tenant leurs sources de<br />

première main, ce qui est rarement le cas des narrations monastiques, qui réutilisaient la<br />

plupart du temps des matériaux indirects. Leurs informations historiques sont donc<br />

souvent superficielles. Quelques unes font exception, cependant.<br />

Ainsi, Gervais de Canterbury (v. 1141 – v. 1210) moine à Christchurch en 1163<br />

fut un témoin direct des troubles de l’affaire Thomas Becket 156 . Il travaille à partir des<br />

années 1190 sur les oeuvres de Jean de Salisbury, Alan de Tewkesbury et Herbert <strong>of</strong><br />

Bosham, qu’il entreprend de continuer. Par ailleurs, la présence du primat d’Angleterre<br />

et des hommes de pouvoir qui gravitaient autour de lui faisait de Canterbury un centre<br />

d’information central, et pas seulement des nouvelles ecclésiastiques en provenance de<br />

Rome. À partir de 1173, en effet, le pèlerinage sur le tombeau de Thomas Becket fait de<br />

la cathédrale un lieu d’échanges et de rencontres des plus fréquentés d’Angleterre, un<br />

152<br />

GILLINGHAM, J., « Two Yorkshire historians compared : Roger <strong>of</strong> Howden and William <strong>of</strong><br />

Newburgh », H.S.J., 12 (2002), p. 15-37.<br />

153<br />

Ibid. cite CORNER, D. J., « The earliest surviving manuscripts <strong>of</strong> Roger <strong>of</strong> Howden’s Chronica »,<br />

E.H.R., 98 (1983), p. 297.<br />

154<br />

GILLINGHAM, J., « Historians without hindsight : Coggeshall, Diceto and Howden on the early years<br />

<strong>of</strong> John's reign », dans King John. New Interpretations, 1999, p. 1-26cite GREENWAY, D. E., « The<br />

succession to Ralph de Diceto, dean <strong>of</strong> St. Paul's », Bulletin <strong>of</strong> the Institute <strong>of</strong> Historical Research, 39: 99<br />

(1966), p. 86-95.<br />

155<br />

GRANSDEN, A., Historical Writing in England, 1998, p. 230-36.<br />

156<br />

GERVAIS DE CANTORBERY, The Historical Works, 1965 [1880].<br />

51


aspect renforcé par la proximité du port de Douvres, qui drainait la plupart des<br />

voyageurs en provenance du continent. Enfin, le récit de la reconstruction de la<br />

cathédrale et du monastère à la suite de l’incendie qui détruit la cathédrale le 5<br />

septembre 1174, le Tractatus de Combustione et Reparatione Cantuariensis Ecclesiae,<br />

est une source les plus célèbres de l’histoire de l’architecture 157 . Peter Kidson fait<br />

d’ailleurs remarquer que l’incendie de la cathédrale intervint à point nommé pour<br />

entreprendre sur de nouvelles fondations la reconstruction du chœur de la cathédrale.<br />

Gervais est également connu pour son oeuvre d'antiquaire et notamment de la Mappa<br />

Mundi : il s’agit de la première tentative d’établir une liste des monastères<br />

d'Angleterre 158 .<br />

Parmi les chroniqueurs qui ont largement contribué à construire la mauvaise<br />

réputation de Jean, les moines de St Albans sont en première ligne. Avant Mathieu<br />

<strong>Paris</strong>, qui en est le successeur, Roger de Wendower avec ses Flores historiarum,<br />

raconte le règne de Jean rétrospectivement à partir des années de guerres civiles de la<br />

minorité d’Henri III et jette sur lui un regard méprisant 159 . Dans sa chronique, Richard<br />

de Devizes montre une réelle animosité vis-à-vis du roi au point que J.C. Holt juge la<br />

« presque hystérique » 160 , tandis que Radulf de Coggeshall, dont la chronique couvre<br />

surtout les premières années du règne de Jean, jusqu’en 1207, montre une plutôt une<br />

évolution tournant à la déception à partir de 1201 161 .<br />

John Gillingham a attiré l’attention sur la chronologie de la rédaction de ces<br />

chroniques, notamment en ce qui concerne leur opinion et les idées qu’elles véhiculent<br />

sur les espaces continentaux des Plantagenêt. Et ce n’est pas le dénuement de la<br />

chronique de Ge<strong>of</strong>froy de Vigeois, moine à Saint-Martial de Limoges, qui permet<br />

157<br />

DRAPER, P., « William <strong>of</strong> Sens and the Original Design <strong>of</strong> the Choir Termination <strong>of</strong> Canterbury<br />

Cathedral 1175-1179 », The Journal <strong>of</strong> the Society <strong>of</strong> Architectural Historians, 42: 3 (1983), p. 238-248;<br />

KIDSON, P., « Gervase, Becket, and William <strong>of</strong> Sens », Speculum, 68: 4 (1993), p. 969-991; DRAPER,<br />

P., « Interpretations <strong>of</strong> the Rebuilding <strong>of</strong> Canterbury Cathedral, 1174-1186: Archaeological and Historical<br />

Evidence », The Journal <strong>of</strong> the Society <strong>of</strong> Architectural Historians, 56: 2 (1997), p. 184-203.<br />

158<br />

GERVAIS DE CANTORBERY, The Historical Works, 1965 [1880], II, p. 414-49 ; GRANSDEN, A.,<br />

Historical Writing in England, 1998, p. 253-61.<br />

159<br />

ROGER DE WENDOVER, Liber qui dicitur Flores Historiarum, 1965 [1886-89]; TURNER, R. V.,<br />

King John, England’s Evil King ?, 2005, p.15.<br />

160<br />

RICHARD DE DEVIZES, Cronicon Richardi Divisensis de tempore Regis Richardi Primi : The<br />

chronicle <strong>of</strong> Richard <strong>of</strong> Devizes <strong>of</strong> the time <strong>of</strong> King Richard the First, 1963; GILLINGHAM, J.,<br />

« Historians without hindsight : Coggeshall, Diceto and Howden on the early years <strong>of</strong> John's reign », dans<br />

King John. New Interpretations, 1999, p. 1-26, esp. p.19.<br />

161<br />

RADULF DE COGGESHALL, Chronicon Anglicarum. De Expugnatione Terrae Sanctae libellus.<br />

Thomas Agnellus de Morte et sepultura Henrici regis Angliae junioris. Gesta Fulconis filii Warini.<br />

Excerpta ex otiis imperialibus Gervasii Tileburiensis, 1965 [1875]; CARPENTER, D. A., « Abbot Ralph<br />

<strong>of</strong> Coggeshall's Account <strong>of</strong> the Last Years <strong>of</strong> King Richard and the First Years <strong>of</strong> King John », E.H.R.,<br />

113: 454 (1998), p. 1210-1230.<br />

52


d’<strong>of</strong>frir un réel contrepoint aux événements aquitains des années 1150-1160. Si Bernard<br />

Itier, son successeur en tant que bibliothécaire de l’abbaye de 1204 à 1225, et<br />

continuateur de l’œuvre d’Adémar de Chabannes est plus prolixe, il écrit trop<br />

tardivement pour être un témoin des premiers événements du règne d’Henri II 162 .<br />

L’Anjou n’<strong>of</strong>fre pas non plus de récits attentifs aux événements politiques ou aux<br />

constructions, hormis quelques passages de la Chronique des comtes d’Anjou, publiée<br />

par Louis Halphen pour le XI e siècle et par Paul Marchegay pour le XII e siècle 163 .<br />

Toutes ces chroniques, et bien d’autres textes, ont fait l’objet d’une ample<br />

recension par un historien allemand, dont le but était de compiler toutes les références<br />

concernant l’art et l’architecture en Angleterre, en Pays de Galles et en Écosse au<br />

Moyen Âge 164 . Son recueil qui comporte cinq imposants volumes, dont deux d’index,<br />

<strong>of</strong>fre donc un outil de premier plan pour étudier les références à la construction et aux<br />

constructeurs dans les îles britanniques de la seconde moitié du XII e siècle.<br />

Malheureusement, les sources continentales ne sont pas prises en compte dans ces<br />

volumes. Il faut pour cela se référer au recueil, moins épais mais tout aussi utile, élaboré<br />

par Victor Mortet et Paul Deschamp 165 .<br />

A l’instar de la documentation diplomatique, il n’est pas possible de négliger les<br />

chroniques capétiennes de cette époque. A défaut de pouvoir toutes les explorer, les<br />

deux principales ont été utilisées : la Gesta Philippi Augusti de Rigord (1145-50 – 1208)<br />

et de Guillaume le Breton (1165 – v. 1226) ainsi que sa Philippide 166 . Ce sont en effet<br />

deux auteurs essentiels pour la compréhension des conflits, puisqu’ils apportent un<br />

regard extérieur, celui du pouvoir capétien. De plus, ces auteurs ont été les témoins de la<br />

plupart des événements qu’ils relatent et ils ont eu accès aux archives de la chancellerie<br />

capétienne, dont ils reproduisent parfois les documents. Guillaume le Breton donne<br />

également le récit le plus détaillé la conquête de la Normandie par Philippe Auguste.<br />

162<br />

BERNARD ITIER, Chronique, 1998; GEOFFROY DE VIGEOIS, Chronique précédée d’une étude<br />

sur la chronique de Ge<strong>of</strong>froy, 1864.<br />

163<br />

MARCHEGAY, P. et SALMON, A., Chroniques des comtes d'Anjou, 1856-1871; MARCHEGAY, P.,<br />

Archives d'Anjou, recueil de documents et mémoires inédits sur cette province, publié sous les auspices<br />

du conseil général de Maine-et-Loire, 1843-1854; MARCHEGAY, P. et MABILLE, É., Chroniques des<br />

églises d'Anjou, 1968 [1869].<br />

164<br />

LEHMANN-BROCKHAUS, O., Lateinische Schriftquellen zur Kunst in England, Wales und<br />

Schottland, vom Jahre 901 bis zum Jahre 1307, 1955-1960, 5 vols.<br />

165<br />

MORTET, V. et al., Recueil de textes relatifs à l'histoire de l'architecture et à la condition des<br />

architectes en France, au Moyen âge : XIe-XIIIe siècles, 1995 [1911-1929].<br />

166<br />

RIGORD et GUILLAUME LE BRETON, Oeuvres, 1882-1885.<br />

53


À côté de cette prolixe littérature « historique », fourmillante de détails sur les<br />

châteaux, leurs constructions, leurs confiscations comme leurs destructions, les sources<br />

littéraires, comme La vie de Guillaume le Maréchal 167 , un poème écrit à partir de faits<br />

véridiques, sont assez pauvres sur cette question. En revanche, les documents plus<br />

normatifs ou pratiques contribuent souvent, d’une manière ou d’une autre, à affiner et<br />

enrichir l’étude de la politique de construction des Plantagenêt.<br />

1.3.2- Annales et obituaires monastiques<br />

Au Moyen Âge, les donations, fondations et œuvres charitables avaient pour<br />

fonction sociale d’alimenter l’économie du salut, telle qu’elle était orchestrée par<br />

l’Église. Dans cette économie, les bienfaits des hommes envers l’Église constituaient<br />

une condition primordiale d’accès au salut. Conserver la mémoire de ces actes était<br />

donc l’une des principales missions des moines qui en étaient les bénéficiaires. Les<br />

récits de fondations et de donations pouvaient être consignés de différentes manières :<br />

sous forme d’obituaire ou de nécrologes, enregistrant à la date d’anniversaire de la mort<br />

du bienfaiteur, la liste de ses œuvres qui méritent les prières de la communauté. Cette<br />

liste de bienfaits est alors rappelée annuellement lors de la messe dite pour son âme et<br />

celle de ses ancêtres. Le nécrologe de Fontevraud contient ainsi une liste importante des<br />

dons que les Plantagenêt ont <strong>of</strong>ferts à leur fondation ainsi que les constructions qu’ils y<br />

ont effectuées 168 .<br />

Pour ce qui est de Grandmont, ce sont plutôt les Annales de l’ordre qui<br />

contiennent ce type d’information 169 . Les Annales monastiques sont en effet souvent<br />

parsemées de détails concernant les événements affectant leurs propres établissements<br />

ainsi que ceux de la région. Les interventions royales y sont particulièrement<br />

remarquées. En 1857, Henry Richard Luard publie les éditions (en cinq volumes, dans<br />

la collection des Rerum Britannicum Medii Aevi Scriptores ou Rolls series, qui a pour<br />

objectif d’éditer les chroniques et mémoires de Grande-Bretagne et d’Irlande) des<br />

Annales des abbayes de Margam, Tewkesbury, Burton (vol.1), Winchester, Waverley<br />

(vol.2), Dunastaple, Bermondsey (vol.3) et Osney, Worcester et la chronique de<br />

167<br />

MEYER, P. (éd.), L'histoire de Guillaume Le Maréchal, comte de Striguil et de Pembroke, régent<br />

d'Angleterre de 1216 à 1219 : poème français, 1891-1901.<br />

168<br />

PAVILLON, B., La vie du bienheureux Robert d’Arbrissel patriarche des solitaires de la France et<br />

instituteur de l’ordre de Fontevraud, 1666.<br />

169<br />

LEVESQUE, J. (éd.), Annales ordinis Grandimontis. Nunc primùm editi & in hanc epitomen redacti,<br />

1662; BECQUET, J., Scriptores Ordinis Grandimontensis, 1968 [1668]; LE COUTEULX, C. (éd.),<br />

Annales ordinis Cartusiensis, ab anno 1084 ad annum 1429, 1887-1891.<br />

54


Thomas Wykes (vol.4) 170 . Ces annales reproduisaient parfois des documents de diverses<br />

natures, mentionnant les constructions en cours et le rôle tenu par les Plantagenêt dans<br />

leur réalisation. Ainsi, des lettres de prieurs ou d’abbés correspondant avec leurs<br />

bienfaiteurs ont été conservées. L’une des plus célèbres est celle que Guillaume de<br />

Treignac, prieur de Grandmond envoie à Henri II, à la suite du meurtre de Becket, lui<br />

signifiant qu’il renverrait les ouvriers travaillant à l’œuvre de l’abbaye, refusant d’avoir<br />

toute relation avec un roi criminel. Cette lettre est reproduite dans le tome 14 du Recueil<br />

des historiens de la France 171 . Les lettres de Henry de Marcay, abbé de Clairvaux,<br />

adressées à Henri II révèlent également en détail les dons d’Henri II au monastère<br />

bourguignon ainsi que les contre dons engendrés 172 . La Patrologie Latine de J.-P.<br />

Migne et le Recueil des historiens des Gaules et de la France sont également, sur ce<br />

point, une mine d’indices et de renseignements.<br />

1.3.3- La littérature de cour, sur la cour et sur le pouvoir<br />

Enfin, il faut mentionner des textes produits par les curiales des Plantagenêt qui<br />

participent à la compréhension de la politique de ces princes. Parmi ces textes, la<br />

production de Giraud de Barri – également appelé Giraud de Cambrai (Giraldus<br />

Cambrensis) ou Gerald <strong>of</strong> Wales (1146-1223) – apporte un regard sur la conception du<br />

pouvoir pendant une période de renforcement administratif et de contestation<br />

politique 173 . Après des études de droit canon à <strong>Paris</strong> et un passage comme<br />

administrateur du diocèse de St David’s, il entre au service d’Henri II dans les années<br />

1180. C’est au cours de ces années qu’il effectue la majeure partie de son œuvre. Il<br />

rédige la Topographia Hibernica en 1186-87, dont il fait une lecture publique à Oxford,<br />

puis en 1189 il écrit l’Expugnatio Hibernica, deux textes qui racontent l’établissement<br />

des Anglais en Irlande 174 . Puis, avec l’Itinerarium Cambriae et la Descriptio Cambriae<br />

qui datent du début du règne de Richard (c.1191 et 1194), il renouvelle le genre<br />

170 e<br />

Annales monastici, LUARD, H. R. (éd.), 1864. Le 5 volume est consacré à l’index et au glossaire.<br />

171<br />

Lettre de Guillaume de Treignac, prieur de Grandmont à Henri II, roi d’Angleterre, dans Recueil des<br />

actes d’Henri II , I, p. 471, n°XVI.<br />

172<br />

HEATHCOTE, S. J., « The Letter Collection attributed to Master Transmundus, papal notary and<br />

monk <strong>of</strong> Clairvaux in the twelfth century », Analecta Cisterciensia, 21 (1965) p.177. n°18; également<br />

dans MIGNE, J. P., Patrologiae cursus completus seu bibliotheca universalis, integra, uniformis,<br />

commoda, oeconomica, omnium ss. patrum, doctorum scriptorumque ecclesiasticorum, 1844-1865,<br />

CCIV, p. 219.<br />

173<br />

LACHAUD, F., « Le Liber de principis instructione de Giraud de Barry », dans Le Prince au miroir de<br />

la littérature politique de l'Antiquité aux Lumières, 2007.<br />

174<br />

GIRAUD DE BARRI, Opera. 5, Topographia hibernica et expugnatio hibernica, 1861-1891.<br />

55


ethnographique, oublié depuis l’Antiquité, dans une perspective géographique 175 . Dans<br />

le détail, et au-delà des descriptions sociales qui dominent ces œuvres, elles apportent<br />

quelques éléments pour une géographie de l’empire Plantagenêt. Son éviction de la<br />

cour, en 1196, va cependant entacher de ressentiment le reste de son œuvre et surtout<br />

son De Principis Instructione Liber 176 . Tandis que le premier volet est un véritable<br />

« miroir au prince », la seconde partie est plutôt à mi chemin entre chronique et récit<br />

merveilleux 177 . Il y dépeint une image des princes angevins au vitriol, dénonçant la<br />

violence de leur mode de gouvernement en opposition à la sérénité du règne des<br />

Capétiens 178 .<br />

Outre une carrière très similaire, Walter ou Gauthier Map (c.1130 – 1209-10) et<br />

Pierre de Blois (v. 1096/1100-1171) 179 partagent avec Giraud de Barri une vision de la<br />

vie de la cour qu’ils décrivent de manière critique (Giraud) ou satirique (Gauthier).<br />

Dans son De Nugis Curialium, qui se présente comme une collection d’anecdotes sur<br />

les courtisans (curiales) d’Henri II, Gauthier Map assume le rôle du clerc au service du<br />

monde laïc, pr<strong>of</strong>ondément suspicieux des ordres religieux à l’exception des<br />

Chartreux 180 . Leur thème commun reste donc l’attitude d’Henri II envers l’Église, un<br />

sujet devenu crucial après le meurtre de Becket 181 .<br />

Pour finir, bien d’autres auteurs pourraient être évoqués pour leurs écrits<br />

satyriques ou moraux sur le règne de Henri II, et pour le regard qu’ils jettent sur la<br />

manière dont il a exercé le pouvoir 182 . Le Polycraticus de Jean de Salisbury reste,<br />

cependant, le plus célèbre et le plus intéressant pour sa représentation de la société<br />

politique et de ses mécanismes 183 . Le Polycraticus est construit à partir d’une réflexion<br />

175 GIRAUD DE BARRI, Opera. 6, Itinerarium Kambriae et descriptio Kambriae, 1861-1891.<br />

176 GIRAUD DE BARRI, Opera. 8, De principis instructione Liber, 1891.<br />

177 LACHAUD, F., « Le Liber de principis instructione de Giraud de Barry », dans Le Prince au miroir de<br />

la littérature politique de l'Antiquité aux Lumières, 2007.<br />

178 GRANSDEN, A., Historical Writing in England, 1998, p. 244-46.<br />

179 PIERRE DE BLOIS, « Dialogus inter regem Henricum secundum et abbatem Bonevallis, ed. R.B.C<br />

Huygens », Revue benedictine, 68 (1958), p. 87-113.<br />

180 GAUTHIER MAP, De nugis curialium / Courtiers' trifles, 1983; BROOKE, C. N. L., « Walter Map »,<br />

DNB.<br />

181 GRANSDEN, A., Historical Writing in England, 1998, p. 242-44.<br />

182 TÜRK, E., Nugae curialium : Le règne d'Henri II Plantegenêt ( 1145-1189) et l'éthique politique,<br />

1977.<br />

183 Il existe différentes éditions notamment en anglais : JEAN DE SALISBURY, Policraticus. Of the<br />

Frivolities <strong>of</strong> Courtiers and the Footprints <strong>of</strong> Philosophers, 1990 ; JEAN DE SALISBURY, The<br />

Statesman's Book <strong>of</strong> John <strong>of</strong> Salisbury, Being the Fourth, Fifth, and Sixth Books, and Selections from the<br />

Seventh and Eighth Books, <strong>of</strong> the Policraticus, 1963 [1927]. La seule traduction en ancien français est<br />

celle des livres I-IV et VIII de JEAN DE SALISBURY, Policratique I-III, 1994 [1372]; JEAN DE<br />

SALISBURY, Policratique IV et VIII. Tyrans, princes et prêtres, 1987 [1372], L’édition en latine se<br />

trouve dans MIGNE, J. P., Patrologiae cursus completus seu bibliotheca universalis, integra, uniformis,<br />

56


sur des auteurs latins qui occupent les premiers livres. Dans les livres IV, V et VI, il<br />

adapte ensuite ces théories pour décrire la structure politique de l’empire Plantagenêt<br />

selon un modèle organiciste dont il prévoit les dérives d’autonomie des membres et<br />

donc de la démultiplication « polycratique » du pouvoir 184 . Il ne s’agit donc pas à<br />

proprement parler d’un miroir au prince, mais bien de l’un des premiers traités de<br />

théorie politique du Moyen Âge 185 . Malgré son manque de cohérence générale, la<br />

théorie de la monarchie que Jean de Salisbury y développe permet d’envisager la<br />

politique de Henri II, en matière de construction, à l’aune des concepts de Corona et de<br />

res publica. Si Henri II connaissait ce traité rédigé vers 1159, dans quelle mesure<br />

participa-t-il à l’intelligibilité qu’il avait de son empire ? Jean de Salisbury n’en restait<br />

en effet pas moins un auteur critique, bien qu’admiratif de son mode de gouvernement,<br />

d’Henri II et de sa cour.<br />

Cet aperçu des sources narratives ne saurait constituer un tableau exhaustif des<br />

matériaux disponibles pour cette étude 186 . D’autres récits, non évoqués ici, mais de<br />

même nature, ont parfois fait l’objet d’une utilisation ponctuelle, parfois très limitée et<br />

superficielle, destinée à enrichir l’analyse principalement effectuée à partir des comptes<br />

des institutions anglo-normande. La possibilité d’une telle approche peut s’expliquer par<br />

la caractéristique commune que possèdent ces sources : tous les manuscrits ont déjà fait<br />

l’objet d’une édition voire d’une réédition depuis le début du XIX e siècle. La précocité<br />

de ces documents, leur importance pour l’étude des institutions et du pouvoir ainsi que<br />

l’efficacité de l’activité éditoriale anglaise – en particulier de la Pipe Roll Society et des<br />

Rerum britannicarum medii aevi scriptores – et dans une moindre mesure, des<br />

archivistes français (Léopold Delisle, Henri Delaborde, entre autres), sont les<br />

principales explications de cet état de fait. En outre, l’efficacité de l’édition anglaise<br />

n’est pas confinée au traitement des textes : les recherches sur les monuments<br />

britanniques ont également donné d’importants résultats et notamment en matière<br />

d’inventaire.<br />

commoda, oeconomica, omnium ss. patrum, doctorum scriptorumque ecclesiasticorum, 1844-1865,<br />

CLXXXIX, col. 0379-0822D (accessible en ligne).<br />

184<br />

SASSIER, Y., Royauté et idéologie au Moyen Âge : Bas-Empire, monde franc, France : IVe-XIIe<br />

siècles, 2002, p. 267-69.<br />

185<br />

BARRAU, J., « Ceci n’est pas un miroir, ou le Policraticus de Jean de Salisbury », dans Le Prince au<br />

miroir de la littérature politique : de l'Antiquité aux Lumières, 2007.<br />

186<br />

Je renvoie notamment aux chapitres II et III de CHAUOU, A., L'idéologie Plantagenêt : royauté<br />

arthurienne et monarchie politique dans l'espace Plantagenêt, XIIe-XIIIe siècles, 2001 pour un meilleur<br />

aperçu.<br />

57


1.4- L’analyse monumentale au travers de la documentation<br />

archéologique : une approche limitée<br />

Si l’essentiel de cette étude repose sur la documentation écrite médiévale,<br />

certains aspects des constructions des Plantagenêt ont également fait appel<br />

ponctuellement aux résultats de fouilles archéologiques. Ceux-ci ont notamment permis<br />

de compenser la disparité entre les documentations anglaises et continentales et<br />

d’appr<strong>of</strong>ondir la connaissance de nombreux sites. L’usage d’informations d’origine<br />

archéologique a particulièrement concerné l’élaboration du recensement des sites<br />

Plantagenêt. Contrairement aux îles britanniques où les inventaires des sites médiévaux<br />

constituent désormais des bases de données bien fournies grâce au dynamisme des<br />

recherches amatrices et savantes, en France, on manque encore d’inventaires détaillés<br />

des monuments médiévaux, qu’ils soient castraux, monastiques ou ecclésiastiques.<br />

Malgré la longue tradition de l’Inventaire général qui remonte à la fin du XVIII e siècle,<br />

lorsque les érudits, relayés par les académies de provinces, commencent à publier leurs<br />

recherches sur les vestiges des monuments témoins d’une France disparue avec la<br />

Révolution, le genre des statistiques départementales n’a pas vraiment connu un succès<br />

florissant. La Normandie fut pourtant le premier laboratoire d’élaboration de<br />

Statistiques grâce à l’influence des érudits anglais, dont la curiosité pour le Moyen Âge<br />

avait perduré tout au long de l’époque moderne. Ainsi en 1810, sont publiés<br />

simultanément Les Monuments de la Manche de Charles Duhérissier de Gerville (1769-<br />

1854) qui est toujours en exile en Angleterre et The Architectural Antiquities <strong>of</strong><br />

Normandy de Dawson Turner de John Sell Cotman. Quelques années plus tard, en 1826,<br />

est fondée sur le modèle de la Société des Antiquaires de Londres qui existait depuis<br />

1707, la Société des Antiquaires de Normandie par, entre autres, l’abbé de La Rue,<br />

Auguste Leprévost, Amédée-Louis Léchaudé d’Anisy et Arcisse de Caumont 187 . Ce<br />

dernier, considéré comme le fondateur de la science archéologique en France, publie en<br />

1824 un Essai sur l’architecture religieuse du Moyen Âge, principalement en<br />

Normandie dans lequel il tente un classement chronologique des monuments et<br />

rassemblent une documentation considérable. Dix ans plus tard, il est le fondateur de la<br />

Société française d’Archéologie pour la conservation et la description des Monuments<br />

Historiques, un objectif que François Guizot étend au territoire national en 1837. La<br />

mission d’information et de diffusion de la commission se matérialise par l’organisation<br />

187 ERLANDE-BRANDENBURG, A., « La Normandie à la recherche de son passé », dans Les abbayes<br />

Normandes. Les monuments historiques de la France, 1979, p. 2-4.<br />

58


annuelle de congrès archéologiques et la création en 1835 la revue Bulletin<br />

Monumental, deux publications qui constituent toujours aujourd’hui des références<br />

essentielles dans ce domaine. Cependant, le projet de recenser méthodiquement tous les<br />

monuments historiques fut rapidement abandonné, tant la tâche paraissait utopique 188 .<br />

La commission recentra donc ses fonctions autour de la protection et de la restauration<br />

des monuments en confiant cette tâche à des architectes, dont les plus célèbres sont<br />

Auguste Choisis, Viollet-le-Duc ou encore pour la Normandie, Eustache Hyacinthe<br />

Langlois et Louis Sauvageot. Toutes les entreprises de restauration se sont<br />

accompagnées d’une étude historique et les connaissances techniques qu’ils ont<br />

apportées ont permis l’élargissement des approches monumentales. Malgré les<br />

tentatives du marquis de Chennevières en 1870-71 pour relancer « l’inventaire général<br />

des monuments et des richesses artistiques de la France », le projet tourne court et<br />

l’initiative est finalement laissée aux sociétés savantes locales. Ce n’est qu’avec<br />

l’institution d’un ministère des Affaires Culturelles confiée à André Malraux que le<br />

projet redémarre en 1964. Les recherches sont confiées à un département des Directions<br />

Régionales des Affaires Culturelles dont les fonds documentaires, aussi bien<br />

photographiques que bibliographiques, sont parfois mis en valeur par des publications<br />

mais surtout par la mise en ligne d’une base de données : Mérimée 189 . Une base<br />

similaire existe aussi en Angleterre sur le site de English Heritage qui possède les<br />

mêmes missions de recensement, de conservation et de publication que l’inventaire<br />

général 190 . En produisant des outils de recherche accessibles sur Internet, la recherche<br />

sur le petit patrimoine local en Grande Bretagne apparaît particulièrement dynamique.<br />

En France, la tradition d’historiographie régionaliste a permis la publication de travaux<br />

universitaires dans lesquels l’inventaire des sites constitue une part non négligeable des<br />

études. Parmi ces travaux sur l’espace et la période qui nous intéresse, on peut citer<br />

ceux d’André Debord pour la Charente 191 , de Marie-Pierre Baudry pour le Poitou 192 , de<br />

188 CHASTEL, A., « L'invention de l'inventaire: éditorial », La Revue de l'Art, 87 (1990), p. 8-11.<br />

189 url : http://www.culture.gouv.fr/culture/inventai/patrimoine/.<br />

190 Il y a la base de données archéologiques : url : http://ads.ahds.ac.uk/catalogue/search/basic.cfm et la<br />

base de données photographiques : url : http://ads.ahds.ac.uk/catalogue/search/basic.cfm. On peut<br />

également signaler la base de données de la Northern Ireland Sites and Monuments Record (url :<br />

http://www.ehsni.gov.uk/other-index/content-databases/content-databases-nismr/content-databasesnismrsearch.htm)<br />

ainsi qu’un certain nombre de bases de données de sociétés d’érudits locaux,<br />

particulières dynamiques : notamment The comprehensive gazetteer <strong>of</strong> the medieval fortifications and<br />

castles <strong>of</strong> England and Wales : (url : http://homepage.mac.com/philipdavis/lists.html). Il n’en existe<br />

aucun équivalent français.<br />

191 DEBORD, A., La société laïque dans les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles. 1984<br />

192 BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts en Poitou, 1154-1242, 2001.<br />

59


Jacques Gardelles pour l’Aquitaine 193 , Bruno Phalip pour l’Auvergne 194 , plus<br />

récemment de Michel Brand’honneur pour la Bretagne 195 , de Frédéric Boutoulle pour la<br />

Gascogne 196 , et de Maïté Billoré pour la Normandie 197 . Depuis les années 1970, avec<br />

l’essor de l’archéologie et la castellologie médiévales, d’importantes réévaluations ont<br />

été faites depuis les travaux d’André Châtelain 198 , mais les inventaires comme ceux de<br />

Jean Mesqui 199 , Pierre Barbier 200 ou de Charles-Laurent Salch 201 apparaissent toujours<br />

bien imprécis, pour la période qui nous intéresse, comparés aux publications d’A. R.<br />

Brown et notamment des King’s Work 202 de David King 203 , de Derek Reen 204 ou de<br />

David Knowles et Richard N. Hadcock pour les établissements religieux d’Angleterre et<br />

du Pays de Galles 205 . Il existe néanmoins un certain nombre de publications<br />

monographiques et thématiques concernant un grand nombre de sites « Plantagenêt »,<br />

qui permettent de combler les lacunes de la seule documentation écrite. Les travaux<br />

193 GARDELLES, J., Les Châteaux du Moyen âge dans la France du Sud-Ouest : la Gascogne anglaise<br />

de 1216 à 1327, 1972.<br />

194 PHALIP, B., Seigneurs et bâtisseurs, 2000.<br />

195 BRAND'HONNEUR, M., Manoirs et châteaux dans le comté de Rennes, 2001; BRAND'HONNEUR,<br />

M., « Le château et la motte du IXème au XIIème siècle, une clé d'analyse de la société féodale :<br />

l'exemple du comté de Rennes », Thèse de doctorat, 2005, Atelier national de reproduction des thèses,<br />

Lille.<br />

196 BOUTOULLE, F., Le duc et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au<br />

XIIe siècle, 2007.<br />

197 BILLORÉ, M., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe - début XIIIe siècles). De l'autocratie<br />

Plantagenêt à la domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de Martin Aurell, 2005, non<br />

publiée notamment son volume d’annexe qui contient un inventaire des châteaux médiévaux du pays de<br />

Caux.<br />

198 CHÂTELAIN, A., Donjons romans des pays d'Ouest : étude comparative sur les donjons romans<br />

quadrangulaires de la France de l'Ouest, 1973; Le C.E.S.C.M. et le C.R.A.H.M sont les principaux<br />

éditeurs de ces recherches d’archéologie et de castellologie. Nombre de rapport de fouilles restent<br />

cependant non publiés et donc difficilement accessible pour une étude comparée.<br />

199 MESQUI, J., Châteaux et enceintes de la France médiévale : de la défense à la résidence. 1, Les<br />

organes de la défense, 1991; MESQUI, J., Châteaux et enceintes de la France médiévale, de la défense à<br />

la résidence. 2, La résidence et les éléments d'architecture, 1993; MESQUI, J., Châteaux forts et<br />

fortifications en France, 1997.<br />

200 BARBIER, P., La France féodale. Châteaux-forts et églises fortifiés, 1968.<br />

201 SALCH, C. L. et MARTINEZ, D., Dictionnaire des châteaux et des fortifications du Moyen Age en<br />

France, 1987.<br />

202 BROWN, R. A., English medieval castles, 1954; BROWN, R. A., « Royal Castle-Building in England,<br />

1154-1216 », E.H.R., 70: 276 (1955), p. 353-398; COLVIN, H. M.; BROWN, R. A. et TAYLOR, A. J.,<br />

The History <strong>of</strong> the King's Works, 1963.<br />

203 KING, D. J. C., The castle in England and Wales : an interpretative history, 1991; KING, D. J. C.,<br />

Castellarium Anglicanum. An <strong>Index</strong> and Bibliography <strong>of</strong> the Castles in England, Wales and the Islands,<br />

1983.<br />

204 RENN, D. F., Norman castles in Britain, 1968 voir aussi ABERG, F. A. et BROWN, A. E., Medieval<br />

Moated Sites in North West Europe, 1981.<br />

205 KNOWLES, D. et HADCOCK, R. N., Medieval Religious Houses : England and Wales, 1971.<br />

60


d’Anne-Marie Flambard-Héricher sur la Normandie sont à ce titre incontournables 206 .<br />

Depuis les années 1960, les publications des rencontres de « Château Gaillard »<br />

permettent également de suivre l’évolution de l’historiographie de l’archéologie des<br />

châteaux à un niveau international 207 .<br />

La construction d’un inventaire des « sites Plantagenêt » s’est donc appuyée sur<br />

toutes ces diverses publications, intégrant, lorsque c’était possible des données<br />

archéologiques aux informations des documents écrits (état de conservation des sites en<br />

particulier et caractéristiques principales). L’usage de la documentation monumentale a<br />

cependant été ponctuel et s’est notamment limité aux études publiées. Une véritable<br />

investigation archéologique de ces chantiers constitue l’objet d’une thèse propre, dont<br />

l’intérêt est loin d’être marginal : en effet, l’analyse comparée des chantiers attribués<br />

aux Plantagenêt sur le continent et sur les îles permettrait d’évaluer les coûts des<br />

constructions continentales, et viendrait ainsi rajuster le déséquilibre criant entre ces<br />

deux espaces 208 .<br />

Finalement, l’organisation du corpus documentaire de cette étude peut être<br />

résumée selon la hiérarchisation suivante : tandis que les documents narratifs et sur les<br />

monuments ont été utilisés de manière ponctuelle, dans une perspective<br />

d’appr<strong>of</strong>ondissement d’une thématique, la documentation institutionnelle a fait l’objet<br />

d’une analyse plus systématique. La nature comptable des rouleaux de l’Échiquier<br />

incitait en particulier à traiter par l’informatique et la statistique la masse des<br />

informations contenues. La partie suivante est donc consacrée à la présentation des<br />

méthodes utilisées et leur apport dans le cadre de cette recherche sur la politique de<br />

construction des Plantagenêt.<br />

206 Voir sa bibliographie publiée dans LALOU, E.; LEPEUPLE, B. et ROCH, J. L. (eds.), Des châteaux et<br />

des sources. Archéologie et histoire dans la Normandie médiévale mélanges en l'honneur d'Anne-Marie<br />

Flambard Héricher, 2008, p. 17-25, FLAMBARD HÉRICHER, A. M., « Le "Vieux Château" de<br />

Vatteville-la-Rue (Seine-Maritime), première approche archéologique », dans Château Gaillard, 17:<br />

Etudes de castellologie médiévale, 1996, p. 85-89; FLAMBARD HÉRICHER, A. M., « La construction<br />

dans la basse vallée de la Seine: l'exemple du château de Vatteville-la-Rue », dans Château Gaillard, 18:<br />

Etudes de castellologie médiévale, 1998, p. 93-102; FLAMBARD HÉRICHER, A. M., « Fortifications de<br />

terre et résidences en Normandie (XIe-XIIIe siècles) », dans Château Gaillard, 20: Etudes de<br />

castellologie médiévale, 2002, p. 87-100.<br />

207 Château Gaillard, études de castellologie européenne. 1. Actes du colloque international du Château-<br />

Gaillard, Les Andelys, 30 mai-4 juin 1962, 1964; Château-Gaillard, études de castellologie médiévale. 23.<br />

Actes du colloque international de Houffalize (Belgique), 4-10 septembre 2006, 2008.<br />

208 Il s’agit d’ailleurs de l’objet de la thèse d’archéologie en cours de Paul Languevin sous la direction<br />

d’Etienne Hubert (EHESS).<br />

61


2- Outils méthodologiques : informatique et statistiques<br />

Le dépouillement des rouleaux de l’administration anglo-normande a été<br />

effectué au travers de leur formalisation informatique. Cette méthode s’est imposée non<br />

seulement parce qu’elle permettait une exploitation statistique des différents types<br />

d’informations, selon plusieurs types de questionnaires, mais aussi parce que la nature<br />

de la source s’y prêtait particulièrement bien. La construction d’une base de données 209<br />

ne se limite pas à une simple transcription des « sources », mais constitue une<br />

« collection de données scientifiquement construite », couramment appelée<br />

« métasource » 210 . La formalisation des données dans cette métasource permet de les<br />

traiter comme des informations formant un système clos. Elles doivent donc être<br />

construites avec soin, organisées consciemment, afin que la mesure des résultats puisse<br />

toujours être rapportée à la réalité des sources. À travers la description de cette base de<br />

données, de la structure de ses tables et de leurs relations, il s’agira donc de justifier les<br />

choix méthodologiques qui ont présidé à son élaboration, en fonction des objectifs visés<br />

par cette étude. Quelques analyses statistiques effectuées à partir du codage des<br />

informations seront également présentées afin d’indiquer leur dimension heuristique et<br />

les applications cartographiques qui ont orienté nombre des investigations menées au<br />

cours de cette étude sur les constructions des Plantagenêt 211 .<br />

2.1- Présentation de la base de données PLANTAGENÊT<br />

Le tableau 1 représente un schéma général des tables et les relations établies<br />

entre elles, qui composent la base de données PLANTAGENET 212 . Il faut différentier<br />

trois types d’entités : celles issues du dépouillement des sources, celles qui composent<br />

l’inventaire des lieux et celle des itinéraires.<br />

209<br />

Le choix d’Access (Micros<strong>of</strong>t Office) comme logiciel de traitement de ces données a été considéré<br />

comme le plus pratique.<br />

210<br />

GENET, J.-P., « Histoire, Informatique, Mesure », Histoire et mesure, 1:1 (1986), p. 7-18, p. 8.<br />

211<br />

Tous les résultats doivent beaucoup à l’aide précieuse de Stéphane Lamassé, en particulier, et en<br />

général de toute l’équipe du PIREH de <strong>Paris</strong> 1, sans lequel la formalisation informatique de certaines<br />

requêtes n’aurait pu être possible. Sa compétence pour traduire en langage informatique les modalités<br />

d’analyses imaginées et pour corriger les tentatives menées dans cette direction, ainsi que sa disponibilité<br />

pour m’initier à l’utilisation des logiciels ont donc été fondamentales. Qu’il en soit vivement remercié.<br />

212<br />

La base de données Plantagenêt est téléchargeable à sur un site web l’adresse suivante :<br />

http://fannymadeline.free.fr/doctorat/index.htm<br />

62


Tableau 1 : arbre relationnel de la base de données PLANTAGENET<br />

2.1.1- Les tables des sources<br />

Les informations contenues dans les comptes des Échiquiers et dans les lettres<br />

royales ont été importées dans deux tables distinctes (respectivement les tables<br />

ROULEAUX et LITTERAE), parce qu’elles ne présentaient pas des structures<br />

documentaires identiques. La table ROULEAUX enregistre 5910 entrées concernant les<br />

dépenses pour les travaux et pour le paiement des agents (ouvriers ou gardiens)<br />

63


oeuvrant dans les châteaux et demeures royales (ou sous la protection du roi) en<br />

Angleterre de 1156 à 1216 et en Normandie de 1180 à 1202.<br />

Ces tables comportent deux types de champs distincts, qui distinguent informations de<br />

saisie et information de codage 213 :<br />

- les champs de saisie des sources, qui tiennent compte de la valeur formelle des<br />

documents (l’orthographe des noms d’individus et de lieux)<br />

- les champs de codage qui formalisent et normalisent les différentes<br />

formulations afin de pouvoir les traiter statistiquement.<br />

Ce dédoublement des champs s’impose pour des raisons à la fois pratiques et de<br />

prudence : d’abord la retranscription la plus fidèle possible d’un terme dans un champ<br />

permet en effet une plus grande rapidité de dépouillement, mais nécessite un travail<br />

ultérieur de recoupement avec les noms normalisés. Cette méthode possède également<br />

l’avantage de permettre des corrections et des réinterprétations successives<br />

d’informations (les toponymes et anthroponymes latins en particulier) qui ne sont pas<br />

toujours intelligibles d’emblée (certains restent d’ailleurs non identifiés). Cette seconde<br />

étape constitue donc un véritable moment de recherche en soi où l’on prend contact<br />

avec son sujet et où naissent de nombreuses questions.<br />

Les tables n’<strong>of</strong>frent donc pas une simple répartition des informations de la<br />

source dans des champs ; seuls ceux qui sont dans la langue des sources (latin)<br />

contiennent ces informations (à l’exception des montants qui ont été directement<br />

transcrits dans des champs numériques en chiffre arabe pour faciliter les calculs). Les<br />

autres champs (en français) contiennent la normalisation des informations 214 . Ainsi, la<br />

table ROULEAUX possède des champs de transcription, tels que le champ « objet » qui<br />

comprend le contenu des ordres royaux correspondant à une dépense, et des champs<br />

d’analyse permettant un recoupement d’information et de codage. Ces derniers peuvent<br />

être classés selon la typologie suivante :<br />

- champs de référence (année de règne, page)<br />

- champ d’informations chrono-géographiques (date, lieux)<br />

- champs codant les informations de la dépense (tâche, fonction des agents, types<br />

de paiement) 215<br />

213 LEMERCIER, C. et ZALC, C., Méthodes quantitatives pour l'historien, 2007, p. 34-41.<br />

214 Dans la table ROULEAUX cependant, plusieurs entrées dans le champ « affermages » apparaissent en<br />

français. Ces entrées correspondent à des expressions visant à résumer une trop longue énumération de<br />

droits, dont le détail n’a pas été considéré comme vital à l’analyse d’ensemble.<br />

215 Les principes de codage des tables seront développés plus bas.<br />

64


L’inconvénient de ce processus de segmentation du contenu en différents champs réside<br />

dans le bouleversement de l’ordre syntaxique des séquences. Cependant, la forme très<br />

conventionnelle d’écriture des comptes et sa régularité en font des sources supportant<br />

particulièrement bien ce type de fractionnement.<br />

On peut d’emblée faire quelques remarques sur le contenu de ces champs et les<br />

difficultés rencontrées. Le champ qui contient l’« objet » du paiement est assez variable.<br />

Il se réduit parfois à la simple mention in operatione castri mais peut aussi contenir la<br />

description de l’ensemble des opérations destinées à faire fonctionner un chantier. Ainsi<br />

en 1211, Hugues de Nevill dépense pour le roi £72 5s. 6d.<br />

in operatione palitii et pontis tornatilis castri de M[erlebergam] et in<br />

rogo faciendo et cingula circa mota et barcecana ante portam turris<br />

et pro magna camera cooperienda et pro alia camera plumbata<br />

discooperienda et recooperienda et in magna coquina cooperienda et<br />

pro muro castri reparando et fenestis aule parandis et in domibus<br />

castri reficiendis 216 .<br />

La quantité des informations pose notamment problème pour le processus de<br />

normalisation. Afin de conserver un maximum d’information malgré le codage, une<br />

table MOTS CLES a été créée, contenant plus de 300 mots décrivant le contenu de ce<br />

champ. Elle permet ainsi de consulter la table source à partir d’une recherche par termes<br />

en français et en latin.<br />

La table des LITTERA enregistre 378 ordres de travaux et paiements émis par la<br />

chancellerie et conservés de manière discontinue entre 1200 et 1215. Elle recouvre<br />

plusieurs types de sources (lettres patentes, lettres closes, brefs, chartes) dont la<br />

structure syntaxique conventionnelle est assez homogène. Contrairement aux comptes<br />

où l’ordre des mots est relativement stable, la table LITTERA est celle où l’ordre des<br />

propositions dans les phrases a été le plus modifié. C’est le cas notamment des lettres<br />

qui comprenaient plusieurs types d’ordres différents. Dans ce cas, toutes les<br />

retranscriptions n’ont pas conservé systématiquement l’intégralité du texte, mais ont<br />

seulement sélectionné le passage concerné. Les coupes effectuées sont alors signalées<br />

par des parenthèses : (…), contrairement aux crochets : […] qui signalent les lacunes<br />

propres au document. Il faut cependant indiquer que les coupes effectuées ne concernent<br />

216 PR 13 Jean, p. 83 : « pour les travaux des palissades du pont-levis du castrum de Marlborough et pour<br />

faire un four et une enceinte autour de la motte et une barbacane devant la porte de la tour et pour couvrir<br />

la grande chambre et pour découvrir et recouvrir de plomb l’autre chambre et pour couvrir la grande<br />

cuisine et pour réparer les murs du castrum et orner les fenêtres de la aula et faire des réparations dans les<br />

maisons du castrum ».<br />

65


jamais des éléments qui influent sur le montant final. Par exemple, lorsque les lettres<br />

comprennent plusieurs ordres de paiement mais un montant total, tous les éléments ont<br />

été conservés, afin d’éviter d’attribuer le montant total aux seules constructions. Le<br />

montant alloué au destinataire n’est pas systématiquement mentionné. Lorsqu’il l’est, le<br />

montant a été retranscrit dans le champ objet sous sa forme initiale puis retranscrit sous<br />

forme numérique dans les champs livres (£), sous (s.), deniers (d.), afin de permettre des<br />

calculs rapides.<br />

Exemple d’entrée de la table LITTERA :<br />

type<br />

d'acte<br />

contre<br />

bref<br />

an date page destinataire<br />

2 1200 27<br />

Willelmo de<br />

Rupibus<br />

senescallus<br />

Andegavium<br />

salutem<br />

type<br />

d'ordre<br />

Computate<br />

concerné objet<br />

preposito<br />

de<br />

Chinon<br />

XXV lib. et VII s. et<br />

II d. quod ipse<br />

posuit in ingeniis<br />

nostris faciendis<br />

per magistrum<br />

Urricum<br />

teste place date responsabilité LIEU £ s d mots clefs<br />

Teste me<br />

ipso<br />

apud Chinon XXV<br />

die Juni<br />

Maître Urric Chinon 25 7 2 machines<br />

Plusieurs autres tables qui n’ont pas été mises en relations contiennent<br />

principalement des détails, permettant de compléter et de recouper les informations<br />

contenues dans les tables « sources ». Une table « mines de plomb », par exemple, a été<br />

créée distinctement de la table ROULEAUX, parce qu’il s’agissait de mettre en valeur<br />

le lien entre l’objet d’une ferme, son montant et ses modes d’acquittement ou de non<br />

acquittement. Cette relation, en revanche avait peu de sens pour les entrées enregistrées<br />

dans la table ROULEAUX, puisque les dépenses indiquées ne représentaient le plus<br />

souvent qu’une infime part du recouvrement de la ferme. En enregistrant la part<br />

remboursée au trésor et les autres modes d’acquittement de la ferme des mines, cette<br />

table permet de comprendre comment étaient gérées ces ressources matérielles<br />

(quantités de plomb) mais aussi humaines (agents qui possédaient les charges<br />

affermées). L’état des dettes des fermiers révèle, par exemple, les difficultés liées à<br />

l’organisation des droits et des produits des mines du plomb, un élément indispensable<br />

pour comprendre la politique de gestion de cette ressource par les Plantagenêt (voir<br />

chapitre 6).<br />

Les tables sources sont reliées à deux autres tables dites d’inventaire, car elles<br />

permettent de sélectionner les informations selon deux critères: les lieux mentionnés et<br />

les agents mobilisés qui sont inventoriés dans ces deux entités.<br />

66


2.1.2- Les tables d’inventaire<br />

La table SITES PLANTAGENET<br />

La table SITES recense des lieux de plusieurs types : les centres connus des<br />

domaines royaux, ducaux ou comtaux, les résidences royales permanentes et<br />

temporaires, les étapes qui constituent l’itinéraire des Plantagenêt ainsi que les chantiers<br />

pour lesquels des dépenses de travaux ont été enregistrées dans les comptes de<br />

l’Échiquier ou qui leur sont attribuées. Elle comporte également les places prises ou<br />

détruites par les Plantagenêt au cours de la période. Les informations contenues dans<br />

cette table ne prétendent nullement à l’exhaustivité, mais accusent au contraire<br />

d’importantes lacunes que seule une recherche appr<strong>of</strong>ondie à la fois documentaire et<br />

archéologique sur chaque site permettrait de compléter. Elle doit donc se concevoir<br />

moins comme un inventaire complet des « sites Plantagenêt » qu’une tentative pour en<br />

proposer un recensement minimal.<br />

Cette table, qui comporte près de 1400 entrées, regroupe à la fois des sites<br />

castraux, des établissements religieux, des loges de chasse, mais aussi des<br />

infrastructures diverses (ponts, digues, enceintes, etc). Les champs qui la comportent<br />

sont de trois catégories :<br />

- les champs d’identification (région, nom, lieux, date de construction ou de<br />

fondation pour les établissements religieux, noms de ses possesseurs/ fondateurs, etc.)<br />

- les champs liés à l’activité des Plantagenêt dont certains sont codés (dates de<br />

siège ou de destruction, nombre de passages par règne, nature des travaux exécutés,<br />

montants des dépenses en deniers pour chaque règne et au total, etc.)<br />

- les champs descriptifs et de référence (caractéristiques archéologiques, autres<br />

types d’intervention, bibliographie) qui restent incomplètement renseignés, dans la<br />

mesure où la documentation secondaire est si nombreuse et diverse qu’il était<br />

impossible de la parcourir entièrement.<br />

La table AGENTS<br />

La table AGENTS a pour fonction d’établir les bases pour une prosoprographie<br />

du personnel affilié aux châteaux et aux chantiers des Plantagenêt. Si tous les individus<br />

mentionnés constituent une entrée de cette table – qui en comporte au total, plus de<br />

2440 – seuls les individus ayant les carrières les plus significatives seront étudiés. Il<br />

s’agira donc surtout de mettre en série des trajectoires individuelles dans le cadre de<br />

l’administration des châteaux royaux afin de mesurer le caractère singulier ou<br />

67


symptomatique des carrières pr<strong>of</strong>essionnelle et sociale (voir chapitre 6). Cette table est<br />

composée de la manière suivante :<br />

- des champs d’indentification (numéro de référence, prénom, nom, variantes<br />

latines du nom)<br />

- des champs de caractérisation (fonctions exercées et fréquence d’apparition<br />

dans les tables sources) construits notamment à partir des données du champ « note »<br />

qui résume les informations provenant de listes ou de prosoprographies déjà établies 217 .<br />

Les références de ces informations sont alors données dans le champ « bibliographie ».<br />

Les fréquences d’apparition des agents dans la table ROULEAUX font ressortir<br />

36 individus au moins mentionnés plus de 50 fois (voir tableau ci-dessous) et 260<br />

individus mentionnés 10 fois ou plus.<br />

Tableau 2 des individus apparaissant le plus souvent dans les tables sources<br />

Prénom NOM freq prénom NOM freq<br />

Galfridus filius Petri 183 Robertus Maldon 70<br />

Willelmus de Enemeda 180 Brianus de Insula 68<br />

Willelmus Briewerre 179 Henricus Medicus 66<br />

Hugo de Nevill 143 Godwinus Infantis 66<br />

Philippus de Pesingis 136 Joseph de Dovra 66<br />

Hugo Bardulf 135 Hugo de Gundevilla 62<br />

Willelmus filius Helt 112 Wimarus capellanus 61<br />

Reginaldus de Cornhill 112 Gervasius de Cornhill 61<br />

Willelmus filius Alani 99 Hugo Pantulf 61<br />

Wido Extraneus 96 Simon de Pateshella 60<br />

Johannes filius Hugoni 92 Elyas de Oxineford magister 60<br />

Radulf Murdach 86 Willelmus de Bellocampo 58<br />

Alan de Valeines 85 Willelmus de Cantelu 58<br />

Willelmus filius Ysabel 79 Rogerus filius Reinfridi 55<br />

Ricardus de Wintonia 78 Robertus filius Bernardi 53<br />

Robertus de Veteri Ponte 76 Galfridus cambitor 52<br />

Tomas de Erdinton 75 Galfridus filius Aze 50<br />

Alnodus ingeniatoris 75<br />

Willelmus filius Radulfi 74<br />

217 En particulier BOORMAN, J., « The sheriffs <strong>of</strong> Henry II and their role in civil litigation 1154-89 », ,<br />

1989; FOSS, E., Biographia juridica : a biographical dictionary <strong>of</strong> the judges <strong>of</strong> England from the<br />

conquest to the present time, 1066-1870, 1999; JOLLIFFE, J. A., « The Camera Regis under Henry II »,<br />

E.H.R., 68: 268 (1953), p. 1-21; TURNER, R. V., « The Judges <strong>of</strong> King John: Their Background and<br />

Training », Speculum, 51: 3 (1976), p. 447-461; TURNER, R. V., Men Raised from the Dust.<br />

Administrative Service and Upward Mobility in Angevin England, 1988; BOISSONNADE, P.,<br />

« Administrateurs laïques et ecclésiastiques anglo-normands en Poitou à l’époque d’Henri II<br />

Plantagenêt », Bulletin de la société des Antiquaires de l’Ouest, 2 (1919), p. 156-190; ROUND, J. H., The<br />

King's Serjeants & Officers <strong>of</strong> State with their Coronation Services, 1971.<br />

68


L’individu le plus souvent mentionné est Ge<strong>of</strong>frey FitzPeter, le Justicier en chef<br />

de Jean (183 occurrences). Ce résultat soulève la question de la distinction entre les<br />

shérifs qui ont reçu les lettres royales de dépenses de construction, et les individus qui<br />

agissent en tant qu’agent sur les chantiers et dans les châteaux. En écartant le champ<br />

« shérif/vicomtes » du décompte, on obtient un classement plus significatif, qui fait<br />

mieux apparaître les ingénieurs et les maîtres d’ouvrages au service du roi :<br />

Prénom NOM Freqss prénom NOM freqss<br />

Willelmus de Enemeda 171 Galfridus de Windlesores 27<br />

Philippus de Pesingis 130 Hugo de Nevill 27<br />

Willelmus filius Helt 106 Elyas personne 26<br />

Alnodus ingeniatoris 75 Bartholomeus de Glanvill 26<br />

Godwinus Infantis 67 Edwardus Blundus 26<br />

Joseph de Dovra 67 Robertus filius Natanaeli 25<br />

Henricus Medicus 67 Galfridus de Pourton 24<br />

Elyas de Oxineford magister 61 Radulf 24<br />

Walter de Esteria 41 Godefridus filius Anfride 23<br />

Galfridus filius Petri 40 Sawale filius Henrici 23<br />

Walter de Estreda 31 Paganus de Cestrefeld 22<br />

Galfridus filius Radulfi 29 Radulf de Hauvill 21<br />

Reginaldus de Sancta Maria 29 Robertus de Valeinis 21<br />

Walter de Gant 29 Willelmus Barbette 20<br />

Robertus Maldon 28 Gilbertus de Pinkeigni 20<br />

La table ITINERAIRES<br />

La table ITINERAIRES a été construite à partir des itinéraires de Henri II et<br />

Richard élaborés par Judith Everard qui s’est appuyée sur des sources narratives dans le<br />

but de compléter et rectifier les itinéraires de Robert W. Eyton et Lionel Landon 218 . À<br />

ces itinéraires, fondés sur les sources narratives, s’ajoute celui élaboré en 1833 par<br />

Thomas D. Hardy à partir de la publication des rouleaux des lettres closes et patentes de<br />

Jean 219 . Les informations contenues dans cette table sont donc très hétérogènes puisqu’il<br />

n’y a que 970 entrées concernant Henri II et Richard pour 2600 entrées concernant le<br />

seul règne de Jean. Cet écart implique donc de toujours séparer les analyses de chacun<br />

des règnes afin de ne pas faire de contresens sur les résultats.<br />

218 EYTON, R. W., Court, Household, and Itinerary <strong>of</strong> King Henry II, 1878; LANDON, L., The Itinerary<br />

<strong>of</strong> King Richard I, with studies on certain matters <strong>of</strong> interest connected with his reign, 1935. Je remercie<br />

Judith Everard d’avoir bien voulu me communiquer son travail qui sera publié dans la préface de l’édition<br />

des actes de Henri II et Richard en préparation sous la direction de Nicholas Vincent.<br />

219 Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833.<br />

69


Cette table comporte :<br />

- des champs d’identification (référence au numéro d’inventaire, lieu, région)<br />

- des champs « d’intervention » (roi, année, mois, jour, ou période lorsque<br />

aucune date précise ne peut être établie, ainsi que des précisions concernant un<br />

événement corrélé)<br />

- un champ de références documentaires<br />

- un champ « étape » a également été créé afin de permettre la construction de<br />

séquences d’itinéraire selon les années ou les règnes.<br />

La modélisation de ces données séquencées a permis de construire une carte des<br />

itinéraires royaux, non plus à partir des centres fréquentés, c'est-à-dire d’une certaine<br />

manière de la fixité des séjours, mais à partir des parcours, du déplacement, en bref de<br />

la mobilité des rois et de la cour (voir chapitre 5).<br />

Ces tables d’inventaire renseignent donc les tables sources en fonction des lieux<br />

(elles permettent de localiser les données de la source) et des individus. La formalisation<br />

des données et la mise en relation des facteurs identifiés n’ont cependant pas pour seul<br />

objectif de faciliter l’analyse relationnelle des données sources. Toute la valeur<br />

heuristique d’une telle « métasource » réside également dans le traitement statistique et<br />

cartographique de ces données.<br />

2.2- Le traitement statistique et cartographique des données.<br />

Comme toute série statistique, les rouleaux de l’Échiquier ne constituent pas un<br />

ensemble de données homogènes, régulières et encore moins objectives. Toute série de<br />

données issue d’un questionnaire ou d’une enquête comporte nécessairement des<br />

imperfections et des lacunes et a fortiori les enquêtes menées dans les sources<br />

médiévales 220 . Cette difficulté initiale ne doit pas pour autant invalider d’emblée<br />

l’intérêt d’une analyse statistique de ces données, surtout lorsqu’elles présentent une<br />

certaine continuité, comme c’est le cas des sources comptables de la monarchie anglo-<br />

normande. En revanche, l’analyse de la source, de sa structure et de sa partialité est<br />

indispensable pour pouvoir interpréter les résultats des calculs statistiques. C’est<br />

pourquoi cet aspect a été longuement développé dans le chapitre précédent.<br />

L’importance de la série de données concernant les chantiers et les châteaux royaux ne<br />

220 GUERREAU, A., Statistique pour historiens, 2004, p. 23 : le plus souvent il est dit que l’information<br />

doit être homogène et exhaustive. Or, tout au contraire, l’information spécifiquement historique est plutôt<br />

hétérogène, lacunaire, déséquilibrée.<br />

70


permet pas de saisir, par une simple lecture, ce champ d’activité du pouvoir de manière<br />

exhaustive et globale. C’est donc ici que repose l’intérêt d’une analyse statistique,<br />

puisqu’elle devrait permettre de dégager des grandes tendances et ainsi de faciliter le<br />

dépouillement de ces données.<br />

Cependant, pour traiter statistiquement les informations contenues dans les<br />

différentes tables de la base de données, un codage préalable est nécessaire. Le codage<br />

des données n’est pas une opération anodine puisqu’il oriente la mise en relation des<br />

facteurs entre eux. L’opération de codage résulte toutefois d’un questionnaire préalable<br />

et de l’émergence des critères pertinents pour l’analyse.<br />

2.2.1- Les questionnaires<br />

Deux ensembles de questions constituent les axes de cette interrogation<br />

statistique. Le premier concerne les sites Plantagenêt. Au-delà du calcul de la moyenne<br />

et de la répartition des dépenses pour les châteaux royaux en Angleterre et en<br />

Normandie, on peut s’interroger sur les logiques qui président aux choix d’investir à tel<br />

ou tel endroit : les dépenses des Plantagenêt répondent-elles plutôt à des stratégies de<br />

résidence, de prestige, de nécessité militaire ? Quelles évolutions peut-on discerner au<br />

cours de la période ? Y a-t-il également des stratégies distinctes selon les espaces ? Pour<br />

répondre à ces questions, les données géographiques ont été codées (variable : LOC)<br />

ainsi que les montants des dépenses (DEP), le nombre de passages (FREQ), les types de<br />

sites (TYPE) ainsi que la nature du site (NAT), c'est-à-dire son appartenance ou non au<br />

domaine direct des Plantagenêt, de manière continue ou temporaire. Afin de rendre<br />

compte de l’évolution chronologique, une variable temporelle a été également<br />

introduite. Le choix de découper le temps par règne (RGN) et non par décennie<br />

s’explique d’une part par la structure documentaire (et donc des données) qui évolue<br />

beaucoup d’un règne à l’autre, et notamment à partir du règne de Jean ; et d’autre part<br />

par le postulat que chaque roi n’a pas eu les mêmes pratiques spatiales et les mêmes<br />

stratégies territoriales que ses prédécesseurs. La problématique étant avant tout spatiale,<br />

il importait en effet de pouvoir utiliser les données pour construire une cartographie<br />

capable de représenter la topographie du pouvoir Plantagenêt, mais aussi les différentes<br />

représentations de l’espace que les parcours et la politique de construction induisaient.<br />

Le second ensemble de questions est relatif au personnel agissant au service du<br />

roi et de ses châteaux royaux. Qui sont-ils ? Comment peut-on définir ce groupe social ?<br />

Constituent-ils seulement un groupe social homogène ? Quelles sont les différentes<br />

formes de rémunération du travail de ces agents ? En quoi leurs rémunérations nous<br />

71


enseignent-elles sur leur statut social ou leur place dans la hiérarchie administrative ?<br />

Pour répondre à ces questions, un codage des données contenues dans la table<br />

ROULEAUX a été établi afin de traiter les informations concernant les « tâches »<br />

effectuées sur le chantier (TAC), les « fonctions » exercées par les agents (FCT) et ce<br />

que l’on sait du type de rémunération (PAY). Une fois ces hypothèses de travail posées,<br />

le codage des données peut être réalisé. Le codage est donc moins une « objectivation »<br />

de la source que sa formalisation subjective, puisqu’il est effectué en fonction des<br />

hypothèses de départ. En outre, d’autres logiques doivent être prises en compte, comme<br />

le poids relatif de chaque variable de la série, afin que les résultats de l’analyse ne soient<br />

pas trop déséquilibrés. Toute la procédure mérite donc quelques explications.<br />

2.2.2- Le codage des sources<br />

Neuf types de codage ont donc été déterminés : trois codages dans la table<br />

ROULEAUX (TAC, PAY, FCT) et six dans la table SITES (TYPE, NAT, LOC, DEP,<br />

FREQ). Le tableau suivant résume l’information des différentes variables codées.<br />

Tableau 3 : Tri à plat des données de la table SITES<br />

LOC Ni % information DEP Ni % information<br />

SOU 279 20 Sud de l'Angleterre DEP_0 819 59 aucune dépense<br />

dépense probable non<br />

MDL 234 17 Midlands NR 140 10 connue<br />

dépenses en £ premier<br />

NOR 197 14 Normandie 33-1212 109 8 quartile (min)<br />

WAL 105 8 Pays de Galles 1260-6017 108 8 dépense 2e quartile<br />

NRD 90 6 Nord de l'Angleterre 6152-32652<br />

33000-<br />

109 8 dépense 3e quartile<br />

POI 78 6 Poitou<br />

1908330 109 8 dépense maximale<br />

IRL 71 5 Irlande total 1394 100<br />

GAS 69 5 Gascogne<br />

ANJ 55 4 Anjou FREQ Ni % information<br />

LIM 40 3 Limousin 0pas 598 43 aucun passage enregistré<br />

entre 1 et 3 passages<br />

MAI 37 3 Maine INF3 586 42 enregistrés<br />

plus de 4 passages<br />

BRE 36 3 Bretagne SUP4 210 15 enregistrés<br />

VEX 32 2 Vexin total 1394 100<br />

AUV 31 2 Auvergne<br />

ANG 21 2 Angoumois RGN Ni % information<br />

EXT 19 1 sites extérieurs JST 468 34 règne de Jean sans terre<br />

Total 1394 100 H2 359 26 règne d'Henri II<br />

activités sur toute la<br />

TOUS 217 16 période<br />

NAT Ni % information R1 134 10 règne de Richard<br />

VAS 528 38<br />

sites vassaux,<br />

inféodés H+J 112 8<br />

activités sous Henri II et<br />

Jean<br />

ROY 463 33 sites royaux R+J 56 4 activités sous Richard et<br />

72


CNQ 185 13 sites conquis H+R 36 3<br />

TEM 218 16 sites confisqués REINE 12 1<br />

Total 1394 100 total 1394 100<br />

TYPE Ni % information<br />

CHATX 699 50 châteaux<br />

manoir, mottes,<br />

MANOIR 369 26 forêts, etc.<br />

églises, hôpitaux,<br />

EGL 190 14 prieurés<br />

Demeure, loge de<br />

DOMUS 90 6 chasse<br />

TP 46 3 travaux publics<br />

total 1394 100<br />

Tableau 4 : Tri à plat des données des tables ROULEAUX et SITES se recoupant<br />

TYPE Ni % LOC Ni % information<br />

CHATX 714 59 SOU 376 31 Sud de l'Angleterre<br />

DOMUS 180 15 MDL 311 26 Midlands<br />

TP 141 12 NOR 172 14 Normandie et Maine<br />

EGL 92 8 WAL 156 13 Pays de Galles<br />

MANOIR 79 7 NRD 100 8 Nord de l'Angleterre<br />

Total<br />

120<br />

6<br />

10<br />

0 IRL 50 4 Irlande<br />

VEX 30 2 Vexin<br />

Jean<br />

activité sous Henri II et<br />

Richard<br />

patronage d'Aliénor ou<br />

Mathilde<br />

NAT Ni % POI 8 1 Poitou, Limousin, Anjou, Bretagne<br />

ROY 581 48 EXT 3 0 sites extérieurs<br />

120 10<br />

TEM 314 26 total 6 0<br />

VAS 206 17<br />

CNQ 105 9 PAY Ni % information<br />

120 10<br />

Total<br />

6 0 N_R 790 66 non renseigné<br />

LIB 242 20 in liberatione<br />

DEP NI % CST 72 6 in liberatione constituta<br />

in dono, in elemosina, de misericordia,<br />

0dep 108 9 DON 37 3 in pardone<br />

in soltis, in stuverio, in stipendiis, in<br />

33-1212 162 13 STI 36 3 estuverio, in mercede<br />

pro pannos, ad se sustentatione, pro<br />

1260-6017 168 14 NAT 16 1 robis<br />

in expensis, de reragio, de prestito, in<br />

6152-32652 272 23 EXP 13 1 custamento, in custo posito,<br />

120 10<br />

33000-1908330 490 41 total 6 0<br />

NR 6 0<br />

120 10<br />

total<br />

6 0 TAC Ni % information<br />

OPE 704 58 travaux, transport de matériaux, etc.<br />

RGN Ni % CUS 252 21 gardes (custodia)<br />

TOUS 507 42 PAY 250 21 paiements, rémunérations<br />

120 10<br />

H2 201 17 total 6 0<br />

JST 165 14<br />

73


H+J 124 10 FCT Ni % information<br />

R+J 83 7 N_A 689 57 non renseigné<br />

R1 73 6 CLE 88 7 clercs<br />

H+R 53 4 CUSTOS 81 7 gardiens<br />

total<br />

120<br />

6<br />

10<br />

0 SERV 60 5 domestiques, serviteurs, soldats<br />

DIV 60 5 divers (marchand, meunier, vigneron etc)<br />

FREQ Ni % ING 47 4 ingénieur<br />

0pas 496 41 CARP 36 3 charpentier<br />

inf3 256 21 CON 33 3 connétable<br />

sup4 454 38 POR 26 2 portier<br />

total<br />

120<br />

6<br />

10<br />

0 VIG 24 2 vigile<br />

OUVR 23 2 ouvriers divers<br />

JAR 22 2 jardinier<br />

CEM 17 1 maçon<br />

total<br />

120<br />

6<br />

10<br />

0<br />

Quelques remarques explicatives sur ces deux tableaux s’imposent. Tout d’abord<br />

les deux tris à plat n’ont pas les mêmes effectifs car il y a plusieurs sites contenus dans<br />

la table SITES qui ne sont jamais évoqués dans les tables ROULEAUX, et qui ont donc<br />

été volontairement mis à l’écart dans la seconde analyse. Le codage de la table<br />

ROULEAUX (selon les variables PAY, FCT, TAC) a rencontré un certain nombre de<br />

difficultés liées à l’hétérogénéité des sources. Dans plusieurs cas, en effet, la mention<br />

des dépenses concernait aussi bien les travaux à effectuer que la rémunération des<br />

ouvriers. La plupart du temps, lorsque le cas se présentait, le codage de la variable TAC<br />

a été effectué en faveur de la modalité « travaux » (OPE) plutôt qu’en celle des<br />

« paiements » (PAY). Pour signaler leur présence, les types de rémunération (variable<br />

PAY) ont toutefois été renseignés. Ainsi, en 1194, lorsque Ge<strong>of</strong>frey FitzPeter reçoit<br />

l’ordre d’approvisionner le chantier royal de Northampton et de verser un salaire aux<br />

vingt-deux charpentiers qui y travaillent, le codage a été effectué ainsi : STI – OPE –<br />

CARP 221 . Dans ce cas comme dans d’autres, il est également impossible de distinguer la<br />

part affectée aux travaux et celle destinée aux salaires. Par ailleurs, il est périlleux de<br />

vouloir comparer les salaires journaliers ou à la tâche avec les rémunérations à l’année<br />

(gages). Même en introduisant un nombre standard de jours travaillés par an (en<br />

moyenne 250 jours) il faut rester très prudent sur l’interprétation de ces données 222 .<br />

221<br />

PR 6 Richard. p. 68 : pro operibus regis que fecerunt apud Notingeham et xxii carpentariis de<br />

Norhantonscira de stipendiis suis.<br />

222<br />

FOSSIER, R., Le travail au Moyen Âge, 2007, p. 284 : « avec les cinquante-deux dimanches, dix fêtes<br />

patronales annuelles, et les festivités marquant baptêmes, mariages, relevailles ou convois funèbres, un<br />

village de deux cents âmes chômait au XII e siècle un jour sur trois ».<br />

74


Concernant le codage de la variable LOC, il a été effectué en fonction des<br />

grandes régions historiques (Anjou, Aquitaine, Normandie, etc.) sauf pour l’Angleterre<br />

qui a été divisée en trois parties à cause de l’abondance des informations qui créaient un<br />

déséquilibre dans la distribution des données. L’Angleterre du sud (SOU) regroupe les<br />

comtés qui se trouvent au sud de l’axe Bristol – Colchester, l’Angleterre des Midlands<br />

(MDL) regroupe les comtés situés entre cet axe et l’axe Chester – estuaire de l’Humber,<br />

et l’Angleterre du nord (NRD) regroupe les comtés du Yorkshire, Lancashire,<br />

Northumberland, Cumberland, Westmorland, Durham et les quelques châteaux pris au<br />

roi d’Écosse après 1175. Il faut signaler que l’itinéraire de Richard en partance pour la<br />

Terre Sainte n’a pas été répertorié, pour conserver une cohérence des données dans le<br />

cadre de la problématique de ce travail.<br />

Quant aux données quantitatives des tables, c'est-à-dire les dépenses effectuées<br />

et enregistrées dans les rouleaux de l’Échiquier et le décompte des passages dans un<br />

site, elles ont été discrétisées et codées pour pouvoir construire des analyses factorielles.<br />

La discrétisation consiste à simplifier, formaliser et répartir les données de la variable en<br />

plusieurs classes dont les seuils font l’objet de calculs souvent élaborés 223 . Les effectifs<br />

des variables DEP ont été distribués en 6 classes selon la méthode la plus simple qui est<br />

celle des quartiles, excluant les effectifs nul ou NR (c'est-à-dire non renseignés). Cette<br />

méthode permet en effet d’avoir des modalités ayant des effectifs du même ordre de<br />

grandeur. Dans plusieurs cas, le codage choisi n’a pas permis d’avoir des modalités aux<br />

effectifs homogènes, les modalités aux trop faibles effectifs ont en effet tendance à<br />

déformer la représentation graphique. Dans ce cas, ces modalités peuvent être soit<br />

traitées en élément supplémentaire, soit supprimées de l’analyse factorielle (c’est cette<br />

seconde option qui a été généralement choisie) 224 .<br />

Le codage des fréquences de passage (FREQ) a également privilégié la<br />

répartition homogène des données aux dépens de la dispersion des données de la série.<br />

Le nombre de passages uniques étant le plus élevé, le seuil maximum retenu à 4<br />

passages apparaît, en conséquence, peu significatif au regard des fréquentations<br />

maximales, élevées mais rares (94 passages pour Winchester, ou encore 76 pour<br />

Rouen). Ces fortes fréquences concernant essentiellement le règne de Jean, la partition<br />

choisie permet de gommer artificiellement l’écart trop important des données entre les<br />

223<br />

Sur le traitement des données numériques voir le cours en ligne de Philippe Cibois : http://pagespersoorange.fr/cibois/DatNum.htm.<br />

224<br />

GUERREAU, A., Statistique pour historiens, 2004 ;<br />

75


différents règnes. Une fois ce codage réalisé, les données peuvent être traitées<br />

statistiquement par des analyses factorielles.<br />

2.2.3- Les analyses factorielles<br />

L’analyse factorielle est une méthode qui permet de donner une représentation<br />

graphique des corrélations (qui s’exprime graphiquement par des distances ou des<br />

proximités entre les points) qui caractérisent un ensemble de données 225 . Cette méthode<br />

constitue donc avant tout un outil permettant non seulement de défricher, d’ordonner et<br />

de classer des données complexes et hétérogènes, mais d’explorer les sources et d’en<br />

proposer une lecture souvent inédite. Il n’existe donc pas une analyse type, mais de<br />

multiples manières de faire correspondre les données entre elles. L’analyse la plus<br />

couramment utilisée chez les historiens et les sociologues, depuis les travaux de Pierre<br />

Bourdieu, est l’analyse factorielle des correspondances (AFC), créée par Jean-Paul<br />

Benzécri dans les années 1960 226 . L’AFC est la représentation graphique de tableaux de<br />

contingence qui peuvent croiser deux variables ou plus (on parle alors d’un tableau de<br />

Burt), comme le tableau ci-dessous, qui croise les variables DEP et LOC, issues des<br />

données de la table SITE 227 .<br />

Tableau 5 de contingence simple (variable DEP et LOC)<br />

LOC/DEP DEP_0<br />

33-<br />

1212<br />

1260-<br />

6017<br />

6152-<br />

32652<br />

33000-<br />

1908330 NR Total<br />

MAI 26 2 1 1 7 37<br />

ANG 20 1 21<br />

ANJ 42 1 12 55<br />

AUV 30 1 31<br />

BRE 27 1 8 36<br />

EXT 18 1 19<br />

225 CIBOIS, P., Les méthodes d'analyse d'enquêtes, 2007 ainsi que (http://pagespersoorange.fr/cibois/PrincipeAnalyseFactorielle.pdf).<br />

226 BOURDIEU, P., La distinction. Critique sociale du jugement, 1979, ROSENTAL, P. A., « Outil ou<br />

fétiche : la laïcisation de l'analyse factorielle dans les sciences sociales », Histoire & mesure, 12: 3-4<br />

(1997), p. 185-196. pour une application en histoire médiévale voir par exemple GENET, J.-P., « Analyse<br />

factorielle et construction des variables. L'origine géographique des auteurs anglais (1300-1600)"Ibid.,<br />

17: 1-2 (2002), p. 87-108, ainsi que MAIREY, A., « La poésie allitérative anglaise du XIVe siècle. Une<br />

analyse factorielle par domaine lexical"Ibid., 18: 3-4 (2003), p. 263-288 ; BENZÉCRI, J. P., L'Analyse<br />

des données, 1964.<br />

227 Les données codées ont été extraites des tables SITES et ROULEAUX et regroupées dans des tables<br />

appelées CODAGE_SITES et CODAGE_TRAVAIL dans la base de données PLANTAGENET, afin de<br />

faciliter les importations dans les logiciels de calculs (voir infra).<br />

76


GAS 61 8 69<br />

IRL 33 12 12 2 3 9 71<br />

LIM 38 1 1 40<br />

MDL 117 39 16 26 25 11 234<br />

NOR 98 13 25 21 12 28 197<br />

NRD 52 4 9 5 15 5 90<br />

POI 48 1 1 28 78<br />

SOU 146 27 30 26 39 11 279<br />

VEX 12 2 5 6 7 32<br />

WAL 51 10 13 21 7 3 105<br />

Total 819 109 108 109 109 140 1394<br />

Le traitement de ces données peut alors être effectuée au moyen deux analyses :<br />

l’analyse factorielle des correspondances (AFC) qui traite deux variables et l’analyse de<br />

correspondances multiples (ACM ou plus rarement AFCM) qui permet de traiter<br />

plusieurs variables. Ces deux analyses procèdent de la même technique mathématique,<br />

mais l’ACM qui projette dans un espace multidimensionnel des corrélations entre des<br />

variables, est généralement la plus utilisée en histoire 228 . Ainsi, l’ACM, qui permet<br />

d'étudier des données sous la forme d'un tableau d'individus décrits par plusieurs<br />

variables qualitatives, est adaptée à l'analyse des données des tables SITES et AGENTS<br />

car les lignes du tableau sont des sites (individuels) et les colonnes sont des modalités<br />

de réponse à des questions 229 .<br />

Les logiciels permettant d’effectuer ces opérations sont multiples. Le logiciel R,<br />

qui est un logiciel libre est le plus fréquemment utilisé, bien que ses résultats graphiques<br />

ne soient pas vraiment satisfaisants. Pour cette raison, les résultats de l’analyse ont été<br />

retravaillés avec la macro sous Excel d’Olivier Godechot, qui <strong>of</strong>fre une grande<br />

souplesse pour le travail graphique des données 230 . Quant à l’exécution des ACF, la<br />

macro sous Excel mise au point par Alain Dallo a également été choisie pour sa<br />

228 LEMERCIER, C. et ZALC, C., Méthodes quantitatives pour l'historien, 2007, p. 60 : l’analyse des<br />

correspondances multiples (ACM) est celle qui serait la plus « utile » en histoire parce qu’elle permet<br />

« de traiter des données individuelles qualitatives et quantitatives regroupées en classes ».<br />

229 http://www.xlstat.com/fr/features/t18.htm.<br />

230 Olivier Godechot est sociologue, chargé de recherche CNRS au Centre Maurice Halbwachs et au<br />

Laboratoire de Sociologie Quantitative. Il travaille sur les rémunérations dans l’industrie financière et sur<br />

les réseaux et le recrutement dans le monde académique. Il a publié en 2004 avec Nicolas Mariot « Les<br />

deux formes du capital social. Structure relationnelle des jurys de thèses et recrutement en science<br />

politique », dans la Revue Française de Sociologie (http://olivier.godechot.free.fr/;<br />

http://www.laviedesidees.fr/_Godechot-Olivier_.html). Cette macro m’a été conseillée par Frédéric Saly-<br />

Giocanti, PRAG à l’<strong>Université</strong> de <strong>Paris</strong>, en charge des enseignements de statistiques et d’informatique, et<br />

membre du PIREH. Je le remercie chaleureusement pour son aide précieuse dans l’exploitation de mes<br />

données.<br />

77


souplesse et la qualité d’exposition des résultats, que n’<strong>of</strong>fre pas le logiciel Tri2 de<br />

Philippe Cibois 231 .<br />

Deux analyses séparées ont donc été effectuées : l’une à partir des données de la<br />

table SITE (TYPE, NAT, LOC, DEP, FREQ, RGN) et l’autre à partir des données<br />

croisées de la table SITE et ROULEAUX (TYPE, NAT, LOC, DEP, FREQ, RGN,<br />

TAC, PAY, FCT). Par la première analyse, il s’agissait de comprendre globalement<br />

l’organisation spatiale de l’empire Plantagenêt tandis que dans la seconde analyse, il<br />

s’agissait de saisir les différents pôles d’activité et de rémunération des agents royaux<br />

au service de l’administration de ses châteaux.<br />

L’ACM SITE<br />

Le graphique 1.3 représentant l’ACM SITE, ne montre que deux facteurs (les<br />

deux premiers) parmi les cinq dimensions différentes (nombre de degrés de liberté). Le<br />

facteur 1 (en abscisses) distribue les modalités selon une logique qui est souvent dite<br />

« idéologique », car qu’il fait souvent apparaître des résultats attendus, selon le sens<br />

recherché initialement et que le codage des données permet de faire émerger. Ici, ce<br />

facteur apparaît assez nettement comme celui de l’augmentation des dépenses (de<br />

gauche à droite). Cette tendance organise donc la distribution des autres modalités sur le<br />

graphique.<br />

Le second facteur, qui organise les modalités selon l’axe des ordonnées fait en<br />

revanche ressortir des ensembles « géographiques », avec en haut à gauche, des espaces<br />

périphériques (AUV, LIM, BRE, GAS, ANG, EXT) et en bas, les régions centrales avec<br />

à gauche les espaces insulaires de Grande-Bretagne (IRL, NRD, MDL, SOU) et à droite<br />

la Normandie (NOR). Le Poitou (POI) et l’Anjou (ANJ) se trouvant relativement au<br />

centre, tandis que le Pays de Galles (WAL) et le Vexin (VEX), apparaissent comme des<br />

marches mais qui se distinguent des autres périphéries par les efforts financiers et<br />

militaires investis par les Plantagenêt. C’est donc à partir de l’analyse du facteur 2, que<br />

l’on peut tenter d’observer l’organisation spatiale des constructions Plantagenêt. Les<br />

graphiques 1.4 sont ainsi consacrés à l’analyse de la distribution des modalités en<br />

fonction des facteurs 2 et 3 ainsi que des facteurs 2 et 5. Ces éléments suggèrent que les<br />

pratiques spatiales au sein de l’empire étaient assez hétérogènes entre espaces<br />

231 Alain Dallo est PRAG à l’<strong>Université</strong> de <strong>Paris</strong> 1, il travaille depuis des années sur le traitement<br />

statistique des données historiques et à la formation en statistique des étudiants en cursus d’histoire. Sa<br />

macro mise au point il y a maintenant plusieurs années est fréquemment utilisée par les historiens qui<br />

pratiquent l’analyse factorielle. Elle est disponible sur le site du PIREH (http://pireh.univ-paris1.fr).<br />

78


« centraux » et « périphéries ». Cette remarque peut être développée dans trois<br />

directions, suivant les différentes interprétations tirées de l’observation des graphiques<br />

factoriels.<br />

1) Si les Plantagenêt semblent être surtout intervenus sur le mode de la<br />

« conquête » dans l’espace aquitain, c’est davantage sur le mode de la confiscation<br />

qu’ils ont conquis les marches britanniques du Pays de Galles et d’Irlande, la Bretagne<br />

se trouvant à un point intermédiaire. Cette observation qui a été vérifiée au moyen d’une<br />

ACF, (associant les variables NAT et LOC : graphique 1.5) pose la question des modes<br />

d’intervention des Plantagenêt selon les espaces, un point qui mérite une analyse à<br />

laquelle est consacré le chapitre 2. La capacité à confisquer les terres inféodées était-elle<br />

dépendante de l’espace dominé ? Dans quelle mesure, les modes d’action permettent-ils<br />

alors de saisir la territorialité du pouvoir Plantagenêt et quel a été alors le rôle de la<br />

conquête des nouvelles marches dans l’affirmation de leur pouvoir ? (Chapitre 4)<br />

2) Si les sites qui occasionnent les plus fortes dépenses sont apparemment les<br />

sites plus fréquentés par les trois rois Plantagenêt, l’inverse n’est pas strictement vrai.<br />

Quelles ont donc été les logiques d’investissement des Plantagenêt si elles n’ont pas été<br />

principalement orientées dans leurs principales résidences ? Il y a en effet des sites<br />

jamais fréquentés qui ont reçu des investissements : quels pouvaient être alors ces types<br />

de sites ? Le chapitre 3 explorera les dépenses pour les constructions de types<br />

manoriales et « publiques », en commençant par interroger la catégorie « publique » et<br />

sa signification dans la réalité médiévale. Il pouvait également s’agir de constructions<br />

symboliques, visant à représenter le pouvoir, justement là où il ne venait jamais. C’est<br />

ce que le chapitre 5 tentera en effet de montrer.<br />

3) Il ne faut pas oublier que la projection en plan peut être trompeuse, car deux<br />

modalités qui apparaissent proches peuvent être en réalité éloignés si on prend en<br />

compte les facteurs qui introduisent d’autres dimensions. Par exemple il apparaît<br />

trompeur que les dépenses les plus fortes aient été consacrées à l’aménagement de<br />

demeures royales et de loges de chasses plutôt qu’à des forteresses (c’est ce que suggère<br />

la proximité entre la modalité DOMUS et DEP_max). En réalité, lorsqu’on prend<br />

d’autres facteurs, on s’aperçoit que cette proximité est une illusion créée par la<br />

dimension en plan. Pour tester la « distance » 232 réelle entre ces deux modalités, une<br />

232 GUERREAU, A., Statistique pour historiens, 2004, p. 45-46 : les méthodes de calcul les plus<br />

courantes sont 1) la distance euclidienne Cette méthode est utile pour projeter les points dans l’espace<br />

factoriel d’une ACM, 2) le coefficient de corrélation linéaire (utilisé pour les régressions) et 3) le Khideux<br />

qui est une distribution de l’indépendance. Le test du Khi2 est une démarche qui vise à accepter ou<br />

rejeter une hypothèse d’indépendance entre deux variables. Le risque d’erreur est fixé<br />

79


AFC des variables TYPE et DEP a donc été effectuée (graphique 1.6). Celle-ci montre<br />

alors que la modalité DOMUS est en réalité plus proche des modalités de dépenses<br />

moyennes que maximales (qui sont quant à elles plus proches de la modalité châteaux),<br />

tandis que les dépenses minimales tendent vers les travaux publics et les manoirs, et que<br />

les dépenses non renseignées sont plutôt attirées vers les dépenses ecclésiastiques 233 . La<br />

disposition des facteurs présente ce qu’on appelle un effet Gutman, c'est-à-dire que les<br />

extrêmes s’opposent entre eux de part et d’autre du premier axe alors que le second axe<br />

oppose les extrêmes aux moyens, ce qui donne sur la projection factorielle une forme de<br />

parabole.<br />

L’ACM TRAVAUX<br />

Le graphique 1.7 est une analyse des correspondances multiples des données du<br />

tableau 4. Une première lecture permet de distinguer le premier facteur (axe des<br />

abscisses) comme un axe distribuant les modalités selon qu’elles relèvent des<br />

constructions royales fortement investies :<br />

- à gauche du tableau sont regroupées les modalités : SUP4, TOUS, DEP_max, ROY.<br />

- tandis qu’à droite sont regroupées les modalités VAS, 0pas, DEP_0 signalant des<br />

constructions faiblement investies.<br />

L’axe 2 semble être en revanche organisé à partir des types de tâches effectuées, (les<br />

facteurs OPE et PAY ayant de fortes contributions sur l’axe). De ces observations, on<br />

peut ensuite établir que :<br />

1) les paiements en nature (NAT) ou en salaire (STI) ne concernent pas,<br />

globalement, les constructions royales, contrairement aux rémunérations de type<br />

coutumières (in liberatione constituta) (CST) ou aux dons (DON). Comprendre ce qui<br />

caractérisaient les modes de rémunération au sein de l’administration royale, et en quoi<br />

ils différaient de ceux des administrations épiscopales ou seigneuriales qui apparaissent<br />

sur les rouleaux de l’Échiquier lors des vacances épiscopales et abbatiales ou des<br />

confiscations d’honneur constituera donc un questionnaire du chapitre 6.<br />

2) Si l’on prend en compte les différentes dimensions, on peut également<br />

observer que la distribution des modalités concernant les fonctions des agents de<br />

conventionnellement à 5%. Quand le risque d’erreur est supérieur à 5%, on considère que les deux<br />

variables sont indépendantes, quand il est inférieur à 5% on ne les considère pas comme indépendantes.<br />

On conclut alors en extrapolant à la vraisemblance d’une dépendance avec un risque de se tromper de 5%.<br />

233 Le test du Khi2 indique un risque d’erreur de 0,0%, les variables ont une forte vraisemblance d’être<br />

dépendantes. Le tableau 1 est calculé à partir de plus de 57% de l’information et le tableau 2 à partir de<br />

11%.<br />

80


l’administration des châteaux (FCT) reste relativement stable ; en revanche, il est<br />

difficile d’observer des relations stables entre les modes de rémunération et les<br />

fonctions exercées par les individus. Une analyse factorielle entre ces deux variables<br />

(TAC et FCT) fait ressortir des oppositions, par exemple, entre le paiement des<br />

domestiques en salaire et la rémunération des portiers et des vigiles, qui sont des<br />

charges administratives en paiement coutumier (graphique 1.8). Il apparaît également<br />

plus difficile de définir la manière dont les charpentiers ou les maçons sont rémunérés,<br />

les dépenses associées à leur tâche étant la plupart du temps insérées dans le coût global<br />

de la dépense enregistrée sur les rouleaux (ce qui explique ainsi la proximité entre<br />

CARP et EXP). Lorsqu’ils sont explicités, il semble que ce soit en général, une<br />

rémunération en nature, venant sans doute en plus de la rémunération de leur travail<br />

(CARP et NAT), une remarque qui pourrait également s’appliquer aux ingénieurs, et<br />

autres agents au service du roi (connétable entre autres) ainsi qu’aux portiers qui<br />

semblent également recevoir des rémunérations supplémentaires en forme de dons<br />

royaux. Tous ces éléments indiquent ainsi les directions dans lesquelles l’analyse plus<br />

détaillée de la documentation sera menée dans le chapitre 6. L’interprétation statistique<br />

globale des graphiques et des données ne constitue en effet que la première étape du<br />

processus d’analyse. La seconde, celle de l’interprétation historique, qui confronte ces<br />

données aux sources sera développée tout au long des chapitres suivants, pour revenir<br />

en conclusion à une échelle d’analyse globale qui permettra de vérifier ou non, ou en<br />

tout cas de nuancer ces premières impressions. Ces analyses à différents degrés<br />

permettent donc de dégager des pistes de travail qui orientent des choix de lecture de la<br />

source, qui n’étaient pas forcément lisible à première vue.<br />

2.2.4- Les applications cartographiques<br />

La réalisation d’une cartographie statistique a été effectuée au moyen du logiciel<br />

Cartes et Données (Arctique©) 234 . Ce logiciel permet d’intégrer les données numériques<br />

à des fonds de carte vectorisés pour construire des cartes statistiques. Un long travail<br />

préalable a été de numériser les sites en leur attribuant un numéro de référence et en<br />

distinguant au moyen de calques superposés les différents types de sites. Il existe ainsi<br />

douze calques : les châteaux royaux, les constructions ex-nihilo, les domus royales, les<br />

châteaux temporairement aux mains du roi, les sites vassaux, les travaux publics, les<br />

234 Cartes et Données est un logiciel de cartographie statistique, aux fonctionnalités plus importantes que<br />

Philcarto (qui est un logiciel libre). Il est distribué par Arctique (http://www.articque.com/).<br />

81


établissements monastiques, au sein desquels ont été distinguées les fondations<br />

Plantagenêt, les mottes et fossés, les destructions, les lieux extérieurs, les forêts,<br />

carrières et autre type de site naturel. Ce logiciel intègre les données quantitatives en<br />

fonction du numéro de référence du site. Ainsi, les sites peuvent être représentés en<br />

fonction de la fréquence de passage, mais aussi en fonction des dépenses qui leur ont été<br />

attribuées, selon différentes variables (le temps, la nature des travaux, etc.). Cartes et<br />

Données permet aussi de présenter les cartes sous une large palette de formes<br />

(carroyages, semis de points, anamorphoses) dont les plus intéressantes pour cette<br />

études sont présentées dans la partie suivante. Le choix d’une cartographie statistique<br />

fondée sur la numérisation importante des différents lieux organisant l’espace politique<br />

des Plantagenêt <strong>of</strong>fre ainsi un outil pour renouveler les représentations cartographiées<br />

de l’espace féodal, reproduisant trop souvent des formes territoriales de manière<br />

homogène et continue, délimités par des frontières linéaires parfois en contradiction<br />

pr<strong>of</strong>onde avec la conception que les hommes du XII e siècle se faisaient de leur espace.<br />

Le choix méthodologique correspond donc à un parti pris scientifique dont les enjeux<br />

historiographiques nécessitent d’être explicités.<br />

82


3- Espace féodal et construction territoriale : les enjeux<br />

historiographiques et cartographiques de l’ « empire »<br />

Les transformations que les méthodes cartographiques apportent à la<br />

représentation de l’espace des Plantagenêt ne résultent pas d’un simple changement<br />

technique lié à l’utilisation de l’informatique. Les raisonnements qui sous-tendent cette<br />

démarche se sont appuyés sur les intenses réflexions épistémologiques qui ont traversé<br />

le champ de l’historiographie médiévale ces dernières années autour de la question de<br />

l’espace. Sur ce thème, le dialogue entre les historiographies anglaises et françaises<br />

autour des Plantagenêt n’a pas toujours été facile, dans la mesure où la prégnance des<br />

traditions nationales de chaque coté de la Manche n’a pas favorisé l’intégration des<br />

problématiques de l’historiographie française par les historiens britanniques et vice et<br />

versa 235 . Pourtant la question de l’espace médiéval est une thématique commune, y<br />

compris dans le renouvellement des travaux sur les Plantagenêt. Une discussion des<br />

différentes approches théoriques et historiographiques qui sous-tendent notre démarche<br />

s’impose donc ici. En premier lieu, l’impact de ces récentes réinterprétations de l’espace<br />

féodal sur la problématique de « l’empire angevin » ou « Plantagenêt » sera discuté<br />

avant d’envisager leurs implications cartographiques. À partir de ces redéfinitions et à<br />

l’aide des conceptions géographiques et des tentatives cartographiques du XII e et XIII e<br />

siècles, on s’interrogera sur les possibilités d’une représentation cartographique de<br />

l’empire Plantagenêt.<br />

3.1- L’empire des Plantagenêt : quel espace ?<br />

3.1.1- Y a-t-il eu un « tournant spatial » en histoire médiévale ?<br />

L’espace des historiens au XX e siècle<br />

Assiste-t-on, comme le suggère Thomas Zotz à un « spatial turn » dans<br />

l’historiographie du Moyen Âge ? À lire son compte rendu sur la place croissance de la<br />

thématique de l’espace dans les travaux allemands, ces quinze dernières années, on<br />

235 GENET, J.-P., « Histoire politique anglaise, histoire politique française », dans Saint-Denis et la<br />

royauté. Etudes <strong>of</strong>fertes à Bernard Guénée, 1999, p. 621-636.<br />

83


pourrait le croire 236 . Le nouvel intérêt de l’historiographie allemande, qui s’est<br />

longtemps tenue à l’écart des questionnements sur l’espace, ne témoigne-t-il pas, en<br />

effet, de l’attrait que provoque cette thématique depuis les années 90 ? 237 En France, la<br />

redéfinition de l’espace comme construction sociale est effectuée, dès le début du XX e<br />

siècle, lorsque Marcel Mauss et Émile Durkheim publient, dans l’Année sociologique,<br />

un article sur la morphologie sociale des Eskimo, interrogeant les rapports entre espace<br />

et société 238 . De même que l’école française de sociologie, la géographie vidalienne eut<br />

une forte influence sur les historiens des Annales dès les premières générations 239 . Chez<br />

Marc Bloch comme chez Fernand Braudel, l’espace est surtout compris dans son sens<br />

vidalien de « milieu ». Mais, à partir des années 70, avec l’anthropologisation et la<br />

« culturalisation » du discours historique et la remise en cause ‘post-moderne’ des<br />

catégories d’analyses et des grands paradigmes qui avaient dominé l’histoire des<br />

Annales, les questionnements sur l’espace s’effacent progressivement. Dans les trois<br />

volumes consacrés à la « Nouvelle histoire », publiés par Pierre Nora et Jacques Le<br />

G<strong>of</strong>f, l’espace n’apparaît en effet ni dans les nouveaux objets, ni dans les nouveaux<br />

problèmes, ni dans les nouvelles approches 240 . À cette date, le concept d’espace est<br />

pourtant fortement réinvesti par les géographes français et les historiens américains,<br />

influencés par le modèle des études d’anthropologie urbaine de l’École de Chicago,<br />

véhiculant l’idée que ce sont les sociétés qui structurent l’espace humain en lui<br />

attribuant un ordre qui le met en relation avec le cosmos, la culture, etc. Puis, au début<br />

des années 1980, de même que l’espace s’était substitué au concept de « milieu »,<br />

comme paradigme global de la géographie, le concept de « territoire » devient<br />

progressivement un « méta-concept » à vocation transdisciplinaire 241 . Mais,<br />

236<br />

ZOTZ, T., « Présentation et bilan de l'historiographie allemande de l'espace », dans Construction de<br />

l'espace au Moyen Âge: pratiques et représentations, 2007, p. 57-71 ; DEVROEY, J. P. et LAUWERS,<br />

M., « L'"espace" des historiens médiévistes: quelques remarques en guise de conclusion », dans Ibid., p.<br />

435-453<br />

237 e<br />

Contrairement à la géographie française dominée par le spatialisme depuis la fin du XIX siècle, le<br />

champ dominant de la géographie allemande est en effet plutôt celui de la géologie et de la morphologie.<br />

Cette différence culturelle explique sans doute ce décalage.<br />

238<br />

MAUSS, M., « Essai sur les variations saisonnières des sociétés Eskimos. Étude de morphologie<br />

sociale », Année sociologique, 9 (1904-1905), p. 38-130.<br />

239<br />

MAILLOUX, A. et VERDON, L., « Marc Bloch: l'espace produit de la société », dans Les territoires<br />

du médiéviste, 2005, p. 23-33.<br />

240<br />

NORA, P. et LE GOFF, J. (eds.), Faire de l'histoire. 1 Nouveaux problèmes, 1986 [1974]; NORA, P.<br />

et LE GOFF, J. (eds.), Faire de l'histoire. 2 Nouvelles approches, 1986 [1974]; NORA, P. et LE GOFF, J.<br />

(eds.), Faire de l'histoire. 3 Nouveaux objets, 1986 [1974].<br />

241<br />

GRELAT-NOUVEL, H., De l'espace perçu à l'espace vécu, 1989 ; VANIER, M. (éd.), Territoires,<br />

territorialité, territorialisation. Controverses et perspectives, 2009, le concept de territoire est apparu au<br />

début des années 1980 chez des géographes comme Raffestin, Roncayolo, Di Méo, Brunet, Frémont, etc.<br />

voir aussi SÉCHET, R. et KEERLE, R., « Petite histoire de délicatesses de "l'équipe-de-géographie-<br />

84


l’affaiblissement des relations disciplinaires entre l’histoire et la géographie, notamment<br />

depuis la remise en cause de la géo-histoire braudélienne, explique sans doute que ces<br />

évolutions n’intègrent pas le discours des historiens avant la fin des années 1980.<br />

Malgré l’article programmatique que Bernard Lepetit et Patrice Bourdelais livrent en<br />

1986, en hommage à Fernand Braudel, pour renouveler les approches historiques de<br />

l’espace, il faut attendre le succès de la microhistoire et de ses « jeux d’échelles » 242 et<br />

le « tournant critique » qu’opèrent les Annales, pour que l’évolution des représentations<br />

de l’espace soit entendue par les historiens 243 . L’essor des études sur l’espace et le<br />

territoire dans le champ historique, y compris chez les médiévistes, se redéploie donc<br />

dans un contexte de réflexions sur la discipline, dont « l’émiettement » ou la « crise »<br />

entraîne un reclassement des disciplines et une mise à distance des objets traditionnels<br />

de la recherche historique 244 . L’espace devient ainsi une catégorie mise à distance,<br />

historicisée et replacée dans la pratique historienne, afin de montrer comment elle a été<br />

progressivement construite ou plus exactement, comment en tant que catégorie<br />

préconstruite, elle s’est longtemps située en amont du raisonnement historique,<br />

contraignant la logique de la recherche 245 . L’évolution importante des années 90 peut<br />

également être mise en relation avec l’ouverture disciplinaire que les historiens des<br />

Annales ont largement impulsée. « Aussi, l’espace des historiens est aujourd’hui plus<br />

éclaté que jamais, comme l’est leur discipline » 246 . Paradoxalement, alors que les<br />

géographes sont également traversés par une « crise épistémologique » marquée par une<br />

pr<strong>of</strong>onde remise en questions des certitudes de la géographie sur la catégorie d’espace,<br />

les historiens n’ont presque jamais revendiqué leur apport 247 . Les historiens, préférant<br />

sociale-de-la-France-de-l'Ouest" avec le territoire », dans Territoires, territorialité, territorialisation.<br />

Controverses et perspectives, 2009, p. 83-93 ; RIPOLL, F. et VESCHAMBRE, V., « Le territoire des<br />

géographes: quelques points de repères sur les usages contemporains », dans Les territoires du<br />

médiéviste, 2005, p. 271-291.<br />

242<br />

REVEL, J. (éd.), Jeux d'échelles. La micro-analyse à l'expérience, 1996.<br />

243<br />

BOURDELAIS, P. et LEPETIT, B., « Histoire et espace », dans Espaces, jeux et enjeux. Nouvelle<br />

encyclopédie des sciences et des techniques, 1986, p. 17-26, LABOULAIS-LESAGE, I., « Les historiens<br />

français et les formes spatiales : questionnements et manières de faire (1986-1998) », dans Les espaces de<br />

l’historien, 2000, p. 33-50.<br />

244<br />

NOIRIEL, G., Sur la "crise" de l'histoire, 2005; DOSSE, F., L'histoire en miettes : des Annales à la<br />

nouvelle histoire, 2005; CHARTIER, R., Au bord de la falaise : l'histoire entre certitudes et inquiétude,<br />

1998.<br />

245<br />

WAQUET, J.; GOERG, O. et ROGERS, R. (eds.), Les espaces de l'historien, 2000, p. 11-12.<br />

246<br />

Ibid., p. 15.<br />

247<br />

LÉVY, J. et LUSSAULT, M. (eds.), Logiques de l'espace, esprit des lieux : géographies à Cerisy,<br />

2000; LÉVY, J., « Une géographie vient au monde », Le débat, 92 (1996), p. 42-57.TRONCHET, J. R.,<br />

« Critique : Les Annales et l’espace », Géographie et cultures, 44 (2002), p. 113-123 ; RIPOLL, F. et<br />

VESCHAMBRE, V., « Le territoire des géographes: quelques points de repères sur les usages<br />

contemporains », dans Les territoires du médiéviste, 2005, p. 271-291.<br />

85


solliciter le recours aux sciences sociales comme la sociologie ou l’anthropologie,<br />

semblent être restés à l’écart de l’émergence d’une anthropologie de l’espace et de son<br />

langage, alors qu’elle se manifeste clairement dans le champ de la géographie, de<br />

l’architecture et de l’urbanisme pour lesquels les conséquences théoriques de ce<br />

renouvellement méthodologique ont un impact immédiat sur les pratiques 248 .<br />

Chez les médiévistes, le renouvellement des études sur l’espace s’opère à la<br />

faveur de plusieurs tendances au cours des années 1980-90. Si l’intuition que le<br />

médiéviste devait, plus que tout autre historien, avoir un œil de géographe, existait déjà<br />

chez Jules Michelet qui voyait dans la dispersion des pouvoirs aux X e -XI e siècles le<br />

moment où « chaque point de l’espace devient indépendant », elle reste encore implicite<br />

chez Georges Duby, qui rappelle le rôle de son intuition du paysage à l’origine de sa<br />

vocation 249 . Plus récemment, le rôle d’Alain Guerreau dans l’explicitation du rôle de<br />

l’espace comme véritable clé de lecture permettant de comprendre l’ensemble des<br />

processus sociopolitiques à l’œuvre au cours de la période féodale a été central. Il est en<br />

effet le premier à tenter de poser les termes d’une redéfinition de l’espace médiéval et à<br />

entrevoir ses enjeux épistémologiques pour la connaissance de la période féodale. En<br />

1996, dans un article intitulé « Quelques caractères spécifiques de l’espace féodal<br />

européen », il propose une définition de l’espace féodal dont la valeur heuristique est<br />

rapidement reconnue et mise en œuvre par des historiens sensibles à la nécessité d’un<br />

renouvellement théorique de la discipline. Convaincu d’une pr<strong>of</strong>onde distance entre la<br />

conception moderne de l’espace et la conception féodale, Alain Guerreau affirme que<br />

« dans l’Europe féodale, l’espace n’était pas conçu comme continu et homogène, mais<br />

comme discontinu et hétérogène, en ce sens qu’il était à chaque endroit polarisé<br />

(certaines points étant valorisés, sacralisés, par rapport à d’autres perçus – à partir des<br />

premiers et en relation avec eux – comme négatifs). Une multitude de processus et de<br />

marqueurs sociaux était à l’œuvre pour singulariser chaque point et s’opposer à toute<br />

possibilité d’équivalence ou de permutation » 250 . Cette définition est posée comme le<br />

strict inverse de la définition donnée par Henri Poincaré de l’espace ordinaire : « 1- il<br />

248 SEGAUD, M., Anthropologie de l'espace : habiter, fonder, distribuer, transformer, 2007.<br />

249 BOUCHERON, P., « Représenter l'espace féodal : un défi à relever », Espaces Temps.<br />

Histoire/Géographie, 2. Les promesses du désordre, 68-69-70 (1998), p. 59-66 cite MICHELET, J.,<br />

Histoire de France, 1981 [1861], p.182-3 et RUSSO, D., « L’œuvre d’art et ses significations. Autour de<br />

la notion de paysage dans l'œuvre de Georges Duby », dans Georges Duby. L’écriture de l’histoire, 1996,<br />

p. 37-49, voir aussi LACOSTE, Y., « Entretien avec Georges Duby », Hérodote. Géographie historique,<br />

74/75 (1994), p. 7-13.<br />

250 GUERREAU, A., « Quelques caractères spécifiques de l’espace féodal européen », dans L'État ou le<br />

roi. Les fondations de la modernité monarchique en France, XIVe-XVIIe siècles, 1996, p. 85-101,<br />

notamment p. 87-88.<br />

86


est continu ; 2- il est infini ; 3- il a trois dimensions ; 4- il est homogène, c’est-à-dire<br />

que tous ses points sont identiques entre eux ; 5- il est isotrope, c'est-à-dire que toutes<br />

les droites qui passent par un même point sont identiques entre elles » 251 . Dans le sillage<br />

de cette redéfinition, des travaux ont été menés sur le thème de la spatialisation du sacré<br />

dans l’Occident médiéval entre le V e et le XIII e siècle 252 et plusieurs récentes<br />

publications ont contribué à renouveler la compréhension des processus sociaux et<br />

spatiaux de la féodalité 253 . Les nouveaux outils conceptuels utilisés et interprétés, mais<br />

aussi parfois élaborés – tels que spatialisation, territorialisation, topolignée, et plus<br />

récemment la monumentalisation ou déparentèlisation – permettent désormais de<br />

décrire autrement, sous forme dynamique, les processus de réorganisation sociale et<br />

spatiale de l’Occident entre le X e et le XII e siècle, et d’émanciper les représentations<br />

historiennes de la catégorisation mise en point par les historiens du droit du XIX e<br />

siècle 254 . En 1996, Jacques Le G<strong>of</strong>f et Jean-Claude Schmitt prennent acte de ce<br />

changement de regard du médiéviste sur l’espace ainsi que de sa relation au temps, en<br />

l’incluant dans les nouveaux objets et les nouveaux problèmes de l’histoire médiévale<br />

en France 255 .<br />

Cette tendance s’observe également aux Etats-Unis, où la redéfinition<br />

anthropologique de l’espace dans les années 1990 s’inscrit dans le courant<br />

‘postmoderne’ de l’histoire culturaliste. Dans l’introduction de Medieval Practices <strong>of</strong><br />

Space, Barbara A. Hanawalt et Michal Kobialka proposent d’interpréter l’appropriation<br />

du terme ‘space’ par les sciences sociales comme une conséquence du succès de la<br />

French Theory de manière générale 256 , et plus spécifiquement de la réception de<br />

251<br />

Cité dans GUERREAU, A., « Structures et évolutions des représentations de l’espace dans le haut<br />

Moyen Âge occidental », dans Uomo e spazio nell’alto medioevo, 2003, p. 91-116 (p. 97). On peut<br />

relever que chez les mathématiciens la relativité de l’espace euclidien était déjà répandue: cf. GRAY, J.,<br />

Ideas <strong>of</strong> space : Euclidean, non-Euclidean, and relativistic, 1989.<br />

252<br />

Titre du séminaire du CEM d’Auxerre, animé par Dominique Iogna-Prat, Michel Lauwers et Alain<br />

Guerreau entre autre.<br />

253<br />

LAUWERS, M., Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval,<br />

2005; IOGNA-PRAT, D., La maison Dieu, 2006; LAUWERS, M. et RIPART, L., « Représentation et<br />

gestion de l’espace dans l’Occident médiéval », dans Rome et la genèse de l’État moderne : une<br />

comparaison typologique, 2007, p. 115-171. On trouvera également un synthèse de ces apports<br />

historiographiques dans BASCHET, J., La civilisation féodale de l'an mil à la colonisation de l'Amérique,<br />

2004.<br />

254<br />

GUERREAU, A. et LE GOFF, J., Le féodalisme, un horizon théorique, 1980.<br />

255<br />

LE GOFF, J. et SCHMITT, J. C., « L'histoire médiévale », C.C.M., 39 (1996), p. 9-25.<br />

256<br />

Il suffit de regarder la bibliographie de l’introduction pour s’en convaincre : les quelques auteurs cités<br />

sont : BOURDIEU, P., The field <strong>of</strong> cultural production : essays on art and literature, 1993; DE<br />

CERTEAU, M., Heterologies : discourse on the other, 1986; DELEUZE, G., The Deleuze reader, 1993;<br />

DERRIDA, J., On the name, 1995; FOUCAULT, M., « Of other spaces », Diacritics, 16:1 (1986), p. 22-<br />

27.<br />

87


l’ouvrage de Henri Lefebvre, La production de l’espace (1974) – et surtout à partir de sa<br />

traduction anglaise en 1991. Le terme cessa ainsi d’avoir un sens strictement<br />

géométrique et prit progressivement de nouveaux usages et de nouveaux attributs 257 .<br />

En même temps que se formait l’idée qu’il existait un « régime de spatialité »<br />

propre au Moyen Âge, la question du territoire et de la territorialité médiévale devint<br />

également une problématique croissante chez les historiens ruralistes, sous l’influence<br />

des archéologues plus attentifs à l’évolution du paradigme territorial des géographes 258 .<br />

La question de la perception de l’espace géographique qu’un historien comme Charles<br />

Higounet qualifiait à la fin des années 1980 de « lancinante », mais sans réponse<br />

vraiment satisfaisante, devient donc de plus en plus centrale 259 . L’essor de ces<br />

questionnements permet notamment l’éclaircissement des distinctions entre « l’espace »<br />

et le « territoire ». Jacques Revel et Daniel Nordman par exemple, formulent cette<br />

distinction en opposant l’espace, en tant que principe s’organisant « selon des lois<br />

intrinsèques », du territoire, défini comme un espace « agencé par la volonté du<br />

prince » 260 ou plus localement des communautés humaines qui l’occupent : « Tandis<br />

que dans l’espace, les phénomènes interfèrent, se chevauchent selon des plans qui se<br />

superposent, un territoire se différencie de tous les autres sur un plan unique. Il requiert<br />

la clôture ». Le territoire apparaît alors comme un concept heuristique pour les sciences<br />

sociales permettant d’introduire les logiques d’acteurs dans l’analyse de la spatialisation<br />

du social 261 . Pour les historiens du Moyen Âge, il s’agissait d’abord de mettre à distance<br />

cette notion imprégnée par plusieurs siècles de politiques étatiques et de discours sur la<br />

257 HANAWALT, B. A. et KOBIALKA, M. (eds.), Medieval practices <strong>of</strong> space, 2000, p. 1 voir<br />

notamment les études du centre des Medieval Studies de l’université du Minnesota.<br />

258 OZOUF-MARIGNIER, M. V., « Le territoire, la géographie et les sciences sociales: aperçu<br />

historiques et épistémologiques », dans Territoires, territorialité, territorialisation. Controverses et<br />

perspectives, 2009, p. 31-35 pense néanmoins qu’il n’y a pas eu de territorial turn dans la mesure où le<br />

concept de territoire n’a pas réellement dépassé le champ de la géographie ni imprégné les autres sciences<br />

sociales. Pour SÉCHET, R. et KEERLE, R., « Petite histoire de délicatesses de "l'équipe-de-géographiesociale-de-la-France-de-l'Ouest"<br />

avec le territoire », dans Territoires, territorialité, territorialisation.<br />

Controverses et perspectives, 2009, p. 83-93 le succès du concept de territoire chez les géographes est lié<br />

à la volonté d’inscrire la géographie dans les sciences sociales et lui donner une légimité alors que cellesci<br />

vivaient un spatial turn. Voir aussi RIPOLL, F. et VESCHAMBRE, V., « Le territoire des géographes:<br />

quelques points de repères sur les usages contemporains », dans Les territoires du médiéviste, 2005, p.<br />

271-291.<br />

259 HIGOUNET, C., « A propos de la perception de l'espace au Moyen Âge », dans Media in Francia,<br />

recueil de mélanges <strong>of</strong>ferts à Karl Ferdinand Werner pour son 65e anniversaire, 1989, p. 257-268.<br />

260 NORDMAN, D. et REVEL, J., « La formation de l'espace français », dans Histoire de la France. 1.<br />

L'espace français, 2000 (1989), p. 39-209, notamment p. 40-41.<br />

261 OZOUF-MARIGNIER, M. V., « Le territoire, la géographie et les sciences sociales: aperçu<br />

historiques et épistémologiques », dans Territoires, territorialité, territorialisation. Controverses et<br />

perspectives, 2009, p. 31-35.<br />

88


nation 262 , pour ensuite proposer de nouvelles définitions, étymologique (en tant<br />

qu’espace de la cité sur lequel les magistrats étaient en droit d’exercer la terreur au nom<br />

de l’intérêt public) 263 ou anthropologique (en tant qu’espace où se définissent des<br />

communautés d’appartenance) 264 . L’apport principal de l’historiographie de ces<br />

dernières années a ainsi été de montrer d’une part la pluralité des « territoires » et la<br />

manière dont ceux-ci se superposaient et se chevauchaient de manière complexe,<br />

recourant aux concepts et aux modèles géographiques de cospatialité ou des « lieux<br />

centraux » 265 ; et d’autre part de proposer des modèles d’interprétation des processus<br />

d’évolution des configurations spatiale 266 .<br />

Si la construction de l’espace n’a pas toujours intéressé les historiens, les<br />

archéologues, quant à eux, se sont emparés de ces questions à partir des années 1970,<br />

avec l’essor de leur discipline. Partant des travaux de Pierre Toubert qui explore le<br />

phénomène de l’incastellamento dans le Latium médiéval, Robert Fossier et Jean<br />

Chapelot propose, en 1980, d’élargir géographiquement l’interprétation de ce<br />

phénomène et forgent concept d’encellulement 267 . La proposition du paradigme de la<br />

« naissance du village », qui est alors relativement bien accueilli par les historiens 268 , va<br />

cependant cristalliser les premiers débats lorsque les archéologues le remettent en<br />

question, notamment en proposant d’autres périodisations 269 . Le malentendu entre<br />

archéologues et historiens apparaît alors principalement fondé sur la question des corpus<br />

262 CURSENTE, B. et MOUSNIER, M., Les territoires du médiéviste, 2005, p. 9.<br />

263 LAUWERS, M., Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval,<br />

2005, p. 23.<br />

264 MORSEL, J., « Appropriation communautaire du territoire ou appropriation territoriale de la<br />

communauté ? », Hypothèses 2005. Travaux de l'Ecole doctorale de <strong>Paris</strong> 1 <strong>Panthéon</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (2006),<br />

p. 89-104.<br />

265 DEVROEY, J. P. et LAUWERS, M., « L'"espace" des historiens médiévistes: quelques remarques en<br />

guise de conclusion », dans Construction de l'espace au Moyen Âge: pratiques et représentations, 2007,<br />

p. 435-453; CURSENTE, B., « Autour de Lézat: emboîtement, cospatialité, territoires (milieu Xe- milieu<br />

XIIIe siècle », dans Les territoires du médiéviste, 2005, p. 151-167.<br />

266 LAUWERS, M. et RIPART, L., « Représentation et gestion de l’espace dans l’Occident médiéval »,<br />

dans Rome et la genèse de l’État moderne : une comparaison typologique, 2007, p. 115-171 voient<br />

également un troisième champ de recherche : celui des représentations et de l’imaginaire, initié par les<br />

travaux de Jacques Le G<strong>of</strong>f.<br />

267 TOUBERT, P., Les structures du Latium médiéval. Le Latium méridional et la Sabine du IXe siècle à<br />

la fin du XIIe siècle, 1973 ; CHAPELOT, J. et FOSSIER, R., Le village et la maison au Moyen âge, 1980<br />

268 Ibid.; GUERREAU, A., « Un tournant de l'historiographie médiévale », Annales. Histoire, Sciences<br />

Sociales, 41:5 (1986), p. 1161-1176.<br />

269 ZADORA-RIO, E., « Le village des historiens et le village des archéologues », dans Campagnes<br />

médiévales: l'homme et son espace. Etudes <strong>of</strong>fertes à Robert Fossier, 1995; BOURIN, M. et ZADORA-<br />

RIO, E., « Pratiques de l'espace: les apports comparés des données textuelles et archéologiques », dans<br />

Construction de l'espace au Moyen Âge: pratiques et représentations, 2007, p. 39-55; WATTEAUX, M.,<br />

« A propos de la "naissance du village au Moyen Âge": la fin d'un paradigme? », Etudes rurales, 167-168<br />

(2003), p. 307-318.<br />

89


et des échelles d’analyses, les archéologues tendant à réinvestir et repenser la notion<br />

d’espace géographique par l’histoire du paysage, de l’environnement, ou de<br />

l’aménagement rural, en particulier à travers sa modélisation dynamique sur la longue<br />

durée, au sein d’une discipline émergente : l’archéogéographie 270 . Celle-ci prétend en<br />

effet réhabiliter les multiples dimensions du spatial que le « spatialisme » dominant en<br />

sciences sociales depuis les années 1970 tend à gommer et notamment la dimension<br />

morphologique 271 .<br />

Ces débats n’ont pas pour autant empêché les historiens de poursuivre leur<br />

analyse des différentes étapes des processus d’organisation de l’espace social,<br />

proposant, par exemple, comme Piroska Nagy « de distinguer spatialisation et<br />

territorialisation comme deux types de rapport à l'espace et deux étapes successives du<br />

processus qui s'est déroulé au Moyen Âge » 272 et de considérer la territorialisation,<br />

comme « l'organisation de la domination (territoriale) […] à travers la définition des<br />

frontières et l'organisation politique » 273 . Ainsi, à partir des découvertes<br />

archéologiques 274 , une relecture attentive des textes qu’ils soient de nature<br />

ecclésiastique 275 ou diplomatique (les chartes de franchises) 276 , effectuée depuis une<br />

dizaine d’années, a mis en lumière les processus de d’organisation spatiale qui<br />

alimentent les transformations de la société féodale.<br />

270 CHOUQUER, G., L'étude des paysages : essais sur leurs formes et leur histoire, 2000; MORNET, E.<br />

(éd.), Campagnes médiévales: l'homme et son espace. Etudes <strong>of</strong>fertes à Robert Fossier, 1995; MORNET,<br />

E.; MORENZONI, F. et LE GOFF, J., Milieux naturels, espaces sociaux. Études <strong>of</strong>fertes à Robert Delort,<br />

1997 ; TRÉMENT, F. et al., « Des espaces et des paysages. Essai de spatialisation dynamique des<br />

relations habitat-milieu humide en Grande Limagne, de l’Âge du fer au Moyen Âge », dans L’historien en<br />

quête d’espace, 2005, p. 17-38, WATTEAUX, M., « La résilience des réseaux de formes et la<br />

chronologie archéologique. Recherches sur la dynamique des réseaux de formes viaires et parcellaires<br />

dans la longue durée », mémoire de DEA, sous la dir. de Gérard Chouquer, 2002.<br />

271 Je remercie Gérard Chouquer pour ses remarques sur ce point.<br />

272 NAGY, P., « La notion de Christianitas et la spatialisation du sacré au X e siècle : un sermon d'Abbon<br />

de Saint-Germain », Médiévales, 49 (2005), p. 121-140, p. 121. voir aussi LAUWERS, M. et RIPART,<br />

L., « Représentation et gestion de l’espace dans l’Occident médiéval », dans Rome et la genèse de l’État<br />

moderne : une comparaison typologique, 2007, p. 115-171.<br />

273 Voir aussi IOGNA-PRAT, D., « Constructions chrétiennes d’un espace politique », Le Moyen Âge,<br />

107 (2001), p. 49-69; IOGNA-PRAT, D. et ZADORA-RIO, E., « Formation et transformations des<br />

territoires paroissiaux », Médiévales, 49 (2005); LAUWERS, M., Naissance du cimetière. Lieux sacrés et<br />

terre des morts dans l’Occident médiéval, 2005; LAUWERS, M. et RIPART, L., « Représentation et<br />

gestion de l’espace dans l’Occident médiéval », dans Rome et la genèse de l’État moderne : une<br />

comparaison typologique, 2007, p. 115-171.<br />

274 BOURIN, M. et ZADORA-RIO, E., « Pratiques de l'espace: les apports comparés des données<br />

textuelles et archéologiques », dans Construction de l'espace au Moyen Âge: pratiques et représentations,<br />

2007, p. 39-55.<br />

275 IOGNA-PRAT, D., La maison Dieu, 2006.<br />

276 MORSEL, J., « Comment peut-on être <strong>Paris</strong>ien ? Contribution à l’histoire de la genèse de la<br />

communauté parisienne au XIIIe siècle », dans Religion et société urbaine au Moyen âge. Études <strong>of</strong>fertes<br />

à Jean-Louis Biget, 2000, p. 363-381.<br />

90


Changer d’échelle : l’analyse macro-spatiale et la question de l’empire<br />

Les études sur l’espace et le territoire au Moyen Âge se sont jusqu’à présent<br />

concentrées autour des lieux (la cité, le village, les lieux sacrés, etc.), et plus récemment<br />

autour du diocèse, comme territoire 277 . Or, changer d’échelle permet de saisir le<br />

fonctionnement multipolaire de l’espace féodal, comme le montrent les travaux sur la<br />

notion de « capitalité », par exemple, qui permet de fractionner la notion de capitale,<br />

forgée sur le modèle étatique et de questionner la dispersion de ses fonctions et de leur<br />

mise en réseau 278 . Ces travaux s’inscrivent dans la continuité historiographique des<br />

études palatiales, particulièrement forte en Allemagne où les résidences impériales et<br />

royales depuis le haut Moyen Âge sont maintenant plus connues 279 . Outre les travaux<br />

sur le champ sémantique de la résidence (palatium, curtis, aula, curia, castrum) qui ont<br />

également été développées en France 280 , et dans une moindre mesure en Grande-<br />

Bretagne 281 , c’est principalement l’étude des pratiques résidentielles qui ont amené à<br />

renouveler l’approche des mécanismes du pouvoir médiéval en valorisant le rôle de<br />

l’itinérance comme mode de gouvernement et d’organisation de l’espace de la<br />

souveraineté. Changer d’échelle implique donc de considérer différents types de<br />

territorialité et notamment celle des réseaux. La réflexion en réseau permet en effet de<br />

penser une géographie complexe, hybride et mobile, émancipée de la conception du<br />

277<br />

MAZEL, F. (éd.), L'espace du diocèse. Genèse d'un territoire dans l'Occident médiéval (Ve-XIIIe<br />

siècle), 2008.<br />

278<br />

BOUCHERON, P. et al., « Formes d’émergence, d’affirmation et de déclin des capitales : rapport<br />

introductif », dans Les villes capitales, 2006, p. 1-43; Ibid..<br />

279<br />

PARAVICINI, W., « Les cours et les résidences du Moyen Âge tardif. Un quart de siècle de<br />

recherches allemandes », dans Les tendances actuelles de l'histoire du Moyen Âge en France et en<br />

Allemagne, 2003, p. 327-350; ZOTZ, T., « Palais royaux, cours, résidences. L'étude des palais royaux en<br />

Allemagne », dans Ibid., p. 307-326 BOUCHERON, P. et al., « Formes d’émergence, d’affirmation et de<br />

déclin des capitales : rapport introductif », dans Les villes capitales, 2006, p. 1-43, notamment p. 21-26.<br />

280<br />

RENOUX, A. (éd.), Palais royaux et princiers au Moyen âge : actes du colloque international tenu au<br />

Mans les 6-7 et 8 octobre 1994, 1996; RENOUX, A. (éd.), Aux marches du palais : qu'est-ce-qu'un palais<br />

médiéval ? : données historiques et archéologiques : actes du VIIe Congrès international d'archéologie<br />

médiévale, Le Mans-Mayenne, 9-11 septembre 1999, 2001; RENOUX, A., « Palais, cours et résidences »,<br />

dans Les tendances actuelles de l'histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, 2003, p. 351-356;<br />

DEBORD, A., « Castrum et castellum chez Ademar de Chabannes », Archéologie médiévale, 9 (1979), p.<br />

97-113 ; RENOUX, A., « Palais, cours et résidences », dans Les tendances actuelles de l'histoire du<br />

Moyen Âge en France et en Allemagne, 2003, p. 351-356; RENOUX, A. (éd.), Aux marches du palais :<br />

qu'est-ce-qu'un palais médiéval ? : données historiques et archéologiques : actes du VIIe Congrès<br />

international d'archéologie médiévale, Le Mans-Mayenne, 9-11 septembre 1999, 2001; RENOUX, A.<br />

(éd.), Palais royaux et princiers au Moyen âge : actes du colloque international tenu au Mans les 6-7 et 8<br />

octobre 1994, 1996 ;<br />

281<br />

Ceux qui existent sont principalement des monographies de sites archéologiques , voir chapitre 5 ;<br />

KEEVILL, G., Medieval Palaces. An archaeology, 2000.<br />

91


territoire comme cadre conceptuel à l’ancienne, issue d’une vision moderne du monde<br />

obsédée par les distinctions essentielles entre catégories et espaces 282 .<br />

C’est dans cette perspective d’un changement d’échelle d’analyse des processus<br />

territoriaux, qu’il faut comprendre l’emploi du concept d’empire dans cette étude c'est-<br />

à-dire comme un concept heuristique permettant d’explorer les configurations spatiales<br />

du pouvoir à une échelle macrospatiale. C’est d’ailleurs dans cette perspective que John<br />

Le Patourel avait proposé une théorie des empires féodaux (voir infra) 283 . Les réflexions<br />

à l’échelle impériale ont en effet imprégné l’historiographie britannique bien avant celle<br />

des historiens français dont le retard a été récemment analysé par Jean-Frédéric<br />

Schaub 284 . Chez les britanniques, la remise en cause du cadre spatial de la Nation, dans<br />

les années 1970, s’est d’abord effectué à travers la conception « occidentale » de<br />

l’espace, véhiculée depuis l’après-guerre par l’histoire marxiste, pro-européenne 285 , puis<br />

à la suite de la critique des historiens du Commonwealth, qui à l’instar du néo-zélandais<br />

John Pocock, revendiquaient la nécessité d’un changement d’échelle et d’un<br />

décentrement des espaces d’analyse 286 . Cet appel est entendu par certains médiévistes,<br />

comme Rees R. Davies qui publie en 1988, un article intitulé « Éloge pour une histoire<br />

britannique », dans lequel il appelait à l’écriture d’une British History comparative<br />

capable de faire émerger les changements sur le long terme et non un paradigme qui<br />

subsumerait les multiples traditions historiographiques en un modèle unitaire du « tout<br />

britannique » 287 . C’est donc dans ce contexte que s’inscrit le renouveau des discussions<br />

sur la pertinence du concept d’empire appliqué à l’espace britannique et au monde<br />

Plantagenêt. En 2000, Rees R. Davies publiait ainsi un livre synthétique au titre<br />

suggestif : The first English Empire 288 .<br />

L’empire Plantagenêt chez les médiévistes britanniques.<br />

282 PAINTER, J., « Territoire et réseau: une fausse dichotomie? », dans Territoires, territorialité,<br />

territorialisation. Controverses et perspectives, 2009, p. 57-66 cite LATOUR, B., Nous n'avons jamais<br />

été modernes. Essai d'anthropologie symétrique, 1997.<br />

283 LE PATOUREL, J. H., « Feudal Empires », dans Les Grands Empires, 1973, p. 281-307.<br />

284 SCHAUB, J. F., « La catégorie « études coloniales » est-elle indispensable ? », Annales. Histoire<br />

Sciences Sociales, 63: 3 (2008), p. 625-646.<br />

285 WAQUET, J., « Past & present (1152-1157) et l’espace de l’histoire », dans Les espaces de l'historien,<br />

2000, p. 19-31.<br />

286 POCOCK, J. A. G., « British History: a plea for a new subject », The Journal <strong>of</strong> Modern History, 47-4<br />

(1975), p. 610-621.<br />

287 DAVIES, R. R., « In Praise <strong>of</strong> British History », dans The British Isle 1100-1500. Comparisons,<br />

Contrasts and Connections, 1988, p. 9-26.<br />

288 DAVIES, R. R., The First English Empire : power and identities in the British Isles, 1093-1343, 2000<br />

92


D’une certaine manière c’est la sociologie qui semble avoir le plus influencé la<br />

thématique spatiale chez les médiévistes britanniques. Ainsi, il n’est pas surprenant que<br />

les approches sur l’espace des Plantagenêt aient privilégié l’étude de la capacité à<br />

territorialiser des groupes c'est-à-dire à créer des frontières 289 et à forger des leurs<br />

identités 290 . C’est à partir de cette double approche, plus interactionniste, que Daniel<br />

Power, par exemple, pose la question de l’organisation de l’espace normand sous les<br />

Plantagenêt 291 . Kathleen Thompson, dans son étude sur le comté du Perche, étudie<br />

davantage les pouvoirs que confère la possession d’une seigneurie en marche 292 . Ces<br />

deux thèses sont par ailleurs significatives d’une tendance chez les historiens<br />

britanniques, marquée par un certain déclin de l’intérêt pour l’ensemble de l’espace des<br />

Plantagenêt, au pr<strong>of</strong>it du seul monde anglo-normand et de ses marges.<br />

Plus globalement, Nicholas Vincent a récemment montré que les questions<br />

récemment posées par l’historiographie britannique étaient étroitement liées à l’héritage<br />

de William Stubbs, évêque d’Oxford (1825-1901) qui rédigea une monumentale<br />

Constitutional History <strong>of</strong> England, à la base de la conception constitutionnelle de la<br />

royauté anglaise 293 . Cette histoire qui contribua à « désacraliser » l’image de la royauté<br />

289<br />

La remise en question de la notion de frontière est ancienne on peut citer entre autre les travaux<br />

généraux des historiens et géographes français : FEBVRE, L., « Frontière: le mot et la notion », dans<br />

Pour une histoire à part entière, 1982 [1962]et plus récemment :GUENÉE, B., « Des limites féodales aux<br />

frontières politiques », dans Les Lieux de Mémoire. Vol. 1 : La Nation, 1997, p. 1103-1124. Une tendance<br />

qui s’applique à l’étude l’espace anglo-normand : LEMARIGNIER, J. F., Recherches sur l'hommage en<br />

marche et les frontières féodales, 1945, MUSSET, L., « Considérations sur la genèse et le tracé des<br />

frontières de la Normandie », dans Media in Francia, recueil de mélanges <strong>of</strong>ferts à Karl Ferdinand<br />

Werner pour son 65e anniversaire, 1989, p. 309-318; MUSSET, L., « La frontière du Vexin », Annuaire<br />

des cinq départements de la Normandie, congrès des Andelys (1966), p. 42-49; MUSSET, L., « Notes sur<br />

la frontière normanno-mancelle », Annuaire des cinq départements de la Normandie, congrès d'Alençon<br />

(1964), p. 25-30; MUSSET, L., « Observations sur l'histoire et la signification de la frontière normande<br />

X-XIIe siècles », Revue historique de droit français et étranger, 41 (1963), p. 545-546; MUSSET, L.,<br />

« La frontière de l'Avre. Origines et significations historiques », dans Vallée de l'Avre, marche de saint-<br />

André, p. 31-38 entre autre. Dans le monde britannique, la problématique a fait l’objet d’un pr<strong>of</strong>ond<br />

renouvellement ces vingt dernières années, BARTLETT, R. J. et MACKAY, A. (eds.), Medieval frontier<br />

societies, 1989; POWER, D. J. et STANDEN, N. (eds.), Frontiers in question : Eurasian borderlands,<br />

700-1700, 1999; ABULAFIA, D. et BEREND, N. (eds.), Medieval Frontiers : Concepts and Practices,<br />

2002.<br />

290<br />

THOMAS, H. M., The English and the Normans. Ethnic Hostility, Assimilation and Identity, 1066-c.<br />

12, 2003; GILLINGHAM, J., The English in the Twelfth Century :Iimperialism,Nnational Identity and<br />

Political Values, 1999 ; DAVIES, R. R., The First English Empire : power and identities in the British<br />

Isles, 1093-1343, 2000.<br />

291<br />

POWER, D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries, 2004.<br />

292<br />

THOMPSON, K., Power and Border Lordship in Medieval France : the County <strong>of</strong> the Perche, 1000-<br />

1226, 2002.<br />

293<br />

STUBBS, W., The Constitutional History <strong>of</strong> England in its Origin and Development, 1883-1887;<br />

VINCENT, N., « Twelfth and Thirteenth-Century Kingship. An Essay in Anglo-French<br />

Misunderstanding », dans Les idées passent-elles la Manche. Savoirs, représentations, pratiques (France-<br />

Angleterre, Xe-XXe siècles), 2007, p. 21-36.<br />

93


anglaise explique en partie pourquoi la biographie, au moment où elle était délaissée par<br />

les historiens des Annales, fut le principal mode d’interrogation historique de cette<br />

période. Même s’ils avaient tendance à reproduire les défauts qu’avaient stigmatisés les<br />

historiens des Annales, comme l’appréciation des qualités d’hommes d’État, parfois sur<br />

un mode psychologiques 294 , les historiens britanniques n’en pratiquaient pas moins une<br />

histoire politique pr<strong>of</strong>ondément marquée le droit et l’analyse des institutions.<br />

L’influence de l’anthropologie historique dans les années 1970 n’a pas radicalement<br />

changé ces perspectives. James C. Holt a ainsi montré tout l’intérêt du droit et de sa<br />

fonction dans les modes de gouvernement ainsi que dans les rapports sociaux et les<br />

rapports de parenté au Moyen Âge 295 . Les approches sociologiques et<br />

prosoprographiques ont également contribué à renouveler l’histoire politique 296 . John<br />

Gillingham a ainsi tenté de construire une véritable sociologie politique du monde<br />

Plantagenêt, en s’intéressant aux représentations politiques et aux valeurs, notamment à<br />

la chevalerie et au rapport à la guerre 297 .<br />

Malgré le déséquilibre bibliographique sur les Plantagenêt en faveur de<br />

l’historiographie britannique, cette étude propose de prendre en compte l’apport de<br />

l’historiographie française sur la notion d’espace – qui est d’abord une anthropologie<br />

sociale – pour tenter d’expliquer les processus de territorialisation à l’œuvre dans<br />

l’empire Plantagenêt et leur rôle dans la formation d’un territoire politique. L’analyse<br />

des pratiques spatiales, et notamment des modes d’appropriations du territoire et de<br />

circulation des biens et des personnes ainsi que des représentations qu’elles<br />

engendraient, s’impose donc pour comprendre comment les Plantagenêt ont organisé,<br />

marqué et « construit » leurs territoires. Le concept de territorialisation permet en effet<br />

de remettre au centre le rôle des acteurs dans la construction du territoire, c’est pourquoi<br />

294 GALBRAITH, V. H., « Good Kings and Bad Kings in Medieval English History », dans Kings and<br />

chroniclers, 1982. VINCENT, N., « Twelfth and Thirteenth-Century Kingship. An Essay in Anglo-<br />

French Misunderstanding », dans Les idées passent-elles la Manche. Savoirs, représentations, pratiques<br />

(France-Angleterre, Xe-XXe siècles), 2007, p. 21-36 cite Sir Richard Southern à propos de la biographie<br />

d’Henri III de Sir Maurice Powicke : « a book that has no plot. Instead, the reader is taken through<br />

English history from 1216 to 1272… » (p. 25).<br />

295 HOLT, J. C., « Politics and property in early medieval England », Past & Present, 57 (1972), p. 3-52;<br />

HOLT, J. C., Colonial England, 1066-1215, 2003.<br />

296 CHURCH, S. D., The household knights <strong>of</strong> King John, 1999 ; BOORMAN, J., « The sheriffs <strong>of</strong> Henry<br />

II and their role in civil litigation 1154-89, PhD in History soutenu à l’University <strong>of</strong> Reading, 1989;<br />

HEISER, R. R., « Castles, constables, and politics in the late twelfth century English governance »,<br />

Albion,, 32 : 1 (2000), p. 19-36; HARPER-BILL, C. et VINCENT, N. (eds.), Henry II: New<br />

Interpretations, 2007.<br />

297 GILLINGHAM, J., The English in the Twelfth Century :Iimperialism, National Identity and Political<br />

Values, 1999; GILLINGHAM, J., Richard Coeur de Lion: Kingship, Chivalry and War in the Twelfth<br />

Century, 1994.<br />

94


Martin Vanier propose de définir la territorialisation comme un « ensemble de<br />

processus engagés par les systèmes d’acteurs et /ou d’agents, par les organisation<br />

sociales et politiques, par les dispositifs et procédures ad hoc, par les rapports de force<br />

et les mises en tension, par des déterminants économiques et structurels par des<br />

configurations génériques existantes et/ou des configurations particulières émergentes,<br />

permettant de faire advenir le territoire, le faire exister, se maintenir et parfois devenir<br />

opératoire » 298 . La problématique de notre démarche s’inscrit donc dans la<br />

compréhension des rapports entre l’espace et le pouvoir au XII e siècle, en considérant<br />

l’exercice du pouvoir par le contrôle des constructions pour marquer et maîtriser le<br />

territoire. Comment s’articulent ces actions locales avec les processus globaux<br />

d’organisation du politique et dans quelle mesure le concept d’« empire » <strong>of</strong>fre-t-il une<br />

certaine pertinence analytique pour comprendre ces processus ? L’emploi de ce vocable<br />

ayant fait l’objet de nombreux débats, depuis la fin du XIX e siècle, il convient d’en<br />

présenter les enjeux anciens et actuels.<br />

3.1.2- L’espace des Plantagenêt : un empire ?<br />

L’invention de l’expression « Angevin empire » par l’historienne britannique<br />

Kate Norgate, en 1887, était, comme l’a bien montré Alban Gautier, une manière de<br />

postuler l’existence d’une structure politique unifiée au XII e siècle à l’encontre des<br />

conceptions finalistes (ou fatalistes) qui ne pouvaient concevoir l’histoire de<br />

l’Angleterre et de la France en dehors du cadre de l’entité préexistante et sous-jacente<br />

de toute évolution historique qu’est l’État-Nation 299 . Ensuite, et tout au long du XX e<br />

siècle, le terme « empire angevin » ou « empire Plantagenêt » a été employé pour<br />

exprimer une certaine conception de l’histoire de l’Europe féodale, sous-tendue par des<br />

idéaux politiques. L’acceptation ou le refus du vocable d’empire par les historiens ne<br />

reflète, en effet, rien d’autre que le sens qu’ils accordaient à ce concept, comme le<br />

révèle la crispation des débats autour de l’accusation d’anachronisme ou de la<br />

revendication de sa valeur heuristique pour comprendre la réalité médiévale. L’histoire<br />

de ce débat résume ainsi parfaitement l’évolution sémantique qu’a connue le concept<br />

d’empire tout au long du XX e siècle. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Après un rapide<br />

298<br />

VANIER, M. (éd.), Territoires, territorialité, territorialisation. Controverses et perspectives, 2009,<br />

p. 12.<br />

299<br />

GAUTIER, A., « L'empire angevin: une invention des historiens? », Mémoire de Maîtrise d'histoire<br />

médiévale, sous la direction de Philippe Contamine et Frédérique Lachaud, 1996, <strong>Paris</strong>, chapitre 3 envoie<br />

à NORGATE, K., England under the Angevin kings, 1887.<br />

95


survol de cette évolution, on s’interrogera sur ce que les définitions actuelles de<br />

l’empire peuvent apporter, à l’aube du XXI e siècle, à la compréhension de l’espace des<br />

Plantagenêt.<br />

Après une phase dominée par l’histoire de « l’entente cordiale », dans la<br />

première moitié du XX e siècle, représentée par Maurice Powicke, Charles Homer<br />

Haskins et Charles Petit-Dutaillis autour de l’idée que la France et l’Angleterre avaient<br />

au Moyen Âge une histoire commune, se met en place, dans les années 1950, avec John<br />

Le Patourel, une théorie des empires féodaux. À partir des exemples des empires<br />

normand et Plantagenêt, il formule l’idée que l’empire constitue sans doute l’unité<br />

politique la plus caractéristique de l’époque féodale, marquée par le morcellement<br />

régional et l’absence d’institution centrale pourvue d’une autorité effective 300 . C’est<br />

ainsi, qu’il justifie l’expression « Angevin Empire » : malgré son hétérogénéité<br />

particulièrement forte, il constitue une entité historique cohérente, une réalité politique,<br />

dans laquelle les facteurs d’unités lui paraissent plus fort que les facteurs de<br />

désagrégation 301 . Au même moment, des critiques de ce modèle unitaire émergent et se<br />

développent jusqu’aux années 1980 302 . En 1984, les historiens présents au colloque de<br />

Fontevraud statuent sur la non pertinence du vocable d’« empire », démontrant<br />

l’absence d’unité de cet espace, en dehors de celle que lui donne la personne de son<br />

souverain. Leur position est aussi marquée par le refus d’utiliser « empire » parce qu’il<br />

s’agit d’un concept historique trop culturellement daté et idéologiquement connoté pour<br />

appréhender la réalité médiévale. La formulation théorique d’un refus du terme<br />

« empire » constitue une étape décisive dans ce débat qui, dès lors devient plus vif. John<br />

Gillingham est le premier à juger cette position conservatrice et erronée, non seulement<br />

parce qu’elle part d’une définition anachronique et ethnocentrique de l’empire, mais<br />

aussi parce qu’elle déforme de la réalité : l’anglocentrisme de ces historiens n’est que le<br />

résultat de l’illusion documentaire dont ils sont victimes. En publiant en 1984, The<br />

Angevin Empire, le biographe de Richard Cœur-de-Lion, revendique la validité de la<br />

notion d’empire, en soulignant le rôle primordial de l’Aquitaine dans l’équilibre<br />

politique mais aussi économique de cet espace 303 . Les politiques matrimoniales de<br />

300<br />

LE PATOUREL, J. H., « Feudal Empires », dans Les Grands Empires, 1973, p. 281-307; GAUTIER,<br />

A., « L'empire angevin: une invention des historiens? », Mémoire de Maîtrise d'histoire médiévale, sous<br />

la direction de Philippe Contamine et Frédérique Lachaud, 1996, <strong>Paris</strong>.<br />

301<br />

LE PATOUREL, J. H., « Angevin succession and Angevin empire », dans Feudal empires : Norman<br />

and Plantagenet, 1984 art. IX.<br />

302<br />

GAUTIER, A., « L'empire angevin: une invention des historiens? », Mémoire de Maîtrise d'histoire<br />

médiévale, sous la direction de Philippe Contamine et Frédérique Lachaud, 1996, <strong>Paris</strong>.<br />

303<br />

GILLINGHAM, J., The Angevin empire, 1984, p. 45.<br />

96


Richard (Bérengère de Navarre) et de Jean (Isabelle d’Angoulême) ainsi que le<br />

développement du commerce dans des centres tels que La Rochelle et Bordeaux<br />

témoignent incontestablement de la place de cette région, trop souvent négligée par les<br />

historiens britanniques, au sein de l’empire. Les oppositions cristallisées autour de la<br />

question de l’unité ou non de cet espace, reposaient donc sur une conception de l’empire<br />

au sens d’institution ou de structure politique. C’est sans doute pourquoi, bien<br />

qu’émancipés de la vision « nationale », les débats n’ont jamais cessé d’être posés en<br />

terme d’État (comment un État peut-il chevaucher deux royaumes ?), comme si tout<br />

Empire supposait l’existence d’un État impérial, sur le modèle implicite de l’Empire<br />

romain, de ses avatars ou des empires coloniaux du XVIII e et XIX e siècles, c'est-à-dire<br />

d’une structure centralisée avec un cœur et une périphérie et une vocation<br />

impérialiste 304 . De fait, dans les années 1950-1980, les définitions de référence de<br />

l’empire « universel » reposaient sur l’idée que tout Empire était un « État souverain<br />

s’étendant durant un certain temps sur un vaste territoire habité de multiples groupes<br />

sociopolitiques placés sous l’autorité d’un même gouvernant ayant une politique tendant<br />

à l’hégémonie » 305 . Or ce qui était une certitude hier commence à disparaître<br />

aujourd’hui : pour certains sociologues ou philosophes du politique, en effet, l’Empire<br />

apparaît précisément comme une forme sociopolitique alternative à l’État, soit en tant<br />

que forme pré- ou post-étatique, soit comme matrice même de la formation de l’État 306 .<br />

L’articulation entre la formation de l’État et sa transformation en empire constitue en<br />

effet l’une des principales questions des politistes et des historiens que ce soit au XVI e<br />

siècle, moment où l’essor des États modernes en Europe coïncide avec leur extension<br />

transatlantique, ou au XIX e siècle, lorsque se met en place l’État-nation en même temps<br />

que la colonisation de l’Afrique et de l’Asie. Dans quelle mesure alors la formation des<br />

empires féodaux, que ce soit l’empire Plantagenêt au XII e siècle, ou Capétien au XIII e<br />

siècle, ne peut-elle également être envisagée comme une étape préalable dans la<br />

« genèse de l’État moderne » ? Alors qu’il était courant de parler de l’empire du roi à la<br />

fin du Moyen Âge et à l’époque moderne pour désigner son pouvoir souverain,<br />

304<br />

DOYLE, M. W., Empires, 1986; MOTYL, A. J., « Why Empires reemerge: Imperial collapse and<br />

imperial Revival in Comparative Perspective », Comparative Politics, 31:2 (1999), p. 127-145.<br />

305<br />

GILISSEN, J., « La notion d’empire dans ‘l’histoire universelle’ », dans Les Grands Empires, 1973, p.<br />

759-849.<br />

306<br />

Entre autre : HARDT, M. et NEGRI, A., Empire, 2004, BARKEY, K., « Trajectoires impériales:<br />

histoires connectées ou études comparées? », RHMC, 54: 5 (2007), p. 90-103; BARKEY, K. et VON<br />

HAGEN, M., Aflter Empire: Multiethnic Societies and Nation-Building: the Soviet-Unions and the<br />

Russian, Ottoman and Habsburg Empires, 1997 ; BAYART, J. F., Le gouvernement du monde. Une<br />

critique politique de la globalisation, 2004.<br />

97


l’historiographie contemporaine a évacué cette terminologie, obérant ainsi partiellement<br />

la perception de la construction des États médiévaux au XIII e siècle comme formations<br />

impériales. Les raisons sont multiples et notamment la résistance intellectuelle des<br />

historiens qui continuent de penser que l’empire est un anachronisme, en dehors de<br />

toutes formes légitimes héritières de la Rome antique 307 , une position dont on a pourtant<br />

vu qu’elle relevait de l’ethnocentrisme. Il y a aussi sans doute la persistance d’un<br />

schéma intellectuel issu de l’historiographie du XIX e siècle, qui cherchait à montrer la<br />

continuité de l’État et de la nation française depuis les débuts du Moyen Âge par<br />

opposition au développement « manqué » de l’Empire allemand. Mais cette perspective<br />

finaliste ne laisse pas de place aux hésitations et à la contingence des situations<br />

historiques propres. Pour Pierre Monnet qui étudie l’articulation entre regnum et<br />

imperium, si aucun État moderne n’a émergé de l’Empire allemande c’est « parce que<br />

ce qui intéressait les contemporains était une organisation de l’Empire avec laquelle ils<br />

pourraient vivre dans la diversité des États, des cultures et des territoires le composant<br />

et non l’étatisation centralisée et « manquée » que cherche en permanence l’historien<br />

moderne depuis le XIX e siècle » 308 . Il y aurait également, selon cet historien, une<br />

incompatibilité entre la conception de l’empire comme mission divine et donc un refus<br />

de renoncer à la sécularisation du pouvoir souverain et une construction rationnelle<br />

étatique. Sans devenir un État, cet Empire n’en est moins devenue une nation, ce qui<br />

caractériserait finalement le mieux le processus de formation impériale, selon Gabriel<br />

Martinez-Gros, pour qui « un empire qui réussit, ce n’est pas un empire, c’est une<br />

nation » 309 .<br />

Comprendre ce qu’est un empire a été l’une des principales préoccupations de la<br />

sociologie politique depuis les années 1960, qui s’était donnée pour tâche de<br />

comprendre le fonctionnement des systèmes politiques mondiaux, en plein contexte de<br />

décolonisation. Le schéma narratif dominant de ces études, qui ont été majoritairement<br />

anglo-américaines, était axé autour de la question de la fin ou du déclin impérial, une<br />

question considérée comme cruciale pour parvenir à définir la nature des empires 310 .<br />

307<br />

C’est notamment la perspective de l’ouvrage de Jean Tulard : TULARD, J. (éd.), Les empires<br />

occidentaux: de Rome à Berlin, 1997.<br />

308<br />

MONNET, P., « Le Saint Empire entre regnum et imperium », dans Les empire. Antiquité et Moyen<br />

Âge analyse comparée, 2008, p. 155-180.<br />

309<br />

MARTINEZ-GROS, G., « L'empire et son espace: Conclusions », Hypothèses 2007. Travaux de<br />

l'Ecole doctorale de <strong>Paris</strong> 1 <strong>Panthéon</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (2008), p. 275-281.<br />

310<br />

EISENSTADT, S. N., The Decline <strong>of</strong> empires, 1967; DUROSELLE, J. B., Tout empire périra une<br />

vision théorique des relations internationales, 1992 [1981]; MOTYL, A. J., Imperial ends : the decay,<br />

collapse, and revival <strong>of</strong> empires, 2001.Voir aussi sur l’historiographie des empires BARKEY, K.,<br />

« Trajectoires impériales: histoires connectées ou études comparées? », RHMC, 54: 5 (2007), p. 90-103<br />

98


Les débats sur la nature de « l’empire » des Plantagenêt n’ont pas échappé à cette<br />

tendance. Si les auteurs de l’Ancien Régime donnaient une explication morale à l’échec<br />

de la construction dynastique (l’impiété de Jean), aux XIX e et XX e siècles, les raisons<br />

de l’effondrement de l’empire angevin ont été abordées de différemment selon la<br />

conception que l’on se faisait de cette ensemble politique. Ainsi, les historiens avançant<br />

des causes structurelles à l’effondrement de l’empire se sont opposés à ceux qui<br />

voyaient en la fin de la domination continentale des Plantagenêt, des causes<br />

conjoncturelles voire accidentelles. Pour les premiers, c’est parce qu’il n’était pas<br />

« structurellement » un empire que l’espace politique des Plantagenêt ne pouvait pas<br />

durer. Pour les seconds, cet espace avait tout pour devenir un empire durable s’il n’avait<br />

succombé aux aléas de l’histoire.<br />

Dans les années 1980, les interprétations « structuralistes » sont abandonnées et<br />

les débats sont reformulés en termes de représentations. Les Plantagenêt et leurs<br />

contemporains avaient-ils conscience de cette unité, comment la percevaient-ils<br />

puisqu’il n’existait pas de mots pour la nommer ? Par le biais des pratiques<br />

successorales et matrimoniales des comtes d’Anjou et de Normandie, plusieurs<br />

historiens ont tenté d’établir l’existence non seulement d’une conscience mais<br />

également d’une volonté des Plantagenêt à construire un espace unifié 311 . Il ressort de<br />

ces controverses une image de l’empire traversé par des processus contradictoires : si<br />

l’unification des principautés territoriales est d’abord le fruit d’une construction<br />

dynastique, les pratiques successorales mises en œuvre par Henri II, portent en elles les<br />

sources de leur division. En cherchant, dès la fin des années 1160, à répartir les<br />

territoires de son empire entre ses fils, Henri II prend acte de l’impossibilité à gouverner<br />

seul un tel espace et tente de mettre en œuvre un système qui s’apparente à ce que<br />

certains historiens, à la suite de Lewis Warren, ont décrit comme une fédération<br />

familiale. La notion de Commonwealth sous-tendue par l’idée que l’empire des<br />

sur la question des sens et des usages de l’empire :MADELINE, F., « L’empire et son espace : Héritages,<br />

organisations, pratiques », Hypothèses 2007. Travaux de l'Ecole doctorale de <strong>Paris</strong> 1 <strong>Panthéon</strong>-<strong>Sorbonne</strong><br />

(2008), p. 215-225.<br />

311 TURNER, R. V., « The Problem <strong>of</strong> Survival for the Angevin "Empire": Henry II's and His Sons'<br />

Vision versus Late Twelfth-Century Realities », The American Historical Review, 100: 1 (1995), p. 78-<br />

96; HOLLISTER, C. W. et KEEFE, T. K., « The Making <strong>of</strong> the Angevin Empire », The Journal <strong>of</strong> British<br />

Studies, 12: 2 (1973), p. 1-25; HOLLISTER, C. W., « Normandy, France and the Anglo-Norman Regnum<br />

», Speculum, 51: 2 (1976), p. 202-242; BACHRACH, B. S., « The Idea <strong>of</strong> the Angevin Empire », Albion:<br />

A Quarterly Journal Concerned with British Studies, 10: 4 (1978), p. 293-299; HOLT, J. C., « Aliénor<br />

d’Aquitaine, Jean sans terre et la succession de 1199 », dans Y a-t-il une civilisation du monde<br />

Plantagenêt ?, 1986, p. 95-100 ; HOLT, J. C., « The Casus Regis: The law and politics <strong>of</strong> succession in<br />

the plantagenet dominions 1185-1247 », dans Colonial England, 1066-1215, 2003, p. 307-326.<br />

99


Plantagenêt fut plus hégémonique que territorial est alors supportée par la conception<br />

patrimoniale qu’Henri II avait de ses territoires, une conception que traduit clairement<br />

sa politique successorale 312 . Selon Barnard Bachrach, le mode de gouvernement fondé<br />

sur l’harmonie et la coopération familiale constituait une tradition de la maison d’Anjou<br />

depuis plus de deux cents ans, contrairement au mode de gouvernement normand, où la<br />

longue tradition d’hostilité familiale avait favorisé l’émergence de structures<br />

administratives 313 . La dégradation des relations familiales des Plantagenêt, sur le mode<br />

anglo-normand, a donc rapidement fait échoué la conception impériale d’Henri II.<br />

L’échec même de cette construction familiale, certes par la mort « accidentelle » 314 de<br />

ses deux premiers fils, Henri en 1183 et Ge<strong>of</strong>froy en 1186, mais aussi et surtout par la<br />

volonté de Richard puis de Jean de recevoir la totalité de l’héritage paternel, était le<br />

signe qu’il existait, au sein de l’empire, des forces centripètes plus fortes au final que les<br />

règles de succession féodales instaurant une structure « polycratique » 315 ? C’est aussi<br />

l’analyse que propose Andrew Lewis à propos des pratiques successorales des<br />

Capétiens et des Plantagenêt :<br />

Paradoxalement, la rotation des terres à l’intérieur de la famille<br />

royale produisit une certaine stabilité de la possession et de pouvoir<br />

[…] Ce qui est essentiel, c’est le système lui-même, ce sont les<br />

structures et les principes d’une sorte de communauté familiale qui<br />

faisaient que la France se trouvait partagée, et dans le même<br />

mouvement rassemblée. 316<br />

Au cours des dernières décennies du XII e siècle, les représentations de l’espace<br />

et du territoire politique semblent ainsi avoir évolué et l’idée d’une communauté<br />

312<br />

TURNER, R. V., « The Problem <strong>of</strong> Survival for the Angevin "Empire": Henry II's and His Sons'<br />

Vision versus Late Twelfth-Century Realities », The American Historical Review, 100: 1 (1995), p. 78-<br />

96, HOLT, J. C., « The Casus Regis: The law and politics <strong>of</strong> succession in the plantagenet dominions<br />

1185-1247 », dans Colonial England, 1066-1215, 2003, p. 307-326, KEEFE, T. K., « Ge<strong>of</strong>frey<br />

Plantagenet's Will and the Angevin Succession », Albion: A Quarterly Journal Concerned with British<br />

Studies, 6: 3 (1974), p. 266-274.<br />

313<br />

BACHRACH, B. S., « Henry II and the Angevin Tradition <strong>of</strong> Familiy Hostility », Albion, 16 (1984),<br />

p. 111-130.<br />

314<br />

BACHRACH, B. S., « The Idea <strong>of</strong> the Angevin Empire », Albion: A Quarterly Journal Concerned<br />

with British Studies, 10: 4 (1978), p. 293-299; HOLT, J. C., « The end <strong>of</strong> the Anglo-Norman realm »,<br />

Proceeding <strong>of</strong> the British Academy, 61 (1975), p. 223-265 p. 239-240 : « N’a-t-il pas été plutôt le<br />

résultat d’une combinaison pr<strong>of</strong>ane de l’avidité de ces princes et d’un accident généalogique ? ».<br />

315<br />

AURELL, M., L'empire des Plantagenêt : 1154-1224, 2004, p. 12. Il décrit l’empire des Plantagenêt<br />

comme un « monde polycratique » empruntant l’expression au célèbre ouvrage de Jean de Salisbury,<br />

rédigé entre 1159 et 1161, pour justifier l’idée que cet empire n’est qu’une « union factice et temporaire<br />

de principautés autonomes ».<br />

316<br />

LEWIS, A. W., Le sang royal, 1986, p. 250 cité par GAUTIER, A., « L'empire angevin: une invention<br />

des historiens? », Mémoire de Maîtrise d'histoire médiévale, sous la direction de Philippe Contamine et<br />

Frédérique Lachaud, 1996, <strong>Paris</strong>.<br />

100


d’intérêt (la res publica) paraît se substituer progressivement à une conception<br />

strictement familiale et personnelle du pouvoir territorial 317 . L’émergence des notions<br />

de majesté royale et de Couronne permettent également de penser le pouvoir en terme<br />

de souveraineté et non plus seulement en terme de suzeraineté. La disparité des formes<br />

de pouvoir et leurs fondements « idéologiques » ne doit cependant pas masquer<br />

l’intense effort de territorialisation que les Plantagenêt ont mené sur l’ensemble de leur<br />

empire. Tous les espaces, l’Angleterre y compris, ont en effet subi le renforcement de la<br />

potestas regis par l’extension de ses appuis territoriaux. Les transformations qui<br />

résultent de cette territorialisation doivent être mesurées à plus long terme qu’à l’aune<br />

de l’échec politique de Jean Sans Terre. L’étendue des territoires de l’empire, qui<br />

impliquait des absences prolongées du roi et de sa cour, n’a-t-elle pas en effet stimulé la<br />

construction d’un pouvoir dépersonnalisé, à l’origine de la notion de souveraineté ?<br />

La formation de cet espace multi-territorial apparaît donc principalement comme<br />

l’affirmation d’un pouvoir territorial global, jouant sur l’affaiblissement des anciennes<br />

appartenances féodales. La thèse de Maïté Billoré montre en effet comment le pouvoir<br />

« autocratique » des Plantagenêt s’est progressivement affirmé aux dépens de<br />

l’aristocratie normande en particulier 318 . Décrire le processus de définition d’une<br />

territorialité à plusieurs échelles, fondée sur un mouvement apparemment paradoxal de<br />

territorialisation du pouvoir royal et de « déterritorialisation » relative des pouvoirs<br />

princiers peut apparaître symptomatique de ce que les géographes appellent la<br />

« glocalisation » pour décrire les processus de la mondialisation et que Joseph Morsel<br />

propose également d’utiliser pour décrire la dynamique de la formation de l’Occident 319 .<br />

Ainsi le changement d’échelle du pouvoir peut être mis en relation avec le renforcement<br />

des appartenances locales, qui se traduit à travers le phénomène de spatialisation du<br />

social, de l’ancrage des lignées dans un territoire, ainsi qu’au travers du vaste<br />

mouvement de spatialisation du sacré, opéré par l’Église qui parvient « à s’imposer dans<br />

le paysage social sous la forme non seulement de l’église, mais également d’aires<br />

consacrées, articulées à l’église (cimetières, sauvetés, domaines ecclésiastiques) et<br />

317 MADELINE, F., « Les travaux « publics » des Plantagenêt et le contrôle de l’espace », dans France<br />

Îles Britanniques, un couple impossible? actes du colloque de Caen septembre 2007, à paraître voir aussi<br />

chapitre 3.<br />

318 BILLORÉ, M., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe - début XIIIe siècles). De l'autocratie<br />

Plantagenêt à la domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de Martin Aurell, 2005, non<br />

publiée.<br />

319 MORSEL, J. et DUCOURTIEUX, C., L'histoire (du Moyen Âge) est un sport de combat. Réflexions<br />

sur les finalités de l’Histoire du Moyen Âge destinées à une société dans laquelle même les étudiants<br />

d’histoire s’interrogent, 2007, p. 92-93, cite WICKHAM, C., « Making Europe », New Left Review, 208<br />

(1994), p. 133-134.<br />

101


constitutives d’un espace spécifiquement chrétien » 320 tout en renforçant son autorité<br />

institutionnelle. Observer la formation de l’empire des Plantagenêt au travers d’un tel<br />

processus vise donc à proposer une relecture du processus de formation des monarchies<br />

féodales en changeant l’échelle de l’analyse historique et en s’inspirant de l’apport des<br />

problématiques posées par la mondialisation et les recompositions territoriales qu’elle<br />

engendre 321 .<br />

Le dernier point qui fait problème, pour certains historiens, quant à l’usage du<br />

terme empire appliqué à l’espace des Plantagenêt, est que la charge signifiante du<br />

concept actuel tend à occulter le sens qu’empire avait au Moyen Âge. Si la re-<br />

sémantisation du terme selon les acceptions du XII e siècle apparaît donc comme une<br />

étape nécessaire, la démarche consistant à affirmer que les quelques « occurrences du<br />

vocabulaire autorisent bel et bien le chercheur médiévistes à employer l’expression<br />

‘Empire Plantagenêt’ ou ‘Empire angevin’ » 322 apparaît pour le moins paradoxale<br />

puisque ce qui frappe c’est, au contraire, l’absence flagrante au XII e siècle du terme<br />

imperium pour désigner explicitement et non métaphoriquement, l’ensemble des<br />

territoires rassemblées sous l’autorité de ces princes. Tout au long de la période la<br />

titulature des Plantagenêt reste une énumération de leurs possessions : Rex Anglorum,<br />

dux Normannorum et Aquitanorum, comes Andegavorum, puis après 1199 dominus<br />

Hybernie. Moins que son usage, n’est-ce donc pas plutôt l’évolution sémantique du<br />

vocable d’imperium au cours de la seconde moitié du XII e siècle, qui pourrait, dans ce<br />

sens, justifier un tel emploi ?<br />

3.1.3- L’imperium Plantagenêt : une souveraineté territoriale ?<br />

Si le terme imperium n’apparaît dans aucune des chartes authentiques des<br />

Plantagenêt, il est toutefois parfois utilisé par les contemporains d’Henri II pour<br />

désigner l’autorité supérieure dont il disposait sur l’extension de ses territoires 323 . C’est<br />

le sens que lui donne Richard FitzNigel, dans son Dialogue de l’Échiquier, lorsqu’il<br />

compare Henri II à Mécénas, « ‘issu des anciens rois’, il a dilaté son empire sur une<br />

320<br />

IOGNA-PRAT, D., La maison Dieu, 2006, p. 479.<br />

321<br />

SCHAUB, J. F., « La catégorie « études coloniales » est-elle indispensable ? », Annales. Histoire<br />

Sciences Sociales, 63: 3 (2008), p. 625-646.<br />

322<br />

AURELL, M., L'empire des Plantagenêt : 1154-1224, 2004, p. 10.<br />

323<br />

VINCENT, N., « Regional variations in the Charters <strong>of</strong> King Henry II (1154-89) », dans Charters and<br />

charter scholarship in Britain and Ireland, 2005, p. 70-119 remarque que le mot apparaît uniquement<br />

dans les chartes frauduleuses attribuées à l’ordre de Grandmont (voir chapitre 2).<br />

102


large étendue de terre par ses victoires triomphales » 324 . Comme le fait remarquer<br />

Martin Aurell, à une époque où la connaissance des classiques latins se répand parmi les<br />

intellectuels, le mot n’est pas innocent, il ne renvoie pas à une simple domination du<br />

prince sur un espace, mais il évoque l’empire romain conquérant 325 . Ainsi, il n’est pas<br />

étonnant de retrouver les topos comparant Henri II aux Césars antiques ou à Alexandre<br />

le Grand dans la littérature des espaces récemment conquis par Henri II. C’est le cas par<br />

exemple de la Topographia Hibernica de Giraud de Barri :<br />

C’est à l’assaut de l’orbe terrestre que vos victoires s’élancent : vous<br />

êtes notre Alexandre d’Occident, qui étendez votre bras des<br />

montagnes pyrénéennes aux limites extrêmes à l’ouest de l’océan<br />

septentrional. 326<br />

Dans la Chanson de Dermot et du Comte, qui raconte la conquête de l’Irlande, le<br />

roi Dermot MacMurrough s’adresse à Henri II en parlant des « baruns de tun<br />

empire » 327 . Ici, l’usage du vocable d’empire désigne cependant une forme d’autorité<br />

détenue par les Plantagenêt qui diffère de celle qu’ils possédaient sur le continent.<br />

L’autorité supérieure que détenaient Henri II et ses fils, dans les marges ‘celtiques’, était<br />

fondamentalement non territoriale : ils laissaient en effet toute liberté de gouvernement<br />

aux princes gallois, irlandais et écossais qui leur avaient prêté hommage en échange<br />

d’un tribut ou de l’aide militaire, selon leur degré de féodalisation 328 . La préservation de<br />

cette forme de souveraineté devient alors constitutive de la formation d’un ‘empire<br />

britannique’, au sein duquel les territoires intégrés ne cesseront de lutter contre leur<br />

assimilation à l’État monarchique anglais 329 . À la fin du XII e siècle, l’imperium<br />

Plantagenêt ne recouvre donc pas la même réalité en Irlande et en Gascogne, mais cela<br />

dépend moins de l’imperium lui-même que de sa relation à la domination effective du<br />

roi. La distinction entre imperium et dominium n’est cependant pas si évidente à la fin<br />

324 RICHARD FITZNIGEL, Dialogus de Scaccario (and) Constitutio Domus Regis. The Course <strong>of</strong> the<br />

Exchequer. The Establishment <strong>of</strong> the Royal Household, 1983 p. 27 : Hic enim rex licet ‘attauis regibs<br />

editus’ fuerit et per longa terrarum spatia triumphali victora suum dilatauerit imperium.<br />

325 AURELL, M., L'empire des Plantagenêt : 1154-1224, 2004, p. 10.<br />

326 GIRAUD DE BARRI, Opera. 5, Topographia hibernica et expugnatio hibernica, 1861-1891, p. 189 :<br />

Cap. XLVII : Certans enim cum orbe terrarum victoriae vestrae : cum a Pirenaies montibus usque in<br />

occiduos et extremos borealis oceani fines, Alexander noster occidentlis, brachium extendisti.<br />

327 GAUTIER, A., « L'empire angevin: une invention des historiens? », Mémoire de Maîtrise d'histoire<br />

médiévale, sous la direction de Philippe Contamine et Frédérique Lachaud, 1996, <strong>Paris</strong>, p.27, cite The<br />

song <strong>of</strong> Dermot and the Earl : an old French poem from the Carew manuscript no. 596 in the<br />

Archiepiscopal Library at Lambeth Palace, 1994, v. 285.<br />

328 DAVIES, R. R., « Keeping the native order: the English king and the ‘Celtic’ rulers 1066-1216 »,<br />

Peritia. Journal <strong>of</strong> the Medieval Academy <strong>of</strong> Ireland, 10 (1996), p. 212-224.<br />

329 DAVIES, R. R., The First English Empire. Power and Identities in the British Isles, 1093-1343, 2000.<br />

103


du XII e siècle, car l’imperium n’est pas seulement une autorité capable de superposer au<br />

dominium, en tant que domination s’exerçant à la fois sur les hommes et sur les terres.<br />

En relatant la réaction des barons écossais lors de la soumission de Guillaume le Lion à<br />

Henri II en 1175, Roger de Hoveden montre que ces deux formes de pouvoir se sont pas<br />

seulement deux niveaux de hiérarchie différents mais des formes de domination qui<br />

peuvent entrer en conflit :<br />

Ils supplièrent le roi d’Angleterre et lui <strong>of</strong>frirent de nombreux<br />

présents parce qu’il les déliait du dominium du roi d’Écosse pour les<br />

soumettent à son imperium 330 .<br />

L’autorité des Plantagenêt sur ces marges celtiques s’accentua, en effet, en<br />

même temps que sur l’ensemble des territoires de l’empire. Lorsqu’il relate la reprise en<br />

main d’Henri II lors du concile de Windsor en 1176, Radulf de Diceto montre alors<br />

toute la puissance territoriale que contient le vocable d’imperium à cette date.<br />

Tous les châteaux d’Angleterre et de toutes les marches furent placés<br />

sous la garde et dans l’imperium du vieux roi 331 .<br />

Dans tous ces exemples, l’imperium est étroitement lié à la conquête aussi bien<br />

qu’à la reconquête. Il n’est donc pas impossible que la résurgence du vocable<br />

d’imperium dans le vocabulaire politique du XII e siècle ait tiré pr<strong>of</strong>it de l’annexion des<br />

espaces marginaux de la Chrétienté, en particulier ceux qui avaient échappé à l’orbite<br />

carolingienne. En Espagne, par exemple, Alphonse VI, après s’être emparé en 1085 de<br />

Tolède, ancienne capitale des rois Wisigoths, avait donné un nouvel éclat au titre de<br />

totius Hispania imperator, qui avait été porté par son père Ferdinand I er (1037-1065),<br />

après avoir réuni sous son autorité la Navarre, le Léon et la Castille 332 . En Angleterre, la<br />

constitution d’un orbis britannicus, aurait pu réactiver titre anglo-saxon du bretwalda,<br />

associé à l’histoire de l’unification des royaumes anglo-saxons au X e siècle, tombé en<br />

désuétude après les invasions danoises 333 . L’empire d’Henri II n’était cependant pas<br />

totalement distinct de l’orbis romanus, dont il héritait largement des valeurs et des<br />

traditions politiques. Or à cette date, celles-ci sont en pr<strong>of</strong>ondes mutations comme en<br />

330<br />

HOVEDEN, II, p. 63: Regi vero Angliae patri plurimum supplicaverunt et dona plurima obtulerunt, ut<br />

ispe eos a dominio regis Scotiae eriperet, et suo subjugaret imperio.<br />

331<br />

DICETO t. I, p. 414: Universa castella per Angliam et per marchiam totam ad imperium Regis patris<br />

deputata sunt custodiae.<br />

332<br />

FOLZ, R., L'idée d'Empire en Occident du Ve au XIVe siècle, 1953, p.51. 64-69, MULDOON, J.,<br />

Empire and order : the concept <strong>of</strong> empire, 800-1800, 1999, p. 56-58.<br />

333<br />

WORMALD, P. C., « Bede, the Bretwaldas and the Origins <strong>of</strong> the Gens Anglorum », dans Ideal and<br />

reality in Frankish and Anglo-Saxon society studies presented to J. M. Wallace-Hadrill, 1983, p. 99-129.<br />

104


témoignent précisement les luttes entre papes et empereurs pour imposer leur définition<br />

de ce que signifie la détention d’un imperium.<br />

Face à la théorie de la translatio imperii, élaborée par les canonistes, qui donnait<br />

à l’imperium le sens d’un <strong>of</strong>fice que la « donation de Constantin » faisait relever<br />

exclusivement de l’autorité pontificale, les juristes impériaux proclament, lors de la<br />

diète de Roncaglia (1158), la juridiction universelle de l’empereur sans référence à la<br />

Chrétienté 334 . En tant que maître du monde (dominus mundi), l’empereur était<br />

désormais amené à exercer une domination territoriale. Cette redéfinition de la nature de<br />

l’empire, ancrée territorialement, s’accentua encore lorsque Frédéric Barberousse<br />

identifia l’Empire au Sacrum Romanum Imperium, dont le caractère désormais « sacré »<br />

visait à disputer les prétentions de l’Église. Cependant, cette conception qui limitait de<br />

fait l’Empire aux territoires gouvernés par le monarque allemand, tout en revendiquant<br />

une supériorité « impériale » sur les monarques européens, ne parvient pas à<br />

s’imposer 335 . L’émergence nouvelles acceptions sont en effet venues concurrencer ces<br />

deux conceptions rivales. La revendication concurrentielle d’un imperium entre Henri II<br />

et Louis VII est visible dès les années 1150. En 1155, Louis VII, qui revient d’un séjour<br />

en Espagne, émet une charte dans laquelle il affirme sa supériorité en adoptant le même<br />

titre impérial que venait de s’attribuer Alphonse VII de Castille. Selon Elisabeth R.<br />

Brown, cette titulature visait peut-être à rivaliser avec les prétentions affichées par<br />

Henri II qui dans une charte datée de 1152, peu après son mariage avec Aliénor se<br />

déclarait à la tête de « l’empire des Poitevins et des Angevins » 336 .<br />

Quelques années plus tard, en 1165, Étienne de Tournai, qui cherche à heurter<br />

les prétentions impériales pour détenir le monopole de la puissance légiférante, théorise<br />

ce qui n’était jusqu’alors des pratiques de langages et reconnaît aux rois la capacité à<br />

être empereurs en leurs royaumes. Le canoniste donne ainsi à l’imperium un sens qui le<br />

confond avec la notion de souveraineté 337 . La redéfinition « canonique » de l’imperium<br />

334<br />

MULDOON, J., Empire and order : the concept <strong>of</strong> empire, 800-1800, 1999, p. 40.<br />

335<br />

MONNET, P., « Le Saint Empire entre regnum et imperium », dans Les empire. Antiquité et Moyen<br />

Âge analyse comparée, 2008, p. 155-180.<br />

336<br />

BROWN, E. A. R., « Eleanor <strong>of</strong> Aquitaine reconsidered: the woman and her seasons », dans Eleanor<br />

<strong>of</strong> Aquitaine : lord and lady, 2002, p. 1-54 cite BNF MS lat. 5480 (copies du cartulaire de Fontevraud par<br />

Roger de Gaignières), p. 486: Anno ab Incarnatione domini M.C.L.II. Regnante Lodovico Rege<br />

francorum Gisleberto pictavorum Episcopo et Henrico pictavorum et andegavorum Imperium<br />

gubernante. Une charte que Léopold Delisle considère néanmoins comme « très curieuse », voir : Recueil<br />

des actes d’Henri II , I, p. 31-32, XXIV, (n°22) : Henrico Pictavorum et Andegavorum imperium<br />

gubernante.<br />

337<br />

KRYNEN, J., L'empire du roi. Idées et croyances politiques en France, XIIIe-XVe siècle, 1993, p.70-<br />

71, cite MOCHI, O. S., Fonti canonistiche dell'idea moderna dello Stato imperium spirituale, iurisdictio<br />

105


en tant qu’autorité supérieure du roi, distincte de la notion de majestas, désignant une<br />

autorité individuelle à l’image de la figure du Christ, coïncide donc avec la<br />

revalorisation de sa dimension territoriale (imperator orbis terrarum), une coïncidence<br />

qui souligne l’enjeu que représente alors, au sein des écrits de théorie politique, le<br />

processus territorialisation du pouvoir princier. La transformation des sens du vocable<br />

d’imperium dans ce sens transparaît notamment dans les usages qui en sont fait à la cour<br />

de Jean sans Terre 338 . Ralph V. Turner a en effet montré la mise en place d’une<br />

conception du pouvoir impérial assimilant le royaume à un empire, que l’on retrouve<br />

dans certaines chartes, comme celle de 1202, où il est question du regnum Anglicanum<br />

quasi imperio adequetur 339 .<br />

Tandis que l’analyse des conséquences de tels changements théoriques dans les<br />

pratiques du pouvoir a généralement mis en évidence l’essor de la majesté royale, en<br />

concomitance avec la sacralisation de la dignitas, nous chercherons plutôt à observer les<br />

conséquences spatiales de cette évolution. Dans quelle mesure les nouvelles pratiques<br />

du pouvoir royal ont-elles été aussi marquées par un processus d’ancrage territorial ? À<br />

partir de ce que pouvaient être les représentations de l’espace que les Plantagenêt<br />

partageaient avec leurs contemporains, une première esquisse peut être proposée en<br />

partant de l’état des savoirs géographiques. Quelles relations peut-on établir entre<br />

l’essor de la géographie à la cour des Plantagenêt et leur politique territoriale, au sens de<br />

gestion de l’étendue des territoires sur lesquels s’exerce leur pouvoir, en expansion.<br />

Réciproquement, quel intérêt spécifique la cartographie présentait-elle aux monarques<br />

pour affirmer leur conception du politique ?<br />

3.2- Représenter l’empire : quels enjeux ?<br />

3.2.1- Un enjeu de pouvoir pour les Plantagenêt<br />

Au XII e siècle, les réflexions sur la géographie retrouvent une place importante<br />

dans les chroniques médiévales, une place qu’elles avaient perdues depuis les textes<br />

divisa, sovranità, 1951 qui a mis en évidence le rôle capital d’Etienne de Tournai dans l’émergence de<br />

l’idée de souveraineté.<br />

338<br />

TURNER, R. V., « King John's concept <strong>of</strong> royal authority », History <strong>of</strong> Political Thought, 17: 2<br />

(1996), p. 157-178.<br />

339<br />

Foedera, I, p. 87 cité dans TURNER, R. V., « King John's concept <strong>of</strong> royal authority », History <strong>of</strong><br />

Political Thought, 17: 2 (1996), p. 157-178.<br />

106


d’Orose et d’Isidore de Séville aux V e et VI e siècles 340 . En outre, la cour des Plantagenêt<br />

passe pour avoir été un milieu particulièrement propice au développement du savoir<br />

géographique 341 .<br />

La géographie des Plantagenêt : un savoir aulique et pratique<br />

La dédicace que Robert de Crickelade, prieur d’Oxford, fait à Henri II de ses<br />

Deflorationes Naturalis Historie libri Plinii secundi, signale l’intérêt du roi pour ces<br />

nouvelles formes de savoir. L’incipit de ce résumé de l’Histoire Naturelle de Pline<br />

l’Ancien, un texte rempli de notions géographiques ne saurait être plus clair :<br />

C’est à toi Henri, très illustre roi des Anglais, que moi Robert, ton<br />

serviteur, je dédie cet ouvrage que j’ai extrait, avec le filet de mon<br />

faible talent, de cette immense mer que sont les 37 livres de l’Histoire<br />

naturelle de Pline. J’ai pensé qu’il ne convenait pas que tu ignores,<br />

toi, le maître et le seigneur de tant de pays et de régions du monde<br />

dont tu gouvernes une bonne partie 342 .<br />

Si l’association entre l’intérêt royal pour la géographie et l’étendue des<br />

territoires dominés par Henri II apparaît comme une explication plausible du nouveau<br />

dynamisme de la géographie à la cour des Plantagenêt, en quoi l’essor du savoir<br />

géographique a-t-il contribué, pour sa part, à modifier les conceptions que les<br />

Plantagenêt se faisaient de leurs pouvoirs ? En insistant sur leur dimension territoriale,<br />

la géographie vient rappeler les liens étroits qui unissent la conquête et l’enquête. La<br />

multiplication des descriptions et des topographies est manifeste en particulier dans les<br />

régions nouvellement conquises (Pays de Galles et Irlande) 343 . Cette géographie<br />

développée dans l’entourage des Plantagenêt s’inscrit, par ailleurs, dans l’héritage direct<br />

des pratiques antiques : de même qu’à Rome, la conquête impériale avait été suivie par<br />

340 GAUTIER-DALCHÉ, P., « L'espace de l'histoire: le rôle de la géographie dans les chroniques<br />

universelles », dans l’historiographie médiévale en Europe, 1991, p. 287-300.<br />

341 BOULOUX, N., « Les usages de la géographie à la cour des Plantagenêts dans la seconde moitié du<br />

XIIe siècle », Médiévales, 24 (1993), p. 131-148.<br />

342 NAF, B., Roberti Crikeladensis Defloratio Naturalis Historiae Plini Secundi, 20031-3: Tibi,<br />

illustrussime rex Anglorum Henrice, ego tuus famulus Rodbertus hoc opus dedicavi, quod de Naturalis<br />

Historie Plinii Secundi libris triginta septem quasi ex inmensio pelago ingenioli mei sagena extraxi,<br />

reputans mecum incongruum valde fore te, tot et tantrum regionum dominum et rectorem, ingorare partes<br />

orbis, cuius non minime parti dominaris.<br />

343 GIRAUD DE BARRI, The history and topography <strong>of</strong> Ireland, 1985; GIRAUD DE BARRI, The<br />

journey through Wales; and, The description <strong>of</strong> Wales, 1978; GIRAUD DE BARRI, Opera. 6,<br />

Itinerarium Kambriae et descriptio Kambriae, 1861-1891; GIRAUD DE BARRI, Opera. 5, Topographia<br />

hibernica et expugnatio hibernica, 1861-1891.<br />

107


une mise en forme parfaite et admirable de « l’inventaire du monde » 344 , de même, la<br />

formation par Henri II d’un « empire » s’est accompagnée d’une série d’enquêtes et de<br />

descriptions géographiques visant à produire un savoir sur les ressources humaines et<br />

matérielles de ses territoires.<br />

Toutes les inquisitiones d’Henri II : la Carta Baronum (1166), les enquêtes des<br />

shérifs (1170) et des fiefs chevaliers normands (1172) qui accompagnent le mouvement<br />

de réformes judiciaires et administratives de la monarchie s’inscrivent dans la<br />

chronologie des grandes enquêtes lancées par Guillaume le Conquérant qui forment le<br />

Domesday Book, dont le but était de permettre une prise de possession mentale et fiscale<br />

de la conquête du royaume anglo-saxon. Elles inaugurent également une ère où la<br />

description géographique devient un instrument essentiel du pouvoir, non seulement<br />

pour prendre possession de terres conquises, mais aussi pour prendre la mesure des<br />

pertes territoriales 345 . Une telle géographie d’« inventaires » correspond d’ailleurs bien<br />

mieux qu’une carte à l’idée que les monarques du Moyen Âge se font de leur royaume,<br />

c’est-à-dire un ensemble de droits plus que le territoire qu’ils recouvrent. La<br />

connaissance géographique, qui ne se distingue pas de la topographie (ni de la<br />

cosmographie) avant le XV e siècle, au moment où le mot apparaît, repose donc sur deux<br />

principes : un savoir théorique, hérité des traditions littéraires et scientifiques de<br />

l’Antiquité et du haut Moyen Âge, mais également un savoir fondé sur l’expérience et la<br />

pratique. Cette double nature de la géographie fait de ce savoir une connaissance<br />

dynamique, sensible aux évolutions des représentations de l’espace et du territoire.<br />

C’est pourquoi on peut se demander quelles sont les transformations que sous-tend<br />

l’essor de la cartographie, qui de simple technique savante au XII e siècle s’impose<br />

progressivement comme une véritable culture 346 .<br />

La cartographie médiévale : un reflet des transformations politiques ?<br />

344 NICOLET, C., L'Inventaire du monde Géographie et politique aux origines de l'Empire romain, 1988;<br />

GAUTIER-DALCHÉ, P., « Sur l'"originalité" de la "géographie" médiévale », dans Auctor et Auctoritas.<br />

Invention et conformisme dans l'écriture médiévale. Actes du colloque de l'UVSQ 14-16 juin 1999, 2001,<br />

p. 131-143.<br />

345 NORDMAN, D., « La connaissance géographique de l'État (XIV-XVIIe siècles) », dans L’État<br />

moderne : le droit, l’espace et les formes de l’État, 1990, p. 175-182 cite FAWTIER, R., « Comment au<br />

début du XIVe siècle, un roi de France pouvait-il se représenter son royaume », Académie des<br />

Inscriptions et Belles Lettres. Comptes rendus des Séances de l'année 1959 (1960), p. 117-123.<br />

346 GAUTIER-DALCHÉ, P., « D’une technique à une culture : cartes nautiques et portulans au XII-XIIIe<br />

siècles », dans L’uomo e il mare nella civiltà occidentale : da Ulisse a crist<strong>of</strong>ora Colombo, 1992, p. 286-<br />

312.<br />

108


Si la base de la connaissance du royaume reste jusqu’à la fin du Moyen Âge,<br />

une géographie accumulative, faite de listes et de descriptions de la réalité physique du<br />

monde, la cartographie, qui s’impose progressivement comme nouveau mode<br />

représentation synthétique et symbolique de l’espace, apparaît comme un bon reflet de<br />

l’évolution des nouveaux rapports entre espace et pouvoirs 347 . La précocité et la qualité<br />

de la cartographie anglaise constituent un phénomène qui a très tôt attiré l’attention des<br />

historiens, cherchant à travers elle à atteindre une meilleure connaissance géographique<br />

de l’Angleterre médiévale 348 . Qu’il s’agisse de Roger de Hoveden, Mathieu <strong>Paris</strong>, Jean<br />

de Wallingford, Ranulf Higden, Giraud de Barri ou Gervais de Tilbury, les principaux<br />

chroniqueurs ayant donné une place importance à la géographie dans leurs chroniques à<br />

partir du XII e siècle sont majoritairement originaires de l’espace britannique 349 . Il ne<br />

faut cependant pas exagérer l’importance de ces représentations du monde en plan qui<br />

restent relativement rares tout au long du Moyen Âge, sauf peut-être en Italie, qui<br />

possède également un riche corpus de cartes médiévales 350 . La plupart des cartes et des<br />

plans ne sont d’ailleurs souvent regardés que comme de simples illustrations<br />

accompagnant une description. C’est le cas des célèbres plans des abbayes de<br />

Canterbury et de Waltham (plan de la source de Wormley), du plan, sans doute perdu,<br />

qui accompagnait la Topographia Hibernica de Giraud de Barri 351 .<br />

Cependant, Patrick Gautier-Dalché a récemment consacré un ouvrage à la<br />

géographie urbaine et maritime de Roger de Hoveden (?), dans lequel il présente trois<br />

textes, l’Expositio mappe mundi, associée à la mappemonde d’Hereford, le Liber<br />

nautarum et le De viis maris. L’étude comparée de ces trois textes montre que l’auteur<br />

(sans nul doute anglais et originaire du Yorkshire, car le De vis mariis est une<br />

descriptions des cours de la Ouse et de la Humber) avait vraisemblablement l’ambition<br />

de faire « une sorte d’encyclopédie des littoraux de l’orbis terrarum – du moins de ce<br />

347 GAUTIER-DALCHÉ, P., « Le renouvellement de la perception et de la représentation de l'espace au<br />

XIIe siècle », dans Renovación intelectual del occidente europeo (siglo XII). XXIV semana de estudios<br />

medievales, 1998, p. 169-217; GAUTIER-DALCHÉ, P., « Principes et modes de la représentation de<br />

l'espace géographique durant le haut Moyen Âge », Uomo e spazio nell’alto medioevo. Settimane di<br />

studio del Centro italiano di studi sull'alto Medioevo, 50:1 (2003), p. 117-150; GAUTIER-DALCHÉ, P.,<br />

« Représentations géographiques savantes, constructions et pratiques de l'espace », dans Construction de<br />

l'espace au Moyen Âge: pratiques et représentations, 2007, p. 13-38.<br />

348 SKELTON, R. A. et HARVEY, P. D. A., Local Maps and Plans from Medieval England, 1986 <strong>of</strong>fre<br />

une liste de toutes les études et publications des cartes qu’ils ont répertoriées. STENTON, F. M., The Map<br />

<strong>of</strong> Great Britain with the roads <strong>of</strong> the Gough Map, 1958; PARSONS, E. J. S., The map <strong>of</strong> Great Britain<br />

circa A.D. 1360, known as the Gough map : an introduction to the facsimile, 1996.<br />

349 GAUTIER-DALCHÉ, P., « L'espace de l'histoire: le rôle de la géographie dans les chroniques<br />

universelles », dans l’historiographie médiévale en Europe, 1991, p. 287-300.<br />

350 Voir entre autre BOULOUX, N., Culture et savoirs géographiques en Italie au XIVe siècle, 2002.<br />

351 SKELTON, R. A. et HARVEY, P. D. A., Local Maps and Plans from Medieval England, 1986.<br />

109


qui pouvait directement ou indirectement être connu de lui » 352 . Cet ensemble qui<br />

permet de pénétrer l’univers intellectuel d’un clerc, sa forma mentis, souligne également<br />

la conscience que cet homme proche du pouvoir pouvait avoir de la place nouvelle des<br />

les représentations géographiques et cartographiques dans les savoirs pratiques. Pour<br />

Patrick Gautier-Dalché en effet, « un tel programme associant ce qui nous appellerions<br />

géographie maritime et géographie administrative ne correspond à aucune des modèles<br />

de la géographie descriptive disponible à la fin du XII e siècle … qui n’adoptent jamais<br />

la succession topographie pour conférer un ordre à ces réalités incertaines » 353 .<br />

L’attribution de ces textes à Roger de Hoveden témoignerait ainsi de l’essor de la<br />

géographie comme connaissance empirique et de sa place dans les préoccupations d’un<br />

homme de la cour d’Henri II et de Richard Cœur-de-Lion. L’apparition de cette<br />

nouvelle culture géographique, à la fin du XII e siècle, caractérisée par l’intégration de<br />

l’image cartographique, constitue un mode de représentation réelle du monde, dont le<br />

développement à partir du XIII e siècle produit une véritable représentation<br />

conceptualisée de la souveraineté.<br />

Des quatre cartes attribuées à Mathieu <strong>Paris</strong>, la carte de Grande Bretagne<br />

(illustration 1.9) 354 et l’itinéraire de Londres à Apulie (Chambéry) (illustration 1.10) 355<br />

expriment parfaitement la représentation que les hommes du XIII e siècle se faisaient de<br />

l’espace habité : un espace structuré par des pôles (châteaux, cités, ponts) reliés entre<br />

eux par des routes. La carte de Grande Bretagne montre cependant l’insertion de cette<br />

route balisée dans une forme délimitée par le dessin des lignes côtières de l’île. Selon<br />

plusieurs historiens, cette tentative constitue un trait particulièrement significatif de la<br />

volonté de décrire l’île dans son ensemble comme l’extension d’un territoire<br />

politique 356 . Ainsi, même si elle n’y parvient qu’imparfaitement, la carte de Mathieu<br />

<strong>Paris</strong> semble chercher à réconcilier la linéarité de l’itinéraire et la circularité du<br />

territoire. Une tension qui a été interprétée comme le reflet des définitions concurrentes<br />

de la souveraineté qui s’articulent dans l’Angleterre du XIII e siècle : aux aspirations<br />

352<br />

GAUTIER-DALCHÉ, P., Du Yorkshire à l'Inde, 2005, p. 8.<br />

353<br />

Ibid., p. 131.<br />

354<br />

MITCHELL, J. B., « The Matthew <strong>Paris</strong> Maps », The Geographical Journal, 81: 1 (1933), p. 27-34. Il<br />

existe quatre exemplaires de cette carte : le plus connu est celui du Cotton MS. Claudius D.VI. de la<br />

British Library (illustration 1), mais il existe d’autres versions moins achevées dans le MS 16 de la<br />

bibliothèque de Corpus Christi College, Cambridge, dans le Cotton MS. Julius D VIII et le Royal MS<br />

14.C.VII de la British Library.<br />

355<br />

Cotton MS Nero D I, f.183v.<br />

356<br />

BIRKHOLZ, D., The King's Two Maps : Cartography and Culture in Thirteenth-Century England,<br />

2004, p. 72-73.<br />

110


universalistes de l’Église (le plan) se confronte une conception territoriale de la<br />

souveraineté royale (le parcours).<br />

Les travaux portant sur ces représentations cartographiques héritières des<br />

antiques orbis terrarum ou mappaemundi, ont montré le succès important qu’elles ont<br />

rencontré à partir du XII e siècle. Abordées traditionnellement au travers de leur<br />

dimension symbolique et anagogique, au sein de monographies 357 , le genre de la<br />

mappemonde a également fait l’objet de réinterprétations politiques, en particulier pour<br />

ce qui concerne les représentations anglaises du XIII e siècle 358 . La représentation d’une<br />

mappemonde dans l’espace de réception et d’apparat qu’était la chambre du roi à<br />

Westminster, avait pour première vocation de rappeler les prétentions territoriales du<br />

souverain anglais, en tant que monarque chrétien sur la terre sainte (en délivrant<br />

Jérusalem), mais aussi et surtout sur les îles et sur le continent. Henri III était, en effet,<br />

lié par le serment de son couronnement, à l’engagement ne pas aliéner les droits et les<br />

possessions de la Couronne et à recouvrir ce qui avait été perdu depuis 1204, une clause<br />

probablement instaurée en 1216 359 . Il continua d’ailleurs à porter les titres de dux<br />

Normannorum et comes Andegavorum, jusqu’au traité de <strong>Paris</strong> (1259) 360 . Dans quelle<br />

mesure également, la réalisation de cette mappemonde ne s’insère-t-elle pas dans<br />

l’arsenal idéologique de la royauté forgé autour de la figure arthurienne ? Cette<br />

idéologie repose en effet sur le concept d’une « monarchie de toute l’île » (totius insuale<br />

monarchia) qu’aurait détenue le roi Arthur, et qui justifiait ainsi toutes les tentatives<br />

d’unification et de centralisation de la Grande Bretagne menées par les souverains<br />

anglais au Moyen Âge 361 . La mappemonde de Westminster, « puissante illustration de<br />

357 HARVEY, P. D. A., The Hereford World Map : Medieval World Maps and Their Context, 2006;<br />

HARVEY, P. D. A., Mappa Mundi : the Hereford World Map, 2002; WESTREM, S. D., The Hereford<br />

map : a transcription and translation <strong>of</strong> the legends with commentary, 2001; HARVEY, P. D. A.,<br />

« Matthew <strong>Paris</strong>'s Maps <strong>of</strong> Britain », dans Thirteenth-century England, 1992, p. 109-121; MOIR, A. L.,<br />

The world map in Hereford cathedral : and the pictures in the Hereford Mappa Mundi, 1971; PELHAM,<br />

R. A., « The Gough Map », The Geographical Journal, 81: 1 (1933), p. 34-39; GILSON, J. P., Four maps<br />

<strong>of</strong> Great Britain designed by Matthew <strong>Paris</strong> about 1250. Reproduced from three manuscripts in the<br />

British Museum and one at Corpus Christi College, Cambridge, 1928; LETTS, M., « The Pictures in the<br />

Hereford Mappa Mundi », Notes and Queries, 200 : 1 (1955), p. 2-6.<br />

358 BIRKHOLZ, D., The King's Two Maps : Cartography and Culture in Thirteenth-Century England,<br />

2004.<br />

359 KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen âge, 2000<br />

[1957], p. 887.<br />

360 VALE, M. G. A., The Angevin legacy and the Hundred Years War, 1250-1340, 1990.<br />

361 BIRKHOLZ, D., The king's two maps : cartography and culture in thirteenth-century England, 2004<br />

cite VERMETTE, R., « Terrae Incantatae: The Symbolic Geography <strong>of</strong> Twelfth-Century Arthurian<br />

Romance », dans Geography and literature : a meeting <strong>of</strong> the disciplines, 1987, p. 145-160.<br />

111


la conception qu’Henri III se faisait de sa royauté » 362 intégrait ainsi à la nature sacrée<br />

de la royauté anglaise sa dimension territoriale, deux catégories qui étaient précisément<br />

en négociation à cette période 363 . L’intérêt pour la géographie et l’essor de la<br />

cartographie aux XII e et XIII e siècles apparaissent ainsi étroitement reliés aux<br />

aspirations impériales des souverains anglais, un peu à l’image de ce que Claude Nicolet<br />

a montré pour Auguste : son obsession pour l’espace à la fin de son règne – qui se<br />

traduisit par une intense production géographique et cartographique – appartenait<br />

pleinement à son projet articulé d’empire universel 364 .<br />

Avant d’en arriver à une énonciation aussi clairement formulée, l’essor des<br />

discours et des représentations sur l’espace au XII e siècle, peut être néanmoins<br />

considéré comme un bon révélateur de la conscience qu’Henri II pouvait avoir des<br />

transformations « géopolitiques » de l’Occident, dont il fut l’un des principaux acteurs.<br />

Cependant, si les cartes et les mappemondes constituent des formes picturales qui ont<br />

accompagné la représentation d’un nouveau pouvoir territorial et l’affirmation de la<br />

souveraineté monarchique, l’apparition de cette nouvelle forme de représentation<br />

synthétique de l’espace participe plus largement d’un fait culturel global. Leur essor, par<br />

exemple, coïncide également avec les nouvelles habitudes mentales des clercs du XIII e<br />

siècle 365 . Alors que la Summa (c'est-à-dire la présentation à la fois exhaustive et<br />

systématique), s’impose comme modèle de la pensée scolastique, la carte apparaît<br />

également comme un moyen similaire de représenter l’espace selon un plan d’ensemble<br />

articulé et pensé a priori, à l’instar des programmes iconographiques et techniques des<br />

chantiers des cathédrales gothiques. De même, alors que la géographie descriptive qui a<br />

dominé le genre jusqu’au XII e siècle est un savoir fondé sur la foi en l’autorité (Orose<br />

ou Isidore), le développement de la cartographie médiévale pourrait également signifier<br />

l’importance sociale et politique de ce que Roland Recht considère comme le nouveau<br />

pacte au fondement de la croyance « gothique » : le voir 366 .<br />

Mais qu’est-ce qui, dans l’espace médiéval, était alors le plus visible ? Outre les<br />

éléments naturels, l’espace habité apparaît avant tout comme un espace construit. Quelle<br />

362<br />

BINSKI, P., The Painted Chamber at Westminster, 1986, p. 43-45: « a cogent illustration <strong>of</strong> Henry<br />

III’s view <strong>of</strong> his kingship ».<br />

363<br />

BIRKHOLZ, D., The King's Two Maps : Cartography and Culture in Thirteenth-Century England,,<br />

2004, p. xix.<br />

364<br />

NICOLET, C., L'Inventaire du monde Géographie et politique aux origines de l'Empire romain, 1988.<br />

365<br />

PANOFSKY, E., Architecture gothique et pensée scolastique, 1974.<br />

366<br />

RECHT, R., Le croire et le voir: l'art des cathédrales, XII-XVe siècle, 1999.<br />

112


est donc la place qu’occupaient les « constructions » et plus spécifiquement les<br />

constructions du pouvoir, dans les représentations géographiques du XII e siècle ?<br />

Le rôle des constructions dans la géographie du XII e siècle<br />

Dans la plupart des descriptions, la place qu’occupent les constructions<br />

(châteaux et monastères), comme lieux de référence, atteste de leur rôle structurant dans<br />

l’espace géographique. Ainsi par exemple presque tous les chapitres de l’Itinerarium<br />

Kambriae de Giraud de Barri commencent par décrire le centre fortifié à partir duquel<br />

se déploient la vie et l’histoire des lieux. Le chapitre 2 s’ouvre ainsi sur la description<br />

du château de Brecon (Aberhotheni) « castrum et principal centre de la province, il est<br />

situé là où la rivière Hotheni rejoint les eaux de l’Usk… » 367 , tandis que la chapitre 3<br />

s’ouvre sur la description du monastère de St Jean-Batispte d’Ewias « construit en<br />

pierre de taille et couvert de plomb » 368 , le chapitre 4 sur le château d’Abergavenny 369 ,<br />

le chapitre 5 sur le château d’Usk, etc. Les espaces traversés sont également décrits à<br />

partir des châteaux, au même titre que les forêts et les rivières, véritables points de<br />

repères du territoire et du paysage :<br />

[Cap. V ] En traversant le Caerleon, nous passons non loin du<br />

château de Monmouth et la noble forêt de Dean, qui fournit<br />

Gloucester en minerai de Fer et en venaison, de l’autre côté de la Wye<br />

mais de ce côté-ci de la Severn 370<br />

[Cap. X ] Nous traversons dans une barque la rivière Tywi et<br />

voyageons vers Carmathen, laissant sur notre gauche Llanstephan et<br />

Laugharne perchés sur des rochers du rivage. Ce sont les deux<br />

châteaux que Rhys ap Gruffydd prit d’assaut après la mort de<br />

Henri II, roi des anglais 371 .<br />

Parfois, la description même du château constitue à elle seule un paysage :<br />

[Cap. XII] À seulement trois miles du castrum de Pembroke se trouve<br />

le castellum appelé Manorbier, qui est la maison de Pyrrus, qui<br />

possède l’île Caldy, appelée Ynys Byr par les gallois, ce qui veut dire<br />

l’île de Pyrrus. Ce castrum se situe là, visible de loin grâce à ses tours<br />

et ses crénelages, il occupe le sommet d’une colline, dont le bout fait<br />

367<br />

GIRAUD DE BARRI, The journey through Wales; and, The description <strong>of</strong> Wales, 1978, p. 20.<br />

368<br />

Ibid., p. 37 : plumbeis laminis operta, lapideoque tabulatu.<br />

369<br />

Ibid., p. 47.<br />

370<br />

Ibid., p. 55 : Transeuntes per inde Kaerleun – Munemutae castrum, nobilemque Danubiae silvam, que<br />

ferinam ferique copia Gloverniae ministrat, trans Waiam, citraque Sabrinam longe a leva reliquentes.<br />

371<br />

Ibid., p. 80 : Transeuntes inde navigo flumen Tewiense et versus Kaermerdin iter arripientes,<br />

Landestephan et Talacharn marinis in scopulis a leva reliquimus. Erant autem haec duo castra quae<br />

resus filius Griphini post obitum Anglorum regis Henrici secundi …<br />

113


face à la mer et s’étend vers le port à l’ouest. Au nord et au nordouest,<br />

juste dernière les murs, se trouve un vivier, si majestueux et<br />

remarquable pour la pr<strong>of</strong>ondeur de ses eaux… 372<br />

Dans la description de la Touraine par un moine anonyme de Marmoutier dans la<br />

première moitié du XII e siècle, le réseau castral occupe également une place<br />

structurante. La description s’organise autour de trois points : l’énumération des<br />

frontières, des places fortes et des fleuves 373 . Les châteaux cités, dont le nombre<br />

témoigne de la « castellisation » de l’occident au XI e siècle, ont alors pour fonction,<br />

selon l’auteur de « ceindre » la cité de Tours (cingitur autem oppidis munitissimis et<br />

populosis) 374 . L’organisation humaine du territoire tourangeau apparaît ainsi agencé par<br />

un réseau de places fortes habitées, dominé et polarisé autour de la cité de St-Martin.<br />

Comme le fait également remarquer Jean Tricard, la rédaction d’une telle notice, dans le<br />

contexte de l’annexion de la Touraine à l’Anjou par Foulque Nerra, ne peut être<br />

considérée comme totalement fortuite. Le choix des châteaux cités recoupe en effet la<br />

liste des places fortes sous domination angevine et traduit l’importance de l’organisation<br />

castrale et politique dans les conceptions géographiques d’un moine du XII e siècle.<br />

La place qu’occupent les constructions, aux côtés des formes naturelles du<br />

paysage dans la représentation de l’espace géographique au XII e siècle souligne ainsi la<br />

force de leur fonction structurante. Elles témoignent également du lien qui existait entre<br />

la construction des savoirs pratiques de l’espace et la transformation des conceptions<br />

territoriales du pouvoir. C’est pourquoi, les constructions constituent un point de départ<br />

fondamental pour tenter d’élaborer une géographie et une cartographie de l’empire des<br />

Plantagenêt, qui soit fidèle aux représentations médiévales de l’espace.<br />

3.2.2- Un enjeu scientifique : quelques tentatives de cartographie historique et<br />

statistique<br />

Les difficultés éprouvées par les historiens qui s’y sont risqués à cartographier<br />

l’empire des Plantagenêt, reflète assez bien l’état général de la cartographie de<br />

372 Ibid., p. 92 : Distat autem a Penbrochaie castro quasi miliaribus tribus castellum quod Maynaurpir<br />

dicitur, id est Mansio Pirri : qui et insulam Caldei habebat qua Kambri enispir, id est Insulam Pirri<br />

vocant. Stat autem hoc castrum turribus et propugnaculis eximium, in collis cuiusdam capite versus<br />

marinum ab occidente portum extenti ; a circio et borea sub ipsis muralibus vivarium habens egregium<br />

tam sui majestate quam aquarum pr<strong>of</strong>unditate conspicuum….<br />

373 TRICARD, J., « La Touraine d'un tourangeau au XIIe siècle », dans Le métier d'historien au Moyen<br />

âge. Etudes sur l'historiographie médiévale, 1977, p. 79-93, en particulier p. 81-82.<br />

374 Ibid., p.91 retranscription d’après De commendatione Turonicae Provinciae, dans SALMON, A.,<br />

Recueil de chroniques de Touraine, 1854, p. 293-94.<br />

114


l’occident féodal 375 . Les justifications alléguées – limites floues, mouvantes et<br />

complexes qui se soumettent mal au simple trait de crayon – révèlent le manque de<br />

réelle réflexion sur l’espace et sa représentation féodale. Cependant, pour Patrick<br />

Boucheron, si la cartographie médiévale est restée un impensé de la recherche<br />

historique en France, les raisons en sont moins conceptuelles ou techniques, que celles<br />

d’un refus de figurer l’espace d’un système social où l’autorité publique s’était<br />

absentée : « dans la mémoire française, il n’y a pas de territoire sans roi, pas de cartes<br />

sans État » 376 . Et Mireille Mousnier d’ajouter « notre vision de la géographie<br />

administrative et historique est conditionnée par des siècles de cartographie où la<br />

linéarité des contours relève du dogme quand elle est appliquée à l’ensemble pour la<br />

période médiévale » 377 .<br />

Alors que la plupart des cartes présentent toujours un défaut d’historisation et de<br />

réflexion sur la nature de l’espace féodal, l’essor de la géomatique, en tant que science<br />

de la conception, réalisation et utilisation des bases de données géographiques, <strong>of</strong>fre<br />

pourtant depuis plusieurs années des outils de plus en plus perfectionnés pour penser<br />

l’espace et représenter en deux dimensions le territoire médiéval. Désormais, la carte ne<br />

vise plus seulement à localiser, c'est-à-dire à définir la position et la situation d’un lieu<br />

(carte de distribution) ou à représenter la manière dont l’espace est partagé (carte de<br />

répartition), mais devient une véritable méta-source, un instrument de recherche et<br />

d’analyse spatiale 378 . Les réflexions sur le rôle de la cartographie et sa capacité à<br />

dessiner les nouvelles territorialités ouvrent ainsi de nouvelles pistes pour repenser la<br />

représentation cartographiée de l’espace féodal 379 . Mireille Mousnier insistait en 2004<br />

notamment sur l’intérêt de la chorématique de Roger Brunet, pour représenter l’espace à<br />

partir de modèles géométriques résultant d’une démarche d’abstraction. Si les critiques<br />

sur la dérive de cette démarche vers un discours sur les « lois de l’espace », qui enferme<br />

les possibles dans un schéma prédéfini, ne sont pas injustifiées, son intérêt pour la<br />

cartographie médiévale n’a pas pourtant disparu 380 . Il tient principalement au fait que la<br />

chorématique répond mieux que la cartographie classique aux préoccupations sur la<br />

375<br />

BOUCHERON, P., « Représenter l'espace féodal : un défi à relever », Espaces Temps.<br />

Histoire/Géographie, 2. Les promesses du désordre, 68-69-70 (1998), p. 59-66.<br />

376<br />

Ibid., p. 61.<br />

377<br />

MOUSNIER, M., « Quand la carte interroge le territoire », dans Les territoires du médiéviste, 2005,<br />

p. 417-437.<br />

378<br />

Ibid.<br />

379<br />

DEBARBIEUX, B. et VANIER, M. (eds.), Ces territorialités qui se dessinent, 2002.<br />

380<br />

LACOSTE, Y., « Entretien avec Georges Duby », Hérodote. Géographie historique, 74/75 (1994), p.<br />

7-13; GRATALOUP, C., Lieux d'histoire. Essai de géohistoire systématique, 1996.<br />

115


spatialisation des sociétés médiévales, dans lesquelles l’espace n’est perçu ni comme<br />

fini, hétérogène ou continu. L’invention des chronochorèmes a également permis de<br />

prendre en compte la dimension évolutive des phénomènes étudiés 381 .<br />

À différents points de vues, les difficultés que pose la représentation euclidienne<br />

d’un espace déterritorialisé, « cybernétisé » (Jacques Levy), rejoignent celles auxquelles<br />

doivent faire face les médiévistes confrontés, eux aussi, à un espace fondamentalement<br />

discontinu, hétérogène et polarisé. À l’instar du monde actuel « glocalisé », l’espace<br />

féodal présentait un système où l’interaction entre le local et le global était fortement<br />

articulée. Son principe général d’organisation reposait en effet sur le binôme<br />

centralité/périphérie aussi bien à petite échelle : celle de la paroisse et de la communauté<br />

villageoises - cellules de bases de l’organisation sociales – qu’à grande échelle :<br />

l’espace de la Chrétienté 382 . En faisant le constat de « l’épuisement du paradigme<br />

territorial républicain, tel qu’hérité de deux siècles de construction nationale, en appui<br />

sur une rationalité de l’espace qualifiée d’euclidienne » 383 et en rejetant « la prégnance<br />

d’une représentation de l’espace qui privilégiait la figure du puzzle, ou mieux de la<br />

maille [qui faisait que] l’espace était appréhendé comme une juxtaposition et un<br />

emboîtement » 384 , les géographes construisent des pistes de réflexion utiles pour les<br />

médiévistes. Parmi les cinq « réalités émergentes » 385 relevées par Jacques Levy, qui<br />

appelle à des changements dans la manière de représenter ces spatialités, se trouvent la<br />

prise en compte des discontinuités de l’espace et du temps ainsi que de l’organisation<br />

rhizomique des territoires. Des réalités qui coïncident, en bien des points avec celles<br />

auxquels les médiévistes sont confrontés, tels que la démultiplication et l’imbrication<br />

des espaces de références, l’inégale distribution des droits de chacun sur un territoire,<br />

leurs superpositions à différentes échelles, la prééminence des liens interpersonnels dans<br />

l’organisation sociale, ou encore la différentiation des territorialités en fonction des<br />

pratiques sociales et l’importance des espaces interstitiels. Si toutes les cartographies de<br />

381 MOUSNIER, M., « Quand la carte interroge le territoire », dans Les territoires du médiéviste, 2005, p.<br />

417-437 cite BROCARD, M., « A propos de 'chroèmes' (Mappemonde 86-4) », Mappelonde, 1 (1988), p.<br />

44; SIVIGNON, M., « Chorèmes: éléments pour un débat », Hérodotes, 76 (1995), p. 93-109;<br />

MARCONIS, R., « Ambiguïtés et dérives de la chorématique"Ibid., p. 110-132.<br />

382 GUERREAU, A., « Quelques caractères spécifiques de l’espace féodal européen », dans L'État ou le<br />

roi. Les fondations de la modernité monarchique en France, XIVe-XVIIe siècles, 1996, p. 85-101, p.94-<br />

95.<br />

383 DEBARBIEUX, B. et VANIER, M., « Introduction. Les représentations à l'épreuve de la complexité<br />

territoriale: une actualité? une prospective? », dans Ces territorialités qui se dessinent, 2002, p. 7-27, p.<br />

21.<br />

384 Ibid., p. 9.<br />

385 LÉVY, J., « Un tournant cartographique? (ch.6) », dans Ces territorialités qui se dessinent, 2002, p.<br />

129-144, (p. 136).<br />

116


l’Occident féodal se sont construites à partir du système métrique moderne, c’est que la<br />

carte n’est peut-être pas au fond l’outil le plus approprié pour représenter des territoires<br />

qui se chevauchent, qui se recouvrent et s’émancipent de la contiguïté… 386<br />

Pour Denis Retaillé, ce constat vaut également pour l’espace contemporain, qu’il<br />

considère comme un espace fondamentalement mobile et donc largement incompatible<br />

avec la cartographie, dans la mesure où elle consiste précisément à fixer ce<br />

mouvement 387 . Dénonçant les fictions géographiques telles que le territoire, la frontière,<br />

les aires culturelles, etc., il propose de replacer au centre les notions de déplacement, de<br />

mutation (pour réintroduire le temps) et de mobilité. Selon Denis Retaillé, ce n’est<br />

qu’après avoir pris conscience de la possible illusion des constructions géographiques,<br />

que l’on pourra représenter un seul plan l’organisation de lieux inter-reliés à différents<br />

niveaux, mais ce plan ne saurait être une forme fixe. C’est pourquoi, il propose<br />

l’intégrale comme forme théorique permettant de représenter l’espace mobile car elle a<br />

une fonction de multiplication et non d’addition d’objets localisés 388 (illustration 1.11).<br />

Comment en effet représenter la vie d’itinérance des rois médiévaux autrement que par<br />

l’addition des lieux de résidences, c’est-à-dire de leur fixité ? Parce que la cartographie<br />

des trajets des itinéraires des Plantagenêt serait illisible telle quelle, tant les trajets se<br />

superposent, nous proposerons, en suivant les pistes de réflexions de Denis Retaillé de<br />

représenter en plan les séquences de trajets en fonctions de leur fréquentation (voir<br />

chapitre 5). Comment également représenter l’inter-spatialité, c'est-à-dire la rencontre<br />

entre des phénomènes d’échelle, de substance et de métrique différente, sans avoir<br />

recours à l’emboîtement et l’interface mais à la cospatialité ? En attendant l’exploration<br />

de ces réflexions épistémologiques sur la représentation spatiale permette de se « libérer<br />

de l’impératif cartographique » 389 , la médiation symbolique en l’homme et son espace<br />

que représente la représentation en plan apparaît encore nécessaire ! Tous les problèmes<br />

que posent la « crise » de la cartographie ne peuvent bien évidemment être abordés ici,<br />

seuls trois points ont été choisis afin de montrer certaines des alternatives<br />

cartographiques possibles : l’échelle, la délimitation et la hiérarchisation.<br />

386<br />

TORRICELLI, G. P., « La carte (prospective) comme médiation symbolique (ch.7) », dans Ces<br />

territorialités qui se dessinent, 2002, p. 145-160.<br />

387<br />

RETAILLÉ, D., « Malaise dans la géographie: l'espace est mobile », dans Territoires, territorialité,<br />

territorialisation. Controverses et perspectives, 2009, p. 97-114.<br />

388<br />

Reprend et développe le modèle publié dans DURAND, M.; LÉVY, J. et RETAILLÉ, D., Le monde,<br />

espaces et systèmes, 1993.<br />

389<br />

RETAILLÉ, D., « Malaise dans la géographie: l'espace est mobile », dans Territoires, territorialité,<br />

territorialisation. Controverses et perspectives, 2009, p. 97-114.<br />

117


A grande échelle (au sens cartographique), les usages de la carte en tant<br />

qu’instrument de réflexion et d’analyse ne semblent pas poser particulièrement<br />

problème. Ainsi la cartographie de la châtellenie de Brancion-Uxelles par Georges<br />

Duby constitue un exemple classique de cartographie régionale polarisée, insistant sur le<br />

dessin des réseaux et les diverses hiérarchies 390 . À l’échelle régionale, si l’on s’en tient à<br />

l’espace des Plantagenêt, les cartes élaborées par Jacques Boussard pour l’Anjou et celle<br />

de l’Atlas historique français 391 (carte 1.12 et 1.13) <strong>of</strong>frent des représentations de<br />

l’espace social et politique où a été privilégiée la figuration des filiations et des<br />

appartenances. L’espace y apparaît ainsi polynucléaire et réticulé, représentant les<br />

hiérarchies subalternes au niveau comtal. En revanche, le croquis proposé par Jean<br />

Tricard pour synthétiser la description de la Touraine par un moine du XII e siècle, ne<br />

parvient pas à représenter l’une des fonctions pourtant centrale des châteaux cités : celle<br />

de « ceindre la ville de Tour ». Au lieu de souligner l’organisation réticulaire et<br />

polarisée de l’espace tourangeau, l’auteur choisit en effet de dessiner en pointillé des<br />

axes et des limites virtuels qui divisent l’espace en surfaces déformant ainsi la vision<br />

qu’en avait le moine anonyme du XII e siècle (carte 1.14). Plus récemment, et dans le<br />

même espace, les travaux d’Hélène Noizet ont montré ce que l’usage des Systèmes<br />

d’Information Géographiques (SIG) apportent dans les modalités de représentations de<br />

l’espace à l’échelle urbaine mais aussi dans un périmètre plus vaste ne se limitant pas<br />

aux cadres régionaux préétablis 392 . Ces quelques exemples montrent que ce n’est donc<br />

pas à l’échelle urbaine ou régionale qu’interviennent les principales difficultés, mais dès<br />

lors qu’on élargit la focale.<br />

À petite échelle, les propositions cartographiques pour représenter l’empire<br />

Plantagenêt n’ont jusqu’à présent pas donné lieu à d’intenses réflexions conceptuelles,<br />

bien que l’école de géographie historique ait été particulièrement dynamique en Grande-<br />

Bretagne depuis les années 1950, à la suite des travaux de H. C. Darby, célèbre pionner<br />

de la géographie et la cartographie du Domesday Book 393 . Après une phase très<br />

théorique, la géographie historique britannique est revenue à la construction de modèles<br />

plus empiriques notamment avec les travaux de N.J.G Pounds qui <strong>of</strong>fre une véritable<br />

390<br />

BOUCHERON, P., « Représenter l'espace féodal : un défi à relever », Espaces Temps.<br />

Histoire/Géographie, 2. Les promesses du désordre, 68-69-70 (1998), p. 59-66 cite DUBY, G., La société<br />

aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise, 1953.<br />

391<br />

BAUTIER, R. H. et al. (eds.), Atlas historique français : le territoire de la France et de quelques pays<br />

voisins. 1. Anjou, 1973, planche IV.<br />

392<br />

NOIZET, H., La fabrique de la ville. Espaces et sociétés à Tours, IXe-XIIIe siècle, 2007.<br />

393<br />

DARBY, H. C., Domesday England, 1986; DARBY, H. C., A new historical geography <strong>of</strong> England,<br />

1973; DARBY, H. C., Domesday England, 1986.<br />

118


cartographie de l’Angleterre à partir d’une réflexion sur la place des châteaux dans la<br />

construction de l’espace politique anglais au Moyen Âge 394 . Il construit une véritable<br />

cartographie historique et statistique à partir des sources disponibles, (itinéraires royaux,<br />

dispersion castrale des honneurs, répartition des dépenses, etc.) mais dont l’échelle ne<br />

dépasse malheureusement jamais le cadre national.<br />

Dans la littérature sur les Plantagenêt, seul John Gillingham construit un chapitre<br />

sur « la géographie de l’empire », reconnaissant les problèmes du cartographe, non pas<br />

pour tracer les frontières, mais pour savoir comment représenter l’espace à l’intérieur de<br />

celles-ci : « une carte de l’empire angevin – où serait coloriées toutes les provinces<br />

d’une couleur uniforme – suggérant que le pouvoir d’Henri II était partout similaire<br />

serait sérieusement trompeuse » 395 . Selon lui, si l’Angleterre peut être surfacée, parce<br />

que « ses villes, ses châteaux et ses villages étaient inclus dans un maillage uniforme de<br />

shires qui, à quelques exceptions près, recouvrait tout le royaume », ce ne peut être le<br />

cas des possessions continentales. En Aquitaine et en Anjou, l’autorité ducale étant plus<br />

dispersée (patchy), une carte politique de l’empire angevin doit pouvoir prendre en<br />

compte cette dispersion 396 . Cependant, la carte qu’il propose ne parvient pas à rendre<br />

compte de ces distinctions territoriales (carte 1.15), c’est d’ailleurs sans doute la raison<br />

pour laquelle elle est pratiquement jamais reprise dans les ouvrages ultérieurs, qui<br />

préfèrent revenir à une option plus traditionnelle mais plus efficace : celle des cartes<br />

surfacées, sur le modèle de l’Atlas historique (carte 1.16).<br />

On peut d’emblée remarquer que les cartes à petite échelle sont avant tout des<br />

cartes dessinées, qui ne font pas intervenir de données statistiques, qui se réduisent à la<br />

mise en œuvre du point, de la ligne et du plan. Or il est possible de faire intervenir des<br />

éléments statistiques à cette échelle, là aussi à condition de sélectionner les données<br />

pour que la carte reste lisible. À petite échelle comme à grande échelle, la représentation<br />

de l’espace n’est en effet jamais une représentation de la réalité : la seule cartographique<br />

qu’il est possible de construire n’en présentera toujours que l’une de ses facettes, celle<br />

auxquelles les sources donnent accès. Les cartes proposées ne seront donc jamais que<br />

celles d’un empire Plantagenêt, vu au prisme de l’administration anglaise et normande<br />

et de ses enregistrements dans les comptes de l’Échiquier. Quels sont alors les modèles<br />

de cartes qui permettent de représenter cette réalité territoriale médiévale ?<br />

394 POUNDS, N. J. G., The Medieval Castle in England and Wales. A Social and Political History, 1994.<br />

395 GILLINGHAM, J., The Angevin empire, 1984, p. 34.<br />

396 Ibid., p. 35.<br />

119


Parmi les cartes dessinées, les cartes dites pointillistes constituent l’une des<br />

options les plus répandues. Les figurés ponctuels présentent en effet de nombreux<br />

avantages : celui de remettre en cause la linéarité de certaines délimitations qui ne<br />

correspondent à aucun vécu perceptible, ou encore de représenter l’espace de manière<br />

polarisé. En survalorisant des surfaces sur une carte, le point reflète sans doute assez<br />

bien l’attraction que pouvaient exercer certains centres dans le paysage médiéval. Cette<br />

option est également la plus courante parce qu’elle repose sur la localisation de lieux<br />

concrets que sont les châteaux, monastères, cités, qui constituent les nœuds de la<br />

structure. En remplaçant les surfaçages par des nuages de points, qui ne sont pas<br />

nécessairement tous de la même forme ou de la même taille, cette méthode permet de<br />

signifier leur importance réelle ou symbolique commune (carte 1.17). Cette méthode qui<br />

permet également d’introduire des valeurs quantitatives peut produire des effets de<br />

hiérarchisation et de faire apparaître la structure multipolaire ou polycentrique du<br />

territoire. La carte des dépenses enregistrées par les Échiquiers anglais et normand entre<br />

1154 et 1216, par exemple, illustre les possibles géographies d’un tel espace (carte<br />

1.18). C’est généralement cette méthode qui a été utilisée dans les chapitres suivants<br />

pour représenter les différents types de pratique de l’espace des Plantagenêt, et<br />

notamment dans le chapitre consacré aux frontières (chapitre 4).<br />

Contrairement à ce qu’affirme John Gillingham, il n’est pas si aisé de dessiner<br />

les limites de l’empire angevin, car une simple courbe, comme il le propose, ne permet<br />

pas de traduire les différences de perception et de représentation de la frontière au XII e<br />

siècle. Ainsi les frontières de la Normandie étaient non seulement bien délimitées en<br />

certains lieux, comme il le rappelle lui-même et comme l’a montré Daniel Power, mais<br />

également particulièrement bien intégrées par les habitants de ces régions, ce que traduit<br />

leurs pratiques spécifiques 397 . En revanche, il est presque impossible de dessiner aussi<br />

clairement la frontière délimitant l’empire en Auvergne et en Aquitaine. Chaque<br />

territoire produisant sa propre limite, l’hétérogénéité des espaces de l’empire ne peut<br />

donc se traduire par l’idée que l’empire avait une frontière homogène. C’est en ce sens<br />

que la carte pointilliste permet de remplacer la ligne par des nuages de points montrant<br />

les positions Plantagenêt et capétiennes aux endroits où elles sont en contact (voir la<br />

carte 4.21).<br />

Ces cartes pointillistes présentent néanmoins l’inconvénient de devenir<br />

rapidement illisibles en cas d’accumulation des données. Elle peuvent être alors<br />

397 POWER, D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries, 2004.<br />

120


transformées cartes en cartes chorématiques. Ce principe fondé sur la modélisation et la<br />

schématisation permet non seulement de représenter de manière synthétique plusieurs<br />

types informations, mais aussi de s’émanciper du fond de carte et de la tentation du<br />

coloriage qu’il peut produire. La carte 1.19 <strong>of</strong>fre un exemple de carte chorématique de<br />

la formation de l’empire Plantagenêt. Les espaces sont schématisés à partir du fond de<br />

carte qui pourrait lui-même être occulté.<br />

En plus des cartes dessinées, les sources permettrent également de construire une<br />

cartographie statistique. Parmi les formats existants, celui du carroyage composé d’un<br />

« semi régulier de cercles de tailles croissantes », inventé par Jacques Bertin et mis en<br />

pratique par Guy Arbellot a l’avantage de fonctionner à partir d’un maillage de base<br />

indépendant sur lequel sont projetées les données, ce qui permet de représenter, même<br />

de façon déformée, le caractère hétérogène, discontinu et polarisé de cet espace 398 . Ce<br />

système du carroyage s’est rapidement imposé chez les cartographes britanniques qui<br />

ont rapidement compris la force de conviction de cette technique, y compris pour la<br />

cartographie historique 399 . Il est par exemple mis en œuvre par Olivier Rackham pour<br />

calculer le pourcentage d’aires boisées par comté (shires) à l’époque du Domesday<br />

Book 400 . Ainsi, la disparité spatiale des données, parfois exprimées en surfaces boisées,<br />

parfois en « espace pour tant de porcs », dont la variation dépend de la fenaison, peut<br />

être gérées graphiquement, grâce aux comparaisons possibles avec les sources du XIII e<br />

siècle (carte 1.20). Ce type de carte a été utilisé ponctuellement, lorsqu’elle existait,<br />

mais aucune n’a été construite à partir de nos propres données.<br />

Enfin, un dernier type de carte peut être utilisé dans ce contexte : l’anamorphose.<br />

Également fondée sur le principe du carroyage initial du fond de carte, la disposition des<br />

données s’effectue non sous forme d’un « semi de points », mais en élargissant ou<br />

raccourcissant les distances, pour créer des effets de densité. « L’idée de base est<br />

d’attribuer aux portions d’espaces une superficie sur le papier qui soit proportionnelle à<br />

une autre donnée » 401 . La cartographie en anamorphose a pour but d´adapter la forme de<br />

la carte non pas à la réalité physique mais plutôt à la réalité perçue. Cette déformation<br />

de l´espace peut être construite par un modèle mathématique (interpolation d´un champ<br />

398 ARBELLOT, G., La cartographie statistique automatique appliquée à l’histoire. Une expérience sur<br />

332 villes et villages de haute champagne au XVIIe et XVIIIe siècles, 1970; BERTIN, J., Sémiologie<br />

graphique les diagrammes, les réseaux, les cartes, 1999.<br />

399 BRUNET, R., La carte, mode d'emploi, 1994 [1987], p. 91-95.<br />

400 RACKHAM, O., Trees and woodland in the British Landscape. The complete history <strong>of</strong> Britain’s<br />

trees, woods, and hedgerows, (1995 [1976]), p.48-53.<br />

401 BRUNET, R., La carte, mode d'emploi, 1994 [1987], p. 102.<br />

121


vectoriel selon un modèle gravitaire) à partir de données quantitatives réelles 402 .<br />

L’anamorphose ne constitue donc pas une représentation de la réalité géographique,<br />

mais un outil heuristique qui <strong>of</strong>fre l’avantage de contourner les effets pervers de la<br />

représentation euclidienne. Deux grandes orientations structurent la construction de ces<br />

cartes : une conception du fond en fonction des vitesses d’accessibilité, et la définition<br />

des surfaces en fonction des masses. C’est la seconde orientation qui retiendra ici le plus<br />

notre attention. Des cartes en anamorphose selon la densité des châteaux royaux, selon<br />

la fréquence des visites royales (cartes 1.21, 1.22, 1.23), selon le nombre de séquence de<br />

passage (pour saisir les parcours les plus empruntés), selon le montant des dépenses<br />

permettront non pas de refléter l’espace de l’empire tel qu’il était mais de proposer une<br />

nouvelle manière de représenter les différents aspects de la spatialisation du pouvoir<br />

dans l’empire Plantagenêt. L’exploration heuristique de ces anamorphoses sera en partie<br />

l’objet du chapitre 5.<br />

3.3- Conclusion du chapitre<br />

Alors que l’espace devient un nouveau mode d’appréhension et de<br />

compréhension de la période féodale, il était difficile de ne pas dresser un bilan<br />

historiographique de l’état des connaissances. Les problématiques qui avaient été<br />

jusqu’à présent formulées par la question de l’empire trouvent ainsi un nouvel éclairage.<br />

Si dans un débat aussi clivé que celui de « l’empire angevin », retracer l’histoire des<br />

positions historiographiques constitue un préliminaire attendu, l’objectif n’était pas ici<br />

uniquement d’en faire le bilan mais de situer la perspective de cette étude. En<br />

reformulant la problématique de l’empire, à partir des processus complexes de<br />

spatialisation et de territorialisation insérés dans une problématique de « glocalisation »,<br />

il s’agissait de mettre en place l’idée que les pratiques castrales, prises en compte à<br />

différentes échelles d’analyse, permettent de saisir la manière dont les Plantagenêt ont<br />

construit la souveraineté de leur pouvoir, l’imperium de leur empire. Dans les chapitres<br />

suivants, cette construction territoriale sera abordée en 5 points : le renforcement de la<br />

puissance publique des princes sur l’aristocratie par le contrôle des lieux structurant de<br />

l’espace (chapitre 2), les conditions de réapparition d’une dimension publique de<br />

l’intervention royale dans certaines constructions (chapitre 3) ; le rôle de la délimitation<br />

des frontières dans la définition d’un pouvoir territorial (chapitre 4) ; le rôle de<br />

402 LANGLOIS, P. and DENAIN, J.-C., « Cartographie en anamorphose », Cybergeo, Cartographie,<br />

Imagerie, SIG (14 mars 2007), .<br />

122


l’itinérance et des choix résidentiels dans la construction des territoires de l’empire<br />

(chapitre 5) et enfin le rôle des chantiers de construction, de leur organisation et de leur<br />

administration dans la construction de l’espace du pouvoir des Plantagenêt dans la<br />

seconde moitié du XII e siècle (chapitre 6).<br />

123


Chapitre 2<br />

Contrôler les lieux et marquer l’espace :<br />

topographie de l’affirmation de la<br />

puissance publique<br />

À l’avènement d’Henri II et tout au long de son règne, la justification de la<br />

politique de réforme se fonde sur la restauration de l’ordre qui prélevait au temps<br />

d’Henri I er . Ce qui se présente alors comme un retour à l’ordre ancien pose en réalité les<br />

bases d’un nouveau mode de gouvernement. Celui-ci se caractérise par la restauration<br />

du pouvoir princier et par sa capacité à revendiquer le monopole de la puissance<br />

publique. Ce chapitre propose d’analyser les modalités de cette reconcentration des<br />

pouvoirs aux mains des Plantagenêt, à travers les stratégies développées pour contrôler<br />

les principaux pôles à partir desquels s’organise l’espace social de la féodalité : les<br />

châteaux et les monastères. Selon Michel Zimmerman, la potestas, contrairement au<br />

dominium, n’était pas exactement le pouvoir sur un objet (un homme et/ou une terre)<br />

mais sur l’usage d’un objet 1 . La potestas sur un château, en tant que pouvoir médiat et<br />

en tant que possibilité de passer à l’acte, constitue donc l’enjeu véritable de la fidélité.<br />

En s’emparant des châteaux d’origine publique, les Plantagenêt cherchaient donc moins<br />

à renforcer leurs assises territoriales (ce fut plutôt une conséquence de cette politique,<br />

notamment dans le cas des confiscations définitives) qu’à renforcer leur potestas par la<br />

réactivation des liens de fidélité qui constituaient le fondement social de la pyramide<br />

1 ZIMMERMANN, M., « Et je t’empouvoirrai (potestasvitum te farei) : a propos des relations entre<br />

fidélités et pouvoir en Catalogne au XI e siècle », Médiévales, 10 (1986), p. 17-36, voir aussi DÉBAX, H.,<br />

« Les Trencavel et le ius munitionis au XIIe siècle d’après le cartulaire des Trencavel », dans<br />

Morphogenèse du village médiéval (IXe – XIIe siècles), 1996, p. 157-163.<br />

124


féodale dont ils occupaient le sommet. On retrouve ainsi dans ces « saisies » de<br />

châteaux le principe du pouvoir qui était, à l’âge classique, selon Michel Foucault,<br />

« avant tout droit de prise : sur les choses, le temps, les corps et finalement la vie ; il<br />

culminait dans le privilège de s’en emparer pour la supprimer » 2 . Depuis Michel<br />

Foucault, en effet, la définition du pouvoir comme relation s’est imposée dans nombre<br />

de domaine des sciences sociales 3 . Cependant, on tentera moins de faire ici une<br />

« microphysique » du pouvoir que d’en dresser la topographie, c'est-à-dire de saisir, à<br />

une échelle globale, le rôle des lieux – châteaux et monastères – comme objets de<br />

médiation des rapports de force entre les Plantagenêt et leurs vassaux. Contrairement<br />

même à Michel Foucault qui cherchait à penser le pouvoir émancipé de cette « forme<br />

historique bien particulière à nos sociétés : la monarchie juridique » 4 , ce sont les<br />

processus d’émergence de cette forme de pouvoir qui constituent le cœur de notre<br />

réflexion. Plus spécifiquement, nous tenterons de voir comment la reconcentration des<br />

pouvoirs publics à partir du contrôle des lieux et de l’espace des fidélités à une échelle<br />

globale a permis l’émergence d’un pouvoir territorialisé. Jusqu’à présent,<br />

l’historiographie a abordé l’essor de la souveraineté royale à partir de la fin du XII e<br />

siècle comme un phénomène issu du renouveau du droit romain qui donnait de<br />

nouveaux outils conceptuels pour penser le pouvoir du roi 5 . Notre approche consistera à<br />

montrer que la transformation du pouvoir féodal en pouvoir souverain s’est largement<br />

appuyé sur le processus de spatialisation des rapports féodaux.<br />

Dans un premier temps, nous verrons comment les Plantagenêt ont cherché à<br />

affirmer leur potestas publica sur les châteaux « inféodés », c'est-à-dire d’une certaine<br />

manière à affirmer leur capacité à contrôler ces châteaux, selon le droit, sans user de la<br />

2 FOUCAULT, M., Histoire de la sexualité. 1: La volonté de savoir, 1994 [1976], p. 179, le pouvoir sur<br />

la vie s’étant surtout développé à partir du XVII e siècle.<br />

3 Michel Foucault est le philosophe qui a le plus exploré cette dimension relationnelle du pouvoir, à<br />

l’encontre des définitions essentialistes. Dans la Volonté de savoir il propose une définition qui sera<br />

souvent reprise : « le pouvoir n’est pas quelque chose qui s’acquiert, s’arrache ou se partage, quelque<br />

chose qu’on garde ou qu’on laisse échapper ; le pouvoir s’exerce à partir de points innombrables, et dans<br />

le jeu de relations inégalitaires et mobiles ». Ibid. p. 123-124. COUZENS HOY, D. (éd.), Michel<br />

Foucault: lectures critiques, 1989, p. 69-71.<br />

4 FOUCAULT, M., Histoire de la sexualité. 1: La volonté de savoir, 1994 [1976], p. 117 : « Au fond,<br />

malgré les différences d’époque et d’objectifs, la représentation du pouvoir est restée hantée par la<br />

monarchie. (…) De là l’importance qui est encore donnée dans la théorie du pouvoir au problème du droit<br />

et de la violence, de la loi et de l’illégalité, de la volonté et de la liberté et surtout de l’Etat et de la<br />

souveraineté. »<br />

5 KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen âge, 2000<br />

[1957]; POST, G., Studies in Medieval Legal Thought Public Law and the State, 1100-1322, 1964 et en<br />

France à la suite des travaux de Gabriel Le Bras, Jean Gaudemet ou encore Jean-François Lemarginier et<br />

plus récemment Jacques Krynen. KRYNEN, J., L'empire du roi. Idées et croyances politiques en France,<br />

XIIIe-XVe siècle, 1993.<br />

125


force. Si les confiscations et destructions ont été nombreuses entre 1153 et 1215, elles<br />

n’ont cependant pas été de pures manifestations de la force militaire des Plantagenêt.<br />

L’usage de la violence, qui a originellement pour fonction de fonder ou refonder de la<br />

relation de domination, doit en effet s’ancrer dans un discours et dans une norme pour<br />

lui permettre de perdurer sans s’exercer physiquement 6 . La légitimité du droit étant<br />

ancrée dans le passé au Moyen Âge, la justification de cette politique s’est donc<br />

présentée comme une restauration de l’ordre « ancien ». Si les premiers espaces<br />

réordonnés – la Normandie et l’Angleterre – disposaient d’une tradition juridique qui<br />

avait conservé les principes du ius munitionis carolingien, nous verrons, dans un<br />

premier temps, que la réactivation de ce droit après des années de troubles et de guerres<br />

partisanes, sa mise en application et l’extension de son usage à l’échelle de l’empire ont<br />

provoqué d’importantes résistances. Les confiscations et les destructions de châteaux<br />

illégitimes ou rebelles à l’autorité du roi n’ont cependant pas été le seul instrument du<br />

renforcement de la puissance publique des Plantagenêt. Dans un second temps, nous<br />

envisagerons donc comment, en imposant la refondation d’un monastère au titre du<br />

patronage royal, les Plantagenêt ont non seulement étendu leur capacité à contrôler les<br />

fidélités au delà du seul fief, mais ont également affirmé leur volonté contre<br />

l’affirmation de la « liberté de l’Église ». Tout comme le contrôle des réseaux<br />

ecclésiastiques, la mainmise sur le patronage des monastères constituait alors un<br />

puissant levier du contrôle territorial. La diffusion du monachisme en Occident au X e et<br />

XI e siècle avait en effet accompagné le vaste mouvement de spatialisation du sacré qui<br />

avait abouti à faire de l’Église la principale institution d’encadrement social 7 .<br />

À partir d’une analyse comparée des formes d’extension de la puissance<br />

publique du roi sur les châteaux et les monastères, nous tenterons enfin de saisir la<br />

dimension chronologique de la conquête de la puissance publique, à travers le prisme<br />

des constructions dans les « marches internes », espaces de forte autonomie des<br />

pouvoirs seigneuriaux qui faisaient obstacle à l’unification des territoires de l’empire.<br />

6 WEBER, M., Économie et société 1 Les catégories de la sociologie, 2003.<br />

7 LAUWERS, M., Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval,<br />

2005 et le dossier qui suit : IOGNA-PRAT, D. et ZADORA-RIO, E., « Formation et transformations des<br />

territoires paroissiaux », Médiévales, 49 (2005).<br />

126


1- Confisquer et détruire : le pouvoir royal entre<br />

revendication du droit et usage de la force militaire<br />

Entre 1154 et 1214, le nombre de châteaux aux mains du roi en Angleterre est<br />

passé de 49 à 93, tandis que le nombre des châteaux seigneuriaux a décliné au cours de<br />

la période, passant de 295 à 173 8 . Selon Charles Coulson, même si le ratio proposé par<br />

R. Allen Brown doit être relativisé, ces tendences reflètent bien l’extension des assises<br />

territoriales du pouvoir royal en Angleteterre, au cours de la période. Le contrôle des<br />

châteaux féodaux apparaît ainsi comme l’un des principaux modes d’action mis en place<br />

par les Plantagenêt pour territorialiser leur pouvoir. Parmi les techniques et les<br />

dispositifs de contrôle activés, le droit occupe une place central, et en particulier<br />

l’héritage normand. La préservation du droit carolingien lié au contrôle des<br />

fortifications ont en effet été des outils essentiels dans la justification du rétablissement<br />

de l’ordre public 9 .<br />

1.1- La conquête du pouvoir et l’affirmation de la potestas regis<br />

1.1.1- Le droit de reddibilité et la prerogativa regis<br />

L’intérêt suscité chez les historiens par le droit de reddibilité dans la<br />

compréhension des mécanismes de la féodalité a marqué une longue historiographie<br />

donc Charles Coulson a retracé les étapes et les enjeux 10 . Il propose notamment une<br />

relecture plus attentive des sources à l’encontre des interprétations « militaristes » de<br />

l’histoire victorienne issues de George <strong>Free</strong>man et de celles, en France, de Jean Yver et<br />

de Richard Aubenas (à qui il reproche de véhiculer l’idée que tout château échappant<br />

aux mains du monarque était nécessairement contraire à l’ordre public) 11 . Retraçant<br />

8<br />

BROWN, R. A., English medieval castles, 1954; KING, D. J. C., Castellarium Anglicanum. An <strong>Index</strong><br />

and Bibliography <strong>of</strong> the Castles in England, Wales and the Islands, 1983; COULSON, C. A., « Fortress-<br />

Policy in Capetian tradition and Angevin Practice. Aspect <strong>of</strong> the conquest <strong>of</strong> Normandy by Philip II »,<br />

dans A.N.S., 1983, p. 13-38; COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England,<br />

France, and Ireland in the Central Middle Ages, 2003, p. 141-148, 155-164.<br />

9<br />

Sur ce thème voir en particulier la thèse de DAVY, G., Le duc et la loi: héritages, images et expressions<br />

du pouvoir normatif dans le duché de Normandie, des origines à la mort du Conquérant fin du IXe siècle-<br />

1087, 2004.<br />

10<br />

COULSON, C. A., « <strong>Free</strong>dom to crenellate by licence: an historiographical revision », Nottingham<br />

Medieval Studies, 38 (1994), p. 86-137.<br />

11<br />

YVER, J., « Les châteaux-forts en Normandie jusqu’au milieu du XIIe siècle : contribution à l’étude du<br />

pouvoir ducal », Bulletin de la société des antiquaires de Normandie, 53 (1955-56), p. 28-112;<br />

127


l’histoire du principe de reddibilité des châteaux depuis l’époque carolingienne, C.<br />

Coulson montre qu’il a jusqu’à présent été associé de manière erronée à la question des<br />

licences royales de fortification alors qu’il s’agit de deux actions légales distinctes. La<br />

première mention de ce qui apparaît comme une licence royale se trouve dans l’édit de<br />

Pîtres, promulgué en 864 par Charles le Chauve 12 :<br />

Nous ordonnons expressément que toute personne ayant construit un<br />

château, des fortifications ou des enclos sans notre permission les<br />

fasse démolir avant le 1 er août 13 .<br />

En 911, si le traité signé à Saint-Clair-sur-Epte, entre Charles III le Simple et le<br />

chef normand, Rollon, apparaît comme un exemple de ces licences royales, à cette date,<br />

la fonction d’une telle licence était moins de réguler l’essor des constructions que de<br />

formaliser la reconnaissance de la souveraineté du carolingien 14 . En revanche, selon C.<br />

Coulson, il est impossible de voir dans la clause 4 des Consuetudines et Justicie de 1091<br />

qui établissent les coutumes du duché de Normandie, une quelconque « licence » royale,<br />

mais plutôt une volonté de régulation des constructions liées à la guerre entre les trois<br />

fils du Conquérant 15 .<br />

Nul n’a le droit en Normandie de faire des fossés, en terre plane,<br />

d’une pr<strong>of</strong>ondeur plus grande que ce qui peut être creusé et enlevé<br />

sans utiliser d’escabeau, et il n’est pas permis d’y faire une palissade<br />

de plus d’une rangée avec des projections ou des parapets. Et nul ne<br />

peut faire des fortifications sur une roche ou un île et nul ne peut en<br />

Normandie édifier des châteaux et nul ne peut en Normandie refuser<br />

de livrer les fortifications de son château au duc si celui-ci veut le<br />

prendre pour lui 16<br />

AUBENAS, R. J., « Les châteaux forts des X e et XI e siècles. Contribution à l'étude des origines de la<br />

féodalité », Revue historique de droit français et étranger, 17 (1938), p. 548-586.<br />

12<br />

BROWN, R. A., English medieval castles, 1954, p. 8.<br />

13<br />

« Legum », dans Monumenta Germaniae Historiae, 1897 Capitularia regum Francorum, 2 : Capitularia<br />

regum Franciae occidentalis, Capit. 2, Cap. 273, p. 328, l. 20 : Et volumus et expresse mandamus, ut,<br />

quicumque istis temporibus castella et firmitates et haias sine nostro verbo fecerint, Kalendis Augusti<br />

omnes tales firmitates disfactas habeant.<br />

14<br />

COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the<br />

Central Middle Ages, 2003, p. 27.<br />

15<br />

COULSON, C. A., « Fortress-Policy in Capetian tradition and Angevin practice. Aspect <strong>of</strong> the<br />

conquest <strong>of</strong> Normandy by Philip II », dans A.N.S., 1983, p. 13-38.<br />

16<br />

HASKINS, C. H., « The Norman 'Consuetudines et Iusticie' <strong>of</strong> William the Conqueror », E.H.R., 23: 91<br />

(1908), p. 502-508, republié dans HASKINS, C. H., Norman institutions, 1918, Appendix D (p. 277-284):<br />

clause 4 : Nulli licuit in Normannia fossatum facere in planam terram nisi tale quod de fundo potuisset<br />

terram iactare superius sine scabello, et ibi non licuit facere palicium nisi in una regula et illud sine<br />

propugnaculis et alatoriis. Et in rupe vel in insula nulli licuit facere fortitudinem et nulli licuit in<br />

Normannia castellum faceter et nulli licuit in Normannia fortitudinem castelli sui vetare domino<br />

Normannie si ipse eam in manu sua voluit habere<br />

128


La dernière phrase montre que l’établissement de ces normes était étroitement lié<br />

au principe de reddibilité des châteaux baronniaux et la clause 5 le confirme puisqu’elle<br />

stipule le droit du duc à placer des garnisons dans les châteaux de ses barons et de<br />

demander des otages pour s’assurer de leur loyauté 17 . La prise de possession d’un<br />

château s’accompagnait également de cérémonies de remise de clefs ou de placement de<br />

bannières in signum domini. Ge<strong>of</strong>froy de Vigeois raconte le déroulement d’un tel<br />

événement, en 1183 :<br />

Le lundi, le vicomte Aymar fit la pax avec Pierre de Pierre-Buffière,<br />

seigneur de ce château et aussitôt qu’on lui eut livré la tour, le<br />

vicomte y fit arborer son étendard avec celui du roi et de Curbaran, et<br />

pendant tout un jour et une nuit, il fit annoncer, à son de trompe, sa<br />

victoire à toute la contrée. Le lendemain selon le traité, il rendit la<br />

tour à Pierre 18 .<br />

On peut néanmoins s’interroger sur les rapports entre la théorie juridique et les<br />

pratiques des rois anglo-normands : si l’on en croit Robert de Torigini, le droit de<br />

reddibilité était reconnu et fréquemment mis en applications par Henri I er et Henri II.<br />

Il [Henri I er ] prit plusieurs forteresses et le roi se substitua à presque<br />

tous les barons normands 19 .<br />

Le roi Henri [II] prit dans sa main les fortifications du comte de<br />

Meulan et de ses autres barons en Normandie et mis ses fidèles sous<br />

son commandement 20 .<br />

En Angleterre, si les Leges Henrici Primi reprennent l’affirmation d’une<br />

juridiction royale sur la castellatio trium scannorum 21 , renouant ainsi avec le principe<br />

17 HASKINS, C. H., « The Norman 'Consuetudines et Iusticie' <strong>of</strong> William the Conqueror », E.H.R., 23: 91<br />

(1908), p. 502-508, (p. 507) : Et si dominus Normannie filius vel fratrem vel nepotem baronis sui qui non<br />

esset miles voluit habere obsidem de portanda fide, nullus sibi contradicere potuit.<br />

18 GEOFFROY DE VIGEOIS, Chronique précédée d’une étude sur la chronique de Ge<strong>of</strong>froy, 1864p.<br />

159.<br />

19 TORIGNI, I, p. 126 : Cepit quoque plura alia castra et omnes fere principes Normanniae regi se<br />

subdidere.<br />

20 Ibid., I, p. 331: (1161) : Henricus rex munitions comitis Mellenti et aliorum baronum suorum in<br />

Normannia in maun sua cepit et fidelibus suis commendavit.<br />

21 Cn terme a posé des problèmes d’interprétation. Charles Coulson et Norman Pounds pensent que<br />

scannum est une variation du terme scabellum des Consetudines et Justicie de 1091. COULSON, C. A.,<br />

« <strong>Free</strong>dom to crenellate by licence: an historiographical revision », Nottingham Medieval Studies, 38<br />

(1994), p. 86-137; COULSON, C. A., « The castles <strong>of</strong> the Anarchy », dans The Anarchy <strong>of</strong> the King<br />

Stephen’s Reign, 1994, p. 67-92; POUNDS, N. J. G., The Medieval Castle in England and Wales. A<br />

Social and Political History, 1994, p. 29, p. 305, n.17. La confusion aurait été créée par une note de Ella<br />

Armitage alors que les deux termes ont clairement le même sens. ARMITAGE, E. S., The Early Norman<br />

Castles <strong>of</strong> the British Isles, 1971, p. 378.<br />

129


carolingien des licences de fortifications à travers l’évocation des castelli sine licentia 22 ,<br />

la pratique de la reddibilité n’apparaît pas avant le milieu des années 1170, sans doute<br />

parce que l’organisation de la féodalité après la conquête de 1066 ne le rendait pas<br />

vraiment nécessaire. Après 1066, en effet, l’acquisition de nouvelles terres inféodées au<br />

sein de l’aristocratie anglo-normande avait nécessité la mise en place d’un droit<br />

distinguant les possessions « héritées » et les possessions « acquises » dans la<br />

succession des titres aristocratiques 23 . Pour les grands barons possessionnés en<br />

Angleterre, hériter d’un titre ne pouvait s’effectuer qu’en échange d’une allégeance au<br />

roi. Alors que l’hérédité des fiefs était une pratique répandue dans tout l’Occident<br />

depuis la fin du IX e siècle, la succession était à nouveau une affaire de patronage royal<br />

en Angleterre. Bien qu’Henri II ait été obligé de reconnaître l’hérédité des fiefs, en<br />

1153, la possession des tenures n’en demeurait pas moins vulnérable, dans la mesure où<br />

l’absence d’héritier ou la trahison pouvaient provoquer la réinsertion des honneurs dans<br />

les domaines de la Couronne, ceux-ci devenant alors des escheats. Selon John Hudson,<br />

cependant, cette insécurité ne concerne que le haut de la société aristocratique ; ailleurs,<br />

l’impression de sécurité commune était renforcée par le besoin de spécifier le nombre<br />

d’années pour lesquelles une terre était tenue 24 . Si le règlement des conflits d’héritages<br />

et des droits de succession a constitué l’une des principales préoccupations d’Henri II<br />

qui, dès 1166, lors des Assises de Clarendon, instaure des procédures légales de mort<br />

d’ancestor et de novel disseisin, pour régler les cas de dépossessions illégales, le résultat<br />

de ces réformes contribua également à définir plus strictement le droit de saisie dont<br />

disposait un seigneur sur ses tenanciers 25 . Il existait donc deux niveaux de droits en<br />

Angleterre, un droit qui régissait les simples tenures et un droit concernant les fiefs<br />

(terme qui désignait en Angleterre toute terre libre dont on pouvait hériter et non<br />

uniquement le fief chevalier comme c’était le cas en France) 26 sur lesquels le roi<br />

exerçait alors une prérogative spéciale, que les légistes de la fin du Moyen Âge<br />

appelleront la prerogativa regis 27 . Selon le traité de Glanvill, cette prérogative reposait<br />

sur une pratique générale selon laquelle<br />

22<br />

DOWNER, L. J. (éd.), Leges Henrici primi, 1972, p. 109-11.<br />

23<br />

HOLT, J. C., « The Casus Regis: The law and politics <strong>of</strong> succession in the plantagenet dominions<br />

1185-1247 », dans Colonial England, 1066-1215, 2003, p. 307-326.<br />

24<br />

HUDSON, J., Land, law, and lordship in Anglo-Norman England, 1997, p. 59.<br />

25<br />

Ibid.<br />

26<br />

REYNOLDS, S., Fiefs and Vassals. The Medieval Evidence Reinterpreted, 1994, p. 394.<br />

27<br />

THORNE, S. E., Prerogativa Regis. Tertia Lectura Roberti Constable de Lyncolnis Inne Anno 11 H. 7,<br />

1949, p. xiv.<br />

130


À la mort de l’un de ses principaux barons, le roi peut immédiatement<br />

tenir sa baronnie dans ses mains, jusqu’à ce que l’héritier ait accepté<br />

de verser le « relief », même s’il est majeur. 28<br />

Si l’héritier était mineur, la prerogativa regis permettait au roi de conserver non<br />

seulement la garde de l’honneur mais aussi la tutelle de l’héritier jusqu’à son mariage.<br />

Les barons ou « tenants in chief » – c'est-à-dire les vassaux directs du roi – relevaient<br />

donc d’un statut légal particulier qui se modifia au cours de la période. John Hudson fait<br />

remarquer la discordance entre cette pratique royale et une clause des Assises de<br />

Northampton de 1176 selon laquelle « si un tenancier libre meurt, ses héritiers<br />

demeurent en possession de son fief comme leur père le tenait le jour de sa mort » 29 . Il<br />

en conclut que « le droit royal qui existait au temps de Glanvill pouvait être soit un<br />

privilège particulier du roi qui existait avant les réformes d’Henri II, soit une extension<br />

du pouvoir royal, établie soit graduellement soit par Henri II » 30 . À la fin du XII e siècle,<br />

en réalité, la sécurité des tenures était beaucoup plus forte que celle des châteaux, qui<br />

nécessitaient non seulement des licences de fortification et qui étaient soumis à un réel<br />

droit de saisie tels que le stipulait les Consuetudines et Justicie. De ce point de vue, on<br />

peut considérer que le droit anglais <strong>of</strong>frait au roi des armes légales pour renforcer la<br />

potestas publica : c'est-à-dire la capacité à contrôler l’érection de nouveaux châteaux et<br />

de mobiliser le droit de les retenir ou de les confisquer en vertu du principe de la<br />

reddibilité des châteaux, qui s’accompagnait de sanctions en cas de refus.<br />

1.1.2- La destruction des châteaux illégaux et la licence de fortifier<br />

En cas de refus du baron de livrer son château, celui-ci était voué à la<br />

destruction. Si la destruction constituait une sanction légale à l’insoumission des barons<br />

devant le droit du roi, cette pratique répressive était également un mode d’intervention<br />

courant des princes territoriaux contre leurs turbulents vassaux. Ainsi, peu avant<br />

l’avènement d’Henri II, Ge<strong>of</strong>froy Plantagenêt est amené à détruire les fortifications et le<br />

28 RANULF DE GLANVILL, Tractatus de legibus et consuetudinibus regi Anglie qui Glanvilla vocatur :<br />

The treatise on the laws and customs <strong>of</strong> the realm <strong>of</strong> England commonly called Glanvill, 1993, IX, 6,<br />

p. 110 : id clarius constet : quod dominus rex de cunctis baroniis suis capitalibus facere solet : mortuo<br />

enim aliquo capitali barone suo, statim baroniam suam in manu sua retinet dominus rex donec heres<br />

grantum suum de rellevio fecit, licet heres ipse plenam habuerit etatem.<br />

29 HUDSON, J., Land, Law, and Lordship in Anglo-Norman England, 1997, p. 69 cite Assize <strong>of</strong><br />

Northmapton, c. 4, voir STUBBS, W. et DAVIS, H. W. C., Select Charters and Other Illustrations <strong>of</strong><br />

English Constitutional History from the Earliest Times to the Reign <strong>of</strong> Edward the First, 1913, p. 179.<br />

30 HUDSON, J., Land, Law, and Lordship in Anglo-Norman England, 1997, p. 69 : « The royal right<br />

which existed in Glanvill’s time may have been a peculiar privilege <strong>of</strong> the King even before the Angevin<br />

reforms, or an extension <strong>of</strong> royal power, either gradually or by Henry II ».<br />

131


château et de Montreuil-Bellay en Anjou, et à raser entièrement le donjon pour fait et<br />

cause que Gérald du Bellay, qui en était le détenteur, avait fait preuve de faiblesse et<br />

d’une intolérable sauvagerie 31 . L’invocation du maintien de l’ordre public, ici la<br />

protection de l’Église, pour justifier la répression du seigneur insoumis, montre que la<br />

destruction de châteaux était alors un instrument essentiel de l’affirmation de la<br />

puissance publique, même si elle était, en réalité, plutôt symptomatique d’une certaine<br />

faiblesse du pouvoir qui doit user de la force militaire pour faire respecter ses droits. Le<br />

contrôle des châteaux, de leur construction et de leur fortification constituait donc un<br />

champ de rapport de forces dans lequel était en jeu le renforcement de la potestas<br />

publica du prince.<br />

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant de voir la résurgence des licences royales<br />

de fortification. Si l’attribution des licences ne constituait plus un droit régalien au XI e<br />

siècle, elle restait étroitement contrôlée par les princes territoriaux – davantage en<br />

Normandie et en Anjou qu’en Aquitaine 32 . En tant que documents normatifs, ces<br />

licences ne sont pas attestées avant le règne de Jean. Cependant, l’absence de leur<br />

conservation ne signifie pas nécessairement leur inexistence : il est en effet possible que<br />

de tels documents aient été produits dès le règne d’Henri II et peut être même d’Étienne<br />

de Blois. John H. Round a en effet montré, dans son étude sur Ge<strong>of</strong>froy de Mandeville,<br />

qu’aucun château ne pouvait être construit légalement sans autorisation royale 33 . La<br />

fonction des licences ne consistait cependant pas seulement à contrôler et à sanctionner<br />

les « dangereux châteaux privés » mais visait aussi à renforcer la loyauté des vassaux<br />

envers leur souverain et à établir des conventions de construction investissant les élites<br />

d’une responsabilité sociale 34 . Ainsi, il n’est pas étonnant de voir l’attribution de<br />

licences aux seigneurs du Périgord, pourtant réputé pour leur infidélité, notamment<br />

après l’échec de Jean en Poitou en 1214.<br />

31 COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the<br />

Central Middle Ages, 2003, p.121 ; Regesta Regum Anglo-Normannorum, 1066-1154. III. Regesta Regis<br />

Stephani ac Mathildis Imperatricis ac Gaufridi et Henrici Ducum Normannorum, 1135-1154, 1968,<br />

n° 19 : Noverint presentes et futuri quod propter infidelitatem et intolerabilem sevitiam Giraldi Berlai,<br />

qua ipse super omnes ecclesias sue potestatis et earum possessiones crudeliter exagitabat, castrum<br />

Mosterioli gratia dei pereuntem obsedi, magnisque expensis et permaximis diuturnisque laboribus<br />

predicti castrum menia destruxit, turrem et universa edificia totius castri penitus eradicaveri…<br />

32 BACHRACH, B. S., « The angevine economy, 960-1060: ancient or feudal? », dans State-building in<br />

medieval France : studies in early Angevin history, 1995, p. 3-55; DEBORD, A., La société laïque dans<br />

les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984.<br />

33 ROUND, J. H., Ge<strong>of</strong>frey de Mandeville. A study <strong>of</strong> the Anarchy, 1972 [1892].<br />

34 COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the<br />

Central Middle Ages, 2003, p. 96.<br />

132


À mes chers et fidèles G. de Neville, sénéchal de Gascogne, le maire<br />

et les prud’hommes de Bordeaux, salut. Sachez que Tisun de Valeis,<br />

pour notre sécurité et pour que personne n’envahisse notre terre, a<br />

reçu une licence que je lui ai donnée pour fortifier son château de<br />

Montferrand (-du-Périgord). Nous vous ordonnons donc qu’il lui soit<br />

permis de fortifier son château et que personne ne lui en fasse<br />

violence ou injure. 35<br />

Avant qu’un tel contrôle juridique ne soit possible au début du XIII e siècle,<br />

l’affirmation de la puissance publique du roi sur les châteaux de ses territoires a été<br />

menée de longue lutte par Henri II. Deux moments sont décisifs dans ce resserrement du<br />

contrôle castral : la conquête de l’Angleterre en 1153 avec l’application du traité de<br />

Winchester qu’Henri II imposa à son rival défait et la révolte des barons de 1173-1174.<br />

Selon Sir James Holt, bien que les années qui ont suivi l’accession d’Henri II au trône<br />

aient été le moment de nombreuses confiscations et destructions de château, il semble le<br />

principe de reddibilité ne peut être clairement identifié en Angleterre avant le milieu des<br />

années 1170 36 . C’est pourquoi, la justification des confiscations et des destructions de<br />

châteaux s’est essentiellement faite sur le motif de leur nature « adultérine ».<br />

1.1.3- Le traité de Winchester et la destruction des châteaux « adultérins »<br />

Le traité de Winchester a été particulièrement étudié par les historiens du droit<br />

anglais qui y voient les origines de la Common Law, de l’hérédité de la Couronne et des<br />

fiefs 37 . Cependant, ce qu’en transmettent les chroniques contemporaines ne recouvre<br />

qu’imparfaitement le contenu juridique du document 38 . Les deux principaux aspects<br />

retenus par Robert de Torigni et par l’auteur de la Gesta Stephani, et qui ne figurent<br />

35 Rot Lit. Pat. (1214), p. 118. Dilectis et fidelibus suis G. de Neville senescallo Wasconie et majori et<br />

probis homines de Burgidal salutem. Sciatis quod Tisun de Valeis securitatem nobis prestiti sufficientem<br />

quod nullum nobis vel terre nostre malum inveniet vel jactura, occasione licencie quam ei dedimus de<br />

firmando castri Montis Ferrandi, unde vobis mandamus quod permittatis illud sine impedimento castri<br />

illud firmare nec aliquid ei super hoc gravamen inferatis vel injuriam. Et in huius rei testimonium etc. T.<br />

ut supra.<br />

36 HOLT, J. C., « Politics and property in early medieval England », Past & Present, 57 (1972), p. 3-52;<br />

EALES, R., « Castles and politics in England 1215-1224 », dans Anglo-Norman Castles, 2003, p. 367-<br />

388.<br />

37 HOLT, J. C., « 1153: the treaty <strong>of</strong> Winchester », dans The Anarchy <strong>of</strong> King Stephen’s Reign, 1994,<br />

p. 291-316 cite MILSOM, S. F. C., Legal Framework <strong>of</strong> English Feudalism, 1976; PALMER, R. C.,<br />

« The Economic and Cultural Impact <strong>of</strong> the Origin <strong>of</strong> Property: 1180- 1220 », Law and History Review, 3<br />

(1985), p. 1-50 voir aussi HOLT, J. C., « Politics and property in early medieval England », Past &<br />

Present, 57 (1972), p. 3-52.<br />

38 HOLT, J. C., « 1153: the treaty <strong>of</strong> Winchester », dans The Anarchy <strong>of</strong> King Stephen’s Reign, 1994, p.<br />

291-316, Regesta Regum Anglo-Normannorum, 1066-1154. III. Regesta Regis Stephani ac Mathildis<br />

Imperatricis ac Gaufridi et Henrici Ducum Normannorum, 1135-1154, 1968, n° 272; Foedera, I, 1, p. 18.<br />

133


nulle part ailleurs, sont la destruction des châteaux adultérins et la restauration des terres<br />

à leurs détenteurs légaux, c'est-à-dire ceux du temps d’Henri I er . Selon Sir James Holt, il<br />

est assez aisé de comprendre pourquoi ces deux aspects ont été omis de la charte rédigée<br />

à Westminster : à cette date, déclarer la destruction des châteaux illégaux serait apparu<br />

comme une provocation puisqu’une telle décision était pratiquement irréalisable 39 .<br />

Si, dès 1153, Henri II avait saisi Wallingford, aux dépens de Brian FitzCount, et<br />

obtenu la restitution de Devizes de l’évêque Joscelin de Salisbury 40 , c’est surtout après<br />

son accession au trône qu’Henri II prend à cœur de « faire disparaître d’Angleterre,<br />

toutes ces méchantes petites fortifications » 41 . À la fin du règne d’Étienne, de nombreux<br />

« nouveaux » châteaux s’étaient en effet érigés illégalement. Charles Coulson a montré<br />

que l’adéquation entre châteaux non licenciés et châteaux « adultérins » fut largement<br />

une construction de l’historiographie victorienne, qui a repris à son compte cette<br />

expression alors qu’il s’agissait manifestement d’un terme polémique inventé par l’abbé<br />

Suger ou par Orderic Vital lorsqu’il écrit sur la Normandie après 1087, et utilisé par<br />

d’autres auteurs monastiques évoquant les troubles de la minorité du duc Guillaume<br />

(1035-1047) et du règne de Robert Courteheuse (1087-1106) 42 . L’historiographie<br />

victorienne contribua ainsi à faire des « châteaux adultérins » une expression<br />

proprement « stéphanique », véhiculant la vision cléricale du règne d’Étienne de Blois<br />

comme « anarchie », alors que les auteurs du XI e et du XII e siècles utilisèrent<br />

l’expression pour critiquer les châteaux construits illégalement depuis la fin du XI e<br />

39<br />

HOLT, J. C., « 1153: the treaty <strong>of</strong> Winchester », dans The Anarchy <strong>of</strong> King Stephen’s Reign, 1994, p.<br />

291-316.<br />

40<br />

Regesta Regum Anglo-Normannorum, 1066-1154. III. Regesta Regis Stephani ac Mathildis<br />

Imperatricis ac Gaufridi et Henrici Ducum Normannorum, 1135-1154, 1968, n°796.<br />

41<br />

GERVAIS DE CANTORBERY, The Historical Works, 1965 [1880] I, p. 157, 160: ubi<br />

(Bermondey) cum principbus suis de statu regni et pace reformanda tractans, proposuit (…)<br />

munitiunculas pessimas per totam Angliam solo tenus dissipare.<br />

42<br />

COULSON, C. A., « <strong>Free</strong>dom to crenellate by licence: an historiographical revision », Nottingham<br />

Medieval Studies, 38 (1994), p. 86-137 ; COULSON, C. A., « The castles <strong>of</strong> the Anarchy », dans The<br />

Anarchy <strong>of</strong> the King Stephen’s Reign, 1994, p. 67-92 ; AUBENAS, R. J., « Les châteaux forts des X e et<br />

XI e siècles. Contribution à l'étude des origines de la féodalité », Revue historique de droit français et<br />

étranger, 17 (1938), p. 548-586 qui prétend que le terme n’existe que chez Suger, parfois dans une<br />

variante castrum seleratum, et dans ORDERIC VITAL, The Ecclesiastical History, 1986, VI, p. 98-99<br />

(livre XI, c.23) : Henricus siquidem rex omnes inimicos suos oputliante deo humiliavit ac adulterina<br />

castella quae Rodbertus vel seditiosi considerant prostravit (Ainsi le roi Henri [I er ] avec l’aide de Dieu<br />

écrasa tous ses ennemis et détruisit les châteaux adulterins que Robert et les seigneurs séditieux avaient<br />

construits) ; mais Charles Coulson indique également des occurrences dans GUILLAUME DE<br />

JUMIEGES, Gesta Normannorum Ducum, 1914, p. 115-116, 123 ; FOREVILLE, R., Guillaume de<br />

Jumièges et Guillaume de Poitiers, 1952, p. 14-20. Elle apparaît également dans la clause 47 de Magna<br />

Carta de 1217. C’est alors son premier usage <strong>of</strong>ficiel (voir infra).<br />

134


siècle 43 . Les récentes réinterprétations historiographiques du règne d’Étienne de Blois<br />

ont cependant montré qu’il ne fut pas si anarchique que les historiens du XIX e siècle<br />

l’ont longtemps laissé croire 44 . Charles Coulson affirme même qu’Étienne a toujours agi<br />

en conformité avec les pratiques castrales anglo-normandes et qu’il n’a jamais autorisé<br />

la construction de châteaux contraires aux normes juridiques en vigueur 45 . Certes, des<br />

tours irrégulières furent érigées, mais les sources montrent qu’Étienne n’a eu de cesse<br />

de lutter contre elles. Ainsi, les Gesta Stephani racontent qu’en 1135, il fit démolir le<br />

château de Bedford que Miles de Beauchamp tenait du roi mais qu’il refusait de<br />

rendre 46 . La multiplication de ces tours doit donc être replacée dans le contexte de<br />

guerre civile qui marque son règne, plutôt qu’à une incapacité gouvernementale<br />

inhérente. Selon Guillaume de Newburgh, la destruction des châteaux adultérins<br />

commença d’ailleurs dès les lendemains de la paix de Winchester et fut menée par<br />

Étienne au cours de l’année 1154.<br />

En parcourant les régions aux frontières de l’Angleterre avec faste et<br />

ostentation comme s’il était le nouveau roi, le roi Étienne fut accueilli<br />

par tous, honoré avec magnificence et son visage était illuminé par les<br />

flammes qui ravageaient les châteaux adultérins, ces refuges de<br />

malfaiteurs et ces antres de brigands, qui se désagrégeaient comme la<br />

cire fond sous la flamme. 47<br />

Lorsqu’il accéda au trône d’Angleterre, Henri II reprit la tâche là où l’avait<br />

laissée Étienne et fit faire l’inventaire « de ses droits et de tous les biens qui relevaient<br />

de la Couronne dans toutes les villes et les châteaux d’Angleterre et de faire détruire les<br />

nouveaux châteaux » 48 . Selon Robert de Torigni, ces nouveaux châteaux étaient plus de<br />

43<br />

COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the<br />

Central Middle Ages, 2003, p. 129-130; POUNDS, N. J. G., The Medieval Castle in England and Wales.<br />

A Social and Political History, 1994, p. 26-33.<br />

44<br />

KING, E. (éd.), The Anarchy <strong>of</strong> King Stephen’s Reign, 1994.<br />

45<br />

COULSON, C. A., « The castles <strong>of</strong> the Anarchy », dans The Anarchy <strong>of</strong> the King Stephen’s Reign,<br />

1994, p. 67-92.<br />

46<br />

Gesta Stephani, 1976, p. 46-51: Missis rex ad Milonem de Bellocampo nuncios, qui castello<br />

Bedefordiae ex regia permissione custos praesidebat, praecepit, ut castellum Bedefordiae et quam sibi<br />

dedebat servicii vicem Hugoni exhiberet…<br />

47<br />

GUILLAUME DE NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry II, and Richard I, 1884,<br />

I, p. 94 : Interea rex Stephanus fastu regio fines Angliae lustrans et se tanquam regem novum ostentans<br />

suscipiebatur ab omnibus et decenti magnificentia colebatur et incendebantur ante faciem ejus et<br />

quodammodo liquefiebant sicut cera a facie ignis, munitiones adulterae, quae erant improborum<br />

receptacula et speluncae latronum.<br />

48<br />

TORIGNI, I, p. 291 : Rex Henricus coepit revocare in jus proprium urbes, castella, villas, quae ad<br />

coronam regni pertinebant, castella noviter facta destruendo; GERVAIS DE CANTORBERY, The<br />

Historical Works, 1965 [1880], p. 161-162: … convocatis universis fere regni primoribus coepit rex<br />

rationem ponere cum eis qui adhuc tenebant praesidia regii juris. (Convoquant presque tous les barons<br />

135


1115 en 1154, un chiffre important et d’une étonnante précision qui ne se retrouve<br />

cependant pas dans tous les manuscrits de la chronique : l’un d’eux en mentionne<br />

seulement 126, un nombre plus proche de celui de la chronique de Saint-Aubin<br />

d’Angers, qui relate qu’en 1155, Henri II « détruisit 140 châteaux en Angleterre » 49 . Les<br />

estimations faites par les historiens concernant les châteaux détruits par Henri II<br />

tournent plutôt autour de 90 (John Beeler) ou 110 (David C. King) dont seuls 27<br />

seraient « nouveaux » 50 . Selon Allen R. Brown, entre 1154 et 1158, Henri II parvint à<br />

prendre 74 châteaux en Angleterre dont 22 furent détruits alors que peu d’entre eux<br />

étaient à proprement parler « adultérins » 51 . La restauration du contrôle royal sur les<br />

châteaux qui lui avait échappé de facto visait en effet autant à détruire les constructions<br />

illicites qu’à réduire les principales oppositions aristocratiques.<br />

Ces confiscations eurent aussi pour conséquence d’accroître le contrôle<br />

territorial du roi dans la mesure où nombre d’entre elles restèrent définitivement dans le<br />

patrimoine de la Couronne. Selon R.A. Brown, en effet l’essentiel des acquisitions<br />

castrales de la Couronne date du règne d’Henri II : sur la centaine de châteaux pris entre<br />

1153 et 1158, 52 étaient encore aux mains du roi en 1215 52 . Les confiscations avaient<br />

pourtant vocation à n’être que provisoires, surtout lorsqu’elles constituaient une prise de<br />

guerre, comme le rappelle un traité signé avec Louis VII en 1174 :<br />

Tous les châteaux que moi et mes hommes avions au début de la<br />

guerre ont été remis entre nos mains et ceux qui furent fortifiés contre<br />

moi seront rendus à ceux qui les avaient lorsque la guerre a<br />

commencé 53 .<br />

du royaume, le roi entreprit de faire entendre raison à ceux qui tenaient des places fortes et de les lui<br />

remettre selon le droit royal).<br />

49 COULSON, C. A., « The castles <strong>of</strong> the Anarchy », dans The Anarchy <strong>of</strong> the King Stephen’s Reign,<br />

1994, p. 67-92 cite ROBERT DE TORIGNI, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry II, and Richard I,<br />

1964, p.117, 183; HALPHEN, L. (éd.), Recueil d'annales angevines et vendômoise, 1903, p. 14 : et CXL<br />

castella in Anglia destruxit.<br />

50 BEELER, J. H., Warfare in England 1066-1189, 1966 p. 397-422, 430-4: KING, D. J. C., Castellarium<br />

Anglicanum. An <strong>Index</strong> and Bibliography <strong>of</strong> the Castles in England, Wales and the Islands, 1983, p. xxxi-<br />

xxxii.<br />

51 BROWN, R. A., « A list <strong>of</strong> castles, 1154-1216 », E.H.R., 74: 291 (1959), p. 249-280 ; Selon<br />

COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the<br />

Central Middle Ages, 2003, p. 141, entre 1154 et 1158, il n’y aurait eu que et 34 saisies de châteaux dont<br />

7 destructions. Cette comptabilité apparait particulièrement sous-évaluée, d’autant que la confiscation<br />

d’un château, caput d’un honneur s’accompagnait généralement, de fait, des châteaux qui en dépendaient,<br />

sans que ceux-ci soient effectivement pris par les armées du roi. Les récits des chroniques mentionnent<br />

souvent en effet des prises consécutives à la confiscation du château éponyme, mais nombre de<br />

confiscations restent inconnues faute de documentation précise permettant de les identifier.<br />

52 BROWN, R. A., « A list <strong>of</strong> castles, 1154-1216 », E.H.R., 74: 291 (1959), p. 249-280.<br />

53 COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the<br />

Central Middle Ages, 2003, p. 143, cite, Recueil des actes d’Henri II , II, 21-22, n°470-71.<br />

136


Mais après la révolte de 1173, Henri II fit rendre des jugements pour<br />

s’approprier d’importants châteaux tels que Pacy-sur-Eure, le château des Meulan et<br />

Mountsorel, celui des comtes de Leicester, mais aussi Bristol, Chichester (Sussex) et<br />

Kenilworth (Warwickshire) qui restèrent entre ses mains jusqu’à la fin de son règne.<br />

Cette année-là [1177], … il retint les châteaux de Pacy entre ses<br />

mains et de Mountsorel comme s’ils lui étaient propres, et il fit rendre<br />

un jugement par des hommes de loi qui légalisèrent cette<br />

appropriation. 54<br />

Si les confiscations et les destructions ont pu faire l’objet de décomptes et de débats en<br />

Angleterre, aucune liste d’une telle précision ne peut être établie en ce qui concerne les<br />

possessions continentales. Pourtant, selon Robert de Torigni, la restauration de l’ordre<br />

public s’étendit aussi sur les territoires continentaux de l’empire :<br />

Le roi Henri remit de l’ordre dans ses affaires et dans ses châteaux en<br />

Normandie, en Aquitaine, en Anjou, et même en Gascogne. 55<br />

En Normandie, en particulier, où les châteaux royaux constituaient « le squelette du<br />

regnum » 56 , et où les coutumes justifiaient une telle politique de confiscation, la reprise<br />

en main des possessions ducales temporairement aliénées pendant la guerre civile fut<br />

l’un des premiers objectifs d’Henri II :<br />

Vers Pâques, Henri II débarqua en Normandie et commença à<br />

reprendre progressivement et prudemment, conformément à ses<br />

droits, les domaines que son père avait concédés de manière<br />

temporaire, dans l’urgence et la nécessite, aux barons normands 57 .<br />

En octobre 1154, avant d’apprendre la mort d’Étienne, Henri II s’attaquait au château de<br />

Torigni-sur-Vire, qu’il avait déjà fait détruire en 1151 et dont il vint à bout après un<br />

siège de quinze jours 58 . Il prit en même temps trois châteaux et obtint de Richard le fils<br />

54<br />

HOVEDEN, II, p. 101 : Eodem anno dominus rex pater fecit demoliri castellum et moenia Leicestrier<br />

et (…) et fere omnia castella Angliae et Noramnniae que fuerunt contra earum tempore guerrae. Sed<br />

castellum de Pasci retinuit in manu sua et castellum de Muntsorel sicut suum proprium, quod ei<br />

adjuratum fuit per recognitionem legalium hominum de visneto.<br />

55<br />

TORIGNI, I, p. 342 : Henricus rex ordinatis et compositis rebus et castellis suis in Normmania,<br />

Aquitania, Andegavia et etiam in Wasconia.<br />

56<br />

GUILLAUME DE NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry II, and Richard I, 1884,<br />

p. 331 : regni ossibus, id est, munitionibus regiis.<br />

57<br />

TORIGNI I, 283-84 : Circa Pascha, Henricus dux Normmanorum transfretavit in Normanniae et<br />

coepit revocare paulatim et prudenter in jus proprium sua dominica, quae pater suus, urgente<br />

necessitate, primoribus Normanniae ad tempus concesserat.<br />

58<br />

Ibid. I, p. 254 : dux obsederat castellum Torinneium, sed propter adventum Regis infecto negotio<br />

discesserat; combusti tamen domibus infra muros usque ad turrem et parvum castellum circa eam;<br />

HALPHEN, L. (éd.), Recueil d'annales angevines et vendômoise, 1903, p. 14.<br />

137


du comte de Gloucester qu’il lui rende pacifiquement les forteresses qu’il tenait 59 . En<br />

1157, il saisit Coutances ainsi que Mortain, Tinchebray, Le Teilleul et les autres<br />

châteaux de Guillaume, le fils d'Étienne de Blois, comte de Boulogne et de Mortain,<br />

avant de les intégrer au domaine ducal en 1159, à la mort de ce dernier 60 . Selon Robert<br />

de Torigni, c’est en 1161, qu’« Henri II reprit entre ses mains les fortifications des<br />

comtes de Meulan et des autres barons normands et le commandement de ses<br />

fidèles » 61 . Lorsque les principales oppositions aristocratiques furent réduites en<br />

Normandie, Henri II s’attaqua à la Gascogne. En 1161, il assiège ainsi le château de<br />

Castillou près d’Agen, dont la prise au bout d’une semaine provoque l’admiration de<br />

tous les Gascons tant cette place était réputée inexpugnable 62 . Cependant, les<br />

Plantagenêt ne disposaient pas du même dispositif juridique, dans leurs possessions<br />

continentales, même si la reddibilité des châteaux était un principe parfois reconnu et<br />

appliqué au cours des XI e -XII e siècles 63 . La prise de pouvoir par Henri II n’y a pas été<br />

l’occasion d’une politique radicale comme le permettait la fin de la guerre civile en<br />

Angleterre. Ce n’est qu’à la suite de sa victoire militaire sur les barons coalisés à ses fils<br />

lors de la grande révolte de 1173, qu’Henri II organise le renforcement de son imperium<br />

sur tous les châteaux de ses territoires. Les cartes 2.1, 2.2 et 2.3 montrent bien que les<br />

interventions royales au cours de ces deux moments, 1153 et 1173, ont surtout concerné<br />

l’espace anglo-normand, mais à partir de cette date, les pratiques de confiscation et de<br />

destruction s’étendent aux territoires de l’empire (Aquitaine, Irlande et Pays de Galles).<br />

Comment s’est opérée l’extension de cette pratique dans des espaces aux coutumes<br />

juridiques différentes et dans quelle mesure peut-on y voir une tentative de normaliser<br />

les rapports de domination entre le prince et ses vassaux sur le modèle de la féodalité<br />

anglo-normande ?<br />

59<br />

TORIGNI I, 286-7: Inde rediens, obsedit Torinneium fere per XV dies, incipiens ibi tria castella.<br />

Reddito castello et pacificatio Ricardo filio comitis, qui illud municipium tenuerat…<br />

60<br />

Ibid., I, p. 326 : retinuit Henricus rex comitatum in manu sua.<br />

61<br />

Ibid., I, p. 331 : Henricus rex munitiones comitis Mellenti et aliorum baronum suorum in Normannia in<br />

manu sua cepit et fidelibus suis commendavit.<br />

62<br />

Ibid., I, p. 334 : Rex anglorum perrexit in Aquitaniam et inter alia quae strenue gessit, Castellionem<br />

supra urbem Agennum, castrum scilicet natura et artificio munitum, obsedit, et infra unam septimanam,<br />

in festivitate sancti Laurentii, admirantibus et perterritis Wasconibus, cepit.<br />

63<br />

Selon BOUTOULLE, F., Le duc et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne<br />

bordelaise au XIIe siècle, 2007, p. 111, ce droit était localement appliqué en Gascogne contrairement à<br />

l’Angoumois où A. Debord a montré que la majorité des châteaux échappaient au contrôle ducal depuis la<br />

fin du XI e siècle : DEBORD, A., La société laïque dans les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984,<br />

p. 144-50. Voir aussi pour le Languedoc DÉBAX, H., « Les Trencavel et le ius munitionis au XIIe siècle<br />

d’après le cartulaire des Trencavel », dans Morphogenèse du village médiéval (IXe – XIIe siècles), 1996,<br />

p. 157-163 qui note que les licences de fortification constituent un document nouveau qui apparaît pour la<br />

première fois en 1146.<br />

138


1.2- Extension et normalisation des pratiques punitives à l’échelle<br />

de l’empire après 1173<br />

Les confiscations et destructions de châteaux de barons qui avaient soutenu les<br />

fils rebelles du roi entre 1173 et 1174, sont connues par les chroniques anglaises qui en<br />

mentionnent parfois les plus importantes 64 , bien que pour ce qui concerne le continent,<br />

les évocations se contentent souvent de dire que « le roi prit de nombreuses<br />

fortifications et châteaux et les soumit à son dominium » 65 . À défaut de pouvoir mener<br />

une analyse quantitative, on peut néanmoins s’interroger sur le vocabulaire utilisé pour<br />

saisir comment la politique castrale des Plantagenêt fut perçue par leurs contemporains.<br />

1.2.1- Les conséquences de la révolte de 1173 et le renforcement de la domination<br />

territoriale des Plantagenêt<br />

Après sa victoire militaire sur la coalition menée par ses trois fils, Henri II<br />

rétablit son autorité non seulement sur les châteaux rebelles, conquis lors des combats<br />

mais sur l’ensemble les châteaux inféodés d’Angleterre et de Normandie 66 :<br />

Cette année-là, Henri II saisit dans sa main tous les châteaux<br />

d’Angleterre et de Normandie, aussi bien ceux des évêques que ceux<br />

des comtes et des barons et il y installa ses propres gardiens. 67<br />

L’évocation des évêques souligne bien ici que la victoire du roi créa l’occasion<br />

d’une réactivation de la potestas regis sur tous les fiefs de la Couronne, y compris les<br />

fiefs ecclésiastiques, indépendamment des positions partisanes. Pour imposer comme<br />

nouvelle norme le rapport de force en sa faveur, Henri II fixa les termes de sa puissance<br />

royale renforcée au cours de plusieurs conventions et notamment lors du concile de<br />

Windsor en 1176, rapporté en ces termes, par Raoul de Diceto :<br />

Tous les châteaux d’Angleterre et de toutes les marches furent placés<br />

sous la garde et dans l’imperium du vieux roi 68 .<br />

64 HOVEDEN, II, p. 55 : In quo castello multi milites et servientes capti sunt, quorum nomina haec sunt :<br />

Haimericus de Blé, Baldewinus de Brisehaiae, etc… ; II, p. 101 : Eodem anno dominus rex pater fecit<br />

demoliri castellum et moenia Leicestrie et castellum de Grobi et castellum de Tresk et castellum de<br />

Malesart et castellum novum de Alvertun et castellum de Fremingham et castellum de Bungeie et fere<br />

omnia castella Angliae et Noramnniae que fuerunt contra eaum tempore guerrae.<br />

65 PETERBOROUGH, I, p. 71. Interim rex Angliae pr<strong>of</strong>ectu fuera cum exercitu suo in Pictaviam et<br />

multas munitions et castella un ea ceput et dominio suo subjugavit.<br />

66 Ibid., I, p. 124 : per universa castella Angliae et ea in manu sua saisivit.<br />

67 HOVEDEN, II, p. 105 : Eodem anno Henricus rex Anglie pater saisivit in manu sua omnia castella<br />

Angliae et Normanniae, tam episcoporum quam comitum et baronum et custodes in eis posuit.<br />

68 DICETO, t. I, p. 414.<br />

139


Selon Richard Eales, cette affirmation constitue sans doute la première mention<br />

de l’application du principe de reddibilité des châteaux à l’espace britannique 69 . Cette<br />

extension du principe de saisie des châteaux s’applique alors non seulement à<br />

l’Angleterre mais aussi à ses marges. La carte 2.2. montre en effet qu’entre 1173 et<br />

1178, les marges « celtiques » du royaume, le Pays de Galles et l’Écosse, furent<br />

particulièrement touchées par les confiscations, en en même temps que l’Aquitaine (voir<br />

chapitre 4). Le renforcement du pouvoir royal dans les marges se traduit par<br />

l’affirmation de nouveaux rapports de pouvoir que Raoul de Diceto comme Roger de<br />

Hoveden décrivent alors sous le terme d’imperium. En relatant la réaction des barons<br />

écossais lors de la soumission de Guillaume le Lion à Henri II en 1175, Roger de<br />

Hoveden montre que l’enjeu reposait bien sur la reconnaissance de l’imperium du roi<br />

d’Angleterre :<br />

Ils supplièrent le roi d’Angleterre et lui <strong>of</strong>frirent de nombreux<br />

présents parce qu’il les déliait du dominium du roi d’Écosse pour les<br />

soumettre à son imperium 70 .<br />

Contrairement aux marges de l’espace britannique où le pouvoir royal relevait<br />

d’un imperium, en Aquitaine la répression d’Henri II visa principalement à rétablir des<br />

rapports de dominium.<br />

Entre temps, le roi d’Angleterre était entré en Poitou avec son armée,<br />

et prit de nombreux châteaux et forteresses et les intégra dans son<br />

dominium 71 .<br />

On peut s’interroger sur les nuances du vocabulaire entre l’imperium anglais<br />

évoqué par Raoul de Diceto et le dominium aquitain de Benoît de Peterborough et ce<br />

qu’ils nous permettent de saisir des rapports de pouvoir entre les deux espaces. En<br />

Angleterre, l’organisation territoriale sur laquelle reposait l’institution monarchique<br />

conférait à la puissance royale une efficacité qui ne nécessitait l’intervention de la force<br />

militaire qu’en cas de rébellion. Le système administratif des shires permettait en effet<br />

au roi d’encadrer les hommes et de mieux maîtriser le territoire du royaume. D’une<br />

certaine manière, le vocable d’imperium reflète cette conception du pouvoir ne<br />

69<br />

EALES, R., « Castles and politics in England 1215-1224 », dans Anglo-Norman Castles, 2003, p. 367-<br />

388.<br />

70<br />

HOVEDEN, II, p. 63: Regi vero Angliae patri plurimum supplicaverunt et dona plurima obtulerunt, ut<br />

ispe eos a dominio regis Scotiae eriperet, et suo subjugaret imperio.<br />

71<br />

PETERBOROUGH, I, p. 121: Et obsederunt Novum Castrum et infra quindecim dies ceperunt. (…)<br />

Richard vero (…), processit tamen cum exercitu suo et obsedit Muninoys, castellum vicecomitis de<br />

Engelismo et infra decem dies cepit, et procedens inde obsedit civitatem de Engelismo.<br />

140


s’exerçant pas uniquement au travers des liens de fidélité directs entre le roi et ses<br />

barons, mais par un contrôle direct accru (par ses propres gardiens) sur les lieux qui<br />

fondaient l’assise territoriale de la domination sociale. En quelque sorte, l’usage du<br />

vocable d’imperium apparaît comme une manière d’exprimer la souveraineté d’un<br />

pouvoir dont l’exercice dépasse le champ des seuls rapports interpersonnels de la<br />

vassalité. Cette conception du pouvoir apparaît très différente de celle qu’Henri II<br />

exerçait effectivement en Aquitaine. Dans le duché, la réaffirmation de la puissance<br />

publique au cours de la répression suivant la révolte de 1173 semble avoir eu pour<br />

principal objectif de transformer les rapports de domination fondés sur une féodalité<br />

beaucoup moins structurée. Pour André Debord, l’action des Plantagenêt en Aquitaine<br />

a, en réalité, consisté à « féodaliser » les rapports sociaux et politiques 72 . Si la<br />

féodalisation de l’Aquitaine était engagée dès la fin du XI e siècle, par Ge<strong>of</strong>froy Martel,<br />

puis poursuivi par Louis VII, ce processus s’accentua au cours de la seconde moitié du<br />

XII e siècle. L’organisation sociale de l’Aquitaine connut alors une transformation<br />

radicale, passant d’un système fondé sur la clientèle et le consensus coutumier envers la<br />

prééminence ducale à un système de territorialisation et de centralisation du pouvoir<br />

princier revendiquant son aptitude à commander sur l’ensemble de la principauté.<br />

Frédéric Boutoulle a également montré comment les Plantagenêt avaient<br />

progressivement imposé, en Gascogne, non seulement une nouvelle fiscalité, le service<br />

militaire, mais également le droit de garde des héritiers et la retenue des fiefs et des<br />

établissements monastiques en vacance 73 . Si l’on en croit un chroniqueur comme Benoît<br />

de Peterborough, lorsqu’il relate la répression menée par Richard en Agenais en 1175,<br />

l’affirmation de ces nouveaux rapports de pouvoir passa principalement par la<br />

réactivation du principe de reddibilité des châteaux inféodés :<br />

Cette année-là, Richard, comte de Poitiers, fils d’Henri, roi<br />

d’Angleterre, détruisit totalement, sur ordre de son père, les châteaux<br />

du Poitou qui avait été retenus ou renforcés contre son père au temps<br />

des hostilités. Et vers la saint Jean-Baptiste, assemblant une grande<br />

armée, il prit le château de Castillou sur Agen, qu’Arnaud de Boville<br />

avait fortifié contre lui, et qu’il ne voulait pas rendre 74 .<br />

72 DEBORD, A., La société laïque dans les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984, p. 370.<br />

73 BOUTOULLE, F., « La Gascogne sous les premiers Plantagenêts (1152-1204) », dans Plantagenêts et<br />

Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 285-318 cite notamment le Petit cartulaire de La Sauve-<br />

Majeur, bibliothèque municipale de Bordeaux, ms 770, p. 130.<br />

74 PETERBOROUGH, I, p. 101: Eodem anno, Ricardus comes Pictaviae, filius Henrici Regis Angliae,<br />

castella Pictaviae, que contra patrem suum tempore hostilitatis infortiata vel tenta fuerant, per<br />

praeceptum patris sui in nihilum redegit. Et circa festum Sancti Baptistae, congregato magno exercitu,<br />

141


Même si le témoignage d’un moine anglais est inévitablement marqué par sa<br />

culture d’origine, ne peut-on pas néanmoins y voir une tentative des Plantagenêt de faire<br />

reconnaître et d’imposer la reddibilité des châteaux comme principe fondamental de<br />

leur puissance publique en Aquitaine ? Si les coutumes du duché n’ignoraient pas la<br />

reddibilité des châteaux, celle-ci semble avoir été un principe plus théorique que<br />

pratique, avec de fortes variations régionales. Ainsi, André Debord, qui a montré la<br />

perte de contrôle ducal sur la construction castrale en Angoumois au cours du XI e siècle,<br />

a établi que trois quarts des châteaux construits dans la seconde moitié du XI e siècle le<br />

furent sans autorisation si bien qu’aux alentours de 1100, seulement 25% des châteaux<br />

étaient d’origine ducale 75 . C’est moins vrai au sud de la Dordogne, où Frédéric<br />

Boutoulle a montré que les châteaux ducaux et les châteaux « tenus » constituaient la<br />

grande majorité des fortifications dans un espace globalement peu marqué par la<br />

« castellisation » 76 . En Bigorre, par exemple, les fors témoignent de la persistance du<br />

principe de reddibilité au XII e siècle 77 . La résistance des Aquitains à l’application de ce<br />

principe explique que nombre de châteaux ont été l’objet de destruction de la part des<br />

Plantagenêt. Mais, si les confiscations visaient à accroître le contrôle royal sur l’espace,<br />

quel était l’intérêt des destructions ? Détruire un château ne saurait être considéré<br />

comme le simple résultat d’une campagne militaire, dans quelle mesure en effet la<br />

destruction constituait un véritable langage politique, manifestant la force et la capacité<br />

coercitive du prince ?<br />

1.2.2- Qu’est-ce que détruire ?<br />

Selon Charles Coulson, Henri II aurait fait détruire, entre 1174 et 1176, près de<br />

19 fortifications sur les 52 qu’il avait confisquées (dont 21 en Angleterre) 78 . En réalité<br />

une quantification précise est impossible et l’on doit se résoudre à des approximations.<br />

La principale difficulté tient non seulement à la mémoire des destructions mais aussi à<br />

ce que « détruire » pouvait signifier sous la plume des observateurs du XII e siècle. Si,<br />

comme l’écrit Guillaume le Maréchal, nombre de châteaux détruits ne furent jamais<br />

obsedit Castelloneum supra Agiens, quod Arnaldus de Bovilla contra eum munierat, nec ei reddere<br />

voluit.<br />

75 DEBORD, A., La société laïque dans les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984, p. 144-150.<br />

76 BOUTOULLE, F., Le duc et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au<br />

XIIe siècle, 2007, p. 111-113.<br />

77 Ibid., p. 113, cite CURSENTE, B. et RAVIER, X. (eds.), Le cartulaire de Bigorre, XIe-XIIIe siècle,<br />

2005.<br />

78 COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the<br />

Central Middle Ages, 2003, p. 141.<br />

142


elevés 79 , il est cependant peu probable que les démolitions totales aient été communes<br />

car derrière les termes subvertio, destructio, prosternando, etc., se cachaient des réalités<br />

parfois très différentes.<br />

Tout d’abord, la destruction visait à symboliser, dans le paysage, la domination<br />

du prince et la soumission du seigneur rebelle. En cela, les destructions partielles de<br />

châteaux étaient des instruments de communication politique en ce sens qu’elles<br />

laissaient visible la marque du pouvoir en l’absence de la personne du prince. La<br />

normalisation de cet outil fut l’objet d’une clause des Assises de Northampton (1176)<br />

qui attribua aux juges itinérants la fonction de vérifier que les destructions de châteaux<br />

avaient bien été effectuées :<br />

De même, les juges devront s’assurer que les châteaux censés être<br />

détruits le sont totalement et que ceux qui doivent l’être soient bien<br />

démolis. Et s’ils ne le sont pas, le roi veut que les responsables soient<br />

conduits à sa cour pour être jugés pour outrage aux ordres du roi 80 .<br />

Ainsi, Guillaume Latimer reçoit une amende de 10 marcs en 1175 pour avoir<br />

relevé le fossé dont le roi avait ordonné la destruction, de même Adam Painel est taxé<br />

de 2 marcs pour ne pas avoir démoli adéquatement sa motte de Kinnard’s Ferry en<br />

1180 81 . L’expression bene prostrato indique qu’il y avait des degrés de destruction et<br />

que celle-ci ne pouvait être totalement superficielle. Cette mention souligne également<br />

la fonction essentiellement punitive des destructions qui n’étaient pas de simples<br />

dommages liés aux interventions militaires mais bien des sanctions, dont les châtelains<br />

étaient eux-mêmes responsables. Selon Sir James Holt, l’application effective de ces<br />

dispositions judiciaires constitua un tournant dans l’exercice du pouvoir en Angleterre<br />

et fut, entre autre, l’un des ferments de la révolte des Northerners qui refusèrent la<br />

confiscation des comtés du nord et l’appesantissement du gouvernement royal 82 .<br />

Si les destructions n’impliquaient pas, la plupart du temps, l’abandon du site, il<br />

existe néanmoins des traditions, comme celle relative au château de Castillou-sur-Agen,<br />

79 MEYER, P. (éd.), L'histoire de Guillaume Le Maréchal, comte de Striguil et de Pembroke, régent<br />

d'Angleterre de 1216 à 1219 : poème français, 1891-1901 v. 2202-2204 et 2219-2221 : Maint chastel et<br />

meinte cité /En furent [a]batu a terre/ Por achaison de cest[e] guerre (…) Sunt abatu si com il durent/<br />

Chastel qui relevé ne furent/ Unkes puis, ne ja ne serront.<br />

80 HOVEDEN, II, p. 91 : VIII : Item, justitiae provideant quod castella diruta proraus diruantur et<br />

diruenda bene prosternantur. Et nisi hoc fecerint, dominus rex judicium curiae suae de eis habere<br />

voluerit sicut de contemptoribus praecepti sui.<br />

81 PR 21 H.II, p. 176 : Willelmus Latimer reddidit compotum de x marcarum pro fossato que relevavit<br />

quod erat prostratum precepto regis ; PR 26 H.II, p. 53 : Adam Painel reddidit compotum de ii marcarum<br />

de misericordia de castello de Insula non bene prostrato.<br />

82 HOLT, J. C., The Northerners, 1961, p. 201.<br />

143


détruit en 1175, où le duc aurait fait semer du sel sur les ruines du château pour<br />

empêcher toute reconstruction 83 . Le sel avait en effet une valeur sacramentelle que l’on<br />

retrouve dans les différentes religions méditerranéennes. Les Romains avaient ainsi<br />

répandu du sel sur les ruines de Carthage pour élimiter définitivement la menace qu’elle<br />

représentait. Le sel est ainsi souvent associé à la conjuration du mauvais sort 84 .<br />

Comment s’effectuait concrètement un démantèlement ? À défaut d’aspects<br />

techniques, les pipe rolls permettent néanmoins de voir que ces opérations, loin d’être<br />

anodines demandaient parfois l’intervention des ingénieurs du roi (sur ces ingénieurs<br />

voir chapitre 6).<br />

Le démantèlement de châteaux et sa symbolique<br />

Jusqu’en 1177, le château de Bennington dans le Hertfordshire était constitué<br />

d’un petit donjon en moellon construit sur une motte assez basse 85 . À cette date, cent<br />

pioches sont achetées par le shérif pour démolir la tour de Bennington. Derek Reen met<br />

en doute la réalité d’une démolition complète et penche plutôt pour un démantèlement<br />

partiel puisque une construction en pierre fut ensuite rétablie, comme ce fut le cas à<br />

Saffron Walden en 1158 et pour les murs du château de Leicester, qui furent abattus en<br />

1176-1177 86 . Bennington reçut en effet une garnison importante en 1193 qui laisse<br />

suggérer que le château avait été restauré entre temps.<br />

Un autre cas célèbre de démantèlement est celui des châteaux d’Hugues Bigod,<br />

comte d’Essex, qui avait participé à la révolte contre Henri II en 1173-74. Les châteaux<br />

de Framlingham et Walton ne furent pas seulement « détruits » à l’instar de Bungay<br />

comme l’indiquent les chroniqueurs, mais semblent avoir été totalement démolis 87 . Les<br />

pipe rolls signalent, en 1175, qu’Ailnoth, l’ingénieur du roi, accompagné de maçons et<br />

de charpentiers, reçoit £14 15s. et 11d. ad prosternandam castella de Framillingeham.<br />

83 BOUTOULLE, F., « La Gascogne sous les premiers Plantagenêts (1152-1204) », dans Plantagenêts et<br />

Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 285-318 (note 80) cite cette tradition rapportée par une<br />

enquête de 1311 et par des actes de la région, voir CLEMENS, J., « La maison de Béarn et les<br />

Plantagenêts dans le diocèse d'Agen durant la seconde moitié du XIIe siècle », dans Terres et hommes du<br />

Sud : hommage à Pierre Tucoo-Chala, 1992, p. 201-212.<br />

84 PICCALUGA, G. « « Chi » ha sparso il sale sulle rovine di Carthagine », Cultura e scuola, 105 (1988),<br />

p. 153-165 ; RIDLEY, R. T., « To be taken with a pinch <strong>of</strong> salt: the destruction <strong>of</strong> Carthage »,<br />

Classical Philology, 81 (1986), p. 140-46.<br />

85 PR 23 H.II, p. 144.<br />

86 RENN, D. F., « The demolition <strong>of</strong> the keep at Bennington », The Antiquaries Journal, 41 (1961), p. 96-<br />

97; PR 22 H.II., p. 179 : in custamento perprosternendi castelli de Legrecestrie ; PR 23 H.II., p. 29 : 40s.<br />

ad prosternendum castellum et murum Legrecestrie.<br />

87 PETERBOROUGH I, p.126-127 : Eodem anno [1176] fecit sternere castella Hugonis Bigoti, scilicet<br />

castellum de Fremigham et castellum de Bungeia.<br />

144


Ailnoth est également de chargé de « mettre à ras les fossés » du château, supprimant<br />

ainsi l’une des principaux éléments de défense du château 88 . Les travaux de<br />

démantèlement se sont étalés sur plusieurs mois puisque l’année suivante, le rouleau du<br />

Suffolk enregistre à nouveau £7 10s. 6d. pro prosternendo castro de Framlingham sous<br />

la supervision d’Ailnoth et de Robert de Willavesham, ainsi que £31 8s. 3. pour le coût<br />

de la démolition du château de Walton, sous la surveillances des mêmes 89 . Horace J.<br />

Round et Allen R. Brown ont tous deux souligné la présence d’Ailnoth, pour cette<br />

mission ; H. Round suggérant que la démolition d’un château normand par un Anglais<br />

(Ailnoth) avait un rôle symbolique, en contribuant à l’humiliation du comte d’Essex,<br />

tandis que Brown pense qu’en envoyant son ingénieur, Henri II voulait surtout<br />

s’assurer que le travail effectué soit « bien et entièrement fait » 90 . Les sommes<br />

dépensées et la présence d’un ingénieur royal sur ces chantiers suggèrent en effet que le<br />

démantèlement impliquait un certain nombre de gestes techniques, afin que les<br />

matériaux puissent éventuellement servir de remploi. La mise à terre des pierres et des<br />

bois de charpentes les rendait en effet disponible pour d’éventuelles reconstructions, une<br />

fois que les seigneurs avaient réaffirmé leur fidélité au roi. Roger Bigod put ainsi<br />

reconstruire son château à partir du règne de Richard, qui lui rendit l’honneur d’Essex<br />

qu’Henri II avait conservé jusqu’à sa mort.<br />

Cependant, il est probable que les matériaux issus de la démolition de<br />

Framlingham aient servi à alimenter le chantier royal qu’Henri II avait entrepris dans les<br />

années 1160, à quelques kilomètres de Framlingham. La défaite du comte d’Essex et la<br />

destruction de son château avaient en effet été symboliquement redoublées par la<br />

construction d’un château royal au cœur de ses terres, à Orford. La construction<br />

d’Orford visait également à prévenir l’éventualité d’un débarquement en Suffolk des<br />

comtes de Boulogne et de leurs alliés, qui ambitionnaient la reconquête du trône 91 . Le<br />

chantier du château d’Orford, qui s’avera finalement inutile, constitue néanmoins l’un<br />

des rares cas de construction ex-nihilo entrepris par Henri II 92 . Aujourd’hui seul le<br />

88<br />

PR 21 H.II., p. 108 : ad perequandum fosatum eiusdem castelli.<br />

89<br />

PR 22 H.II., p. 60 : in custamento prosternendi castri de Waleton.<br />

90<br />

BROWN, R. A., « Framlingham castle and Bigod 1154-1216 », Proceedings <strong>of</strong> the Suffolk Institute <strong>of</strong><br />

Archaeology (& History), 25:2 (1951), p. 128-148 ; voir l’introduction de Horace Round au PR 22, H.II.<br />

91<br />

WAREHAM, A., « The motives and politics <strong>of</strong> the Bigod family, c.1066-1177 », dans A.N.S., 1995, p.<br />

223-242.<br />

92<br />

BROWN, R. A., English medieval castles, 1954 ; COLVIN, H. M.; BROWN, R. A. et TAYLOR, A. J.,<br />

The History <strong>of</strong> the King's Works, 1963; BROWN, R. A., « Royal Castle-Building in England, 1154-1216<br />

», E.H.R., 70: 276 (1955), p. 353-398, pour une description archéologique voir: HESLOP, T. A., « Orford<br />

castle, Nostalgia and Sophisticated Living », Architectural History, 34 (1991), p. 36-58; ROBERTS, R.<br />

A., The story <strong>of</strong> Orford castle (Suffolk), 1930.<br />

145


donjon demeure mais il s’accompagnait, au XII e siècle, de tout un ensemble fortifié. Les<br />

pipe rolls enregistrent les dépenses affectées à sa construction entre 1165 et 1174 soit<br />

près de 1540 livres, dont 1400 entre 1165 et 1167, ce qui laisse penser que le donjon<br />

(cylindrique à l’intérieur et octogonal à l’extérieur) fut achevé à cette date. En faisant<br />

détruire les châteaux du comte alors que la construction du donjon royal était en train de<br />

s’achever, Henri II manifestait clairement sa volonté d’affirmer visiblement son pouvoir<br />

et son autorité sur ces terres indociles.<br />

Les murailles du château de Limoges<br />

L’histoire des murailles du château de Limoges témoigne également de toute la<br />

signification politique que pouvaient comporter l’érection et la destruction d’enceintes<br />

castrales. Selon Ge<strong>of</strong>froy de Vigeois, lorsque Henri II vint à Limoges, à l’automne<br />

1154, il fut « reçu avec allégresse comme duc d’Aquitaine, dans la capitale de son<br />

duché » 93 . Mais peu de temps après, alors qu’un conflit avait éclaté entre les bourgeois<br />

et les représentants du duc, l’abbé de Saint Martial prit le parti des bourgeois en refusant<br />

de participer aux dépenses du duc, « arguant qu’il ne devait rien lui fournir hors de<br />

l’enceinte du château ». Henri II ordonna donc que « les murailles du château qu’on<br />

avait bâties depuis peu » ainsi que le pont soient abattues afin d’abolir la limite<br />

juridictionnelle érigée par l’abbé 94 . Les murs du château de Limoges vont alors<br />

constituer tout au long de la période, un véritable enjeu de pouvoir, leur destruction<br />

symbolisant la manifestation de la volonté ducale tandis que leur restauration reflétait la<br />

pugnacité des rebelles à son autorité. En 1174, les bourgeois de Limoges pr<strong>of</strong>itèrent du<br />

conflit entre Henri II et ses fils pour se hâter de faire reconstruire les murailles, dans la<br />

crainte qu’une fois la paix revenue, le duc ne s’y oppose 95 . En 1181, Richard ordonne<br />

que les murailles du château de Limoges soient à nouveau détruites, mais, dès l’année<br />

suivante, elles sont restaurées et renforcées par les bourgeois. En 1183, alors que la<br />

guerre entre Henri II et ses fils éclate à nouveau, le vicomte de Limoges incite les<br />

bourgeois à fortifier à nouveau les murailles du château, en creusant de pr<strong>of</strong>onds fossés<br />

et en édifiant des tours et des machines de bois pour défendre ces murs, ainsi qu’à<br />

détruire les murailles et la tour en pierre du monastère de Saint Martial, qui soutenait<br />

Henri II 96 . Ce dernier rassembla donc une armée et vint mettre le siège devant Limoges.<br />

93<br />

GEOFFROY DE VIGEOIS, Chronique précédée d’une étude sur la chronique de Ge<strong>of</strong>froy, 1864p. 86.<br />

94<br />

Ibid.<br />

95<br />

Ibid., p. 121 : RHF, XII, p. 444 : et quia seditio erat inter Regem et filios, opus accelerabant, ne<br />

quandoque Dux fieri prohiberat, reddita pace : quod ita postmidoum contigit evenire.<br />

96<br />

Ibid., p. 158.<br />

146


Pour faire céder le château, où se trouvait son fils, il fit démolir le pont sur la Vienne.<br />

Après la mort d’Henri le Jeune à Martel (Corrèze), Henri II revint à nouveau mettre le<br />

siège devant Limoges, que tenait toujours le vicomte rebelle. Après la reddition de ce<br />

dernier, Henri II fit raser les murailles et combler les fossés et, selon Ge<strong>of</strong>froy de<br />

Vigeois, « il envoya même son sénéchal pour en presser la destruction » 97 . Par la suite,<br />

l’état de délabrement des remparts est attesté en 1203, lorsqu’une partie des murs<br />

s’effondre. Jean participe alors à leur réparation en 1214 pour qu’ils retrouvent l’état<br />

dans lequel ils étaient « au temps de mon père et mon frère » 98 . Cet acte témoigne du<br />

renversement de la situation en Limousin : Jean ayant perdu la plupart de ses terres en<br />

Poitou, son intervention a donc essentiellement pour but de signifier la continuité de son<br />

pouvoir sur la cité et de s’attacher la fidélité des bourgeois.<br />

Si détruire appartient au langage politique de la féodalité, en matérialisant la<br />

puissance coercitive du prince, cette pratique n’a pas été exercée de manière continue et<br />

homogène au cours de la période. Une fois monté sur le trône, Richard est en effet resté<br />

plutôt prudent, détruisant peu au final – les chroniques n’en font que rarement le<br />

rapport, hormis dans sa guerre contre Jean et ses partisan. En revanche, le renouveau<br />

des pratiques coercitives sous Jean déclenche à nouveau des résistances, y compris chez<br />

les barons anglais qui parviendront à lui imposer la Magna Carta.<br />

1.3- Vers un gouvernement autocratique ? Le sort des châteaux<br />

rebelles sous Richard et Jean<br />

1.3.1- De Richard à Jean : la politique castrale de Jean en Anjou et en Normandie et<br />

la défaite de 1204<br />

Rompant avec la politique de son père, Richard rendit la plupart des châteaux<br />

qu’Henri II avait confisqués et conservés entre ses mains et nomma des abbés aux<br />

sièges laissés vacants 99 . Ces restitutions viennent rétablir un équilibre en mettant fin à<br />

ce que le nouveau roi qualifie lui même d’usurpation. Dans l’acte de restitution des<br />

châteaux de Berwick et de Roxburgh à Guillaume d’Écosse, en 1189, Richard explique<br />

97 Ibid., p. 170.<br />

98 Rot. Lit. Pat., p. 134 : Dilectis sui capitulo sancti Stephani et priori et conventui Sancti Andrei et<br />

Abbatisse Sancte Marie etc. Mandamus vobis quod auxilium faciatis civibus nostris Limovicensis ad<br />

civitatem nostram Limovicam firmandam et claudendam sicut debetis et facere consuevistis [temporibus]<br />

patris et fratris nostri. Ita ut vobis inde teneamur ad gratas. T. me ipso, apud Novum Templum Londonie<br />

xxi die Aprilis ; Chroniques de Saint-Martial de Limoges, DUPLÈS-AGIER, Henri (éd.), 1874, p. 68:<br />

corrunerunt muri castri Lemovicensis fere C. cubiti.<br />

99 GILLINGHAM, J., Richard I, 1999, p. 104-105.<br />

147


en effet que « si un de nos hommes a injustement usurpé les marches du royaume<br />

d’Écosse, après la capture du roi Guillaume le Lion par notre père, je veux qu’elles lui<br />

soient restituées intégralement et restaurées dans l’état où elles étaient avant sa<br />

capture » 100 . On peut cependant noter que malgré la volonté de restituer<br />

« intégralement » les châteaux du roi d’Écosse, il n’est question, dans l’acte, que de<br />

Berwick et Roxburgh, alors que Jedburgh, Stirling et Edinburgh faisaient partie des<br />

confiscations de 1175 (voir chapitre 4). Richard fit de même en Normandie en restituant<br />

à Robert de Leicester Pacy-sur-Eure et les terres, « que son père avait retenues. Puis le<br />

duc restitua selon le droit ancien tous ce que son père avait confisqué » 101 .<br />

Pendant l’absence de Richard, Guillaume de Longchamp tente de réguler la<br />

construction des châteaux en Angleterre, notamment ceux érigés par les partisans de<br />

Jean. Le 28 juillet 1191 à Winchester, il ordonne ainsi que « tous les châteaux construits<br />

après l’embarquement du roi pour son pèlerinage, qu’ils soient commencés ou achevés,<br />

seront rasés et aucun autre ne doit être nouvellement fortifié jusqu’à son retour à<br />

l’exception des manoirs du domaine royal. Si ceux-ci doivent être construits, alors le<br />

chantier devra être mené par une personne nommée par décision royale, attestée par une<br />

lettre ou par un messager de confiance » 102 . Ces dispositions semblent avoir été<br />

relativement bien tenues même si à son retour de captivité, Richard doit se livrer à<br />

quelques démolitions punitives. Celle de Beaumont-le-Roger est sans doute la plus<br />

connue. Dès son accession au trône Richard avait confisqué ce château, caput de<br />

l’honneur des Meulan en Normandie. Guillaume le Maréchal raconte comment il fit<br />

abattre sa tour maîtresse en 1194 103 :<br />

E quant li reis out Belmont prise<br />

Qui contre lui aveit mesprise<br />

100 Foedera, I, 1, p. 50 : Si autem marchias regni Scotiae aliquis nostrorum hominum, postquam<br />

praedictus Rex W[illiam] a patre nostro captus fuit, injuste usurpaverit, volumus ut integre restituantur et<br />

ad eum statum reducantur quo erante ante ejus captionem. Si un de nos hommes des marches du royaume<br />

d’écosse, après que le roi Guillaume ait été pris par notre père, nous voulons qu’il soit restitué<br />

intégratione et restauté en l’état qui était le sien avant la confiscation.<br />

101 PETERBOROUGH, II, p. 75 : Ricardus ducx Normanniae, reddidit Roberto comiti Leucestriae terras<br />

suas quas rex pater suus illi abstulerat. Praeter idem dux omnes quos rex pater suus exhaeredavit, in<br />

pristina iura restituit.<br />

102 HOVEDEN, III, p. 137 : Nova castella, post transfretationem domini regis ad peregrinationem suam<br />

faciendam, vel inchoata vel perfecta, delebuntur, nec alia usque ad reditum domini regis nova<br />

firmabuntur, nisi in dominicis maneriis dominis regis, si opus fuerit, vel ad opus alicujus nominatae<br />

personnae per praeceptum domini regis factum per litteras, vel per certum nincium.<br />

103 MEYER, P. (éd.), L'histoire de Guillaume Le Maréchal, comte de Striguil et de Pembroke, régent<br />

d'Angleterre de 1216 à 1219 : poème français, 1891-1901, v. 10521-10523 ; MRSN, I, p. 253 : pro turre<br />

de Bello Monte prosternanda xl soldinis.<br />

148


La tor fit ardeir et abatre<br />

En 1195, Richard confisque également le château de Néhou en Cotentin et sa<br />

forêt qu’il rendra à Richard de Vernon l’année suivante en échange de Vernon cédé au<br />

roi de France 104 . Cette même année, s’il rend également à son frère Jean le comté de<br />

Mortain en Normandie ainsi que les honneurs de Eye et de Gloucester, il en conserve les<br />

châteaux 105 . Certaines destructions symboliques ont donc ponctué son règne, mais ses<br />

interventions ont été surtout localisées aux frontières limitrophes du royaume capétien,<br />

reprenant les places perdues par son frère alors qu’il était en captivité (carte 2.5). La<br />

guerre contre Philippe Auguste, aux frontières de l’espace capétien, constitua en effet le<br />

cadre principal dans lequel s’est exprimée la réglementation des fortifications et les<br />

destructions punitives au cours de la dernière décennie du XII e siècle. À plusieurs<br />

reprises, Philippe Auguste imposa à Richard de se soumettre à ses droits régaliens qu’il<br />

entendait faire respecter dans les marches de son royaume. Lors de la paix de Tillières,<br />

Philippe Auguste lui interdit ainsi de ne reconstruire aucune des fortifications qu’il avait<br />

fait raser durant les hostilités, à l’exception de quatre d’entre elles et l’autorise à fortifier<br />

ou détruire toutes les fortellescies qui étaient entre ses mains au 23 juillet 1194 106 . Ces<br />

interdictions royales n’interviennent cependant que dans l’espace frontalier, véritable<br />

front de reconquête de l’autorité capétienne (voir chapitre 4).<br />

A l’inverse de son frère, Jean fit un usage excessif du droit de reddibilité des<br />

châteaux, en ce sens qu’il l’utilisa moins pour réactiver les fidélités de ses barons que<br />

pour les sanctionner, parfois même préventivement (carte 2.6). Cette politique eut des<br />

conséquences désastreuses puisqu’elle contribua à défaire les loyautés vis-à-vis de Jean,<br />

et conduisit in fine à la perte définitive de la Normandie en 1204. S’il y eut des<br />

réquisitions de châteaux pour les besoins de la guerre, c’est principalement leur<br />

destruction excessive qui aliéna nombre d’aristocrates angevins et normands. Ainsi,<br />

alors que Jean s’empare de Moncontour sans préalable légal en 1201 et qu’en 1202, il<br />

argue d’une convention de sécurité pour prendre Montreuil-Bellay, le château des<br />

vicomtes de Thouars 107 , les rouleaux normands contiennent également plusieurs brefs<br />

104 MRSN, I, p. 145, 153; Layettes, I, n°431: Richard de Vernon et son fils renoncent à leurs bourg de<br />

Vernon mais obtiennent des terres en Île de France et dans le Beauvaisis.<br />

105 HOVEDEN, III, p. 286: Richardus rex Angliae remisit Johanni fratri suo omnes iram et<br />

malevolentiam suam et reddidit ei comitatum de Moretonia et honorem de Eia et comitatum Gloucestriae<br />

cum omni integritate eorum, esceptis castellis.<br />

106 COULSON, C. A., « Fortress-Policy in Capetian tradition and Angevin Practice. Aspect <strong>of</strong> the<br />

conquest <strong>of</strong> Normandy by Philip II », dans A.N.S., 1983, p. 13-38 ; HOVEDEN, III, p. 257-69.<br />

107 Rot. Lit. Pat., p. 2; Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835, p. 55 :<br />

Sciatis quod mandavimus Senescallo nostro Andegavensis quod accepta a vobis bona securitate quod<br />

149


envoyés à ses sénéchaux en Anjou et en Normandie leur ordonnant de faire détruire des<br />

forteresses. En 1202, il ordonne ainsi à Gérard d’Athies, son capitaine des mercenaires,<br />

de prendre les terres de Guillaume de Préssigny et d’y détruire toutes les petites<br />

forteresses (forteslescias) 108 . En 1203, il exige la reddition de Montrésor de Ge<strong>of</strong>froi de<br />

Palluau, mais au lieu de lui rendre contre le renouvellement de son hommage, Jean<br />

envoie l’ordre suivant à son chef des mercenaires, Jean d’Athies :<br />

Lorsque vous recevrez ce château de Montrésor vous devrez le<br />

démolir immédiatement, parce que nous voulons que celui-ci et les<br />

autres châteaux qui pourraient être pris par nos ennemis soient<br />

détruits, excepté le seul château de Loches et les autres châteaux de<br />

nos domaines qui sont de votre responsabilité 109 .<br />

La politique est la même en Normandie, où en 1202, Jean somme Ranulf de<br />

Chester de lui céder son château de Semilly 110 . L’année suivante il fait démolir le<br />

château de Torigni 111 et en 1204, à l’approche des troupes françaises, Jean fait détruire<br />

les forteresses de Pont-de-l’Arche, Montfort-sur-Risle et Moulineaux 112 . Selon Charles<br />

Coulson, l’erreur de Jean a été de croire que seuls ses propres châteaux étaient fiables ce<br />

qui l’a conduit à mener une politique sans merci contre les châteaux de ses vassaux 113 .<br />

Et dans cette lutte, il a trouvé dans les communes un véritable allié. En 1207, par<br />

exemple, la requête des bourgeois de la Rochelle permet à Jean de justifier la<br />

nobis bone et fideliter servientibus et liberet vobis castrum de Monte Revello secundum quod<br />

convencionatum inter nos et Michael de Andegavenis et similiater terras et res vostras que capte sunt in<br />

manu nostra.<br />

108<br />

COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the<br />

Central Middle Ages, 2003, p. 157 ; Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D.<br />

(éd.), 1835, p. 59.<br />

109<br />

Rot. Lit. Pat., 33: … vobis mandamus quod cum receperitis castrum illud de Montensor illud statim<br />

proterni faciatis quia volumus quod tam illud quam alia quem super inimicos nostros adquieri poterunt,<br />

prosternantur salvis solumno castris de Luchis et aliis dominicis castris nostris quem in pertibus vostris<br />

sunt.<br />

110<br />

Ibid., p. 7, p. 28: Sciatis quod Roberto comes Cestrie nobis reddidit ad summonitionem nostram<br />

castrum de Semilly…; et p. 97.<br />

111<br />

Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835, p. 95 : Mandamus vobis<br />

quod cum castrum de Torengy prostratum fuerit faciatis habere Johanni de Bosco villam de Torenny cum<br />

pertinentis suis.<br />

112<br />

« Philippide », dans RIGORD et GUILLAUME LE BRETON, Oeuvres, 1882-1885, II, p. 208-209 :<br />

lib. VII, v. 827-29 : Res miser ipse suas, Pontem qui dicitur Arche / Atque Molinellos et Montis menia<br />

Fortis/ Dituit, ut patriam faciat sine viribus esse.<br />

113<br />

COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the<br />

Central Middle Ages, 2003, p. 157-158.<br />

150


destruction des forteresses de Pierre et Jean Bertin autour de La Rochelle, que les<br />

bourgeois considéraient comme dangereuses 114 .<br />

1.3.2- Rébellions et répression en Angleterre de 1204 à la Magna Carta<br />

La plupart des confiscations et des destructions en Angleterre ont lieu entre 1208<br />

et 1214 c'est-à-dire pendant la période de l’Interdit, au cours de laquelle Jean confisqua<br />

de nombreux châteaux épiscopaux notamment Bishop’s Strotford, Baynard’s Castle et<br />

Wisbech 115 . En 1208, la disgrâce de Guillaume de Briouze ramena dans les domaines de<br />

la Couronne près d’une vingtaine de châteaux dans les marches galloises mais aussi en<br />

Irlande et dans les rapes du Sussex (Bamber). Au-delà de toutes les interprétations pour<br />

comprendre l’acharnement de Jean contre la famille des Briouze, ces confiscations ont<br />

été légalement justifiées par une procédure de recouvrement de dette que Jean lança<br />

contre Guillaume III qui ne s’était toujours pas acquitté des 5000 marcs qu’il devait au<br />

roi depuis 1201 pour la seigneurie de Limerick. Brock W. Holden fait remarquer que<br />

l’inclusion de ce document à la fois dans le Red Book et le Black Book de l’Échiquier<br />

constitue sans doute une manière de créer un précédent « par excellence »,<br />

« conformément aux coutumes du royaume et aux lois de l’Échiquier » (secundum<br />

consuetudinem regni et per legem scaccarii) pour justifier à l’avenir les confiscations<br />

des châteaux et honneurs des barons anglais 116 . Dès lors, les confiscations cessent d’être<br />

exclusivement liées à la reddibilité des châteaux et à la fidélité des vassaux pour devenir<br />

un instrument légal de coercition de la puissance royale. Cette pratique contribua en<br />

outre à étendre le pouvoir territorial du roi puisqu’à la mort de Guillaume à <strong>Paris</strong> en<br />

1211, Jean conserva ses possessions – sa femme Maud et son fils étant mort de faim<br />

dans les prisons royales de Windsor.<br />

La destruction de la famille des Briouze laissa un sentiment d’amertume chez les<br />

barons anglais. Durant l’été 1212, alors que les préparatifs pour une nouvelle campagne<br />

en Poitou s’achèvent, Jean apprend qu’une rébellion se prépare chez les Northerners,<br />

ces grands barons des comtés du nord de l’Angleterre, menée par Eustace de Vesci et<br />

114 Rot. Lit. Pat., p. 58. Mandamus vobis quod sine dilatione prosterni faciatis omnes fortes domos Petri<br />

Bertini et Johannis Bertini et aliorum quem sunt prope Rupellam quam fuerunt ad nocumentum eiusdem<br />

ville de Rupella.<br />

115 BROWN, R. A., « A list <strong>of</strong> castles, 1154-1216 », E.H.R., 74: 291 (1959), p. 249-280 ; COULSON, C.<br />

A., « Fortress-Policy in Capetian tradition and Angevin Practice. Aspect <strong>of</strong> the conquest <strong>of</strong> Normandy by<br />

Philip II », dans A.N.S., 1983, p. 13-38.<br />

116 HOLDEN, B. W., « King John, the Braoses, and the Celtic Fringe, 1207-1216 », Albion: A Quarterly<br />

Journal Concerned with British Studies, 33: 1 (2001), p. 1-23, esp. p. 8 note 37: cite Foedera, I, p. 108<br />

151


Robert FitzWalter, qui refusent de lui apporter leur aide militaire 117 . La rapidité de sa<br />

réaction va néanmoins lui permettre d’éviter une rébellion ouverte. Dans le courant du<br />

mois d’août, tandis qu’il regroupe une armée, il ordonne à Philippe Ulecote (ou de<br />

Oldcotes) et Guillaume de Warenne, qu’il vient de nommer comme nouveaux shérifs du<br />

Northumberland, de s’emparer du château d’Alnwick d’Eustace de Vesci 118 . Cette<br />

rébellion <strong>of</strong>fre également à Jean l’occasion de renforcer ses propres châteaux. Le pipe<br />

roll de l’année 1212 enregistre ainsi plus de £1400 pour les fortifications de<br />

Scarborough (£780), Norham (£355), Newcastle (£153) et Bamburgh (£117) ainsi que<br />

le renforcement des garnisons de Bamburgh et Newcastle 119 . À l’automne, alors qu’il se<br />

rend dans le nord pour rencontrer les barons et faire d’importantes concessions – il<br />

accepte notamment de restaurer les biens d’Eustace de Vesci et de Robert FitzWalter –<br />

il confie également à Falkes de Bréauté la répression des princes gallois qui avaient saisi<br />

l’occasion de ces troubles pour se rebeller. Dans une lettre close, il lui ordonne de<br />

« détruire tout ce que vous pourrez de l’abbaye de Strata Florida, qui, abrite nos<br />

ennemis. Et les châteaux en ruine de votre bailliage qui ne peuvent être tenus, vous les<br />

ferez brûler, ceux qui sont en bon état, vous les renforcerez et les ferez garder » 120 .<br />

L’année suivante, cependant, alors qu’il reprend ses préparatifs pour sa<br />

campagne sur le continent, il décide d’écarter Eustace de Vesci. Le jour même de<br />

l’émission de son sauf-conduit, Jean ordonne la complète destruction de son château<br />

d’Alnwick, « qui ne lui sera plus désormais d’aucune utilité » 121 . Il fait également<br />

démolir son château de Malton par des maîtres piocheurs et ne lui accorde que £100<br />

pour compenser la perte de ses terres 122 . Jean embarque en février 1214 alors que les<br />

troubles persistent dans le Nord. Ensuite, « la route de Bouvines à Runnymede fut<br />

directe » 123 . Dès son retour en Angleterre, alors que la révolte éclate ouvertement cette<br />

117 Dès 1204, Jean doit procéder à la confiscation des terres de Ranulf de Chester et de Roger de<br />

Monbergeon qui refusent de participer à l’ost pour débarquer en Normandie. HOLT, J. C., The<br />

Northerners, 1961, p. 205, cite Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, I, p. 16, 24. Puis en 1205 ce sont les<br />

terres de Robert de Ros qui sont prises.<br />

118 HOLT, J. C., The Northerners, 1961, p. 83-84.<br />

119 PR. 14 Jean, p. 26, 46-48.<br />

120 Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, p. 122.<br />

121 Rot. Lit. Pat., p. 99 ; BROWN, R. A., « A list <strong>of</strong> castles, 1154-1216 », E.H.R., 74: 291 (1959), p. 249-<br />

280.<br />

122 HOLT, J. C., The Northerners, 1961, p. 94-95., PR 16 Jean, 86 : et in expensis Stephani de Oxeneford<br />

et duorum magistrorum piccatorum cum ix aliis £11 2s. 8d. ad prosternendum castrum de Mealton et pro<br />

robis eorumdem per breve regis.<br />

123 Ibid., p. 100.<br />

152


fois-ci, Jean fait fortifier ses châteaux et y installe des garnisons de mercenaires 124 . Mais<br />

le 12 mai 1215, en faisant procéder la confiscation des châteaux des rebelles, Jean<br />

franchissait une étape décisive qui conduisit à la formation du conseil des Vingt-Cinq et<br />

à la rédaction de la Magna Carta 125 .<br />

1.3.3- La Magna Carta et les châteaux adultérins<br />

En 1215, alors que Jean croyait pouvoir utiliser le droit des Consuetudines et<br />

Justicie de 1091, l’usage qui en avait été fait au cours des dernières décennies en avait<br />

pr<strong>of</strong>ondément altéré le sens. Bien que la reddibilité des châteaux se soit toujours<br />

déroulée dans un cadre conventionnel et légal, l’accumulation croissante des pressions<br />

sur les possessions baronniales avait fini par cristalliser les antagonismes entre le roi et<br />

ses barons autour du rejet général de cette pratique politique.<br />

De 1203 à 1214, Jean aurait pris 54 châteaux en Angleterre dont 5 ont été<br />

détruits 126 . Le nombre des confiscations et des destructions au cours de la guerre civile<br />

qui opposa Jean à ses barons entre 1215 et 1216 est difficile à préciser. Le 10 avril<br />

1216, par exemple, le connétable de Norwich est chargé de poursuivre les dissidents<br />

locaux et de s’emparer des domaines de Guillaume de Hastings, d’y mettre le feu et de<br />

démolir son château 127 . Le 5 juin c’est au tour de Richmond 128 . Le problème soulevé par<br />

Sidney Painter et Richard Eales est surtout celui de la fluctuation des loyautés qui<br />

pouvaient faire basculer un château d’un camp à l’autre et l’impossibilité pour Jean d’y<br />

placer des hommes de confiance sans s’aliéner automatiquement le baron qui s’y<br />

trouvait 129 . Au total, si les close rolls contiennent plus d’une trentaine de concessions 130 ,<br />

le décompte apparaît d’autant plus ardu que la période de guerre civile semble avoir été<br />

124<br />

ibid, p. 104, cite Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, I, p. 176, 178 (Corfe), 179, 182 (Colchester), 185<br />

(Winchester), 187 (Wallingford), 188 (Oxford), 189 (Hertford), 191 (Tour de London), 195<br />

(Berkhampstead, Northampton); Rot. Lit. Pat., p. 126, 127.<br />

125<br />

HOLT, J. C., The Northerners, 1961, p. 104, cite Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, I, p. 204.<br />

126<br />

COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the<br />

Central Middle Ages, 2003, p. 141.<br />

127<br />

Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, p. 260.<br />

128<br />

Foedera, I, 1, p. 141 : Mandatum est R. Comiti cestrie, quod si vederit, quod castrum de richemund se<br />

teneret non possit contra inimicos domini regis, tunc dirui et funditus prosterni faciat.<br />

129<br />

EALES, R., « Castles and politics in England 1215-1224 », dans Anglo-Norman Castles, 2003, p. 367-<br />

388 ; PAINTER, S., The Reign <strong>of</strong> King John, 1979.<br />

130<br />

Notamment les terres de Robert FitzWalter, Richard de Clare et Roger de Mandeville, HOLT, J. C.,<br />

The Northerners, 1961, p. 130-131, cite les Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, I, p. 228, 231, Rot. Lit.<br />

Pat., 161. Mais aussi celles de Maurice de Gant dans le Gloucestershire, le Somerset et l’Oxfordshire,<br />

Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, I, p. 232, 238 ; de Roger de Montbergeons dans le Sussex et de<br />

Robert de Grelley dans l’Oxfordshire ; ibid., I, p. 241 et le manoir de Gilbert fitz Reinfrey dans le<br />

Berkshire ; ibid., I, p. 237.<br />

153


aussi celle d’un essor de la construction de châteaux illégaux. C’est du moins que laisse<br />

entendre la clause 47 de la seconde version de la Magna Carta publiée en 1217 par<br />

Henri III, une clause qui n’est pas dans les Articles des Barons et disparaîtra de la<br />

version de 1225 et qui évoque la destruction des castella adulterina, ces châteaux alors<br />

construits par les barons contre Jean 131 . L’erreur serait de croire que ces termes<br />

désignaient la même réalité qu’en 1153, car s’il y eut peut-être quelques érections<br />

illégales de mottes, « adultérin » désignait plus vraisemblablement les châteaux dont la<br />

garde devait être rendue à la Couronne, plus que d’hypothétiques constructions « non<br />

licenciées ».<br />

Les brefs accompagnant l’application de la charte insistant sur la démolition de<br />

ces châteaux montrent alors l’importance qu’avait cette mesure à cette date pour la<br />

restauration de l’ordre public par le roi 132 . Selon H.J. Lawlor, la disparition de cette<br />

clause dans les versions ultérieures doit être considérée comme une concession royale<br />

en échange des aides accordées par les nobles lors de l’assemblée de Saint-Paul en<br />

1217 133 . La suppression de la clause 47 et l’ajout de la clause 52, restée dans la version<br />

définitive, qui stipule la restitution des châteaux indûment confisqués aux barons,<br />

montre le renversement au final de l’équilibre instable auquel avait conduit la politique<br />

de confiscation et de destruction menée par Jean. Par cette clause, la Magna Carta<br />

érigeait également en principe la sécurité des tenures et mettait ainsi fin à la crise<br />

juridique des conflits d’héritages qu’avait provoqué la conquête de 1066 134 .<br />

La violence excessive avec laquelle Jean s’en prit aux châteaux de ses vassaux<br />

dont il doutait de la fidélité a été mise sur le compte de sa paranoïa, par la plupart de ses<br />

biographes, mais il est également possible de voir dans cet exercice arbitraire de la<br />

potestas regis une manière de compenser une autorité sans doute affaiblie par les<br />

contestations de sa légitimité à la succession au trône d’Angleterre en 1199. Dans la<br />

pensée politique médiévale, la tyrannie se définit en effet par l’exercice de la potestas<br />

sans auctoritas, autrement dit par l’arbitraire de la force à l’encontre de l’autorité des<br />

lois 135 . Cependant, pour Jean de Salisbury l’utilisation de la potestas apparaît justifiée et<br />

131 MCKECHNIE, W. S., Magna Carta a commentary on the great charter <strong>of</strong> King John, 1958, p.176 et<br />

p. 585 : Statuimus etiam, de communi consilio tocius regni nostri, quod omnia castra adulterina, videlicet<br />

ea que a principio guerre mote inter dominum Johannem patrem nostrum et barones suos Anglie<br />

constructa fuerint vel reedificata, statim deruantur.<br />

132 Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, p. 377.<br />

133 LAWLOR, H. J., « An Unnoticed Charter <strong>of</strong> Henry III, 1217 », E.H.R., 22: 87 (1907), p. 514-518.<br />

134 HOLT, J. C., « Politics and property in early medieval England », Past & Present, 57 (1972), p. 3-52.<br />

135 Jean de Salisbury définit en effet le prince par rapport au tyran en soulignant la seule mais grande<br />

différence qui les distingue: l’un obéit aux lois, l’autre règne arbitrairement ne devant rendre des comptes<br />

qu’à Dieu. JEAN DE SALISBURY, Policraticus. Of the Frivolities <strong>of</strong> Courtiers and the Footprints <strong>of</strong><br />

154


même nécessaire lorsqu’elle est l’œuvre d’un roi oint chargé de rétablir l’ordre,<br />

autrement dit lorsque l’action du gouvernement trouve son principe en Dieu 136 . Dans la<br />

pratique, on a pu constater que ce qui apparaît comme un usage plus arbitraire de la<br />

potestas regis est en réalité le produit des pr<strong>of</strong>ondes modifications du principe de la<br />

reddibilité des châteaux depuis le début du XII e siècle. Bien plus qu’un simple contrôle<br />

militaire permettant de s’assurer la loyauté de ses vassaux, ce droit et son application au<br />

moyen de la force furent pour les Plantagenêt un véritable instrument d’affirmation d’un<br />

pouvoir territorial qui rendait possible l’émergence d’une nouvelle forme de<br />

souveraineté (imperium). La carte 2.7 illustrant l’ensemble des confiscations et des<br />

destructions au cours des trois règnes montre en effet l’étendue spatiale de ces pratiques<br />

et leur dimension territoriale. Si la cartographie des 425 lieux répertoriés qui furent<br />

l’objet d’une intervention de la part des Plantagenêt fait ressortir d’une certaine manière<br />

le faible nombre d’espaces fermement contrôlés par le pouvoir, d’un autre point de vue,<br />

elle montre également que les Plantagenêt n’ont pratiquement négligé aucun espace où<br />

ils pouvaient affirmer leur pouvoir. Leurs interventions ont en effet concerné aussi bien<br />

des espaces de conquête (marches du Pays de Galles, Irlande, Écosse) que des espaces<br />

hérités mais instables nécessitant incessamment la réactivation de la force militaire<br />

manifestant donc l’incapacité du prince à instaurer durablement sa puissance publique<br />

(Vexin, Berry, Limousin, Angoumois, Quercy). Dans ces espaces, où la conception du<br />

pouvoir est indissociable de la force, « la fureur vindicative du prince fait partie<br />

intégrante de l’exercice normal du pouvoir ; elle est très codifiée. Il ne s’agit ni de<br />

violence aveugle, ni de haine mais simplement d’un instrument de l’autorité » 137 .<br />

L’application et l’extension du principe de reddibilité relevaient donc de la construction<br />

d’un imperium, fondé sur la normalisation et la « féodalisation » des rapports de<br />

domination.<br />

Contrairement à la conclusion de Richard Eales qui considérait que « la politique<br />

castrale des Plantagenêt était trop arbitraire et opportuniste pour être considérée comme<br />

une politique consistante ou capable d’établir des pouvoirs légaux généralement<br />

acceptés qui posaient les bases à partir desquelles leurs successeurs auraient pu<br />

Philosophers, 1990, IV, c.1, 1-3 : Est ergo tiranni et principis haec differentia sola uel maxima quod hic<br />

legi obtemperat et eius arbitrio populum regit cuius se credit ministrum.<br />

136 Ibid., IV, c.4.; sur la théorie de l’économie politique médiévale voir AGAMBEN, G., Homo Sacer II.2<br />

Le règne et la gloire. Pour une généalogie théologique de l'économie et du gouvernement, 2008.<br />

137 BILLORÉ, M., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe - début XIIIe siècles). De l'autocratie<br />

Plantagenêt à la domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de Martin Aurell, 2005, non<br />

publiée p. 580.<br />

155


gouverner » 138 , nous avons tenté de montrer que les confiscations et l’extension du<br />

principe de reddibilité ont au contraire été un instrument fondamental du renforcement<br />

de la puissance publique des Plantagenêt. Bien que son champ d’application, restreint<br />

initialement aux châteaux des territoires délimités par les coutumes normandes, ait été<br />

étendu géographiquement, il n’inclua jamais autre chose que les châteaux inféodés. Or,<br />

le contrôle des châteaux ne suffisait pas toujours à dominer les fidélités, dont l’ancrage<br />

territorial reposait également sur leur attachement à une maison monastique. C’est<br />

pourquoi, contrôler les fondations aristocratiques et les réseaux de donataires qui leur<br />

étaient liées constituait un enjeu d’affirmation de la puissance royale sur les fidélités qui<br />

lui étaient liées. Cependant, le contrôle des fondations aristocratiques ne fut pas aussi<br />

systématique que celui des châteaux inféodés.<br />

138 EALES, R., « Castles and Politics in England 1215-1224 », dans Anglo-Norman Castles, 2003, p. 367-<br />

388; Une conclusion partagée par Charles Coulson et Maïté Billoré qui affirment que « ces confiscations<br />

parfois arbitraires, ces destructions radicales des forteresses nobles illutrent la politique « rude, dirigiste et<br />

opportuniste » d’un pouvoir tyrannique », COULSON, C. A., « Fortress-Policy in Capetian tradition and<br />

Angevin Practice. Aspect <strong>of</strong> the conquest <strong>of</strong> Normandy by Philip II », dans A.N.S., 1983, p. 13-38;<br />

BILLORÉ, M., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe - début XIIIe siècles). De l'autocratie<br />

Plantagenêt à la domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de Martin Aurell, 2005, non<br />

publiée, p. 492-493.<br />

156


2- L’Église comme espace d’affirmation de la potestas<br />

regis<br />

Depuis les travaux fondateurs de Raymonde Foreville, en 1943, puis de Susan<br />

M. Wood, John W. Gray et de Christopher R. Cheney dans les années 1950, les rapports<br />

entre l’Église et les pouvoirs laïcs à la fin du XII e siècle n’ont pas été un thème très<br />

étudiés, malgré des études comme celles d’Emma Cownie au milieu des années 1990 139 .<br />

Ces années sont en effet marquées par le renouvellement de l’historiographie de l’Église<br />

médiévale qui bénéficia de l’exploration très féconde de nouvelles problématiques<br />

autour des processus de spatialisation de l’Église et notamment de l’espace sacré dans<br />

l’Occident médiéval entre le V e et le XIII e siècle, à partir notamment de la paroisse et de<br />

son cimetière, vers la territorialisation des diocèses et la monumentalisation de<br />

l’Église 140 . Ces études ont permis la construction d’une nouvelle périodisation des<br />

transformations du rapport à l’espace dans les sociétés médiévales. Ainsi après un temps<br />

de déterritorialisation des rapports sociaux et de renforcement des liens interpersonnels<br />

(V e -XI e siècles), s’opère un mouvement, initiée par l’Église, de reterritorialisation des<br />

139 FOREVILLE, R., L'Église et la royauté en Angleterre sous Henri II Plantagenet : 1154-1189, 1943;<br />

WOOD, S. M., English Monasteries and their Patrons in the Thirteenth Century, 1955 ; CHENEY, C. R.,<br />

Becket to Langton : English church government 1170-1213, 1956 ; BROOKE, C. N. L., Medieval Church<br />

and Society. Collected Essays, 1971; GRAY, J. W., « The Ius Praesentandi in England from the<br />

Constitutions <strong>of</strong> Clarendon to Bracton », E.H.R., 67: 265 (1952), p. 481-509. Parmi les étudies récentes :<br />

COWNIE, E., « Religious patronage and lordship: the debat on the nature <strong>of</strong> the honor », dans Family<br />

Trees and the Roots <strong>of</strong> Politics. The Prosopography <strong>of</strong> Britain and France from the Tenth to the Tweltfh<br />

Century, 1997, p. 133-146; COWNIE, E., Religious patronage in Anglo-Norman England, 1066-1135,<br />

1999; WOOD, S. M., The Proprietary Church in the Medieval West, 2006; PELTZER, J., Canon Law,<br />

Careers and Conquest. Episcopal Elections in Normandy and Greater Anjou, c. 1140-c. 1230, 2008;<br />

PELTZER, J., « Les évêques de l'empire Plantagenêt et les rois angevins: un tour d'horizon », dans<br />

Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages, 2006, p. 461-484; PELTZER, J., « Henry II and<br />

the Norman Bishops », E.H.R., 119: 484 (2004), p. 1202-1229.<br />

140 Voir les séminaires du CEM d’Auxerre, animé par Dominique Iogna-Prat, Michel Lauwers et Alain<br />

Guerreau entre autre qui ont débouché entre autre sur IOGNA-PRAT, D., « Constructions chrétiennes<br />

d’un espace politique », Le Moyen Âge, 107 (2001), p. 49-69; IOGNA-PRAT, D. et ZADORA-RIO, E.,<br />

« Formation et transformations des territoires paroissiaux », Médiévales, 49 (2005) ; LAUWERS, M.,<br />

Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval, 2005; IOGNA-PRAT,<br />

D., La maison Dieu, 2006; LAUWERS, M. et RIPART, L., « Représentation et gestion de l’espace dans<br />

l’Occident médiéval », dans Rome et la genèse de l’État moderne : une comparaison typologique, 2007,<br />

p. 115-171 ; MAZEL, F. (éd.), L'espace du diocèse. Genèse d'un territoire dans l'Occident médiéval (Ve-<br />

XIIIe siècle), 2008.Voir aussi MORSEL, J., « Appropriation communautaire du territoire ou appropriation<br />

territoriale de la communauté ? », Hypothèses 2005. Travaux de l'Ecole doctorale de <strong>Paris</strong> 1 <strong>Panthéon</strong>-<br />

<strong>Sorbonne</strong> (2006), p. 89-104; MORSEL, J. et DUCOURTIEUX, C., L'histoire (du Moyen Âge) est un<br />

sport de combat. Réflexions sur les finalités de l’Histoire du Moyen Âge destinées à une société dans<br />

laquelle même les étudiants d’histoire s’interrogent, 2007.<br />

157


apports sociaux aux dépens des liens de parentés charnelles et aux pr<strong>of</strong>its des liens de<br />

parentés spirituels souvent ancrées dans les communautés vicinales. Considérant ces<br />

processus, Michel Lauwers et Laurent Ripart se sont interrogé sur la dialectique entre le<br />

mouvement de spatialisation du sacré et la formation plus tardive (XII e -XIII e siècles)<br />

des territoires politiques. Dans quelle mesure en effet, le processus engagé par l’Église<br />

médiévale constitua-t-il un modèle pour l’organisation des institutions monarchiques de<br />

la Chrétienté médiévale ? Plus qu’un modèle, on pourrait également se demander dans<br />

quelle mesure l’essor des gouvernements monarchiques et la formation des royaumes<br />

ont été une réaction aux prétentions englobantes de l’Église grégorienne.<br />

Dans son ouvrage, Negotiating Space, Barbara Rosenwein montre comment le<br />

mouvement de la réforme de l’Église post-carolingienne, qui marqua un renforcement<br />

du pouvoir pontifical, était inextricablement mêlé à la question de la définition d’un<br />

territoire de l’Église, à la délimitation d’un « ban sacré », c'est-à-dire d’une aire de<br />

juridiction ecclésiastique marquée du sceau de l’immunité vis-à-vis du pouvoir royal et<br />

séculier 141 . Au-delà de l’immunité monastique, c’est l’affirmation d’une libertas<br />

ecclesiae vis-à-vis du contrôle féodal, qui constitua le véritable cœur de la réforme<br />

grégorienne. Une liberté qui impose la séparation non seulement sociale mais aussi<br />

spatiale des clercs et des laïcs. Dans une lettre qu’il adresse à Henri II, en mai 1166,<br />

l’archevêque de Canterbury alors en exil résume en ces termes les principes qui fondent<br />

précisément la liberté de l’Église contre les empiètements des laïcs :<br />

L’Église de Dieu est composée de deux ordres, le clergé et le peuple…<br />

Parmi le peuple, il y a les rois, les princes, les ducs, les comtes et les<br />

autres puissants qui accomplissent les affaires du siècle… Et parce<br />

qu’il est certain que les rois reçoivent leur pouvoir de l’Église, et que<br />

cette dernière tient le sien non d’eux mais du Christ, alors – si je peux<br />

parler sous votre bienveillance – vous n’avez pas le pouvoir de<br />

donner des ordres aux évêques, ni celui d’absoudre ni celui<br />

d’excommunier quiconque … ainsi que toutes les choses de cette sorte<br />

qui sont écrites dans vos coutumes dont vous dites qu’elles sont<br />

anciennes 142 .<br />

141<br />

ROSENWEIN, B. H., Negotiating Space. Power, Restraint and Privileges <strong>of</strong> Immunity in Early<br />

Medieval Europe, 1999, p. 6-7.<br />

142<br />

Materials for the History <strong>of</strong> Thomas Becket, archbishop <strong>of</strong> Canterbury (canonized by Pope Alexander<br />

III, A.D. 1173) Vol. V (Epistles, I.-CCXXVI.), 1965, p. 278-281: Ecclesia enim Dei in duobus constat<br />

ordinibus, clero et populo… In populo sunt reges, principes, duces comites et aliae potestaes qui<br />

saecularia habent tractare negotia … Et quia certum est reges potestatem suam accipere ab ecclesia non<br />

ipsam ab illis sed a Christo, ut sava pace vesta loquar, non habetis episcopos praecipere, absolvere<br />

aliquem vel excummunicare… et multa in hunc modum quae scripta sunt inter consuetudines vestras quas<br />

dicitis avitas. Les coutumes évoquées sont celles qu’Henri II a édictées dans les constitutiones de<br />

158


Dans la mesure où le contrôle de la configuration de l’espace constitua un<br />

facteur dont l’importance ne cesse de s’accroître dans la définition du pouvoir, il n’est<br />

pas surprenant de voir que les tensions entre l’Église et les princes occidentaux à partir<br />

du XII e siècle se cristallisent autour des questions d’empiètements juridiques et le<br />

contrôle des lieux comme matrice de la construction territoriale 143 . Cette querelle<br />

s’inscrit donc entièrement dans le contexte de la lutte entre regnum et sacerdotium qui<br />

caractérise l’essor de l’institution ecclésiale au XII e et XIII e siècle 144 . Dans cette lettre,<br />

Thomas Becket exprimait la volonté de l’Église grégorienne de séparer de plus en plus<br />

clairement le monde des clercs et celui des laïcs, notamment en intégrant les moines<br />

dans le monde clérical et en luttant contre les prérogatives dont jouissaient jusqu’à<br />

présent les laïcs sur les établissements monastiques dont ils avaient le patronage. La<br />

notion même de patronage est donc au centre des débats et elle fait l’objet d’une<br />

redéfinition juridique dans le droit canon visant à réduire les pouvoirs des laïcs au pr<strong>of</strong>it<br />

des prêtres et de leur <strong>of</strong>fice divin 145 . La place des laïcs dans l’Église au travers du<br />

patronage monastique constitue donc, au XII e siècle, un véritable enjeu de lutte pour le<br />

contrôle de l’espace et du territoire. Toutefois, les conflits autour des fondations<br />

monastiques n’ont pas concerné que les rapports entre le roi et l’Église : si les enjeux<br />

était cléricaux parce qu’il s’agissait d’affirmer la volonté royale sur les élections<br />

épiscopales et abbatiales (concernant les monastères royaux) ils avaient également des<br />

implications « féodales ». En se saisissant des failles du patronage laïc, les Plantagenêt<br />

ont en effet pu exercer une forme de coercition contre leurs vassaux par le contrôle de<br />

leurs fondations.<br />

Clarendon en 1164 et auxquelles l’archevêque de Canterbury avait refusé de se soumettre, provoquant<br />

immédiatement son exil. BARLOW, F., Thomas Becket, 1987, p. 100-116; FOREVILLE, R., L'Église et<br />

la royauté en Angleterre sous Henri II Plantagenet : 1154-1189, 1943.<br />

143 ROSENWEIN, B. H., Negotiating Space. Power, Restraint and Privileges <strong>of</strong> Immunity in Early<br />

Medieval Europe, 1999; MAZEL, F. (éd.), L'espace du diocèse. Genèse d'un territoire dans l'Occident<br />

médiéval (Ve-XIIIe siècle), 2008; MORSEL, J. et DUCOURTIEUX, C., L'histoire (du Moyen Âge) est un<br />

sport de combat. Réflexions sur les finalités de l’Histoire du Moyen Âge destinées à une société dans<br />

laquelle même les étudiants d’histoire s’interrogent, 2007.<br />

144 Anne J. Duggan a récemment montré que la crise sur laquelle elle déboucha était pr<strong>of</strong>ondément liée<br />

aux personnalités d’Henri II et de Thomas Becket et à la radicalité de leurs décisions DUGGAN, A. J.,<br />

« Henry II, the English Church and the Papacy, 1154-76 », dans Henry II: New Interpretations, 2007, p.<br />

154-183. Mais cette analyse fondée sur les « caractères » peut être également interprétée sans doute plus<br />

justement en terme sociologique. C’est notamment l’analyse que fait Joseph Morsel, s’appuyant sur les<br />

concepts de la sociologie de Pierre Bourdieu, lorsqu’il propose de considérer le retournement de Becket<br />

comme un symptomatique d’un « effet de champ » ; MORSEL, J., L'aristocratie médiévale : la<br />

domination sociale en Occident, Ve-XVe siècle, 2004, p. 135-136.<br />

145 WOOD, S. M., The Proprietary Church in the Medieval West, 2006, p. 883-904.<br />

159


2.1- La lutte contre la territorialisation des Églises et l’affirmation<br />

de la potestas regis sur les lieux saints<br />

Si les prérogatives du duc sur les élections épiscopales étaient depuis longtemps<br />

reconnues en Normandie, où la désignation des évêques et abbés à la discrétion ducale<br />

était pratiquement entrée dans la coutume, ce droit n’était pas reconnu en Aquitaine, où<br />

la liberté des élections était un privilège contre lequel Henri II eut du mal à s’imposer 146 .<br />

En Angleterre, après le règne d’Étienne de Blois, l’étroite dépendance de l’Église<br />

anglaise vis-à-vis de la royauté s’était quelque peu relâchée et l’épiscopat avait renoué<br />

des liens avec la papauté. Tous les efforts d’Henri II vont donc porter sur la reprise en<br />

main de cet épiscopat et la restauration de ses prérogatives royales sur les clercs. Tout<br />

d’abord, outre le fait de pouvoir récompenser des curiales et de renforcer leur loyauté,<br />

le contrôle des élections épiscopales présentait également un intérêt territorial pour les<br />

Plantagenêt dans la mesure où, d’une part, le gouvernement ecclésiastique fonctionnait<br />

comme un soutien et un relais du pouvoir royal favorisant la stabilisation des espaces<br />

aux aristocraties turbulentes ; de fait, la perte du contrôle des élites ecclésiastiques face<br />

à l’essor du principe de la libertas ecclesiae, notamment sur le continent, a été<br />

considérée comme l’un des principaux facteurs de l’effondrement de l’empire des<br />

Plantagenêt au début du XIII e siècle. D’autre part, le contrôle des élections épiscopales<br />

et abbatiales en Angleterre et en Normandie donnait au roi une emprise directe sur le<br />

diocèse, notamment lors des périodes de vacances pendant lesquelles la Couronne<br />

percevait et gérait les revenus épiscopaux.<br />

2.1.1- Les élections épiscopales, le contrôle du territoire et des élites locales<br />

En Angleterre, la publication des constitutiones de Clarendon en 1164,<br />

établissait, contre les revendications de la libertas ecclesiae portées par l’introduction<br />

du droit canon en Angleterre, les prérogatives juridiques du roi sur les élections<br />

épiscopales et sur la justice des clercs. Malgré et au-delà de l’affaire Becket, Henri et<br />

Richard sont globalement parvenus à faire reconnaître leur droits sur les élections<br />

épiscopales. Ainsi sur les 18 élections épiscopales du règne de Richard, 15 ont vu<br />

146 PONTAL, O., « Les évêques dans le monde Plantagenêt », dans Y a-t-il une civilisation du monde<br />

Plantagenêt ?, 1986, p. 129-137 synthétise les travaux de Raymonde Foreville : FOREVILLE, R.,<br />

L'Église et la royauté en Angleterre sous Henri II Plantagenet : 1154-1189, 1943.<br />

160


l’accession de familiares royaux ou des membres de familles proche du roi 147 . Jean<br />

parvint même là où son père avait échoué en réunissant en la personne d’Hubert Walter,<br />

la principale autorité du gouvernement ecclésiastique (le primat) et royal (le chancelier),<br />

et s’assurait ainsi le contrôle de l’ensemble du baronnage anglo-normand. Cette<br />

nomination provoqua d’ailleurs des craintes exprimées par Hugues Bardulf, l’un des<br />

principaux magnats du règne de Jean :<br />

Seigneur, si je peux parler sous votre bienveillance, considérez bien la<br />

puissance de vos nominations et la dignité des honneurs, afin de tenir<br />

sous votre joug vos serviteurs : parce que nulle part nous entendons<br />

ou voyons qu’un archevêque puisse être fait chancelier mais nous<br />

voyons qu’un chancelier puisse devenir archevêque. 148<br />

Les inquiétudes d’Hugues Bardulf n’étaient en effet pas infondées tant la<br />

difficulté à contrôler les élections épiscopales devenait un problème épineux. Doit-on<br />

pour autant l’expliquer par l’« incapacité politique » de Jean, plutôt que d’y voir le<br />

renforcement de la libertas ecclesiae y compris en Angleterre, où se constitua<br />

progressivement un esprit de corps de l’épiscopat ? Celui-ci renforça sa cohésion et son<br />

indépendance vis-à-vis de la papauté au cours de l’affaire de Guillaume de Longchamp,<br />

mais aussi vis à vis du roi d’Angleterre, qu’ils contribuèrent à faire capituler en 1215 en<br />

se joignant à la révolte des barons.<br />

Hormis le cas exceptionnel de Thomas Becket, l’installation de curiales à un<br />

poste épiscopal ou abbatial permettait en effet au roi de disposer de sérieux appuis pour<br />

organiser son gouvernement et affirmer l’autorité royale, tant les évêques pouvaient être<br />

de puissants vecteurs de la formulation et de la publicisation de la politique royale 149 .<br />

Pour Jorg Peltzer, il est même possible de parler de « corrélation entre le degré de<br />

contrôle royal sur le territoire et le degré de l’intensité des relations entre évêques et<br />

rois » 150 . En Bretagne, par exemple, Judith Everard a montré que le rôle des évêques<br />

bretons et notamment ceux de Rennes comme agents de stabilisation de cette province<br />

147 TURNER, R. V., « Richard Lionheart and English Episcopal Elections », Albion: A Quarterly Journal<br />

Concerned with British Studies, 29: 1 (1997), p. 1-13.<br />

148 HOVEDEN, II, p. 90-91: Domine, salva pace vestra loquar certe si bene consideraretis nominis vestri<br />

potentiam et honoris dignitatem non deberetis jugum servitutis vobis imponere : quia nunquam audivimus<br />

vel vidimus de archiepiscopo fieri cancellarium sed de cancellario vidimus fieri archiepiscopum.<br />

149 PELTZER, J., « Les évêques de l'empire Plantagenêt et les rois angevins: un tour d'horizon », dans<br />

Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages, 2006, p. 461-484 est une récente synthèse en<br />

français sur le rôle des évêques dans la politique royale et la question des élections épiscopales ;<br />

WALKER, D., « Crown and episcopacy under the Normans and Angevins », dans A.N.S., 1982, p. 220-<br />

233.<br />

150 PELTZER, J., « Les évêques de l'empire Plantagenêt et les rois angevins: un tour d'horizon », dans<br />

Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages, 2006, p. 461-484.<br />

161


de l’empire a été central 151 . L’accession de Dol au statut d’évêché métropolitain de<br />

Bretagne favorisée dans les années 1160 par Henri II lui permit également de renforcer<br />

son pouvoir sur l’Église bretonne, en la libérant de la primatie de Tours sur laquelle il<br />

n’exerçait pratiquement aucune influence 152 . En Irlande, John Cumin, archevêque de<br />

Dublin de 1181 à 1212, choisi par Henri II pour ses qualités d’administrateur, fut l’un<br />

des principaux représentants de la Couronne d’Angleterre sur l’île, contrôlant les<br />

nominations épiscopales, les biens temporels des églises ainsi que les fondations<br />

séculières 153 . Quant aux évêques gallois, peu de documents nous renseignent sur leurs<br />

activités politiques, mais les tentatives de Giraud de Barri pour obtenir le siège de St<br />

Davids témoignent de l’évolution des relations entre les évêques gallois et la cour des<br />

Plantagenêt : tandis qu’Henri II est capable d’imposer Pierre de Leia en 1176 au siège<br />

de St Davids contre Giraud, ce dernier parvient finalement à l’obtenir en 1199, alors que<br />

Jean et Hubert Walter s’y étaient opposés à cause de son origine galloise 154 .<br />

En Normandie, si la formation d’un milieu social original de chapelains royaux,<br />

destinés à pourvoir les grands bénéfices ecclésiastiques existait depuis le XI e siècle,<br />

celui-ci a progressivement disparu et permet de moins en moins aux ducs de s’appuyer<br />

sur l’ensemble des évêques et des abbés pour mener à bien leurs desseins en matière<br />

religieuse 155 . À la fin du règne d’Henri II, le cumul des charges exercées par les abbés<br />

s’effectuait ainsi souvent en dehors du cadre strictement ecclésiastique 156 . Malgré les<br />

151 EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins : Province and Empire, 1158-1203, 2000, p. 67. Dès les<br />

années 1160, l’évêque de Rennes qui est choisi au sein des familiares d’Henri II, (Etienne de Fougères, le<br />

chapelain d’Henri II élu évêque de Rennes en 1167-1178) à l’instar que ceux de Nantes et Dol, jouaient<br />

un rôle administratif en co-scellant la plupart des actes émis par les sénéchaux royaux. Ils ont donc<br />

participé activement à la construction de structures administratives pour gouverner la Bretagne.<br />

152 TURNER, R. V., « Richard Lionheart and the Episcopate in his French Domains », French Historial<br />

Studies, 21: 4 (1998), p. 517-542. Il parvint ainsi à placer à sa tête Roger du Hommet (1171-1175), un<br />

clerc de sa chancellerie et parent du connétable de Normandie, puis Roland de Pise (1177-1187) et Henri<br />

fils de Robert fitz Harding (1187-88), qui provenaient tous deux de l’Église normande, où la coutume de<br />

la nomination ducale était largement admise. Mais en 1199, Innocent III restitua Dol à la primatie de<br />

Tours, faisant ainsi entrer l’épiscopat breton sous l’influence capétienne. SAINTE-MARTHE, D. (éd.),<br />

Gallia Christiana, 1739-1877, XIV, p. 1052.<br />

153 MURPHY, M., « Balancing the Concerns <strong>of</strong> Church and State: The Archbishops <strong>of</strong> Dublin 1181-<br />

1228 », dans Colony and frontier in medieval Ireland : essays presented to J. F. Lydon, 1995, p. 41-56.<br />

154 PELTZER, J., « Les évêques de l'empire Plantagenêt et les rois angevins: un tour d'horizon », dans<br />

Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages, 2006, p. 461-484.<br />

155 MUSSET, L., « La formation d'un milieu social original: les chapelains normands du duc-roi au XIe<br />

siècle et au début du XIIe siècle », dans Aspects de la société et de l'économie médiévale, 1988, p. 91-<br />

114; PELTZER, J., « Henry II and the Norman Bishops », E.H.R., 119: 484 (2004), p. 1202-1229.<br />

156 Au XII e siècle, le clergé normand était habitué à un degré de contrôle ducal qui n’existait nulle part<br />

ailleurs en Europe, principalement parce que la protection de toutes les maisons religieuses était une<br />

prérogative exclusive du duc qui leur leur évitait un trop grande dépendance vis-à-vis des seigneurs<br />

fondateurs en tant qu’avoué ou vidame que l’on retrouve partout en Europe ; GAZEAU, V., « Les<br />

abbayes bénédictines de la Normandie ducale : lieux de pouvoir ou relais du pouvoir? », dans Les lieux de<br />

162


prérogatives du duc et l’importance accrue donnée au clergé normand par Henri II dans<br />

le gouvernement du duché, le contrôle des évêchés pouvait poser problème dans les<br />

marges, comme à Sées, où la reconnaissance des candidats ducaux contre ceux du<br />

comte de Blois constitua tout au long de la période un enjeu pour le contrôle sur cette<br />

région dominée par la puissante seigneurie du Perche. En 1157, Henri II contesta<br />

l’élection car elle s’était faite sans son consentement et parvint à imposer au chapitre<br />

une nouvelle élection au pr<strong>of</strong>it de Froger, son aumônier 157 . Henri II avait en effet besoin<br />

d’un homme totalement acquis à sa cause, plutôt qu’un homme qui se serait retrouvé<br />

entre ou dans les partis opposés. Hormis quelques conflits, le clergé normand de la part<br />

des ducs, la grande majorité des évêques resta loyal à Henri II pendant les deux<br />

principales crises de son règne : l’affaire Thomas Becket et la révolte de 1173-1174 158 .<br />

Un soutien qui peut s’expliquer par le fait qu’ils appartenaient généralement aux cercles<br />

des conseillers royaux ou avaient été au service de l’administration ducale avant leur<br />

élection. À partir du règne de Jean, cependant, alors que s’accroît la tension que les<br />

Capétiens font peser sur les marches normandes, la crispation sur le contrôle des<br />

élections débouche sur une crise : en 1201, le chapitre de Sées a refusé d’élire le<br />

candidat de Jean, ce dernier envoie ses agents confisquer le trésor de la cathédrale et<br />

persécuter les chanoines en les privant de leurs possessions et de toute nourriture tant<br />

qu’ils n’auraient pas satisfait la voluntas royale 159 . La querelle se prolongea et malgré<br />

l’intervention d’Innocent III appelant Jean à la modération, celui-ci refusa d’autant plus<br />

catégoriquement que Jean d’Alençon s’était déjà révolté contre l’autorité ducale et avait<br />

pouvoir au Moyen âge en Normandie et sur ses marges, 2006, p. 91-100; PACKARD, S. R., « King John<br />

and the Norman Church », The Harvard Theological Review, 15: 1 (1922), p. 15-40 ; YVER, J., « Autour<br />

de l'absence d'avouerie et Normandie. Notes sur le double thème du développement du pouvoir ducal et<br />

l'application de la Réforme grégorienne en Normandie », Bulletin de la société des Antiquaires de<br />

Normandie, 57 (1963-1964), p. 189-283 ; PELTZER, J., « Henry II and the Norman Bishops », E.H.R.,<br />

119: 484 (2004), p. 1202-1229.<br />

157<br />

PELTZER, J., Canon Law, Careers and Conquest. Episcopal Elections in Normandy and Greater<br />

Anjou, c. 1140-c. 1230, 2008, p. 121.<br />

158<br />

PELTZER, J., « Henry II and the Norman Bishops », E.H.R., 119: 484 (2004), p. 1202-1229 ;<br />

PELTZER, J., « Les évêques de l'empire Plantagenêt et les rois angevins: un tour d'horizon », dans<br />

Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages, 2006, p. 461-484; SPEAR, D., « Power, patronage<br />

and Personality in the Norman Cathedral Chapter, 911-1204 », dans A.N.S., 1998, p. 205-222. Sous<br />

Richard Cœur-de-Lion, même la dispute entre le duc et Gauthier de Coutances, l’archevêque de Rouen à<br />

propos de la construction de Château-Gaillard aux Andelys n’altéra pas vraiment les bonnes relations que<br />

le duc entretenait avec l’épiscopat normand.<br />

159<br />

PELTZER, J., Canon Law, Careers and Conquest. Episcopal Elections in Normandy and Greater<br />

Anjou, c. 1140-c. 1230, 2008, p. 125 cite les Rot. Lit. Pat., p. 7b et 14b à propros des confiscations.; voir<br />

aussi PACKARD, S. R., « King John and the Norman Church », The Harvard Theological Review, 15: 1<br />

(1922), p. 15-40.<br />

163


livré sa ville à Philippe Auguste en janvier 1203 160 . Les violences subies par le clergé<br />

normand qui alimentèrent l’opposition croissante des évêques ne peut être minorée dans<br />

la perte de la Normandie 161 . Quant aux abbayes, Henri II avait également des moyens de<br />

faire pression sur le choix des moines. Véronique Gazeau relate ainsi comment Henri II,<br />

mécontent de l’élection de Richard de Subligny au Mont-Saint-Michel en 1152, imposa<br />

ses <strong>of</strong>ficiers à l’abbaye qui s’emparèrent d’objets précieux, provoquant la fuite de l’abbé<br />

et refusa d’obéir au pape qui l’enjoignait de reconnaître l’élection 162 . Robert de Torigni,<br />

élu abbé du Mont en 1154, joua ensuite un rôle dans l’affirmation territoriale du pouvoir<br />

royal : en tant que seigneur temporaire de Pontorson en 1167 et 1168, il assura<br />

notamment la marche normano-bretonne au moment de la révolte des barons bretons 163 .<br />

En Anjou, à défaut d’exercer un droit sur les élections, les Plantagenêt avaient au<br />

moins une influence sur la sélection des candidats, notamment à Angers. Si les évêques<br />

n’étaient donc pas issus des familiares royaux, nombre d’entre eux ont néanmoins<br />

soutenu Henri II, à l’instar de Guillaume Passavant, évêque du Mans (1145-1187) avec<br />

lequel il entretenait de bonnes relations. Contrairement aux territoires au nord de la<br />

Loire, les élections épiscopales et abbatiales en Aquitaine leur ont presque totalement<br />

échappées 164 . Les Plantagenêt héritaient d’une situation où les établissements religieux<br />

avaient pris l’habitude de se tourner vers Rome et non vers la cour ducale pour régler<br />

des conflits de protection ou de possession 165 . Dès le début de son règne, Henri II se<br />

heurta à l’opposition de Jean de Bellemains, l’évêque de Poitiers, et aux électeurs de<br />

Bordeaux qui refusèrent en 1158 de procéder au scrutin en présence du roi et de choisir<br />

son candidat. Tout au long du XII e siècle, la plupart des prélats poitevins étaient donc<br />

issus des grandes familles aristocratiques locales souvent opposées aux Plantagenêt et<br />

les vaines tentatives de ces derniers pour imposer leur candidat n’ont souvent fait<br />

qu’accroître l’hostilité du clergé aquitain. Selon Ralph Turner, le manque de contrôle de<br />

160<br />

PELTZER, J., Canon Law, Careers and Conquest. Episcopal Elections in Normandy and Greater<br />

Anjou, c. 1140-c. 1230, 2008, p. 129-131. Pour un aperçu des tensions entre Plantagenêt et Capétiens sur<br />

l’épiscopat Normand et leurs interprétations voir POWER, D. J., « The Norman Church and the Agevin<br />

and Capetian Kings », Journal <strong>of</strong> Ecclesiastical History, 56: 2 (2005), p. 205-234.<br />

161<br />

PACKARD, S. R., « King John and the Norman Church », The Harvard Theological Review, 15: 1<br />

(1922), p. 15-40; POWER, D. J., « The Norman Church and the Agevin and Capetian Kings », Journal <strong>of</strong><br />

Ecclesiastical History, 56: 2 (2005), p. 205-234.<br />

162<br />

GAZEAU, V., Normannia monastica, 2007, I, p. 49-50.<br />

163<br />

Ibid., I, p. 326.<br />

164<br />

TURNER, R. V., « Richard Lionheart and the Episcopate in his French Domains », French Historial<br />

Studies, 21: 4 (1998), p. 517-542 ; PELTZER, J., Canon Law, Careers and Conquest. Episcopal Elections<br />

in Normandy and Greater Anjou, c. 1140-c. 1230, 2008.<br />

165<br />

TURNER, R. V., « Richard Lionheart and the Episcopate in his French Domains », French Historial<br />

Studies, 21: 4 (1998), p. 517-542.<br />

164


ces élections et leur incapacité à établir des liens personnel avec le clergé aquitain<br />

constitue l’un des principaux facteurs de leur échec à s’imposer territorialement au sud<br />

de la Loire. Et selon Jorg Peltzer, la défaite du roi Jean en 1203 devant les mercenaires<br />

de l’évêque de Limoges qu’il avait fait expulser de son siège et dont il avait séquestré<br />

les biens, constitue l’une des premières grandes défaites de Jean dans sa guerre contre<br />

Philippe Auguste 166 .<br />

En Gascogne cependant la situation est différente : même si Henri II n’arrive pas<br />

à contrôler les élections de Bordeaux, l’archevêque n’en agit pas moins pour le compte<br />

du duc, ce qui faire dire aux Toulousains, en 1164, qu’il se battait beaucoup plus pour le<br />

roi d’Angleterre que pour le Christ 167 . Bien que les évêques d’Aquitaine cessent de<br />

participer activement à la politique d’Henri II, à partir de 1180, Jean pouvait toujours<br />

compter sur le soutien d’Hélie de Bordeaux au début du XIII e siècle 168 . Pour Ralph<br />

Turner, la loyauté des évêques de Gascogne aux Plantagenêt après 1206 doit être<br />

attribué à l’absence d’une politique vigoureuse d’affirmation non seulement de la<br />

potestas royale mais également de sa voluntas sur les élections épiscopales.<br />

2.1.2- L’affirmation de la voluntas regis : une version du renforcement de la potestas<br />

regis face à l’essor de la libertas ecclesiae ?<br />

À partir de 1200, en effet, les positions de l’Église anglo-normande tendent à se<br />

durcir et le discours de la voluntas regis qui avait été considéré pratiquement comme un<br />

droit au milieu du XII e siècle tend à disparaître 169 . Selon Jorg Peltzer, alors qu’au milieu<br />

du XII e siècle, l’affirmation de la voluntas relevait du ius commune, au début du XIII e<br />

siècle, il ne véhiculait plus l’idée d’un droit électoral du prince 170 . Déjà John Jolliffe et<br />

166 PELTZER, J., « Les évêques de l'empire Plantagenêt et les rois angevins: un tour d'horizon », dans<br />

Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages, 2006, p. 461-484 cite GILLINGHAM, J.,<br />

« Problems <strong>of</strong> Integration within the Lands Ruled by the Norman and English Kings <strong>of</strong> England », dans<br />

Fragen der Integration im mittelalterlichen Europa, 2009; p. 85-136. Il en va de même en Bretagne, où la<br />

concurrence d’Arthur fut fatale à Jean qui ne put obtenir le soutien des évêques breton.<br />

167 PELTZER, J., « Les évêques de l'empire Plantagenêt et les rois angevins: un tour d'horizon », dans<br />

Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages, 2006, p. 461-484 cite Epistolarum regis Ludovici<br />

VII et variorum ad eum volumen dans RHF, XVI, p. 109, n°337.<br />

168 BOUTOULLE, F., « Hélie de Malemort, archevêque de Bordeaux: un prélat politique au service de<br />

Jean sans terre (1199-1207) », Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, 3e ser. 4<br />

(2004), p. 7-23.<br />

169 PELTZER, J., Canon Law, Careers and Conquest. Episcopal Elections in Normandy and Greater<br />

Anjou, c. 1140-c. 1230, 2008, p.73-74. Véronique Gazeau relève que cette voluntas s’exerça également<br />

pour mettre en place des abbés en Normandie. GAZEAU, V., Normannia monastica, 2007, I, p. 111 ; II,<br />

p. 136-137 souligne en particulier le cas des abbés de Grestain, Guillaume Huboud et de son successeur<br />

Raoul vraisemblablement installés par Henri II en 1185 et Richard en 1197, de volente rege.<br />

170 PELTZER, J., Canon Law, Careers and Conquest. Episcopal Elections in Normandy and Greater<br />

Anjou, c. 1140-c. 1230, 2008, p. 78-82, retrace l’évolution sémantique de cette notion de voluntas royale<br />

165


Sir James Holt avaient montré que la notion de voluntas royale concernant la<br />

nomination des candidats aux élections épiscopales et abbatiales avait changé<br />

significativement entre 1180 et 1210 171 . Alors qu’il relevait d’une fonction légale du<br />

prince, le terme de voluntas en vint à représenter la royauté agissant au-delà de la<br />

coutume établie et sans le consentement de la cour ou du conseil, ce qui provoqua le<br />

durcissement des résistances 172 . L’affirmation d’un gouvernement per voluntatem ou<br />

per preceptum qui tend à s’accentuer au cours de la période connaît alors un tournant au<br />

cours du règne de Jean. Les pipe rolls enregistrent en effet une inflation de ces<br />

expressions utilisées lors de confiscations ou en l’absence d’une procédure judiciaire<br />

normale 173 . Selon Jorg Peltzer, toutefois, cette conception ne peut s’appliquer à la<br />

situation continentale, où les évêques refusaient le principe de la voluntas comme mode<br />

de gouvernement, sans que celui-ci soit rattaché à un droit du prince.<br />

Géographiquement, les lignes de fracture entre les espaces où les Plantagenêt était<br />

capables ou non d’imposer leur voluntas sur les élections épiscopales recouvrent celles<br />

où l’affirmation de la potestas publica sur les châteaux inféodés fut plus ou moins<br />

efficace. Si l’expression des rapports de forces diffèrent, le contrôle des évêchés comme<br />

celui des châteaux constituent pourtant les deux facettes complémentaires du même<br />

processus de renforcement du pouvoir du roi sur ses territoires. Tandis que Philippe<br />

Auguste parvint à trouver un compromis avec l’épiscopat de son royaume, par<br />

l’ordonnance de 1190 qui autorisait le roi à conférer des regalia ou des biens temporels,<br />

Jean accumula les crispations en tentant de faire valoir ses droits de manière<br />

autoritaire 174 . Les confiscations des biens épiscopaux utilisées comme mode de sanction<br />

associée à celles de consensus et assensus dans le cadre des élections épiscopales ; cite DICETO, II, p.<br />

21.<br />

171 PELTZER, J., Canon Law, Careers and Conquest. Episcopal Elections in Normandy and Greater<br />

Anjou, c. 1140-c. 1230, 2008, p. 82 cite JOLLIFFE, J. A., Angevin kingship, 1963, p. 59-109; HOLT, J.<br />

C., Magna Carta, 1961, p. 75-122.<br />

172 De l’enquête prescrite par Philippe Auguste et achevée avant le mois de novembtre 1205, il ressort en<br />

effet que sous les règnes d’Henri II et Richard, les réformes conciliaires n’étaient pas entrées en vigueur<br />

en Normandie du moins celles qui concernaient la limitation des droits des patrons laïcs. L’ordonnance de<br />

1207 mit fin à cette situation. voir aussi MOLLAT, G., « Le droit de patronage en Normandie du XIe au<br />

XVe siècle », Revue d'Histoire Ecclésiastique, 33-34 (1937-1938), p. 463-484, 725-788,-21-69.<br />

173 HOLT, J. C., The Northerners, 1961, p. 187-93; HOLT, J. C., Magna Carta, 1961, p. 75-79, 112;<br />

HARRISS, G. L., King, parliament, and public finance in medieval England to 1369, 1975, p. 6-9, voir<br />

également BILLORÉ, M., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe - début XIIIe siècles). De<br />

l'autocratie Plantagenêt à la domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de Martin Aurell,<br />

2005, non publiée, p. 606-608. Cependant, il ne me semble pas pertinent de décrire ce renforcement de<br />

l’autorité royale en terme de « glissement …vers l’autocratie » ou des « pratiques opressives » voire<br />

tyranniques.<br />

174 BALDWIN, J. W., Philippe Auguste et son gouvernement: les fondations du pouvoir royal en France<br />

au Moyen Âge, 1994, p. 97-107.<br />

166


contre les chapitres insoumis, que ce soit à Sées en 1201, à Limoges en 1203 ou à York<br />

en 1207 soulignent la similarité des pratiques coercitives visant à affirmer la puissance<br />

publique du Plantagenêt sur toutes les formes d’insoumission à son autorité, qu’elles<br />

soient baronniales ou épiscopales. Les confiscations permettaient notamment au roi<br />

d’avoir une prise directe sur l’administration de l’évêché. En Angleterre et en<br />

Normandie cependant, cette emprise était possible grâce au droit dont disposaient les<br />

patrons laïcs de prendre la charge de la gestion des évêchés et les abbatiat pendant les<br />

périodes de vacance de plus de trois mois en nommant des clercs idoines comme<br />

recteurs 175 . Or la redéfinition de ces droits de patronage constituait l’un des principaux<br />

chantiers de la réforme grégorienne visant à la séparation des espaces des clercs et des<br />

laïcs.<br />

2.1.3- Résister aux redéfinitions du droit de patronage et sur les vacances<br />

épiscopales et abbatiales<br />

L’élaboration d’un ius patronatus au cours des XI e et XII e siècles fut le produit<br />

des tentatives ecclésiales visant à empêcher l’exercice d’un dominium laïque sur les<br />

monastères. Il s’agissait de faire entendre aux fondateurs d’églises qu’ils ne pouvaient<br />

revendiquer ni potestas ni dispositio sur les possessions de l’Église, celle-ci étant la<br />

prérogative des évêques 176 . La définition du ius patronatus fut l’aboutissement d’un<br />

glissement de la conception du droit de propriété non plus comme un droit sur le sol<br />

mais comme un droit personnel dérivant de la fondation : le jus fundi et la proprietas<br />

font place à la ratio piae fundationes et au jus fundationis vel patroni 177 . L’Église<br />

parvient ainsi à détacher le droit de patronage de sa base primitive qui était le droit de<br />

propriété pour en faire une simple concession de la part des autorités ecclésiastiques, et<br />

donc un droit relevant de la compétence des cours ecclésiastiques. Mais ces prétentions<br />

175 MOLLAT, G., « Le droit de patronage en Normandie du XIe au XVe siècle », Revue d'Histoire<br />

Ecclésiastique, 33-34 (1937-1938), p. 463-484, 725-788,-21-69 ; GAZEAU, V., Normannia monastica,<br />

2007.<br />

176 WOOD, S. M., English Monasteries and their Patrons in the Thirteenth Century, 1955, p. 2-3.;<br />

GRAY, J. W., « The Ius Praesentandi in England from the Constitutions <strong>of</strong> Clarendon to Bracton », The<br />

E.H.R., 67: 265 (1952), p. 481-509; LANDAU, P., Jus patronatus : Studien zur Entwicklung der<br />

Patronats im Dekretalenrecht und der Kanonistik der 12. und 13. Jahre, 1975; BALDWIN, J. W.,<br />

« Review <strong>of</strong> Ius Patronatus: Studien zur Entwicklung des Patronats im Dekretalenrecht und der<br />

Kanonistik des 12. und 13. Jahrhunderts », Speculum, 53: 1 (1978), p. 151-153; WOOD, S. M., The<br />

Proprietary Church in the Medieval West, 2006, cite MIGNE, J. P., Patrologiae cursus completus seu<br />

bibliotheca universalis, integra, uniformis, commoda, oeconomica, omnium ss. patrum, doctorum<br />

scriptorumque ecclesiasticorum, 1844-1865, C, p. 61 (col. 1095).<br />

177 THOMAS, P. L. J., Le droit de propriété des laïques sur les églises et le patronage laïque au Moyen<br />

Âge, 1906, p. 112, p. 161-163.<br />

167


n’entrèrent jamais en vigueur sur le terrain. C’est pourquoi les termes patronus et<br />

patronatus restèrent équivoques, pourvus de nombreuses acceptions jusqu’à la fin du<br />

Moyen Âge, où ils en finir par désigner couramment une faveur accordée par l’Eglise et<br />

non plus un droit de propriété détenu par les fondateurs et leurs héritiers sur un<br />

établissement monastique 178 . Si les principaux devoirs du patron étaient à peu près<br />

partout les mêmes et consistaient à réparer et entretenir l’église 179 , dans l’Angleterre du<br />

XII e siècle, les droits de patronage ressemblaient fortement aux services féodaux : ils<br />

permettaient aux fondateurs de disposer des revenus du monastère pendant les vacances<br />

abbatiales, ainsi que de droits formels dans les élections abbatiales, tandis que les<br />

communautés monastiques devaient à leur seigneur, le service de chevalerie,<br />

l’hospitalité, une sépulture ainsi que des messes et des prières pour les âmes de sa<br />

famille 180 . C’est en cela que le statut de patron diffère de celui de l’avoué, qui a pour<br />

seule fonction que de protéger le monastère sans avoir aucun droit d’ordre spirituel.<br />

Contrairement aux églises d’Anjou, d’Aquitaine et de Bretagne, qui étaient sous<br />

la protection du roi de France, les Plantagenêt étaient reconnus comme les protecteurs et<br />

défenseurs de toutes les églises d’Angleterre et de Normandie et disposaient des droits<br />

de patronage sur toutes les maisons royales et ducales, en tant qu’héritiers des<br />

fondateurs. Ce droit qui s’appliquait alors sur la plupart des grandes fondations<br />

bénédictines du royaume et du duché leur imposait notamment de prendre à charge la<br />

gestion des revenus des évêchés et des abbayes en vacances, une charge qui était<br />

affermée à des <strong>of</strong>ficiers qui devaient en rendre compte à l’Échiquier 181 . Associés au<br />

contrôle des élections, ces droits de patronage donnaient ainsi aux Plantagenêt en<br />

Angleterre et en Normandie la capacité de retarder parfois sur plusieurs années les<br />

élections et ainsi de disposer pendant un large laps de temps des revenus<br />

ecclésiastiques 182 . Sous le règne d’Henri II, si la plupart des dépenses de construction<br />

effectuées sur les revenus des évêchés en vacance étaient attribuées aux chantiers<br />

épiscopaux – les agents du roi ne faisant alors que se substituer à la gestion de l’évêque<br />

– ce n’est toutefois pas systématiquement le cas. Ainsi, pendant la vacance de l’évêché<br />

178 Ibid., notamment p. 105-159.<br />

179 Ibid., p. 105-159 C’est Alexandre III qui imposa ce devoir comme règle générale.<br />

180 HOLT, J. C., « Politics and property in early medieval England », Past & Present, 57 (1972), p. 3-52 ;<br />

181 HOWELL, M., « Abbatial vacancies and the divided mensa in medieval England », Journal <strong>of</strong><br />

Ecclesiastical History, 33: 2 (1982), p. 173-192; GAZEAU, V., « Les abbayes bénédictines de la<br />

Normandie ducale : lieux de pouvoir ou relais du pouvoir? », dans Les lieux de pouvoir au Moyen âge en<br />

Normandie et sur ses marges, 2006, p. 91-100.<br />

182 Une pratique largement répandue depuis la fin du XI e siècle: JARED, L. H., « English ecclesiastical<br />

vacancies during the reigns <strong>of</strong> William II and Henry I », Journal <strong>of</strong> Ecclesiastical History, 42: 3 (1991),<br />

p. 362-389; GARNETT, G., Conquered England, 2007, p. 52-63.<br />

168


d’Hereford entre 1167 et 1172, Henri II attribua des revenus de l’évêchés à la<br />

fortification des châteaux de Ruddlan, Monhalt et Prestatyn qui subissaient<br />

d’importantes pressions galloises 183 . De même en 1171, il fit réparer le château<br />

d’Arundel sur les revenus de l’évêché de Chichester et en 1173, il finance partiellement<br />

le chantier du château de Winchester sur les revenus de l’évêché et de Hyde abbey 184 .<br />

Pendant la vacance de l’abbaye de Glastonbury, Henri II finance entre autre les travaux<br />

au château de Carmarthen en Pays de Galles et du palais royal de Woodstock 185 . On<br />

pourrait multiplier les exemples 186 , mais ce qui est plus frappant c’est que la plupart des<br />

dépenses de constructions (près de £315) du prieuré de chartreux installé à Witham et<br />

une partie des sommes consacrées à l’abbaye d’Amesbury (£447), considérés comme<br />

des fondations expiatoires d’Henri II, après la pénitence d’Avranches en 1172,<br />

proviennent des revenus de l’évêché de Salisbury, d’Exeter, ainsi que de l’abbaye<br />

d’Abindgon et de Glastonbury alors en vacance pendant les années 1180 187 . On<br />

comprend mieux ainsi pourquoi Henri II fut particulièrement critiqué concernant la mise<br />

en place de ces fondations. Si à son avènement Richard met fin à ces longues vacances,<br />

il ne renonce pas pour autant à ses prérogatives et pourvoit lui-même les sièges vacants.<br />

Toutes ces élections furent faites selon l’article 12 des constitutions de Clarendon et par<br />

le concordat de Londres, désignant une commission chargée d’entériner la volonté<br />

royale 188 . Sous le règne de Jean, c’est surtout pendant la période de l’Interdit, de<br />

novembre 1207 à mai 1213, que les revenus épiscopaux furent mis au service de la<br />

Couronne. Jean fait ainsi réparer et construire les demeures royales d’Odiham,<br />

Clipstone et Woolmer et fait fortifier les châteaux de Norham, Tweedmouth, Bamburgh<br />

et Newcastle aux frontières de l’Écosse (au total £1060). Grâce à l’intégration des<br />

comptes d’évêchés et d’abbayes en vacance dans les rouleaux de l’Échiquier, on<br />

s’aperçoit également que nombre des travaux d’intérêt général comme les ponts et les<br />

enceintes urbaines étaient largement à la charge des autorités ecclésiastiques (voir<br />

183 PR 13 H.II, p. 77.<br />

184 PR 17 H.II, p . 135 ; 19 H.II, p. 30 : pro II miliarum bordorum parandam qui missi sunt ad domos<br />

regis Wintonie ; PR 19 H.II., p. 56 : £35 in reparatione murorum castelli de Wintonie.<br />

185 PR 27 H.II, p. 15.<br />

186 C’est notamment le cas des travaux effectués à Eagle en 1170 et 1172. Cet ancien manoir royal donné<br />

par Etienne à l’ordre du Temple en 1154, pour accueillir les templiers vieux ou infirmes, fut reconstruit<br />

dans ces années là, comme le montre les pipe rolls, qui enregistren près de £7 pour les travaux à la<br />

demeure et à la chapelle du vieux Temple, sur les revenus de l’évêchés de Lincoln. PR 16 H.II., p. 153 ;<br />

PR 18 H.II., p. 96; HOWELL, M., « Abbatial vacancies and the divided mensa in medieval England »,<br />

Journal <strong>of</strong> Ecclesiastical History, 33: 2 (1982), p. 173-192.<br />

187 PR 28 H.II, p. 115 ; 32 H.II, p. 117 ; 33 H.II, p. 187 ; 34 H.II, p. 185.<br />

188 PONTAL, O., « Les évêques dans le monde Plantagenêt », dans Y a-t-il une civilisation du monde<br />

Plantagenêt ?, 1986, p. 129-137.<br />

169


chapitre 3). Le contrôle des revenus épiscopaux et abbatiaux constituait donc un<br />

expédient extraordinaire mais non négligeable – ni négligé d’ailleurs – pour financer les<br />

constructions que ce soit des fortifications ou des fondations royales 189 . L’organisation<br />

et le contrôle des constructions sur le territoire s’appliquait en effet tout autant aux<br />

fondations monastiques qu’aux constructions militaires comme en témoigne l’attention<br />

particulière qu’Henri II accorda aux pratiques de refondations.<br />

2.2- Les refondations comme pratique politique<br />

Les avantages que procurait la reconnaissance du statut de patron d’abbaye<br />

expliquent donc l’enjeu qu’il y avait à se faire reconnaître les droits de patronage y<br />

compris en refondant des abbayes aux origines contestées. De fait, les refondations de<br />

monastère devinrent une pratique courante au cours du XII e siècle, considérée comme<br />

une méthode adaptée à la nouvelle réalité monastique, marquée par la saturation du<br />

réseau et la rareté des terres qui rendaient toute fondation ex fundamentis de plus en plus<br />

difficile 190 . Henri I er et Étienne de Blois, par exemple, avaient réutilisé des sites<br />

existants pour y installer de nouvelles communautés : ainsi l’abbaye cistercienne de<br />

Mortemer, dans la forêt de Lyons, n’était autre chose que la réforme du prieuré<br />

bénédictin de Beaumont-le-Perreux, de même que l’abbaye de Reading (Berkshire), qui<br />

conserve la sépulture d’Henri I er fut avant tout le rassemblement de statuts et de terres<br />

des maisons de Cholsey et Leominster, alors en déclin 191 . À cette date, le concept de<br />

fundator ne distinguait pas les différents acteurs d’une fondation et désignait aussi bien<br />

celui qui finançait la construction d’un nouveau couvent que celui qui permettait<br />

l’installation d’une nouvelle communauté ou encore celui qui ne faisait que bénéficier<br />

des droits héréditaires que lui conférait le patronage de ses ancêtres, c'est-à-dire<br />

principalement de choisir les candidats à l’élection abbatiale et de jouir de ses revenus<br />

pendant la période de vacance. Les refondations permettaient ainsi d’accéder à un<br />

certain nombre de droits sur la communauté monastique à moindres frais.<br />

La refondation d’un monastère était réglementée par le droit canon et la simple<br />

confirmation et l’extension des dotations ne permettait pas de s’attribuer le titre de<br />

189 C’est d’ailleurs pour contourner les éventuelles prédations royales, que se mit en place<br />

progressivement au cours du XIIIe siècle, la séparation des menses ecclésiastiques. HOWELL, M.,<br />

« Abbatial vacancies and the divided mensa in medieval England », Journal <strong>of</strong> Ecclesiastical History, 33:<br />

2 (1982), p. 173-192.<br />

190 HALLAM, E. M., « Henry II as a founder <strong>of</strong> monasteries », Ibid., 28 (1977), p. 113-132.<br />

191 Ibid.<br />

170


fondateur 192 . Seule la reconstruction de fond en comble autorisait le changement de<br />

vocable et de patronage. Parce que cette pratique, répandue sous le règne des<br />

Plantagenêt, entrait fréquemment en concurrence avec droits des familles fondatrices, il<br />

n’est pas surprenant de voir que sa restriction faisait partie des revendications des<br />

barons en 1215 193 .<br />

En plaçant son fondateur au cœur d’un réseau de relations personnelles et<br />

locales, le patronage d’une maison monastique constituait donc un instrument<br />

d’influence sur la communauté honoriale et sur son territoire 194 . La communauté<br />

spirituelle était en effet liée au réseau des donateurs, généralement constitué par les liens<br />

de fidélités et d’amitiés qu’entretenait la famille du fondateur avec la société locale. Les<br />

refondations, au même titre que les confiscations, constituaient donc des instruments<br />

permettant d’affaiblir au pr<strong>of</strong>it du roi l’influence baronniale sur les territoires de son<br />

honneur. Toutefois, si cette pratique était courante en Angleterre, l’organisation de la<br />

féodalité sur le continent ne donnait pas au roi-duc les mêmes droits et les tentatives<br />

d’appropriations se heurtèrent à de fortes résistances.<br />

2.2.1- Les refondations de Mathilde et Henri<br />

Selon Marjorie Chibnall, les pratiques d’affirmation des droits d’un seigneur sur<br />

la fondation de son vassal ne sont pas surprenantes dans le contexte d’instabilité<br />

politique des années 1135-1154 195 . L’historienne signale ainsi plusieurs chartes de<br />

Mathilde l’Empresse pour des maisons religieuses anglaises, confirmées par Henri II,<br />

qui avaient pour but de neutraliser les dons d’Étienne effectués sur les revenus de la<br />

Couronne en refusant de reconnaître leur légitimité. À plus d’une occasion, elle et son<br />

fils prirent l’initiative d’une nouvelle fondation favorisée par Étienne et la refondèrent<br />

sur un nouveau site. C’est le cas des ermites installés à Radmore qui constituèrent le<br />

noyau de l’abbaye cistercienne de Stoneleigh dans la forêt de Cannock<br />

192 FOREVILLE, R., « Tradition et renouvellement du monachisme dans l'espace Plantagenêt au XIIe<br />

siècle », dans Y a-t-il une civilisation du monde Plantagenêt ?, 1986, p. 61-73.<br />

193 HOLT, J. C., « Politics and property in early medieval England », Past & Present, 57 (1972), p. 3-52.<br />

194 COWNIE, E., Religious patronage in Anglo-Norman England, 1066-1135, 1999 ; COWNIE, E.,<br />

« Religious patronage and lordship: the debat on the nature <strong>of</strong> the honor », dans Family Trees and the<br />

Roots <strong>of</strong> Politics. The Prosopography <strong>of</strong> Britain and France from the Tenth to the Tweltfh Century, 1997,<br />

p. 133-146; pour la normandie voir: GAZEAU, V., « Les abbayes bénédictines de la Normandie ducale :<br />

lieux de pouvoir ou relais du pouvoir? », dans Les lieux de pouvoir au Moyen âge en Normandie et sur<br />

ses marges, 2006, p. 91-100.<br />

195 CHIBNALL, M., « The Empress Mathilda and Church Reform », T.R.H.S., 38 (1988), p. 107-130.<br />

171


(Staffordshire) 196 ou encore des chanoines arrouaisiens de Donnington Wood qui furent<br />

transférés à Lilleshall 197 . Le cas de refondation le plus célèbre est celui de l’abbaye<br />

cistercienne de Bordesley dans le Worcestershire. Au début de son règne, Étienne de<br />

Blois avait récompensé le comte Waléran de Meulan († 1166) pour son soutien en lui<br />

concédant de nombreuses terres que ce dernier utilisa pour fonder l’abbaye cistercienne<br />

de Bordesley 198 . Après la victoire de Mathilde à Lincoln, plutôt que de faire détruire la<br />

florissante maison cistercienne de son rival, qui risquait de lui aliéner le soutien de<br />

l’Église, Mathilde opta pour sa refondation. Elle ne pouvait en effet reconnaître cette<br />

fondation sans reconnaître la légitimité du don royal qui en était à l’origine. Waléran dut<br />

témoigner de la nouvelle charte de fondation et l’abbé qui était un ami de Waléran resta<br />

en place, mais à partir de ce moment, Bordesley devint une abbaye royale 199 . Dans une<br />

charte qu’Henri II émet à Rouen entre 1156 et 1159, il confirme la fondation de<br />

Bordesley comme une œuvre commune de Mathilde et de lui-même pour le salut de ses<br />

ancêtres et successeurs et pour « la stabilité et la paix du royaume d’Angleterre » (pro<br />

stabilitate et pace regni) ou encore pour l’état et la préservation du royaume » (pro statu<br />

et incolumitate regni) 200 . L’enjeu de cette refondation est ainsi clairement explicité et<br />

justifié. Cette mention revient dans de nombreuses chartes du début du règne d’Henri II,<br />

c’est le cas notamment des confirmations qu’il concède à l’abbaye cistercienne de<br />

Coggeshall qui avait été fondée par Étienne et sa femme Maud, entre 1137 et 1142 201 ;<br />

du prieuré de Saint-Martin de Douvres, lieu de la mort d’Étienne de Blois 202 ; de<br />

196<br />

Ibid. cite Regesta Regum Anglo-Normannorum, 1066-1154. III. Regesta Regis Stephani ac Mathildis<br />

Imperatricis ac Gaufridi et Henrici Ducum Normannorum, 1135-1154, 1968 n° 838-840.<br />

197<br />

Ibid. n° 460-462.<br />

198<br />

CHIBNALL, M., art. cit., p. 107-130.<br />

199<br />

Recueil des actes d’Henri II I, p 65, n° LVII, p. 221-2, n° CXVII, p 383-384, n° CCXXXVI.<br />

200<br />

VINCENT, N., « Regional variations in the Charters <strong>of</strong> King Henry II (1154-89) », dans Charters and<br />

charter scholarship in Britain and Ireland, 2005, p. 70-119; VINCENT, N., « The pilgrimage <strong>of</strong> the<br />

Angevin kings <strong>of</strong> England 1154-1272 », dans Pilgrimage. The English experience from Becket to Bunyan,<br />

2002, p. 12-45 souligne également le role de cette expression dans la capacité que les Plantagenêt avaient<br />

à se revendiquer comme des intérecesseurs pour obtenir de Dieu la paix du royaume, un rôle qui les<br />

plaçaient dans la continuité des aspirations sacrales de leurs prédécesseurs anglo-saxon. Recueil des actes<br />

d’Henri II , I, n°CXVII, Acta Plantagenêt (69H) : Sciatis dominam et matrem meam Matill(idem)<br />

imperatricem et me fundasse abbatiam de Bordeslegha de ordine Cisterciensi in honore beate virginis<br />

Marie pro amore Dei et pro anima regis H(enrici) aui mei et com(itis) G(alfridi) And(egauorum) patris<br />

mei et aliorum parentum et antecessorum nostrorum et pro salute nostra et heredum nostrorum et pro<br />

stabilitate et pace regni Anglie.<br />

201<br />

‘Houses <strong>of</strong> Cistercian monks: Abbey <strong>of</strong> Coggeshall', A History <strong>of</strong> the County <strong>of</strong> Essex: Volume 2<br />

(1907), p. 125-129. URL: http://www.british-history.ac.uk/report.aspx?compid=39835; Ibid., I, n°<br />

CLXXXV, Acta Plantagenêt (2244H): Sciatis me suscepisse in manu et protectione et propria elemosina<br />

mea abbatiam de Coggeshal'b et omnes res et possessiones suas pro salute anime mee et parentum,<br />

antecessorum et successorum meorum et regni mei stabilitate…<br />

202<br />

Acta Plantagenet (1006H): Sciatis me dedisse et in perpetuum concessisse ecclesie sancti Martini de<br />

Douorr' et monachis ibidem Deo seruientibus pro Dei amore et salute anime mee et pro incolumitate<br />

172


l’abbaye de Flaxley, une fondation de Roger Earl <strong>of</strong> Hereford, dont Henri II hérita<br />

manifestement de ses droits de patronage, comme l’enregistrent les pipes rolls à partir<br />

de 1160 203 ; de l’abbaye de Grimsby qui avait été fondée par Henri I er et dont Henri II<br />

par sa charte se réaffirmait le patron sans doute pour faire face aux prétentions de<br />

Ranulf de Chester et Ge<strong>of</strong>froy de Trussebut qui en étaient les principaux donateurs 204 ;<br />

de l’abbaye de Margam en Pays de Galles et bien d’autres encore 205 .<br />

C’est le cas notamment d’une autre célèbre refondation où s’affrontèrent à<br />

nouveau, quelques années plus tard, Waléran de Meulan et Mathilde. La charte de<br />

refondation de l’abbaye du Valasse est ainsi justifiée par la nécessité de garantir « la<br />

stabilité et de la paix d’Angleterre et de la Normandie » 206 . David Crouch inscrit<br />

l’épisode de la fondation de l’abbaye du Valasse par Waléran dans le contexte des<br />

années 1150 qui caractérise sa perte d’influence en Normandie, après l’accession<br />

d’Henri au duché 207 . Les difficultés commencèrent dès que fut connue la décision du<br />

comte de Meulan de fonder une nouvelle abbaye cistercienne, à son retour de croisade.<br />

Le site choisi était alors convoité par les abbayes de Bernay et Mortemer. Le récit de<br />

cette fondation est bien connu grâce à la Chronicon Valassense rédigées par un moine<br />

de l’abbaye à la fin du XII e siècle 208 . Pour résoudre le litige, Waléran dut accepter de<br />

transférer la tutelle de la nouvelle communauté qu’il avait initialement confiée à l’abbé<br />

de Bordesley à l’abbaye royale de Mortemer. Ce transfert signifiait donc que Waléran<br />

puerorum meorum et stabilitate regni mei… ; HAINES, C. R., Dover Priory: A History <strong>of</strong> the Priory <strong>of</strong><br />

St Mary the Virgin, and St Martin <strong>of</strong> the New Work, 1930.<br />

203<br />

Acta Plantagenêt (1328H) : locum qui dicitur Flexleyah ubi abbatia fundata est dej ordine<br />

Cisterciensik in honore beate virginis Marie pro amore Dei et pro anima regis Henr(ici)a aui mei et<br />

comitis Gaufridi Andeg(auorum) patris mei et Matildis imperatricis matris mee et aliorum parentum et<br />

antecessorum meorum et pro salute mea et heredum meorum et pro stabilitate et pace regni Angl(ie) ;<br />

PR 6 H.II., p. 28.<br />

204<br />

Acta Plantagenêt (3334H): concedo et confirmo predictis canonicis … pro salute anime mee et<br />

omnium antecessorum meorum et stabilitate regni mei sicut Henr(icus) auus meus eis dedit et concessit<br />

et cartis suis confirmauit ; 'Houses <strong>of</strong> Austin canons: The abbey <strong>of</strong> Grimsby or Wellow', A History <strong>of</strong> the<br />

County <strong>of</strong> Lincoln: Volume 2 (1906), p. 161-163. URL: http://www.britishhistory.ac.uk/report.aspx?compid=38017.<br />

205<br />

Acta Plantagenêt (272H): Sciatis me concessisse et presenti carta confirmasse ecclesie sancte Marie<br />

de Margan et monachis ibidem Deo seruientibus pro stabilitate et pace regni mei. Parmi les autres<br />

établissements on peut compter le prieuré St Barthélémy de Londres, l’abbaye de Mortemer, l’abbaye<br />

d’Osney, ChristChurch d’Oxford.<br />

206<br />

Actas Plantagenet (579H): Sciatis me et dominam matrem meam M(atildem) imperatricem H(enrici)<br />

regis filiam fundasse abbatiam sancte Marie de Voto de ordine Cisterc(iensi) pro amore Dei et pro anima<br />

predicti regis aui mei et pro anima G(alfridi) com(itis) Andeg(auorum) patris mei et aliorum parentum et<br />

antecessorum nostrorum et pro salute nostra et heredum nostrorum et pro stabilitate et pace Angl(ie) et<br />

Norm(annie).<br />

207<br />

CROUCH, D., The Beaumont Twins. The Roots and Branches <strong>of</strong> Power in the Twelfth Century, 1986,<br />

p. 69-71<br />

208<br />

SOMMÉNIL, F. et DU MONSTIER, A., Chronicon valassense, 1868.<br />

173


acceptait de fonder une abbaye pr<strong>of</strong>itant indirectement aux intérêts du duc, avec lequel<br />

il entretenait des relations plutôt conflictuelles. L’ambiguïté de la situation fut redoublée<br />

par l’importance des terres que Mathilde donna pour permettre à la communauté de<br />

s’installer, arguant pour cela un vœu qu’elle avait fait lorsqu’elle était en danger lors du<br />

siège d’Oxford 209 . Selon David Crouch, cette stratégie visait à rallier le comte de<br />

Meulan au parti Plantagenêt, mais Waléran comprit surtout que Mathilde tentait de<br />

s’approprier sa fondation. Par l’intermédiaire de l’archevêque de Rouen, le comte de<br />

Meulan fut invité à renoncer à ces droits sur la fondation au pr<strong>of</strong>it de l’Empresse et ne<br />

fut pas même tenu au courant de l’arrivée des moines de Mortemer le 12 juin 1151, ni<br />

même invité à la dédicace et à l’intronisation du premier abbé. De dépit, le comte<br />

ordonna donc que la grange et les vignes qu’il avait concédées à l’abbaye dans le comté<br />

de Meulan soient reprises, avant de revenir sur cette décision un an plus tard, sur les<br />

prières des moines. Si Marjorie Chibnall préfère nuancer la présentation manipulatrice<br />

de Mathilde proposée par David Crouch, arguant la sincérité probable du vœu de<br />

Mathilde, elle reconnaît que cette fondation s’inscrit clairement dans le contexte de<br />

méfiance des Plantagenêt vis-à-vis du comte de Meulan et de son intérêt marqué pour la<br />

cour capétienne 210 . La soumission du comte à l’autorité ducale devait ainsi prouver sa<br />

loyauté et sa fidélité. Par ailleurs, le rôle spécifique tenu par Mathilde l’Empresse<br />

rappelle la place des femmes dans l’initiative des fondations monastiques en général<br />

mais aussi qu’elle fut aussi une véritable actrice de la politique de territorialisation du<br />

pouvoir royal.<br />

Henri II ne se limita pas cependant aux refondations, mais utilisa également les<br />

fondations et l’installation de nouvelles communautés au cours des années 1150,<br />

comme instrument de conquête notamment en les installant dans les marges des régions<br />

qu’il contrôlait. Cette pratique faisant des monastères des éléments intégrés au<br />

processus de « colonisation » s’était répandue en Angleterre depuis la fin du XI e<br />

siècle 211 . Ainsi, après l’échec de la tentative d’installer des chanoines Augustiniens à<br />

Wallingford, il fonde en commun avec sa mère l’abbaye cistercienne de Loxwell<br />

(Wiltshire) en 1151, qu’Henri II fera transférer en 1154 à Stanley, à la frontière du<br />

209 Ibid., p. 12.<br />

210 CHIBNALL, M., « The Empress Mathilda and Church Reform », T.R.H.S., 38 (1988), p. 107-130<br />

211 COWNIE, E., « Religious patronage and lordship: the debat on the nature <strong>of</strong> the honor », dans Family<br />

Trees and the Roots <strong>of</strong> Politics. The Prosopography <strong>of</strong> Britain and France from the Tenth to the Tweltfh<br />

Century, 1997, p. 133-146.<br />

174


puissant honneur de Gloucester, dans les marches galloises 212 . Le choix de tel ou tel<br />

ordre religieux avait également semble-t-il des implications politiques. C’est ce que<br />

Lindy Grant et Janet Burton ont suggéré notamment dans l’installation des<br />

communautés savignienne ou cistercienne en Angleterre sous le règne d’Étienne 213 .<br />

Alors qu’il était encore comte de Mortain, Étienne avait favorisé l’essor de l’abbaye de<br />

Savigny tandis que Mathilde et Henri II s’appuyèrent davantage sur l’ordre des<br />

cisterciens pendant la guerre civile. Mais les cisterciens parvinrent progressivement à<br />

s’attirer le patronage des barons des deux partis opposés et en 1147, ils intégrèrent les<br />

maisons de l’ordre de Savigny alors en déclin. L’introduction d’un couvent de<br />

Fontevriste par Mathilde dans ces mêmes années (1147-1155) à Nuneaton devait<br />

également instaurer de nouveaux liens entre le monachisme anglais et angevin 214 . En<br />

Aquitaine, Henri II prolonge cette action, avec l’aide de sa femme Aliénor, en installant<br />

de nombreuses communautés notamment de grandmontains, un ordre limousin, dans les<br />

espaces les moins bien contrôlés du Poitou (voir infra). C’est d’ailleurs autour de la<br />

fondation de l’une de ces communautés grandmontines qu’Henri II rencontre la<br />

résistance de l’un des plus puissants seigneurs d’Anjou, Étienne de Marçay, qui<br />

occupait alors la fonction de sénéchal 215 . Dans quelle mesure ce conflit résulte-t-il de la<br />

transformation des rapports entre le roi et ses <strong>of</strong>ficiers ou plus exactement en quoi<br />

l’ambiguïté sur laquelle il repose est-elle symptomatique du renforcement du pouvoir<br />

territorial du roi ?<br />

2.2.2- Henri II, les fondations de ses <strong>of</strong>ficiers et la reconnaissance du droit du roi<br />

En vertu des responsabilités que lui conférait sa fonction de sénéchal, Étienne de<br />

Marçay fut mêlé à presque toutes les constructions comtales entreprises en Anjou au<br />

cours du règne d’Henri II. À l’instar de la Normandie, l’Anjou possédait un <strong>of</strong>fice de<br />

sénéchal depuis le XI e siècle. Selon Jacques Boussard, si les premières mentions d’un<br />

<strong>of</strong>fice de sénéchal attaché à maison des comtes d’Anjou apparaissent autour de 1060 et<br />

1080, l’évolution de cet <strong>of</strong>fice en une véritable fonction de « vice-comte » se situerait<br />

212 CHIBNALL, M., « The Empress Mathilda and Church Reform », T.R.H.S., 38 (1988), p. 107-130, cite<br />

KNOWLES, D. et HADCOCK, R. N., Medieval Religious Houses : England and Wales, 1971.<br />

213 GRANT, L., « The Architecture <strong>of</strong> the Early Savignacs and Cistercians in Normandy », dans A.N.S.,<br />

1987, p. 111-143; GRANT, L., Architecture and Society in Normandy, 1120-1270, 2005, p. 23;<br />

BURTON, J., « English Monasteries and the Continent in the Reign og King Stephen », dans King<br />

Stephen's Reign(1135-1154), 2008, p. 98-114.<br />

214 Ibid. cite , p. 123-124, 165.<br />

215 LEVESQUE, J. (éd.), Annales ordinis Grandimontis. Nunc primùm editi & in hanc epitomen redacti,<br />

1662.<br />

175


sous le règne d’Henri II, entre 1165 et 1180 216 , c'est-à-dire au moment où Étienne de<br />

Marçay, qu’Henri II avait choisi au sein de la petite aristocratie de Touraine, devint<br />

sénéchal après avoir été chambellan du roi, (il apparaît dans les pipe rolls en 1158 sous<br />

ce titre) et gardien du trésor royal de Chinon 217 . Alors que le sénéchal ne possédait<br />

qu’une délégation de pouvoirs lui permettant de n’agir que de manière ponctuelle et sur<br />

ordres du roi, ses pouvoirs de représentation devinrent permanents à partir des années<br />

1170 et s’étendirent notamment à la charge de gardien de tous les châteaux comtaux 218 .<br />

En tant que garant du maintien de l’ordre et de la surveillance de la bonne gestion des<br />

domaines royaux, il était responsable des prévôts qui vers la fin du XII e ont<br />

définitivement éclipsé les anciens voyers. Ils étaient localement chargés d’administrer<br />

les biens du comte, de percevoir les droits, de rendre la justice, dans le ressort de leurs<br />

circonscriptions. Ces transformations administratives sont vraisemblablement à<br />

l’origine du conflit qui oppose Henri II et son sénéchal à propos du patronage de<br />

plusieurs fondations : la chartreuse du Liget, l’hôpital Saint-Jean et la celle<br />

grandmontine de la Haye-aux-Bonshommes à Angers. Henri II refusa en effet de<br />

reconnaître qu’Étienne avait fondé ces établissements à titre personnel et exigea qu’ils<br />

soient restitués au patronage royal.<br />

La fondation du prieuré du Liget est connue par une charte, sans doute émise<br />

vers 1176-83, dans laquelle l’abbé de Villeloin est chargé d’installer les chartreux sur le<br />

site connu sous le nom du Liget (locum illum qui vulgo Ligetum appelatur). Pour cela, il<br />

reçoit du roi cent livres angevines d’une rente tenue par deux hommes (alietos) à<br />

Crepdone (Chédigny ?) 219 . Dans le contexte du milieu des années 1170, il n’est pas<br />

impossible qu’Henri II ait cherché à s’associer à son sénéchal pour créer une nouvelle<br />

fondation. Henri et Étienne apparaissent en effet comme les deux instigateurs de la<br />

chartreuse :<br />

216 BOUSSARD, J., Le Comté d'Anjou d'Henri Plantegenêt à la conquête de Philippe Auguste, 1932 ;<br />

HALPHEN, L., Le comté d'Anjou au XIe siècle, 1906.<br />

217 KINGSFORD, C. L. r. et TURNER, R. V., « Etienne de Tours », DNB, cite PR 4 H.II, p. 125, 137,<br />

168; Recueil des actes d’Henri II , Introduction, p. 459-460.<br />

218 BOURNAZEL, É., « Société féodale et fonction publique (fin Xe milieu XIIIe siècle) », dans Histoire<br />

de la fonction publique en France, 1993, p. 115-309.<br />

219 Acta Plantagenet, Henry II (5116H) cite Tours AD Indre-et-Loire H167 (Cartulaire du Liget) f°.124rv'<br />

; MARTENE, E. et DURAND, U., Thesaurus novus anecdotorum V SS. Patrum, aliorumque auctorum<br />

ecclesiasticorum omnium fere saecalorum, à quarto cad decimum quartum opuscula, 1968, I, col.570 ;<br />

voir aussi MUNTEANU, V., The cycle <strong>of</strong> frescoes <strong>of</strong> the Chapel <strong>of</strong> Le Liget, 1978, p. 19.<br />

176


Par charité et par les prières du seigneur Henri roi d’Angleterre, duc<br />

de Normandie et comte d’Anjou et les prières du seigneur Étienne<br />

sénéchal. 220<br />

Cependant, dans la liste des témoins de la charte, Étienne de Marçay n’est plus<br />

que « légat du roi » (legatis ipsius regis Stephano senescalco). Est-ce à ce titre qu’il est<br />

mentionné comme le fondateur du lieu aux côtés d’Henri II, où à titre personnel ? Au<br />

moment où se développait les légations pontificales, le titre de « légat » attribué à<br />

Étienne dans cette charte visait-elle à souligner la délégation de pouvoir régalien dont il<br />

était porteur pour cette fondation ? Le simple titre de sénéchal, était-il trop ambigu pour<br />

justifier l’autorité royale sur la fondation de son <strong>of</strong>ficier, dont le statut était également<br />

considéré comme un titre ?<br />

Dans la charte de confirmation émise par Henri II, au Mans dans les années<br />

1180, Étienne apparaît parmi les testateurs d’un acte qui ne mentionne pas<br />

spécifiquement qu’il s’agit d’une fondation royale 221 . La formulation est alors celle<br />

d’une simple charte de confirmation contrairement aux chartes qu’Henri II émet pour la<br />

fondation de l’hôpital Saint-Jean d’Angers. Dans les deux chartes de confirmation de<br />

l’hôpital qu’il émet à Valognes entre 1180 et 1183, et au Mans, dans les mêmes années,<br />

Henri II parle en effet explicitement de « sa fondation » :<br />

Sachez que je donne et confirme pour l’amour de Dieu et le salut de<br />

mon âme et pour celles de mes ancêtres et de mes successeurs, cette<br />

présente charte confirmant à Dieu et aux pauvres du Christ du lieu<br />

dans lequel est fondé la maison dieu à Angers à coté de la fontaine<br />

Saint-Laurent c'est-à-dire la maison que j’ai fondée de ma propre<br />

aumône pour l’honneur de Dieu et pour accueillir les infirmes … 222<br />

220<br />

Ibid. : Intuitu caritatis et precibus domini Henrici regis Anglie ducis Normannie comitis Andegauie et<br />

prece domini Stephani senescalci…<br />

221<br />

LE COUTEULX, C. (éd.), Annales ordinis Cartusiensis, ab anno 1084 ad annum 1429, 1887-1891, II,<br />

p. 454; Recueil des actes d’Henri II , II, p. 373-74, n° DCCXLII cite AD Indre-et-Loire H167 (Liget<br />

cartulary) f°123r. : Sciatis me concessisse et presenti carta mea confirmasse Deo et ecclesie sancte Marie<br />

et sancti Iohannis Baptiste de Ligeto et monachis et fratribus ordinis Cart(usiensis) ibidem Deo<br />

seruientibus locum ipsum de Lig' in liberam et perpetuam elemosinam pro salute anime mee et<br />

antecessorum et successorum meorum.<br />

222<br />

PORT, C., Cartulaire de l'hôpital Saint-Jean d'Angers, précédé d'une notice historique sur cet Hôtel-<br />

Dieu, 1870 pp. IV-V, n° 4; Recueil des actes d’Henri II , II, p. 206-207, n° DCIV: Sciatis me pro Dei<br />

amore et pro salute anime mee et pro animabus omnium antecessorum et successorum meorum dedisse et<br />

concessisse et presenti carta mea confirmasse Deo et pauperibus Cristi situm loci in quo fundata est<br />

domus Dei apud Andegauis iuxta fontem sancti Laurenciiquam scilicet domum ego in honore Dei ad<br />

hospitalitatem egenorum et ad eorum inopiam releuandam de propriis elemosinis meis fundaui.<br />

177


Cette charte de fondation signée à Valognes est très proche de celle qui fonde en<br />

même temps l’hôpital du Mans, reconnu comme une fondation royale 223 . Toutes deux<br />

portent la même liste de témoins, exception faite d’Étienne qui atteste la charte pour<br />

l’hôpital du Mans mais pas celle pour l’hôpital d’Angers, témoignant ainsi son refus à<br />

reconnaître l’origine royale de cette fondation, qu’il considérait comme la sienne. Dans<br />

la seconde charte de confirmation de l’hôpital Saint-Jean émise au Mans, Henri déclare<br />

non seulement qu’il a fondé l’hôpital de sa propre aumône mais qu’il en est également<br />

le constructeur :<br />

Sachez que pour le salut et la rédemption de l’âme de mon père et de<br />

ma mère et pour le salut et la rédemption de mon âme et de mes<br />

prédécesseurs, j’ai fondé et construit à Angers, à coté de la fontaine<br />

Saint-Laurent, un hôpital en l’honneur de Dieu et pour le soin et la<br />

guérison des pauvres du Christ 224 .<br />

Ce qui devait apparaître comme la version <strong>of</strong>ficielle de l’histoire transparaît dans<br />

certaines chartes de donation pour l’hôpital comme celle du chevalier Foulques de<br />

Mastaz, dans laquelle il est dit que l’hôpital fut « fondé par le roi des anglais sur les<br />

conseils d’Étienne son sénéchal d’Anjou » 225 , mais cette version continue d’être<br />

contestée, notamment au sein de la famille du sénéchal. Une charte de Philippe de<br />

Ramefort, le fils d’Étienne, en faveur de l’hôpital qualifie en effet son père de fundator<br />

et compositor. Ces deux mentions montrent que l’enjeu ne se situait pas seulement sur<br />

la reconnaissance du patronage de la fondation mais également sur sa construction 226 .<br />

L’architecture mise en œuvre à Saint-Jean d’Angers qui en faisait l’un des édifices les<br />

plus admirés de la vallée de la Loire explique sans doute pourquoi les rivalités portaient<br />

également sur la reconnaissance du fondateur comme maître d’ouvrage 227 . Les voûtes<br />

de la grande salle présentent un pr<strong>of</strong>il que les historiens d’art ont souvent qualifié de<br />

« style Plantagenêt » parce qu’il se retrouve dans de nombreux édifices d’Anjou et du<br />

223 Ibid., II, p. 207-208, n°DCV: confirmasse Deo et pauperibus Christi situm loci in quo fundata est<br />

domus Deiu apud Cenom[amnnum] quam scilicet domum ego in honore Dei ad hopitalem egenorum et<br />

ad eorum inopiam relevandam de propriis elemosinis meis fundavi.<br />

224 .PORT, C., Cartulaire de l'hôpital Saint-Jean d'Angers, précédé d'une notice historique sur cet Hôtel-<br />

Dieu, 1870, p 106, n°V ; Recueil des actes d’Henri II , II, p 242-43. n° DCXXXII : Sciatis me, pro salute<br />

et redemptione animarium patris et matris mee et pro salute ac redemptione anime mee et antecessorum<br />

meorum, fundasse et construxisse apud Andeg(avim), juxta fontem Sancti Laurentii, hospitale quoddam in<br />

honore Dei ad sustentamentum et relevationem pauperum Christi.<br />

225 PORT, C., Cartulaire de l'hôpital Saint-Jean d'Angers, précédé d'une notice historique sur cet Hôtel-<br />

Dieu, 1870, p. 108 n° IX : quam dominus rex Anglorum fundavit et Stephanus siniscallus Andegavensis<br />

ipsius precepto.<br />

226 Ibid., p. 110, n° XV.<br />

227 MUSSAT, A., L'architecture gothique dans l'Ouest de la France aux douzième et treizième siècles,<br />

1963.<br />

178


Poitou construits dans la seconde moitié du XII e siècle et sont souvent liés au patronage<br />

des Plantagenêt, comme entre autre l’Hôtel Dieu de Coëffort au Mans et la cathédrale<br />

Saint-Pierre de Poitiers. Qu’Henri II ait voulu être associé à la belle fondation de son<br />

sénéchal, notamment dans le contexte d’expiation du meurtre de Thomas Becket<br />

apparaît donc évident, mais il est impossible de mesurer son implication réelle dans<br />

cette fondation. Le terrain de l’hôpital fut en effet cédé par l’abbesse du Ronceray à<br />

Étienne de Marçay et cette donation fut confirmée par une bulle du pape Alexandre III<br />

en 1181, adressée aux « frères de l’aumônerie construite par le sénéchal Étienne », une<br />

expression qui témoigne donc plutôt en la faveur d’Étienne de Marçay 228 .<br />

Pour le prieuré grandmontain de la Haye-aux-Bonshommes situé à Avrillé près<br />

d’Angers, plusieurs documents témoignent également en faveur d’Étienne et de son<br />

frère Reginald de Vou qui obtiennent deux bulles pontificales reconnaissant leur<br />

fonction de fondateurs 229 . En 1186, Urbain III envoie une lettre à ses dilectis filiis<br />

leprosiis domus de Haya dans laquelle il leur accorde « la protection de saint Pierre<br />

ainsi qu’au chevalier Reginald de Vou et à son frère qui vous ont apporté cette maison<br />

par piété et à vous qui la possédez sans conteste » 230 . Dans les annales de l’ordre,<br />

cependant, un passage s’appuyant sur l’obituaire de La Haye rappelle un don<br />

qu’Henri II fit au prieuré « dont il avait été le fondateur » 231 . Il ne faut pas oublier<br />

cependant que l’ordre de Grandmont fut particulièrement actif, y compris dans la<br />

réécriture des chartes de fondation, pour attribuer des origines royales à leurs fondations<br />

(voir infra) 232 . Par ailleurs, Richard, sans doute animé par la haine qu’il portait contre<br />

l’<strong>of</strong>ficier de son père, ne manqua pas d’inclure le prieuré de La Haye dans la charte de<br />

228 PORT, C., Cartulaire de l'hôpital Saint-Jean d'Angers, précédé d'une notice historique sur cet Hôtel-<br />

Dieu, 1870, p. 91, n°XII ; p 105 n° III (bulle papale de 1181) ; p 106-107 n°VII et p. 109 n° XII.<br />

229 BECQUET, J., « Le bullaire de l'ordre de Grandmont », Revue Mabillon, 46-47 (1956-1957), p. 1-75-<br />

76-93; GRANT, L., « Le patronage architectural d'Henri II et de son entourage », C.C.M., 37 (1994), p.<br />

73-84 (p. 81 note 52).<br />

230 BECQUET, J., « Le bullaire de l'ordre de Grandmont », Revue Mabillon, 46-47 (1956-1957), p. 1-75-<br />

76-93, p. 91 n° 14 : ub beati Petri et nostra protection suscipimus specialiter autem ea que Renatus de<br />

Ueau miles et frater suus eidem domui pietatis intuitu contulerunt et vos sine controversia possidetis.<br />

231 LEVESQUE, J. (éd.), Annales ordinis Grandimontis. Nunc primùm editi & in hanc epitomen redacti,<br />

1662, p. 138 : ex liibris Hayae Andegavensis, constat eundem Amalricum aliam Crucis portionem dedisse<br />

Henrico II Angliae Regi, …, donavit Prioratui de Haya cuius fundator extiterat, sicut habetur in libro<br />

Obitatrii (Selon les livres de la Haye d’Angers, il est avéré que Amalric remit à Henri II d’Angleterre une<br />

autre portion de la croix… qu’il donna au prieuré de la Haye, dont il avait été le fondateur, comme le<br />

montre l’obituaire).<br />

232 HALLAM, E. M., « Henry II, Richard I and the order <strong>of</strong> Grandmont », J.M.H., 1: 2 (1975), p. 165-<br />

186; GABORIT, J. R., « L'architecture de l'ordre de Gammont", 1963.<br />

179


confirmation des fondations de son père, qu’il émit en 1196 233 ; une charte qui contribua<br />

largement à imposer le nom d’Henri II comme fondateur de La Haye.<br />

Si la volonté de s’associer aux fondations de son sénéchal était compréhensible<br />

dans les années 1170, pourquoi Henri II a-t-il tenté de se substituer complètement à<br />

Étienne de Marçay et de se faire reconnaître comme fondateur de ces établissements ?<br />

La chartreuse du Liget et l’hôpital d’Angers partagent une caractéristique commune<br />

avec La Haye : leur vocation charitable. En effet, le prieuré grandmontain à l’instar de<br />

la chartreuse était attaché à une léproserie. Y a-t-il alors un lien entre la revendication<br />

royale sur ces fondations et leur vocation hospitalière ? Peut-on supposer que la<br />

vocation d’assistance des établissements fondés par le sénéchal d’Anjou constitue un<br />

motif suffisant pour qu’Henri II ait cherché à revendiquer une origine royale pour ces<br />

fondations ? Si Henri II est en effet connu pour avoir particulièrement favorisé ce type<br />

d’institution, c’est à l’instar de nombreux de ses contemporains, qu’il s’agisse<br />

d’autorités ecclésiastiques ou laïques (voir chapitre 3). Si la protection des pauvres et<br />

des infirmes était certes une prérogative régalienne, elle n’était pas pour autant un<br />

monopole. Le statut d’Étienne, en tant que représentant de l’autorité publique du comte,<br />

a-t-il donc constitué plus largement le motif de cette dispute ?<br />

La réponse semble claire lorsqu’on compare le cas d’Étienne de Marçay avec<br />

ceux des <strong>of</strong>ficiers d’Henri II, dans des situations similaires. En 1185, c'est-à-dire dans<br />

les mêmes années, Henri II reçut l’autorisation de l’archevêque de Rouen pour refonder<br />

l’abbaye de Saint-Hélier sur l’île de Jersey en la rattachant à l’abbaye de Notre-Dame<br />

du Vœux de Cherbourg, une fondation de sa mère Mathilde, qui y avait installé une<br />

communauté suivant la règle de saint Augustin 234 . Selon Robert de Torigni, l’abbaye<br />

avait été fondée par Guillaume FitzHamon, « sur le conseil et avec l’aide du roi » 235 . Sur<br />

la charte de refondation, qui confirma l’union des deux établissements, Guillaume<br />

FitzHamon est désigné comme dapifer, ce qui correspond alors à la charge que tenait<br />

233<br />

HALLAM, E. M., « Henry II, Richard I and the order <strong>of</strong> Grandmont », J.M.H., 1: 2 (1975), p. 165-<br />

186.<br />

234<br />

EVERARD, J. A., « Les îles normandes en 1204: le rôle décisif de l'aristocratie normande », dans<br />

1204, la Normandie entre Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 215-225 cite LE PATOUREL, J. H.,<br />

« Guillaume Fils Hamon, premier sénéchal de Bretagne (1171-1172) », Annales de Normandie, 29: 4<br />

(1979), p. 376-377.<br />

235<br />

TORIGNI, II, p. 376-377: Dominus Walterus, Rothomagensis archiepiscopus, impetravit a domino<br />

nostro Henrico, rege Anglorum, tum abbatia Sancti Elerii, quae est in insula Gerosii, quam Willelmus<br />

filius Hamonis fecerat in eadem insula, consilio et auxilio domini regis, jungeretur abbatiae de Voto<br />

quae est juxta Caesaris Burgum, quam imperatix mater Henrici regis aedificaverat.<br />

180


Étienne de Marçay en Anjou 236 . Si Guillaume fut plus docile qu’Étienne, Robert de<br />

Torigni ne manque pas de tirer les conséquences d’une telle refondation :<br />

« Le fait est qu’ensuite, l’abbaye du Vœu, en tant qu’abbaye mère et<br />

tête de l’ordre, prit possession de l’abbaye de l’île et ses dépendances<br />

pour toujours. Et ledit archevêque de Rouen nomma son chapelain,<br />

qui était chanoine de cet ordre, comme abbé » 237 .<br />

Le cœur de la querelle entre Henri II et son sénéchal semble bien alors la<br />

reconnaissance du droit du roi sur les fondations et les constructions de ses <strong>of</strong>ficiers.<br />

Robert de Torigni rattache d’ailleurs cet épisode à celui de la fondation du connétable<br />

de Normandie Osbert de la Hose, qui « était le gardien du château de Cherbourg, selon<br />

le droit du roi » et qui « édifia une très belle maison dans l’abbaye du Vœu, comme si<br />

c’était une patria qui appartenait au roi, se contentant de logements adaptés à ses<br />

besoins et qui furent rendus à l’administration du roi lorsqu’il mourut » 238 . On ne peut<br />

que souligner la manière dont Robert de Torigni raconte cette histoire : Osbert de la<br />

Hose apparaît alors comme l’<strong>of</strong>ficier modèle, qui ne confond pas ses biens propres avec<br />

ceux du roi, qui relèvent de la patria 239 , et qui, à la veille de sa mort, vient encore<br />

demander « la permission du roi » pour se faire chanoine et faire des dons innombrables<br />

à l’abbaye royale du Vœu 240 .<br />

La résistance d’Étienne peut-elle alors s’expliquer par les transformations que<br />

subissait alors la fonction de sénéchal en Anjou ? Sur le modèle normand, l’<strong>of</strong>fice de<br />

sénéchal en Anjou devint progressivement une fonction permanente de la maison du roi.<br />

Face à ces évolutions, Henri II eut sans doute besoin d’éprouver la fidélité et la<br />

soumission de son sénéchal, dont la puissance et l’autonomie s’était progressivement<br />

renforcée. Jouant sur l’ambiguïté de l’action du sénéchal, à la fois motivé par ses<br />

intérêts personnels et représentant de l’autorité « publique », Henri II exigea que les<br />

fondations faites par Étienne, soient considérées comme relevant de la patria, c'est-à-<br />

236 SAINTE-MARTHE, D. (éd.), Gallia Christiana, 1739-1877, XI, instrumentum 254.<br />

237 TORIGNI, II, p. 134 : Facta est itaque abbatia de Voto mater et caput, habens et perhenniter<br />

possidens abbatiam de Insula et omnia sibi pertinentia. Praedictus vero archiepiscopus Rothomagensis<br />

fecit in eadem abbatia abbatem suum capellanum, qui erat canonicus eiusdem ordinis.<br />

238 Ibid., II, p. 134-135 : Quidam enim constabularius domini regis Henrici, Osbernus de Hosa nomine,<br />

qui castrum Caesaris Burgus, cum patria quae ad illud pertinet, custodiebat jussu domini regis Henrici,<br />

aedificavit in eadem abbatia de Voto domum pulcherrimam, <strong>of</strong>ficinas ideoneas in se continentem, ad opus<br />

suum, in qua post amministrationem domini regis, quandi vixit, satis honeste conversatus est.<br />

239 À propos du terme patria voir le développement chapitre 3.<br />

240 Ibid., II, p. 135 : ipse vero ante octo dies mortis suae factus canonicus, permissione domini regis<br />

eidem abbatiae dedit xxxii marcas auri, dedit etiam praedictae abbatiae c libras Cenomannensium, ad<br />

augendas possessiones eiusdem abbatiae, dedit etiam eidem abbatiae lx marcas argenti in plata et<br />

totidem in vasis.<br />

181


dire effectuées dans cadre représentatif de sa fonction. Selon cette hypothèse, les<br />

refondations royales constitueraient donc une forme d’affirmation de la potestas regis,<br />

comparable à la reddibilité des châteaux visant à rappeler l’origine publique des<br />

fondations établies en vertu d’une fonction rattachée à la maison du roi.<br />

Toutefois, toutes les refondations effectuées par Henri II au cours de son règne<br />

n’ont pas la même signification et ne se font pas nécessairement à l’encontre d’un vassal<br />

insoumis. C’est le cas des fondations de Waltham, Witham et Amesbury, qu’Henri II fit<br />

vœu de fonder en pénitence du meurtre de Thomas Becket, lors de la cérémonie<br />

publique d’Avranches en 1172. Dans ces cas, les raisons invoquées par ses<br />

contemporains pour le choix de refondations sont plutôt l’avarice du roi et son manque<br />

de générosité. L’investissement parfois certes plus symbolique que financier d’Henri II<br />

dans ces fondations se traduisit notamment par sa participation aux cérémonies de<br />

refondation d’Amesbury et Waltham et probablement aux rituels de consécration. S’il<br />

ne reste aucune description précise de ces cérémonies, celles-ci n’en étaient pas moins<br />

fortement codifiées et ritualisées 241 . Or ces rituels pouvaient être eux aussi l’objet<br />

d’enjeux de pouvoir.<br />

2.2.3- Le rôle des laïcs dans les rituels de la pose de la première pierre<br />

La participation des laïcs aux rituels de fondations, qui s’est matérialisée par la<br />

cérémonie de la pose de la première pierre, ne semble avoir été codifiée que tardivement<br />

par l’Église 242 . Selon Dominique Iogna-Prat, l’une des première attestation de cette<br />

pratique est donnée par un manuscrit de l’abbaye de la Trinité de Fécamp, le Libellus de<br />

revelatione, aedificatione et auctoritate Fiscannesis Monasterii, qui relate la fondation<br />

de l’abbaye par le duc Richard I er (942-996) 243 . Ce texte, dédié à l’abbé Guillaume de<br />

Ros (1079-1108), a été daté par Jean-François Lemarignier de la dernière décennie du<br />

XI e siècle, ce qui peut faire douter de la réalité de la description à plus d’un siècle<br />

d’écart 244 . Ce texte s’inspire toutefois de la chronique du manuscrit 528 de Rouen,<br />

rédigé entre 1015 et 1094, qui comprend un long passage consacré à la construction de<br />

241 DICETO, p. I, 420 ; HOVEDEN, II, p. 118-119 ; PETERBOROUGH, p. I, p. 173-174.<br />

242 IOGNA-PRAT, D., La maison Dieu, 2006, p. 556-557.<br />

243 Anonyme de Fécamp, dans PL, CLI, p. 699-724 ; voir aussi ARNOUX, M., « La fortune du libellus de<br />

revelatione, edificatione et auctoritate fiscannensis monasterii. Note sur la production historiographique<br />

d'une abbaye bénédictine normande », Revue d'histoire des textes, 21 (1991), p. 135-158 ; RENOUX, A.,<br />

« Fécamp : du palatium ducis au paladium Dei. Histoire et archéologie d'une résidence fortifiée ducale<br />

normande, de ses antécédents et de ses prolongements », Thèse d'État, 1987, <strong>Paris</strong>.<br />

244 LEMARIGNIER, J. F., Étude sur les privilèges d'exemption et de juridiction ecclésiastique des<br />

abbayes normandes depuis les origines jusqu'en 1140, 1937, p. 259-62.<br />

182


l’abbaye et au rôle du duc Richard lors de la pose de la première pierre de la fondation,<br />

celle dite du « Pas de l’Ange » 245 . Si le rituel de la pose de la première pierre peut être<br />

interprété, dans une perspective ecclésiologique générale, comme la célébration des<br />

« fondements de la communauté chrétienne à une époque où l’encadrement ecclésial<br />

tend à se confondre avec une structure monumentale » 246 , la participation des laïcs<br />

implique également de considérer les enjeux de pouvoir noués autour de ces rituels.<br />

Dans la seconde moitié du XII e siècle, la pose de la première pierre était<br />

pratiquée par les Plantagenêt comme le rapportent Bernard Itier et Ge<strong>of</strong>froy de Vigeois,<br />

par exemple, qui relatent la présence d’Aliénor d’Aquitaine et de son fils, Richard, lors<br />

d’une dédicace en 1171 :<br />

À cette époque on commença à bâtir le monastère de saint Augustin.<br />

La reine Aliénor et son fils Richard, qui se trouvaient alors à Limoges,<br />

posèrent la première pierre 247 .<br />

L’association de la duchesse et de son fils à cette cérémonie de pose de la<br />

première pierre témoigne ici de la volonté des moines de s’assurer la protection d’un<br />

puissant patron, qui n’apparaît pourtant pas explicitement comme le fondateur du<br />

monastère. Pour Aliénor et Richard, la pose de la première pierre constituait également<br />

un moyen d’ancrer dans le territoire limousin la reconnaissance de leur autorité et de<br />

s’assurer le soutien du monastère face aux turbulents vicomtes de Limoges.<br />

De manière plus générale, l’association des seigneurs laïcs aux cérémonies de<br />

dédicace contribuaient à rappeler la vocation de conservation de la mémoire familiale de<br />

leur fondation. Le rituel de la pose de la première pierre permettait alors de matérialiser<br />

l’ancrage monumental et territorial de la mémoire familiale du fondateur. C’est<br />

vraisemblablement dans cette perspective qu’Ebbes II de Déols fit poser aux<br />

fondements de l’abbaye cistercienne qu’il venait de créer à Varenne en Berry une dalle<br />

245 ARNOUX, M., « Before the Gesta Normannorum and beyond Dudo: some evidence on early Norman<br />

historiography », dans A.N.S., 2000, p. 29-48 publie le passage du manuscrit Rouen 528 comprenant la<br />

description de la pose de la première pierre : Tuto hanc petram repone loco et mitte quamplurimos<br />

operatrios ad excidendos lapides, multasque calcis vive fornaces compone : quia omnibus que necessaria<br />

sunt preparatis istam in initio fundamenti in titulo erectionis domus Dei primam locabo (Place cette<br />

pierre en un lieu sûr et envoie plusieurs ouvriers pour tailler les pierres, et fais rassembler beaucoup de<br />

fours de chaux vive, parce que, après avoir fait préparer tout ce qui était nécessaire, je la placerai en<br />

premier au début de la fondation en signe de l’érection de la maison de Dieu).<br />

246 IOGNA-PRAT, D., La maison Dieu, 2006, p. 566.<br />

247 GEOFFROY DE VIGEOIS, Chronique précédée d’une étude sur la chronique de Ge<strong>of</strong>froy, 1864,<br />

p. 116 : Monasterium Sancti Augustini Lemovicis incoeptum est construi. Tempore illo regina Alienor<br />

cum filio Richardo Lemovice forte cum esse, lapides in fundamento primi jecerunt; BERNARD ITIER,<br />

Chronique, 1998, p. 96 : Monasterium Sancti Augustini construi incipitur regina cum filio Richardo de<br />

lapides in fundamento posuerunt.<br />

183


où il avait fait inscrire les titres qu’il revendiquait. Cependant, son vassal Garnier de<br />

Cluis contesta à Ebbes II l’initiative de la fondation et en appela à l’arbitrage d’Henri II<br />

en 1159. Ce dernier décida de trancher le conflit en s’appropriant tout bonnement la<br />

fondation. Il obtint ainsi d’Ebbes de Déols qu’il lui cède le titre de fondateur et enlève la<br />

dalle témoin de ses prétentions 248 . Henri II écrivit ensuite à Garnier de Cluis pour exiger<br />

qu’il renonce également à ses droits sur l’abbaye :<br />

Henri, roi d’Angleterre, duc de Normandie et d’Aquitaine et comte<br />

des angevins, à Garnier de Cluis et tous ses héritiers et parents, salut.<br />

Sachez que Ebbes de Deols m’a concédé le droit de faire enlever la<br />

pierre qu’il avait posée aux fondements de l’église de Varenne à<br />

l’origine du conflit. Parce que je veux être le fondateur de cette église<br />

ainsi que son patron et défenseur... 249<br />

Lindy Grant rappelle que la situation géographique de l’abbaye de Déols en<br />

Berry était un espace particulièrement disputé entre Plantagenêt et Capétiens à cette date<br />

(voir chapitre 4). Selon cette historienne, Ebbes II de Déols, à l’instar de Waléran de<br />

Meulan (on pourrait aussi ajouter Étienne de Marçay) avaient « dépassé la mesure ».<br />

S’agissait-il pour autant d’atteintes à la gloire du roi ? Selon Giraud de Barri, en effet, la<br />

gloria du prince se manifeste dans l’art de bâtir, à l’image de celle de l’empereur<br />

Auguste qui « laissa en marbre la ville qu’il avait trouvé en brique » 250 . Rien n’indique<br />

que les dimensions architecturales ou le faste de ces cérémonies de fondation aient été<br />

particulièrement démesurés par rapport aux autres fondations aristocratiques de la même<br />

époque. Le réinvestissement dans les cérémonials liturgiques de refondation montre que<br />

les espaces sacrés et la sacralisation des espaces constituaient des lieux d’expression des<br />

rapports de pouvoir et notamment du pouvoir sur l’espace. Les refondations qui<br />

nécessitèrent l’intervention d’Henri II posaient problème parce qu’elles menaçaient<br />

l’intégrité ou la continuité territoriale de son pouvoir, soit parce qu’elles résultaient d’un<br />

don illégitime ou contestable, soit qu’elles se trouvaient dans un espace en marche,<br />

particulièrement soumis au basculement des alliances. Le cas de l’abbaye de Varenne<br />

pousse jusqu’à l’extrême la pratique des refondations royales en permettant<br />

248 DEVAILLY, G., Le Berry du Xe siècle au milieu du XIIIe, 1973, p. 406.<br />

249 Recueil des actes d’Henri II , I, CXXIV, p 230-231: H(enricus) rex Anglie dux Normannie et<br />

Aquitanie et comes Andegauensis Garnerio de Cluys et omnibus heredibus et cognatis eius salutem.<br />

Sciatis quod Ebo de Dolis concessit mihi quod facerem remoueri lapidem quem ipse posuit in fundamento<br />

ecclesie Varennensis de quo erat dissensio. Quare ego ipse volo esse fundator ecclesie predicte et custos<br />

et deffensor ....datum apud Chinon.<br />

250 GIRAUD DE BARRI, Opera. 8, De principis instructione Liber, 1891, p. 51-52 : Sit nobis exemplo<br />

Augusti gloriam, quo nec ullus facile aut in bellis felicior fuit aut in pace moderatior… Auxit, ornavitque<br />

Romam aedificiis multis, isto denum glorians dicto : « Urbem latericiam repperi, relinquo marmoream.<br />

184


l’appropriation d’une fondation aristocratique par un simple jeu sur les rituels. La<br />

« politisation » de ces rituels de fondation, en ce sens qu’ils constituent un espace<br />

d’affrontement de pouvoirs concurrents dont l’enjeu est le contrôle d’un pôle structurant<br />

du territoire ne met pas aux prises que des laïcs. La revendication du monopole<br />

épiscopal tend en effet à s’affirmer de plus en plus nettement, mais la participation des<br />

seigneurs laïcs est encore une pratique courante dans les cérémonies de dédicace à la fin<br />

du Moyen Âge, créant un véritable obstacle à l’accaparement de cette cérémonie au<br />

pr<strong>of</strong>it des seuls évêques qui ne parvinrent jamais à exclure totalement les droits des laïcs<br />

sur les espaces sacrés et les lieux de culte 251 .<br />

La territorialisation du pouvoir royal apparaît ainsi comme une riposte laïque au<br />

lent processus de spatialisation et de monumentalisation entrepris par l’Église<br />

grégorienne. De même que l’Église constitua ses territoires par des processus de<br />

délimitation spatiale (Paroisse/ Chrétienté) et d’intégration des communautés, de même,<br />

la formation des monarchies féodales procéda de la définition d’un espace sacral du<br />

royaume, notamment au travers de la métaphore du corps du royaume que l’on retrouve<br />

chez de nombreux intellectuels, comme Jean de Salisbury chez qui émerge l’idée d’une<br />

universitas regni comme processus d’inclusion, dans le cadre du regnum, chez les<br />

Capétiens mais aussi à plus large échelle dans l’empire Plantagenêt 252 . L’intégration des<br />

anciennes principautés territoriales au sein d’un plus vaste imperium constituait alors<br />

une étape essentielle du processus d’affirmation de la territorialité du pouvoir des<br />

Plantagenêt. C’est pourquoi, la conquête des « marches intérieures » a été un objectif<br />

constant de la politique d’Henri II et ses fils.<br />

251 IOGNA-PRAT, D., La maison Dieu, 2006.<br />

252 IOGNA-PRAT, D., « Constructions chrétiennes d’un espace politique », Le Moyen Âge, 107 (2001), p.<br />

49-69 ; LE PATOUREL, J. H., « The Plantagenet dominions », History, 50 (1965), p. 289-308.<br />

185


3- La conquête des marches intérieures : réseaux globaux<br />

et l’émergence de nouveaux territoires<br />

En rassemblement sous sa seule autorité des territoires provenant d’héritages<br />

multiples, Henri II constituait un empire aussi vaste qu’hétérogène, dont la spécificité a<br />

longtemps alimenté les réticences vis-à-vis du vocable d’empire. Si la légitimité de la<br />

domination des Plantagenêt sur chacun de ces territoires était partout reconnue, le<br />

contrôle de tous ces espaces comme un ensemble cohérent ne fut jamais complètement<br />

acquis. Constituait-il seulement un projet conscient de la part des Plantagenêt ? S’il est<br />

possible d’en douter comme Sir James Holt et C. Warren Hollister 253 , on ne peut<br />

cependant nier l’inlassable effort d’Henri II pour réduire les pouvoirs des seigneuries<br />

ancrées dans les marges des anciennes principautés territoriales de l’empire.<br />

L’affaiblissement des seigneuries de marches fut une conséquence de la formation de<br />

l’empire Plantagenêt et de la concentration entre les mains d’Henri II des pouvoirs<br />

princiers autrefois concurrents, parce qu’il rendait obsolètes les stratégies de pluralité et<br />

de fluidité des hommages, qui constituaient le pivot de la structure de ces seigneuries de<br />

confins. Selon Jean Dunbabin, cependant, la réduction des frontières internes s’appuya<br />

moins sur une action directe sur les lieux que sur le renforcement des liens entre le roi et<br />

les seigneurs de ces marches 254 . La formation de l’empire provoqua ainsi l’insertion des<br />

marches internes dans des espaces politiques plus globaux, se jouant à l’échelle des<br />

royaumes 255 .<br />

La transformation de ces territoires s’inscrit donc dans une double échelle<br />

d’analyse : à l’échelle locale d’une part, où l’intégration s’est concrétisée par un<br />

renforcement de la présence territoriale des Plantagenêt, dont on dégagera les stratégies<br />

d’implantation ; et à l’échelle globale de l’autre, par l’insertion – ou non – de ces<br />

seigneurs de marche dans les réseaux liés à l’entourage du roi et de la cour, notamment<br />

grâce au contrôle du marché matrimonial 256 . En faisant varier ces deux échelles<br />

253 HOLLISTER, C. W. et KEEFE, T. K., « The Making <strong>of</strong> the Angevin Empire », The Journal <strong>of</strong> British<br />

Studies, 12: 2 (1973), p. 1-25; HOLLISTER, C. W., « Normandy, France and the Anglo-Norman Regnum<br />

», Speculum, 51: 2 (1976), p. 202-242; HOLT, J. C., « The end <strong>of</strong> the Anglo-Norman realm », Proceeding<br />

<strong>of</strong> the British Academy, 61 (1975), p. 223-265 pensent qu’il n’y eut jamais de « théorie de l’empire »,<br />

clairement articulée.<br />

254 DUNBABIN, J., France in the making, 843-1180, 1985, p. 347.<br />

255 RENOUX, A., « Le roi Jean, « s'il avait capturé le comte Robert d'Alençon et le sire Juhel de<br />

Mayenne, il l'aurait gagnée sa guerre!" », dans Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages,<br />

2006, p. 227-265.<br />

256 À partir de 1185, Henri II fait rédigé le Rotuli de dominabus et pueris et puellis de XII comitatibus<br />

dressant la liste des veuves et des orphelins à marier de douze comtés anglais, afin de s’assurer le contrôle<br />

de ce marché. ROUND, J. H. et MARTIN, C. T. (eds.), Rotuli de dominabus et pueris et puellis de XII<br />

186


d’analyses, selon les conditions propres de chaque marche, nous verrons donc comment<br />

un espace de l’empire s’est progressivement constitué et les obstacles auxquels il s’est<br />

heurté. Ainsi, en Angleterre, la territorialisation du pouvoir royal qui s’est<br />

principalement effectuée au cours des deux campagnes de 1153-58 et 1173-78 procéda<br />

en partie du démantèlement des grands honneurs. De même, si l’unification de l’Anjou<br />

et de la Normandie à travers la personne d’Henri II facilita la dissolution des seigneuries<br />

en marche de ces deux anciennes principautés, en revanche, l’affirmation d’un pouvoir<br />

considéré comme « étranger » se heurta à d’importantes résistances en Aquitaine et en<br />

Bretagne, où l’hommage au roi de France acquit progressivement une capacité<br />

d’interférence qui se révèlera d’une grande efficacité.<br />

3.1- Intégration et désintégration des marches de l’espace<br />

« impérial » anglo-normand<br />

La conquête de 1066 ne donna pas seulement à la Normandie et à l’Angleterre<br />

une aristocratie commune, elle intégra également une large partie de la noblesse<br />

bretonne qui accompagna Guillaume le Conquérant dans son entreprise et qui en fut<br />

largement récompensée par des dotations de terre anglaises. C’est à ce titre que John le<br />

Patourel parlait d’empire normand qui incluait également une partie de l’aristocratie<br />

flamande 257 . En 1166, l’annexion de la Bretagne et l’abdication de Conan IV en faveur<br />

d’Henri II lui donnèrent une prise directe sur cette aristocratie bretonne qui contribua à<br />

territorialiser son pouvoir dans le duché. Avant cette date, l’essentiel de son action se<br />

joue en Angleterre, lors de son accession au trône et dans les marges méridionales de la<br />

Normandie.<br />

3.1.1- Le démantèlement des grands honneurs anglais<br />

Entre 1155 et 1157, Henri II s’attaqua aux anciens partisans du roi Étienne, non<br />

seulement pour leur imposer la reconnaissance de son autorité et de sa puissance<br />

publique, mais aussi parce qu’ils s’étaient taillés, depuis la mort d’Henri I er des<br />

honneurs qui constituaient de véritables ensembles territoriaux menaçant la continuité<br />

territoriale du royaume. Les premiers à pâtir du changement de pouvoir furent, sans<br />

étonnement, le fils et le frère d’Étienne de Blois : Guillaume de Boulogne et Henri de<br />

comitatibus, 1185, 1913 ; WALMSLEY, J. (éd.), Widows, heirs, and heiresses in the late twelfth century :<br />

the Rotuli de dominabus et pueris et puellis, 2006.<br />

257 LE PATOUREL, J. H., Feudal empires : Norman and Plantagenet, 1984.<br />

187


Winchester. Les châteaux du premier, à savoir Norwich 258 , Pevensey, Eye, Castle Acre,<br />

Lewes, Reigate, Lancaster, Conigsborough et Sandal furent saisis par Henri II en<br />

1157 259 . Cette vaste confiscation mit aux mains du nouveau roi les principales places<br />

fortes des rapes du Sussex : il s’agissait de seigneuries bordant les côtes méridionales<br />

de l’Angleterre, dans lesquelles Guillaume le Conquérant avait installé ses barons les<br />

plus loyaux et les plus fidèles en leur concédant d’importantes libertés en échange de la<br />

militarisation des côtes 260 . Le Sussex avait ainsi été divisé en six districts centrés autour<br />

d’un château : Lewes, Pevensey, Chichester, Arundel, Bamber et Hastings, qui furent<br />

vraisemblablement construits à l’emplacement de forts anglo-saxons 261 . En s’emparant<br />

des châteaux de l’évêque de Winchester, Henri II renforçait notamment ses assises dans<br />

le sud de l’Angleterre. Il confisqua le palais de Wolvesey ainsi que les châteaux de<br />

Bishop's Waltham (Hampshire), Taunton (Somerset), Farnham (Surrey) et fit détruire<br />

les châteaux de Mardon et de Downton (Wiltshire) 262 . Henri II neutralisa également le<br />

vaste honneur du comte de Norfolk, Hugues Bigod, en 1157, en saisissant ses châteaux<br />

avant de les rendre en 1165 contre une amende de £1000, à l’exception de Walton qui<br />

conserva sa garnison royale et de Pleshey et Saffron Walden qui avaient été détruits 263 .<br />

Selon Andrew Wareham la confiscation des châteaux de l’honneur des Bigod était<br />

essentielle pour contrôler le Suffolk qui était alors un espace vulnérable notamment<br />

parce qu’ils faisait face aux ambitions des comtes de Boulogne à qui Henri II avait<br />

confisqué l’honneur d’Eye en 1159 et qui auraient pu décider de le récupérer<br />

militairement 264 .<br />

Henri II procéda donc à de nombreuses saisies non seulement à la suite de<br />

campagnes militaires, mais également en utilisant ses droits de garde d’honneur et de<br />

tutelle pendant la minorité des héritiers. À la minorité de Simon de Senlis, il put mettre<br />

258 Henri II y fait installer des garnisons, PR 4 H.II, p. 126.<br />

259 BROWN, R. A., « A list <strong>of</strong> castles, 1154-1216 », E.H.R., 74: 291 (1959), p. 249-280.<br />

260 MASON, J. F. A., « The rapes <strong>of</strong> Sussex and the Norman conquest », Sussex Archaeological<br />

Collections, 102 (1964), p. 68-93.<br />

261 POUNDS, N. J. G., The Medieval Castle in England and Wales. A Social and Political History, 1994,<br />

p. 33.<br />

262 BROWN, R. A., « A list <strong>of</strong> castles, 1154-1216 », E.H.R., 74: 291 (1959), p. 249-280.<br />

263 BROWN, R. A., « Framlingham castle and Bigod 1154-1216 », Proceedings <strong>of</strong> the Suffolk Institute <strong>of</strong><br />

Archaeology (& History), 25:2 (1951), p. 128-148, PR 11. H.II., p.7 : comes Hugo reddidit compotum de<br />

M li. Pro fine quem fecit cum rege apud Noting’. PR 13 H.II., p. 208: liberatione IIII milites de Waleton<br />

£23 9s. 4d. de 175 diebus a die proxima post festum sancti Marci evangeliste usque in crastinum sancti<br />

Luce evangeliste et aliis III milites £13 13s. 8d. ad libertionem suam uni a die quinto post festum sancti<br />

Augsutini Apostoli alteri ab die XI post idem festum tercio a die sexdecima psot illud destum usque in<br />

crastinum Sancti Luce evangeliste et II servientibus de 176 diebus 29s. 4s.<br />

264 WAREHAM, A., « The motives and politics <strong>of</strong> the Bigod family, c.1066-1177 », dans A.N.S., 1995, p.<br />

223-242.<br />

188


la main sur Northampton, mais c’est surtout après la mort de Ranulf de Gernons, Earl de<br />

Chester, que roi prit possession de l’un des plus vastes honneurs d’Angleterre, composé<br />

de terres que le baron avait accumulées au cours du règne du roi Étienne et qui<br />

s’étendaient de la Mer du Nord à la Mer d’Irlande, entre Lincoln et Chester. Pr<strong>of</strong>itant de<br />

la minorité d’Hugues Kevelioc, Henri II démantela cet immense bloc territorial,<br />

concédant les terres de Lancastre, Lincoln, et peut être Coventry à ses <strong>of</strong>ficiers 265 . Il<br />

conserva définitivement les terres de Guillaume Peverell, qu’il avait confisquées en<br />

1153 et confiées à Ranulf II peu avant sa mort, et qui comprenaient Nottingham,<br />

Stafford, Newcastle-under-Lyme, Tickhill, Bolsover et Peak. Ainsi, lorsque le nouveau<br />

comte de Chester atteint la majorité, en 1162, il retrouva un honneur aux terres<br />

dispersées dans toute l’Angleterre et dans les marches galloises. La fragmentation des<br />

terres étaient en effet une particularité des honneurs anglais qui les distinguait des<br />

grandes seigneuries continentales, et dont le but était précisément d’empêcher les<br />

tentations « autonomistes » des barons.<br />

Pour renforcer la présence royale dans ces espaces qui lui avaient longtemps<br />

échappé, Henri II installa plusieurs fondations monastiques. Peu après la restitution de<br />

l’honneur de Lincoln au comte de Chester, il fonda notamment des prieurés<br />

d’Augustiniens à Newstead près de Nottingham, à Hough-on-the-Hill et à Torksey et<br />

installa des gilbertins à Newstead-on-Ancholme 266 (carte 2.9). Selon Elisabeth Hallam,<br />

en effet, la charte de fondation de Newstead date de 1163 et les pipe rolls mentionnent<br />

cette année-là des dépenses pour les terres des chanoines, dont £40 en 1164, et £6 3s.<br />

4d. en 1165 pour édifier leur maison 267 . Il est probable qu’Henri II installa dans ces<br />

mêmes années des chanoines à Hough-on-Hill, un prieuré rattaché à Notre-Dame du<br />

Vœu à Cherbourg, une fondation de sa mère Mathilde 268 , et à Torksey, même si la<br />

fondation de ce dernier n’est connue que par une charte de confirmation de Jean 269 .<br />

Quant à la fondation gilbertine, sans doute la seule d’Henri II pour cet ordre, qu’il<br />

favorisa pourtant largement par ailleurs, la charte de fondation ne date que de 1171,<br />

mais le paiement de £8 10s. sur les terres d’Hibaldesto enregistrés dans les pipe rolls en<br />

265 BOUSSARD, J., Le gouvernement d'Henri II Plantagenêt, 1956, p. 547.<br />

266 KNOWLES, D. et HADCOCK, R. N., Medieval Religious Houses : England and Wales, 1971. Le<br />

prieuré bénédictin de Willhoughton avait déjà été installé par Mathilde l’Empresse en 1148.<br />

267 HALLAM, E. M., « Henry II as a founder <strong>of</strong> monasteries », Journal <strong>of</strong> Ecclesiastical History, 28: 2<br />

(1977), p. 113-132 ; PR 10 H.II, p. 15: et canonici de Shirewuda £40 de elemonisa regis; PR 11 H. II,<br />

p. 86: in restauratione terre de canonicorum de Scirewuda £6 3s. 4d. Les modestes constructions sont<br />

reconstruites par Henri III vers 1250.<br />

268 Ibid.<br />

269 KNOWLES, D. et HADCOCK, R. N., Medieval Religious Houses : England and Wales, 1971p. 177,<br />

181.<br />

189


1164 indique selon toute vraisemblance la date initiale de l’installation de la<br />

communauté 270 .<br />

Le rôle des monastères comme pôle de sociabilité pour l’aristocratie d’une<br />

région, notamment par l’intermédiaire du don, est aujourd’hui bien connu 271 . Dans une<br />

étude récente, Laurent Ripart propose une réinterprétation du processus spatialisation<br />

des pouvoirs laïcs et notamment des châtelains en insistant sur la notion de lieu qui<br />

recouvrait non seulement les châteaux mais aussi les lieux sacrés : « De la même<br />

manière que les fidèles et les redevances paroissiales s’organisaient autour des loca<br />

sancta, les sujets et les redevances de la seigneurie banale tendaient à se polariser autour<br />

des loca dominica… C’est de même autour de leurs loca que les domini organisèrent<br />

leur vassalité, liant les chasements qu’ils accordaient à leurs milites castri aux tours de<br />

garde qu’ils devaient effectuer dans leurs châteaux. C’est enfin à partir de ces loca que<br />

les princes organisèrent leurs réseaux de dépendances tout entier pensé en termes de<br />

contrôle des castra » 272 . L’installation de communautés religieuses permettait ainsi au<br />

roi de trouver une alternative pour contrôler un espace, dans lequel les castra lui<br />

échappaient partiellement. En patronnant de nouvelles communautés, les Plantagenêt<br />

espéraient sans doute faire concurrence aux fondations baronniales en s’insérant dans le<br />

réseau des élites locales par le biais des donations 273 .<br />

La fondation, en 1167, d’un prieuré de chanoinesses à Moxby, au cœur du<br />

Yorkshire, non loin de la forêt royale de Pickering s’inscrit dans cette lignée de<br />

fondations installées dans les espaces où le pouvoir territorial du roi était le moins<br />

assuré 274 . Dans les années qui suivirent son accession, Henri II chercha en effet à<br />

rétablir son autorité sur les terres de l’honneur de Guillaume le Gros, comte d’Aumale,<br />

270 HALLAM, E. M., « Henry II as a founder <strong>of</strong> monasteries », Journal <strong>of</strong> Ecclesiastical History, 28: 2<br />

(1977), p. 113-132; PR 10 H.II., p. 22: et canonicorum de Shimperingeham £8 10s. in Hibaldesto nostro.<br />

271 MAGNANI SOARES-CHRISTEN, E., Monastères et aristocratie en Provence, milieu Xe-début XIIe<br />

siècle, 1999, p. 427-485; ROSENWEIN, B. H., To be the Neighbor <strong>of</strong> Saint Peter. The Social Meaning <strong>of</strong><br />

Cluny's Property, 909-1049, 1989; MAZEL, F., La noblesse et l'Église en Provence, fin Xe-début XIVe<br />

siècle, 2002.<br />

272 LAUWERS, M. et RIPART, L., « Représentation et gestion de l’espace dans l’Occident médiéval »,<br />

dans Rome et la genèse de l’État moderne : une comparaison typologique, 2007, p. 115-171 cite<br />

BARTHÉLEMY, D., La société dans le comté de Vendôme de l'an mil au XIVe siècle, 1993; DÉBAX, H.,<br />

La féodalité languedocienne, 2003.<br />

273 COWNIE, E., « Religious patronage and lordship: the debat on the nature <strong>of</strong> the honor », dans Family<br />

Trees and the Roots <strong>of</strong> Politics. The Prosopography <strong>of</strong> Britain and France from the Tenth to the Tweltfh<br />

Century, 1997, p. 133-146; COWNIE, E., Religious patronage in Anglo-Norman England, 1066-1135,<br />

1999.<br />

274 KNOWLES, D. et HADCOCK, R. N., Medieval Religious Houses : England and Wales, 1971, p. 262<br />

cite DUGDALE, W. et DODSWORTH, R., Monasticon Anglicanum: or, the history <strong>of</strong> the ancient<br />

abbies, and other monasteries, hospitals, cathedral and collegiate churches in England and Wales, 1846,<br />

II, p. 98.<br />

190


qu’Étienne de Blois avait fait Earl d’York en 1138. Ce dernier dominait toute la région<br />

de l’Humber, où les rois d’Angleterre avaient toujours peiné à s’imposer. En 1157,<br />

Henri II parvient à obtenir la reddition de Scarborough – dont Guillaume de Newburgh<br />

livre une description admirative 275 – et entreprit de faire reconstruire à grand frais la<br />

forteresse pour marquer visuellement dans le paysage la restauration de la puissance<br />

royale sur ce territoire. Entre 1159 et 1169, les pipe rolls enregistrent en effet plus de<br />

£700 in operatione castelli de Scardeburc sous la supervision de Robert le Russe, David<br />

Larden puis Robert fils de Sawin 276 .<br />

La reconquête du royaume ne s’étendit cependant pas aux palatinats du nord de<br />

l’Angleterre qui constituaient des marches militaires spécifiques à l’instar des rapes du<br />

Sussex et des comtés des marches galloises. Ce n’est en effet qu’à partir de 1166<br />

qu’Henri II peut mettre la main sur l’honneur de Richmond, tenu par les ducs de<br />

Bretagne, tandis que l’évêché de Durham resta, tout au long de la période, un véritable<br />

espace frontalier, jouant sur l’alternance des alliances entre les rois d’Écosse et<br />

d’Angleterre (voir chapitre 4). L’alternance des hommages et des fidélités était<br />

également ce qui caractérisait les seigneuries des marches normano-mancelles. Or<br />

l’avènement d’Henri II, comte d’Anjou et duc de Normandie posait clairement la<br />

question de la viabilité des stratégies seigneuriales aux confins des deux principautés.<br />

3.1.2- La fin des marches normano-mancelles ?<br />

En 1159, à la mort de Guillaume de Boulogne, l’annexion du comté de Mortain<br />

permet à Henri II d’accroître sa surveillance sur la Mayenne qui reste une zone mal<br />

contrôlée car riche en saltus, mais constituant un axe de passage essentiel pour les<br />

Plantagenêt. Dominée par Ge<strong>of</strong>froi II, puis Juhel de Mayenne à partir de 1169, il restera<br />

un espace d’insoumission jusqu’à la perte de la Normandie en 1204. Guillaume le<br />

Breton reconnaît lui-même que l’appui du seigneur de Mayenne participa à la victoire<br />

de Philippe Auguste 277 . Ce ralliement n’est pas surprenant au regard de la longue<br />

275<br />

WARREN, W. L., Henry II, 2000, p. 60; GUILLAUME DE NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns<br />

<strong>of</strong> Stephen, Henry II, and Richard I, 1884, I, p. 103-104: Ille diu haesitans, multumque aestuans, tandem<br />

corde paucius potestati succubuit et quaecumque ex regio dominico pluribus jam annis possderat cum<br />

ingenti anxietate resignavit maxime famesum illud et nobile castellum quod dicitu Scartheburgh cujus<br />

situm tabetu esse novimas.<br />

276<br />

PR 4 H.II., p. 146; 5 H.II, p. 29-31 ; 6 H.II, p. 14 ; 7 H.II, p. 36; 8 H.II, p. 50; 9 H.II, p. 57; 10 H.II, p.<br />

11-12; 14 H.II, p. 79; 15 H.II, p. 31.<br />

277<br />

RENOUX, A., « Le roi Jean, « s'il avait capturé le comte Robert d'Alençon et le sire Juhel de<br />

Mayenne, il l'aurait gagnée sa guerre!" », dans Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages,<br />

2006, p. 227-265 cite RIGORD et GUILLAUME LE BRETON, Oeuvres, 1882-1885, I, p. 294.<br />

191


ivalité qui opposait les seigneurs de Mayenne et les ducs de Normandie depuis le XI e<br />

siècle. Cette rivalité avait créé, selon Daniel Power, « une frontière politique qu’on ne<br />

saurait dessiner sur une carte, car elle était composée davantage de serments et de<br />

négociations que de limites » 278 . Les interventions militaires n’étaient donc pas<br />

habituelles dans cet espace et Annie Renoux pose l’hypothèse d’une politique de<br />

patronage matrimonial de la part des Plantagenêt comme moyen « pacifique » pour<br />

canaliser les énergies de ces puissants vassaux. Elle fait le lien, en particulier, entre le<br />

mariage de Ge<strong>of</strong>froi II avec Isabelle de Meulan en 1161 et la récupération par Henri II<br />

des trois importants châteaux de Gorron, Ambrières et Chateauneuf-sur-Colmont en<br />

janvier 1162 : « Henri II a-t-il d’un côté rogné les ailes du lignage, en le privant de ses<br />

principales défenses, et compensé de l’autre en facilitant cette prestigieuse union ? » ou<br />

le roi s’est-il prémuni « par ces reprises en mains castrales des dangers que ce type<br />

d’accord matrimonial fait courir au duché ? » 279 . Le contrôle des communications que<br />

permet la possession de ces trois châteaux entre les forteresses royales de Domfront et<br />

Le Mans permet en effet une meilleure emprise territoriale des Plantagenêt dans la<br />

région et leur permet de circuler en toute sécurité. Cependant il ne s’agissait pas<br />

seulement de sécuriser un « couloir », l’attitude d’Henri II vis-à-vis des seigneurs de<br />

Bellême montre en effet que l’échelle d’intervention était bien plus grande. En 1154,<br />

Guillaume Talvas se retrouvait dans la même situation que les comtes de Mayenne,<br />

perdant le pouvoir que leur conférait leur position de seigneur en marche 280 . Cet<br />

affaiblissement se traduisit de manière significative par la reddition en 1166 des deux<br />

forteresses d’Alençon et Roche-Mabile, que Guillaume Talvas avait obtenues en 1135<br />

pour son engagement dans le parti de Ge<strong>of</strong>froy Plantagenêt 281 .<br />

Guillaume Talvas, comte de Sées, son fils Jean et son neveu, Jean fils<br />

de Guido, l’aîné des comtes de Ponthieu, concédèrent à Henri II les<br />

278<br />

POWER, D. J., « What did the frontier <strong>of</strong> angevin Normandy comprise? », dans A.N.S., 1994, p. 181-<br />

202 ?<br />

279<br />

RENOUX, A., « Le roi Jean, « s'il avait capturé le comte Robert d'Alençon et le sire Juhel de<br />

Mayenne, il l'aurait gagnée sa guerre!" », dans Plantagenêts et Capétiens: confrontations et héritages,<br />

2006, p. 227-265, (p. 237). Elle fait toutefois remarquer que le remariage d’Isabelle de Meulan en 1169<br />

porte alors la marque d’Henri II puisqu’elle trouve comme second époux Maurice de Craon, le fidèle<br />

vassal d’Henri II, qui pourrait bien avoir été utilisé ici pour contrôler ce puissant groupe familial.<br />

280 e<br />

La puissance de ces seigneurie des marches méridionales normandes s’était construite au début du XII<br />

siècle en phagocitant les seigneuries mineures tels les Géré anciens possesseurs de la Roche d’Igé devenu<br />

Roche Mabile. Voir BAUDUIN, P., « Une famille châtelaine sur les confins normanno-manceaux : les<br />

Géré (Xe-XIIIe siècles) », Archéologie médiévale, 22 (1992), p. 309-356.<br />

281 TORIGNI, I, p. 335; THOMPSON, K., « William Talvas, count <strong>of</strong> Ponthieu, and the politics <strong>of</strong> the<br />

anglo-normand realm », dans England and Normandy in the Middle Ages, 1994, p. 169-184;<br />

THOMPSON, K., Power and border lordship in medieval France : the county <strong>of</strong> the Perche, 1000-1226,<br />

2002.<br />

192


châteaux d’Alençon et de Roche Mabile, ainsi que tout ce qui en<br />

dépendait. Et aussitôt ils perdirent ces places fortes, parce qu’ils les<br />

tenaient de mauvaises coutumes, eux et leurs prédécesseurs, et<br />

qu’Henri II voulait réparer 282 .<br />

Si la reddition de ces deux forteresses retire à Guillaume Talvas des assises<br />

territoriales, elle va également favoriser son insertion dans les réseaux de fidélités de<br />

l’entourage royal. À partir des mentions de témoins, Kathleen Thompson a montré<br />

comment s’étaient recomposées des stratégies des comtes de Bellême à la cour des<br />

Plantagenêt à la fin du XII e siècle et comment ces derniers surent les inciter et les<br />

promouvoir 283 . L’action d’Henri II vis-à-vis des comtes du Perche, avec la reddition de<br />

Moulins et Bonmoulins en 1158 et le renforcement de la frontière face au royaume<br />

capétien, eut le même effet (voir chapitre 4). Selon Gérard Louise, dès le règne<br />

d’Henri II, « il n’y a plus de seigneurie de barrage, située en marche. Les contacts entre<br />

la Normandie, le Perche, le Maine ou l’Anjou sont directs. L’écran dessiné par la<br />

seigneurie de Bellême a disparu. L’organisation est différente. C’est l’axe nord sud qui<br />

apparaît à nu et qui guide les nouvelles constructions territoriales » 284 . La<br />

« déterritorialisation » des seigneuries aux marches méridionales du duché de<br />

Normandie apparaît donc comme le résultat à la fois de leur insertion dans des réseaux<br />

de fidélités plus larges et de l’implantation du pouvoir ducal par le biais de<br />

l’appropriation des châteaux, mais aussi par les fondations monastiques.<br />

L’installation dans la forêt de Gouffern, à Silly, d’une abbaye de prémontrés par<br />

Mathilde l’Empresse dans les années 1150 avait en effet vraisemblablement pour<br />

objectif d’attirer vers la maison ducale les réseaux de fidélités attachés au comte de<br />

Bellême. Située dans la marche septentrionale du Perche, à proximité du château royal<br />

d’Argentan, l’abbaye fut apparemment fondée à partir de revenus qui avaient autrefois<br />

appartenus à Robert de Bellême 285 . La fondation avait sans doute également pour<br />

fonction de neutraliser les terres qui avaient été confisquées, en y installant une<br />

282<br />

TORIGNI, I, p. 360 : Willelmus Talavacius, comes Sagiensis, et filius ejus Johannes et iterum<br />

Johannes, nepos ejus, filius Guidonis primogeniti sui comitis Pontivi, concesserunt regi Henrico castrum<br />

Alencieum et Rocam Mabiriae, cum eis quae ad ipsa castella pertinent. Et forsitan ideo praedictas<br />

municiones perdiderunt, quia malas consuetudines ipsi et eorum antecessores fui ibi tenuerant, quas rex<br />

Henricus statum meliorari praecepit.<br />

283<br />

THOMPSON, K., Power and Border Lordship in Medieval France. The County <strong>of</strong> the Perche, 1000-<br />

1226, 2002.<br />

284<br />

LOUISE, G., La seigneurie de Bellême : Xe-XIIe siècles : dévolution des pouvoirs territoriaux et<br />

construction d'une seigneurie de frontière aux confins de la Normandie et du Maine, à la charnière de<br />

l'an mil, 1992, I, p. 423.<br />

285<br />

CHIBNALL, M., « The Empress Mathilda and the Church Reform », dans Piety, Power and History in<br />

Medieval England and Normandy, 2000, p. 113.<br />

193


communauté monastique. Celle-ci avait été rassemblée autour de 1150 par un chevalier<br />

normand du nom de Drogo qui avait accompagné Mathilde en Allemagne et y avait<br />

rencontré Norbert de Xanten. Selon Elisabeth Hallam, les chartes de confirmation<br />

émanant d’Henri II et Mathilde visaient donc essentiellement à garantir la fondation et<br />

leur conférer le statut de fondateur 286 . Robert de Torigni évoque en effet Silly en<br />

l’associant à l’autre fondation de Mathilde à Cherbourg, la reconnaissant ainsi comme<br />

principale fondatrice 287 . Non loin de Silly, la fondation de la commanderie des<br />

Hospitaliers de Villedieu-lès-Bailleuil fut patronnée par Ge<strong>of</strong>froy le Bel dans les mêmes<br />

années (entre 1144 et 1151). La charte de confirmation des donations faites par les petits<br />

chevaliers de la région permettait ainsi au duc de patronner la commanderie dont les<br />

terres s’étendaient entre la Dive et la forêt de Gouffern 288 .<br />

Dans le bas Maine, Sébastien Legros a montré comment Henri II, par<br />

l’intermédiaire de son sénéchal, s’est progressivement immiscé dans les conflits entre<br />

les seigneurs locaux et les prieurés bénédictins de la région. Conscients de<br />

l’accentuation des tensions entre l’aristocratie locale et le roi, les moines choisirent de<br />

recourir de plus en plus souvent à la justice royale 289 . Mais cette tactique finit par nuire<br />

à ces derniers : « d’abord parce qu’elle envenime les relations locales en soulignant<br />

cette perte d’autonomie qui inquiète justement les châtelains ; ensuite parce qu’elle<br />

entérine la disqualification géopolitique des prieurés, dont la pérennité ne repose plus<br />

seulement sur la capacité des moines à intervenir directement dans le tissu social local,<br />

mais sur l’intervention d’autorités extérieures. En somme, les prieurés (…) subissent,<br />

comme les châteaux et leurs seigneurs, le poids de la recomposition géopolitique qui<br />

s’opère à la fin du XII e siècle. Cette recomposition signait leur normalisation et<br />

l’achèvement de leur implication active et originale dans un ordre a présent solidement<br />

établi et que la pression royale des Plantagenêt puis des Capétiens cherchait à<br />

soumettre » 290 .<br />

286<br />

HALLAM, E. M., « Henry II as a founder <strong>of</strong> monasteries », Journal <strong>of</strong> Ecclesiastical History, 28: 2<br />

(1977), p. 113-132 cite SAINTE-MARTHE, D. (éd.), Gallia Christiana, 1739-1877, XI, p. 758 ; Regesta<br />

Regum Anglo-Normannorum, 1066-1154. III. Regesta Regis Stephani ac Mathildis Imperatricis ac<br />

Gaufridi et Henrici Ducum Normannorum, 1135-1154, 1968, p. 304-305 n° 824-26.<br />

287<br />

TORIGNI, I, p. 368 : fecit et monasteria canonicorum unum justa cesaris Burgum et alius in silva de<br />

Gouffern.<br />

288<br />

MIGUET, M., Templiers et Hospitaliers en Normandie, 1995, p. 477-494.<br />

289<br />

LEGROS, S., « Prieurés bénédictins, aristocratie et seigneuries : une géopolitique du Bas-Maine<br />

féodal et grégorien (fin 10e-début 13e siècle) », Thèse de doctorat, sous la dir. de Daniel Pichot, 2008,<br />

Atelier national de reproduction des thèses, Lille, p. 545-46, p. 551-552, p. 569-571.<br />

290<br />

Ibid., p. 571.<br />

194


L’intégration des marches internes a donc essentiellement reposé en Normandie<br />

et en Angleterre sur le principe d’une rupture de la continuité territoriale des pouvoirs<br />

seigneuriaux qui tiraient leur force de leur cohérence de leur ancrage dans un territoire.<br />

La stratégie des Plantagenêt consista à les insérer d’une part dans des territoires<br />

« impériaux », formés par les « effets de réseaux » (stratégies pacifiques d’alliances<br />

matrimoniales et d’inclusion dans l’entourage curial), et à s’approprier d’autre part les<br />

principaux pôles structurants de l’espace de leur dominium, en confiscant les loca<br />

dominica et en installant leur propres loca sacra. Si ces stratégies montrent une forte<br />

cohérence dans l’espace anglo-normand, il n’en va pas de même partout, y compris en<br />

Bretagne, où l’affirmation du pouvoir royal ne s’est pas posée dans les même termes.<br />

Dans la mesure où le pouvoir central est resté pratiquement toujours médiatisé par celui<br />

du duc – titre auquel ne prétendit jamais Henri II – l’implantation du pouvoir central à<br />

l’échelle locale restait inefficace. Ainsi, malgré l’insertion des bretons dans des réseaux<br />

« impériaux », la Bretagne resta une province capable de basculer dans le camp capétien<br />

en 1199.<br />

3.1.3- L’annexion du duché de Bretagne après 1166 : entre insertion et intégration<br />

Le pouvoir des Plantagenêt en Bretagne : entre imperium et dominium<br />

Après l’abdication du duc Conan IV en 1166, la Bretagne devient une province<br />

intégrée à l’empire des Plantagenêt, à la suite de l’hommage que rendirent, à Thouars,<br />

presque tous les seigneurs bretons, reconnaissant Henri II comme le représentant<br />

temporaire de l’autorité ducale 291 . Parmi les seigneurs récalcitrants, Hervé et Guihomar<br />

de Léon allié à Eudo de Porhoët s’insurgent dès 1167. En répression, Henri II s’empare<br />

du château de Léon qu’il fait brûler 292 . En 1168, il revient lutter contre une nouvelle<br />

coalition entre Eudo de Porhoët et Rolland de Dinan et son frère Oliver : il fait détruire<br />

Josselin qui constituait le caput de l’honneur et s’empare des châteaux des domaines<br />

ducaux du Broërec, dont le principal était celui de la cité de Vannes, ainsi que les terres<br />

anglaises de Roland de Dinan 293 . Puis, il se saisit du château d’Auray qu’il fait ensuite<br />

renforcer. Une fois la main mise sur les châteaux d’Eudo, Henri II s’attaque à la<br />

291<br />

TORIGNI, I, p. 361 : Rex vero acepit hominium fere ab omnibus baronibus Britanniae apud Toas.<br />

292<br />

Ibid., I, p. 367 : cum videret castrum suum munitissimum combustum et catum, et alia nonulla vel<br />

capta vel reddita.<br />

293<br />

Ibid., II, p. 5-6 ;EVERARD, J. A., « Lands and loyalties in Plantagenet Brittany », dans Noblesses de<br />

l'espace Plantagenêt, 1154-1224, 2001, p. 185-197 ; EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins :<br />

Province and Empire, 1158-1203, 2000, p. 45-46, 56-57. Henri II donna une partie des terres confisquées<br />

à une branche aînée de la famille des Dinan et rendit le reste à Rolland en 1169.<br />

195


seigneurie de Dinan, s’emparant des châteaux de Guignon, d’Hédé (qui avait été fortifié<br />

par Ge<strong>of</strong>froy de Montfort), de Tinténiac et de Bécherel, la fortification de Roland de<br />

Dinan, qu’il fait réparer après le siège, ainsi que Gagard, avant d’assiéger Léhon 294 .<br />

Toutes ces interventions ont pour but d’affirmer l’autorité ducale dont Henri II était<br />

titulaire avant qu’elle revienne à son fils Ge<strong>of</strong>froy qui en fut <strong>of</strong>ficiellement investi à<br />

Rennes en mai 1169. Dès lors les interventions d’Henri II se sont faites non plus au nom<br />

du dominium ducal mais de son imperium sur la Bretagne. La revendication de ce<br />

double pouvoir se matérialise quelques mois après l’investiture de Ge<strong>of</strong>froy, par une<br />

prise de possession symbolique du territoire, lorsque Henri II et Ge<strong>of</strong>froy « parcourent<br />

les châteaux de Bretagne, recevant les fidélités et services des comtes, des barons et des<br />

hommes libres de Bretagne qui leur avaient refusé jusque là » 295 . Ils rencontrent à<br />

nouveau la résistance d’Eudo de Porhoët, qui ne voulait pas lui rendre hommage parce<br />

que, selon Roger de Hoveden, Henri II lui avait prit sa terre avant d’avoir le duché. Le<br />

roi fait alors « entièrement détruire » ses biens jusqu’à sa soumission 296 . En réalité,<br />

Ge<strong>of</strong>froy étant encore mineur à cette date, Henri II continua à gouverner la Bretagne en<br />

tant que tuteur de Constance, l’héritière du duché qui fut mariée à Ge<strong>of</strong>froy en 1181.<br />

Selon Judith Everard, la chronologie de l’instauration d’un gouvernement royal en<br />

Bretagne s’étendit de la prise de Nantes en 1158 à 1179, lorsque les Plantagenêt<br />

parvirent à soumettre le Léon. Rennes et la Cornouailles furent intégrées dès 1166,<br />

tandis que le Broërec ne le fut pas avant 1175. Si Henri II et Ge<strong>of</strong>froy obtinrent de<br />

Guihomar de Léon la reddition de ses châteaux à Pontorson dès 1171, elle doit être<br />

réitérée en 1177, avant de procéder au démembrement de ses possessions en 1179, à la<br />

suite d’une rébellion inaboutie 297 .<br />

En réalité, Henri II se retire définitivement de Bretagne dès 1175, après le traité<br />

de Falaise, comme il le fait en Aquitaine, laissant à ses fils le soin d’affirmer leur propre<br />

autorité. Il conserve néanmoins un contrôle sur le gouvernement de ses fils comme le<br />

294<br />

TORIGNI, II, p. 6 ; EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins : Province and Empire, 1158-1203,<br />

2000, p. 46.<br />

295<br />

PETERBOROUGH, I, p. 3: quo preacto ipse et filius suus Gaufridus circuierunt castella Britannie<br />

accipientes fidelitates et obligantias a comitibus et baronibus et libers hominibus Britannie, de quibus<br />

eanea non acceperant.<br />

296<br />

HOVEDEN, II, p. 3: Deinde rex pr<strong>of</strong>ectis est hostiliter in terram comitis Eudonis et eam fere totam<br />

destruxit et ipsum comitem Eudonem ad deditionem coegit.<br />

297<br />

GUILLOTEL, H., « Les vicomtes de Leon au XIe et XIIe siècles », MSHAB, 51 (1971), p. 7-46:<br />

TORIGNI, II, p.26 : Guihomarcus venit ad eum et reddidit se ei et sua castella ; Ibid., II, p. 71 :<br />

Guihomarus de Leion venit ad dominum regem promittens se de omni terra sua facere voluntatem eius ;<br />

Ibid., II, p. 81 ; EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins : Province and Empire, 1158-1203, 2000<br />

cite Materials for the History <strong>of</strong> Thomas Becket, archbishop <strong>of</strong> Canterbury (canonized by Pope Alexander<br />

III, A.D. 1173) Vol. VII (Epistles, DXXXI-DCCCVIII.), 1965, p. 485-5, letter n° DCCLVI.<br />

196


montre l’injonction qu’il leur fit en avril 1175, de restaurer l’état des châteaux tels qu’il<br />

l’était quinze jours avant la révolte 298 .<br />

Sur l’ordre de son père, Richard en tant que comte de Poitou réduisit<br />

à néant les châteaux du Poitou, qui avaient été retenus et renforcés<br />

contre son père pendant les hostilités, … de même Ge<strong>of</strong>froy, le comte<br />

de Bretagne, détruisit les châteaux de Bretagne qui avait été fortifiés<br />

contre son père et attaqua nombre d’hommes de sa patrie, qui<br />

s’étaient révoltés à tort contre son père pendant la guerre 299 .<br />

Ge<strong>of</strong>froy s’empare ainsi des places qu’Eudo avait dans son dominium depuis le<br />

déclenchement de la révolte, à savoir Vannes, Ploërmel, Auray et à moitié de la<br />

Cornouailles 300 . À partir de cette date et jusqu’en 1181, date à laquelle Ge<strong>of</strong>froy<br />

gouverne la Bretagne de manière autonome, il est secondé par Roland de Dinan en tant<br />

que procurator du roi 301 . En 1183, cependant, après sa révolte aux cotés de ses frères,<br />

Ge<strong>of</strong>froy doit rendre ses châteaux à son père et faire reconstruire la tour de Rennes qui<br />

avait été incendiée pendant la répression 302 . Mais peu après il s’attaque à nouveau à<br />

Rennes, qu’il fait brûler en grande partie, ainsi que l’abbaye de Saint-Georges, le<br />

château de Bécherel et celui de Roland de Dinan 303 . Après la mort de Ge<strong>of</strong>froy, en<br />

1186, Henri II reprend à nouveau le contrôle du duché, qu’il confie d’abord de manière<br />

temporaire à Raoul de Fougères notamment pour reprendre les châteaux ducaux de<br />

Morlaix et Châteauneuf-du-Faou, dont les seigneurs de Léon s’étaient emparés<br />

certainement à l’annonce de la mort de Ge<strong>of</strong>froy 304 . Puis, il nomma deux sénéchaux :<br />

Maurice de Craon et Alain de Dinan pour seconder Constance qui héritait du duché,<br />

298 HOVEDEN, II, p. 72: praecipiens quod castella, quae fermata vel inforciata fuerant termpore guerra<br />

redigerentur in eum statum quod fuerunt quindecim diebus ante guerram.<br />

299 PETERBOROUGH, I, p. 101: Eodem anno, Ricardus comes Pictaviae, filius Henrici Regis Angliae,<br />

castella Pictaviae, quae contra patrem suum tempore hostilitatis infortiata vel retenta fuerant, per<br />

praeceptum patris sui in nihilum redegit…. Similiter Gaufridus comes Britannie, filius praedicti regis<br />

Anglie castella Britannie, quae contra patrem suum firmata fuerant, subverti, et mala multa intulit<br />

hominibus patriae illus, qui contra patrem suum tenuerunt tempore guerrae.<br />

300 TORIGNI, II, p. 56 : Gaufridus, dux Britanniae, ea quae comes Eudo habebat de dominio suo, scilicet<br />

Venetum, Ploasmel, Aurai, medietatem Cornubiae, revocavit in dicionem suam.<br />

301 EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins : Province and Empire, 1158-1203, 2000, p. 95.<br />

302 PETERBOROUGH, I, p. 304: et dominus rex dissaisiavit eum de omnibus castellis suis et<br />

munitionibus suis Britannie in misericordia sua ; TORIGNI, II, p. 151 : Rex Henricus senior misit<br />

exercitum in Britanniam et obsederunt turrem Redonemsem et ceperunt, et combusta readificaverunt et<br />

muniverunt (Le roi Henri le vieux envoya une armée en Bretagne qui assiégea la tour de Rennes, la prit et<br />

réédifièrent et fortifièrent ce qui avait été brûlé).<br />

303 Ibid., II, p. 151 : Postea comes Britannie magnam partem ipsium civitatis et abbatiam Sancti Georgii<br />

combussit, et Becherel et castrum Rollandi de Dinam.<br />

304 PETERBOROUGH, I, p. 357: Eodem anno Wymar de Leuns et Herveus frater eius in Britannia, ante<br />

festum Sancti Andrea, obsederant castellum quod dicitur Muntreleis et castellum quod vocatur Castellum<br />

Novum. Et redditum est eis utrumque a custodibus quibus Radulfus de Fulgeris ea tradidit custodienda<br />

per mandatum domini regis.<br />

197


jusqu’à la majorité de son fils Arthur 305 . Henri II renonça à reprendre la Bretagne sous<br />

son autorité directe et décida de remarier Constance à l’un des plus puissants seigneurs<br />

de Normandie, Ranulf de Chester. Les Plantagenêt renonçaient ainsi à leur dominium<br />

sur le duché, désormais gouverné par Constance, mais ils conservèrent leur imperium,<br />

notamment par le biais des sénéchaux qui avaient été nommés par Henri II et qui furent<br />

maintenus en poste 306 . En 1196, Richard décida de se saisir de la garde d’Arthur afin de<br />

réinsérer la Bretagne sous son autorité directe. Après avoir fait enlever la duchesse, il<br />

lança une expédition militaire, dévastant la péninsule jusqu’à Carhaix 307 . Malgré la<br />

résistance des seigneurs bretons qui envoyèrent Arthur à la cour du roi de France,<br />

Richard parvint à ses fins en 1198, obtenant l’allégeance des barons bretons ainsi que la<br />

garde d’Arthur. En 1199, à la mort de Richard, la revendication d’Arthur à sa<br />

succession projette la Bretagne au cœur des enjeux de l’empire, provoquant une crise<br />

qui débouche sur sa dislocation.<br />

Au final, comme le signalait John Le Patourel, à l’encontre des lectures<br />

nationalistes d’Arthur de La Borderie et de Bertrand Pocquet du Haut-Jussé, les<br />

quelques aristocrates les plus revêches aux Plantagenêt sont ceux qui opposaient depuis<br />

longtemps une résistance au pouvoir ducal 308 . Leurs révoltes furent d’ailleurs souvent<br />

des initiatives individuelles bien plus que de véritables actions collectives. Hormis ces<br />

quelques seigneurs bretons, une dizaine en tout, il semble qu’une majorité de chevaliers,<br />

de clercs et de marchands étaient acquis à la cause des Plantagenêt avant même<br />

l’annexion du duché, surtout ceux qui se trouvaient dans la marche entre Bretagne et<br />

Anjou.<br />

L’insertion des seigneurs des marches<br />

L’annexion du duché de Bretagne favorisa avant tout l’insertion de la marche de<br />

Bretagne au sein de l’empire. Cette insertion s’opéra essentiellement sur deux modes :<br />

d’une part l’annexion pure et simple des espaces comme le comté de Nantes et la<br />

seigneurie de Dol-Combourg, confisquée en 1162 309 (voir chapitre 4) et d’autre part en<br />

305<br />

EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins : Province and Empire, 1158-1203, 2000, p. 147.<br />

306<br />

CHÉDEVILLE, A. et TONNERRE, N. Y., La Bretagne féodale, XIe-XIIIe siècle, 1987, p. 96-97.<br />

307<br />

Ibid., p. 98.<br />

308<br />

LE PATOUREL, J. H., « Henri II et la Bretagne », MSHAB, 58 (1981), p. 99-116; POCQUET DU<br />

HAUT-JUSSE, B., « Les Plantagenêts et la Bretagne », Annales de Bretagnes et des pays de l'ouest, 53<br />

(1946), p. 1-27; DE LA BORDERIE, A. et POCQUET DU HAUT-JUSSE, B., Histoire de Bretagne,<br />

1985 [1905-1914], notamment le chapitre intitulé « la tyrannie de Henri II et la résistance bretonne ».<br />

309<br />

Henri II avait confisqué la garde de l’honneur de Dol-Combourg, à Raoul de Fourgères qui la tenait de<br />

Jean de Dol, en 1162-63, alors qu’il était parti en Terre Sainte.<br />

198


favorisant des recompositions territoriales dans le sens d’une extension au dépend des<br />

domaines ducaux, notamment dans le cas de la seigneurie de Vitré 310 . Le support des<br />

seigneurs de Vitré au gouvernement des Plantagenêt leur permet en effet de faire<br />

d’importantes acquisitions, aux dépends de leurs vassaux, comme c’est le cas de La<br />

Guerche, tenus par des seigneurs réfractaires, et que les mercenaire du roi détruisirent<br />

en 1173 311 . L’annexion du duché au sein de l’empire d’Henri II, en 1166, modifia donc<br />

moins les stratégies des seigneurs des marches bretonnes qui étaient déjà largement<br />

insérées dans l’espace anglo-normand, par les possessions qu’ils détenaient soit en<br />

Normandie soit en Angleterre depuis la conquête 312 , qu’elle ne reconfigura leurs<br />

stratégies territoriales en les insérant dans une plus large échelle. Après 1166, les<br />

seigneurs bretons possessionnés outre manche, qui pouvaient jouer de leur multiples<br />

appartenances, dépendaient désormais de la domination unique d’Henri II qui usa des<br />

règles du droit faisant de la confiscation des terres anglo-normandes un véritable mode<br />

de sanction 313 . Judith Everard fait d’ailleurs remarquer que ce sont les seigneurs<br />

possessionnés en Angleterre qui ont bien été les principales cibles des campagnes<br />

qu’Henri II mena en Bretagne et notamment en 1168 : Bécherel, Dinan, Fougères et<br />

Tinténiac, dont les terres anglaises furent également confisquées. En revanche, les<br />

Plantagenêt n’avaient aucun moyen de pression si ce n’est l’affrontement militaire, qui<br />

impliquait une longue expédition à travers la péninsule, sur les seigneurs de Léon. Si<br />

l’histoire du Léon ne fut qu’une succession d’oppositions au gouvernement des<br />

Plantagenêt, c’est cependant moins à cause de leur éloignement géographique que du<br />

manque de moyens de coercition aux mains des Plantagenêt pour imposer leur<br />

pouvoir 314 .<br />

310 BRAND'HONNEUR, M., « Seigneurs et réseaux de chevaliers du nord est Rennais sous Henri II<br />

Plantagenêt », dans Noblesses de l'espace Plantagenêt, 1154-1224, 2001, p. 165-184, en particulier p.<br />

174-78 : en tout et pour tout, la seigneurie de Vitré passa d’un réseau d’environ 22 manoirs à motte à plus<br />

d’une cinquantaine entre 1161 et 1173.<br />

311 TORIGNI, II, p. 46 : Siquidem Brebenzones regis destruxerant castrum Quircae, sicuta antea<br />

pressumdederant Fulgerias et ceteras munitiones Radulfi.<br />

312 BRAND'HONNEUR, M., « Seigneurs et réseaux de chevaliers du Nord-Est rennais sous Henri II<br />

Plantagenêt », dans Noblesses de l'espace Plantagenêt, 1154-1224, 2001, p. 165-184; VINCENT, N.,<br />

« Twyford under the Breton 1066-1250 », Nottingham Medieval Studies, 41 (1997), p. 80-99 cite les<br />

manoirs anglais de Raoul II de Fougères, confisqués en 1164 et 1173 : Twyford, Osmundiston, Ipplpen et<br />

West Kington et celles des seigneurs de Viré.<br />

313 EVERARD, J. A., « Lands and loyalties in Plantagenet Brittany », dans Noblesses de l'espace<br />

Plantagenêt, 1154-1224, 2001, p. 185-197. Les confiscations les privaient en effet non seulement de<br />

ressources matérielles mais également de terres pour conclure des alliances matrimoniales et ainsi<br />

renforcer leurs réseaux.<br />

314 Ibid.; GUILLOTEL, H., « Les vicomtes de Leon au XIe et XIIe siècles », MSHAB, 51 (1971), p. 7-46.<br />

199


Cette analyse rejoint l’idée développée par certains géographes selon laquelle les<br />

réseaux sont constitutifs de l’émergence de nouvelles territorialités issues des<br />

changements d’échelle de la gouvernance, et notamment la formation d’une échelle<br />

impériale 315 . L’idée que le territoire serait un effet de réseau est apparu comme une<br />

manière de réinterpréter en tentant de la dépasser la dichotomie qu’avait établit Gilles<br />

Deleuze entre territoire et réseaux – qui influença nombre de géographes. Dans L’anti-<br />

Œdipe, Deleuze expliquait en effet que « loin de voir dans l’État le principe d’une<br />

territorialisation qui inscrit les personnes selon leurs résidences, nous devons voir dans<br />

le principe de résidence l’effet d’un mouvement de déterritorialisation qui divise la terre<br />

comme un objet et soumet les hommes à une nouvelle inscription impériale, à un<br />

nouveau corps social » 316 . Plutôt que de parler de « déterritorialisation », Joe Painter,<br />

résumant les argument de ce courant géographique, proposait plutôt de voir la relation<br />

entre réseau et territoire comme une dialectique produisant « un processus de<br />

transformation scalaire à mesure que les groupes sociaux luttent pour le contrôle de<br />

l’espace et des lieux » 317 . La notion de réseau topologique permet ainsi de mettre en<br />

évidence les liens qu’il y a entre des lieux territorialement éloignés, comme le château<br />

de Richmond dans le Yorkshire et le château des ducs de Bretagne à Rennes en tant<br />

qu’ils sont tous deux soumis à partir de 1166 à la capacité coercitive des rois<br />

d’Angleterre et dont la confiscation contribue à territorialiser son pouvoir. La conquête<br />

de la Bretagne par les Plantagenêt ne peut donc être séparée de son insertion dans les<br />

réseaux tissés depuis 1066 qui constituaient déjà un « territoire rhizomique » 318 , à partir<br />

duquel le contrôle des lieux et des fidélités fut possible.<br />

Pour les historiens de la Bretagne, la domination des Plantagenêt a non<br />

seulement été un moment de renforcement de l’autorité ducale, mais aussi et surtout une<br />

étape décisive de son homogénéisation territoriale. Noël-Yves Tonnerre affirme ainsi<br />

que c’est sous l’autorité d’Henri II, que « l’unité de la Bretagne fut définitivement<br />

315 PAINTER, J., « Territoire et réseau: une fausse dichotomie? », dans Territoires, territorialité,<br />

territorialisation. Controverses et perspectives, 2009, p. 57-66 cite SWYNGEDOUW, E., « Globalisation<br />

or 'glocalisation'? networks, territories and rescaling », Cambridge review <strong>of</strong> International affairs, 17<br />

(2004), p. 25-48; DICKEN, P. et al., « Chains and networks, territories and scales: towards a relational<br />

framework for analysing the global economy », Global Networks, 1 (2001), p. 89-112.<br />

316 DELEUZE, G. et GUATTARI, F., Capitalisme et schizophrénie [I] L'anti-Oedipe, 1972, p. 200.<br />

317 PAINTER, J., « Territoire et réseau: une fausse dichotomie? », dans Territoires, territorialité,<br />

territorialisation. Controverses et perspectives, 2009, p. 57-66.<br />

318 Selon la définition de Gilles Deleuze, un rhizome est un système dans lequel l’organisation des<br />

éléments ne suit pas une ligne de subordination hiérarchique mais dans leque tout tout élément peut<br />

affecter ou influencer un autre. DELEUZE, G. et GUATTARI, F., Capitalisme et schizophrénie [I]<br />

L'anti-Oedipe, 1972, p. 13.<br />

200


assurée. Non seulement il replaça après la mort de son frère Ge<strong>of</strong>froy, le comté de<br />

Nantes dans le duché, mais la confiscation du comté de Guingamp permit au pouvoir<br />

ducal d’être présent dans une région qui l’ignorait jusqu’ici » 319 . Si l’hommage rendu<br />

par Arthur à Philippe Auguste en 1199 constitue un basculement qui fait sortir la<br />

Bretagne des réseaux « impériaux » des Plantagenêt dans lesquels elle était jusque là<br />

fortement insérées, selon Judith Everard, cette date ne marque pas vraiment la fin de la<br />

domination Plantagenêt en Bretagne. Pour cette historienne, c’est seulement à<br />

l’automne, lorsque Jean attaque désespérément Dol, qu’est enfin manifeste la preuve<br />

que sa capacité à imposer la puissance royale dans la péninsule est désormais perdue 320 .<br />

Les stratégies de territorialisation du pouvoir central n’ont donc pas débouché sur<br />

l’intégration de la Bretagne au sein de l’empire, car la structure familiale et l’autonomie<br />

ducale qu’elle impliquait eurent plutôt pour effet d’y fragiliser l’imperium Plantagenêt.<br />

Cependant, l’insertion du duché dans un vaste empire, en supprimant les possibilités<br />

d’alliance multiples, a toutefois favorisé son « désenclavement » et son ouverture vers<br />

l’Anjou et le Poitou d’une part, mais aussi vers des réseaux plus vastes, anglais ou<br />

français, dont l’alternance constituera une véritable politique tout au long du Moyen<br />

Âge 321 .<br />

Que ce soit dans les marches de la Normandie ou de la Bretagne, le contrôle des<br />

réseaux de fidélités à partir des lieux dans lesquels elles s’ancraient apparaît ainsi<br />

comme l’un des modes de territorialisation du pouvoir central. Si cette stratégie montre<br />

ses limites en Bretagne en 1199, c’est parce que cette territorialisation pr<strong>of</strong>ita davantage<br />

au pouvoir ducal qu’au pouvoir impérial d’Henri II, Richard et Jean. L’interférence du<br />

pouvoir ducal est aussi ce qui apparaît comme le principal obstacle à l’intégration de<br />

l’Aquitaine à l’imperium Plantagenêt<br />

3.2- Les stratégies d’implantation du pouvoir dans les marches du<br />

Poitou<br />

319 TONNERRE, N. Y., Naissance de la Bretagne. Géographie historique et structures sociales de la<br />

Bretagne méridionale Nantais et Vannetais de la fin du VIIIe à la fin du XIIe siècle, 1994, p. 392.<br />

320 EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins : Province and Empire, 1158-1203, 2000, p. 156.<br />

321 JONES, M., La Bretagne ducale. Jean IV de Montfort entre la France et l'Angleterre 1364-1399,<br />

1998; JONES, M., Between France and England. Politics, Power and Society in late Medieval Brittany,<br />

2003.<br />

201


3.2.1- La neutralisation temporaire des seigneuries de Thouars et Lusignan<br />

Pour Henri II, la question de la cohésion entre l’Anjou et l’Aquitaine se pose dès<br />

1152, après son mariage avec Aliénor. Conformément aux règles de successions<br />

angevines fondées sur la répartition des terres entre les héritiers mâles, son frère<br />

Ge<strong>of</strong>froy avait hérité de l’Anjou, laissant Henri II maître d’un espace ingouvernable. En<br />

1156, après maintes négociations visant à détourner les règles successorales 322 , Henri II<br />

parvient à mettre la main sur les trois principales places fortes d’Anjou: Chinon,<br />

Loudun et Mirebeau contre une rente annuelle de 1000 livres de monnaie anglaise et<br />

5000 livres angevines 323 et les fait immédiatement fortifier ainsi que le donjon de<br />

Loches 324 .<br />

La question se règle définitivement en 1158, à la mort de Ge<strong>of</strong>froy, qui laisse<br />

alors à Henri II le comté de Nantes, à la tête de duquel il avait été appelé en 1156, pour<br />

remplacer le comte Hoël qui venait d’être expulsé 325 . Entre temps, Henri II avait<br />

conquis le trône d’Angleterre et reçu l’hommage des barons d’Aquitaine et de<br />

Gascogne. La maîtrise des forteresses de la Loire, de Nantes à Amboise, lui permet dès<br />

lors de s’affirmer contre les seigneurs des marches poitevines, à commencer par les<br />

seigneurs de Thouars dont la vaste seigneurie s’étendait entre l’Anjou, le Poitou et la<br />

Bretagne. La prise de Thouars, ce « château inexpugnable aux confins du Poitou et de<br />

l’Anjou » 326 , intervint en effet dans les quelques semaines qui suivirent la prise de<br />

Nantes. Henri II s’en saisit sans doute le 18 août 1158, poussant Ge<strong>of</strong>froy de Thouars à<br />

se réfugier à Chaize-le-Vicomte 327 . Il confia la garde du château à Brient de Martigné<br />

(1158-1161) puis au normand Simon de Tournebu (1164) en même temps qu’il y<br />

322 BOUSSARD, J., Le gouvernement d'Henri II Plantagenêt, 1956, p.408, BOUSSARD, J., Le Comté<br />

d'Anjou d'Henri Plantegenêt à la conquête de Philippe Auguste, 1932, p. 72 : Henri obtint du pape Adrien<br />

IV l’annulation du serment prêté en 1151 de céder l’Anjou à Ge<strong>of</strong>froy.<br />

323 GUILLAUME DE NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry II, and Richard I, 1884,<br />

p. 112, II, VII : Cum Henricus inquit plenitudinem obtineruit juris materni, id est Normaniam cum<br />

Anglia, fratri Godefro, jus paternum integre dimittat. Interim idem Gaufridus tribus castelli non<br />

ignobilibus, scilicet Chinone, Leoduno et Mirabello sit contentus ; ROBERT DE TORIGNI, The<br />

chronicle / the 'continuatio Beccensis', 1889; TORIGNI, I, 301.<br />

324 BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts en Poitou, 1154-1242, 2001.<br />

325 Il avait entre temps été désigné comte de Nantes EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins :<br />

Province and Empire, 1158-1203, 2000 p. 32-33; GUILLAUME DE NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the<br />

reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry II, and Richard I, 1884, p. 114.<br />

326 ROBERT DE TORIGNI, The chronicle / the 'continuatio Beccensis', 1889, p.319-320 : Rex Henricus<br />

cum magno exercitu obsedit Thoars, castellum inexugnabile in confinio Pictavorum et Andegavensium…<br />

327 BAUDRY, M.-P., « Les fortifications des Plantagenêt à Thouars », dans La cour Plantagenêt, 1154-<br />

1204, 2000, p. 297-314.<br />

202


installe des garnisons qui y résidèrent pendant plus de vingt ans 328 . La prise de Thouars<br />

constitue la première confiscation d’Henri II en Aquitaine. Les historiens se sont<br />

interrogés sur les raisons de cet acte et ont avancé plusieurs mobiles : s’agissait-il d’un<br />

acte de vengeance contre l’ingérence du vicomte de Thouars en Anjou pendant la guerre<br />

civile ou la volonté de créer un événement de violence fondatrice instaurant l’autorité<br />

royale par l’usage de la force et de l’intimidation ? Si ce dernier motif est le plus<br />

souvent avancé, les deux n’ont rien de contradictoires 329 . Toujours est-il qu’avec la prise<br />

de Thouars Henri II avait écarté l’un des principaux obstacles à la continuité territoriale<br />

entre l’Anjou et le Poitou.<br />

En 1188, lorsque le vicomte Aimery de Thouars succéda à son père, il retrouva<br />

la possession d’un château dit alors « nouveau », laissant entendre la récente<br />

reconstruction de la forteresse sans doute avec l’accord et/ou l’aide du roi 330 . Insérés<br />

dans l’entourage du duc de Poitou, il pr<strong>of</strong>ita de l’avènement de Richard en 1189, pour<br />

restaurer la puissance de son lignage. La réintégration des Thouars dans l’entourage<br />

royal passa surtout par Guy, plus que par son frère Aimery IV, mais tous deux restèrent<br />

fidèles au parti Plantagenêt, y compris après l’avènement de Jean en 1199, grâce à<br />

l’entremise d’Aliénor qui parvient à éviter leur entrée dans le parti de Bretagne – un<br />

choix qui aurait à nouveau fait de la seigneurie un espace de séparation entre l’Anjou et<br />

le Poitou.<br />

La confiscation de Thouars eut sans doute son efficacité, car les interventions<br />

des Plantagenêt dans les marches angevino-poitevines ont été plutôt rares et ponctuelles.<br />

La confiscation de l’honneur des Lusignan en 1168, répondait surtout à la révolte de<br />

cette grande famille dont la seigneurie qui s’étendait du sud de l’Anjou jusque vers<br />

Poitiers contrôlait un axe de communication majeur. La répression d’Henri II fut<br />

d’autant plus sévère que leur révolte déboucha sur l’assassinat du comte Patrick de<br />

328 TORIGNI, I, p. 313, n.5 ; COLLET, J. P., « Le combat politique des Plantagenêt en Aquitaine:<br />

l'exemple des vicomtes de Thouars (1158-1199) », dans Noblesses de l'espace Plantagenêt, 1154-1224,<br />

2001, p. 139-164, il signale une charte (BNF ms latin 5480, I, p.136) dans laquelle il est question en 1164<br />

de Symone de Tornabuo constabulario Toarcii.<br />

329 Ibid., cite Richard le Poitevein, dans RHF, XIII, p. 417 : istud vero factum tantum timorem<br />

Pictaviensibus et Wasconibus intulit, ut pene gladios suos in vomeres conflarent et lanceas suas in falces.<br />

(celui provoquant tant de crainte chez les Poitevins et les Gascons qu’ils aiguisaient à peine leurs glaives<br />

et leurs lances).<br />

330 BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts en Poitou, 1154-1242, 2001 ; BAUDRY, M.-P.,<br />

« Les fortifications des Plantagenêt à Thouars », dans La cour Plantagenêt, 1154-1204, 2000, p. 297-314,<br />

note 25 cite une charte de donation à l’église Ste Marie de Turpenay ; La « Chronique de Saint-Aubin<br />

d’Angers », dans RHF, XII, p.482 : Henricus rex Nannetensem urbem in dominum accepit, deinde<br />

Toarcium obsidens, infra trium dierum spatium non sine admiratione universorum cepit, eiusque muros<br />

funditus destruxit.<br />

203


Salisbury récemment nommé gouverneur d’Aquitaine, à l’encontre des normes et des<br />

lois de la guerre.<br />

Face à leur obstination insensée, [Henri II] s’empara de leur château<br />

de Lusignan, de leurs villages et de leurs fortifications et les détruisit<br />

entièrement 331 .<br />

Hormis leur château éponyme, les principales places fortes des Lusignan se<br />

trouvaient à Vivonne, Vouvant, Béruges, Soubise et peut-être Moncontour 332 .<br />

Contrairement à Thouars, il ne semble pas que ces confiscations et ces destructions aient<br />

débouché sur l’installation de garnisons, mais elles contribuèrent à pacifier et fluidifier<br />

un espace de passage crucial entre l’Anjou et le Poitou et à réduire les solutions de<br />

continuité territoriale de l’empire. Cependant, avec la mise en place de la confédération<br />

familiale après le milieu des années 1170 et les rivalités entre les fils d’Henri II, les<br />

marches entre Poitou et Anjou deviennent à nouveau des espaces de crispation.<br />

3.2.2- Les fortifications des marches du Poitou dans les années 1180<br />

En 1182, les chroniques relatent la construction de quatre châteaux par Richard<br />

aux marges de l’Aquitaine et de l’Anjou, dans des espaces plus ou moins bien contrôlés<br />

par le pouvoir ducal. Deux de ces châteaux fortifiés par Richard se trouvaient à l’est de<br />

Poitiers, aux confins de la vaste seigneurie des comtes de Châtellerault, des seigneurs<br />

peu turbulents (Aliénor était la fille de Aénor de Châtellerault) mais non moins<br />

puissants. La maîtrise de cet espace entre la Vienne et la Creuse devint d’autant plus<br />

cruciale lorsque Henri II s’empara du Berry à la mort de Raoul de Déols en 1177 (voir<br />

chapitre 4). Selon John Gillingham, la fortification de Clairvaux (Scorbé-Clairvaux)<br />

visait à tenir en respect le puissant vicomte de Châtellerault dont le château contrôlait la<br />

route stratégique menant de Tours à Poitiers à l’endroit où elle traverse la Vienne. Selon<br />

Marie-Pierre Baudry, cette fortification peut également être considérée comme une<br />

réponse à la reconstruction avant 1175 du château de Châtellerault 333 . Mais la<br />

fortification de Clairvaux, qui se trouvait également aux confins de l’Anjou, provoqua<br />

331<br />

TORIGNI, II, p. 4 : Quod rex audiens impiger advolat, et eorum insaniae obsistens, Lizennoium<br />

castrum munitissimum cepit, captum munivit et villas eorum et municipia destruxit.<br />

332<br />

HAJDU, R., « Castles, Castellans and the structure <strong>of</strong> politics in Poitou 1152-1271 », J.M.H., 4:1<br />

(1978), p. 27-53.<br />

333<br />

BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts en Poitou, 1154-1242, 2001, p. 239-246.<br />

204


la dispute entre Richard et son frère Henri le Jeune dans les années 1180 334 . Un<br />

sirventes de Bertrand de Born relate des vives tensions qui existaient à ce sujet :<br />

Entre Poitiers, l’Ile-Bouchard, Loudun et Chinon, quelqu’un a osé<br />

construire un beau château à Clairvaux, au milieu de la plaine. Je ne<br />

voudrais pas que le jeune roi [Henri-le-jeune] l’apprenne et le voit<br />

car il ne le trouverait pas à son goût, mais je crains, si blanche en est<br />

la pierre qu’il ne puisse manquer de le voir depuis Matefelon 335<br />

Le château de Clairvaux a aujourd’hui presque entièrement disparu et ne fut<br />

manifestement jamais achevé comme le suggèrent les vestiges archéologiques ; Richard<br />

ayant dû rendre le château à son père pour mettre fin au conflit 336 . Selon Christian<br />

Corvisier, ces vestiges n’en restent pas moins « déroutants ». Malgré « la forme<br />

aberrante » du donjon, il la trouve bien comparable à d’autres constructions de Richard,<br />

comme celle de Talmont (voir infra) : il argumente l’attribution de ces constructions à<br />

Richard en soulignant leur aspect « d’ostentation démonstrative nullement rentabilisée<br />

pour l’usage ‘‘domestique’’… qui s’accorde bien avec l’esprit dans lequel le jeune<br />

Richard fait fortifier Clairvaux » 337 .<br />

Si Richard doit renoncer à Clairvaux, il poursuit son projet de contrôler la<br />

seigneurie de Châtellerault en érigeant un nouveau château en pierre sur la rive gauche<br />

de la Creuse, aux confins du Berry 338 . En 1184, Richard donne aux habitants du bourg<br />

de Saint-Remy une charte de franchise si attractive que les hommes de Châtellerault et<br />

d’Angles virent rapidement s’installer 339 . Selon Nicole Cherrier, la construction de ce<br />

château participe de la dissolution et de l’ouverture des marches frontalières du comté<br />

de Poitou qui cessent d’être un espace flou d’entre-deux, une frontière épaisse,<br />

334 TORIGNI, II, p. 115 : Hoc etiam anno magna discordia facta est inter regem et filios suos, propter<br />

castellum Clarae Vallis, quod erat de feudo Andegavensis, et Richardus comes Pictavensis, latenter<br />

firmaverat, illud… ; PETERBOROUGH, I, p.294 : quod frater suum castellum de Cleresvaux, in<br />

patrimonio sibi post patrem suum debito, contra suam firmaverat voluntatem.<br />

335 BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts en Poitou, 1154-1242, 2001, p. 239-246 ;<br />

CORVISIER, C., « Les châteaux de Richard Coeur de Lion ou l'oeuvre de pierre comme démonstration<br />

de force », dans Richard coeur de Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 199-228,<br />

citent GOUIRAN, G., L'amour et la guerre, l'œuvre de Bertrand de Born, 1985.<br />

336 BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts en Poitou : 1154-1242, 2001, p. 239-246.<br />

337 CORVISIER, C., « Les châteaux de Richard Coeur de Lion ou l'oeuvre de pierre comme<br />

démonstration de force », dans Richard coeur de Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199,<br />

2004, p. 199-228.<br />

338 BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts en Poitou : 1154-1242, 2001, p. 329, cite<br />

BARDONNET, A., « Comptes et enquêtes d'Alphonse de Poitou 1253-1269 », Archives historiques du<br />

Poitou, 8 (1879), p. 44-53. inquiesta de castri sancit remigii.<br />

339 Layettes I, p. 142, et BARDONNET, A., « Comptes et enquêtes d'Alphonse de Poitou 1253-1269 »,<br />

Archives historiques du Poitou, 8 (1879) p. 15-53 et 55 ; CHERRIER, N., « Châteaux, frontières et<br />

espaces forestiers à l’est du Poitou du Xe au début du XIIe siècle », dans Château Gaillard. Études de<br />

castellologie européenne, 1966, p. 45-52.<br />

205


échappant à toute emprise humaine continue. La construction de ce château consistait<br />

donc moins à contrôler un espace turbulent, qu’un espace flou et incertain, sans<br />

domination réelle ; elle visait donc à renforcer le pouvoir territorial du duc dans un<br />

espace jusque là négligé. En 1199, le vicomte de Châtellerault pr<strong>of</strong>ite de l’annonce de la<br />

mort de Richard pour s’emparer de la place, mais Jean le reprend rapidement et y laisse<br />

une garnison jusqu’en 1203, date à laquelle le château est pris et détruit par Philippe<br />

Auguste 340 . C’est dans ces mêmes années, ou dans les années 1190, que Marie-Pierre<br />

Baudry propose de situer les fortifications de Richard à Château-Guillaume, une place<br />

forte ducale, construire par Guillaume IX, situé entre dans la marche méridionale du<br />

Poitou, entre le Berry et le Limousin 341 . Selon cette archéologue, l’étude de la mise en<br />

œuvre et des formes défensives du château constitue la seule base de cette hypothèse en<br />

l’absence de sources documentaires ou d’études archéologiques précises.<br />

Dans les années 1180, Richard intervient également à l’autre bout du Poitou, en<br />

Vendée, en faisant reconstruire le château de Talmont. Selon Pascale Gadé, Richard se<br />

serait emparé du château des seigneurs de Mauléon à la suite d’une plainte de l’abbé de<br />

Saint-Jean d’Orbestier, venu à la cour du comte à Poitiers en 1181 342 . L’année suivante,<br />

Richard installa sa cour non loin de l’abbaye d’Orbestier, près d’un étang que les<br />

moines avaient à Port-Juré : la toponymie a conservé le souvenir de la aula construite<br />

par Richard dans le lieu-dit « la Salle-le-Roi » 343 . À cette occasion Richard délivre une<br />

charte de confirmation aux moines de Saint-Jean dans laquelle il se dénomme dominus<br />

de Thalmundo et parle de dominio meo de Thalemundo. À Noël 1183, Richard tient à<br />

nouveau sa cour à Talmont, et chasse dans la forêt d’Orbestier. Ces éléments suggèrent<br />

donc que Richard confisqua le château de Talmont au seigneur de Mauléon et qu’il le<br />

conserva jusqu’en 1199, lorsque Aliénor le rendit à Raoul pour s’assurer de sa fidélité à<br />

Jean 344 . Selon Marie-Pierre Baudry et Pascale Gadé, les travaux de fortification du<br />

château datent de la seconde moitié du XII e siècle 345 . Ils concernent non seulement les<br />

340 BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts en Poitou : 1154-1242, 2001, p. 330, cite<br />

RICHARD, A., Histoire des comtes de Poitou. Tome 4, [1086-1137], 2004, II, p.230-231.<br />

341 BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts en Poitou : 1154-1242, 2001, p. 305-306.<br />

342 GADÉ, P., « Richard, seigneur du château de Talmont en Bas-Poitou », dans Richard coeur de Lion<br />

roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 229-236 cite DE LA BOUTETIÈRE, L. (éd.),<br />

Cartulaire de l'abbaye Saint-Jean d'Orbestier, 1877, p. 5 acte n° 3, 1181.<br />

343 Ibid., p. 6-10 acte n°4, 1182 : in aula mea quam edificavit super stagnum monachorum de Portu<br />

Jurato.<br />

344 HAJDU, R., « Castles, Castellans and the structure <strong>of</strong> politics in Poitou 1152-1271 », J.M.H., 4:1<br />

(1978), p. 27-53.<br />

345 BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts en Poitou : 1154-1242, 2001, p. 247-256 ;<br />

GADÉ, P., Talmont, une forteresse de Richard Cœur de Lion, 1997; GADÉ, P., « Le château de Talmont<br />

206


défenses mais également le logis, la cheminée et l’escalier. Contrairement à Jean<br />

Mesqui qui attribue la paternité des travaux aux seigneurs de Mauléon, Marie-Pierre<br />

Baudry se fonde sur l’étude de l’appareil mis en œuvre pour attribuer les constructions à<br />

Richard : le moyen appareil de pierres de tailles à joints fins, avec des assises peu<br />

épaisses, comme sur l’éperon, dont la fonction défensive est attestée par les petites<br />

salles à archères ; de même les tourelles et les tours de flanquement sont très proches de<br />

ce qu’on peut observer sur les autres constructions de Richard à la même époque et<br />

notamment à Clairvaux 346 .<br />

Les travaux de Pascale Gadé insistent cependant moins sur les constructions<br />

attribuées à Richard au château de Talmont que sur les rapports que ce prince a<br />

entretenus avec cette région du Poitou au cours de son règne. Elle met notamment en<br />

évidence l’étroite association entre la domination de cet espace par Richard à partir de<br />

1182 et l’implantation de nombreuses fondations monastiques.<br />

3.2.3- Le relais des fondations monastiques<br />

Au regard de la carte des répartitions des fondations et des châteaux royaux<br />

(carte 2.8), on peut observer une forte concentration de fondations royales en Poitou et<br />

notamment dans les marches nord-ouest du comté. La plupart des établissements<br />

installés dans cet espace appartenaient aux ordres « nouveaux », nés de la réforme du<br />

monachisme bénédictin au tournant du XI e et du XII e siècle, et pour lesquels les<br />

Plantagenêt avaient une prédilection bien connue 347 . Que ce soit l’ordre de Grandmont,<br />

fondé par Étienne de Muret (en 1074), dont l’intérêt aurait été suscité par Mathilde et<br />

Aliénor et qu’il affectionna particulièrement, l’ordre des Prémontrés, fondés par Norbert<br />

de Xanten (en 1080), celui des Chartreux, fondés par saint Bruno à Grenoble (en 1084),<br />

qu’il implanta en Angleterre en faisant venir saint Hugues, ou encore celui de Cîteaux,<br />

fondé par Robert de Molesme (en 1098) qui connut un essor fabuleux sous Bernard de<br />

Clairvaux, tous ces ordres constituent les principales fondations monastiques d’Henri II<br />

(XIe-XIIe siècle) », dans Les Fortifications dans les domaines Plantagenêt, XIIe-XIVe siècles, 2000, p.<br />

115-116<br />

346 MESQUI, J., Châteaux forts et fortifications en France, 1997, p. 369-70; BAUDRY, M.-P., Les<br />

fortifications des Plantagenêts en Poitou : 1154-1242, 2001 p. 247-256 ; CORVISIER, C., « Les<br />

châteaux de Richard Coeur de Lion ou l'oeuvre de pierre comme démonstration de force », dans Richard<br />

coeur de Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 199-228.<br />

347 HALLAM, E. M., « Henry II, Richard I and the order <strong>of</strong> Grandmont », J.M.H., 1: 2 (1975), p. 165-<br />

186; HALLAM, E. M., « Aspects <strong>of</strong> the monastic patronage <strong>of</strong> the English and French royal houses, c.<br />

1130-1270 », unpublished PhD. L’attachement des Plantagenêt pour les bénédictins “non réformés” n’en<br />

reste pas moins fort, notamment en Normandie, mais s’ils bénéficient du patronage royal, ce n’est pas<br />

sous forme de nouvelles fondations. Voir GAZEAU, V., Normannia monastica, 2007.<br />

207


et ses fils, qui patronna également l’installation de communautés de chanoines<br />

augustiniens (voir tableau 2.1). La carte de distribution des fondations Plantagenêt<br />

permet de s’apercevoir que, globalement sur le continent, les communautés furent<br />

installées plutôt à la marge des domaines ducaux ou comtaux (carte 2.8). L’implantation<br />

monastique des Grandmontains apparaît particulièrement concentrée dans deux espaces<br />

en particulier : les marches occidentale et orientale entre Poitou et Anjou. Hormis les<br />

fondations « urbaines » installées dans les alentours de Rouen (Notre-Dame du Parc),<br />

du Mans (Bercey), d’Angers (La Haye) et de Chinon (Pommier-Aigre), les<br />

établissements sont répartis d’une part majoritairement en Poitou, ce qui laisse supposer<br />

l’importance d’Aliénor dans les fondations, et d’autre part dans des espaces plutôt<br />

faiblement dominés en Poitou, soit aux confins entre le Poitou, le Berry et l’Anjou<br />

(Villiers, Bois-Rahier et la chartreuse du Liget) soit en bordure des domaines ducaux<br />

concentrés autour de La Rochelle et Niort (Sermaize, La Meilleraye, Bonneray,<br />

Barbetorte, Chassay-Grammont, etc.). Quel fut alors leur rôle dans la territorialisation<br />

du pouvoir Plantagenêt ?<br />

La fondation des premières celles grandmontines remonte au tout début du règne<br />

d’Henri II, entre 1156 et 1158, mais la plupart de ces fondations sont connues par les<br />

confirmations qu’Henri II promulgua après 1173, dans le cadre de sa pénitence pour le<br />

meurtre de Thomas Becket. C’est le cas par exemple pour la celle de Bois-Rahier. Dans<br />

la charte établie à Northampton sous la légation de Hugo de Pierleone (janvier 1176),<br />

confirmant les délimitations territoriales dévolues aux grandmontains, les justifications<br />

de la fondation ne se limitaient pas seulement à l’entretien la mémoire familiale, mais<br />

indiquait également que la fondation résultait d’une entreprise de stabilisation du<br />

royaume (pro stabilitate regni nostri). Si de telles mentions étaient courantes dans les<br />

chartes du début du règne (voir supra), son apparition dans les chartes émises peu après<br />

la révolte de 1173 indiquent-elles la volonté d’affirmer le rôle de ces nouvelles<br />

fondations dans la restauration de l’ordre et de l’autorité du roi ou s’agit-il d’une simple<br />

reprise des termes de la charte originale 348 ?<br />

Par ailleurs, la concentration des établissements monastiques fondés par les<br />

Plantagenêt dans la seconde moitié du XII e siècle entre Talmont, Niort et La Rochelle<br />

ne peut manquer d’attirer l’attention d’autant que le doute pèse sur le patronage des<br />

348 FOREVILLE, R., « Tradition et renouvellement du monachisme dans l'espace Plantagenêt au XIIe<br />

siècle », dans Y a-t-il une civilisation du monde Plantagenêt ?, 1986, p. 61-73 cite MARTENE, E. et<br />

DURAND, U., Thesaurus novus anecdotorum V SS. Patrum, aliorumque auctorum ecclesiasticorum<br />

omnium fere saecalorum, à quarto cad decimum quartum opuscula, 1968, I, col. 57.<br />

208


Plantagenêt depuis que Léopold Delisle et Jean-René Gaborit ont démontré le fort taux<br />

de faux concernant ces chartes de fondations émanant des Plantagenêt en faveur des<br />

Grandmontains 349 . C’est le cas notamment de la charte de Sermaize, comme sans doute<br />

de la confirmation par Richard, en 1195, des trois fondations de La Meilleraye,<br />

Barbetorte et Bonneray 350 . Elizabeth Hallam conclut néanmoins de l’étude de ces<br />

chartes authentiques ou fausses qu’Henri II fut vraisemblablement le fondateur de La<br />

Meilleraye et qu’Aliénor fonda la celle de Bonneray, tandis que les celles de Sermaize,<br />

Barbetorte ne reçurent sans doute que de simples dotations. Pascale Gadé mentionne<br />

également la fondation par Richard d’une celle à Chassay-Grammont, vers 1196, qui est<br />

l’un des rares établissements à être conservé pratiquement intact depuis sa fondation 351 .<br />

C’est en effet par la charte de confirmation qu’il émet à Niort, le 15 décembre 1194, que<br />

l’on connaît la plupart des fondations grandmontines des Plantagenêt du Poitou. Mais la<br />

charte confirme également des fondations aristocratiques comme c’est le cas de Bois-<br />

d’Allonne fondée par Guillaume Larchevêque, seigneur de Parthenay en 1182 352 .<br />

Outre ces confirmations, Richard fonde également trois autres abbayes dans<br />

cette même région, entre le 5 et le 8 mai 1190, alors qu’il se prépare à partir en<br />

Croisade. Le 5 mai, tandis qu’il est à Luçon, Richard émet une charte installant une<br />

communauté de Prémontrés en lisière de la forêt de la Genétouze près le La Roche-sur-<br />

Yon. Les moines édifièrent un oratoire au « Lieu-Dieu », mais les terres données n’étant<br />

pas assez fécondes, ils obtinrent du roi, à son retour, un autre site à Jard-sur-Mer sur le<br />

349 Recueil des actes d’Henri II , introduction, p. 296-303; GABORIT, J.-R., "L'architecture de l'ordre de<br />

Gammont"; BECQUET, J., « Les grandmontains de Vincennes: signification d’une fondation », dans<br />

Vincennes aux origines de l'état moderne, 1996, p. 137-144 propose une interprétation pour ces nombreux<br />

faux dans les actes d’Henri II: « l’influence grandissante des clercs grandmontains s’est exercée plus<br />

fortement et plus tôt dans les domaines capétiens et en champenois, et c’est là que l’on a pu commencer à<br />

négliger les directives d’inspiration érémitique chères aux laïcs convers… quand les grandmontains des<br />

domaines du Plantagenêt voulurent se doter à leur tour d’un embryon de chartrier, leurs installations<br />

étaient déjà anciennes et on donna des dates vraisemblables aux actes faux de donations:: 1156 et 1157<br />

pour Tours et Rouen, par exemple; Or, c’est en 1156 qu’Henri II consolida pour de bon sa situation en<br />

Aquitaine et l’on se rappelle des doléances de Hugues de Lacerta au sujet des nouveaux établissements<br />

peu avant 1157 ».<br />

350 HALLAM, E. M., « Henry II, Richard I and the order <strong>of</strong> Grandmont », J.M.H., 1: 2 (1975), p. 165-<br />

186, publie cette dernière, issu des archives départementales de Vendée, La Roche-sur-Yon (H190). Voir<br />

également Acta Plantagenêt, Henry II, n°3656H et LERAT, B., « Une charte inédite de Richard Cœur de<br />

Lion concernant trois prieurés de l’ordre Grandmont en bas Poitou », Revue du Bas-Poitou, 57, p. 121-<br />

132.<br />

351 GADÉ, P., « Richard, seigneur du château de Talmont en Bas-Poitou », dans Richard coeur de Lion<br />

roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 229-236 ; VALLETTE, R. et<br />

CHARBONNEAU-LASSAY, L., « Un monastère oublié : le prieuré de Chassay-Grammont au diocèse de<br />

Luçon », Revue du Bas-Poitou, 42 (1918), p. 18-27.<br />

352 HALLAM, E. M., « Henry II, Richard I and the order <strong>of</strong> Grandmont », J.M.H., 1: 2 (1975), p. 165-186<br />

cite AD Vendée, H190.<br />

209


littoral, dans le domaine appelé « terres de la comtesse » (terra Comitisse). Par un<br />

nouvel acte de fondation, daté du 4 novembre 1197, à Talmont, que l’on ne connaît que<br />

par un vidimus de 1333 353 , Richard leur donna également l’usage du bois nécessaire<br />

pour construire leur demeure et pour se chauffer.<br />

Le 6 mai 1190, à Fontenay-le-Comte, une nouvelle charte enregistre la fondation<br />

d’un prieuré bénédictin à Saint-André de Gourffailles. Par cet acte dont l’original est<br />

également perdu et n’est connu que par une copie du XIII e siècle, Richard donnait aux<br />

moines la terre dite de la Léproserie (terram que vocatum Leproraria) ainsi que « le<br />

bois dont ils ont besoin dans le Bois de Sernay, pour construire leur église et leur<br />

maison, pour se chauffer et pour toutes les autres choses qu’il est nécessaire de<br />

faire » 354 . La communauté bénédictine fut cependant rapidement rattachée à l’abbaye<br />

d’Absie 355 .<br />

Enfin, dans un acte daté du 8 mai 1190 à Cognac, Richard fondait l’abbaye<br />

cistercienne de Charron, comme filiale de La Grâce-Dieu de Benon, une abbaye ducale<br />

fondée par Guillaume X d’Aquitaine. Cette fondation est connue par une charte de<br />

fondation et la confirmation d’Aliénor datée de mai 1199 à Niort, lorsque la duchesse<br />

reprend la tête du duché, à la mort de son fils, pour assurer sa succession. Elle consacre<br />

à cette époque près de la moitié de ses chartes à confirmer les actes de Richard afin de<br />

s’imposer comme la nouvelle maîtresse de l’Aquitaine et de garantir la reconnaissance<br />

des actes de son fils par ses successeurs 356 . Dans la charte de fondation, Richard donnait<br />

également aux cisterciens qu’il installait dans l’île de Maguelone et dans le lieu de Les<br />

Palles, le « bois dont ils auraient besoin pour construire et réparer leurs édifice et pour<br />

les autres usages de l’abbaye, là où ils le veulent dans la forêt d’Argenson de même que<br />

353 GUÉRIN, P., « Recueil des documents concernant le Poitou contenus dans les registres de la<br />

chancellerie de France », Archives historiques du Poitou, 11 (1881), p. 407-412 : Insuper dedimus ei in<br />

parte nostra dicti nemoris usum lignorum ad construendas domos suas proprie et ad comburendum, et ad<br />

alia sibi necessaria facienda, et pasturagium propriis animalibus suis.<br />

354 FILLON, B. M., « Extraits des archives historiques de la ville de Fontenay-le-Comte"Ibid., 1 (1872),<br />

p. 117-142 notamment p. 120-121: Dedimus etiam in bosco nostro Serniaci usum lignorum ad<br />

construendas ecclesiam et domos et ad comburendum et ad alia sibi necessaria faciendum.<br />

355 BESSE, J. M., Abbayes et prieurés de l'ancienne France. Recueil historique des Archevêchés,<br />

Evêchés, Abbayes et Prieurés de France, 1910, p. 161.<br />

356 HIVERGNEAUX, M., « Aliénor d'Aquitaine: le pouvoir d'une femme à la lumière de ses chartes<br />

(1152-1204) », dans La cour Plantagenêt, 1154-1204, 2000, p. 63-87, cite SAINTE-MARTHE, D. (éd.),<br />

Gallia Christiana, 1739-1877, II, Instrumenta ecclesiae Pictavensis, col. 389-390, n° X, (Niort mai<br />

1199) : Sciatis nos concessisse et praesenti carta confirmasse abbatiae de Gratia Sanctae Mariae, quae<br />

est filia abbatiae Gratie-Dei, donum quod eidem abbatiae fecit Otho nepos noster, tunc dux Aquitainie et<br />

comes Pictavensis, quam fundavit, karissimus filius noster Richardus Dei gratia quondam venerabilis rex<br />

Angliae.<br />

210


dans les défens [espaces réservés] de l’Epaut et partout les frères pourront y fait paître<br />

leurs animaux » 357 .<br />

Pour tenter de comprendre la densité des fondations dans cette région et la<br />

prodigalité de Richard lors de son passage en Vendée en mai 1190, il faut s’interroger<br />

sur leur rôle comme facteur de stabilisation du territoire avant le départ en croisade du<br />

nouveau roi. Tous les historiens s’accordent sur le fait que, entre son couronnement et<br />

son départ en croisade, Richard prit de nombreuses décisions visant à organiser le<br />

gouvernement pendant son absence. Le patronage séculier de Richard a particulièrement<br />

attiré l’attention et a été interprété comme un signe d’ouverture d’esprit vis-à-vis des<br />

loyaux <strong>of</strong>ficiers de son père et comme signe de son éthique chevaleresque. Ralph V.<br />

Turner et Richard R. Heiser proposent toutefois de voir dans l’achat des loyautés<br />

politiques des barons et des curiales, un moyen substantiel pour renforcer le pouvoir<br />

royal et un trait davantage significatif de son art du gouvernement (art <strong>of</strong> kingship) 358 .<br />

Le patronage monastique de Richard a en revanche été assez peu étudié. Or, en le<br />

replaçant dans ce contexte, il apparaît également comme un moyen de s’attacher non<br />

seulement les faveurs et l’aide du clergé, mais aussi les loyautés seigneuriales réunies<br />

autour d’une même communauté mémorielle. Dans ces espaces où le contrôle des<br />

évêchés n’était pas assuré, la fondation de monastères pouvait constituer un substitut<br />

pour contrôler les réseaux aristocratiques locaux. Une fondation permettait en effet de<br />

créer un réseau de donateurs souvent formé au sein de l’aristocratie locale. David<br />

Crouch a ainsi fait la démonstration, à propos de Guillaume le Maréchal, de l’efficacité<br />

du patronage d’un établissement religieux comme moyen à la fois d’infiltration et<br />

d’affirmation de l’autorité du fondateur à l’intérieur d’une communauté seigneuriale 359 .<br />

Certes la structure des seigneuries en Poitou était éloignée du système féodal anglais,<br />

plus favorable à la création de ces communautés honoriales, mais les choix de patronage<br />

et de fondation n’en étaient pas moins influencés par les caractéristiques de la féodalité<br />

357<br />

Ibid., II, Instrusmenta ecclesiae Pictavensis, col. 388, n° IX. Concedimus etiam quod fratres de Gratia<br />

beatae Mariae cecipiant in perpetuum de lignis quantum opus habebunt ad facienda et reparanda aedicia<br />

sua et ad ceteros usus abbatiae ubicummque voluerunt in foresta de Argenchum, etiam in defensis quae<br />

dicuntur Espaut, et ubique in eadem foresta pascua eaquibus fratrum, permentis et gregibus et eorum<br />

porcis pastinagium. Les défens étaient les espaces créés par les défrichements récents généralement<br />

interdit au paturage. ARNOUX, M., « Perception et exploitation d'un espace forestier: la forêt de Breteuil<br />

(XI-XVe siècles) », Médiévales, 18 (1990), p. 17-32.<br />

358<br />

TURNER, R. V., The Reign <strong>of</strong> Richard Lionheart. Ruler <strong>of</strong> the Angevin Empire, 1189-1199, 2000,<br />

p. 79.<br />

359<br />

COWNIE, E., « Religious patronage and lordship: the debat on the nature <strong>of</strong> the honor », dans Family<br />

Trees and the Roots <strong>of</strong> Politics. The Prosopography <strong>of</strong> Britain and France from the Tenth to the Tweltfh<br />

Century, 1997, p. 133-146; CROUCH, D., « Strategies <strong>of</strong> lordship in Angevin England and the career <strong>of</strong><br />

William Marshal », dans The Ideals and Practice <strong>of</strong> Medieval Knighthood, 1988, p. 8-13.<br />

211


locale. De plus, si nombre de seigneurs associés étaient en réalité déjà acquis à la cause<br />

du roi, la fondation pouvait néanmoins fonctionner comme une formalisation du lien de<br />

fidélité. En cas de trouble, les monastères pouvaient également servir de base militaire<br />

comme il n’était pas rare de le voir au XII e siècle 360 .<br />

Les fondations constituaient également des institutions garantes de la paix,<br />

chargées de canaliser la violence des seigneurs, y compris contre leurs propres<br />

domaines. Dans le cadre de la réforme grégorienne, les fondations étaient de véritables<br />

instruments de lutte contre les exactions des seigneurs laïcs. En accroissant et en<br />

reconnaissant que les terres de ses fondations, présentes et à venir, devaient être<br />

protégées contre de l’empiètement des seigneurs locaux, Richard organisait d’une<br />

certaine mesure la paix sociale dans des espaces peu dominés 361 . La charte de Savaric<br />

de Mauléon en faveur de la Meilleraye, par exemple, est motivée par un repentir du<br />

seigneur pour avoir privé les religieux des privilèges dont ils jouissaient dans la forêt<br />

d’Orbestier, ancienne forêt comtale, que les Mauléon convoitaient et s’étaient<br />

vraisemblablement appropriés après la défaite de 1214. Cette expulsion suggère que les<br />

droits de jouissance de la forêt constituaient un conflit entre les religieux et les<br />

seigneurs de Mauléon qui pourrait bien remonter avant même la fondation du prieuré.<br />

Les raisons de la présence de Richard à Talmont dès 1182, sont en effet liées à la<br />

requête de l’abbé de Saint-Jean d’Orbestier auprès de Richard contre les empiètements<br />

du seigneur de Talmont et notamment dans les espaces forestiers 362 .<br />

Ralph V. Turner et Richard R. Heiser font également remarquer que les chartes<br />

de confirmation pour les abbés de Lieu-Dieu et de Charron emploient l’expression de<br />

360 CHIBNALL, M., « Orderic Vitalis on castles », dans Piety, Power and History in Medieval England<br />

and Normandy, 2000, p. 53: « Orderic died too soon to know about the use <strong>of</strong> churches as siege works<br />

and adulterine castles in England during Stephen reign, <strong>of</strong> which, William <strong>of</strong> Malmesbury and the author<br />

<strong>of</strong> the Gesta Stephani tell us so much », cite Gesta Stephani, 1976, p. 61 (2; 91-2); GUILLAUME DE<br />

MALMESBURY, Gesta Regum Anglorum atque Historia novella, 1840, p. 42 48.<br />

361 AHP, XI, p. 408 : Volumus eciam et firmiter precipimus quod omnes homines eorum et tota terra que<br />

pertinent ad prefatam abbaciam, si quieta de exercitu et equitacione et de omni alia mala consuetudine et<br />

seculari exactione. (Nous voulons et nous ordonnons fermement que tous leurs hommes et toutes les<br />

terres qui appartiennent à ladite abbaye, soient en paix et en dehors de toute armée et chevauchée et de<br />

toutes les mauvaises coutumes et des exactions des laïcs.)<br />

362 DE LA BOUTETIÈRE, L. (éd.), Cartulaire de l'abbaye Saint-Jean d'Orbestier, 1877, p. 5 : ego R.<br />

intendes, divina inspiracione compunctus, qui mutas infurias, multas vexaciones per famulos meos de<br />

Thalemundo antea eidem ecclesie injeceram, omnia jura sua in nemore, in landis et in terris reddidi, et<br />

non solum reddidi sed eciam sicut antecessores mei dederant dedi et concessi eidem abbacie. (moi R., mu<br />

par l’inspiration divine et à cause des nombreuses injures et vexations commises par mon homme de<br />

Talmond faites à l’encontre de cette église, exige qu’il rende tous ses droits dans les bois, les landes et les<br />

terres, non seulement qu’il les rende mais aussi qu’il donne et concède à l’abbaye celles que mes ancêtres<br />

lui avaient données).<br />

212


feodo nostro pour désigner les terres acquises sous sa protection 363 . Un détail lexical<br />

qu’ils replacent au sein de leur analyse sur les processus de féodalisation de l’Aquitaine<br />

sous les Plantagenêt. Cette expression suggère en effet que les fondations Plantagenêt<br />

en Aquitaine auraient été porteuses, d’une certaine manière, du vocabulaire et à travers<br />

lui des schèmes cognitifs des conceptions du pouvoir Plantagenêt dans la culture écrite<br />

des élites locales, participant ainsi à la féodalisation de leur domination territoriale. Par<br />

le contrôle spirituel et moral mais aussi l’encadrement social, les communautés<br />

religieuses constituaient ainsi un puissant vecteur de territorialisation que les<br />

Plantagenêt avaient tout intérêt à contrôler, en particulier dans les espaces où la société<br />

châtelaine leur échappait partiellement. L’absence de toute fondation en Aquitaine, en<br />

dehors du Poitou, pourrait donc ainsi s’expliquer par leur incapacité à dominer<br />

territorialement les élites locales notamment en Angoumois et en Limousin, où les<br />

seigneurs seront les premiers à rallier la cause capétienne.<br />

3.3- L’échec de l’affirmation de la potestas regis en Aquitaine<br />

3.3.1- L’Angoumois : la résistance d’une principauté territoriale en expansion<br />

La cartographie des fidélités et des révoltes entre 1152 et 1189 proposée par<br />

André Debord, fondée sur le décompte des souscriptions des actes d’Henri II, fait<br />

ressortir deux types d’espace : l’Aunis et la Saintonge où le pouvoir territorial du roi est<br />

relativement bien ancré et l’Angoumois où les interventions successives des Plantagenêt<br />

après 1173 montrent la volonté de briser les prétentions territoriales des comtes<br />

d’Angoulême qui entravaient l’affirmation de leur propre autorité (carte 2.10) 364 .<br />

Contrairement aux comtes d’Angoulême, qui furent de tous les soulèvements (1168,<br />

1173-74, 1176, 1178-79, 1182-83, 1188, 1192 et 1193) 365 , André Debord a montré que<br />

les révoltes étaient relativement exceptionnelles chez les seigneurs poitevins rejoignant<br />

par là les remarques de Jacques Boussard et Frédéric Boutoulle sur le fait que les barons<br />

d’Aquitaine semblaient s’être globalement tenus à l’écart de la révolte de 1173 (voir<br />

tableau 2.11) 366 .<br />

363<br />

TURNER, R. V., The reign <strong>of</strong> Richard Lionheart. Ruler <strong>of</strong> the Angevin Empire, 1189-1199, 2000,<br />

p. 208 note 30, citent BNF ms lat., nouv.acq. f°444-5, f°283 et SAINTE-MARTHE, D. (éd.), Gallia<br />

Christiana, 1739-1877, II, Instrumenta ecclesiae Pictavensis, col. 388.<br />

364<br />

DEBORD, A., La société laïque dans les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984, p. 387.<br />

365<br />

Ibid., p. 389.<br />

366<br />

BOUSSARD, J., Le gouvernement d'Henri II Plantagenêt, 1956, p.479 ; BOUTOULLE, F., Le duc et<br />

la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au XIIe siècle, 2007, p. 242-43.<br />

213


De fait, l’Aunis et la Saintonge étaient bien contrôlées par les Plantagenêt et<br />

constituaient les principaux espaces de recrutement des <strong>of</strong>ficiers ducaux. La Rochelle<br />

était ainsi l’un des principaux appuis dont le duc pouvait disposer dans la région, en<br />

plus de ses châteaux de Benon et de L’Isleau, qu’il tenait en propre et des châteaux en<br />

garde héréditaire tenus par de fidèles vassaux à Surgères, Mauzé, Châtellaillon, Matha,<br />

Marans et Blaye 367 . Les ducs possédaient également de nombreux droits à Saintes, ce<br />

qui n’empêcha pas la ville de se révolter en 1173. Il ne s’agit cependant pas d’une<br />

révolte baronniale comme le montre le récit de la prise de Saintes par Henri II en 1174.<br />

La révolte fut en effet essentiellement le fait de soldats et de bourgeois manifestant de<br />

leur mécontentement face à l’essor de La Rochelle :<br />

Et ainsi, il arriva jusqu’à la cité de Saintes et la brisa, et prit les deux<br />

tours dont une était appelée la Tour majeure et captura de nombreux<br />

soldats et dépendants. Il assiégea l’église où se trouvait le siège<br />

épiscopal et que des soldats et des dépendants avaient fortifiée contre<br />

lui et la prit en peu de jours ainsi que les soldats et les hommes qui s’y<br />

trouvaient. 368<br />

Quant à Cognac, Jarnac et Merpins, ces trois places étaient l’objet de disputes entre le<br />

comte de Poitou et d’Angoulême depuis longtemps. Cognac entra dans le domaine<br />

ducal lorsque Richard obtint la garde d’Amélie, l’héritière des seigneurs de Cognac. À<br />

sa mort dans les années 1190, le château est confié au sénéchal Robert Turnham, mais<br />

les châtelains qu’il y plaça tentèrent de s’accaparer les lieux, ce qui obligea Richard à<br />

mener une nouvelle expédition en 1194 369 . Les interventions de Richard en Angoumois<br />

permettent de saisir l’extension de la puissance territoriale des comtes d’Angoulême<br />

qu’ils prétendaient affirmer contre celle des ducs 370 . En 1176, après s’être emparé de<br />

Limoges à la Pentecôte, Richard, « sur le conseil de ses barons, dirigea son armée vers<br />

les terres de Vulgrin vicomte d’Angoulême, parce qu’il ne voulait pas faire la paix avec<br />

lui » 371 .<br />

367 DEBORD, A., La société laïque dans les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984, p. 376-77.<br />

368 PETERBOROUGH, I, p. 71: interim rex Angliae pr<strong>of</strong>ectus fuerat cum exercitu suo in Pictaviam et<br />

multas munitions et castella in ea cepit et dominio suo sub-jugavit. Et tandem pervenit usque ad<br />

sanctonensem civitatem et eam infregit et duas tuerres in ea cepit quarum una vocabatur Turris major et<br />

multos milites et servientes in eis. Et obsedit ibi ecclesiam ubi sedes episcopalis erat quam milites et<br />

servientes contra eum munierant, et infra paucos dies eam cepit et multos milites et servientes in ea.<br />

369 MARTIN-CIVAT, P., « Les seigneuries de Cognac, Jarnac et Merpins dans l’empire anglo-angevin au<br />

XIIe et XIIe siècles », Bulletin de l’institut d’histoire et d’archéologie de Cognac et du Cognaçais, I: 1<br />

(1956-1957), p. 53-67.<br />

370 DEBORD, A., La société laïque dans les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984, p. 387.<br />

371 PETERBOROUGH, I, p. 121: Et habito ibi consilio baronum suorum promivit exercitum suum in<br />

terram Uggrimi vicecomitis de Engolismo pro eo quod pacem suam tenere noluit.<br />

214


Ils assiégèrent Châteauneuf, et le prirent en moins de quinze jours. …<br />

Richard, lança ensuite son armée et assiégea Moulineuf, le château<br />

des vicomtes d’Angoulême et en moins de dix jours le prit puis il se<br />

dirigea vers la cité d’Angoulême qu’il assiégea. 372<br />

Le comte d’Angoulême ainsi que ses alliés se rendirent en moins de six jours et,<br />

selon les termes de la paix, ils durent rendre à Richard les châteaux de Bouteville,<br />

Archiac, Montignac, La Chaise et Merpins, ainsi que la cité d’Angoulême 373 . Deux ans<br />

plus tard, alors qu’il revient de Gascogne, où il a lutté contre le comte de Bigorre,<br />

Richard séjourne en Saintonge et y célèbre les fêtes de Noël. Au printemps 1179, il<br />

envoie son connétable avec une grande partie de son armée autour de Pons, pour<br />

assiéger le château de Ge<strong>of</strong>froy de Rancon, ainsi que Richemont qu’il fit aussitôt<br />

détruire 374 . Peu après Pâques, il assiège Gençay, Marcillac, Gourville et Anville, qu’il<br />

prend et fait démanteler. Huit jours avant l’Ascension, il assiège Taillebourg, le château<br />

de Ge<strong>of</strong>froy de Rancon qu’il capture et obtient la reddition de Pons, qu’il fait<br />

entièrement raser. Peu après la Pentecôte, le comte d’Angoulême doit rendre à son tour<br />

la cité d’Angoulême et le château de Montignac et Richard fait détruire ces<br />

fortifications avant de rentrer en Angleterre 375 . En 1181, à la mort de Vulgrin III,<br />

Richard saisit l’occasion pour s’emparer du comté, aux dépens des frères du comte, au<br />

motif qu’en tant que duc, la tutelle de l’héritière Mathilde lui revenait 376 . Selon André<br />

Debord, cette confiscation marque un tournant dans l’histoire du comté qui n’avait<br />

jamais été, jusque là, un fief tenu du duc d’Aquitaine. Pour soumettre les frères du<br />

comte, Richard prononça leur exil et ne les réintégra en Angoumois qu’après avoir reçu<br />

leur hommage, puis en 1188, à la majorité de Mathilde, il restitua la garde du comté. La<br />

confiscation de 1181 plongea cependant le comté dans une crise, où Richard vit se lever<br />

contre lui presque tous les seigneurs d’Aquitaine 377 . Prenant l’initiative de la riposte<br />

militaire, il prit par surprise Puy-St-Front et Périgueux au printemps 1182, avant de<br />

372 Ibid., I, p. 121: Et obsederunt Novum Castrum et infra quindecim dies ceperunt. (…) Richardus vero<br />

(…), processit tamen cum exercitu suo et obsedit Muninoys, castellum vicecomitis de Engelismo et infra<br />

decem dies cepit, et procedens inde obsedit civitatem de Engelismo.<br />

373 Ibid., I, p. 121: et pro pace habenda comes Engolismo tradidit praedicto comiti Pictavie civitatem<br />

Engolismi, et castellum de Butevilla, et castellum de Archias et castellum de Muntigernac, et castellum de<br />

Lachesa et castellum de Melpis.<br />

374 Tailleboug sera à noveau le centre de la révolte de 1188.GILLINGHAM, J., Richard I, 1999, p. 90 cite<br />

GIRAUD DE BARRI, Opera. 8, De principis instructione Liber, 1891, p. 245.<br />

375 PETERBOROUGH, I, p. 213.<br />

376 DEBORD, A., La société laïque dans les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984, p. 381 ;<br />

GILLINGHAM, J., Richard I, 1999, p. 64; GEOFFROY DE VIGEOIS, Chronique précédée d’une étude<br />

sur la chronique de Ge<strong>of</strong>froy, 1864, livre 1 ch. 71-72.<br />

377 GILLINGHAM, J., Richard I, 1999, p. 65.<br />

215


lancer son armée en Limousin, où il trouva l’aide de son frère Henri. Selon John<br />

Gillingham, bien que cette union ait été très éphémère, les événements de l’été 1182<br />

montrent que les Angevins savaient s’unir pour parvenir à maîtriser des vastes<br />

territoires de leur empire 378 .<br />

En 1194, alors qu’il est devenu roi d’Angleterre, Richard revint à nouveau en<br />

Angoumois pour soumettre les seigneurs révoltés. Il fait alors le bilan de ses<br />

reconquêtes dans une lettre qu’il adresse à son chancelier :<br />

Sachez que, par la grâce de Dieu, qui considère le droit de tous, nous<br />

avons prit Taillebourg, Marcillac et tous les châteaux et toute la terre<br />

de Ge<strong>of</strong>froy de Rancon et la cité d’Angoulême, Châteauneuf,<br />

Montignac, la Chèze et tous les autres châteaux et toutes les terres du<br />

comte d’Angoulême, dans son intégralité. Nous avons pris également<br />

la cité d’Angoulême et le bourg en une soirée, et nous avons pris ce<br />

qu’il avait en partie sur cette terre, ce qui fait bien jusqu’à 300<br />

soldats et 40000 armes 379 .<br />

Si la répression contre les comtes d’Angoulême semble avoir été la principale<br />

préoccupation d’Henri II et surtout de Richard en Aquitaine, c’est que ceux-ci jouaient<br />

un rôle de catalyseur de la force de résistance des nobilissimi dans cette partie de<br />

l’Aquitaine 380 . Si l’on en croit les alliances formées au cours de ces multiples<br />

soulèvements, les comtes d’Angoulême exerçaient une influence politique qui s’étendait<br />

jusqu’en Périgord et en Limousin. Au début du XII e siècle, la documentation laisse en<br />

effet entrevoir le recul de l’autorité ducale vis-à-vis des maîtres des châteaux<br />

carolingiens de la Dordogne 381 . De Blaye à Castillon en passant par Fronsac, le duc<br />

avait perdu pied, faisant de la Dordogne une marge au sein même du duché d’Aquitaine<br />

qui entra rapidement sous l’influence des comtes d’Angoulême. Les tentatives pour<br />

reprendre pied en Périgord n’apparaissent qu’à partir de la dernière décennie du XII e<br />

siècle, lorsqu’en 1195 à la mort d’Ademar de Beynac, Richard donna à Mercadier, l’un<br />

des chefs de ses mercenaires, le château de Beynac, une place forte surveillant les bords<br />

de la Dordogne. Bien que Mercadier ait tenté de s’implanter dans le pays, après son<br />

378 Ibid., p. 66.<br />

379 HOVEDEN, III, p. 256-57 : Sciatis quod nos Dei gratia qui in omnibus rectum considerat,<br />

Tailburgum et Marciliacum et omnia castella et totam terram Gaufridi de Rancona cepimus et civitatem<br />

Engolismi et Castellum Novum et Muntiniacum et la Chese et omnia castella et totam terram comitis<br />

Engolismi cum omni integritate cepimus, civitatem autem Engolismi et Burgum in una vesperata cepimus,<br />

in terris vero, quas in partibus illis cepimus, bene usque ad trecentes milites et quadraginta millia<br />

armatorum cepimus.<br />

380 DEBORD, A., La société laïque dans les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984, p. 389.<br />

381 BOUTOULLE, F., Le duc et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au<br />

XIIe siècle, 2007, p. 306.<br />

216


assassinat à Bordeaux, le château revint aux seigneurs originels 382 . C’est également sous<br />

l’influence des comtes d’Angoulême, que les comtes de Périgord, les seigneurs de<br />

Turenne, Bernard de Born, seigneur de Hautefort prêtent hommage au roi de France, en<br />

1204, faisant perdre à Jean le contrôle de toute la partie médiane de son duché. Pourtant,<br />

en prenant pour épouse Isabelle d’Angoulême en 1200, Jean rompait avec la politique<br />

essentiellement répressive de ses prédécesseurs et tentaient d’intégrer le duché à son<br />

empire en l’insérant sous sa domination directe. Mais cette stratégie là n’eut pas plus de<br />

succès.<br />

3.3.2- Le Limousin : un espace pivot mais incontrôlable<br />

En Limousin, les tentatives de féodalisation des pratiques comme la<br />

confiscations des terres et des héritages ou l’intervention du duc comme juge dans les<br />

querelles de ses vassaux pour affirmer la puissance ducale ont été menées dès les<br />

premières années du règne d’Henri II 383 . En 1156, ce dernier se saisit de l’occasion du<br />

décès du vicomte de Limoges, pour réclamer la tutelle du futur Aymar V, encore<br />

mineur, et confie la gestion de la vicomté à Ge<strong>of</strong>froy de Neubourg et Guillaume<br />

Pandulf, jusqu’à sa majorité 384 . En 1159, en échange de l’hommage vassalique, Henri II<br />

rend sa terre à Aymar qu’il a entre temps marié à Sara de Cornouailles, l’intégrant ainsi<br />

au sein de l’aristocratie « cosmopolite » de l’empire. À plusieurs reprises, Henri II et<br />

Richard interviennent également dans les querelles territoriales concernant l’attribution<br />

des châteaux. Ainsi, en 1166, alors qu’Aymar V et Bernard de Comborn se disputent au<br />

sujet du château d’Excideuil, Henri II intervient en faveur de Bernard de Comborn, qu’il<br />

fit chevalier 385 . En 1182, Excideuil est à nouveau l’objet d’une intervention de Richard,<br />

qui l’assiégea et s’empara du bourg. Il y installa une garnison et se dirigea vers Pierre-<br />

Buffière qu’il assiégea pendant douze jours avant d’encercler le Puy St Front 386 . Cette<br />

année là, Henri II fit d’importants dons à Saint-Yrieix, une abbatiale patronnée par les<br />

382<br />

HOVEDEN, IV, p. 114 : venit eam Marchadeus princeps Braibancernorum … in eadem civitate<br />

Burdegalensi intercetus est ; MAUBOURGUER, J. -. M., Le Périgord méridional des origines à l’an<br />

1370. Étude d’histoire politique et religieuse, 1926, p. 96-97.<br />

383<br />

DEBORD, A., La société laïque dans les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984, p. 381.<br />

384<br />

GEOFFROY DE VIGEOIS, Chronique précédée d’une étude sur la chronique de Ge<strong>of</strong>froy, 1864, p.<br />

91.<br />

385<br />

GEOFFROY DE VIGEOIS dans RHF, XII, p. 441 : Bernard in Petragoricio ad hostibus capto<br />

tamdiu solutio ejus a nepote Ademaro impedita est, quousque redderet ei Exidolium castrum, quod in vita<br />

sua ex conventu dicebat habere debere… et Bernardo redditur castrum, cingulum militiae a Rege<br />

Anglorum percepit; GEOFFROY DE VIGEOIS, Chronique précédée d’une étude sur la chronique de<br />

Ge<strong>of</strong>froy, 1864, p. 111-112.<br />

386<br />

Ibid., p. 152-153.<br />

217


vicomtes de Limoges. Il y manifesta alors un intérêt pour la vie du saint qui a été<br />

interprété comme une manière d’affaiblir la domination des vicomtes sur ce culte en le<br />

plaçant dans le giron de la dévotion royale 387 . La présence d’Henri II à Saint-Yriex<br />

pourrait également avoir été motivée par sa volonté de participer à la cérémonie de pose<br />

de la première pierre de la collégiale et, selon Claude Andrault-Schmitt, le choix d’un<br />

voûtement de type « angevin » dans le parti prix architectural peut être interprété<br />

comme la marque de son influence 388 .<br />

La plus importante opération d’Henri II en Limousin reste cependant<br />

l’acquisition du comté de La Marche en décembre 1177. À cette date, Henri II acheta<br />

toutes ses terres au comte Aldebert IV de La Marche. Cet événement a frappé les esprits<br />

des contemporains qui s’en sont faits l’écho. Les motivations réelles du comte sont<br />

assez floues, mais la mort de son fils héritier le laissant sans descendance et<br />

l’accomplissement du vœu de « servir dieu désormais » qui l’amène à partir pour<br />

Jérusalem, sont les principales raisons rapportées par Roger de Hoveden et Ge<strong>of</strong>froy de<br />

Vigeois 389 . En réalité, le comte n’était pas si dépourvu de parenté et les pressions<br />

exercées par Henri II ont sans doute été plus décisives encore 390 .<br />

Le roi fit venir le comte en Angleterre et il voulut garder prisonnier à<br />

cause des nombreuses vexations qu’il subissait des barons poitevins et<br />

aussi parce qu’il voulait lui faire exécuter la vente. Mais le comte<br />

parvint à s’enfuir en secret. 391<br />

La force des moyens de pression exercée peut également se déceler dans le<br />

rapport que Robert de Torigni fait de ces événements : alors qu’Henri II acquit le comté<br />

de La Marche pour seulement 6000 marcs, (5000 selon Ge<strong>of</strong>froy du Vigeois et Roger de<br />

Hoveden qui ajoute également 20 mules et 20 palefreniers) 392 , l’abbé du Mont révèle<br />

que le roi savait qu’il en valait plus de 20 000, mais cette somme était sans doute<br />

387<br />

VINCENT, N., « The pilgrimage <strong>of</strong> the Angevin kings <strong>of</strong> England 1154-1272 », dans Pilgrimage. The<br />

English experience from Becket to Bunyan, 2002, p. 12-45, cite ARBELLOT, F., Vie de Saint Yrieix ses<br />

miracles et son culte, 1900 et Ge<strong>of</strong>froy de Vigeois dans RHF, XII, p. 448, XVIII, p. 212, 219.<br />

388<br />

ANDRAULT-SCHMITT, C., « Le mécénat architectural en question: les chantiers de Saint-Yrieix,<br />

Grandmont et le Pin à l'époque de Henri II », dans La cour Plantagenêt, 1154-1204, 2000, p. 235-279.<br />

389<br />

GEOFFROY DE VIGEOIS, Chronique précédée d’une étude sur la chronique de Ge<strong>of</strong>froy, 1864 ; il<br />

meurt à Constantinople en 1180.<br />

390<br />

BARRIÈRE, B., « Le comté de la Marche, une pièce originale de l’héritage Lusignan », dans Limousin<br />

médiéval. Le temps des créations. Occupation du sol, monde laïc, espace cistercien. Recueil d’articles,<br />

2006, p. 379-388.<br />

391<br />

Chroniques de Saint-Martial de Limoges, DUPLÈS-AGIER, Henri (éd.), p.189 : de isto comite<br />

dicebatur quod rex mandaverat ispum in Angliam et cum capere vellet eum, secrete et latenter fugiit, nam<br />

ostenderat sibi penas quibus vexabat barones Pictavenses et propter hoc fecerat vendicionem.<br />

392<br />

GEOFFROY DE VIGEOIS, Chronique précédée d’une étude sur la chronique de Ge<strong>of</strong>froy, 1864<br />

p.134 ; HOVEDEN, II, p. 147.<br />

218


eaucoup trop importante pour le roi d’Angleterre dont les revenus de l’Échiquier<br />

s’élevaient à près 26 000 marcs cette même année 393 . En même temps, 6000 marcs<br />

représentaient à peu près le coût des travaux effectués à la Tour de Londres entre 1154<br />

et 1215, soit près de deux fois moins que le coût de Château Gaillard.<br />

L’acte solennel de la vente est passé à Grandmont, en présence de l’archevêque<br />

de Bordeaux qui donna à l’acte un caractère irréversible. Roger de Hoveden reproduit<br />

cette charte dans sa Chronique qui n’exprime que les raisons <strong>of</strong>ficielles et les conditions<br />

de la vente 394 . Les Plantagenêt restent maître du comté jusqu’en 1199, date à laquelle<br />

Hugues IX de Lusignan s’en empare avec l’aide de Philippe Auguste. Selon Raoul de<br />

Diceto, le patrimoine du comte de la Marche était composé d’une quantité de châteaux<br />

bien fortifiés 395 et pour Bernadette Barrière les principaux appuis de cette seigneurie se<br />

trouvaient au nord de Limoges, autour de Charroux qui en composait le cœur depuis le<br />

X e siècle 396 . Le comté s’étendait ensuite vers l’est, comprenant entre autre Bellac, Le<br />

Dorat, Ahun, Guéret et Chénerailles. Au nord, il semble que Crozant, disputé aux<br />

vicomtes de Brosse, ait été inclus dans le comté en 1177, tandis que le château de<br />

Bridiers, avait été confisqué puis rendus aux vicomtes de Brosse sans doute aux<br />

alentours de 1168 397 . Le Dognon en marquait le point méridional le plus avancé 398 .<br />

Dans une formule lapidaire de Robert de Torigni, cet événement est mis en<br />

perspective avec la saisie de la principauté de Déols qui intervient la même année et la<br />

reddition du château de Turenne, « château le mieux fortifié par l’art et la nature », par<br />

le vicomte Raymond II de Turenne 399 . Ces trois événements marquent le retour du<br />

pouvoir ducal dans ces régions, où l’éloignement et la rareté de ses manifestations<br />

avaient favorisé l’émergence de fortes autonomies. Toutefois, si les Plantagenêt ont<br />

affirmé ponctuellement leur pouvoir, ils ne parviennent pas à l’ancrer et à le faire durer :<br />

aussitôt repartis, aussitôt contestés. La reconnaissance du comté de La Marche à Hugues<br />

393 TORIGNI, II, p. 70. Totam etiam terram comitis de Marcha rex Henricus VI milibus marcis argenti<br />

emit, valentem, ut idem rex dixit, viginti milia marcas argenti ; RAMSAY, J. H., A History <strong>of</strong> the<br />

revenues <strong>of</strong> the Kings <strong>of</strong> England (1066-1399), 1925.<br />

394 HOVEDEN, II, p. 147-148.<br />

395 DICETO, I, p. 425 : patrimonium suum multis et firmissimis muntionibus insignitum Anglorum regi<br />

distraxit.<br />

396 BARRIÈRE, B., « Le comté de la Marche, une pièce originale de l’héritage Lusignan », dans Limousin<br />

médiéval. Le temps des créations. Occupation du sol, monde laïc, espace cistercien. Recueil d’articles,<br />

2006, p. 379-388.<br />

397 GEOFFROY DE VIGEOIS, Chronique précédée d’une étude sur la chronique de Ge<strong>of</strong>froy, 1864,<br />

p. 114.<br />

398 REMY, C., « Le château des Lusignan à Crozant (Creuse) », dans Isabelle d'Angoulême, comtessereine<br />

et son temps (1186-1246), 1999, p. 140-160.<br />

399 TORIGNI, II, p. 69-70 : castrum etiam munitissimum et arte et natura Turonium, vicecomes eiusdem<br />

castri reddidit ei.<br />

219


de Lusignan en 1200, qui en réclamait les droits depuis 1177 est symptomatique du<br />

recul du pouvoir royal et ducal en Aquitaine autour de 1200 400 . Dès la fin des années<br />

1190, Richard puis Jean sont en effet confrontés à l’intrusion du roi de France dans<br />

l’une des parties les plus stratégiques et les plus instables de leur empire. En trouvant un<br />

relais dans le pouvoir capétien, l’insoumission des seigneurs aquitains va<br />

considérablement fragiliser l’empire et mener à son effondrement peu de temps après.<br />

La mort de Richard en mars 1199 a d’ailleurs été considérée comme le tournant<br />

essentiel. John Gillingham a montré qu’au printemps 1199, Richard était à nouveau en<br />

Limousin, non pas à la recherche d’un trésor antique, que le seigneur de Châlus aurait<br />

refuser de lui livrer, mais pour mener une expédition punitive contre les seigneurs<br />

limougeauds qui venaient de prêter hommage au roi de France sans son consentement.<br />

Bernard Itier donne la liste des châteaux qui furent saisis cette année-là et John<br />

Gillingham a monté que cette liste était très vraisemblablement associée à l’expédition<br />

de Richard en Limousin en 1199 401 . Ce dernier serait alors descendu en prenant Saint-<br />

Gemme, Cluis et Aigurande en Berry, puis Aubusson dans la Creuse, avant de<br />

descendre vers les terres des seigneurs de Turenne où se trouvent les châteaux de Brive,<br />

Noailles, Salagnac 402 et Hautefort, puis de prendre sur le Lot, Sainte-Livrade, avant de<br />

remonter vers Limoges en prenant Saint-Maigrin en Charente, Nontron, Piégut puis<br />

Châlus, ces trois derniers étant cités dans une note marginale de Bernard Itier, évoquant<br />

la mort de Richard 403 :<br />

Entre temps, alors qu’il était malade, il demanda à ses chevaliers<br />

d’assiéger le château du vicomte Adémar appelé Nontron de même<br />

qu’une autre place forte appelée Montagut (Piégut) : ce qu’ils firent.<br />

Mais, apprenant la mort du roi, ils se retirèrent confusément. Le roi<br />

400 Rot. Chart., p. 58-59.<br />

401 GILLINGHAM, J., « The Unromantic Death <strong>of</strong> Richard I », Speculum, 54: 1 (1979), p. 18-41, cite<br />

BERNARD ITIER, Chronique, 1998, p. 30-31 : Multe ville obsesse, scilicet civitas Lemovicensis, sancta<br />

Jema, Nutrum, Noales, Chaluz-Chabrol, Autefort, S. Magri, Albusso, Salanac, Clois, Briva, Aiguranda,<br />

Sancta Livrada, Poi-Aigut. (la cité de Limoges,, Saint-gemmes, Nontron, Noailles, Chalus, Hautefrt,<br />

Saint-Amgrin, Aubusson, Salgnac, Cluis, Brive, Aigurande, Sainte-Livrade, Piégut). Pour l’identification<br />

voir CHAMPEVAL, J., « Errata des chroniques de Saint-Martiale de Limoges », Bulletin de la Société<br />

Archéologique et Historique du Limousin, 42 (1894), p. 367-388.<br />

402 Selon Jean Bapiste Champeval, il pourrait s’agit de Salignac (Eyvigues) en Dordogne, mais il est<br />

également possible que ce soit une référence à Salagnac dans la Creuse ou au château de Salagnac à<br />

Cosnac près de Brive….<br />

403 GILLINGHAM, J., « The Unromantic Death <strong>of</strong> Richard I », Speculum, 54: 1 (1979), p. 18-41,<br />

notamment p. 29-30, notes 69 et 79.<br />

220


avait le projet à cœur de détruire tous les châteaux et les places forte<br />

dudit vicomte. 404<br />

Dans un contexte de tensions vis-à-vis des rois de France, l’insoumission des<br />

vicomtes de Limoges, qui venaient de prêter hommage à Philippe Auguste, en avril<br />

1198, ne pouvait rester sans sanction 405 . Si l’expédition de Richard contre un vassal qui<br />

tenaient des châteaux contre lui était légitime, elle apparaissait également indispensable<br />

pour contrôler les principales routes de la Gascogne. Les Plantagenêt avaient en effet<br />

tous conscience que pour maintenir la cohésion de cet empire hétérogène, le contrôle<br />

des voies de communications entre les différents espaces était vital. Si cette campagne<br />

fut fatale à Richard, elle le fut aussi, dans une certaine mesure, à l’empire. John<br />

Gillingham conclut son article sur la mort de Richard en affirmant que le roi, en<br />

assiégeant le petit château de Chalus, s’attaquait en réalité « au problème politique<br />

majeur » de son règne 406 . La rébellion d’Aimar de Limoges et d’Audemar d’Angoulême<br />

n’était pas en effet une simple rébellion « féodale » de barons contre l’autorité de leur<br />

seigneur, mais bien une tentative de déstabilisation de l’empire des Plantagenêt.<br />

Cependant, l’investissement de Richard en Aquitaine doit être mesuré à l’aune de ses<br />

relations personnelles avec le duché (voir chapitre 5). On pourrait ainsi se demander si<br />

John Gillingham ne reproduit pas, paradoxalement, une opinion dont il a montré qu’elle<br />

est véhiculée par l’historiographie depuis le XII e siècle, et selon laquelle les Poitevins<br />

étaient responsables directement ou indirectement de l’échec des Plantagenêt sur le<br />

continent.<br />

3.3.3- Un peuple d’insoumis ? L’impossible territorialisation du pouvoir royal en<br />

Aquitaine.<br />

L’idée d’une perfidia vasconia était répandue dans le monde latin depuis<br />

l’époque carolingienne. La citation extraite de la Vie de Charlemagne par Eginhard était<br />

en effet toujours d’actualité chez les chroniqueurs anglais du XII e siècle et notamment<br />

chez Radulf Niger qui écrivait dans les années 1190 407 . John Gillingham a montré<br />

404<br />

Ibid. cite BNF MS Lat. 13894 fol. 68r et 13895 fol 180v.: ipse interim dum aegrotaret, preceperat suis<br />

ut obsiderent castellum vicecomitis Ademari quod appellatur Numtrum et quoddam aliud municipium<br />

quod appellatur Montagut : quod et fecerunt. Sed, morte regis audita, confusi recesserunt. Proposuerat<br />

ipse rex in corde suo omnia castella et municipia predicti vicecomitis destruere.<br />

405<br />

Ibid. Il remet en cause la datation de cet hommage daté d’avril 1199 par Alexandre Teulet, voir<br />

Layettes, n°493.<br />

406<br />

GILLINGHAM, J., « The Unromantic Death <strong>of</strong> Richard I », Speculum, 54: 1 (1979), p. 18-41.<br />

407<br />

GILLINGHAM, J., « Events and Opinions : Normand and English Views <strong>of</strong> Aquitaine c.1152 -<br />

c.1204 », dans The World <strong>of</strong> Eleanor <strong>of</strong> Aquitaine : Literature and Society in Southern France between<br />

221


comment s’était répandue, dans les années 1190, l’opinion commune d’une Aquitaine<br />

comme espace ingouvernable. Giraud de Barri en parle comme une terra indomita,<br />

habités par une gens indomita, turbulente et sans loi et Guillaume Le Breton dénonce la<br />

« fidélité poitevine inexistante » 408 , si bien que dans les années 1230 « les termes de<br />

Poitou et Poitevins étaient devenus des synonymes de duplicité et de gaspillage insensé<br />

des ressources » 409 . Le meurtre de Patrick de Salisbury, lors de la révolte de 1168, est<br />

sans doute l’un des incidents qui a le plus marqué l’esprit des contemporains et<br />

contribué à former cette image des Poitevins. Selon Guillaume le Maréchal, le comte<br />

avait en effet été tué par derrière :<br />

uns traitres, un hanseïs,<br />

le feri d’un glaive desrière<br />

parmi le cors, en tel man[i]ére<br />

que tantost murir l’en estut,<br />

Dunt a toz les suens meestut. 410<br />

Au-delà de l’emphase rhétorique des chroniqueurs, il faut voir une certaine<br />

réalité qui permet de comprendre en partie pourquoi les Plantagenêt qui n’ont eu de<br />

cesse de parcourir l’Aquitaine, cet immense duché aux pouvoirs fragmentés, ne sont<br />

jamais parvenu à y instaurer leur autorité souveraine. L’affirmation de la potestas regis<br />

fut pourtant accompagnée de tentatives visant à renforcer la légitimité de l’autorité<br />

ducale. La cérémonie d’investiture de Richard à Limoges en 1172, scellée par la remise<br />

de l’anneau de sainte Valérie, symbolisant l’union mystique du prince avec son peuple,<br />

conférait ainsi au jeune duc autorité et légitimité à l’action ducale jusque là accomplie<br />

par son père 411 . Si elle acquit à sa cause les seigneurs poitevins, cette consécration<br />

n’empêcha pourtant pas Richard de succomber sous les coups de seigneurs<br />

limougeauds, en mars 1199, alors qu’il tentait de briser une énième révolte.<br />

the Eleventh and Thirteenth Centuries, 2005, p. 57-82 cite RALDULF NIGER, Radulfi Nigri Chronica :<br />

the chronicles <strong>of</strong> Ralph Niger, 1851, p. 148.<br />

408 GILLINGHAM, J., « Events and opinions : Norman and English views <strong>of</strong> Aquitaine c.1152 - c.1204 »,<br />

dans The World <strong>of</strong> Eleanor <strong>of</strong> Aquitaine : Literature and Society in Southern France between the<br />

Eleventh and Thirteenth Centuries, 2005, p. 57-82 cite GIRAUD DE BARRI, Opera. 5, Topographia<br />

hibernica et expugnatio hibernica, 1861-1891, p.195-6, louant Richard pour ses efforts pour ramener<br />

l’ordre ; voir aussi AURELL, M. (éd.), Noblesses de l'espace Plantagenêt, 1154-1224. Table ronde tenue<br />

à Poitiers le 13 mai 2000, 2001, p. 40 ; AURELL, M., L'empire des Plantagenêt : 1154-1224, 2004,<br />

p. 206. ; GUIZOT, F. (éd.), Rigord, Vie de Philippe Auguste. Guillaume le Breton, Vie de Philippe<br />

Auguste, 1823-35, I, p .210.<br />

409 VINCENT, N., Peter des Roches. An Alien in English Politics, 1205-1238, 1996, p. 28.<br />

410 MEYER, P. (éd.), L'histoire de Guillaume Le Maréchal, comte de Striguil et de Pembroke, régent<br />

d'Angleterre de 1216 à 1219 : poème français, 1891-1901, I, p.61, v. 1648-1652.<br />

411 BARRIÈRE, B., Plantagenêts et Limousin au XIIe siècle, 1980.<br />

222


Selon Robert de Torigni, c’est « à cause de certaines libertés qui leur avaient été<br />

enlevées par le roi » que les seigneurs aquitains se sont révoltés au cours de la<br />

période 412 . Plutôt que de lire cette opposition en terme d’empiètements, ne faut-il pas<br />

voir ici, comme le suggérait André Debord, l’expression d’une résistance à un<br />

changement des règles du jeu ? Alors que le régime du droit féodal en Aquitaine était un<br />

régime de convenientia et de clientèle, les Plantagenêt tentèrent d’y appliquer de<br />

nouvelles règles, comme le principe de reddibilité, le contrôle des successions et des<br />

mariages, qui structuraient le droit anglo-normand. S’il s’agit d’une résistance à la<br />

féodalisation des institutions, c’est bien au sens où cette « féodalisation équivaut à<br />

transformer la prééminence reconnue du prince en autorité effective et territoriale ». On<br />

a souvent dit qu’Henri II avait gouverné ses territoires en respectant les coutumes<br />

juridiques qui codifiaient le rapport des vassaux à leur duc ou à leur comte. En réalité,<br />

en analysant les outils mis en œuvre par les Plantagenêt pour affirmer leur puissance<br />

territoriale, c'est-à-dire pour contrôler les châteaux et les seigneuries de leurs vassaux, la<br />

question de l’application du principe de reddibilité et des sanctions qui l’accompagnent<br />

à l’ensemble des territoires de l’empire est ce qui apparaît le plus flagrant, y compris<br />

pour les seigneurs aquitains qui s’y sont pratiquement toujours opposés. De fait, jusqu’à<br />

la fin du XII e siècle, il n’y a guère que dans le monde anglo-normand que la définition<br />

des rapports de féodalité entre un seigneur et ses vassaux n’est juridiquement aussi<br />

précisément défini. Ailleurs, comme le faisait remarquer Susan Reynolds, dans Fiefs<br />

and Vassals, la production de ce que l’on peut appeler les relations féodo-vassaliques,<br />

qui restèrent longtemps indéterminées, résultait essentiellement du développement du<br />

droit et de la bureaucratie dans les pratiques de gouvernement 413 . La principale<br />

difficulté provenait donc du désaccord sur ce que les Plantagenêt et l’aristocratie<br />

d’Aquitaine entendaient par principes castella tenentes 414 . Contrairement aux coutumes<br />

du nord ouest de l’Europe, où l’hommage impliquait nécessairement des devoirs et<br />

notamment le service militaire, en Gascogne, Frédéric Boutoulle a montré que jusque<br />

dans la seconde moitié du XII e siècle, le rapport entre le duc et les principes castella<br />

tenentes était surtout formalisé par des serments de fidélités et des conventiae 415 . En<br />

412 Voir la discussion de André Debord sur le point de vue de Jacques Boussard : DEBORD, A., La<br />

société laïque dans les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984, p. 379-80.<br />

413 REYNOLDS, S., Fiefs and Vassals. The Medieval Evidence Reinterpreted, 1994, p. 320.<br />

414 BOUTOULLE, F., Le duc et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au<br />

XIIe siècle, 2007, p. 111-113, 217-222 ; HIGOUNET, C., « En Bordelaise: 'Principes castella tenentes' »,<br />

dans La Noblesse au Moyen Âge, XIe-XVe siècle: essais à la mémoire de Robert Boutruche, 1976, p. 102<br />

415 BOUTOULLE, F., Le duc et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au<br />

XIIe siècle, 2007, p. 222-228.<br />

223


imposant l’hommage féodal en Aquitaine, les Plantagenêt se donnaient donc également<br />

les moyens de contrôler les fiefs et les châteaux seigneuriaux qui leur avaient, de droit,<br />

échappé jusque-là. La résistance de l’aristocratie d’Aquitaine était donc moins une<br />

résistance au pouvoir ducal en soi qu’à son renforcement territorial, par le biais de la<br />

diffusion de l’inféodation des tenures, dans un espace où l’alleu était globalement la<br />

norme.<br />

Dans cette configuration, l’éloignement du pouvoir capétien, qui ne pouvaient<br />

que difficilement s’imposer territorialement dans ces espaces, permet de comprendre le<br />

renversement des alliances qui favorisa la conquête de Philippe Auguste : moins qu’un<br />

sentiment nouveau d’adhésion, c’est essentiellement le rejet du pouvoir Plantagenêt,<br />

que les seigneurs aquitains pensaient remplacer par l’autorité capétienne 416 . L’échec de<br />

Richard en Poitou est donc bien l’expression de l’impossible territorialisation de son<br />

pouvoir au pr<strong>of</strong>it de puissances seigneuries régionales : celles des seigneurs de<br />

Lusignan, des vicomtes de Limoges et des comtes d’Angoulême, qui consolidèrent leur<br />

pouvoir en formant de vaste seigneuries compactes et centrées autour d’un réseau de<br />

fortifications 417 .<br />

L’échec de cette politique a donc été interprété comme l’incapacité des<br />

Plantagenêt à contenir l’essor des grandes familles locales. Parmi les différents<br />

arguments avancés pour tenter de comprendre cet échec, Nicholas Vincent souligne la<br />

mise à distance des seigneurs poitevins des cercles de fidélités de la cour, en Angleterre<br />

comme en Normandie 418 . Malgré les tentatives d’alliances extra-régionales que le<br />

contrôle des successions permettait de réaliser, l’intégration des seigneurs poitevins<br />

dans l’organisation féodale à l’échelle de l’empire n’a pas aussi bien fonctionné que<br />

pour le cas des seigneurs des marches normano-angevines. C’est le constat que dresse<br />

également Sir James Holt, en 1986, dans un article où il attirait l’attention sur l’échange<br />

de chartes entre Jean et Aliénor en juillet 1199 par lequel Aliénor, qui venait de rendre<br />

hommage à Philippe Auguste pour son duché, le donnait à son fils qui lui rendait<br />

hommage en même temps que celui-ci la reconnaissait domina de sa personne et de ses<br />

biens. Selon Sir James Holt, cette manœuvre qui visait à écarter Arthur de la succession<br />

du duché contribuait en même temps à évacuer la notion de souveraineté comme<br />

416<br />

VINCENT, N., « King Henry II and the Poitevins », dans La cour Plantagenêt, 1154-1204, 2000, p.<br />

103-135.<br />

417<br />

HAJDU, R., « Castles, Castellans and the structure <strong>of</strong> politics in Poitou 1152-1271 », J.M.H., 4:1<br />

(1978), p. 27-53.<br />

418<br />

VINCENT, N., « King Henry II and the Poitevins », dans La cour Plantagenêt, 1154-1204, 2000, p.<br />

103-135.<br />

224


fondement de la légitimité du pouvoir de Jean en Aquitaine 419 . Pourtant en prenant le<br />

titre de roi d’Angleterre, duc de Normandie et d’Aquitaine lors de son couronnement le<br />

27 mai, Jean faisait symboliquement de l’Aquitaine un espace intégré à l’héritage<br />

impérial. Mais l’hommage rendu en juillet montre que la conception de l’empire comme<br />

un ensemble dont il pouvait hériter en entier était encore trop fragile pour se passer des<br />

formes de successions féodales, et en particulier vis-à-vis du roi de France.<br />

3.4- Conclusion du chapitre<br />

En tant que structures fondamentales de l’organisation spatiale de la société<br />

féodale, les châteaux et les monastères constituaient les pôles autour desquels se nouait<br />

l’essentiel des relations de pouvoirs. Si la prise de possession des châteaux et des<br />

monastères visait initialement à renforcer les fidélités autour de la personne royale, cette<br />

dernière avait également, en cas d’insoumission, la capacité juridique et la force<br />

physique de supprimer l’assise territoriale de ces fidélités. Le contrôle de la plupart de<br />

ces lieux par la mainmise sur leurs constructions fut donc possible grâce à un dispositif<br />

juridique qui permit l’émergence d’une territorialité du pouvoir royal. La topographie<br />

du pouvoir des Plantagenêt témoigne ainsi de la transformation de l’échelle des<br />

territoires politiques et la mise en place d’un ordre « impérial ». La politique de<br />

confiscations et de destructions menée par les Plantagenêt constitua en ce sens un<br />

tournant dans l’équilibre des pouvoirs entre royauté et aristocraties tels qu’il s’était mis<br />

en place depuis la fin de l’empire carolingien. Ce tournant est marqué par un<br />

renforcement du pouvoir monarchique, c'est-à-dire par l’accroissement de la capacité du<br />

roi à agir institutionnellement, en mobilisant des ressources juridiques pour étendre le<br />

champ de sa potestas. Cet essor du pouvoir monarchique se heurta non seulement à la<br />

résistance des seigneurs qui avaient un pouvoir territorial fortement ancré, comme les<br />

comtes d’Angoulême et du Limousin, mais aussi à l’institution dont les prétentions<br />

territoriales n’avaient cessé de croître depuis un siècle : l’Église. Dans un premier<br />

temps, l’Église et la royauté trouvèrent l’un dans l’autre un support réciproque pour<br />

réduire les pouvoirs châtelains. La réforme grégorienne portait en effet le projet d’une<br />

séparation de l’espace clérical et laïc et d’une spatialisation des espaces sacrés qui<br />

constituait un obstacle aux revendications territoriales du pouvoir des laïcs. À la fin du<br />

XII e siècle, cependant, les crises autour des élections épiscopales traduisent l’émergence<br />

419 HOLT, J. C., « Aliénor d’Aquitaine, Jean sans terre et la succession de 1199 », dans Y a-t-il une<br />

civilisation du monde Plantagenêt ?, 1986, p. 95-100 ; Foedera, I, 1, p. 77.<br />

225


de nouveaux rapports marqués par une opposition croissante entre le pouvoir royal et<br />

l’Église, qui se cristallisera notamment autour de la question de l’empire.<br />

Au final on peut donc se demander si l’essor de la monarchie anglaise au XII e<br />

siècle n’a pas été le produit de sa transformation en un empire, qui imposait une<br />

maîtrise accrue des territoires dominés. Le rassemblement par Henri II de principautés<br />

territoriales aux structures féodales hétérogènes posa en effet le problème des différents<br />

modes de domination territoriale et notamment dans ces espaces fluides et instables que<br />

constituaient les marges internes. Cette exigence de continuité territoriale impliqua la<br />

mise en place de stratégies visant d’une part, à insérer les pouvoirs locaux dans des<br />

réseaux de fidélités désormais globaux, et d’autre part, à accroître les formes<br />

d’encadrement territorial. C’est en ce sens que la formation d’un espace politique à une<br />

échelle impériale contribuait à insérer les fidélités dans des réseaux « impériaux » au<br />

pr<strong>of</strong>it du pouvoir central. Les formes de justification d’un retour à l’ordre idéalisé du<br />

règne d’Henri I er ont donc en réalité permis la mise en place d’un nouvel ordre impérial,<br />

qui se déploie grâce à l’intervention de la force militaire et l’action du droit – dont la<br />

mise à l’écrit tend à renforcer la valeur universelle. L’affirmation de la puissance<br />

publique ne s’est cependant pas effectuée uniquement par le contrôle des lieux<br />

polarisant de l’espace féodal (loca dominica et loca sancta), elle a également réinvesti<br />

des espaces qui avait été autrefois du ressort du domaine public. Dans le chapitre<br />

suivant nous verrons donc comment l’émergence de travaux d’utilité publique ont non<br />

seulement permis aux princes de s’imposer dans ces lieux en plein essor que sont les<br />

villes marchandes et d’étendre la territorialisation du pouvoir royal.<br />

226


Chapitre 3<br />

Des travaux communs aux travaux<br />

« publics » : la construction d’un<br />

territoire politique<br />

Si les notions d’utilité publique et de Bien Commun constituent des concepts<br />

courants de la pensée politique médiévale 1 , peut-on parler de travaux d’utilité publique<br />

au XII e siècle sans transposer une catégorie anachronique sur la réalité médiévale ? En<br />

suivant les réflexions de Peter Von Moss sur l’usage de l’anachronisme contrôlé de la<br />

notion de « public » appliqué à la société médiévale, la question des constructions qui<br />

sortaient du cadre de la relation strictement féodale par leur ancrage dans la tradition<br />

antique de la Res Publica nous semblait mériter d’être posée en ces termes 2 . Selon la<br />

définition devenue classique de Georges Duby, est considéré comme « public ce qui est<br />

commun, à l’usage de tous, ce qui ne faisant pas l’objet d’appropriation particulière est<br />

ouvert, distribué » 3 . Or, avec la fin de l’Antiquité, la division romaine entre public et<br />

privé disparaît si bien qu’à l’époque carolingienne, elle est « remplacée par le sentiment<br />

1 KEMPSHALL, M. S., The Common Good in Late Medieval Political Thought, 1999 ; il présente la<br />

notion de bien commun dans les textes de philosophie politique et de théologie à partir du XIII e siècle,<br />

comme étant un élément central de la pensée politique médiévale. Voir aussi pour les périodes<br />

précédente : SASSIER, Y., Structures du pouvoir, royauté et Res Publica (France, IXe-XIIe siècle), 2004.<br />

2 VON MOOS, P., « Public et privé au cours de l'histoire et chez les historiens », dans Entre histoire et<br />

littérature. Communication et culture au Moyen âge, 2005, p. 440-470, pour une discussion et application<br />

de ces catégories à la société médiévale voir aussi JUDDE DE LARIVIÈRE, C., Naviguer, commercer,<br />

gouverner. Économie maritime et pouvoirs à Venise (XVe-XVIe siècles), 2008 ; VON MOOS, P., « Das<br />

Öffentliche und das Private im Mittelalter. Für einen kontrollierten Anachronismus », dans Das<br />

Offentliche und Private in der Vormoderne, 1998, p. 3-83.<br />

3 DUBY, G., « Pouvoir privé, pouvoirs publics », dans Histoire de la vie Privée, 2. De l’Europe féodale à<br />

la Renaissance, 1999, p. 17-50, (p. 18).<br />

227


très simple d’une différence entre l’intérêt commun (utilitas communis) et celui des<br />

particuliers (commoditas privatorum) » 4 . Si les travaux autrefois reconnus comme<br />

d’utilité publique deviennent ainsi progressivement « d’utilité commune », le caractère<br />

commun de certaines constructions ne cesse pas pour autant. L’importance des coûts de<br />

mise en œuvre ainsi que la durée de certains chantiers exigeaient souvent la coopération<br />

d’acteurs multiples (communauté ou association de communautés avec leur seigneur ou<br />

avec le roi). Cette mise en œuvre collective constitue ainsi sans doute le meilleur critère<br />

de définition de ce qu’ont été les travaux d’utilité commune.<br />

Au cours de la période féodale, la construction des ponts, des routes, des digues,<br />

des canaux destinés à l’usage de tous a progressivement fait l’objet d’une appropriation,<br />

en même temps que le ban souverain se disséminait dans les strates de la société. Selon<br />

Yves Sassier, les textes médiévaux reflètent cette dissolution des pouvoirs par un<br />

effacement de la thématique « publique » 5 . À partir du XII e siècle, cependant, la<br />

« renaissance » du droit romain accompagne le nouvel essor des notions d’utilité<br />

publique et de Bien Commun comme mode de justification de la fonction royale. Leur<br />

utilisation par des auteurs proches du pouvoir, tels Jean de Salisbury 6 ou Rigord 7 permet<br />

ainsi l’affirmation de nouvelles prérogatives régaliennes. Ainsi, pour Jean de Salisbury,<br />

le rôle des princes est d’assurer la conservation du status regni, conçu comme corps<br />

politique, c'est-à-dire d’assurer le bien public, notamment à travers l’exercice de la<br />

justice, dès lors il devient une persona publica, disposant d’une potestas publica 8 . C’est<br />

ainsi que se forme l’idée selon laquelle le ius publicum constitue une prérogative<br />

régalienne en même temps qu’apparaît l’idée d’une continuité monarchique, que l’usage<br />

des notions de Couronne et de patria vient exprimer.<br />

4 CHEVRIER, J., « Les critères de la distinction du droit privé et du droit public dans la pensée savante<br />

médiévale », dans Études d'histoire du droit canonique dédiées à Gabriel Le Bras, 1965, p. 841-859.<br />

5 SASSIER, Y., « L’utilisation du concept de “res publica” en France du nord aux Xe, XIe et XIIe<br />

siècles », dans Structure du pouvoir, royauté et res publica (France, IXe-XIIe siècle), 2004.<br />

6 JEAN DE SALISBURY, Policraticus. Of the Frivolities <strong>of</strong> Courtiers and the Footprints <strong>of</strong><br />

Philosophers, 1990, Ch. IV, lib. II : « Les princes ne sont pas liés par les obligations de la loi, non parce<br />

qu’ils ont le droit de commettre des actes injustes, mais parce que ce qu’ils sont obligés de pratiquer<br />

l’équité (…), procurer de l’utilité pour le bien public (reipublicae procuret utilitatem) et préférer les biens<br />

des autres à leur propre volonté (et in omnibus aliorum commoda privatae praeferat voluntati) ».<br />

7 RIGORD, Histoire de Philippe Auguste, 2006; RIGORD et GUILLAUME LE BRETON, Oeuvres,<br />

1882-1885, I, p. 6, pour justifier le surnom de Auguste attribué à Philippe II : « c’est donc à bon droit que<br />

celui-ci qui a été nommé Auguste, puisqu’il a augmenté la respublica » ; KRYNEN, J., L'empire du roi.<br />

Idées et croyances politiques en France, XIIIe-XVe siècle, 1993, p. 53-55.<br />

8 SENELLART, M., Machiavélisme et raison d'état, 1989, p. 23-24 ; KANTOROWICZ, E. H.,<br />

« Kingship under the Impact <strong>of</strong> Scientific Jurisprudence », dans Twelfth-Century Europe and the<br />

Foundations <strong>of</strong> Modern Society, 1961 cite POST, G., « The Theory <strong>of</strong> Public Law and the State in the<br />

Thirteenth Century », Seminar, VI (1948), p. 42-59.<br />

228


Si ces occurrences sont surtout confinées aux quelques textes de théorie<br />

politique influencés par la culture latine et le droit romain, le lien entre les réflexions<br />

érudites et les considérations pratiques du pouvoir n’apparaissent pas toujours avec<br />

évidence, car la rhétorique du bien commun comme mode de justification ne se déploie<br />

pas dans les sources qui concernent les pratiques de gouvernement des Plantagenêt.<br />

Certes, l’existence d’un espace « public » est encore quelque chose qui reste largement<br />

à construire au XII e siècle, mais l’absence d’un langage revendiqué de l’utilité publique<br />

par opposition aux intérêts privés doit-elle pour autant interdire de parler de certaines<br />

pratiques en ces termes ? 9 Pour que le langage de ces catégories juridiques devienne<br />

audible, encore faudrait-il que les pratiques de pouvoir qu’il décrit soient codifiées et<br />

inscrites dans la norme. Or, la principale difficulté provient justement du fait de poser<br />

une définition claire et précise de ce que seraient les travaux « d’utilité publique » au<br />

XII e siècle. La délimitation des sphères du public et du privé sont non seulement très<br />

floues mais également très fluides si bien que les interventions royales se situent la<br />

plupart du temps dans une zone d’indistinction entre ce qui apparaît être ses intérêts<br />

privés et l’utilité de tous, entre patronage et exercice de l’autorité. Ainsi, chercher à<br />

tracer les contours d’un espace d’intervention lié à l’action royale en tant que garante de<br />

la paix et du bien commun, consisterait à dessiner un espace d’intervention largement<br />

fictif dans la mesure où les constructions royales ne cessent jamais d’être en même<br />

temps des œuvres patrimoniales. Si le travail que Cyril T. Flower a produit pour<br />

l’Angleterre reste d’une grande utilité, nous chercherons davantage à mettre en évidence<br />

le caractère fondamentalement ambigu de la notion d’utilité publique, refusant de<br />

catégoriser sous cette étiquette un type de travaux déterminé anachroniquement 10 . C’est<br />

donc à partir de situations concrètes dans lesquelles se jouent des rapports de pouvoir<br />

spécifiques que doivent se chercher les pratiques de construction d’utilité commune.<br />

Pour déterminer la qualité « publique » des constructions mises en œuvre par le roi ou<br />

des « lieux » spécifiques sur lesquels il intervient 11 , il convient de se demander dans<br />

9 Voir notamment le plaidoyer pour un usage de l’anachronisme « volontaire et contrôlé » de la notion d’<br />

« espace public » de BOUCHERON, Patrick. « Au risque de l’anachronisme. Introduction à la deuxième<br />

journée du programme ‘l’espace public au Moyen Âge’ » (31 mai 2005), .<br />

10 FLOWER, C. T., Public works in mediaeval law, 1923. En France, les juristes continuent d’utiliser le<br />

terme de public sans réelle historicisation. Voir notamment LEYTE, G., Domaine et domanialité publique<br />

dans la France médiévale, XIIe-XVe siècles, 1996.<br />

11 BOUCHERON, P., « Politisation et dépolitisation d’un lieu commun. Remarques sur la notion de “bien<br />

commun” dans les villes d’Italie centro-septentrionales entre commune et seigneurie », dans De Bono<br />

Communi. Discours et pratique du bien commun dans les villes d'Europe occidentale (XIIIe -XVIe s.), à<br />

229


quelles situations le roi intervient tout d’abord comme garant de l’autorité publique<br />

mais aussi à quel moment l’objectif de bien commun, considéré comme le but ultime de<br />

l’action de la personne publique du prince, l’emporte sur ses intérêts privés et l’éloigne<br />

de l’image du tyran.<br />

Le précédent chapitre a montré que l’exercice du pouvoir n’avait cessé de se<br />

renforcer au cours de la période à partir des revendications de monopolisation de la<br />

puissance publique du prince : cette évolution se traduit-elle dans la prise en charge de<br />

constructions d’utilité commune ? Plutôt que de suivre une ligne de progression, ce<br />

chapitre a été organisé thématiquement. Partant du principe selon lequel la prise en<br />

charge des travaux d’utilité publique relevait de l’exercice de l’autorité publique et que<br />

celle-ci ne constituait aucunement un monopole royal, il convenait de se demander<br />

quelle était l’autorité incarnée et comment se mêlaient les registres d’autorité selon les<br />

situations. Nous avons tenté de distinguer trois principaux niveaux : tout d’abord,<br />

quelles étaient les constructions relevant de la simple gestion domaniale et de l’autorité<br />

sur les communautés rurales ou urbaines de leur dominium seigneurial ? Dans un second<br />

temps, il s’agira de considérer leur contribution en tant que patrons, c'est-à-dire lorsque<br />

leurs interventions pour des œuvres communautaires dépassaient le simple cadre<br />

manorial. En Angleterre, l’organisation monarchique permettait d’assurer la continuité<br />

de l’autorité publique en substituant celle du roi aux autorités locales en vacance, y<br />

compris en intervenant dans des domaines jusqu’alors investis par l’Église. Quel a été<br />

en particulier la contribution des Plantagenêt à la construction d’institutions d’assistance<br />

et de charité ? Enfin, nous tenterons de saisir les situations dans lesquelles la prise en<br />

charge des travaux d’utilité commune par les Plantagenêt traduit l’essor de leur autorité<br />

souveraine. En justifiant leurs constructions par la nécessité de défendre la patrie et<br />

d’assurer la sécurité du royaume, comment les Plantagenêt ont-ils contribué à leur<br />

donner un caractère proprement public ? Au-delà de la défense de la patrie, c’est aussi<br />

par la réaffirmation des prérogatives de la Couronne sur le territoire du royaume et en<br />

particulier sur les routes et les cours d’eau, lieux « publics » par essence, que le pouvoir<br />

des Plantagenêt s’est progressivement territorialisé.<br />

paraître cite DAKHILA, J., « La question des lieux communs. Des modèles de souveraineté dans l’Islam<br />

méditerranéen », dans Les formes de l’expérience. Une autre histoire sociale, 1995, p. 39-61.<br />

230


1- Les constructions d’utilité commune comme<br />

expression du dominium Plantagenêt<br />

Avec la féodalisation de la société et l’instauration d’un ordre seigneurial, se<br />

développent en Occident des types de constructions communes spécifiques et<br />

symboliques des nouveaux rapports de dominium 12 . Dans quelle mesure ces nouvelles<br />

constructions ont-elles été des lieux d’expression du pouvoir, marquant l’espace<br />

manorial comme celui des villes royales, ducales ou comtales de l’empire ?<br />

1.1- Des travaux « publics » aux travaux « communs » : la<br />

féodalisation des travaux d’utilité publique<br />

1.1.1- Des « sordida munera » au « common burden » : la féodalisation des travaux<br />

d’utilité publique<br />

À partir du IV e siècle, les constructions et réparations de routes, ponts,<br />

d’enceintes cessent progressivement d’être des devoirs publics auxquels tous les<br />

citoyens participaient, pour devenir des charges reposant sur les possesseurs de terres 13 .<br />

Certaines personnes, de par leur statut, étaient cependant exemptes des sordida munera,<br />

qui concernaient les routes et les ponts ; mais à partir d’Honorius en 423, puis de<br />

Théodose, « aucune classe d’homme, que se soit par le mérite de son rang ou de sa<br />

vénération ne pourra plus être exemptée de la réparation des routes et des ponts » 14 . Au<br />

cours du haut Moyen Âge, cette interdiction d’exemption des sordida munera du code<br />

Théodosien se heurte à la réforme de l’Église, initiée par saint Boniface au VIII e<br />

12 Pour une définition du dominium voir GUERREAU, A., L'avenir d'un passé incertain, 2001.<br />

13 BROOKS, N., « Medieval bridges : a window onto changing concepts <strong>of</strong> state power », H.S.J., 7<br />

(1995), p. 11-37; COOPER, A. R., Bridges, Law and Power in Medieval England, 700-1400, 2006 voir<br />

aussi BELL, A., « The Organization <strong>of</strong> Public Work in Society and by the State in Early Medieval<br />

England c. 800 – c. 1300 », PhD in History, 2002, unpublished, p. 110-111.<br />

14 Novella Valentiniani 10 (441), dans MOMMSEN, T. et MEYER, P. (eds.), Theodosiani libri XVI cum<br />

constitutionibus Sirmondianis et leges novellae ad Theodosianum pertinentes, 1905,p. 91-92 : an forte<br />

contumeliosum putandum est inventum contra rationem nomen munerum sordidorum, quo instauratio<br />

militarium viarum quo armorum fabricatio, quo murorum refectio, quo apparatus annonae quo reliqua<br />

opera, per quae ad splendorem defensionis publicae pervenitur, prava appellatione censentur ?... repetita<br />

clementiae nostrae praeceptione sanctimus, ut antiquaris omnibus privilegiis, quae vel dignitatibus<br />

delata fuerant vel diversa militiae collegia meruerunt aut nomine venerandae religionis obtentum est,<br />

omnis ubique censu, qui non personarum est, sed agrorum ad universa munia a nona dumtaxat<br />

indictione, ut supra definivimus, absque ulla discretione cogatur.<br />

231


siècle 15 . Ces obligations ne pouvaient en effet entrer dans les clauses d’immunité faites<br />

aux Églises dans la mesure où elles reposaient collectivement sur le sol et non sur les<br />

personnes. Aux IX e siècles, les chartes d’immunité émises par les rois anglo-saxons<br />

continuaient d’exclure des clauses d’exemption les trois principales obligations (la<br />

trimoda necessitas) à savoir, le service militaire, la construction des forteresses et la<br />

construction des ponts 16 . Sur le continent, la Gesta consulum relatant la vie de Foulque<br />

Nerra (987-1040), avec un vocabulaire très inspiré de la culture antique, témoigne de la<br />

persistance de publica negocia et notamment du bidamnum, désignant l’obligation faite<br />

à tous les tenanciers libres ou non libres de réparer les fortifications 17 . Au cours du XI e<br />

siècle, ces obligations tendent cependant à se confondre avec les corvées dues au comte.<br />

Au XII e siècle, les « charges communes » (ou common burden) apparaissent<br />

dans les codes de loi anglo-normands, comme le montrent les Leges Henrici Primi, mais<br />

le sens de ces obligations s’est modifié : celles-ci ne sont plus désormais relatives à un<br />

droit du sol mais reposent sur la communauté solidaire des habitants, qui en étaient<br />

responsables collectivement 18 . Selon Alan Cooper, la féodalité a ainsi contribué à<br />

« privatiser » ou plus exactement à « personnaliser » ces obligations qui étaient<br />

autrefois considérées comme ressortant du domaine public. Détachées de leur nature<br />

« territoriale », ces obligations deviennent rapidement un instrument de domination<br />

seigneuriale. Le processus de personnalisation a surtout concerné l’empire carolingien<br />

et les royaumes qui en sont issus : dès le IX e siècle, les exemptions de ces charges<br />

communes deviennent de plus en plus fréquentes dans les chartes royales. Au contraire,<br />

en Angleterre, le développement de l’autorité royale west-saxonne, forgée dans la<br />

nécessité d’organiser la défense du territoire face aux invasions vikings, contribue à<br />

réaffirmer la nécessité de ces « charges communes » et notamment la construction – et<br />

15 COOPER, A. R., Bridges, Law and Power in Medieval England, 700-1400, 2006.<br />

16 BROOKS, N., « The development <strong>of</strong> military obligations in eighth- and ninth-century England », dans<br />

England before the Conquest: studies in primary sources presented to Dorothy Whitelock, 1971, p. 69-84;<br />

STEVENSON, W. H., « Trinoda necessitas - Three-knotted necessity », E.H.R., 29, p. 689-703; JOHN,<br />

E., « The imposition <strong>of</strong> the common burdens on the lands <strong>of</strong> the English church », Bulletin <strong>of</strong> the Institute<br />

<strong>of</strong> Historical Research, 31 (1958), p. 117-129.<br />

17 BACHRACH, B. S., « Neo-roman versus feudal ; the heuristic value <strong>of</strong> a construct for the reign <strong>of</strong> Fulk<br />

Nerra, count <strong>of</strong> the Angevins (987-1040) », dans State-building in medieval France : studies in early<br />

Angevin history, 1995, p. 3-30; BACHRACH, B. S., « The angevine economy, 960-1060: ancient or<br />

feudal? », dans State-building in medieval France : studies in early Angevin history, 1995, p. 3-55<br />

notamment notes 46 et 47: Ce service annuel correspondait apparemment à quinze jours de travail ;<br />

GRAND, R., « Une bien curieuse appellation de certaines corvées au Moyen Âge: la ‘bain’, ‘biain’, ou<br />

‘bien’ », dans Mélanges dédiés à la mémoire de Félix Grat, 1946, p. 289-300 ; GUILLOT, O., Le Comte<br />

d'Anjou et son entourage au XIe siècle, 1972, I, p. 382-384.<br />

18 DOWNER, L. J. (éd.), Leges Henrici primi, 1972, 66.6; COOPER, A. R., « Obligation and<br />

Jurisdiction: Roads and Bridges in Medieval England, (c.700-1300) », unpublished Ph.D., 1998, p. 101<br />

232


des forteresses et des ponts – qui servaient alors principalement à bloquer les rivières<br />

contre la remontée des drakkars 19 .<br />

Si la capacité des rois anglo-saxons à faire appliquer les obligations de<br />

construction de ponts et d’enceintes, ainsi que le service militaire, contraste alors avec<br />

l’incapacité des derniers carolingiens à contenir la fragmentation de leur autorité<br />

publique et sa dissolution dans la féodalité, dans l’Angleterre du début du XIII e siècle,<br />

cependant, la situation est nettement plus ambiguë. En témoigne l’article 23 de la<br />

Magna Carta de 1215 qui stipule « qu’aucune ville ni aucun homme ne peut être<br />

contraint de construire des ponts sur les rivières à l’exception de ceux sur lesquels<br />

reposaient les antiques obligations » 20 . L’introduction du système féodal en Angleterre<br />

fait en effet partiellement disparaître ces obligations qui pesaient toujours sur certaines<br />

communautés. Ainsi, sur l’ensemble des chartes d’Henri II, on peut recenser plus de 80<br />

exemptions ou confirmations d’exemption de pontage, par exemple, taxe prélevée sur<br />

les usagers des ponts destinée à financer son entretien 21 . De nombreux documents<br />

comme ceux qui entourent la reconstruction du pont de Rochester montent toutefois que<br />

ces obligations, si elles étaient l’objet de nombreuses contestations n’avaient pas<br />

vraiment disparues. La « liste de l’œuvre du pont de Rochester », qui apparaît dans le<br />

Textus R<strong>of</strong>fensis, un cartulaire du début du XII e siècle de la cathédrale de Rochester,<br />

enregistrait toujours au XII e siècle les obligations des différentes juridictions du Kent<br />

pour l’entretien de la superstructure en bois du pont de Rochester 22 . Nicholas Brooks<br />

s’interroge en particulier sur les raisons qui ont fait que seul le lathe 23 d’Aylesford<br />

19 BROOKS, N., « The development <strong>of</strong> military obligations in eighth- and ninth-century England », dans<br />

England before the Conquest: studies in primary sources presented to Dorothy Whitelock, 1971, p. 69-84,<br />

il relève plusieurs chartes dans lesquelles il trouve de manière récurrente l’expression pontis arcisve<br />

coaedificatione ; BROOKS, N., Communities and warfare, 700-1400, 2000. Cette utilisation est<br />

également employée par Charles le Chauve à Pîtres (Pont de l’arche) à la fin du IX e siècle.<br />

20 HOLT, J. C., Magna Carta, 1961, p. 322-323: nec villa nec homo distringatur facere pontes ad<br />

riparias nisi qui ab antiquo et de iure facere debent (Articles c.11 ; Charte de 1225 c.15). Cette clause a<br />

souvent été interprétée comme un cas spécifique de réparation des ponts lorsque le roi venait chasser au<br />

faucon, et que les Plantagenêt utilisèrent probablement comme une manière ponctuelle de lever des fonds.<br />

Selon David Harrison, c’est le terme ad riparias (sur les bordures de la rivières) qui constitue la clé de<br />

cette interprétation. HARRISON, D. F., The Bridges <strong>of</strong> Medieval England, 2004, p. 193.<br />

21 Acta Plantagenêt, par exemple: 1801H, 1585H, 955H, 2634H, etc.<br />

22 BROOKS, N., « Church, crown and community : public work and seigneurial responsibilities at<br />

Rochester bridge », dans Warriors and churchmen in the high middle ages : essays presented to Karl<br />

Leyser, 1992, p. 1-20; BROOKS, N., « Rochester bridge, AD 43-1381 », dans Traffic and politics : the<br />

construction and management <strong>of</strong> Rochester Bridge, AD 43-1993, 1994, p. 1-40 cite SAWYER, P. (éd.),<br />

Textus R<strong>of</strong>fensis. Rochester Cathedral Library manuscript A. 3. 5, 1957. Les registres postérieurs des<br />

XIIIe et XIVe siècles indiquent que les piliers du pont étaient en pierre et sans doute d’origine romaine.<br />

23 Subdivision du Shire, issue des anciennes divisions territoriales antiques et anglo-saxonne. On parle de<br />

lathe dans le Kent, de riding dans le Yorkshire, de rape dans le Sussex, et de hundred ou de wapentake<br />

par ailleurs. GENET, J.-P., Les îles britanniques au Moyen âge, 2005, p. 287.<br />

233


devait entièrement assumer la charge des réparations du pont à Rochester et sur le lien<br />

entre les responsabilités qui pesaient sur les ponts à l’époque romaine et certains<br />

territoires anglo-saxons 24 . La persistance ou la disparition de ces obligations<br />

résulteraient en effet de la formation des divisions territoriales des royaumes anglo-<br />

saxons. Ainsi le système des hundreds, qui émergea par l’assimilation de regiones<br />

romaines, pourrait avoir conservé les obligations antiques contrairement à celui des<br />

shires qui se forma dans le royaume de Mercie 25 . Nombre de hundreds conservaient en<br />

effet l’obligation de réparer les ponts comme l’indique par exemple une entrée dans le<br />

pipe roll de 1172. Cette année, alors qu’Henri II est en possession des revenus de<br />

l’évêché d’Ely, il ordonne au pontenarius 26 d’Ely de réparer tous les ponts du<br />

hundred 27 . On peut s’interroger sur la singularité de cette mention dans les pipe rolls et<br />

donc sur son lien avec les revenus de l’évêché d’Ely. Le fait que la division territoriale<br />

soit le hundred et non le diocèse indique-t-elle que l’évêque d’Ely ne fut jamais<br />

exempté des obligations qui pesaient sur le hundred dont il est le seigneur ? 28 Que ces<br />

obligations soient toujours d’actualité au XII e siècle dans le Cambridgeshire n’est pas<br />

très surprenant. Dans ce pays de tourbières (fen), l’entretien des ponts qui constituaient<br />

des infrastructures de communication cruciales constituait en effet une nécessité pour<br />

tous les habitants.<br />

Avec l’essor du marché de la terre et la mobilité des tenures, le fait que ces<br />

obligations ne portent plus systématiquement sur le sol, mais se soient largement<br />

« personnalisées » se traduit par la nécessité, au milieu du XIII e siècle, d’établir des<br />

commissions d’enquête pour enregistrer sur qui devaient reposer les antiques<br />

24 BROOKS, N., « Rochester bridge, AD 43-1381 », dans Traffic and politics : the construction and<br />

management <strong>of</strong> Rochester Bridge, AD 43-1993, 1994, p. 1-40.<br />

25 BELL, A., « The Organization <strong>of</strong> Public Work in Society and by the State in Early Medieval England c.<br />

800 – c. 1300 », unpublished PhD, Oxford, 2002, p.118, 148. cite le Statute <strong>of</strong> Bridges datant de l’année<br />

1530-31 (Henri VIII) qui éclaircit cette hypothèse : in many partes <strong>of</strong> this realme it can not be knowen or<br />

proved what Hundrede, Riddynge, Wapentake, Citie, Borough, Towne, or <strong>Paris</strong>he, nor what person or<br />

body politic ought <strong>of</strong> right to make…bridges, CALEY, J. et al. (eds.), The Statutes <strong>of</strong> the Realm. From<br />

original records, etc. (1101-1713.), 1810, III, p. 321.<br />

26 Voir infra pour la définition du terme.<br />

27 PR 18 H.II., p. 116 : 40s. pontenario de Ely pro pontibus reficiendis in hundredis de Ely.<br />

28 Une charte d’Henri II de 1154-1158 suggère en effet que le Hundred était bien la possession de<br />

l’évêque et que les barons qui y tenaient des terres lui devaient le service militaire et étaient justiciables<br />

par l’évêque : Acta Plantagenêt (2846H): omnibus baronibus qui terras tenent in hundr(edis) episcopi de<br />

Ely salutem. Precipio vobis quod veniatis ad placita hundredorum episcopi Elyens' per summonitionem<br />

seruientum eiusdem episcopi ita bene … et sicut venire debetis, ne placita vel rectitudines ecclesie<br />

remaneant pro penuria iudicantium.<br />

234


obligations de réparation de pont 29 . L’enquête publiée dans le rouleau des Placita quo<br />

Warranto du règne d’Edward I er enregistre ainsi une liste d’individus devant accomplir<br />

les antiques charges d’entretien des ponts sur les eaux du Hertfordshire, selon leurs<br />

possessions 30 . Ces enquêtes montrent que si les réparations de ponts relevaient<br />

désormais de responsabilités individuelles ou collectives, elles restaient toujours<br />

difficiles à faire appliquer. En 1191, par exemple, les pipe rolls enregistrent une amende<br />

dûe par Ailric Bucstan de £11 3s. 4d. pour n’avoir pas fait le pont dont il avait la charge,<br />

et pour cause, « set mortuus est » 31 .<br />

Si l’essor d’une société seigneuriale en Occident au XI e siècle a donc participé à<br />

la disparition de charges communes reposant sur le sol, on ne saurait cependant<br />

considérer ce moment comme celui d’une disparition des travaux communs. Au<br />

contraire, la seigneurie a largement favorisé l’équipement des campagnes avec des<br />

infrastructures collectives, dont les moulins constituent sans doute le symbole le plus<br />

patent.<br />

1.1.2- Les travaux d’utilité commune au cœur de l’économie domaniale<br />

Depuis les travaux fondateurs de Marc Bloch, la compréhension des rapports<br />

entre moulins et banalités s’est largement enrichie notamment grâce aux apports de<br />

l’archéologie et de l’histoire des techniques qui ont permis le renouvellement de cette<br />

historiographie, mais aussi grâce à l’essor de l’anthropologie de l’économie et du<br />

prélèvement seigneurial 32 . Selon Mathieu Arnoux : « avant d’être seigneurial, le moulin<br />

était féodal et probablement fiscal ou public. Il ne devient seigneurial que pour autant<br />

29 BELL, A., « The Organization <strong>of</strong> Public Work in Society and by the State in Early Medieval England c.<br />

800 – c. 1300 », PhD in History, 2002, unpublished ; HARRISON, D. F., The Bridges <strong>of</strong> Medieval<br />

England, 2004, p. 23.<br />

30 ILLINGWORTH, W. (éd.), Placita de quo warranto temporibus Edwardi I, II, III, in curia receptae<br />

scaccari Westmonasteriensi asservata..., 1818, p. 284-6, par exemple : Thomas de Hertford tient une acre<br />

et demi de prés dans cette ville pour laquelle il doit faire un pont à Werdestrete long de cinq pieds de<br />

large de quatre pieds et que ses villageois fassent ce pont et que Thomas leur trouve le bois nécessaire<br />

(Thom’ de Hertford’ tenet unam acram prati et dimidiam in eadem villa pro qua debet facere unum<br />

pontem in Werdestrete longue quinque pedes et latitude quatuor pedes et quod villani sui solent facere<br />

illum pontem et ipse Thome inveniet eis maeremium).<br />

31 PR 3 Richard, p. 3 : pro defalta faciendi pontem set mortuus est.<br />

32 COMET, G., « Moulins et meunier. Réflexions historiographiques et méthodologiques », dans Moulins<br />

et meuniers dans les campagnes européennes IXe-XVIIIe siècle, 2002, p. 9-30 cite BLOCH, M.,<br />

« Avènement et conquête du moulin à eau », Annales d’histoire économique et sociale, 8 (1935), p. 538-<br />

563 ; BOURIN, M. (éd.), Pour une anthropologie du prélèvement seigneurial dans les campagnes<br />

médiévales. XIe-XIVe siècles les mots, les temps, les lieux, 2007; FELLER, L. (éd.), Le marché de la terre<br />

au Moyen âge, 2005; FELLER, L., Paysans et seigneurs au Moyen âge VIIIe-XVe siècles, 2007.<br />

235


que le fief l’est devenu aussi » 33 . Son origine publique se traduit non seulement par son<br />

insertion dans l’espace des banalités mais aussi par le fait qu’un moulin construit sans<br />

droit de mouture était considéré comme illégal par le pouvoir ducal, en Normandie du<br />

moins. L’inégale conservation des sources de l’époque ducale ne permet pas de se faire<br />

une idée du degré d’équipement des campagnes, mais Mathieu Arnoux pense que le<br />

duché de Normandie était plutôt en avance sur les autres régions, notamment parce qu’il<br />

existait déjà des sites hydrauliques complexes.<br />

Au XII e siècle, en effet, les mentions de moulin renvoient la plupart du temps à<br />

des installations hydrauliques, qui servaient à moudre des grains, mais aussi des olives,<br />

des plantes à huile, du plâtre, des minerais, etc. Le moulin à vent ne se répand<br />

véritablement qu’à partir du XIII e siècle 34 . La complexité de ces installations se<br />

manifeste notamment par la présence d’une pêcherie et d’un système de biefs et de<br />

conduites dont la mise en place pouvait nécessiter d’importants travaux. Il n’est pas rare<br />

en effet de trouver dans les pipe rolls des mentions de réparations de moulins où sont<br />

associés l’étang, le vivier et parfois même la maison du meunier, la fabrique ou encore<br />

le pont qui enjambait la rivière 35 . Ainsi en 1208, £27 5s. 10d. sont dépensés « pour les<br />

travaux de la maison, du moulin et du vivier de Feckenham, un manoir royal situé dans<br />

le Wiltshire 36 . Les réparations de moulins comprenaient également celles des chaussées<br />

qui y menaient. Le rouleau normand de 1180 enregistre ainsi plus de £ a 300 ad<br />

operationes Calceie molendinorum de Gorran 37 . Les sommes dépensées apparaissent<br />

ainsi très variables. En 1179, le rouleau n’enregistre que 9s. 6d. pour les travaux au<br />

moulin d’un domaine du Westmorland tandis qu’à l’opposé, près de £ a 150 (soit £38)<br />

sont attribuées à la construction des moulins de Château Gaillard en 1200 38 . Selon la<br />

complexité des moulins, les coûts de fabrication pouvaient en effet être très variables. Il<br />

semble cependant que le coût moyen de construction devait se situer entre £10 et £15.<br />

33<br />

ARNOUX, M., « Moulins seigneuriaux et moulins royaux en Normandie: marché de l'énergie et<br />

institution (XIIe-XVe siècles) », dans Economia e energia, secc. XIII-XVIII, 2003, p. 505-520, cite un<br />

jugement de l’Échiquier de Normandie de 1216 rappelant que la construction et l’exploitation d’un<br />

moulin sont liées à la possession d’un fief pourvu d’un droit de moute, et que les moulins récemment<br />

construits en dépit de ce principe seront détruits. DELISLE, L., Recueil de jugements de l'Échiquier de<br />

Normandie au XIIIe siècle, 1864, p.47, n°182.<br />

34<br />

PICHOT, D., « Le moulin et l’encellulement dans l’ouest français (XIe-XIIIe siècles) », dans Moulins<br />

et meuniers dans les campagnes européennes IXe-XVIIIe siècle, 2002, p. 111-129. Il existait cependant<br />

quelques moulins à vent en Angleterre.<br />

35<br />

PR 8 H.II., p. 34 : £4 in defectu molendinis et fabricarum ; 10 H.II. p. 35 : operatione calcete et<br />

Molendini de Oreford.<br />

36<br />

PR 10 Jean, p. 202 : in operatione domorum et molendini et vivarii de Fekeham.<br />

37<br />

MRSN, I, p. 6-7, 10, 21.<br />

38<br />

PR 25 H.II, p. 25 ; MRSN, II, p. 501 : in molendinis eiusdem castri faciendam.<br />

236


En 1171, il faut un peu plus de £12 « pour faire un nouveau moulin » à Orford sous la<br />

supervision de Godwin Bigot et des clercs Ranulf et Ade et exactement £13 2s. 11d. en<br />

1200 pour faire un nouveau moulin à Thornbury dans le Gloucestershire sous la<br />

supervision de maître Swein, de Guillaume de Falaise, Ade de Kington et de Robert le<br />

prévôt 39 . La difficulté pour calculer le coût réel des moulins provient du fait que la<br />

plupart des dépenses pour les moulins sont inclues dans toute une série de travaux, c’est<br />

le cas notamment à Verneuil, ville neuve fondée par Henri I er aux frontières de la<br />

Normandie, où les ducs avaient à charge l’ensemble des travaux communs 40 . En 1195,<br />

Richard y fait ainsi « élever les murs de la ville, préparer la chaussée, faire un moulin à<br />

l’extérieur de la ville et à l’intérieur, une grange, deux cheminées (?), et un pont en face<br />

de la nouvelle porte » 41 . Selon Astride Lemoine-Descourtieux, ces deux nouveaux<br />

moulins étaient sans doute ceux qui se trouvaient à l’embouchure de l’Iton et au sortir<br />

du canal dérivé de l’Avre, connus par la suite sous le nom de « moulin des murailles » 42<br />

et « moulin de la tour grise » 43 . Ces deux moulins viennent s’ajouter à celui qui existait<br />

déjà et qu’Henri II avait fait réparer en 1180, après l’incendie provoqué par le passage<br />

des troupes capétiennes. En 1198, le nouveau moulin est également reconstruit pour les<br />

mêmes raisons 44 . Les réparations enregistrées dans les pipe rolls sont en effet souvent<br />

liées aux déprédations de la guerre : c’est le cas par exemple en 1175, où £6 sont<br />

nécessaires pour « refaire le moulin qui avait été brûlé à Colebrige par les armées<br />

écossaises » 45 .<br />

Si la plupart des mentions sont des réparations, la construction des moulins<br />

constituait un phénomène encore en expansion à la fin du XII e siècle. Selon Henry<br />

Darby, en 1086 il y avait au moins 6082 moulins enregistrés en Angleterre et ils seront<br />

39 PR 17 H.II, p. 4; PR 2 Jean, p. 128.<br />

40 BAUDUIN, P., « Bourgs castraux et frontière en Normandie aux XIe-XIIe siècles : l’exemple du<br />

département de l’Eure », dans Château et territoires. Limites et mouvances. Première rencontre<br />

d’archéologie et d’histoire en Périgord, 1995, p. 27-42.<br />

41 MRSN, I, p. 239, £530 4s. in operationibus murorum castri de Vernoleo et accato calcis et uno<br />

molendintum extra villam et intus et granariis et duabus camusis et ponte versus portam novam faciendis.<br />

42 En 1199, Jean concède ses droits sur le premier moulin à Guillaume de l’Etang, « ainsi que la demeure<br />

et ses dépendances dans la ville construite sur le mur en face du chemin de l’étang… », Rot. Chart.,<br />

p. 16 : concedimus ei et heredibus suis et confirmamus locum quandam molendinum apud Vernolium cum<br />

molendino in illo loco ab eo constructo et quandam domus cum pertinentis in eadem villa edificatam<br />

supra murum versus calceam stagni et viginti libratam redditus andegav’.<br />

43 LEMOINE-DESCOURTIEUX, A., « La ville fortifiée de Verneuil s/ Avre », Annales de Normandie:<br />

Construire, reconstruire, aménager le château en Normandie (2004), p. 51-70<br />

44 MRSN, I, p. 84: £19 16s. in reficiendis molendinis Vernolii combustis per guerram; II, p. 311: £61 10s.<br />

in reficiendis molendinis combustis et prostratis per Gerram.<br />

45 PR 21 H.II., p. 183 : in reficiendis molendini quod combustum fuit apud Colebridge per Werram<br />

Scottorum.<br />

237


plus de 15000 vers 1300 46 . Tandis qu’à la fin du XI e siècle, la construction de moulin<br />

n’était encore le fait que des principaux aristocrates, dans les années 1170-80, Daniel<br />

Pichot estime que la diffusion des moulins était telle que de simples domini pouvaient<br />

être désormais équipés 47 . La construction de moulins restait cependant contrôlée et<br />

nécessitait une autorisation des autorités publiques dans la mesure où les moulins<br />

impliquaient un usage des cours d’eau (déviations, canalisations, etc.) qui relevait du<br />

droit de ban. C’est ainsi que les Templiers reçoivent en 1159, une autorisation royale<br />

pour construire un moulin sur les terres qu’ils possédaient à Londres :<br />

Je concède aux chevaliers du Temple de Jérusalem le lieu sur la Fleet,<br />

près de Baynard’s Castle et toute la rivière de la Fleet pour y faire un<br />

moulin et un mésuage sur la Fleet près du pont pour le salut de mon<br />

âme et la stabilité de mon royaume et pour l’âme de mon aïeul le roi<br />

Henri et de tous mes ancêtres. 48<br />

Cette autorisation a la forme d’une concession et d’une donation pieuse, parce que les<br />

destinataires composaient une communauté religieuse, mais si cette concession entre<br />

dans une économie du salut, elle s’inscrit également dans un projet plus général<br />

concernant toute la communauté du royaume et sa stabilité.<br />

Les moulins deviennent ainsi rapidement une machine symbolisant le pouvoir<br />

seigneurial, non seulement parce qu’ils représentaient la puissance publique du<br />

seigneur, son droit de ban, mais aussi parce que ce droit permettait à ses détenteurs d’en<br />

tirer des revenus dits « banaux ». Selon Daniel Pichot, la moltura qui était le<br />

prélèvement banal lié au moulin dans l’ouest de la France, était perçue sans doute dès le<br />

milieu du XI e siècle en Anjou et dans le Maine 49 .<br />

46<br />

DARBY, H. C., Domesday England, 1986, p. 361, voir LANGDON, J., Mills in the Medieval<br />

Economy. England 1300-1540, 2004.<br />

47<br />

PICHOT, D., « Le moulin et l’encellulement dans l’ouest français (XIe-XIIIe siècles) », dans Moulins<br />

et meuniers dans les campagnes européennes IXe-XVIIIe siècle, 2002, p. 111-129.<br />

48<br />

Acta Plantagenêt (1554H) : Sciatis quod ego dedi et concessi militibus Templi Ierusalem' locum super<br />

Flietam iuxta Castellum Bainardi et totum cursum aque de Fliete ad faciend(um) ibi molendinum et unum<br />

masagium super Flietam iuxta pontem de Fliete pro salute anime mee et pro stabilitate regni mei et pro<br />

anima regis Henrici aui mei et omnium antecessorum meorum.<br />

49<br />

PICHOT, D., « Moulins et société dans le Bas-Maine (XI-XIIIe siècles) », La Mayenne, Archéologie,<br />

Histoire, 19 (1996), p. 39-53 reprend les analyses de R. Fossier qui décelait une coïncidence de date entre<br />

les mentions de moulins et le renforcement de la seigneurie, ce qui tendrait à favoriser l’hypothèse que le<br />

moulin pourrait se présenter comme un constituant essentiel de la seigneurie. (Observation dans l’ouest et<br />

le centre de la France : deux phénomènes d’équipement sont synchroniques des deux phases de<br />

l’évolution successive du pouvoir). FOSSIER, R., « L'apparition des moulins et l’encadrement des<br />

hommes », dans L'Histoire des sciences et des techniques doit-elle intéresser les historiens ?, 1982, p.<br />

230-248.<br />

238


Alors que le four et le pressoir sont souvent associés au moulin dans le cadre de<br />

la seigneurie, les pipe rolls montrent que l’effort d’équipement pour les moulins n’a pas<br />

eu d’équivalent, du moins en Angleterre et en Normandie. Les rares mentions de<br />

réparations de fours mentionnées ne dépassent pas 20s. 50 . Certaines mentions de<br />

colombiers n’engagent pas non plus d’aussi fortes dépenses. Ainsi à Winchester en<br />

1205, le colombier que Jean fait faire dans le château coûte moins de £30 51 . La<br />

construction, l’entretien et la réparation de ces infrastructures par les Plantagenêt<br />

entraient donc dans le cadre d’une économie domaniale en plein essor, et<br />

l’investissement royal dans les équipements agricoles correspondait à une pratique<br />

seigneuriale largement répandue à la fin du XII e siècle. L’action des Plantagenêt ne se<br />

distinguait donc pas à ce titre des pouvoirs seigneuriaux, exerçant une autorité publique<br />

locale. Si la prise en charge des travaux communs était en effet aussi fragmentée que les<br />

pouvoirs publics, en cas de vacance de ces autorités, il revenait cependant au roi le roi<br />

d’Angleterre de se substituer à elles, garantissant la continuité de l’exercice des<br />

pouvoirs publics sur le territoire du royaume.<br />

1.1.3- La substitution du roi aux autorités locales et l’accomplissement de travaux<br />

« publics »<br />

À Canterbury, la reconstruction des murs romains qui, selon Roger de Hoveden,<br />

avaient été sérieusement endommagés en 1011, lors du siège de la ville par les Danois,<br />

est une initiative de l’archevêque 52 . Cette reconstruction ne semble pas avoir eu lieu<br />

avant la seconde moitié du XII e siècle, lorsque, paradoxalement, les menaces<br />

d’invasions avaient totalement disparues. Aucun document ecclésiastique ne renseigne<br />

toutefois ce chantier. La première mention apparaît en 1161 dans les pipe rolls qui<br />

enregistrent une dépense de 13s. pour la construction d’une porte, puis en 1168, il est<br />

question de £31 pro claudendo civitate Cantuarie. Cette somme qui pourrait à première<br />

vue apparaître comme une participation royale est en réalité déduite des revenus de<br />

l’archevêché qui étaient administrés par les agents royaux, pendant l’exil de Thomas<br />

50<br />

PR 6 Richard, p. 126 : 10s. in emendatione i furni in castello de Wirecestrie; MRSN, II, p. 293: 20s.<br />

pro furno et fornillo reparandam.<br />

51<br />

PR 8 Jean, p. 148, £28 3s. pro faciendo i bono columbario in castello Wintonie per visum Roberti filii<br />

Gileberti et Tome Ruffi. La lettre close comportant l’ordre de dépense est enregistrée dans Rot. Lit. Claus.<br />

I. 1204-1224, 1833, p. 53 : Invenit Matheo de Wallop per visum et testimonium leges homines ad<br />

faciendam unum bonum columbariorum ad opus nostrum in castello nostro de Wintonie et computate etc.<br />

Teste me ipso apud Wintonie xx die Aprilis.<br />

52<br />

HOVEDEN, I, p. 75: plures quoquo de muris precipites dantur; FRERE, S.; STOW, S. et BENNETT,<br />

P. (eds.), Excavations on the Roman and Medieval defences <strong>of</strong> Canterbury, 1982, p. 21.<br />

239


Becket en France 53 . C’est donc à partir des fonds de l’archevêché de Canterbury<br />

qu’Henri II effectue le financement des remparts, ne faisant que poursuivre l’œuvre<br />

initiée et financée par le chapitre de la cathédrale, la surveillance des travaux restant<br />

alors attribuée au prieur de Saint-Augustin. Selon Sheppard Frere, Sally Stow et Paul<br />

Benett, la construction de ces murs de près de 3 km avait vraisemblablement débuté dès<br />

le milieu du XII e siècle, incluant des faubourgs situés à l’extérieur des murs romains<br />

(voir plan 5.1). Le tracé reste vraisemblablement le même jusqu’en 1363, lorsque les<br />

citoyens entreprennent de réparer les murs qui étaient alors sérieusement délabrés 54 . Le<br />

roi n’a participé à ces travaux qu’en tant que custos de l’archevêché et donc comme<br />

substitut de la principale autorité publique de la ville. Canterbury qui possédait un<br />

château royal aurait pu pourtant faire l’objet d’un patronage royal, mais Henri II tire<br />

sans doute pr<strong>of</strong>it de la vacance de l’archevêque pour se présenter comme patron des<br />

travaux tout en ne versant pas un sou des revenus de la Couronne. Toutefois, il semble<br />

qu’à la faveur de ces travaux, Henri II ait instauré un <strong>of</strong>fice de portier à Canterbury.<br />

Pendant toute la vacance, les pipe rolls enregistrent en effet un paiement de 50s. au<br />

portario archiepiscopi auquel se substitue un portario civitatis Cantuarie à partir de<br />

1175, gagé de 20s. et chargé de faire la justice comtale (quia facit justiciam<br />

comitatus) 55 .<br />

Quelques années plus tard, de 1169 à 1172 puis en 1185, le financement du pont<br />

de Newark sur la Trent semble reposer sur le même principe. Les pipe rolls enregistrent<br />

cependant de faibles sommes in operatione pontis de Niwerch sur les revenus de<br />

l’évêché de Lincoln alors en vacance (1166-1172) 56 . Il ne s’agissait alors sans doute que<br />

des dépenses d’entretien, puisque la construction du pont remontait au début dès années<br />

1130, lorsque l’évêque Alexandre « le magnifique » (1123-1148) obtint l’autorisation<br />

d’Henri I er d’y construire un château en pierre ainsi que de détourner le King’s Highway<br />

vers le pont qu’il faisait construire sur la Trent 57 . La construction d’un nouveau pont sur<br />

la Trent constituait un ouvrage important dans la mesure où il ouvrait une nouvelle<br />

route, à la jonction de Fosse Way et de la grande route du nord. Elle faisait ainsi de<br />

Newark un lieu de passage et de commerce (une foire s’y tenait pendant cinq jours) qui<br />

53 PR. 7 H.II, p. 6; P.R. 13 H.II, p. 196, 202, P.R. 14 H.II, p. 153.<br />

54 Ibid., p. 21.<br />

55 PR 13 H.II., p. 201 ; PR 15 H.II., p. 165 ; 16 H.II., p. 161 ; 18 H.II., p. 139 ; 21 H.II., p. 208 ; 22 H.II.,<br />

p. 205; 23 H.II., p. 202, etc.<br />

56 5s. 3d. en 1169, 3s. 9d. en 1170 et 3s. 10d. en 1172 ; PR 15 H.II., p. 45, PR 16 H.II., p. 152 ; PR 18<br />

H.II., p. 96.<br />

57 ARNOLD, A. et MCMILLAN, V., « The development <strong>of</strong> Newark-on-Trent 1100-1750 as<br />

demonstrated through its tree-ring dates », Vernacular architecture, 35 (2004), p. 50-62<br />

240


permit au petit bourg de croître rapidement. L’entretien du pont constituait donc un<br />

enjeu important pour la prospérité du royaume. En tant qu’élément du Fosse Way, le<br />

pont pouvait être désormais considéré comme un élément relevant du domaine de la<br />

Couronne, mais la réparation de celui-ci à partir des revenus de l’évêché et seulement<br />

pendant la période de vacance montre que ce n’était pas le cas et qu’Henri II n’agissait à<br />

cette date qu’en tant que substitut de l’évêque. En 1185, cependant, une plus forte<br />

dépense de £7 14s. 3d. est probablement destinée à réparer les dommages subis par le<br />

pont après le séisme du 15 avril qui touche toute la région et provoque une large cassure<br />

dans la cathédrale normande de Lincoln 58 . Le pont de Newark était fait de bois comme<br />

le suggère les documents liés à sa reconstruction, avec du nouveau chêne, en 1486 59 . À<br />

cette date, c’est à nouveau l’évêque qui est à l’initiative de la reconstruction en donnant<br />

100 marcs aux bourgeois. Selon Stuart Rigold, ce pont de 60 mètres de long comprenant<br />

13 arcades était vraisemblablement une réplique du pont précédent, pour lequel un<br />

pontage est accordé en 1346 60 .<br />

Selon George Garnett, il y a de fortes similarités entre le principe de la garde par<br />

le roi des vacances d’évêchés et d’abbayes royales et le principe des escheat 61 . Dans un<br />

sens, la garde des vacances ecclésiastiques supposait qu’il existait une entité, l’Église,<br />

qui continuait à exercer un dominium à travers le roi, à la mort de ses représentants,<br />

évêques ou abbés. Le fonctionnement des escheats, par lequel un honneur revenait aux<br />

mains du roi, lorsque la lignée s’éteignait ou pendant la minorité des héritiers, supposait<br />

de même qu’il y a une entité continue au-delà de la personne du roi : la Couronne. 62 .<br />

Bien que ce concept soit resté vague et ambigu tout au long du XII e siècle, les escheats<br />

n’en constituaient pas moins une caractéristique de la féodalité anglo-normande, qui<br />

58 HILL, F. M., Medieval Lincoln, 1948, p. 109-110 ; HOVEDEN, II, p. 303: interim terraemotus magnus<br />

autidus est fere per totam Angliam, qualis ab initio mundi in terra illa non era auditus. Petrae enim<br />

scissae sunt, domus lapidem ceciderant ; ecclesia Lincolniensis metropolitana scossa est a summo<br />

deorsum.<br />

59 SALZMAN, L. F., Building in England down to 1540. A Documentary History, 1967; RIGOLD, S. E.,<br />

« Structural aspects <strong>of</strong> Medieval Timber Bridges », Medieval Archaeolgy, 19 (1975), p. 48-91;<br />

SALZMAN, L. F., English Industries <strong>of</strong> the Middle Ages, being an Introduction to the Industrial History<br />

<strong>of</strong> Medieval England , 1913; SALZMAN, L. F., Building in England down to 1540. A Documentary<br />

History, 1967, p. 546-47.<br />

60 RIGOLD, S. E., « Structural aspects <strong>of</strong> Medieval Timber Bridges », Medieval Archaeolgy, 19 (1975),<br />

p. 48-91.<br />

61 GARNETT, G., « The Origin <strong>of</strong> the Crown », dans The History <strong>of</strong> English law centenary essays on<br />

'Pollock and Maitland', 1996, p. 171-214.<br />

62 Voir infra et KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen<br />

âge, 2000 [1957].<br />

241


faisait du roi une « anomalie » juridique pour reprendre l’expression de George<br />

Garnett 63 .<br />

Grâce aux escheats, qui permettaient à des agents royaux prendre à ferme les<br />

revenus de l’honneur et d’en rendre compte à l’Échiquier, nous pouvons saisir quelques<br />

cas d’entreprises de travaux communs par des seigneurs laïcs. Ainsi, à Chester et à<br />

Lincoln, les deux principales cités des comtes de Chester, des dépenses pour des travaux<br />

sont enregistrées dans les pipe rolls au moment où l’honneur est à la garde du roi<br />

pendant la minorité d’Hugh II Kevelioc 64 . Entre 1153 et 1162, l’honneur de Chester est<br />

alors administré par des agents du roi qui ont à charge de lever les revenus seigneuriaux<br />

mais aussi d’en assurer les dépenses coutumières 65. C’est donc au nom du comte que les<br />

<strong>of</strong>ficiers royaux dépensent plus de £200 in operatione civitatis 66 . L’expression est trop<br />

vague pour pouvoir identifier concrètement de quelles « œuvres » il s’agissait, mais les<br />

archéologues ont montré que des extensions des murs Sud et Ouest ont eu lieu à cette<br />

période 67 . Or, cette partie de la cité était précisément celle où se trouvait le donjon à<br />

motte ; la construction des remparts venant ainsi servir de renfort au château (voir plan<br />

5.2). Cette mention recouvrait-elle les dépenses que le comte de Chester devait assumer<br />

en vertu du common burden ? Le Cheshire était en effet un comté dans lequel les<br />

obligations de construction de ponts étaient toujours en vigueur au XII e siècle. Tout le<br />

comté était ainsi responsable de l’entretien du pont de Chester.<br />

En 1162, près de £160 sont également prélevés sur les revenus des comtes de<br />

Chester in operatione civitatis de Lincoln 68 . Les textes ne permettent pas d’identifier<br />

l’objet de ces travaux et l’importance des remaniements peu après (reconstruction du<br />

palais épiscopal à la fin des années 1160, de la cathédrale à partir de 1192, puis du<br />

château comtal vers 1200) 69 brouille les interprétations des données archéologiques. Ces<br />

63 GARNETT, G., Conquered England, 2007<br />

64 TOUT, T. F. et KEEFE, T. K., « Hugh II <strong>of</strong> Chester », DNB (2004).<br />

65 DOWNER, L. J. (éd.), Leges Henrici primi, 1972, p. 197, 61, 13b: « Personne ne doit conduire un plaid<br />

impliquant les fiefs d'un seigneur en son absence, ni ne doit bouleverser ses droits par ce qu'il dit à la cour<br />

ou par leur destruction » (Nemo enim potest de feodo domini sui placitare sine eo nec cogi debet rectum<br />

eius forspeken vel forspillen).<br />

66 P.R. 7 H.II, p. 35; TOUT, T. F. et KEEFE, T. K., « Hugh II <strong>of</strong> Chester », DNB (2004).<br />

67 TURNER, H. L., Town Defences in England and Wales. An Architectural and Documentary Study, AD<br />

900-1500, 1970, p. 203; WEBSTER, G., « A Saxon treasure hoard found at Chester, 1950 », Antiquaries<br />

Journal, 33, p. 22-32; ALLDRIDGE, N. J., « Aspects <strong>of</strong> the topography <strong>of</strong> early medieval Chester »,<br />

Journal <strong>of</strong> the Chester Archaeological society, 64 (1981), p. 5-31, p. 29 : Ainsi, toutes les sources<br />

concernant les murs ouest se concentrent autour de la période 1150 et 1188, quelques décennies après<br />

l’achèvement des murs sud.<br />

68 P.R. 8 H.II., p. 20-21.<br />

69 P.R. 14 H.II, p. 78, P.R. 28 H.II., p. 60, P.R. 29 H.II., p.33., P.R. 7 Richard, p. 152 ; P.R. 2 Richard,<br />

p. 76 ; P.R. 2 Jean, p. 64.<br />

242


deux mentions de travaux pour les cités de Chester et de Lincoln n’apparaissent qu’une<br />

seule fois dans les pipe rolls et pose donc la question de l’initiative des travaux. Les<br />

agents du roi n’ont-ils fait, comme à Canterbury, que poursuivre des travaux initiés par<br />

le comte de Chester avant sa mort ? Est-ce Henri II qui est à l’initiative de ces travaux<br />

peu de temps avant de restituer son honneur au comte, afin de marquer les deux cités<br />

par des travaux royaux ? L’effort financier, même s’il provient des ressources de<br />

l’honneur lui-même, indique en effet que les travaux menés n’étaient pas de simples<br />

réparations.<br />

Il est probable que ces dépenses ont été affectées à la construction d’une<br />

nouvelle enceinte intégrant les faubourgs qui se trouvaient à l’est, à l’extérieur des murs<br />

romains. Ces enceintes ne devaient être cependant composées que de fossés puisque la<br />

construction d’un mur n’est évoquée qu’à partir du règne de Jean, comme le montrent<br />

des lettres patentes de 1225 qui signalent que des probi homines auxquels le roi avait<br />

promis 300 marcs pour enclore la cité n’avaient jamais reçu l’argent 70 . Lors du siège de<br />

la ville en 1217, les descriptions des combats suggèrent que les défenses étaient assez<br />

faibles. Les citoyens n’obtiennent en outre un droit de murage qu’en 1225 71 . Puis, le 5<br />

novembre 1255, Henri III missionne Henri de Bath pour enquêter sur une pétition du<br />

diacre et des chanoines de l’église de Lincoln pour avoir le droit d’agrandir leur église<br />

en détruisant le mur à l’est de la ville, contre lequel était apposée l’église 72 . L’enquête<br />

est menée en présence du maire, du bailli et des citoyens et rapportée au roi qui émet le<br />

19 juillet 1256 des lettres patentes enregistrant son approbation pour l’extension de<br />

l’enclos et des murs autour de l’église, construits sur licence royale et avec le<br />

consentement des citoyens 73 .<br />

Entre la seconde moitié du XII e et le milieu du XIII e siècle, le rôle du comte dans<br />

ces entreprises de travaux communs semble avoir été relayé au second plan, au pr<strong>of</strong>it<br />

des nouveaux rapports entre la royauté et les bourgeois. Lincoln est l’une des premières<br />

villes du royaume à accéder à une forme d’autonomie civique associée au statut de<br />

borough dont la conséquence est d’atténuer la médiation des autorités seigneuriales<br />

70 Rot. Lit. Claus. II. 1224-1227, 1833, p. 28b, 31, 51; TOUT, T. F., « The Fair <strong>of</strong> Lincoln and the<br />

'Histoire de Guillaume le Marechal' », E.H.R., 18: 70 (1903), p. 240-265.<br />

71 Patent rolls <strong>of</strong> the reign <strong>of</strong> Henry III. I. 1216-1225, 1901, p. 518 : in auxilium ville Lincolne claudende<br />

ad securitatem et tuitionem eiusdem ville simul et partium adjacentium.<br />

72 HILL, F. M., Medieval Lincoln, 1948, p. 119-120 cite FOSTER, C. W. et MAJOR, K., The Registrum<br />

Antiquissimum <strong>of</strong> the Cathedreal Church <strong>of</strong> Lincoln, 1973, I, p. 184; MAXWELL-LYTE, H. C. et<br />

BLACK, J. G., Calendar <strong>of</strong> the Patent Rolls preserved in the Public Record Office, 1901, 1247-1258,<br />

p. 506.<br />

73 Ibid., 1247-1258, p. 506.<br />

243


locales pour instaurer un rapport plus direct entre la communauté urbaine et la royauté.<br />

Les constructions de remparts, de portes, le pavage des rues qui se développent à partir<br />

du XII e siècle accompagnent donc non seulement l’essor urbain mais aussi l’essor<br />

communal. Ces nouveaux espaces urbains <strong>of</strong>fraient également de nouveaux lieux pour<br />

la représentation du pouvoir, que les Plantagenêt ont parfaitement su investir en<br />

participant à leur construction.<br />

1.2- Les Plantagenêt et leurs capitales : inscrire l’autorité du prince<br />

dans l’espace des communautés urbaines<br />

En favorisant l’essor des communautés d’habitants et leur institutionnalisation<br />

comme personnes morales pourvues d’une autorité publique capable d’initier des<br />

travaux, les Plantagenêt s’imposent comme des acteurs centraux de l’essor des villes de<br />

leur empire 74 . Leur participation ne s’est cependant pas limitée à l’émission de<br />

franchises et de libertés, elle concerne également les chantiers qui ont accompagné leurs<br />

transformations morphologiques. Si l’émancipation des villes de l’ouest de la France se<br />

concrétise par la constitution de communes, en l’Angleterre, elle prend la forme d’une<br />

reconnaissance tacite du statut de borough, c'est-à-dire du droit de disposer de la ferme<br />

des revenus royaux et d’une cour de justice 75 . Ce statut reste implicite jusqu’au XIV e<br />

siècle, lorsque les villes sont enfin dotées de chartes de borough confirmant leurs<br />

anciennes libertés 76 . Les premières villes à obtenir ces statuts ont généralement été les<br />

principales cités ducales, comtales ou royales, c'est-à-dire des villes déjà fortement<br />

marquées par le pouvoir princier. Avant d’aborder le rapport spécifique des Plantagenêt<br />

à leurs « capitales », on peut se demander quelle était la nature des lieux et des espaces<br />

considérés comme communs et comment l’action des Plantagenêt dépasse le cadre des<br />

simples devoirs seigneuriaux pour devenir proprement une action d’utilité « publique ».<br />

74 CHÉDEVILLE, A., « Le mouvement communal en France au XIe et XIIe siècles », dans Bonnes villes<br />

du Poitou et des pays de charentais (XIIe-XVIIIe siècles), 2002, p. 9-24.<br />

75 TAIT, J., « The Firma Burgi and the Commune in England, 1066-1191 », E.H.R., 42: 167 (1927), p.<br />

321-360; TAIT, J., The Medieval English Borough. Studies on its Origins and Constitutional History,<br />

1968. Le premier cas est celui de Lincoln en 1130.<br />

76 STEPHENSON, C., « The French Commune and the English Borough », The American Historical<br />

Review, 37: 3 (1932), p. 451-467; YOUNG, C. R., The English borough and royal administration, 1130-<br />

1307, 1961; TAIT, J., The Medieval English Borough. Studies on its Origins and Constitutional History,<br />

1968.<br />

244


1.2.1- Lieux communs et « travaux d’utilité publique » dans les villes royales<br />

Nombre d’entrées dans les pipe rolls, mentionnent l’intervention du roi venant<br />

en aide aux réparations de ponts, d’enceintes et autres infrastructures d’utilité commune.<br />

Souvent, cependant, les sommes engagées étaient dérisoires : en 1167, seulement 31s. et<br />

3d. sont affectés aux travaux de la porte de la ville de Douvres, pour une bretèche et<br />

pour la fermer 77 ; en 1193, les pipe rolls n’enregistrent que 14s. pour le paiement d’un<br />

ingénieur chargé de faire des herses et des bretèches autour de la ville de Doncaster 78 .<br />

L’aide royale pour la fortification de la ville apparaît ici moins financière qu’humaine :<br />

le roi met à la disposition de la ville la compétence de ses ingénieurs. Cette situation se<br />

retrouve dans d’autres cas, notamment à Londres, lorsque Jean propose aux citoyens les<br />

services de son ingénieur poitevin, Isembert de Saintes (voir infra).<br />

Cependant, les travaux nécessitaient parfois une aide plus importante, comme<br />

c’est le cas à Dublin. Lorsque Henri II arrive en Irlande en 1171, la question de la<br />

délimitation de la ville, qui devient cité royale, apparaît comme l’une de ses principales<br />

préoccupations, ainsi qu’à Jean, devenu dominus d’Irlande en 1185. Dans la charte de<br />

liberté donnée aux habitants en 1192, peu après le grand incendie qui détruit une grande<br />

partie de la ville en 1191, une clause concerne en effet les nouvelles limites de la cité<br />

qui avaient été établies sur ordre du roi Henri, sans doute dès son séjour à Dublin en<br />

1171-1172 79 . Les citoyens reçoivent ainsi le droit de disposer de toutes les tenures qui<br />

se trouvaient intra ou extra muros, mais à l’intérieur des nouvelles limites établies. Si<br />

Dublin possédait déjà des enceintes datant d’avant la conquête anglaise, les nouvelles<br />

limites visaient non seulement à permettre l’extension géographique de la cité mais<br />

aussi à la défendre. La construction de nouveaux remparts ne semble cependant pas<br />

avoir débuté avant la fin du règne de Jean. Ce est en effet seulement en 1215, qu’un prêt<br />

d’au moins 500 marcs est concédé par le justicier d’Irlande, Jean de Gray, évêque de<br />

Norwich, aux citoyens de Dublin « pour fortifier leur ville » 80 . En 1234, les murs ne<br />

77<br />

PR 13 H.II., p. 196-97 : 11s. in operatione porte civitas; 17s. 3. pro claudendo; 3. pro I bretescha<br />

facienda.<br />

78<br />

PR 5 Richard, p. 73: ad faciendas liberationis I ingeniatori qui fecit henricionem et breteschias circo<br />

villam de Dave castra.<br />

79<br />

DUFFY, S., « Town and Crown: The Kings <strong>of</strong> England and their City <strong>of</strong> Dublin », dans Thirteenthcentury<br />

England, X, 2005, p. 95-117 cite GILBERT, J. T. (éd.), Chartularies <strong>of</strong> St. Mary's Abbey, Dublin<br />

: with the register <strong>of</strong> its house at Dunbrody and annals <strong>of</strong> Ireland, 1884, II, p. 306 et cite MAC<br />

NIOCAILL, G., Na buirgéis : XII-XV aois, 1964, I, p. 78-81.<br />

80<br />

Rot. Lit. Claus. II. 1224-1227, 1833 Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, p. 186a: Burgensibus<br />

Dublienum qui <strong>of</strong>ferunt nobis ducentas marcarum pro habenda villa sua ad firmam in feodo per cartam<br />

nostrum cum parte aque quam nos contingam … (Aux bourgeois de Dublin qui nous <strong>of</strong>frent 200 marcs<br />

pour avoir leur ville fortifiée, qu’ils tiendront en fief par charte royale avec une partie de la rivière qui la<br />

245


semblent toujours pas achevés puisque le roi accorde aux citoyens un nouveau droit de<br />

murage 81 .<br />

Comme à Dublin, ce qui était en jeu à Winchester à la fin du XII e siècle, était<br />

moins le coût des défenses que la question du tracé et de la délimitation. Les travaux des<br />

enceintes de Winchester reçoivent des aides royales en 1189, mais il n’est alors question<br />

que de 15s. 4d. pour « réparer une porte de la ville » 82 . L’année suivante, Jean fait<br />

procéder à des échanges de terres pour permettre le tracé des fossés autour de la ville de<br />

Winchester 83 . On parle en effet souvent de murs d’enceintes, mais en réalité, il n’y avait<br />

que rarement des « murs » au XII e siècle. Le terme latin vallum qui signifiait<br />

« rempart » ou mur de terre ou de pierre construit pour la défense et la démarcation<br />

apparaît très rarement dans les sources 84 . Le plus souvent c’est le terme fossatum qui est<br />

utilisé et qui désignait plutôt un talus accompagné ou non de fossés. Le coût de<br />

fabrication de ces fossés était donc moins important que celui qui est nécessaire pour<br />

ériger les larges murs en pierre de la fin du Moyen Âge. Pour se faire une idée de ce que<br />

représentaient matériellement ces fossés, il y a les vestiges d’Old Sarum, l’ancienne<br />

Salisbury abandonnée au XII e siècle, dont les fossés avaient été renforcés au XI e siècle<br />

par les Normands (illustration 3.3).<br />

À Colchester, cependant, c’est vraisemblablement des murs en pierre dont il est<br />

question en 1174. À cette date, les habitants reçoivent £33 pro villa claudenda 85 .<br />

Colchester possédant déjà une enceinte romaine, il s’agissait sans doute de réparer les<br />

dommages consécutifs à la révolte d’Hugues Bigot dont les hommes avaient affronté<br />

borde). Version anglaise dans SWEETMAN, H. S. (éd.), Calendar <strong>of</strong> documents relating to Ireland,<br />

preserved in Her Majesty's Public Record Office, 1875, n°529; DUFFY, S., « Town and Crown: The<br />

Kings <strong>of</strong> England and their City <strong>of</strong> Dublin », dans Thirteenth-century England, 2005, p. 95-117.<br />

81 En 1221, Henri III avait déjà accordé aux hommes de Dublin le droit de lever certaines taxes « pour<br />

aider à la construction des enceintes de la ville, pour sa sécurité et sa protection (ad securitatem et<br />

tuicionem eiusdem ville), Historic and municipal documents <strong>of</strong> Ireland from the archives <strong>of</strong> the city <strong>of</strong><br />

Dublin. 1. A.D. 1172-1320, 1964, p. 76 ; puis en 1226, il accorda aux citoyens le droit de retenir 50 marcs<br />

sur les 200 marcs annuels de la ferme de la cité pour qu’ils soient dépensés à enclore et fortifier la cité.<br />

Rot. Lit. Claus. II. 1224-1227, 1833, p. 40b :Dominus Rex de centum marcis quas probi homines<br />

Dublinyn domino regis debent ad festum Sancti Michaeli anno nono reddendas de firma civitatis Dublyn<br />

concessit eisdem probis hominibus L marcarum ad eandem civitatem claudendam et firmandam… ;<br />

SWEETMAN, H. S. (éd.), Calendar <strong>of</strong> documents relating to Ireland, preserved in Her Majesty's Public<br />

Record Office, 1875, n°1296.<br />

82 PR 1 Richard, p. 205: 15s. 4d. in reparatione I porte civitatis.<br />

83 Rot. Chart., p. 55 : Johannes Dei gratia etc. Sciatis nos dedisse concessisse et hac presenti carte nostra<br />

confirmasse Andrei clercico de Wintonie in escambium terre sue que capta fuit ad fossatum faciendum<br />

circam villam Wintonie terram quam fuit Aaron Judei in Sortennnestret in Wintonie cum pertinentis et i<br />

masagium in eodem vico juxta predictam terram Aaroni in quo manere soblebat…<br />

84 CREIGHTON, O. H. et HIGHAM, R., Medieval town walls, 2005, p. 39.<br />

85 P.R. 20 H.II, p. 75.<br />

246


l’armée royale l’année précédente 86 . Colchester était, depuis l’époque anglo-saxonne,<br />

une ville royale pourvue d’une forteresse, gardée à cette date par Richard de Lucy. Les<br />

remparts de la ville constituaient alors une structure de défense du château qu’Henri II<br />

avait fait réparer en 1161 (plan 3.4) 87 . L’intervention royale ne consistait donc pas à<br />

participer à un chantier urbain mais à réparer l’un des principaux éléments des<br />

fortifications royales à Colchester. Les murs romains de Colchester comportaient en<br />

effet une dimension symbolique, rappelant le souvenir de la présence impériale<br />

romaine, que les rois d’Angleterre ont cherché à conserver pour s’en approprier le<br />

prestige (voir chapitre 5).<br />

On retrouve vraisemblablement une configuration identique à Rochester dans le<br />

Kent en 1193. À cette date, des dépenses pour « renforcer les murs et les fossés de la<br />

cité de Rochester » s’élèvent à £9 10s. 3d. sous la surveillance de Girard, un <strong>of</strong>ficier de<br />

l’Échiquier chargé des comptes (contre-tailleur) 88 . Cette mention concernait<br />

probablement la partie sud de la ville, où se trouvait la cathédrale, alors en chantier<br />

depuis l’incendie de 1179. L’élargissement du prieuré cathédral, dans les années 1130,<br />

avait en effet abouti à la démolition des murs romains au sud – à l’exception de ceux qui<br />

furent incorporés au réfectoire et au dortoir des moines 89 . Cette partie de la ville resta<br />

donc sans défense jusqu’à la fin du XII e siècle. Si les travaux ont porté sur cette partie<br />

des remparts, ce n’est cependant pas avant 1225 que s’ouvre le vaste chantier de<br />

reconstruction des murs et des fossés de la cité sous la protection et l’aide d’Henri III 90<br />

(plan 3.5). L’investissement dans d’importantes fortifications urbaines ne semble ainsi<br />

pas avoir été une priorité des communautés urbaines en Angleterre. L’insularité écartant<br />

les menaces d’invasions, la plupart des défenses avaient en effet moins une vocation<br />

militaire qu’identitaire. L’initiative de l’érection de défenses urbaines provenait en effet<br />

le plus souvent des autorités seigneuriales, épiscopales ou communales selon les cas.<br />

Ces constructions venaient généralement répondre à une demande sociale des élites<br />

locales, une demande de protection mais aussi un besoin d’exprimer un statut et une<br />

86<br />

DICETO, I., p. 378 : congregatus est infinitus exercitus apud Colcestriam apud Sanctum Edmundum,<br />

apud Gipswic, ad superbiam Hugonis comitis reprimendam.<br />

87<br />

PR 7 H.II., p. 68 : £23 15s. in reparatione castelli et Burgi.<br />

88<br />

PR 5 Richard, p. 166 : pro civitates R<strong>of</strong>fescestrie esforcianda muro et fossato per visum Gidardo<br />

contratalliatoris.<br />

89<br />

TATTON-BROWN, T., « The topography and buildings <strong>of</strong> medieval Rochester », dans Medieval art,<br />

architecture and archaeology at Rochester, 2006, p. 22-37.<br />

90<br />

Ibid., cite ST JOHN HOPE, W., The Architectural History <strong>of</strong> the Cathedral Church and Monastery <strong>of</strong><br />

St. Andrew at Rochester, 1900 II, The monastery: p. 1-85; p. 12 cite BL Cotton MSS Nero D2 fol. 132.<br />

247


identité 91 . Cependant, c’est en mobilisant l’argument de la nécessité de défense du<br />

territoire que les villes pouvaient obtenir des subsides du roi (voir infra).<br />

1.2.2- Contribuer à l’essor de Rouen<br />

Si les pipe rolls normands et anglais contiennent quelques enregistrements de<br />

dépenses pour des ponts, des enceintes et des portes de villes, ces types de travaux sont<br />

également connus grâce aux chroniques, aux documents de la pratique et aux<br />

découvertes archéologiques qui sont souvent indispensables pour ce qui concerne les<br />

constructions continentales. C’est le cas à Rouen, par exemple, où la construction d’une<br />

partie des remparts et du pavage de certains quartiers par Henri II est absente des<br />

rouleaux de l’Échiquier. Cette absence peut s’expliquer par un décalage chronologique<br />

(les rouleaux ne commencent qu’à partir de 1180 et sont lacunaires) mais aussi parce<br />

que les travaux n’ont pas été nécessairement financés sur les revenus de l’Échiquier,<br />

mais depuis la Chambre du roi. Néanmoins, on sait par une charte en faveur de l’abbaye<br />

de Beaubec, datée de la première moitié de son règne, qu’Henri II concède aux moines<br />

une tenure « qui se trouvait près de Saint-Lô de Rouen ainsi que la liberté de construire<br />

sur mes murs et à l’intérieur, le long des remparts, selon leur volonté, ainsi que la liberté<br />

d’entrer et de sortir par ce mur…» 92 . Le tracé exact de l’enceinte fait toujours l’objet<br />

d’interprétations diverses chez les archéologues et les historiens. Selon Bernard<br />

Gauthiez, les murs qu’aurait fait ériger Henri II vers 1160, inséraient le bourg à l’ouest<br />

de la cité délimitée par les anciennes murailles gallo-romaines, reprenant le tracé de<br />

fossés qui auraient été creusés au XI e siècle (voir plan 3.6) 93 . Il suggère également une<br />

éventuelle participation d’Henri II au pavage d’une partie de la ville, mais le document<br />

sur lequel il s’appuie évoquant le « pavement du roi » dans la paroisse de Saint-Vivien<br />

de 1218 rend cette hypothèse très fragile 94 . Cependant, il n’est pas impossible qu’Henri<br />

91 CREIGHTON, O. H. et HIGHAM, R., Medieval town walls, 2005, p. 21-22.<br />

92 Acta Plantagenêt, (1702H) ; Recueil des actes d’Henri II , II, n°367 : quoddam tenementum situm prope<br />

Sanctum Laudum Rothomagen' et libertatem edificandi supra murum meum et intra in longitudine dicti<br />

tenementi ad suam voluntatem et liberum introitum et exitum per ipsum murum.<br />

93 GAUTHIEZ, B., « <strong>Paris</strong>, un Rouen Capétien? (Développements comparés de Rouen et de <strong>Paris</strong> sous les<br />

règnes de Henri II et Philippe Auguste) », dans A.N.S., 1993, p. 117-136, GAUTHIEZ, B., « Les<br />

enceintes médiévales de Rouen », Bulletin des Amis des monuments rouennais (1984-1985), p. 35-39,<br />

GAUTHIEZ, B., « Hypothèses sur la fortification de Rouen au onzième siècle. Le donjon, la tour de<br />

Richard II et l'enceinte de Guillaume », dans A.N.S., 1991, p. 62-76<br />

94 GAUTHIEZ, B., « <strong>Paris</strong>, un Rouen Capétien? (Développements comparés de Rouen et de <strong>Paris</strong> sous les<br />

règnes de Henri II et Philippe Auguste) », dans A.N.S., 1993, p. 117-136 cite ADSM 14 H 18 n° 185.<br />

248


II, à l’instar de Philippe Auguste qui fait faire le pavage de <strong>Paris</strong> dès 1185, ait financé<br />

de tels travaux 95 .<br />

Selon Dominique Pitte qui a dirigé les fouilles dans cette partie de la ville, les<br />

découvertes ne corroborent pas cette hypothèse 96 . Dans un article récent, Philippe<br />

Cailleux remet également en cause le travail de Bernard Gauthiez et l’historiographie du<br />

XIX e siècle sur laquelle il s’appuie, montrant que les indices sont pour l’instant trop<br />

faibles pour établir avec certitude le tracé de l’enceinte d’Henri II 97 . Le patronage<br />

d’Henri II à Rouen n’est cependant pas atypique, il s’inscrit dans la continuité de la<br />

politique des ducs de Normandie, prolongée par Ge<strong>of</strong>froy le Bel qui avait fait<br />

reconstruire un pont en bois, détruit par un incendie en 1136, et par sa mère Mathilde.<br />

Entre 1151 et 1167, elle finance un pont en pierre qui est resté sous le nom de « pont de<br />

la reine Mathilde » jusqu’en 1661, date à laquelle il est détruit (voir illustration 3.7) 98 .<br />

Le patronage de la ville et la protection des bourgeois constituaient donc une tradition<br />

familiale à travers laquelle s’exprimait l’image d’un pouvoir attentif au bien commun<br />

des habitants, à leur développement économique et urbain, dont les ducs ne manquaient<br />

pas de tirer des bénéfices pécuniaires mais aussi symboliques. Si les remparts avaient<br />

une fonction militaire que le duc se devait d’assumer, les enceintes et les portes<br />

représentaient également une architecture du pouvoir : celui du duc comme principale<br />

autorité publique dans la cité, garante du bien commun de la communauté des<br />

marchands. Les remparts jouaient également un rôle essentiel dans le contrôle et la<br />

taxation des marchandises qui entraient dans la cité. Or, au XII e siècle, Rouen est en<br />

plein essor à la fois démographique et économique, comme en témoigne Orderic Vital :<br />

Rouen était une cité riche et peuplée, bondée de marchands, un point<br />

de rencontre des routes commerciales, une belle cité installée au<br />

milieu de rivières bruissantes et de riantes prairies. 99<br />

95 BALDWIN, J. W., Philippe Auguste et son gouvernement: les fondations du pouvoir royal en France<br />

au Moyen âge, 1994, p. 94 cite RIGORD et GUILLAUME LE BRETON, Oeuvres, 1882-1885, p. 34,53,<br />

54, 70.<br />

96 PITTE, D., « Apports récents de l’archéologie à la connaissance des villes de Haute-Normandie au<br />

Moyen Âge (1975-200) », dans Les villes normandes au Moyen Âge, 2006, p. 141-158<br />

97 CAILLEUX, P., « Le développement urbain de la capitale normande entre Plantagenêts et Capétiens »,<br />

dans 1204, la Normandie entre Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 261-274<br />

98 BATES, D., « Rouen from 900 to 1204 : from Scandinavian Settlement to Angevin ‘Capital’ », dans<br />

Medieval art, architecture and archaeology at Rouen, 1993, p. 1-11; TORIGNI, I, p. 368 : Fecit autem<br />

praedicta imperatrix … ad pontem etiam lapideum super sequanam apud Rothomagum a se inchoatum<br />

multam summa pecuniae dimisit (1167); FACHE, Y. et DUPONT-BOISJOUVIN, H., Histoire des ponts<br />

de Rouen et de sa région, 1985.<br />

99 ORDERIC VITAL, The Ecclesiastical History, 1986, III, p. 36: Rodomensis ciuitas populis est ac<br />

negociorum commerciis opulentissima, portus quoque confluentia., également, IV, p. 224 : La Seine<br />

249


La construction des remparts dans les années 1160-70 répondait donc à une<br />

fonction économique et il faut souligner la contemporanéité de cette construction avec<br />

la rédaction, sous l’autorité d’Henri II, des Etablissements de Rouen, qui instituaient une<br />

commune et codifiaient les relations entre le duc et les bourgeois 100 . Sans pouvoir<br />

affirmer que la construction des remparts découlait de cette commune, il n’est pas<br />

impossible de les voir également comme l’expression à la fois de cette nouvelle<br />

autonomie civique et comme la marque de la réaffirmation du pouvoir ducal dans la<br />

cité.<br />

Pour Giraud de Barri, l’action d’Henri II à Rouen constitue un modèle pour les<br />

princes attentifs au bien commun. Dans le Liber de Principis Instructione, qu’il dédie à<br />

Louis VIII, Giraud raconte en effet que :<br />

La providence s’applique à de nombreux domaines, non seulement à<br />

la vie mais aussi à ce qui concerne la sécurité et la félicité des temps.<br />

Enceindre des villes de murs, les entourer de fossés, ériger des tours,<br />

les approvisionner copieusement en armes et en denrées, donner des<br />

franchises à leurs citoyens, promouvoir de nombreux dons… tout cela<br />

est l’esprit de la providence et de la sagesse. 101<br />

Si Rouen était en effet l’une des cités les plus dynamiques d’Occident à la fin du<br />

XII e siècle, concurrençant <strong>Paris</strong> et Londres, ces critères suffisent-ils à la définir comme<br />

« capitale » ? 102 Le caractère nomade du gouvernement et la dispersion des fonctions<br />

capitales dans les différentes villes de Normandie – l’Échiquier, le Trésor et le<br />

Sénéchalat étaient à Caen par exemple – doit nous laisser prudents sur l’usage de cette<br />

coule aux pieds des remparts de Rouen, chaque jour des bateaux chargés de marchandises variées<br />

l’empruntent. D’autre part la ville est peuplée et on y trouve des murailles, des églises, des édificies<br />

publics. Depuis très longtemps elle domine à bon droit toute la Normandie (Ecce Sequana piscosum<br />

flumen Rothomagensem murum allambit, navesque pluribus mercimoniis refertas huc cotidie devehit. Et<br />

ex alia parte civitas populosa menibus sacrisque tempus et urbanis edibus speciosa cui iure a priscis<br />

temporibus subiacet Normannia tota)<br />

100 NEVEUX, F., La Normandie des ducs aux rois : Xe-XIIe siècle, 1998, p. 258-260. voir aussi<br />

SEGALA, S., « Le régime juridique des Établissements de Rouen », dans Bonnes villes du Poitou et des<br />

pays de charentais (XIIe-XVIIIe siècles), 2002, p. 167-208.<br />

101 GIRAUD DE BARRI, Opera. 8, De principis instructione Liber, 1891, p. 43-44 : Nec solum ad<br />

vivendum, verum etiam ad secure feliciterque tempus agendum, plurimum providentia valet. Urbes enim<br />

muris claudere, cingere fossatis, turribus erigere, armis atque alimentis copiose munire, ad haec etiam<br />

civium animos libertatibus extollere, crebus excitare donariis… providae mentis est et sapientis.<br />

102 BATES, D., « Rouen from 900 to 1204 : from Scandinavian Settlement to Angevin ‘Capital’ », dans<br />

Medieval art, architecture and archaeology at Rouen, 1993, p. 1-11; GAUTHIEZ, B., « <strong>Paris</strong>, un Rouen<br />

Capétien? (Développements comparés de Rouen et de <strong>Paris</strong> sous les règnes de Henri II et Philippe<br />

Auguste) », dans A.N.S., 1993, p. 117-136: « l’urbanisme pratiqué par Henri II à Rouen, à notre<br />

connaissance sans parallèle dans les grandes villes de l’ensemble Plantagenêt lui donne ainsi des traits qui<br />

sont ceux d’une capitale » (p. 123).<br />

250


notion pour décrire l’organisation de l’espace au Moyen Âge (voir chapitre 5) 103 . Les<br />

Plantagenêt disposaient en effet de plusieurs villes ducales ou comtales, en Normandie,<br />

mais aussi en Anjou et en Poitou, qu’ils ont aussi largement patronnés. L’attachement<br />

du prince à la caput de ses territoires se traduisait alors souvent par la mise en œuvre de<br />

constructions urbaines d’utilité commune.<br />

1.2.3- La construction des enceintes à Nantes et Poitiers<br />

Peu après avoir été investi du titre ducal en 1181, Ge<strong>of</strong>froy de Bretagne fait<br />

entreprendre la fortification des remparts à Nantes. Si ces travaux avaient une vocation<br />

militaire (voir chapitre 4), ils constituaient également une manière pour le nouveau duc<br />

de manifester publiquement sa prise de possession de la ville. Selon Judith Everard,<br />

l’extension des murs concernait l’angle nord-est des enceintes romaines face aux rives<br />

de d’Erdre. Bien que cette partie soit traditionnellement attribuée aux ducs Guy de<br />

Thouars et Pierre de Dreux au début du XIII e siècle, une charte du prieuré de Saint-Cyr<br />

faisant état des dommages causés par l’extension des fortifications de la cité montre<br />

clairement qu’elle avait commencée dès la fin du XII e siècle (plan 3.8) 104 .<br />

Le rôle des Plantagenêt dans le développement de la ville de Poitiers est mieux<br />

connu. Hormis la construction du palais, attribué notamment au patronage d’Aliénor, il<br />

n’est pas impossible qu’ils aient également participé à la reconstruction des remparts de<br />

la ville, sans doute ceux qui avaient été érigés par les poitevins lors de la révolte contre<br />

Louis VII en 1138. Selon l’abbé Suger en effet, lorsque Aliénor suivit Louis VII à <strong>Paris</strong><br />

en 1138, « on apporta la nouvelle que les citoyens de Poitiers s’étaient liés par une<br />

commune, qu’ils avaient fortifiés la ville d’un fossé et d’une palissade… » 105 . Selon<br />

Robert Favreau, il ne peut s’agir que d’une défense plus large que l’enceinte romaine<br />

sans doute partiellement détruite par Louis VII, lors de la reprise de la ville, et<br />

reconstruite par Henri II et Aliénor. Robert Favreau fonde cette hypothèse sur un extrait<br />

103 BOUCHERON, P. et al., « Formes d’émergence, d’affirmation et de déclin des capitales : rapport<br />

introductif », dans Les villes capitales, 2006, p. 1-43.<br />

104 EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins : province and empire, 1158-1203, 2000, p. 130; The<br />

charters <strong>of</strong> Duchess Constance <strong>of</strong> Brittany and her family : 1171-1221, 1999, p. 30 n° Ge28: me dedisse<br />

et concessisse … VI libras in meis redditibus bancorum Nannetensius annuatim … pro recompensatione<br />

dampnorum illorum que predicta domus passa est super fosetis et muris meis in earum vineis et terris<br />

constitutis.<br />

105 FAVREAU, R., La Ville de Poitiers à la fin du Moyen âge une capitale régionale [1], 1978, p. 50 ;<br />

PON, G. et CHAUVIN, Y., « Chartes de libertés et de communes de l'Angoumois, du Poitou et de la<br />

Saintonge (fin XIIe-début XIIIe siècles) », dans Bonnes villes du Poitou et des pays charentais (XIIe-<br />

XVIIIe siècles), 2002, p. 25-149, p.97 cite SUGER, Oeuvres Tome I. Écrit sur la consécration de Saint-<br />

Denis. L’œuvre administrative. Histoire de Louis VII, 1996, p. 166-173.<br />

251


d’une chronique latine à l’origine douteuse mais selon laquelle « le roi Henri et la reine<br />

Aliénor agrandirent Poitiers et l’entourèrent de longs murs » 106 . Alfred Richard place<br />

quant à lui la construction de cette enceinte vers 1161 en s’appuyant sur Robert de<br />

Torigni 107 . Sous les enceintes reconstruites par Jean de Berry au XIV e siècle, les<br />

archéologues ont en effet retrouvé des vestiges qui pourraient bien dater de la seconde<br />

moitié du XII e siècle. Selon Philippe Durand, ils présentent certaines caractéristiques<br />

castellologiques comme les tourelles hémicirculaires pleines et flanquées aux angles de<br />

tours pleines qui se retrouvent dans les constructions militaires des Plantagenêt et<br />

notamment à Loches 108 . Archéologiquement, il est cependant difficile de distinguer les<br />

travaux des Plantagenêt de ceux que Philippe Auguste fait accomplir en 1206 109 . Selon<br />

Robert Favreau, l’enceinte de 6,5 km, qui enserrait non seulement les bourgs mais<br />

également une vaste zone à urbaniser, était antérieure à la révolte de 1173 (plan 3.9) 110 .<br />

Ces travaux pourraient donc faire partie de la campagne de fortification qu’Henri II<br />

entreprend dans les années 1160, c'est-à-dire dans les mêmes années qu’à Rouen. Selon<br />

Robert Favreau, ces travaux se seraient accompagnés, comme à Rouen, de la rédaction<br />

d’une charte de commune établissant les aides militaires, tandis que la charte d’Aliénor<br />

de 1199 ne serait qu’une confirmation : « quelle que soit la date exacte de la création<br />

d’une commune à Poitiers, il y a des liens évidents, et dont les conséquences n’ont pas<br />

fini de se faire sentir, entre cette commune et l’enceinte qui constitue désormais une des<br />

responsabilités majeures des bourgeois de Poitiers » 111 . Dans quelle mesure en effet<br />

l’enceinte constituait-elle la première représentation matérielle dans l’espace urbain de<br />

106 FAVREAU, R., La Ville de Poitiers à la fin du Moyen âge une capitale régionale [1], 1978, p. 50 cite<br />

Chronicon comitum Pictaviae dans MARTENE, E. et DURAND, U., Veterum scriptorum et<br />

monumentorum dogmaticorum moralium... amplissima collectio Studio et opera, 1724-1733, V, col.<br />

1155 : rex Henrcius et Alienoris regina Pictavum auxerunt longoque muro circumdaverunt.<br />

107 RICHARD, A., Histoire des comtes de Poitou. Tome 4, [1086-1137], 2004, p. 133. R. Favreau cite<br />

aussi un auteur du XVI e siècle, Jean Bouchet, qui fixe la construction à 1162 et l’attribue au roi Henri.<br />

FAVREAU, R., Histoire de Poitiers, 1985, p. 114.<br />

108 DURAND, P., « Les fortifications de Poitiers : une étude et hypothèses de datation des éléments<br />

subsistants », dans Les Fortifications dans les domaines Plantagenêt, XIIe-XIVe siècles, 2000, p. 31-75 ;<br />

MESQUI, J., Châteaux et enceintes de la France médiévale : de la défense à la résidence. 1, Les organes<br />

de la défense, 1991, p. 260, 272 ; MESQUI, J., « Les tours à archères dans le domaine Plantagenêt<br />

français 1160-1205 », dans Les Fortifications dans les domaines Plantagenêt, XIIe-XIVe siècles, 2000,<br />

p. 77-88<br />

109 Guillaume le Breton raconte en effet que le roi de France « fit fortifier la ville de Poitiers et les autres<br />

châteaux qu’il avait en Poitou » et Rigord donne la date de 1206 pour ces travaux. RHG, XVIII, p. 60 :<br />

munivit urbem pictavim et alia castra quae ibi in pictavia habebat ; p. 80: civtatem pictavis munivit,<br />

Laudunum et Mirabellum et alia que ibi habebat. Voir aussi RIGORD, Histoire de Philippe Auguste,<br />

2006, p. 396-97 (3, 155).<br />

110 FAVREAU, R., Histoire de Poitiers, 1985, p. 114.<br />

111 FAVREAU, R., La Ville de Poitiers à la fin du Moyen âge une capitale régionale [1], 1978, p. 54.<br />

252


l’avènement de cette nouvelle communauté de citoyens, à Poitiers comme à Rouen ? Si<br />

la construction de ces enceintes coïncide approximativement avec la formation juridique<br />

de la commune, les deux phénomènes ne sont pas nécessairement liés et notamment en<br />

Angleterre, où Henri II participe à la restauration des enceintes de villes royales<br />

auxquelles il n’avait pas pour autant concédé une autonomie juridique. Seule Londres<br />

peut être considérée, à partir de la fin du XII e siècle, comme une commune, sur le<br />

modèle continental.<br />

1.2.4- Réparer les murs de Londres : entre utilité commune et urgence militaire<br />

À son avènement, Henri II refuse de reconnaître la commune des citoyens de<br />

Londres qui s’était formée sous le règne d’Étienne. La restauration de l’élection des<br />

shérifs de Londres n’eut pas lieu avant 1191, lorsque les citoyens de Londres, pr<strong>of</strong>itant<br />

des troubles provoqués par la révolte de Jean sans Terre, formèrent une commune,<br />

fondée sur une association assermentée et obligèrent Guillaume de Longchamp alors<br />

régent d’Angleterre à la reconnaître 112 . En octobre 1191, la proclamation d’une<br />

commune, qui existait sans doute dès 1189, ne s’accompagna toutefois pas de la mise en<br />

place d’un gouvernement communal, mais se limita à reconnaître des structures déjà en<br />

place et notamment le statut du maire Henri FitzAilwin (ou Elwyn) 113 . La<br />

reconnaissance de cette commune par Richard resta équivoque pendant longtemps, car<br />

aucune charte ne vint confirmer le fait accompli pendant l’absence du roi. La charte que<br />

Richard émet pour les citoyens de Londres le 23 avril 1194 ne faisait en effet que<br />

reprendre les termes de celle de son père 114 . Dans ces deux chartes, les murs de la ville<br />

constituent la limite à l’intérieur de laquelle les droits des citoyens étaient garantis 115 .<br />

Selon Timothy Baker les murs de Londres couraient sur plus de 4,2 km ce qui<br />

recouvrait un espace intra muros d’environ 330 acres, soit 133 hectares (plan 3.10) 116 .<br />

Ces murs correspondaient aux anciennes murailles romaines, dans lesquelles étaient<br />

112<br />

WILLIAMS, G. A., Medieval London from commune to capital, 1970, p. 2-3, BROOKE, C. N. L. et<br />

KEIR, G., London, 800-1216 the Shaping <strong>of</strong> a City, 1975, p. 45-47.<br />

113<br />

REYNOLDS, S., « The rulers <strong>of</strong> London in the twelfth century », dans Ideas and solidarities <strong>of</strong> the<br />

medieval laity, 1995, p. 337-357.<br />

114<br />

Acta Plantagenet : 191H, 645R.<br />

115<br />

Ibid., Sachez que je concède à mes citoyens de Londres qu’aucun d’entre eux n’aura de jugement en<br />

dehors des murs de la cité de Londres, sauf ceux qui concernent les tenures à l’extérieur ou les<br />

monnayeurs et les <strong>of</strong>ficiers du roi (Sciatis me concessisse ciuibus meis Lund' quod nullus eorum placiter<br />

extra muros ciuitatis Lund' de ullo placito preter placita de teneuris exterioribus, exceptis monetariis et<br />

ministris meis).<br />

116<br />

BAKER, T., Medieval London, 1970, p. 66.<br />

253


percées sept portes 117 . Au milieu du XII e siècle, Guillaume FitzStephen livre une<br />

description entre le mythe et la réalité de « la très noble ville de Londres », siège du<br />

royaume d’Angleterre 118 :<br />

À l’est il y avait une citadelle palatine [la Tour de Londres], d’une<br />

très grande taille et bien fortifiée, ses murs et ses cours reposaient sur<br />

de pr<strong>of</strong>ondes fondations dont le mortier avait été mélangé avec du<br />

sang d’animal. À l’ouest : deux châteaux forts, [Baynard’s castle et la<br />

tour Montfichet]. Tout autour de la ville, au nord, il y a de hauts et<br />

larges murs, renforcés par des tourelles disposées dans l’intervalle<br />

des sept doubles portes. Au sud, aussi, Londres était enceinte de murs<br />

et de tourelles, mais le grand fleuve poissonneux de la Tamise, se<br />

déversant dans la mer avec ses marées influant et refluant, finit avec<br />

le temps par engloutir ces fortifications, les ruinant et les<br />

détruisant. 119<br />

L’usure du temps est aussi ce qui frappe le roi Jean qui publie en 1206 une lettre<br />

en faveur de la cité de Londres, qui « s’était beaucoup détériorée de jour en jour », pour<br />

qu’elle soit restaurée et entretenue, « parce qu’il est de notre droit et de notre honneur et<br />

parce que cela convient à l’utilité de votre cité » 120 . Cette charte témoignait également<br />

des rapports complexes que le roi entretenait avec la plus riche cité de son royaume. À<br />

son avènement, Jean avait émis plusieurs chartes en faveur des citoyens de Londres,<br />

dont l’une, chère payée (3000 marcs), reconnaissait l’<strong>of</strong>fice de maire et la commune 121 .<br />

117<br />

D’est en ouest: Ludgate, Newgate, Aldergate, Cripplegate, Bishopgate, Aldgate, et sans doute la porte<br />

de la Tour de Londres.<br />

118<br />

Materials for the History <strong>of</strong> Thomas Becket, Vol. III (William Fitzstephen, Herbert <strong>of</strong> Bosham), 1965,<br />

p. 2 : civitas Londoniae, regni Anglorum sede… firmitate munitionum, natura situs…. Voir aussi pour les<br />

éditions critiques de ce texte : BROOKE, C. N. L. et KEIR, G., London, 800-1216 the Shaping <strong>of</strong> a City,<br />

1975, pp. 88 n.3, 89, 112-121.<br />

119<br />

Materials for the History <strong>of</strong> Thomas Becket, Vol. III (William Fitzstephen, Herbert <strong>of</strong> Bosham), 1965,<br />

p. 3 : Habet ab oriente arcem palatinam, maxima et fortissimam, cujus et arca et muri a fundamento<br />

pr<strong>of</strong>undissimo exsurgunt, caemento cum sanguine animalium temperato : ab occidente duo castella<br />

munitissima, muro urbis alto et magno duplatis heptapylae portis intercontinuante, turrito ab aquilone<br />

per intercapedines. Similiterque ab austro Londonia murata et turrita fuit. Sed fluvium maximus piscosus,<br />

Thamesis, mari unfluo, refluoque, qui illac allabitur, moenia illa tractu temporis abluit, labefactavit,<br />

dejecit. Selon C.N.L. Brooke, cette dernière partie de la description a beaucoup interrogé les historiens et<br />

les archéologues, qui après de nombreuses recherches ont établi que ces murs au sud étaient une fiction et<br />

que le fleuve constituait une limite depuis l’Antiquité. BROOKE, C. N. L. et KEIR, G., London, 800-<br />

1216 the Shaping <strong>of</strong> a City, 1975, p. 114, n.3.<br />

120<br />

Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, p. 64 : Datum est nobis intelligi quod civitas vostra Londonie<br />

multum deterioratur et de die in diem sustinet detrimentum per defectum eorum… Quia igitur juri et<br />

honori nostro et converni utilitati civitatis vostre …et emendacioni civitatis vostre in jure civiatis<br />

tractando et in dampnis vestris restaurandis et in emenacionibus civitatis vestre ad fidem nostram<br />

faciendis.<br />

121<br />

PR 2 Jean, p. 153; HARDY, T. D. (éd.), Rotuli de Oblatis et Finibus in Turri Londinensi asservati,<br />

tempore regis Johannis, 1835, p. 11 ; BROOKE, C. N. L. et KEIR, G., London, 800-1216 the Shaping <strong>of</strong><br />

a City, 1975.<br />

254


Pour réparer les murs de la ville, Jean publie également en 1210 une autorisation pour<br />

prendre les pierres et le bois des maisons des juifs afin d’alimenter le chantier 122 . Puis,<br />

le 2 mai 1215, alors que les barons menacent Londres – dont la capture leur assure la<br />

victoire – Jean ordonne à son forestier d’Havering qu’il fournisse au maire et aux<br />

citoyens de Londres tout le bois dont ils auront besoin pour enceindre la cité de Londres<br />

et la fortifier 123 . Deux jours plus tard, le 4 mai, il leur donne 200 marcs « pour fortifier<br />

notre cité de Londres » 124 . Pour obtenir le soutien des Londoniens, le 9 mai, Jean leur<br />

concède la libre élection de leur maire annuellement et confirme leurs libertés, ce qui<br />

n’empêche pas une part des citoyens d’ouvrir la ville aux barons révoltés 125 . Après sa<br />

défaite Jean doit accepter de renoncer à fortifier la ville et la Tour, qui sont alors<br />

confiées aux mains de l’archevêque de Canterbury, Étienne Langton 126 . Dans une lettre<br />

qu’il envoie aux Londoniens, Jean demande que l’argent initialement alloué aux<br />

fortifications soit finalement dépensé pour les gages de ses agents 127 .<br />

Si l’urgence militaire tend à accentuer l’aide royale pour la construction des<br />

défenses des principales villes de l’empire Plantagenêt, la guerre n’est pas, en réalité, le<br />

principal facteur d’instigation de ces chantiers. Parce qu’elles étaient des villes royales,<br />

ducales et comtales de l’empire, il importait que Rouen, Londres et Poitiers véhiculent<br />

l’image d’un bon gouvernement, miroir de la puissance édilitaire des princes.<br />

Cependant, les Plantagenêt ne se sont pas limités à ces principaux centres de leurs<br />

empire : nombres de villes bénéficièrent également des financements royaux pour<br />

réparer, reconstruire, voire bâtir leurs défenses communes.<br />

Globalement en trente années de règne, les dépenses d’Henri II pour les<br />

constructions d’utilité commune en Angleterre n’ont pas excédé £600 et plus des trois-<br />

122 RICHARDSON, H. G., The English Jewry under Angevin kings, 1983Ibid., p. 170. cite PR 13 Jean, p.<br />

105; ROUND, J. H., Feudal England : historical studies on the XIth and XIIth centuries, 1964, p. 552-7,<br />

123 Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, p. 198 : Viridariis de foresta de Havering etc. Sciatis quod<br />

mandavimus sub festinacione quod habere faciant Baillis Hugoni de Neville de foresta de Havering<br />

Majori et civibus nostris Londonie mairenum ad licias faciendas in foresta propinquiori London et ad<br />

alia qua eis fuerint necessaria ad eandem civitatem claudendam et firmandam et vobis mandamus quod<br />

sine dilactione hoc fieri faciatis per visum vostrum et duorum proborum hominum. T. ut supra apud<br />

Wallingeford ii die Maii.<br />

124 Ibid., p. 198 : W. Thesaurario et G. et R. camerariis salutem. Liberate de thesauro nostro Majori et<br />

baronibus nostris de Londonie ducentum marcas ad Civiitatem nostram Londinie firmandam. T. me ipso<br />

apud Radinges iiii die Maii.<br />

125 STUBBS, W. et DAVIS, H. W. C., Select Charters and Other Illustrations <strong>of</strong> English Constitutional<br />

History from the Earliest Times to the Reign <strong>of</strong> Edward the First, 1913, p. 311-12.<br />

126 BROOKE, C. N. L. et KEIR, G., London, 800-1216 the Shaping <strong>of</strong> a City, 1975, p. 54-55<br />

127 Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, p. 122 : nous vous mandons que sur les deniers que nous vous<br />

avons confié pour fortifier votre cité, £17 soient données à notre cher et fidèle Thomas de Galeway…<br />

(Majori Londonie etc. Mandamus vobis quod de denariis quos vobis comodavimus ad civitatem vostram<br />

firmandam habere faciatis XVIII libratas dilecto et et fideli nostro Thome de Galeweya…)<br />

255


quarts provenaient des revenus des vacances et des honneurs. Ces exemples montrent<br />

que le patronage du roi pour les travaux d’utilité commune constituait une part de<br />

l’exercice de l’autorité publique qu’il partageait largement avec les évêques à l’intérieur<br />

de leur diocèse et les barons au sein de leurs honneurs et de leurs fiefs. Avec<br />

l’affaiblissement des pouvoirs centraux, le rôle des autorités ecclésiastiques dans la<br />

prise en charge des constructions d’utilité commune s’étaient en effet renforcé au cours<br />

des IX e -XII e siècles et notamment dans le domaine de l’assistance aux pauvres et aux<br />

démunis, espace d’exercice privilégié de l’une des principales vertus chrétiennes : la<br />

Charité. À partir du XII e siècle, cependant, avec l’essor commercial et urbain de<br />

l’occident, la place des laïcs devient de plus en plus prépondérante.<br />

256


2- Le patronage royal des travaux d’utilité commune<br />

comme œuvres charitable<br />

Le patronage comme forme de protection d’un individu ou d’un groupe<br />

constitue, au Moyen Âge, un phénomène corollaire de l’affaiblissement des pouvoirs<br />

centraux. Contrairement au rapport seigneurial, cette relation de protection n’était pas<br />

nécessairement liée à la possession de la terre 128 . Dans cette partie, il s’agira d’analyser<br />

la participation des Plantagenêt aux travaux d’utilité commune comme un acte qui<br />

dépasse la simple relation de dominium pour s’inscrire dans un rapport de protection<br />

vis-à-vis de communautés, qu’elles soient religieuses ou laïques, comportant une<br />

dimension charitable. À ce titre, le patronage de travaux d’utilité commune peut être<br />

considéré comme un acte relevant de la piété ou de la bienfaisance.<br />

2.1- Le patronage royal des institutions à vocation charitable : une<br />

œuvre de piété ?<br />

2.1.1- Le patronage des institutions charitables et des établissements hospitaliers<br />

Phénomène corollaire de la croissance démographique et urbaine, l’essor des<br />

institutions hospitalières, hôtels-dieu et léproseries, entre 1100 et 1300, constitue une<br />

réponse à l’accroissement du nombre de pauvres, notamment en ville, et au problème de<br />

contagion qui nécessitait de les mettre l’écart du reste de la société 129 . Cependant,<br />

comme l’affirme François-Olivier Touati, il faut se garder de voir dans la création de<br />

léproseries à l’extérieur des villes un mouvement précurseur de ce que Michel Foucault<br />

appelle, pour l’époque moderne, le grand « enfermement ». Il s’agissait en effet plutôt<br />

de nouvelles formes de vie communautaire qui se considéraient à part, mais non pour<br />

autant « exclues » 130 . L’historiographie des formes de charité, qui s’est développée dès<br />

les années 1970, en même temps que les études sur la pauvreté et les formes de<br />

marginalité au Moyen Âge, ont posé le problème des pauvres et des infirmes comme<br />

128 REYNOLDS, S., Fiefs and Vassals. The Medieval Evidence Reinterpreted, 1994, p. 341.<br />

129 MOLLAT DU JOURDIN, M., Les Pauvres et la société médiévale, 1970 ; TOUATI, F. O., « Un<br />

dossier à rouvrir : l’assistance au Moyen Age », dans Fondations et oeuvres charitables au Moyen Âge,<br />

1999, p. 23-38.<br />

130 Ibid., p. 22-23 et chapitre 1 ; TOUATI, F. O., « Les léproseries au XIIe et XIIIe siècles: lieux de<br />

conversion? », dans Voluntate Dei leprosus. Les lépreux entre conversion et exclusion aux XIIe et XIIIe<br />

siècles, 1991, p. 1-32, cite FOUCAULT, M., Histoire de la folie à l'âge classique, 1992.<br />

257


une question à la fois médicale et sociale dont les réponses, même si elle ont été<br />

principalement mises en œuvre par l’Église, participaient de l’intérêt général 131 .<br />

Toutefois, l’accentuation des clivages sociaux et le déracinement provoqué par les<br />

transformations économiques accentuent les exigences d’assistance. La participation des<br />

laïcs, par leurs dons et leurs aumônes, devient rapidement indispensable pour soutenir la<br />

création d’établissements d’accueil. Au cours des XII e et XIII e siècles, l’assistance cesse<br />

d’être une prérogative exclusive des institutions ecclésiastiques, pour devenir un<br />

mouvement initié majoritairement par les laïcs 132 . Si cette participation s’est exprimée à<br />

travers les formes individuelles de la piété, elle prend également une dimension<br />

collective, par l’action des autorités communales ou des confréries 133 . La fondation<br />

d’hôpitaux permettait en effet de combiner à la fois la volonté d’assurer le salut des<br />

donateurs avec un souci de participer à la prise en charge des pauvres et des infirmes 134 .<br />

Les bourgeois soucieux de réinvestir l’argent de leur commerce pouvaient ainsi<br />

favoriser des institutions alliant œuvre de piété et œuvre civique 135 . Si les bourgeois<br />

deviennent des bienfaiteurs actifs envers les institutions charitables, les princes ont<br />

également largement participé à ce phénomène, affirmant par leur patronage leur<br />

autorité sur les communautés fondatrices et fondées 136 . Selon Daniel Le Blevec, que les<br />

souverains se soient de plus en plus sentis concernés par les problèmes de la pauvreté<br />

est un trait caractéristique des nouvelles conceptions du pouvoir justifié par de la notion<br />

de bien commun et d’utilité publique 137 . Les enjeux thaumaturgiques n’ont sans doute<br />

pas non plus été sans importance dans la rivalité entre Louis VII et Henri II<br />

Plantagenêt 138 .<br />

Sur une centaine de fondations effectuées par les Plantagenêt au cours de la<br />

période, plus d’une vingtaine étaient des établissements hospitaliers (voir graphique<br />

3.11). Les fondations ex nihilo semblent cependant avoir été assez rares. Comme pour<br />

131 TABUTEAU, B., « Historical Research Developments on Leprosy in France and Western Europe »,<br />

dans The medieval hospital and medical practice, 2007, p. 41-56 ; LE BLÉVEC, D., La part du pauvre.<br />

L'assistance dans les pays du Bas-Rhône du XIIe siècle au milieu du XVe siècle, 2000, I, p. 9-12, chapitre<br />

III et IV.<br />

132 Ibid., I, p. 167-168.<br />

133 FOUCAULT, M., Histoire de la folie à l'âge classique, 1992, I, p. 235.<br />

134 BÉRIAC-LAINÉ, F., Histoire des lépreux au Moyen âge, 1988, p. 172.<br />

135 LITTLE, L. K., Religious poverty and the pr<strong>of</strong>it economy in medieval Europe, 1994 p. vii, ix-x, 211-<br />

13.<br />

136 LE BLÉVEC, D., La part du pauvre. L'assistance dans les pays du Bas-Rhône du XIIe siècle au milieu<br />

du XVe siècle, 2000, II, p. 737.<br />

137 LE BLÉVEC, D., « Fondations et oeuvres charitables au Moyen Âge », dans Fondations et oeuvres<br />

charitables au Moyen Âge, 1999, p. 78-22.<br />

138 TOUATI, F. O., « Un dossier à rouvrir : l’assistance au Moyen Age », dans Fondations et oeuvres<br />

charitables au Moyen Âge, 1999, p. 23-38.<br />

258


les fondations monastiques, le principe de refondation est souvent utilisé par Henri II,<br />

selon différentes modalités. Dans un premier cas, comme à Bayeux, Henri II s’est<br />

simplement contenté d’élargir la donation initiale de Guillaume le Conquérant en faveur<br />

des lépreux de Saint-Nicolas de la Chesnaie 139 . Selon Damien Jeanne, il s’agit sans<br />

doute d’un transfert de terre, dans les années 1170, permettant d’établir le regroupement<br />

des malades, jusque là simplement situés dans le suburbium, dans une église sur la route<br />

royale, sous la direction d’un prieur augustinien 140 . Selon Michel Béziers, la<br />

construction d’une nouvelle l’église à la fin du XII e siècle peut être attribuée à<br />

Henri II 141 . Dans d’autres cas, comme à Rouen, Caen et Argentan, le changement de<br />

dédicace de l’église au moment de la refondation indique qu’il s’agissait de véritables<br />

reconstructions.<br />

La refondation la plus connue d’Henri II est sans doute celle du prieuré<br />

augustinien de Saint-Jacques du Mont-aux-Malades. Établie entre 1106 et 1135, aux<br />

abords de Rouen (à Mont Saint-Aignan), la communauté des lépreux est réinstallée dans<br />

un nouveau prieuré dédié à saint Thomas Becket, dans la seconde moitié des années<br />

1170. Proportionnellement, sur l’ensemble du règne d’Henri II, la plupart des<br />

fondations hospitalières datent d’après 1173, et nombre d’entre elles sont dédiées à saint<br />

Thomas Becket. Selon Raymonde Foreville, il y a en effet un lien direct entre la grande<br />

révolte des années 1173-1174, la victoire du roi et les fondations en l’honneur de<br />

Thomas Becket. S’il peut apparaître paradoxal qu’Henri II ait favorisé le culte du martyr<br />

dont il portait la responsabilité, c’est qu’en réalité, son pèlerinage à Canterbury et sa<br />

victoire militaire en 1173-74 ont été considérés comme la preuve manifeste que le roi<br />

avait été pardonné et que le saint était désormais de son côté 142 . La refondation du<br />

Mont-aux-Malades est ainsi justifiée par la victoire du roi et la levée du siège de<br />

Rouen en 1174 ; c’est du moins ce qu’affirme l’abbé Le Mesle cité par Pierre-Laurent<br />

139 Acta Plantagenet (1932H), Recueil des actes d’Henri II , I, p. 547 n° DCLXXXIX: Sciatis me<br />

concessisse et dedisse et presenti carta confirmasse in perpetuam elemosinam xx. prebendas quas<br />

Willelmus illustris rex Anglorum proavus meus stabiliuit de redditibus suis in ciuitate Baioc' confratribus<br />

leprosis in monasterio sancti Nich(ola)i Baioc' sub religione viuentibus. … Concedimus etiam eis fundari<br />

ecclesiam in via regia, liberam et quietam.<br />

140 JEANNE, D., « Les léproseries du diocèse de Bayeux du XIe à la fin du XIVe siècle: essai d'inventaire<br />

archéologique et architectural », dans Archéologie et architecture hospitalières de l'Antiquité tardive à<br />

l'aube des Temps modernes, 2004, p. 325-389, cite Bibliothèque municipale de. Bayeux, ms 1 cartulaire<br />

de Saint-Nicolas, p. 1. Conventui domus sancti nicholai Baiocensis ordinis beati Augustini.<br />

141 BÉZIERS, M., Histoire sommaire de la ville de Bayeux. 1773, p. 133, un argument repris par<br />

GRANT, L., « Le patronage architectural d'Henri II et de son entourage », C.C.M., 37 (1994), p. 73-84<br />

142 DICETO, I, p. 384 ; ROGER DE WENDOVER, Liber qui dicitur Flores Historiarum, 1965 [1886-<br />

89], I, p. 100 ; FOREVILLE, R., « Le culte de saint Thomas Becket en Normandie. Enquête sur les<br />

sanctuaires anciennement placés sous le vocable du martyr de Canterbury », dans Thomas Becket, 1975,<br />

p. 135-152<br />

259


Langlois 143 . Le nouveau vocable apparaît au milieu des années 1170 dans une charte de<br />

protection émise par Henri II 144 . Son patronage ne se limite pas à la construction d’une<br />

nouvelle église et de bâtiments conventuels, qui seuls autorisaient le changement de<br />

dédicace, mais comporte également de nombreux dons et notamment l’autorisation d’y<br />

établir une foire 145 . La communauté des lépreux de Rouen jouissait du patronage ducal<br />

dès le règne d’Henri I er comme le suggère une charte de Ge<strong>of</strong>froy le Bel, confirmant le<br />

don de 40 sous annuels « pour les lépreux de Rouen » 146 . La prise en charge par Henri II<br />

de la reconstruction du Mont-aux-Malades aux abords de Rouen répondait donc<br />

également à une tradition de patronage ducal au moment où l’essor de la population<br />

urbaine et de la communauté des lépreux et lépreuses de Rouen imposait l’élargissement<br />

de ses bâtiments. Le lien entre l’essor des hôpitaux-léproseries dans la seconde moitié<br />

du XII e siècle et l’essor urbain se traduit notamment par l’installation des lépreux,<br />

pratiquement toujours sur des routes de passage ou à proximité des foires dont ils<br />

obtenaient souvent les droits. Ainsi, loin d’être des lieux d’exclusion, les maladreries<br />

s’inséraient dans les structures économiques, participant à l’essor des XI e et XII e<br />

siècles 147 .<br />

À Caen, une léproserie dédiée à la Vierge est fondée par Henri II à Beaulieu,<br />

dans les faubourgs ouest de la ville de Caen en 1161 148 . Cette léproserie était appelée la<br />

143 Mémoires historiques de D. Le Mesle, et autres mémoires aux archives, cité dans LANGLOIS, P. L.,<br />

Histoire du prieuré du Mont-aux-malades-lès-Rouen et Correspondance du prieur de ce monastère avec<br />

saint Thomas de Cantorbéry (1120-1820)... 1851, p 83-84 : « Ensuite, et pour mémoire de ses grandes et<br />

signalées victoires obtenues par l’intercession de saint Thomas, tant en Angleterre qu’en Normandie,<br />

nommément du siège levé devant la ville de Rouen, il bâtit au Mont-aux-Malades, comme il paraît par<br />

aucune chartes de ce prieuré, une nouvelle église, sous le titre de saint Thomas le martyr, chancelier<br />

d’Angleterre, archevêque de Cantorbéry… ».<br />

144 Acta Plantagenet (1929H) : Sciatis quod ecclesia beati Thome martiris de Monte Rothom' et leprosi<br />

ibidem degentes et omnes redditus et res et possessiones sue in manu et custodia et protectione mea sunt ;<br />

LANGLOIS, P. L., Histoire du prieuré du Mont-aux-malades-lès-Rouen et Correspondance du prieur de<br />

ce monastère avec saint Thomas de Cantorbéry (1120-1820)... 1851 ; pièces justificatives n°12 et 13<br />

p 425-27.<br />

145 L’histoire du prieuré a été récemment revisitée par Elma Brenner, BRENNER, E., « Charity in Rouen<br />

in the twelfth and thirteenth centuries (with special reference to Mont-aux-Malades) », upublished Ph.D,<br />

Cambridge, 2007 ; BRENNER, E., « The leper house <strong>of</strong> Mont-aux-Malades, Rouen, in the twelfth and<br />

thirteenth centuries », dans Histoire médiévale et archéologie, 2007, p. 219-246<br />

146 Recueil des actes d’Henri II , Introduction, p. 136 : G. dux Norm. et comes And., vicec[omitibus]<br />

Rothomagensibus, salutem. Precipio quod tradatis leprosis Rothomagensibus XL solidos<br />

Rothomagensium singulis mensibus, sicut rex H. eis dedit et carta eius testatur. Test Roberto de Novo<br />

Burgo. Apud Rotomagum.<br />

147 JEANNE, D., « Les léproseries du diocèse de Bayeux du XIe à la fin du XIVe siècle: essai d'inventaire<br />

archéologique et architectural », dans Archéologie et architecture hospitalières de l'Antiquité tardive à<br />

l'aube des Temps modernes, 2004, p. 325-389<br />

148 TORIGNI, p. 331 : « H. rex… domum leprosorum juxta Cadomum mirabilem aedificavit » ; JEANNE,<br />

D., « Les léproseries du diocèse de Bayeux du XIe à la fin du XIVe siècle: essai d'inventaire<br />

260


« Grande Maladrerie » pour la distinguer de la petite maladrerie qu’avait fondée<br />

Guillaume le Conquérant 149 . Dans son étude sociale sur l’essor de la ville de Caen au<br />

Moyen Âge, Laurence Jean-Marie établit également que l’hôtel-dieu de Caen, dans<br />

lequel Guillaume le Conquérant installe en 1053 une communauté d’augustiniens,<br />

change de dédicace, comme le Mont-aux-Malades, avant 1210 pour honorer saint<br />

Thomas Becket et saint Antoine 150 . Si un tel changement constitue un indice des<br />

interventions d’Henri II dans les années 1170-1180, la double dédicace indique qu’il ne<br />

pouvait s’agir d’une refondation totale. Avec ces deux fondations, le duc devenait la<br />

principale autorité, à Caen, capable d’apporter une aide institutionnelle aux pauvres et<br />

aux malades. Quant à la refondation de l’hôtel-dieu d’Argentan, initialement établi par<br />

les bourgeois et dédié à la Trinité, elle est très mal connue à cause de la disparition des<br />

archives 151 . La consécration d’un nouvel hôpital en l’honneur de saint Thomas Becket<br />

en octobre 1177 suggère, là encore, une probable collaboration d’Henri II, dans la<br />

mesure où Argentan relevait des domaines ducaux depuis la mort de Mathilde 152 . C’est<br />

à Argentan par ailleurs qu’Henri II apprend la nouvelle du meurtre de l’archevêque.<br />

Herbert de Bosham raconte que le roi refusa de sortir de ses appartements pendant plus<br />

de quarante jours, pour se livrer à la pénitence et au jeûne 153 . L’initiative de la<br />

refondation ne date cependant que des années 1173-74, lorsque s’impose la nécessité<br />

d’importantes réparations à la suite des dommages subis par l’hôpital lors de la révolte<br />

des barons 154 .<br />

La fondation de maladreries pouvait également s’effectuer à partir de la<br />

conversion d’un manoir royal dans lequel le roi installait une communauté religieuse.<br />

C’est le cas par exemple du manoir de Quevilly, qui était l’une des principales<br />

résidences ducales depuis Henri I er . Henri II y avait fait construire la chapelle dédiée à<br />

saint Julien dans les années 1160 (illustration 3.12), c'est-à-dire pendant les dernières<br />

archéologique et architectural », dans Archéologie et architecture hospitalières de l'Antiquité tardive à<br />

l'aube des Temps modernes, 2004, p. 325-389<br />

149<br />

COLLET, C.; LEROUX, P. et MARIN, J. Y., Caen cité médiévale, 1995, p. 85.<br />

150<br />

JEAN-MARIE, L., Caen aux XIème et XIIème siècles espace urbain, pouvoirs et société, 2000, p. 86-<br />

92, 215.<br />

151<br />

HALLAM, E. M., « Henry II as a founder <strong>of</strong> monasteries », Journal <strong>of</strong> Ecclesiastical History, 28: 2<br />

(1977), p. 113-132 ; GIBELLO, C., « L’hôtel-dieu saint Thomas d’Argentan des origines à la veille de la<br />

Révolution », Société historique et archéologique de l’Orne, 107 (1988), p. 19-25.<br />

152<br />

MRSN, I, p. LXXXIX.<br />

153<br />

Materials for the History <strong>of</strong> Thomas Becket, Vol. III (William Fitzstephen, Herbert <strong>of</strong> Bosham), 1965,<br />

p. 542 : et in nominatissimo illo Normanniae oppido, quod Argenteon, dicitur, in quo primum accepit hoc<br />

per dies quadraginta sedit moerens, quo toto illo poenitentiali dierum numero acerbiorem multo<br />

plusquam mortuorum luctum fecit.<br />

154<br />

GIBELLO, C., « L’hôtel-dieu saint Thomas d’Argentan des origines à la veille de la Révolution »,<br />

Société historique et archéologique de l’Orne, 107 (1988), p. 19-25.<br />

261


années de la vie de Mathilde qui résida principalement à Quevilly, jusqu’à sa mort en<br />

1167 155 . Dans les années 1180, Henri II décide d’installer, une communauté de<br />

lépreuses issues des familles aristocratiques de la région, connue par la suite comme la<br />

communauté de la Salle-aux-Puelles. Une charte sans doute émise entre 1185 et 1188<br />

confirme le don fait aux lépreuses de Quevilly, « de mon enclos et de ma demeure de<br />

Quevilly, où j’ai fait construire leur maison » 156 . L’installation des lépreuses dans ce<br />

manoir, sans doute resté inoccupé depuis la mort de Mathilde, marque la désaffection<br />

progressive d’Henri II pour Rouen, à la fin de son règne. La cession à l’ordre des<br />

Templiers du manoir de Sainte-Vaubourg, qu’Henri I er avait fait établir sur l’autre rive<br />

de la Seine en bordure de la forêt de Roumare, accompagne également ce mouvement<br />

de conversion des résidences royales aux alentours Rouen après 1174 157 . Les<br />

commanderies n’étaient pas nécessairement des hôpitaux, mais avaient souvent vocation<br />

à accueillir les vieux chevaliers ayant combattu en Terre Sainte et à s’occuper des<br />

pauvres 158 . Pour Daniel Le Blevec cependant, on ne peut assigner aux Templiers une<br />

fonction d’assistance identique à celle des Hospitaliers, même si dans leur règle, les<br />

prescriptions relatives à l’attitude envers les pauvres sont nombreuses 159 .<br />

En Normandie, les communautés religieuses chargées de s’occuper des malades<br />

étaient souvent des augustiniens. Le choix de chanoines ou de chanoinesses suivant la<br />

règle de saint Augustin pour s’occuper des léproseries et des hôpitaux était lié à leur<br />

refus de la réclusion qui leur donnait la capacité de vivre dans le siècle et d’être en<br />

relation avec la société urbaine et ses activités économiques 160 . Le ritualisme de l’action<br />

des moines empêchait en effet trop souvent les monastères de répondre concrètement<br />

155<br />

CHIBNALL, M., The Empress Matilda : queen consort, queen mother and Lady <strong>of</strong> the English, 1993,<br />

p. 188. ÉTIENNE-STEINER, C., La chapelle Saint-Julien du Petit-Quevilly, 1991 ; STRATFORD, N.,<br />

« The wall-paintings <strong>of</strong> the Petit-Quevilly », dans Medieval art, architecture and archaeology at Rouen,<br />

1993 ; STRATFORD, N., « Le Petit-Quevilly, Peintures murales de la chapelle Saint-Julien », dans<br />

Congrès archéologique de France: Monuments de Rouen et du Pays de Caux, 2003, p. 133-146. Les<br />

fresques de cette chapelle, qui a conservé presque intacte son architecture du XII e siècle, furent<br />

vraisemblablement exécutées par des artistes influencés par les modes de la peinture anglaise.<br />

156<br />

Acta Plantagenet (2533H) ; Recueil des actes d’Henri II , II, p. 296-297, n°DCLXXVIII: presenti<br />

carta mea confirmasse feminis leprosis de Keuilli clausum meum domorum mearum de Keuilli ubi<br />

mansionem suam construxi.<br />

157<br />

MIGUET, M., Templiers et Hospitaliers en Normandie, 1995, p.401-425.<br />

158<br />

LE BLÉVEC, D., La part du pauvre. L'assistance dans les pays du Bas-Rhône du XIIe siècle au milieu<br />

du XVe siècle, 2000, I, p. 87-97.<br />

159<br />

Ibid., I, p. 121.<br />

160<br />

ARNOUX, M., « Aux origines d'une léproserie : la pancarte de la Madeleine d'Orbec (1107-1135) »,<br />

dans Recueil d'études normandes <strong>of</strong>fert en hommage à Michel Nortier, Cahiers Léopold Delisle, 1995, p.<br />

209-222; ARNOUX, M.; GAZEAU, V. et DEMETZ, C. (eds.), Des clercs au service de la réforme.<br />

Études et documents sur les chanoines réguliers de la province de Rouen, 2000.<br />

262


aux besoins des pauvres 161 . Ainsi en 1166, il y avait, dans la province ecclésiastique de<br />

Rouen, 23 maisons de chanoines réguliers. Cependant, les communautés augustiniennes<br />

ne détenaient aucun monopole. Les lépreuses installées à Quevilly étaient soumises à la<br />

règle bénédictine, tandis qu’en Anjou, la Chartreuse du Liget comprenait une maladrerie<br />

et que la fondation grandmontine de la Haye-aux-Bonshommes accueillait également<br />

une communauté de lépreux comme c’est souvent le cas dans cet ordre 162 . Le prieuré<br />

bénédictin fondé par Richard, le 6 mai 1190, à Saint-André de Gourmandises, avait<br />

également été installé sur une terre dite de la Léproserie (terram que vocatum<br />

Leprosaria) indiquant clairement la vocation de cette fondation 163 . Il y avait également<br />

une communauté de lépreux à Fontevraud, qui avait été installée par Robert d’Arbrissel<br />

et rattachée au prieuré Saint-Lazare 164 . Ce petit prieuré qui était initialement en bois et<br />

en terre est l’objet d’une reconstruction en pierre patronnée par Henri II dans les années<br />

1160-1170 165 . La campagne de travaux qui permet l’achèvement du Grand Moutier<br />

débute selon la notice du grand cartulaire, en 1166, à l’instigation d’Henri II. Elle<br />

s’étend, outre le prieuré, à la chapelle Sainte-Marie-Madeleine, destinée à accueillir les<br />

« pécheresses repenties », à l’aile orientale de la salle capitulaire, à la cuisine et au<br />

réfectoire, tandis que les clôtures sont vraisemblablement financées par Aliénor, sans<br />

doute pendant sa période de réclusion 166 .<br />

Le patronage de l’hôpital Saint-Jean d’Angers et la Maison-Dieu de Coëffort au<br />

Mans était également revendiqué d’Henri II contre les prétentions de son sénéchal 167 .<br />

161<br />

LE BLÉVEC, D., « Fondations et oeuvres charitables au Moyen Âge », dans Fondations et oeuvres<br />

charitables au Moyen Âge, 1999, p. 78-22.<br />

162<br />

BÉRIAC-LAINÉ, F., Histoire des lépreux au Moyen âge, 1988.<br />

163<br />

FILLON, B. M., « Extraits des archives historiques de la ville de Fontenay-le-Comte », Archives<br />

historiques du Poitou, 1 (1872), p. 117-142 ; BESSE, J. M., Abbayes et prieurés de l'ancienne France.<br />

Recueil historique des Archevêchés, Evêchés, Abbayes et Prieurés de France, 1910, p. 161.<br />

164<br />

BIENVENU, J. M., « Aux origines d'un ordre religieux: Robert d'Arbrissel et la fondation de<br />

Fontevraud », Cahiers d'histoire: Aspects de la vie conventuelle aux XIe et XIIe siècles (1975), p. 128-<br />

135; BIENVENU, J. M., Les premiers temps de Fontevraud, 1101-1189 naissance et évolution d'un ordre<br />

religieux, 1980.<br />

165<br />

PRIGENT, D., « Construire et Embellir », Connaissances des Arts: L'abbaye royale de Fontevraud,<br />

numéro spécial, Hors Série, 106 (1997) ; PAVILLON, B., La vie du bienheureux Robert d’Arbrissel<br />

patriarche des solitaires de la France et instituteur de l’ordre de Fontevraud, 1666, la notice d’Henri II<br />

indique en effet que « il s’occupa d’agrandir de beaucoup nos petits bâtiments et rénova les structures de<br />

Saint-Laraze et réédifia les bâtiments en ruine de Sainte-Marie-Madeleine » (Interea <strong>of</strong>ficinas nostras<br />

valde angustas plurimum ampliare curavit insuper S. Lazari structuras renovait et B. Marie Magdalenae<br />

aedificia casura reaedificavit) ; BIENVENU, J. M., « Pauvreté misère et charité en Anjou », Le Moyen<br />

Âge, 73: 1-2 (1967), p. 5-34-189-216, (p. 195-196).<br />

166<br />

PAVILLON, B., La vie du bienheureux Robert d’Arbrissel patriarche des solitaires de la France et<br />

instituteur de l’ordre de Fontevraud, 1666.<br />

167<br />

BIENVENU, J. M., « Pauvreté misère et charité en Anjou », Le Moyen Âge, 73: 1-2 (1967), p. 5-34-<br />

189-216<br />

263


Elles n’étaient cependant vraisemblablement pas des fondations personnelles du roi,<br />

bien qu’une charte royale datant des années 1180, confirme une donation d’Henri II « à<br />

Dieu et aux pauvres du Christ se trouvant dans le lieu où est fondée la maison Dieu au<br />

Mans, c'est-à-dire la maison que j’ai fondée de ma propre aumône, en l’honneur de Dieu<br />

et pour l’hospitalité des infirmes et pour leur guérison » 168 . L’insistance avec laquelle il<br />

revendique la fondation de la Maison-Dieu et la similarité de cette charte avec celle qui<br />

confirme l’origine royale de la fondation de l’hôpital d’Angers peut en effet faire<br />

douter. La contemporanéité de ces fondations, 1180-1200, et les ressemblances<br />

architecturales frappantes des deux grandes salles dans un « style angevin » suggèrent<br />

toutefois un patronage commun des constructions qui pourrait bien être, au moins en<br />

partie, celui d’Henri II (illustration 3.12 et 3.13) 169 .<br />

Globalement la plupart des fondations hospitalières d’Henri II ont donc concerné<br />

ses territoires continentaux. Hormis la léproserie de l’hôpital Saint-Léonard de Derby<br />

dont il est sans doute le fondateur, comme le suggèrent un inspeximus et une charte de<br />

confirmation d’Edward II, ainsi que celle de St Peter Without à Windsor, c’est surtout<br />

sous le règne de Jean qu’il y eut des fondations royales d’hôpitaux en Angleterre 170 .<br />

Déjà en tant que comte de Mortain, Jean est vraisemblablement à l’initiative de la<br />

refondation de l’église de Chesterfield dans le Derbyshire en hôpital en 1195, de la<br />

fondation de l’hôpital de Bristol et de celui de Lancaster 171 . Il participe également à<br />

l’installation d’une communauté d’augustiniens à Aconbury par Hugues de Lacy, en<br />

donnant le site de la fondation qui ne verra le jour qu’en 1237 172 . En outre, les donations<br />

pieuses de Jean qui sont enregistrées dans les pipe rolls témoignent d’une tendance à<br />

168<br />

Acta Plantagenêt (1873H); Recueil des actes d’Henri II , II, p. 207-208 n° DCV; Sciatis me pro Dei<br />

amore et pro salute anime mee et pro animabus omnium antecessorum meorum et successorum dedisse et<br />

concessisse et presenti carta mea confirmasse Deo et pauperibus Christi situm loci in quo fundata est<br />

domus Dei apud Cenoman' quam scilicet domum ego in honore Dei ad hospitalitatem egenorum et ad<br />

eorum inopiam releuandam de propriis elemosinis meis fundaui.<br />

169<br />

VASSAS, R., « La maison-Dieu de Coëffort au Mans. Grande salle des malades », Bulletin<br />

monumental, 112 (1954), p. 61-87.<br />

170<br />

Acta Plantagenet (4628H); VCH Derbyshire, II, p. 84-86; ASTILL, G. G., « Windsor in the context <strong>of</strong><br />

medieval Berkshire », dans Windsor : Medieval Archaeology, Art and Architecture <strong>of</strong> the Thames Valley,<br />

2002, p. 1-14.<br />

171<br />

KNOWLES, D. et HADCOCK, R. N., Medieval Religious Houses : England and Wales, 1971, p. 347,<br />

351, 368. HALLAM, E. M., "Aspects <strong>of</strong> the monastic patronage <strong>of</strong> the English and French royal houses,<br />

c. 1130-1270"; WEBSTER, P., « King John and Rouen: Royal itineration, kingship and the Norman<br />

'capital', c. 1199-c. 1204 », Cardiff Historical papers, 3 (2008), p. 1-39 discute ces attributions, soulignant<br />

que les seuls et rares documents ne sont souvent que des confirmations.<br />

172<br />

KNOWLES, D. et HADCOCK, R. N., Medieval Religious Houses : England and Wales, 1971<br />

264


l’institutionnalisation des pratiques charitables de la royauté anglaise par le versement<br />

accru d’aumônes régulièrement déduites des fermes des shérifs 173 .<br />

Le patronage des établissements à vocation charitable comporte donc plusieurs<br />

caractéristiques. Il apparaît tout d’abord comme une forme de fondation ou de<br />

refondation ecclésiastique. Avant la création des ordres mineurs, ce sont les chanoines<br />

réguliers augustiniens, qui étaient le plus souvent choisis pour leur refus de la clôture et<br />

leur capacité à vivre dans le siècle. Au cours du XIII e siècle, cet ordre tend cependant à<br />

disparaître au pr<strong>of</strong>it des mendiants et des prêcheurs, qui investissent les fonctions<br />

d’assistance, notamment dans les villes, où étaient concentrée la plupart de ces<br />

établissements 174 . Par les fondations d’hôpitaux et notamment des léproseries dont<br />

l’initiative revenait majoritairement aux laïcs, les Plantagenêt ont ainsi participé, sous<br />

les formes de la piété traditionnelle, à l’encadrement urbain et suburbain des<br />

populations infirmes et malades des principales villes ducales et comtales de leur<br />

empire 175 . Ces chantiers avaient donc une double dimension, à la fois charitable et<br />

urbaine, à l’instar des chantiers de cathédrales, symboles certes de la puissance<br />

épiscopale mais aussi de l’essor de la bourgeoisie urbaine et de la prospérité du<br />

royaume.<br />

2.1.2- Les Plantagenêt et le patronage des chantiers de cathédrales<br />

Dans la seconde moitié du XII e siècle, les cathédrales constituaient bien souvent<br />

le principal chantier de la ville. La participation des laïcs et notamment des bourgeois au<br />

financement des cathédrales, par leurs aumônes et leurs souscriptions permet<br />

d’envisager les vastes chantiers de cathédrales « gothiques » comme des œuvres<br />

collectives, impliquant l’ensemble de la société médiévale 176 . Toutefois,<br />

l’investissement des rois du XII e siècle dans ces grandes œuvres semble avoir été assez<br />

rare, se limitant souvent à quelques donations.<br />

173 YOUNG, C. R., « King John <strong>of</strong> England : an illustration <strong>of</strong> the medieval practice <strong>of</strong> charity », Church<br />

History, 29 (1960), p. 264-274; WEBSTER, P., « King John and Rouen: Royal itineration, kingship and<br />

the Norman 'capital', c. 1199-c. 1204 », Cardiff Historical papers, 3 (2008), p. 1-39.<br />

174 LE GOFF, J., « Apostolat mendiant et fait urbain dans la France médiévale: l'implantation des ordres<br />

mendiants. Programme-questionnaire pour une enquête », Annales, Economie, Société, Civilisations, 23:<br />

2 (1968), p. 335-348.<br />

175 BIENVENU, J. M., « Pauvreté misère et charité en Anjou », Le Moyen Âge, 73: 1-2 (1967), p. 5-34-<br />

189-216 rappelle notamment les nombreuses donations d’Henri II aux lépreux d’Anjou.<br />

176 GIMPEL, J., Les bâtisseurs des cathédrales, 1980 [1958] ; DU COLOMBIER, P., Les chantiers des<br />

cathédrales, ouvriers, architectes, sculpteurs, 1989 [1953] ; DUBY, G., « Le temps des cathédrales. L'art<br />

et la société 980-1420 », dans L'art et la société. Moyen Âge. XXe siècle, 2002 (1966), p. 453-1011.Ibid.<br />

265


À Poitiers, Henri II et Aliénor sont connus pour avoir aidé à la construction du<br />

chevet de Saint-Pierre, commencé dans les années 1160, notamment en <strong>of</strong>frant le vitrail<br />

de la Crucifixion qui les représente tous deux en donateurs 177 . À Rouen, c’est Jean qui<br />

est le principal patron de la reconstruction de la cathédrale après l’incendie de 1200 178 .<br />

Selon Lindy Grand, il est impossible que la cathédrale ait été entièrement détruite mais<br />

elle avait été suffisamment endommagée pour inspirer l’intervention de Jean 179 . Par une<br />

lettre datée du 25 septembre, le roi annonce un don de £ a 2000 pour les réparations de<br />

l’église cathédrale de Rouen à recevoir en quatre échéances 180 . Le paiement s’étend<br />

ainsi jusqu’en 1204. En avril 1203, Jean ordonne que les £ a 460 restantes du don initial<br />

soient versées à la fabrique de l’église 181 , puis en 1204, il fait à nouveau un paiement de<br />

£ a 75 sur les £ a 300 qu’il avait promis pour les travaux 182 . Si ces versements étaient pour<br />

Jean une manière d’acheter le soutien de l’archevêque Gauthier de Coutances, dans sa<br />

177 BLOMME, Y., « La construction de la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers », Bulletin Monumental,<br />

152: 1 (1994), p. 7-15; CROZET, R., « Le vitrail de la Crucifixion à la cathédrale de Poitiers », Gazette<br />

des Beaux-Arts, 140 (1934), p. 2-15 ; PERROT, F., « Le vitrail de la Crucifixion de la cathédrale de<br />

Poitiers (entre 1161 et 1173) », communication à Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, réunion<br />

des Ymagiers (le 26 févier 2001).<br />

178 HOVEDEN, IV, p. 116 : Eodem anno, in ipsa die Paschae quae quinto idus Aprilis, evenit combusta<br />

est fere tota civitas Rothomagi cum ecclesia sedis archiepiscopalis et aliis ecclesiis multis.<br />

179 Rot. Lit. Pat., p. 19: ad nostram credimus noticiam pervenisse qualiter ecclesia Rothomag(ensis)<br />

mater ecclesiarum Norm(annie) et magistra cum tota civitate flaminis irruentibus sit eversa. Nos autem<br />

eamdem ecclesiam tenere diligimus et sincere tum quia fratrum et amicorum nostrorum sepultura nobis<br />

eam venerabilem in perpetuum commendat, tum quia florent in ea beneficia sanctorum quorum meritis<br />

regni nostri et honoris prosperitas augeatur. Ea propter vos rogamus et exhortamus in Domino quatinus<br />

nuntios eius cum ad vos veneri(n)t benigne recipere et efficaciter audire velitis et elemonisas vestras ad<br />

reparationem eius intuitu Dei et Beate Virginis in cuius honore dedicata est transmiterre velitis, formam<br />

et exemplum vestris subditis nobiscum pariter tribuentes qui ei juxta regie dignitatis munificentiam<br />

subvenimus. Talem igitur ad preces nostras eisdem nuntiis liberalitatem impendatis, ut de impensa vestra<br />

merito nostras preces sibi gaudeant affuisse et nos debeamus vestram devotionem in Domino<br />

commendare. Prohibemus autem ne quis predictis nuntiis iniuria inferat vel gravamen. Et si qui eis in<br />

aliquo forisfecerit, id eis sine dilatione faciatis emendari. Et duret ista predicatio a die Purificatione<br />

Beate Marie regni nostri anno quarto in duos annos ; GRANT, L., « Rouen Cathedral, 1200-1237 », dans<br />

Medieval art, architecture and archaeology at Rouen, 1993, p. 60; WEBSTER, P., « King John and<br />

Rouen: Royal itineration, kingship and the Norman 'capital', c. 1199-c. 1204 », Cardiff Historical papers,<br />

3 (2008), p. 1-39<br />

180 Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835, p. 33: G. de Glapio<br />

senescallo Normanniae et baronum de scaccario etc. Sciatis quod dedimus ecclesie Rothomago ad<br />

reparacionem eius duo millia librarum andeg’ persolvendas ad quatuor scaccarii et terminis solucionis<br />

incipiet ad hoc festum sancti Michaeli proximo futurum et illis vobis mandamus quatinus ad idem primum<br />

scaccario de festo sancti michaeli faciatis eidem ecclesie habere quingentum librarum et ad pascham<br />

sequentem quigentum librarum et ad festum sancti Michaeli sequentem quigentum librarum et ad pasche<br />

sequentem quingentum librarum et ad festum sancti Michaeli sequentem quigentum librarum et ad<br />

pasche sequentem D librarum. Teste me ipso apud Valone xxiiii die septembris anno regni nostro<br />

secundo.<br />

181 Ibid., p. 86 : Baronibus de Scaccario Cadomo. Mandamus vobis quod sine dilatione reddatis residuum<br />

de permissione nostra facta ad fabricam ecclesie Sancte Marie Rothomagensis scilicet CCCCLX<br />

librarum andeg’. apud Rothomagum viii die Aprilii.<br />

182 Rotuli de Liberate ac de misis et praestitis regnante Johannes, HARDY, T. D. (éd.), 1844, p. 80.<br />

266


guerre contre Philippe Auguste, mais la complexité des rapports entre Jean et Rouen, ne<br />

saurait se réduire à une telle interprétation. En renouant avec la politique de patronage<br />

de ses ancêtres, Jean pensait sans doute renforcer les liens qui l’unissaient aux<br />

bourgeois et s’assurer de leur soutien à son parti.<br />

Le patronage d’hôpitaux et de cathédrales, s’il est avant tout l’expression de la<br />

piété et de la charité des Plantagenêt, ne saurait être considéré en dehors des<br />

préoccupations civiques qui traversent la société du XII e siècle, marquées par un essor<br />

des institutions hospitalières régulières ou séculières. La participation accrue des laïcs<br />

aux fonctions d’assistance témoigne en effet de la nouvelle capacité des princes, comme<br />

des bourgeois, à permettre l’essor de ces nouveaux espaces d’utilité commune. Cette<br />

capacité ne s’est pas limitée à la construction d’hôpitaux. Contrairement à nos<br />

représentations actuelles, les charités désignaient aussi, à partir du XI e siècle, des formes<br />

d’organisation collective permettant la construction et l’entretien des ponts.<br />

2.2- Les Plantagenêt et la construction de ponts : un simple rapport<br />

de patronage ?<br />

2.2.1- La construction de ponts : entre œuvre charitable et instrument de pouvoir<br />

Depuis les travaux de Marjorie Nice Boyer, les organisations fraternelles et<br />

charitables qui ont été à l’initiative de construction de ponts en France sont mieux<br />

connues 183 . La documentation les concernant avant le XIII e siècle est en effet pauvre,<br />

car si à l’époque carolingienne les ponts étaient pris en charge par l’administration<br />

centrale, aucun document ne permet d’entrevoir les conditions et les processus de leur<br />

conception et de leur exécution. L’existence d’organisations liées à la construction de<br />

ponts est pourtant une réalité historique dont témoignent les actes de la pratique dès le<br />

milieu du XII e siècle, à travers les termes d’opus pontis et parfois de fratres pontifices<br />

(fraternités de pont). Jean Mesqui a explicité l’ambiguïté des termes opus/opera, que ne<br />

recouvre qu’imparfaitement la polysémie du terme actuel d’« œuvre », notamment le<br />

sens d’œuvre comme processus conduisant de la conception à l’exécution, qui n’existait<br />

pas au Moyen Âge 184 . Jusqu’au XV e siècle, si les opera indiquaient des travaux, l’opus<br />

183 BOYER, M. N., Medieval French Bridges. A History. 1976 ; LE BLÉVEC, D., La part du pauvre.<br />

L'assistance dans les pays du Bas-Rhône du XIIe siècle au milieu du XVe siècle, 2000, II, p. 311.<br />

184 MESQUI, J., « Le pont de pierre au Moyen Âge: du concept à l’exécution », dans Artistes, artisans, et<br />

production artistique au Moyen Âge, 1986, p. 197-213.<br />

267


désignait en revanche l’institution chargée de gérer des fonds consacrés aux<br />

constructions, sens qui s’efface par la suite au pr<strong>of</strong>it de celui de chantier.<br />

Le phénomène des constructions de pont prend son essor autour de l’an mil,<br />

dans un contexte de transformations non seulement sociales mais aussi<br />

environnementales. L’essor de l’agriculture, l’assèchement des terres, le début des<br />

défrichements ont en effet pour conséquence de rendre les rivières plus pr<strong>of</strong>ondes et<br />

plus rapides, et donc plus dangereuses ou impossibles à traverser à guet 185 . Christopher<br />

Taylor utilise même l’expression de « seconde révolution du paysage » pour désigner<br />

les changements qui sont intervenus entre 800 et 1200 en Occident. À ce facteur<br />

s’ajoute celui de l’essor du trafic lié au développement du commerce et à la circulation<br />

des hommes et des biens, qui impose le remplacement progressif des fords par des<br />

ponts. Mais si l’essor de ces œuvres est concomitant avec la densification du réseau<br />

routier et l’intensification des relations commerciales, il s’inscrit également dans le<br />

vaste mouvement de pacification conduit par l’Église à partir du début du XI e siècle en<br />

Occident pour suppléer à l’effondrement des pouvoirs centraux. L’essor de ces œuvres<br />

de pont comme forme d’engagement laïque et charitable ne peut en effet être compris en<br />

dehors des institutions de paix visant à normaliser les relations sociales et l’activité<br />

économique, en facilitant la circulation des marchands et des pèlerins à travers la<br />

Chrétienté (at utilitatem fidelium transeuntium), car voyager est entreprise périlleuse à<br />

cette époque 186 . Pour Jean Mesqui, cependant, rares sont les ponts au nord de la Loire<br />

qui ont servi de support au sentiment religieux et qui sont édifiés grâce à la charité des<br />

fidèles 187 .<br />

La persistance d’une forte autorité princière, comme en Anjou et en Normandie,<br />

ne permet pas, en effet, la mise en place de ces organisations de fidèles en dehors de<br />

tout contrôle seigneurial. Dans la plupart des régions de l’empire Plantagenêt, le pont<br />

apparaît donc davantage comme une œuvre d’utilité commune, relevant des<br />

185 TAYLOR, C., « The English settlement: Introduction », dans The Making <strong>of</strong> the English Landscape,<br />

2005, p.40-42. voir également DARBY, H. C., « The clearing <strong>of</strong> the Woodland in Europe », dans Man’s<br />

role in changing the face <strong>of</strong> the Earth, 1956, p. 183-216; RACKHAM, O., The History <strong>of</strong> the<br />

Countryside, 1986; COOPER, A. R., Bridges, Law and Power in Medieval England, 700-1400, 2006, p.<br />

22.<br />

186 LE BLÉVEC, D., La part du pauvre. L'assistance dans les pays du Bas-Rhône du XIIe siècle au milieu<br />

du XVe siècle, 2000, II, p. 324-26 cite l’exemple du vieux pont d’Albi dans BIGET, J. L., « Récits d'une<br />

histoire oubliée (Ve - XIIe siècle) », dans Histoire d'Albi, 1983, p. 33-56, voir aussi BOYER, M. N.,<br />

Medieval French Bridges. A History. 1976 ; BROOKS, N., « Medieval bridges : a window onto changing<br />

concepts <strong>of</strong> state power », H.S.J., 7 (1995), p. 11-37.<br />

187 MESQUI, J., Le pont en France avant le temps des ingénieurs, 1986; MESQUI, J., « Les "œuvres de<br />

pont », dans les routes du sud de la France », dans 110e congrès national des sociétés savantes, 1987,<br />

p. 231-243.<br />

268


prérogatives des détenteurs de l’autorité, contrairement au sud de la France où la<br />

construction de ponts répondait essentiellement à l’objectif de faciliter la vie<br />

quotidienne des fidèles. Nicholas Brooks a montré comment les ponts ont été des<br />

instruments largement utilisés par les comtes d’Anjou pour territorialiser leur<br />

pouvoir 188 . En construisant un pont sur la Mayenne, à Château-Gontier en 1007, à<br />

Angers et à Mayenne en 1028, Foulque Nerra ne faisait pas autre chose que de créer le<br />

territoire du comté d’Anjou, à travers l’affirmation délibérée de privilèges régaliens 189 .<br />

Dans cette perspective, le patronage des constructions de ponts par les Plantagenêt<br />

s’inscrit dans une pratique considérée comme relevant de prérogatives royales. Cette<br />

conception était cohérente avec l’héritage anglo-saxon, qui considérait que les<br />

constructions de ponts et les fortifications du royaume étaient des obligations<br />

inaliénables, conservées par la royauté. Comme pour les enceintes des communautés<br />

urbaines, les ponts constituaient également le lieu d’expression d’un pouvoir, qu’il soit<br />

celui de la communauté ou du seigneur qui en était à l’origine. L’affirmation du pouvoir<br />

royal ou princier sur les ponts se traduisait alors par leur aspect fortifié qui comprenait<br />

parfois une tour, comme c’est le cas du pont Valentré à Cahors 190 . À la fin du XII e<br />

siècle, si certains ponts, comme ceux que Richard fait fortifier sur la Seine avaient<br />

toujours une vocation militaire, c’est surtout comme point nodal entre les voies fluviales<br />

et terrestres, permettant le contrôle de l’espace et des réseaux de communication, que le<br />

pont constituait un instrument de territorialisation du pouvoir.<br />

2.2.2- Le patronage royal des ponts et la reconnaissance de leur utilité publique<br />

Le patronage des ponts par le roi pouvait s’effectuer de plusieurs manières, du<br />

simple don, qui le plaçait au rang des grands bienfaiteurs, à l’octroi de droits ou<br />

d’exemptions, et notamment du pontage dont il avait le monopole. Au XII e siècle, le<br />

doit de pontage était le droit de poser un péage sur un pont pour taxer les hommes et les<br />

biens qui l’empruntaient.<br />

Patronner, exempter, arbitrer les coutumes de pont<br />

188<br />

BROOKS, N., « Medieval bridges : a window onto changing concepts <strong>of</strong> state power », H.S.J., 7<br />

(1995), p. 11-37<br />

189<br />

BIENVENU, J. M., « Recherches sur les péages angevins aux XIe et XIIe siècles », Le Moyen Âge, 63<br />

(1957), p. 209-240-et 437-467; BACHRACH, B. S., Fulk Nerra, the Neo-Roman Consul, 987-1040 : A<br />

Political Biography <strong>of</strong> the Angevin Count, 1993.<br />

190<br />

BROOKS, N., « Medieval bridges : a window onto changing concepts <strong>of</strong> state power », H.S.J., 7<br />

(1995), p. 11-37; BOYER, M. N., Medieval French Bridges. A History. 1976, p. 13-27.<br />

269


À partir du concile de Latran III (1179), l’Église reconnaît <strong>of</strong>ficiellement<br />

l’autorité exclusive des princes sur le contrôle et la régulation des péages, menaçant<br />

d’excommunication tous ceux qui créeraient de nouveaux péages ou augmenteraient les<br />

anciens tarifs sans l’autorisation des rois et princes 191 . Cette mesure reposant sur l’idée<br />

que le prince avait pour mission de promouvoir l’utilité commune, n’excluait cependant<br />

pas qu’il puisse tirer pr<strong>of</strong>it de ce monopole en s’accordant d’importantes exemptions<br />

pour lui-même et pour ses hommes, en échange des droits de péages qu’il accordait,<br />

comme ce fut le cas aux Ponts-de-Cé, par exemple 192 . En donnant à l’abbaye de<br />

Fontevraud le pont de Pont-de-Cé et son péage, entre 1115 et 1125, Foulque V ne<br />

perdait pas de vue l’intérêt commun et imposa aux nonnes et aux moines de prendre à<br />

leur charge l’entretien des quatre arches, y compris leur reconstruction en cas<br />

d’écroulement.<br />

Dans les années 1150-60, c’est parce que le pont en bois construit à Saumur par<br />

les bourgeois et les chevaliers de la ville « pour la rémission de leur âme », constituait<br />

une œuvre « si bonne et si encourageante » (opere tam bono letatus), qu’Henri II les<br />

dispense de péage 193 . Cette exemption s’accompagnait cependant d’une clause selon<br />

laquelle les habitants de Saumur devaient, lorsqu’ils feraient leur testament, laisser une<br />

somme convenue avec le prêtre selon leur fortune, pour la reconstruction du pont 194 . Par<br />

cette clause, Henri II patronnait la charité du pont dont les revenus, assurés par les<br />

aumônes des bourgeois, garantiraient la pérennité de l’entretien du pont. Peu après,<br />

cependant, Henri II doit revenir sur sa décision, à la suite de la plainte de l’abbaye<br />

Saint-Florent, qui avait perdu depuis un manque à gagner sur les droits de passage par<br />

bac dont elle avait le monopole depuis Foulque Nerra 195 . Henri II propose donc à<br />

l’abbaye de rétablir les taxes à condition qu’elle s’acquitte de la construction d’une<br />

arche en pierre tous les ans, jusqu’à ce que le pont soit entièrement reconstruit en pierre.<br />

191<br />

BIENVENU, J. M., « Recherches sur les péages angevins aux XIe et XIIe siècles », Le Moyen Âge, 63<br />

(1957), p. 209-240-et 437-467 ; HEFELE, C. J. et LECLERCQ, H., Histoire des conciles, d'après les<br />

documents originaux, 1907-1913, V, 2, p. 1103, can. 22 : Nec quisquam alicui novas pedagiorum<br />

exactiones sine authoritate regum et principum consensu statuere, aut statutas de novo tenere, aut veteres<br />

augmentare aliquo modo temere praesumat. Si quis autem contra hoc venire praesumpserit, et<br />

commonitus non destiterit : donec satisfaciat, communione careat christiana.<br />

192<br />

CHARTROU, J., L'Anjou de 1109 à 1151. Foulque de Jérusalem et Ge<strong>of</strong>froi Plantegenêt, 1928,<br />

p. 353, pièce justificative n°27.<br />

193<br />

Acta Plantagenet (1614H); Recueil des actes d’Henri II , II, n° CCXXVI.<br />

194<br />

Ibid. : Ipsi vero m(ich)i sicut domino suo concesserunt quod quando elemosinas suas diuiderent,<br />

darent lessam de testamento suo ad pontem faciend(am) congruam iuxta possessionis sue facultatem ad<br />

consilium sacerdotis sui et elemosinariorum suorum, et heredes eorum perhenniter.<br />

195<br />

BOYER, M. N., Medieval French Bridges. A History. 1976, p. 37; BIENVENU, J. M., « Recherches<br />

sur les péages angevins aux XIe et XIIe siècles », Le Moyen Âge, 63 (1957), p. 209-240-et 437-467.<br />

270


Après la confirmation des coutumes du pont de Saumur, Henri II confirme également<br />

celles des ponts-de-Cé et de Brissac vers 1174, conformément aux libertés données par<br />

Foulques Nerra 196 . L’essor des constructions de ponts s’accompagne en effet à partir de<br />

la seconde moitié du XII e siècle, d’une mise par écrit des coutumes des péages. En<br />

confirmant ces coutumes, Henri II et ses fils renforçaient non seulement leur autorité sur<br />

la juridiction des ponts, mais accentuaient également leur contrôle sur ces lieux nodaux<br />

de l’espace, prolongeant la politique de territorialisation du pouvoir princier des comtes<br />

d’Anjou. Si nombre de ces confirmations ne faisaient que normaliser des droits liés aux<br />

ponts déjà construits, le patronage des Plantagenêt ne s’y limita pas : ils ont aussi été à<br />

l’initiative de construction de ponts comme à Rouen (voir supra) ou à Agen.<br />

Le 12 novembre 1189, Richard concède aux habitants d’Agen une charte<br />

délimitant l’espace dans lequel devrait être construit un pont sur la Garonne, et<br />

autorisant la commune d’Agen et son « pontenier » à élire deux hommes de son conseil,<br />

pour organiser la collecte des dons et pour construire un pont 197 . Étienne d’Artiges est<br />

alors désigné comme « maître pontenier » à vie, et après sa mort, son remplaçant devra<br />

être choisi par la commune 198 . En échange, le passage sur le pont devra être libre de<br />

toute taxe, à condition que les aumônes soient suffisantes pour pouvoir en assurer la<br />

maintenance. Cependant, en 1217, la charité du pont d’Agen n’avait été capable de<br />

financer l’érection que d’un seul pilier en pierre, certes massif. Si massif d’ailleurs, qu’il<br />

parvint à faire dévier la rivière qui inonda la ville et détruisit ses défenses 199 . Cet<br />

exemple montre toutes les limites des œuvres de ponts comme institution pieuse et<br />

charitable, souvent incapables de lever des fonds suffisants pour financer entièrement le<br />

projet. La construction de pont constituait en effet une opération coûteuse qui nécessitait<br />

la plupart du temps que les frais soient supportés collectivement, par les aumônes des<br />

196 Acta Plantagenêt (1613H) : Sciatis me concessisse et carta mea confirmasse conuentionem que facta<br />

fuit inter moniales de Fonte Ebr' et homines Andeg' de consuetudinibus Pontis Saeii; (378H) : Sciatis me<br />

concessisse et dedisse et presenti carta mea confirmasse Deo et ecclesie beate Dei genitricis Marie de<br />

Fonte Ebraudi et monialibus ibidem Deo seruientibus pro salute anime mee et antecessorum et<br />

successorum meorum Pontem Saeii ita liberum et quietum sicut aliquis antecessorum meorum eundem<br />

pontem ipsi ecclesie melius et liberius concessit habere, vicariam etiam eiusdem pontis cum omnibus<br />

libertatibus et liberis consuetudinibus ad com(item) And(egauorum) pertinentibus concedo eis et<br />

confirmo ; voir aussi Recueil des actes d’Henri II , II, n°DIII, DCXVIII.<br />

197 Acta Richard (610R), Archives municipales d’Agen, ms DD14 : Donamus etiam et concedimus<br />

libertatem duobus hominibus qui communi consilio ville Agen' et pontenarii eligantur ad perquirendas<br />

prefato ponti faciendo elemosinas et post mortem illorum communi ville consilio alios duos ad hoc<br />

ibidem constitui concedimus.<br />

198 Ibid., Concedimus etiam Steph(an)o de Artiges quod sit magister pontenarius ibidem vita sua. Et post<br />

mortem ipsius alius bonus ibi sit magister pontenarius aliorum duorum et communi ville consilio electus.<br />

199 BOYER, M. N., Medieval French Bridges. A History. 1976, p. 58.<br />

271


fidèles mais aussi par les dons des grands seigneurs 200 . Les charités restent cependant le<br />

principal mode de financement des ponts jusqu’à la fin du Moyen Âge 201 . Les princes se<br />

contentant souvent d’établir les conditions de création de telles institutions, les<br />

subventionnant parfois aussi de leurs propres aumônes.<br />

Le patronage des charités de pont : le cas du pont de Londres<br />

La première mention de ce système de charité pour la construction de pont en<br />

Angleterre apparaît à Londres, en 1176. Selon les annales de Merton, Southwark et<br />

Waverley, cette année là, commence le chantier d’un pont en pierre sur la Tamise, face<br />

à la Tower 202 . Les travaux sont dirigés par un certain Pierre, capellanus sacerdos de<br />

Sainte-Marie de Colechurch, l’église paroissiale où Thomas Becket avait été baptisé.<br />

Cette construction visait à remplacer l’ancien pont en bois qui s’était fortement dégradé<br />

sous l’effet de la marée et des nombreux incendies 203 . Pierre de Colechurch, qui avait<br />

mené, selon les registres de Holy Trinity Priory, les travaux de réparation du pont en<br />

bois en 1163, était donc parfaitement conscient des difficultés que poserait la<br />

construction d’un nouveau pont en pierre 204 . Les fouilles archéologiques ont également<br />

montré que la construction d’un pont en pierre était projetée dès 1158, puisque deux<br />

caissons remplis de moellons sont installés pour supporter la principale structure du<br />

pont (illustrations 3.14) 205 .<br />

En 1179-80, Henri II autorise cinq guildes du pont à se former contre 42<br />

marcs 206 . Ces guildes, ou confraternités, vraisemblablement formées sous l’égide de<br />

Pierre de Colechurch, sur le modèle des charités continentales, visaient davantage à<br />

lever et à gérer les fonds nécessaires à la construction, qu’à jouer le rôle du maître<br />

200<br />

À Albi, comme souvent dans le sud de la France, c’étaient principalement l’évêque qui était la<br />

principale autorité et le premier financier de ces œuvres. BIGET, J.-L., « Récits d'une histoire oubliée (Ve<br />

- XIIe siècle) », dans Histoire d'Albi, 1983, p. 33-56.<br />

201<br />

BROOKS, N., « Medieval bridges : a window onto changing concepts <strong>of</strong> state power », H.S.J., 7<br />

(1995), p. 11-37; COOPER, A. R., Bridges, Law and Power in Medieval England, 700-1400, 2006, p. 22;<br />

BOYER, M. N., Medieval French bridges. A History. 1976.<br />

202<br />

Annales monastici, LUARD, H. R. (éd.), 1864, II, p. 240 : Hoc anno pons lapideus Londoniae<br />

inceptus est a Petro capellano de Colechurch.<br />

203<br />

Sur le London Bridge voir : BROOKE, C. N. L. et KEIR, G., London, 800-1216 the Shaping <strong>of</strong> a City,<br />

1975, p. 44 ; HOME, G., Old London Bridge, 1931 ; KEENE, D., « London Bridge and the identity <strong>of</strong> the<br />

medieval City », Transactions <strong>of</strong> the London and Middlesex Archaeological Society, 51 (2001), p. 143-<br />

156; WATSON, B.; BRIGHAM, T. et DYSON, T. (eds.), London Bridge : 2000 years <strong>of</strong> a river crossing,<br />

2001 qui détaille les procédés techniques de construction.<br />

204<br />

COOPER, A. R., Bridges, Law and Power in Medieval England, 700-1400, 2006, p. 110.<br />

205<br />

THOMAS, C., The Archaeology <strong>of</strong> London, 2002 ; p.33-35. La dendrochronoloie indique que les<br />

poteaux de bois datent de 1187-88. Les pierres venaient principalement de Purbeck et du Kent.<br />

206<br />

PR 26 H.II., p. 153-4.<br />

272


d’œuvre 207 . Par la suite, la responsabilité de la fabrique reposera sur une association<br />

recevant les rentes des terres et des maisons qui avaient été données en aumône. Etablie<br />

dans la Bridge House située à l’extrémité Sud du Pont, face à Southwark, cette<br />

association est administrée par deux garants généralement choisis parmi les plus<br />

citoyens de Londres les plus en vue 208 . Si, à partir du XIII e siècle, la construction et<br />

l’entretien du pont deviennent une entreprise de charité portée par des riches marchands<br />

de Londres, celle-ci repose tout d’abord sur l’aide des puissants seigneurs anglais.<br />

Il n’est pas impossible qu’Henri II ait fait partie des premiers donateurs dans les<br />

années 1180, aux cotés de l’archevêque de Canterbury, d’un légat pontifical et du maire<br />

de Londres Henri FitzAilwyn, même si aucun document ne permet de l’affirmer 209 .<br />

L’archevêque était alors Richard de Douvres (1173-1184) et le légat pontifical, le<br />

cardinal Hugo de Petraleone, en Angleterre depuis 1176. Gilbert Foliot, évêque de<br />

Londres (1163-87), émet également des indulgences pour tous ceux qui contribueraient<br />

aux aumônes du pont de Londres 210 . Mais c’est surtout Jean qui marque cette<br />

construction de son patronage. En 1200, il prend sous sa protection maître Pierre de<br />

Colechurch, procuratoris pontis Londonie et en 1201, il attribue les rentes de plusieurs<br />

maisons, qui seront érigées sur le pont, à la fabrique pour la maintenance du pont 211 .<br />

L’année suivante, en 1202, en plus de ces aides financières, Jean propose aux<br />

Londoniens de faire venir Maître Isembert l’ingénieur des ponts de La Rochelle et de<br />

Saintes, « pour l’utilité du pont que vous faites faire » 212 . Le patronage de Jean, via<br />

maître Isembert, était donc autant d’ordre financier que technique, car la réputation<br />

207 Pour un appr<strong>of</strong>ondissement de ce fonctionnement voir BOYER, M. N., Medieval French Bridges. A<br />

History. 1976 et BOYER, M. N., « Bridgebuilding Brotherhoods », Speculum, 39 (1964), p. 635-650<br />

208 BROOKE, C. N. L. et KEIR, G., London, 800-1216 the Shaping <strong>of</strong> a City, 1975, p. 44.<br />

209 Ces donations sont connues par John Leland qui écrit « a cardinal (Drapar) and archepissope <strong>of</strong><br />

cantorbyri gave a 1000 markes or li. To the erectunge <strong>of</strong> London bridge », LELAND, J., The itinerary <strong>of</strong><br />

John Leland in or about the years 1535-1543, 1964, V, p. 6.<br />

210 GILBERT FOLIOT (éd.), The letters and charters <strong>of</strong> Gilbert Foliot, Abbot <strong>of</strong> Gloucester (1139-48),<br />

Bishop <strong>of</strong> Hereford (1148-63), and London (1163-87), 1967, n°48 ; KEENE, D., « London Bridge and the<br />

identity <strong>of</strong> the medieval City », Transactions <strong>of</strong> the London and Middlesex Archaeological Society, 51<br />

(2001), p. 143-156.<br />

211 Rot. Chart., p. 60 : Sciatis nos suscepisse in manum et protectionem nostram magistrum Petrum<br />

procuratorem pontis Londonie quare vobis mandamus quatinus prefatum Petrum et cunctis nuntiis suis<br />

qui litterras suas patentes de pontis negocio ad vos detulerint et negocium pontis Londonie promoveatis.<br />

212 Rot. Lit. Pat., p. 9 (1202) : Dilectis et fidelibus suis Majori et civibus London’ salutem. Attendentes<br />

qualiter, circa pontem Xanctone et pontem de Rupella dominus a modica tempore sit operatus per<br />

sollicitudine fideli clerici nostri Isemberti magistri scolarum Xanctonie, viri utique literrati et honesti et<br />

ipsum de consilio venerabilo primo in episcopatum H. Cant' archiepiscopi et aliorum rogavimus et<br />

monuimus et est coegimus ut pro vostra et multorum utilitate de ponte vostro facienda curam habeat<br />

diligentem.<br />

273


d’Isembert s’était forgée, quelques années auparavant, sur sa capacité à trouver des<br />

solutions pour financer l’œuvre du pont Saint-Sauveur à La Rochelle (illustration 3.15).<br />

Dans un document de la commanderie des Templiers de La Rochelle datant de<br />

1207, maître Isembert apparaît en effet comme l’instigateur de l’œuvre du pont construit<br />

grâce aux dons des bourgeois aux frères de l’aumônerie et à la participation des frères<br />

du Temple 213 . Ces deux institutions se partageaient alors la possession du pont et des<br />

maisons que maître Isembert y avait fait construire, et dont les rentes devaient servir à<br />

son entretien. Cette méthode était souvent utilisée là où les ponts de pierres étaient<br />

devenus la norme. Dans le document, l’aumônerie, qui tenait ses possessions d’une<br />

donation de maître Isembert, apparaît très endettée vis-à-vis des Templiers, à qui elle<br />

propose alors de partager ses revenus, mais aussi ses dépenses liées à l’entretien du<br />

pont 214 . Selon Marjorie Boyer, cet exemple témoigne une fois de plus de l’incapacité<br />

des charités à supporter, seules, ces vastes chantiers qu’étaient les ponts de pierre 215 . Cet<br />

échec n’avait cependant pas encore eu lieu lorsque Jean, dans une lettre adressée aux<br />

Londoniens, leur propose de faire venir le maître des écoles de Saintes pour qu’ils<br />

disposent de son savoir-faire (per eius industriam faciente) et de son expérience du<br />

système de financement des œuvres de pont.<br />

Nous voulons et concédons, selon notre droit et pour conserver<br />

exemptes de taxe les maisons des citoyens de Londres, que les rentes<br />

et les pr<strong>of</strong>its des constructions que le maître des écoles devra<br />

construire sur ce pont, soient utilisés pour sa complète reconstruction<br />

et l’entretien perpétuel du pont. 216<br />

En 1205, à la mort de Pierre de Colechurch, les travaux étaient encore inachevés,<br />

mais une chapelle dédiée à saint Thomas Becket avait été construite au centre, rappelant<br />

213 DE RICHEMOND, L. M., « Chartes de la commanderie magistrale du temps de la Rochelle (1139-<br />

1268) », Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, 1 (1874), p. 21-50, document IX (p. 35-36) :<br />

tunc temporis priorem et Fratres domus helemosinarie de Rochelle ex una parte et Fratres Templi de<br />

Rochella ex altera, gravis esset duitius controversia agitata super pontem de Rochella et aliis edificiis<br />

que ad ipsum pontem pertinebant, dictis priore et fratribus de donatione Isemberti bone memorie<br />

Magistri scolarum Xantonensis ipsum possidentibus…<br />

214 Ibid., document IX (p. 35-36) : Les frères du Temple veulent et concèdent que les 60 premières livres<br />

poitevines que le prieur et les frères de la maison de l’aumônerie tirent des revenus du pont et de ses<br />

maisons, soient rendues pour couvrir la dette qu’ils doivent au maître des écoles vis-à-vis duquel ils ont<br />

de nombreuses obligations (Voluerunt et concesserunt fratres templi de Rochella ut prime LX libre<br />

pictavenses que de reddibitus eiusdem pontis et edificiorum exirent, Priori et Fratribus domus<br />

helemosinarie redderentur, ad debita persolvenda quibus pro magristro scolarum jam dicto erant<br />

plurimum obligati).<br />

215 BOYER, M. N., Medieval French Bridges. A History. 1976, p. 57-58<br />

216 Rot. Lit. Pat., p. 9: Et illo volumus et concedimus quod salvo jure nostro et conservata indempnitate<br />

civitatis Londoniensi census edificiorum que super pontem predictum idem magistrum scolarium faciet<br />

feci, sint inperpetuum ad eundem pontem rediciendum et operiendum et sustentandum.<br />

274


que le pont était une œuvre de charité. C’est dans cette chapelle que Pierre de<br />

Colechurch est alors enterré. Il est remplacé par l’aumônier de Jean, un moine dénommé<br />

Wace, chargé de tenir le pont « de la même manière que Pierre de Colechurch », c'est-à-<br />

dire en tant que custos operis pontis 217 . Quatre ans plus tard, le pont était pratiquement<br />

achevé. Les trente-trois années du chantier ont constitué un moment particulier dans<br />

l’essor de l’ingénierie et de la diffusion des techniques de financement des ponts en<br />

Angleterre. Aucun pont de cette taille n’avait en effet jamais été entrepris sur l’île. Ses<br />

modalités de construction symbolisaient la richesse et la puissance des Londoniens, qui<br />

étaient parvenus à en supporter les coûts 218 . Le pont, qui constitue leur fierté est<br />

fréquemment mentionné dans les testaments des Londoniens jusqu’à la fin du Moyen<br />

Âge. Ils le considèrent comme l’un des symboles de la ville, autant que du pouvoir<br />

royal, s’imposant aux voyageurs, à l’instar des portes urbaines 219 .<br />

En favorisant la circulation des savoirs-faire au sein de son empire, Jean<br />

manifestait également l’étendue de son pouvoir territorial, celui qui provient de la<br />

connaissance et de la maîtrise de l’ensemble de ses ressources. L’introduction des<br />

charités de pont en Angleterre et le patronage de Jean peuvent également être interprétés<br />

comme un indice de la dégradation du système des anciennes obligations anglo-<br />

saxonnes. La désuétude dans laquelle était tombé ce système s’accroît également avec la<br />

construction de nouveaux ponts qui n’étaient, de fait, attachés à aucune coutume. Ces<br />

constructions ne pouvaient cependant se faire sans l’autorisation royale, une autorisation<br />

qui pouvait parfois s’accompagner d’une aide financière.<br />

Un patronage des ponts en Grande Bretagne : des réparations ponctuelles au<br />

service de l’utilité commune<br />

Si les Plantagenêt n’ont pas systématiquement été à l’origine des nombreuses<br />

constructions de ponts qui se sont multipliées au cours de la période (la vaste majorité<br />

des constructions de ponts en pierre du Moyen Âge sont construits entre 1050 et<br />

217 Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, p. 49: Volumus quod fratre Wasce elemonisarie nostre et quidam<br />

aliorum legalium hominum de Londonie per provisionem nostram et Majoris de London attornatum<br />

custodiant pontem Londonie. Et ideo vobis mandamus quod illum eis habere faciatis integre sicut P.<br />

capelle de Colecheurche illum tenuit ; Rot. Lit. Pat., p. 58 : sciatis quod suscepimus in custodia et<br />

protectione nostri fratri Wace elemosinarii Justicii et ceteros predicatores ipius Wace de Ponte Londonie.<br />

Et ideo vobis precipimus quod si ipsi per vos transitu fecerint eos benigne recipiatis permittentes eos<br />

predicare sicut consueverunt tempore Petri de Colecherche custodis operas ipsas que custodiatis et<br />

manuteneatis non permittentes eis in aliquo molestiam aut gravam.<br />

218 THOMAS, C., The Archaeology <strong>of</strong> London, 2002, p. 35.<br />

219 CASSAGNES-BROUQUET, S., « Le pont de Londres, une œuvre d'art et un lieu de pouvoir », dans<br />

Les lieux de pouvoir au Moyen âge en Normandie et sur ses marges, 2006, p. 71.<br />

275


1350) 220 , ils n’ont pas manqué de les soutenir financièrement ou moralement. Plusieurs<br />

entrées dans les pipe rolls témoignent de ces aides financières, plus ou moins<br />

conséquentes. Ainsi en 1185, Henri II fait réparer le pont qui relie Rhymney à Gundley,<br />

en Pays de Galles 221 . En 1193, alors que l’armée du roi est à Kingston, le pont qui<br />

traverse la Tamise doit être réparé, sans doute pour permettre le passage des soldats en<br />

toute sécurité 222 . Le fait que la royauté se charge de ces réparations suggère l’absence<br />

d’obligations associées à ce pont. En 1223, le pont était en effet à nouveau dégradé<br />

parce que les services d’auxilium et de consilium n’avaient pas été accomplis. La garde<br />

du pont est alors confiée à deux hommes, Henri de St Albans et Mathieu de Kingston 223 .<br />

Selon Stuart Rigold, le pont de Kingston faisait partie de ces grands ponts qui avaient<br />

été initialement bâtis davantage pour les besoins de l’armée que pour le commerce, et<br />

dont les réparations nécessitaient souvent d’importantes quantités de bois auxquelles les<br />

rois d’Angleterre suppléaient en autorisant des saisies dans les forêts royales 224 .<br />

Les prérogatives royales sur les ponts s’affirment ainsi, à mesure que la<br />

disparition des obligations créait des vacances qui appelaient à la régularisation, ou<br />

lorsque la construction de nouveaux ponts exigeait l’attribution de nouveaux droits. Les<br />

pipe rolls enregistrent ainsi parfois la nomination d’un gardien du pont, chargé de<br />

collecter les revenus des péages et d’en rendre compte annuellement à l’Échiquier,<br />

comme c’est le cas à Merton dans l’Oxfordshire, où la garde du pont est confiée en<br />

1204 à Hugues d’Arden 225 .<br />

En 1193, il est également question d’un pont construit à Holborn, au nord de<br />

Londres, pour lequel le trésor royal attribue £4 12s. 5d 226 . Contrairement à la réfection<br />

ponctuelle de Kingston, le patronage de la construction du pont d’Holborn semble avoir<br />

été plus suivie. La première mention d’aides royales apparaît en 1191, identique à celle<br />

de 1193. Il n’en est question par la suite qu’en 1211 et 1214, date à laquelle Jean<br />

220 HARRISON, D. F., The Bridges <strong>of</strong> Medieval England, 2004 ; BROOKS, N., « Medieval bridges : a<br />

window onto changing concepts <strong>of</strong> state power », H.S.J., 7 (1995), p. 11-37.<br />

221 PR 31 H.II., p. 6 : £27 5s. in reparatione pontis de Renni versus Gundleu ; 4s. pro I magna corda ad<br />

eundem pontem.<br />

222 PR 5 Richard, p. 154 : 53s. 6d. in reparatione pontis de Chingeston quando exercitus regis ibi fuit<br />

223 Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, p. 558, 579 ; HARRISON, D. F., The Bridges <strong>of</strong> Medieval<br />

England, 2004, p. 162.<br />

224 RIGOLD, S. E., « Structural aspects <strong>of</strong> Medieval Timber Bridges », Medieval Archaeolgy, 19 (1975),<br />

p. 48-91.<br />

225 Rotuli de Liberate ac de misis et praestitis regnante Johannes, HARDY, T. D. (éd.), 1844, p. 67 :<br />

Mandamus vobis quod habere faciatis Hugoni de Arden custodiam pontis de M’eton reddendo inde nobis<br />

per annis redditum quam vicomes vel anctecessores sui inde reddere solebant.<br />

226 PR 5 Richard, p. 159 : in operatione pontis de Holeburn per visum Baldwini de Holeburne et<br />

Goscelini.<br />

276


ordonne que le pont soit réparé et renforcé, cette fois-ci sous la responsabilité des<br />

citoyens de Londres 227 . En 1203, Jean avait également participé au financement d’un<br />

pont sur la Tamise entrepris par la communauté de Wallingford, pour relier la ville au<br />

bourg de Clopton 228 . À Dublin, les Plantagenêt sont à l’initiative même du nouveau<br />

pont. Sa construction s’inscrit alors dans un plan d’extension de la ville. Dans la charte<br />

de libertés accordées aux Dublinois, en 1192, Jean leur accorde le droit de construire<br />

des maisons où bon leur semble sur les rives opposées de la Liffey, à condition que cela<br />

ne cause aucun dommage à la cité ou aux autres citoyens 229 . Ce don facilite l’extension<br />

de la cité sur la rive sud, au-delà des murs d’avant la conquête. Cette extension exige<br />

par la suite qu’un pont soit construit pour relier les deux rives. Ce n’est cependant qu’en<br />

1214, que le droit de construire un pont, ou des ponts, au dessus de la Liffey, ou dans<br />

tout autre site est concédé par Jean aux citoyens de Dublin ad utilitatem civitatis<br />

nostre 230 . Dans ce cas, le patronage du pont s’insère dans un schéma organisant<br />

l’extension urbaine de Dublin, conçu dans une optique clairement affirmée d’utilité<br />

civique.<br />

Les pipe rolls font également mention d’un pont à Westminster dont les<br />

réparations semblent liées aux quais du palais. En 1188, Ailnoth l’ingénieur du roi et<br />

Ge<strong>of</strong>froi le charpentier supervisent les travaux de réparation du « pont du roi à<br />

Westminster, du quai et du mur » 231 . L’année précédente, d’importantes sommes avaient<br />

été dépensées pour les quais du palais, vraisemblablement pour les refaire<br />

entièrement 232 . Il est à nouveau question de ce pont, l’année suivante, et ses réparations<br />

sont cette fois-ci associées à celles des portes de la cité de Londres, pour lesquelles le<br />

roi donne près de £10 233 . Puis ce n’est pas avant 1210-1211 que ce pont réapparaît dans<br />

les pipe rolls 234 . Il ne s’agissait vraisemblablement pas d’un pont franchissant la Tamise<br />

227 PR 3 Richard, p. 136 : 53s. 305d. in operatione pontis de Holeburn; PR 13 Jean, p. 132: 18s. 8d. in<br />

emendatione pontis de Holeburn; PR 16 Jean, p. 79: 64s. in reparatione pontis de Holeburne.<br />

228 PR 5 Jean, p. 45: 100s. ad faciendum pontem ultra Tamisiam apud Clopton.<br />

229 DUFFY, S., « Town and Crown: The Kings <strong>of</strong> England and their City <strong>of</strong> Dublin », dans Thirteenthcentury<br />

England, 2005, p. 95-117 cite MAC NIOCAILL, G., Na buirgéis : XII-XV aois, 1964, I, p. 81.<br />

230 Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, p. 172: Sciatis quod concessimus civibus nostris Dublini quod fieri<br />

faciant unum pontem ultra aquam de Avenlith ubi pocius vederint expedire ad utilitatem Civitatis<br />

nostre et quod alium pontem ultra aquam illam prout factum dirui faciant si hoc expediens fuerit<br />

indepnitatis eorum et ideo vobis mandamus quod hoc ita fieri permittatis.<br />

231 PR 34 H.II, p.19 : £4 12s. in reparatione pontis regis apud Westmonasterium et caii et muri per visum<br />

Alnodi ingeniatori et Galfridi carpentari.<br />

232 PR 33 H.II, p. 40 : £56 12d. in operatione chaii versus Tamisam et camerarum apud<br />

Westmomasterium.<br />

233 PR 1 Richard, p. 223 : in reparatione portarum civitatis Londonie et pontis regis de Westmonasterio et<br />

gaiolo Nove porte.<br />

234 PR 12 Jean, p. 178, PR 13 Jean, p. 132.<br />

277


à Westminster, car nul document n’en fait mention à cette date, mais d’une jetée en bois<br />

qui permettait d’accoster face au quai du palais. Dans les rouleaux de l’Échiquier<br />

normand, des mentions de pont apparaissent également en 1195, où £ a 40 et 11d. sont<br />

attribuées, entre autre, pour les travaux d’un pont sur l’Orne à Argentan 235 .<br />

Le patronage royal témoigne ainsi de l’intense activité de constructions de ponts<br />

en cette fin du XII e siècle. Lorsqu’ils étaient fortifiés, ces ponts nécessitaient, à l’instar<br />

de toutes les fortifications du royaume, une licence royale, ce qui permet à la monarchie<br />

anglaise de contrôler ces constructions et d’accroître l’assise territoriale de son pouvoir.<br />

L’autorité royale se renforce également au travers du règlement des conflits qu’un pont,<br />

en tant qu’infrastructure reliant deux territoires, ne manquait pas de susciter. À mesure<br />

que les délimitations territoriales se précisent, les ponts deviennent en effet de plus en<br />

plus souvent des objets de litiges. Roger de Hoveden relate ainsi le conflit qui met aux<br />

prises, à la fin des années 1190, le roi d’Écosse et l’évêque de Durham et comment il est<br />

résolu par l’arbitrage des agents royaux :<br />

Cette année là, il y eu des inondations dans toute l’Angleterre, qui<br />

emportèrent ponts, moulins et maisons. Le pont de Berwick fut ainsi<br />

emporté et comme Guillaume, le roi des Écossais, et le comte Patrick,<br />

le gardien de Berwick, qui était aussi temporairement justicier du<br />

royaume d’Écosse, voulaient reconstruire le pont, l’évêque de<br />

Durham leur interdit formellement de renforcer le pont qui se trouvait<br />

sur ses terres. Le pont ne put donc être construit et celui l’évêque ne<br />

put être renforcé, comme il l’était auparavant. Cependant, sur le<br />

conseil de Guillaume de Stuteville, l’évêque de Durham, accepta<br />

finalement que le pont qui se trouvait sur sa terre soit renforcé, selon<br />

la convention qui avait faite entre le roi d’Écosse et Hugues évêque de<br />

Durham, son prédécesseur 236 .<br />

Guillaume de Stuteville, shérif du Northumberland, intervient ici comme le<br />

représentant de la royauté, faisant prévaloir le bien de tous sur les intérêts conflictuels<br />

des deux parties. La question du renforcement du pont est en réalité centrale pour<br />

235<br />

MRSN, I, p. 210: in operationes pontium de Ogna et de juxta castrum et aula cooperienda et campo<br />

hordando ad duellum tenendem.<br />

236<br />

HOVEDEN, IV, p. 98, (1999) : Eodem anno exstitit in Anglia et in finibus eius tanta aquarum<br />

inundatio, quod pontes et molendini et domus asportabantur. Ponte autem de Berwic asportato, cum ex<br />

praecepto Willelmi regis Scottorum comes Patricius custos de Berwic, et tunc temporis summus<br />

justitiarius totius regni Scottorum, pontem illud de Berwic reaedificare vellet, prohibitum est ei ex parte<br />

Philippi Dunelmensis episcopi, ne pontem illum in terra sua firmaret. Pons quidem ille fieri non potuit,<br />

nisi firmaretur in terra Dunelmensis episcopi, sicut prius erat. Tandem vero praedictus episcopus<br />

Dunelmensis, consilio Willelmi de Stutevilla, permisit pontem illum fieri et in terra sua firmari, salva<br />

conventione quae facta fuerat inter ipsum regem Scotiae et Hugonem Dunelmensem episcopum,<br />

praedecessorem suum.<br />

278


comprendre ce conflit. Comme les forteresses et les enceintes urbaines, les ponts ont<br />

joué un rôle majeur dans la construction de la défense du territoire, notamment aux<br />

frontières. C’est pourquoi, nous envisagerons dans la partie suivante le lien entre<br />

l’accroissement des tensions autour de la défense du territoire et l’affirmation des<br />

prérogatives royales sur les travaux qui s’imposent comme d’utilité publique.<br />

279


3- Les travaux d’utilité publique et l’affirmation de<br />

l’autorité souveraine<br />

Un des aspects essentiels de l’affirmation de la puissance publique des<br />

Plantagenêt est de n’avoir pas limité son champ d’application aux seuls loci dominici et<br />

loci sancti, mais d’avoir également réinvesti les antiques espaces d’utilité publique.<br />

Cette extension du champ de la puissance publique a ainsi contribué à faire advenir un<br />

pouvoir médiatisé, non seulement par les lieux, mais aussi par un territoire. En<br />

permettant et en participant à l’érection de ces enceintes, le roi exerçait une autorité<br />

publique, certes au même titre que les grands seigneurs de son royaume, cherchant à<br />

marquer dans l’espace urbain les symboles de leur pouvoir. Mais l’essor de la question<br />

de la défense du territoire comme justification pour ériger de nouvelles enceintes,<br />

notamment dans les villes menacées, fait émerger de nouvelles situations dans<br />

lesquelles les Plantagenêt ne sont plus seulement dans un rapport de protection<br />

interpersonnel, mais se doivent de garantir l’intégrité territoriale de la « patrie ».<br />

Comment la défense du territoire devient-elle ainsi un motif d’intervention dans la<br />

construction de ces défenses et in fine un vecteur de la territorialisation du pouvoir<br />

royal ? Au-delà du facteur guerrier dans la formation de la puissance souveraine, la<br />

définition juridique des prérogatives territoriales de la Couronne sur certaines<br />

infrastructures publiques constitue un second pan que nous analyserons à travers<br />

l’organisation de la gestion des routes fluviales ou terrestres et la politique de<br />

construction des prisons.<br />

3.1- La défense et la sécurité du territoire comme cadre<br />

d’intervention de la puissance publique<br />

3.1.1- Les enceintes urbaines dans la défense et la sécurité du territoire<br />

À la fin du XII e siècle, l’effort de fortification cesse de se concentrer sur les<br />

seuls châteaux ; les villes, qui sont alors en plein essor, constituent également des lieux<br />

essentiels de l’organisation de la défense du territoire. Si Henri II ne semble en prendre<br />

réellement conscience qu’après la grande révolte de 1173-1174, à la fin du siècle, elle<br />

sont devenues des acteurs majeurs de la défense du territoire, y compris financièrement.<br />

280


Vincent Moss a ainsi montré qu’en 1198, la participation des villes aux revenus de<br />

l’Échiquier avait été particulièrement importante 237 .<br />

S’assurer les villes du Poitou<br />

Dès 1175, Henri II établit en faveur des bourgeois de La Rochelle une commune<br />

ad defensionem et securitatem ville sue pour récompenser leur soutien pendant la grande<br />

révolte de 1173 238 . Depuis Charles Petit-Dutaillis, on considère que c’est là le premier<br />

exemple d’une commune au service du roi, ou plus exactement que c’est la première<br />

fois que les Plantagenêt considèrent une commune non comme une simple alliée, mais<br />

comme l’auxiliaire véritable de leur pouvoir, représentant ses intérêts dans la région 239 .<br />

Comme à Rouen et à Poitiers, la constitution de cette commune s’est accompagnée de la<br />

construction d’une enceinte, dont l’existence est confirmée en 1214, dans la charte que<br />

Jean donne aux Templiers de La Rochelle. Dans ce document, les Templiers sont<br />

chargés d’entretenir les enceintes et les fossés de la ville, en échange des droits sur les<br />

cours d’eau qui les alimentaient (voir chapitre 4) 240 . Avec leurs remparts, les communes<br />

servaient de places fortes, dans lesquelles le roi pouvait placer des garnisons, et<br />

devenaient ainsi des pôles structurants du territoire politique. Selon Robert Favreau, en<br />

effet, avec la charte de La Rochelle apparaît une conception nouvelle de la commune<br />

comme élément militaire qui assure la sécurité des points stratégiques. C’est<br />

probablement dans cette perspective que des communes sont également accordées à<br />

Poitiers, à Saintes et à Oléron, peu après celle de La Rochelle, puis confirmées en<br />

1199 241 . À cette date cependant, les confirmations sont plutôt le résultat de la faiblesse<br />

237 MOSS, V., « The Norman fiscal revolution 1193-1198 », dans Crisis, Revolutions and Self-Sustained<br />

Growth, Essays in European Fiscal History 1130-1830, 1999, p. 38-57.<br />

238 Acta Plantagenêt (1814H) ; Recueil des actes d’Henri II II, p. 82-83, n° DXIX ; FAVREAU, R., « Les<br />

débuts de la ville de la Rochelle », C.C.M., 30 (1987), p. 9-10; FAVREAU, R., La Rochelle aux XIIe et<br />

XIIIe siècles, 1993.<br />

239 CHÉDEVILLE, A., « Le mouvement communal en France au XIe et XIIe siècles », dans Bonnes villes<br />

du Poitou et des pays de charentais (XIIe-XVIIIe siècles), 2002, p. 9-24.<br />

240 Rot. Chart., p. 196 ; WARMOES, I., « Les fortifications Plantagenêt de La Rochelle », dans Les<br />

Fortifications dans les domaines Plantagenêt, XIIe-XIVe siècles, BAUDRY M.-P. (éd.), 2000, p. 119-<br />

122, cite Bibliothèque municipale de La Rochelle, mss 59. « Pierre Mervault, Recueil de la naissance,<br />

progrès, accroissement et décadence de la ville de La Rochelle… » (1669), qui avance la date de 1162.<br />

241 FAVREAU, R.; RECH, R. et RIOU, J. Y. (eds.), Bonnes villes du Poitou et des pays charentais (XIIe-<br />

XVIIIe siècles). Actes du colloque tenu à Saint-Jean-d'Angély, les 24-25 septembre 1999, à l'occasion du<br />

8e centenaire des chartes de commune, 2002 ; PON, G. et CHAUVIN, Y., « Chartes de libertés et de<br />

communes de l'Angoumois, du Poitou et de la Saintonge (fin XIIe-début XIIIe siècles) », dans Ibid.,<br />

p. 25-149; CHÉDEVILLE, A., « Le mouvement communal en France au XIe et XIIe siècles », dans Ibid.,<br />

p. 9-24.<br />

281


d’un pouvoir contesté qui recherche des appuis, comme semble le confirmer les<br />

obligations militaires qu’elles contiennent.<br />

Pour maintenir ces coutumes et défendre leur droits, les nôtres et ceux<br />

de nos héritiers qu’ils exercent et emploient la force et le pouvoir de<br />

leur commune autant qu’ils le jugent nécessaire contre tout homme,<br />

sauf ceux de notre fidélité et de nos droits, ceux de nos héritiers et<br />

ceux de la sainte Église. 242<br />

L’octroi de nombreuses chartes de communes en 1199 en Poitou traduit<br />

également l’évolution de la conception du pouvoir princier sur les villes. Celles-ci<br />

cessent en effet d’être considérées, comme en Angleterre, comme des biens<br />

patrimoniaux pour devenir des lieux sur lesquels le prince exerce sa puissance publique,<br />

par l’intermédiaire des maires qui sont souvent choisis parmi les familiares du roi. En<br />

devenant des interlocuteurs et des alliés privilégiés, les communautés urbaines ont non<br />

seulement constitué des soutiens essentiels dans la lutte contre les Capétiens mais ont<br />

également favorisé la territorialisation du pouvoir princier.<br />

Les enceintes de Thouars, qui datent vraisemblablement de la première décennie<br />

du XIII e siècle, ont peut être été en partie financées par Jean alors qu’il s’était réfugié<br />

dans la place avec ses partisans en octobre 1206 243 . Cette hypothèse se fonde sur<br />

l’interprétation d’une charte de 1206, par laquelle le vicomte fait déplacer l’aumônerie<br />

Saint-Michel de Thouars qui était trop proche des fossés du castrum dont elle gênait la<br />

défense 244 . Si la présence de fossés suggère qu’il existait déjà des défenses, pour Marie-<br />

Pierre Baudry, les deux portes d’entrée, et surtout la porte Nord ou « porte Prévôt »,<br />

présentent des caractéristiques archéologiques que l’on retrouve dans nombre de<br />

fortifications Plantagenêt, telles que le « talus angevin », les tourelles pleines en partie<br />

basse et les archères simples, très similaires aux constructions mises en œuvre à Chinon<br />

avant 1205 (voir chapitre 5) 245 . L’archéologue en conclut que la construction de cette<br />

242 PON, G. et CHAUVIN, Y., « Chartes de libertés et de communes de l'Angoumois, du Poitou et de la<br />

Saintonge (fin XIIe-début XIIIe siècles) », dans Ibid., p. 25-149 : et ut ad ipsas manutenendas et ad jura<br />

sua nostra et heredum nostrorum deffendenda vim et posse communie sue, quando necesse fuerit contra<br />

omnem hominem salva fidelitate nostra et salvis juribus nostris et heredum nostrorum et juribus sancte<br />

Ecclesie exerceant et apponant.<br />

243 BAUDRY, M.-P., « Les fortifications des Plantagenêt à Thouars », dans La cour Plantagenêt, 1154-<br />

1204, 2000, p. 297-314; IMBERT, H., Notice sur les vicomtes de Thouars, 1867.<br />

244 BAUDRY, M.-P., « Les fortifications des Plantagenêt à Thouars », dans La cour Plantagenêt, 1154-<br />

1204, 2000, p. 297-314 cite BARBIER, A., « Cartulaires et chartes de l'aumônerie de Saint-Michel de<br />

Thouars (1206-1253) », Archives historiques du Poitou, 31 (1901), p. 5 : domus helemosinaria juxta<br />

fossetum castri mei nimis propinqua esset.<br />

245 BAUDRY, M.-P., « Les fortifications des Plantagenêt à Thouars », dans La cour Plantagenêt, 1154-<br />

1204, 2000, p. 297-314.<br />

282


porte et des murailles pourrait bien remonter à Henri II, lorsqu’il tenait la ville entre ses<br />

mains (1160-1188).<br />

En 1214, Jean envoie également 100 marcs au maire de Niort pour la<br />

fortification de la ville 246 . Puis en 1215, il ordonne le renforcement des murailles de<br />

Limoges et de Bordeaux (voir infra). À cette date, le Poitou est devenu un espace<br />

frontalier dans lequel les investissements militaires ne se limitent plus aux châteaux<br />

mais s’étendent aux villes même. C’est le cas également en Pays de Galles et dans les<br />

marches d’Écosse.<br />

Renforcer les frontières galloises et écossaises<br />

Dans une charte émise à Westminster, le 9 octobre 1189, Richard donne à la cité<br />

de Hereford et à ses habitants des libertés contre £40 annuelles et la participation des<br />

citoyens aux réparations de la ville et aux travaux des enceintes 247 . La contribution du<br />

roi à la construction de ces nouveaux remparts s’élève à plus de £146 entre 1190 et<br />

1193, finançant, entre autre, la construction de « quatre portes à bretèches aux entrées<br />

de la ville d’Hereford » 248 . La plus forte somme est dépensée en 1193 lorsque les pipe<br />

rolls enregistrent £89 in civitate de Hereford 249 . Selon Guillaume de Malmesbury, des<br />

défenses existaient déjà au début du XII e siècle à Hereford, avant qu’elles ne soient<br />

détruites par Henri I er . Le renversement des fossés reste un trait caractéristique du<br />

paysage urbain d’Hereford jusqu’à leur reconstruction à la fin du XII e siècle 250 . Dans les<br />

années 1190, l’érection de nouvelles murailles repoussant la limite de la ville au Nord<br />

au-delà des anciens King’s ditches anglo-saxons, visait à inclure les faubourgs qui<br />

s’étaient développés dans cet espace (plan 3.16.) 251 . Des fouilles archéologiques ont<br />

montré que les remparts en terre et en graviers qui précédaient les murs reconstruits<br />

246 Rot. Chart. p. 14 ; Rot. Lit. Pat., p. 112 : Mandamus vobis quod liberetis certo nuncio Huberti de<br />

Burgo et majoris Niorti centum marcas… quod illas centum marcas eis dedimus ad villam suam<br />

firmandam.<br />

247 Acta Plantagenet (267R); LANDON, L., The Itinerary <strong>of</strong> King Richard I, with studies on certain<br />

matters <strong>of</strong> interest connected with his reign, 1935, n°84: Sciatis nos concessisse ciuibus nostris Hereford’<br />

in Wall’ villam de Hereford’ tenendam perpetuo pro .xl. libris reddendis per annum ad scaccarium ita<br />

quod ipsi auxilium prestabunt ad claudendam villam illam.<br />

248 PR 2 Richard, p. 45 et 49 : In operatione IIII portarum civitatis et I porte castelli de Hereford.<br />

249 PR 5 Richard, p. 86-87.<br />

250 WHITEHEAD, D. A., « The historical background to the city defences », dans Hereford City<br />

Excavations, 2, 1982, p. 13-24.<br />

251 TURNER, H. L., Town Defences in England and Wales. An Architectural and Documentary Study, AD<br />

900-1500, 1970, p. 205; SHOESMITH, R. et NOBLE, F., « Hereford city excavations, 1967 »,<br />

Transactions <strong>of</strong> the Woolhope Naturalists’ Field Club, Herrefordshire, 39 (1967), p. 44-45;<br />

MARSHALL, G., « The defences <strong>of</strong> he city <strong>of</strong> Hereford », Ibid., 7 (1930-1941), p. 67-78.<br />

283


sous Edward I er sont postérieurs au milieu du XII e siècle 252 . Cette hypothèse est<br />

confirmée par une référence indirecte à l’extension de l’aire intra muros : les pipe rolls<br />

indiquent en effet qu’en 1191, la propriété d’un certain maître Thomas Brown, un<br />

<strong>of</strong>ficier de l’Échiquier et aumônier du roi, est dite in Hereford alors qu’elle est<br />

régulièrement mentionnée entre 1161 et 1188, extra villam de Hereford 253 . Les dépenses<br />

enregistrées sur les rouleaux de l’Échiquier en 1190 ne sont qu’une impulsion, car en<br />

1216, les citoyens reçoivent à nouveau un don royal de bois de la forêt royale de La<br />

Haye « pour faire deux portes » 254 . En 1212, Jean accorde une déduction de £6 et 3s.<br />

aux bourgeois de Shrewsbury pour enclore leur ville et pour l’achat de pioches et<br />

denrées au château d’Eggleshaw 255 .<br />

Quant aux remparts de Carlisle, le chantier semble avoir été moins important,<br />

car les pipe rolls n’enregistrent qu’une dépense de 119s. 5d. en 1190 « pour faire les<br />

trois portes de la ville et une grange » 256 . Il ne s’agit alors que de poursuivre un chantier<br />

lancé dès le règne de Guillaume Le Roux et d’Henri I er . Ce dernier avait en effet<br />

ordonné, en 1122, que la cité soit fortifiée avec un château et des tours 257 . En 1165, les<br />

pipe rolls enregistrent également 10s. 6d. « pour les portes de Carlisle » (voir chapitre<br />

4) 258 . Selon Hilary Turner, les travaux de Richard ont vraisemblablement consisté à<br />

ériger les portes rectangulaires de la ville, telle la Richard’s Gate qu’on peut voir sur le<br />

plan de Speed de 1610 (G) (plan 3.17) 259 . La construction de portes associait alors une<br />

fonction défensive avec la volonté de marquer la ville des symboles de la puissance<br />

royale, face aux revendications des rois d’Écosse.<br />

252 SHOESMITH, R., « Excavations on and close to the defences », dans Hereford City Excavations, 2,<br />

1982, p. 1-12; WATKINS, A., « Hereford city walls », Transactions <strong>of</strong> the Woolhope Naturalists’ Field<br />

Club, Herrefordshire, 2 (1918-1920), p. 159-163.<br />

253 WHITEHEAD, D. A., « The historical background to the city defences », dans Hereford City<br />

Excavations, 2, 1982, p. 13-24; PR 2 Richard, p. 46.<br />

254 Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, p. 263a: Precipimus (…) quod assignes probis hominibus nostris<br />

Hereford per visum forestariorum et viridariorum nostrorum in haia nostra Hereford aliquam locum qui<br />

minus sit ad nocumentum predicte haie et propinquior et aptor ville nostre Hereford de subbosco et quod<br />

facias eis habere grossum mairemium ad duas portas faciendam provideas est quod habet ita capiantur<br />

quod non vendantur nec amoveantur nec in usus alicus cedant nisi ad villam claudendam et ad portas<br />

faciendas per visum proborum hominorum.<br />

255 PR 14 Jean, p. 90 : ad villam suam claudendam et pro picoisiis et warnistura in castello de Eggelawe.<br />

256 PR 2 Richard, p. 49: in operatione III portarum civitatis Carleolum et I granarii.<br />

257 TURNER, H. L., Town Defences in England and Wales. An Architectural and Documentary Study, AD<br />

900-1500, 1970, p. 100 cite SYMEON DE DURHAM, Symeonis monachi opera omnia. 2. Historia<br />

regum, 1965, p. 267.<br />

258 PR 11 H.II, p. 54.<br />

259 TURNER, H. L., Town Defences in England and Wales. An Architectural and Documentary Study, AD<br />

900-1500, 1970, p. 101, cite MS BM Cotton Augustus I (i) 13, plate 4.<br />

284


La fortification des portes jouait un rôle essentiel dans l’organisation des<br />

défenses. En ce qu’elle constituait un point faible, l’entrée était en effet le principal<br />

point d’attaque des armées ennemies 260 . Mais l’architecture des portes n’était pas<br />

seulement fonctionnelle, elle incorporait également une iconographie parfois complexe<br />

qui reflétait la puissance de la royauté quand ce n’était pas la richesse et le statut de la<br />

communauté urbaine 261 . Les portes, qui constituaient un point de passage obligé et un<br />

lieu de perception privilégié pour les taxes, étaient donc le lieu où l’image du pouvoir<br />

était la plus visible. Leur importance était telle qu’elles étaient parfois la seule<br />

construction en pierre des remparts, le reste des défenses étant alors composé de talus de<br />

terre et de palissades de bois. Les portes et les remparts ne cessaient en effet jamais<br />

d’assumer à la fois une fonction civique, militaire et symbolique des différents pouvoirs<br />

de la ville. Les rares vestiges archéologiques des portes du XII e siècle montrent que<br />

celles-ci présentaient généralement une organisation simple : l’entrée était composée<br />

d’un arc en plein cintre derrière lequel prenait place une paire de vantaux ; ils étaient<br />

parfois surmontés d’une bretèche ou d’un assommoir tandis que l’entrée était fermée<br />

d’une herse. Après 1200, des innovations se diffusent sur le modèle de la porte de la<br />

tour du gouverneur de Gisors 262 . La Normandie est en effet un laboratoire des<br />

principales innovations techniques dans l’art de la guerre et la poliorcétique après le<br />

retour de captivité de Richard. Au cœur de la « guerre publique » entre Plantagenêt et<br />

Capétiens, les défenses du Vexin ont en effet concentré l’attention de Richard, qui ne<br />

négligea aucun type de fortification pour faire de la vallée de la Seine un véritable<br />

rempart aux prétentions de Philippe Auguste.<br />

3.1.2- Les constructions de défense au cœur de la « guerre publique »<br />

Contrairement aux fortifications du règne d’Henri II, comme à Rouen, Poitiers<br />

ou la Rochelle, les fortifications des villes de la frontière normande, comme Eu et<br />

Verneuil, s’inscrivaient dans le contexte de ce que les contemporains appelaient la<br />

« guerre publique » pour distinguer l’enjeu du conflit entre Plantagenêt et Capétiens des<br />

guerres « privées » entre seigneurs.<br />

La guerre publique et la défense de la patrie<br />

260 MESQUI, J., « La fortification des portes avant la guerre de Cent ans. Essai de typologie des défenses<br />

des ouvrages d'entrée avant 1350 », Archéologie médiévale, 11 (1981), p. 203-229.<br />

261 CREIGHTON, O. H. et HIGHAM, R., Medieval town walls, 2005, p. 37.<br />

262 MESQUI, J., « La fortification des portes avant la guerre de Cent ans. Essai de typologie des défenses<br />

des ouvrages d'entrée avant 1350 », Archéologie médiévale, 11 (1981), p. 203-229.<br />

285


L’apparition de la notion de guerra regum ou guerra publica, dans le traité de<br />

Louviers, conclu entre Richard et Philippe Auguste en 1196, pour désigner la guerre<br />

qu’ils menaient l’un contre l’autre, constitue, selon Martin Aurell, l’une des occurrences<br />

les plus précoces en Occident de « l’assimilation explicite des activités militaires et de<br />

leur contrôle par l’État » 263 . En réalité, l’expression était déjà utilisée autour de l’an mil<br />

pour désigner la guerre menée par le comte d’Anjou, Foulque Nerra, pour la différencier<br />

des tumulti ou proelii de petites envergures. Contrairement à ceux-ci, elle nécessitait<br />

une déclaration qui visait à lui donner plus de légitimité 264 . Ces occurrences précoces<br />

montrent que l’usage du vocabulaire « public » n’est pas un bon indicateur de<br />

l’émergence de l’État. D’autant que Martin Aurell comprend ici l’État à travers sa<br />

définition wébérienne du « monopole de la violence légitime ». Selon lui, l’utilisation<br />

d’une telle expression caractériserait le processus de concentration de l’autorité<br />

publique par les Plantagenêt et les Capétiens et leur revendication à détenir seuls le<br />

pouvoir de déclarer une guerre juste, en vue du bien commun de leurs sujets. En réalité,<br />

l’usage du vocable de « guerre publique » à la fin du XII e siècle, et les occurrences<br />

angevines du XI e siècle, partagent surtout la prégnance de la culture latine dans le cercle<br />

des élites proches du pouvoir. Barnard Bacharch a en effet proposé de voir le<br />

gouvernement de Foulque Nerra non pas sur un mode féodal mais « néo-romain », tant<br />

le modèle antique semblait avoir influencé son pouvoir. Dominique Barthélemy, qui<br />

s’oppose également à la thèse d’Olivier Guillot, selon laquelle il y aurait eu un<br />

effondrement de l’idéologie du princeps et de la res publica à la mort de Ge<strong>of</strong>froy<br />

Martel, défend l’idée que celle-ci s’était en réalité prolongée tout au long du XI e siècle,<br />

malgré l’illusion créée par le changement d’échelle des sources. Il propose en revanche<br />

de regarder la société carolingienne comme déjà féodale, plutôt que de voir l’émergence<br />

d’un « néo-romanisme » 265 . Il faut néanmoins attendre la seconde moitié du XII e siècle,<br />

pour assister à la généralisation de cette conception du pouvoir, sous l’influence des<br />

théories politiques renouvelées par l’essor de la culture latine. Pour Jean de Salisbury,<br />

par exemple, il est clair que l’usage de la guerre par les milites ne saurait servir autre<br />

263 Layettes, I, p. 431-33 et 440 ; AURELL, M., L'empire des Plantagenêt : 1154-1224, 2004 p. 194-195.<br />

264 BACHRACH, B. S., « The angevine economy, 960-1060: ancient or feudal? », dans State-Building in<br />

Medieval France. Studies in Early Angevin History, 1995, p. 3-55; BACHRACH, B. S., « Neo-roman<br />

versus feudal ; the heuristic value <strong>of</strong> a construct for the reign <strong>of</strong> Fulk Nerra, count <strong>of</strong> the Angevins (987-<br />

1040) », dans State-Building in Medieval France. Studies in Early Angevin History, 1995, p. 3-30;<br />

GUILLOT, O., Le Comte d'Anjou et son entourage au XIe siècle, 1972, I, p. 384.<br />

265 BARTHÉLEMY, D., La société dans le comté de Vendôme de l'an mil au XIVe siècle, 1993, p. 277-<br />

300 et p. 363-64.<br />

286


chose que la res publica dont la responsabilité incombait à l’Église et aux princes 266 . Si<br />

l’usage de la notion de guerre publique apparaît ainsi clairement liée à la volonté de ces<br />

rois de faire de leur conflit une préoccupation commune, peut-on dire pour autant<br />

qu’elle illustre une « étatisation de la violence », et surtout, qu’entend-on exactement<br />

par cette expression à une époque où la réalité de l’État est encore contestable ? Comme<br />

au XI e siècle, la guerre publique à la fin du XII e siècle n’avait pas nécessairement<br />

vocation à se substituer aux autres types de conflits de type faidal, mais visait<br />

principalement à mobiliser l’ensemble des fidélités liées autour d’un objectif commun :<br />

la défense du territoire originel.<br />

Comment ne pas mettre en rapport, en effet, l’usage de cette notion de guerre<br />

publique avec l’essor de la thématique de la defensio patriae ? Deux lettres rapportées<br />

par Roger de Hoveden montrent que la question de la défense de la patrie était au centre<br />

des débats sur cette guerre. Les déprédations étaient-elles admissibles à partir du<br />

moment où elles se faisaient au nom d’une guerre juste, et « pour la patrie » se demande<br />

l’évêque de Beauvais ? 267 Si la défense de la patria communis constituait, à l’époque<br />

carolingienne, une forme d’obligation morale pour tous les soldats envers la<br />

communauté du royaume, à l’époque féodale, la notion de patria s’efface presque<br />

entièrement au pr<strong>of</strong>it des rapports politiques fondés sur la vassalité. La résurgence du<br />

thème de la defensio patriae chez les juristes du XII e siècle, qui déclaraient que « le<br />

devoir de défendre la patria est supérieur aux obligations féodales du vassal envers son<br />

266 JEAN DE SALISBURY, Policraticus. Of the Frivolities <strong>of</strong> Courtiers and the Footprints <strong>of</strong><br />

Philosophers, 1990, Lib. VI. Cap. I. « Lorsque la main de la république est armée ou désarmée … La<br />

main de chaque milicia, à savoir la main armée et la main désarmée, est la main du prince lui-même et s’il<br />

ne peut retenir les deux, il n’est pas vertueux. (Quod manus reipublicae aut armata est, aut inermis …<br />

Manus tamen utriusque militiae, armatae videlicet et inermis; manus est principis; et nisi utramque<br />

cohibeat, parum continens est).<br />

267 HOVEDEN, IV, p. 22, cite une lettre de l’évêque de Beauvais adressée au pape dans laquelle il se<br />

plaint de Richard « se ruant, sur notre patrie, la dévastant entièrement à l’aide de ses cohortes de<br />

Branbançons renégats, « et que ce dernier arguait du « ‘combat pour la ‘patrie’, pour attaquer ses<br />

ennemis, qu’il s’agisse de soldats rangés en carré et de princes en ligne de bataille » (subnixus etiam<br />

apostaticis Braibancenorum cohortibus, patriam nostram irruebat cricumquaque depopulando. […]et<br />

illius ‘Pugna pro ‘patria’, militum et vim cuneis et aciei procerum immixtus, hostibus irruentibus obviam<br />

exivi). Roger de Hoveden publie également la réponse fait à Philippe de Beauvais : « En repoussant la<br />

violence par la violence, c’est à dire l’allégeance, et non par la vertu, on combat non pour la patrie mais<br />

contre elle » (non vim sicut alleges sed virtutem vi repellere volens, non pro patria, sed contra patriam<br />

pugnans). Selon ces ecclésiastiques, la guerre pour la patrie doit également prendre des formes militaires<br />

différentes pour pouvoir être une guerre juste. Vim vi repellere était une maxime reconnue aussi bien par<br />

le droit naturel que le ius gentium et le ius publicum ; POST, G., « Ratio Publicae Utilitatis, Ratio Status<br />

and "Reason <strong>of</strong> State », 1100-1300 », dans Studies in Medieval Legal thought Public Law and the State,<br />

1100-1322, 1964, p. 241-309; POST, G., « Public Law, the State and Nationalism », dans Studies in<br />

Medieval Legal thought Public Law and the State, 1100-1322, 1964, p. 434-493.<br />

287


seigneur » 268 , témoigne de l’évolution des valeurs politiques qui se produit vers 1200. À<br />

cette date, la notion de patria ne recouvrait plus l’idée antique mêlant des valeurs<br />

morales, éthiques, religieuses et politiques auxquelles un homme pouvait tenir au point<br />

de vivre et de mourir pour elles 269 . La patria médiévale investissait une dimension<br />

territoriale et s’opposait plus clairement à l’origine (origo) qui renvoyait à la<br />

temporalité, à l’ancestralité du lien, plutôt qu’à son lieu 270 . Cette tendance s’observe à<br />

travers l’usage de plus en plus répandu de la notion de patria communis pour désigner la<br />

Chrétienté 271 . Selon Ernest Kantorowicz, les occurrences les plus fréquentes de pro<br />

defensione patria se rencontrent surtout dans les justifications pour lever des fonds pour<br />

financer la croisade et défendre la Terre Sainte, avant d’être intégrées au discours de la<br />

monarchie française au XIII e siècle 272 . La défense de la patria communis, parce qu’il<br />

s’agissait d’une guerre juste, fut ainsi rapidement associée à la notion de nécessité puis<br />

de ratio, qui sous-tend l’idée de raison d’État, que l’on retrouve plus souvent dans les<br />

cercles proches du roi, sous le règne de Jean 273 .<br />

En même temps, la dimension territoriale de la notion de patria est également<br />

fréquente dans les occurrences du terme relatives aux coutumes normandes ou<br />

angevines au XI e siècle (ex more loci vel patriae) 274 ou dans les chartes royales. Dans le<br />

traité passé en 1160 avec Louis VII, à la suite de l’expédition en Toulousain, par<br />

268 KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen âge, 2000<br />

[1957], p. 818, note 125 cite POST, G., « Two Notes on Nationalism in the Middle Ages : I. Pugna pro<br />

patria, II. Rex Imperator », Traditio, 9 (1953), p. 281-320 , p. 288 note 13 qui cite Johannes Teutonicus et<br />

d’autres.<br />

269 KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen âge, 2000<br />

[1957], p. 817.<br />

270 KANTOROWICZ, E. H., « Pro patria mori in medieval political thought », The American Historical<br />

Review, 56: 3 (1951), p. 472-492 montre que la patria renvoie plutôt à la cité de Rome et à la république<br />

qu’au territoire de l’empire; THOMAS, Y., Origine et commune patrie. Étude de droit public romain 89<br />

av. J.-C.-212 ap. J.-C. 1996 ; Pour Dominique Iogna-Prat cette opposition se déplace au Moyen Âge entre<br />

la patria propria qui renvoie à la gens, et la patria communis qui tend à désigner l’espace de l’Empire<br />

puis celui des royaumes. IOGNA-PRAT, D., « Constructions chrétiennes d’un espace politique », Le<br />

Moyen Âge, 107 (2001), p. 49-69; KRYNEN, J., L'empire du roi. Idées et croyances politiques en France,<br />

XIIIe-XVe siècle, 1993.<br />

271 IOGNA-PRAT, D., « Constructions chrétiennes d’un espace politique », Le Moyen Âge, 107 (2001), p.<br />

49-69.<br />

272 Acta Richard, (1022R, 1023R, 1029R) ; KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la<br />

théologie politique au Moyen âge, 2000 [1957], p. 819 ; KANTOROWICZ, E. H., « Kingship under the<br />

impact <strong>of</strong> scientific jurisprudence », dans Twelfth-Century Europe and the Foundations <strong>of</strong> Modern<br />

Society, 1961.<br />

273 POST, G., « Ratio Publicae Utilitatis, Ratio Status and "Reason <strong>of</strong> State », 1100-1300 », dans Studies<br />

in Medieval Legal thought Public Law and the State, 1100-1322, 1964, p. 241-309; TURNER, R. V.,<br />

« King John's concept <strong>of</strong> royal authority », History <strong>of</strong> Political Thought, 17: 2 (1996), p. 157-178.<br />

274 THIREAU, J. L., « La territorialité des coutumes au Moyen Âge », dans Auctoritas. Mélanges <strong>of</strong>ferts à<br />

Olivier Guillot, 2006, p. 453-465, citation extraite de MARCHEGAY, P., « Les prieurés de Marmoutier<br />

en Anjou, chartes de Montjean », Archives d'Anjou, 2: 1 (1853), p. 74-75.<br />

288


exemple, il est question de l’Angleterre en tant que « patrie » d’Henri II (ceteri homines<br />

regis Anglie illius patrie). Contrairement au vocable de regnum qui ne concernait que<br />

l’Angleterre, le terme patria permettait de désigner chacun des territoires dominés par<br />

les Plantagenêt. Si le terme même de patrie n’est pas employé dans les documents<br />

<strong>of</strong>ficiels, c’est sans doute que l’empire Plantagenêt posait précisément ce problème de<br />

ne pas être une patria communis homogène mais d’être composé de plusieurs patries, la<br />

Normandie, l’Angleterre, l’Anjou, le Poitou, etc. Dans les chartes de Richard, les<br />

expressions pro defensione regni (Angleterre) ou ad terrarum nostrarum defensionem<br />

(pour les autres « patries ») suggèrent que le terme de terra, plus vaste, permettait<br />

d’inclure ensemble toutes les possessions territoriales des Plantagenêt, menacées par la<br />

politique capétienne, dont l’unité était encore assurée par un pouvoir de type<br />

patrimonial. Pour Roger de Hoveden et Radulf de Diceto, si Richard a fortifié les<br />

Andelys malgré l’interdiction de l’archevêque de Rouen, c’est davantage pour défendre<br />

« sa terre » contre le roi de France 275 . De même, pour Guillaume le Maréchal, l’enjeu du<br />

conflit était bien pour les barons normands de défendre la terre du roi contre le roi de<br />

France 276 . Le problème de l’utilisation du terme de patria à cette date, dans le camp<br />

Plantagenêt, est ainsi vraisemblablement le même que celui que pose le légiste capétien,<br />

Jacques de Révigny, vers 1280. Comment justifier l’importance supérieure de la patria<br />

communis du royaume sur les patria locales ? Jacques de Révigny répond à cette<br />

question en invoquant les doctores legum : c’est la Couronne du royaume qui constitue,<br />

au même titre que Rome, la patrie commune (corona regni est communis patria) 277 .<br />

C’est en effet pour l’utilitas communis, que Jean dit avoir ardemment négocié les traités<br />

de paix avec Philippe Auguste. De ce fait, tous les membres du royaume devaient<br />

apporter leur aide à la defensio capitis 278 . Mais s’il apparaît implicite, dans la<br />

275 HOVEDEN, IV, p. 18 : Et ideo rex Angliae locum illum munierat ad defensionem terrae suae contra<br />

regem Franciae ; DICETO, II, p. 155 : reproduisant une lettre de Richard annonçant la négociation aux<br />

Andelys : Sane villa de Andeli et quibusdam aliis adjacentibus loci, quae erant Rothomagensi ecclesiae,<br />

minus sufficenter firmatis, inimicis nostris in terram notram Normanniae per eadem loca patebat<br />

ingressus, per quae incendiis et rapinis necnon et aliis hostilitatis saevitiis in eandem terram<br />

nonnunquam licentibus grassabantur.<br />

276 MEYER, P. (éd.), L'histoire de Guillaume Le Maréchal, comte de Striguil et de Pembroke, régent<br />

d'Angleterre de 1216 à 1219 : poème français, 1891-1901, III, p. 176, v. 12839-128850 : « Il n’était pas<br />

en Angleterre depuis longtemps quand les gardiens de ses châteaux lui mandèrent de Normandie qu’il eut<br />

à pourvoir à la défense de sa terre, car le roi de France prenait tous les châteaux où il venait. »<br />

277 POST, G., « Public Law, the State and Nationalism », dans Studies in Medieval Legal thought Public<br />

Law and the State, 1100-1322, 1964, p. 434-493 cite DE TOURTOULON, P., Les oeuvres de Jacques de<br />

Révigny (Jacobus de Ravanis) d'après deux manuscrits de la Bibliothèque Nationale, 1899, p. 48-50.<br />

278 STUBBS, W. et DAVIS, H. W. C., Select Charters and Other Illustrations <strong>of</strong> English Constitutional<br />

History from the Earliest Times to the Reign <strong>of</strong> Edward the First, 1913, p. 277, (1205): nobiscum<br />

tractaturi de magnis et arduis negotiis nostris et communi regni nostri utilitate, quoniam super hiis quae<br />

289


formulation, que le roi agissait bien pour défendre le status regni, les solidarités n’en<br />

restait pas moins « patriotique » ou plutôt « régnales » pour reprendre l’expression de<br />

Susan Reynolds 279 .<br />

Autour de 1200, si le pouvoir était encore ancré dans une conception<br />

patrimoniale, l’émergence d’une conception « publique » se traduit dans l’idée que la<br />

défense de la patrie constituait une mission divine du prince à laquelle se devaient de<br />

participer tous les hommes libres. L’engagement des chevaliers pour la défense de la<br />

patrie se distinguait cependant de l’engagement féodal de l’auxilium, dans la mesure où<br />

elle constituait un objectif qui dépassait le simple service du prince. Dans un contexte,<br />

où la guerre entre Plantagenêt et Capétiens tend à être distinguée des guerres féodales,<br />

la résurgence de la thématique de la défense de la patrie contribuait donc à faire sortir ce<br />

conflit des relations féodales pour lui donner un caractère commun ou « public ». Dans<br />

ces circonstances, ne peut-on considérer que les constructions défensives du territoire,<br />

notamment sur les fronts de combats (la vallée de la Seine, puis le Poitou) étaient<br />

investies d’un caractère « public » tributaire de cette guerre et de ses missions ?<br />

Les défenses « communes » de la Normandie<br />

La ville d’Eu, à la frontière nord du duché, avait été prise par Philippe Auguste<br />

en 1193 280 . Richard parvint cependant à négocier son retour dans le duché en 1196, mais<br />

en 1198, le sac de Dieppe par les armées françaises impose le renforcement des<br />

fortifications dans cette région. Cette année là, les rouleaux de l’Échiquier normand<br />

enregistrent la somme de £ a 5125 donnée aux bourgeois d’Eu « pour les travaux des<br />

remparts de la ville d’Eu ». En réalité, il ne s’agit pas d’un don, mais d’une avance sur<br />

une taille levée par le roi dont les bourgeois devaient rendre compte à l’Échiquier 281 .<br />

Cette somme, incontestablement la plus importante enregistrée pour ce type de travaux,<br />

couvrait vraisemblablement l’essentiel de la construction (plan 3.18). Comparées aux<br />

coûts des remparts d’Eu, d’un périmètre d’environ 2,8 km, les dépenses affectées aux<br />

fortifications de la villeneuve royale de Verneuil-sur-Avre dans les mêmes années font<br />

plutôt pâle figure.<br />

a rege Franciae per nuncios nostros et suos nobis mandata sunt….sicut diligunt nos et communem regni<br />

utilitatem.<br />

279 POST, G., « Status Regis: Lestat du Roi in the Statute <strong>of</strong> York », dans Studies in Medieval Legal<br />

thought Public Law and the State, 1100-1322, 1964, p. 369-414; REYNOLDS, S., Kingdoms and<br />

Communities in Western Europe, 900-1300, 1986<br />

280 DECK, S., La ville d'Eu, 1924, p. 1-2.<br />

281 MRSN, II, p. 386: operationibus ville de Augo claudende.<br />

290


En 1195, plus de £ a 666 sont toutefois dépensées « pour les travaux de la ville et<br />

des murs de Verneuil détruits par le roi de France pendant la guerre » et « pour les<br />

travaux des murs du château de Verneuil, pour faire de la chaux, … et un pont en face<br />

de la nouvelle porte » 282 . Verneuil avait des fortifications urbaines qui intégraient le<br />

château dans une enceinte d’un périmètre d’environ 4,2 km. Cette configuration<br />

constituait un complexe défensif sans doute pensé comme tel dès le départ (voir chapitre<br />

4) 283 . Les murs de la ville étaient en effet non seulement des remparts extérieurs, mais<br />

servaient également à séparer les trois bourgs et le château qu’ils enserraient. Les<br />

bourgs étaient totalement indépendants les uns des autres mais semblables par la voierie<br />

organisée en rues parallèles. L’originalité de cette disposition explique les descriptions<br />

minutieuses données par les chroniqueurs pour rapporter la topographie de la ville, lors<br />

du siège du roi de France en 1173 :<br />

Il y avait à Verneuil trois bourg plus un château et chacun était<br />

séparé des autres et isolé par un mur renforcé et un fossé rempli<br />

d’eau et l’un d’entre eux était appelé le Grand Bourg et en dehors du<br />

mur était installée la tente du roi de France et ses machines de<br />

guerre 284 .<br />

Après la défaite du roi de France en 1173, les murs de la ville sont une première<br />

fois reconstruits par Henri II 285 . Les seules dépenses connues pour la ville de Verneuil<br />

sont cependant celles de 1195 et 1198. À cette date, les travaux consistent à creuser des<br />

fossés à partir de canaux intérieurs dont les dérivations alimentaient les moulins, ce qui<br />

expliquerait la construction d’un nouveau moulin à l’extérieur des murs. En 1200, £ a 100<br />

sont à nouveau dépensées pour « faire le mur au milieu de la ville de Verneuil » 286 . De<br />

ce mur, il ne subsiste que le vestige d’une ancienne porte en grison appareillée, située<br />

dans la rue du Pont de l’Arche (plan 3.19). Comme Henri I er , Henri II a parfois conféré<br />

aux bourgeois de Verneuil, ainsi que ceux de Breteuil et Nonancourt, la charge de<br />

282 MRSN, I, p. 239 : in operationibus murorum castri de Vernoleo et accato calcis et uno molendintum<br />

extra villam et intus et granariis et duabus camusis et ponte versus portam novam faciendis ; p. 233 : ad<br />

operationes ville et murorum Vernolii dirutorum per regem francem tempore guerre.<br />

283 LEMOINE-DESCOURTIEUX, A., « La ville fortifiée de Verneuil s/ Avre », Annales de Normandie:<br />

Construire, reconstruire, aménager le château en Normandie (2004), p. 51-70.<br />

284 HOVEDEN, II, p. 49 ; PETERBOROUGH, I, p. 50: Erant quidem infra Vernolium tres burgi praeter<br />

castellum et unusquisque illorum separatus erat ab altero, et intereclusus forti muro, et fossato aqua<br />

plena et unus illorum dicebatur magnus burgus et ibi extra murum fixa erant tentoria regis Franciae et<br />

machinae illius bellicae.<br />

285 Ibid., I, p. 55: Itaque rex Angliae, summa potitus victoria, in ipso noctis crepusculo venit Vernolium et<br />

ibi tota nocte cum suis moram fecti et muros qui ceciderant reaedificari praecepit.<br />

286 MRSN, II, p. 501 : in muro faciendo in medio ville de Vernoleo.<br />

291


garder les forteresses ducales. Il s’agissait alors pour le roi de faire participer les<br />

riverains à la défense de leur propre territoire 287 .<br />

Au cours de cette guerre publique dont le théâtre se situe essentiellement en<br />

Normandie, les constructions défensives ne se limitent pas seulement aux enceintes<br />

urbaines : les ponts sont également renforcés. La fonction défensive des ponts était bien<br />

connue, notamment leur capacité à fermer les rivières pour empêcher l’adversaire de<br />

pénétrer dans les terres en remontant les fleuves 288 . C’est dans le but de protéger Rouen<br />

contre les armées capétiennes que Richard fait construire et renforcer toute une série de<br />

ponts sur la Seine, en même temps qu’il édifiait Château Gaillard. Aux Andelys, la<br />

construction de deux ponts est mentionnée dans les rouleaux de l’Échiquier normand en<br />

1198 : l’un « qui passe par l’île de Gardon » (pro ponte qui vadit per mediam Insulam<br />

de Gardon), où se trouve le palais de l’île, et l’autre qui rejoint les deux îles (pro ponte<br />

de inter duas insulas faciendam) ainsi qu’une rangée d’estacades 289 . Plus en amont, il<br />

fait également réparer le pont de Lery pour £ a 35 et remplacer le bac de Port-Joie par un<br />

pont sur lequel il fait installer des bretèches et un pont-levis 290 . Ces deux éléments<br />

soulignent bien la fonction militaire et défensive des travaux royaux sur les ponts de la<br />

vallée de la Seine pour lesquelles sont dépensées au total plus de £ a 200 291 .<br />

Malgré l’immense frontière militaire construite par Richard, le long de la vallée<br />

de la Seine, les armées de Philippe Auguste parviennent en quelques mois aux portes de<br />

Rouen. Si Jean poursuit la défense des places qu’il contrôlait encore, c’est à Rouen, son<br />

ultime refuge, qu’il doit concéder en 1202 des subsides pour renforcer les enceintes<br />

érigées par son père. À cette date, les rouleaux de l’Échiquier enregistrent £ a 75 2s. 8d.<br />

« pour la réparation des murs des maisons et du pont du château de Rouen et pour le<br />

bois nécessaire à la tour et les choses achetées à l’œuvre du roi » 292 . Dans des lettres<br />

patentes, il est également question d’autant de bois qu’il est nécessaire pour renforcer<br />

287<br />

LEMOINE-DESCOURTIEUX, A., « Les pouvoirs sur la frontière de l'Avre (XIe-XIIe siècles), Eure:<br />

du pouvoir seigneurial au pouvoir ducal, puis à l'autonomie urbaine », dans Les lieux de pouvoir au<br />

Moyen âge en Normandie et sur ses marges, 2006, p. 101-118.<br />

288<br />

BROOKS, N., « Church, crown and community : public work and seigneurial responsibilities at<br />

Rochester bridge », dans Warriors and churchmen in the high middle ages : essays presented to Karl<br />

Leyser, 1992, p. 1-20.<br />

289<br />

MRSN, II, p. 310.<br />

290<br />

MRSN, II, p. 447, 449, 483-85 : pro bretesca et ponte torneiz faciendam super pontem de Portu-<br />

Gaudii.<br />

291<br />

MRSN, II, p. 309-310.<br />

292<br />

MRSN, II, p. 549: in reparatione domorum murorum et pontis castri Rothomago et per marremio ad<br />

turrim et pro retibus emptis ad opus Regis.<br />

292


les palissades de sorte qu’elles puissent résister au siège des armées françaises 293 . Les<br />

communes de Fécamp, Harfleur, Montivilliers reçoivent également des ordres pour se<br />

préparer ad terram nostram defendendam 294 . Après la prise de Rouen par Philippe<br />

Auguste, la question de la défense de la terre du roi se déplace en Poitou et sur les côtes<br />

de l’Angleterre.<br />

3.1.3- L’évolution des obligations liées à la défense des villes au XIII e siècle<br />

La défense des villes et l’essor des droits de murage<br />

Si la menace d’un débarquement capétien en Angleterre n’apparaît pas avant<br />

1216, date à laquelle le futur Louis VIII accoste en effet sur les côtes anglaises et<br />

avance jusqu’à Londres, d’importants travaux pour la défense des ports d’Angleterre<br />

apparaissent dans les pipe rolls de Jean, dès les premières années du XIII e siècle. À<br />

Southampton, la construction des enceintes est entreprise sous l’égide royal. En 1190,<br />

Richard avait fait réparer le quai qui se trouvait en face du château 295 , mais en 1202 et<br />

en 1203, £200 sont données aux hommes de Southampton « pour enceindre leur<br />

ville » 296 tandis que les fortifications du château reprennent sous la direction de Robert<br />

Hardwin et des siens 297 . Ces £200 ne représentaient qu’une aide royale au vaste chantier<br />

de construction des remparts de la ville, qui s’étend tout au long du XIII e siècle. Selon<br />

Hilary Turner, qui s’appuie sur des rapports de fouilles, il est également possible que les<br />

dépenses de 1202-1203 n’aient permis que l’élévation de simples défenses en terre<br />

avant que les constructions en pierre ne soient érigées lors de l’obtention du premier<br />

murage en 1260 298 . Southampton ne disposait pas de murs romains ou anglo-saxons, les<br />

nouvelles enceintes devaient donc être élevées ex nihilo, ce qui explique sans doute que<br />

293<br />

Rot. Lit. Pat., p. 10: Mandamus vobis quod permittatis cives nostros de Rothomago sine impedimento<br />

cape mereimum ad effociendam civitatem Rotomagum ubicumque illud scissum vel non scissum precos<br />

nostros. RICHARD, C., « Réponse à l’essai sur l’époque de constructions des diverses enceintes<br />

militaires de Rouen de M.L. Fallu », Revue de Rouen, 14 (1846), p. 156-157 ; POWICKE, M., The Loss<br />

<strong>of</strong> Normandy : 1189-1204 : Studies in the History <strong>of</strong> the Angevin Empire, 1963, p. 149.<br />

294<br />

Rot. Lit. Pat., p. 14: Homines de Montvilliers et Hareflete etc. Sciatis quod volumus et multum<br />

placuimus nobis quod vos et aliis de partibus vostris communis habetis quamdiu nobis placuit et quod vos<br />

preperetis armis et aliis necesseriis ad terram nostram defendendam.<br />

295<br />

PR 2 Richard, p. 6 : £6 20d. pro reparando caio ante castellum de Hantona.<br />

296<br />

PR 4 Jean, p. 79, 5 Jean p. 145 : £100 ad claudendam villam suam.<br />

297<br />

PR 6 Jean, p. 219, £77 in operatione castelli de Sudhanton per manum Roberti Hardwini et sociorum<br />

suorum.<br />

298<br />

TURNER, H. L., Town Defences in England and Wales. An Architectural and Documentary Study, AD<br />

900-1500, 1970, p. 165-166.<br />

293


la surface intra muros était nettement supérieure aux villes d’origine romaine dont les<br />

remparts sont réparés et étendus au XII e siècle 299 .<br />

À partir de 1212, Jean entreprend de fortifier Portsmouth, villeneuve fondée par<br />

Richard en 1190, en la dotant d’enceintes. Ce chantier est partiellement financé sur les<br />

revenus des mines d’étain de Cornouailles, sur la ferme desquelles sont déduits, en<br />

1212, £55 9s. 11d. pour supporter « le coût de la construction des murs à Portsmouth,<br />

pour enceindre la ville et garder les galères » 300 . Ces enceintes comprenaient sans doute<br />

à la fois des palissades en bois, car la même année, du bois du Yorkshire et du fer de la<br />

forêt de Dean, dans le Gloucestershire et sont envoyés à Portsmouth 301 , et des<br />

maçonneries, car en 1214, il y est question d’achat de chaux et de pierre ad murum<br />

inclaustri regis 302 . Jean fait notamment venir des pierres de taille du Yorkshire pour<br />

ériger ces enceintes. En 1214, £10 17s. 3d. sont déduits de la ferme de Brian de l’île en<br />

charge de la seigneurie de Knaresborough pour faire 15 000 pierres de tailles et 40s.<br />

10d. sont enregistrés pour le transport de 30 000 pierres de tailles de Knaresborough<br />

jusqu’à Portsmouth 303 . Cette même année 45 000 pierres sont également importées du<br />

Gloucestershire 304 . Ces murs qui transformaient la morphologie urbaine de Portsmouth<br />

avaient une vocation militaire qui transparaît dans l’approvisionnement massif en<br />

armes : en 1214, 75 000 flèches ainsi que du fer du Gloucestershire et des forgerons<br />

royaux avec femmes, enfants et ustensiles y sont conduits depuis Winchester 305 .<br />

Au cours du XIII e siècle, le rôle défensif réel des enceintes et des ponts tend à<br />

disparaître, mais la thématique de la défense des villes reste toujours une justification<br />

essentielle dans la construction des enceintes urbaines. L’argument permettait en effet<br />

d’obtenir l’autorisation du roi et parfois aussi son aide 306 . Les autorisations royales se<br />

développent en effet à partir des années 1220 sous la forme de murages, c’est-à-dire de<br />

droits concédés aux communautés urbaines afin de lever des fonds pour construire leurs<br />

299 CREIGHTON, O. H. et HIGHAM, R., Medieval Town Walls, 2005, p. 34.<br />

300 PR 14 Jean, p.75 : £55 9s. 11.d. de firma staminis Cornubia de anno preterito et de hoc anno in custo<br />

posito in muro faciendo apud Portesmue ad clausturam et ad custodiam galiarum.<br />

301 PR 14 Jean, p. 26, 47, 55.<br />

302 PR 16 Jean, p. 126 : £7 10s. pro petra ad murum inclaustri regis apud Portesmue perfciendum ;<br />

p. 163 : £11 3s. 10d. pro calce empta scilicet pro CC sextariis et cariatis apud Portesmue ad murum<br />

clausi Regis.<br />

303 PR 16 Jean, p. 67: £10 17s. 3d. in operatione XV milia quarellorum; 40s. 10d. in cariagio XXX millia<br />

quarellorum a Cnarreburc usque ad Portesmue.<br />

304 PR 16 Jean, p. 55 : £40 10s. pro XLV milia quarellorum emptis et missis apud Portesmue.<br />

305 PR 16 Jean, p. 55, 67, 126 : in cariagio fabrorum regis et uxorum suarum et puerorum et utensiliorum<br />

suorum et quarellorum a Wintonie usque Portesmue.<br />

306 ALLMAND, C., « Taxations in medieval England: the example <strong>of</strong> Murage », dans Villes bonnes villes,<br />

cités, capitales, études d’histoire urbaine (XIIe-XVIIIe siècles). Mélanges <strong>of</strong>ferts à B. Chevalier, 1993, p.<br />

223-230.<br />

294


emparts. Comme pour toutes les fortifications du royaume, les enceintes urbaines<br />

n’étaient légales qu’à partir de la réception de la licence royale. En permettant aux<br />

communautés urbaines d’accéder aux mêmes droits que l’aristocratie, dont celui de<br />

fortifier (ius munitionis), la royauté favorisait la formation de la bourgeoise comme élite<br />

sociale partageant, grâce à ses remparts, le prestige symbolique des châteaux féodaux 307 .<br />

En même temps qu’apparaissaient les droits de murage en Angleterre, le sens du terme<br />

de pontage se transforme. Alors qu’il désignait une taxe prélevée sur les usagers des<br />

ponts, le terme devint progressivement l’équivalent des droits de murages pour la<br />

construction des ponts. Cette évolution sémantique illustre le processus de commutation<br />

des anciennes coutumes en droits relevant du ius commune.<br />

La commutation des anciennes obligations<br />

Les nouvelles constructions d’enceintes à partir de la fin du XII e siècle, qu’il<br />

s’agisse de réparations, d’extensions de murs antiques ou de la construction ex nihilo de<br />

nouveaux fossés nécessitaient non seulement une licence royale, mais aussi la mise en<br />

place de nouveaux types de financement. Dans bien des cas, l’obligation de participer à<br />

ces constructions s’insère au sein des obligations féodales, comme service dû par un<br />

vassal à son seigneur. Alors que Cyril T. Flower suggérait que les obligations instaurées<br />

à l’occasion d’un nouveau pont ou de nouveaux remparts étaient souvent établies,<br />

ratione tenurae, sur les principaux bénéficiaires de ces travaux, David Harrison critique<br />

cette interprétation « utilitariste » en analysant les registres des cours de justices, où<br />

apparaît souvent cette expression. Il propose de l’interpréter plutôt comme une manière<br />

de restaurer dans un langage féodal les obligations qui reposaient anciennement sur les<br />

terres 308 . La clause 23 de la Magna Carta (voir supra) témoigne bien à ce titre de la<br />

difficulté générale que le roi avait à imposer de nouvelles obligations 309 .<br />

Sur le continent, en particulier, nombre de chantiers d’enceintes urbaines sont<br />

effectués au titre de l’auxilium. C’est le cas par exemple à Limoges, en 1215. Cette<br />

année là, Jean sans Terre demande à ce que l’auxilium dû par l’abbaye Sainte-Marie, le<br />

couvent Saint-André et le chapitre Saint-Étienne, soit employé à renforcer les enceintes<br />

307<br />

COULSON, C. A., « Battlements and the bourgeoisie : municipal status and the apparatus <strong>of</strong> urban<br />

defence in later medieval England », dans Medieval Knighthood, 1995, p. 119-195.<br />

308<br />

FLOWER, C. T., Public Works in Mediaeval Law, 1923, II, p. xlii; HARRISON, D. F., The Bridges <strong>of</strong><br />

Medieval England, 2004, p. 186.<br />

309<br />

HOLT, J. C., Magna Carta, 1961, p. 322-323.<br />

295


de la ville 310 . La même année, une seconde muraille est également construite à<br />

Bordeaux sur le même principe in auxilium ville Burgendale claudende 311 . Ce service<br />

pouvait être commué en argent, ce que traduisent dans les sources anglaises du XIII e<br />

siècle les expressions de sheriffsilver, de l’hundred scot, hundredgeld, hundred aid dans<br />

le cas des paiements faits aux shérifs ou au hundred 312 . Cette commutation devient de<br />

plus en plus fréquente, sans doute parce qu’elle était regardée comme un moyen de<br />

résoudre les complications liées aux exemptions, ventes et sous inféodations des terres<br />

sur lesquelles reposaient les anciennes obligations. Ainsi en 1204, Jean rappelle aux<br />

habitants de Chichester qui doivent l’auxilium pour enceindre de la ville, d’assigner<br />

cette charge sans délais et de mettre la ville en sécurité 313 . L’évolution des droits<br />

reposant sur les constructions d’enceintes ou de ponts illustre ainsi l’influence<br />

croissante du droit de la Couronne, reconnue comme curator du royaume, contrôlant à<br />

la fois l’érection de nouvelles défenses, placées sous le patronage royal, et l’application<br />

des anciennes obligations communes.<br />

3.2- La construction d’un territoire du royaume : les travaux<br />

d’utilité publique et les prérogatives de la Couronne<br />

Le concept de Couronne était étroitement lié à celui de royaume mais utilisé<br />

précisément pour se distinguer de lui, pour « éliminer l’aspect purement géographico-<br />

territorial du regnum et souligner sans ambiguïté le caractère politique du regnum qui<br />

comprenait aussi la valeur affective de la patria » 314 . Selon Ernest Kantorowicz,<br />

l’emploi du concept de la Couronne immatérielle se développe surtout avec l’influence<br />

de la pensée juridique sur la conception du politique 315 . En Angleterre, par exemple, ce<br />

310 Rot. Lit. Pat., p. 134 : dilecto sui capitulo sancti Stephani et priori et conventui Sancti Andrei et<br />

Abbatisse Sancte Marie etc. Mandamus vobis quod auxilium faciatis civibus nostris Limovicensis ad<br />

civitatem nostram Limovicam firmandam et claudendam sicut debetis et facere consuevistis [temporibus]<br />

patris et fratris nostri. Ita ut vobis inde teneamur ad gratas T. me ipso apud Novum Templum Londonie<br />

xxi die Aprilis. Pour les enceintes de Limoges, voir chapitre 2.<br />

311 Ibid., p. 125-126 ; RENOUARD, Y. (éd.), Bordeaux sous les rois d'Angleterre, 1965, p. 242.<br />

312 BELL, A., « The Organization <strong>of</strong> Public Work in Society and by the State in Early Medieval England<br />

c. 800 – c. 1300 », unpublished PhD, Oxford, 2002, p. 152-153: de tels paiements étaient très courants au<br />

XIIe siècle, comme le montrent les Hundred Rolls, cite NEILSON, N., Customary Rents, 1910, p. 124-<br />

130.<br />

313 Rot. Lit. Pat., p. 45 : Omnibus etc. qui auxilium debent ad claudendam civitatem Cicestrie etc.<br />

Mandamus vobis et distrincte precipimus quatinus quos ipse ad hic assignabit sine dilacione et occasione<br />

claudatis civitatem Cicestrie quantum ad vos inde pertinet claudendam. Et tam inde aciatis ad<br />

securitatem vostram et civitatis predicite quod vobis inde grates scire debeamus …<br />

314 KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen âge, 2000<br />

[1957], p. 883.<br />

315 Ibid., p. 880-88.<br />

296


concept se renforce à travers la formation d’un corpus de lois privilégiant la loi du roi<br />

aux dépens des coutumes régionales 316 . Le mot corona apparaît ainsi dans plusieurs<br />

chartes du règne d’Henri II, lorsqu’il est question notamment des « plaids de la<br />

couronne » (placita ad coronam), mais aussi des coutumes de la couronne<br />

(consuetudines corone mee) ou des terres et des droits tenus par la couronne (de corona<br />

mea) 317 . Cette nouvelle entité appartient donc avant tout à la sphère de l’administration<br />

et du droit, souvent utilisée sans un sens fiscal pour traduire la différence entre ce qui<br />

relevait du roi (les dépendances féodales) et ce qui « a été séparé de la personne du roi<br />

comme une chose d’utilité commune » 318 . Ce n’est qu’à partir du XIII e siècle, sous<br />

l’impact du droit canon que le concept de Couronne cesse d’avoir une acception<br />

essentiellement fiscale et juridique pour prendre un sens constitutionnel qu’elle n’avait<br />

pas auparavant 319 .<br />

La notion de Couronne s’impose donc rapidement en Angleterre, notamment<br />

face à la notion de res publica, plus précocement répandue en France, mais qui ne<br />

connaît un réel succès qu’à partir du milieu XIII e siècle. Bien plus que la théorie<br />

politique, c’est le droit qui a été le principal vecteur de redéfinition du domaine<br />

« public » du royaume. Cette distinction entre Angleterre et continent apparaît très<br />

clairement dans la gestion des routes fluviales ou terrestres par les Plantagenêt.<br />

3.2.1- Les routes royales en Angleterre et sur le continent : un domaine public ?<br />

Comme les ponts et les défenses urbaines, la législation publique médiévale sur<br />

les routes prend racine dans l’Antiquité. Ainsi dès le II e siècle après J.C., l’édit de Julien<br />

affirmait l’idée que les voies et chemins publics (via publica, iter publicum) ne devaient<br />

être envahies par quelque type de construction que ce soit.<br />

Tout ce qui est construit sur une voie publique doit être retiré de sorte<br />

qu’elle retrouve son état initial… et j’interdis à quiconque de<br />

316 HYAMS, P., « Common Law and the French Connection », dans A.N.S., 1981, p. 77-92.<br />

317 VINCENT, N., « Regional variations in the Charters <strong>of</strong> King Henry II (1154-89) », dans Charters and<br />

charter scholarship in Britain and Ireland, 2005, p. 70-119. Toutes ces chartes ne concernent que<br />

l’Angleterre, seul royaume de l’empire.<br />

318 POST, G., « Public Law, the State and Nationalism », dans Studies in Medieval Legal thought Public<br />

Law and the State, 1100-1322, 1964, p. 434-493; RICHARD FITZNIGEL, Dialogus de Scaccario (and)<br />

Constitutio Domus Regis. The Course <strong>of</strong> the Exchequer. The Establishment <strong>of</strong> the Royal Household, 1983,<br />

p. 97. La distinction entre ce qui appartient ad coronam et ce qui peut être tenu de rege n’est cependant<br />

pas une nouveauté, mais était assez répandue à l’époque anglo-saxonne.<br />

319 KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen âge, 2000<br />

[1957], p. 894.<br />

297


construire ou d’introduire sur un chemin ou route publique tout ce qui<br />

pourrait dégrader ces voies 320 .<br />

Le Digeste de Justinien reprend un certain nombre de ces dispositions ainsi que la<br />

définition de la voie publique selon Ulpien 321 . Le code Théodosien excluait cependant la<br />

réparation des routes des sordida munera ce qui explique qu’il n’y ait eu aucune<br />

obligation au cours du Moyen Âge imposant la réparation des routes. Les sources sont<br />

donc maigres pour savoir comment celles-ci étaient entretenues. Au XII e siècle, l’essor<br />

du droit romain réactiva l’idée que c’était aux responsables des dégradations des routes<br />

de pourvoir à leur réparation. C’est donc par le droit, et notamment le droit de la<br />

Couronne, que s’est progressivement affirmée à la fin du XII e siècle la juridiction royale<br />

sur les routes et que les routes royales ont été réinvesties de leur caractère « public ». Ce<br />

phénomène ne touche cependant pas les terres continentales des Plantagenêt. Il faut<br />

attendre la fin du XIII e siècle, pour que la royauté capétienne parvienne à étendre sa<br />

juridiction sur les routes du royaume de France 322 .<br />

Routes royales, voies publiques et chaussées privées au XII e siècle<br />

La persistance des mentions de via regia ou de publica via dans les sources<br />

carolingiennes et postérieures ne signifie pas que ces termes désignaient des réalités<br />

semblables tout au long du Moyen Âge. Au XI e et XII e siècle, on ne sait s’ils<br />

320 « Edictum perpetuum praetoris urbani », c. 237 dans RICCOBONO, S. et al. (eds.), Fontes iuris<br />

romani antejustiniani in usum scholarum, 1941, I, p. 377 : Ne quis in loco publico vel itinere fiat. Quid in<br />

itinere publico factum erit ut restituatur. (a) Ne quid in loco publico facias inue eum locum immittas, qua<br />

ex re quid illi dampni detur, praeterquam quod lege senatus consulta edicto decretove principum tibi<br />

concessum sunt, de eo quod factum erit, interdictum non dabo. (b) In via publica itinere publico facere<br />

immittere quod, quo ea via idue iter deterius sit fiat, veto. (c) Quod in via publica itinere publico factum<br />

immissum habet , quo ea via idua iter deterius sit fiat, restitutas.<br />

321 MOMMSEN, T. et KRUEGER, P. (eds.), The digest <strong>of</strong> Justinian, 1998, IV, p. 574-575 : Digest<br />

CXXXXIII.8.2.21 : quo ea via idue iter deterius sit fiat, veto.Viam publicam eam dicimus, cuius etiam<br />

solum publicum est : non enim sicuti in privata via, ita et in publica accipimus : viae privatae solum<br />

alienum est, ius tantum eundi et agendi nobis competit : viae autem publicae solum publicum est, relictum<br />

ad directum certis finibus latitutinis ab eo, qui ius publicandi habuit, ut ea publice iretur commearetur.<br />

(On appelle une voie publique si la terre est publique, car la définition d’une voie privée n’est pas la<br />

même qu’une voie publique. La terre d’une voie privée appartient à quelqu’un, mais le droit d’aller et<br />

venir sur celle-ci est accessible à tous. En revanche, la terre d’une voie publique est publique, léguée ou<br />

marquée par des limites fixes en largeur, par quiconque possède le droit de la marquer comme publique,<br />

si bien que le public puisse marcher et voyager sur celle-ci).<br />

322 BAUTIER, R. H., « La route française et son évolution au cours du Moyen Âge », Bulletin de la classe<br />

des lettres et des sciences morales et politiques de l'académie royale de Belgique, 5e serie, LXXIII: 1-2<br />

(1987), p. 68-104: « au cours du XIVe siècle, l’expression de « droit chemin le roy » tend à disparaître et<br />

cet aspect de l’histoire routière me paraît capital. Il semble que le roi, redevenu souverain incontestable<br />

du royaume, revendique la responsabilité de la sécurité sur l’ensemble des routes : toute strata publica<br />

(…) tend à devenir « route royale » et l’on voit juger par le Parlement (…) des crimes commis sur des<br />

chemins qu’on peut qualifier de secondaires ». (p. 96).<br />

298


ecouvraient uniquement les antiques voies romaines ou s’ils rappelaient le souvenir<br />

d’un droit de péage perçu au pr<strong>of</strong>it du roi sous les Carolingiens 323 . Avec l’accroissement<br />

de la densité des voies de passage, comme en témoigne la multiplication des péages<br />

installés par les seigneurs sur leurs terres, le monopole des vigueries disparaît. Les<br />

vigueries étaient des anciennes juridictions carolingiennes qui donnaient à leurs<br />

possesseurs non seulement le droit de poser un péage, mais également d’exercer un droit<br />

de police et de justice sur les malfaiteurs pris sur les routes dont ils étaient responsables.<br />

La disparition progressive des voyers ou viguiers au cours du XII e siècle, sans doute<br />

remplacés par les prévôts, accompagne le processus de re-concentration de la puissance<br />

publique aux mains des princes, et notamment des droits de justice 324 . Cette<br />

réappropriation juridictionnelle n’empêchait cependant pas qu’il y ait différents statuts<br />

de routes et la plupart des entrées dans les pipe rolls concerne essentiellement le<br />

financement et l’entretien de chaussées « privées ».<br />

Ces chaussées sont souvent associées à la construction d’infrastructures<br />

seigneuriales comme les moulins ou les pêcheries 325 . Ainsi, en 1180, Henri II fait faire<br />

des travaux dans le Cotentin, impliquant, entre autre, la levée d’une chaussée et<br />

l’aménagement d’une petite pêcherie à Valognes 326 . Par ailleurs, la concession de<br />

chemins et de rues à des individus ou des collectifs est un phénomène encore courant<br />

vers 1200, comme en témoigne la charte qu’Aliénor donne aux Templiers de La<br />

Rochelle en 1199. Dans celle-ci, la duchesse leur concède « la chaussée de Perroc et son<br />

moulin, qu’ils ont faits et ont mis en œuvre autour de ladite chaussée et de la place,<br />

depuis chacun des côtés jusqu’à la limite des terres des frères de l’Hôpital » 327 . Hormis<br />

ces mentions éparses, il est rare de trouver des informations évoquant les réparations et<br />

l’entretien de ces routes à la fin du XII e siècle, car celles-ci relevaient essentiellement de<br />

décisions judiciaires. Il faut attendre la fin du Moyen Âge pour que la maintenance des<br />

323 BIENVENU, J. M., « Recherches sur les péages angevins aux XIe et XIIe siècles », Le Moyen Âge, 63<br />

(1957), p. 209-240-et 437-467 cite une charte de Saint-Julien de Tours, n°43 et 44 désignant la route du<br />

Mans au Mont-Saint-Michel et le cartulaire de l’abbaye de Noyers, n°CCCLXVIII.<br />

324 HALPHEN, L., « La justice en France au XIe siècle : région angevine », Revue historique, 77 (1901),<br />

p. 279-307, BIENVENU, J. M., « Recherches sur les péages angevins aux XIe et XIIe siècles », Le<br />

Moyen Âge, 63 (1957), p. 209-240-et 437-467.<br />

325 PR 10 H.II., p. 35 ; MRSN, I, p.9, 14, 28, 40, 145, 222-23, 289, PR 1 Jean, p. 219 ; PR 2 Jean, p. 23 :<br />

ad reparationem calceti vivarii regis apud Wudestoch.<br />

326 MRSN, I, p. 22 : in levandam Calceiam et perrandam parvi vivarii Valonia.<br />

327 DE RICHEMOND, L. M., « Chartes de la commanderie magistrale du temps de la Rochelle (1139-<br />

1268) », Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, 1 (1874), p. 21-50, p. 30-31 : Preterea damus<br />

eis et confirmamus calceam de Perroc et molendina, quae fecerunt vel facturi sont circa eamdam<br />

calceam et placeam, ex utraque parte, usque ad metas terrae fratrum hospital.<br />

299


via regia et des communis strata apparaisse plus souvent comme un objet de<br />

l’intervention royale 328 . Comment ce processus se met-il alors en place ?<br />

David Harisson a récemment mis en cause l’idée longtemps véhiculée selon<br />

laquelle le réseau des voies romaines était toujours très important au XII e siècle 329 . Il<br />

propose au contraire de considérer l’époque anglo-saxonne comme un moment<br />

important de création de nouvelles routes, qui reprenaient vraisemblablement le tracé<br />

d’anciens passages antiques voire préhistoriques, comme Icknield Way. Selon les Leges<br />

Edwardi Confessori, une compilation de lois anglo-saxonnes rédigée peu après 1136, la<br />

paix du roi s’étendait au début du XII e siècle sur quatre routes principales : Watling<br />

Street, Fosse Way, Hikenilde Street et Erming Street, les deux premières parcourant le<br />

royaume longitudinalement et les deux autres latitudinalement (Illustration 3.20) 330 .<br />

Cependant, les Leges Henrici Primi ne font pas mention de ces quatre routes, mais<br />

stipulent au contraire que « toutes les herestrete (littéralement les routes de l’armée) 331<br />

relèvent entièrement du roi » 332 et « que les via regia sont celles qui sont toujours<br />

ouvertes, qui ne peuvent être ni fermées par des murs ni détournées et qui conduisent à<br />

une cité, une forteresse, un château ou une ville royale » 333 . Partant de cette apparente<br />

contradiction, Alan Cooper a démontré que les King’s Four Highways, n’étaient qu’une<br />

fiction légale fabriquée par Henri de Huntingdon au début du XII e siècle 334 . Selon lui,<br />

en effet, la définition des King’s Highways après la conquête est assez proche de la<br />

notion de voie publique telle que l’exprimaient les codes de loi anglo-saxonnes, mais le<br />

328 BELL, A., « The Organization <strong>of</strong> Public Work in Society and by the State in Early Medieval England<br />

c. 800 – c. 1300 », unpublished PhD, Oxford, 2002, p. 172 ; FLOWER, C. T., Public Works in Mediaeval<br />

Law, 1923, I; p. 47, II, p. xv, 355, 136.<br />

329 HARRISON, D. F., The Bridges <strong>of</strong> Medieval England, 2004, p. 47-56, critique STENTON, F. M.,<br />

« The Road System <strong>of</strong> Medieval England », The Economic History Review, 7: 1 (1936), p. 1-21 et<br />

TAYLOR, C., Roads and Tracks <strong>of</strong> Britain, 1994 et s’appuie sur HINDLE, B. P., Medieval Roads and<br />

Tracks, 1998.<br />

330 LIEBERMANN, F., Die Gesetze der Angelsachsen. Herausgegeben im Auftrage der Savigny-Stiftung,<br />

1898, I, p. 637 : pax regis multiplex est … alia quam habent quatuor chemini id est Waltingstrete, Fosse,<br />

Hilenilde-stret, Ermingstre, quorum duo in longitudinem regni, alii vero in latitudinem distenduntur ;<br />

O'BRIEN, B. R., God's Ppeace and King's Peace. The Laws <strong>of</strong> Edward the Confessor, 1999, p. 44-48.<br />

331 COOPER, A. R., « The Rise and Fall <strong>of</strong> the Anglo-Saxon Law <strong>of</strong> the Highway », H.S.J., 12 (2002), p.<br />

39-69 analyse les différentes sens des termes signifiant la route : herepath, strete, via regia, etc.<br />

332 DOWNER, L. J. (éd.), Leges Henrici primi, 1972, p. 108-109, c. 10.2: [De iure regis]. Omnes<br />

herestrete omnino regis sunt, et omnia qualstowa id est occidendorum loca, totaliter regis sunt in soca<br />

sua. (…et toutes les cwalstow, c’est à dire les lieux d’exécution sont entièrement dans la juridiction du<br />

roi).<br />

333 Ibid., p. 249, c. 80.3: et via regia dicitur que semper aperta est, quam enmo conclaudere potest vel<br />

avertere cum muris suis, que ducti in civitatem vel burgum vel castrum vel protum regium.<br />

334 COOPER, A. R., « The King's Four Highways: legal fiction meets fictional law », J.M.H., 20: 4<br />

(2000), p. 351-370, sur l’invention d’un « temps du roi Edward », voir aussi GARNETT, G., Conquered<br />

England, 2007, p. 9-18.<br />

300


terme de via regia, qui n’apparaît en contexte juridique qu’après la conquête, n’est pas<br />

limité aux quatre routes royales, au contraire. Dans les premières versions des Leis<br />

Willelme, compilées vers 1150, l’une des clauses établit que « De quatre chemins, à<br />

savoir Watling Strete, Erming Strete, Fosse, Ickenild, si sur l’un des quatre chemins<br />

quelqu’un tue ou s’attaque à une personne qui voyage à travers le pays, il rompt la paix<br />

du roi » 335 . Vers 1170-1200, ces lois sont traduites en latin et des modifications<br />

apparaissent notamment en ce qui concerne les chemins qui ne sont plus que trois et qui<br />

sont devenus des stratae regiae 336 . Un tel glissement traduit bien la tentative de réduire<br />

la juridiction des routes royales aux seules King’s Four Highways afin de limiter leur<br />

extension territoriale dans le paysage féodal. Alan Cooper insiste cependant sur le fait<br />

qu’aucune source n’indique que ce mythe a eu des applications pratiques légales. Il<br />

souligne plutôt la tendance qui se renforce au cours du XIII e siècle dans le sens de la<br />

reconnaissance de l’équation : route commune = route royale. Ce n’est qu’à partir du<br />

XIII e siècle que les juristes parviennent à reconstruire le droit des Highways, tel qu’il<br />

ressemblait à celui du X e siècle 337 . Paradoxalement, c’est en reprenant les principes du<br />

droit romain antique qu’ils y parvinrent.<br />

La construction de ce mythe et la question de la juridiction des routes doivent<br />

être replacées dans un contexte où la nécessité d’assurer la protection des routes se fait<br />

plus pressante partir du XII e siècle, car elle favorise l’essor commercial et la prospérité<br />

du royaume, mais permet également la rapidité des itinéraires royaux (voir chapitre 5).<br />

La mise en place d’un système routier efficace au XII e siècle, si elle résulte largement<br />

du développement des échanges commerciaux ne peut donc totalement être séparé de<br />

l’extension de la juridiction royale sur les routes du royaume 338 .<br />

335<br />

LIEBERMANN, F., Die Gesetze der Angelsachsen. Herausgegeben im Auftrage der Savigny-Stiftung,<br />

1898, I, p. 510, Leis Willelme, n°26 (Hk) : « De quatre chemins, ceo est saveir Watlingestrete,<br />

Er[m]ingestrete, Fosse et Hykenild, ki en aucun de ces quatre chemins ocist aucun, ki seit errant par le<br />

pais, u asaut, si enfreint la pais le rei ».<br />

336<br />

Ibid., Leis Willelme, n°26 (L) : De tribus stratis regiis. In tribus stratis regiis, id est Watelingestrete,<br />

Erningestrete et Fosse, qui hominem per patriam transeuntem occiderit vel assultum fecerit, pacem regis<br />

infrigit. Pour l’interprétation littéraire de cette evolution voir COOPER, A. R., « The King's Four<br />

Highways: legal fiction meets fictional law », J.M.H., 20: 4 (2000), p. 351-370.<br />

337<br />

COOPER, A. R., « The Rise and Fall <strong>of</strong> the Anglo-Saxon Law <strong>of</strong> the Highway », H.S.J., 12 (2002),<br />

p. 39-69.<br />

338<br />

BAUTIER, R. H., La France de Philippe Auguste: le temps des mutations, 1982.<br />

301


L’extension de la juridiction royale sur les routes publiques du royaume<br />

L’extension de la juridiction royale sur les routes s’est principalement effectuée<br />

par la jurisprudence des cas d’empiètement : les pourprestures 339 . La première<br />

explication de ce terme dans un sens plus précis est donnée par Richard FitzNigel dans<br />

le Dialogue de l’Échiquier, lorsqu’il décrit l’enregistrement des comptes des shérifs 340 .<br />

Dans une section appelée les De excidentibus et occupatis, il explique qu’il arrive<br />

parfois, à cause de la négligence du shérif et de ses agents ou de la guerre, que ceux qui<br />

vivent près des terres de la Couronne (fundos qui corone annominantur) occupent<br />

certaines portions de celles-ci et les considèrent comme leurs. Les amendes données par<br />

les juges d’Eyre sont enregistrées séparément de la ferme du comté mais le shérif est<br />

chargé d’en rendre compte. C’est que nous appelons les pourprestures ou empiètements<br />

(occupata). Dans les pipe rolls, le premier usage du terme apparaît en 1165 341 .<br />

Dans son Tractactus de legibus, Glanvill consacre une partie du livre IX à ces<br />

cas d’empiètement qui ne concernent pas seulement les domaines royaux mais aussi les<br />

routes publiques :<br />

Il y a pourpresture au sens strict lorsque un bien du roi est occupé,<br />

par exemple dans les domaines royaux ou lorsqu’un chemin public est<br />

obstrué, lorsque qu’un cours d’eau public est dévié, ou lorsque<br />

quelqu’un occupe une route royale dans une ville royale en y<br />

construisant des bâtiments. En général, à chaque fois que ce qui est<br />

fait nuit aux possessions royales ou aux routes royales ou aux cités, le<br />

procès qui en résulte appartient à la Couronne 342 .<br />

Glanvill utilise le terme romain via publica comme équivalent de via regia afin<br />

d’introduire l’idée que nuire au roi c’était nuire au public, anticipant ainsi l’usage du<br />

droit romain qui servira plus tard à affirmer l’équation entre intérêt royal et intérêt<br />

339<br />

COOPER, A. R., « Obligation and Jurisdiction: Roads and Bridges in Medieval England, (c.700-<br />

1300) », unpublished Ph.D., Harvard, 1998, p. 248-256.<br />

340<br />

RICHARD FITZNIGEL, Dialogus de Scaccario (and) Constitutio Domus Regis, 1983, p. 93-94 : fit<br />

interdum per negligentiam vicecomitis vel eius ministrorium vel etiam per continuatam in longa tempora<br />

bellicam tempestatem, ut habitantes prope fundos qui corone annominantur aliquam eorum portionem<br />

sibi usurent et suis possessionibus ascribant.<br />

341<br />

Alan Cooper signale également un cas d’empiètement d’une maison construite in vico regis punit au<br />

bout de 2 ans par 12 d en 1164.<br />

342<br />

RANULF DE GLANVILL, Tractatus de Legibus et Consuetudinibus Regi Anglie qui Glanvilla<br />

vocatur, 1993, p. 113-116: dicitur autem proprestura proprie quando aliquid super dominium regem<br />

injuste occupatur, ut in dominicis regiis vel un viis publicis astopatis, vel aquis publicis trestornatis a<br />

recto cursu, vel quando alisquis in civitate domini regis super regiam plateam aliquid edificando<br />

occupavit. Et generaliter quotiens aliquid fit ad nocumentum regii tenementi vel regie vie vel civitatis,<br />

placitum inde ad coronam domini regis pertinet.<br />

302


public 343 . Glanvill fait de la justice royale la responsable de la résolution des problèmes<br />

d’ordre public et place ainsi toutes les routes principales sous la juridiction royale.<br />

Il n’est pas impossible que le droit de pourpresture, dont le nom dérive du terme<br />

carolingien de porprendere signifiant « prendre de sa propre autorité », se soit inscrit<br />

dans la continuité de l’ancien délit anglo-saxon de stretbreche, qui désignait les crimes<br />

contre l’ordre public. Seules les Leges Henrici Primi mentionnent l’existence de ces<br />

crimes sous ce terme et le considèrent comme violant la paix publique. Ces crimes se<br />

distinguaient de ceux commis sur les routes, qui relevaient de la simple juridiction<br />

royale. La poupresture se définit donc à la fois comme un empiètement sur les terres<br />

royales et comme nuisance à l’intérêt commun. Le concept de Couronne fonctionne<br />

donc ici comme une manière de faire apparaître une sphère publique dédiée à l’utilité<br />

commune et dont le roi s’impose comme garant 344 .<br />

En Angleterre, les réformes d’Henri II contribuent donc à faire disparaître la<br />

juridiction spécifique de la paix du roi sur les routes qui existait à l’époque anglo-<br />

saxonne. Autour de 1200, les routes faisaient désormais partie du domaine inaliénable et<br />

impersonnel qui appartient à proprement parler à la Couronne, et non au roi en tant que<br />

personne ou seigneur 345 . De ce fait, elles disparaissent presque totalement des sources,<br />

car sans la question des pr<strong>of</strong>its des routes, il n’y avait en effet plus d’intérêt pour ceux<br />

qui gardaient les registres de les distinguer des autres types d’amendes. Cette<br />

caractéristique touche également les voies fluviales dont certaines étaient reconnues<br />

comme publiques à l’instar des routes terrestres 346 .<br />

343 COOPER, A. R., « Obligation and Jurisdiction: Roads and Bridges in Medieval England, (c.700-<br />

1300) », unpublished Ph.D., Harvard, 1998, p. 250.<br />

344 KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen âge, 2000<br />

[1957], p. 885 : les procès relevant de la couronne impliquaient également la dignité royale, ad coronam<br />

et dignitatem meam pertinent.<br />

345 COOPER, A. R., « Obligation and Jurisdiction: Roads and Bridges in Medieval England, (c.700-<br />

1300) », unpublished Ph.D., Harvard, 1998, p. 245 et plus largement le chapitre 8 consacré à l’affirmation<br />

des droits royaux sur les routes et l’évolution du nouvel ordre public. Il y étudie 1) la disparition de la<br />

spécificité juridictionnelle de la route, 2) les développements des doctrines juridiques de la pourpresture,<br />

3) les moyens par lesquels Bracton utilise le droit romain pour réaffirmer le statut de la route en termes<br />

forts et 4) l’état des routes vers 1300 dans les livres de droit et la législation de Edward III.<br />

346 COOPER, A. R., « The rise and fall <strong>of</strong> the Anglo-Saxon law <strong>of</strong> the Highway », H.S.J., 12 (2002),<br />

p. 39-69 cite la liste des regalia établies à Roncaglia en 1158 et qui incluait dans les publice vie aussi bien<br />

les rivières navigables que les routes terrestres dans WEILAND, L. (éd.), Constitutiones et acta publica<br />

imperatorum et regum Tomus I inde ab a. DCCCCXI usque ad a. MCXCVII, 1963, p. 244-45.<br />

303


3.2.2- L’entretien des cours d’eau et le contrôle des voies fluviales<br />

L’entretien des canaux et la prospérité du royaume : un bien commun ?<br />

Dans les pipe rolls figure un enregistrement, sur le rouleau de 1196, d’une<br />

dépense de 1 marc pour la réparation de la pêcherie de « Bikerdich ». Cet<br />

enregistrement qui se trouve dans les comptes de la ferme de l’honneur du comte de<br />

Boulogne rappelle le rôle des digues et des canaux dans l’organisation et la gestion du<br />

paysage anglais au Moyen Âge. « Bycardyke » pourrait bien signifier en effet que cette<br />

pêcherie se trouvait à proximité du Car Dyke, cet ancien canal, reliant les tourbières du<br />

Cambridgeshire à celles du Lincolnshire. Les fouilles archéologiques ont montré que le<br />

Car Dyke fut conçu par les Romains essentiellement comme un système de drainage 347 .<br />

Ce n’est qu’à partir du XI e siècle, semble-t-il, avec l’essor du commerce et des<br />

échanges, que le Car Dyke, à l’instar du Foss Dyke, sont utilités comme voies de<br />

navigation. Le Foss Dyke, qui reliait la Trent et la Witham entre Torksey et Lincoln<br />

apparaît notamment comme une voie de navigation utilisée pour relier les villes de la<br />

Trent, et en particulier Nottingham, au port de Boston. Dans le pipe roll de 1180, par<br />

exemple, une dépense de £14 13s. 6d. est effectuée pour conduire du plomb « de Peak à<br />

Boston puis jusqu’à Londres par navire » 348 . Cette entrée confirme l’utilisation régulière<br />

du Foss Dyke, dont la réouverture et l’agrandissement avaient été opérés par Henri I er en<br />

1121 349 . L’intervention du roi venait alors sans doute suppléer l’incapacité des hommes<br />

de Torksey à assurer la maintenance du Foss Dyke, une obligation dont ils avaient<br />

pourtant la charge à l’époque anglo-saxonne, comme l’atteste le Domesday Book 350 . Il<br />

était également du devoir des hommes de Torksey de conduire les messagers du roi à<br />

York, dans leurs bateaux, à charge pour le shérif d’assurer leur approvisionnement.<br />

Torksey était une ville en plein essor qui obtient d’Henri II la confirmation de la<br />

protection royale sur sa foire ainsi que ses franchises telles qu’elles avaient été établies<br />

347<br />

SIMMONS, B. B., « The Lincolnshire Car Dyke: Navigation or Drainage? », Britannia, 10 (1979), p.<br />

183-196; SALWAY, P.Ibid., 11 (1980), p. 337-338.<br />

348<br />

P.R. 26 H.II., 137. carragio eiusdem plumbi a Pecco usque Sanctum Botulphum et eodem plumbo<br />

ducendo inde navigo usque Londonie.<br />

349<br />

SYMEON DE DURHAM, Symeonis monachi opera omnia. 2. Historia regum, 1965, p. 260: Eodem<br />

anno Henricus rex, facto longa terrae intercisione fossato a Torkseie usque Lincolniam, per derivationem<br />

Trentae fluvium fecit iter navium ; BARLEY, M. W., « Lincolnshire Rivers in the Middle Ages »,<br />

Lincolnshire Architectural and Archaeological Society Reports and Papers, 1 new ser.: 1 (1938), p. 1-21.<br />

350<br />

FOSTER, C. W. et LONGLEY, T., The Lincolnshire Domesday and the Lindey Survey, 1924, p. 11 :<br />

les vingt-trois bourgeois de Torksey étaient alors dits posséder les mêmes coutumes que les gens de<br />

Lincoln, en plus du devoir de transporter les messagers du roi à York avec leurs bateaux et leurs moyens<br />

de navigation.<br />

304


au temps d’Henri I er351 . Cette protection royale s’accompagne de la fondation du prieuré<br />

de chanoines augustiniens Saint-Léonard. Si l’attribution de ce prieuré à Henri II reste<br />

incertaine, en revanche, une charte de Jean datée du 2 décembre 1200, confirme la<br />

protection royale du prieuré. Cette fondation traduit ainsi la volonté royale de contrôler<br />

non seulement Torksey mais aussi le Foss Dyke qui constituaient un lieu de passage<br />

essentiel du réseau commercial anglais au XII e siècle 352 . Chez les auteurs anglais du<br />

XII e siècle, la prospérité du royaume est un thème récurrent souvent associé à l’idée que<br />

le bon entretien des infrastructures de communication n’y était pas pour rien. La reprise<br />

en main des infrastructures d’utilité commune par les Plantagenêt et leurs prédécesseurs<br />

ne s’est pas limitée à l’Angleterre. Sur le continent Henri II a aussi favorisé<br />

d’importants chantiers d’utilité publique notamment sur les bords de la Loire.<br />

La restauration des levées de la Loire : une simple charte de franchises ?<br />

Selon Robert de Torigni, à la fin des années 1160, Henri II émet une charte<br />

accordant des exemptions à tous les hommes de la vallée de la Loire qui viendraient<br />

s’installer sur les bords du fleuve pour réparer et maintenir les turcies qui avaient été<br />

détruites par de violentes crues.<br />

Il fit faire, en Anjou sur la Loire, pour contenir les eaux qui avaient<br />

anéanti les prés et les récoltes, des retenues qui sont appelées turcies,<br />

presque trente mille en tout, faisant édifier dessus des maisons pour<br />

les hommes qui s’occuperaient des turcies. Ceux-ci seraient libérés de<br />

l’ost et de nombreuses autres chartes fiscales. 353<br />

Les turcies étaient des levées de terres « discontinues et submersibles destinées à<br />

la protection des terres contre les courants de débordements » 354 . Selon, Joëlle Burnouf,<br />

351<br />

Acta Plantagenets project (2198H), bref inédit, à paraître prochainement dans les actes de Henry II<br />

édités par Sir James Holt et Nicholas Vincent.<br />

352<br />

Acta Plantagenets project, (4450H) ; Rot. Chart., p. 81; KNOWLES, D., The religious houses <strong>of</strong><br />

medieval England, 1940; KNOWLES, D. et HADCOCK, R. N., Medieval Religious Houses : England<br />

and Wales, 1971, p. 177; DUGDALE, W. et DODSWORTH, R., Monasticon Anglicanum: or, the history<br />

<strong>of</strong> the ancient abbies, and other monasteries, hospitals, cathedral and collegiate churches in England and<br />

Wales, 1846,VI, p. 425-6; VCH Lincolnshire ; II, p. 170-171.<br />

353<br />

TORIGNI, II, p. 13-14 : Similiter fecerat in Andegavensi pago super Ligerim, ad aquam arcendam,<br />

quae messe et prata perdebat, quaedem retinacula, quae torsias vocant, per triginta fere miliaria, faciens<br />

ibi aedificare mansiones hominum qui torsias tenerent. Quos etiam fecit liberos de exercitu et multis aliis<br />

ad fiscum pertinentibus.<br />

354<br />

sur les levées voir DION, R., Histoire des levées de la Loire, 1961et ses actualisations notamment par<br />

BURNOUF, J. et CARCAUD, N., « Le val de Loire en Anjou Touraine : un cours forcé par les sociétés<br />

riveraines », Médiévales, 18: 36 (1999), p. 17-29; BURNOUF, J., « Les levées de la Loire », Géomètre, 4<br />

(2002), p. 28-29; BURNOUF, J. et al., « La Loire entre mythe et réalité », 303 Arts Recherche et Création<br />

revue scientifique des Pays de la Loire, Numéro spécial "La Loire" (2003), p. 75 et MAURIN, J. et<br />

305


en effet, les turcies médiévales étaient des digues en forme de « barrage noyé » qui<br />

n’ont rien à voir avec les travaux modernes et contemporains 355 . Elles s’étendaient sur<br />

plus de quarante kilomètres de part et d’autre de Saumur (plan 3.21). Si la volonté<br />

d’éviter que le fleuve ne ravage les récoltes peut être considérée comme une marque<br />

d’attention pour l’intérêt général, c’est par la piété (pietate commotus) qu’Henri II<br />

justifie son acte 356 . Les hommes qui s’installeraient sur les turcies, pour les maintenir en<br />

état, seraient exemptés du service féodal (l’ost et la chevauchée). Ces exemptions qui<br />

ressemblent à celles des chartes de peuplement de la même époque semblent cependant<br />

ici renouer avec une tradition plus ancienne. Au cours du haut Moyen Âge, le code<br />

Théodosien considérait que les travaux de maintien des routes, des ponts et des digues<br />

constituaient des obligations auxquelles nul ne pouvait se soustraire, car reposant sur la<br />

terre et non sur les personnes 357 . Témoin de la substitution des devoirs autrefois<br />

considérés comme publics par les obligations seigneuriales, la charte de Henri II<br />

cherche toutefois à restaurer une responsabilité collective sur l’entretien de ces digues à<br />

nouveau rattachées à un espace de peuplement. Mais les exemptions et les franchises,<br />

parce qu’elles restent attribuées individuellement, ne restaurent pas le caractère public<br />

du devoir d’entretien et de maintien de la digue. Alors que l’effondrement de la digue<br />

était vraisemblablement le résultat de la dissolution des obligations d’entretien qui leur<br />

étaient attachées, l’attribution d’une charte de franchise par le roi insérait ces devoirs<br />

comme services dûs dans le cadre des relations féodales. La publication de cette charte<br />

contribuait néanmoins à affirmer formellement le rôle du roi comme garant de ces<br />

obligations publiques. En réinvestissant des espaces laissés vides de pouvoir, Henri II<br />

étendaient non seulement son autorité publique mais renforçait également son contrôle<br />

sur de nouveaux territoires. Par ailleurs, Robert de Torigni évoque l’intervention<br />

d’Henri II sur la Loire en même temps que la mise en place du chantier des fossés<br />

royaux aux frontières de la Normandie (voir chapitre 4). Si ces deux évènements<br />

coïncident chronologiquement, c’est aussi parce qu’ils sont motivés par la même<br />

volonté de défendre le duché et d’y maintenir de l’ordre :<br />

GUILLOU, S., « Les levées de la Loire : des turcies au Plan Loire, huit siècles d'évolution », Base<br />

documentaire Loire Nature (2004).<br />

355 BURNOUF, J., « Crise environnementale: des mots et des sources », dans Temps et espaces des crises<br />

de l'environnement, 2006, p. 341-350 (p. 146).<br />

356 Recueil des actes d’Henri II , I, n° 376, : quia ego ipse vidi et comperi dolores et dampna que Ligeris<br />

in Valeas faciebat, propter hoc, tanquam pietate commotus.<br />

357 COOPER, A. R., Bridges, Law and Power in Medieval England, 700-1400, 2006 cite Novella<br />

Valentiniani 10 (441), MOMMSEN, T. et MEYER, P. (eds.), Theodosiani libri XVI cum constitutionibus<br />

Sirmondianis et leges novellae ad Theodosianum pertinentes, 1905, p. 91-92.<br />

306


Henri II fit faire de hauts et de larges fossés entre la France et la<br />

Normandie pour contenir les brigands, et de même, c’est pour<br />

contenir les eaux, qu’il fit faire des levées de terres en Anjou sur la<br />

Loire 358 .<br />

Alors que la construction des fossés royaux est considérée d’utilité publique<br />

parce qu’elle participe à l’ordre, mais aussi et surtout à la défense de la patrie, les turcies<br />

sur la Loire constituent elles aussi des travaux d’utilité commune en favorisant<br />

l’aménagement des berges et leur exploitation, facteurs d’ordre et de prospérité.<br />

Concernant l’ordre et la sécurité du territoire, et notamment la lutte contre les brigands,<br />

l’une des principales réformes d’Henri II a également été la mise en place un réseau de<br />

prisons, afin d’assurer l’application de ses réformes judiciaires.<br />

3.2.3- La construction de prisons : un marqueur de la puissance publique sur le<br />

territoire du royaume<br />

L’emprisonnement en Angleterre n’est pas un phénomène social clairement<br />

identifiable avant la fin du XII e siècle. S’il existait des prisons depuis l’Antiquité de<br />

même que des carcerr dans les codes de lois anglo-saxonnes, le terme ne désignait pas<br />

nécessairement un édifice propre dont la fonction principale était l’incarcération<br />

d’individus 359 . Les prisons étaient installées dans des manoirs fortifiés ou des châteaux,<br />

dont certaines pièces étaient transformées pour la rétention des individus. La naissance<br />

de la prison comme institution organisée, disposant de bâtiments d’incarcération, ne<br />

date véritablement que du milieu du XII e siècle, mais à cette date, l’emprisonnement<br />

apparaît alors surtout comme une manière de retenir les individus avant leur procès et<br />

non comme le résultat de celui-ci 360 . La plupart des emprisonnements avaient d’ailleurs<br />

souvent pour seul but de lever des rançons, comme c’est le cas pour tous les prisonniers<br />

de guerre et au premier chef celui de Richard en Allemagne entre 1192 et 1194. Selon<br />

Jean Dunbabin, entre 1100 et 1300, s’opère une évolution qui accompagne celle de<br />

358 TORIGNI, II, p. 13-14 : Henricus fecit fossata alta et lata inter Franciam et Normanniam, ad<br />

praedones arcendos. Similiter fecerat in Andegavensi pago super Ligerim, ad aquam arcendam…<br />

359 PUGH, R. B., Imprisonment in Medieval England, 1968, p. 1-2.<br />

360 DUNBABIN, J., Captivity and imprisonment in Medieval Europe, 1000-1300, 2002, p. 2- 3; c’est le<br />

cas par exemple en 1183 lorsque Henri II fait emprisonner ses ennemis pour qu’ils ne rejoignent pas la<br />

révolte d’Henri le jeune, PETERBOROUGH, I, p. 294: Interim dum haec fuerent appropinquante<br />

sollemnitate Paschali, dominus rex Angliae cepit et incarceravit, qui sibi suspecti fuerant, omnes quos<br />

apprehendere potuit de inimicis suis, qui contra eum fuerant, in priori werra filiorum suorum. Et<br />

mandavit justitiariis suis Angliae, quod omnes inimici caperentur et incarcerarentur. (Entre temps, alors<br />

que les festivités de Pâques approchaient, le roi d’Angleterre prit et incarcera ceux qu’il suspectait et tous<br />

ceux qu’il pouvait prendre parmi ses ennemis qui avaient été contre lui pendant la précédente révolte de<br />

ses fils. Et il ordonna au justicier d’Angleterre, que tous ses ennemis soient pris et incarcérés).<br />

307


l’affirmation du pouvoir souverain, c’est le passage de formes de captivités<br />

essentiellement coercitives et de rétention préventive à un emprisonnement punitif qui<br />

apparaît à l’orée de l’époque moderne.<br />

Le quadrillage pénitentiaire du territoire<br />

Avec les Assizes de Clarendon (1166), Henri II entendait prendre un certain<br />

nombre de dispositions pratiques pour ramener l’ordre dans l’ensemble du royaume 361 .<br />

Il envoya des <strong>of</strong>ficiers royaux, des juges et des shérifs afin que tous les meurtriers et les<br />

voleurs connus soient pris et jugés par un jury assermenté. Or, la mise en application de<br />

telles dispositions impliquait l’existence d’infrastructures pénitentiaires :<br />

Et dans chaque comté où il n’y a pas de prisons, qu’elles soient faites<br />

dans les bourgs et quelques châteaux royaux sur les deniers du roi et<br />

avec son bois s’il est proche, ou avec un autre bois à proximité sous la<br />

supervision des serviteurs du roi disponibles afin que les shérifs<br />

puissent garder dans ces prisons ceux qui auront été pris par les<br />

ministres qui sont chargés de le faire et par leurs serviteurs. 362<br />

Les Assizes de Northampton ajoutent que si un suspect ne pouvait être amené<br />

devant le shérif, il devrait être enfermé dans le donjon le plus proche, où il devrait être<br />

gardé jusqu’à ce que le shérif puisse l’entendre 363 . C’est donc avec l’essor de la justice<br />

royale que devient possible une histoire des prisons en Angleterre. À partir de 1166, et<br />

plus encore de 1176, avec les Assizes de Northampton, la prérogative de la Couronne<br />

sur le jugement des délits de droit commun contribue à normaliser les pratiques de<br />

jugements dans l’ensemble du royaume anglais, dans l’intérêt et pour l’utilité<br />

publique 364 . Le déploiement territorial de la justice royale s’était en effet traduit par<br />

l’établissement de juges itinérants, répartis selon des circuits appelés Eyre et par la mise<br />

en place de jury 365 . La construction des prisons témoigne ainsi de l’affirmation du roi en<br />

tant que personne publique, faisant appliquer la justice sur l’ensemble de son royaume.<br />

361 HOVENDEN, II, p. cii-cv.<br />

362 Ibid. II, p. ciii: Et singulis comitatibus ubi non sunt gaiolae fiant in burgo et aliquo castello Regis de<br />

denariis Regis et bosco eius si proper fuerit , vel de alio bosco propinquo ver visum servientium Regis ad<br />

hoc ut vicomites in illis possint illos qui capti fuerint per ministros qui hoc facere solent et per servientes<br />

suos custodire.<br />

363 STUBBS, W. et DAVIS, H. W. C., Select Charters and Other Illustrations <strong>of</strong> English Constitutional<br />

History from the Earliest Times to the Reign <strong>of</strong> Edward the First, 1913, p. 179.<br />

364 POST, G., « Status Regis: Lestat du Roi in the Statute <strong>of</strong> York », dans Studies in Medieval Legal<br />

thought Public Law and the State, 1100-1322, 1964, p. 369-414.<br />

365 HUDSON, J., Land, Law, and Lordship in Anglo-Norman England, 1997.<br />

308


Les premières mentions de construction ou de réparation de prisons dans les pipe<br />

rolls apparaissent dès 1156, date à laquelle £10 sont nécessaires pour réparer les prisons<br />

de Westminster et de Londres. Puis, à partir de 1166, plusieurs chantiers sont lancés :<br />

sur le rouleau de cette année là, il y a 16 mentions de travaux pour les prisons dans tout<br />

le royaume, et près de 300 sur toute la période de 1156 à 1215. Le graphique des<br />

dépenses liées aux prisons (Graphique 3.22) montre que les dépenses sont irrégulières<br />

avec quelques pics notamment en 1173, 1190, 1195, 1200 et 1212, des dates qui<br />

montrent que l’accroissement des dépenses a accompagné les moments de troubles<br />

qu’ont été la révolte des barons en 1173, les changements de règnes en 1190 et 1200, le<br />

retour de Richard en Angleterre avec la répression des partisans de Jean en 1195 et la<br />

révolte des Northerners en 1212.<br />

Pour Ralph Pugh, la mise en place du quadrillage pénitentiaire du royaume se fit<br />

par étapes 366 . En 1166, 19 comtés sont pourvus d’une prison, il y en a 6 autres au milieu<br />

des années 1180 et 5 vers 1210, si bien qu’à cette date, il n’y a plus que six comtés sans<br />

prison : le Dorset, le Rutland, le Westmorland, le Worcestershire et les comtés palatins<br />

de Durham et de Chester, qui sont pourvus avant le milieu du XIII e siècle. En un peu<br />

plus d’un demi siècle, l’Angleterre est donc quadrillée par un réseau des sites carcéraux.<br />

Sur la carte des dépenses affectées aux prisons entre 1154 et 1215 (carte 3.23), on<br />

s’aperçoit que la répartition territoriale apparaît relativement homogène, hormis une<br />

forte concentration des chantiers de prison à Londres. Cette carte permet de donner un<br />

aperçu de la géographie administrative du royaume d’Angleterre car elle fait apparaître<br />

des lieux très peu fréquentés par le roi, mais qui constituaient les pôles administratifs et<br />

judiciaires du royaume. C’est le cas de Lydford, par exemple, qui avait un rôle central<br />

dans l’administration de la forêt royale du Dartmoor et des mines royales d’étain, dont<br />

les revenus ont d’ailleurs participé à la construction de la domus firme pour garder les<br />

prisonniers du roi 367 . Le régime juridique des forêts royales en Angleterre était soumis à<br />

une législation particulière appliquée par les forestiers du roi, souvent plus sévères que<br />

les juges des plaids ad coronam.<br />

Sites et chantiers de prisons<br />

Si les chantiers de prisons se sont multipliés à partir de 1166, les infrastructures<br />

pénitentiaires sont encore faibles à la fin du XII e siècle. Ainsi, après la sédition<br />

366 PUGH, R. B., « The King's Prisons before 1250 », T.R.H.S., 5 (1955), p. 1-22.<br />

367 PR 7 Richard, p. 126, 132 : £42 et £42 in operatione unius domus firme ad custodiendos prisones<br />

regis in valla de Lideford per visum Roberti de Parco et Ricardo de Widon.<br />

309


provoquée par Guillaume FitzOsbert qui prend la tête d’un mouvement populaire à<br />

Londres en 1196, ce dernier est arrêté par Hubert Walter, qui prend soin d’étendre la<br />

répression des insurgés à l’ensemble du royaume, pour dissuader toutes autres<br />

tentatives.<br />

Pour assurer et conserver la paix et pour la sécurité et la tranquillité<br />

de tout royaume, sur ordre des principaux justiciers, de nombreux<br />

individus ont été donnés en otage par l’intermédiaire de leurs fils et<br />

de leurs proches et placés dans diverses fortifications du pays<br />

attribuées à la garde des prisonniers 368 .<br />

Selon Radulf de Diceto la prise des rebelles, favorisée par des incitations à la<br />

délation, implique la mise à disposition de châteaux et de manoirs royaux qui<br />

deviennent progressivement des centres d’emprisonnement temporaires. Ceux qui<br />

n’étaient plus depuis longtemps des lieux de résidences royales semblent avoir été<br />

particulièrement réinvestis de ces nouvelles fonctions. On peut ainsi citer le cas des<br />

manoirs de Faringdon, Writtle et Rothley, où les dépenses royales sont presque<br />

exclusivement affectées à la construction et à l’entretien de la prison. Les travaux des<br />

prisons de Writtle, en Essex, commencent en 1195 par de petites dépenses puis en 1198,<br />

10 marcs sont attribués « pour faire une prison à Writtle » 369 . Selon R. Pugh, la prison<br />

de Writtle n’a pas duré longtemps à l’instar de celle de Rothley où des travaux ont lieu<br />

en 1195 et 1203 puis de temps à autre jusqu’en 1231, date à laquelle le manoir est<br />

donné aux Templiers 370 . L’aménagement des prisons dans les manoirs ou châteaux<br />

royaux ne peut être séparé des transformations générales qui touchent les sites castraux<br />

à la fin du XII e siècle, marqués par une extension des enceintes et l’inflation des<br />

bâtiments à fonction résidentielle et administrative à l’intérieure de celle-ci (voir<br />

chapitre 5) 371 .<br />

À Londres, qui était le principal centre pénitentiaire du royaume, il y avait deux<br />

prisons en plus des cachots de la Tour. Les travaux pour ce qui apparaît dans les pipe<br />

368 DICETO, II, p. 143-144 : Ob pacem ergo totius regni sollicitius et securius procurandam et<br />

conservandam, de justitiarii principalis decreto, multorum mediae manus hominum filii vel propinqui dati<br />

sunt in obsidatum in diversis per patriam munitionibus carcerali custodiae mancipandi.<br />

369 PR 10 Richard, p. 126, pro una gaiola facienda apud Writel.<br />

370 PR 7 Richard, p. 184; PR 5 Jean, p. 28. PUGH, R. B., « The King's Prisons before 1250 », T.R.H.S., 5<br />

(1955), p. 1-22 cite MAXWELL-LYTE, H. C. et CRUMP, C. G. (eds.), Calendar <strong>of</strong> the charter rolls<br />

preserved in the Public Record Office, 1903, vol.1, p. 135 ; MAXWELL-LYTE, H. C. (éd.), Close Rolls<br />

<strong>of</strong> the Reign <strong>of</strong> Henry III. preserved in the Public Record Office, 1902 (1231-34), p. 514 ; (1234-37),<br />

p. 98.<br />

371 SAUNDERS, A., « Administrative Buildings and Prisons in the Earldom <strong>of</strong> Cornwall », dans Warriors<br />

and churchmen in the high middle ages : essays presented to Karl Leyser, 1992, p. 195-216.<br />

310


olls comme la « prison de Londres » commencent en 1156 372 . Puis entre 1162 et 1190<br />

plus de £182 y sont dépensées, dont £11 17s., en 1173, sous la direction de Ailnoth<br />

l’ingénieur du roi 373 . Selon R. Pugh, cette prison prend le nom de « Fleet » à partir de<br />

1197, et entre 1201 et 1207, plus de £102 sont à nouveau dépensées, notamment pour<br />

faire la couverture des bâtiments et réparer le pont 374 . Selon Margery Basset, la prison<br />

de Fleet qui se trouvait juste à coté de Ludgate devint rapidement la prison des inculpés<br />

pour des procès de droit commun (common pleas) et de l’Échiquier, qui punissait<br />

notamment les débiteurs de la Couronne 375 . La deuxième prison de Londres est celle de<br />

Newgate, qui apparaît dans les pipe rolls en 1188. À cette date, £36 11d. sont données à<br />

deux charpentiers, Ge<strong>of</strong>froy et Richard et un forgeron, Radulf, pour faire une prison sur<br />

des terres qu’Henri II venait d’acheter « à côté de Newgate », c'est-à-dire la porte<br />

occidentale de Londres 376 . Par la suite et jusqu’en 1215, près de 36 autres livres sterling<br />

sont dépensées ça et là pour des réparations et des ajustements 377 . Selon R Pugh, les<br />

prisonniers étaient répartis dans les trois prisons de Londres selon la gravité du délit.<br />

Les gardiens des prisons de Fleet et Newgate jouissaient d’un statut particulier car leur<br />

charge semble avoir été un <strong>of</strong>fice héréditaire. La garde de la prison de Newgate qui était<br />

associée à celle du vieux palais de Westminster était détenue depuis la conquête par la<br />

famille de Leveland. Nous ne savons rien d’eux, si ce n’est qu’à partir de 1189,<br />

Guillaume de Longchamp, régent du royaume après le départ de Richard en croisade,<br />

les dépouille de cet <strong>of</strong>fice pour le confier à son frère Osbert de Longchamp, pensant<br />

sans doute pouvoir ainsi renforcer son emprise sur la cité 378 .<br />

Si la garde des prisons était un <strong>of</strong>fice affermé ou un poste gagé, de même tous<br />

ces chantiers de prisons constituaient des constructions royales, entièrement financées<br />

par la Couronne, chargée notamment de fournir le bois des forêts royales. Il est peu<br />

vraisemblable cependant que les bâtiments qui abritaient les prisonniers étaient<br />

372 PR 1 Henri II, p. 4.<br />

373 PR 8, H.II., p. 67 ; PR 19 H.II., p. 91 ; P 31 H.II., p. 44 ; PR 32 H.II., p. 198, PR 1 Richard, p. 223 ; PR<br />

2 Richard, p. 156.<br />

374 PR 3 Jean, p. 258, PR 4 Jean, 284 ; PR 5 Jean, p. 7 ; PR 9 Jean, p. 31.<br />

375 BASSETT, M., « The Fleet Prison in the Middle Ages », The University <strong>of</strong> Toronto Law Journal, 5: 2<br />

(1944), p. 383-402.<br />

376 PR 34 Henri II, p. 18, 66s. 8d. pro emenda terra juxta Niwegata ad faciendam gaiolam ; BASSETT,<br />

M., « Newgate Prison in the Middle Ages », Speculum, 18: 2 (1943), p. 233-246<br />

377 PR 1 Richard, p. 223 ; PR 5 Richard, p. 159 ; PR 6 Richard, p. 176 ; PR 2 Jean, p. 150 ; PR 4 Jean,<br />

p.284 ; PR 6 Jean, p.93 ; PR 8 Jean, p. 55 ; PR 11 Jean, p. 27 ; PR 14 Jean, p. 23 ; PR 16 Jean, p. 79 ; PR<br />

17 Jean, p. 32.<br />

378 CLAY, C. T., « The Keepership <strong>of</strong> the Old Palace <strong>of</strong> Westminster », E.H.R., 59: 233 (1944), p. 1-21;<br />

BASSETT, M., « Newgate Prison in the Middle Ages », Speculum, 18: 2 (1943), p. 233-246.<br />

311


uniquement des bâtiments en bois 379 . Qu’il n’y ait pas de mention d’usage de pierre<br />

pour ces constructions ne signifie pas qu’elles n’étaient pas maçonnées. Les bâtiments<br />

comprenaient vraisemblablement différents types de pièces selon le rang des individus<br />

enfermés. Ainsi les débiteurs de la Couronne ne devaient pas être enchaînés ni même<br />

enfermés entre quatre murs mais seulement retenus à l’intérieur des enceintes du<br />

château 380 . Au cours du XIII e siècle, cependant les distinctions de statuts entre les<br />

prisonniers ont tendance à se réduire, si bien que Bracton pouvait condamner les<br />

geôliers qui réduisaient leur charge à celle d’enchaîner les prisonniers 381 .<br />

Le développement des prisons en Angleterre est donc un phénomène précoce, lié<br />

à la capacité du roi à concentrer concrètement entre ses mains, dès le milieu du XII e<br />

siècle, le monopole de la haute justice ainsi qu’à la nécessité pour les shérifs de placer<br />

les criminels en lieu sûr, en attendant l’arrivée des juges royaux. Sur le continent, la<br />

situation n’est clairement pas la même, la justice pouvant être exercée localement et<br />

presque immédiatement par les châtelains détenteurs du ban et en appel par les <strong>of</strong>ficiers<br />

du roi. En ce sens, l’essor de la prison en Angleterre constitue une manifestation de la<br />

potestas publica du roi et de sa capacité à l’inscrire dans le territoire du royaume. Elle<br />

traduit également la genèse d’un pouvoir de coercition qui tend à s’appliquer par<br />

l’intermédiaire des lieux, non plus seulement sur les fidélités, mais aussi sur les corps<br />

des individus. Cet aspect constitue, selon Michel Foucault et Giorgio Agamben, par le<br />

processus de subjectivation qu’il induit, une manifestation de l’émergence de la<br />

souveraineté du pouvoir 382 .<br />

3.3- Conclusion du chapitre<br />

De ce chapitre consacré à l’analyse des situations dans lesquelles un enjeu public<br />

émerge de l’action royale, on peut conclure tout d’abord que le renouveau de l’utilité<br />

publique sur la scène politique est autant lié à la renaissance du droit romain au XII e<br />

siècle, qu’à la nécessité d’une régulation qu’avait progressivement imposées la<br />

« privatisation » ou la féodalisation des travaux publics et la désuétude dans laquelle<br />

étaient tombées les obligations antiques liées à l’entretien de ces travaux. Cette<br />

379 PUGH, R. B., « The King's Prisons before 1250 », T.R.H.S., 5 (1955), p. 1-22.<br />

380 Ibid.; RICHARD FITZNIGEL, Dialogus de Scaccario (and) Constitutio Domus Regis. The Course <strong>of</strong><br />

the Exchequer. The Establishment <strong>of</strong> the Royal Household, 1983, p. 21. et p. 117.<br />

381 HENRY DE BRACTON, On the laws and customs <strong>of</strong> England, 1968, II, p. 2999.<br />

382 FOUCAULT, M., Surveiller et punir. Naissance de la prison, 1993; AGAMBEN, G., Homo sacer I Le<br />

pouvoir souverain et la vie nue, 1997.<br />

312


emarque rejoint celle que John Dewey fait en 1927 et que Peter Von Moos propose de<br />

reprendre à son compte : l’une des conditions d’émergence de la première fonction<br />

publique serait née de la nécessité ressentie collectivement de réguler les nuisances qui<br />

portaient atteinte à l’autonomie des acteurs 383 .<br />

Si les mesures prises sont efficaces et durablement organisées, de ce<br />

« public » naît l’État, avec tout ce qu’il contrôle des effets généraux<br />

d’actions particulières, comme les contrats, arbitrages, associations,<br />

jusqu’aux systèmes fiscaux et aux grandes bureaucraties. La frontière<br />

entre public et privé est donc le besoin de contrôle des conséquences<br />

publiques d’actions privées. Si cette frontière n’est pas stable, c’est<br />

que les représentants du ‘public’ chargés de faire ce contrôle ont<br />

toujours tendance eux-mêmes à agir selon leurs intérêts privés 384 .<br />

Au-delà de la régulation sociale, l’essor du caractère public de certaines constructions<br />

apparaît également lié au rehaussement de la fonction royale et de ses prérogatives.<br />

Prérogatives quant à la protection et la sécurité aux frontières d’une part, qui réactive la<br />

morale de la défense de la patrie, comme combat pour des intérêts communs dépassant<br />

les rapports de vassalités ; et de sécurité intérieure d’autre part, c'est-à-dire de garantie<br />

de l’ordre public contre les désordres liés à la féodalité. Le maintien de l’ordre public<br />

passait alors non seulement par l’aménagement des berges, l’entretien des ponts, mais<br />

aussi par la lutte contre la pauvreté croissante et l’infirmité (construction d’institution<br />

d’assistance) et contre les bandits et les malfaiteurs (construction des prisons). C’est<br />

donc par l’affirmation d’un certain monopole de la puissance publique que le bien<br />

commun devient progressivement une prérogative de la personne royale.<br />

Dans cette entreprise, les Plantagenêt ont trouvé dans les élites urbaines de<br />

véritables alliés, et cette relation va constituer un point central dans la formation de<br />

l’État au Moyen Âge. La politique de grands travaux permet en effet de montrer, à<br />

l’exemple de la Lombardie du XV e siècle, que la défense des intérêts de l’oligarchie des<br />

villes a constitué tout au long du Moyen Âge, un enjeu crucial de la justification de<br />

l’État princier et de sa nécessité sociale 385 . Cependant, la dimension d’« utilité<br />

383 VON MOOS, P., « Public et privé au cours de l'histoire et chez les historiens », dans Entre histoire et<br />

littérature. Communication et culture au Moyen âge, 2005, p. 440-470, p. 451-52 cite DEWEY, J., The<br />

Public and its Problems, 1927.<br />

384 Ce modèle que Dewey concevait plutôt comme un idéal-type webérien <strong>of</strong>fre l’avantage selon Peter<br />

Von Moos d’être le plus proche des conceptions romaines qui dominent toute l’histoire du concept<br />

jusqu’au XVIII e siècle. VON MOOS, P., « Public et privé au cours de l'histoire et chez les historiens »,<br />

dans Entre histoire et littérature. Communication et culture au Moyen âge, 2005, p. 440-470, p. 251-252.<br />

385 BOUCHERON, P., Le pouvoir de bâtir. Urbanisme et politiques édilitaire à Milan (XIII e -XV e siècles),<br />

1998, p. 622.<br />

313


publique » dans les interventions des Plantagenêt n’apparaît pas encore distinctement<br />

dans les discours et parfois même dans les pratiques, où elle reste parfois étroitement<br />

mêlée aux intérêts personnels. Elle n’en constitue pas moins un enjeu désormais<br />

politique. Pour Jean de Salisbury en effet, la capacité du prince à agir au nom de la res<br />

publica ou de la Couronne, c'est-à-dire en tant qu’il représente l’intérêt commun, c'est-<br />

à-dire l’intérêt propre du corps politique, constitue un critère essentiel dans la<br />

construction d’une personne publique du roi, distincte de la personne privée 386. Or, on<br />

l’a vu, nombre d’interventions d’utilité publique apparaissent encore sous le signe du<br />

« patronage » royal. En cela, l’autonomie de l’espace du politique n’est pas encore<br />

d’actualité au XII e siècle. Il faut en effet attendre les derniers siècles du Moyen Âge<br />

pour que la territorialisation du droit et du pouvoir souverain s’accomplisse<br />

véritablement à travers l’émergence de l’État comme institution concurrente de<br />

l’Église 387 . C’est donc seulement au prix de son émancipation de la légalité religieuse<br />

que l’utilitas publica pourra signifier l’intérêt politique du royaume en tant que réalité<br />

territoriale 388 .<br />

386 JEAN DE SALISBURY, Policraticus. Of the Frivolities <strong>of</strong> Courtiers and the Footprints <strong>of</strong><br />

Philosophers, 1990 : Livre VI, cap. V. [Col.0597A] : « Il y a deux communautés : celle qui exerce l’esprit<br />

et celle qui entraîne le corps ; la première dédiée au ministère des autels et au culte de l’église par la<br />

langue des papes et le deuxième qui défend la république par la langue des ducs (Haec enim duo<br />

communia sunt his qui spiritualem et corporalem militiam exercent. Hos enim ad ministerium altaris et<br />

cultum ecclesiae vocat lingua pontificis, illos ad defensionem reipublicae eligit lingua ducis).<br />

387 SENELLART, M., Machiavélisme et raison d'état, 1989, p. 31.<br />

388 Ibid., p. 23-24.<br />

314


Chapitre 4<br />

Constructions et délimitation des<br />

frontières de l’empire<br />

Les XII e et XIII e siècles constituent un tournant dans la conception territoriale<br />

des délimitations politiques. Au moment où les concepts de regnum et patria prennent<br />

une dimension de plus en plus territoriale comme le traduisent les titulatures princières<br />

où l’expression rex Francia vient se substituer à rex francorum, aucun vocabulaire<br />

spécifique ne vient cependant marquer dans le langage ce glissement, qui se contente<br />

d’investir d’un nouveau sens des mots déjà présents. Si le terme de frontière est absent<br />

du lexique médiéval, qui utilise plus volontiers les termes de limites (fines, termini),<br />

confins (confina), marges (margines, marcha), voire borne (meta), ne peut-on utiliser le<br />

concept de frontière, pour définir au XII e siècle des zones de contacts entre deux<br />

espaces politiques, qui inclurait toute cette polysémie 1 ?<br />

Repenser la frontière médiévale à l’échelle de l’empire des Plantagenêt comme<br />

un espace fluide d’interactions oblige en effet à remettre en cause les cadres conceptuels<br />

qui ont longtemps dominé la définition de la frontière. Pourtant, depuis le XIX e siècle,<br />

l’idée de frontière a pr<strong>of</strong>ondément changé. Les travaux pionniers de Frederick Jackson<br />

Turner sur la frontière américaine sont les premiers à remettre en cause l’idée de la<br />

frontière comme ligne d’arrêt, barrant l’accès aux ennemis ou comme frontière<br />

« naturelle » pour définir la frontière comme zone de passages et de contacts, et en<br />

conséquence instable et dynamique 2 . Longtemps ignorés voire rejetés, ces travaux ont<br />

été l’objet de relectures successives qui ont alimenté le renouveau de ce thème<br />

1 NORDMAN, D., Frontières de France: de l'espace au territoire : XVIe-XIXe siècle, 1998.<br />

2 TURNER, F. J., The frontier in American history, 1997; TURNER, F. J., Rereading Frederick Jackson<br />

Turner "The significance <strong>of</strong> the frontier in American history" and other essays, 1998.<br />

315


désormais à la mode 3 . L’étude de la frontière comme processus s’est donc<br />

progressivement imposée, exploitant et élargissant le modèle de la frontière ouest<br />

américaine, en la débarrassant de la vision ethnocentrée de Turner. À ce que Robert I.<br />

Burns appelle le « turnerisme » qui consistait à étudier les « êtres humains travaillant<br />

avec divers outils pour transformer les ressources d’une région ouverte », s’est donc<br />

substituée une approche « néo-turnérienne » fondée sur une conception élargie de la<br />

frontière comme zone de contacts dans laquelle des groupes sociaux, aux appartenances<br />

culturelles ou politiques différentes, luttent pour le contrôle des ressources et du pouvoir<br />

politique ; une définition qu’historiens et géographes se sont appropriés pour étudier les<br />

types de comportements, les pratiques politiques et les institutions générées par<br />

l’expérience de la frontière 4 . Chez les médiévistes, ces réinterprétations ont rencontré et<br />

revitalisé une historiographie de la frontière comme espace de marche qui existait<br />

depuis longtemps. Pour Robert I. Burns, en effet, le schéma narratif américain « néo-<br />

turnérien » de la frontière n’est autre chose que ce que les Européens appellent une<br />

démarche d’anthropologie historique.<br />

Si ce chapitre s’inscrit dans la continuité de ces études visant à expliquer de<br />

manière moins « étatique » le phénomène frontalier, il s’agira cependant moins<br />

d’étudier les rapports sociaux et les interactions spécifiques à ces espaces que leurs<br />

formes et la nature de leur territorialité en fonction de la domination exercée sur les<br />

territoires qu’elles délimitent. Plutôt que de voir l’histoire des frontières politiques<br />

comme le passage d’une zone à une ligne et d’une signification mineure à une<br />

importance majeure – les limes romains en sont un exemple paradigmatique 5 – nous<br />

tenteront de voir que la question de la délimitation entre deux espaces politiques a<br />

d’abord été une construction sociale, mettant en jeu des dispositifs conventionnels<br />

spécifiques aux pouvoirs que la frontière mettait en contact. Il n’y a donc pas de<br />

3 Chez les historiens français on peut notamment citer les travaux fondateurs de FEBVRE, L., « Frontière:<br />

le mot et la notion », dans Pour une histoire à part entière, 1982 [1962] ; et plus récemment NORDMAN,<br />

D., Frontières de France: de l'espace au territoire : XVIe-XIXe siècle, 1998. Voir aussi MORIEUX, R.,<br />

Une mer pour deux royaumes, 2008, et pour le Moyen Âge : GUENÉE, B., « Des limites féodales aux<br />

frontières politiques », dans Les Lieux de Mémoire. Vol. 1 : La Nation, 1997, p. 1103-1124 ; BURNS, R.<br />

I., « The significance <strong>of</strong> the Frontier in the Middle Ages », dans , 1989, p. 307-330 ; POWER, D. J., « A.<br />

Frontiers: terms, concepts, and the historians <strong>of</strong> medieval and early modern Europe », dans Frontiers in<br />

Question : Eurasian Borderlands, 700-1700, 1999, p. 1-12; ABULAFIA, D. et BEREND, N. (eds.),<br />

Medieval Frontiers : Concepts and Practices, 2002.<br />

4 R.I. Burns cite entre autre DYSON, S. L., The Creation <strong>of</strong> the Roman Frontier, 1985 ; MELBIN, M.,<br />

Night as Frontier : Colonizing the World after Dark, 1987 mais c’est également l’approche de POWER,<br />

D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries, 2004.<br />

5 POWER, D. J., « A. Frontiers: terms, concepts, and the historians <strong>of</strong> medieval and early modern<br />

Europe », dans Frontiers in Question : Eurasian Borderlands, 700-1700, 1999, p. 1-12.<br />

316


frontière « naturelle » par définition, mais seulement des naturalisations de la frontière,<br />

comme le montre le cas de la Manche qui n’était pas plus au Moyen Âge qu’à l’époque<br />

moderne une frontière « naturelle », ni même « nationale », puisque l’aristocratie<br />

normande était, jusqu’en 1204 du moins, aussi une aristocratie anglaise 6 .<br />

Si le renouvellement des études sur la frontière doit beaucoup d’une certaine<br />

manière à l’anthropologie historique, le rôle de la géographie ne peut pas être totalement<br />

écarté, en particulier en ce qui concerne l’analyse des différents types de<br />

« territorialités » 7 frontalières 8 . La « géopolitique » s’est notamment renouvelée en<br />

prenant en compte le caractère multiforme des frontières pour tenter d’en faire une<br />

étude comparative 9 .<br />

L’échelle impériale dans laquelle s’inscrit notre étude invitait à appréhender les<br />

frontières de l’empire Plantagenêt dans une perspective comparative, non seulement<br />

pour ne pas reproduire la description du « tracé » de la frontière comme ligne de partage<br />

tel que l’avait proposé Jacques Boussard en 1956 10 , mais aussi et surtout pour mieux la<br />

comprendre comme un espace dynamique, pr<strong>of</strong>ondément hétérogène et instable, dont la<br />

fixation juridique s’est imposée progressivement au fil des traités, de plus en plus<br />

nombreux, passés entre les Plantagenêt et leurs voisins. Nous ne traiterons pas, par<br />

exemple, les frontières de l’Aquitaine comme un tout mais en les distinguant selon les<br />

dynamiques propres aux différents fronts qui la constituent : les constructions<br />

frontalières limitant l’extension du comté de Toulouse ne peuvent en effet être<br />

assimilées aux confins auvergnats. L’empire Plantagenêt ne possède pas une, mais de<br />

multiples frontières qui correspondent à autant de formes territoriales du pouvoir. Ainsi,<br />

il s’agira moins de rechercher la cohérence d’un projet impérial programmé au travers<br />

6 MORIEUX, R., Une mer pour deux royaumes, 2008.<br />

7 Le concept de territorialité est utilisé par les géographes pour insister sur le « caractère intentionnel,<br />

donc au moins partiellement accepté et même parfois choisi, et non plus seulement subi, du rapport des<br />

êtres humains à leur espace et donc aux autres ». SÉCHET, R. et KEERLE, R., « Petite histoire de<br />

délicatesses de "l'équipe-de-géographie-sociale-de-la-France-de-l'Ouest" avec le territoire », dans<br />

Territoires, territorialité, territorialisation. Controverses et perspectives, 2009, p. 83-93 ; pour les<br />

défintion de territorialisation. Voir aussi VANIER, M. (ed.), Territoires, territorialité, territorialisation.<br />

Controverses et perspectives, 2009, p. 12, 29, 199<br />

8 Voir les travaux de Michel Fouchet et Claude Raffestin notamment : FOUCHET, M., Fronts et<br />

frontières. Un tour du monde géopolitique, 1988; GUICHONNET, P. et RAFFESTIN, C., Géographie<br />

des frontières, 1974 et plus récemment AMILHAT-SZARY, A. et FOURNY, M. C. (eds.), Après les<br />

frontières, avec la frontière. Nouvelles dynamiques transfrontalières en Europe, 2006; WACKERMANN,<br />

G., Les frontières dans un monde en mouvement, 2005.<br />

9 MILLER, D. H. et al., The Frontier : Comparative Studies, 1977. Série de conférences qui se sont<br />

tenues à l’université d’Oklahoma à partir de 1976.<br />

10 BOUSSARD, J., Le gouvernement d'Henri II Plantagenêt, 1956.<br />

317


des phases successives de conquêtes 11 , que de saisir l’hétérogénéité et les différents<br />

degrés de territorialisation du pouvoir aux frontières. Si l’échelle impériale appelle ainsi<br />

à remettre en cause les cadres géographiques construits par les historiographiques<br />

nationales, c’est pour mieux les inscrire au sein des logiques féodales du XII e siècle, qui<br />

ont leurs propres lignes de partage. La conception patrimoniale qu’Henri II se faisait de<br />

son empire est en effet centrale non seulement pour comprendre son impérialisme en<br />

Irlande et en Bretagne, mais aussi pour saisir le sens des recompositions territoriales<br />

imposées à partir des années 1160, qui entérinent la division des territoires, en même<br />

temps que leur rassemblement au sein d’une vaste confédération familiale.<br />

L’ACM présentée dans le chapitre 1 a fait ressortir de manière assez régulière<br />

des rapprochements et des éloignements entre les différents territoires, et en particulier<br />

en distinguant des espaces centraux et des périphéries (graphiques 4.1). En explorant les<br />

pistes suggérées par cette analyse, on peut distinguer trois groupes qui rassemblent des<br />

espaces rarement abordés dans une perspective comparative : le Vexin et le Pays de<br />

Galles, marches fortement militarisées d’une part, la Gascogne et la Bretagne puis<br />

l’Irlande et les frontières de l’Écosse d’autre part, comme frontières peu militarisées, et<br />

enfin l’Auvergne et le Limousin comme espaces les plus périphériques. En suivant cette<br />

typologie, nous tenterons de mettre en lumière ces différentes territorialités en analysant<br />

leurs caractéristiques frontalières. Dans un premier temps, nous aborderons la question<br />

de la forte militarisation des frontières du Pays de Galles et de la Normandie à partir du<br />

rapport entre un espace fortement dominé et l’intensité de la délimitation. Dans quelle<br />

mesure en effet la fréquence des conflits qui s’y jouent contribue-t-elle à préciser<br />

toujours plus les délimitations et à modifier la territorialité de l’espace ainsi défini ?<br />

Ensuite, nous étudierons les frontières de contact où le rapport entre le dominium et<br />

l’imperium des Plantagenêt doit être négocié, parfois diplomatiquement, parfois<br />

militairement (Toulousain, Bretagne jusqu’en 1166, Écosse, Irlande). Enfin, la faible<br />

territorialité des frontières de l’Aquitaine sera interrogée au regard de forces politiques<br />

non seulement indépendantes de l’imperium des Plantagenêt, mais dont l’expansion<br />

concurrente constitua un facteur puissant de désintégration.<br />

11 WARREN, W. L., Henry II, 2000, p. 201-203; HAYS, L. et JONES, E. D., « Policy on the Run: Henry<br />

II and Irish Sea Diplomacy », J.B.S., 29: 4 (1990), p. 293-316.<br />

318


1- La militarisation et la construction des délimitations<br />

frontalières<br />

La forte militarisation et les fréquentes incursions militaires menées par les<br />

Plantagenêt rapprochent en de nombreux points la frontière galloise et la frontière<br />

normande. Les enjeux qui se nouent autour de cette dernière à partir des années 1180 et<br />

surtout dans les années 1190 font de cet espace un véritable laboratoire des modes de<br />

délimitation entre deux territoires politiques fortement maîtrisés.<br />

1.1- La délimitation des territoires aux frontières orientales de la<br />

Normandie et de l’Anjou<br />

La question des frontières ducales de la Normandie est un thème qui dispose<br />

d’une longue historiographie aussi bien française que britannique 12 . Elle a récemment<br />

été renouvelée par Daniel J. Power qui revisite la question des frontières médiévales à la<br />

lumière des renouvellements conceptuels qui ont marqué ce thème ces dernières<br />

années 13 . Il insiste notamment sur le rôle des châteaux ainsi que sur celui des fondations<br />

monastiques dans la définition de la frontière, appelant à relativiser le caractère linéaire<br />

des frontières « naturelles » que les historiens avaient jusque là attribué à la Normandie<br />

(Epte et Avre, notamment). Daniel Power insiste notamment le rôle des serments de<br />

fidélités qui constituent le critère central dans la délimitation des frontières en ce qu’ils<br />

permettent d’interroger la conscience que les individus avaient de leur appartenance<br />

territoriale. Pratiquement rien n’est omis dans cette imposante étude qui englobe à la<br />

fois les aspects économiques, sociaux et culturels de la frontière, pas même le rôle de la<br />

construction et des pratiques ducales de ces espaces. Contrairement à Daniel Power,<br />

12 POWICKE, M., The Loss <strong>of</strong> Normandy : 1189-1204 : Studies in the History <strong>of</strong> the Angevin Empire,<br />

1963; MUSSET, L., « La frontière de l'Avre. Origines et significations historiques », dans Vallée de<br />

l'Avre, marche de saint-André, p. 31-38; MUSSET, L., « Observations sur l'histoire et la signification de<br />

la frontière normande X-XIIe siècles », Revue historique de droit français et étranger, 41 (1963), p. 545-<br />

546; MUSSET, L., « Notes sur la frontière normanno-mancelle », Annuaire des cinq départements de la<br />

Normandie, congrès d'Alençon (1964), p. 25-30; MUSSET, L., « La frontière du Vexin », Annuaire des<br />

cinq départements de la Normandie, congrès des Andelys (1966), p. 42-49; MUSSET, L.,<br />

« Considérations sur la genèse et le tracé des frontières de la Normandie », dans Media in Francia,<br />

recueil de mélanges <strong>of</strong>ferts à Karl Ferdinand Werner pour son 65e anniversaire, 1989, p. 309-318;<br />

LEMARIGNIER, J. F., Recherches sur l'hommage en marche et les frontières féodales, 1945.<br />

13 POWER, D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries, 2004; POWER, D.<br />

J., « What did the frontier <strong>of</strong> angevin Normandy comprise? », dans A.N.S., 1994, p. 181-202; POWER, D.<br />

J. et STANDEN, N. (eds.), Frontiers in Question : Eurasian Borderlands, 700-1700, 1999.<br />

319


notre perspective est moins celle d’une sociologie des pratiques culturelles, que d’une<br />

anthropologie des relations politiques. Nous insisterons donc surtout sur les frontières<br />

comme phénomène participant à la construction d’un espace politique en tant que lieux<br />

de négociation mais surtout de domination et de contrôle territorial. La chronologie des<br />

constructions frontalières à l’échelle de la Normandie et de l’Anjou – deux espaces<br />

fortement dominés par les Plantagenêt – met en évidence deux temps forts : un premier<br />

temps d’expansion, Henri II poussant au maximum ses revendications sur ses voisins, et<br />

un second temps de repli, orienté vers la défense de la vallée de la Seine avec la<br />

construction du complexe défensif de Château Gaillard sous le règne de Richard.<br />

1.1.1- La marche normano-angevine (1151-1170) comme laboratoire des modes de<br />

délimitation féodale<br />

L’instabilité territoriale des marches, lieux d’expression des conflits féodaux<br />

La construction d’une marche fortifiée entre le duché et le royaume capétien<br />

était déjà une préoccupation d’Henri I er qui avait entrepris d’installer une série de<br />

châteaux et de bourgs castraux le long des frontières de l’Avre et de l’Epte (carte 4.2) 14 .<br />

Depuis 1151 cependant, les châteaux du Vexin normand avaient été cédés à Louis VII<br />

par Geffroy le Bel en échange de la reconnaissance d’Henri comme duc de<br />

Normandie 15 . La récupération de ces châteaux et le rétablissement de la frontière, telle<br />

qu’elle était sous Henri I er , vont néanmoins constituer un objectif permanent au cours<br />

des années qui suivent l’accession d’Henri II.<br />

Alors que Louis VII fit venir son armée de Neufmarché à Chaumont en<br />

Vexin, Henri duc des normands, rassemblant un maximum de<br />

chevaliers et de piétons, délimita ses châteaux sur le fleuve Andelle, et<br />

de là, il s’attaqua à tous ceux qui résidaient dans cette partie du Vexin<br />

entre l’Andelle et l’Epte, qui faisait jusqu’alors partie du duché de<br />

Normandie 16 .<br />

14 BAUDUIN, P., « Bourgs castraux et frontière en Normandie aux XIe-XIIe siècles : l’exemple du<br />

département de l’Eure », dans Château et territoires. Limites et mouvances. Première rencontre<br />

d’archéologie et d’histoire en Périgord, 1995, p. 27-42 et aussi LEMOINE-DESCOURTIEUX, A., « La<br />

frontière normande de l'Avre de la fin du Xe siècle au début du XIIIe siècle: la défense et les structures du<br />

peuplement », Thèse de Doctorat, sous la dir. de François Neveux, 2003 (non consultée).<br />

15 TORIGNI, I, p. 255, 267.<br />

16 TORIGNI, I, p. 267 : Tradita, ut pradictum munitione Novi mercati Ludovico regi Francorum, idem<br />

rex exercitum suum usque Calvum Montem revocavit. At Henricus, dux Normannorum, collecta non<br />

minima manu electorum et peditum, castra metatus est juxta fluvium Andellae ; ubi residens aliquandiu<br />

afflixit illam partem Wilcasini, quae est inter Andelam et Ittam flumina, quae ad ducatum Normanniae<br />

pertinet.<br />

320


Jusqu’en 1170, cette zone de marche, entre Andelle et Epte, constitue un espace<br />

instable soumis à de fréquentes incursions, comme celle qu’Henri mène contre les<br />

châteaux de Bacqueville, Guitry et Etrépagny, qui sont tous trois détruits 17 . La<br />

reconquête des marches normandes s’inscrit également dans la lutte contre Étienne de<br />

Blois et ses partisans, et notamment Hugues de Gournay, dont il fait détruire le château<br />

à La Ferté en Bray et Richer de L’Aigle auquel il prend Bonmoulins en 1152 18 . Les<br />

interventions d’Henri II permettent ainsi de saisir l’extension de la frontière ducale au<br />

nord et au sud de la Seine. La volonté de mieux contrôler cet espace se traduit<br />

également par le patronage d’établissements monastiques tels que le prieuré<br />

grandmontain de Monnais installé dans les marches du Vexin. La charte de fondation de<br />

Monnais attribuée à Henri II a été clairement reconnue comme un faux, bien qu’une<br />

charte de confirmation de Richard semble pourtant reconnaître Henri II comme le<br />

fondateur 19 . Selon Elisabeth Hallam, le but de cette forgerie était de convaincre le roi de<br />

France que Monnais était bien une fondation royale, pour continuer à jouir de ce statut<br />

malgré le changement de domination.<br />

La dégradation des relations entre Capétiens et Plantagenêt à la suite du<br />

remariage d’Aliénor ou après la campagne de Toulouse se sont traduites par de<br />

multiples micro-conflits aux frontières. Ainsi, en 1156, Henri II réagit aux attaques de<br />

Nonancourt, Vernon et Verneuil prises par Louis VII, en faisant détruire les châteaux de<br />

Brézolles et Marcouville de Hugues de Châteauneuf-en-Thymerais dans le pagus de<br />

Dreux 20 . En 1159, en réponse aux déprédations commises par Robert de Dreux, le frère<br />

de Louis VII et l’évêque Henri de Beauvais, pendant qu’il était en Toulousain, Henri II<br />

dévaste le pagus de Beauvais, détruisant Gerberoy 21 . Il parvient également à s’attacher<br />

le concours de Thibaud de Blois qui lui rend hommage et de Simon d’Évreux qui livre<br />

ses trois forteresses franciliennes : Montfort-l’Amaury, Rochefort et Épernon 22 . Henri II<br />

17<br />

TORIGNI, I, p. 267 : destruxit etiam ibi et igni tradidit castellum Bacherivillae et duo alia castella<br />

Chitreium et Stripinneium combuxit.<br />

18<br />

TORIGNI, p. 268-269 ; YVER, J., « Les châteaux-forts en Normandie jusqu’au milieu du XIIe siècle :<br />

contribution à l’étude du pouvoir ducal », Bulletin de la société des antiquaires de Normandie, 53 (1955-<br />

56), p. 28-112 ; POWER, D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries,<br />

2004, 395-36.<br />

19<br />

HALLAM, E. M., « Henry II, Richard I and the order <strong>of</strong> Grandmont », J.M.H., 1: 2 (1975), p. 165-186.<br />

20<br />

TORIGNI, I, p. 267-69. Dux Vero vocatus a Gisleberto de Tegulariis, combuxit Brueroles castrum<br />

Hugonis de Novo Castello et alteram quandam munitionem Malculfivillam cognominatem, sitam in<br />

Dorcasino pago.<br />

21<br />

TORIGNI I, p. 322, 326.<br />

22<br />

SASSIER, Y., « Reverentia regis. Henri II face à Louis VII », dans 1204, la Normandie entre<br />

Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 23-35, TORIGNI, I, p. 326 ; LEFÈVRE, S., « La défense de la<br />

frontière normande et l’aménagement de la forêt d’Yveline par les seigneurs de Montfort », dans La<br />

Lorraine. 103e congrès national des sociétés savantes. Etudes archéologiques, 1980, p. 193-203.<br />

321


y installe des garnisons pour faire pression sur <strong>Paris</strong> et faire jouer le rapport de force en<br />

sa faveur. En 1167, face aux prédations des armées du roi de France entre Mantes et<br />

Pacy-sur-Eure, Henri II met à sac Chaumont-en-Vexin, la forteresse maîtresse de Louis<br />

VII, qui réagit en faisant brûler les Andelys et Gasny 23 . Aucune des incursions au cours<br />

de ces années n’a pour objectif d’opérer des saisies définitives, à l’exception des trois<br />

châteaux du Vexin normand, Gisors, Néaufles et Châteauneuf-sur-Epte, que Louis VII<br />

tenait depuis 1151 et qu’Henri II revendique en 1160, en tant que gardien de la dot de<br />

Marguerite de France qui venait d’être promise à Henri le jeune 24 . Avant de parvenir à<br />

un accord sur le statut de ces châteaux jusqu’à la célébration du mariage, Henri II et<br />

Louis VII s’affrontent à Chaumont-sur-Loire, aux portes de l’Anjou, où le roi de France<br />

avait envoyé une armée 25 . Depuis la cession des forteresses d’Amboise et de Fréteval<br />

par Thibault en 1158, Chaumont constituait en effet le château le plus menaçant pour<br />

l’Anjou. Après s’en être emparé sans mal, Henri II le rend à Hugues d’Amboise qui<br />

avait été fait prisonnier par les hommes du roi de France.<br />

Ensuite le roi Henri fortifia les tours d’Amboise et de Fréteval et y<br />

installa ses propres gardiens 26 .<br />

En 1158, Henri II avait également obtenu que Moulins-la-Marche et<br />

Bonmoulins, les châteaux de Rotrou du Perche, alors vassal des comtes de Blois, lui<br />

soient remis, conformément à l’exigence du retour à l’ordre de 1135 27 . Rotrou du<br />

Perche, qui alternait les hommages entre le duc de Normandie et le comte de Blois pour<br />

accroître son autonomie, est alors contraint de rendre hommage à Henri II pour son<br />

château principal de Bellême. Moulins et Bonmoulins étaient des châteaux qui faisaient<br />

face au comté de Blois. En les contrôlant, Henri II prenait non seulement pieds dans<br />

cette marche mais tenait des pièces maîtresses pour s’interposer entre son vassal et le<br />

comte de Blois. À la fin des années 1160, une nouvelle expédition punitive contre<br />

23<br />

TORIGNI, I, p. 365 ; DICETO I, p. 330; GERVAIS DE CANTORBERY, The Historical Works, 1965<br />

[1880], p. 203 ; POWER, D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries,<br />

2004, p. 398.<br />

24<br />

TORIGNI, I, p. 329.<br />

25<br />

DICETO, I, p. 304 ; HALPHEN, L. (éd.), Recueil d'annales angevines et vendômoise, 1903, p 35-36 :<br />

Henricus rex Calvum Montem contra regem Franciae et contra comites Blesis Tebaudum obsedit et<br />

viriliter cepit.<br />

26<br />

TORIGNI, I, p.330-331 : Exinde Henricus munitis turribus Ambaziae et Fractam Vallis et dispositis<br />

custodibus…<br />

27<br />

TORIGNI, I, p.314-315. Rodrocus reddidit Henrico regi duo castra, Molinas et Bonum Molinum, quae<br />

erant dominia ducis Normanniae, sed post mortem regis Henrici Rotrocus comes, pater hujus Rotroci<br />

occupavera ea.<br />

322


Brézolles répond au raid contre Chennebrun, menée par Louis VII en 1168 28 . Henri II<br />

prend acte du changement de mouvance de son vassal infidèle et ordonne que son<br />

manoir dans le Wiltshire soit confisqué et que ses revenus soient vendus à l’Échiquier<br />

au pr<strong>of</strong>it du roi 29 . Dés lors, Henri II semble renoncer à étendre sa domination en deçà de<br />

l’Avre et de la Sarthe et entreprend de fortifier cet espace mal contrôlé face au comté de<br />

Blois. À partir 1169, le chantier des « fossés royaux », qui avait sans doute débuté sous<br />

le règne d’Henri I er , est poursuivi et développé 30 .<br />

La construction des fossés royaux<br />

Le dispositif des « fossés royaux » visant à délimiter les territoires du duc de<br />

Normandie et les protéger des incursions menées sous l’égide du roi de France était<br />

alors composé d’une série de mottes distribuées le long de fossés accompagné d’un<br />

levée de terre, qui secondaient le tracé des rivières Sarthe, Iton et Avre, selon un<br />

système assez proche de l’Offa’s Dyke. Selon Lucien Merlet, une carte de l’évêché de<br />

Chartres par Jaillot (1690) les représente de Contreby à Nonancourt en passant par<br />

Saint-Christophe, Verneuil et Tillières, des villes neuves fondées par Henri I er<br />

(illustration 4.3) 31 . Selon Bernard Jouaux, les fossés se prolongeaient jusqu’à Sainte-<br />

Scolasse dans la Sarthe, qui comporte un lieu-dit « Fossé-le-Roy » 32 . Ghislain et Lionel<br />

Gauderoy font également remarquer qu’il existe des toponymes similaires plus au sud,<br />

entre Saint-Rémy du Val et la Motte Perray, où des « fossés-Robert » courraient sur une<br />

quinzaine de kilomètres. À la frontière occidentale du duché, « le grand fossé du comte<br />

de Mortain » et la « Haie de terre » étaient sans doute plus anciens (milieu du XI e<br />

28 TORIGNI, II, p. 8 : tradidit etiam castellum Hugonis de Novo Castello flammis et incendiis, vocatum<br />

Bruerolles, ut combustum ex re nomen haberet.<br />

29 THOMPSON, K., Power and Border Lordship in Medieval France. The County <strong>of</strong> the Perche, 1000-<br />

1226, 2002, p ; 96 cite PR 14 H.II, p. 18 : instauramento terrae comitis de Perche vendito et de assisa<br />

facta super homines eiusdem terra.<br />

30 LOUISE, G., La seigneurie de Bellême : Xe-XIIe siècles : dévolution des pouvoirs territoriaux et<br />

construction d'une seigneurie de frontière aux confins de la Normandie et du Maine, à la charnière de<br />

l'an mil, 1992, I, p. 422 ; II, p. 252 (n°53); POWER, D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early<br />

Thirteenth Centuries, 2004, p. 397.<br />

31 MERLET, L., Notice historique sur la baronnie de Châteauneuf-en-Thimerais, 1865, p. 13 ;<br />

LEMOINE-DESCOURTIEUX, A., « Les pouvoirs sur la frontière de l'Avre (XIe-XIIe siècles), Eure: du<br />

pouvoir seigneurial au pouvoir ducal, puis à l'autonomie urbaine », dans Les lieux de pouvoir au Moyen<br />

âge en Normandie et sur ses marges, 2006, p. 101-118, la reprise en main directe du pouvoir ducal sur<br />

l’Avre, comme partout en Normandie, s’est alors effectuée par la création de nouvellles institutions<br />

administratives et judiciaires directement imitées du modèle seigneurial.<br />

32 JOUAUX, B., « Les fossés-le-Roi », Cahiers Percherons. Châteaux-forts et guerre au Moyen Âge, 58<br />

(1978), p. 6-8.<br />

323


siècle) 33 . Ce système de fossés s’étendait au-delà de la Seine, au nord vers Aumale, où<br />

un « fossé-du-roi » et des « fosses cateresses » sont toujours en partie visibles sur une<br />

douzaine de kilomètre sur la ligne de partage des eaux entre le bassin de la Bresle d’une<br />

part et les vallées de l’Yères, l’Eaulne et la Béthune de l’autre 34 .<br />

Ces fossés s’achèvent en certains points marqués par de vastes mottes voire des<br />

châteaux qui participaient au dispositif de défense. Si nombre de ces fossés existaient<br />

déjà au milieu du XII e siècle, il est clair qu’Henri II a contribué à renforcer ce système<br />

dans les zones les plus instables, c'est-à-dire les marges soumises à l’influence<br />

capétienne. C’est en ce sens que l’on peut ainsi interpréter un passage laconique de<br />

Robert de Torigni racontant que le 16 février 1168, alors qu’Henri II est non loin de<br />

Fresnay-sur-Sarthe, « une motte de terre fut faite, et surmontée d’une tour en bois pour<br />

parcourir du regard toute la région » 35 . Aucun nom n’est mentionné pour identifier cette<br />

motte, qui devait néanmoins se trouver non loin de Beauvoir sur Moire (aujourd’hui<br />

Bourg-le-Roi), un château qu’Henri II fit édifier l’année suivante :<br />

Henri II fit construire un château bien fortifié et un bourg dans un lieu<br />

à coté de la Haye Malèfre appelé Beauvoir. 36<br />

Il concéda également une charte de franchises aux hommes de Beauvoir, dans<br />

laquelle il est question de son « nouveau château de Beauvoir sur la rivière Moire dans<br />

le Maine » 37 . Selon François Jouin, c’est également au roi que les habitants devaient la<br />

construction des enceintes, des portes et de l’Hôtel-Dieu 38 . Le château de Chennebrun<br />

apparaît également comme une pièce maîtresse du dispositif. Le parc contient toujours<br />

33 GAUDEFROY, G. e. L., « L’énigme du fossé du roi. section d’une ligne de défense qui ceinturait le<br />

duché de Normandie », Les cahiers de la société historique et géographique du bassin de l’Epte, 35<br />

(1995), p. 30-62 voir aussi BILLORÉ, M., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe - début XIIIe<br />

siècles). De l'autocratie Plantagenêt à la domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de<br />

Martin Aurell, 2005, non publiée, p. 431-432 cite LEPLA, D., « Les Fossés royaux et la notion de marché<br />

militaire au sud de l'ancien duché de Normandie (XIe-XIIe siècles) », Maîtrise d'Histoire, sous la dir. de<br />

Jacques Le Maho, 1992.<br />

34 GAUDEFROY, G. e. L., « L’énigme du fossé du roi. section d’une ligne de défense qui ceinturait le<br />

duché de Normandie », Les cahiers de la société historique et géographique du bassin de l’Epte, 35<br />

(1995), p. 30-62.<br />

35 TORIGNI, II, p. 4 : Quarto decimo kalendas Marcii terrae motus factus est, et globus ingeus visus est<br />

per area discurrere.<br />

36 TORIGNI, II, p 14 : rex Henricus fecit castrum munitissimum et burgum pergrande juxta hayam de<br />

Melfrete quod vocatum est Belleviez.<br />

37 Recueil des actes d’Henri II , I, p. 521-24 (n°CCCXCI) : Sciatis quod concessi et hac carta mea<br />

confirmaui hominibus castelleti mei noui de Beauueir super aquam de Moira in Cenomania. À ne pas<br />

confondre avec les mentions de Bello Videm dans les rouleaux de l’Echiquier normands de 1180 qui<br />

renvoient à la construction de Beauvoir-sur-Lyons en pays de Bray ; MRSN, I, p. 70-75.<br />

38 JOUIN, F., Bourg-le-Roi, journal d'une excursion archéologique dans l'histoire de France et du Maine,<br />

1909.<br />

324


quelques vestiges que la tradition orale nomme « Fossés-le-Roi ». Selon Astrid<br />

Lemoine, « ces vestiges se présentent sous la forme d’une levée de terre rectiligne,<br />

orientée d’ouest en est, avec une légère déviation Sud-Nord. Elle est conservée sur 1,20<br />

mètres de hauteur au maximum et sur une cinquantaine de mètre de longueur. D’après<br />

la configuration rectiligne de ces structures et la fossilisation dans la tradition orale, on<br />

peut déduire qu’il s’agit très certainement des terrassements d’Henri II » 39 . Ces remparts<br />

de terres qui s’étendaient sur une quarantaine de kilomètres ne consistaient donc pas<br />

seulement à délimiter avec précision la frontière de la Normandie, en lui conférant un<br />

caractère à la fois linéaire et « naturel », puisque ce dispositif de fossés visait<br />

principalement à renforcer le tracé des rivières et à en assurer la jonction, mais opéraient<br />

un réel « verrouillage », dont les conséquences territoriales ont abouti, au sud, à la<br />

fragmentation de la seigneurie de Bellême, comme seigneurie de marches 40 . Selon<br />

Robert de Torigni ces fossés délimitant la frontière entre la France et la Normandie,<br />

avaient pour objectif de contenir ‘les brigands’ 41 . L’ambiguïté du terme praedones<br />

suggère que ces fossés n’avaient pas seulement une fonction militaire, mais<br />

comportaient également une dimension « publique », liée à l’intérêt général qui visait à<br />

lutter contre les guerres privées, menées par les vassaux du duc. Robert de Torigni<br />

compare d’ailleurs ces fossés aux levées de la Loire, un système de digues qui avait<br />

également pour but de lutter contre les crues du fleuve (voir chapitre 3) 42 .<br />

Le Vendômois : une principauté territoriale comme « marche féodale »<br />

Plus au sud, la frontière semble avoir été un espace beaucoup fluide, s’étendant<br />

quasiment sur toute la région du Vendômois. L’autonomie relative du seigneur de<br />

Vendôme explique sans doute que cette marche ait été considérée comme une « zone<br />

neutre » dans laquelle Henri II et Louis VII se sont rencontrés à plusieurs reprises. En<br />

juillet 1168, les deux rois se rencontrent à la Ferté Bernard pour discuter des<br />

délimitations réciproque de leurs dominium. Il est alors établi que les fortifications des<br />

39 LEMOINE, A., « Chennebrun, un bourg castral au cœur des conflits franco-normands du XIIe siècle »,<br />

Annales de Normandie, 48 (1998), p. 525-544.<br />

40 LOUISE, G., La seigneurie de Bellême : Xe-XIIe siècles : dévolution des pouvoirs territoriaux et<br />

construction d'une seigneurie de frontière aux confins de la Normandie et du Maine, à la charnière de<br />

l'an mil, 1992, I, p. 418-22.<br />

41 TORIGNI, II, p. 13-14 : Henricus fecit fossata alta et lata inter franciam et normanniam, ad praedones<br />

arcendos. Similiter fecerat in Andegavensi pago super Ligerim, ad aquam arcendam, quae messe et prata<br />

predebat…<br />

42 TORIGNI, II, p. 13, note 6.<br />

325


« marches » pourront être poursuivies de chaque côté, jusqu’à l’Avent 43 . Les Annales<br />

Angevines racontent également qu’Henri II se trouvait, à Beaumont ‘in Francia’, le 7<br />

avril, qui évoque vraisemblablement Beaumont la Ronce, tenu par les comtes de Blois 44 .<br />

L’année suivante, Henri II reçoit de manière fortuite le château de Montmirail, qu’il a<br />

l’occasion d’acheter à Guillaume de Gouet, à la faveur d’un conflit entre ce dernier et le<br />

comte de Blois, qui voulait le lui confisquer 45 . Si ce château lui permet d’avancer ses<br />

positions, le renforcement de la frontière mancelle n’ira pas plus loin. À partir des<br />

années 1180, Henri II tend même à y assouplir son étreinte comme le suggère la<br />

concession de Bourg-le-Roi à son cousin, le vicomte de Beaumont-sur-Sarthe 46 . En<br />

revanche, le contrôle des marches de l’Anjou nécessitait d’appesantir la domination sur<br />

le Vendômois.<br />

Vendôme est confisqué en 1173, à la suite de la participation de Bouchard IV la<br />

révolte des fils d’Henri II et restauré à son père Jean I er , qui meurt peut après en 1180 47 .<br />

Alors que le frère cadet de Bouchard, Lancelin de Vendôme, apparaît bien intégré dans<br />

les réseaux de fidélité des Plantagenêt 48 , Bouchard poursuit sa sédition en rendant sa<br />

terre et son château au roi de France en juillet 1188 49 . Aussitôt après, Richard mène une<br />

chevauchée punitive dans le comté de Vendôme 50 . Le conflit entre Plantagenêt et<br />

Capétiens qui se déroule en partie dans le comté de Vendôme pourrait bien avoir été<br />

l’occasion de fortifications de la part d’Henri II, Richard puis de Jean, notamment à<br />

Montoire-sur-le-Loir où Christian Corvisier observe des caractéristiques<br />

43 Ibid., II, p. 7 : Munitis autem Marchis, ex utraque parte continuata est decertatio usque ad Adventum<br />

Domini.<br />

44 HALPHEN, L. (éd.), Recueil d'annales angevines et vendômoise, 1903, p. 15.<br />

45 TORIGNI, II, p. 16.<br />

46 POWER, D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries, 2004, p.402 cite.le<br />

cartulaire du Mans n°XVI.<br />

47 PETERBOROUGH, I, p. 63 :Circa festum sancti Andrea venit rex cum braibacenis suis ad<br />

Vendomians quam Brachardus de Lavardin, patre suo comite de Vendomia expulso contra regem tenuit,<br />

et eam cepit; BARTHÉLEMY, D., La société dans le comté de Vendôme de l'an mil au XIVe siècle, 1993,<br />

p. 730-732<br />

48 Ibid., p; 730-732 cite Recueil des actes d’Henri II , I, 143, II, 632- 633.<br />

49 HOVEDEN, II, p. 343: Bucardus vero de Vendomio reddidit se et terram et castella sua regi Francie et<br />

adhesit ei.<br />

50 HALPHEN, L. (éd.), Recueil d'annales angevines et vendômoise, 1903, p. 74 : combustio Vindocini a<br />

comite Pictavie Richardo circam medium augusti ; PETERBOROUGH, II, p.49 : Nevlon filius Ursoni de<br />

Freteval juravit regi Angliae fidelitatem contra omnes homines et fidele servitium. Et rex Anglie fecit ei<br />

cartam suam de honore de Lavardin et de Faia. Pour Jacques Boussard, la sanction fut la confiscation du<br />

château de Lavardin, mais Dominique Barthélémy conteste cette interprétation car si Hoveden raconte<br />

que Nevelon de Fréteval jura fidélité et rendit les châteaux de Lavardin et La Faye à Henri II, il s’agit<br />

vraisemblablement de Faye-la-Vineuse près de Chinon et de Lavardin dans la Sarthe. BOUSSARD, J., Le<br />

Comté d'Anjou d'Henri Plantegenêt à la conquête de Philippe Auguste, 1932, p. 46, note 2 ;<br />

BARTHÉLEMY, D., La société dans le comté de Vendôme de l'an mil au XIVe siècle, 1993, p. 731.<br />

326


archéologiques, comme les archères de l’éperon, très comparables aux modèles<br />

« Plantagenêt » des années 1200 (voir chapitre 5) 51 . Si les fortifications de l’Anjou sont<br />

assez mal renseignées par la documentation écrite, ce n’est pas le cas en Normandie où<br />

l’on peut suivre plus précisément l’investissement des Plantagenêt dans les frontières du<br />

Vexin.<br />

1.1.2- La lutte pour le Vexin 1170-1189<br />

Au cours des années 1170, les possessions Plantagenêt progressent à nouveau<br />

dans ces marches à la faveur de plusieurs événements. En premier lieu, le mariage<br />

d’Henri le jeune et de Marguerite de France permet à Henri II de mettre la main sur le<br />

Vexin normand et notamment les trois forteresses de Gisors, Néaufles et Châteauneuf-<br />

sur-Epte, qui avaient été confiées, depuis 1160, à la garde des Templiers. Cette reprise<br />

en main déplace la limite du duché à nouveau le long de l’Epte jusqu’à Vernon. Par<br />

ailleurs, la victoire militaire d’Henri II, en 1173-74, lui permet de retenir certaines<br />

forteresses stratégiques, comme Pacy-sur-Eure et Tillières, qu’il avait capturées pendant<br />

la guerre, ainsi qu’Ivry, qu’il convoitait particulièrement, et dont il obtient la reddition<br />

en 1177 par Galéran, fils de Guillaume Louvel qui en était le gardien héréditaire 52 .<br />

À cette date, Henri II peut également compter sur la maison du Perche, qui<br />

choisit le camp des Plantagenêt face à la coalition entre les Capétiens et les comtes de<br />

Blois qui ne cessait de se préciser. À l’automne 1174, Ge<strong>of</strong>froy du Perche apparaît à la<br />

cour d’Henri II et semble bien établi en Angleterre 53 . La stabilité de cette zone apparaît<br />

alors comme une préoccupation essentielle que les Plantagenêt sont capables de<br />

monnayer : Katleene Thompson montre en effet que les rentes de Robert de Dreux<br />

passent de £300 annuelle sous le règne d’Henri II à £600 sous Richard et à £1000 sous<br />

Jean 54 .<br />

51<br />

CORVISIER, C., « Les châteaux de Richard Coeur de Lion ou l'oeuvre de pierre comme démonstration<br />

de force », dans Richard coeur de Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 199-<br />

228 ; Le dispositif du château de Montoir est également très similaire à celui mis en œuvre à Talmont, en<br />

Vendée, attribuée à Richard, qui possèdent tous deux « un éperon large et obtus aux flancs arrondis en<br />

tourelles renfonçant la face exposée en bordure d’enceinte d’un donjon antérieur ».<br />

52<br />

POWER, D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries, 2004, p. 402;<br />

PETERBOROUGH, , I, p. 133-134, 191; HOVEDEN, II, p. 118; TORIGNI, II, p. 68: Mortuo Waleranno,<br />

filio Guillermi Lupelli, turris Ibreii venit in manum domini Regis, quam multum cupierat, quam nec pater<br />

eius avus habuerunt.<br />

53<br />

THOMPSON, K., Power and Border Lordship in Medieval France. The County <strong>of</strong> the Perche, 1000-<br />

1226, 2002, p. 105.<br />

54<br />

Ibid., p.108, 140, cite Rot. Chart., p.58, 96.<br />

327


Le conflit pour le Vexin reprend à la mort d’Henri le jeune en 1183. Sa<br />

disparition reposait en effet la question des châteaux de la dot de Marguerite. Or les<br />

travaux qui y ont été menés depuis 1161 suggèrent que leur possession était considérée<br />

comme définitive. Cette année là, Robert de Torigni rapporte en effet qu’Henri II<br />

« améliora et rénova presque tous ses châteaux situés dans les marges du duché et en<br />

particulier Gisors » 55 . Les rouleaux de l’Échiquier normand du règne d’Henri II<br />

montrent que sur l’ensemble des dépenses en Normandie c’est dans le Vexin qu’elles<br />

furent le plus massivement investies (carte 4.4). Gisors apparaît là aussi comme le plus<br />

gros poste de dépense avec près de £ a 3000, une somme que Jean Mesqui compare au<br />

coût de la construction de l’enceinte de <strong>Paris</strong> évaluée à 2651 livres parisis dans les<br />

années 1190 56 . Les mentions des rouleaux des années 1180 et 1184 indiquent que les<br />

travaux furent consacrés à la surélévation et à la couverture en plomb du donjon ainsi<br />

que de la chapelle saint Thomas Becket, édifiée à l’intérieur de la chemise 57 . Henri II<br />

fait également réparer les murs de la chemise, couvrir la maison qui se trouve à coté de<br />

la porte et édifier des habitations en bois en contrebas. Il fait également construire une<br />

cuisine, réparer les fossés, le pont, la porte et les fondations des murs autour du<br />

marché 58 . Bien que la comptabilité des travaux n’apparaisse qu’à partir de 1180, le<br />

passage de Philippe Auguste à Gisors en 1177, relaté par Giraud de Barri suggère que le<br />

chantier était en voie d’achèvement à cette date si l’on en juge l’admiration du jeune<br />

prince.<br />

Philippe, alors âgé d’environ douze ans, accompagnait son père,<br />

Louis VII lors d’une rencontre avec Henri II. Il loua avec beaucoup<br />

d’admiration la forteresse qu’il trouvait plus belles que celles de<br />

France, car entièrement édifiée en pierre de taille, d’une force peu<br />

55<br />

TORIGNI, I, p. 331 : In margine etiam ducatus Normaniae fere omnia sua castella, et maxime Gisorz,<br />

melioravit vel renovavit.<br />

56<br />

MESQUI, J., « Le château de Gisors au XIIe et XIIIe siècle », Archéologie médiévale, 20 (1990), p.<br />

257-317.<br />

57<br />

MRSN, I, p. 72 : £7 12s. 1d. in reparando turre Gisortii ; £16 19s. pro faciendo domo juxta portam et<br />

in recooperienda capella et domibus eius castri. Jean Mesqui suggère qu’il s’agit sans doute d’une<br />

refondation sur une chapelle préexistante. MESQUI, J., « Le château de Gisors au XIIe et XIIIe siècle »,<br />

Archéologie médiévale, 20 (1990), p. 257-317.<br />

58<br />

MRSN, I, p.110 : £2650 23d. in operationibus turris de Gisorti recooperiende et muri circa motam et<br />

coquine et fossati extra virgultum et pontium et portarium et domus lignee infra Baillium et pedis muri<br />

circa mercatum ; I, p.72 ; il s’agit sans doute des flanquement de l’enceinte qui sont attribués à Henri II,<br />

comprenant la tour du Diable. MESQUI, J., « Le château de Gisors au XIIe et XIIIe siècle », Archéologie<br />

médiévale, 20 (1990), p. 257-317.<br />

328


commune, avec des hautes tours qui se dressaient abruptement vers le<br />

ciel… 59<br />

Jean Mesqui revient sur les attributions de Y. Bruand et E. Pépin en nuançant<br />

leurs affirmations, notamment concernant les différences d’appareillages qui<br />

permettraient d’identifier les travaux attribués à Henri II. Il leur oppose en particulier les<br />

analyses des auteurs de l’History <strong>of</strong> the King’s Works qui attribuent la totalité de la<br />

construction de la tour et de la chemise à Henri II en se fondant sur des comparaisons de<br />

châteaux anglais et notamment sur la récurrence du plan polygonal dans les<br />

constructions des Plantagenêt, comme à Orford dont le chantier est contemporain de<br />

celui de Gisors (voir chapitre 5) 60 . J. Mesqui propose une interprétation médiane, celle<br />

d’un rhabillage de la tour et de sa surélévation dans les années 1160-80 peu après<br />

l’achèvement de la chemise polygonale venue remplacer l’ancienne palissade<br />

(illustration 4.5). Cette forme de donjon, très fréquente dans le monde anglo-normand,<br />

est appelée « shell-keep » par les archéologues anglais, littéralement « donjon<br />

coquille » 61 .<br />

La plupart des dépenses sont mentionnées dans les rouleaux de l’Échiquier<br />

comme destinées « ad operationes castrorum de Marchia », ce qui ne permet pas<br />

d’identifier ce qui fut attribué à Gisors spécifiquement, mais qui permet de montrer que<br />

la fortification de ce château n’était pas conçue isolément, mais constituait la pièce<br />

maîtresse d’une série de châteaux incluant Dangu, Néaufles et Châteauneuf-sur-Epte qui<br />

faisaient face aux trois forteresses capétiennes de Chaumont-en-Vexin, Boury et Trie.<br />

Les travaux effectués à Néaufles dans les mêmes années concernent la réparation de la<br />

tour et de la demeure, la construction d’une porte en pierre ainsi que les murs<br />

d’enceinte 62 . Andrew Baume rejette l’attribution de la construction du donjon en pierre<br />

à Henri II au motif que les sommes des rouleaux de l’Échiquier apparaissent<br />

insuffisantes pour un tel chantier, mais ces quelques rouleaux ne sauraient être<br />

considérés comme représentatifs de la réalité des sommes dépensées par le roi à<br />

59<br />

RHF, XVIII, p 152-153 : in colloquio quodam inter dictos reges prope Gisortium habito ubi tunc<br />

proesens cum patre fuit Philippus, Ludovici filius quasi tunc temporis duodennus existens, cum plurimi<br />

francorum castellum oppositum attentius intuentes pulchritudinem ejus et fortitudinem nuper nimirum in<br />

inmensis adaucti, et pariis egregie lapidibus aereisque turribus et arduis in altum exstructi, multa cum<br />

admiratione laudarent.<br />

60<br />

Ibid. ; COLVIN, H. M.; BROWN, R. A. et TAYLOR, A. J., The History <strong>of</strong> the King's Works, 1963, p.<br />

769-771.<br />

61<br />

RENN, D. F., Norman castles in Britain, 1968; BROWN, R. A., English medieval castles, 1954.<br />

62<br />

MRSN, I, p. 72, £23 16s. 9d. in reficiendo portis petrinis de Neefla ; £195 4s. 8d. in operationibus<br />

turris de Neefla et domorum et muri alicorandi et pedis ejusdem muri faciendi.<br />

329


Néaufles, dix ans au moins après sa reprise en main 63 . Quant à Châteauneuf-sur-Epte,<br />

plus de £ a 300 sont dépensées pour faire la chemise autour de la motte, les tours devant<br />

la porte du donjon, ainsi que construire un mur pour séparer le baile du château 64 . La<br />

multiplication des enceintes et le fractionnement des unités défensives visaient à faire<br />

ralentir la progression des attaquants et à réduire l’efficacité des machines de siège. Le<br />

site de Dangu sur lequel les rouleaux ne mentionnent pratiquement aucun détail était<br />

sans doute la motte dite « de la chapelle » qui se situe en bas du château actuel, dans le<br />

fond de vallée 65 .<br />

La carte montre que des dépenses importantes ont été enregistrée sur le rouleau<br />

de 1180, à Beauvoir-en-Lyons où près de £ a 730 servent à construire un nouveau château<br />

et à Arques où Henri II entreprend de faire réparer la tour ducale ainsi que l’enceinte<br />

(deux tourelles, la barbacane devant le château, la porte et ses tourelles) et fait installer<br />

des gouttières de plomb au dessus de la porte de la chambre ainsi qu’une porte en bois<br />

pour l’entrée du château 66 . Ces fortifications semblent néanmoins isolées dans cet<br />

espace frontalier qui ne comportait pas de châteaux ducaux. Le règlement des conflits,<br />

notamment autour de la Bresle, s’effectuait généralement par des conventions passées<br />

avec les comtes d’Eu, de Ponthieu et de Saint-Valéry sans qu’il ne soit nécessairement<br />

question du duc 67 . Parce que les limites de l’autorité ducale dans cette région prenaient<br />

différentes formes selon les conditions et les traditions locales, il est parfois impossible<br />

de savoir où se trouvaient ces limites. Cette incapacité à délimiter le territoire reflète,<br />

d’une certaine manière, l’absence de réalité à laquelle renvoyait la notion de frontière<br />

politique dans les consciences et les stratégies des habitants de ces espaces 68 . Cette<br />

situation tend cependant à s’effacer à partir de la fin des années 1180, où les espaces<br />

frontaliers du Vexin, les marches de l’Avre au sud et du Vermandois au Nord,<br />

deviennent le principal théâtre de l’affrontement entre Plantagenêt et Capétiens. Dans<br />

quelle mesure la cristallisation des combats autour de la frontière a-t-elle été alors un<br />

63<br />

BAUME, A., « La trace du système défensif normand au XIIe siècle », dans 1204, la Normandie entre<br />

Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 93-112.<br />

64<br />

MRSN, I, p. 110: in muris circa motam Novi Castri super Ettam alicorandis et turricula facienda ante<br />

ostium turris et muro ad excluendem baillium a castro et in reparanda domibus et capella ejusdem castri.<br />

65<br />

Ibid..<br />

66<br />

MRSN I, p. 90: £400 70s. in turre de Archa reparanda desuper et in duabus turellis desuper et in<br />

barbacana ante castrum et in porta et turrella eiusdem barbacane reparanda et in plunbando goterris<br />

camere super portam et in facienda portis ligneis ad postellam et ante castellum et ad barbacanam.<br />

67<br />

POWER, D. J., « What did the frontier <strong>of</strong> angevin Normandy comprise? », dans A.N.S., 1994, p. 181-<br />

202<br />

68<br />

Ibid. ; GREEN, J. A., « Lords <strong>of</strong> the Norman Vexin », dans War and government in the Middle Ages :<br />

essays in honour <strong>of</strong> M.O. Prestwich, 1984, p. 47-63.<br />

330


facteur de l’émergence d’une conscience « patriotique » ou identitaire ? Autrement dit,<br />

et pour reprendre la formulation de Daniel Power : dans quelle mesure les enjeux<br />

cristallisés autour de la frontière ont-il permis à l’aristocratie de ces espaces d’associer<br />

le fait d’être « normand » au fait d’être en Normandie ? 69<br />

1.2- L’intensification du conflit et la construction territoriale de la<br />

frontière normande de 1189 à 1200<br />

Les événements des années 1190-1204 sont désormais bien connus grâce aux<br />

nombreux témoignages qui donnent des points de vue provenant de chaque parti. Il ne<br />

s’agira donc pas ici de reprendre le fil chronologique qu’en donnent les chroniques mais<br />

plutôt de partir de la série de traités successifs, en regardant leur conséquences sur les<br />

constructions, pour saisir les évolutions géographiques mais aussi normatives de la<br />

frontière normande à cette date.<br />

1.2.1- D’Azay à Gaillon (1189-1195)<br />

Selon Robert-Henri Bautier, le traité d’Azay, signé entre Henri II et Philippe<br />

Auguste, à la veille de la mort du roi d’Angleterre, tournait une page dans les relations<br />

conflictuelles entre Plantagenêt et Capétiens, préfigurant la série de traités des années<br />

1190. La principale fonction de ces traités est alors de délimiter les frontières non<br />

seulement à partir de la liste des possessions réciproques mais également en imposant la<br />

démilitarisation d’une zone intermédiaire entre deux regnum (carte 4.6) 70 . L’original du<br />

traité d’Azay a disparu, il en reste une trace dans la chronique de Roger de Hoveden qui<br />

en propose une copie. La question des appartenances réciproques aux frontières est y<br />

exprimée ainsi sous forme de condition :<br />

Le roi de France et le comte Richard tiennent entre leurs mains les<br />

cités du Mans et de Tours et le château de Château-le-Loir et de Trôo<br />

ou si le roi d’Angleterre préfère, le roi de France et le comte Richard<br />

tiennent les châteaux de Gisors, de Pacy et de Nonancourt, jusqu’à ce<br />

que tous soient divisés ainsi par le roi de France … 71<br />

69 POWER, D. J., « What did the frontier <strong>of</strong> angevin Normandy comprise? », dans A.N.S., 1994, p. 181-<br />

202; POWER, D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries, 2004.<br />

70 BAUTIER, R. H., « Le traité d'Azay et la mort de Henri II Plantagenêt. Un tournant dans la première<br />

guerre de cent ans entre Capétiens et Plantagenêts (juillet 1189) », dans Études sur la France capétienne.<br />

De Louis VI aux fils de Philippe le Bel (recueil d’articles), 1992, p. n° V.<br />

71 HOVEDEN, II, p. 365-366 : Et rex Franciae et comes Ricardus tenebunt in manu sua civitatem<br />

Cennomannis et civitatem Turonis et castellum Ligdi et castellum de Trou vel si rex Anglie maluerit rex<br />

331


La revendication de telles positions était le résultat de l’invasion menée par<br />

Philippe Auguste en juin, au cours de laquelle, il assiégea Le Mans prenant sur son<br />

passage Mondoubleau, Trôo, Les Roches, Montoire, Chartres, Château du Loire,<br />

Amboise et Rochecorbon puis Tours 72 . Cependant, la mort d’Henri II peu après rétablit<br />

le statu quo en Normandie : Richard cédait ses droits sur l’Auvergne et le Berry ainsi<br />

que Gisors et le Vexin à Philippe Auguste. La fondation de Bonport en 1190 par<br />

Richard peut être interprétée dans un tel contexte comme une volonté de pacification de<br />

la vallée de la Seine, vraisemblablement envisagée par les deux monarques à cette date.<br />

C’est en ce sens que Annick Gosse-Kischinewski propose d’analyser les raisons de la<br />

fondation de cette abbaye, au-delà de la légende qui l’entoure 73 . L’abbaye cistercienne<br />

aurait ainsi eu pour fonction de renforcer l’axe de circulation, « <strong>of</strong>ficialisant les relations<br />

entre les deux royaumes ». Les premiers actes montrent en effet que si Richard concède<br />

aux religieux des emplacements stratégiques le long du fleuve, à Maresdans dans la<br />

forêt de Bord, il encourage également ses vassaux ainsi que ceux du roi de France à leur<br />

concéder les franchises du passage sur leurs terres ainsi que la libre navigation 74 .<br />

L’implantation des cisterciens à Bonport avait donc vraisemblablement pour fonction de<br />

garantir la stabilité de la vallée de la Seine pendant l’absence des deux monarques, en<br />

« ouvrant les frontières » entre les deux royaumes, mais aussi en assurant leur contrôle.<br />

De fait, les conflits cessèrent jusqu’au retour de Philippe Auguste.<br />

Dès le printemps 1193, cependant, le roi de France, pr<strong>of</strong>itant de la captivité de<br />

Richard, mena une <strong>of</strong>fensive pour repousser les frontières du duché. Gilbert de<br />

Vascœuil, qui tenait les forteresses de Gisors et Néaufles pour le roi d’Angleterre, les<br />

France et comes Ricardus tenebunt castellum de Gisortio et castellum de Pasci et castellum de<br />

Nonancourt tamdiu, donec omnia fiunt quae divisa sunt superius per regem Franciae.<br />

72 PETERBOROUGH, II, p. 68-69 : Inde recedens cepit Duplicem Montem per deditionem tam castri<br />

quam domini… inde recedent redditum est castrum de Troe, cum Rupibus Episcopi, et Montorium et<br />

Carceris castrum, et castrum de Leir, et castrum Calvi Montis et castrum Ambasiae et castrum de<br />

Rupibus Carbonis.<br />

73 GROSSE-KISCHINEWSKI, A., « La fondation de l'abbaye de Bonport », dans 1204: La Normandie<br />

entre Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 61-74.<br />

74 ANDRIEUX, J. (éd.), Cartulaire de l'abbaye royale de Notre-Dame de Bon-Port de l'ordre de Citeaux<br />

au diocèse d'Evreux, 1862 : in foresta nostra de Borz sita est et fundata in loco qui prius dicebatur<br />

Maresdans…. omnes res et possessiones sue et homines sui sint quieti de theloneo et pontagio et passagio<br />

et tallagio et de carriagio et de modiatione vini et de omni alia consuetudine et exactione seculari<br />

ubicunque venerint in nundinis et mercatibus et portubus maris et omnibus aliis locis potestatis nostre<br />

tam per terram quam per aquam, et prohibemus ne quis eos super hoc disturbet super decem librarum<br />

forisfacturam. (Tous leurs biens et possessions et tous leurs hommes sont quittes de thalonage, pontage,<br />

passage, tallage, du transport du vin et de toutes les coutumes et les exactions des séculiers partout où ils<br />

iront dans les marchés, les foires et les ports de mer et dans tous les autres lieux qui sont en notre pouvoir<br />

tant sur terre que par mer, nous interdisons que quiconque les perturbe et sinon qu’il soit sanctionné de<br />

dix livres).<br />

332


livra sans combat à Philippe Auguste, lui ouvrant ainsi les portes de la Normandie 75 .<br />

Les conquêtes du roi de France sont <strong>of</strong>ficialisées un mois avant la libération de Richard,<br />

par un traité signé en janvier 1194 entre Jean Sans Terre et Philippe à <strong>Paris</strong>. Dans ce<br />

traité qui n’eut jamais le temps d’entrer en application, Jean déclarait tenir du roi de<br />

France « à perpétuité toutes ses terres de Normandie qui se trouvaient de ce côté-ci de la<br />

Seine, du lieu où la Seine rejoint la mer jusqu’en France, c’est-à-dire dans la partie de<br />

Normandie où la Seine coule et où se trouve Rouen, à l’exception de la ville de Rouen<br />

et de deux lieues autour de Rouen » 76 . On le voit, la délimitation des espaces<br />

d’appartenance ne se résume plus à une simple énumération des positions mais délimite<br />

un espace, certes toujours polarisé, mais également mesuré (deux lieues) et fini (de la<br />

mer à la France). Par la suite le traité continue ainsi, utilisant à nouveau le cours des<br />

rivières pour fixer la frontière, empiétant largement sur la ligne des fossés royaux<br />

qu’avait érigés Henri II :<br />

Le roi de France tiendra Le Vaudreuil, avec son château et ses<br />

dépendances et toute la partie de la Normandie qui est en deçà du<br />

fleuve dit Iton, c'est-à-dire le fleuve qui coule jusqu’à Chennebrun,<br />

incluant Chennebrun et ses dépendances, le château de Verneuil avec<br />

ses dépendances et la cité d’Évreux et ses dépendances et avec tous<br />

les autres châteaux et fortifications et mottes de ce coté de l’Iton 77 .<br />

Quant au nord de la Seine, le traité se contente seulement de mentionner le<br />

passage des châteaux de Drincourt et d’Arques dans la mouvance française. Il ne fait<br />

ainsi qu’entériner les prises militaires de Philippe Auguste qui doit également compter<br />

dans cette région avec les seigneurs de Beauvais et du Vermandois. Il ne peut donc fixer<br />

une limite aussi précise qu’aux confins de son propre domaine. Dans ces régions<br />

comme dans les marches du Maine et de la Touraine, qui sont également fixées dans le<br />

traité, les modes de délimitation restent essentiellement topographiques, procédant par<br />

l’énumération des châteaux :<br />

75 HOVEDEN, III, p. 206 : Gilbertus vero de Gwascioil habuit in cusstodia castellum de Gisortio et<br />

castellum de Nefle et tradidit utrumque regi Franciae, et adhaesit ei.<br />

76 Layettes I, n°412 ; tales conventions facte sunt inter me et karissimum dominum meum Philippum<br />

regem Francie : quod ipse debet habere in perpetuum in Normannia totam terram que est citra<br />

Secanam, ab eo loco ubi Secana cadit in mare usque in Franciam, sicut Secana currit, ex ea parte<br />

Normannie in qua situm est Rothomagum, excepta villa Rothomagi et duabus leucis circa Rothomagum.<br />

77 Layettes, I, n°412 : Preterea rex Francie debet habere Vallem-Rotholii cum castello et cum<br />

pertinenciis suis, et totam illam partem Normannie que est citra fluvium qui dicitur Itun, sicut idem<br />

fluvium currit, usque ad Chesnebrun, cum ipso Chesnebrun et cum pertinenciiis suis et castellum<br />

Vernolii cum pertinenciis suis, et civitatem Ebroïcensem, cum pertinentiis suis, et cum aliis castellis et<br />

munitionibus et terrris citra Itum.<br />

333


En Touraine, le roi de France tiendra la cité de Tours au roi de<br />

France ainsi que tout ce qui lui appartient jusqu’à Azay et le fief de<br />

Montrichard et d’Amboise, ainsi que Montbazon et ses dépendances.<br />

Le château de Loches et ses dépendances, le château de Châtillon sur<br />

Indre et ses dépendances…et le comte Louis, mon cousin, aura les<br />

châteaux de Trôo, La Châtre et ses dépendances, les fiefs de Fréteval<br />

et de Vendôme, [qui passent donc désormais dans la mouvance<br />

française] tandis que le comte du Perche aura, les châteaux de<br />

Moulins et Bonmoulins et ses dépendances du duc de Normandie 78 .<br />

Les différents modes de délimitations reflètent donc l’intensité de la domination<br />

selon les espaces. Alors que le roi de France dans son domaine et le duc de Normandie<br />

dans son duché disposaient d’une quasi souveraineté leur permettant de délimiter leurs<br />

domaines de manière quasi « géographique », ils devaient compter avec des vassaux<br />

revendiquant de fortes autonomies dans les marges non limitrophes. La délimitation<br />

territoriale y restait donc polarisée autour des châteaux inféodés, lieux à travers lesquels<br />

s’articulaient les différents niveaux de fidélités.<br />

Toutefois, le traité de 1193 apparaît précisément comme une remise en cause de<br />

la souveraineté dont les ducs de Normandie jouissaient de fait dans leurs duchés depuis<br />

le IX e siècle 79 . Jean devait en effet non seulement reconnaître que le comte<br />

d’Angoulême tenait désormais ses terres du roi de France à qui il a rendu hommage,<br />

mais aussi que du fait qu’il tenait ses terres en Normandie, Anjou et Aquitaine en fief du<br />

roi de France, il devait lui rendre les services féodaux et entendre la justice à la cour du<br />

roi de France, « ainsi qu’il convient de le faire pour chaque fief et de même que les<br />

prédécesseurs et ses prédécesseurs l’ont fait » 80 .<br />

Les pertes territoriales des Plantagenêt étaient donc importantes, et les années<br />

suivantes furent presque exclusivement consacrées par Richard à reconquérir son<br />

héritage, perdu par son frère. Pour cela, il mobilise des moyens militaires dont les<br />

78 Layettes, I, n°412 : In Turonia vero debet habere rex Francie civitatem Turonensem et pertinentia<br />

usque ad Azaz et feodum Montis-Trichard et Ambazie ; et preterea Montem-Bason, cum pertinentiis suis.<br />

Castellum vero de Lochis, cum pertinentiis suis, et castellum de Castellione, cum pertinentiis suis ;<br />

Comes vero Ludovicus, consanguineus meus, habebit castella de Troa, et de la Chastre, cum pertinentiis<br />

suis, et feodos de Fresteval et de Vendosme. – Comes vero Perticii habebit, in Normannia, castella de<br />

Molins et de Bomolin cum pertinentiis suis.<br />

79 Sur cette évolution voir notamment VAN EICKELS, K., « Homagium and Amicitia : Rituals <strong>of</strong> Peace<br />

and their Significance in the Anglo-French Negotiations <strong>of</strong> the 12th Century », Francia, 24: 1 (1997), p.<br />

133-140.<br />

80 Layettes, I, n°412 : De predicitis vero terris, ex regi Francie et succesoribus suis regibus Francie<br />

faciam servitia et justicias in curia sua pro singulis feodis, sicut unusquisque feodis aportat, sicut<br />

antercessores mei antecessoribus suis fecerunt.<br />

334


comptes de l’Échiquier montrent que leurs coûts été considérables 81 . Ce déploiement<br />

permet à Richard d’imposer une nouvelle paix à Philippe Auguste le 23 juillet 1194,<br />

c’est la paix dite de Tillières. Celle-ci est connue par une lettre de Drogo de Mello,<br />

connétable de France, et d’Anselme de Saint-Martin de Tours, reproduite par Roger de<br />

Hoveden 82 . Contrairement à la précédente, elle ne fixe pas une ligne de démarcation<br />

entre deux territoires, mais délimite une zone démilitarisée, faisant surgir ici la<br />

construction d’une frontière comme « zone tampon ». Utilisant les armes de prédilection<br />

des Plantagenêt, le roi de France réactive ici une forme de ius munitionis, en se posant<br />

comme le seigneur de Richard l’autorisant à fortifier ou non les forteresses reconquises :<br />

Le roi de France concède en effet au roi d’Angleterre qu’il peut<br />

fortifier s’il le veut Neubourg, Driencourt, Conches et Breteuil ; quant<br />

aux autres forteresses qui ont été détruites pendant la guerre, soit par<br />

le roi de France, soit pas ses gens, il ne devra pas les fortifier pendant<br />

la trêve ni ne devra le faire pendant le temps de la paix qui sera<br />

passée entre les rois de France et d’Angleterre 83 .<br />

[…] Toutes les forteresses dont le roi de France est en possession le<br />

jour de cette paix devront être considérées selon l’accord suivant :<br />

après la trêve, le roi de France pourra les fortifier, les détruire, ou<br />

brûler s’il le veut et de toute la terre qu’il tient, il pourra en disposer<br />

à sa volonté. De même, le roi d’Angleterre pourra fortifier les<br />

« fortellesces » qu’il tenait le jour de la trêve, les détruire ou les<br />

brûler, mais il ne pourra pas refortifier une forteresses qui a été<br />

détruite par le roi de France, à l’exception des quatre dont il est<br />

question ci-dessus. 84<br />

81 MOSS, V., « The Defense <strong>of</strong> Normandy 1193-1198 », dans A.N.S., 2001, p. 145-163; MOSS, V.,<br />

« Reprise et innovations : les rôles normands et anglais de l’année 1194-1195 et la perte de la<br />

Normandie », dans La Normandie et l'Angleterre au Moyen Âge, 2003, p. 89-97; MOSS, V., « War,<br />

Economy and Finance in Angevin Normandy 1195-1198 », dans Richard coeur de Lion roi d'Angleterre,<br />

duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 89-104; MOSS, V., « La perte de la Normandie et les finances de<br />

l'État. Les limites des interprétations financières. », dans 1204: La Normandie entre Plantagenêts et<br />

Capétiens, 2007, p. 75-92; MOSS, V., « The Norman Exchequer Rolls under King John », dans King<br />

John. New Interpretations, 2003, p. 101-106.<br />

82 HOVEDEN, III, p. 252.<br />

83 HOVENDEN, III, p. 252. concedit regi Angliae et suis treugas : et concedit, quod firmare possit, si<br />

firmare voluerit, Novum burgum et Direncurt et Concas et Britollium. Aliae munitiones, quae dirutae<br />

sunt per guerram per regem Franciae, aut per suos, non firmabuntur in his treugis, nisi eas contigerit<br />

firmari per pacem quae fiet inter regem Franciae et regem Angliae.<br />

84 Ibid., De omnibus fortellescis et de quibus rex Franciae est saisitus die treugarum, sic erit : quod rex<br />

Francie eas infra treugas poterit infortiare, vel diruere, vel comburere si voluerit, et de tota terra, quam<br />

tenet, voluntatem suam facere. Et rex Angliae similiter illas fortellesces, de quibus est tenens die<br />

treugarum, poterit inforciare, vel diruere, vel combuere : sed rex Angliae de dirutis fortellescis et regem<br />

Franciae per suos nullam poterit firmare, nisi illas quatuor quae superius dictae sunt.<br />

335


Les règles de fortification témoignent ainsi d’une conception territoriale<br />

inégalitaire puisqu’elles obligent Richard à se soumettre, dans une certaine limite, à<br />

l’exercice de la potestas regis de Philippe Auguste. Au-delà, chaque monarque est<br />

invité à se comporter en souverain, dans un territoire de plus en plus clairement<br />

délimité. La démarcation fixée par cette trêve illustre la reconquête opérée par Richard<br />

au printemps 1194 :<br />

Le roi de France et son peuple resteront maîtres de ce qu’ils tenaient<br />

le jour de la trêve. Ainsi le Val de Reuil sera tenu du roi de France,<br />

comme il l’était avant, à savoir Reuil et toute sa ville et ses églises,<br />

ainsi que Louviers, Aquigny, Lery, et les autres lieu aussi loin que la<br />

Haie Malherbe et jusqu’à Pont de l’Arche. La Haie Malherbe et audelà<br />

ainsi que Ponte de l’Arche et au-delà sera tenu du roi<br />

d’Angleterre. 85<br />

Cette fois-ci la démarcation ne prend plus appui sur le tracé de la rivière Iton,<br />

mais semble suivre une ligne fictive entre deux points : la Haye Malherbe et Pont-de-<br />

l’Arche, traversant un espace forestier. L’espace délimité est toutefois très restreint, ce<br />

qui laisse supposer qu’il ne cherchait sans doute pas à couvrir un autre espace que celui<br />

dans lequel évoluaient les armées dans la vallée de la Seine. Daniel Power a en effet mis<br />

en garde contre l’impression que pouvaient donner ces descriptions et contre la<br />

conclusion qu’a pu en tirer un peu trop hâtivement un historien comme Francis<br />

Powicke, de l’existence d’une frontière « linéaire » entre la France et la Normandie 86 .<br />

Étant donné l’étroite bande territoriale qu’elles concernaient, ces limites doivent<br />

davantage être considérées comme des lignes sauvegarde ou de cesser le feu 87 .<br />

Pour Philippe Auguste, la démilitarisation de cet espace ne semble pas une<br />

garantie suffisante pour faire de cette zone une véritable « frontière », c’est pourquoi il<br />

exige également que les hommes qui tenaient des terres dans cet espace et qui étaient<br />

des vassaux du roi d’Angleterre avant la guerre, le reconnaissent comme leur principal<br />

suzerain. La longue liste inclut ainsi les hommes d’Arques jusqu’à ceux de Tillières, en<br />

85 Ibid., Rex Franciae et sui erunt de dominibus in ea teneatura in qua erant die qua treugae datae<br />

fuerunt. De valle Rodoli in hunc modum erit : ex Franciae tenes erit de valle Rodoli, sicut erat prius,<br />

scilicet de ipso Rodoleo et de ipsa tota villa cum ecclesiis : et de Lovers et de Aquigeniaco et de Laire et<br />

de aliis usque ad Hayam Malherbe, et usque ad pontem Archiae. De Haya vero Malherbe, et de ultra, et<br />

de ponte Archiae, et de ultra, erit tenens rex Angliae.<br />

86 POWER, D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries, 2004, p. 416.<br />

87 COULSON, C. A., « Fortress-Policy in Capetian tradition and Angevin Practice. Aspect <strong>of</strong> the<br />

conquest <strong>of</strong> Normandy by Philip II », dans A.N.S., 1983, p. 13-38 (p. 30).<br />

336


passant par Eu, Neufmarché, Vernon, Gaillon, Pacy, Nonancourt, etc. Et Richard est<br />

invité à donner une liste similaire 88 .<br />

De fait, les refortifications effectuées en Normandie par la suite sont vécues<br />

comme une menace par Philippe qui décide de rompre la paix, en juillet 1195, en<br />

s’emparant des châteaux déjà refortifiés par Richard 89 . Le rouleau de l’Échiquier de<br />

1195 confirme l’ampleur de la campagne de fortification lancée par Richard : plus de<br />

£ a 3500 sont affectées aux travaux du Vaudreuil, de Pont-de-l’Arche et de Radepont 90 .<br />

Parmi ces travaux, il est notamment question du creusement du gué du Vaudreuil (in<br />

operatione vadi de Vale Rodoli fosseiando) 91 . Les travaux sont alors supervisés par<br />

Guillaume Tyrel, maître Helye et maître Elric qui reçoit £ a 40 de rémunération. Près de<br />

£ a 300 sont également affectées au château de Bellencombre, sous la surveillance de Elie<br />

l’aumônier, également chargé du chantier de Lyons-la-Forêt où £ a 400 sont affectées ad<br />

operationem. Les fortifications, le pont et les habitations du château de Drincourt sont<br />

également financées à hauteur de £ a 200. Cette vaste campagne ne s’arrête pas aux<br />

espaces proprement frontaliers mais s’étend également vers Rouen : Moulineaux et<br />

Orival qui verrouillent le méandre dans lequel se trouve Rouen sont ainsi également mis<br />

en chantier (près de £ a 400). Mais alors que Richard et Philippe se rencontraient au<br />

Vaudreuil à l’été 1195, pour renégocier une trêve, « une grande partie des murs du<br />

château s’effondrèrent, grâce aux sapeurs du roi de France » 92 . Lorsque Richard s’en<br />

aperçoit, il cesse les pourparlers, rassemble son armée et la lance à la poursuite du roi de<br />

France. Mais alors qu’ils passaient le pont sur la Seine, celui-ci s’écroula, engloutissant<br />

une partie de ses soldats. Les deux rois se ne retrouvèrent pas avant le mois de<br />

novembre à Verneuil, une ville neuve fondée par Henri I er que Richard était en train de<br />

refortifier 93 . Le rouleau de 1195 enregistre en effet près de £ a 600 pour la reconstruction<br />

des remparts qui avaient été démolis par le roi de France 94 . Mais la rencontre n’aboutit<br />

88 HOVEDEN, III, p. 252.<br />

89 HOVEDEN, III, p. 301. castella multa Normanniae subvertit, quae rex Angliae postmodum refirmarvit<br />

et fortiora fecit quam prius fuerant.<br />

90 MRSN, I, p.137-38; 155-56, 236-37.<br />

91 MRSN, I, p.137.<br />

92 HOVEDEN, III, p. 301, et dum colloquerentur, cecidit magna pars murorum castelli per suffossores<br />

regis Franciae.<br />

93 BAUDUIN, P., « Bourgs castraux et frontière en Normandie aux XIe-XIIe siècles : l’exemple du<br />

département de l’Eure », dans Château et territoires. Limites et mouvances. Première rencontre<br />

d’archéologie et d’histoire en Périgord, 1995, p. 27-42 ; LEMOINE-DESCOURTIEUX, A., « Les<br />

pouvoirs sur la frontière de l'Avre (XIe-XIIe siècles), Eure: du pouvoir seigneurial au pouvoir ducal, puis<br />

à l'autonomie urbaine », dans Les lieux de pouvoir au Moyen âge en Normandie et sur ses marges, 2006,<br />

p. 101-118.<br />

94 HOVEDEN, III, p. 304, MRSN, I, p. 233 : ad operationes ville et murorum Vernolii dirutorum per<br />

regem franc(orum) tempore guerre; p.239: in operationibus murorum castri de Vernoleo et accato calcis<br />

337


pas et quelques jours plus tard, les hommes du roi de France mettent le feu à la ville de<br />

Dieppe « que le roi d’Angleterre venait juste de faire reconstruire », insiste Roger de<br />

Hoveden 95 .<br />

On assiste donc à un travail de sape de la part du roi de France qui s’inquiète<br />

manifestement de la vaste campagne de fortification de la Normandie mise en place par<br />

Richard. Ne pouvant percer les défenses nouvellement renforcées, Philippe Auguste<br />

choisit de s’attaquer à Issoudun. Mais il y est rapidement défait et une nouvelle trêve,<br />

négociée d’abord entre Issoudun et Chârost puis à Louviers en janvier 1196, débouche<br />

sur le traité de Gaillon 96 .<br />

1.2.2- De Gaillon à Château Gaillard (1195-1198)<br />

Le traité de Gaillon (qui fait suite à la paix de Louviers) établit une nouvelle<br />

distribution des possessions territoriales, plutôt à la défaveur du roi de France en<br />

Normandie (carte 4.15) 97 . Ce dernier obtient néanmoins Baudemont ainsi que les terres<br />

d’Hugues de Gournay jusqu’à la mort de ce dernier, puis elles passeront dans la<br />

mouvance du duc de Normandie. Richard accepte de lui céder le château de Vernon et<br />

d’y renoncer définitivement contre une rente de 800 livres parisis dont le roi de France<br />

se porte garant. Richard reconnaît la cession de Pacy-sur-Eure par le comte de Leicester<br />

au roi de France et abandonne également ses droits sur Neufmarché, Gaillon, Ivry et<br />

Nonancourt. La nouvelle délimitation repasse donc au sud de la Seine, sur le cours de<br />

l’Avre. S’il cède du terrain au sud, Richard en reprend au nord, puisqu’il obtient en<br />

échange le comté d’Eu, d’Aumale, Arques, Neufchâtel (Drincourt), ainsi que Beauvoir-<br />

en-Lyons que Philippe tenait depuis sa conquête de 1193.<br />

De même qu’en 1194, une nouvelle ligne de sauvegarde est fixée entre Gaillon<br />

et Le Vaudreuil et pour la matérialiser le traité prévoit cette fois-ci de faire installer des<br />

bornes (mete) à mi-chemin entre les deux forteresses 98 . Puis une ligne fictive passant par<br />

et uno molendintum extra villam et intus et granariis et duabus camusis et ponte versus portam novam<br />

faciendis.<br />

95<br />

HOVEDEN, III, p. 304, et venientes ad villa de Depe, quam rex Angliae paulo ante readificaverat,<br />

combusserunt eam…<br />

96<br />

HOVEDEN, IV, p. 3.<br />

97<br />

Nous proposons une lecture territoriale de ces traités, mais ceux-ci peuvent êgalement être interprétés<br />

en termes de rapports interpersonnels entre les rois et leurs aristocrates. Sur cet aspect voir POWER, D.<br />

J., « L'aristocratie Plantagenêt face aux conflits capétiens-angevins: l'exemple du trait de Louviers », dans<br />

Noblesses de l'espace Plantagenêt, 1154-1224, 2001, p. 121-137.<br />

98<br />

ROUSSEAU, E. et DÉSIRÉ DIT GOSSET, G., « Le Traité de Gaillon (1196): Édition critique et<br />

traduction », dans Richard coeur de Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 67-74 :<br />

Et sciendum quod mete ponentur inter forteliciam Gallionis et forteliciam Vallis-Rodolii in media via.<br />

338


« la première borne jusqu’à la Seine d’une part et jusqu’à l’Eure d’autre part » est<br />

virtuellement tracée pour délimiter les terres qui seront au roi de France, c'est-à-dire tout<br />

ce qui sera à partir de cette ligne du côté de Gaillon, tandis que tout ce qu’il y aura du<br />

côté du Vaudreuil sera au roi d’Angleterre 99 . Contrairement au traité de 1194, cette<br />

nouvelle délimitation ne prend plus seulement appui sur des lieux existants, elle crée ses<br />

propres bornes, inscrivant dans le paysage l’idée même d’une démarcation.<br />

Une telle délimitation posa immédiatement le problème des Andelys qui se<br />

trouvaient sur la Seine à peu près à équidistance de Gaillon et du Vaudreuil. La<br />

seigneurie des Andelys, qui appartenait à l’archevêque de Rouen, est alors déclarée zone<br />

« neutre » et démilitarisée : « ni le roi de France ni nous même n’en réclamerons le fief<br />

ou la possession » et « Les Andelys ne pourront être fortifiés » 100 . Malgré ces<br />

prescriptions et l’interdiction qui lui avaient été faites par l’archevêque de Rouen,<br />

Richard s’empare du bourg, quelques mois après la signature du traité et y fait édifier<br />

l’immense complexe défensif du Château Gaillard, avec l’aval du pape Célestin III, qui<br />

reconnaît à Richard le droit de fortifier ses frontières et de procéder à un échange avec<br />

l’archevêque 101 . La construction de cette forteresse n’est pas isolée comme le montrent<br />

les comptes de l’Échiquier normand des années 1195-98, mais s’inscrit au cœur d’une<br />

politique de fortification construisant un véritable rempart protégeant Rouen (carte 4.7).<br />

Les vestiges monumentaux et documentaires qui permettent de restituer avec précision<br />

la nature des travaux du complexe défensif normand dans les dernières années du XII e<br />

siècle ont fait l’objet d’amples analyses à de multiples niveaux, que ce soit financier,<br />

archéologique ou castellologique 102 . La construction de cette vaste forteresse, au retour<br />

99 Ibid., Et ex illa meta, sicut se portabit, usque in Secanam, et ex alia parte usque in Euriam, id quod erit<br />

ex parte Gallionis erit regis Francorum et id quod erit ex parte Vallis-Rodolii erit nostrum.<br />

100 Ibid., De Andeliaco sic erit: quod nec dominus noster rex Francorum nec nos in eo clamamus feodum<br />

sive dominium ; Andeliacum non poterit inforciari.<br />

101 HOVEDEN, IV, p. 14, Ricardus rex Angliae firmavit novum castellum in insula de Andeli contra<br />

voluntatem et prohibitionem Walteri Rotomagensis archiepiscopi (Richard, roi d’Angleterre fortifia le<br />

nouveau château dans l’île des Andelys contre la volonté et malgré l’interdiction que lui avait faite<br />

Gauthier l’archevêque de Rouen) ; DICETO, II, p. 149 ; GILLINGHAM, J., Richard I, 1999, p. 301-2 ;<br />

GILLINGHAM, J., « The travels <strong>of</strong> Roger <strong>of</strong> Howden and his view <strong>of</strong> th Irish, Scots and Welsh" A.N.S.,<br />

1998, p. 151-169.<br />

102 DEVILLE, A., Histoire du Château-Gaillard et du siège qu'il soutint contre Philippe Auguste en 1203<br />

et 1204, 1829 ; COURTIL, L., Le Château-Gaillard construit par Richard Coeur de Lion 1197-1198,<br />

1928; HÉLIOT, P., « Le Château Gaillard et les forteresses des XIIe et XIIIe siècles en Europe<br />

occidentale », dans Château Gaillard. Études de castellologie européenne, 1964, p. 53-7; PITTE, D.;<br />

FOURNY-DARGÈRE, S. et CALDÉRONI, P. (eds.), Château-Gaillard: découverte d'un patrimoine.<br />

catalogue d'exposition, 1995; LE MAHO, J., « Fortifications de siège et "contre-châteaux" en Normandie<br />

(XIe-XIIe s.) », dans Château Gaillard. 19: Études de castellologie européenne, 2000, p. 181-189 ;<br />

PITTE, D., « Château-Gaillard dans la défense de la Normandie orientale (1196-1204) », dans A.N.S.,<br />

2001, p. 163-175 ; PITTE, D., « Château-Gaillard: la fortification d'un site à la fin du XIIe siècle », dans<br />

339


de croisade du roi, a donné lieu à de multiples comparaisons pour saisir l’influence des<br />

techniques orientales de construction, mais Dominique Pitte nuance largement une telle<br />

interprétation des innovations mises en œuvre au château de la Roche 103 . Ces<br />

considérations ont surtout été le fait des archéologues tandis que des historiens se sont<br />

plutôt intéressés à l’important corpus documentaire qui permet de suivre en détail le<br />

chantier de construction, notamment à partir des comptes de l’Échiquier normand 104 . Si<br />

les dépenses ont été considérables, elles ne doivent cependant pas occulter<br />

l’investissement personnel de Richard, qui séjourne souvent aux Andelys durant ces<br />

années 105 , surveillant l’avancée du chantier qui fonctionne pratiquement en continu<br />

durant ces deux années. Selon Guillaume de Newburgh en effet,<br />

Dans ce lieu, alors que les grands travaux avançaient, on raconte<br />

qu’un événement surnaturel se produisit. Durant le mois de mai (…)<br />

un peu avant les solennités de l’Ascension, le roi pressait<br />

l’avancement du chantier (car il venait souvent pour accélérer son<br />

achèvement et prenait beaucoup de plaisir à observer sa<br />

construction), lorsque soudainement il se mit à pleuvoir de l’eau et du<br />

sang, au plus grand étonnement de tous ceux qui étaient présents aux<br />

côtés du roi. Alors qu’ils remarquaient que leurs vêtements étaient<br />

tachés de vrai sang, ils commencèrent à craindre que cet événement si<br />

inhabituel soit le fait du malin. Mais cela ne détourna pas le roi de<br />

son objectif, ni ne relâcha son attention pour l’avancement des<br />

travaux auxquels il prenait tant de plaisir, à tel point que (sauf si je<br />

me trompe) même si un ange était descendu du ciel pour le persuader<br />

d’abandonner, il n’aurait rencontré qu’une volée d’injures et le<br />

chantier aurait continué comme si de rien n’était. 106<br />

Richard coeur de Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 243-255; PITTE, D., « La<br />

prise de Château-Gaillard dans les événements de l'année 1204 », dans 1204, la Normandie entre<br />

Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 139-152 ; CORVISIER, C., « Château-Gaillard et son donjon, une<br />

œuvre expérimentale de Richard Cœur de Lion », dans Les Fortifications dans les domaines Plantagenêt,<br />

XIIe-XIVe siècles, 2000, p. 41-54.<br />

103<br />

HÉLIOT, P., « Le Château Gaillard et les forteresses des XIIe et XIIIe siècles en Europe occidentale »,<br />

dans Château Gaillard. Études de castellologie européenne, 1964, p. 53-7, voir aussi PITTE, D.,<br />

« Château-Gaillard et l'archéologie », Connaissance de l'Eure, 89-90 (1993), p. 4-13.<br />

104<br />

MOSS, V., « War, economy and finance in Angevin Normandy 1195-1198 », dans Richard Coeur de<br />

Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 89-104 ; MOSS, V., « The defense <strong>of</strong><br />

Normandy 1193-1198 », dans A.N.S., 2001, p. 145-163.<br />

105<br />

LANDON, L., The Itinerary <strong>of</strong> King Richard I, with studies on certain matters <strong>of</strong> interest connected<br />

with his reign, 1935.<br />

106<br />

GUILLAUME DE NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry II, and Richard I, 1884,<br />

II, p. 500. (lib. 5, c. 34) : Sane in loco illo, cum magna illa aedifcatio fieret, rem prodigiosam contigisse<br />

fuerunt. Nam (…) mense Maio paulo ante Dominicae Ascensionis sollemnia, cum rex adesset et opus<br />

urgeret, nam saepius ad disponendum urgendumque opus aderat, et conspectum pr<strong>of</strong>icientis operis pro<br />

magna voluptate habebat, repente imber sanguine mixtus descendit, stupendtibus cum ipso rege cunctis<br />

qui aderant: cum et in suis vestibus veri sanguinis guttas conspicerent, et rem tam insolitam malum<br />

portendere formidarent. Verum ex hoc idem rex non est territus, qui minus operi promovendo interderet,<br />

340


Outre la forteresse de La Roche (castrum de Roka), dont les vestiges dominent<br />

toujours la Seine, le chantier des Andelys comprenait également la fortification de la<br />

demeure royale situés dans l’île en face du bourg (castrum de Insula et domorum regis<br />

de insula). Le manoir épiscopal est alors entouré d’une enceinte de pierre dont le coût<br />

s’élève à £ a 1205 107 . La mise en place d’un tel chantier, faisant affluer des milliers de<br />

travailleurs, s’est également accompagné de la fondation d’un bourg neuf, à côté de<br />

celui des Andelys, appelé La Culture (aujourd’hui le Petit Andely), en contrebas de la<br />

forteresse sur les rives de la Seine (illustration 4.8, fig.1). La construction des maisons,<br />

et des fossés de ce bourg est alors partiellement prise en charge par l’administration<br />

ducale comme le montre certaines entrées des rouleaux de l’Échiquier 108 . Guillaume le<br />

Breton décrit le site quelques années plus tard :<br />

Il édifia sur les rives orientales de la Seine, sur un lieu très fortifié,<br />

une ville des plus extravagantes qui était d’un côté entourée par la<br />

Seine et de l’autre par un étang très vaste et très pr<strong>of</strong>ond, d’où<br />

naissaient deux ruisseaux, qui pourraient être appelés rivières, et qui<br />

se jetaient dans la Seine aux deux entrées de la ville. Il fit construire<br />

des ponts sur ces deux ruisseaux et fit élever, à l’entrée et autour de la<br />

ville, des tours en pierre et en bois, avec des plates formes et des<br />

ouvertures pour les arbalétriers. 109<br />

La Seine elle même est également fortifiée : une rangée d’estacades (palicium<br />

triplex) 110 et une série de ponts reliant l’île au bourg et à l’autre rive barraient le fleuve<br />

en contrebas du château de la Roche 111 . Le coût d’une total d’une telle opération fut<br />

in quo sibi, ni fallor, ita complacebat, ut etiam, si angelus de coelo id omittendum suaderet, anathema illi<br />

esset.<br />

107<br />

MRSN, II, p. 310 : pro claudendo castro de Insula de petra ; voir aussi MORTET, V. et al., Recueil de<br />

textes relatifs à l'histoire de l'architecture et à la condition des architectes en France, au Moyen âge :<br />

XIe-XIIIe siècles, 1995 [1911-1929], p. 811-813 (équiv. 175-77).<br />

108<br />

MRSN, II, p. 310 : operationibus domorum et hericonorum et fossatorum de Cultura et in<br />

operationibus domorum ville de subtus Roka.<br />

109<br />

RIGORD et GUILLAUME LE BRETON, Oeuvres, 1882-1885, I, p. 208-209 : et edificavit ibidem,<br />

super ripam Sequane a parte orientali villam amentissimam in loco munitissimo ; ex una enim parte<br />

circuibat eam fluvium predictus et ex alia stagnum amplissimum et pr<strong>of</strong>undum ex quo stagno duo rivi,<br />

quorum uterque amnis vocari poterat, in utorque introitu ville in fluvium Sequanam derivantur et super<br />

utrumque rivum edificavit pontes et turres lapideas et ligneas tam in introitibus quam in circuitu erexit,<br />

propugnaculis et fenestris arcubalistaribus interjectis ; GUIZOT, F. (éd.), Rigord, Vie de Philippe<br />

Auguste. Guillaume le Breton, Vie de Philippe Auguste. Vie de Louis VIII. Nicolas de Bray, Faits et<br />

gestes de Louis VIII, 1823-35, p. 222.<br />

110<br />

RIGORD et GUILLAUME LE BRETON, Oeuvres, 1882-1885, II, p. 180 : Paliciumque triplex, quod<br />

erat Gaillardica subtus/ Menia, quadratis palis et robore duro/ usque sub extremas protensum fluminis<br />

oras ; (sous la forteresse de Château Gaillard, il y avait trois rangées d’estacades, des pieux taillés et<br />

solidement fortifiés, s’étendant d’une extrêmité à l’autre du fleuve).<br />

111<br />

MRSN, II, p. 309, 310 : pro ponte Makade facienda ; pro ponte qui vadit per mediam Insulam de<br />

Gardon; pro ponte de inter duas insulas faciendam ; et in operationibus de pontibus et breticis et<br />

hericonibus de versus Toenie scilicet in virga et palo. Selon V. Mortet de P. Deschamps, le pont<br />

341


considérable : on peut le chiffrer à plus de £ a 54 700 soit près de 80% des sommes<br />

totales consacrées pour la fortification de la vallée de Seine (£ a 67 500), selon les<br />

rouleaux de l’Échiquier de l’année 1198 (le tableau ci-dessous en résume l’essentiel) :<br />

site £ a supervision type de travaux page<br />

Eu 5121 construction des enceintes 386<br />

Gamaches 1700 Elye de ad operationem 300, 307,<br />

en Vexin<br />

Elemosinaria<br />

310, 350<br />

Verneuil 1464 Henri de Gray, ad operationem 311, 314,<br />

maître Yvon,<br />

485<br />

maître Revel (ou<br />

Orival 922<br />

Revel le Clerc)<br />

Gauthier Marc de perforation de la roche et 301, 311,<br />

Argent<br />

construction du château 462<br />

Courteilles 550 Robert le clerc construction d'une enceinte 300,<br />

en pierre, d’un barbacane<br />

et couverture de la tour.<br />

314-5<br />

Rouen 512 maître Euric? essentiellement la clôture 301, 307du<br />

parc et la réparation des<br />

demeures<br />

8, 461<br />

Cléry 484 ad operationem 310<br />

Boutavant 440 ad operationem 310<br />

Tillières 419 Alexandre de Lucy ad operationem 300, 314<br />

Longchamp 400 Francon<br />

Hamines Lepetit<br />

et ad operationem 310<br />

Évreux 380 réparation des fossés, des 307, 413,<br />

murs et renforcement du<br />

château<br />

463-4<br />

Port-Joie 300 Robert fils d'Alard construction du pont fortifié 447, 449,<br />

484-5<br />

Lyons-la-<br />

Forêt<br />

273 William Cocus ad operationem 494-5<br />

Damville 194 couverture de la tour et 314-5<br />

construction<br />

barbacane en pierre<br />

d'une<br />

Radepont 160 Guillaume de ad operationem 303, 303,<br />

Montecanisy<br />

447<br />

Moulineaux 83 réparation de la demeure et<br />

de la chapelle<br />

459<br />

Le Failly 60 Guillaume de Boilly renforcement du château 315<br />

Le Vaudreuil 57 couverture de la demeure 327, 484castrale,<br />

réparation du 5<br />

Argueil 50 Johann Le quanteis<br />

moulin et confection des<br />

barbacanes<br />

ad operationem 302<br />

Lery 35 réparation du pont 485<br />

Mercadier devait être situé au nord du Petit-Andely, tandis que le pont sur le Gambon faisait<br />

communiquer le Petit Andelys avec la forteresse. MORTET, V. et al., Recueil de textes relatifs à l'histoire<br />

de l'architecture et à la condition des architectes en France, au Moyen âge : XIe-XIIIe siècles, 1995<br />

[1911-1929], p. 809 (équiv. 173), note 4.<br />

342


Arques 25 réparation<br />

castrales<br />

des demeures<br />

Pont-de- 20 réparation du pont et du<br />

l'Arche<br />

bac<br />

On peut observer que les principaux chantiers de 1195 comme Pont-de-l’Arche,<br />

Radepont et Le Vaudreuil sont pratiquement achevés puisqu’il ne reste plus qu’à<br />

effectuer des travaux mineurs (couverture et réparations). En revanche on peut<br />

remarquer que de nouveaux chantiers apparaissent comme celui des enceintes de la ville<br />

d’Eu (voir chapitre 3), mais aussi la fortification de Longchamp et de Gamaches en<br />

Vexin, deux forteresses que Richard avait reprises depuis le traité de Gaillon, et qui<br />

constituaient des appuis pour reconquérir les trois châteaux de l’Epte, toujours aux<br />

mains du roi de France. Sur le front de l’Avre, Richard fait également construire<br />

l’enceinte du château de Courteilles tandis que les « travaux du roi » (operationes regis)<br />

continuent à Verneuil, aux enceintes de la ville. Comme l’a monté Dominique Pitte, le<br />

complexe de Château Gaillard fonctionnait au sein d’un réseau de fortifications incluant<br />

les avants postes du château Muret à Cléry et du château de Boutavant à Tosny<br />

(illustration 4.8, fig.2) à l’entrée du méandre 112 . Château Gaillard était en effet conçu<br />

avant tout comme une base à partir de laquelle Richard pensait reconquérir le Vexin et<br />

non comme une forteresse défensive. Guillaume Le Breton rappelle en effet qu’en 1198,<br />

Richard fait ériger une forteresse à Port-Joie, sur la Seine, comme les statuts de la paix<br />

de Louviers l’y autorisaient, « afin que de là, il put de quelque manière recouvrer sa<br />

terre » 113 . Les rouleaux de l’Échiquier de 1198 mentionnent essentiellement la<br />

construction du pont fortifié qui comportait des bretèches et un pont-levis, à coté de la<br />

résidence royale composée d’une chambre jouxtant un chapelle, dont les enduits sont<br />

alors refaits 114 . L’ensemble de ces travaux a donc essentiellement pour fonction de<br />

fortifier la Seine, qui constituait selon John Gillingham « une ligne stratégique vitale de<br />

112 PITTE, D., « Château-Gaillard dans la défense de la Normandie orientale (1196-1204) », dans A.N.S.,<br />

2001, p. 163-175; PITTE, D., « Château-Gaillard: la fortification d'un site à la fin du XIIe siècle », dans<br />

Richard coeur de Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 243-255; LEPEUPLE,<br />

B., « Notes archéologiques sur quatre châteaux du Vexin normand: Baudemont, Longchamps, Cléry et<br />

Château Saussart », dans 1204: La Normandie entre Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 113-136 ;<br />

HOVEDEN, IV, p. 78 : Eodem anno Ricardus rex Angliae firmavit castellum in quadam insua Secana,<br />

quod appellavit Butteavant…<br />

113 RIGORD et GUILLAUME LE BRETON, Oeuvres, 1882-1885, I, p. 208 : Ricardus rex paucis antea<br />

elapsis annis, cum firmate essent treuge inter ipsum et Philippum regem, firmaverat in fluvio Sequane in<br />

loco qui Portus Gaudi, nuncupatur, quandam munitiunculam, inde ut terram suam quocumque modo<br />

recuperaret.<br />

114 MRSN, II, p. 447, 449, 483-5 : £ a 26 pro bretesca et ponte torneiz faciendam super pontem de Portu-<br />

Gaudii ; 20 s. pro camera juxta capellaria regis castri plastranda.<br />

421<br />

482<br />

343


l’empire Angevin » 115 . Pour verrouiller l’accès à Rouen, Richard fait également fortifier<br />

la Roche d’Orival. Certaines mentions de travaux comme à Damville et au Failly<br />

montre que Richard ne s’est pas limité à la fortification des châteaux ducaux mais a<br />

également subventionné des places frontalières tenues par de loyaux vassaux.<br />

À cause du coût considérable des fortifications durant ces années, Richard<br />

propose en 1198 à Philippe Auguste de partager la garde des châteaux de la terre qu’il<br />

dominait, sans doute pour alléger la charge des châteaux. Ce qui apparaissait alors<br />

comme une concession au roi de France était en réalité une stratégie dont Guillaume le<br />

Maréchal expose les principes :<br />

Prenez ore avant vostre terre<br />

Si laissiez les chasteals en gaige<br />

De si qu’a un autre passaige<br />

Quant riens en prendrea de la terre<br />

Ce li semblera une guere<br />

Des chasteals aveir a terni<br />

Se del suen li estuet garnir<br />

Issi ert, gel vos prend en main<br />

Bien si qu’il [re]vendrunt demain 116<br />

Cette stratégie qui consiste à dissocier la possession d’un château de<br />

l’acquisition du dominium c'est-à-dire des droits seigneuriaux qui lui étaient rattachés<br />

montre bien qu’il pouvait exister localement différents niveaux de pouvoir. La<br />

délimitation frontalière au XII e siècle était donc bien plus complexe que la simple<br />

distribution des places fortes dans chaque camp opposé.<br />

1.2.3- Du traité du Goulet à la perte de la Normandie (1200-1204)<br />

Au printemps 1199, lorsque Richard meurt de ses blessures, à Châlus en<br />

Limousin, la fortification de la Normandie apparaît pratiquement achevée. Les<br />

fragments de comptes pour les années 1201 et 1202, ne mentionnent en effet quasiment<br />

aucune dépense de fortification dans cette région. Pourtant, l’<strong>of</strong>fensive de Philippe<br />

Auguste a repris de plus belle et le 22 mai 1200, il est en mesure d’imposer à Jean sans<br />

115<br />

GILLINGHAM, J., Richard Coeur de Lion: Kingship, Chivalry and War in the Twelfth Century, 1994,<br />

p. 353.<br />

116<br />

MEYER, P. (éd.), L'histoire de Guillaume Le Maréchal, comte de Striguil et de Pembroke, régent<br />

d'Angleterre de 1216 à 1219 : poème français, 1891-1901, II, p. 56, v. 11680-11688 : « Prenez donc<br />

votre terre et laissez lui les châteaux en gage d’ici à un autre passage. Quant il ne pourra rien tirer de la<br />

terre, entretenir et approvisonner les châteaux lui semblera aussi dur qu’une guerre, si bien que demain ils<br />

seront revenus entre vos mains ».<br />

344


Terre une nouvelle paix. Cette paix dite du Goulet établit de nouvelles délimitations<br />

frontalières au pr<strong>of</strong>it du roi de France qui avait conquis la ville d’Évreux et une partie<br />

du comté, dans les limites suivantes :<br />

Des bornes sont posées au milieu de la route entre Évreux et Le<br />

Neubourg et tout ce qui est en deçà de ces bornes fait partie du<br />

royaume de France, de même que l’autre partie, du côté du Neubourg<br />

est au roi d’Angleterre. Le Neubourg reste au roi d’Angleterre et nous<br />

avons autant de terres vers Le Neubourg que nous en avons vers<br />

Conches et vers Aquigny en mesurant à partir du côté où se trouve<br />

l’abbaye de la Noé, où coule l’Iton.<br />

Quitteboeuf, et tout ce qui est autour nous appartient tandis que<br />

Tillières avec ses dépendances et Damville restent au roi<br />

d’Angleterre, de sorte que le seigneur de Brézolles ait ce qu’il doit<br />

avoir dans la seigneurie de Tillières et le seigneur de Tillières ce qu’il<br />

doit avoir dans la seigneurie de Brézolles. […]<br />

Malgré la précision toujours plus grande des découpages territoriaux émancipés<br />

de leur support naturel, ceux-ci n’impliquent cependant pas une séparation radicale des<br />

espaces puisque Damville et Tillières qui sont situés en deçà de l’Iton restent au roi<br />

d’Angleterre alors les terres au-delà d’Évreux sont au roi de France. Dans cet espace de<br />

positions partagées, le roi de France impose la destruction de toutes fortifications :<br />

Sachez que ni nous, ni le roi d’Angleterre ne peuvent fortifier à<br />

intérieur des bornes constituées entre Le Neubourg et Évreux, ni à<br />

Quitteboeuf, ni nous de notre coté, ni le roi d’Angleterre de son coté,<br />

ni les lieux fortifiés qui sont en deçà desdites bornes. Les fortifications<br />

de Portes et de Landes seront détruites immédiatement et aucune<br />

autre forteresse ne pourra y être réédifiée. […]<br />

Selon Daniel Power la paix du Goulet est le seul traité de la série qui établit une<br />

délimitation aussi exacte de la frontière entre les terres de Jean et de Philippe à travers<br />

l’Evreucin 117 . En s’interrogeant sur les raisons d’une telle précision en 1200, dans un<br />

territoire bien défini, il en déduit que cette démarcation est vraisemblablement le<br />

résultat d’un compromis entre Philippe, qui ne voulait pas renoncer à sa conquête de<br />

l’Evreucin, et Jean qui ne pouvait accepter de céder ce vaste comté dans son entier au<br />

roi de France. Pour que la paix soit viable, il fallait également que de larges zones soient<br />

démilitarisées et non plus un site comme les Andelys. C’est pourquoi, le traité prévoyait<br />

de faire détruire toutes les places fortes (mottes et châteaux) à l’intérieur de la zone<br />

117 POWER, D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries, 2004, p. 416 ;<br />

345


entre Évreux et le Neubourg (c’est notamment le cas des Portes et de la Lande cités dans<br />

le texte) 118 . Quant au manoir de Quitteboeuf, cédé à Philippe bien qu’il ait été plus<br />

proche de Neubourg que d’Évreux, il témoigne bien du fait que cette démarcation ne<br />

constituait pas une frontière strictement linéaire.<br />

Au nord de la Seine, la frontière en tant que zone démilitarisée s’étend entre<br />

Gaillon et la forêt de Vernon, d’une part, et entre Les Andelys, qui reste au roi<br />

d’Angleterre, et Gamaches d’autre part :<br />

Nous ne pourrons pas fortifier au-delà de Gamaches en Normandie ni<br />

au-delà des limites de la forêt de Vernon mais en deçà, de même les<br />

rois d’Angleterre ne pourront pas fortifier au-delà de la forêt des<br />

Andelys, mais en deçà.<br />

Dans ce traité, les lisières de forêts se sont progressivement substituées aux<br />

repères polarisés que sont les châteaux dans la description des « bornes » du territoire.<br />

On peut s’interroger sur ce que ce glissement traduit des pratiques des belligérants, qui<br />

se déplacent, en long et en large dans la vallée de la Seine, depuis plusieurs années. De<br />

même que pour le découpage territorial entre Évreux et Le Neubourg, l’emploi d’une<br />

délimitation linéaire du paysage ne traduit-il pas l’idée d’une frontière comme espace<br />

continu et homogène ? Le conflit autour de cet espace disputé, par sa durée et par<br />

l’intensité des négociations, n’a-t-il pas contribué à faire émerger des représentations<br />

spatiales ne reposant plus seulement sur l’articulation entre le global (le regnum) et le<br />

local (le castellum), mais sur une conception plus uniforme et mesurée ? En tant que<br />

moment d’explication, de formalisation voire de normalisation, le conflit constitue en<br />

effet un moteur des processus de territorialisation, tel qu’il a pu être déjà observé à<br />

l’échelle du diocèse au cours des XII e –XIII e siècles 119 . C’est en effet au travers des<br />

résolutions de conflits d’empiètements que les diocèses se sont progressivement<br />

territorialisés au cours du XII e siècle. Parce qu’elle constitue un phénomène original à<br />

l’échelle de l’empire, l’émergence de ces nouvelles représentations spatiales de la<br />

frontières ne peut donc être dissociée du « conflit d’interface », dans lequel sont<br />

engagés Plantagenêt et Capétiens depuis plus d’une décennie, un conflit qui transforma<br />

pr<strong>of</strong>ondément la frontière normande avant de la faire disparaître.<br />

118 Ibid., p. 416 ; POWICKE, M., The Loss <strong>of</strong> Normandy : 1189-1204 : Studies in the History <strong>of</strong> the<br />

Angevin Empire, 1963p. 171, La Lande (Fresney, Eure).<br />

119 MAZEL, F. (éd.), L'espace du diocèse. Genèse d'un territoire dans l'Occident médiéval (Ve-XIIIe<br />

siècle), 2008, notamment p. 234.<br />

346


En juin 1204, Philippe Auguste arrive en effet aux portes de Rouen, après avoir<br />

pris une à une les forteresses construites par Richard, au cours d’une épopée longuement<br />

racontée par ses hagiographes 120 . Malgré son inertie apparente, Jean envoie des lettres à<br />

ses agents qui permettent de suivrent les travaux de défense ordonnés entre 1200 et<br />

1204 en Normandie. En 1200, il fait fortifier Boutencourt, pour 100 marcs d’argent.<br />

Entre 1202 et 1204, il envoie une série de lettres pour la fortification de son château<br />

d’Arques. Au total plus de £ a 1500 sont dépensées notamment par Guillaume le<br />

Maréchal qui est le principal destinataire des lettres 121 . Pour renforcer ses positions dans<br />

la vallée de la Seine, Jean acquiert également en 1201 le château de Radepont de la<br />

veuve de Robert de Neubourg, un château que Richard avait fortifié à ses frais en 1195<br />

et 1198 122 . Il n’est pas rare en effet que les Plantagenêt aient contribué à la fortification<br />

des forteresses de leurs vassaux pour renforcer la frontière. En 1203, Étienne de<br />

Longchamp reçoit ainsi l’autorisation de fortifier son manoir de Douville avec l’aide du<br />

roi qui y envoie également une garnison 123 . Mais l’aide aux fortifications vassales n’est<br />

pas sans danger. Ainsi alors que Jean ordonne le renforcement de Beaumont-le-Roger<br />

en 1202, il doit le faire détruire, en 1204, lors de sa retraite 124 .<br />

Les lettres royales suggèrent l’absence d’une politique globale de fortification,<br />

Jean ne régissant qu’au coup par coup face à la progression des troupes françaises. En<br />

1202, il doit faire à nouveau renforcer Le Vaudreuil et envoie £ a 100 à Robert fils<br />

d’Herem afin de mener les travaux, puis l’année suivante, c’est tout ce que ses tenures<br />

et ce que les mauvaises tonlieues ont rapportées qui doivent être investies dans les<br />

travaux du Vaudreuil, alors assiégé par Philippe Auguste 125 . En 1203, après la prise de<br />

Verneuil, Jean envoie une lettre à Roger de Tosny pour fortifier Boutavant et y envoie<br />

120<br />

ROBERT-BARZMAN, E., « La conquête de la Normandie dans la Philippide de Guillaume le<br />

Breton », dans 1204, la Normandie entre Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 153-188<br />

121<br />

Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835, p. 67, 113 ; PACKARD,<br />

S. R. (éd.), Miscellaneous records <strong>of</strong> the Norman Exchequer (1199-1204), 1927, p. 67-68.<br />

122<br />

POWER, D. J., « Les châteaux de la Normandie orientale: défenses Plantagenêt ou résidences<br />

aristocratiques? », dans Cinquante années d'études médiévales à la confluence de nos disciplines, 2005,<br />

p. 149-164.<br />

123<br />

Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835, p. 75, 97 ; MRSN, II,<br />

CXIV.<br />

124<br />

Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835, p. 52 : Gaufrido de Bosco<br />

et Willelmo clerico. Mandamus vobis quod liberetis Roberti de Auterive L librarum andegaviensis ad<br />

operaciones nostra de Bello Monte faciendas.<br />

125<br />

Ibid., p. 55 : Roberto de Veteri Ponte Mandamus vobis quod statim visis literris istis liberetis Roberto<br />

filio Herem C librarum andegav’ ad hurendum castrum nostrum de Valle Rodolis ; p. 80 : Roberto filio<br />

Walteri mandamus vobis quod totam tenseriam nostram et malam toltam ponatis ad operacionem castri<br />

nostri de Valledolo.<br />

347


Jean de Bosco comme connétable 126 . Puis, les sommes investies dans les travaux de<br />

Moulineaux et Orival suggèrent que les chantiers de ces deux forteresses, qui ne<br />

devaient pas être totalement terminés en 1199, sont poursuivis par Jean afin de retenir<br />

l’avancée des armées capétiennes qui approchaient désormais dangereusement Rouen.<br />

Près de £ a 400 apparaissent en effet dans les lettres que Jean adresse à Ge<strong>of</strong>froy Luterell,<br />

l’homme en charge des travaux et de l’intendance des châteaux 127 . Finalement, Jean doit<br />

se résoudre à faire renforcer les enceintes même de Rouen, en autorisant les Rouennais<br />

à prendre du bois dans ses domaines (voir chapitre 3) 128 .<br />

Au sud du duché, Jean tente de renforcer ses appuis dans les marges. Il envoie<br />

notamment £ a 20 à Guheres de Chennebrun pour qu’il fortifie son château face au roi de<br />

France 129 . En 1202, la fortification de Falaise suggère que Jean se doutait que cette<br />

place, pourtant loin des frontières capétiennes, serait l’une des cibles du roi de France,<br />

dont les troupes étaient à Évreux depuis 1200 130 . Les lettres ne permettent pas de suivre<br />

en détail la comptabilité de ces travaux, car elles ne donnent pas systématiquement les<br />

sommes allouées aux agents du roi, en particulier lorsqu’elles invitent l’agent à venir<br />

déduire les dépenses de sa ferme à la prochaine session de l’Échiquier (et computabitur<br />

vobis ad scaccarium). Malgré cette campagne de fortification, sans doute trop erratique,<br />

Jean ne parvient pas à conserver la Normandie. À la fin de l’année 1204, devant<br />

l’absence de réaction du roi d’Angleterre face au siège de Rouen, la ville finit par ouvrir<br />

ses portes au roi de France, donnant comme un signal à toutes les autres villes de<br />

Normandie 131 .<br />

Si la « perte » de la Normandie en 1204 constitue le véritable tournant et la fin<br />

de l’empire Plantagenêt, malgré la permanence de leurs possessions en Poitou jusqu’en<br />

1206 et en Gascogne jusqu’à la fin de la guerre de Cent Ans, c’est non seulement parce<br />

qu’il s’agissait d’un territoire central dans le fonctionnement de l’empire,<br />

126<br />

Ibid., p.74 ; Rot. Lit. Pat., p. 20: preposito et probes hominibus de Torenny etc. Sciatis quod<br />

commissimus dilecto notro Johann’ de Bosco castrum de Torenny custodiendam. Et ideo vobis mandamus<br />

quod ei tanquam constabulario nostro sitis intendentes.<br />

127<br />

Ibid., p. 46, 53, 55, 58, 82, 88.<br />

128<br />

Rot. Lit. Pat., p. 10.<br />

129<br />

Ibid., p. 52.<br />

130<br />

Ibid., p.68 : Baronibus de Scaccario Cadomo. Sciatis quod Ernis de Maudos reddidit camerario nostro<br />

Huberto de Burgo XXIIII librarum andeg’ apud Faleisia ad operactiones castri nostri de Faleisia de<br />

debito xlviii li. andeg’ quas debebunt Benlivenge et Jacobi Judetis et illo mandamus quod ispum de debito<br />

illo quietum inrotulari faciatis. Teste ipso apud Alencon xv die januarie per Huberto de Burgo et P. de<br />

Stoke.<br />

131<br />

POWICKE, M., The Loss <strong>of</strong> Normandy : 1189-1204 : Studies in the History <strong>of</strong> the Angevin Empire,<br />

1963; POWER, D. J., « Les derniers ans du régime angevin en Normandie », dans Plantagenêts et<br />

Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 163-192; POWER, D. J., « L'établissement du régime<br />

capétien en Normandie », dans 1204: La Normandie entre Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 319-343.<br />

348


historiquement (elle est au cœur de l’héritage d’Henri II) mais aussi géographiquement,<br />

puisqu’elle faisait le lien nécessaire entre les îles britanniques et les territoires<br />

continentaux. Cette situation explique pourquoi des dépenses considérables ont été<br />

engagées pour la fortification de cette région et pourquoi les délimitations territoriales<br />

ont été l’objet de tant de luttes. Ces luttes n’ont pas été menées sur un seul plan<br />

militaire, la série de traités montre que les enjeux étaient aussi fondamentalement<br />

juridiques. L’accroissement des hostilités entre Plantagenêt et Capétiens s’est en effet<br />

accompagné d’une fixation de plus en plus normalisée des frontières au sein de traités<br />

dont le nombre et la fréquence augmentent au cours de la dernière décennie du XII e<br />

siècle. Tandis que la plupart des traités des années 1170 ne faisaient qu’enregistrer l’état<br />

des positions des deux parties, on voit se mettre en place des tentatives de délimitation<br />

de la frontière à partir de lignes imaginaires entre les pôles qui la composent.<br />

Klaus von Eickels, qui a étudié l’évolution des traités entre Plantagenêt et<br />

Capétiens, souligne les pr<strong>of</strong>ondes transformations qui se sont opérées dans la<br />

ritualisation et la normalisation juridique des hommages, entre l’avènement d’Henri II et<br />

la paix du Goulet, et qui se poursuivront jusqu’à la fin du Moyen Âge 132 . Avant 1154,<br />

l’hommage rendu pour le duché de Normandie était rarement effectué (en 1120, 1137 et<br />

1140) et généralement à la demande des rois d’Angleterre qui l’utilisaient pour résoudre<br />

des problèmes liées à la possession de la terre ou aux droits de succession. C’est<br />

également le cas de l’hommage de 1151, qui met en jeu le Vexin normand. Au cours de<br />

la période, le rituel traditionnel de l’hommage cesse d’être une pure reconnaissance<br />

formelle pour devenir le serment effectué à l’issue d’un traité de paix entre deux rois,<br />

remettant en cause l’idée qu’ils traitaient uniquement comme des égaux, dans le cadre<br />

des relations d’amicitia qui structuraient les relations aristocratiques au haut Moyen<br />

Âge. À partir de 1177, l’idée féodale de loyauté mutuelle, qui s’est peu à peu ajoutée au<br />

rituel d’amicitia, prend progressivement le pas. Ce glissement s’accentue au cours de la<br />

dernière décennie du XII e siècle, si bien qu’en 1200, Philippe Auguste peut exiger de<br />

Jean sa subordination vassalique de manière tout à fait conventionnelle. Au début du<br />

XIII e siècle, l’hommage avait ainsi changé de sens pour devenir un acte définissant le<br />

statut légal du seigneur vis-à-vis de son vassal, même si le rituel restait encore un acte<br />

flexible qui pouvait englober une variété d’autres relations.<br />

132 VAN EICKELS, K., Vom inszenierten Konsens zum systematisierten Konflikt : die englischfranzösischen<br />

Beziehungen und ihre Wahrnehmung an der Wende vom Hoch- zum Spätmittelalter, 2002,<br />

positions résumées en anglais dans VAN EICKELS, K., « Homagium and Amicitia : rituals <strong>of</strong> peace and<br />

their significance in the Anglo-French negotiations <strong>of</strong> the XII th century », Francia, 24: 1 (1997), p. 133-<br />

140.<br />

349


Le rôle des traités dans la définition des frontières de l’empire Plantagenêt ne<br />

s’est toutefois pas confiné à la Normandie. Il constitue au contraire l’un des principaux<br />

modes de résolution des conflits frontaliers entre le roi d’Angleterre et ses voisins.<br />

L’utilisation des traités par les juristes de la cour des Plantagenêt s’inscrit en effet<br />

exactement dans la même tendance que celle que l’on peut observer dans le conflit entre<br />

Capétiens et Plantagenêt : dans les marches du Pays de Galles, comme en Écosse et<br />

dans une moindre mesure en Irlande, le traité constitue en effet un véritable instrument<br />

de féodalisation et d’insertion des sociétés « claniques » situées aux marges de l’empire.<br />

1.3- Les marches galloises : la difficile insertion féodale<br />

1.3.1- Le retour de l’initiative royale en Pays de Galles et la fixation des frontières<br />

1154-1172<br />

Les conquêtes d’Henri II et leurs échecs : la difficile fixation des frontières en<br />

Pays de Galles<br />

Lorsque Guillaume le Conquérant entre à St. David’s en 1081, son objectif n’est<br />

pas de conquérir le Pays de Galles mais de manifester sa puissance. Près d’un siècle<br />

plus tard, les expéditions menées par Henri II de 1157 et à 1171 confirment l’emprise<br />

féodale que les Normands avaient progressivement acquise sur le Pays de Galles.<br />

Initialement pourtant, l’intention du monarque prétendait se limiter à la restauration du<br />

statu quo de 1135. La période de guerre civile avait en effet été marquée par une<br />

avancée des princes gallois dans les comtés normands établis en Pays de Galles depuis<br />

la conquête : le Herefordshire, le Shropshire et le Cheshire. Guillaume le Conquérant<br />

avait confié à ses plus fidèles vassaux le contrôle de ces espaces, en leur concédant<br />

d’importantes prérogatives militaires, en particulier celle de construire des places fortes<br />

sans licence royale, afin d’organiser un solide front pionnier. Ainsi, outre les six<br />

châteaux construits avant 1096 (carte 4.9 fig.3) 133 , près d’une vingtaine de mottes sont<br />

érigées le long de la frontière galloise : elles seront plus d’une centaine à la fin du<br />

Moyen Âge (carte 4.9 fig.2) 134 . En 1154, cependant, l’autonomie des marches galloises<br />

133 Degannwy, Radnor, Monmouth, Chepstow, Cardigan, Pembroke; SPURGEON, C. J., « Mottes and<br />

castle-ringworks on Wales », dans Castles in Wales and the Marches : essays in honour <strong>of</strong> D.J. Cathcart<br />

King, 1987, p. 23-49.<br />

134 BEELER, J. H., « Castles and strategy in Norman and early Angevin England », Speculum, 31: 4<br />

(1956), p. 581-601; KING, D. J. C. et ALCOCK, L., « Ringworks <strong>of</strong> England and Wales », dans Chateau<br />

Gaillard. European Castle Studies, 1969, p. 90-127; SPURGEON, C. J., « Mottes and castle-ringworks<br />

on Wales », dans Castles in Wales and the Marches. Essays in honour <strong>of</strong> D.J. Cathcart King, 1987, p. 23-<br />

49.<br />

350


avait été fortement réduite, notamment depuis la confiscation du comté de Hereford,<br />

après la révolte de Roger de Breteuil, le fils de Guillaume FitzOsbern en 1075, et du<br />

comté de Shrewsbury qui devient un shire rattaché à la Couronne à la suite de la révolte<br />

des Montgomery en 1102 135 . Les marches sont alors utilisées pour récompenser les<br />

hommes nouveaux de la mesnie du roi 136 .<br />

Le règne d’Henri II marque le retour d’une politique royale active en Pays de<br />

Galles 137 . Dès 1157, Henri II y mène la première expédition royale depuis 1121, à partir<br />

de l’honneur de Chester dont il a la garde pendant la minorité d’Hugues II Kevelioc<br />

(1153-1162). Il soumet le prince Owain du Gwynedd qui lui rend l’hommage, fait<br />

fortifier Rhuddlan qu’il confie à Hugues de Beauchamp et construit le château de<br />

Basingwerk, qui n’était alors sans doute qu’une motte 138 . L’année suivante, Henri II est<br />

dans le sud des Galles, pour recevoir l’hommage de Rhys ap Gruffydd du Deheubarth,<br />

qui lui rend les forteresses du Ceredigion ainsi que Carmarthen et Llandovery, qu’il<br />

avait prises à Roger de Clare et à Walter Clifford 139 . La politique d’Henri II ne se limite<br />

cependant pas à la restauration du statu quo de 1135. Dès 1159, en effet, il ordonne au<br />

shérif du Shropshire que les châteaux de Galles soient fortifiés 140 . Les châteaux royaux<br />

de Chester et Carregh<strong>of</strong>a sont ainsi renforcés, ainsi que ceux de Roger Powys, Overton<br />

et la tour de Dernio (site non identifié), et de Walter Clifford, à Llandovery, en 1160 141 .<br />

À la mort de Guillaume FitzAlan, le shérif du Shropshire, en 1160, ses châteaux de<br />

Clun, Blancmonasterium (Oswestry) 142 et Ruthin entrent dans la garde du roi. Là<br />

encore, Henri II ne se limite à pas à y entretenir les garnisons, il fait également fortifier<br />

Blancmonasterium entre 1161 et 1170, qu’il conserve dans ses domaines, jusqu’à la<br />

majorité de l’héritier en 1175 143 . Au cours de ces dix premières années, la présence<br />

135<br />

DAVIES, R. R., The Age <strong>of</strong> Conquest Wales 1063-1415, 1991., p. 29, 35-36.<br />

136<br />

Ibid., p. 41.<br />

137<br />

Pour localiser tous les sites mentionnés voir les cartes et le tableau 4.10.<br />

138<br />

TORIGNI, I, p. 310 : castrum Rovelent firmavit et dedit Hugoni de Bello campo et aliud castrum,<br />

scilicet Basingewerche fecit…<br />

139<br />

PR 5 H.II., p. 21; LLOYD, J. E., A History <strong>of</strong> Wales from the Earliest Times to the Edwardian<br />

Conquest, 1911, II, 506-507. Roger de Clare trouve ainsi, les châteaux de Ystrad Meuring, Castle Hywell,<br />

Aberdyfi, Dineirh et Llanrhystud.<br />

140<br />

PR 5 H.II., p. 62, £18 4s. in munitione castellorum Wallia.<br />

141<br />

PR 5 H.II, p.62 ; 6 H.II, p. 7, 23 : £41 in operatione castelli de Canterbohan ; p. 30 : £18 5s. in<br />

munitione castri de Canterbohan. Le nom gallois de Llandovery est Cantref Bychan ; PR 6 H.II, p. 26,<br />

PR 8 H.II, p .15.<br />

142<br />

SUPPE, F. C., Military Institutions on the Welsh Marches : Shropshire, A.D. 1066-1300, 1994 p. 54-<br />

55. note 96 et 119 fait remarquer que John Beeler ainsi que Sidney Painter se trompent en associant<br />

Blanmonasterium à Whitminster qui n’a aucune connexion avec les Fitz Alan.<br />

143<br />

Ibid., p. 54-55. Les Pipe rolls indiquent en effet le paiement des gardiens du château jusqu’en 1175.<br />

PR. 7 H.II, p.39, 11 H.II, p.91 ; 14 H.II, p.124 ; 15 H.II, p.107 ; 16 H.II, p ; 134, 21 H.II, p. 39).<br />

351


oyale en Galles s’est donc renforcée, même si la politique de construction reste plus<br />

défensive qu’<strong>of</strong>fensive.<br />

À partir de 1163, les choses s’accélèrent. Le pipe roll de cette année-là comporte<br />

des dépenses pour fortifier les « portes en Pays de Galles », sans doute à la suite des<br />

dommages subis lors de la rébellion de Rhys ap Dale qui avait prit d’assaut le château<br />

royal de Carregh<strong>of</strong>a 144 . Au cours de l’expédition punitive qu’il mène en Galles, Henri II<br />

restaure les trois châteaux de Grosmont, White Castle (Llantilio) et Skenfirth qui<br />

forment un ensemble défensif protégeant la Golden Valley et les plaines du sud contre<br />

les gallois du Gwent 145 . L’échec des princes gallois a des conséquences importantes : en<br />

imposant l’hommage vassalique à Rhys ap Dale ainsi qu’à Owain du Gwynedd, lors<br />

d’une cérémonie publique perpétrée à Woodstock en juillet 1163, Henri II modifiait sa<br />

domination en Galles 146 . Le Pays de Galles ne constituait toutefois pas un royaume<br />

unifié, à l’instar de l’Écosse, où la soumission du prince entraînait celle de ses vassaux<br />

(voir infra). Le Brut y Tywysogyon raconte d’ailleurs que les Gallois ne tardèrent pas à<br />

« s’unifier pour rejeter la domination des français » 147 . Le rouleau de l’année 1164<br />

contient des informations sur la préparation de l’expédition de répression qu’Henri II<br />

lance en 1165 à partir de Shrewsbury, dont il fait fortifier la tour ainsi que toutes les<br />

mottes du Shropshire assignées au service féodal 148 . Mais la campagne est un échec<br />

pour le roi d’Angleterre qui voit reculer les positions anglaises quasiment à leur état de<br />

1155 149 . Les dépenses engagées par Henri II, qui doit alors à nouveau « fortifier les<br />

confins entre les Anglais et les Gallois, ordonnant châteaux et soldats » 150 , témoignent<br />

de ce recul. En 1166 et 1167, il dépense en vain près de £200 pour le renforcement de<br />

Basingwerk, Rhuddlan, Prestatyn et Monhalt, dans le Cheshire, repris peu après par<br />

Owain, ainsi que Kington dans le Herefordshire 151 . La fortification du château de<br />

Bridgnorth sur la Severn, constitue le principal chantier royal de la région : £346 lui<br />

144 P.R. 9 H.II., p .8.<br />

145 PR 9 H. II, p. 7; REID, A., Castles <strong>of</strong> Wales. Castellu Cymry, 1973, p. 84, 131, 136 ; Brut y<br />

tywysogyon, or, The chronicle <strong>of</strong> the princes : Peniarth Ms. 20 version, 1985 [1952], p. 62 (1162-63) :<br />

Carreg H<strong>of</strong>a fell before Owain ap Gruffudd and Owain ap madog and Maredudd ap Hywel.<br />

146 DAVIES, R. R., The Age <strong>of</strong> Conquest Wales 1063-1415, 1991, p. 52. DICETOI, p. 311.<br />

147 Brut y tywysogyon, or, The chronicle <strong>of</strong> the princes : Peniarth Ms. 20 version, 1985 [1952], p. 63<br />

(1163-1164): “and thereupon all he Welsh united together to throw <strong>of</strong>f the rule <strong>of</strong> the French” cité par<br />

DAVIES, R. R., The Age <strong>of</strong> Conquest Wales 1063-1415, 1991, p. 52; LATIMER, P., « Henry II's<br />

campaign against the Welsh in 1165 », The Welsh History Review, 14 (1989), p. 523-552.<br />

148 PR 10 H.II., p. 9, PR 11 H.II, p. 89. Au total £271 sont dépensées à Shrewsbury entre 1164 et 1214.<br />

149 DAVIES, R. R., The Age <strong>of</strong> Conquest Wales 1063-1415, 1991, p. 52.<br />

150 TORIGNI, I, p. 359 : Henricus rex, munitis confiniis inter Anglos et Walenses, et castellis et militibus<br />

dispositis, in Quadragesima, tranfretavit in Normanniam.<br />

151 PR 13 H.II, p.77. Les dépenses sont cependant effectuées sur la ferme du comté du Warwickshire ce<br />

qui laisse supposer que les revenus provenaient de l’honneur de Chester, toujours en escheat.<br />

352


sont attribués entre 1166 à 1185 notamment pour ériger la tour (in operatione turris de<br />

Brugis) 152 . Malgré les négociations avec Iowerth Goch à qui Henri II donne le château<br />

de Chirk en échange de la paix en 1167 153 , trois ans plus tard, il doit faire fortifier<br />

Shrawardine puis Ellesmere qu’il retenait depuis la confiscation de l’honneur de<br />

Guillaume Peverell en 1153 154 .<br />

Rees Davies considère l’année 1172 comme une charnière dans la politique<br />

royale en Pays de Galles. En 1171, l’accord passé entre Henri II et Rhys ap Gruffyd<br />

contribue à faire de la marche galloise une frontière séparante plus qu’un front pionnier.<br />

Rhys y reconnaît son statut de vassal tandis qu’Henri II lui accorde une autorité<br />

supérieure sur les autres seigneurs gallois et confirme ses gains territoriaux contre un<br />

tribut. Dès lors et pour les quarante années à venir, aucun roi anglais n’envahira le Pays<br />

de Galles 155 . La mise en place d’une politique presque exclusivement défensive à partir<br />

de 1171 résulte en grande partie du désintérêt des Marcher Lords, dont l’énergie<br />

militaire est alors canalisée par la conquête de l’Irlande. Au cours des années suivantes,<br />

les interventions d’Henri II se limitent à des fonctions d’arbitrage, visant à conserver la<br />

paix 156 . Ainsi, en 1175, il ordonne au comte de Pembroke de restaurer Caerleaon à son<br />

seigneur gallois et en 1179, il confisque à Roger de Mortimer, pour avoir enfreint le<br />

« droit public » en tuant le prince gallois Cadwallon ap Madog du Mealienydd, son<br />

château de Cymaron et le fait réparer 157 . En juin 1175, Henri II cherche à formaliser son<br />

autorité supérieure en Pays de Galles, en convoquant un concile à Gloucester, puis à<br />

Geddington en 1177 où il reçoit l’hommage lige du Lord Rhys et des gallois, en<br />

échange de terres (Ellesmere et Meirionydd) 158 . Ces conciles s’inscrivent dans le<br />

contexte des années qui suivent la révolte des barons de 1173 et la redéfinition par<br />

Henri II de son imperium, y compris en Écosse (traité de Falaise), en Irlande (traité de<br />

Windsor) et au Pays de Galles (concile de Gloucester). À la différence de l’Irlande<br />

152<br />

£150 seront dépensées par la suite, principalement pour des réparations y compris de la tour vers 1206-<br />

1207.<br />

153<br />

LATIMER, P., « Henry II's campaign against the welsh in 1165 », The Welsh History Review, 14<br />

(1989), p. 523-552; Brut y tywysogyon, or, The chronicle <strong>of</strong> the princes : Peniarth Ms. 20 version, 1985<br />

[1952], p. 64.<br />

154<br />

PR 17, p. 32, 110 ; 18 H.II, p. 110.<br />

155<br />

DAVIES, R. R., The Age <strong>of</strong> Conquest Wales 1063-1415, 1991, p. 271.<br />

156<br />

GIRAUD DE BARRI, Opera. 1, De rebus a se gestis libri III. Invectionum libellus. Symbolum<br />

electorum, 1861-1891, p. 57.<br />

157<br />

DICETO I, p. 437-38 : a jure publico tutum debuit habuisse praesidium (il devait être entendu selon le<br />

droit public); PR 25 H.II., p.39 £10 in reparatione castelli de Camaron.<br />

158<br />

DAVIES, R. R., The Age <strong>of</strong> Conquest Wales 1063-1415, 1991, p. 290-91.<br />

353


cependant, l’idée d’un imperium, ou d’une haute royauté n’était pas neuve pour les<br />

Gallois 159 .<br />

159 HIGHAM, N. J., « Medieval ‘overlordship’ in Wales : the earliest evidence », The Welsh History<br />

Review, 16: 2 (1992), p. 145-159.<br />

354


Marchia, Wallia, Kambria : les territoires du Pays de Galles et leurs délimitations<br />

La frontière qui prend forme au cours des années 1170 va rester stable pendant<br />

près d’un siècle jusque vers 1277, avec quelques ajustements de temps à autres 160 . On<br />

peut alors distinguer l’émergence de trois types de territorialités bien plus qu’une<br />

séparation entre une Pura Wallia et une Marchia Wallia. Comme l’a monté Kevin<br />

Mann, cette distinction correspond davantage à une construction d’historiens qu’à la<br />

réalité du XII e siècle 161 . Jusqu’en 1175, la ferme du Herefordshire est enregistrée sous le<br />

titre « Herefordscira in Waliis ». De même, les chartes de ceux qu’on appelle les<br />

Marcher Lords et les chroniques de la même époque décrivent leurs terres comme étant<br />

non in Marchia mais in Wallia 162 . Ces usages suggèrent donc que la séparation entre<br />

l’Angleterre et le Pays de Galles n’était pas vécue comme un espace de marche avant la<br />

fin du XII e siècle. Les occurrences dans les pipe rolls de « marche » en Galles ne<br />

concernent que la levée de l’aide militaire, ce qui suggère que cette expression avait un<br />

sens plus juridique que géographique. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de<br />

frontière, au contraire, et l’imaginaire comme les vestiges de l’Offa’s dyke constituait<br />

un référent puissant pour la matérialiser. Cet ensemble de fossés et de digues<br />

artificielles combinées à des rivières naturelles (Wye et Dee), construit au cours des<br />

VII e et VIII e siècles par les rois de Mercie contre les raids gallois, joua en effet une part<br />

importante dans la formation de l’identité galloise au Moyen Âge 163 . Selon Giraud de<br />

Barri, il existait plus exactement deux types de frontières, les anciennes et les<br />

nouvelles :<br />

Des montagnes dites d’Elennyth surgit la majestueuse rivière de la<br />

Severn, alimentant le château de Shrewsbury, puis le noble château de<br />

Bridgnorth, la ville de Worcester, celle de Gloucester, travailleuse du<br />

fer, et que peu de soldats peuvent traverser lorsqu’elle descend vers la<br />

mer, puis de là entre en dans la mer. Cette eau constitue depuis<br />

160 DAVIES, R. R., The Age <strong>of</strong> Conquest Wales 1063-1415, 1991, p. 272.<br />

161 MANN, K., « The March <strong>of</strong> Wales: A Question <strong>of</strong> Terminology? », The Welsh History Review, 18: 1<br />

(1996), p. 1-13.<br />

162 Ibid. cite Rotuli de Liberate ac de misis et praestitis regnante Johannes, HARDY, T. D. (éd.), 1844,<br />

p. 56.<br />

163 DAVIES, R. R., « Presidential address : the peoples <strong>of</strong> Britain and Ireland 1100-1400. II. Names,<br />

boundaries and regnal solidarities », T.R.H.S., 5 (1995), p. 1-20; DAVIES, R. R., The Age <strong>of</strong> Conquest<br />

Wales 1063-1415, 1991, p.3 ; PRYCE, H., « British or Welsh? National Identity in Twelfth-Century<br />

Wales », The E.H.R., 116: 468 (2001), p. 775-801.<br />

355


toujours une marche entre le Pays de Galles (Kambria) et le Leinster<br />

de même qu’entre les Galles (Wallia) et l’Angleterre… 164<br />

… La rivière Wye vient des mêmes montagnes d’Ellenyth descendant<br />

par le château de la Hay et de Clifford, par la ville d’Hereford, le<br />

château de Wilton et de Godric, traversant la forêt de Dean fertile en<br />

fer, elle continue imprégné de ce fer, jusqu’au château de Striguil au<br />

dessous duquel elle se dilate dans la mer et elle constitue aujourd’hui<br />

la marche moderne séparant l’Angleterre du Pays de Galles 165 .<br />

Trois dénominations spatiales apparaissaient dans cette description, la Wallia<br />

désignant ici ce qui fut progressivement appelé au cours du XIII e siècle la Marchia<br />

Wallia, c'est-à-dire l’espace entre Wye et Severn. L’espace purement gallois, qui<br />

regarde vers l’Irlande, est ici appelé la Kambria. Dans le dernier quart du XII e siècle, la<br />

présence anglaise était pratiquement inexistante dans cet espace qui s’étendait de<br />

Cemmais à Dyfed dans l’est, incluant les hautes terres du Glamorgan et du Brecon<br />

jusqu’au nord. La Wallia au contraire était la partie du Pays de Galles sous domination<br />

anglaise qui, loin de constituer un espace homogène, était composée de différentes<br />

zones : la plus instable, car la plus récemment conquise, se trouvait au sud-est, avec<br />

Carmarthen, les Lowlands du Pembroke, Gower et la vallée de Glamorgan, tandis que<br />

les vallées centrales de Swansea au Brecon et d’Oswestry à Chester constituaient,<br />

depuis la conquête, une zone fortement militarisée 166 . Selon Rees R. Davies, les<br />

dénominations étaient essentielles au Moyen Âge pour saisir la manière dont les peuples<br />

se représentaient et la conscience qu’ils avaient d’eux-mêmes 167 . En établissant les<br />

délimitation entre les différentes Galles, Giraud de Barri employait une terminologie qui<br />

non seulement reconnaissait la domination territoriale anglaise mais entérinait<br />

également leur domination culturelle.<br />

164<br />

GIRAUD DE BARRI, Opera. 6, Itinerarium Kambriae et descriptio Kambriae, 1861-1891, p.171 : De<br />

montanis igitur Elennyth nobilis emanat Sabrinae fluvius, castrum Slopesburiae complectens ; deinde per<br />

nobile castrum brugense, per urbem quoque Wigornaie, per Gloverniam ferream atque fabrilem ; sub<br />

qua paucis passuum milibus in mare descendit, quod et ab eius quoque nomine Sabrinum mare nomen<br />

accepit. Haec aqua multis olim temporibus inter Kambriam et Loegriam hoc est inter Walliam et<br />

Angliam, marchia fuit.<br />

165<br />

Ibid., p.171 : Waie fluvium ab eisdem quoque montanis [de] Ellenyth per Haie castrum et Clifordiae,<br />

per urbem Herefordiae, per castellum de Wiltona et castellum Godrici discurrens, silvam quoque<br />

Danubiae ferro fertilem atque ferina transpenetrando, usque ad Strigulense castrum sub quo est in mare<br />

dilabitur et Angliam ibidem a Walliam separans modernis diebus marchiam facit.<br />

166<br />

Ibid., p.171 : il y en a cependant en 1173 à Caerleon, en 1182 à Monmouth et en 1183-4 à Cardiff et<br />

Kenfig et Neath.<br />

167<br />

DAVIES, R. R., « Presidential address : the peoples <strong>of</strong> Britain and Ireland 1100-1400. II. Names,<br />

boundaries and regnal solidarities », T.R.H.S., 5 (1995), p. 1-20.<br />

356


1.3.2- Consolidation et extension du pouvoir royal en Pays de Galles<br />

L’instabilité de la marche méridionale galloise<br />

Le littoral méridional constituait la zone la plus instable, soumise à de nombreux<br />

raids gallois au cours de la période. Plusieurs événements vont cependant permettre le<br />

renforcement de la présence royale : en premier lieu, la mort de Richard FitzGilbert de<br />

Clare, en 1176. Ses principales forteresses qui constituaient l’honneur de Pembroke 168<br />

entrèrent dans le domaine royal jusqu’au mariage d’Isabelle de Clare avec Guillaume le<br />

Maréchal en 1189. En 1180, Henri II reprend également le château royal de Carmarthen<br />

où des travaux de fortification sont engagés 169 . Puis, en 1183, c’est l’honneur de<br />

Gloucester qui entre dans les domaines de la Couronne. Henri II prend alors sous sa<br />

tutelle l’héritage d’Isabelle de Gloucester, qui avait été promise à Jean sans Terre, en<br />

attendant que ce dernier soit en âge d’entrer en possession du comté. La disparition du<br />

puissant baron déclencha une violente rébellion qui toucha tout le sud des Galles 170 .<br />

Henri II eut donc à faire réparer les dommages subis dans les châteaux du Glamorgan et<br />

du Gwynllwg, comme le montre le rouleau de 1185 qui enregistre plusieurs travaux de<br />

réparation sur les châteaux et les infrastructures manoriales de cette région 171 . Les<br />

demeures du château de Cardiff sont ainsi remises en état, ainsi que la tour et le château<br />

de Chepstow 172 . Les châteaux de Rhymney, Neath 173 , Newbury (Monmouthshire) et<br />

Kenfig font également l’objet d’importantes restaurations : la porte et la palissade de<br />

Kenfig sont entièrement refaites en bois 174 , tandis que le pont et les fortifications face à<br />

la mer de Newbury sont également restaurées 175 . En 1184, Henri II entre en possession<br />

de la seigneurie de Gower, tenue jusque là par William Newburgh, comte de Warwick<br />

(1140-1184). Il est possible que ce dernier, mort sans héritier en Terre Sainte, l’ait<br />

168 Chepstow, Usk dans le Monmouthshire et Tenby et Pembroke dans le Pembrokshire.<br />

169 £91 sont dépensées entre 1181 et 1184, PR 27 H.II, p. 5, 15 ; 28 H.II, p. 108 ; 29 H.II, p. 122.<br />

170 Annales de Margam, dans Annales monastici, LUARD, H. R. (éd.), 1864 I, p. 17-18 : hic etiam<br />

Walenses pagum Glamorganensem incendiis atque rapinis hostiliter vastare coeperunt, tunc ab eis inter<br />

alias et villa Kerdiviae inciendio est tradita villaque de Kenefegiam vice secundam. Castellum de Neth<br />

secundo obsessum et fortiter aliquandiu oppugnatum, donec ab Anglia veniens exercitus Francigenarum<br />

fugavit agmen hostile Walensium, machina quam fecerant igne cremata.<br />

171 PR 31 H.II, p.8. £16 4s. 6d. in operatione castellorum et domorum et molendinum per maneria.<br />

172 PR 31 H.II, p. 5, 6, 8 et 10: £10 13s. in reparatione turris et castelli de Striguil et domorum.<br />

173 PR 34 H.II, p. 8 : 20s. in emendanda et perficienda turre de Neth.<br />

174 PR 31 H.II, p. 5 : £16, 11s. 6d. in reparatione castelli de Kenefeg et emendatione portarum et<br />

paliciorum ; et p. 6 : £14 8s. in liberatione Mauricius de Berkelay pro XXIIII navium que portaverunt<br />

maisremium regis a Striguil ad operationem castelli de Kenefeg.<br />

175 PR 31 H.II, p. 6, £6 14s. 10d.: in emendatione castelli Novi Burgi et domorum et pontium et ad<br />

defensionem maris.<br />

357


vendue au roi, car rien d’indique que son frère Waléran qui lui succéda comme comte<br />

de Warwick entra également en possession du Gower 176 . Dès 1187, Henri II entreprend<br />

de fortifier sa nouvelle acquisition : 20 marcs sont dépensées pour la réparation du<br />

château de Swansea. Le paiement des gardes enregistré dans les pipe rolls montre<br />

cependant que le château passa rapidement aux mains des Gallois (dès 1193).<br />

La fortification de cette marche méridionale n’a rien de fortuit : la conquête de<br />

l’Irlande à partir de 1171 avait en effet considérablement accru l’importance stratégique<br />

de cet espace, et notamment l’axe Gloucester - Carmarthen 177 . Or, sous le règne de<br />

Richard, la couronne perd progressivement le contrôle de cette marche au pr<strong>of</strong>it des<br />

Gallois d’une part, mais aussi des barons, en particulier de Roger Mortimer et<br />

Guillaume de Briouze 178 . À l’avènement de Richard, une nouvelle série de troubles<br />

déstabilise la région. Selon Roger de Hoveden, c’est l’attitude de Richard qui met le feu<br />

aux poudres, par son refus de respecter l’étiquette qui avait gouverné les relations anglo-<br />

galloises sous Henri II 179 . L’idée que Richard est le principal responsable de la<br />

réouverture des hostilités en 1189 a été véhiculée par Lewis Warren et Rees Davies. À<br />

leur encontre, John Gillingham pense que les tensions n’avaient cessées de s’accumuler<br />

depuis la fin du règne d’Henri II, critiquant ainsi l’idée d’une « détente » entre Henri II<br />

et Rhys 180 . La politique de fortification des marches galloises jusqu’en 1189 supporte<br />

largement cette seconde hypothèse. Giraud de Barri raconte également que des raids<br />

sont lancés par les Gallois dès l’annonce de la mort d’Henri II. Le Pembrokeshire ainsi<br />

176<br />

REES, W., « Gower and the March <strong>of</strong> Wales », Archaeolgia Cambrensis, CX (1961), p. 1-29 : Ce qui<br />

s’est passé n’est pas très clair et probablement litigieux, puisque les Warwick seront toujours engagés<br />

dans une procédure contre les Briouze au XIV e siècle concernant le Gower. Cependant un abrégé du<br />

Domesday Book établit que ‘Earl William, because <strong>of</strong> the debt he owed those people and was unable to<br />

pay and desiring to do as little harm as he could by the sale <strong>of</strong> Gower, approaches King Henry and sold<br />

him the land <strong>of</strong> Gower” (cité p.10).<br />

177<br />

ROWLANDS, I. W., « King John and Wales », dans King John. New Interpretations, 1999, p. 237-<br />

287<br />

178<br />

HOLDEN, B. W., « King John, the Braoses, and the Celtic Fringe, 1207-1216 », Albion: A Quarterly<br />

Journal Concerned with British Studies, 33: 1 (2001), p. 1-23.<br />

179<br />

HOVEDEN, III, p. 23: Eodem mense (Octobris), Resus filius Griffini, regulus de Suthwales, venit in<br />

Angliam usque Oxeneford, per conductum Johannis comitis Moretonii fratris regis, et quia rex Angliae<br />

noluit occurrere illi, sicut rex pater suus solebat, indignatus est valde, et reversus est in terram suam sine<br />

allocutione regis (ce mois là Rhys ap Gruffyp, roitelet des Galles du sud, vint en Angleterre jusqu’à<br />

Oxford, sous la garde de Jean comte de Mortain, le frère du roi. Mais parce que le roi d’Angleterre ne<br />

voulut par se présenter à lui, comme le faisait le roi son père, Rhys fut grandement indigné et repartit sur<br />

ses terres, sans avoir parlé au roi).<br />

180<br />

DAVIES, R. R., The Age <strong>of</strong> Conquest Wales 1063-1415, 1991, p. 288-90; WARREN, W. L., Henry II,<br />

2000, p.169 : “within a few months <strong>of</strong> Henry’s death Richard I’s stupid mishandling <strong>of</strong> Rhys put the<br />

whole position in south Wales in jeopardy”; GILLINGHAM, J., « Henry II, Richard I and the Lord Rhys<br />

», Peritia. Journal <strong>of</strong> the Medieval Academy <strong>of</strong> Ireland, 10 (1996), p. 225-236.<br />

358


que le Gower, Carmarthen, Laugharne et Llanstephan sont alors dévastés 181 . C’est Jean,<br />

en tant que comte de Gloucester, qui est chargé de reconquérir les territoires perdus<br />

tandis que Giraud de Barri est envoyé mener les négociations avec Lord Rhys 182 . Sur le<br />

rouleau de 1190, plus de £527 sont dépensées pour la garde des châteaux de Swansea,<br />

Carmarthen et Llanwaddyn 183 . Mais l’absence prolongée du roi, retenu en captivité,<br />

constitue une brèche dans la continuité de l’autorité royale, dans laquelle les Gallois<br />

vont s’engouffrer pour lancer une reconquête des marches. Les dépenses sont alors<br />

surtout attribuées aux constructions défensives. Entre 1187 et 1193, près de £200 sont<br />

dépensées pour la fortification des remparts d’Hereford, tandis que £136 sont attribuées<br />

à White Castle (Dale) entre 1184 et 1188 ; £63 à Skenfirth entre 1187 et 1193, et £16<br />

seulement à Grosmont entre 1184 et 1193, les trois châteaux protégeant l’accès aux<br />

littoraux méridionaux.<br />

À l’avènement de Jean, le retour en force de la présence royale est menée sur<br />

deux fronts : à la fois par une politique de répression baronniale et par un renforcement<br />

des fortifications royales. Dès 1207, Jean tente de réduire le pouvoir des barons dans<br />

cette marche en leur retirant leur titre de shérif. En février 1207, il substitue Foulque de<br />

Bréauté à Guillaume de Briouze dans le Glamorganshire et lui ordonne de fortifier ses<br />

trois principales places fortes : Neath, Newbury et Cardiff, puis, en avril, c’est au tour<br />

de Guillaume le Maréchal qu’il remplace par Richard de Mucegros puis Gérard<br />

d’Athée 184 . En 1205 et 1208, des travaux de fortifications sont entrepris à Cardigan, que<br />

Jean avait conquis en 1199 à la faveur de troubles internes à la dynastie du Deheubarth.<br />

Avec la confiscation de l’honneur de Guillaume de Briouze en 1208, Jean se rendait<br />

maître de l’un des honneurs les plus étendus du Pays de Galles 185 . Les seigneuries de la<br />

famille de Briouze constituaient en outre un ensemble compact s’étendant du centre<br />

(Brecon) au sud du Pays de Galles 186 . En 1210, la fortification de Swansea montre que<br />

181 GIRAUD DE BARRI, Opera. 6, Itinerarium Kambriae et descriptio Kambriae, 1861-1891, p.80;<br />

GIRAUD DE BARRI, Opera. 1, De rebus a se gestis libri III. Invectionum libellus. Symbolum electorum,<br />

1861-1891, p. 24.<br />

182 PETERBOROUGH, II, p. 87-88; Annales Cambriæ, AB ITHEL, J. W. R. (éd.), 1860, p.57: Castellum<br />

Kaermerdin obsedit; sed adventiente Johanne comite filio Henrici Regis, cum exercitu totius Angliae<br />

relicta est obsidio.<br />

183 PR 2 Richard, p. 48.<br />

184 Rot. Lit. Pat., p. 68:, 71, 75, 78 ; PR 9 Jean, p. 221 : £58 18s. 6 d. in operatione trium castellorum<br />

scilicet Caerdif, N<strong>of</strong>burgo et Neth;<br />

185 ROWLANDS, I. W., « William Braose and the lordship <strong>of</strong> Brecon », Bulletin <strong>of</strong> the Board <strong>of</strong> the<br />

Celtic Studies, 1-2 (1982), p. 123-133.<br />

186 Il comprenait Builth, Radnor, Brecon, Abergavenny, Elfael depuis 1195 et s’étendait jusque dans le<br />

Glamorgan que Jean lui concéda ainsi que la terram de Guher en 1203. OTWAY-RUTHVEN, A. J.,<br />

« The Constitutional Position <strong>of</strong> the Great Lordships <strong>of</strong> South Wales », T.R.H.S., 8 (1958), p. 1-20, cite<br />

CLARK, G. T. (éd.), Cartæ et alia munimenta quæ ad dominium de Glamorgan pertinent ..., 1910, II,<br />

359


le roi était toujours présent dans le sud des Galles qui constituait un accès crucial vers<br />

l’Irlande 187 .<br />

Le retour des <strong>of</strong>fensives royales dans les marches et la soumission des princes<br />

gallois<br />

Contrairement au sud, les marches du Herefordshire, Shropshire et Cheshire ont<br />

constitué les principaux fronts à partir desquels ont été menées les expéditions royales<br />

au cours des règnes de Richard et Jean. À partir de 1194, avec le retour du roi, la contre-<br />

<strong>of</strong>fensive anglaise est menée successivement par les chanceliers Hubert Walter et<br />

Ge<strong>of</strong>froy FitzPeter, alors que Richard est sur le continent. Hubert Walter, qui avait déjà<br />

fait renforcer le château de Carregh<strong>of</strong>a en 1194, notamment pour y exploiter les mines<br />

d’argent, fait fortifier Bleddfa, Church Stretton, Mathrafal et Shrawardine en 1195 et<br />

assiège Welshpool en 1196 188 . Il restaure également Hugues Mortimer dans son<br />

honneur, écarté par Guillaume de Longchamp pendant la régence 189 . En 1198, Ge<strong>of</strong>froy<br />

FitzPeter prend Paincastle et fait fortifier aux frais du roi le château de Robert Corbet,<br />

Caus à Westbury, de même que Blancmonasterium, le château des FitzAlan, en 1199 190 .<br />

La situation va cependant évoluer au cours du règne de Jean. Jusqu’en 1204, l’effort de<br />

construction en Pays de Galles est limité aux grands chantiers des règnes de précédents :<br />

les châteaux de Shrewsbury, Bridgnorth, Hereford, ainsi que White Castle, Grosmont et<br />

Skenfirth sont réparés ou achevés, mais il n’y a pas de réelle politique de sécurisation<br />

des nouveaux espaces conquis 191 . À partir de 1204, quelques châteaux réapparaissent<br />

toutefois dans les comptes : Ellesmere (£35) et Shrawardine (£31), puis Montgomery en<br />

1207 192 . Mais c’est seulement à partir de 1210, que le roi réagit activement à l’activisme<br />

p.287-8.; PR 10 Jean, p. 24, PR 12 Jean, p. 110. Selon Sidney Painter, ces dotations visaient à créer un<br />

contrepoids au pouvoir de Ranulf III de Chester mais Ifor Rowlands a montré que Ranulf ne constituait<br />

pas une force majeure en Galles : au contraire, il était particulièrement vulnérable aux attaques de<br />

Gwenwynwyn de Powys, contre lequel il fit construire les châteaux de Deganwy et Holywell en 1210. En<br />

outre les ambitions politiques de Ranulf résidaient moins en Galles que dans le Richmondshire et les<br />

Midlands PAINTER, S., The Reign <strong>of</strong> King John, 1979, p. 25-29; ROWLANDS, I. W., « King John and<br />

Wales », dans King John. New Interpretations, 1999, p. 237-287.<br />

187<br />

PR 7 Jean, p.93 ; PR 9 Jean, p.5, 221 ; PR 10 Jean, p.103, PR 12 Jean p. 110.<br />

188<br />

PR 6 Richard, p.141, PR 7 Richard., p. 108, 244, PR 8 Richard, p.42.<br />

189<br />

LLOYD, J. E., A History <strong>of</strong> Wales from the Earliest times to the Edwardian Conquest, 1911, II, p.<br />

579-80 cite RICHARD DE DEVIZES, Cronicon Richardi Divisensis de tempore Regis Richardi Primi :<br />

The chronicle <strong>of</strong> Richard <strong>of</strong> Devizes <strong>of</strong> the time <strong>of</strong> King Richard the First, 1963, p. 30.<br />

190<br />

PR 10 Richard, p.110: 10 marcarum ad firmandum et muniendum castellum suum de Chaus ; PR 1<br />

Jean, p. 73.<br />

191<br />

Entre 1200 et 1203, £156 sont dépensées en tout.<br />

192<br />

Jean considérait Montgomery comme étant d’origine publique ce que suggère l’expression « dum fuit<br />

in manu regis » qui renvoie à la reprise en main du château par Henri I er , à la mort sans descendance de<br />

son possesseur Baldwin de Boulers. PR 9 Jean, p. 5.<br />

360


agressif des princes gallois. Alors que se prépare une nouvelle campagne en Poitou,<br />

Llywelyn ap Iowerth se révolte avec le support des Lacy et des Briouze qui venaient<br />

d’être dépossédés en Irlande et en Galles. En rassemblant une armée et en pénétrant en<br />

Galles au printemps 1211, Jean renoue avec une politique <strong>of</strong>fensive que les Plantagenêt<br />

avaient abandonnée depuis 1165 193 . L’expédition se solde par d’importants gains<br />

territoriaux : Jean conquiert le Perfeddwlad et annexa Aberystwyth 194 . Mais à la<br />

différence de la politique que mènera en 1277 Edward I er , Jean n’investit pas dans une<br />

vaste campagne de construction castrale pour sécuriser ses conquêtes. Si les pipe rolls<br />

contiennent quelques enregistrements de travaux de fortifications, hormis Yale Castle<br />

(Tomen-y-faerdre) où seulement £10 sont dépensées, les châteaux concernés :<br />

Eggleshall, Ruthin et Chirk, ainsi que ceux de Carregh<strong>of</strong>a, Shrawardine et Mathrafal se<br />

situent dans des zones déjà contrôlées par le roi en 1211 195 . Le Perfeddwlad et<br />

Aberystwyth sont perdus dès 1213.<br />

La victoire militaire de Jean renforce néanmoins considérablement l’autorité du<br />

roi d’Angleterre sur les Galles et entraîne un changement de nature des relations entre le<br />

roi et les princes gallois, que l’usage de l’écrit, la ritualisation des gestes et la présence<br />

d’un personnel semi pr<strong>of</strong>essionnel de juristes contribue à formaliser 196 . Jusqu’alors,<br />

l’hommage au roi d’Angleterre était considéré par les princes gallois comme un<br />

hommage personnel et non territorial, qui résultait davantage de circonstances<br />

particulières, que d’une réelle continuité 197 . Ils reconnaissaient l’autorité supérieure du<br />

roi d’Angleterre mais ne se considéraient pas comme soumis à sa domination. En 1211,<br />

les juristes de Jean s’attachent à légaliser ces relations en employant le vocabulaire<br />

technique du droit féodal, dont les traités étaient jusqu’à présent dépourvus. Le traité<br />

que Jean passe avec Llywelyn ap Iorwerth en 1211 est symptomatique de ce<br />

changement. Non seulement le prince gallois acceptait désormais de tenir ses terres du<br />

roi d’Angleterre, mais en demandant l’hommage des magnats du Gwynedd en même<br />

temps que celui de leur prince, Jean faisait entrer les Gallois dans son empire féodal au<br />

même titre que les Écossais depuis 1175. Ce changement de nature, qui ne se réalise<br />

vraiment qu’après 1216, Rees Davies le caractérise par le « passage d’une domination<br />

193<br />

DAVIES, R. R., The Age <strong>of</strong> Conquest Wales 1063-1415, 1991, p. 290.<br />

194<br />

ROWLANDS, I. W., « King John and Wales », dans King John. New Interpretations, 1999, p. 237-<br />

287.<br />

195<br />

PR 14 Jean, p. 87, 88, 90.<br />

196<br />

DAVIES, R. R., « Keeping the native order: the English king and the ‘Celtic’ rulers 1066-1216 »,<br />

Peritia. Journal <strong>of</strong> the Medieval Academy <strong>of</strong> Ireland, 10 (1996), p. 212-224.<br />

197<br />

ROWLANDS, I. W., « King John and Wales », dans King John. New Interpretations, 1999, p. 237-<br />

287.<br />

361


supérieure patriarcale à une domination supérieure, au moins ponctuellement et<br />

potentiellement plus directe, bureaucratique et interventionniste » 198 . Ce glissement<br />

s’inscrit dans un contexte d’intervention croissante des Gallois dans les conflits de la fin<br />

du règne de Jean. Si les Gallois avaient constitué de simples groupes de pression lors<br />

des précédents conflits, leur intervention plus directe dans la révolte de 1215 et leur<br />

apparition dans les Articles des Barons et la Magna Carta les fait irrémédiablement<br />

entrer dans le système féodal de la monarchie anglaise 199 . Si la conquête par Henri II<br />

puis par ses fils constituait donc, en même temps qu’une conquête militaire, l’amorce<br />

d’un processus d’intégration à la culture féodale occidentale, à ses codes et à ses règles,<br />

paradoxalement, la définition à la fois culturelle et plus conventionnelle des frontières<br />

contribua à donner aux Gallois une conscience accrue d’eux-mêmes et de leur<br />

identité 200 .<br />

Proportionnellement à l’ensemble des travaux des Plantagenêt, la politique de<br />

constructions en Pays de Galles a été relativement peu importante concernant chaque<br />

site, mais de nombreuses places ont été concernées (Carte 4.21 et 4.3). Il ne faut<br />

cependant pas oublier que les revenus de l’Échiquier ne permettent pas d’englober<br />

l’ensemble des dépenses de construction. La fréquence des raids suggère qu’il devait y<br />

avoir de nombreuses prises qui étaient sans doute immédiatement réinvesties sans<br />

passer par le Trésor royal. Au final, les pipe rolls montrent néanmoins que les<br />

principaux bénéficiaires de cette politique ont été les châteaux royaux, si l’on compte<br />

Hereford et Bridgnorth qui sont confisqués dès 1155 et qui restent dans les domaines de<br />

la Couronne tout au long de la période. La politique de confiscation poursuivie par<br />

Henri II et Jean permet toutefois au pouvoir royal de s’imposer d’abord face aux barons<br />

des marches, puis face aux princes gallois eux-mêmes. La cartographie des saisies et des<br />

conquêtes permet en effet de voir non seulement la plus forte pénétration opérée en Pays<br />

de Galles sous le règne de Jean, mais également la mainmise du pouvoir royal sur des<br />

forteresses baronniales, souvent les mêmes au cours des deux règnes. La marche<br />

galloise a donc été un véritable front de conquête mené tout au long de la période par les<br />

198<br />

DAVIES, R. R., « Keeping the native order: the English king and the ‘Celtic’ rulers 1066-1216 »,<br />

Peritia. Journal <strong>of</strong> the Medieval Academy <strong>of</strong> Ireland, 10 (1996), p. 212-224, esp p. 223: a shift froma<br />

patriarchal overlordship to what was at least occasionally and potentially a more direct, bureaucratique<br />

and interventionst overlordship”; voir aussi CLANCHY, M. T., « Literacy, law and the power <strong>of</strong> the<br />

state », dans Culture et idéologie dans la genèse de l'Etat moderne, 1985, p. 25-34.<br />

199<br />

SMITH, J. B., « Magna Carta and the charters <strong>of</strong> the Welsh princes », E.H.R., 99: 391 (1984), p. 344-<br />

362.<br />

200<br />

DAVIES, R. R., « Presidential address : the peoples <strong>of</strong> Britain and Ireland 1100-1400. II. Names,<br />

boundaries and regnal solidarities », T.R.H.S., 5 (1995), p. 1-20<br />

362


Plantagenêt. En cela, le Pays de Galles se distingue de l’Écosse où la frontière a été<br />

surtout soumise aux attaques du écossaises et à l’Irlande, dont la conquête a davantage<br />

été menée par les barons sous la forme d’une « colonisation ».<br />

363


2- Conquêtes et intégrations : la construction frontalière<br />

de l’imperium Plantagenêt<br />

2.1- Les fronts d’intégration : constructions défensives et de<br />

colonisation<br />

John Beeler a proposé une interprétation du réseau castral aux frontières de<br />

l’Angleterre, suggérant que la majorité des châteaux, qu’ils soient royaux ou<br />

baronniaux, avaient été situés selon un plan d’ensemble cohérent et stratégique,<br />

principalement pensé par Guillaume le Conquérant dans le but de construire une défense<br />

« nationale » 201 . Charles W. Hollister a montré que cette interprétation était excessive,<br />

même s’il a reconnu qu’il existait par endroit une défense planifiée, comme dans les<br />

Rapes du Sussex ou dans les marches galloises. Il rejette cependant totalement l’idée<br />

d’un système défensif national anglais contre « l’envahisseur étranger ». Éprouvant<br />

cette hypothèse pour les marches écossaises, Matthew Strickland rejoint également<br />

l’idée qu’il n’existait pas de système castral défensif organisé, mais que les châteaux<br />

fonctionnaient en temps de guerres comme des unités largement indépendantes 202 . Cette<br />

interprétation apparaît en effet la plus convaincante au regard de la politique de<br />

construction des Plantagenêt aux marches de l’Écosse.<br />

2.1.1- Militarisation et délimitation de la frontière écossaise<br />

Les frontières entre l’Écosse et l’Angleterre commencent à prendre forme au<br />

cours du X e siècle, lorsque la monarchie West Saxonne se retrouve maîtresse des<br />

territoires du nord à la suite de l’effondrement du royaume danois de York 203 . La<br />

période décisive de fixation est la première moitié du XII e siècle, après la défaite et la<br />

mort de Malcolm III, en 1093, face aux armées de Robert de Mowbray qui fait du<br />

royaume d’Écosse une monarchie féodale, vassale de la royauté anglo-normande. Les<br />

Normands, installés à Newcastle-upon-Tyne depuis 1080, à Carlisle en 1092 puis à<br />

201<br />

BEELER, J. H., « Castles and strategy in Norman and early Angevin England », Speculum, 31: 4<br />

(1956), p. 581-601.<br />

202<br />

Ibid.; HOLLISTER, C. W., The Military Organization <strong>of</strong> Norman England, 1965p.161-6,<br />

STRICKLAND, M., « Securing the north: invasion and strategy <strong>of</strong> defence in the twelfth century Anglo-<br />

Scottish warfare », dans A.N.S., 1989, p. 177-198 (p. 179).<br />

203<br />

BARROW, G. W. S., « Frontier and settlement: which influenced which? England and Scotland 1100-<br />

1300 », dans Medieval Frontier Society, 1989, p. 3-21.<br />

364


Norham en 1121, dominent alors les marches écossaises, jusqu’à ce que le roi David I er ,<br />

pr<strong>of</strong>itant des troubles du règne d’Étienne de Blois, parvienne à reconquérir la<br />

Northumbrie et le Cumberland en 1135-1138 (carte 4.11) 204 . Après sa défaite à la<br />

bataille de Standard (1138), il doit rendre les châteaux de Newcastle et Bamburgh à<br />

Étienne, qui lui en laisse cependant la garde. En 1157, Henri II s’empare de Carlisle et<br />

oblige le nouveau roi d’Écosse, Malcolm IV, à lui rendre hommage et lui restituer les<br />

châteaux de Bamburgh, Newcastle-upon-Tyne, le comté du Lothian et peut-être le<br />

château d’Edinburgh, en échange de l’honneur de Huntingdon 205 . Henri II lui confie la<br />

garde du château de Wark-on-Tyne, entre Carlisle et Newcastle, ainsi que d’autres petits<br />

châteaux dans le nord du Tyne Dale qui faisaient de la frontière anglo-écossaise un<br />

espace fluide de positions fragmentées et enchevêtrées 206 .<br />

La fortification de Wark-on-Tweed par Henri II, entre 1157 et 1161 (£380),<br />

constitue la seule dépense affectée aux sites frontaliers du nord au cours de cette<br />

première décennie 207 . Il faut attendre le milieu des années 1160 pour que se mette en<br />

place une véritable politique castrale dans ces marches écossaises. En 1165, Guillaume<br />

le Lion succède à son frère, et bien qu’il vienne lui rendre hommage, Henri II sait que<br />

cet espace faiblement militarisé constituait un point vulnérable face aux revendications<br />

des rois d’Écosse sur le Northumberland et le Cumberland, qu’ils considéraient comme<br />

le véritable cœur de leur royaume 208 . Des travaux au château et à la tour de Bamburgh<br />

(£34) sont entrepris par William de Vesci, le shérif du Northumberland, en 1164 et<br />

1168 209 . Puis, entre 1168 et 1182, plus de £1414 sont dépensées à Newcastle-upon-<br />

Tyne, ce qui en fait le sixième plus gros poste de dépenses castrales du règne de<br />

Henri II 210 . Ces travaux correspondent au remplacement de la motte en bois et terre<br />

204 BARROW, G. W. S., « The Anlglo-Scottish border », dans The Kingdom <strong>of</strong> the Scot, Government,<br />

Church and Society from the 11 th to the 14 th Century, 1973, p. 139-161; STRICKLAND, M., « Securing<br />

the north: invasion and strategy <strong>of</strong> defence in the twelfth century Anglo-Scottish warfare », dans A.N.S.,<br />

1989, p. 177-198.<br />

205 TORIGNI, I, p. 305. Les rois d’Écosse tenait l’honneur de Huntingdon depuis 1114 depuis le marriage<br />

de David I er avec Mathilde de Senlis qui en était l’héritière, BARROW, G. W. S., The Kingdom <strong>of</strong> the<br />

Scot, Government, Church and Society from the 11 th to the 14 th Century, 1973; BARROW, G. W. S.,<br />

« The Anlglo-Scottish border », dans The Kingdom <strong>of</strong> the Scot, Government, Church and Society from the<br />

11 th to the 14 th Century, 1973, p. 139-161; The chronicle <strong>of</strong> Melrose Abbey : a stratigraphic edition, 2007,<br />

AD 1157., p. 173.<br />

206 BARROW, G. W. S., « Frontier and settlement: which influenced which? England and Scotland 1100-<br />

1300 », dans Medieval Frontier Society, 1989, p. 3-21.<br />

207 PR. 4 H.II., p.177 ; PR 5 H.II., p. 13-14 ; PR 6. H.II., p. 56-57 ; PR 7 H.II., p. 23-25.<br />

208 BARROW, G. W. S., « Frontier and settlement: which influenced which? England and Scotland 1100-<br />

1300 », dans Medieval Frontier Society, 1989, p. 3-21.<br />

209 PR 10 H.II., p.1; PR 14 H.II, p.169.<br />

210 BROWN, R. A., « Royal Castle-Building in England, 1154-1216 », E.H.R., 70: 276 (1955), p. 353-<br />

398.<br />

365


normande par une tour rectangulaire en pierre de taille et d’une enceinte (illustration<br />

4.12) 211 . La direction du chantier est alors attribuée à Robert Diveleston (ou de<br />

Yveleston) et Raoul Baiard qui sont appelés custodes operationum en 1176, tandis qu’il<br />

est fait mention d’un dénommé Maurice, « maçon de la tour », qui reçoit 20s., en 1175,<br />

en prêt du roi 212 . En 1178, £97 affectées aux « travaux du château et de la porte »<br />

marquent sans doute la fin du chantier, car les dépenses ne dépasseront jamais £30 par<br />

la suite, et seront utilisées la plupart du temps à des réparations et de la maintenance<br />

(emendatio) ou pour faire une maison en pierre dans l’enceinte du château (pro I domo<br />

lapidea facienda apud Novum Castellum que est in manu regis inter escaetas) 213 . La<br />

construction des douves du château n’est entreprise qu’à la fin du règne de Jean, en<br />

1212, qui dépense £133 (sur les revenus de l’évêché de Durham) pour les « travaux de<br />

la tour et des fossés » 214 .<br />

Carlisle qui contrôlait l’accès des routes occidentales est également mis en<br />

chantier à partir du milieu des années 1160. Entre 1165 et 1204 près de £470 sont<br />

dépensées pour refaire les portes, les fossés et le pont du château, ainsi qu’une chambre<br />

royale (illustration 4.13) 215 . La tour est attribuée sans certitude à David I er d’Écosse,<br />

puisqu’elle existait lors du siège de la ville par Guillaume le Lion en 1174 et qu’aucune<br />

entrée dans les pipe rolls ne fait référence à sa construction sous Henri II. Dès 1165, il<br />

est question de travaux aux portes de la ville puis, en 1168, du démantèlement de la<br />

porte du château (pro removenda porta castelli de Carleolum), celle-ci étant sans doute<br />

devenue redondante avec les nouvelles portes de la cité 216 . En 1173 sont creusés les<br />

fossés du château, si bien qu’en 1186 il faut construire un pont 217 . À partir de l’année<br />

suivante, l’aménagement intérieur du château est entrepris avec la construction d’une<br />

chambre royale ainsi que celle d’une tourelle, tandis que la fortification extérieure<br />

continue 218 . En 1190, le nouveau roi aide à la construction de trois portes aux entrées de<br />

la ville, qui ne sont toujours pas achevées en 1196, date à laquelle il donne à nouveau<br />

211<br />

COLVIN, H. M.; BROWN, R. A. et TAYLOR, A. J., The History <strong>of</strong> the King's Works, 1963, p.745-<br />

746.<br />

212<br />

PR. 21 H.II., p.184; PR 22 H.II., p. 137-138.<br />

213<br />

PR. 24 H.II., p.59 ; PR 34 H.II., 98 ; PR. 9 Richard., p. 9.<br />

214<br />

PR. 14 Jean, p. 47.<br />

215<br />

PR. 11 H.II., p.54; PR 19 H.II., p.113; PR 32 H.II., p.97; PR 33 H.II., p. 94; PR 34 H.II., p.190.<br />

216<br />

COLVIN, H. M.; BROWN, R. A. et TAYLOR, A. J., The History <strong>of</strong> the King's Works, 1963, p.745-<br />

746, p. 595-97.<br />

217 P.R. 19 H.II., p.113 ; PR 32 H.II., p. 97<br />

218 P.R. 33 H.II., p.94<br />

366


100 sous 219 . Puis, entre 1201 et 1204, des fortifications sont entreprises par Jean qui<br />

dépense plus de £251 pour la réparation des portes et du château de Carlisle 220 .<br />

À partir du milieu des années 1160, quatre forteresses : Carlisle, Wark,<br />

Bamburgh et Newcastle constituaient donc les principaux points d’appui de la défense<br />

royale dans les marches écossaises (carte 4.11). Malgré les vestiges du mur d’Hadrien<br />

qui longeait la Tyne, ce système laissait un vaste espace sans défense entre Carlisle et<br />

Newcastle. En 1171, cependant, Henri II entra en possession de l’honneur de<br />

Richmond, à la mort du duc Conan IV de Bretagne, et fit immédiatement renforcer le<br />

château de Bowes. Les pipe rolls indiquent clairement que les travaux, surtout en 1174<br />

ont pour fonction de contrer l’avance du roi d’Écosse 221 . Entre 1171 et 1188, plus de<br />

£600 sont ainsi dépensées à Bowes et en particulier pour la construction de la tour.<br />

En effet, le renforcement de ces forteresses s’inscrit dans un contexte de menace<br />

croissante. Guillaume le Lion pr<strong>of</strong>ita de la première occasion pour se révolter contre<br />

Henri II et tenter de reconquérir le Cumberland 222 . En 1173-1174, alors que le roi doit<br />

faire face à la révolte de ses fils, Guillaume le Lion s’empare sans difficulté de Wark,<br />

Alnwick, Warkworth, Newcastle, Prudhoe avant de se heurter à la défense de Carlisle,<br />

tenu par Robert de Vaux. Ne parvenant pas à prendre la ville, il dévaste toute la région,<br />

s’emparant à nouveau des châteaux de Liddell, Burgh, Appleby et Harbottle que tenait<br />

le shérif du Cumberland, Odon de Umfraville 223 . L’arrivée de l’armée royale l’obligea<br />

cependant à battre en retraite avant d’être capturé lors du siège d’Alnwick 224 . En<br />

décembre 1174, il est contraint de signer le traité de Falaise qui lui rendait sa liberté en<br />

échange de la soumission de l’Écosse au roi d’Angleterre. Lors d’une cérémonie<br />

publique organisée à York, Guillaume le Lion et ses barons reconnaissent Henri II<br />

comme leur suzerain lige et cinq châteaux lui sont rendus en gage de fidélité à cet<br />

hommage : Roxburgh, Berwick, Jedburgh, Edinburgh, Stirling, dont Henri II confia la<br />

219 P.R. 2 Richard., p.49 ; PR 8 Richard, p. 21.<br />

220 P.R. 3 Jean, p.253 ; 4 Jean, p.255 ; 5 Jean, p. 253; 6 Jean, p. 141.<br />

221 PR 20 H.II, p. 49 £44 16s. 6d. in operatione I camere in castri de Bogis et pro portis reparandis et pro<br />

facienda propugnaculis turris contra adventum Regis Scottie.<br />

222 GERVAIS DE CANTORBERY, The Historical Works, 1965 [1880], I, p. 64.<br />

223 HOVEDEN, II, p. 60, 63., JORDAN FANTOSME, Chronicle, 1987, p.123-133; STRICKLAND, M.,<br />

« Securing the north: invasion and strategy <strong>of</strong> defence in the twelfth century Anglo-Scottish warfare »,<br />

dans A.N.S., 1989, p. 177-198.<br />

224 JORDAN FANTOSME, Chronicle, 1987p. 126-133: « Lei reis d’Escoce fud pruz, merveillus e hardi./<br />

Par devant Audnewic s’arestut desguarni”; GUILLAUME DE NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong><br />

Stephen, Henry II, and Richard I, 1884, I, 177, 181-5.<br />

367


garde à ses barons anglais 225 . Henri II retint également l’honneur de Huntingdon<br />

jusqu’en 1185.<br />

Jusqu’à cette date, la région resta faiblement militarisée. Comme l’a souligné<br />

Matthew Strickland, l’invasion de Guillaume le Lion en 1174, avait fait ressortir le<br />

manque criant de garnisons dans les forteresses royales et baronniales 226 . On peut alors<br />

s’interroger sur la fonction des fortifications entreprises par Henri II dans ses châteaux<br />

de frontières s’ils étaient vides de soldats. La réponse se trouve, selon Matthew<br />

Strickland, dans l’ambiguïté des seigneurs des marches, comme l’évêque de Durham,<br />

dont la déclaration de neutralité assura en réalité ses places fortes aux Écossais en<br />

1174 227 . Les châteaux n’avaient donc pas pour fonction d’assurer à eux seuls la défense<br />

contre les Écossais, mais ils constituaient autant de bases pour le déploiement d’une<br />

plus large armée, faite principalement de mercenaires. Ainsi les châteaux des marches<br />

doivent être considérés moins comme des unités défensives qu’<strong>of</strong>fensives adaptées aux<br />

fluctuations incessantes de ces marches écossaises. La volonté de ne pas sur-militariser<br />

ces marches peut également s’expliquer par le fait que l’Écosse était considérée non<br />

comme un royaume ennemi, mais comme un vassal dont l’intégration à l’imperium<br />

d’Henri II devint un horizon de plus en plus perceptible au cours de la période. Dans<br />

cette perspective, la volonté de marquer nettement la frontière comme en Normandie<br />

n’avait pas de sens, pas plus qu’elle n’en avait dans les autres marches où les<br />

Plantagenêt étaient plus <strong>of</strong>fensifs que défensifs (voir infra).<br />

Malgré les tentatives de pacifications du règne de Jean, la marche écossaise reste<br />

instable tout au long de la période. En 1209, Jean exige en effet que le roi d’Écosse lui<br />

rende à nouveau les châteaux qu’il tenait de lui et à la suite d’un accord commun, il est<br />

convenu que les fortifications de Berwick seront détruites 228 . Cet accord intervient au<br />

moment même où les deux rois scellaient la vente du Northumberland que le roi<br />

225 GERVAIS DE CANTORBERY, The Historical Works, 1965 [1880], I, p. 96-97: HOVEDEN, II, p.<br />

133: Guillaume de Stuteville eut Roxburgh, Roger de Stuteville, Edinburgh, Guillaume de Neville<br />

Northam, l’évêque d’York Scarborough, Ge<strong>of</strong>froy de Neville Berwick et Roger de Coniers la tour de<br />

Durham confisqué à l’évêque.<br />

226 STRICKLAND, M., « Securing the north: invasion and strategy <strong>of</strong> defence in the twelfth century<br />

Anglo-Scottish warfare », dans A.N.S., 1989, p. 177-198 ; JORDAN FANTOSME, Chronicle, 1987,<br />

p. 109 (151) : « Li rei aveit mult tost le chastel d’Appeli; / N’i aveit nule gent, si fud tut desguarni; /<br />

Cospatric le fiz Horm, un vieil Engleis fluri,/ Esteit li cunestablë, si cria tost merci ».<br />

227 HOVEDEN, II, p. 56-57: Hugo Dunelmensis episcopus, habito colloquio inter ipsum et Willemum<br />

regem Scottorum in confinio regnorum Angliae et Scotiae, apud Revede, dedit praedicto regi Scottorum<br />

trecentas marcas argenti de terris baronus Northumbriae pro treugis habendis a festo sancti Hilarii<br />

usque ad clausum pascha.<br />

228 GERVAIS DE CANTORBERY, The Historical Works, 1965 [1880], p. II, 102-3 ; DUNCAN, A. A.<br />

M., « King John <strong>of</strong> England and the Kings <strong>of</strong> Scots », dans King John. New Interpretations, 2003, p. 248-<br />

271, cite WALTER BOWER, Scotichronicon : in Latin and English, 1994, IV, p. 452-3.<br />

368


d’Écosse acquérait contre la prodigieuse somme de 15000 marcs. Jean imposait<br />

également que la frontière sur laquelle il renonçait à réclamer des droits soit<br />

partiellement démilitarisée et constitue un espace neutralisé contre toute agression.<br />

Malgré ces dispositions, les relations anglo-écossaises ne cessèrent de se dégrader,<br />

notamment au cours de la révolte des Northerners en 1212 229 . Le renouveau des<br />

hostilités est sans doute déclenché par la tentative de Jean pour construire une motte à<br />

Tweedmouth, en face de Berwick, en 1211, qui fait aussitôt l’objet d’un raid écossais 230 .<br />

Ce conflit frontalier ne débouche qu’en 1237 par le traité d’York qui établit<br />

juridiquement la délimitation de la frontière anglo-écossaise sur la ligne Tweed –<br />

Solway 231 .<br />

Les caractéristiques frontalières relevées par Matthew Strickland, faible<br />

militarisation et fonction <strong>of</strong>fensive – bien que les invasions ont plutôt été le fait des<br />

Écossais au cours du règne d’Henri II – constituent à bien des égards des traits partagés<br />

par les confins irlandais, dont l’intégration à l’imperium anglais ne se fera que<br />

progressivement et par étapes successives au cours du Moyen Âge.<br />

2.1.2- La conquête de l’Irlande : l’établissement d’un front pionnier<br />

En 1171, Henri II obtient du pape Alexandre III, une lettre identifiée à la bulle<br />

Laudabiliter qui l’autorisait à conquérir l’Irlande pour ramener son Église dans le giron<br />

de Rome 232 . Elle <strong>of</strong>frait également à Henri II la possibilité de doter son dernier fils Jean,<br />

laissé sans terre par le dernier partage territorial organisant sa succession. La conquête<br />

royale de l’Irlande s’inscrit dans un processus politique complexe combinant<br />

l’installation des barons anglais depuis 1169 et les conflits internes aux royaumes<br />

irlandais 233 . L’expédition d’Henri II, en 1171, a donc surtout pour fonction d’instaurer<br />

un ordre royal en Irlande. Il obtient ainsi que Richard FitzGilbert de Clare dit<br />

Strongbow, qui avait épousé en 1169 la fille de Diarmait Mac Muchada et hérité du<br />

Leinster à sa mort en 1171, tienne ses terres en fief de la couronne d’Angleterre. Après<br />

229<br />

DUNCAN, A. A. M., « King John <strong>of</strong> England and the Kings <strong>of</strong> Scots », dans King John. New<br />

Interpretations, 2003, p. 248-271.<br />

230<br />

PR 13 Jean, p.38.<br />

231<br />

BARROW, G. W. S., « The Anlglo-Scottish border », dans The Kingdom <strong>of</strong> the Scot, Government,<br />

Church and Society from the 11 th to the 14 th Century, 1973, p. 139-161.<br />

232<br />

reproduite dans GIRAUD DE BARRI, Opera. 5, Topographia hibernica et expugnatio hibernica,<br />

1861-1891, p. 316. L’authenticité du texte est cependant discuté par O'DOHERTY, J., « Rome and the<br />

Anglo-Norman invasion <strong>of</strong> Ireland », Irish Ecclesiastical Record, 42 (1933), p. 131-45.<br />

233<br />

SMITH, B., Colonisation and conquest in medieval Ireland : the English in Louth, 1170-1330, 1999,<br />

p. 28; FLANAGAN, M. T., Irish Society, Anglo-Norman Settlers, Angevin Kingship. Interactions in<br />

Ireland in the Late Twelfth Century, 1989, FRAME, R., Colonial Ireland, 1169-1369, 1981.<br />

369


avoir attribué au domaine royal, les villes de Waterford et Wexford qu’il avait prises au<br />

cours de sa campagne, Henri II confie la garde de Dublin ainsi que le royaume de Meath<br />

à Hugues de Lacy qui avait déjà une expérience de frontière dans le Herefordshire, où se<br />

trouvait son honneur 234 . En 1173, Strongbow est nommé justicier d’Irlande mais se<br />

décrit dans deux de ses chartes comme un vices regis Anglie in Hibernia agens, ce qui<br />

témoigne assez bien de la conception qu’il se faisait de son pouvoir, notamment<br />

lorsqu’il mena une expédition pour prendre Limerick, outrepassant les missions de sa<br />

fonction 235 . À cette date en effet, des négociations avaient déjà été entamées entre Henri<br />

II et Rory O'Connor, roi de Connaught. Elles aboutissent au traité de Windsor conclu le<br />

6 octobre 1175, qui reconnaît Rory O'Connor comme le roi des rois d’Irlande, fixe le<br />

tribut auquel ces derniers doivent se soumettre et délimite les frontières du dominium du<br />

roi d’Angleterre en Irlande :<br />

Le roi de Connaught ne doit pas s’introduire sur les terres que le roi<br />

retient dans son dominium et dans celui de ses barons, c'est-à-dire,<br />

Dublin avec toutes ses dépendances, Meath avec toutes ses<br />

dépendances, de même que Murchadh O’ Melaghlin qu’il tient<br />

pleinement et librement ou que d’autres tiennent de lui ; Wexford et<br />

toutes ses dépendances, c'est-à-dire la totalité du Leinster, et<br />

Waterford et tout son territoire de Waterford à Dungarvan, incluant<br />

Dungarvan et toute ses dépendances 236 .<br />

Cet accord n’indique pas qu’Henri II pensait imposer une solution définitive aux<br />

conflits endémiques qui ravageaient l’Irlande. Robin Frame remarque justement que le<br />

traité n’était qu’« un arrangement pratique reflétant les circonstances du moment ; il<br />

faut résister à la tentation d’en faire une document constitutionnel » 237 . Ce traité était<br />

donc un compromis établissant un statu quo provisoire qui établissait une délimitation<br />

territoriale, négociée au niveau royal, visant à reconnaître la réalité des pratiques<br />

spatiales des acteurs locaux pour mieux les fixer et les contrôler 238 .<br />

234 ORPEN, G. H. (éd.), The song <strong>of</strong> Dermot and the Earl, 1892, p. 198, v. 2709-2724.<br />

235 FLANAGAN, M. T., Irish Society, Anglo-Norman Settlers, Angevin Kingship. Interactions in Ireland<br />

in the Late Twelfth Century, 1989, p. 294-95 ; HOVEDEN, II, p. 100.<br />

236 Ibid. ; HOVEDEN, II, p. 84-5: Excepto quod de terris illis, quas dominus rex Angliae retinuit in<br />

domino suo et in dominio baronum suorum, nihil se intromittet, scilicet Duvelina cum pertinentiis suis et<br />

Mida cum omnibus pertinentiis suis, sicut unquam Murchat Va Mailethlachlin eam melius et plenius<br />

tenuit aut aliqui qui de eo eam tenuerunt et excepta Wesefordia cum omnibus pertinentiis suis, scilicet<br />

cum tota Lagenia et excepta Vaterfordia cum tota terra illa quae est a Vaterfordia usque ad Duncarvan,<br />

ita quod Duncarvan sit cum omnibus pertinentiis suis infra terram illam.<br />

237 FRAME, R., Colonial Ireland, 1169-1369, 1981, p.16.<br />

238 HAYS, L. et JONES, E. D., « Policy on the run: Henry II and Irish sea diplomacy », J.B.S., 29: 4<br />

(1990), p. 293-316, p. 309-310.<br />

370


Dès l’année suivante, la mort de Strongbow (1176) oblige Henri II à réorganiser<br />

le gouvernement de l’Irlande. Jean est alors désigné dominus Hibernie au concile<br />

d’Oxford en 1177, puis, en attendant qu’il soit en âge de régner, Henri II confie le<br />

Leinster à Guillaume FitzAudelin, en tant que procurator, l’Ulster à Jean de Courcy et<br />

le Munster au sud à Robert FitzStephen et Miles de Cogan 239 . En 1185, sans doute<br />

lorsque le nouveau pape Urbain III accepte enfin de lui donner la couronne d’Irlande,<br />

Jean effectue son premier voyage, pour prendre possession de son titre et de ses terres<br />

dans le Munster, entre Cork et le Leinster, et attribuer les autres aux membres de<br />

l’administration royale, de la cour ou de leurs proches.<br />

Cette conquête prend donc rapidement la forme d’une colonisation : pendant les<br />

quarante années suivantes, la plupart des terres du sud et de l’est de l’Irlande sont<br />

concédées à des seigneurs anglais venus tenter leur chance, à condition qu’ils les<br />

exploitent, les cultivent et les fortifient, sans quoi l’inféodation serait révoquée 240 . Ce<br />

processus de colonisation était donc fondé sur la construction de châteaux, comme front<br />

d’expansion 241 . Charles Coulson rapproche ce système de celui des bastides dans la<br />

Gascogne du XIII e siècle, plutôt qu’avec celui des marches galloises du XI e siècle 242 .<br />

Fondé sur l’acquisition progressive des terres, plutôt que sur une campagne décisive du<br />

pouvoir royal, ce processus a longtemps fait considérer que cette première conquête<br />

avait été un « échec », notamment parce qu’elle laissait de larges espaces où la société<br />

et la culture gaëlique restaient intactes 243 . Selon Giraud de Barri, cet échec fut<br />

davantage la conséquence de l’attitude de Jean vis-à-vis des colons et de ses « relations<br />

publiques désastreuse » 244 .<br />

La conquête de l’Irlande à la fin du XII e siècle consistait en effet moins à<br />

assimiler les Irlandais qu’à exploiter les terres à l’intérieur du dominium du roi<br />

d’Angleterre. L’instauration d’un régime manorial apparaît ainsi comme la principale<br />

239 GIRAUD DE BARRI, Opera. 5, Topographia hibernica et expugnatio hibernica, 1861-1891, p. 334.<br />

240 John Gilligham montre que la conquête fut vécue par ses contemporains comme « anglaise », Giraud<br />

de Barri utilise le terme « normands » pour distinguer spécifique le groupe de chevaliers qui accompagna<br />

Jean en 1185 ; GILLINGHAM, J., « Normanazing the English invaders <strong>of</strong> Ireland », dans Power and<br />

Identity in the Middle Ages : essays in memory <strong>of</strong> Rees Davies, 2007, p. 145-160, esp. 155-6 et DUFFY,<br />

S., Ireland in the Middle Ages, 1997, p. 59.<br />

241 SMITH, B., Colonisation and Conquest in Medieval Ireland : the English in Louth, 1170-1330, 1999,<br />

p. 36.<br />

242 COULSON, C. A., Castles in Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the<br />

Central Middle Ages, 2003, p. 225.<br />

243 Pour l’historiographie de cette conquête voir « The failure <strong>of</strong> the First English Conquest <strong>of</strong> Ireland »,<br />

dans FRAME, R., Ireland and Britain, 1170-1450, 1998, p. 1-14.<br />

244 DUFFY, S., « John and Ireland: the Origins <strong>of</strong> England’s Irish Problem », dans King John. New<br />

Interpretations, 2003, p. 221-245, p. 222, 231 cite GIRAUD DE BARRI, Opera. 5, Topographia<br />

hibernica et expugnatio hibernica, 1861-1891, p. 388.<br />

371


préoccupation des anglais. Sur le seul pipe roll irlandais du règne de Jean, les mentions<br />

de construction de granges, de moulins et de ponts sont plus nombreuses que les<br />

fortifications, même si les montants de ces dernières sont quantitativement<br />

supérieurs 245 . Au cours des premières années, cette implantation s’est effectuée à partir<br />

d’édifices temporaires, rapidement érigés. Dès 1171, les rouleaux de l’Échiquier anglais<br />

enregistrent £13 et 11s pour la construction de deux châteaux avec du bois envoyé du<br />

Lancashire 246 . On peut noter que les rares informations sur la construction en Irlande<br />

aux lendemains de la conquête concernent surtout l’exportation de matériaux ou<br />

d’ouvrages en bois provenant des forêts du Northumberland et du Gloucestershire :<br />

deux bretèches et 700 planches sont ainsi envoyés de Carlisle en 1172 247 . L’importation<br />

de tels matériaux peut s’expliquer par la précipitation de l’expédition qui ne permet<br />

qu’au fur et à mesure, la prise de possession des ressources du territoire. Le Song <strong>of</strong><br />

Dermot and the Earls raconte comment ces mottes étaient construites rapidement au<br />

cours de l’avance des anglais :<br />

Aveit jeté par devant / Treis fosses larges e grant;<br />

Par devant, dedens un pas, / Treis fosses ignelepas<br />

Aveit le fel fet jeter / E haie par desuz lever 248 .<br />

La plupart des constructions de la fin du XII e et du XIII e siècle en Irlande ont été<br />

majoritairement des mottes de terre pourvues de bretèches 249 . Les recherches<br />

archéologiques ont permis d’évaluer leur nombre autour de 450 pour cette période 250 .<br />

La carte 4.14 représentant leur distribution dessine nettement l’espace que<br />

représentaient les marches anglo-irlandaises autour de 1200. Toutefois, d’importantes<br />

forteresses en pierre ne tardent pas à être édifiées, parfois sous l’impulsion royale. Si<br />

Jean de Courcy passe pour avoir érigé la première forteresse irlandaise à Carrickfergus<br />

en Ulster, Giraud de Barri reconnaît surtout le rôle particulier d’Hugues de Lacy dans la<br />

pacification de l’Irlande en fortifiant le Leinster et le Meath 251 . À la mort de ce dernier<br />

245<br />

DAVIES, O. et QUINN, D. B., « The Irish Pipe Roll <strong>of</strong> 14 John, 1211-1212 », Ulster Journal <strong>of</strong><br />

Archaeology, 4 (suppl) (1941), p. 1-76<br />

246<br />

PR 17 H.II., p. 29 : in operatione II castellum lignerorum mittendorum in Hybernie.<br />

247<br />

PR 17 H. II, p. 69 : pro II breteschis et pro DCC planchis mittendis in Hiberniam ; p.122 : pro M<br />

ligonibus misis in Hibernie.<br />

248<br />

ORPEN, G. H. (éd.), The song <strong>of</strong> Dermot and the Earl, 1892, p. 43-44, v. 562-567; p. 76, v. 1014-<br />

1019: « Un fosse fist jeter ai tant / Haut e large, roist e grant, / Pus par a fin ficher / E par devant ben<br />

herdeler/ Pur defendre le passage/ Al rei Dermod al fer corage ».<br />

249<br />

ORPEN, G. H., « Mote and Bretesche Building in Ireland », E.H.R., 21: 83 (1906), p. 417-444.<br />

250<br />

SWEETMAN, D., Medieval castles <strong>of</strong> Ireland, 2000, p. 17-18.<br />

251<br />

GIRAUD DE BARRI, Opera. 5, Topographia hibernica et expugnatio hibernica, 1861-1891 , p. 354-<br />

55, 387.<br />

372


en 1186, Henri II ordonne immédiatement que ses terres et ses châteaux soient remis<br />

aux mains de Jean, ou des agents royaux en son absence 252 . Les terres de l’honneur des<br />

Lacy resteront dans le domaine royal jusqu’en 1215, bien que Richard en restaure une<br />

partie à Walter de Lucy en 1189 253 . C’est sans doute à partir de cette date que Walter de<br />

Lucy entreprend la construction en pierre de Trim dans le Leinster 254 .<br />

Au delà de l’improvisation qui caractérise cette conquête, l’importation du<br />

système juridique anglais en Irlande jette sans doute un éclairage sur le choix de la<br />

politique des Plantagenêt, qui se déchargèrent de l’effort de colonisation tout en<br />

conservant la possibilité de se substituer aux barons en vertu du droit de reddibilité.<br />

Henri II avait ainsi déjà saisi l’honneur de Jean de Coucy en 1178, après que ce dernier<br />

se soit emparé de l’Ulaid en 1177, parce qu’il avait agi, selon Roger de Hoveden, à<br />

l’encontre des principes du traité de Windsor et de l’interdiction que lui avait spécifiée<br />

le Justicier Guillaume FitzAudelin 255 . Puis en 1181, à la mort de l’archevêque de<br />

Dublin, le roi d’Angleterre envoie son clerc Ge<strong>of</strong>froy de Eye et le légat Alexis en<br />

Irlande, pour se saisir de l’archevêché de Dublin. La même année, le fils du roi de<br />

Connaught dont Henri II avait la garde meurt. Le connétable de Chester et Richard de<br />

Peak sont alors envoyés par le roi d’Angleterre pour se saisir de la cité de Dublin<br />

qu’Hugues de Lacy tenait jusqu’alors.<br />

Le roi ne voulait plus qu’il en ait la garde plus longtemps parce qu’il<br />

avait prit en mariage la fille du roi de Connaught, sans son<br />

autorisation après la mort de son père 256 .<br />

252 FLANAGAN, M. T., Irish Society, Anglo-Norman Settlers, Angevin Kingship. Interactions in Ireland<br />

in the Late Twelfth Century, 1989, p. 282 cite les Gesta de Hoveden, I, 350, remarquant que ce fait est<br />

omis de la Chronica, II, p. 309.<br />

253 La liste des châteaux rendus en 1215 a été dressée: il s’agit des châteaux de Trim, Nober, Loxhundy,<br />

Clunard, Grenard, Kilmore, Fore, Rathoth, Typerseman (Kilmessan) ainsi qu’Incheleffer et Laghelachon<br />

qui restent non identifiés ; ORPEN, G. H., « Motes and Norman Castles in Ireland », E.H.R., 22: 86<br />

(1907), p. 228-254, SWEETMAN, H. S. (éd.), Calendar <strong>of</strong> documents relating to Ireland, preserved in<br />

Her Majesty's Public Record Office, 1875, p. 93 n° 596 p. 95, n°612, p.110, n°719.<br />

254 Trim était cependant déjà une place fortifiée par Hugues de Lacy, en 1174, mais la place fut détruite<br />

peu après par les Irlandais ORPEN, G. H. (éd.), The song <strong>of</strong> Dermot and the Earl, 1892, p. 234, v. 3222-<br />

3237.<br />

255 FLANAGAN, M. T., Irish Society, Anglo-Norman Settlers, Angevin Kingship. Interactions in Ireland<br />

in the Late Twelfth Century, 1989, p.258-260 cite les Gesta, I, p. 137 : contra prohibitionem Willelmi filii<br />

Aldelmi, qui ei praefuerat.<br />

256 PETERBOROUGH, I, p. 270: Laurentius Duvelinenis archiepiscopus, … detenus gravi infirmatae,<br />

post paucos dies vitam finivit et ibidem honorifice sepultus est. Quo defuncto filius regis Connactensis<br />

remansit obses in manu domini Regis, quem ipse misit in Angliam ad custodiendum. Misit etiam rex<br />

Angliae Gaufridum de Aeya, clericum suum et clericum Alexii legati, in Hiberniam ad saysiendum<br />

archiepiscopatum Duvelinaie in manu sua. Et cum eis misit in Hibernuma constabularium Cestriae et<br />

Richardum de Pecco ad custodiedum civitatem Duvelinae quam Hugo de Laci custodierat. Noluit enim<br />

373


En 1185, Jean rompt avec cette politique et entreprend un processus d’expansion<br />

territoriale, fondé sur la construction de châteaux et la dépossession des seigneurs<br />

irlandais au pr<strong>of</strong>it d’une nouvelle vague de colons 257 . Le temps des négociations était<br />

terminé et les Irlandais restèrent à l’écart du gouvernement de l’Irlande pendant tout le<br />

Moyen Âge. Les constructions royales datant de la campagne de 1185, sont assez mal<br />

connues. Giraud de Barri raconte que Jean fit construire trois petits châteaux :<br />

Tibberaghny, Ardfinnan et Lismore 258 . Mais Lismore était manifestement déjà une place<br />

fortifiée par Henri II 259 . Les travaux de Jean ont donc consisté principalement à pouvoir<br />

les mottes castrales de constructions en pierre 260 . Jean de Gray, le justicier du roi entre<br />

1210-1215 est également chargé de fortifier les marges septentrionales en construisant<br />

les mottes de Clones, Belturbet et Kilmore avec le château perdu de Caol Uisce en<br />

1211-12, mais toutes sauf Kilmore furent détruites par les Irlandais en 1213 261 . Les<br />

attaques irlandaises sont souvent reportées par les annales monastiques de l’île, ainsi, en<br />

1196 les Annales d’Ulster font l’éloge du défunt roi de Cenel Eogain, Muirchertach<br />

Mac Lochlainn en le décrivant comme un formidable « destructeur d’étrangers et de<br />

châteaux » 262 . Au début du XIII e siècle, la politique frontalière de Jean avait donc<br />

transformé la marche anglo-irlandaise en un espace pr<strong>of</strong>ondément instable. Cette<br />

situation résultait en partie de la nouvelle organisation de l’espace construit voulue par<br />

Jean. Estimant que le pouvoir royal en Irlande ne peut plus se contenter des mottes<br />

castrales construites depuis 1171, il ordonne, en 1200, que tous les châteaux des<br />

marches d’Irlande soient fortifiés avant la saint Jean-Baptiste (24 juin), à l’encontre de<br />

dominus rex quod ipse eam duitius custodiret eo quod ipse sine ipsius licentia ceperat sibi in conjugem<br />

filiam Regis Connactae, secundum morem patriae illius.<br />

257<br />

DUFFY, S., « John and Ireland: the origins <strong>of</strong> England’s irish problem », dans King John. New<br />

Interpretations, 2003, p. 221-245, p. 232.<br />

258<br />

GIRAUD DE BARRI, Opera. 5, Topographia hibernica et expugnatio hibernica, 1861-1891, p. 386 :<br />

de trium itaque castrorum in primo statim Johannis advendu construction, primi videlicet apud<br />

Tibracciam, secundi apud Archphinan, tertii apdu Lismoriam.<br />

259<br />

ORPEN, G. H. (éd.), The song <strong>of</strong> Dermot and the Earl, 1892, p. 194, v. 2666-2670: « Vers Lysmor li<br />

rei pussant / Li rei Henri curt mantel / A Lismor voleit un chastel / Fermer: se volt le rei Henriz : Que fiz<br />

esteit li emperiz ».<br />

260<br />

: Tom McNeill les a recensées : Birr, Drumcullen, Kinnity et Athlone tandis qu’Ardfinnan, Wicklow,<br />

Dungarvan et Clonmacnois tout comme Roscrea dont la tour est érigée par Jean de Gray. MC NEILL, T.,<br />

Castles in Ireland. Feudal Power in a Gaelic World, 1997, p. 45; CUNNINGHAM, G., The Anglo-<br />

Norman advance into the south-west midlands <strong>of</strong> Ireland, 1185-1221, 1987.<br />

261<br />

MC NEILL, T., « Les limites du pouvoir Plantagenêt : les châteaux royaux d’Irlande », dans Les<br />

Fortifications dans les domaines Plantagenêt, XIIe-XIVe siècles, 2000, p. 55-59.<br />

262<br />

DUFFY, S., « John and Ireland: the Origins <strong>of</strong> England’s Irish Problem », dans King John. New<br />

Interpretations, 2003, p. 221-245, p. 236, cite, Annals <strong>of</strong> Ulster, II, p. 223.<br />

374


quoi, le roi les saisira 263 . Puis, en 1204, il commande à son justicier la construction<br />

d’une forteresse à Dublin :<br />

Vous nous avez informé que vous ne disposiez d’aucun lieu<br />

convenable pour la garde de notre trésor et pour cette raison ainsi<br />

que pour d’autres nous avons besoin de fortifications à Dublin, nous<br />

vous ordonnons donc d’y construire un château fort avec de bons<br />

fossés et d’épais remparts dans un lieu qui vous parait convenable<br />

pour le gouvernement de la ville et s’il est besoin, les défenses de la<br />

villes ; mais d’abord, vous devez construire une tour, et par la suite,<br />

un château et un baile ainsi que d’autres ouvrages nécessaires<br />

devront être construits comme il convient. Pour cela, vous disposez de<br />

300 marcs que Ge<strong>of</strong>froi FitzRobert nous doit 264 .<br />

En 1212, une seule entrée du rouleau irlandais est consacrée à la construction du<br />

château de Dublin : il s’agit d’un paiement pour le transport de bois depuis Wicklow ad<br />

operationem castelli Dublinie, ce qui suggère que les travaux étaient encore inachevés à<br />

cette date 265 . Les conditions qui incitent à la construction du château de Dublin<br />

soulignent l’existence d’une administration en plein essor, avec la mise en place d’un<br />

Échiquier irlandais et d’un trésor royal itinérant. Il ne reste des enregistrements de cet<br />

Échiquier qu’un rouleau datant de la 14 e année du règne de Jean mais couvrant les<br />

années 1210-1212 266 . L’enregistrement de ce rouleau est manifestement consécutif à<br />

l’expédition que Jean entreprend en 1210 contre ses barons pour établir une<br />

administration plus ferme et rendre son pouvoir plus effectif. Ce pipe roll irlandais<br />

constitue le seul repère de l’extension des domaines royaux en Irlande à cette date. Jean<br />

avait fait alors de substantielles acquisitions : en 1208, il avait déjà mis la main sur les<br />

terres de Guillaume de Briouze, à qui il avait concédé la seigneurie de Limerick (à<br />

l’exception de la ville et des terres de Guillaume de Burgh) en 1201 contre £5000 et<br />

263 SWEETMAN, H. S. (éd.), Calendar <strong>of</strong> documents relating to Ireland, preserved in Her Majesty's<br />

Public Record Office, 1875, p.19, n°125, extrait des Rot. Chart., p. 89 (m28 dors).<br />

264 Rot. Lit. Claus., p. 6b: Dilecto et fideli suo M. filio Henrici Justiciario Hibernie salutem. Mandastis<br />

nobis quod non habuistis locum ubi thesaurus noster reponi possit apud vos et que tam ad hoc quam ad<br />

alia multa necessaria essent nobis fortelicia apud Dunblin. Vobis mandamus quod ibidem castellum fieri<br />

faciatis in loco compententi ubi melius esse videretis ad urbem justiciandam et si opus fuerit<br />

defendendam quam fortissimum poteritis cum bonis fossatis et fortibus muris. Turrim autem primum<br />

faciatis ubi postea competencius castellum et balivum et alia praeceptoria feci possint et vobis hoc<br />

mandavimu. Ad hoc autem capiatis prececia nostra sicut nobis mandastis et ad presentes ad hoc capiatis<br />

CCC marcas de G. filio Roberti quas nobis debet.<br />

265 QUINN, D. B., « Corrigenda to The Irish Pipe Rolls <strong>of</strong> 14 John », Ulster Journal <strong>of</strong> Archaeology, 6<br />

(suppl) (1943), p. 34-36; DAVIES, O. et QUINN, D. B., « The Irish Pipe Roll <strong>of</strong> 14 John, 1211-1212 »,<br />

Ulster Journal <strong>of</strong> Archaeology, 4 (suppl) (1941), p. 1-76 p. 14.<br />

266 Ibid.; QUINN, D. B., « Corrigenda to The Irish Pipe Rolls <strong>of</strong> 14 John », Ulster Journal <strong>of</strong><br />

Archaeology, 6 (suppl) (1943), p. 34-36, HOLDEN, B. W., « King John, the Braoses, and the Celtic<br />

Fringe, 1207-1216 », Albion: A Quarterly Journal Concerned with British Studies, 33: 1 (2001), p. 1-23.<br />

375


s’était également emparé des terres des frères de Lacy, Hugues et Walter 267 . Guillaume<br />

le Maréchal qui avait hérité du Leinster après son mariage avec la fille de Strongbow en<br />

1189, est relativement épargné par ces confiscations. En 1210, Jean a donc à sa charge<br />

les principales forteresses irlandaises. Au total, plus de £1400 sont dépensées au cours<br />

de ces deux années pour les constructions, dont plus de 90% pour les fortifications des<br />

mottes et la construction des châteaux (voir carte 4.15). La somme la plus élevée est<br />

attribuée au château de Limerick (£713) : elle suggère que Jean fait sans doute<br />

entièrement construire les remparts de la forteresse en pierre 268 . Des travaux à Athlone<br />

(£129 12s.) sont également entrepris et correspondent, selon Tom McNeill, à la<br />

reconstruction de la tour polygonale en pierre que Jean de Gray avait commencé en<br />

1210, et qui s’était depuis écroulée 269 . Les sommes dépensées dans le Meath et d’Ulster<br />

suggèrent que Jean n’y fait que des aménagements. Ainsi, £16 8s. 9d. sont enregistrés<br />

sur le pipe roll irlandais pour la construction du château de Nobber, confisqué à<br />

Hugues II de Lacy 270 . La tour d’Arglass est également réparée, ainsi que le pont et les<br />

palissades d’Antrim 271 . À Drumore, Jean ordonne la construction d’un nouveau pont,<br />

d’une nouvelle aula, ainsi que quatre bretèches 272 et à Dundonald, un pont, une grange<br />

et une porcherie sont édifiées sous les ordres du sénéchal d’Ulster Roger Pipard 273 . £4<br />

15s. 2d. vont également à la construction de la grande tour et de la aula de la forteresse<br />

de Dundrum, établie par Jean de Courcy en Ulster, ainsi que pour une grange et des<br />

écuries 274 . Le faible montant de certaines dépenses suggère qu’il s’agissait surtout de<br />

réparations. C’est sans doute le cas à Carlingford en Uriel, confisqué à Hughes II de<br />

Lacy, où le roi n’intervient que sur les fossés et la construction d’une tourelle, car il est<br />

possible que la fortification du château ait été commencée dès 1200 275 . Quant au<br />

château de Carrickfergus, également pris à Hugues II de Lacy, il fait l’objet de<br />

réparations, mais le pipe roll irlandais reflète assez mal l’étendue des travaux qui se<br />

267<br />

ORPEN, G. H., Ireland under the Normans : 1216-1333, 1920, II,p. 32-33, 248, 317.<br />

268<br />

MC NEILL, T., Castles in Ireland. Feudal Power in a Gaelic World, 1997, p. 47.<br />

269<br />

Ibid., p. 47 cite les Annales de Lough Cé qui enregistrent la construction d’un château en pierre à<br />

Athlone en 1210.<br />

270<br />

DAVIES, O. et QUINN, D. B., « The Irish Pipe Roll <strong>of</strong> 14 John, 1211-1212 », Ulster Journal <strong>of</strong><br />

Archaeology, 4 (suppl) (1941), p. 1-76, p. 24.<br />

271 Ibid., p. 54, 58.<br />

272 Ibid., p. 56 : £4 18s. 2d. in uno ponte novo et aula nova et quatuor breteschiis et aliis edificiis apud<br />

Drunmor.<br />

273 Ibid., p. 56 : 46s. 4d. in novo ponte de Dondonald et nova grangia et nova porcario ibidem.<br />

274 Ibid., p. 58 : QUINN, D. B., « Corrigenda to The Irish Pipe Rolls <strong>of</strong> 14 John », Ulster Journal <strong>of</strong><br />

Archaeology, 6 (suppl) (1943), p. 34-36.<br />

275 MC NEILL, T., Castles in Ireland. Feudal Power in a Gaelic World, 1997, p. 47 ; DAVIES, O. et<br />

QUINN, D. B., « The Irish Pipe Roll <strong>of</strong> 14 John, 1211-1212 », Ulster Journal <strong>of</strong> Archaeology, 4 (suppl)<br />

(1941), p. 1-76, p. 54, in fossatis et una nova turallia et tribus carrucis et aliis utensilibus grangie .<br />

376


poursuivent jusque vers 1223-24 276 . Le chantier était probablement celui des<br />

fortifications de la cour intérieure comme le suggère une lettre de Jean, datée du 1 er juin<br />

1216, envoyée au connétable du château 277 . Tom MacNeil fait remarquer que les<br />

constructions, toujours en place aujourd’hui montrent d’importantes similarités avec les<br />

ouvrages de la même époque dans le reste de l’empire, suggérant une forte circulation<br />

des formes et des individus d’un espace à l’autre 278 . Kieran O’Conor insiste sur le<br />

caractère défensif des centres manoriaux implantés par des Anglais, véritables mottes<br />

entourées d’un système complexe de palissades faites de bois, de terres 279 .<br />

Dans le royaume de Meath, l’approvisionnement de 780 jours de chantier au<br />

château de Trim constitue le principal poste de dépenses avec la fortification du castrum<br />

de Terbert et d’Incheleffer, dont le site reste inconnu 280 . Dans le Munster, où les<br />

domaines royaux sont les plus importants, Jean fait sans doute ériger les remparts de la<br />

ville de Cork, ainsi qu’une nouvelle motte à Ardmayle et un château à Esclone<br />

(Askelon) 281 . Il fait également fortifier Waterford et y construit une aula 282 .<br />

Au regard des documents des années 1209-1212, et notamment du prestitae roll<br />

de 1210, la campagne lancée en Irlande constituait une intervention massive de la part<br />

de Jean, ce qui a longtemps fait dire aux historiens qu’elle avait introduit une<br />

‘révolution’ dans la manière de conduire la guerre 283 . Les conséquences de cette<br />

276<br />

Ibid., p. 54, 115s. 16d. in uno novo granario et in emendacione coquine et fenestrarum camere castri<br />

de Cracf’; MC NEILL, T., « Les limites du pouvoir Plantagenêt : les châteaux royaux d’Irlande », dans<br />

Les Fortifications dans les domaines Plantagenêt, XIIe-XIVe siècles, 2000, p. 55-59 ; MC NEILL, T.,<br />

Carrickfergus Castle : County Antrim, 1981 ; MC NEILL, T., Castles in Ireland. Feudal Power in a<br />

Gaelic world, 1997.<br />

277<br />

SWEETMAN, H. S. (éd.), Calendar <strong>of</strong> documents relating to Ireland, preserved in Her Majesty's<br />

Public Record Office, 1875, n°, 697, cite les Rot. Lit. Claus., p. 273: Rex G. de Marisco Justiciaro<br />

Hibernie Salutem. Mandamus vobis… castrum quidcum nostrum de Cracfergus bene muniri faciatis<br />

Baillivam extrinsecam in manum nostram capientes…. Teste me ipso apud Wintonie I die Junii.<br />

278<br />

MC NEILL, T., Castles in Ireland. Feudal Power in a Gaelic World, 1997, p. 55.<br />

279<br />

O'CONOR, K., « Motte castles in Ireland: permament fortresses, residences and manorial centres »,<br />

dans Château Gaillard, 20: Etudes de castellologie médiévale, 2002, p. 173-182.<br />

280<br />

DAVIES, O. et QUINN, D. B., « The Irish Pipe Roll <strong>of</strong> 14 John, 1211-1212 », Ulster Journal <strong>of</strong><br />

Archaeology, 4 (suppl) (1941), p. 1-76, (p. 32) : £4 15s. 4d. ad firmandum castrum de Terbert ; (p. 34,<br />

36) : £13 6s. 4d. operaciones castelli de Trum (et p. 44, 24). Pour SWEETMAN, D., « The development<br />

<strong>of</strong> Trim castle in the light <strong>of</strong> recent research », dans Château Gaillard, 18: Etudes de castellologie<br />

médiévale, 1998, p. 223-230. Les dépenses de 1212 ne concernaient que des finitions ou des réparations,<br />

car les travaux commencés en 1173 étaient vraisemblablement achevés à cette date.<br />

281<br />

DAVIES, O. et QUINN, D. B., « The Irish Pipe Roll <strong>of</strong> 14 John, 1211-1212 », Ulster Journal <strong>of</strong><br />

Archaeology, 4 (suppl) (1941), p. 1-76, p. 48 : £55 5s. 6d. in operacione muri Corcagie ; p. 70, £12 17s.<br />

3d., pro uno novo molendino et nova grangia et ponte et fossatis apud Ardmail ; p. 70 : £23 6s. 8d. ad<br />

operacionem castelli Elclone.<br />

282<br />

Ibid., p 48: 56s. in una nova grangia et porta et breteschia ultra portam, et 40s. in una nova aula apud<br />

Waterfordiam.<br />

283<br />

CHURCH, S. D., « The 1210 campaign in ireland: Evidences for a military revolution? », dans A.N.S.,<br />

1998, p. 45-59 remet en cause toutefois cette terminologie.<br />

377


campagne sont décisives pour la maîtrise de l’Irlande et l’extension du pouvoir royal.<br />

En mai 1214, à la suite du comte rendu d’Henri de Londres, l’archevêque de Dublin, sur<br />

l’état de l’Irlande, qui présentait d’importantes avancées irlandaises, Jean ordonne à son<br />

Justicier de s’assurer que tous les barons d’Irlande aient fortifié leurs terres dans les<br />

marches avant la saint Michel 284 . À la fin du règne de Jean, les Anglais et les Irlandais<br />

étaient donc en guerre. On peut ainsi douter de l’optimisme souvent présent chez les<br />

historiens qui, à l’instar de Lewis Warren, ont affirmé que « le règne de Jean fut le plus<br />

réussi que l’Irlande médiévale ait jamais eue » 285 .<br />

Après avoir consacré les vingt premières années de son règne à étendre sa<br />

domination, Henri II se tourne à partir du milieu des années 1170 vers une politique de<br />

stabilisation des marches et de négociations des frontières. Alors que les traités de la<br />

seconde moitié des années 1170, qui établissent les termes et les limites de la<br />

domination des Plantagenêt en Écosse, en Irlande et en Pays de Galles, manifestent<br />

clairement la volonté d’Henri II de construire les termes juridiques de sa domination<br />

territoriale, il doit également lutter pour intégrer le comté de Toulouse et le duché de<br />

Bretagne au sein de son imperium.<br />

2.2- Les frontières de contacts : entre militarisation et négociation<br />

2.2.1- L’instabilité des frontières du comté de Toulouse et la revendication d’une<br />

principauté convoitée<br />

La guerre de « quarante ans »<br />

Le 18 mai 1152, lorsqu’il épouse, Aliénor d’Aquitaine, Henri II prend<br />

possession d’un duché aux limites floues et à la territorialité confuse 286 . L’Aquitaine<br />

était alors composée du comté de Poitou, de la Gascogne, de l’Angoumois, du Périgord,<br />

du Limousin, de l’Auvergne et théoriquement du comté de Toulouse, revendiqué depuis<br />

Guillaume IX d’Aquitaine (v. 1070 - 1127), en vertu de son mariage avec Philippa, la<br />

284 SWEETMAN, H. S. (éd.), Calendar <strong>of</strong> documents relating to Ireland, preserved in Her Majesty's<br />

Public Record Office, 1875, n°574 ; Rot. Lit. Claus., p .218 : Mantadus est Justicarius Hibernie quod sub<br />

festinatione percipiat omnibus baronibus militibus et aliis qui terras habent in Hibernia quam firment<br />

terras suas quas habent in marchia citra festum Sancti Michaeli anno regni domino regis xvii et quod<br />

omnes terras illorum qui terras suas in Marchia firmare noluerint in manum domini regni capiat<br />

computendas talibus qui eas infra terminum rotabilem firmare voluerint.<br />

285 WARREN, W. L., « King John and Ireland », dans England and Ireland in the Later Middle Ages :<br />

Essays in Honour <strong>of</strong> Jocelyn Otway-Ruthven, 1981, p. 26-42 (esp. p. 39) cité par DUFFY, S., « John and<br />

Ireland: the origins <strong>of</strong> England’s irish problem », dans King John. New Interpretations, 2003, p. 221-245.<br />

286 BOUTOULLE, F., « La Gascogne sous les premiers Plantagenêts (1152-1204) », dans Plantagenêts et<br />

Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 285-318.<br />

378


fille du comte Guillaume IV de Saint-Gilles 287 . Dès 1159, Henri II reprend à son compte<br />

la revendication du duc d’Aquitaine sur le Toulousain, comme Louis VII l’avait fait<br />

avant lui, pour reconstituer le vieux regnum Aquitanie carolingien. Mais il doit alors<br />

faire face à l’alliance récente que Raymond V de Toulouse avait contractée avec le roi<br />

de France, depuis la seconde croisade – qu’ils avaient menée ensemble – et surtout<br />

depuis le mariage de Raymond V avec la sœur de Louis VII, Constance, en 1154 288 .<br />

Après l’échec des tractations diplomatiques auprès de Louis VII pour qu’il fasse<br />

pression sur le comte de Toulouse, Henri II lève l’ost à Poitiers, et avec la plus vaste<br />

armée qu’il ait sans doute jamais réunie, pénètre dans les « confins de la Gascogne » en<br />

juin 1159 289 et occupe le Tholosanos Saltus, autour d’Agen 290 . Cependant, l’intervention<br />

du roi de France auprès du comte de Toulouse provoque la retraite d’Henri II. La<br />

reverentia regis 291 qui le liait à Louis VII constitue la principale explication de ce<br />

revirement qui laissa dans les esprits un sentiment d’inachèvement que certains<br />

historiens qualifieront de fiasco 292 .<br />

Comme l’a montré Jane Martindale, l’itinéraire emprunté (carte 4.16) par<br />

l’armée d’Henri II au cours de cette campagne indique qu’après l’échec du siège de<br />

Toulouse, sa stratégie a consisté à prendre le contrôle des régions qui bordaient le<br />

comté : le Quercy et peut être même le Rouergue, où une grande instabilité régna<br />

pendant toute la période 293 . Henri II et ses alliés s’emparent ainsi de la cité de Cahors,<br />

aussitôt renforcée et occupée 294 . Le traité de paix signé entre Henri II et Louis en mai<br />

287 MARTINDALE, J., « 'An unifinished business': Angevin politics and the siege <strong>of</strong> Toulouse, 1159 »,<br />

dans A.N.S., 2001, p. 115-154.<br />

288 TORIGNI, I, p. 320. GUILLAUME DE NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry II,<br />

and Richard I, 1884, p. 122-123.<br />

289 Ibid., p. 12 : Rex Anglorum contracto ex universis terris suae ditionis exercitu, Gasconiae fines<br />

ingresus est ; Ibid., p. 123.<br />

290 RICHARD LE POITEVIN, dans RHF, XII, p. 417 : Consequeti itidem aestate Rex, coadunato Apud<br />

Agennensium civitatem exercitu, paulatim Tholosanos saltus occupavit.<br />

291 SASSIER, Y., « Reverentia regis. Henri II face à Louis VII », dans 1204, la Normandie entre<br />

Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 23-35.<br />

292 MARTINDALE, J., « 'An unifinished business': Angevin politics and the siege <strong>of</strong> Toulouse, 1159 »,<br />

dans A.N.S., 2001, p. 115-154 : intitule son article à partir d’une expression de Roger de Howeden<br />

« imperfecto negocio » et analyse les commentaires suscités par cette expédition dans les chroniques<br />

contemporaines et chez les historiens ainsi que l’ensemble des implications de cette campagne.<br />

293 Ibid., BOUSQUET, J., Le Rouergue au premier Moyen-Age, 1992-1994, I, p. 138.<br />

294 GUILLAUME DE NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry II, and Richard I, 1884,<br />

p. 125-126 : ad pervadendam provinciam expugnandasque munitiones convertit exercitum<br />

Caturcensem civitatem, quae a se defecerat et fines cum numerosis castellis deditione recepit, plurima<br />

quoque expugnavit et cepit ; TORIGNI, I, p. 321 : et quamvis rex Henricus cepisset urbem Carduci et<br />

major pars ducatus Tolosani sibi esset subdita vi vel timore ; et p. 325 : munita civitate Carducorum.<br />

379


1160, montre également que le règlement de ce confit était avant tout une question de<br />

délimitation frontalière :<br />

Ce que le roi d’Angleterre avait de l’honneur de Toulouse et de<br />

Cahors et du cahorsin le jour où la paix fut faite, il le gardera et si le<br />

comte de Saint-Gilles ou ses hommes de l’honneur de Toulouse ou de<br />

Cahors transgressent la limite du roi d’Angleterre et qu’ils ne<br />

respectent pas les accords sur la limite dans les marches, le roi de<br />

France n’interviendra pas par la suite, et si le comte de Barcelone et<br />

de Trencavel et les autres hommes du roi d’Angleterre, sa patrie, ne<br />

veulent pas être dans la paix, et faire la guerre au comte de Saint-<br />

Gilles, le roi d’Angleterre ne les aidera pas en deçà de la limite sur<br />

laquelle est faite cette convention, et s’ils veulent être dans la trêve,<br />

qu’ils y soient. 295<br />

Cette expédition marque le début de la « guerre de Quarante ans » (1156-1196),<br />

selon l’expression de Guillaume de Newburgh, une période au cours de laquelle la<br />

délimitation de cette frontière méridionale de l’empire restera largement indécise 296 .<br />

Selon Jane Martindale, le contraste entre le déploiement de la puissance militaire et la<br />

retraite anticipée d’Henri II suggère que la campagne de 1159 avait d’autres<br />

finalités que la prise de Toulouse 297 . En rassemblant presque tous les barons de<br />

l’empire, y compris le roi d’Écosse dont la présence ne manqua pas d’étonner les<br />

observateurs de l’époque, Henri II ne cherchait-il pas également faire pencher le rapport<br />

de force en sa faveur au sein de l’alliance avec les comte-rois catalano-aragonais, qui<br />

avait précédé la campagne ? Dès 1158, Henri II avait en effet rencontré à Blaye, en<br />

Gironde, Raymond Béranger IV, comte de Barcelone, à qui s’était également associé<br />

Raymond Trencavel, comte de Béziers, tous deux fortement impliqués dans les luttes<br />

pour le contrôle territorial de la région. L’influence des Plantagenêt sur l’Aragon<br />

constitue en effet un enjeu central de la politique frontalière aux marges méridionales de<br />

l’empire. Le rapprochement avec Raymond Béranger IV permet à Henri II d’exercer des<br />

295 Acta Plantagenêt 3077H : quicquid rex Angl(ie) habebat de honore Tolose et de Cadurco et Cadurcino<br />

ea die qua pax facta fuit, eidem reg(i) Angl(ie) remanebit, et si com(es) Sancti Egidii infra hunc terminum<br />

reg(i) Angl(ie) vel suis hominibus de predicto honore Tolose vel Cadurci forisfecerit et ad marchia in<br />

termino conuenienti non emendauerit, rex Fr(ancie) inde ulterius se non intromittit, et si comes de<br />

Bargelum et Trencauel' et ceteri homines reg(is) Angl(ie) illius patrie noluerint in trewis istis esse, et<br />

guerram fecerint com(iti) Sancti Egidii, rex Anglie non iuuabit eos infra hunc terminum contra istam<br />

conuentionem, et si ipsi voluerint esse in trewis istis, sint.<br />

296 BENJAMIN, R., « A forty years war: Toulouse and the Plantagenets, 1156-96 », Historical Research,<br />

61 (1988), p. 270-285 cite GUILLAUME DE NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry<br />

II, and Richard I, 1884, II, p. 491. au total, les sources permettent de compter six campagnes en<br />

Toulousain (en 1157, 1162, 1164, 1172, 1181 (roi d’Aragon) et 1186-1188.<br />

297 MARTINDALE, J., « 'An unifinished business': Angevin politics and the siege <strong>of</strong> Toulouse, 1159 »,<br />

dans A.N.S., 2001, p. 115-154.<br />

380


pressions sur le comte de Toulouse en 1166, lors du renversement des alliances<br />

provoqué par la mort du comte de Provence, Raymond Béranger III. Raymond V de<br />

Saint-Gilles qui convoite la Provence répudie Constance, la sœur de Louis VII, pour<br />

épouser Richilde « l’impératrice », la veuve du comte. Il doit alors se rapproche alors du<br />

roi d’Aragon et d’Henri II en 1167 298 . Mais les tensions perdurent puisque Henri II<br />

s’empare de Fumel dans le sud du Quercy en 1169 299 et lorsqu’il se rend à Rocamadour,<br />

pour prier la sainte Vierge, il choisit de s’entourer d’une multitude d’hommes armés,<br />

des cavaliers ainsi que des piétons, car il se trouvait « sur les terres de ses ennemis » 300 .<br />

Ces éléments suggèrent l’instabilité du Quercy, fortement marqué par l’obédience du<br />

comte de Toulouse. Le choix de Rocamadour comme lieu de pèlerinage ne peut donc<br />

être considéré en dehors des enjeux territoriaux de la région. En se rendant dans cette<br />

marge, sous le signe du pèlerinage, Henri II cherchait clairement à y manifester son<br />

pouvoir 301 . Les pèlerinages des rois d’Angleterre ne peuvent en effet être véritablement<br />

comparés à l’expérience que partageaient la plupart des pèlerins à cette date, à partir des<br />

concepts de communitas et d’expérience spirituelle, car les Plantagenêt étaient, en<br />

quelque sorte, par leur itinérance en pèlerinage perpétuel 302 (voir chapitre 5).<br />

La chronologie proposée par Richard Benjamin suggère que Raymond V ne<br />

recouvre réellement ses terres que lorsqu’il prête hommage à Henri II en 1173 à<br />

Montferrand, puis quelques semaines plus tard à Limoges en présence des fils du roi 303 .<br />

Cependant, les Plantagenêt gardent le contrôle de plusieurs places en Quercy comme<br />

l’atteste Ge<strong>of</strong>froy de Vigeois qui raconte qu’en février 1184, le futur Raymond VI de<br />

298 BISSON, T. N., « L’époque des grands comtes-rois (1137-1276) », dans Histoire de la Catalogne,<br />

1982, p. 273-314. En outre, Henri II exerça un certain contrôle sur la minorité d’Alphonse II entre 1162 et<br />

1174.<br />

299 GERVAIS DE CANTORBERY, The Historical Works, 1965 [1880], p. 203. ; HOVEDEN, I, 282:<br />

Eodem anno Henricus rex Angliae cepit per vim fortissimum castellum quod dicebatur Fumel et illud<br />

demolitus est.<br />

300 TORIGNI, II, p. 24 : Henricus causa orationis veniens, quia approprinquabat terrae incimicorum<br />

suorum, congregata multitudine armatorum tam equitorum quam peditum…<br />

301 BOZOKY, E., « Le culte des saints et des reliques dans la politique des premiers rois Plantagenêt »,<br />

dans La cour Plantagenêt, 1154-1204, 2000, p. 227-291 cite MASON, E., « "Rocamadour in Quercy<br />

above all other churches" : the healing <strong>of</strong> Henry II », dans The Church and healing, 1982, p. 39-54.<br />

302 VINCENT, N., « The pilgrimage <strong>of</strong> the Angevin kings <strong>of</strong> England 1154-1272 », dans Pilgrimage. The<br />

English experience from Becket to Bunyan, 2002, p. 12-45 fait reference aux analyses de TURNER, V.<br />

W., Image and pilgrimage in Christian culture : anthropological perspectives, 1978 et EADE, J. et<br />

SALLNOW, M. J. (eds.), Contesting the sacred : the anthropology <strong>of</strong> pilgrimage, 2000.<br />

303 BENJAMIN, R., « A Forty Years War: Toulouse and the Plantagenets, 1156-96 », Historical<br />

Research, 61 (1988), p. 270-285 cite GEOFFROY DE VIGEOIS, Chronique précédée d’une étude sur la<br />

chronique de Ge<strong>of</strong>froy, 1864, p. 117 ; PETERBOROUGH, I, p. 36 : Et comes Sancto Aegidio devenit ibi<br />

homo regis et homo novi regis filii ipsius et homo Ricardi filii regis comitis Pictaviae, de Tholosa<br />

tenenda de eis in feudo et haedidtate…<br />

381


Toulouse ravagea avec ses troupes le château de Payrac près de Rocamadour, ainsi que<br />

les terres du roi d’Angleterre qui se trouvaient autour 304 . Cette expédition peut être<br />

facilement imputée au ralliement du comte de Toulouse à la révolte d’Henri le jeune en<br />

1183, qui marque le renouveau des hostilités dans la région. Les villes de frontières<br />

entre les deux espaces sont particulièrement touchées, comme Aurillac, qui est pillée le<br />

3 janvier 1184 par les routiers du jeune comte de Toulouse 305 .<br />

Le 14 avril 1185, Richard rencontre Alphonse II, comte de Barcelone et roi<br />

d’Aragon 306 , à Najac le Rouergue, un site clé de la basse vallée de l’Aveyron, dont il<br />

venait sans doute de s’emparer 307 . Le traité qu’ils signent pour sceller leur coalition ne<br />

comporte pas de clauses délimitant les possessions territoriales de Richard, mais<br />

confirme le système d’alliance nécessaire à Richard pour la poursuite de ses<br />

revendications sur le comté de Toulouse 308 . Mais parce que les traités concernant le<br />

Toulousain ne pouvaient avoir d’efficacité réelle sans la participation du roi de France,<br />

cet accord ne changea rien en réalité à la situation instable de la région. Dans les années<br />

qui suivent en effet, Richard et ses alliés mènent une expédition contre la coalition des<br />

barons et du comte de Toulouse. Ils prennent ainsi Hautefort, le château de Bertrand de<br />

Born, de jure praelii et dévastent les terres du comte de Périgueux 309 , ainsi que les<br />

châteaux de Fontanier de Gourdon qui refusait de se soumettre 310 . Les troupes de<br />

304 GEOFFROY DU VIGEOIS dans RHF, XVIII, p. 223 : Hinc cum juniore Tolosano repetunt<br />

Lemovicensem et feria tertia secunda hebdomada Septuagesima VII idus Februari, castum de Pairaco<br />

terrasque circumquaque et regiones Regis Anglorum devastant.<br />

305 BOUSQUET, J., Le Rouergue au premier Moyen-Age, 1992-1994, I, p. 141.<br />

306 Alphonse II (1162-1196), fils de Raymond-Bernager IV de Barcelone et de Pétronille d’Aragon<br />

inaugure la succession des comtes-rois barcelonais. L’union entre les deux couronnes était une union<br />

personne respectueuse des deux pays. BISSON, T. N., « L’époque des grands comtes-rois (1137-1276) »,<br />

dans Histoire de la Catalogne, 1982, p. 273-314.<br />

307 BOUSQUET, J., Le Rouergue au premier Moyen-Age, 1992-1994, I, p. 141 et p. 164 n. 52 pense que<br />

Richard le tenait encore en 1192 lorsque Philippe Auguste fit mine de le céder à Raymond V.<br />

308 BENJAMIN, R., « A Forty Years War: Toulouse and the Plantagenets, 1156-96 », Historical<br />

Research, 61 (1988), p. 270-285, édite ce document issu des archives de la couronne d’Aragon, Barcelone<br />

(A.C.A.), seccion cancilleria, Pergaminos de Alfonso I, n° 38, (non consulté). Le duc d’Aquitaine<br />

abandonne ses droits sur les seigneuries de Trencavel à Carcassonne, Béziers et Nîmes, sans contrepartie<br />

et entreprend d’arranger le retour des châteaux d’Ariza détenu par Alphonse VIII de Castille et de<br />

Transmuz et Caxelus par le roi de Navarre à Alphonse II d’Aragon.<br />

309 GEOFFROY DU VIGEOIS, dans RHF, XVIII, p. 218 : Ipso die venit Dux Ricardus et Rex<br />

Arragonensis Adelphonsus, qui olim suppetias Regis seniori venit apud Autefort, obseditque fortiter<br />

castrum (…) Dux jure paelii cepit (Ce jour là le duc Richard et le roi d’Aragon, venant à l’aide du vieux<br />

roi allèrent à Hautefort, assiégèrent le château fort (…) et le duc le prit de son droit de préhension), ;<br />

BOUSSARD, J., Le gouvernement d'Henri II Plantagenêt, 1956 ; p.147 ; BULIT, R., Gourdon. Les<br />

origines, la seigneurie, les consuls et la communauté (jusqu'à la fin du XIVe siècle), 1923, p.60-61 cite<br />

Chanoine E. Albe. Inventaire des archives municipales de Cahors, p. 36 à propos d’une enquête de 1246-<br />

47 qui apprend la prise de ces sites par Richard.<br />

310 Ibid., p.62, à savoir : Salviac, Concorès, Lavercantière, Cazals, Peyrilles ; Selon Roger de Hoveden,<br />

c’est Bertrand de Gourdon aurait envoyer la flèche qui blessa mortellement le roi à Châlus, pour se<br />

382


Richard pillent également Moissac, Cajarc et sans doute Cahors, mettant les terres de<br />

Raymond V « à feu et à sang ». Richard s’empare également de Toulouse, jusqu’à ce<br />

que l’intervention du roi de France l’oblige à restituer la cité au comte 311 .<br />

Ce n’est qu’en 1196, avec le traité de Gaillon, que le roi de France parvient à<br />

s’imposer comme l’autorité nécessaire pour régler les affaires de la région 312 Les<br />

clauses, qui délimitaient les appartenances réciproques dans l’espace frontalier que<br />

constitue le Quercy, entérinaient partiellement l’avancée des Plantagenêt en Quercy :<br />

Soulliac est reconnu du ressort du roi d’Angleterre mais Philippe Auguste exige ainsi en<br />

échange l’hommage du vicomte de Turenne et propose un arbitrage concernant Cazals<br />

et Peyrilles. Cette nouvelle configuration ne convenant sans doute ni au Plantagenêt ni<br />

au comte de Toulouse, ils finissent par régler autrement le conflit qui les opposaient<br />

depuis quarante ans. En octobre 1196, Raymond VI épousait Jeanne, dernière des filles<br />

de Henri II et veuve de Guillaume II de Sicile. La dot de celle-ci est alors constituée de<br />

l’Agenais et Richard accepte d’abandonner ses revendications sur le Quercy avec peut-<br />

être la partie sud du Rouergue 313 . La fin de la longue guerre contre Toulouse est<br />

<strong>of</strong>ficiellement scellée par la paix de 1198, rétablissant le roi dans ses fonctions de garant<br />

de la sécurité collective et luttant contre la violence endémique 314 .<br />

La reconfiguration des frontières méridionales de l’Aquitaine témoigne donc<br />

d’un sérieux repli du pouvoir Plantagenêt, dont les enjeux territoriaux se sont déplacés<br />

sur la frontière capétienne. En 1196, l’investiture d’Otto de Brunswick comme comte de<br />

Poitou illustre ce retrait alors que la mort d’Alphonse II d’Aragon et le partage de ses<br />

territoires entre ses deux fils achèvent de bouleverser l’équilibre des pouvoirs au sud de<br />

la Garonne.<br />

Le renforcement des positions ducales sur la Garonne<br />

venger de Richard qui aurait ordonner la mort de son père, Fontanier, à la fin des années 1180.<br />

Cependant, c’est le nom de Pierre Bazyle qui est retenu par Radulf de Diceto et Ge<strong>of</strong>froy de Vigeois.<br />

311 HOVEDEN, II, p. 339-340 : Comes autem Ricardus cum magni exercitu intravit terram comitis de<br />

Sancto Aegidio et devastavit eam igne et gladio et castella illus propre Tolosam obsedit et cepit. Audiens<br />

igitur rex Francorum gemitus populi Tolosani misit nuncuis suos in Angliam ad regem Angale, inquirens<br />

si damna, quae Ricardus filius eius ei et terrae suae faciebat, per eum faceret, et petiit ab eo sibi fieri<br />

inde restitutionem.<br />

312 ROUSSEAU, E. et DÉSIRÉ DIT GOSSET, G., « Le Traité de Gaillon (1196): Édition critique et<br />

traduction », dans Richard coeur de Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 67-74.<br />

313 BOUSQUET, J., Le Rouergue au premier Moyen-Age, 1992-1994 , I, p. 143.<br />

314 BOUTOULLE, F., Le duc et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au<br />

XIIe siècle, 2007 en propose une analyse détaillée, p. 254-262.<br />

383


L’inventaire des possessions ducales dans la Gascogne bordelaise a récemment<br />

été dressé par Frédéric Boutoulle, qui non seulement comble une lacune<br />

historiographique mais rectifie également l’idée fausse selon laquelle le domaine ducal<br />

de l’arrière pays de Bordeaux était restreint voire inexistant 315 . Il affirme au contraire<br />

que le domaine relevant de la directe ducale tel qu’il apparaît au milieu du XII e siècle,<br />

faisait du duc « le seigneur territorial le plus important de la région ». Dans le Bordelais,<br />

les Plantagenêt possédaient plusieurs châteaux relevant du domaine ducal : outre la tour<br />

de l'Arbalesteyre à Bordeaux, la tour de Bisqueytan, le château du Cros et la tour de la<br />

Réole, furent les plus utilisés par Henri II et Richard 316 . Dans les alentours, les sources<br />

analysées par Frédéric Boutoulle montrent que la puissance ducale se concentrait en<br />

quelques endroits, mais que l’espace était globalement faiblement dominé. L’action des<br />

Plantagenêt est toutefois marquée par l’édification de nouvelles places fortes et par la<br />

réactivation des châteaux ducaux de l’Entre-deux-Mers, tels que Bisqueytan et Le Cros<br />

pour renforcer leur domination sur les seigneuries de Castillon et de Benauges, mais<br />

peut être aussi ceux de Bègles, Langoiran, Rauzan, Pujols, ainsi que le castrum de Belin<br />

en pays de Born qui appartenaient aux ducs aux alentours de 1100. La mise en place de<br />

ce réseau de châteaux s’est effectuée principalement le long de la Garonne, jusqu’à<br />

Agen (carte 4.16).<br />

La fondation d’une tour (les Qat Sos) à La Réole par Henri II ou Richard est<br />

mentionnée dans plusieurs textes postérieurs à la période. Tandis qu’une turris est<br />

mentionnée dans les mandements royaux de 1220-1220 317 , des cartulaires disparus mais<br />

étudiés par un moine mauriste du XVIII e siècle, Dom Maurel, signalent un castrum<br />

qu’Henri II aurait fait construire dans les jardins des bénédictins, en 1186 318 , après avoir<br />

démoli et rebâti le couvent quelques lieues plus loin. Par la suite, le développement du<br />

bourg de La Réole en fait l’un des principaux centres politiques de la Gascogne ducale<br />

si bien que Richard choisit d’y tenir sa cour le 3 février 1190 319 . Jacques Gardelles<br />

315<br />

Ibid., p. 56-58 et 63 où il relève plus de quarante paroisses de l’Entre-deux-Mers relevant du roi<br />

d’Angleterre au XIII e siècle.<br />

316<br />

Ibid., p. 244-49. Voir chapitre 5.<br />

317<br />

Patent rolls <strong>of</strong> the reign <strong>of</strong> Henry III. I. 1216-1225, 1901, p. 275-276.<br />

318<br />

BOUTOULLE, F., « La Gascogne sous les premiers Plantagenêts (1152-1204) », dans Plantagenêts et<br />

Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 285-318 cite Dom Maupel, « Sancti Petri de Regula,<br />

regalis prioratus, historica chronologia sinopsis seu de rebus notatu dignis incliti monasterii Regulensis »,<br />

Archives Historique de Gironde, 36 (1901), p. 5-115, p. 26 : jussit apud Regulam extrui castrum loco<br />

maxime apto, occupatusque est ab eius ministris hortus mansterii, in quo arx nova edificata est (…) Angli<br />

eam destruxerunt aliamque humiliorem et remotiorem edificarunt. Voir aussi BOUTOULLE, F., Le duc<br />

et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au XIIe siècle, 2007, p. 348-49.<br />

319<br />

BOUTOULLE, F., « La Gascogne sous les premiers Plantagenêts (1152-1204) », dans Plantagenêts et<br />

Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 285-318, notamment, p. 301-302 ; LANDON, L., The<br />

384


pense au contraire que la construction de la tour pourrait être consécutive à la cession de<br />

l’Agenais à Raymond VI de Toulouse. Cette cession faisait en effet de La Réole et de sa<br />

région une zone frontalière dans laquelle se trouvait également le château de la<br />

Couthure dont la construction est attribuée à Richard, selon un mandement de Jean,<br />

datant du 2 octobre 1214 320 . Il est toutefois probable que la construction de la Couthure<br />

soit également antérieure, sans doute en lien avec la fondation du bourg de Marmande,<br />

situé sur le site du castrum de Granon en amont à 6 km, sur l’autre rive de la Garonne.<br />

Marmande est connue pour avoir été fondée en 1182 par Richard ou Henri II.<br />

L’information provient d’une requête du prieur de Marmande, datant de 1320 et d’un<br />

vidimus de 1340 de la charte de franchise de la ville qui en rappelle l’origine ducale et<br />

place sa fondation à 1182 321 . Ces trois places semblent avoir pour fonction de délimiter<br />

l’extension effective du contrôle ducal dans la vallée de la Garonne 322 , même si Auvillar<br />

fait figure avant 1196, selon Charles Higounet, de point « à l’extrême avancée de<br />

l’attraction politique et administrative bordelaise » 323 . Tout au long de la période,<br />

l’Agenais apparaît donc comme un espace incertain où les Plantagenêt peuvent compter<br />

sur certaines places fortes comme la ville d’Agen ou le castrum de Penne, réputé pour<br />

avoir été fortifié par Richard 324 , mais où ils doivent aussi intervenir à plusieurs reprises<br />

contre des tentatives d’émancipation des seigneurs locaux, comme c’est le cas en 1161<br />

et 1175, à Castillou 325 , ou encore en 1181, lorsque Richard est à nouveau à la tête d’un<br />

ost en Gascogne mené cette fois-ci contre le comte de Lomagne, Vivien II. Il assiège<br />

Lectoure et obtient sa soumission 326 .<br />

La reconfiguration territoriale de 1196 marque donc, dans une certaine mesure,<br />

l’échec de l’intégration du comté de Toulouse à l’empire des Plantagenêt. Il n’en a pas<br />

Itinerary <strong>of</strong> King Richard I, with studies on certain matters <strong>of</strong> interest connected with his reign, 1935,<br />

p. 125.<br />

320<br />

Rot. Chart., p. 201, cité par BOUTOULLE, F., « La Gascogne sous les premiers Plantagenêts (1152-<br />

1204) », dans Plantagenêts et Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 285-318 note 96.<br />

321<br />

HIGOUNET, C., « Le développement urbain et le rôle de Marmande au Moyen Âge », dans Paysages<br />

et villages neufs du Moyen Âge (recueil d'articles), 1975, p. 326-375, p. 325-334.<br />

322<br />

HIGOUNET, C., « L’arrière-pays de Bordeaux au XIIIe siècle esquisse cartographique », dans<br />

Paysages et villages neufs du Moyen âge. Recueil d'articles, 1975, p. 407-416.<br />

323<br />

Ibid., (p.409).<br />

324<br />

GARDELLES, J., Les Châteaux du Moyen âge dans la France du Sud-Ouest : la Gascogne anglaise<br />

de 1216 à 1327, 1972.<br />

325<br />

TORIGNI, I, p. 334 ; PETERBOROUGH, I, p. 101, cf. chapitre 2.<br />

326<br />

BOUTOULLE, F., « La Gascogne sous les premiers Plantagenêts (1152-1204) », dans Plantagenêts et<br />

Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 285-318 cite GEOFFROY DU VIGEOIS dans RHF, XII,<br />

p. 449 : Richardus interim cum host Vasconiam petens Lectoram occupavit, quoadusque Vivianus<br />

vicecomes de Lomania portam clausam seque tradens, ab eodem cingulum perciperet apud S. Severum<br />

instante Virginis Mariae Assumpione.<br />

385


été de même pour le duché de Bretagne, qu’Henri II parvient à annexer et intégrer dans<br />

la configuration patrimoniale de son empire.<br />

2.2.2- L’éphémère marche bretonne : espace tampon ou tête de pont ?<br />

Les interventions des Plantagenêt en Bretagne ont une fonction de délimitation<br />

des frontières de l’empire seulement entre 1158 et 1166. Si l’annexion du duché en<br />

1166, à la suite de la défaite et de l’abdication forcée de Conan IV repoussait<br />

théoriquement les frontières de l’empire jusqu’à l’océan, la marche de Bretagne resta<br />

néanmoins un enjeu tout au long de la période. Selon Judith Everard, il est difficile de<br />

parler de « conquête » de la Bretagne comme on peut parler de conquête de l’Irlande,<br />

dans la mesure où les ducs de Bretagne étaient non seulement déjà intégrés au système<br />

féodal occidental, à l’instar des comtes de Toulouse, mais également soumis à la<br />

domination directe d’Henri II pour ce qui concerne leurs possessions anglaises (voir<br />

chapitre 2). Plusieurs chartes montrent Conan IV attestant à la cour d’Henri II 327 . La<br />

domination angevine en Bretagne n’a donc pas instauré un changement radical, mais<br />

s’inscrit plutôt dans les rapports de longue durée entre le duché et ses voisins.<br />

Les Plantagenêt prennent pieds dans le duché dès 1156, lorsque Ge<strong>of</strong>froy<br />

Plantagenêt, est appelé par les Nantais pour remplacer leur comte, Hoël, qu’ils venaient<br />

de déposer. À sa mort, deux ans plus tard, Henri II vient réclamer son héritage à<br />

Conan IV qui s’était emparé de la ville 328 . À cette date, Henri II n’agit qu’en tant que<br />

sénéchal de France, un titre que Louis VII lui donna pour mater les Bretons 329 . Henri II<br />

obtient sans mal la reddition de la ville ainsi que la reconnaissance de ses droits sur<br />

Nantes et le comitatus Medie contre 60 livres angevines 330 .<br />

En 1162, Henri II saisit l’occasion de la mort de Jean de Dol pour faire<br />

progresser son influence dans la marche septentrionale de la Bretagne (fig. 1).<br />

Contrairement à Nantes, l’annexion de la seigneurie de Dol-Combourg s’effectua sur le<br />

mode de la confiscation féodale, car elle permettait davantage à Henri II d’y affirmer sa<br />

domination seigneuriale et de renforcer l’insertion de cette seigneurie dans l’espace<br />

impérial. Il nomme alors Étienne, fils de Ge<strong>of</strong>froy de Boterel, vicarius et custos de cette<br />

327<br />

EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins : Province and Empire, 1158-1203, 2000, p. 35.<br />

328<br />

Ibid., p. 32-33, 38.<br />

329<br />

GERVAIS DE CANTORBERY, The Historical Works, 1965 [1880], p. 166: rex Anglia a Rege<br />

Francorum Christianissimo viro tamen nimis simplici, optinuit ut quasi senescallus regis Francorum<br />

intraret Britanniam…; WARREN, W. L., Henry II, 2000, p. 76-77.<br />

330<br />

TORIGNI, I, p. 312.<br />

386


la seigneurie de Dol-Combourg aux dépens de Raoul de Fougères 331 . Mais ce dernier<br />

parvient à reprendre la tutelle du château qui lui avait été confiée par Jean de Dol, avant<br />

sa mort. En 1164, Richard du Hommet, connétable d’Henri II en Bretagne, est alors<br />

chargé de reprendre le château de Combourg et la baronnie pour le roi 332 . Henri II<br />

confie alors la garde de la terre de Dol à l’un de ses courtisans normands, Jean de<br />

Subligny, seigneur de Saint-James sur Beuvron, à qui il promit l’héritière en mariage<br />

pour son fils Hasculf 333 . Ainsi, Dol-Combourg devenait une seigneurie de marche,<br />

insérée dans les réseaux de l’aristocratie normande, une aristocratie plus loyale et plus<br />

soumise à l’autorité d’Henri II qu’elle reconnaissait comme son duc légitime. Pour<br />

renforcer son propre pouvoir dans cette marche septentrionale normanno-bretonne,<br />

Henri II fit également reconstruire le château ducal de Pontorson 334 .<br />

Au milieu des années 1160, Henri II contrôlait donc les marches bretonnes au<br />

nord et au sud, tandis que dans la région médiane, aux marches de l’Anjou, il pouvait<br />

compter sur la loyauté des seigneurs de Vitré, Robert et son fils André, qui lui<br />

apportèrent l’aide militaire lors des expéditions bretonne 335 .<br />

La pression croissante des Plantagenêt en Bretagne est sans doute à l’origine de<br />

la révolte menée en juillet 1166, menée par des barons bretons sous l’égide de Raoul de<br />

Fougères et du duc Conan IV. L’échec de cette révolte amène cependant ce dernier à<br />

abdiquer en faveur d’Henri II, qui prend donc possession des domaines ducaux, ne<br />

laissant en propre au duc que la seigneurie de Guingamp 336 . Conan devenait ainsi duc<br />

sans duché tandis que le titre ducal était inclus dans le maritagium de Constance, placée<br />

sous tutelle royale et promise à Ge<strong>of</strong>froy, le deuxième fils d’Henri II, ce qui explique<br />

pourquoi Henri II ne s’intitula jamais dux Britannie 337 . Puis, pour manifester sa prise de<br />

331 BRAND'HONNEUR, M., « Seigneurs et réseaux de chevaliers du nord est Rennais sous Henri II<br />

Plantagenêt », dans Noblesses de l'espace Plantagenêt, 1154-1224, 2001, p. 165-184 cite BNF ms. lat.<br />

5441, III, p.438.<br />

332 TORIGNI, I, p. 353 : Richardus de Humez, conestablus Henrici regis, convocatis baronibus<br />

Normanniae et Britanniae, mense Augusto, cepit castrum Conbort in Britannia in manu regis, quod<br />

Radulfus de Filgerii habuerat post mortem Johannis de Dol.<br />

333 EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins : Province and Empire, 1158-1203, 2000, p. 83, cite BN<br />

ms lat. 5476 p. 97-98 et ms. Fr. 22325, p. 522-23, 525.<br />

334 TORIGNI, I, p. 313 : Ipsa die perrexit ad Pontem Ursonis et divisit ibi ministris suis et ordinavit<br />

quomod castrum illud readificaretur (Ce jour là, il se rendit à Pontorson et il divisa ses ministres et leur<br />

ordonna que de faire reconstruire le château)<br />

335 Ibid., p. 63 cite BM Lansdownz mss 229, f° 114r et 259 f° 70r. (voir chapitre 4) ; GUILLAUME DE<br />

NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry II, and Richard I, 1884, p. 146.<br />

336 TORIGNI, I, p. 361 : castrum Felgeriarum obsedit, cepit, funditus delevit; Annales Angevines, p. 36 :<br />

Hainricus rex contra Britannos exercitum dirigens, castrum Fulgeriarum obsedit et viriliter cepit<br />

ceterosque Britones mira probitate et audatia subegit.<br />

337 EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins : Province and Empire, 1158-1203, 2000, p. 44<br />

387


possession symbolique du duché, Henri II organisa une entrée triomphale dans la cité de<br />

Rennes 338 .<br />

Malgré l’intégration du duché de Bretagne dans l’empire, l’hostilité de Ge<strong>of</strong>froy<br />

à l’autorité paternelle réactiva périodiquement le fonctionnement de la marche bretonne<br />

comme front conflictuel. En 1173, alors que la grande révolte se prépare, Henri II<br />

ordonne à tous ses châtelains de renforcer et de tenir leurs châteaux et confie à Richard<br />

du Hommet l’intervention militaire en Bretagne 339 . Les sources montrent que celle-ci se<br />

concentra essentiellement sur la sécurisation des marches du duché 340 . Les troupes<br />

royales reprennent en effet Combourg aux rebelles avant de se saisir du château de<br />

Fougères et de le faire entièrement démolir à l’instar des autres fortifications de Raoul.<br />

Selon Michael Jones, dans ce contexte troublé de la fin du XII e siècle, de<br />

nombreuses places fortes sont reconstruites à une échelle plus impressionnante 341 . C’est<br />

le cas du château de Fougères qui avait pourtant été reconstruit sans doute dès les<br />

années 1169, après la réconciliation entre Raoul II et Henri II et les destructions subies<br />

lors de la campagne en 1166. Selon Christophe Amiot, les fouilles archéologiques ont<br />

montré qu’un nouveau château fut reconstruit (incluant la seconde enceinte et le logis)<br />

sur des vestiges antérieurs à 1166, et comporte des vestiges toujours visibles. Robert de<br />

Torigni raconte qu’en 1173 Raoul II fit reconstruire sa forteresse :<br />

Raoul de Fougères, agent infidèle, appelé par le roi qui réunissait les<br />

barons bretons, ne voulut pas obéir, alors que le château de Fougères,<br />

que le roi avait fait autrefois détruire, commençait à être<br />

reconstruit. 342<br />

Certains détails d’influence Plantagenêt ont retenu l’attention des archéologues,<br />

en particulier la reprise d’archère à niche, les meurtrières à étrier et la galerie infra-<br />

murale dont l’usage est attesté pendant la seconde moitié du XII e siècle, comme à<br />

338<br />

TORIGNI, I, p. 361 : Inde venit Redonis, et per civitatem illam, quae caput est Brittanie totum illum<br />

ducatum saisivit.<br />

339<br />

PETERBOROUGH, I, p.42: et statim mandavit per litteras suas castellanis quis Andegavie,<br />

Aquitanniae, et Andegavie et Britanniae ut munirent castella sua et bene custodirent.<br />

340<br />

Ibid., p. 49-50.<br />

341<br />

JONES, M., « The defence <strong>of</strong> medieval Britany: a survey <strong>of</strong> the establishment <strong>of</strong> fortified town, castle<br />

and frontiers form the gallo-roman period to the end <strong>of</strong> Middle Ages », The Archaeological Journal, 132<br />

(1981), p. 149-204, Outre l’exemple paradigmatique de Fougères, Michael Jones cite entre autre les cas<br />

du château de Lehon, de Clisson, de Chateaubriand et de Vitré.<br />

342<br />

TORIGNI, II, p. 42 : Radulfus de Fulgeriis infideliter agens, vocatus a rege, parere noluit, sed<br />

castellum de Fulgeriis, quod ipse rex prius destruxerat, caepot reaedificare.<br />

388


Douvres, entre autre 343 . Le château de Fougères aurait-il donc été reconstruit avec l’aide<br />

des Plantagenêt ? Pour Michel Brand’honneur, cette hypothèse est probable dans la<br />

mesure où la reconstruction correspond à peu près aux années qui voient la nomination<br />

de Raoul de Fougères au poste de sénéchal de Bretagne, vers 1184, à moins qu’elles ne<br />

soient liées aux relations tissées entre Raoul et Richard, dès 1164. Le roi y séjourna<br />

également en 1195, ce qui pourrait également constituer une date le lien avec la<br />

reconstruction du château 344 . L’exemple de Fougères témoigne donc globalement du<br />

renforcement militaire de la marche bretonne malgré l’annexion du duché en 1166 et<br />

notamment après 1173, comme c’est également le cas pour les châteaux de La Guerche,<br />

Champtoceaux, Ancenis, qu’Henri II fait prendre et confie à Maurice de Craon jusqu’en<br />

1177, avec pour mission de refortifier cette place stratégique de la marche bretonne 345 .<br />

Lorsque Ge<strong>of</strong>froy épouse Constance, en 1181, il reçoit l’investiture du titre<br />

ducal, mais Henri II se réserve le contrôle du comté de Nantes jusqu’en 1185 ou 1186,<br />

faisant de cette marche entre la Bretagne et l’Anjou, une enclave cruciale pour toute<br />

campagne militaire éventuelle dans le duché. À peine prend-il possession de la ville que<br />

Ge<strong>of</strong>froy commence à la faire fortifier, comme le montre une charte du prieuré de Saint-<br />

Cyr faisant état des dommages causés par l’extension des fortifications de la cité 346 .<br />

Selon Judith Everard, il s’agit de l’extension des murs au-delà de l’angle nord-est des<br />

enceintes romaines sur les rives de d’Erdre, qui est traditionnellement attribuée aux ducs<br />

Guy de Thouars et Pierre de Dreux au début du XIII e siècle, mais dont la charte montre<br />

clairement qu’elles furent commencées dès la fin du XII e siècle. Henri II laisse, semble-<br />

t-il, des hommes de main dans les places fortes de Rennes et Becherel qui constituent<br />

alors les cibles des attaques de Ge<strong>of</strong>froy en 1182 ou 1183, alors qu’il lutte à nouveau<br />

contre son père, sans doute à propos de la rétention de Nantes 347 . Cette présence montre<br />

qu’Henri II avait cherché à garder un contrôle sur les marches bretonnes après<br />

343 AMIOT, C., « Nouvelles observations sur le logis du château de Fougères en Bretagne », MSHAB, 78<br />

(2000), p. 401-435 ; BRAND'HONNEUR, M., Manoirs et châteaux dans le comté de Rennes, 2001, p.77-<br />

79.<br />

344 BRAND'HONNEUR, M., « Seigneurs et réseaux de chevaliers du nord est Rennais sous Henri II<br />

Plantagenêt », dans Noblesses de l'espace Plantagenêt, 1154-1224, 2001, p. 165-184.<br />

345 TORIGNI, II, p. 46 : Siquidem Brebenzones regis destruxerant castrum Quircae, sicut antea<br />

pressumdederant Fulgerias et ceteras munitiones Radulfi ; PETERBOROUGH, I, p. 71 : cepit Ancenis<br />

(…) et in ea munitionem fortissimam firmavit et in manu sua retinuit ; EVERARD, J. A., Brittany and<br />

the Angevins : Province and Empire, 1158-1203, 2000, p. 148 et 61 cite BN Ms. fr. 22319, p. 197.<br />

346 Ibid., p. 130; The charters <strong>of</strong> Duchess Constance <strong>of</strong> Brittany and her family : 1171-1221, 1999, p. 30<br />

n° Ge28: me dedisse et concessisse … VI libras in meis redditibus bancorum Nannetensius annuatim …<br />

pro recompensatione dampnorum illorum que predicta domus passa est super fossetis et muris meis in<br />

earum vineis et terris constitutis.<br />

347 EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins : Province and Empire, 1158-1203, 2000, p. 131 cite<br />

TORIGNI, II, p. 115.<br />

389


l’accession de son fils au titre ducal. Quant aux interventions après l’annexion de 1166,<br />

elles ont moins une fonction de délimitation du territoire que d’affirmation du pouvoir<br />

dans un duché désormais considéré comme une marge intégrée.<br />

Quelle que soit leur diversité, variant selon l’enjeu et l’investissement militaire<br />

réciproque des deux partis, les marches normandes, galloises, écossaises, toulousaines<br />

ou bretonnes partagent la caractéristique d’avoir été des zones disputées dont la<br />

délimitation a principalement résulté de multiples conflictualités. Tel n’est pas le cas de<br />

toutes les zones de marches de l’empire, notamment dans le vaste duché d’Aquitaine.<br />

Les espaces aux confins des territoires « alliés » ne connaissent en effet aucune sorte de<br />

conflit de délimitation, et aucune production textuelle n’en témoigne. L’accroissement<br />

de la présence capétienne en Bourbonnais va cependant progressivement changer la<br />

donne.<br />

390


3- Intégration et désintégration des confins aquitains<br />

3.1- Des Pyrénées au Monts du Cantal : les marges instables de<br />

l’Aquitaine face à l’influence catalano-aragonaise<br />

Dans ces confins aquitains, la politique de construction aux frontières apparaît<br />

pratiquement inexistante. Face à l’hégémonie que les rois d’Aragon entendent imposer<br />

au-delà des Pyrénées et jusqu’en Provence, les Plantagenêt ont plutôt été des alliés,<br />

renonçant aux droits qu’ils n’exerçaient peu ou pas sur les marges pyrénéennes et dans<br />

le Gévaudan.<br />

3.1.1- Les positions ducales méridionales : une hégémonie disputée<br />

Les origines des domaines ducaux en pays de Born et jusqu’à Bayonne sont mal<br />

connues, bien qu’ils semblent avoir été d’une certaine importance tout au long du XII e<br />

siècle 348 . En revanche, les tendances autonomistes des marches méridionales du duché<br />

ont sans doute été encouragées par l’état des relations diplomatiques entre les<br />

Plantagenêt et les rois ibériques. John Gillingham y voit en effet l’une des raisons du<br />

faible acharnement des Plantagenêt contre les vicomtes de Béarn, Bigorre, Comminges,<br />

Armagnac et Fezensac. Outre son alliance avec les Aragonais contre le comte de<br />

Toulouse, Henri II développe des relations avec Alphonse III de Castille, à qui il donne<br />

sa deuxième fille, Aliénor, en mariage en 1170 (ou en 1176), supplantant ainsi l’alliance<br />

entre les Capétiens et les castillans qu’avait scellé le mariage de Louis VII avec<br />

Constance de Castille 349 . Il semble qu’Aliénor d’Aquitaine a joué également un rôle<br />

décisif dans l’orientation de la politique ibérique des Plantagenêt. Marie Hivergneaux<br />

rappelle en effet qu’en 1172, bien qu’aucune charte ne confirme l’événement, Aliénor<br />

reçoit personnellement les rois Alphonse VIII d’Aragon et Sanche VI de Navarre à<br />

propos de l’alliance contre Toulouse 350 . C’est également elle qui organise le mariage<br />

348 BOUTOULLE, F., « La Gascogne sous les premiers Plantagenêts (1152-1204) », dans Plantagenêts et<br />

Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 285-318; Ibid..<br />

349 TORIGNI, II, p. 22 place le mariage d’Aliénor en 1170 : Alienor, filia Henrici regis Anglorum, as<br />

Hispaniam ducata est, et ad Amfruso imperator solemniter desponsata ; tandis que Roger de Hoveden le<br />

place en 1176, HOVEDEN, II, p. 105 : Eodem anno Henricus rex Angliae, filius Matildis imperatricis,<br />

dedit Alienor filiam suam Aldefonso regi Castellae in uxorem.<br />

350 HIVERGNEAUX, M., « Queen Eleanor and Aquitaine, 1137-1189 », dans Eleanor <strong>of</strong> Aquitaine :<br />

Lord and Lady, 2002, p. 55-76, cite RICHARD, A., Histoire des comtes de Poitou. Tome 4, [1086-1137],<br />

2004, II, p. 161 ; LABANDE, E. R., Pour une image véridique d'Aliénor d'Aquitaine, 2005 (1952).<br />

391


entre Richard et Bérengère de Navarre, qu’elle accompagne jusqu’à Chypre en 1191.<br />

Ces tentatives diplomatiques qui renforçaient les relations avec les rois ibériques<br />

expliquent donc en partie pourquoi les conflits se sont principalement déroulés en<br />

Quercy et que les fortifications et les tensions frontalières se sont concentrées sur le<br />

front de la Garonne.<br />

Cependant, les Plantagenêt n’ont jamais renoncé à y affirmer leur autorité,<br />

comme le montrent les multiples expéditions menées par Richard. Entre Noël 1176 et<br />

janvier 1177, il s’attaque aux turbulents comtes de Béarn et de Bigorre et à leur<br />

coalition. Il assiége d’abord Dax, puis la ville de Bayonne qui venaient d’être<br />

« fortifiées contre lui » et s’en empare en moins de dix jours 351 . Richard entend alors<br />

assurer l’extension de ses prérogatives non seulement dans ces deux cités, qui étaient<br />

des cibles pour les barons locaux précisément parce que la puissance ducale s’y était<br />

récemment affirmée, mais également dans des zones plus reculées 352 . Il pousse alors son<br />

expédition jusqu’« aux portes de l’Espagne », pacifiant la région en détruisant les<br />

châteaux félons et en imposant la paix ducale :<br />

Puis il emmena son armée jusqu’à Cizare, qui est maintenant appelée<br />

Porte d’Espagne, assiégea le château de Saint-Pierre 353 qu’il prit le<br />

même jour (…) et le rasa jusqu’au sol 354 .<br />

Son itinéraire semble avoir emprunté les bourgs de Sordes (Sorges) et Ispoure<br />

(Lespurun) où il fait supprimer les mauvaises coutumes levées sur les pèlerins (carte<br />

4.16). Frédéric Boutoulle propose ainsi de voir dans l’axe Sordes – Cize, la limite<br />

occidentale de l’influence Aragonaise, qui n’hésite pas à intervenir dans les conflits de<br />

la région 355 . Ainsi, en 1178, alors que Richard vient à nouveau renforcer son autorité au<br />

sud de Bordeaux, il reçoit une requête d’Alphonse II d’Aragon pour la libération de son<br />

amicus Centulle III de Bigorre, alors prisonnier des bourgeois de Dax 356 . À la suite de<br />

351 PETERBOROUGH, I, 181-182 : Comes autem Pictaviae statim post Natale obsedit Akensem<br />

civitatem quas Petrus vicecomes Akenais et comes Bigorniae contra eum munierunt, et infra decem dies<br />

cepit. Et inde promovens exercitum suum obsedit Baionam civitatem quam Ernaldus Betramnus<br />

vicecomes Baionae contra eum munierat.<br />

352 BENJAMIN, R., « A Forty Years War: Toulouse and the Plantagenets, 1156-96 », Historical<br />

Research, 61 (1988), p. 270-285, BOUTOULLE, F., « La Gascogne sous les premiers Plantagenêts<br />

(1152-1204) », dans Plantagenêts et Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 285-318; Ibid..<br />

353 Château de Sant-Per à Saint-Jean-Pied-de-port.<br />

354 PETERBOROUGH, I, p. 132: Et inde promovens exercitum suum usque Cizare, quae nunc Portae<br />

Hispaniae vocantur, obsedit castellum sancti Petri, et eadem die cepit (…) et penitus destruxit.<br />

355 Ibid., cite HUGUES DE POITIERS dans R.H.F., XII, p. 341.<br />

356 PETERBOROUGH, I, p.212-213 : Eodem anno, Ricardus dux Normanniae et Aquitaniae […] cum<br />

magno exercitu in Pictaviam pr<strong>of</strong>ectus ad Assiensem civitatem venit et invento ibi comite Bigorniae<br />

incarcerato, quam cives eiusdem civitatis incarceraverant, magno fluctuavit gaudio. Sed Amfumsus rex<br />

392


cet épisode, Richard annexe les deux châteaux de Centulle, Clermont et Montbrun, qui<br />

assuraient le contrôle de la vicomté de Dax 357 . L’année suivante, Richard s’empare des<br />

châteaux de Laharie et de Labouheyre qui contrôlent la route vers le sud et fait<br />

probablement ériger dans ces mêmes années la tour d’Uza, (Dursar), à la limite<br />

méridionale du pays de Born, sur les terres ducales (in sua propria terra) si l’on en croit<br />

les lettres de Henri III qui la mentionnent 358 . Il renforçait ainsi les positions ducales sur<br />

la route de Bayonne qu’il prend une nouvelle fois en 1193 359 . Enfin, selon Frédéric<br />

Boutoulle, la présence de Richard en 1186, à Captieux, au cœur des Landes, pourrait<br />

être la conséquence d’une saisie, si la seigneurie était alors aux mains des vicomtes de<br />

Béarn 360 . Dans ce cas, Captieux apparaît comme un point de frontière disputé, qui<br />

montre qu’une large partie des Landes méridionales échappait de fait entièrement au<br />

pouvoir des Plantagenêt. En 1190, avant de partir en croisade, le nouveau roi est à<br />

nouveau dans la région, selon Roger de Hoveden :<br />

Entre temps, le roi d’Angleterre se rendit en Gascogne, et assiégea le<br />

château de Guillaume de Chisi et le prit et captura ledit Guillaume,<br />

seigneur du château, parce qu’il spoliait les pèlerins de saint Jacques<br />

qui passaient sur ses terres. 361<br />

En 1196, le recul du pouvoir ducal dans la région semble également se faire au<br />

pr<strong>of</strong>it des rois méridionaux et notamment du roi de Navarre. En recevant l’hommage<br />

d’Arnaud Raymond, le vicomte de Tartas, Sanche le Fort parvenait en effet à étendre<br />

Arroganum dolens quod amicus comes Bigorniae tenebatur in vinculis venit ad prefatum ducem, et<br />

sollicitus ut amicus suus a carcere prefati ducis liberatur….<br />

357<br />

PETERBOROUGH, I, p.213: et insuper predictus comes Bigorniae pro liberatione sua, tradidit<br />

praenominato duci Clarum Montem et castellum de Mumbrun.<br />

358<br />

BOUTOULLE, F., Le duc et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au<br />

XIIe siècle, 2007, p. 246, 354 ; GARDELLES, J., Les Châteaux du Moyen âge dans la France du Sud-<br />

Ouest : la Gascogne anglaise de 1216 à 1327, 1972, p. 230-231. citent SHIRLEY, W. W. (éd.), Royal<br />

and other historical letters illustrative <strong>of</strong> the reign <strong>of</strong> Henry III : from the originals in the Public Record<br />

Office, 1862, n°CCCCLXII, p. 57-58 : Noverit vestra majestas regis quod dominus rex Richardus fecit<br />

castrum Dursar, in sua propria terra et populavit idem suis propriis hominibus bonis moribus et<br />

consuetudinibus…<br />

359<br />

GARDELLES, J., Les châteaux du Moyen âge dans la France du Sud-Ouest : la Gascogne anglaise<br />

de 1216 à 1327, 1972, p. 10.<br />

360<br />

BOUTOULLE, F., Le duc et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au<br />

XIIe siècle, 2007, p. 248. Bien que les comtes de Béarn soient avérés comme les seigneurs de Captieux à<br />

partir du milieu du XIII e siècle, rien d’indique que ce soit le cas une cinquantaine d’années plus tôt.<br />

361<br />

HOVEDEN, III, p. 35 : Interim rex Angliae pr<strong>of</strong>ectus fuit in Gasconiam, et obsedit castellum<br />

Willelmui de Chisi et cepit, et ipsum Willelmum domini castelli suspendit, quia ipse peregrinos Sancti<br />

Jacobi et alios per terram suam transeuntes, spoliaverat. Selon F. Boutoulle, Chisi est sans doute Cize,<br />

mais sans certitude.<br />

393


ainsi sa suzeraineté au nord des Pyrénées 362 . Pourtant, l’espace méridional et notamment<br />

la bordure littorale constituaient un espace de forte implantation du pouvoir ducal qui<br />

relèvera de la Couronne d’Angleterre jusqu’à la fin de la guerre de Cent Ans.<br />

3.1.2- Les confins auvergnats : abandon d’une marche éloignée<br />

La politique des Plantagenêt en Auvergne est assez mal connue, parce que<br />

souvent traitée à la marge et de manière isolée. Les frontières de cette région sont<br />

d’ailleurs difficiles à tracer et souvent « faute de mieux », les tentatives de cartographie<br />

reprennent les contours des diocèses alors que rien n’indique leur cohérence avec les<br />

délimitations politiques du XII e siècle (carte 4.18). Cette difficulté provient d’une part<br />

de leur grande fluidité, du fait de l’éloignement et de la rareté du pouvoir ducal et royal,<br />

et d’autre part de la rareté des sources sur le pouvoir à cette date. Tandis que le Nord est<br />

soumis depuis longtemps à la pression capétienne, et que l’Est se tourne vers l’Empire<br />

et la Bourgogne où plusieurs alliances matrimoniales ont eut lieu au XII e siècle 363 , la<br />

délimitation de frontière méridionale de l’Auvergne ne constitue un enjeu que dans le<br />

cadre d’une politique de rapprochement avec les rois d’Aragon contre Raymond V de<br />

Toulouse.<br />

Selon Jacques Boussard, l’autorité d’Henri II ne s’exerçait que sur la partie de<br />

l’Auvergne qui était soumise au comte, c’est-à-dire l’espace s’étendant d’Issoire et<br />

Clermont à Riom et vers les terres qui jouxtaient le Limousin 364 . Montferrand apparaît<br />

comme le point extrême des passages des Plantagenêt en Auvergne, ce qui laisse toute<br />

la partie méridionale vide de leur pouvoir 365 . Il n’est donc pas étonnant de voir qu’en<br />

1176, peu après la révolte de ses fils, Henri II cède au roi d’Aragon, qui gouverne la<br />

Provence depuis 1166, la revendication de ses droits sur Millau, la vicomté de Carlat et<br />

le Gévaudan, peu après qu’Alphonse d’Aragon les ait achetés au comte de Toulouse<br />

pour 3000 marcs d’argent (ou 150 000 sous de Melgueil) 366 . Ces droits n’étaient<br />

362<br />

BOUTOULLE, F., « La Gascogne sous les premiers Plantagenêts (1152-1204) », dans Plantagenêts et<br />

Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 285-318 note 144, p. 308 : en 1191, la dote de la fille de<br />

Sanche IV comportait les châteaux de St Jean Pied de Port et de Roquebrune, qu’il tenait encore en 1198 ;<br />

GILLINGHAM, J., Richard I, 1999, p. 306 cite BRUTAILS, J., Documents des archives de la Chambre<br />

des comptes de Navarre, 1890.<br />

363<br />

FRAY, J. L., « Auvergne, Velay et Royaume d’Arles : éléments pour une révision de la géographie<br />

relationnelle auvergnate au Moyen Âge », Siècles. Cahiers du centre d’histoire « espaces et cultures »,<br />

15. marges et « marches médiévales » (2002), p. 75-87.<br />

364<br />

BOUSSARD, J., Le gouvernement d'Henri II Plantagenêt, 1956, p. 26.<br />

365<br />

Henri II s’y rend en avril 1168 et en hiver 1173. TORIGNI, I, pp. 363; II, p. 35; PETERBOROUGH,<br />

I, p. 35; DICETO, I, p. 353.<br />

366<br />

PORÉE, C., Études historiques sur le Gévaudan, 1919, p. 201-202 ; p. 363.<br />

394


evendiqués par Henri II qu’en tant qu’ils appartenaient au comté de Toulouse. La<br />

domination qu’il y exerçait était donc aussi factice que dans le Toulousain. Cette<br />

cession s’inscrivait donc dans une logique moins territoriale que diplomatique entre<br />

Plantagenêt et Aragonais. Néanmoins, les redéfinitions territoriales engendrées par cette<br />

cession ont sans doute incité Henri II à faire reconnaître sa suzeraineté par des seigneurs<br />

auvergnats. Il les convoque l’année suivante, en 1177, à Graçay, en présence de<br />

Louis VII, pour recevoir leur hommage 367 . Or, c’est surtout le comte dauphin de<br />

Clermont qui répond à l’appel, alors que les tensions entre Plantagenêt et Capétiens<br />

s’accroissent dans la vallée de l’Allier.<br />

À cette date, l’espace frontalier méridional du comté d’Auvergne, toujours dans<br />

la mouvance Plantagenêt pouvait sans doute se situer aux abords de l’Allier et de la<br />

Dordogne 368 . Au nord du Gévaudan, le Carladès était un espace mal délimité, centré<br />

autour de Carlat et s’étendant au nord vers Murat et Chalinargue 369 . Dans cet espace,<br />

séparé physiquement du versant aquitain par les vastes massifs forestiers des Puy Mary<br />

et du Plomb du Cantal, les seigneurs comme Pons de Chapteuil avaient sans doute<br />

plutôt tendance à se tourner vers le comte de Provence pour s’assurer sa protection 370 .<br />

L’abandon de ces espaces faiblement militarisés, pratiquement jamais parcourus,<br />

où l’autorité du roi d’Angleterre était plus théorique que pratique, peut aussi s’expliquer<br />

par la conquête de nouveaux territoires au nord et à l’ouest. Le déplacement des enjeux<br />

territoriaux explique ainsi, le recul du pouvoir Plantagenêt face à la puissance catalano-<br />

aragonaise, mais aussi face aux Capétiens.<br />

3.2- Les frontières de l’Aquitaine face aux revendications<br />

capétiennes<br />

3.2.1- La conquête capétienne de l’Auvergne<br />

La revendication des Capétiens pour réintroduire l’Auvergne dans la mouvance<br />

immédiate du pouvoir royal resurgit aux lendemains du divorce de Louis VII et<br />

367 PETERBOROUGH, I, p. 196.<br />

368 BISSON, T. N., « L’époque des grands comtes-rois (1137-1276) », dans Histoire de la Catalogne,<br />

1982, p. 273-314; BOUSQUET, J., Le Rouergue au premier Moyen-Age, 1992-1994, I, p. 106.<br />

369 Ibid., I, p. 102, II, p. 514 n. 4; PORÉE, C., Études historiques sur le Gévaudan, 1919, p. 197-203.<br />

370 Ibid., p. 487 : retranscrit un échange entre Raimond Béranger et les seigneurs de Montferrand (février<br />

1162) où les châteaux de Rochegude, Saint-Etienne de Massiac et la Plagne ; ESTIENNE, M., « Le<br />

pouvoir partagé: la basse Auvergne de 1150 à 1350 », I, p. 93, II, p. 351 : relate l’absence de Pons de<br />

Chapteuil à l’appel de l’évêque de Clermont pour le château de Vertaizon, celui-ci refusant de<br />

comparaître devant une autre juridiction que celle du roi d’Aragon.<br />

395


d’Aliénor. La cession de l’Auvergne aux ducs d’Aquitaine avait en effet été accordée<br />

par Louis VI au pr<strong>of</strong>it d’un rapprochement entre les deux familles qui avait débouché<br />

sur le mariage de leurs deux enfants 371 . Confrontés à la supériorité militaire des<br />

Plantagenêt, les rois de France développent des stratégies pour s’introduire dans le<br />

comté et faire progresser leurs positions en se revendiquant défenseurs des églises.<br />

Lorsqu’il était duc d’Aquitaine, Louis VII avait réactivé ses relations avec les évêques<br />

de Clermont, d’Issoire et du Puy et le monastère de Brioude, qu’il parvint à conserver<br />

après 1152. La seigneurie monastique de Brioude s’étendait alors sur une bonne partie<br />

du Brivadois, qui échappait ainsi de fait à la mouvance du nouveau duc d’Aquitaine 372 .<br />

C’est au nom de cette protection royale que Louis VII intervient en 1163 dans un conflit<br />

complexe qui engage plusieurs acteurs autour du monastère de Brioude, en<br />

emprisonnant les comtes de Mercoeur et Polignac. Henri II réagit en invoquant ses<br />

droits de justice sur ses vassaux et obtient leur libération 373 . En 1167, Louis VII favorise<br />

la partition du comté d’Auvergne en soutenant Guillaume le vieux lorsque celui-ci<br />

s’empare des terres du Val d’Allier contre son neveu Guillaume le jeune qu’il repousse<br />

sur les plateaux méridionaux 374 . Grâce à l’intervention militaire d’Henri II, ce dernier<br />

parvint néanmoins à conserver le Lambron, Montferrand et Issoire et reste fidèle aux<br />

Plantagenêt jusqu’en 1199 375 . Il ne semble pas qu’Henri II ait pr<strong>of</strong>ité de son passage en<br />

Auvergne pour affirmer sa potestas sur les forteresses du comte, sans doute pressé par<br />

les menaces de Louis VII en Berry et en Vexin.<br />

Cette partition n’a cependant rien de stable. Dès 1169, Louis poursuit ses<br />

revendications et lance une première expédition militaire en Auvergne, s’emparant de<br />

Nonette et d’Issoire, répondant aux suppliques des moines de la Chaise-Dieu harassés<br />

par les seigneurs de Polignac 376 . Si là encore l’intervention militaire d’Henri II l’oblige<br />

à reculer, il conserve néanmoins ses droits sur Nonette et sur le Velay. À cette date,<br />

malgré ses revendications du droit de justice sur les deux comtes d’Auvergne, le roi<br />

d’Angleterre n’a en réalité plus qu’un seul véritable vassal : le comte dauphin 377 . C’est<br />

371<br />

Ibid., I, p. 61 cite SUGER, Geste de Louis VII, BUR, M. (éd.), 1994, p. 167-167.<br />

372<br />

Ibid., I, p. 64-74, 80.<br />

373<br />

CHARBONNIER, P., Histoire de l'Auvergne des origines à nos jours, 1999, p. 185.<br />

374<br />

Il fonde la branche des Dauphins d’Auvergne, un titre qui n’apparaît cependant qu’au XIIIe siècle,<br />

TEYSSOT, J., Riom capitale et bonne ville d'Auvergne, 1212-1557, 1999, p. 44, note 2.<br />

375<br />

TORIGNI, I, p. 363.<br />

376<br />

BRANCHE, D., L'Auvergne du moyen âge ... avec un atlas de planches, 1842, I, p. 201.<br />

377<br />

BALUZE, E., Histoire généalogique de la Maison d'Auvergne justifiée par chartes, titres, histoires<br />

anciennes et autres preuves authentiques, 1708, I, p. 68. Lettre d’Henri II à Louis VII réclamant les droits<br />

de justice sur les comtes d’Auvergne, ses vassaux : sed tamen comites de Alvernia homines meos, quia<br />

396


donc dans son château, à Montferrand, qu’Henri II décide de tenir une cour solennelle,<br />

au début de l’année 1173, afin de renforcer son influence. Il y reçoit notamment<br />

l’hommage du comte de Toulouse et y organise le mariage de Jean sans terre avec Alix,<br />

la fille d’Humbert de Maurienne comte de Savoie 378 . Cependant, il apparaît alors<br />

clairement qu’Henri II ne peut pas compter sur le soutien de l’Église dans cette région<br />

ni des monastères, dont pratiquement aucun ne vient réclamer sa protection, préférant<br />

manifestement celle des Capétiens 379 . L’affaiblissement de la domination ducale en<br />

Auvergne ne va cesser de s’amplifier après l’accession de Richard au duché. Après<br />

1174, les interventions des Plantagenêt cessent totalement jusqu’à ce que l’expédition<br />

de Philippe Auguste en 1188 attire à nouveau le projecteur sur cette marge orientale. À<br />

cette date, le roi de France prend Montluçon et s’avance en Auvergne où il affranchit le<br />

bourg de Nonette, manifestant ainsi la volonté d’écarter le comte dauphin de la vallée de<br />

l’Allier 380 . Ses positions sont confirmées au traité d’Azay où il obtient finalement<br />

d’Henri II, la cession de tous les droits des ducs d’Aquitaine sur l’Auvergne. Mais cette<br />

cession ne s’est pas immédiatement concrétisée. Dans les conflits des années 1190, les<br />

comtes d’Auvergne choisissent en effet de s’engager aux cotés de Richard. Malgré cette<br />

fidélité renouvelée, le roi d’Angleterre confirme à nouveau la cession de son foedum et<br />

de son dominium sur l’Auvergne au traité de Gaillon en 1196 381 . À cette date,<br />

l’éclatement politique de l’Auvergne et les rivalités seigneuriales se traduisent par<br />

l’enchevêtrement des acteurs dans l’espace qui sépare Clermont, la cité de l’évêque,<br />

Montferrand, le château du comte, vassal du duc d’Aquitaine et Riom, désormais aux<br />

mains des Capétiens 382 . C’est donc au travers des conflits locaux que les seigneurs<br />

auvergnats se sont progressivement départagés selon des fidélités suzeraines.<br />

L’insertion dans les mouvances rivales des rois Capétiens, des Plantagenêt ou des<br />

comtes de Provence ne permet cependant pas de définir une « frontière », tant les<br />

positions des uns et des autres étaient entremêlées.<br />

ipso vobis forisfecisse dictis, cum tamen de habendo eos ad justitiam minime defecerium, sicut vos<br />

placuit, cepitis…<br />

378 PETERBOROUGH, I, p. 35; HOVEDEN, II, p. 41; TORIGNI, II, p. 35.<br />

379 ESTIENNE, M., « Le pouvoir partagé: la basse Auvergne de 1150 à 1350 », I, p. 84.<br />

380 Philippe Auguste donne aux habitants de Nonette les coutumes de Lorris, DELABORDE, H. F. et al.,<br />

Recueil des actes de Philippe Auguste, roi de France, 1916, II, p. 295, n°241 ; ESTIENNE, M., « Le<br />

pouvoir partagé: la basse Auvergne de 1150 à 1350 », I, p. 88.<br />

381 ROUSSEAU, E. et DÉSIRÉ DIT GOSSET, G., « Le Traité de Gaillon (1196): Édition critique et<br />

traduction », dans Richard coeur de Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 67-74<br />

382 TEYSSOT, J., « Les relations seigneurs-villes : le cas des trois « capitales » de basse Auvergne,<br />

Clermont, Riom et Montferrand du XII e au XV e siècle », dans Seigneurs et seigneuries au Moyen Âge<br />

(Actes du 117e congrès national des société savantes), 1993, p. 319-329.<br />

397


Malgré cette cession, la fidélité du comte dauphin au Plantagenêt ne permet pas<br />

à Philippe Auguste d’asseoir véritablement sa domination 383 . Avant d’enter dans une<br />

phase militaire, Philippe Auguste renforce ses appuis en concédant des franchises<br />

urbaines et en s’attachant le soutien des autorités ecclésiastiques pour imposer son<br />

autorité dans la région. En 1196, l’arrivée de Robert d’Auvergne à l’épiscopat de<br />

Clermont va lui <strong>of</strong>frir l’opportunité de faire aboutir cette politique. Utilisant le conflit<br />

entre l’évêque et son frère le comte Guy II, il saisit l’occasion du pillage de l’abbaye<br />

royale de Mozac et la capture de l’évêque par Guy II pour déclancher une <strong>of</strong>fensive<br />

militaire sur le motif de la protection de l’Église entre 1211 et 1213. Philippe Auguste<br />

confie la conquête de l’Auvergne à Gui de Dampierre, comte de Bourbon et selon<br />

Bernard Itier 384 :<br />

Le comte d’Auvergne Gui perdit environ cent vingt lieux fortifiés, à<br />

cause de l’abbaye de Mozac qu’il a détruite au mépris de Dieu et du<br />

roi de France.<br />

Les places de Riom et Tournoël sont prises par Philippe Auguste tandis que Gui<br />

de Dampierre s’étend jusqu’à Avraux, Chambon, Lépaud et Sermur, les places que le<br />

comte d’Auvergne tenait en Combrailles, à la limite du Limousin 385 .<br />

Tout au long du XII e siècle, la délimitation orientale de l’empire des Plantagenêt<br />

est donc intraçable à moins de considérer que le comté d’Auvergne était en lui même<br />

une frontière. La conquête de l’Auvergne en 1211-12 fait cependant totalement basculer<br />

cette marge dans la mouvance capétienne. À cette date, cependant, cette conquête qui<br />

avait été un enjeu crucial pour les Capétiens au milieu du XII e siècle – parce qu’elle<br />

permettait de contrôler la seule route, en dehors de la vallée du Rhône, qui reliait <strong>Paris</strong> à<br />

la Méditerranée et notamment au comté de Toulouse – n’avait plus vraiment de raison<br />

d’être. La cession des droits des Plantagenêt sur l’Auvergne en 1189, le passage du<br />

383 DE LABAREYRE, F., La Cour littéraire de Dauphin d'Auvergne des XIIe et XIIIe siècles, 1976, p.<br />

50-51. Dans un sirventes adressé à Richard cœur de Lion, le comte d’Auvergne se plaint d’avoir été<br />

abandonné : Puis que bon me laissavatz ;/ Pero dieus m’a faich tat pro / Qu’entre°el Puoi e°l Albuson /<br />

Pois remaner entre°ls mieus (Puis vous m’avez simplement abandonné. Mais Dieu m’a fait si valeureux<br />

qu’entre Le Puy et Aubusson, je peux rester entre les miens).<br />

384 GERMAIN, R., La France centrale médiévale pouvoirs, peuplements, société, économie, culture,<br />

1999, p. 23. ; PHALIP, B., Seigneurs et bâtisseurs, 2000, p. 99 ; GUILLAUME LE BRETON, « La<br />

Conquête de l'Auvergne pour Philippe Auguste, 1211-1212 », dans , 1937, BERNARD ITIER,<br />

Chronique, 1998, p. 42 : Guido comes Arvernorum, perdidit circiter CCXX ti municipia proter abbatiam<br />

de Maurax quam destruxit in contemptu Dei et regis Francorum.<br />

385 DE FOURNOUX, B., « Disputes autour de la Combraille entre Bourbons et comtes d’Auvergne »,<br />

dans Mélanges d’archéologie et d’histoire <strong>of</strong>ferts à M. Henri Hemmer par ses collègues et ses amis,<br />

1979, p. 124-127 ; ESTIENNE, M., « Le pouvoir partagé: la basse Auvergne de 1150 à 1350 », II, p. 417-<br />

27.<br />

398


comte de Toulouse à l’hérésie et la défaite de Jean sans terre en 1206 avaient en effet<br />

rendu caduques les enjeux qui avaient tant mobilisé Louis VII 386 . La conquête ne fut<br />

cependant pas totale, elle repoussa les comtes d’Auvergne, dans un petit territoire autour<br />

de Vic-le-Comte. Ceux-ci refusèrent cependant de considérer leurs pertes territoriales<br />

comme définitives et s’allièrent, en vain, aux Plantagenêt et à leur projet de reconquêtes<br />

continentales contre les Capétiens 387 . Alors qu’ils étaient des seigneurs de marche<br />

pratiquement autonomes autour de 1150, le pouvoir des comtes d’Auvergne présente la<br />

caractéristique, au début du XIII e siècle, d’être à proprement parler « déterritorialisé » et<br />

plus que jamais dépendant des réseaux des pouvoirs « impériaux » (voir chapitre 2). La<br />

conquête de l’Auvergne fut néanmoins possible pour Philippe Auguste parce qu’il<br />

s’était auparavant emparé du Berry, véritable porte d’accès aux comtés méridionaux.<br />

3.2.2- Le Berry : une marche disputée en Indre et Cher<br />

Contrairement à l’Auvergne, le Berry jouxtait directement les domaines<br />

capétiens, mais cette marge était dominées par de puissants seigneurs, face auxquels les<br />

Plantagenêt ont d’abord du s’imposer pour pouvoir négocier les délimitations de<br />

l’empire dans cette zone. Le Berry entre dans la mouvance Plantagenêt lorsqu’en 1152,<br />

à l’initiative d’Ebbes II de Déols, les seigneurs du Berry prêtent hommage à leur<br />

nouveau duc et cessent de reconnaître Louis VII comme leur suzerain. En tant que<br />

comte d’Anjou, Henri II détenait un avantage capital sur Louis VII : il avait des vassaux<br />

fidèles solidement installés en Berry, à Buzançais, Châtillon-sur-Indre, Villentrois et<br />

Graçay et des domaines comtaux d’une certaine importance puisqu’il est capable<br />

d’installer dans cette marche trois fondations monastiques (carte 4.19). Deux d’entre<br />

elles sont des prieurés grandmontains, celui de Bois-Rahier, sur la rive gauche du Cher<br />

à quelques kilomètres de Tours, et celui de Villiers, sans doute fondés à la fin des<br />

années 1150, bien que la date de 1177 soit également évoquée 388 . L’installation de<br />

communautés monastiques dans ces espaces de marches constituait, on l’a vu, un<br />

moyen d’implanter le pouvoir ducal, en fonctionnant comme un relais d’information et<br />

de soutien (voir chapitre 2). Cette situation lui permettait de contrôler la moyenne vallée<br />

de l’Indre face aux prétentions des seigneurs de Déols, dont le pouvoir s’était développé<br />

386 Ibid., p. 29-40.<br />

387 CHARBONNIER, P., Histoire de l'Auvergne des origines à nos jours, 1999, p. 213-214, Foedera, I, 1,<br />

p. 114 : Litterae comitis Guidoni de Alvernia missae quibus, quam citis poerit ei auxilium et succursum<br />

promittit. (17 aout 1213).<br />

388 HALLAM, E. M., « Henry II, Richard I and the order <strong>of</strong> Grandmont », J.M.H., 1: 2 (1975), p. 165-<br />

186, la charte de fondation de Bois-Rahier, connue par une copie de 1372 (AD Indre-et-Loire, G22).<br />

399


depuis le XI e siècle à la faveur de décennies d’absence du pouvoir ducal. En 1152, le<br />

revirement des seigneurs de Déols provoque la colère du roi de France qui attaque<br />

aussitôt, mais en vain, les terres d’Ebbes II 389 . Henri II accroît encore son influence en<br />

1169, lorsqu’il achète l’hommage de Hervé de Gien (ou de Donzy) pour les châteaux de<br />

Saint-Aignan sur le Cher et Montmirail dans le Maine, deux places situées aux<br />

frontières du comté de Blois 390 .<br />

Selon Benoît de Peterborough, le ralliement du Berry et le renforcement de ses<br />

positions ont porté les ambitions impérialistes d’Henri II jusqu’à Bourges, où se trouvait<br />

l’archevêque qui détenait la primatie sur l’Aquitaine 391 . Mais en l’absence d’un accord<br />

formel de la part de l’archevêque, Henri II décide de prendre la ville par la force en<br />

1172. Il rassemble une armée à Montluçon, mais doit cependant s’incliner devant<br />

Louis VII venu à l’avant d’une petite armée, et accepte de conclure une trêve<br />

reconnaissant le statu quo 392 .<br />

Quelques années plus tard, en 1176, la mort de Raoul VI de Déols (le fils de<br />

Ebbes II) <strong>of</strong>fre à Henri II une nouvelle occasion de renforcer son autorité en Berry. En<br />

vertu de la coutume féodale qu’il entend instaurer en Aquitaine, le Plantagenêt réclame<br />

la garde de l’héritière de la seigneurie de Châteauroux, Denise de Déols, alors âgée de<br />

trois ans 393 . Mais l’oncle de la jeune fille prend les devants en enlevant l’enfant pour<br />

389 DEVAILLY, G., Le Berry du Xe siècle au milieu du XIIIe, 1973, p. 405, cite « chronique de Déols »,<br />

dans LABBÉ, P., Nova Bibliotheca MSS. librorum... 1653, I, p. 316 : Comusta sunt a rege Ludovico,<br />

castra et castrum Meillanum et ab Ebbone Dolensi principe closis. Combusta est maxmima pars Castri<br />

Dolensis (sont brûlés par le roi Louis Châteaumeillant et Châteauroux qu’il fait détruire en partie). Il<br />

prend aussi Châteauneuf sur le Cher, La Châtre.<br />

390 Ces deux places passent dans la mouvance Plantagenêt à la faveur d’un conflit entre le comte Thibaud<br />

et son vassal Hervé de Gien à propos de Montmirail dont devait hériter Hervé mais que Thibaud voulait<br />

retenir pour lui. DEVAILLY, G., Le Berry du Xe siècle au milieu du XIIIe, 1973 p. 356 ; TORIGNI, II,<br />

p. 16 : idem Herveus, intercurrente magna pecunia et quibusdam pactionibus, tradidit Henrico regi<br />

Anglorum Montem Mirabilem et aliud castrum, scilicet Sanctum Anianum in Biturico.<br />

391 PETERBOROUGH, I, p.10: Interim rex Anglia calumniatus est archiepiscopum Bituricensem debere<br />

adjacere ducatui Aquitaniae, sed rex Francie contradicebat et sic orta inter illos gravi discordia. (Le roi<br />

d’Angleterre manoeuvra pour que l’archevêque de Bourges relève du duché d’Aquitaine, mais le roi de<br />

France s’y opposa, ce qui déclencha une grave discorde).<br />

392 PETERBOROUGH, I, p. 10: et rex Angliae secum suum ducens exercitum circa festum sancti<br />

Clementis venit in Berria usque Munt Luszun, volens ulterius procedere usque Bituricensem civitatem …<br />

at rex Franiae praevenit cum suo exercitu, et acceptis a rege Angliae induciis, uterque reversus est in<br />

patriam suam. (et le roi d’Angleterre rassembla une armée vers la saint Clément et entra en Berry jusqu’à<br />

Montluçon, d’où il voulait ensuite approcher la cité de Bourges… et le roi de France avança avec son<br />

armée et accepta la trêve du roi d’Angleterre puis s’en retourna dans sa patrie).<br />

393 Concernant les coutumes des gardes voir HOLT, J. C., Colonial England, 1066-1215, 2003 p. 128 ;<br />

YVER, J., « Les caractères originaux du groupe de coutumes de l’ouest de la France », Revue historique<br />

de droit français et étranger, 30: 4th serie (1952), p. 18-79.<br />

400


soustraire à la domination du roi d’Angleterre son héritage, puis fortifie ses châteaux 394 .<br />

À l’automne 1177, au mépris des concertations menées entre son fils Henri le jeune<br />

qu’il avait envoyé résoudre l’affaire et Louis VII, Henri II réunit une armée et assiège<br />

Châteauroux. Alors qu’il se dirigeait vers La Châtre, où se trouvait retenue Denise, ses<br />

ravisseurs acceptent de la remettre au roi pratiquement sans combat. Henri II entre alors<br />

en possession des châteaux de la seigneurie de Déols, dans lesquels il place des<br />

châtelains royaux 395 . Cette nouvelle position donne à Henri II de nouvelles<br />

responsabilités dans la région. Il prend ainsi sous sa garde Eude III d’Issoudun, mais<br />

renonce à s’emparer d’Issoudun qui était entre les mains de son parent le duc de<br />

Bourgogne, dont l’aide était précieuse pour maîtriser le Limousin 396 . En revanche, des<br />

négociations avec les chanoines de Bourges lui permettent d’acquérir pour £ a 100 par an,<br />

la seigneurie directe sur d’autres châteaux du fief de Denise (sans doute Saint-Chartier),<br />

qui appartenaient à des ancêtres tenanciers de la cathédrale de Bourges 397 . L’importance<br />

de l’héritage sur lequel Henri II mettait la main n’était pas uniquement stratégique<br />

comme le souligne Robert de Torigni, qui se fait l’écho de propos selon lesquels les<br />

revenus de la principauté de Déols étaient équivalents à que ceux de toutes la<br />

Normandie 398 . Il permettait également à Henri II d’insérer cette marche au sein de<br />

l’empire en la confiant à un aristocrate anglo-normand, Baldwin de Redvers, qu’il marie<br />

à Denise de Déols. Aux alentours du 11 novembre 1177, Henri II et Louis VII se<br />

394 PETERBOROUGH, I, p.127: parentes ipsius rapuerunt et eam tradere noluerunt regi Angliae ad<br />

ciujus dominationem ipsa cum tota haereditate sua pertinebat : sed castella et munitiones patriae<br />

muniverunt.<br />

395 Châteauroux, Levroux, Le Châtelet, Saint-Chartier, Cluis, Meillant à l’est du Cher et peut-être aussi à<br />

La Châtre, Châteaumeillant, Argenton, Boussac, bien qu’ils relevaient de l’héritage d’Eudes de<br />

Châteaumeillant. Ces châteaux avaient été acquis par Raoul VI et ses prédécesseurs. BOUSSARD, J., Le<br />

gouvernement d'Henri II Plantagenêt, 1956, p. 130-131 ; DEVAILLY, G., Le Berry du Xe siècle au<br />

milieu du XIIIe, 1973.<br />

396 TORIGNI, II, p. 69 : Isoldunense etiam castrum, cum omnibus pertinentiis suis, qui Odo, dominus<br />

ejusdem castri nuper decesserat et parvulum filium reliquerat, et ad comitatum Andegavensem<br />

pertinebat, barones, qui illus custodiebant, optulerunt ei : quod noluit recipere, quia non habebat<br />

heredem, quem dux Burgundiae quia cognatus ejus erat, furtim abstulerat.<br />

397 VINCENT, N., « William Marshal, King Henry II and the honour <strong>of</strong> Châtearoux », Archives, the<br />

journal <strong>of</strong> the British record association, XXV: 102 (2000), p. 1-15, cite Recueil des actes d’Henri II , II,<br />

n°538 ; HUBERT, E., Cartulaire des seigneurs de Chateauroux 917-1789, 1931, p. 44, pièce 4. : Sciatis<br />

me dedisse canonicis Bituric’ Centum libras andegavensis monete pro tutela et custodia deudi quod<br />

Radulphus de Dolis tenebat de eis apud Sanctu Quarterium habenda et tenenda donec filia predicit<br />

Radulphi maritat sit… voir aussi CHAUDRU DE RAYNAL, L. H., Histoire du Berry depuis les temps<br />

les plus anciens jusqu'en 1789, 1847, II, p. 550.<br />

398 TORIGNI, II, p. 69 : Rex Henricus perrixit in Bituricensem pagum et accepit in manu sua Castrum<br />

Radulfi de Dolis qui erat de feudo ejus et filiam unicam domini ejusdem castri, cum tota hereditate ipsius,<br />

quam dicunt quidam tantum valere quantum valet redditus totius Normanniae.<br />

401


encontrent à Graçay pour établir le statu quo des positions et donc l’extension de la<br />

frontière berrichonne à cette date.<br />

1177 est également la date couramment retenue pour la fondation de la<br />

chartreuse du Liget non loin de Loches 399 . Si le contexte de cette fondation a<br />

généralement conduit à la considérer comme une fondation expiatoire d’Henri II après<br />

le meurtre de Thomas Becket, l’emplacement de cette fondation ne saurait être<br />

totalement isolée de la prise de possession du Berry. Comme l’a fait remarquer<br />

Elisabeth Hallam, de même que pour Bois-Rahier, la charte de confirmation de la<br />

chartreuse du Liget insiste sur les limites territoriales du monastère, soulignant les<br />

enjeux à cette date de la délimitation des espaces sacrés et de leur fonction dans<br />

l’organisation du territoire 400 .<br />

[Je donne] ce lieu du Liget … avec ses limites, définies par les fossés<br />

qui l’entourent, lesquels permettent de distinguer les droits de<br />

chacune des autres tenures au-delà de ces limites 401 .<br />

Je donne … aux frères de l’ordre de Grandmont le lieu de Bois-Rahier<br />

et toutes ses terres et tout la forêt, autant qu’elles sont entourées,<br />

séparées et déterminées par les fossés extérieurs, pour leur usage<br />

selon leur volonté et pour y faire ce qu’il leur plaît, de sorte de qu’à<br />

l’intérieur de ceux-ci, à savoir la terre et la forêt, nous n’exercerons<br />

aucune justice ni aucune domination ni aucun de nos droits de même<br />

que nos héritiers ou successeurs 402 .<br />

Bien qu’elle soit considérée comme douteuse parce que vraisemblablement<br />

remaniée, la charte de Bois-Rahier émise vers 1175 souligne que la fondation avait non<br />

seulement pour fonction de conserver la mémoire familiale, mais également d’agir pour<br />

la stabilité du royaume (pro stabilitate regni nostri).<br />

399 FOREVILLE, R., « La place de la Chartreuse du Liget parmi les fondations pieuses de Henri II<br />

Plantagenêt », Mémoires de la Société archéologique de Touraine (Actes du Colloque médiéval, Loches,<br />

1973), 9 (1975), p. 13-22 ; HALLAM, E. M., « Henry II, Richard I and the order <strong>of</strong> Grandmont », J.M.H.,<br />

1: 2 (1975), p. 165-186.<br />

400 HALLAM, E. M., « Henry II, Richard I and the order <strong>of</strong> Grandmont », J.M.H., 1: 2 (1975), p. 165-<br />

186 : « He grants the lands, the boundaries <strong>of</strong> which he carefully specifies, together with an annual<br />

pension <strong>of</strong> £300 and rights in the forest » (p. 178) ; MAZEL, F. (éd.), L'espace du diocèse. Genèse d'un<br />

territoire dans l'Occident médiéval (Ve-XIIIe siècle), 2008.<br />

401 Recueil des actes d’Henri II , II, p. 373-374: Locum ipsum de Ligeto … cum terminis suis, sicut<br />

circuitu fossarum suarum se habet, salva uniquique jure suo qui aliquam tenueram infra eosdem terminos<br />

habere dinoscitur.<br />

402 Ibid., II, p. 120, n° DXLV : dedisse et concessisse et presenti carta confirmasse Deo et beate Marie et<br />

fratribus Grandimontis ordinis locum de Bosco Raherii et totam terram et totum nemus sicut exteriora<br />

fossata ipsorum undique concludunt, diuidunt et distingunt, ad utendum pro voluntate sua, et quidquid eis<br />

placuerit faciendum.<br />

402


Avec l’acquisition du comté de la Marche en 1177, l’implantation du pouvoir<br />

territorial des Plantagenêt dans les espaces périphériques de l’Aquitaine s’était donc<br />

considérablement renforcée, à la fin des années 1170, faisant barrage aux ambitions<br />

méridionales des Capétiens. Cependant, l’arrivée sur le trône de Philippe Auguste<br />

renverse la tendance. Pr<strong>of</strong>itant des luttes intestines entre les Plantagenêt, le nouveau roi<br />

de France décide de passer à l’<strong>of</strong>fensive. En mai 1187, il prend Graçay et Issoudun et<br />

vient assiéger Châteauroux. Henri II obtient une trêve et rencontre Philippe Auguste à<br />

Châtillon-sur-Indre, signe d’un recul des positions Plantagenêt (par rapport à Garçay) ;<br />

il cède d’ailleurs au roi de France ses droits sur Issoudun 403 . Quelques mois plus tard,<br />

lorsqu’il apprend la mort de Baldwin de Redvers, l’époux de Denise de Déols, Philippe<br />

Auguste lance à nouveau une attaque sans attendre l’expiration de la trêve et s’empare<br />

de Châteauroux le 18 mai 1188, puis s’élance à l’attaque des principales places du<br />

Berry 404 . Richard ne parvint qu’à reprendre Palluau, mais Philippe Auguste lui rend<br />

l’honneur d’Issoudun et lui promet Châteauroux en échange de son hommage pour les<br />

territoires continentaux de l’empire de son père 405 . En 1189, par le traité d’Azay-le-<br />

Rideau, Henri II cédait Issoudun et Graçay à Philippe Auguste et lui versait une<br />

indemnité de 20 000 marcs d’argent pour les dépenses qu’il avait faites à Châteauroux.<br />

John Gillingham a remarqué que de nombreux chroniqueurs ont relaté la lutte<br />

pour Châteauroux à l’intérieur aussi bien qu’à l’extérieur de ses murs en 1188-89 ; cet<br />

épisode qui apparaît dans plusieurs chroniques anglaises traduit la conscience que les<br />

auteurs qui écrivaient dans les années 1190 avaient de l’enjeu que représentait le<br />

contrôle de cet espace 406 . Au cours de cette décennie, les tensions autour des frontières<br />

entre les espaces Plantagenêt et Capétiens n’ont en effet cessé de s’intensifier. En<br />

403 RIGORD et GUILLAUME LE BRETON, Oeuvres, 1882-1885, I, p. 78; PETERBOROUGH, II, p. 6<br />

404 Buzançais, Argenton, Levroux, puis s’empara de Montrichard, avant de prendre Palluau, Montrésor,<br />

Le Châtelet (et non Châtillon-sur-Indre comme le traduit Jacques Boussard), la Roche-Guillebaud, Culant<br />

et Montluçon ; RIGORD et GUILLAUME LE BRETON, Oeuvres, 1882-1885, I, p.90-92: … et nobile<br />

Castellum Radulfum cepit et Buzenzacum et Argentonium et quartum obsedit quod vocatur Levrosium…<br />

Egressi inde venerunt et Montem Tricardum obsederunt… deinde Palluellum et Montresorium et<br />

Castellutum cepit et Rupem Guillebaldi et Cullenceum et Montem Luzonis, et quicquid juris rex Angliae<br />

in tota Bitura et Arvernia habebat, Philippus rex sibi subjugavit.<br />

405 PETERBOROUGH, II, p.50 : Ricardus comes Pictaviae, sine consilio et voluntate patris suis regis<br />

Angliae, devenit homo Philippi regis Franciae, de Normamnia et Pictavia et Andegavia et Cennomannia<br />

et Berria et Tolosa et de omnibus aliis feodis suis transmarinis. Pro hac igitur fidelitate et homagio,<br />

Philippus rex Francie promisit ei se redditurum illi Castrum Radulfi et omnia alia castella et terras quas<br />

occupaverat in Berria et reddidit Ysoudun cum toto honore et omnia alia tam homines quam terras quae<br />

occupaverat in aliis guerris habitis inter ipsum et regem Angliae.<br />

406 GILLINGHAM, J., « Events and opinions : Norman and English views <strong>of</strong> Aquitaine c.1152 - c.1204 »,<br />

dans The World <strong>of</strong> Eleanor <strong>of</strong> Aquitaine : Literature and Society in Southern France between the<br />

Eleventh and Thirteenth Centuries, 2005, p. 57-82.<br />

403


janvier 1194, alors que Richard est toujours détenu en captivité, Jean sans terre cède,<br />

lors de la paix de <strong>Paris</strong>, de nouvelles positions dans la marche berrichonne (Loches,<br />

Buzançais et Châtillon-sur-Indre), une paix qui restera cependant sans effet avec le<br />

retour de Richard quelques mois plus tard 407 . Le Berry était alors contrôlé par l’un des<br />

fidèles de Richard, André de Chauvigny, qu’il avait marié à Denise de Déols en 1190. À<br />

son retour, Richard y envoya Mercadier, le plus redoutable des chefs de mercenaires,<br />

qui détruisit aussitôt Issoudun et ses faubourg avant de refortifier la place pour le roi<br />

d’Angleterre 408 . Selon les historiens du Berry, on peut sans doute attribuer le début de la<br />

construction de la fameuse « Tour Blanche » à cette mention de fortification, même si<br />

elle ne fut achevée qu’en 1202 par Philippe Auguste 409 . À cette date, il est en effet<br />

capable de la faire couvrir de plomb, ce qui témoigne de l’achèvement du chantier 410 .<br />

C’est la seule mention de travaux de construction que l’on possède pour cette région<br />

dans la seconde moitié du XII e siècle. Cependant, étant donné le nombre d’interventions<br />

militaires, il demeure probable que des campagnes de reconstruction et de fortifications<br />

y ont été menées.<br />

Le 12 novembre 1195, Richard et Philippe Auguste se rencontrent entre<br />

Issoudun et Chârost, indiquant ainsi l’espace de marche entre les deux mouvances à<br />

cette date 411 . Les accords de cette trêve sont formalisés par le traité de Gaillon qui<br />

marque le retour incontestable de Richard en Berry. Philippe Auguste renonçait en effet<br />

407 DEVAILLY, G., Le Berry du Xe siècle au milieu du XIIIe, 1973 p. 422 cite Foedera, I, p.185 :<br />

Castellum vero de Lochis cum pertinentiis suis regis Franciae et castellum de Castellione cum<br />

pertinentiis suis et castellum de Busencois cum pertinentiis suis Regi Franciae remanebunt ; la version<br />

des Layettes ne donne cependant pas le nom de Buzençais ; Layettes, I, p. 175-176, n°412.<br />

408 RIGORD et GUILLAUME LE BRETON, Oeuvres, 1882-1885, p.132 : Merchaderius tunc duc<br />

Cotarellorum existens, cum suis in pago Bituricensi suburbium Eisoldun destruxit et ipsam munitionem<br />

cepit et de suis ad opus regis Anglie munivit.<br />

409 DEVAILLY, G., Le Berry du Xe siècle au milieu du XIIIe, 1973, p.424, cite CHAUDRU DE<br />

RAYNAL, L. H., Histoire du Berry depuis les temps les plus anciens jusqu'en 1789, 1847, II, p. 95 et<br />

CHAPU, P., « Les châteaux en Berry » (non consulté) ; Les récentes études archéologiques ont cependant<br />

attribué la totalité de l’ouvrage au roi capétien, refusant de voir une quelconque influence de Richard sur<br />

la construction : CORVISIER, C., « Les châteaux de Richard Coeur de Lion ou l'oeuvre de pierre comme<br />

démonstration de force », dans Richard coeur de Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199,<br />

2004, p. 199-228 cite BEAUSSIER, P., La Tour blanche d’Issoudun. Un donjon capétien unique (1187-<br />

95 / 1202-3), 1995; ERLANDE-BRANDENBURG, A., « La Tour Blanche à Issoudun », dans Congrès<br />

archéologique de France, 1987, p. 129-138.<br />

410 LOT, F. et FAWTIER, R., Le Premier budget de la monarchie française. Le Compte général de 1202-<br />

1203, 1932, p. CLIV1 : ad faciendum coopertorium turris Exolduni XVIII L. pro MXL plumbi ad turri<br />

tegendam VIII xx L. pro ducendo plumbo ad Exoldunum IIII L.<br />

411 ROUSSEAU, E. et DÉSIRÉ DIT GOSSET, G., « Le Traité de Gaillon (1196): Édition critique et<br />

traduction », dans Richard coeur de Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 67-74 ;<br />

Layettes I, p.183, n°431. Nos volumus quod hoc sunt conventiones pacis inter nos et dominum nostrum<br />

Philippum illustrem regem Francie, facte in vigilia sancti Nicolaï, inter Exoldunum et Charrocium<br />

videlicet.<br />

404


à ses acquisitions : Issoudun, Graçay, Châteaumeillant et Souillac repassaient dans<br />

l’obédience des Plantagenêt de même que La Châtre, Saint-Chartier et le Châtelet<br />

qu’André de Chauvigny tenait jusqu’alors du roi de France. En se gardant la possibilité<br />

de fortifier Villeneuve-sur-Cher, Philippe Auguste instaurait cette rivière comme limite<br />

de l’extension de sa juridiction dans cet espace. À la reprise des hostilités, Richard tente<br />

à nouveau d’étendre ses positions en réclamant la suzeraineté sur Vierzon, qui dépendait<br />

d’Issoudun. Face au refus de son seigneur, Richard s’empare du château et incendie la<br />

ville 412 . La mort du roi d’Angleterre en 1199 va cependant changer la donne. Les<br />

défaites successives de Jean l’obligent en effet à céder ses droits en Berry. Après le<br />

traité du Goulet, plus aucune intervention militaire n’a lieu dans cet espace, qui entre<br />

dans la dot que Jean donne à sa nièce, Blanche de Castille, à l’occasion de son mariage<br />

avec Louis, le fils de Philippe Auguste 413 . Puis, la conquête de la Touraine en 1203<br />

place les châteaux de Châtillon-sur-Indre, Buzançais et Villentrois sous le contrôle<br />

direct des Capétiens, alors que Jean ordonnait de faire détruire ses forteresses au cours<br />

de sa retraite à l’exception de Loches 414 . À cette date, Jean d’Athiès est chargé de faire<br />

un don de £ a 20 aux frères de la chartreuse du Liget, pour qu’ils réparent leur église sans<br />

doute endommagée pendant la campagne militaire 415 . Il est alors tentant de voir dans<br />

cette initiative une tentative pour conserver des soutiens dans une région basculant sous<br />

l’influence capétienne.<br />

3.2.3- Les trêves entre Jean et Philippe Auguste de1194 à 1216 et la fixation de la<br />

frontière poitevine<br />

En mars 1194, alors que Pierre Bertin gouverne l’Aquitaine pour Richard,<br />

Ge<strong>of</strong>froy de Rancon et Bernard de Brosse rendent hommage pour leurs terres à Philippe<br />

Auguste créant une première brèche dans la continuité de la suzeraineté des Plantagenêt<br />

412 DEVAILLY, G., Le Berry du Xe siècle au milieu du XIIIe, 1973, cite la chronique de Vierzondans Le<br />

cartulaire de Vierzon, 1963, p. 251 : anno 1197 castrum virsionis destructuma rege Angliae.<br />

413 DELABORDE, H. F. et al., Recueil des actes de Philippe Auguste, roi de France, 1916, II, n°633,<br />

p. 182 : Dedit autem rex Angliae in maritagio Ludovico filio nostro cum filia regis Castelle nepta sua<br />

feodum Exolduni et feodum Graceii et feodum Bituresii sicut Andreas de Calviniaco tenebat ea de rege<br />

Anglie.<br />

414 Rot. Lit. Pat., p. 33: … vobis mandamus quod cum receperitis castrum illud de Montensor illud statim<br />

prosterni faciatis quia volumus quod tam illud quam alia quem super inimicos nostros adquieri poterunt,<br />

prosternantur salvis solumno castris de Luchis et aliis dominicis castris nostris quem in pertibus vostris<br />

sunt.<br />

415 Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835, p. 77 (1203) : G. de<br />

Atheciis etc. Mandamus vobis quod faciatis habere priori et fratribus de Chartusa juxta Luches XX<br />

librarum andeg. quas ei dedimus in elemosine ad reparacionem ecclesie sue. Teste me ipso apud<br />

Rothomago xiii die Februarie.<br />

405


en Poitou 416 . De retour de captivité, Richard parvient à reprendre les places qui lui<br />

avaient échappées. Lorsque Jean monte sur le trône, il semble que ce soit Aliénor qui ait<br />

pris en charge l’administration du duché, fidélisant les villes en leur accordant des<br />

chartes de franchises, notamment à Saint-Jean-d’Angély, La Rochelle, Niort, et Oléron<br />

avant 1200 417 . Elle organise également la paix entre son fils et les barons poitevins en<br />

leur accordant d’importantes concessions : les Lusignan voient ainsi reconnus leurs<br />

droits sur le comté de la Marche et reçoivent les châteaux de Civray et Mervent 418 , les<br />

Mauléon reçoivent Talmont, Moutiers, Curson, Benon et des droits sur La Rochelle 419 ,<br />

tandis que le vicomte de Thouars obtient la garde de Chinon 420 .<br />

Lorsque Philippe Auguste lance ses troupes pour s’emparer du Poitou en 1202,<br />

Jean en a déjà organisé la défense. Dès le mois de mai, il envoie des subsides à Hugues<br />

Larchevêque pour fortifier Secondigny, que Richard avait déjà fait renforcer ainsi que<br />

pour Parthenay 421 . Le 25 juin 1200, il ordonne à son sénéchal d’Anjou, Guillaume des<br />

Roches, de prendre £25 7s. 2d. sur la prévôté de Chinon pour que son ingénieur Maître<br />

Urric construise des machines de sièges 422 , tandis que le prévôt de la ville est chargé de<br />

fournir tout le matériel nécessaire à Maître Urric et ses charpentiers pour la construction<br />

de ces machines 423 . En 1201, il réquisitionne le château de l’évêque de Poitiers à<br />

416<br />

Layettes, I, 176, mars 1193-94 n°414 : Homagium a Bernardo III vicecomite Brutiae Philippo regni<br />

praestitum ; et n°415 : Gaufridus de Ranconio notas facit conditiones sub quibus hominem ligium domini<br />

regis sese constituit, cité par BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts en Poitou, 1154-1242,<br />

2001.<br />

417<br />

HOLT, J. C., « Aliénor d’Aquitaine, Jean sans terre et la succession de 1199 », dans Y a-t-il une<br />

civilisation du monde Plantagenêt ?, 1986, p. 95-100 cite Foedera, I, 1, p. 75, 77.<br />

418<br />

BARRIÈRE, B., « Le comté de la Marche, une pièce originale de l’héritage Lusignan », dans Limousin<br />

médiéval. Le temps des créations. Occupation du sol, monde laïc, espace cistercien. Recueil d’articles,<br />

2006, p. 379-388 ; PAINTER, S., « The lords <strong>of</strong> Lusignan in the eleventh and twelfth centuries »,<br />

Speculum, 32: 1 (1957), p. 27-47.<br />

419<br />

Foedera, I, p. 116 et Rot. Chart., p., 11, 24, 25, 96. cités par BAUDRY, M.-P., Les fortifications des<br />

Plantagenêts en Poitou, 1154-1242, 2001.<br />

420<br />

HOVEDEN, IV, p. 94-97.<br />

421<br />

Rot. Lit. Pat., p. 11 : Hugo Archiepiscopo Mandamus vobis quod Secondigny quod Rex Ricardus frater<br />

noster vobis efforciavit et reddidit Redulfo de Tannay firmeritis et efforcietis et nos vobis erimus<br />

auxilatores et defensores et vobis mandamus quod inde nos placitabitis qamdiu dominus erimus nisi pro<br />

voluntate vostram ; Ibid., p. 215-228 ; BAUDRY, M.-P., « La politique de fortification des Plantagenêt<br />

en Poitou 1154-1242 », dans A.N.S., 2002, p. 43-70.<br />

422<br />

Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835, p. 27 (1200) : Willelmo<br />

de Rupibus senescallus Andegavium salutem. Computate preposito de Chinon XXV lib. et VII s. et II d.<br />

quod ipse posuit in ingeniis nostris faciendis per magistrum Urricum, Teste me ipso apud Chinon XXV<br />

die Juni.<br />

423<br />

Ibid., p. 23 (1200) : Preposito de Chinon salutem. Precipimus tibi quod sine dilacione invenias<br />

Magistro Urrico carpentario et meiremum et ea que ei fuerint necessaria ad petrarias et mangunellos et<br />

ingenia nostra facienda. Et ei invenias necessaria ad VI equos et quatuor homines et ad corpus suum<br />

donec venerimus apud Chinonem. Teste Johannes de Pratellis, apud Herbetot XXX die Maiis.<br />

406


Chaunac 424 et en 1202, à la faveur de sa victoire à Mirebeau, il s’empare des terres<br />

d’Hugues de Lusignan qu’il fait emprisonner à Caen 425 . Il confie alors la saisie de ses<br />

places fortes au maire de Poitiers, tandis qu’il alloue £ a 100 pour faire des travaux à<br />

Chinon 426 .<br />

Mais à mesure que Philippe Auguste avance, les défections s’accélèrent : après<br />

la prise de Poitiers, Loudun, Mirebeau, Parthenay et Niort tombent en août 1203 et<br />

Aimery de Thouars rend hommage à Philippe Auguste à l’instar de la coalition des<br />

barons autour de Maurice de Craon soutenant le parti d’Arthur 427 . En 1205, les prises de<br />

Loches et Chinon rendent Philippe Auguste maître de toute la Touraine et de l’Anjou et<br />

en 1206, il s’empare de La Rochelle, Thouars et Niort et fait fortifier les principales<br />

forteresses du Poitou : Poitiers, Loudun, Mirebeau 428 . Peu après, Jean débarque à La<br />

Rochelle et repend le contrôle de ses fidélités. Il commence toutefois par augmenter son<br />

propre domaine en Poitou en achetant les droits sur Cognac, Merpins et Jarnac à<br />

Philippe le bâtard contre une rente de 100 marcs 429 . Il envoie alors 50 marcs pour faire<br />

réparer les quatre tours et la muraille sud de Merpins et approvisionner le château 430 .<br />

Après voir repris les hommages des seigneurs de Thouars, Parthenay et Mauléon, il<br />

occupe leurs châteaux qui sont attaqués par les hommes du Capétien 431 . Comme Marie-<br />

Pierre Baudry, on peut supposer que cette campagne militaire s’est accompagnée<br />

424 Rot. Lit. Pat., p. 1 (1201), Episcopo Pictaviensis Mandamus vobis quod non omittatis quin liberetis<br />

dilecto et fidelo nostro R. de Turneham senesccalo nostre Pictavia et Guasconia turrim vostram de<br />

Chammac.<br />

425 Rot. Lit. Pat., p.16 : Sernum Majori Pictavie. Mandamus tibi quod sine dilatione mittas eum militibus<br />

G de Leziniaco et H. Brun et cum nuctiis nostris ad recipiendam castra sua et cum securitatem fueris qua<br />

illa tibi et aliis nuntiis nostros liberare voluerint…<br />

426 Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835, p. 66 (1202) : H. de<br />

Burgo camerario etc. Mandamus vobis quod liberet Reginaldo de Barris C librarum andeg. ad<br />

operaciones castri nostri de Chinones. Teste me ipso apud Burum die decembris.<br />

427 RIGORD et GUILLAUME LE BRETON, Oeuvres, 1882-1885, I, p. 161 ; II, p. 224 (lib ; VIII, v. 375-<br />

377 ; RIGORD, Histoire de Philippe Auguste, 2006, p. 391; Layettes, I, p.268 n° 725 ; BALDWIN, J. W.<br />

(éd.), Les registres de Philippe Auguste Volume I Texte, 1992, p.492. ie Guillaume des Roches, Juhel de<br />

Mayenne, Bernard de la Ferté, Retrou de Montfort, le seigneur de Montoire, le comte de Vendôme,<br />

Robert de Parthenay, Guillaume de Mauléon et Ge<strong>of</strong>froy de Lusignan.<br />

. 428 RIGORD, Histoire de Philippe Auguste, 2006, p. 396-97 (3, 155) : civtatem pictavis munivit,<br />

Laudunum et Mirabellum et alia que ibi habebat ; ROGER DE WENDOVER, Liber qui dicitur Flores<br />

historiarum, 1965 [1886-89], II, p. 8 : Tota normannia, turronica, andegavia, et pictavia cum civtatibus,<br />

castellis et rebus aliis, praeter Rupellam, Toarz et Niorz castella sunt in regis francorum dominium<br />

devoluta.<br />

429 MARTIN-CIVAT, P., « Les seigneuries de Cognac, Jarnac et Merpins dans l’empire anglo-angevin au<br />

XIIe et XIIe siècles », Bulletin de l’institut d’histoire et d’archéologie de Cognac et du Cognaçais, I: 1<br />

(1956-1957), p. 53-67 ; HOVEDEN, IV, p. 97 : Philippus filius Ricardi regis Anglie nothus, cui<br />

preadictus rex pater suus dederat castellum et honorem de Cuinac…<br />

430 Rot. Lit. Claus., p. 170 ; Rot. Lit. Pat., p. 121.<br />

431 RIGORD, Histoire de Philippe Auguste, 2006, p. 396-401.<br />

407


d’importantes dépenses de fortifications sur les places dont Jean conserve le contrôle en<br />

Poitou 432 . Cette hypothèse est renforcée par la lettre close que Jean envoie le 4<br />

novembre 1207 à son chancelier en Angleterre, Ge<strong>of</strong>froy FitzPeter, lui ordonnant de<br />

faire transférer 2000 marcs à la chambre du roi en Poitou qui se trouve à La Rochelle 433 .<br />

Le rouleau de 1206 enregistre également des envois de fer à La Rochelle depuis Bristol<br />

et les mines de la forêt de Dean, pour de l’artillerie 434 .<br />

La trêve d’octobre 1206 fixe les positions du roi d’Angleterre en Poitou et<br />

confirme les acquisitions du roi de France au nord de la Loire (carte 4.20) 435 . La<br />

délimitation de la frontière se fait alors moins à partir de critères territoriaux que de<br />

critères personnels en fonctions des allégeances réciproques. Cette configuration fait du<br />

Poitou même un espace où les positions rivales sont entremêlées ce qui produit une<br />

forte instabilité corrélative au caractère temporaire de la délimitation instaurée par la<br />

trêve. L’énumération des partisans de chaque côté, ainsi que la liste des châteaux<br />

poitevins dressée par Robert Hajdu et Marie-Pierre Baudry permet de dessiner la carte<br />

des alliances définissant les positions de chaque mouvance (carte 4.20) 436 . Cependant, il<br />

convient de distinguer les châteaux conquis par Philippe Auguste de ceux des seigneurs<br />

poitevins qui lui ont prêté une allégeance temporaire. Ainsi, Poitiers et la petite bande<br />

de territoire qui l’entoure ne peuvent être considérés comme des espaces conquis en<br />

1204 437 . De fait, l’état des châteaux tenus par le roi de France en 1206-1210 qui donne<br />

les noms de 110 châteaux, n’en mentionne qu’un seul en Poitou : celui de Montreuil<br />

Bonnin 438 . Le roi de France n’a donc aucun domaine en Poitou, mais seulement des<br />

fiefs très instables. De même, après 1206, la présence territoriale et le contrôle castral de<br />

Jean sur le Poitou semblent lui avoir largement échappé. Le tableau proposé par John<br />

432 BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts en Poitou, 1154-1242, 2001 cite les places de<br />

l’itinéraire de Jean : en particulier Saint-Maixent, Niort, Bressuire, Coudray, Thouars.<br />

433 Rot. Lit. Claus., p. 75 : Gaufrido filio Petri etc. Mandamus vobis quod faciatis computari ad<br />

scaccarium nostrum W. archidiacono Tantonie duo millia marcarum quas liberavit in camera nostra in<br />

Pictavia apud Rupella in festo Omnium sanctorum anno etc … per manum Johannem de Porta, Willelmi<br />

Blundi et Willelmi de Kiveilly. Teste Philippo de Lucy apud Rupella iiii die Novembris.<br />

434 PR 8 Jean, p. 10 et 17.<br />

435 DELABORDE, H. F. et al., Recueil des actes de Philippe Auguste, roi de France, 1916, II, p.473.<br />

436 Tandis que les Lusignan, les comtes d’Angoulême, les vicomte de Limoges et de Châtellerault,<br />

Guillaume de Mauléon, les vicomtes de Brosse soutiennent le roi de France, le roi d’Angleterre peut<br />

compter sur l’appui des Thouars, de Savary de Mauléon, Guillaume Mauzé, Guillaume Maingot, Hugues<br />

Larchevêque, Ge<strong>of</strong>froy de Rancon, Thibaut Chabot, Renaud de Maulévrier.<br />

437 BAUDRY, M.-P., « Les fortifications des Plantagenêt à Thouars », dans La cour Plantagenêt, 1154-<br />

1204, 2000, p. 297-314; BAUDRY, M.-P. et al. (eds.), Les fortifications dans les domaines Plantagenêt,<br />

XIIe-XIVe siècles. Actes du colloque international tenu à Poitiers, les 11-13 novembre 1994, 2000 ;<br />

BALDWIN, J. W. (éd.), Les registres de Philippe Auguste Volume I Texte, 1992, p. 497.<br />

438 Souvent confondu à tort avec Montreuil Bellay : BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts<br />

en Poitou, 1154-1242, 2001, p. 34 note 132.<br />

408


Gillingham à l’appui des données rassemblées par Robert Hajdu permet de s’en faire<br />

une bonne idée 439 :<br />

1152 1172 1189 1199 1206 1216<br />

Nombre de châtellenies tenues par les<br />

comtes de Poitiers<br />

10 10 15 13 12* 9*<br />

Nombre tenu par les maisons de<br />

Lusignan, Mauléon et Thouars<br />

18 16 16 18 27 36<br />

* dont 5 et 4 (1216) de l’héritage d’Isabelle d’Angoulême.<br />

Cette configuration demeure globalement la même jusqu’en 1214, malgré les<br />

fréquentes incursions dévastatrices des uns et des autres 440 . L’indétermination de cet<br />

espace se mesure également aux tentatives menées par Jean pour restaurer des appuis et<br />

former de nouveaux soutiens dans l’espace conquis par Philippe Auguste. Ainsi, en<br />

1208, lorsque Jean donne à Sainte-Radegonde de Poitiers, l’église du manoir royal de<br />

Saint-Pierre sur la Creuse pour fonder un prieuré, ne cherchait-il pas à affirmer, en<br />

s’appuyant sur les fondations monastiques pour relayer la réalité de son pouvoir, qu’il<br />

était toujours le maître de cet espace 441 ?<br />

Les hostilités reprennent entre 1212 et 1213, alors que Jean et Philippe Auguste<br />

se disputent l’hommage de Savary de Mauléon, sénéchal de Jean en Poitou. En février<br />

1214, après avoir calmé l’agitation des barons anglais, Jean débarque à La Rochelle 442 .<br />

Il organise la défense de la ville en concédant aux frères du Temple de La Rochelle tous<br />

les droits sur les cours d’eaux qui alimentent les fossés de la ville, de leurs sources<br />

jusqu’à la mer ainsi que toute construction qui pourraient s’y faire, en échange de<br />

l’obligation d’y construire un moulin et d’entretenir les enceintes (salva clostura ville<br />

nostre) 443 . Isabelle Warmoes a montré qu’une fortification existait déjà en 1173-74 et<br />

que cette enceinte était renforcée dans l’angle nord ouest par un château dénommé<br />

439<br />

GILLINGHAM, J., Richard Coeur de Lion: Kingship, Chivalry and War in the Twelfth Century, 1994,<br />

p. 78.<br />

440<br />

RIGORD et GUILLAUME LE BRETON, Oeuvres, 1882-1885, I, p. 165-166; RIGORD, Histoire de<br />

Philippe Auguste, 2006, p.398-401.<br />

441<br />

Rot. Lit. Claus., I, p. 107 .<br />

442<br />

WARMOES, I., « Les fortifications Plantagenêt de La Rochelle », dans Les Fortifications dans les<br />

domaines Plantagenêt, XIIe-XIVe siècles, 2000, p. 119-122.<br />

443<br />

Rot. Chart., p. 196. Le Temple de La Rochelle semble alors tenir la garde du trésor royal : Dans une<br />

lettre patente du 3 juin 1214, Jean envoie en effet à Pierre de Maulay, précepteur du Temple, 2250 marcs<br />

qu’il a obtenu du comte d’Eu pour sa terre en Normandie ; Rot. Lit. Pat., p. 115 : Rex Petro de Maulay<br />

etc. liberate fratri Boes preceptori domus militi Templi apud Rochellam (…) undecim milia ducentas et<br />

quiquaginta marcarum liberandas per terminos R. comes Augi pro terra sua in Normanniae. Les<br />

Templiers possédaient déjà des moulins à La Rochelle, comme le montre une confirmation d’Aliénor,<br />

reine de France en 1139 : DE RICHEMOND, L. M., « Chartes de la commanderie magistrale du temps de<br />

la Rochelle (1139-1268) », Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis, 1 (1874), p. 21-50, p. 25-<br />

26 ; (p.28).<br />

409


Vauclair, possession du roi qui dominait le port 444 . C’est sans doute cette première<br />

enceinte, qui a aujourd’hui entièrement disparue, que Jean fait renforcer en 1214. Il<br />

envoie également 100 marcs au maire de Niort pour la fortification de la ville 445 . Il<br />

s’agit ici clairement d’un investissement frontalier, puisque c’est de là que Jean mène sa<br />

campagne qui le mènera jusqu’en Anjou en 1214. Son itinéraire permet de voir les<br />

principales places fortes Plantagenêt en Poitou : Jean reprend les places de Milescu,<br />

fortifié par Porteclie de Mauzé 446 , de Mervent et Vouvant, les anciens châteaux du<br />

douaire de Bérengère qui passèrent aux mains des Lusignan vers 1200 447 . Puis il se<br />

dirige vers Fontenay, le château construit par Savary de Mauléon à partir de 1200. Il y<br />

reçoit l’hommage des Lusignan à Parthenay puis s’avance vers l’Anjou, en juin et prend<br />

Chiché, puis Angers que Guillaume des Roches lui livre sans combat. La reconquête de<br />

Jean s’arrête à La Roche aux Moines lorsque il doit faire face à l’armée du prince Louis<br />

qui l’oblige à se replier sur La Rochelle. À la fin du mois de juillet, Philippe Auguste<br />

qui a remporté la bataille de Bouvines doit cependant reconnaître la reconquête partielle<br />

du Poitou par les Plantagenêt. Une trêve de cinq ans est conclue à Parthenay entre les<br />

deux rois et la paix est signée en septembre à Chinon 448 . Contrairement à la trêve de<br />

1206, cette paix ne permet pas de saisir la distribution territoriale dont le caractère<br />

provisoire va cependant se prolonger avec le retour de Jean en Angleterre. En 1216, la<br />

paix conclue avec le roi de France est en effet prolongée de quatre ans jusqu’en avril<br />

1220 449 . Pour conserver ses positions, Jean achète à prix fort la fidélité des Poitevins<br />

444 WARMOES, I., « Les fortifications Plantagenêt de La Rochelle », dans Les Fortifications dans les<br />

domaines Plantagenêt, XIIe-XIVe siècles, BAUDRY M.-P. (éd.), 2000, p. 119-122, cite Bibliothèque<br />

municipale La Rochelle, mss 59. « Pierre Mervault, Recueil de la naissance, progrès, accroissement et<br />

décadence de la ville de La Rochelle… » (1669), qui avance la date de 1162.<br />

445 BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts en Poitou, 1154-1242, 2001, p. 194- 208;<br />

MESQUI, J., Châteaux et enceintes de la France médiévale, de la défense à la résidence. 2, La résidence<br />

et les éléments d'architecture, 1993, II, 264 ; Rot. Chart., p.14 ; Rot. Lit. Pat., p. 112 : Petro de Maulay<br />

etc. Mandamus vobis quod liberetis certo nuncio Huberti de Burgo et majoris Niorti centum marcarum ex<br />

quod ipsius Hubertus et majori litteras suas patentes sigilli suis signatas vobis inde transmiserit quod<br />

illas centum marcarum eis dedimus ad villam sua firmandam….<br />

446 Foedera, p.118 : Litterae regis comitis Marescallo de progressu suo in Pictavia et de forma interdicti<br />

relaxandi in Angliam episco Wintonensi missa.<br />

447 ROGER DE WENDOVER, Liber qui dicitur Flores Historiarum, 1965 [1886-89], II, p. 99:<br />

transtulimus nos die Veneris proximo ante Pentecosten fum exercitu nostro usque Meirevent, castrum<br />

Gaufridi de Lezinan … illud cepimus violenter. Die Pentecostes obsedimus aliud castrum ipsius Gaufridi,<br />

quod dicitur Novent, incluso in eo dicto Gaufrido … se reddidit in misericordiam nostram, cum duobus<br />

filiis suis et castro suo… in die Trinitatis, fuimus apud Parthenai, ubi comes de Marchia, comes de Augi<br />

ad nos venerunt cum dicto Gaufrido de Lezinan facientes nobis homagium et fidelitatem ; BAUDRY, M.-<br />

P., « Les châteaux des Lusignan en Poitou (1154-1242) », dans Isabelle d'Angoulême, comtesse-reine et<br />

son temps (1186-1246), 1999, p. 135-147.<br />

448 Layettes, I, p. 405, n° 1083; Foedera, I, 1, p. 125.<br />

449 Layettes, I, p. 496; Foedera, I, 1, p. 157, 159.<br />

410


dont il convainc certains de rentrer avec lui en Angleterre. De là, où il doit faire face à la<br />

révolte des barons anglais, il envoie de nombreuses lettres pour que ses fortifications<br />

soient entretenues sur le continent, comme à Limoges où il fait réparer les remparts qui<br />

s’étaient effondrés en 1203 et dont il avait sans doute pu constater l’état de délabrement<br />

lors de son passage en avril 1214 450 . Son court passage en Gascogne, où se déroulait la<br />

croisade contre les Albigeois, ne fait sans doute qu’entériner la prise de Marmande,<br />

tombée en 1212 aux mains de Simon de Montfort 451 .<br />

Si les pertes territoriales en Aquitaine peuvent être largement attribuées à l’échec<br />

de la territorialisation du pouvoir des Plantagenêt, cette cause ne peut être considérée<br />

comme primordiale. La faible territorialisation renseigne en effet plutôt sur la manière<br />

dont ces marches se sont désintégrées progressivement contrairement aux frontières de<br />

la Normandie et de l’Anjou qui ont été saisies, par une conquête progressant pas à pas et<br />

en annexant conjointement un territoire fortement structuré et délimité en même temps<br />

que ses fidélités.<br />

3.3- Conclusion du chapitre<br />

Que peut-on conclure sur les frontières de l’empire des Plantagenêt ? Tout<br />

d’abord qu’il s’agit d’espaces dont la diversité et l’hétérogénéité <strong>of</strong>frent un bon reflet de<br />

la maîtrise que les Plantagenêt avaient du territoire qu’elles délimitaient (voir carte<br />

4.21). La militarisation des territoires frontaliers en Angleterre ou en Normandie<br />

contraste avec les vastes zones méridionales où l’intervention de l’autorité princière ne<br />

se matérialise pas avec autant de force dans le paysage et dans le territoire qu’elle<br />

prétend dominer. Au delà des méthodes utilisées – constructions, fondations,<br />

confiscations et destructions – qui se retrouvent d’un bout à l’autre de l’empire,<br />

l’organisation territoriale et l’investissement dans la fixation des frontières n’ont pas<br />

partout été les mêmes, selon les ressources dont ils disposaient, mais aussi et surtout<br />

selon les relations qu’ils entretenaient avec leurs voisins. Les conflits apparaissent à ce<br />

titre comme des moteurs des processus de territorialisation. Ainsi, les espaces les moins<br />

450 Rot. Lit. Pat., p. 134. Dilectis sui capitulo sancti Stephani et priori et conventui Sancti Andrei et<br />

Abbatisse Sancte Marie etc. Mandamus vobis quod auxilium faciatis civibus nostris Limovicensis ad<br />

civitatem nostram Limovicam firmandam et claudendam sicut debetis et facere consuevistis [temporibus]<br />

patris et fratris nostri. Ita ut vobis inde teneamur ad gratas. T. me ipso apud Novum Templum Londonie<br />

xxi die Aprilis ; Chroniques de Saint-Martial de Limoges, DUPLÈS-AGIER, Henri (éd.), p. 68 :<br />

corrunerunt muri castri Lemovicensis fere C. cubiti.<br />

451 GILLINGHAM, J., Richard Coeur de Lion: Kingship, Chivalry and War in the Twelfth Century, 1994,<br />

p. 78.<br />

411


délimités sont ceux qui bordent les territoires du roi d’Aragon, un allié d’Henri II et de<br />

Richard contre le comte de Toulouse. En revanche, la vallée de la Garonne en tant<br />

qu’espace de tension a fait l’objet d’un investissement défensif, qui permet de mieux<br />

déterminer les espaces d’appartenance, au delà des revendications. Il en va de même<br />

avec les frontières de l’espace capétien, où les enjeux de délimitation s’accentuent à<br />

mesure que les tensions entre les deux rois s’amplifient. Contrairement à la définition de<br />

la frontière comme front <strong>of</strong>fensif ou défensif, comme c’est le cas aux marges de<br />

l’Écosse et de l’Irlande et dans une moindre mesure de la Bretagne avant 1166, où la<br />

militarisation est créatrice de séparation, la définition de la frontière comme espace<br />

démilitarisé et comme interface neutralisée se met en place en Normandie et en Berry.<br />

Cette définition a pour conséquence d’appr<strong>of</strong>ondir l’espace défensif et de faire de la<br />

vallée de la Seine même, une région frontière. Les zones frontalières de l’empire des<br />

Plantagenêt sont donc non seulement hétérogènes mais également très mobiles. Des<br />

premières années du règne d’Henri II jusqu’à la fin du règne de Jean, pas une frontière<br />

n’a été sans évolution : toutes les limites de l’empire ont fait l’objet d’une intervention,<br />

que ce soit pour accompagner l’expansion du pouvoir ou pour en limiter le repli.<br />

En tant qu’espace d’interactions sociales et politiques nécessitant d’incessantes<br />

négociations, les frontières au XII e siècle constituent de véritables créations artificielles<br />

et les démarcations successives de la Normandie, dans la dernière décennie du XII e<br />

siècle, en traduisent parfaitement la dimension négociée. Dans tous ces espaces, le rôle<br />

des traités dans la négociation des limites et la définition de l’autorité royale sur le<br />

territoire a été central. Dès le milieu des années 1170 se développe l’usage plus<br />

systématique des textes normatifs dans la définition des espaces conquis. Ainsi, en<br />

1176, le traité de Windsor délimite le dominium du roi d’Angleterre en Irlande tandis<br />

qu’en 1185 à Najac, Richard et Béranger IV se répartissent l’espace d’intervention des<br />

puissances dans la région toulousaine. Si les traités contribuent à normaliser la frontière<br />

en tant que zone soumise à une juridiction particulière, parfois confiée à des arbitres, la<br />

définition des frontières s’opère concrètement par la distribution des châteaux entre les<br />

parties, l’ensemble des terres et des droits qui constituaient une seigneurie suivant<br />

généralement avec la forteresse. Même au tournant du XIII e siècle, alors que le conflit<br />

franco-normand dessine des démarcations territoriales de plus en plus linéaires, les<br />

pratiques et les représentations dominantes de l’espace frontalier fonctionnent toujours<br />

sur le modèle d’une organisation spatiale polarisée et réticulée, le château articulant à la<br />

fois l’espace du dominium (par son contrôle du territoire) et l’espace de l’imperium (par<br />

son insertion dans des réseaux de fidélités et d’appartenances globales). Moins qu’un<br />

espace homogène et compact, suivant un tracé uniforme et continu, la frontière au XII e<br />

412


siècle est davantage un espace où l’intensification des interactions, conflictuelles ou<br />

non, génère l’émergence d’une conscience de l’appartenance territoriale, venant se<br />

superposer aux stratégies de dépendances interpersonnelles et aux solidarités régnales.<br />

413


Chapitre 5<br />

Itinéraires et résidences :<br />

Les pratiques de l’espace et la<br />

représentation du pouvoir<br />

Les pratiques spatiales des Plantagenêt sont fondamentalement liées à leur<br />

itinérance. Alors qu’à l’époque carolingienne, la cour impériale est relativement fixe,<br />

ses déplacements étant limités à une région ne dépassant pas 10% de la surface de<br />

l’empire 1 , à l’époque féodale, la royauté devient itinérante et son itinérance devient un<br />

mode de gouvernement, les rois transportant avec eux toutes leurs fonctions ainsi que<br />

les représentations symboliques de leur pouvoir 2 . Ce mode de gouvernement ne se<br />

limite pas au Moyen Âge occidental mais se retrouve dans différentes parties du globe à<br />

toutes les époques. Dans la société féodale, la fonction de ces itinérances était<br />

d’actualiser et de renforcer, par la présence du prince, les liens personnels sur lesquels<br />

reposait son pouvoir. Par l’exposition des multiples fonctions représentant l’<strong>of</strong>fice<br />

détenu, il s’agissait avant tout de légitimer l’autorité de toute personne exerçant une<br />

forme de domination. De même que le Köningsumritte des Ottoniens, l’itinérance des<br />

royautés féodales s’imposait aux gouvernants dans la mesure où leur potestas découlait<br />

de la reconnaissance de leur auctoritas. Le roi prenait ainsi symboliquement et<br />

concrètement possession de son royaume en s’identifiant, en chacun de ses lieux, au<br />

pouvoir central de la société. Ces migrations étaient aussi adaptées à une organisation de<br />

1 JÉGOU, L., « Les déplacements des "missi dominici", dans l'Empire carolingien de la fin du VIIIe à la<br />

fin du IXe siècle », dans Déplacements de populations et mobilité des personnes au Moyen Âge. Actes du<br />

40e congrès de la SHMESP, à paraître en 2010. Il cite sur ce point : MCKITTERICK, R., Charlemagne.<br />

The formation <strong>of</strong> a European identity, 2008.<br />

2 BERNHARDT, J. W., Itinerant Kingship and Royal Monasteries in Early Medieval Germany, c. 936-<br />

1075, 1993, p. 45-46.<br />

414


l’espace fortement polarisée par des lieux de séjour dominants et centrée autour de la<br />

personne du roi faisant le lien entre chaque territoire. Étudier le gouvernement itinérant<br />

de la royauté invite donc à regarder les relations spécifiques entre territoire et politique à<br />

l’époque féodale. À travers l’itinérance des Plantagenêt, il s’agira de saisir comment les<br />

déplacements royaux ont contribué à la formation d’un pouvoir territorial. C’est en effet<br />

parce que l’espace parcouru n’est pas encore un territoire maîtrisé – comme il le sera au<br />

milieu du XVI e siècle, lorsque Catherine de Médicis organisera le voyage de Charles<br />

IX, afin de réactiver, en des temps troublés, le long processus de la construction de la<br />

souveraineté du pouvoir royal 3 – que les Plantagenêt n’ont cessé d’être sur les routes de<br />

leur empire. C’est seulement avec l’essor de la puissance administrative des monarchies<br />

que la cour se sédentarisera dans des « capitales » royales 4 . Au Moyen Âge, le roi se<br />

déplace encore avec son administration, son trésor, ses chartes, dont les datations<br />

constituent d’ailleurs le principal moyen de reconstituer les itinéraires royaux.<br />

Pour comprendre comme voyageaient les Plantagenêt, il faut donc s’interroger<br />

sur le fonctionnement de la cour royale ; un domaine que la récente historiographie<br />

française des Plantagenêt a particulièrement exploré et notamment dans deux directions.<br />

La première s’est inscrite dans la continuité de la sociologie de Norbert Elias visant à<br />

décrire la société de cour, sa composition sociologique, en insistant tout d’abord sur les<br />

phénomènes de recomposition et d’extension du milieu curial consécutifs à l’intégration<br />

d’une partie de la petite aristocratie et de la bourgeoisie naissante au service du roi 5 .<br />

Récemment stimulés par l’essor de la prosoprographie, les travaux sur la cour des<br />

Plantagenêt ont ainsi permis de mieux délimiter l’entourage royal : les aristocrates qui<br />

composent les cercles rapprochés du roi et sa familia, apparaissent alors dominés par les<br />

Normands et les Anglais aux dépens des Poitevins 6 . La figure sociologique du<br />

3<br />

BOUTIER, J.; DEWERPE, A. et NORDMAN, D., Un tour de France royal. Le voyage de Charles IX<br />

(1564-1566), 1984.<br />

4<br />

BOUCHERON, P. et al., « Formes d’émergence, d’affirmation et de déclin des capitales : rapport<br />

introductif », dans Les villes capitales, 2006, p. 1-43.<br />

5<br />

BALDWIN, J. W., « Studium et Regnum : the penetration <strong>of</strong> university personnel into French and<br />

English administration at the turn <strong>of</strong> the XII th and XIII th Centuries », Revue des études islamiques, 44<br />

(1976), p. 199-211; TURNER, R. V., Men Raised from the Dust. Administrative Service and Upward<br />

Mobility in Angevin England, 1988.<br />

6<br />

Depuis EYTON, R. W., Court, Household, and Itinerary <strong>of</strong> King Henry II, 1878; TÜRK, E., Nugae<br />

curialium. Le règne d'Henri II Plantegenêt ( 1145-1189) et l'éthique politique, 1977 et jusqu’aux<br />

contributions de AURELL, M. (éd.), La cour Plantagenêt, 1154-1204. Actes du colloque tenu à Thouars<br />

du 30 avril au 2 mai 1999, 2000, ainsi que BILLORÉ, M., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe -<br />

début XIIIe siècles). De l'autocratie Plantagenêt à la domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la<br />

dir. de Martin Aurell, 2005, non publiée ; BILLORÉ, M., « La noblesse normande dans l'entourage de<br />

Richard Ier », dans La cour Plantagenêt, 1154-1204, 2000, p. 151-166 ; VINCENT, N., « Les Normands<br />

de l’entourage d’Henri II Plantagenêt », dans Angleterre et Normandie au Moyen Âge. Actes du Colloque<br />

415


courtisan, ses origines, ses réseaux sociaux, ses mœurs, sa piété, ses pratiques littéraires,<br />

tout ce qui constituait en somme la curialitas est désormais mieux connu. L’image de la<br />

cour des Plantagenêt apparaît alors contrastée : un coté lumineux d’une part, porté par<br />

son rayonnement culturel et artistique et l’essor de la littérature courtoise, mais<br />

également une face obscure assombrie par la violence de la corruption, de la<br />

concurrence, de la vénalité, du clientélisme, etc. qui faisaient aussi de cette réalité<br />

sociale un monde infernal 7 .<br />

Parallèlement, s’est développé un autre courant, insistant davantage sur la<br />

culture matérielle et le contexte architectural dans lequel évoluait la cour. Plutôt que par<br />

l’analyse des sources littéraires, cette tendance a essentiellement été portée par les<br />

découvertes de l’archéologie palatiale et l’étude des comptabilités 8 . Comment la cour<br />

était-elle administrée au quotidien ? Cette question à laquelle les historiens des<br />

Capétiens ne pourront pas répondre avant la fin du XIII e siècle, constitue en revanche un<br />

aspect que les pipe rolls permettent d’appréhender dès le règne d’Henri II Plantagenêt.<br />

Les ordres des dépenses pour le ravitaillement des résidences, l’approvisionnement de la<br />

cuisine du roi, le transport des membres de la cour constituent en effet autant d’éléments<br />

consignés dans les registres de l’Échiquier. Cette gestion, que l’itinérance de la cour<br />

complexifiait, imposait une certaine anticipation des déplacements royaux. C’est dans le<br />

prolongement de ces travaux sur le phénomène curial que se situe ce chapitre consacré à<br />

l’itinérance et aux choix résidentiels des Plantagenêt. L’analyse des cadres résidentiels<br />

et de leurs fonctions domestiques, politiques et religieuses ainsi que leur mise en œuvre<br />

a été menée à partir de la problématique de l’organisation spatiale impliquée par leur<br />

itinérance.<br />

Etudier les itinéraires et les résidences des Plantagenêt suppose ainsi d’articuler,<br />

sans les confondre, deux aspects de la pratique de l’espace : la mobilité (les<br />

déplacements) et la fixité (les résidences). Dans un premier temps l’enjeu territorial des<br />

de Cerisy-la-Salle (4-7 octobre 2001), 2003, p. 75-88 ; VINCENT, N., « King Henry II and the<br />

Poitevins », dans La cour Plantagenêt, 1154-1204, 2000, p. 103-135.<br />

7 TÜRK, E., Nugae curialium : Le règne d'Henri II Plantegenêt ( 1145-1189) et l'éthique politique, 1977 ;<br />

VINCENT, N., « The Court <strong>of</strong> Henry II », dans Henry II: New Interpretations, 2007, p.278-334.<br />

8 RENOUX, A., Le Palais des ducs de Normandie à Fécamp : bilan récent des fouilles en cours, 1982;<br />

RENOUX, A. (éd.), Palais royaux et princiers au Moyen âge : actes du colloque international tenu au<br />

Mans les 6-7 et 8 octobre 1994, 1996; RENOUX, A. (éd.), Aux marches du palais : qu'est-ce-qu'un palais<br />

médiéval ? : données historiques et archéologiques : actes du VIIe Congrès international d'archéologie<br />

médiévale, Le Mans-Mayenne, 9-11 septembre 1999, 2001; RENOUX, A., « Palais, cours et résidences »,<br />

dans Les tendances actuelles de l'histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, 2003, p. 351-356;<br />

BAUDRY, M.-P., « Les fortifications des Plantagenêt à Thouars », dans La cour Plantagenêt, 1154-1204,<br />

2000, p. 297-314 ; CHAPELOT, J. (éd.), Vincennes aux origines de l'état moderne, 1996.<br />

416


parcours et la fonction des flux dans la prise de possession de l’espace seront envisagés<br />

avant de considérer l’itinérance comme un mode de vie du roi mais aussi de la cour,<br />

dans une perspective tant géographique que sociologique. La question des choix<br />

résidentiels et de leur détermination spatiale constituera le second temps de ce chapitre.<br />

Quelles ont été les principales résidences des Plantagenêt et comment celles-ci reflètent-<br />

elles les disparités territoriales de l’empire ? Une analyse comparée des investissements<br />

dans la construction domestique et castrale permettra de dessiner une cartographie des<br />

lieux dans desquels le pouvoir se met en scène et de saisir comment s’articulent, dans<br />

l’espace et dans la pierre, la théâtralisation croissante du pouvoir et sa domestication.<br />

417


1- Itinéraires et territoires : géographie et sociologie des<br />

pratiques spatiales du pouvoir<br />

L’une des principales conséquences de la structure documentaire utilisée est de<br />

produire une image biaisée de la cartographie des itinéraires royaux. Pour dépasser ce<br />

problème posé par l’analyse topologique, nous avons cherché à changer l’échelle<br />

d’analyse en mettant en avant, dans un premier temps, les logiques territoriales plutôt<br />

que celles des lieux. Ainsi, plutôt que la fréquentation des lieux de passages, c’est le<br />

temps passé dans chaque territoire qui a orienté notre étude autour des constructions<br />

territoriales et des stratégies identitaires des Plantagenêt. Dans un second temps, nous<br />

avons cherché à dépasser le paradoxe qui fait que l’on représente un pouvoir mobile par<br />

des lieux de séjour – et donc d’une certaine manière par sa fixité – en insistant<br />

davantage sur la représentation des flux, sur la route, sur ce qu’impliquait au quotidien<br />

la pérégrination de la cour et ses conséquences dans les pratiques du pouvoir.<br />

1.1- Itinéraires, constructions territoriales et stratégies<br />

identitaires des Plantagenêt<br />

Les cartes 5.1 et 5.2 constituent des images classiques de la représentation de<br />

l’itinérance princière, à partir des sites d’émission de chartes, que ce soit dans les<br />

domaines capétiens ou plantagenêts. De même que la carte d’Olivier Guyotjeannin, la<br />

carte de Thomas K. Keefe qui représente la distribution des « place-date » d’Henri II,<br />

illustre une certaine géographie du pouvoir, liée à l’émission d’actes et aux stratégies de<br />

patronage 9 . La méthode cartographique des itinéraires royaux à partir des « place-date »<br />

indiquées par les documents de la chancellerie pose cependant quelques problèmes.<br />

Tout d’abord, sous Henri II, tous les actes ne comportent pas systématiquement une<br />

datation et un lieu d’émission ; la pratique ne s’impose que progressivement sous le<br />

règne de Richard. De plus, lorsque les chartes sont datées, la majorité des lieux<br />

mentionnés (près de 90%) sont situés en Angleterre et en Normandie, ce qui rend<br />

difficile l’interprétation des lieux visités par Henri II à partir des seuls actes, à moins de<br />

9 GUYOTJEANNIN, O., « Résidences et palais des premiers Capétiens en Ile-de-France », dans<br />

Vincennes aux origines de l'état moderne, 1996, p. 123-136; KEEFE, T. K., « Place-Date distribution <strong>of</strong><br />

royal charters and the historical geography <strong>of</strong> patronage strategies at the court <strong>of</strong> King Henry II<br />

Plantagenet », H.S.J., 2 (1990), p. 179-188.<br />

418


croire qu’il n’a jamais parcouru le reste de son empire, ce que contredit le témoignage<br />

des récits contemporains. En outre, les actes de la chancellerie d’Henri II, lorsqu’ils sont<br />

datés et localisés, indiquent uniquement les centres urbains significatifs, ce qui renvoie<br />

une image d’apparente fixité qui contraste fortement avec la très forte mobilité<br />

pendulaire que font apparaître les actes pratiquement quotidiens de la chancellerie de<br />

Jean. Selon Nicholas Vincent, ce contraste résulte non seulement d’une augmentation<br />

significative des actes émis, mais également d’un changement de pratiques des clercs de<br />

chancellerie qui ne restent plus dans les principaux centres résidentiels de la région,<br />

mais accompagnent le roi dans tous ses déplacements 10 . Tous ces éléments doivent être<br />

présents à l’esprit lors de l’interprétation des résultats statistiques de la fréquentation<br />

des lieux, car ils <strong>of</strong>frent souvent une image éloignée de la réalité et des pratiques de<br />

pouvoir. Moins que de l’espace parcouru, les cartes des « place-date » reflètent ainsi<br />

davantage la centralité administrative du règne d’Henri II, mettant en avant les villes de<br />

Rouen et Caen en Normandie, et un espace centré autour de la Tamise entre Londres,<br />

Southampton Oxford et Woodstock aux dépens des autres espaces de l’empire. Pour<br />

pouvoir appréhender la réalité de l’espace parcouru, à défaut d’en approcher sa<br />

dimension vécue, il faut construire au préalable d’autres outils d’analyse permettant de<br />

saisir les différents types de spatialité mais aussi de temporalité à l’œuvre dans l’empire.<br />

1.1.1- L’espace à l’épreuve de la temporalité royale : quelques outils d’analyse<br />

De tous les territoires de l’empire, la Normandie apparaît comme l’espace où les<br />

Plantagenêt ont résidé le plus souvent. Bien que l’absence du roi ait été avant tout<br />

ressentie en Angleterre, le royaume est loin d’avoir été délaissé. D’après John Le<br />

Patourel, sur l’ensemble de son règne, Henri II passe près de 43% de son temps en<br />

Normandie contre 37% en Angleterre et 20% dans les autres possessions continentales,<br />

principalement en Anjou et en Bretagne 11 . Les données que permettent d’établir<br />

l’itinéraire élaboré par Judith Everard à partir des sources narratives (voir graphique<br />

5.3) ne changent pas radicalement les analyses de John Le Patourel, dans la mesure où<br />

les périodes sur lesquelles il n’y a aucune indication géographique correspondaient<br />

10 VINCENT, N., « Why 1199 ? Bureaucracy and enrolment under John and his contemporaries », dans<br />

English Government in the Thirteenth Century, 2004, p. 18-48; VINCENT, N., « Les Normands de<br />

l’entourage d’Henri II Plantagenêt », dans Angleterre et Normandie au Moyen Âge. Actes du Colloque de<br />

Cerisy-la-Salle (4-7 octobre 2001), 2003, p. 75-88, p. 81.<br />

11 LE PATOUREL, J. H., Feudal Empires : Norman and Plantagenet, 1984 ; KEEFE, T. K., « Place-Date<br />

distribution <strong>of</strong> royal charters and the historical geography <strong>of</strong> patronage strategies at the court <strong>of</strong> King<br />

Henry II Plantagenet », H.S.J., 2 (1990), p. 179-188.<br />

419


souvent à un séjour normand (près de 20%), si l’on s’en tient aux passages de la<br />

Manche répertoriés. Hormis ces données, Henri II consacre effectivement près d’un<br />

tiers de son règne aux îles britanniques, 12% à l’Anjou, 13% à ses autres possessions<br />

continentales. En intégrant la dimension chronologique de ces itinéraires, on s’aperçoit<br />

alors que jusqu’aux années 1170, Henri II est principalement sur le continent,<br />

n’effectuant que trois séjours en Angleterre : de décembre 1154 au 10 janvier 1156, puis<br />

du 7 avril 1157 au 14 août 1158 et du 25 janvier 1163 aux alentours du 9 mars 1166,<br />

hormis un court séjour d’un mois en Normandie en avril-mai 1165 pour rencontrer<br />

Louis VII à Gisors. Puis à partir de 1170, Henri II retourne au moins une fois par an en<br />

Angleterre jusqu’à sa mort (sauf en 1183). La comparaison des graphiques du temps<br />

passé selon les espaces fait ressortir la forte mobilité d’Henri II par rapport à celle de ses<br />

fils (graphiques 5.4). Tandis que Richard passe le plus clair de son temps en Normandie<br />

(46%) et en Anjou (20%) à affronter les armées capétiennes, Jean est condamné, après<br />

la perte de la Normandie en 1204 et de l’Anjou en 1206, à séjourner majoritairement en<br />

Angleterre, sa présence sur le continent se réduisant à de vaines campagnes militaires.<br />

Au-delà de ces premières observations, il est possible de pousser plus loin<br />

l’analyse à partir d’autres outils cartographique, comme l’anamorphose. Cet outil<br />

cartographique permet notamment d’introduire une dimension temporelle dans la<br />

représentation de l’espace et mesurer l’éloignement ou la proximité vécue par les<br />

acteurs (voir chapitre 1). Bien connue lorsqu’il s’agit d’illustrer la distorsion entre<br />

l’espace et le temps qu’a introduit le TGV dans nos sociétés, la déformation en<br />

anamorphose des cartes 5.4 <strong>of</strong>fre une nouvelle image (cartes 5.5), à vocation<br />

heuristique, de l’espace parcouru par les Plantagenêt et dont on proposera quelques<br />

pistes d’interprétation. Contrairement à la carte des TGV, ces anamorphoses ont été<br />

construites sur le principe de la distance des marges non en terme de temps nécessaire<br />

pour s’y rendre, mais de temps passé à les parcourir. Autrement dit, il s’agit de mesurer<br />

la densité des espaces en fonction de la présence ou de l’absence des Plantagenêt. Les<br />

marges apparaissent ainsi d’autant plus lointaines qu’elles sont peu parcourues par le<br />

roi ; au contraire, les espaces de densité sont les espaces fréquemment visités par les<br />

Plantagenêt. L’anamorphose ayant pour fonction d’adapter la forme de la carte « à la<br />

réalité perçue » 12 , elle oriente donc les questionnements autour de la question des<br />

représentations de l’espace parcouru. Ceci nous amène donc à poser l’hypothèse selon<br />

12 LANGLOIS, P. et DENAIN, J.-C., « Cartographie en anamorphose », Cybergeo, Cartographie,<br />

Imagerie, SIG (14 mars 2007), .<br />

420


laquelle l’espace parcouru par chacun des Plantagenêt ne peut être considéré comme le<br />

simple résultat des différentes circonstances qui les ont portés à chaque fois sur les<br />

routes de l’empire. Bien plus que du hasard des événements, leurs déplacements ne<br />

résultent-ils pas plutôt de stratégies d’ancrage territorial ?<br />

Nous reviendrons sur ces différents aspects de l’anamorphose au cours de la<br />

démonstration, mais on peut d’emblée se demander dans quelle mesure les itinéraires<br />

renseignent sur les espaces les plus densément occupés et les plus fortement maîtrisés,<br />

c’est-à-dire ceux où l’autorité royale était la moins contestée ? Dans les chapitres<br />

précédents, nous avons principalement centré notre propos sur le renforcement de la<br />

puissance publique des Plantagenêt au cœur et aux marges de leur empire. Dans ce<br />

chapitre, nous proposons d’analyser le processus de territorialisation de leur pouvoir en<br />

interrogeant les pratiques liées à la construction d’une autorité royale souveraine. De<br />

même que l’affirmation de la puissance royale comme mode de contrôle effectif du<br />

territoire, le renforcement de l’autorité royale et de sa légitimité a été une préoccupation<br />

constante de la part des Plantagenêt. Mais contrairement à l’affirmation de la puissance<br />

qui nécessite généralement le recours à la force, l’autorité relève de la capacité à<br />

imposer son envergure morale et spirituelle 13 . Quelles sont alors les stratégies adoptées<br />

par les Plantagenêt pour s’associer, voire pour instrumentaliser, la sacralité des saints<br />

afin de consolider leur légitimité ? La création de relations spécifiques avec le culte<br />

d’un saint localement implanté permettait en effet d’ancrer l’autorité dans un territoire<br />

défini : le territoire du saint, dont l’aire d’extension accompagnait généralement la<br />

diffusion de ses reliques et de son culte. Notre hypothèse repose donc sur l’idée que la<br />

carte des espaces les plus souvent parcourus recouvre une territorialité spécifique, que<br />

l’on peut mettre en relation avec les constructions mémorielles et spirituelles élaborées<br />

par les Plantagenêt.<br />

1.1.2- Henri II, la construction d’un empire multipolaire et l’autorité des saints et du<br />

sang<br />

La carte en anamorphose des itinéraires d’Henri II donne l’image d’un espace<br />

relativement homogène en terme de distance des lieux fréquentés les uns par rapports<br />

aux autres. La Manche n’apparaît nullement comme un obstacle et la dimension<br />

multipolaire de l’empire transparaît à travers la relative proximité des marches vis-à-vis<br />

13 WATERS, C. M., « Power and authority », dans A Companion to Middle English Hagiography, 2006,<br />

p. 70-86.<br />

421


des différents centres. En réalité, l’empire dont Henri II hérite et qu’il contribue à<br />

étendre était pr<strong>of</strong>ondément hétérogène, mais l’effort constant pour assurer la continuité<br />

territoriale de son empire transparaît d’une certaine manière dans cette carte. En<br />

affirmant la puissance royale sur les lieux structurant de ses territoires (chapitre 2),<br />

Henri II a renforcé la centralité mobile de son empire mais n’a pas atténué sa diversité<br />

territoriale. Cette carte suggère donc assez bien la conception qu’Henri II se faisait de<br />

son empire : un espace multiterritorial cohérent. Contrairement à Martin Aurell qui le<br />

qualifie de « polycratique », empruntant l’expression à Jean de Salisbury, pour justifier<br />

l’idée que cet empire n’était qu’une « union factice et temporaire de principautés<br />

autonomes » 14 , cette carte conforte l’idée d’une structure impériale, forgée au travers<br />

des multiples stratégies développées par Henri II pour ancrer la légitimité de son<br />

pouvoir dans chacun des territoires. Henri II a ainsi respecté les sacralités locales<br />

propres à chaque principauté, patronnant différents cultes lorsqu’ils permettaient de<br />

mettre en scène son autorité royale en Angleterre ou ducale en Normandie, en Aquitaine<br />

ou en Bretagne.<br />

Henri II et la canonisation d’Edward le confesseur : la construction d’une<br />

légitimité dynastique anglaise<br />

L’association d’une parentèle ou d’une dynastie à un saint et à ses reliques<br />

constituait une pratique courante depuis le haut Moyen Âge 15 . Elle permettait de créer<br />

une communauté mémorielle sous la tutelle d’un saint fondateur et de la famille des<br />

principaux donateurs. La sanctification des ancêtres d’une lignée ou la revendication<br />

d’une filiation avec le saint était alors susceptible de renforcer l’autorité spirituelle des<br />

patrons 16 . Ainsi, en favorisant la canonisation du roi anglo-saxon Edward le Confesseur,<br />

que les moines de Westminster préparaient depuis longtemps sous l’égide d’Osbert de<br />

Clare, Henri II renforçait le charisme de son ascendance royale et confortait la nature<br />

sacrée de la monarchie 17 . En 1161, Henri II parvenait en effet à faire aboutir une<br />

entreprise qu’Étienne et Henri de Blois avait échafaudée sans succès 18 . Selon Marc<br />

Bloch, l’intérêt d’Henri II, à l’instar de son prédécesseur, résidait dans l’opportunité de<br />

14 AURELL, M., L'empire des Plantagenêt : 1154-1224, 2004., p. 12.<br />

15 MAGNANI SOARES-CHRISTEN, E., Monastères et aristocratie en Provence, milieu Xe-début XIIe<br />

siècle, 1999 ; LAUWERS, M., La mémoire des ancêtres, le souci des morts. Morts, rites et société au<br />

Moyen Âge, diocèse de Liège, XIe-XIIIe siècles, 1997, p. 114-117.<br />

16 BOZOKY, E., « Le culte des saints et des reliques dans la politique des premiers rois Plantagenêt »,<br />

dans La cour Plantagenêt, 1154-1204, 2000, p. 227-291.<br />

17 La filiation entre les deux rois est également renforcée par le pouvoir thaumaturge qu’ils détenaient.<br />

SCHRAMM, P. E., A History <strong>of</strong> the English Coronation, 1937.<br />

18 SCHOLZ, B. W., « The canonization <strong>of</strong> Edward the Confessor », Speculum, 36: 1 (1961), p. 38-60<br />

422


« donner au royaume un saint national [et ainsi de] jeter sur la dynastie normande un<br />

lustre nouveau en faisant publiquement reconnaître la sainteté et le pouvoir<br />

thaumaturgique du prince dont Guillaume le Conquérant (…) avait prétendu tenir ses<br />

droits » 19 . Si la création d’un saint « national » et la glorification de la dynastie<br />

apparaissent comme des motifs probables, Bernhard Scholz s’interroge néanmoins sur<br />

l’intérêt que pouvait avoir Henri II à reprendre le projet d’Étienne, dans la mesure où sa<br />

légitimité n’était pas remise en cause comme le fut que celle son prédécesseur. Selon lui<br />

la réponse ne peut être purement politique, mais doit tenir compte des enjeux culturels<br />

et identitaires tels que les expriment les écrits d’Ælred de Rievaulx, qui rédige en 1163<br />

une Vita d’Edward le Confesseur dédiée à Henri II, pour célébrer le transfert des<br />

reliques 20 . Ælred de Rievaulx était un défenseur éminent de la concorde ethnique et de<br />

l’assimilation entre normands et anglais. Dans sa Genealogia Regum Anglorum,<br />

également dédicacée à Henri Plantagenêt, l’abbé cistercien tentait de convaincre le<br />

jeune prince qu’il descendait, par sa grand-mère Edith-Mathilde, de la glorieuse lignée<br />

des rois West saxons 21 . La translation des reliques de saint Edward le Confesseur en<br />

1161 symbolisait ainsi, à ses yeux, l’idée qu’Henri II était la pierre angulaire de la<br />

fusion des peuples normands et anglais, reliant l’Angleterre à la Chrétienté occidentale.<br />

Or, selon B. Scholz, reprenant une expression de Charles Haskins, parce qu’il n’était ni<br />

normand, ni anglais, mais « cosmopolite » 22 , Henri II n’aurait pas eu d’intérêt<br />

authentique pour le culte de son prédécesseur à l’inverse de ce que sera la piété de son<br />

petit-fils Henri III. Mon hypothèse est inverse : c’est précisément parce qu’Henri II était<br />

« cosmopolite » qu’il avait intérêt à favoriser différents cultes, et non pas un seul<br />

exclusivement, afin de renforcer son autorité qui était royale en Angleterre, mais ducale<br />

en Normandie et en Aquitaine. C’est parce qu’il ne fut pas exclusif que le culte<br />

d’Edward le Confesseur ne symbolisait pas effectivement la fusion « ethnique »<br />

conceptualisée par Ælred de Rievaulx. C’est pourquoi, s’il faut considérer qu’Henri II<br />

joua un rôle essentiel dans l’aboutissement du processus de canonisation, comme le<br />

prouve d’ailleurs le déplacement de la cérémonie de translation des reliques jusqu’au<br />

19<br />

BLOCH, M., « La vie de saint Edouard le Confesseur, par Osbert de Clare avec Introduction sur Osbert<br />

de Clare et les premières vies de saint Edouard », dans Mélanges historiques, 1983, p. 948-1030 (citation<br />

p. 953).<br />

20<br />

ÆLRED DE RIEVAULX, The life <strong>of</strong> Saint Edward : king and confessor, 1990, voir aussi PL, 195,<br />

cols. 0737-90; FOLZ, R., Les saints rois du Moyen âge en Occident VIe-XIIIe siècles, 1984, p. 91-101.<br />

21<br />

THOMAS, H. M., The English and the Normans. Ethnic Hostility, Assimilation and Identity, 1066-c.<br />

12, 2003 p. 83-92.<br />

22<br />

HASKINS, C. H., Norman institutions, 1918, p. 156, repris par SCHOLZ, B. W., « The canonization <strong>of</strong><br />

Edward the Confessor », Speculum, 36: 1 (1961), p. 38-60.<br />

423


etour du roi en Angleterre en 1161 23 , cette intervention ne saurait être comprise<br />

séparément de l’intérêt qu’il porta également à l’élévation des restes des premiers ducs<br />

de Normandie à Fécamp en 1162, à la canonisation d’Étienne de Muret, le fondateur de<br />

Grandmont en 1189 et aux reliques de saint Pétroc, en Bretagne.<br />

Ces stratégies de légitimation de l’autorité royale par l’association de saintes<br />

figures d’ancêtres s’inscrivent dans un contexte européen de canonisation de grandes<br />

figures royales, commencé à partir du XII e siècle avec celle de l’empereur salien<br />

Henri II en 1146. Peu après la canonisation d’Edward le Confesseur, Louis VII obtient<br />

celle de Charlemagne en 1165, qui vient parfaire l’idéologie royale préparée par l’abbé<br />

Suger, valorisant la filiation dynastique carolingienne et donc impériale des Capétiens 24 .<br />

Les canonisations royales ne visaient cependant pas à donner au roi une fonction de<br />

sacerdos, mais participaient à la glorification des ancêtres de la lignée, en l’entourant<br />

d’un halo de sainteté inhérente et en lui attachant la permanence d’une référence sacrée.<br />

Elles consolidaient ainsi le caractère spécifique du pouvoir royal (Eigenrecht) et<br />

contribuaient à l’élaboration progressive de la théorie d’une royauté héréditaire de droit<br />

divin en France et en Angleterre 25 . Si ces canonisations participent au triomphe du<br />

principe d’hérédité dans le processus de légitimation, le renforcement de l’autorité<br />

sacralisée du roi s’est également appuyé sur la rédaction des Vita des rois du haut<br />

Moyen Âge comme celle d’Ælred qui visait à construire un modèle « comportemental »<br />

de sainteté royale idéale 26 . Elle apparaît à ce titre comme l’une des conséquences de la<br />

réforme de l’Église et de ses tentatives pour contrôler de plus en plus étroitement les<br />

processus de canonisation en limitant progressivement les modèles de sainteté laïque<br />

aux seules figures royales 27 . Mais si la papauté parvient à imposer idéologiquement sa<br />

norme, elle se heurte à une autorité royale renforcée, dont elle a contribué elle-même à<br />

consolider le caractère sacralisé.<br />

23 HERBERT BOSHAM dans Materials for the History <strong>of</strong> Thomas Becket, Vol. III (William Fitzstephen,<br />

Herbert <strong>of</strong> Bosham), 1965, p. 261 : Edwardi corpus… solemniter quidem et sublimiter ibidem in ecclesia<br />

inter sanctorum corpora collocavit, rege itidem volente sic et presente. cité par SCHOLZ, B. W., « The<br />

canonization <strong>of</strong> Edward the Confessor », Speculum, 36: 1 (1961), p. 38-60, note 72.<br />

24 BOUTET, D., Charlemagne et Arthur : ou le roi imaginaire, 1992 ; GOUTTEBROZE, J., « Deux<br />

modèles de sainteté royale. Edouard le Confesseur et saint Louis », C.C.M., 42 (1999), p. 243-258.<br />

25 SCHOLZ, B. W., « The canonization <strong>of</strong> Edward the Confessor », Speculum, 36: 1 (1961), p. 38-60;<br />

SCHRAMM, P. E., A History <strong>of</strong> the English Coronation, 1937.<br />

26 FOLZ, R., Les saints rois du Moyen âge en Occident VIe-XIIIe siècles, 1984, p. 142-155; WAUGH, S.,<br />

« Histoire, hagiographie et le souverain idéal à la cour des Plantagenêt », dans Plantagenêts et Capétiens:<br />

Confrontations et Héritage, 2006, p. 429-446.<br />

27 VAUCHEZ, A., La Sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge d'après les procès de<br />

canonisation et les documents hagiographiques, 1988.<br />

424


Henri II, les saints locaux et l’ancrage territorial de l’autorité princière<br />

Quelques mois après la translation des reliques d’Edward le Confesseur, Henri II<br />

est à Fécamp pour assister à la translation solennelle des restes des premiers ducs de<br />

Normandie, Richard I er et son fils Richard II. Cette translation a lieu dans le contexte de<br />

ce qu’Annie Renoux appelle le programme de substitution de l’abbaye palatium dei au<br />

palatium ducis 28 . Depuis le règne d’Henri I er , Fécamp avait en effet cessé de jouer un<br />

rôle politique en tant que lieu de résidence ducale « capitale », comme elle l’avait été<br />

autour de l’an mil. Contre l’abandon du palais ducal, l’abbé Henri de Sully, neveu<br />

d’Étienne et d’Henri de Blois, tente de renouveler l’intérêt des ducs pour la mémoire de<br />

l’abbaye. Le 3 mars 1162, il organise la translation des ossements des premiers ducs de<br />

Normandie, une cérémonie qui était aussi l’occasion de manifester son ralliement au<br />

parti de son nouveau maître :<br />

Le premier duc de Normandie, Richard et son fils, Richard II furent<br />

ainsi levés du tombeau à Fécamp, où ils gisaient séparément et furent<br />

déposés plus honorablement devant l’autel de la Sainte Trinité. Henri<br />

roi des anglais assista à la translation ainsi que les évêques de<br />

Normandie 29 .<br />

Outre les importantes donations qu’Henri II fait à l’abbaye de Fécamp (entre<br />

autres le bois de la Hogues) 30 , il est vraisemblable que le roi participe également à la<br />

fabrication du tombeau en bas-reliefs qui devait abriter les reliques dans leur nouvel<br />

emplacement 31 . Selon Sarah Jones, la richesse des décorations et la position de la tombe<br />

ducale étaient l’expression visuelle du vœu d’Henri II de commémorer et célébrer ses<br />

ancêtres. En obtenant du légat pontifical d’Alexandre III, Henri de Pise, la rédaction de<br />

la charte des indulgences pour les pèlerins qui viendraient à Fécamp et par l’émission de<br />

sauf-conduits pour les fidèles qui désireraient se rendre à Fécamp de Pâques à la<br />

28 RENOUX, A., Fécamp, du palais ducal au palais de Dieu : bilan historique et archéologique des<br />

recherches menées sur le site du château des ducs de Normandie IIe siècle A.C.-XVIIIe siècle P.C., 1991,<br />

p. 496-98.<br />

29 TORIGNI, I, p. 336-37 : Primus Ricardus Dux Normannorum et secundum Ricardus filius ejus, apud<br />

Fiscannum levati de tumuli fuit, in quibus separatim jacebant, post altare sanctae Trinitatis hoestius<br />

ponuntur. Huic translationi Henricus rex Anglorum interfuit, et Episcopi Noramnniae.<br />

30 Acta Plantagenet, 598H.<br />

31 JONES, S. E., « The twelfth-century reliefs from Fécamp : new evidence for their dating and original<br />

purpose », J.B.A.A., 138 (1985), p. 79-88, ces reliefs furent démantelés sous l’abbatiat de Antoine Bohier<br />

(1509-19), probablement vers 1508-9, car en 1518 eut lieu une autre cérémonie de translation des ducs,<br />

pour laquelle de nouveaux tombeaux étaient déjà en place. Les anciens panneaux de pierres furent alors<br />

déposés dans la chapelle Notre-Dame où ils y restèrent jusqu’à leur exposition en 1979. Poème publié<br />

dans LÅNGFORS, A., Histoire de l'Abbaye de Fécamp en vers français du XIIIe siècle publiée avec une<br />

introduction et un glossaire, 1928 ; voir aussi OSKARI, K., « Études sur deux poèmes français relatifs à<br />

l’abbaye de Fécamp », dans Suomalaisen Tiedeakatemian Toimituksi, 1927-28, p. 1-282.<br />

425


Pentecôte pour la cérémonie et tous les ans, Henri II assurait également l’essor de ce<br />

culte dynastique, qui concourrait à sa propre gloire 32 . La sacralité des ducs fondateurs<br />

est renforcée par la suite grâce à la découverte des reliques du saint Sang, lors des<br />

travaux entrepris par l’abbé Henri de Sully, en 1171. La tradition selon laquelle le duc<br />

Richard I er était l’inventeur de la relique lors de la dédicace de 990, et qui était travaillée<br />

par les moines de l’abbaye depuis le début du XI e siècle, est alors pleinement<br />

exploitée 33 .<br />

Henri II ne réhabilite cependant pas Fécamp dans sa fonction résidentielle<br />

prééminente, mais n’en contribue pas moins à inscrire dans ce lieu sacré une mémoire<br />

dynastique dont il venait revendiquer la filiation. La translation des reliques devait ainsi<br />

symboliser la volonté du roi de s’affirmer comme le descendant des illustres fondateurs<br />

du duché. L’élévation des ducs est entourée d’une odeur de sainteté que visait<br />

vraisemblablement à lui donner la translation simultanée des reliques de saints<br />

fécampois Flavien, Contest et Saëns et des saintes Afres, Perpétue et Geneviève dans<br />

des châsses d’or et d’argent 34 . En favorisant la vénération pour ses illustres ancêtres,<br />

Henri II ne construisait pas seulement une continuité dynastique à même de renforcer<br />

son autorité, en l’ancrant dans le lieu symbolique de la mémoire ducale normande, il<br />

participait également à construire une identité normande, constitutive de la territorialité<br />

de son pouvoir.<br />

La construction des identités normandes et anglaises est en effet au cœur du<br />

processus d’assimilation de l’aristocratie normande en Angleterre dans le siècle qui suit<br />

la conquête 35 . Selon Hugh M. Thomas, dans la seconde moitié du XII e siècle,<br />

32 Recueil des actes d’Henri II , I, p 359 : Concedo quid omnes illi qui venerint apud Fiscannum ad<br />

levandum comitem Ricardum habeant meam firmam pacem in eundo, morando, redeundo, nisi nominatim<br />

calumpniati fuissent de proditione vel felonia ; (je concède à tous ceux qui viendront à Fécamp à la levée<br />

des ducs Richard qu’ils auront des saufs conduits pour s’y rendre, y résider et en repartir, et quiconque les<br />

empêchera sera poursuivi pour trahison ou félonie)<br />

33 RENOUX, A., Fécamp, du palais ducal au palais de Dieu : bilan historique et archéologique des<br />

recherches menées sur le site du château des ducs de Normandie IIe siècle A.C.-XVIIIe siècle P.C., 1991,<br />

p. 496-98 : elle existe dans le Libellus ainsi que dans le manuscrit 528 (bibl. mun. Rouen) rédigé entre<br />

1015 et 1090 qui fait du duc Richard I er , l’inventeur de la relique lors de la dédicace de 990.<br />

34 MUSSET, L., « Les sépultures des souverains normands: un aspect de l’idéologie du pouvoir », dans<br />

Autour du pouvoir ducal normand Xe-XIIe siècles, 1985, p. 19-44 cite DU MONSTIER, A., Neustria pia,<br />

1663, p. 254 : Circa anno 1161, que ceu, anno 1162 … Huic translationi Henricus Rex Anglorum<br />

interfuit, et Episcopi Normanniae, et dedit illi Ecclesiae sylvam de hogis. (Vers 1161, Henri roi<br />

d’Angleterre fut l’intercesseur de cette translation avec les évêques de Normandie, et il donna à l’église la<br />

forêt de la Hogue).<br />

35 THOMAS, H. M., The English and the Normans. Ethnic Hostility, Assimilation and Identity, 1066-c.<br />

12, 2003 ; GILLINGHAM, J., The English in the Twelfth Century. Imperialism, National Identity and<br />

Political Value, 1999 ; SHORT, I., « Tam Angli quam Franci: self definition in Anglo-Normand<br />

England », A.N.S., 1996, p. 153-175.<br />

426


l’ambiguïté sur l’identité collective des élites s’atténue, tandis que se renforce le<br />

sentiment de l’anglicité de l’aristocratie en Angleterre et de la normanitas de l’autre<br />

coté de la Manche. La rédaction de grandes gestes comme le Roman de Rou, commencé<br />

par Robert Wace et achevé par Benoît de Sainte-Maure participe également à la<br />

formation d’une mémoire historique du peuple normand en exaltant la mémoire de<br />

Rollon, le fondateur du duché 36 . La territorialité des patriae qui composaient l’empire<br />

des Plantagenêt reposait ainsi sur le sentiment d’appartenance à une même gens<br />

possédant une histoire commune et à un même territoire structuré par un réseau de lieux<br />

sacrés polarisés par le culte des saints. Dans cette perspective, la superposition entre<br />

patria et diocèse contribue vraisemblablement au processus de territorialisation de ces<br />

deux entités au cours du XII e siècle 37 . En Normandie, par exemple, les limites du duché<br />

coïncidaient presque parfaitement avec elles de la province ecclésiastique de Rouen, ce<br />

qui n’est pas le cas dans le reste de l’empire 38 . Or, la question des délimitations<br />

ecclésiastiques constituait un enjeu dans la territorialisation du pouvoir laïque, comme<br />

le montrent les différentes tentatives qu’Henri II mène en Bretagne, pour autonomiser<br />

l’évêché de Dol de la tutelle de Tours et en Aquitaine, pour prendre la main sur la<br />

primatie de Bourges, tous deux sous influence capétienne (voir chapitre 2).<br />

En 1177, le vol des reliques de saint Pétroc par un moine breton constitue un<br />

événement au cours duquel Henri II a l’occasion d’affirmer de son autorité sur<br />

l’organisation de la sacralité des cultes en Bretagne 39 . Selon Roger de Hoveden, en<br />

effet :<br />

Cette année là, Martin, un chanoine régulier de l’église de Bodmin<br />

(en Cornouailles) vola les reliques de saint Pétroc et les déposa dans<br />

l’abbaye de Saint-Méen en Bretagne. 40<br />

Aussitôt, Henri II ordonne à son sénéchal de Bretagne de retourner les reliques<br />

au monastère anglais, ne conservant qu’une côte qu’il fait déposer dans une châsse<br />

36<br />

ROBERT WACE, Le Roman de Rou, 1970-1974; DAMIAN-GRINT, P., « Benoît de Sainte-Maure et<br />

l'idéologie des Plantagenêt », dans Plantagenêts et Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 413-<br />

427.<br />

37<br />

MAZEL, F. (éd.), L'espace du diocèse. Genèse d'un territoire dans l'Occident médiéval (Ve-XIIIe<br />

siècle), 2008.<br />

38<br />

POWER, D. J., The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries, 2004.<br />

39<br />

GROSJEAN, P., « De Reliquiarium Furto: De corpore Sancti Petroci furato et restituto. Vies et<br />

miracles de S. Petroc I. Le dossier du manuscrit de Gotha », Annalecta Bollandiana, 74 (1956), p. 131-<br />

188; EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins : Province and Empire, 1158-1203, 2000, p. 51-58 ;<br />

JANKULAK, K., The medieval cult <strong>of</strong> St Petroc, 2000.<br />

40<br />

HOVEDEN, II, p. 136. Eodem anno Martinus canonicus regularis ecclesiae de Bomine furtive<br />

asportavit corpus Sancti Petroci et fugiens secum detulit in Britanniam ad abbatiam Sancti Mevenni.<br />

427


d’argent et qu’il envoie à Saint-Méen. Les motifs du moine Martin étaient pourtant<br />

louables, puisqu’ils visaient à renforcer l’autorité de Ge<strong>of</strong>froy en Bretagne, en<br />

l’associant aux reliques bretonnes afin de provoquer le ralliement des barons 41 . Selon<br />

Edina Bozoky, dans les mentalités de l’époque, le transfert des reliques signifiait le<br />

transfert du pouvoir de l’Angleterre (Cornouailles) vers la Bretagne 42 . L’intervention<br />

d’Henri II dans l’affaire des reliques de saint Pétroc visait donc à réaffirmer son autorité<br />

impériale dans les affaires internes de l’Église bretonne aux dépens de l’autorité comtale<br />

de son fils 43 . Ge<strong>of</strong>froy était encore à cette sous la tutelle de son père : il ne devient<br />

<strong>of</strong>ficiellement duc qu’en 1181, lorsqu’il épouse Constance de Bretagne. Avant cette<br />

date, l’effort pour garantir une cohérence à l’empire impliquait de contrôler la sacralité<br />

ducale en Bretagne et par conséquent le pouvoir symbolique de ses reliques.<br />

Les tentatives d’ancrage des Plantagenêt en Limousin, une province qu’ils<br />

dominaient mal mais qui était un nœud essentiel dans la composition de leur empire ont<br />

été multiples. La construction d’une « centralité » limousine, quoique contestée,<br />

apparaît en effet comme un projet poursuivi à la fois par Henri II et Richard, et le<br />

monastère de Grandmont apparaît alors comme l’instrument de cette politique. En 1170,<br />

alors qu’il croit qu’il va mourir, Henri II rédige un testament dans lequel il émet le vœu<br />

d’être enseveli dans l’abbaye des bonhommes de Grandmont, aux pieds du fondateur<br />

Étienne de Muret ; une décision que son entourage conteste immédiatement, considérant<br />

qu’elle allait contra dignitatem regni sui 44 . En choisissant Grandmont comme<br />

nécropole, Henri II manifestait certes les dispositions particulières de sa piété,<br />

largement influencée par les pratiques de sa mère Mathilde l’Emperess qui avait elle-<br />

même fait d’importantes donations à l’abbaye 45 ; mais ne cherchait-il pas aussi à utiliser<br />

la dimension politique de son corps pour intégrer le Limousin à son empire en lui<br />

accordant une place centrale ?<br />

41 JANKULAK, K., The Medieval Cult <strong>of</strong> St Petroc, 2000, p. 194-95.<br />

42 BOZOKY, E., « Le culte des saints et des reliques dans la politique des premiers rois Plantagenêt »,<br />

dans La cour Plantagenêt, 1154-1204, 2000, p. 227-291.<br />

43 JANKULAK, K., The medieval cult <strong>of</strong> St Petroc, 2000, p. 187.<br />

44 PETERBOROUGH I, 7 : Et postea praecepit episcopis et comitibus et baronibus qui ei in illa<br />

infirmitate assidebant quod si illam non evasisset infirmitatem, corpus suum deferrent ad sepeliendum<br />

apud Grandem Montem, qui parum distat a Sancto Leonardo. Et ipse ostendit eis quandam cartam, quam<br />

Boni homines de Grandi Monte ei fecerunt de corpore suo sepeliendo, in exitu capituli domus Grandi<br />

Montis, ad pedes magistri eiusdem domus qui ibidem sepultus est.<br />

45 HALLAM, E. M., « Henry II, Richard I and the order <strong>of</strong> Grandmont », J.M.H., 1: 2 (1975), p. 165-186;<br />

MARTIN, J. et WALKER, L. E. M., « At the feet <strong>of</strong> St Stephen Muret : Henri II and the order <strong>of</strong><br />

Grandmont revividus », J.M.H., 16 (1990), p. 1-12.<br />

428


C’est vraisemblablement dans cette perspective qu’Henri II intervient toute sa<br />

vie en faveur de la canonisation du fondateur de l’ordre, afin que la proximité de la<br />

sépulture du saint amplifie sa propre gloire. Mais quelques mois à peine après<br />

l’émission de l’acte de canonisation par Clément III « à la demande (entre autres) du<br />

plus adoré fils du Christ, Henri, l’illustre roi des Anglais » 46 – dont le nom en tête de la<br />

liste des pétitionnaires confirme le rôle fondamental du Plantagenêt – Henri II meurt à<br />

Chinon, le 6 juin 1189, ne pouvant assister à la cérémonie de translation des reliques<br />

d’Étienne de Muret qui a lieu le 30 août 1189 47 . Sous l’égide d’Aliénor d’Aquitaine, qui<br />

avait plus largement favorisé l’ordre de Robert d’Arbrissel, Henri II est inhumé à<br />

Fontevraud. Si ce lieu n’était pas fondamentalement en contradiction avec sa piété, il<br />

l’était en revanche avec la manière dont Henri II avait organisé tout au long de sa vie les<br />

différentes sacralités des territoires de son empire. Situé au cœur de l’Anjou, dans<br />

l’espace de ses origines, là où son autorité était la moins contestée, la sépulture royale<br />

perdait sa capacité à enraciner l’autorité du prince dans un territoire par le simple jeu du<br />

corps royal.<br />

Ainsi, l’apparente homogénéité que fait apparaît la cartographie de l’empire<br />

d’Henri II peut être interprétée à la lumière de ses stratégies territoriales, mémorielles et<br />

identitaires. Elle résulte également du fait qu’Henri II n’a été que rarement seul pour<br />

gouverner. À partir de 1170 et concrètement après 1174, lorsqu’il met en place la<br />

confédération familiale, il pouvait en effet compter sur ses fils pour dominer l’ensemble<br />

des territoires, même s’il est amené à intervenir ponctuellement à plusieurs reprises.<br />

Richard et Jean, en revanche, ont régné seul sur cet immense espace difficilement<br />

contrôlable et dont la désintégration s’amorce dès les années 1190. À ce titre,<br />

l’organisation de sa succession constitue un élément essentiel pour comprendre<br />

comment Henri II concevait la construction territoriale de son empire.<br />

46<br />

BECQUET, J., « De revelatione beati Stephani », dans Scriptores Ordinis Grandimontensis, 1968,<br />

p. 280-285.<br />

47<br />

Ibid. : Appropinquante autem festo s. Augustini, et iam defuncto recenter Henrico Anglorum rege<br />

illustrissimo … His itaque peractis, ac laetantibus et exsultantibus in Domino universis, venimus ad<br />

locum ubi corpus Stephani cum digno honore humatum iacebat. Tunc domino legato iubente atque<br />

praecipiente a terra elevatur, et per claustrum cum magna devotione cereis ardentibus et turibulis<br />

fumignatibus portatur populoque praecedente et subsequente, cum hymnis et laudibus in ecclesia<br />

deducitur, et super altar b. Mariae honorifice ponitur (Alors qu’on approchait la saint Augustin et<br />

qu’Henri II ce roi illustre venait de mourir… que le corps de saint Etienne fut exhumé avec dignité du lieu<br />

où il était inhumé, en conformité avec la loi du seigneur, et transporté entouré de cierges ardents et de<br />

thuribules étincelantes dans la joie et l’exaltation en le seigneur, à travers le cloître où le peuple qui<br />

l’entourait, dans une grande dévotion, entonna des chants et des hymnes jusqu’à l’église où il fut déposé<br />

sur l’autel de la Vierge).<br />

429


Le rôle des pratiques successorales dans la construction territoriale de l’empire<br />

La question des pratiques successorales et de leur transgression est en effet<br />

essentielle pour comprendre comment l’empire des Plantagenêt a pu exister dans toute<br />

son unité entre 1154 et 1204. Contrairement à Sir James Holt qui considérait l’empire<br />

Plantagenêt du point de vue de son agonie, surtout comme « le résultat d’une<br />

combinaison pr<strong>of</strong>ane de l’avidité de ces princes et d’un accident généalogique » 48 , on<br />

peut considérer à l’instar de John Gillingham, C. Warren Hollister et Thomas K. Keefe,<br />

qui l’appréhendaient dans une plus large pr<strong>of</strong>ondeur historique remontant à<br />

l’impérialisme angevin de Foulque V au XI e siècle, qu’il résultait aussi d’un long<br />

processus mêlant à la fois politique de conquêtes territoriales et alliances<br />

matrimoniales 49 .<br />

À partir des années 1160, lorsque Henri II élabore un schéma de répartition des<br />

territoires entre ses fils, selon les règles de succession fondées sur le parage (répartition<br />

des terres entre les héritiers mâles), alors en vigueur dans l’ouest de la France 50 , il<br />

enclenche un processus contradictoire qui porte à la fois les principes de son unification<br />

et les sources de sa division. L’aîné, Henri le Jeune reçoit l’héritage paternel, le<br />

royaume d’Angleterre et le duché de Normandie, Richard obtient le duché d’Aquitaine,<br />

héritage de sa mère, tandis que Ge<strong>of</strong>froy reçoit la Bretagne, par son union promise avec<br />

Constance, la fille du duc Conan IV 51 . En 1167, la naissance de Jean « sans terre » vient<br />

remettre en question ce partage et incite Henri II à obtenir du pape la bulle Laudabiliter<br />

en 1171 pour conquérir l’Irlande afin de doter son dernier fils. Cependant, afin d’éviter<br />

le morcellement de l’empire après sa mort, Henri II ajuste la coutume du parage, en<br />

donnant à son fils aîné une autorité supérieure sur tous ses frères, qui doivent<br />

individuellement lui rendre l’hommage féodal. La cohésion de cet espace était ainsi<br />

théoriquement maintenue par les principes d’organisation successorale, fondés sur une<br />

primogéniture partielle et sur les liens de fidélité féodo-vassaliques.<br />

48<br />

HOLT, J. C., « The end <strong>of</strong> the Anglo-Norman realm », Proceeding <strong>of</strong> the British Academy, 61 (1975),<br />

p. 223-265 (p. 239-240).<br />

49<br />

GILLINGHAM, J., The Angevin empire, 1984; HOLLISTER, C. W. et KEEFE, T. K., « The Making <strong>of</strong><br />

the Angevin Empire », The Journal <strong>of</strong> British Studies, 12: 2 (1973), p. 1-25, voir aussi MADELINE, F.,<br />

« L’empire des Plantagenêt : espace féodal et construction territoriale », Hypothèses 2007. Travaux de<br />

l'Ecole doctorale de <strong>Paris</strong> 1 <strong>Panthéon</strong>-<strong>Sorbonne</strong> (2008), p. 239-252.<br />

50<br />

C’est ainsique que s’était effectué le partage de l’Angleterre et de la Normandie entre les fils de<br />

Guillaume le Conquérant, en 1086, et de l’Anjou et de la Normandie en 1151, à la mort de Ge<strong>of</strong>froy le<br />

Bel.<br />

51<br />

Une opposition partagée par tous les historiens, voir notamment HOLT, J. C., « The end <strong>of</strong> the Anglo-<br />

Norman realm », Proceeding <strong>of</strong> the British Academy, 61 (1975), p. 223-265 qui discute de ces différentes<br />

règles de succession.<br />

430


En 1189, malgré le dispositif mis en place par Henri II, sa succession se déroule<br />

selon un scénario sensiblement différent. À cette date, deux des quatre fils du vieux roi<br />

sont déjà morts. Il ne reste alors en lice que Richard et Jean. Mais si Richard accepte<br />

l’Angleterre et la Normandie, il refuse tout autant de céder l’Aquitaine à son frère, de<br />

même qu’il avait déjà refusé en 1183 de prêter serment à son frère aîné pour le duché<br />

dont il avait reçu personnellement l’investiture. En 1189, Richard parvient ainsi à capter<br />

l’ensemble de l’héritage paternel en transgressant les règles de succession féodales, à<br />

l’instar d’Henri II, qui était lui aussi parvenu à contourner les problèmes que l’accession<br />

de son frère Ge<strong>of</strong>froy à la tête de l’Anjou avait posé en 1152 (voir chapitre 2). In fine,<br />

l’attachement de Richard à l’Aquitaine apparaît comme un pur produit des constructions<br />

territoriales qu’Henri II avait lui-même élaborées.<br />

1.1.3- Richard, l’Aquitaine et la construction d’une idéologie dynastique<br />

À la différence d’Henri II, la carte de l’empire de Richard (carte 5.5), dont la<br />

maille plus lâche résulte de la courte durée de son règne, fait apparaître une gestion de<br />

l’espace plus centralisée autour de la Normandie, où il séjourne le plus clair de son<br />

temps au cours des sept années qu’il passe sur ses territoires. Dans l’empire de Richard,<br />

la Manche apparaît comme un obstacle, rarement franchi si ce n’est pour recevoir les<br />

regalia lors des deux couronnements de 1189 et 1194. Partout ailleurs, l’espace<br />

parcouru de l’empire apparaît essentiellement sous forme de trajectoire, jusqu’à<br />

Nottingham en Angleterre, Bayonne en Gascogne, et Châlus en Limousin. Alors qu’il<br />

avait été très présent en Aquitaine au cours des vingt années précédant son règne, elle<br />

apparaît à partir de 1189 comme un espace lointain, presque périphérique. Pourtant, le<br />

lien qui unissait Richard à l’Aquitaine était fondé sur l’union mystique du duc avec la<br />

première martyre d’Aquitaine, sainte Valérie.<br />

L’anneau de sainte Valérie et l’union personnelle de Richard à l’Aquitaine<br />

Selon le chroniqueur Ge<strong>of</strong>froy de Vigeois, moine de Saint-Martial de Limoges,<br />

peu après le partage de l’empire entre les fils d’Henri II, Richard est intronisé comme<br />

duc d’Aquitaine à Saint-Hilaire de Poitiers, puis à Limoges, où il reçoit l’anneau de<br />

sainte Valérie, symbolisant l’alliance mystique du jeune prince avec le duché, à travers<br />

le culte de la sainte protomartyre de Gaule. Outre le problème de datation que pose ce<br />

431


texte, entre 1171 et 1172, il est le premier document à évoquer l’existence d’un anneau<br />

de sainte Valérie et la coutume d’une intronisation ducale à Limoges 52 . Selon<br />

Bernadette Barrière, cette cérémonie aurait été organisée par Aliénor d’Aquitaine,<br />

soucieuse d’asseoir au mieux l’autorité de son fils dans cette partie du duché qu’agitait<br />

une aristocratie ombrageuse. Contrairement à la couronne qui constituait un objet<br />

symbolique « neutre » du rituel d’investiture, l’anneau de Valérie personnalisait l’union<br />

du prince avec son duché. Cette cérémonie doit être replacée dans le contexte d’un<br />

renouveau de la vénération pour la sainte à la suite de la célébration, en 1161, d’une<br />

cérémonie sur le lieu de son martyre. La charge émotionnelle de l’intronisation de 1171<br />

était donc très forte, sans doute à l’image du développement que connaît le culte de ses<br />

reliques dans les années 1160-1170, telle qu’en témoigne la large diffusion des châsses<br />

émaillées dans l’ensemble de l’empire Plantagenêt 53 . L’union du duc et de la sainte<br />

avait une forte signification politique dans la mesure où Léocade, le père de Valérie,<br />

était considéré comme le premier duc d’Aquitaine, une dignité dont avait hérité Valérie.<br />

L’union symbolique de Richard avec la sainte, reflet de celle d’Aliénor et d’Henri II,<br />

conférait ainsi à l’autorité du jeune duc une légitimation sacralisée 54 . L’attachement<br />

personnel explique au moins en partie pourquoi Richard refuse de prêter hommage à<br />

son frère aîné en 1183 et de céder le duché à Jean en 1189. Plutôt que de le considérer<br />

comme une « avidité » du pouvoir, il faut le regarder comme une conséquence de la<br />

construction sacrale et mémorielle qu’Henri II et ses fils ont développée vis-à-vis de<br />

chacun des territoires de leur empire 55 ?<br />

En 1189, lorsqu’il succède à l’ensemble de l’héritage paternel, Richard doit<br />

inventer ses propres rapports mémoriels et sacrés aux autres territoires de son empire.<br />

Plutôt que de suivre la voie de son père en enracinant son autorité dans chaque territoire,<br />

il reprend et développe le culte d’un personnage dont le mythe n’a cessé de s’amplifier<br />

52 BARRIÈRE, B., « L’anneau de sainte Valérie, mythe ou réalité ? », dans Valérie et Thomas Becket -<br />

De l'influence des princes Plantagenêts dans l'Oeuvre de Limoges, 1999, p. 11-18, avance la date de 1171<br />

plutôt que celle de 1172 retenue par John Gillingham, en se fondant sur les styles de commencement<br />

d’année employés par Ge<strong>of</strong>froy de Vigeois.<br />

53 Ibid.; LEMAÎTRE, J. L., « Sainte Valérie, sa vie et son culte d'après les textes limousins », dans<br />

Valérie et Thomas Becket - De l'influence des princes Plantagenêts dans l'Oeuvre de Limoges, 1999, p.<br />

17-43.<br />

54 BOZOKY, E., « Le culte des saints et des reliques dans la politique des premiers rois Plantagenêt »,<br />

dans La cour Plantagenêt, 1154-1204, 2000, p. 227-291 cite Catalogus codicum hagiographicorum<br />

latinorum antiquiorum saeculo XVI, qui asservantur in Bibliotheca nationali <strong>Paris</strong>iensi, 1890, p. 2-5.<br />

55 BOUTOULLE, F., Le duc et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au<br />

XIIe siècle, 2007, p. 257 : remarque également le rôle d’Otton de Brunswick dans la canonisation de saint<br />

Gérard et sa récupération politique lorsqu’il était duc d’Aquitaine.<br />

432


sous le règne d’Henri II et dont il va véritablement faire l’emblème de son règne : le roi<br />

Arthur.<br />

La découverte des restes d’Arthur et Guenièvre à Glastonbury et la construction<br />

d’une idéologie dynastique chevaleresque et « impériale »<br />

L’association Richard/Arthur a longtemps résonné dans l’imaginaire médiéval et<br />

se poursuit même jusqu’à nous à travers le thème de l’attente du retour du héros,<br />

notamment grâce aux échos qu’en a reproduit Walter Scott dans Ivanhoé au début du<br />

XIX e siècle. Arthur était avant tout un roi breton, figure héroïque de l’imaginaire<br />

britannique, dont la légende imprègne l’ensemble des élites européennes du XII e siècle,<br />

alimentant l’idéal de la chevalerie occidentale 56 . Depuis la rédaction de l’Historia<br />

Regum Brianniae de Ge<strong>of</strong>froy de Monmouth, dans les années 1130, la légende du roi<br />

Arthur rencontre un succès ininterrompu, notamment au travers de sa traduction et de<br />

son adaptation dans les années 1150-1170 par Robert Wace dans le Roman de Brut qui<br />

en faisait une référence plus œcuménique 57 . À partir du règne de Richard et plus<br />

précisément de 1191, lorsque sont découvertes des tombes présentées comme celles du<br />

roi Arthur et de la reine Guenièvre à Glastonbury, le mythe rencontre la réalité 58 . La<br />

découverte de ces tombes, sous deux pyramides couvertes de vieilles inscriptions<br />

devenues illisibles dans le cimetière de l’abbaye, donnait en effet aux vastes<br />

constructions littéraires et mémorielles rédigées sous Henri II un support matériel pour<br />

le développement d’un véritable culte. En cherchant à distinguer dans cet événement ce<br />

qui relevait de la concertation politique de la supercherie monastique, Amaury Chauou<br />

rejoint largement les analyses de Dominique Boutet : s’il y a certes eu une machination<br />

de la part des moines, visant à attirer de nouveaux pèlerins pour financer la<br />

reconstruction de leur abbaye détruite par un incendie en 1184, celle-ci était<br />

vraisemblablement sinon orchestrée (selon Giraud de Barri) du moins couverte par la<br />

monarchie Plantagenêt. Cette thèse allait à l’encontre de celle d’Edmond Faral qui<br />

refuse de croire en une intervention réelle du roi, qui aurait eu pour objectif de s’allier le<br />

56<br />

BARTHÉLEMY, D., La chevalerie. De la Germanie antique à la France du XIIe siècle, 2007, p. 373-<br />

476.<br />

57<br />

GEOFFROI DE MONMOUTH, The Historia Regum Britannie, 1985; GEOFFROI DE MONMOUTH,<br />

Histoire des rois de Bretagne, 1992 ; ROBERT WACE, Arthur dans le Roman de Brut, 2002.<br />

58<br />

CHAUOU, A., L'idéologie Plantagenêt : royauté arthurienne et monarchie politique dans l'espace<br />

Plantagenêt, XIIe-XIIIe siècles, 2001, chapitre 6, voir également NITZE, W. A., « The exhumation <strong>of</strong><br />

King Arthur at Glastonbury », Speculum, 9 (1935), p. 355-361; ALCOCK, L., Arthur's Britain : History<br />

and Archaeology AD 367-634, 1974; GRANSDEN, A., « The Growth <strong>of</strong> the Glastonbury Legends in the<br />

Twelfth Century », J.E.H., 27 (1976), p. 337-358; ASHE, G., The Discovery <strong>of</strong> King Arthur, 2003 ;<br />

BOUTET, D., Charlemagne et Arthur ou le roi imaginaire, 1992.<br />

433


peuple breton. Edmond Faral considère l’invocation d’Henri II par les moines comme<br />

une usurpation, une imposture de plus, après la fameuse grande charte de 1184 qui leur<br />

concédait des privilèges incroyables 59 .<br />

Depuis 1178, en effet, l’abbatiat de Glastonbury était vacant et sa gestion était<br />

assurée par les agents du roi en attendant que le conflit qui opposait les moines au roi,<br />

au sujet du candidat, trouve une issue. Ce conflit n’aboutit qu’à la mort d’Henri II,<br />

lorsque Richard accepte l’élection d’Henri de Sully en 1190. La découverte des reliques<br />

l’année suivante s’appuie alors sur des allégations de Guillaume de Malmesbury, qui<br />

affirme, dans son De antiquitate Glastoniensis ecclesiae, que Glastonia était en réalité<br />

l’Insula Avallonia, c'est-à-dire l’île d’Avallon où Arthur avait sa sépulture. Cette<br />

légende était cependant fortement contestée par les Gesta Regum Anglorum qui<br />

entretenait la légende du retour d’Arthur en affirmant que personne n’avait jusqu’à ce<br />

jour aucune connaissance du lieu où il avait été enseveli et que le tombeau de ce héros<br />

ne se voyait nulle part 60 . Cependant, les enjeux de la découverte pour les Plantagenêt<br />

étaient tels qu’il est difficile de ne pas croire à leur implication, même indirectement.<br />

Pour Amaury Chauou en effet « tuer Arthur en ouvrant sa sépulture » permettait non<br />

seulement de mettre un terme à l’« espoir breton » et ainsi prendre le contrôle de la<br />

légende face au messianisme gallois qui alimentait les révoltes, mais également<br />

d’exploiter les reliques pour renforcer le mythe familial. Par la suite, l’introduction du<br />

prénom d’Arthur dans le lignage Plantagenêt par le fils posthume de Ge<strong>of</strong>froy et de<br />

Constance de Bretagne en 1187 « scella de façon définitive la captation de l’héritage<br />

d’Arthur par les Plantagenêts » 61 .<br />

Ainsi, en prolongeant l’œuvre de son père par l’ancrage de son entreprise<br />

littéraire et mémorielle dans la réalité cultuelle de la fin du XII e siècle, Richard captait<br />

effectivement la sacralité du roi Arthur ainsi que toute l’idéologie chevaleresque qu’il<br />

véhiculait et dont Richard avait été lui-même un modèle reconnu par ses propres<br />

contemporains 62 . La force du mythe sur lequel reposait le culte d’Arthur possédait en<br />

outre l’avantage de contourner la faible pr<strong>of</strong>ondeur dynastique des Plantagenêt vis-à-vis<br />

des constructions capétiennes, en valorisant une légitimé fondée sur d’autres valeurs que<br />

59<br />

FARAL, E., La légende arthurienne : études et documents, 1969.<br />

60<br />

Ibid.<br />

61<br />

CHAUOU, A., L'idéologie Plantagenêt : royauté arthurienne et monarchie politique dans l'espace<br />

Plantagenêt, XIIe-XIIIe siècles, 2001, p. 228-229.<br />

62<br />

FLORI, J., Richard Coeur de Lion le roi-chevalier, 1999.<br />

434


le strict principe successoral 63 . En présentant Arthur dans une geste aux origines<br />

troyennes et comme le lointain successeur de Constantin, les Plantagenêt pouvaient<br />

ainsi rivaliser avec les conceptions téléologiques et prophétiques de l’idéologie du Sang<br />

royal de la monarchie capétienne 64 . C’est ainsi que le développement et la<br />

matérialisation du culte d’un héros propre à véhiculer une idéologie commune à<br />

l’ensemble des populations de l’empire participe à la construction « impériale » de<br />

l’autorité du roi Richard.<br />

La dimension fondamentalement territoriale de cette compétition pour les<br />

Plantagenêt s’est également traduite dans les pratiques funéraires qui favorisent la<br />

dispersion des restes royaux et dans l’enjeu de plus en plus prégnant de la localisation<br />

des nécropoles dynastiques.<br />

La dispersion du corps du roi comme un reflet de la territorialité de l’empire de<br />

Richard<br />

Si la sacralité qu’apportait la découverte des reliques d’Arthur et Guenièvre<br />

permettait à Glastonbury de prétendre au statut de sanctuaire de la royauté britannique<br />

sur le modèle de Saint-Denis en France, elle ne parvient jamais à concurrencer les<br />

sanctuaires continentaux, ni même Westminster au cours du XIII e siècle. La<br />

problématique du choix du lieu de sépulture constitue un enjeu bien avant le règne de<br />

Richard. Déjà, sous Henri I er , Mathilde essuie le refus de son père lorsqu’elle émet le<br />

vœu, dans le testament qu’elle rédige en 1134, de se faire enterrer dans l’abbaye<br />

normande du Bec-Hellouin. Pour le roi d’Angleterre, cette abbaye n’était pas digne de<br />

recevoir la dépouille d’une femme qui avait été couronnée impératrice à Rome. C’est<br />

pourtant là qu’elle est inhumée en 1167, imposant sa volonté et faisant primer<br />

l’attachement spirituel sur l’enjeu stratégique que représentait la fondation d’une<br />

nécropole royale 65 . Aliénor avait sans doute compris cet enjeu qu’elle tente de concilier<br />

avec son attachement pour Fontevraud. Lorsque le 6 juin 1189, Henri II meurt à Chinon,<br />

abandonné de tous, la proximité de l’abbaye constitue sans doute un facteur déterminant<br />

du choix du lieu de sépulture du cadavre abandonné et dépouillé, comme l’avait été le<br />

63<br />

CHAUOU, A., L'idéologie Plantagenêt : royauté arthurienne et monarchie politique dans l'espace<br />

Plantagenêt, XIIe-XIIIe siècles, 2001, p. 172-180. L’image chevaleresque du saint roi participa également<br />

de la sacralisation de la royauté hongroise au XII e siècle :voir KLANICZAY, G., « L'image chevaleresque<br />

du saint roi au XIIe siècle », dans La royauté sacrée dans le monde chrétien, 1992, p. 53-61.<br />

64<br />

CHAUOU, A., L'idéologie Plantagenêt : royauté arthurienne et monarchie politique dans l'espace<br />

Plantagenêt, XIIe-XIIIe siècles, 2001, p. 202.<br />

65<br />

ETIENNE DE ROUEN, Draco normannicus, 1885, p 120-122, cité PORÉE, A. A., Histoire de<br />

l'abbaye du Bec, 1980, chapitre 14.<br />

435


corps de Guillaume le Conquérant en 1087 66 . Cet épisode rappelle qu’à la fin du XII e<br />

siècle, la sacralité du corps du roi, que mettent en scène les funérailles, n’est pas encore<br />

un acquis des royautés occidentales.<br />

L’apparition au XII e siècle d’un transfert de sacralité sur le corps défunt s’opère<br />

sur le mode de la transformation du cadavre en un vivier de reliques appelant à sa<br />

dissection. La dispersion des restes royaux dans les différents territoires de l’empire<br />

devient à partir de Richard comme un moyen d’unification autour une même sacralité<br />

royale. Cette idée est clairement formulée par Richard lorsqu’il édicte, avant de mourir,<br />

ses dernières volontés à ses familiers, et dont Mathieu <strong>Paris</strong> rapporte la substance ainsi<br />

que le texte de son épitaphe :<br />

Et la terre de Chalus a enseveli le duc des Poitevins<br />

Son corps repose sous le marbre de Fontevraud<br />

Normandie, tu recouvres le cœur de l’inexpugnable roi<br />

Tels sont les trois lieux où sont réparties tant de ruines,<br />

Alors qu’il a suffit d’un seul lieu pour que tu trouves la mort. 67 .<br />

Par la dispersion de son corps en divers points de son empire, Richard ne tentait-<br />

il pas de concilier deux volontés contradictoires : être enseveli dans le tombeau familial,<br />

« dans le sépulcre de son père » 68 , à Fontevraud, tout en refusant d’ancrer la mémoire<br />

dynastique dans un seul territoire ? Elle traduit ainsi le pr<strong>of</strong>ond cosmopolitisme de<br />

Richard, incapable de limiter son identité à un seul des territoires de son empire. Cette<br />

pratique ritualisant les funérailles des membres séparés du roi n’est cependant pas une<br />

nouveauté ; elle avait déjà cours en Allemagne au XI e siècle, en particulier la séparation<br />

66 HALLAM, E. M., « Royal burial and the cult <strong>of</strong> kingship in France and England, 1060-1330 », J.M.H.,<br />

8 (1982), p. 359-380 ; ORDERIC VITAL, The Ecclesiastical History, 1986, IV, p. 102-109 : Verum<br />

fraters eius et cognate iam ab eo recesserunt, et omnes ministri eius eum ut barbarum nequiter<br />

deseruerunt. (Ses frères et ses parents étaient partis et l’avaient abandonné comme s’il avait été un<br />

barbare).<br />

67 MATHIEU PARIS, Chronica majora, 1964, II, p. 452; ORDERIC VITAL, The Ecclesiastical History,<br />

VI, 1986, p. 452 (bk. XIII): Quare igitur de corpore suo talem fieri distributionem decreverit, quibusdam<br />

familiaribus suis sub sigillo secreti revelavit. Patri enim corpus suum ratione praedicta assignavit;<br />

Rothomagensibus propter incomparabilem fidelitatem, quam in eis expertus fuerat, cor suum pro exennio<br />

transmisit. Pictavensibus quoque propter notam proditionis sterncora sua reliquit, quos non alia sui<br />

corporis portione dignos judiavit. (Il décréta comment son corps devrait être dispersé et confia ces<br />

disposition sous le sceau du secret à ses familiers : Il donna son corps à son père ; aux Rouennais, pour<br />

leur incomparable fidélité, dont il avait fait l’expérience, il leur envoya son cœur en remerciement; quant<br />

aux poitevins, et à leur réputation de traites, il ne leur laissa que ses viscères, car il ne les jugeait pas<br />

dignes d’une autre partie de son corps). Épitaphe : Pictavis extra ducis sepelit tellusque Chalucis, /<br />

Corpus dat claudi sub marmore Fontis Ebraudi,/ Neustria tuque tegis cor inexpugnabile regis ;/ Sic loca<br />

pter trina se sparsit tanta ruina,/ Nec fuit hoc funus cui sufficeret locus unus.<br />

68 LAUWERS, M., La mémoire des ancêtres, le souci des morts. Morts, rites et société au Moyen Âge,<br />

diocèse de Liège, XIe-XIIIe siècles, 1997, p. 74.<br />

436


du cœur et des viscères 69 . L’adoption de cette pratique semble avoir procédé<br />

initialement de mesures d’hygiène et de considérations esthétiques. Ainsi Henri I er , qui<br />

meurt à Lyons-la-Forêt en 1135, est d’abord éviscéré à Rouen avant que son corps ne<br />

soit transporté jusqu’à l’abbaye de Reading dans le Berkshire, où il avait demandé à être<br />

inhumé, tandis que ses entrailles sont déposées dans l’église rouennaise de Notre-Dame-<br />

des-Prés 70 . La ritualisation de cette pratique est cependant plus tardive, mais les<br />

funérailles de Richard marquent une étape importante dans l’évolution de ce<br />

cérémonial 71 .<br />

Tout d’abord parce ce qu’en décidant lui-même de la dispersion de ses restes,<br />

Richard fixait et donc ordonnait une pratique qui pouvait donner lieu à des désordres<br />

comme l’avait montré la querelle entre les Rouennais et les Manceaux qui se disputent<br />

la dépouille d’Henri le jeune en 1183 72 . Ensuite, parce qu’en dispersant son corps dans<br />

69<br />

HALLAM, E. M., « Royal burial and the cult <strong>of</strong> kingship in France and England, 1060-1330 », J.M.H.,<br />

8 (1982), p. 359-380.<br />

70<br />

HENRI DE HUNTINGDON, Historia Anglorum (the history <strong>of</strong> the English from A.C. 55 to A.D.<br />

1154), 1964 [1879], p. 256-57 : cuius corpus allatum est Rotomagum, et ibi viscera ejus et cerebrum et<br />

oculi consepulta sunt. Reliquum autem corpus cultelis circumquaque desecatum et multo sale aspersum,<br />

coriis taurinis reconditum est causa foetoris evitandi, qui multus et infinitus jam circumstates indicebat.<br />

Unde et ipse qui magno pretio conductus securi caput ejus diffiderat, ut foetidissimum cerebrum<br />

extraheret (Le corps est apporté à Rouen où ses viscères, son cerveau et ses yeux furent retirés. Les restes<br />

du corps découpé au couteau et recouverts de beaucoup de sel, furent placés dans un cœur de taureau pour<br />

éviter la puanteur...), voir aussi ORDERIC VITAL, The Ecclesiastical History, 1986, VI, p. 448-449 : In<br />

metropolitana sanctae Dei genitrics Mariae basilica cum ingenti tripudio susceptum est ; et a cunctis<br />

ordininbus utriusque sexus multarum copia lacrimarum effusa est. Ibi noctu a perito carnifice in<br />

archipresulis conclavi pingue cadaver apertum est et balsamo suave olenti condit est. (Le corps fut reçu<br />

en grande cérémonie dans la cathédrale Notre Dame, la sainte mère de Dieu, et de nombreuses larmes<br />

furent versées par les hommes de tout statut présents à la cérémonie. La nuit suivante, dans la chambre<br />

archiepiscopale, le cadavre corpulent fut ouvert par un embaumeur habile et rempli d’onguents<br />

balsamiques).<br />

71<br />

GAUDE-FERRAGU, M., D'or et de cendres. La mort et les funérailles des princes dans le royaume de<br />

France au bas Moyen Âge, 2005.<br />

72<br />

PETERBOROUGH, I, p. 303-304: Interim cum familiares Regis defuncti, corpus illius portantes ad<br />

civitatem Cenommanis pervenissent, cadaver regium, quod fecebant ad metropolitanam civitatis illius<br />

ecclesiam deportaverunt, ut ibidem nocturnas vigilias cum hymnis et psalmis in laude Dei gratius et<br />

honorificentius circa corpus regium agerent. Mane autem facto cum ipsius corpus regis secum versus<br />

Rotomagum ferre vellent; prohibitum est eis a clero et populo civitatis et sic valde tristes et confusi<br />

recesserunt. Episcopus vero civitatis cum clero et populo, corpus illud regium ibidem in ecclesia<br />

metropolitana Beat Juliani honorifice sepelivit. Sed postmodum paucis interlapsis diebus, archiepiscopus<br />

Rotomagensis et caeteri Normannigense tam clerus quam populus dedecus illud non debentes, nec<br />

volentes sustere, minas minis addiderunt affirmantes se civitatem Cenomannensem destructuros, nisi<br />

corpus regis eis celeries redderetur… (Entre temps comme les familiers du roi défunt qui portaient son<br />

corps arrivaient dans la cité du Mans, ils firent un détour et déposèrent le cadavre royal dans la cathédrale<br />

de la cité, si bien que toute la nuit, on veilla en chantant des hymnes et des psaumes à la gloire de Dieu et<br />

pour honorer l’arrivée du corps du roi. Mais lorsqu’ils voulurent ensuite reprendre la route de Rouen, ils<br />

furent empêchés par les clercs et le peuple de la cité et durent rebrousser chemin dans la confusion et la<br />

tristesse. L’évêque de la ville, les clercs et le peuple ensevelirent alors avec les honneurs le corps du roi<br />

dans la cathédrale Saint-Julien. Mais quelques jours plus tard l’archevêque de Rouen, les clercs et le<br />

437


les différentes parts de son empire, Richard se distinguait de la politique d’Henri II<br />

visant à construire un empire polycentrique. Bien qu’actant sa structure multi-<br />

territoriale, Richard s’attache toutefois moins à renforcer les identités territoriales autour<br />

du culte d’un saint porteur d’une mémoire locale qu’à renforcer la centralité de l’empire<br />

autour de la personne physique du roi, qu’il implante dans chacun de ses territoires.<br />

Dans cette perspective, la carte en anamorphose de Richard est révélatrice d’une<br />

certaine réalité, celle de la centralisation du pouvoir autour de la personne royale qui,<br />

durant la majeure partie du règne séjourne en Normandie. Cette centralisation accrue se<br />

traduit également, comme l’a fait remarquer Nicholas Vincent, par des transformations<br />

dans les pratiques de chancellerie actées par la charte de 1199 (voir chapitre 1) 73 . Ces<br />

transformations donnent également une nouvelle morphologie à la géographie<br />

administrative du règne de Jean.<br />

1.1.4- Jean, St Wulfstan et la construction de l’identité anglaise de la royauté<br />

Plantagenêt<br />

La carte en anamorphose des itinéraires de Jean, sous ses apparences de vénus<br />

magdalénienne, traduit assez nettement les discontinuités territoriales que provoque la<br />

conquête de Philippe Auguste, ainsi que la distance qu’elle introduit entre les différents<br />

territoires de l’empire. L’Aquitaine apparaît désormais lointaine, séparée du monde<br />

anglo-normand par le « ventre » de la marche poitevino-bretonne, mais les marges de<br />

l’espace britannique apparaissent proportionnellement beaucoup plus intégrées, à<br />

l’exception peut être de la Cornouaille. Cet éloignement apparent peut s’expliquer par le<br />

fait que l’espace le plus densément parcouru par Jean s’est déplacé latéralement par<br />

rapport à l’arc Douvres – Westminster – Southampton qui dominait le règne d’Henri,<br />

pour recouvrir l’espace de l’ancien royaume du Wessex.<br />

C’est dans cet espace que Jean, comte de Mortain, avait été possessionné par son<br />

père (Irlande) et son frère (comtés de Somerset, Dorset, Devon et Cornouailles) ainsi<br />

que par son mariage avec Isabelle de Gloucester, qui lui avait apporté Bristol et les<br />

principales résidences de la région. Cette partie de l’Angleterre était aussi celle dans<br />

laquelle les domaines royaux étaient les plus importants à l’époque d’Edward le<br />

Confesseur 74 . La plupart des étapes de Jean dans cette région étaient d’ailleurs des<br />

peuple normand ne pouvant ni ne voulant plus attendre encore, menacèrent de détruire la ville du Mans si<br />

le corps du roi ne leur était pas rendu au plus vite).<br />

73 VINCENT, N., « Why 1199 ? Bureaucracy and enrolment under John and his contemporaries », dans<br />

English Government in the Thirteenth Century, 2004, p. 18-48.<br />

74 HILL, D. H., An atlas <strong>of</strong> Anglo-Saxon England, 1981, p. 101, n°179 (lands <strong>of</strong> King Edward 1066).<br />

438


manoirs royaux, situés sur d’anciennes villae regiae, comme c’est le cas pour<br />

Sturminster, Brockenhurst, Micheldever, Eveltham, Wedmore, Calne, etc 75 . Judith<br />

Everard et Nicholas Vincent sont récemment revenus sur cet aspect, soulignant le fait<br />

que la puissance de « l’apanage » de Jean avant 1199 s’étendait sur l’ensemble du<br />

littoral occidental de l’Angleterre et de la Normandie (le Mortain), incluant la<br />

domination de l’Irlande 76 . Son attachement à cette région va se renforcer dans les<br />

premières années du XIII e siècle par le biais du culte de saint Wulfstan dont la sépulture<br />

se trouvait à Worcester. Peu après son avènement, c’est d’abord sur la tombe de Thomas<br />

Becket à Canterbury puis de saint Edmund à Bury que Jean se rend 77 . En 1204, Jean fait<br />

également don de 10 marcs annuels pour la réparation de la chasse de St Edmund avec<br />

des pierres précieuses 78 . Saint Edmund était alors un « symbole fluide avec la capacité<br />

d’un caméléon à réapparaître et se renouveler sous de nouvelles formes et dans de<br />

nombreux langage » 79 . Mais si saint Edmund permettait à Jean d’inscrire son règne,<br />

comme l’avait fait son père avec Edward le Confesseur, dans la continuité de ses<br />

prédécesseurs anglo-saxons afin de renforcer l’autorité royale en l’attachant à territoire<br />

identifié comme anglais 80 , Edmund était déjà saint en 1199, et le culte de ce saint roi<br />

était déjà répandu dans l’Angleterre d’après la conquête. En revanche, l’élévation des<br />

reliques de Wulfstan par l’évêque de Worcester Jean de Coutances en 1198 <strong>of</strong>frait à<br />

75 SAWYER, P., « The Royal tun in pre-Conquest England », dans Ideal and Reality in Frankish and<br />

Anglo-Saxon Society, Studies presented to J.M. Wallace-Hadrill, 1983, p. 273-299. La précision des<br />

itinéraires de Jean permet de s’en apercevoir, mais Henri II et Richard devaient également résider dans<br />

ces anciennes villae regiae lorsqu’ils passaient dans la région. On sait notamment qu’Henri II résida à<br />

Cheddar, Brockehurst et Steyning.<br />

76 EVERARD, J. A., « Le duché de Bretagne et la politique Plantagenêt aux XIIe et XIIIe siècles:<br />

perspectives maritimes », dans Plantagenêts et Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 193-210;<br />

VINCENT, N., « Jean comte de Mortain: le futur roi et ses domaines en Normandie 1183-1199 », dans<br />

1204, la Normandie entre Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 37-59.<br />

77 DICETO, II, p. 166 : Johannes rex Angliae, sub ipso coronationis suae initio visitans Sanctum Thomam<br />

et postea Sanctum Eadmundum, dies Pentecostes egit apud Norhamptonia. (Jean roi d’Angleterre,<br />

prenant l’initiative après son couronnement d’aller voir saint Thomas puis saint Edmund, le jour de la<br />

Pentecôte , se rendit ensuite à Northampton.). Richard aussi s’était arrêté à Canterbury lors de son retour<br />

de captivité avant d’entrer dans Londres. Depuis la victoire d’Henri II en 1173 qui suivit son pèlerinage à<br />

Canterbury, Becket était devenu un saint protecteur de la dynastie. BOZOKY, E., « Le culte des saints et<br />

des reliques dans la politique des premiers rois Plantagenêt », dans La cour Plantagenêt, 1154-1204,<br />

2000, p. 227-291.<br />

78 Rot. Lit. Pat., p. 37: Sciatis quod dedimus et concedimus X marcas annuas ad scaccarium nostrum<br />

precipiendas abbati et conventui Sancti Eadmundi ad reparacionem feretri Sancti Eadmundi propter<br />

quendam saphiris et unum rubeum quos obtulamus predicto Martirio et quod ipsi nobis tradidunt<br />

habendos tota vita nostra ita quod reverenter ad locu illum post obitu nostrum…<br />

79 COWNIE, E., « The cult <strong>of</strong> St Edmund in the eleventh and twelfth century. The langage and<br />

communication <strong>of</strong> a medieval saint’s cult », Neuphilologische Mitteilungen - Bulletin de la société<br />

néohilologique, 99: 2 (1998), p. 177-188.<br />

80 DRAPER, P., « King John and St Wulfstan », J.M.H., 10: 1 (1984), p. 41-50 ; WEBSTER, P., « King<br />

John's Piety, c.1199-c.1216 », PhD thesis, sous la dir. de Carl Watkins, 2007, Cambridge, p. 74-79;<br />

439


Jean l’occasion d’être associé personnellement à sa canonisation, obtenue grâce à<br />

l’action d’Hubert Walter, par bulle papale le 21 avril 1203 81 . Si Wulfstan n’était<br />

« qu’évêque », le culte que Jean lui a voué n’en traduisait pas moins la conscience qu’il<br />

avait de l’importance croissante de l’identité ‘anglaise’ dans l’aristocratie. Selon Peter<br />

Draper, en effet, il est très vraisemblable que l’attachement de Jean « pour saint<br />

Wulfstan ait indiqué la prise de conscience, quoique mal définie, que l’avenir des<br />

Angevins se trouvait désormais en Angleterre et qu’en conséquence, il convenait pour le<br />

roi d’être associé aux intérêts de ses sujets anglais » 82 . Les liens étroits entre Jean et<br />

saint Wulfstan sont illustrés par le choix de faire célébrer les funérailles royales à<br />

Worcester, en 1216, afin que soit associé dans un même lieu le corps royal à celui du<br />

saint patron 83 . Il est vraisemblable cependant que c’est dans sa fondation cistercienne de<br />

Beaulieu que Jean avait initialement prévu d’être inhumé. Peter Draper interprète ce qui<br />

apparaît comme un changement d’avis de la part de Jean, moins comme un désaveu des<br />

Cisterciens au pr<strong>of</strong>it des Bénédictins de Worcester, que comme le signe de l’intérêt que<br />

Jean portait à la vie du saint évêque et en particulier à sa résistance vis-à-vis de<br />

Lanfranc, à une époque où son propre différend avec Étienne Langton s’était<br />

sérieusement aggravé 84 .<br />

L’espace parcouru par les trois premiers Plantagenêt a donc un sens en terme de<br />

stratégies territoriales et identitaires spécifiques. Le temps des trois règnes recoupe en<br />

effet la chronologie proposée par Hugh Thomas des étapes de l’intégration des élites<br />

normandes dans la « nation » anglaise 85 . Alors qu’Henri II choisit de multiplier les<br />

patronages spirituels, pour ancrer son autorité dans chacun de ses territoires, illustrant<br />

81 CROOK, J., « The physical setting <strong>of</strong> the cult <strong>of</strong> St Wulfstan », dans St Wulfstan and his world, 2005,<br />

p. 189-218 cite GUILLAUME DE MALMESBURY, The Vita Wulfstani <strong>of</strong> William <strong>of</strong> Malmesbury to<br />

which are added the extant abridgments <strong>of</strong> this work and the Miracles and translation <strong>of</strong> St Wulfstan,<br />

1928, p. 148-149.<br />

82 DRAPER, P., « King John and St Wulfstan », J.M.H., 10: 1 (1984), p. 41-50 : « In the search for the<br />

context in which King John focused his devotion on St Wulfstan, this veneration <strong>of</strong> indigenous saints who<br />

could be seen as having played a notable part in the religious and the political life <strong>of</strong> the Church in<br />

England, is, I believe, highly relevant. Could it be that John was not insensitive to this growing sense <strong>of</strong><br />

‘national’ identity, that his attachment to St Wulfstan indicates a recognition, however ill-defined, that the<br />

future <strong>of</strong> the Angevins lay in their English possessions and that it would be as well for the king to be seen<br />

to be identifying with the interests <strong>of</strong> his English subjects? ».<br />

83 ROGER DE WENDOVER, Liber qui dicitur Flores Historiarum, 1965 [1886-89], II, p. 196: Deo et<br />

sancto Wulstano corpus et animam meam commando. (Je recommande mon corps et mon âme à Dieu et<br />

St Wulfstan).<br />

84 DRAPER, P., « King John and St Wulfstan », J.M.H., 10: 1 (1984), p. 41-50.<br />

85 THOMAS, H. M., The English and the Normans. Ethnic Hostility, Assimilation and Identity, 1066-c.<br />

12, 2003.<br />

440


les fortes distinctions identitaires qui dominaient encore dans l’empire, Richard cherche<br />

à développer un culte « impérial » au travers de la figure « trans-nationale » que<br />

représentait le roi Arthur à la fin du XII e siècle. En choisissant un héros mythique plutôt<br />

qu’un saint local, Richard opte pour une stratégie d’unification identitaire venant se<br />

superposer plus que remplacer les attaches locales, comme celle qu’il avait nouée avec<br />

sainte Valérie et dont l’union personnelle lui avait permis de transgresser les règles<br />

successorales. Il utilise également son corps pour faire le trait d’union entre les<br />

différentes parties de cet empire multipolaire. Jean ne parvint à pas poursuivre l’œuvre<br />

de son frère et, après 1204, le choix des cultes des saints Edmund et Wulfstan acte<br />

l’abandon de l’ancrage de son autorité sacrale sur ses territoires continentaux pour<br />

affirmer l’identité pr<strong>of</strong>ondément anglaise de sa royauté. La manipulation du corps des<br />

saints est donc utilisée par les Plantagenêt, comme elle l’avait été par la papauté, comme<br />

un instrument de territorialisation de l’autorité à différentes échelles 86 . Tandis que la<br />

pratique d’Henri II apparaît alors encore ancrée dans une conception du lieu, le locus du<br />

saint, dont la mise en réseau est susceptible de faire advenir le territoire 87 , celle de<br />

Richard est désormais pensée à partir d’un centre comme pôle sacralisé structurant<br />

l’espace de manière globale.<br />

La multiplication des références mémorielles et historiques pour ancrer l’autorité<br />

et la légitimité royale et impériale des Plantagenêt va se prolonger tout au long du<br />

Moyen Âge, contribuant à former une « image brouillée » de la monarchie anglaise 88 .<br />

L’impuissance des rois d’Angleterre à coordonner ces multiples références et à les<br />

intégrer dans un ensemble cohérent explique la difficulté qu’ils ont eu à « donner de<br />

leur lignage, de leur couronne et de leur pays une image forte, spécifique et clairement<br />

identifiable ». C’est seulement à partir de la promotion du culte de saint Georges,<br />

structuré par la constitution de l’ordre la Jarretière, que les rois anglais parviennent à<br />

surmonter les contradictions historiques qu’avait provoquées la diversité des cultes<br />

royaux 89 .<br />

86<br />

IOGNA-PRAT, D., La maison Dieu, 2006, p. 169-172.<br />

87<br />

Ibid., p. 309-312.<br />

88<br />

GENET, J.-P., « La monarchie anglaise: une image brouillée », dans Représentation, pouvoir et royauté<br />

à la fin du Moyen Âge, 1995, p. 93-107<br />

89<br />

Ibid. ; MCCLENDON, M. C., « A Moveable Feast : Saint George's Day Celebrations and Religious<br />

Change in Early Modern England », J.B.S., 38 (1999), p. 1-27. C’est seulement en 1415, l’année<br />

d’Azincourt que le jour de la fête de St Georges devient un grande fête nationale. COLLINS, Michael. "St<br />

Georges », Britannia, ; MARCUS, G. J., Saint George<br />

<strong>of</strong> England, 1929. Le culte de saint Georges était déjà populaire en Angleterre notamment depuis Richard<br />

cœur de Lion, qui plaça ses troupes, en 1191-92, sous la bannière de St Georges, donnant ainsi à<br />

l’Angleterre ce qui deviendra son étendard : la croix rouge du martyr sur fond blanc.<br />

441


Pour retrouver l’importance de ces lieux sacrés dans l’espace parcouru par les<br />

Plantagenêt, il faut donc s’abstraire de la géographie fondée sur la représentation des<br />

« place-date ». L’absence d’enregistrement du passage de Jean à Bury-St-Edmunds le<br />

jour de la Pentecôte 1199, dans l’itinéraire établi par Thomas Duffus Hardy montre en<br />

effet l’importance des lacunes que ce type de source peut induire. En outre, la<br />

représentation de l’espace parcouru à partir des lieux pose également un problème de<br />

sens. Plus qu’une multiplicité de résidences, ne faut-il pas plutôt considérer les lieux de<br />

passages avant tout comme des « étapes » d’une incessante itinérance. Moins que dans<br />

leurs résidences, les Plantagenêt passaient en effet le plus clair de leur temps à cheval,<br />

sur les routes de leur empire. La route n’est-elle donc pas ce qui constitue au fond le<br />

« lieu » principal de leurs itinéraires ?<br />

1.2- La route royale et les pérégrinations de la cour : les conditions<br />

de voyages et les modes de vie<br />

Contrairement à la carte représentant les sites des principales résidences royales<br />

(cartes 5.4), la modélisation des itinéraires royaux, en fonction des étapes successives,<br />

permet de distinguer les routes de prédilection des Plantagenêt. Alors que la carte des<br />

principales résidences d’Henri II donne l’impression que la route Barfleur – Bayeux –<br />

Caen – Alençon – Le Mans – Angers – Chinon est l’une des plus parcourues, la<br />

modélisation des itinéraires montre qu’il n’en est rien. En réalité lorsque Henri II<br />

arrivait à Barfleur, il traversait le plus souvent d’abord la Normandie jusqu’à Rouen<br />

après avoir pr<strong>of</strong>ité des forêts du Cotentin et ensuite, descendait vers Le Mans et Angers<br />

ou Poitiers, soit directement, soit en passant par Gisors et les châteaux de la vallée de<br />

l’Epte. En Angleterre, la route menant de Southampton à Londres est le parcours le plus<br />

souvent emprunté ; les variations apparaissant dans les étapes, dont les principales sont<br />

Winchester, Marlborough et Windsor, suggérant un passage par les forêts du Wiltshire<br />

et du Berkshire (cartes 5.6). Quant aux itinéraires de Richard, le principal trajet<br />

représenté est la route qui va des Andelys à Lyons-la-Forêt (36 fois) et vice versa. De<br />

multiples trajets montrent également que le roi n’a cessé de sillonner la vallée de la<br />

Seine. Ces itinéraires permettent de se rendre compte de l’importance des étapes<br />

« forestières » et de la place de la chasse dans la pratique de l’espace des Plantagenêt,<br />

un aspect qui ne transparaît pratiquement pas du tout dans les cartes de type « place-<br />

date ».<br />

Selon cette méthode, les itinéraires du règne de Jean sont moins significatifs<br />

visuellement. En revanche la carte produite par Brian Hindle est plus lisible, même si<br />

442


elle ne parvient à intégrer les données quantitatives qu’en se démultipliant (cartes 5.7) 90 .<br />

Elle a également l’avantage de reproduire non des trajectoires mais les routes<br />

empruntées à partir du réseau tel qu’il existait au Moyen Âge, ou plus exactement en<br />

recoupant les informations données par la Gough Map qui date de 1360 91 . Il montre<br />

ainsi que Jean emprunte les principales voies royales, les King’s Highways : Foss Way,<br />

Erming Street et Watling Street (carte 5.8) (voir chapitre 3). Une véritable royauté<br />

itinérante présupposait que le roi contrôlait les routes et détenait un quasi monopole des<br />

voyages et des communications sur de longues distances. Un indicateur de cette<br />

capacité du roi à voyager librement se traduit dans l’autorité reconnue à ses sauf-<br />

conduits. L’essor de cette royauté itinérante au XII e siècle et son emprise territoriale<br />

traduisent également l’intérêt accordé à l’entretien des routes et des ponts par lesquels<br />

s’effectuaient ses déplacements. La prise en charge par le roi, et par la Couronne en<br />

Angleterre, de certaines de ces infrastructures à caractère d’intérêt général souligne le<br />

renforcement accru de l’autorité royale sur le territoire qu’elle domine. Le choix des<br />

routes anciennes (romaines ou anglo-saxonnes), plutôt que des chemins ou des pistes –<br />

qui constituaient l’essentiel des voies de circulation au Moyen Âge – s’explique donc<br />

non seulement par le fait qu’elles étaient généralement bien entretenues mais aussi par<br />

l’importance du convoi royal 92 . Les témoignages des curiales d’Henri II rappellent en<br />

effet que le roi ne voyageait pas seul mais en compagnie de toute sa maisonnée,<br />

nécessitant d’emprunter des voies de communications praticables, bien que cela n’ait<br />

pas été pas toujours possible.<br />

1.2.1- Une cadence infernale et la précarité des conditions de vie<br />

Contrairement aux séjours en résidence, qui étaient généralement assez brefs, le<br />

plus clair du temps était passé sur les routes. Les curiales n’ont pas manqué de s’en<br />

plaindre, dénonçant les aspects les plus insupportables de ce mode de vie, à l’instar du<br />

90 HINDLE, B. P., Medieval roads and tracks, 1998.<br />

91 Sur cette carte voir PELHAM, R. A., « The Gough Map », The Geographical Journal, 81: 1 (1933), p.<br />

34-39; STENTON, F. M., The Map <strong>of</strong> Great Britain with the roads <strong>of</strong> the Gough Map, 1958; PARSONS,<br />

E. J. S., The map <strong>of</strong> Great Britain circa A.D. 1360, known as the Gough map : an introduction to the<br />

facsimile, 1996.<br />

92 EDWARDS, J. F., « The transport system <strong>of</strong> medieval England », PhD thesis, 1987, unpublished ;<br />

HINDLE, B. P., « A Geographical Synthesis <strong>of</strong> the Road Network <strong>of</strong> Medieval England and Wales »,<br />

PhD thesis, 1973, unpublished; STENTON, F. M., « The Road System <strong>of</strong> Medieval England », The<br />

Economic History Review, 7: 1 (1936), p. 1-21; HINDLE, B. P., « A Geographical Synthesis <strong>of</strong> the Road<br />

Network <strong>of</strong> Medieval England and Wales », PhD thesis, 1973, unpublished ; TAYLOR, C., Roads and<br />

tracks <strong>of</strong> Britain, 1994.<br />

443


oi lui-même (à moins que ce ne soit la projection de l’opinion de Pierre de Blois sur la<br />

parole du roi) :<br />

Je peux affirmer en bonne conscience que ma volonté et mon désir<br />

sont d’être toujours dans la solitude, d’être entouré d’un petit nombre<br />

plutôt que d’une multitude de gens, mais il ne dépend pas de moi de<br />

pouvoir vivre parfois plus secrètement et de jouir de très brefs<br />

moments de tranquillité 93 .<br />

Outre la cadence, le mauvais état des routes participait également à l’inconfort<br />

des trajets, tandis que la longueur et l’équipement des chariots, remplis de toutes sortes<br />

de choses contribuaient à ralentir les convois 94 . L’épisode de la perte des bagages du roi<br />

en octobre 1216, dans les eaux de l’estuaire de la Nene montre que l’organisation de ces<br />

pérégrinations pouvait être parfois périlleuse 95 . Cet accident résulte, semble-t-il, de la<br />

volonté du roi de faire prendre un raccourci au convoi qui le ralentissait dans son<br />

périple. Les distances parcourues par la cour pouvaient tripler selon les étapes et selon<br />

les jours, si l’on en croit le Roman de Rou :<br />

Doc coïssiez Henri par cez marches haster,<br />

De l’une tere a l’autre et venir et aller,<br />

Trois jornées ou plus en un seul jour erre,<br />

Ce cuidaient sa gent que il deüst voler. 96<br />

Brian Hindle a calculé que, en moyenne, la cour de Jean se déplaçait 13 à 14 fois<br />

par mois et que les distances parcourues étaient d’environ 12 à 15 miles par jour (20 à<br />

25 km) ce qui correspond au taux journalier des voyages de la cour des empereurs<br />

allemands au XI e et XII e siècles 97 . Ces calculs rejoignent ceux de Maïté Billoré qui a<br />

établi, à partir des chroniques et des actes de la pratique, que la distance entre Gisors et<br />

Argentan (soit environ 70 à 75 km) était parcourue en moyenne en quatre jours, c'est-à-<br />

dire le même temps qu’il était nécessaire pour atteindre Les Andelys depuis Caen 98 . Si<br />

93 PIERRE DE BLOIS, « Dialogus inter regem Henricum secundum et abbatem Bonevallis, ed. R.B.C<br />

Huygens », Revue benedictine, 68 (1958), p. 87-113, p. 105. Verum secura conscienta possum dicere<br />

voluntatem et desiderium meum semper esse ut sim in solitudine et in paucitate potius quam in<br />

multitudine. sed non michi datum desuper ut possim quandoque secrecius vivere et unius brevissimi<br />

momenti tranquillitate gaudere…<br />

94 GAUTHIER MAP, De nugis curialium / Courtiers' trifles, 1983, IV, 13, p. 370 ; V, 6, p. 476.<br />

95 Sur ce point voir WARREN, W. L., King John, 1997, p. 278-285.<br />

96 ROBERT WACE, Le Roman de Rou, 1970-1974, v. 70-73.<br />

97 BARTLETT, R. J., England under the Norman and Angevin kings 1075-1225, 2000, p. 136, cite<br />

REINKE, M., « Die Reusegeschwindigkeit des deutschen Köningsh<strong>of</strong>es im 11 und 12 Jahrhundert<br />

nördlich der Alpes », dans Blätter für deutsche Landesgeschichte, 1937, p. 225-251.<br />

98 HINDLE, B. P., Medieval roads and tracks, 1998, révise les données de HARDY, T. D., « Itinerarium<br />

Johannis Regis Angliae. A Table <strong>of</strong> the Movements <strong>of</strong> the Court <strong>of</strong> John King <strong>of</strong> England, from his<br />

Coronation, to the end <strong>of</strong> his Reign », Archaeologia, 22 (1829), p. 124-160dont les calculs des trajets de<br />

35 à 40 miles (55 à 65 km) par jour voire 50 miles (80 km), un résultat qui paraissait déjà à T.D. Hardy<br />

444


cette temporalité est une moyenne, le roi et quelques familiares pouvaient en revanche<br />

se déplacer beaucoup plus vite, comme c’est le cas lorsque Jean parcourt une distance<br />

de 240 km, entre Marlborough et Lincoln, en seulement trois jours après la défaite de<br />

son armée devant le roi d’Écosse, le 22 novembre 1200. Cette célérité pouvait être un<br />

atout militaire, lorsque les Plantagenêt cherchaient à prendre leurs ennemis par<br />

surprise : ils quittaient ainsi le cortège de la cour et apparaissaient là où on ne les<br />

attendaient pas. Si seuls les itinéraires de Jean permettent de saisir cette vitesse de<br />

déplacement, les chroniques ne manquent pas d’anecdotes narrant la rapidité du roi 99 .<br />

Si le topos de la célérité royale suscitant l’admiration était assez répandu dans<br />

les œuvres de cour comme celle de Robert Wace, son négatif assimilant la cour à un<br />

enfer ne l’était pas moins 100 . Ce thème commun à la littérature des XII e -XIII e siècle<br />

reposait essentiellement sur la critique des mauvaises conditions matérielles qu’imposait<br />

l’itinérance de la cour et sur sa métaphore filant le thème de la dépravation morale et de<br />

la perversion de l’âme, à l’image de la mesnie Hellequin 101 :<br />

La mesnie Hellequin a été aperçue pour la dernière fois, au pays de<br />

Galles, à Hereford, la première année du règne d’Henri II, vers midi.<br />

Ils voyageaient comme nous, avec des chariots et des chevaux de<br />

sommes, avec des bâts et des paniers, des oiseaux et des chiens,<br />

hommes et femmes mêlés […]. Depuis ce jour, cette troupe ne s’est<br />

plus montrée, comme si elle nous avait transmis à nous, pauvres fous,<br />

les errances dans lesquelles nous usons nos vêtements, nous dévastons<br />

des royaumes, nous épuisons nos corps et ceux de nos montures sans<br />

avoir le temps de guérir nos âmes malades. 102<br />

Selon Gauthier Map, l’agitation perpétuelle de la cour d’Henri II trouve là son<br />

explication : dans le transfert du sortilège et la substitution d’Henri II au roi Herla.<br />

Outre le risque de déperdition, Pierre de Blois raconte également les risques réels que<br />

couraient les membres de la cour sur des chemins parfois dangereux :<br />

« almost incredible » (p. 125) ; BILLORÉ, M., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe - début<br />

XIIIe siècles). De l'autocratie Plantagenêt à la domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de<br />

Martin Aurell, 2005, non publiée, p. 446.<br />

99 TORIGNI, I, p. 330 : rex inquam Henricus, percepto exinde nuncio, non expectatis sociis suis, illuc<br />

properavit (Henri II, apprenant la nouvelle, partit en toute hâte, sans attendre les siens).<br />

100 BILLORÉ, M., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe - début XIIIe siècles). De l'autocratie<br />

Plantagenêt à la domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de Martin Aurell, 2005, non<br />

publiée, p. 447.<br />

101 HARF-LANCNER, L., « L'enfer de la cour: la cour d'Henri II Plantagenêt et la Mesnie Hellequin »,<br />

dans L'État et les aristocraties (France, Angleterre, Écosse XIIe-XVIIe siècle), 1989, p. 27-50.<br />

102 GAUTHIER MAP, De nugis curialium / Courtiers' trifles, 1983, IV, p. 13 ; cité et traduit par HARF-<br />

LANCNER, L., « L'enfer de la cour: la cour d'Henri II Plantagenêt et la Mesnie Hellequin », dans L'État<br />

et les aristocraties (France, Angleterre, Écosse XIIe-XVIIe siècle), 1989, p. 27-50, (p. 39).<br />

445


Nos courtisans endurent aujourd’hui le labeur et la fatigue, de<br />

nombreuses veilles et de grands dangers : danger de la mer, danger<br />

des fleuves, danger des ponts, danger des montagnes, dangers des<br />

faux frères. Ils affrontent souvent la mort, brisent et épuisent leurs<br />

corps, risquent leurs vies. 103<br />

Plus encore que sur le corps des courtisans, les principaux ravages avaient lieu<br />

dans les régions traversées par le convoi. En même temps, c’est parce que la cour royale<br />

vivait sur le mode de la déprédation qu’elle était vouée à la mobilité incessante. Au-delà<br />

du rôle politique que représentait l’itinérance, la mobilité de la cour reposait également<br />

sur des raisons matérielles, liée à l’impossibilité de s’approvisionner toujours sur les<br />

mêmes ressources et à la nécessité de ponctionner des domaines chaque fois différents.<br />

1.2.2- L’approvisionnement de la cour royale<br />

Le choix des étapes au cours des itinéraires n’était pas purement aléatoire. Il<br />

dépendait largement des ressources disponibles sur place pour subvenir au besoin du roi<br />

et de sa cour. Si l’administration Plantagenêt était suffisamment performante pour<br />

acheminer des denrées sur les lieux de séjour du roi, ces transports ne pouvaient être<br />

effectués sur de trop longues distances. Les opérations d’envergure – transfert de blé<br />

d’une région à l’autre lors des famines de 1176 et 1194 – restaient exceptionnelles 104 .<br />

Les dépenses liées à l’approvisionnement des maisons du roi lors du passage de<br />

la cour ont été parfois consignées dans les pipe rolls. On peut ainsi remarquer qu’en<br />

1160, il faut « 100 mesures de froment, 10 de sel, 30 de jambon et 11 poids de<br />

fromage » pour approvisionner le château de Douvres 105 . La cour était également<br />

approvisionnée en vin de diverses provenances, y compris continentales. En 1176, en<br />

effet, il est question de vin d’Anjou qu’Étienne de Tours (ou de Marçay, sénéchal<br />

d’Anjou) a envoyé en Angleterre. Celui-ci est d’abord déposé dans le cellier de<br />

Southampton avant d’être acheminé, par voie terrestre et fluviale, jusqu’à Clarendon,<br />

Winchester et Londres 106 . Quatre autres tonneaux sont également envoyés à Woodstock<br />

103<br />

Epistola 14 de Pierre de Blois dans PL, CCVII, col. 44, cité et traduit par HARF-LANCNER, L.,<br />

« L'enfer de la cour: la cour d'Henri II Plantagenêt et la Mesnie Hellequin », dans L'État et les<br />

aristocraties (France, Angleterre, Écosse XIIe-XVIIe siècle), 1989, p. 27-50, (p. 40).<br />

104<br />

BILLORÉ, M., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe - début XIIIe siècles). De l'autocratie<br />

Plantagenêt à la domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de Martin Aurell, 2005, non<br />

publiée, p. 451.<br />

105<br />

PR 6 H.II, p. 54 : £13 5s. 8d in munitione castelli de Dovra pro C sumis frumentis et X summis sal~ et<br />

XXX baconis et XI pensis casei.<br />

106<br />

PR 22 H.II, p. 186 : 67s. 2d. pro vino quod Stephanus de Turon’ misit domino regis ponendo in<br />

cellario apud Hantonia et ducendo apud Clarendon' et Wintoniam et Londonum ; p. 199 : £35 pro C<br />

446


la même année, ainsi que deux coupes d’argent et trois fourrures de zibelines 107 . En<br />

1163 et à plusieurs reprises, Henri II ordonne également que du foin soit préparé et<br />

amené à sa demeure de Woodstock ; Cependant, toutes les mentions<br />

d’approvisionnement enregistrées dans les pipe rolls ne correspondent pas<br />

nécessairement à un passage de la cour du roi. Le trésor royal pouvait en effet<br />

également prendre en charge les frais de la cour de la reine et des enfants royaux,<br />

lorsqu’ils voyageaient indépendamment.<br />

Outre les denrées alimentaires, les pipe rolls enregistrent également les dépenses<br />

affectées à la fabrication des pavillons royaux, symboles par excellence du nomadisme<br />

de la cour. Souvent en effet, lorsqu’une résidence royale était trop éloignée pour<br />

pouvoir être atteinte avant la nuit voire plusieurs jours de marche, le roi et sa cour<br />

dormaient sous des grandes tentes qui accompagnaient ainsi les déplacements royaux.<br />

La confection de ces pavillons était manifestement plus élaborée que le simple<br />

assemblage de toiles de lin, de cordes et de piquets 108 . En 1163, les shérifs de Londres<br />

doivent en effet fournir des fleurs, des pommes et des bouquets d’aigrettes dorées pour<br />

décorer la tente royale 109 . Si, en 1156, £96 12 s. 8d. sont nécessaires à la fabrication des<br />

papilionis regis 110 , dix ans plus tard, il faut seulement £30 11s. 7d. pour faire deux<br />

pavillons 111 . Le coût d’une tente représentait donc une somme importante équivalente à<br />

l’époque à environ 100 bœufs ! 112 Les pavillons servaient aussi et surtout à installer des<br />

camps de siège, lors des conflits entre le roi et ses barons. En 1191, Guillaume de<br />

Longchamp, le chancelier de Richard, ordonne ainsi que des tentes et des catapultes<br />

soient conduites de Londres à Lincoln pour assiéger le château des comtes de<br />

Chester 113 . Les pavillons du roi faisaient donc partie de l’équipement permanent qui<br />

accompagnait la cour.<br />

Malgré la détérioration rapide des habits qu’impliquait le mode de vie itinérant,<br />

dénoncé par Pierre de Blois, les commandes vestimentaires sur les pipe rolls étaient<br />

modiis vini quod Alexander de Barentin elegit ad opus regis ; 50s. pro eodem vino deferendo per aquam<br />

et per terram ; £6 8s. in cariagio vini Andegavie quod Stephanus de Turonia misit regi.<br />

107<br />

PR 22 H.II, p. 212 : 8 m. 4s pro IIII doliis vini missis ad Wudestoch' ; 14m. pro ii cuppis argenteis;<br />

9m. pro II sabelinis, (La zibeline est un petit mamifère chassé pour sa fourrure brillante et douce).<br />

108<br />

PR 23 H.II, p.198 : £15 16s. 1d. pro papilione regis et pannis et cordis et aliis rebus ad faciendum<br />

eundem papilionem ; 34 H.II, p. 67 : £4 pro linea tela liberata Henrico de Cornhill ad faciendas<br />

papiliones regis.<br />

109<br />

PR 9 H.II, p. 72 : 40s. pro floribus et pomellis et crestis deauratis ad papilionibus regis.<br />

110<br />

PR 2 H.II., p. 4.<br />

111<br />

PR 13 H.II, p.1.<br />

112<br />

BARTLETT, R. J., England under the Norman and Angevin kings 1075-1225, 2000, p.137.<br />

113<br />

PR 3 R.I, p.136 : £10 8s. 1d. pro papilionibus et petrariis ducendis a Londonie usque Lincoln.<br />

447


enouvelées seulement tous les deux ans environ. Avec une telle régularité, on<br />

comprend pourquoi les curiales se plaignaient de leurs vêtements usés ! Cette fréquence<br />

suggère que les déplacements avaient aussi pour effet de limiter les moments de<br />

déploiement du faste aux grandes cérémonies. Le coût des vêtements destinés à<br />

pourvoir la garde-robe du roi et de sa famille était cependant assez élevé. Ainsi en 1177,<br />

£32, 14 s. 5 d. sont dépensées pour l’acquisition de « 100 brasses d’escarlate rouge, et<br />

12 autres brasses d’escarlate de Perse, 20 pelisses de vair, 10 manteaux de fourrure de<br />

bête sauvage, 10 manteaux de vair, une plume d’oiseau, une plume grise, 2 pelisses de<br />

petit gris, 21 fourrures de zibelines pour voyager, pour des serpillières et des<br />

cordes » 114 .<br />

Ces commandes étaient généralement enregistrées sur les comptes de la ferme de<br />

Londres ou plus rarement sur les comptes des honneurs confisqués ou en escheat<br />

comme c’est le cas de celui d’Henri d’Essex, dont les revenus servent à fournir, en<br />

1185, pour £51, 17 s. 8 d. l’opus regis en pelisses, pénules (manteau à capuchon) de vair<br />

et de petit gris 115 et en 1186, les dépenses vestimentaires s’élèvent à £109 33s. 6d., une<br />

somme importante qui nécessitait la supervision d’un homme de confiance du roi :<br />

l’ingénieur Ailnoth (voir chapitre 6). Cette somme importante s’explique<br />

vraisemblablement par la qualité des habits qui devaient être fournis tant en orfroi qu’en<br />

toile de soie 116 . Que l’essentiel des commandes soient passées à Londres suggère que le<br />

roi y avait ses fournisseurs attitrés, car les pipe rolls enregistrent en 1184, l’envoi de<br />

vêtements pour le roi, alors qu’il se trouvait à Limoges 117 . Les pipe rolls indiquent en<br />

effet qu’il existait à Londres une aurifrixaria regis, du nom de Mabilia, qui reçoit 69s.<br />

4d. pour de la toile en 1183. S’agit-il de « la femme de Brichterm de Haverell », qui<br />

114 PR 23 H.II, p. 198 : pro C. ulnis rubee escarlate aliis XII. unlis rubee escarlate XII. ulnis Persie<br />

escarlate, XX. pelliciis variis, X. paenis de bissis, X. paenis variis,1 poena de bissis,1 poena grisia, II.<br />

pelliciis grisiis, XXI. sabelinia pro carragio, pro sapilleriis et cordis. L’année suivante, il est à nouveau<br />

question de £28, 13 s. 7 d. pro II. palliis de escarlata et II. cappis escarlate et 2 pelliciis grisiis et 1<br />

cultcitra perpuncta ad opus regine et puelle sue (pour 2 pallium d’escarlate et deux capes d’escarlate, 2<br />

pelisses de petit gris et un coussin à larges mailles pour l’œuvre de la reine et de ses filles). Les femmes<br />

ne sont cependant pas les seules bénéficiaire de ces commandes : en 1187 et 1188, c’est Guillaume le<br />

Lion, le duc de Saxe qui reçoit des pelices de petit gris, une cape de fourrure et 20 brasses de toile de lin<br />

(23s. 4d. pro pellitia grisia, 1 furratura cappe, XX. ulnis linee taele ad opus Willelmi filli duci Saxonie) et<br />

8 brasses vertes et 2 pénules d’agneau (31s. pro VIII. ulnis viridis et II. penulis agninis ad opus Henrici<br />

filii ducis Saxonie). Escarlate : n.f. (1160, Ben.) du latin médiéval: scarlatum altéré du persan saqirlat:<br />

sorte de drap de qualité supérieure dont la couleur vairiat beaucoup. Dictionnaire de l’ancien français,<br />

GREIMAS A. J. (éd.), Larousse, <strong>Paris</strong>, 1994.<br />

115 PR 31 H.II, p. 43: pro penulis et pelliciis et opertoniis variis et grisiis ad opus regis.<br />

116 PR 32 H.II, p. 198: £19 13. pro V casule, V cappis, VIII stocis, VIII janunis, I dalmatica, I tunica, II<br />

anictis, in necessariis tam in aurifrixio quam in pannos serico.<br />

117 PR 30 H.II, p. 135 : 16 marcs pro peciis et pelliciis missis domino regi apud Lemovicum.<br />

448


apparaît dès 1166 pour faire l’orfroi sur les capes du roi 118 ? Outre les vêtements, l’or<br />

était également travaillé à Londres par les orfèvres du roi pour confectionner de la<br />

vaisselle. En 1167, £28 14 s. sont en effet dépensés pour de l’or destiné à dorer la<br />

vaisselle du fils du roi 119 ; en 1171, 16 marcs d’argent blanc sont donnés aux orfèvres de<br />

Londres toujours ad faciendam vaissellam Regis filii Regis ; et en 1175, £8 3s. 4d. d’or<br />

sont acquis pour réparer l’anneau du roi et une coupe d’or royale 120 . Cette vaisselle<br />

n’était cependant vraisemblablement pas destinée à accompagner le roi dans tous ces<br />

déplacements mais faisait sans doute partie de la vaisselle des principales demeures<br />

royales. Ces détails indiquent que la richesse des objets du quotidien n’était pas si<br />

inexistante que veut bien le laisser croire Pierre de Blois lorsqu’il affirme que « guêtres<br />

sans plis, coiffes sans faste, et vêtements légers sont d’usage » à la cour d’Henri II 121 .<br />

L’image infernale que décrivent les curiales d’Henri II doit donc être nuancée, car si<br />

l’itinérance impliquait en effet une certaine précarité du quotidien, la machine<br />

administrative de la monarchie permettait de gérer efficacement l’approvisionnement<br />

des convois en toute sorte de biens, alimentaires comme vestimentaires. À l’encontre du<br />

quotidien boueux des convois et des chevauchées, il y avait donc de la place pour un<br />

apparat de cour, même s’il était réservé à quelques rares occasions solennelles<br />

(couronnements et principales fêtes religieuses, et notamment Noël et Pâques). Au-delà<br />

des quelques portraits laissés les contemporains décrivant les Plantagenêt sans fard et<br />

sans faste, les moments de mise en scène du pouvoir se sont progressivement ritualisés<br />

et codifiés au cours de la seconde moitié du XII e siècle. Dans quelle mesure cette<br />

tendance caractéristique de l’essor du pouvoir souverain traduit-elle de nouvelles formes<br />

de « gouvernement » et comment se traduisent-elles dans l’espace ?<br />

1.3- L’itinérance comme mode de gouvernement<br />

Au-delà des déplacements de la cour visant à assurer son entretien matériel et<br />

des mouvements pendulaires que le roi et ses familiers effectuaient parfois en excursion,<br />

pour aller chasser dans les forêts royales ou effectuer un pèlerinage sur un lieu saint,<br />

118 PR 29 H.II, p. 161 : et Mabilie aurifrixarie Regis ad pannos ; PR 12 H.II, p. 130: £8 Uxoris Brichtermi<br />

de Haverhell,pro aurifrasium ad cappas regis ; En 1178, il est à nouveau question d’aurifrasio ad opus<br />

regis pour £13 7s. 7d. (PR 24 H.II., p. 128).<br />

119 PR 13 H.II, p. 2 : pro auro ad deaurandam vaissellam eujsdem filii Regis.<br />

120 PR 21 H.II, p. 19 : pro auro ad anulo regis et cupa aurea regis reficiendo.<br />

121 LEHMANN-BROCKHAUS, O., Lateinische Schriftquellen zur Kunst in England, Wales und<br />

Schottland, vom Jahre 901 bis zum Jahre 1307, 1955-1960, p.198, n° 6574. Epistolae Petri Blesensis…,<br />

n°66 : Ocreis sine plica, pileis sine fastu, et vestibus utitur expeditis.<br />

449


l’itinérance de la cour se caractérisait non seulement par sa mobilité ininterrompue mais<br />

également par le fait qu’elle avait pour fonction de parcourir l’ensemble de l’espace sur<br />

lequel s’exerçait la puissance du prince. Cette déambulation qui vise à quadriller<br />

l’espace constitue un élément constitutif de la construction des territoires. Quels étaient<br />

alors les lieux choisis pour célébrer ces cours solennelles et dans quelle mesure la<br />

multiplicité de ces lieux permet-elle de comprendre comment fonctionnait la dispersion<br />

des fonctions capitales dans l’empire des Plantagenêt ?<br />

1.3.1- La dispersion des capitales et de leurs fonctions<br />

La carte 5.9 des lieux où furent tenues des cours solennelles de Noël et de<br />

Pâques par Henri II se superpose relativement bien à la carte de ses itinéraires,<br />

soulignant la forte relation entre les déplacements de la cour et la nécessité de mettre en<br />

scène l’autorité royale. Cette adéquation est cependant beaucoup moins nette sur la carte<br />

représentant les cours solennelles tenues par Jean et Richard, tout d’abord parce qu’ils<br />

semblent avoir attaché moins d’importance à la multiplicité de ces cours solennelles,<br />

préférant développer un cérémonial plus exigeant lors de quelques occasions bien<br />

préparées (voir infra). Pour ce qui concerne le règne d’Henri II, on s’aperçoit qu’il n’y a<br />

pas de lieu de prédilection, au contraire, il semblerait plutôt qu’Henri II ait cherché à<br />

multiplier les lieux symboliques du pouvoir. C’est ainsi plutôt à Caen, Bur-le-Roi ou<br />

Argentan plutôt qu’à Rouen qu’il tient sa cour en Normandie, et ailleurs en France, à<br />

Saumur et à Chinon autant qu’à Angers et à Poitiers, y compris à Nantes. Tous ces lieux<br />

constituent plus généralement un réseau dans lequel étaient réparties les différentes<br />

fonctions capitales du gouvernement 122 . En Normandie, par exemple, si Rouen apparaît<br />

traditionnellement comme la capitale « historique » du duché, Fécamp sous les premiers<br />

ducs, puis Caen à partir de Guillaume le Conquérant sont également devenues<br />

successivement des centres ducaux de première importance 123 . Si Rouen peut être<br />

également considérée comme la capitale économique du duché (voir chapitre 3), c’est à<br />

Caen qu’Henri I er fait construire la salle de l’Échiquier et qu’Henri II installe le trésor<br />

sous la garde du sénéchal, plaçant ainsi le centre fiscal et administratif à Caen plutôt<br />

qu’à Rouen 124 . De même, alors qu’Angers et Poitiers constituaient les principaux lieux<br />

122 BOUCHERON, P. et al., « Formes d’émergence, d’affirmation et de déclin des capitales : rapport<br />

introductif », dans Les villes capitales, 2006, p. 1-43.<br />

123 BATES, D., « Rouen from 900 to 1204 : from Scandinavian Settlement to Angevin ‘Capital’ », dans<br />

Medieval art, architecture and archaeology at Rouen, 1993, p. 1-11.<br />

124 HASKINS, C. H., Norman institutions, 1918, p. 94-100.<br />

450


de pouvoir en Anjou et en Poitou, c’est à Chinon qu’Henri II installe son trésor sous la<br />

garde du sénéchal 125 . Le trésor n’était cependant pas encore fixé dans un lieu déterminé<br />

à cette date, ni sur le continent ni en Angleterre où R.A. Brown a montré qu’il était<br />

encore largement itinérant 126 . Bien que traditionnellement installé à Winchester, où<br />

Henri II fait construire une chambre du trésor dans les années 1170 127 , les pipe rolls<br />

indiquent à plusieurs reprise les coûts de transport du trésor d’un lieu à un autre 128 .<br />

L’article de R.A. Brown vise cependant à montrer comment le lieu « initial » du trésor<br />

est passé au cours de la période de Winchester à Londres (à la Tour mais aussi au<br />

Temple et à Westminster). Alors que la ville était restée plutôt aux marges qu’au centre<br />

des activités de la cour tout au long de la période, Londres devient progressivement le<br />

point focal autour duquel l’administration royale tend progressivement à se concentrer.<br />

L’Échiquier se trouvait en effet à Westminster depuis le début du XII e siècle. La<br />

migration du trésor, achevée à la fin du règne d’Henri II, contribue ainsi à une certaine<br />

forme de centralisation, à partir de laquelle se développe sous le règne de Jean une<br />

nouvelle organisation faisant du Trésor installé à Londres le centre d’un réseau de<br />

châteaux susceptibles d’accueillir, en fonction de l’itinérance royale, les recettes de<br />

l’Échiquier et de la Chambre 129 . Ce processus correspond ainsi parfaitement à ce que<br />

Bernard Guenée décrivait comme « la centralisation médiévale (…) qui centralise moins<br />

la décision que le contrôle » 130 . Toutefois, l’absence prolongée du roi à Londres, est tout<br />

au long du Moyen Âge, un obstacle pour la ville qui a beaucoup plus de mal que <strong>Paris</strong> à<br />

s’imposer comme capitale du royaume 131 . C’est seulement à partir des règnes d’Henri<br />

III et d’Edward I er que la duopole royale prend réellement forme, lorsque ces deux rois<br />

125<br />

BOUSSARD, J., Le Comté d'Anjou d'Henri Plantegenêt à la conquête de Philippe Auguste, 1932,<br />

p. 20 ; Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, p. 75 : Gaufrido filio Petri etc. Mandamus vobis quod W.<br />

archidiacono Tantonie faciatis computari ad scaccarium nostrum duo millia marcarum quas liberavit in<br />

camera nostra in Pictavia apud Rupella in festo Omnium sanctorum anno etc octo.<br />

126<br />

BROWN, R. A., « The 'Treasury' <strong>of</strong> the later Twelfth Century », dans Studies presented to Sir Hilary<br />

Jenkinson, 1957, p. 35-49.<br />

127 PR 18 H.II, p.84: £30 ad operiendam domus thesauri et ad gaiolam faciendam.<br />

128<br />

PR 12, p. 101 : 48s. 2d. in operatione domorum de Hessenburna et pro conductum thesauro regis ad<br />

Hantonie et ad Clarendon et ad Oxineford per totum annum. voir également les exemples cités R.A.<br />

BROWN comme PR 2-4, H.II, p. 52: £4 10s. 8d. pour deux chariots et deux chevaux ad conducendum<br />

thesaurum regis ad Cricchelad.<br />

129<br />

JOLLIFFE, J. A., « The Chamber and the castle treasures under King John », dans Studies in medieval<br />

history presented to Frederick Maurice Powicke, 1969, p. 117-142.<br />

130<br />

GUENÉE, B., « L'histoire de l'Etat en France à la fin du Moyen Âge, vue par les historiens française<br />

depuis cent ans », Revue historique, 232 (1964), p. 331-360, (p. 347), cité par BOUCHERON, P. et al.,<br />

« Formes d’émergence, d’affirmation et de déclin des capitales : rapport introductif », dans Les villes<br />

capitales, 2006, p. 1-43, (p. 45-46).<br />

131<br />

GENET, J.-P., « Londres est-elle une capitale ? », dans Les villes capitales au Moyen Âge. XXXVIe<br />

Congrès de la Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur, 2006, p. 155-184.<br />

451


font de Westminster un véritable « palais d’État » 132 . Itinérance et polarisation, voire<br />

centralisation, se combinent donc au sein de l’empire sans que la modernisation de la<br />

monarchie anglaise ait pour effet de sédentariser la royauté.<br />

Cette cartographie des cours solennelles traduit donc bien l’idée qu’il n’y avait<br />

pas de centre dans l’empire Plantagenêt en dehors de la personne du roi. Henri II et ses<br />

fils ne partent d’aucun point spécifique et leur itinérance n’a pas d’autre but qu’elle-<br />

même 133 . En ce sens, l’itinérance des Plantagenêt a moins été un voyage qu’une errance.<br />

Les lieux visités n’avaient pas tous la même valeur symbolique, certains ayant vocation<br />

plus que d’autres à accueillir la mise en scène du pouvoir. Dans quelle mesure la<br />

théâtralisation du pouvoir et de sa représentation accompagne-t-elle une transformation<br />

des modes de gouvernement où l’itinérance cesse d’être le seul mode de gouvernement,<br />

en même temps qu’elle cesse d’être le seul moyen d’obtenir la reconnaissance de<br />

l’autorité publique.<br />

1.3.2- L’essor du cérémonial de cour et de la majesté royale<br />

Parce que l’itinérance impliquait un mode de vie reposant a minima sur<br />

l’économie du paraître, la mise en scène du pouvoir et les cérémonies de représentation<br />

de la royauté ne pouvaient être un mode de gouvernement permanent, comme cela<br />

deviendra progressivement le cas avec l’essor des « sociétés de cour » 134 . Cependant, si<br />

le pouvoir n’est pas en perpétuelle représentation, il doit néanmoins être visible et se<br />

manifester de temps à autre pour activer et réactiver les représentations que la société se<br />

fait de ce pouvoir. Les dernières décennies du XII e siècle ont été un moment essentiel<br />

dans la gestation de cette nouvelle manière de gouverner, marquée par une redéfinition<br />

132 SABATIER, G., « Le palais d'Etat en Europe, de la Renaissance au Grand Siècle », dans Palais et<br />

pouvoir de Constantinople à Versailles, 2003, p. 81-107 cité par GENET, J.-P., « Londres est-elle une<br />

capitale ? », dans Les villes capitales au Moyen Âge. XXXVIe Congrès de la Société des Historiens<br />

Médiévistes de l’Enseignement Supérieur, 2006, p. 155-184.<br />

133 On peut rapprocher l’itinérance des Plantagenêt à celle des empereurs allemands ou celle des papes des<br />

XIIe et XIIIe siècle, qui sont sans cesse en déplacement pour parcourir les territoires soumis à leur<br />

domination. Selon Pierre-Yves Le Pogam en effet, « la stabilité de la résidence avec laquelle l’imaginaire<br />

contemporain a associé si fortement le pape (…) était inconnue du Moyen Âge ». LE POGAM, P. Y., De<br />

la «cité de dieu» au «palais du pape» : les résidences pontificales dans la seconde moitié du XIIIe siècle<br />

(1254-1304), 2005, p. 2.<br />

134 ELIAS, N., La société de cour, 1985; CHARTIER, R., « Pouvoirs et limites de la représentation.<br />

Marin, le discours et l'image », dans Au bord de la falaise. L'histoire entre certitudes et inquiétude, 1998,<br />

p. 173-190; MARIN, L., Le portrait du roi, 1981.<br />

452


de la dignitas regalis et de la majesté royale. À ce titre, Martin Aurell a raison de dire<br />

que les Plantagenêt incarnent « une monarchie de transition » 135 .<br />

Alors qu’Henri II faisait encore appel à la sacralité de l’Église et ses saints pour<br />

asseoir l’autorité de son pouvoir, à partir du règne de Richard se met en place une<br />

véritable idéologie royale, mettant en avant la sacralité propre du pouvoir royal. Celle-ci<br />

se traduit par une distanciation croissante entre le roi et son aristocratie 136 . En<br />

introduisant des cérémonies de cour répétées et protocolaires, mais également en<br />

considérant le corps physique du roi comme une véritable relique (voir supra), Richard<br />

et Jean introduisent dans la pratique du gouvernement les conceptions théoriques de la<br />

majesté et de la souveraineté que les débats liés à la querelle des investitures avaient,<br />

d’une certaine manière, contribué à banaliser. Quels ont donc été les lieux dans lesquels<br />

s’est manifestée la majesté royale et y a-t-il eu un espace spécifique de la mise en scène<br />

royale ?<br />

Les cours solennelles sous Henri II et l’affirmation du principe héréditaire de<br />

gouvernement<br />

Depuis Guillaume le Conquérant, les cours solennelles étaient fixées selon un<br />

calendrier défini, inspiré de traditions antérieures : Noël à Gloucester, Pâques à<br />

Winchester et Pentecôte à Westminster 137 . Mais la guerre civile brise la continuité de<br />

cette tradition ; les assemblées royales étant de plus en plus dépeuplées, elles perdent de<br />

leur pompe et les contraintes trop importantes qu’elles imposent aboutissent à leur<br />

abandon 138 . Henri II organise cependant, quelques cours solennelles notamment après la<br />

contestation de son autorité lors de la grande révolte de 1173-1174. Ainsi en 1177,<br />

Robert de Torigni raconte que<br />

Le roi Henri le vieux tint sa cour à la Nativité à Angers, et ses fils se<br />

trouvaient là avec lui : le jeune roi Henri, Richard duc d’Aquitaine et<br />

Ge<strong>of</strong>froy duc de Bretagne, et il y avait presque autant de chevaliers<br />

135<br />

AURELL, M. (éd.), La cour Plantagenêt, 1154-1204. Actes du colloque tenu à Thouars du 30 avril au<br />

2 mai 1999, 2000, p. 42.<br />

136<br />

C’est l’objet de la thèse de BILLORÉ, M., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe - début XIIIe<br />

siècles). De l'autocratie Plantagenêt à la domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de<br />

Martin Aurell, 2005, non publiée.<br />

137<br />

BIDDLE, M., « Seasonal festivals and residence: Winchester, Westminster and Gloucester in the tenth<br />

to twelfth centuries », dans A.N.S., 1986, p. 51-72.<br />

138<br />

DICETO, I, p. 302: Nec ulterius coronatus est voventes Deo, quod numquam in vita sua de caetero<br />

coronerentur.<br />

453


lors de cette fête que lors de son propre couronnement et du<br />

couronnement de son fils 139<br />

Benoît de Peterborough signale également la célébration particulièrement<br />

fastueuse des fêtes de la Nativité 1177 et de Pâques 1178, où tous les grands seigneurs<br />

de la région sont convoqués pour assister à la mise en scène de la cohésion et de l’union<br />

de la famille régnante 140 . Quelques années plus tard, les fêtes de la Nativité de 1182 sont<br />

également l’occasion de mettre en scène la famille royale à Caen. Afin d’assurer son<br />

succès, Henri II interdit à ses barons de tenir leur propre cour afin que tous assistent au<br />

cérémonial ducal 141 . Y auraient ainsi participé plus de mille chevaliers ainsi que le duc<br />

de Saxe, le gendre d’Henri II, contraint à l’exil à la suite de sa défaite contre Frédéric<br />

Barberousse. Après la mort d’Henri le jeune l’année suivante et celle de Ge<strong>of</strong>froy en<br />

1186, il n’y a plus d’autres occasions pour Henri II de mettre en scène l’unité du<br />

gouvernement de l’empire. Parce qu’il reposait sur la fragmentation et le partage de<br />

l’autorité, ce mode de gouvernement nécessitait en effet une mise en scène de l’unité de<br />

la famille régnante plutôt que celle de la majesté exclusive du ministerium Dei, encore<br />

très dépendante du pouvoir ecclésial. Il impliquait également de valoriser le principe de<br />

succession héréditaire au trône et de lutter contre toutes les emprises de l’Église sur la<br />

dignité royale, à commencer par les rituels de cours. Selon Mathieu <strong>Paris</strong>, Henri II<br />

reprend cette coutume au début de son règne pour une seule et unique fois :<br />

L’année de l’incarnation du Seigneur 1158, Henri roi des Anglais, le<br />

jour de la Nativité, fut couronné à Worcester, et là après la cérémonie<br />

des sacrements divins, il posa sa couronne sur l’autel pour ne plus<br />

jamais la porter 142 .<br />

139 TORIGNI, II, p. 73 : Rex Henricus senior tenuit curiam suam ad Natale andegavis, et ibi cum illo<br />

fuerunt junior rex Henricus et Ricarddus dux Aquitanorum et Gaufridum dux Britannorum, filii ejus, et<br />

vix in aliqua festivitate tot milites secum habuit, nisi in coronatione sua sive in coronatione filii sui Regis<br />

junioris.<br />

140 PETERBOROUGH I, p. 198: Henricus rex Angliae, …, die natalis Domini, quae Dominica evenit,<br />

curiam suam tenuit apud Andegavim civitatem et convocatis principibus et majoribus illius provinciae,<br />

sollemne festum celebravit. Similiter idem rex Angliae ibidem sollemne festum celebravit in sollemnitate<br />

Paschali.<br />

141 TORIGNI, II, p. 117 : Rex Henricus tenuit curiam suam apud Cadomum et prohibuit ne aliquis<br />

baronum teneret curiam sed venirent ad suam. Praedictus dux Saxonum illo venit et ibi convenerunt mille<br />

milites et eo amplius ; PETERBOROUGH, I, p. 291 : Henricus rex Angliae tenuit curiam suam in<br />

normannia apud Cadomum de Natalis Domini, quae sabato evenit. Cui festo Henricus rex filius suus et<br />

Richardus comes Pictaviae, et Gaufridus comes Britanniae interfuerunt ; similiter et (….) multi alii<br />

nobiles, tam episcopi quam comites et barones.<br />

142 MATHIEU PARIS, Chronica majora, 1964, II, p. 215 : Anno Domini MCLVIII. Rex Anglorum<br />

Henricus, in Dominicae nativitats die apud Wigorniam coronatus est, ubi post celebratione divinorum<br />

sacramentorum coronam super altare posuit, nec ultra coronam portavit ; une variante dans la chronique<br />

mineure MATHIEU PARIS, Historia anglorum sive, ut vulgo dicitur, Historia minor ; item ejusdem<br />

454


L’abandon de la coutume du cérémonial des cours solennelles qui exigeait que le<br />

roi paraisse couronné devant ses sujets deux ou trois fois par an, lors des fêtes majeures<br />

de l’Église, n’est pas une conséquence des incessants voyages d’Henri II outre Manche,<br />

mais bien un vœu qu’il prononce à l’exemple du roi Cnut 143 . Selon Percy Schramm, ce<br />

choix résultait de la volonté de ne pas assimiler ce cérémonial à celui, très similaire, de<br />

l’intronisation des évêques. Le symbolisme et le formalisme de ces cérémonies n’étaient<br />

pas sans évoquer, en effet, les consécrations épiscopales qui comportaient l’élection,<br />

l’onction, la remise des insignes, l’intronisation ainsi que le serment royal 144 . C’est<br />

vraisemblablement pour cette raison qu’Henri II décide, à Noël 1157, alors qu’il était à<br />

Lincoln, de porter sa couronne non pas dans l’église cathédrale mais dans celle de<br />

Wigford, en dehors des limites de la ville 145 . Bien que les chroniqueurs présentent ce<br />

geste comme un acte d’humilité, en cohérence avec le goût peu prononcé du roi pour les<br />

cérémonies et les dépenses excessives, Percy Schramm rappelle que le port de la<br />

couronne est également abandonné en France à la même époque. En effet, avec<br />

l’affirmation du principe dynastique, la représentation cérémonielle de l’autorité sacrée<br />

du roi devenait de moins en moins nécessaire.<br />

La revendication du principe d’hérédité s’est alors traduite par le couronnement,<br />

de l’aîné de ses fils, le 24 mai 1170, à Westminster. Par ce couronnement, Henri II<br />

renouait avec le principe de l’association à la royauté afin de garantir la succession au<br />

trône de sa lignée de manière héréditaire. Il symbolise donc à double titre<br />

l’autonomisation croissante du pouvoir royal face à l’Église, et d’abord parce qu’il a<br />

lieu au beau milieu de la querelle qui oppose Henri II et l’archevêque de Canterbury,<br />

Thomas Becket, qui est alors en exil en France. Henri II prend alors la liberté<br />

d’organiser la cérémonie sous les auspices de l’archevêque d’York, transgressant la<br />

coutume régissant la prérogative du couronnement des rois par les primats<br />

d’Angleterre 146 . En défiant l’archevêque, Henri II affirmait une fois de plus la volonté<br />

abbreviatio chronicorum Angliæ, 1866, I, I., p. 308-309 : Henricus [II.] in Dominicae Nativitatis die<br />

apud Wigroniam coronem portavit in magna gloria, […], sedit in ea regalibus insignitus, coronatus, et<br />

sceptrum tenens.<br />

143 Ibid., I, p. 308-309 : Rex Henricus …corronam manibus de capte apprehendens illam super altare<br />

posuit, nec ultra coronam portaret curavi (Le roi Henri prenant de ses propres mains la couronne de sa<br />

tête, la posa sur l’autel et jura de ne plus la porter par la suite).<br />

144 SCHRAMM, P. E., A History <strong>of</strong> the English Coronation, 1937 ; FOREVILLE, R., « Le sacre des rois<br />

anglo-normands et angevins et le serment du sacre (XIe-XIIème siècle) », A.N.S., 1979, p. 49-62.<br />

145 HOVEDEN, I, p. 216.<br />

146 GERVAIS DE CANTORBERY, The Historical Works, 1965 [1880], p. 220 : Noscitur enim quod<br />

regum Angliae coronatio ab antiquo tempore solius sit Cantuariensis archiepiscopi ; GUILLAUME DE<br />

NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry II, and Richard I, 1884.<br />

455


oyale contre les prétentions grégoriennes de l’Église, en imposant le principe d’hérédité<br />

dans la succession au trône, contre celui de l’élection divine 147 . Désormais, si Dieu fait<br />

toujours le roi, le sang le fait aussi.<br />

Le combat idéologique mené par Henri II a donc été moins l’affirmation d’une<br />

idéologie royale de la majestas que celui d’une autonomisation de la puissance royale<br />

vis-à-vis de l’autorité ecclésiale. Cette séparation avait été théorisée par Hugues de<br />

Fleury, dans son Traité sur la puissance royale et sur la dignité épiscopale, qu’il avait<br />

<strong>of</strong>fert à Henri I er (1102-1104) 148 . La volonté d’affirmer le principe divin de l’élection<br />

royale peut également être déduite de l’apparition, à partir de 1172, de la formule Dei<br />

gratia dans la titulature des chartes d’Henri II et sur le sceau royal. Si Léopold Delisle<br />

se contente de relier cette nouveauté à l’arrivée d’un nouveau chancelier, Raoul de<br />

Wanneville, il n’exclut pas que cette marque diplomatique puisse également relever<br />

d’enjeux politiques plus larges 149 .<br />

Les couronnements et la théâtralisation de la nature sacrée du pouvoir royal<br />

Dans ces circonstances, il n’est pas étonnant que les principales sources relatant<br />

le couronnement d’Henri II, le 16 des calendes de janvier 1154 (19 décembre) dans la<br />

cathédrale de Westminster, soient des récits plutôt minimalistes et factuels, reflétant<br />

vraisemblablement le peu d’intérêt que portaient au rituel les contemporains 150 .<br />

Contrairement à Gervais de Canterbury et à Robert de Torigni qui insistent surtout sur<br />

147<br />

LEWIS, A. W., Le sang royal, 1986.<br />

148<br />

HUGUES DE FLEURY, « Tractatus de regia potestae et sacerdotali dignitate », dans Monumenta<br />

Germaniae Historica, 1892, p. 466-494.<br />

149<br />

Recueil des actes d’Henri II , introduction, p. 12-32 ; cite Rot. Chart., p. XVI.<br />

150<br />

TORIGNI, I, p. 289-90 : Henricus dux Normannorum, VII idus Decembris in Angliam transfretans,<br />

cum magno tripudo clericorum et laicorum exceptus est X°IIII° kalendas Januarii, die Dominica ante<br />

Nativitatem Domini, apud Westmonasterium ab omnibus electus et in regem unctus est a Theobaldo<br />

archiepiscopo Cantuariensi. Affuerunt etiam episcopi omnes Anglici regni... Affureunt de Normannia…<br />

(Henri, duc de Normandie, le 7 des ides de décembre, partit en Angleterre, avec toute une suite de clercs<br />

et laïcs, et fut couronné le 14 des calendes de janvier, le dimanche avant la Nativité, à Westminster, par<br />

tous les élus du royaume et Théobald l’archevêque de Canterbury. Tous les évêques du royaume anglais<br />

virent, ainsi que ceux de Normandie.) ; GERVAIS DE CANTORBERY, The Historical Works, 1965<br />

[1880], p. 159- 160 : Deinde Londoniam petiit, proxima Dominica ante Nativitatem Domini coronandus.<br />

Igitur sextodecimo kalendas Januarii coronatus est rex Henricus filius Matildis imperatricis a Theobaldo<br />

Canturairensi archiepiscopo totius Angliae primate et apostoclicae sedis legato apud Westmonasterium,<br />

astantibus et cooperantibus archiepiscopi duobus, episcopis XIIII, comitibus et baronibus [Anglianis] et<br />

transmarinis et innumera multitudine plebis. Regina Aliénor a rege Francorum Lodovico repudiata, cum<br />

ipso coronata est (Ensuite, il se rendit à Londres, le dimanche avant la Nativité du seigneur pour être<br />

couronné. Henri, fils de Mathilde l’impératrice fut couronné roi le 14 des calendes de janvier par<br />

Théobald, archevêque de Canterbury, primat d’Angleterre et légat du siège apostolique, à Westminster.<br />

Assistèrent et coopérèrent à la cérémonie deux archevêque, 14 évêques, des comtes et des barons<br />

d’Angleterre et d’outre manche et une foule innombrable de gens du peuple. La reine Aliénor, répudiée<br />

du roi de France Louis, fut couronnée avec lui).<br />

456


le couronnement, Guillaume de Newburgh décrit l’onction et l’acclamation du roi par la<br />

foule comme le principal moment du rituel :<br />

La 1154 e année après la parturition de la Vierge, Henri, le petit fils<br />

d’Henri le grand par sa fille l’impératrice, après la mort du roi<br />

Étienne, traversa la Manche depuis la Normandie pour hériter de ses<br />

droits au royaume d’Angleterre. Il fut acclamé par tous et consacré de<br />

l’onction mystique royale, et la clameur se répandit à travers<br />

l’Angleterre : « vive le roi ! ». 151<br />

L’acclamation populaire, coutume anglo-saxonne, faisait donc partie intégrante<br />

du cérémonial de couronnement. En 1066, elle avait été à l’origine d’une grave<br />

incompréhension provoquant la répression de la foule car les chevaliers de Guillaume,<br />

prenant l’acclamation pour une révolte, firent mettre le feu à toutes les maisons<br />

environnant l’abbaye de Westminster 152 . À la fin du XII e siècle, la description de la<br />

foule en liesse venue assister à l’événement et admirer le nouveau souverain constitue<br />

désormais un topos que l’on retrouve souvent lorsqu’il s’agit de couronnement ou<br />

d’entrées royales, comme celles de Richard à Portmouth le 13 août 1189 ou à Barfleur<br />

en mars 1194 153 :<br />

Il ne pouvait avancer sans qu’il eût autour de lui une grande foule de<br />

gens manifestant leur joie par de belles danses et de belles farandoles,<br />

si bien qu’il aurait été impossible de jeter une pomme sans qu’elle ne<br />

tombe sur quelqu’un avant de toucher terre. Partout sonnaient les<br />

cloches. Vieux et jeunes venaient en longues processions en<br />

chantant 154 .<br />

151 GUILLAUME DE NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry II, and Richard I, 1884,<br />

I, p. 101 : Anno a partu Virginis M°C°L°IV° Henricus, Henrici majoris ex filia olim imperatrice nepos,<br />

post mortem regis Stephani a Noramnnia in Angliam veniens, hereditarium regnum suscepit, conclamatus<br />

ab omnibus, et consecratus mystica unctione in regem, concrepantibus per Angliam turbis, « vivat rex ».<br />

152 ORDERIC VITAL, The Ecclesiastical History, 1986, II, p.184-185, cité par THOMAS, H. M., The<br />

English and the Normans. Ethnic Hostility, Assimilation and Identity, 1066-c. 12, 2003, p. 3.<br />

153 PETERBOROUGH, II, p. 75-76 : Gavisa sunt ergo regna de adventu ducis, quia in meliorem statum<br />

se per illum reformari sperabant. Et quamvis quidam, perpauci tamen, molesti essent de nece domini<br />

Regis, solatium tamen fuit illis … (Les hommes du royaume se réjouissaient de l’arrivée du duc, parce<br />

qu’ils espéraient qu’il réformerait et améliorerait leurs conditions. Et tandis que quelques uns, peu<br />

nombreux, avaient été malmenés par le nouveau roi, on se consola pour eux …).<br />

154 MEYER, P. (éd.), L'histoire de Guillaume Le Maréchal, comte de Striguil et de Pembroke, régent<br />

d'Angleterre de 1216 à 1219 : poème français, 1891-1901, II, p. 11 v. 10436-10450 (1194) : « Beles<br />

dances, beles karoles/ Aveit entor lui tote veie/ Si k’il n’alout n’en champ n’en veie/ Que trestot entor ui<br />

n’esûst, / Ja si torner ne se seüst, / De gent joiose si grant presse/ E si espresse et si espresse/ Que ge vois<br />

d bien c’est la somme / Qu’on ne getast pas une pome/ Que, de si qu’a terre venist/ Qie la presse ne<br />

sostenist, / tel joie ourent maintes et maint/ Par testot sonoent li saint/ A granz processions veneient ;/ Veil<br />

e giembles e si chanteient ».<br />

457


Fondé sur l’acclamation populaire, le « bain de foule » est sans doute l’un des<br />

rituels politiques les plus pérennes de la mise en scène du pouvoir 155 . Dans cette scène,<br />

les acclamations sont accompagnées de chansons composées pour accueillir le nouveau<br />

roi, à l’instar des laudes regiae qui ponctuent les cérémonies de couronnement des rois<br />

anglais à partir du milieu du XII e siècle 156 . Ernst Kantorowicz a démontré la dimension<br />

singulièrement politique des laudes regiae du couronnement en Angleterre, qui<br />

contrairement aux laudes chantées en France, n’ont jamais été assimilées à des<br />

acclamations épiscopales 157 . Ernst Kantorowicz explique cette spécificité politique des<br />

laudes de couronnement anglaises en retraçant leur filiation avec les laudes normandes<br />

qui contenaient une acclamation individuelle adressée au duc, exprimant ainsi son statut<br />

particulier de quasi souverain dans son duché 158 . Les récits du couronnement de<br />

Richard, ainsi que de son intronisation comme duc de Normandie, insistent en effet sur<br />

la splendeur du cérémonial, ainsi que sur les chants accompagnant la procession du<br />

palais royal de Westminster jusqu’à l’abbaye 159 . C’est d’ailleurs le roi lui-même qui<br />

paie les chanteurs comme le montrent plusieurs mentions dans les pipe rolls, mentions<br />

dont le nombre s’accroît à partir du règne de Jean 160 . Le développement des laudes de<br />

couronnement anglaises, qui étaient « essentiellement l’expression d’un cérémonial<br />

d’état » s’inscrit donc clairement dans la tendance croissante et de plus en plus formelle<br />

et protocolaire que prennent les cérémonies de cour à la fin du XII e siècle.<br />

Le récit du premier couronnement de Richard par Roger de Hoveden, qu’il<br />

intitule « ici commence l’ordo du couronnement de Richard roi d’Angleterre » 161 , inclut<br />

155<br />

Sur ce point, voir notamment MARIOT, N., Bains de foule. Les voyages présidentiels en province,<br />

1888-2002, 2006.<br />

156<br />

GILLINGHAM, J., Richard I, 1999, p. 106-107 retranscrit et traduit les vers d’une chanson anonyme à<br />

partir du recueil de Music for the Lion-hearted King. Music to mark the 800th Anniversary <strong>of</strong> the<br />

Coronation <strong>of</strong> Richard I <strong>of</strong> England, Gothic Voices, dir. Christopher Page (Hyperion CDA66336, 1989).<br />

157<br />

KANTOROWICZ, E. H., Laudes Regiae. Une étude des acclamations liturgiques et du culte du<br />

souverain au Moyen Âge, 2004, p. 274 : d’après les sources liturgiques, les laudes apparaissent en rapport<br />

avec un couronnement remontant au XII e s. peut être celui de 1154.<br />

158<br />

Ibid., voir le chapitre p. 269-280.<br />

159<br />

HOVEDEN, III, p. 9 : cum ordinatat processione et cantu glorioso ; KANTOROWICZ, E. H., Laudes<br />

Regiae. Une étude des acclamations liturgiques et du culte du souverain au Moyen Âge, 2004.<br />

160<br />

PR 34 H.II, p. 19 : 25s. clerici qui cantaverunt christus vincit die Pentesocste ante regem ; Rotuli de<br />

Liberate ac de misis et praestitis regnante Johannes, HARDY, T. D. (éd.), 1844, p. 25 et 93, cité par<br />

KANTOROWICZ, E. H., Laudes Regiae. Une étude des acclamations liturgiques et du culte du<br />

souverain au Moyen Âge, 2004, p. 276.<br />

161<br />

HOVEDEN, III, p. 9 : Incipit ordo coronationis Richardi Regis Angliae ; voir aussi<br />

PETERBOROUGH, II, p. 80-84 ; FOREVILLE, R., « Le sacre des rois anglo-normands et angevins et le<br />

serment du sacre (XIe-XIIème siècle)" A.N.S., 1979, p. 49-62 revient sur les arguments de<br />

RICHARDSON, H. G., « The Coronation in Medieval England. The Evolution <strong>of</strong> the Office and the Oath<br />

», Traditio, 16 (1960), p. 111-202. Sur le lien entre les rituels de couronnement et d’adoubement voir<br />

458


pour la première fois une description très précise et ordonnée de la procession<br />

vraisemblablement fixée selon un protocole d’investiture royale. Selon Raymonde<br />

Foreville, qui reprend les analyses de John Brückmann, la description de Hoveden<br />

témoigne de l’existence d’une ordonnance du sacre royal dès la fin du XII e siècle 162 . Le<br />

clerc insiste notamment sur la pompe, décrivant les insignes royaux portés au cours de<br />

la cérémonie : tunique, dalmatique, manteau, glaive, verge et sceptre, éperons, ainsi que<br />

« la grande et pesante couronne d’or » 163 . La coutume régissant le couronnement des<br />

rois d’Angleterre, indiquait que le nouveau roi avait à sa charge la fabrication de ses<br />

propres regalia 164 . Les rois anglo-saxons étaient en effet traditionnellement inhumés<br />

parés des insignes de leur royauté, symbolisant ainsi son caractère encore éminemment<br />

personnel. Si l’investiture d’un nouveau roi devait donc impliquer la conception de<br />

nouvelles regalia, plusieurs indices semblent infirmer cette coutume à la fin du XII e<br />

siècle. Outre l’absence de mentions dans le pipe roll de 1189 concernant la fabrication<br />

de nouveaux insignes, le rouleau de 1170 contient l’ordre donné à Otton FitzWilliam et<br />

William FitzAilward d’acquérir « l’or nécessaire pour dorer la vaisselle du roi fils du roi<br />

et pour réparer les insignes du couronnement royal » 165 .<br />

La cérémonie du 17 avril 1194, considérée comme le second couronnement de<br />

Richard traduit l’importance nouvelle que prennent les rituels royaux, dans la dernière<br />

décennie du XII e siècle. Après les troubles de la captivité pendant lesquels s’élèvent des<br />

contestations vis à vis de l’autorité royale, Richard décide de renouer avec les rituels du<br />

port de la couronne. La cérémonie qui a lieu à St Swithun de Winchester consistait<br />

moins en effet à réitérer les sacrements d’investiture qu’à réaffirmer dans toute sa gloire<br />

la majesté royale. Le roi y apparaît paré des insignes royaux, dont Roger de Hoveden<br />

détaille la description :<br />

Richard roi d’Angleterre paré des regalia portant une couronne d’or<br />

sur sa tête, s’avança de son trône couronné, tenant dans sa main<br />

droite le sceptre royal qui était surmonté du signe de la croix et dans<br />

aussi FLORI, J., « Chevalerie et liturgie. Remise des armes et vocabulaire 'chevaleresque' dans les<br />

sources liturgiques du XIe au XIVe siècle », Le Moyen Âge, 84: 2 (1978), p. 245-278 et 409-442.<br />

162 FOREVILLE, R., « Le sacre des rois anglo-normands et angevins et le serment du sacre (XIe-XIIème<br />

siècle) », dans A.N.S., 1979, p. 49-62 résume le rituel du sacre attesté par les chroniqueurs de la fin du<br />

XII e siècle ainsi : 1) electio ou recognitio ; 2) triple serment sur les Evangiles et sur les reliques ; 3) triple<br />

onction (tête, poitrine, bras) ; 4) vêture ; 5) ultime adjuration de respecter les serments solennellement<br />

émis ; 6) couronnement et remise des insignes royaux ; 7) célébration de la messe dominicale ou festive.<br />

163 HOVEDEN, III, p. 10: coronam auream magnam et ponderosam.<br />

164 SCHRAMM, P. E., A History <strong>of</strong> the English Coronation, 1937.<br />

165 PR 17 Henri II, p. 16 : 34s. 9d. Ottoni filius Willelmi et Willemus filis Ailwardi pro auro ad<br />

deaurandam vaissellam regis filii regis ad reparandos enses ad coronamentum regis. Le faible montant<br />

déduit souligne qu’il s’agissait bien de réparations minimes.<br />

459


sa main droite une verge d’or au sommet de laquelle il y avait une<br />

sorte de colombe 166<br />

On ne peut manquer de relever la forte ressemblance entre cette description du<br />

roi en majesté et l’image stéréotypée représentée sur les sceaux royaux (illustration<br />

5.10). Comme les monnaies royales à la fin du Moyen Âge, le sceau était un support<br />

essentiel pour la diffusion de l’image de la magnificence royale : l’une des faces de la<br />

majesté royale, mais aussi le moyen de « son déploiement nécessaire dans la sphère<br />

visible du spectacle politique » 167 . La coïncidence entre l’émergence d’une mise en<br />

scène du pouvoir et la diffusion de sa représentation iconographique constitue un<br />

phénomène déjà bien observé 168 . Brigitte Bedos-Rezak en particulier a insisté sur le rôle<br />

des sceaux dans la formulation d’une identité idéelle des personnes et des communautés<br />

à partir du milieu du XII e siècle 169 . Les sceaux traduisent ainsi l’image que les<br />

Plantagenêt voulaient donner d’eux-mêmes, mais ce n’est qu’à partir du règne de<br />

Richard, au moment où elle devient un instrument de gouvernement, que le<br />

façonnement de l’image du pouvoir à travers la figure du roi en majesté ainsi que sa<br />

diffusion dans la sphère « publique » deviennent l’objet d’un contrôle plus étroit.<br />

La cérémonie de couronnement de Jean en 1199 n’est sans doute pas aussi<br />

marquante que celle de 1194. Préparée dans l’urgence et dans un contexte de lutte<br />

contre Arthur, elle est simplement décrite de manière factuelle par Roger de Hoveden<br />

166<br />

HOVEDEN, III. p. XXX (1194) Ricardus rex Angliae vestimentis regalibus indutus coronam auream<br />

habens in capite, processit de thalamo suo coronatus, gestans in manu sua dextra sceptrum regale, cuius<br />

summitate habetur signum crucis, et in manu sinistra virgam auream, in cuius summitate habetur species<br />

columbaue; BILLORÉ, M., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe - début XIIIe siècles). De<br />

l'autocratie Plantagenêt à la domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de Martin Aurell,<br />

2005, non publiée, p. 465-66: fait remarqué que les sceaux véhiculaient l’ambiguïté sur la nature de leur<br />

pouvoir en montrant à l’avers la figure de la majesté royale et au revers le cavalier, représentant le prince<br />

territorial.<br />

167<br />

PIRON, S., « Monnaie et majesté royale dans la France du XIVe siècle », Annales. Histoire Sciences<br />

Sociales, 51: 2 (1996), p. 325-354.<br />

168<br />

PASTOUREAU, M., « L'Etat et son image emblématique », dans Culture et idéologie dans la genèse<br />

de l'Etat moderne, 1985, p. 145-153; BEDOS-REZAK, B., « Les sceaux au temps de Philippe Auguste »,<br />

dans La France de Philippe Auguste: le temps des mutations, 1982, p. 722-736; BEDOS-REZAK, B.,<br />

« Mythes monarchiques et thèmes sigillaires du sceau de Louis VII aux sceaux de Charles VII », dans<br />

XVe Congreso Internacional de las ciencias genealogica y heraldica, 1983, p. 199-213; BEDOS-<br />

REZAK, B., « Signes et insignes du pouvoir royal et seigneurial au Moyen Âge: le témoignage des<br />

sceaux », dans Les pouvoirs de commandement jusqu'en 1610. Actes du 105e Congrès national des<br />

sociétés savantes, 1984, p. 47-62; MARIN, L., Le portrait du roi, 1981; BONY, P., « L'image du pouvoir<br />

seigneurial dans les sceaux: codification des sines de puissance (fin du XIe début du XIIIe siècle) dans les<br />

pays d'oïl », dans Seigneurs et seigneuries au Moyen Age. Actes du 117e congrès national des sociétés<br />

savantes, 1993, p. 489-524;<br />

169<br />

BEDOS-REZAK, B., Form and order in medieval France studies in social and quantitative<br />

sigillography, 1993; BEDOS-REZAK, B., Medieval identity a sign and a concept, 2000.<br />

460


qui avait pourtant été si prolixe en 1189 et 1194 170 . Roger de Wendover s’en tient<br />

également à la pure description des gestes rituels sans un mot sur la splendeur du<br />

cérémonial, mais en insistant bien sur le contenu du serment 171 . C’est sans doute<br />

l’absence de véritable cérémonial qui pousse Jean à réitérer, sur le modèle de son frère,<br />

la cérémonie de couronnement, afin de multiplier les manifestations de sa majesté<br />

royale. Dès octobre 1200, pr<strong>of</strong>itant de sa nouvelle union avec Isabelle d’Angoulême et<br />

du règlement de ses « affaires continentales » (qui incluait selon toute vraisemblance,<br />

outre les traités de paix, le meurtre d’Arthur), Jean organise une nouvelle cérémonie à<br />

Londres, puis à nouveau le 23 mars 1201, a lieu, selon Roger de Hoveden, le<br />

« troisième couronnement de Jean roi d’Angleterre et le second couronnement de la<br />

reine Isabelle » à Canterbury 172 . Ces trois couronnements successifs peuvent être<br />

considérés comme la réactualisation désormais courante de l’ancienne coutume du port<br />

de la couronne, comme le signale d’ailleurs Roger de Wendover qui décrit ainsi la<br />

cérémonie d’octobre 1200 et de mars 1201 : « Quand le roi Jean et la reine Isabelle<br />

portèrent la couronne à Londres » 173 . En 1213, Jean fait ajouter des pierres précieuses<br />

sur sa couronne, ce qui suggère qu’il la portait régulièrement ou bien qu’il envisageait<br />

sans doute une nouvelle cérémonie après son retour d’expédition en Poitou dont il<br />

imaginait vraisemblablement de revenir victorieux 174 .<br />

170 HOVEDEN, IV, p. 90 : Hubertus Cantuariensis archiepiscopus coronavit et consecravit in regem<br />

Angliae praefatum Johannem ducem Normanniae, in ecclesia Sancti Petri apud Westmunster, sexton<br />

kaledas junii feria quita die Ascensionis Domini… (Hubert archevêque de Canterbury couronna et<br />

consacra roi d’Angleterre, Jean qui avait été intronisé duc de Normandie, dans l’église Saint-Pierre de<br />

Westminster, le six des calendes de juin, le jour de l’Ascension).<br />

171 ROGER DE WENDOVER, Liber qui dicitur Flores Historiarum, 1965 [1886-89], I, p. 287:<br />

Hubertus,Cantuariensis archiepiscopus, coronam capiti ejus impnens, unxit eum in regem… In hoc<br />

coronatione rex Johannes triplici involutus est sacramento quod videlicet sanctam ecclesiam et eius<br />

ordinates diligeret et eam ab incursione malignantium indemnem conservaret; et quod perversis legibus<br />

destructis bonas substitueret et rectam justitiam n regno Angliae exerceret.<br />

172 HOVEDEN, IV, p. 139 : Eodem anno mense Octobis post completa negotia sua in Normaniae et<br />

caeteris terris suis transmarinis, Johannes rex Angliae transfretavit de Normannia in Angliam et adduxit<br />

secum Ysabel sponsam suam filiam comitis de Englismo et octavo idem eiujdem mensis die Dominica,<br />

ipse et Ysabel uxor eius coronati sunt Lundoniis apud Westminasterium ab Huberto Cantuariensi<br />

archiepiscopo. ; 160 : Eodem anno, videlicet ab Incarnation Domini millesima ducentesimo primo, qui<br />

erat annus tertius regni Johannis regis Anglaie, idem rex et Ysabel regina uxor eius fuerunt apud<br />

Cnautariam coronati ab Huberto Cantuariensi archiepiscopo in ecclesia catherdrali die Paschae, quae<br />

non kalendas Aprilis evenit, festo Annunciationis Dominicae.<br />

173 ROGER DE WENDOVER, Liber qui dicitur Flores Historiarum, 1965 [1886-89], I, p. 301 et 311 : Ut<br />

rex Johannes et Isabel regina Londoniis coronam portaverint.<br />

174 COLE, H. (éd.), Documents Illustrative <strong>of</strong> English History in the Thirteenth and Fourteenth Centuries,<br />

Selected from the Records <strong>of</strong> the Department <strong>of</strong> the Queen's Remembrancer <strong>of</strong> the Exchequer, 1844, p.<br />

232 : Henrico de Sancta Helena aurifabri ad emendum lapides preciosos ponendos in corona auri … C<br />

marcarum per regis liberatione eidem Henrici per Johanne filio Hugoni.<br />

461


À partir du règne de Richard, apparaît donc une nouvelle manière d’affirmer la<br />

sacralité du pouvoir, reposant moins sur l’association au culte des saints, que sur la<br />

sanctification de la personne royale elle-même. La représentation répétée du roi en<br />

majesté au cours de cérémonies protocolaires contribuait en effet à introduire une<br />

distance plus grande entre le roi et son aristocratie. Selon Claude Fagnen, le vocabulaire<br />

des chartes de Richard traduit cette évolution de « l’étiquette » par l’usage, dès les<br />

premiers jours du règne, du pluriel de majesté : « un phénomène très révélateur, sur le<br />

seul plan psychologique, de la notion de souveraineté que Richard Cœur-de-Lion a<br />

voulu imposer à son entourage et à son immense empire » 175 . En même temps, le roi<br />

continue d’attester ses chartes par un teste me ipso, illustrant selon Claude Fagnen, la<br />

volonté du roi comme l’expression quasi-impersonnelle du responsable de l’État. Cette<br />

apparente contradiction traduit sans doute la dissociation croissante, autour de 1200,<br />

entre la fonction et la personne royale. Au moment même où la Couronne se distingue<br />

du domaine royal (voir chapitre 3), la dignitas regalis se sépare également de la<br />

personne royale, posant ainsi les germes d’une dualité physique et politique préfigurant<br />

la théorie des deux corps du roi 176 . En outre, la mise en scène des attributs du prince par<br />

les insignes, l’allure, l’attitude, la rhétorique a été considérée par Jürgen Habermas<br />

comme des éléments participant à la structuration de la vie publique : dans un pouvoir<br />

structuré par la représentation, le cérémonial a en effet pour fonction de régler la place,<br />

la fonction et l’attitude de chacun 177 . Selon Gérard Sabatier, c’est en effet au XII e siècle<br />

que l’impératif cérémonial remplace progressivement celui de la sécurité, avec<br />

conséquences sur agencement des lieux et architecture 178 .<br />

L’émergence de ce mode de gouvernement fondé sur une relation d’autorité<br />

souveraine n’implique cependant pas l’abandon de l’itinérance royale. Même si<br />

l’alourdissement du cérémonial tend progressivement à sédentariser la cour, le roi<br />

continue à parcourir l’ensemble de son royaume, accompagné de son administration.<br />

Cependant, l’itinérance royale reposait désormais moins sur un mode de vie « nomade »<br />

175 FAGNEN, C., « Le vocabulaire du pouvoir dans les actes de Richard Coeur de Lion duc de Normandie<br />

(1189-1199) », dans Les pouvoirs de commandement jusqu'en 1610. Actes du 105e Congrès national des<br />

sociétés savantes, 1984, p. 79-93;<br />

176 KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen âge, 2000<br />

[1957]; GIESEY, R. E., Le Roi ne meurt jamais les obsèques royales dans la France de la Renaissance,<br />

1987; GIESEY, R. E., Cérémonial et puissance souveraine, 1987 ;<br />

177 HABERMAS, J., L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la<br />

société bourgeoise, 1978, p. 20, cité par CORNETTE, J. et AUZÉPY, M., « Lieux de pouvoir, pouvoir<br />

des lieux », dans Palais et pouvoir de Constantinople à Versailles, 2003, p. 5-31.<br />

178 SABATIER, G., « Le palais d'Etat en Europe, de la Renaissance au Grand Siècle », dans Palais et<br />

pouvoir de Constantinople à Versailles, 2003, p. 81-107 ;<br />

462


que sur un réseau densifié et développé de résidences royales, qui sont conçues non<br />

seulement comme des lieux réceptacles de la personne royale mais aussi comme un<br />

moyen de symboliser le pouvoir, en l’absence de la personne physique du roi.<br />

463


2- Les choix résidentiels et la représentation<br />

monumentale du pouvoir<br />

Dans le chapitre 1, les analyses factorielles effectuées indiquaient que<br />

l’investissement dans les domus par les Plantagenêt concernait surtout les espaces<br />

globalement les plus faiblement militarisés (ACM 1 facteurs 2 et 3). En cartographiant<br />

ces données et en distinguant sur la carte des lieux fréquentés les différents types de<br />

résidences (carte 5.31), on peut observer que le royaume d’Angleterre était pourvu de<br />

nombreuses domus, contrairement aux territoires continentaux, à l’exception de la<br />

Normandie. S’il s’agit d’une image produite par l’inégalité documentaire, une telle<br />

dichotomie ne peut-elle être considérée que comme purement factice ? Dans quelle<br />

mesure l’effet de sources n’est-il pas également le produit de perceptions et<br />

d’organisations différentiées de l’espace ? Pour tenter de saisir les pratiques<br />

résidentielles de l’espace des Plantagenêt, nous avons cherché à les mettre en relation<br />

avec leur capacité à dominer l’espace, à le contrôler, c'est-à-dire d’une certaine manière<br />

à le gouverner. Ainsi, la manière dont les Plantagenêt ont séjourné, habité les espaces de<br />

leur empire est-elle un bon révélateur de la manière dont ils le maîtrisaient ? Dans un<br />

premier temps, il s’agira de comprendre comment s’est manifestée la domestication des<br />

constructions royales et comment celle-ci s’est articulée avec l’essor de la machine<br />

gouvernementale et avec sa curialisation. Puis dans un second temps, nous avons<br />

cherché à comparer l’espace parcouru et l’espace construit par les Plantagenêt pour<br />

saisir le rapport entre les pratiques résidentielles et la politique au sein de l’empire. La<br />

construction ne sert pas seulement en effet à abriter les séjours du roi et de la cour, la<br />

dimension architecturale des constructions sert également de langage pour exprimer la<br />

puissance princière 179 . Si ces deux aspects pratiques et symboliques ne peuvent<br />

totalement se dissocier, nous verrons toutefois que les espaces de villégiature ne<br />

coïncident pas systématiquement avec les sites où les Plantagenêt ont mis en scène une<br />

architecture monumentale et démonstrative de leur puissance.<br />

179 RENOUX, A., « Les fondements architecturaux du pouvoir princier en France (fin IXe - début XIIIe<br />

siècle) », dans Les Princes et le Pouvoir au Moyen Âge. Actes du XXIIIe congrès de la SHMESP, 1993, p.<br />

167-194.<br />

464


2.1- Les résidences royales : habiter, séjourner, gouverner<br />

Alors que la question des résidences princières a été depuis quelques années un<br />

domaine de recherche dynamique, sous l’influence de la Residenzforschung allemande,<br />

l’étude des résidences royales en Angleterre commence seulement depuis peu à produire<br />

des résultats, comparables à ceux obtenus pour les Capétiens ou les ducs de<br />

Normandie 180 . Les travaux d’Annie Renoux s’inspirant de ces méthodes et de ces<br />

problématiques associant histoire des résidences et de la résidence, ont été pionniers en<br />

France, ouvrant ce champ de recherche à la fois en amont et en aval de la charnière XI e<br />

– XII e siècle 181 . Cependant, la plupart des études, en France comme en Angleterre, sont<br />

des monographies associant données archéologiques et fonds documentaires, lorsqu’il y<br />

en a 182 . Selon Annie Renoux, il ressort de ces travaux qu’il n’y a pas de concept de<br />

résidence princière clairement et durablement défini à cette date, même si une<br />

normalisation et une standardisation sont perceptibles à partir du XII e siècle. Après les<br />

années 1110, la raréfaction du terme palatium – et sa substitution progressive par le<br />

terme de domus – impliquait de comprendre le sens que ces glissements sémantiques<br />

avaient dans la pratique des princes du XII e siècle. Selon Olivier Guyotjeannin, cette<br />

disparition dans le vocabulaire du pouvoir et son apparition pour désigner les résidences<br />

seigneuriales est la conséquence de la transformation en « palais » royal de toute<br />

résidence où le roi pouvait séjourner, selon le droit de gîte ; une transformation qui avait<br />

été précédée d’une période d’usage indifférencié, comme si tout séjour du roi était alors,<br />

180 Voir notamment : ZOTZ, T., « Palais royaux, cours, résidences. L'étude des palais royaux en<br />

Allemagne », dans Les tendances actuelles de l'histoire du Moyen Âge en France et en Allemagne, 2003,<br />

p. 307-326; PARAVICINI, W., « Les cours et les résidences du Moyen Âge tardif. Un quart de siècle de<br />

recherches allemandes », dans Ibid., p. 327-350; ZOTZ, T., « Présentation et bilan de l'historiographie<br />

allemande de l'espace », dans Construction de l'espace au Moyen Âge: pratiques et représentations, 2007,<br />

p. 57-71 ; voir notamment les récentes contributions de Alexandra Sanmark, Stuart Brookes et Ryan<br />

Lavelle au colloque de l’International Medieval Society de Leeds, 2009 pour l’Angleterre. Sur les<br />

Capétien voir infra ainsi que les travaux de Elisabeth Lalou et Jean Chapelot sur Vincennes.<br />

181 RENOUX, A., « Palais, cours et résidences », dans Les tendances actuelles de l'histoire du Moyen Âge<br />

en France et en Allemagne, 2003, p. 351-356; RENOUX, A. (éd.), Aux marches du palais : qu'est-cequ'un<br />

palais médiéval ? : données historiques et archéologiques : actes du VIIe Congrès international<br />

d'archéologie médiévale, Le Mans-Mayenne, 9-11 septembre 1999, 2001; RENOUX, A. (éd.), Palais<br />

royaux et princiers au Moyen âge : actes du colloque international tenu au Mans les 6-7 et 8 octobre<br />

1994, 1996 ; RENOUX, A., « Les fondements architecturaux du pouvoir princier en France (fin IXe -<br />

début XIIIe siècle) », dans Les Princes et le Pouvoir au Moyen Âge. Actes du XXIIIe congrès de la<br />

SHMESP, 1993, p. 167-194.<br />

182 GUYOTJEANNIN, O., « Résidences et palais des premiers Capétiens en Ile-de-France », dans<br />

Vincennes aux origines de l'état moderne, 1996, p. 123-136, RENOUX, A., « Espaces et lieux de<br />

pouvoirs royaux et princiers en France (fin XIe-début XIIIe siècle): changement et continuité », dans<br />

Palais royaux et princiers au Moyen Âge, 1996, p. 17-42.<br />

465


aux yeux de la chancellerie, un palatium. L’éclatement du concept de palatium au<br />

tournant des XII e et XIII e siècles s’expliquerait ainsi par la perte de son aptitude à<br />

symboliser à lui seul le gouvernement royal 183 . Désacralisé, le palatium perdait<br />

également la capacité à soutenir une reprise de l’autorité royale, qui s’appuyait sur une<br />

utilisation rationnelle du système féodal et sur l’affirmation de la potestas, davantage<br />

symbolisés par le castrum 184 .<br />

Le phénomène le plus remarquable de la seconde moitié du XII e siècle ne se<br />

trouve donc plus dans le caractère « palatial » des résidences mais dans les progrès du<br />

terme domus, qui s’applique progressivement à tous les types de résidences y compris<br />

les moins prestigieuses comme les loges de chasse en même temps qu’il devient un<br />

terme de plus en plus usité pour designer l’hôtel du roi 185 . De même que pour le terme<br />

palatium à la période précédente, il demeure, tout au long du XII e siècle, une ambiguïté<br />

essentielle entre la désignation du monument et le groupe d’hommes qui l’habite de<br />

manière temporaire. Dans une société gouvernée par une cour nomade, la continuité<br />

institutionnelle dépendait moins en effet des lieux que des hommes qui l’incarnaient.<br />

Dans quelle mesure alors le processus de « domestication » et de curialisation du<br />

gouvernement des Plantagenêt s’accompagne-t-il de l’essor des espaces résidentiels et<br />

de la domestication de leurs constructions ? Nous partirons de l’observation des<br />

occurrences du terme domus dans les pipe rolls. Ce terme désignait à la fois un type<br />

spécifique de lieu se distinguant des châteaux et un type d’habitation dans des sites<br />

castraux ou monastiques. Si Annie Renoux a montré que la « castralisation » des palais<br />

carolingiens est un processus qui commence dès le IX e siècle, à la fin du XII e siècle,<br />

l’heure est davantage à l’épanouissement morphologique des aulae qui se développent<br />

en symbiose avec les fortifications : en témoignent les nombreuses mentions relatives à<br />

l’aménagement d’espaces résidentiels et domestiques enregistrées dans les pipe rolls 186 .<br />

183 RENOUX, A., Fécamp, du palais ducal au palais de Dieu : bilan historique et archéologique des<br />

recherches menées sur le site du château des ducs de Normandie IIe siècle A.C.-XVIIIe siècle P.C. 1991,<br />

p. 526.<br />

184 RENOUX, A., « ‘Aux marches du palais’ : des mots, des concepts et des réalités fonctionnelles et<br />

structurelles », dans Aux marches du palais : qu'est-ce-qu'un palais médiéval ? : données historiques et<br />

archéologiques, 2001, p. 9-20 ; RENOUX, A., « Palatium et castrum en France du nord (fin IXe - début<br />

XIIIe siècle) », dans The seigneurial residence in Western Europe, AD c800-1600, 2002, p. 15-25.<br />

185 voir en effet RICHARD FITZNIGEL, Dialogus de Scaccario (and) Constitutio Domus Regis. The<br />

Course <strong>of</strong> the Exchequer. The Establishment <strong>of</strong> the Royal Household, 1983 qui contient en seconde partie<br />

la description de la « domus regis » en tant qu’institution.<br />

186 RENOUX, A., « Palatium et castrum en France du nord (fin IXe - début XIIIe siècle) », dans The<br />

seigneurial residence in Western Europe, AD c800-1600, 2002, p. 15-25. Elle observe une fusion de la<br />

aula et de la turris, ou plus exactement une militarisation de la aula, intégrant le schéma palatial au<br />

castrum.<br />

466


2.1.1- La domestication des constructions castrales<br />

Évolution sémantique et problèmes de terminologie<br />

Sur les graphiques 5.11 construits à partir des occurrences des termes désignant<br />

les sites concernés par les dépenses enregistrées à l’Échiquier de Westminster, on<br />

observe que l’occurrence la plus fréquente, qui concerne plus de la moitié des mentions<br />

de dépenses de construction, est celle de castellum. Ce constat amène à faire une<br />

première remarque sur la différence entre castellum et castrum qui a depuis longtemps<br />

interrogé les historiens, cherchant à comprendre les réalités castrales désignées par le<br />

vocabulaire des documents 187 . Dans un article datant de 1975, Barnard Bachrach<br />

proposait une synthèse des débats et de nouvelles propositions, en adaptant la typologie<br />

établie par Jean Richard en 1960. Celui-ci distinguait les châteaux à proprement parler<br />

pour désigner les résidences de première importance, qui étaient en même temps des<br />

centres institutionnels et judiciaires ; les châteaux neufs qui étaient de plus petite taille,<br />

de moindre importance et souvent plus éphémères ; et enfin les maisons fortes qui<br />

recouvraient des résidences privées fortifiées 188 . Montrant les difficultés de l’extension<br />

d’une telle typologie fondée sur l’étude des documents bourguignons à l’ouest de la<br />

France, Barnard Bachrach a rejoint la thèse J.-F. Verbruggen sur l’inefficacité du<br />

recours aux termes médiévaux, puisque castrum, castellum, munitio, firmitas, oppidum<br />

apparaissent largement interchangeables du IX e au XIII e siècles. Cependant, il s’écarte<br />

des conclusions de Verbruggen sur un point : tandis que ce dernier déduit de son étude<br />

qu’il n’y avait pas de vocabulaire technique systématique, B. Bachrach pense au<br />

contraire que cette conclusion est davantage un effet des sources choisies, surtout<br />

cléricales, qu’une interprétation exacte de la réalité. La chronique d’Adhémar de<br />

Chabannes montre également que ce dernier faisait une claire distinction entre l’urbs<br />

187 HÉLIOT, P., « Les châteaux-forts en France Xe-XIIe siècles à la lumière de travaux récents », Journal<br />

des savants (1965), p. 483-514; FINÓ, J. F., Forteresses de la France médiévale construction, attaque,<br />

défense, 1977; BARBIER, P., La France féodale. Châteaux-forts et églises fortifiés, 1968; CHÂTELAIN,<br />

A., Donjons romans des pays d'Ouest : étude comparative sur les donjons romans quadrangulaires de la<br />

France de l'Ouest, 1973; CROZET, R., « Recherche sur les sites de châteaux et de lieux fortifiés en haut<br />

Poitou au Moyen Âge », Bulletin de la Société des Antiquaires de l'Ouest (et des Musées de Poitiers), 4e<br />

serie: 11 (1971), p. 187-217; FIXOT, M., Les fortifications de terre et les origines féodales dans le<br />

Cinglais, 1968; VERBRUGGEN, J., « Notes sur le sens des mots castrum, castellum et quelques autres<br />

expression qui désignent des fortifications », Revue belge de philologie et d'histoire, 28 (1950), p. 147-<br />

155; DEBORD, A., « Castrum et castellum chez Ademar de Chabannes », Archéologie médiévale, 9<br />

(1979), p. 97-113.<br />

188 BACHRACH, B. S., « Early medieval fortifications in the « West » <strong>of</strong> France : a revised technical<br />

vocabulary », Technology and Culture, 16: 7-10 (1975), p. 531-569 reprend et nuance la typologie de<br />

RICHARD, J., « Châteaux, châtelains et vassaux en Bourgogne aux Xe et XIIe siècles », C.C.M., 3, p.<br />

433-447.<br />

467


qui désignait une ville enceinte et le castrum, contrairement à ce qu’on rencontre dans<br />

d’autres textes contemporains 189 .<br />

Les occurrences enregistrées dans les pipe rolls entre 1157 et 1215 font<br />

apparaître une tendance assez nette, permettant d’interpréter l’usage préférentiel du<br />

terme castrum – qui n’indique pas d’autres sites que ceux également désignés par le<br />

terme castellum – pour souligner le caractère spécifiquement militaire des<br />

constructions 190 . Les principales occurrences de castrum augmentent en effet<br />

significativement lors des périodes d’affrontements c'est-à-dire au moment où les<br />

travaux de type défensif sont les plus intenses : entre 1174-1176, tout d’abord, lors de la<br />

reprise en main par Henri II de ses territoires après la révolte des barons ; en 1189,<br />

ensuite, lors de l’avènement de Richard Cœur-de-Lion et juste avant son départ pour la<br />

Terre Sainte ; puis de manière de plus en plus systématique, dans les dernières années<br />

du règne de Jean, lorsque celui-ci doit faire face à une agitation grandissante au sein de<br />

son aristocratie. En outre, plusieurs mentions confirment l’idée que le castrum désigne<br />

bien l’ensemble de la forteresse enserrant la tour principale (donjon) et des différents<br />

bâtiments qui l’entourent : in operatione muri castri circa castellum de Dovra 191 .<br />

Une seconde observation du graphique 5.11 permet de relever la part croissante,<br />

au cours de la période, des mentions de domus in castello tandis que la proportion des<br />

mentions de domus et de castellum reste relativement identique. Cette augmentation<br />

peut-elle être interprétée en terme de domestication de l’architecture castrale ? Les<br />

travaux de Jean Mesqui ont en effet contribué à forger le modèle des « salles-tours » où<br />

le donjon constitue à la fin du XII e siècle, un espace hybride, alliant des besoins de<br />

symbolisme à des besoins résidentiels 192 . Peut-on pour autant interpréter l’augmentation<br />

des occurrences de domus in castello au cours du règne de Richard comme le moment<br />

où se mettrait en place l’aménagement d’espaces résidentiels dans des château déjà<br />

existants en Angleterre ? Une première réponse peut être apportée en comparant<br />

l’évolution des occurrences aux dépenses affectées aux constructions (graphique 5.12) :<br />

on s’aperçoit alors que la tendance sémantique n’a pas vraiment de réalité financière<br />

189<br />

DEBORD, A., « Castrum et castellum chez Ademar de Chabannes », Archéologie médiévale, 9 (1979),<br />

p. 97-113.<br />

190<br />

Par exemple ; PR 29 H.II, p. 155 (1183) : £129 in operatione castelli de Dovra per visum Robertus<br />

filius Bernardi Philippi de Pesingis Walteri de Estria et Godefridi filii Anfride ; et PR 20 H.II, p. 6 : £22<br />

16s. 1d. in operatione eiusdem castri dum Roberti filii Bernardi habuit custodia…<br />

191<br />

PR 26 H.II, p. 143: £165 13s. 4d. in operatione muri castri circa castellum de Dovra per visum<br />

Robertus filius Bernardi Philippi de Psisingis Godwini filii Amfridi-Walteri de Esteria.<br />

192<br />

RENOUX, A., « Espaces et lieux de pouvoirs royaux et princiers en France (fin XIe-début XIIIe<br />

siècle): changement et continuité », dans Palais royaux et princiers au Moyen Âge, 1996, p. 17-42.<br />

468


dans la mesure où les dépenses pour les demeures à l’intérieur des châteaux étaient déjà<br />

importantes sous Henri II, mais elles étaient alors simplement désignées par<br />

l’expression in operatione domorum. Cette évolution sémantique signale-t-elle une<br />

évolution morphologique des espaces résidentiels aristocratiques à la fin du XII e siècle ?<br />

La résidentialisation des grands donjons rectangulaires constitue un phénomène<br />

caractéristique des pays de l’Ouest de l’Europe, à partir de la fin du XII e siècle,<br />

contrairement aux pays d’Empire et à l’Auvergne où Bruno Phalip a montré que la tour<br />

principale n’était pas résidentielle 193 . Au sud de la Loire, les donjons étaient en effet de<br />

faible superficie au sol (10 mètres de côté en moyenne mais jusqu’à 30 mètres de<br />

hauteur) 194 . Généralement perché au sommet d’une motte, ce type d’édifice élancé était<br />

présent partout et de manière presque exclusive en Angoumois, Périgord, Limousin, et<br />

en Auvergne. Dans ces régions, comme dans le monde anglo-normand, les espaces<br />

domestiques se sont plutôt développés à l’intérieur ou à l’extérieur l’enceinte du<br />

castrum, à mesure que les besoins du prince, de sa familia ainsi que de toute sa cour<br />

s’accroissaient. En Normandie et en Angleterre, la résidentialisation des donjons<br />

n’empêche cependant pas la multiplication bâtiments annexes. Cet éclectisme constitue<br />

sans doute une explication de la distinction progressive qui apparaît dans la<br />

terminologie entre les logis du donjon (in castellum) des autres bâtiments<br />

domestiques 195 .<br />

Le développement des espaces résidentiels : un accroissement multiple et<br />

composite<br />

Il convient tout d’abord de remarquer que l’expression exacte des pipe rolls est<br />

moins le singulier de domus que son pluriel. Celui-ci qui indique que les constructions<br />

193<br />

PHALIP, B., Seigneurs et bâtisseurs, 2000.<br />

194<br />

DEBORD, A.; BAZZANA, A. et POISSON, J. M., Aristocratie et pouvoir : le rôle du château dans la<br />

France médiévale, 2000.<br />

195<br />

Sur cette question largement abordée voir notamment : CHÂTELAIN, A., Donjons romans des pays<br />

d'Ouest : étude comparative sur les donjons romans quadrangulaires de la France de l'Ouest, 1973;<br />

MESQUI, J., Châteaux et enceintes de la France médiévale, de la défense à la résidence. 2, La résidence<br />

et les éléments d'architecture, 1993; MESQUI, J., Châteaux forts et fortifications en France, 1997;<br />

MESQUI, J. et GARRIGOU GRANDCHAMP, P., Demeures seigneuriales dans la France des XIIe-XIVe<br />

siècles : études sur les résidences rurales des seigneuries laïques et ecclésiastiques, 1999; DIXON, P.,<br />

« The myth <strong>of</strong> the keep », dans The seigneurial residence in Western Europe, AD c800-1600, 2002, p. 9-<br />

14; MARSHALL, P., « The great tower as residence », dans The seigneurial residence in Western<br />

Europe, AD c800-1600, 2002, p. 27-44; MARSHALL, P., « The ceremonial function <strong>of</strong> the dunjon in the<br />

twelfth Century », dans Château Gaillard, 20: Etudes de castellologie médiévale, 2002, p. 141-151 et<br />

RENOUX, A., « Résidences et châteaux ducaux normands au XIIe siècle. L'apport des sources<br />

comptables et des données archéologiques », dans L'architecture normande au Moyen âge, 2001, p. 197-<br />

217.<br />

469


ne concernaient pas un seul bâtiment qui aurait été la domus regis, mais que ce qui<br />

désignait la résidence princière était composé de différents éléments 196 . À l’époque<br />

carolingienne, les résidences royales étaient en effet organisées en pôles différenciés<br />

aux vocations politiques (aula), domestique (camera), ecclésiastique (capella) et<br />

économique (villa, curtis) 197 . Cette quadipolarisation se maintient globalement tout au<br />

long du Moyen Âge, même si l’attribution des fonctions aux différentes structures ne<br />

semble pas avoir été fixe et même souvent interchangeable 198 . À Vatteville-la-Rue, la<br />

résidence des Meulan en Normandie, Anne-Marie Flambard Héricher a en effet montré<br />

que dans la salle principale s’étaient enchevêtrées différentes fonctions, la vie publique<br />

et la vie privée du prince n’étaient pas des sphères clairement séparées 199 . De même, la<br />

recherche anglaise a longtemps interprété les édifices anglo-normands rectangulaires<br />

comme des aulae alors qu’il s’agissait plus vraisemblablement de camerae 200 . Plus<br />

fréquemment, l’édifice que les Anglais appellent le hall and chamber-block pouvait<br />

avoir plusieurs étages 201 , les fonctions étant alors distribuées en élévation. C’est le cas<br />

par exemple de la salle de l’Échiquier du château de Caen, où le rez-de-chaussée<br />

accueillait la cuisine (il n’y a ni pavage, ni grandes ouvertures, mais des foyers de<br />

cheminées) tandis que l’espace d’apparat était au premier étage, largement éclairé par<br />

196 En 1174 par exemple, £16 sont affectées : in emendatione domorum regis in eodem castri<br />

[Northampton] et pro domibus turris tegendam ; PR 20 H.II, p. 55.<br />

197 RENOUX, A., « Les fondements architecturaux du pouvoir princier en France (fin IXe - début XIIIe<br />

siècle) », dans Les Princes et le Pouvoir au Moyen Âge. Actes du XXIIIe congrès de la SHMESP, 1993, p.<br />

167-194 ; DEBORD, A.; BAZZANA, A. et POISSON, J. M., Aristocratie et pouvoir : le rôle du château<br />

dans la France médiévale, 2000 (chapitre 5).<br />

198 RENOUX, A., « ‘Aux marches du palais’ : des mots, des concepts et des réalités fonctionnelles et<br />

structurelles », dans Aux marches du palais : qu'est-ce-qu'un palais médiéval ? : données historiques et<br />

archéologiques, 2001, p. 9-20; RENOUX, A., « Les fondements architecturaux du pouvoir princier en<br />

France (fin IXe - début XIIIe siècle) », dans Les Princes et le Pouvoir au Moyen Âge. Actes du XXIIIe<br />

congrès de la SHMESP, 1993, p. 167-194 : « la diversification architecturale est devenue une réalité don<br />

on a bien conscience. Mais tout se passe comme si la diversification morphologique avait précédé la<br />

diversification fonctionnelle, laquelle reste très loin d’atteindre partout systématiquement le même degré<br />

de spécialisation » (p. 184).<br />

199 FLAMBARD HÉRICHER, A. M., « Le "Vieux Château" de Vatteville-la-Rue (Seine-Maritime),<br />

première approche archéologique », dans Château Gaillard, 17: Etudes de castellologie médiévale, 1996,<br />

p. 85-89; FLAMBARD HÉRICHER, A. M., « La construction dans la basse vallée de la Seine: l'exemple<br />

du château de Vatteville-la-Rue », dans Château Gaillard, 18: Etudes de castellologie médiévale, 1998, p.<br />

93-102.<br />

200 RENOUX, A., « ‘Aux marches du palais’ : des mots, des concepts et des réalités fonctionnelles et<br />

structurelles », dans Aux marches du palais : qu'est-ce-qu'un palais médiéval ? : données historiques et<br />

archéologiques, 2001, p. 9-20 cite WOOD, M., Norman domestic architecture, 1974 contestée par<br />

BLAIR, J., « Hall and Chamber English Domestic Planning, 1000-1250 », dans Manorial domestic<br />

buildings in England and Northern France, 1993, p. 1-21 ; voir aussi BARTHÉLEMY, D., « Les<br />

aménagements de l'espace privé. IXe-XIIIe siècle », dans Histoire de la vie Privée, 2. De l’Europe<br />

féodale à la Renaissance, 1999, p. 397-422.<br />

201 IMPEY, E., « La demeure seigneuriale en Normandie entre 1125 et 1225 et la tradition anglonormande<br />

», dans L'architecture normande au Moyen âge, 2001, p. 219-241.<br />

470


de grandes baies décorées 202 . La salle haute, définie par sa clarté, apparaît également<br />

dans les pipe rolls sous le terme de solarium : Henri II fait réparer celui de Westminster<br />

en 1162 (illustration 5.13). À partir de cette date, toute une série de travaux menés à<br />

Westminster visent à aménager les espaces résidentiels du roi et de sa famille : la aula<br />

est décorée et couverte de bardeaux de bois, une vingtaine de colonnes en calcaire fin<br />

sont acheminées des Costwolds (voir chapitre 6) et des fenêtres sont percées dans les<br />

appartements de la reine 203 . À la fin des années 1170, les travaux consistent à faire une<br />

garde-robe, aménager un « cloître » au milieu des bâtiments destinés à abriter les<br />

chambres royales, emplir le vivier et réparer la chambre à coucher 204 . Puis une cuisine<br />

est construite ainsi qu’un système d’adduction d’eau permettant de se laver dans la<br />

grande salle ; du plomb est alors acheté à cette fin en 1176 205 . En 1186, il est même<br />

question de réparer les latrines dans la maison du trésor 206 . De nouveaux espaces sont<br />

également aménagés : un nouveau bâtiment est construit dans le cloître des chambres<br />

royales tandis que l’espace du roi dans la aula est étendu 207 . En 1187 et 1188, c’est au<br />

tour de la chapelle St Jean d’être embellie 208 . Sous Richard et Jean le palais de<br />

Westminster ne n’agrandira pas davantage, la plupart des dépenses ayant surtout une<br />

vocation de confort et d’ornementation.<br />

Tous ces éléments mettent bien en évidence l’accentuation du processus de<br />

privatisation des espaces résidentiels au cours du XII e siècle. Dominique Barthélemy et<br />

Annie Renoux ont en effet attiré l’attention sur le compartimentage accru et la<br />

fragmentation des espaces résidentiels – et notamment de la grande salle – qui se<br />

202<br />

DE BOUARD, M., « La salle de l'Échiquier », Medieval Archaeology, 9: 64 (1965), p. 81.<br />

203<br />

PR 8 H.II, p. 60, 67 : 60s. ad reparandum Solarium ; p. 43 £12 12d. pro materia ad aulam regis de<br />

Westmonasterio paranda ; p. 69: 74s. 9d.: pro scindulam ad domos regis de Westminster’; PR 9 H.II,<br />

p. 71: £9 13s; 9d. in operatione Aule Regis de Westmonasterio ; p. 72: 67s. pro scindulis ad aulam regis<br />

cooperienda ; PR 11 H.II, p. 32: £19 9s. 6d. pro curia regis paranda de Westmonasterio et domibus<br />

regis ; PR 12 H.II, p. 117 : 1m. pro XX columpnis ad operatione regis apud Westmonasterium ; PR 13<br />

H.II, p. 2: 45s. pro faciendam fenestris camerarum regine et aliis minutis operibus.<br />

204<br />

PR 23 H.II, p. 198 : 101s. ad faciendam warderobam regis de Westmonasterio ; PR 26 H.II, p. 150<br />

£32: in operatione claustri inter cameram regis de Westmonastrio et pro vivario peremplendo et<br />

cumulum thalami fractum reficiendo.<br />

205<br />

PR 27 H.II, p. 156 : £32 : in operatione coquinarum regis de Westmonasteri; PR 16 H.II, p. 14: £12<br />

15s. 10d. in operatione domorum regis de Westmonasterio et aqueductus; PR 22 H..I, p. 13: 10s. pro<br />

plumbo ad faciendum conductum ad domos regis apud Westmonasterium; PR 30 H.II, p. 136: £28 in<br />

operatione lavatorii in aula regis apus Westmonasterium; PR 31 H.II, p. 43: £50 in operatione lavatorii<br />

regis apud Westmonasterium.<br />

206<br />

PR 31H.II, p. 49: 28s. pro facienda camera in claustro quod est inter cameras et emendatione<br />

stillicidii domus Thesauri.<br />

207<br />

PR 30 H.II, p. 137 : 62s. pro exaltanda area dominice aule regis apud Westmonasterium.<br />

208<br />

PR 34 H.II, p. 18 : £7 2s. 7d. pro arcu lapideo et sede Regis in capella sancti Johannis apud<br />

Westmonasterium.<br />

471


trouvaient à l’intérieur des donjons. Les cartes 5.14, 5.15 et 5.16 permettent de<br />

visualiser l’essor de ces espaces privatifs à l’ensemble du royaume d’Angleterre. Si les<br />

camerae ont été l’objet de nombreuses interventions à cette date, on voit également<br />

apparaître dans les pipe rolls à partir de 1175 des mentions de plus en plus fréquentes<br />

évoquant la construction ou l’aménagement d’un thalamus. Il se trouvait aussi bien in<br />

castro comme à Nottingham que dans les maisons intégrées aux grandes forteresses<br />

comme à Wallingford (in reparatione domorum thalamorum) 209 . À partir de 1177, les<br />

pipe rolls indiquent également la construction d’une garde-robe à Westminster, mais le<br />

faible coût de fabrication (101 sous) suggère qu’il s’agissait probablement d’édifier une<br />

simple cloison dans la chambre du roi permettant de créer un lieu plus secret, à<br />

l’écart 210 . Sous le règne de Jean au contraire, les dépenses importantes (jusqu’à plus de<br />

£100), suggèrent que la garde-robe constituait désormais un espace développé au sein<br />

du complexe résidentiel royal 211 . En 1206, le pipe roll enregistrent £80 70s. 10d. sur le<br />

compte du shérif de Nottingham pour « faire une garde-robe dans le château de Tickhill,<br />

une grange et une étable », ainsi que £4 pour la réparation de la garde-robe du roi à<br />

Oxford 212 . En 1211, lorsque Jean fait construire le château de Portchester, il fait<br />

également aménager des espaces résidentiels dans le castrum : une chambre et une<br />

garde-robe 213 . Il en va de même au château de Gavray en Normandie, où Jean fait<br />

construire en 1202, alors que la menace capétienne se précise, une barbacane, une aula,<br />

une chambre, un cellier, une garde-robe, deux granges, deux portes, sept nouvelles<br />

bretèches et bien d’autres œuvres de fortifications 214 .<br />

La résidentialisation des châteaux s’est également accompagnée de la<br />

construction de cuisines plus importantes, afin de s’adapter à l’augmentation des<br />

effectifs de la cour. L’espace de la cuisine (coquina), qui occupait alors soit le rez-de-<br />

chaussée du donjon ou du bâtiment aula-camera (comme à Fécamp, Caen et Tours),<br />

209<br />

PR 21 H.II, p. 29 £46 in operatione castelli de Notingeham et thalami regis in eodem castro (1175):<br />

PR 8 Richard, p. 205: £7 5s. 2d. in reparatione domorum thalamorum et ad aulam cooperiendam in<br />

castello de Warengeford.<br />

210<br />

PR 23 H.II, p. 98 : ad faciendam warderobam regis de Westmonasterio ; BARTHÉLEMY, D., « Les<br />

aménagements de l'espace privé. IXe-XIIIe siècle », dans Histoire de la vie Privée, 2. De l’Europe<br />

féodale à la Renaissance, 1999, p. 397-422.<br />

211<br />

PR 13 Jean, p. 90 (1211) £102 19s. 3d. et ob in operatione camere et warderobe de Keneliwrde<br />

(Kenilworth).<br />

212<br />

PR 8 Jean, p. 78 : in operatione i warderobe in castello de Tikehull et i grangie et i stabuli; PR 8 Jean,<br />

p. 119: ad reparatione unius warderobe regis in Oxeneford.<br />

213<br />

PR 13 Jean, p. 84 : £15 9s. 4d. in operatione castri de Porcester cum una camera et warderoba.<br />

214<br />

MRSN, II, p. 514 : pro una barbecana de novo facienda et I aula et I camera et despensa et garderoba<br />

et II grangeriis et II portis et VIII breteschis de novo faciendo. Et pro ponte reparanda et pro castello<br />

hordanda… operationibus eisdem castri (£a263 10s. 8d.).<br />

472


soit un édifice accolé (comme à Angers, Angoulême) 215 , devient, à la fin du XII e siècle,<br />

un élément intégré du complexe résidentiel souvent non loin de la grange, de l’écurie et<br />

de l’étable 216 . Ainsi lorsque Richard fait construire un château à vocation<br />

essentiellement militaire sur la roche d’Orival, il y inclut néanmoins un complexe<br />

résidentiel composé d’« une chapelle, de chambres, d’une cuisine, d’un cellier,<br />

d’écuries, de murs et tous les nombreux autres travaux nécessaires » 217 . Les grands<br />

complexes comprenaient même plusieurs cuisines comme c’est le cas à Westminster, où<br />

il est question en 1181 « des cuisines du roi » 218 . La cuisine n’était cependant pas<br />

systématiquement intégrée au castrum comme le montre le cas de Tinchebray en<br />

Normandie où Henri II fait construire en 1180 « une cuisine à l’extérieur de la porte du<br />

château » 219 . Le développement des cuisines au cours du XII e siècle, n’est pas un<br />

phénomène exclusif des demeures aristocratiques, les monastères s’en sont également<br />

dotés. À Fontevraud et à Glastonbury par exemple, elles constituaient un édifice<br />

autonome des bâtiments claustraux afin de limiter les risques de propagation des<br />

incendies (illustrations 5.17) 220 .<br />

Enfin, un dernier aspect du phénomène de résidentialisation est la réhabilitation<br />

d’anciens donjons abandonnés en résidence royale. C’est le cas par exemple de<br />

Ludgarshall (Wiltshire), que Richard avait donné à son frère dès 1189. Les travaux du<br />

château ne sont cependant enregistrés dans les pipe rolls qu’à partir de 1199, date à<br />

laquelle il s’agit de restaurer le castellum, puis des appartements à partir de 1202 et<br />

enfin la clôture du parc royal qui l’entourait 221 . Les larges murs en pierres de la tour<br />

sont à nouveau l’objet de travaux en 1211 222 . Tous ces éléments montrent que l’enclos<br />

du château était un espace densément occupé dans lequel hommes et bêtes se<br />

215<br />

RENOUX, A., « Espaces et lieux de pouvoirs royaux et princiers en France (fin XIe-début XIIIe<br />

siècle): changement et continuité », dans Palais royaux et princiers au Moyen Âge, 1996, p. 17-42.<br />

216<br />

PR 3 Richard, p. 64: £95 13s.11d. in operatione castelli de Oxineford et aule in castello et camerarum<br />

et coquine et stabuli ; PR 6 Richard, p. 16 £50 : in operatione i camere et i coquine et i granarii et in<br />

emendatione aliarum domorum in castello de Warengeford.<br />

217 a<br />

MRSN, II, p. 311 : £ 769 6s. 8d. in operatione domorum regis de Roka de Oireval, scilicet capella,<br />

cameris, coquina, cellariis, stabulis, muris et aliis multis operationibus.<br />

218<br />

PR 27 H.II ; p. 156 £32 in operatione coquinarum regis de Westmonasterio.<br />

219 a<br />

MRSN, I, p. 52: £ 22 in coquina facienda extra portam castri.<br />

220<br />

LEVALET, M., « Quelques observations sur les cuisines en France et en Angleterre au Moyen Âge »,<br />

Archéologie médiévale, 8 (1978), p. 225-244.<br />

221<br />

PR 1 Jean, p. 174 : £53 in operatione castelli de Lutegareshall ; PR 4 Jean, p. 124 : £12 8s. 10d. in<br />

operatione castelli de Lutegaresham et domorum in eo ; PR5 Jean, p. 161: £4 2s. 5d. in reparatione<br />

clausure regis parci de Lutegareshal.<br />

222<br />

PR 13 Jean, p. 84 : £37 16s. in operatione muris turris de Lutegareshal et in refectione murorum et in<br />

una camera in turri.<br />

473


côtoyaient, voire s’entassaient 223 . Dans un contexte de promiscuité croissante, les<br />

espaces du pouvoir se sont progressivement distingués du reste des bâtiments<br />

domestiques, par leur monumentalité, leur disposition, leur emplacement ainsi que par<br />

leur ornementation de plus en plus recherchée.<br />

L’ornementation des espaces d’apparat<br />

Si les espaces domestiques et résidentiels gagnent du terrain, la aula ne cesse<br />

cependant pas d’être le point névralgique du complexe résidentiel. Parce qu’elle était le<br />

lieu où s’exprimait la fonction politique du prince, la aula était l’édifice dans lequel<br />

l’ornementation et la mise en scène du pouvoir étaient les plus développées. Les travaux<br />

de Philip Dixon, Pamela Marshall et Leonie Hicks ont montré que la disposition des<br />

bâtiments entre eux (ou « chorographie ») ainsi que la richesse et l’arrangement de<br />

pièces contribuait à faire du château un véritable « théâtre » visant à impressionner le<br />

visiteur pour mieux le manipuler et imposer une image du pouvoir et de ses<br />

hiérarchies 224 . Léonie Hicks a ainsi montré le rôle spécifique des entrées dans la<br />

construction sociale de l’espace et de la représentation du pouvoir 225 . Elle remet ainsi en<br />

cause la répartition genrée de l’espace, montrant que les femmes n’étaient nullement<br />

confinées à l’espace « privatif » de la chambre, mais participaient au contraire à la<br />

symbolique du pouvoir en occupant les espaces « publics », les plus visibles des<br />

châteaux, notamment lors des festivités. Les pipe rolls contiennent plusieurs mentions<br />

de dépenses faites pour orner les fenêtres et les portes des demeures royales, les<br />

ouvertures étant les espaces sur lesquels se concentrait l’effort décoratif : par des<br />

sculptures, des peintures ou des vitraux 226 . En 1168, Henri II paye 1 marc au peintre<br />

Herwewin pour avoir peint « la porte et les fenêtres de la maison du roi à Windsor » 227 .<br />

En 1162, il commande une fresque pour sa demeure de Clarendon, et en 1180 des<br />

couleurs et du plomb sont envoyées à Clarendon et à Woodstock vraisemblablement<br />

223<br />

DEBORD, A.; BAZZANA, A. et POISSON, J. M., Aristocratie et pouvoir : le rôle du château dans la<br />

France médiévale, 2000, p. 149.<br />

224<br />

DIXON, P., « The donjon <strong>of</strong> Knaresborough : the castle as theatre », Château Gaillard, 14: Etudes de<br />

castellologie médiévale (1988), p. 121-139; MARSHALL, P., « The ceremonial function <strong>of</strong> the dunjon in<br />

the twelfth Century », dans Château Gaillard, 20: Etudes de castellologie médiévale, 2002, p. 141-151.<br />

225<br />

HICKS, L. V., « Magnificient entrances and undignified exits: chronicling the sybolism <strong>of</strong> castle space<br />

in Normandy », J.M.H., 35: 1, p. 52-69.<br />

226<br />

MRSN, I, p. 111 : 25s. pro vitreis ad cameram regis de Gisorce ; PR 25 H.II, p. 125 : ad reparandas<br />

fenestras vitreas domus regis de Westmonasterio.<br />

227<br />

PR 14 H.II, p. 1: qui pinxit hostia et fenestras domorum regis de Windreshores.<br />

474


pour décorer les espaces d’apparat 228 . En 1182, 70 sous sont également dépensés pour<br />

peindre la chambre du roi dans le château de Winchester 229 . Cette mention n’est pas<br />

sans rappeler la description que fait Giraud de Barri dans son Liber De principis<br />

Instructione, d’une fresque qu’Henri II avait fait peindre à Winchester et qu’il<br />

commenta publiquement. Giraud rapporte ainsi les paroles du roi :<br />

Il arriva accompagné de quelques personnes dans la chambre de<br />

Winchester, où se trouvait une belle fresque représentant diverses<br />

figures colorées, et sur un espace resté vide à sa demande, le roi avait<br />

fait peindre ensuite un aigle et quatre aiglons le tourmentant ; deux<br />

sur les épaules et un troisième sur les reins, ils enfonçaient leurs<br />

ongles et le perforaient de leur bec, tandis que le quatrième, le plus<br />

jeune, posé sur sa tête cherchait à percer insidieusement les yeux de<br />

son père. Cette peinture apparaissait comme une préfiguration de ses<br />

malheurs familiaux. « Mes quatre fils », dit-il, « sont comme ces<br />

aiglons, ils ne cesseront de me persécuter jusqu’à ma mort. Le plus<br />

jeune, celui que je préfère, est celui qui me blessera le plus longtemps,<br />

le plus gravement et le plus violemment de tous » 230<br />

Cette description montre que les décorations n’étaient pas purement<br />

ornementales mais qu’elles pouvaient comporter des figurations sujettes à des<br />

interprétations allégoriques. Comme cette peinture, elles donnaient vraisemblablement à<br />

voir le versant domestique de la vie du prince. Le développement des ornements dans<br />

les demeures princières ou aristocratique constitue un véritable fait de société à la fin du<br />

XII e siècle qui ne manque pas d’être âprement critiqué par des clercs, érigés en garant<br />

de la bonne moralité. L’attention que portent parfois les chroniqueurs à l’aspect des<br />

intérieurs en dit long sur cette tendance. Ainsi Radulf de Diceto décrivant la demeure du<br />

château d’Angers, après les restaurations effectuées au milieu du XII e siècle, ne peut<br />

s’empêcher ce petit commentaire :<br />

228<br />

PR 8 H.II, p. 12: 65s. 8d. pro pictura camera ; PR 26 H.II, p. 43 pro plumbo et coloribus missis<br />

Clarendone et Wudestocham.<br />

229<br />

PR 28 H.II, p. 146: pro camera regis depingenda in ipso castello.<br />

230<br />

GIRAUD DE BARRI, Opera. 8, De principis instructione Liber, 1891, lib. III, cap. 26, p. 295-96 :<br />

Contigerat aliquando cameram Witoniensem variis picturam figuris et coloribus venustatam, locum<br />

quendam in ea vacuum regio mandato relictum, ubi postmodum aquilam depingi iussit [Henricus II. Rex]<br />

et quatuor aquilae pullos ei insidentes, duos alis duabus et tertium renibus, parentem unguibus et rostris<br />

perfodientes, quartum nec minorem aliis in collo residentem et paternis acrius oculis effodiendis<br />

insidiantem. Requisitus autem a familiaribus suis quidnam haec pictura portenderet, « quatuor », inquit,<br />

« aquilae pulli quatuor filii mei sunt, qui me usque ad mortem persequi non cessasbunt. Quorum minor<br />

natu, quem tanta dilectione nunc amplector, mihi denique longe gravius aliis omnibus et periculosius<br />

nonumquam insultabit » sic igitur primo interius futuras per prolem aerumnas mente praesaga malorum<br />

sibi depinxit, deinde exterius mentis conceptum protrahens articifio depingi fecit.<br />

475


La demeure apparaît des plus spacieuses, digne d’être comparée aux<br />

palais, mais si la chambre du roi est somptueuse, la discipline royale,<br />

récemment élaborée pour améliorer le gouvernement royal n’a pas,<br />

quant à elle, encore atteint ses immenses capacités 231<br />

Les critiques qu’adressent Alexandre Neckam, Pierre le Chantre et Hugues de<br />

Fouilloi contre le luxe de l’architecture et l’ornementation picturale et sculpturale des<br />

bâtiments civils et domestiques sont désormais bien connues 232 . Elles soulignent<br />

l’importance du phénomène résidentiel à la fin du XII e siècle qui accompagne l’essor de<br />

la villégiature. Ce double phénomène se traduit notamment par l’investissement des<br />

Plantagenêt, au-delà de l’aménagement des sites castraux, dans la construction de<br />

véritables complexes résidentiels situés au cœur des forêts royales, parfois à<br />

l’emplacement de simples loges de chasse.<br />

2.1.2- L’essor des demeures royales : de la loge de chasse au complexe palatial<br />

Dans The History <strong>of</strong> the King’s Work, les auteurs soulignent que les « résidences<br />

civiles » royales sont loin d’avoir été négligées par les Plantagenêt. Ils en proposent une<br />

cartographie qui met en évidence leur étroite connexion avec les forêts royales<br />

d’Angleterre, remarquant que les comtés sans forêt royale ne possédaient généralement<br />

pas de résidences (Kent, Surrey, Norfolk, Suffolk, Lincolnshire et Cornouailles)<br />

(illustration 5.18). L’objectif n’est pas ici de présenter un résumé monographique de<br />

chacune des résidences mais de les mettre en série afin de comprendre les logiques<br />

d’organisation et de pratique de l’espace dans lesquelles elles s’inséraient. Dans ce but,<br />

la comparaison du graphique des dépenses (graphique 5.12) et de celui des répartitions<br />

diachroniques du temps passé par les Plantagenêt dans leurs territoires (graphique 5.3),<br />

permet d’observer que le moment où les dépenses résidentielles prennent le pas sur les<br />

dépenses militaires pour devenir le principal poste des dépenses de construction se<br />

trouve dans les années 1177-1183. Or ces années sont celles où Henri II réside la plupart<br />

du temps en Angleterre. Inversement, durant les années où Richard est en croisade<br />

(1190-1193), l’Échiquier n’enregistre aucune dépense liée aux constructions<br />

231 DICETO, I, p. 292: domus surgit spatiosissima, digna satis in nomen transire palatii, si thalami regio<br />

sumptu, regia disciplina regio moderamine recenter extructi non excrescerent in immensum.<br />

232 MORTET, V. et al., Recueil de textes relatifs à l'histoire de l'architecture et à la condition des<br />

architectes en France, au Moyen âge : XIe-XIIIe siècles, 1995 [1911-1929], II, p 179, n°LXXXVII ;<br />

MORTET, V., « Hugues de Fouilloi, Pierre le Chantre, Alexandre Neckam et les critiques au XIIe siècle<br />

contre le luxe des constructions », dans Mélanges d'histoire <strong>of</strong>ferts à M. Charles Bémont par ses amis et<br />

les élèves à l'occasion de la vingt-cinquième année de son enseignement à l'Ecole pratiques des Hautes<br />

Études, 1913, p. 105-137.<br />

476


domestiques et résidentielles. Celles-ci ne reprennent qu’à partir de son retour en 1194,<br />

puis déclinent jusqu’à l’avènement de Jean, où elles évoluent progressivement au<br />

détriment des dépenses militaires 233 . Ces éléments indiquent clairement que les<br />

dépenses de constructions et d’aménagement des demeures royales étaient liées aux<br />

pratiques spatiales des Plantagenêt et en particulier à la principale de leurs occupations :<br />

la chasse. Cependant, toutes les demeures royales ne se situaient pas nécessairement au<br />

sein des forêts, elles pouvaient également être des demeures urbaines ou des demeures<br />

attachées aux monastères royaux. Si la carte 5.19 des dépenses affectées aux demeures<br />

royales illustre clairement le poids de la chasse dans les pratiques résidentielles des<br />

Plantagenêt, d’importants actes du gouvernement royal y sont parfois aussi tenus.<br />

Loges de chasse, demeures et parcs royaux en Angleterre<br />

Les dépenses pour les demeures situées dans les forêts royales se caractérisent<br />

non seulement par l’absence de mentions de fortifications, mais aussi par la part plus ou<br />

moins importante attribuée aux infrastructures domestiques et manoriales telles que<br />

l’aménagement de viviers et de parcs, dont les enclos doivent être fréquemment réparés<br />

afin de préserver le gibier pour la chasse du roi. Les graphiques 5.20 représentent la<br />

répartition des dépenses des principales demeures royales. L’analyse comparée de ces<br />

graphiques permet de dégager les types d’investissement et d’élaborer une rapide<br />

typologie des sites selon leur morphologie.<br />

On distingue toute d’abord les loges de chasse dont la progressive<br />

transformation en demeure royale n’a pas modifié la fonction essentiellement<br />

cynégétique : à Bridgstock, King’s Cliffe et Melbourn, l’importance proportionnelle des<br />

dépenses « manoriales » (parc, vivier, moulin), comparées aux bâtiments de résidences<br />

mêmes, suggère qu’il s’agissait vraisemblablement de simples bâtiments en bois, dans<br />

lesquels le roi et sa familia s’arrêtaient sans doute pour de courts séjours pendant la<br />

chasse. Richard fait ainsi entièrement construire une loge à Kinfare (ou Kinver) dans le<br />

Staffordshire 234 . En revanche, la part croissante des dépenses affectées aux bâtiments<br />

domestiques comme à Brill (à proximité de d’Oxford), à Havering, (au Nord-Est de<br />

Londres, illustration 5.21), et à Hanley (dans le Worcestershire) souligne la<br />

transformation progressive des loges en demeures royales. C’est également le cas<br />

d’anciennes villae regiae anglo-saxonne entièrement restaurées par Jean, dès le début de<br />

233<br />

Les années 1210-1212 incluent les dépenses de l’échiquier irlandais, d’où les montants nettement plus<br />

importants.<br />

234<br />

COLVIN, H. M.; BROWN, R. A. et TAYLOR, A. J., The History <strong>of</strong> the King's Works, 1963, p. 81-82.<br />

477


son règne 235 . Jean entreprend en effet de réinvestir des manoirs royaux jusque là peu ou<br />

pas fréquentés par ses prédécesseurs, notamment dans le Sud-Ouest de l’Angleterre,<br />

ancien royaume du Wessex. En 1200, il commence des travaux à Gillingham, à la<br />

frontière du Dorset et du Wiltshire : plus de £300 sont alors dépensées pour développer<br />

le site, aménager des chambres et les enceindre d’un fossé 236 . La restauration de la loge<br />

de Bere Regis, non loin des côtes méridionales du Dorset inclut également une série de<br />

travaux entre 1202 et 1214 : construction une chambre, ferrage les fenêtres et création<br />

d’un étang 237 . Non loin de là, à Powerstock, la réfection du manoir engage plus de £382<br />

et consiste notamment à le pouvoir d’une couverture d’ardoises en 1206 238 . Les fouilles<br />

effectuées à Writtle (Essex), la loge de chasse convertie en prison par Richard (voir<br />

chapitre 3), ont permis de mettre à jour ce que les archéologues anglais considèrent<br />

comme la morphologie typique des loges de chasse médiévales (voir illustration<br />

5.22) 239 .<br />

Feckenham, située dans le Worcestershire et Clipstone, dans la forêt de<br />

Sherwood, sont deux demeures créées par Henri II. Les dépenses y sont relativement<br />

équilibrées entre infrastructures résidentielles et manoriales (parc et vivier). Feckenham<br />

était un ancien donjon dont la fonction militaire était devenue obsolète au milieu du XII e<br />

siècle. Le terme de castellum pour le désigner n’apparaît en effet que dans le pipe rolls<br />

de 1158 et disparaît par la suite. À la fin des années 1160, Henri II y fait aménager en<br />

plus d’une chambre, un « nouveau vivier » qu’il fait entretenir tout au long de la<br />

période 240 . Quant à Clipstone, selon P.A. Rahtz et H.M. Colvin, les mentions du site<br />

n’apparaissent qu’à partir du règne d’Henri II ; ses prédécesseurs séjournaient de<br />

préférence à Mansfield, lorsqu’ils venaient chasser dans la forêt de Sherwood 241 . La<br />

première mention date de 1164, mais l’essentiel des travaux se situent entre 1176 et<br />

1180, où plus de £500 sont dépensées pour construire une chambre, une chapelle, un<br />

vivier et un parc. Il est vraisemblable que la construction de la demeure ait été en pierre,<br />

235 HILL, D. H., An atlas <strong>of</strong> Anglo-Saxon England, 1981, p. 84 carte 147-148.<br />

236 PR 2 Jean, p. 92 ; PR 3 Jean, p. 24 ; PR 9 Jean, p. 209 ; PR 23 Jean, p. 84 : £40 11s. 10d. in operatione<br />

fossati de Gillingham et domorum et camerarum.<br />

237 PR 5 Jean, p. 151 : £56 17s. 7d. in operatione camere regis apud Bere ; PR 6 Jean, p. 176: £7 13s.<br />

10d. in reparatione domorum regis et mutarum et servuri ; PR 7 Jean, p. 133 : 5s. 5d. pro ferramentis ad<br />

fenestras domorum regis de Bera.<br />

238 PR 8 Jean, p. 138 : £7 20d. pro azeisia ad cooperiendas domos regis apud Pourstoch.<br />

239 STEANE, J., The archaeology <strong>of</strong> the Medieval English monarchy, 1999, p. 87.<br />

240 PR 4 H.II, p. 155 ; PR 13, H.II, p. 64 : 34s. 6d. in operatione excluse et vivarii de Fecheham ; PR 15<br />

H.II, p. 137 : 63s. in operatione novi vivarii de Fecheham.<br />

241 COLVIN, H. M. et RAHTZ, P., « King's John Palace, Clipstone, Notts. », Transactions <strong>of</strong> the<br />

Thoroton Society <strong>of</strong> Nottinghamshire, 64 (1860), p. 21-40.<br />

478


car les ruines actuelles, qui datent cependant surtout de la fin du XIII e siècle, conservent<br />

des pierres sculptées avec des décorations romanes.<br />

D’un autre côté, les trois autres demeures de Silvestone, Clarendon et<br />

Woodstock se distinguaient par l’importance des dépenses affectées aux espaces<br />

d’apparat qui sont alors clairement identifiés : aula, camera, et parfois capella. À ce<br />

titre, elles se rapprochent des types de dépenses effectuées au palais de Westminster.<br />

Au-delà de la construction du vivier, les travaux effectués à Silvestone, non loin de<br />

Northampton, contribuent à transformer la demeure en véritable « maison-forte ». Au<br />

cours du règne de Jean, certaines mentions relatives à Silvestone emploient le terme de<br />

castellum suggérant que la transformation de la demeure s’était accompagnée d’un<br />

ensemble défensif suffisamment important pour justifier une telle appellation 242 . Les<br />

demeures forestières étaient toutefois peu ou pas fortifiées, leur fonction étant moins<br />

militaire que de villégiature, mais elles pouvaient avoir quelques éléments de défenses<br />

pour protéger les biens du roi. De fait, la délimitation des demeures forestières était<br />

généralement en bordure du parc de chasse, celui-ci étant, par définition, clôturé d’une<br />

palissade ou par des fossés. Cette clôture avait alors la même fonction que celle des<br />

enceintes castrales, à la fois celle de délimiter mais aussi d’organiser et de contrôler<br />

l’espace environnant 243 . Autant que les demeures qu’ils entourent, les parcs constituent<br />

à ce titre de véritables lieux de pouvoir, dans lesquels règne un ordre soumis à la pure<br />

volonté du roi. De même que les forêts, ils constituent l’espace d’expression du<br />

« charisme » du prince, s’adonnant à des pratiques exprimant la domination<br />

aristocratique. La chasse n’est pas alors seulement une activité « qui se déroule dans la<br />

sylve », elle est ce qui la définit comme telle. Sylve et chasse sont en effet étroitement<br />

lié au Moyen Âge, dans la mesure où la sylve ne définit moins comme « espace boisé »,<br />

que par la pratique sociale qui s’y construit autour d’un animal : le cerf 244 .<br />

C’est dans les forêts que se trouvent les demeures du roi et leurs<br />

principales réjouissances. Ils y viennent, laissant de coté leurs soucis,<br />

pour chasser, se reposer et se ressourcer. Ici, ils peuvent se mettre à<br />

242<br />

PR 9 Jean, p. 130 :£4 7d. et ob : in operatione castelli de Selveston.<br />

243<br />

MILESON, S. A., « The sociology <strong>of</strong> park creation in medieval England », dans The Medieval Park :<br />

New Perspectives, 2007, p. 11-26.<br />

244<br />

MORSEL, J., « Construire l'espace forestier sans la notion d'espace. Le cas du Salzforst (Franconie) au<br />

XIVe siècle », dans Construction de l'espace au Moyen Âge: pratiques et représentations, 2007, p. 295-<br />

316; GUERREAU, A., « La chasse », dans Dictionnaire raisonné de l'Occident médiéval, 1999, p. 166-<br />

178.<br />

479


l’abri des tourments propres à la cour et respirer un peu d’air frais de<br />

la nature. 245<br />

Woodstock et Clarendon faisaient partie des parcs les plus étendus du domaine<br />

royal qui en comptait environ 150 à la fin du XII e siècle (respectivement 11 km de<br />

circonférence env. et 1 800 hectares). Quoique faibles, les dépenses affectées aux parcs<br />

montrent qu’ils étaient fréquentés et entretenus par les Plantagenêt. Les dépenses<br />

d’entretien étaient alors inclues dans les gages des gardiens attitrés, payés annuellement<br />

par le shérif 246 . Le gardien du parc de Clarendon, qui apparaît dès 1157, reçoit 30s. 5d.<br />

Il s’agit sans doute de Serlon le forestier, qui reçoit 60s. 10d. à partir de 1167 et qui est<br />

remplacé par son fils Jordan en 1175 jusqu’à la fin du règne d’Henri II 247 . Si cette<br />

succession suggère que le titre de gardien des demeures royales était une charge<br />

héréditaire, à partir du règne de Richard la garde est toutefois confiée à un connétable<br />

Robert Tresgoz, à qui succède Hugues de Nevill sous Jean 248 . À Woodstock, Guillaume<br />

de Breteville apparaît en 1194 et reçoit annuellement £15 « pour la garde de la maison<br />

et du parc de Woodstock », jusqu’en 1202, date à la quelle il est remplacé par Ge<strong>of</strong>froy<br />

Salvage (voir chapitre 6) 249 .<br />

Amanda Richardson a fait remarquer qu’Henri II avait une pratique saisonnière<br />

du parc de Clarendon. Comme Henri III au siècle suivant, Henri II semble avoir évité de<br />

séjourner à Clarendon au beau milieu de l’été, préférant y séjourner en hiver 250 . Six des<br />

huit visites connues peuvent en effet être datées entre novembre et mars, les deux autres<br />

ayant lieu en avril et en juin, ce qui suggère que si la chasse avait lieu, c’était de<br />

manière sélective, de façon à participer à la gestion du parc de cerfs : seuls les mâles<br />

étaient alors chassés et les femelles épargnées. Les séjours hivernaux de Clarendon<br />

suggèrent ainsi la part décroissante du rôle de la chasse dans l’occupation de ce palais.<br />

245 RICHARD FITZNIGEL, Dialogus de Scaccario (and) Constitutio Domus Regis, 1983, p. 60 : In<br />

forestis etiam penetralia regum sunt et eorum maxime delicie. Ad has enim venandi causa, curis<br />

quandoque depositis, accedunt ut modica quiete recreentur. Illic, seriis simul et innatis curie tumultibus<br />

omissis, in naturalis libertatis gratiam paulisper respirant…<br />

246 RICHARDSON, A., « The King’s Chief delights’: a landscape approach to the royal parks <strong>of</strong> postconquest<br />

England », dans The Medieval Park. New Perspectives, 2007, p. 27-48.<br />

247 PR 3 H.II, p. 104 : 60s. Serlum forestarium in reparatione domorum regis de Clarendunie ; PR 3 H.II,<br />

p. 106: 30s. 5d. custodes domorum regis de Clarendon; PR 13 H.II, p. 176 : 60s. 10s. Serloni custodes<br />

domorum regis de Clarendonie ; PR 21 H.II, p. 188 : 60s. 10d. Iordano filio Serloni custodes domorum<br />

regis de Clarendon.<br />

248 PR 2 Richard, p. 132 : 60s ; 10d. Roberto Tresgoz pro custodia domorum regis de Clarendone; PR 2<br />

Jean, p. 191: 60s. 10d. Hugonis de Nevill ad custodiam domorum regis de Clarendon.<br />

249 PR 7 Richard, p. 38 ; PR 4 Jean, p. 205.<br />

250 RICHARDSON, A., The Forest, Park and Palace <strong>of</strong> Clarendon, c.1200-c.1650. Reconstructing an<br />

Actual, Conceptual and Documented Wiltshire Landscape, 2005, p. 26.<br />

480


Un tel constat ne peut cependant pas être tiré à Woodstock car Henri II y a séjourné<br />

aussi bien en hiver (surtout au début de son règne) qu’en été (surtout après 1175,<br />

lorsqu’il entreprend d’importants travaux d’aménagement). À partir des années 1170,<br />

les séjours d’Henri II à Woodstock sont également motivés par la présence de<br />

Rosamund Clifford, sa maîtresse qu’il installe dans des appartements que la légende<br />

assimile au labyrinthe de Dédale 251 . Le jardin d’Everswell qui comprenait une fontaine<br />

devint ainsi mythique : en 1166 les pipe rolls enregistrent en effet une dépense de £26<br />

9s. 4d. pour faire une fontaine. Le jardin était alors étroitement identifié à l’espace<br />

féminin et son insertion dans le paysage était souvent due au patronage des femmes 252 .<br />

Il ne reste du jardin d’Everswell que la fontaine que Capability Brown a conservé dans<br />

un recoin du parc qu’il réalise au XVIII e siècle, pour le duc de Marlborough, dans sa<br />

demeure de Bleinheim et dont le lac a entièrement recouvert l’ancien palais (voir<br />

illustrations 5.23 et 5.24) 253 . Quant au site du palais de Clarendon, les fouilles menées<br />

par Thomas Beaumont James ont surtout permis de reconstituer sa forme du XIII e<br />

siècle, après les restaurations effectuées par Henri III (illustrations 5.25) 254 .<br />

251 JOHN BROMPTON, Chronicon ab Anno Domini 588. quo S. Augustinus venit in Angliam usque<br />

mortem regis Ricardi I. scilicet Anno Domini 1198, etc, 1652 cité par MATTHEWS, W. H., Mazes and<br />

labyrinths; their history and development, 1970, p. 164-166: Sane idem rex Henricus quanquam multis<br />

virtutibus fuerat ornatus, aliquibus tamen viciis involutus personam regiam deturpavit. In libidine<br />

namque pronus conjugalem modum excessit. Regina enim sua Elianora jamdudum incarcerata factus est<br />

adulter manifestus, palam et impudice puellam retinens Rosamundam. Huic nempe puellae<br />

spectatissimae fecerat rex apud Wodestoke mirabilis architecturae cameram operi Daedalino similem, ne<br />

forsan a regina facile deprehenderetur. Sed ilia cito obiit, et apud Godestowe juxta Oxoniam in capitulo<br />

monialium in tumba decenti est sepulta, ubi talis suprascriptio invenitur: « Hic facet in tumba Rosa<br />

mundi, non Rosa munda; Non redolet, sed olet, quae redolere solet » (Bien que le roi Henri ait été paré de<br />

nombreuses vertus, il était également la proie de certains vices qui déshonoraient sa personne royale. Il<br />

brisa les liens du mariage dans la luxure. Ayant fait emprisonné la reine Aliénor, sa femme, il rendit son<br />

adultère manifeste en gardant auprès de lui de façon ouverte et impudique une jeune fille du nom de<br />

Rosamonde Clifford. Pour cette importante personne, le roi fit construire à Woodstock une chambre à<br />

l’architecture étonnante semblable à l’ouvrage de Dédale, voulant ainsi éviter que la reine puisse<br />

facilement la trouver. Mais la jeune fille mourut peu après et fut ensevelie dans une tombe honorable, au<br />

chapitre des religieuses de Godstow près d’Oxford avec cette épitaphe : « ci-gît la tombe de la rose du<br />

monde, non la rose pure/ elle n’embaume plus, elle sent mauvais celle qui était parfumée »).<br />

252 GILDCHRIST, R., « The contested garden: gender, space and metaphor in the medieval English<br />

castle », dans Gender and Archaeology. Contesting the Past, 1999, p. 109-145. Les mentions dans les<br />

pipe rolls évoquent cependant aussi souvent le herbarium regine que l’herbarium regis. PR 6H.II, p. 49 ;<br />

PR 24 H.II, p. 106 ; PR 28 H.II, p. 84 ; PR 33H.II, p. 107, 109 ; PR 34 H.II, p. 185.<br />

253 COLVIN, H. M., « Royal gardens in medieval England », dans Medieval Gardens : 9th Dumbarton<br />

Oaks colloquium on the history <strong>of</strong> landscape architecture : Papers, 1986, p. 7-22.<br />

254 BEAUMONT-JAMES, T., « Les palais anglais : le terme palatium et sa signification dans l’Angleterre<br />

médiévale (1000-1600) », dans Aux marches du palais : qu'est-ce-qu'un palais médiéval ? : données<br />

historiques et archéologiques, 2001, p. 135-143; BEAUMONT-JAMES, Thomas. Clarendon Palace. The<br />

History and Archaeology <strong>of</strong> a Medieval Palace and Hunting Lodge near Salisbury, Wiltshire. p. xxiv,<br />

279 ; BEAUMONT-JAMES, T., The Palaces <strong>of</strong> Medieval England c.1050-1550. Royalty, Nobility, the<br />

Episcopate and their Residences from Edward the Confessor to Henry VIII, 1990 ; BEAUMONT-<br />

JAMES, T., Clarendon : Landscape <strong>of</strong> Kings, 2007.<br />

481


L’importance des investissements, la fréquentation et les usages de Woodstock et<br />

Clarendon permettent donc de les considérer comme des centres de pouvoir importants<br />

sous les Plantagenêt. Loin de n’y pratiquer que la chasse, Henri II et ses fils, y passent<br />

également nombre d’actes législatifs. Ces vastes demeures étaient en effet capables<br />

d’accueillir une cour nombreuse. En accueillant les grands conseils du royaume,<br />

Clarendon et Woodstock acquièrent ainsi une fonction politique qui les rend comparable<br />

au palais de Westminster 255 .<br />

Les résidences royales en Angleterre présentaient donc une forte diversité<br />

morphologique : simple loge de chasse en bois, palais orné de décorations sculptées,<br />

demeures fortifiées ou encore donjons réhabilités 256 . En ce qui concerne la Normandie,<br />

une telle étude comparée entre les différentes demeures ducales est plus difficile. On<br />

peut néanmoins classer dans la catégorie des demeures forestières les sites de Brix et<br />

Valognes en Cotentin, tandis que Bur-le-Roi, près de Bayeux et Quevilly, près de<br />

Rouen, se rapprochent davantage du modèle palatial.<br />

255 Les constitutiones de Clarendon (1164) ainsi que les Assizes (1166) et la conférence de Woodstock<br />

(1163) au cours de laquelle Rhys ap Dale ainsi qu’à Owain du Gwynedd rendent hommage à Henri II<br />

(voir chapitre 4).<br />

256 FLAMBARD HÉRICHER, A. M., « Fortifications de terre et résidences en Normandie (XIe-XIIIe<br />

siècles) », dans Château Gaillard, 20: Études de castellologie médiévale, 2002, p. 87-100.<br />

482


Les maisons de villégiature en Normandie<br />

Le Cotentin était un espace largement parcouru par les Plantagenêt qui<br />

embarquaient ou débarquaient le plus souvent à Barfleur. Les loges des forêts de Brix,<br />

Valognes, Cherbourg ou Quettehou devaient donc être bien plus souvent visitées que ne<br />

l’indique la documentation. Si les chroniqueurs racontent souvent que le roi « prit du<br />

repos » en Normandie (moram faceret in Normannia) 257 avant de traverser la Manche,<br />

les lieux de leurs villégiatures ne sont pratiquement jamais cités. On peut néanmoins<br />

imaginer que c’est dans ses demeures et loges de chasse que le roi pouvait se<br />

« reposer » avant de prendre la mer. De fait, des travaux d’entretien à Brix et à<br />

Valognes apparaissent sur les rouleaux normands au cours des trois règnes. En 1180, à<br />

Brix, Henri II fait relever la palissade avec du bois provenant du parc d’Anxtot et<br />

restaurer la domus, de même que Jean en 1202 258 . À Valognes, Henri II fait installer des<br />

lambris dans la chapelle et la petite chambre et aménager une chaussée pour accéder au<br />

petit vivier, tandis que Richard et Jean se contentent d’effectuer quelques réparations et<br />

notamment de refaire la haie 259 .<br />

La principale loge de chasse transformée en vaste demeure à cette date est celle<br />

de Bur-le-Roi, dont on sait peut de chose si ce n’est qu’Henri II fait construire un<br />

bâtiment en bois qui nécessitait plus de 1000 chênes comme l’indique une mention dans<br />

le rouleau normand de 1180. À cette date, « Nigel de Monbray doit rendre compte de<br />

£ a 35 qui restent des milles chênes que Guillaume FitzJohann a envoyé à la construction<br />

du roi à Bur » 260 . Selon Annie Renoux, ces chênes sont utilisés pour construire une<br />

grande aula en bois. La tradition des aulae en bois qui existait aussi à Cheddar 261 aurait<br />

ainsi été maintenue par Henri II alors que la quasi-totalité des aulae étaient en pierre à<br />

257 Par exemple : PETERBOROUGH, I, p. 206, 288 : et facta ibidem mora per paucos dies ; p. 291 :<br />

Interim appropinquante Dominicae Incarnationis sollemnitate domnus rex in Normannia mora fecit.<br />

258 MRSN, I, p. 31 : in relevando palitio et in reficienda domo apud Bruis quem fuerit apportata de Calz<br />

de parco de Anssoltot ; II, p. 573 : pro domibus regis de Bruis reparandis.<br />

259 MRSN, I, p. 31 : … in labruscandam capellam et parvam cameram de Valonia et in levandam<br />

Calceiam et perrandam parvi vivarii Valonia … ; II, p. 275 : in reparanda domibus Valon ; p. 472 : in<br />

costamento essartorum claudendorum et beccandorum in foro de bruis et domibus de Walone et haiis<br />

regis reparandam ; p. 573 : £20 16s. pro haiis regis de Valoigne de Digoville et de Hundiroc reparandis ;<br />

£37 9s. pro domibus regis de Valoigne reparandis.<br />

260 MRSN, I, p. 30 : Nigell de Monbraio reddidit compotum de 35 librarum de remanensis de m<br />

quercubus quas Willelmus filius Johannis emit ad edificia regis de Buro. Liberavit thesaurum et quiet est.<br />

261 En 1211, Jean fait réparer la demeure avec du bois du pays de Galles : PR 13 Jean, p. 83 : £140 2s. 9d.<br />

in operatione domorum de Ceddre et in carpentaria cum cariagio a Wallia mairemii usque ad Ceddre.<br />

483


cette date 262 . La construction de cette aula vient alors remplacer celle qui préexistait et<br />

qui était alors manifestement trop exiguë pour accueillir les besoins croissants de la<br />

cour, bien que suffisamment vaste pour contenir une centaine de convives, comme en<br />

témoigne ce passage de Robert de Torigni :<br />

L’année 1172, le jour de Noël, Henri le jeune était à Bur à coté de<br />

Bayeux. Comme il tenait pour la première fois sa cour en Normandie,<br />

il voulut la célébrer en organisant de magnifiques festivités. Se<br />

trouvaient là, évêques, abbés, comtes, barons et encore beaucoup<br />

d’autres personnes. Et en plus des nombreuses personnes déjà<br />

présentes, arrivèrent Guillaume de Saint Jean, procurateur de la<br />

Normandie, Guillaume filz Hamon, sénéchal de Bretagne, qui vint<br />

avec le duc Ge<strong>of</strong>froy son maître. Ne pouvant tous manger dans la<br />

chambre, ils interdirent à tout chevalier qui ne s’appelait pas<br />

Guillaume de manger dans cette chambre. Après les avoir renvoyé, ils<br />

restaient encore une centaine et une dizaine de chevaliers, qui<br />

s’appelaient tous Guillaume, à l’exception de plusieurs qui portaient<br />

d’autres noms, pour manger dans la aula avec le roi. 263<br />

Le manoir comprenait également deux chapelles, comme le suggère la carte de<br />

Jean Petite, Description particulière du diocèse de Bayeux (1675) (illustration 5.26),<br />

l’une dédiée à saint Nicolas et l’autre à sainte Catherine, nom sous lequel sont connues<br />

les ruines de Bur-le-Roi. Après la conquête de la Normandie par Philippe Auguste, cette<br />

demeure qui avait été l’une des favorites des Plantagenêt est abandonnée par le pouvoir<br />

capétien. Elle reste occupée par les gardes forestiers avant d’être détruite à la fin du<br />

Moyen Âge 264 . Arcisse de Caumont attribue les fossés qui entouraient une très grande<br />

partie du bois du Vernay à Henri II, bien que les rouleaux de l’Échiquier normand<br />

indiquent d’importantes dépenses sous le règne de Richard et notamment en 1195, où il<br />

est question de la clôture du parc avec 349 pieux que le roi fait venir du parc de Néhou,<br />

récemment confisqué à Richard de Vernon 265 . Des réparations dans les demeures sont<br />

262 RENOUX, A., « Résidences et châteaux ducaux normands au XIIe siècle. L'apport des sources<br />

comptables et des données archéologiques », dans L'architecture normande au Moyen âge, 2001, p. 197-<br />

217.<br />

263 ROBERT DE TORIGNI dans RHF, XIII, p. 315 : Anno mclxxii Henricus Rex junior ad Natale fuit ad<br />

Bur juxta Baiocum et quia tune primùm tenebat curiam in Normannia, voluit ut magnificè festivitas<br />

celebraretur. Interfuerunt Episcopi Abbates, Comites, Barones, et multa multis largitus est. Et ut<br />

appareat multitudo eorum qui interfuerunt cum Willelmus de S. Johanne Normanniae Procurator, et<br />

Willelmus filius Hamonis Senescallus Britannise qui venerat cum Gaufrido Duce Britanniae domino suo,<br />

comederent in quadam camera prohibuerunt ne quis Miles comederet in eadem camera qui non vocaretur<br />

Willelmus et rejectis aliis de camera remanserunt centum et decem Milites, qui omnes vocabantur<br />

Willelmi, exceptis plurimis aliis ejusdem nominis, qui comederunt in Aula cum Rege.<br />

264 DE TOUSTAINT, M., Essai historique sur le château de Bur près de Bayeux, 1865, p. 42.<br />

265 DE CAUMONT, A., Statistique monumentale du Calvados, 1857, p. 340 ; MRSN, II, p. 153 : £73 10s.<br />

pro 349 perticis pali faciendi in parco de Neauhou ad claudendem parcem Regis de Buro. Cette même<br />

484


également enregistrées ainsi que la construction de portes, palissades, haies, chambres et<br />

d’une osketallem (?) 266 .<br />

Quant à Quevilly, la construction du manoir dans la forêt du Rouvray, face à<br />

Rouen, s’insère dans un réseau de loges de chasse établies autour de la ville ducale<br />

depuis Guillaume le Conquérant 267 . Développée par Henri I er , elle devient rapidement la<br />

demeure favorite des ducs lorsqu’ils sont à Rouen jusqu’à la fin des années 1160.<br />

Nombre d’actes d’Henri II y sont publiés au cours de la première partie de son règne et<br />

Mathilde l’Empresse y résidera jusqu’à sa mort en 1167. La place croissante de cette<br />

demeure au début du règne d’Henri II s’accompagne de travaux mentionnés par Robert<br />

de Torigni en 1161 :<br />

Dans les marges du duché de Normandie, il renforça ou rénova<br />

presque tous ses châteaux et surtout Gisors, il fit faire également un<br />

parc et une maison royale, entourés d’une palissade à Quevilly, près<br />

de Rouen 268 .<br />

Henri II dote notamment la loge de chasse d’une chapelle, dédiée à saint Julien,<br />

bien que non loin se trouvait déjà le prieuré royal de Notre-Dame-du-Pré, fondé par<br />

Guillaume le Conquérant, qui donnait à Quevilly la forme d’un complexe palatial<br />

incluant un pôle religieux, que Marjorie Chibnall à comparé, à moindre échelle, à<br />

Westminster 269 . Henri II avait également installé une communauté de Grandmontains<br />

vers 1156, en bordure du parc royal, en face de la Seine ; ils y construisent la celle de<br />

Notre-Dame-du-Parc dont les murs sont toujours visibles (voir illustration 5.27) 270 . La<br />

transformation de la maison forestière de Quevilly s’inscrit donc dans l’évolution des<br />

pratiques résidentielles fondées sur la transformation des mansiones regiae qui n’étaient<br />

année Herbert clerc de Cambray reçoit 70s. pour s’être occupé de la forêt de Néhou et de la confection<br />

des palissades durant 65 jours, sur ce qui reste de la vente de la forêt de Richard de Vernon.<br />

266 MRSN, II, p. 263 : in reparandam domibus de Buro et portis et palitio et cameris et haiis et okestallem<br />

faciendis.<br />

267 LE MAHO, J., « Aux origines du “Grand-Rouen”: la périphérie de la capitale normande au temps des<br />

ducs (Xe-XIIe siècles) », dans Les villes normandes au Moyen âge : renaissance, essor, crise, 2006, p.<br />

177-194.<br />

268 TORIGNI, I, p. 331 : In margine etiam ducatus Normanniae fere omnia sua castella, et maxime<br />

Gisorz, melioravit vel renovavit, parcum et mansionem regiam fecit circa fustes plantatos apud<br />

Chivilleium, juxta Rothomagum.<br />

269 CHIBNALL, M., The Empress Matilda. Queen Consort, Queen Mother and Lady <strong>of</strong> the English, 1993,<br />

p. 151.<br />

270 Sur Quevilly voir : ÉTIENNE-STEINER, C., La chapelle Saint-Julien du Petit-Quevilly, 1991;<br />

STRATFORD, N., « The wall-paintings <strong>of</strong> the Petit-Quevilly », dans Medieval art, architecture and<br />

archaeology at Rouen, 1993; STRATFORD, N., « Le Petit-Quevilly, Peintures murales de la chapelle<br />

Saint-Julien », dans Congrès archéologique de France. Monuments de Rouen et du Pays de Caux, 2003,<br />

p. 133-146 et le chapitre 3.<br />

485


jusqu’à présent que de simples loges de chasse fréquentées par le roi et quelques un de<br />

ses familiares en véritables lieux de pouvoir, fréquentés par tout la cour. Cependant, ce<br />

phénomène ne semble concerner que le monde anglo-normand. L’absence apparente de<br />

demeures forestières en dehors de la Normandie et de l’Angleterre peut-elle s’expliquer<br />

par la plus grande rareté des forêts ducales et comtales dans les autres territoires ? Leur<br />

absence de la documentation n’est-elle pas également le reflet d’une certaine réalité de<br />

terrain, qui diffère assez largement de l’espace anglo-normand. En Angleterre comme<br />

en Normandie, le pouvoir central avait en effet relativement bien résisté à la<br />

dissémination du ban châtelain qui marque les IX e -XI e siècles (voir chapitre 2). Cet<br />

héritage permet d’expliquer la permanence de lieux de pouvoir de type « villégiature »<br />

que les siècles du premier âge féodal contribuèrent à faire disparaître au pr<strong>of</strong>it des<br />

mottes castrales sur le continent. Contrairement aux villae regiae anglo-saxonnes, les<br />

anciennes villae carolingiennes sont sans doute devenues des sites fortifiés au XII e<br />

siècle, sur le modèle de Doué-la-Fontaine 271 . Toutefois, la documentation révèle que<br />

tous les sites royaux ou ducaux sont loin d’être connus et identifiés. Ainsi en 1201, Jean<br />

donne à Berengère de Navarre, pour son douaire, sa demeure de Torrea près de Bayeux<br />

(sans doute à Tour-en-Bessin), ainsi que toutes ses dépendances (étang, moulin, forêt) et<br />

tout ce qui est nécessaire pour leur réparation, une mention qui indique<br />

vraisemblablement l’abandon dans lequel devait se trouver ce manoir 272 . En l’absence<br />

de demeures forestières, le processus de résidentialisation s’est adapté aux lieux de<br />

pouvoir existant, développant les espaces autour des châteaux et des monastères.<br />

Les demeures extra castrum et extra burgum<br />

Dans un passage de la chanson de Guillaume le Maréchal, l’auteur raconte<br />

comment en 1204, alors que les places fortes de la Normandie tombaient<br />

progressivement aux mains de Philippe Auguste, Jean, qui venait de Rouen, décide de<br />

coucher à Bonneville-sur-Touques, « dans le château et non pas dans le village, car il<br />

redoutait une trahison. On l’avait en effet averti que la plupart de ses barons s’étaient<br />

engagés par serment à le livrer au roi de France » 273 . Ce passage suggère que lorsque le<br />

271 DE BOUARD, M., « De l'aula au donjon, les fouilles de la Motte de la Chapelle à Doué-la-Fontaine<br />

(Xe-XIe siècles) », Archéologie médiévale, 3-4 (1973-1974), p. 5-110.<br />

272 Rot. Lit. Pat., p. 2-3 : concessimus ei domos nostra de Torrea cum stagno et molendinis, cum pratis et<br />

aliis pertinetniis suis, excepta foresta et de foresta calfagium suum et domus sue, et quod necessarium<br />

fuerit ad reparationem domorum illarum molendinorum et stagni per visum forestariorium nostrum ; voir<br />

aussi Les registres de Philippe Auguste, Vol. 1: Texte, BALDWIN, J. W. (éd.), 1992, p. 488-90.<br />

273 MEYER, P. (éd.), L'histoire de Guillaume Le Maréchal, comte de Striguil et de Pembroke, régent<br />

d'Angleterre de 1216 à 1219 : poème français, 1891-1901, III, p. 175 ; II, p. 96-97 : (127897-12804)<br />

486


oi se rendait à Bonneville, il n’avait pas coutume de résider dans le château mais plus<br />

généralement dans une maison du village en contrebas de la forteresse. L’existence de<br />

maisons royales dans le tissu urbain entourant les sites castraux semble avoir été un<br />

phénomène assez répandu, y compris en Angleterre. En 1157, c’est en effet dans le<br />

bourg de Wickford, dans la banlieue de Lincoln, que Henri II réside et tient sa cour à<br />

Noël (voir supra). Les pipe rolls mentionnent également une demeure royale à Oxford<br />

située extra burgum. Les dépenses affectées à cette demeure peuvent se distinguer des<br />

dépenses liées à la résidentialisation progressive du donjon, notamment en 1173 car il y<br />

a deux mentions qui distinguent d’une part « les travaux au château d’Oxford, aux<br />

demeures de la tour et au puits », supervisés par Roger FitzHerming et Seulf le vinetier,<br />

et d’autre part « les travaux aux demeures du roi en dehors du bourg », confiés à<br />

Guillaume FitzBaldwin 274 . Le cas le plus célèbre d’une demeure située en contrebas<br />

d’une forteresse est sans doute celui de Château Gaillard. C’est en effet sur l’île faisant<br />

face au bourg de La Couthure aux Andelys que Richard décide d’installer sa résidence<br />

(illustrations 5.28). Contrairement aux maisons forestières, les demeures situées à<br />

proximité des bourgs castraux étaient souvent fortifiées, correspondant plus<br />

généralement à ce que les archéologues appellent des « maisons fortes ». En 1196, la<br />

fortification par Richard de ce manoir qui appartenait à l’archevêque de Rouen et que le<br />

traité de Louviers avait pourtant déclaré « zone démilitarisée », déclenche la polémique<br />

autour de la construction de Château Gaillard 275 . La nature des travaux entrepris peut<br />

être restituée malgré l’absence de fouilles archéologiques, et notamment grâce à la<br />

description qu’en fit Guillaume Le Breton:<br />

Il est à Andelys un lieu que l’on nomme maintenant l’île…<br />

Jadis le roi Richard avait fait fortifier cette position d’une tour<br />

Qu’il avait entourée de fossés et de hauts remparts<br />

À l’intérieur, il avait construit une demeure royale, digne<br />

« Quant de Roëm se volt partir,/ A Bonevile ala gesir/ El chastel, ne mie ne la vile,/ quer molte se dotout<br />

d’une gile/ que l’om li aveit fait entendre/ que si barons, sanz plus atendre,/ Tuit li plusir, juré avoient/<br />

Qu’al rei de France le rend[r]roient ».<br />

274<br />

PR 19 H.II, p. 167 : £19 16s. in operatione castelli de Oxineford et domorum in turre et putei ; 41s. in<br />

operatione domorum regis extra burgum.<br />

275<br />

HOVEDEN, III, p. 3-4 : Praeterea rex Francie petiit ad opus suum Andeli, manerium Rothomagensis<br />

archiepiscopi. Quod cum nulla ratione fieri posset…; p. 14: Ricardus rex Angliae firmavit novum<br />

castellum in insula de Andeli contra voluntatem et prohibitionem Walteri Rotomagensis archiepiscopi .<br />

487


d’être habitée par les plus grands princes… 276<br />

Ces vestiges ont également été décrits par Brossard de Ruville au milieu du<br />

XIX e siècle avant que la maison actuelle ne soit édifiée vers 1900 277 . S’il s’agissait<br />

initialement de fortifier le manoir épiscopal, sa transformation en véritable palais extra-<br />

castrum s’est sans doute rapidement imposée, pour les besoins de la cour : plus facile<br />

d’accès, la demeure de l’île était aussi sans doute plus fonctionnelle et plus confortable<br />

pour accueillir le roi et son administration. C’est d’ailleurs là que Richard tenait ses<br />

audiences et que nombre de ses actes ont été passés 278 .<br />

La dissociation entre le château et la résidence ducale se retrouve également à<br />

Bordeaux, où la tour de l’Arbalesteyre, construite à la fin du XI e siècle, avait une<br />

fonction plus fiscale et ostentatoire que militaire, tandis que le palais de l’Ombrière qui<br />

la jouxtait servait de résidence ducale 279 . Si l’on en croit l’Enquête des Padouens de<br />

Bordeaux de 1262, des travaux de fortification auraient été entrepris place de<br />

l’Ombrière, à la mort de Richard 280 . Ces travaux s’inscrivent dans la transformation de<br />

ces résidences de villégiatures, soit en de véritables maisons fortes soit en complexe<br />

palatial rassemblant les pôles domestiques, religieux et politiques. Il n’est pas rare<br />

également que les Plantagenêt aient choisi pour installer leurs résidences des monastères<br />

qu’ils ont cherché à placer sous leur patronage.<br />

Les demeures attachées aux monastères royaux<br />

Les monastères étaient considérés comme des étapes importantes des itinéraires<br />

princiers, dans la mesure où ils constituaient des bases économiques stables pour<br />

276<br />

RIGORD et GUILLAUME LE BRETON, Oeuvres, 1882-1885, II, livre 7, v. 29-42 : est locus Andelii<br />

qui nunc habet insula nomen…/Hunc rex Ricardus turri muniverat olim,/ Et circumdederat vallis et<br />

menibus altis,/ Edificans intrus penetralia regia, dignos/ Principibus summis habitari rite penates.<br />

277<br />

BROSSARD DE RUVILLE, J. L., Histoire de la ville des Andelis et de ses dépendances, 1863-1864 :<br />

« Il présentait un plan irrégulier, quoique affectant la forme circulaire et divisé en pans coupés, renflés à<br />

la base, d’inégale largeur. Le nombre des pans est de 22, ils ont en épaisseur 1,60 m, leur revêtement est<br />

de petit appareil. Ils ont perdu leur couronnement, présumé avoir été une suite de créneaux. Sauf sur un<br />

point, qui est la partie extrême de l’habitation actuelle, il n’y a pas d’apparence que l’enceinte ait été<br />

flanquée de tours. On distingue encore facilement les parties qui servaient de points d’appui aux ponts de<br />

bois reliant l’île aux rives du fleuve par une diagonale. On peut en dire autant du fossé qui entourait la<br />

forteresse », cité dans PITTE, D.; FOURNY-DARGÈRE, S. et CALDÉRONI, P. (eds.), Château-<br />

Gaillard: découverte d'un patrimoine. catalogue d'exposition, 1995.<br />

278<br />

GILLINGHAM, J., Richard I, 1999, p. 302-304.<br />

279<br />

BOUTOULLE, F., Le duc et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au<br />

XIIe siècle, 2007, p. 60.<br />

280<br />

BOUTOULLE, F., « Enceintes, tours, palais et castrum à Bordeaux, du XIe siècle au début du XIIIe<br />

siècle, d'après les textes », Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, 94 (2003),<br />

p. 59-77, cite BARCKHAUSEN, H. (éd.), Livre des coutumes, 1890, p. 368 : Quant lo rey Richard murit<br />

lo mager d’esta vila sarret de pau et de treu la plassa de l’Ombreyra.<br />

488


approvisionner la cour 281 . La carte des fréquentations de sites monastiques illustre<br />

relativement bien cette idée, mettant particulièrement en relief la place des monastères<br />

royaux en Angleterre comme Reading, Bury-St-Edmunds, St Albans, Cirencester (carte<br />

5.29), ainsi que les fondations propres des Plantagenêt comme Waltham et Witham.<br />

Généralement pourvus d’appartements susceptibles d’accueillir le roi et sa familia,<br />

pendant que la cour campait à l’extérieur, certains d’entre eux sont parfois devenus de<br />

véritables demeures royales, à l’image du palais de Westminster, qu’Edward le<br />

Confesseur avait aménagé à côté de sa fondation en 1065. La proximité de Londres<br />

donne rapidement au complexe palatial une place centrale dans le gouvernement du<br />

royaume. Westminster est d’ailleurs la seule résidence royale qui conserve le titre de<br />

palais tout au long du Moyen Âge 282 . La grande aula (73 x 21 m) est construite par<br />

Guillaume Le Roux vers 1087-89. La salle de l’Échiquier, où avait lieu la reddition<br />

annuelle des comptes des fermes des shérifs, est ajoutée au début du XII e siècle (voir<br />

illustration 5.13). Celle-ci comprenait alors deux étages, une chambre basse et une<br />

chambre haute, appelée thalamus baronum ou magnum scaccarium, aux fenêtres<br />

desquelles, le roi faisait régulièrement mettre des toiles de lin 283 . La chambre basse était<br />

appelée la chambre des recettes (recepta scaccarii). Les bâtiments ainsi que l’enceinte<br />

du palais devaient donc être suffisamment importants pour accueillir le jour de la saint<br />

Michel l’ensemble des shérifs du royaume ainsi que leur familia, qui pouvait être<br />

nombreuse 284 . La restauration, dès 1156, de la salle de l’Échiquier ainsi que des<br />

bâtiments domestiques qui s’étaient délabrés sous le règne d’Étienne de Blois,<br />

manifeste clairement la volonté du nouveau roi de reprendre en main le gouvernement<br />

du royaume. Ce n’est cependant pas avant 1162 que commence toute une série de<br />

travaux touchant les espaces résidentiels du palais (voir supra) 285 .<br />

En Normandie, Fécamp constituait l’équivalent de Westminster à l’époque<br />

ducale. Le palais des ducs Richard est néanmoins abandonné à partir du règne<br />

281<br />

BERNHARDT, J. W., Itinerant Kingship and Royal Monasteries in Early Medieval Germany, c. 936-<br />

1075, 1993.<br />

282<br />

GENET, J.-P., « Londres est-elle une capitale ? », dans Les villes capitales au Moyen Âge. XXXVIe<br />

Congrès de la Société des Historiens Médiévistes de l’Enseignement Supérieur, 2006, p. 155-184.<br />

283<br />

PR 28 H.II, p. 159: 2s. 6d. pro tela linea ad fenestras talami baronum ; PR 10 H.II, p. 167: 19s. pro<br />

panno empto ad Scaccarium in thalamo baronum et pro linea tela ponenda super fenestras, etc.<br />

284<br />

CAM, H. M., The Hundred and the Hundred Rolls. An Outline <strong>of</strong> Local Government in Medieval<br />

England, 1930.<br />

285<br />

PR 2 H.II, p. 4 : 66s. 8d. in reparatione domorum de Scaccario, 5s. in reparatione domorum de<br />

Westmonasterio.<br />

489


d’Henri I er et pratiquement jamais utilisé par les Plantagenêt 286 . Henri II fait néanmoins<br />

fortifier la aula en lui ajoutant un donjon. En Normandie, ce sont de grandes fondations<br />

bénédictines comme Le Bec-Hellouin, La Lyre ou encore le Mont-Saint-Michel qui<br />

accueillent le plus souvent les séjours ducaux. Ils constituent en cela autant de lieux de<br />

pouvoir que de relais de celui-ci 287 . Dans le reste des territoires continentaux, les<br />

monastères, moins bien contrôlés, ne constituèrent pas des lieux de passage<br />

particulièrement recherchés par les Plantagenêt, hormis leurs propres fondations.<br />

Henri II est en effet connu pour avoir aménagé des appartements destinés à son usage<br />

dans les monastères de Fontevraud et de Grandmont en Limousin 288 .<br />

Contrairement à Fontevraud, assez peu mentionné dans les chroniques comme<br />

une étape de prédilection, Grandmont a été régulièrement fréquenté par Henri II 289 . Les<br />

Annales ordinis grandimontensis rédigées au XVII e siècle, racontent que parmi les<br />

constructions qu’Henri II a fait construire dans le monastère, il y a deux « palais » ou<br />

plutôt deux pièces résidentielles destinées à abriter les séjours du roi et de ses agents<br />

(voir chapitre 6) :<br />

Ils (les envoyés du roi en 1178) restèrent pour l’achèvement des<br />

dernières constructions, et ils convertirent les deux palais construits à<br />

l’intérieur des enceintes de Grandmont (dont les vestiges conservent<br />

les noms) en celles dédiées à saint Jean-Baptiste, Marie-Madeleine et<br />

Michel). 290<br />

À Fontevraud, la notice nécrologique d’Henri II apprend également que parmi<br />

les constructions au sein de l’abbaye qu’il a fait restaurées se trouve, outre les prieurés<br />

des saints Lazare et Marie-Madeleine, des appartements (<strong>of</strong>ficinae) qui servaient<br />

286<br />

RENOUX, A., Fécamp, du palais ducal au palais de Dieu : bilan historique et archéologique des<br />

recherches menées sur le site du château des ducs de Normandie IIe siècle A.C.-XVIIIe siècle P.C., 1991;<br />

RENOUX, A., Le Palais des ducs de Normandie à Fécamp : bilan récent des fouilles en cours, 1982.<br />

287<br />

GAZEAU, V., « Les abbayes bénédictines de la Normandie ducale : lieux de pouvoir ou relais du<br />

pouvoir ? », dans Les lieux de pouvoir au Moyen âge en Normandie et sur ses marges, 2006, p. 91-100<br />

288<br />

Il fréquente toutefois le Mont-saint-Michel au début de son règne (1158-1166), où il est vraisemblable<br />

qu’il avait des appartements réservés.<br />

289<br />

Au printemps 1167 : TORIGNI, I, p. 363 ; au printemps 1181 et 1182 GEOFFROY DE VIGEOIS,<br />

Chronique précédée d’une étude sur la chronique de Ge<strong>of</strong>froy, 1864, p. 330, 326 ; et à l’automne 1177<br />

PETERBOROUGH, I, p. 196-7.<br />

290<br />

LEVESQUE, J. (éd.), Annales ordinis Grandimontis. Nunc primùm editi & in hanc epitomen redacti,<br />

1662, p. 141: residuum aedificiorum ipsi Regi perficiendum reliquerunt, seque a construenda intra metas<br />

Grandimontis duo palatia converterunt (quorum adhuc supersunt vestigia et nomina) Sacellorum quoque<br />

SS. Ioannis Baptistae, Mariae Magadalenae & Sancti Michaelis fundatores suisse narratur; p. 96 :<br />

constructae olim fuerunt magnificentissimae aedes, turres, <strong>of</strong>ficiniae Abbatiales plumbo coopertate, …<br />

Henrici et Richardi regum Angliae, qui domos et Palatia sua ibidem habeant quorum nunc sola super<br />

sunt vestigia et nomina ; GUIBERT, L., Une page de l'histoire du clergé français au XVIIIe siècle :<br />

destruction de l'ordre et de l'abbaye de Grandmont, 1877, p. 45; 728.<br />

490


probablement aussi bien aux moines qu’à lui-même ou à ses représentants et qui ont été<br />

vraisemblablement occupés par Aliénor dans les dernières années de sa vie 291 . Dans<br />

l’abbaye Notre-Dame du Vœu à Cherbourg, fondation augustinienne de Mathilde, c’est<br />

Osbert de la Hose, le gardien du château de Cherbourg qui fait aménager en 1185, dans<br />

l’abbaye même, une demeure royale en plus des appartements dont il avait lui même<br />

l’usage 292 . Quant à Beaulieu, la fondation cistercienne de Jean, elle est tout simplement<br />

installée sur le site d’une loge de chasse des forêts royales du Hampshire, que Jean<br />

venait de faire restaurer à grands frais en 1203 293 . En 1211-12, alors que les pipe rolls<br />

enregistrent plus de £590 pour ériger la nouvelle fondation, Jean fait aménager des<br />

demeures dans l’abbaye 294 . Reading et Eynsham sont également des abbayes fondées<br />

après la conquête sur le site d’anciens manoirs royaux, dont les appartements ont sans<br />

doute été conservés pour accueillir les séjours du roi 295 .<br />

La coutume de résider dans les monastères reposait sur l’usage du servicium<br />

regis, auquel étaient astreints les monastères à l’instar de tous les vassaux du roi 296 . Ce<br />

droit de logis qui était en usage à la même époque chez les Capétiens impliquait<br />

cependant le développement d’un patronage royal susceptible de compenser au moins<br />

symboliquement la ponction sur les ressources des feudataires 297 . S’il est difficile de<br />

savoir dans quelle mesure Henri II et Richard ont mis à pr<strong>of</strong>it ce droit, le détail des<br />

itinéraires permet de voir qu’ils en ont usé aussi bien en Angleterre que sur le continent.<br />

Il est très possible que ce droit résulte de l’inféodation d’anciennes villae regiae anglo-<br />

saxonne, après la conquête, comme c’est le cas de Wedmore par exemple, concédé à<br />

291<br />

PAVILLON, B., La vie du bienheureux Robert d’Arbrissel patriarche des solitaires de la France et<br />

instituteur de l’ordre de Fontevraud, 1666, p. 583-84 : Interea <strong>of</strong>ficinas nostras valde angustas plurimum<br />

ampliare curavit insuper S Lazari structuras renovavit et B. Mariae Magdalenae aedificiae casura<br />

reaedificavi (il s’occupa également de nos appartement étroits les augmentant de beaucoup et rénova les<br />

structures de S Lazare et réédifia les bâtiments de la celle de Ste Marie Madeleine).<br />

292<br />

TORIGNI, II, p. 134-135 : Quidam enim stabularius domini regis Henrici, Osbertus de Hosa nomine,<br />

qui castrum Caesaris Burgis, cum patria quae ad illus pertinet, custodiebat jussu domini regis Henrici,<br />

aedificavit in eadem abbatia de Voto domum pulcherrimam, <strong>of</strong>ficinas idoneas in se continentem, ad opus<br />

suum ; in qua post administrationem domini regis, quamdiu vixit, satis honeste conversatus est (voir<br />

chapitre 2).<br />

293<br />

PR 5 Jean, p. 161: £74, 14s. 9d. in operatione domorum regis Belli Loci in Nova foresta.<br />

294<br />

PR 13 Jean, p. 274 : 103s. 6d. in emendatione domorum in predicta abbatia.<br />

295<br />

SAWYER, P., « The Royal tun in pre-Conquest England », dans Ideal and Reality in Frankish and<br />

Anglo-Saxon Society, Studies presented to J.M. Wallace-Hadrill, 1983, p. 273-299. De même, pour<br />

Reading (qui accueille la sépulture de Henri I er , Faversham (celle d’Etienne de Blois), Farindgon<br />

(fondation de Jean), etc.<br />

296<br />

BERNHARDT, J. W., Itinerant Kingship and Royal Monasteries in Early Medieval Germany, c. 936-<br />

1075, 1993.<br />

297<br />

GUYOTJEANNIN, O., « Résidences et palais des premiers Capétiens en Ile-de-France », dans<br />

Vincennes aux origines de l'état moderne, 1996, p. 123-136.<br />

491


l’évêque puis au chapitre de Wells, et dans lequel Jean séjourne en juillet 1204 298 . Une<br />

mention du pipe roll de 1199 indique également qu’Henri II avait logé chez Waldeve de<br />

Waleton. Celui-ci avait alors reçu la terre de Cestreton en compensation de l’incendie de<br />

sa maison, qui s’était déclaré lorsqu’il y avait résidé 299 . De même, les misae rolls,<br />

indique que Ingenaud, prévôt de Hautwisel, hospiti domini regis, reçoit une<br />

compensation d’un 1 marc pour réparer sa grange qui avait brûlée lorsqu’elle y abritait<br />

la cuisine du roi 300 . En outre, les cartes 5.30 indiquent sans doute moins les résidences<br />

chez des vassaux que des lieux de séjour hors du domaine royal, qui pouvaient tout<br />

aussi bien être des campements. D’ailleurs, la plupart du temps, même lorsque le roi<br />

logeait dans une maison réquisitionnée, la cour restait quant à elle à l’extérieur, campant<br />

à l’entrée de la ville ou du bourg.<br />

Au final, la domestication des constructions dans les résidences royales s’est<br />

manifestée sous diverses formes : par l’extension et la multiplication des espaces<br />

domestiques, ainsi que par leur privatisation. La fragmentation de l’espace contribue à<br />

distinguer plus nettement les espaces privatisés des espaces publics et à les hiérarchiser.<br />

Par leur monumentalité, leur faste et la richesse des décorations qui caractérisaient<br />

l’expression la puissance royale, les espaces résidentiels acquièrent une place de plus en<br />

plus grande dans la topographie des lieux de pouvoir, au sein même des châteaux mais<br />

aussi en dehors d’eux. L’essor des résidences, plus vastes et plus adaptées à<br />

l’augmentation du personnel de la cour et de la maison du roi, a en effet concerné non<br />

seulement les vastes donjons carrés, caractéristiques de l’Europe du Nord Ouest, mais<br />

également les demeures non fortifiés : qu’elles soient monastiques, urbaines ou<br />

forestières. En outre, la fréquentation accrue des loges de chasses, aménagées sur<br />

d’anciennes mansiones regis anglo-saxonnes et parfois transformées en véritables<br />

palais, constitue un trait caractéristique du phénomène de curialisation du pouvoir à la<br />

fin du XII e siècle. Dans quelle mesure l’essor des résidences forestières qui touche<br />

surtout l’Angleterre et la Normandie n’est-il pas également le reflet d’un mode de<br />

298 SAWYER, P., « The Royal tun in pre-Conquest England », dans Ideal and Reality in Frankish and<br />

Anglo-Saxon Society, Studies presented to J.M. Wallace-Hadrill, 1983, p. 273-299; KNOWLES, D. et<br />

HADCOCK, R. N., Medieval Religious Houses : England and Wales, 1971.<br />

299 PR 1 John I, p.165: Henricus de Waleton reddidit compotum suum pro xxx solidatis terre in Cestreton<br />

cum pertinentiis quas H. R. pater regis dedit Waldevo de Waleton avo suo unde cartam suam habet et<br />

quam ei dedt occasione quod domus eius cumbusta fuit quando H. predictus in ea hospitatus fuit.<br />

300 COLE, H. (éd.), Documents Illustrative <strong>of</strong> English History in the Thirteenth and Fourteenth Centuries,<br />

Selected from the Records <strong>of</strong> the Department <strong>of</strong> the Queen's Remembrancer <strong>of</strong> the Exchequer, 1844,<br />

p. 234: Die Jovis proxima ibidem [apud Hextildesham] Ingenaudo preposito de Hautwisel hospiti domini<br />

Regis ad reparandam grangiam suam que combusta fuerat in qua fuerat coquina domini Regis de dono I<br />

marcas per Regem.<br />

492


domination spécifique des espaces bien maîtrisés ? La superposition des cartes des<br />

« place-date » d’Henri II et de ses lieux de séjour « forestier » est à ce titre assez<br />

frappante (carte 5.2 et 5.31).<br />

Si les lieux de séjour dominants permettent ainsi de dessiner la topographie du<br />

pouvoir Plantagenêt, on ne peut cependant oublier que ces lieux restaient la plupart du<br />

temps vides de la présence royale. Il revenait alors à l’architecture de marquer et de<br />

manifester symboliquement la permanence du pouvoir dans l’espace et le paysage.<br />

493


2.2- Résidences et fortifications : fonctionnalisme et symbolisme<br />

dans l’architecture castrale des Plantagenêt<br />

Au-delà de l’aménagement domestique des espaces parcourus par les<br />

Plantagenêt, la plupart des chantiers ont eu des fonctions militaires et symboliques,<br />

engageant souvent les plus fortes dépenses de constructions enregistrées à l’Échiquier.<br />

Dans la seconde moitié du XII e siècle, le siège d’un château royal était encore une<br />

pratique courante, en particulier dans les zones les moins bien contrôlées et les zones<br />

frontalières (graphique 5.32). Cependant, les châteaux n’avaient que rarement une<br />

fonction exclusivement fonctionnelle, et nombre de chantiers entrepris par les<br />

Plantagenêt avaient surtout pour but de construire une image castrale du pouvoir. La<br />

monumentalité des forteresses était en effet toujours investie d’une double fonction :<br />

résister aux sièges et dissuader les rebelles 301 . Au cours des trois règnes, les enjeux du<br />

contrôle du territoire, à la fois militaire et symbolique, ont évolué. L’analyse combinée<br />

de la documentation comptable et des vestiges monumentaux permet de voir comment<br />

la construction de forteresses monumentales a contribué à mettre en scène la puissance<br />

royale, en verrouillant le territoire et en inscrivant dans le paysage le symbole de leur<br />

domination.<br />

La comparaison des cartes de passages et de dépenses selon chaque règne (carte<br />

5.33 et 5.34) amène à plusieurs remarques. Tout d’abord, sous le règne d’Henri II,<br />

l’espace le plus densément parcouru (en Angleterre et dans une moindre mesure en<br />

Normandie) correspond globalement à l’espace le plus fortement investi<br />

architecturalement. Tandis qu’Henri II renforce le territoire du royaume en ses points<br />

stratégiques : au sud, à Douvres, au nord, à Newcastle et Scarborough, et au centre à<br />

Nottingham et Orford, Richard se concentre davantage sur ses « capitales » : La Tour de<br />

Londres et Château Gaillard sont pratiquement les seuls chantiers importants de son<br />

règne (et peut-être Chinon aussi) ; Quant à Jean, tandis que le décalage opéré vers<br />

l’ouest se traduit également dans la carte de ses constructions avec notamment la<br />

construction d’Odiham, des places confisquées dans les Midlands et le Yorkshire, où les<br />

domaines royaux étaient peu importants, sont transformées afin d’imposer dans le<br />

paysage baronnial l’image de la puissance royale.<br />

301 COULSON, C. A., « Structural symbolism in medieval castle architecture », J.B.A.A., 132 (1979),<br />

p. 73-90; LIDDIARD, R., Castles in Context, 2005.<br />

494


2.2.1- Une architecture de la puissance et de la dissuasion : construire pour<br />

contrôler et dominer l’espace<br />

Verrouiller le territoire : l’architecture aux « portes » de l’empire<br />

Henri II semble avoir été préoccupé par la défense de la côte est de l’Angleterre,<br />

comme le suggère la fortification de Douvres, Orford, Scarborough et Newcastle qui<br />

permet de sécuriser une grande partie des littoraux. Il est cependant peu vraisemblable<br />

que la menace de nouvelles invasions scandinaves ait pu motiver une telle organisation,<br />

notamment dans le nord. En effet, comme l’a montré Matthew Strickland, un château<br />

comme Newcastle avait une fonction plus <strong>of</strong>fensive que défensive (voir chapitre 4),<br />

permettant le débarquement et le déploiement de l’armée royale contre les troupes<br />

rebelles 302 . Si la menace scandinave n’existait plus au milieu du XII e siècle, la crainte de<br />

débarquements depuis le continent n’était pas totalement irréaliste, comme le montre les<br />

tentatives des comtes de Boulogne en 1158 et des Français en 1216 303 .<br />

La construction de Douvres constitue le plus gros budget du règne d’Henri II.<br />

Les dépenses incluaient outre l’érection de la grande tour carrée, toute une série<br />

d’enceintes dont la multiplication visait à fractionner l’espace du château et à créer<br />

autant d’obstacles à la progression des machines (illustration 5.35) 304 . Les dépenses des<br />

règnes de Richard et de Jean consistent à renforcer ces murailles, notamment avec des<br />

barbacanes qu’un passage du récit du siège de Douvres en 1216 dans l’Histoire des ducs<br />

de Normandie et des rois d’Angleterre par un auteur anonyme du XIII e siècle, permet de<br />

reconstituer 305 . John Goodhall a en effet mis en évidence la sophistication architecturale<br />

des défenses de la porte et du mur nord, pourvus de tours semi-cylindiques ainsi que de<br />

la barbacane, qu’il attribue à Richard et/ou Jean. Celle-ci aurait permis au château de<br />

résister jusqu’au bout aux attaques françaises et de conquérir sa réputation de « clé de<br />

302<br />

STRICKLAND, M., « Securing the north: invasion and strategy <strong>of</strong> defence in the twelfth century<br />

Anglo-Scottish warfare », dans A.N.S., 1989, p. 177-198.<br />

303<br />

WAREHAM, A., « The motives and politics <strong>of</strong> the Bigod family, c.1066-1177 », dans Ibid., 1995, p.<br />

223-242.<br />

304<br />

PR 26 H.II, p. 43 : £165 13s. 4d. in operatione muri castri circa castellum de Dovra ; PR 28 H.II,<br />

p. 150 : £196 18s. 1d. in operatione turris et castelli de Dovra ; PR 30 H.II, p. 150 : £690 in predicta<br />

operatione turris ; PR 31 H.II, p. 124-125 : £141 16s. 7d. in operatione turris de Dovra ; £157 6s. 5d. in<br />

predicta operatione turris de Dovra ; PR 33 H.II, p. 211 £680 22s. Summa denariorum quos vicecomes<br />

misit hoc anno in operatione turris et castelli de Dovra de firmis comitatus et debitis regis in comitatu et<br />

de recepta thesauri sicut supra annotatum est, etc ; COLVIN, H. M.; BROWN, R. A. et TAYLOR, A. J.,<br />

The History <strong>of</strong> the King's Works, 1963, I, p. 629-642.<br />

305<br />

Histoire des ducs de Normandie et des rois d'Angleterre, FRANCISQUE, Michel (éd.), 1965 ; sur la<br />

chronique : LABORDERIE, O., « Convergences et divergences de points de vue: la conquête de la<br />

Normandie en 1204 dans les deux chroniques de l'Anonyme de Béthune », dans 1204, la Normandie entre<br />

Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 189-213.<br />

495


l’Angleterre » que lui donnera Mathieu <strong>Paris</strong> 306 . L’efficacité prouvée de ces structures et<br />

la nouvelle importance symbolique du modèle de Douvres explique sans doute leur<br />

diffusion en Angleterre dans les années 1220. L’importance des dépenses engagées par<br />

Henri II interroge cependant sur la fonction essentiellement militaire du site. Plus de<br />

£7000 sont en effet enregistrées sur les pipe rolls à partir de 1168, une somme<br />

nettement supérieure à celle nécessaire pour élever la tour de Newcastle (dont le coût<br />

s’élève à £1130), construite sur le même modèle du plan carré, typique des donjons<br />

normands, mais dans des dimensions moins imposantes (illustration 5.36). Une telle<br />

monumentalité suggère que la construction comportait une dimension symbolique non<br />

négligeable 307 . Si les deux tours flanquées latéralement permettaient effectivement,<br />

grâce à leur surplomb, de mieux gérer les attaques ennemies, les dimensions de Douvres<br />

visaient non seulement à manifester la puissance royale mais aussi à impressionner les<br />

voyageurs et dissuader les soldats des armées capétiennes. Les chroniqueurs ne<br />

manquent d’ailleurs généralement pas de relater l’admiration des contemporains pour<br />

ces puissantes forteresses. Ainsi, tandis que Giraud de Barri rapporte l’enthousiasme de<br />

Philippe Auguste lors de son passage à Gisors en 1177, le récit par Guillaume le Breton<br />

de la prise de Château Gaillard constitue également l’un des passages les plus épiques<br />

de sa Philippide (voir chapitre 4) 308 . La forme et la taille, parce qu’elles étaient<br />

l’expression légitime de la grandeur du prince et parce qu’elles rappelaient l’admiration<br />

et l’obéissance qui étaient dues au prince, ont donc été des instruments de l’affirmation<br />

de sa puissance, en ce sens qu’elles exprimaient davantage sa capacité de dissuasion que<br />

l’usage physique de la force 309 .<br />

Au début des années 1980, l’historiographie des châteaux a connu une sorte de<br />

« tournant symbolique ». Robert Liddiard et Abigail Wheatley ont récemment retracé<br />

comment l’historiographie des châteaux, fondée sur un récit militariste et utilitariste<br />

306 GOODALL, J., « Dover castle and the great siege <strong>of</strong> 1216 », dans Château Gaillard. 19 : Études de<br />

castellologie européenne, 2000, p. 91-102 ; PR 3 Jean, p. 284 : £18 in emendatione portarum castelli de<br />

Dovra ; PR 5 Jean, p. 123 : £10 11s. ad eligendum mairemium ad castellum de Dovra et pro mairemio<br />

illo prosternendo et escapelando et cariando ; PR 10 Jean p. 97 : £76 13s. 4d. pro mairemio ad castre de<br />

Dovre et Rouecestrie claudenda et pro virgis et cleiis ; PR 12 Jean, p. 61 £34 9s. 5d. in custamento<br />

carpentariorum operantium mairemium ad castellum de Dovre; MATHIEU PARIS, Chronica majora,<br />

1964, III, p. 28: Clavis enim Angliae est.<br />

307 BROWN, R. A., Dover castle, Kent, 1966.<br />

308 GIRAUD DE BARRI dans RHF, XVIII, p 152-153 ; RIGORD et GUILLAUME LE BRETON,<br />

Oeuvres, 1882-1885, p. 177-210 ; ROBERT-BARZMAN, E., « La conquête de la Normandie dans la<br />

Philippide de Guillaume le Breton », dans 1204, la Normandie entre Plantagenêts et Capétiens, 2007,<br />

p. 153-188.<br />

309 COULSON, C. A., « Structural symbolism in medieval castle architecture », J.B.A.A., 132 (1979), p.<br />

73-90.<br />

496


construit par les historiens au XIX e siècle, a progressivement été remise en cause<br />

notamment avec le développement de l’archéologie médiévale 310 . Plusieurs aspects ont<br />

ainsi été mis en valeur : le lieu, le site et son inscription dans le paysage, mais aussi la<br />

morphologie des tours, dont l’érection même constituait le signe le plus évident de la<br />

domination. Ainsi, Abigail Wheatley propose de voir la symbolique de la forme de<br />

Douvres, ainsi que des principales forteresses de la côte méridionale (Pevensey,<br />

Rochester, Richborough, etc.) à travers l’imaginaire de la conquête de l’Angleterre par<br />

Jules César, qui lui conférait un sens impérial (voir infra) 311 . Si les différentes<br />

localisations des constructions royales témoignent de l’évolution des enjeux au cours de<br />

la période, deux fonctions restent globalement permanentes : la lutte militaire et<br />

symbolique contre les barons mais aussi contre le roi de France, en Normandie et en<br />

Anjou d’une part, et la construction d’une image monumentale du pouvoir, support de<br />

l’« idéologie » royale des Plantagenêt. Ces deux fonctions de l’architecture, symbolique<br />

et fonctionnelle, se superposent et se complètent plus souvent qu’elles ne s’excluent.<br />

Imposer la puissance royale dans un paysage baronnial effervescent<br />

De même qu’Orford avait été construit au beau milieu des terres d’Hugh Bigod,<br />

juste après qu’Henri II lui ait rendu ses châteaux de Framlingham et Walton en 1165<br />

contre une amende de £1000, de même, Scarborough a été choisi par Henri II pour<br />

mener sa politique de contrôle des honneurs insoumis. En 1158, il se saisit du château<br />

de Guillaume le Gros et remplace la tour érigée par Étienne de Blois par un grand<br />

donjon carré en pierre de 30 m de haut (illustration 5.37) 312 . Les travaux sont enregistrés<br />

sur les pipe rolls entre 1158 et 1169 sous la supervision de Robert de Russa 313 . Puis en<br />

1175, Henri II fait également aménager une cour intérieure en l’entourant d’un talus et<br />

d’un fossé, ouvert au nord par une porte fortifiée 314 . Le chantier reprend en 1199, sous<br />

la direction du gardien John de Builly, chargé, à partir de 1203, de lever la taille ainsi<br />

que la ferme des hommes de Scarborough (sans doute constitués en borough), pour<br />

financer les fortifications 315 .<br />

310<br />

LIDDIARD, R., Castles in Context, 2005 ; WHEATLEY, A., The Idea <strong>of</strong> the Castle in Medieval<br />

England, 2004.<br />

311<br />

Ibid., p. 147-148.<br />

312<br />

PEARSON, T., Scarborough Castle, North Yorkshire, 1999.<br />

313<br />

PR 4 H.II, p. 146 : £4 in operatione castelli de Scardeburc teste Roberto de Rossam. Dès 1159, il est<br />

question de la tour.<br />

314<br />

PR 21 H.II, p. 175 in operatione I porte et I barbekena in castro de Scardeburc.<br />

315<br />

PR 4 Jean, p. 48: £33 Johanni de Buili ad custodiam castelli de Scardeburg ; PR 5 Jean, p. 199 ; Rot.<br />

Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, p. 5: Baronibus de Scaccario etc. Computate Burensibus de Scardeburg id<br />

quod ipsi posuerint de tallagio nostro in firmancione de castelli nostri de Scardeburg.<br />

497


Alors que les réalisations monumentales d’Henri II et de Richard constituent des<br />

éléments souvent mis en valeur dans leurs biographies, les historiens de Jean se sont<br />

globalement peu intéressés à cet aspect. Il contribua pourtant à renforcer les appuis<br />

territoriaux de la royauté notamment dans les grandes baronnies du Yorkshire et des<br />

Midlands en fortifiant des sites comme Scarborough, Knaresborough, Lancaster,<br />

Tickhill, Horston et Kenilworth. Ces châteaux étaient en effet localisés dans les espaces<br />

les moins parcourus par le roi ; leur fortifications visait donc à assurer dans un paysage<br />

dominé par des forteresses baronniales une certaine visibilité de la royauté.<br />

Kenilworth avait été retenu par Henri II à la mort de Ge<strong>of</strong>froy de Clinton en<br />

1173 ou 1174, puis échangé contre le manoir de son fils, Henri de Clinton, à<br />

Swanbourne dans le Buckinghamshire 316 . Henri II s’est surtout servi de Kenilworth<br />

comme une prison, dont il fait refaire les murs entre 1184 et 1186 317 . Jean, en revanche,<br />

y fait faire d’importants aménagements à partir de 1211, à la fois domestiques et<br />

militaires pour un total de £2000, mais n’y réside pratiquement jamais (illustration 5.39)<br />

318 . Il fait notamment entourer le donjon d’un mur d’enceinte muni de tours de gardes.<br />

La menace que représentait ce château pour les barons paraît manifeste au regard de la<br />

liste des châteaux retenus comme garantie de l’application de la Magna Carta, dans<br />

laquelle il se trouve 319 .<br />

Que Jean ait cherché à renforcer ses domaines dans cette partie des Midlands<br />

apparaît clairement lorsqu’il acquiert de Pierre de Sandiacre, dès 1199, la motte castrale<br />

de Horston (Harestan), construite par Ralph de Buron au début du XII e siècle, contre des<br />

terres dans le Derbyshire 320 . Les travaux commencent dès 1200 et jusqu’en 1215, près<br />

de £860 sont dépensées principalement « in operatione castelli de Harestan », c'est-à-<br />

dire sans doute pour ériger une tour en pierre 321 . Cependant, rien ou presque ne reste<br />

aujourd’hui sur ce site qui sert de carrières dès le milieu du XIV e siècle. Ainsi, avec la<br />

forteresse de Nottingham construite par Henri II et le renforcement des tours des<br />

316<br />

V.C.H., Warwickshire, VI, 132-143; MAXWELL-LYTE, H. C. (éd.), Liber Feodorum. The Book <strong>of</strong><br />

Fees, commonly called Testa de Nevill. Reformed from the earliest MSS., 1920, p. 878.<br />

317<br />

PR 30 H.II, p. 43 : £26 9s. 9d. in reparatione muri castelli de Kenillewurda ; PR 32 H.II, p. 126 : 100s.<br />

in operatione gaiole de Kenillewurda.<br />

318<br />

PR 13 Jean, p. 190 : £102 19s. 3d.et ob : in operatione camere et warderobe de Keneliwrde; PR 17<br />

Jean, p. 28: £400 42s. in reparacione castri de Kenillewurd.<br />

319<br />

V.C.H., Warwickshire, II, p. 426.<br />

320<br />

COLVIN, H. M.; BROWN, R. A. et TAYLOR, A. J., The History <strong>of</strong> the King's Works, 1963, I, p. 681,<br />

cite MAXWELL-LYTE, H. C. (éd.), Liber Feodorum. The Book <strong>of</strong> Fees, commonly called Testa de<br />

Nevill. Reformed from the earliest MSS., 1920, p. 151.<br />

321<br />

PR 2 Jean, p. 7-8 ; PR 3 Jean, p. 89 ; PR 4 Jean, p. 186 ; PR 5 Jean, p. 164 ; PR 8 Jean, p. 76 ; PR 9<br />

Jean, p. 114 ; PR 11 Jean, p.112 ; PR 13 Jean, p. 89 ; PR 16 Jean, 67 ; PR 17 Jean, p. 11.<br />

498


Tickhill, Bolsover et Peak, Jean maîtrisait un espace crucial pour accéder aux grandes<br />

baronnies du nord 322 .<br />

Nottingham constitue l’un des principaux chantiers du règne d’Henri II. Ce<br />

dernier transforme le château, fondé par Guillaume le Conquérant pour sécuriser sa<br />

route vers York, en véritable forteresse. Henri II ne s’intéresse pas immédiatement à ce<br />

château qu’il avait confisqué en 1153 en même temps que l’honneur de Peverell. C’est<br />

seulement à partir de 1171 que les pipe rolls enregistrent plus de £1800 principalement<br />

dépensées « in operatione castelli », ce qui ne permet de pas d’identifier très<br />

précisément la nature des travaux (illustration 5.38). Néanmoins, on peut attribuer à<br />

Henri II le remplacement des palissades par des murs d’enceintes et peut être aussi la<br />

construction, ou du moins l’extension, du donjon en pierre. En 1173, deux ans après le<br />

début des travaux, alors que plus de £500 ont déjà été dépensés, il est en effet question<br />

de £140 pour les travaux des « domorum in eodem castelli » et, en 1175, les dépenses<br />

vont aux « thalami regis in eodem castro » 323 . En 1178 et en 1180 c’est au tour de la<br />

chambre du roi et du parc d’être aménagés pour £135 324 . Des travaux dans la cour sont<br />

ensuite entrepris à partir de 1179 : la construction d’une aula est enregistrée à partir de<br />

1181 325 et, en 1185, il est question l’exhaussement des murs du château et de la clôture<br />

de la cour (bayle) 326 . Après 1186, les dépenses s’atténuent et sont consacrées à<br />

l’entretien des bâtiments jusqu’en 1194, date à laquelle le château est le théâtre des<br />

affrontements entre Richard et les partisans de Jean. Après avoir repris la place,<br />

partiellement endommagée, Richard fait construire des « étables dans le château, une<br />

petite chambre, des gouttières sur l’autre chambre, des volets et des fenêtres sur la aula<br />

322 Rotuli de Liberate ac de misis et praestitis regnante Johannes, HARDY, T. D. (éd.), 1844, p. 89 :<br />

Gaufrido filio Petri comiti Essex salutem. Mandamus vobis quod computari faciatis dilecto et fideli<br />

nostro Willelmo Briewerre hoc quod ipse racionabiliter monstrare poterit quod ipse posuit in<br />

emendacione domorum et castelli de Notingam et domorum et vivariorum de Clipeston et de Meleburn et<br />

de Bolesour' et de Hareston' et alibi in balliva sua sicut ipse racionabiliter monstrare poterit quod illud ei<br />

computari debeat teste Willelmo marescallo.<br />

323 PR 19 H.II, p. 173: £140: in operatione castelli de Notingeham et domorum in eodem castelli et<br />

gaiole; PR 21 H.II, p. 29: £46 in operatione castelli de Notingeham et thalami regis in eodem castro.<br />

324 PR 24 H.II, p. 86 : £115 in operatione camere regis de Notingeham et parci ; PR 26 H.II, p. 137: £20<br />

in operatione camere regis in castello de Notingheam.<br />

325 PR 26 H.II, p. 137 : £ 7s. 10d. ad faciendum I appenticium et II magnas caldarias emendas cum<br />

trepariis et I domum in ballio ad recondendam elemosinam Regis ; PR 27 H.II, p. 12: £26 8s. 8d. suma<br />

denariorum quos vicecimes misit in preparandis et attrahendis necessariis ad operationem aule de<br />

Notingeham ; PR 28 H.II, p. 20: £216 12s. 8s. summa denariorum quod vicecomes misit hoc anno in<br />

operatione aule de Notingeham.<br />

326 PR 31 H.II, p. 110 : £140 in operatione camerarum in castello de Notingeham et exaltatione muri<br />

eiusdem castelli et attractu ad claudendum ballium.<br />

499


et une poterne sur la motte » 327 . Le chantier reprend en 1205, lorsque Jean envoie son<br />

ingénieur Guillaume Baiard pour renforcer les défenses militaires et les geôles du<br />

château, puis en 1214, lorsqu’il y dépêche Nicolas des Andelys 328 .<br />

En 1203, Jean a l’occasion de s’emparer de Knaresboroug, situé au cœur du<br />

Yorkshire. Il y fait élever une forteresse royale défiant les vastes constructions de<br />

Richmond construit par les ducs de Bretagne, Conisborough, la tour dont Hamelin<br />

Plantagenêt (le demi-frère illégitime d’Henri II) hérite des Warenne et qu’il remplace<br />

par un donjon en pierre vers 1180 (illustration 5.40), ou encore Barnard Castle.<br />

Knaresborough, qui avait été inféodé à Guillaume de Stuteville, le shérif du Yorkshire<br />

sous Henri II, revient en effet aux mains de la Couronne en 1203, lorsque Jean réclame<br />

à son héritier la somme de 10 000 marcs pour succéder à l’honneur détenu par son<br />

père 329 . Cette somme colossale qui incluait les dettes de la famille, permet à Jean de<br />

rester de fait en possession de cette place forte qui lui donnait pied dans cette région<br />

soumise à l’agitation des puissants barons du nord. Dès 1205, il dépense £138 3s. pour<br />

faire de cette motte une véritable base militaire et administrative. Les premiers travaux<br />

semblent avoir été consacrés au terrassement du site, pour accroître le caractère abrupte<br />

et monumental de la tour, qui dominait les gorges de la Nidd (illustration 5.41). En<br />

1208, £420 7s. 5d. sont en effet consacrés à faire les « fossés » 330 . Les travaux<br />

s’étendent jusqu’en 1211, date à laquelle £119 18s ; 8d. couvrent les dépenses des<br />

« travaux du châteaux, ses fossés et les demeures du castrum des deux précédentes<br />

années » 331 . En 1212, Jean fait aménager une prison et à partir de 1214, la garnison du<br />

château reçoit 15 000 flèches tandis que la cour du château sert de base pour la<br />

construction de cinq machines de sièges, deux trébuchets et trois mangonneaux turcs<br />

327<br />

PR 6 Richard, p. 80 : £22 16s. 11d. in operatione stabuli in castello de Notingeham et parve camere et<br />

gutterie alte camere et luvariorum et fenestrarum aule et i posterne in mota.<br />

328<br />

PR 7 Jean, p. 221 : 32s. in emendatione gaiole et pro ferramentis prisonum ; PR 8 Jean, p. 75 : £11<br />

10s. pro quarellis ad opus regis ; PR 9 Jean, p. 114 : £6 4s. pro quarellis ; PR 16 Jean, p. 156 : £38 19s.<br />

5d. qui fecerunt II petrarias Turkeisas in castro de Notingeham; PR 7 Jean, p. 211 : 1 marc Willelmo<br />

Baiard ingeniatori dum mora fecit apud Notingeham ; PR 16 Jean, p. 156 £38 49s. 5d. Ingelrammi et<br />

Willlemi cornariorum in custo posito in magistris Radulfo et Nicholao carpentariis et sociis eorum qui<br />

fecerunt II petrarias Turkeisas in castro de Notingeham.<br />

329<br />

KELLETT, A., « King John in Knaresborough : the first known royal maundy », Yorkshire<br />

Archaeological Journal, 62 (1990), p. 69-90.<br />

330<br />

PR 10 Jean, p. 50 : in operatione fossati castelli de Cnarreburc ; Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833,<br />

p. 105 : Baronibus etc. Computate Brieno de Insula quod ipse posuit in fossatis castri de Cnarreburn<br />

faciendis … T. me ipso apud Merlbergam xvii de Marcii.<br />

331<br />

PR 13 Jean, p. 88 : in operatione castri de Cnarreburc et fossati et domorum eiusdem castri per duos<br />

annos.<br />

500


(sorte de catapultes, voir illustration 5.42) 332 . Au total près de £1300 sont dépensées<br />

pour édifier cette forteresse qui restera la plus grande construction royale dans cette<br />

région jusqu’à la fin du Moyen Âge et dans laquelle la théâtralisation de l’espace fut<br />

pensée sur un mode quasi-liturgique 333 .<br />

Avec la fortification de Scarborough, Knaresborough et Lancaster à partir de<br />

1209, Jean contrôlait ainsi les principales routes du Nord. Le château de Lancaster qui<br />

entre dans les domaines de la Couronne au début du règne d’Henri II n’est pas beaucoup<br />

utilisé par ce dernier ni par Richard, qui l’inclut d’ailleurs dans les terres qu’il concède à<br />

son frère Jean lorsqu’il monte sur le trône en 1189 334 . La tour qui occupait un site anglo-<br />

saxon avait été érigée en 1002 par Roger de Poitou. Les travaux entrepris par Jean à<br />

partir de 1209 consistent essentiellement, comme à Knaresborough, à fossoyer le site et<br />

renforcer sept bretèches ainsi que les portes des murs d’enceinte 335 . Jusqu’en 1215, près<br />

de £590 sont ensuite consacrées à construire des bâtiments domestiques contre les murs<br />

d’enceinte sud et sud-est, auxquels sont accolées des tours rondes à chaque angle, dont<br />

la tour sud-ouest, connue comme la tour d’Adrien, qui date vraisemblablement de cette<br />

période (voir illustration 5.43) 336 .<br />

Au cours du règne de Jean, la progression du contrôle territorial dans le nord de<br />

l’Angleterre s’est ainsi effectuée au travers de plusieurs chantiers dont les constructions<br />

avaient un objectif militaire précis : sécuriser les espaces dominés par de puissantes<br />

baronnies. Dans les espaces maîtrisés du sud de l’Angleterre, les chantiers n’avaient<br />

toutefois pas le même objectif. Les restaurations et les extensions de Winchester, de<br />

Windsor, de la tour de Londres, d’Odiham ou encore de Chinon en Anjou, n’exigeaient<br />

pas en effet de véritables investissements défensifs. Ils ont pourtant constitué des<br />

chantiers phares au cours des trois règnes.<br />

Continuité et transformation des lieux de pouvoir : le château comme vitrine de<br />

la puissance et de magnificence royale<br />

332<br />

PR 14 Jean, p. 169 : £65 5s. 5d. et ob in operatione unius gaiole cum apparatu ; PR 16 Jean , p. 67 :<br />

£10 17s. 7d. in operatione XV milia quarellorum ; PR 17 Jean, p. 13 £50 15s. 9d. ad duas petrarias et tres<br />

mangunellos turkesios faciendos in castro de Cnareburc et pro mairemio prosternendo et cariando a<br />

foresta et pro ferro empto ad eosdem.<br />

333<br />

DIXON, P., « The donjon <strong>of</strong> Knaresborough : the castle as theatre », Château Gaillard, 14: Etudes de<br />

castellologie médiévale (1988), p. 121-139.<br />

334<br />

TURNER, R. V., King John, England’s Evil King ? 2005, p. 36.<br />

335<br />

PR 11 Jean, p. 103 : £21 : pro vii breteschiis parandis ad portandum.<br />

336<br />

PR 12 jean, p. 36 : £352 3s. 1d. in operatione domorum regis in castello Lancastrie; V.C.H.<br />

Lancashire, VIII, p. 4-22.<br />

501


En tant que principale résidence des rois anglo-saxons, qui étaient couronnés et<br />

enterrés à Winchester, la cité occupait une place de premier plan dans la topographie<br />

symbolique du pouvoir en Angleterre. Malgré son « déclin » relatif, lié à l’essor<br />

commercial de villes concurrentes, Winchester est resté l’un des principaux lieux de<br />

représentation du pouvoir royal au XII e siècle 337 . C’est en effet là, que Richard réactive,<br />

en 1194, les cérémonies du port de la couronne, comme le faisaient autrefois les rois<br />

d’Angleterre. Winchester avait également des fonctions capitales importantes : le<br />

château était le principal dépôt du Trésor royal, de la Monnaie et des regalia du roi<br />

d’Angleterre. Mais ce rôle s’atténue au cours de la période au pr<strong>of</strong>it de Londres. Le<br />

château de Winchester était donc moins un site militaire qu’un centre administratif et<br />

financier de la Couronne, ainsi que l’une des résidences les plus souvent fréquentées par<br />

les Plantagenêt en Angleterre (plan 5.44). Il n’est donc pas étonnant que l’essentiel des<br />

dépenses du château aient été consacrées à l’aménagement des appartements royaux et<br />

des bâtiments domestiques. Les travaux s’étendent sur les trois règnes et seront encore<br />

amplifiés par Henri III au XIII e siècle. Dès 1156, les pipe rolls enregistrent £14 10s. 7d.<br />

« pour faire des appartements royaux dans le château », ainsi qu’une chambre royale en<br />

1159 338 . L’année suivante il est question du jardin de la reine, mais c’est en 1172 que<br />

sont dépensées les plus fortes sommes pour les appartements royaux, qui sont couverts<br />

d’ardoises et de plomb, et pour la maison du trésor 339 . En 1173 et 1174, plusieurs<br />

dépenses sont destinées à réparer les dommages causés par la révolte baronniale : les<br />

murs du château sont renforcés, puis le pont est réparé et la poterne refaite 340 . Mais dès<br />

l’année suivante, les travaux domestiques reprennent : une cuisine, un appentis où la<br />

reine Marguerite puisse écouter la messe et un colombier sont construits ainsi que la<br />

chapelle saint Judoc 341 . Dans les années 1180, une nouvelle chambre à coucher<br />

337<br />

KEENE, D., Survey <strong>of</strong> Medieval Winchester, 1985, I, p. 88-101.<br />

338<br />

PR 2 H.II, p. 52: in domibus regis faciendam in castello Wintonie ; PR 5 H.II, p. 48: £6 9s. in<br />

reparatione camere et domorum in castello.<br />

339<br />

PR 6 H.II, p. 49 : 27s. 6d. in operatione capelle et domorum et murorum et herbarii Regine ; PR 18<br />

H.II, p. 87 : £240 in operatione domorum regis de Wintonie ; PR 18 H.II, p. 98 : £6 13s. 4d. pro aszeisiis<br />

ad operiendas domos regis de Wintonie ; PR 18 H.II, p. 7: £10: pro XL carretatis plumbi ad operiendas<br />

domo regis de Wintonie; PR 18 H.II, p. 84: £30 ad operiendam domus thesauri et ad gaiolam faciendam.<br />

340<br />

PR 19 H.II, p. 56 : £35 : in reparatione murorum castelli de Wintonie ; PR 20 H.II, p. 137 : £6 12s.<br />

4d. : Willelmo de Lanvalei ad obstruendam I posternam in castri de Wintonie et ad aliam faciendam et ad<br />

pontem emenadam.<br />

341<br />

PR 21 H.II, p. 188 : £7 10s. in operatione unium coquine et I apprenticii ubi Regina iunior audit<br />

missam ; PR 21 H.II, p. 199 : £38 4s. in operatione capelle regis in castri Wintonie; PR 22 H.II, p. 198 :<br />

£57: in operatione capelle regis Wintonie ; PR 23 H.II, p. 163 : £17: in operatione capelle regis in<br />

castello Wintonie et ad alias operationes faciendas in ipso castello ; PR 28 H.II, p. 146 : £15 in<br />

operatione capelle sancti judoci in castello Witonie et curie et aule regis eiusdem castelli.<br />

502


(thalamus) est construite ainsi qu’un cloître intérieur 342 . Sous Richard, il n’y a<br />

pratiquement que des dépenses d’entretien, de même que sous Jean, qui fait néanmoins<br />

couvrir la chambre du roi en plomb 343 . La couverture des bâtiments en plomb n’était pas<br />

rare à cette époque (voir chapitre 6), quoique surtout réservée aux grandes églises, dont<br />

la richesse se manifestait ainsi dans le paysage. L’usage du plomb dans les bâtiments<br />

royaux visait ainsi à créer une hiérarchie et à signaler les appartements royaux, au sein<br />

du châteaux, mais également dans l’espace de la ville, où ils étaient en concurrence avec<br />

des édifices comme la cathédrale et surtout le palais épiscopal de Wolvesey qui avait été<br />

construit par Henri de Blois sur le site de l’ancien palais anglo-saxon 344 . Le chantier du<br />

château de Winchester avait ainsi pour fonction d’agrandir les espaces résidentiels pour<br />

pouvoir accueillir les passages de la cour, mais également de rehausser l’image royale<br />

par une architecture somptueuse. L’attention accordée dans les comptes aux types de<br />

matériaux employés (ardoises du Devon, pierre franche (de Caen ?), plomb) suggère<br />

que ceux-ci avaient été soigneusement sélectionnés et importés parfois sur de longue<br />

distances pour donner aux édifices royaux et aux espaces d’apparat un éclat propre à<br />

exalter la magnificence royale.<br />

À Windsor, également, plusieurs entrées dans les pipe rolls indiquent l’origine<br />

des matériaux employés : en 1166, lorsque les travaux commencent, Henri II fait venir<br />

des carrières d’Eglemunt, situées dans les Costwolds, de la pierre de taille (lapidibus<br />

quadri portatis) pour édifier ses appartements (voir chapitre 6) 345 . Il charge son<br />

ingénieur Ailnoth de superviser cet approvisionnement 346 . L’année suivante, il fait venir<br />

du plomb du Northumberland et du bois pour des lambris des forêts du Surrey et en<br />

1168, il est question de peindre les portes et les fenêtres 347 . L’ensemble de ces dépenses<br />

et le soin apporté au choix des matériaux montre bien qu’il s’agissait de faire du château<br />

342<br />

PR 31 H.II, p. 215 : £7 21s. in operatione I talamo in predicto clauso ; PR 32 H.II, p. 178: 26s. 9d. in<br />

operatione cujusdam camera in novo clauso.<br />

343<br />

PR 10 Richard, p. 18 : £34 in reparatione coquine regis in castello Wintonie; PR 2 Jean, p. 191: £30:<br />

in operatione gaiole Wint' et pro camera Regis cooperiando plumbo et pro reparandis mutis Regis.<br />

344<br />

BIDDLE, M. et al. (eds.), Winchester in the Early Middle Ages. An Edition and Discussion <strong>of</strong> the<br />

Winton Domesday, 1976, p. 298-99 : Henri de Blois avait acquis l’ancien palais en 1138 et y fit construire<br />

une tour. Sa destruction par Henri II en 1158 visait donc à détruire l’ancien site de pouvoir anglo-saxon<br />

pour ne laisser que le château normand qu’il aménagea en résidence.<br />

345<br />

PR 12 H.II, p. 11 : 16s. pro XL lapidibus conductibus de Eglemunt ad Windresores ; £8 8s. in<br />

operatione domorum regis de Windresores ; PR 12 H.II, p. 166: £11 3s. 1d.: pro lapidibus quadri portatis<br />

ad Windrelores ad operatione Regis.<br />

346<br />

PR 17 H.II, p. 48: £4 6s. 8d. pro lapidibus ad operatione domorum regis de Windesores per Alnodum;<br />

PR 19 H.II, p. 183: £4 15s. pro Franca petra ad operatione castelli Windesores per visum Alnodi.<br />

347<br />

PR 13 H.II, p. 173 : £10 3s. : pro plumbo ad domos regis de Windesores; p. 203: 26s. 8d. pro scindelis<br />

et lattis ad capella regis de Windesores; PR 14 H.II, p. 1: Herwewini pictor qui pinxit hostia et fenestras<br />

domorum regis de Windreshores.<br />

503


de Windsor non seulement un lieu de villégiature, mais aussi une vitrine de la<br />

monarchie. Situé en aval de Londres, sur la Tamise, l’ancienne résidence anglo-saxonne<br />

de « Old Windsor » avait été le lieu de plusieurs cérémonies royales au XI e siècle, mais<br />

le site est abandonné par Henri I er qui préfère développer le château construit par<br />

Guillaume le Conquérant, situé à proximité (à 3 km au nord-ouest environ) 348 . La<br />

situation géographique de Windsor, sur la vallée de la Tamise ne nécessitait pas<br />

d’importants aménagements défensifs, ce qui permettait de déployer le site pour mettre<br />

en scène la richesse et la puissance royales. Guillaume le Conquérant avait choisi pour<br />

le château l’un des rares sites de hauteur surplombant la Tamise, sans doute dans<br />

l’objectif d’en faire un avant poste pour protéger Londres. Windsor cumulait donc<br />

l’avantage d’être à la fois au bord de l’un des plus grands parcs royaux d’Angleterre et<br />

d’être un site permettant d’exalter les qualités défensives des constructions royales.<br />

Symbole de l’« efficacité militaire », Henri II fait donc ériger un donjon circulaire en<br />

pierre, qu’Edward III remplacera par la Round Tower actuelle (illustration 5.45). À<br />

partir de 1170, près de £900 sont en effet consacrées aux « operatione castelli de<br />

Windlesores » sous la direction de maître Ge<strong>of</strong>froy de Windsor jusqu’en 1178, date à<br />

laquelle il est remplacé par son compagnon Osbert de Eton, qui apparaît dès lors comme<br />

le nouveau maître du chantier 349 . Les travaux incluent à partir de 1172, la construction<br />

des enceintes, puis en 1173 et 1174, le contexte aidant, l’aménagement de la cour<br />

(bayle) et du castrum devient le principal poste de dépenses 350 . Selon Derek Renn, c’est<br />

à Windsor que se seraient développées les premières archères dans les tours carrées du<br />

mur sud 351 . Les dépenses des domorum regis ne réapparaissent cependant pas avant<br />

1181. Sous le règne de Richard, Windsor est devenu une base arrière pour les opérations<br />

militaires entre les partisans du roi et ceux de Jean sans Terre, si bien qu’en 1194, les<br />

dépenses sont affectées à la réparation des dommages causés par le siège de 1193 352 . La<br />

348 ASTILL, G. G., « Windsor in the context <strong>of</strong> medieval Berkshire », dans Windsor : Medieval<br />

Archaeology, Art and Architecture <strong>of</strong> the Thames Valley, 2002, p. 1-14.<br />

349 PR 16 H.II, p. 70: £20 in operatione castelli de Windlesores per visum Galfridi magistri; PR 25 H.II,<br />

p. 87: £20 in operatione castri de Windresores per Osbertum magistrum pers visum Willelmi de<br />

Windresores et Henrici de Pinkinni.<br />

350 PR 18 H.II, p. 16 : £16 40s. in operatione muri circa castellum de Windesores ; PR 19 H.II, p. 68 : £74<br />

7s. 6d. summa denariorum quos idem Ricardus [de Luci] misit hoc anno in operatione predicti castelli de<br />

predicta ballia; PR 21 H.II, p. 137 : £80 : in operatione castri de Windresores. Les enceintes du bayle qui<br />

étaient en bois furent remplacées par des murs en pierre sous Henri III vers 1223-24. JANSEN, V.,<br />

« Henry III's Windsor: Castle-building and Residences », dans Ibid., p. 95-111.<br />

351 RENN, D. F., « Castle fortifications in England and adjoining countries from 1150-1250 », dans Le<br />

château médiéval et la guerre dans l'Europe du Nord-Ouest: mutations et adaptations. Revue du Nord,<br />

1998, p. 53-59.<br />

352 PR 5 Richard, p. 158 : £8 7s. 9d. : pro lapidibus et pro cordis et quarellis et enganiis et targiis et<br />

sulphure et pice dura missis ad predictum exercitum ; PR 6 Richard, p. 256 : in reparatione porte et<br />

504


construction des murs d’enceinte ayant rendus inutiles les fossés qui se trouvaient entre<br />

la motte et la maison du roi, Richard décide de les faire remplir en 1195 353 . La motte est<br />

en revanche conservée et même renforcée par une « colonne » 354 . Les fouilles<br />

archéologiques ont montré que la motte avait été stabilisée par des structures en bois<br />

pr<strong>of</strong>ondément enfoncées dans la butte de terre, sans doute dès le règne d’Henri II, et que<br />

ces structures ont été renforcées par des piliers en pierre 355 . Selon Steven Brindle et<br />

Brian Keer, ceux-ci étaient néanmoins plus esthétiques que fonctionnels. Par la suite, les<br />

dépenses sont essentiellement affectées à l’entretien et à la réparation des bâtiments.<br />

Tous ces aménagements ainsi que ceux qu’Henri III effectuera au cours de son règne<br />

ont contribué à faire de Windsor « l’un des plus beau châteaux », selon Mathieu <strong>Paris</strong>,<br />

dont la splendeur reste inégalée dans toute l’Europe 356 .<br />

Contrairement à Henri II et à Jean, c’est à Londres que Richard a engagé les plus<br />

gros travaux en Angleterre. Si Henri II avait fait aménager et entretenir des<br />

appartements dans la Tour, dès 1167, Richard dépense, en 1190, plus de £2880 pour 49<br />

semaines, au cours desquelles sont reconstruits les anciens murs d’enceinte romains et<br />

des fossés « d’une grande pr<strong>of</strong>ondeur », selon Roger de Hoveden, pour les remplir<br />

d’eau par une dérivation de la Tamise 357 . Le chantier se poursuit au cours des années<br />

1190, sous la direction de Guillaume de Longchamp : il fait réparer les palissades, les<br />

mangonneaux, les fossés « et tout ce qui est nécessaire qui se trouve autour de la Tour<br />

de Londres » 358 . À l’angle sud-ouest des remparts est érigée la Bell Tower attribuée à<br />

Richard et à Jean (voir illustration 5.46). S’agit-il de la tour « sous la tour » de Londres<br />

qui apparaît en 1195 ? 359 À cette date, alors qu’il est rentré, Richard entreprend de faire<br />

pontis et camere et aliarum domorum regis que fracte et combuste fuerant extra castellum regis de<br />

Windresores per werram.<br />

353 PR 7 Richard, p. 250 : £30 pro una columpna facienda et nondum perfecta ad sustentadam motam<br />

castelli de Windlestore et pro claustro regis ibidem reparando et pro fossato prosternendo quod fuit inter<br />

motam et domos regis (…) herbarium regis.<br />

354 RP 8 Richard, p. 9 : 110s. in operatione i columpne perficiende ad sustentandam motam castelli de<br />

Windresores et ad alia perficienda que annotatur in rotulo anni preteriti.<br />

355 BRINDLE, S. et KERR, B., Windsor Revealed. New Light on the History <strong>of</strong> the Castle, 1997, p. 33.<br />

356 MATHIEU PARIS, Flores historiarum, 1890, II, p.481.<br />

357 PR 13 H. II, p. 1 : £74 : in operatione domorum turris Lundonie et domorum regis de Westminester<br />

scilicet Nove Aule et camerare Regine; PR 24 H.II, p. 127: £13 6s. 8d. ad reparationem domorum regis in<br />

Turri Londonie; PR 2 Richard, p. 4: £2880, 21s. 10d. in operatione Turris London de XLIX septimanis<br />

que finiverunt die Sancti Martini ; IMPEY, E. (éd.), The White Tower, 2008, p. 5.<br />

358 PR 5 Richard, p. 141 : £28 : ad operationem paliciorum et mangunellorum et aliorum necessariorum<br />

circa Turrim Londonie; p. 132: £67 2s. 6d. in operatione et reparatione eiusdem Turris in paliciis et<br />

mangunellis et fossatis emendandis. Selon Mathieu <strong>Paris</strong>, cependant, Longchamp échoua à remplir les<br />

douves du château. cité par IMPEY, E. et PARNELL, G., The Tower <strong>of</strong> London : the <strong>of</strong>ficial illustrated<br />

history, 2000, p. 22.<br />

359 PR 4 Richard, p. 301 : £20 : ad operatione turris de Lond' infra eandem turrim.<br />

505


couvrir les toits des maisons de la Tour, sans doute davantage pour les protéger des<br />

intempéries que leur donner de l’éclat car en 1197, il faut à nouveau faire réparer toutes<br />

les « choses indigentes » 360 . Puis, en 1211, Jean fait venir sept carretata de plomb pour<br />

les travaux de la tour 361 . Richard a donc surtout renforcé les principaux centres<br />

« administratifs » du pouvoir. Le donjon d’Oxford, les châteaux de Salisbury, Lincoln et<br />

York ont ainsi bénéficié de quelques subsides visant souvent à rehausser et amplifier les<br />

constructions, pour en faire le digne support de la puissance royale.<br />

360 PR 7 Richard, p. 113 : £35 12s. : ad cooperiendas domos Turris Lundonie ; PR 9 Richard, p. 156: £24<br />

in reparatione domorum Turris London et aliarum rerum que reparatione indigent.<br />

361 PR 13 Jean, p. 108 : £9 13s. 8d. et ob pro VII carrettatis plumbi ad emendationem turris Londonie cum<br />

carucagio.<br />

506


2.2.2- Mettre en scène la puissance royale dans le paysage : les forteresses comme<br />

support d’un message politique<br />

Les forteresses comme « paysage seigneurial » (landscape <strong>of</strong> lordship)<br />

De même que les études sur la « chorographie » et la disposition hiérarchique<br />

des bâtiments des châteaux ont contribué à renouveler l’approche symbolique des<br />

châteaux 362 , de même, l’analyse des sites, de la topographie et de l’inscription du<br />

château dans un paysage a conduit des auteurs comme Robbert Liddiard et Oliver<br />

Creighton à reconnaître que les châteaux ont été les instruments « d’une manipulation<br />

du paysage à large échelle dans un but idéologique » 363 . Tout d’abord l’inscription dans<br />

le paysage des sites castraux ne constituait véritablement un mode de contrôle de<br />

l’espace qu’à partir du moment où les rapports entre château et paysage se sont traduits<br />

par la nouvelle polarisation que celui-ci entraînait et ses conséquences dans<br />

l’organisation du peuplement autour du castrum 364 . Dominer l’espace par les châteaux<br />

impliquait en effet de pouvoir mieux contrôler les populations des territoires. Olivier<br />

Creighton reprend ainsi à son compte le concept d’incastellamento et tente de saisir<br />

dans quelle mesure il peut également s’appliquer dans certains cas à l’Europe du Nord-<br />

Ouest 365 . On a vu, par exemple, que la construction d’un nouveau château par Richard à<br />

Saint-Remy sur la Creuse, s’était accompagnée d’une charte de franchise qui contribue<br />

à faire de Saint-Rémy un pôle concurrent de Châteaudun (voir chapitre 2) 366 . De même,<br />

la mise en chantier de Château Gaillard s’était accompagnée de la création d’une<br />

villeneuve (la Couture). Cette polarisation avait des conséquences importantes pour le<br />

financement les constructions, dans la mesure où les chantiers des châteaux d’Orford et<br />

de Douvres, par exemple, se sont accompagné de la création d’une ferme royale, c’est à<br />

362 DIXON, P., « The donjon <strong>of</strong> Knaresborough : the castle as theatre », Château Gaillard, 14: Etudes de<br />

castellologie médiévale (1988), p. 121-139; DIXON, P., « The myth <strong>of</strong> the keep », dans The seigneurial<br />

residence in Western Europe, AD c800-1600, 2002, p. 9-14; MARSHALL, P., « The ceremonial function<br />

<strong>of</strong> the dunjon in the twelfth Century », dans Château Gaillard, 20: Etudes de castellologie médiévale,<br />

2002, p. 141-151; HICKS, L. V., « Magnificient entrances and undignified exits: chronicling the sybolism<br />

<strong>of</strong> castle space in Normandy », J.M.H., 35: 1, p. 52-69.<br />

363 LIDDIARD, R., Landscapes <strong>of</strong> Lordship. Norman castles and the countryside in medieval Norfolk,<br />

1066-1200, 2000, p. 20-43.<br />

364 Sur ce point, voir notamment CREIGHTON, O. H., Castles and Landscapes. Power, Community and<br />

Fortification in Medieval England, 2002.<br />

365 CREIGHTON, O. H., Castles and Landscapes. Power, Community and Fortification in Medieval<br />

England, 2002; LIDDIARD, R., « Castle Rising, Norfolk: a 'Landscape <strong>of</strong> Lordship'? », dans A.N.S.,<br />

1999, p. 169-186 p. 23 : reprend le terme sans citer TOUBERT, P., Les structures du Latium médiéval. Le<br />

Latium méridional et la Sabine du IXe siècle à la fin du XIIe siècle, 1973.<br />

366 CHERRIER, N., « Châteaux, frontières et espaces forestiers à l’est du Poitou du Xe au début du XIIe<br />

siècle », dans Château Gaillard. 2: Études de castellologie européenne, 1966, p. 45-52.<br />

507


dire de la formation d’une communauté fiscale de laquelle étaient prélevées des tailles<br />

permettant de financer les constructions (voir chapitre 6) 367 . En outre, le monopole que<br />

les seigneurs avaient sur les infrastructures manoriales faisait souvent du château le seul<br />

lieu où l’accès à l’étang, au moulin, au four, etc. était possible. Ceux-ci pouvaient alors<br />

être disposés autour du château de manière à le mettre en valeur. Au-delà de la<br />

polarisation de l’espace social consécutive à l’installation de châteaux, dans quelle<br />

mesure la topographie des sites a-t-elle également été manipulée pour exprimer cette<br />

domination sociale et spatiale ?<br />

Tout d’abord, comme à Knaresborough, les travaux des Plantagenêt ont souvent<br />

concerné en premier lieu le terrassement des sites. Creuser des fossés et rehausser des<br />

mottes participait alors à matérialiser l’idée de la supériorité sociale du seigneur. Les<br />

fouilles menées à York au début du XX e siècle ont ainsi montré que le donjon du XII e<br />

siècle avait été reconstruit sur une motte rehaussée par rapport à celle qu’avait fait<br />

élever Guillaume le Conquérant (illustration 5.47) 368 . Les dépenses enregistrées dans les<br />

pipe rolls en 1190 et 1191 indiquent en effet que la motte autant que le castellum ont été<br />

transformés 369 . C’est également le cas des travaux de Newcastle-under-Lyme et de<br />

Portsmouth, qui datent des mêmes années et dont l’objectif était de renforcer le fossé du<br />

château et de réparer la palissade des demeures 370 . À Mortain, en Normandie, l’essentiel<br />

des dépenses sont affectées à la création de fossés devant la aula et la tour et autour du<br />

castrum et de son église 371 . Le château a aujourd’hui disparu mais le site présente un<br />

caractère dramatique que met en valeur la gravure de L. Lhuillier (illustration 5.48).<br />

Corfe constitue aussi un exemple symptomatique de la mise en valeur dramatique du<br />

site d’un château. En reprenant les aménagements de la demeure du château dans<br />

laquelle Richard n’avait investi que £24, Jean contribuait à faire de Corfe l’un des<br />

châteaux les plus saisissants du sud de l’Angleterre (voir illustration 5.49) 372 . Sous son<br />

règne, le chantier se déploie vers l’ouest, c'est-à-dire vers le coté abrupt de la butte sur<br />

367 PR 33 H.II, p. 210-211: la ferme de Douvres tenue par le shérif du Kent, Alan de Valeneis s’élevait à<br />

£352 4s. 8d. tandis qu’à Orford, le chantier est financé à partir de les coutumes des navires et de la villa<br />

d’Orford dès 1166, PR 13 H.II, p. 34.<br />

368 COLVIN, H. M.; BROWN, R. A. et TAYLOR, A. J., The History <strong>of</strong> the King's Works, 1963, I, p. 889.<br />

369 PR 2 Richard, p. 59 £179 3s. 4d. in operatione mote et castelli de Everwich.<br />

370 PR 2 Richard, p. 16: 30s. pro fossato prediticti castelli emendando et domibus et palitio reperando;<br />

PR 6 Richard, p.6: £23 11s. 6d. in operatione fossatorum circa domos regis apud Portesmudam.<br />

371 MRSN, II, p. 548 : £a95 15s. pro quodam fossato faciendo ante aulam eiusdem castri ; £a 250 9s. pro<br />

quodam fossato faciendo ante turrim eiusdem castri; £a 164 16s. pro quodam fossato faciendam circam<br />

monasterium castri de Moreto; £a 291 15s. pro quodam fossato faciendo circa castrum Moretonie ; £a24<br />

17s. pro quodam fossato faciendo ante Rocarium.<br />

372 CREIGHTON, O. H., Castles and Landscapes. Power, Community and Fortification in Medieval<br />

England, 2002.<br />

508


laquelle un donjon carré avait été implanté par Guillaume le Conquérant. Jean fait ériger<br />

les enceintes de la cour ainsi qu’une tour polygonale à l’extrémité de l’éperon 373 . Cette<br />

tour, connue sous le nom de Butavant Tower au Moyen Âge, explicite assez bien les<br />

présupposés de sa construction : défier autant qu’impressionner les attaquants<br />

potentiels. Cependant, une part importante des dépenses reste consacrée à la<br />

construction des demeures royales (£297 contre £360 pour le castellum), un aspect qui<br />

suggère que le chantier de Corfe avait une fonction moins militaire que de mise en<br />

scène de la résidence royale. Par ailleurs, Corfe était une prison importante ainsi que<br />

l’un des châteaux destinés à abriter une partie du trésor royal.<br />

On pourrait rapprocher le choix de réhabiliter Corfe avec celui de Moulineaux.<br />

La vieille tour de Robert le Diable, qui se trouvait dans un méandre de la Seine en aval<br />

de Rouen, n’avait plus de fonction défensive vis-à-vis de Rouen à la fin du XII e siècle,<br />

puisque la menace ne venait pas, à cette date, de l’embouchure du fleuve. Une tradition<br />

raconte toutefois que Moulineaux et la Roche d’Orival étaient reliés par un souterrain de<br />

5 à 6 km, qui aurait fait de Moulineaux un arrière poste pour approvisionner la Roche<br />

d’Orival, qui se trouvait en amont de Rouen sur la Seine 374 . Richard investit près de<br />

£ a 300 pour réaffecter le site, transformant la place forte en véritable complexe<br />

résidentiel que Jean occupe à maintes reprises (au moins 16 fois) 375 . En 1195, les<br />

travaux concernent surtout le castrum, mais en 1198, il s’agit de construire les demeures<br />

royales, de réparer et de recouvrir la chapelle 376 . Le choix d’un plan rectangulaire,<br />

comme à Douvres, suggère que la fonction du château avait principalement pour but de<br />

marquer le paysage de sa monumentalité (illustrations 5.50).<br />

Plus que le donjon lui même, c’est souvent l’enceinte qui donnait au site sa<br />

monumentalité. Celle-ci est d’ailleurs longtemps considérée comme une évolution<br />

importante de la seconde moitié du XII e siècle, allant de pair avec l’évolution de la<br />

poliorcétique 377 . À Chinon, c’est en effet l’enceinte plus que le donjon qui domine la<br />

vallée de la Vienne. Chinon est choisi dès le début du règne d’Henri II pour devenir le<br />

principal siège du pouvoir en Anjou. Le site avait en effet l’avantage d’être perché sur<br />

un éperon rocheux d’une longueur de près de 400 m dominant la rivière. Les fouilles<br />

373<br />

COLVIN, H. M.; BROWN, R. A. et TAYLOR, A. J., The History <strong>of</strong> the King's Works, 1963, p. 619.<br />

374<br />

HOUDIN, R., Orival : forteresse médiévale de la Roche-Fouet de l'origine à nos jours, 2000.<br />

375<br />

MRSN, I, p. 134, 137-38 ; II, p. 459. Il est difficile de savoir combien exactement fut affecté à<br />

Moulineaux car la plupart des dépenses concernent à la fois Moulineaux et Orival.<br />

376 a<br />

MRSN, II, p. 459 : £ 44 12s. in operationibus domorum de Molinelle et capelle reparandam et<br />

recooperandam.<br />

377<br />

HÉLIOT, P., « L’évolution du donjon dans le nord-ouest de la France et en Angleterre au XIIe siècle<br />

», Bulletin archéologique du CTHS, 5 (1969), p. 141-194.<br />

509


archéologiques ont montré que les enceintes étaient le résultat des campagnes de<br />

travaux menées par Henri II, ainsi que l’ensemble du fort Saint-Georges et du château<br />

« majeur » contenant la tour du Trésor. Richard ne s’étant vraisemblablement limité à<br />

qu’à renforcer les fortifications préexistantes avec en particulier la construction des<br />

tours à « talus angevin » (voir infra) et la reprise de l’entrée du château « majeur »<br />

(illustrations 5.51) 378 . Selon Stéphane Rocheteau, l’enceinte de Chinon peut être<br />

rapprochée de celles construites à Douvres et à Gisors à la même époque, où encore à<br />

Fougères. Selon Christophe Amiot, les fouilles archéologiques ont montré qu’un<br />

nouveau château est reconstruit à Fougères (incluant la seconde enceinte et le logis) sur<br />

des vestiges antérieurs à 1166, et qu’il comporte des vestiges toujours visibles. Robert<br />

de Torigni date la reconstruction du château en 1173 :<br />

Raoul de Fougères, agent infidèle, appelé par le roi qui réunissait les<br />

barons bretons, ne voulut pas obéir, alors que le château de Fougères,<br />

que le roi avait fait autrefois détruire, commençait à être<br />

reconstruit. 379<br />

Certains détails d’influence Plantagenêt ont retenu l’attention des archéologues,<br />

en particulier la reprise d’archère à niche, les meurtrières à étrier et la galerie infra-<br />

murale dont l’usage est attesté pendant la seconde moitié du XII e siècle, comme à<br />

Douvres, entre autre 380 . Le château de Fougères aurait-il donc été reconstruit avec l’aide<br />

des Plantagenêt ? Pour Michel Brand’honneur, cette hypothèse est probable dans la<br />

mesure où la reconstruction correspond à peu près aux années qui voient la nomination<br />

de Raoul de Fougères au poste de sénéchal de Bretagne, vers 1184, à moins qu’elles ne<br />

soient liées aux relations tissées entre Raoul et Richard, dès 1164. Le roi y séjourne<br />

également en 1195, ce qui pourrait également constituer une date en lien avec la<br />

reconstruction du château 381 . Selon Michael Jones, à la fin du XII e siècle, nombre de<br />

seigneurs bretons se mettent, en effet, à reconstruire leurs châteaux à une échelle<br />

378 ROCHETEAU, S., « Le château de Chinon aux XIIe et XIIIe siècles », dans La cour Plantagenêt,<br />

1154-1204, 2000, p. 315-352 ; En 1195, Richard demande en effet à Guillaume Poignard, Roger de Saint-<br />

Edmund et Richard de Biewerre d’utiliser £a 1600 des £a1700 qui reste du paiement des hommes qui se<br />

sont engagé dans les batailles de Tuboeuf et Le Vaudreuil aux travaux du roi à Chinon dirigés par Maitre<br />

Philippe Richard, clerc ; PR 7 Richard, p. 171.<br />

379 TORIGNI, II, p. 42 : Radulfus de Fulgeriis infideliter agens, vocatus a rege, parere noluit, sed<br />

castellum de Fulgeriis, quod ipse rex prius destruxerat, caept reaedificare.<br />

380 AMIOT, C., « Nouvelles observations sur le logis du château de Fougères en Bretagne », MSHAB, 78<br />

(2000), p. 401-435 ; BRAND'HONNEUR, M., Manoirs et châteaux dans le comté de Rennes, 2001, p.77-<br />

79.<br />

381 BRAND'HONNEUR, M., « Seigneurs et réseaux de chevaliers du nord est Rennais sous Henri II<br />

Plantagenêt », dans Noblesses de l'espace Plantagenêt, 1154-1224, 2001, p. 165-184.<br />

510


désormais plus impressionnante 382 . Au-delà de la monumentalité, qui est donc un<br />

phénomène courant à cette date, quels sont donc les détails architecturaux relevés par<br />

les archéologues qui permettent d’identifier une certaine mise en œuvre comme<br />

spécifiquement « Plantagenêt » ?<br />

Les « innovations » techniques des constructions Plantagenêt ou l’architecture<br />

comme expression des valeurs chevaleresque<br />

Selon Jean Mesqui et Marie-Pierre Baudry, les châteaux des Plantagenêt<br />

présentent des caractéristiques architecturales qui les distinguent des autres<br />

constructions contemporaines et qui permettent ainsi de les identifier. Les conclusions<br />

du colloque de Poitiers en 2000 consacré à cette question soulignent l’idée que la<br />

période du règne d’Henri II et de ses fils constitue une phase d’expérimentation visant à<br />

améliorer le potentiel défensif des sites 383 . L’introduction dans les années 1160 de toute<br />

une série d’innovations a ainsi retenu l’attention des archéologues : les tours de<br />

flanquement, d’une part, d’abord rectangulaires, sur modèle dit « anglais » (Douvres,<br />

Gisors), puis semi-circulaires pleines (Loches, Poitiers, Niort, Talmont), circulaires<br />

(Château Gaillard, Chinon, Arques, Falaise), voire polygonales ; la forme des archères<br />

d’autre part, lorsqu’elles étaient pourvues d’étriers à la base de la fente et de croisillons<br />

perpendiculaires augmentant la capacité de tir des archers mais fragilisant l’architecture<br />

des tours 384 . Le motif du « talus angevin » a également été signalé comme un trait<br />

significatif de cette architecture. Il s’agit d’un pr<strong>of</strong>il de tour à base rectangulaire qui<br />

s’élève en pans coupés pour former un plan circulaire au sommet et que l’on retrouve<br />

aussi bien à Chinon, qu’à Douvres, Niort, Château Gaillard et à la Bell Tower à<br />

Londres 385 . Ces édifices datant du règne de Richard, la question de l’influence des<br />

382 JONES, M., « The defence <strong>of</strong> medieval Britany: a survey <strong>of</strong> the establishment <strong>of</strong> fortified town, castle<br />

and frontiers form the gallo-roman period to the end <strong>of</strong> Middle Ages », The Archaeological Journal, 132<br />

(1981), p. 149-204, Outre l’exemple paradigmatique de Fougères, Michael Jones cite entre autre les cas<br />

du château de Lehon, de Clisson, de Chateaubriand et de Vitré.<br />

383 BAUDRY, M.-P. et al. (eds.), Les fortifications dans les domaines Plantagenêt, XIIe-XIVe siècles.<br />

Actes du colloque international tenu à Poitiers, les 11-13 novembre 1994, 2000; BAUDRY, M.-P., Les<br />

fortifications des Plantagenêts en Poitou, 1154-1242, 2001 ; BAUDRY, M.-P., « La politique de<br />

fortification des Plantagenêt en Poitou 1154-1242 », dans A.N.S., 2002, p. 43-70 ; MESQUI, J., Châteaux<br />

et enceintes de la France médiévale : de la défense à la résidence. 1, Les organes de la défense, 1991.<br />

384 BAUDRY, M.-P., « La politique de fortification des Plantagenêt en Poitou 1154-1242 », dans A.N.S.,<br />

2002, p. 43-70 ; RENN, D. F., « Plantagenet Castle-Building in England in the Second Half <strong>of</strong> the<br />

Twelfth Century », dans Les Fortifications dans les domaines Plantagenêt, XIIe-XIVe siècles, 2000, p.<br />

15-22 ; MESQUI, J., « Les tours à archères dans le domaine Plantagenêt français 1160-1205 », dans Ibid.,<br />

p. 77-88 ; BAUDRY, M.-P., « Les premières tours à archères dans les châteaux Plantagenêt (1160 -<br />

1190) », dans Cinquante années d'études médiévales à la confluence de nos disciplines, 2005, p. 71-108.<br />

385 BAUDRY, M.-P., « La politique de fortification des Plantagenêt en Poitou 1154-1242 », dans A.N.S.,<br />

2002, p. 43-70.<br />

511


constructions croisées en Orient a été plusieurs fois débattue 386 . L’idée que toutes ces<br />

innovations étaient liées à l’évolution de la poliorcétique et de l’armement est<br />

aujourd’hui largement remise en question et leur « inutilité » démontrée par plusieurs<br />

expérimentations. Les interprétations se sont donc orientées vers l’idée qu’elles avaient<br />

principalement une fonction décorative 387 . La surenchère formelle visait donc<br />

essentiellement à mettre en scène et à justifier la fonction militaire de la classe<br />

dominante alors en pleine restructuration autour des valeurs chevaleresques 388 . La figure<br />

de Richard et sa capacité à incarner ces valeurs aux yeux de ses contemporains ne sont<br />

sans doute pas sans lien avec la volonté d’insister sur de tels détails architecturaux.<br />

L’utilisation des techniques les plus perfectionnées et leur valorisation constituaient<br />

ainsi un véritable langage du pouvoir faisant de l’architecture un support de la<br />

communication politique du prince. Marie-Pierre Baudry caractérise cette capacité<br />

d’innovation incessante comme précisément caractéristique de l’architecture des<br />

Plantagenêt par opposition à celle des Capétiens, valorisant plutôt la fixité du plan<br />

circulaire devenu le symbole de leur pouvoir, à l’image de la tour du Louvre 389 . C’est en<br />

ce sens que l’on peut alors interpréter l’érection des tours rondes, que Philippe Auguste<br />

fait accoler aux donjons normands conquis sur les Plantagenêt 390 . Par son symbolisme et<br />

son ostentation, l’architecture apparaît ainsi comme un véritable instrument de pouvoir,<br />

propre à véhiculer un message idéologique. Au-delà des motifs décoratifs, la forme<br />

polygonale des tours qui se retrouve dans nombre des constructions Plantagenêt a<br />

également été interprétée comme un motif symbolisant la nature impériale de leur<br />

pouvoir.<br />

Les tours polygonales comme symbole de la domination Plantagenêt<br />

386<br />

DESCHAMPS, P., Les Châteaux des Croisés en Terre Sainte, 1977; KENNEDY, H. N., Crusader<br />

castles, 1994; NICOLLE, D., Crusader castles in the Holy Land, 2005 ; FAUCHERRE, N. et al., La<br />

fortification au temps des croisades. Actes du colloque international organisé du 26 au 28 septembre<br />

2002 au palais des Congrès de Parthenay, 2004.<br />

387<br />

BAUDRY, M.-P., « La politique de fortification des Plantagenêt en Poitou 1154-1242 », dans A.N.S.,<br />

2002, p. 43-70.<br />

388<br />

FLORI, J., Chevalerie et idéologie chevaleresque étude de la formation du concept de chevalerie<br />

jusqu'au début du XIIIe siècle, 1978; FLORI, J., Chevaliers et chevalerie au Moyen âge, 2008, voir aussi<br />

BARTHÉLEMY, D., La chevalerie. De la Germanie antique à la France du XIIe siècle, 2007.<br />

389<br />

BAUDRY, M.-P., « Les châteaux des Plantagenêts et des Capétiens: combats et imitations », dans<br />

Plantagenêts et Capétiens: Confrontations et Héritage, 2006, p. 319-358.<br />

390<br />

ERLANDE-BRANDENBURG, A., « L'architecture militaire au temps de Philippe Auguste : Une<br />

nouvelle conception de la défense », dans La France de Philippe Auguste: le temps des mutations, 1982,<br />

p. 595-603.<br />

512


De même que le donjon d’Orford, le château d’Henri II dans le Suffolk, les tours<br />

de Tickhill, Odiham, Chilham et Corfe construites par Jean (illustration 5.52),<br />

présentent un pr<strong>of</strong>il polygonal avec des tours murales. Selon T.A. Heslop, cette forme<br />

n’était pas le produit d’une volonté d’améliorer techniquement la défense des donjons<br />

dans la mesure où elle n’avait pas plus d’avantages que la forme rectangulaire, sur un<br />

plan défensif 391 . D’ailleurs, la sophistication de l’aménagement des espaces résidentiels<br />

suggère que c’est là que résidait la principale préoccupation du constructeur. Entre 1165<br />

et 1185, plus de £1450 sont en effet dépensées à Orford, pour construire la tour et son<br />

enceinte mais aussi pour y aménager des appartements. Pourtant Orford, qui devient le<br />

siège des agents royaux dans le Suffolk, ne fut pratiquement jamais visité par le roi. En<br />

analysant plus précisément la géométrie d’ensemble, T.A. Heslop en conclut que la<br />

construction de l’édifice reposait sur la maîtrise de principes mathématiques et sur une<br />

culture antique, qui transparaît dans l’agencement général et dans le détail des portes et<br />

des fenêtres, tel que le motif du linteau sous une arche semi-circulaire, fréquent dans les<br />

fortifications antiques. Moins que des exigences militaires, l’architecture d’Orford<br />

aurait ainsi été principalement inspirée de la mode des palais anciens, connue dans<br />

l’Angleterre du XII e siècle par les récits de voyages et de pèlerinages en Terre Sainte.<br />

En cela, l’architecture d’Orford était porteuse de l’image d’une royauté antique et<br />

impériale et de la Romanitas. Le site d’Orford, qui faisait face à la mer, donnait ainsi à<br />

voir cette image de la royauté anglaise non seulement sur les terres baronniales les plus<br />

insoumises, mais aussi aux potentiels « envahisseurs ».<br />

L’interprétation proposée par T.A. Heslop appartient à une historiographie<br />

récente de l’histoire des châteaux, qui, suivant le renouvellement symboliste, cherche à<br />

replacer l’architecture dans son contexte culturel et littéraire en faisant le lien entre les<br />

formes, le savoir et les représentations des maîtres d’œuvre, qu’ils soient d’ordre<br />

scientifique (traités de mathématiques) ou littéraires (thème arthurien et translatio<br />

imperii). Abigail Wheatley qui a mené ses recherches sur le lien entre architecture et<br />

contexte culturel, a également proposé de voir des connotations impériales non<br />

seulement dans la forme du château mais aussi dans l’emploi des matériaux et leur<br />

utilisation 392 . Les bandages polychromes visaient ainsi à rappeler la maçonnerie<br />

caractéristique de l’architecture romaine qui était connue et identifiée comme telle en<br />

Angleterre. Les remplois de matériaux n’avaient donc pas qu’une fonction économique :<br />

391<br />

HESLOP, T. A., « Orford castle, nostalgia and sophisticated living », Architectural History, 34 (1991),<br />

p. 36-58.<br />

392<br />

WHEATLEY, A., The Idea <strong>of</strong> the Castle in Medieval England, 2004.<br />

513


ils visaient aussi à souligner les affinités entre les deux architectures et à évoquer la<br />

translatio imperii à travers les transferts de matériaux. De telles interprétations étaient<br />

encouragées par la lecture des textes littéraires qui associaient le château aux formes<br />

architecturales anciennes et aux sources matérielles de la culture romaine.<br />

Dans cette perspective on comprend mieux pourquoi cette forme polygonale a<br />

été abondamment utilisée jusqu’au milieu du XIII e siècle, puis ensuite délaissée. À<br />

Gisors, par exemple, Henri II fait remanier les murs de la chemise et rehausser la tour de<br />

Guillaume le Roux pour leur donner un pr<strong>of</strong>il polygonal (illustration 4.14) 393 . À ce titre,<br />

la comparaison entre Orford et Gisors dont les chantiers sont contemporains (1160-70)<br />

proposée par Alan R. Brown est pertinente, bien que ses interprétations militaristes<br />

soient aujourd’hui dépassées 394 . Jean diffuse largement le modèle du donjon polygonal<br />

en Angleterre. Odiham, qu’il érige entièrement à partir de 1207 constitue d’ailleurs<br />

l’une de ses principales constructions. Elle apparaît cependant dans les pipe rolls surtout<br />

comme un chantier résidentiel, car il y est principalement question des travaux des<br />

domorum regis 395 . Ces enregistrements, ainsi que la localisation d’Odiham dans les<br />

marges des forêts du Hampshire, loin des zones de conflits, confirment la fonction<br />

fondamentalement symbolique de la forme polygonale du donjon, propre à véhiculer un<br />

imaginaire impérial associé à la domination royale des Plantagenêt (illustration 5.53).<br />

Que l’architecture des châteaux ait été le support d’un message à la fois social<br />

(la domination seigneuriale) et politique (la royauté impériale) ne constitue pas une<br />

nouveauté en soi, mais la pétrification des institutions constitue sans doute le<br />

phénomène le plus paradigmatique de la période féodale. La densification des<br />

constructions à la fois ecclésiales et castrales pour former un véritable maillage<br />

territorial capable d’encadrer les populations au niveau le plus local reflète les<br />

pr<strong>of</strong>ondes transformations de l’Occident à cette période. L’érection des châteaux et<br />

leurs évolutions morphologiques peuvent être en effet comparées au phénomène de<br />

monumentalisation de l’Église, qui entreprend à partir des X e -XI e siècles, de se donner<br />

393<br />

MESQUI, J., « Le château de Gisors au XIIe et XIIIe siècle », Archéologie médiévale, 20 (1990),<br />

p. 257-317, voir chapitre 4, pour le contexte.<br />

394<br />

L’essentiel des dépenses pour Orford sont enregistrées sur les pipe rolls des années 1165-1167 : en<br />

trois ans, plus de £1000 sont déjà dépensées.<br />

395<br />

PR 9 Jean, p. 188 : £39 1d. in operatione domorum regis de Odiham et fossatorum ; PR 10 Jean,<br />

p. 61 : £274 7s. 6d. in operatione domorum regis de Odiham ; PR 11 Jean, p. 142 : £386 10s. 10d. in<br />

operatione domorum regis de Odiham ; PR 12 Jean, p. 122: £452 5s. in operatione castri et domorum de<br />

Odiham et Wudestoche et in custo posito in equis regis per plura tempora (scilicet in equis IX li et XIX s.<br />

et VI d. et ob).<br />

514


une forme architecturée, un cadre monumental capable de personnifier l’institution, « au<br />

point que l’évocation du seul bâtiment suffise à évoquer le mystère constitutif de<br />

l’assemblée » 396 . En témoigne la vague des reconstructions systématiques d’églises par<br />

les Normands et les Anglais aux XI e et XII e siècles 397 . La question de la visibilité est<br />

alors ce qui apparaît comme l’enjeu central de l’épistémè qui se met en place autour de<br />

1200 398 . Le visible devient en effet le mode d’accès aux mystères des espèces, par<br />

essence invisibles, et par conséquent le nouveau socle du pacte de la croyance et de la<br />

foi chrétienne, telles que redéfinies par le mouvement grégorien. De même que pour<br />

l’Église/église, l’architecture castrale fonde et perpétue la légitimité du pouvoir princier<br />

en le montrant et en mettant en scène la nature de sa domination 399 .<br />

396<br />

IOGNA-PRAT, D., La maison Dieu, 2006, p. 317-323.<br />

397<br />

FERNIE, E. C., The Architecture <strong>of</strong> Norman England , 2000.<br />

398<br />

RECHT, R., Le croire et le voir: l'art des cathédrales, XII-XVe siècle, 1999, notamment le chapitre 3<br />

(p. 97-145).<br />

399<br />

RENOUX, A., « Les fondements architecturaux du pouvoir princier en France (fin IXe - début XIIIe<br />

siècle) », dans Les Princes et le Pouvoir au Moyen Âge. Actes du XXIIIe congrès de la SHMESP, 1993,<br />

p. 167-194.<br />

515


Conclusion du chapitre<br />

Ce chapitre sur le rôle des itinéraires et des résidences dans la territorialisation<br />

du pouvoir Plantagenêt a donc tenté de montrer tout d’abord comment la mobilité et la<br />

dispersion du corps du roi ont contribué à former des espaces identitaires, articulant la<br />

mémoire des lieux, (loci des saints) et la mémoire royale, par son association au culte<br />

des reliques ou par sa propre sacralisation. Alors que pour Henri II, seule la personne<br />

royale a la capacité à faire tenir ensemble les territoires de l’empire, Richard met en<br />

œuvre une conception de l’empire plus globale. Moins que la personne même du roi,<br />

c’est ce qu’elle incarne qui fait réellement le lien : que ce soit une communauté de<br />

valeurs (la chevalerie), le fait de partager une culture et des mythes communs (la figure<br />

du roi Arthur), ou encore l’adhésion à la sacralité de son corps. Tout est en place à partir<br />

du règne de Richard pour que la notion de la majestas du roi coïncide avec son<br />

imperium. L’évolution du cérémonial de couronnement au cours de la période est sans<br />

doute la preuve la plus évidente des mutations que subit l’autorité royale, renforcée par<br />

la sanctification de la fonction au cours du XII e siècle, la sacralisation du corps du roi et<br />

la ritualisation des cérémonies l’exaltation de sa gloire 400 . L’émergence de la<br />

souveraineté du pouvoir résulterait, en ce sens, de la dépersonnalisation du lien<br />

territorial entre le prince et sa principauté et son insertion dans une économie du règne,<br />

articulant la gloire divine et le gouvernement des hommes 401 .<br />

Le gouvernement royal apparaît alors comme l’ensemble des dispositifs visant à<br />

organiser politiquement l’absence et l’invisibilité du roi, centre mobile de son royaume.<br />

L’organisation administrative de l’itinérance royale et son institutionnalisation<br />

constituent donc pleinement à cette date un mode de gouvernement, qui contient en lui<br />

sa propre croissance : alors que les déplacements royaux découlaient initialement des<br />

besoins de la cour, l’administration de la mobilité royale contribua à accroître le<br />

personnel et la machine gouvernementale des Plantagenêt. Quant à la question de la<br />

visibilité du pouvoir en l’absence de la personne du roi, la réponse apportée au XII e<br />

siècle – en même temps que la mise en place d’un maillage d’<strong>of</strong>ficiers parcourant le<br />

territoire du royaume (shérifs, juges royaux et sénéchaux) – s’est traduite par la mise en<br />

400 KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen âge, 2000<br />

[1957]; KANTOROWICZ, E. H., Laudes Regiae. Une étude des acclamations liturgiques et du culte du<br />

souverain au Moyen Âge, 2004.<br />

401 AGAMBEN, G., Homo Sacer II.2 Le règne et la gloire. Pour une généalogie théologique de<br />

l'économie et du gouvernement, 2008.<br />

516


œuvre des vastes chantiers de construction visant à pérenniser dans l’espace et sur le<br />

territoire l’image monumentale de la puissance royale. En ce sens, palais et châteaux<br />

constituaient autant de moyens de contrôle du territoire : les demeures de villégiature<br />

permettant au roi d’exercer sa domination sur l’espace par la pratique de la chasse, et les<br />

fortifications de marquer le paysage de la puissance et de « l’idéologie » royale. Les<br />

sites royaux, en conjuguant plusieurs fonctions (résidentielle, militaire, symbolique)<br />

constituèrent, au moins en Angleterre et en Normandie, un véritable réseau de lieux<br />

dont l’articulation et la polarisation croissante ont contribué à territorialiser le pouvoir<br />

du roi. Au début du XIII e siècle, la multiplicité des lieux de pouvoir et la dispersion des<br />

fonctions symboliques et capitales restent néanmoins la règle. Ce n’est en effet pas<br />

avant la fin du XIV e siècle, lorsque la concentration des pouvoirs en un centre<br />

« capital » ne nécessite plus d’allier conquête du territoire et villégiature, que la<br />

construction politique du territoire peut être considérée comme en partie achevée 402 .<br />

Mais, plus encore que la simple présence des palais et châteaux royaux, leur<br />

construction même a constitué un moment crucial de la prise de possession du territoire.<br />

Parce qu’ils s’inséraient dans un environnement économique et social, les chantiers de<br />

construction des Plantagenêt ont en effet contribué à la maîtrise d’un espace<br />

économique « impérial », articulant plusieurs échelles, à la fois locales et globales.<br />

402 THEIS, V., « Les stratégies d’implantation palatiale dans la région d’Avignon de Jean XXII à Clément<br />

VI (1316-1352) », dans Les palais dans la ville. Espaces urbains et lieux de la puissance publique dans la<br />

Méditerranée médiévale, 2004, p. 165-187 montre comment l’implantation de résidences pontificales et<br />

leur organisation en un réseau contribua à la territorialisation du pouvoir des papes en Comtat Venaissin.<br />

517


Chapitre 6<br />

Économies du territoire<br />

Les ressources humaines et matérielles<br />

des chantiers et leur circulation dans<br />

l’espace de l’empire<br />

La formation d’un espace politique à travers le contrôle de plus en plus<br />

systématique des lieux de pouvoir, par leur confiscation, par leur instrumentalisation ou<br />

encore par leur manipulation architecturale a été un objectif central du gouvernement<br />

des Plantagenêt depuis le milieu du XII e siècle. Cette prise de possession du territoire<br />

par l’action princière aurait pu rester d’ordre purement symbolique si elle ne s’était<br />

accompagnée d’une présence concrète et permanente d’agents du pouvoir, assurant<br />

localement la pérennité de l’action royale. Au-delà des <strong>of</strong>ficiers de la maison du roi, qui<br />

étaient généralement des membres de l’aristocratie (sénéchaux, procurateurs, shérifs,<br />

etc.), Henri II, à l’instar de son grand-père, est connu pour avoir favorisé l’ascension<br />

sociale, par le service du roi, des franges inférieures de la noblesse ou de la bourgeoisie<br />

naissante 1 . Les membres de ces catégories sociales « émergentes » pouvaient servir la<br />

monarchie à différents niveaux, selon leurs compétences. Dans la seconde moitié du<br />

XII e siècle, les chantiers de construction ont été des lieux où l’accès au service du roi<br />

pouvait s’effectuer au niveau le plus local. Lieu concret, matérialisé par le bâtiment<br />

qu’il met en œuvre, le chantier constitue en effet un espace d’interactions où se<br />

1 TURNER, R. V., Men Raised from the Dust. Administrative Service and Upward Mobility in Angevin<br />

England, 1988; KEEFE, T. K., Feudal Assessments and the Political Community under Henry II and his<br />

Sons, 1983.<br />

518


encontrent non seulement une multiplicité d’acteurs, mais aussi un ensemble d’activités<br />

participant à la construction d’un édifice. À partir du XI e siècle, la transformation du<br />

paysage monumental de l’Occident contribue à faire du chantier un phénomène social<br />

majeur. L’historiographie l’a étudié sous ses différentes facettes, démontrant qu’il s’agit<br />

d’un phénomène impliquant toutes les dimensions du social. Objet privilégié des<br />

historiens de l’art et d’architecture du Moyen Âge, le chantier a été appréhendé comme<br />

un fait culturel à travers lequel se manifestent les réflexes intellectuels des<br />

contemporains 2 . Plus encore que le bâtiment dans sa forme achevée, le chantier<br />

constitue sans doute l’expression monumentale médiévale la plus évidente et la plus<br />

visible pour manifester le prestige et la puissance d’un prince 3 . Les chantiers ont<br />

également été observés comme des espaces de contacts ou de confrontations sociales,<br />

entre les différents corps de métiers, les commanditaires et leur personnel 4 . Les relations<br />

sociales nouées sur les chantiers autour du travail ont été abordées aussi bien du point<br />

de vue des rapports hiérarchiques internes aux métiers, des rapports de genres, qu’à<br />

travers les conflits salariaux 5 . Le chantier comme monde économique a également<br />

captivé nombre d’historiens de l’économie médiévale étudiant les mécanismes de<br />

redistribution des richesses tirées de l’exploitation domaniale et seigneuriale de la terre,<br />

alors en plein essor 6 . Plus récemment, le chantier comme objet technique s’est<br />

2 PANOFSKY, E., Architecture gothique et pensée scolastique, 1974, FERNIE, E. C. et CROSSLEY, P.<br />

(eds.), Medieval Architecture and its Intellectual Context : Studies in honour <strong>of</strong> Peter Kidson, 1990;<br />

RADDING, C. M. et CLARK, W. W., Medieval Architecture, Medieval Learning. Builders and Masters<br />

in the Age <strong>of</strong> Romanesque and Gothic, 1992 pour l’architecture militaire on peut citer : HÉLIOT, P., « Le<br />

Château Gaillard et les forteresses des XIIe et XIIIe siècles en Europe occidentale », dans Château<br />

Gaillard. 1: Études de castellologie européenne, 1964, p. 53-7.<br />

3 Pour exemple : BOUCHERON, P., « Les expressions monumentales du pouvoir princier à Milan au<br />

temps de Francisco Sforza (1450-1466) », dans Princes et pouvoir au Moyen Âge, 1993, p. 117-135;<br />

BOUCHERON, P., Le pouvoir de bâtir : urbanisme et politique édilitaire à Milan, XIVe-XVe siècles,<br />

1998.<br />

4 La bibliographie serait trop longue à énumérer ici, citons néanmoins les premiers ouvrages où la<br />

question des chantiers de cathédrales est traitée et qui restent les plus documentés pour cette période :<br />

GIMPEL, J., Les bâtisseurs des cathédrales, 1980 [1958], DU COLOMBIER, P., Les chantiers des<br />

cathédrales, ouvriers, architectes, sculpteurs, 1989 [1953]; KNOOPL, D. et JONES, G. P., The Medieval<br />

Mason. An Economic History <strong>of</strong> English Stone Building in The Latter Middle Ages and Early Modern<br />

Times, 1949.<br />

5 Pour exemple : BERNARDI, P., « Apprentissage et transmission du savoir dans les métiers du bâtiment<br />

à Aix-en-Provence à la fin du Moyen Âge (1400-1550) », dans Cahier du CRISIMA, 1993, p. 69-79;<br />

BERNARDI, P., « Relations familiales et rapports pr<strong>of</strong>essionnels chez les artisans du bâtiment en<br />

Provence à la fin du Moyen Âge », Médiévales, 30 (1996), p. 55-68; LARDIN, P., « Travail et sociabilité<br />

sur un chantier du bâtiment. L’“ostel neuf” du cardinal d’Estouteville à Rouen (1461-1466) » », Études<br />

normandes, 2 (1991), p. 23-40.<br />

6 Une redistribution longtemps considérée comme un énorme « gaspillage », par des historiens de<br />

l’économie médiévale, selon un point de vue capitaliste. LOPEZ, R. S., « Economie et architecture<br />

médiévales, cela aurait-il tué ceci? », Annales, Economie, Société, Civilisations, 7 (1952), p. 433-438 ;<br />

519


développé sous l’impulsion des découvertes de l’archéologie médiévale, comme lieu de<br />

réalisations et d’innovations techniques mais aussi de transmission de savoir-faire 7 . De<br />

ce point de vue, le chantier peut être considéré une « structure innovante » c'est-à-dire<br />

« une nouvelle forme d’organisation politique, économique et sociale d’un espace de<br />

production, qui est en soi une innovation, et qui est aussi la condition nécessaire<br />

d’apparition d’autres innovations dans ces différents secteurs » 8 .<br />

Au début du règne d’Henri II, l’organisation de la gestion et de l’entretien des<br />

châteaux royaux devient une préoccupation croissante qui se traduit par l’augmentation,<br />

dans les rouleaux de l’Échiquier, des enregistrements signalant la structuration<br />

progressive d’une « administration », encore embryonnaire, ne bénéficiant d’aucun<br />

organe central. L’organisation des chantiers fonctionnait tout d’abord grâce à un<br />

ensemble de mécanismes financiers permettant d’assurer le bon déroulement des<br />

approvisionnements et la rémunération de la main d’œuvre. Comment les Plantagenêt<br />

ont-ils financé leurs chantiers, quels sont les expédients utilisés ? Dans quelles<br />

ressources ont-ils puisé ? Quelle part du budget global les dépenses de constructions<br />

représentaient-elles ? Après avoir envisagé les ressources financières, nous verrons qui<br />

était chargé de gérer le chantier au niveau local et quelle était leur place dans<br />

l’institution royale. Nous tenterons ainsi de saisir le pr<strong>of</strong>il sociologique des agents du<br />

roi actifs dans la construction de ses châteaux, qu’il s’agisse de gardiens permanents,<br />

d’ingénieurs royaux ou d’hommes chargés d’attester les comptes de construction. Les<br />

analyses factorielles exposées dans le chapitre 1 (graphique 1.8) ont montré que la<br />

variation et le mode de rémunération des agents pouvaient renseigner sur le type de<br />

charges exercées et in fine sur le statut social des individus. D’autres analyses seront<br />

effectuées, non seulement pour saisir le fonctionnement des rémunérations des hommes<br />

au service du roi et de ses châteaux, mais aussi pour cerner la manière dont leur mobilité<br />

et leur pratique du territoire ont contribué à renforcer l’institution monarchique.<br />

L’analyse des « ressources humaines » réalisable à partir des comptes de<br />

l’Échiquier l’est également en ce qui concerne les « ressources matérielles ». La<br />

JOHNSON, H. T., « Cathedral Building and the Medieval Economy », Explorations in Entrepreneurial<br />

History, 4 (1966-67), p. 191-210, KRAUS, H., A prix d'or: le financement des cathédrales, 1991 [1979].<br />

7 Parmi les ouvrages consacrés à cet aspect on peut citer REVEYRON, N. et BAUD, A. (eds.), Au fil du<br />

chantier. Archéologie de la construction au Moyen Âge, 1997; BERNARDI, P., Métiers du bâtiment et<br />

techniques de construction à Aix-en-Provence à la fin de l'époque gothique (1400-1550), 1995;<br />

BRAUNSTEIN, P., « Maîtrise et transmission des connaissances techniques au Moyen Age », dans<br />

History <strong>of</strong> Technology, 2000, p. 155-165.<br />

8 THEIS, V., « Pratiques artisanales et politique de grands travaux: l'exemple du palais de Pont-de-<br />

Sorgues au XIVe siècle », Cahiers d'histoire et de philosophie des sciences: Artisans, industrie. nouvelles<br />

révolutions du Moyen Âge à nos jours, 52 (2004), p. 307-319.<br />

520


seconde partie de ce chapitre sera consacrée à une lecture des pipe rolls permettant de<br />

voir comment les ressources des territoires de l’empire ont été exploitées et mobilisées<br />

afin de participer à la politique de construction des Plantagenêt. À partir de la<br />

circulation de la pierre de taille, de bois ou encore de métaux, comme le fer et le plomb,<br />

nous nous interrogerons sur ce que la maîtrise des ressources permet de comprendre de<br />

l’empire, comme espace économique et commercial. La circulation des hommes et des<br />

matériaux constitue en effet une dimension essentielle pour appréhender la manière dont<br />

les Plantagenêt ont accru leur pouvoir territorial.<br />

521


1- L’organisation financière et l’administration des<br />

chantiers<br />

1.1- La gestion fiscale des ressources : d’où vient l’argent et<br />

comment est-il dépensé sur le chantier ?<br />

Dans le chapitre 1, nous avons vu comment fonctionnait l’Échiquier, comme<br />

système de reddition de comptes des opérations effectuées localement par les shérifs et<br />

les fermiers du roi. Ce système rendait disponible pour des dépenses locales l’argent des<br />

taxes récoltées, sans transiter par le Trésor royal. Quels étaient alors les revenus de<br />

l’Échiquier et sur quels types de revenus les dépenses de construction ont–elles été<br />

effectuées ? Si les revenus ordinaires de la firma comitatus ont supporté l’essentiel des<br />

déductions, la multiplication et la diversification des sources de revenus se sont<br />

rapidement imposées afin de financer la construction de ces vastes forteresses.<br />

1.1.1- L’évolution des recettes de l’Échiquier et des dépenses de construction<br />

Les revenus de l’Echiquier : une croissance discontinue<br />

Le graphique 6.1, qui est un graphique à échelle logarithmique, est construit à<br />

partir des données de James H. Ramsay de 1157 et 1188, puis de Nick Barratt à partir de<br />

1189 pour ce qui concerne la courbe des revenus de l’Échiquier anglais ; et de J.C. Holt<br />

pour ce qui concerne les revenus de l’Échiquier normand 9 . La production de ces chiffres<br />

n’est cependant pas évidente et le calcul des revenus de l’Échiquier – qu’on ne saurait<br />

confondre avec les revenus de la Couronne, dans la mesure où les pipe rolls enregistrent<br />

l’audit des comptes des shérifs et non les recettes – a fait l’objet de définitions<br />

concurrentes et de résultats plusieurs fois réévalués. James H. Ramsay n’explique pas<br />

comment il parvient à ses résultats, mais ceux-ci semblent reposer sur une définition des<br />

revenus de l’Échiquier en tant qu’argent dû au Trésor royal plus les paiements effectués<br />

localement, à l’exclusion des prêts et de la valeur des domaines aliénés (terrae datae).<br />

En 1980, Robert C. Stacey propose une autre définition des revenus excluant les<br />

9 RAMSAY, J. H., A History <strong>of</strong> the Revenues <strong>of</strong> the Kings <strong>of</strong> England (1066-1399), 1925; BARRATT, N.,<br />

« The English revenues <strong>of</strong> Richard I », E.H.R., 116: 467 (2001), p. 635-656; Id., « The revenues <strong>of</strong> King<br />

John », 111: 443 (1996), p. 835-855; HOLT, J. C., « The Loss <strong>of</strong> Normandy and Royal Finances », dans<br />

War and Government in the Middle Ages : essays in honour <strong>of</strong> M.O. Prestwich, 1984, p. 92-105.<br />

522


paiements fixes pour calculer ce qu’il appelle des « revenus dépensables » 10 . J.C. Holt<br />

quant à lui, définit les revenus comme le résultat de la somme des recettes et des<br />

dépenses, auquel il faut parfois inclure les transferts d’argent de la Chambre vers<br />

l’Échiquier. Toujours est-il que les revenus ne peuvent être considérés comme la simple<br />

somme de l’argent dû à l’Échiquier 11 . Émilie Amt, de son coté, a calculé les revenus<br />

« réclamés » par l’Échiquier pour les quatre premières années du règne d’Henri II. Elle<br />

a ainsi montré que les résultats de J.H. Ramsay ont une marge d’erreur d’environ 9%,<br />

en partie parce qu’il évalue le rapport entre monnaie blanche (in blanchorum) et<br />

monnaie numéraire (in numero) à un taux de 2,5% à 5% alors qu’il était plus<br />

vraisemblablement autour de 1/19, soit 5,25% 12 . Les montants en argent blanc (c'est-à-<br />

dire en argent d’une plus grande finesse) devaient ainsi être augmentés non seulement<br />

pour les rendre comparables aux autres mais aussi pour avoir une référence en monnaie<br />

frappée. Par exemple, un paiement de £100 en monnaie blanche équivaut à £105 en<br />

numéraire, selon les tests effectuées et en accord avec le trésorier 13 . Ainsi, jusqu’à la<br />

réforme monétaire de 1158, la plupart des recettes de l’Échiquier sont enregistrées en<br />

« argent blanc » afin de protéger les revenus royaux « et le public » des fausses<br />

monnaies. Richard FitzNigel raconte, dans son Dialogus, comment Henri II réforme les<br />

méthodes de paiement à l’Échiquier :<br />

Au moment des comptes, bien que le nombre de pièces et leurs poids<br />

soient corrects, leur matière, elle, ne l’était pas. Ainsi, si un homme<br />

doit payer une £1 et 20 s. en numéraire, pesant en réalité une seule<br />

livre, il ne pouvait alors payer avec une livre d’argent, car il pouvait<br />

très bien mélanger l’argent avec du cuivre ou du bronze, en quelque<br />

sorte, voyant qu’il n’y avait aucune vérification. Dans le but de<br />

protéger à la fois le Roi et le public, il fut donc ordonné, après<br />

discussion du conseil, que la combustion ou les tests devraient être<br />

vérifiés.<br />

… Ainsi, les shérifs qui trouvaient qu’ils perdaient de l’argent à cause<br />

de la médiocrité de sa valeur, lorsqu’ils rendaient leurs comptes,<br />

prirent grand soin que les changeurs qui travaillaient pour eux,<br />

10 STACEY, R. C., Politics, Policy and Finance under Henry III 1216-1245, 1987, p. 207.<br />

11 HOLT, J. C., « The Loss <strong>of</strong> Normandy and Royal Finances », dans War and government in the Middle<br />

Ages : essays in honour <strong>of</strong> M.O. Prestwich, 1984, p. 92-105.<br />

12 AMT, E., The Accession <strong>of</strong> Henry II in England : Royal Government Restored : 1149-1159, 1993,<br />

p. 189 : elle tente également de constituer les revenus de l’année 1155, qui n’ont pas été enregistrés dans<br />

un rouleau lors d’une session à l’Échiquier, à partir du Red Book. Le rouleau de l’année 1157 auquel il<br />

manque deux membranes ne permet pas non plus de connaître le montant total des recettes.<br />

13 RAMSAY, J. H., A History <strong>of</strong> the Revenues <strong>of</strong> the Kings <strong>of</strong> England (1066-1399), 1925, p.45.<br />

523


n’excèdent pas la proportion établie pour l’alliage. Et s’ils les<br />

attrapaient, ils les punissaient pour décourager les autres. 14<br />

Emilie Amt a montré combien avait été forte l’attention accordée, dès le début<br />

du règne, à l’accroissement régulier des revenus royaux et aux réparations des<br />

dommages causés pendant la guerre civile. La remise en ordre des affaires du royaume<br />

donne des effets dès les premières années, comme le montre l’augmentation rapide des<br />

revenus entre 1155 et 1159. À partir des années 1160, la tendance reste à la hausse sur<br />

le long terme mais avec de fortes fluctuations. Cependant les revenus de l’Échiquier<br />

n’atteignent que rarement au cours de la période le niveau qu’ils avaient sous le règne<br />

d’Henri I er15 . Tandis que le revenu moyen pour la décennie 1165-74 est de £18 500,<br />

sous Jean, il atteint environ £32 000, soit une augmentation de 73% sur 40 ans. Ce<br />

résultat s’explique en partie par l’inflation des prix : entre les années 1160 et la seconde<br />

décennie du XIII e siècle, le prix du bœuf augmente de 128% et le prix du blé de 138% 16 .<br />

Selon Robert Bartlett, l’inflation doit en effet être considérée comme un facteur<br />

essentiel de la croissance des revenus royaux comptabilisés à l’Échiquier 17 . Sous le<br />

règne de Jean, si les recettes avaient un montant de trois quart supérieur à celles de son<br />

père dans les premières années de son règne, la nourriture et le cheptel coûtaient en<br />

revanche deux fois plus cher. La capacité de Jean à étendre les sources de revenus a<br />

ainsi constitué un élément central des discussions autour de son règne et de sa gestion<br />

des affaires publiques. Alors que pour Sir Francis Powicke, Jean n’avait fait que<br />

dilapider les ressources qu’Henri II avait réussi à amasser au cours de son règne, le<br />

14 RICHARD FITZNIGEL, Dialogus de Scaccario (and) Constitutio Domus Regis, 1983, p. 42-43 : Licet<br />

enim in numero et pondere videretur satisfactum non tamen in materia. Consequentes enim non erat ut, si<br />

pro libra una numerates xxx solidos etiam libre ponderi respondentes soluisset, consequenter libram<br />

soluisset argenteam. Poterat enim cupro vel quovis ere mixtam soluisse, cum non fieret examinatio. Ut<br />

igitur regie simul et publice provideretur utilitati, habeti super hoc ipso regis consilio, constitutum est ut<br />

fieret ordine predicto firme combustio vel examinatio. (…) Sentiens enim vicecomes se pregravari per<br />

combustionem deterioris monete, cum firmam est soluturus, sollicitam adhibet diligentiam ut monetarii<br />

sub eo constitui legis constitue fines non excedant. Quos cum deprehenderit sic puniuntur ut eorum<br />

exemplo ceteri terreantur.<br />

15 AMT, E., The Accession <strong>of</strong> Henry II in England : Royal Government Restored : 1149-1159, 1993.<br />

16 HARVEY, P. D. A., « The English inflation 1180-1220 », Past & Present, 61 (1973), p. 3-30;<br />

FARMER, D. L., « Some price fluctuations in Angevin England », The Economic History Review, 9: 1<br />

(1956), p. 34-43; FARMER, D. L., « Prices and wages », dans The Agrarian History <strong>of</strong> England and<br />

Wales. 2 1042-1350, 1988, p. 715-817 ; LATIMER, P., « Wages in late twelfth and early thirteenthcentury<br />

England », H.S.J., 9 (1997), p. 185-205.<br />

17 BARTLETT, R. J., England under the Norman and Angevin Kings 1075-1225, 2000, p. 176.<br />

524


débat autour de l’inflation transforme le regard des historiens, si bien que Lewis Warren<br />

décrit le gouvernement de Jean comme « entreprenant et intelligent » 18 .<br />

Le cœur de ce débat est étroitement mêlé à la question du financement de la<br />

guerre en Normandie et de la perte des territoires continentaux de l’empire. De même<br />

qu’en Angleterre, Henri II consacre les premières années de son règne à réformer<br />

l’administration ducale afin d’accroire les revenus « publics ». Il cherche notamment à<br />

révoquer les concessions accordées pendant la guerre civile et fait mener des enquêtes<br />

composées de jurys pour établir la liste des droits et des domaines ducaux dans le<br />

Bessin 19 . Mais selon Giraud de Barri, le domaine ducal ne fournit pas plus de 12 000<br />

marcs par an sous le règne d’Henri II 20 . Ce dernier se tourne donc vers d’autres sources<br />

de revenus ordinaires, comme ceux de la justice, et extraordinaires, comme les tailles,<br />

qui parviennent à remplir les caisses de son trésor. Vincent Moss remarque en effet<br />

qu’entre 1180 et 1198, les revenus de la Normandie se sont accrus de près de 360%,<br />

passant de £ a 27 000 à £ a 99 000 (soit l’équivalent de £6750 et £24750<br />

respectivement) ! 21 À ces mêmes dates, les revenus de l’Échiquier anglais s’élevaient à<br />

£14877 et £26405, soit des sommes à peu près équivalentes 22 . La capacité de<br />

prélèvement de l’Échiquier normand explique sans doute la volonté de Richard de<br />

réformer l’Échiquier anglais en 1196. Il confie la tâche à Robert II, abbé de Saint-<br />

Étienne de Caen, mais celui-ci meurt quelques mois plus tard laissant l’entreprise sans<br />

lendemain 23 .<br />

18 HARVEY, P. D. A., « The English inflation 1180-1220 », Past & Present, 61 (1973), p. 3-30 ;<br />

POWICKE, M., The Loss <strong>of</strong> Normandy : 1189-1204 : Studies in the History <strong>of</strong> the Angevin Empire, 1963,<br />

p. 350; WARREN, W. L., King John, 1997, p. 148-52.<br />

19 DELISLE, L., « Des revenus publics en Normandie au XIIe siècle », Bibliothèque de l’École des<br />

Chartes, 2e série: V (1848-1849), p. 173-210, p. 287 : cite Liber. Niger capituli Baiocensis, n°XIII, f. v<br />

r°: Antiquus cartularius ecclesiæ baiocensis livre noir, 1902-1903; MRSN, I, p. 74 et II, p. 495.<br />

20 GIRAUD DE BARRI, Opera. 8, De principis instructione Liber, 1891, p. 316 (III, xxx) : tempore vero<br />

regis Henrici secundi tot terris interim militibus tam rege Stephano prius, quam ab ispo postmodum, tum<br />

propter werras primum inter ipsos postmodum erga Franciam fere continuas, large utrimque datis, vix<br />

annui duodecim millium marcarum redditus fiscales sunt inventi. Quaeri ergo potest ab aliquo, vel<br />

tacitum etiam quempiam movere, qualiter rex Henricus secundus et eius filii tot inter werras tantis<br />

thesauris abundabant.<br />

21 MOSS, V., « The Norman fiscal revolution 1193-1198 », dans Crisis, Revolutions and Self-Sustained<br />

Growth, Essays in European Fiscal History 1130-1830, 1999, p. 38-57<br />

22 Vincent Moss reprend à son compte l’idée de Jenkinson selont laquelle le rouleau de 1180<br />

n’enregistrait pas les revenus des taxes prélevées, mais seulement la déduction des dépenses effectuées au<br />

nom du roi.<br />

23 MOSS, V., « Reprise et innovations : les rôles normands et anglais de l’année 1194-1195 et la perte de<br />

la Normandie », dans La Normandie et l'Angleterre au Moyen Âge, 2003, p. 89-97 ; GUILLAUME DE<br />

NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry II, and Richard I, 1884, II, p. 464-65 (c.19) :<br />

ipso tempore rex Ricardus de partibus transmarinis misit in Angliam abbatem Cadomensem, indulta ei<br />

potestae in iis quae fisco competerent subtilius atque districtius exquirendis… (à cette époque, le roi<br />

525


En outre, la croissance des revenus de l’Échiquier normand n’apparaît pas si<br />

extraordinaire si on la compare aux revenus capétiens de la même époque. John<br />

Baldwin a en effet estimé qu’entre 1180 et 1202-03, les revenus de Philippe Auguste<br />

étaient passés de 20 000 à 115 000 livres parisis, ce qui représente une croissante<br />

encore plus forte, liée en partie à l’augmentation des territoires dominés par le roi de<br />

France 24 . Cette année-là, année cruciale, les revenus français dépassent pratiquement les<br />

revenus normands. De nombreux historiens, reprenant l’idée de Roger de Wendover,<br />

ont ainsi affirmé que l’enjeu financier avait été déterminant dans la conquête de la<br />

Normandie par Philippe Auguste 25 . En 1978, John Gillingham remet en cause cette<br />

assertion en montrant que le compte de 1202-03 comprenait de l’argent provenant du<br />

Temple qui ne peut être inclus dans les « revenus ». Refaisant les calculs, il montre que<br />

les revenus de Philippe Auguste étaient, à cette date, comparables à ceux de Jean, c'est-<br />

à-dire compris entre £51 000 et £72 000 26 . Pour Sir James Holt cependant, Jean s’est<br />

montré incapable d’utiliser ses médiocres ressources de manière efficace dans la zone<br />

immédiate des combats, car seuls de faibles montants ont été transférés d’Angleterre<br />

vers la Normandie à cette date 27 . Il remarque également qu’il n’y a aucun document<br />

attestant des transferts d’argent depuis l’Anjou ou l’Aquitaine, alors que le Trésor<br />

anglais a envoyé de l’argent vers ces régions à plusieurs reprises. Pour J.C. Holt,<br />

l’absence d’une réelle solidarité financière des territoires continentaux de l’empire pour<br />

contribuer à la défense des frontières de la Normandie caractérise ce qu’il appelle<br />

« l’échec » angevin. En réalité, cette absence de solidarité pourrait bien cacher l’absence<br />

d’un système efficace de levée et de contrôle des taxes prélevées par les agents royaux,<br />

Richard envoya l’abbé de Caen en Angleterre, depuis ses territoires continentaux, investi de son autorité<br />

pour enquêter étroitement et consciencieusement sur la question des revenus)<br />

24<br />

BALDWIN, J. W., Philippe Auguste et son gouvernement: les fondations du pouvoir royal en France<br />

au Moyen âge, 1994, p. 204-209.<br />

25<br />

LOT, F. et FAWTIER, R., Le Premier budget de la monarchie française. Le Compte général de 1202-<br />

1203, 1932; POWICKE, M., The Loss <strong>of</strong> Normandy : 1189-1204 : Studies in the History <strong>of</strong> the Angevin<br />

Empire, 1963 et HOLT, J. C., « The end <strong>of</strong> the Anglo-Norman realm », Proceeding <strong>of</strong> the British<br />

Academy, 61 (1975), p. 223-265 ; voir aussi NORTIER, M. et BALDWIN, J. W., « Contributions à<br />

l’étude des finances de Philippe Auguste », B.E.C., 138 (1980), p. 5-33; BALDWIN, J. W., Philippe<br />

Auguste et son gouvernement: les fondations du pouvoir royal en France au Moyen âge, 1994, p. 185-<br />

233 ; BISSON, T. N., « Les comptes des domaines au temps de Philippe Auguste. Essai comparatif »,<br />

dans La France de Philippe Auguste: le temps des mutations, 1982, p. 521-538 voir aussi HOLT, J. C.,<br />

« The Loss <strong>of</strong> Normandy and Royal Finances », dans War and Government in the Middle Ages. Essays in<br />

honour <strong>of</strong> M.O. Prestwich, 1984, p. 92-105.<br />

26<br />

GILLINGHAM, J., Richard the Lionheart, 1978, p. 304 ; GILLINGHAM, J., Richard I, 1999, p. 284,<br />

338, 347 : cite ROGER DE WENDOVER, Liber qui dicitur Flores Historiarum, 1965 [1886-89].<br />

27<br />

HOLT, J. C., « The Loss <strong>of</strong> Normandy and Royal Finances », dans War and government in the Middle<br />

Ages. Essays in honour <strong>of</strong> M.O. Prestwich, 1984, p. 92-105. Pour un résumé des débats voir TURNER, R.<br />

V., King John, England’s Evil King ? 2005, chap.4.<br />

526


et ce malgré l’adoption de pratiques d’audit similaires (voir infra) 28 . La difficulté<br />

éprouvée par les Capétiens au XIII e siècle pour exploiter et taxer ces provinces pourrait<br />

bien résulter des résistances rencontrées par les Plantagenêt pour y imposer un système<br />

de taxation aussi performant qu’en Angleterre et en Normandie 29 . Les recettes et les<br />

dépenses comtales et ducales ont-elles alors fonctionné en vase clos en Anjou et en<br />

Aquitaine ? Si c’est le cas, on peut imaginer que la disproportion des revenus s’est<br />

traduite dans les orientations de la politique construction et de fortification.<br />

Revenus et dépenses de constructions : un ratio inégal<br />

Entre 1157 et 1214, la part des dépenses de construction s’est élevée en<br />

moyenne à 5,5% du montant total des revenus de l’Échiquier anglais (tableau 6.1) 30 . Les<br />

plus fortes proportions se situent dans les années 1166, 1173, 1182, 1185, 1190, 1191 et<br />

1193, où elles dépassent 10%. Si ces fortes proportions correspondent globalement<br />

davantage à des années de forte augmentations des dépenses qu’à une baisse des<br />

revenus (graphique 6.2), nous avons vu, dans le chapitre précédent, que la hausse des<br />

dépenses domestiques (représentée par l’écart entre les courbes rouge et orange) est<br />

souvent liée à la présence du roi en Angleterre. C’est le cas du pic entre 1163 et 1166 et<br />

entre 1174 et 1181 (voir graphique 5.3). Lorsque le roi était en Angleterre, le volume<br />

des activités et des affaires traitées à l’Échiquier était généralement plus fort qu’en son<br />

absence. En outre, à partir du milieu des années 1170, les dépenses liées aux fondations<br />

de contrition ainsi qu’au patronage des monastères de Clairvaux et Grandmont, dont<br />

Henri II s’était engagé à financer la construction en pénitence du meurtre de Thomas<br />

Becket contribuent largement à augmenter les dépenses de construction (voir infra). Le<br />

pic des dépenses de 1190 indique que Richard ne lésine pas pour organiser la défense et<br />

renforcer les fortifications du royaume en prévision de son départ en croisade. Les<br />

revenus de l’Échiquier ne permettant pas de comprendre comment une augmentation<br />

aussi brutale des dépenses a été possible, il faut donc se pencher sur les autres sources<br />

de revenus disponibles à cette date.<br />

28<br />

GILLINGHAM, J., Richard Coeur de Lion: Kingship, Chivalry and War in the Twelfth Century, 1994,<br />

p. 51-65.<br />

29<br />

SIVÉRY, G., Les capétiens et l'argent au siècle de Saint Louis. Essai sur l'administration et les<br />

finances royales au XIIIe siècle, 1995, p. 171-175. John Gillingham réfute là encore cette assertion en<br />

montrant que les Capétiens firent d’importantes concessions à partir de 1206 pour fidéliser les loyautés.<br />

GILLINGHAM, J., Richard the Lionheart, 1978, p. 304.<br />

30<br />

La médiane est légèrement inférieure (4,6%) ce qui indique une dispertion relative des valeurs, surtout<br />

en deça de la moyenne. Sur les graphiques 6.1 et 6.2, les résultats publiés par R.A. Brown ont été ajoutés<br />

(en orange) afin de mettre en évidence les différences de résultats entre les siens et ceux de notre étude.<br />

527


En 1189-90, la dîme de Saladin, lancée dans tout le royaume dès 1188 par<br />

Henri II, est alors collectée, mais ses recettes ne sont pas enregistrées à l’Échiquier 31 .<br />

Elles ont fait l’objet d’un compte à part, mais le compotus decimis de cette année<br />

n’ayant pas été conservé, les estimations des recettes de cette dîme ont fait l’objet de<br />

diverses spéculations. Selon Gervais de Canterbury, elles s’élèvent à £60 000<br />

auxquelles s’ajoute £70 000 empruntés aux juifs, mais pour Nick Barrat, cette somme<br />

est clairement exagérée 32 . Au regard des revenus réguliers de l’Échiquier, John H.<br />

Round suggérait une fourchette plutôt basse autour de £6000. Considérant cette<br />

estimation comme plus plausible, Nick Barrat propose donc d’analyser les autres<br />

sources de revenus qui auraient été directement versés au trésor royal cette année là.<br />

Selon lui, Richard et Jean ont montré une volonté sans relâche pour extraire un<br />

maximum d’argent des revenus provenant des sources traditionnelles de la Couronne,<br />

en particulier en jouant sur les frais de renouvellement des chartes et en imposant des<br />

droits exorbitants aux héritiers pour succéder à l’honneur paternel. Mais ces expédients<br />

financiers ne suffisent alors qu’à palier le manque à gagner des revenus fonciers.<br />

Le niveau des revenus de l’Échiquier de 1190 ne sera plus jamais atteint au<br />

cours la dernière décennie du siècle ; il faut attendre la fin du règne de Jean pour qu’ils<br />

retrouvent un niveau similaire. À partir de 1190, en effet, les revenus de l’Échiquier<br />

accusent une baisse importante et ce jusqu’en 1194. Au retour du roi, ils recommencent<br />

à augmenter après avoir été abondamment creusés par la rançon de Richard : la somme<br />

de 100 000 marcs avait été demandée pour la libération du roi retenu en captivité par<br />

Léopold d’Autriche 33 . La diminution des dépenses de construction en Angleterre<br />

s’explique en outre par le fait que l’essentiel de l’effort financier était concentré sur les<br />

marches de la Normandie. Il faut donc attendre le règne de Jean pour que les dépenses<br />

de construction augmentent à nouveau (le pic de 1210-1212 est lié à l’insertion des<br />

dépenses enregistrées sur l’Échiquier irlandais).<br />

En Normandie, les dépenses pour les constructions dépassent parfois la moitié<br />

du revenu, comme en 1198, où plus de 58% des revenus normands (qui incluent des<br />

transferts d’argent du trésor anglais) vont aux fortifications de la vallée de la Seine (voir<br />

infra). Le graphique 6.4 montre le caractère très exceptionnel de ces dépenses cette<br />

année là qui inclut la reddition des comptes pour les deux années 1197 et 1198. Les<br />

31 BARRATT, N., « The English revenues <strong>of</strong> Richard I », E.H.R., 116: 467 (2001), p. 635-656.<br />

32 GERVAIS DE CANTORBERY, The Historical Works, 1965 [1880], p. 422: Interea tota Anglia in<br />

dandis decimis gravissime vexata est, ut Christiani lxx milia librarum et eo amplius pecuniam darent<br />

Judaei vero lx milia.<br />

33 GILLINGHAM, J., Richard I, 1999, p. 235.<br />

528


ouleaux de l’Échiquier normand étant lacunaires, on ne peut mener des investigations<br />

statistiques aussi poussées que celles effectuées sur les rouleaux anglais. Concernant les<br />

autres territoires continentaux, la possession du Trésor était une condition impérative au<br />

financement de toute construction. Ainsi, lorsque Richard se révolte contre son père, en<br />

1187, il se précipite à Chinon et s’empare du trésor afin de pouvoir fortifier ses<br />

châteaux 34 . En l’absence du roi, les dépenses du Trésor étaient vraisemblablement<br />

effectuées par le trésorier, charge alors détenue par le sénéchal en Anjou. Les conflits<br />

entre Henri II et Étienne de Marçay dans les années 1170 montrent que le système de<br />

contrôle des comptes et la délimitation entre les deniers du domaine comtal et ceux du<br />

sénéchal pouvaient être flous. À partir du règne de Jean, des lettres envoyées au prévôt<br />

et au sénéchal d’Anjou témoignent de l’existence d’un système d’audit, tout au moins<br />

dans une forme primitive. L’ordre de dépense est alors envoyé à la fois au prévôté et au<br />

sénéchal 35 :<br />

Au prévôt de Chinon, salut. Nous t’ordonnons de trouver sans délais<br />

du merrien et tout ce qui sera nécessaire pour faire nos machines de<br />

sièges, lance-pierres, trébuchet et mangonneaux pour maître Urric<br />

notre ingénieur. Tu lui trouveras six chevaux, quatre hommes et tout<br />

ce qu’il lui est nécessaire, jusqu’à satisfaction. Témoin : Jean des<br />

Prés à Hébertot, le 30 mai 1200<br />

À Guillaume des Roches, sénéchal d’Anjou salut. Décomptez de la<br />

prévôté de Chinon, £25 7s et 2d. que le prévôt a mis dans la<br />

fabrication de nos machines par maître Urric. Témoin : moi-même, à<br />

Chinon, le 25 juin 1200.<br />

L’organisation d’une économie de guerre à partir des règnes de Richard et de Jean<br />

constitue l’un des traits marquants de l’évolution des dépenses de construction et de leur<br />

place dans les revenus de l’Échiquier à cette époque. Selon Ralph V. Turner, la<br />

réorganisation du système des trésors de châteaux est à ce titre significative d’une<br />

militarisation croissante du gouvernement sous Jean, car il permettait de mettre de<br />

l’argent rapidement à disposition des mercenaires là où ils étaient embauchés 36 . Le<br />

développement de l’administration fiscale anglaise et normande et sa justification<br />

militaire constituent donc une matrice déjà à l’œuvre dans la dernière décennie du XII e<br />

siècle. Reste à obtenir le consentement à l’impôt, un point sur lequel achoppe le<br />

34 PETERBOROUGH, II, p. 9.<br />

35 Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835, p. 23, 27.<br />

36 TURNER, R. V., King John, England’s Evil King ? 2005, p. 68 ; BROWN, R. A., « The 'Treasury' <strong>of</strong><br />

the later Twelfth Century », dans Studies presented to Sir Hilary Jenkinson, 1957, p. 35-49.<br />

529


gouvernement des Plantagenêt, ainsi qu’en témoigne la révolte des barons en 1215.<br />

L’un des motifs les plus récurrents des Articles des Barons revient en effet à contester la<br />

politique fiscale et notamment les tentatives d’extension de leurs sources de revenus aux<br />

dépens d’une aristocratie elle-même confrontée à l’effondrement de la rente foncière.<br />

1.1.2- Le financement des chantiers : la diversité des sources de revenu<br />

L’organisation des revenus dans les rouleaux de l’Echiquier<br />

La logique d’enregistrement des comptes à l’Échiquier procède par type de<br />

revenus « réclamés » par la Couronne à ses fermiers royaux. Il n’y a alors pas de<br />

sources de revenus spécifiques destinées à financer les chantiers royaux. La plupart du<br />

temps, pour les simples réparations ou pour l’entretien des demeures royales, les<br />

sommes sont déduites de la firma comitatus. Selon J.H. Ramsay, il existe, outre la firma<br />

comitatus, une quinzaine de catégories desquelles sont déduites les dépenses des shérifs.<br />

Le principal élément de la ferme du comté est appelé le corpus comitatus et recouvre les<br />

revenus des manoirs royaux qui se trouvent dans le comté du shérif. De cette ferme,<br />

dont le montant est fixe, sont déduites des charges coutumières, telles que les aumônes<br />

et les dîmes (in elemosina, in decima) et les paiements coutumiers (in liberatione<br />

constituta). Viennent ensuite les terres données (terrae datae) c'est-à-dire les terres du<br />

domaine concédées par le roi à ses shérifs dont les revenus sont alors déduits de ce<br />

qu’ils doivent au Trésor. Alors que la pratique voudrait qu’on cesse progressivement<br />

d’enregistrer cette catégorie, en tenant compte des seuls revenus des terres non aliénées,<br />

les terrae datae continuent d’être enregistrées, afin que la Couronne puisse à tout<br />

moment décider de les réintégrer à ses domaines. L’obligation de déclaration de leurs<br />

revenus à l’Échiquier est donc une disposition qui vise à s’assurer la loyauté et les<br />

services du shérif 37 . Existe également les revenus des purprestures (voir chapitre 3), des<br />

essarts, (qui étaient une catégorie proche des purprestures), des escheats (voir chapitre<br />

2), des gardes et des tutelles, des amendes, des forfaits (confiscation de terre pour<br />

félonie), des pénalités et des amendes issues des plaids de la Couronne (placita et<br />

conventiones) 38 , des dons faits au roi alors considérés comme un devoir (oblata), l’aide<br />

37 AMT, E., The Accession <strong>of</strong> Henry II in England : Royal Government Restored : 1149-1159, 1993 ;<br />

BARRATT, N., « The English revenues <strong>of</strong> Richard I », E.H.R., 116: 467 (2001), p. 635-656 ; Certaines<br />

d’entre elles sont même décomptées en dehors de la firma comitatus. C’est le cas des deux principales<br />

villes de York et Lincoln.<br />

38 Ces revenus incluent parfois le tiers deniers c'est-à-dire le tiers des pr<strong>of</strong>its des procès qui se tiennent<br />

dans le comté.<br />

530


militaire (auxilium et donum) et l’or de la reine (aurum regine), une taxe extraordinaire<br />

prélevée sur les guildes et les monnayeurs 39 .<br />

Outre ces catégories de revenus, qui étaient les plus récurrentes, il existait<br />

d’autres types de revenus desquels pouvaient être déduites, les dépenses de<br />

construction. À partir des rouleaux des deux Échiquiers, une liste des principaux types<br />

de revenus ayant servi à financer les constructions royales a été établie comme suit :<br />

39 RAMSAY, J. H., A History <strong>of</strong> the revenues <strong>of</strong> the Kings <strong>of</strong> England (1066-1399), 1925, I, p. 46-52.<br />

531


Tableau de contingence des types de revenus mis en relation avec le montant des<br />

dépenses affectées aux constructions et au paiement des agents royaux<br />

1296- 369- 4800type<br />

0-365 4784 1289 720000 Total<br />

Bernage 0 1 1 0 2<br />

Coutumes 0 0 0 2 2<br />

Écuage 0 1 0 1 2<br />

Tourbières 0 2 0 0 2<br />

Aumônes 0 3 0 0 3<br />

Quittance 2 0 0 1 3<br />

Guilde 1 1 2 0 4<br />

Foire 2 1 1 1 5<br />

Solte 1 1 2 2 6<br />

Auxilium 2 2 2 0 6<br />

Tutelle 1 2 0 3 6<br />

Cinque ports 0 2 1 4 7<br />

Charte 1 2 0 4 7<br />

Fossés 2 1 0 6 9<br />

Pr<strong>of</strong>it du change 0 2 3 4 9<br />

Dette 1 3 4 2 10<br />

Emprunt 1 3 3 3 10<br />

Assises 2 5 4 2 13<br />

Vente 3 6 0 4 13<br />

Mines 0 4 2 8 14<br />

Amendes 4 5 2 4 15<br />

Taille 5 3 3 5 16<br />

Croissance 2 7 4 6 19<br />

Prêt 1 2 4 13 20<br />

Transfert au trésor 0 3 0 20 23<br />

Obtata 9 7 7 4 27<br />

Terrae datae 3 11 10 6 30<br />

Purprestures 17 4 9 8 38<br />

Placita 69 24 44 13 150<br />

Vacances 73 76 54 66 269<br />

Escheat 110 126 145 117 498<br />

Total 312 310 307 309 1238<br />

Comme le montre le tableau ci-dessus, les escheats et les vacances constituent<br />

clairement les deux principaux types de revenus dans lesquels les Plantagenêt ont puisé<br />

pour financer leurs chantiers. Les résultats des analyses factorielles (graphique 6.5 ; 6.6<br />

et 6.7) menées à partir de ces données amènent plusieurs remarques :<br />

Tout d’abord, on peut observer que les dépenses de construction (lorsqu’elles<br />

apparaissent dans les rouleaux) ont été globalement plus élevées en Normandie qu’en<br />

Angleterre et qu’elles ont été prélevées sur des revenus spécifiques à l’espace normand :<br />

tailles, ventes, prêts et fossés (voir infra). Il en va de même pour le Kent, comté dans<br />

lequel le roi possède peu de domaines. Il doit donc compter essentiellement sur les<br />

revenus de la justice (placita), sur les dons volontaires (oblata) et sur les amendes<br />

imposées en cas de purprestures, c'est-à-dire lors des cas d’empiètement sur le domaine<br />

public (dont on peut imaginer qu’ils faisaient l’objet d’un contrôle plus aigu dans cette<br />

région). Ces revenus sont cependant assez faibles. Dans le cas du financement du<br />

532


chantier de Douvres par exemple, le roi doit faire appel à de multiples sources de<br />

revenus d’un montant souvent assez faible. En 1183, par exemple, le financement du<br />

chantier dont le coût s’élève à £480 70s., provient d’une vingtaine d’individus<br />

différents 40 :<br />

Revenus Fermier £ s D mc Travaux<br />

in operatione castelli de<br />

corpus firma<br />

Robertus filius Bernardi 129 16 11 Dovra<br />

133 10 7 in predicta operatione<br />

de veteri firma de<br />

propresturarum<br />

firma de Dovra<br />

de propresturis<br />

de placitis ad<br />

Scaccarium<br />

de placitis curie<br />

de placitis Ricardi de<br />

Pech et sociorum eius<br />

Robertus filius Bernardi 35 13 8 in predicta operatione<br />

Robertus filius Bernardi 10<br />

in liberatione Mauricio<br />

(ingeniator)<br />

Robertus filius Bernardi 63 6 in predicta operatione<br />

Hamo filius Widonis 2 in predicta operatione<br />

Rogerus Witpese 28 in predicta operatione<br />

Ricardus Merciarius 19 in predicta operatione<br />

Benedictus Judeus de<br />

Cantuaria 5 in predicta operatione<br />

Ysaac Judeus 5 in predicta operatione<br />

Simon de Chelefeld 1 in predicta operatione<br />

Willelmus de Delce 2 in predicta operatione<br />

Mauricis de Wadenhala 2 in predicta operatione<br />

Joahnnes de Tregoz 20 in predicta operatione<br />

Johannes filius Viviani 50 in predicta operatione<br />

Gervasius de Ospringa 44 13 4 in predicta operatione<br />

Robertus de Marci 30 in predicta operatione<br />

Warinus filius Fulcheri 2 in predicta operatione<br />

Willelmus de Becco 4 in predicta operatione<br />

Johannes Monacus et<br />

Emma uxor eius 39 2 in predicta operatione<br />

Willelmus de<br />

Godwindeston 4 in predicta operatione<br />

Willelmus de Cyriton 100 in predicta operatione<br />

Johannes Monacus 1 in predicta operatione<br />

Les montants les plus élevés proviennent des transferts du trésor royal comme en<br />

1184 par exemple, lorsque Henri II fait transférer £700 104s. 7d., ou encore en 1190,<br />

année où Richard fait transférer 500£ 29s. 8d du trésor royal, et 500 marcs du change de<br />

Londres pour financer les constructions qui s’élèvent, cette année là, à £568 3s. 41 .<br />

40 PR 29 H.II, p. 154-160.<br />

41 PR 30 H.II, p. 150 : de DCC li. CIIII sol. et VII den. quas recepit de thesauro et de superiore misa<br />

vicecomitum quam ipse recepit ; PR 2 Richard, p. 4.<br />

533


Moins étonnante est la relation entre les escheats, les Midlands, le Yorkshire et<br />

l’East Anglie (Essex), trois régions dans lesquelles les révoltes et les résistances<br />

baronniales à l’affirmation du pouvoir royal ont été les plus violentes (voir chapitre 2).<br />

Si les Plantagenêt ont ponctionné les terres des honneurs dont ils avaient la garde, ils<br />

n’ont pas particulièrement abusé de ces revenus pour financer leurs constructions, les<br />

dépenses restant relativement faibles. Quant aux revenus des vacances épiscopales et<br />

abbatiales, ils concernent surtout deux évêchés : celui de Lincoln et celui de Salisbury.<br />

L’évêché de Lincoln est administré par des agents royaux durant de longues périodes<br />

(de 1167 à 1172, de 1182 à 1186, puis à nouveau en 1201, 1202, 1207 et pendant la<br />

période de l’Interdit en 1211 et 1212). Si une part importante de ces revenus épiscopaux<br />

a été employée au chantier de reconstruction de la cathédrale dans les années 1170, ainsi<br />

qu’à l’entretien des demeures épiscopales de Newark, Buckden, Bandbury, Sleaford,<br />

Selsey, Stow, etc., les demeures royales de Bridgnorth, Hanley et Faierford ont<br />

également pr<strong>of</strong>ité des rentes épiscopales. En 1183, Henri II en tire £100 pour financer sa<br />

fondation de Waltham, mais c’est surtout l’évêché de Salisbury, en vacance entre 1185<br />

et 1189, qui est mis à contribution pour financer les fondations royales de Amesbury et<br />

Witham (au total £416) 42 . On peut donc dire que, globalement, l’argent de l’Église est<br />

resté à l’Église.<br />

La multiplication des ressources financières<br />

À partir de la dernière décennie du XII e siècle et surtout dans les premières<br />

années du XIII e siècle, le système d’affermage à taux fixe devient de plus en plus<br />

perméable à l’inflation des prix, qui augmentent de manière fluctuante jusqu’en 1220 43 .<br />

Alors que le montant de la ferme du comté, fixé par la coutume, ne change quasiment<br />

pas jusqu’à la fin du XIII e siècle, les prix triplent au cours de la même période 44 . Pour<br />

faire face aux pertes importantes provoquées par la hausse des prix, les Plantagenêt,<br />

dont tous les domaines royaux étaient tenus à ferme en Angleterre, expérimentent toute<br />

42 PR 31 H.II, p. 204-5; PR 32 H.II, p. 167 ; PR 33 H.II, p. 187 ; PR 34 H.II, p. 185.<br />

43 HARVEY, P. D. A., « The English inflation 1180-1220 », Past & Present, 61 (1973), p. 3-30. Les<br />

analyses de Paul Harvey ont été depuis maintes fois réévaluées. Pour une synthèse des différents apports,<br />

voir : LATIMER, P., « The English inflation <strong>of</strong> 1180-1220 Reconsidered », Past & Present, 171 (2001),<br />

p. 3-29.<br />

44 FARMER, D. L., « Some price fluctuations in Angevin England », The Economic History Review, 9: 1<br />

(1956), p. 34-43 ; LATIMER, P., « Early thirteenth-century prices », dans King John. New<br />

Interpretations, 2003, p. 41-73 : les prix n’ont pas augmenté de manière continue mais par paliers<br />

successifs, par de fortes fluctuations annuelles et surtout à partir de 1200.<br />

534


une série d’expédients financiers 45 . Dans un premier temps, ils réclament aux shérifs la<br />

déclaration à l’Échiquier des revenus supplémentaires produits par les manoirs royaux :<br />

ceux provenant de la mise en essart de nouvelles terres du domaine ou de<br />

l’augmentation de la population soumise au cens 46 . L’augmentation des revenus de la<br />

production des domaines royaux est alors enregistrée dans une rubrique dénommée « de<br />

l’incrément du comté » (de cremento comitatuum) ou du manoir ou du bourg, etc. Cette<br />

rubrique, qui apparaît dès les années 1160, permet, en 1171 par exemple, de lever des<br />

revenus pour alimenter les constructions de Nottingham 47 . En 1199, 11 des 29 shérifs<br />

doivent rendre compte de ces incréments 48 . En 1194, Richard réussit à en tirer plus de<br />

1000 marcs, ce qui fait des incréments une ressource supplémentaire substantielle. Si le<br />

montant de ces incréments est également fixé par la coutume, leur nombre peut être<br />

régulièrement réévalué : lorsqu’un nouveau shérif est nommé ou lors d’un changement<br />

de règne. Ainsi, au début du règne de Jean, Reginald Basset rend compte de la ferme du<br />

comté du Warwickshire et du Leicestershire, ainsi que de son nouvel incrément (novo<br />

cremento) dont 100s. sont déduits pour les réparations du château de Mountsorel 49 . Puis,<br />

en 1211, £361 7s. sont déduites du nouvel incrément de cette même ferme (dont les<br />

comptes sont rendus par Guillaume de Canteloup et Walter le Puhier), pour les travaux<br />

du château de Kenilworth. La déclaration de ces revenus ne permet cependant pas<br />

d’endiguer la baisse de la rente foncière qui s’accentue au cours de la période. En 1202,<br />

les incréments n’augmentent le revenu coutumier de la ferme que d’un tiers, et en 1212,<br />

de moins d’un quart 50 . Malgré leurs faibles rendements, la suppression des incréments<br />

constitue une revendication baronniale que la Magna carta entérine en 1215, avant que<br />

les rééditions ultérieures de la Grande Charte ne reviennent dessus. Les incréments<br />

réapparaissent donc au début du règne d’Henri III 51 .<br />

45<br />

TURNER, R. V., King John, England’s Evil King ? 2005, expose ces innovations dans le chapitre 4,<br />

p. 67-86.<br />

46<br />

TAIT, J., « The Firma Burgi and the commune in England, 1066-1191 », E.H.R., 42: 167 (1927), p.<br />

321-360.<br />

47<br />

PR 17 H.II, p. 49.<br />

48<br />

HARRIS, B. E., « King John and the sheriff's farms », E.H.R., 79: 312 (1964), p. 532-542;<br />

CARPENTER, D. A., « The decline <strong>of</strong> the curial sheriff in England 1194–1258 », E.H.R., 91: 358 (1976),<br />

p. 1-32.<br />

49<br />

PR 1 Jean, p. 247.<br />

50<br />

HARVEY, P. D. A., « The English Inflation 1180-1220 », Past & Present, 61 (1973), p. 3-30 cite<br />

MILLS, M. H., « Experiments in Exchequer procedure 1200-1232 », T.R.H.S., 8 (1925), p. 151-170.<br />

51<br />

HOLT, J. C., Magna Carta, 1961, p. 324 :-25 : clause 25 : omnes comitatus, hundredi, wapentakii et<br />

trethingi sint ad antiquas firmas absque ullo incremnto, exceptis domincis maneriis nostri (toutes les<br />

fermes des shires, hundres, wapentakes et rindings seront ramenées à leur ancien montant sans les<br />

incréments, à l’exception de celles de nos propres manoirs). MILLS, M. H., « Experiments in Exchequer<br />

procedure 1200-1232 », T.R.H.S., 8 (1925), p. 151-170(p. 166).<br />

535


Ce système, qui permet à la Couronne de conserver, dans un premier temps, le<br />

système de l’affermage, alors qu’une grande partie de l’aristocratie anglaise passe au<br />

système du faire-valoir direct, s’avère cependant rapidement inefficace 52 . En 1204, Jean<br />

décide donc de suivre la voie prise par la plupart de ses tenanciers et nomme des<br />

gardiens (custodes) à la place des shérifs, chargés de rendre compte non seulement de la<br />

ferme du comté mais également des pr<strong>of</strong>its supplémentaires 53 . Cette charge de gardien,<br />

qui donnait aux shérifs les fonctions d’un bailli plutôt que celles d’un fermier, était<br />

jusqu’à présent utilisée uniquement pour la gestion des escheats ou des vacances<br />

épiscopales. En 1205, elle concerne désormais à douze comtés. Au cours des années<br />

suivantes, ce système permet d’augmenter les revenus de la Couronne d’un tiers, mais il<br />

est rapidement abandonné pour des raisons à la fois politiques et administratives 54 . Les<br />

nombreuses et multiples fonctions du shérif rendaient en effet difficile une gestion<br />

méticuleuse des domaines et les possibilités de vérifier son action étaient très limitées.<br />

Le système de l’incrément et la tentative de passage à une administration en<br />

faire-valoir direct ne permettent cependant pas de préserver les revenus de la Couronne<br />

de l’inflation. Les Plantagenêt doivent donc trouver d’autres expédients financiers. Nick<br />

Barratt souligne l’augmentation des revenus venant de la benevolentia ou de la gratia<br />

regis à partir du règne de Richard, mais selon lui, ces revenus au montant fixé<br />

arbitrairement sont, par la suite, « cyniquement » exploités par Jean, jusqu’à devenir un<br />

véritable « racket » financier dont le but est également de tester la loyauté des barons 55 .<br />

En 1171, quand Henri II peut obtenir 10 marcs pour la construction du château de<br />

Nottingham des revenus d’une charte qu’Andrea fils de Picte réclamait pour bénéficier<br />

de la paix du roi, Richard obtient 100 marcs, en 1191, pour émettre une charte en faveur<br />

de Robert de Crèvecoeur, lui concédant le manoir de Renham. Il en tire £29 pour les<br />

constructions de Douvres. L’année suivante, les constructions du château de Hastings<br />

(£46 5s.) sont financées à partir de £1626 3s. 8d. que le roi a reçus contre l’émission<br />

d’une charte pro benevolentia regis habenda, en faveur de l’abbé de Fécamp et en 1208,<br />

52 HILTON, R. H., « <strong>Free</strong>dom and villeinage in England », Past & Present, 31 (1965), p. 3-19;<br />

HARVEY, P. D. A., « The English inflation 1180-1220 », Past & Present, 61 (1973), p. 3-30 ; MILLER,<br />

E., « England in the twelfth and thirteenth century: an economic contrast? », Economic History Review,<br />

24 (1971), p. 1-14. L’idée que l’inflation serait la cause du passage au faire-valoir direct a été remise en<br />

cause, si elle est un facteur, on ne peut cependant conclure qu’elle en constitue une conséquence directe.<br />

LATIMER, P., « The English inflation <strong>of</strong> 1180-1220 Reconsidered », Past & Present, 171 (2001), p. 3-<br />

29.<br />

53 HARRIS, B. E., « King John and the Sheriff's Farms », E.H.R., 79: 312 (1964), p. 532-542.<br />

54 Voir l’introduction de Patricia Barnes dans PR 16 Jean, p.xx-xxiii.<br />

55 BARRATT, N., « The English revenues <strong>of</strong> Richard I », E.H.R., 116: 467 (2001), p. 635-656.<br />

536


Jean demande 40 marcs, qu’il attribue aux constructions de Hastings, aux barons de<br />

Peverel contre l’autorisation de créer une ville comme il leur convient.<br />

La même tendance à la hausse peut s’observer concernant les droits de tutelle et<br />

de mariage des héritiers et des héritières. Alors qu’Henri II demande seulement 40<br />

marcs à Alain de Saint-Georges contre le droit d’épouser la femme de Richard de Goviz<br />

– ce qui permet en partie de financer le chantier de Salisbury (£20) – Richard demande<br />

200 marcs à Ailred de Lincoln en échange du droit de se marier où il le veut, et Jean<br />

£313 6s. 8d. à Guillaume d’Albini afin d’obtenir la dot et l’héritage d’Agathe de<br />

Trossebut 56 . Une partie seulement de ces droits (106 s. 8s. en 1193, et 10 marcs en<br />

1199) contribue à financer le chantier de Corfe.<br />

Les « pr<strong>of</strong>its du roi » (pr<strong>of</strong>iscuum regis), générés par le change de la livre<br />

continentale en livre sterling, constituent un autre type de revenu extraordinaire<br />

développé dès le règne d’Henri II. En fixant le nouveau poids de référence de la livre à<br />

350 g (Tower pound) – c'est-à-dire légèrement inférieur à celui de la livre de Troyes<br />

(Troy pound) qui vaut alors 373 g – Henri II permet aux ateliers monétaires de la<br />

Couronne de générer un pr<strong>of</strong>it à chaque conversion de la monnaie continentale en livre<br />

sterling 57 . Ainsi, en 1196, Odon Petit et Nigel Le Roux rendent compte « des pr<strong>of</strong>its du<br />

change de la précédente monnaie de l’ancien terme » 58 (de pr<strong>of</strong>icuo cambii de predicta<br />

pecunia de predicto termino), ce qui permet de payer 15 marcs à Elyas, l’ingénieur du<br />

roi, chargé des travaux du château d’Hastings. En 1208 et 1209, Jean est alors capable<br />

de dégager plus de £150 des « pr<strong>of</strong>its du comté » du Northamptonshire pour les travaux<br />

des demeures royales du château de Northampton 59 . Puis, en 1210, il retire cette fois-ci<br />

plus de £670 des pr<strong>of</strong>its du change d’York qui permettent de financer divers travaux à<br />

Scarborough, York, Pickering et Pocklington 60 .<br />

56 PR 22 H.II, p. 74: Alanus de Sancto Georgio de XL m pro habenda uxore Ricardi de Goviz cum<br />

benivolentia regis : PR 5 Richard, p. 83 : Alvredus de Lincolnie de CC m pro fine suo et pro se maritando<br />

ubi volerit ; PR 1 Jean, p. 111 : Willelmus de Albenni de CCCXIII li. VIs. VIIIs. pro habenda Agatha<br />

Trussebut in uxorem cum hereditate sua.<br />

57 NIGHTINGALE, P., « The King’s pr<strong>of</strong>it: trends in the English mint and monetary policy in the<br />

eleventh and twelfth century », dans Later Medieval Mints: Organisation, Administration and<br />

Techniques, 1988, p. 61-75 cite ALLEN, D. F., A Catalogue <strong>of</strong> English Coins in the British Museum :<br />

The Cross-and-Crosslets (Tealby) Type <strong>of</strong> Henry II, 1951, I, p. xli. C’est seulement à partir du règne<br />

d’Édouard III, que l’unification des mesures en Angleterre est réalisée à partir de la livre avoirdupois<br />

pesant 453 g ; MAYHEW, N. J., Sterling: The History <strong>of</strong> Currency, 2000.<br />

58 PR 8 Richard, p. 20 : compotus de Odonus Parvi et Nigellus Ruffi (de pr<strong>of</strong>icuo cambii de predicta<br />

pecunia de predicto termino) ; 15 marcs Elye ingeniatori ad faciendam opus regis in castello de<br />

Hastinges.<br />

59 PR 10 Jean, p. 173; PR 11 Jean, p. 187 : de pr<strong>of</strong>iscuo comitatus hoc anno in operatione domorum regis<br />

in castello de Norhanton.<br />

60 PR 12 Jean, p. 149.<br />

537


En 1204, Jean confie la levée des revenus de la ferme du quinzième des<br />

marchands (Quindena Mercatorum) à Guillaume de Wrotham, l’archidiacre de Taynton,<br />

Réginald de Cornhill et Guillaume de Furnell. Cette ferme résulte de la levée d’une taxe<br />

d’1/15 e sur les navires des marchands français dans les Cinque Ports 61 . Selon F. Brooks,<br />

cette taxe existe sans doute avant 1204, mais à partir de cette date, elle est la<br />

responsabilité spécifique de trois gardiens, dès lors investis de larges pouvoirs<br />

d’interférence dans les affaires maritimes 62 . La fédération des Cinque Ports existait à<br />

l’époque d’Edward le Confesseur et réunissait plusieurs ports autour des cinq<br />

principaux : Sandwich, Douvres, Hythe, Romney et Hastings. Dans ces ports était exigé<br />

un service naval 63 . Grâce à cette taxe, Jean fait notamment réparer les châteaux de<br />

Southampton, Hastings et la Tour de Londres 64 .<br />

Si les Plantagenêt ont mobilisé toutes ces sources de revenus pour financer les<br />

constructions, c’est aussi parce que la taxation des communautés locales reste largement<br />

insuffisante pour couvrir les coûts des chantiers. La levée de taxes spécifiques comme<br />

les aides ou les tailles pour les constructions du roi sont pourtant courantes à cette<br />

époque, mais les sommes levées restaient généralement assez limitées.<br />

Les revenus engendrés par les chantiers eux-mêmes<br />

L’ouverture d’un chantier de construction constitue très fréquemment un<br />

moment propice pour organiser l’installation de communautés d’habitants attirés par les<br />

activités économiques développées autour du château. En ce sens, les châteaux<br />

médiévaux ont participé à la transformation du paysage social en polarisant l’espace et<br />

en favorisant la fixation de nouvelles communautés 65 . La création ou l’élargissement de<br />

ces communautés « castrales » s’accompagne de nouvelles sources de revenus (taille<br />

fixée pour les franchises, droits banaux et droits fonciers) à partir desquelles le chantier<br />

peut être financé. La création du bourg neuf de la Couture aux Andelys ou encore celui<br />

61<br />

Rot. Lit. Pat., p. 42.<br />

62<br />

BROOKS, F. W., « William de Wrotham and the <strong>of</strong>fice <strong>of</strong> keeper <strong>of</strong> the King's ports and galleys »,<br />

E.H.R., 40: 160 (1925), p. 570-579.<br />

63<br />

RODGER, N. A. M., « The naval service <strong>of</strong> the Cinque Ports », E.H.R., 111: 442 (1996), p. 636-651 :<br />

Douvres et Sandwich devaient fournir 20 bâteaux pendant 15 jours, avec une équipe de 21 marins ,<br />

Fordwich, Romney et peut être aussi Hythe et Hasting devaient un servir à peu près similaire. voir aussi<br />

HOOPER, N., « Some Observations on the Navy in late Anglo-Saxon England », dans Studies in<br />

Medieval History presented to R. Allen Brown, 1989, p. 203-213; HOLLISTER, C. W., Anglo-Saxon<br />

Military Institutions on the Eve <strong>of</strong> the Norman Conquest, 1962, p. 116-122.<br />

64<br />

PR 6 Jean, p. 219.<br />

65<br />

LIDDIARD, R., Landscapes <strong>of</strong> Lordship. Norman Castles and the Countryside in Medieval Norfolk,<br />

1066-1200, 2000; CREIGHTON, O. H., Castles and Landscapes. Power, Community and Fortification in<br />

Medieval England, 2002.<br />

538


du Val de Reuil (Le Vaudreuil) ont ainsi généré d’importants revenus pour la<br />

fortification de la vallée de la Seine. En 1198, Nicolas de Vikis, Gislebert le Changeur<br />

et Gislebert Belot pour eux-mêmes et pour Richard de Vernon déduisent £ a 100 des<br />

revenus de la ville du Vaudreuil, qu’ils ont donné à Robert fils d’Aelard pour les<br />

travaux du pont de Port-Joie 66 . En 1195, Richard demande 25 marcs aux citoyens de<br />

Colchester afin de participer à la réparation de la demeure et du château royal, en<br />

échange des franchises de leur ville 67 . En 1211, Jean exige à son tour £50 et 1 marc aux<br />

hommes de Wareham pour financer les travaux à Corfe en échange d’une charte<br />

royale 68 .<br />

À Orford, la communauté des habitants est également mise à contribution, bien<br />

que la levée de taxes locales ne soit pas perceptible dans les pipe rolls. Le Livre rouge<br />

de l’Échiquier contient cependant quelques mentions, comme celle relative à l’année<br />

1184, désignant « les hommes de William de Corci de la petite Seigham [qui] n’ont pas<br />

donné au shérif ni aux prévôts du roi la somme de 16 deniers, qu’ils doivent pour le<br />

chantier du château d’Orford, c’est à dire à Walter Praetor et ses serviteurs » 69 .<br />

Sur les rouleaux de l’Échiquier normand, apparaît la « taille des fossés des<br />

châteaux royaux » qui est établie pour financer les travaux du duc. Dès 1180, sur le<br />

compte de la vicomté d’Alençon, il est question d’un cens prélevé sur les fossés pour<br />

réparer les châteaux de Gorron et de la Fosse Louvain 70 . En 1195, également, Radulf de<br />

Cotevrart, le vicomte du Romeis (c'est-à-dire la région de Rouen) est chargé de financer<br />

une partie des travaux à Rouen, Pont-de-l’Arche et Le Vaudreuil à partir du « droit<br />

accordé de lever une taille pour faire des fossés des châteaux du roi » 71 . Le montant<br />

total des opérations financées par cette taille s’élève alors à £ a 761. En 1198, la « taille<br />

pour faire les fossés d’Eu » est prélevée dans différents baillages : dans le Roumeis, à<br />

Pont-Audemer et à Arques, mais elle sert surtout à financer les travaux de Château<br />

66 MRSN, II, p. 449 : Nicolas de Vikis, Gislebertus Cambitor, Gislebertus Belot per se et per Ricardus de<br />

Vernon, de exitu ville ; £ a 100 Roberto filio Aelardi ad operationes pontis de Portu Gaudii.<br />

67 PR 7 Richard, p. 219 : cives de Colecestrie de XXV marcas pro habendis libertativus ville sue ; XXV<br />

marcas Johannis filii Godefridi constabulario de Colcestrie ad reparationem domus et castello de<br />

Colcestrie, per breve regis.<br />

68 PR 13, Jean, p. 226 : Homines de Warham de L li. et I m. pro habenda carta regis : L li. et I m.<br />

Willelmo de Harecurt ad operationem castri de Corfe per breve regis.<br />

69 HALL, H. (éd.), The Red Book <strong>of</strong> the Exchequer, 1965 [1896], p. CCLXXX, n°54 : Homines Willelmi<br />

de [Corci] de parva Seigham nil dederunt Vicecomit[i] neque prepositis regis praeter XVI d. quod<br />

dederunt ad castellum firmandum de Oreford scilicet Waltero Praetori et eius servientibus.<br />

70 MRSN, I, p. 23-24.<br />

71 MRSN, II, p. 156 : Radulfus de Cotevart, de recta sua de tallagio facto ad fossata castrorum Regis<br />

faciendo.<br />

539


Gaillard et de Radepont (£ a 534 au total) 72 . Une taille est également levée cette année-là<br />

dans « l’honneur des comtes d’Evreux pour faire faire les fossés et restaurer les murs de<br />

la cité » 73 . Elle permet de couvrir les coûts de « la réfection de ces dits fossés et le<br />

rehaussement des murs dudit château » qui s’élèvent à £ a 190 2s. 3s.<br />

Selon Vincent Moss, ce type de taille, que l’on rencontre assez couramment dans<br />

les rouleaux de 1195 et 1198, ne collectaient souvent que des sommes assez modestes.<br />

Elles n’en constituaient pas moins un élément clé de ce qu’il appelle la « révolution<br />

fiscale normande » 74 . Le cœur de cette révolution fiscale reposait, en effet, sur<br />

l’accroissement des revenus des tailles et des prêts. En 1198, le montant des tailles<br />

levées sur les bailliages s’élevait à plus de £ a 19600, alors qu’en 1180, le montant de la<br />

taille levée sur la ville de Lyons-la-Forêt ne dépassait pas £ a 66 soit près de 0,05% des<br />

revenus. En 1198, il n’y a pas moins de cinq tailles fiscalement significatives, dont celle<br />

qui a pour but de financer la construction des fortifications d’Eu et qui s’étend sur deux<br />

ans.<br />

Afin d’administrer le chantier de Château Gaillard, dont le financement mobilise<br />

de nombreuses sources de revenus, Richard fait appel à trois hommes : Sawale fils<br />

d’Henri, Robert fils d’Herman et Mathieu fils d’Enard. Sur les comptes de 1198, ils<br />

apparaissent comme des sortes de maîtres d’œuvre chargés de collecter les fonds et de<br />

gérer l’approvisionnement du chantier. Le détail de la comptabilité du chantier constitue<br />

à ce titre un document tout à fait exceptionnel pour la fin du XII e siècle, par la précision<br />

des détails concernant les dépenses au sein même du chantier. Le tableau 6.8, qui<br />

propose une ventilation des revenus et des dépenses des constructions des Andelys en<br />

1197 et 1198, donne un aperçu du fonctionnement d’un chantier au XII e siècle. La<br />

manière dont les comptes sont rendus à l’Échiquier laisse penser qu’ils étaient un<br />

résumé de comptabilités multiples, organisées en secteurs d’activités : la maçonnerie (in<br />

maconnereia), les travaux de la forge (fabris et in carbone forgiarum), la charpenterie<br />

(qui operabantur predicta maremia postquam fuerunt in plantea apportata), etc. Le rôle<br />

de Sawale et de ses compagnons visait donc vraisemblablement à recruter, diriger et<br />

coordonner les différentes équipes composant le chantier. Parce qu’ils impliquaient la<br />

réorganisation du marché du travail à l’échelle locale, la mise en route d’un chantier, et<br />

a fortiori, de plusieurs chantiers en même temps, comme dans la vallée de la Seine,<br />

72<br />

MRSN, II, p. 429 : de taillagio facto in baillia de Archa ad fossata de Augo ; p. 447, 457 : de taillagio<br />

facto ad fossata de Augo.<br />

73<br />

MRSN, II, p. 464 : de tallagio facto in honore ad fossata Ebroicum reficiendum et muros hordanda.<br />

74<br />

MOSS, V., « The Norman fiscal revolution 1193-1198 », dans Crisis, Revolutions and Self-Sustained<br />

Growth, Essays in European Fiscal History 1130-1830, 1999, p. 38-57.<br />

540


dans la dernière décennie du XII e siècle, faisait des Plantagenêt les premiers acteurs<br />

économiques de la région 75 . Pourtant d’importants chantiers ont également lieu en<br />

Normandie à cette date. Lindy Grant a ainsi tenté de comparer Château Gaillard et ce<br />

que l’on peut savoir des chantiers des cathédrales à la même date, en Normandie 76 . Elle<br />

a pu observer, par exemple, que la nef de la cathédrale de Lisieux, érigée entre 1165 et<br />

1178, a coûté £ a 12 000 (selon une lettre d’Arnulf de Lisieux) et que le montant de la<br />

Merveille du Mont-Saint-Michel s’élève déjà à £ a 20 000 en 1226. Mais, tandis que les<br />

£ a 12 000 (soit près d’un quart du coût du complexe de Château Gaillard), représentent le<br />

coût d’un chantier d’une dizaine d’année, Château Gaillard est érigé en un peu moins de<br />

trois ans. L’impact des cathédrales dans l’organisation économique et sociale de la<br />

Normandie à la fin du XII e siècle était donc certes d’une moindre intensité, mais de plus<br />

longue durée.<br />

Les rouleaux de l’Échiquier permettent donc d’explorer assez précisément la<br />

manière dont les chantiers royaux sont financés et organisés à la fin du XII e siècle, en<br />

Angleterre et en Normandie. Sans la centralisation des redditions de comptes, les<br />

Plantagenêt auraient-ils d’ailleurs été capables de mobiliser et d’orienter rapidement<br />

autant de sources différentes de revenus ? Si les shérifs et des fermiers royaux ont été<br />

des intermédiaires financiers majeurs dans l’organisation des constructions royales,<br />

comment s’effectuait concrètement la redistribution des revenus au sein même du<br />

chantier ? Dans le cas de Château Gaillard, les fermiers royaux sont les maîtres d’œuvre<br />

du chantier, mais sur les autres chantiers, qui sont les maîtres d’œuvre et quelle est leur<br />

place au sein du personnel permanent des châteaux royaux ?<br />

1.2- La garde des châteaux et des demeures royales et<br />

l’administration des constructions<br />

Les tentatives de réforme de la collecte des revenus par les shérifs menées par<br />

Richard et Jean s’inscrivent dans un long processus, qui s’étend des années 1160<br />

jusqu’à la fin du XIII e siècle. Ces réformes contribuent à modifier progressivement le<br />

rôle du shérif, dont l’accroissement des tâches administratives s’effectue aux dépens de<br />

ses fonctions de commandement et de son rôle judiciaire, désormais confié à des juges<br />

75 BOUCHERON, P., Le pouvoir de bâtir. Urbanisme et politiques édilitaire à Milan (XIII e -XV e siècles),<br />

1998, p. 439. À Milan, par exemple, en faisant appel à une multitude de petites entreprises, les chantiers<br />

engendraient des auréoles de dynamisme économique autour d’eux.<br />

76 GRANT, L., « Building a church in early gothic Normandy », dans Pierre, lumière, couleur : études<br />

d'histoire de l'art du moyen âge en l'honneur d'Anne Prache, 1999, p. 117-126.<br />

541


itinérants (justices in Eyres) 77 . À la fin du XIII e siècle, la figure du shérif de cour, issu<br />

de l’aristocratie baronniale, tend à disparaître pour laisser place à un recrutement au sein<br />

de la petite chevalerie et du groupe des administrateurs royaux 78 . Sur le continent, on<br />

observe une tendance similaire, avec à partir de 1174 (aux lendemains de la révolte des<br />

barons), la réforme des fonctions de sénéchal en Normandie et en Anjou et l’apparition<br />

de la fonction de Justicier chargé de faire appliquer la justice royale 79 . La multiplication<br />

des tâches administratives du shérif et des sénéchaux, désormais investis de pouvoirs<br />

généraux et permanents, se traduit par l’essor d’un personnel au niveau vicomtal chargé<br />

d’effectuer les tâches en leur nom. L’essor des servientes et des ministeriales est un<br />

phénomène visible à partir de la fin du XII e siècle en Angleterre, comme sur le<br />

continent. Il s’agit d’hommes aux pr<strong>of</strong>ils divers dont les textes permettent rarement de<br />

saisir la spécialisation, mais dont les activités couvrent aussi bien le comptage des<br />

deniers, que le contrôle du territoire et la garde des châteaux.<br />

Au niveau local, le personnel au service du roi accomplissait des fonctions de<br />

gardiens, connétables et maîtres d’œuvre des chantiers chargés de l’approvisionnement<br />

en matériaux et du recrutement des ouvriers, et au niveau central, à l’Échiquier, où il<br />

effectuait le contrôle de la comptabilité des shérifs et leur attestation. Comment ces<br />

différentes fonctions s’articulent-elles et s’entremêlent-elles ? Et dans quelle mesure, les<br />

chantiers, comme lieux d’interaction entre administration locale et centrale, ont-ils<br />

contribué à renforcer le pouvoir territorial du roi en Angleterre ?<br />

1.2.1- Le personnel permanent des châteaux : fonctions et rémunérations<br />

Le rôle des gardiens, vigiles et portiers<br />

La composition du personnel des châteaux en Angleterre fait depuis longtemps<br />

l’objet de débats et de réactualisations successives, qu’il s’agisse du service de garde<br />

exploré par John H Round, puis par Sir Francis Stenton et Sidney Painter 80 ou du statut,<br />

77<br />

MORRIS, W. A., The Medieval English Sheriff to 1300, 1968, [1927] ; BOORMAN, J., « The sheriffs<br />

<strong>of</strong> Henry II and their role in civil litigation 1154-89 », unpublished PhD,1989; BOORMAN, J., « The<br />

sheriffs <strong>of</strong> Henry II and the significance <strong>of</strong> 1170 », dans Law and Government in Medieval England and<br />

Normandy : essays in honor <strong>of</strong> Sir James Holt, 1994, p. 255-275; BEAUROY, J., « Centralisation et<br />

histoire sociale: remarques sur l'Inquisitio Vicecomitum de 1170 », C.C.M., 37 (1994), p. 3-24.<br />

78<br />

CARPENTER, D. A., « The decline <strong>of</strong> the curial sheriff in England 1194–1258 », E.H.R., 91: 358<br />

(1976), p. 1-32.<br />

79<br />

BOURNAZEL, É., « Société féodale et fonction publique (fin Xe milieu XIIIe siècle) », dans Histoire<br />

de la fonction publique en France, 1993, p. 115-309.<br />

80<br />

ROUND, J. H., « Castle Guard », Archaeological Journal, 59 (1902), p. 144-159; ROUND, J. H.,<br />

« Castle Watchmen », E.H.R., 35: 139 (1920), p. 400-401; STENTON, F. M., The First Century <strong>of</strong><br />

English Feudalism, 1066-1166 being the Ford lectures delivered in the University <strong>of</strong> Oxford in Hilary<br />

542


des fonctions et de la sociologie du personnel permanent, qui a fait l’objet des travaux<br />

de Gaillard Lapsey, John H. Harvey et, plus récemment, de Richard R. Heiser 81 . Des<br />

deux types de garde de châteaux qui existaient à la fin du XII e siècle, seule celle<br />

accomplie par les ministériaux, gardiens rémunérés par des gages annuels fixes ou<br />

variant selon les responsabilités et le statut social des agents, nous intéressent ici. Les<br />

gardes liées au service féodal, qui permettent aux châteaux royaux de disposer d’une<br />

garnison, ont été écartées, car les hommes mobilisés pour le service féodal n’ont<br />

pratiquement aucun lien avec la gestion du chantier même s’ils pouvaient participer<br />

d’une manière ou d’une autre aux travaux de terrassement, étant donné que la majorité<br />

des châteaux au XII e siècle n’ont jamais été assiégés, exceptés dans les espaces de<br />

marche 82 . En revanche, les fonctions de gardien ou de connétable recouvrent parfois<br />

celle de gardien des travaux du roi, lorsqu’ils avaient lieu.<br />

Parmi les gardiens permanents, plusieurs catégories peuvent d’emblée être<br />

distinguées : d’un côté, les shérifs, connétables, prévôts tiennent le château au nom du<br />

roi ; de l’autre, un personnel composé de vigiles, de portiers, de chapelains, et autres<br />

ministériaux. Ces derniers apparaissent souvent dans les pipe rolls, avec des gages d’un<br />

montant fixé par la coutume comme l’indique la mention « in liberatione constituta »<br />

ou « de libera statuta » (voir l’analyse factorielle présentée dans le chapitre 1 qui<br />

montre la relation entre les modalités « dépenses coutumières » et les modalités<br />

« vigiles » et « portiers », graphique 1.8). En Normandie, les gages des portiers, vigiles<br />

et janitores s’élèvent en moyenne à 60s. 10d. c’est le cas à Falaise, et cette moyenne se<br />

retrouve à Caen, à Argentan, au Vaudreuil, à Gorron, etc. (voir la carte 6.9) 83 . En<br />

Angleterre, la rémunération moyenne semble être de 15s. 2s. et ob. (soit quatre fois<br />

moins qu’en Normandie, conformément au taux de change de la livre) : c’est le cas à<br />

Dunster, Worcester, Bridgnorth, Hereford, etc. Cette norme est relativement répandue,<br />

car le vigile du manoir épiscopal de Banbury, reçoit la même somme « de elemosinis<br />

term 1929, 1968, p. 190-215; PAINTER, S., « Castle-Guard », The American Historical Review, 40: 3<br />

(1935), p. 450-459.<br />

81 LAPSLEY, G., « Some castle <strong>of</strong>ficers in the twelfth century », E.H.R., 33: 131 (1918), p. 348-359 ;<br />

ROUND, J. H., « The staff <strong>of</strong> a castle in the twelfth century », E.H.R., 35: 137 (1920), p. 90-97;<br />

HARVEY, J. H., « The King's chief carpenters », J.B.A.A., 3rd ser.: 11 (1949), p. 13-34 ; CLAY, C. T.,<br />

« The keepership <strong>of</strong> the old palace <strong>of</strong> westminster », E.H.R., 59: 233 (1944), p. 1-21; HEISER, R. R.,<br />

« Castles, constables, and politics in the late twelfth century English governance », Albion, 32: 1 (2000),<br />

p. 19-36.<br />

82 LIDDIARD, R., Castles in Context, 2005, p. 70-78.<br />

83 MRSN, I, p. 50. £9 2s. 6d. portario castri et gaiolario et vigili. Aux Adelys, les vigiles et les portiers<br />

sont rémunérés 8 deniers par jour en 1201 ; PACKARD, S. R. (éd.), Miscellaneous records <strong>of</strong> the<br />

Norman Exchequer (1199-1204), 1927.<br />

543


constitutis », en 1202, lorsque l’évêché de Lincoln est aux mains du roi 84 . À cette même<br />

date cependant, le portier du même manoir reçoit une somme légèrement supérieure<br />

(24s.). Souvent, en effet, la charge de portier est associée à des fonctions dépassant la<br />

simple garde du château, et s’accompagne d’une rémunération plus élevée. À<br />

Canterbury par exemple, à partir de 1175, le portier de la ville reçoit 20s. « parce qu’il a<br />

fait appliquer la justice de la cité ou du comté de Canterbury », sans doute comme agent<br />

du shérif à l’entrée de la ville 85 . En Normandie également, les portiers ont été<br />

généralement mieux payés, comme à Caen et à Domfront, où ils touchent<br />

respectivement, £ a 4 11s. 3d. et £ a 4 10s. En revanche, celui de Rouen touche £ a 9 2s, 6d.<br />

« de liberatione statuta », c'est-à-dire une somme identique à celle touchée par les<br />

portiers de Salisbury. Les rémunérations peuvent donc varier les lieux et les<br />

responsabilités de chacun, tandis que les vigiles n’avaient en général qu’un rôle de<br />

surveillance militaire 86 . Ainsi, Enguerran Le Portier est chargé des travaux de Beauvoir-<br />

en-Lyons en 1180 ; à Farindgon, un portier dénommé Guillaume doit superviser la<br />

construction de la prison en 1183 ; en 1174, le portier et les vigiles doivent réparer la<br />

porte et la tour du château de Portchester 87 . Gaillard Lapsley remarque que ces<br />

rémunérations peuvent s’accompagner de donations de terres qui apportaient une rente<br />

foncière 88 . Les pipe rolls enregistrent les paiements des portiers et vigiles seulement<br />

dans une quarantaine de châteaux, mais il est vraisemblable que ces ministériaux<br />

existaient dans l’ensemble des châteaux royaux. L’apparition de leurs rémunérations<br />

dans les pipe rolls pourrait alors signifier ou la persistance d’anciennes coutumes, ou<br />

bien qu’ils exerçaient des fonctions de garde spécifique en l’absence d’un connétable ou<br />

d’un gardien permanent.<br />

Les connétables et les prévôts<br />

Selon Richard Heiser, qui a réalité une petite prosoprographie des connétables<br />

anglais à la fin du XII e siècle, les shérifs tenaient approximativement la moitié des<br />

châteaux royaux en Angleterre, l’autre moitié étant alors gouvernée par des connétables<br />

84 PR 4 Jean, p. 277.<br />

85 PR 21 H.II, p. 212 : 20s. portario civitatis Cantuarie quia facit iusticiam comitatus.<br />

86 MRSN, I, p. 28; 56, 70 ; II, p. 154, 220, 304, 351.<br />

87 MRSN, I, p. 70 ; PR 29 H .II, p. 134; PR 20 H.II, p. 125.<br />

88 LAPSLEY, G., « Some castle <strong>of</strong>ficers in the twelfth century », E.H.R., 33: 131 (1918), p. 348-359 cite<br />

HALL, H. (éd.), The Red Book <strong>of</strong> the Exchequer, 1965 [1896], II, p. 452 : cas du portier d’Hereford,<br />

Caperon, dont les héritiers tenet per serianteriam custodiendi portam castri et habebit singulis diebus i<br />

denarium.<br />

544


ou des custodes 89 . La charge de connétable pouvait être tenue de manière héréditaire,<br />

mais le roi la concédait généralement à des familiers, plaçant ainsi ses hommes les plus<br />

loyaux à la tête des principales forteresses de son royaume 90 . Contrairement aux<br />

vicomtes, les prévôts qui sont chargés de gérer les domaines propres du roi, ne tenaient<br />

pas leur charge de manière héréditaire, ce qui permettait au roi de s’assurer de leur<br />

fidélité et de leur loyauté. La permanence de ces postes de prévôt ou de baillis était donc<br />

limitée, puisque le roi prenait garde à ce qu’ils ne tissent pas de liens trop forts avec<br />

l’aristocratie locale. R. Heiser montre que, à la fin du XII e siècle, les connétables et les<br />

custodes sont recrutés dans les mêmes milieux que les shérifs : ils appartiennent souvent<br />

aux parentèles baronniales ou aux cercles de la cour. Cependant, à partir du règne de<br />

Richard, le droit de garde d’un château commence à être monnayé par la Couronne.<br />

Benoît de Peterborough raconte en effet que lorsque Richard monte sur le trône en<br />

1189, il commence par remplacer l’essentiel du personnel qui composait la cour de son<br />

père :<br />

Il exigea d’eux de l’argent pour conserver leur <strong>of</strong>fice, et à ceux qui<br />

n’avaient pas assez il le reprit aussitôt et les envoya en prison, où ils<br />

n’avaient plus qu’à se lamenter et grincer des dents. Il installa ensuite<br />

d’autres shérifs dans les lieux libérés et il mit en vente toutes les<br />

autres charges, à savoir toute ce qui donne du pouvoir : les<br />

seigneuries, les comtés, les vicomtés, les châteaux, les villes, les<br />

forteresses etc. et toutes les autres choses similaires. 91<br />

Pour les charges de connétable, Richard choisit des hommes possédant une<br />

stature locale, plutôt que des courtisans. Les connétables devaient en effet avoir une<br />

certaine autorité et une bonne réputation au sein de leur juridiction. Leurs<br />

responsabilités n’étaient pas précisément définies, mais recouvraient diverses activités<br />

comme l’approvisionnement et le ravitaillement des garnisons, la collecte des taxes, etc.<br />

Ces tâches exigeaient donc du connétable une certaine maîtrise de l’espace qu’il<br />

contrôlait.<br />

89 HEISER, R. R., « Castles, constables, and politics in the late twelfth century English governance »,<br />

Albion, 32: 1 (2000), p. 19-36, donne la liste en annexe des connétables des châteaux royaux.<br />

90 Ibid. C’est le cas à Worcester et Bedford, à laquelle prétend la famille de Beauchamp ; à Richmond,<br />

tenue par les Fitz Ruald ; à Oxford, par Henri d’Oilli ; à Lincol, par Gerard de Camvill et à Rochester, que<br />

tenait les archevêques de Canterbury depuis Henri I er .<br />

91 PETERBOROUGH, II, p. 90 : Qui autem non habebat quantum ab eo exigebatur, statim capiebatur, et<br />

in carcerem mittebatur ubi erat fletus et stridor dentium, et alios vicecomites in loco depositorum<br />

instituit. Et omnia erant ei venalia, scilicet potestates, dominationes, comitatus, vicecomitatus, castella,<br />

villae, praedia et caetera iis similia. ; HEISER, R. R., « Richard I and his appointments to English<br />

shrievalties », E.H.R., 112 (1997), p. 1-19.<br />

545


Outre leurs rémunérations, les pipe rolls ne permettent pas de rassembler<br />

beaucoup d’informations sur les connétables et les gardiens de châteaux, qui restent<br />

souvent anonymes. Celles-ci sont très variables selon le château et sa localisation. Ainsi,<br />

Robert de Tresgoz, l’un des principaux barons du règne de Richard, est nommé<br />

connétable de Clarendon par Guillaume de Longchamp, pendant sa régence, ce qui lui<br />

rapporte les gages fixes d’un simple gardien, à savoir 60s. 10d. 92 . Au contraire, en 1193,<br />

le connétable de Bristol, qui n’est pas nommé, touche £50 pour la seule année 1193 93 . À<br />

Pontorson et à Vire, en 1180, le connétable, qui est le puissant magnat Guillaume du<br />

Hommet, touche £ a 100 pour la garde de chaque château 94 . Ces quelques exemples<br />

montrent que le statut social ne constitue pas la logique principale du mode de<br />

rémunération de cette fonction. En revanche, la localisation et les responsabilités qu’elle<br />

engendrait semblent plus déterminantes. Lorsqu’il s’agit d’un château situé dans les<br />

marches, en Pays de Galles, ou lorsqu’il s’agit d’un château récemment acquis par la<br />

couronne ou confisqué, les rémunérations des gardiens n’étaient pas limitées par la<br />

coutume ou incluaient sans doute d’importantes rétributions annexes. Astrid Lemoine-<br />

Descourtieux montre ainsi que la garde des forteresses de l’Avre était confiée à des<br />

connétables ou gardiens révocables, ce qui permettait de faire échapper ces charges au<br />

système de transmission héréditaire qui constituait alors un problème majeur pour le<br />

contrôle des lieux frontaliers 95 . Ainsi, à Alençon et Roche-Mabille en 1180 et 1184, le<br />

gardien reçoit £ a 300. Dans les années 1180, à Gisors et dans les châteaux du Vexin,<br />

Guillaume Mara, puis Martin de la Hose, reçoivent près de £ a 150 pour garder les<br />

châteaux face aux rois de France 96 . Hormis certains paiements fixes, il semble que la<br />

plupart des rémunérations des gardiens des châteaux royaux étaient évaluées selon le<br />

bon plaisir du roi. À partir de 1176, Roger de Glanvill, un parent du célèbre justicier<br />

d’Henri II est nommé à la garde du château de Newcastle-upon-Tyne et reçoit £30<br />

annuellement « quamdiu regi placuerit » 97 . À Northam, la rémunération est de £16 3s.<br />

6d. dans les dernières années de Henri II, mais s’élève à £26 6s. 3d. sous Richard et à<br />

50 marcs en 1212 98 . Des rémunérations en nature s’ajoutaient généralement à ces gages.<br />

92 PR 3 Richard, p. 85 ; PR 4 Richard, p. 294 ; PR 5 Richard, p. 134.<br />

93 PR 5 Richard, p. 113, 118.<br />

94 MRSN, I, p. 40.<br />

95 LEMOINE-DESCOURTIEUX, A., « Les pouvoirs sur la frontière de l'Avre (XIe-XIIe siècles): du<br />

pouvoir seigneurial au pouvoir ducal, puis à l'autonomie urbaine », dans Les lieux de pouvoir au Moyen<br />

âge en Normandie et sur ses marges, 2006, p. 101-118.<br />

96 MRSN, I, p. 70, 111.<br />

97 PR 24 H.II, p. 137 ; PR 23H.II, p. 82.<br />

98 PR 32 H.II, p. 125 ; PR 33 H.II, p. 20, PR 34 H.II, p. 2 ; PR 8 Richard, p. 253 ; PR 14 Jean, p. 47.<br />

546


Selon René Musset, il existe en effet un lien entre la custodia castri exercée par le<br />

sénéchal de Normandie et les prés de Caen : « la jouissance des prés du roi en même<br />

temps que les liberationes non précisées constituaient la rétribution de la garde du<br />

château » 99 . Il est rare en effet que des gages constituent la seule forme de rémunération<br />

d’un agent au service du roi.<br />

Les formes de rémunération<br />

L’expression la plus courante indiquant le paiement d’un agent est : in<br />

liberatione ou in liberatione constituta. Littéralement, cette expression signifie pour la<br />

libération, la délivrance ou plus exactement la livraison de gages en argent mais qui<br />

étaient à l’origine en nature et notamment en vêtements dont la couleur permettait de<br />

reconnaître les agents au service du roi (c’est d’ailleurs le sens que porte toujours le<br />

terme liveries en anglais). L’idée de délivrance, étymologiquement sous-jacente,<br />

reflétait aussi, sans doute, le lien de dépendance domestique que le paiement des gages<br />

impliquait entre un serviteur et son maître, la rétribution venant libérer le serviteur de<br />

son lien et acquitter le maître du service rendu 100 . À côté de ces modes de rémunération,<br />

apparaissent de temps à autre des paiements dits in corredio, in mercede et in stipendia,<br />

mais ceux-ci concernent plus rarement les agents au service du roi. Dans l’ACM<br />

présentée dans le chapitre 1 (graphique 1.7), l’éloignement de la modalité STI (qui<br />

regroupe les rémunérations hors in liberatione) des modalités indiquant le caractère<br />

royal et investi des chantiers à cette époque suggèrent que ces modes de paiements<br />

concernaient rarement les constructions royales. De fait, on retrouve ces mentions<br />

surtout lorsqu’il s’agit des comptes des évêchés en vacance, comme c’est le cas pour les<br />

comptes l’archevêché d’York, en 1185, où le gardien du parc du palais archiépiscopal<br />

de Scrooby reçoit 5 sous in mercede et 14 sous in liberatione 101 . La double entrée<br />

signale qu’il s’agit bien de deux modes de rémunération différents. Alors que le merces<br />

signifie plus clairement une gratification ou une récompense pour le service rendu,<br />

liberatione constitue la rémunération du titre de gardien, dont le montant est fixé par la<br />

coutume. La même année, le jardinier du palais archiépiscopal de Southwell reçoit 3<br />

99 MUSSET, R., « Une institution peu connue de la Normandie ducale: les prés et les foins du seigneur<br />

Roi », dans Autour du pouvoir ducal normand Xe-XIIe siècles, 1985, p. 77-93, (p. 83).<br />

100 Ces réflexions doivent beaucoup aux rencontres organisées dans le cadre de l’ANR salaire et salariat<br />

au Moyen Âge, dirigée par Laurent Feller, Philippe Bernardi et Patrice Beck. Voir notamment les textes<br />

produits au cours de la deuxième rencontre : (http://lamop.univ-paris1.fr/W3/salaire/textes/Salaire et<br />

salariat_2_décembre 2006.pdf).<br />

101 PR 31 H.II, p. 78.<br />

547


sous in liberatione pro mercede sua puis en 1187, 4 sous in liberatione pro servicio<br />

suo 102 . Cette double entrée suggère que merces et servicium ont alors un sens similaire,<br />

le merces rémunérant le service domestique. Il apparaît d’ailleurs souvent en plus de la<br />

rétribution d’un travail précis. Ainsi, en 1187, £13 sont déduites de la ferme de<br />

l’honneur de Bosham pour prendre du bois et réparer les esnèques (bateaux) du roi ainsi<br />

que pour le merces des charpentiers 103 . De même, en 1180, Robert de l’Île reçoit 3 sous<br />

pour apporter des ardoises aux travaux de Southampton et pour son merces 104 . Les pipe<br />

rolls utilisent plus souvent que merces, le terme de donum qui apparaît comme un<br />

équivalent pour la rémunération des agents gagés. Les dons et en particulier des dons de<br />

linge et de vêtements (pro pannis) viennent souvent s’ajouter comme forme de<br />

gratification en sus de la faible rémunération que leur apportait la possession de leur<br />

titre ou du travail effectué au service du roi. Par exemple, en 1198, Maître Euric qui<br />

s’est occupé de nombreux chantiers dans la vallée de la Seine reçoit £ a 20 in dono, à<br />

l’instar maître Yvon l’arbalestier, qui reçoit £ a 7 10s 105 .<br />

Revenons aux comptes de l’archevêché d’York. En 1186, les pipe rolls<br />

enregistrent, cette fois-ci, 19 sous in liberationibus pro corredio et mercede sua pour le<br />

jardinier de Scrooby 106 . Le terme corredium (qui donnera en anglais moderne les<br />

corrodies) désigne les provisions alimentaires ou vestimentaires, c'est-à-dire<br />

l’équipement nécessaire au domestique pour servir son maître. Contrairement aux<br />

liberationes, les corrodies relèvent d’une terminologie spécifique au vocabulaire<br />

ecclésiastique et désignent une forme de rémunération des laïcs au service de l’Église,<br />

vivant à l’intérieur des enclos monastiques 107 . Pour ce qui concerne les agents royaux, le<br />

terme le plus récurent est en effet moins celui de corredium que l’expression ad se<br />

sustentandum, c'est-à-dire, littéralement, pour sa nourriture ou pour l’entretien de ses<br />

vêtements ou de sa personne. Cette forme de rémunération, généralement conséquente,<br />

s’ajoute aux revenus des gages. En 1187, Alain de Valeneis obtient ainsi £60 « pour ses<br />

frais d’entretien à la garde de la tour de Douvres pour une année et demi » 108 ; en 1199,<br />

Caswalan fils d’Oen de Kuunoc, le gardien du château de Church Stretton, situé dans<br />

102<br />

PR 31 H.II, p. 78, PR 33 H.II, p. 97.<br />

103<br />

PR 33 H.II, p. 23 : pro maisremo et mercede carpentariorum in reparanda esnecca regis.<br />

104<br />

PR 26 H.II, p. 149 : de mercede sua et pro azesia portata Hanton ad eandem operationem.<br />

105<br />

MRSN, II, p. 301, 314.<br />

106<br />

PR 32 H.II, p. 101.<br />

107<br />

HARVEY, B. F., Living and Dying in England, 1100-1540. The Monastic Experience, 1995, chapitre<br />

VI, p. 179-208. Le problème des corrodies à la fin du Moyen Âge semble avoir été celui de la revente des<br />

denrées contre de l’argent, soulignant la montérisation généralisée du travail à cette date.<br />

108<br />

PR 33 H.II, p. 211.<br />

548


les marches du Pays de Galles, reçoit 35 marcs qui viennent compléter ses £4 de gages<br />

annuels, « pour ses frais et ceux de ses hommes et pour son service du roi Richard en<br />

Galles et en Marche » 109 .<br />

De même que le corredium et le merces, le stipendium est avant tout une forme<br />

d’aumône ou de gratification rémunérant le service rendu. Ainsi, en 1194 à Nottingham<br />

les charpentiers du roi reçoivent £12 4s. 2. in liberatione de dimidio anno, puis 28s. 4s.<br />

sont alloués de stipendis suis aux 22 charpentier pro operibus regis qu’ils ont faits à<br />

Nottingham 110 . Contrairement à merces, le terme stipendium ou stiverium désigne<br />

souvent la rémunération d’un travail ou d’une tâche spécifique accomplie en un temps<br />

donné. La rémunération in stipendium est ainsi parfois accompagnée d’indications<br />

temporelles : en 1206, les domestiques de Knaresborough reçoivent £13 15s. 15d. in<br />

sitpendiis per totum annum, et en 1212, 10 armuriers et 20 piétons reçoivent 63s. 4d. in<br />

stipendiis « pour les 20 jours qu’ils ont passés à garder la cité de Downpatrick et la<br />

patrie contre les Irlandais de l’Ulster après le départ du roi » 111 . Les rétributions in<br />

stipendis se rapprochent donc le plus de ce qu’on peut appeler un salaire.<br />

Les mentions de rétribution quotidienne restent très rares dans les comptes.<br />

Vincent Moss a estimé, au moyen de différents calculs, les rémunérations des individus<br />

travaillant au chantier de Château Gaillard. Reprenant le travail de Philippe Contamine<br />

qui avait tenté de convertir ces totaux en jours de travail, pour les comparer aux sommes<br />

de l’échiquier anglais, V. Moss établit que les travailleurs du chantier percevaient un<br />

salaire à peu près équivalent à celui des piétons qui gagnaient entre 8 et 10 deniers par<br />

jour 112 . En Angleterre, les pipe rolls indiquent que le paiement de 115 charpentiers pour<br />

le siège de Leicester pendant 16 jours, en 1173, nécessite £15 8s., ce qui revient à 2<br />

deniers par jour par charpentier ; un salaire identique à celui des 20 frondeurs (chargés<br />

de lancer des projectiles avec des frondes) payés 36. 8d. pour 11 jours à Nottingham en<br />

1194 113 . Cependant, à Leicester, en 1173, les 41 charpentiers et leur maître mobilisés<br />

109 PR 1 Jean, p. 73 : 10 marcs ad sustentandum se, 10m. ad sustentationem suam et hominum suorum ;<br />

15 marcs ad sustentandum se in servitio regis Ricardi in Wallia et in Marchia.<br />

110 PR 6 Richard, p. 68, 221.<br />

111 DAVIES, O. et QUINN, D. B., « The Irish pipe roll <strong>of</strong> 14 John, 1211-1212 », Ulster Journal <strong>of</strong><br />

Archaeology, 4 (suppl) (1941), p. 1-76, p. 64 : Rogerus Pipard senescallus in stipendiis per i annum<br />

morantium in castello ; p. 58 : in stipendiis per xx dies x armatorum et xx servientum peditum<br />

custodiendum in civitatem de Dun et patriam contra Hybernienses de Oueagh post discessum domini<br />

Regis.<br />

112 MOSS, V., « War, economy and finance in Angevin Normandy 1195-1198 », dans Richard coeur de<br />

Lion roi d'Angleterre, duc de Normandie 1157-1199, 2004, p. 89-104 critique CONTAMINE, P., La<br />

guerre au Moyen-Age, 1980, lui reprochant de n’avoir pas pris le soin de convertir les livres angevines en<br />

livres sterling.<br />

113 PR 6 Richard, p. 68 : de liberatione xi dierum xx eslignatoribus apud Notingheam.<br />

549


pendant 6 jours pour faire des machines de siège reçoivent 62s. 6d., soit en moyenne 3<br />

deniers par jour. En réalité, le maître n’était pas payé au même taux que ses hommes,<br />

comme en témoigne la rétribution de Maître Nicolas des Andelys qui reçoit 9 deniers<br />

par jour pour avoir fait des machines de sièges en 1215 à Knaresborough, tandis que les<br />

charpentiers « qui sont avec lui » (Hugues de Barentin, Laurent de Saint Aignan et<br />

Baldewin, sans doute un apprenti) ne perçoivent que 6 deniers par jour 114 .<br />

1.2.2- Les gardiens des travaux du roi et leur intégration dans l’administration des<br />

châteaux<br />

Les fonctions de gardien et de maître des œuvres royales<br />

La variabilité des rémunérations recouvre donc une diversité de tâches et de<br />

statuts. Si les fortes rémunérations des connétables, des prévôts et de certains gardiens<br />

correspondaient à la reconnaissance de leur statut social, les responsabilités de la<br />

fonction n’en restaient pas moins multiples et nombre d’entre eux ont notamment eu à<br />

s’occuper des constructions et des réparations des châteaux dont ils avaient la garde<br />

(graphique 6.10). L’entretien des bâtiments pouvait être accompli directement par le<br />

connétable ou délégué à un gardien des travaux. Nombre d’entrées dans les pipe rolls<br />

présentent en effet le connétable comme responsable des travaux d’entretien et des<br />

réparations du château dont il avait la garde, mais aussi de celles des demeures<br />

alentour 115 . Le cas de Walter de Preston suggère même que le connétable pouvait être<br />

choisi pour ses qualités administratives de la gestion de chantier. Walter de Preston<br />

apparaît en effet toujours associé à la construction et aux réparations de châteaux<br />

royaux. En 1199 il est chargé à la fois de la garde du château, du paiement des<br />

domestiques et des soldats et des réparations de Northampton 116 . En 1202 et 1203, il est<br />

dit « connétable de Northampton » et chargé de conduire les travaux à la demeure de<br />

114 PR 17 Jean, p. 13 : in liberationibus ix denariorum per diem Nicholai de Andely et quilibet triarum<br />

aliorum vi denariorum per diem aliorum carpentariorum de quibus Nicholaus habuit : Hugonis de<br />

Barentin et Laurentii de Sancti Agnino et Baldewini ad duas petrarias et tres mangunellos turkesios<br />

faciendos in castro de Cnareburc et pro mairemio prosternendo et cariando a foresta et pro ferro empto<br />

ad eosdem.<br />

115 Entre autre à Colchester : Johannis filii Godefridi constabulario de Colcestrie 25 m. ad reparationem<br />

domus et castello de Colcestrie (PR 7 Richard, p. 219) ; Johannis de Horslea constabularii £6 17s. 10d.<br />

in operatione domorum regis de Geldeford (PR 7 Jean, p. 152).<br />

116 PR 1 Jean, p. 4 : £12 Waltero de Preston et milites et servientes ad sustentandum in custodia castelli<br />

de Norhantona ; 2 m. ad reparationem domorum de castello de Norhantona.<br />

550


Silvestone 117 . Enfin, à partir de 1207, il est nommé shérif du Northamptonshire, en tant<br />

que custos, pendant deux années 118 .<br />

Lorsqu’il n’était pas lui-même responsable des travaux, le connétable pouvait<br />

déléguer cette tâche, en particulier s’il s’agissait de gros chantiers. C’est le cas à<br />

Newcastle-upon-Tyne, précisément, où Roger de Glanvill confie la garde des travaux à<br />

Robert Diveleston en 1176 119 . Le titre de custodes operationis est mentionné à plusieurs<br />

reprises dans les pipe rolls. Entre 1177 et 1188, il est porté par maître Radulf de<br />

Grosmont, notamment à Skenfrith en 1186, où il reçoit 3 marc en don « parce qu’il a<br />

pris soin des travaux du roi » et 2 marcs en 1188, en tant que custos operationis 120 . Ce<br />

titre apparaît également à Southampton, Gillingham et à Corfe, où Stephane,<br />

cementarius magister operae reçoit 50 marcs en 1213 pour la construction des<br />

demeures royales 121 . À Grimsby, en 1200, il est question de nommer un « représentant<br />

de la garde des travaux du châteaux qu’il rapporte ici [à l’Échiquier] l’avancement des<br />

travaux de construction du château » 122 . Le terme de représentant (attornatus) est aussi<br />

mentionné à Gillingham, en 1201, pour désigner Wido d’Ostrell. Celui-ci doit alors<br />

rendre compte de 10 marcs « qui n’ont pas été dépensés aux constructions des demeures<br />

royales » 123 .<br />

Ces exemples suggèrent que ces custodes operationis tenaient des comptes à part<br />

dont ils envoyaient le résumé au shérif ou au connétable qui en rendaient ensuite compte<br />

à l’Échiquier. Cette fonction impliquait donc un certain nombre de compétences<br />

techniques, et notamment de nature comptable. La technique de la tenue de comptes<br />

expliquerait qu’elle ait souvent été confiée à des clercs 124 . En 1203, Jean ordonne en<br />

effet à « Pierre de Stoke et aux gardiens des travaux de Moulineaux que Guillaume<br />

117 PR 5 Jean, p. 176.<br />

118 PR 9 Jean, p. 130 ; PR 10 Jean, p. 172.<br />

119 PR 22 H.II, p. 137-138.<br />

120 PR 32 H.II, p. 29 : quia curam egit predicte operationis ; PR 34 H.II, p. 210.<br />

121 COLE, H. (éd.), Documents Illustrative <strong>of</strong> English History in the Thirteenth and Fourteenth Centuries,<br />

Selected from the Records <strong>of</strong> the Department <strong>of</strong> the Queen's Remembrancer <strong>of</strong> the Exchequer, 1844,<br />

p. 257 : Die Mercuri ibidem [apud Bellum Locum] ad opera castri de Corfe L marcas per rege liberate<br />

Stephano cementario magistro operas qui tulit breve Willelmi de Herecourt ad dominum regem.<br />

122 PR 2 Jean, p. 64 : £80 Radulfi de Bradelai attornatis ad custodiam operis castelli de Grimesbi faciendi<br />

ad attrahendum hoc quod opus fuerit ad edifictionem eiusdem castelli.<br />

123 PR 3 Jean, p. 24 : £129 7s. 4d. Widonis de Ostrelli in operatione domorum regis apud Gillingeham ;<br />

p. 30 : Wido de Ostreilli reddidit compotum de 10 marcarum qui non interfuit operationi domorum regis<br />

de Gillingham ubi attornatus fuit, in thesauro quatuor marcas, debet £4 de quibus Robert Belet debet<br />

respondere sicut Vicomes dicit.<br />

124 COLVIN, H. M.; BROWN, R. A. et TAYLOR, A. J., The History <strong>of</strong> the King's Works, 1963, p. 55-<br />

56 ; HARVEY, J. H., « The medieval <strong>of</strong>fice <strong>of</strong> works », Journal <strong>of</strong> the British Archaeological<br />

Association, 3rd ser.: 6 (1942), p. 20-87<br />

551


FitzAlain, son clerc, soit rémunéré comme les autres clercs royaux qui sont sur les<br />

chantiers du roi, qu’ils aient 5 sous angevins par jour et vous le décompterez à<br />

l’Échiquier » 125 . À partir du XIII e siècle, la fonction des clerici operationis devient un<br />

titre rémunéré par des gages et clairement identifiable dans l’administration royale. Elle<br />

se différentie alors de la fonction de « maître des travaux du roi », généralement<br />

attribuée à un pr<strong>of</strong>essionnel 126 . À la fin du XII e siècle, ces deux fonctions ne sont<br />

cependant pas clairement distinctes l’une de l’autre, le terme de magister s’appliquant<br />

en effet aussi bien à des clercs qu’à des pr<strong>of</strong>essionnels. L’usage du terme magister pour<br />

désigner le chef de chantier, apparaît en effet pratiquement en même temps que le titre<br />

académique 127 . John Harvey a été l’un des premiers à remettre en cause<br />

l’historiographie romantique et la figure du « moine architecte », en affirmant que les<br />

clercs ont occupé une place minime dans l’histoire médiévale de l’architecture anglaise :<br />

sur un total de 1200 architectes connus de 1050 à 1500, seulement 18 seraient<br />

probablement ou certainement clercs ! Le problème central reste celui de la distinction<br />

entre les religieux qui occupaient des fonctions techniques et artistiques (maîtres<br />

d’œuvre ou exécutants) et ceux qui détenaient des charges financières et administratives<br />

(maîtres d’ouvrage délégués). Cette difficulté provient d’abord de l’ambiguïté de la<br />

terminologie médiévale. Le terme latin d’opus recoupe en effet une réalité très vaste,<br />

qui ne permet pas de savoir ce que faisaient réellement ces magistri operis 128 .<br />

À la fin du XII e siècle, il semble que les mentions de maître dans un contexte de<br />

chantier désignent moins un métier, pouvant être accompli soit par un clerc soit par un<br />

pr<strong>of</strong>essionnel de la construction, qu’un statut particulier, avec des responsabilité aussi<br />

bien techniques qu’administratives. Sur le chantier de Windsor par exemple, maître<br />

Ge<strong>of</strong>froy de Windsor, qui apparaît de 1170 à 1177, pourrait bien être Ge<strong>of</strong>froy le<br />

chapelain, chargé des mêmes travaux à Windsor jusqu’en 1169 129 . Le changement<br />

d’appellation de Ge<strong>of</strong>froy dans les pipe rolls, qui passe de capellanus à magister en<br />

1170, indique donc qu’il s’agissait moins d’un changement de fonction (il reste sans<br />

doute chapelain) que d’un changement de statut. Ge<strong>of</strong>froy agissait alors en chef<br />

125<br />

Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835, p. 82 : Petro de Stoke etc.<br />

et custodibus operis de Molinelle etc. Mandamus vobis quod habere faciatis Willelmo filio Alani clerico<br />

nostro liberaciones suas sicut alii clerici nostri qui sunt in operacionibus nostri habent scilicet v sold’<br />

andeg’ in die et computabitur vobis ad scaccarium apud Mollinelle xxvii die februarie.<br />

126<br />

Ibid..<br />

127<br />

HARVEY, J. H., The Mediaeval Architect, 1972, p. 76.<br />

128<br />

LE POGAM, P. Y., Les maîtres d'oeuvre au service de la papauté dans la seconde moitié du XIIIe<br />

siècle, 2004, p. 46.<br />

129<br />

PR 15 H.II, p. 136; PR 16 H.II, p. 25, 27, 70.<br />

552


d’équipe comme le laissent entendre les pipe rolls à partir de 1172, qui évoquent maître<br />

Ge<strong>of</strong>froy et les siens (et sociorum eius). La fonction du maître consistait en effet à<br />

recruter et à rémunérer une équipe de travailleurs. En 1194, en effet, 45 sous sont<br />

délivrés à maître Roger charpentier et les siens en rétribution des travaux effectués à<br />

Nottingham. Les vingt-deux charpentiers royaux (carpentarii regis) qui formaient son<br />

équipe touchent en outre 28s. 4d. de stipendiis suis pour leur travail 130 . Le cas de Roger<br />

révèle que le titre de maître n’était pas réservé aux clercs mais pouvait également être<br />

porté par des pr<strong>of</strong>essionnels. Dans ce cas, la pr<strong>of</strong>ession était souvent indiquée. Ainsi en<br />

1214, Stéphane d’Oxford et deux « maîtres piocheurs » et neufs autres sont missionnés<br />

pour démolir le château de Malton d’Eustache de Vesci 131 .<br />

À la fin XII e siècle, les custodes operationis pouvaient donc être choisis aussi<br />

bien au sein du personnel clérical que de pr<strong>of</strong>essionnels, qui composaient le personnel<br />

permanent des châteaux. À Rouen, par exemple, il existait un « charpentier du château »<br />

qui reçoit une pension en nature prélevée sur les quatre vingt porcs des huit porcheries<br />

de Barneville lors de la foire de l’Essart 132 . L’évolution de cette fonction au sein de<br />

l’administration royale distinguera donc progressivement d’un côté les clercs (keepers<br />

<strong>of</strong> the King’s work), des pr<strong>of</strong>essionnels (masters <strong>of</strong> the King’s work) de l’autre 133 . Au<br />

XII e siècle, la fonction de ceux qu’on appelle alors les « ingénieurs du roi » constitue<br />

vraisemblablement un embryon de ce qui deviendra celle des hommes qualifiés de<br />

« maître des travaux du roi » à partir du règne d’Henri III. Ces hommes, qui possédaient<br />

une même vision d’ensemble des différents corps de métiers ont souvent été recrutés au<br />

service du roi 134 . Seuls quelques-uns, toutefois, possédaient des titres gagés qui les<br />

inséraient dans la domesticité royale, mais il ne s’agissait pas encore d’un titre<br />

spécifiquement lié à leur pr<strong>of</strong>ession. L’intégration des ingénieurs dans la hiérarchie<br />

administrative de la Couronne d’Angleterre s’est effectuée, au XII e siècle, par le titre de<br />

gardien des demeures royales.<br />

La charge de gardiens des demeures royales et l’intégration des pr<strong>of</strong>essionnels<br />

dans l’administration des châteaux du royaume<br />

130<br />

PR 6 Richard, p. 68, 95, 221.<br />

131<br />

PR 16 Jean, 86 : et in expensis Stephani de Oxeneford et duorum magistrorum piccatorum cum ix aliis<br />

£11 2s. 8d. ad prosternendum castrum de Mealton et pro robis eorumdem per breve Regis ; HOLT, J. C.,<br />

The Northerners, 1961, p. 94-95.<br />

132 XX<br />

MRSN, I, p. 99 ; II, p. 568 : de liberatione statute carpentario de castro de Rothomago de IIII porcis<br />

superius scriptis de octo porcharis de Barnevilla de foro de Essarta.<br />

133<br />

HARVEY, J. H., « The medieval <strong>of</strong>fice <strong>of</strong> works », Journal <strong>of</strong> the British Archaeological Association,<br />

3rd ser.: 6 (1942), p. 20-87.<br />

134<br />

HARVEY, J. H., « The king's chief carpenters », J.B.A.A., 3rd ser.: 11 (1949), p. 13-34.<br />

553


Le titre de gardien des demeures royales n’existait pas, semble-t-il, dans toutes<br />

les demeures royale d’Angleterre. Seules quelques-unes ont eu des gardiens gagés au<br />

cours des trois règnes (voir tableau ci-dessous).<br />

Tableau des rémunérations des gardiens des demeures royales :<br />

Dans plusieurs cas, ce titre est détenu de manière héréditaire. C’est le cas à<br />

Havering, où Radulf tient la garde des demeures royales de 1157 à 1165, en tant que<br />

gardien de parc (parcarius) 135 . En 1166, il est remplacé par son fils, dont on apprend en<br />

1170 qu’il s’appelle Ge<strong>of</strong>froi et qui reste en place jusqu’à la fin du règne de Jean. À<br />

Clarendon, un certain Serlon dit forestarius est gagé à partir de 1157 ; en 1175, lui<br />

succède Jordan « fils de Serlon », jusqu’à la fin du règne d’Henri II 136 . À partir de 1177,<br />

Jordan reçoit un complément de 40 sous par an en plus de ses gages, en tant que<br />

serviteur du roi 137 . Sous le règne de Richard, sa charge de gardien lui est retirée et elle<br />

est confiée à des connétables qui se succèdent jusqu’à la fin du règne de Jean. Si<br />

Richard n’a pas toujours respecté le principe héréditaire des charges existantes, il a<br />

cependant concédé de nouveaux titres à tenir à perpétuité. Ainsi, à Bridgstock, Radulf<br />

de Hauvill en 1191, puis Henri de Hauvill à partir de 1204, y sont gagés annuellement.<br />

Les rétributions coutumières sont généralement de 30s. 5d. ou 60s. 10d. (soit deux ou<br />

quatre fois plus que les vigiles et les gardiens), mais le tableau montre que le montant<br />

des gages était bien plus variable.<br />

135 PR 3 H.II, p. 72; PR 6 H.II, p. 10 ; PR 12 H.II, p. 122 ; PR 16 H.II, p. 103 ; PR 16 Jean, p. 2.<br />

136 PR 3 H.II, p. 104; PR 13 H.II, p. 116 ; PR 21 H.II, p. 188.<br />

137 PR 23 H.II, p. 98; PR 24 H.II, p. 28.<br />

Henri II Richard Jean<br />

Oxford 30s. 30s.<br />

Bridgstock 30s 5d. 30s 5d.<br />

Cannock 30s 5d. 80d. 80d.<br />

Gillingham 30s 5d. 30s 5d.<br />

Havering 45s. 7d. 45s. 7d. 45s. 7d.<br />

Clarendon 30s 5d. 60s. 10d. 60s. 10d.<br />

Kings Cliffe 60s. 10d. 60s. 10d. 60s. 10d.<br />

Windsor 60s. 10d. 60s. 10d.<br />

Clipstone 60s. 10d. 60s. 10d. 100s.<br />

Church Stretton £4 £4 £4<br />

Westminster £10 12s. 11d. £10 12s. 11d. £10 12s. 11d.<br />

Woodstock £15 £15<br />

554


L’histoire du titre de gardien des demeures royales de Westminster est bien<br />

connue depuis les travaux de Charles T. Clay 138 . Celui-ci a montré que, sous le règne de<br />

Henri I er , elle appartient à un certain Gaudefroi, mentionné sur le rouleau de 1130<br />

comme ingeniator et qui reçoit une pension de £10 12s. 11d. sur la ferme de<br />

Londres 139 . Lorsque la série des pipe rolls reprend en 1156, cette même somme est<br />

désormais versée à Nathanael de Leveland, custodes, « pour la garde des demeures<br />

royales » de Westminster, puis à partir de 1158, à un certain Ailnoth ingeniator, qui<br />

conserve ce titre jusqu’à la fin du règne d’Henri II 140 . Peu après son arrivée sur le trône,<br />

Richard décide de retirer cette fonction à Ailnoth et émet une charte en faveur d’Osbert<br />

de Longchamp, le frère de son chancelier, lui concédant ce titre ainsi que la garde des<br />

prisons de Londres, à lui et à ses héritiers 141 . En 1198, cependant, Osbert de Longchamp<br />

doit céder ce titre qui retourne à Nathanael de Leveland. Ce dernier était ainsi parvenu à<br />

obtenir le retour, contre 60 marcs, de ce titre que ses ancêtres détenaient depuis la<br />

conquête 142 . Il réapparaît ainsi dans les pipe rolls en tant que gardien des demeures<br />

royales jusqu’en 1203, date à laquelle lui succède son fils : Robert fils Nathanael 143 .<br />

Charles T. Clay a montré la filiation entre Ge<strong>of</strong>froy, l’ingénieur d’Henri I er , et<br />

Nathanael mais, contrairement à son père, rien n’indique qu’il était ingénieur. C’est sans<br />

doute la raison pour laquelle Henri II choisit de retirer ce titre à Nathanael en 1158 pour<br />

le confier à son ingénieur Ailnoth. Toutefois la concession du titre à Osbert en 1191<br />

montre que la qualité d’ingénieur n’était nullement une nécessité pour détenir ce titre.<br />

Cet aspect joua certainement en faveur de Nathanael pour réclamer son retour en 1198.<br />

Selon John Harvey, Osbert de Longchamp s’attache les services d’un homme<br />

pour exercer les fonctions techniques à Westminster : Roger Enganet. Parfois identifié à<br />

Roger le Enginnur, il reçoit £2 en 1194 pour réparer les maisons du roi de Westminster<br />

ainsi que £9 2s. 8d. l’année suivante 144 . Il est également chargé de surveiller le chantier<br />

de la Tour de Londres en 1199 145 . Selon Charles T. Clay, Roger Enganet, qui apparaît<br />

138<br />

CLAY, C. T., « The keepership <strong>of</strong> the old palace <strong>of</strong> Westminster », E.H.R., 59: 233 (1944), p. 1-21<br />

139 er<br />

PR 31 Henri I , p. 143.<br />

140<br />

PR 4 H.II, p. 111, 113.<br />

141<br />

Acta (1323R); LANDON, L., The Itinerary <strong>of</strong> King Richard I, with studies on certain matters <strong>of</strong><br />

interest connected with his reign, 1935, n°162 : Sciatis nos dedisse et concessisse et presenti carta<br />

confirmasse Osberto fratri Willelmi de Longo Campo cancellarii nostri et Elyensis electi custodiam<br />

domorum nostrarum de Westmonasterio et custodiam gaiole de London’ cum omnibus pertinentiis ad<br />

predictas custodias pertinentibus tenendas de nobis et heredibus nostris ipse et heredes sui.<br />

142<br />

PR 9 Richard , p. 160 ; PR 10 Richard, p. 167.<br />

143<br />

PR 5 Jean, p. 7.<br />

144<br />

PR 5 Richard, p. 158, PR 6 Richard, p. 175-176 ; CLAY, C. T., « The keepership <strong>of</strong> the old palace <strong>of</strong><br />

Westminster », E.H.R., 59: 233 (1944), p. 1-21.<br />

145<br />

PR 1 Jean, p. 129.<br />

555


comme prévôt à Westminster en 1198, où il possède une maison en pierre et où il teste<br />

fréquemment dans les actes passés entre 1177 et le début du règne d’Henri III, serait le<br />

fils d’Ailnoth 146 .<br />

Si le départ d’Ailnoth, en 1191, entérine la dissociation entre la tenue du titre de<br />

gardien des maisons royales de Westminster et la fonction d’ingénieur, Richard utilise<br />

d’autres titres de gardien pour faire entrer des pr<strong>of</strong>essionnels de la construction dans sa<br />

domesticité. En 1191, il crée un nouveau titre de gardien des maisons de Windsor, qu’il<br />

concède à un certain Evrard, que l’on retrouve en 1194 à la tête du chantier de<br />

Windsor 147 . Mais en 1196, il est remplacé par Guillaume Barbette qui ne semble avoir<br />

aucune fonction spécifique dans les constructions de Windsor. En réalité, c’est le titre<br />

de gardien des demeures royales d’Oxford, créé en 1188, qui a constitué le réel substitut<br />

au titre de gardien des maisons de Westminster comme mode d’intégration sous le règne<br />

de Richard 148 . Dès sa création, ce titre est confié à Elyas qui apparaît dans les pipe rolls<br />

l’année précédente comme maçon sur le chantier de la maison du roi à Oxford. Il reçoit<br />

alors 100 sous pour son service et pour ses frais d’entretien 149 . Elyas conserve le titre de<br />

gardien des maisons du roi à Oxford jusqu’en 1200, avant de disparaître des comptes en<br />

1204. Après 1204, le titre de gardien des demeures royales cesse d’être un mode<br />

d’insertion des ingénieurs royaux au service du roi. Jean semble avoir développé<br />

d’autres formes de rémunération, sans doute pour permettre une plus grande mobilité de<br />

ses hommes. En Irlande en 1210, de nombreux pr<strong>of</strong>essionnels accompagnent le roi dans<br />

son expédition. Au nombre de ceux-ci se trouvent les charpentiers de la garde-robe du<br />

roi, une institution qui tend à se développer au sein de la Chambre au XIII e siècle 150 .<br />

De tous les pr<strong>of</strong>essionnels, ingénieurs, maçons, charpentier qui ont travaillé sur<br />

les chantiers d’Angleterre et de Normandie, très peu ont détenu un titre gagé les insérant<br />

formellement dans le milieu de la cour et le service du roi. Selon Valérie Theis, le choix<br />

d’intégrer les pr<strong>of</strong>essionnels de la construction dans la hiérarchie déjà existante, en leur<br />

donnant un titre ne comportant pas de spécification de compétences, plutôt que de créer<br />

un nouvel <strong>of</strong>fice spécifiquement lié à l’organisation des constructions, correspond à un<br />

146 HARVEY, J. H., English Mediaeval Architects. A Biographical Dictionary down to 1550 Including<br />

Master Masons, Carpenters, Carvers, Building Contractors and Others Responsible for Design, 1987.<br />

147 PR 3 Richard, p. 165, PR 6 Richard, p. 256-257. Sa disparition des comptes entre 1191 et 1194<br />

suggère qu’il est sans doute parti en Croisade dans la suite du roi.<br />

148 PR 34 H.II, p. 149 : in liberatione constituta 30s. 5d. Elye cementarii ad custodiam domorum Regis de<br />

Oxeneford.<br />

149 PR 33 H.II, p. 45 : 30 marcs Elye cementario ad operationem domorum Regis de Oxineford : 100s.<br />

Elye ad se sustendum in servicio Regis.<br />

150 Rotuli de Liberate ac de misis et praestitis regnante Johannes, HARDY, T. D. (éd.), 1844, p. 195 : Isti<br />

subscripti atornanter ad pacem guarderobe carpentarii.<br />

556


parti pris politique. Si la comparaisons entre la cour des Plantagenêt et celles des papes,<br />

ou encore celle des Sforza au XV e siècle 151 , pose plusieurs types de problèmes, on peut<br />

cependant admettre que cette pratique n’en reste pas moins un processus visant à<br />

« « curialiser » ces hommes, c'est-à-dire à les faire entrer dans un système de référence<br />

et de rapports hiérarchiques qui est celui de l’ensemble de la cour. On assiste alors à un<br />

double mouvement d’intégration et de normalisation du monde de l’art : intégration car<br />

la conquête de l’<strong>of</strong>fice représente une véritable reconnaissance des artisans par le monde<br />

de la cour, mais aussi normalisation, car l’inscription dans un cadre hiérarchique global<br />

rend compte aux yeux de tous de la place relativement subordonnée qu’ils y occupent et<br />

met fin au régime d’exceptionnalité qui réglait jusque là leurs rapports avec la<br />

cours » 152 . Si on peut douter de l’autonomie du monde de l’art aux alentours de 1200, le<br />

processus de « curialisation » apparaît déjà présent. Comme à la fin du Moyen Âge, il<br />

reste réservé à une toute petite élite, dont les compétences pr<strong>of</strong>essionnelles sont mises à<br />

pr<strong>of</strong>it par la royauté pour organiser et coordonner ses nombreux chantiers. Cette charge,<br />

qui rétribuait un petit nombre d’ingénieurs, faisait de ces agents des courroies de<br />

transmission entre l’organisation locale des chantiers et leur structuration au niveau<br />

central. C’est ainsi que l’on voit se dégager « les mécanismes qui oeuvrent à la<br />

consolidation de l’Etat seigneurial, par le double jeu de la relation personnalisée au<br />

prince et de la hiérarchie administrative » 153 .<br />

1.3- Le chantier comme lieu d’articulation entre l’environnement<br />

local et l’administration centrale<br />

1.3.1- Sociologie des ingénieurs et des charpentiers du roi<br />

Les « ingénieurs du roi » : problèmes terminologiques et fonction sociale<br />

L’apparition du terme ingénieur dans les textes de l’Angleterre médiévale<br />

remonte au Domesday book qui conserve quelques mentions de terres tenues par des<br />

ingénieurs, et des charpentiers du roi, comme c’est le cas pour un certain Richard<br />

« ingania » qui tenait deux hides et demi à Lillingstone Lovel, (Buckinghamshire) et qui<br />

151 e e<br />

voir BOUCHERON, P., Le pouvoir de bâtir. Urbanisme et politiques édilitaire à Milan (XIII -XV s.),<br />

1998.<br />

152<br />

THEIS, V., « Décrire le chantier ou écrire le chantier? titres et <strong>of</strong>fices dans les comptes de construction<br />

pontificaux de la première moitié du XIVe siècle », dans Offices, Ecrit et Papauté (XIIIe-XVIIe Siècle),<br />

2007, p. 643-666.<br />

153 e e<br />

BOUCHERON, P., Le pouvoir de bâtir. Urbanisme et politiques édilitaire à Milan (XIII -XV s.),<br />

1998, p. 287.<br />

557


est également décrit comme un minister regis 154 . L’origine du terme ingénieur indique<br />

la relation étroite entre la fonction de ces hommes et l’art de la guerre. Au Moyen Âge,<br />

l’ingénieur est celui qui construit les machines de siège (ingenia), mais aussi les<br />

machines de levage des matériaux sur les chantiers. Celles-ci contribuent notamment à<br />

alléger les échafaudages, les poutres volantes accrochées dans la maçonnerie et sans<br />

repos au sol se généralisèrent : elles sont la véritable réinvention technique de cette<br />

époque 155 . L’ingénieur médiéval est donc avant tout un charpentier, mais pas seulement.<br />

Les trajectoires sociales et pr<strong>of</strong>essionnelles que l’on peut retracer à partir des pipe rolls<br />

montrent que ces hommes étaient munis de multiples compétences, techniques et<br />

intellectuelles. Selon Hélène Vérin, en effet, l’ingénieur est d’abord celui qui est doué<br />

d’ingenium, une faculté de l’esprit humain essentielle dans la définition de cette<br />

fonction sociale. Car le statut d’ingénieur est davantage une fonction sociale qu’une<br />

pr<strong>of</strong>ession : « Depuis qu’ils existent, les ingénieurs sont appelés à intervenir dans tous<br />

les cas où la nécessité d’un contrôle financier, politique, se combine avec l’obligation<br />

d’inventer des solutions techniques particulières, sinon inédites, voire d’innover » 156 .<br />

L’idée que le titre d’ingénieur désignait moins une pr<strong>of</strong>ession qu’une fonction<br />

spécifique au sein du chantier peut être illustrée par le cas d’Elyas d’Oxford. Ce dernier,<br />

qui apparaît dans les comptes en 1187 en tant que maçon, est dit charpentier en 1191,<br />

puis maître charpentier à partir de 1196. Dès 1195, tandis qu’il est toujours appelé<br />

charpentier, lorsque ses gages de gardien sont enregistrés sur la ferme d’Oxford, il est<br />

également mentionné comme magister ingeniator lorsqu’il intervient sur des<br />

chantiers 157 . Le chevauchement de ces qualifications suggère qu’elles désignaient tantôt<br />

une pr<strong>of</strong>ession tantôt une fonction au sein du chantier. Cette évolution terminologique<br />

reflète ainsi la trajectoire sociale d’Elyas au service du roi, après avoir sans doute été au<br />

service de l’archevêque de Canterbury, Hubert Walter 158 . D’abord simple maçon, son<br />

titre de gardien des demeures royales lui donne accès à un nouveau statut social qui se<br />

traduit par le fait qu’il devient peu de temps après charpentier. Il est peu probable en<br />

effet qu’Elyas ait changé de métier ou suivi une nouvelle formation. En réalité, les<br />

154<br />

HARVEY, J. H., « The king's chief carpenters », J.B.A.A., 3rd ser.: 11 (1949), p. 13-34.<br />

155<br />

REVEYRON, N. et BAUD, A. (eds.), Au fil du chantier. Archéologie de la construction au Moyen<br />

Âge, 1997; ACETO, F.; ANDALORO, M. et CASSANELLI, R. (eds.), Chantiers médiévaux, 1996.<br />

156<br />

VÉRIN, H., La gloire des ingénieurs. L'intelligence technique du XVIe au XVIIIe siècle, 1993, p. 10,<br />

19-21.<br />

157<br />

PR 33 H.II, p. 27, 45; PR 34 H. II, p. 149-150 ; PR 3 Richard, p. 191 ; PR 7 Richard, p. 2, 240.<br />

158<br />

Selon Nicholas Vincent, est en effet probable que Elias d’Oxford soit Elias de Dereham, un clerc natif<br />

du Norfolk qui poursuivit sa carrière en devenant l’architecte de la cathédrale de Canterbury. VINCENT,<br />

N., « Dereham, Elias <strong>of</strong> (d. 1245), ecclesiastical administrator », DNB, XIV, 2001/<br />

558


charpentiers constituaient un groupe sociopr<strong>of</strong>essionnel plus élevé que celui des<br />

maçons 159 . L’ascension sociale que lui procure la détention d’un titre s’est alors<br />

vraisemblablement accompagnée de l’accession au métier des charpentiers, mieux<br />

reconnu socialement. C’est sans doute parce que la mobilité entre les deux métiers est<br />

possible et fréquente que les maçons constituent tout au long du Moyen Âge, une<br />

pr<strong>of</strong>ession très polyvalente 160 . Cette évolution se poursuit par l’acquisition du statut de<br />

maître, qui lui donne des responsabilités supplémentaires sur le chantier. De même,<br />

lorsqu’il est appelé ingénieur, il ne s’agit pas de désigner le nouveau métier d’Elyas<br />

mais plutôt d’exprimer sa nouvelle fonction au service du roi, celle qui consistait à<br />

superviser, coordonner et les différents chantiers entre eux. À partir du moment où il est<br />

appelé ingénieur, Elyas apparaît en effet dans plusieurs lieux à la fois : en 1195, il est à<br />

Oxford, Hastings et Pevensey, Rochester et Westminster 161 . En 1197, on le retrouve sur<br />

le chantier de Marlborough, Berkeley et <strong>Free</strong>mantle, en 1199 à la Tour de Londres, en<br />

1200 à Winchester, Woodstock etc. (voir carte 6.12). Une ACF (graphique 6.11)<br />

effectuée sur le cas d’Elyas suggère en outre que cette ascension sociopr<strong>of</strong>essionnelle<br />

s’est accompagnée d’une évolution financière, moins dans ses gages propres que dans<br />

les sommes qu’il avait à gérer pour la mise en œuvre des constructions.<br />

Si les relations sociales et le patronage d’un puissant constituait souvent une<br />

condition importante d’une telle ascension sociale, l’acquisition du titre d’ingénieur<br />

reposait également sur un minimum de connaissances scolaires – au moins devaient-ils<br />

savoir lire et écrire – voire sur une véritable formation qui leur donnait la capacité<br />

d’intellectualiser un savoir pratique au moyen de la géométrie 162 . L’ascension sociale<br />

des pr<strong>of</strong>essionnels de la construction à partir du XII e siècle et l’émergence de la figure<br />

de l’architecte au cours du XIII e siècle constituent un phénomène caractéristique de la<br />

fin du Moyen Âge 163 . L’importance sociale des chantiers à cette époque se traduit par<br />

159 HARVEY, J. H., « The king's chief carpenters », J.B.A.A., 3rd ser.: 11 (1949), p. 13-34.<br />

160 BERNARDI, P., Métiers du bâtiment et techniques de construction à Aix-en-Provence à la fin de<br />

l'époque gothique (1400-1550), 1995, p. 23, cite également DU COLOMBIER, P., Les chantiers des<br />

cathédrales, ouvriers, architectes, sculpteurs, 1989 [1953].<br />

161 PR 7 Richard, p. 2 : 100s. ad reparatione turris R<strong>of</strong>f' per magistro Helye ingeniatori ; p. 113 : 100s.<br />

Elye de Oxineford ad reparationem domorum regis apud Westmonasterium ; p. 240 : 20 marcs Helye<br />

ingeniatori et Radulfi de Planez ad reparatione castelli de Hasting' et de Pevenesel.<br />

162 HARVEY, J. H., « The king’s chief carpenters », J.B.A.A., 3rd ser.: 11 (1949), p. 13-34; HARVEY, J.<br />

H., English Mediaeval Architects. A Biographical Dictionary down to 1550 Including Master Masons,<br />

Carpenters, Carvers, Building Contractors and Others Responsible for Design, 1987.<br />

163 entre autre : GIMPEL, J., Les bâtisseurs des cathédrales, 1980 [1958]; RECHT, R. (éd.), Les<br />

bâtisseurs de cathédrales gothiques, 1989; BARRAL I ALTET, X. (éd.), Artistes, artisans et production<br />

artistique au Moyen âge. v.1 Les hommes - v.2 Commande et travail - v.3 Fabrication et consommation<br />

de l'œuvre, 1986-1990; HARVEY, J. H., The Mediaeval Architect, 1972; STEIN, H., « Comment on<br />

désignait les architectes au Moyen Âge », Mémoires de la Société des Antiquaires de France, 75 (1915-<br />

559


les investissements massifs des revenus de la terre mais aussi par l’attention accordée<br />

aux formes des constructions dont les plus « belles » sont aussi les plus difficiles à<br />

réaliser. Elle s’accompagne aussi d’une reconnaissance accrue des capacités techniques<br />

et intellectuelles des hommes qui formaient l’élite de ces catégories pr<strong>of</strong>essionnelles.<br />

Cependant, le milieu de ces pr<strong>of</strong>essionnels est loin d’être homogène : il ne forment pas<br />

un corps constitué avant la toute fin du Moyen Âge. Il s’agit d’individus issus des<br />

métiers mécaniques qui, à un moment donné, ont acquis, soit par la transmission<br />

familiale de connaissances empiriques soit par l’alliance entre un savoir scientifique et<br />

ses applications pratiques, l’occasion de travailler pour le compte du prince 164 . Comme<br />

Elyas, les quelques ingénieurs mentionnés dans les pipe rolls font sans doute partie de<br />

ces hommes nés de peu, et qui ont fait carrière en mettant leurs compétences techniques<br />

et intellectuelles au service du roi.<br />

Esquisse pour une prosoprographie des ingénieurs du roi<br />

Les pipe rolls ne permettent pas de faire une véritable prosoprographie de cette<br />

petite trentaine d’individus (voir tableau 6.13). Seules quelques trajectoires peuvent être<br />

suivies sur une longue période, la plupart des ingénieurs n’apparaissant que de manière<br />

ponctuelle sur un ou, plus rarement, sur plusieurs chantiers. Le principal ingénieur<br />

d’Henri II est Ailnoth, dont le nom indique l’origine anglaise. Outre les tâches<br />

d’entretien des bâtiments de Westminster qui lui incombent, au titre de la garde des<br />

demeures royales, Ailnoth est appelé à intervenir sur plusieurs chantiers pendant le<br />

règne d’Henri II. En 1167 et en 1173, il est à Windsor 165 , puis lors de la révolte de<br />

baronniale de 1173 et 1174, il est mobilisé à la Tour de Londres et dans les années qui<br />

suivent, il œuvre à la chapelle royale de la cathédrale Saint-Paul de Londres. On le<br />

retrouve également dans le Suffolk pour démolir les châteaux d’Hugues Bigod,<br />

Framlingham et Walton (voir chapitre 2) 166 . Les travaux dont il a la charge à<br />

Westminster, dans les années 1180, sont de natures diverses et consistent, par exemple,<br />

à s’occuper de la réparation des quais du palais ou de la confection du trône royal de la<br />

chapelle saint John de Westminster ; il s’occupe également des réparations de la<br />

1918), p. 81-89; PEVSNER, N., « The term "architect" in the Middle Ages », Speculum, 17 (1942), p.<br />

549-562; KNOOPL, D. et JONES, G. P., The Medieval Mason. An Economic History <strong>of</strong> English Stone<br />

Building in The Latter Middle Ages and Early Modern Times, 1949.<br />

164 BRAUNSTEIN, P., « Les techniciens et le pouvoir à la fin du Moyen Âge : une direction de<br />

recherche », dans Travail et entreprise au Moyen Âge, 2004, p. 35-72.<br />

165 PR 13 H.II, p. 1, 3, PR 14 H.II, p. 1, 200. PR 17 H.II, p. 148 ; PR 19 H.II, p. 183.<br />

166 PR 20 H.II, p. 8-9 ; PR 21 H.II, p. 108, PR 22 H.II, p. 60.<br />

560


couverture du réfectoire de l’abbaye de Westminster, en vacance en 1175 167 (voir carte<br />

6.12). La carrière bien connue d’Ailnoth se caractérise donc par une forte polyvalence et<br />

une grande mobilité, toujours au service des constructions royales 168 . La carte 6.12<br />

montre cependant que l’aire d’intervention d’Ailnoth reste concentrée dans le Sud-Est<br />

de l’Angleterre, autour de Londres et Westminster. Ses fonctions de gardien qui<br />

l’ancrent dans la vallée de la Tamise ne lui permettent sans doute pas de rayonner dans<br />

un plus large périmètre. Ailnoth ne semble pas avoir effectué des fonctions classiques<br />

de gardien des travaux du roi. Outre la supervision des chantiers, ses tâches ont plus<br />

généralement consisté à coordonner et approvisionner des chantiers en matériaux, ce qui<br />

suggère qu’il avait une bonne connaissance des ressources du territoire. En 1166, il est<br />

ainsi chargé d’approvisionner la chambre du roi à Westminster avec des pierres de taille<br />

venant des carrières de Reigate ; en 1175, il dirige un groupe de charpentiers missionnés<br />

pour aller chercher du bois à Beckenham (Surrey) pour réparer la Tour de Londres, et en<br />

1167, il fournit le palais royal de Windsor en plomb ainsi que la chapelle du roi à<br />

Londres en 1176 (voir infra) 169 . La polyvalence d’Ailnoth est cependant exceptionnelle,<br />

car aucun autre ingénieur mentionné dans les pipe rolls n’a été appelé à jouer un rôle<br />

aussi complexe que lui, à l’exception peut être d’Elyas qui apparaît comme son véritable<br />

successeur sur ce point. La figure de l’ingénieur telle qu’elle existera à la fin du Moyen<br />

Âge, c'est-à-dire celle d’un « généraliste de la construction », un homme aux<br />

compétences polyvalentes, prenant la responsabilité des choix techniques, coordonnant<br />

les équipes de travailleurs, organisant la vie du chantier dans toutes ses implications<br />

pratiques, s’occupant de l’achat des matériaux comme du financement des travaux,<br />

apparaît donc déjà présente à la fin du XII e siècle 170 .<br />

Dans les espaces qui n’étaient pas couverts par son ingénieur, le roi pouvait faire<br />

appel à des pr<strong>of</strong>essionnels actifs dans la région. C’est le cas de Richard de Wolviston,<br />

167 PR 21 H.II, p. 80.<br />

168 ROUND, J. H., « The staff <strong>of</strong> a castle in the twelfth century », E.H.R., 35: 137 (1920), p. 90-97,<br />

CLAY, C. T., « The keepership <strong>of</strong> the old Palace <strong>of</strong> Westminster », E.H.R., 59: 233 (1944), p. 1-21;<br />

HARVEY, J. H., « The medieval <strong>of</strong>fice <strong>of</strong> works », Journal <strong>of</strong> the British Archaeological Association,<br />

3rd ser.: 6 (1942), p. 20-87; HARVEY, J. H., « The king’s chief carpenters », J.B.A.A., 3rd ser.: 11<br />

(1949), p. 13-34; HARVEY, J. H., English Mediaeval Architects. A Biographical Dictionary down to<br />

1550 Including Master Masons, Carpenters, Carvers, Building Contractors and Others Responsible for<br />

Design, 1987; COLVIN, H. M.; BROWN, R. A. et TAYLOR, A. J., The History <strong>of</strong> the King's Works,<br />

1963.<br />

169 PR 12 H.II, p. 106 : pro lapidibus quadratus ad cameras Regis ; PR 21 H.II, p. 109 : pro locando<br />

carpentariis ad faciendam materiem in bosco de Bekeham ad reparandam Turris Londonie ; PR 13 H.II,<br />

p. 1 ; PR 22 H.II, p. 14 : pro plumbo ad operiendam capellam in Turri Londonie.<br />

170 BOUCHERON, P., Le pouvoir de bâtir. Urbanisme et politiques édilitaire à Milan (XIII e -XV e siècle),<br />

1998, p. 324.<br />

561


ingénieur du château de Bowes dans le Yorkshire entre 1170 et 1174 171 . Selon John<br />

Harvey, il y a de fortes chances pour que ce Richard soit le même que celui qui dirige<br />

les travaux entrepris par Hugues de Puiset, évêque de Durham, vers 1170 172 . Il est<br />

probablement l’auteur du porche Galilée de la cathédrale. Il apparaît alors comme garde<br />

du château épiscopal de Norham et du château de Durham. Contrairement à Ailnoth,<br />

Elyas ou Richard, les ingénieurs qui n’avaient pas de titre gagé circulaient plus<br />

largement à l’échelle de l’empire. C’est le cas de Maurice, le maçon de la tour de<br />

Newcastle-upon-Tyne rémunéré 20 sous en 1175, qui est vraisemblablement Maurice<br />

l’ingénieur qui œuvre sur le chantier de Douvres entre 1182 et 1187 173 . La filiation entre<br />

les deux donjons de Douvres et de Newcastle suggérée par Allen R. Brown (notamment<br />

au niveau du mur intérieur qui entoure le donjon, probablement commencé en 1185, et<br />

la section du mur extérieur construite sous Henri II) pourrait alors trouver en Maurice<br />

un facteur de continuité (voir chapitre 5) 174 . Lorsqu’il arrive sur le chantier, Maurice<br />

succède probablement à maître Urric, ingeniator regis, qui apparaît dans les pipe rolls<br />

en 1185 lorsqu’il perçoit 20 sous pour ses frais et 20 sous en don au service du roi 175 . En<br />

1187, il est question d’Urric l’arbalestier rémunéré 20 sous sur la ferme de Colerne<br />

(Wiltshire), qui pourrait bien être ce même ingénieur 176 . Il tient également des terres à<br />

Sutton dans le Surrey et à Wickford dans l’Essex 177 . En 1194, il est appelé à<br />

Nottingham pour faire des machines de sièges. Selon John H. Round, Urric et maître<br />

Elric, qui supervise les travaux du Vaudreuil et de Pont de l’Arche en 1195 avec<br />

Guillaume Tirel, pourraient bien n’être qu’une seule et même personne. Elric reçoit une<br />

rétribution de £ a 50 en don en 1198 178 et selon Sir Francis Powicke, la présence de cet<br />

171<br />

PR 17 H.II, p. 63; Ibid., p 58.<br />

172<br />

HARVEY, J. H., English Mediaeval Architects. A Biographical Dictionary down to 1550 Including<br />

Master Masons, Carpenters, Carvers, Building Contractors and Others Responsible for Design, 1987 :<br />

son nom est celui des terres qu’il tenait dans le comté de Durham, pour lesquelles il avait son propre<br />

sceau et qu’il donne par la suite au prieuré de la cathédrale en échange d’une terre à Pittingston. Il<br />

possédait également des domaines à Newton, près de Durham qui sont tenues en 1183, après sa mort par<br />

l’abbé de Peterborough ; COLVIN, H. M.; BROWN, R. A. et TAYLOR, A. J., The History <strong>of</strong> the King's<br />

Works, 1963, p. 58-59.<br />

173<br />

C’est ce que suggère HARVEY, J. H., « The king’s chief carpenters », J.B.A.A., 3rd ser.: 11 (1949), p.<br />

13-34.<br />

174<br />

BROWN, R. A., Dover castle, Kent, 1966.<br />

175<br />

PR 31 H.II, p. 217, 235.<br />

176<br />

PR 33 H.II, p. 181.<br />

177<br />

MAXWELL-LYTE, H. C. (éd.), Liber Feodorum. The Book <strong>of</strong> Fees, commonly called Testa de Nevill.<br />

Reformed from the earliest MSS., 1920, p. 255 : H. rex dedit eandem villa magistro Urrico pro viii<br />

libratis terre, qui nunc eam tenet; p. 267 : Urricus balestarius [tenet] I. foedum in Wicford de dono regis<br />

Ricardi.<br />

178<br />

MRSN, I, p. 137, 156, 236-237; II, p. 301, 485. Sur Urric voir notamment ROUND, J. H., The King's<br />

Serjeants & Officers <strong>of</strong> State with their Coronation Services, 1971, p. 15-16.<br />

562


ingénieur au Vaudreuil signale l’attention particulière que Richard accordait à cette<br />

forteresse d’une importance stratégique 179 . Bien qu’ayant contribué à assiéger Jean en<br />

1194, il travaille au service du nouveau roi, notamment lors de la campagne d’Irlande en<br />

1210-1211, où l’ingénieur participe au siège de Carrickfergus avec des artificiers tels<br />

que maître Osbert, petrarius, et trois autres de ses camarades en charge de la Petraria. Il<br />

y avait aussi des mineurs, Aubrey le sapeur (fossator), Nicholas des Andelys avec<br />

quatre autres charpentiers étrangers et Radulf de Prestbury 180 . Les lettres du roi<br />

envoyées au prévôt et au sénéchal d’Anjou en 1200 et 1204 (voir supra) indiquent<br />

également la présence d’Urric à Chinon 181 . Cette mobilité suggère-t-elle qu’il n’y avait<br />

pas, sur le continent, d’ingénieur capable de préparer la forteresse aux assauts des<br />

armées françaises ? C’est peu probable, car si les ingénieurs anglais se retrouvent en<br />

Poitou, des ingénieurs normands, ou venant des territoires continentaux, opèrent<br />

également en Angleterre notamment après 1204. C’est le cas, par exemple, de Nicolas<br />

des Andelys qui est en Irlande en 1210, à Kneep et Bramber en 1213 et à<br />

Knaresborough en 1214 et de Guillaume Baiard, ingénieur qui reçoit 1 marc en 1205<br />

pour séjourner à Nottingham 182 . Citons également maître Yvon, l’arbalestier qui<br />

travaille à Berkhampstead et Huntingdon en 1173-74 et sans doute à Verneuil en<br />

1198 183 .<br />

La mobilité des ingénieurs du roi participait clairement à la mise en réseau des<br />

chantiers royaux sur le territoire anglais mais aussi sur le continent. Selon Marie-Pierre<br />

Baudry, plusieurs caractéristiques propres aux fortifications des Plantagenêt en Poitou<br />

amènent à poser la question d’une possible maîtrise partagée. Bien qu’aucun nom<br />

n’apparaisse jamais dans les sources, certains détails de mises en œuvre traduisent une<br />

conception similaire et laissent supposer l’existence d’un maître des œuvres royales en<br />

179<br />

POWICKE, M., The Loss <strong>of</strong> Normandy : 1189-1204 : Studies in the History <strong>of</strong> the Angevin Empire,<br />

1963, p. 190.<br />

180<br />

Rotuli de Liberate ac de misis et praestitis regnante Johannes, HARDY, T. D. (éd.), 1844, p. 205-<br />

206 : Eadem die ibidem [Sancta militibus apud Cracfergus die Sancto Jacobi Apuli] Nicholas<br />

carpentario sibi quinto de prestito x sold’ magitro Pinello et Ernulfo sibi xiii minatorum i marca, Radulfo<br />

de Prestebira sibi nono carpentariorum xv sold’ liberate magistro Urrico, magistro Osberto sibi quarto<br />

petrariorum et Alberico fossatori vii soldinis et vi denariorum.<br />

181<br />

Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835, p. 23, 27.<br />

182<br />

PR 7 Jean, p. 221 ; COLE, H. (éd.), Documents Illustrative <strong>of</strong> English History in the Thirteenth and<br />

Fourteenth Centuries, Selected from the Records <strong>of</strong> the Department <strong>of</strong> the Queen's Remembrancer <strong>of</strong> the<br />

Exchequer, 1844, p. 233 : Die Lunedi proxima apud Harteford […] Nichola carpentario sibi tercio<br />

sociorum euncium ad faciendum petrarias apud Cnappam de dono ii sold’ per episcopum Wintonie ;<br />

p. 241 ; Rotuli de Liberate ac de misis et praestitis regnante Johannes, HARDY, T. D. (éd.), 1844,<br />

p. 161.<br />

183<br />

PR 19 H.II, p. 22, PR 20 H.II, p. 83 ; MRSN, II, p. 311-314.<br />

563


Poitou 184 . L’intérêt de la mise en réseau était de faire bénéficier les sites royaux des<br />

savoir-faire de ces maîtres d’œuvres et d’appliquer les solutions techniques et<br />

esthétiques élaborées d’un chantier à l’autre 185 . En outre, comme l’a monté Valérie<br />

Theis pour les chantiers pontificaux du XIV e siècle, l’efficacité de la mise en réseau<br />

permettait de gérer la main d’œuvre et les matières premières d’un point de vue central,<br />

rationalisant ainsi les pratiques de construction, de stockage et de redistribution. En ce<br />

sens, l’organisation des chantiers contribuait à une meilleure maîtrise du territoire et de<br />

ses ressources.<br />

Ainsi, le chantier constitue un lieu où l’impact de l’action du pouvoir central est<br />

ressenti par les populations locales, en terme de transformation économiques,<br />

environnementales et sociales. Or, l’implication des populations locales dans les<br />

chantiers de la monarchie constitue un enjeu dans la perspective d’un renforcement du<br />

pouvoir territorial du roi. En plus de la main d’œuvre embauchée par les agents du roi<br />

pour montrer le chantier, Henri II met en place, à partir des années 1160, un système de<br />

surveillance et de contrôle des comptes de construction, faisant appel aux notables<br />

locaux.<br />

1.3.2- La mise en place du système de contrôle des travaux du roi et l’implication des<br />

notables dans l’institution monarchique<br />

Au début des années 1160, lorsque des dépenses de construction sont déduites de<br />

la ferme du comté ou de tout autre type de revenus, des hommes sont également<br />

mentionnés pour attester (per visum) que les dépenses ordonnées par le roi ont bien été<br />

effectuées. Les lettres royales envoyées aux shérifs concernant les constructions,<br />

spécifient en effet que les dépenses doivent être effectuées « per visum et testimonium<br />

legaglium hominum », lorsque le nom du superviseur n’est pas expressément désigné.<br />

La première mention de ce système de contrôle intervient sur le rouleau de l’année<br />

1161, lorsque le shérif du Yorkshire déduit £107 6s. 8d. pour les travaux du château de<br />

Scarborough, « attestés par Robert le Russe et David le Lardener » 186 . La situation de<br />

Scarborough, récemment confisqué par Henri II à Guillaume le Gros, explique sans<br />

184 BAUDRY, M.-P., Les fortifications des Plantagenêts en Poitou, 1154-1242, 2001; BAUDRY, M.-P.,<br />

« La politique de fortification des Plantagenêt en Poitou 1154-1242 », dans A.N.S., 2002, p. 43-70.<br />

185 THEIS, V., « Pratiques artisanales et politique de grands travaux: l'exemple du palais de Pont-de-<br />

Sorgues au XIVe siècle », Cahiers d'histoire et de philosophie des sciences: Artisans, industrie. nouvelles<br />

révolutions du Moyen Âge à nos jours, 52 (2004), p. 307-319.<br />

186 PR 7 H.II, p. 36; COLVIN, H. M.; BROWN, R. A. et TAYLOR, A. J., The History <strong>of</strong> the King's<br />

Works, 1963, I, p. 54-55.<br />

564


doute pourquoi Henri II a cherché à instaurer un système de double contrôle sur les<br />

comptes d’un shérif, alors soumis aux pressions des puissantes lignées baronniales du<br />

Nord. Le système se met en place progressivement : il est à nouveau question de<br />

l’attestation des comptes des chantiers d’Oxford en 1163 et de Woodstock 1164, tandis<br />

qu’en 1165, c’est le shérif lui-même, Wido Extraneus, qui est chargé d’attester « per<br />

fidem » ses propres dépenses. Puis à partir 1166, ces attestations deviennent quasiment<br />

systématiques.<br />

En 1166, deux ans après les Constitutions de Clarendon qui établissaient<br />

l’extension des prérogatives de la justice royale, ont lieu les Assizes de Clarendon, qui<br />

constituent la deuxième étape de la réforme judiciaire entreprise par Henri II 187 . Le<br />

principal objectif des vingt-deux articles des Assizes de Clarendon était de mettre en<br />

œuvre une nouvelle procédure par laquelle les cas seraient déterminés par un jury<br />

composé de douze hommes « les plus légaux » du hundred et de quatre hommes de la<br />

ville liés par serment (per xii legaliores homines de hundredo et iii legaliores homines<br />

de qualibet villata per sacramentum) 188 . La réforme judiciaire d’Henri II substituait<br />

ainsi aux jugements par ordalies le principe d’une justice inquisitoriale, fondée sur des<br />

enquêtes et le témoignages d’hommes assermentés choisis au sein des communautés<br />

locales 189 . La mise en place de systèmes d’enquêtes s’accompagne également de la<br />

désignation de nouveaux juges itinérants (Justices in Eyre) chargés de faire appliquer<br />

ces nouvelles procédures. À partir de 1176, six circuits (Eyre), quadrillant le royaume<br />

d’Angleterre sont définis lors des Assizes de Northampton.<br />

La formation d’un jury pour obtenir une information par serment n’est pas une<br />

innovation de la part d’Henri II qui ne fait que reprendre et synthétiser des procédures<br />

qui existaient à l’époque carolingienne (pour les enquêtes fiscales) et anglo-saxonne<br />

(pour les règlement judiciaires arbitrés par douze thegns), et qui avait déjà été mise en<br />

place par son père en Normandie 190 . Elle consistait à faire appel à la responsabilité et au<br />

187 STENTON, D. M. P., English Justice between the Norman Conquest and the Great Charter, 1066-<br />

1215, 1964; HUDSON, J., Land, Law, and Lordship in Anglo-Norman England, 1997.<br />

188 HOVEDEN, II, p. cii-vi ; STUBBS, W. et DAVIS, H. W. C., Select Charters, 1913, p. 143-145.<br />

189 MAITLAND, F. W. et POLLOCK, F. W., The History <strong>of</strong> English Law before the time <strong>of</strong> Edward I,<br />

1968, p; 139-142; STENTON, D. M. P., English Justice between the Norman Conquest and the Great<br />

Charter, 1066-1215 (Jayne Lectures for 1963), 1964, p. 15-16; COLEMAN, C. T., « Origin and<br />

Development <strong>of</strong> trial by Jury », Virginia Law Review, 6: 2 (1919), p. 77-86.<br />

190 TURNER, R. V., « The origin <strong>of</strong> medieval english jury: Frankish, English or Scandivanian? », J.B.S.,<br />

7: 2 (1968), p. 1-10. Il est déjà question de legales homines en 1164, et la composition d’un jury à Saint<br />

Albans pour déterminer la vérité est également relatée sous le règne d’Etienne ; HELMERICHS, R.,<br />

« Norman Iistitutions or Norman legal practices? Ge<strong>of</strong>frey le Bel and the development <strong>of</strong> the jury <strong>of</strong><br />

recognition », H.S.J., 10 (2001), p. 83-94.<br />

565


savoir des membres d’une communauté qui doivent fournir des informations aussi bien<br />

de nature fiscale, qu’administrative ou pénale. Les jurys ne sont pas appelés à faire la<br />

justice (iustitiam facere) mais à reconnaître et déclarer la vérité (recognoscere veritam).<br />

Les shérifs étaient alors chargés de composer le jury en fonction du savoir et des<br />

compétences spécifiques d’individus choisis au sein des « legalis homines ». Le terme<br />

de legalis homo ne désignait pas un homme « qui connaît le droit », car il ne s’agissait<br />

pas de faire appel à des juristes, mais plutôt un homme reconnu pour sa droiture, son<br />

respect des lois et n’ayant jamais commis de délit, c'est-à-dire un homme dont le<br />

serment est fiable, un homme d’honneur et de bonne réputation. C’est d’ailleurs<br />

précisément sa bona fama qu’il devait utiliser lors des procès auxquels il pouvait être<br />

appelé 191 . Plus qu’une catégorie juridique, les legales homines constituaient donc plutôt<br />

un groupe défini par une norme sociale commune. Celui-ci tend cependant à<br />

progressivement s’assimiler aux hommes libres en général à partir du moment où la<br />

condition de vilain est plus strictement définie à la fin du XII e siècle. Les lettres de Jean<br />

précisent parfois, en effet, qu’il s’agissait de choisir des hommes « libres et respectueux<br />

des lois » (per visum librorum et legalium hominum) ou bien des prud’hommes<br />

(proborum hominum) 192 . Juridiquement héritiers des boni homines carolingien, les<br />

prud’hommes constituaient au XII e siècle un groupe social, se distinguant, parmi les non<br />

nobles, par leur sagesse et la qualité de leur comportement 193 .<br />

Les réformes judiciaires affirmaient ainsi non seulement les prérogatives de la<br />

Justice royale contre les justices féodales, mais renforçaient également l’autorité royale<br />

sur les communautés locales. La mise en place des jurys faisait ainsi émerger une petite<br />

élite locale attachée au service de la Couronne par son implication dans les procédures<br />

judiciaires, mais aussi comptables, grâce au système de vérification des comptes de<br />

construction. Sur les 955 hommes recensés pour avoir attesté les comptes de<br />

construction des shérifs, seuls 171 sont identifiés par leur pr<strong>of</strong>ession ou leur fonction et<br />

seulement 32 d’entre eux possèdent une fonction liée au chantier (voir tableau ci-<br />

dessous).<br />

191 ODEGAARD, C. E., « Legalis Homo », Speculum, 15: 2 (1940), p. 186-193; GAUVARD, C., « La<br />

fama, une parole fondatrice », Médiévales. La Renommée, 24 (1993), p. 5-13.<br />

192 Rot. Lit. Claus. I. 1204-1224, 1833, p. 198 ; Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY,<br />

T. D. (éd.), 1835, p ; 67 : per visum quatuor proborum hominum de Arches et totum ; Rotuli de Liberate<br />

ac de misis et praestitis regnante Johannes, HARDY, T. D. (éd.), 1844 ; p. 93.<br />

193 GAUVARD, C., « Prud'homme », dans Dictionnaire du Moyen Âge, 2002, p. 1158.<br />

566


Tableau des individus identifiés par leur fonction ayant contrôlé les travaux du roi<br />

entre 1166 et 1214.<br />

fonction Total fonction Total fonction Total fonction Total<br />

Canonicus 1 Tresorarius 1 Contra-Taillator 3 Carpentarius 3<br />

Carbonarius 1 Camerarius 2 Merciarius 3 Ingeniator 3<br />

« Le drappier » 1 Miles 2 Molendinarius 3 Aurifaber 3<br />

Falconarius 1 Constabularius 2 Parmentarius 3 Cementarius 4<br />

Janitor 1 Cocus 2 Prior 4 Faber 5<br />

Parcarius 1 Mercator 2 Forestarius 5 Pictor 6<br />

Medicus 1 Marescallus 2 Capellanus 6 Magister 8<br />

Servientes 1 Presbiterius 2 Vinetarius 6<br />

Tannatus 1 Taillator 2 Clericus 15<br />

Monnetarius 3 Prépositus 18 total 32<br />

Si les hommes chargés de contrôler les comptes des shérifs sont parfois des<br />

pr<strong>of</strong>essionnels travaillant sur le chantier – Ailnoth, par exemple, a souvent attesté à<br />

l’Échiquier – les compétences techniques n’étaient pas nécessaires pour accomplir cette<br />

fonction. Lire et écrire n’était sans doute pas même exigé, car il suffisait que les<br />

hommes attestent de visu que des constructions aient bien été effectuées, sans qu’il soit<br />

nécessaire d’entrer dans le détail des comptes. Plus qu’une fonction comptable, le<br />

système qui imposait à des legales homines de se rendre à la saint Michel à l’Échiquier<br />

à Westminster avait pour objectif d’instaurer un dialogue avec ces élites locales, en les<br />

faisant pénétrer dans le « temple » de la principale institution monarchique 194 . En leur<br />

demandant d’attester de la bonne comptabilité du shérif, la monarchie tissait ainsi des<br />

liens avec les représentants des communautés du royaume, qui participaient ainsi à la<br />

bonne gestion des deniers de la Couronne. Cette insertion dans le système administratif<br />

et judiciaire de la monarchie contribue ainsi à la formation d’une société politique,<br />

maillon essentiel de la construction étatique.<br />

Les chantiers de construction constituent donc un lieu d’articulation entre le<br />

pouvoir central et les communautés locales de l’empire. En donnant au pouvoir royal un<br />

réel ancrage économique et social, les chantiers formaient d’importants substituts aux<br />

alliances avec la noblesse locale, surtout lorsque les fidélités et les loyautés étaient<br />

194 La solennité des séances de l’Échiquier invite à reprendre l’analogie proposée par Jacques Krynen et<br />

Olivier Mattéoni consistant à voir dans les maîtres des comptes des « prêtres de la royauté ». KRYNEN,<br />

J., « De la représentation à la dépossession: les parlementaires, « prêtres de la justice" », Mélanges de<br />

l'École francaise de Rome, Moyen Âge, 114 (2002), p. 95-119; MATTEONI, O., « Vérifier, corriger,<br />

juger. Les Chambres des comptes et le contrôle des <strong>of</strong>ficiers en France à la fin du Moyen Age », Revue<br />

historique, 309: 1 (2007), p. 31-71.<br />

567


défaillantes 195 . Pour Philippe Braunstein et Patrick Boucheron, les ingénieurs ont ainsi<br />

joué un rôle dans la genèse de l’Etat moderne, en permettant la transmission et<br />

l’utilisation d’un savoir pratique dans quelques secteurs clés de la vie économique et de<br />

l’organisation de l’État, avant que la glorification de sa créativité individuelle ne serve à<br />

distinguer l’ingenium politique du prince 196 . L’implication des locaux ne constitue<br />

cependant un système institutionnalisé seulement en Angleterre, où le fonctionnement<br />

de la reddition annuelle des comptes permettait une réelle intégration. Ailleurs, c’est<br />

surtout d’un point de vue économique que les chantiers articulent local et global.<br />

L’administration des chantiers en réseau, en <strong>of</strong>frant une gestion de l’approvisionnement<br />

des matériaux et en mobilisant toutes les ressources de l’empire, contribue notamment à<br />

élargir leur intégration économique à une échelle impériale.<br />

195 THEIS, V., « Pratiques artisanales et politique de grands travaux: l'exemple du palais de Pont-de-<br />

Sorgues au XIVe siècle », Cahiers d'histoire et de philosophie des sciences: Artisans, industrie. nouvelles<br />

révolutions du Moyen Âge à nos jours, 52 (2004), p. 307-319.<br />

196 BRAUNSTEIN, P., « Les techniciens et le pouvoir à la fin du Moyen Âge : une direction de<br />

recherche », dans Travail et entreprise au Moyen Âge, 2004, p. 35-72 ; BOUCHERON, P., Le pouvoir de<br />

bâtir. Urbanisme et politiques édilitaire à Milan (XIII e -XV e siècles), 1998.<br />

568


2- L’économie des chantiers Plantagenêt : les ressources<br />

matérielles et leur circulation au sein de l’empire<br />

Les chantiers de construction, qu’il s’agisse des vastes fondations monastiques<br />

ou des grandes forteresses féodales, constituent un phénomène marquant du paysage<br />

anglais depuis la conquête de 1066 197 . À leur arrivée, les conquérants entreprennent en<br />

effet l’édification d’un vaste réseau de constructions qui reconfigure l’espace selon les<br />

schémas et les modes de la domination féodale. En remodelant le paysage rural et<br />

urbain et en restructurant les centres de pouvoir et leurs réseaux, ces constructions ont<br />

contribué à ordonner spatialement le nouvel ordre féodal. Jusque dans la dernière<br />

décennie du XII e siècle, qui marque le début d’un sensible ralentissement des<br />

constructions, ces gigantesques chantiers ont également imposé une réorganisation<br />

économique en relation avec les ressources continentales. Cette dimension continentale<br />

de l’espace anglo-normand s’accentue encore avec la conquête du pouvoir par Henri II<br />

en 1154.<br />

La transformation du paysage urbain et rural occidental est avant tout marqué<br />

par sa « pétrification ». L’approvisionnement en matériaux de ces vastes chantiers<br />

impliquait l’exploitation et la circulation plus intensives des ressources nécessaires à la<br />

construction : de la pierre, mais aussi du bois et des métaux. Élément caractéristique des<br />

édifices normands, la pierre de taille témoigne des moyens mis en œuvre par<br />

l’aristocratie normande pour imposer sur le territoire anglais la puissance de ses<br />

donjons. Cependant les bâtiments en pierre ne se substituent que progressivement aux<br />

constructions en bois, qui étaient majoritaires à l’époque anglo-saxonne 198 . Les métaux<br />

constituent également un composant essentiel et trop souvent négligé des édifices<br />

médiévaux. Leur usage abondant sur les chantiers a pourtant eu des implications<br />

majeures dans l’essor économique et technique du Moyen Âge. Si la documentation<br />

nous permet de suivre les circuits d’approvisionnement du fer, c’est surtout<br />

197 FERNIE, E. C., The Architecture <strong>of</strong> Norman England , 2000; CREIGHTON, O. H., Castles and<br />

Landscapes. Power, Community and Fortification in Medieval England, 2002.<br />

198 Le débat sur l’importation des châteaux en Angleterre depuis la conquête est lancé par ARMITAGE,<br />

E. S., The Early Norman Castles <strong>of</strong> the British Isles, 1971 et continué par BROWN, R. A., English<br />

Medieval Castles, 1954. Pour une synthèse de ces discussions voir : COULSON, C. A., Castles in<br />

Medieval Society. Fortresses in England, France, and Ireland in the Central Middle Ages, 2003,<br />

introduction.<br />

569


l’exploitation et l’usage du plomb qui nous permettent de comprendre les contraintes de<br />

l’approvisionnement des chantiers et leurs enjeux politiques et économiques globaux.<br />

Les documents de l’administration anglaise et normande permettent ainsi de<br />

saisir le degré de contrôle des ressources du territoire et de leur exploitation, dans la<br />

mesure où l’intensité et la fréquence de la circulation des matériaux reflètent bien la<br />

manière dont un pouvoir est capable d’organiser un territoire économique à partir de<br />

richesses « communes ». Nous verrons donc tout d’abord comment le transport de la<br />

pierre répond à une logique combinant des enjeux à la fois techniques et symboliques,<br />

puis quelle est l’ampleur de la mobilisation des ressources en bois et en fer pour<br />

approvisionner les chantiers et, enfin, dans quelle mesure l’usage et les dons de plomb<br />

ont placé les chantiers au cœur d’enjeux économiques globaux.<br />

2.1- L’approvisionnement en pierre des chantiers Plantagenêt<br />

Si l’apparition d’une « blanche robe d’églises », selon l’expression de Raoul<br />

Glaber, domine l’imaginaire médiéval, la vague de constructions initiée par l’Église au<br />

XI e siècle inclut également, par la suite, de vastes grandes forteresses et de grands et<br />

hauts donjons, qui ont accompagné l’essor de la puissance princière au cours du XII e<br />

siècle. Dans l’ouest de l’Europe, la diffusion de la maçonnerie en milieu princier laïc<br />

s’opère de manière discontinue selon les régions et les milieux sociaux, entre le XI e et le<br />

XII e siècle 199 . La « pétrification » de l’architecture fait de l’approvisionnement des<br />

chantiers en pierre de taille une préoccupation centrale dans la conduite des opérations,<br />

principalement parce que les quantités nécessaires et le coût du transport de la carrière<br />

au chantier impliquaient la maîtrise d’une gestion et d’une organisation complexes. Les<br />

matériaux devaient être sélectionnés et la pierre être au moins grossièrement taillée<br />

avant d’être transportée sur le site. Ce transport était généralement effectué par les<br />

carriers eux-mêmes comme l’indiquent les rouleaux normands de 1198, qui enregistrent<br />

le paiement de £ a 2600 5s. 6d. pour les quariatori qui apportent de la pierre de taille aux<br />

Andelys 200 . Cette mention signale également, qu’outre l’extraction in situ, comme c’est<br />

le cas à Châteaux Gaillard – où les anciennes carrières sont encore visibles sur les sites<br />

199 RENOUX, A., Fécamp, du palais ducal au palais de Dieu : bilan historique et archéologique des<br />

recherches menées sur le site du château des ducs de Normandie IIe siècle A.C.-XVIIIe siècle P.C. 1991,<br />

p. 280-288.<br />

200 MRSN, II, p. 310 : quariatoribus qui trahebant petram de quareliis. Ce montant incluait<br />

vraisemblablement le prix de la pierre elle-même, bien que cela ne soit pas spécifié.<br />

570


actuels (illustration 6.14) 201 – l’approvisionnement des chantiers comprenait également<br />

des pierres de taille de carrières plus lointaines mais souvent de meilleure qualité 202 . La<br />

documentation du XII e siècle est très laconique sur l’usage des carrières médiévales. La<br />

plupart du temps, il s’agit de savoirs transmis oralement, comme le rapporte Jean<br />

Lozinski dans son étude sur la cathédrale Saint-Pierre de Poitiers, où le calcaire utilisé<br />

provenait, « selon les tailleurs de pierre de la région » et comme « tout le monde sait »,<br />

de la carrière de Bonnillet, sur la commune de Chasseneuil du Poitou, un lieu qui<br />

appartenait aux ducs d’Aquitaine et où s’élevait la « tour Maubergeon », château des<br />

comtes de Poitiers 203 .<br />

La documentation écrite du XII e siècle informe essentiellement sur les pierres<br />

diffusées sur de longues distances, parce que leur circulation impliquait une logistique<br />

plus complexe et une gestion comptable. À partir de la fin du XI e siècle, cette<br />

documentation fait notamment apparaître la place spécifique qu’occupait la pierre de<br />

Caen dans la construction anglo-normande. La diffusion massive de ce calcaire en<br />

Angleterre tout au long du Moyen Âge est un phénomène bien connu, quoique rarement<br />

étudié 204 . Au-delà des raisons d’un tel succès, dans quelles logiques<br />

d’approvisionnement les importations de la pierre de Caen s’inscrivaient-elles ?<br />

L’analyse de la circulation des pierres vers les chantiers de construction des Plantagenêt<br />

montre que la logique de ces approvisionnements appartenait à une organisation<br />

administrée à une échelle globale, jouant sur la mise en réseau les multiples chantiers de<br />

la royauté.<br />

2.1.1- Le marché de la pierre en Angleterre au XII e siècle : aspects techniques et<br />

symboliques<br />

Les raisons du succès de la pierre de Caen en Angleterre<br />

201 DE BOUARD, M., Manuel d'archéologie médiévale : de la fouille à l'histoire, 1975, p. 54 ;<br />

COPPOLA, G., « Carrières de pierre et techniques d'extraction. La pierre de Caen », dans L'architecture<br />

normande au Moyen âge, 2001, p. 289-304.<br />

202 NAUD, G., « Origine et diffusion des principaux matériaux utilisés dans les constructions d’Ardèche<br />

au cours des temps », dans Carrières et constructions, 1992, p. 411-430.<br />

203 LOZINSKI, J. L., « Henri II, Aliénor d'Aquitaine et la cathédrale de Poitiers », C.C.M., 37 (1994), p.<br />

91-100, cite voir RÉDET, L. F. X., Dictionnaire topographique du département de la Vienne,<br />

comprenant les noms de lieu anciens et modernes, 1881, p. 49.<br />

204 TATTON-BROWN, T., « La pierre de Caen en Angleterre », dans L'architecture normande au Moyen<br />

âge, 2001, p. 305-314 ; hormis cet article de synthèse, la plupart des travaux ne la mentionne simplement<br />

que succintement.<br />

571


L’aire d’extraction de ce calcaire à grains fins, qui blanchit en durcissant au<br />

contact de l’air s’étend de Caen aux environs d’Aubigny (voir carte 6. 15) 205 . Connue et<br />

utilisée dès l’époque romaine, c’est surtout au Moyen Âge que se développe son<br />

extraction. Au XII e siècle, celle-ci se fait essentiellement à ciel ouvert, dans des zones<br />

où l’érosion est la plus active, c'est-à-dire sur les flancs des vallées. Depuis les travaux<br />

de Laurent Dujardin, l’exploitation de la pierre de Caen au Moyen Âge est bien<br />

connue 206 . Le succès de la diffusion de calcaire tendre et clair en Angleterre tout au long<br />

du Moyen Âge a également fait l’objet de diverses explications.<br />

Tout d’abord, ont été invoquées la qualité et le degré de développement des<br />

techniques d’extraction du calcaire de Caen depuis la fin du XI e siècle. Celles-ci<br />

auraient permis la production d’importantes quantités de pierres capables<br />

d’approvisionner les vastes chantiers qui ont suivi la conquête de 1066, suppléant au<br />

faible nombre de carrières et de carriers existant en Angleterre à cette date. En réalité, la<br />

bonne connaissance des carrières de Caen et de leurs carriers qui explique plus<br />

vraisemblablement pourquoi Lanfranc, abbé de Saint-Étienne qui devint archevêque de<br />

Canterbury, « fait transporter par mer, avec de rapides navires » 207 de la pierre de<br />

construction de Caen pour reconstruire la cathédrale anglaise après l’incendie de 1070.<br />

Le manque des carrières en Angleterre à la fin du XI e siècle reflète, en réalité, la<br />

situation de l’Occident, dont le paysage monumental se transforme en moins d’un<br />

siècle, entraînant un développement général de l’exploitation des ressources naturelles.<br />

L’architecture en pierre reste cependant peu développée avant le milieu du XI e siècle en<br />

Angleterre comme le suggèrent les découvertes des archéologues britanniques qui n’ont<br />

mis à jour qu’un petit nombre de sites maçonnés. Après la conquête, l’ouverture de<br />

nouvelles carrières et le développement des carrières déjà exploitées à l’époque anglo-<br />

saxonne sont en mesure d’approvisionner les multiples chantiers. Un passage de la<br />

chronique de l’abbaye de Battle raconte ainsi comment les moines, après avoir reçu en<br />

don du roi Guillaume le Conquérant une cargaison de pierre de Caen pour la<br />

construction des bâtiments, découvrent peu après, grâce aux indications d’une femme<br />

205<br />

MUSSET, L., « La pierre de Caen: extraction et commerce (XIe-XVe siècles) », dans Pierre et Métal<br />

dans le bâtiment au Moyen Âge, 2001, p. 220-231 (carte : fig 1, p. 221).<br />

206<br />

DUJARDIN, L., « L’aire de dispersion de la pierre de Caen », dans Carrières et constructions, 1992,<br />

p. 431-444.<br />

207<br />

LEHMANN-BROCKHAUS, O., Lateinische Schriftquellen zur Kunst in England, Wales und<br />

Schottland, vom Jahre 901 bis zum Jahre 1307, 1955-1960, I, p. 179, n° 664 : Vita beati Lanfranci par<br />

Milon Crespin (cap.9 p. 46) : Et quia ante aliquot annos igne combusta fuerat [1067] a fundamentis illam<br />

reaedificare studuit, grande opus et spatiosum. Officinas quoque usibus monachorum necessarias<br />

aedificavit. Et quod mirum admodum sit, de Cadomo, ubi abbas exstitis, velivolis navibus per mare<br />

transvehi faciebat quadros lapides ad aedificandum.<br />

572


guidée par un rêve miraculeux, une carrière de calcaire de bonne qualité leur permettant<br />

d’achever la construction de leur monastère (illustration 6. 19) 208 .<br />

L’importation de la pierre de Caen perdure cependant jusqu’à la fin du Moyen<br />

Âge, comme le montrent les sauf-conduits émis par les rois d’Angleterre en faveur des<br />

marchands caennais 209 . Le coût du transport maritime, parce qu’il était moins onéreux<br />

que le transport par voie terrestre, constitue un second facteur permettant de comprendre<br />

comment de telles quantités ont pu circuler entre la Normandie et l’Angleterre. Selon<br />

Louis F. Salzman, à la fin du Moyen Âge, au-delà de 12 miles (près de 20 km), le coût<br />

du transport terrestre devenait équivalent au coût de la pierre elle-même 210 . Cependant<br />

les frais engagés à Vale Royal à la fin du XIII e siècle, comme à Château Gaillard en<br />

1198, montrent qu’un tel approvisionnement nécessitait également d’importants<br />

moyens : il faut en effet £ a 2705 pour transporter des pierres et du bois par nef et bateau<br />

jusqu’aux Andelys 211 . Pour les chantiers littoraux anglais, il pouvait s’avérer rentable<br />

d’importer de la pierre de Normandie que de la faire venir des carrières du centre de<br />

l’Angleterre. La plupart des édifices qui ont utilisé la pierre de Caen se situaient<br />

d’ailleurs dans le sud et l’est de l’Angleterre 212 . On ne peut cependant minimiser le coût<br />

des transports maritimes. L’emploi du calcaire de Caen jusqu’en Irlande, à l’abbaye de<br />

Mellifont (Meath) et à Dunbrody (près de Wexford) 213 et à Durham, dans le nord de<br />

208<br />

Battle Chronicles cité dans MORTET, V. et al., Recueil de textes relatifs à l'histoire de l'architecture<br />

et à la condition des architectes en France, au Moyen âge : XIe-XIIIe siècles, 1995 [1911-1929], p. 194-<br />

198 : denuo quoque illis de loci conquerentibus ino(p)ortunitate, eo quod scilicet, per vicinia latius, uti<br />

per silvestre solum, nusquam ad aedificium apti lapides reperirentur, rex de thesauro suo ad omnia<br />

sufficientiam proponens sumptuum, delegavit etiam naves de proprio, quibus a Cadomensi vico lapidum<br />

copia ad opus propositum transveheretur. Cumque, statutum regis exequentes, aliquantam de Normannia<br />

lapidum portionem advexissent, interim ut fertur matronae cuidam regligiosae revelatum est, quatinus in<br />

designato sibi per visum loco fodientes, ibidem ad opus praemeditatum lapidum invenirent abundantiam.<br />

209<br />

DUJARDIN, L. « Carrières et Pierre en Normandie. Contribution à l’étude historique et archéologique<br />

des carrières de pierre à bâtir à Caen et en Normandie aux époques médiévales et modernes », Thèse de<br />

doctorat soutenue à l'<strong>Université</strong> de Caen, 1998, non publiée, p. 255 et suiv ; DUJARDIN, L. « Le<br />

commerce de la pierre de Caen », dans La Normandie dans l’économie européenne, ARNOUX, M. et<br />

FLAMBARD-HERICHER, A.-M. (dir.), à paraître.<br />

210<br />

SALZMAN, L. F., Building in England down to 1540. A Documentary History, 1967, p. 349-354;<br />

MRSN, II, p. 310 : quariatoribus qui trahebant petram de quareliis. Le transport des pierres pouvait en<br />

effet se révéler très onéreux comme le signale un extrait des comptes de l’Echiquier de Normandie relatif<br />

au chantier de Château-Gaillard : en 1198, le paiement des carriers (quariatori) pour apporter de la pierre<br />

de taille aux Andelys s’élève à £ a 2600 5s. 6d. Ce montait incluait vraisemblablement le prix de la pierre<br />

elle-même, bien que cela ne soit pas spécifié.<br />

211 a<br />

MRSN, II, p. 309-310 : £ 1700 in navibus et batelle qui aportabant maremium et petram ; £1004<br />

portatoribus maremiorum et quarellorum taillatorum.<br />

212<br />

TATTON-BROWN, T., « La pierre de Caen en Angleterre », dans L'architecture normande au Moyen<br />

âge, 2001, p. 305-314.<br />

213<br />

JOPE, E. M., « The Saxon building stone industry in South and Midland England », Medieval<br />

Archaeology, 8 (1964), p. 91-118.<br />

573


l’Angleterre pose alors la question des qualités spécifiques de cette pierre et de la<br />

signification de son emploi dans les îles britanniques 214 .<br />

Si l’absence de sources contemporaines permettant de connaître sa diffusion<br />

dans l’ensemble des territoires des Plantagenêt à la fin du XII e siècle ne peut être<br />

considérée comme un signe de l’inexistence de tels échanges, la quasi-exclusivité des<br />

mentions d’importation de la pierre de Caen en Angleterre ne peut non plus être<br />

envisagée comme totalement fortuite. Certes, la richesse et la diversité pétrographique<br />

d’une région comme la plaine de Caen étaient alors réputées, mais les ressources du<br />

bassin de la Loire 215 , de la Vendée, de la Saintonge 216 ou encore des Costwolds en<br />

Angleterre fournissaient également des calcaires connus et exploités au XII e siècle. Les<br />

ressources naturelles ne suffisent donc pas à expliquer les raisons de l’intense diffusion<br />

de cette pierre à travers l’Angleterre du XI e et XII e siècle. D’autres enjeux doivent être<br />

pris en compte pour comprendre la dynamique de circulation de ce matériau. Quelle<br />

était en particulier son économie symbolique ? Le pr<strong>of</strong>it mémoriel de cette pierre<br />

n’était-il pas alors aussi important que sa « rentabilité » pécuniaire ?<br />

Le prestige des édifices fondés par Guillaume le Conquérant à Caen au milieu du<br />

XI e siècle était alors considérable. Saint-Étienne (ou l’abbaye aux hommes) où il fut<br />

enterré et son pendant féminin patronné par sa femme Mathilde, La Trinité (ou l’abbaye<br />

aux femmes) (voir illustration 6.16) constituaient assurément des modèles pour toute<br />

l’aristocratie normande qui met en œuvre les vastes chantiers dans l’Angleterre après la<br />

conquête. En outre, l’usage de la pierre de Caen était aussi un symbole architectural de<br />

la domination sociale des Normands, rappelant dans le paysage l’origine des<br />

conquérants et marquant le souvenir de la puissance militaire des grands lignages. La<br />

pierre de Caen est donc utilisée dans la plupart des chantiers aristocratiques laïques ou<br />

ecclésiastiques de l’Angleterre médiévale parce qu’elle recouvrait aussi un langage<br />

politique. Elle l’était d’ailleurs rarement pour la totalité des constructions mais souvent<br />

réservée aux espaces d’apparat, pour la sculpture des parties ornementées 217 . Ainsi, au<br />

château d’Orford dans le Suffolk, selon les rapports de fouilles, de la pierre de Caen a<br />

214 BOASE, T. S. R., English art 1100-1216, 1968, p. 22 cite REGINALD DE DURHAM, Reginaldi<br />

Monachi Dunelmensis Libellus de Admirandis Beati Cuthberti Virtutibus quae novellis patratae sunt<br />

temporibus, 1835, p. 44.<br />

215 PRIGENT, D., « La pierre de construction et sa mise en œuvre : l’exemple de l’Anjou », dans Utilis<br />

est lapis in structura: mélanges <strong>of</strong>ferts à Léon Pressouyre, 2000, p. 461-470 montre que les carrières<br />

angevines se caractérisent par leur petite taille et une production essentiellement locale.<br />

216 Service de l’Inventaire, base Mérimée, IA17000402 : les carrières de Thénac en Saintonge (Charentemaritime)<br />

sont notamment connues pour avoir été exploitées dès l’Antiquité. Il s’agit de carrières<br />

souterraines, creusées dans un calcaire dur et de couleur blanche.<br />

217 WILLIS, R., The Architectural History <strong>of</strong> Canterbury Cathedral, 1845.<br />

574


été abondamment utilisée, notamment pour la construction des arches qui forment la<br />

plupart des embrasures des murs et des chaînages, dont on a vu que la mise en œuvre<br />

portaient également un message symbolique (voir chapitre 5) 218 . Tim Tatton-Brown a<br />

également relevé l’usage du calcaire caennais à la Bell Tower de la Tour de Londres<br />

(illustrations 5.46 et 5.52) 219 . Le récit de la reconstruction du chœur de la cathédrale de<br />

Canterbury, entre 1175 et 1178 relate comment Guillaume de Sens, le maître d’ouvrage<br />

retenu par le chapitre, fait venir des pierres d’outre-mer selon des modèles (formae) au<br />

pr<strong>of</strong>il dessiné par lui-même 220 . Ce passage suggère non seulement que cette pierre était<br />

taillée dans les ateliers de carrières et non sur le chantier, et qu’il existait des formes<br />

standardisées qui servaient non seulement à la sculpture mais aussi aux blocs de<br />

maçonnerie dont les dimensions étaient prédéterminées. Il s’agit donc d’une véritable<br />

« préfabrication » d’éléments en série visant à faciliter leur mise en œuvre. Ainsi, le<br />

message politique lié à l’emploi de la pierre de Caen en Angleterre, s’accompagnait<br />

également d’une dimension esthétique et technique illustrant les capacités<br />

architectoniques de la pierre de Caen. Ces deux aspects – caractéristiques techniques et<br />

dimension politique – ne sont nullement contradictoires, mais se renforcent au<br />

contrairement mutuellement. Parce que la pierre de Caen possédait de telles propriétés,<br />

elle était bien connue des principaux maîtres d’œuvres normands de la fin du XI e siècle,<br />

à l’instar de Lanfranc, et a ainsi pu devenir le support d’un message politique,<br />

symbolisant la puissance du nouveau groupe dominant.<br />

Dans la seconde moitié du XII e siècle, les rouleaux normands restent cependant<br />

muets sur l’exportation de la pierre de Caen, dont l’exploitation ne relève ait<br />

vraisemblablement pas du duc ou de ses agents. En revanche, les pipe rolls fourmillent<br />

de détails sur le transport des pierres de construction. Ils ne mentionnent toutefois<br />

jamais explicitement le calcaire « de Caen » mais un faisceau d’indices permet parfois<br />

de déduire sa provenance, et notamment les mentions de franca petra acquise à<br />

218<br />

ROBERTS, R. A., The story <strong>of</strong> Orford castle (Suffolk), 1930.<br />

219<br />

TATTON-BROWN, T., « Medieval building stone at the Tower <strong>of</strong> London », London Archaeologist,<br />

6: 13 (1991), p. 361-366.<br />

220<br />

GERVAIS DE CANTORBERY, The Historical Works, 1965 [1880], p.6-7 : Advenerat autem inter<br />

alios artifices quidam Senonensis, Willelmus nomine, vir admodum strenuus, in ligno et lapide artifex<br />

sutbilissimus. (…) in adquirendis igitur lapidibus transmarinis opera data est. Ad naves onerandas et<br />

exonerandas, ad cementum et ad lapides trahendos tormamenta fecit valde ingeniose. Formas quoque ad<br />

lapides formandis his qui convenerant sculptoribus tradidit, et alia in hunc modum sollicite praeparavit.<br />

(Parmi d’autres, vint un architecte de Sens, nommé Guillaume, un homme énergique et ouvrier ingénieux<br />

en pierre et en bois. (…) il s’occupa de se procurer de la pierre outremer. Il construisit d’ingénieuses<br />

machines pour charger et décharger les navires et pour lever les pierres et le mortier et envoya des<br />

modèles pour tailler la pierre selon sa convenance et en prépara d’autre sur ce modèle).<br />

575


Southampton 221 . Le principal indice permettant de distinguer la franca petra de Caen<br />

des pierres anglaises est le prix auquel les shérifs se procurent ce calcaire à<br />

Southampton. Alors qu’il suffit de 15s. 4d. pour 3000 pierres de Quarr, importées de<br />

l’île de Wright, il faut £12 en 1175 et 1176 pour 12 000 pierres, de Caen soit un prix<br />

quatre fois plus élevé, si l’on estime que le module des pierres est à peu près identique<br />

(ce qui n’est pas assuré, malgré tout), le prix étant donné par unité de pierres 222 . La<br />

pierre de Caen était vraisemblablement achetée à des marchands, le prix incluait donc le<br />

coût de la traversée de la Manche. Il n’est pas impossible en outre que la pierre de Caen<br />

ait été plus chère, car plus prisée et de qualité souvent supérieure aux calcaires anglais.<br />

En 1175 et 1176, les frais d’acheminement de Southampton à Winchester (soit sur plus<br />

de 22 km) sont déduit de la ferme du shérif du Hampshire, ils représentent alors presque<br />

40% du coût de la pierre de Caen elle-même 223 . L’importation de la pierre de Caen en<br />

Angleterre pour les chantiers royaux était donc assez limitée à la fin du XII e siècle. Ce<br />

calcaire avait donc moins un rôle de substitution aux pierres des carrières anglaises,<br />

qu’une fonction supplétive, véhiculant un message propre qui la rendait irremplaçable,<br />

mais non indispensable.<br />

L’exploitation des carrières en Angleterre : une production déjà bien organisée<br />

Les îles britanniques comportent une série de calcaires, de différentes<br />

apparences et de qualités variables. Les principaux se trouvent le long d’une diagonale<br />

partant du Devon et rejoignant l’Humber (voir carte 6.17). Le long de cette diagonale se<br />

trouvaient le calcaire blanc de Portland, les calcaires bleus gris du centre du Somerset,<br />

le calcaire jaune miel des sols coralliens de l’Oxfordshire, Bedfordshire et<br />

Northamptonshire. En dehors de cette diagonale, se trouvaient également, le calcaire<br />

magnésien du Yorkshire et la pierre compacte et dure du Kent et du Sussex 224 . Une telle<br />

221<br />

PR 21 H.II., p. 201: pro franca petra ad capella regis in castri Wintonie (IIII miliarum denariorum)<br />

(£16 13s. 4d); PR 22 H. II, p. 200 : £12 pro XII miliariis de franca petra ad capellam regis de Wintonia.<br />

222<br />

15s. 4d. = 184d. (pour 3000 pierres) et £12 = 2880d. (pour 12000 pierres) soit 61d. pour 1000 pierres<br />

d’un coté contre 240d. de l’autre. En 1175, les rouleaux enregistrent en effet un paiement de £12 pro XII<br />

miliariis de franca petra ; en 1179, il est question de 15s. 4d. pour tribus miliaribus petre, puis en 1180,<br />

de 24s. pro MDC petris francis (soit 180d. le millier de pierres). Ces mesures diffèrent des mesures<br />

utilisées dans la carrière où le prix est fixé généralement en pieds, qui représente une unité de surface (10<br />

cm²) équivalent à un volume d’environ 36 cm 3 , ou en tonneau qui varie selon la densité de la pierre.<br />

DUJARDIN, L., « Carrières et Pierre en Normandie. Contribution à l’étude historique et archéologique<br />

des carrières de pierre à bâtir à Caen et en Normandie aux époques médiévales et modernes », Thèse de<br />

doctorat, Caen, 1998, non publiée, p. 253.<br />

223<br />

PR 21 H.II, p. 201; PR 22 H.II, p. 200 : £6 2s. 8d. puis £6 18s. 3d. in custamento ducendi eandem<br />

petram ad Wintoniam.<br />

224<br />

HUDSON, K., The Fashionable Stone, 1971, p.1.<br />

576


ichesse pétrographique ne permet donc pas de soutenir l’idée selon laquelle<br />

l’importation de la pierre de Caen après 1066 vient suppléer un manque de ressources<br />

naturelles. En revanche, la rapidité avec laquelle l’importation est possible suggère qu’il<br />

existait déjà un marché structuré au sein duquel la pierre de Caen a pu facilement<br />

s’insérer 225 . Ces marchés sont cependant mal connus. Jusque vers 700, le remploi des<br />

matériaux enlevés aux ruines antiques suffisait vraisemblablement à couvrir les besoins<br />

de la construction en pierre, assez peu développée 226 . Mais aux IX e et X e siècles, les<br />

grandes centres de Barnack (Northamptonshire), Bath (Somerset) et Quarr (Hampshire)<br />

diffusaient leur pierre à vaste échelle.<br />

Localement, les toponymes saxons permettent de situer des sites d’extraction en<br />

activité dès avant la conquête. Le mot saxon désignant la pierre de construction étant<br />

stan et la carrière de pierre : stan-gedelf, stan-greet ou Stan hiwet plusieurs sites ont pu<br />

être ainsi localisés 227 . Il s’agissait sans doute de carrières de petites tailles, exploitées<br />

pour approvisionner les quelques édifices en pierre construits à l’époque saxonne, c'est-<br />

à-dire essentiellement des abbayes et certains palais royaux. Le Domesday Book<br />

mentionne également des carrières comme celles de Taynton (Oxfordshire), Bignor,<br />

Stedham et Iping (Sussex) 228 . Ces carrières appartenaient alors majoritairement aux<br />

monastères, soit parce qu’ils étaient à l’origine de leur ouverture soit à la suite de<br />

concessions royales. Plusieurs documents attestent en effet l’acquisition par les<br />

monastères de carrières ou de leurs droits d’exploitation. Ces documents montrent<br />

notamment que nombre de carrières dépendaient initialement des domaines royaux 229 .<br />

Aux XI e et XII e siècles, plusieurs carrières sont en effet décrites comme étant in foresta<br />

regis. Selon David Parson, l’ouverture ou l’acquisition de carrières par la royauté anglo-<br />

saxonne remonterait au règne du roi Eadred, au X e siècle.<br />

Il y a peu de mention de carrières en Angleterre dans les pipe rolls de cette<br />

époque. En 1163, Henri II ordonne au shérif de l’Oxfordshire de dépenser £4 « dans les<br />

carrières de Taynton » (in quararria de Tegtonie), qui se trouvent à une trentaine de<br />

kilomètres à l’ouest d’Oxford dans la vallée de Windrush sur les flancs des Costwolds,<br />

225<br />

MUSSET, L., « La pierre de Caen: extraction et commerce (XIe-XVe siècles) », dans Pierre et Métal<br />

dans le bâtiment au Moyen Âge, 2001, p. 220-231<br />

226<br />

PARSONS, D., « Review and prospect : the stone industry in roman, Anglo-saxon and medieval<br />

England », dans Stone. Quarrying and Building in England AD 43-1525, 1990, p. 1-15.<br />

227<br />

JOPE, E. M., « The Saxon building stone industry in South and Midland England », Medieval<br />

Archaeology, 8 (1964), p. 91-118.<br />

228<br />

"Domesday Book », p. 224, Sussex f° 23, 23v, 25, 29v et Oxfordshire f°157.<br />

229<br />

PARSONS, D., « Stone », dans English Medieval Industries: Craftsmen, Techniques, Products, 1991,<br />

p. 1-27.<br />

577


une région aux sous-sols riches en calcaire et en schiste 230 . Connues et exploitées depuis<br />

longtemps, les carrières avaient été concédées à l’abbaye de Saint-Denis en France par<br />

le roi Edward le Confesseur peu avant la conquête, ce qui explique que les chantiers<br />

royaux ne se soient guère approvisionnés sur ce site 231 . Le développement de la<br />

production des carrières entre 1065 et 1086 est vraisemblablement à l’origine de l’essor<br />

de la rente du manoir qui passe de 24s. 7d. à £15 par an. Hormis les dépenses faites pour<br />

la carrière elle-même en 1163, les comptes des shérifs de l’Oxfordshire comportent<br />

seulement deux dépenses en 1166 : l’une de £11 3s. 1d. pour des pierres taillées (pro<br />

lapidibus quadri portatis) pour le chantier de Windsor et l’autre d’un marc (13s 4d.)<br />

pour des colonnes (pro XX columpnis) à destination du chantier de Westminster 232 . Ces<br />

éléments signalent que l’exploitation des carrières de Taynton ne se limitait pas à<br />

l’extraction d’une pierre brute, mais qu’il existait des ateliers de taille permettant de<br />

fournir les chantiers en matériaux préfabriqués. Une telle organisation existait, selon E.<br />

Jope, dès l’époque anglo-saxonne, pour la pierre de Taynton, mais aussi pour celle de<br />

Quarr et de Barnack que l’on retrouve surtout dans les colonnettes et les pierres d’angles<br />

ou clefs de voûte à l’époque anglo-saxonne 233 . La diffusion de certains types de pierre<br />

s’effectuait donc davantage « par spécialité » et selon des usages spécifiques, que dans<br />

le cadre strictement régional. Il existait donc un corps de techniques transmises avec une<br />

certaine cohérence et une organisation parmi les tailleurs et les carriers anglo-saxons.<br />

En 1066, les vastes chantiers engagés par les Normands ont donc surtout contribué à<br />

l’essor plutôt qu’à la création d’une industrie d’extraction de pierres de taille en<br />

Angleterre.<br />

2.1.2- L’organisation de l’approvisionnement en pierre des chantiers royaux :<br />

administration centralisée et mise en réseau<br />

Les carrières exploitées par les Plantagenêt : une diffusion à large échelle<br />

230 PR 9 H.II., p.48. Les autres occurrences de quarraria concernent des enregistrements liés au transport<br />

des pierres « de la carrière au château ou à l’embarcadère », PR 27 H.II, p. 29 : pro eis deferendis a<br />

quarreria usque ad aquam; PR 2 Jean, p. 101 : pro petra trahenda de quareria ad castellum de Ebroaco<br />

(York) ; ALAN, C. (éd.), Victoria Counties History. A history <strong>of</strong> the county <strong>of</strong> Oxford, 1954-1990, II,<br />

p. 265.<br />

231 « Domesday Book », p. 224, Oxfordshire, f°157, XIII : l’abbaye [de Saint-Denis de <strong>Paris</strong>] tient<br />

Taynton du roi. Le roi le lui a donné. Le site comprend 10 hides, incluant la carrière, les prairies et les<br />

pâtures.<br />

232 PR 9 H.II., p. 48 : £ 4 in quarraria de Tegtonie; PR 12 H.II, p. 116 : pro lapidibus quadri portatis ad<br />

Windrelores ad operatione Regis ; p. 117 : pro XX columpnis ad operatione regis apud<br />

Westmonasterium.<br />

233 JOPE, E. M., « The Saxon building stone industry in South and Midland England », Medieval<br />

Archaeology, 8 (1964), p. 91-118.<br />

578


Si les pipe rolls mentionnent peu les carrières, les lettres royales envoyées aux<br />

shérifs pour prendre en charge le transport de pierres vers des chantiers permettent<br />

néanmoins de localiser les principales régions de provenances. Ces lettres qui<br />

concernent au total 17 chantiers 234 sur la soixantaine mis en œuvre par les Plantagenêt<br />

entre 1154 et 1216, (soit un peu plus d’un quart) font apparaître plusieurs régions<br />

d’approvisionnement.<br />

Tableau récapitulatif des approvisionnements en pierre des chantiers royaux<br />

enregistrés dans les pipe rolls<br />

Région d’origine Chantier de destination Dates Dépenses<br />

Oxfordshire (Tayton)<br />

Bedfordshire<br />

(Eglemont)<br />

Windsor et<br />

Westminster<br />

Windsor 1166-1170<br />

1166 £11 16s. 5d.<br />

£12 6s. (coût du<br />

transport)<br />

Wiltshire Marlborough 1176-1177 44s. 4d. (400 quarrelli)<br />

Gloucestershire (Bath-<br />

Box)<br />

Surrey (Reigate)<br />

Portsmouth 1214 £40 10s. (45000 quarrelli)<br />

Camera regis<br />

(Windsor?)<br />

1166 £7 4s. 6d.<br />

Sussex Hastings 1171-1172 £22 (coût du transport)<br />

Hampshire (Quarr et<br />

Purbeck)<br />

Winchester et<br />

Clarendon<br />

1177, 1179 17s. 10d.<br />

Kent Windsor et Londres 1191, 1193 £31<br />

Yorkshire York et Portsmouth 1200, 1214 £43 2s. 1d.<br />

Devon Exeter, Southampton 1170-80 £ 50<br />

Ce tableau permet de dégager six grandes régions : les Costwolds (4 premières<br />

entrées) s’étendant du Wiltshire au Bedfordshire, le Weald (Sud-Est de l’Angleterre), le<br />

Kent, le Yorkshire, les carrières des littoraux méridionaux de l’Angleterre (avec les<br />

carrières de Quarr sur l’île de Wright et de Purbeck) et le Devon (carte 6.17). Ces<br />

carrières n’ont pas été exploitées uniquement pour les constructions locales. Les pipe<br />

rolls montrent en effet qu’elles ont fourni des chantiers sur de longues distances.<br />

Les carrières de Taynton disparaissent des pipe rolls en 1166, date à partir de<br />

laquelle les carrières d’Eglemunt, à Totternhoe Hill dans le sud du Bedfordshire,<br />

234 Il s’agit des chantiers suivants : Berkhamptead, Canterbury, Clarendon, Dover, Eye, Hastings, Lincoln,<br />

Nottingham, Marlborough, Norwich, Odiham, Oreford, Tower <strong>of</strong> London Waltham, Westminster,<br />

Winchester, Windsor.<br />

579


deviennent les principales sources d’approvisionnement du chantier de Windsor, qui se<br />

trouve à moins de 50 km. L’essentiel de l’acheminement s’effectuait par voie fluviale,<br />

par la rivière Ouzel qui rejoint la Tamise non loin de Windsor (carte 6.23) 235 . Ces<br />

carrières sont sans doute aussi le site d’approvisionnement du chantier de<br />

Berkhampstead, situé à quelques kilomètres, qui reçoit un chargement de pierres en<br />

1160 236 . Dans les deux cas, les paiements ne concernent que les dépenses liées au<br />

transport, l’absence de dépenses pour la pierre elle-même suggère que ces carrières se<br />

trouvaient dans les domaines royaux. Son usage à l’abbaye de St Albans, qui se trouve à<br />

une quinzaine de kilomètres, dans des bâtiments datant de la fin du XII e siècle 237 ,<br />

suggère que la pierre d’Eglemunt voire l’exploitation de la carrière elle-même – qui<br />

disparaît des comptes royaux après les années 1170 – ont été l’objet d’un don royal en<br />

faveur de l’abbaye.<br />

À l’ouest de Taynton, d’autres carrières sont connues à Box, près de Bath. Dans<br />

le rouleau de 1176, il est question de franca petra provenant vraisemblablement de<br />

carrières du Wiltshire car elles approvisionnent le chantier de Marlborough. Ces pierres<br />

acquises au prix de 44s. 4s. sont ensuite transportées sous forme de 400 quarrelli<br />

jusqu’au château pour plus de la moitié du prix de la pierre (28s. 4d.), ce qui suggère<br />

que les carrières de cette « pierre franche » se trouvaient à moins de 15 km du<br />

chantier 238 . En 1200, les administrateurs de l’honneur de Gloucester rendent compte de<br />

2 sous pour « les coutumes de la carrière », indiquant que des carrières étaient en<br />

activité et exploitées dans cette région 239 . Ces carrières sont peut-être à l’origine des<br />

45 000 pierres importées en 1214 pour la construction des remparts de Porthmouth 240<br />

(carte 6.18).<br />

À l’extrémité orientale des Costwolds se trouve la pierre de Barnack, utilisée<br />

depuis l’Antiquité et à l’époque saxonne, pour la construction des monastères des<br />

Fenland, tels Ramsey, Peterborough, Bury-St-Edmunds et Sawtry qui obtiennent les<br />

235 PR 12 H.II, p. 11 : 16s. pro XL lapidibus conductibus de Eglemunt ad Windresores ; PR 14 H.II, p. 7 ;<br />

PR 15 H.II, p. 87; PR 16 H.II, p. 25, 27 : pro lapidibus de Eglemunt missis ad operationem domorum<br />

regis de Windrelores.<br />

236 PR 6 H.II, p. 12 : pro lapidibus attrahendo.<br />

237 TATTON-BROWN, T., « The Medieval Building Stones <strong>of</strong> St Albans Abbey: a provisional Note »,<br />

dans Alban and St Albans Roman and Medieval Architecture, Art and Archaeology, 2001, p. 118-123.<br />

238 PR 22 H.II, p. 171 44s. 4d. pro franca petra ad operationem de Merleberga ; PR 23 H.II, p. 98, 28s. 4d.<br />

in custamento ducendi CCCC quarrellos ad perficiendum opus de Merleberga.<br />

239 PR 2 Jean, p. 127 : de consuetudines quarrerie.<br />

240 PR 16 Jean, p. 55 : £40 10s. pro XLV milia quarellorum emptis et missis apud Portesmue.<br />

580


droits d’extraction aux XI e et XII e siècles 241 . Bien qu’elles ne soient pas explicitement<br />

mentionnées, il est probable que la pierre qu’Henri II fait transporter (carriago) pour les<br />

travaux du château de Eye en 1173 provenait de Barnack 242 . Le château était en effet<br />

relié aux carrières par la rivière Nene. La circulation des pierres de Barnack pr<strong>of</strong>itait<br />

alors du système fluvial et de canaux qui avaient été creusés depuis les Romains pour<br />

drainer les tourbières de cette région, comme le Car Dyke (voir chapitre 3). La<br />

chronique du monastère de Ramsey relate ainsi qu’en 1176, le pape Alexandre III<br />

confirme à l’abbaye Sawtry, le canal qu’elle avait fait creuser à ses propres frais pour<br />

transporter la pierre venant des carrières de Barnack pour construire l’église. Après<br />

1192, l’abbaye de Sawtry reçoit le droit d’usage de l’une des branches du canal<br />

conduisant à leur abbaye ainsi que le droit de construire une maison de repos pour les<br />

hommes travaillant sur les bateaux transportant la pierre 243 .<br />

D’autres entrées dans les pipe rolls indiquent également le coût du transport des<br />

pierres vers les chantiers comme Hastings dans le Sussex en 1171 et 1172 244 . Les £22<br />

nécessaires suggèrent que les carrières ne se trouvaient pas dans la proximité immédiate<br />

du château et le terme attractu indique que les convois ont vraisemblablement emprunté<br />

des routes terrestres. Il s’agit d’un calcaire oolithique dur et compact (kentish rag),<br />

241 LEHMANN-BROCKHAUS, O., Lateinische Schriftquellen zur Kunst in England, Wales und<br />

Schottland, vom Jahre 901 bis zum Jahre 1307, 1955-1960, I, p. 314, n°1168 : comes Waldenus qui tum<br />

monasterio nostro Croylandiae villam suam de bernak dedit, eamque operi eclesiae assignavit, passus<br />

remorsum in conscientia santra, quod possessio erat aiquando ecclesiastica, et quia illia erat insignis<br />

lapidicina, et ideo monaserio magis idonea et necessaria ; II, p. 362, n°3588 : relatione quomodo abbas<br />

Alfwinus (Ramesiensis) fodiendorum lapidum in territorio de Burch (Peterborough) perpetuam sibi et<br />

ecclesiae suae adquisivit libertatem ; p. 364, n°3594; Henricus (I er ) rex Angliae abbati de Bruch salutem,<br />

praecipio auod abbas de Ramesia iuste habebat petram ad opus ecclesiae suae faciendum et<br />

consuetudines suas sicut Alwinus abbas antecessor eius habuit melius, et super hoc inde non disturbetur.<br />

242 P.R. 19 H. II., p.132 : in operatione castri de Eya et reparatione veteram bretescam et II novarum<br />

bretescarum et fossatis et pro carriagio et petra et aliis minutis operatione.<br />

243 BOND, J., « Canal construction in the early middle ages : an introductory review », dans Waterways<br />

and Canal-Building in Medieval England, 2007, p. 153-206 ; LEHMANN-BROCKHAUS, O.,<br />

Lateinische Schriftquellen zur Kunst in England, Wales und Schottland, vom Jahre 901 bis zum Jahre<br />

1307, 1955-1960, II, p. 519 n°4166: Cartularium monasterii de Rameseia, I, p. 166 (22 août 1192): Unde<br />

placitum fuit … quod omnes ladae, quas monachi de Saltreya fecerant in illo marisco, obstupabuntur,<br />

excepta illa magna lada, quae vadit de Withlesmare versus Saltreyam, quae remanebit aperta, per quam<br />

ipso monachi de Saltreya adducent lapides et caetera necessaria ad constructionem monasterii sui et<br />

aliarum <strong>of</strong>ficinarum suarum et monachi de Saltreia habebunt unam parvamcasam tantum super ipsam<br />

ladam, in qua adductors lapidum suiescere possedint cum opus fuerit, et nullam aliam casam nec donum<br />

in marisco illo facient praetor illa solam, nec arbores plantabunt, nec curtilagium, nec ladas nec<br />

trencheias ulterius facient ibi.<br />

244 PR 17 H.II, p. 128; PR 18 H.II, p; 129, 130 : £13 2 d. in attractu petre et calcis ad faciendam turrim de<br />

Hastinges.<br />

581


assez éloigné d’apparence des calcaires tendres des Costwolds ou du Surrey qui avait<br />

également servi à construire l’abbaye de Battle au XI e siècle (illustration 6.19) 245 .<br />

Si aucun document ne renseigne sur les carrières de la forêt royale de Sherwood<br />

avant le XIII e siècle, elles sont pourtant très probablement utilisées pour la<br />

reconstruction du château de Nottingham par Henri II entre 1171 et 1183 246 . Une seule<br />

mention dans le rouleau de 1181 indique que £9 13s. 2d. sont consacrés pour les travaux<br />

de la aula du roi et pour faire venir de la pierre et des matériaux 247 . En 1206 et 1207, il<br />

est également question de pierre de taille pour les travaux du roi à Nottingham, sans<br />

détail supplémentaire 248 . À cette date, la forêt de Sherwood s’étendait jusqu’aux<br />

faubourg nord de la ville et la carrière qui se trouvait « sous la forêt de Nottingham »,<br />

concédée par Henri III en 1229 au prieuré et aux moines de Lenton, pourrait bien avoir<br />

été celle qui fournit le chantier d’Henri II 249 .<br />

Parmi les pierres anglaises qui rencontrent alors un certain succès se trouve le<br />

marbre de Purbeck. Ce n’est pas un marbre au sens géologique du terme mais un<br />

calcaire dur et noir avec des reflets gris bruns et bleu gris que le polissage fait briller. Ce<br />

matériau de haute qualité est produit dans un seul lieu : sur l’île de Purbeck, située au<br />

Sud–Est du Dorset. Il existe encore, sur l’île, des traces des carrières médiévales dans<br />

les restes des éboulements de surfaces 250 . Connue des Romains, elle commence à être<br />

utilisée de manière extensive à partir du XII e siècle (entre 1140 et 1170) et acquiert<br />

rapidement une certaine popularité auprès des maîtres d’œuvres tels que Suger 251 . L’une<br />

des interprétations de cette popularité est sa capacité à se substituer au marbre de<br />

Tournai, qui présentait des aspects similaires 252 . Le principal agent de la fortune de ce<br />

marbre est sans nul doute Henri de Blois, évêque de Winchester de 1129 à 1171, grand<br />

245<br />

HUDSON, K., The Fashionable Stone, 1971 p. 1.<br />

246<br />

ALEXANDER, J. S., « Building stone from the east Midlands quarries : sources, transportation and<br />

usage », Medieval Archaeology, 39 (1995), p. 107-135 (p. 122) : cite BOULTON, H. E., « The Sherwood<br />

Forest book », Thoroton Society record series, 23 (1965), p. 3-212 (p. 36).<br />

247<br />

PR 27 H.II, p. 11 : in operatione aule regis de Notingeham pro petra et materie attrahenda.<br />

248<br />

PR 8 Jean, p. 75 : £11 10s. pro quarellis ad opus Regis ; PR 9 Jean, p. 114 : £6 4s. pro quarellis.<br />

249<br />

PAGE, W. (éd.), Victoria Counties History. A history <strong>of</strong> the county <strong>of</strong> Nottingham, 1910, II, p.330 ;<br />

MAXWELL-LYTE, H. C. (éd.), Close Rolls <strong>of</strong> the Reign <strong>of</strong> Henry III. preserved in the Public Record<br />

Office, 1902, p. 196 [m.6] : Rex concessit priorem et monachos de Lenton’ unam quarreram in rifleto de<br />

Notingheam ad effodiendam ibidem quamdiu regi placuerit petra ad reparationem turris ecclesie sue, que<br />

corruit anno preterito. Et mandatum est Henrico de Lamel’ quod competendem eis locum ad hoc<br />

assignet.<br />

250<br />

BLAIR, J., « Purbeck Marble », dans English Medieval Industries: Craftsmen, Techniques, Products,<br />

1991, p. 41-48<br />

251<br />

LEACH, R. N., An Investigation into the Use <strong>of</strong> Purbeck Marble in Medieval England, 1975, p. 1.<br />

252<br />

BLAIR, J., « Purbeck Marble », dans English Medieval Industries: Craftsmen, Techniques, Products,<br />

1991, p. 41-48 ; aux alentours de 1200, le marbre de Purbeck supplante définitivement les importations de<br />

pierre de Tournai dont il hérite entièrement de la popularité.<br />

582


amateur d’art et dont les palais se trouvent non loin des carrières de Purbeck,<br />

notamment celui de Wolvesley à Winchester 253 .<br />

De même que pour la pierre de Caen, le succès de ce marbre doit beaucoup à la<br />

localisation côtière de ses carrières qui permettait de le diffuser à plus vaste échelle. On<br />

retrouve ainsi des colonnettes dans de nombreuses constructions de la seconde moitié<br />

du XII e siècle telles que le chœur de Canterbury, à Norwich, Westminster, Wells,<br />

Lincoln, et même Durham (colonnettes du porche Galilée reconstruit vers 1185), ainsi<br />

qu’à la cathédrale de Lisieux, en Normandie, dans les constructions des années 1170-80<br />

(illustration 6.20) 254 . Il y a de grandes chances également pour que les « colonnes de<br />

marbre » acheminées jusqu’à Clarendon, en 1177, proviennent de Purbeck 255 . Les rois<br />

d’Angleterre ont en effet manifesté une prédilection particulière pour ce marbre, comme<br />

le souligne l’expression marmor regis qui le désigne à partir du XIII e siècle et<br />

notamment à partir de Jean, dont l’effigie funéraire, déposée à Worcester, est sculptée<br />

dans de la pierre de Purbeck 256 (illustration 6.21). Ce succès des colonnettes de bases et<br />

des chapiteaux fabriquées en série impose rapidement l’organisation d’une production<br />

spécialisée et d’une régularisation du commerce du marbre. Il n’est pas impossible que<br />

les rois d’Angleterre aient exercé le contrôle de la production dès la fin du XII e siècle,<br />

par l’intermédiaire du château royal de Corfe. Une lettre patente de Jean, datée de 1205,<br />

montre en effet que l’évêque de Chichester doit demander une autorisation royale pour<br />

transporter du marbre de Purbeck jusqu’à Chichester 257. Quant aux marbres du Weald,<br />

ils sont utilisés pour paver le nouveau chœur de la cathédrale de Canterbury dans les<br />

années 1180 et pour orner la Bell Tower à la Tour de Londres 258 . L’approvisionnement<br />

de ce marbre à Londres correspond sans doute à l’entrée dans les pipe rolls, enregistrant<br />

253<br />

Ibid.<br />

254<br />

PAGE, W. (éd.), Victoria Counties History. A history <strong>of</strong> the county <strong>of</strong> Dorset, 1908, II, p. 331, note 7<br />

cite RAINE, J. t. E. (éd.), Historiæ Dunelmensis scriptores tres, Gaufridus de Coldingham, Robertus de<br />

Graystanes, et Willielmus de Chambre, 1839, p. 11 : a transmarinis partibus deferebantur columptnae et<br />

bases marmoreae ; SYMEON DE DURHAM, Symeonis monachi opera omnia. 1. Historia Ecclesiae<br />

Dunhelmensia, 1965, p. 168 : addito de longinquo ; mais aucun des deux ne mentionnent ni Purbeck, ni<br />

Corfe.<br />

255<br />

PR 23 H.II, p. 163 : pro ducendis columpnis marmoreis ad Clarendon ; V.C.H., Dorset, II, p.331<br />

note 7.<br />

256<br />

LEACH, R. N., An investigation into the use <strong>of</strong> Purbeck marble in medieval England, 1975, p. 6.<br />

257<br />

Rot. Lit. Pat., p. 60 : Omnibus galiotis et fidelibus etc. Sciatis quod dedimus licenciam domino S.<br />

Cirecestre Episcopatum ducendi marmore suum per mare a Purbic usque Cicestrie ad reparationem<br />

ecclesie sue de Cicestrie a die martii proxima post festum Sante Trinitatis anno etc octavo in anno. Et<br />

ideo vobis mandamus etc. quod homines suos marmor illud ducentes non inpediatis vel ab aliquo inpediri<br />

permittatis.<br />

258<br />

TATTON-BROWN, T., « Medieval building stone at the Tower <strong>of</strong> London », London Archaeologist,<br />

6: 13 (1991), p. 361-366.<br />

583


le paiement de £28 sur le rouleau du shérif du Kent en 1191, pour le transport de pierres<br />

et de bois du roi destinés à la construction d’un foyer à la Tour de Londres 259 .<br />

Marché de la pierre, stockage et mise en réseau des matériaux des chantiers<br />

royaux<br />

Si les chantiers royaux se sont généralement approvisionnés directement dans les<br />

carrières royales, plusieurs entrées dans les pipe rolls montrent que les achats de pierres<br />

ont également été effectués sur des marchés, comme celui Southampton (voir supra),<br />

mais aussi celui de Londres. Comment fonctionnaient ces marchés et quelle était leur<br />

place dans l’organisation de la circulation des matériaux en Angleterre ?<br />

Les nombreuses mentions d’achat de pierre sur la ferme de Southampton<br />

suggèrent que ce port était un marché de la pierre de taille en provenance de Normandie<br />

mais également de celles des carrières du sud de l’Angleterre, comme celle de Quarr. En<br />

1179, il est question de « pierres à destination des travaux de la maison du roi de<br />

Winchester » 260 dont l’acquisition est déduite des comptes de Richard d’Ilchester<br />

évêque de Winchester qui tenait des terres sur l’île Wright, où se trouvaient les carrières<br />

de la célèbre pierre de Quarr (dite aussi pierre de Binstead, du nom du village à<br />

proximité duquel elle se trouve) 261 . Ces carrières étaient exploitées par les évêques de<br />

Winchester qui possédaient le droit d’extraire la pierre (lapides fodiendi) à Wright<br />

depuis le règne de Guillaume le Roux 262 . La pierre de Quarr est très proche en<br />

apparence du calcaire caennais mais n’avait pas une aire de diffusion aussi étendue que<br />

la pierre normande : elle s’étendait tout au plus jusqu’à Canterbury, où elle se retrouve<br />

aussi bien dans le donjon normand royal, le prieuré cathédrale de Christchurch et<br />

l’abbaye de Saint Augustin 263 . Selon Tim Tatton-Brown, les carrières de Quarr étaient<br />

259<br />

PR 3 Richard, p. 147 : £28 in attractu lapidem et bosci regis ad faciendam rogos ad opus Turris<br />

Londonie.<br />

260<br />

P.R. 25 H. II, p.110 : 15s. 4s pro tribus milaribus petre ad operatione domorum regis de Wintonie.<br />

261<br />

JOPE, E. M., « The Saxon building stone industry in South and Midland England », Medieval<br />

Archaeology, 8 (1964), p. 91-118.<br />

262<br />

Regesta Regum Anglo-Normannorum, 1066-1154. II. Regesta Henrici Primi, 1066-1135, 1968, p. 405,<br />

n° 412d; voir aussi GALBRAITH, V. H., « Royal Charters to Winchester », E.H.R., 35: 139 (1920),<br />

p. 382-400, n°IX : W[illelmus] rex Anglor[um] W.... vicecomiti de Insula salutem. Notum sit tibi et<br />

omnibus baronibus meis quod ego concessi Walkelino episcopo dimidiam hidam terre in Vecta Insula ad<br />

opus ecclesie sue sicut eam sibi pro anima sua concesserat pater meus die qua erat vivus et mortuus Nec<br />

solum autem ibi sed etiam per totam terram meam in eadem insula salvo gablo meo per planum per<br />

silvam sibi lapides fodiendi dedi licentiam si tamen silva tante parvitatis fuerit ut per eam transeuntis<br />

cornua cervi appareant. Hoc factum est apud Kenefare.<br />

263<br />

TATTON-BROWN, T., « The use <strong>of</strong> Quarr stone in London and East Kent », Medieval Archaeology,<br />

24 (1980), p. 213-215. Les analyses des restes du donjon faites en 1978 par le Canterbury Archaeological<br />

Trust ont montré que la pierre de Quarr est utilisée de manière extensive dans les plinthes, en particulier<br />

pour les moulures chanfreinées et dans des fragments cassés des matériaux de remplissage. Mais toutes<br />

584


pratiquement épuisées, au milieu du XII e siècle, signalant son usage abondant dans les<br />

chantiers anglais d’après la conquête 264 .<br />

Southampton a également été un lieu de redistribution des ardoises ou<br />

« mazereaux » provenant du Devon et de Cornouailles. Les pipe rolls enregistrent<br />

plusieurs mentions d’achat et de transport d’azesia, c'est-à-dire « pierre de couverture »,<br />

un terme qui recouvrait sans doute l’ensemble des schistes argileux dont la découpe<br />

aplatie servait à la couverture des édifices. Les ardoises <strong>of</strong>fraient une solution<br />

intermédiaire, entre le plomb et le bois ou le chaume, pour la couverture des bâtiments.<br />

À l’instar des tuiles, elles constituaient un matériau plus imperméable aux intempéries<br />

et plus résistant aux incendies. En 1212, le Liber custumarum réglementant la<br />

construction à Londres interdit d’ailleurs la couverture des bâtiments en roseau, paille,<br />

chaume ou autre matériau végétal (à l’exception de chaux plâtrée) 265 .<br />

Les ardoises en schiste bleu produites dans le Devon sont peu étudiées pour la<br />

période médiévale 266 . On sait néanmoins que des carrières aux alentours de Plymouth et<br />

de Totnes, qui ont une importante production à l’époque moderne, sont exploitées dès la<br />

fin du XII e siècle. À partir de 1172, en effet, des paiements sont enregistrés sur les pipe<br />

rolls pour approvisionner la demeure royale de Winchester. À cette date, trois entrées<br />

enregistrent d’abord 66s. 8d. pour 100 000 ardoises, puis £6 13s. 4d. (soit le double)<br />

pour vraisemblablement donc 200 000 ardoises ainsi que £4 17s. 8d. représentant le<br />

coût d’affrètement de deux nefs pour les amener jusqu’à Southampton 267 . Puis en 1175,<br />

85 000 ardoises sont à nouveau envoyées à Winchester, 100 000 en 1176 et en 1181 268 .<br />

les œuvres de pierre de taille ayant survécu sont en pierre de Caen, utilisée dans les campagnes<br />

postérieures ; RENN, D. F., « Canterbury castle : a case study », dans Château Gaillard. 11: Études de<br />

castellologie médiévale, 1982, p. 253-255; RENN, D. F., « Canterbury castle in the early middle ages »,<br />

dans Excavations at Canterbury Castle, 1982, p. 70-75.<br />

264 TATTON-BROWN, T., « La pierre de Caen en Angleterre », dans L'architecture normande au Moyen<br />

âge, 2001, p. 305-314; TATTON-BROWN, T., « Building stone in Winchester cathedral », dans<br />

Winchester Cathedral Nine Hundred Years, 1093-1993, 1993, p. 37-46. TATTON-BROWN, T., « The<br />

use <strong>of</strong> Quarr stone in London and East Kent », Medieval Archaeology, 24 (1980), p. 213-215 : la pierre de<br />

Quarr est utilisée de manière intensive pendant une trentaine d’années, entre 1070 et 1120, dans les<br />

constructions du sud de l’Angleterre.<br />

265 RILEY, H. T. (éd.), Munimenta Gildhallae Londoniensis Liber Albus, Liber Custumarum, et Liber<br />

Horn, 1970, II, p.86 et 328; SALZMAN, L. F., Building in England down to 1540. A Documentary<br />

History, 1967, p. 223.<br />

266 Il existe cependant quelques études archéologiques, voir notamment JOPE, E. M. et DUNNING, G.<br />

C., « The use <strong>of</strong> blue slate for ro<strong>of</strong>ing in medieval England », Antiquaries Journal, 34 (1954), p. 209-217.<br />

HOLDEN, E. W., « Slate ro<strong>of</strong>ing in medieval Sussex - a reappraisal », Sussex Archaeological<br />

Collections, 127 (1989), p. 73-88.<br />

267 PR 18 H.II, p. 99 : C miliarum azesiarum ad operiendas domos regis de Wintonie ; p. 98 : pro locandis<br />

navibus ad deferendas per mare predictas aszeisias usque ad Hantonie.<br />

268 PR 21 H.II, p. 59 : £10 6s. pro Azeisis (/Azesiis) ad operiendam domos regis in castri de Wintonie ;<br />

p. 206 : £4 5s. pro locando duabus navibus quod portaverunt quater XX et V miliarum Azeisiarum ad<br />

585


À cette date, les pipe rolls sont plus précis car ils indiquent le site de la carrière, Totnes,<br />

et distinguent le coût des ardoises de celui de son transport « de la carrière à la mer » 269 .<br />

En 1187, 60 000 ardoises en provenance du Dartmouth sont destinées à la couverture de<br />

la chambre du roi à Southampton 270 . Puis, une lettre de Jean envoyée en 1200 à Robert<br />

de Tresgoz, ordonne de faire parvenir 100 000 ardoises à Southampton pour la demeure<br />

royale de New Forest 271 . En une quinzaine d’années, près de 900 000 ardoises ont ainsi<br />

quitté les côtes du Devon et transité vers Southampton à destination des chantiers du<br />

sud-ouest de l’Angleterre (carte 6.22) Ce phénomène peut être mis en relation avec celui<br />

que Daniel Prigent observe en Anjou, où le développement de la production d’ardoises<br />

et de leur diffusion connaît un tournant dans la seconde moitié du XII e siècle 272 . Si<br />

Southampton a été un lieu de transit des pierres vers les chantiers royaux, il s’y trouvait<br />

également des ateliers pour travailler ces matériaux. En 1194, en effet, il question de<br />

faire une « fabrique » et d’acheter du fer « pour faire les pierres de tailles pour les<br />

travaux du roi » 273 .<br />

Comme Southampton, Londres a été une sorte de plaque tournante pour les<br />

importations de diverses carrières et leur redistribution vers les chantiers royaux, et<br />

notamment ceux de Westminster et de Windsor, mais aussi vers l’abbaye de Waltham,<br />

voire même jusqu’à Lincoln et Nottingham. En 1173, de la franca petra pour les<br />

travaux du château de Windsor est déduite de la ferme de Londres, ce qui indique qu’il<br />

y avait là une source d’approvisionnement 274 . Selon Tim Tatton-Brown, le site nommé<br />

Bruges (ou Bridges) à Battersea, appelé plus tard Bishop Both’s, servait alors d’entrepôt<br />

pour des pierres provenant de différentes régions et en particulier des carrières à Reigate<br />

operiendum domos regis de Wintonie ; PR 22 H.II, p. 200 : £8 5s. 5d. pro C milliariis azesiarum ad<br />

operiendum domos regis de Wintonia ; p. 200 : 2. 3d. in carragio et custamento ducendi petram et<br />

azesiam ad domos Regis ; PR 27 H.II, p. 29 : £7 10s. pro C milibus azesiarum et eis deferendis a Toteneis<br />

usque Porcestrie.<br />

269<br />

PR 27 H.II, p. 29 : 2s 2d. puis 22d. : pro eis deferendis a quarreria usque ad aquam.<br />

270<br />

PR 33 H.II, p. 143 : £4 12. pro lx milibus azesie emptis et pro eis ducendus a Dertremue usque<br />

Hantonam ad operiendas cameras regis et domos infra motam de Sudhantona.<br />

271<br />

Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835, p. 28 : Roberto de<br />

Tresgoz. Mandamus vobis quod C milium de azzeise mitti faciatis apud Suhantonie et liberari Hugone de<br />

Nevilla vel custo Ballivo suo ad opus domorum nostrarum de Nova Foresta. Et computabitur vobis ad<br />

Scaccario. Teste me ipso apud Burdegal’ XVIII die Julii.<br />

272<br />

PRIGENT, D., « La pierre de construction et sa mise en œuvre : l’exemple de l’Anjou », dans Utilis est<br />

lapis in structura: mélanges <strong>of</strong>ferts à Léon Pressouyre, 2000, p. 461-470 donne le cas de la collégiale<br />

Saint-Martin d’Angers, dans la seconde moitié du XII e siècle.<br />

273<br />

PR 6 Richard, p. 212 : 24s. 7d. ad faciendam ei fabricam unam et pro ferro ad fabricandam quarrellis<br />

ad opus Regis.<br />

274<br />

P.R. 19 H.II p.183 : £4 et 15s. pro franca petra ad operatione castelli Windesores.<br />

586


dans le Surrey 275 . Le site de Bruges se trouve à seulement 20 kilomètres de Reigate sur<br />

la Tamise (carte 6.23). Le calcaire des carrières de Reigate, qui ressemble beaucoup aux<br />

calcaires de Quarr et de Caen, a été le principal matériau des constructions du Londres<br />

médiéval 276. On le retrouve aussi bien dans l’ancienne cathédrale de Saint-Paul,<br />

construite vers 1175, que dans les bâtiments de l’abbaye et du palais de Westminster. Le<br />

site des carrières est cependant peu connu car il n’a fait jusqu’à présent l’objet d’aucune<br />

fouille archéologique, et les sources écrites ne documentent le site qu’à partir du XIII e<br />

siècle.<br />

En 1179, les dépenses faites par les shérifs de Londres pro petra attradenda ad<br />

operationem ecclesie de Waltham dépassent £130. Un tel montant suggère que Londres<br />

disposait d’importants stocks capables de fournir massivement les chantiers de la<br />

Tamise 277 . L’usage du site de Bruges est documenté en détail dans une charte royale<br />

datée entre 1184 et 1222 (probablement 1218) dans laquelle les chanoines de Waltham<br />

reçoivent en concession l’ensemble des terres de Bridge à Battersea 278 . La charte donne<br />

libre accès aux chanoines et à leurs ouvriers pour leur permettre d’enclore le site, d’y<br />

construire des bâtiments et d’y travailler, tandis qu’une autre charte donne aux<br />

chanoines la permission de creuser et d’extraire de la pierre à Reigate même 279 . Il n’est<br />

pas impossible que le site de Bridges ait également servi à entreposer du bois de<br />

charpente. Dans les pipe rolls, plusieurs entrées font en effet mention du transport du<br />

bois des forêts royales de Bromley ou Bromfield dans le Surrey, vers Waibrigge et à<br />

275 TATTON-BROWN, T., « The quarrying and distribution <strong>of</strong> Reigate stone in Middle Ages », Medieval<br />

archaeology, 45 (2001), p. 189-201; TATTON-BROWN, T., « Reigate stone at Battersea », London<br />

Archaeologist, 9: 6 (2000), p. 160 ; PR 6 Jean, p. 58.<br />

276 TATTON-BROWN, T., « The Quarrying and Distribution <strong>of</strong> Reigate Stone in Middle Ages »,<br />

Medieval archaeology, 45 (2001), p. 189-201 propose une localisation du site à partir d’une prospection<br />

sur les espaces d’affleurement des calcaires.<br />

277 PR H.II., p. 125.<br />

278 The Early charters <strong>of</strong> the Augustinian canons <strong>of</strong> Waltham Abbey, RANSFORD, R. (éd.), Essex, 1062-<br />

1230, 1989, p.432, n° 633 : Carta Pentecosti de placea in villa de Bruges. … concessi dedi et hac<br />

presenti carta mea confirmavi deo et ecclesie Sancte Crucis de Waltham et canonicis regularibus ibidem<br />

deo servientibus unam placeam terre extra curiam meam de Bruges qua clauditur ex una parte scilicet<br />

ex parte australi curia mea et gardino meao et ex parte vero aquilonari clauditur aqua que surgit de<br />

Tamysa et fluit ad pontem de Brugge. (…) Hanc placeam sepedicti canonici de Waltham tenebunt de me<br />

et de heredibus meis imperpetuum libere quete honorifice pacifice cum libero chimino et libero transitu<br />

carecarum equorum sumagiorum hominum suorum et cum plena licencia et libera potestate claudendi<br />

eam edificandi plantandi operandi in ea quicquid ad utilitatem et promotionem ecclesie sue de Waltham<br />

viderint expedire.<br />

279 Ibid., p. 431, n° 632. Willemus comes de Warenne… concessise et dedisse hac presenti carta mea<br />

confirmasse Deo et ecclesie Sancte Crucis de Waltham et canonicis regularibus ibidem deo servientbus<br />

duas acras terre in villa mea de Reigate …habendas et tenendas eisdem libere quiete finabiliter in puram<br />

et perpetuam elemosinam ad fodiendam ibidem petram quando voluerint sive ad fabricam ecclesie sue<br />

nove sive ad cetera quelibet aedificia sua expedienda.<br />

587


destination de Waltham 280 . À moins qu’il ne s’agisse d’un site aux fonctions identiques<br />

pour le bois situé à Weybridge, plus en amont de la Tamise, plus proche des forêts<br />

royales de Windsor et de Bromfield (carte 6.23).<br />

Le site de Bridges permet donc de voir que l’approvisionnement des chantiers<br />

royaux ne fonctionnait pas en flux tendu. Au contraire, celui-ci était rationalisé, avec<br />

des sites d’approvisionnement et de stockage qui permettaient de faire circuler<br />

rapidement de grandes quantités matériaux vers les chantiers du royaume. Ces sites de<br />

stockage pouvaient être des étapes intermédiaires entre les carrières et les chantiers, où<br />

s’effectuaient les changements de cargaison comme à Battersea et à Southampton, ou<br />

bien sur les chantiers eux-mêmes, comme c’est le cas dans le Yorkshire.<br />

Sur le rouleau de 1214, il est en effet question de la fabrication de 15 000 pierres<br />

de taille (quarelli) à Knaresborough, ainsi que du transport de 30 000 pierres de ce<br />

château jusqu’à Portsmouth, où Jean avait entrepris la construction des enceintes 281 . Le<br />

transport d’un chantier à l’autre indique que l’approvisionnement des pierres de<br />

construction était géré globalement. Il est vraisemblable en effet que la royauté se soit<br />

procurée d’importantes quantités de pierres dans cette région, stockées à Knaresborough<br />

et envoyées vers les autres chantiers en fonction des besoins. Cette mise en réseau des<br />

matières premières que Valérie Theis a également observé en Comtat Venaissin<br />

permettait ainsi à la royauté de disposer de quantités suffisantes de matériaux pour<br />

approvisionner les chantiers en temps voulu 282 . Ce système permettait notamment de<br />

répartir le stockage sur chacun des chantiers tout en faisant des économies d’échelle.<br />

Lorsque le stock était trop important, les pierres pouvaient alors être mises en vente. En<br />

1188, les pipe rolls enregistrent en effet les revenus de la vente de pierres dans le<br />

Yorkshire au pr<strong>of</strong>it du roi. Ces revenus sont cependant déduits de la ferme exploitée<br />

temporairement par Ranulf de Glanvill, l’administrateur des biens confisqués par<br />

Henri II dans la région, ce qui suggère que les carrières exploitées à cette date<br />

n’appartenaient pas au domaine royal 283 . Il s’agit peut être des grandes carrières situées<br />

280 PR 24 H.II, p. 131 : in custamento ducendi maisrenum ad operationem ecclesie de Waltham a<br />

Bruningefeld ad Wabrigge ; PR 25 H.II, p. 121 : in custamento ducendi mairemium a Bromlega ad<br />

Waibrigge ad operatione ecclesie de Waltham. Il existait cependant un site nommé Weybridge non loin<br />

de Battersea.<br />

281 PR 16 Jean, p. 67 : £10 17s. 3d. in operatione XV milia quarellorum; 40s. 10d. in cariagio XXX millia<br />

quarellorum a Cnarreburc usque ad Portesmue.<br />

282 THEIS, V., « Pratiques artisanales et politique de grands travaux: l'exemple du palais de Pont-de-<br />

Sorgues au XIVe siècle », Cahiers d'histoire et de philosophie des sciences: Artisans, industrie. nouvelles<br />

révolutions du Moyen Âge à nos jours, 52 (2004), p. 307-319.<br />

283 PR H.II, p. 94 : 5s. de lapidibus ventidis.<br />

588


près de Tadcaster, utilisées à la fin du Moyen Âge pour le chantier de la cathédrale et<br />

des remparts d’York 284 .<br />

Une telle organisation dans l’approvisionnement, le stockage et la redistribution<br />

des matériaux explique comment le chantier de Windsor a pu être approvisionné à partir<br />

de quatre carrières différentes en l’espace de huit ans. C’est d’ailleurs l’ingénieur du roi,<br />

Ailnoth, qui est en charge de l’approvisionnement du chantier. En 1166 et en 1173, il en<br />

effet chargé de faire venir de la franca petra acquise à Londres pour la chambre du roi à<br />

Windsor 285 .<br />

Si les chantiers de l’Angleterre médiévale ont fait appel à la pierre de Caen, c’est<br />

davantage pour son prestige et pour le message politique qu’elle véhiculait qu’en raison<br />

du manque de ressources naturelles disponibles sur l’île au moment de la conquête. Les<br />

vastes chantiers entrepris par les Normands n’auraient été possibles sans l’existence<br />

d’un marché de la pierre et de circuits de distribution dans l’Angleterre anglo-saxonne.<br />

Les carrières de Quarr ont d’ailleurs été bien plus rapidement épuisées que celles de la<br />

plaine de Caen. À la fin du XII e siècle, le marché de la pierre apparaît désormais bien<br />

structuré en différentes filières dont certaines sont déjà spécialisées (calcaire de<br />

Taynton, marbre de Purbeck, ardoises du Devon) ce qui permet à l’administration royale<br />

de jouer sur les multiples ressources de ses domaines pour approvisionner en continu<br />

chacun de ses chantiers. Si la pierre de taille avait une valeur symbolique non<br />

négligeable, d’autres matériaux comme le bois, le fer ou le plomb ont également circulé<br />

parfois sur de longue distance témoignant de la gestion territoriale qu’imposait<br />

l’économie des ressources matérielles pour l’approvisionnement des chantiers<br />

Plantagenêt.<br />

2.2- L’usage du bois et le fer dans les constructions royales<br />

2.2.1- La circulation du bois : importations et exportations sur de longues distances<br />

Les forêts royales et ducales : juridiction et ressources<br />

284 GEE, E., « Stone from the medieval limestone quarries <strong>of</strong> south Yorkshire », dans Collectanea<br />

historica : essays in memory <strong>of</strong> Stuart Rigold, 1981, p. 247-255, il existait aussi une carrière à Hazlewood<br />

sur la rivière Wharfe, donnée par Guillaume le vavasseur à l’abbaye de Salley en 1184-1189. CLAY, C.<br />

T.; CLAY, E. M. et FARRER, W. (eds.), Early Yorkshire Charters, 1914-1965, 1963, n°115, p.131.<br />

285 PR 12 H.II, p. 106 : £7 4s. 6d. Alnodi pro lapidibus quadratus ad cameras Regis ; PR 19 H.II, p. 183 :<br />

pro Franca petra ad operatione castelli Windesores per visum Alnodi.<br />

589


Dans l’Angleterre du Domesday Book, la surface boisée représentait environ<br />

15% du royaume, tandis qu’au début du XIII e siècle, les forêts royales recouvrent plus<br />

d’un quart du territoire 286 . La superposition entre « sylve » et forêt est donc loin d’être<br />

évidente 287 . Les domaines réservés à la chasse, parcus, forestas ou haiae incluaient à la<br />

fois des espaces boisés, des clairières et des prairies. Selon Olivier Rackham, les<br />

principales surfaces boisées se trouvaient dans les parcs, qui se distinguaient des forêts<br />

et des haies par les fossés et les clôtures qui les délimitaient. Le Domesday book<br />

enregistre 35 parcs en Angleterre en 1086, un nombre qui atteint 3200 au début du XIV e<br />

siècle 288 . Leur statut juridique était différent des forêts royales 289 . Selon Richard<br />

FitzNigel, « les forêts ont leurs propres lois, fondées non sur le droit commun, mais sur<br />

la décision arbitraire du roi » 290 . Cette organisation avait été mise en place par<br />

Guillaume le Conquérant qui avait introduit en Angleterre cette juridiction spécifique<br />

afin de protéger des espaces propices à la chasse au cerf. La brutalité avec laquelle cette<br />

nouvelle loi est renforcée par Henri I er est relatée par les chroniques anglo-saxonnes qui<br />

dénoncent la destruction de villages de paysans innocents 291 . La mise en place d’une<br />

administration et d’une justice spécifique aux forêts est donc l’œuvre d’Henri I er ,<br />

Henri II ne faisant que mettre par écrit les lois régissant ces espaces réservés lors des<br />

prima assisa (sans doute en 1166) puis lors des « Assises de la Forêt », tenues à<br />

286<br />

RACKHAM, O., « The growing and transport <strong>of</strong> timber and underwood », dans Wood Working<br />

Technics before A.D. 1500, 1982, p. 199-218; RACKHAM, O., « Trees and woodland in the British<br />

Landscape. The complete history <strong>of</strong> Britain’s trees, woods, and hedgerows », (1995 [1976]); BAZELEY,<br />

M. L., « The extent <strong>of</strong> the English forest in the thirteenth century », T.R.H.S., 4 (1921), p. 140-172;<br />

YOUNG, C. R., The Royal Forests <strong>of</strong> Medieval England, 1979, p.VII. La proportion des surfaces boisées<br />

descendra jusqu’à 10% du royaume en 1350.<br />

287<br />

Nous reprenons le néologisme de Jean-Pierre Drevoey, afin d’éviter les problèmes liés à la notion<br />

médiévale de forestum et à son étymologie controversée. DEVROEY, J., Économie rurale et société dans<br />

l'Europe franque (VIe-IXe siècles), 2003, p ; 29 ; MORSEL, J., « Construire l'espace forestier sans la<br />

notion d'espace. Le cas du Salzforst (Franconie) au XIVe siècle », dans Construction de l'espace au<br />

Moyen Âge: pratiques et représentations, 2007, p. 295-316.<br />

288<br />

SAMPER, P., « Woods and parks », dans The Countryside <strong>of</strong> Medieval England, 1988, p. 128-148;<br />

dans les pipe rolls ; on peut dénombrer 14 parcs royaux ayant fait l’objet d’une intervention (Berkley,<br />

Bolsover, Stowe, Clipstone, Eye, Tewkesbury, Guilford, Havering, Ludgershall, Melbourne,<br />

Northampton, Nottingham, Richangham et Woodstock) et 3 en Normandie (Rouen, Néhou, Parc<br />

d’Anxtot).<br />

289<br />

PETIT-DUTAILLIS, C. et RHODES, W. E., Studies and Notes supplementary to Stubbs'<br />

Constitutional History, 1930 , II, p. 760.<br />

290<br />

RICHARD FITZNIGEL, Dialogus de Scaccario (and) Constitutio Domus Regis, 1983, p. 59-62 :<br />

legibus quidem propriis subsistit quas non communi regni iure sed voluntaria principum institutione<br />

subnixas dicunt.<br />

291<br />

CRONNE, H. A., « The royal forest in the reign <strong>of</strong> Henry I », dans Essays in British and Irish History<br />

in Honour <strong>of</strong> James Eadie Todd, 1949, p. 1-23 ; YOUNG, C. R., « Conservation policies in the royal<br />

forests <strong>of</strong> medieval England », Albion, 10: 2 (1978), p. 95-103 ; WHITELOCK, D.; DOUGLAS, D. C. et<br />

TUCKER, S. I. (eds.), The Anglo-Saxon Chronicle. A Revised Translation., 1961, p. 165.<br />

590


Woodstock en 1184 292 . Désormais, les forestiers du roi doivent rendre compte de leur<br />

administration devant l’Échiquier, ce qui permet d’en connaître les principaux revenus.<br />

L’extension de la juridiction des forêts royale sous Henri II repose principalement sur la<br />

justification de la reforestation d’aires défrichées sous le règne Étienne de Blois 293 . Au<br />

XIII e siècle, l’espace soumis à la loi de la forêt couvrait ainsi près d’un tiers du<br />

royaume, tandis que l’espace de la sylve, représentait à peine 3% de l’Angleterre 294<br />

(voir carte 6.24). En somme, le roi possédait des arbres dans seulement la moitié de ses<br />

forêts. Les principales forêts capables de fournir des ressources matérielles pour<br />

approvisionner ses chantiers royaux en bois sont alors les forêts de Dean<br />

(Gloucestershire), de Windsor (Berkshire), de Sherwood (Nottinghamshire), de<br />

Gillingham (Dorset) et de Kingswood (Essex) 295 .<br />

En Normandie, Maïté Billoré a décompté 18 forêts ducales, comprenant une<br />

cinquantaine de bois et de dépendances 296 . Dans le reste de l’empire, il n’y avait pas de<br />

régime juridique spécifique aux forêts des domaines ducaux et comtaux, autre que celui<br />

de la réserve. Les principaux parcs et forêts des domaines Plantagenêt sont ceux de<br />

Bercé près du Mans 297 , de Chinon, de Saumur et de Loches en Anjou, la forêt de<br />

Moulière aux abords de Poitiers, la forêt d’Orbestier 298 , de Chizé, d’Argenson, et<br />

d’Oléron. En Aquitaine, les ducs ne possédaient que très peu de domaines, en dehors de<br />

la région de Bordeaux et la côte littorale 299 .<br />

L’exploitation et circulation du bois de charpente<br />

292 CORNER, D. J., « the texts <strong>of</strong> Henry’s Assizes », dans Law-Making and Law-Makers in British<br />

History, 1980, p. 7-20. Il existe trois textes pour ces assises : les prima assisa datant sans doute de 1166-<br />

67 ou 1175-76, les assises de Woodstock de 1184 et les assises de 1198 qui reprennent celles de 1184. Le<br />

texte est reproduit dans HOVEDEN, II, p. 243-247.<br />

293 YOUNG, C. R., The Royal Forests <strong>of</strong> Medieval England, 1979; VINCENT, N., « New charters <strong>of</strong> king<br />

Stephen with some reflections upon the royal forests during the Anarchy », E.H.R., 114: 458 (1999),<br />

p. 899-928.<br />

294 RACKHAM, O., « The forest: woodland and wood-pasture in medieval England », dans<br />

Archaeological approaches to medieval Europe, 1984, p. 70-101; RACKHAM, O., « The growing and<br />

transport <strong>of</strong> timber and underwood », dans Wood Working Technics before A.D. 1500, 1982, p. 199-218.<br />

295 RACKHAM, O., « Woodland management, products and uses since 1250 », dans Ancient Woodland :<br />

Its History, Vegetation and Uses in England, 2003, p. 137.<br />

296 BILLORÉ, M., « Pouvoir et noblesse en Normandie (fin XIIe - début XIIIe siècles). De l'autocratie<br />

Plantagenêt à la domination capétienne », Thèse de doctorat, sous la dir. de Martin Aurell, 2005, non<br />

publiée, p. 422-424 et annexes p. 104-105.<br />

297 Henri II y installe des grandmontains (voir chapitre 2).<br />

298 Richard y vient souvent chasser et il y installe les grandmontains de Lieu-Dieu en Jard (voir chap. 2).<br />

299 Voir la reconstitution du domaine ducal dans BOUTOULLE, F., Le duc et la société : pouvoirs et<br />

groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au XIIe siècle, 2007, p. 59-69.<br />

591


Le bois employé dans les constructions était le plus souvent coupé dans les<br />

forêts les plus proches des chantiers, mais il pouvait aussi être parfois transporté sur de<br />

plus longues distances. Olivier Rackham a montré que, contrairement à l’idée souvent<br />

répandue selon laquelle l’approvisionnement en bois était un problème jusqu’à la fin du<br />

Moyen Âge, le bois de charpente et de chauffe étaient des produits commerciaux<br />

répandus, en particulier les bois de grande taille qui permettaient de réaliser de hautes<br />

charpentes et qui se trouvaient seulement dans certaines forêts anciennes 300 . Par ailleurs,<br />

les charpentiers du Moyen Âge n’avaient aucun scrupule à utiliser du bois vert, c'est-à-<br />

dire non séché, pour les constructions 301 . Dans une charte au pr<strong>of</strong>it des moines de<br />

l’abbaye de Dalon en Anjou, Henri II leur concède en effet le droit de prendre « dans la<br />

forêt de Bacon, le bois tant sec que vert, qui leur est nécessaire pour leur chauffage et<br />

leurs bâtiments » 302 .<br />

La plupart des entrées des pipe rolls mentionnent le bois de construction par le<br />

terme mairemium, c'est-à-dire du merrien ou bois de charpente, ce qui suppose qu’il ne<br />

s’agissait pas de bois brut, mais de bois préparé pour le chantier 303 . Parfois également,<br />

l’espèce du bois, le chêne ou le sapin, est indiquée 304 . Selon Olivier Rackham, près de<br />

97% des édifices en bois de l’Angleterre médiévale étaient construits en chêne, un bois<br />

choisi moins pour ses propriétés matérielles que par habitude 305 . Le chêne était aussi<br />

vraisemblablement investi d’une valeur sociale, car son usage dans les constructions<br />

reste important tout au long du Moyen Âge, alors qu’il devenait de plus en plus coûteux<br />

de le mettre en œuvre.<br />

300<br />

RACKHAM, O., « The growing and transport <strong>of</strong> timber and underwood », dans Wood Working<br />

Technics before A.D. 1500, 1982, p. 199-218.<br />

301<br />

SALZMAN, L. F., Building in England down to 1540. A Documentary History, 1967, p. 236.<br />

302<br />

Acta Plantagenêt (3767H), in foresta de Baconeis capiant tam de sicco quam de viridi quod eis<br />

necessarium fuerit ad focum suum et ad edificia sua ; voir aussi BOUSSARD, J., « Trois actes d'Henri<br />

Plantegenêt relatifs à ses possessions françaises », B.E.C., 118: 1 (1960), p. 51-57.<br />

303<br />

Les rares occurrences de ligneum montrent que le terme est essentiellement employé comme un<br />

adjectif : domus ligneus, castelli lignei, copuli lignei, etc.<br />

304<br />

PR 32 H.II, p. 116 : pro carriandis L planchiis de sappo a Warengeford usque Clarendon ; PR 9<br />

Richard, p. 33 : 10 marcs pro XX quercubus sternendis et cariandis et parandis ad emendationem<br />

domorum regis apud Oxeneford ; p. 34 : 20s. pro XX quercubus ad reparatione domorum regis apud<br />

Oxeneford ; Rotuli normanniae in Turri londinensi asservati, HARDY, T. D. (éd.), 1835, p. 85 : R.<br />

senescallo Normanniae. Mandamus vobis quod faciatis habere Willelmo decano de Catteho et X copulas<br />

de cheveronibus in foresta Valonis de quercu ad reparacionem ecclesie de Catteho. Teste G. fillii Petriapud<br />

Mollinelle ii die Aprilis.<br />

305<br />

RACKHAM, O., « The growing and transport <strong>of</strong> timber and underwood », dans Wood Working<br />

Technics before A.D. 1500, 1982, p. 199-218. Les bois autres que le chêne se retrouvent principalement<br />

dans les constructions secondaires ou en bas de l’échelle sociale, mais pratiquement jamais dans les<br />

églises, les châteaux ou les grandes fermes.<br />

592


En 1175, les pipe rolls indiquent que £7 9s. 4d. sont déduits de la ferme du shérif<br />

du Kent afin que des charpentiers soient conduits dans le bois de Beckenham pour faire<br />

les matériaux nécessaires à la réparation de la tour de Londres 306 . Ces charpentiers sont<br />

alors dirigés par Ailnoth qui est également chargé, en 1177, d’approvisionner les<br />

chantiers royaux de Woodstock et de Godstow en merrien, depuis les forêts du<br />

Warwickshire et du Surrey 307 . En 1184, Maurice, l’ingénieur du château Douvres est<br />

chargé d’acquérir et de transporter le « bois de la tour » de la forêt jusqu’à Douvres 308 .<br />

Les mentions de transport de bois, sous forme de planches ou lattes (schindula, borda,<br />

latta), suggèrent que le débitage du bois était le plus souvent pratiqué en forêt 309 . En<br />

1171, par exemple, il est question de 40 000 planches et de 20 chevrons de bois pour<br />

réparer la demeure royale d’Oxford 310. Les charpentiers ne se chargeaient pas du sciage<br />

du bois qui était laissé aux bûcherons, mais ils participaient au choix des arbres et des<br />

espèces ainsi qu’à la préparation des pièces de bois définies par la commande 311 . L’une<br />

des rares mentions de bûcherons apparaît dans les comptes de la construction de<br />

Château Gaillard, lorsqu’ils reçoivent £ a 2320 pour abattre et escaloper le bois que les<br />

charpentiers préparent et apportent ensuite au chantier sous forme de planches 312 .<br />

Les usages du bois dans la construction sont multiples et concernent aussi bien le<br />

chantier (échafaudages) que la structure des bâtiments (charpentes, parquets), voire la<br />

construction d’éléments entiers (bretèches, balcons, tourelles, etc.) 313 . Selon L. F.<br />

Salzman, la couverture en bois des toitures constituait également l’une des<br />

caractéristiques de l’architecture anglaise médiévale 314 . Les pipe rolls renseignent<br />

surtout sur les frais de transport vers les chantiers permettent de dessiner une carte de la<br />

306 PR 21 H.II, p. 209 : pro locando carpentariis ad faciendam materiem in bosco de Bekeham ad<br />

reparandam Turris Londonie per visum Alnodi ingeniatoris.<br />

307 PR 23 H.II, p. 26 : £4 16s. 8d. in custamento ducendi maisrenum ad Godestou et ad Wudestoch' ad<br />

operationes Regis per visum Alnodi et Annoti et Willelmus de Friardel ; p. 192 £4 5s. 4d. pro maisreno<br />

ad operationem de Wudestocham, per visum Alnodi ingeniatoris.<br />

308 PR. H.II, p.144. £7 12s. 5d. Mauricii ingeniatoris in custamento carriando maisremium turris a<br />

foresta usque Dovram per breve Regis.<br />

309 par exemple : PR 22 H.II, p. 203 : 5 marcs in operatione plancarum et asserum et bordorum et<br />

latarum missarum ad Sudhantona.<br />

310 PR 17 H.II, p. 92 : £10 pro XL mille Scindularum et XX copuli lignorum et alia materie ad domos<br />

regis de Oxineford reparandas.<br />

311 LARDIN, P., « L'utilisation du bois au château de Tancarville (Seine Maritime) au cours du XVe<br />

siècle », dans Le bois dans le château de pierre au Moyen Age, 2003, p. 129-149.<br />

312 MRSN, II, p. 309 : Boskeroniis qui prostrabant et escaplebant maremia ad predictas operationes ;<br />

£ a 3350 3s. 6d. carpentariis qui operabantur predicta maremia postquam fuerunt in plantea apportata ad<br />

faciendam predictas operationes.<br />

313 Sur ce point, voir POISSON, J. M. et SCHWIEN, J. J. (eds.), Le bois dans le château de pierre au<br />

Moyen Âge. Actes du colloque de Lons-le-Saunier (23-25 octobre 1997)Ibid..<br />

314 SALZMAN, L. F., Building in England down to 1540. A Documentary History, 1967, p. 210.<br />

593


circulation du bois et de localiser les principales régions de provenance (carte 6.26). Les<br />

bois de qualité pouvaient être transportées sur de longues distances, comme le montre le<br />

tableau ci-dessous :<br />

Tableau récapitulatif des sites de provenance du bois et les chantiers de destination<br />

enregistrés dans les pipe rolls entre 1154 et 1216<br />

Provenance Destination<br />

Forêt de Windsor (Berkshire)<br />

Forêt de Cannock ?<br />

(Warwickshire)<br />

Windsor, Westminster, Godstow,<br />

Woodstock<br />

Dépenses<br />

enregistrées<br />

£8. (env.)<br />

Woodstock, Godstow, Oxford £15 (env.)<br />

Forêt de Valognes (Normandie) Cherbourg, Osmanville £10 (env.)<br />

Forêt de Cheshunt et Kingswood<br />

(Essex)<br />

Douvres, Tour de Londres £50 (env.)<br />

Forêt de Dean (Gloucestershire) Woodstock, Marlborough, Bristol £58 (env.)<br />

Southampton (bois de Pevensey,<br />

importations)<br />

Bois de Beckenham et de Bromey<br />

(Surrey)<br />

Forêt de Cocham et Brai de<br />

Knepp et de l’honneur de<br />

Briouze (Sussex)<br />

Foret de Withby et de l’honneur<br />

de Richmond (Yorkshire)<br />

Marlborough, Portsmouth,<br />

Clarendon, <strong>Free</strong>mantle, Portchester,<br />

Winchester<br />

Douvres, Tour de Londres,<br />

Rochester, Windsor, Woodstock,<br />

Waltham, Wallingford, Ludgershall<br />

Douvres, Tour de Londres,<br />

Winchester, Corfe, Arundel,<br />

Amesbury<br />

£95 (env.)<br />

£175 (env.)<br />

£265 (env.)<br />

Portsmouth, Londres £142 (env.)<br />

Lancaster Waltham, Irlande £53 (env.)<br />

Pays de Galles Cheddar £140<br />

Ce tableau recoupe les informations d’Olivier Rackham selon lequel seules<br />

quelques forêts royales approvisionnaient réellement les chantiers royaux. Les quantités<br />

de bois prises dans les forêts de Cocham et Bray (dans le Sussex), de Cheshunt,<br />

Kingswood et Beckenham pour les chantiers de Londres et de Douvres, par exemple,<br />

illustrent également la volonté de puiser dans différentes sites plutôt que d’écluser les<br />

ressources d’un seul. Les raisons principales étaient non seulement le choix de bois de<br />

qualité, mais aussi vraisemblablement la volonté de préserver les ressources dans une<br />

perspective de gestion domaniale. La conservation des surfaces boisées et des<br />

ressources sylvestres constituait en effet une préoccupation centrale dans une société où<br />

la chasse reste l’activité principale du groupe aristocratique. La création et l’entretien<br />

594


des parcs royaux témoignent de l’importance que revêtait la gestion de ces espaces. En<br />

outre, les approvisionnements ne viennent pas systématiquement des forêts royales.<br />

Dans le Kent, par exemple, où le roi ne possède pas de forêt, son shérif acquiert<br />

cependant du bois, qu’il doit alors acheter à des marchands (pro mairemio empto) 315 ou<br />

à ses vassaux. Ainsi en 1201, Jean obtient du « merrien du bois du comte d’Eu pour les<br />

réparations des châteaux royaux à savoir de Douvres, de Rochester et de Southampton<br />

et pour le transport dudit bois » 316 . Cette entrée montre que le bois, comme la pierre,<br />

traversait souvent la Manche.<br />

En outre, le roi a également puisé dans les ressources des honneurs baronniaux<br />

lorsqu’ils étaient en escheat. Ainsi en 1178, Henri II fait venir le bois nécessaire aux<br />

travaux de l’abbaye de Waltham de la forêt de l’honneur des comtes de Boulogne dans<br />

le Lancastershire 317 . Il se sert également dans les réserves de l’évêché de Chichester,<br />

dans le Sussex, en 1173 pour fournir 200 planches au chantier de Winchester 318 . Les<br />

vastes forêts du Yorkshire, qui appartenaient à l’honneur de Richmond ont également<br />

été mises à pr<strong>of</strong>it à partir de 1166, de même que celles de l’honneur de Guillaume de<br />

Briouze dans le Sussex en 1210 319 .<br />

La carte de répartition des sommes dépensées pour l’acquisition et le transport<br />

du bois en Angleterre et en Normandie fait donc ressortir l’importance des forêts<br />

royales du sud de l’Angleterre ainsi que des forêts ducales de Normandie (carte 6.25).<br />

La forêt de Valognes dans le Cotentin et le parc d’Anxtot dans le pays de Caux<br />

apparaissent alors comme les deux principaux sites d’approvisionnement. Si les forêts<br />

étaient exploitées pour le bois de construction, l’essentiel des coupes restait néanmoins<br />

destiné à la combustion. Les besoins en bois de chauffe expliquent ainsi pourquoi des<br />

matériaux comme la chaux ou le fer étaient fabriqués dans les forêts ou à proximité. Les<br />

pipe rolls indiquent en effet à plusieurs reprises des dépenses pour le transport de la<br />

chaux et parfois aussi de sable 320 . En 1194, par exemple il faut dix charrettes pour faire<br />

315<br />

PR. 2 John, p. 209 : £8 16s. 4d. pro mairemio empto et aliis neccessariis ad reparandu castellum de<br />

Dovra.<br />

316<br />

P.R. 3 John, p. 284 : £12 5s. 6d. pro mairemio de bosco comitis Augi ad reparationem castellorum<br />

regis scilicet de Dovra de R<strong>of</strong>fecestrie et de Sudhantona et pro predicto mairemio cariando.<br />

317<br />

PR 24 H.II, p. 47 : £40 in custamento carriandi maisrenum de Strafford ad operationem ecclesie de<br />

Waltham.<br />

318<br />

PR 19 H.II, p. 30 : 10s. pro II miliarum bordorum parandam qui missi sunt ad domos regis Wintonie.<br />

319<br />

PR 23 H.II, p. 81 : de CXL carectatis maisreni de jurata facta super eum de propria prisa tam de<br />

comitatu quam de terra Ebrardi de Ross ; PR 3 Jean p. 61 : in Terris que fuerunt Willelmi de Braiosa in<br />

Sudsex, Ruelandi Bloet XIX s. in cariagio eiusdem mairemii a foresta usque ad Bremla per breve Regis.<br />

320<br />

PR 2 Richard, p. 7 : £41 ad faciendam attractum de petra et calce et sabulo ad opus castelli de<br />

Canteberia in ipso castello.<br />

595


venir de la chaux d’Andover qui se situe non loin des forêts royales de Winchester pour<br />

réparer le château de Marlborough 321 . Le lieu de fabrication de la chaux dépendait donc<br />

de la proximité des matériaux de combustion nécessaires pour réduire les calcaires. Il<br />

est en outre moins onéreux de transporter de la chaux fabriquée à proximité des sylves,<br />

que le calcaire ainsi que le bois nécessaire à sa combustion. Les pipe rolls enregistrent<br />

parfois la construction de fours à chaux comme à Colchester en 1183, où près de £14<br />

sont dépensées à cet effet 322 . À Château Gaillard, la confection de la chaux et son<br />

transport jusqu’au chantier par les chauliers (reatori) coûtent près de £ a 4010 323 . De<br />

même que la chaux, le fer était également un matériau de construction exigeant<br />

d’abondantes quantités de bois de combustion.<br />

2.2.2- L’exploitation du fer et sa distribution dans le monde anglo-normand<br />

L’exploitation du fer destiné aux chantiers Plantagenêt : lieux et production<br />

L’essor de la production et du travail du fer à partir du XII e siècle en Occident a<br />

été l’objet d’importants travaux depuis les études de Bertrand Gille, à partir des années<br />

1980, à la fois grâce aux découvertes archéologiques et au développement de l’histoire<br />

des techniques qui ont permis une meilleure connaissance de la sidérurgie et de la<br />

métallurgie médiévale 324 . Dans l’ensemble, ces recherches mettent en évidence un<br />

321 PR 6 Richard, p. 211 : 7s. 3d. pro X careis locatis ad calcem trahendam ab Andevra usque<br />

Merlebergam ad reparationem eiusdem castelli.<br />

322 PR 29 H.II, p. 19-20 : in operatione I rogi ad castellum de Colcestrie.<br />

323 MRSN, II, p. 310 : reatoribus qui faciebant et apportabant calcem.<br />

324 Les travaux sur la métallurgie médiévale ont considérablement enrichi la connaissance de cette activité<br />

médiévale, et ce, grâce aux apports de l’archéologie. Sur cet aspect que nous n’aborderons pas voir<br />

notamment GILLE, B., « L’organisation de la production du fer au Moyen Âge », Revue d’histoire de la<br />

Sidérurgie, 9 (1968), p. 95-110 ; BENOÎT, P. et BRAUNSTEIN, P. (eds.), Mines, carrières et<br />

métallurgie dans la France médiévale. Actes du colloque de <strong>Paris</strong> (19-21 juin 1980), 1983; BENOÎT, P.<br />

et CAILLEUX, D. (eds.), Moines et métallurgie dans la France médiévale. Actes du colloque, des 13 et<br />

14 mars 1987, 1991; BELHOSTE, J. F.; LECHERBONNIER, Y. et ARNOUX, M. (eds.), La métallurgie<br />

normande : XIIe-XVIIe siècles : la révolution du haut fourneau, 1991; BENOÎT, P. (éd.), Mines et<br />

métallurgie, 1994; VERNA, C., Les mines et les forges des Cisterciens en Champagne méridionale et en<br />

Bourgogne du Nord, XIIe-XVe siècle, 1995; L'HÉRITIER, M., « L' utilisation du fer dans l'architecture<br />

gothique : les cas de Troyes et de Rouen », Thèse de doctorat, sous la dir. de Paul Benoît, 2007; BENOÎT,<br />

P., « Le fer et le plomb dans les cathédrales gothiques », dans L'homme et la matière: l'emploi du plomb<br />

et du fer dans l'architecture gothique, 2009, p. 51-59 ; et les travaux de Mathieu Arnoux sur la<br />

Normandie, qui propose une histoire sociale de la production de fer en insistant sur les liens étroits entre<br />

les forges et sur les droits d’usage des forêts : ARNOUX, M., « De la mine à la forge. Gisements<br />

potentiels des minerais normands », dans Corpus des objets domestiques et des armes en fer de<br />

Normandie du Ier au XVe siècle, 1987, p. 7-33 ; Id.., « Les métiers de férons dans le Normandie<br />

médiévale », Annales de Normandie, 38: 4 (1988), p. 334-336 ; Id.., « Forges et forêts au Moyen Âge:<br />

l'exemple normand », dans Forges et forêts. Recherches sur la consommation proto-industrielle de bois,<br />

1990, p. 213-218; Id.., « Perception et exploitation d'un espace forestier: la forêt de Breteuil (XI-XVe<br />

596


nombre croissant d’ateliers de production ou de travail du fer à partir du XII e siècle. Cet<br />

essor est étroitement lié à la croissance démographique et agricole et à la diffusion de<br />

l’énergie hydraulique (la première mention d’une forge hydraulique est celle de<br />

l’abbaye de Cîteaux en 1135, mais les vestiges de la plus ancienne forge hydraulique<br />

ont été retrouvés à Bordelsey). Pour se développer, la métallurgie nécessite non<br />

seulement des sous-sols richement minéralisés, mais aussi de la proximité de cours<br />

d’eau et de forêts, dans lesquels l’installation de forges ne pouvait se faire sans la<br />

concession d’importants droits d’usages 325 . Le développement des forges est alors<br />

étroitement lié au renforcement de l’encadrement seigneurial sur les communautés<br />

d’habitants.<br />

Dans l’empire Plantagenêt, les mines de fer exploitées et connues par la<br />

documentation écrite du XII e siècle se trouvent essentiellement en Normandie et en<br />

Angleterre. Bien que des mines et des forges existent dans les autres territoires, car les<br />

gisements de fer en surface sont abondants en Europe, aucun document ne permet à<br />

cette date de savoir comment elles étaient reliées aux chantiers royaux 326 . En<br />

Normandie, les principaux gisements ferreux se trouvent essentiellement dans les zones<br />

où affleure le massif armoricain ainsi qu’en bordure du bassin parisien 327 . Le fer<br />

représente une ressource naturelle dont l’exploitation est développée de manière<br />

rationnelle dans six centres principaux, à des époques différentes. Les autres minerais et<br />

notamment le cuivre et l’étain ne sont connus en Normandie que dans quelques<br />

gisements dispersés, rarement et faiblement exploités. En Angleterre, en revanche,<br />

l’abondante production d’étain dans le Devon et en Cornouaille était étroitement<br />

contrôlée par la Couronne, mais ce matériau était peu utilisé dans la construction. Les<br />

pipe rolls ne témoignent d’aucun approvisionnement en étain 328 . Comme en Normandie,<br />

les centres d’exploitation du fer connus en Angleterre après 1086 sont dispersés (tableau<br />

siècles) », Médiévales, 18 (1990), p. 17-32; Id.., Mineurs, férons et maîtres de forge : études sur la<br />

production du fer dans la Normandie du Moyen âge, XIe-XVe siècles, 1993.<br />

325 ARNOUX, M., « Forges et forêts au Moyen Âge: l'exemple normand », dans Forges et forêts.<br />

Recherches sur la consommation proto-industrielle de bois, 1990, p. 213-218.<br />

326 BENOÎT, P., « La production de fer au temps des cathédrales », dans L'homme et la matière: l'emploi<br />

du plomb et du fer dans l'architecture gothique, 2009, p. 77-82.<br />

327 ARNOUX, M., « De la mine à la forge. Gisements potentiels des minerais normands », dans Corpus<br />

des objets domestiques et des armes en fer de Normandie du Ier au XVe siècle, 1987, p. 7-33.<br />

328 Sur ce sujet voir les travaux de HATCHER, J., English Tin Production and Trade before 1550, 1973;<br />

GREEVES, T. A. P., « The archeological potential <strong>of</strong> the Devon tin industry », dans Medieval Industry,<br />

1981, p. 85-95; GERRARD, S., The Early British Tin Industry, 2000; CLAUGHTON, P., « Silver Mining<br />

in England and Wales 1066-1500 », unpublished, PhD, Exeter, 2003.<br />

597


6.27) 329 . La seule mention explicite de mine de fer (minaria ferri) dans le Domesday<br />

Book se trouve dans le Cheshire près de Rhuddlan, mais il est également fait mention<br />

d’une ferraria dans le Sussex. Dans les pipe rolls, les mentions de forges sont<br />

également très rares. Cependant, en 1206, Jean en fait construire une à Northampton 330 .<br />

La forêt royale de Dean dans le Gloucestershire semble avoir été l’un des principaux<br />

lieux de production des domaines de la Couronne. Près de £280 sont dépensées afin<br />

d’obtenir du fer depuis cette forêt à l’usage du roi entre 1154 et 1216. Bien que les<br />

revenus des forges de la forêt de Dean ne soient pas enregistrés avant le règne<br />

d’Henri III, il est probable qu’elles fonctionnaient dès avant le règne d’Henri II 331 .<br />

Toutes les forges qui s’y trouvaient, y compris les forges privées étaient supposées<br />

opérer uniquement sur licence du roi, mais le règlement n’était pas toujours très<br />

respectée, voire, selon Margaret Bazeley, constamment transgressée, même après le<br />

renforcement de la Loi de la Forêt de 1217 332 . Le cartulaire de l’abbaye cistercienne de<br />

Flaxley, par exemple, conserve une charte royale concédant aux moines le droit de<br />

« tenir librement et paisiblement une forge et de produire du fer pour tous à l’instar des<br />

forges de ma seigneurie » 333 . À partir du milieu du XII e siècle, le nombre de concession<br />

de forges s’est manifestement accru, car à partir du règne de Jean, le fer provenant de la<br />

forêt de Dean doit être désormais acheté (emptio) 334 . Ces forges qui pouvaient être<br />

itinérantes étaient difficilement contrôlables, si bien qu’en 1217, les dégâts causés dans<br />

329<br />

DARBY, H. C., A new historical geography <strong>of</strong> England, 1973. L’ouvrage recense près d’une vingtaine<br />

de sites de production de fer.<br />

330<br />

PR 8 Jean, p. 171 : 14 m. in operatione cuiusdam forgie in Norhantona.<br />

331<br />

BAZELEY, M. L., « The forest <strong>of</strong> Dean in its relations with the Crown during the twelfth and<br />

thirteenth centuries », Bristol and Gloucestershire Archaeological Society Transactions, 33 (1910),<br />

p.153-286, cite BOEVEY, A. W. (éd.), The Cartulary and Historical Notes <strong>of</strong> the Cistercian Abbey <strong>of</strong><br />

Flaxley, otherwise called Dene Abbey, in the County <strong>of</strong> Gloucester, 1887.<br />

332<br />

BAZELEY, M. L., « The forest <strong>of</strong> Dean in its relations with the Crown during the twelfth and<br />

thirteenth centuries », Bristol and Gloucestershire Archaeological Society Transactions, 33 (1910), p.<br />

153-286 ; Anon., « A Forest <strong>of</strong> Dean free miner », Gloucestershire Countryside, 3: 11 (1940), p. 607 ;<br />

JENKINS, R., « Ironmaking in the forest <strong>of</strong> Dean », Transactions <strong>of</strong> the Newcomen Society, 6 (1927),<br />

p. 42-65.<br />

333<br />

Acta Plantagenêt, 1328H : Concessi etiam eis et confirmaui omnes illas donationes quas Rogerus<br />

comes Hereford’ eisdem in elemosinam dedit sicut carte eius testantur Preterea dedi eis et confirmaui<br />

omnia aesiamenta in eadem foresta mea de Dena, scilicet … et ligna et materiem ad domos suas et ad<br />

edificia sua facienda et ad alias res usui suo necessarias sine wasto et de eadem foresta mea dedi eis …<br />

et unam forgiam ferrariam ita liberam et quietam et operantem per omnia sicut mee dominice forgie,<br />

et totam terram sub veteri castello de Dena ad sartandam, et illam que est assartata…<br />

334<br />

PR 7 Jean, p. 93; PR 8 Jean, p. 17 ; PR 14 Jean, p. 55, 142 ; PR 16 Jean, p. 55 : pro ferro empto et<br />

misso apud Portesmue.<br />

598


la forêt à cause de l’essor des forges ‘illégales’ provoquent l’application de sanctions :<br />

elles ont toutes été détruites à l’exception de six d’entre elles 335 .<br />

Selon les comptes de la ferme de l’honneur de Wallingford, la Couronne<br />

acquiert également du fer produit à High Wycombe (Buckinghamshire), entre 1175 et<br />

1181 336 . Dès 1156, à la mort de Milon Crespin, Henri II met la main sur cet honneur et<br />

l’exploite comme ses propres domaines avant de le concéder en fief en 1171 à Thomas<br />

Basset 337 . Le tableau ci-dessous résume les acquisitions ad opus regis effectuées durant<br />

ces six années 338 :<br />

Tableau récapitulatif des mentions d’achat de fer sur la ferme de l’honneur de<br />

Wallingford<br />

Ce tableau permet de constater qu’à ces dates, un chariot de fer valait entre 120<br />

et 216 deniers. Ces prix semblent avoir peu augmenté durant la période car Jean achète<br />

toujours un chariot de fer pour 216 deniers, en 1212 339 . Les unités de mesure à partir<br />

desquelles le fer est acquis sont cependant très variables dans les pipe rolls. Tandis que<br />

la carreta est la mesure la plus fréquente, il est également question de garba ferra (une<br />

335<br />

MAXWELL-LYTE, H. C. (éd.), Close Rolls <strong>of</strong> the Reign <strong>of</strong> Henry III. preserved in the Public Record<br />

Office, 1902, I, (1217, m.1).<br />

336<br />

Le Domesday Book signale quatre manoirs produisant du fer dans ce shire. Il existe toujours une<br />

fonderie à quelques kilomètres au nord à Loosley Row., V.C.H. Buckinghamshire, II, p. 260-267.<br />

337<br />

V.C.H. Buckinghamshire, III, p. 112-134 ; MAXWELL-LYTE, H. C. (éd.), Liber Feodorum. The<br />

Book <strong>of</strong> Fees, commonly called Testa de Nevill. Reformed from the earliest MSS., 1920, p. 115.<br />

338<br />

PR 21H.II, p. 57 ; PR 22 H.II, p. 136 ; PR 23 H.II, p. 165 ; PR 24 H.II, p. 97 ; PR 25 H.II, p. 100 ; PR<br />

26 H.II, p. 47 ; PR 27 H.II, p. 141 : in liberatione Petri caretarii et equorum suum.<br />

339<br />

PR 14 Jean, p. 88 18s. pro carretata ferri (acquis dans le Shropshire et à destination de Yale en<br />

Galles).<br />

date nombre de chariots de fer deniers denier/chariot<br />

1175 4 carretis ferratis 560 140<br />

1176 carretis ferratis 200<br />

1177 3 carretis ferratis 360 120<br />

1178 1 carreta ferrata 161 161<br />

1179 4 quadrigis ferratis 724 181<br />

1180 1 carreta ferrata 216 216<br />

1181 2 carretis ferratis 318<br />

159 (inclut le paiement<br />

de Pierre le charetier et<br />

de ses chevaux)<br />

599


verge valant environ 2 sous) 340 ou encore « d’un millier de fer pour faire des pioches et<br />

pour les apporter avec d’autres munitions à l’Île d’Andelys » 341 .<br />

Contrairement à l’Angleterre où la production de fer se développe surtout à<br />

partir du XII e siècle, la sidérurgie normande médiévale se caractérise, selon Mathieu<br />

Arnoux, par une activité embryonnaire mais continue depuis l’Antiquité. Il n’y avait ni<br />

cisterciens maîtres de forge, ni chartreux, ni grand féodaux « entrepreneurs », mais une<br />

production maîtrisée par les communautés de forgerons jusqu’aux dernières années du<br />

XV e siècle 342 . Au XII e siècle, les revenus des forges rencontrés dans les comptes de<br />

l’Échiquier normand témoignent d’une certaine dispersion qui suggèrent que les<br />

prérogatives ducales en matière sidérurgique étaient le résultat d’acquisitions<br />

discontinues, sans doute consécutives à des confiscations ou des déshérences, plutôt<br />

qu’à une politique d’installation coordonnée. Selon Mathieu Arnoux, il ne semble pas<br />

qu’il y ait eu de statuts spécifiques concernant les forgerons normands, liés à la<br />

protection ducale 343 . Bien que les activités minières au Moyen Âge étaient généralement<br />

comprises dans autres travaux agricoles (sur lesquels les droits seigneuriaux fonciers<br />

s’exerçaient), l’extraction minière et la sidérurgie étaient, en Normandie, un secteur<br />

d’activité qui échappait majoritairement à l’autorité seigneuriale 344 . Le commerce du<br />

minerai était une activité très particulière qui n’était pas soumise aux conditions<br />

ordinaires des relations marchandes, car son objectif premier était le transport du<br />

minerai de la mine vers les forges ; le pr<strong>of</strong>it économique était donc un but secondaire. Si<br />

l’accroissement de ces échanges n’est perceptible qu’à partir du XIII e siècle pour le<br />

continent, pour l’Angleterre, en revanche, les pipe rolls témoignent d’une circulation du<br />

fer déjà dynamique au XII e siècle 345<br />

Les quelques mentions de ferrons dans les rouleaux de l’Échiquier normand<br />

donnent quelques informations sur l’organisation de cette pr<strong>of</strong>ession et la manière dont<br />

le duc pouvait se procurer du fer 346 . En 1180, il est question du versement d’une pension<br />

340 PR 6 Richard, p. 176 : 6s. pro III garbis ferri emptis et libertatis Urrico ingeniatori ad facienda<br />

negotia regis ; PR 2 Jean, p. 108 : £10 pro C garbis ferri de quibus XX garbis sunt apud Cantuaria et<br />

quater XX apud Dovram.<br />

341 MRSN, II, p. 303: £ a 8s. pro I mille ferri emptis ad faciendum picoisos et eisdem cum alia munitione<br />

portandis in Insula de Adeliaco.<br />

342 ARNOUX, M., Mineurs, férons et maîtres de forge : études sur la production du fer dans la<br />

Normandie du Moyen âge, XIe-XVe siècles, 1993, p. 39-40.<br />

343 Ibid., p. 143.<br />

344 Ibid., p. 237-40.<br />

345 BAUTIER, R. H., « Notes sur le commerce du fer en Europe occidentale du XIIIe au XVe siècle »,<br />

Revue d’histoire de la Sidérurgie, 1 et 4: 4 (1960 et 1963), p. 7-36-et 35-62.<br />

346 ARNOUX, M., Mineurs, férons et maîtres de forge : études sur la production du fer dans la<br />

Normandie du Moyen âge, XIe-XVe siècles, 1993, p. 48. Il en relève également une datant de 1085, qui<br />

600


(corredium) de 30 sous à Alain, le « ferron du roi », à Tinchebray, dans le pays<br />

d’Oulme, pour ses vêtements, du fer, de l’acier et du charbon 347 . La même année, le<br />

châtelain de la Motte de Ger à Ganne est chargé de verser les paiements des forgerons<br />

qui s’y trouvaient 348 . À Montfort-sur-Risle, le vicomte doit verser 12 sous au faber<br />

castri, tandis que le forgeron du château de Dundrum, en Irlande, reçoit 20 sous en<br />

1212, et que les huit forgerons envoyés au château de Tomen-y-faerdre en Pays de<br />

Galles reçoivent 3 marcs, soit 5 sous chacun 349 . Les forgerons au service des<br />

Plantagenêt, étaient donc affectés à un château particulier ou bien mobilisés sur des<br />

chantiers, leurs déplacements étant alors pris en charge par les shérifs comme<br />

l’indiquent plusieurs entrées des pipe rolls. En 1214, par exemple 7s. 2d. sont dépensés<br />

pour le transport des forgerons du roi, de leurs femmes, de leurs enfants et de leurs<br />

outils ainsi que des pierres de taille de Winchester à Portsmouth 350 .<br />

Les usages du fer dans la constructions<br />

Le fer était assez souvent utilisé dans les chantiers, même si les rouleaux de<br />

l’Échiquier le mentionnent rarement. Les sommes dépensées apparaissent également<br />

moins importantes que celles nécessaires à l’approvisionnement en bois et en pierre. À<br />

Château Gaillard, par exemple, alors qu’il faut £ a 2320 pour abattre, escaloper du bois et<br />

fabriquer des planches, £ a 250 suffisent pour le charbon des forges et le paiement des<br />

forgerons 351 . Les sommes dépensées représentent généralement peu dans le budget d’un<br />

chantier : entre 2 et 4%, selon Maxime L’Héritier, soit un peu moins de la moitié de la<br />

part du métal, estimée entre 6 et 10%. En revanche, les quantités pouvaient être<br />

importantes mais leur évaluation reste problématique du fait que les mentions de fer<br />

concerne la donation d’une forge à La Ferrière sur Risle aux moines du Bec-Hellouin, par Raoul de<br />

Tosny, seigneur de Conches. En 1135-39, Mathilde l’Emperesse confirme aux moines de Savigny la<br />

possession d’une forge, sans doute dans la forêt de Tinchebray, sans que ces donations s’accompagnent<br />

d’aucun privilège.<br />

347<br />

MRSN, I, p. 52 : £a9 3s. 6d. in conredio fabri regis et vestitura eius et in ferro et calibe et carbone.<br />

348<br />

MRSN, I, p. 272 : 30s. pro ferronibus de liberatione ; p. 127 : de liberatione statuta fabro castri.<br />

349<br />

DAVIES, O. et QUINN, D. B., « The Irish Pipe Roll <strong>of</strong> 14 John, 1211-1212 », Ulster Journal <strong>of</strong><br />

Archaeology, 4 (suppl) (1941), p. 1-76, p. 240 : in stipendiis-unius fabri ibidem per unum annum; PR 14<br />

Jean, p. 88 : in estuverio-VIII fabrorum qui missi fureunt ad castrum Yal ad operandum. (Yale castle est<br />

sans doute la motte de Tomen-y-faerdre à Llanarmon-yn-ial non loin de Ruthin ;<br />

http://www.castleuk.net/castle_lists_wales/116/faerdre.html)<br />

350<br />

PR 16 Jean, p. 126 : in cariagio fabrorum regis et uxorum suarum et puerorum et utensiliorum suorum<br />

et quarellorum a Wintonie usque Portesmue.<br />

351<br />

MRSN, II, p. 309 : Boskeroniis qui prostrabant et escaplebant maremia ad predictas operationes ;<br />

£ a 3350 3s. 6d. carpentariis qui operabantur predicta maremia postquam fuerunt in plantea apportata ad<br />

faciendam predictas operations ; p. 326 : £ a 250 fabris et in carbone forgiarum ad predictas operationes<br />

faciendam.<br />

601


n’apparaissent jamais seules 352 . Les seules mentions précises proviennent des comptes<br />

des shérifs du Gloucestershire (où se trouve la forêt de Dean). En 1158 par exemple, du<br />

fer est envoyé à Woodstock 353 , et en 1201, il est question de barres de fer acquises par<br />

Foulques et Robert de Canteloup pour réaliser les barreaux des fenêtres de la chambre<br />

du château de Wallingford, ou encore pour le palais de Bere Regis 354 . En 1212, il est<br />

également question de ferrer deux portes et d’installer des serrures et un portillon au<br />

château de Mathrafal, récemment pris par les troupes de Jean, lors de sa campagne en<br />

Pays de Galles 355 . Le fer servait en effet essentiellement à confectionner des gonds de<br />

portes, crochets, agrafes, tirants, etc, dont les quantités sont souvent sous-estimées 356 .<br />

Toutefois, la plupart des mentions d’acquisition de fer ne concernent pas la<br />

construction, mais le ferrage des chariots, fabrication des chaînes de prisonniers ou<br />

encore les besoins de la guerre, comme c’est le cas en 1206 et 1212, lorsque<br />

d’importantes quantités de fer sont exportées vers le Poitou pour l’artillerie du roi 357 . Le<br />

fer restait néanmoins un matériau de peu de valeur, contrairement au plomb, plus rare,<br />

mais dont les principaux usages concernaient la construction.<br />

352<br />

L'HÉRITIER, M., « L'emploi du fer dans la construction gothique: présentation de la méthodologie.<br />

Les exemples des cathédrales de Troyes et Rouen », dans L'homme et la matière: l'emploi du plomb et du<br />

fer dans l'architecture gothique, 2009, p. 61-73; BENOÎT, P. et CHAPELOT, O. (eds.), Pierre et métal<br />

dans le bâtiment au Moyen âge. Actes du colloque organisé par l'Équipe Mines, carrières et métallurgie<br />

dans la France médiévale, 2001.<br />

353<br />

PR 4 H. II, p. 169. 16s. in ferro misso ad Wudestoch ; PR 2 H.II, p. 36 : £15 in operatione domorum<br />

regis de Wudestoch ; PR 5 H.II, p. 34 : 53s. 4s. ad parandam domus regis de Wudestoch.<br />

354<br />

PR 8 Jean, p. 195 : 3s. pro barris ferreis ad fenestras in camera de castello; PR 7 Jean, p. 133 : 5s. 5d.<br />

pro ferramentis ad fenestras domorum regis de Bera.<br />

355<br />

PR 14 Jean, p. 88 : 46s. pro ferramentus duarum portarum et pro seruris unius wicatii in castro de<br />

Madrael.<br />

356<br />

L'HÉRITIER, M., « L'emploi du fer dans la construction gothique: présentation de la méthodologie.<br />

Les exemples des cathédrales de Troyes et Rouen », dans L'homme et la matière: l'emploi du plomb et du<br />

fer dans l'architecture gothique, 2009, p. 61-73; BENOÎT, P. et CHAPELOT, O. (eds.), Pierre et métal<br />

dans le bâtiment au Moyen âge. Actes du colloque organisé par l'Équipe Mines, carrières et métallurgie<br />

dans la France médiévale, 2001.<br />

357<br />

PR 4 Jean, p. 187 : 13s. 9d. in emendatione gaiole de Notingham et pro ferramentis ad prisones ; PR<br />

27 H.II, p. 157 : ad emendum ferrum ad carretas duas ferrandas… ; PR 8 Jean, p.10 : £20 pro ferro<br />

misso ad R.[upelle] in Pictavia.<br />

602


2.3- Usages et conditions de la production du plomb anglais<br />

Depuis plus d’une trentaine d’années, historiens et archéologues ont contribué à<br />

réévaluer la place et la variété des usages du plomb dans la construction médiévale 358 .<br />

La typologie de ces emplois, établie à partir des sources du XIII e au XV e siècle concerne<br />

également le XII e siècle 359 . En plus des toitures, les gouttières et les canalisations<br />

constituaient une partie essentielle des usages du plomb dans un monastère aux XII e et<br />

XIII e siècles 360 . En comparaison des enregistrements concernant la pierre de taille, le<br />

bois et le fer, l’acquisition et le transport du plomb dans les pipe rolls sont d’une<br />

ampleur qui conduit à s'interroger sur les conditions d’acquisition et les usages du<br />

plomb par les Plantagenêt. Si nombre de palais et châteaux royaux en ont bénéficié, la<br />

principale caractéristique des envois massifs de plomb est leur destination presque<br />

exclusivement monastique après le milieu des années 1170. Entre 1167 et 1176, les<br />

quelques acquisitions de plomb mentionnées dans les pipe rolls sont, en effet, d’abord<br />

destinées aux résidences royales de Windsor, Caen, Woodstock et Winchester. Puis, à<br />

partir de 1176, plusieurs centaines de tonnes de plomb circulent sous forme de dons<br />

royaux entre les marches écossaises, la Bourgogne et le Limousin, à destination des<br />

monastères de Waltham, Amesbury, Clairvaux et Grandmont. Or, tous ces monastères<br />

sont impliqués dans la crise principale du règne d’Henri II qui l’oppose dans un premier<br />

temps à l’archevêque de Canterbury, Thomas Becket, puis après son assassinat en<br />

décembre 1170, le confronte à la mémoire du martyr. Dans quelle mesure les dons de<br />

plomb ont-ils été un instrument efficace pour restaurer les bonnes relations entre le roi<br />

et l’Église ? Au-delà de la valeur matérielle et symbolique du don de plomb quelles ont<br />

été les logiques de sa circulation et de ses usages dans les chantiers royaux ? Les<br />

quantités envoyées vers ces monastères posent en effet la question des ressources<br />

royales : elles impliquent donc d’examiner quelles étaient alors les conditions de la<br />

production de plomb en Angleterre dans le dernier quart du XII e siècle.<br />

358 BENOÎT, P., « Le fer et le plomb dans les cathédrales gothiques », dans L'homme et la matière:<br />

l'emploi du plomb et du fer dans l'architecture gothique, 2009, p. 51-59.<br />

359 BENOÎT, P., « Le plomb dans le bâtiment en France à la fin du Moyen Âge : l’apport des comptes de<br />

construction et de réparation », dans Pierre et Métal dans le bâtiment au Moyen Âge, 1985, p. 339-355,<br />

p. 339-355.<br />

360 MAGNUSSON, R. J., Water Technology in the Middle Ages. Cities, Monasteries and Waterworks<br />

after the Roman Empire, 2001.<br />

603


2.3.1- Les usages du plomb dans les chantiers Plantagenêt<br />

Si les pipe rolls permettent de savoir quels étaient les lieux de distribution du<br />

plomb et les chantiers approvisionnés, ils renseignent rarement sur ses emplois dans les<br />

constructions. D’autres types de sources plus ponctuelles et souvent plus tardives<br />

permettent cependant de combler cette lacune. En 1248, par exemple, Henri III ordonne<br />

que « soient portées jusqu’au sol toutes les gouttières en plomb du donjon [de la Tour<br />

de Londres] par lesquelles l’eau de pluie tombe du toit, de sorte que le mur de ladite<br />

tour, qui vient d’être à nouveau blanchi, ne soit pas sali par le dégoulinement de l’eau de<br />

pluie » 361 . La date d’installation de ces gouttières est inconnue mais deux mentions<br />

indiquent que du plomb a été livré à la Tour de Londres, en 1173, où 9s. 10d. sont<br />

dépensés pro plumbo, sans autre précision, et en 1176, où il est question de plomb pour<br />

la chapelle de la Tour 362 . Au Moyen Âge, les gouttières étaient soit entièrement faites de<br />

plomb, soit faites de bois recouvert de plomb 363 .<br />

En 1180, £6 6s. 6d. sont également dépensés pour « le plomb et des couleurs<br />

envoyées à Clarendon et Woodstock » 364 . Cet enregistrement suggère que le plomb était<br />

destiné à la confection de vitraux, ou d’émail dans lesquels il avait vocation à donner<br />

une couleur forte et brillante 365 . Outre l’ornement auquel il était parfois destiné, le<br />

plomb remplissait aussi des fonctions plus techniques au sein du chantier. En 1177, le<br />

shérif du Surrey est ainsi chargé de fournir la demeure de Woodstock en « plomb, bois<br />

de charpente, cordes et toutes les petites choses nécessaires aux travaux de la maison du<br />

roi » 366 . Sur le chantier, le plomb pouvait être également employé dans les maçonneries<br />

afin de sceller les pièces de fer dans la pierre, sur les fenêtres et les portes et pour fixer<br />

les gonds. C’est peut-être en ce sens qu’il faut comprendre les usages du plomb<br />

qu’Henri II fait parvenir à l’église Saint-Julien du Mans. L’obituaire indique en effet<br />

que le plomb donné par le roi à la cathédrale a été employé pour faire les « parois de<br />

361 CHAPMAN, J. B. W.; JOHNSON, C. et STEVENSON, W. H. (eds.), Calendar <strong>of</strong> the Liberate Rolls<br />

preserved in the Public Record Office ... A.D. 1226-1240, 1916, 25 Henry III, cité dans SALZMAN, L.<br />

F., Building in England down to 1540. A Documentary History, 1967, p. 266.<br />

362 PR 22 H.II, p.14 : X marcarum pro plumbo ad operiendam capellam in Turri Londonie.<br />

363 BENOÎT, P., « Le plomb dans le bâtiment en France à la fin du Moyen Âge : l’apport des comptes de<br />

construction et de réparation », dans Pierre et Métal dans le bâtiment au Moyen Âge, 1985, p. 339-355.<br />

364 PR H.II, p. 43 : pro plumbo et coloribus missis Clarendone et Wudestocham.<br />

365 PULSIFER, W., Notes for a History <strong>of</strong> Lead, and An Inquiry into the Development <strong>of</strong> the Manufacture<br />

<strong>of</strong> White Lead and Lead Oxides, 1888, p. 249-50.<br />

366 PR 23 H.II. £4 5s. 4d pro plumbo et maisreno et cordes et aliis minutis rebus ad operationem<br />

domorum regis de Wudestocham et item pro maireno ad operationem de Wudestocham.<br />

604


l’église » 367 . Le plomb pouvait également servir à fabriquer des outils tels que des<br />

règles, des fils de plomb ou des poids pour les poulies 368 .<br />

Lorsqu’il était en quantité suffisante, le plomb servait le plus souvent à couvrir<br />

les toitures. En Angleterre, cette pratique remonte au moins au VII e siècle. Bède le<br />

Vénérable, qui rapporte les travaux exécutés par Eadbert, abbé de Lindisfarne, raconte<br />

que ce dernier a fait remplacer le chaume de l’église en bois construite par Finan et l’a<br />

entièrement couverte, « le toit et les murs aussi », avec des plaques de plomb 369 . Selon<br />

Guillaume de Malmesbury, l’évêque d’York Wilfrid (634-709) a également fait venir du<br />

plomb pour relever l’église ruinée de Saint-Pierre d’York, fondée par le roi Edwin : « il<br />

consolida ses maçonneries, reconstruisit le toit et lorsqu’il l’eut achevé, il le protégea<br />

des intempéries avec des plaques de plomb » 370 .<br />

Le double rôle du plomb, à la fois fonctionnel et ornemental, est cependant loin<br />

d’être indispensable à la construction. Au contraire, la dizaine de chantiers royaux qui<br />

reçoivent des approvisionnements en plomb au cours de la période (Woodstock<br />

Clarendon Windsor, Winchester, Douvres, la Tour de Londres, Colchester,<br />

Marlborough) sont surtout des demeures où les logiques d’apparat et d’ostentation<br />

prédominaient. Si les résidences royales d’Angleterre ont été favorisées, du plomb est<br />

également envoyé en Normandie pour approvisionner les châteaux de Gisors et, peut<br />

être aussi, celui de Caen en 1167 et 1168 371 . Toutefois, les rapports de fouilles et les<br />

recherches menées par Michel de Boüard ne mentionnent aucun vestige de plomb datant<br />

367 Recueil des actes d’Henri II , I, p.172-173, n° LXX, p. 494, n° CCCLIV; BUSSON, G. et LEDRU, A.<br />

(eds.), Nécrologe-obituaire de la cathédrale du Mans, 1906, p. 155-156 : Dedit etiam nobis plumbum ad<br />

operiendos parietes ecclesie nostre, quod et nobis nostro modico sumptu fecit afferri.<br />

368 BENOÎT, P., « Le plomb dans le bâtiment en France à la fin du Moyen Âge : l’apport des comptes de<br />

construction et de réparation », dans Pierre et Métal dans le bâtiment au Moyen Âge, 1985, p. 339-355;<br />

SHELBY, L. R., « Medieval masson’s tool I: the level and the plumb rule », Technology and Culture, 2<br />

(1961), p. 127-130. pour une présentation de leur utilisation.<br />

369 SALZMAN, L. F., Building in England down to 1540. A Documentary History, 1967, p.262. cite<br />

BEDE LE VENERABLE, Baedae opera historica, 1930, II, p. 459 (III, XXV ) : episcopus loci ipsius<br />

Eadberct ablata harundine, plumbi laminis eam totam, hoc est, et tectum et ipsos quoque parietes eius<br />

cooperire curavit.<br />

370 GUILLAUME DE MALMESBURY, Gesta Regum Anglorum atque Historia novella, 1840, p. 217 :<br />

pro indignitate rei pontifex interno dolore commotus, maceriam solidavit, culmen levavit, levatum<br />

plumbeis laminis ab injuria procellarum munivit ; RAISTRICK, A., The Lead industry <strong>of</strong> Wensleydale<br />

and Swaledale, I, The Mines, 1975, p. 18. Il en déduit que le plomb provient des mines du Yorkshire, car<br />

il peut être facilement apporté de Swaledale par la rivière.<br />

371 PR 13 H.II, p. 40 : pro conductum plumbo regis de Torcheseia ad Cadomum; p. 74 pro conductum<br />

plumbo regis de Novo Castello ad Cadomum; PR 14 H.II, p. 109 : pro LV carectatis plumbi liberatis<br />

vicomes de Northumberland ad portandam apud Cadomum. L’idée que le plomb puisse avoir traversé la<br />

Manche n’a pas été toujours évidente. Ian Blanchard par exemple interprète plus volontiers le terme<br />

Cadomum, par Crendon, nom d’un petit port à l’embouchure de la Tamise, plutôt que par Caen.<br />

BLANCHARD, I. W., Mining, Metallurgy and Minting in the Middle Ages. Vol. 2: Afro-European<br />

Supremacy, 1125-1225, 2001.<br />

605


de cette époque 372 . Les approvisionnements en plomb dans les demeures royales ont été<br />

globalement assez modestes, surtout si on les compare aux cargaisons de plomb<br />

qu’Henri II fait parvenir à plusieurs monastères comme pieuses donations.<br />

2.3.2- Les dons de plomb et leurs utilisations dans les monastères dotés par Henri II<br />

Selon Giraud de Barri, le couvent des Augustiniens de Sainte-Croix de Waltham<br />

et des nonnes Fontevristes d’Amesbury constituent, avec la Chartreuse de Witham, les<br />

trois « fondations de pénitences » qu’Henri II s’engage à construire en contrepartie du<br />

vœu de partir en Terre Sainte qu’il fait à Avranches en 1172. Mais ces monastères ne<br />

sont pas les seuls bénéficiaires des dons de plomb d’Henri II, Clairvaux, l’abbaye de<br />

saint Bernard, ainsi que Grandmont en Limousin ont également été largement<br />

approvisionnées.<br />

Les trois fondations de pénitence<br />

Contrairement aux critiques des auteurs contemporains qui dénoncent l’avarice<br />

du roi qui se serait contenté de refonder des établissements préexistants en y installant<br />

simplement de nouvelles communautés, les pipe rolls montrent que les investissements<br />

financiers et matériels dans ces nouvelles fondations, et notamment Amesbury et<br />

Waltham, n’étaient pas insignifiants 373 .<br />

Dissous le 15 septembre 1176, par bulle papale, en raison de la mauvaise<br />

moralité des nonnes qui s’y trouvaient depuis 980, le couvent d’Amesbury dans le<br />

Wiltshire est nouvellement inauguré comme abbaye le 31 mai de la même année et des<br />

372 DE BOUARD, M., Le château de Caen, 1979, p. 27 cite Archives Municipales Caen, L I 47 n°4 et 5 et<br />

A.D. Calvados, serie F versement du Génie 1945 carton n°1 ; DE BOUARD, M., « Note sur les matériaux<br />

de couverture utilisés en Normandie au Moyen Age », Annales de Normandie, 15 (1965), p. 415-436.<br />

Cela dit, le plomb envoyé à Caen n’a peut être pas été nécessairement affecté à la construction. En 1167,<br />

Mathilde l’Empresse meurt au Bec-Hellouin. Les fouilles archéologiques menées en décembre 1846 à<br />

l’abbaye du Bec ont mis à jour un c<strong>of</strong>fre en plomb rapidement considéré comme le cercueil de Mathilde.<br />

La chronique du Bec relate pourtant qu’en 1282, lors de l’exhumation de ses ossements, ceux-ci se<br />

trouvaient dans du cuir de bovin. Ses ossements ont été transférés à Rouen, le 5 février 1847. PL, col.<br />

0665AD : Eodem anno quaestio facta est apud Beccum post tantum incendium, et ruinam, ubi corpus<br />

piae memoriae dominae Mathildis imperatricis jacebat, et inventum fuit ante sedem majoris altaris,<br />

interclusum in quodam corio bovino. DEVILLE, A., « Restes de l’impératrice Mathilde, découvertes dans<br />

l’ancienne abbaye du Bec », Revue de Rouen, 15 (1847), p. 41-44; BAUDRY, P., « Le prieuré de Bonne-<br />

Nouvelle », Revue de Rouen, 15 : 1 (1847), p. 693-702.<br />

373 HALLAM, E. M., « Henry II, Richard I and the order <strong>of</strong> Grandmont », J.M.H., 1: 2 (1975), p. 165-<br />

186; APPLEBY, J. T., « The ecclesiastical foundations <strong>of</strong> Henry II », Catholic Historical Review, 48<br />

(1962), p. 205-215. Selon J. Appleby, il est difficile de qualifier de généreuses les dépenses d’Henri II<br />

pour les fondations religieuses. Ce point de vue est partagé par L. Warren qui suggère que les critiques<br />

d’alors était sans doute justifiées. WARREN, W. L., Henry II, 2000, p. 538 cite notamment HOVEDEN,<br />

I, p. 134-135.<br />

606


sœurs de l’abbaye de Fontevraud, un ordre angevin particulièrement favorisé par<br />

Henri II, y sont installées 374 . Entre 1180 et 1185, 370 carretata de plomb 375 en<br />

provenance des mines de Shelve dans le Shropshire sont envoyées vers Amesbury,<br />

traduisant manifestement la volonté du roi de contribuer à la dignité de la nouvelle<br />

fondation 376 . Amesbury devient ainsi une retraite de choix pour les femmes de<br />

l’aristocratie à la fin du Moyen Âge. Cette donation semble avoir entièrement couvert<br />

les besoins en plomb des bâtiments de l’abbaye, car aucune autre source ne mentionne<br />

de don de plomb jusqu’en 1540, date à laquelle Henri VIII décide de dissoudre les<br />

ordres monastiques de son royaume.<br />

Des agents sont alors dépêchés pour récupérer le plomb des toitures des édifices<br />

monastiques afin de pourvoir aux besoins de la guerre et des nouvelles demeures<br />

royales. Dans les comptes de la cour de « l’Augmentation des revenus de la Couronne »,<br />

créée en 1534 pour gérer les revenus et les possessions des monastères, se trouve, à la<br />

date du 22 septembre 1540, une estimation de la valeur du plomb des bâtiments<br />

monastiques d’Amesbury établie par les plombiers Christopher Dreye et George Hynde,<br />

sous le commandement de Thomas Cumine, le plombier en chef du Roi: « le plomb<br />

restant sur le chœur, les ailes, le clocher, les chapelles, la sacristie, le cloêtre, le "frater"<br />

[réfectoire], le hall et les chambres avec les gouttières, tout ensemble est estimé à 230<br />

foders », soit entre 218 et 227 tonnes 377 . Le foder ou fother est une unité de mesure de la<br />

masse du plomb utilisée en Angleterre à l’époque moderne, dont le poids varie selon les<br />

périodes entre 990 kg et 1 145 kg 378 . Il est également question dans le rapport de quatre<br />

374 Amesbury est fondé par la reine Elfrida, femme du roi Edgar en 980 pour expier le meurtre de son<br />

beau-fils Edward à Corfe. TALBOT, C. H., « Amesbury church. Reasons for thinking that it was not the<br />

Church <strong>of</strong> the Priory », Wiltshire Archaeological and Natural History Magazine, 31 (1901), p. 9-29. Sur<br />

les rapports entre Henri II et Fontevraud voir : BOASE, T. S. R., « Fontevrault and the Plantagenets »,<br />

British Archaeological Association Journal, 32 (1969), p. 26-29; BIENVENU, J. M., « Henri II<br />

Plantagenêt et Fontevraud », dans Henri II Plantagenêt et son temps, 1994, p. 25-32.<br />

375 Pour le calcul des conversions voir infra.<br />

376 Seules 200 carretata sont explicitement indiquées à destination de Amesbury, les deux autres entrées<br />

sont présentés comme payées au roi et ad opus regis, mais sans plus de précision. Concernant la<br />

conversion de la carreta voir infra.<br />

377 TALBOT, C. H., « Amesbury church. Reasons for think that it was not the church <strong>of</strong> the priory »,<br />

Wiltshire Archaeological and Natural History Magazine, 31 (1901), p. 9-29 ; KITE, E., « Notes on<br />

Amesbury monastery, with an account <strong>of</strong> some discoveries on the site in 1860 », Wiltshire Notes and<br />

Queries, 3 (1901), p. 114-119; 147-154; 221-227; 258-267 ; 289-305.<br />

378 MARTIN, W., An Attempt to Establish Throughout his Majesty’s Dominions an Universal Weight and<br />

Measure, Dependant on Each Other, etc. 1794. Selon E. Kite un fodder équivaut en 1540 à 19<br />

Hundredweight (cwt) mais dans, BREWER, J. S.; BRODIS, R. H. et GAIRDNER, J. (eds.), Letters and<br />

Papers, Foreign and Domestic <strong>of</strong> the Reign <strong>of</strong> Henry VIII, etc., 1965, XIX, II, 119, p. 54, l’équivalence<br />

pour 1 fother est de 19 ½ cwt. Les subdivisions du fodder sont le hundredweight (cwt), le fotmal, le stone<br />

et le wey, de sorte qu’un fodder équivaut à peu près à 12 weys, 19 cwt, 30 fotmal et 178 stones.<br />

607


cloches estimées à 14 weights, soit environ 1145 kg 379 . Au total, le plomb déposé dans<br />

le chœur de l’église et fondu par les King’s Sergent Plumbers donne 637 sows de<br />

plomb, soit près de 210 tonnes 380 . Le sow mesure la masse d’un métal moulé et<br />

solidifié, et se traduit couramment par le terme « saumon » 381 .<br />

Parmi les documents concernant la destruction d’Amesbury, conservés dans les<br />

Seymour Papers (Longleat House), on trouve les mesures des toitures du monastère<br />

recouvertes de plomb : « Le toit au dessus du grand autel et du chœur était long de 51<br />

feet (15,54 m), les toits de l’aile sud était de 39 feet (11,89 m) de long, celle du nord de<br />

40 feet (12,19 m) tandis que le toit de la nef étaient long de 120 feet (36,58 m). Le<br />

cloître avait des toits plats couverts de plomb sur les quatre côtés, chacun recouvrant<br />

une surface de 104 feet (31,70 m) de long sur une pr<strong>of</strong>ondeur de 12 feet (3,66 m) […]<br />

La dimension du cloître le long des murs des bâtiments qui l’entouraient, devait être<br />

d’au moins 104 feet sur 114 feet 382 ». Un peu plus loin, la description nous permet de<br />

connaître les largeurs de l’édifice et de la flèche octogonale entièrement couverte de<br />

plomb. Haute de 19 mètres, elle couvrait une surface d’environ 7,5m². La surface totale<br />

couverte par les 230 foders (soit environ 220 tonnes) de plomb déposées en 1540 était<br />

donc d’environ 11 230 m², si l’on tient compte des pentes du toit. L’échelle des valeurs<br />

du plomb obtenu en 1540 pour couvrir un monastère royal paraît considérable à<br />

première vue. Il ne faut cependant pas oublier que les édifices construits par l’Église en<br />

Angleterre, après la conquête de 1066, étaient à la mesure des plus grands<br />

établissements continentaux. Éric Fernie a en effet montré que les surfaces des<br />

prieurés – cathédrale d’Angleterre étaient proches des dimensions de Cluny III et de<br />

Saint-Pierre de Rome 383.<br />

379 GILL, M. et HARVEY, W., « Weights and measure used in lead industry », Northern Mine Research<br />

Society, British Mining, 61 (1998), p. 129-140, p. 133 : le Weight, Waye ou Wafhe est défini en 1303 dans<br />

le Yorkshire comme valant 15 stones <strong>of</strong> lead, dont chacune pèse 12 livres (lbs), ce qui donne 180 lbs le<br />

weight [soit 81,65 kg].<br />

380 KITE, E., « Notes on Amesbury monastery, with an account <strong>of</strong> some discoveries on the site in 1860 »,<br />

Wiltshire Notes and Queries, 3 (1901), p. 114-119; 147-154; 221-227; 258-267 ; 289-305, p. 297. La<br />

perte de masse est sans doute liée à la transformation du plomb en saumon.<br />

381 WILSON, J., French and English Dictionary; containing full explanations, definitions, synonyms,<br />

proverbs, terms <strong>of</strong> art and sciences, and rules <strong>of</strong> pronunciation in each language, 1833, p. 485.<br />

382 Longleat House ms. 6524-6529, Seymour Papers, f° 227 cité dans Churches <strong>of</strong> South-east Wiltshire,<br />

1987. La plupart ont été publiés et annotés dans TALBOT, C. H., « Amesbury church. Reasons for<br />

thinking that it was not the church <strong>of</strong> the priory », Wiltshire Archaeological and Natural History<br />

Magazine, 31 (1901), p. 9-29, p. 12.<br />

383 FERNIE, E. C., The Architecture <strong>of</strong> Norman England , 2000, p. 304. La longueur totale de de Cluny<br />

III était de 172 m, Winchester mesure 157 m, Bury St Edmunds 148 m, Canterbury (1174) 133 m. Elles<br />

sont donc toutes trois plus grandes que Saint-Pierre de Rome qui mesure alors 132 m et Chartres (130m).<br />

608


Par ailleurs, les quantités de plomb fondu en 1540 correspondent à peu près à la<br />

donation d’Henri II, puisque 370 carretata représentent environ 230 tonnes. Pour<br />

obtenir une telle conversion, il faut préciser que la carreta pèse 1680 livres dans le<br />

Shropshire 384 . Depuis 1158, date de la première réforme monétaire du règne d’Henri II<br />

– qui voit la mise en place d’une nouvelle monnaie : le cross-and-crosslet – la livre<br />

sterling est réévaluée pour uniformiser son poids avec celui de la livre de Troyes,<br />

utilisée dans les territoires continentaux de l’empire. Cependant, en fixant le nouveau<br />

poids de référence de la livre à 350 g (Tower pound), c'est-à-dire un poids légèrement<br />

inférieur à celui de la livre de Troyes (Troy pound) qui vaut alors 373 g, Henri II permet<br />

aux ateliers monétaires de la Couronne de créer du pr<strong>of</strong>it à chaque conversion de la<br />

monnaie continentale en livre sterling 385 .<br />

Les quantités de plomb données par Henri II (217 tonnes) étant très proches de<br />

celles du plomb fondu en 1540 (218 à 227 tonnes), il paraît vraisemblable qu’il s’agisse<br />

du même plomb. Si la couverture des toitures semble être le principal usage du plomb<br />

dans ce monastère, le cas de l’abbaye de Waltham <strong>of</strong>fre, en revanche, un exemple de<br />

fabrication de canalisations, dont la description apporte des informations<br />

particulièrement détaillées sur cet usage du plomb.<br />

Les documents du XVI e siècle qui concernent l’abbaye Sainte-Croix de Waltham<br />

sont trop imprécis pour que soit menée une comparaison entre les quantités de plomb<br />

données par Henri II et celles qui ont été fondues en 1557 386 . Toutefois, cette même<br />

année, Anthony Dennys de Cheshunt, chief steward des terres de l’abbaye après la<br />

Dissolution, adresse une lettre à John Scudammor, chancelier de la cour de<br />

l’Augmentation, concernant le plomb qu’il est chargé de lui faire parvenir à Bristol. Il<br />

lui indique qu’il est en possession de 2000 foders de plomb (environ 1980 tonnes), un<br />

poids considérable qui devait inclure d’autres sources de plomb que les seuls<br />

384 Pour les problèmes de conversion de la careta selon les espaces (voir infra).<br />

385 NIGHTINGALE, P., « The evolution <strong>of</strong> weight-standards and the creation <strong>of</strong> new monetary and<br />

commercial links in Northern Europe from the tenth century to the twelfth century », Economic History<br />

Review, 38: 2 (1985), p. 192-209; NIGHTINGALE, P., « The king’s pr<strong>of</strong>it: trends in the English mint and<br />

monetary policy in the eleventh and twelfth century », dans Later Medieval Mints: Organisation,<br />

Administration and Techniques, 1988, p. 61-75 cite ALLEN, D. F., A Catalogue <strong>of</strong> English Coins in the<br />

British Museum : The Cross-and-Crosslets (Tealby) Type <strong>of</strong> Henry II, 1951, I, p. xli; Ce n’est qu’à partir<br />

du règne d’Edward III que l’unification des mesures en Angleterre se fait sur la livre avoirdupois<br />

équivalente à 453 g ; ZUPKO, R. E., British Weights and Measures. A History from Antiquity to the<br />

Seventeenth Century, 1977; MAYHEW, N. J., Sterling: The History <strong>of</strong> Currency, 2000.<br />

386 BREWER, J. S.; BRODIS, R. H. et GAIRDNER, J. (eds.), Letters and Papers, Foreign and Domestic<br />

<strong>of</strong> the Reign <strong>of</strong> Henry VIII, etc., 1965, vol. XX, I, 557, f67; N.A. E 117/14/13.<br />

609


prélèvements des toitures de l’église et des bâtiments conventuels 387 . Sir Anthony<br />

Dennys avait été chargé de superviser les opérations de dépôt et de fonte du plomb par<br />

les plombiers Jeffrey Bate et Thomas Kempe, envoyés par la reine Mary. Dans le<br />

document qui en fait le rapport, il est non seulement question du plomb de l’église mais<br />

aussi du cloître et des autres bâtiments de l’abbaye 388 . Comment identifier ici la part du<br />

don d’Henri II ?<br />

Le 20 janvier 1177, Henri II obtient l’autorisation du pape Alexandre III de<br />

refonder le collège de chanoines séculiers de l’abbaye Sainte-Croix de Waltham,<br />

fondation du roi Harold (1035-1040). Seize chanoines augustiniens, venus des<br />

monastères de Cirencester, Osney et St Osyth sont alors introduits le 11 juin dans le<br />

monastère en plein travaux d’agrandissement. Pour accueillir la nouvelle communauté,<br />

Henri II fait élever une nouvelle nef et un chœur dans le prolongement de l’église du<br />

début du XII e siècle ainsi qu’un cloître et des bâtiments conventuels (illustration<br />

6.27) 389 . De 1180 à 1184, les pipe rolls mentionnent 265 carretata de plomb provenant<br />

à la fois du Yorkshire et du Derbyshire pour approvisionner le chantier 390 . En 1184, le<br />

prieuré obtient le statut d’abbaye, ce qui entraîne l’arrêt des subventions royales alors<br />

que les travaux ne sont pas terminés. Norman K. Bascombe pense que l’investissement<br />

de Henri II dans l’église de Waltham était sans doute lié au projet d’y établir une<br />

nécropole familiale, projet que l’indépendance de Waltham rendait caduque en même<br />

temps qu’elle laissait les moines désormais responsables financièrement des travaux de<br />

construction. La dédicace de l’église n’est alors réalisable qu’en 1242 391 .<br />

Bien que les envois de plomb royaux cessent en 1184, les quantités reçues (265<br />

carretata) sont déjà considérables. Leur conversion en tonne pose toutefois quelques<br />

problèmes d’interprétation, dans la mesure où le prix de la carreta varie en fonction de<br />

son lieu de provenance. Les approvisionnements en plomb à destination de Waltham<br />

provenaient en effet de différentes régions différentes d’Angleterre, du Derbyshire au<br />

Northumberland. Ainsi, selon les enregistrements des pipe rolls de 1166 à 1188, le<br />

387 BL Add. ms. 11041 John Scudammor papers, lot. 75. f73 : « Solde unto me M L M L . fodere <strong>of</strong> lead<br />

wher<strong>of</strong> Mr Chancellour <strong>of</strong> the Augmentation hath appointed CCCLXXVI fodere <strong>of</strong> suche the kinge<br />

highnes hys leade remaining within the lymyth <strong>of</strong> your Commission and <strong>of</strong>fices… »; BREWER, J. S.;<br />

BRODIS, R. H. et GAIRDNER, J. (eds.), Letters and Papers, Foreign and Domestic <strong>of</strong> the Reign <strong>of</strong><br />

Henry VIII, etc., 1965, vol. XX, II, p. 296.<br />

388 N.A.: E 117/14/13.<br />

389 FERNIE, E. C., « The romanesque church <strong>of</strong> Waltham Abbey », J.B.A.A., 138 (1985), p. 48-78;<br />

HUGGINS, P. J. et BASCOMBE, N. K., « Excavations <strong>of</strong> the collegiate and Augustine church <strong>of</strong><br />

Waltham Abbey, Essex, 1984-1987 », Archaeological Journal, 146 (1989), p. 476-537.<br />

390 PR. 26 H.II, p. 75 et 137 ; 27 H.II, p. 28, p. 47 ; 30 H.II, p. 29.<br />

391 MATHIEU PARIS, Historia anglorum, 1866, III, p. 286.<br />

610


plomb acheté dans le Derbyshire se fait à partir d’un taux d’un demi marc (80 deniers)<br />

par carreta, tandis qu’une carreta provenant des mines de Carlisle dans le<br />

Northumberland vaut un marc (soit 160 deniers). Comment expliquer un tel doublement<br />

du prix de la carreta entre le Derbyshire et le Northumberland ? Deux explications<br />

peuvent être avancées. Selon une première hypothèse, la variation du prix de la carreta<br />

entre le Derbyshire et Carlisle pourrait être liée à une question de variation du poids de<br />

la carreta. Cette hypothèse s’appuie sur un document élaboré à la fin du XI e siècle,<br />

l’Inquisitio Elyiensis, selon lequel « une carreta de plomb de Peak [Derbyshire]<br />

contient 24 fotinels, le fotinel vaut 70 livres 392 […] tandis qu’une carreta de Londres est<br />

plus grande de 420 livres par petit centième ». Ainsi, la carreta du Derbyshire pèse<br />

1680 livres (environ 626 kg) et celle de Londres 2100 livres (soit environ 783 kg) 393 .<br />

Cette source met donc en avant la variation du poids de la carreta en fonction des lieux<br />

d’acquisition du plomb. Ainsi la carreta du Nord qui vaut 1 marc pèserait donc 3360<br />

livres, soit le double de la carreta du Derbyshire 394 . Cette hypothèse se heurte<br />

cependant à la question de l’inclusion, dans le prix final de la carreta, des coûts de<br />

transport, notamment terrestre, jusqu’au moment où le plomb est transféré sur une<br />

embarcation fluviale ou maritime. Ce moment est aussi celui de la prise en charge par le<br />

shérif des coûts de transport du plomb jusqu’à sa destination. Tandis que le plomb du<br />

Derbyshire est rapidement embarqué sur la Derwent, à quelques kilomètres seulement<br />

des sites de production du Peak District, le plomb des mines de Carlisle n’est pris en<br />

charge par le shérif qu’à partir de Newcastle, dans le Northumberland, ou de<br />

Boroughbridge, dans le Yorkshire. Or, ces deux villes sont relativement éloignées des<br />

mines (entre 50 et 70 km) qui se situent dans les moors (landes) des Pennines. Une telle<br />

distance expliquerait ainsi le doublement des prix du plomb par rapport au<br />

Derbyshire 395 . La différence de prix entre la carreta du Derbyshire et du<br />

Northumberland serait donc moins un problème de variation du poids de la carreta que<br />

d’inclusion des frais de transport dans le prix final.<br />

392 Autre appellation du fotmal. Il ne faut pas oublier que la livre est alors l’unité de compte permettant la<br />

translation des mesures de poids en monnaie.<br />

393 ADDY, S. O., « Derbyshire lead weights », Journal <strong>of</strong> Derbyshire archaeological and Natural history<br />

society, 46 (1925), p. 108-113. Si l’évaluation d’une carreta reste relativement stable au cours du XIII e<br />

siècle, il faut cependant attendre le règne de Edward I er pour qu’une politique d’unification des mesures et<br />

des coutumes soit vraiment mise en place sur les standards de la foire de Londres.<br />

394 C’est le poids utilisé par BLANCHARD, I. W., Mining, Metallurgy and Minting in the Middle Ages.<br />

Vol. 2: Afro-European Supremacy, 1125-1225, 2001.<br />

395 Cette hypothèse m’a été suggérée par Peter Claughton, qu’il en soit remercié.<br />

611


Selon cette hypothèse, les quantités de plomb envoyées par Henri II à Waltham<br />

pèserait donc au moins 155 tonnes. Toute estimation des quantités de plomb données<br />

par Henri II se heurte cependant d’emblée à un obstacle : ce plomb n’a sans doute pas<br />

servi à couvrir la nouvelle église édifiée à partir de 1177, car c’est seulement entre 1289<br />

et 1302 que l’abbé Robert de Elinton fait faire « les toits de toute l’église autrefois en<br />

tuiles, qui est maintenant entièrement et convenablement couverte de plomb 396 ». Les<br />

travaux de Robert de Elinton qui achève de couvrir l’église en plomb concernent donc<br />

uniquement la couverture des bâtiments construits à partir de 1177, puisqu’une Vita<br />

Haroldi écrite vers 1216, décrivant l’église construite au début du XII e siècle,<br />

mentionne ses toitures déjà recouvertes de « plaques de plomb » protégeant du vent et<br />

des intempéries 397 . La date tardive de la rédaction de la Vita pourrait signifier que<br />

l’auteur décrit l’église telle qu’il la voit et que les toitures auraient pu être refaites dans<br />

les années 1180. Mais il est également possible que les toitures de plomb datent de la<br />

construction de la première église, vers 1100, car il n’est pas rare de voir des toitures de<br />

plomb en Angleterre au XI e siècle. Edward le Confesseur, lui-même, avait fait recouvrir<br />

de plomb Westminster 398 .<br />

Un autre manuscrit de la British Library relate l’utilisation de grandes quantités<br />

de plomb qui pourrait bien être celui qu’Henri II envoie à l’abbaye 399 . Au début du XIII e<br />

siècle, un chanoine de Waltham fait le récit de l’installation du réseau de canalisations<br />

destiné à approvisionner l’abbaye depuis une source située dans le Hertfordshire. Cette<br />

dernière avait été donnée à l’abbaye vers 1220 par Henry de Wormley 400 :<br />

La 31 e année après la mort du roi Henri notre fondateur, Maître<br />

Lawrence de Stratford, l’un des meilleurs artisans d’or, d’argent, de<br />

fer, d’étain et de plomb vint à Waltham avec ses deux fils […] pour<br />

faire notre adduction et notre lavatorium 401<br />

396<br />

BL Harley ms. 3776 fol. 38v, un poème en hexamètre latin louant les abbés de Waltham dit en effet à<br />

propos de Robert de Elinton : Primit ecclesia tota fuerat tegulata,hunc remanet tota bene de plumbo<br />

cooperta.<br />

397<br />

Vita Haroldi. The Romance <strong>of</strong> the life <strong>of</strong> Harold, King <strong>of</strong> England, DE GRAY BIRCH, W. (éd.), 1885,<br />

p. 23 : Culmen impositum aeris ab introgressis plumbei objective laminis : variam secludit intemperiem.<br />

398<br />

Lives <strong>of</strong> Edward the Confessor, LUARD, H.R. (éd.), 1858, p. 17.<br />

399<br />

BL Harley ms. 391 fol. 1-5.<br />

400<br />

MAGNUSSON, R. J., Water Technology in the Middle Ages. Cities, Monasteries and Waterworks<br />

after the Roman Empire, 2001, p. 57-59; BASCOMBE, N. K., « A Water Conduit-head at Wormley »,<br />

Hertfordshire Archaeology, 3 (1973), p. 124-125; The Worthies <strong>of</strong> Waltham, the History <strong>of</strong> the Town<br />

through the Lives <strong>of</strong> its People, 1977, p. 10-12.<br />

401<br />

BL Harley ms. 391 fol. 1 : Anno obitus regis Henrici fundatores nostro xxxi. Magister Laurencius<br />

Stratisford optimus artifex in auro et argento et ferro et stagno et plumbo cum duobus filiis suis […]<br />

venit ad Walhtam sito post epiphaniam domini ut faciet conductum et lavatorium nostrum.<br />

612


L’auteur du récit se montre très curieux des procédés de fabrication de ces tuyaux de<br />

plomb :<br />

Le jour suivant son arrivée, il commença les conduits d’eau en<br />

moulant des tables de plomb d’une longueur de 12, 13 et 11 pieds (3,5<br />

à 4 m) qu’il fit ensuite découper dans toute la largeur. Il coupa<br />

chaque table de 14 pouces (35,5 cm) en deux plaques strictement<br />

uniformes. Il aligna les plaques étroites de 7 pouces (17,4 cm) de<br />

large qu’il roula autour d’un bâton en bois pour former des tuyaux,<br />

dont il remplit l’intérieur entièrement de sable fin, il les recouvrit<br />

d’argile fine et enfin il fit chauffer le plomb à forte température pour<br />

souder les joints 402 .<br />

L’argile avait pour fonction de servir de moule pour le joint longitudinal. Le plomb<br />

fondu alors versé à l’intérieur de ce moule, pour souder les deux bords recourbés de la<br />

plaque, formait souvent une légère boursouflure qui caractérise les tuyaux de plomb<br />

médiévaux 403 . Selon ces mesures, le diamètre des tuyaux produits était d’environ 5 cm.<br />

Malgré plusieurs prospections à la fin des années 1960 et des fouilles menées en<br />

1971 au Sud-Ouest du Hall « Viking » de l’abbaye de Waltham, seuls quelques maigres<br />

vestiges de ces kilomètres de tuyaux de plomb ont été retrouvés 404 . Il permettent<br />

néanmoins de voir que la circonférence des tuyaux était d’un peu moins de 6 pouces<br />

(15,24 cm) alors que le récit indique des largeurs de 7 et 8 pouces, ce qui suggère que la<br />

fabrication des tuyaux n’était pas aussi systématique que ne le présente l’auteur du récit,<br />

ou qu’il s’agissait d’autres tuyaux 405 . Il est possible également que ces tuyaux soient<br />

ceux que maître Lawrence exécute au cours des huit premières semaines. À son arrivée,<br />

en effet, les moines ne disposaient d’aucun outil ni du matériel nécessaire pour réaliser<br />

les canalisations. Le plomb était cependant déjà au monastère puisque maître Lawence<br />

402 BL Harley ms. 391 fol. 1 : Die autem veniit sequente […] operari nuper aqueductum fundit laminas<br />

plumbeas quarum longitudo erat xii predes alia xiii pedes alia xi pedes secundum quod accidire ei<br />

latitudo omnio fecebat ; xiiii pollites denide scidit quamlibet laminam in duas laminas strictiore<br />

uniformes. Itaque lamina stricta lineret in latitudine vii pellites deinde complicavit eas ad nu-/f°1v/-ceum<br />

tube fecit fistulas inter talamos implevit illos sablo vitrius eatinus omnio; circumperivit argillam optime<br />

circam et sic et solidavit eos plumbo calidissimo fecit.<br />

403 MAGNUSSON, R. J., Water Technology in the Middle Ages. Cities, Monasteries and Waterworks<br />

after the Roman Empire, 2001, p. 66-8. Une illustration de tuyaux provenant l’abbaye de Canterbury,<br />

dont les canalisations ont été faites au XII e siècle se trouve dans GREWE, K., « Der<br />

Wasserversorgungsplan des Klosters Christchurch in Canterbury (12 Jahrhundert) », dans Die<br />

Wasserversorgung im Mittelalter, p. 229-236, p. 235.<br />

404 HUGGINS, P. J. et BASCOMBE, N. K., « The excavation <strong>of</strong> an 11th-Century Viking Hall and 14thcentury<br />

Rooms at Waltham Abbey, Essex, 1969-71 », Medieval Archaeology, 20 (1976), p. 75-133, p.<br />

117 (secteur F204).<br />

405 MAGNUSSON, R. J., Water Technology in the Middle Ages. Cities, Monasteries and Waterworks<br />

after the Roman Empire, 2001, p. 69.<br />

613


consacre ses premières semaines à faire une adduction pour la bière des moines<br />

(conductus noster ad cervisiam nostram). Contrairement au plan de Christchurch de<br />

Canterbury, qui montre le tracé des canalisations dans l’enceinte de l’abbaye (Eadwin<br />

Palster), le plan du manuscrit concernant les canalisations de Waltham n’illustre pas<br />

l’emplacement de ces conduits dans l’enclos monastique mais schématise son itinéraire<br />

depuis la source (illustration 6.29) 406 . À l’aide des nombreux détails de ce plan et du<br />

texte qu’il illustre, l’estimation de la distance entre Wormley et Waltham (environ 5<br />

km) et du temps qu’il faut à maître Lawrence, ses deux fils et une équipe d’une<br />

vingtaine de travailleurs (deux ans) pour accomplir ces canalisations, une évaluation<br />

approximative des quantités de plomb utilisées pour ce chantier peut être proposée.<br />

Selon la description, un tuyau de 3,5 à 4 m de long sur 17,5 cm de large a une<br />

superficie maximale de 0,7 m² ce qui donne, pour 5 km, une superficie totale d’environ<br />

933 m². Le récit ne donne pas d’indication sur l’épaisseur des tuyaux mais selon<br />

Bernard Forest de Bellidor, au XVIII e siècle, un tuyau d’environ 2 pouces de diamètre<br />

(soit environ 5 cm comme les tuyaux de Waltham) faisait 4 lignes d’épaisseur 407 . Si on<br />

estime que l’épaisseur des tuyaux de Waltham était d’environ 4 mm, le poids des 5 km<br />

de canalisation était donc d’environ 42 tonnes – la masse cubique du plomb étant de<br />

11340 kg/m 3 . À ces 42 tonnes il faut également ajouter le plomb qui servait à souder les<br />

joints et les conduits entre eux, ce que l’on peut évaluer à près de 10 tonnes 408 . Tous ces<br />

calculs ne sont cependant que des estimations élaborées à partir des ressources<br />

documentaires et en l’absence de traces archéologiques permettant de partir des données<br />

réelles. Ainsi, sur le plan dessiné qui accompagne le texte, on remarque que le système<br />

de canalisation depuis la source était ponctué de bassins intermédiaires 409 . Le chanoine<br />

en dénombre seize ou dix-huit (le récit est ici confus), situés à des intervalles réguliers<br />

le long des conduits. Ces bassins qui étaient faits en pierre avaient, entre autres, pour<br />

fonction de réduire la pression de l’eau circulant dans les tuyaux. Le premier bassin qui<br />

406<br />

Trinity College, Cambridge, the Eadwine Psalter (c. 1155-60/c. 1170) fol. 284v-285r. voir SKELTON,<br />

R. A. et HARVEY, P. D. A., Local Maps and Plans from Medieval England, 1986 pour une version<br />

publiée.<br />

407<br />

DE BELIDOR, B. F., Architecture hydraulique, ou l'Art de conduire, d'élever et de ménager les eaux<br />

pour les différens besoins de la vie... 1737-1739, II, 1, p. 378-380, n°1415-1417. Nota : 1 toise vaut 6<br />

pieds, 1 pied vaut 12 pouces et 1 pouce vaut 12 lignes. Selon Belidor, une telle table pesait 180 livres la<br />

toise soit près de 45 kg le mètre.<br />

408<br />

Ibid., p. 380, il faut, pour les tuyaux de 6 pouces de diamètre et sachant qu’il y a environ 1350 tables,<br />

15 livres de soudure par nœud.<br />

409<br />

HARVEY, P. D. A., « A 13th-century plan from Waltham abbey », Imago Mundi, 22 (1968), p. 10-12,<br />

p. 10-12.<br />

614


se situait à Wormley avait pour but de collecter l’eau de trois sources différentes 410 . Il<br />

était rectangulaire et l’eau en sortait par un large tuyau de 3 mètres de long et d’un<br />

diamètre aussi gros qu’une jambe d’homme (soit environ 15 cm de diamètre) 411 . Le<br />

deuxième bassin contient trois tuyaux d’évacuation ; le premier servait à évacuer le trop<br />

plein (purgatorium sive evacuatorium), le deuxième allait vers Waltham tandis que le<br />

dernier amenait le surplus d’eau vers la maison de Henry de Wormley, le donateur de la<br />

source. Il faut donc tenir compte de la multiplication des tuyaux et de l’augmentation de<br />

leur diamètre selon les situations (comme le passage de la rivière ou la distribution au<br />

sein du monastère) pour mesurer approximativement le poids du plomb nécessaire à la<br />

réalisation de l’ensemble de ces canalisations.<br />

Nous avons vu plus haut que le don d’Henri II était d’environ 155 tonnes. Peut-<br />

on en déduire que le plomb nécessaire pour faire les canalisations de Waltham provenait<br />

du don d’Henri II ? Les quantités de plomb disponibles étaient en effet amplement<br />

suffisantes, et il n’est pas rare que les matériaux « de garnison » soient conservés<br />

pendant plusieurs années. De plus, Roberta J. Magnusson fait remarquer qu’aucune<br />

source ne permet de savoir d’où provenait le plomb dans les années 1220 et le récit du<br />

chanoine laisse clairement entendre que le monastère possédait déjà le plomb lorsque<br />

maître Lawrence arriva à Waltham puisque celui-ci commença par faire des tuyaux pour<br />

la bière des moines alors que le matériel nécessaire à la fabrication des canalisations<br />

n’était pas encore constitué 412.<br />

La relation étroite entre les dons en plomb de Henri II et sa politique monastique<br />

après 1170 conduit à s’interroger sur la troisième fondation de pénitence : la chartreuse<br />

de Witham dans le Somerset, pour laquelle les pipe rolls ne citent aucun envoi de<br />

plomb. La situation géographique du petit prieuré de Witham constitue sans doute la<br />

meilleure explication. Situé dans une forêt royale au cœur des Mendips, à proximité du<br />

manoir de Hynton, il est très probable que la fondation d’Henri II comprenait des terres<br />

riches en minerais 413 . Les mines des Mendips étaient exploitées à cette date, et en partie<br />

410<br />

SKELTON, R. A. et HARVEY, P. D. A., Local Maps and Plans from Medieval England, 1986.<br />

411<br />

BL Harley ms. 391 fol. 1v : in cuius fundo positus est /talamus x pedum grossus ad modum cuius<br />

hominis et perforatus/ est<br />

412<br />

BL. Harley ms. 391 fol. 1 : Magistri Laurenti de Stratisford optimus artifex […] venit ad Waltham<br />

[…] ut faciet conductum et lavatorium nostrum set quia ustensilia et alia que si erant uctria prompta et<br />

praeta non huminmus ; MAGNUSSON, R. J., Water Technology in the Middle Ages. Cities, Monasteries<br />

and Waterworks after the Roman Empire, 2001, p. 65-66.<br />

413<br />

BLANCHARD, I. W., Mining, Metallurgy and Minting in the Middle Ages. Vol. 2: Afro-European<br />

Supremacy, 1125-1225, 2001, p. 845.<br />

615


par la Couronne, comme l’indique une charte que Richard émet en faveur de l’évêque<br />

de Bath, lui concédant tous les minerais de plomb de ses terres dans le Somerset, sans<br />

condition ou entrave. Il lui accorde aussi la permission de faire un marché sur ses terres<br />

de Rackley (Radeclive) 414 . Cette charte venait résoudre un conflit entre les mineurs<br />

protégés par l’évêque de Bath et les <strong>of</strong>ficiers royaux des forêts. Le premier rouleau du<br />

règne de Richard montre que Reginald de Bath avait acquis cette concession ainsi que<br />

protection de ses mineurs contre £100 415 .<br />

Bien que la charte de fondation mentionnant les terres du prieuré ne fasse aucune<br />

mention de mines, les difficiles négociations menées pour installer le prieuré sur ces<br />

terres là – au prix de plusieurs dépossessions – suggèrent que le choix du terrain n’était<br />

pas anodin 416. Les fouilles menées sur le site du prieuré ont montré que du plomb avait<br />

été utilisé dans la construction du monastère, dans les canalisations ainsi que pour les<br />

toitures 417 . Le rapport du démantèlement du prieuré en 1544 contient également la<br />

mention d’un plombier ayant reçu 108 sous pour avoir enlevé le plomb des bâtiments et<br />

l’avoir fondu en 82 lingots pesant un total de 43 foders (soit plus de 410 kg). Ces<br />

quantités apparaissent relativement faibles en comparaison des deux autres<br />

fondations 418.<br />

Qu’il soit métal ou gisement, le plomb constitue donc une ressource essentielle<br />

dans la politique de donation d’Henri II. Celle-ci ne se limite cependant pas au<br />

patronage de ses propres fondations. Dès 1172, Henri II multiplie ses donations aux<br />

ordres monastiques les plus influents. Aux premiers rangs de ceux-ci se trouvent les<br />

Cisterciens et notamment la maison de Clairvaux, dont la reconstruction après la mort<br />

de saint Bernard était à peine achevée.<br />

Le rapprochement avec les Cisterciens et le plomb de l’abbaye de Clairvaux<br />

Bien qu’Henri II n’ait fondé aucune maison cistercienne ex nihilo, le don qu’il<br />

fait à l’abbaye de Clairvaux en 1178 lui permet de voir son nom ajouté à la liste des plus<br />

414<br />

V.C.H. Somerset, II, p. 363. cite le Wells Mss R. I. fol. 15; R. III, fol. 343 : Quod habeat mineram de<br />

plumbo ubicunque eam invenire potuit in terra sua de Somerset libere et quiete et honorifice absque ulla<br />

conditione vel impedimento.<br />

415<br />

PR 1 R.I. p.<br />

416<br />

ARMITAGE ROBINSON, J., « The foundation charter <strong>of</strong> Witham Charterhouse », Somersetshire<br />

Archaeological and Natural History Society Proceedings, 64 (1918), p. 1-28, p. 1-28.<br />

417<br />

HOGG, J., « Excavations at Witham Charterhouse », Analecta Cartusiana, 37 (1977), p. 118-133,<br />

p. 118-133.<br />

418<br />

ARCHBOLD, W. A. J., Somerset Religious Houses, 1892, p. 240. Il cite Minister’s Accounts<br />

(Exchequer and Augmentation <strong>of</strong>fice), 30-31, Henry VIII, n° 224.<br />

616


généreux donateurs de l’ordre 419 . Entre 1178 et 1188, 40, 100 puis 241 carretata de<br />

plomb partent des ports d’Angleterre en direction de l’abbaye champenoise. Les raisons<br />

d’une telle donation sont avancées par un chroniqueur contemporain, Aubri des Trois-<br />

Fontaines :<br />

En 1178, Henri [de Marçay] abbé de Clairvaux conduisit la<br />

réconciliation de Henri, roi des Anglais, avec l’église de Canterbury,<br />

de sorte que ce dernier fit faire le toit de l’église de Clairvaux qui<br />

était couvert de tuiles, en plomb 420 .<br />

Le rôle médiateur des Cisterciens dans le conflit qui oppose entre 1164 et 1170<br />

Henri II et son ancien chancelier Thomas Becket n’a pourtant pas été sans équivoque.<br />

D’abord solidaire de la cause de l’archevêque de Canterbury, qui vient se réfugier à<br />

Pontigny, et malgré les menaces de confiscation des possessions cisterciennes anglaises<br />

par Henri II, la position de l’abbé de Clairvaux change lorsque le roi pénitent lui promet<br />

un formidable don de plomb 421 . La lettre de remerciement de l’abbé de Clairvaux, qu’il<br />

envoie du Languedoc, où il est parti lutter contre l’hérésie albigeoise, apporte des<br />

précisions sur ce don :<br />

Nous avons tout spécialement annoncé, avec ces mots hautement<br />

élogieux, ce don très important que vous avez promis de me remettre<br />

pour notre église de Clairvaux, et lorsque vous aurez donné ces tables<br />

de plomb en contribution à la couverture de notre oratoire, la<br />

dévotion qui brûle en votre cœur resplendira pour nous sur notre<br />

toit 422 .<br />

Pour que le don soit pleinement efficace, le prieur lui fait envoyer le détail des<br />

dimensions de l’église ainsi qu’un frère pour s’occuper de l’exécution des opérations 423 .<br />

419 Stoneleigh, dans le Warwickshire, est néanmoins une c<strong>of</strong>ondation d’Henri II et de sa mère Mathilde<br />

l’impératrice en 1155, KNOWLES, D. et HADCOCK, R. N., Medieval Religious Houses : England and<br />

Wales, 1971.<br />

420 « Chronique de 1678 », dans R.H.F., XIII, p. 713 : Anno MCLXXVIII, abbas Clarevallensis Henricus<br />

Regem Anglorum Henricum Cantuariensi Ecclesiae reconciliatum ad hoc induxit, ut tectum Ecclesiae<br />

Clarevallensis, quod erat latericium, faceret esse plumbeum.<br />

421 Materials for the History <strong>of</strong> Thomas Becket, archbishop <strong>of</strong> Canterbury (canonized by Pope Alexander<br />

III, A.D. 1173) Vol. VI (Epistles, CCXXVII.-DXXX), 1965, p. 48 et suiv.<br />

422 HEATHCOTE, S. J., « The Letter Collection attributed to Master Transmundus, papal notary and<br />

monk <strong>of</strong> Clairvaux in the twelfth century », Analecta Cisterciensia, 21 (1965), p. 177, n° 18; également<br />

dans PL, CCIV, p. 219 : Specialiter illud amplissimum donum praeconio excellentiore protulimus, quod<br />

Claraevalli nostrae in nostris manibus promisistis, ut videlicet plumbi lamina in operimentum oratorii<br />

nostri vesto munere contributa, devotio, quae vobus in pectore flagrat, nobis super tecta resplendeat.<br />

423 Ibid. : habita deliberatione decrevimus oratorii nostri mensuram sine orationum mensura<br />

transmittere […] ad subsequendum veo celeberrimi voti vestri et regie devotionis effectum, fratrem<br />

nostrum latorem presentium destinamus, qui et vobis oratorii mensuram pr<strong>of</strong>erat, et iuxta consilium<br />

vestrum in operas executione procedat.<br />

617


En 1179, la ferme des mines de Carlisle mentionne en effet que frère Simon est chargé<br />

de recevoir 100 carretata de plomb pour les travaux de l’église de Clairvaux, tandis que<br />

£8 sont dépensées pour affréter les bateaux chargés de transporter le plomb de<br />

Newcastle à Rouen 424 . Puis en 1180, il est question de « 40 carretata de plomb que le<br />

roi a donné aux moines cisterciens 425 » et en 1181, un certain Reiner est chargé de<br />

recevoir les 235 carretata de plomb pour l’abbaye de saint Bernard 426 . Les pipe rolls<br />

enregistrent également le coût du transport de 241 carretata de plomb de York à Rouen,<br />

la même année 427 . Enfin, la dernière mention de plomb à destination de Clairvaux<br />

apparaît dans le rouleau de 1188, où il est encore question de 100 carretata de plomb<br />

pour les travaux de la demeure des moines de Clairvaux 428 . Au total, entre 1179 et 1188,<br />

475 carretata de plomb (soit près de 280 tonnes) ont donc circulé entre les mines<br />

d’Angleterre et l’abbaye cistercienne. En reconnaissance de ce formidable don, l’abbé<br />

décide de faire parvenir au roi la relique d’un doigt de saint Bernard 429 .<br />

La comparaison de ces 475 carretata de plomb destinées à l’abbaye de<br />

Clairvaux avec les 18 à 20 tonnes qu’André Guillerme estime nécessaires pour couvrir<br />

la cathédrale de Chartres, à la même époque, apparaît sans commune mesure 430 .<br />

L’expression employée par l’abbé de Clairvaux est celle de lamina plumbi, un terme<br />

générique que l’on peut traduire par plaque ou table de plomb 431 . À partir du modèle<br />

proposé par Viollet-le-Duc concernant la mise en œuvre et le mode de fixation des<br />

tables de plomb pour couvrir les toitures médiévales, une nouvelle tentative pour<br />

évaluer le don d’Henri II peut être proposée 432 . Selon Viollet-le-Duc, les tables en<br />

424<br />

PR 25 H.II, p. 27 et 30 : £66 13s. 4d. pro C carretatis plumbi liberatis fratri Simoni ad operatione<br />

ecclesie Clarevall’.<br />

425<br />

PR 26 H.II, p. 137 : pro XL carretatis plumbi quas Rex dedit monachis Cysterciencibus.<br />

426<br />

PR 27 H.II p. 65 : pro caretatis plumbi liberatis Reinero ad opus ecclesie de Clarevalle.<br />

427<br />

PR 27 H.II, p. 47 : £23 4s. 8d. in custamento ducendi CCXLI caretatas plumbi ab Everwick usque<br />

Rothomagum quod Rex dedit ecclesie Clarevalle.<br />

428<br />

PR 34 H.II, p. 199 : £33 6s. 8d. pro C carretatis plumbi quas rex dedit monachis de Clarevalle ad<br />

operiendas domos suas.<br />

429<br />

Ibid., p. 219-220, n°177; PL, CLXXXIV, p. 627 ; PL, CCIV, p. 220; KINDER, T. N., « Les églises<br />

médiévales de Clairvaux : probabilité et fiction », dans Histoire de Clairvaux, 1991, p. 205-229, p. 218.<br />

430<br />

GUILLERME, A., « Sur l’histoire du plomb au Moyen Âge », Milieux, 7-8 (1981-1982), p. 58-61.<br />

Toutefois, Paul Benoît a refait les calculs et propose une estimation proche de 115 tonnes. BENOÎT, P.,<br />

« Le fer et le plomb dans les cathédrales gothiques », dans L'homme et la matière: l'emploi du plomb et<br />

du fer dans l'architecture gothique, 2009, p. 51-59.<br />

431 e<br />

Pour une représentation médiévale de ces tables assemblées sur les toitures du XII siècle, voir<br />

également le plan Christchurch à Canterbury du Psautier d’Eadwin, voir SKELTON, R. A. et HARVEY,<br />

P. D. A., Local Maps and Plans from Medieval England, 1986.<br />

432<br />

VIOLLET-LE-DUC, E., « plomberie », dans Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe<br />

au XVe siècle, 1854, p. 209-220. Il élabore ses schémas à partir de l’observation des toitures de la<br />

cathédrale de Chartes, avant l’incendie de 1835. Les tables sont datables selon lui du XIII e siècle. voir<br />

618


plomb coulé étaient d’une épaisseur d’environ 4 mm et d’une longueur pouvant aller<br />

jusqu’à 2,5 m sur 60 cm de large. Elles étaient clouées à la charpente et superposées<br />

verticalement par un système d’agrafes, tandis que leur assemblage latéral se faisait par<br />

un enroulement avec la plaque adjacente, de manière à former un bourrelet de 4 cm de<br />

diamètre environ 433 . De ces données, on peut déduire qu’une plaque de plomb avait une<br />

superficie d’approximativement 1,5 m² et un volume d’environ 6000 cm 3 , soit un poids<br />

d’environ 68 kg. L’emploi du plomb donné par Henri II pour faire des plaques<br />

permettrait alors de réaliser près de 4120 tables de plomb. Une fois posées, ces tables<br />

auraient donc eu une capacité de couverture de plus de 5000 m² 434 .<br />

Cette surface nécessite d’être comparée aux descriptions de l’abbaye. L’une<br />

d’elle, datant de 1517, raconte qu’au début du XVI e siècle :<br />

L’ediffice de ladicte librairie est magnifique et massoné et bien<br />

esclairé […] la couverture est de plomb et sembablement de ladicte<br />

esglise et cloître, et tous les piliers bouttans d’iceux ediffices couverts<br />

de plomb 435 .<br />

Toutefois, si l’on se réfère au plan établi pas Dom Milley en 1708, il semble que<br />

l’auteur appelle « librairie » la salle des archives située dans l’aile orientale du cloître,<br />

car la bibliothèque ne semble pas couverte de plomb, contrairement à la salle des<br />

archives (illustration 6.30) 436 . Selon ces informations, les surfaces couvertes en plomb<br />

dans l’abbaye comprenait quatre espaces : l’église (3000 m²), le cloître (900 m²), les<br />

archives (35 m²) ce qui forme un total – en incluant la pente des toitures, soit 30% de<br />

plus – d’environ 4400 m² (illustration 6.31) 437 . Ce dernier chiffre, tout comme celui de<br />

la surface que peuvent couvrir les quelques 4000 plaques de plomb sont seulement des<br />

estimations. À défaut d’exactitude, on peut admettre que ces deux chiffres ont au moins<br />

également BENOÎT, P., « Le fer et le plomb dans les cathédrales gothiques », dans L'homme et la<br />

matière: l'emploi du plomb et du fer dans l'architecture gothique, 2009, p. 51-59.<br />

433 EPAUD, F., « De la charpente romane à la charpente gothique en Normandie" (2007), p. 129-131 :<br />

montre la permanence des formes des tables et des modes de fixation du XII e au XVIII e siècle.<br />

434 Il faut tenir compte en effet des bourrelet de 4 cm de diamètre, qui sont enroulés sur 6,5 cm environ de<br />

chaque coté de la plaque, ce qui représente donc une superficie effective de 1,25 m² par plaque.<br />

435 ASSIER, A., La bibliothèque de l’amateur champenois vol. 3 : L’abbaye de Clairvaux en 1517 et en<br />

1809 : pièces curieuses publiées avec des notes, 1866, p. 16.<br />

436 Archicoenobii claraevallensis ichnographia, Tabula 3a: ad Meridiem prospectus. F.N. Milley<br />

delineavit. C. Lucas D.S. sculpsit, 1708. Sur ce plan, le réfectoire qui se situe dans le prolongement des<br />

archives semble, lui aussi, couvert de plomb, mais la description de 1517 ne le mentionne pas : est-il<br />

couvert en plomb seulement par la suite ?<br />

437 ARBOIS DE JUBAINVILLE, H. M. et PIGEOTTE, M. L., Étude sur l’état intérieur des abbayes<br />

cisterciennes et particulièrement de Clairvaux aux XIIe et XIIIe siècles, 1858 : la longueur de l’église<br />

était de 106 m sur 54 m de large au transept et de 25 m dans la nef principale, dont la moitié environ pour<br />

les 2 collatéraux.<br />

619


un même ordre de grandeur. Cette coïncidence autorise-t-elle toutefois à les considérer<br />

comme un indice pour restituer les usages de la donation de plomb d’Henri II, sachant<br />

que les quelques tonnes de différence pouvaient aisément être employées à la<br />

fabrication de gouttières, d’ornements pour les parties hautes, de vitraux ou encore<br />

d’adductions d’eau qui demandaient également d’importantes quantités de plomb ?<br />

Comme en témoigne le style emphatique de l’abbé de Clairvaux,<br />

l’impressionnant don de plomb a eu une efficacité réelle dans la réconciliation entre le<br />

roi et l’ordre monastique de Cîteaux. Il n’est donc pas surprenant de voir qu’Henri II<br />

entreprend de reconstruire des liens de confiance avec le monastère de Grandmont,<br />

ordre pour lequel il avait montré jusque-là une affection particulière, avec des dons de<br />

plomb.<br />

Du plomb pour se réconcilier avec Grandmont<br />

En 1172, une lettre rédigée par Guillaume de Treignac, sixième prieur de<br />

Grandmont, mais à l’authenticité contestée, annonçait au roi que ses ouvriers qui<br />

travaillaient à l’église de Grandmont seraient congédiés afin que cesse toute relation de<br />

l’ordre avec un roi meurtrier 438 . Quelle que soit la réalité de cette décision, elle exprime<br />

le trouble pr<strong>of</strong>ond des Grandmontains provoqué par l’assassinat de Becket vis-à-vis de<br />

celui qui a pourtant été décrit par Pierre Bernard, ex generalis de l’ordre, comme<br />

l’homme qui nostras ecclesias fundavit 439 . Pierre Bernard avait joué un rôle éminent<br />

dans les tractations entre Henri II et son archevêque, entre 1164 et 1170, en agissant<br />

principalement comme légat auprès du pape Alexandre III 440 .<br />

L’ordre des Bonshommes de Grandmont, avait été fondé au cœur du Limousin<br />

par Étienne de Muret à la fin du XI e siècle. La piété d’Henri II était caractérisée, selon<br />

ses contemporains, par un penchant pour l’austérité et l’humilité des ordres ascétiques,<br />

tels que celui des Bonshommes 441 . Le rôle d’Henri II et de sa mère dans la construction<br />

438<br />

Litteras CCCXXI Guillelmi de Trahinac, prioris Grandimontis ad Henricus angliae regem dans RHF,<br />

XVI, p. 471. (1171) ; SOUCHAL, G., « Les émaux de Grandmont au XIIe siècle », Bulletin Monumental,<br />

120 (1962-1963-1964), p. 339-537; (121) 41-64; 123-150; 307-329; (123) 1-35; (124) 129-159 ;<br />

LEVESQUE, J. (éd.), Annales ordinis Grandimontis. Nunc primùm editi & in hanc epitomen redacti,<br />

1662, p.135.<br />

439<br />

Ibid., p. 9.<br />

440<br />

Ibid., p. 125-126.<br />

441<br />

HALLAM, E. M., « Henry II, Richard I and the order <strong>of</strong> Grandmont », J.M.H., 1: 2 (1975), p. 165-<br />

186; MARTIN, J. et WALKER, L. E. M., « At the feet <strong>of</strong> St Stephen Muret : Henri II and the order <strong>of</strong><br />

Grandmont revividus», J.M.H., 16 (1990), p. 1-12.<br />

620


de l’abbaye au milieu du XII e siècle est mentionné dans les Annales de l’ordre. Gautier<br />

Map loue ainsi Henri II « si généreux envers eux en matière de charité qu’ils ne sont<br />

nulle part en détresse. Et pourtant l’avarice pointe le doigt vers eux et ne se retient pas<br />

de les toucher… » 442 . De fait, malgré la menace d’expulsion des ouvriers, les<br />

Bonshommes ne peuvent refuser les tonnes de plomb qu’Henri II leur fait parvenir en<br />

1176. À cette date, les pipe rolls enregistrent une dépense de £40 de plomb pour<br />

l’œuvre de la maison de Dieu à Grandmont 443 . Pour transporter ce plomb, deux navires<br />

sont affrétés à Newcastle à destination de la Rochelle 444 . Ce don qui équivaut à 60<br />

carretata de plomb (soit un peu plus de 35 tonnes) 445 est relaté dans les Annales : parmi<br />

les bienfaits d’Henri II, l’auteur raconte qu’il participa avec son fils Richard à<br />

l’achèvement des bâtiments du monastère en faisant transporter « en une seule fois, de<br />

la Rochelle à Grandmont, 80 chariots de plomb, traînés chacun par huit chevaux anglais,<br />

dont les crinières étaient de même couleur » 446 . Chaque chariot portait donc un peu<br />

moins d’un quintal (437 kg). L’utilisation de ce plomb est aussitôt mentionnée par<br />

l’auteur qui rappelle qu’« Henri, avec beaucoup d’éclat, et Richard son fils firent<br />

construire les anciens édifices de Grandmont et s’occupèrent de les couvrir de<br />

plomb » 447 . Parmi ces constructions se trouvaient notamment deux palais qu’Henri II<br />

fait aménager dans le monastère et dont le plomb est déposé vers 1600 448 . S’agissait-il<br />

également des toits de la partie nord de l’église de Grandmont, qui portait le nom<br />

d’« Angleterre » 449 ? Dans la description qu’il propose des bâtiments de l’abbaye avant<br />

442 GAUTHIER MAP, De nugis curialium / Courtiers' trifles, 1983, (c. 27) p. 55 : Noster dominus, id est<br />

rex Henricus secundus, caritatis intuitu [Grandmontanis] est tam pr<strong>of</strong>use munificus ut nusquam egeant<br />

actum, et ad hos ostendit avaritia digitum et a tactu non temperat.<br />

443 LEVESQUE, J. (éd.), Annales ordinis Grandimontis. Nunc primùm editi & in hanc epitomen redacti,<br />

1662, p. 94 ; PR. 21 H.II, p. 141.<br />

444 PR 25 H.II, p. 137 : pro locandis II navibus ad ducendum plumbum quod Rex dedit ecclesie de<br />

Grosmunt a Novo Castello usque ad Rochellam.<br />

445 Dans la mesure où 100 carretata de la même provenance, la même année, valent £66 13s. 4., ces £40<br />

représentent 60 carretata.<br />

446 Ibid., p. 141 : una vice a Rupella in Grandimontem miserit octingentos currus plumbo oneratos porro<br />

quisque currus octo equis Anglicanis, crine coloresque que simillimis vehebatur. GUIBERT, L., Une<br />

page de l'histoire du clergé français au XVIIIe siècle : destruction de l'ordre et de l'abbaye de<br />

Grandmont, 1877, p. 727-728. Il fait une erreur en traduisant octigentos par huit cents.<br />

447 LEVESQUE, J. (éd.), Annales ordinis Grandimontis. Nunc primùm editi & in hanc epitomen redacti,<br />

1662, p. 141-142 : Henricus itaque, et multo spendidus, Ricardus filius eius, reliqua aedificia<br />

Grandimontis construxerunt plumboque operiri curarunt.<br />

448 Ibid., p. 141 : residuum aedificiorum ipsi Regi perficiendum reliquerunt, seque a construenda intra<br />

metas Grandimontis duo palatia converterunt (quorum adhuc supersunt vestigia et nomina) ; p. 96 :<br />

constructae olim fuerunt magnificentissimae aedes, turres, <strong>of</strong>ficiniae Abbatiales plumbo coopertate, …<br />

Henrici et Richardi regum Angliae, qui domos et palatia sua ibidem habeant quorum nunc sola super<br />

sunt vestigia et nomina. Plumbum sublatum est anno 1600 ut ibidem dicetur.<br />

449 SOUCHAL, G., « Les émaux de Grandmont au XIIe siècle », Bulletin Monumental, 120 (1962-1963-<br />

1964), p. 339-537; (121) 41-64; 123-150; 307-329; (123) 1-35; (124) 129-159(1964b); GUIBERT, L.,<br />

621


qu’elle ne soit entièrement reconstruite au XVIII e siècle, l’auteur des Annales signale<br />

également que le cloître possédait une fontaine dont la vasque de plomb était alimentée<br />

depuis une source éloignée du monastère par des canalisation également en plomb 450 .<br />

Malheureusement, aucun vestige de ces canalisations n’a été conservé.<br />

L’impact de ce don résonne encore plusieurs siècles après dans diverses sources<br />

de l’ordre. En témoigne un ancien poème qui distingue Henri II parmi les plus généreux<br />

donateurs de l’ordre, comme le seul à avoir fait « couvrir les toits en plomb » 451 . Il<br />

témoigne ainsi du succès de son patronage et comment il parvient à contrebalancer, dans<br />

la mémoire de ces ordres monastiques, l’image du roi meurtrier et lui substituer celle du<br />

généreux donateur et patron inégalé. Si le lien entre les donations de plomb et la<br />

politique de contrition d’Henri II apparaît nettement dans les sources, comment se fait-il<br />

que ce plomb donné provienne seulement d’Angleterre ? Pourquoi Henri II n’a-t-il pas<br />

choisi d’acquérir du plomb dans des mines continentales plus proches des monastères<br />

de Clairvaux et Grandmont ? L’étude des conditions de la production de plomb au XII e<br />

siècle en Angleterre permet d’apporter quelques éléments de réponse.<br />

2.3.3- Le rôle de la monarchie dans la production de plomb en Angleterre durant la<br />

seconde moitié du XII e siècle<br />

Faire parvenir du plomb depuis les régions les plus septentrionales de<br />

l’Angleterre jusqu’aux monts du Limousin impliquait une logistique de transport<br />

extrêmement coûteuse. Les ressources des mines continentales pour mener à bien ces<br />

donations étaient alors indisponibles ? Rien n’est moins sûr, car si les mines de Melle en<br />

Poitou ne sont plus en activité à cette date, les mines de Mozac en Auvergne ou de<br />

Largentière en Ardèche pouvaient constituer les lieux d’approvisionnement 452 . De<br />

même, il existait des mines de plomb argentifère en Vendée, dans un lieu dit l’Essart à<br />

proximité de la Salle-le-Roi, la aula que Richard Cœur-de-Lion avait construite sur les<br />

Une page de l'histoire du clergé français au XVIIIe siècle : destruction de l'ordre et de l'abbaye de<br />

Grandmont, 1877, p. 728.<br />

450 LEVESQUE, J. (éd.), Annales ordinis Grandimontis. Nunc primùm editi & in hanc epitomen redacti,<br />

1662, p. 96 : Claustrum valde oblongum concameratum remansit, cum Capitulo, cuius nuper subsellia de<br />

novo fabricata fuere, in ipso Claustro fons in cratere plumbeo a remota scaturigine aquam per plumbeos<br />

canales adductam haurit, etc.<br />

451 Ibid., p. 141 : Henricus, nulli regum pietate secundus plumbea tecta locans, ius dedit atque solum.<br />

452 FILLON, B. M., « Un atelier monétaire de Richard Cœur de Lion », dans Poitou et Vendée: études<br />

historiques et artistiques, 1887, p. 16-18 ; TEREYGEOL, F., « Les mines d’argent carolingiennes de<br />

Melle », doctorat non publiée, <strong>Paris</strong> 1, 2001 ; BAILLY-MAÎTRE, M., L'argent. Du minerai au pouvoir<br />

dans la France médiévale, 2002 ; TEREYGEOL, F., « Aux sources des matériaux: les mines de plomb »,<br />

dans L'homme et la matière: l'emploi du plomb et du fer dans l'architecture gothique, 2009, p. 83-92.<br />

622


étangs de l’abbaye d’Orbestier (voir chapitre 2) 453 . En réalité, on ne peut comprendre<br />

ces donations que si on les replace dans le contexte des réformes monétaires d’Henri II<br />

et de la réorganisation de la production de plomb dans les domaines de la Couronne<br />

anglaise dans le dernier quart du XII e siècle.<br />

Le système d’exploitation des mines d’argent anglaises<br />

Au Moyen Âge, la production de plomb, comme celle du cuivre, était<br />

étroitement liée à la production d’argent. En Angleterre, au XII e siècle, ces métaux<br />

étaient extraits principalement de la galène argentifère, dont l’exploitation était<br />

étroitement contrôlée par le pouvoir royal en vertu de droits hérités de la monarchie<br />

anglo-saxonne 454 . L’existence de mines de plomb argentifère en Angleterre était connue<br />

depuis l’antiquité et semble n’avoir jamais cessé dans certaines régions. Ainsi dans le<br />

Swaldale, toujours exploitée au moment où Bède le Vénérable relate l’histoire (vers<br />

672) de marchands de passage à Catterick pour acheter du plomb aux mineurs 455 .<br />

Le droit régalien de monopole sur les minerais du royaume était alors distinct de<br />

la possession de la terre et du droit de travailler les minerais qui était généralement<br />

détenu par des communautés de mineurs. Ce droit de régale, issu du monopole de la<br />

frappe de monnaie, comporte des similarités avec le droit minier carolingien qui connaît<br />

un nouvel essor à partir du XI e siècle, en relation avec la croissance des mines dans<br />

l’Empire Romain Germanique, et la résurgence du droit romain 456 . L’affaiblissement<br />

des pouvoirs centraux n’avait cependant pu empêcher la dissémination de ce droit en<br />

multiples concessions, comme c’est le cas, par exemple, des minaria de Weredala que<br />

le roi Étienne de Blois donne à Hugues du Puiset, évêque de Durham en 1135, et<br />

qu’Henri II lui confirme à son avènement 457 . L’exploitation de ces mines n’était donc<br />

que rarement prise en charge directement par la monarchie qui préférait affermer le<br />

453 Exploitée par les romains, ces mines étaient vraisemblablement la principale ressource des seigneurs<br />

de Talmont, dont le château fut confisqué par Richard en 1182, avant de retrourner aux mains de Savary<br />

de Mauléon en 1200.<br />

454 CLAUGHTON, P., « Mining law in England and Wales: understanding boundaries in the landscape »,<br />

dans Sfruttamento tutela e valorizzazione del territorio dal diritto romano alla regolamentazione europea<br />

e internazionale, 2007, p. 303-317, p. 303-17.<br />

455 FAWCETT, E. R., Lead Mining in Swaledale, 1985.p. 4-5. (épisode daté de 672)<br />

456 NEF, J. U., « Mining and metallurgy in medieval civilisation », dans Cambridge Economic History <strong>of</strong><br />

Europe III, Trade and Industry in the Middle Age, 1987, p. 706-717, p. 706-707, 717. Droit présent dans<br />

le code Justinien et le décret de Gratien ; V.C.H. Gloucestershire 1907, II, p.220 Le contenu des volumes<br />

est en ligne sur le site : www.victoriacountyhistory.ac.uk.<br />

457 BLANCHARD, I. W., Mining, Metallurgy and Minting in the Middle Ages. Vol. 2: Afro-European<br />

Supremacy, 1125-1225, 2001, p. 583; V.C.H., Durham, II, p. 348, les sites d’extraction se trouvaient à<br />

Bookhope et Stanhope.<br />

623


prélèvement de ses droits. Les fermiers devaient alors en rendre compte annuellement à<br />

l’Échiquier, ce qui permet de suivre l’évolution de leur dette au travers des pipe rolls 458 .<br />

Si le rôle du fermier des mines était centré sur l’organisation de la production, il semble<br />

également avoir été proche de celui des baillis. Cette charge incluait le droit de rendre la<br />

justice selon la juridiction propre aux mineurs, réglementée par des coutumes et dont la<br />

mise à l’écrit ne s’effectue qu’à la fin du XIII e siècle lors des inquisitiones quo warranto<br />

lancées par Edward I er 459 .<br />

La principale ferme est celle des « mines de Carlisle ». Elle regroupait plusieurs<br />

sites d’extraction, tous rattachés à la Monnaie de Carlisle, et les principaux gisements<br />

étaient situés à la frontière du Cumberland et du Northumberland 460 . À partir de 1163,<br />

leur extension juridictionnelle comprend également Yorkshire, comme le suggère la<br />

ferme des mines Carlisle, qui enregistre £20 supplémentaires de minaria de<br />

Everwiscira 461 . Des lettres de protection qu’Henri III accorde, en 1223, aux « mineurs<br />

royaux dépendants du bailliage des mines du Cumberland » incluent également ceux du<br />

Northumberland et du Yorkshire 462 . Les principaux sites en activité dans la seconde<br />

moitié du XII e siècle se situaient certainement autour d’Alston (Aldeneston), dont les<br />

mineurs reçoivent en 1234 des lettres de protection royale, leur assurant immunités et<br />

privilèges 463 . Les fouilles archéologiques de quelques sites d’extraction du plomb datant<br />

du XIII e siècle ont montré qu’ils étaient généralement loin des habitations, à proximité<br />

des forêts et des lieux où gisent les minerais et des sources d’approvisionnement, en<br />

bois, en eau et en vent 464 .<br />

458<br />

Je partage l’avis de Peter Claughton sur le fait qu’il s’agit bien d’un affermage des droits sur les mines<br />

et non des mines elles-mêmes. CLAUGHTON, P., « Mining law in England and Wales: understanding<br />

boundaries in the landscape », dans Sfruttamento tutela e valorizzazione del territorio dal diritto romano<br />

alla regolamentazione europea e internazionale, 2007, p. 303-317. Les fermiers avaient d’ailleurs<br />

vraisemblablement déjà des charges judiciaires conférées par les coutumes de mineurs. Cependant, la<br />

mise par écrit des coutumes des mineurs n’est effectuée qu’à la fin du XIII e siècle, lors des inquisitiones<br />

quo warranto lancées par Edward I er . Il est donc difficile de savoir si elles existaient sous cette même<br />

forme à la fin du XII e siècle, étant donnée l’évolution de la production minière au cours de ce siècle.<br />

459<br />

V.C.H., Yorkshire, II, p.351.<br />

460<br />

FERGUSSON, R., History <strong>of</strong> Cumberland, 1890, p.145.<br />

461<br />

PR. 9 H.II. p. 10.<br />

462<br />

MAXWELL-LYTE, H. C. et BLACK, J. G., Calendar <strong>of</strong> the Patent Rolls preserved in the Public<br />

Record Office, 1901, I (1216-1225), p. 366. [1223]. De Protectione minitores domini Regis de comitatu<br />

Ebroaci et Northumberande pertinentes ad bailliam minerie de comitatu Cumberlande habent litteras de<br />

protectio usque ad etatem domini regis. Teste H. etc. apud Huntindun, xvi Feburario anno vii, per<br />

eundem.<br />

463<br />

Ibid., III, [1234] p. 7 : pro minitoribus de Aldeneston. Henricus Dei gratia rex Angliae &c. omnibus<br />

ballivis et fidelibus suis as quos presentes litterae pervenerint. Salutem. Sciatis quod sucepimus in<br />

protectionem et defensionem nostram minitores nostros de Aldeneston …<br />

464<br />

BEVAN, B., « Medieval leads : archaeological excavation and conservation <strong>of</strong> a lead working site,<br />

Howden Clough, Bradfield, South Yorkshire », Transactions <strong>of</strong> the Hunter Archaeological Society, 20<br />

624


Si l’on en croit le récit de Robert de Torigni, l’essor des mines du<br />

Northumberland ne semble pas être antérieur à l’année 1133. Il raconte alors que les<br />

fabuleuses découvertes d’argent aux marges septentrionales du royaume étaient<br />

capables de produire £500 annuellement 465 . Mais entre 1135 et 1157, la région passe<br />

sous la domination du roi d’Écosse, avant de retourner dans les domaines anglais,<br />

lorsque Henri II défait Malcolm IV (1154-1165) à Carlisle, en 1157. Le changement de<br />

domination n’entraîne pas de rupture puisqu’à partir de 1158, lors de la frappe de la<br />

nouvelle monnaie, la ferme des mines de Carlisle est attribuée à William fils<br />

d’Erkembald (ou FitzErembald) qui frappait déjà la monnaie à Carlisle pour David I er<br />

d’Écosse 466 . Il rend désormais compte à l’Échiquier de 100 marcs d’argent, qui<br />

deviennent £100 l’année suivante. En 1164, la ferme passe à £200 annuelles et en 1166<br />

à 500 marcs 467 , équivalent au revenu « de deux mines » 468 .<br />

Toutefois, cet essor doit être regardé essentiellement comme le fruit des<br />

difficultés rencontrées par les fermiers pour s’acquitter de leur ferme. En 1170, par<br />

exemple, le shérif du Northumberland, William de Vesci, reçoit 65 marcs pour se<br />

procurer le « plomb du roi », mais il lui faut six ans pour être quitte devant l’Échiquier,<br />

sans parvenir à remplir entièrement sa mission. Un tel délai pose la question de la<br />

solvabilité des mines de Carlisle à cette date 469 . On s’aperçoit en effet que dès 1167,<br />

lorsque William d’Erkembald reprend la ferme des mines (affermées entre temps à<br />

William Holdegar), il entre dans un processus d’accumulation de dettes qu’il ne<br />

parviendra jamais à éponger. Il cesse presque tout paiement à l’Échiquier à partir de<br />

1176 et ses arriérés enflent jusqu’en 1191 – date probable de son décès – où ils<br />

atteignent alors le montant de £2154 13s. 4d. Son report figure dans les rolls du<br />

Northumberland tout au long du XIII e siècle !<br />

Plusieurs facteurs permettent d’expliquer la faillite du fermier des mines de<br />

Carlisle. En premier lieu, la révolte du roi d’Écosse Guillaume le Lion (1165-1214) dont<br />

l’armée dévaste la région en 1173 et 1174 provoquant de sérieux dommages dans les<br />

(1999), p. 31-51, p. 37. L’introduction, depuis plusieurs années, des nouvelles techniques de prospection a<br />

orienté, les recherches archéologiques vers l’analyse des paysages des mines de plomb. ROE, M., « Lead<br />

mining archaeology in the Yorkshire Dales », Landscapes, 4: 1 (2003), p. 65-78.<br />

465 TORIGNI, I, p. 192 : Hoc etiam tempore, vena argentia reperta fuerat apud Carluil ; unde<br />

investigatores qui eam in visceribus terrae quaerebant, quingentas libras regi Henrico annuatim<br />

persolvebant.<br />

466. DOHERTY, H., « Robert de Vaux and Roger de Stuteville, sheriffs <strong>of</strong> Cumberland and<br />

Northumberland, 1170-1185 », dans A.N.S., 2005, p. 65-102, p. 65-102, voir notamment p. 97.<br />

467 Soit £333 13s. 4d.<br />

468 PR 4. H.II., p. 120, et 5 H.II, p. 33 ; 10 H.II., p. 2 ; 12 H.II. p. 89.<br />

469 PR16 H.II, p. 49 ; 22 H. II, p. 138.<br />

625


mines et l’arrêt temporaire de la production 470 . En 1176, cependant l’activité semble<br />

avoir repris puisque William d’Erkembald est à nouveau capable de fournir £40 de<br />

plomb, et trois ans plus tard 100 carretata 471 . Mais le taux d’affermage paraît de moins<br />

en moins adapté à la production réelle des mines. Remarquant que les difficultés du<br />

fermier des mines apparaissent dès les années 1160, Peter Claughton propose un autre<br />

facteur d’explication plus structurel : l’appauvrissement de la galène argentifère dans le<br />

dernier tiers du XII e siècle. Selon lui, la production de plomb des années 1180 suggère<br />

en effet que les minerais extraits contenaient un taux d’argent moins important qu’au<br />

milieu du siècle où il était à 42 once (soit 1,20 kg) par tonne 472 . Cet appauvrissement<br />

peut s’expliquer par la raréfaction des minerais de surface, généralement plus riches en<br />

argent, grâce au phénomène d’oxydation produit par l’érosion. Jusqu’alors, les minerais<br />

se récoltaient facilement à la surface des veines qui traversaient les roches carbonifères<br />

des Pennines 473 . Ces veines étaient parcourues de fissures souvent fermées, presque<br />

verticales, mais avec une grande extension latérale, courant sur plusieurs kilomètres.<br />

L’exploitation des minerais en pr<strong>of</strong>ondeur, qui ne dépasse pas sept mètres avant le XVI e<br />

siècle, aurait impliqué le développement d’infrastructures plus coûteuses alors que la<br />

production reposait de moins en moins sur l’extraction d’argent. Malgré l’essor, à cette<br />

époque, de nouvelles techniques de fonte en fûts (« bole »), plus adaptées à l’extraction<br />

des minerais à faible taux d’argent 474 , la vente des produits des mines ne permettait pas<br />

d’atteindre le montant fixe de la ferme. La réponse du pouvoir à cette crise est la<br />

restructuration de l’exploitation des mines en 1181.<br />

À cette date, la ferme des « mines de Carlisle » est en effet redistribuée entre<br />

William d’Erkembald qui n’en détient plus qu’un quart, Richard de Logis et son frère<br />

Humfrey qui en possèdent un autre quart, Richard de Edmodeshall, Adam neveu de<br />

Rolin et Henri le Estreis qui en rendent compte pour une moitié jusqu’en 1185, date à<br />

470 BLANCHARD, I. W., Mining, Metallurgy and Minting in the Middle Ages. Vol. 2: Afro-European<br />

Supremacy, 1125-1225, 2001 ; JORDAN FANTOSME, Chronicle, 1987, p. 603-605, cite JORDAN<br />

FANTOSME, Chronicle <strong>of</strong> the War Between the English and the Scots in 1173 and 1174, 1840, p. 226-<br />

274, et propose une carte des raids montrant que le complexe miniers du Northumberland se trouve au<br />

cœur de la trajectoire de l’armée écossaise (p. 604).<br />

471 PR. 22. H.II., p. 141 ; 25 H.II, p. 30.<br />

472 CLAUGHTON, P., « Silver Mining in England and Wales 1066-1500 », unpublished, PhD, Exeter,<br />

2003, p. 102; CLAUGHTON, P., « Production and Economic Impact: Northern Pennine (English) Silver<br />

in the 12th Century », dans Proceedings <strong>of</strong> the 6th International Mining History Congress, 2003, p. 146-<br />

149.<br />

473 RAISTRICK, A. et JENNINGS, B., A History <strong>of</strong> lead Mining in the Pennines, 1965, p. xiv.<br />

474 BLANCHARD, I. W., « Lead mining and smelting in medieval England and Wales », dans Medieval<br />

Industry, 1981, p. 72-85, p. 72-85.<br />

626


laquelle les dettes de ces deux derniers sont reprises par Robert de Vaux 475 . Cette<br />

redistribution accompagne l’inclusion dans la ferme de nouvelles mines situées dans le<br />

Yorkshire, qui fournissent, dès 1181, 235 carretata de plomb au roi 476 . Le basculement<br />

du centre de production des mines dans le Yorkshire est confirmé par le pipe roll de<br />

1183 qui intitule la ferme : « mines de Carlisle qui n’ont pas leur sites en<br />

Northumberland et Cumberland » 477 .<br />

Les quantités considérables obtenues en 1181 sont donc probablement extraites<br />

des nombreux sites qui s’étendent dans les vallées méridionales des Pennines et dont le<br />

centre principal est le manoir de Grinton, situé dans le Swaledale, à proximité du<br />

château de Richmond 478 . Les mines de Grinton sont vraisemblablement des mines<br />

argentifères, bien que le roi n’y possède aucun droit, une situation qui peut s’expliquer<br />

par leur concession dès l’époque de Guillaume le Conquérant au duc Alan de Bretagne,<br />

dont la seigneurie s’étendait sur tout l’honneur de Richmond. Or, c’est précisément en<br />

1181 que l’honneur de Richmond entre dans les domaines royaux. En réalité, Henri II<br />

prend possession des terres du duc Conan IV dès 1166, lorsque ce dernier abdique en sa<br />

faveur. À la mort de Conan en 1171, Henri II conserve l’honneur de Richmond, en tant<br />

que tuteur de Constance, l’héritière du duché de Bretagne. Puis, en 1181, il décide de le<br />

soustraire de sa dot lorsqu’elle épouse Ge<strong>of</strong>froi, le troisième de ses fils 479 . L’honneur<br />

devient alors partie intégrante des domaines de la Couronne jusqu’en 1189, date à<br />

laquelle Richard le restitue au fils de Constance, Arthur. L’application des droits<br />

régaliens sur ces mines pendant cette courte période explique la lettre royale de 1219,<br />

confirmant aux mineurs Grinton « la protection royale et restaurant les conditions de<br />

travail dont ils jouissaient sous Henri II » 480 .<br />

La réorganisation de la ferme des mines en 1181 correspond donc à l’insertion<br />

de l’honneur de Richmond dans les domaines de la Couronne et à la prise en charge des<br />

475<br />

PR 31 H.II, p. 188 : de debito Ade nepotis Roelin et Henrici le Estreis de minaria Carleolii quod<br />

annotatur in rotulo XXIX anni. Il s’agit de la ferme des mines enregistrées dans les rouleaux pour la 29 e<br />

année, autrement dit, celles qui ont été concédée dès 1156, à savoir celles de William d’Erkembald.<br />

476<br />

voir infra.<br />

477<br />

PR 28 H.II, p. 61 ; 28 H.II, p. 99 : minaria Charleolii qua non erat ei locus in Northumerland neque in<br />

Cumberland.<br />

478<br />

RAISTRICK, A., The Lead Industry <strong>of</strong> Wensleydale and Swaledale, I, The Mines, 1975, p. 18 :<br />

« Grinton included all upper Swaledale and much <strong>of</strong> Arkengarthdale at that time and these were almost<br />

certainly the mines which had provided lead for Waltham and Windsor ».<br />

479<br />

EVERARD, J. A., Brittany and the Angevins : Province and Empire, 1158-1203, 2000, p. 35;<br />

EVERARD, J. A., « Les îles normandes en 1204: le rôle décisif de l'aristocratie normande », dans 1204,<br />

la Normandie entre Plantagenêts et Capétiens, 2007, p. 215-225.<br />

480<br />

RAISTRICK, A., Lead Mining in the Yorkshire Dales, 1981, p. 14; MAXWELL-LYTE, H. C. et<br />

BLACK, J. G., Calendar <strong>of</strong> the Patent Rolls preserved in the Public Record Office, 1901, I, p. 339 et 366.<br />

627


mines par les fermiers royaux 481 . Le droit féodal alors en vigueur, stipulait en effet<br />

qu’un honneur confisqué ne pouvait être ni aliéné ni dispersé 482 . Cette règle expliquerait<br />

pourquoi Henri II attend 1181, date de l’acquisition définitive de l’honneur, pour<br />

pouvoir intégrer entièrement les fermes des mines à ses revenus. Les quantités de plomb<br />

acquises à cette date (près de 235 carretata) pourraient donc bien être le résultat d’une<br />

accumulation depuis 1171, voire 1166. Le graphique des acquisitions de plomb<br />

enregistrées dans les pipe rolls (tableau 6.32) témoigne de l’augmentation extraordinaire<br />

des années 1181-1185 dans le Yorkshire. De fait, en 1182, lorsque Henri II retourne en<br />

Normandie pour négocier la paix avec Philippe Auguste et le comte de Flandres, il a,<br />

selon Robert de Torigni, les poches pleines d’argent 483 ! La forte production d’argent de<br />

ces années sert donc non seulement à alimenter les œuvres pieuses d’Henri II, mais<br />

participe aussi à l’achat la paix et la stabilité de la frontière franco-normande.<br />

La forte production du Shropshire – principalement destinée à Amesbury –<br />

qu’illustre ce graphique, rappelle néanmoins que la possession de l’honneur de<br />

Richmond ne saurait être la seule explication à ces acquisitions massives. Il convient de<br />

faire le lien entre celles-ci et la réforme monétaire d’Henri II. En 1180, Henri II<br />

entreprend en effet de frapper une nouvelle monnaie, dite Short Cross, une décision qui<br />

impliquait de nouvelles ressources d’argent. Au total, Peter Claughton estime que près<br />

de 26 tonnes d’argent ont pu être produites par les mines du nord de l’Angleterre entre<br />

1158 et 1200, ce qui équivaut à un total de £75 000 en nouvelle monnaie 484 . La réforme<br />

instaurait également une centralisation des changes du royaume, au pr<strong>of</strong>it de celui<br />

d’York et aux dépens de ceux de Carlisle et Newcastle-upon-Tyne 485 . La réforme<br />

mettait également fin au système d’affermage des mines faisant des changeurs des<br />

« salariés » de la Couronne, uniquement chargés du contrôle de la production de la<br />

monnaie 486 . Si Martin Allen pense que la frappe de la nouvelle monnaie a été le point de<br />

départ de l’augmentation de la production des mines, on pourrait tout aussi bien<br />

renverser l’hypothèse et suggérer que la possession temporaire des mines de Richmond<br />

481 PR 27 H.II, p. 64.<br />

482 DOWNER, L. J. (éd.), Leges Henrici primi, 1972, p. 197, 61, 13b.<br />

483 TORIGNI, II, p. 113 : Rex Henricus senior mense marcio transfretavit in Normanniam cum manga<br />

auri et argenti copia, paratus in adjutorium Regis Franciae ad componendam pacem inter ipsum et<br />

comitem Flandriae, sicut et fecit.<br />

484 CLAUGHTON, P., « Production and Economic Impact: Northern Pennine (English) Silver in the 12th<br />

Century », dans Proceedings <strong>of</strong> the 6th International Mining History Congress, 2003, p. 146-149.<br />

485 DOHERTY, H., « Robert de Vaux and Roger de Stuteville, Sheriffs <strong>of</strong> Cumberland and<br />

Northumberland, 1170-1185 », dans A.N.S., 2005, p. 65-102, p. 98; ALLEN, M., « Henry II and the<br />

English Coinage », dans Henry II : New Interpretations, 2007, p. 257-277.<br />

486 Ibid. : remarque cependant que les salaires des changeurs disparaissent après 1182.<br />

628


a pu susciter l’opportunité d’une réforme monétaire. La réorganisation puis la cession<br />

des mines du Yorkshire tend à confirmer le lien étroit entre leur exploitation intensive et<br />

la politique monétaire du roi. En 1184 et 1185, en effet, alors qu’ils avaient déjà presque<br />

un an d’arriérés à payer, Walter de Carlisle, Richard de Logis et Humfrey, son frère,<br />

rendent compte non pas de la firma minarie mais des revenus des mines (exitu minarie)<br />

de Carlisle en tant que gardiens 487 . Autrement dit, les mines sont, au cours de ces deux<br />

années, exploitées directement par les <strong>of</strong>ficiers royaux. En 1186, les shérifs du<br />

Northumberland et du Cumberland, Robert de Vaux et Roger de Stuteville sont chargés<br />

de liquider les dettes des fermiers et en 1187, Ranulf de Glanvill, l’administrateur de<br />

l’honneur de Richmond, rend compte de la vente des mines du Yorkshire 488 .<br />

Les mines de Carlisle ont été le principal lieu d’approvisionnement de la<br />

royauté, au cours des années 1170-80, mais d’autres sites ont également fourni de<br />

l’argent et du plomb au roi. En novembre 1181, à la mort de l’archevêque d’York les<br />

mines d’argent qui se trouvaient sur les terres de l’archevêché dans le Northumberland<br />

entrent également dans les domaines royaux. Pendant tout ce temps de vacance,<br />

jusqu’en 1189, les revenus du diocèse passent donc aux mains du roi, et en particulier<br />

les mines dont il tire 100 carretata qui partent du port de Yarm en 1182 489 . Entre 1189<br />

et 1193, cependant, une partie des mines du Northumberland, inclue dans les mines de<br />

Carlisle, passe aux mains de l’évêché de Durham, avant de revenir temporairement aux<br />

mains du roi lors de la vacance de l’évêché en 1195-96, après la mort de Hugues de<br />

Puiset. Les revenus baronniaux de l’honneur de Durham sont alors rendus à l’Échiquier<br />

par Gilbert FitzReinfred et Richard Briewerre, qui ont la charge des pr<strong>of</strong>its des mines et<br />

du change de Durham (de pr<strong>of</strong>iscuo minarie et cambii) et de ceux du plomb vendu (de<br />

pr<strong>of</strong>iscuo plumbi empti) pour £174 et 3d. et £40 respectivement 490 . De ces comptes, sont<br />

déduits £27 11s. 10d. pour acheter du plomb afin d’en faire les pr<strong>of</strong>its du roi (in<br />

emptione plumbi ad faciendum pr<strong>of</strong>icuum regis), autrement dit pour le transformer en<br />

monnaie royale. Puis, de la mort de Philippe de Poitou (1208) et jusqu’en 1211, £539<br />

12s. 7d. des revenus des mines de l’évêché reviennent à nouveau à la Couronne, mais ce<br />

487<br />

PR 30 H.II, p. 43 : exitu minarie Carolii de hoc anno ut custodes.<br />

488<br />

PR 31 H.II, p. 188 ; 33 H.II., p. 83 : Randulf de Glanville rend compte de £6 de mina plumbi in<br />

Richmindescira vendita.<br />

489<br />

PR 28 H.II, p. 57, 47 : pro conducendis navibus a Jarun [Yarm] usque Londonie ad deferendum LXXV<br />

plumbi as predictam operationem.<br />

490 PR 8 Richard, p. 261.<br />

629


plomb sert alors moins à approvisionner les chantiers royaux qu’à régler les dettes de<br />

Jean 491 .<br />

Le graphique montre qu’Henri II s’est également largement approvisionné en<br />

plomb dans le Derbyshire et du Shropshire. Comment l’exploitation de ces mines a-t-<br />

elle permis à la Couronne d’obtenir ces quantités de plomb entre 1165 et 1185 ?<br />

Les mines du Derbyshire : l’exploitation des terres confisquées<br />

En 1086, le Domesday Book enregistre dans le Low Peak district (Derbyshire)<br />

cinq manoirs royaux où se trouvent sept plumbaria, dont cinq sont concédées à William<br />

Peverel pour seulement £10 et 6 sous 492 . Puis, dans les pipe rolls du Derbyshire de 1156<br />

à 1158, il est à nouveau question de minaria plumbi dans les comptes de l’honneur de<br />

William Peverel – qu’Henri II avait confisqué au baron accusé de trahison. L’honneur<br />

(et ses mines) sont alors confiés au shérif du Derbyshire. Mais en 1156 et 1157, leur état<br />

de délabrement – qu’indique le terme defectu – se traduit par l’abattement de £18 sur la<br />

ferme du shérif. En 1158, les £18 sont versées à Guillaume Erkembald (le fermier des<br />

mines de Carlisle) ce qui suggère qu’il est alors chargé de leur remise en route. La<br />

disparition de ce même Guillaume des rolls du Northumberland jusqu’en 1167<br />

s’expliquerait donc par son arrivée dans le Derbyshire. Le redémarrage de ces mines se<br />

traduit par la production, dès 1164, de £10 de plomb à destination des œuvres royales 493 .<br />

Par la suite, les acquisitions de plomb par l’intermédiaire du shérif du Derbyshire sont<br />

effectuées en dehors de la ferme de l’honneur de Peverel ; ce détail suggère l’ouverture<br />

de nouvelles mines dans les domaines royaux, ce que confirme la mention des « mines<br />

de Peak », dans le pipe roll de 1172, pour lesquelles le shérif doit rendre compte de 40<br />

sous 494 . L’ouverture de ces mines dans le High Peak district <strong>of</strong>fre une production<br />

substantielle, puisqu’aux alentours de 1180, 140 carretata de plomb sont envoyées du<br />

Derbyshire vers les chantiers royaux 495 .<br />

À partir des années 1190, la découverte de minerais argentifères permet à Jean<br />

Buche de rendre compte de 50 marcs en 1195 pour tenir la ferme royale des mines du<br />

491<br />

PR 13 Jean, p. 38, 41. : Willelmo Angliaco XXXIII carretatis [plumbi] et dimisio et VIII frustra pro LX<br />

marcarum quas Regis ei debuit pro vinis.<br />

492<br />

V.C.H. Derbyshire, II, p. 323. Alors qu’elles valaient £30 et cinq carretata de plomb au temps de<br />

Edward le Confesseur. Cette diminution est très certainement liée à la raréfaction des minerais<br />

argentifères.<br />

493<br />

PR 10 H.II, p. 15.<br />

494<br />

PR 18 H.II, p. 8 : Wilelmus filius Radulfi [le nouveau shérif] reddidit compotum de XL s. de minarie<br />

de Pech de hoc anno, in thesauro liberavit et quiet.<br />

495<br />

PR 26 H.II, p. 137.<br />

630


wapentake de Bakewell 496 mais le rouleau de 1197 indique qu’il tient cette ferme depuis<br />

déjà sept ans 497 . Sous le règne de Richard et Jean, il est plus particulièrement question<br />

de l’ouverture de la mine de Tideslaw dans la forêt de Peak, dont la ferme royale s’élève<br />

à £2 et 10s. en 1216 498 et probablement aussi celle de High Rakes, les deux seules mines<br />

sur lesquelles s’exercent des droits régaliens sous le règne de Jean 499 . En 1199, le point<br />

paroxystique de l’évolution de la production de plomb dans le Derbyshire depuis le<br />

dernier tiers du XII e siècle semble avoir été atteint : cette année-là un maximum est<br />

produit (environ 3000 carretata de minerais de plomb) alors qu’en 1216, il n’y en a plus<br />

que 550 500 . L’effondrement de la production de plomb du Derbyshire s’accompagne de<br />

la disparition des fermes d’exploitation, témoignant du problème que posait la taxation<br />

de la production de plomb par le système d’affermage. Peu après, on voit se mettre en<br />

place une législation sur le statut des mineurs et la constitution d’un « King’s Field » du<br />

Derbyshire 501 . En 1237, les annales de Burton racontent qu’à la suite d’une pétition, le<br />

roi décide d’accorder sa protection aux mineurs quand ils creusaient sur les terres de<br />

l’Église contre la volonté du clergé. En échange de cette protection, les mineurs étaient<br />

redevables du King’s dish ou King’s ore, reconnu par la suite par les coutumes établies<br />

lors de l’enquête quo warranto de 1288, tenue à Ashbourne, dans le Derbyshire 502 .<br />

Les mines du Shropshire : des exploitations éphémères<br />

La découverte et l’ouverture de nouvelles mines semblent constituer un<br />

phénomène important en Angleterre à partir de la fin des années 1160. Lors de son<br />

voyage en Pays de Galles, en 1188, Giraud de Barri décrit ainsi des hommes en train de<br />

chercher de l’argent jusque « dans les entrailles même de la terre » près de<br />

496<br />

PR 7 R.I., p. 21 : pro habendis minariis de dominiis domini regis in Blakewell wapentaco hoc anno ad<br />

firmam.<br />

497<br />

PR 9 R.I, p. 148 : pro habenda minaria de dominis domini regis in Blakewelle wapentaco de anno VII.<br />

498<br />

V.C.H., Derbyshire, II, p.324-5, citant les Duchy <strong>of</strong> Lancaster Forest Proceedings, bdle. I, n°3.<br />

499<br />

BLANCHARD, I. W., « Lead mining and smelting in medieval England and Wales », dans Medieval<br />

Industry, 1981, p. 72-85 note 34.<br />

500<br />

Ibid.<br />

501 e<br />

V.C.H., Derbyshire, II, p. 323, dénomination du XIII siècle.<br />

502<br />

NEF, J. U., « Mining and metallurgy in medieval civilisation », dans Cambridge Economic History <strong>of</strong><br />

Europe III, Trade and Industry in the Middle Age, 1987, p. 706-717, p. 93. L’organisation juridique des<br />

mines du Derbyshire reposait sur la cour du Hundred dont une session spéciale, le berghmote était<br />

chargée de régler les conflits propres aux coutumes des mineurs. C’est seulement par la suite que la cour<br />

de la Loi de la Forêt s’impose comme la juridiction principale régissant le droit des mines. Voir aussi<br />

BLANCHARD, I. W., Mining, Metallurgy and Minting in the Middle Ages. Vol. 2: Afro-European<br />

Supremacy, 1125-1225, 2001, p. 803.<br />

631


Basingwerk 503 . Dans le pipe roll de 1167, il est également question de « plomb trouvé<br />

sous la terre », pour lequel Wilechin le changeur de Newcastle doit payer au roi 30<br />

marcs pour son exploitation 504 . En pays de Galles, l’exploitation de plusieurs mines<br />

permet notamment à la Couronne de disposer d’importantes quantités de plomb.<br />

Situées à une distance d’environ 20 km au sud de Shrewsbury, les mines de<br />

Shelve constituent un centre d’approvisionnement royal important bien qu’éphémère 505 .<br />

Ces mines entrent dans les domaines royaux lorsque Henri II confisque l’honneur de<br />

Roger Corbet, dans le contexte de remise en ordre des premières années de son règne 506 .<br />

Inclues dans les forêts royales de Tenefrestane et de Stiperstone, elles semblent<br />

inexploitées jusqu’en 1179, date à laquelle elles sont concédées à Nicholas Poncier pour<br />

£55 507 . En 1180, alors que la réforme monétaire se met en place, Henri II confie le<br />

produit des mines au shérif du Shropshire. Celui-ci rend alors compte à l’Échiquier des<br />

ventes « du plomb du roi » qui rapportent £55 en 1180 et 1181 508 . En 1181, le shérif<br />

prend également en charge la ferme des revenus des mines d’argent dont il verse 40<br />

marcs (£26 13s. 4d.) à l’Échiquier 509 . Les pipe rolls montre qu’il s’acquitte d’une<br />

grande partie de sa ferme en nature en livrant plusieurs chargements de plomb qu’il<br />

envoie de Shrewsbury vers Gloucester à destination d’Amesbury. Puis, en 1182, la<br />

ferme des mines de Shelve disparaît de ses comptes, signifiant l’abandon de l’affermage<br />

comme moyen de mise en exploitation par la Couronne, mais non l’arrêt de la<br />

production, puisque des chargements sont envoyés aux œuvres royales jusqu’en 1185.<br />

Le 24 janvier 1190, une charte de la chancellerie de Richard, « restaure et confirme » à<br />

Robert Corbet toute la forêt de Tenefrestane et ses dépendances, y compris les mines, en<br />

tant que partie de l’honneur de sa baronnie 510 .<br />

Peu après, des mines d’argent à Carregh<strong>of</strong>a (Carreghwfa) à Llanymynech dans<br />

le Shropshire sont à nouveau aux mains des Plantagenêt pour alimenter la Monnaie de<br />

Shrewsbury 511 . Cette région avait été exploitée dès l’époque romaine. En 1163, un<br />

503<br />

GIRAUD DE BARRI, Opera. 6, Itinerarium Kambriae et descriptio Kambriae, 1861-1891, p. 137 :<br />

iter contienti aggressi sumus; et per divitem venam frutuosumque argenti scrutinium, ubi petitima<br />

scrutando “ itum est in viscea terrae” transeuntes. Giraud fait sans doute référence aux mines de plomb,<br />

d’argent et de zinc de Halkin Mountain.<br />

504<br />

PR 13 H.II, p. 75 : pro plumbo inveto sub terra.<br />

505<br />

BROOK, F. et ALLBUTT, M., The Shropshire Lead Mines, 1973, p. 11.<br />

506<br />

EYTON, R. W., Antiquities <strong>of</strong> Shropshire, 1854-1860, XI, p. 110.<br />

507<br />

Ibid.<br />

508<br />

PR 26 H.II, p. 11 : pro plumbo regis vendito per predictum Tomam [filius Bernardi]; PR 27 H.II, p.19.<br />

509<br />

PR 27 H.II., p. 19 : de firma minariorum plumbi per Thomam filium Bernardi.<br />

510<br />

EYTON, R. W., Antiquities <strong>of</strong> Shropshire, 1854-1860, VII, p. 12.<br />

511<br />

LEWIS, W. J., Lead Mining in Wales, 1967 p.27.<br />

632


certain Drogo minetarius rendait également compte de 10 marcs à l’Échiquier pour y<br />

établir une minaria 512. Mais avant même que ces mines aient eu le temps de fonctionner,<br />

les gallois s’emparent de la région 513 . La reconquête des marches galloises en 1193-<br />

1194 permet de remettre la main sur ces mines, dont l’exploitation est éphémère comme<br />

le montre l’abandon de l’atelier de change en 1195 514 . Le faible montant de la ferme<br />

dont Joseph Aaron rend compte devant l’Echiquier en 1195 pour « le produit des mines<br />

de Carregh<strong>of</strong>a du temps où il les tenait en baillage » 515 , c'est-à-dire pour 1194 et des<br />

produits des mines pour cette année (soit respectivement 12s. 2d et £2 11s. 1s.) indique<br />

également les raisons de leur abandon précoce : la pauvreté argentifère des minerais. La<br />

mention du « produit des mines » (de exitu minarie) signifie que Joseph Aaron ne tenait<br />

plus en 1195 l’exploitation à ferme mais directement pour le comte de la Couronne 516 .<br />

Envoyé par Hubert Walter, Joseph Aaron est alors chargé d’organiser, de superviser les<br />

travaux et de contrôler la production, mais également de pourvoir au paiement des<br />

mineurs et des ouvriers et d’approvisionner la Monnaie de Shrewsbury tenue par maître<br />

Roger de Shrewsbury 517 . En 1194 et 1195, il reçoit £20 pour l’entretien des mines et<br />

tant que gardien des mines (cudodi minarie), il reçoit une rétribution de £10 et 14s. in<br />

liberatione sua 518.<br />

Les pipe rolls permettent de constater que les dépenses liées au fonctionnement<br />

de ces mines dépassaient largement la seule mise en exploitation. En effet, pour<br />

protéger ces mines aux marges du royaume, la reconstruction du château royal de<br />

Carregh<strong>of</strong>a, détruit lors du raid gallois de 1164, est immédiatement entreprise. Des<br />

sommes sont affectées entre 1194 et 1195 pour les réparations et la maintenance du<br />

château : outre les £20 pour les travaux l’enceinte du château, il est question de 6 marcs<br />

512 PR 9 H.II, p. 3 : ut posset aperire minariam.<br />

513 CARADOC OF LLANCARFAN, The History <strong>of</strong> Wales, 1832, p.188. en 1162 : Owen le fils de<br />

Gryffyth ap Maredyth appelé Owen Cyvelioc o Wynedh avec Owen ap Madac ap Meredyth et Mereditg<br />

ap Howel prennent le château de Carregh<strong>of</strong>a près d’Oswestry et dévastent la région.<br />

514 WELLS, W. C., « The Shrewsbury mint in the reign <strong>of</strong> Richard I and the silver mine at Carreghova »,<br />

Numismatic Chronicle, 5th ser. XII (1932), p. 218-222.<br />

515 PR.7 R.I, p. 183 : de exitu minarie de Karracouein de tempore quo habuit bailliam.<br />

516 P. Claughton fait remarquer ce détail qui existe aussi dans les comptes de mines de Carlisle de 1184 et<br />

85 et qui permet de connaître la valeur de la production totale et non uniquement la part régalienne des<br />

mines. CLAUGHTON, P., « Silver Mining in England and Wales 1066-1500 », unpublished PhD,<br />

Exeter, 2003, p. 94 ; CLAUGHTON, P., « Production and Economic Impact: Northern Pennine (English)<br />

Silver in the 12th Century », dans Proceedings <strong>of</strong> the 6th International Mining History Congress, 2003,<br />

p. 146-149.<br />

517 PR 6 R.I, p. 247 : il donne £8 puis 20s. en paiement et en don à Godefrido Ruffo et sociis suis ; p. 183 :<br />

in liberatione Rogero et Willelmo et Galfrido mineatoribus £5. ; PR 6 R.I, p. 182, il paye £20 ad<br />

sustendandum cambium de Karrocavein ; PR 6 R.I, p. 182 : £16 14s. sont payé à magistro Roberto de<br />

Salopesberia in custodi eiusdem minarie et cambii de Salpoesberia.<br />

518 PR 5 R.I, p. 127, en plus il reçoit £20 ad emendam minam ad opus Regis.<br />

633


pour réaliser un fossé dans ledit château ainsi qu’un mur et un treuil – permettant d’aller<br />

chercher en pr<strong>of</strong>ondeur les minerais plus riches – et de £20 pour achever l’enceinte<br />

autour du treuil 519 . La garde de la mine semble également faire l’objet d’une attention<br />

particulière, puisque £4 41s. 1d. sont attribués à la rémunération du service de garde par<br />

les hommes de Carregh<strong>of</strong>a 520 . Le château abritait alors les travailleurs de la mine : en<br />

1195, Joseph Aaron donne en effet 15 sous à Godefroi Le Roux et deux des siens pour<br />

leur rétribution et leur résidence durant 15 jours dans ledit château 521 . Il est probable<br />

que la mise en exploitation de ces mines fait perdre à la Couronne plus d’argent qu’elle<br />

ne lui en fait gagner. En 1193, la nécessité de trouver de quoi alimenter les £100 000 de<br />

la rançon du roi avait sans doute motivé l’ouverture de ces mines que le retour de<br />

Richard avait ensuite rendu caduc.<br />

Après la réforme monétaire de 1180, l’abandon de l’affermage des mines de<br />

Shelve, créé pour l’occasion, et la vente des mines du Yorkshire confirment le lien étroit<br />

qui existait entre l’exploitation intensive des mines dans le cadre de la réforme<br />

monétaire et l’acquisition des quantités de plomb par la Couronne. La continuité de la<br />

production de plomb dans le Derbyshire et le Shropshire au XIII e siècle montre que<br />

l’arrêt de l’exploitation de ces mines par la monarchie ne s’est pas accompagné d’un<br />

déclin de la production, mais que celle-ci s’effectuait désormais dans le cadre manorial.<br />

Ni Richard ni Jean ne semblent s’être intéressés à l’idée de continuer directement<br />

l’exploitation des mines de plomb. Dans les sources ultérieures, les donations royales de<br />

plomb aux monastères ne s’effectuaient donc plus en termes de matériaux mais<br />

simplement en licence d’exploitation. En 1204, en effet, Jean donne l’autorisation aux<br />

moines de Byland, le droit « d’avoir des mines de plomb là où ils en trouveront sur leurs<br />

terres afin de pouvoir à la couverture de leur église, autant qu’il leur est nécessaire pour<br />

la couverture et avant qu’il ne soit pour approvisionner les œuvre royales » 522 .<br />

Le prix du plomb et de son transport à la fin du XII e siècle<br />

519 PR 5 R.I, p. 141 : in operation cinguli circa predictum castellum; PR.6 R.I, p. 244, ad perficiendum<br />

cingulum circa ruilium de Karrecovein ; idem ad faciendum puteum in predicto castello cum muro et<br />

ruilio.<br />

520 PR 6 R.I, p. 244 : servientibus reteni apud Karrecovan ad custodiam minarie.<br />

521 PR 6 R.I, p. 244 : ad liberationes suas pro residentia sua de XV diebus apud idem castellum.<br />

522 Rotuli de Liberate ac de misis et praestitis regnante Johannes, HARDY, T. D. (éd.), 1844, p. 60 :<br />

Mandamus vobis quod permittatis monachos de Bella Landa habere mineriam de plumbo ubi eam<br />

invenire poterunt super terram suam et uti ea ad cooperiendam ecclesiam suam de Bella Landa quousque<br />

sufficiat eis ad ecclesiam illam cooperiendam et prius ea ad opus nostrum capiatur (1203).<br />

634


Le graphique 6.32 a été constitué à partir des différentes mentions de plomb<br />

dans les pipe rolls. On peut tout d’abord observer que le prix du plomb était soumis à<br />

deux types de régulations. Une première, fixée par la coutume, et donc d’une relative<br />

stabilité, s’applique au plomb acquis directement auprès du fermier ou de gardien des<br />

mines. Ce prix était manifestement réévalué comme semble l’indiquer le palier qui<br />

apparaît en 1177. Cette réévaluation doit néanmoins être replacée dans le contexte de<br />

l’effondrement des mines du Northumberland, ce qui suggère que ce prix fixe devait<br />

être influencé par les rapports d’<strong>of</strong>fre et de demande qui constitue le second type de<br />

seconde régulation.<br />

Sur le graphique, plusieurs indices montrent que le prix du plomb acquis sur les<br />

marchés diffère largement du coût d’acquisition à la mine. À Southampton, Boston,<br />

King’s Lynn ou Londres, les prix du plomb incluaient en effet les frais de transport 523 .<br />

Le plomb acheté à Southampton constitue un bon exemple du changement des<br />

conditions d’achat du plomb en 15 ans : en 1186, alors que seules de petites quantités<br />

sont nécessaire pour faire la chambre du roi à Clarendon (43s.), en 1200, le shérif peut<br />

déduire £30 de sa ferme pour se procurer du plomb afin de couvrir la chambre du roi à<br />

Winchester et pour d’autres réparations 524 . L’évolution des quantités acquises illustre la<br />

dépendance croissante de la royauté vis-à-vis des marchés du plomb au XIII e siècle. En<br />

outre, plusieurs indicateurs révèlent une hausse du prix du plomb au début du XIII e<br />

siècle (graphique 6.33) 525. Selon Paul Latimer en effet, la hausse des prix ne se serait pas<br />

étendue de 1180 à 1220 mais aurait surtout concerné les premières années du XIII e<br />

siècle 526 . Selon de nombreux historiens économistes, la hausse de la production d’argent<br />

numéraire ne serait d’ailleurs pas étrangère à l’inflation des prix qui touche l’Angleterre<br />

entre 1180 et 1220 527 .<br />

523<br />

POSTAN, M. M. E., The Medieval Economy and Society. An Economic History <strong>of</strong> Britain in the<br />

Middle Ages, 1972, p. 224-230.<br />

524<br />

PR 32 H.II, p.1 79 pro plumbo ad operiendam capellam regis de Clarendone, (43s.); P.R.2 John,<br />

p.191, in operatione gaiole Wintonie et pro camera Regis cooperiando plumbo et pro reparandis mutis<br />

regis (£30).<br />

525<br />

LEWIS, W. J., Lead Mining in Wales, 1967, p. 369 : les prix du plomb selon le ms. 4189 de la<br />

National Library <strong>of</strong> Wales sont pour une carreta de 1660 lbs (autrement dit, désormais alignée sur le<br />

poids de celle du Peak) de 22 sous (soit 264 deniers) en 1205, en 1202, 24 sous et de 28s. 6d. 1212.<br />

526<br />

LATIMER, P., « The English inflation <strong>of</strong> 1180-1220 reconsidered », Past & Present, 171 (2001), p. 3-<br />

29 ; Cette inflation aurait d’ailleurs été en partie provoquée par l’essor de la production d’argent (plus de<br />

£75 000 auraient été produites au XII e siècle) ainsi que par la politique monétaire d’importation d’argent<br />

d’Allemagne en vue d’alimenter les monnaies royales, car l’inflation monétaire qu’elle provoque entraine<br />

la dévaluation du denier d’environ 1/3 entre 1180 et 1220. MAYHEW, N. J., « Frappes de monnaies et<br />

hausse des prix en Angleterre de 1180 à 1220 », dans Études d’histoire monétaire, 1984, p. 159-177.<br />

527<br />

Ibid. ; LATIMER, P., « The English Inflation <strong>of</strong> 1180-1220 Reconsidered », Past & Present, 171<br />

(2001), p. 3-29. Ce dernier a récemment montré que la demande d’argent comme valeur à la fois forte et<br />

635


Les pipe rolls permettent également d’évaluer les coûts de transport des<br />

cargaisons de plomb. Ainsi, pour 100 carretata de plomb, valant £33 6s.8d. en 1188, il<br />

faut d’abord £9 13s. 11d. pour leur acheminement du Peak à l’Humber c'est-à-dire pour<br />

remonter la Derwent puis la Trent, puis £6 13s. 4d. pour affréter deux gros navires qui<br />

portent ledit plomb de l’Humber à Rouen, puis £a13 15s. pour transporter ce plomb de<br />

Rouen à <strong>Paris</strong> 528 soit, au total, des frais de transport s’élevant à plus de la moitié du coût<br />

du plomb lui-même. Si la plus grande partie du transport s’effectuait par voir maritime<br />

comme le signale l’affrètement de navires à York, ainsi qu’à Yarm (Yorkshire) 529 ,<br />

Boston ou Hoyland 530 (Lincolnshire) où se tenait une foire dont les revenus sont<br />

affermés par la Couronne à partir de 1176, lorsque l’honneur est aux mains d’Henri<br />

II 531 . Le trajet de la minaria à la plumbaria s’effectuait en revanche par voie terrestre, ce<br />

qui explique la variation des prix du plomb entre le Peak et Newcastle, c'est-à-dire là où<br />

les agents du roi acquéraient le plomb sous forme métallique.<br />

dépendante de la confiance accordée à la frappe, permet de comprendre non seulement l’essor des prix au<br />

début du XIII e siècle (et les raisons pour lesquelles ils sont restés forts), mais aussi comment l’essor<br />

continu de l’argent, à partir des années 1180, aurait pu avoir lieu sans une telle inflation : LATIMER, P.,<br />

« Wages in late twelfth and early thirteenth century England », H.S.J., 9 (1997), p. 185-205.<br />

528 PR. 34 H.II, p. 119 : in custamento carriandi idem plumbum de Pecco usque Humbre ; p.119 : pro<br />

locandis II navibus ad deferendum idem plumbum ad Humbre usque Rothomagum ; MRSN, I, p. 70 : pro<br />

plumbo quod rex dedit Abbati de Clarevalle portando a Rothomagus ad <strong>Paris</strong>ius (1180).<br />

529 PR 27 H.II, p. 47 : in custamento ducendi CCXLI carretatis plumbi ab Everwick usque Rothomago.<br />

Contrairement à I. Blanchard, et suivant la traduction de A. Raistrick, il me semble plus probable que le<br />

toponyme Jarun rencontré dans les Pipe Rolls signifie Yarm et non Jarrow. Bien qu’il existe le terme<br />

tardif de Jarou pour désigné Jarrow, l’orthographe la plus commune et conforme à celle de Bède est<br />

Gyruum, ou Gyrwe, voire Girue. MAWER, A., The Place-Names <strong>of</strong> Northumberland and Durham, 1920,<br />

p.123-124. Par ailleurs les orthographes Jarum et Iarun sont attestées pour Yarm à la fin du XII e siècle.<br />

SMITH, A. H., The Place-Names <strong>of</strong> the North Ridding <strong>of</strong> Yorkshire, 1928, p. 172.<br />

530 En 1184, 20 carretata de plomb sont transportées depuis Hoyland (Hoilanda) jusqu’à Rouen, pour les<br />

travaux du château de Gisors (PR 30 H.II, p.28, pro ducendo eodem plumbo ab Hoilanda usque ad<br />

pontem de Rothomago). La difficulté à localiser le site de Hoyland a induit en erreur Arthur Raistrick et<br />

Bernard Jennings qui le traduisent par Hollande, pays de prédilection des échanges commerciaux anglais<br />

depuis le XII e siècle, ce qui les amène ensuite à identifier Rotterdam dans Rothomago au lieu de Rouen.<br />

Or, dans les comptes de l’Échiquier normand de 1184, existe une entrée dans la ferme de Gisors<br />

mentionnant 32 sous nécessaires pour faire venir le plomb de Rouen à Gisors pour couvrir la chambre du<br />

roi et la tour (MRSN, I, p. 111 : pro plumbo portando a Rothomago ad Gisorciam ad cooperiendam<br />

cameram regis et turrim) En réalité, Hoyland constituait un ancien hundred du Lincolnshire incluant<br />

Boston et l’estuaire de la Need. Dans le Domesday Book, il est question des hommes de Holland, capables<br />

d’arbitrer une querelle entre l’évêque de Lincoln et le comte Alan de Bretagne. FOSTER, C. W. et<br />

LONGLEY, T., The Lincolnshire Domesday and the Lindey Survey, 1924. Le fief d’Hoyland relevait en<br />

effet de l’honneur de Richmond, ce qui explique que le plomb envoyé à Holland venait du<br />

Richmondshire ; CLAY, C. T.; CLAY, E. M. et FARRER, W. (eds.), Early Yorkshire Charters, 1914-<br />

1965, V, p. 7.<br />

531 PR 25 H.II, p. 24 : Ranulph de Glanville rend compte en 1179 de £79 7s. 8d. de feria de Hoiland hoc<br />

anno. Cette foire était alors manifestement un marché pour le plomb en provenance des mines du<br />

Richmondshire.<br />

636


Trois espaces littoraux de l’exportation du plomb peuvent alors être dégagés de<br />

ces itinéraires (voir carte 6.34). Ils sont polarisés, d’une part, par les ports de Newcastle<br />

et Yarm d’où embarquait le plomb des mines du Northumberland (Tyndales et<br />

Derwent), tandis que l’Humber, d’autre part, drainait à la fois les chargements en<br />

provenance des Yorkshire dales par l’Ourse et ses affluents, et du Peak District par la<br />

Trent. Enfin, il faut souligner le rôle de Boston (Saint-Botolph), à l’embouchure de la<br />

Witham, dont « l’arrière pays » était élargi grâce au Foss Dyke, canal creusé par les<br />

Romains, et dont la réouverture et sans doute l’agrandissement avaient été effectués par<br />

Henri I er en 1121 (voir chapitre 3) 532 . L’utilisation régulière du Foss Dyke comme canal<br />

de navigation est suggérée par plusieurs entrées des pipe rolls comme celle de 1167 où<br />

£8 13s. 4d. de plomb à destination de Caen partent de Torksey, et en 1180, où £14 13s.<br />

6d. sont nécessaires pour conduire du plomb de Peak à Boston puis jusqu’à Londres par<br />

navire 533 .<br />

Parce qu’il était encore un matériau rare, surtout en quantités suffisantes pour<br />

couvrir les besoins des vastes constructions monastiques de l’âge roman, le plomb<br />

constituait un objet d’échange privilégié. Les conditions de la production de plomb<br />

argentifère en Angleterre, en permettant son exploitation intensive, ont mis à disposition<br />

des quantités considérables dont Henri II a parfaitement su tirer parti pour ses propres<br />

demeures ainsi que pour mener sa réconciliation avec l’Église, après le meurtre et la<br />

canonisation de Thomas Becket. Ce n’est en effet qu’à partir de 1180, dix ans après le<br />

meurtre de l’archevêque, qu’Henri II accomplit d’importantes donations de plomb pour<br />

les monastères de Waltham, Amesbury, Grandmont et Clairvaux. Alors qu’il est en<br />

possession des principaux centres miniers du royaume, il lance une vaste réforme<br />

monétaire : les excédents en plomb issus de l’extraction de l’argent sont alors distribués<br />

aux établissements religieux étroitement liés à la pénitence royale. Le patronage et les<br />

dons de plomb effectués par Henri II ne seraient donc que la contrepartie de sa politique<br />

monétaire, fondée sur la production d’argent destinée à alimenter les changes royaux et<br />

à frapper d’une nouvelle monnaie. En trouvant des débouchés aux quantités de plomb<br />

issues de cette production, Henri II évitait l’effondrement de son marché tout en<br />

renforçant l’économie symbolique de ses relations avec l’Église. Si cette mainmise sur<br />

532 BARLEY, M. W., « Lincolnshire rivers in the Middle Ages », Lincolnshire Architectural and<br />

Archaeological Society Reports and Papers, 1 new ser.: 1 (1938), p. 1-21, p. 1-21.<br />

533 PR 13 H.II, p. 40; PR 26 H.II, 137. carragio eiusdem plumbi a Pecco usque Sanctum Botulphum et<br />

eodem plumbo ducendo inde navigo usque Londonie.<br />

637


les ressources du royaume est possible, c’est grâce à la particularité du droit féodal en<br />

vigueur en Angleterre mais aussi par la précocité du dispositif administratif<br />

d’exploitation des mines du royaume et de distribution du plomb. Le contrôle par le<br />

système d’affermage contraste avec celui des Capétiens qui mènent, à la même époque,<br />

une politique davantage opportuniste ; les tentatives systématiques de régulation et de<br />

revendications royales sur les mines n’apparaîtront pas avant la fin du XIII e siècle 534 .<br />

Ainsi, grâce à ces vastes donations de plomb, Henri II parvient non seulement à<br />

retrouver une réputation de généreux donateur auprès des ordres monastiques les plus<br />

influents de son « empire », mais également à renforcer son contrôle sur le<br />

développement économique et monétaire de son royaume. Dans un article sur le rôle de<br />

la monnaie dans la construction de la souveraineté en France au XIV e siècle, Sylvain<br />

Piron affirmait qu’avec l’apparition du premier ancrage territorial de la monnaie,<br />

marqué par l’usage de l’expression « cours des monnaies » ou currency, on est en droit<br />

de « parler de construction politique pour désigner l’effort de consolidation des<br />

emprises territoriales au moyen d’un contrôle qui vise à endiguer ces cours<br />

monétaires » 535 . Dans la seconde moitié du XII e siècle, la monnaie devient une affaire<br />

politique dans l’ensemble de l’Europe occidentale. Par son afflux et la nécessité d’en<br />

gérer les cours, la monnaie constitue désormais un moyen de gouvernement<br />

indispensable, avant de devenir dans les derniers siècles du Moyen Âge un facteur<br />

unifiant de l’espace politique en tant que support de la représentation de la majesté<br />

royale.<br />

Conclusion du chapitre<br />

À bien des égards, les chantiers de construction des Plantagenêt constituent donc<br />

ce que Valérie Theis appelle une « structure innovante », à partir de laquelle se mettent<br />

en place des pratiques à la fois de gouvernement et de construction 536 . Dans l’Angleterre<br />

des Plantagenêt, comme dans le Comtat Venaissain des papes du XIV e siècle, la<br />

principale innovation a consisté à mettre en place une politique de maîtrise de l’espace,<br />

en s’appuyant sur des grands chantiers. Le système de la reddition des comptes à<br />

534 BAILLY-MAÎTRE, M., L'argent. Du minerai au pouvoir dans la France médiévale, 2002, p. 177.<br />

535 PIRON, S., « Monnaie et majesté royale dans la France du XIVe siècle », Annales. Histoire Sciences<br />

Sociales, 51: 2 (1996), p. 325-354 ; SPUFFORD, P., Money and its use in Medieval Europe, 2004.<br />

536 THEIS, V., « Pratiques artisanales et politique de grands travaux: l'exemple du palais de Pont-de-<br />

Sorgues au XIVe siècle », Cahiers d'histoire et de philosophie des sciences: Artisans, industrie. nouvelles<br />

révolutions du Moyen Âge à nos jours, 52 (2004), p. 307-319.<br />

638


l’Échiquier permet de voir que les Plantagenêt ont en effet abondamment mobilisé les<br />

ressources de leurs territoires. La mise en réseau des chantiers reposait alors à la fois sur<br />

la circulation d’un groupe de pr<strong>of</strong>essionnels attachés au service du roi et chargés de<br />

diffuser l’image architecturée du pouvoir, sur la circulation des élites locales, appelées à<br />

participer à la vérification comptable des deniers de la Couronne, et enfin, sur la<br />

circulation des matériaux, selon des logiques d’approvisionnement rationalisées et<br />

optimisées, qui traduisent la puissance organisatrice de l’administration anglaise. Les<br />

chantiers de construction ont donc été des lieux d’articulation entre pouvoir central et<br />

économie locale. De ce point de vue, même si l’empire n’apparaît pas comme un espace<br />

économique homogène, les hommes et les matériaux traversaient bien la Manche dans<br />

les deux sens. En cessant d’envisager l’organisation économique à l’échelle locale, et en<br />

intégrant la distribution des richesses dans des logiques politiques, les Plantagenêt<br />

n’ont-ils pas ainsi contribué à faire advenir un espace compris comme une « richesse<br />

commune », un commonwealth ? C’est aussi parce que la gestion des ressources devait<br />

être pensée d’un point de vue global que l’empire peut être considéré comme un moteur<br />

de la construction de l’État. L’organisation multiterritoriale de l’empire des Plantagenêt<br />

ne fonctionnait cependant pas selon la structure dichotomique de la métropole<br />

exploitant ses périphéries, car l’Angleterre a autant exploité ses propres ressources que<br />

celles des territoires continentaux (pierre, bois, etc.) et vice et versa. L’évaluation du<br />

degré d’intégration des territoires continentaux semble donc être avant tout un problème<br />

de source, car de même qu’il y avait du vin de Touraine importé à Southampton, sous<br />

Henri II, de même le plomb du Northumberland était envoyé jusqu’à La Rochelle 537 . La<br />

mise en réseau de ces revenus était alors vraisemblablement centralisée par<br />

l’administration de la Chambre du roi. Toutefois, il n’y a qu’en Angleterre, et dans une<br />

moindre mesure, en Normandie, que l’institution de l’Échiquier a réellement permis de<br />

transformer cette organisation globale en un système territorialisé.<br />

537 PR 22 H.II, p. 186 : 67s. 2d. pro vino quod Stephanus de Turon’ misit domino regis ponendo in<br />

cellario apud Hantonia et ducendo apud Clarendon' et Wintoniam et Londonum ; p. 199 : £35 pro C<br />

modiis vini quod Alexander de Barentin elegit ad opus regis ; 50s. pro eodem vino deferendo per aquam<br />

et per terram; £6 8s. in cariagio vini Andegavie quod Stephanus de Turonia misit regi.<br />

639


Conclusion<br />

La crise de la Magna Carta qui éclate en 1215 constitue pour de nombreux<br />

historiens le paroxysme des tensions et des pressions accumulées depuis le règne<br />

d’Henri II entre le roi et ses barons. Si le comportement arbitraire et abusif de Jean a été<br />

considéré comme un facteur important notamment dans la perte de confiance des barons<br />

pour leur roi, cette crise est aussi le symptôme d’un tournant important dans la<br />

représentation des rapports de pouvoir et dans l’émergence d’une société politique 1 . Sir<br />

James Holt a ainsi souligné que lorsque Jean de Lacy et Gilbert FitzReinfred se rendent<br />

à Jean en janvier 1216, ils sont contraints non seulement de renouveler leur fidélité<br />

personnelle au roi mais aussi de renoncer à leur adhésion à la charte des libertés, c'est-à-<br />

dire à une cause, à un programme politique 2 . Les barons anglo-normands ont en effet<br />

revendiqué de manière de plus en plus affirmée au cours de la seconde moitié du XII e<br />

siècle un gouvernement royal per judicium et per concilium. La révolte baronniale ne<br />

peut donc être considérée comme une simple révolte réactionnaire de féodaux voulant<br />

réaffirmer leur place prééminente dans la pyramide féodale, car nombre d’entre eux<br />

concevaient au contraire leur rôle comme celui d’une défense des coutumes de la<br />

communauté du royaume 3 . Ces revendications s’intensifient alors que les concepts de<br />

Couronne, d’utilitas regni et de necessitas envahissent le vocabulaire de la justification<br />

de l’action royale. Le principe de réassurance princière a en effet reposé sur la<br />

construction d’une idéologie royale et d’un ancrage territorial qui réactualise les<br />

principes publics, plus encore que sur l’exploitation de la relation féodo-vassalique.<br />

Nous avons tenté, au cours de cette étude de montrer que l’émergence de la<br />

souveraineté comme modèle théorique dans la pensée politique a eu de fortes<br />

1<br />

TURNER, R. V., King John, England’s Evil King ? 2005, p. 196-198 ; HOLT, J. C., Magna Carta,<br />

1961, p. 193-195.<br />

2<br />

HOLT, J. C., The Northerners, 1961, p. 1, 94.<br />

3<br />

TURNER, R. V., King John, England’s Evil King ? 2005, p. 140-141.<br />

640


implications spatiales. Dans la pratique, en effet, le pouvoir royal et princier entreprend<br />

au cours de cette période de renforcer ses assises territoriales, processus qui aboutit, à la<br />

fin du Moyen Âge, à la domination d’un espace « sans lacune » 4 . Comprendre comment<br />

s’est renforcée l’autorité politique des Plantagenêt impliquait donc de saisir la manière<br />

dont ils se sont efforcés de contrôler l’espace de leur domination. En ce sens, la<br />

politique de construction peut être considérée comme un véritable mode de<br />

gouvernement, permettant de contrôler les lieux et de définir le territoire. À ce titre, le<br />

cadre « impérial » dans lequel les Plantagenêt ont exercé leur autorité a constitué une<br />

dimension essentielle pour saisir les mécanismes de l’articulation des pouvoirs au<br />

niveau local et central. Il ressort de cette étude que l’émergence de leur pouvoir<br />

souverain peut être envisagée à partir de trois processus fondamentaux : la politisation,<br />

la territorialisation et l’« impérialisation » des rapports de pouvoir.<br />

Politisation<br />

Selon Thomas N. Bisson, l’affirmation des prérogatives royales du maintien<br />

d’un ordre public, outrepassant les coutumes féodales et le consensus baronnial,<br />

constitue un phénomène européen, que l’on rencontre dès 1158, lorsque Frédéric<br />

Barberousse déclare agir non seulement sur le conseil et le consentement de ses princes<br />

mais aussi en vertu de ses obligations impériales pour assurer la paix et la tranquillité du<br />

peuple, et en 1188, dans les Constitutiones d’Alphonse II d’Aragon 5 . L’invocation du<br />

maintien de l’ordre public identifié à la défense du status regni, conçu comme territorial<br />

autant que public, caractérise ce que cet historien appelle « la politisation de l’ordre<br />

public ». Autrement dit, les princes ont accompagné l’exercice de leur potestas de<br />

discours de légitimation qui ont contribué à renforcer leur auctorictas. Parmi les<br />

principaux instruments de la politisation de la potestas publica des Plantagenêt, le droit<br />

a été sans doute le puissant, mais on peut également citer la comptabilité royale et,<br />

d’une certaine manière aussi, l’histoire : la rédaction des fresques relatant les origines<br />

des peuples Breton et Normand ont en effet constitué des langages à travers lesquels ont<br />

été véhiculé les discours du pouvoir.<br />

4 DEVROEY, J. P. et LAUWERS, M., « L’''espace" des historiens médiévistes: quelques remarques en<br />

guise de conclusion », dans Construction de l'espace au Moyen Âge: pratiques et représentations, 2007,<br />

p. 435-453, citent : SIMMEL, G., Sociologie: étude sur les formes de la socialisation, 1999, p. 673 et<br />

suiv. et DEVROEY, J. P., Puissants et misérables: système social et monde paysan dans l'Europe des<br />

Francs (VIe-IXe siècles), 2006, p. 62 et 444.<br />

5 BISSON, T. N., The Crisis <strong>of</strong> the Twelfth Century. Power, Lordship, and the Origins <strong>of</strong> European<br />

Government, 2009, p. 533-541.<br />

641


Ces langages ont accompagné l’affirmation de potestas regis en la médiatisant.<br />

Dans la pratique, celle-ci s’est d’abord traduite par la lutte des Plantagenêt contre les<br />

châteaux féodaux illégaux ou « adultérins », manifestant leur volonté de reconstruire un<br />

ordre public à partir des châteaux 6 . La réactivation du droit féodal de la reddibilité a<br />

constitué une norme commune pour réguler les rapports féodaux dans les différents<br />

territoires de l’empire. L’essor du droit romain et la persistance du droit anglo-saxon ont<br />

également permis d’affirmer le caractère territorial de la catégorie antique de public.<br />

Ces héritages ont ainsi sous-tendu la définition d’une juridiction publique relevant de la<br />

Couronne, réinvestissant d’anciennes prérogatives royales (sur les routes, les rivières,<br />

etc.) qui lui donnaient une dimension territoriale. Elle s’est également manifestée à<br />

travers la défense de la patria – comme combat relevant de l’intérêt commun dépassant<br />

les rapports de vassalités – par l’érection, aux frontières du royaume et du duché de<br />

Normandie, d’un système de fortifications complexe et de plus en plus développé. Selon<br />

Robert de Torigni, en effet, l’ordre public devait être assuré non seulement contre la<br />

violence active des brigands (praedones) mais aussi contre les dégradations passives de<br />

la « privatisation » des anciennes obligations publiques d’entretien des ponts et des<br />

chaussées 7 . Peter Von Moos rappelle en effet que l’une des conditions d’émergence de<br />

la première fonction publique provenait de la nécessité ressentie collectivement de<br />

réguler les nuisances qui portaient atteinte à l’autonomie des acteurs 8 . Cependant, la<br />

capacité du prince à agir systématiquement au nom de l’intérêt commun, c'est-à-dire en<br />

tant que représentant du corps politique, n’est qu’un processus en germe au XII e siècle 9 .<br />

La distinction entre la personne publique et la personne privée du roi est loin d’être<br />

acquise et le « patronage » royal reste un mode d’action en vigueur tout au long du<br />

Moyen Âge. L’autonomie de l’espace du politique ne devient en effet une réalité qu’à la<br />

fin de la période médiévale, lorsque le transfert du symbolisme religieux sur la personne<br />

du prince est achevé, c'est-à-dire le moment où le prince s’identifie totalement avec la<br />

personne publique qu’il incarne, autrement dit : l’État 10 .<br />

Quant à la comptabilité, elle permet de faire émerger de nouveaux acteurs dans<br />

le maintien du status regni. Les pratiques comptables du gouvernement Plantagenêt<br />

6<br />

FOURNIER, G., Le Château dans la France médiévale. Essai de sociologie monumentale, 1978, p. 136-<br />

147.<br />

7<br />

TORIGNI, II, p. 12-14.<br />

8<br />

VON MOOS, P., « Public et privé au cours de l'histoire et chez les historiens », dans Entre histoire et<br />

littérature. Communication et culture au Moyen âge, 2005, p. 440-470.<br />

9<br />

SENELLART, M., Machiavélisme et raison d'état, 1989, p. 23-24.<br />

10<br />

SENELLART, M., Les arts de gouverner, 1995, p. 124-125.<br />

642


nécessitaient en effet le recrutement d’un personnel de cour compétent, capable de<br />

manier le langage des chiffres. Recrutés au sein des milieux cléricaux, de la petite<br />

aristocratie ou des élites urbaines, ces nouveaux acteurs ont été impliqué dans la gestion<br />

de l’ordre public, par leur insertion au service du roi et de son administration fiscale,<br />

judiciaire (legalis homines) ou militaire (ingénieurs et maîtres). L’apparition de ces<br />

nouveaux acteurs dans la machine gouvernementale des Plantagenêt a ainsi favorisé<br />

l’émergence d’une société politique et la fin d’un mode de gouvernement exclusivement<br />

partagé entre le roi et son aristocratie. Ces nouvelles élites au service de la Couronne,<br />

par leurs fonctions de gouvernement ou de contrôle et de vérification de l’action des<br />

shérifs, faisaient désormais de la gestion du status regni un enjeu impliquant l’ensemble<br />

de la communauté du royaume. D’une certaine manière, l’avènement de l’enquête,<br />

comme paradigme de la justice et de l’administration à partir du XII e siècle reflète<br />

l’avènement d’un nouveau mode de gouvernement caractéristique du pouvoir souverain,<br />

en ce qu’il permet au roi, non seulement de tisser des liens en dehors du strict cadre des<br />

relations de vassalité avec les communautés de son royaume, mais également parce que<br />

les enquêtes permettent à ce dernier, en l’absence de carte, de prendre possession<br />

mentalement des territoires sur lesquels il exerce sa domination.<br />

Il n’est donc pas surprenant que ce soit à cette même époque que les<br />

communautés « régnales » prennent conscience des solidarités qui cimentent leur<br />

identité en les ancrant dans le territoire d’une patria ou d’un regnum 11 . Le rôle des<br />

narrations généalogiques a été fondamental dans la construction de ces communautés ;<br />

mais alors que dans la première partie du XII e siècle, les origines de chaque gens se sont<br />

construites autour de la figure mythique d’un héros fondateur : Brutus, Rollon, Arthur,<br />

ce dernier cesse d’être une figure exclusive de l’imaginaire breton pour devenir le<br />

modèle cosmopolite de la chevalerie européenne. On a vu que le rôle de Richard Cœur-<br />

de-Lion dans la construction de cette figure impériale avait été central. Il reflète, en<br />

outre, l’évolution des représentations que les Plantagenêt se sont faites de leur empire<br />

entre 1154 et 1216, ainsi que la manière dont ils l’ont parcouru et dont ils ont organisé<br />

la politisation des lieux par la sacralité royale.<br />

Ainsi, les langages du droit féodal, romain et anglo-saxon, la comptabilité<br />

royale, les constructions mythologiques ainsi que la ritualisation croissante des<br />

pratiques féodales ont été les principaux instruments de la politisation du pouvoir des<br />

11 REYNOLDS, S., Kingdoms and Communities in Western Europe, 900-1300, 1986; DAVIES, R. R.,<br />

« Presidential address : the peoples <strong>of</strong> Britain and Ireland 1100-1400. II. Names, boundaries and regnal<br />

solidarities », T.R.H.S., 5 (1995), p. 1-20.<br />

643


Plantagenêt, en créant un discours sur leur auctoritas légitimant l’exercice de la<br />

potestas. Cependant, tandis que le contrôle des châteaux et des monastères visait<br />

initialement à renforcer les fidélités autour de la personne royale, la prise de possession<br />

des fiefs et des honneurs a contribué à dissoudre les liens personnels qui unissaient les<br />

barons au roi. Les rapports interpersonnels qui caractérisaient les rapports de pouvoir<br />

dans la société féodale ont ainsi été fixés dans le territoire par la médiatisation des<br />

représentations légales et politiques. Cette évolution rappelle ce que Jean Dunbabin<br />

appelait le « dilemme des princes » 12 pour décrire le phénomène paradoxal de<br />

renforcement de la potestas des princes en même temps que l’affaiblissement de leur<br />

auctoritas, au pr<strong>of</strong>it de celle des rois. Sur le continent, les Plantagenêt doivent en effet<br />

faire face à l’affirmation de plus en plus forte de l’autorité du roi de France. La<br />

commise de la Normandie par Philippe Auguste mais surtout la faible résistance de ses<br />

barons au cours de la campagne de 1203-1204 en constitue l’exemple le plus<br />

significatif. Seul le renforcement mutuel de la potestas et de l’auctoritas permet ainsi<br />

d’aboutir à la territorialisation du pouvoir princier, en tant que manifestation spatiale de<br />

sa souveraineté. Si la politisation des rapports de pouvoir a concerné l’ensemble de<br />

l’empire des Plantagenêt, il n’y a donc qu’en Angleterre, que la territorialisation du<br />

pouvoir royal a réellement accompagné la mise en place d’une théorie de la<br />

souveraineté.<br />

Territorialisation<br />

L’évolution des représentations du pouvoir et des missions de la royauté sont<br />

donc encore loin de constituer un système cohérent de gouvernement. Le caractère<br />

transitoire et instable des pratiques de politiques des Plantagenêt se traduit notamment<br />

dans le recours alternativement au droit et la loi ou à la voluntas regis 13 . Ces deux<br />

régimes d’action qui se côtoient sans cesse, donnent ainsi au pouvoir des Plantagenêt un<br />

caractère ambivalent, que Lewis Warren n’hésite pas à qualifier de « schizophrénie<br />

royale » 14 . Ainsi, tandis que les Plantagenêt peuvent compter sur des coutumes<br />

réglementant leur patronage sur les églises en Normandie et Angleterre, pour installer<br />

leurs candidats à la tête des établissements ecclésiastiques, ils doivent néanmoins<br />

recourir de plus en plus souvent à l’argument de la volonté royale contre celle des<br />

12<br />

DUNBABIN, J., France in the Making, 843-1180, 1985, p. 371.<br />

13<br />

TURNER, R. V., « King John's concept <strong>of</strong> royal authority », History <strong>of</strong> Political Thought, 17: 2 (1996),<br />

p. 157-178.<br />

14<br />

WARREN, W. L., King John, 1997, p. 178.<br />

644


clercs 15 . De même alors que le droit de reddibilité ou le jus praeli leur donne la capacité<br />

de mener une politique de contrôle des lieux de pouvoir, les dépossessions per<br />

voluntatem regis s’accentuent au cours du règne de Jean.<br />

L’argumentation de la voluntas regis, de la necessitas ou de l’utilitas regni pour<br />

mener à bien la politique de construction constitue une tendance nette au cours de la<br />

période, que les historiens des Plantagenêt et de leur aristocratie ont souvent décrit en<br />

termes d’arbitraire et d’autocratie. Au lieu de voir ces transformations comme la mise<br />

en place d’un gouvernement tyrannique, on pourrait se demander, en suivant la<br />

réflexion du philosophe italien Giorgio Agamben et sa relecture de Karl Schmitt sur le<br />

principe de l’état d’exception comme paradigme de gouvernement, dans quelle mesure<br />

ces éléments sont symptomatiques de la formation du pouvoir souverain. Au moment où<br />

se met en place un corps de doctrine juridique, émerge en effet simultanément un état<br />

d’exception qui caractérise l’état du prince, c'est-à-dire un état qui n’est ni extérieur, ni<br />

intérieur à l’ordre juridique (« ce qui plaît au roi a valeur de loi » 16 ). L’irruption du<br />

politique pourrait bien se trouver en effet dans la capacité à créer « un espace vide de<br />

droit, une zone d’anomie où toutes les déterminations juridiques – et avant tout la<br />

distinction même entre public et privé – sont désactivées », c'est-à-dire dans la<br />

formation d’un pouvoir souverain 17 .<br />

Alors que cette nouvelle conception du pouvoir se traduisait surtout dans les<br />

pratiques scripturaires et spatiales, sous les règnes d’Henri II et de Richard, elle tend<br />

progressivement à entrer dans les pratiques discursives à partir du règne de Jean. Ainsi,<br />

tandis qu’Henri II avait introduit l’expression Dei Gratia dans sa titulature et que<br />

Richard avait adopté le pluriel de majesté, Jean va jusqu’à revendiquer le statut impérial<br />

de son pouvoir sur l’Angleterre (regnum Anglicanum quasi imperio adequetur) 18 .<br />

L’évolution des représentations du pouvoir se traduit notamment par la sanctification de<br />

la fonction royale, la sacralisation du corps du roi et la ritualisation des cérémonies<br />

l’exaltation de sa gloire 19 .<br />

15<br />

PELTZER, J., Canon Law, Careers and Conquest. Episcopal Elections in Normandy and Greater<br />

Anjou, c. 1140-c. 1230, 2008.<br />

16<br />

AGAMBEN, G., Homo sacer II.1: État d'exception, 2003, p. 43-45 : cite le Decretum de Gratien, (pars<br />

III, dist. 1, cap. 11), plutôt que de rendre licite, la nécessité agit ici comme justification d’une<br />

transgression dans un cas spécifique par une exception.<br />

17<br />

Ibid., p. 86-88.<br />

18<br />

TURNER, R. V., King John, England’s Evil King ? 2005, p. 138, cite Foedera, I, p. 87.<br />

19<br />

KANTOROWICZ, E. H., Les deux corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen âge, 2000<br />

[1957]; KANTOROWICZ, E. H., Laudes Regiae. Une étude des acclamations liturgiques et du culte du<br />

souverain au Moyen Âge, 2004; AGAMBEN, G., Homo Sacer II.2 Le règne et la gloire. Pour une<br />

généalogie théologique de l'économie et du gouvernement, 2008.<br />

645


En s’appuyant sur le principe d’une continuité territoriale, la construction d’une<br />

continuité de la dignité royale, au-delà de la personne du roi, contribue également à<br />

dépersonnaliser progressivement le lien entre le roi et ses vassaux. La<br />

dépersonnalisation du lien territorial entre le prince et sa principauté et son insertion<br />

dans une économie du règne, articulant la gloire divine et le gouvernement des hommes<br />

constitue alors sans doute un moment fondateur dans l’émergence du pouvoir<br />

souverain 20 . Si le gouvernement royal apparaît alors comme l’ensemble des dispositifs<br />

visant à organiser politiquement l’absence et l’invisibilité du roi, centre mobile de son<br />

royaume, le monument apparaît alors comme le lieu à travers lequel devient possible<br />

cette substitution des rapports personnels de pouvoirs par des rapports spatialisés. Parce<br />

qu’il devient le principal support de la représentation du pouvoir et de sa permanence<br />

territoriale, le monument acquiert une nouvelle fonction sociale, que traduisent les<br />

vastes chantiers de construction entrepris à cette date. Tandis que les demeures de<br />

villégiature permettaient au roi d’exercer sa domination sur l’espace par la pratique de<br />

la chasse, les fortifications marquaient le paysage de la puissance et de « l’idéologie »<br />

royale. L’ampleur de ce phénomène se caractérise par le fait qu’il touche l’ensemble des<br />

institutions sociales du Moyen Âge : l’Église comme la royauté. Entre le XI e et le XIII e<br />

siècles, de même que pour les églises 21 , la « monumentalisation » du pouvoir royal par<br />

les châteaux a non seulement constitué un mode de « personnification » spatialisé, mais<br />

a également fait advenir un réseau de constructions dont le maillage territorial permet<br />

d’encadrer les populations au niveau le plus local. Ce phénomène traduit ainsi l’enjeu<br />

central qu’est devenue la question de la visibilité, véritable épistémè qui se met en place<br />

autour de 1200 22 . De même que pour l’Église/église, l’architecture castrale fonde et<br />

perpétue la légitimité du pouvoir princier en le montrant et en mettant en scène la nature<br />

de sa domination 23 .<br />

La conscience du rôle structurant des constructions royales, qui apparaît très<br />

nettement chez un auteur comme Guillaume de Newburgh, lorsqu’il raconte le départ de<br />

Richard en Croisade, ne peut donc être sous-estimée 24 . Au début de la dernière décennie<br />

20<br />

Ibid.<br />

21<br />

IOGNA-PRAT, D., La maison Dieu, 2006.<br />

22<br />

RECHT, R., Le croire et le voir: l'art des cathédrales, XII-XVe siècle, 1999, notamment le chapitre 3<br />

(p. 97-145).<br />

23<br />

RENOUX, A., « Les fondements architecturaux du pouvoir princier en France (fin IXe - début XIIIe<br />

siècle) », dans Les Princes et le Pouvoir au Moyen Âge. Actes du XXIIIe congrès de la SHMESP, 1993, p.<br />

167-194.<br />

24<br />

GUILLAUME DE NEWBURGH, Chronicles <strong>of</strong> the reigns <strong>of</strong> Stephen, Henry II, and Richard I, 1884,<br />

I, p. 331 : Idem rex ut superius dictum est, ad Orientalem egrediens expeditionem, Eliensi episcopo<br />

cancellario suo vices suas in administration regni commiserat cum eiusdem regni ossibus id est,<br />

646


du XII e siècle, le réseau de châteaux en Angleterre constituait donc clairement l’ossature<br />

du pouvoir monarchique, par la polarisation de l’espace mais aussi parce qu’ils étaient<br />

les lieux dans lesquels s’articulaient l’exercice du pouvoir central et du dominium local.<br />

Les châteaux et surtout leur fonctionnement en réseau ont en effet constitué les<br />

principaux points d’appui à partir desquels une politique de maîtrise de l’espace était<br />

possible. Les chantiers de construction, par la circulation des finances, des matériaux et<br />

des pr<strong>of</strong>essionnels attachés au service du roi chargés de diffuser l’image architecturée<br />

du pouvoir, ont donc participé à sa territorialisation. La politique de construction des<br />

Plantagenêt montre donc, qu’avant les questions liées à la fiscalité et à la guerre, la<br />

modernité de l’État se construit dans les rapports qu’entretient le pouvoir princier avec<br />

le territoire sur lequel il exerce sa domination.<br />

« Impérialisation »<br />

La définition du caractère impérial du pouvoir des Plantagenêt s’est également<br />

effectuées aux frontières de l’empire. Les frontières constituent en effet un bon<br />

indicateur du degré de territorialisation du pouvoir. En tant qu’espace d’interactions<br />

sociales et politiques nécessitant d’incessantes négociations, les frontières au XII e<br />

siècle, et en particulier les frontières en conflits, constituent des lieux où la dimension<br />

territorialisée de la domination prend tout son sens. Le moment de la négociation des<br />

limites est en effet également un moment de définition du pouvoir sur le territoire. Les<br />

traités qui contribuent à normaliser les rapports de pouvoir de chaque coté de la<br />

frontière traduisent également leur politisation : la délimitation de la frontière devient<br />

ainsi un moment crucial de l’émergence d’une conscience de l’appartenance territoriale,<br />

venant se superposer aux stratégies de dépendances interpersonnelles et aux solidarités<br />

régnales. En affirmant son imperium en Écosse, en Irlande en Galles ou en Bretagne,<br />

Henri II entendait également sortir de la simple relation qui faisait du roi le sommet de<br />

la pyramide féodale, pour imposer une forme d’autorité supérieure, s’appliquant non pas<br />

à travers la chaîne des relations vassaliques, mais en vertu du droit de la conquête, c'est-<br />

à-dire un droit territorial. Le rassemblement par Henri II de principautés territoriales aux<br />

structures féodales hétérogènes posa en effet le problème des différents modes de<br />

domination territoriale et notamment dans ces espaces fluides et instables que<br />

munitionibus Regis (Ce roi qui est dit supérieur, entreprenant une expédition en Orient, délégua le<br />

gouvernement au chancelier, l’évêque d’Ely (Guillaume de Longchamp), qui était le second de<br />

l’administration de son royaume, ainsi que les fortifications royales qui sont les os de son royaume).<br />

647


constituaient les marges internes. Cette exigence de continuité territoriale impliqua la<br />

mise en place de stratégies visant d’une part, à insérer les pouvoirs locaux dans des<br />

réseaux de fidélités désormais globaux, et d’autre part, à accroître les formes<br />

d’encadrement territorial. Or, c’est par l’affirmation de leur potestas regis sur les lieux<br />

(aussi bien loca dominica que loca sancta) qui constituaient l’objet de la relation<br />

féodale et l’enjeu véritable de la fidélité 25 , que les Plantagenêt sont ainsi parvenus à<br />

créer un territoire en rhizome au pr<strong>of</strong>it du pouvoir central 26 . La topographie du pouvoir<br />

des Plantagenêt témoigne donc de la transformation de l’échelle des territoires<br />

politiques et la mise en place d’un ordre « impérial ». Au final on peut donc se<br />

demander si l’essor de la monarchie anglaise au XII e siècle n’a pas été le produit de sa<br />

transformation en un empire, qui imposait une maîtrise accrue des territoires dominés.<br />

Ainsi, on a pu observer que la politisation et l’institutionnalisation des rapports<br />

politiques ont été des phénomènes corollaires à la formation de l’empire des<br />

Plantagenêt. S’ils restaient rois en Angleterre, duc en Normandie, en Aquitaine et en<br />

Bretagne et comtes en Anjou, les Plantagenêt n’avaient pas pour autant des conceptions<br />

radicalement différentes de la nature et de l’exercice de leur pouvoir dans chacun de<br />

leurs territoires. Certes la suzeraineté des Capétiens n’a cessé de s’appesantir tout au<br />

long de la période, par la ritualisation juridique croissante des hommages 27 , mais la<br />

réalité de leur ancrage territorial est restée très contrastée. Ainsi ce qu’on a appelé la<br />

« féodalisation » du pouvoir en Aquitaine, en Pays de Galles et en Ecosse 28 , traduit bien<br />

la tentative de normalisation des rapports de pouvoir à l’intérieur et à l’extérieur des<br />

frontières de l’empire. C’est à ce titre que l’expérience de la multi-territorialité<br />

impériale apparaît comme un creuset d’innovations techniques en matière de<br />

gouvernement comme de construction, et notamment en terme d’intégration des<br />

fidélités, à la fois vassaliques et domestiques dans des réseaux de pouvoir à large<br />

échelle. Les empires féodaux, des XII e et XIII e siècles, que ce soit l’empire Plantagenêt<br />

ou Capétien, ont donc été des étapes essentielles dans la mise en place de nouveaux<br />

25 ZIMMERMANN, M., « Et je t’empouvoirrai (potestasvitum te farei) : a propos des relations entre<br />

fidélités et pouvoir en Catalogne au XI e siècle », Médiévales, 10 (1986), p. 17-36.<br />

26 DELEUZE, G. et GUATTARI, F., Capitalisme et schizophrénie [I] L'anti-Oedipe, 1972, p. 13.<br />

27 VAN EICKELS, K., « Homagium and Amicitia : Rituals <strong>of</strong> Peace and their Significance in the Anglo-<br />

French Negotiations <strong>of</strong> the 12th Century », Francia, 24: 1 (1997), p. 133-140.<br />

28 DEBORD, A., La société laïque dans les pays de la Charente : Xe-XIIe siècles, 1984; BOUTOULLE,<br />

F., Le duc et la société : pouvoirs et groupes sociaux dans la Gascogne bordelaise au XIIe siècle, 2007 ;<br />

DAVIES, R. R., Conquest, coexistence and change Wales 1063-1415, 1987; BARROW, G. W. S.,<br />

Kingship and unity Scotland 1000-1306, 1993.<br />

648


modes de gouvernement qui sont au cœur même de la définition de la modernité de<br />

l’État médiéval.<br />

649


A<br />

Abergavenny, 110, 347<br />

Aberystwyth, 349<br />

Abindgon, 164<br />

Aconbury, 256<br />

Ælred de Rievaulx, 408, 409<br />

Agen, 134, 137, 139, 262, 263, 366, 371, 372<br />

Ailnoth, ingénieur, 140, 269, 300, 433, 484, 532, 533,<br />

537, 539, 544, 565, 569<br />

Alençon, 91, 158, 180, 185, 186, 309, 426, 517, 524<br />

Alexandre III, 162, 173, 356, 410, 558, 586, 596<br />

Aliénor d’Aquitaine, 6, 34, 71, 97, 103, 169, 177,<br />

195, 197, 198, 200, 201, 202, 203, 204, 217, 243,<br />

255, 257, 289, 311, 365, 377, 381, 391, 395, 414,<br />

416, 420, 440, 463, 472, 548<br />

Alnwick, 147, 148, 354<br />

Amboise, 46, 196, 312, 321, 323<br />

Ambrières, 186<br />

Amesbury (abbaye), 164, 176, 512, 571, 579, 582,<br />

583, 584, 603, 607, 612<br />

Ancenis, 375<br />

Angers, 46, 131, 159, 171, 172, 173, 174, 197, 201,<br />

255, 260, 395, 426, 434, 438, 455, 458, 563<br />

Angoulême, 94, 206, 207, 208, 209, 212, 214, 217,<br />

218, 324, 393, 394, 395, 445, 455<br />

Antrim, 363<br />

Aragon, 367, 368, 369, 370, 377, 378, 380, 381, 397,<br />

616<br />

Argentan, 187, 251, 253, 269, 429, 434, 521<br />

Arques, 319, 323, 326, 328, 332, 336, 491<br />

<strong>Index</strong><br />

Arthur, le roi, 46, 108, 160, 191, 192, 194, 217, 392,<br />

409, 417, 418, 419, 420, 425, 444, 495, 603, 611,<br />

618<br />

Arundel, 163, 182, 571<br />

Aumale, 184, 313, 328<br />

Avranches, 40, 164, 176, 582<br />

Avre, 39, 91, 230, 281, 282, 309, 310, 313, 320, 327,<br />

332, 524<br />

B<br />

Bacqueville, 311<br />

Baiard, Guillaume, 480, 540<br />

Bamburgh, 147, 164, 352, 354<br />

Bardulf, Hugues, 156<br />

Barfleur, 426, 441, 465<br />

Barnack, 554, 555, 557<br />

Barri, Giraud de, 45, 54, 100, 106, 110, 157, 178,<br />

214, 242, 318, 343, 344, 346, 358, 359, 361, 418,<br />

457, 477, 504, 582, 607<br />

Basingwerk, 340, 341, 607<br />

Bath, 554, 556, 557, 591<br />

Battle (abbaye), 3, 549, 558<br />

Bayeux, 250, 251, 252, 426, 464, 466, 468<br />

Bayonne, 377, 378, 379, 416<br />

Beaulieu (abbaye), 252, 425, 472<br />

Beaumont-le-Roger, 144, 336<br />

Beauvais, 278, 311, 323<br />

Bec-Hellouin, 420, 471, 577, 582<br />

Bécherel, 189, 191, 193<br />

Beckenham, 538, 569, 570, 571<br />

Bedford, 131, 522<br />

Bellemains, Jean de (évêque de Poitiers), 159<br />

Bellême, 186, 187, 312, 313, 315<br />

650


Bennington, 140<br />

Benoît de Peterborough, 46, 48, 136, 386, 438, 523<br />

Benoît de Sainte-Maure, 46, 411, 412<br />

Benon, 203, 207, 391<br />

Bere Regis, 460, 578<br />

Berkeley, 536<br />

Berkhampstead, 148, 540, 557<br />

Berwick, 143, 269, 354, 355<br />

Béthune, 314, 476<br />

Bigod, Hugues, 140, 182, 538<br />

Blaye, 207, 209, 367<br />

Blois, Pierre de, 54, 428, 430, 432, 433<br />

Bois-Rahier, 201, 385, 387, 388<br />

Bolsover, 183, 479, 567<br />

Bonmoulins, 187, 311, 312, 323<br />

Bonneville-sur-Touques, 468<br />

Bonport (abbaye), 321<br />

Bordeaux, 94, 128, 137, 159, 160, 210, 212, 274,<br />

286, 370, 371, 378, 470, 568<br />

Bordesley, 166, 168<br />

Boston (St Botolph), 294, 610, 611, 612<br />

Boulogne, 133, 141, 181, 185, 294, 476, 571<br />

Bourges, 386, 387, 412<br />

Bouvines, 148, 396<br />

Bowes, 354, 539<br />

Bramber, 540<br />

Brecon, 110, 344, 347<br />

Bresle, 314, 320<br />

Breteuil, 204, 282, 324, 340, 573<br />

Brézolles, 311, 312, 334<br />

Bridgnorth, 341, 343, 348, 350, 512, 521<br />

Bridgstock, 460, 531, 532<br />

Briewerre, Richard, 605<br />

Brill, 460<br />

Brioude, 382<br />

Bristol, 73, 132, 256, 393, 423, 523, 570, 574, 585<br />

Brix, 464, 465<br />

Bungay, 140<br />

Bur-le-Roi, 434, 464, 465, 466<br />

Bury-St-Edmunds, 426, 470, 557<br />

Buzançais, 385, 388, 389, 390<br />

C<br />

Cadwallon ap Madog, 342<br />

Caen, 6, 26, 98, 243, 251, 252, 253, 392, 404, 426,<br />

429, 434, 438, 453, 455, 483, 504, 521, 524, 547,<br />

548, 549, 550, 551, 552, 553, 554, 559, 561, 563,<br />

566, 579, 581, 582, 612<br />

Cahors, 261, 366, 369<br />

Cannock, 166, 531<br />

Canterbury, 50, 106, 153, 190, 232, 235, 247, 251,<br />

264, 423, 424, 439, 440, 441, 445, 506, 521, 522,<br />

549, 551, 552, 556, 559, 561, 579, 584, 589, 592,<br />

593, 594<br />

Carlat, 380, 381<br />

Carlingford, 363<br />

Carlisle, 275, 351, 353, 354, 359, 586, 593, 599, 600,<br />

601, 602, 604, 605, 608<br />

Carmarthen, 163, 340, 344, 345, 346<br />

Carregh<strong>of</strong>a, 340, 341, 348, 608, 609<br />

Carrickfergus, 359, 363, 540<br />

Castille, 102, 103, 369, 377, 390<br />

Castillou sur Agen, 134, 137, 139, 372<br />

Châlus, 213, 334, 369, 416<br />

Champtoceaux, 375<br />

Charles le Chauve, 124, 226<br />

Charron (abbaye), 203, 206<br />

Chartres, 313, 321, 584, 594<br />

Château Gaillard, 59, 199, 212, 229, 282, 310, 327,<br />

328, 329, 331, 332, 364, 452, 453, 457, 464, 469,<br />

475, 476, 477, 481, 486, 487, 491, 498, 517, 518,<br />

519, 527, 550, 561, 570, 572, 577<br />

651


Château-Gaillard, 59, 158, 329, 332, 470, 550<br />

Chateauneuf-sur-Colmont, 186<br />

Châteauneuf-sur-Epte, 312, 317, 319<br />

Châteauroux, 385, 386, 388, 389<br />

Châtellaillon, 207<br />

Châtellerault, 198, 199, 393<br />

Châtillon-sur-Indre, 385, 388, 389, 390<br />

Chaumont-en-Vexin, 311, 319<br />

Chaumont-sur-Loire, 312<br />

Cheddar, 423, 465, 571<br />

Chennebrun, 312, 314, 323, 337<br />

Cherbourg, 174, 175, 183, 188, 465, 472, 570<br />

Chester, 24, 73, 146, 147, 167, 182, 183, 191, 234,<br />

235, 299, 340, 341, 344, 347, 360, 432<br />

Chester, Ranulf de, 146, 147, 167, 191<br />

Chiché, 395<br />

Chichester, 132, 163, 182, 286, 560, 571<br />

Chilham, 492<br />

Chinon, 5, 65, 170, 178, 195, 198, 201, 273, 316,<br />

391, 392, 396, 414, 420, 426, 434, 475, 482, 489,<br />

491, 507, 508, 540, 568<br />

Chirk, 342, 349<br />

Church Stretton, 348, 526, 531<br />

Cirencester, 470, 586<br />

Clairvaux, 53, 198, 199, 200, 201, 506, 579, 582,<br />

592, 593, 594, 595, 598, 612<br />

Clarendon, 42, 46, 126, 152, 153, 155, 162, 164, 298,<br />

431, 435, 457, 461, 462, 463, 464, 523, 531, 542,<br />

556, 560, 569, 570, 580, 581, 610, 614<br />

Clément III, 413<br />

Clermont, 378, 380, 381, 382, 383<br />

Clifford, Rosamund, 463<br />

Clinton, Ge<strong>of</strong>froy ou Henri de, 478<br />

Clipstone, 164, 461, 531, 567<br />

Clun, 340<br />

Cognac, 203, 207, 393<br />

Colchester, 73, 148, 239, 516, 528, 572, 581<br />

Colechurch, Pierre de, 263, 264, 265, 266<br />

Comborn, 210<br />

Combourg, 192, 373, 374<br />

Conan IV de Bretagne, 40, 181, 189, 354, 372, 373,<br />

415, 602<br />

Conigsborough, 182<br />

Constance de Bretagne, 40, 190, 191, 243, 365, 367,<br />

374, 375, 377, 413, 415, 419, 602<br />

Corbet, Robert ou Roger, 348, 607<br />

Corfe, 148, 488, 489, 492, 515, 517, 528, 560, 571,<br />

583<br />

Cork, 357, 364<br />

Cornhill, Réginald de, 515<br />

Courcy, Jean de, 357, 359, 363<br />

Courteilles, 331, 332<br />

Coutances, 133, 158, 258, 424<br />

Cymaron, 342<br />

D<br />

d’Athies, Gérard, 145<br />

Damville, 331, 333, 334<br />

Dax, 378<br />

Dean (forêt), 110, 284, 344, 393, 567, 570, 574, 578<br />

Déols, 178, 198, 212, 385, 386, 388, 389<br />

Dermot MacMurrough, 101, 356, 359, 360, 361<br />

Diceto, Radulf de, 3, 48, 49, 51, 101, 135, 136, 300,<br />

369, 458<br />

Dieppe, 281, 327<br />

Dinan, 189, 191, 193<br />

Diveleston, Robert, 353, 528<br />

Dol (Bretagne), 40, 156, 157, 192, 194, 373, 412<br />

Domesday Book, 40, 105, 115, 118, 294, 346, 554,<br />

555, 566, 574, 575, 605, 611<br />

Domfront, 186, 521<br />

Doncaster, 237<br />

652


Doué-la-Fontaine, 468<br />

Douvres, 50, 167, 237, 264, 375, 423, 431, 475, 476,<br />

477, 487, 489, 490, 491, 511, 514, 516, 526, 539,<br />

569, 570, 571, 581<br />

Dreux, 243, 311, 317, 375<br />

Drincourt, 323, 326, 328<br />

Drogo de Mello, 324<br />

Dublin, 28, 35, 157, 237, 238, 268, 356, 357, 360,<br />

361, 362, 364<br />

Dunster, 521<br />

Durham, 49, 73, 185, 269, 299, 353, 354, 355, 539,<br />

551, 559, 599, 604, 611<br />

E<br />

Écosse, 38, 48, 51, 73, 101, 135, 136, 143, 150, 164,<br />

185, 269, 274, 275, 308, 339, 341, 342, 350, 351,<br />

352, 353, 354, 355, 365, 367, 397, 429, 430, 600,<br />

601, 622<br />

Edinburgh, 143, 352, 354<br />

Edward le Confesseur, 5, 7, 407, 409, 423, 471, 516,<br />

555, 588, 605<br />

Eggleshall, 349<br />

Eglemunt, 484, 556, 557<br />

Ellesmere, 342, 348<br />

Ely, 227, 621<br />

Elyas, ingénieur, 67, 68, 515, 533, 535, 537, 538, 539<br />

Épernon, 311<br />

Epte, 124, 309, 310, 312, 313, 314, 317, 319, 332,<br />

427<br />

Erkembald, Guillaume, 600, 601, 602, 605<br />

Étienne de Blois, roi d’Angleterre, 5, 38, 128, 130,<br />

133, 155, 165, 166, 181, 184, 311, 352, 471, 478,<br />

567, 599<br />

Étienne de Muret, 201, 409, 413, 414, 596<br />

Étienne Langton, archevêque de Canterbury, 247,<br />

425<br />

Etrépagny, 311<br />

Eustace de Vesci, 147<br />

Évreux, 311, 323, 331, 334, 335, 337<br />

Excideuil, 210<br />

Eye, 144, 181, 360, 556, 558, 567<br />

Eynsham, 473<br />

F<br />

Falaise, 38, 190, 229, 337, 342, 354, 491, 521<br />

Farindgon, 473, 522<br />

Faringdon, 24, 300<br />

Fécamp, 20, 176, 283, 409, 410, 411, 435, 449, 455,<br />

471, 514, 547<br />

Feckenham, 229, 461<br />

Ferté Bernard, 315<br />

FitzAilwyn, Henri, 264<br />

FitzAlan, Guillaume, 340, 348<br />

FitzAudelin, Guillaume, 357, 360<br />

FitzCount, Brian, 130<br />

FitzGodwin, Harold, 5<br />

FitzHamon, Guillaume, 175<br />

FitzMartin, Guillaume, 31<br />

FitzNigel, Richard, 20, 23, 24, 39, 100, 292, 502, 567<br />

FitzOsbern, Guillaume, 340<br />

FitzOsbert, Guillaume, 299<br />

FitzPeter, Ge<strong>of</strong>froy, 49, 348, 393<br />

FitzReinfred, Gilbert, 605, 615<br />

FitzStephen, Guillaume, 246, 357<br />

FitzWalter, Robert, 147, 149<br />

Flaxley (abbaye), 167, 574<br />

Fleury, Hugues de, 440<br />

Foliot, Gilbert (évêque de Londres), 264, 265<br />

Fontevraud, 6, 52, 53, 94, 103, 255, 261, 414, 420,<br />

421, 456, 472, 582, 583<br />

Foss Dyke, 294, 612<br />

Fosse Way, 233, 290<br />

653


Fougères, 156, 191, 193, 373, 374, 375, 490<br />

Fouilloi, Hugues de, 458<br />

Foulque d’Anjou, 5, 111, 225, 260, 261, 262, 276,<br />

347, 415<br />

Foulque Nerra, 111, 225, 260, 262, 276<br />

Framlingham, 140, 141, 182, 478, 538<br />

Frédéric Barberousse, 12, 102, 438, 616<br />

<strong>Free</strong>mantle, 536, 570<br />

Fréteval, 312, 316, 323<br />

Furnell, Guillaume de, 515<br />

G<br />

Gaillon, 39, 321, 326, 327, 328, 332, 335, 369, 383,<br />

390<br />

Ganne (motte de Ger), 577<br />

Gasny, 312<br />

Gavray, 455<br />

Geddington, 342<br />

Ge<strong>of</strong>froy le Bel, 5, 188, 241, 252, 415<br />

Gerberoy, 311<br />

Gévaudan, 377, 380, 381<br />

Gisors, 276, 312, 317, 318, 319, 321, 322, 405, 427,<br />

429, 467, 477, 489, 491, 493, 524, 581, 611<br />

Glanvill, Ranulf, Roger ou Barthélemy, 33, 43, 68,<br />

126, 127, 292, 524, 528, 565, 604<br />

Glastonbury, 163, 417, 418, 420, 456<br />

Gloucester, 110, 133, 144, 169, 265, 342, 343, 345,<br />

346, 423, 437, 557, 574, 607<br />

Godstow, 463, 569, 570<br />

Gorron, 186, 517, 521<br />

Gournay, Hugues, 311, 327<br />

Graçay, 381, 385, 387, 388, 390<br />

Grandmont, 14, 53, 100, 173, 174, 201, 202, 203,<br />

211, 212, 311, 385, 387, 388, 409, 413, 472, 506,<br />

579, 582, 595, 596, 597, 598, 612<br />

Gray, Jean de, 238, 361, 363<br />

Grimsby, 167, 528<br />

Grosmont, 341, 347, 348, 528<br />

Guillaume de Briouze, 146, 147, 346, 347, 348, 362,<br />

571, 572<br />

Guillaume le Conquérant, 5, 7, 40, 105, 181, 182,<br />

251, 252, 339, 351, 407, 415, 420, 435, 437, 467,<br />

479, 484, 488, 549, 551, 567, 602<br />

Guillaume Le Roux, 275, 471<br />

Guitry, 311<br />

H<br />

Hanley, 460, 512<br />

Harfleur, 283<br />

Hastings, 148, 182, 514, 515, 516, 536, 556, 558<br />

Hautefort, 210, 213, 369<br />

Havering, 247, 460, 531, 567<br />

Haye-aux-Bonshommes, 171, 173, 254<br />

Henri I er d’Angleterre, 5, 17, 21, 42, 120, 125, 129,<br />

165, 167, 181, 219, 230, 233, 252, 253, 274, 275,<br />

282, 294, 310, 313, 327, 348, 410, 420, 421, 435,<br />

440, 467, 471, 473, 484, 503, 522, 532, 567, 612<br />

Henri III d’Angleterre, 23, 25, 51, 91, 108, 149, 183,<br />

236, 238, 240, 379, 408, 436, 463, 482, 485, 513,<br />

531, 533, 559, 574, 580, 599<br />

Henri le Jeune, 142, 198, 415<br />

Hereford, 107, 108, 163, 167, 265, 274, 275, 339,<br />

344, 347, 348, 350, 430, 521, 522, 575<br />

Hommet, Guillaume du, 157, 373, 374, 523<br />

Horston (Harestan), 478, 479<br />

Hoveden, Roger de, 48, 49, 101, 106, 107, 136, 190,<br />

211, 212, 232, 269, 278, 279, 316, 321, 324, 327,<br />

346, 359, 360, 369, 377, 379, 412, 442, 443, 444,<br />

486<br />

Huntingdon, 47, 49, 290, 352, 354, 540<br />

654


I<br />

Ilchester, Richard de, 21, 26, 561<br />

Iowerth Goch, 342<br />

Issoire, 380, 382<br />

Issoudun, 327, 386, 388, 389, 390<br />

Itier, Bernard, 51, 177, 213, 384<br />

Iton, 230, 313, 323, 325, 334<br />

Ivry-la-Bataille, 317, 327<br />

J<br />

Jarnac, 207, 393<br />

Jedburgh, 143, 354<br />

K<br />

Kenfig, 344, 345<br />

Kenilworth, 132, 455, 478, 513<br />

Kinfare, 460<br />

Kingston, 267, 268<br />

Kington, 193, 229, 341<br />

Knaresborough, 284, 457, 478, 480, 481, 486, 488,<br />

526, 527, 540, 565<br />

Kneep, 540<br />

L<br />

La Chaise-Dieu (abbaye), 382<br />

La Châtre, 323, 385, 386, 390<br />

La Guerche, 192, 375<br />

La Hose, Martin de, 524<br />

La Hose, Osbert de, 175, 472<br />

La Lyre, 471<br />

La Meilleraye, 201, 202, 205<br />

La Réole, 370, 371<br />

La Roche d’Orival, 326, 331, 333, 337, 456, 489<br />

La Rochelle, 94, 146, 201, 202, 207, 265, 272, 276,<br />

289, 391, 392, 394, 395, 596, 614<br />

Lacy, Hugues de, 256, 348, 356, 359, 360, 362, 615<br />

Lancaster, 182, 256, 478, 481, 571, 606<br />

Lanfranc, archevêque de Canterbury, 425, 549, 552<br />

Laugharne, 110, 346<br />

Le Breton, Guillaume, 52, 185, 215, 244, 330, 336,<br />

477<br />

Le Chantre, Pierre, 458<br />

Le Goulet, 38, 39, 334, 390<br />

Le Liget, 171, 174, 201, 254, 387, 388, 391<br />

Le Mans, 89, 159, 171, 172, 173, 186, 201, 255, 256,<br />

289, 316, 321, 401, 422, 426, 448, 568, 580, 581<br />

Le Maréchal, Guillaume, 31, 52, 138, 144, 204, 215,<br />

280, 333, 336, 345, 347, 362, 468<br />

Le Teilleul, 133<br />

Le Valasse, 168<br />

Le Vaudreuil, 322, 326, 328, 332, 336, 489, 516, 517,<br />

521, 540<br />

Le Vœu (abbaye), 175, 183, 472<br />

Leicester, 132, 140, 143, 327, 527<br />

Léon, 102, 189, 191, 193, 551, 563<br />

Les Andelys, 59, 91, 158, 280, 282, 309, 312, 328,<br />

330, 331, 335, 427, 429, 469, 480, 516, 518, 527,<br />

540, 547, 550, 576<br />

Leveland, Nathanaël ou Robert, 301, 532<br />

Lewes, 182<br />

Lieu-Dieu-en-Jard, 203, 568<br />

Limerick, 146, 356, 362<br />

Limoges, 51, 141, 142, 159, 161, 177, 207, 210, 211,<br />

212, 213, 214, 215, 217, 274, 286, 368, 393, 396,<br />

416, 417, 433<br />

Lincoln, 164, 166, 168, 183, 233, 234, 235, 236, 237,<br />

294, 429, 432, 439, 469, 486, 509, 512, 514, 521,<br />

556, 559, 563, 611<br />

Lisieux, 518, 559<br />

Llandovery, 340<br />

Llanstephan, 110, 346<br />

655


Llantilio (White Castle), 341, 347, 348<br />

Llanwaddyn, 347<br />

Llywelyn ap Iowerth, 348<br />

Loches, 5, 145, 195, 244, 323, 387, 389, 390, 392,<br />

491, 568<br />

Londres, 3, 24, 27, 30, 35, 49, 57, 107, 164, 168, 212,<br />

237, 243, 245, 246, 247, 263, 264, 266, 268, 269,<br />

283, 294, 298, 299, 300, 364, 404, 424, 427, 431,<br />

432, 435, 436, 440, 445, 460, 471, 475, 482, 484,<br />

485, 491, 511, 516, 532, 533, 536, 538, 552, 556,<br />

560, 561, 562, 563, 564, 565, 569, 570, 571, 580,<br />

581, 587, 610, 612<br />

Longchamp, Guillaume ou Osbert, 143, 156, 245,<br />

301, 331, 332, 336, 348, 432, 486, 523, 532, 533,<br />

621<br />

Loudun, 5, 195, 198, 392<br />

Louis VII, roi de France, 6, 39, 102, 132, 137, 242,<br />

243, 244, 250, 279, 283, 310, 311, 312, 315, 318,<br />

330, 365, 366, 367, 373, 377, 381, 382, 384, 385,<br />

386, 405, 409, 444<br />

Louviers, 276, 325, 327, 332, 469<br />

Lucy, Walter de, 360<br />

Ludgarshall, 456<br />

Lusignan, 195, 197, 211, 212, 217, 391, 392, 393,<br />

394, 395<br />

Lyons-la-Forêt, 165, 314, 319, 326, 328, 331, 421,<br />

427, 518, 522<br />

M<br />

Maison-Dieu de Coëffort, 173, 255, 256<br />

Malton, 148, 530<br />

Mandeville, 128, 149<br />

Mansfield, 461<br />

Map, Gauthier, 54, 430<br />

Mara, Guillaume, 524<br />

Marans, 207<br />

Marçay, Étienne de, 170, 171, 173, 174, 178, 431,<br />

507<br />

Margam, 53, 167, 345<br />

Marlborough, 64, 427, 429, 464, 536, 556, 557, 570,<br />

572, 581<br />

Marmande, 371, 396<br />

Matha, 207<br />

Mathieu fils d’Enard, 518<br />

Mathilde l’Emperesse, 5, 71, 166, 168, 169, 174, 183,<br />

187, 201, 208, 241, 253, 352, 408, 413, 420, 440,<br />

467, 472, 551, 577, 582, 592<br />

Mathrafal, 348, 578<br />

Mauléon, 199, 205, 391, 392, 393, 394, 598<br />

Maurice de Craon, 186, 191, 375, 392<br />

Mauzé, 207, 393, 395<br />

Melbourn, 460<br />

Mercadier, 209, 331, 389<br />

Merpins, 207, 208, 393<br />

Merton, 263, 268<br />

Mervent, 391, 395<br />

Meulan, comtes de, 125, 132, 134, 144, 166, 168,<br />

178, 186, 453<br />

Mirebeau, 195, 392<br />

Mondoubleau, 321<br />

Monhalt, 163, 341<br />

Monnais, 311<br />

Montferrand, 129, 368, 380, 381, 382, 383<br />

Montfort-l’Amaury, 311<br />

Montgomery, 340, 348<br />

Montivilliers, 283<br />

Montmirail, 315, 385<br />

Montoire-sur-le-Loir, 316, 321, 392<br />

Montrésor, 145, 388<br />

Montreuil-Bellay, 127, 145<br />

Mont-Saint-Michel, 47, 159, 289, 471, 519<br />

656


Mortain, 34, 39, 133, 144, 169, 185, 256, 313, 346,<br />

423, 488<br />

Mortemer (abbaye), 165, 168<br />

Moulineaux, 146, 326, 332, 337, 489, 529<br />

Mountsorel, 132, 513<br />

N<br />

Najac-le-Rouergue, 368, 397<br />

Nantes, 156, 190, 192, 194, 196, 243, 373, 375, 434<br />

Navarre, 94, 102, 369, 377, 379, 468<br />

Navarre, Bérengère de, 94, 377<br />

Neath, 344, 345, 347<br />

Neaufle, 312, 317, 319, 322<br />

Neckam, Alexandre, 458<br />

Néhou, 144, 466, 567<br />

Neubourg, 210, 324, 334, 335, 336<br />

Neufmarché, 310, 326, 327<br />

Newark-on-Trent, 233, 512<br />

Newburgh, Guillaume de, 49, 131, 184, 329, 367,<br />

441, 621<br />

Newcastle-under-Lyme, 183, 488<br />

Newcastle-upon-Tyne, 147, 164, 183, 351, 352, 354,<br />

475, 477, 488, 524, 528, 539, 587, 593, 596, 604,<br />

607, 611<br />

Newstead, 183<br />

Nicolas des Andelys, ingénieur, 480, 527, 540<br />

Niort, 201, 202, 203, 204, 274, 391, 392, 393, 395,<br />

491<br />

Nonancourt, 282, 311, 313, 321, 326, 327<br />

Nonette, 382, 383<br />

Norham, 147, 164, 351, 539<br />

Northampton, 42, 73, 127, 138, 148, 182, 201, 298,<br />

424, 453, 461, 515, 528, 542, 567, 574<br />

Norwich, 148, 181, 238, 556, 559<br />

Nottingham, 123, 125, 130, 183, 294, 416, 455, 475,<br />

479, 513, 514, 526, 527, 530, 540, 556, 558, 559,<br />

563, 567<br />

O<br />

Odiham, 164, 475, 482, 492, 493, 494, 556<br />

Oléron, 272, 391, 568<br />

Orbestier, 199, 205, 568, 598<br />

Orford, 141, 229, 318, 475, 478, 487, 492, 493, 517,<br />

551, 552<br />

Oswestry, 340, 348<br />

Owain du Gwynedd, 340, 341, 464<br />

Oxford, 3, 8, 21, 54, 91, 104, 148, 168, 346, 357, 404,<br />

455, 460, 463, 469, 486, 520, 522, 530, 531, 533,<br />

535, 542, 554, 569, 570<br />

P<br />

Pacy-sur-Eure, 132, 143, 311, 317, 321, 326, 327<br />

Palluau, 145, 388<br />

<strong>Paris</strong>, Mathieu, 50, 106, 107, 420, 438, 476, 485, 486<br />

Parthenay, 203, 392, 395, 491<br />

Pays de Galles, 51, 59, 71, 72, 77, 105, 134, 135,<br />

150, 163, 167, 267, 274, 308, 339, 340, 341, 342,<br />

343, 344, 345, 346, 347, 348, 349, 350, 365, 430,<br />

465, 524, 526, 550, 571, 576, 577, 578, 607, 622,<br />

623<br />

Peak, 183, 294, 360, 479, 587, 605, 606, 610, 611,<br />

612<br />

Pembroke, 52, 110, 138, 144, 215, 280, 333, 339,<br />

342, 344, 345, 441, 468<br />

Penne, 372<br />

Périgueux, 209, 369<br />

Petraleone, Hugo de, 264<br />

Pevensey, 181, 536, 570<br />

Peverell, 183, 342, 479<br />

657


Philippe Auguste, roi de France, 38, 39, 40, 41, 52,<br />

144, 158, 159, 161, 170, 185, 194, 195, 199, 212,<br />

214, 215, 217, 221, 241, 243, 244, 258, 276, 280,<br />

281, 283, 291, 316, 318, 321, 322, 323, 324, 325,<br />

326, 327, 329, 330, 333, 334, 336, 338, 368, 369,<br />

383, 384, 385, 388, 389, 390, 391, 392, 393, 394,<br />

423, 435, 444, 466, 468, 477, 492, 504, 505, 603,<br />

619<br />

Pickering, 184, 515<br />

Pipard, Roger, 363<br />

Pocklington, 515<br />

Poitiers, 6, 7, 41, 44, 130, 137, 159, 173, 197, 198,<br />

199, 215, 243, 244, 245, 247, 257, 272, 276, 365,<br />

392, 394, 416, 427, 434, 450, 491, 548, 568<br />

Pont-de-l’Arche, 146, 325, 326, 332, 517<br />

Pontorson, 159, 190, 373, 523<br />

Ponts-de-Cé, 261<br />

Porhoët, Eudo de, 189<br />

Portchester, 455, 522, 570<br />

Port-joie, 332<br />

Portsmouth, 284, 488, 556, 565, 570, 571, 577<br />

Powerstock, 460<br />

Précigni, Guillaume de, 145<br />

Prestatyn, 163, 341<br />

Prudhoe, 354<br />

Purbeck, 264, 556, 559, 560, 566<br />

Q<br />

Quarr (île de Wright), 553, 554, 555, 556, 561, 563,<br />

566<br />

Quettehou, 465<br />

Quevilly, 253, 254, 464, 467<br />

R<br />

Radepont, 326, 331, 332, 336, 517<br />

Ramsey (abbaye), 557<br />

Rancon, 208, 209, 391, 393<br />

Raymond Béranger, comte de Barcelone, 367<br />

Raymond de Saint-Gilles, comte de Toulouse, 365,<br />

366, 367<br />

Reading, 40, 165, 421, 470, 473<br />

Reigate, 182, 538, 556, 563, 564<br />

Rennes, 58, 156, 190, 191, 194, 374, 375, 490<br />

Rhymney, 267, 345<br />

Rhys ap Dale, 341, 464<br />

Richmond, 148, 185, 194, 354, 480, 522, 571, 572,<br />

602, 603, 611<br />

Rigord, 52, 215, 221, 244, 330<br />

Riom, 380, 382, 383, 384<br />

Robert de Courteheuse, 130<br />

Robert fils d’Herman, 518<br />

Robert Wace, 46, 266, 411, 418, 429<br />

Rocamadour, 367, 368<br />

Rochefort, 311<br />

Roche-Mabile, 186<br />

Roches, Guillaume des, 392, 395, 508<br />

Rochester, 226, 227, 239, 240, 282, 522, 536, 570,<br />

571<br />

Rollon (duc de Normandie), 46, 124, 412, 618<br />

Romney, 516<br />

Roncaglia, 12, 102, 293<br />

Rory O'Connor, roi de Connaught, 357, 360<br />

Rothley, 300<br />

Rouen, 4, 6, 20, 47, 74, 158, 167, 168, 174, 175, 177,<br />

201, 202, 240, 241, 242, 243, 244, 247, 251, 252,<br />

253, 254, 256, 257, 258, 262, 272, 276, 280, 282,<br />

283, 322, 326, 328, 331, 333, 336, 337, 404, 412,<br />

421, 422, 427, 434, 435, 464, 467, 468, 489, 498,<br />

517, 521, 530, 567, 573, 578, 582, 593, 611<br />

Roxburgh, 143, 354<br />

Ruddlan, 163<br />

Runnymede, 148<br />

658


Ruthin, 340, 349<br />

S<br />

Saffron Walden, 140, 182<br />

Saint Edmunds, 426, 470, 557, 584<br />

Saint-André de Gourfailles, 255<br />

Saint-André de Gourffailles, 203<br />

Saintes, 207, 237, 265, 266, 272<br />

Saint-Florent de Saumur, 262<br />

Saint-Remy-sur-Creuse, 199, 487<br />

Saint-Yrieix, 14, 211<br />

Salisbury, 50, 55, 98, 130, 150, 164, 179, 197, 215,<br />

221, 239, 277, 303, 407, 464, 486, 512, 514, 522<br />

Salisbury, Jean de, 50, 55, 98, 150, 179, 221, 277,<br />

303, 407<br />

Sandal, 182<br />

Sandwich, 516<br />

Saumur, 262, 296, 434, 568<br />

Savigny, 169, 290, 291, 577<br />

Sawale fils d’Henri, 518<br />

Sawtry (abbaye), 557<br />

Scarborough, 147, 184, 354, 475, 478, 481, 515, 542<br />

Sées, 158, 161, 186<br />

Severn, 110, 341, 343, 344<br />

Sherwood (forêt), 461, 558, 568<br />

Shrawardine, 342, 348<br />

Shrewsbury, 275, 340, 341, 343, 348, 607, 608<br />

Silvestone, 461, 528<br />

Skenfirth, 341, 347, 348<br />

Southampton, 284, 404, 423, 427, 431, 516, 525, 528,<br />

552, 556, 560, 561, 562, 563, 564, 570, 571, 610,<br />

614<br />

St Albans, 50, 267, 470, 543, 557<br />

St Davids, 157<br />

Stafford, 183<br />

Stirling, 143, 354<br />

Stoneleigh, 166, 592<br />

Strongbow, Richard Fitz Gilbert de Clare dit, 345,<br />

356, 357, 362<br />

Stuteville, Guillaume ou Roger de, 270, 354, 480,<br />

600, 604<br />

Subligny, Jean de, 373<br />

Suger, abbé de Saint-Denis, 12, 130, 243, 409, 559<br />

Sully, Henri de, 410, 411, 418<br />

Surgères, 207<br />

Swansea, 344, 346, 347<br />

Swereford, Alexander, 25, 39<br />

T<br />

Taillebourg, 208, 209<br />

Talmont, 198, 199, 200, 202, 203, 205, 316, 391,<br />

491, 598<br />

Talvas, Guillaume, 186, 187<br />

Tamise, 246, 263, 267, 268, 269, 404, 484, 486, 538,<br />

557, 563, 564, 581<br />

Taynton, 515, 554, 555, 556, 557, 566<br />

Thomas Becket, 45, 47, 48, 50, 53, 55, 152, 153, 154,<br />

155, 156, 158, 167, 173, 176, 190, 201, 211, 232,<br />

246, 251, 253, 263, 266, 318, 368, 387, 408, 416,<br />

417, 423, 424, 439, 506, 579, 592, 593, 596, 612<br />

Thouars, 6, 44, 145, 189, 195, 196, 197, 243, 273,<br />

375, 391, 392, 393, 394, 400, 401, 437<br />

Tickhill, 183, 455, 478, 479, 492<br />

Tillières, 38, 144, 313, 317, 324, 326, 331, 334<br />

Tinchebray, 5, 133, 456, 577<br />

Tinténiac, 189, 193<br />

Torigini, Robert de, 47, 125<br />

Torksey, 183, 294, 612<br />

Tosny, 332, 337, 577<br />

Totnes, 562<br />

Toulouse, 307, 311, 365, 366, 367, 368, 369, 370,<br />

371, 372, 377, 378, 380, 382, 384, 397<br />

659


Tours, 111, 115, 157, 170, 171, 198, 202, 289, 321,<br />

323, 324, 385, 412, 431, 455<br />

Trencavel, Raymond comte de Béziers, 120, 134,<br />

366, 367, 369<br />

Tresgoz, Robert de, 463, 523, 562, 563<br />

Trim, 360, 364<br />

Trôo, 321, 323<br />

Turenne, 210, 212, 369<br />

Turnham, Robert de, 207<br />

Tweedmouth, 164, 356<br />

U<br />

Ulecote, Philippe, 147<br />

Urric, ingénieur, 65, 331, 392, 508, 525, 539, 540<br />

V<br />

Valognes, 172, 289, 464, 465, 572<br />

Vannes, 189, 191<br />

Varenne, 178, 179<br />

Vatteville-la-Rue, 59, 453<br />

Vaux, Robert de, 354, 600, 602, 604<br />

Vendôme, 9, 184, 277, 315, 316, 323, 392<br />

Verneuil, 230, 276, 281, 282, 311, 313, 323, 327,<br />

331, 332, 337, 540<br />

Vernon, 144, 311, 317, 326, 327, 335, 466, 516<br />

Vierzon, 390<br />

Vigeois, Ge<strong>of</strong>froy de, 51, 125, 141, 177, 211, 368,<br />

369, 416<br />

Villentrois, 385, 390<br />

Villiers (prieuré), 201, 385<br />

Vital, Orderic, 46, 47, 130, 205, 242<br />

Vitré, 192, 373, 374, 490<br />

Vouvant, 197, 395<br />

W<br />

Wallingford, 38, 106, 130, 148, 169, 268, 455, 570,<br />

575, 578<br />

Walter, Hubert, 25, 35, 49, 155, 157, 299, 348, 424,<br />

608<br />

Waltham, 106, 176, 182, 470, 512, 556, 563, 564,<br />

570, 571, 579, 582, 585, 586, 587, 588, 589, 590,<br />

591, 602, 612<br />

Walton, 140, 182, 478, 538<br />

Wark-on-Tweed, 352<br />

Wark-on-Tyne, 352<br />

Warkworth, 354<br />

Waterford, 356, 357, 364<br />

Watling Street, 290, 427<br />

Wedmore, 423, 473<br />

Wells, 473, 559, 591<br />

Wendower, Roger de, 50, 444, 505<br />

Westminster, 6, 22, 25, 38, 108, 109, 130, 269, 274,<br />

298, 301, 407, 420, 423, 435, 437, 439, 440, 441,<br />

442, 445, 450, 454, 455, 456, 461, 464, 467, 470,<br />

471, 520, 531, 532, 533, 536, 537, 538, 544, 555,<br />

556, 559, 563, 570, 588<br />

Wexford, 356, 357, 550<br />

Wickford, 469, 539<br />

Winchester, 38, 53, 74, 129, 130, 131, 144, 148, 163,<br />

181, 231, 238, 285, 427, 431, 435, 437, 443, 457,<br />

482, 483, 536, 553, 556, 559, 561, 562, 570, 571,<br />

572, 577, 579, 581, 584, 610<br />

Windsor, 24, 101, 135, 147, 256, 342, 357, 360, 397,<br />

427, 457, 482, 484, 485, 530, 531, 533, 537, 555,<br />

556, 563, 564, 565, 568, 570, 579, 581, 602<br />

Wisbech, 146<br />

Witham, 164, 176, 294, 470, 512, 582, 591, 592, 612<br />

Wolvesey, 182, 483<br />

660


Woodstock, 163, 341, 404, 431, 457, 461, 462, 463,<br />

464, 531, 536, 542, 567, 569, 570, 578, 579, 580,<br />

581<br />

Worcester, 53, 343, 423, 438, 521, 522, 560<br />

Writtle, 300, 461<br />

Wrotham, Guillaume de, 515, 516<br />

Wycombe, 575<br />

Wye, 110, 343, 344<br />

Y<br />

Yale, (Tomen-y-faerdre), 349, 576<br />

Yarm, 604, 611, 612<br />

York, 49, 161, 184, 280, 294, 298, 351, 354, 356,<br />

439, 479, 486, 488, 509, 515, 525, 526, 554, 556,<br />

565, 581, 593, 604, 611<br />

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E 101/349/1B, -/2, -/3<br />

E101/325/1<br />

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731


Table des matières<br />

REMERCIEMENTS................................................................................................................... 2<br />

ABRÉVIATIONS ........................................................................................................................ 3<br />

INTRODUCTION ....................................................................................................................... 5<br />

1.1.1- Territoires et féodalités .................................................................................................... 7<br />

1.1.2- Spatialisation et féodalisation ........................................................................................ 10<br />

1.1.3- Présentation des chapitres .............................................................................................. 13<br />

CHAPITRE 1 : CORPUS, MÉTHODES ET HISTORIOGRAPHIE DE L’ESPACE ET<br />

DES CONSTRUCTIONS DES PLANTAGENÊT ................................................................. 17<br />

1- LES CHANTIERS DE CONSTRUCTIONS À TRAVERS LA PRODUCTION DES DOCUMENTS<br />

ÉCRITS AU XII E SIÈCLE .............................................................................................................. 17<br />

1.1- LES INSTITUTIONS DU POUVOIR PLANTAGENÊT ET LEUR DOCUMENTATION.................... 20<br />

1.1.1- L’Échiquier .................................................................................................................... 20<br />

Le système d’audit et d’enregistrement des comptes ............................................................ 20<br />

Manuscrits et publications des rouleaux de l’Échiquier........................................................ 24<br />

1.1.2- La Chambre ................................................................................................................... 30<br />

1.1.3- La chancellerie ............................................................................................................... 35<br />

1.2- L’ESSOR DU DROIT ET DE L’ADMINISTRATION : LES TEXTES JURIDIQUES, JUDICIAIRES ET<br />

DE JURIDICTION ........................................................................................................................... 39<br />

1.2.1- Pactes, conventions et traités ......................................................................................... 39<br />

1.2.2- Les enquêtes .................................................................................................................. 41<br />

1.2.3- Les jugements, assises et constitutions de lois .............................................................. 43<br />

1.3- LE DÉVELOPPEMENT DE LA CONSCIENCE HISTORIQUE ET MÉMORIELLE DANS LES TEXTES<br />

NARRATIFS ................................................................................................................................... 45<br />

1.3.1- Les chroniques et le développement des écrits historiques à la cour des Plantagenêt ... 46<br />

Les écrits sur le passé ............................................................................................................ 47<br />

Les chroniques sur le présent ................................................................................................ 48<br />

1.3.2- Annales et obituaires monastiques ................................................................................ 54<br />

1.3.3- La littérature de cour, sur la cour et sur le pouvoir ....................................................... 55<br />

732


1.4- L’ANALYSE MONUMENTALE AU TRAVERS DE LA DOCUMENTATION ARCHÉOLOGIQUE :<br />

UNE APPROCHE LIMITÉE .............................................................................................................. 58<br />

2- OUTILS MÉTHODOLOGIQUES : INFORMATIQUE ET STATISTIQUES ................................. 62<br />

2.1- PRÉSENTATION DE LA BASE DE DONNÉES PLANTAGENÊT ........................................... 62<br />

2.1.1- Les tables des sources .................................................................................................... 63<br />

2.1.2- Les tables d’inventaire .................................................................................................. 67<br />

La table SITES PLANTAGENET ........................................................................................ 67<br />

La table AGENTS ................................................................................................................. 67<br />

La table ITINERAIRES ........................................................................................................ 69<br />

2.2- LE TRAITEMENT STATISTIQUE ET CARTOGRAPHIQUE DES DONNÉES. ............................... 70<br />

2.2.1- Les questionnaires ......................................................................................................... 71<br />

2.2.2- Le codage des sources .................................................................................................. 72<br />

2.2.3- Les analyses factorielles ............................................................................................... 76<br />

L’ACM SITE ........................................................................................................................ 78<br />

L’ACM TRAVAUX ............................................................................................................. 80<br />

2.2.4- Les applications cartographiques.................................................................................. 81<br />

3- ESPACE FÉODAL ET CONSTRUCTION TERRITORIALE : LES ENJEUX<br />

HISTORIOGRAPHIQUES ET CARTOGRAPHIQUES DE L’ « EMPIRE » ......................................... 83<br />

3.1- L’EMPIRE DES PLANTAGENÊT : QUEL ESPACE ? ............................................................... 83<br />

3.1.1- Y a-t-il eu un « tournant spatial » en histoire médiévale ? ............................................ 83<br />

L’espace des historiens au XX e siècle ................................................................................... 83<br />

Changer d’échelle : l’analyse macro-spatiale et la question de l’empire .............................. 91<br />

L’empire Plantagenêt chez les médiévistes britanniques. ..................................................... 92<br />

3.1.2- L’espace des Plantagenêt : un empire ? ........................................................................ 95<br />

3.1.3- L’imperium Plantagenêt : une souveraineté territoriale ? ........................................... 102<br />

3.2- REPRÉSENTER L’EMPIRE : QUELS ENJEUX ? .................................................................... 106<br />

3.2.1- Un enjeu de pouvoir pour les Plantagenêt ................................................................... 106<br />

La géographie des Plantagenêt : un savoir aulique et pratique ........................................... 107<br />

La cartographie médiévale : un reflet des transformations politiques ? .............................. 108<br />

Le rôle des constructions dans la géographie du XII e siècle ............................................... 113<br />

3.2.2- Un enjeu scientifique : quelques tentatives de cartographie historique et statistique . 114<br />

3.3- CONCLUSION DU CHAPITRE ............................................................................................ 122<br />

733


CHAPITRE 2 : CONTRÔLER LES LIEUX ET MARQUER L’ESPACE :<br />

TOPOGRAPHIE DE L’AFFIRMATION DE LA PUISSANCE PUBLIQUE .................. 124<br />

1- CONFISQUER ET DÉTRUIRE : LE POUVOIR ROYAL ENTRE REVENDICATION DU DROIT ET<br />

USAGE DE LA FORCE MILITAIRE .............................................................................................. 127<br />

1.1- LA CONQUÊTE DU POUVOIR ET L’AFFIRMATION DE LA POTESTAS REGIS ......................... 127<br />

1.1.1- Le droit de reddibilité et la prerogativa regis ............................................................... 127<br />

1.1.2- La destruction des châteaux illégaux et la licence de fortifier ..................................... 131<br />

1.1.3- Le traité de Winchester et la destruction des châteaux « adultérins » ......................... 133<br />

1.2- EXTENSION ET NORMALISATION DES PRATIQUES PUNITIVES À L’ÉCHELLE DE L’EMPIRE<br />

APRÈS 1173 ................................................................................................................................ 139<br />

1.2.1- Les conséquences de la révolte de 1173 et le renforcement de la domination territoriale<br />

des Plantagenêt .......................................................................................................................... 139<br />

1.2.2- Qu’est-ce que détruire ? .............................................................................................. 142<br />

Le démantèlement de châteaux et sa symbolique ............................................................... 144<br />

Les murailles du château de Limoges ................................................................................. 146<br />

1.3- VERS UN GOUVERNEMENT AUTOCRATIQUE ? LE SORT DES CHÂTEAUX REBELLES SOUS<br />

RICHARD ET JEAN ...................................................................................................................... 147<br />

1.3.1- De Richard à Jean : la politique castrale de Jean en Anjou et en Normandie et la défaite<br />

de 1204 ..................................................................................................................................... 147<br />

1.3.2- Rébellions et répression en Angleterre de 1204 à la Magna Carta ............................. 151<br />

1.3.3- La Magna Carta et les châteaux adultérins .................................................................. 153<br />

2- L’ÉGLISE COMME ESPACE D’AFFIRMATION DE LA POTESTAS REGIS ............................ 157<br />

2.1- LA LUTTE CONTRE LA TERRITORIALISATION DES ÉGLISES ET L’AFFIRMATION DE LA<br />

POTESTAS REGIS SUR LES LIEUX SAINTS ..................................................................................... 160<br />

2.1.1- Les élections épiscopales, le contrôle du territoire et des élites locales ...................... 160<br />

2.1.2- L’affirmation de la voluntas regis : une version du renforcement de la potestas regis<br />

face à l’essor de la libertas ecclesiae ? ...................................................................................... 165<br />

2.1.3- Résister aux redéfinitions du droit de patronage et sur les vacances épiscopales et<br />

abbatiales ................................................................................................................................... 167<br />

2.2- LES REFONDATIONS COMME PRATIQUE POLITIQUE ........................................................ 170<br />

2.2.1- Les refondations de Mathilde et Henri ........................................................................ 171<br />

2.2.2- Henri II, les fondations de ses <strong>of</strong>ficiers et la reconnaissance du droit du roi ............. 175<br />

2.2.3- Le rôle des laïcs dans les rituels de la pose de la première pierre .............................. 182<br />

734


3- LA CONQUÊTE DES MARCHES INTÉRIEURES : RÉSEAUX GLOBAUX ET L’ÉMERGENCE DE<br />

NOUVEAUX TERRITOIRES ........................................................................................................ 186<br />

3.1- INTÉGRATION ET DÉSINTÉGRATION DES MARCHES DE L’ESPACE « IMPÉRIAL » ANGLO-<br />

NORMAND .................................................................................................................................. 187<br />

3.1.1- Le démantèlement des grands honneurs anglais .......................................................... 187<br />

3.1.2- La fin des marches normano-mancelles ? ................................................................... 191<br />

3.1.3- L’annexion du duché de Bretagne après 1166 : entre insertion et intégration ............ 195<br />

Le pouvoir des Plantagenêt en Bretagne : entre imperium et dominium ............................. 195<br />

L’insertion des seigneurs des marches ................................................................................ 198<br />

3.2- LES STRATÉGIES D’IMPLANTATION DU POUVOIR DANS LES MARCHES DU POITOU ........ 201<br />

3.2.1- La neutralisation temporaire des seigneuries de Thouars et Lusignan ........................ 202<br />

3.2.2- Les fortifications des marches du Poitou dans les années 1180 ................................. 204<br />

3.2.3- Le relais des fondations monastiques ......................................................................... 207<br />

3.3- L’ÉCHEC DE L’AFFIRMATION DE LA POTESTAS REGIS EN AQUITAINE ............................ 213<br />

3.3.1- L’Angoumois : la résistance d’une principauté territoriale en expansion ................... 213<br />

3.3.2- Le Limousin : un espace pivot mais incontrôlable ..................................................... 217<br />

3.3.3- Un peuple d’insoumis ? L’impossible territorialisation du pouvoir royal en Aquitaine. .<br />

.................................................................................................................................... 221<br />

3.4- CONCLUSION DU CHAPITRE ............................................................................................ 225<br />

CHAPITRE 3 : DES TRAVAUX COMMUNS AUX TRAVAUX « PUBLICS » : LA<br />

CONSTRUCTION D’UN TERRITOIRE POLITIQUE ..................................................... 227<br />

1- LES CONSTRUCTIONS D’UTILITÉ COMMUNE COMME EXPRESSION DU DOMINIUM<br />

PLANTAGENÊT ......................................................................................................................... 231<br />

1.1- DES TRAVAUX « PUBLICS » AUX TRAVAUX « COMMUNS » : LA FÉODALISATION DES<br />

TRAVAUX D’UTILITÉ PUBLIQUE ................................................................................................. 231<br />

1.1.1- Des « sordida munera » au « common burden » : la féodalisation des travaux d’utilité<br />

publique ..................................................................................................................................... 231<br />

1.1.2- Les travaux d’utilité commune au cœur de l’économie domaniale ............................. 235<br />

1.1.3- La substitution du roi aux autorités locales et l’accomplissement de travaux « publics »<br />

..................................................................................................................................... 239<br />

1.2- LES PLANTAGENÊT ET LEURS CAPITALES : INSCRIRE L’AUTORITÉ DU PRINCE DANS<br />

L’ESPACE DES COMMUNAUTÉS URBAINES ................................................................................. 244<br />

1.2.1- Lieux communs et « travaux d’utilité publique » dans les villes royales .................... 245<br />

1.2.2- Contribuer à l’essor de Rouen ..................................................................................... 248<br />

735


1.2.3- La construction des enceintes à Nantes et Poitiers ...................................................... 251<br />

1.2.4- Réparer les murs de Londres : entre utilité commune et urgence militaire ................. 253<br />

2- LE PATRONAGE ROYAL DES TRAVAUX D’UTILITÉ COMMUNE COMME ŒUVRES<br />

CHARITABLE ............................................................................................................................. 257<br />

2.1- LE PATRONAGE ROYAL DES INSTITUTIONS À VOCATION CHARITABLE : UNE ŒUVRE DE<br />

PIÉTÉ ? ....................................................................................................................................... 257<br />

2.1.1- Le patronage des institutions charitables et des établissements hospitaliers ............... 257<br />

2.1.2- Les Plantagenêt et le patronage des chantiers de cathédrales ..................................... 265<br />

2.2- LES PLANTAGENÊT ET LA CONSTRUCTION DE PONTS : UN SIMPLE RAPPORT DE<br />

PATRONAGE ? ............................................................................................................................ 267<br />

2.2.1- La construction de ponts : entre œuvre charitable et instrument de pouvoir .............. 267<br />

2.2.2- Le patronage royal des ponts et la reconnaissance de leur utilité publique ................ 269<br />

Patronner, exempter, arbitrer les coutumes de pont ............................................................ 269<br />

Le patronage des charités de pont : le cas du pont de Londres ........................................... 272<br />

Un patronage des ponts en Grande Bretagne : des réparations ponctuelles au service de<br />

l’utilité commune ...................................................................................................................... 275<br />

3- LES TRAVAUX D’UTILITÉ PUBLIQUE ET L’AFFIRMATION DE L’AUTORITÉ SOUVERAINE ..<br />

........................................................................................................................................... 280<br />

3.1- LA DÉFENSE ET LA SÉCURITÉ DU TERRITOIRE COMME CADRE D’INTERVENTION DE LA<br />

PUISSANCE PUBLIQUE ................................................................................................................ 280<br />

3.1.1- Les enceintes urbaines dans la défense et la sécurité du territoire ............................... 280<br />

S’assurer les villes du Poitou .............................................................................................. 281<br />

Renforcer les frontières galloises et écossaises ................................................................... 283<br />

3.1.2- Les constructions de défense au cœur de la « guerre publique » ................................ 285<br />

La guerre publique et la défense de la patrie ....................................................................... 285<br />

Les défenses « communes » de la Normandie .................................................................... 290<br />

3.1.3- L’évolution des obligations liées à la défense des villes au XIII e siècle ..................... 293<br />

La défense des villes et l’essor des droits de murage .......................................................... 293<br />

La commutation des anciennes obligations......................................................................... 295<br />

3.2- LA CONSTRUCTION D’UN TERRITOIRE DU ROYAUME : LES TRAVAUX D’UTILITÉ PUBLIQUE<br />

ET LES PRÉROGATIVES DE LA COURONNE ................................................................................. 296<br />

3.2.1- Les routes royales en Angleterre et sur le continent : un domaine public ? ................ 297<br />

Routes royales, voies publiques et chaussées privées au XII e siècle .................................. 298<br />

L’extension de la juridiction royale sur les routes publiques du royaume .......................... 302<br />

736


3.2.2- L’entretien des cours d’eau et le contrôle des voies fluviales .................................... 304<br />

L’entretien des canaux et la prospérité du royaume : un bien commun ? ........................... 304<br />

La restauration des levées de la Loire : une simple charte de franchises ? ......................... 305<br />

3.2.3- La construction de prisons : un marqueur de la puissance publique sur le territoire du<br />

royaume 307<br />

Le quadrillage pénitentiaire du territoire ............................................................................. 308<br />

Sites et chantiers de prisons ................................................................................................ 309<br />

3.3- CONCLUSION DU CHAPITRE ............................................................................................ 312<br />

CHAPITRE 4 : CONSTRUCTIONS ET DÉLIMITATION DES FRONTIÈRES DE<br />

L’EMPIRE ............................................................................................................................... 315<br />

1- LA MILITARISATION ET LA CONSTRUCTION DES DÉLIMITATIONS FRONTALIÈRES ..... 319<br />

1.1- LA DÉLIMITATION DES TERRITOIRES AUX FRONTIÈRES ORIENTALES DE LA NORMANDIE<br />

ET DE L’ANJOU .......................................................................................................................... 319<br />

1.1.1- La marche normano-angevine (1151-1170) comme laboratoire des modes de<br />

délimitation féodale ................................................................................................................... 320<br />

L’instabilité territoriale des marches, lieux d’expression des conflits féodaux .................. 320<br />

La construction des fossés royaux....................................................................................... 323<br />

Le Vendômois : une principauté territoriale comme « marche féodale » ........................... 325<br />

1.1.2- La lutte pour le Vexin 1170-1189 ................................................................................ 327<br />

1.2- L’INTENSIFICATION DU CONFLIT ET LA CONSTRUCTION TERRITORIALE DE LA FRONTIÈRE<br />

NORMANDE DE 1189 À 1200 ...................................................................................................... 331<br />

1.2.1- D’Azay à Gaillon (1189-1195) .................................................................................... 331<br />

1.2.2- De Gaillon à Château Gaillard (1195-1198) ............................................................... 338<br />

1.2.3- Du traité du Goulet à la perte de la Normandie (1200-1204) ...................................... 344<br />

1.3- LES MARCHES GALLOISES : LA DIFFICILE INSERTION FÉODALE ..................................... 350<br />

1.3.1- Le retour de l’initiative royale en Pays de Galles et la fixation des frontières 1154-1172<br />

..................................................................................................................................... 350<br />

Les conquêtes d’Henri II et leurs échecs: la difficile fixation des frontières en Pays de Galles<br />

350<br />

Marchia, Wallia, Kambria : les territoires du Pays de Galles et leurs délimitations .......... 355<br />

1.3.2- Consolidation et extension du pouvoir royal en Pays de Galles ................................. 357<br />

L’instabilité de la marche méridionale galloise .................................................................. 357<br />

Le retour des <strong>of</strong>fensives royales dans les marches et la soumission des princes gallois .... 360<br />

737


2- CONQUÊTES ET INTÉGRATIONS : LA CONSTRUCTION FRONTALIÈRE DE L’IMPERIUM<br />

PLANTAGENÊT ......................................................................................................................... 364<br />

2.1- LES FRONTS D’INTÉGRATION : CONSTRUCTIONS DÉFENSIVES ET DE COLONISATION..... 364<br />

2.1.1- Militarisation et délimitation de la frontière écossaise ................................................ 364<br />

2.1.2- La conquête de l’Irlande : l’établissement d’un front pionnier ................................... 369<br />

2.2- LES FRONTIÈRES DE CONTACTS : ENTRE MILITARISATION ET NÉGOCIATION ................. 378<br />

2.2.1- L’instabilité des frontières du comté de Toulouse et la revendication d’une principauté<br />

convoitée ................................................................................................................................... 378<br />

La guerre de « quarante ans » ............................................................................................. 378<br />

Le renforcement des positions ducales sur la Garonne ....................................................... 383<br />

2.2.2- L’éphémère marche bretonne : espace tampon ou tête de pont ? ............................... 386<br />

3- INTÉGRATION ET DÉSINTÉGRATION DES CONFINS AQUITAINS ..................................... 391<br />

3.1- DES PYRÉNÉES AU MONTS DU CANTAL : LES MARGES INSTABLES DE L’AQUITAINE FACE<br />

À L’INFLUENCE CATALANO-ARAGONAISE ................................................................................. 391<br />

3.1.1- Les positions ducales méridionales : une hégémonie disputée .................................... 391<br />

3.1.2- Les confins auvergnats : abandon d’une marche éloignée ......................................... 394<br />

3.2- LES FRONTIÈRES DE L’AQUITAINE FACE AUX REVENDICATIONS CAPÉTIENNES ............ 395<br />

3.2.1- La conquête capétienne de l’Auvergne ....................................................................... 395<br />

3.2.2- Le Berry : une marche disputée en Indre et Cher ....................................................... 399<br />

3.2.3- Les trêves entre Jean et Philippe Auguste de1194 à 1216 et la fixation de la frontière<br />

poitevine .................................................................................................................................... 405<br />

3.3- CONCLUSION DU CHAPITRE ............................................................................................ 411<br />

CHAPITRE 5 : ITINÉRAIRES ET RÉSIDENCES : LES PRATIQUES DE L’ESPACE<br />

ET LA REPRÉSENTATION DU POUVOIR ...................................................................... 414<br />

1- ITINÉRAIRES ET TERRITOIRES : GÉOGRAPHIE ET SOCIOLOGIE DES PRATIQUES<br />

SPATIALES DU POUVOIR ........................................................................................................... 418<br />

1.1- ITINÉRAIRES, CONSTRUCTIONS TERRITORIALES ET STRATÉGIES IDENTITAIRES DES<br />

PLANTAGENÊT ........................................................................................................................... 418<br />

1.1.1- L’espace à l’épreuve de la temporalité royale : quelques outils d’analyse .................. 419<br />

1.1.2- Henri II, la construction d’un empire multipolaire et l’autorité des saints et du sang . 421<br />

Henri II et la canonisation d’Edward le confesseur : la construction d’une légitimité<br />

dynastique anglaise ................................................................................................................... 422<br />

Henri II, les saints locaux et l’ancrage territorial de l’autorité princière ............................ 425<br />

738


Le rôle des pratiques successorales dans la construction territoriale de l’empire ............... 430<br />

1.1.3- Richard, l’Aquitaine et la construction d’une idéologie dynastique ............................ 431<br />

L’anneau de sainte Valérie et l’union personnelle de Richard à l’Aquitaine ...................... 431<br />

La découverte des restes d’Arthur et Guenièvre à Glastonbury et la construction d’une<br />

idéologie dynastique chevaleresque et « impériale » ................................................................ 433<br />

La dispersion du corps du roi comme un reflet de la territorialité de l’empire de Richard 435<br />

1.1.4- Jean, St Wulfstan et la construction de l’identité anglaise de la royauté Plantagenêt . 438<br />

1.2- LA ROUTE ROYALE ET LES PÉRÉGRINATIONS DE LA COUR : LES CONDITIONS DE VOYAGES<br />

ET LES MODES DE VIE ................................................................................................................ 442<br />

1.2.1- Une cadence infernale et la précarité des conditions de vie ........................................ 443<br />

1.2.2- L’approvisionnement de la cour royale ....................................................................... 446<br />

1.3- L’ITINÉRANCE COMME MODE DE GOUVERNEMENT ........................................................ 449<br />

1.3.1- La dispersion des capitales et de leurs fonctions ......................................................... 450<br />

1.3.2- L’essor du cérémonial de cour et de la majesté royale ............................................... 452<br />

Les cours solennelles sous Henri II et l’affirmation du principe héréditaire de gouvernement<br />

............................................................................................................................................. 453<br />

Les couronnements et la théâtralisation de la nature sacrée du pouvoir royal .................... 456<br />

2- LES CHOIX RÉSIDENTIELS ET LA REPRÉSENTATION MONUMENTALE DU POUVOIR ..... 464<br />

2.1- LES RÉSIDENCES ROYALES : HABITER, SÉJOURNER, GOUVERNER .................................. 465<br />

2.1.1- La domestication des constructions castrales .............................................................. 467<br />

Évolution sémantique et problèmes de terminologie .......................................................... 467<br />

Le développement des espaces résidentiels : un accroissement multiple et composite ...... 469<br />

L’ornementation des espaces d’apparat .............................................................................. 474<br />

2.1.2- L’essor des demeures royales : de la loge de chasse au complexe palatial ................. 476<br />

Loges de chasse, demeures et parcs royaux en Angleterre ................................................. 477<br />

Les maisons de villégiature en Normandie ......................................................................... 483<br />

Les demeures extra castrum et extra burgum ..................................................................... 486<br />

Les demeures attachées aux monastères royaux ................................................................. 488<br />

2.2- RÉSIDENCES ET FORTIFICATIONS : FONCTIONNALISME ET SYMBOLISME DANS<br />

L’ARCHITECTURE CASTRALE DES PLANTAGENÊT ..................................................................... 494<br />

2.2.1- Une architecture de la puissance et de la dissuasion : construire pour contrôler et<br />

dominer l’espace ....................................................................................................................... 495<br />

Verrouiller le territoire : l’architecture aux « portes » de l’empire ..................................... 495<br />

Imposer la puissance royale dans un paysage baronnial effervescent ................................ 497<br />

739


Continuité et transformation des lieux de pouvoir : le château comme vitrine de la puissance<br />

et de magnificence royale .......................................................................................................... 501<br />

2.2.2- Mettre en scène la puissance royale dans le paysage : les forteresses comme support<br />

d’un message politique .............................................................................................................. 507<br />

Les forteresses comme « paysage seigneurial » (landscape <strong>of</strong> lordship)............................ 507<br />

Les « innovations » techniques des constructions Plantagenêt ou l’architecture comme<br />

expression des valeurs chevaleresque ....................................................................................... 511<br />

Les tours polygonales comme symbole de la domination Plantagenêt ............................... 512<br />

CONCLUSION DU CHAPITRE ....................................................................................................... 516<br />

CHAPITRE 6 : ÉCONOMIES DU TERRITOIRE : LES RESSOURCES HUMAINES ET<br />

MATÉRIELLES DES CHANTIERS ET LEUR CIRCULATION DANS L’ESPACE DE<br />

L’EMPIRE ............................................................................................................................... 518<br />

1- L’ORGANISATION FINANCIÈRE ET L’ADMINISTRATION DES CHANTIERS ..................... 522<br />

1.1- LA GESTION FISCALE DES RESSOURCES : D’OÙ VIENT L’ARGENT ET COMMENT EST-IL<br />

DÉPENSÉ SUR LE CHANTIER ? .................................................................................................... 522<br />

1.1.1- L’évolution des recettes de l’Échiquier et des dépenses de construction ..................... 522<br />

Les revenus de l’Echiquier : une croissance discontinue .................................................... 522<br />

Revenus et dépenses de constructions : un ratio inégal ...................................................... 527<br />

1.1.2- Le financement des chantiers : la diversité des sources de revenu .............................. 530<br />

L’organisation des revenus dans les rouleaux de l’Echiquier ............................................. 530<br />

La multiplication des ressources financières ....................................................................... 534<br />

Les revenus engendrés par les chantiers eux-mêmes .......................................................... 538<br />

1.2- LA GARDE DES CHÂTEAUX ET DES DEMEURES ROYALES ET L’ADMINISTRATION DES<br />

CONSTRUCTIONS ........................................................................................................................ 541<br />

1.2.1- Le personnel permanent des châteaux : fonctions et rémunérations ........................... 542<br />

Le rôle des gardiens, vigiles et portiers ............................................................................... 542<br />

Les connétables et les prévôts ............................................................................................. 544<br />

Les formes de rémunération ................................................................................................ 547<br />

1.2.2- Les gardiens des travaux du roi et leur intégration dans l’administration des châteaux ...<br />

..................................................................................................................................... 550<br />

Les fonctions de gardien et de maître des œuvres royales .................................................. 550<br />

La charge de gardiens des demeures royales et l’intégration des pr<strong>of</strong>essionnels dans<br />

l’administration des châteaux du royaume ................................................................................ 553<br />

740


1.3- LE CHANTIER COMME LIEU D’ARTICULATION ENTRE L’ENVIRONNEMENT LOCAL ET<br />

L’ADMINISTRATION CENTRALE ................................................................................................. 557<br />

1.3.1- Sociologie des ingénieurs et des charpentiers du roi ................................................... 557<br />

Les « ingénieurs du roi » : problèmes terminologiques et fonction sociale ........................ 557<br />

Esquisse pour une prosoprographie des ingénieurs du roi .................................................. 560<br />

1.3.2- La mise en place du système de contrôle des travaux du roi et l’implication des<br />

notables dans l’institution monarchique .................................................................................... 564<br />

2- L’ÉCONOMIE DES CHANTIERS PLANTAGENÊT : LES RESSOURCES MATÉRIELLES ET<br />

LEUR CIRCULATION AU SEIN DE L’EMPIRE ............................................................................. 569<br />

2.1- L’APPROVISIONNEMENT EN PIERRE DES CHANTIERS PLANTAGENÊT ............................. 570<br />

2.1.1- Le marché de la pierre en Angleterre au XII e siècle : aspects techniques et symboliques<br />

..................................................................................................................................... 571<br />

Les raisons du succès de la pierre de Caen en Angleterre .................................................. 571<br />

L’exploitation des carrières en Angleterre : une production déjà bien organisée ............... 576<br />

2.1.2- L’organisation de l’approvisionnement en pierre des chantiers royaux : administration<br />

centralisée et mise en réseau ..................................................................................................... 578<br />

Les carrières exploitées par les Plantagenêt : une diffusion à large échelle ........................ 578<br />

Marché de la pierre, stockage et mise en réseau des matériaux des chantiers royaux ........ 584<br />

2.2- L’USAGE DU BOIS ET LE FER DANS LES CONSTRUCTIONS ROYALES ............................... 589<br />

2.2.1- La circulation du bois : importations et exportations sur de longues distances .......... 589<br />

Les forêts royales et ducales : juridiction et ressources ...................................................... 589<br />

L’exploitation et circulation du bois de charpente .............................................................. 591<br />

2.2.2- L’exploitation du fer et sa distribution dans le monde anglo-normand ...................... 596<br />

L’exploitation du fer destiné aux chantiers Plantagenêt : lieux et production .................... 596<br />

Les usages du fer dans la constructions .............................................................................. 601<br />

2.3- USAGES ET CONDITIONS DE LA PRODUCTION DU PLOMB ANGLAIS ................................ 603<br />

2.3.1- Les usages du plomb dans les chantiers Plantagenêt .................................................. 604<br />

2.3.2- Les dons de plomb et leurs utilisations dans les monastères dotés par Henri II ......... 606<br />

Les trois fondations de pénitence ........................................................................................ 606<br />

Le rapprochement avec les Cisterciens et le plomb de l’abbaye de Clairvaux ................... 616<br />

Du plomb pour se réconcilier avec Grandmont .................................................................. 620<br />

2.3.3- Le rôle de la monarchie dans la production de plomb en Angleterre durant la seconde<br />

moitié du XII e siècle .................................................................................................................. 622<br />

Le système d’exploitation des mines d’argent anglaises .................................................... 623<br />

Les mines du Derbyshire : l’exploitation des terres confisquées ........................................ 630<br />

741


Les mines du Shropshire : des exploitations éphémères ..................................................... 631<br />

Le prix du plomb et de son transport à la fin du XII e siècle ................................................ 634<br />

CONCLUSION DU CHAPITRE ....................................................................................................... 638<br />

CONCLUSION ........................................................................................................................ 640<br />

Politisation................................................................................................................................. 641<br />

Territorialisation ........................................................................................................................ 644<br />

« Impérialisation » ..................................................................................................................... 647<br />

INDEX ...................................................................................................................................... 650<br />

BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................. 662<br />

SOURCES MANUSCRITES ............................................................................................................ 662<br />

SOURCES IMPRIMÉES ................................................................................................................. 662<br />

Les rouleaux de l’administration et de la justice anglaise ......................................................... 662<br />

Les chroniques et autres sources éditées. .................................................................................. 664<br />

OUVRAGES SECONDAIRES ......................................................................................................... 673<br />

TABLE DES MATIÈRES ...................................................................................................... 732<br />

742

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