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Approches nouvelles de la prosopographie des abbés et abbesses ...

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<strong>Approches</strong> <strong>nouvelles</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>prosopographie</strong> <strong>de</strong>s <strong>abbés</strong> <strong>et</strong> <strong>abbesses</strong><br />

dans <strong>la</strong> première mo<strong>de</strong>rnité<br />

L’histoire <strong>de</strong>s <strong>abbés</strong> <strong>et</strong> <strong>abbesses</strong> ou <strong>de</strong>s supérieurs en général a rarement dépassé le<br />

sta<strong>de</strong> monographique pour ce qui concerne <strong>la</strong> première mo<strong>de</strong>rnité 1 . Certes, on peut déplorer <strong>la</strong><br />

dispersion <strong>et</strong> l’inégalité <strong>de</strong>s monographies, mais il est possible <strong>de</strong> mener, avec leur ai<strong>de</strong>, <strong>de</strong><br />

fructueuses étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> groupe, même si <strong>la</strong> documentation manque pour ce qui concerne les<br />

monastères eux-mêmes. Il suffit <strong>de</strong> travailler <strong>de</strong> façon intelligente les généalogies c<strong>la</strong>ssiques<br />

fournies par <strong>de</strong>s générations <strong>de</strong> passionnés, même si, il est vrai, les ca<strong>de</strong>ts célibataires <strong>et</strong>, plus<br />

encore, les ca<strong>de</strong>ttes, sont bien mal connus <strong>et</strong> le plus souvent seulement par les testaments.<br />

Mais on peut presque partout croiser les histoires familiales avec les histoires<br />

communautaires, non sans les critiquer, mais également sans s’attar<strong>de</strong>r sur les <strong>la</strong>cunes<br />

généalogiques <strong>de</strong>s listes abbatiales <strong>et</strong> priorales. Deux tentatives <strong>de</strong> mise en base <strong>de</strong> données <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Gallia christiana ont été menées sur le diocèse <strong>de</strong> Bourges <strong>et</strong> sur <strong>la</strong> province <strong>de</strong> Narbonne 2 .<br />

Elles montrent les avantages <strong>et</strong> les faiblesses <strong>de</strong> <strong>la</strong> source, <strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> tirer nombre <strong>de</strong><br />

conclusions pour <strong>la</strong> poursuite <strong>de</strong> <strong>la</strong> mise en base. Les avantages <strong>de</strong> l’usage <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

<strong>prosopographie</strong> en histoire ne sont plus à démontrer, en eff<strong>et</strong>, <strong>et</strong> celle-ci s’applique bien aux<br />

communautés régulières, puisqu’il suffit d’avoir une liste à un moment donné pour <strong>la</strong> faire<br />

démarrer correctement. Celle-ci a pourtant surtout intéressé l’histoire sociale ou familiale,<br />

beaucoup plus que l’histoire <strong>de</strong>s institutions religieuses <strong>et</strong> moins encore <strong>de</strong>s idées ou <strong>de</strong>s<br />

comportements. Il faut cependant bien comprendre que dans les mosaïques du mon<strong>de</strong><br />

mo<strong>de</strong>rne, l’innovation ne peut passer que par <strong>de</strong>s groupes, par <strong>de</strong>s chemins <strong>de</strong> diffusion qui<br />

supposent le bouche à oreille entre <strong>de</strong>s familiers <strong>et</strong> <strong>de</strong>s cercles <strong>de</strong> correspondants, ceux<br />

justement que <strong>la</strong> <strong>prosopographie</strong> peut appréhen<strong>de</strong>r, alors que les individus n’en étaient pas<br />

forcément conscients. On peut dès lors suivre <strong>la</strong> constitution <strong>et</strong> <strong>la</strong> dissolution <strong>de</strong> groupes<br />

structurés ou informels <strong>et</strong> m<strong>et</strong>tre leur histoire en rapport avec les grands mouvements <strong>de</strong><br />

l’histoire <strong>de</strong>s réguliers 3 .<br />

Dans c<strong>et</strong>te dynamique, les aspects matériels jouent un rôle non négligeable, en<br />

particulier lorsque le cumul <strong>de</strong>s charges donne à son titu<strong>la</strong>ire une force <strong>de</strong> frappe efficace pour<br />

régler <strong>de</strong>s problèmes locaux, même si celle-ci est inégalement répartie <strong>et</strong> concerne <strong>de</strong>s<br />

domaines qu’on n’attendait pas, très bassement matériels parfois, comme les coutumes<br />

liturgiques ou le costume. Au cœur d’un pouvoir comme celui <strong>de</strong>s <strong>abbés</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong>s supérieurs, à<br />

<strong>la</strong> fois temporel <strong>et</strong> humain, <strong>la</strong> commen<strong>de</strong> est un « abus » récurrent <strong>et</strong> régulièrement dénoncé<br />

par ceux qui connaissent le mieux les traditions monastiques anciennes. Pourtant, même dans<br />

<strong>la</strong> très dévote France du XVIIe siècle, <strong>la</strong> commen<strong>de</strong> est utilisée par les réformateurs pour agir,<br />

1 Il va <strong>de</strong> soi que c<strong>et</strong>te remarque ne vaut pas pour le XVIIIe siècle, désormais assez bien balisé, aussi bien pour<br />

les hommes que pour les femmes. Parmi les travaux suggestifs dépassant un couvent, il faut citer cependant, sans<br />

exhaustivité aucune Barry COLLET, Italian Benedictine scho<strong>la</strong>rs and the Reformation, Oxford, 1985 ; Jean-<br />

Marie LE GALL, Les moines au temps <strong>de</strong>s Réformes. France (1480-1560), Paris, 2001 ; E. RAPLEY; Les<br />

dévotes. Les femmes <strong>et</strong> l'Église en France, Saint-Laurent, 1995 ; Dominique DINET, Religion <strong>et</strong> société. Les<br />

réguliers <strong>et</strong> <strong>la</strong> vie régionale dans les diocèses d’Auxerre, Langres <strong>et</strong> Dijon (fin XVIe-fin XVIIIe siècle), Paris,<br />

1999 ; Les religieuses dans le cloître <strong>et</strong> dans le mon<strong>de</strong>, Saint-Étienne 1994 ; Dominique JULIA- Lin DONNAT,<br />

« Le recrutement d’une congrégation monastique : Saint-Maur », dans Saint-Thierry, une abbaye du VIe au XXe<br />

siècle, Saint Thierry, 1979 ; Bernard MONTAGNES, « La congrégation <strong>de</strong> France, 1497-1569 », Archivum<br />

fratrum praedicatorum, 55, 1985, p. 67-114 ; Florence MIROUSE, « Patronage ecclésiastique <strong>et</strong> clientèle du<br />

diocèse <strong>de</strong> Toulouse » Bull<strong>et</strong>in philologique <strong>et</strong> historique, 1981, p. 51-61 ; Marie-Elisab<strong>et</strong>h MONTULET-<br />

HENNEAU, Les Cisterciennes du pays mosan. Moniales <strong>et</strong> vie contemp<strong>la</strong>tive à l'époque mo<strong>de</strong>rne, Liège, 1980 ;<br />

Sous <strong>la</strong> règle <strong>de</strong> saint Benoit, paris-Genève 1982 ; Crise <strong>et</strong> temps <strong>de</strong> rupture en chartreuse, A<strong>la</strong>in GIRARD <strong>et</strong><br />

Daniel LE BLEVEC (éd.), G<strong>la</strong>ndier, 1994 ; Leo van,WIJMEN, La congrégation d’Albi 1485-1512, Rome, 1971.<br />

2 Florence DUMAS, Étu<strong>de</strong> prosopographique <strong>de</strong>s <strong>abbés</strong> bénédictins <strong>et</strong> cisterciens du diocèse <strong>de</strong> Bourges <strong>de</strong><br />

1470 à 1560, Mémoire <strong>de</strong> Maîtrise, dir. N. Lemaitre, Université Paris I, 1991. Viviane BASSOU, Étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

<strong>abbés</strong> bénédictins <strong>et</strong> cisterciens <strong>de</strong> <strong>la</strong> province <strong>de</strong> Narbonne <strong>de</strong> 1460 à 1730, Mémoire <strong>de</strong> Maîtrise, dir. N.<br />

Lemaitre, Université Paris I, 1992. Les listes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gallia christiana ont été corrigées <strong>et</strong> complétées ; on y a<br />

ajouté l’apport <strong>de</strong>s éloges <strong>et</strong> <strong>de</strong>s oraisons funèbres.<br />

3 L’un <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rniers portraits <strong>de</strong> groupe publié sert <strong>de</strong> base à nos hypothèses : Jean-Marie LE GALL, Les<br />

moines… op. cit.


<strong>et</strong> pas seulement par <strong>la</strong> monarchie absolue. Le cumul <strong>de</strong>s bénéfices à charge d’âmes est<br />

formellement interdit par le concile <strong>de</strong> Trente, <strong>et</strong> pourtant tout un processus <strong>de</strong> dissociation<br />

entre pouvoir temporel <strong>et</strong> pouvoir sur <strong>la</strong> communauté perm<strong>et</strong> à La Rochefoucauld ou à<br />

Richelieu <strong>de</strong> cumuler <strong>de</strong>s bénéfices, contre <strong>la</strong> logique qu’ils promeuvent eux-mêmes.<br />

Ces paradoxes nous ouvrent vers l’analyse d’une autre réalité que celle <strong>de</strong>s abus <strong>de</strong>s<br />

clercs : quel est le rapport entre <strong>la</strong> direction d’une communauté <strong>et</strong> les revenus qu’elle fournit ?<br />

Quel est le rapport entre un pouvoir local comme celui <strong>de</strong> supérieur <strong>et</strong> le pouvoir <strong>de</strong> réformer<br />

<strong>la</strong> discipline, <strong>la</strong> liturgie ou <strong>de</strong> diffuser <strong>de</strong> <strong>nouvelles</strong> mo<strong>de</strong>s spirituelles ? Pour formuler<br />

quelques hypothèses, il faut étudier ces phénomènes à <strong>la</strong> fois dans un vaste espace <strong>et</strong> sur une<br />

chronologie suffisamment longue, qui se joue <strong>de</strong>s inerties locales <strong>et</strong> <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s temporaires.<br />

Il faut partir du principe que les individus qui exercent le pouvoir abbatial ne sont<br />

jamais seuls. Ils ne sont pas <strong>de</strong> simples rapaces, mais ils peuvent avoir <strong>de</strong>s idées, y compris<br />

quand ils cumulent <strong>de</strong>s bénéfices. Nous voudrions observer ce cumul autrement que sous son<br />

angle moral, comme une structure d'innovation efficace dans <strong>la</strong> société <strong>de</strong> leur temps.<br />

I. Etre abbé ou supérieur : un enjeu patrimonial<br />

Certes, toutes les familles régulières n’entr<strong>et</strong>iennent pas le même rapport au patrimoine<br />

qui leur perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> vivre, ne serait-ce que par l’extrême disparité <strong>de</strong> richesse que celui-ci peut<br />

révéler, mais aussi par <strong>de</strong>s coutumes fort différentes d’un lieu à l’autre. Mais toutes subissent<br />

les ca<strong>la</strong>mités économiques à leur niveau <strong>et</strong> profitent <strong>de</strong>s embellies. Tous les couvents<br />

disposent d’un patrimoine minimum, qui perm<strong>et</strong> à leurs titu<strong>la</strong>ires <strong>de</strong> faire vivre les maisons <strong>et</strong><br />

aux titu<strong>la</strong>ires <strong>de</strong> charge d'assurer leur service. C’est pourquoi les charges supérieures d’une<br />

maison sont convoitées. Bien que plus difficiles à appréhen<strong>de</strong>r dans les sources, les dignités <strong>et</strong><br />

les offices d’un monastère ne sont pas à négliger, même si l’abbatiat ou le priorat donnent une<br />

liberté incomparable, particulièrement sous <strong>la</strong> règle monastique. Qui dit pouvoir sur les<br />

hommes dit aussi pouvoir économique au sens plein du terme, <strong>et</strong> <strong>la</strong> tendance <strong>de</strong>s familles est<br />

forcément <strong>de</strong> conserver ce pouvoir dans le groupe, donc <strong>de</strong> pérenniser les bénéfices en<br />

patrimoine familial. Si le cumul a longtemps été rangé au rayon <strong>de</strong>s abus <strong>de</strong>puis <strong>la</strong> Contre-<br />

Réforme <strong>et</strong> l’idéal <strong>de</strong> <strong>la</strong> fonction publique, il faut observer son extension <strong>et</strong> ses eff<strong>et</strong>s réels<br />

sous l’Ancien Régime.<br />

1. Un patrimoine bénéficial<br />

Tout abbé <strong>et</strong> tout prieur, tout supérieur même, dispose d’une mense particulière, aussi<br />

bien chez les femmes que chez les hommes, chez les mendiants que chez les moines, même si<br />

le niveau <strong>de</strong> revenus n’est pas le même. Dans l’ordre monastique en eff<strong>et</strong>, il s’agit d’organes<br />

complexes qui cumulent seigneuries foncières, justices <strong>et</strong> dîmes. Au milieu du XVe siècle, le<br />

prieur <strong>de</strong> Saint-Martin <strong>de</strong>s Champs dispose d’un revenu tournant autour <strong>de</strong> 1000 l.t.,<br />

équivalent à celui d’une ville moyenne 4 . Dans <strong>la</strong> plupart <strong>de</strong>s régions, ces revenus n’ont cessé<br />

<strong>de</strong> monter entre 1450 <strong>et</strong> 1510 5 . S’il est c<strong>la</strong>ir que les Guerres <strong>de</strong> religion ont provoqué <strong>de</strong>s<br />

bouleversements, <strong>la</strong> base foncière ou domaniale <strong>de</strong> <strong>la</strong> plupart d’entre eux ne pouvait qu’être<br />

un atout dans <strong>la</strong> stabilité voire <strong>la</strong> hausse <strong>de</strong>s revenus, même pendant les crises. Quand<br />

l’inf<strong>la</strong>tion monétaire atteignait les revenus en argent, ceux-ci étaient compensés, par exemple,<br />

par le développement <strong>de</strong>s revenus domaniaux liés à <strong>la</strong> circu<strong>la</strong>tion rapi<strong>de</strong> <strong>de</strong>s bénéfices après<br />

les pestes. Il faudrait multiplier les monographies pour saisir les spécificités <strong>de</strong> chaque assise<br />

bénéficiale ; pour l’heure <strong>et</strong> en dépit <strong>de</strong> <strong>la</strong> fausse sécurité <strong>de</strong> ses chiffres, qui sont une<br />

évaluation fiscale trop fixe pour être réelle, nous utiliserons les listes <strong>de</strong> bénéfices du Clergé<br />

4 C<strong>et</strong> aspect temporel <strong>de</strong> <strong>la</strong> réforme monastique correspond à <strong>la</strong> partie <strong>la</strong> plus novatrice <strong>de</strong> <strong>la</strong> thèse <strong>de</strong> Jean-Marie<br />

Le Gall, partie qui sera prochainement publiée à son tour. Jean-Marie LE GALL, t. I, p. 9.<br />

5 Ibid, p. 30 : L’abbesse <strong>de</strong> Sainte-Croix <strong>de</strong> Poitiers passe ainsi <strong>de</strong> 2000 à 7000 l.t en une génération. C<strong>et</strong>te<br />

augmentation n’est peut-être pas générale cependant, du moins si l’on en juge par le cas alsacien : F. RAPP,<br />

Réformes <strong>et</strong> réformation à Strasbourg. Église <strong>et</strong> société dans le diocèse <strong>de</strong> Strasbourg. 1450-1525, Paris, 1974,<br />

p. 422.


<strong>de</strong> France, qui manifestent au moins <strong>la</strong> tradition <strong>de</strong> l’Église gallicane en matière <strong>de</strong><br />

patronage 6 .<br />

Voyons un exemple symptomatique <strong>de</strong> cumul, c<strong>la</strong>ssé plus tard parmi les « abus ».<br />

Lorsque Jean <strong>de</strong> La Trémoille, ca<strong>de</strong>t d’une célèbre famille <strong>de</strong> <strong>la</strong> noblesse poitevine, embrasse<br />

<strong>la</strong> carrière ecclésiastique, il est déjà, <strong>et</strong> <strong>de</strong>puis fort longtemps, abbé commendataire <strong>de</strong><br />

l’abbaye Notre-Dame <strong>de</strong> La B<strong>la</strong>nche à Noirmoutier (400 livres <strong>de</strong> revenus). Étudiant à<br />

Orléans en 1484, il est chanoine <strong>de</strong> Chartres <strong>et</strong> d’Orléans tout en étant abbé <strong>de</strong> Selles en Berry<br />

(340 l.) ; alors qu’il est sur le point <strong>de</strong> récupérer l’évêché d’Agen en 1486, il <strong>de</strong>vient abbé <strong>de</strong><br />

Saint-Benoît sur Loire (3000 l.) Tout en menant une carrière d’archevêque d’Auch à partir <strong>de</strong><br />

1490, il disposera encore <strong>de</strong>s abbayes du Jard (1200 l.), <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gren<strong>et</strong>ière (600 l.) <strong>et</strong> <strong>de</strong> Sainte<br />

Croix <strong>de</strong> Talmond (800 l.) échangés en 1496 avec Saint-Michel-en-Lherm (1500 l.). Ce qui ne<br />

l’empêche pas d’être élu par les moines abbé <strong>de</strong> Laon <strong>de</strong> Thouars en 1499 (400 l.) <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

disposer du prieuré <strong>de</strong> La Réole (2000 l.). Même si Auch est l’un <strong>de</strong>s diocèses les plus dîmés<br />

<strong>de</strong> France, les bénéfices réguliers ne sont donc pas étrangers au train <strong>de</strong> vie du fastueux<br />

archevêque. Et il tient à ces revenus : on le voit ainsi obtenir <strong>de</strong> Louis XII le droit <strong>de</strong><br />

conserver l’abbaye <strong>de</strong> Saint-Benoît, qu’il a <strong>la</strong>rgement contribué à relever <strong>et</strong> restaurer 7 . Il est<br />

mort à Mi<strong>la</strong>n en 1505 en al<strong>la</strong>nt chercher son chapeau <strong>de</strong> cardinal, mais aurait-il abandonné<br />

pour autant ces bénéfices ? La conduite <strong>de</strong>s cardinaux <strong>de</strong>s générations suivantes perm<strong>et</strong> d’en<br />

douter. Tous ont été <strong>de</strong> grands cumu<strong>la</strong>rds <strong>et</strong> s’arrêter au seul aspect moral serait refuser <strong>de</strong><br />

réfléchir sur un phénomène qui appartient au fonctionnement du pouvoir. Or les notices <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

Gallia christiana perm<strong>et</strong>tent d’observer par le menu le jeu <strong>de</strong>s bénéfices.<br />

Le Richelieu du règne <strong>de</strong> Louis XII, Georges d’Amboise, a non seulement cumulé luimême,<br />

mais il a fait cumuler sa famille, particulièrement son frère Louis <strong>et</strong> son neveu Louis<br />

II. Plus tard, le cardinal François <strong>de</strong> Tournon fera <strong>de</strong> même : si l’on fait un bi<strong>la</strong>n, celui qui a<br />

été pourvu parmi les premiers selon le concordat (La Chaise-Dieu dès 1518) a tenu, <strong>de</strong> façon<br />

plus ou moins longue, vingt-cinq abbayes régulières, y récupérant à chaque fois <strong>de</strong>s revenus, y<br />

<strong>la</strong>issant aussi <strong>de</strong>s hommes 8 . La rapacité <strong>de</strong>s courtisans en <strong>la</strong> matière est bien connue il est vrai,<br />

<strong>et</strong> ne mériterait pas que l’on s’y arrête, mais on voit aussi bien que Georges d’Armagnac,<br />

disciple <strong>de</strong> Marguerite <strong>de</strong> Navarre <strong>et</strong> Guil<strong>la</strong>ume Briçonn<strong>et</strong> : il était évêque <strong>de</strong> Ro<strong>de</strong>z (1530)<br />

puis <strong>de</strong> Vabres (1536), administrateur un temps <strong>de</strong> l’archevêché <strong>de</strong> Tours (1548) <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l’évêché <strong>de</strong> Lescar (1555), archevêque <strong>de</strong> Toulouse (1562), colégat puis archevêque<br />

d’Avignon (1577) ; mais il fut aussi abbé <strong>de</strong> Saint-Ambroix <strong>de</strong> Bourges (3500 l.) dès 1529 ; il<br />

sera abbé <strong>de</strong> Saint-Géraud d’Auril<strong>la</strong>c (12 000 l.) en 1578 <strong>et</strong> domp d’Aubrac (40 000 l.) <strong>de</strong><br />

1546 à sa mort, mais aussi prieur en Rouergue <strong>de</strong> Notre-Dame <strong>de</strong> Caumont (154 1.) <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

Saint-Sauveur <strong>de</strong> Perse (400 l.) 9 . Pourtant, cardinal <strong>de</strong>puis 1544, il disposait aussi, comme<br />

tous ses homologues, <strong>de</strong> bénéfices consistoriaux en Italie <strong>et</strong> même en Corse. C<strong>et</strong>te<br />

accumu<strong>la</strong>tion, pour un homme qui est le <strong>de</strong>rnier <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille d’Armagnac, <strong>et</strong> n’a pour toute<br />

héritière qu’une fille bâtar<strong>de</strong>, ne <strong>la</strong>isse pas d’intriguer, d’autant qu’il meurt criblé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ttes en<br />

1585. A quoi servent donc les bénéfices s’ils ne perm<strong>et</strong>tent pas à un c<strong>la</strong>n d’accumuler du<br />

patrimoine ? Le cas Armagnac perm<strong>et</strong> d’entrer dans d’autres explications que <strong>la</strong> pure rapacité<br />

cléricale, même si nous peinons encore à m<strong>et</strong>tre en rapport ces mouvements erratiques avec<br />

les activités diplomatiques, militaires <strong>et</strong> même religieuses <strong>de</strong> ces dirigeants au service du roi.<br />

C’est incontestable, être abbé rapporte. Mais où va l’argent récolté ? Doit-on toujours<br />

c<strong>la</strong>sser ces personnages dans le rayon <strong>de</strong>s « abus » qui prélu<strong>de</strong>nt à <strong>la</strong> Réforme ? Doit-on<br />

<strong>la</strong>isser <strong>de</strong> côté ces séculiers cumu<strong>la</strong>rds <strong>de</strong> bénéfices réguliers comme parasites ? Il faut<br />

d'abord observer que les moines les plus saints font <strong>de</strong> même. On ne peut soupçonner <strong>de</strong><br />

6 Signalons qu’elles sont parfaitement accessibles dans <strong>la</strong> série G8 <strong>de</strong>s Archives nationales mais aussi dans les<br />

différents almanachs postérieurs du Clergé <strong>de</strong> France, par exemple La France ecclésiastique pour l’année 1786.<br />

Dédiée à Messieurs du Clergé <strong>de</strong> France, Paris 1786, I re édition 1765.<br />

7 Les La Tremoille pendant cinq siècles, t. II, Nantes, 1892. Dictionnaire d’histoire <strong>et</strong> <strong>de</strong> géographie<br />

ecclésiastique (sous presse). Les évaluations proviennent <strong>de</strong>s archives La Trémoille.<br />

8 Michel FRANÇOIS, Le cardinal François <strong>de</strong> Tournon. 1489-1562, Paris, 1951, p. 427-468, donne <strong>la</strong> liste <strong>de</strong>s<br />

bénéfices réguliers tenus par le cardinal.Tous les cardinaux cumulent, le champion <strong>de</strong> l’époque étant le cardinal<br />

<strong>de</strong> Bourbon ; seuls les bénéfices à charge d’âme font l’obj<strong>et</strong> d’une surveil<strong>la</strong>nce grandissante.<br />

9 Antoine BONAL, Histoire <strong>de</strong>s évêques <strong>de</strong> Ro<strong>de</strong>z, éd. J.-L. Rigal, t. II, Ro<strong>de</strong>z, 1938, p. 668-669.


carriérisme le grand écrivain <strong>et</strong> réformateur Louis <strong>de</strong> Blois ; qui <strong>de</strong>vint abbé <strong>de</strong> Liessies (25<br />

000 l.) à 24 ans, en 1530 10 . Rej<strong>et</strong>on d’une famille célèbre, promis aux plus hautes fonctions, il<br />

dispose <strong>de</strong>s revenus <strong>de</strong> l’une <strong>de</strong>s plus grosses abbayes bénédictines après une ordination <strong>de</strong>s<br />

plus précipitées en apparence : élu abbé le 12 juill<strong>et</strong> 1530, il est ordonné le 11 novembre 1530<br />

<strong>et</strong> reçoit <strong>la</strong> bénédiction abbatiale le 13 11 . Pourtant l’argent ne lui sert pas à vivre d’abord en<br />

grand seigneur (même s’il <strong>de</strong>vait vivre très confortablement) mais à poursuivre <strong>la</strong> restauration<br />

matérielle <strong>de</strong>s bâtiments <strong>et</strong> du patrimoine économique, <strong>et</strong> c’est avec ces revenus qu’il va<br />

tenter, non sans mal, une réforme du monastère, qui entrera enfin en vigueur en 1537.<br />

On le remarque très vite, <strong>la</strong> commen<strong>de</strong> royale est <strong>la</strong> forme <strong>la</strong> plus connue<br />

d’appropriation <strong>de</strong>s revenus ecclésiastiques. Il est vrai que <strong>la</strong> liste <strong>de</strong>s abbayes à <strong>la</strong> disposition<br />

du roi est très impressionnante, d’autant que leurs revenus en temps <strong>de</strong> vacance s’ajoutent à<br />

ceux <strong>de</strong>s évêchés.<br />

Abbayes <strong>et</strong> prieurés à nomination royale à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> l’Ancien Régime<br />

Abbayes d’hommes 724<br />

Dont unies : 55<br />

Abbayes <strong>de</strong> femmes 291<br />

Prieurés à nomination royale, hommes 701<br />

Prieurés à nomination royale, femmes 35<br />

Abbayes « en règle » (élection) 107<br />

Total 1858<br />

Source :La France ecclésiastique pour l’année 1786, Paris, 1786 (11 e édition).<br />

Il ne faut pas oublier cependant qu’une partie importante (55 abbayes d’hommes) est<br />

unie <strong>de</strong> façon permanente à <strong>de</strong>s collèges (La Flèche, Louis le Grand…) <strong>et</strong> à <strong>de</strong>s fondations<br />

royales (Val-<strong>de</strong>-Grâce, Oratoire…) ou complète <strong>la</strong> dotation d’évêchés comme Saint-Maur<strong>de</strong>s-Fossés<br />

pour l’archevêque <strong>de</strong> Paris, voire même le Bourgdieu (diocèse <strong>de</strong> Bourges)<br />

associée au duché <strong>de</strong> Chateauroux. De <strong>la</strong> même façon, 79 prieurés sont unis pour compléter<br />

<strong>de</strong>s fondations diverses, tel Saint-Martin-<strong>de</strong>s-Champs <strong>de</strong> Bourges, pour l’entr<strong>et</strong>ien du p<strong>et</strong>it<br />

séminaire <strong>de</strong> Bourges. Ces bénéfices, utilisés pour promouvoir les réformes royales, restent<br />

cependant peu nombreux ; tout le reste peut faire l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> gratifications envers un bon<br />

serviteur. Les revenus <strong>de</strong>s menses abbatiales, évalués selon leur valeur fiscale peuvent être<br />

tout à fait considérables. Les meilleurs, tous situés en France du nord <strong>et</strong> presque tous<br />

masculins, dépassent les 50 000 livres au XVIIIe siècle :<br />

Valeur <strong>de</strong>s plus grosses abbayes à nomination royale<br />

Saint-Amans (d. Tournai), 60 000<br />

Anchin (d. Arras), 70 000<br />

Le Bec (d. Rouen) 60 000<br />

Saint-Étienne (d. Caen) 70 000<br />

Cluny (d. Macon) 50 000<br />

Corbie (d. Amiens) 66 000<br />

Saint-Denis (d. Paris) 100 000<br />

Fécamp (d. Rouen) 80 000<br />

Saint-Germain-<strong>de</strong>s-Prés (d. Paris) 180 000<br />

Gorze (d. M<strong>et</strong>z) 45 000<br />

Saint-Médard (d. Soissons) 50 000<br />

Trois-Fontaines (d. Chalons) 50 000<br />

Saint-Wandrille (d. Rouen) 50 000<br />

Mons (d. Cambrai) 100 000<br />

10<br />

. Lambert (Henri) VOS, Louis <strong>de</strong> Blois abbé <strong>de</strong> Liessies (1506-1566), 1992. Il avait fait profession en 1521, à<br />

l'âge <strong>de</strong> quinze ans.<br />

11<br />

Il est vrai qu’il n’est pas nécessaire d’être prêtre pour être moine. Mais il a interrompu sciemment ses étu<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> théologie pour participer à c<strong>et</strong>te élection.


Notre-Dame <strong>de</strong> Soissons (femmes) 50 000<br />

On comprend dès lors que <strong>la</strong> compétition soit fort développée pour obtenir <strong>la</strong> faveur<br />

royale : ces bénéfices <strong>de</strong> gros rapport sont presque toujours réservés à <strong>la</strong> plus haute<br />

aristocratie curiale, <strong>et</strong> en particulier aux commensaux du roi. Aucun principal ministre ne s'en<br />

prive, jusqu’à <strong>la</strong> secon<strong>de</strong> moitié du XVII e siècle. Les bénéfices du cardinal Richelieu <strong>et</strong> du<br />

cardinal Mazarin ont été analysés par J. Bergin. Il s’agit dans les <strong>de</strong>ux cas <strong>de</strong> 26 <strong>et</strong> 27<br />

bénéfices, une situation proche donc <strong>de</strong> celle <strong>de</strong>s cardinaux du début du siècle précédant.<br />

Ceux <strong>de</strong> Richelieu couvrent <strong>de</strong> façon régulière <strong>la</strong> France du Nord, <strong>de</strong> La Chaise-Dieu à Saint-<br />

Riquier, <strong>et</strong> <strong>de</strong> Redon à Cluny 12 . Les revenus tirés <strong>de</strong> ces bénéfices comptent pour 90 000 l. en<br />

1628 <strong>et</strong> pour 318 360 l. en 1642, soit le tiers <strong>de</strong>s revenus du cardinal.<br />

Abbayes en commen<strong>de</strong> ou à nomination royale (Nombre)<br />

ordre Abbayes d'homme Abbayes <strong>de</strong> femmes Abbés élus<br />

Saint-Augustin 124 9 18<br />

Saint-Benoît 204 15 28<br />

Citeaux 194 5 49<br />

prémontré 61 5 22<br />

sécu<strong>la</strong>risés 22<br />

Feuil<strong>la</strong>nt 1 1<br />

Dominicaines<br />

Urbanistes<br />

Total 724 291 107<br />

Richelieu ou Mazarin cumulent les abbayes, mais c’est surtout <strong>la</strong> masse <strong>de</strong>s prieurés qui<br />

attire l’attention : 701 prieurés d’hommes <strong>et</strong> 35 <strong>de</strong> femmes sont également entièrement dans <strong>la</strong><br />

main du roi. Leur cumul signale qu'il s'agit <strong>de</strong> bien plus que <strong>de</strong> revenus. Si les revenus <strong>de</strong><br />

plusieurs d’entre eux n’ont rien à envier aux abbayes en eff<strong>et</strong>, ils sont tout <strong>de</strong> même moins<br />

aristocratiques que les abbayes. Pourquoi c<strong>et</strong> intérêt ? Car ils perm<strong>et</strong>tent au roi ou à ses fidèles<br />

<strong>de</strong> mener une politique d’imp<strong>la</strong>ntation en profon<strong>de</strong>ur dans les provinces.<br />

Il ne faudrait pas en eff<strong>et</strong> réduire le jeu bénéficial aux seuls intérêts familiaux <strong>et</strong><br />

égoïstes. Nous le savons <strong>de</strong>puis longtemps (il suffit <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> dévolution <strong>de</strong>s évêchés à <strong>la</strong><br />

fin du XVIe siècle), si les grands bénéfices sont source <strong>de</strong> richesse pour l’ensemble du<br />

groupe, une richesse patrimoniale certes, ils sont aussi une richesse humaine, un potentiel <strong>de</strong><br />

pouvoir.<br />

2. La disposition d’emplois<br />

Dans <strong>la</strong> première mo<strong>de</strong>rnité, disposer <strong>de</strong> <strong>la</strong> col<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> diocèses ou d’abbayes, c’est<br />

pour le roi gagner <strong>de</strong> l’argent mais aussi <strong>de</strong>s hommes. Mais le système est diffusé dans<br />

l’ensemble <strong>de</strong>s couches <strong>de</strong> <strong>la</strong> société. Tout évêque, tout abbé, toute abbesse dispose à son tour<br />

<strong>de</strong> bénéfices pour ses fidèles <strong>et</strong> cherche à pérenniser son action en prévoyant sa succession<br />

longtemps à l’avance. C’est dès le plus jeune âge, parmi les pensionnaires <strong>de</strong> très bonne<br />

famille que les futures <strong>abbesses</strong> sont choisies par leur tante ou leur cousine ; elles sont<br />

d’abord nommées coadjutrices <strong>et</strong> accè<strong>de</strong>nt ainsi naturellement à <strong>la</strong> position suprême.<br />

Conserver à une parente une haute charge suppose donc une stratégie à long terme. Sans<br />

bénéfice, il ne peut y avoir <strong>de</strong> clientèle ni <strong>de</strong> fidélité ; le bénéfice sert en eff<strong>et</strong> à récompenser<br />

<strong>de</strong> bons <strong>et</strong> loyaux services <strong>de</strong>s serviteurs <strong>de</strong> <strong>la</strong> monarchie. C’est ainsi que Philibert <strong>de</strong><br />

Nérestang, le père <strong>de</strong> Françoise <strong>de</strong> Nérestang, reçoît d’Henri IV le brev<strong>et</strong> <strong>de</strong> l’abbaye<br />

cistercienne <strong>de</strong> Mégemont en Auvergne (700 l.) pour prix <strong>de</strong> ses services au siège<br />

d’Amiens 13 . Mieux même, il transm<strong>et</strong>tra à son fils C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> l’abbaye cistercienne <strong>de</strong> La<br />

Bénisson-Dieu (9000 l.), dont ils feront une abbaye féminine, mais encore les prieurés <strong>de</strong><br />

l’Isle-Barbe <strong>et</strong> <strong>de</strong> Firminy. L’ensemble sera d’ailleurs transmis à son <strong>de</strong>mi-frère bâtard,<br />

12 Joseph BERGIN, Pouvoir <strong>et</strong> fortune <strong>de</strong> Richelieu, Paris, 1987, chapitre VI, La contribution <strong>de</strong> l’Église. Paul<br />

DENIS, Richelieu <strong>et</strong> <strong>la</strong> réforme <strong>de</strong>s monastères bénédictins, Paris, 1913.<br />

13 Philippe PEYRON, « Françoise <strong>de</strong> Nérestang (1591-1652). Une abbesse réformatrice au 17 e siècle », dans Les<br />

religieuses dans le cloître <strong>et</strong> dans le mon<strong>de</strong>, Saint-Étienne, 1994, p. 573-595.


Antoine. Certes, il s’agit bien <strong>de</strong> patrimoine, mais il s’agit aussi d’assurer <strong>la</strong> position d’enfants<br />

qui ne peuvent faire carrière dans les armes ou entrer dans les ordres, réservés aux enfants<br />

légitimes, <strong>de</strong> Notre-Dame du Mont-Carmel <strong>et</strong> <strong>de</strong> Saint-Lazare <strong>de</strong> Jérusalem. La monarchie<br />

s’assure ainsi <strong>de</strong>s fidélités au sein <strong>de</strong> <strong>la</strong> noblesse locale, qui sert <strong>de</strong> re<strong>la</strong>is à l’établissement <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> monarchie absolue 14 .<br />

Le roi peut tout aussi bien offrir ces commen<strong>de</strong>s à un favori <strong>et</strong> celui-ci les distribuera à<br />

son tour à ses fidèles. Le futur cardinal René <strong>de</strong> Prie a ainsi été pourvu, comme La Tremoille,<br />

<strong>de</strong> neuf abbayes dont six dans le diocèse <strong>de</strong> Bourges (Oliv<strong>et</strong>, La Prée, Issoudun, Le Landais,<br />

Loroy, Déols <strong>et</strong> l'ermitage <strong>de</strong> Miseray). Il faudrait pouvoir compter tous les bénéfices<br />

appartenant au grand c<strong>la</strong>n <strong>de</strong>s Amboise sous le règne <strong>de</strong> Louis XII : non seulement en ligne<br />

directe, mais aussi par neveux interposés (Clermont en Languedoc, René <strong>de</strong> Prie à Bourges,<br />

Georges d’Armagnac <strong>et</strong> Jacques d’Albr<strong>et</strong> dans le Sud-Ouest…) <strong>et</strong> par les familiers <strong>de</strong> ces<br />

grands. Les bénéfices entrent ainsi dans <strong>la</strong> lutte d’influence que se livrent en permanence les<br />

nébuleuses clienté<strong>la</strong>ires pour gar<strong>de</strong>r <strong>la</strong> faveur du roi en appliquant au mieux sa politique.<br />

Ce système, qui joue en faveur <strong>de</strong>s Amboise sous Louis XII ou <strong>de</strong>s Guise sous Charles<br />

IX, <strong>et</strong> reprendra avec Richelieu <strong>et</strong> Mazarin, semble essentiel dans <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> l’État<br />

mo<strong>de</strong>rne 15 . S’agit-il d’un spoil system au profit d’un c<strong>la</strong>n ou d’un expédient <strong>de</strong> <strong>la</strong> monarchie<br />

pour maîtriser un espace qui lui résiste ? L’un ne va pas sans l’autre, dans un mon<strong>de</strong> où <strong>la</strong><br />

fortune privée est mise au service direct du prince, <strong>et</strong> le patrimoine <strong>de</strong> l’État point encore<br />

séparé <strong>de</strong> celui <strong>de</strong> ceux qui le tiennent en main. En particulier, jusqu’au règne <strong>de</strong> Louis XIII<br />

au moins, <strong>la</strong> faiblesse <strong>de</strong>s rouages administratifs <strong>et</strong> <strong>de</strong>s communications contraint plus ou<br />

moins les serviteurs du roi à financer localement <strong>la</strong> politique royale <strong>et</strong>, par conséquent, à<br />

avancer sans cesse <strong>de</strong>s <strong>de</strong>niers du roi, aussi bien pour recruter <strong>de</strong>s armées que pour mener <strong>de</strong>s<br />

négociations fructueuses. Quelle est <strong>la</strong> part du service du roi <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> l’augmentation du<br />

pouvoir aristocratique local dans ces processus ? La réponse semble bien difficile, mais <strong>la</strong><br />

liaison d'intérêts est évi<strong>de</strong>nte.<br />

3. Le cumul comme stratégie <strong>de</strong> pouvoir<br />

Il est c<strong>la</strong>ir que le cumul sert d’abord les intérêts familiaux d’un groupe <strong>la</strong>rge plutôt que<br />

d’un individu. On manque <strong>de</strong> travaux pour appréhen<strong>de</strong>r <strong>de</strong> tels phénomènes, bien connus dans<br />

les domaines financiers <strong>de</strong>puis les recherches <strong>de</strong> Jean-Louis Bourgeon, Daniel Dessert <strong>et</strong><br />

Françoise Bayard, par exemple. Il n’y a pas <strong>de</strong> raison d’estimer que les bénéfices<br />

ecclésiastiques échappent à ces phénomènes, qui sont <strong>de</strong>s quasi-invariants du dynamisme<br />

social. Pourtant <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s perm<strong>et</strong>traient <strong>de</strong> savoir comment les objectifs pieux <strong>et</strong><br />

particulièrement les objectifs <strong>de</strong> réforme jouent sur ces transmissions. On le sait <strong>la</strong> plupart du<br />

temps sans pouvoir le démontrer : les chercheurs mo<strong>de</strong>rnistes ne font pas mieux que les<br />

médiévistes qui peinent à aller au-<strong>de</strong>là du constat, en ce qui concerne l’entrée <strong>de</strong> Bernard <strong>de</strong><br />

Fontaine à C<strong>la</strong>irvaux ou <strong>la</strong> réforme <strong>de</strong> Norbert <strong>de</strong> Xanten par exemple 16 . En étudiant <strong>de</strong> près<br />

les listes <strong>de</strong> moines, on trouvera toujours plusieurs membres d’une même famille, comme si <strong>la</strong><br />

conquête <strong>de</strong>s dignités d’une communauté entrait dans les stratégies familiales. C’est chez les<br />

<strong>abbés</strong> commendataires que ces stratégies sont les plus c<strong>la</strong>ires. Or <strong>la</strong> commen<strong>de</strong> n’est pas<br />

réservée aux très gran<strong>de</strong>s familles <strong>et</strong> au Moyen Age. Il suffit <strong>de</strong> croiser les généalogies<br />

familiales <strong>et</strong> les listes d’<strong>abbés</strong> commendataires pour en saisir toute l’ampleur, au niveau local<br />

au moins. Prenons <strong>la</strong> très riche abbaye <strong>de</strong> Saint-Thierry. Deux familles d’<strong>abbés</strong><br />

commendataires se succè<strong>de</strong>nt sur le siège, <strong>de</strong>ux Ostrel (1490-1547) <strong>et</strong> cinq Bailly (1598-<br />

1695) 17 . Gilles d’Ostrel, parfait religieux, prieur <strong>de</strong> Corbie <strong>et</strong> moine <strong>de</strong> Saint-Corneille <strong>de</strong><br />

Compiègne, issu d’une famille provinciale <strong>de</strong> l’Artois, fut p<strong>la</strong>cé là par Louis XI pour y<br />

14<br />

C’est un moyen parmi d’autres <strong>de</strong> s’appuyer sur <strong>la</strong> noblesse secon<strong>de</strong> pour affaiblir l’aristocratie du point <strong>de</strong><br />

vue politique. Le procédé d’intervention monarchique est expliqué par : Laurent BOURQUIN, Noblesse<br />

secon<strong>de</strong> <strong>et</strong> pouvoir en Champagne aux XVIe <strong>et</strong> XVIIe siècles, Paris, 1994.<br />

15<br />

Pour Richelieu, voir Joseph BERGIN, Pouvoir <strong>et</strong> fortune <strong>de</strong> Richelieu, Paris, 1987.<br />

16<br />

Joachim WOLLASCH, « Parenté noble <strong>et</strong> monachisme réformateur » dans Revue historique, 1980 (264), p. 3-<br />

24.<br />

17<br />

Marie-Édith BREJON DE LAVERGNÉE, « Les Ostrel <strong>et</strong> les Bailly, <strong>de</strong>ux familles d’<strong>abbés</strong> commendataires »,<br />

dans Saint-Thierry, une abbaye du VI e au XX e siècle, Saint-Thierry, 1979, p. 509-519.


em<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> l’ordre lors <strong>de</strong> l’emprisonnement du cardinal La Balue. Ses frères sont abbé<br />

d’Anchin (1470-1511), <strong>et</strong> <strong>de</strong> Corbie (1485-1522). Les trois abbayes resteront dans <strong>la</strong> famille<br />

ainsi que plusieurs prieurés <strong>et</strong> ses neveux ajouteront encore l’abbaye <strong>de</strong> Saint-Acheul<br />

d’Amiens au capital familial. Avec les Bailly, il ne s’agit plus que <strong>de</strong> récompenser une famille<br />

parisienne <strong>de</strong> maîtres <strong>et</strong> prési<strong>de</strong>nts <strong>de</strong>s comptes qui a rendu <strong>de</strong>s services à <strong>la</strong> monarchie. Les<br />

Bailly ne sont pas moines, même s’ils sont clercs <strong>et</strong> gradués. Ils n’exercent plus <strong>la</strong> charge <strong>de</strong>s<br />

âmes mais ils introduisent <strong>la</strong> réforme <strong>de</strong> Saint-Maur en 1628 : alliés aux Fouqu<strong>et</strong>, ils<br />

appartiennent aux cercles dévots militants. La re<strong>la</strong>tion entre l’abbé <strong>et</strong> le monastère est<br />

pourtant uniquement pécuniaire, ce qui provoquera une dégradation <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>tions dans <strong>la</strong> suite<br />

du siècle.<br />

Comme les familles plus mo<strong>de</strong>stes, les très gran<strong>de</strong>s familles peuvent cumuler les<br />

bénéfices <strong>et</strong> conduire une politique <strong>de</strong> réforme radicale. C’est le cas, par exemple, <strong>de</strong> l’un <strong>de</strong>s<br />

plus grands cumu<strong>la</strong>nts du siècle, Charles II <strong>de</strong> Lorraine, cardinal à 22 ans. Lorsqu’il <strong>de</strong>vient<br />

évêque <strong>de</strong> Strasbourg en 1592, il dispose comme commendataire <strong>de</strong> sept abbayes ou prieurés<br />

lorrains <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux canonicats à Mayence <strong>et</strong> Trêves. Or il réforme l’ordre bénédictin selon les<br />

directives du concile <strong>de</strong> Trente, en s’appuyant sur son cousin évêque <strong>de</strong> Verdun, Éric <strong>de</strong><br />

Lorraine, abbé commendataire lui-même <strong>de</strong> Saint-Vanne <strong>de</strong> Verdun <strong>et</strong> <strong>de</strong> Saint-Hydulphe <strong>de</strong><br />

Moyenmoutier <strong>et</strong> sur les Jésuites <strong>de</strong> Pont-à-Mousson, omniprésents à <strong>la</strong> cour <strong>de</strong> Lorraine 18 .<br />

Disposer <strong>de</strong>s bénéfices abbatiaux perm<strong>et</strong> donc d’agir contre toutes les inerties pour imposer le<br />

changement. Le paradoxe étant que <strong>la</strong> réforme en question impose en général l’élection <strong>de</strong>s<br />

<strong>abbés</strong> par <strong>la</strong> communauté, au contraire donc <strong>de</strong>s intérêts patrimoniaux du réformateur.<br />

Au niveau inférieur, les milieux dévots sont actifs dans toutes les strates <strong>de</strong> <strong>la</strong> société <strong>et</strong><br />

nul doute que les bénéfices ne servent à mener une politique <strong>de</strong> missions par exemple. C’est le<br />

cas pour tous les amis fortunés <strong>de</strong> Vincent <strong>de</strong> Paul, qui non seulement financent <strong>de</strong>s<br />

établissements mais y p<strong>la</strong>cent aussi leurs rej<strong>et</strong>ons. Prenons le cas <strong>de</strong>s Fouqu<strong>et</strong>-Maupeou 19 .<br />

C<strong>et</strong>te famille typique <strong>de</strong> <strong>la</strong> contre-réforme militante fournit nombre <strong>de</strong> filles à <strong>la</strong> Visitation,<br />

mais aussi l’aîné du futur surintendant, François, qui <strong>de</strong>viendra évêque <strong>de</strong> Bayonne en 1637.<br />

Or c<strong>et</strong>te ascension ne va pas sans <strong>la</strong> disposition <strong>de</strong> bénéfices réguliers, qui lui sont cédés par<br />

son ca<strong>de</strong>t, Nico<strong>la</strong>s : les prieurés <strong>de</strong> Saint-Julien <strong>de</strong> Douy <strong>et</strong> Saint-Nico<strong>la</strong>s du Port-Raingard, <strong>la</strong><br />

trésorerie du chapitre Saint-Martin <strong>de</strong> Tours, l’abbaye d’Eysse enfin. Devenu évêque, ce<br />

proche <strong>de</strong> Vincent <strong>de</strong> Paul résignera, mais en faveur <strong>de</strong> ses frères.<br />

C’est ainsi que nous r<strong>et</strong>rouvons les Nérestang, p<strong>et</strong>ite famille <strong>de</strong> hobereaux auvergnats<br />

du Falgoux près <strong>de</strong> Salers, partager <strong>la</strong> passion <strong>de</strong>s bénéfices réguliers. Dans c<strong>et</strong>te famille où<br />

l’on est par tradition homme <strong>de</strong> guerre ou homme d’Église, les femmes jouent un rôle aussi<br />

important que les hommes dans <strong>la</strong> conquête ou l’affermissement d’un pouvoir local sur <strong>de</strong>s<br />

bénéfices réguliers, en particulier au sein d’un même ordre. Le ca<strong>de</strong>t <strong>de</strong>s Nérestang, d’abord<br />

abbé <strong>de</strong> La Benisson-Dieu (1610-1611), échange avec sa sœur l’abbaye cistercienne <strong>de</strong><br />

Mégemont en 1611. Françoise l’avait reçue à l’âge <strong>de</strong> douze ans (1603), alors qu’elle était<br />

plutôt <strong>de</strong>stinée au mon<strong>de</strong> 20 . Pour s’assurer <strong>la</strong> pérennité <strong>de</strong> <strong>la</strong> charge, on lui adjoint sa sœur<br />

ca<strong>de</strong>tte Adhémare-Catherine, sa première professe <strong>et</strong> coadjutrice qui va mourir quelques mois<br />

après son aînée. Ce procédé serait à étudier <strong>de</strong> façon systématique car il semble faire partie<br />

<strong>de</strong>s stratégies les plus répandues : cumuler pour réserver les charges afin <strong>de</strong> les transm<strong>et</strong>tre<br />

dans <strong>de</strong> bonnes conditions est bien connu, mais accaparer les offices à l’intérieur du<br />

monastère pour arriver à l’élection éventuelle dans <strong>de</strong> bonnes conditions <strong>de</strong> succès n’a guère<br />

été abordé <strong>de</strong> façon sérielle. Prenons les Bénédictines <strong>de</strong> Gif-sur-Yv<strong>et</strong>te pour lesquelles nous<br />

disposons <strong>de</strong>s professions entre 1638 <strong>et</strong> 1747 21 . Le poids <strong>de</strong> <strong>la</strong> personnalité <strong>de</strong>s <strong>abbesses</strong> dans<br />

le recrutement est confirmé, mais le croisement <strong>de</strong>s recrutements avec <strong>de</strong>s généalogies<br />

familiales montre qu’on multiplie volontiers les entrées dans un même couvent pour s’assurer<br />

18 Gérard MICHAUX, « Une fondation tri<strong>de</strong>ntine : <strong>la</strong> congrégation bénédictine <strong>de</strong> Saint-Vanne », dans Revue<br />

d'Histoire <strong>de</strong> l'Église <strong>de</strong> France, 75 (1989), p. 137-148.<br />

19 Daniel DESSERT, Fouqu<strong>et</strong>, Paris, 1987, p. 52-53.<br />

20 Philippe PEYRON, op. cit. Il s’agit <strong>de</strong> l’âge légal du mariage, c’est pourquoi son biographe récoll<strong>et</strong> ne s’en<br />

offusque pas : Chérubin <strong>de</strong> Marcigny, Le pa<strong>la</strong>is <strong>de</strong> <strong>la</strong> sagesse ou le miroir <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie religieuse, Lyon, 1656.<br />

21 Ludivine BADULLI, Les Bénédictines <strong>de</strong> Notre-Dame du Val-<strong>de</strong>-Gif <strong>de</strong> 1639 à 1783, Mémoire <strong>de</strong> Maîtrise,<br />

2001, dir. Nicole Lemaitre.


les charges inférieures. Au XVIIe siècle, par exemple, quatre sœurs Chauvelin <strong>et</strong> trois<br />

Fey<strong>de</strong>au y ont vécu ensemble. Mieux même, <strong>la</strong> famille Montenay-Mornay y m<strong>et</strong> ses filles <strong>et</strong><br />

ses nièces, six religieuses entre 1642 <strong>et</strong> 1713, sans pour autant réussir à accaparer <strong>la</strong> charge.<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces stratégies familiales qui ten<strong>de</strong>nt à figer le jeu bénéficial, à quoi servent <strong>la</strong><br />

commen<strong>de</strong> <strong>et</strong> le cumul ?<br />

II. Un pouvoir <strong>de</strong> changement ?<br />

La mise en commen<strong>de</strong> n’est pas une invention <strong>de</strong> l’époque mo<strong>de</strong>rne. Depuis le XIVe<br />

siècle, elle perm<strong>et</strong>tait à <strong>la</strong> papauté <strong>et</strong> aux princes <strong>de</strong> distribuer <strong>de</strong>s bénéfices réguliers à <strong>de</strong>s<br />

séculiers. En principe, <strong>la</strong> Pragmatique sanction <strong>de</strong> Bourges rétablissait l’élection <strong>de</strong>s <strong>abbés</strong>,<br />

mais en fait, le roi continuait à nommer en commen<strong>de</strong>, <strong>et</strong> quand il y avait élection, il ne se<br />

privait pas pour peser sur celles-ci. Le concordat <strong>de</strong> Bologne ne modifie pas sensiblement ces<br />

pratiques.<br />

1. La commen<strong>de</strong>, un affrontement entre centre <strong>et</strong> périphérie<br />

Avant 1516, les <strong>de</strong>ux tiers <strong>de</strong>s abbayes sont en commen<strong>de</strong> en Languedoc. Le Roussillon<br />

sous régime espagnol, ignore <strong>la</strong> commen<strong>de</strong>, mais le roi nomme à tous les bénéfices, ce qui<br />

revient au même. Le premier eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> commen<strong>de</strong> sur les prieurés clunisiens est le refus<br />

d’accueillir les visiteurs sans l’ordre du cardinal-abbé au XVe siècle 22 . Il ne faudrait pas<br />

pourtant voir <strong>la</strong> commen<strong>de</strong> sous son seul aspect négatif, <strong>la</strong> suppression d’une instance <strong>de</strong><br />

pouvoir pour les moines. Plusieurs princes ou princesses sont à l’origine <strong>de</strong> fondations, à<br />

l’image <strong>de</strong> Jeanne <strong>de</strong> France avec les Annoncia<strong>de</strong>s. Le cumul <strong>de</strong>s bénéfices à charge d’âmes<br />

est interdit en principe <strong>et</strong> le concile <strong>de</strong> Trente le rappellera ; pourtant, le quart <strong>de</strong>s bénéfices<br />

<strong>la</strong>nguedociens est tenu en cumul avant 1516, essentiellement dans <strong>de</strong>s familles aristocratiques.<br />

Abus <strong>de</strong> <strong>la</strong> fin du Moyen Age ? Rien n’est moins sûr ; pour être moins affiché, le cumul n’en<br />

est pas moins réel en pleine Contre-Réforme. Prenons par exemple les Sourdis. Au début du<br />

XVIIe siècle, François d’Escoubleau est un archevêque <strong>de</strong> Bor<strong>de</strong>aux réformateur, mais sa<br />

sœur Mag<strong>de</strong>leine joue un rôle non moins important 23 . C<strong>et</strong>te famille <strong>de</strong> vail<strong>la</strong>nts soldats (Pavie,<br />

Coutras, Ivry) <strong>et</strong> <strong>de</strong> curialistes fidèles n'est pas moins dynamique du point <strong>de</strong> vue religieux.<br />

Mag<strong>de</strong>leine a été formée à l’abbaye <strong>de</strong> Beaumont, administrée par sa tante abbesse, en<br />

compagnie <strong>de</strong> ses cousines. Elle n’est encore que novice quand elle <strong>de</strong>vient abbesse <strong>de</strong> Notre-<br />

Dame <strong>de</strong> Saint-Paul les Beauvais, sur un brev<strong>et</strong> du roi. Elle n’aura pourtant <strong>de</strong> cesse <strong>de</strong><br />

réformer en douceur le couvent, cinq ans après son entrée, en luttant pour imposer <strong>la</strong> réforme<br />

<strong>de</strong> Saint-Vanne 24 .<br />

Reprenons les Nérestang. Ils utilisent leurs bénéfices pour le maintien <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille,<br />

mais leur action <strong>de</strong> supérieurs commendataires n’est pas totalement négative. Françoise est<br />

abbesse à 12 ans mais formée à <strong>la</strong> vie cistercienne comme pensionnaire à Bonlieu <strong>de</strong>puis l’âge<br />

<strong>de</strong> six ans. Lorsqu’elle arrive à Mégemont, les bâtiments conventuels sont en ruines. La<br />

famille relève le monastère <strong>et</strong>, le temps <strong>de</strong>s travaux, Françoise loge à Coiroux, une abbaye<br />

limousine réformée <strong>et</strong> austère. Elle doit échanger Mégemont avec La Bénisson-Dieu en 1611,<br />

où elle remonte à nouveau le monastère. Une fois <strong>la</strong> restauration matérielle accomplie, elle<br />

réforme en douceur sa maison vers l’observance (en 1625), sans excès <strong>et</strong> sans violence mais<br />

non sans avoir séjourné à C<strong>la</strong>irvaux, à Citeaux, <strong>et</strong> au Tart <strong>de</strong> Dijon, où elle a pris soin <strong>de</strong> se<br />

former au gouvernement d'une communauté. Sa principale compétitrice, ancienne abbesse,<br />

Jacqueline <strong>de</strong> La Croix d’Ang<strong>la</strong>rs, qui appartient aussi au c<strong>la</strong>n auvergnat important <strong>de</strong>s<br />

C<strong>la</strong>viers dits <strong>de</strong> Murat, se rallie en fin <strong>de</strong> compte à <strong>la</strong> réforme 25 . Ce parcours, qui ressemble<br />

22 En particulier à Jouhe en 1427 <strong>et</strong> à Château-Salins en 1451 : Denyse RICHE, L’ordre <strong>de</strong> Cluny à <strong>la</strong> fin du<br />

Moyen Age, Saint-Étienne, 2000, p. 676. Le rôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille westphalienne <strong>de</strong> Cappenbergen est bien établie<br />

dans <strong>la</strong> fondation <strong>de</strong> Prémontré, mais on peut faire les mêmes démonstrations à <strong>la</strong> même époque, aussi bien à<br />

Semur qu’à Cluny.<br />

23 Philippe LOUPÈS, L’apogée du catholicisme bor<strong>de</strong><strong>la</strong>is. 1600-1789, Bordraux, 2001, p. 20-44.<br />

24 Le trône <strong>de</strong> Dieu dans une âme juste ou l’idée d’une parfaite religieuse <strong>et</strong> d’une sainte abbesse dans <strong>la</strong><br />

vertueuse vie <strong>et</strong> les gran<strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> Mme mag<strong>de</strong>leine <strong>de</strong> Sourdis, par un père capucin <strong>de</strong> <strong>la</strong> province <strong>de</strong> Paris<br />

(Pacifique Postel), Paris, 1672.<br />

25 Chérubin <strong>de</strong> Marcigny, op cit, p. 65.


par bien <strong>de</strong>s aspects avec celui d’Angélique Arnauld, le parisianisme en moins, semble assez<br />

caractéristique <strong>de</strong>s dévotes du XVIIe siècle, d’autant que Françoise <strong>de</strong> Nérestang sait aussi<br />

exhorter <strong>et</strong> soeurs <strong>et</strong> même écrir. Un livre <strong>de</strong> méditations, trouvé dans sa cellule après sa mort,<br />

en atteste 26 .<br />

Si <strong>la</strong> réforme monastique se développe au XVII e siècle, ce n’est pas seulement grâce<br />

aux cercles du pouvoir royal parisien. Les parlements re<strong>la</strong>ient également un certain nombre <strong>de</strong><br />

réformes régulières dont ils vont assurer l’enracinement dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s officiers<br />

provinciaux. Les parlements ont accompagné les réformes, particulièrement celles réc<strong>la</strong>mées<br />

aux États généraux <strong>de</strong> 1483 <strong>et</strong> à l’assemblée <strong>de</strong> Tours <strong>de</strong> 1493. Dans <strong>la</strong> pratique, on observe<br />

que toute <strong>la</strong> discipline <strong>de</strong> l’Eglise est portée <strong>de</strong>vant <strong>la</strong> cour du parlement <strong>de</strong> Toulouse 27 .<br />

Chaque fois que le tribunal royal doit arbitrer entre plusieurs candidats aux bénéfices (les uns<br />

nommés par le roi <strong>et</strong> les autres par le pape, par exemple), les magistrats choisissent d’appuyer<br />

les amis <strong>de</strong>s réformés ou <strong>de</strong>s observants. Des fondations comme celles <strong>de</strong> l'Annoncia<strong>de</strong> ou <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> Visitation n’auraient pas survécu sans l'appui <strong>de</strong>s élites urbaines.<br />

2. La commen<strong>de</strong> comme outil <strong>de</strong> <strong>la</strong> monarchie gallicane<br />

Vers 1508-1510, Louis XII réforme les réguliers par l’intermédiaire <strong>de</strong> Georges<br />

d’Amboise selon un idéal gallican qui fait du roi le responsable <strong>de</strong> <strong>la</strong> discipline dans l’Église.<br />

Derrière le cumul <strong>de</strong>s abbayes en commen<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> légation pontificale par les Amboise, il<br />

faut alors lire une politique concertée qui vise à confisquer <strong>la</strong> réforme <strong>de</strong>s religieux au profit<br />

du roi <strong>de</strong> France <strong>et</strong> <strong>de</strong> son pouvoir sur l’Église. Ce <strong>de</strong>rnier avatar <strong>de</strong> <strong>la</strong> lutte médiévale du<br />

Sacerdoce <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’Empire se révèle <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> conséquence pour <strong>la</strong> vie ordinaire <strong>de</strong>s<br />

établissements. En quelques mois, les abbayes Saint-Sulpice <strong>de</strong> Bourges, Saint-Pierre <strong>de</strong><br />

Chezal-Benoît, Saint-Vincent du Mans, Saint-Allyre <strong>de</strong> Clermont, Gail<strong>la</strong>c, La Daura<strong>de</strong>, mais<br />

aussi les Franciscains (réforme col<strong>et</strong>tane) <strong>et</strong> Dominicains (Congrégation <strong>de</strong> France) subissent<br />

<strong>de</strong>s transformations brutales qui visent à établir l’observance, au nom d’un r<strong>et</strong>our à <strong>la</strong> pur<strong>et</strong>é<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Règle, contre les coutumes. Ce mouvement <strong>de</strong> réforme <strong>de</strong>s « déformés », taxés d’abus<br />

parfois réels <strong>et</strong> parfois fictifs, est mené tambour battant <strong>et</strong> sans ménagement, sans<br />

considération pour l’équilibre interne <strong>de</strong>s communautés. La réforme <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong>, qui voit<br />

se multiplier les appels aux tribunaux séculiers <strong>et</strong> ecclésiastiques est aujourd’hui considérée<br />

comme ayant fait le lit <strong>de</strong> <strong>la</strong> Réforme protestante en déstabilisant l’environnement sécurisant<br />

<strong>de</strong>s communautés religieuses 28 . Les religieux déracinés, qu’ils soient victimes ou vainqueurs<br />

auront en eff<strong>et</strong> moins <strong>de</strong> scrupule à critiquer voire à abandonner une institution qui ne remplit<br />

pas son rôle <strong>de</strong> protection à leur égard.<br />

La monarchie utilise aussi <strong>la</strong> commen<strong>de</strong> pour ses besoins temporels, qui coïnci<strong>de</strong>nt<br />

parfois avec ses stratégies <strong>de</strong> réforme. Les <strong>abbés</strong> du Languedoc sont choisis dans l’aristocratie<br />

locale, ce qui conforte les fidélités au roi, mais ils per<strong>de</strong>nt leur avantage dès le moindre<br />

soupçon <strong>de</strong> soutien à l’Espagne. Or ces familles cumulent, avec l’appui du roi : en<br />

Languedoc, les Narbonne (dix <strong>abbés</strong> entre 1460 <strong>et</strong> 1730), les Clermont, les Lausières sont<br />

autant <strong>de</strong> pions pour le roi. Pourtant <strong>la</strong> proximité <strong>de</strong> <strong>la</strong> cour <strong>de</strong>vient bientôt <strong>la</strong> règle, même au<br />

fin fond du royaume. En Languedoc, François-Guil<strong>la</strong>ume <strong>de</strong> Clermont doit ses bénéfices à sa<br />

naissance mais aussi au service du roi : <strong>de</strong>stiné dès l’âge <strong>de</strong> cinq ans à <strong>la</strong> carrière<br />

ecclésiastique, son éducation a été confiée en 1485 à son oncle maternel, Georges d’Amboise.<br />

Il cumule d’emblée <strong>la</strong> prévôté <strong>de</strong> Beaumont, un canonicat à Albi, l’archidiaconé <strong>de</strong> Narbonne<br />

<strong>et</strong> <strong>la</strong> commen<strong>de</strong> <strong>de</strong> quatre abbayes majeures : Saint-Thibéry (Ag<strong>de</strong>) en 1499, dont il a pris<br />

possession manu militari, Villemagne (Béziers) en 1499 <strong>et</strong> 1521 <strong>et</strong> Saint-Aphrodise (Béziers)<br />

en 1534. Ce qui ne l’a pas empêché <strong>de</strong> cumuler plusieurs évéchés : Saint-Pons, Valence,<br />

Ag<strong>de</strong>. Nommé cardinal, il sera encore archevêque <strong>de</strong> Narbonne <strong>et</strong> d’Auch. Mais c’est aussi<br />

l’un <strong>de</strong>s diplomates <strong>de</strong> Louis XII, <strong>et</strong> ces bénéfices servent à financer le service du roi là où il<br />

le faut. Le concordat <strong>et</strong> les guerres civiles ne changeront rien à c<strong>et</strong> état <strong>de</strong> fait, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong><br />

26 Les reliques <strong>de</strong>s saintes pensées <strong>de</strong> Madame sœur Françoise <strong>de</strong> Nérestang, première abbesse <strong>de</strong> La Benisson<br />

Dieu, 81 p. publié à <strong>la</strong> suite <strong>de</strong> l’éloge <strong>de</strong> Chérubin <strong>de</strong> Marcigny.<br />

27 Jean-Louis GAZZANIGA, « Le parlement <strong>de</strong> Toulouse <strong>et</strong> les Réguliers » dans Revue <strong>de</strong> l’Église <strong>de</strong> France,<br />

77 (1991), p. 49-60.<br />

28 Jean-Marie LE GALL, op. cit.


l’é<strong>la</strong>rgissement re<strong>la</strong>tif <strong>de</strong>s fidèles serviteurs du roi. On note qu'avant 1516, seul Clermont est<br />

vraiment au service du roi, mais ensuite, le tiers <strong>de</strong>s <strong>abbés</strong> commendataires le sera (18 sur 50<br />

après 1610). Il ne faudrait pas oublier qu’il s’agit là <strong>de</strong> politique générale : les nominations<br />

d’Italiens au XVIe siècle correspon<strong>de</strong>nt, par exemple, aux les vicissitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> <strong>la</strong> politique<br />

italienne française, comme on le voit avec les <strong>abbés</strong> <strong>de</strong> Fontfroi<strong>de</strong>. Après Clermont, c’est le<br />

mi<strong>la</strong>nais Trivulce, protecteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> France à Rome, puis les Fregose, « fuorisciti » <strong>de</strong><br />

Florence, puis à nouveau La Rochefoucauld, au temps <strong>de</strong>s réformes. De <strong>la</strong> gran<strong>de</strong> politique à<br />

<strong>la</strong> politique religieuse, il n’y a aucune coupure même si l’on peine souvent à trouver <strong>de</strong>s<br />

connections entre l’une <strong>et</strong> l’autre.<br />

Les <strong>abbés</strong> commendataires <strong>de</strong> Fontfroi<strong>de</strong> d’après <strong>la</strong> Gallia christiana<br />

Abbé début environ fin<br />

Martial <strong>de</strong> Rua 1448 1472<br />

Pierre <strong>de</strong> La Roque 1463<br />

Antoine-Pierre <strong>de</strong> Narbonne 1476 1499<br />

Louis <strong>de</strong> Narbonne 1499 1519<br />

Georges <strong>de</strong> Narbonne 1519 1531<br />

Benoît Taillecarne 1532 1536<br />

Augustin Trivulce 1537 1548<br />

Hippolyte d’Este 1548 1572<br />

Jean Massey 1573 1582<br />

Janus Fregose 1582 1587<br />

Alexandre Fregose 1588 1619<br />

Dominique Fregose 1620 1646<br />

C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> <strong>de</strong> Rébé 1646<br />

Jean <strong>de</strong> Nobl<strong>et</strong> Desprez 1655<br />

Jean-Achille <strong>de</strong> La Rochefoucauld 1667 1698<br />

Henri <strong>de</strong> La Rochefoucauld 1698<br />

Roger <strong>de</strong> La Rochefoucauld 1709 1717<br />

Emmanuel-Henri-Timoléon <strong>de</strong> Cossé-Brissac 1717<br />

3. La réforme tri<strong>de</strong>ntine par le roi<br />

L'essentiel <strong>de</strong> <strong>la</strong> commen<strong>de</strong> sert cependant <strong>la</strong> politique religieuse du roi. Contrairement<br />

à ce que l’on affirme souvent, le concile <strong>de</strong> Trente n’est pas introduit en France en 1615 mais<br />

bien avant. C’est par <strong>la</strong> commen<strong>de</strong> que le roi fait passer <strong>la</strong> réforme tri<strong>de</strong>ntine chez les<br />

réguliers. Dès 1579, le roi Henri III soutient en eff<strong>et</strong> les décisions du concile, du moment<br />

qu’elles ne lèsent pas ses droits (comme a fait d’ailleurs Philippe II). Le cumul <strong>de</strong>s bénéfices à<br />

charge d’âmes est donc en principe interdit. Il adopte à <strong>la</strong> cour les livres liturgiques réformés<br />

selon le concile, mais surtout il poursuit à l’égard <strong>de</strong>s religieux une politique <strong>de</strong> réforme qui<br />

n’a <strong>de</strong> gallicane que le nom puisqu’elle correspond aux recommandations du concile, en ce<br />

qui concerne <strong>la</strong> clôture <strong>de</strong>s religieuses ou le regroupement <strong>de</strong>s monastères exempts par<br />

exemple. Alors que Charles VIII soutenait officiellement <strong>la</strong> fondation <strong>de</strong>s Minimes, c’est celle<br />

<strong>de</strong>s Feuil<strong>la</strong>nts qui est promue par Henri III : dans les <strong>de</strong>ux cas, il s'agit d'un modèle rigoriste,<br />

bien accordé aux quêtes héroïques <strong>de</strong> <strong>la</strong> noblesse p<strong>et</strong>ite <strong>et</strong> gran<strong>de</strong>. C<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière fondation est<br />

due à Jean <strong>de</strong> La Barrière, un abbé commendataire <strong>de</strong> l’abbaye cistercienne <strong>de</strong> Feuil<strong>la</strong>nt près<br />

<strong>de</strong> Toulouse, dont le roi soutient le développement à partir <strong>de</strong> 1587, en lui offrant <strong>de</strong>s<br />

prieurés.<br />

La monarchie réorganise aussi les Bénédictins, en soutenant le regroupement <strong>de</strong>s<br />

couvents dans une congrégation réformée selon l’ordre du concile, <strong>la</strong> Congrégation <strong>de</strong>s<br />

exempts : l’ordonnance <strong>de</strong> Blois une fois publiée en 1580, <strong>la</strong> congrégation prenait naissance à<br />

Marmoutier avec sept monastères, elle en comptera 55 avant <strong>de</strong> se fondre dans <strong>la</strong><br />

congrégation <strong>de</strong> Saint-Maur. Une telle politique n’est possible que si les <strong>abbés</strong><br />

commendataires acceptent l’ordre <strong>de</strong> réunion au nom <strong>de</strong> leur fidélité envers le roi <strong>et</strong> contre<br />

leur goût ordinaire pour l'autonomie.


La <strong>de</strong>uxième vague <strong>de</strong> fondation <strong>et</strong> <strong>de</strong> réorganisation, portée par le succès <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

dévotion, est le fait <strong>de</strong> Louis XIII par l’intermédiaire du cardinal <strong>de</strong> La Rochefoucauld puis <strong>de</strong><br />

Richelieu. Ce <strong>de</strong>rnier par exemple, se fait élire abbé <strong>de</strong> Cîteaux en 1635 pour pouvoir y<br />

introduire l’observance, avec <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s dignes <strong>de</strong> celles du temps <strong>de</strong> Louis XII. Le<br />

cardinal <strong>de</strong> La Rochefoucauld est à l’origine <strong>de</strong> toutes les tentatives <strong>de</strong> réforme <strong>de</strong>s années<br />

1620, par l’intermédiaire d’une commission établie en 1622 pour mener à bien <strong>la</strong> réforme <strong>de</strong>s<br />

ordres anciens 29 . La réforme par voie d’autorité, comme on disait alors, sert à adapter les<br />

réguliers aux <strong>nouvelles</strong> dispositions, mais aussi à briser les autonomies. La Rochefoucauld est<br />

donc autant homme d’État qu’homme d’Église <strong>et</strong> Richelieu autant homme d’Église<br />

qu’homme d’État. Celui-ci n’a eu <strong>de</strong> cesse <strong>de</strong> réunir tous les Bénédictins en une seule<br />

congrégation, pour mieux <strong>la</strong> contrôler sans doute, mais aussi pour affirmer le primat <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

rationnalité en matière administrative : l’existence d’un centre <strong>de</strong> pouvoir al<strong>la</strong>it encore dans<br />

son esprit, du moins avant 1634, avec l’autonomie <strong>de</strong> chaque entité 30 . Il faudrait arrêter <strong>de</strong><br />

s’offusquer du cumul <strong>de</strong>s bénéfices pour observer <strong>la</strong> manière dont il sert à faire passer ses<br />

idées. Richelieu consulte aussi les régulier en eff<strong>et</strong>, par Père Joseph interposé, en vue d'une<br />

meilleure efficacité. Pour les Bénédictins, on renoncera à <strong>la</strong> réforme <strong>de</strong> Richelieu, sur l’avis<br />

<strong>de</strong> Dom Tarrisse, mais Richelieu restera abbé <strong>de</strong> Cluny jusqu’à sa mort. A quoi lui sert dès<br />

lors le cumul ? A augmenter sa puissance financière ou à faire passer ses idées <strong>de</strong><br />

centralisation ? Les <strong>de</strong>ux sans doute. Il perm<strong>et</strong> surtout <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s thèmes nouveaux <strong>de</strong><br />

réforme, <strong>de</strong> convaincre en somme.<br />

III. Jalons pour une "<strong>prosopographie</strong> <strong>de</strong>s mouvements d’idées"<br />

Ces remarques <strong>de</strong>s historiens du mon<strong>de</strong> monastique sur les eff<strong>et</strong>s paradoxaux du cumul nous<br />

orientent vers une vision nouvelle <strong>de</strong>s cumuls <strong>de</strong> bénéfices. Ils peuvent servir <strong>de</strong>s familles ou<br />

<strong>de</strong>s lobbys mais ils servent aussi à imposer <strong>de</strong>s idées <strong>et</strong> à contrôler <strong>de</strong>s mouvements culturels.<br />

1. La diffusion <strong>de</strong>s idées <strong>de</strong> réforme<br />

Lorsque le roi Louis XII favorise Louis d’Amboise, il opte pour un mouvement <strong>de</strong><br />

réforme <strong>et</strong> pour une spiritualité, celle <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>de</strong>votio mo<strong>de</strong>rna, mais il veut surtout favoriser les<br />

mouvements <strong>de</strong> l’observance qui sont en quête d’un r<strong>et</strong>our à l’origine <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie monastique.<br />

Lorsqu’Henri III réforme, il choisit <strong>de</strong> diffuser <strong>la</strong> spiritualité <strong>de</strong>s Feuil<strong>la</strong>nts, son rigorisme<br />

sans concession, sa volonté <strong>de</strong> purifier le mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> d'imposer l'obéissance au nom du Christ 31 .<br />

Lorsque Louis XIII réforme, il s’appuie sur les ferveurs du mon<strong>de</strong> dévot pour le culte marial.<br />

L’impulsion royale est donc une évi<strong>de</strong>nce, d’un siècle à l’autre. Mais suffit-elle ? Elle ne fait<br />

bien souvent que récupérer un mouvement plus profond. Ces réseaux ne sont pas aussi connus<br />

que <strong>la</strong> très célèbre <strong>et</strong> très puissante compagnie du Saint-Sacrement <strong>et</strong> mériteraient <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s<br />

croisées. Mais il faut bien voir aussi que <strong>de</strong>rrière le militantisme catholique, nous avons le<br />

dynamisme <strong>de</strong> groupes en voie d’ascension sociale <strong>et</strong> une surprenante i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> vue entre<br />

plusieurs catégories sociales. La diffusion <strong>de</strong> <strong>la</strong> Contre-Réforme servait donc <strong>la</strong> cohésion du<br />

royaume en transcendant les tensions sociales. C’est particulièrement f<strong>la</strong>grant en Touraine,<br />

comme l’a vu Robert Sauz<strong>et</strong> 32 .<br />

A Tours, <strong>la</strong> vieille noblesse est unie au patriciat urbain <strong>et</strong> aux financiers pour toutes les<br />

opérations d’imp<strong>la</strong>ntation d’ordre nouveau <strong>et</strong> toutes les activités qui vont conduire, par<br />

exemple, à l’envoi <strong>de</strong> Marie <strong>de</strong> l’Incarnation (Marie Martin) au Canada. Ce dynamisme<br />

religieux contraste, d’ailleurs, avec le lent assoupissement économique <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville. La prise en<br />

main du collège <strong>de</strong> Tours par les Jésuites doit beaucoup à un lobby d’anciens élèves <strong>de</strong> La<br />

Flèche, <strong>et</strong> dans <strong>la</strong> fratrie du Trésorier <strong>de</strong> France Pallu, on trouve <strong>de</strong>ux Jésuites, <strong>de</strong>ux Ursulines<br />

29<br />

Joseph BERGIN, Cardinal <strong>de</strong> La Rochefoucauld. Lea<strong>de</strong>rship and Reform in the French Church, Yale<br />

University, 1987, p. 36 sq.<br />

30<br />

Dom Paul DENIS, Le cardinal <strong>de</strong> Richelieu <strong>et</strong> <strong>la</strong> réforme <strong>de</strong>s monastères bénédictins, Paris, 1913.<br />

31<br />

Les Feuil<strong>la</strong>nts ont joué un rôle important dans le soutien théologique <strong>de</strong> l'absolutisme : Benoist PIERRE, Les<br />

réseaux cléricaux dans <strong>la</strong> construction <strong>de</strong> l’État mo<strong>de</strong>rne La Congrégation franco-italienne <strong>de</strong>s Feuil<strong>la</strong>nts<br />

(XVIe-XVIIIe s.), Th. Institut universitaire européen <strong>de</strong> Florence, dir. G. Delille, 2002.<br />

32<br />

Robert SAUZET, « Le milieu dévot tourangeau <strong>et</strong> les débuts <strong>de</strong> <strong>la</strong> Réforme catholique », dans Revue<br />

d'Histoire <strong>de</strong> l'Église <strong>de</strong> France, t.75 (1989), p. 159-166.


<strong>et</strong> <strong>de</strong>ux chanoines, dont l’un sera vicaire apostolique en Chine (1624-1684). Tours participe<br />

donc à <strong>la</strong> fois à l’imp<strong>la</strong>ntation <strong>de</strong>s ordres nouveaux <strong>et</strong> aux missions lointaines du Canada <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

Chine, <strong>et</strong> ce <strong>de</strong> façon très directe. Les milieux provinciaux ne le cè<strong>de</strong>nt donc en rien aux<br />

milieux parisiens pour l’activisme religieux. Avec ces re<strong>la</strong>is qu’on pourrait chercher<br />

également à Avignon, Poitiers, Limoges, Clermont, Bor<strong>de</strong>aux ou Ro<strong>de</strong>z, on comprend <strong>la</strong><br />

rapidité avec <strong>la</strong>quelle les mo<strong>de</strong>s méridionales du catholicisme se sont diffusées entre 1580 <strong>et</strong><br />

1640, malgré <strong>la</strong> guerre 33 . On comprend aussi que Paris n’est <strong>la</strong> capitale dévote que l’on sait<br />

que parce que l’ensemble du royaume l’est. On connaît à peine mieux quelques grands<br />

réseaux qui ont participé à <strong>la</strong> transformation du catholicisme au XVIIe siècle.<br />

2. La diffusion <strong>de</strong>s visions du mon<strong>de</strong><br />

Faute <strong>de</strong> documentation, il est souvent difficile <strong>de</strong> suivre <strong>la</strong> diffusion <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong><br />

pensée, mais il ne fait pas <strong>de</strong> doute que ce qu’on dénomme <strong>de</strong>votio mo<strong>de</strong>rna avec <strong>de</strong>s<br />

caractères très typiques du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s pratiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> prière, ne soit diffusé par le biais<br />

<strong>de</strong> réseaux monastiques réformateurs. Dès <strong>la</strong> fin du XVIe siècle, nous saisissons quelques<br />

chemins <strong>de</strong> diffusion <strong>de</strong>s idées religieuses tri<strong>de</strong>ntines. La mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> dévotion, développée les<br />

salons <strong>et</strong> par <strong>de</strong>s auteurs talentueux comme François <strong>de</strong> Sales, Bérulle, Nico<strong>la</strong>s Caussin <strong>et</strong><br />

bien d’autres, est certes <strong>de</strong>stinée aux <strong>la</strong>ïques, mais elle ne serait rien sans l’expérience <strong>de</strong>s<br />

cloîtres <strong>et</strong> l’activisme <strong>de</strong>s <strong>nouvelles</strong> communautés. On sait que l’introduction <strong>de</strong> <strong>la</strong> réforme du<br />

Carmel déchaussé a été organisée dans les chartreuses parisiennes <strong>et</strong> norman<strong>de</strong>s. Tout en<br />

développant les idées ligueuses <strong>et</strong> le combat politique, l’abbaye <strong>de</strong> Saint-Germain-<strong>de</strong>s-Prés,<br />

les chartreuses <strong>de</strong> Vauvert <strong>et</strong> <strong>de</strong> Bourgfontaine accueil<strong>la</strong>ient aussi les dévots <strong>de</strong> Paris <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

Rouen qui al<strong>la</strong>ient traduire Thérèse d’Avi<strong>la</strong> <strong>et</strong> les auteurs qui comptent pour assimiler les<br />

<strong>nouvelles</strong> techniques d’oraison (Louis <strong>de</strong> Blois, Catherine <strong>de</strong> Gênes, Grena<strong>de</strong>, Scupoli…), les<br />

Cisterciens <strong>de</strong> l’observance étaient déjà chargés du patronage <strong>de</strong>s carmélites déchaussées en<br />

Espagne <strong>et</strong>, à défaut <strong>de</strong>s Jésuites, expulsés jusqu’en 1603, les Capucins <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s<br />

confesseurs attitrés <strong>de</strong>s mystiques <strong>de</strong> <strong>la</strong> bonne société 34 . C’est dire qu’ordres nouveaux <strong>et</strong><br />

ordres anciens réformés col<strong>la</strong>borent très étroitement dans <strong>la</strong> diffusion <strong>de</strong>s idées <strong>nouvelles</strong> en<br />

matière <strong>de</strong> mystique. Or c’est aussi à Vauvert qu’est décidée <strong>et</strong> préparée, par exemple, <strong>la</strong><br />

réforme <strong>de</strong> l’abbaye <strong>de</strong> Montmartre. Un groupe assez restreint, issu <strong>de</strong> plusieurs branches <strong>de</strong><br />

spiritualité, s’entrai<strong>de</strong> politiquement, intellectuellement <strong>et</strong> spirituellement pour promouvoir un<br />

christianisme <strong>de</strong> combat contre le protestantisme. Selon les temps <strong>et</strong> les lieux, l’exclusion <strong>de</strong>s<br />

protestants ou leur conversion seront à l’ordre du jour. Il y a donc <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s dévotes, mises<br />

au point dans les cloîtres, explicitées par quelques auteurs à succès <strong>et</strong> diffusées <strong>de</strong> proche en<br />

proche par le biais <strong>de</strong>s prédications, mais il y a surtout <strong>la</strong> formation <strong>de</strong>s jeunes pensionnaires<br />

<strong>de</strong>s élites gran<strong>de</strong>s <strong>et</strong> moyennes, trop peu étudiées. Ces enfants p<strong>la</strong>cés dans les communautés<br />

pour être éduqués mais aussi pour intégrer dans <strong>de</strong> bonnes conditions les ordres réformés, sont<br />

en eff<strong>et</strong> conditionnés selon les <strong>nouvelles</strong> mo<strong>de</strong>s religieuses.<br />

Il ne faudrait pas en rester au seul domaine religieux. On sait que les réseaux <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

congrégation <strong>de</strong> Saint-Maur ou <strong>de</strong>s Bol<strong>la</strong>ndistes ont développé <strong>de</strong>s manières collectives <strong>de</strong><br />

faire l’histoire, à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> pratiques critiques rigoureuses 35 . Longtemps, <strong>la</strong> culture profane<br />

n’est pas séparée <strong>de</strong> <strong>la</strong> spiritualité en eff<strong>et</strong>. La diffusion du cartésianisme tient autant aux<br />

couvents qu’aux salons. Et plusieurs salons dépen<strong>de</strong>nt d’ailleurs <strong>de</strong> couvents, à commencer<br />

par celui <strong>de</strong>s Minimes <strong>de</strong> <strong>la</strong> P<strong>la</strong>ce <strong>de</strong>s Vosges, qui diffuse à <strong>la</strong> fois Gassendi <strong>et</strong> Descartes sous<br />

le règne <strong>de</strong> Louis XIII. En éditant Descartes <strong>et</strong> en entr<strong>et</strong>enant une correspondance nourrie, le<br />

Minime acousticien <strong>et</strong> musicologue Mersenne participe à l’é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong>s <strong>nouvelles</strong><br />

métho<strong>de</strong>s scientifiques, en particulier contre l’ocultisme. Marin Mersenne n’était pas pour<br />

autant un religieux sceptique, non plus que les Bénédictins <strong>de</strong> <strong>la</strong> congrégation <strong>de</strong> Saint-Maur,<br />

dans ces temps (les années 1620-1630) où <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> mathématique perm<strong>et</strong>tait encore<br />

d’approcher <strong>la</strong> certitu<strong>de</strong> métaphysique. De tout ce<strong>la</strong>, les courtisans <strong>et</strong> parmi eux les <strong>abbés</strong><br />

33 Dernière étu<strong>de</strong> en date : Philippe LOUPÈS, L’apogée du catholicisme bor<strong>de</strong><strong>la</strong>is. 1600-1789, Paris, 2001.<br />

34 Stéphane-Marie MORGAIN, Pierre <strong>de</strong> Bérulle <strong>et</strong> les Carmélites <strong>de</strong> France, Paris, 1995, p. 34-76.<br />

35 Il faudrait pouvoir suivre <strong>la</strong> géographie <strong>de</strong> <strong>la</strong> formation <strong>de</strong>s futurs bénédictins édudits pour appréhen<strong>de</strong>r les<br />

particu<strong>la</strong>rités <strong>de</strong> ce réseau. Cf B<strong>la</strong>ndine BARRET-KRIEGEL, Les académies <strong>de</strong> l’histoire, Paris, 1988, p. 21-<br />

167.


commendataires ou les <strong>abbés</strong> <strong>et</strong> <strong>abbesses</strong> royaux sont porteurs. Il faudrait saisir comment les<br />

voyages <strong>de</strong>s <strong>abbés</strong> diffusent les idées d'un couvent à l'autre. Mais nous sommes ici aux limites<br />

<strong>de</strong> l’histoire. Il faut aussi voir qu’il ne s’agit pas seulement <strong>de</strong> diffuser <strong>la</strong> vie intellectuelle<br />

mais encore <strong>de</strong>s prières, <strong>de</strong>s gestes, <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s d'oraison ou <strong>de</strong> gouvernement, <strong>et</strong>c.<br />

3. La diffusion <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong>ises<br />

Les difficultés tiennent aussi leur p<strong>la</strong>ce dans les phénomènes <strong>de</strong> diffusion. Les épidémies<br />

diaboliques font, par exemple, partie <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s couvents, particulièrement chez les femmes<br />

au début du XVIIe siècle. Tout a sans doute été dit par Robert Mandrou <strong>et</strong> Marc Venard sur<br />

les circonstances <strong>de</strong> ces brusques poussées <strong>et</strong> sur leur signification par rapport au catholicisme<br />

<strong>et</strong> à l’état interne <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté, mais il serait nécessaire <strong>de</strong> travailler aujourd’hui sur les<br />

contaminations d’un lieu à l’autre <strong>et</strong> sur les lectures angélologiques ou diaboliques faites par<br />

les clercs-exorcistes ou confesseurs. C’est ainsi que l’un <strong>de</strong>s exorcistes <strong>de</strong> Louviers écrit à un<br />

évêque :<br />

La première marque <strong>de</strong> possession est que ces filles répon<strong>de</strong>nt aux <strong>la</strong>ngues estrangeres <strong>et</strong> obeissent aux<br />

comman<strong>de</strong>mens qui leur sont faits en grec, ne pouvant pas parler ces <strong>la</strong>ngues parce qu’il sont vornez dans<br />

ces corps n’y estans attachez que par les charmes <strong>et</strong> malefices j<strong>et</strong>tez dans <strong>la</strong> maison, dont je vous ay envoyé<br />

à part un procez verbal <strong>de</strong> <strong>la</strong> découverte d’un charme. La secon<strong>de</strong> raison que nous en avons est, que <strong>la</strong> vie<br />

<strong>de</strong> ces filles est si saincte <strong>et</strong> reguliere qu’elle est admirable <strong>et</strong> témoignent tant <strong>de</strong> repugnance a <strong>la</strong><br />

communion que c’est une marque infaillible qu’il y a du démon… La sœur Marie du Sainct Sacrement, fille<br />

du prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> l'élection <strong>de</strong> Pont <strong>de</strong> l'Arche est possédée par Putiphar, le démon <strong>de</strong> Picard. Sœur Marie du<br />

Sainct Esprit par Dagon, démon <strong>de</strong> Mag<strong>de</strong>leine Bavent…Vous voyez, Monseigneur, le nombre <strong>de</strong> ces filles<br />

tourmentées qui sont toutes <strong>de</strong>s religieuses du chœur. Ce qui apporte un grand désordre dans le couvent, car<br />

il faut a chacune <strong>de</strong> ces possedées une religieuse pour les gar<strong>de</strong>r <strong>et</strong> en avoir soin 36<br />

Le <strong>la</strong>ngage <strong>de</strong> <strong>la</strong> possession est certes un <strong>la</strong>ngage technique <strong>de</strong> clerc, mais dans quelle mesure<br />

n’est-il pas diffusé dans les cloîtres comme moyen <strong>de</strong> dire ce qui bloque l’accès <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

communauté à <strong>la</strong> vie fraternelle ? Si Robert Mandrou définit à bon droit l’angoisse <strong>de</strong>s<br />

magistrats dans <strong>la</strong> diffusion <strong>de</strong>s phénomènes, il m<strong>et</strong> moins en avant les eff<strong>et</strong>s psychologiques<br />

<strong>de</strong>s très longs rituels d’exorcismes sur les popu<strong>la</strong>tions <strong>et</strong> en particulier les religieuses cloîtrées<br />

d’Aix, Loudun ou Louviers. En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l’émotion collective, une véritable culture a pu<br />

vivre d’un lieu à l’autre. M<strong>et</strong>tre un nom sur le mal <strong>et</strong> l’imperfection en donnant un nom aux<br />

démons <strong>de</strong>s possédées fait-il sens ? Il faudrait reprendre ces listes <strong>de</strong> démons reconnus<br />

désormais par les religieuses, leurs exorcistes <strong>et</strong> leurs familiers, en particulier les tertiaires. La<br />

contamination avec Loudun est évi<strong>de</strong>nte dans le cas <strong>de</strong>s possédées <strong>de</strong> Louviers 37 .<br />

Les chemins du jansénisme, présentent les mêmes caractères : on peut y suivre<br />

l'expression d’un mouvement spirituel puis d’une vision du mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> enfin d’une mentalité<br />

d’opposition qui passent d'un lieu à l'autre. Reprenons les Bénédictines <strong>de</strong> Gif. C’est par le<br />

biais d’une solidarité dans l’apprentissage <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion que Mme Morand est entrée en<br />

contact avec l’abbesse <strong>de</strong> Port-Royal, Angélique Arnauld, mais c’est par les p<strong>et</strong>ites écoles <strong>de</strong><br />

Port-Royal, qui ont éduqué Mme <strong>de</strong> Clermont, que le jansénisme s’imp<strong>la</strong>nte définitivement à<br />

Gif, <strong>et</strong> Mme <strong>de</strong> Ségur (coadjutrice en 1719) refuse <strong>de</strong> souscrire à <strong>la</strong> bulle Unigenitus. En<br />

1735, l’interdiction <strong>de</strong> former <strong>de</strong>s novices est le prélu<strong>de</strong> à <strong>la</strong> disparition programmée du<br />

monastère. Nul doute que ces liaisons établies entre supérieures, proches dans leur formation<br />

<strong>et</strong> leur évolution idéologique, ne soient une constante. Ce qui joue ici, sur <strong>de</strong>s ressorts aussi<br />

bien politiques que religieux, <strong>de</strong>vient plus facile à suivre du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s<br />

spirituelles avec les correspondances qui nous restent 38 . Il faut observer encore, dans le sens<br />

opposé au jansénisme, les chemins étranges <strong>de</strong> <strong>la</strong> diffusion du Sacré-Cœur, dont Dominique<br />

Din<strong>et</strong> montre <strong>la</strong> diffusion inéluctable dans <strong>de</strong>s ordres aussi différents que les Visitandines, les<br />

Dames du Refuge, les Ursulines, les Carmélites… 39<br />

36 « Récit véritable <strong>de</strong> ce qui s’est passé à Louviers touchant les religieuses possédées ». A Paris, par François<br />

Beaupl<strong>et</strong> en l’Isle du Pa<strong>la</strong>is, 1643, 8p. dans Recueil <strong>de</strong> pièces sur les possessions <strong>de</strong>s religieuses <strong>de</strong> Louviers,<br />

Rouen, 1879<br />

37 Robert MANDROU, Magistrats <strong>et</strong> sorciers en France au XVIIe siècle, Paris, 1968, p. 220-261.<br />

38 Regards sur <strong>la</strong> correspondance, éd. Daniel Odon Hurel, Cahiers du GRHIS, 1996.<br />

39 Dominique DINET, Religion <strong>et</strong> société. Les réguliers <strong>et</strong> <strong>la</strong> vie régionale dans les diocèses d’Auxerre, Langres<br />

<strong>et</strong> Dijon (fin XVIe-fin XVIIIe siècle), Paris, 1999, p. 798-800.


Nul doute qu’il ne reste encore beaucoup <strong>de</strong> travail pour comprendre les liens<br />

intellectuels qui unissent les religieux hors <strong>de</strong> leur tradition particulière. L'inégal travail <strong>de</strong><br />

fourmi mené à partir <strong>de</strong> <strong>la</strong> Gallia christiana peut avantageusement être poursuivi par <strong>la</strong><br />

plongée dans les sources primaires au XVIIIe siècle. Grâce à <strong>la</strong> multiplication <strong>de</strong>s<br />

informations, nous sommes passés dans un autre mon<strong>de</strong>, dans lequel les mouvements d’idées<br />

sont bien plus simples à appréhen<strong>de</strong>r.<br />

Dès <strong>la</strong> fin du Moyen Age, l’observation minutieuse <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> bénéfices au plus<br />

haut niveau perm<strong>et</strong> donc <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre à jour <strong>de</strong>s mécanismes à <strong>la</strong> fois familiaux <strong>et</strong> étatiques <strong>de</strong><br />

pouvoir, <strong>de</strong> déceler <strong>de</strong>s circu<strong>la</strong>tions d’hommes <strong>et</strong> <strong>de</strong> revenus, mais aussi d'idées <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

techniques <strong>de</strong> dévotion. Certes, du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie <strong>de</strong> <strong>la</strong> communauté monastique, <strong>la</strong><br />

commen<strong>de</strong> est dommageable mais il ne faudrait plus continuer à <strong>la</strong> prendre pour le cheval <strong>de</strong><br />

Troie <strong>de</strong> <strong>la</strong> déca<strong>de</strong>nce monastique. L’abbé commendataire, soucieux <strong>de</strong> gestion rationnelle le<br />

plus souvent, unifie les politiques menées localement <strong>et</strong> les <strong>abbesses</strong>, désignées pourtant très<br />

tôt pour <strong>la</strong> tâche, sont beaucoup plus en contact les unes avec les autres qu’on ne l’a dit.<br />

Si le moine <strong>et</strong> plus encore <strong>la</strong> moniale quittent le mon<strong>de</strong>, ils n’en <strong>de</strong>meurent pas moins<br />

comptables <strong>de</strong>s traditions <strong>de</strong> leur c<strong>la</strong>n, fût-il janséniste, <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> transmission <strong>de</strong> <strong>la</strong> charge dans<br />

<strong>la</strong> famille. On comprend dès lors que les familles humaines confortent ou entravent <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s<br />

spirituelles <strong>et</strong> <strong>de</strong>s visions du mon<strong>de</strong>, en fonction <strong>de</strong> leurs choix. Dans <strong>la</strong> première mo<strong>de</strong>rnité,<br />

c’est par les <strong>abbés</strong> <strong>et</strong> les <strong>abbesses</strong> que passe le changement religieux, au moins autant que par<br />

les paroisses <strong>et</strong> les évêques, <strong>et</strong> celui-ci n’est pas sans rapport avec <strong>la</strong> puissance <strong>de</strong>s familles <strong>et</strong><br />

l’accumu<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s charges. Seuls <strong>de</strong>s croisements <strong>de</strong> listes entre elles <strong>et</strong> avec les généalogies<br />

familiales nous perm<strong>et</strong>tront <strong>de</strong> conforter l’aspect très impressionniste <strong>de</strong>s généalogies d’idées<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> mouvements intellectuels esquissées ici. C<strong>et</strong>te quête mérite sans aucun doute un effort<br />

collectif.<br />

Les <strong>abbés</strong> commendataires <strong>de</strong> Fontfroi<strong>de</strong> d’après <strong>la</strong> Gallia<br />

Nicole Lemaitre<br />

Abbé début environ fin<br />

Martial <strong>de</strong> Rua 1448 1472<br />

Pierre <strong>de</strong> La Roque 1463<br />

Antoine-Pierre <strong>de</strong> Narbonne 1476 1499<br />

Louis <strong>de</strong> Narbonne 1499 1519<br />

Georges <strong>de</strong> Narbonne 1519 1531<br />

Benoît Taillecarne 1532 1536<br />

Augustin Trivulce 1537 1548<br />

Hippolyte d’Este 1548 1572<br />

Jean Massey 1573 1582<br />

Janus Fregose 1582 1587<br />

Alexandre Fregose 1588 1619<br />

Dominique Fregose 1620 1646<br />

C<strong>la</strong>u<strong>de</strong> <strong>de</strong> Rébé 1646<br />

Jean <strong>de</strong> Nobl<strong>et</strong> Desprez 1655<br />

Jean-Achille <strong>de</strong> La Rochefoucauld 1667 1698<br />

Henri <strong>de</strong> La Rochefoucauld 1698<br />

Roger <strong>de</strong> La Rochefoucauld 1709 1717<br />

Emmanuel-Henri-Timoléon <strong>de</strong> Cossé-Brissac 1717


Les <strong>abbesses</strong> <strong>de</strong> Notre-Dame du Val <strong>de</strong> Gif (Gif-sur-Yv<strong>et</strong>te)<br />

d’après les professions<br />

Ma<strong>de</strong>leine <strong>de</strong> Mornay 1630-1638<br />

Ma<strong>de</strong>leine <strong>de</strong> Mornay <strong>de</strong> Vil<strong>la</strong>rceaux 1638-1651<br />

Catherine Morand 1651-1654<br />

Françoise Courtils <strong>de</strong> Talmontier 1654-1669<br />

Diane-Ma<strong>de</strong>leine Hurault <strong>de</strong> Cheverny 1669-1676<br />

Anne <strong>de</strong> Clermont <strong>de</strong> Mong<strong>la</strong>t 1676-1686<br />

Anne-Eléonore <strong>de</strong> B<strong>et</strong>hune 1686-1733<br />

Anne-Françoise <strong>de</strong> Ségur 1733-1749<br />

Abbayes <strong>et</strong> prieurés à nomination royale à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> l’Ancien Régime<br />

Abbayes d’hommes (dont unies : 55) 724<br />

Abbayes <strong>de</strong> femmes 291<br />

Prieurés à nomination royale, hommes 701<br />

Prieurés à nomination royale, femmes 35<br />

Abbayes « en règle » (élection) 107<br />

Total 1858<br />

Source :La France ecclésiastique pour l’année 1786, Paris, 1786 (11 e édition).<br />

Abbayes en commen<strong>de</strong> ou à nomination royale (Nombre)<br />

ordre Abbayes homme Abbayes femmes Abbés élus<br />

Saint-Augustin 124 9 18<br />

Saint-Benoît 204 15 28<br />

Citeaux 194 5 49<br />

Prémontré 61 5 22<br />

sécu<strong>la</strong>risés 22<br />

Feuil<strong>la</strong>nt 1 1<br />

Dominicaines<br />

Urbanistes<br />

Total 724 291 107<br />

Source :La France ecclésiastique pour l’année 1786, Paris, 1786 (11 e édition).<br />

Valeur <strong>de</strong>s plus grosses abbayes à nomination royale (1786)<br />

Saint-Germain <strong>de</strong>s prés (d. Paris) 180 000 l.<br />

Saint-Denis (d. Paris) 100 000 l.<br />

Mons (d. Cambrai) Femmes 100 000 l.<br />

Fécamp (d. Rouen) 80 000 l.<br />

Anchin (d. Arras), 70 000 l.<br />

Saint-Étienne (d. Caen) 70 000 l.<br />

Corbie (d. Amiens) 66 000 l.<br />

Saint-Amans (d. Tournai), 60 000 l.<br />

Source :La France ecclésiastique pour l’année 1786, Paris, 1786 (11 e édition).<br />

NB. Ce hit para<strong>de</strong> peut subir <strong>de</strong>s variations importantes, même au XVIIIe siècle.<br />

Les bénéfices réguliers <strong>de</strong> Richelieu <strong>et</strong> leur rapport<br />

Redon 8 100#<br />

Saint-Pierre du Mont 12 608#<br />

Ham 10 750#<br />

Saint-Riquier 10 000#<br />

Notre-Dame <strong>de</strong> Vaulleroy 17395#<br />

Saint-Lucien <strong>de</strong> Beauvais 25 000#<br />

La Chaise-Dieu 4 000#<br />

Marmoutier 9400#<br />

Signy 15 000#<br />

Saint-Maixant 10800#<br />

Le Bec (d. Rouen) 60 000 l.<br />

Cluny (d. Macon) 50 000 l.<br />

Saint-Médard (d. Soissons) 50 000 l.<br />

Trois Fontaines (d. Chalons) 50 000 l.<br />

Saint-Wandrille (d. Rouen) 50 000 l.<br />

Notre-Dame <strong>de</strong> Soissons Femmes 50 000 l.<br />

Gorze (d. M<strong>et</strong>z) 45 000 l.<br />

Abbayes<br />

Saint-Arnoul <strong>de</strong> M<strong>et</strong>z 6 000#<br />

Saint-Benoist 18 000#<br />

Cluny 29 400#<br />

Citeaux 22 000#<br />

Prémontré 8 000#


16<br />

Pensions sur les abbayes <strong>de</strong> <strong>la</strong> congrégation <strong>de</strong> Chezal-Benoist 30 000#<br />

Prieurés<br />

Saint-Martin-<strong>de</strong>s-Champs 36 050#<br />

Coussay 2 150#<br />

TOTAL 274 653#<br />

Source : « Abbayes <strong>de</strong> Mgr le cardinal », Bnf Cangé 66, inv. Reserve F 224, fol 187. Et Affaires Etrangères, France, t. 847, f.<br />

155-156 [le cardinal Dubois a fait dresser c<strong>et</strong>te liste pour prouver qu’il avait moins d’abbayes que Richelieu <strong>et</strong> Mazarin]<br />

Dom Paul DENIS, Le cardinal <strong>de</strong> Richelieu <strong>et</strong> <strong>la</strong> réforme <strong>de</strong>s monastères bénédictins, Paris, 1913, p . 464-465.

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