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Vivre, même très âgé, c’est prendre des risques<br />
Ecoutons Bernard Ennuyer<br />
Bernard Ennuyer est un homme étonnant qui bouscule les idées<br />
reçues. A 64 ans, il dirige un centre d’aide à domicile à Paris et<br />
publie des livres autour du vieillissement.<br />
©grimm<br />
Il est venu exprès de Paris le 21 janvier 2009 pour dialoguer à la Fondation<br />
<strong>Mont</strong>-<strong>Calme</strong> avec une dizaine de résidents l’après-midi puis le soir captiver<br />
une soixantaine d’auditeurs en parlant autour du thème « autonomie et prise<br />
de risque dans l’accompagnement de la personne âgée ».<br />
D’abord, il nous met en garde contre les opinions trop hâtives sur les<br />
personnes âgées en rappelant que nous sommes tous différents lorsque nous<br />
sommes seuls ou en interaction. M. Ennuyer qui au départ était ingénieur<br />
propose une comparaison scientifique : si on veut bien voir une particule, on<br />
doit l’éclairer et du coup, en l’éclairant on la « bouscule », on ne sait donc pas<br />
comment elle est quand elle n’est pas éclairée. Cela signifie que l’on ne sait<br />
jamais vraiment comment se comporte et vit une personne âgée lorsqu’elle<br />
est seule chez elle. Quand on voit la personne, elle est en interaction avec<br />
soi, cela fausse la donne et il faut en tenir compte.<br />
Ensuite, et il insiste sur ce point, vivre, c’est toujours prendre des risques<br />
(rouler en voiture, boire de l’alcool, fumer, manger gras, etc). Donc les<br />
«vieux» - M. Ennuyer n’hésite pas à dire avec tendresse «les vieux»<br />
- s’ils veulent vivre, prennent des risques. Il faut naturellement tenter<br />
de minimiser ces risques mais s’il n’y a plus de liberté, quelle vie nous<br />
reste-t-il ? L’inquiétude des proches est légitime mais il faut laisser vivre<br />
les gens et écouter ce qu’ils ont à dire ! Il faut aussi admettre que dans<br />
certaines situations, il n’y a pas de bonne solution. Acceptons notre<br />
impuissance (principe d’incertitude d’Eisenberg) !<br />
Reste que l’autonomie a une dimension collective aussi, l’autonomie<br />
individuelle est tributaire des décisions de la collectivité. Or, nous<br />
vivons dans une société qui met en garde contre la prise de risque tout en<br />
multipliant les risques ! On nous dit par exemple de manger sainement<br />
mais les gens sans moyens n’ont pas forcément le choix car les aliments<br />
«bon marché» sont mauvais pour la santé.<br />
Jusqu’où la société laisse-t-elle les gens vivre librement ? Celui qui<br />
ne pense pas comme tout le monde risque d’être taxé d’incapacité de<br />
discernement. Il faut donc se demander s’il s’agit vraiment d’une perte<br />
de capacité de discernement ou si nous n’avons pas tendance à estimer<br />
qu’il y a perte de capacité sitôt que les vieux ne font pas ce que l’on<br />
attend d’eux !<br />
M. Ennuyer n’hésite pas à affirmer que la démence des gens est parfois<br />
provoquée par celle de la société en citant le psychiatre Maisondieu<br />
qui voit dans la démence des personnes âgées la «raison poussée à<br />
l’extrême», soit une forme de résistance. Les outils qu’on utilise pour<br />
comprendre sont à la mesure de notre impuissance. Il faut faire attention<br />
que ce ne soit pas eux qui induisent le phénomène au bout du compte.<br />
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Isabelle Guisan