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Exclusivité<br />

Les priorités du secrétaire d’État aux Familles<br />

1<br />

Edito P. 2<br />

Brèves d’actu P. 2-3<br />

Interview P. 4-5<br />

Dossier P. 6-12<br />

Initiatives P. 13-14<br />

Hors champ P. 15-18<br />

Entreti<strong>en</strong> P. 19-21<br />

Focus théâtre P. 22-25<br />

En lisant P. 26-28<br />

Humour-humeur P. 28<br />

P. 4-5<br />

Inégalités Femmes-Hommes <strong>en</strong> Belgique<br />

Au boulot !<br />

P. 13-14<br />

Recherche de paternité<br />

Qui est le père ?<br />

P. 22-25<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

Ensemble, déf<strong>en</strong>dons le li<strong>en</strong> intrafamilial.<br />

M<strong>en</strong>suel n°6 avril-mai 2012<br />

Ne paraît pas <strong>en</strong> juillet et août<br />

Prix de v<strong>en</strong>te : 5,00€ (2x2,50€)<br />

Belgique - België<br />

P.P. - P.B.<br />

1099 BRU X<br />

BC31550<br />

n° agr. P913051<br />

Retrouvez-nous sur www.filiatio.be<br />

et sur les réseaux sociaux<br />

1


Qu’<strong>en</strong> p<strong>en</strong>sez-vous ?<br />

Octobre 2011. Une odeur d’<strong>en</strong>cre <strong>en</strong>vahit mon<br />

hall d’<strong>en</strong>trée, et un parfum de satisfaction me<br />

gagne : le premier numéro de <strong>Filiatio</strong> vi<strong>en</strong>t<br />

d’être imprimé. C’est l’aboutissem<strong>en</strong>t d’un<br />

long processus, mais surtout le départ d’une<br />

sacrée av<strong>en</strong>ture.<br />

Planifier, r<strong>en</strong>contrer, écouter, rédiger, corriger,<br />

appeler, briefer, commander, payer, pati<strong>en</strong>ter,<br />

relancer, remercier… C’est notre quotidi<strong>en</strong> (ou<br />

presque), et on aime ça !<br />

Nous voilà six mois plus tard. Le temps d’établir<br />

un premier diagnostic. Alors, on pète la<br />

forme ou on traîne la patte ? Pour <strong>en</strong> avoir le<br />

cœur net, nous avons décidé de m<strong>en</strong>er une<br />

<strong>en</strong>quête qualitative. Très vite, il s’est avéré<br />

que le fichier d’adresses posait problème :<br />

Vivre <strong>en</strong> famille,<br />

un droit bafoué<br />

La loi sur le regroupem<strong>en</strong>t familial, adoptée <strong>en</strong><br />

septembre 2011, porterait gravem<strong>en</strong>t atteinte au<br />

droit fondam<strong>en</strong>tal à vivre <strong>en</strong> famille. Le 12 mars<br />

dernier, six associations (ADDE, CIRÉ, Liga voor<br />

M<strong>en</strong>s<strong>en</strong>recht<strong>en</strong>, Ligue des droits de l’Homme,<br />

MRAX, Siréas) ont introduit un recours <strong>en</strong> annulation<br />

de cette loi.<br />

Elles dénonc<strong>en</strong>t tout d’abord le côté discriminatoire<br />

de cette loi pour les Belges (et sont particulièrem<strong>en</strong>t<br />

visés les citoy<strong>en</strong>s belges d’origine<br />

marocaine et turque) pour qui vivre <strong>en</strong> famille<br />

devi<strong>en</strong>t plus difficile que pour d’autres citoy<strong>en</strong>s<br />

europé<strong>en</strong>s.<br />

La loi subordonne aussi le regroupem<strong>en</strong>t familial<br />

à des rev<strong>en</strong>us suffisants. Aux yeux des associations,<br />

cette mesure constitue une forme de<br />

discrimination sur base de la fortune. Elles plaid<strong>en</strong>t<br />

pour qu’un exam<strong>en</strong> de la situation de la<br />

2<br />

ÉDITO<br />

BRÈVES D’ACTU<br />

pas mal de destinataires n’ont jamais reçu le<br />

journal. Gasp. Pour les autres, heureusem<strong>en</strong>t,<br />

l’intérêt <strong>en</strong>vers <strong>Filiatio</strong> semble évid<strong>en</strong>t et la<br />

satisfaction au r<strong>en</strong>dez-vous. Yesss ! Pas plus<br />

tard que ce matin, je recevais par mail ce comm<strong>en</strong>taire<br />

d’une responsable d’un c<strong>en</strong>tre de<br />

planning : « je me suis attardée sur la rubrique<br />

"Brèves d'actu", accessible, vite lue, parfaite<br />

pour moi!... J'apprécie avoir l'avis des différ<strong>en</strong>ts<br />

partis politiques, ça concrétise leurs actions…<br />

Votre publication est intéressante et novatrice<br />

au niveau de l'apport d'une vision "politique"<br />

des questions qui nous intéress<strong>en</strong>t… Le prix de<br />

v<strong>en</strong>te me semble accessible. »<br />

Encore, <strong>en</strong>core ! Sans rire, nous avons bi<strong>en</strong> pris<br />

consci<strong>en</strong>ce de toutes vos remarques, et vous<br />

remercions chaleureusem<strong>en</strong>t pour votre aide.<br />

En pratique, nous n’avons pas tardé à replonger<br />

dans le fichier d’adresses pour le r<strong>en</strong>dre perfor-<br />

personne dans son <strong>en</strong>semble puisse être effectué,<br />

sans qu'il soit possible, comme la nouvelle<br />

loi le prévoit, de refuser le regroupem<strong>en</strong>t familial<br />

sur le seul fait de rev<strong>en</strong>us jugés insuffisants.<br />

Enfin, les associations regrett<strong>en</strong>t que cette<br />

nouvelle loi ait été mise <strong>en</strong> œuvre sans aucune<br />

mesure transitoire. Une personne qui a introduit<br />

une demande de regroupem<strong>en</strong>t familial avant<br />

septembre 2011 peut voir son dossier examiné<br />

aujourd’hui aux conditions de la nouvelle loi, et<br />

dès lors voir son dossier refusé même si toutes<br />

les conditions étai<strong>en</strong>t réunies au mom<strong>en</strong>t de<br />

l'introduction de la demande.<br />

Que l'on soit d'accord ou non avec ce recours<br />

<strong>en</strong> annulation ainsi qu'avec les points dénoncés<br />

par les six associations, il est certain que cette<br />

démarche pose aussi la question, fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t<br />

politique, des moy<strong>en</strong>s de l'intégration<br />

de ces près de 20.000 personnes par an qui demand<strong>en</strong>t<br />

le regroupem<strong>en</strong>t familial.<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

E.C.<br />

mant, raison pour laquelle vous avez reçu une<br />

lettre <strong>en</strong>cartée dans le numéro précéd<strong>en</strong>t.<br />

Vos autres suggestions nourriss<strong>en</strong>t déjà nos réunions<br />

de rédaction et se retrouveront bi<strong>en</strong>tôt<br />

concrétisées dans ces colonnes, sur le web ou<br />

ailleurs. Pour le reste, nous solliciterons prochainem<strong>en</strong>t<br />

une aide auprès des instances officielles<br />

habilitées à nous subsidier, afin de r<strong>en</strong>dre<br />

le projet pér<strong>en</strong>ne. Comme vous le voyez, on<br />

s’organise, on s’améliore, on <strong>en</strong> veut !<br />

Bonne lecture,<br />

B<strong>en</strong>oît Devuyst<br />

http://www.filiatio.be<br />

https://www.facebook.com/<strong>Filiatio</strong><br />

http://twitter.com/<strong>Filiatio</strong><br />

Appr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> filmant<br />

Une salle de réunion. Autour de la table, trois<br />

femmes chefs d’<strong>en</strong>treprise, des dossiers, des<br />

portables, une ambiance d’effervesc<strong>en</strong>ce et<br />

de dure négociation. La présid<strong>en</strong>te de séance<br />

propose un café, appelle son secrétaire d’une<br />

touche de son téléphone et commande trois<br />

cafés. Il <strong>en</strong>tre. Aucun regard. Aucun merci. Au<br />

mom<strong>en</strong>t où il pr<strong>en</strong>d congé, la présid<strong>en</strong>te le<br />

reti<strong>en</strong>t et lui met les mains aux fesses… Rires<br />

dans l’assemblée. Réalisées par des jeunes d’une<br />

école secondaire, les vidéos font de l’effet. «<br />

L’inversion des rôles est le premier pas vers une<br />

prise de consci<strong>en</strong>ce, souligne Nadine Plateau, du<br />

Conseil des Femmes Francophones de Belgique<br />

qui, avec son homologue néerlandophone, a<br />

coordonné ce projet. « Filmer, c’est changer<br />

l’image des jeunes face aux relations homme/<br />

femme ». Et les jeunes de témoigner ô combi<strong>en</strong><br />

ils ne se r<strong>en</strong>dai<strong>en</strong>t absolum<strong>en</strong>t pas compte des<br />

stéréotypes véhiculés par les images qui nous<br />

<strong>en</strong>tour<strong>en</strong>t : pubs, films, clips sur Internet, jusqu’à<br />

leurs propres images mises sur Facebook. Images


de rôles que l’on trouve normaux, évid<strong>en</strong>ts et<br />

qui se retrouv<strong>en</strong>t autour de la lessive comme<br />

de la garde par<strong>en</strong>tale. Une première étape donc<br />

pour se r<strong>en</strong>dre compte que les rapports <strong>en</strong>tre<br />

les sexes ne sont pas naturels mais construits et<br />

peuv<strong>en</strong>t donc être transformés.<br />

Mise <strong>en</strong> ligne des clips à suivre sur<br />

http://www.cffb.be/<br />

Qui garde<br />

votre <strong>en</strong>fant<br />

de moins de 12 ans ?<br />

E.C.<br />

La Ligue des familles publie les résultats d’une<br />

grande <strong>en</strong>quête. Plus de 5000 par<strong>en</strong>ts y ont répondu.<br />

C’est dire l’<strong>en</strong>jeu de cette question ! En<br />

effet, si l’offre est bi<strong>en</strong> connue, la demande des<br />

par<strong>en</strong>ts l’est beaucoup moins. Sur quoi se base<br />

alors le politique pour développer des réponses<br />

concrètes et adaptées aux besoins ?<br />

Pour les 0 à 3 ans, trouver une solution de garde<br />

est difficile pour plus de 7 par<strong>en</strong>ts sur 10, et<br />

cette difficulté reflète celle de l’articulation des<br />

vies professionnelles et familiales. Les chiffres<br />

montr<strong>en</strong>t qu’on est <strong>en</strong>core loin de l’objectif<br />

minimal que s’est fixé l’Union Europé<strong>en</strong>ne pour<br />

2010 et qui ne serait même pas suffisant <strong>en</strong> regard<br />

des besoins exprimés par les par<strong>en</strong>ts.<br />

Une fois l’âge scolaire, la difficulté persiste. Depuis<br />

le développem<strong>en</strong>t du travail des femmes<br />

et la volonté des pères de s'impliquer davantage<br />

dans les soins et l'éducation des <strong>en</strong>fants, ni les<br />

horaires de l’école, ni les horaires profession-<br />

nels n’ont évolué. Moins d’un par<strong>en</strong>t sur trois<br />

est pleinem<strong>en</strong>t satisfait de la qualité de l’accueil<br />

extrascolaire : trop cher, qualité insuffisante, …<br />

L’étude révèle aussi l’écart <strong>en</strong>tre les conséqu<strong>en</strong>ces<br />

du mode de garde sur la vie des pères<br />

et des mères. Selon cette étude, ce sont majoritairem<strong>en</strong>t<br />

les mères qui serai<strong>en</strong>t touchées dans<br />

leur vie professionnelle, sociale et de loisirs. Les<br />

résultats de l’<strong>en</strong>quête sont publiés dans Le Ligueur<br />

du 14/03/2012 – www.leligueur.be<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

E.C.<br />

Quatre mois de congé<br />

par<strong>en</strong>tal ?<br />

La ministre de l'Emploi, Monica de Coninck<br />

(SP.A), a déclaré le 23 mars que le congé par<strong>en</strong>tal<br />

serait ét<strong>en</strong>du de 3 à 4 mois : il s'agit, pour la<br />

Belgique, de se conformer à une directive europé<strong>en</strong>ne.<br />

« Le paiem<strong>en</strong>t de ce 4 ème mois de<br />

congé par<strong>en</strong>tal était ess<strong>en</strong>tiel car il relève de<br />

la justice sociale : s'occuper de ses <strong>en</strong>fants doit<br />

être possible pour tous les par<strong>en</strong>ts et non pas<br />

seulem<strong>en</strong>t ceux qui dispos<strong>en</strong>t de hauts rev<strong>en</strong>us<br />

et pour lesquels l'abs<strong>en</strong>ce de salaire au cours<br />

d'un mois n'aurait que peu d'incid<strong>en</strong>ces », souligne<br />

la ministre dans un communiqué. Est-ce<br />

uniquem<strong>en</strong>t réjouissant ? Pas si vite.<br />

Pour rappel, aujourd'hui, les salariés peuv<strong>en</strong>t<br />

pr<strong>en</strong>dre un congé par<strong>en</strong>tal de trois mois maximum,<br />

rémunéré par l'ONEM 693 euros par mois<br />

pour un temps plein. Il est possible de le pr<strong>en</strong>dre<br />

à mi-temps p<strong>en</strong>dant 6 mois, ou même à 1/5 p<strong>en</strong>dant<br />

15 mois. Il est égalem<strong>en</strong>t fractionnable.<br />

On parle d'une grosse <strong>en</strong>veloppe : le budget nécessaire<br />

à la mise <strong>en</strong> œuvre de cette prolongation<br />

du congé est estimé à 2,2 millions d'euros<br />

<strong>en</strong> 2012, à 5,5 millions pour 2013 et à 8,8 millions<br />

pour 2012. Problème : la rémunération de ce<br />

mois de congé supplém<strong>en</strong>taire. On a <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du<br />

des employeurs, majoritairem<strong>en</strong>t opposés à la<br />

mesure à cause des difficultés de trouver des<br />

remplaçants pour des durées courtes et variables,<br />

proposer que le quatrième mois soit<br />

déduit des crédits-temps. Cette proposition n'a<br />

pas été ret<strong>en</strong>ue, notamm<strong>en</strong>t car elle créait des<br />

inégalités pour les salariés du privé dont le secteur<br />

n'est pas régi par une conv<strong>en</strong>tion collective,<br />

ou pour les ag<strong>en</strong>ts du secteur public.<br />

A la fin du congé par<strong>en</strong>tal, le travailleur pourrait<br />

égalem<strong>en</strong>t adapter son régime de travail pour<br />

favoriser l'articulation <strong>en</strong>tre vie privée et vie professionnelle.<br />

« Si on veut augm<strong>en</strong>ter le nombre<br />

de travailleurs, il faut notamm<strong>en</strong>t leur donner<br />

les moy<strong>en</strong>s de continuer à assumer leur rôle de<br />

par<strong>en</strong>ts. Et dans un contexte où on demande<br />

aux travailleurs de faire preuve de toujours plus<br />

de flexibilité - les horaires vari<strong>en</strong>t plus souv<strong>en</strong>t,<br />

la limite <strong>en</strong>tre le bureau et la maison s'efface -,<br />

cela s'avère toujours plus difficile », a expliqué<br />

la ministre de l'Emploi à la Libre Belgique. Faire<br />

preuve de flexibilité, d'accord, mais pour certains<br />

par<strong>en</strong>ts qui n'ont pas de place <strong>en</strong> crèche,<br />

le congé par<strong>en</strong>tal est un passage obligatoire <strong>en</strong><br />

att<strong>en</strong>dant une solution de garde de leur <strong>en</strong>fant.<br />

Et ces par<strong>en</strong>ts, qui sont-ils ? L'an dernier, 76 000<br />

travailleurs ont eu recours à un congé par<strong>en</strong>tal :<br />

73,3% d'<strong>en</strong>tre eux étai<strong>en</strong>t des mères. Est-ce qu'un<br />

congé par<strong>en</strong>tal prolongé ne va pas contribuer<br />

à l'éloignem<strong>en</strong>t des femmes du marché du travail<br />

? Visiblem<strong>en</strong>t, dans les esprits, les congés<br />

par<strong>en</strong>taux sont <strong>en</strong>core liés aux mères plus qu'aux<br />

pères : la mesure vaut pour les <strong>en</strong>fants nés à<br />

partir du 8 mars, journée internationale pour les<br />

droits des femmes. Le symbole fait réfléchir.<br />

S.P.<br />

* Voir <strong>Filiatio</strong> n°1. Il s'agit d'un processus d'incorporation de la<br />

perspective d'égalité <strong>en</strong>tre les femmes et les hommes dans<br />

tous les domaines et à tous les niveaux.<br />

3


INTERVIEW<br />

DEUX ANS POUR AGIR<br />

les priorités du Secrétaire d’État aux familles<br />

<strong>Filiatio</strong> : Quelles sont vos responsabilités <strong>en</strong><br />

tant que secrétaire d’État aux familles ?<br />

Philippe Courard : Je conçois ma fonction<br />

comme devant activer la transversalité. Je dois<br />

attirer l'att<strong>en</strong>tion de mes collègues et participer<br />

à leur réflexion sur les mesures qu'ils<br />

pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t et l'impact que cela peut avoir sur la<br />

famille. J'ai par ailleurs la responsabilité des allocations<br />

familiales et du défi du transfert de<br />

ces compét<strong>en</strong>ces au niveau communautaire.<br />

En pratique, c'est très complexe ! Je dois me-<br />

4<br />

Philippe Courard, PS, est le nouveau secrétaire d’État aux affaires sociales, aux familles et aux personnes handicapées.<br />

Il a un peu plus de deux ans devant lui : quelles sont ses priorités ? Entreti<strong>en</strong> avec un homme qui se veut surtout pragmatique.<br />

ner une action publique de souti<strong>en</strong> aux familles<br />

pour qu'elles puiss<strong>en</strong>t pleinem<strong>en</strong>t assurer leurs<br />

fonctions affectives, d'éducation, de soin, de<br />

transmissions de valeurs, d'amour. Tout <strong>en</strong> sachant<br />

que la famille est <strong>en</strong> constante évolution<br />

: quand on parlait de la famille il y a de<br />

nombreuses années, on p<strong>en</strong>sait au papa, à la<br />

maman et aux deux ou trois <strong>en</strong>fants. Mais les<br />

familles ont évolué et évolu<strong>en</strong>t constamm<strong>en</strong>t :<br />

recomposées, monopar<strong>en</strong>tales, … tous les types<br />

de famille doiv<strong>en</strong>t être pris <strong>en</strong> compte. Dans le<br />

cadre d’une politique des familles optimale, il<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

y a selon moi quatre élém<strong>en</strong>ts à combiner, de<br />

manière complém<strong>en</strong>taire : des ressources basiques<br />

pour vivre et s'épanouir, du temps, un<br />

accueil suffisant et de qualité pour les <strong>en</strong>fants,<br />

et <strong>en</strong>fin un souti<strong>en</strong> à l' éducation.<br />

F. : En ce qui concerne les ressources, pouvez-vous<br />

nous dire un mot sur les allocations<br />

familiales ?<br />

P.C. : Il y a deux préalables avant le transfert<br />

dans l'accord du gouvernem<strong>en</strong>t : inscrire le<br />

droit aux allocations familiales dans la constitution<br />

et ne plus avoir de disparités <strong>en</strong>tre les<br />

indép<strong>en</strong>dants, les fonctionnaires, les salariés.<br />

L'objectif est de mettre tout le monde à niveau<br />

avant le transfert, sans spolier personne.<br />

Je ne changerai pas le système actuel (ndlr :


des allocations familiales progressives qui dép<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t<br />

notamm<strong>en</strong>t du nombre d’<strong>en</strong>fants par<br />

famille) et ferai <strong>en</strong> sorte que tout le monde<br />

reçoive son arg<strong>en</strong>t, sans interruption. Ensuite,<br />

quant à la politique que mèneront les gouvernem<strong>en</strong>ts<br />

communautaires <strong>en</strong> la matière, c'est<br />

une autre chose que je ne peux pas prédire...<br />

F. : Comm<strong>en</strong>t réagissez-vous à ceux qui demand<strong>en</strong>t<br />

que le droit aux allocations familiales<br />

soit uniquem<strong>en</strong>t destiné aux mères ?<br />

Est-ce que ce n'est pas, symboliquem<strong>en</strong>t, abstraitem<strong>en</strong>t,<br />

continuer à charger seule la mère<br />

du suivi des <strong>en</strong>fants ?<br />

P.C. : Tout doit être possible : parfois ce n'est<br />

pas la maman la mieux indiquée, notamm<strong>en</strong>t<br />

quand les par<strong>en</strong>ts sont séparés et que le papa<br />

a la garde principale. Toutefois, au départ, il<br />

faut l'accorder à quelqu'un, et faire un choix :<br />

sur quel critère ? Il y a un équilibre à trouver<br />

<strong>en</strong>tre l'égalité hommes/femmes et le fait<br />

que c'est <strong>en</strong>core la mère qui effectue majoritairem<strong>en</strong>t<br />

les dép<strong>en</strong>ses pour les <strong>en</strong>fants. De<br />

manière pragmatique, l'arg<strong>en</strong>t doit être utilisé<br />

pour les <strong>en</strong>fants.<br />

F. : Est-ce qu'il n'y a pas une t<strong>en</strong>dance à vouloir<br />

privilégier une aide immédiate, via les allocations<br />

familiales, plutôt qu'une politique à plus long<br />

terme facilitant l'accueil des <strong>en</strong>fants notamm<strong>en</strong>t<br />

à travers les crèches et l'accueil des <strong>en</strong>fants <strong>en</strong><br />

bas âge - comme <strong>en</strong> Islande, ou au Danemark ?<br />

P.C. : Oui, et d'un autre côté celui qui choisit<br />

de ne pas travailler ne doit pas non plus être<br />

pénalisé parce qu'il ne met pas son <strong>en</strong>fant à<br />

la crèche... L’approche qui est la nôtre est la<br />

suivante : il faut trouver un équilibre et des<br />

moy<strong>en</strong>s concrets pour permettre aux g<strong>en</strong>s de<br />

s'épanouir <strong>en</strong> famille et dans leur boulot. A la<br />

Région wallonne, j'ai eu la même réflexion sur<br />

la manière dont les quotas pouvai<strong>en</strong>t augm<strong>en</strong>ter<br />

la participation des femmes à la vie politique<br />

: mais il me semble que ces quotas sont<br />

positifs pour celles qui ont la possibilité et les<br />

moy<strong>en</strong>s de le faire. Il faut plutôt offrir des solutions<br />

pragmatiques pour permettre surtout aux<br />

jeunes mamans d'avoir le temps de s'investir.<br />

F. : Quels seront vos autres chantiers ?<br />

P.C. : Au niveau des contributions alim<strong>en</strong>taires,<br />

on se r<strong>en</strong>d compte que c'est parfois au petit<br />

bonheur la chance que la justice les fixe, souv<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> fonction de l'approche philosophique<br />

ou politique du juge. Or, il existe une demande<br />

d'objectivité de la part de la justice même. La<br />

loi du 19 mars 2010 est v<strong>en</strong>ue apporter un cadre<br />

législatif plus clair, indiquant des critères de<br />

fixation du montant de la contribution. Nous<br />

devons maint<strong>en</strong>ant mettre sur pied la commission<br />

prévue par la loi sur l’objectivation des<br />

contributions alim<strong>en</strong>taires, <strong>en</strong> collaboration<br />

avec la Ministre de la Justice, pour trouver des<br />

solutions avec des experts et aller dans le s<strong>en</strong>s<br />

du pragmatisme.<br />

Un mot sur le SECAL, qui dép<strong>en</strong>d du ministère<br />

des finances : beaucoup de personnes pourrai<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong> bénéficier et n'<strong>en</strong> bénéfici<strong>en</strong>t pas. Il faut dès<br />

lors améliorer son accessibilité et sa visibilité. Il<br />

faut égalem<strong>en</strong>t améliorer la récupération des<br />

avances auprès du par<strong>en</strong>t débiteur, et travailler<br />

sur une hausse du plafond d'interv<strong>en</strong>tion.<br />

Il faut permettre aux familles de mieux concilier<br />

la vie personnelle, professionnelle et sociale :<br />

les congés de maternité, de paternité, le congé<br />

par<strong>en</strong>tal, le congé d'allaitem<strong>en</strong>t... Le passage de<br />

3 à 4 mois pour le congé par<strong>en</strong>tal n'a pas été<br />

une chose simple . Il faut aussi faire changer les<br />

m<strong>en</strong>talités pour faire <strong>en</strong> sorte que les pères <strong>en</strong><br />

profit<strong>en</strong>t davantage.<br />

Même si les Régions et les Communautés font<br />

déjà beaucoup d’efforts dans ce s<strong>en</strong>s, il faut<br />

r<strong>en</strong>forcer l'accueil des <strong>en</strong>fants et élargir l'accueil<br />

extra-scolaire, notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> développant les<br />

écoles des devoirs pour accompagner les <strong>en</strong>fants<br />

et les par<strong>en</strong>ts qui ont des difficultés. Cela<br />

passe aussi par l'amélioration du statut des accueillantes<br />

, une meilleure formation... Il faudrait<br />

aussi mettre <strong>en</strong> place des formules pour permettre<br />

aux par<strong>en</strong>ts d'être mieux suivis et mieux<br />

épaulés s'ils <strong>en</strong> ont besoin ou s'ils connaiss<strong>en</strong>t<br />

des difficultés. Dans une période comme celle<br />

qu'on traverse, on doit développer les niches<br />

d'emploi qui apport<strong>en</strong>t des plus et qui génèr<strong>en</strong>t<br />

sur le long terme des économies.<br />

On donnera un suivi aux États Généraux de la<br />

Famille et on se nourrira de tout ce qui a été initié.<br />

Mais il est trop tôt pour vous dire concrètem<strong>en</strong>t<br />

comm<strong>en</strong>t on le fera.<br />

Quant au projet du Tribunal de la Famille, on y<br />

travaille avec notre collègue de la Justice : c'est<br />

un projet qui doit être mis <strong>en</strong> œuvre <strong>en</strong> 2013,<br />

selon l'accord politique.<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

5


DOSSIER<br />

Antigone, vous voyez ? Deux jumeaux qui s'<strong>en</strong>tretu<strong>en</strong>t pour le pouvoir ; une fille qui se fait ratatiner par son oncle après avoir déf<strong>en</strong>du la dépouille<br />

de son frère. Vous <strong>en</strong> avez soupé au programme des humanités ? Hé bi<strong>en</strong> ce mois-ci, à <strong>Filiatio</strong>, on vous <strong>en</strong> ressert un plat. Bi<strong>en</strong> frais, et très familial.


Pourquoi Antigone ? Figurez-vous que c'est<br />

une figure dont on <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d beaucoup parler<br />

quand on s'intéresse à la famille. Et la<br />

famille, à <strong>Filiatio</strong>, on s'y intéresse. A force d'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dre<br />

parler d'Antigone à toutes les sauces,<br />

on a eu <strong>en</strong>vie de dépatouiller le vrai du faux.<br />

Antigone est-elle une héroïne familiale? Une<br />

héroïne de société ? Une héroïne féministe ?<br />

Une héroïne dangereuse, attisant les rebellions,<br />

ou à l'inverse, une héroïne magnifique que l'on<br />

pr<strong>en</strong>d comme modèle ? Est-elle une héroïne<br />

tout court ? Il y a celle de Sophocle. Celle de<br />

Hegel, celle de Lacan. Et puis Anouilh, Brecht,<br />

Yourc<strong>en</strong>ar, Bauchau. Et il y a la vôtre, celle qui<br />

sommeille <strong>en</strong> vous. La petite Antigone qui palpite<br />

discrètem<strong>en</strong>t sous vos méninges.<br />

Les situations politiques changeantes particip<strong>en</strong>t<br />

à la structuration de son mythe : à chaque<br />

siècle son Antigone, rappelle le juriste et phi-<br />

losophe François Ost dans son interview. Le<br />

temps passe, les Antigone aussi, et que restet-il<br />

? La protestation, le sacrifice, et le débat<br />

démocratique. Att<strong>en</strong>tion cep<strong>en</strong>dant, houlà !<br />

Antigone n'est pas lisse. Elle a <strong>en</strong>core bi<strong>en</strong> des<br />

mystères – notamm<strong>en</strong>t son amour pour son<br />

frère, sa fascination pour la tragédie et la mort.<br />

Et puis, Antigone – la pièce – et Antigone – le<br />

personnage, ce n'est pas la même chose : pourtant,<br />

on ne peut réduire aucune des deux ni aucun<br />

des autres personnages de la pièce à une<br />

dichotomie schématique.<br />

Antigone, vue du chœur, c'est aussi le compromis<br />

à la belge : on écoute ici, on écoute là, et<br />

on t<strong>en</strong>te de trouver une position intermédiaire.<br />

Nous avons voulu pousser <strong>en</strong>core plus loin. Antigone,<br />

insiste la super star académique Judith<br />

Butler, spécialiste du g<strong>en</strong>re, dans son ouvrage<br />

Antigone, la par<strong>en</strong>té <strong>en</strong>tre vie et mort (ouvrage<br />

que nous ne recommanderons, malgré notre<br />

respect pour Butler, qu'aux lecteurs titulaires<br />

d'un triple doctorat <strong>en</strong> linguistique comparée<br />

grec anci<strong>en</strong>/turkmène/xhosa), Butler, donc, essaie<br />

de rep<strong>en</strong>ser le mythe d'Antigone dans son<br />

histoire réc<strong>en</strong>te : la plupart des lectures faites<br />

d'Antigone serai<strong>en</strong>t indissociables d'une idéologie<br />

bourgeoise et europé<strong>en</strong>ne influ<strong>en</strong>cée par<br />

la psychanalyse. Comme le dit si jolim<strong>en</strong>t François<br />

Ost, Antigone c'est peut-être avant tout de<br />

l'art dans la cité, de l'art qui permet de tisser<br />

un li<strong>en</strong> social fondateur à travers les discussions<br />

qu'elle suscite. Et ça, ça n'a pas d'âge. A moins<br />

que tout cela ne soit <strong>en</strong>core un cliché.<br />

LE PITCH<br />

S.P. et C.L.<br />

Antigone est une Labdacide, ce qui signifie<br />

qu'elle est destinée à ne pas se faire de vieux<br />

os. Une malédiction frappe cette famille depuis<br />

que Laïos, fils de Labdacos, s'est vu révéler<br />

qu'il se ferait tuer par son propre fils, qui<br />

<strong>en</strong>suite épouserait Jocaste, la femme de Laïos<br />

– sa propre mère, donc. C'est assez tordu ? Ça<br />

vous rappelle furieusem<strong>en</strong>t quelque chose ?<br />

Œdipe ? Bingo. C'est lui, le fils. Eh bi<strong>en</strong> Antigone,<br />

c'est la fille d'Œdipe et Jocaste, qui est donc à<br />

la fois sa mère et sa grand-mère, mais qui n'est<br />

plus, puisqu'elle s'est p<strong>en</strong>due <strong>en</strong> appr<strong>en</strong>ant la<br />

vérité des li<strong>en</strong>s qui l'uniss<strong>en</strong>t à Œdipe. Antigone<br />

est dotée de deux frères et d'une sœur, à qui il<br />

va aussi arriver des bricoles.<br />

Dans la pièce de l'auteur grec Sophocle, Antigone<br />

r<strong>en</strong>tre au Palais de Thèbes après avoir accompagné<br />

son père Œdipe dans son errance de<br />

fin de vie. Les deux frères d'Antigone, Polynice<br />

et Etéocle, c<strong>en</strong>sés se partager le pouvoir, se<br />

sont <strong>en</strong>tretués. Créon, l'oncle d’Antigone, règne<br />

donc à prés<strong>en</strong>t sur la cité. Il interdit d’offrir à Polynice,<br />

accusé de trahison, des funérailles selon<br />

le rite traditionnel. Antigone, révoltée, <strong>en</strong>freint<br />

la règle et s’<strong>en</strong>gage dans un combat aux conséqu<strong>en</strong>ces<br />

dramatiques. Ça finit mal pour tout<br />

le monde : pour elle (elle s'étrangle), pour son<br />

fiancé Hémon, qui se trouve être aussi le fils de<br />

Créon (il s'ouvre le v<strong>en</strong>tre), pour la femme de<br />

Créon (elle se tranche la gorge). Cela mis à part,<br />

Antigone est une pièce de théâtre puissante,<br />

d'une terrible modernité.


François Ost, juriste et philosophe, professeur et Vice-Recteur aux Facultés universitaires Saint-Louis (Bruxelles), auteur d’Antigone voilée,<br />

nous livre sa vision d’Antigone : la protestation incarnée. Pourtant elle a aussi un côté sombre – et fort heureusem<strong>en</strong>t<br />

il ne vous faudra pas att<strong>en</strong>dre la prochaine lune pour le découvrir. Lisez plutôt.<br />

<strong>Filiatio</strong> : Quelles étai<strong>en</strong>t les int<strong>en</strong>tions de Sophocle,<br />

<strong>en</strong> écrivant Antigone ?<br />

François Ost : L'éclosion des grandes tragédies<br />

grecques – Sophole, Eschyle, Euripide... – correspond<br />

aux expérim<strong>en</strong>tations des premières<br />

formes de démocratie. Les tragédies étai<strong>en</strong>t<br />

jouées p<strong>en</strong>dant les fêtes de Dionysos, des festivités<br />

qui étai<strong>en</strong>t aussi une obligation civique<br />

pour les citoy<strong>en</strong>s athéni<strong>en</strong>s. Le cont<strong>en</strong>u de ces<br />

tragédies est politique, au s<strong>en</strong>s noble du terme :<br />

elles t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t un miroir aux Athéni<strong>en</strong>s et leur<br />

pos<strong>en</strong>t les questions que la cité se pose à ellemême.<br />

Avec Antigone, c'est surtout la question<br />

de la place du religieux dans un système<br />

politique <strong>en</strong> voie de laïcisation qui est posée<br />

– même si ce processus pr<strong>en</strong>d 25 siècles... Antigone,<br />

c'est la protestation inspirée par une religion<br />

anci<strong>en</strong>ne par rapport à des formes plus<br />

modernes de religion « civile », représ<strong>en</strong>tées<br />

par le personnage de Créon. Bi<strong>en</strong> sûr, c'est aussi<br />

le heurt <strong>en</strong>tre le droit naturel et le droit positif.<br />

Est-ce que le gouvernant moderne doit gouverner<br />

<strong>en</strong> t<strong>en</strong>ant compte de ses valeurs ?<br />

F. : Comm<strong>en</strong>t Antigone a-t-elle traversé les âges ?<br />

F. O. : Chaque époque a son Antigone, comme<br />

l'écrit Steiner. Antigone est un archétype de<br />

l'humain. Elle regroupe les cinq plus fortes polarités<br />

anthropologiques, et c'est ce qui <strong>en</strong> fait un<br />

archétype : la femme contre l'homme, le jeune<br />

contre le vieux, les divinités contre le temporel,<br />

le foyer contre la cité, et <strong>en</strong>fin, l'inclination<br />

vers la vie contre l'inclination vers la mort. Ces<br />

polarités port<strong>en</strong>t l'antagonisme <strong>en</strong>tre Antigone<br />

et Créon vers un point d'incandesc<strong>en</strong>ce inouï.<br />

Antigone nous émeut, et elle se prête bi<strong>en</strong> à<br />

toutes les formes de consci<strong>en</strong>ce individuelle<br />

face à la raison d’État, ou la (dé)raison d’État.<br />

Antigone est un mythe universel, on se la réapproprie,<br />

on la réécrit.<br />

8<br />

DOSSIER / INTERVIEW<br />

CHAQUE ÉPOQUE A SON ANTIGONE<br />

‟Les tragédies pos<strong>en</strong>t les questions que la cité se pose à elle-même.”<br />

ANTIGONE VOILÉE<br />

Dans sa pièce Antigone voilée, François Ost adapte l’histoire<br />

originelle de Sophocle au débat brûlant sur le port du voile<br />

à l’école. Aïcha, élève apparemm<strong>en</strong>t tranquille, fait figure<br />

d’Antigone et les autres protagonistes sont clairem<strong>en</strong>t id<strong>en</strong>tifiables. Créon <strong>en</strong> directeur<br />

d’école, Polynice, le frère suspecté de terrorisme… Au-delà d’un exercice de style (les<br />

dialogues et la narration s’inspir<strong>en</strong>t du théâtre classique), Antigone Voilée interpelle et<br />

alim<strong>en</strong>te le débat sur le voile sous une forme inatt<strong>en</strong>due.<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012


F. : Quelles idéologies, parfois contrastées peutêtre,<br />

a-t-on fait porter à Antigone ?<br />

F. O. : Je p<strong>en</strong>se par exemple aux Antigone de<br />

Bertold Brecht, ou de Jean Anouilh. Avec<br />

Brecht, c'est une résistante. Avec Anouilh, <strong>en</strong><br />

revanche, Antigone est prés<strong>en</strong>tée comme une<br />

adolesc<strong>en</strong>te attardée qui ne compr<strong>en</strong>d ri<strong>en</strong><br />

au pouvoir, et notre sympathie irait presque<br />

à Créon qui, dans le texte, « retrousse ses<br />

manches » et « fait le sale boulot ». Anouilh a<br />

bi<strong>en</strong> pu montrer sa pièce à Paris, sous l'occupation<br />

allemande, car elle n'a pas été c<strong>en</strong>surée.<br />

Aujourd' hui, je p<strong>en</strong>se qu'on découvre une 3 ème<br />

voie, qui s'exprime dans la bouche d'Hémon : il<br />

s'oppose à son père pour des raisons très modernes.<br />

La cité, dit-il, n'est pas le bi<strong>en</strong> d'un seul :<br />

quelque chose qui est juste <strong>en</strong> général peut<br />

être injuste <strong>en</strong> particulier, et inversem<strong>en</strong>t. Avec<br />

Hémon, il n'y a plus de modèle pré-établi dont<br />

il suffirait de déduire les solutions. C'est la procédure<br />

qui peut donner des chances d'aboutir<br />

à une solution juste, et même cette solution<br />

peut ne pas rester éternellem<strong>en</strong>t juste. Ni Antigone,<br />

ni Créon ne gagn<strong>en</strong>t. Tous deux s'écroul<strong>en</strong>t,<br />

et les derniers mots de Créon sont pour<br />

avouer qu'il s'est trompé depuis le début.<br />

F. : Antigone est-elle uniquem<strong>en</strong>t une héroïne<br />

courageuse, un modèle à suivre ? Est-ce qu'elle<br />

n'est pas aussi une m<strong>en</strong>ace pour l'ordre, pour le<br />

droit, pour la cité ?<br />

F. O. : Antigone a aussi une face d'ombre. Son<br />

nom, Anti-goné, le révèle : elle n'est pas du<br />

côté de l'<strong>en</strong>g<strong>en</strong>drem<strong>en</strong>t, elle est celle qui n'<strong>en</strong>g<strong>en</strong>drera<br />

pas. Le type d'amour qu'elle manifeste<br />

est un type d'amour sororal. Elle a d'ailleurs une<br />

réplique qu'on peut trouver scandaleuse : « ce<br />

que j'ai fait pour mon frère, je ne l'aurais pas<br />

fait pour un mari ou un <strong>en</strong>fant ». Et elle meurt,<br />

sans mari et sans <strong>en</strong>fant. Pourtant elle nous séduit<br />

par son courage, par sa détermination. Elle<br />

s'<strong>en</strong>gage tout <strong>en</strong>tière. Mais elle est <strong>en</strong> clair-obscur.<br />

En particulier pour deux raisons. D'abord,<br />

sa t<strong>en</strong>dance incestueuse. Et puis aussi par sa<br />

proximité avec la mort. On peut la compr<strong>en</strong>dre,<br />

dans une famille où beaucoup sont déjà passés<br />

de l'autre côté... Elle me fait p<strong>en</strong>ser aux mères<br />

tchétchènes ou palestini<strong>en</strong>nes qui se font sauter,<br />

par désespoir, parce que la vie leur est insupportable.<br />

Antigone est <strong>en</strong> quelque sorte démesurée,<br />

au-delà de la limite. Cep<strong>en</strong>dant elle<br />

n'est pas tout le temps isolée ; elle l'est au début,<br />

mais elle finit par convaincre le chœur, qui<br />

représ<strong>en</strong>te l'opinion publique. Comme Créon<br />

pourtant, elle est tout d'une pièce. Mais Créon<br />

est celui qui ne sait pas écouter. Son discours<br />

est de plus <strong>en</strong> plus réducteur, et il se ferme aux<br />

conseils de bon s<strong>en</strong>s. C'est sa faute politique<br />

majeure : refuser le débat.<br />

F. : Est-ce qu'à votre avis, il y a une raison pour<br />

laquelle Antigone est une femme ?<br />

F. O. : La Grèce athéni<strong>en</strong>ne, il faut le rappeler,<br />

laisse de côté la moitié de l'humanité. Chez Sophocle,<br />

les deux plus grandes héroïnes, Électre<br />

et Antigone, sont toutes deux des femmes. On<br />

peut y voir la mauvaise consci<strong>en</strong>ce de la vie politique<br />

athéni<strong>en</strong>ne qui s'exprime à travers l'utilisation<br />

de personnages féminins. C'est aussi le<br />

rôle de la littérature que de pointer du doigt<br />

les dysfonctionnem<strong>en</strong>ts : un rôle de bouffon,<br />

de fou du roi.<br />

F. : V<strong>en</strong>ons-<strong>en</strong> à votre Antigone, l'Antigone<br />

voilée. Comm<strong>en</strong>t a-t-elle été reçue, et quelles<br />

étai<strong>en</strong>t vos int<strong>en</strong>tions <strong>en</strong> réinterprétant le<br />

mythe sur ce sujet précis ?<br />

F. O. : En Belgique comme <strong>en</strong> France, c'est une<br />

pièce qui pose un problème. Le débat est crispé,<br />

et si on ne peut même plus <strong>en</strong> parler sur le<br />

mode de la littérature, c'est qu'on a peut-être<br />

régressé par rapport à l'Athènes de Sophocle...<br />

La pièce n'a jamais été jouée dans un théâtre<br />

– cela ti<strong>en</strong>t peut-être à la pièce elle-même,<br />

mais je crois aussi que c'est un tabou qui <strong>en</strong> dit<br />

long. On me reproche d'avoir fait une Antigone<br />

voilée – d'avoir fait une héroïne d'une jeune<br />

femme voilée – alors que la pièce, tout comme<br />

le mythe, est tout <strong>en</strong> nuances... J'ai fait Antigone<br />

Voilée car j'étais préoccupé par la problématique<br />

du voile et soucieux du dialogue<br />

des cultures. Plutôt que de traiter cette problématique<br />

à grand coup d'articles juridiques et<br />

d'articles de loi, j'ai la conviction qu'il faut travailler<br />

à un niveau plus profond, au niveau des<br />

passions, et les traiter par la littérature, par le<br />

théâtre. Le travail sur l'imaginaire collectif est<br />

très important, il est fondateur du li<strong>en</strong> social.<br />

Faire l'impasse sur l'imaginaire et les débats qui<br />

l'accompagn<strong>en</strong>t, c'est passer à côté d'une clef<br />

de lecture fondam<strong>en</strong>tale de la société.<br />

POUR ALLER PLUS LOIN<br />

Les Antigones, Steiner, Gallimard, 1986. Un magistral<br />

inv<strong>en</strong>taire des Antigone depuis Sophocle,<br />

et une lecture qui permet de compr<strong>en</strong>dre à<br />

quelles sauces Antigone a été mangée.<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012 9


Que serait-il arrivé si la psychanalyse<br />

avait choisi Antigone, et non pas<br />

Œdipe, comme point de départ ?<br />

La rebelle desc<strong>en</strong>dante d'Œdipe, héroïne<br />

de la pièce de Sophocle, a été acclamée<br />

par des générations comme l'exemple de<br />

la résistance, à la fois face à l’État et face à<br />

l'ordre patriarcal. Que se passerait-il si nous<br />

échappions à ces représ<strong>en</strong>tations, par lesquelles<br />

Antigone joue le rôle de la rebelle<br />

ultime dans un ordre présupposé naturel, et<br />

si nous rep<strong>en</strong>sions son mythe comme, justem<strong>en</strong>t,<br />

les prémices de cet ordre même ? Dans<br />

un <strong>en</strong>semble d'essais à la fois provocants et<br />

brillants, Antigone, la par<strong>en</strong>té <strong>en</strong>tre vie et<br />

mort, Judith Butler fait preuve de son tal<strong>en</strong>t<br />

unique de combinaison <strong>en</strong>tre la littérature<br />

comparée et la p<strong>en</strong>sée politique radicale.<br />

Butler, professeur de rhétorique à Berkeley,<br />

est l'une des plus prolifiques figures contemporaines<br />

de la « théorie critique » (<strong>en</strong> anglais,<br />

critical theory), des études de g<strong>en</strong>re et de la<br />

philosophie.<br />

Dans Antigone, Butler continue son exploration<br />

des pré-suppositions de g<strong>en</strong>re et fait un<br />

pas supplém<strong>en</strong>taire dans la réflexion sur les<br />

tabous de la par<strong>en</strong>té. Comme beaucoup avant<br />

elle, elle est fascinée par la figure d'Antigone :<br />

sœur du défunt héritier du trône (Polynice), elle<br />

décide de donner une sépulture à son frère, allant<br />

ainsi à l'<strong>en</strong>contre des ordres de son oncle<br />

Créon, roi de Thèbes, qui avait ordonné de<br />

laisser le corps de Polynice sur le champ de bataille.<br />

Antigone ne fait preuve d'aucun remords<br />

et déf<strong>en</strong>d ses actes. Lorsque Créon décide de<br />

la faire <strong>en</strong>terrer vivante, elle pr<strong>en</strong>d son destin<br />

<strong>en</strong> mains et désobéit une dernière fois à son<br />

oncle <strong>en</strong> se donnant la mort. La lecture de l'histoire<br />

d'Antigone par Butler se fait égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong><br />

réaction aux travaux précéd<strong>en</strong>ts de Hegel et<br />

Lacan : au fil des pages, ce qu'Antigone représ<strong>en</strong>te<br />

ne semble plus si clair.<br />

Dans le premier chapitre, Butler évoque l'Antigone<br />

de Hegel : non pas une héroïne féministe,<br />

mais la déf<strong>en</strong>deresse de la famille et de la par<strong>en</strong>té.<br />

Pour Hegel, Antigone signale la transition<br />

d'une règle matriarcale à une règle patriarcale,<br />

mais aussi la dissolution de la par<strong>en</strong>té face à<br />

l'émerg<strong>en</strong>ce de l'ordre éthique de l’État, repré-<br />

10<br />

ANTIGONE, RÉSISTANTE COMPLEXE<br />

Une critique de l'ouvrage de Judith Butler "Antigone, la par<strong>en</strong>té <strong>en</strong>tre vie et mort". Epel, 2003, traduction Guy Le Gaufey<br />

s<strong>en</strong>té par la figure de Créon. La pièce est quasim<strong>en</strong>t<br />

un thriller politique dans lequel l'apothéose<br />

d'Antigone révèle la crise de la par<strong>en</strong>té<br />

comme institution sociale préval<strong>en</strong>te.<br />

Dans la lecture de Lacan (chapitre suivant), la<br />

par<strong>en</strong>té signifie quelque chose de tout à fait<br />

différ<strong>en</strong>t. Non pas, selon Hegel, l'organisation<br />

primitive des li<strong>en</strong>s et des affiliations, mais le<br />

concept de Lacan, toujours évasif, des positions<br />

symboliques attribuées au langage et à<br />

la psyché. Ce n'est pas son frère de « chair »<br />

qu'Antigone <strong>en</strong>t<strong>en</strong>drait protéger, mais la position<br />

symbolique de son frère <strong>en</strong> tant qu'être, de<br />

sa position à elle de sœur symbolique (note de<br />

la traductrice : on parle bi<strong>en</strong> de solidarité ou<br />

de fraternité). Sa transgression ne serait donc ici<br />

pas de l'ordre de la dissid<strong>en</strong>ce politique, mais<br />

dans la façon dont elle repousse à l'extrême les<br />

limites de l'humain <strong>en</strong> défiant les normes symboliques<br />

verticales traditionnelles (autorité,<br />

transmission, par<strong>en</strong>talité et filiation) afin de les<br />

remplacer par des normes horizontales (solidarité,<br />

fraternité).<br />

Lorsque c'est à Butler de distribuer les rôles, Lacan<br />

et Hegel reçoiv<strong>en</strong>t celui de Tirésias, le devin<br />

aveugle. Car il y a un point fondam<strong>en</strong>tal qu'aucun<br />

des deux p<strong>en</strong>seurs n'a, semble-t-il, soulevé :<br />

celui de l'amour incestueux. Le plus grand tabou<br />

de la par<strong>en</strong>té, au cœur de la famille. Alors<br />

que l'amour incestueux d'Œdipe installe un<br />

paradigme pour déchiffrer l'âme humaine, la<br />

transgression d'Antigone est au mieux complètem<strong>en</strong>t<br />

niée, ou tout simplem<strong>en</strong>t rejetée, reléguée<br />

à un amour de « positions symboliques ».<br />

Selon Butler, la psychanalyse détache l'ordre<br />

familial europé<strong>en</strong> et hétérosexuel du domaine<br />

de la politique et de l’histoire, et le r<strong>en</strong>d indissociable<br />

de notre psyché. Ainsi, la famille de<br />

la bourgeoisie europé<strong>en</strong>ne de la fin du XIX ème<br />

siècle (un père, une mère et plusieurs <strong>en</strong>fants<br />

par foyer) aurait été réinv<strong>en</strong>tée comme étant<br />

une disposition pré-culturelle (naturelle). Une<br />

critique à la Butler serait de demander si, face<br />

à un tel constat, une discipline comme la psychanalyse<br />

peut <strong>en</strong>core être valide pour d'autres<br />

types de familles : homosexuelles, recomposées,<br />

etc. C'est ici que l'urg<strong>en</strong>ce politique du<br />

débat se dévoile. La désobéissance d'Antigone<br />

a <strong>en</strong>traîné sa mort, inévitable – mais, <strong>en</strong> même<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

Judith Butler<br />

temps, elle a exposé les structures politiques<br />

du pouvoir ainsi que leurs tabous. Aujourd'hui,<br />

les structures familiales « non normatives » sont<br />

plus préval<strong>en</strong>tes que jamais...<br />

Face à ces trois Antigone (Hegel, Lacan et<br />

Butler), une p<strong>en</strong>sée toute simple nous vi<strong>en</strong>t :<br />

ne serait-il pas possible de trouver un compromis<br />

<strong>en</strong>tre Antigone et Créon ? N’est-il<br />

pas possible de concilier hétérosexualité et<br />

homosexualité (Butler), de concilier religions<br />

et laïcité (Hegel), de concilier verticalité et<br />

horizontalité (Lacan), de concilier hommes et<br />

femmes, pères et mères ?<br />

Romm Lewkowicz et la rédaction de <strong>Filiatio</strong>


BOÎTE À IDÉES<br />

Parle-t-on d’Antigone, au singulier, ou d’Antigones,<br />

au pluriel ? Au vu des nombreuses adaptations,<br />

interprétations et traductions de la<br />

pièce de Sophocle – on p<strong>en</strong>se à Anouilh, Hölderlin,<br />

Staub, Hegel, Brecht, Steiner, Kundera, Lacan, Butler,<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

Ost, etc. -, on aurait t<strong>en</strong>dance à favoriser la thèse<br />

du pluriel. De nombreux auteurs, metteurs <strong>en</strong> scène<br />

et cinéastes ont donné leur vision du personnage<br />

d’Antigone et des ses trois principaux rôles, Créon<br />

(l’oncle d’Antigone), Ismène (la sœur d’Antigone) et<br />

11


Hémon (l’amoureux d’Antigone et fils de Créon). Chacun<br />

semble y trouver l’inspiration pour analyser telle<br />

ou telle situation socio-psycho-politique du mom<strong>en</strong>t.<br />

Dans l’<strong>en</strong>semble, il ressort une t<strong>en</strong>dance générale indéniable<br />

depuis deux siècles : il y a d’un côté Antigone, figure<br />

positive, héroïne, et de l’autre côté, tous les autres,<br />

plus fades ou négatifs. Tous ces auteurs du 19 et 20ème<br />

siècle ont plutôt favorisé une vision dichotomique<br />

du bi<strong>en</strong> contre le mal. Mais était-ce la volonté de Sophocle?<br />

On peut <strong>en</strong> douter pour au moins deux raisons.<br />

Premièrem<strong>en</strong>t, aujourd’hui, nous avons t<strong>en</strong>dance à<br />

oublier un personnage ess<strong>en</strong>tiel, le « coryphée», celui<br />

qui mène le chœur (du grec choros). Le « coryphée »<br />

représ<strong>en</strong>te la cité, le peuple avisé. Il ne s’agit pas d’un<br />

individu mais d’un collectif, d’un symbole, d’une personne<br />

morale (au s<strong>en</strong>s juridique). Pour Sophocle, le<br />

véritable héros, c’est peut-être lui, modèle de tolérance,<br />

d’écoute et de chorégraphie. Le seul à ne pas<br />

subir ses émotions sans pour autant les nier, le seul à<br />

vouloir le débat, le seul à t<strong>en</strong>ter une médiation <strong>en</strong>tre<br />

les pôles purem<strong>en</strong>t émotionnels que sont Antigone,<br />

Créon, Hémon et Ismène. Le théâtre grec antique devait<br />

permettre, <strong>en</strong>tre autres, au peuple d’appr<strong>en</strong>dre à<br />

gérer la démocratie et à éviter ses écueils principaux.<br />

Sophocle <strong>en</strong> a caricaturé quatre: l’autoritariste-rationnel<br />

(du grec kréion : chef, souverain, noble), la nihiliste-intégriste<br />

(du grec anti et gonè : à la place de<br />

l’<strong>en</strong>fantem<strong>en</strong>t, abortif), l’hyper-soumise (du grec eido :<br />

s’adapter, être habile) et le passionnel-fusionnel (du<br />

grec aimon : passionné, avide).<br />

Pour Sophocle, la conclusion du drame pourrait être<br />

simple : tous, ou presque, meur<strong>en</strong>t de leurs excès (même<br />

si Créon ne meurt pas, tout ce qu’il avait construit rationnellem<strong>en</strong>t<br />

s’effondre, ce qui est peut-être pire pour<br />

lui que la mort). Seul un personnage survit à cette boucherie,<br />

c’est le « coryphée», symbole de l’équilibre et du<br />

« juste-milieu ».<br />

12 FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

Deuxièmem<strong>en</strong>t, étymologiquem<strong>en</strong>t, il est fort étonnant<br />

que personne ne se soit arrêté sur le s<strong>en</strong>s des<br />

mots. Antigone signifierait peu ou prou «autogénocide»<br />

ou nihilisme absolu, Créon ferait référ<strong>en</strong>ce au<br />

traditionalisme, au souverainisme et au légalisme, Ismène<br />

représ<strong>en</strong>terait le naturalisme et la soumission<br />

aveugle et Hémon déf<strong>en</strong>drait la passion destructrice,<br />

le « relationnisme » absolu et le relativisme. Sous<br />

l’angle étymologique, nous devrions plutôt éprouver<br />

de l’antipathie pour tous ces personnages, y compris<br />

pour Antigone. Imaginons aujourd’hui une pièce s’intitulant<br />

« démagogie » et traitant de l’histoire d’une<br />

jeune femme s’appelant « Démagogie » luttant contre<br />

son oncle s’appelant « Abusdepouvoir »...<br />

En conclusion, peu importe de parler d’Antigone au singulier<br />

ou au pluriel, l’important était sans doute pour<br />

Sophocle d’inviter le peuple grec à éviter la démagogie<br />

et la p<strong>en</strong>sée unique et de faire naître l’<strong>en</strong>vie d’<strong>en</strong>richir sa<br />

réflexion sur l’ess<strong>en</strong>ce de la démocratie par la confrontation<br />

de personnages extrêmes. Antigone n’était pas<br />

LE personnage, mais plutôt un personnage.<br />

A titre d’illustration, aujourd’hui, un Sophocle contemporain<br />

pousserait les citoy<strong>en</strong>s à favoriser une approche<br />

multipolaire, pluridisciplinaire, il les titillerait sur les<br />

dangers des pouvoirs non contrôlés, concrets ou abstraits,<br />

t<strong>en</strong>terait de réconcilier nature et culture, gêne et<br />

volonté, passion et raison, laïcité et spiritualité, obligations<br />

de moy<strong>en</strong>s et de résultat. Au niveau de la famille,<br />

il veillerait à l’équilibre <strong>en</strong>tre l’Etat et la vie privée, <strong>en</strong>tre<br />

le prescriptif et le contractuel, <strong>en</strong>tre les droits des <strong>en</strong>fants<br />

et le droit des par<strong>en</strong>ts. Une loi a t<strong>en</strong>té ce projet :<br />

c’est la loi, certes imparfaite, de l’hébergem<strong>en</strong>t égalitaire<br />

de 2006, dite loi « Onkelinks ». Elle pousse <strong>en</strong> effet<br />

les par<strong>en</strong>ts au dialogue, les « punit » d’un hébergem<strong>en</strong>t<br />

parfaitem<strong>en</strong>t égalitaire <strong>en</strong> cas de non accord et autorise<br />

l’état, par l’intermédiaire du juge, à contrôler l’intérêt de<br />

l’<strong>en</strong>fant selon des règles très strictes, très spéciales.<br />

Ko<strong>en</strong> Mater<br />

12


INITIATIVES<br />

(IN)ÉGALITÉS FEMMES/HOMMES EN BELGIQUE<br />

AU BOULOT !<br />

Et du boulot, il y <strong>en</strong> a <strong>en</strong>core pas mal. L’Institut pour l’Égalité <strong>en</strong>tre les Femmes et les Hommes (IEFH) sort un nouveau rapport<br />

sur les femmes et les hommes <strong>en</strong> Belgique, et fait le point sur les principales inégalités dont les deux sexes sont victimes.<br />

Bilan mitigé : décryptage avec Michel Pasteel, directeur de l'IEFH, et Élodie Debrumetz, responsable de la communication.<br />

Il n'y a ri<strong>en</strong> de très neuf sous le soleil des (in)<br />

égalités hommes-femmes. Ce n'est d'ailleurs<br />

pas un soleil, mais plutôt un ciel gris un peu<br />

lourd, plombé par des nuages t<strong>en</strong>aces. Parfois,<br />

une petite éclaircie ; et <strong>en</strong>suite il pleut. Pas très<br />

réjouissant, je vous le dis tout de suite. Chapitre<br />

après chapitre, le rapport de l'IEFH égrène les<br />

différ<strong>en</strong>ces qui persist<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre les hommes<br />

et les femmes et sont à la source de situations<br />

d'inégalités de traitem<strong>en</strong>t, dans la vie privée et<br />

dans la vie publique. Une vision statistique et<br />

à double s<strong>en</strong>s : les inégalités dont les hommes<br />

sont majoritairem<strong>en</strong>t victimes sont égalem<strong>en</strong>t<br />

m<strong>en</strong>tionnées. Après épluchage du rapport,<br />

nous id<strong>en</strong>tifions les directions suivantes : il faut<br />

aller vers plus d'emploi pour les femmes et plus<br />

de vie privée/éducation et soin aux <strong>en</strong>fants<br />

pour les hommes. Pour les détails, reportezvous<br />

aux 300 pages de statistiques et d'indicateurs<br />

<strong>en</strong> tous g<strong>en</strong>res : population, migration,<br />

rev<strong>en</strong>us, pauvreté, santé, emploi, mobilité, emploi<br />

du temps, criminalité, viol<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre part<strong>en</strong>aires,<br />

processus décisionnel, autant de thématiques<br />

dont l'étude repousse loin, très loin,<br />

le mythe de l'égalité acquise <strong>en</strong>tre hommes et<br />

femmes <strong>en</strong> Belgique.<br />

S.P.<br />

<strong>Filiatio</strong> : Au l<strong>en</strong>demain du 8 mars, journée internationale<br />

pour le droit des femmes, quelles<br />

sont les principales leçons que vous tirez de<br />

votre rapport ?<br />

Élodie Debrumetz : Avant tout, ce qu'il est important<br />

de savoir, c'est qu'il s'agit d'une étude<br />

statistique objective sur les hommes et les<br />

femmes, fruit d'un énorme travail de collaboration<br />

<strong>en</strong>tre services publics fédéraux. Ce<br />

qu'on remarque, c'est que notre société actuelle<br />

est inégalitaire dans de nombreux domaines<br />

différ<strong>en</strong>ts : nous abordons l'emploi, la<br />

santé, la migration, la viol<strong>en</strong>ce, les sci<strong>en</strong>ces,<br />

la criminalité, la conciliation vie privée – vie<br />

professionnelle... A l'institut,<br />

on le remarque quotidi<strong>en</strong>nem<strong>en</strong>t<br />

à travers<br />

les plaintes déposées : les<br />

femmes sont surtout discriminées<br />

dans le domaine<br />

de l'emploi, et les hommes<br />

surtout dans le domaine<br />

des bi<strong>en</strong>s et services.<br />

F. : Dans le domaine des<br />

bi<strong>en</strong>s et services ? Pouvezvous<br />

<strong>en</strong> dire plus ?<br />

Michel Pasteel : Quand<br />

on parle de discriminations<br />

dans le domaine des<br />

bi<strong>en</strong>s et services, on parle<br />

ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t des tarifs<br />

des sites internet, des<br />

boites de nuit, ou des événem<strong>en</strong>ts<br />

où les femmes<br />

ne doiv<strong>en</strong>t pas payer ou à<br />

un moindre tarif, contrairem<strong>en</strong>t<br />

aux hommes...<br />

Pour cela, nous m<strong>en</strong>ons<br />

une action de s<strong>en</strong>sibilisation<br />

dans le secteur<br />

concerné. Il y a égalem<strong>en</strong>t<br />

des plaintes d'hommes qui<br />

sont liées à des problèmes<br />

de non-remboursem<strong>en</strong>t<br />

de médicam<strong>en</strong>ts, notamm<strong>en</strong>t<br />

dans le cas des médicam<strong>en</strong>ts contre l’ostéoporose.<br />

Mais les discriminations contre les<br />

femmes rest<strong>en</strong>t beaucoup plus importantes<br />

<strong>en</strong> termes de statistiques : dans l'<strong>en</strong>semble, les<br />

inégalités touch<strong>en</strong>t plutôt les femmes, et surtout<br />

dans le domaine de l'emploi : ségrégation<br />

professionnelle, discrimination à l'embauche à<br />

cause de la maternité... Cela ti<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t<br />

aux difficultés de conciliation <strong>en</strong>tre vie privée<br />

et vie professionnelle.<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

F. : Remarquez-vous des progrès dans le s<strong>en</strong>s<br />

d'une plus grande égalité ?<br />

E.D. : Par exemple, le nombre d'hommes au<br />

foyer a doublé <strong>en</strong> 25 ans, et le nombre de<br />

femmes au foyer a diminué de 61% : ce qui est<br />

positif, c'est qu'il y a une t<strong>en</strong>dance au changem<strong>en</strong>t<br />

dans les rôles, dans la répartition des<br />

tâches et la conciliation vie privée – vie professionnelle.<br />

Mais bon, il y a <strong>en</strong>core 32 femmes<br />

au foyer pour un homme...<br />

13


F. : Vous reconnaissez une forme de viol<strong>en</strong>ce<br />

spécifique <strong>en</strong>tre ex-part<strong>en</strong>aires : « le droit de<br />

garder un contact personnel ». Les hommes représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />

63% des victimes et les femmes, 73%<br />

des suspectes de cette violation. S'agit-il de l'<strong>en</strong>jeu<br />

de la non prés<strong>en</strong>tation des <strong>en</strong>fants ?<br />

M. P. : La non prés<strong>en</strong>tation de l'<strong>en</strong>fant est une<br />

infraction, c'est bi<strong>en</strong> de cela qu'il s'agit. Ce sont<br />

les chiffres de la police fédérale. C'est une problématique<br />

classique dès qu'il y a une rupture :<br />

les <strong>en</strong>fants sont pris <strong>en</strong> otage et on les utilise.<br />

F. : Quel est le rôle de l'Institut dans la promotion<br />

de l'égalité au sein de la famille ?<br />

E.D. : Suite à l'étude de 2011 sur le congé de paternité,<br />

nous avons fait des recommandations<br />

à l'<strong>en</strong>semble des part<strong>en</strong>aires syndicaux et politiques,<br />

pour que cela aboutisse à des changem<strong>en</strong>ts<br />

dans la loi : <strong>en</strong> effet, <strong>en</strong> juillet 2011 la protection<br />

contre le lic<strong>en</strong>ciem<strong>en</strong>t durant le congé<br />

de paternité est dev<strong>en</strong>ue obligatoire.<br />

M.P. : …Mais il n'est que de 10 jours, alors que<br />

la durée souhaitée <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne est de 22 à 23<br />

jours. 10 jours, c'est <strong>en</strong>core trop peu !<br />

E.D. : En ce qui concerne les discriminations liées<br />

à la grossesse et à la maternité, nous avons fait<br />

une étude <strong>en</strong> 2010 qui montre que les femmes<br />

sont discriminées à l'embauche parce qu'elles<br />

ont des <strong>en</strong>fants ou risqu<strong>en</strong>t de tomber <strong>en</strong>-<br />

DES CHIFFRES<br />

Toutes ces informations, statistiquem<strong>en</strong>t valables,<br />

sont à analyser avec att<strong>en</strong>tion. Ce n'est<br />

sans doute pas parce que les hommes « naîtrai<strong>en</strong>t<br />

viol<strong>en</strong>ts » qu'ils représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t 96% des<br />

dét<strong>en</strong>us, ou qu'ils se suicid<strong>en</strong>t beaucoup plus<br />

que les femmes. Ce n'est sûrem<strong>en</strong>t pas parce<br />

que leurs jeunes <strong>en</strong>fants ne les intéress<strong>en</strong>t pas<br />

de manière innée qu'ils s'<strong>en</strong> occup<strong>en</strong>t deux fois<br />

et demie moins que les femmes. Et pour elles,<br />

inversem<strong>en</strong>t, ce n'est pas par pur amour maternel<br />

qu'elles s'<strong>en</strong> occup<strong>en</strong>t deux fois plus. Toutes<br />

ces données ont des explications à trouver dans<br />

les rapports de pouvoir, l'histoire, les stéréotypes<br />

ancrés dans les m<strong>en</strong>talités, ou <strong>en</strong>core les intérêts<br />

économiques à perpétuer des situations de discrimination.<br />

Ce qui nous intéresse ici, c'est bi<strong>en</strong><br />

ce que ces chiffres veul<strong>en</strong>t dire sur les problèmes<br />

des femmes et des hommes d'aujourd'hui.<br />

14<br />

ceintes ; elles peuv<strong>en</strong>t être lic<strong>en</strong>ciées p<strong>en</strong>dant<br />

leur grossesse ou à leur retour de maternité, ou<br />

parfois elles ne retrouv<strong>en</strong>t pas le même poste...<br />

L'idée est de s<strong>en</strong>sibiliser au maximum les pouvoirs<br />

publics et tous les acteurs concernés pour<br />

faire évoluer les m<strong>en</strong>talités. Pour la famille, on<br />

collabore aussi avec le SPF Emploi pour la s<strong>en</strong>sibilisation<br />

concernant la conciliation vie privée<br />

– vie professionnelle et les stéréotypes cantonnant<br />

les femmes dans la sphère privée et les<br />

hommes dans la sphère publique.<br />

F. : Si vous deviez id<strong>en</strong>tifier une ou deux mesures<br />

vraim<strong>en</strong>t importantes pour arriver à plus d'égalité<br />

dans la famille, que recommanderiez-vous ?<br />

E.D. : Les hommes et les femmes devrai<strong>en</strong>t<br />

se s<strong>en</strong>tir libres de pr<strong>en</strong>dre autant les créditstemps,<br />

les congés de par<strong>en</strong>talité : l'employeur<br />

pourra embaucher une femme<br />

comme un homme quand il sera<br />

convaincu que les deux sont<br />

susceptibles de s’investir dans<br />

une vie de famille, d’y consacrer<br />

du temps, d'aller chercher leurs<br />

<strong>en</strong>fants à l'école, etc.<br />

F. : Mais cela pr<strong>en</strong>d du temps...<br />

Peut-on p<strong>en</strong>ser à des mesures<br />

plus rapides ?<br />

M.P. : Cela dép<strong>en</strong>d à quoi on<br />

p<strong>en</strong>se. Pr<strong>en</strong>ons la question des<br />

Parmi les femmes salariées, 44,3% travaill<strong>en</strong>t<br />

à temps partiel, contre 9,3% chez les hommes.<br />

96% des dét<strong>en</strong>us sont des hommes ; ce<br />

pourc<strong>en</strong>tage est relativem<strong>en</strong>t stable.<br />

Les mamans ayant de jeunes <strong>en</strong>fants s’<strong>en</strong><br />

occup<strong>en</strong>t 2 fois et demie plus que les papas<br />

avec de jeunes <strong>en</strong>fants.<br />

Dans 72% des cas, les suicides sont commis<br />

par des hommes, contrastant fortem<strong>en</strong>t avec<br />

les chiffres relatifs à la dépression, qui sont<br />

plus élevés pour les femmes.<br />

Le fait d'avoir des <strong>en</strong>fants a <strong>en</strong> général un<br />

impact négatif sur la position des femmes sur<br />

le marché du travail et un impact positif sur<br />

celle des hommes.<br />

57,2% des bénéficiaires d'un rev<strong>en</strong>u d'intégration<br />

sociale sont des femmes.<br />

P<strong>en</strong>sionnés : parmi les personnes qui ont le<br />

droit à une p<strong>en</strong>sion, 59% des femmes et 33%<br />

des hommes reçoiv<strong>en</strong>t un montant inférieur à<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

horaires et de la flexibilité : elle est à double<br />

tranchant, car il y a un risque que ce soi<strong>en</strong>t les<br />

femmes qui se retrouv<strong>en</strong>t à travailler à la maison<br />

et donc à s'occuper <strong>en</strong>core plus des <strong>en</strong>fants et<br />

du ménage... L'égalité de salaire est égalem<strong>en</strong>t<br />

fondam<strong>en</strong>tale. Par ailleurs, on doit donner aux<br />

hommes la possibilité de s'investir davantage à<br />

la maison. Tout cela passe par la s<strong>en</strong>sibilisation<br />

mais aussi par des mesures concrètes, comme<br />

le développem<strong>en</strong>t des places d'accueil <strong>en</strong><br />

crèche, par exemple.<br />

La publication Femmes et hommes <strong>en</strong> Belgique.<br />

Statistiques et indicateurs de g<strong>en</strong>re – Édition 2011<br />

est disponible gratuitem<strong>en</strong>t auprès de l’Institut<br />

pour l’égalité des femmes et des hommes (egalite.<br />

hommesfemmes@iefh.belgique.be , tél: 02/233 41<br />

75). Vous pouvez égalem<strong>en</strong>t le télécharger sur le<br />

site web www.iefh.belgium.be<br />

1000 euros. L'écart de p<strong>en</strong>sion découle <strong>en</strong> particulier<br />

des différ<strong>en</strong>ces de carrière et des inégalités<br />

de salaires et de rev<strong>en</strong>us. En moy<strong>en</strong>ne<br />

l'écart de p<strong>en</strong>sion <strong>en</strong>tre les hommes et les<br />

femmes s'élève à 23% <strong>en</strong> faveur des hommes :<br />

chez les fonctionnaires, l'écart est le moins important<br />

(16%) et chez les indép<strong>en</strong>dants, il est le<br />

plus important (33%).<br />

Dép<strong>en</strong>dance financière et « par<strong>en</strong>ts isolés »<br />

(qui sont des femmes, cinq fois plus que des<br />

hommes) : le degré de dép<strong>en</strong>dance financière<br />

des femmes apparaît toujours plus élevé que<br />

celui des hommes, à l'exception de la catégorie<br />

résiduelle « autres formes de familles ». Assez<br />

curieusem<strong>en</strong>t et contrairem<strong>en</strong>t à ce que suggèr<strong>en</strong>t<br />

d'autres indicateurs de pauvreté, les « par<strong>en</strong>ts<br />

isolés » s'<strong>en</strong> sort<strong>en</strong>t très bi<strong>en</strong>. Cela peut<br />

s'expliquer par le fait qu'ils bénéfici<strong>en</strong>t d'allocations<br />

via le système de sécurité sociale et que<br />

ces montants leur sont effectivem<strong>en</strong>t versés.


HORS CHAMP / ALLEMAGNE<br />

En Europe, un mariage sur deux se termine<br />

par un divorce. La moitié de ces<br />

séparations concern<strong>en</strong>t des familles<br />

avec des <strong>en</strong>fants mineurs. Les institutions europé<strong>en</strong>nes<br />

essay<strong>en</strong>t petit à petit d'harmoniser<br />

les lois sur le divorce dans les pays-membres ;<br />

mais à quel point les besoins de l’<strong>en</strong>fant sontils<br />

<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus, compris, définis, respectés ?<br />

Un petit arrondissem<strong>en</strong>t judiciaire <strong>en</strong> Allemagne,<br />

du nom de Cochem (ça vous fait p<strong>en</strong>ser<br />

à Astérix ? Il y a un peu de ça...), pratique<br />

ENSEMBLE C’EST TOUT<br />

La pratique de Cochem : vers des jugem<strong>en</strong>ts familiaux <strong>en</strong> faveur des <strong>en</strong>fants ?<br />

Dans un petit arrondissem<strong>en</strong>t judiciaire allemand, à Cochem, une équipe de professionnels a trouvé une formule inédite<br />

pour que les séparations ne se termin<strong>en</strong>t pas <strong>en</strong> guerre ouverte avec, au milieu du champ de bataille, les <strong>en</strong>fants.<br />

Le juge Jürg<strong>en</strong> Rudolph, dont la ténacité a permis à cette expéri<strong>en</strong>ce de dev<strong>en</strong>ir un modèle, décortique les mécanismes<br />

du système de Cochem pour les lecteurs de <strong>Filiatio</strong>.<br />

depuis le début des années 1990 un système<br />

qui fait la différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre le cont<strong>en</strong>tieux du<br />

couple et le bi<strong>en</strong>, ou l'intérêt, de l’<strong>en</strong>fant.<br />

Un système connu pour vouloir faire gagner<br />

toutes les parties plutôt que donner raison à<br />

l'une et condamner l'autre.<br />

COOPÉRATION ORGANISÉE : VOUS POU-<br />

VEZ VOUS SÉPARER, MAIS PAS DE L'ENFANT<br />

Quand une partie sort gagnante du tribunal,<br />

c’est l’<strong>en</strong>fant qui a perdu. Telle est la maxime<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

qui règne dans le règlem<strong>en</strong>t des litiges familiaux<br />

à Cochem. On y part du principe<br />

que les par<strong>en</strong>ts <strong>en</strong> cours de séparation sont<br />

tellem<strong>en</strong>t c<strong>en</strong>trés sur eux-mêmes dans ces<br />

mom<strong>en</strong>ts-là que, dans la plupart des cas, les<br />

<strong>en</strong>fants sont instrum<strong>en</strong>talisés – inconsciemm<strong>en</strong>t<br />

ou consciemm<strong>en</strong>t – et que leurs besoins<br />

sont oubliés.<br />

Le but, c’est donc de trouver des solutions<br />

concernant les <strong>en</strong>fants le plus rapidem<strong>en</strong>t<br />

possible. Le litige du couple est considéré<br />

15


séparém<strong>en</strong>t de ce qui concerne les <strong>en</strong>fants.<br />

Juges, avocats, services de l’assistance sociale,<br />

toutes professions impliquées dans<br />

des litiges familiaux s’<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t à suivre ce<br />

principe et à coopérer de manière flexible.<br />

Les avocats de l’arrondissem<strong>en</strong>t sign<strong>en</strong>t une<br />

charte dans laquelle ils s'<strong>en</strong>gag<strong>en</strong>t à proposer<br />

des solutions extrajudiciaires à leurs mandants<br />

s'ils ne se montr<strong>en</strong>t pas coopératifs. Ils<br />

se promett<strong>en</strong>t aussi de privilégier la parole<br />

et le dialogue aux actes écrits. Si, lors de la<br />

première session au tribunal, aucune solution<br />

n'est trouvée, un travailleur social accompagne<br />

le couple dans un c<strong>en</strong>tre de consultation,<br />

où médiateurs et thérapeutes sont<br />

regroupés pour trouver des solutions extrajudiciaires.<br />

Si le couple utilise ces services, le<br />

c<strong>en</strong>tre de consultation <strong>en</strong> informe le tribunal<br />

qui susp<strong>en</strong>d toute action p<strong>en</strong>dant ce temps.<br />

A Cochem, le nombre d'<strong>en</strong>fants <strong>en</strong> garde<br />

« conjointe », c'est à dire avec au minimum un<br />

week-<strong>en</strong>d sur deux pour l'un des deux par<strong>en</strong>ts,<br />

approche les 100% ; Traudl Füchsle-Voigt,<br />

professeure, experte <strong>en</strong> matière familiale et<br />

membre du groupe de travail « Séparation et<br />

Divorce » de Cochem, se réjouit de ce chiffre<br />

qui montre, selon elle, que les cas où le li<strong>en</strong><br />

est coupé avec l'un des par<strong>en</strong>ts sont rarissimes.<br />

Elle considère que ces résultats ne serai<strong>en</strong>t<br />

pas possibles sans la coopération de tous<br />

les services impliqués dans le règlem<strong>en</strong>t des<br />

litiges familiaux. En ce qui concerne la garde<br />

égalitaire, ce que nous appelons <strong>en</strong> Belgique<br />

hébergem<strong>en</strong>t égalitaire (où l'<strong>en</strong>fant passe une<br />

semaine chez un par<strong>en</strong>t, une semaine chez<br />

l'autre), elle semble minoritaire à Cochem où<br />

les mamans aurai<strong>en</strong>t <strong>en</strong>core, <strong>en</strong> grande majorité,<br />

la garde principale : est-ce <strong>en</strong>core le poids<br />

de l'image de la Mutti traditionnelle, la femme<br />

au foyer dévouée à ses <strong>en</strong>fants ? Pour l'instant,<br />

nous n'avons pas obt<strong>en</strong>u d'informations plus<br />

précises à ce sujet : il est dommage que la<br />

pratique de Cochem ne se soit pas ét<strong>en</strong>due à<br />

une réflexion sur le li<strong>en</strong> minimum, de manière<br />

quantitative, qui permet de créer un li<strong>en</strong> de<br />

qualité avec un <strong>en</strong>fant. En effet, le modèle dominant<br />

du week-<strong>en</strong>d sur deux est de plus <strong>en</strong><br />

plus remis <strong>en</strong> question par les par<strong>en</strong>ts « Walibi<br />

» et par les <strong>en</strong>fants eux-mêmes, au profit,<br />

notamm<strong>en</strong>t, d'une réflexion sur le 5/9 (9 jours<br />

chez le par<strong>en</strong>t dit « principal », 5 jours chez<br />

le par<strong>en</strong>t dit « secondaire ») et sur l'hébergem<strong>en</strong>t<br />

égalitaire. Mais ces sujets ne sont pas les<br />

principales préoccupations à Cochem, où on<br />

s'occupe surtout de ne pas <strong>en</strong>lever totalem<strong>en</strong>t<br />

un par<strong>en</strong>t de la vie d'un <strong>en</strong>fant.<br />

POURQUOI CETTE DÉMARCHE N'EST-ELLE<br />

PAS ÉTENDUE ?<br />

Ursula Kodjoe, psychologue et thérapeute<br />

familiale de l'arrondissem<strong>en</strong>t de Cochem, explique<br />

que le non-contact des par<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>tre<br />

eux et la démonisation de l'un des par<strong>en</strong>ts<br />

devant les <strong>en</strong>fants provoque un déchirem<strong>en</strong>t<br />

dans la psyché des <strong>en</strong>fants qui, auparavant,<br />

avai<strong>en</strong>t une image positive de leurs deux par<strong>en</strong>ts.<br />

L’idée d’avoir un bon par<strong>en</strong>t et un par<strong>en</strong>t<br />

méchant a des effets très négatifs pour<br />

l’amour-propre et le futur des <strong>en</strong>fants. De<br />

plus, la plupart des professionnels qui, a priori,<br />

ont à voir avec le litige, n’ont <strong>en</strong> général pas de<br />

formations ciblées sur les effets psychiques de<br />

sdivorces et de leurs conséqu<strong>en</strong>ces pour les<br />

<strong>en</strong>fants. Dans son interview, le juge Rudolph<br />

déplore que le système qu'il appelle « traditionnel<br />

» soit <strong>en</strong>core la norme générale, <strong>en</strong> Allemagne<br />

comme dans d'autres pays d'Europe :<br />

selon lui, c'est à la fois un manque de connais-<br />

16 FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

sance et un manque de volonté de la part<br />

des représ<strong>en</strong>tants des systèmes judiciaires <strong>en</strong><br />

place qui empêch<strong>en</strong>t la mise <strong>en</strong> œuvre d'une<br />

approche différ<strong>en</strong>te, basée sur le règlem<strong>en</strong>t<br />

du conflit et sur le respect de l'<strong>en</strong>fant ; mais<br />

quelles sont les approches qui ne se targu<strong>en</strong>t<br />

pas d'être basées sur le respect de l'<strong>en</strong>fant ?<br />

ET EN BELGIQUE ?<br />

Chez nous, aucun arrondissem<strong>en</strong>t judiciaire<br />

ne s’ori<strong>en</strong>te directem<strong>en</strong>t vers le modèle de<br />

Cochem. La coopération des par<strong>en</strong>ts, quand<br />

elle est possible, est c<strong>en</strong>sée être volontaire<br />

dans tous les litiges familiaux. Depuis 2005,<br />

les procédures peuv<strong>en</strong>t être interrompues si<br />

les parties souhait<strong>en</strong>t <strong>en</strong>trer <strong>en</strong> médiation.<br />

Si un accord est trouvé et si le médiateur est<br />

agréé par la commission fédérale de médiation,<br />

l'accord peut facilem<strong>en</strong>t et rapidem<strong>en</strong>t<br />

être transformé <strong>en</strong> droit écrit et mettre fin à<br />

la procédure judiciaire. Dans quelques projets-pilotes,<br />

comme par exemple au tribunal<br />

de la jeunesse de Bruxelles, le juge peut obliger<br />

les parties à r<strong>en</strong>contrer un médiateur (de<br />

perman<strong>en</strong>ce au tribunal) afin de s’informer sur<br />

le processus de médiation. Selon B<strong>en</strong>oît van<br />

Dier<strong>en</strong>, psychopédagogue et médiateur , ainsi<br />

qu'Eliane Masson, de l'asbl La Mouette Belgique,<br />

l’intérêt est de plus <strong>en</strong> plus grand : de<br />

plus <strong>en</strong> plus de juges et d’avocats s’intéress<strong>en</strong>t<br />

aux modes de résolution de litige alternatifs<br />

et à la coopération des professions. Un dossier<br />

à suivre att<strong>en</strong>tivem<strong>en</strong>t dans nos prochains<br />

numéros : nous vous ferons notamm<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>contrer,<br />

à Liège, une initiative de médiation<br />

inspirée par la philosophie de Cochem.<br />

Annabelle Kalckreuth


HORS CHAMP / INTERVIEW<br />

« Il manque des normes claires<br />

connues de tous »<br />

Avocat au tribunal de la famille de Cochem , le<br />

juge Rudolph a assisté à plus de 4000 divorces<br />

et est l’un des fondateurs du système de Cochem.<br />

Il est <strong>en</strong> train de mettre sur pied un institut<br />

interdisciplinaire pour offrir des formations<br />

<strong>en</strong> matière familiale à tous ceux qui sont actifs<br />

dans le domaine. Franc et sans tabou, Rudolph<br />

nous a confié sa vision d'une justice tournée<br />

vers la résolution des conflits. Certains points<br />

qu'ils soulève nous sembl<strong>en</strong>t devoir faire l'objet<br />

de discussions approfondies : notamm<strong>en</strong>t le<br />

fait qu'il ne voit pas l'intérêt d'évaluer la réussite<br />

de l'expéri<strong>en</strong>ce de Cochem, ou <strong>en</strong>core son utilisation<br />

de l'expression « bi<strong>en</strong> de l'<strong>en</strong>fant » sans<br />

une claire définition de ce qu'il <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d par là –<br />

sa volonté de « tout subordonner au point de<br />

vue des <strong>en</strong>fants ». Au-delà de ces pistes de discussion,<br />

Rudolph contribue au dialogue sur la<br />

direction à emprunter chez nous, <strong>en</strong> Belgique,<br />

au mom<strong>en</strong>t où le Tribunal de la Famille est un<br />

projet prioritaire pour le gouvernem<strong>en</strong>t.<br />

<strong>Filiatio</strong> : Le modèle de Cochem a connu un<br />

énorme succès : dans quels districts judiciaires<br />

allemands le système est-il mis <strong>en</strong><br />

œuvre ?<br />

Jürg<strong>en</strong> Rudolph : Je voudrais tout d’abord préciser<br />

que l’expression « modèle de Cochem »<br />

peut am<strong>en</strong>er des mal<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus. Ce que nous<br />

POUR ALLER PLUS LOIN<br />

pratiquons ici est n’est pas un modèle statique<br />

mais une pratique flexible qui s’est développée<br />

selon nos réalités. Je préfère donc parler<br />

de la « pratique de Cochem ». J’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds par<br />

cela l’interdisciplinarité des professions. Ce<br />

qui nous unit est, d'une part, l'idée que tout<br />

doit se subordonner au point de vue des <strong>en</strong>fants<br />

et, d'autre part, l’interv<strong>en</strong>tion précoce<br />

Jürg<strong>en</strong> Rudolph : Du bist mein Kind. Die « Cochemer Praxis » – Wege zu einem m<strong>en</strong>schlicher<strong>en</strong> Famili<strong>en</strong>recht,<br />

Schwarzkopf & Schwarzkopf, Berlin, 2007 (att<strong>en</strong>tion, non-germanophones s'abst<strong>en</strong>ir !)<br />

Dans son livre Tu es mon <strong>en</strong>fant. La Pratique de Cochem– chemins vers un droit de la famille plus humain,<br />

le juge Rudolph décrit l’archaïsme des divorces traditionnels avec ses conséqu<strong>en</strong>ces destructrices pour tout<br />

le monde. Il y expose la pratique de l'arrondissem<strong>en</strong>t de Cochem, où on cherche une solution vivable pour<br />

tout le monde au lieu de déterminer un gagnant et un perdant. Pour illustrer son propos, trois exemples de<br />

litiges familiaux sont analysés, d'abord selon la manière traditionnelle et <strong>en</strong>suite selon la manière de faire à<br />

Cochem. Les différ<strong>en</strong>ces de résultat sont remarquables. Le livre est complété par 50 questions sur le sujet qui<br />

expliqu<strong>en</strong>t les différ<strong>en</strong>ces <strong>en</strong>tre Cochem et le système traditionnel. Le juge Rudolph nous montre que des<br />

solutions durables et plus harmonieuses pourrai<strong>en</strong>t facilem<strong>en</strong>t être trouvées si une volonté collective était<br />

prés<strong>en</strong>te. Ni plus d’arg<strong>en</strong>t, ni plus de théorie ne sont nécessaires pour un système de résolution des litiges plus<br />

humain : tout ce qu’il faut, dit-il, c’est la volonté d’abandonner des positions égoïstes et les œillères de ceux<br />

qui travaill<strong>en</strong>t pour leur compte, pour le bi<strong>en</strong> des <strong>en</strong>fants.<br />

Prés<strong>en</strong>ce web du groupe de travail à Cochem : www.ak-cochem.de<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

qui vise à faire dialoguer les par<strong>en</strong>ts pour l'intérêt<br />

des <strong>en</strong>fants. En Allemagne, <strong>en</strong> général,<br />

toute interdisciplinarité dans ce domaine se<br />

base <strong>en</strong>core sur la volonté des Länder, mais<br />

il y a des avant-gardistes, notamm<strong>en</strong>t Berlin,<br />

Cuxhaf<strong>en</strong>, Brème et le land Bad<strong>en</strong>-Württemberg<br />

qui organisera, <strong>en</strong> novembre de cette<br />

année, la 4 ème Confér<strong>en</strong>ce Fédérale sur l’interdisciplinarité<br />

dans les conflits familiaux.<br />

Notre but est de faire <strong>en</strong> sorte qu'une réglem<strong>en</strong>tation<br />

fédérale force toutes professions<br />

dans le domaine à coopérer et à suivre des<br />

formations spécifiques. Comme tout cela<br />

n’existe pas <strong>en</strong>core, ce sont souv<strong>en</strong>t les<br />

idéologies des personnes impliquées qui domin<strong>en</strong>t<br />

les procès. Malheureusem<strong>en</strong>t, une<br />

grande partie de l’Allemagne pratique <strong>en</strong>core<br />

le système traditionnel.<br />

F. : Quels élém<strong>en</strong>ts du modèle de Cochem<br />

ont été repris dans la loi ?<br />

J. R. : Trois élém<strong>en</strong>ts de notre pratique ont<br />

été repris dans notre nouvelle loi sur la famille.<br />

Tout d'abord, les tribunaux de la famille<br />

doiv<strong>en</strong>t donner un premier r<strong>en</strong>dez-vous dans<br />

un délai d’un mois ; nous voulions 15 jours,<br />

17


car un mois, c'est beaucoup pour un <strong>en</strong>fant,<br />

mais c’est au moins une petite amélioration.<br />

Ensuite, le tribunal peut ordonner une consultation<br />

dans un c<strong>en</strong>tre de consultation. Mais,<br />

de manière absurde, cette consultation n'est<br />

pas forcém<strong>en</strong>t exécutée et ce ne sont que<br />

les juges qui sont déjà convaincus de son intérêt<br />

qui l'ordonn<strong>en</strong>t. Enfin, le troisième élém<strong>en</strong>t<br />

inspiré par notre pratique est que les<br />

experts doiv<strong>en</strong>t travailler de manière ciblée et<br />

concrète : les tribunaux peuv<strong>en</strong>t leur ordonner<br />

de trouver une solution avec les par<strong>en</strong>ts. Mais<br />

c'est peu pratiqué. De nouveau, il manque des<br />

normes claires et de l'information, les juges<br />

ne sav<strong>en</strong>t pas ce qu'ils peuv<strong>en</strong>t exactem<strong>en</strong>t<br />

demander aux experts, et les experts agiss<strong>en</strong>t<br />

souv<strong>en</strong>t selon leur idéologie et non pas selon<br />

un <strong>en</strong>semble de règles.<br />

F. : Comm<strong>en</strong>t mesurez-vous le succès de Cochem<br />

? Savez-vous si les accords trouvés par<br />

les par<strong>en</strong>ts sont durables ?<br />

J. R. : Notre but est de guider les par<strong>en</strong>ts vers<br />

l’autonomie. Pour réaliser ce but, les différ<strong>en</strong>tes<br />

professions coopèr<strong>en</strong>t. Les juges représ<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t<br />

le pouvoir de l’État. Ils peuv<strong>en</strong>t faire<br />

pression sur les par<strong>en</strong>ts. Mais le but n’est pas<br />

de leur imposer une solution, le but est de<br />

donner une chance aux <strong>en</strong>fants <strong>en</strong> forçant les<br />

par<strong>en</strong>ts à coopérer. Dans les pays scandinaves<br />

et <strong>en</strong> Californie, règne le cons<strong>en</strong>sus principal :<br />

les par<strong>en</strong>ts le doiv<strong>en</strong>t aux <strong>en</strong>fants. Ils n’<strong>en</strong> discut<strong>en</strong>t<br />

pas. Dans les tribunaux, il y a des salles<br />

pour les juges, d’autres pour les consultations,<br />

des salles pour l’investigation et la médiation.<br />

Ça m’a fait beaucoup d'effet de voir des par<strong>en</strong>ts<br />

qui prêt<strong>en</strong>t serm<strong>en</strong>t aller <strong>en</strong> consultation<br />

ou <strong>en</strong> médiation. Si les par<strong>en</strong>ts ne ti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas<br />

leur promesse, ils sont parjures. Cette attitude<br />

de devoir ce dialogue par<strong>en</strong>tal à ses <strong>en</strong>fants<br />

manque chez nous.<br />

F. : ...Mais elle est prés<strong>en</strong>te à Cochem. Mesurez-vous<br />

le succès de votre modèle au fait que<br />

les par<strong>en</strong>ts ne revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t plus vers vous une<br />

fois qu’ils ont utilisé vos services ?<br />

J. R. : Ça m’étonne que cette question revi<strong>en</strong>ne<br />

souv<strong>en</strong>t ! Les g<strong>en</strong>s veul<strong>en</strong>t savoir si je peux<br />

prouver mon succès. Je ne veux pas prouver<br />

que je travaille mieux avec des personnes<br />

quand je les respecte plutôt que quand je les<br />

traite de manière irrespectueuse : cela va de soi.<br />

Le respect est un mot très important. D’abord,<br />

le respect des professions <strong>en</strong>tre elles et la<br />

transmission de ce respect aux personnes.<br />

Nous ne pouvons pas exiger un changem<strong>en</strong>t<br />

d’attitude des par<strong>en</strong>ts si nous ne donnons pas<br />

l'exemple <strong>en</strong>tre professions différ<strong>en</strong>tes. Nous<br />

18<br />

devons agir de manière flexible et rapide. Des<br />

semaines et des mois, c'est long dans la vie<br />

d’un <strong>en</strong>fant ! Quand on dit à un <strong>en</strong>fant qu’il<br />

aura son anniversaire dans deux semaines, cela<br />

lui paraît une éternité – ou bi<strong>en</strong> il ne sait pas<br />

du tout ce que peuv<strong>en</strong>t être des semaines.<br />

Dans les conflits par<strong>en</strong>taux, il faut interv<strong>en</strong>ir<br />

tôt, montrer aux <strong>en</strong>fants que quelque chose<br />

se passe. Et il faut le faire de manière adéquate,<br />

avec la profession la plus compét<strong>en</strong>te<br />

à ce mom<strong>en</strong>t-là.<br />

F. : Est-ce que ça vous arrive de ne même pas<br />

essayer d’<strong>en</strong>tamer un dialogue <strong>en</strong>tre deux par<strong>en</strong>ts<br />

car leur situation est sans recours ?<br />

J. R. : Non ! Et je ne p<strong>en</strong>se pas de cette manière.<br />

On se pose plutôt la question de l'int<strong>en</strong>sité<br />

avec laquelle le réseau doit interv<strong>en</strong>ir. Il y a<br />

des par<strong>en</strong>ts qui sont difficilem<strong>en</strong>t accessibles,<br />

d'autres qui ne paraiss<strong>en</strong>t pas accessibles du<br />

tout. Mais cela n’est pas une raison pour se résigner.<br />

P<strong>en</strong>dant 25 ans, Judith Wallerstein, une<br />

psychologue californi<strong>en</strong>ne, a accompagné 135<br />

familles où l'un des par<strong>en</strong>ts avait disparu de<br />

la vie des <strong>en</strong>fants et avait été démonisé. Ces<br />

<strong>en</strong>fants ont grandi <strong>en</strong> p<strong>en</strong>sant qu'ils étai<strong>en</strong>t les<br />

<strong>en</strong>fants de quelqu’un de mauvais. C'est invivable.<br />

Et <strong>en</strong> effet, la plupart d'<strong>en</strong>tre eux ont eu<br />

une trajectoire sociale très négative.<br />

Vous demandez si nous capitulons parfois. Les<br />

juges, aujourd’hui, capitul<strong>en</strong>t constamm<strong>en</strong>t.<br />

On peut même dire que l’approche conv<strong>en</strong>tionnelle<br />

dans les litiges familiaux contribue à<br />

l'escalade. Il y des affaires qui dur<strong>en</strong>t depuis<br />

trois ans, et personne ne sait pourquoi. Les<br />

juges se cach<strong>en</strong>t derrière les expertises, les<br />

experts dis<strong>en</strong>t que ce sont les juges qui ont<br />

décidé, et personne ne se s<strong>en</strong>t responsable.<br />

Cela est sûrem<strong>en</strong>t dû à l’incompét<strong>en</strong>ce et à<br />

une formation inadéquate.<br />

En général, la responsabilité des décisions est<br />

diffuse : c’est cela qui r<strong>en</strong>d le statu quo facile.<br />

On va préférer mettre les <strong>en</strong>fants dans une famille<br />

d’accueil plutôt que de les laisser chez<br />

leurs par<strong>en</strong>ts ou leurs proches. Nous sommes<br />

très c<strong>en</strong>trés sur les adultes.<br />

A Cochem, nous essayons de régler ces problèmes<br />

de manière différ<strong>en</strong>te. Nous ne capitulons<br />

pas. Nous n'<strong>en</strong>levons pas l’un des par<strong>en</strong>ts<br />

de la vie des <strong>en</strong>fants. Nous lui disons : tu<br />

ne peux pas faire ce travail maint<strong>en</strong>ant, mais<br />

tu ne disparais pas de la vie de l’<strong>en</strong>fant ! Nous<br />

avons observé que, dès que les par<strong>en</strong>ts réalis<strong>en</strong>t<br />

que le réseau professionnel de Cochem<br />

mettra ses pouvoirs à exécution et changera<br />

l'hébergem<strong>en</strong>t de l’<strong>en</strong>fant d’un par<strong>en</strong>t à l’autre,<br />

la volonté de coopérer arrive.<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

F. : Il y a des juges qui point<strong>en</strong>t le fait que la<br />

pratique de Cochem ne pourrait fonctionner<br />

que dans des localités de petite taille et non<br />

pas dans des grands c<strong>en</strong>tres urbains.<br />

J. R. : Cette critique est une spécificité allemande.<br />

Lorsque les allemands fur<strong>en</strong>t forcés à<br />

la démocratie <strong>en</strong> 1949, on argum<strong>en</strong>tait que cela<br />

n’allait pas pouvoir pr<strong>en</strong>dre dans les grandes<br />

villes, et que ça n'allait marcher que dans des<br />

petites communes. C’était la même m<strong>en</strong>talité<br />

derrière ces argum<strong>en</strong>ts. Ce qui est intéressant<br />

dans ce contexte, c’est qu’à Berlin, il y a des<br />

protagonistes très <strong>en</strong>gagés dans des grands<br />

tribunaux de la famille. Ils avai<strong>en</strong>t les mêmes<br />

rétic<strong>en</strong>ces au début. Mais quelques personnes<br />

ont organisé des réunions interprofessionnelles,<br />

avec succès. Pour changer les choses, il<br />

faut changer d’attitude et adapter le système<br />

selon ses possibilités. Maint<strong>en</strong>ant, les Berlinois,<br />

dont le système de coopération marche<br />

très bi<strong>en</strong>, nous racont<strong>en</strong>t leurs expéri<strong>en</strong>ces<br />

dans les communes rurales <strong>en</strong>vironnantes... et<br />

ils p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t que cette manière de coopération<br />

n’est possible que dans des contextes urbains !<br />

Ce serait drôle si ce n'était pas si tragique. Les<br />

g<strong>en</strong>s ne compr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas qu’il s’agit d’une attitude.<br />

J’ai observé que dans les grandes villes,<br />

les possibilités de conseil sont plus vastes.<br />

Si le juge d'une petite ville refuse de changer<br />

d’attitude, le projet est mort. Si dans une<br />

grande ville, 100 personnes décid<strong>en</strong>t de faire<br />

une chose alors que 800 sont contre, la chose<br />

comm<strong>en</strong>ce à rouler quand même...<br />

POUR ALLER PLUS LOIN<br />

Jean-Emile Vanderheyd<strong>en</strong>, Approcher le divorce<br />

conflictuel, Éditions Feuilles Familiales.<br />

Malonne, 2008.<br />

Dans son recueil, le neuropsychiatre Jean-Émile<br />

Vanderheyd<strong>en</strong> (reportez-vous à son interview<br />

dans ce numéro) propose des solutions aux<br />

conflits <strong>en</strong>traînés par les séparations <strong>en</strong> Belgique,<br />

où le taux de divorce est le plus élevé<br />

d'Europe. Comm<strong>en</strong>çant par quelques témoignages,<br />

Vanderheyd<strong>en</strong> illustre les « multiples<br />

facettes de la pénibilité des divorces conflictuels<br />

» et décrit les effets psychiques, financiers<br />

et physiques qu’un divorce peut causer<br />

pour les <strong>en</strong>fants et leurs par<strong>en</strong>ts. Dans une<br />

seconde partie, juristes, avocats, médiateurs<br />

et psychologues s’exprim<strong>en</strong>t sur leurs expéri<strong>en</strong>ces<br />

et propos<strong>en</strong>t des solutions.


ENTRETIEN<br />

LA NOCIVITÉ DU STRESS CHRONIQUE<br />

DANS LES SÉPARATIONS CONFLICTUELLES<br />

Le neuropsychiatre Jean-Emile Vanderheyd<strong>en</strong>, spécialiste du stress, a mis son expéri<strong>en</strong>ce au service de l'étude des conséqu<strong>en</strong>ce des divorces<br />

conflictuels sur les par<strong>en</strong>ts et les <strong>en</strong>fants. Dans son travail de pratici<strong>en</strong>, il cherche des solutions pour contribuer à la bonne santé m<strong>en</strong>tale des<br />

par<strong>en</strong>ts et des <strong>en</strong>fants. Pour <strong>Filiatio</strong>, il revi<strong>en</strong>t sur ses analyses.<br />

Neuropsychiatre, Jean-Emile Vanderheyd<strong>en</strong><br />

s’est impliqué dans les pathologies<br />

neurodégénératives et tout particulièrem<strong>en</strong>t,<br />

dans la maladie de Parkinson, développant<br />

au CHU de Charleroi une unité de prise <strong>en</strong><br />

charge transdisciplinaire. Il est rédacteur <strong>en</strong> chef<br />

de la revue Neurone. Depuis plusieurs années, il<br />

s'intéresse de près au stress dont souffr<strong>en</strong>t les<br />

par<strong>en</strong>ts et les <strong>en</strong>fants confrontés à une séparation<br />

conjugale conflictuelle. En ce qui concerne<br />

les par<strong>en</strong>ts, il s'attache <strong>en</strong> particulier à analyser la<br />

trajectoire et les difficultés des par<strong>en</strong>ts dits « secondarisés<br />

» qui risqu<strong>en</strong>t de perdre le li<strong>en</strong> avec<br />

leurs <strong>en</strong>fants. Quant aux <strong>en</strong>fants et adolesc<strong>en</strong>ts,<br />

il fait le constat que les divorces conflictuels<br />

peuv<strong>en</strong>t être à l'origine de fragilités psychologiques,<br />

d'abs<strong>en</strong>téisme scolaire, de dépression,<br />

de toxicomanie, des troubles du comportem<strong>en</strong>t<br />

avec agressivité. En parallèle, il <strong>en</strong>visage avec des<br />

juges, des médiateurs, des psychologues et des<br />

avocats, les solutions qui pourrai<strong>en</strong>t être trouvées<br />

pour éviter les conséqu<strong>en</strong>ces destructrices<br />

des divorces conflictuels.<br />

<strong>Filiatio</strong> : Pourriez-vous nous expliquer la différ<strong>en</strong>ce<br />

que vous faites <strong>en</strong>tre « stress aigu » et<br />

« stress chronique » ?<br />

Jean-Emile Vanderheyd<strong>en</strong> : le stress aigu est <strong>en</strong>g<strong>en</strong>dré<br />

par une situation qui est transitoire, telle<br />

qu’une période d’exam<strong>en</strong>s, un décès proche….<br />

En soi, ce type de stress n’est pas nocif : il peut<br />

aider au développem<strong>en</strong>t de la personne, et <strong>en</strong>traîne<br />

une certaine capacité d’adaptation. Le<br />

stress chronique, par contre, s’ét<strong>en</strong>d sur une période<br />

plus longue. Contrairem<strong>en</strong>t au stress aigu,<br />

le stress chronique <strong>en</strong>traîne chez l’individu des<br />

altérations générales, neuronales et comportem<strong>en</strong>tales,<br />

qui devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t dangereuses, car elles<br />

dépass<strong>en</strong>t les capacités d’adaptation humaines<br />

usuelles. En effet, si on observe d’abord les décharges<br />

bi<strong>en</strong> connues d’adrénaline toxiques au<br />

plan cardio-circulatoire ainsi qu’une réponse de<br />

l’hormone de protection neuro-immunitaire,<br />

le cortisol, celle-ci s’affaiblit avec le temps (au<br />

bout de quelques mois <strong>en</strong>viron) et r<strong>en</strong>d donc<br />

le sujet, adulte comme <strong>en</strong>fant, plus susceptible<br />

de développer des complications de fatigue,<br />

dépression, maladie infectieuse .<br />

<strong>Filiatio</strong> : A quel type d’altérations neuronales<br />

peut-on s’att<strong>en</strong>dre ?<br />

JEV : Si le stress est subi par un adulte, il peut<br />

<strong>en</strong>g<strong>en</strong>drer une diminution de la capacité à travailler,<br />

des problèmes de mémoire et une incapacité<br />

à s’adapter aux nouveautés. Cela peut<br />

provoquer, par exemple, la perte de la connaissance<br />

d’une langue pourtant maîtrisée p<strong>en</strong>dant<br />

des années. L’<strong>en</strong>fant souffrant de stress chronique<br />

pourra développer plus tard une diminution<br />

de la capacité à pr<strong>en</strong>dre des décisions et<br />

des problèmes de stabilité, surtout sur le plan<br />

affectif et s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>tal, aussi appelé troubles de<br />

l’attachem<strong>en</strong>t (incapacité d’avoir des relations<br />

stables et saines). Ceci correspond à des perturbations<br />

de la gestion du stress cérébral avec<br />

des angoisses et des troubles comportem<strong>en</strong>taux<br />

(agressivité vis-à-vis de toute autorité type<br />

école…), voire psychiatriques, souv<strong>en</strong>t d’ordre<br />

addictif (internet, boissons, drogues…), qui ne<br />

s’exprimeront év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t qu’à l’âge adulte.<br />

En effet, ces altérations modifi<strong>en</strong>t les gènes de<br />

la personne qui a subi, par exemple, des traumatismes<br />

psychologiques dans l’<strong>en</strong>fance d’ordre<br />

sexuel ou non, ou des car<strong>en</strong>ces affectives, et<br />

s’install<strong>en</strong>t donc de manière assez définitive.<br />

Ces anomalies seront d’autant plus marquées et<br />

indélébiles que la situation est traînante et hésitante<br />

à travers une longue procédure. L’adage<br />

« tout finit par s’arranger » est totalem<strong>en</strong>t trompeur.<br />

D’autant plus que cet acquis génétique<br />

pourrait se transmettre de génération <strong>en</strong> génération.<br />

La rapidité, qui ne veut pas dire bâclage<br />

de la procédure, est donc indisp<strong>en</strong>sable, avec un<br />

suivi régulier de la situation des par<strong>en</strong>ts et des<br />

<strong>en</strong>fants. Désamorcer le conflit pour éviter la<br />

judiciarisation est le mieux qu’on puisse faire.<br />

<strong>Filiatio</strong> : Est-ce que vous conseilleriez, pour<br />

éviter de mêler l’<strong>en</strong>fant aux conflits par<strong>en</strong>taux,<br />

d’écarter temporairem<strong>en</strong>t un des par<strong>en</strong>ts,<br />

s'il y <strong>en</strong> a un qui, manifestem<strong>en</strong>t, attise<br />

les t<strong>en</strong>sions ou manipule l’<strong>en</strong>fant ?<br />

JEV : La perte de contact avec un des par<strong>en</strong>ts<br />

est une situation qui peut instaurer un stress<br />

chronique. Il faut donc être très prud<strong>en</strong>t dans<br />

l’emploi de ce mécanisme et bi<strong>en</strong> peser le<br />

pour et le contre. Je p<strong>en</strong>se cep<strong>en</strong>dant que la<br />

mesure peut être positive, mais uniquem<strong>en</strong>t<br />

si elle est temporaire. Un <strong>en</strong>fant a besoin de<br />

ses deux par<strong>en</strong>ts pour s’épanouir pleinem<strong>en</strong>t.<br />

Je crois que, si la justice tranche <strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s,<br />

la mesure doit être accompagnée d’un suivi<br />

constant et fréqu<strong>en</strong>t <strong>en</strong> vue de résoudre le<br />

problème. En fait, il faudrait plutôt tout<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012 19


faire pour que le ou les par<strong>en</strong>ts qui attis<strong>en</strong>t<br />

le conflit chang<strong>en</strong>t d’attitude et retrouv<strong>en</strong>t<br />

un comportem<strong>en</strong>t correct, ce qui est une<br />

urg<strong>en</strong>ce pour le bi<strong>en</strong> des <strong>en</strong>fants et par<strong>en</strong>ts.<br />

Pour y arriver, on peut p<strong>en</strong>ser à la médiation,<br />

à la prise <strong>en</strong> charge précoce type Cochem,<br />

à l’inversion de la garde comme au Canada.<br />

<strong>Filiatio</strong> : Est-ce qu'une solution bénéfique serait<br />

que l'<strong>en</strong>fant passe autant de temps chez<br />

ses deux par<strong>en</strong>ts ?<br />

JEV : C’est <strong>en</strong> tout cas le principe général sur<br />

lequel il faut se baser, mais il faut faire att<strong>en</strong>tion<br />

à ne pas le systématiser de manière<br />

idéologique : il existe des cas dans lesquels<br />

ce type d’hébergem<strong>en</strong>t n’est pas profitable,<br />

par exemple <strong>en</strong> cas de viol<strong>en</strong>ce psychologique<br />

avérée. Je ne critique pas le fait<br />

qu’un juge octroie l’hébergem<strong>en</strong>t principal<br />

de l’<strong>en</strong>fant à un des par<strong>en</strong>ts, je dénonce le<br />

manque de justifications apportées à ces<br />

décisions. La loi laisse aux juges l’aptitude<br />

de déterminer le cas qui est, selon eux,<br />

l’exception, mais elle ne les contraint pas<br />

à réellem<strong>en</strong>t justifier leurs décisions. De<br />

ce fait, des par<strong>en</strong>ts (père ou mère) peuv<strong>en</strong>t<br />

20<br />

être écartés à tort, ce qui peut <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drer,<br />

je le rappelle, un stress chronique aigu chez<br />

l’<strong>en</strong>fant. Toute décision <strong>en</strong> droit familial<br />

devrait être limitée dans le temps avec un<br />

jalonnem<strong>en</strong>t de « bilan de la situation »<br />

permettant de faire le point sur l’attitude<br />

des par<strong>en</strong>ts et les remarques des <strong>en</strong>fants.<br />

Trop souv<strong>en</strong>t, les décisions dites provisoires<br />

devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t définitives par manque<br />

de suivi : cela peut faire beaucoup de tort.<br />

<strong>Filiatio</strong> : Sur quoi p<strong>en</strong>sez-vous qu’il faille<br />

baser la motivation du jugem<strong>en</strong>t ?<br />

JEV : Sur des élém<strong>en</strong>ts concrets. Une motivation<br />

formelle ne suffit pas. À partir du mom<strong>en</strong>t<br />

où la décision est basée sur des élém<strong>en</strong>ts<br />

concrets du dossier, cela permet aux<br />

« acteurs » d’<strong>en</strong>tamer des procédures pour rectifier<br />

la situation (thérapies, déménagem<strong>en</strong>ts,…<br />

etc.). Cela permet aussi aux professionnels de<br />

coordonner leurs actions, de travailler <strong>en</strong>semble<br />

à trouver la solution au conflit. Des<br />

jugem<strong>en</strong>ts plus précis, détaillant ce qui a choqué<br />

le juge dans le conflit, permettrai<strong>en</strong>t une<br />

prise <strong>en</strong> charge pluridisciplinaire (médiateur,<br />

avocat, psychologue…) efficace.<br />

<strong>Filiatio</strong>: Selon vous,<br />

quels sont les dangers<br />

inhér<strong>en</strong>ts à l’hébergem<strong>en</strong>t<br />

inégalitaire ?<br />

JEV : Le risque principal,<br />

dans ce type de situation,<br />

est la secondarisation<br />

extrême d’un des<br />

par<strong>en</strong>ts, ce qui l’amène<br />

très fréquemm<strong>en</strong>t à<br />

développer un stress<br />

chronique. Ce par<strong>en</strong>t<br />

« écarté » au minimum<br />

12 jours sur 14 doit se<br />

reconstruire <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t<br />

: logem<strong>en</strong>t, voiture,<br />

voir les <strong>en</strong>fants<br />

maximum 2 jours sur<br />

14… Tout ceci est coûteux<br />

au plan de l’énergie<br />

personnelle, d’autant<br />

qu’il faut souv<strong>en</strong>t, dans<br />

les séparations conflictuelles,<br />

résister aux ricanem<strong>en</strong>ts<br />

du par<strong>en</strong>t<br />

privilégié et continuer<br />

de se battre <strong>en</strong> justice.<br />

Mais att<strong>en</strong>tion, même<br />

si l’hébergem<strong>en</strong>t est<br />

égalitaire d’un point de<br />

vue strictem<strong>en</strong>t tempo-<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

rel, le par<strong>en</strong>t qui quitte la maison doit, sur le<br />

plan spatial, tout reconstruire pour l’<strong>en</strong>fant :<br />

un domicile, une certaine aisance, un réseau<br />

social, etc. Dans le cadre d’une séparation, il<br />

y a toujours un par<strong>en</strong>t privilégié et un par<strong>en</strong>t<br />

secondarisé. Ce que je voudrais, c’est que la<br />

différ<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre les deux soit la plus minime<br />

possible. Plus l’hébergem<strong>en</strong>t est inégalitaire,<br />

plus le risque de ne pas arriver à assumer est<br />

grand. Des deux, le par<strong>en</strong>t secondarisé est le<br />

plus fragile. Je p<strong>en</strong>se que les interv<strong>en</strong>ants judiciaires<br />

devrai<strong>en</strong>t faire spécialem<strong>en</strong>t att<strong>en</strong>tion<br />

à sa situation, pour s’assurer que les dégâts sur<br />

la relation avec l’<strong>en</strong>fant soi<strong>en</strong>t les moins élevés<br />

possible.<br />

<strong>Filiatio</strong> : P<strong>en</strong>sez-vous que, si l’un des par<strong>en</strong>ts<br />

est mal dans sa peau, l’<strong>en</strong>fant le sera aussi ?<br />

JEV : Tout à fait. Si vous pr<strong>en</strong>ez l’exemple du<br />

par<strong>en</strong>t secondarisé, sa situation est susceptible<br />

de décl<strong>en</strong>cher chez lui un stress chronique.<br />

Or, si le par<strong>en</strong>t secondarisé souffre,<br />

l’<strong>en</strong>fant fait de même. Et si l’<strong>en</strong>fant souffre,<br />

l'autre par<strong>en</strong>t souffrira aussi. Tout le monde<br />

y perd quand le stress chronique s’installe. La<br />

première responsabilité de la justice devrait<br />

être d’éviter d’installer de manière chronique<br />

un stress pour les <strong>en</strong>fants et les ex-conjoints,<br />

qui sont toujours par<strong>en</strong>ts. Je crains que cette<br />

priorité ne soit souv<strong>en</strong>t oubliée. Je plaide<br />

donc pour un tribunal de la famille où des<br />

compét<strong>en</strong>ces dans ce s<strong>en</strong>s serai<strong>en</strong>t requises,<br />

voire exigées, et où des comptes devrai<strong>en</strong>t<br />

être r<strong>en</strong>dus concernant les décisions prises.<br />

Ceci d’autant plus qu’il est humainem<strong>en</strong>t difficile<br />

de séparer par<strong>en</strong>talité et conjugalité,<br />

mais il faut aider les ex-conjoints à y arriver.<br />

<strong>Filiatio</strong> : Vous parliez de « mesure provisoire »<br />

dans le cadre de l’éloignem<strong>en</strong>t d’un des par<strong>en</strong>ts.<br />

Quel serait, pour vous, un délai raisonnable<br />

dans une affaire qui touche des <strong>en</strong>fants ?<br />

JEV : Je ne crois pas que le délai raisonnable<br />

doive se calculer <strong>en</strong> fonction de l’âge de<br />

l’<strong>en</strong>fant. Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est<br />

qu’une séparation de l’<strong>en</strong>fant d’un de ses<br />

par<strong>en</strong>ts <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drera un stress aigu si elle est<br />

prévue pour une durée de 3 à 4 mois. En revanche,<br />

si l’éloignem<strong>en</strong>t dure plus de 6 mois,<br />

le stress chronique fait son apparition, avec<br />

toutes les conséqu<strong>en</strong>ces neuronales qu’on lui<br />

connaît. La solution serait donc de rouvrir le<br />

dossier et s’inquiéter de la situation à intervalles<br />

réguliers.<br />

<strong>Filiatio</strong> : P<strong>en</strong>sez-vous qu'une décision du magistrat<br />

faite « dans l’urg<strong>en</strong>ce » puisse avoir des<br />

conséqu<strong>en</strong>ces négatives ?


JEV : Une décision de justice rapide est rarem<strong>en</strong>t<br />

excell<strong>en</strong>te, mais elle est indisp<strong>en</strong>sable<br />

pour ne pas t<strong>en</strong>ir les familles dans<br />

l’expectative. Si l’on introduisait un système<br />

de réouverture des dossiers et de jalonnem<strong>en</strong>t<br />

des solutions tous les 3 mois <strong>en</strong>viron,<br />

je suis convaincu qu’on arriverait, de 3 mois<br />

<strong>en</strong> 3 mois, à une bonne solution. Je ti<strong>en</strong>s <strong>en</strong>core<br />

à insister sur l’importance capitale de la<br />

motivation de chaque décision adoptée par<br />

le magistrat : une mauvaise décision justifiée<br />

vaut mieux que pas de décision du tout. Cela<br />

permet d’éviter la stagnation. La longueur<br />

actuelle des procédures <strong>en</strong> justice n’<strong>en</strong>traîne<br />

que des conséqu<strong>en</strong>ces négatives pour toutes<br />

les parties impliquées. Par ailleurs, je rappelle<br />

que l’éloignem<strong>en</strong>t d’un <strong>en</strong>fant ne doit<br />

être <strong>en</strong>visagé que dans des cas très graves.<br />

Cela ne concerne que quelques procédures<br />

judiciaires. Dans l’imm<strong>en</strong>se majorité des litiges<br />

am<strong>en</strong>és devant les tribunaux, il s’agit<br />

au contraire d’éviter au maximum la perte<br />

de li<strong>en</strong> avec l’un des par<strong>en</strong>ts. L’hébergem<strong>en</strong>t<br />

égalitaire ou l’hébergem<strong>en</strong>t classique élargi<br />

(le 5 jours / 9 jours) contribu<strong>en</strong>t à une bonne<br />

santé m<strong>en</strong>tale des par<strong>en</strong>ts et des <strong>en</strong>fants. En<br />

dessous d’un 5/9, sauf accord des par<strong>en</strong>ts, le<br />

risque d’une dégradation de la santé psychologique<br />

de tous les membres de la famille est<br />

fort important.<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012 21


Une étude, publiée <strong>en</strong> 2009 par la<br />

revue The Lancet, explique que des<br />

chercheurs <strong>en</strong> génétique travaillant<br />

sur plusieurs générations ont dû écarter<br />

10% de leur échantillon pour cause de « surprises<br />

» dans la filiation. La conclusion de l'article<br />

: un <strong>en</strong>fant sur tr<strong>en</strong>te <strong>en</strong> moy<strong>en</strong>ne n'aurait<br />

pas été biologiquem<strong>en</strong>t conçu par son<br />

père. Ces <strong>en</strong>fants, on les appelle de manière<br />

assez malheureuse des « <strong>en</strong>fants de coucou »,<br />

parce que le coucou squatte le nid des autres<br />

oiseaux pour y pondre ses propres œufs. Le<br />

ENFANTS DE COUCOU<br />

<strong>Filiatio</strong>n et tests de paternité<br />

Mater sempre certa est, pater sempre incertus. On connaît toujours la mère, on est toujours incertain pour le père. Ce vieil adage<br />

latin, vous le connaissez sûrem<strong>en</strong>t : c'est le sujet de la pièce de théâtre de Lukas Bärfuss, Le Test, qui sera jouée à Bruxelles au Théâtre<br />

de Poche à partir du 8 mai avec le souti<strong>en</strong> de l'Institut pour l’Égalité <strong>en</strong>tre les Femmes et les Hommes. Pourquoi ce terrain est-il aussi<br />

glissant ? Jehanne Sosson, avocate, nous aide à faire le point.<br />

22<br />

FOCUS THÉÂTRE<br />

volatile pousse la supercherie jusqu'à imiter<br />

la forme des œufs de ses hôtes.<br />

Comm<strong>en</strong>t savoir si le père est le père biologique<br />

? Si on connaissait la mère biologique,<br />

qui porte et accouche de l'<strong>en</strong>fant, le père<br />

était jusqu'à peu considéré comme sempre<br />

incertus. La technologie est passée par là, et<br />

depuis plusieurs années on peut déterminer<br />

simplem<strong>en</strong>t, via un échantillon d'ADN (des<br />

cheveux, un peu de salive), s'il y a un li<strong>en</strong> biologique<br />

<strong>en</strong>tre deux personnes.<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

On peut se dire d'abord : si la mère est certaine,<br />

pourquoi ne pas donner au père la<br />

possibilité de l'être ? Pour certaines femmes,<br />

c'est une angoisse récurr<strong>en</strong>te que d'imaginer<br />

qu'on a changé son <strong>en</strong>fant à la naissance<br />

à l'hôpital, comme dans La Vie est un long<br />

fleuve tranquille. Si quelques pères ont la<br />

même angoisse, pourquoi ne pas leur permettre<br />

de se rassurer ?<br />

Ceci posé, réfléchissons à ce que ça implique.<br />

Ce n'est vraim<strong>en</strong>t pas si simple.


Cela peut avoir des conséqu<strong>en</strong>ces sur la filiation<br />

: <strong>en</strong> effet, un père qui appr<strong>en</strong>d qu'il n'est<br />

pas le père biologique de l'<strong>en</strong>fant dont il est<br />

le père légal pourrait demander à remettre <strong>en</strong><br />

question le li<strong>en</strong> de filiation qui les unit : l'<strong>en</strong>fant<br />

pourrait donc se retrouver sans père. Inversem<strong>en</strong>t,<br />

un homme pourrait découvrir qu'il<br />

est le père biologique d'un <strong>en</strong>fant dont il n'est<br />

pas le père légal, et demander un li<strong>en</strong> de filiation<br />

paternelle avec cet <strong>en</strong>fant. On imagine le<br />

tableau : qui est le père, s'il faut <strong>en</strong> choisir un ?<br />

Celui qui a élevé l'<strong>en</strong>fant ? Celui qui l'a conçu ?<br />

Peut-on remettre <strong>en</strong> question une filiation<br />

construite au nom d'un li<strong>en</strong> biologique ? La<br />

question de la recherche <strong>en</strong> paternité seraitelle<br />

indissociable d'un débat plus large sur la<br />

question de la recherche des origines et des<br />

fondem<strong>en</strong>ts de la filiation ?<br />

En Europe, les positions sont diverses. En<br />

France, on l'a bi<strong>en</strong> vu dans le cas de l'accouchem<strong>en</strong>t<br />

sous X, le secret des origines<br />

est <strong>en</strong>raciné dans le droit – mais régulièrem<strong>en</strong>t<br />

remis <strong>en</strong> question. Dans l'Hexagone, il<br />

est interdit à des particuliers de consulter<br />

des laboratoires à des fins de vérifications<br />

de filiation pour, év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t, servir de<br />

prélude à une action <strong>en</strong> justice : seul le juge<br />

peut ordonner une expertise génétique. Procéder<br />

à une analyse <strong>en</strong> dehors de ce cadre<br />

est puni d'un an de prison et de 15000 euros<br />

d'am<strong>en</strong>de. En revanche, <strong>en</strong> Allemagne ou<br />

<strong>en</strong> Suisse, où la pièce de théâtre Le Test a<br />

été écrite, la Constitution garantit le droit à<br />

connaître ses origines génétiques, mais cette<br />

connaissance n'a pas obligatoirem<strong>en</strong>t de li<strong>en</strong><br />

avec la filiation au s<strong>en</strong>s juridique du terme.<br />

Chez nous, il suffit de googliser « recherche<br />

de paternité + Belgique » pour découvrir sur<br />

une dizaine de sites proposant aux internautes<br />

de réaliser à peu de frais un test de<br />

paternité fiable à 99,99 % : ce n'est pas interdit,<br />

mais ça n'a aucune valeur juridique. Vous<br />

êtes un peu perdu ? Jehanne Sosson, avocate<br />

familialiste professeur à l'UCL et spécialiste<br />

des questions de filiation, a accepté d'éclairer<br />

notre lanterne. Le résultat des courses, vous<br />

allez voir, est instructif, mais nous laisse un<br />

peu sur notre faim : <strong>en</strong> effet, les conditions<br />

de recevabilité dans lesquelles, <strong>en</strong> Belgique,<br />

un test de paternité peut être réalisé légalem<strong>en</strong>t,<br />

sont <strong>en</strong> train d'évoluer sous l'influ<strong>en</strong>ce<br />

de la jurisprud<strong>en</strong>ce de la Cour constitutionnelle<br />

belge et de la Cour Europé<strong>en</strong>ne des<br />

Droits de l'Homme de Strasbourg. Vers quelle<br />

direction ? Des questions rest<strong>en</strong>t <strong>en</strong> susp<strong>en</strong>s,<br />

et qui ne sont pas de l'ordre de la procédure.<br />

Dans la par<strong>en</strong>té, l'homme et la femme ne<br />

sont pas égaux, et la recherche d'un équilibre<br />

<strong>en</strong>tre leurs droits et celui de l'<strong>en</strong>fant peut paraître<br />

nécessaire, mais a du mal à s'exprimer<br />

clairem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> termes juridiques. Peut-être<br />

parce que l'on arrive pas à exclure totalem<strong>en</strong>t<br />

le biologique du débat au nom d'une conception<br />

purem<strong>en</strong>t volontaire de la par<strong>en</strong>té. Au<br />

fond, est-ce que ce n'est pas une histoire de<br />

compromis à la belge ? Et puis, n'assiste-t-on<br />

pas aujourd'hui à une remise <strong>en</strong> question de<br />

l'adage mater sempre certa est, avec notamm<strong>en</strong>t<br />

la gestation pour autrui, tandis que les<br />

tests de paternité font que le pater est de<br />

moins <strong>en</strong> moins incertus ?<br />

S.P.<br />

<strong>Filiatio</strong> : Avons-nous, <strong>en</strong> Belgique, une vision<br />

claire de la filiation ?<br />

Jehanne Sosson : Notre droit et notre conception<br />

de la question du fondem<strong>en</strong>t biologique<br />

ou socio-affectif de la filiation sont <strong>en</strong> sandwich<br />

<strong>en</strong>tre différ<strong>en</strong>tes traditions culturelles.<br />

Nous sommes à la recherche d'un équilibre<br />

<strong>en</strong>tre le biologique et le sociologique, ce qui<br />

est à la fois très compliqué et très technique.<br />

Au nom du li<strong>en</strong> biologique, peut-on remettre<br />

<strong>en</strong> cause une filiation construite, ou bi<strong>en</strong><br />

peut-on imposer une filiation à un père qui<br />

n'<strong>en</strong> veut pas ? Il y a ce que dit la loi, ce que<br />

dit la Cour Constitutionnelle, qui elle-même<br />

s’<strong>en</strong> réfère à ce que dit la Cour Europé<strong>en</strong>ne<br />

des Droits de l'Homme de Strasbourg. Dans<br />

ce kaléidoscope, l’équilibre est subtil : la filiation<br />

est <strong>en</strong> principe fondée sur l’exist<strong>en</strong>ce<br />

d’un li<strong>en</strong> biologique, mais ce n’est pas toujours<br />

le cas et le droit reconnaît aussi une<br />

place au li<strong>en</strong> socio-affectif. Dans les procréations<br />

médicalem<strong>en</strong>t assistées, on t<strong>en</strong>d par<br />

ailleurs à la fonder sur le « projet par<strong>en</strong>tal ».<br />

F. : Alors qui est le père, selon la loi belge ?<br />

J. S. : En termes juridiques, le li<strong>en</strong> légal est le<br />

li<strong>en</strong> <strong>en</strong>tériné par le droit, et ce li<strong>en</strong> n'a jamais<br />

été uniquem<strong>en</strong>t biologique. Ainsi, le mari de<br />

la mère est présumé être le père de l’<strong>en</strong>fant ;<br />

<strong>en</strong> principe, il est le père biologique, mais<br />

même si ce n'est pas le cas, s’il se comporte<br />

comme un père, ce li<strong>en</strong> légal ne pourra <strong>en</strong><br />

principe pas être remis <strong>en</strong> cause. Hors mariage,<br />

la paternité est établie par une reconnaissance.<br />

A nouveau, <strong>en</strong> principe un homme<br />

reconnaît un <strong>en</strong>fant parce qu’il <strong>en</strong> est le père<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

POUR ALLER PLUS LOIN<br />

Les familles et le droit, une collection dirigée par Jehanne<br />

Sosson aux éditions De Boeck. L'objectif : fournir<br />

aux citoy<strong>en</strong>s une information accessible, claire<br />

et précise sur les règles de droit organisant actuellem<strong>en</strong>t<br />

les relations familiales : relations de couple,<br />

relations de filiation et de par<strong>en</strong>té, relations personnelles<br />

et patrimoniales…<br />

http://superieur.deboeck.com/collections/20231_6_23906/lesfamilles-et-le-droit.html<br />

Et <strong>en</strong> particulier : Dev<strong>en</strong>ir père ou mère <strong>en</strong> droit, le<br />

droit belge de la filiation, Collection Les familles et le<br />

droit, De Boeck, 2010.<br />

La possession d'état, article 331 nonies du Code Civil,<br />

fait référ<strong>en</strong>ce à un <strong>en</strong>semble de faits qui montr<strong>en</strong>t<br />

qu'une personne s'est toujours comportée comme un<br />

par<strong>en</strong>t et que le monde extérieur l'a toujours considérée<br />

comme tel. La possession d'état est, selon le Code<br />

civil, une cause d’irrecevabilité de toute procédure <strong>en</strong><br />

contestation de paternité ou de maternité. Si l'on s'est<br />

toujours comporté comme un par<strong>en</strong>t vis-à-vis de l'<strong>en</strong>fant<br />

et que l'on a toujours été considéré comme tel<br />

par son <strong>en</strong>tourage, le li<strong>en</strong> de filiation établi ne peut <strong>en</strong><br />

principe pas être contesté. (source : SPF Justice).<br />

Art. 331nonies. .<br />

La possession d'état doit être continue. Elle s'établit<br />

par des faits qui, <strong>en</strong>semble ou séparém<strong>en</strong>t, indiqu<strong>en</strong>t<br />

le rapport de filiation.<br />

Ces faits sont <strong>en</strong>tre autres :<br />

- que l'<strong>en</strong>fant a toujours porté le nom de celui dont<br />

on le dit issu;<br />

- que celui-ci l'a traité comme son <strong>en</strong>fant;<br />

- qu'il a, <strong>en</strong> qualité de père ou de mère, pourvu à son<br />

<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> et à son éducation;<br />

- que l'<strong>en</strong>fant l'a traité comme son père ou sa mère;<br />

- qu'il est reconnu comme son <strong>en</strong>fant par la famille et<br />

dans la société;<br />

- que l'autorité publique le considère comme tel.<br />

23


iologique, mais pas toujours. Pour les juristes, il<br />

y a d'une part la par<strong>en</strong>té, issue du li<strong>en</strong> de filiation<br />

légalem<strong>en</strong>t établi et qui <strong>en</strong>traîne des droits<br />

et des devoirs clairem<strong>en</strong>t définis par la loi (possible<br />

transmission du nom, autorité par<strong>en</strong>tale,<br />

obligation alim<strong>en</strong>taire, obligation de transmettre<br />

au moins une partie de sa succession). D'autre<br />

part, il y a la par<strong>en</strong>talité, à savoir la situation de<br />

personnes qui ne sont ni le père ni la mère d’un<br />

<strong>en</strong>fant mais assum<strong>en</strong>t à son égard des fonctions<br />

éducatives (comme un beau-par<strong>en</strong>t) ; à défaut<br />

d’être le père ou la mère, il n’a pas de droits et<br />

de devoirs <strong>en</strong>vers l’<strong>en</strong>fant car ces droits et devoirs,<br />

actuellem<strong>en</strong>t, ne découl<strong>en</strong>t que du li<strong>en</strong> de<br />

filiation. A côté de cela, se pose la question de<br />

savoir si chacun aurait le droit à connaître ses origines,<br />

sans que cela n’ait de conséqu<strong>en</strong>ces sur le<br />

li<strong>en</strong> de filiation établi. Certains pays germaniques,<br />

comme la Suisse et l’Allemagne, considèr<strong>en</strong>t que<br />

c’est le cas et ont même fait du droit à connaître<br />

ses origines génétiques un droit constitutionnel,<br />

sans li<strong>en</strong> nécessaire avec la filiation.<br />

F. : En Belgique, quelles peuv<strong>en</strong>t être les<br />

conséqu<strong>en</strong>ces de la recherche de paternité<br />

sur la filiation ?<br />

J. S. : Il faut distinguer les cas où un <strong>en</strong>fant n’a pas<br />

de filiation paternelle établie et ceux où il <strong>en</strong> a un,<br />

établi par la présomption de paternité du mari ou<br />

par une reconnaissance qui devra être contestée<br />

avant de pouvoir év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t établir une<br />

« autre » filiation fondée sur le li<strong>en</strong> biologique.<br />

Pour agir <strong>en</strong> justice pour contester une filiation,<br />

il faut remplir des conditions de recevabilité.<br />

D'abord, on a au maximum un an après la découverte<br />

du fait qu’on est le père ou que l’on n’est<br />

pas le père d’un <strong>en</strong>fant (ou que l’on n’est pas le fils<br />

ou la fille de telle personne), pour ouvrir la porte<br />

d'une action <strong>en</strong> justice. Il faut <strong>en</strong>suite que l'<strong>en</strong>fant<br />

et son père légal n'ai<strong>en</strong>t pas de possession d'état,<br />

c'est- à-dire qu'il faut qu'ils ne se soi<strong>en</strong>t pas vécus<br />

TESTS DE PATERNITÉ VERSUS EXPERTISES : OÙ EST LA LÉGALITÉ ?<br />

Lorsque le Tribunal demande une expertise, c'est dans les conditions<br />

de recevabilité qui font que le test pourrait avoir un effet sur une paternité<br />

légale. Ce test est effectué par un médecin légiste, dans des<br />

conditions qui garantiss<strong>en</strong>t la crédibilité des résultats. Ce n'est pas la<br />

même chose que des tests génétiques qui s'effectu<strong>en</strong>t <strong>en</strong> dehors des<br />

expertises judiciaires (voir les résultats de la google-équation « Test de<br />

Paternité + Belgique »).<br />

Il y a quelques années, les laboratoires officiels acceptai<strong>en</strong>t de faire des<br />

tests <strong>en</strong> dehors des expertises légales. « Ensuite, se rappelle Jehanne<br />

24<br />

comme père et fils ou fille : car on préférera ne<br />

pas remettre <strong>en</strong> question la filiation au nom d'un<br />

li<strong>en</strong> biologique. Ensuite, il faudra prouver que le<br />

père désigné légalem<strong>en</strong>t n’est pas le père biologique<br />

de l’<strong>en</strong>fant, le plus souv<strong>en</strong>t par une expertise<br />

génétique. Si c’est le père biologique qui a introduit<br />

la demande, il devra <strong>en</strong> plus prouver qu'il<br />

est le père car il va être judiciairem<strong>en</strong>t déclaré<br />

comme étant le père.<br />

F. : La Cour Constitutionnelle est-elle <strong>en</strong> train de<br />

faire évoluer ces conditions ?<br />

J. S. : En effet, <strong>en</strong> 2011, une salve d'arrêts de la<br />

Cour Constitutionnelle vi<strong>en</strong>t dire que certains<br />

aspects de ces conditions serai<strong>en</strong>t contraires à<br />

l'égalité, au respect de la vie familiale ou à l'intérêt<br />

de l'<strong>en</strong>fant. Il s'agit d'une transposition de la<br />

jurisprud<strong>en</strong>ce de la Cour Europé<strong>en</strong>ne des Droits<br />

de l'Homme de Strasbourg, qui dit dans plusieurs<br />

arrêts que, quand un li<strong>en</strong> légal ne repose ni sur un<br />

li<strong>en</strong> socio-affectif, ni sur un li<strong>en</strong> biologique, il ne<br />

peut y avoir d'obstacle absolu à la contestation<br />

d’une filiation. Ces obstacles absolus sont, chez<br />

nous, le délai-couperet d'un an ou bi<strong>en</strong> la possession<br />

d'état. La Cour Constitutionnelle belge a<br />

donc remis <strong>en</strong> question certains délais ainsi que<br />

la condition de la possession d'état. Aujourd'hui,<br />

il est difficile de définir exactem<strong>en</strong>t les conséqu<strong>en</strong>ces<br />

de ces arrêts : les juges ne peuv<strong>en</strong>t plus<br />

appliquer une disposition du Code civil qui a été<br />

déclarée inconstitutionnelle mais pour autant la<br />

loi n’a pas (<strong>en</strong>core ?) été modifiée.<br />

F. : Ainsi, le li<strong>en</strong> biologique ne peut pas systématiquem<strong>en</strong>t<br />

permettre de contester une paternité.<br />

Mais peut-on imposer, au nom de ce li<strong>en</strong>, à un<br />

homme d'être père ?<br />

J. S. : Dans ma pratique, je vois ce que l’on pourrait<br />

appeler des « vols de paternité ». J'ai vu des<br />

hommes <strong>en</strong> consultation, qui me dis<strong>en</strong>t qu'une<br />

femme avec qui ils avai<strong>en</strong>t eu une relation est<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

v<strong>en</strong>ue les trouver neuf mois plus tard pour leur<br />

dire qu'ils étai<strong>en</strong>t pères. D'un autre côté, il y a<br />

aussi des femmes qui dis<strong>en</strong>t que des hommes les<br />

ont laissé tomber p<strong>en</strong>dant leur grossesse, parfois<br />

même après avoir désiré l'<strong>en</strong>fant. Dans tous les<br />

cas, s'il n'y a pas de père légal, la femme peut imposer<br />

une paternité via une action <strong>en</strong> recherche<br />

de paternité p<strong>en</strong>dant 30 ans, ou, pour les <strong>en</strong>fants,<br />

jusqu’à l'âge de 48 ans (car le délai est susp<strong>en</strong>du<br />

durant leur minorité). Si le tribunal ordonne<br />

une expertise génétique et que la mère établit<br />

qu’il est le géniteur de l’<strong>en</strong>fant, que l'homme le<br />

veuille ou non, on établira la paternité légale, et<br />

l'homme devra payer, comme la mère, pour l'éducation,<br />

la vie quotidi<strong>en</strong>ne et les frais de santé de<br />

l'<strong>en</strong>fant à travers une p<strong>en</strong>sion alim<strong>en</strong>taire, il devra<br />

faire hériter l'<strong>en</strong>fant, etc. Ici, le li<strong>en</strong> biologique va<br />

permettre d'établir une filiation, et cela se passe<br />

parfois de manière douloureuse. A côté de cela,<br />

la loi prévoit que les donneurs de sperme ne peuv<strong>en</strong>t<br />

quant à eux jamais dev<strong>en</strong>ir des pères légalem<strong>en</strong>t<br />

des <strong>en</strong>fants qui sont nés grâce à leur don.<br />

Mais il y a un paradoxe quand certains hommes<br />

vous dis<strong>en</strong>t qu'ils considèr<strong>en</strong>t avoir été utilisés<br />

par une femme un peu comme un donneur de<br />

sperme et qu'on les force à être pères par la suite.<br />

F. : Alors selon vous, qu'est-ce qui doit fonder la<br />

filiation ?<br />

J. S. : Certains p<strong>en</strong>s<strong>en</strong>t que c'est la volonté qui<br />

devrait fonder la filiation. Pour moi, cette démarche<br />

s'inscrit dans un mouvem<strong>en</strong>t sociologique<br />

où l'on considère que la volonté des individus<br />

doit primer : mais la volonté va et vi<strong>en</strong>t ;<br />

est-ce que des <strong>en</strong>fants peuv<strong>en</strong>t se construire<br />

ainsi ? Je crois qu'on ne peut pas dire que le<br />

biologique n'a aucune place dans la filiation,<br />

même s'il n'est pas tout.<br />

Sosson, ces personnes v<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t chez nous, avocats, et nous devions<br />

leur dire parfois que nous ne pouvions ri<strong>en</strong> faire car ils ne remplissai<strong>en</strong>t<br />

pas les conditions de recevabilité pour agir <strong>en</strong> justice ». Ainsi, <strong>en</strong> Belgique,<br />

les grands laboratoires officiels n'accept<strong>en</strong>t plus de réaliser des<br />

tests ADN <strong>en</strong> dehors des expertises ordonnées par les tribunaux. En<br />

revanche, de nombreux laboratoires privés ont fleuri sur ce marché de<br />

la demande <strong>en</strong> tests ADN, et aucun article de loi ne l'interdit. Pourtant,<br />

ces petits labos rest<strong>en</strong>t discrets : ceux que nous avons contactés ont<br />

refusé de nous donner des chiffres et des indications sur les profils des<br />

personnes qui s'adressai<strong>en</strong>t à eux.


FILIATIO VOUS EMMÈNE AU THÉÂTRE<br />

A partir du 8 mai, au Théâtre de Poche, sera<br />

jouée la pièce Le Test, de l'auteur dramatique<br />

suisse Lukas Bärfuss. Une histoire d'un test<br />

de paternité et de famille détruite – étaitelle<br />

si solide avant ? Ce qui est sûr, c'est que<br />

Le Test alim<strong>en</strong>te la peur du conflit liée à la<br />

découverte tardive de la vérité biologique.<br />

Pierre Coré est marié à Agnès : <strong>en</strong>semble, ils<br />

ont un <strong>en</strong>fant, que Pierre a désiré de tout son<br />

cœur et dont il s'occupe beaucoup. Le père<br />

de Pierre, Simon, est un homme politique<br />

qui prépare activem<strong>en</strong>t une campagne électorale.<br />

Frantzeck, le bras droit de Simon, est<br />

jaloux du bonheur familial de la famille Coré.<br />

Un jour, Frantzeck instille le doute dans l'esprit<br />

de Pierre : et s'il n'était pas le père biologique<br />

de l'<strong>en</strong>fant ? Pierre, qui visiblem<strong>en</strong>t ne<br />

va pas très bi<strong>en</strong>, fait un test de paternité. Résultat<br />

: il n'est pas le père biologique, et c'est<br />

le début de la fin. Pour lui, à ce mom<strong>en</strong>t-là,<br />

ça change tout – même si pour les autres qui<br />

finiss<strong>en</strong>t par l'appr<strong>en</strong>dre, ça ne change ri<strong>en</strong>.<br />

Tant pis : Le Test, c'est l'histoire de l'explosion<br />

d'une famille. Les dialogues sont forts, durs, sans<br />

pitié. Les questions fondam<strong>en</strong>tales sur le li<strong>en</strong>, la<br />

confiance, la paternité, la filiation, posées dans<br />

le sil<strong>en</strong>ce de sa détresse, détruis<strong>en</strong>t d'abord<br />

Pierre, puis ceux qu'il aime, et ceux qui l'aim<strong>en</strong>t.<br />

LE TEST<br />

Extraits :<br />

Pierre, à son père, parle d'Agnès qui ignore <strong>en</strong>core<br />

qu'il a fait un test : « Je n'arrive pas à lui<br />

dire. Elle croit que tout est comme avant. J'ai eu<br />

l'occasion de l'observer <strong>en</strong> train de m<strong>en</strong>tir. Ce<br />

déchet joue la comédie sans la moindre trace<br />

de honte. Les yeux brill<strong>en</strong>t d'un éclat fidèle. La<br />

voix est <strong>en</strong>jôleuse. Je dis : Il est pas beau, beau<br />

comme son père. Et elle : Oui, tout à fait. Je dis :<br />

Il est pas s<strong>en</strong>sible et doux comme son père. Elle<br />

répond avec un sourire : Deux de la même espèce.<br />

Un Coré. Et aucun éclair ne jaillit du ciel<br />

pour la foudroyer, aucune faille ne s'ouvre pour<br />

<strong>en</strong>gloutir cette chose, ce faux-jeton. Dis-le-lui.<br />

Dis-lui que je sais. Je ne maîtrise pas mes nerfs. »<br />

Un peu plus tard. Frantzeck, à Simon, évoquant<br />

Pierre : « Est-il courageux ou lâche ? Courageux<br />

de vouloir connaître la vérité. Lâche de ne pas<br />

supporter d'être rongé. » Simon : « C'est de la<br />

stupidité, ri<strong>en</strong> d'autre. ».<br />

<strong>Filiatio</strong> vous invite au théâtre<br />

Non, la rédaction de <strong>Filiatio</strong> ne s'est pas ruinée<br />

<strong>en</strong> actions du Théâtre de Poche. Tout<br />

simplem<strong>en</strong>t, pour la deuxième fois de suite,<br />

le Théâtre de Poche monte une pièce dont le<br />

sujet nous intéresse, et c'est donc à nouveau<br />

avec un grand plaisir que <strong>Filiatio</strong> vous invite au<br />

théâtre au mois de mai.<br />

Réservez avec le mot de passe « filiatio »<br />

et bénéficiez d'une réduction de 50%<br />

du prix de la place (8 € au lieu de 16 €).<br />

Du 8 mai au 2 juin 2012 à 20h30<br />

THÉÂTRE DE POCHE (www.poche.be)<br />

1a, Chemin du Gymnase<br />

1000 Bruxelles (Bois de La Cambre)<br />

Infos au 02/647 27 26<br />

Réservations au 02/649 17 27<br />

ou sur réservation@poche.be<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

✃<br />

25


EN LISANT<br />

UNE SEMAINE SUR DEUX /BANDE DESSINÉE<br />

Pacco, Éditions Fluide Glacial<br />

Une semaine sur deux : c'est le<br />

quotidi<strong>en</strong>, <strong>en</strong> garde alternée,<br />

d'un père et de sa fille Maé,<br />

6 ans, une petite tornade sur<br />

pattes, très inv<strong>en</strong>tive <strong>en</strong> matière<br />

de bêtises. A travers une Bande<br />

Dessinée assez drôle et ultra<br />

contemporaine dans son trait,<br />

c'est un sujet de société majeur<br />

que Pacco participe à banaliser :<br />

celui des pères célibataires avec<br />

<strong>en</strong>fants. Il raconte : « <strong>en</strong>tre les<br />

hommes qui comme moi ont fait le choix d’avoir leur <strong>en</strong>fant une semaine<br />

sur deux, ceux qui n’ont pas pu ou pas voulu, ceux qui ont du mal avec les<br />

gamins et ceux pour qui c’est facile, chaque cas est particulier. Ça fait une<br />

dizaine d’années que les papas, séparés ou non, s’impliqu<strong>en</strong>t vraim<strong>en</strong>t dans<br />

la vie de leurs <strong>en</strong>fants, c’est un phénomène nouveau dans notre société,<br />

c’est <strong>en</strong> train de s’écrire. Je constate tout de même que pour beaucoup de<br />

papas, c’est une situation compliquée. La société, qui à l’époque n’était<br />

pas prête pour les mères célibataires, a <strong>en</strong>core du mal à accepter les pères<br />

célibataires, mais c’est <strong>en</strong> train de changer et de s’organiser. » Au-delà du<br />

sujet. Une semaine sur deux nous a vu simultaném<strong>en</strong>t ricaner, se rappeler<br />

(ou appréh<strong>en</strong>der) les bêtises de nos propres marmots, être émus parfois :<br />

être dans la vie, tout simplem<strong>en</strong>t.<br />

26 FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

SANS PAPIERS /JEUNESSE<br />

Rascal, C<strong>en</strong>drine G<strong>en</strong>in, Jean-François Martin, Éditions Escabelle<br />

« C'est ici que j'habite avec Papa.<br />

Lorsqu'on est arrivés, on dormait<br />

dans les parcs et les jardins publics<br />

et les soirs de pluie, dans les hôtels<br />

bon marché du c<strong>en</strong>tre-ville ».<br />

Il y a quatre ans, la petite fille vivait<br />

dans un pays <strong>en</strong> guerre. Sa mère a<br />

été tuée le premier jour. La mort<br />

était partout. Alors, son père a décidé<br />

de partir avec elle vers une<br />

terre d'asile : la France. Le voyage<br />

fut long et difficile. A l'arrivée, la<br />

petite fille est allée à l'école et a<br />

appris à lire, à écrire et à parler<br />

le français. « Je connais la Marseillaise<br />

par cœur. La liste des 100 départem<strong>en</strong>ts sur le bout des doigts.<br />

J'adore le bœuf bourguignon, le poulet basquaise, le bleu d'Auvergne et<br />

les croissants au beurre. » Elle s'<strong>en</strong>racine. Mais ça ne suffit pas à obt<strong>en</strong>ir à<br />

son père une autorisation de séjour. Alors, le jour de la photo de classe,<br />

on vi<strong>en</strong>t la chercher. Sans papiers. Est-ce le fait que j'ai reçu cet album<br />

le matin précis où j'allais chercher, à la préfecture de police de Paris, un<br />

passeport pour ma fille ? Est-ce tout simplem<strong>en</strong>t la simplicité poétique,<br />

pudique et bouleversante, des textes de Rascal, la délicatesse des détails<br />

dans les photos de C<strong>en</strong>drine G<strong>en</strong>in, r<strong>en</strong>dues plus touchantes <strong>en</strong>core par<br />

les illustrations de Jean-François Martin ? La publication au mois de mars<br />

de Sans Papiers, quelques semaines avant les élections présid<strong>en</strong>tielles<br />

françaises, n'est évidemm<strong>en</strong>t pas le fruit du hasard. « Espérons que ce<br />

livre saura éveiller les consci<strong>en</strong>ces », m'écrit-t-on à l'Escabelle, une petite<br />

maison d'édition qui « s'amuse à créer du li<strong>en</strong> ». Nous partageons, <strong>en</strong> pariant<br />

sur la capacité puissante qu'ont les mots et les images de mettre les<br />

humains <strong>en</strong> relation : <strong>en</strong> li<strong>en</strong>.<br />

MON PÈRE EST AMÉRICAIN /JEUNESSE<br />

Fred Paronuzzi, Editions Thierry Magnier<br />

Léo n'a jamais connu son père. Il vit avec sa mère et son beau-père à Chambéry<br />

(jamais citée, mais trahie par la fontaine aux éléphants et les Charmettes).<br />

Tout va bi<strong>en</strong> pour lui, à part ce trou béant à la place de son père.<br />

Un jour, il tombe sur une série de factures qui lui appr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t, d'un coup<br />

d'un seul, que non seulem<strong>en</strong>t son père est <strong>en</strong>core vivant, mais aussi que sa<br />

mère est <strong>en</strong> contact avec lui.<br />

« A prés<strong>en</strong>t le monde <strong>en</strong>tier – ce <strong>en</strong> quoi il a pu croire, un jour – s'est disloqué,<br />

croule sous des tonnes de décombres. Il se s<strong>en</strong>t perdu, étranger à<br />

lui-même, ne reconnaît ri<strong>en</strong>. Plus de repère. Juste cette affreuse certitude<br />

d'avoir été trahi. C'est pourquoi, aussi longtemps que sa mère s'<strong>en</strong>têtera<br />

dans son sil<strong>en</strong>ce et ses m<strong>en</strong>songes, il est bi<strong>en</strong> décidé à lui pourrir la vie. Tout<br />

autant, estime-t-il, qu'elle lui pourrit la si<strong>en</strong>ne ». Première page, qui donne<br />

évidemm<strong>en</strong>t terriblem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>vie de tourner la suivante, et ainsi de suite<br />

jusqu'à la fin de ce roman si d<strong>en</strong>se, toujours dans le juste, jamais gnan-gnan,<br />

et pourtant ça pourrait le dev<strong>en</strong>ir, parce que Léo appr<strong>en</strong>d, juste après, que<br />

son père est certes vivant, mais plus pour longtemps : il est prisonnier dans<br />

les couloirs de la mort, accusé d'une histoire de braquage qui a mal tourné.


Il s'appelle B<strong>en</strong>jamin et il sait dire <strong>en</strong><br />

français : « c'est la vie », « ouhlala » et<br />

« camembert ». Comm<strong>en</strong>ce <strong>en</strong>tre Léo<br />

et B<strong>en</strong>jamin (<strong>en</strong> anglais, donc) une<br />

correspondance épistolaire, l<strong>en</strong>te et<br />

incongrue à l'ère instantanée, le seul<br />

échange autorisé par les autorités pénit<strong>en</strong>tiaires,<br />

réciproquem<strong>en</strong>t att<strong>en</strong>due<br />

dans un bouillonnem<strong>en</strong>t int<strong>en</strong>se d'impati<strong>en</strong>ce<br />

et d'émotion. Au-delà d'un<br />

roman sur la prison et la peine de mort<br />

– on n'<strong>en</strong> sait, finalem<strong>en</strong>t, pas grandchose,<br />

à part l'élan qui nous pousse à<br />

garder B<strong>en</strong>jamin vivant dans l'histoire à<br />

écrire, Mon Père est américain est une<br />

belle histoire de franchise, de li<strong>en</strong> qui<br />

se tisse, sans promesse d'av<strong>en</strong>ir, dans<br />

l'urg<strong>en</strong>ce de la vie de Léo.<br />

LE CRI DU PETIT CHAPERON ROUGE /JEUNESSE<br />

Beate Theresa Hanika, Alice Editions<br />

En ouvrant ce livre, à la couverture rouge où le titre s'étale, blanc, <strong>en</strong> grandes<br />

lettres hurlantes, je me suis dit : j'y vais, comme on plonge. Parce que je<br />

connaissais le sujet – l'inceste. Combi<strong>en</strong> de pages vais-je t<strong>en</strong>ir ? Et <strong>en</strong> fait,<br />

j'y ai passé ma soirée, <strong>en</strong> apnée. C'est très bi<strong>en</strong> écrit, c'est très bi<strong>en</strong> raconté,<br />

c'est très bi<strong>en</strong> incarné, et c'est très lisible. C'est avant tout un roman, ouf : on<br />

s'accroche à l'histoire de Malvina, parce qu'elle est passionnante.<br />

Malvina est une adolesc<strong>en</strong>te qui vit<br />

avec ses par<strong>en</strong>ts et sa grande sœur.<br />

Son frère aîné, Paul, qu'elle adore<br />

(mais plus pour longtemps), leur<br />

r<strong>en</strong>d visite le dimanche. Dans la famille,<br />

on ne sait pas si les par<strong>en</strong>ts ont<br />

du mal à exprimer leur amour pour<br />

leurs <strong>en</strong>fants, ou s'il n'y a tout simplem<strong>en</strong>t<br />

pas d'amour. En tous les cas, il<br />

n'y a pas de mots, et ceux que Malvina<br />

t<strong>en</strong>te de faire passer s'évapor<strong>en</strong>t<br />

comme si elle ne les avait jamais prononcés,<br />

puisque personne ne l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d.<br />

Au fil des pages, on découvre<br />

une mère abs<strong>en</strong>te, au s<strong>en</strong>s propre et<br />

au s<strong>en</strong>s figuré ; un père cad<strong>en</strong>assé et indiffér<strong>en</strong>t. Sa grand-mère vi<strong>en</strong>t de<br />

mourir, et son grand-père... son grand-père... la manipule, la force, abuse<br />

d'elle, l'agresse.<br />

D'habitude, Malvina puise sa joie de vivre dans les mom<strong>en</strong>ts qu'elle partage<br />

avec Lizzy, sa meilleure amie. Mais là, ce sont les vacances, et Lizzy n'est pas<br />

là. C'est à Malvina que ses par<strong>en</strong>ts demand<strong>en</strong>t de porter à son grand-père<br />

les repas qu'il se dit incapable de se préparer tout seul, et alors tout dérape.<br />

Au début, Malvina parle, mais personne ne la croit, alors elle s'évade<br />

d'elle-même. Tous les mécanismes psychiques de l'esprit qui s'échappe du<br />

corps pour survivre à l'insupportable se mett<strong>en</strong>t <strong>en</strong> marche – et pourtant<br />

à côté, la vie continue et deux figures, un garçon et une voisine bruyante,<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

apparaiss<strong>en</strong>t dans l'intrigue pour permettre à Malvina de se confronter<br />

avec la seule porte de sortie : la vérité, la vérité par la parole.<br />

Le cri du petit chaperon rouge est un roman magnifique, puissant, sur l'inceste<br />

mais aussi – et c'est sans doute lié – sur la force et l'habitude du<br />

sil<strong>en</strong>ce, sur la viol<strong>en</strong>ce et la manipulation, sur la voix de l'<strong>en</strong>fant.<br />

FEMMES ENTRE SEXE ET GENRE /ESSAI<br />

Sylviane Agacinski, Editions du Seuil, avril 2012<br />

La philosophe Sylviane Agacinski<br />

s'attaque au concept<br />

théorique du « g<strong>en</strong>re ». Certains<br />

lecteurs et lectrices assidu(e)s<br />

se rappell<strong>en</strong>t peut-être une<br />

histoire de carte routière et de<br />

chasse aux mammouths dans<br />

le premier numéro de <strong>Filiatio</strong>.<br />

Vous voyez, les chasseurs de<br />

mammouth n'ont pas fini de se<br />

retourner dans leur tombe.<br />

Sylviane Agacinski est une philosophe<br />

française bi<strong>en</strong> connue,<br />

<strong>en</strong>gagée dans les débats de société.<br />

On connaît sa position<br />

tranchée contre la gestation<br />

pour autrui, qu'elle considère<br />

comme une aliénation du corps humain et du corps féminin <strong>en</strong> particulier.<br />

Sylviane Agacinski est une féministe dite « différ<strong>en</strong>tialiste » ou « ess<strong>en</strong>tialiste<br />

» – bi<strong>en</strong> que selon elle, le terme d' « ess<strong>en</strong>tialisme » doive plutôt<br />

être imputé aux « conceptions qui font de l'humain un être hors nature,<br />

surnaturel à force d'être antinaturel, régnant sur le monde et sur lui-même<br />

par la parole et la technique » (p. 133). Elle considère plutôt qu'il faut partir<br />

du fait que l'humanité est double, mixte, pour développer une réflexion<br />

sur les relations <strong>en</strong>tre les hommes et les femmes. « Tout individu qui n’est<br />

pas femme est homme, et tout individu qui n’est pas homme est femme.<br />

(…) La division sexuelle oblige à r<strong>en</strong>oncer au vieux rêve d’une humanité<br />

p<strong>en</strong>sée à partir d’un modèle unique et à la considérer comme constituée<br />

de deux types humains distincts, à la fois semblables et différ<strong>en</strong>ts. C’est-àdire<br />

à p<strong>en</strong>ser l’humanité comme mixte », écrit-elle dans Politique des sexes<br />

(Seuil, 2001). En cela, elle s'oppose à d'autres philosophes féministes dit(e)s<br />

« rationalistes » comme Élisabeth Badinter, qui met l'acc<strong>en</strong>t sur les ressemblances<br />

<strong>en</strong>tre les hommes et les femmes. Badinter p<strong>en</strong>se que le corps de<br />

la femme est dev<strong>en</strong>u sacré du fait du « pouvoir » (si je pouvais mettre à<br />

ce mot dix guillemets sans que la correctrice de Fililatio ne me refrène, je<br />

le ferais) que confère la maternité aux femmes, maternité qui les limiterait<br />

à ce « pouvoir ». Les féministes proches de Badinter milit<strong>en</strong>t donc plutôt<br />

pour la désacralisation du corps de la femme et de la maternité, et voi<strong>en</strong>t<br />

notamm<strong>en</strong>t dans la gestation pour autrui un outil pour s'éloigner de<br />

l' « empire du v<strong>en</strong>tre », pour repr<strong>en</strong>dre le titre d'un essai de Marcela Iacub.<br />

Dans Femmes <strong>en</strong>tre sexe et g<strong>en</strong>re, Agacinski essaie de montrer que l'histoire<br />

des sociétés humaines n'est pas uniquem<strong>en</strong>t le fait de données biologiques,<br />

mais qu'elle ne « flotte » pas simplem<strong>en</strong>t au-dessus d'elle. Les humains<br />

sont aussi des corps vivants, insiste-t-elle, <strong>en</strong> critiquant notamm<strong>en</strong>t<br />

la p<strong>en</strong>sée de Judith Butler (voir notre dossier de ce mois). Butler, fondatrice<br />

27


de la queer theory, a développé une p<strong>en</strong>sée du « g<strong>en</strong>re » comme étant<br />

totalem<strong>en</strong>t déconnecté du « sexe » avec lequel on naît. « Le culturalisme<br />

queer et ses épigones français décrèt<strong>en</strong>t que la nature n'est ri<strong>en</strong>. Ses mots<br />

d'ordre, inlassablem<strong>en</strong>t martelés, sont : tout est culture, tout est construit,<br />

ri<strong>en</strong> n'est donné, sans demander comm<strong>en</strong>t s'est élaborée l'histoire des<br />

cultures » (p. 14).<br />

Dans une première partie de son essai, Agacinski évoque les relations<br />

<strong>en</strong>tre sexes et servitude et le pouvoir complexe longtemps exercé sur les<br />

femmes dans l'institution familiale. Elle revi<strong>en</strong>t <strong>en</strong>suite sur l'apparition du<br />

concept du « g<strong>en</strong>re » (et des « g<strong>en</strong>res » au pluriel). Sans remettre <strong>en</strong> question<br />

le fait que les caractères acquis attribués aux femmes ne sont pas<br />

héréditaires, elle déplore le fait que le g<strong>en</strong>re ait installé une division, selon<br />

elle illusoire, <strong>en</strong>tre id<strong>en</strong>tité culturelle et id<strong>en</strong>tité biologique. Elle <strong>en</strong> vi<strong>en</strong>t<br />

à l'expéri<strong>en</strong>ce de la procréation comme <strong>en</strong>gageant des corps féminins et<br />

masculins <strong>en</strong> relation : la sexualité, dit-elle, ne peut être conçue <strong>en</strong> éliminant<br />

son versant biologique, c'est-à-dire la fonction sexuelle génératrice.<br />

Dans la tradition occid<strong>en</strong>tale, explique-t-elle <strong>en</strong>suite, la différ<strong>en</strong>ce des<br />

sexes a été hiérarchisée et est c<strong>en</strong>trée sur l'homme (androc<strong>en</strong>trée). Derrière<br />

les théories du g<strong>en</strong>re, il y aurait une révolte contre cette hiérarchie<br />

mais aussi souv<strong>en</strong>t une confusion créatrice de différ<strong>en</strong>ces <strong>en</strong>tre la catégorie<br />

« femmes » et la sexualité, comme si la queer theory ne pouvait<br />

pas admettre qu'on soit femme ET lesbi<strong>en</strong>ne, comme s'il fallait être autre,<br />

comme s'il fallait passer complètem<strong>en</strong>t au-dessus du biologique. La queer<br />

theory, selon Agacinski, a lancé un « cheval de Troie contre le féminisme » :<br />

si le g<strong>en</strong>re est un artifice, de même que la catégorie « femmes », alors le féminisme<br />

est liquidé d'office. Mais Butler coincerait toujours sur la question<br />

28<br />

HUMOUR-HUMEUR AU SOMMAIRE DU PROCHAIN NUMÉRO<br />

<strong>Filiatio</strong> est un périodique publié par Smala!*.Il est <strong>en</strong>voyé chaque mois aux parlem<strong>en</strong>taires, aux avocats, aux juges et<br />

aux professionnels <strong>en</strong> charge de la famille, des rôles par<strong>en</strong>taux, des processus d’éducation et de l’égalité hommesfemmes.<br />

Il est aussi disponible pour le grand public par abonnem<strong>en</strong>t. Pour plus d’infos, pour témoigner, réagir ou agir,<br />

r<strong>en</strong>dez-vous sur www.filiatio.be.<br />

Ont collaboré à ce n° : Sabine Panet, B<strong>en</strong>oît Devuyst, Annabelle Kalckreuth,<br />

Céline Lefèvre, Romm Lewkowicz et Eléonore Corr<strong>en</strong>c<br />

FILIATIO - n°6 - avril & mai 2012<br />

de la génération, de la procréation : sa théorie qui vise à « dénaturaliser »<br />

les différ<strong>en</strong>ces sexuelles, demande Agacinski, n'est-elle pas plutôt une<br />

réponse à l'angoisse de briser le tabou et dev<strong>en</strong>ir gay ou lesbi<strong>en</strong>ne dans<br />

notre société ? Que l'on regarde l'histoire de la hiérarchisation des sexes,<br />

ou les réponses que sont la queer theory ou les techniques biologiques<br />

de transformation des corps, « on ne saurait masquer le principe de leur<br />

dualité » (p. 137). Les femmes ne sont pas des hommes comme les autres,<br />

conclut-elle : pourtant aujourd'hui, elles serai<strong>en</strong>t prêtes à se détacher de<br />

leur corps pour <strong>en</strong> faire un bi<strong>en</strong> monnayable, étranger à leur vie, à leurs<br />

désirs, à leurs plaisir.<br />

S'il est important de situer cet essai de Sylviane Agacinski dans le contexte<br />

très politique des débats autour de la prostitution et de la gestation pour<br />

autrui, la philosophe a le mérite de poser, dans un langage assez clair, des<br />

questions que nous avons tous <strong>en</strong> tête. Elle propose des ponts <strong>en</strong>tre les<br />

traditionnelles distinctions nature/culture, plutôt que de les opposer,<br />

comme elle le reproche à la fois à ceux qui lis<strong>en</strong>t l'histoire par le biologique,<br />

et à ceux qui veul<strong>en</strong>t le contourner, ou le dominer. Selon elle, il<br />

n'y a ri<strong>en</strong> à faire : pour notre grande majorité, nous naissons homme ou<br />

femme avec une différ<strong>en</strong>ce dans la capacité à <strong>en</strong>g<strong>en</strong>drer. Elle souti<strong>en</strong>t que<br />

c'est plutôt la hiérarchie des sexes ou les normes sociales qui régiss<strong>en</strong>t les<br />

sexualités qu'il faut questionner, plus que cette différ<strong>en</strong>ce originelle. Pour<br />

les chasseurs de mammouth qui se sont retournés dans leur tombe : cet<br />

essai est disponible dans toutes les bonnes librairies.<br />

Dossier : Origine et diversité des systèmes familiaux <strong>en</strong> Belgique :<br />

Pour vous, un par<strong>en</strong>t, c'est quoi ?<br />

Hors Champ : Les rapts par<strong>en</strong>taux<br />

Focus : Georges ouvre un service d'écoute à <strong>Filiatio</strong> !<br />

* L’ASBL Smala! souti<strong>en</strong>t la par<strong>en</strong>talité et la famille au s<strong>en</strong>s large, l’égalité hommes-femmes au sein de<br />

la famille et dans la société à travers toutes activités d’éducation, d’accompagnem<strong>en</strong>t, de plaidoyer, de<br />

communication et de recherche.<br />

Editeur responsable: Dominique Brichet<br />

Adresse: rue de l’Été 53 1050 Bruxelles Belgique<br />

Contact: filiatio@filiatio.be ou www.filiatio.be<br />

<strong>Filiatio</strong> est imprimé chez Massoz sur Cyclus Print, papier 100% recyclé blanchi sans chlore.<br />

N° d’agr. : P913051<br />

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S.P.

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