Freud & Compagnie sous les auspices de Darwin - Ashtarout
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’Ashtaroût<br />
Bibliothèque Improbable n°13 — Août 2011— petit in-4° <strong>de</strong> 48 pages — 21000 mots<br />
ISSN 1727-2009<br />
Amine Azar<br />
<strong>Freud</strong> & <strong>Compagnie</strong><br />
<strong>sous</strong> <strong>les</strong> <strong>auspices</strong> <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong><br />
<br />
12009 | 22011<br />
La Bibliothèque Improbable du Pinacle<br />
1
I. – Psychologues évolutionnistes 3<br />
1. Spencer vs Renouvier 3<br />
2. James & Baldwin 4<br />
3. Théodule Ribot 7<br />
4. Pierre Janet 8<br />
II. – Le <strong>Darwin</strong>isme <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> 11<br />
5. La figure rémanente du Grand Savant 11<br />
6. La science et le déterminisme 13<br />
7. <strong>Freud</strong> & Clau<strong>de</strong> Bernard 15<br />
8. Répertoire <strong>de</strong>s assomptions freudiennes <strong>de</strong> base 17<br />
III. – Le <strong>Darwin</strong>isme <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> 25<br />
comparé à celui <strong>de</strong> <strong>Freud</strong><br />
9. Introduction à l’épistémologie freudienne 25<br />
10. L’emprise <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> sur <strong>Freud</strong> 27<br />
11. L’évolution du darwinisme <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> 28<br />
12. <strong>Darwin</strong> & Malthus 29<br />
13. <strong>Freud</strong> & Malthus 32<br />
IV. – Les Retombées du darwinisme 33<br />
<strong>de</strong> <strong>Freud</strong> sur la psychanalyse<br />
14. La nosographie 33<br />
15. Natura non facit saltum 36<br />
16. Le stadisme 37<br />
17. La sémiotique psychanalytique 38<br />
18. Conclusion 42<br />
• Références 45<br />
2
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’Ashtaroût<br />
Bulletin volant n° 2009·0303 (mars 2009), 39 p. ~ Sémiothèque freudienne<br />
ISSN 1727-2009<br />
R<br />
Résumé<br />
Le darwinisme <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> présente <strong>de</strong>s ramifications<br />
multip<strong>les</strong> et floues. L’histoire <strong>de</strong>s idées<br />
étant dans <strong>les</strong> limbes, le mieux est d’appréhen<strong>de</strong>r<br />
le darwinisme <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> par le biais <strong>de</strong> confrontations<br />
ponctuel<strong>les</strong> avec quelques uns <strong>de</strong> ses contemporains.<br />
Par exemple : James, Baldwin, Ribot<br />
ou Janet. Chacun a eu son trajet propre, y compris<br />
<strong>Freud</strong>. Le sien apparaît cependant plus proche<br />
<strong>de</strong> celui <strong>de</strong> Pierre Janet – son frère ennemi –<br />
que <strong>de</strong> tout autre.<br />
Le darwinisme a fourni à <strong>Freud</strong> une série<br />
d’assomptions <strong>de</strong> base dont on a essayé <strong>de</strong> dresser la<br />
liste. Certaines ont eu <strong>de</strong>s retombées négatives<br />
sur la psychanalyse. On en a rapporté quatre<br />
exemp<strong>les</strong> : sur la nosographie, sur la conception<br />
<strong>de</strong>s âges <strong>de</strong> la vie, sur la conception du développement<br />
libidinal (stadisme), enfin sur la sémiotique<br />
psychanalytique.<br />
Chemin faisant on a tenté une mise en perspective<br />
historique et critique <strong>de</strong> la documentation<br />
disponible, élargie pour comprendre Clau<strong>de</strong><br />
Bernard et Malthus.<br />
––– –––<br />
Amine Azar<br />
<strong>Freud</strong> & C ie <strong>sous</strong> <strong>les</strong> <strong>auspices</strong> <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong><br />
3<br />
1<br />
I.<br />
Psychologues évolutionnistes<br />
Au décours du XIX e siècle, le darwinisme<br />
enveloppe l’idée d’évolution qui est <strong>de</strong>venue,<br />
en un certain sens, coextensive à la psychologie.<br />
Le darwinisme est lié plus ou moins<br />
étroitement au nom <strong>de</strong> Char<strong>les</strong> <strong>Darwin</strong><br />
(1809-1882) tandis que l’évolutionnisme l’est<br />
au nom d’Herbert Spencer (1820-1903).<br />
Dans <strong>les</strong> <strong>de</strong>rnières décennies du XX e<br />
siècle, on a scruté attentivement <strong>les</strong> énoncés<br />
<strong>de</strong> l’un et <strong>de</strong> l’autre aux fins <strong>de</strong> <strong>les</strong> disjoindre<br />
et <strong>de</strong> <strong>les</strong> opposer. On a eu tendance à verser<br />
l’œuvre <strong>de</strong> l’un à l’actif <strong>de</strong> la science et celle<br />
<strong>de</strong> l’autre au passif <strong>de</strong> l’idéologie. Il en allait<br />
autrement à la fin du XIX e siècle. On était<br />
moins regardant. L’amalgame était courant<br />
entre Lamarck, <strong>Darwin</strong>, Spencer, Haeckel,<br />
Romanes et bien d’autres, rassemblés souvent<br />
<strong>sous</strong> l’égi<strong>de</strong> <strong>de</strong> Goethe.<br />
HERBERT SPENCER est aujourd’hui quasiment<br />
oublié. Durant la secon<strong>de</strong> moitié du<br />
XIX e siècle il était probablement le plus<br />
célèbre, le plus imprimé, le plus traduit et le
plus diffusé. Puis, soudain, au décours du<br />
siècle il sombra corps et biens dans <strong>les</strong> poubel<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong> l’histoire. Il mourut en 1903, et <strong>les</strong><br />
nombreux artic<strong>les</strong> nécrologiques qui furent<br />
alors publiés lui ménagèrent à l’unisson un<br />
enterrement <strong>de</strong> première classe. Il fut enterré<br />
au propre et au figuré.<br />
Un exemple entre mille. En 1903 l’Année<br />
Psychologique a publié <strong>sous</strong> la signature <strong>de</strong><br />
Henry Michel [73] une nécrologie conjointe<br />
d’Herbert Spencer (1820-1903) et Char<strong>les</strong> Renouvier<br />
(1815-1903), d’une étendue inhabituelle<br />
– vingt pages – réparties par moitié à<br />
chacun. Mais l’équité s’arrête là, car cette<br />
nécrologie bicéphale se réduit à un contraste.<br />
Spencer reçoit un éreintement systématique<br />
et Renouvier un dithyrambe passionné. Plus<br />
remarquable encore, Henry Michel ne cherche<br />
pas à établir <strong>de</strong> point commun entre <strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>ux auteurs accolés dans son titre. Il estime<br />
que l’un, ayant eu son heure <strong>de</strong> gloire, appartient<br />
déjà au passé, tandis que l’autre, n’ayant<br />
eu que peu <strong>de</strong> discip<strong>les</strong>, est <strong>de</strong>stiné à une<br />
revanche éclatante.<br />
La prédiction d’Henry Michel a pris du<br />
temps pour se réaliser. Aujourd’hui, Spencer<br />
est seulement un objet d’histoire, tandis<br />
qu’on redécouvre Renouvier en France cent<br />
ans après sa mort et qu’on commence à lui<br />
reconnaître un rôle parmi <strong>les</strong> parrains <strong>de</strong> la<br />
III e République. Renouvier revient en force<br />
sur la scène intellectuelle française comme<br />
politologue et moraliste (Blais, 2000) [28].<br />
4<br />
À suivre R.J. Richards (1987, [81] p. 246) :<br />
… le problème central avec lequel Spencer<br />
s’est coltiné, et dans <strong>les</strong> termes duquel ses efforts<br />
scientifiques doivent être compris, est celui du<br />
comportement moral ; plus précisément, <strong>de</strong><br />
quelle manière <strong>les</strong> processus naturels <strong>de</strong> l’évolution<br />
peuvent-ils produire une société morale.<br />
Nous ne sommes pas loin <strong>de</strong>s préoccupations<br />
<strong>de</strong> Char<strong>les</strong> Renouvier. En tant que<br />
strict contemporains, Spencer et Renouvier<br />
pouvaient-ils ne pas se rencontrer ? Le silence<br />
d’Henry Michel à cet égard ne peut que<br />
surprendre. De fait Renouvier s’est donné la<br />
peine <strong>de</strong> démolir <strong>les</strong> idées <strong>de</strong> Spencer au fur<br />
et à mesure <strong>de</strong> ses publications et <strong>de</strong> leur traduction<br />
française 1 . Becquemont & Mucchielli<br />
([19], p. 283 et note) ont recensé plus <strong>de</strong><br />
quarante artic<strong>les</strong> et comptes rendus <strong>de</strong> Renouvier<br />
et <strong>de</strong> son proche collaborateur Pillon<br />
consacrés à cette entreprise.<br />
Ces auteurs nous préviennent <strong>de</strong> l’enjeu :<br />
Disons-le d’emblée, l’évolutionnisme naturaliste<br />
<strong>de</strong> Spencer heurte <strong>de</strong> plein fouet le néocriticisme<br />
[<strong>de</strong> Renouvier] qui rejette <strong>les</strong> philosophies<br />
déterministes <strong>de</strong> l’histoire et qui postule<br />
une différence majeure entre l’homme et l’animal<br />
: le sens moral. Ce <strong>de</strong>rnier élément constitue<br />
l’axe fondamental <strong>de</strong> la critique <strong>de</strong> la psychologie,<br />
<strong>de</strong> la sociologie et <strong>de</strong> la morale <strong>de</strong> Spencer<br />
tant au plan méthodologique (refus <strong>de</strong>s analogies<br />
biologiques pour expliquer la vie <strong>de</strong>s sociétés ou<br />
le fonctionnement <strong>de</strong> l’esprit) que sur le fond<br />
(rejet du tout-héréditaire, discussion <strong>de</strong> l’intelli-<br />
1 Cf. BLAIS (2000) [28]. Sur la relation entre Renouvier et Spencer,<br />
pp. 57-69. Sur la relation entre Henry Michel et Renouvier,<br />
pp. 384-385 et 391-394.
gence et la moralité <strong>de</strong> l’homme primitif, <strong>de</strong>s<br />
origines <strong>de</strong> la famille, <strong>de</strong> la morale et <strong>de</strong> la<br />
religion).<br />
Ainsi, c’est sur le plan même où Richards<br />
nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’évaluer <strong>les</strong> travaux <strong>de</strong> Spencer<br />
que la confrontation entre Renouvier et<br />
Spencer peut être instruite. Néanmoins, ce<br />
ne sont pas <strong>les</strong> critiques <strong>de</strong> Renouvier qui<br />
ont provoqué l’éclipse <strong>de</strong> Spencer. Renouvier<br />
avait prédit qu’une fois révolue la mo<strong>de</strong><br />
évolutionniste, il ne resterait rien <strong>de</strong> la philosophie<br />
spencérienne. Il pensait que le système<br />
<strong>de</strong> Spencer tombera parce qu’il était fondé<br />
sur trop <strong>de</strong> postulats philosophiques a<br />
priori et était construit selon une pure logique<br />
déductive. Or Becquemont & Mucchielli<br />
([19] p. 296) avancent que « c’est surtout pour<br />
<strong>de</strong>s raisons mora<strong>les</strong> et politiques que le système <strong>de</strong><br />
Spencer allait, à partir <strong>de</strong>s années 1885-1890,<br />
perdre l’essentiel <strong>de</strong> son prestige ». Ainsi donnentils<br />
raison à Renouvier sur l’essentiel, c’est-àdire<br />
sur le fond <strong>de</strong> la question, et dans <strong>les</strong><br />
termes <strong>de</strong> laquelle Richards souhaite qu’elle<br />
fut posée. Mais tout cela n’est qu’une parenthèse<br />
pour entrer en matières et fournir un<br />
avant-goût <strong>de</strong> la complexité du sujet.<br />
Reprenons. Le darwinisme en psychologie<br />
est un très vaste sujet aux limites floues.<br />
Complexe à loisir par ses connections, il<br />
réclame une gran<strong>de</strong> circonspection. S’agit-il<br />
d’une infiltration, d’une emprise, d’une mainmise,<br />
voire d’un pervertissement ? Une réponse<br />
abrupte trancherait dans le vif. Avant<br />
5<br />
<strong>de</strong> s’y résoudre il serait sage <strong>de</strong> se consacrer à<br />
<strong>de</strong>s évaluations minutieuses, cas par cas. Au<br />
cours <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong>s matériaux<br />
précieux ont été rassemblés à propos <strong>de</strong><br />
quelques grands noms <strong>de</strong> la psychologie. J’en<br />
ferai un rapi<strong>de</strong> relevé avant d’abor<strong>de</strong>r le cas<br />
singulier <strong>de</strong> <strong>Freud</strong>.<br />
2<br />
Le meilleur point <strong>de</strong> départ est, me<br />
semble-t-il, le beau livre <strong>de</strong> Robert J.<br />
Richards (1987) intitulé : <strong>Darwin</strong> and the emergence<br />
of evolutionary theories of mind and behavior<br />
[<strong>Darwin</strong> et l’émergence <strong>de</strong>s théories évolutionnistes <strong>de</strong><br />
l’esprit et du comportement]. On y trouve une<br />
profusion <strong>de</strong> matériaux et <strong>de</strong> fines analyses<br />
intéressant directement notre sujet. Certains<br />
chapitres sont même expressément conçus<br />
comme <strong>de</strong>s monographies détachab<strong>les</strong>.<br />
Herbert Spencer a droit à <strong>de</strong>ux chapitres<br />
totalisant près <strong>de</strong> cent pages (chap. 6 et 7).<br />
L’auteur veut absolument le réhabiliter. Il<br />
considère que <strong>les</strong> récentes évaluations commettent<br />
à son encontre une grave injustice. Il<br />
estime que l’œuvre <strong>de</strong> Spencer a procuré à<br />
plusieurs générations <strong>de</strong> théoriciens un climat intellectuel<br />
fécond. C’est ce qu’il voudrait, nous<br />
dit-il, démontrer dans <strong>les</strong> chapitres subséquents<br />
<strong>de</strong> son livre. Il y a là à vrai dire <strong>de</strong><br />
l’exagération. De fait il en ressort que l’impact<br />
<strong>de</strong> Spencer se réduit à la génération qui<br />
lui est strictement contemporaine.
Passons par-<strong>de</strong>ssus le chapitre 8 relatif à<br />
Romanes, Mivart et Morgan. Ce sont sans<br />
doute <strong>les</strong> monographies consacrées à William<br />
James (chap. 9) et à James Mark Baldwin<br />
(chap. 10) qui nous touchent au plus vif.<br />
C’est avec une visible sympathie que<br />
Richards abor<strong>de</strong> WILLIAM JAMES (1842-1910) et<br />
nous restitue son évolution intellectuelle. Il a<br />
pris le soin <strong>de</strong> compulser <strong>de</strong>s sources manuscrites<br />
et <strong>de</strong>s papiers intimes. Le cas <strong>de</strong><br />
James illustre au mieux la thèse <strong>de</strong> Richards<br />
suivant quoi une évaluation compréhensive<br />
<strong>de</strong> l’évolution intellectuelle d’un savant a<br />
intérêt à prendre en compte l’inci<strong>de</strong>nce <strong>de</strong><br />
ses états d’âme.<br />
À la vérité, avec le chapitre qu’il consacre<br />
à James l’auteur dépasse son but. On en sort<br />
avec la conviction que <strong>les</strong> « spéculations » <strong>de</strong><br />
James ne représentent au fond que <strong>de</strong>s<br />
palliatifs pour son humeur dépressive et son<br />
esprit inquiet. James a changé plusieurs fois<br />
d’orientation et <strong>de</strong> carrière. Non sans humour,<br />
Richards annonce la couleur ainsi :<br />
« La formation <strong>de</strong> James et <strong>les</strong> débuts <strong>de</strong> sa<br />
quête professionnelle ont été un continuel<br />
cursus interruptus ». Sa carrière d’enseignant à<br />
Harvard est elle-même discontinue. Il débute<br />
dans le département <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine et enseigne<br />
la physiologie. Il passe ensuite à la section <strong>de</strong><br />
psychologie, qu’il quitte encore (malgré ses<br />
succès) pour rejoindre finalement le département<br />
<strong>de</strong> philosophie. On peut dire que James<br />
6<br />
– constamment talonné par l’angoisse – n’a<br />
jamais été qu’à la recherche <strong>de</strong> lui-même.<br />
Sa vie intellectuelle débute <strong>sous</strong> l’influence<br />
massive d’Herbert Spencer dont il<br />
épouse l’évolutionnisme. Néanmoins, le déterminisme<br />
spencérien aggrave sa dépression.<br />
Il n’en sort que grâce à la lecture <strong>de</strong> Char<strong>les</strong><br />
Renouvier dont il adopta la métho<strong>de</strong> subjective.<br />
Grâce au criticisme néo-kantien <strong>de</strong><br />
Renouvier, James fut à même <strong>de</strong> concilier le<br />
crédo <strong>de</strong> la science, vouée au déterminisme<br />
absolu, avec la liberté humaine. Il ne <strong>de</strong>vient<br />
finalement darwinien que <strong>sous</strong> cette caution.<br />
Ce qu’il réclamera au darwinisme ce sera la<br />
justification <strong>de</strong> ses propres conceptions sur la<br />
nature <strong>de</strong> l’esprit (mind), sur le développement<br />
<strong>de</strong> la connaissance, et sur la possibilité<br />
<strong>de</strong> l’action morale.<br />
JAMES MARK BALDWIN (1861-1934) était<br />
d’une autre trempe. Il n’a pas accueilli le<br />
darwinisme pour satisfaire une quelconque<br />
quête spirituelle ou une quête <strong>de</strong> soi. Il n’a<br />
pas non plus reçu passivement le darwinisme<br />
comme un crédo immuable, mais comme un<br />
placement à faire fructifier. Ses contributions<br />
<strong>de</strong>s années 1895-1897 sur la sélection organique<br />
et l’hérédité sociale ont ouvert à la<br />
psychologie génétique <strong>de</strong> nouveaux horizons.<br />
Piaget a toujours reconnu le profit qu’il a<br />
retiré <strong>de</strong>s notions <strong>de</strong> « réaction circulaire » et<br />
d’« accommodation ». Mais ce qu’on en est
venu à désigner par « effet Baldwin » 2 continue<br />
à inspirer aujourd’hui encore <strong>de</strong>s recherches<br />
nouvel<strong>les</strong> (Weber & DePew, 2003).<br />
En sus <strong>de</strong>s monographies très complètes<br />
consacrées à James et à Baldwin, l’ouvrage <strong>de</strong><br />
Richards comporte quelques matériaux relatifs<br />
à l’allégeance darwinienne d’autres psychologues,<br />
comme Wundt, ou Watson, sans<br />
que leur profil intellectuel ne se dégage avec<br />
netteté. Quelques autres ne bénéficient que<br />
d’une simple mention, comme Preyer,<br />
Dewey, Renouvier, Ribot, Hall, McDougall,<br />
Piaget. Malgré son étendue, le traité <strong>de</strong> Richards<br />
ne se signale pas par son ouverture. Il<br />
comporte même d’étranges silences. Ni Pierre<br />
Janet, ni <strong>Freud</strong>, ne figurent à l’in<strong>de</strong>x. En<br />
sept cent pages <strong>de</strong> texte serré, Richards n’a<br />
pas trouvé une seule occasion pour citer leur<br />
nom. Question d’idiosyncrasie sans doute !<br />
C’est aux auteurs français que l’ouvrage <strong>de</strong><br />
Richards est le moins accueillant. On n’en<br />
finirait pas <strong>de</strong> prolonger la liste <strong>de</strong>s omissions<br />
: Taine, Wallon, Georges Dumas,<br />
Ignace Meyerson, etc. Est-ce la raison pour<br />
laquelle la traduction française <strong>de</strong> cet ouvrage<br />
<strong>de</strong> référence se fait toujours attendre ?<br />
3<br />
THEODULE RIBOT (1839-1917) a récemment<br />
accédé au statut <strong>de</strong> star intellectuelle et ce<br />
n’est que justice. Normalien, agrégé <strong>de</strong> philo-<br />
2 Il s’agit d’un mécanisme <strong>de</strong> sélection spécifique aux capacités<br />
d’apprentissage, et qui ne serait pas limité aux seuls facteurs génétiques.<br />
7<br />
sophie, fondateur <strong>de</strong> la Revue Philosophique <strong>de</strong><br />
la France et <strong>de</strong> l’Étranger, professeur à la Sorbonne<br />
puis au Collège <strong>de</strong> France, membre <strong>de</strong><br />
l’Institut, il fut un auteur prolixe. Il a animé<br />
la vie intellectuelle française durant <strong>les</strong> <strong>de</strong>rnières<br />
décennies du XIX e siècle et la première<br />
du XX e. C’est le centenaire <strong>de</strong> la Revue Philosophique<br />
– qui continue <strong>de</strong> paraître – qui a<br />
attiré sur lui l’attention <strong>de</strong>s chercheurs. En ce<br />
qui concerne notre sujet, nous disposons à la<br />
fois d’étu<strong>de</strong>s monographiques et d’une contextualisation<br />
[19][75][76].<br />
Agrégé <strong>de</strong> philosophie, Ribot est nommé<br />
au Lycée <strong>de</strong> Vesoul où il enseigne pendant<br />
trois ans (1865-1868). C’est à cette époque<br />
qu’il lit <strong>les</strong> « positivistes » : Taine, Stuart Mill<br />
et Spencer. Il est emballé par <strong>les</strong> Princip<strong>les</strong> of<br />
Psychology (1855) <strong>de</strong> Spencer et se met en<br />
<strong>de</strong>voir <strong>de</strong> <strong>les</strong> traduire. Il vient <strong>de</strong> terminer<br />
cette traduction quand Spencer lui annonce<br />
qu’il va refondre et augmenter son livre et<br />
qu’il l’agrée comme traducteur. La secon<strong>de</strong><br />
édition <strong>de</strong>s Princip<strong>les</strong> of Psychology est publiée<br />
en 1870-1872. La traduction française <strong>de</strong><br />
Ribot, qui s’est adjoint pour l’occasion son<br />
ami Alfred Espinas (1844-1922), est publiée en<br />
1874-1875. Entre-temps Ribot était <strong>de</strong>venu<br />
célèbre. Il avait publié en 1870 La Psychologie<br />
anglaise contemporaine (école expérimentale) où 75<br />
pages sont dévolues à Spencer. Il avait soutenu<br />
en Sorbonne en 1873 sa thèse sur L’Hérédité<br />
psychologique, publiée la même année, et le<br />
grand maître à penser <strong>de</strong> l’époque – Hippo-
lyte Taine – en avait donné un compte rendu<br />
dans Le Journal <strong>de</strong>s Débats [86]. Taine avait<br />
cependant relevé avec désapprobation que<br />
Ribot avait eu pour gui<strong>de</strong> préféré Spencer.<br />
Taine lui-même ne s’était jamais entiché <strong>de</strong><br />
Spencer, sur l’œuvre duquel il faisait <strong>les</strong> mêmes<br />
réserves que Renouvier : trop ingénieux<br />
et spéculatif. Il ne fit rien pour le rencontrer,<br />
lui qui traversait aisément la Manche.<br />
Quant à Ribot, son engouement pour<br />
Spencer n’était pas près <strong>de</strong> fléchir. Quelques<br />
années plus tard il publiait son livre célèbre<br />
sur Les Maladies <strong>de</strong> la mémoire (1881) où l’influence<br />
à la fois directe et indirecte <strong>de</strong> Spencer<br />
est à son Zénith. Il lui doit la distinction<br />
entre mémoire consciente (<strong>de</strong> type psychique)<br />
et mémoire inconsciente (<strong>de</strong> type organique).<br />
Il lui doit même beaucoup plus. C’est<br />
dans ce livre que Ribot met à contribution la<br />
métho<strong>de</strong> pathologique à partir d’une lecture<br />
attentive du neurologue Hughlings Jackson<br />
(1835-1911). Or Jackson a toujours reconnu à<br />
Spencer en termes déférents l’inspiration <strong>de</strong><br />
ses propres conceptions sur l’évolution et la<br />
dissolution <strong>de</strong>s fonctions nerveuses. En<br />
bonne partie grâce à Ribot, autour <strong>de</strong> 1880<br />
« Spencer est certainement à ce moment l’auteur le<br />
plus édité en France » ([19] p. 265). Et pourtant<br />
l’heure du déclin n’est plus éloignée et le<br />
déclin sera abrupt. À sa mort en 1903 Spencer<br />
n’a droit qu’à une page et <strong>de</strong>mie <strong>de</strong> Ribot<br />
dans la Revue Philosophique !<br />
8<br />
4<br />
En ce qui concerne PIERRE JANET<br />
(1859-1947), une étu<strong>de</strong> récente d’Isabelle<br />
Saillot (2004) [83] a comblé la carence <strong>de</strong> Richards.<br />
C’est une étu<strong>de</strong> fouillée d’une spécialiste<br />
et à ce titre un modèle du genre. Elle<br />
n’est pas cependant dépourvue <strong>de</strong> lacunes et<br />
<strong>de</strong> faib<strong>les</strong>ses. L’évolutionnisme <strong>de</strong> Janet procè<strong>de</strong><br />
sans doute <strong>de</strong> Spencer, mais l’on aurait<br />
aimé en avoir une attestation concrète, du<br />
moins que ce problème ne soit pas élidé.<br />
En outre, <strong>les</strong> repères d’Isabelle Saillot en<br />
la matière sont unilatéraux. Elle s’appuie<br />
lour<strong>de</strong>ment sur <strong>les</strong> conceptions du cercle <strong>de</strong><br />
Harvard : Mayr, Gould, Sulloway. Trop<br />
éblouie par <strong>les</strong> opinions <strong>de</strong> ce cercle prestigieux,<br />
Saillot consacre la plus gran<strong>de</strong> moitié<br />
<strong>de</strong> son étu<strong>de</strong> à évaluer <strong>les</strong> dommages qu’en<br />
subissent <strong>les</strong> conceptions <strong>de</strong> Janet et à<br />
essayer d’y remédier. Mais sa tentative porte<br />
à faux. Les membres du cercle <strong>de</strong> Harvard<br />
n’en ont qu’après Lamarck, Haeckel, Lombroso<br />
et <strong>Freud</strong>. De Pierre Janet ils n’en ont<br />
cure. Ils l’ignorent et ne songent pas à en<br />
découdre avec lui. Avant <strong>de</strong> s’employer à leur<br />
répondre, Isabelle Saillot est d’abord obligée<br />
<strong>de</strong> transposer à Pierre Janet <strong>les</strong> critiques<br />
qu’ils adressent à Lombroso et à <strong>Freud</strong>. Ce<br />
faisant, elle néglige <strong>de</strong> remettre en question la<br />
valeur et la partialité <strong>de</strong>s opinions du cercle<br />
<strong>de</strong> Harvard. Pourtant, ces opinions ne sortent<br />
pas in<strong>de</strong>mnes <strong>de</strong>s mises au point que<br />
Robert J. Richards – <strong>de</strong> l’Université <strong>de</strong><br />
Chicago – ne s’est pas lassé <strong>de</strong> leur asséner
au cours <strong>de</strong> sa carrière. À cet égard Saillot<br />
suit le mauvais exemple régnant en France<br />
d’ignorer <strong>les</strong> contributions <strong>de</strong> Richards.<br />
Comparé aux profils intellectuels <strong>de</strong>s<br />
psychologues crayonnés par Richards (1987),<br />
Pierre Janet offre une figure atypique. On<br />
sait qu’au décours du XIX e siècle, l’évolutionnisme<br />
et le darwinisme se sont défaits.<br />
Deux décennies s’écouleront encore avant<br />
que Pierre Janet ne commence à s’y référer<br />
avec <strong>de</strong> plus en plus d’insistance. Jusque là<br />
toute sa carrière – riche en apports célèbres<br />
pour la psychopathologie – s’était déroulée<br />
dans un autre cadre <strong>de</strong> pensée. Ses investigations<br />
sur l’automatisme psychologique, le<br />
somnambulisme, l’hystérie, la psychasthénie,<br />
<strong>les</strong> obsessions et <strong>les</strong> idées fixes, ne doivent<br />
rien ni à l’évolutionnisme ni au darwinisme.<br />
Jusqu’au tournant du XX e siècle la pratique<br />
scientifique <strong>de</strong> Pierre Janet reste étrangère à<br />
l’évolutionnisme et au darwinisme. Ce fut<br />
donc apparemment pour lui une liaison<br />
tardive qui procura à sa pensée une sorte <strong>de</strong><br />
second souffle. Par exemple, suivant Ellenberger,<br />
qui fit beaucoup pour ramener la<br />
pensée <strong>de</strong> Janet à l’actualité (1970, p. 332) :<br />
Janet commença à réviser ses théories en<br />
1925 et construisit un nouveau système qui<br />
<strong>de</strong>meura quasiment inaperçu au milieu <strong>de</strong> la<br />
confusion morale et politique [<strong>de</strong> l’entre <strong>de</strong>ux<br />
guerres].<br />
Saillot n’est pas <strong>de</strong> cet avis. Pour elle<br />
cette apparence est un artefact dû à la nature<br />
9<br />
<strong>de</strong>s investigations <strong>de</strong> Janet, car il faut distinguer<br />
chez lui l’aliéniste du psychologue. Voici<br />
comment elle voit <strong>les</strong> choses.<br />
La première partie <strong>de</strong> la carrière <strong>de</strong> Janet<br />
est consacrée à <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> diagnostic et<br />
<strong>de</strong> traitement <strong>de</strong>s névroses. Janet y pratique<br />
une psychiatrie <strong>de</strong>scriptive, phénoménologique,<br />
qui s’enracine dans la psychologie<br />
dont elle adopte <strong>les</strong> modè<strong>les</strong> explicatifs. C’est<br />
pourquoi <strong>les</strong> modè<strong>les</strong> explicatifs <strong>de</strong> l’évolutionnisme<br />
biologique n’y jouent aucun rôle.<br />
Ce n’est qu’à partir <strong>de</strong> 1909 que dans ses<br />
leçons du Collège <strong>de</strong> France Pierre Janet<br />
commence à s’occuper <strong>de</strong> psychologie. Sa<br />
psychologie est elle aussi en gran<strong>de</strong> partie<br />
<strong>de</strong>scriptive, ayant pour objet <strong>les</strong> sentiments<br />
et <strong>les</strong> conduites. Cette psychologie s’enracine<br />
elle-même dans la biologie où elle cherche<br />
ses modè<strong>les</strong> explicatifs. C’est pourquoi l’évolutionnisme<br />
sera alors mis peu à peu à contribution.<br />
Cette ligne <strong>de</strong> pensée n’arrivera à sa<br />
pleine maturité qu’au milieu <strong>de</strong>s années vingt.<br />
En ce qui concerne la nature <strong>de</strong> son<br />
évolutionnisme Janet restera toujours vague.<br />
Chaque fois qu’il en traite il suppose son<br />
public au fait et se dispense d’apporter la<br />
moindre précision. Il se contente <strong>de</strong> l’air du<br />
temps. Une investigation plus minutieuse<br />
montre que son évolutionnisme est celui <strong>de</strong><br />
ses trois auteurs <strong>de</strong> prédilection : Ribot, son<br />
maître, à qui il a succédé au Collège <strong>de</strong><br />
France ; Baldwin, le célèbre psychologue américain<br />
; et Hughlings Jackson, le non moins
célèbre neurologue britannique. Tous <strong>les</strong><br />
trois sont spencériens, mais rien ne confirme<br />
que Janet ait beaucoup lu Spencer dans le<br />
texte. Et Lamarck ? Et <strong>Darwin</strong> ? Curieusement,<br />
on découvre dans une leçon du Collège<br />
<strong>de</strong> France une confi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> Janet qui<br />
avoue son péché mignon pour <strong>les</strong> plantes et<br />
la botanique. Il nous apprend dans la foulée<br />
qu’il avait lu en son temps le livre <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong><br />
sur <strong>les</strong> plantes grimpantes, « qui est si amusant<br />
dans son genre » 3 ! On peut néanmoins estimer<br />
que Ribot, Baldwin et Jackson ont joué un<br />
certain rôle dans le darwinisme <strong>de</strong> Janet.<br />
Les références <strong>de</strong> Janet à l’évolutionnisme<br />
sont si nombreuses à partir <strong>de</strong>s années<br />
vingt que Saillot a pu en rassembler tout un<br />
corpus et réussit à en extraire une vue générale.<br />
Elle aboutit à une configuration regroupant<br />
<strong>les</strong> six thématiques suivantes :<br />
1/ L’évolution est biface. D’un côté c’est<br />
une transformation graduelle <strong>de</strong> l’individu au<br />
cours <strong>de</strong> la vie, <strong>de</strong> l’autre c’est une transformation<br />
<strong>de</strong> la « race », ayant lieu sur <strong>de</strong> plus longues<br />
pério<strong>de</strong>s.<br />
2/ Les conduites évoluent et se développent<br />
pour s’adapter <strong>de</strong> mieux en mieux aux circonstances<br />
: el<strong>les</strong> sont uti<strong>les</strong>. En conséquence,<br />
l’évolution tend vers le perfectionnement.<br />
3/ L’évolution obéit à la loi <strong>de</strong> Haeckel : elle<br />
est récapitulée au cours du développement<br />
(organique) <strong>de</strong> l’embryon.<br />
3 JANET (1926-1927) : La Pensée intérieure & ses troub<strong>les</strong>, 2 e leçon,<br />
du 16 décembre 1926. ([59], p. 28). Notons inci<strong>de</strong>mment que<br />
Piaget partageait avec Janet la même « passion secrète ».<br />
10<br />
4/ Les anciennes fonctions possè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s<br />
organes spécifiques. Mais <strong>les</strong> progrès et <strong>les</strong><br />
inventions <strong>de</strong>s individus créent couramment <strong>de</strong>s<br />
organes futurs par la transmission à la <strong>de</strong>scendance<br />
<strong>de</strong>s adaptations quotidiennes.<br />
5/ L’évolution et son analogue embryologique<br />
passent par une série <strong>de</strong> sta<strong>de</strong>s, ou <strong>de</strong>s<br />
échelons <strong>de</strong> perfectionnement. Les niveaux inférieurs<br />
<strong>de</strong> cette progression peuvent être observés<br />
aujourd’hui chez <strong>les</strong> enfants, <strong>les</strong> primitifs, <strong>les</strong><br />
singes et <strong>les</strong> personnes névrosés.<br />
6/ Les niveaux inférieurs constatés aujourd’hui<br />
peuvent être expliqués par <strong>de</strong>s arrêts du<br />
développement ou <strong>de</strong>s régressions (réversions).<br />
La source <strong>de</strong> ces thèmes est aisément<br />
i<strong>de</strong>ntifiable. De Lamarck procè<strong>de</strong>nt <strong>les</strong><br />
points n os 1 et 4. De Spencer, le point nº 2,<br />
mais aussi <strong>les</strong> points n os 1 et 4. De Haeckel,<br />
<strong>les</strong> points n os 3 et 5. De Hughlings Jackson<br />
<strong>les</strong> point n os 5 et 6. L’esprit du temps permettait<br />
l’amalgame <strong>de</strong> toutes ces sources en<br />
un large fleuve tranquille sur lequel naviguait<br />
paisiblement l’opinion éclairée <strong>sous</strong> le pavillon<br />
du darwinisme. Regroupons ces éléments<br />
dans un tableau :<br />
Thématique « darwinienne » <strong>de</strong> Pierre Janet<br />
Source 1 2 3 4 5 6<br />
Lamarck x x<br />
Spencer x x x<br />
Hæckel x x<br />
Jackson x x
L’œuvre <strong>de</strong> Janet a-t-elle besoin d’un<br />
sauvetage ? Ne se justifie-t-elle pas par ellemême<br />
? La pensée <strong>de</strong> Janet ne <strong>de</strong>meure-t-elle<br />
pas vivante malgré le caractère obsolète <strong>de</strong><br />
certaines <strong>de</strong> ses formulations ? En quoi la<br />
consolidation ou l’effondrement <strong>de</strong>s idées<br />
évolutionnistes <strong>de</strong> Spencer ou <strong>Darwin</strong> peut-il<br />
se répercuter sur la doctrine d’un psychologue<br />
? N’est-ce pas une position elle-même<br />
discutable celle qui admet qu’une discipline<br />
peut avoir un fon<strong>de</strong>ment d’emprunt ?<br />
La secon<strong>de</strong> moitié <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Saillot<br />
répond directement ou indirectement à ces<br />
questions. En un mot : Saillot est d’accord<br />
pour « dépoussiérer » l’œuvre <strong>de</strong> Janet. Elle<br />
estime, en revanche, que le fon<strong>de</strong>ment obsolète<br />
<strong>de</strong> sa psychologie dans l’évolutionnisme<br />
biologique du siècle précé<strong>de</strong>nt ne ruine pas<br />
cette psychologie. D’une part, il est possible<br />
<strong>de</strong> la détacher sans peine <strong>de</strong> ce fon<strong>de</strong>ment,<br />
après tout inessentiel. D’autre part, il est aisé<br />
d’y séparer le bon grain <strong>de</strong> l’ivraie.<br />
S’il est une chose à regretter du point <strong>de</strong><br />
vue qui est le nôtre – et qui est celui du<br />
psychoclinicien – c’est le peu <strong>de</strong> concernement<br />
que manifeste Saillot pour le prodigieux<br />
renouvellement <strong>de</strong> la pensée <strong>de</strong> Janet<br />
au cours <strong>de</strong>s années trente, lequel ne doit<br />
rien à l’évolutionnisme biologique. Ce fut<br />
une riche idée qu’a eue la Société Pierre Janet <strong>de</strong><br />
recueillir pour la première fois, en <strong>de</strong>ux livraisons<br />
du Bulletin <strong>de</strong> Psychologie (1993-1994,<br />
n os 413 et 414), cette série d’étu<strong>de</strong>s passion-<br />
11<br />
nantes que Pierre Janet a publiées au cours<br />
<strong>de</strong> cette décennie.<br />
II.<br />
Le darwinisme <strong>de</strong> <strong>Freud</strong><br />
5<br />
Par <strong>les</strong> rappels précé<strong>de</strong>nts, j’ai voulu marquer<br />
que le darwinisme <strong>de</strong> SIGMUND<br />
FREUD (1856-1939) ne doit pas être envisagé<br />
comme un sujet indépendant. Sulloway et<br />
Ritvo, qui ont fait beaucoup plus que défricher<br />
ce domaine, auraient eu tout intérêt à ne<br />
pas négliger cet aspect comparatif. Ce faisant,<br />
la singularité <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> n’en ressort que<br />
mieux. <strong>Freud</strong> se distingue beaucoup <strong>de</strong> William<br />
James et <strong>de</strong> Baldwin. En revanche, il a<br />
quelques affinités avec Ribot. Mais avec Janet<br />
– son frère ennemi – il partage la même<br />
atmosphère. Ils respiraient tous <strong>de</strong>ux à pleins<br />
poumons le même air du temps.<br />
La seule différence notable appartient à<br />
leur tempérament. Janet n’avait <strong>de</strong> culte ni<br />
pour <strong>les</strong> maîtres, ni pour <strong>les</strong> grands hommes,<br />
ni même pour <strong>les</strong> théories. Il avait <strong>les</strong> majuscu<strong>les</strong><br />
en horreur. On a dit que « <strong>Darwin</strong> et<br />
<strong>Freud</strong> avaient, l’un comme l’autre, le génie <strong>de</strong> donner<br />
une signification inattendue à ce qui paraissait banal<br />
» 4 . Janet était par contre un tiè<strong>de</strong> qui banalisait<br />
ce qu’il touchait, y compris <strong>les</strong> problèmes<br />
<strong>de</strong> psychologie. Il n’y a rien d’exaltant<br />
4 SULLOWAY (1979) : <strong>Freud</strong> biologiste <strong>de</strong> l’esprit, chap. 7, tf p. 244.
à le lire. Il n’avait pas <strong>de</strong> cause à défendre, ni<br />
semble-t-il <strong>de</strong> véritable lutte à mener pour sa<br />
carrière. Il avait la pensée et la vie faci<strong>les</strong>.<br />
Avec <strong>Freud</strong>, le contraste est frappant.<br />
On a vu que l’évolutionnisme <strong>de</strong> Janet<br />
procè<strong>de</strong> <strong>de</strong> Spencer dont il néglige <strong>de</strong> prononcer<br />
le nom. Janet n’a besoin <strong>de</strong> s’autoriser<br />
<strong>de</strong> personne. Avait-il une préférence pour<br />
Spencer sur <strong>Darwin</strong> ? Les distinguait-il ou <strong>les</strong><br />
confondait-il ? On ne le sait. <strong>Freud</strong> <strong>les</strong> distinguait.<br />
Il n’avait d’yeux que pour <strong>Darwin</strong>.<br />
L’homme le fascinait parce qu’il incarnait<br />
pour lui la stature du savant. Il connaissait<br />
Spencer, mais ne s’y référait que <strong>de</strong> manière<br />
périphérique, pour ainsi dire du bout <strong>de</strong>s<br />
lèvres.. C’était un polygraphe qui brassait <strong>de</strong>s<br />
idées et qui se prenait à tort ou à raison pour<br />
le philosophe <strong>de</strong> l’évolution. Il ne l’impressionnait<br />
pas. Aux yeux <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> il n’était<br />
vraisemblablement qu’un plumitif ; il ne pouvait<br />
l’admirer. L’évolutionnisme <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> se<br />
réclame <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong>. On va bientôt constater<br />
que le darwinisme <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> est tout aussi<br />
bariolé que le spencérisme <strong>de</strong> Janet.<br />
Trois auteurs ont consacré au darwinisme<br />
<strong>de</strong> <strong>Freud</strong> une investigation poussée avec<br />
<strong>de</strong>s arrière-pensées, <strong>de</strong>s intentions, et <strong>de</strong>s objectifs<br />
divers : Sulloway, Ritvo et Assoun.<br />
Un défaut grève trop <strong>de</strong> travaux relatifs à<br />
l’histoire <strong>de</strong>s sciences. On y distribue souvent<br />
<strong>de</strong>s éloges et <strong>de</strong>s blâmes, on institue <strong>de</strong>s<br />
procès d’intention ou on en fait un champ <strong>de</strong><br />
luttes idéologiques. La stature exacte <strong>de</strong>s<br />
12<br />
savants comme penseurs, comme initiateurs<br />
et comme novateurs est oblitérée. En ce<br />
domaine, l’adulation et la répriman<strong>de</strong> sont<br />
parfaitement déplacées. Il est regrettable que<br />
<strong>les</strong> recherches si précieuses et si minutieuses<br />
<strong>de</strong> Ritvo penchent constamment vers l’adulation<br />
<strong>de</strong> <strong>Freud</strong>, tandis que cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> Sulloway<br />
versent en <strong>de</strong> sordi<strong>de</strong>s règlements <strong>de</strong><br />
comptes étrangers au sujet.<br />
Sulloway ratisse large. <strong>Freud</strong> est pour lui<br />
un esprit faux au double sens du terme. Il<br />
veut montrer que ce qu’il y a d’intéressant<br />
chez <strong>Freud</strong>, il le doit à d’autres ; et ce qu’il y<br />
a d’erroné, il ne le doit qu’à lui-même. – Et si<br />
c’était parfois le contraire ? L’idée n’effleure<br />
pas son esprit malveillant. Pourquoi tant <strong>de</strong><br />
haine ? Comment la malveillance – à elle<br />
seule – peut-elle animer cette extraordinaire<br />
volonté <strong>de</strong> recherche et inspirer six cents<br />
pages d’érudition impeccable ? Mystère.<br />
Ritvo travaille en profon<strong>de</strong>ur, par incursions<br />
successives… à la gloire <strong>de</strong> <strong>Freud</strong>. Elle<br />
cherche à montrer comment il a recueilli à<br />
droite et à gauche <strong>de</strong>s semences, et avec quel<br />
talent il <strong>les</strong> a fait fructifier. Et si c’était parfois<br />
<strong>de</strong> l’ivraie ? L’idée ne l’effleure pas.<br />
Dans <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux cas <strong>de</strong>s règ<strong>les</strong> élémentaires<br />
<strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>s sciences sont bafouées. Assoun,<br />
philosophe <strong>de</strong> formation, et nourri à la<br />
tradition française, y échappe. Ses remarquab<strong>les</strong><br />
travaux historiques et critiques sont<br />
conduits selon <strong>les</strong> principes élémentaires <strong>de</strong><br />
l’épistémologie. Il est immunisé contre le
« virus du précurseur » et la « pesée <strong>de</strong>s influences<br />
». Il sait que « la complaisance à rechercher,<br />
à trouver et à célébrer <strong>de</strong>s précurseurs est le symptôme<br />
le plus net d’inaptitu<strong>de</strong> à la critique épistémologique<br />
» (Canguilhem, [33] pp. 21 et 100). Ce<br />
n’est pas lui qui eût dit à l’instar <strong>de</strong> Ritvo, « il<br />
est difficile <strong>de</strong> quantifier l’influence que l’on doit<br />
attribuer à <strong>Darwin</strong> » ([82] p. 277), car il ne<br />
s’agit pas d’influence, et encore moins <strong>de</strong> la<br />
quantifier. La direction du vecteur ne va pas<br />
<strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> à <strong>Freud</strong>, mais <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> à <strong>Darwin</strong>.<br />
Il ne s’agit pas <strong>de</strong> savoir ce que <strong>Darwin</strong> avait<br />
à offrir, mais ce que <strong>Freud</strong> a puisé chez lui –<br />
et chez d’autres – au titre <strong>de</strong> son propre<br />
darwinisme.<br />
Par quel biais approcher le darwinisme<br />
<strong>de</strong> <strong>Freud</strong> ? La démarche suivie par Saillot à<br />
propos <strong>de</strong> Janet est un modèle qui pourrait<br />
nous inspirer. Il s’agira <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssiner la configuration<br />
du darwinisme <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> comme un<br />
ensemble <strong>de</strong> thèmes et, en passant en revue<br />
<strong>les</strong> traits spécifiques <strong>les</strong> plus saillants <strong>de</strong> ce<br />
darwinisme, <strong>de</strong> <strong>les</strong> assortir d’un florilège <strong>de</strong><br />
citations. Un procédé plus expéditif est à<br />
notre portée grâce à l’ouvrage <strong>de</strong> Ritvo [82].<br />
Les différents thèmes du darwinisme freudien<br />
y figurent à peu près tous. Il n’était pas<br />
trop difficile <strong>de</strong> <strong>les</strong> repérer dans la mesure où<br />
<strong>Freud</strong> lui-même ne <strong>les</strong> a pas celés. Un balayage<br />
rapi<strong>de</strong> du livre <strong>de</strong> Ritvo est à même <strong>de</strong><br />
nous suffire. En guise <strong>de</strong> contrôle, on peut<br />
recourir au chapitre 7 du livre <strong>de</strong> Sulloway :<br />
13<br />
« Le legs <strong>de</strong> la révolution darwinienne à la psychologie<br />
& à la psychanalyse » ([84], pp. 226-263).<br />
Seulement, ce ne sont pas <strong>de</strong>s thèmes que<br />
nous y recueillerons, n’ayant avec le freudisme<br />
qu’une liaison relâchée et plus ou mois<br />
adventice, – comme cela semble être le cas<br />
pour Janet si l’on suit Saillot. Ce ne sont pas<br />
non plus <strong>de</strong>s semences à faire fructifier, ou<br />
<strong>de</strong> l’ivraie. Ce sont bel et bien <strong>les</strong> assomptions<br />
<strong>de</strong> base du cadre <strong>de</strong> pensée <strong>de</strong> <strong>Freud</strong>, –<br />
<strong>de</strong>s Urprinzipe.<br />
6<br />
Le darwinisme <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> est un problème<br />
complexe qui se présente <strong>sous</strong> plusieurs<br />
aspects. Il se présente plus exactement <strong>sous</strong><br />
l’aspect <strong>de</strong> couches superposées, enveloppées<br />
<strong>les</strong> unes dans <strong>les</strong> autres. Les premières étant<br />
communes à la Weltanschauung scientifique <strong>de</strong><br />
l’époque, et que subsume le terme <strong>de</strong> « scientisme<br />
». Les <strong>de</strong>rnières étant plus spécifiques<br />
au paradigme darwinien. Commençons par la<br />
première : la science et le déterminisme. Sur<br />
ce sujet <strong>Freud</strong> a été prolixe, son biographe<br />
Jones loquace, et Assoun pertinent. Il reste<br />
tout <strong>de</strong> même quelque chose à en dire, <strong>de</strong><br />
tout à fait élémentaire.<br />
Sans avoir à dresser la généalogie du<br />
déterminisme, il est <strong>de</strong> notoriété courante<br />
que L’Introduction à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine expérimentale<br />
(1865) <strong>de</strong> CLAUDE BERNARD (1813-1878)<br />
y tient un rôle <strong>de</strong> premier plan. Clau<strong>de</strong> Bernard<br />
avait lui-même la conviction d’avoir fixé
l’usage <strong>de</strong> ce terme. Du moins est-il certain<br />
qu’il l’a popularisé. Il nous dit l’avoir préféré<br />
à celui <strong>de</strong> « fatalisme » 5 :<br />
Dans <strong>les</strong> corps vivants comme dans <strong>les</strong><br />
corps bruts, <strong>les</strong> lois sont immuab<strong>les</strong>, et <strong>les</strong> phénomènes<br />
que ces lois régissent sont liés à leurs<br />
conditions d’existence par un déterminisme nécessaire<br />
et absolu. J’emploie ici le mot déterminisme<br />
comme plus convenable que le mot fatalisme<br />
dont on se sert quelquefois pour exprimer la<br />
même idée. Le déterminisme dans <strong>les</strong> conditions<br />
<strong>de</strong>s phénomènes <strong>de</strong> la vie doit être un <strong>de</strong>s<br />
axiomes du mé<strong>de</strong>cin expérimentateur.<br />
Il reprend l’idée et la développe au <strong>de</strong>rnier<br />
paragraphe <strong>de</strong> son livre 6 :<br />
… il faut se le rappeler, le principe scientifique<br />
immuable, aussi bien dans la mé<strong>de</strong>cine que<br />
dans <strong>les</strong> autres sciences expérimenta<strong>les</strong>, c’est le<br />
déterminisme absolu <strong>de</strong>s phénomènes. Nous<br />
avons donné le nom <strong>de</strong> déterminisme à la cause<br />
prochaine ou déterminante <strong>de</strong>s phénomènes. Nous<br />
n’agissons jamais sur l’essence <strong>de</strong>s phénomènes<br />
<strong>de</strong> la nature, mais seulement sur leur déterminisme,<br />
et par cela seul que nous agissons sur lui,<br />
le déterminisme diffère du fatalisme sur lequel<br />
on ne saurait agir. Le fatalisme suppose la manifestation<br />
nécessaire d’un phénomène indépendamment<br />
<strong>de</strong> ses conditions, tandis que le<br />
déterminisme est la condition d’un phénomène<br />
dont la manifestation n’est pas forcée. Une fois<br />
que la recherche du déterminisme <strong>de</strong>s phénomènes<br />
est posée comme le principe fondamental<br />
<strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> expérimentale, il n’y a plus ni<br />
matérialisme, ni spiritualisme, ni matière brute, ni<br />
5 CLAUDE BERNARD (1865) : Introduction à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine<br />
expérimentale, II e Partie, chap. 1, § 5, [22] p. 111.<br />
6 CLAUDE BERNARD (1865) : Introduction…, III e Partie, chap. 4,<br />
§ 4, [22] pp. 303-304. Cf. aussi (1865) « Du progrès dans <strong>les</strong><br />
sciences physiologiques », [23] pp. 39-40 et 55-56.<br />
14<br />
matière vivante, il n’y a que <strong>de</strong>s phénomènes<br />
dont il faut déterminer <strong>les</strong> conditions, c’est-à-dire<br />
<strong>les</strong> circonstances qui jouent par rapport à ces<br />
phénomènes le rôle <strong>de</strong> cause prochaine. Au-<strong>de</strong>là<br />
il n’y a plus rien <strong>de</strong> déterminé scientifiquement ;<br />
il n’y a que <strong>de</strong>s mots, qui sont nécessaires sans<br />
doute, mais qui peuvent nous faire illusion et<br />
nous tromper si nous ne sommes pas constamment<br />
en gar<strong>de</strong> contre <strong>les</strong> pièges que notre<br />
esprit se tend perpétuellement à lui-même.<br />
Clau<strong>de</strong> Bernard n’exclut pas la psychologie<br />
du déterminisme. Il prévient seulement<br />
qu’il faut y procé<strong>de</strong>r comme pour la synthèse<br />
vitale, où <strong>les</strong> fonctions <strong>de</strong> l’ensemble disparaissent<br />
quand on en isole <strong>les</strong> éléments 7 :<br />
Tout cela prouve que ces éléments, quoique<br />
distincts et autonomes, ne jouent pas pour cela le<br />
rôle <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> associés, et que leur union exprime<br />
plus que l’addition <strong>de</strong> leurs propriétés séparées.<br />
Je suis persuadé que <strong>les</strong> obstac<strong>les</strong> qui entourent<br />
l’étu<strong>de</strong> expérimentale <strong>de</strong> phénomènes<br />
psychologiques sont en gran<strong>de</strong> partie dus à <strong>de</strong>s<br />
difficultés <strong>de</strong> cet ordre ; car, malgré leur nature<br />
merveilleuse et la délicatesse <strong>de</strong> leurs manifestations,<br />
il est impossible, selon moi, <strong>de</strong> ne pas faire<br />
entrer <strong>les</strong> phénomènes cérébraux, comme tous<br />
<strong>les</strong> autres phénomènes <strong>de</strong>s corps vivants, dans<br />
<strong>les</strong> lois d’un déterminisme scientifique.<br />
Jusque là, la même plate-forme épistémologique<br />
est commune à <strong>Freud</strong> et Clau<strong>de</strong><br />
Bernard. Mais bientôt ils se séparent. <strong>Freud</strong><br />
assume non seulement le déterminisme, mais<br />
il se targue encore d’être un « incorrigible mécaniste<br />
et matérialiste » 8 . Nous avons vu plus haut<br />
7 CL. BERNARD (1865) : Introd...., II e Partie, chap. 2, § 1, p. 140.<br />
8 FREUD (1921 [1941d]) : « Psychanalyse et télépathie », OCF, 16 :<br />
103 ; SE, 18 : 179. Cf. aussi (1933a), OCF, 19 : 137 ; SE, 22 : 55.
comment Clau<strong>de</strong> Bernard renvoyait dos à<br />
dos le matérialisme et le spiritualisme. Quant<br />
au mécanicisme et au physicalisme, Clau<strong>de</strong><br />
Bernard y échappe grâce à la gran<strong>de</strong> découverte<br />
qui <strong>de</strong>meure inscrite à son actif. Ainsi<br />
que le note Canguilhem ([33] p. 161) :<br />
Le génie <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Bernard, en créant le<br />
concept <strong>de</strong> milieu intérieur, opérait la dissociation<br />
en biologie <strong>de</strong>s concepts <strong>de</strong> déterminisme et<br />
<strong>de</strong> mécanisme.<br />
Avec son concept <strong>de</strong> milieu intérieur (et<br />
sa théorie cellulaire) Clau<strong>de</strong> Bernard parvient<br />
non seulement à conjurer le fatalisme, mais la<br />
liberté <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus le corrélat du déterminisme.<br />
C’est là un point <strong>de</strong> vue particulièrement<br />
original, que Clau<strong>de</strong> Bernard exprime<br />
comme à son habitu<strong>de</strong> en termes simp<strong>les</strong> 9 :<br />
Ce que nous voyons extérieurement n’est<br />
que le résultat <strong>de</strong>s excitations physico-chimiques<br />
du milieu intérieur ; c’est là que le physiologiste<br />
doit établir le déterminisme réel <strong>de</strong>s fonctions<br />
vita<strong>les</strong>.<br />
Les machines vivantes sont donc créées et<br />
construites <strong>de</strong> telle façon, qu’en se perfectionnant,<br />
el<strong>les</strong> <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> plus en plus libres dans<br />
le milieu cosmique général. Mais il n’en existe<br />
pas moins toujours le déterminisme le plus absolu<br />
dans leur milieu interne, qui, par suite <strong>de</strong> ce<br />
même perfectionnement organique s’est isolé <strong>de</strong><br />
plus en plus du milieu cosmique extérieur.<br />
Il est bien certain que <strong>Freud</strong> n’a point lu<br />
ni approfondi l’œuvre <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Bernard. S’il<br />
eût été autrement, ses idées mécanicistes tou-<br />
9 CLAUDE BERNARD (1865) : Introduction…, II e Partie, chap. 1, § 8,<br />
pp. 122-123.<br />
15<br />
chant la conception du « pare-excitations » 10<br />
n’auraient pas eu lieu d’être.<br />
7<br />
<strong>Freud</strong> & Clau<strong>de</strong> Bernard : le parallèle<br />
mérite d’être instruit. Non que <strong>Freud</strong> l’ait<br />
lu, approfondi et s’en soit inspiré. C’est tout<br />
le contraire. <strong>Freud</strong> était sans doute trop satisfait<br />
<strong>de</strong> ses maîtres viennois et <strong>de</strong> la tradition<br />
médicale germanique où il barbotait, pour<br />
songer à regar<strong>de</strong>r ailleurs. L’in<strong>de</strong>x <strong>de</strong> la<br />
Standard Edition répertorie une seule fois le<br />
nom <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Bernard. La référence est<br />
d’ordre anecdotique. Elle survient dans la<br />
Traum<strong>de</strong>utung. <strong>Freud</strong> a retenu <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Bernard<br />
la maxime qu’au laboratoire « il faut<br />
travailler comme une bête » 11 . La biographie <strong>de</strong><br />
Jones en trois volumes, non plus que le livre<br />
copieux <strong>de</strong> Sulloway ne font mention <strong>de</strong><br />
Clau<strong>de</strong> Bernard. Le parallèle entre l’épistémologie<br />
<strong>de</strong> <strong>Freud</strong> et celle <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Bernard<br />
est un sujet neuf.<br />
Une douzaine <strong>de</strong> thèmes principaux<br />
valent la peine d’être relevés. La moitié révèle<br />
une connivence étendue, mais parfois inattendue.<br />
1°/ Clau<strong>de</strong> Bernard et <strong>Freud</strong> soulignent<br />
tous <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux l’importance du procédé<br />
technique dans la recherche fondamentale 12 .<br />
10 FREUD (1920g) : « Au-<strong>de</strong>là du principe <strong>de</strong> plaisir », OCF, 15 :<br />
298-300 ; SE, 18 : 27-29. (Pare-excitations ou pare-stimuli).<br />
11 FREUD (1900a) : L’Interprét. du rêve, OCF, 4 : 575 ; SE, 5 : 523.<br />
12 BERNARD, Introd., I re partie, chap. 1, § 3, pp. 42-44. À propos<br />
<strong>de</strong> <strong>Freud</strong>, cf. JONES, tome I, chap. 4, tf pp. 56-57. <strong>Freud</strong> a espéré<br />
<strong>de</strong>venir célèbre pour un procédé <strong>de</strong> coloration <strong>de</strong>s préparations
2°/ Tous <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux soulignent l’importance<br />
du détail infime 13 . 3°/ Tous <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux constatent<br />
que d’importantes découvertes se font<br />
« par erreur » 14 . 4°/ Tous <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux tiennent<br />
<strong>les</strong> théories pour <strong>de</strong>s échafaudages provisoires<br />
15 . 5°/ Tous <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux estiment que le normal<br />
et le pathologique relèvent <strong>de</strong>s mêmes<br />
lois 16 . 6°/ Enfin, tous <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux partagent la<br />
même conception matérialiste <strong>de</strong> la neurologie<br />
et <strong>de</strong> la psychologie 17 .<br />
Sur <strong>les</strong> six autres thèmes, <strong>les</strong> positions <strong>de</strong><br />
<strong>Freud</strong> divergent <strong>de</strong> cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Bernard,<br />
au point d’être parfois antithétiques. 7°/ Sur<br />
la question du déterminisme, nous avons vu<br />
comment <strong>Freud</strong> se réclamait du mécanicisme<br />
alors que Clau<strong>de</strong> Bernard y échappait. 8°/ Ce<br />
<strong>de</strong>rnier y échappait grâce à sa découverte du<br />
milieu intérieur, alors que <strong>Freud</strong> ne pouvait<br />
avancer qu’en boitant à cause <strong>de</strong> sa conception<br />
mécaniciste du pare-excitations. 9°/ En<br />
tant que mé<strong>de</strong>cins, ils avaient <strong>de</strong>s intérêts divergents.<br />
<strong>Freud</strong> s’intéressait à l’anatomie et à<br />
l’histologie ; Clau<strong>de</strong> Bernard, à la physiologie.<br />
histologiques. La psychanalyse est d’abord un nouveau procédé<br />
d’exploration <strong>de</strong> l’inconscient.<br />
13 BERNARD, Introd., I re partie, chap. 1, § 3, pp. 43-44. À propos<br />
<strong>de</strong> FREUD, il suffit <strong>de</strong> compulser la Traum<strong>de</strong>utung (1900a) ou La<br />
Psychopathologie <strong>de</strong> la vie quotidienne (1901b)…<br />
14 BERNARD, Introd., III e partie, chap. 1, § 2, pp. 228-239, et aussi<br />
chap. 3, § 1, p. 270. Quant à <strong>Freud</strong>, il se comparaît volontiers à<br />
Christophe Colomb qui a découvert involontairement l’Amérique,<br />
cf. JONES, tome II, chap. 16, tf pp. 438-439.<br />
15 BERNARD, Introd., III e partie, chap. 1, § 2, pp. 234-235. En ce<br />
qui concerne <strong>Freud</strong>, cf. ASSOUN (1981), pp. 73-89, qui révèle que<br />
ce thème procè<strong>de</strong> <strong>de</strong> la lecture d’Ernst Mach.<br />
16 BERNARD, Introd., pp. 39, 205, 267, etc. En ce qui concerne<br />
FREUD, <strong>les</strong> références sont innombrab<strong>les</strong>.<br />
17 Tout ce que dit Clau<strong>de</strong> Bernard (1872) dans son étu<strong>de</strong> sur <strong>les</strong><br />
« Fonctions du cerveau » [24], pourrait être contresigné par <strong>Freud</strong>.<br />
16<br />
10°/ Leurs dons en tant que chercheurs<br />
<strong>les</strong> opposent. <strong>Freud</strong> était un piètre expérimentateur<br />
18 . Durant sa carrière médicale,<br />
quand c’était l’anatomie et l’histologie qui<br />
l’attiraient, il se fiait au microscope et à ses<br />
yeux. Durant sa carrière psychanalytique, il<br />
ne se fiait plus qu’à ses oreil<strong>les</strong>. Il semble<br />
qu’il eut <strong>les</strong> mains inhibées en tant que<br />
savant. Il a pratiqué toute sa vie – peut-être<br />
sans le savoir – la métho<strong>de</strong> d’observation<br />
expectante prônée par Hippocrate, et que<br />
Clau<strong>de</strong> Bernard blâme avec <strong>de</strong>s mots très<br />
durs. Quant-à Clau<strong>de</strong> Bernard, c’était un<br />
expérimentaliste hors <strong>de</strong> pair. Il a concentré<br />
tout son intérêt sur la physiologie. Mais la<br />
recherche physiologique doit se faire sur le<br />
vivant, et Clau<strong>de</strong> Bernard a rédigé un vibrant<br />
plaidoyer en faveur <strong>de</strong> la vivisection 19 . Renan<br />
avait su atténuer la férocité <strong>de</strong> ce plaidoyer<br />
en brossant <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Bernard un portrait à<br />
l’antique 20 :<br />
Ses longs doigts plongés dans <strong>les</strong> plaies semblaient<br />
ceux d’un augure antique poursuivant dans <strong>les</strong><br />
entrail<strong>les</strong> <strong>de</strong>s victimes <strong>de</strong> mystérieux secrets.<br />
Tout le temps que <strong>Freud</strong> a passé à tenir<br />
un cigare entre <strong>les</strong> doigts, Clau<strong>de</strong> Bernard l’a<br />
employé à manier le bistouri. 11°/ L’opposition<br />
entre <strong>Freud</strong> et Clau<strong>de</strong> Bernard est<br />
encore plus tranchée en ce qui concerne le<br />
dynamisme qui anime l’être vivant. On sait<br />
18 Cf. JONES, tome I er, chap. 4, tf pp. 56-61.<br />
19 BERNARD, Introd…, II e partie, chap. 2.<br />
20 BARIETY & COURY (1963) : Hist. <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine, Fayard, p. 662.
que la Triebelehre – la théorie <strong>de</strong>s pulsions –<br />
<strong>de</strong> <strong>Freud</strong> est dualiste. Sa psychologie est conçue<br />
en termes <strong>de</strong> lutte, <strong>de</strong> conflit, <strong>de</strong> compromis,<br />
<strong>de</strong> refoulement, etc. Clau<strong>de</strong> Bernard<br />
soutient carrément le contraire 21 :<br />
Il n’y a pas <strong>de</strong>s forces en opposition et en<br />
lutte <strong>les</strong> unes avec <strong>les</strong> autres ; dans la nature il ne<br />
saurait y avoir qu’arrangement et dérangement,<br />
qu’harmonie et désharmonie.<br />
Chez Cl. Bernard le déterminisme enveloppe<br />
lui-même <strong>de</strong>s rapports harmonieux 22 :<br />
… il faut reconnaître que le déterminisme<br />
dans <strong>les</strong> phénomènes <strong>de</strong> la vie est non seulement<br />
un déterminisme très complexe, mais que c’est<br />
en même temps un déterminisme qui est<br />
harmoniquement hiérarchisé.<br />
Il va jusqu’à couler sa pensée dans <strong>les</strong><br />
termes mêmes <strong>de</strong> la philosophie <strong>de</strong> Leibniz :<br />
« le physiologiste est porté à admettre une finalité<br />
harmonique et préétablie » 23 . Clau<strong>de</strong> Bernard ne<br />
se lasse pas <strong>de</strong> reprendre ces idées 24 . Comme<br />
on le verra plus loin (III§12), <strong>Freud</strong> était<br />
prémuni contre l’idée d’harmonie grâce à<br />
<strong>Darwin</strong> et à Helmholtz.<br />
12°/ Le <strong>de</strong>rnier point <strong>de</strong> désaccord notable<br />
entre <strong>Freud</strong> et Clau<strong>de</strong> Bernard se<br />
rapporte à leur approche <strong>de</strong> la nosographie.<br />
Ce point fera plus loin l’objet d’une discussion<br />
approfondie (IV§14).<br />
21 BERNARD, Introd..., II e partie, chap. 1, § 3, p. 104.<br />
22 BERNARD, Introd..., II e partie, chap. 2, § 1, p. 136.<br />
23 BERNARD, Introd..., II e partie, chap. 2, § 1, p. 137.<br />
24 BERNARD, op. cit., pp. 99, 104, 122, 129, 136, 136-137, 139, etc.<br />
17<br />
Le ci-<strong>de</strong>vant parallèle entre l’épistémologie<br />
<strong>de</strong> <strong>Freud</strong> et celle <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Bernard ne<br />
prétend pas épuiser la question. Son objectif<br />
est seulement <strong>de</strong> clarifier <strong>les</strong> idées <strong>de</strong> <strong>Freud</strong>.<br />
Résumons ce parallèle en un tableau :<br />
<strong>Freud</strong> Clau<strong>de</strong> Bernard<br />
1 Importance du procédé technique<br />
2 Importance du détail infime<br />
3 Importance <strong>de</strong>s découvertes « par erreur »<br />
4 Les théories sont <strong>de</strong>s échafaudages provisoires<br />
5 Le normal et le pathologique relèvent<br />
<strong>de</strong>s mêmes lois<br />
6 Conception matérialiste <strong>de</strong> la neurologie<br />
et <strong>de</strong> la psychologie<br />
7 Déterminisme Déterminisme<br />
mécaniste non mécaniste<br />
8 Pare-excitations Milieu intérieur<br />
9 Dissections<br />
Vivisections<br />
anatomiques physiologiques<br />
10 Observation Expérimentation<br />
expectative<br />
active<br />
11 Lutte, conflit,<br />
Harmonie<br />
compromis<br />
hiérarchisée<br />
12 Attachement à la Liquidation <strong>de</strong> la<br />
nosographie nosographie<br />
8<br />
Essayons à présent <strong>de</strong> dresser le répertoire<br />
<strong>de</strong>s assomptions <strong>de</strong> base <strong>de</strong> <strong>Freud</strong><br />
qui procè<strong>de</strong>nt du darwinisme. En voici l’énumération<br />
schématique :<br />
1/ Il y a d’abord une adhésion pleine et<br />
entière au déterminisme scientifique dans sa<br />
version scientiste, c’est-à-dire matérialiste et<br />
mécaniciste.
2/ Ce déterminisme est aussi <strong>de</strong> type<br />
utilitaire. Dans le mon<strong>de</strong> du vivant, l’enchaînement<br />
<strong>de</strong>s causes n’est pas gratuit. Il sert à<br />
la survie <strong>de</strong> l’espèce, ou il la <strong>de</strong>ssert et conduit<br />
à son extinction. (<strong>Darwin</strong>)<br />
3/ Cet utilitarisme est régi par le principe<br />
d’économie conforme à la tradition anglosaxonne.<br />
Le terme d’économie est ambigu.<br />
Soyons plus précis et recourons au texte <strong>de</strong><br />
<strong>Darwin</strong>. On y trouve trois acceptions té<strong>les</strong>copées.<br />
Il y a d’abord l’idée d’une pénurie <strong>de</strong>s<br />
subsistances, qui procè<strong>de</strong> <strong>de</strong> Malthus. Il y a<br />
ensuite une gestion rationnelle <strong>de</strong>s ressources<br />
qui équilibre <strong>les</strong> bénéfices et <strong>les</strong> dépenses.<br />
C’est la loi <strong>de</strong> la compensation 25 :<br />
Geoffroy Saint-Hilaire l’aîné et Gœthe ont<br />
développé, à peu près à la même époque, la loi<br />
<strong>de</strong> la compensation <strong>de</strong> croissance ; ou, pour me<br />
servir <strong>de</strong>s expressions <strong>de</strong> Gœthe : « afin <strong>de</strong><br />
pouvoir dépenser d’un côté, la nature est obligée<br />
d’économiser <strong>de</strong> l’autre. »<br />
L’ouvrage <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> (1905c) sur le Trait<br />
d’esprit est fondé sur cette loi.<br />
Il y a enfin l’axiome <strong>de</strong> la moindre action<br />
attribué à Maupertuis 26 . Ces trois acceptions<br />
se retrouvent chez <strong>Freud</strong> té<strong>les</strong>copées comme<br />
chez <strong>Darwin</strong>. Un seul mot d’ordre <strong>les</strong> regroupe<br />
: la nature et <strong>les</strong> sciences naturel<strong>les</strong><br />
ont horreur du gaspillage.<br />
25 DARWIN (1859) : L’Orig. <strong>de</strong>s espèces, 1 re éd., chap. 5, GF, p. 199.<br />
26 DARWIN (1859) : L’Origine <strong>de</strong>s espèces, éd. définitive, chap. 15 :<br />
« Récapitulation et conclusions », tf PCM, tome II, [38] p. 568.<br />
La référence à Maupertuis est ajoutée à la 3 e éd. (Peckham, 751).<br />
18<br />
4/ La vie est la lutte pour la survie. Le<br />
conflit est au cœur <strong>de</strong> la doctrine <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong>.<br />
Comme <strong>Freud</strong> a placé la lutte et le conflit au<br />
premier plan <strong>de</strong> sa doctrine, certains auteurs<br />
se sont hâtés <strong>de</strong> faire le rapprochement avec<br />
<strong>Darwin</strong> 27 . On verra plus loin (III§13, infra)<br />
que ce rapprochement est fallacieux.<br />
5/ La lutte pour la survie <strong>de</strong> l’espèce se<br />
déroule dans le temps et entraîne une transformation<br />
<strong>de</strong>s organismes en vue d’une meilleure<br />
adaptation. La plasticité <strong>de</strong>s organismes<br />
est constamment soulignée par <strong>Darwin</strong> dès la<br />
1 re édition <strong>de</strong> son livre. <strong>Freud</strong> retiendra l’idée.<br />
Il distinguera <strong>de</strong>s transformations autoplastiques<br />
et alloplastiques 28 .<br />
6/ La sélection <strong>de</strong>s plus aptes se fait non<br />
seulement par variations génétiques (<strong>Darwin</strong>),<br />
mais également par la transmission héréditaire<br />
<strong>de</strong>s caractères acquis (Lamarck).<br />
<strong>Darwin</strong> n’a jamais récusé <strong>les</strong> idées <strong>de</strong> Lamarck.<br />
Il leur en a seulement assigné dans sa<br />
doctrine une place subordonnée à la sélection<br />
naturelle. L’antinomie entre darwinisme<br />
et lamarckisme n’existait pas dans l’esprit <strong>de</strong><br />
<strong>Darwin</strong>, pas plus qu’elle n’a existé dans<br />
l’esprit <strong>de</strong> <strong>Freud</strong>. Je reviendrai plus loin sur<br />
ce point aussi (III§11). La thèse <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> est<br />
27 SULLOWAY (1970) : <strong>Freud</strong> biologiste <strong>de</strong> l’esprit, tf pp. 239-241 et<br />
244. RITVO (1990) : L’Ascendant <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> sur <strong>Freud</strong>, tf pp. 73-76,<br />
88, 117, 119.<br />
28 DARWIN (1859) : L’Origine <strong>de</strong>s espèces, 1 re éd., tf GF, [37] pp. 75<br />
(chap. I), 128 (chap. IV), 184 (chap. V). RITVO (1990) : L’Ascendant<br />
<strong>de</strong> <strong>Darwin</strong>…, tf pp. 102, 112-113.
ien connue, il l’a exprimée à plusieurs reprises.<br />
En voici l’expression la plus explicite 29 :<br />
Les expériences vécues du moi paraissent<br />
tout d’abord se perdre pour l’héritage, mais si<br />
el<strong>les</strong> se répètent fréquemment et <strong>de</strong> manière<br />
suffisamment forte chez <strong>de</strong> nombreux individus<br />
se succédant <strong>de</strong> génération en génération, el<strong>les</strong> se<br />
transposent, pour ainsi dire, en expériences vécues<br />
du ça, dont <strong>les</strong> impressions sont maintenues<br />
par transmission héréditaire.<br />
7/ En complément vient s’ajouter un<br />
axiome auquel <strong>Darwin</strong> était particulièrement<br />
attaché : la nature ne fait pas <strong>de</strong>s sauts. Il<br />
figure dès la 1 re édition, et, pour lui donner<br />
plus <strong>de</strong> poids, <strong>Darwin</strong> l’énonce en latin 30 :<br />
Comme la sélection naturelle n’agit qu’en<br />
accumulant <strong>de</strong>s variations légères, successives et<br />
favorab<strong>les</strong> [à la survie <strong>de</strong> l’espèce], elle ne peut<br />
pas produire <strong>de</strong>s modifications considérab<strong>les</strong> ou<br />
subites ; elle ne peut agir qu’à pas lents et courts.<br />
Cette théorie rend facile à comprendre l’axiome :<br />
Natura non facit saltum, dont chaque nouvelle<br />
conquête <strong>de</strong> la science démontre chaque jour <strong>de</strong><br />
plus en plus la vérité.<br />
Un point mérite d’être précisé. L’évolution<br />
est-elle un progrès vers <strong>de</strong>s formes plus<br />
parfaites ? Spencer soutenait ce point <strong>de</strong> vue.<br />
<strong>Darwin</strong>, non. Il reconnaissait que <strong>les</strong> transformations<br />
pouvaient engendrer <strong>de</strong>s organismes<br />
plus complexes et mieux adaptés que<br />
29 FREUD (1923b) : « Le moi et le ça », OCF, 16 : 282 ; SE, 19 : 38.<br />
RITVO (1990) : L’Ascendant …, tf pp. 106-115 et 126-127.<br />
30 DARWIN (1859) : L’Origine <strong>de</strong>s espèces, 1 re éd., chap. 14 : « Récapitulation<br />
et conclusions », tf GF, [37] p. 529 ; cf. aussi chap. 6,<br />
pp. 246-247.<br />
19<br />
d’autres. Mais il niait avec la <strong>de</strong>rnière énergie<br />
qu’il y eut une loi fixe <strong>de</strong> développement, et<br />
cela dès la 1 re édition <strong>de</strong> son livre 31 . Suivant<br />
la formule <strong>de</strong> Konrad Lorenz, la sélection<br />
naturelle agit <strong>les</strong> yeux bandés 32 .<br />
Si l’on se tourne du côté <strong>de</strong> <strong>Freud</strong>, nous<br />
le voyons partager l’axiome <strong>de</strong> la transformation<br />
insensible et graduelle 33 . Mais il sera<br />
toujours à la recherche <strong>de</strong> lois fixes du développement.<br />
À cet égard il me apparaît plus<br />
spencérien que darwinien.<br />
8/ En supplément vient s’ajouter une<br />
assomption qui procè<strong>de</strong> <strong>de</strong> Haeckel plutôt<br />
que <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong>, suivant quoi l’ontogenèse<br />
répète <strong>de</strong> manière abrégée la phylogenèse.<br />
<strong>Darwin</strong> n’y était pas hostile, et il avait<br />
d’ailleurs toujours manifesté <strong>de</strong> l’intérêt pour<br />
l’embryologie. <strong>Freud</strong> a beaucoup exploité la<br />
loi biogénétique <strong>de</strong> Haeckel 34 … au point<br />
d’indisposer le cercle <strong>de</strong> Harvard (cf. supra).<br />
9/ En corollaire du principe <strong>de</strong> Haeckel,<br />
un quadruple parallélisme est conçu entre<br />
l’homme préhistorique, le primitif d’aujourd’hui,<br />
l’enfant, et le mala<strong>de</strong> (ou le « fou »).<br />
Cette métho<strong>de</strong> comparative d’investigation<br />
est mise en œuvre systématiquement par<br />
<strong>Darwin</strong> (1872) dans son <strong>de</strong>rnier grand ouvrage<br />
sur L’Expression <strong>de</strong>s émotions chez l’homme<br />
31 DARWIN (1859) : L’Origine <strong>de</strong>s espèces, 1 re éd., tf GF [37], p. 369<br />
(chap. 10), et p. 408 (chap. 11).<br />
32 LORENZ (1978) : L’Homme dans le fleuve…, tf pp. 57-58, 66, etc.<br />
33 RITVO (1990) : L’Ascendant…, tf pp. 93, 201, 281-282.<br />
34 RITVO (1990) : L’Ascendant…, tf pp. 134-135, 151, 238.
et <strong>les</strong> animaux, que <strong>Freud</strong> possédait. <strong>Darwin</strong> y<br />
a travaillé à partir <strong>de</strong> matériaux qu’il a luimême<br />
suscités. Il a envoyé <strong>de</strong>s questionnaires<br />
précis aux quatre coins du mon<strong>de</strong> pour<br />
recueillir <strong>de</strong>s informations sur <strong>les</strong> peup<strong>les</strong> et<br />
<strong>les</strong> races <strong>les</strong> plus variés. Il a réclamé à <strong>de</strong>s<br />
mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong>s photos et <strong>de</strong>s rapports sur la<br />
mimique <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s mentaux et <strong>de</strong>s<br />
aveug<strong>les</strong>, et même <strong>de</strong>s expériences nouvel<strong>les</strong><br />
sur la stimulation électrique <strong>de</strong>s musc<strong>les</strong> du<br />
visage. Il a encore <strong>de</strong>mandé à <strong>de</strong>s acteurs<br />
professionnels <strong>de</strong> mimer certaines expressions.<br />
Enfin il a tenu <strong>de</strong>s registres sur le<br />
développement <strong>de</strong> certains <strong>de</strong> ses enfants.<br />
La valeur <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> comparative<br />
qu’il a pratiquée s’est imposée aussitôt comme<br />
une traînée <strong>de</strong> feu. En procè<strong>de</strong> ce qu’on a<br />
dénommé par la suite la « métho<strong>de</strong> pathologique<br />
», mise au point à la vérité par <strong>de</strong>ux<br />
savants se réclamant <strong>de</strong> Spencer et non pas<br />
<strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> : Hughlings Jackson et Ribot.<br />
<strong>Freud</strong>, quant à lui, a pratiqué à toutes <strong>les</strong><br />
étapes <strong>de</strong> sa vie le quadruple parallélisme et<br />
la métho<strong>de</strong> pathologique <strong>de</strong> manière quasi<br />
systématique. Il ne semble pas avoir beaucoup<br />
lu Spencer ou Ribot, mais son étu<strong>de</strong> sur<br />
l’aphasie (1891b) témoigne <strong>de</strong> son admiration<br />
pour Jackson. C’est à ce <strong>de</strong>rnier – lequel en<br />
rend hommage à Spencer – que nous <strong>de</strong>vons<br />
la notion d’involution (ou <strong>de</strong> régression),<br />
servant à rendre compte <strong>de</strong>s dégâts occasionnés<br />
par la maladie. Suivant Jackson, <strong>les</strong> structures<br />
<strong>les</strong> plus évoluées sont <strong>les</strong> plus fragi<strong>les</strong> et<br />
20<br />
<strong>les</strong> premières endommagées, et ainsi <strong>de</strong> suite.<br />
<strong>Freud</strong> en a fait un usage systématique en lui<br />
accolant la notion <strong>de</strong> fixation 35 . Ses Trois<br />
essais sur la théorie sexuelle (1905), dans leur<br />
première rédaction, ne comportaient pas<br />
d’autre fon<strong>de</strong>ment. Au fur et à mesure <strong>de</strong>s<br />
rééditions, une théorisation plus complexe a<br />
été progressivement mise en place.<br />
Il faut cependant noter que <strong>Freud</strong> n’a<br />
admis qu’un aspect du jacksonisme, la persistance<br />
<strong>de</strong>s structures primitives à l’arrière-plan<br />
<strong>de</strong>s plus évoluées. Le corollaire <strong>de</strong> cette idée<br />
n’a pas trouvé d’emploi chez lui. L’involution<br />
ne se réduit pas seulement à une perte. Jackson<br />
considérait qu’il en sort aussi un gain. La<br />
<strong>de</strong>struction d’une structure hiérarchiquement<br />
supérieure débri<strong>de</strong> le fonctionnement <strong>de</strong> la<br />
structure inférieure et lui permet <strong>de</strong> manifester<br />
<strong>de</strong>s caractéristiques origina<strong>les</strong>.<br />
10/ La transition du règne animal au<br />
mon<strong>de</strong> humain vient couronner toutes ces<br />
assomptions. Cette transition est conçue par<br />
<strong>Darwin</strong> sans solution <strong>de</strong> continuité, et elle est<br />
appréhendée dans le cadre d’une théorie <strong>de</strong><br />
l’expression <strong>de</strong>s émotions. Du moins est-ce<br />
là la manière schématique dont on aime à se<br />
représenter <strong>les</strong> choses, alors qu’el<strong>les</strong> sont<br />
d’une notable complexité.<br />
En ce domaine aussi <strong>Freud</strong> en prend et<br />
en laisse. On constate qu’il est finalement<br />
35 RITVO (1990) : L’Ascendant…, tf pp. 235 sqq., et 250-252.
plus continuiste que <strong>Darwin</strong>. Celui-ci, après<br />
avoir plaidé toute sa vie en faveur <strong>de</strong> la<br />
continuité entre l’homme et <strong>les</strong> animaux en<br />
ce qui concerne toutes <strong>les</strong> facultés menta<strong>les</strong>,<br />
y compris le langage, a rédigé un surprenant<br />
chapitre en faveur <strong>de</strong> la thèse contraire. Oui,<br />
il existe bien une démarcation entre l’ordre<br />
animal et le mon<strong>de</strong> humain, c’est le rougissement<br />
(Blushing), non pas <strong>de</strong> colère, mais <strong>de</strong><br />
honte (Expression <strong>de</strong>s émotions, chap. 13). Le<br />
nouveau palier qui distingue l’homme <strong>de</strong><br />
toutes <strong>les</strong> autres créatures, – c’est la morale.<br />
<strong>Freud</strong> ne pouvait que scotomiser tout ce<br />
chapitre. Tout grand homme qu’il fut, <strong>Darwin</strong><br />
avait aussi ses faib<strong>les</strong>ses. Fermons <strong>les</strong><br />
yeux sur el<strong>les</strong>, a-t-il sans doute dû se dire. Le<br />
modèle mécaniciste adopté par <strong>Freud</strong> ne<br />
pouvait inclure <strong>de</strong> relation intersubjective.<br />
L’échange intersubjectif n’est pas simulable<br />
par <strong>de</strong>s machines interconnectées, il n’est pas<br />
du ressort <strong>de</strong> la science dans l’acception<br />
scientiste du terme. <strong>Freud</strong> n’a pas été le seul<br />
à réagir ainsi. D’une manière générale, L’Expression<br />
<strong>de</strong>s émotions chez l’homme et <strong>les</strong> animaux a<br />
été partout reçu d’une manière mitigée, et<br />
l’originalité <strong>de</strong> son programme <strong>de</strong> recherche<br />
est restée lettre morte durant plus d’un siècle.<br />
Si bien qu’en 1974 Lorenz et Eibel-Eibesfeldt<br />
s’en sont indignés 36 :<br />
… l’homme est incontestablement l’être le<br />
plus filmé <strong>de</strong> la création. Mais si l’on se met en<br />
<strong>de</strong>meure <strong>de</strong> chercher dans <strong>de</strong>s archives cinéma-<br />
36 LORENZ (1981) : L’Homme dans le fleuve…, [67] pp. 242-243.<br />
21<br />
tographiques <strong>de</strong>s films concernant le comportement<br />
social <strong>de</strong> l’homme à l’état naturel, montrant<br />
par exemple l’expression <strong>de</strong> la sympathie<br />
ou <strong>de</strong> la colère chez <strong>de</strong>s Françaises, <strong>de</strong>s Turques<br />
ou <strong>de</strong>s habitantes <strong>de</strong>s î<strong>les</strong> Samoa, on s’aperçoit<br />
que ces documents n’existent pas, ce qui est<br />
complètement aberrant si l’on songe que <strong>Darwin</strong><br />
avait déjà publié un programme <strong>de</strong> recherches<br />
sur <strong>les</strong> mo<strong>de</strong>s d’expression et qu’il y a plus <strong>de</strong><br />
cinquante ans que le film est utilisé comme<br />
moyen <strong>de</strong> recherche. En revanche, nous avons<br />
pléthore <strong>de</strong> documents sur <strong>les</strong> activités culturel<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong> tous ordres (poterie, construction <strong>de</strong><br />
bateaux, habitat, etc.).<br />
Dans <strong>les</strong> années soixante-dix le programme<br />
<strong>de</strong> recherche <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> sur l’expression<br />
<strong>de</strong>s émotions a été redécouvert et a inspiré<br />
une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> recherches. Le contenu du<br />
chapitre XIII <strong>de</strong> son ouvrage n’a pas été tenu<br />
à l’écart <strong>de</strong> ce renouveau 37 . De nouvel<strong>les</strong> recherches<br />
ont eu pour objet l’expression faciale<br />
<strong>de</strong> la honte, <strong>de</strong> la timidité ou <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>stie.<br />
Néanmoins, l’enjeu <strong>de</strong> ce chapitre XIII a<br />
été élidé. Pour <strong>Darwin</strong> le rougissement constitue<br />
la ligne <strong>de</strong> démarcation entre le règne<br />
animal et le mon<strong>de</strong> humain. Pour <strong>Darwin</strong>, ce<br />
n’est rien <strong>de</strong> moins que la généalogie <strong>de</strong> la<br />
morale qu’il venait <strong>de</strong> découvrir. Pour nous,<br />
psychocliniciens, c’est la relation intersubjective<br />
qu’il a découverte, laquelle ne peut en<br />
aucun cas se réduire à la communication<br />
animale (Benveniste, 1952 et 1958) [20][21].<br />
Mais jusqu’à aujourd’hui <strong>les</strong> éthologistes ne<br />
veulent rien en savoir. Ils continuent à nous<br />
37 EKMAN (dir.) (1973) : <strong>Darwin</strong> and facial expression, a century of<br />
research in review, Cambridge (Mass.), Malor Books, 2006.
ercer <strong>de</strong>s mêmes illusions que cel<strong>les</strong> qui régnaient<br />
du temps <strong>de</strong> Saussure où ils cherchaient<br />
déjà à apprendre à parler à <strong>de</strong>s singes<br />
(<strong>de</strong> Varigny, 1893) [87]. S’ils avaient été <strong>de</strong>s<br />
darwiniens conséquents, ils auraient dû se<br />
dire que <strong>les</strong> singes n’apprendront jamais à<br />
parler parce qu’ils ne rougissent pas.<br />
Cette découverte <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> mérite<br />
d’être mise en regard <strong>de</strong> celle que Pasteur<br />
avait faite quelques décennies plus tôt au<br />
sujet <strong>de</strong> la dissymétrie moléculaire 38 . La<br />
dissymétrie moléculaire est la ligne <strong>de</strong> démarcation<br />
entre le règne minéral et le règne organique,<br />
tout comme le rougissement est la<br />
ligne <strong>de</strong> démarcation entre le règne animal et<br />
le mon<strong>de</strong> humain. Mais la découverte <strong>de</strong><br />
Pasteur a été acclamée tandis que celle <strong>de</strong><br />
<strong>Darwin</strong> reste elle-même à découvrir !<br />
Pour qui est familier <strong>de</strong> l’œuvre <strong>de</strong><br />
<strong>Freud</strong>, la lecture <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> est une expérience<br />
précieuse. <strong>Darwin</strong> n’est certainement<br />
pas aussi inventif que <strong>Freud</strong>, mais il conserve<br />
une remarquable liberté d’esprit. <strong>Freud</strong>, en<br />
revanche, doit se heurter et se démener<br />
contre <strong>les</strong> cadres rigi<strong>de</strong>s qu’il s’est lui-même<br />
imposés. Mais il parvient souvent à faire <strong>de</strong>s<br />
découvertes inédites malgré ces limitations.<br />
La dizaine <strong>de</strong> paliers que je viens <strong>de</strong> passer<br />
en revue forme un socle épistémologique<br />
quasi monolithique dans l’esprit <strong>de</strong> <strong>Freud</strong>.<br />
38 PASTEUR (1883) : « La dissymétrie moléculaire ». Cette conférence<br />
présente <strong>de</strong> manière synthétique <strong>les</strong> travaux <strong>de</strong> Pasteur qui<br />
remontent à la fin <strong>de</strong>s années 1840 et au début <strong>de</strong>s années 1850.<br />
22<br />
Comme on l’a vu, <strong>Darwin</strong> s’y taille directement<br />
ou non la part du lion. Il faut cependant<br />
gar<strong>de</strong>r à l’esprit que le darwinisme <strong>de</strong><br />
l’époque <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> était un mélange instable<br />
aux contours flous. Chacun y allait <strong>de</strong> sa<br />
pincée <strong>de</strong> sel, et <strong>Freud</strong> a été du nombre. Sans<br />
en être tout à fait conscient il a adopté <strong>de</strong>s<br />
assomptions (pseudo ?) darwiniennes <strong>de</strong> son<br />
cru. Il était persuadé qu’el<strong>les</strong> faisaient partie<br />
intégrante <strong>de</strong> l’ensemble et étaient tout aussi<br />
intangib<strong>les</strong>.<br />
11/ C’est ainsi que ce qu’on peut appeler<br />
la « linguistique freudienne » se rattache au darwinisme<br />
par un maillon soli<strong>de</strong>. Ce maillon est<br />
le suivant : Ce qui est aujourd’hui symbolique était<br />
réel à l’origine 39 .<br />
Une autre formulation se rencontre chez<br />
<strong>Freud</strong>, à moins qu’elle n’en soit un corollaire<br />
: Ce qui a aujourd’hui un sens figuré avait à l’origine<br />
un sens littéral 40 .<br />
On trouve dans un passage ajouté en<br />
1914 à la Traum<strong>de</strong>utung (1900a) une autre formulation,<br />
sinon un autre corollaire 41 :<br />
Ce qui est aujourd’hui relié symboliquement,<br />
était vraisemblablement, dans <strong>de</strong>s temps originaires<br />
(Urzeiten), réuni par une i<strong>de</strong>ntité conceptuelle<br />
et langagière. La relation symbolique<br />
semble un reste et un signe marquant <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />
<strong>de</strong> jadis.<br />
39 RITVO (1990) : L’Ascendant <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong>..., tf pp. 111, et 137-138.<br />
40 RITVO (1990) : L’Ascendant <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> sur <strong>Freud</strong>, tf p. 265. La<br />
référence est aux Étu<strong>de</strong>s sur l’hystérie (1895).<br />
41 FREUD (1900a), Traum<strong>de</strong>utung, OCF, 4 : 397 ; SE, 5 : 352.
<strong>Freud</strong> a largement utilisé cette assomption<br />
dans ses étu<strong>de</strong>s sur l’hystérie et sur la<br />
névrose obsessionnelle, <strong>de</strong> même que dans<br />
<strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ses ouvrages : Totem & Tabou (1912-<br />
1913), et L’Homme Moïse (1939a).<br />
Cette assomption procè<strong>de</strong> en source<br />
directe <strong>de</strong> l’ouvrage <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> sur L’Expression<br />
<strong>de</strong>s émotions… (1872). À la vérité, <strong>Darwin</strong><br />
ne se prétendait pas linguiste. Il ne pensait<br />
pas non plus comme le célèbre linguiste Max<br />
Müller son contemporain que le langage était<br />
le Rubicon séparant <strong>les</strong> mon<strong>de</strong>s animaux du<br />
mon<strong>de</strong> humain. Il pensait plutôt comme<br />
Montaigne 42 que la facultas signatrix nous est<br />
échue en partage avec <strong>de</strong> nombreuses espèces<br />
anima<strong>les</strong>. En ce qui concerne la linguistique,<br />
Hensleigh Wedgwood (1803-1891),<br />
son cousin et beau-frère 43 , avait son oreille.<br />
Wedgwood est l’auteur d’un dictionnaire<br />
étymologique <strong>de</strong> la langue anglaise (1859),<br />
publié la même année que L’Origine <strong>de</strong>s espèces,<br />
et d’un essai sur l’origine du langage d’après<br />
<strong>les</strong> recherches récentes, en particulier cel<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong> Renan (1866). Dans son livre sur L’Expression<br />
<strong>de</strong>s émotions…, <strong>Darwin</strong> fait fréquemment<br />
référence à ces <strong>de</strong>ux ouvrages.<br />
L’argumentation <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> comporte<br />
une majeure et une mineure. La majeure se<br />
rapporte à l’utilisation correcte du terme<br />
42 MONTAIGNE (1580) : Apologie <strong>de</strong> Raimond <strong>de</strong> Sebon<strong>de</strong>, vers le<br />
début, cf. le long développement relatif à « l’impu<strong>de</strong>nce humaine<br />
sur le fait <strong>de</strong>s bêtes », pp. 191-242, spécialement <strong>les</strong> pp. 191-199.<br />
43 Cf. la récente étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> BERRA & al., (2010) consacrée à la consanguinité<br />
<strong>de</strong> la dynastie <strong>Darwin</strong> / Wedgwood.<br />
23<br />
SYMBOLIQUE ou SYMBOLIQUEMENT, tandis que<br />
la mineure se rapporte aux applications du<br />
principe. Voici la majeure 44 :<br />
Gratiolet (De la Physionomie, p. 369) dit :<br />
« Les <strong>de</strong>nts se découvrent [dans la fureur] et<br />
imitent symboliquement l’action <strong>de</strong> déchirer et<br />
<strong>de</strong> mordre. » Si Gratiolet, au lieu d’employer le<br />
mot vague <strong>de</strong> symboliquement, avait dit que cet acte<br />
est le vestige d’une habitu<strong>de</strong> acquise autrefois,<br />
lorsque nos ancêtres à <strong>de</strong>mi humains se battaient<br />
à coups <strong>de</strong> <strong>de</strong>nts, comme le font actuellement <strong>les</strong><br />
goril<strong>les</strong> et <strong>les</strong> orangs, il eût été plus facile <strong>de</strong> le<br />
comprendre.<br />
L’application <strong>de</strong> ce principe à la linguistique<br />
donne ce qui suit, – c’est un exemple<br />
caractéristique pris entre bien d’autres. Il se<br />
rapporte ici à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la fureur 45 :<br />
La respiration est également affectée ; la<br />
poitrine se soulève et <strong>les</strong> narines se dilatent et<br />
frémissent ( 5 ). Comme Tennyson l’écrit : « sharp<br />
breaths of anger puffed her fairy nostrils out / le souffle<br />
violent <strong>de</strong> la colère gonflait ses narines <strong>de</strong> fumée ». C’est<br />
ainsi que nous avons <strong>de</strong>s expressions du genre :<br />
breathing out vengeance / respirer la vengeance et fuming<br />
with anger / fumer <strong>de</strong> colère ( 6 ).<br />
______________<br />
( 5 ) [J’omets la longue note afférente qui comporte <strong>de</strong>s<br />
renvois à Bell, Lavater, Pe<strong>de</strong>rit, etc. (Aa)]<br />
( 6 ) M. Wedgwood (On the Origin of Language, 1866,<br />
p. 76) fait également observer que le son produit par une<br />
expiration brusque « est rendu par <strong>les</strong> syllabes puff, huff,<br />
whiff ; et l’expression [anglaise] a huff signifie précisément<br />
un accès <strong>de</strong> mauvaise humeur ».<br />
44 DARWIN (1872) : L’Expression <strong>de</strong>s émotions…, chap. 10, tf p. 259,<br />
note 9. ([40], p. 238, note.)<br />
45 DARWIN (1872) : L’Expression <strong>de</strong>s émotions…, chap. 10, tf p. 257<br />
et notes afférentes. La traduction française a été revue (Aa).<br />
([40], p. 236.)
<strong>Freud</strong> et un nombre considérable <strong>de</strong> ses<br />
sectateurs ont usé et abusé d’arguments taillés<br />
sur le patron argumentatif bipartite<br />
employé ici et ailleurs par <strong>Darwin</strong> à la suite<br />
<strong>de</strong> Wedgwood.<br />
12/ La « linguistique freudienne » comporte<br />
quelques autres assomptions bien connues<br />
relevant du même esprit. Je veux dire par là<br />
que <strong>Freud</strong>, en <strong>les</strong> adoptant, pensait sans<br />
doute rester fidèle à son darwinisme. C’est<br />
ainsi qu’il admettait qu’à l’aurore <strong>de</strong> l’humanité<br />
il a existé une langue primitive, appelée<br />
aussi « langue fondamentale » en référence au<br />
prési<strong>de</strong>nt Schreber. Cette langue fondamentale<br />
se retrouve dans le symbolisme 46 <strong>de</strong>s<br />
rêves, <strong>de</strong>s mythes, du folklore, <strong>de</strong>s traits<br />
d’esprit, etc., ainsi que dans l’étymologie,<br />
dans <strong>les</strong> symptômes névrotiques et <strong>les</strong> délires.<br />
Cette conception a donné l’essor à la<br />
psychanalyse appliquée, et elle est restée<br />
longtemps le plus petit dénominateur commun<br />
à ce type <strong>de</strong> recherches.<br />
13/ <strong>Freud</strong> a énoncé <strong>de</strong>ux caractéristiques<br />
<strong>de</strong> cette langue fondamentale. La première<br />
est qu’elle se compose <strong>de</strong> particu<strong>les</strong>, <strong>de</strong> racines<br />
ou <strong>de</strong> dénominations ayant <strong>de</strong>ux sens<br />
antithétiques. Cette assomption procè<strong>de</strong> d’un<br />
égyptologue – Karl Abel (1884) – que <strong>Freud</strong><br />
a découvert en 1910 [50].<br />
46 L’ouvrage <strong>de</strong> référence <strong>de</strong>meure celui RANK & SACHS (1913) :<br />
Psychanalyse & sciences humaines [79].<br />
24<br />
14/ La secon<strong>de</strong> caractéristique <strong>de</strong> cette<br />
langue fondamentale est que son premier<br />
développement est dû à <strong>de</strong>s expressions<br />
d’ordre sexuel. Cette assomption procè<strong>de</strong> du<br />
linguiste suédois Sperber [51].<br />
La « linguistique freudienne » est un domaine<br />
plus complexe qu’on ne l’a cru. Il<br />
réclame encore <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> recherches,<br />
malgré <strong>les</strong> très nombreuses étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> qualité<br />
dont il a été jusqu’à présent l’objet.<br />
À tout moment <strong>de</strong> sa réflexion ces<br />
assomptions <strong>de</strong> base sont consultées individuellement<br />
ou en bloc, et inspirent l’orientation<br />
intimée par <strong>Freud</strong> à ses investigations.<br />
On <strong>les</strong> constate à l’œuvre dans toute sorte <strong>de</strong><br />
domaines. À cet égard, l’approche freudienne<br />
<strong>de</strong>s phénomènes occultes, et en particulier <strong>de</strong><br />
la télépathie, constitue l’exemple le plus<br />
curieux et le plus flagrant (Azar, 2007b) [16].<br />
Avant <strong>de</strong> regrouper toutes ces assomptions<br />
en un tableau, soulignons une absence.<br />
La sélection naturelle, qui est le noyau <strong>de</strong> la pensée<br />
<strong>de</strong> <strong>Darwin</strong>, est laissée pour compte. Chez<br />
<strong>Freud</strong> Anankè semble la remplacer. Il ne faut<br />
pas s’en étonner outre mesure. Pour <strong>Freud</strong><br />
comme pour beaucoup <strong>de</strong> ses contemporains,<br />
la valeur du darwinisme n’était pas hypothéquée<br />
par l’évolution <strong>de</strong>s espèces anima<strong>les</strong>.<br />
Le darwinisme <strong>les</strong> intéressait en ce qu’il<br />
introduisait l’histoire dans l’homme, et permettait<br />
<strong>de</strong> penser le processus d’hominisation.
Regroupons à présent pour la commodité<br />
toutes ces assomptions en un tableau offrant<br />
rapi<strong>de</strong>ment une vision d’ensemble.<br />
Les assomptions épistémologiques <strong>de</strong> base <strong>de</strong> <strong>Freud</strong><br />
rattachées à son darwinisme<br />
1 Déterminisme matérialiste et mécaniciste.<br />
2 Utilitarisme <strong>de</strong> survie. (<strong>Darwin</strong>)<br />
3 Principe d’économie : pénurie, compensation et<br />
parcimonie. (Maupertuis, Goethe, Malthus)<br />
4 La vie est une lutte pour la survie. (<strong>Darwin</strong>)<br />
5 La lutte pour la survie entraîne une transformation<br />
<strong>de</strong>s organismes. (<strong>Darwin</strong>)<br />
6 Transmission héréditaire <strong>de</strong>s caractères acquis.<br />
(Lamarck)<br />
7 La nature ne fait pas <strong>de</strong>s sauts. Progression<br />
graduelle <strong>de</strong>s formes <strong>les</strong> plus rudimentaires aux<br />
plus évoluées. (<strong>Darwin</strong>, Spencer)<br />
8 L’ontogenèse répète <strong>de</strong> manière abrégée la<br />
phylogenèse. (Haeckel)<br />
9 Quadruple parallélisme entre l’homme préhistorique,<br />
l’homme primitif, l’enfant, et le mala<strong>de</strong><br />
(le « fou »). Régression et fixation. (Jackson)<br />
10 La transition du règne animal au mon<strong>de</strong> humain<br />
se fait sans solution <strong>de</strong> continuité. Elle est<br />
appréhendée dans le cadre d’une théorie <strong>de</strong><br />
l’expression. (<strong>Darwin</strong>)<br />
11 Ce qui est aujourd’hui symbolique était, à l’origine,<br />
réel. (Wedgwood via <strong>Darwin</strong>)<br />
12 Il existe une langue fondamentale attestée par le<br />
symbolisme <strong>de</strong>s rêves, <strong>de</strong>s mythes, du folklore,<br />
du Witz. On la retrouve dans l’étymologie,<br />
comme dans <strong>les</strong> symptômes et <strong>les</strong> délires.<br />
13 Les racines <strong>de</strong> cette langue fondamentale ont<br />
<strong>de</strong>ux sens antithétiques. (Karl Abel)<br />
14 Le premier développement <strong>de</strong> cette langue<br />
fondamentale est dû à <strong>de</strong>s expressions d’ordre<br />
sexuel. (Sperber)<br />
25<br />
9<br />
III.<br />
Le darwinisme <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> comparé<br />
à celui <strong>de</strong> <strong>Freud</strong><br />
Le darwinisme <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> a eu sur la psychanalyse<br />
<strong>de</strong>s retombées aussi bien<br />
positives que négatives. En fournissant à<br />
<strong>Freud</strong> une bonne part <strong>de</strong>s assomptions <strong>de</strong><br />
base <strong>de</strong> son cadre théorique, le darwinisme<br />
lui a sans doute permis <strong>de</strong> penser sa pratique<br />
clinique. Il lui a permis également <strong>de</strong> formuler<br />
sa pensée dans un langage acceptable à<br />
ses propres yeux parce qu’il pensait qu’il était<br />
celui <strong>de</strong> la communauté scientifique <strong>de</strong> son<br />
époque. Il le croyait. Cette méprise explique<br />
son amertume lorsqu’il a constaté que la<br />
communauté à laquelle il se rattachait rejetait<br />
sans appel ses conceptions. On ne saurait<br />
trop insister sur ces <strong>de</strong>ux aspects fondamentaux<br />
– méprise et amertume – sans <strong>les</strong>quels il<br />
n’y aurait peut-être pas eu ni psychanalyse ni<br />
mouvement psychanalytique.<br />
Pendant plusieurs décennies on a cru<br />
qu’il manquait à la psychanalyse un socle<br />
épistémologique endogène. Plusieurs auteurs<br />
plus ou moins bien intentionnés se sont<br />
évertués à lui en greffer un d’importation. Il<br />
est heureux que nous disposions à partir <strong>de</strong><br />
1980 <strong>de</strong> travaux remarquablement menés par<br />
Paul-Laurent Assoun sur l’épistémologie<br />
freudienne [4] [5] [6] [8]. Il fallait y penser :<br />
l’épistémologie freudienne n’est autre que la<br />
métapsychologie.
Dans un ouvrage qui fait date, Assoun a<br />
retracé avec soin <strong>les</strong> tenants <strong>de</strong> cette épistémologie<br />
47 . La première partie <strong>de</strong> son ouvrage<br />
est consacrée à la conception générale <strong>de</strong> la<br />
science que se faisait <strong>Freud</strong> et qui se résume<br />
en trois mots : monisme, physicalisme et<br />
agnosticisme. La secon<strong>de</strong> est consacrée à<br />
chacun <strong>de</strong>s trois aspects <strong>de</strong> sa métapsychologie<br />
: topique, dynamique et économique.<br />
Le <strong>de</strong>rnier chapitre est toutefois insidieux.<br />
L’auteur ne veut pas se départir <strong>de</strong> son<br />
discours laudatif. Il veut à la fois établir que<br />
« l’inédit <strong>de</strong> l’objet freudien » trouve à s’exprimer<br />
grâce au langage <strong>de</strong> son épistémologie, et<br />
malgré elle. Est-ce pour ne pas concé<strong>de</strong>r en<br />
quoi que ce soit l’inadéquation <strong>de</strong> l’un à<br />
l’autre ? Nullement. Au contraire, il voit dans<br />
cette inadéquation l’aspect le plus brillant, le<br />
plus stupéfiant, <strong>de</strong>s réalisations <strong>de</strong> <strong>Freud</strong>.<br />
Seulement il ne veut reconnaître nulle retombée<br />
négative <strong>de</strong> ce langage inadéquat. Car il<br />
tient avec un soin jaloux à l’intégrité du message<br />
freudien tel quel, noyau et gangue.<br />
Et pourtant…<br />
Pourtant, lorsque Assoun s’est mis en<br />
<strong>de</strong>voir d’explorer par la suite la métapsychologie<br />
freudienne [6][8], c’est une toute autre<br />
thématique qui est apparue, n’ayant quasiment<br />
pas grand chose à voir avec la trinité<br />
précitée (topique, dynamique, économique),<br />
si ce n’est un lien fort lâche. Et il a raison.<br />
47 ASSOUN (1981) : Introd. à l’épistémologie freudienne, Payot [4].<br />
26<br />
Néanmoins Assoun se rebiffe <strong>de</strong>vant un <strong>de</strong>rnier<br />
pas. Il ne veut à aucun prix reconnaître<br />
la coexistence chez <strong>Freud</strong> d’une métapsychologie<br />
<strong>de</strong> para<strong>de</strong> assortie d’une métapsychologie<br />
occulte très florissante dont il a le mérite<br />
d’avoir entamé l’inventaire.<br />
Assoun reconnaît néanmoins que « <strong>Freud</strong><br />
est remarquablement lié à <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong> épistémiques<br />
anciens » ([4] p. 65). Traduisons : en clair cela<br />
veut dire que <strong>les</strong> fon<strong>de</strong>ments épistémologiques<br />
du freudisme étaient obsolètes. Autrement<br />
dit, <strong>Freud</strong> croyait à tort parler le langage<br />
<strong>de</strong> la communauté scientifique <strong>de</strong> son<br />
temps. C’est dans le langage <strong>de</strong> la communauté<br />
scientifique d’un autre âge et d’un autre<br />
temps qu’il s’exprimait. Pour l’anecdote,<br />
rappelons qu’il essuya la même déconvenue<br />
en tant que touriste en Grèce quand il a cherché<br />
à communiquer avec ses interlocuteurs<br />
autochtones à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s bribes <strong>de</strong> grec ancien<br />
surnageant dans sa mémoire, <strong>les</strong> laissant<br />
médusés (Jones [61], tome II, p. 25).<br />
Quant aux fon<strong>de</strong>ments historiques <strong>de</strong> la<br />
métapsychologie freudienne, qui font l’objet<br />
<strong>de</strong> la secon<strong>de</strong> partie du livre d’Assoun, ils<br />
sont non seulement tout aussi obsolètes,<br />
mais ils nous laissent également l’impression<br />
d’être au bout du compte un simple bricolage.<br />
Simple amateur, <strong>Freud</strong> s’est improvisé<br />
épistémologue. Il ne faut pas se montrer<br />
surpris qu’il ait abouti à une épistémologie <strong>de</strong><br />
para<strong>de</strong>. Qu’il ne soit pas parvenu à en<br />
imposer là-<strong>de</strong>ssus à la communauté scienti-
fique <strong>de</strong> son époque ne doit pas non plus<br />
nous surprendre.<br />
En outre, l’enquête d’Assoun sur l’épistémologie<br />
freudienne [4], menée avec brio<br />
mais selon un esprit systématique, laisse pour<br />
compte le darwinisme. Il est ainsi obligé par<br />
la suite <strong>de</strong> consacrer au darwinisme <strong>de</strong> <strong>Freud</strong><br />
<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s margina<strong>les</strong> qui ne trouvent pas à<br />
s’intégrer à son système et qui <strong>de</strong>meurent en<br />
ra<strong>de</strong> [7]. Pour ne pas avoir à se dédire, il<br />
traitera donc le darwinisme <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> en<br />
s’attachant à mettre en épingle <strong>de</strong>s aspects<br />
anecdotiques, comme la généalogie Copernic<br />
/ <strong>Darwin</strong> / <strong>Freud</strong>, ou l’emprunt à <strong>Darwin</strong><br />
d’une idée tout à fait accessoire, celle <strong>de</strong> la<br />
hor<strong>de</strong> primitive. Ce qui est à mes yeux<br />
l’essentiel, et ce sur quoi je me suis arrêté,<br />
Assoun ne trouve même pas le moyen <strong>de</strong> le<br />
passer par pertes et profits. Son système<br />
bouclé s’y refuse.<br />
10<br />
Assoun a eu raison <strong>de</strong> réclamer un<br />
renversement <strong>de</strong> perspective pour<br />
évaluer <strong>de</strong> manière pertinente l’influence <strong>de</strong><br />
<strong>Darwin</strong> sur <strong>Freud</strong> ([7], p. 618). Il importe<br />
moins <strong>de</strong> cerner le darwinisme <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong><br />
que <strong>de</strong> savoir ce que <strong>Freud</strong> reconnaissait<br />
comme tel, ce qu’il en a admis, et l’usage qu’il<br />
en a fait.<br />
On observe en premier lieu que <strong>Freud</strong><br />
subsumait <strong>sous</strong> le terme <strong>de</strong> darwinisme un<br />
ensemble <strong>de</strong> thèses n’appartenant pas en<br />
27<br />
propre à <strong>Darwin</strong>, mais à une mouvance évolutionniste<br />
comprenant Lamarck, Wallace,<br />
Spencer, Jackson, Romanes et Haeckel, aussi<br />
bien que <strong>Darwin</strong>. Néanmoins, c’est au nom<br />
propre <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> qu’il rattachait toutes ces<br />
thèses conformément à sa fascination et à<br />
son culte du Grand Homme, en l’occurrence<br />
ici la figure du grand savant.<br />
On observe en second lieu que <strong>Freud</strong> a<br />
reçu en bloc ce darwinisme aux limites<br />
floues, en a fait une fois pour toute sa plateforme<br />
épistémologique, et s’y est conformé<br />
avec constance durant toute sa carrière.<br />
Lorsqu’il fut question <strong>de</strong> traduire en<br />
français le livre <strong>de</strong> Lucille B. Ritvo (1990) :<br />
<strong>Darwin</strong>’s influence on <strong>Freud</strong>, a tale of two sciences,<br />
qui comporte un clin d’œil à un écrit célèbre<br />
<strong>de</strong> Galilée, le traducteur fut fier d’avoir trouvé<br />
: L’Ascendant <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> sur <strong>Freud</strong>, qui<br />
comporte un clin d’œil à un écrit célèbre <strong>de</strong><br />
<strong>Darwin</strong>. On aura compris que le traducteur<br />
faisait là d’une pierre <strong>de</strong>ux coups. En sus du<br />
clin d’œil, il redressait la traduction fautive <strong>de</strong><br />
The Descent of man par La Descendance <strong>de</strong> l’homme,<br />
alors qu’il s’agit <strong>de</strong> L’Ascendance <strong>de</strong> l’homme.<br />
Quant au fond <strong>de</strong> la question, il nous est<br />
possible <strong>de</strong> le reprendre. Au vu <strong>de</strong> l’enquête<br />
précé<strong>de</strong>nte, il est tout à fait insuffisant <strong>de</strong><br />
parler <strong>de</strong> l’ascendant <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> sur <strong>Freud</strong>.<br />
D’autres expressions ont été proposées.<br />
Legs est venu <strong>sous</strong> la plume <strong>de</strong> Sulloway et<br />
d’Assoun. Ce <strong>de</strong>rnier a également parlé d’allégeance,<br />
et Ritvo <strong>de</strong> quantifier l’influence <strong>de</strong> Dar-
win sur <strong>Freud</strong>. Pour ma part, la formule qui<br />
me semble décrire le mieux cette relation est<br />
plutôt celle-ci : l’emprise <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> sur <strong>Freud</strong>.<br />
Le terme d’emprise qualifie bien la relation<br />
<strong>de</strong> domination intellectuelle jamais remise en<br />
question que nous avons constatée.<br />
Parmi <strong>les</strong> inci<strong>de</strong>nces négatives <strong>de</strong> cette<br />
relation d’emprise je me contenterai <strong>de</strong> signaler<br />
ci-après quelques unes. L’une se rapporte<br />
au domaine nosographique, l’autre au développement<br />
libidinal, au stadisme, et à la<br />
conception <strong>de</strong>s cyc<strong>les</strong> <strong>de</strong> la vie, et une autre<br />
encore au domaine sémiotique.<br />
Auparavant un examen du « darwinisme<br />
» <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> me paraît s’imposer.<br />
11<br />
Le darwinisme <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> n’est pas<br />
une donnée statique comme on se<br />
l’imagine. Il est <strong>de</strong>venu courant <strong>de</strong> figer sa<br />
pensée en un système ou en une doctrine, et<br />
<strong>de</strong> consacrer <strong>de</strong>s trésors <strong>de</strong> patience pour<br />
reconstituer à partir <strong>de</strong> ses inédits – ses<br />
Notebooks – <strong>les</strong> étapes <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong><br />
ce système ou <strong>de</strong> cette doctrine. Cette approche<br />
n’est peut-être pas la meilleure au<br />
regard <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>s sciences.<br />
Une autre approche est possible. Elle<br />
consiste à suivre <strong>les</strong> publications <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong><br />
dans leur succession chronologique, et à examiner<br />
attentivement <strong>les</strong> remaniements qu’el<strong>les</strong><br />
ont subis à l’occasion <strong>de</strong> leurs rééditions.<br />
28<br />
De cette manière ce n’est plus la construction<br />
<strong>de</strong> la doctrine qui <strong>de</strong>vient notre objectif,<br />
mais l’évolution <strong>de</strong> la doctrine.<br />
Il faut naturellement se concentrer sur<br />
L’Origine <strong>de</strong>s espèces qui <strong>de</strong>meure le grand livre<br />
<strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> et son principal titre <strong>de</strong> gloire.<br />
Depuis 1959 nous disposons <strong>de</strong> l’indispensable<br />
outil <strong>de</strong> travail constitué par la monumentale<br />
édition variorum que Morse Peckham<br />
nous a procurée <strong>de</strong> ce livre. Il en résulte que :<br />
Des 3.878 phrases <strong>de</strong> la première édition,<br />
près <strong>de</strong> 3.000, soit environ 75 pour cent, furent<br />
réécrites entre une et cinq fois chacune. Plus <strong>de</strong><br />
1.500 phrases furent ajoutées, et <strong>de</strong> cel<strong>les</strong>-ci et<br />
cel<strong>les</strong>-là ensemb<strong>les</strong>, environ 325 furent élaguées.<br />
Des phrases origina<strong>les</strong> et <strong>de</strong> cel<strong>les</strong> qui furent<br />
ajoutées il y a près <strong>de</strong> 7.500 variantes <strong>de</strong> tout<br />
genre. En termes <strong>de</strong> phrases ajoutées nettes, la<br />
sixième édition est près d’un tiers plus longue<br />
que la première. ([36], p. 9)<br />
Contentons-nous <strong>de</strong> relever <strong>les</strong> trois<br />
points qui nous touchent directement. L’évolution<br />
la plus notable est celle du rapport <strong>de</strong><br />
<strong>Darwin</strong> à Lamarck. Au fil du temps, et à<br />
mesure que <strong>Darwin</strong> tournait son intérêt vers<br />
l’espèce humaine, il élargissait la place du<br />
lamarckisme dans sa doctrine. Il le reconnaissait<br />
et l’assumait 48 . Au surplus, son <strong>de</strong>rnier<br />
grand ouvrage, celui qu’il a consacré à<br />
l’Expression <strong>de</strong>s émotions (1872), est rédigé <strong>de</strong><br />
bout en bout du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> Lamarck.<br />
48 Cf. à cet égard sa préface à la 2e éd. anglaise <strong>de</strong> The Descent of<br />
man ( 11871, 21874).
Un autre point notable est le blanc seing<br />
qu’il a accordé à Haeckel dans un ajout <strong>de</strong> la<br />
5 e édition (1869) <strong>de</strong> L’Origine <strong>de</strong>s espèces 49 :<br />
Le professeur Hæckel, dans sa Generelle Morphologie<br />
et dans d’autres ouvrages récents, s’est<br />
occupé avec sa science et son talent habituels <strong>de</strong><br />
ce qu’il appelle la phylogénie, ou <strong>les</strong> lignes généalogiques<br />
<strong>de</strong> tous <strong>les</strong> êtres organisés. C’est surtout<br />
sur <strong>les</strong> caractères embryologiques qu’il s’appuie<br />
pour établir ses diverses séries, mais il s’ai<strong>de</strong><br />
aussi <strong>de</strong>s organes rudimentaires et homologues,<br />
ainsi que <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s successives auxquel<strong>les</strong> <strong>les</strong><br />
diverses formes <strong>de</strong> la vie ont, suppose-t-on, paru<br />
pour la première fois dans nos formations géologiques.<br />
Il a ainsi commencé une œuvre hardie et<br />
il nous a montré comment la classification doit<br />
être traitée à l’avenir.<br />
Le troisième point qui mérite d’être relevé<br />
est le remaniement d’un passage <strong>de</strong> son<br />
chapitre conclusif intervenu à la 6 e édition<br />
(1872). Il vise à accor<strong>de</strong>r un blanc seing à<br />
Herbert Spencer pour tout ce qui concerne la<br />
psychologie 50 :<br />
J’entrevois dans un avenir éloigné <strong>de</strong>s routes<br />
ouvertes à <strong>de</strong>s recherches encore bien plus importantes.<br />
La psychologie sera soli<strong>de</strong>ment établie<br />
sur une nouvelle base c’est-àdire<br />
sur l’acquisition nécessairement graduelle <strong>de</strong><br />
toutes <strong>les</strong> facultés et <strong>de</strong> toutes <strong>les</strong> aptitu<strong>de</strong>s<br />
menta<strong>les</strong>, ce qui jettera une vive lumière sur<br />
l’origine <strong>de</strong> l’homme et sur son histoire.<br />
49 DARWIN (1859) : L’Origine <strong>de</strong>s espèces…, 61876, chap. XIV, tf<br />
PCM, [37] pp. 511-512. (Peckman, [36] p. 676).<br />
50 DARWIN (1859) : L’Origine…, 61876, chap. XV, tf PCM, p. 547.<br />
(Peckman, [36] p. 757).<br />
29<br />
Ces trois modifications suffisent à<br />
montrer que <strong>Darwin</strong> a activement participé à<br />
faire en sorte que le darwinisme acquière <strong>de</strong>s<br />
contours flous. Sans contestation possible, le<br />
darwinisme <strong>de</strong> Pierre Janet et celui <strong>de</strong> <strong>Freud</strong><br />
peuvent se réclamer légitimement <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong><br />
suivant <strong>les</strong> critères <strong>de</strong> l’époque.<br />
12<br />
La relation <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> à Malthus pose<br />
à l’histoire <strong>de</strong>s idées un problème<br />
épineux. <strong>Darwin</strong> était prompt à reconnaître<br />
ses dus. Il reconnut d’emblée l’importance<br />
que fut pour lui la lecture <strong>de</strong> l’Essai sur le<br />
principe <strong>de</strong> population (1798) <strong>de</strong> THOMAS-<br />
ROBERT MALTHUS (1766-1834) dans la constitution<br />
<strong>de</strong> son système, allant jusqu’à la mettre<br />
en parité égale avec <strong>les</strong> Principes <strong>de</strong> géologie<br />
(1830-1833, 3 vol.) <strong>de</strong> Char<strong>les</strong> Lyell ! Cette<br />
hypertrophie <strong>de</strong> reconnaissance était assortie<br />
d’une méprise sur la nature exacte <strong>de</strong> ce qu’il<br />
lui <strong>de</strong>vait ; une méprise perpétuée paresseusement<br />
par tous <strong>les</strong> commentateurs durant<br />
plus d’un siècle.<br />
Nous sommes fixés dans cette erreur dès<br />
l’introduction <strong>de</strong> L’origine <strong>de</strong>s espèces, où <strong>Darwin</strong><br />
résume brièvement son livre chapitre par<br />
chapitre (Peckman, [36] p. 74) :<br />
Dans le chapitre suivant [chap. III : « La<br />
lutte pour l’existence »], nous considérons la lutte<br />
pour l’existence parmi <strong>les</strong> êtres organisés dans le<br />
mon<strong>de</strong> entier, lutte qui doit inévitablement<br />
découler <strong>de</strong> la progression géométrique <strong>de</strong> leur
augmentation en nombre. C’est la doctrine <strong>de</strong><br />
Malthus appliquée à tout le règne animal et à<br />
tout le règne végétal.<br />
La doctrine <strong>de</strong> Malthus est d’une simplicité<br />
enfantine, d’où son succès immédiat.<br />
Elle peut être énoncée en <strong>de</strong>ux mots. Le<br />
point <strong>de</strong> départ <strong>de</strong> Malthus est la notion <strong>de</strong><br />
perfectibilité mise en avant par <strong>les</strong> artisans <strong>de</strong><br />
la Révolution Française. Malthus est un<br />
conservateur et un réactionnaire. Son <strong>de</strong>ssein<br />
est <strong>de</strong> montrer que toute tentative d’amélioration<br />
ne peut que conduire l’humanité à une<br />
catastrophe. Le mon<strong>de</strong> tel qu’il est sorti <strong>de</strong>s<br />
mains du Créateur est parfait, c’est le meilleur<br />
<strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s possib<strong>les</strong>. Il ne faut toucher<br />
à rien. La population humaine croît dans <strong>de</strong>s<br />
proportions géométriques, tandis que dans le<br />
même temps <strong>les</strong> subsistances ne croissent<br />
qu’en proportion arithmétique.<br />
Pourtant, par <strong>les</strong> données <strong>de</strong> l’histoire<br />
universelle, on constate qu’il a toujours<br />
régné, tant bien que mal, une sorte d’équilibrage.<br />
Il y a donc toujours eu <strong>de</strong>s obstac<strong>les</strong> à<br />
l’accroissement hors <strong>de</strong> proportion <strong>de</strong>s<br />
populations humaines. Suivant Malthus ces<br />
obstac<strong>les</strong> se réduisent à trois : la contrainte<br />
morale, le vice, et <strong>les</strong> souffrances 51 .<br />
Cette doctrine est confinée chez Malthus<br />
au <strong>de</strong>stin <strong>de</strong> l’humanité. <strong>Darwin</strong> croit rester<br />
dans le droit fil <strong>de</strong> l’inspiration <strong>de</strong> Malthus en<br />
l’étendant aux règnes animal et végétal ; alors<br />
51 MALTHUS ( 21803) : Essai sur le principe <strong>de</strong> population, Livre I,<br />
chap. 2. [70], tome I, p. 77. [71], p. 26.<br />
30<br />
que cette extension (ou cette généralisation)<br />
en dénature totalement l’inspiration. Mais<br />
peu importe 52 . Ce qui est en revanche d’une<br />
portée considérable sur le plan <strong>de</strong> l’histoire<br />
<strong>de</strong>s idées, c’est l’évaluation erronée du malthusianisme<br />
<strong>de</strong> <strong>Darwin</strong>, sur la foi <strong>de</strong> ce qu’en<br />
a dit ce <strong>de</strong>rnier. Il est vrai que la lecture <strong>de</strong><br />
l’ouvrage <strong>de</strong> Malthus a provoqué un déclic<br />
dans l’esprit <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong>, lequel a produit la<br />
cristallisation <strong>de</strong> sa thèse sur l’évolution <strong>de</strong>s<br />
espèces par la sélection naturelle. Il est également<br />
vrai que <strong>Darwin</strong> était personnellement<br />
convaincu qu’il étendait la thèse <strong>de</strong> Malthus<br />
relative à la population humaine, pour la<br />
généraliser à toute la création. D’un autre<br />
côté, il est également vrai qu’il dénaturait<br />
(sans trop le savoir) la thèse <strong>de</strong> Malthus. Il<br />
faut surtout reconnaître que dans sa lecture<br />
<strong>de</strong> Malthus, ce ne sont pas <strong>les</strong> idées <strong>de</strong> Malthus<br />
qui ont provoqué chez <strong>Darwin</strong> le déclic.<br />
L’idée qui l’a frappé est celle <strong>de</strong> Benjamin<br />
Franklin rapportée par Malthus :<br />
Le Dr Franklin a déjà fait observer qu’il n’y<br />
a aucune limite à la faculté <strong>de</strong> reproduction <strong>de</strong>s<br />
plantes et <strong>de</strong>s animaux, si ce n’est qu’en augmentant<br />
leur nombre ils se volent mutuellement leurs<br />
subsistances. Si la surface <strong>de</strong> la Terre, dit-il était<br />
dépouillée <strong>de</strong> toutes ses plantes, une seule espèce<br />
(par exemple le fenouil) suffirait pour la couvrir<br />
<strong>de</strong> végétation. De même, s’il n’y avait pas<br />
d’autres habitants, une seule nation (par exemple<br />
la nation anglaise) peuplerait naturellement la<br />
Terre en peu <strong>de</strong> sièc<strong>les</strong>.<br />
52 MARÉCHAL (1992) : introd. à Malthus, [70], tome I, pp. 43-47.
Voilà une affirmation incontestable ! La nature<br />
a répandu d’une main libérale <strong>les</strong> germes <strong>de</strong><br />
vie dans <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux règnes : mais elle a été avare <strong>de</strong><br />
place et d’aliments.<br />
Ce passage se trouve au tout début <strong>de</strong><br />
l’édition refondue <strong>de</strong> l’ouvrage <strong>de</strong> Malthus 53 .<br />
L’idée qui a frappé <strong>Darwin</strong> n’est pas celle <strong>de</strong><br />
Malthus sur la rareté <strong>de</strong>s subsistances, mais<br />
celle <strong>de</strong> Franklin sur la faculté illimitée d’occupation<br />
<strong>de</strong> la Terre par toute espèce donnée,<br />
livrée sans entraves à ses possibilités <strong>de</strong><br />
reproduction 54 . Dans la première édition <strong>de</strong><br />
l’Essai <strong>de</strong> Malthus cette idée est absente.<br />
Malthus l’a rajoutée par la suite, en la subordonnant<br />
à sa propre idée <strong>de</strong> la rareté <strong>de</strong>s<br />
subsistances comme on l’observe ci-<strong>de</strong>ssus<br />
dans le commentaire dont il l’accompagne.<br />
Il a fallu attendre 1970 pour qu’un critique<br />
à l’esprit aigu s’en aperçoive 55 :<br />
Ce qu’aurait fourni Malthus à <strong>Darwin</strong>, ce n’est<br />
pas l’idée d’une lutte pour l’existence, alors commune.<br />
Mais plutôt l’idée <strong>de</strong> l’intensité <strong>de</strong> cette lutte, <strong>de</strong><br />
son pouvoir contraignant sur <strong>les</strong> vivants, l’idée <strong>de</strong><br />
progression à raison géométrique impliquant qu’une<br />
« pression » constante s’exerce sur <strong>les</strong> vivants, engendrant<br />
nécessairement entre eux une guerre incessante,<br />
forme ancestrale <strong>de</strong> la population pressure <strong>de</strong> l’actuelle<br />
génétique <strong>de</strong>s populations. Cela et rien <strong>de</strong> plus.<br />
Prenant acte que cette idée procè<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
Franklin et non pas <strong>de</strong> Malthus, le même<br />
auteur en conclut ([66], p. 80) :<br />
53 MALTHUS ( 21803) : Essai sur le principe <strong>de</strong> population, Live I,<br />
chap. 1. [70], tome I, p. 68. [71] p. 18.<br />
54 DARWIN (1859) : L’Origine…, 1 re éd., chap. III, tf GF, p. 113.<br />
55 LIMOGES (1970) : La Sélection naturelle…, [66] p. 79.<br />
31<br />
Si le rôle joué par Malthus dans la constitution<br />
<strong>de</strong> la théorie darwinienne est indubitable,<br />
il n’en est pas moins probablement fortuit.<br />
En jouant un peu sur <strong>les</strong> mots, on peut<br />
dire que la relation <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> à Malthus est<br />
un cas <strong>de</strong> « fausse reconnaissance ». De pareil<strong>les</strong><br />
méprises abon<strong>de</strong>nt dans l’histoire <strong>de</strong>s idées.<br />
En cette connexion, on peut observer<br />
que <strong>Darwin</strong> ne partage nullement le point <strong>de</strong><br />
vue <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Bernard à propos d’une harmonie<br />
préétablie dans la nature (II§7, supra).<br />
Il le dit expressément 56 :<br />
La sélection naturelle tend seulement à<br />
rendre chaque être organisé aussi parfait, ou un<br />
peu plus parfait, que <strong>les</strong> autres habitants du<br />
même pays avec <strong>les</strong>quels il se trouve en concurrence.<br />
C’est là, sans contredit, le comble <strong>de</strong> la<br />
perfection qui peut se produire à l’état <strong>de</strong> nature.<br />
(…) La sélection naturelle ne produit pas la<br />
perfection absolue ; autant que nous pouvons<br />
juger, d’ailleurs, ce n’est pas à l’état <strong>de</strong> nature que<br />
nous rencontrons jamais ces hauts <strong>de</strong>grés.<br />
La correction pour l’aberration<br />
<strong>de</strong> la lumière n’est pas parfaite, même dans le<br />
plus parfait <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> organes, l’œil humain.<br />
semblerait que la nature ait pris plaisir à accumuler<br />
<strong>les</strong> contradictions pour enlever tout fon<strong>de</strong>ment<br />
à la théorie d’une harmonie préexistante<br />
entre <strong>les</strong> mon<strong>de</strong>s intérieurs et extérieur.> Si<br />
notre raison nous pousse à admirer avec enthousiasme<br />
une foule <strong>de</strong> dispositions inimitab<strong>les</strong> <strong>de</strong> la<br />
nature, cette même raison nous dit, bien que<br />
nous puissions facilement nous tromper dans <strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>ux cas, que certaines autres dispositions sont<br />
moins parfaites.<br />
Grâce à <strong>Darwin</strong> et à Helmholtz, qu’il<br />
admirait également, <strong>Freud</strong> était prémuni<br />
contre tout enthousiasme envers une prétendue<br />
harmonie préétablie dans la nature.<br />
13<br />
Après avoir examiné le rapport <strong>de</strong><br />
<strong>Darwin</strong> à Malthus, il n’est pas inopportun<br />
d’examiner dans la foulée la relation<br />
<strong>de</strong> <strong>Freud</strong> à Malthus.<br />
Quand il s’agit <strong>de</strong> la Triebelehre – la<br />
théorie pulsionnelle <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> – <strong>les</strong> meilleurs<br />
auteurs nous renvoient à <strong>Darwin</strong>. Le dualisme<br />
pulsionnel y trouverait, nous dit-on, sa<br />
source. Une autre source serait Schopenhauer,<br />
et une troisième Krafft-Ebing.<br />
Aucune <strong>de</strong> ces allégations n’est tout à fait<br />
exacte. Le dualisme Vie / Mort n’est pas chez<br />
Schopenhauer un dualisme pulsionnel 57 .<br />
Chez Krafft-Ebing on trouve le même dualisme<br />
pulsionnel que celui <strong>de</strong> la première<br />
théorie <strong>de</strong> <strong>Freud</strong>, mais ce dualisme n’est pas<br />
conflictuel :<br />
57 ASSOUN (1976) a réunit le dossier complet sur <strong>Freud</strong> et<br />
Schopenhauer in <strong>Freud</strong> & <strong>les</strong> philosophes, PUF, pp. 177-230.<br />
32<br />
Das physiologische Leben kennt einen<br />
Erhaltungs- und einen Geschlechtstrieb. Das krankhafte<br />
Leben schafft keine neuen Triebe, wie man<br />
irrthümlich früher angenommen hat (sogen.<br />
Mord-, Stehl-, Brandstiftungstrieb). Es kann die<br />
natürlichen Triebe nur vermin<strong>de</strong>rn, steigern o<strong>de</strong>r<br />
in perverser Weise zur Aesserung gelangen<br />
lassen.<br />
La vie physiologique comporte un instinct <strong>de</strong><br />
conservation et un instinct sexuel. La vie morbi<strong>de</strong> ne<br />
crée pas <strong>de</strong> nouveaux instincts, comme on le supposait par<br />
erreur autrefois (<strong>les</strong> prétendus instincts <strong>de</strong> tuer, <strong>de</strong> voler,<br />
<strong>de</strong> brûler). Ces instincts naturels elle ne peut que <strong>les</strong><br />
manifester <strong>de</strong> manière affaiblie, accentuée, ou pervertie. 58<br />
La suite du chapitre montre bien que ce<br />
sont là <strong>les</strong> cases étanches d’une classification.<br />
Il arrive que Krafft-Ebing envisage <strong>de</strong>s combinaisons,<br />
mais pas <strong>de</strong>s conflits. Enfin, chez<br />
<strong>Darwin</strong> on trouve effectivement un conflit<br />
entre instincts (au pluriel), autrement dit pas<br />
<strong>de</strong> dualisme. Quant à <strong>Freud</strong>, il s’est toujours<br />
référé à Schiller suivant lequel la faim et<br />
l’amour mènent le mon<strong>de</strong>. On a mis cette<br />
déclaration sur le compte <strong>de</strong> la coquetterie<br />
([84], p. 241). Cela n’est pas impossible, mais<br />
l’on n’a jusqu’à présent rien proposé <strong>de</strong><br />
mieux que <strong>de</strong>s allégations boiteuses.<br />
<strong>Freud</strong> a-t-il jamais lu Malthus dans le<br />
texte ? On ne le sait. Or Malthus est là<strong>de</strong>ssus<br />
sans équivoque. Dès le 1 er chapitre <strong>de</strong><br />
son fameux Essai il déclare tout net 59 :<br />
58 KRAFFT-EBING (1879) : Lehrbuch <strong>de</strong>r Psychiatrie…, Livre II, I re<br />
partie, chap. IV, [63] ~ 5 e éd. alleman<strong>de</strong> (1893), p. 81; trad.<br />
française, 1897, p. 97; trad. américaine, 1905, p. 79.<br />
59 MALTHUS (1798): An Essay on the principle of pop., chap. I er. [69],<br />
p. 70. Ce passage disparaît avec la refonte <strong>de</strong> 1803.
I think I may fairly make two postulata.<br />
First, that food is necessary to the existence<br />
of man.<br />
Secondly, That the passion between the<br />
sexes is necessary and will remain nearly in its<br />
present state.<br />
Je pense pouvoir adopter en toute équité <strong>de</strong>ux<br />
postulats.<br />
Premièrement, que la nourriture est nécessaire à<br />
l’existence <strong>de</strong> l’homme.<br />
Deuxièmement, Que la passion entre <strong>les</strong> sexes est<br />
nécessaire et <strong>de</strong>meurera à peu près dans son état actuel.<br />
Quoi en conclure ? Pour l’instant pas<br />
grand-chose, jusqu’à ce qu’on ait la preuve<br />
matérielle que <strong>Freud</strong> a lu Malthus dans le<br />
texte. On sait tout <strong>de</strong> même que <strong>les</strong> idées <strong>de</strong><br />
celui-ci lui étaient parfaitement familières<br />
dans leurs gran<strong>de</strong>s lignes. On sait également<br />
que, durant la <strong>de</strong>rnière décennie du XIX e<br />
siècle, le malthusianisme au sens vulgaire du<br />
terme, c’est-à-dire <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> limiter <strong>les</strong><br />
naissances sans renoncer aux rapports sexuels,<br />
avait prodigieusement intéressé <strong>Freud</strong> 60 .<br />
Il avait même nourri longtemps l’espoir que<br />
son ami Fließ allait découvrir une métho<strong>de</strong><br />
infaillible d’y arriver.<br />
Voilà un autre filon en attente d’être<br />
exploité au premier signal. Pas <strong>de</strong> précipitation<br />
! Nous ne sommes pas tenus d’épuiser<br />
tous <strong>les</strong> problèmes sans rien laisser aux générations<br />
futures…<br />
60 FREUD : « Draft B : The aetiology of the neuroses » (8 fév.<br />
1893), conclusion, SE, 1 : 184.<br />
33<br />
14<br />
IV.<br />
Les retombées du darwinisme <strong>de</strong><br />
<strong>Freud</strong> sur la psychanalyse<br />
Le problème nosographique n’a pas<br />
cessé <strong>de</strong> préoccuper <strong>les</strong> psychanalystes<br />
et <strong>de</strong> <strong>les</strong> embarrasser. Il a reçu au fil du<br />
temps <strong>de</strong>s formulations variées dont voici<br />
quelques unes. Y a-t-il une nosographie psychanalytique<br />
? Est-elle différente <strong>de</strong> la nosographie<br />
psychiatrique ? Le psychanalyste<br />
peut-il se servir <strong>de</strong> la nosographie psychiatrique<br />
ou doit-il la rejeter ? Ou encore, dans <strong>les</strong><br />
termes que Winnicott (1959-1964) [91] a<br />
choisi <strong>de</strong> formuler le problème : y a-t-il une<br />
contribution <strong>de</strong> la psychanalyse à la classification<br />
psychiatrique ?<br />
Ce n’est pas à Winnicott qu’il faut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r<br />
<strong>de</strong> l’érudition mais y suppléer au<br />
moins <strong>de</strong> manière cursive. Certaines catégories<br />
psychiatriques étaient connues <strong>de</strong>puis<br />
l’antiquité, comme l’hystérie, l’hypochondrie,<br />
la manie et la mélancolie. C’est durant la formation<br />
médicale <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> que s’est accompli<br />
le renouvellement <strong>de</strong> cette ancienne nosographie<br />
avec <strong>de</strong>s apports nouveaux comme la<br />
neurasthénie, <strong>les</strong> paranoïas et la psychose<br />
maniaco-dépressive. En ce temps-là <strong>Freud</strong><br />
regardait ailleurs. Il n’avait d’yeux que pour<br />
Meynert en train d’inventer l’amentia [61], et<br />
pour Krafft-Ebing en train <strong>de</strong> thématiser <strong>les</strong><br />
perversions sexuel<strong>les</strong>. C’est alors qu’il prit le<br />
train en marche. Sa catégorie <strong>de</strong>s névroses
actuel<strong>les</strong> correspond grosso modo à la neurasthénie.<br />
Et pendant que Pierre Janet inventait<br />
la psychasthénie, lui-même inventait la<br />
névrose <strong>de</strong> contrainte. Par la suite, ce fut<br />
<strong>sous</strong> l’influence <strong>de</strong> la psychanalyse que Bleuler<br />
(1911) a cherché à cerner le groupe <strong>de</strong>s<br />
schizophrénies, tandis que <strong>Freud</strong> préférait la<br />
dénomination <strong>de</strong> paraphrénie.<br />
On voit par là qu’historiquement la nosographie<br />
n’est pas la propriété <strong>de</strong> la psychiatrie,<br />
mais un terrain d’interaction entre psychanalyse<br />
et psychiatrie. Durant toute sa carrière<br />
<strong>de</strong> psychanalyste <strong>Freud</strong> n’a jamais perdu<br />
<strong>de</strong> vue <strong>les</strong> soucis nosographiques. L’indifférence<br />
ostentatoire à la nosographie <strong>de</strong> la part<br />
<strong>de</strong> psychanalystes <strong>de</strong> plus en plus nombreux<br />
ne saurait se réclamer <strong>de</strong> l’exemple <strong>de</strong> <strong>Freud</strong>.<br />
Il a bien fallu que quelque chose ait changé<br />
dans <strong>les</strong> mentalités pour que Winnicott y alla<br />
<strong>de</strong> son rapport en 1959, et que <strong>de</strong>puis<br />
l’indifférence <strong>de</strong>s psychanalystes n’ait cessé<br />
d’augmenter. Disons que l’embarras s’est<br />
mué en un malaise <strong>de</strong> plus en plus profond.<br />
Comme il s’agissait d’un rapport, Winnicott<br />
se <strong>de</strong>vait d’arrondir <strong>les</strong> ang<strong>les</strong>. Il ne pouvait<br />
cependant conserver cette attitu<strong>de</strong> tout<br />
le long <strong>de</strong> son texte. Il a bien fallu qu’à un<br />
moment ou à un autre il éclate. Oh ! sans<br />
exubérance ([91] p. 103) :<br />
Il est probable que la contribution la plus<br />
importante que la psychanalyse ait faite à la<br />
classification psychiatrique est d’avoir réduit à<br />
néant la vieille idée <strong>de</strong> maladies « essentiel<strong>les</strong> ».<br />
34<br />
Là, le psychanalyste se trouve tout à fait à l’opposé<br />
<strong>de</strong> cette catégorie <strong>de</strong> psychiatres qui pensent<br />
qu’il existe une maladie, la schizophrénie, et<br />
une autre, la psychose maniaco-dépressive, etc.<br />
(cf. Menninger et col., 1963).<br />
Il a fallu attendre le célèbre ouvrage <strong>de</strong><br />
KARL MENNINGER (1893-1990) pour que le malaise<br />
qui couvait éclate enfin au grand jour.<br />
Certes jusqu’à ce jour on ignore en France<br />
l’existence <strong>de</strong> cet ouvrage et <strong>de</strong> son auteur.<br />
Aux États-Unis la famille Menninger a donné<br />
<strong>de</strong> nombreux psychiatres, et <strong>les</strong> frères Menninger<br />
y sont célèbres, autant et plus que la<br />
Menninger Foundation et la Menninger Clinic<br />
(Topeka, Kansas), par <strong>les</strong>quels sont passés à<br />
un titre ou à un autre tout ce qui compte <strong>de</strong><br />
grands noms en psychiatrie et en psychanalyse.<br />
On pense bien que <strong>les</strong> quatre premiers<br />
chapitres <strong>de</strong> l’ouvrage précité furent<br />
aussitôt lus et médités par <strong>les</strong> membres <strong>de</strong><br />
ces <strong>de</strong>ux corporations. Voici leurs titres :<br />
I. La dénomination et la nature<br />
II. L’impulsion à classer<br />
III. L’évolution du diagnostic<br />
IV. L’évolution du traitement<br />
D’entrée <strong>de</strong> jeu l’auteur prend la plume<br />
en son nom propre et raconte <strong>les</strong> débuts <strong>de</strong><br />
sa formation et <strong>les</strong> événements qui l’ont<br />
poussé à collectionner <strong>les</strong> classifications psychiatriques<br />
disponib<strong>les</strong> en anglais, en allemand<br />
et en français. Le passe-temps vira<br />
bientôt en compulsion, <strong>de</strong> sorte qu’il sollicita<br />
divers collaborateurs, parmi <strong>les</strong>quels <strong>de</strong>ux
personnalités que nous connaissons bien en<br />
France : George Devereux et Henri Ellenberger.<br />
Cette précieuse collecte est versée<br />
dans un appendice <strong>de</strong> soixante-dix pages<br />
placé à la fin <strong>de</strong> l’ouvrage ([72] pp. 419-489).<br />
Naturellement c’est le chapitre III <strong>de</strong> cet<br />
ouvrage qui touche au cœur <strong>de</strong> la question<br />
qui nous intéresse. Comme le livre est conçu<br />
<strong>de</strong> manière didactique, chaque chapitre y est<br />
précédé d’un « synopsis » qui le résume. Voici<br />
celui du chapitre III ([72] p. 35) :<br />
Le diagnostic a évolué <strong>de</strong>puis ses premières<br />
utilisations, visant à distinguer et à dénommer <strong>les</strong><br />
membres singuliers d’une classe, jusqu’à la procédure<br />
complexe visant à i<strong>de</strong>ntifier un syndrome<br />
classique chez un individu particulier. Beaucoup<br />
<strong>de</strong> ces syndromes semblent avoir néanmoins<br />
changé, <strong>de</strong> sorte que <strong>les</strong> anciennes étiquettes ne<br />
sont plus adéquates. Le diagnostic est progressivement<br />
<strong>de</strong>venu moins la recherche d’i<strong>de</strong>ntification<br />
d’un tableau classique pour lui donner un<br />
nom, qu’un essai <strong>de</strong> compréhension <strong>de</strong> la manière<br />
dont un individu a attrapé une infirmité,<br />
dont il est en partie comptable et en partie<br />
victime.<br />
La mé<strong>de</strong>cine a fait <strong>de</strong>s progrès réguliers <strong>de</strong>puis<br />
<strong>les</strong> Lumières, bien que le pendule ait tendu à<br />
osciller entre <strong>les</strong> différentes métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> diagnostic,<br />
dans la mesure où ces <strong>de</strong>rnières se fondaient<br />
sur <strong>de</strong>s conceptions conflictuel<strong>les</strong> <strong>de</strong> la<br />
maladie.<br />
Cela est avéré non seulement à propos <strong>de</strong>s<br />
maladies en général dans l’acception médicale,<br />
mais aussi <strong>de</strong>s maladies <strong>de</strong> type psychiatrique.<br />
Mais <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> tendances se sont éloignées du<br />
souci <strong>de</strong> dénommer [la maladie] vers un effort<br />
pour comprendre et décrire le processus [morbi<strong>de</strong>]<br />
d’une manière qui soit utile à la prescription<br />
d’un traitement rationnel.<br />
35<br />
Winnicott a pris acte <strong>de</strong> cette mise au<br />
point et en a tiré la conséquence pour la psychanalyse.<br />
Il s’est seulement retenu <strong>de</strong> l’expliciter<br />
pour le non initié. Il n’explicite pas que<br />
son rapport est une démolition intégrale <strong>de</strong><br />
l’entreprise <strong>de</strong> Karl Abraham (1924), laquelle<br />
procédait directement d’une inspiration freudienne.<br />
Et cette inspiration procédait ellemême<br />
<strong>de</strong> l’attachement <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> à ses assomptions<br />
<strong>de</strong> base darwiniennes, – ou plus<br />
exactement haeckeliennes.<br />
Remarquons inci<strong>de</strong>mment que la méconnaissance<br />
<strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine<br />
expérimentale <strong>de</strong> Clau<strong>de</strong> Bernard aura beaucoup<br />
<strong>de</strong>sservi <strong>les</strong> psychanalystes. Comme ils<br />
sont nombreux à <strong>les</strong> ignorer, il ne serait pas<br />
mal venu <strong>de</strong> leur mettre <strong>sous</strong> <strong>les</strong> yeux <strong>les</strong><br />
lignes suivantes, cristallines et vigoureuses :<br />
Relativement aux nosologies, un caractère<br />
important distingue la mé<strong>de</strong>cine d’observation<br />
<strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine expérimentale.<br />
La mé<strong>de</strong>cine d’observation, en tant que<br />
science naturelle, admet une science <strong>de</strong>s maladies, une<br />
science <strong>de</strong>s êtres, <strong>de</strong>s entités morbi<strong>de</strong>s, comme science<br />
distincte. Par conséquent, elle admet <strong>de</strong>s nosologies,<br />
qui classent ces êtres ; elle cherche à perfectionner<br />
ces nosologies, en prenant soit <strong>les</strong> caractères<br />
exacts, soit <strong>les</strong> caractères anatomopathologiques.<br />
Broussais lui-même dit qu’il faut rattacher<br />
<strong>les</strong> maladies à <strong>de</strong>s lésions anatomiques ; il<br />
est anatomo-pathologiste.<br />
De même la zoologie admet <strong>de</strong>s classifications<br />
que la physiologie tend à détruire. Pour le<br />
physiologiste expérimentateur, il n’y a pas d’espèce<br />
comme entité à classer ; l’espèce est une idéa-
lité, mais ainsi que je l’ai dit ailleurs, on n’agit pas<br />
physiologiquement sur l’espèce physiologique,<br />
on n’agit pas thérapeutiquement sur une entité<br />
morbi<strong>de</strong> ; on agit physiologiquement et pathologiquement<br />
sur un phénomène physico-chimique<br />
quelconque qui donne ensuite naissance à un<br />
phénomène vital déterminé ; le physiologiste ne<br />
voit que <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> la vie normale ou anormale.<br />
Donc le physiologiste mé<strong>de</strong>cin veut rarement<br />
la pathologie dans la physiologie ; il veut<br />
détruire la pathologie comme science distincte et<br />
détruire, par conséquent, <strong>les</strong> nosologies. Le cadre<br />
physiologique et le cadre pathologique doivent<br />
être <strong>les</strong> mêmes. Les maladies, <strong>les</strong> espèces ne sont<br />
que <strong>de</strong>s ensemb<strong>les</strong> <strong>de</strong> caractères qui résultent <strong>de</strong><br />
l’arrangement <strong>de</strong>s choses, mais non <strong>de</strong> leur<br />
nature ; ce sont <strong>de</strong>s monuments naturels organiques,<br />
comme il y a <strong>de</strong>s monuments minéraux formés<br />
<strong>de</strong> matériaux, et d’après <strong>de</strong>s lois qui ne varient<br />
que par <strong>les</strong> conditions où l’on se place. 61<br />
Les retombées négatives du darwinisme<br />
<strong>de</strong> <strong>Freud</strong> sur la psychanalyse ne se limitent<br />
pas à l’approche nosographique. El<strong>les</strong> se font<br />
sentir dans l’abord freudien d’un certain<br />
nombre <strong>de</strong> problèmes qui sont restés l’objet<br />
<strong>de</strong> vifs litiges. Prenons quelques autres<br />
exemp<strong>les</strong>. La notion <strong>de</strong> « cyc<strong>les</strong> <strong>de</strong> la vie » ne<br />
trouve pas encore droit <strong>de</strong> cité en psychanalyse.<br />
Le stadisme psychanalytique est un dévoiement<br />
qui en procè<strong>de</strong>. Quant au lacanisme,<br />
il n’aurait peut-être pas eu lieu d’être si<br />
<strong>Freud</strong> n’avait pas déséquilibré le triangle<br />
sémiotique <strong>de</strong> Bühler (1934) [29] en le tirant<br />
beaucoup trop par l’un <strong>de</strong> ses sommets.<br />
61 CLAUDE BERNARD (1947) : Principes <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine expérimentale,<br />
chap. X, § 2bis, [27] pp. 98-99. (Italiques d’origine).<br />
36<br />
15<br />
La conception <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> du développement<br />
libidinal fait à juste titre partie<br />
<strong>de</strong>s plus beaux fleurons <strong>de</strong> la psychanalyse.<br />
Ce développement a toujours été considéré<br />
comme une évolution graduelle se faisant par<br />
réélaborations et remaniements. Une attitu<strong>de</strong><br />
en quelque sorte continuiste y a toujours présidé.<br />
Sans risque <strong>de</strong> se tromper, on peut faire<br />
remonter cette attitu<strong>de</strong> à la maxime <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong><br />
: natura non facit saltum (la nature ne fait<br />
pas <strong>de</strong> bonds, ou <strong>de</strong> sauts).<br />
En 1965, le psychanalyste britannique,<br />
Elliott Jacques, médusa la communauté psychanalytique<br />
en publiant une étu<strong>de</strong> intitulée :<br />
« Death and mid-life crisis » (La mort et la crise<br />
du milieu <strong>de</strong> la vie). Comme on était convaincu<br />
qu’avec l’ado<strong>les</strong>cence on en avait terminé<br />
avec le développement libidinal, on en<br />
fut assez perturbé. Mais la lecture attentive<br />
<strong>de</strong> ce texte montre que l’auteur a fait tous <strong>les</strong><br />
efforts possib<strong>les</strong> pour se montrer au <strong>de</strong>s<strong>sous</strong><br />
<strong>de</strong> sa découverte. En bon kleinien, il s’est<br />
évertué à ramener cette crise à une élaboration<br />
insuffisante <strong>de</strong> la « position dépressive ».<br />
L’alerte avait été chau<strong>de</strong>, mais tout était<br />
rentré dans l’ordre. La continuité était restaurée.<br />
La première véritable attaque contre<br />
l’attitu<strong>de</strong> continuiste est venue <strong>de</strong>s psychanalystes<br />
intéressés par l’ado<strong>les</strong>cence (Laufer,<br />
Gutton). Après quelques escarmouches, qui<br />
furent prestement esquivées, il leur fallut<br />
livrer une véritable bataille pour faire agréer
leur point <strong>de</strong> vue selon quoi l’ado<strong>les</strong>cence est<br />
bien une rupture dans le développement.<br />
À terme on en a vu la conséquence sur la<br />
traduction française <strong>de</strong> <strong>Freud</strong>. Jusqu’alors, le<br />
troisième essai <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> sur la théorie sexuelle<br />
(1905), intitulé en allemand : « Die Umgestaltungen<br />
<strong>de</strong>r Pubertät », était rendu en français<br />
par : <strong>les</strong> transformations (ou <strong>les</strong> métamorphoses)<br />
<strong>de</strong> la puberté. C’était souligner en<br />
quelque sorte la continuité. Actuellement, la<br />
nouvelle traduction propose : <strong>les</strong> reconfigurations<br />
<strong>de</strong> la puberté, ce qui accuse plutôt la<br />
discontinuité. Nous sommes cependant loin<br />
qu’une véritable approche <strong>de</strong>s cyc<strong>les</strong> <strong>de</strong> la vie<br />
soit agréée par la communauté psychanalytique<br />
; une approche où chaque cycle serait<br />
considéré en lui-même dans sa spécificité<br />
comme une sorte <strong>de</strong> « reformatage », comme<br />
une sorte d’installation d’un nouveau programme<br />
; et non pas comme un simple remo<strong>de</strong>lage,<br />
réélaboration ou remaniement du<br />
cycle précé<strong>de</strong>nt.<br />
Pourtant, nous sommes répétitivement<br />
confrontés en clinique à la même constatation.<br />
On ne vient pas consulter à n’importe<br />
quel moment, mais le plus souvent au moment<br />
où le passage d’un cycle à un autre a<br />
échoué. Quand on a tout tenté pour diluer la<br />
difficulté <strong>de</strong> l’accession à un nouveau cycle<br />
dans la soupe du précé<strong>de</strong>nt, il arrive que le<br />
patient rouspète et nous objecte timi<strong>de</strong>ment :<br />
« Tout cela est absolument nouveau pour moi. Comment<br />
aurais-je pu m’y préparer ! » L’inertie <strong>de</strong> la<br />
37<br />
corporation est telle que l’attitu<strong>de</strong> continuiste<br />
aura certainement <strong>de</strong> beaux jours <strong>de</strong>vant elle.<br />
16<br />
Le stadisme, si populaire dans <strong>les</strong><br />
exposés généraux relatifs à la psychanalyse,<br />
est lié étroitement aux assomptions<br />
<strong>de</strong> base <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> provenant <strong>de</strong> son darwinisme.<br />
C’est le moment d’insister tout<br />
d’abord sur le fait que <strong>les</strong> assomptions <strong>de</strong><br />
bases <strong>de</strong> <strong>Freud</strong>, qui définissent son darwinisme,<br />
ne doivent pas être perçues comme<br />
un carcan. En sus <strong>de</strong> lui procurer un cadre <strong>de</strong><br />
pensée et un moyen d’expression pour ses<br />
idées, ces assomptions <strong>de</strong> base ont été un<br />
extraordinaire terreau d’une fertilité stupéfiante.<br />
Il y puisait non seulement <strong>de</strong>s questions<br />
épineuses qui stimulaient ou relançaient<br />
sa soif <strong>de</strong> savoir, mais également <strong>de</strong>s procédés<br />
<strong>de</strong> découverte. En sus <strong>de</strong> lui fournir<br />
<strong>de</strong>s assomptions <strong>de</strong> base, le darwinisme lui a<br />
procuré une boîte à outils bien garnie. Qu’il y<br />
eût en outre <strong>de</strong>s retombées négatives ne doit<br />
pas nous le faire perdre <strong>de</strong> vue. Même si le<br />
darwinisme n’a pas été un carcan, il fallait<br />
sinon s’en dégager, du moins ménager à son<br />
égard une distance critique.<br />
Ritvo a remis dans son contexte idéologique<br />
<strong>de</strong> l’époque la conception <strong>de</strong>s sta<strong>de</strong>s<br />
psychosexuels <strong>de</strong> <strong>Freud</strong>. Voici ce qu’elle en a<br />
dit ([82], p. 282) :<br />
Pour se défendre contre certaines critiques<br />
<strong>de</strong> Haeckel, Claus [qui fut le maître <strong>de</strong> <strong>Freud</strong>]<br />
dut souligner que <strong>les</strong> classifications restaient
uti<strong>les</strong> même si la réalité était un continuum sans<br />
interruption. Cinquante ans plus tard, <strong>Freud</strong><br />
ressentit le même besoin <strong>de</strong> faire remarquer à ses<br />
auditeurs que <strong>les</strong> sta<strong>de</strong>s psychosexuels n’étaient<br />
qu’une division pratique <strong>de</strong> ce qu’il considérait<br />
comme un continuum <strong>de</strong>puis le début. Il<br />
craignait que la notion ne fut pas aussi évi<strong>de</strong>nte<br />
pour ses auditeurs qu’elle l’était pour lui, et pour<br />
<strong>Darwin</strong>. Ni Claus ni <strong>Freud</strong> n’ont, semble-t-il,<br />
jamais été tentés <strong>de</strong> rejoindre Huxley, von Baer,<br />
Kölliker, Murchison, <strong>de</strong> Vries et d’autres, qui<br />
acceptaient l’éventualité d’une évolution opérant<br />
par bonds. L’un et l’autre étaient en complet<br />
accord avec <strong>Darwin</strong> sur l’évolution graduelle.<br />
À cet égard, on peut rappeler que Konrad<br />
Lorenz qui se considérait comme un darwinien<br />
convaincu, déclarait sans ambages 62 :<br />
La formule Natura non facit saltum est totalement<br />
fallacieuse.<br />
Pour être resté attaché à l’adage remis en<br />
honneur par <strong>Darwin</strong>, <strong>Freud</strong> ne pouvait envisager<br />
une approche pertinente <strong>de</strong>s cyc<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />
la vie [12][13]. Cela a pesé lourd sur sa postérité.<br />
Il a fallu que certains spécialistes <strong>de</strong><br />
l’ado<strong>les</strong>cence se battent <strong>de</strong> nombreuses années<br />
pour faire valoir leur position discontinuiste.<br />
Quant à une approche discontinuiste<br />
généralisée aux cyc<strong>les</strong> <strong>de</strong> la vie, aucun psychanalyste<br />
n’a osé y songer jusqu’à présent.<br />
Le stadisme comportait au moins <strong>de</strong>ux<br />
autres effets fâcheux. Le premier, <strong>de</strong> pousser<br />
<strong>Freud</strong> et Karl Abraham à envisager <strong>de</strong>s<br />
correspondances strictes entre la nosographie<br />
62 LORENZ (1978) : L’Homme dans le fleuve du vivant, [67] p. 164.<br />
38<br />
et <strong>les</strong> différentes étapes du développement<br />
libidinal. C’était là inventer à grands frais une<br />
solution imaginaire à un problème inexistant.<br />
L’autre, d’enfiler <strong>les</strong> organisations libidina<strong>les</strong><br />
dans le prolongement l’une <strong>de</strong> l’autre,<br />
ce contre quoi notre clinique quotidienne se<br />
rebiffe. Balint a été le premier à s’en alarmer<br />
naguère. Mais l’on continue jusqu’à présent à<br />
faire comme si <strong>de</strong> rien n’était. Je n’y insiste<br />
pas, ayant par ailleurs consacré plusieurs<br />
étu<strong>de</strong>s à cet aspect là [9][10][11].<br />
17<br />
La sémiotique psychanalytique a également<br />
eu à souffrir du darwinisme<br />
<strong>de</strong> <strong>Freud</strong>. Regardons-y d’un peu plus près en<br />
recourant à Winnicott <strong>de</strong> nouveau. Son rapport<br />
précité débutait par le rappel historique<br />
que voici ([91] pp. 93-94) :<br />
Aux premiers jours <strong>de</strong> la psychanalyse,<br />
<strong>Freud</strong> s’est intéressé à trois aspects <strong>de</strong> la maladie<br />
mentale. L’un était le comportement ; la relation<br />
du patient à la réalité. Le second, la formation du<br />
symptôme dont <strong>Freud</strong> a établi qu’il constituait<br />
une communication, cette notion faisant partie <strong>de</strong><br />
sa conception nouvelle <strong>de</strong> l’inconscient. Le troisième<br />
était l’étiologie, que <strong>Freud</strong> a transformée<br />
en introduisant l’idée <strong>de</strong> processus évolutif. Il a<br />
étudié la vie instinctuelle, ce qui l’a amené à la<br />
théorie <strong>de</strong> la sexualité infantile.<br />
Ce n’est pas par inadvertance que Winnicott<br />
met communication en italiques. Ce n’est<br />
pas non plus par inadvertance que Masud<br />
Khan, dans une admirable communication
sur « La rancœur <strong>de</strong> l’hystérique » (1974), a imité<br />
Winnicott sur ce point ([62] pp. 57-58) :<br />
L’un <strong>de</strong>s apports décisifs <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> à l’épistémologie<br />
<strong>de</strong> l’expérience humaine est d’avoir<br />
établi que <strong>les</strong> symptômes hystériques sont une<br />
communication et que ce mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> communication<br />
a sa propre grammaire dans le fonctionnement<br />
psychique humain.<br />
La filiation est évi<strong>de</strong>nte. Mais il est possible<br />
<strong>de</strong> retrouver la même révérence à <strong>Freud</strong><br />
<strong>sous</strong> d’autres plumes. Quant à trouver dans<br />
le corpus freudien une citation qui corrobore<br />
cette thèse, c’est une autre affaire. On cherchera<br />
en vain, et pour cause. En bon déterministe<br />
et en bon darwinien, <strong>Freud</strong> n’a<br />
jamais appréhendé le symptôme avec une<br />
théorie <strong>de</strong> la communication mais à travers<br />
une théorie <strong>de</strong> l’expression. Il était dévolu à<br />
Lacan <strong>de</strong> tirer brutalement le triangle sémiotique<br />
du côté opposé, et avec démesure.<br />
Pour éviter tout malentendu, il est toutefois<br />
nécessaire <strong>de</strong> dissiper une ambiguïté<br />
que le terme <strong>de</strong> communication charrie.<br />
Lorsqu’une école <strong>de</strong> linguistique – par<br />
exemple celle <strong>de</strong> Martinet – énonce que la<br />
fonction du langage est la communication, il<br />
est nécessaire <strong>de</strong> rallonger cet énoncé d’un<br />
mot <strong>de</strong> plus : la communication d’information.<br />
Théorie <strong>de</strong> la communication et théorie<br />
<strong>de</strong> l’information se té<strong>les</strong>copent. Dans l’opération<br />
le facteur humain aura disparu. Le<br />
langage humain que ce soit au sens étroit ou<br />
au sens large ne saurait se définir principa-<br />
39<br />
lement par la transmission <strong>de</strong> l’information.<br />
Il gère <strong>les</strong> relations humaines, distribue et<br />
modifie <strong>les</strong> places respectives <strong>de</strong>s interlocuteurs…<br />
[48] La linguistique <strong>de</strong> l’énoncé doit<br />
être suppléée par la linguistique <strong>de</strong> l’énonciation.<br />
Le symptôme dans l’acception médicale<br />
est assurément une tentative <strong>de</strong> réduction<br />
<strong>de</strong>s symptômes à une communication<br />
d’informations sur l’état <strong>de</strong> l’organisme et <strong>de</strong><br />
son milieu intérieur. Mais dans son acception<br />
psychanalytique le symptôme gère <strong>de</strong>s relations<br />
inter-systémiques et interhumaines.<br />
À cet égard la position personnelle <strong>de</strong><br />
<strong>Freud</strong> relève <strong>de</strong> la duplicité. Quand il s’agit<br />
<strong>de</strong> présenter le symptôme dans un cadre<br />
théorique, il l’appréhen<strong>de</strong> toujours à partir<br />
d’une théorie <strong>de</strong> l’expression. En revanche,<br />
quand il s’agit <strong>de</strong> présenter le symptôme dans<br />
le cadre <strong>de</strong> sa propre pratique clinique –<br />
comme dans ses comptes rendus <strong>de</strong> cas – il<br />
se montre merveilleusement attentif aux relations<br />
interhumaines.<br />
Comment rendre compte <strong>de</strong> cette duplicité<br />
? Pourquoi <strong>Freud</strong> était-il inféodé à une<br />
théorie <strong>de</strong> l’expression ? Il faut en revenir à<br />
ses assomptions <strong>de</strong> base, et en premier lieu à<br />
son allégeance à la conception du déterminisme<br />
régnant dans la secon<strong>de</strong> moitié du<br />
XIX e siècle. Clau<strong>de</strong> Bernard en est lui-même<br />
le meilleur exemple puisqu’on le crédite<br />
d’avoir popularisé cette conception. L’exposé<br />
même <strong>de</strong> sa conception du déterminisme
elève d’une théorie <strong>de</strong> l’expression, à témoin<br />
le passage suivant :<br />
… le principe absolu <strong>de</strong>s sciences expérimenta<strong>les</strong><br />
est un déterminisme nécessaire et conscient<br />
dans <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong>s phénomènes. De telle<br />
sorte qu’un phénomène naturel, quel qu’il soit,<br />
étant donné, jamais un expérimentateur ne pourra<br />
admettre qu’il y ait une variation dans<br />
l’expression <strong>de</strong> ce phénomène sans qu’en même<br />
temps il ne soit survenu <strong>de</strong>s conditions nouvel<strong>les</strong><br />
dans sa manifestation ; <strong>de</strong> plus, il a la certitu<strong>de</strong> a<br />
priori que ces variations sont déterminées par <strong>de</strong>s<br />
rapports rigoureux et mathématiques. 63<br />
Les <strong>de</strong>ux mots que j’ai soulignés n’apparaissent<br />
pas indifféremment <strong>sous</strong> sa plume.<br />
Clau<strong>de</strong> Bernard précise plus loin sa pensée<br />
en disant : « Je rappellerai seulement ici que <strong>les</strong><br />
phénomènes ne sont que l’expression <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong>s<br />
corps… » 64 . De fait, Clau<strong>de</strong> Bernard n’est là<br />
rien <strong>de</strong> plus qu’un relais pour une conception<br />
qui remonte plus haut. Sans se perdre dans<br />
<strong>de</strong>s recherches d’érudition vétilleuse, nous<br />
pouvons nous fier au travail <strong>de</strong> Gil<strong>les</strong> Deleuze<br />
(1969) [43] présenté en thèse complémentaire<br />
: Spinoza et le problème <strong>de</strong> l’expression.<br />
La conclusion <strong>de</strong> cet ouvrage mérite le<br />
détour – une douzaine <strong>de</strong> pages qui comptent<br />
parmi <strong>les</strong> meilleures sorties <strong>de</strong> sa plume<br />
– une pièce d’anthologie. Elle s’intitule :<br />
« Théorie <strong>de</strong> l’expression chez Leibniz et Spinoza :<br />
l’expressionnisme en philosophie ». De fait, bien<br />
que l’ouvrage soit consacré à Spinoza, Leib-<br />
63 CLAUDE BERNARD (1965) : Introduction à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine<br />
expérimentale, I re partie, chap. II, § 7, [12] p. 89.<br />
64 I<strong>de</strong>m, II e partie, chap. II, § 1, [12] p. 139.<br />
40<br />
niz accompagne toujours le trajet par sa présence<br />
confraternelle. Dans un instant on verra<br />
pourquoi. Citons d’abord le premier paragraphe<br />
<strong>de</strong> cette conclusion où Deleuze définit<br />
avec sa précision coutumière <strong>les</strong> enjeux :<br />
La force d’une philosophie se mesure aux<br />
concepts qu’elle crée, ou dont elle renouvelle le<br />
sens, et qui imposent un nouveau découpage aux<br />
choses et aux actions. Il arrive que ces concepts<br />
soient appelés par le temps, chargés d’un sens<br />
collectif conforme aux exigences d’une époque,<br />
et soient découverts, créés ou recréés par plusieurs<br />
auteurs à la fois. Il en est ainsi pour Spinoza<br />
et Leibniz, et le concept d’expression. Ce<br />
concept prend sur soi la forme d’une réaction<br />
anticartésienne menée par ces <strong>de</strong>ux auteurs, <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux points <strong>de</strong> vue différents. Il implique une<br />
re-découverte <strong>de</strong> la Nature et <strong>de</strong> sa puissance,<br />
une re-création <strong>de</strong> la logique et <strong>de</strong> l’ontologie :<br />
un nouveau « matérialisme » et un nouveau<br />
« formalisme ». Le concept d’expression s’applique<br />
à l’Être déterminé comme Dieu, pour autant<br />
que Dieu s’exprime dans le mon<strong>de</strong>. Il s’applique<br />
aux idées déterminées comme vraies, pour autant<br />
que <strong>les</strong> idées vraies expriment Dieu et le mon<strong>de</strong>.<br />
Il s’applique enfin aux individus déterminés<br />
comme essences singulières, pour autant que <strong>les</strong><br />
essences singulières s’expriment dans <strong>les</strong> idées. Si<br />
bien que <strong>les</strong> trois déterminations fondamenta<strong>les</strong> :<br />
être, connaître, agir ou produire, sont mesurées et<br />
systématisées <strong>sous</strong> ce concept. C’est l’âge <strong>de</strong> la<br />
« raison suffisante » : <strong>les</strong> trois branches <strong>de</strong> la<br />
raison suffisante, ratio essendi, ratio cognoscendi, ratio<br />
fiendi ou agendi, trouvent dans l’expression leur<br />
racine commune.<br />
L’histoire <strong>de</strong> la philosophie est pour Deleuze<br />
un champ <strong>de</strong> forces et d’affrontements.<br />
Au camp <strong>de</strong> Platon - Descartes - Hegel, il
oppose <strong>de</strong> façon irréductible celui d’Aristote<br />
- Spinoza/Leibniz - Nietzsche. C’est le camp<br />
qu’il a rejoint. Son camp est celui qui veut<br />
ruiner toute philosophie <strong>de</strong> la représentation.<br />
La théorie <strong>de</strong> l’expression sert d’arme <strong>de</strong><br />
guerre. Sur le fond, Deleuze soutient que<br />
Leibniz et Spinoza sont du même bord. Ils<br />
ne se séparent que sur un seul point, mais il<br />
est essentiel.<br />
[La philosophie <strong>de</strong> Leibniz est] une philosophie<br />
« symbolique » <strong>de</strong> l’expression, où l’expression<br />
n’est jamais séparée <strong>de</strong>s signes <strong>de</strong> ses<br />
variations, pas plus que <strong>de</strong>s zones obscures où<br />
elle plonge. (…) Une telle philosophie symbolique est<br />
nécessairement une philosophie <strong>de</strong>s formes équivoques.<br />
([43], p. 307)<br />
En revanche :<br />
(…) l’essentiel, pour Spinoza, c’est <strong>de</strong> séparer<br />
le domaine <strong>de</strong>s signes, toujours équivoques,<br />
et celui <strong>de</strong>s expressions dont la règle absolue doit<br />
être l’univocité.<br />
Deleuze renoncera-t-il à Leibniz ? C’est<br />
un sacrifice qu’il ne faut pas lui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r. Il<br />
est plutôt enclin à la mansuétu<strong>de</strong> puisqu’il<br />
termine son livre sur <strong>les</strong> mots suivants :<br />
Nous ne pouvons dire ce qui est le plus<br />
important : <strong>les</strong> différences <strong>de</strong> Leibniz et <strong>de</strong><br />
Spinoza dans leur évaluation <strong>de</strong> l’expression ; ou<br />
leur commun appel à ce concept pour fon<strong>de</strong>r<br />
une philosophie post-cartésienne. (p. 311)<br />
Il importe <strong>de</strong> ne pas lâcher Leibniz.<br />
Deleuze est prêt à lui passer le fléchissement<br />
<strong>de</strong> son expressionnisme eu égard à sa théorie<br />
41<br />
du pli, à laquelle il consacrera l’un <strong>de</strong> ses<br />
<strong>de</strong>rniers grands livres <strong>de</strong> philosophie (1988).<br />
Notons inci<strong>de</strong>mment que si l’on accepte la<br />
différentiation que fait Deleuze entre l’expressionnisme<br />
<strong>de</strong> Spinoza et celui <strong>de</strong> Leibniz,<br />
la conséquence en est que <strong>Freud</strong> est plus<br />
leibnizien que spinoziste, – à la réserve près<br />
<strong>de</strong> l’harmonie préétablie. Stimulé sans doute<br />
par Félix Guattari, il n’est pas question pour<br />
Deleuze d’étendre à <strong>Freud</strong> l’indulgence consentie<br />
à Leibniz. L’Anti-Œdipe [44] sera donc<br />
virulent pour <strong>Freud</strong>, pour la psychanalyse et<br />
pour Lacan.<br />
D’abord, impossible <strong>de</strong> pardonner à<br />
<strong>Freud</strong> la trahison <strong>de</strong> sa propre cause. Impossible<br />
<strong>de</strong> lui pardonner ses auto-trahisons successives,<br />
consignées au fur et à mesure <strong>de</strong>s<br />
rééditions <strong>de</strong> ses Trois Essais sur la théorie sexuelle.<br />
Cet ouvrage, dans sa version originale <strong>de</strong><br />
1905, contient la révélation d’une sexualité<br />
polymorphe, sans objet, déliée et délocalisée.<br />
Et voilà que <strong>Freud</strong>, à mesure <strong>de</strong>s années, y<br />
introduit un stadisme incongru et un Œdipe<br />
nauséabond. Dans l’Anti-Œdipe, cet aspect<br />
domine et s’étale sur toutes <strong>les</strong> pages. Mais le<br />
différent majeur qui <strong>sous</strong>-tend l’ouvrage est<br />
l’incompatibilité entre la sémiotique freudienne<br />
et celle <strong>de</strong> Deleuze & Guattari.<br />
Du triangle sémiotique <strong>Freud</strong> tient bon à<br />
<strong>de</strong>ux sommets : l’expression et la représentation.<br />
Quant à la fonction d’appel (ou <strong>de</strong> communication),<br />
même si sa théorie ne peut lui<br />
faire place, sa pratique y est toujours subor-
donnée. En ce qui concerne Deleuze &<br />
Guattari, le triangle sémiotique se réduit pour<br />
eux à un seul <strong>de</strong> ses sommets : la fonction<br />
expressive. Ils sont constamment en guerre<br />
contre toute velléité <strong>de</strong> représentation ou <strong>de</strong><br />
symbolisation. Quant à leur acception <strong>de</strong> la<br />
communication, elle est expurgée <strong>de</strong> l’élément<br />
proprement humain. Elle est conçue<br />
strictement comme un circuit cybernétique,<br />
machinique. Les positions sont irréductib<strong>les</strong>.<br />
Naturellement, <strong>les</strong> psychanalystes qui ont<br />
pris la mouche [35][85] et sont <strong>de</strong>scendus<br />
dans l’arène pour en découdre avec Deleuze<br />
& Guattari n’ont vraiment pas compris<br />
grand-chose aux manœuvres doctrina<strong>les</strong> <strong>de</strong>s<br />
auteurs, experts en espiègleries. Lacan luimême<br />
– réputé pour être quelqu’un à qui on<br />
ne la fait pas – fut très embarrassé. Il savait<br />
bien qu’il était dans leur point <strong>de</strong> mire, sans<br />
trop savoir ce qui était exactement visé.<br />
Dans son « retour à <strong>Freud</strong> », Lacan avait<br />
voulu arracher la psychanalyse à l’orbite <strong>de</strong> la<br />
théorie <strong>de</strong> l’expression pour la placer sur<br />
l’orbite d’une théorie <strong>de</strong> la communication<br />
interhumaine. C’était aller exactement dans le<br />
sens contraire <strong>de</strong> celui préconisé par Deleuze<br />
& Guattari. Ceux-ci ne pouvaient qu’être<br />
encore plus sévères pour Lacan que pour<br />
<strong>Freud</strong>. En outre, pas plus que <strong>Freud</strong>, Lacan<br />
n’a eu l’intention <strong>de</strong> se passer <strong>de</strong> la représentation.<br />
Il l’a seulement disloquée pour y<br />
recueillir <strong>les</strong> ingrédients <strong>de</strong> l’Imaginaire et du<br />
Symbolique. Pour Deleuze & Guattari cette<br />
42<br />
prétention est insoutenable. Il faudrait renoncer<br />
absolument à la représentation. Rien<br />
<strong>de</strong> bon n’en saurait procé<strong>de</strong>r. Dès qu’il y a<br />
représentation, le mon<strong>de</strong> perd son univocité<br />
et l’homme s’en trouve expulsé.<br />
Combien <strong>les</strong> choses auraient été plus<br />
simp<strong>les</strong> si <strong>Freud</strong> avait pu <strong>de</strong>sserrer l’emprise<br />
<strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> sur sa pensée. Rêvons un peu : il<br />
aurait alors élaboré peut-être une sémiotique<br />
psychanalytique équilibrée, équitablement répartie<br />
entre <strong>les</strong> trois sommets du triangle<br />
sémiotique <strong>de</strong> Bühler ([29], p. 109) : la fonction<br />
d’expression, la fonction <strong>de</strong> représentation,<br />
et la fonction <strong>de</strong> communication.<br />
Ne rêvons pas trop ! C’est librement que<br />
<strong>Freud</strong> a choisi ses maîtres ; c’est librement<br />
qu’il a adopté <strong>les</strong> assomptions <strong>de</strong> base <strong>de</strong> son<br />
cadre <strong>de</strong> pensée ; c’est librement qu’il a choisi<br />
<strong>de</strong> <strong>les</strong> conserver à peu près tel<strong>les</strong> quel<strong>les</strong> durant<br />
toute sa carrière ; et c’est librement qu’il<br />
a même choisi <strong>de</strong> radicaliser certaines d’entre<br />
el<strong>les</strong>, <strong>les</strong> plus aventureuses, au fur et à mesure<br />
du passage du temps. Il ne pouvait penser<br />
autrement. – Que <strong>les</strong> psychanalystes d’aujourd’hui<br />
en payent le prix ; ou bien qu’ils<br />
osent penser par eux-mêmes à son exemple.<br />
18<br />
Conclusion. – Le cinquantenaire <strong>de</strong><br />
L’Origine <strong>de</strong>s espèces a suscité une pléthore<br />
<strong>de</strong> célébrations. Le numéro spécial <strong>de</strong><br />
la Psychological Review comportait une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
James R. Angell (1909) [2] évaluant l’influen-
ce <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> sur la psychologie. Suivant<br />
Angell <strong>les</strong> psychologues n’ont pas participé<br />
au tollé général qui suivit la publication du<br />
livre. Ils ne furent vraiment concernés qu’à<br />
partir <strong>de</strong> la publication <strong>de</strong> The Descent of man<br />
(1871), soit plus <strong>de</strong> vingt ans plus tard. La<br />
fièvre était alors tombée, et Spencer et Bain<br />
avaient eu le temps <strong>de</strong> préparer <strong>les</strong> esprits.<br />
Le premier effet fut sensible, nous dit-il,<br />
dans le domaine <strong>de</strong> la psychologie génétique.<br />
Mais l’impact du darwinisme se fit surtout<br />
sentir dans l’approche <strong>de</strong> trois problèmes :<br />
1/ l’évolution <strong>de</strong>s instincts, et la part <strong>de</strong><br />
l’intelligence dans ce processus ; 2/ l’évolution<br />
<strong>de</strong>s facultés menta<strong>les</strong> <strong>de</strong>puis l’animal le<br />
plus rudimentaire jusqu’à l’homme le plus<br />
doué ; et 3/ l’expression <strong>de</strong>s émotions.<br />
Angell ne disposait pas d’assez <strong>de</strong> recul.<br />
Ses appréciations manquent parfois <strong>de</strong> pertinence.<br />
Nous célébrons cette année le centcinquantenaire<br />
<strong>de</strong> L’Origine <strong>de</strong>s espèces. Entretemps<br />
<strong>les</strong> choses se sont décantées et le<br />
tableau d’ensemble peut être brossé à grand<br />
traits. Dans <strong>les</strong> <strong>de</strong>rnières décennies du XIX e<br />
siècle, d’éminents psychologues tout autant<br />
que d’autres intellectuels se sont passionnés<br />
pour la théorie <strong>de</strong> l’évolution, et ont cherché<br />
à chaud à en intégrer quelque chose dans leur<br />
discipline. Ils ne faisaient pas la différence<br />
entre <strong>Darwin</strong> et Spencer ou avec leurs ému<strong>les</strong>.<br />
Ce que chacun en a retenu dépendait <strong>de</strong><br />
ses idiosyncrasies. À partir <strong>de</strong> là il faut <strong>de</strong>scendre<br />
<strong>de</strong>s généralités vers <strong>les</strong> cas particu-<br />
43<br />
liers. On a pu constater qu’à cet égard Ribot,<br />
James et Baldwin différaient beaucoup l’un<br />
<strong>de</strong> l’autre.<br />
Le cas <strong>de</strong> Janet est encore plus spécial.<br />
La première partie <strong>de</strong> son œuvre – celle qui<br />
relève <strong>de</strong> la psychiatrie – ne porte pas la marque<br />
<strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> l’évolution. Ce n’est que<br />
bien après que le débat sur l’évolutionnisme<br />
se soit refroidi, que son influence se soit infléchie,<br />
et que Pierre Janet lui-même ait déplacé<br />
son intérêt <strong>de</strong> la psychiatrie vers la psychologie,<br />
qu’il a commencé à s’y référer. On<br />
observe également que ce qu’il en a intégré à<br />
sa psychologie ce sont <strong>les</strong> idées courantes et<br />
diffuses <strong>de</strong> l’opinion éclairée <strong>de</strong> son temps.<br />
En ce qui concerne <strong>Freud</strong>, cela s’est<br />
passé différemment. Le darwinisme a été une<br />
« cause » qu’il a embrassée une fois pour<br />
toute dès le début <strong>de</strong> son éveil intellectuel,<br />
avant même <strong>de</strong> commencer sa formation<br />
universitaire. Féru d’admiration pour <strong>les</strong><br />
grands hommes, il élit très tôt <strong>Darwin</strong><br />
comme figure tutélaire <strong>de</strong> son Panthéon personnel.<br />
Tous <strong>les</strong> auteurs conviennent <strong>de</strong> l’importance<br />
que <strong>Darwin</strong> et le darwinisme (au<br />
sens étendu) ont eue pour lui. C’est l’évaluation<br />
<strong>de</strong> cet impact qui est objet <strong>de</strong> litige. Les<br />
meilleures étu<strong>de</strong>s se sont attachées à l’aspect<br />
anecdotique. On a cherché à dresser la liste<br />
<strong>de</strong>s points d’impact, soit pour déconsidérer<br />
l’originalité <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> (Sulloway), soit pour<br />
faire l’éloge <strong>de</strong> sa créativité (Ritvo).
Une approche sérieuse <strong>de</strong> l’épistémologie<br />
freudienne a manqué jusqu’à ce qu’Assoun<br />
s’en mêle. Néanmoins, l’approche qu’il<br />
a adoptée ne réserve au darwinisme qu’un<br />
strapontin au sein <strong>de</strong> l’épistémologie freudienne.<br />
Le rapport <strong>de</strong> <strong>Freud</strong> à <strong>Darwin</strong> est <strong>de</strong><br />
nouveau rejeté du côté <strong>de</strong> l’anecdotique.<br />
J’ai essayé <strong>de</strong> montrer pour ma part que<br />
le darwinisme lato sensu fait partie <strong>de</strong>s<br />
assomptions <strong>de</strong> base que <strong>Freud</strong> a adoptées<br />
très tôt et une fois pour toutes comme cadre<br />
<strong>de</strong> pensée. La psychanalyse s’est coulée dans<br />
ce moule jamais remis en question. On ne<br />
peut mettre en doute l’importance pour<br />
<strong>Freud</strong> <strong>de</strong>s assomptions <strong>de</strong> base <strong>de</strong> nature<br />
darwinienne. El<strong>les</strong> lui ont octroyé <strong>de</strong>s outils<br />
intellectuels : modè<strong>les</strong> <strong>de</strong> pensée, modè<strong>les</strong><br />
argumentatifs, vocabulaire, stock <strong>de</strong> problèmes<br />
à résoudre, etc. Je n’ai pas insisté sur cet<br />
aspect du sujet, mais sur l’autre : <strong>les</strong> entraves<br />
voire <strong>les</strong> préjudices qu’à la longue el<strong>les</strong> ont<br />
occasionnés. J’ai ainsi passé en revue quatre<br />
d’entre el<strong>les</strong> choisies par motivation personnelle,<br />
sans me soucier d’être exhaustif ou <strong>de</strong><br />
proposer une quelconque hiérarchie.<br />
Bien que la psychanalyse soit venue au<br />
mon<strong>de</strong> au sein <strong>de</strong> ces assomptions <strong>de</strong> base,<br />
voire grâce à el<strong>les</strong>, il ne fait pas <strong>de</strong> doute<br />
pour moi que la psychanalyse peut se passer<br />
<strong>de</strong> (presque) toutes. À mon sens, l’épistémologie<br />
<strong>de</strong> la psychanalyse est encore aujourd’hui<br />
un domaine vierge. Les tentatives<br />
récentes (Bowlby, Bion, Lacan, Pribram &<br />
44<br />
Gill, etc.) étaient vouées à l’échec tout autant<br />
que <strong>les</strong> anciennes, dans la mesure où l’on<br />
cherche toujours à imposer <strong>de</strong>s produits<br />
d’importation. Il est nécessaire d’élaborer<br />
une épistémologie psychanalytique indigène.<br />
L’épistémologie freudienne, avec ou sans <strong>les</strong><br />
assomptions <strong>de</strong> base darwiniennes, n’était<br />
pas elle-même une épistémologie endogène.<br />
Elle a pu convenir à <strong>Freud</strong> dans une conjoncture<br />
particulière, mais elle ne saurait<br />
servir d’épistémologie à la psychanalyse. À<br />
mon avis, il en est à peu près <strong>de</strong> même pour<br />
<strong>Freud</strong> comme pour Janet : on peut détacher<br />
la psychanalyse du darwinisme sans préjudice,<br />
<strong>de</strong> même qu’on peut détacher sans<br />
préjudice la psychologie <strong>de</strong> Pierre Janet <strong>de</strong>s<br />
thèses évolutionnistes.<br />
Pour terminer, je voudrais rappeler la<br />
leçon <strong>de</strong> Canguilhem ([33], p. 23) :<br />
L’histoire <strong>de</strong>s sciences n’est pas une science et<br />
son objet n’est pas un objet scientifique. Faire, au<br />
sens le plus opératif du terme <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>s sciences,<br />
est l’une <strong>de</strong>s fonctions, non la plus aisée, <strong>de</strong><br />
l’épistémologie philosophique.<br />
Malgré son étendue, cet essai est une<br />
contribution mo<strong>de</strong>ste, maladroite et malaisée<br />
à l’épistémologie philosophique. Sa seule originalité<br />
est <strong>de</strong> présenter le point <strong>de</strong> vue d’un<br />
psychoclinicien réfléchissant sur <strong>les</strong> fon<strong>de</strong>ments<br />
<strong>de</strong> sa discipline, et non pas celui d’un<br />
philosophe intervenant pour la beauté du<br />
geste.
[1] ABRAHAM, Karl (1924) : « Esquisse d’une histoire du<br />
développement <strong>de</strong> la libido basée sur la psychanalyse <strong>de</strong>s<br />
troub<strong>les</strong> mentaux », trad. franç. in Œuvres Complètes, tome<br />
II, Paris, Payot, 1966, pp. 255-313.<br />
[2] ANGELL, James R. (1909) : « The influence of <strong>Darwin</strong><br />
on psychology », in Psychological Review, 16 (1909), pp.<br />
152-169.<br />
[3] ASSOUN, Paul-Laurent (1976) : <strong>Freud</strong>, la philosophie & <strong>les</strong><br />
philosophes, Paris, PUF, Philosophie d’Aujourd’hui, in-8°,<br />
230 p.<br />
[4] ASSOUN, Paul-Laurent (1981) : Introduction à l’épistémologie<br />
freudienne, Paris, Payot, Science <strong>de</strong> l’Homme, in-8°,<br />
223 p.<br />
[5] ASSOUN, Paul-Laurent (1984) : L’Enten<strong>de</strong>ment freudien :<br />
Logos et Anankè, Paris, Gallimard, Connaiss. <strong>de</strong> l’Inconsc.,<br />
in-8°, 301 p.<br />
[6] ASSOUN, Paul-Laurent (1993) : Introduction à la métapsychologie<br />
freudienne, Paris, PUF, Quadrige n°151, petit in-8°,<br />
281 p.<br />
[7] ASSOUN, Paul-Laurent (1992) : « L’héritage darwinien<br />
<strong>de</strong> la psychanalyse », in Patrick Tort (dir.), <strong>Darwin</strong>isme et<br />
société, PUF, 1992, pp. 617-635.<br />
[8] ASSOUN, Paul-Laurent (2000) : La Métapsychologie, Paris,<br />
PUF, Que sais-je ? n°3581, in-12°, 128 p.<br />
[9] AZAR, Amine (2000) : « Va<strong>de</strong>-mecum sur la sexualité<br />
infantile à l’usage <strong>de</strong>s amnésiques », in ’Ashtaroût, cahier<br />
hors-série n°4, novembre 2000, pp. 8-36.<br />
[10] AZAR, Amine (2002a) : « Les trois constituants <strong>de</strong> la<br />
sexualité humaine proprement dite », in ’Ashtaroût, cahier<br />
hors-série n°5, décembre 2002, pp. 4-21.<br />
[11] AZAR, Amine (2002b) : « L’instance <strong>de</strong> l’autre·jouisseur<br />
illustrée par <strong>de</strong>s exemp<strong>les</strong> pris chez Zola, Schreber &<br />
le marquis <strong>de</strong> Sa<strong>de</strong> », in ’Ashtaroût, cahier hors-série n°5,<br />
décembre 2002, pp. 22-40.<br />
[12] AZAR, Amine (2006a) : « Défense et illustration <strong>de</strong>s<br />
cyc<strong>les</strong> <strong>de</strong> la vie d’un point <strong>de</strong> vue psychanalytique », in<br />
’Ashtaroût, cahier hors-série n°7, février 2006, pp. 64-73.<br />
45<br />
[13] AZAR, Amine (2006b) : « Liminaire pour une approche<br />
psychanalytique <strong>de</strong>s climatères masculins et féminins »,<br />
in ’Ashtaroût, cahier hors-série n°7, février 2006, pp.<br />
74-101.<br />
[14] AZAR, Amine (2006c) : « Le symptôme dans l’acception<br />
psychanalytique du terme », in ’Ashtaroût, cahier horssérie<br />
n°7, février 2006, pp. 189-207.<br />
[15] AZAR, Amine (2007a) : « Abrégé sur le symptôme en<br />
psychanalyse », in ’Ashtaroût, bulletin volant n° 2007∙1118,<br />
novembre 2007, 5 p.<br />
[16] AZAR, Amine (2007b) : « Comment <strong>Freud</strong> nous mène<br />
en bateau à propos <strong>de</strong> la télépathie », in ’Ashtaroût, bulletin<br />
volant n° 2007∙1102, novembre 2007, 10 p.<br />
[17] AZAR, Amine (2007c) : « Le symptôme du retour à<br />
<strong>Freud</strong> <strong>de</strong> Jacques Lacan », in ’Ashtaroût, bulletin volant n°<br />
2007∙1121, novembre 2007, 5 p.<br />
[18] BARIETY, M., & COURY, C. (1998) : Histoire <strong>de</strong> la<br />
mé<strong>de</strong>cine, Paris, Fayard in-8°, 1222 p.<br />
[19] BECQUEMONT, D., & MUCCHIELLI, L. (1998) : Le Cas<br />
Spencer : religion, science et politique, Paris, PUF, Science<br />
Histoire et Société, in-8°, IX+358 p. [II e Partie : « Un<br />
moment anglais <strong>de</strong> la pensée française. La réception <strong>de</strong><br />
Spencer et <strong>les</strong> transformations décisives <strong>de</strong> la philosophie<br />
française (1864-1907) », pp. 213-352.]<br />
[20] BENVENISTE, Émile (1952) : « Communication<br />
animale et langage humain », repris in Problèmes <strong>de</strong> linguistique<br />
générale, Paris, Gallimard, 1966, chap. 5.<br />
[21] BENVENISTE, Émile (1958) : « De la subjectivité dans<br />
le langage », repris in Problèmes <strong>de</strong> linguistique générale, Paris,<br />
Gallimard, 1966, chap. 21.<br />
[22] BERNARD, Clau<strong>de</strong> (1865) : Introduction à la mé<strong>de</strong>cine<br />
expérimentale, Paris, Garnier-Flammarion, in-12, 1966,<br />
318 p.<br />
[23] BERNARD, Clau<strong>de</strong> (1865) : « Du progrès dans <strong>les</strong><br />
sciences physiologiques », repris in La Science expérimentale,<br />
Paris, Baillière et Fils, 1890, pp. 37-98.<br />
[24] BERNARD, Clau<strong>de</strong> (1872) : « Des fonctions du<br />
cerveau », repris in La Science expérimentale, Paris, Baillière et<br />
Fils, 1890, pp. 367-403.
[25] BERNARD, Clau<strong>de</strong> (1890) : La Science expérimentale,<br />
Paris, Baillière et Fils, in-12, 448 p.<br />
[26] BERNARD, Clau<strong>de</strong> (1947) : Principes <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine expérimentale,<br />
avant-propos <strong>de</strong> Léon Binet, introduction et notes<br />
<strong>de</strong> Léon Delhoume, Paris, PUF, in-8°, XLVIII+308 p.<br />
[27] BERRA, T. M., ALVAREZ, G., & CEBALLOS, F. C.,<br />
(dir.), (2010) : « Was the <strong>Darwin</strong> / Wedgwood dynasty<br />
adversely affectted by consanguinity ? », in BioScience, May<br />
2010, vol. 60, n°5, pp. 376-383. (En ligne.)<br />
[28] BLAIS, Marie-Clau<strong>de</strong> (2000) : Au Principe <strong>de</strong> la République<br />
: le cas Renouvier, Paris, Gallimard, Biblio. <strong>de</strong>s Idées,<br />
in-8°, 436 p.<br />
[29] BÜHLER, Karl (1934) : Théorie du langage, la fonction<br />
représentationnelle, traduction <strong>de</strong> l’allemand, notes et glossaire<br />
par Didier Samain, présentation par Janette Friedrich,<br />
préface par Jacques Bouveresse, Marseille, Agone, in-8°,<br />
2009, 688 p.<br />
[30] CANGUILHEM, Georges (1960) : « L’homme et l’animal<br />
du point <strong>de</strong> vue psychologique », repris in Étu<strong>de</strong>s<br />
d’histoire & <strong>de</strong> philosophie <strong>de</strong>s sciences, Paris, Vrin, 1968, 5 1983,<br />
pp. 112-125.<br />
[31] CANGUILHEM, Georges (1960) : « Théorie et technique<br />
<strong>de</strong> l’expérimentation chez Clau<strong>de</strong> Bernard », repris in<br />
Étu<strong>de</strong>s d’histoire & <strong>de</strong> philosophie <strong>de</strong>s sciences, Paris, Vrin, 1968,<br />
5 1983, pp. 143-155.<br />
[32] CANGUILHEM, Georges (1966) : « L’objet <strong>de</strong> l’histoire<br />
<strong>de</strong>s sciences », in Étu<strong>de</strong>s d’histoire & <strong>de</strong> philosophie <strong>de</strong>s sciences,<br />
Paris, Vrin, 1968, 5 1983, pp. 9-23.<br />
[33] CANGUILHEM, Georges (1968) : Étu<strong>de</strong>s d’histoire & <strong>de</strong><br />
philosophie <strong>de</strong>s sciences, Paris, Vrin, in-8°, 1968, 5 1983, 414 p.<br />
[34] CANGUILHEM, G., & al. (1962) : Du Développement à<br />
l’évolution au XIX e siècle, Paris, PUF, 1985, VI+65 p.<br />
[35] CHASSEGUET-SMIRGEL, Janine (dir.) (1974) : Les Chemins<br />
<strong>de</strong> l’Anti-Œdipe, Toulouse, Privat, in-8°, 172 p.<br />
[36] DARWIN, Char<strong>les</strong> (1859-1872) : The Origin of species, a<br />
variorum text, édité par Morse Peckham, Phila<strong>de</strong>lphia,<br />
University of Pennsylvania Press, 1959, gd in-8°, 816 p.<br />
(Réédition 2006).<br />
46<br />
[37] DARWIN, Char<strong>les</strong> (1859) : L’Origine <strong>de</strong>s espèces au moyen<br />
<strong>de</strong> la sélection naturelle ou la préservation <strong>de</strong>s races favorisées dans la<br />
lutte pour la vie, texte établi par Daniel Becquemont à partir<br />
<strong>de</strong> la trad. <strong>de</strong> l’anglais d’Edmond Barbier, introduction,<br />
chronologie, bibliographie par Jean-Marc Drouin, Paris,<br />
GF Flammarion n°685, in-12, 604 p. [Restitue le texte <strong>de</strong><br />
la 1 re édition].<br />
[38] DARWIN, Char<strong>les</strong> ( 6 1876) : L’Origine <strong>de</strong>s espèces au moyen<br />
<strong>de</strong> la sélection naturelle ou la lutte pour l’existence dans la nature,<br />
traduit <strong>de</strong> l’anglais par Edmond Barbier sur la 6 e éd.<br />
anglaise [1872], préface <strong>de</strong> Colette Guillaumin, Paris, La<br />
Découverte / Maspéro n os 234 et 235, 2 vol. in-12 à<br />
pagination continue, XXXVII+613 p. [PCM]<br />
[39] DARWIN, Char<strong>les</strong> (1871) : The Descent of man, and<br />
selection in relation to sex / La Filiation <strong>de</strong> l’homme et la sélection<br />
liée au sexe, trad. coordonnée par Michel Prum [<strong>de</strong> l’éd.<br />
définitive <strong>de</strong> 1877], préface <strong>de</strong> Patrick Tort, Paris, éd.<br />
Syllepse, in-8°, 1999, 827 p.<br />
[40] DARWIN, Char<strong>les</strong> (1872) : The Expression of the emotions<br />
in man and animals, 3 rd ed., with an introduction, afterword<br />
and commentaries by Paul Ekman, essay on the history of<br />
the illustrations by Philip Prodger, London, HarperCollins<br />
Publishers, 1998, in-8°, XXXVI+473 p.<br />
[41] DARWIN, Char<strong>les</strong> (1872) : L’Expression <strong>de</strong>s émotions chez<br />
l’homme et <strong>les</strong> animaux, trad. <strong>de</strong> l’anglais par S. Pozzi et<br />
R. Benoît, avec 21 gravures et 7 planches photographiées,<br />
préf. par Jacqueline Duvernay-Bolens, Paris, éd. du CTHS,<br />
in-12, 1998, LIII+408 p.<br />
[42] DELAY, Jean (1953) : « Le jacksonisme et l’œuvre <strong>de</strong><br />
Ribot », in Étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> psychologie médicale, Paris, PUF, 1953, pp.<br />
81-108.<br />
[43] DELEUZE, Gil<strong>les</strong> (1969) : Le Spinoza & le problème <strong>de</strong><br />
l’expression, Paris, éd. <strong>de</strong> Minuit, Arguments, in-8°, 336 p.<br />
[44] DELEUZE, Gil<strong>les</strong>, & GUATTARI, Félix (1972) : Capitalisme<br />
& schizophrénie, tome I : L’Anti-Œdipe, Paris, éd. <strong>de</strong><br />
Minuit, Arguments, in-8°, 470 p.<br />
[45] DELEUZE, Gil<strong>les</strong> (1988) : Le Pli – Leibniz & le baroque,<br />
Paris, éd. <strong>de</strong> Minuit, Arguments, in-8°, 192 p.<br />
[46] EKMAN, Paul (dir.) (1973) : <strong>Darwin</strong> and facial expression,<br />
a century of research in review, Cambridge (Mass.), Malor<br />
Books, 2006, gd in-8°, XIII+273 p.
[47] ELLENBERGER, Henri F. (1970) : The Discovery of the<br />
unconscious : the history and evolution of dynamic psychiatry, New<br />
York, Basic Books, gd in-8°, XVI+932 p., illustr. (tf<br />
Fayard).<br />
[48] FLAHAULT, François (1978) : La Parole intermédiaire,<br />
Paris, Seuil, in-8°, 239 p.<br />
[49] FREUD, Sig. (1900a) : L’Interprétation du rêve, OCF, 4.<br />
[50] FREUD, Sigmund (1910e) : « Du sens opposé <strong>de</strong>s mots<br />
originaires, compte rendu d’une brochure <strong>de</strong> même titre <strong>de</strong><br />
Karl Abel, parue en 1884 », OCF, 10 : 169-186.<br />
[51] FREUD, Sigmund (1913j) : L’Intérêt <strong>de</strong> la psychanalyse,<br />
présenté, traduit et commenté par Paul-Laurent Assoun,<br />
Paris, Retz, in-8º, 1980, 191 p. – OCF…..<br />
[52] FREUD, Sigmund (1915 [1986]) : Vue d’ensemble <strong>de</strong>s<br />
névroses <strong>de</strong> transfert, un essai métapsychologique, édition bilingue<br />
d’un manuscrit retrouvé et édité par Ilse Grubrich-Simitis,<br />
traduit <strong>de</strong> l’allemand par Patrick Lacoste, suivi <strong>de</strong> commentaires<br />
par I. Grubrich-Simitis et par P. Lacoste, Paris,<br />
Gallimard, in-12, 1986, 215 p. – OCF, 13 : 283-300.<br />
[53] FREUD, Sigmund (1920g]) : « Au-<strong>de</strong>là du principe <strong>de</strong><br />
plaisir », OCF, 15 : 277-338.<br />
[54] FREUD, Sigmund (1923b]) : « Le moi et le ça », OCF,<br />
16 : 257-301.<br />
[55] FREUD, Sigmund (1921 [1941d]) : « Psychanalyse et<br />
télépathie, rapport préliminaire », OCF, 16 : 101-118.<br />
[56] FREUD, Sigmund (1933a) : Nouvelle suite <strong>de</strong>s leçons<br />
d’introduction à la psychanalyse, OCF, 19.<br />
[57] GOULD, Stephen Jay (1977) : Ontogeny and phylogeny,<br />
Cambridge (Mass.), Belknap Press of Harvard U.P., in-8°,<br />
XV+501 p., illustr. bib. & in<strong>de</strong>x.<br />
[58] JANET, Pierre (1896) : « Résumé historique <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s<br />
sur le sentiment <strong>de</strong> la personnalité », in Revue Scientifique<br />
(Revue Rose), 4 e série, tome V, n°4, 25 janvier 1896, pp.<br />
97-103. (Première leçon <strong>de</strong> Janet au Collège <strong>de</strong> France en<br />
tant que suppléant <strong>de</strong> Ribot.)<br />
[59] JANET, Pierre (1926-1927) : La Pensée intérieure & ses<br />
troub<strong>les</strong>, leçons au Collège <strong>de</strong> France 1926-1927, préface <strong>de</strong><br />
Serge Nicolas, Paris L’Harmattan, 2007, in-8°, 490 p.<br />
47<br />
[60] JANET, Pierre (1932-1937) : Les Délires d’influence et <strong>les</strong><br />
sentiments sociaux, textes réunis par la Société Pierre Janet,<br />
avant-propos d’Henri Faure, in Bulletin <strong>de</strong> Psychologie,<br />
novembre-décembre 1993, XLVII, n°413, et janvierfévrier<br />
1994, XLVII, n°414, pp. 1-192.<br />
[61] JONES, Ernest (1955-1957) : La Vie & l’œuvre <strong>de</strong><br />
Sigmund <strong>Freud</strong>, trad. <strong>de</strong> l’anglais par Anne Berman, Paris,<br />
PUF, 3 vol. in-8°, 1961-1969.<br />
[62] KHAN, Masud (1975) : « La rancœur <strong>de</strong> l’hystérique »,<br />
repris in Passion, solitu<strong>de</strong> et folie, Gallimard, 1985, pp. 53-63.<br />
[63] KRAFFT-EBING, Richard von (1879) : Lehrbuch <strong>de</strong>r Psychiatrie…,<br />
5 e éd., 1893, Stuttgart, F. Enke. Trad. française,<br />
Paris, Maloine, 1897. Trad. américaine, Phila<strong>de</strong>lphie, F.A.<br />
Davis Company, 1905.<br />
[64] KREMER-MARIETTI, Angèle (2009) : « <strong>Darwin</strong> et le<br />
langage », in Ludus Vitalis, 2009, 17 (32), pp. 373-383. (En<br />
ligne)<br />
[65] LEVY-FRIESACHER, Christine (1983) : Meynert –<br />
<strong>Freud</strong> : l’Amentia, présenté et traduit par Chr. Lévy-Friesacher,<br />
avant-propos <strong>de</strong> Daniel Widlöcher, préface <strong>de</strong> Pierre<br />
Fédida, Paris, PUF, Psychiatrie Ouverte, in-8°, 167 p.<br />
[66] LIMOGES, Camille (1970) : La Sélection naturelle : étu<strong>de</strong><br />
sur la première constitution d’un concept (1837-1859), Paris, PUF,<br />
Galien, in-8°, 184 p.<br />
[67] LORENZ, Konrad (1978) : L’Homme dans le fleuve du<br />
vivant, traduit <strong>de</strong> l’allemand par Jeanne Étoré [1981], Paris,<br />
Champs Flammarion, in-12, 1984, 450 p.<br />
[68] MACH, Ernst (1905) : La Connaissance & l’erreur, trad.<br />
sur la <strong>de</strong>rnière éd. alleman<strong>de</strong> par Marcel Dufour, Paris,<br />
Flammarion, Bibliothèque <strong>de</strong> Philosophie Scientifique,<br />
in-12, 1908, 392 p.<br />
[69] MALTHUS, Thomas-Robert (1970) : An Essay on the<br />
princip<strong>les</strong> of population [ 1 1798], and A Summary view of the<br />
principle of population [1830], edited with an introduction by<br />
Antony Flew, Harmondsworth (UK), Penguin Books,<br />
in-12, 1976, 291 p.<br />
[70] MALTHUS, Thomas-Robert ( 2 1803) : Essai sur le principe<br />
<strong>de</strong> population, traduit <strong>de</strong> l’anglais par P. et G. Prévost<br />
[parue en 1823, effectuée sur la réédition <strong>de</strong> 1817],<br />
introduction <strong>de</strong> J.-P. Maréchal, Paris, GF-Flammarion,<br />
1992, 2 vol. in-12.
[71] MALTHUS, Thomas-Robert (1963) : Essai sur le principe<br />
<strong>de</strong> population, préf. et trad. [abrégée <strong>de</strong> la 2 e éd. refondue et<br />
substantiellement augmentée <strong>de</strong> 1803] par Pierre Thiel,<br />
Paris, Denoël / Gonthier, Bibliothèque Médiations n°23,<br />
1964, in-12, 237 p.<br />
[72] MENNINGER, Karl, & al. (1963) : The Vital balance :<br />
the life process in mental health and illness, New York, The<br />
Viking Press, 1969, petit in-8°, 531 p.<br />
[73] MICHEL, Henry (1903) : « Herbert Spencer et Char<strong>les</strong><br />
Renouvier » [Nécrologie], in L’Année Psychologique, 1903,<br />
vol. 10, pp. 142-160.<br />
[74] MONTAIGNE, Michel (1580) : « Apologie <strong>de</strong> Raimond<br />
<strong>de</strong> Sebon<strong>de</strong> », in Essais, Livre II, chap. 12, Paris, Livre <strong>de</strong><br />
Poche, 2002, pp. 168-424.<br />
[75] NICOLAS, Serge (2002) : La Mémoire et ses maladies selon<br />
Théodule Ribot, suivi <strong>de</strong> la reproduction anastatique <strong>de</strong> Les<br />
Maladies <strong>de</strong> la mémoire [1881] <strong>de</strong> Théodule Ribot, Paris,<br />
L’Harmattan, collection Les Acteurs <strong>de</strong> la Science, in-8°,<br />
CXII+170 p.<br />
[76] NICOLAS, Serge (2005) : Théodule Ribot (1839-1917),<br />
philosophe Breton, fondateur <strong>de</strong> la psychologie française, Paris,<br />
L’Harmattan, Encyclopédie Psychologique, in-8°, 226 p.<br />
[78] PASTEUR, Louis (1883) : « La dissymétrie moléculaire<br />
», repris in Écrits scientifiques et médicaux, Paris, GF-<br />
Flammarion, 1994, in-12, pp. 27-42.<br />
[79] RANK, Otto, & SACHS, Hans (1913) : Psychanalyse &<br />
sciences humaines, trad. <strong>de</strong> l’allemand par Daniel Guérineau,<br />
Paris, PUF, in-8°, 1980, 160 p.<br />
[80] RIBOT, Théodule (1909) : « Psychologie », in ouvrage<br />
collectif, De la Métho<strong>de</strong> dans <strong>les</strong> sciences, tome II, Paris, Alcan,<br />
1909, in-12, pp. 229-257.<br />
[81] RICHARDS, Robert J. (1987) : <strong>Darwin</strong> and the emergence of<br />
evolutionary theories of mind and behavior, Chicago, University<br />
of Chicago Press, in-8°, XVII+700 p., illustr., bib. & in<strong>de</strong>x.<br />
[82] RITVO, Lucille B. (1990) : <strong>Darwin</strong>’s influence on <strong>Freud</strong> : a<br />
tale of two sciences / L’Ascendant <strong>de</strong> <strong>Darwin</strong> sur <strong>Freud</strong>, traduit<br />
48<br />
<strong>de</strong> l’anglais et préfacé par Patrick Lacoste, Paris, Gallimard,<br />
in-8°, 1992, 342 p.<br />
[83] SAILLOT, Isabelle (2004) : « Pierre Janet’s evolutionism<br />
: a gui<strong>de</strong>line for assessment and reformulation », in<br />
Janetian Studies, 2004, vol. 1. (Disponible en ligne.)<br />
[84] SULLOWAY, Frank J. (1979) : <strong>Freud</strong> biologist of the mind,<br />
beyond the psychoanalytic legend, New York, Basic Books, gd<br />
in-8°, XXVI+ 612 p., ill., bib. & in<strong>de</strong>x. [Tf : <strong>Freud</strong> biologiste<br />
<strong>de</strong> l’esprit, Fayard, 1981, gd in-8°, XXV+597.] (Chap. 7 : « Le<br />
legs <strong>de</strong> la révolution darwinienne à la psychologie et à la<br />
psychanalyse », tf pp. 226-263.)<br />
[85] SZTULMAN, Henri (dir.) (1978) : Œdipe & psychanalyse<br />
aujourd’hui, Toulouse, Privat, gd in-8°, 233 p.<br />
[86] TAINE, Hippolyte (1873) : « L’hérédité (étu<strong>de</strong> psychologique)<br />
par Th. Ribot », in Journal <strong>de</strong>s Débats, 23 novembre<br />
1873, repris in Derniers essais <strong>de</strong> critique et d’histoire, Hachette,<br />
1894, pp. 99-110.<br />
[87] VARIGNY, H. <strong>de</strong> (1893) : « Le langage <strong>de</strong>s singes », in<br />
Revue Scientifique, tome 50, 29 e année, 2 e semestre, juillet<br />
1892 - janvier 1893, pp. 656-660.<br />
[88] WEBER, Bruce H., & DEPEW, David J., (dir.), (2003) :<br />
Evolution and learning : the Baldwin effect reconsi<strong>de</strong>red, Cambridge<br />
(Mass.), Bradford Book, in-8°, 351 p., illust.<br />
[89] WEDGWOOD, Hensleigh (1859) : A Dictionary of<br />
English etymology, General Books, 2009, in-8°, 604 p.<br />
[90] WEDGWOOD, Hensleigh (1866) : An Essay on the origin<br />
of language based on mo<strong>de</strong>rn researches and especially on the works of<br />
M. Renan, London, Trübner. (Rééd. University of Michigan<br />
Library, 2009, in-8°, 184 p.)<br />
[91] WINNICOTT, D.W. (1959-1964) : « Nosographie : y at-il<br />
une contribution <strong>de</strong> la psychanalyse à la nosographie<br />
psychiatrique ? », trad. franç. in Processus <strong>de</strong> maturation chez<br />
l’enfant, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1978, pp. 93-113.<br />
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