Le Style de Krafft-Ebing  - Ashtarout

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řAshtaroût
Bibliothèque Improbable n°15 ŕ Juillet 2012 ŕ petit in-4° de 365 pages ŕ 148.000 mots ŕ 4,5 MB
ISSN 1727-2009
Amine Azar
Le Style de Krafft-Ebing
Sur les Perversions Sexuelles dans la
Psychopathia Sexualis & plus particulièrement
du Sadisme & du Masochisme
avec des pièces connexes
2012
La Bibliothèque Improbable du Pinacle
1

Sénancour : Rêveries [sur la nature primitive de lřhomme],
3 e éd., Paris, L ie dřAbel Ledoux, 1833, p. 1.
Creative Commons
Attribution ― Non commercial ― No derivative works
Justificatif de diffusion sur le site ashtarout.org
www.ashtarout.org/handle/123456789/197
1 re mise en ligne de la thèse seule, le mercredi 25 juillet 2012.
1 re mise à jour, le 31 août 2012. Texte soigneusement révisé et augmenté
dřune table analytique des matières.
2 e mise à jour, le 23 octobre 2012. Texte augmenté dřune introduction
nouvelle, de la II e Partie comprenant 7 pièces, et dřun index.
2

Avertissement 11
I.ŕ Thèse de 1975
Le Sadisme & le Masochisme innominés
étude historique & épistémologique de la brèche de 1890 15
Introduction : « Kiai » ! 1 17
Chapitre I : Les Termes (2) 19
§ (1) Ŕ Sadisme 5 24
§ (2) Ŕ Masochisme 36 50
Chapitre II : La Clôture conceptuelle initiale & son cadre (71) 83
§ (1) Ŕ La Psychopathia Sexualis, les névroses sexuelles
& les paresthésies 71 85
§ (2) Ŕ Les transformations de la section des paresthésies 81 94
§ (3) Ŕ La première théorisation du masochisme & et
du sadisme 115 125
§ (4) Ŕ Vers une théorie unitaire des perversions sexuelles ? 151 155
Chapitre III : Les Arrérages (168) 171
§ (1) Ŕ Remous dans le champ psychiatrique 168 173
§ (2) Ŕ Lectures de Sade & de Sacher-Masoch 206 205
§ (3) Ŕ Résurgence de la question sociale 221 221
Extrait {de mes opinions épistémologiques} (229) 229
§ (1) Ŕ Axiomes 234 237
§ (2) Ŕ Lois 239 242
Signes de Piste 243 247
3

II.ŕ Compléments
1.Ŕ Discours de soutenance & pièces connexes (1975 & 2012) 276
2.Ŕ La Psychopathia Sexualis de Krafft-Ebing, ou lřinvraisemblable 293
célébration dřun centenaire, in Psychanalyse à lřUniversité, 1986,
tome XI, n°44, pp. 709-713.
3.Ŕ Émergence et accueil fin-de-siècle du sadisme et du masochisme, 297
in Psychanalyse à lřUniversité, 1993, tome XVIII, n°69, pp. 37-65.
4.Ŕ Les malheurs hexagonaux de Krafft-Ebing continuent de plus 319
belle, in řAshtaroût, cahier hors-série n° 2, décembre 1999,
pp. 125-126.
5.Ŕ Lřinstance de lřautre∙jouisseur illustrée par des exemples pris 321
chez Zola, Schreber & le marquis de Sade, in řAshtaroût,
cahier hors-série n° 5, décembre 2002, pp. 22-40.
6.Ŕ Les perversions sexuelles au regard de la sexualité féminine, 344
in řAshtaroût, cahier hors-série n° 6, décembre 2005, pp. 10-14.
7.Ŕ Le secret de la jouissance masochiste est-il enfoui au fond 349
dřun puits ?, in řAshtaroût, cahier hors-série n° 8, décembre 2011,
pp. 189-193.
Index analytique 355
4

Table Analytique des Matières
de la Thèse de 1975
La pagination est celle de la thèse originale
Introduction : « Kiai » ! (p. 1). ― Suivie dřune Introduction nouvelle (2012).
CHAPITRE I : Les Termes (pp. 2-70)
LE PROBLEME : est-ce bien K-E qui a forgé les termes de Sadisme et de Masochisme ? (2). ŕ
Le corpus & ses lacunes (3). ŕ Énoncé de la thèse (5).
§ (1) - Sadisme. ŕ Visite au laboratoire de K-E (6). ŕ Une fausse piste (9). ŕ Au
paradis des lexicographes (10). ŕ Lřenfer des publicistes (12). ŕ Le purgatoire des
médecins moralisateurs (20). ŕ Les publicistes derechef (21). ŕ Récapitulation (26). ŕ
Mise au point (29). ŕ Les vies légendaires du marquis de Sade (30). ŕ Les dernières
conséquences de la rupture épistémologique (35).
§ (2) - Masochisme. ŕ Pour introduire le masochisme (36). Ŕ Symbolique & Idéel (39).
ŕ Essais de modélisation de lřélan créateur (41). ŕ Le temps épistémologique départage
les modèles (44). ŕ La préséance du masochisme sur le sadisme (45). ŕ La résurgence
de la séquence négligée (46). ― Reconnaissable par ses méfaits, exemple lřargument du
chaudron percé (47) ŕ La sexualité dévoyée du chevalier de Sacher-Masoch (48). ŕ
Colportage de correspondances privées (49). ŕ Une conjecture de plus (51). ŕ Un
problème de propriété intellectuelle et dřimpropriété éditoriale (52). ŕ Parmi les
« informateurs » de K-E se cache une informatrice (53). ŕ Le rôle insolite des petites
annonces (55). ŕ Déplacement de lřaccent (61). ŕ Toute la doxa du monde ne peut
engendrer dřelle-même un seul grain dřépistémè (62). ŕ De lřinfluence de la vita sexualis
sur la formation et la direction de lřesprit humain (63). ŕ Ce qui sert la Science peut
desservir lřArt (64). ŕ Le mystère commence à se dissiper (65). ŕ Aveu de Moll (66). ŕ
Correspondance échangée entre Aurora Rümelin et K-E (66). ŕ Lřétincelle (67). ŕ
Lřécoute clinique (68). ŕ Lřécume des jours (68). ŕ En résumé (69). ŕ Annonce du
chapitre suivant (70).
5

CHAPITRE II : La Clôture conceptuelle initiale
& son cadre (pp. 71-164)
§ (1) - La Psychopathia Sexualis, les névroses sexuelles & la section des paresthésies.
ŕ Le problème : comment décrire les transformations de la Psychopathia Sexualis en ses
douze éditions ? (71). ŕ Quatre opérations, cinq critères, tableau chiffré & courbes (71).
ŕ Pédagogie de la lecture (77). ŕ Fiction dřune édition critique de la PS (79). ŕ
Typologie des névroses (80). ŕ Analyse quantitative et analyse structurale indiquent que
la dynamique de lřélan créateur de K-E est centrée sur la section des paresthésies (81).
§ (2) - Les transformations de la section des paresthésies. ŕ Lřhétérosexualité perverse
et lřinversion sexuelle sont en relation contrapuntique (82). Ŕ Tableaux chiffrés et courbes
à lřappui (83). ŕ Lřévolution de la PS comporte deux césures, lřune à la PS5, lřautre à la
PS11 (82 suite). ŕ Lřélan créateur chez K-E ne se conforme pas au schéma hégélien (86).
ŕ Évolution de la PS par strates discontinues (87). ŕ La théorisation de K-E est
souvent réduite à son strict minimum : une taxonomie (90). ŕ Une taxonomie qui
progresse par dichotomies (91). ŕ Ces dichotomies sont découpées sur un continuum
(93). ŕ Leur représentation sur des échelles argumentatives (94). ŕ La dichotomie
Potentia/Impotentia est conforme au prototype Symbolique/Idéel (97). ŕ Un phénomène de
concrétion (98). ŕ Bilan de la PS4 (99). ŕ La PS5 présente quatre modifications
nouvelles (99). ŕ Intermède : les renifleurs (100). ŕ La thérapie des perversions devient
envisageable (101). ŕ La PS5 constitue un palier (102). ŕ Definition du signe fonctionnel
de dégénérescence (102). ŕ Pas de lamarkisme chez K-E (104). ŕ Les tensions de la
Trieblehre de K-E (105). ŕ Lřinversion sexuelle mène la ronde (108). ŕ La PS5 est une
plate-forme contre laquelle les essais ultérieurs de K-E seront dirigés (109). ŕ La fracture
de 1890 est liée à une refonte typologique, qui est elle-même la conséquence de lřintroduction
du masochisme et du sadisme (111). ŕ Chez K-E les mots en Ŕisme sont des
termes génériques (112). ŕ La formule des trois perversions hétérosexuelles selon la PS7
(113). ŕ Lřéchelle graduée de lřinversion acquise selon la PS7 (114).
§ (3) - La première théorisation du masochisme & du sadisme. ŕ Problème : comment
identifier les perversions sexuelles ? (115). ŕ Les 1 ers chap. de la PS constituent un sas
(115). ŕ Exagérations anormales de traits courants (115). ŕ Perversion & Perversité
(116). ŕ Le sas est mis en place après coup, à la PS7 (116). ŕ Exemples (117). ŕ Binet
pousse K-E à intervenir (118). ŕ Trad. franç. commentée du 1 er Essai dřexplication du
masochisme & du sadisme [1890] de K-E (119). ŕ Étude méthodique des quatre modifications
majeures de ce 1 er essai (129). ŕ [A]. ŕ La servitude sexuelle (132). ŕ Lřexemple
est la chose même (134). ŕ La dérivation multiple (134). ŕ Mécanisme de lřhérédité
progressive : im Wege der Vererbung intstehen... (135). ŕ La servitude sexuelle aménage au
masochisme une terre-mère (135). ŕ Le temps ne fait rien à lřaffaire (137). ŕ Avec la
servitude sexuelle, lřhyperesthésie est la racine simultanée du masochisme (137). ŕ
6

Flagellants débauchés & Flagellants mystiques (138). ŕ Un problème épistémologique
épineux différé pour la fin du chapitre (139). ŕ La dérivation métonymique entraîne dans
son sillage la dérivation métaphorique (140). ŕ Rapprochement et relâchement du lien
entre la servitude sexuelle et lřinversion (140). ŕ [B]. ŕ Parallélisme et contraste parfaits
entre masochisme et sadisme (141). ŕ À propos du sadomasochisme (142). ŕ [C]. ŕ
La vie psychique et lřidentité de genre (143). ŕ Lřenfant est du genre neutre (144). ŕ Le
développement monosexuel homologue et ses troubles (145). ŕ Rôle des représentations
contraires (145). ŕ Masochisme et sadisme ne sont pas le produit dřune association de
hasard (146). ŕ Lřidée dřinconscient fait son chemin (148). ŕ K-E combat la thèse de
Binet qui ramène toutes les perversions au fétichisme (147). ŕ Premiers jalons de lřobjet
partiel (150). ŕ La volte-face de K-E (151).
§ (4) - Vers une théorie unitaire des perversions sexuelles ? ŕ [D]. ŕ Le sadisme et le
masochisme sont les formes fondamentales de la perversion psychosexuelle (152). ŕ La
théorie des perversions sexuelles de K-E est un work in progress tiraillé entre des mouvements
contradictoires (154). ŕ La théorie unitaire est constamment travaillée par une
tentation pluraliste (155). ŕ Le bisexualité en vue (155). ŕ La complaisance de K-E pour
le vocabulaire et les cogitations de ses patients est un trait constant de son écoute clinique
(156). ŕ Exemple : le pagisme (156). ŕ Stiefkinder der Natur (157). ŕ Ebranlement de
lřédifice des paresthésies à la PS11 (158). ŕ Un point dřinterrogation inamovible (160).
ŕ Refermons les parenthèses imbriquées les unes dans les autres (161). ŕ Une topologie
par seuils (161). ŕ Cinq seuils dénombrés (161). ŕ Le masochisme et le sadisme
sřinsèrent à lřentame du 3 e seuil (163). ŕ Le couple Actif/Passif (164). ŕ Le masochisme
vient à notre rencontre talonné à la fois par lřinversion sexuelle et le fétichisme (165). ŕ
Comment K-E lit et relit Binet (166). ŕ La subjectivité est partie prenante du discours
scientifique, elle définit un style (167).
CHAPITRE III : Les Arrérages (pp. 168-228)
§ (1) - Remous dans le champ psychiatrique. ŕ Stefanowsky réclame sa part du gâteau
(168). ŕ Passivisme, Masochisme & Daltonisme (170). ŕ Comment Thoinot & Lacassagne
court-circuitent autrui (170). ŕ Querelles de priorité & découvertes simultanées
(173). ŕ Darwinisme sauvage & hérédité psychique (175). ŕ La passivisme a mis K-E
sur la voie de la servitude sexuelle (176). ŕ Un certain Monsieur N..., une haute autorité
berlinoise (176). ŕ Le cadre de la folie morale est réfractaire au sadisme (177). ŕ Le
sadisme personnel (178). ŕ Une certaine littérature fin-de-siècle était en avance sur la
psychiatrie (179). ŕ Subjectivisme & atavisme chez Kiernan (180). ŕ Lřassujettissement
du Moi primaire au Moi secondaire (183). ŕ Une instance intra-personnelle répressive
(183). ŕ Lřalgolagnie de Schrenck-Notzing (184). ŕ Thesei & Phusei (185). ŕ La double
amphibologie du langage (186). ŕ Lřhallucination consiste à faire coïncider la désignation
à un référent, des exemples (187). ŕ La saignée française (188). ŕ Les Français sont
embarrassés par le sadisme (188). ŕ Le masochisme les embarrasse encore plus (189). ŕ
7

Le sadisme sřinsère en apparence dans le cadre de la doctrine régnante de lřobsessionimpulsion
mais le masochisme y est réfractaire (189). ŕ La doctrine de lřobsession-impulsion
élude la place dřautrui dans le phénomène morbide (190). ŕ K-E se démarque de ses
contradicteurs en tenant bon au facteur inter-humain (190). ŕ La Trieblehre de K-E et la
doctrine de lřobsession-impulsion de Magnan & Legrain appartiennent à des paradigmes
différents (191). ŕ La saignée allemande (192). ŕ Eulenburg est le premier à donner dans
le leurre de la référence de K-E à Sade et Sacher-Masoch (192). ŕ Ruée sur lřétymologie
(193). ŕ Prolifération des espèces dřalgolagnie (194). ŕ Entrechoc de paradigmes (195).
ŕ Lřassociationnisme de nouveau en question (196). ŕ Lřhomme-machine et le château
hanté (198). ŕ Freud dans la posture du grand timonier (199). ŕ Ses couples dřéléments
antagonistes usurpent la caution de K-E (200). ŕ Le sadisme est la poésie du masochisme
(200). ŕ Les curieux antécédents du couplage Exhibitionnisme/Voyeurisme (201). ŕ
Esprit de système et tamis freudiens (203). ŕ Résumé méthodique du 1 er volet de ce
chapitre (204). ŕ Annonce du 2 e volet (205).
§ (2) - Lectures de Sade & de Sacher-Masoch. ŕ Récapitulation (206). ŕ Le recours aux
poètes (206). ŕ Mésaventure comique de Charles Féré qui se jura quřon le reprendrait
plus (207). ŕ Point de vue de K-E sur les poètes et les philosphes (208). ŕ Étranges
connivences entre la pornographie, la sexologie et les censures sociales (210). ŕ Enquête
burlesque sur le maréchal Gilles de Rais en tant que lecteur de Suétone (211). ŕ Lřeffet-
Suétone justifie la doctrine de lřobsession-impulsion ainsi que lřexercice des censures sociales
(213). ŕ Le principe fondamental de cette doctrine est exposé par Théodule Ribot (214).
ŕ Il nřy a pas de lectures fondatrices mais des écritures fondatrices (216). ŕ La vacuité
dřune police de la lecture est illustrée par le lectorat de K-E (217). ŕ K.-E a été le
promoteur involontaire de lřœuvre de Sade (218). ŕ Lřextraordinaire bonne fortune du
Dr Dühren alias Iwan Bloch (219). ŕ La révélation du manuscrit des 120 Journées de
Sodome élève Sade au rang de précurseur de K-E (219). ŕ À ce malentendu sřajouta
récemment la remobilation en faveur de lřœuvre de Sacher-Masoch, en pure perte (220).
ŕ Résumé méthodique du 2 e volet de ce chapitre : une série de distorsions par déplacements
et retournements (220).
§ (3) - Résurgence de la question sociale. ŕ La « servitude sexuelle » de K-E a été
accueillie dans lřindifférence (221). ŕ Elle occupe pourtant une position ombilicale, elle
intègre à sa théorie les conditions de son énonciation (221). ŕ Définition et exemples
(222). ŕ Prépondérance de la relation vénale (223). ŕ La prostitution comme institution
totalitaire (224). ŕ Les relations inter-personnelles y sont prises dans des rapports
sociaux (224). ŕ Pourquoi les confrères de K-E ont négligé cet aspect (225). ŕ Hormis
Iwan Bloch, lequel plaide pour une causalité sociologique (culturelle) des perversions
sexuelles (225). ŕ Avec ses études sur le libertinage en France et en Angleterre il se mit à
dos les chauvins des deux pays ; la Première guerre mondiale envenima la polémique en
France (226). ŕ Exemples (226). ŕ Il faut songer à une articulation entre psychologie et
sociologie pour appréhender la prostitution clandestine dřaujourdřhui où la violence de
lřexploitation de la femme réédite les pires dénonciations du XIX e siècle (228).
8

EXTRAIT polémique & spéculatif de mes opinions
en épistémologie (pp. 229-242)
{La docte ignorance}. ― Lřaudace de K-E est aujourdřhui lettre morte (229). ŕ Palmarès
piteux des spécialistes (229). ŕ Amateurisme & désinvolture doctorales (230). ŕ
Caquetages & kiryelles dřinexactitudes chez les plumitifs (230). ŕ Exposé dogmatique de
lřarrière-plan spéculatif de ce travail (234).
§ (1) - Axiomes. ŕ Lřépistémologie des sciences humaines est une science humaine (234).
ŕ Une histoire des sciences par énigmes & corps du délit (234). ŕ Il existe quelque
chose comme le temps épistémologique dřune pratique discursive (235). ŕ La valeur de
lřépistémologie de Bachelard est mise en question (235). ŕ Cřest une pédagogie se
nourrissant dřhistoriettes (236). ŕ Deux remarques sur le temps épistémologique chez
K-E (238).
§ (2) - Lois. ŕ Les chemins de la création nřont pas de valeur épistémologique (239). ŕ
Le discours spéculatif est prévisible, la pratique expérimentale ne lřest pas (239). ŕ
Lřeuphorie du discours scientifique trahit lřexistence de points aveugles dans la théorie
(240). ŕ Quand il y a recouvrement entre formations discursives il faut sřattendre à une
résurgence différée des séquences négligées (240). ŕ Il nřy a pas, dans les sciences
humaines, de coupure épistémologique au sens propre du terme (240). ŕ Il existe une
dégradation continuelle du discours des sciences humaines qui enveloppe les luttes
institutionnelles dans un filet idéologique (241). ŕ Lřhistoire des sciences doit sřépauler à
lřanalyse institutionnelle (241). ŕ Trois notions de base y sont opératoires : la fiction, la
censure, et la lutte de classe dans la théorie (241). ŕ La sécheresse de cet exposé est
(partiellement) rachetée par des exemples concrets fournis dans les notes de bas de pages.
ŕ Faustroll, nous dit-on, voyageait sur un crible... (242).
9

L
AVERTISSEMENT
PRELIMINAIRE
La première partie de ce volume reprend
ma thèse de doctorat en psychologie
soutenue devant lřUniversité Paris-7
(Censier) le 9 décembre 1975. Mon directeur
de thèse était le Pr Jean Laplanche. Je ne sais
plus si je fus son premier thésard ou si ce fut
plutôt Gérard Bonnet. Le jury était formé de
MM. les Prs Jacques Gagey (président), Yvon
Brès, Jean Laplanche (rapporteur).
Deux recensions en ont rendu compte à
cette époque :
Ŕ MICHELE DOROTHEE : Genèse du masochisme et
du sadisme chez Krafft-Ebing, in Psychanalyse à
lřUniversité, juin 1976, tome I, n°3, pp. 599-604.
Ŕ MICHEL DELON : Dix ans dřétudes sadiennes, in
Dix-Huitième Siècle, 1979, n° 11, pp. 393-426.
Le texte quřon trouvera ci-après est une
réécriture de cette thèse en vue de la rendre
lisible, compte tenu des observations du jury.
Jřai pu combler quelques lacunes de ma
documentation dřorigine avec la satisfaction
de voir confirmées certaines supputations,
dřavoir pu corriger dřautres, et dřavoir pu
dissiper quelques imprécisions. Jřai pris garde
à ce que les mises à jour ne déséquilibrent
pas lřéconomie de lřensemble, et ne dépassent
pas lřhorizon de mon propos de cette
époque. Pourchassant coquilles, erreurs, mais
aussi ellipses, obscurités, ambiguïtés et impropriétés,
jřai également apporté à mon
11
texte des changements stylistiques. Les deux
pages dřaddenda & corrigenda qui terminaient la
thèse (pp. 261-262) on été intégrées aux
emplacements appropriés. Les additions de
quelque importance effectuées aujourdřhui
sont enserrées entre {accolades}. Il en est de
même de la pagination dřorigine. Les renvois
internes utilisent toujours la pagination dřorigine.
Un soin particulier a été apporté à la
révision des traductions. Une table analytique
des matières Ŕ qui avait fait « cruellement »
défaut Ŕ a été ajoutée. Elle sřimposait.
Un mot de mon procédé dřexposition.
Jřavais adopté en 1975 une règle dont je me
suis départi par la suite. Celle dřun dialogue
et dřun renvoi constants du texte et des horstextes
aux notes de bas de page. Jřestime
aujourdřhui que les notes doivent se borner à
fournir des références. Autrement dit quřon
doit pouvoir les éluder allégrement. Malheureusement,
le va et vient entre le texte et les
notes ne peut être éludé ici. Lřargumentation
progresse en zigzag à travers le corps du
texte et les notes. Jřai voulu réduire la fréquence
de ces renvois, Ŕ sans succès. Il y en a
plus de 650, et jřen suis mortifié.
Je ferai encore un aveu qui me coûte,
mais quřon ne devinera pas. En rédigeant
cette thèse jřavais à lřesprit la nouvelle des
Filles du Feu intitulée Angélique. Lřintrigue
sentimentale y est entrelacée à une autre, la
traque dřun ouvrage rare de lřabbé sieur de
Bucquoy. Mon autre modèle était Là-bas,
dont lřintrigue principale est enchâssée dans
une autre, consistant à restituer lřhistoire du
maréchal de Rais. Mon troisième modèle
était Sixtine qui combine la rédaction dřun
roman dans le roman. Jřai honte de le dire,
cřest dans cette « tradition » quřen pensée je

me plaçais. Hélas, si loin et si inférieur à
Gérard de Nerval, et, à beaucoup près, à
J.-K. Huysmans et à Rémy de Gourmont.
Cřétaient là mes ferventes lectures dřadolescent.
Je suis dřailleurs stupéfait de ne pas
trouver citée dans ma bibliographie la Physique
de lřamour de Rémy de Gourmont (1903),
qui a certainement contribué à mřaiguiller
vers le choix de mon sujet de thèse. Toutes
proportions gardées, lřinfluence sur moi de
ce dernier ouvrage est équivalente à celle du
« merveilleux livre de Bölsche » (1899-1903)
sur Freud. Autant que je puisse mřen souvenir,
ma thèse est aussi une réaction à la
Présentation de Sacher-Masoch de Deleuze, dont
la lecture mřavait laissé abasourdi à 18 ans.
Quant à mon « procédé », il est signalé à
la page 161 dans une allusion aux Nouvelles
Impressions dřAfrique de Raymond Roussel, et,
aux toutes dernières lignes, dans une référence
au véhicule de transport du Dr Faustroll,
pataphysicien.
Un mot circonstanciel. Quand jřai eu
soutenu ma thèse, mon pays (le Liban) était
en feu. Après un crochet par Londres, jřy suis
retourné quelques mois, pour me rendre
compte que je nřy avais pas ma place. Je suis
revenu à Paris, quelques mois plus tard, dans
un nouvel état dřesprit. Tous les projets de
recherche mentionnés dans les notes de cette
thèse furent ajournés sine die. Aucun ne fut
mené à bonne fin. Cette thèse elle-même fut
remisée aux oubliettes pendant près de
quarante ans.
Mon souhait serait de reprendre, dans
une éventuelle seconde partie, quelques textes
connexes que jřai publiés depuis :
12
1/ La Psychopathia Sexualis de Krafft-Ebing, ou lřinvraisemblable
célébration dřun centenaire, publié in
Psychanalyse à lřUniversité, 1986, tome XI, n° 44, pp.
709-713.
2/ Émergence et accueil fin de siècle du sadisme et
du masochisme, publié in Psychanalyse à lřUniversité,
1993, tome XVIII, n° 69, pp. 37-65. (Reprise dřune
conférence donnée au CHEP le 11 janvier 1989, avec
les Drs Jacques Postel & Jacques Nassif comme
discutants.)
3/ Les malheurs hexagonaux de Krafft-Ebing continuent
de plus belle, publié in řAshtaroût, cahier horssérie
n° 2, décembre 1999, pp. 125-126. @
4/ Lřinstance de lřautre∙jouisseur illustrée par des
exemples pris chez Zola, Schreber & le marquis de
Sade, publié in řAshtaroût, cahier hors-série n° 5,
décembre 2002, pp. 22-40. @
5/ Les perversions sexuelles au regard de la sexualité
féminine, publié in řAshtaroût, cahier hors-série n° 6,
décembre 2005, pp. 10-14. @
6/ Le secret de la jouissance masochiste est-il enfoui
au fond dřun puits ?, publié in řAshtaroût, cahier horssérie
n° 8, décembre 2011, pp. 189-193. @
Je les ferai précéder de mon Discours de
soutenance (si je le retrouve). Le Pr Laplanche
en avait été satisfait. Jřestimais, en ce tempslà,
impossible de résumer ma thèse ( *) ; et le
Pr Laplanche mřavait fait observer que jřavais
tout de même réussi à le faire dans ce discours.
Je ne sais pas encore si jřaurai le courage
de rédiger une Postface. On verra. Pour
lřheure soyons pragmatique. Sauf imprévu, je
ne dispose que des quelques mois nécessaires
à rewriter ma thèse de 1975. Ce sera toujours
une première étape. La seconde suivra... ou
ne suivra pas. Lřidée mřen est venue Ŕ je ne
* Cf. infra, p. 234, et note 629.

sais trop pourquoi Ŕ une fois que jřeusse mis
la dernière main à mon recueil sur la science
de Freud ( *).
Quelques indications pratiques pour finir.
La liste des abréviations est placée en tête
de la bibliographie. Dans les notes de bas de
page je me suis permis de me référer à
Krafft-Ebing par ses initiales (K-E). Ma
bibliographie a été passablement rafraîchie.
Jřai veillé le plus souvent possible à signaler
par une arobase @ les textes devenus acessibles
en ligne. Ils sont de jour en jour plus
nombreux grâce à la diligence des bibliothécaires.
Le moteur de recherche Google
permet dřy accéder rapidement. Les miens
sont sur le site ashtarout.org. Dans les citations,
les italiques sont dřorigine, sauf indication
expresse. Sřil sřagit dřun texte allemand,
lřinterlettrage est systématiquement transposé
en italiques. Toutes les insertions entre
deux [crochets droits] et toutes les notes sont
miennes, sauf indication contraire. Il en est
de même de la traduction française des textes
de langue étrangère. Quand cela a paru souhaitable,
jřai ajouté la mention trp (abrégé de
traduction personnelle) pour le rappeler.
Pâques 2012
* Le Style de Freud : sur la science & lřexigence freudiennes. Bibliothèque
Improbable du Pinacle, avril 2012, 220 p., petit in-4°, 92000
mots, 3,25 MB, accessible en ligne sur ashtarout.org. @
13
J
POST-SCRIPTUM I
(Juillet 2012)
Je viens dřachever la première partie de mon
projet sans avoir ni la force ni le loisir dřentreprendre
la seconde… Je ne mřen formalise pas
trop dans la mesure où les six textes plus haut
mentionnés sont, au demeurant, facilement
accessibles par serveur internet. Quant à mon
discours de soutenance, je ne lřai pas encore retrouvé.
Un mot encore. Jřai dit plus haut que je ne
savais trop pourquoi, après avoir achevé mon
recueil de causeries sur la science de Freud, je me
suis lancé dans ce projet. Jřen sais un peu plus
maintenant, et cela sřest traduit par les titres respectifs
que jřai attribués aux deux volumes. Quelque
chose qui relie de manière à peine visible les
deux entreprises sřest imposé en fin de parcours.
Contrairement à la tendance dominante depuis
Village Voice jusquřau Collège de France ( ** ),
depuis le structuralisme jusquřau post-modernisme,
je ne songe pas à déconnecter le style de
lřhomme et son nom propre. Bien au contraire, à
mes yeux la notion de style est vidée de son sens
quand elle est réduite à une typologie, à des
moules pour les pensées, à des formes de raisonnement,
à des procédés dřargumentation, ou à
des grilles de lecture. Redire avec Buffon (1753) :
ces choses sont hors de lřhomme, le style est lřhomme
même, jřen suis plus que jamais convaincu aujourdřhui
comme en 1975, ce nřest pas enfoncer une
porte ouverte, mais dynamiter un obstacle épistémologique.
Cela permet dřaccéder aux sources
vives de lřélan créateur qui anime la production
scientifique tout autant que les Arts et les Belles-
Lettres. Autrement dit, je ne me départis pas de
ma position de psychoclinicien quand jřinterviens
dans le champ de lřépistémistémologie et de
lřhistoire des sciences.
** Gilles-Gaston Granger, Michel Foucauld, Ian Hacking, Arnold
Davidson, etc.

Jř
POST-SCRIPTUM II
(Septembre 2012)
ai été finalement servi par les circonstances.
Non seulement jřai retrouvé le brouillon de
mon discours de soutenance, mais aussi quelques
notes de la discussion prises sur le vif. Jřai encore
retrouvé le rapport du jury. À la réflexion, il
mřest apparu plus opportun de renoncer à une
éventuelle Postface en faveur dřun commentaire
portant sur ces pièces-là. Jřai retrouvé de plus
mon exemplaire de travail, et en ai intégré certains
amendements dans le texte même de ma
thèse. En outre, jřai rédigé une Introduction nouvelle
en vue faciliter lřentrée en matières. Dans la
même foulée, jřai ajouté au début de chaque chapitre
quelques lignes justificatives pour dissiper le
reproche de projeter sans ménagements mon
lecteur in media res. Enfin, suivant le plan que je
mřétais tracé, jřai ajouté les textes complémentaires
que jřavais en vue, mais aussi un Index
analytique soigné.
De cette manière ce volume a été mené à
lřétat dřachèvement (relatif) dont je suis aujourdřhui
capable.
Il
POST-SCRIPTUM III
(Novembre 2012)
y a quelques jours je me suis trouvé à
feuilleter LřAvenir de la Science de Renan.
Comme on le sait, il sřagit dřun manuscrit rédigé
en 1848-1849 et publié par Renan lui-même quarante
ans après. Lřauteur avait consulté en son
14
temps Augustin-Thierry et Ustazade de Sacy qui
lui conseillèrent de sursoir à sa publication, et de
« débiter » ses idées en articles de revue. Il suivit
leurs bons conseils. Le Pr Laplanche mřavait suggéré
quelque chose de semblable, à quoi je ne
déférais pas. Je détache de la préface de Renan
de 1890 le morceau suivant ( * ) :
Ma vie se prolongeant au-delà de ce que jřavais
toujours supposé, je me suis décidé, en ces derniers temps,
à me faire moi-même mon propre éditeur. Jřai pensé que
quelques personnes liraient, non sans profit, ces pages
ressuscitées, et surtout que la jeunesse, un peu incertaine
de sa voie, verrait avec plaisir comment un jeune homme,
très franc et très sincère, pensait seul avec lui-même il y a
quarante ans.
Il est bien dommage que je ne puisse pas
contresigner ces lignes. Quelques décennies ont
suffit pour balayer sans ménagement la foi et
lřespoir que la génération de 1848 pouvait encore
mettre en la science. Dure ou molle, la science ne
peut fonder nul espoir. Au seuil de la modernité
François Rabelais avait bien prévenu que science
sans conscience nřest que ruine de lřâme ( ** ). Pendant
quatre siècles on fit la sourde oreille. Puis lřon fit
semblant dřécouter. Que dis-je ! On continue de
faire semblant malgré le mixed grill servi par
Jacques Lacan en clôture de son séminaire sur
lřÉthique de la psychanalyse ( *** ). Cřétait en 1960, et
ce fut en pure perte pour la génération de 1968 en
gestation.
* RENAN : (1890) LřAvenir de la Science, pensées de 1848, édité par
Anne Petit. Ŕ Paris, GF-Flammarion, 1995, p. 67.
** RABELAIS : (1532) Pantagruel…, chap. VIII.
*** LACAN : Le Séminaire, Livre VII : LřÉthique de la psychanalyse
(1959-1960). Ŕ Paris, Seuil, 1986. Cf. séance du 6 juillet 1960, pp.
359-375.

I.ŕ Thèse de 1975
Le Sadisme & le Masochisme innominés
Étude historique & épistémologique de la brèche de 1890
A. E. I. O. U.
Acronyme de la devise de la dynastie des Habsbourg :
Austria Est Imperare Orbi Universo /Alles Erdreich ist
Österreich untertan /Il appartient à lřAutriche de régner
sur le monde entier.
15

{1 }
U
Un discours sur lřorigine est toujours
arbitraire. Mettant en jeu lřadéquation
dřun signifiant lié dřune manière univoque à
un signifié, nous le savons depuis déjà bien
longtemps, il nřen peut être autrement.
Exceptons-en cependant le secteur réservé
du discours scientifique qui, lui, a un commencement
et sřinaugure par des ruptures.
Lřon verra à quelles conditions et à quel prix.
On voudrait ici poursuivre une enquête
historique et épistémologique au sujet du
sadisme et du masochisme innominés, ce qui
entend le passage de lřimpensé au concept
par la dénomination. Le chapitre premier
considérera les termes ; le suivant envisagera
la clôture conceptuelle et son cadre ; et lřon
recueillera au dernier, sous trois chefs, le
passif de la rupture quřils ont instituée dans
le discours psychiatrique.
Introduction
Kiai !
17
U
Introduction nouvelle
(2012)
Un mot rétrospectif. ŕ Comme son titre
lřindique, lřintroduction quřon vient de
lire était un cri de combat. Ayant, depuis, déposé
les armes une autre introduction sřimposait.
Reprenons.
Sans être un cas exceptionnel, la Psychopathia
Sexualis de KRAFFT-EBING [1840-1902] est un
cas privélégié. Publiée en 1886, et rééditée onze
fois en dix-sept ans par les soins de son auteur
( 1 1886 → 12 1903) en des versions remaniées et
parfois refondues, elle constitue un observatoire
naturel. Cřest ce qui mřa permis de tenir la gageure
dřappréhender la Psychopathia Sexualis comme
une intervention culturelle majeure, voire même un
phénomène de civilisation, au croisement de lřhistoire
des idées, de lřévolution de la médecine mentale
(dans ses implications sociales), et de la naissance
de lřécoute clinique. Lřunité de cette démarche
converge sur le style propre de Krafft-Ebing dans
son élan créateur.
Je mřexplique.
La Psychopathia Sexualis de Krafft-Ebing est
un manuel. Conformément aux lois du genre, ce
manuel rend compte de lřévolution de la discipline
grâce à des annotations bibliographiques mises
à jour au fil des rééditions. Il se trouve également
quřen cours de route, les idées de lřauteur
ont elles-mêmes évolué. En 1890, Krafft-Ebing

forge les termes de Masochisme et de Sadisme, et il
les introduit lřannée suivante dans la 6 e éd. de la
Psychopathia Sexualis (1891). Or nous pouvons
suivre, grâce à cet observatoire naturel que constitue
la succession des éditions de ce livre, à la
fois la préparation de cette initiative, la manière
dont elle sřest réalisée, et les répercussions quřy a
provoquées ce que jřai dénommé dans le soustitre
de cette thèse la brèche de 1890.
Au cours de mon exposé jřai conduit mon
analyse sur deux plans à la fois. Deux plans
articulés, mais dont chacun jouit dřune autonomie
relative et dřune méthodologie propre.
1/ Le plan de lřhistoire des idées est régi par
ce que jřai dénommé la résurgence de la séquence
négligée. La brèche de 1890 sřinscrit dans un contexte
profane où le sadisme avait ses règles
dřemploi selon deux traditions. La plus ancienne
est celle de littérateurs en marge de la littérature
officielle. La plus récente est un discours polémique
au sujet de la prostitution. Ces règles
dřemploi sont décrites minutieusement dans la
première section du chap. I er . En introduisant
conjointement le masochisme et le sadisme dans le
discours spécialisé de la médecine mentale,
Krafft-Ebing change la donne et institue dřautres
règles dřemploi. Cřest ce quřil est convenu de
dénommer (après Bachelard) une rupture épistémologique.
Mais il en va autrement dans les
sciences molles que dans les sciences dures.
Dans ces dernières le nouveau départ exclut les
retours en arrière. En revanche, dans les sciences
molles (ou sciences de lřhomme), règne lřaxiome
de Max Müller suivant quoi : « Every carelessness,
however small, is sure to be followed by a nemesis / Toute
négligence, aussi minime soit-elle, sera infailliblement
suivie dřune Némésis. » ( *)
Je me suis employé dans la III e Partie de
cette thèse à traquer cette Némésis dans trois
* MAX MÜLLER (1897) : Contributions to the Science of Mythology,
vol. I, p. 196.
18
domaines : le discours sexologique, la lecture de
Sade et de Sacher-Masoch, et la résurgence de la
question sociale qui fut à lřorigine de cette
odyssée : la prostitution.
2/ Le second plan est celui de lřélan créateur
de Krafft-Ebing. Il est régi par la notion de Style.
La seconde division du chap. I er ainsi que tout le
chapitre II lui sont consacrés. Par style jřentends
le mode dřinsertion dřun sujet dans le discours
quřil produit. Lřune des pièces maîtresses du style
de Krafft-Ebing est ce que jřai dénommé la dérivation
multiple. Une autre, le binarisme dichotomique
découpé sur fond de continuité. Une troisième,
son concernement particulier pour lřinversion
sexuelle. Une quatrième, la lecture répétée
de lřétude dřAlfred Binet (1887) sur le fétichisme
dans lřamour.
3/ Lřarticulation des deux plans que je viens
dřindiquer est constituée par lřécoute clinique dont
jřai essayé de décrire ici et là, aux moments opportuns,
les premiers balbutiements chez Krafft-
Ebing. Jřai ainsi souligné sa complaisance pour
les « rationalisations » de ses patients ou de ses
correspondants, de même que son attention toujours
en éveil pour les termes exacts utilisés par
eux pour décrire leurs aberrations génésiques,
ainsi que leurs références culturelles.
Cřest grâce à lřécoute clinique que le Masochisme
est venu au jour, entraînant le Sadisme dans
son sillage. Cřest pourquoi jřai plaidé la préséance
épistémologique du masochisme sur le sadisme.
Telle est la cause que jřai voulu défendre
dans cette thèse, et dont le dessein général est
parfois dissimulé dans les broussailles dřune
argumentation complexe et souvent tortueuse.

Chapitre I
Les Termes
LE PROBLEME : est-ce bien K-E qui a forgé les termes de Sadisme et de Masochisme ? (2). ŕ
Le corpus & ses lacunes (3). ŕ Énoncé de la thèse (5).
§ (1) - Sadisme. ŕ Visite au laboratoire de K-E (6). ŕ Une fausse piste (9). ŕ Au
paradis des lexicographes (10). ŕ Lřenfer des publicistes (12). ŕ Le purgatoire des
médecins moralisateurs (20). ŕ Les publicistes derechef (21). ŕ Récapitulation (26). ŕ
Mise au point (29). ŕ Les vies légendaires du marquis de Sade (30). ŕ Les dernières
conséquences de la rupture épistémologique (35).
§ (2) - Masochisme. ŕ Pour introduire le masochisme (36). Ŕ Symbolique & Idéel (39).
ŕ Essais de modélisation de lřélan créateur (41). ŕ Le temps épistémologique départage
les modèles (44). ŕ La préséance du masochisme sur le sadisme (45). ŕ La résurgence
de la séquence négligée (46). ― Reconnaissable par ses méfaits, exemple lřargument du
chaudron percé (47) ŕ La sexualité dévoyée du chevalier de Sacher-Masoch (48). ŕ
Colportage de correspondances privées (49). ŕ Une conjecture de plus (51). ŕ Un
problème de propriété intellectuelle et dřimpropriété éditoriale (52). ŕ Parmi les
« informateurs » de K-E se cache une informatrice (53). ŕ Le rôle insolite des petites
annonces (55). ŕ Déplacement de lřaccent (61). ŕ Toute la doxa du monde ne peut
engendrer dřelle-même un seul grain dřépistémè (62). ŕ De lřinfluence de la vita sexualis
sur la formation et la direction de lřesprit humain (63). ŕ Ce qui sert la Science peut
desservir lřArt (64). ŕ Le mystère commence à se dissiper (65). ŕ Aveu de Moll (66). ŕ
Correspondance échangée entre Aurora Rümelin et K-E (66). ŕ Lřétincelle (67). ŕ
Lřécoute clinique (68). ŕ Lřécume des jours (68). ŕ En résumé (69). ŕ Annonce du
chapitre suivant (70).
19

{Présentation du I er chapitre. ― La formation des
termes de sadisme et de masochisme, à ma propre
surprise, sřest avérée toute une histoire. Ce chapitre
lui est consacré.
§ (1) - Cette histoire semble commencer en
Autriche, en 1890, avec Krafft-Ebing, Ŕ et cela
est exact sur le plan épistémologique. Mais elle a
une préhistoire qui nous reconduit en France. La
première section de ce chapitre est consacrée à
cette préhistoire française, et elle concerne le
sadisme. Nous faisons dřabord connaissance avec
des lexicographes oubliés, mais également avec
des écrivains illustres, et des médecins moralisateurs.
Puis, brusquement, nous nous retrouvons
plongés dans des débats sur la prostitution en
tant que question sociale. Cette préhistoire était
largement connue de Krafft-Ebing au moment
où il se décida à forger le terme de masochisme « à
lřexemple des Français » ayant forgé le terme de
sadisme.
§ (2) - De là ma thèse de la préséance épistémologique
du masochisme sur le sadisme. Avant
Krafft-Ebing, le sadisme était un terme profane.
Cřest Krafft-Ebing qui lřintroduisit en tant que
terme technique dans le discours spécialisé de la
médecine mentale. Mais cette introduction ne se
fit que dans le sillage du masochisme quřil venait de
découvrir. Pour rendre compte de cette découverte
il conçut dřemblée une théorie où le masochisme
et le sadisme forment un couple dřopposés,
ou, pour reprendre ses propres termes, sont
la contrepartie lřun de lřautre. La seconde section
de ce chapitre est consacrée aux étapes de cette
opération, qui est plutôt une « traque » quřun
récit linéaire. Elle culmine sur la (dé)monstration
que cřest à lřécoute clinique de Krafft-Ebing que
nous sommes redevables de toute cette histoire.}
21
{2 }
Lřattribution à Krafft-Ebing de la création
des termes de SADISME et de MASOCHISME
est de notoriété courante. Elle peut être fondée
sur la meilleure autorité dont le lecteur
français puisse disposer, à savoir la 16 e et 17 e
éditions de la Psychopathia Sexualis (en abrégé
PS) refondues par Albert Moll. Nous y lisons
en effet à la page 142 le passage suivant :
(T.1)
Le mot sadisme est dérivé du nom du décrié
Marquis de Sade, dont les romans obscènes sont
pleins de volupté et de cruauté. Le mot Masochisme
est dérivé du nom de lřécrivain Sacher
Masoch, qui a fréquemment décrit la liaison de la
volupté avec la soumission à des cruautés.
Krafft-Ebing a créé ces dérivés de la même façon
que le fut le mot daltonisme ; ce qui ne veut
pas dire que Dalton a été lui-même aveugle pour
les couleurs, mais quřil a écrit une dissertation
célèbre sur cet état.
KRAFFT-EBING, R. von, PS16-17 (1924),
éd. MOLL, trf 1931, p. 142.
Du point de vue de lřanalyse sémantique
lřattribution à Krafft-Ebing des dérivations
en question est certifiée indubitable. Lřeffort
dřy regarder de plus près nous réservait
cependant quelques surprises.
Le fait de disposer de lřédition de Moll
(1924) est un premier obstacle : il sřagit,
avons-nous dit, de la 16 e et 17 e éd. de la
Psychopathia Sexualis refondues. En 1924 ce

célèbre ouvrage avait 38 ans. Sa 1 re éd.
remontait en effet à 1886. Du vivant de
Krafft-Ebing (1840-1902), cet ouvrage avait
eu, par ses soins, douze éditions en seize ans.
Le second obstacle vient des lacunes de
notre corpus, dues essentiellement au lieu
géographique où nous avons poursuivi notre
Désignation
de l’édition
Date de publication de
l’original allemand
{3} ŕ Tableau I : Le Corpus en 1975
Nombre de
pages
22
enquête : Paris. Le Tableau I en donne une
description. Le format et les caractères typographiques
des éditions allemandes successives
étant les mêmes, le rapport du nombre
de pages de ces éditions est donc significatif.
De la première à la
Traductions Date Traducteur(s)
PS1 1886 viii+110
PS2 1887 viii+148 Italienne 1889 Sterz & Waldhart
PS3 1888 viii+177
PS4 1889 viii+226
PS5 1890 viii+295
PS6 1891
PS7 1892 Anglaise & Américaine 1892 Chaddock
PS8 1893 Française 1895 Laurent & Csapo
PS9 1894 x+414
PS10 1898 Anglaise & Américaine 1899 Rebman
PS11 1901 viii+420
PS12 1903 ix+437 Américaine 1906 Rebman
PS13 1907 (Fuchs) x+452
PS14
PS15
PS16-17 1924 (Moll) v+832 Française 1931 Lobstein
NOTA-BENE : Les éditions faisant partie du corpus dřorigine [1975] sont signalées par un poinçon plein ().
Pour des informations complémentaires, prière de se reporter aux Tableaux II à IX du chapitre II,
ainsi quřà la Bibliographie in fine.
{Jřai pensé quřun tableau mis à jour ne serait peut-être pas sans intérêt. On le
trouvera ci-après. Il reflète le peu de progrès que jřai personnellement réalisés
depuis 1975, mais il pourra sans doute rendre service à dřautres.}

Désignation
de l’édition
Date de
publication
{3 bis } ŕ Tableau I (bis) : Le Corpus en 2012
Nombre de
pages
23
Traduction Date de
publication
Traducteur(s)
PS1 1886 viii+110
PS2 1887 viii+148 Italienne 1889 Sterz & Waldhart
PS3 1888 @ viii+177
PS4 1889 viii+226
PS5 1890 viii+295
PS6 1891 viii+328
PS7 1892 @ ix+432 Anglaise & Américaine 1892 @ Chaddock
PS8 1893 x+442 Française 1895 @ Laurent & Csapo
PS9 1894 @ x+414
PS10 1898 @ viii+376 Anglaise & Américaine 1899 @ Rebman
PS11 1901 viii+420
PS12 1903 ix+437 Américaine 1906 @ Rebman
PS13 1907 (Fuchs) @ x+452
PS14 1912 (Fuchs) xii+457
PS15 1918 (Fuchs) xii+431
PS16-17 1924 (Moll) vii+832 Française 1931 Lobstein
PS18 1937 (Hartwich) 317 Française & Américaine 1949, 1959
NOTA-BENE : Les éditions faisant partie du corpus dřorigine [1975] sont signalées par un poinçon plein (),
tandis quřun poinçon évidé () signale les éditions consultées depuis. Les éditions numérisées, disponibles
en ligne, sont signalées par une arobase @. Pour des informations complémentaires, prière de se
reporter aux Tableaux II à IX du chapitre II, ainsi quřà la Bibliographie in fine.
La très importante PS6 (1891) manque toujours à mon corpus.
{4 } douzième le nombre de pages a quadruplé
1. De plus, entre la dernière édition due
aux soins de Krafft-Ebing et la PS16-17 due
à ceux dřAlbert Moll lřouvrage a encore
1 {Rectification. ― Cřest de la PS1 (1886) à la PS7 (1892) que
le nombre de pages a à peu près quadruplé. De la PS7
(1892) à la PS12 (1903), le nombre de pages est resté plus
ou moins constant, malgré les nombreux remaniements. Il
semble que Krafft-Ebing et son éditeur (?) aient jugé à partir
de 1892 que le livre devait conserver un format maniable.
En outre, les éditions posthumes dues à Fuchs conservent
à peu près le même gabarit. Cřest avec la PS16-17
(1924) de Moll que le livre redouble de volume.} (2012)
doublé de volume. Il y a donc lieu de préjuger
dřénormes remaniements dřune édition
à lřautre.
Il ne saurait être question de faire ici le
relevé exhaustif des passages déplacés, supprimés,
ajoutés ou remplacés au cours des
onze révisions de la Psychopathia Sexualis par
Krafft-Ebing. Mais nous serons amené à
faire largement état, et, à lřoccasion, jusquřau
menu détail, de certains remaniements :

1/ Dans la mesure où lřapparition des termes
de sadisme et de masochisme, ainsi que leur
théorisation, ont été préparées et mûries à
travers plusieurs éditions de lřouvrage, de
telle sorte que ces premières transformations
leur aménageaient jusquřà un certain point
(nous dirons lequel) un cadre, voire présidaient
à leur introduction.
2/ Dans la mesure aussi où lřintroduction et
la théorisation de ces termes retentissaient
sur lřéconomie générale du livre.
3/ Dans la mesure, enfin, où elles participaient
intimement des transformations structurales
de lřœuvre.
La phrase la plus connue peut-être qui
soit sortie de la plume de Krafft-Ebing est
vraisemblablement celle-ci :
(T.2)
Das vollkommene Gegenstück des Masochismus
ist der Sadismus. Während jener
Schmerzen leiden und sich der Gewalt unterworfen
fühlen will, geht dieser darauf aus,
Schmerz zuzufügen und Gewalt auszuüben.
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), p. 151.
Le Masochiste est le contraire du Sadiste.
Celui-ci veut causer de la douleur et exercer des
violences ; celui-là, au contraire, tient à souffrir et
à se sentir subjugué avec violence.
KRAFFT-EBING : PS8 (1893),
trf, 1895, p. 121.
Le Masochisme est la contrepartie du Sadisme.
Alors que celui-là veut éprouver des douleurs et être
subjugué avec violence, celui-ci veut infliger de la douleur
[à autrui] et exercer [sur autrui] de la violence. (Trp)
24
(T.3)
Masochism is the opposite of sadism. While
the latter is the desire to cause pain and use
force, the former is the wish to suffer pain and
be subjected to force.
KRAFFT-EBING : PS12 (1903),
tra5ř 1969, p. 159.
(T.4)
Le contraire du sadisme est le masochisme.
Tandis que celui-là veut infliger des douleurs et
employer la violence, celui-ci tend à subir des
douleurs et à se sentir soumis à la violence.
KRAFFT-EBING, R. von, PS16-17 (1924),
éd. MOLL, trf 1931, p. 146.
{5 } En nous fiant à lřanalyse sémantique
qui distingue le présupposé du posé et du
sous-entendu 2, nous sommes fondés de penser,
à partir des déclarations de Krafft-Ebing, revues
ou non par Moll, que le concept de
sadisme a une préséance sur celui de masochisme.
Ce dernier, présume-t-on, a dû être
construit à partir du premier et sur son
modèle. Nous soutiendrons précisément la
thèse adverse. Krafft-Ebing a dřabord découvert
le masochisme. Sřen est suivie la construction
du concept de sadisme, de telle sorte que
la théorie que Krafft-Ebing en a dřabord
donnée sřest trouvée à la fois énoncée et distordue.
Nous montrerons que ce vice dřorigine
a conditionné jusquřà présent le destin
infortuné de ces concepts.
2 Dřune manière générale nous devons à lřenseignement et
aux publications du Pr Oswald Ducrot, ainsi quřau courant
de la philosophie analytique (anglaise), notre sensibilisation
à lřanalyse sémantique.

§ (1) Ŕ Sadisme
Sans doute Krafft-Ebing débute-t-il par
le sadisme dans lřexposé définitif comme dans
toutes les éditions antérieures de la Psychopathia
Sexualis où lřopposition Sadisme / Masochisme
apparaît. Remarquons néanmoins que
si le Marquis de Sade figure dès la première
édition de la Psychopathia Sexualis (PS1, 1886,
p. 44) le terme de sadisme nřy est pas encore.
Il nřapparaît quřà partir de la 6 e édition (1891)
en même temps que « Masochisme » 3, formant
déjà la fameuse opposition. Est-ce à
dire quřaucun ordre de préséance ne les
distingue lřun de lřautre ? Ŕ Si fait.
{6 } Revenons à Moll (T.1). Nous avons
vu quřil alléguait deux choses. (1°) Cřest
Krafft-Ebing qui a forgé les termes de sadisme
et de masochisme. (2°) Ils ont été dérivés
à partir de Sade et de Masoch. Le second
point est évident et incontestable, mais le
premier demande vérification. Cřest, avonsnous
dit, à partir de la PS6, soit à partir de
1891, que ces deux termes opposés apparaissent
en même temps. Or lřannée précédente,
en 1890, Krafft-Ebing avait publié chez le
même éditeur (auquel il est resté fidèle sa vie
durant), et sous la même présentation que la
3 Sacher-Masoch est mentionné pour la première fois dans
une note ajoutée à la seconde édition (PS2, 1887, p. 69).
Nous y reviendrons plus loin.
25
Psychopathia Sexualis, un livre intitulé : Neue
Forschungen auf dem Gebiet der Psychopathia
sexualis. Eine medicinisch-psychologische Studie
[Recherches nouvelles dans le domaine de la pathologie
sexuelle. Une étude médico-psychologique]. Cet
ouvrage eut encore une seconde édition
avant que son contenu ne soit intégré à la 7 e
éd. de la Psychopathia Sexualis (PS7, 1892c) 4.
Édition Année Nombre de pages
1 re 1890 vi+80 p.
2 e 1891 vi+131 p.
Là, parallèlement à la Psychopathia Sexualis,
nous disposons dřune sorte de laboratoire
où Krafft-Ebing prépare sous nos yeux la
métamorphose de son Traité. La 1 re éd. de ces
Neue Forschungen... comporte deux chapitres
sensiblement égaux. Le premier est consacré
au sadisme et au masochisme, et le second au
sentiment sexuel contraire (conträren Sexualempfing),
Ŕ expression de Westphal (1869)
pour désigner lřinversion sexuelle 5. Lřannée
suivante, Krafft-Ebing intercale entre ces
deux chapitres deux nouveaux chapitres, lřun
consacré au fétichisme érotique, lřautre au
délire transsexuel (Wahn der Geschlechtsverwandlung).
Avec ces quatre chapitres il est désormais
en possession de sa théorie sexuelle.
4 {Cřest ce que Krafft-Ebing déclare expressément dans
lřavant-propos de la 7 e éd. de la PS, p. VI.}
5 {Westphal (1871) est aussi lřinventeur de lřagoraphobie.}

Arrêtons-nous à présent au premier
chapitre. Il est intitulé : Ueber Masochismus und
Sadismus. Cřest là que Krafft-Ebing formule
pour la première fois une théorie du sadisme
et du masochisme où lřordre des termes est
inversé. On constate également quřil consacre
au {7 } masochisme 28 pages, et seulement
quatre au sadisme. Ces simples repères
extrinsèques vont dans le sens de notre
thèse. Il est patent que lřaccent porte sur le
masochisme, comme si cřétait le masochisme
quřil fallait imposer, Ŕ le sadisme faisant déjà
partie des acquis avérés et indiscutables.
Les faits sont un peu plus complexes. En
se plaçant au point de vue de Krafft-Ebing,
on pourrait les schématiser comme suit. Sřil
nřinsiste pas sur le sadisme dans les Neue
Forschungen... cřest que les faits sřy rapportant
avaient déjà trouvé place dans les cinq
premières éditions de la Psychopathia Sexualis.
Il ne leur manquait que le terme générique de
sadisme. Néanmoins, à cet égard, Krafft-
Ebing ne sřattribuait pas personnellement ni
la dérivation ni la dénomination de sadisme.
En revanche, Krafft-Ebing revendique (ou
du moins assume) et la dérivation et la
dénomination du masochisme. En outre, les
faits touchant le masochisme quřil rassemble
dans les Neue Forschungen... nřavaient pas encore
trouvé place dans la Psychopathia Sexualis,
ce qui justifiait amplement la publication de
ces paralipomènes.
26
Examinons maintenant les choses de
plus près en commençant par citer un passage
de lřavant-propos de cet opuscule :
(T.5)
Diese im folgenden zu besprechenden Perversionnen
der Vita sexualis mögen Masochismus
gennant werden, da der bekannte Romanschriftsteller
Sacher-Masoch in zahlreichen seiner
Romane, ganz besonders in seinem bekannten
Die Venus im Pelz, diese eigene Art der sexuellen
Perversion zum Lieblingsgegenstand seiner
Schriften gemacht hat.
Dieser Masochismus stellt das Gegenstück
einer nach dem Vorgang der Franzosen „SadismusŖ
genannten Form sexueller Perversion dar,
deren berüchtigter Vertreter der Monströse Marquis
de Sade war, und welche darin besteht, ...
{8 }
KRAFFT-EBING : Neue Forschungen...,
1 re éd., 1890d, p. 2.
Ce quřon peut rendre à peu près ainsi :
(T.6)
Dans ce qui va suivre nous aurons à débattre
de ces perversions de la vita sexualis que
nous pouvons appeler masochisme, puisque le
romancier connu Sacher-Masoch a fait, de cette
façon particulière de perversion sexuelle, dans
beaucoup de ses romans, et principalement dans
son œuvre bien connue La Vénus à la fourrure,
lřobjet chéri de ses écrits.
Ce masochisme représente la contrepartie
dřune forme de perversion sexuelle nommée
selon lřexemple des Français « sadisme », dont le
représentant mal famé était le monstrueux Marquis
de Sade, et qui consiste en... (Trp)

Ce texte manifeste un ton volontariste 6
dans le choix du terme de masochisme, un ton
qui se perpétue Ŕ certes avec lřatténuation de
bienséance qui sied Ŕ dans toutes les éditions
de la Psychopathia Sexualis à partir de la sixième.
Krafft-Ebing y présente déjà la notion de
masochisme comme la contrepartie (Gegenstück)
du sadisme. Enfin, même ici, la préséance du
terme français de « sadisme » est supposée.
Lřauteur se contente semble-t-il de naturaliser
la dérivation germanique (?) Sadismus
selon lřexemple donné par les Français.
Si nous consultons les éditions postérieures
à la 6 e (1891), à la première occurrence
du terme de sadisme succède généralement
un appel de note libellé ainsi :
(T.7)
Ainsi nommé dřaprès le mal famé Marquis
de Sade, dont les romans obscènes sont ruisselants
de volupté et de cruauté. Dans la littérature
française « sadisme » est devenu le mot courant
pour désigner cette perversion.
KRAFFT-EBING : PS8 (1893),
trf 1895, p. 79, note.
Nous avons ainsi deux précieuses indications
: non seulement Krafft-Ebing nřa pas
inventé la dérivation, il nřinnove même pas
dans lřacception quřil lui confère. Ce quřil
nomme Sadismus est exactement la même
chose que ce quřon désigne en français par
sadisme. Krafft-Ebing ajoute ici une indication
de plus à ce quřil disait plus haut (T.5) quand
6 ,,MögenŘŘ cumule plusieurs sens : aimer à, vouloir, pouvoir.
27
il se référait à « lřexemple des Français ». Il
renvoie ici à la « littérature ». Cela peut vouloir
dire par ellipse : la littérature spécialisée
du domaine étudié. Ce domaine, dont les
dernières éditions de la Psychopathia Sexualis
ont fini par se targuer en sous-titre, est la
médecine légale. {9 } Ainsi donc ce seraient
les médecins-légistes français qui auraient
introduit et imposé le terme de sadisme.
Au cours de son ouvrage il est heureux
que Krafft-Ebing ne se soit pas fait faute de
se référer aux auteurs en question, nous indiquant
ainsi charitablement par où commencer
nos recherches. Ce sont : Benjamin Ball,
Charcot et Magnan, Paul Moreau (de Tours),
Henri Legrand du Saulle, Paul Sérieux, Paul-
Max Simon, Ambroise Tardieu, etc. Certes la
lecture de ces auteurs est attachante, mais le
terme de sadisme, avant 1890, ne sřy trouve
nullement 7. Par trop de finesse (et de précipitation)
nous nous sommes engagé dans une
filière qui aboutit à une impasse. Ce nřétait
pas inutile. Nous sommes du moins fondés
de dire que ce ne sont pas les médecins
(légistes) français qui ont introduit le sadisme
dans le discours médical.
7 {Autant que jřaie pu le vérifier depuis, il faut remonter au
Traité de MARC qui date de 1840, pour trouver une mention
du sadisme à propos dřune triste actualité, ces « piqueurs
» qui alarmaient à juste titre le beau sexe en France
comme en Angleterre. En note lřauteur sřexcuse ainsi :
« Quřon me passe cette expression qui sera comprise de ceux qui
connaissent les œuvres cyniques de de Sade ». Ŕ Cf. tome II,
p. 423, note. Cette mention et cette note passèrent inaperçues.}
(Addition de 2012)

À la vérité, Krafft-Ebing se réfère également
à dřautres auteurs français, tels que le
(célèbre) « bibliophile » Jacob ou Léo Taxil :
ce quřil est convenu de désigner de littérateurs
ou plus exactement de publicistes. Il
doit au premier ce quřil sait du maréchal
Gilles de Rais ; au second, du marquis de
Sade. Son intérêt pour la prostitution a pu
lřamener à connaître lřouvrage de Taxil
(1884) Ŕ cité dès la PS1 (1886) Ŕ tout comme
les ouvrages classiques de Parent-Duchatelet
(1836) et de Jeannel (1868) 8. Les contributions
de Parent-Duchatelet et de Jeannel
appartiennent au discours hygiéniste dont
participait le discours médico-légal pendant
les trois premiers quarts du XIX e siècle. Le
terme de sadisme ne sřy trouve pas. Cela
confirme ce que nous disions : ce ne sont pas
les spécialistes français qui ont introduit et
imposé le sadisme dans le discours médical.
Changeons de filière. Intéressons-nous à
la lexicologie. On sait que le sadisme a été
boudé par le Littré (1877-1887) comme par le
Dictionnaire de lřAcadémie française. Il ne fait son
entrée dans ce dernier dictionnaire quřen
1935 9. Il nřen est pas {10 } moins attesté
dans la langue courante durant tout le XIX e
8 Lřouvrage de JEANNEL est cité par K-E aussi bien dans
son éd. française (1868) que dans son éd. allemande.
9 Dictionnaire de lřAcadémie française, 8 e éd., 1935, II, p. 551.
28
siècle. Les lexicologues modernes Bloch &
Wartburg dřune part, et Dauzat & collab.
dřautre part, sřaccordent pour proposer la
date de 1836 pour le premier usage du terme
de sadisme. Dauzat & collab. (1971) fournissent
leur source : Landais.
Napoléon Landais est lřauteur dřun
Dictionnaire Général & Grammatical des dictionnaires
français, dont il existe à la Bibliothèque
Nationale les 1 re (1834), 3 e (1836), et 12 e
(1853) éditions. Comme lřexplique lřauteur
10 : alors que « le Dictionnaire de lřAcadémie
est lřœuvre mûrie dřun aréopage qui ne sanctionne que
les lois bien consacrées par le temps », son propre
« Dictionnaire au contraire, sentinelle avancée de la
langue française, a pour mission principale de protéger
toutes les innovations heureuses, de leur ouvrir
un asyle, de leur offrir le droit de cité. » Cřest à ce
projet que nous devons sans doute lřintroduction
du terme de sadisme dans la 3 e éd.
de son dictionnaire. Voici lřentrée en question
:
(T.8)
Sadisme : subst. masc. (çadiceme) (du nom de son
auteur de Sade) aberration épouvantable
de la débauche ; système monstrueux et
anti-social qui révolte la nature. (Boiste).
LANDAIS : Dict. Général & Grammatical...,
3 e éd., 1836, tome II, p. 569.
Quřest ce que ce Boiste qui termine la
rubrique ? Pour un lexicographe, ce mot ne
10 LANDAIS (1836) : Dictionnaire Général & Grammatical...,
tome I, p. 6.

peut désigner quřun autre lexicographe. Cřest
effectivement le cas. La 1 re éd. du dictionnaire
de Boiste, intitulé : Dictionnaire universel de la
langue française, inaugure le siècle, Ŕ elle est de
1800. La Bibliothèque Nationale en conserve
un grand nombre de rééditions remaniées.
Pierre Boiste est décédé en 1824, mais le
succès de son dictionnaire sřest maintenu à
titre posthume. On compte avant 1836 huit
éditions de son dictionnaire. La 8 e, publiée en
1834, se présente avec une caractéristique
propre à retenir notre attention. Elle a été
revue par Charles Nodier, à qui nous devons
par ailleurs un portrait (sans doute exact) du
marquis de Sade 11, manifestant une grande
sympathie. Notre attente nřest pas déçue.
Une rubrique sadisme y figure bien. Elle est
rédigée comme suit : {11 }
(T.9)
Sadisme : s. m. aberration épouvantable de la débauche
; système monstrueux et antisocial
qui révolte la nature. (De Sade,
nom propre) (peu usité).
BOISTE : Dictionnaire universel...,
8 e éd., rev. par Ch. Nodier, 1834, p. 642.
La 7 e éd. du dictionnaire de Boiste ne
figure pas à la Bibliothèque Nationale, et la 6 e
ne comporte pas de rubrique pour sadisme. Il
faudra donc, jusquřà plus ample informé,
dater de 1834 la première mention du sadis-
11 Cf. LELY (1965) : Vie du marquis de Sade, pp. 70 et
631-632 ; LAUGAA-TRAUT (1973) : Lectures de Sade, pp.
103-104.
29
me dans un dictionnaire, et créditer Charles
Nodier du mérite de cette initiative. Lřannée
1834 est dřailleurs faste pour le Divin Marquis.
Il sřattire, dřune part, la grâce dřun article
resté fameux de Jules Janin 12. Il est,
dřautre part, lřobjet dřune notice biographique
« libérale » de Rabbe, qui constitue, quoiquřon
en dise, une rupture par rapport aux
diatribes et aux violents rejets dont il avait
fait jusque là les frais 13.
La reprise du hors-texte (T.9) de Nodier
deux années plus tard par Landais (T.8)
prend acte de ces nouvelles dispositions des
lettrés. Cřest ainsi que Landais supprime la
mention : « peu usité », qui termine la rubrique
de Nodier. Cřest à un romantique, un
« grand » romantique, mais qui se rapproche
beaucoup des romantiques mineurs par certains
côtés, cřest à Alfred de Vigny que nous
devons, lřannée suivante, en août 1837, une
attestation écrite du terme de sadisme. Cřest
encore une utilisation bien timide, avec
majuscule de départ et soulignement :
12 Les romantiques français, surtout ceux quřon appelle les
romantiques mineurs (dont Nodier, Janin, Sainte-Beuve,
Flaubert...) ont revendiqué dřune manière ou dřune autre le
privilège de fréquenter lřœuvre du marquis de Sade.
13 Il est commode de pouvoir consulter rapidement des
extraits (hélas) de ces documents dans le recueil si bien
informé de LAUGAA-TRAUT (1973). Nous nous accommodons
moins du commentaire de lřauteur qui « suit [inopportunément]
de près les recherches et les débats de la nouvelle critique »,
mais qui sřinspire, en fait, de catégories lacaniennes maniées
sans dextérité. Cřest le moyen de rater le « bon usage
du marquis de Sade » tel que nous avons commencé à le
décrire dans un court texte (AZAR, 1974b) à reprendre et à
développer sous peu. {Promesse non tenue}.

(T.10)
Rousseau a dřabord suivi Voltaire, puis il
voit par la corruption dřune femme arrivée au
Sadisme et à la folie ce quřil a fait aussi, il se tue à
Ermenonville. Fausse Nature.
VIGNY : Le Journal dřun Poète, août 1837,
éd. Conard, 1935, tome I, p. 428.
{12 } Quant à sadique, selon Bloch &
Wartburg il ne commencerait sa carrière
quřen 1888. De toute évidence lřérudition de
Bloch & Wartburg se trouve ici en défaut 14.
Le public passablement cultivé se rappelle la
« querelle de Salammbô » (1862) où Sainte-
Beuve, dans son troisième article sur le livre
de Flaubert, avait provoqué lřindignation du
romancier en écrivant quř « une pointe dřimagination
sadique se mêle à [ses] descriptions » 15. À
moins dřattribuer à Sainte-Beuve la création
de lřadjectif sadique (ce qui nřest pas à exclure),
son existence devrait être antérieure à
1862. Lřutilisation de sadique comme substantif
est plus tardive. Elle intervient plus tard,
en 1888 effectivement, après la « coupure »
dont nous parlerons plus loin 16.
Sans plaider pour la docte ignorance, il
importe peu pour notre propos de réperto-
14 DAUZAT & collab. (1971) ne séparent pas sadique de
sadisme, bien que sadique ne se trouve pas plus chez Landais
que chez Boiste.
15 SAINTE-BEUVE (1863) : in Nouveaux Lundis, tome IV,
p. 71. La réaction de FLAUBERT se trouve in fine, p. 443.
16 Cf. infra, p. 30. {Dans À Rebours [1884], HUYSMANS
mentionne une fois le Marquis de Sade, une fois joie sadique,
et quatre fois sadisme. Le sadisme est pour lui le bâtard
du catholicisme. Dans Là-Bas [1891] il mentionne sadique trois
fois, les deux premières comme adjectif, la troisième
comme substantif. Ŕ K-E ne lisait pas Huysmans.}
30
rier les emplois du terme de sadisme et de
suivre leur évolution sémantique depuis son
apparition présumée en 1834 jusquřaux environs
de 1888. Notre tâche est plutôt de
tenter de cerner son emploi autour de cette
dernière date, par une certaine « littérature »,
car cřest dans ce vivier là seulement que
Krafft-Ebing, et à sa suite les auteurs de
langue allemande, ont jeté leurs filets.
À ne sřen tenir quřà Krafft-Ebing Ŕ les
autres auteurs nřayant pas ajouté grand chose
Ŕ nous repérons sa référence insistante à Léo
Taxil, ainsi que quelques renvois à Coffignon
et à Delcourt. Taxil lui-même se réfère à
Guyot. Nous constituons ainsi la liste suivante
: {13 }
Ŕ GUYOT (1882) : La Prostitution.
Ŕ TAXIL (1884) : La Prostitution contemporaine.
Ŕ COFFIGNON (1888) : La Corruption à Paris.
Ŕ DELCOURT (1888) : Le Vice à Paris.
Ŕ TAXIL (1891) : La Corruption fin-de-siècle.
Parmi les généralités que lřon peut énoncer
à propos de ces ouvrages on peut dire
quřils sont dus à des littérateurs prolixes
sřoccupant en premier lieu dřune « question
sociale ». Les œuvres citées font chaque fois
partie dřune fresque de plusieurs titres, souvent
provocateurs.
YVES GUYOT (1843-1928). Économiste,
journaliste et homme politique. Il fut tôt

emarqué et parrainé par Gambetta. Collaborateur
à La Lanterne, il fut par la suite rédacteur
en chef du Siècle. Il a été conseillé municipal
de Paris (1874-1884), député de la Seine
(1885), et ministre des travaux publics (1889-
1892). Il était adversaire du socialisme et de
lřétatisme, ardent défenseur du libre-échange,
féministe, dreyfusard de la première heure, et
farouche partisan de la séparation de lřÉglise
et de lřÉtat. Son livre sur la prostitution est le
premier volume de ses Études de Physiologie
Sociale, expression générique sřil en est. La
série comportera cinq autres titres : (1884)
La Police ; (1885) La Traite des vierges à
Londres ; (1901) Le Bilan social & politique de
lřÉglise ; (1903) Les Conflits du travail & leur
solution ; (1905) La Comédie protectionniste.
LEO TAXIL (1854-1907) est un Marseillais
haut en couleurs. Ancien élève des jésuites,
il se jeta dans un anticléricalisme outré. Il
monta à Paris et fonda une librairie anticléricale
au Quartier latin pour laquelle il utilisa
des procédés publicitaires inédits. Il fut
franc-maçon et fut exclu de la maçonnerie en
1882. En 1886 il prétendit se repentir. Il se
convertit au catholicisme, recevant à Rome
lřabsolution de Léon XIII. Il exerça alors ses
talents de polémiste contre les francsmaçons.
En 1897 il déclara que sa conversion
était une mystification, et il reprit sa
croisade anticléricale. Dans ses publications
sans nombre il sřest proposé de démasquer
les secrets des confesseurs, ceux des francs-
31
maçons et ceux des libertins. Il le faisait,
comme on lřa dit, avec un goût du scabreux
qui, sans en préjuger, minait ses véhémences.
Citons quelques unes de ses productions :
(1879) Cřest Nous qui fouettons ces vieux polissons
; (1880) Calotte & calotins ; (1881) Les
Amours secrètes de Pie IX ; (1882) La Confession
& les confesseurs ; (1883) Les Livres secrets des
confesseurs dévoilés aux pères de famille ;
(1886) Les Mystères de la franc-maçonnerie 17, etc.
Cřest dans cet ensemble sulfureux que prennent
place les deux titres auxquels Krafft-
Ebing se réfère.
À propos de A. COFFIGNON, on manque
de tout détail biographique. La fiche de
la Bibliothèque Nationale fournit sa date de
naissance [1861], mais la date de son décès
est inconnue. Son livre sur la Corruption à
Paris (1888) fait partie de la série Paris-Vivant,
avoisinant les titres suivants : Les Coulisses de
la mode ; LřEnfant à Paris ; LřEstomac de Paris ;
et Le Pavé parisien.
PIERRE DELCOURT (1852-1931) est né à
Ajaccio. Il monta à Paris, fut journaliste de
gauche à La Lanterne, au Corsaire et à La
Tribune. Il sřillustra surtout dans lřécriture de
fiction. Son livre sur Le Vice à Paris est isolé
dans sa production. Cřest le pittoresque qui
semble lřavoir intéressé plutôt que la « ques-
17 Un titre de la collection Archives (éd. Julliard) réveille le
souvenir de cet aspect. Ŕ Cf. WEBER (1964) : Satan francmaçon.

tion sociale ». Cřest probablement la raison
qui fait quřil nřutilise pas le terme de sadisme.
Lřouvrage de Delcourt mis à part, nous
remarquons que les quatre autres présentent
un consensus qui fixe la signification du
terme de sadisme, et qui surprend dès lřabord
par sa précision. Cela nous impose de procéder
à un examen minutieux.
{14 } Commençons par le livre le plus
ancien, celui de Guyot. Le terme de sadisme
nřy est utilisé quřune seule fois dans le passage
suivant :
(T.11)
(...) dans la plupart des maisons [closes], au
moins dans les maisons « bien tenues », « où lřon
fait tout, » un règlement intérieur détermine les
obligations des femmes envers le client. Sřil se
plaint, elle est mise à lřamende ; cřest le sadisme
obligatoire.
GUYOT (1882) : La Prostitution,
I re Partie, chap. VII, p. 201.
Ce passage, à quelques détails typographiques
près, est repris par Taxil en conclusion
dřun chapitre où il emploie le terme de
sadisme dans la stricte acception quřil a cidessus.
Avant de tenter de cerner cette signification
complétons le dossier.
Coffignon intitule le chapitre XXII de
son livre : « Le Sadisme », sans que le terme
ne soit repris dans le corps du texte 18. Le but
18 COFFIGNON (1888) : La Corruption à Paris, 5 e éd., p. 315
et suiv. Les titres des paragraphes (non repris dans le corps
du texte) sont les suivants : Un aphorisme humanitaire. Ŕ Le
32
visé est un certain type de débauché nommé
le sadiste. Ce terme désuet a été depuis évincé
par sadique. Coffignon nous fournit à la fois
la désignation de ces débauchés et leur classification.
Les voici :
(T.12)
Il y a un aphorisme qui a fait le tour du
monde : « celui qui découvre un plat nouveau
fait plus pour le bonheur de lřhumanité que celui
qui découvre une planète. » Certains blasés sont,
pour ce motif, perpétuellement à la recherche
dřune sensation nouvelle. Ce sont les sadistes, les
descendants et disciples fidèles du « divin marquis
», un des plus honteux produits de lřespèce
humaine.
COFFIGNON (1888) : La Corruption à Paris,
chap. XXII, p. 315.
(T.13)
Ces maniaques [id est les sadistes ou érotomanes]
sont de plusieurs sortes. On peut les
cataloguer en : blasés, monomanes et passionnels.
Ce sont ces individus qui font la fortune
des maisons de rendez-vous, des logements de
filles et qui permettent de vivre à ces filles galantes,
chevronnées du vice, à qui leurs seuls attraits
{15 } ne pourraient permettre de mener sur le
déclin une existence luxueuse.
COFFIGNON (1888) : La Corruption à Paris,
chap. XXII, p. 316.
Il nřest pas question, et il ne sera pas
question, de discuter la classification de
provincial et le pâtissier. Ŕ La bande des casseroles. Ŕ Les voyeurs
des Champs Élysées. Ŕ Les frotteurs. Ŕ Les passionnels. Ŕ Les
sodomites. Ŕ Un dangereux métier. Nos citations (T.12) et
(T.13) doivent respectivement correspondre aux deux
premiers titres.

Coffignon à la manière dřEulenburg 19.
Eulenburg, ce faisant, prend Coffignon pour
pair : comme médecin (légiste) ou comme
sexologue. Aucun de ces titres ne convient à
Coffignon, et des niveaux épistémologiques
se trouvent brouillés. Avec Coffignon, nous
avons affaire au mieux à un publiciste 20, au
pire à un mauvais sociologue 21. Confondre la
médecine légale à ses débuts avec les débuts
de la sociologie parce quřelles sont toutes les
deux à leurs débuts (ce qui est discutable), ne
nous semble pas pertinent. Dřun point de
vue strictement épistémologique nous avons
à accuser le fait et à nous borner à le décrire
avec le seul souci dřêtre exhaustif.
19 EULENBURG (1902) : Sadismus und Masochismus, p. 2. Par
ex. examiner à quel point « passionnel » et « masochiste »
dénotent la même chose. K-E, au cours de sa section
consacrée au masochisme (PS12, 1903, tra5ř, p. 193), sřétait
contenté de se référer en note à Taxil puis à Coffignon
ainsi : « Un chapitre du livre de Coffignon (La Corruption à
Paris) est intitulé Řles passionnelsř contenant certaines
contributions sur ce sujet ». En fait (Cf. la note précédente),
le chapitre de Coffignon est intitulé « Le sadisme »,
et il contient un paragraphe consacré aux passionnels. En
prenant en considération le fait que ce nřest pas K-E mais
Eulenburg qui se lance dans cette discussion, jointe à la
petite erreur commise par K-E, il est tentant dřavancer la
notion de « résurgence de la séquence négligée », par analogie
avec le fait bien connu du retour du larron sur les lieux de
son crime, et du retour du refoulé en clinique. Nous
aurons à nous expliquer plus bas sur le sens à donner en
épistémologie à cette résurgence de la séquence négligée. {Jřai
adopté un axiome qui a été énoncé en termes choisis par
MAX MÜLLER (1897, p. 196) : « Every carelessness, however
small, is sure to be followed by a nemesis / Toute négligence, aussi
minime soit-elle, sera infailliblement suivie dřune Némésis. »}
20 Suivant le Littré, le publiciste est un écrivain politique.
21 Remarquons en cette connexion que les livres qui nous
occupent appartiennent au même genre littéraire que
Lonely Crowd [1950] de RIESMAN, White Colar [1951] de
WRIGHT MILLS, ou Le Portrait du colonisé [1957] de MEMMI.
33
Un commentaire sur le vocabulaire employé
par Coffignon, étudié pour lui-même,
serait plus éclairant. Un lecteur non prévenu
sera surpris de la présence de termes empruntés
à la médecine mentale : maniaque,
érotomane, monomane. Si lřon se propose {16 }
de les dater, il faut remonter à peu près au
début du siècle, au moment où ils recevaient
un sens précis et univoque chez Pinel et chez
son disciple Esquirol. Employés par Coffignon
vers la fin du siècle, ils sont simplement
lřindice dřune dégradation. Cřest la prétention
à lřérudition du publiciste qui ramasse ce que
le discours des aliénistes a laissé choir dans le
domaine public en cours de route. Nous
avons eu toutes les peines à trouver un exposé
passable de lřhistoire du discours psychiatrique
au XIX e siècle. Nous nous sommes
convaincu que les ouvrages datant dřavant la
première guerre mondiale étaient bien supérieurs
à ce qui fut imprimé depuis 22.
En accordant créance aux psychiatres du
dernier quart du XIX e siècle Ŕ tels que
22 Nous croyons inutile de spécifier dans la mesure où tous
les auteurs ayant publiés après la première guerre mondiale
sont visés. Mettons particulièrement en garde contre les
assertions dřHenri Ey (1948) et de Baruk (1967), auteurs
de fictions apologétiques, et de Pélicier (1971) à la méthode
éclectique. À lřopposé, signalons lřimportance stratégique
du Journal de Médecine Mentale de Delasiauve (une
décennie 1861-1870), et de LřAnnée Psychologique de Binet, Ŕ
en particulier les années 1909, 1910, et 1911. {Les choses
se sont bien arrangées depuis 1975, même sřil reste dřénormes
lacunes à combler, et quřil faut se défaire des préjugés
de bel esprit qui ont malheureusement foisonné dans le
sillage de Michel Foucault.}

Krafft-Ebing 23 ou Magnan & Legrain 24 Ŕ
qui ont eu à cœur de situer leur contribution
par rapport à lřévolution de leur discipline, ils
se placeraient dans le sillage de B.-A. Morel.
Celui-ci avait institué en 1857 une rupture
dans le discours de la médecine mentale avec
la doctrine de la dégénérescence. À les écouter,
il sřagissait de supplanter sur le plan
méthodologique la description symptomatique
des manigraphes (sic) par la méthode
étiologique et clinique. Krafft-Ebing enveloppe
sous le même anathème les trois figures
quřa prises la strate épistémique quřil
combat. Chez les philosophes, la conception
de lřindépendance des facultés de lřâme 25.
Chez les psychiatres, la conception du délire
partiel 26. Chez {17 } les juristes, la théorie
de la responsabilité partielle.
Donnons la parole à Krafft-Ebing :
(T.14)
Lřancienne école admettait un fonctionnement
distinct des soi-disant « facultés de lřâme »,
fiction pure qui ne correspond nullement à la
23 KRAFFT-EBING : Médecine Légale des Aliénés, trf [sur la 3 e
éd. allemande publiée en 1892], annotée par A. Remond
(de Metz), 1900a, pp. 9-24. Aux pp. 19-21 est insérée une
importante contribution du traducteur.
24 MAGNAN & LEGRAIN (1895) : Les Dégénérés..., surtout
les pp. 1-85.
25 La psychologie des facultés de lřâme était représentée en
France par TH. JOUFFROY (1928) et son disciple AD.
GARNIER (1839) et (1852).
26 Il est commode de pouvoir consulter rapidement deux
courts textes récents : CASTEL (1973), et FONTANA (1973).
Mais ces contributions ne compensent pas lřabsence dřune
véritable étude historique et épistémologique exhaustive.
{Cf. encore CASTEL (1976), chap. 4, pp. 174-190.}
34
réalité ; car bien au contraire, toutes ces fonctions
sont solidaires, aucune ne peut être malade
isolément, ce qui renverse complètement la dangereuse
doctrine des altérations isolées de la volonté,
des monomanies, etc., ainsi que lřabsurde
théorie dřune responsabilité partielle, cřest-à-dire
de la suspension du libre arbitre pour les actes
seulement qui résultent directement de la conception
délirante, tandis quřil resterait intact pour
tous ceux qui sont en dehors du cercle maladif. 27
KRAFFT-EBING (1872d) : Grund. der Crimin..., p. 42.
Trf du Dr Chatelain, 1875d, pp. 50-51.
Dans ce même manuel, le traducteur fait
observer en note quřon se sert actuellement
(1875) du terme dřérotomanie pour désigner les
états platoniques dřexaltation amoureuse,
dépouillée de toute pensée de sensualité physique
28. Cřest le sens exactement opposé à
celui que vise Coffignon par le même terme.
Ces brèves remarques suffisent pour conclure
que la teinture savante du discours de
Coffignon est superficielle et surannée.
Retenons toutefois la compréhension du
terme de sadiste chez lui en tant que synonyme
de lřexpression générique avancée par
Moreau (de Tours) : aberrations de lřinstinct
génésique. Retenons également la division des
27 Cf. aussi même ouvrage (1872d), pp. 76-77, et trf
(1875d), pp. 96-98. Ce manuel est la matrice dřoù sortiront
successivement les trois grands traités que K-E rédigea :
(1875a) Lehrbuch der gerischtlichen Psychopathologie [MLA],
(1879-1880b) Lehrbuch der Psychiatrie auf Klinischer Grundlage
[TCP], en 3 vol., et la (1886c) Psychopathia sexualis [PS].
28 Note de Chatelain, op. cit., p. 93. Le sens ancien dřérotomanie
avait été fixé par MARC (1840) en tant que 5 e espèce
de monomanie, Ŕ la monomanie érotique.

sadistes quřil propose en trois classes : les
blasés, les monomanes et les passionnels.
Essayons maintenant dřexposer lřarticulation
du discours de Coffignon. Au prix
dřun détour Ŕ dont la nécessité se trouvera
établie au fil de lřargumentation Ŕ ses assises
seront mises à nu.
{18 } Le terme de sadisme ne se trouve
pas, avons-nous dit, au cours du chap. XXII
de Coffignon (1888), bien quřil lui fournisse
son titre. Cřest au chap. II, intitulé Définition
de la corruption, quřil faut se reporter pour
obtenir une définition précise du sadisme.
On y constate que le sadisme est intriqué
dans une classification de la prostitution dont
il faut commencer par dire un mot.
Coffignon distingue deux genres de
prostitutions, une prostitution naturelle (ou
féminine), et une prostitution antisexuelle 29.
La prostitution féminine comprend trois catégories
: réglementée, libre, ou clandestine.
Et elle a deux modalités : de jour ou de nuit.
La prostitution antisexuelle comprend quant
à elle deux catégories Ŕ le saphisme et la
pédérastie Ŕ que réunit une troisième : le
sadisme.
Redonnons la parole à Coffignon :
(T.15)
Si maintenant nous passons à la prostitution
antisexuelle, nous trouvons deux catégories : le
29 Au XVIII e siècle on disait : antiphysique. CARLIER (1888)
tenta de remettre ce terme en circulation.
35
saphisme 30 et la pédérastie, que réunit une troisième
que nous dénommerons le sadisme 31 .
Le saphisme, lřamour lesbien, nřa été jusquřà
ce jour que lřobjet dřétudes psychologiques.
Beaucoup de romanciers en ont usé ; peut-être
même pourrions-nous dire quřon en a abusé,
nous demandant si ce nřest pas à la littérature
quřil faut reprocher la grande extension quřà
prise ce vice dans beaucoup de classes de la
société parisienne.
Le sadisme est la preuve que le « divin
marquis » a laissé une descendance nombreuse.
Cřest un état de perversion morale qui très
souvent précède chez les hommes lřaccomplissement
des actes contre nature.
Nous nous occuperons enfin des très nombreux
individus qui se rendent coupables de ces
attentats auxquels ils sont entraînés par leur état
maladif de monomanes.
COFFIGNON (1888) : La Corruption à Paris,
chap. II, pp. 11-12.
{19 } Soyons dřabord attentifs à quelques
implications du second alinéa du horstexte
cité. Notons en premier lieu que
lřauteur assimile (sans sourcilier) les fictions
des romanciers à des études psychologiques.
Historiquement, dřailleurs, le roman psycho-
30 Coffignon paraît sřêtre beaucoup inspiré de Martineau
(1885) à propos du saphisme. Ce dernier affirmait : « Au
cours de la présente étude, jřai écrit plusieurs fois le mot
saphisme. Le mot a pu paraître nouveau ; lřacte quřil définit
est ancien. » (p. 89). Pourtant, ce terme figure au supplément
du Diction. de lřAcad. Franç. de 1838, aux dires de
Dauzat & collab. (1971), p. 669. Ŕ On en évaluera lřeffet à
la note suivante.
31 Coffignon revendique clairement lřoriginalité de cette
dénomination, de manière étrangement semblable à celle
de Martineau à propos du saphisme. Cette duplication
trahit peut-être de la part de Coffignon Ŕ par déplacement
Ŕ la référence manquante à Martineau.

logique était devenu envahissant et les auteurs
de fictions emphatiques. À témoin les
manifestes de Maurice Barrès (préface à Un
Homme libre, 1889), et de Paul Bouget (préface
au Disciple, 1889, et, mieux encore, à La
Terre Promise, 1892) 32. Quant à lřidée (banale)
de lřinfluence pernicieuse de la littérature sur
le public, nous la trouvons exprimée avec vigueur
par Chevalier :
Un parallèle entre les médecins et les littérateurs,
sous la forme dřun chapitre consacré à
lřInversion dans la littérature, nřeût pas manqué de
piquant, mais je tiens tellement le roman moderne
pour une cause plutôt que pour une conséquence,
que jřai placé la littérature au nombre des
facteurs du vice et ne lřen ai pas séparée.
CHEVALIER (1893) : Une Maladie de la personnalité,
lřinversion sexuelle, pp. 2-3.
Cette édition du livre de Chevalier nřest
que lřamplification de sa thèse de médecine
(Lyon) imprimée chez Doin en 1885. Voilà
qui nřexclut pas sa présence sur la table de
travail de Coffignon. La déclaration de prin-
32 Le statut de BOURGET peut se juger à ceci. Lorsquřen
1925 lřéditeur Payot publia le recueil posthume des articles
dřErnest Dupré, il le fit préfacer dřun texte de Bourget
détaché des Nouvelles pages de critique et de doctrine. En 1920,
un an avant son décès, Dupré recevait et annotait les
bonnes feuilles du recueil de nouvelles de Bourget intitulé
Anomalies, avec une mention spéciale pour la notion
freudienne de refoulement. Or, le dernier travail de Dupré,
rédigé lřannée suivante (en collab. avec Ch.-L. Trepsat)
portait sur cette notion. Cf. aussi le témoignage de Gilbert
Robin (1930), p. 139, Ŕ dans un livre qui mérite
encore dřêtre lu. Nous pensons montrer la partialité de
Freud envers le cercle des psychiatres français (groupés
autour de E. Dupré et H. Claude) et en donner la raison
dans un prochain travail. {Promesse non tenue}.
36
cipe de Chevalier laisse intacte une position
épistémologique 33 Ŕ qui semble avoir été
répandue Ŕ celle de considérer certaines
œuvres littéraires comme des études psychologiques
de plein droit, et dřaller à cette école.
Dans lřédition amplifiée de son livre, Chevalier
a dressé une liste commentée du traitement
littéraire de lřinversion sexuelle. Krafft-
Ebing écoutera toutes {20 } ces leçons 34.
On verra ce quřil en prend, ce quřil en laisse,
et ce quřil en rétracte. On verra quřil y ajoute,
dans un esprit dřémulation, La Vénus à la
fourrure de Sacher-Masoch, etc.
Notons la position dřentre-deux assignée
au sadisme (T.15) ainsi que son étroite liaison
avec la prostitution (T.13) (T.15), de sorte à
en faire un facteur important dans la subsistance
de celle-ci au deux sens du terme.
Tirons à présent sur un autre fil. Au XIX e
siècle il existait en France un genre littéraire
bâtard (ou métissé) qui traitait des passions et
des mœurs dřune manière générale. Il tenait
le milieu entre la morale, le moralisme et la
médecine. Certains ouvrages avaient un
succès qui ne se démentait pas au long des
années, comme lřatteste la fréquence de leurs
rééditions. Celui de Descuret (1841) est de ce
nombre 35. Jetons un coup dřœil sur ce que
Descuret a eu à dire à propos du libertinage
33 CHEVALIER (1893) : Une maladie de la personnalité..., pp.
251-268, spécialement les deux dernières pages.
34 Ces deux positions (idéologique et épistémologique)
seront discutées au second débet du chap. III.
35 Son ouvrage de 800 p. env., publié en 1841, a été réédité
en 1844 et en 1860. Trad. espagn. en 1849, et ital. en 1861.

dans le chapitre quřil lui consacre 36, et qui
débute par une série de définitions :
(T.16)
Le libertinage peut être défini : lřabus des
organes génitaux dans leur exercice naturel, et la
perversion de leur usage normal en un usage
contre-nature. Par abus, on doit entendre nonseulement
les excès nuisibles à la santé, mais tout
rapport sexuel en dehors du mariage, ou qui,
dans cet état, nřaurait nullement pour but la propagation
de lřespèce.
La perversion, dont les formes principales
sont : lřonanisme, la pédérastie ou sodomie 37 , et la
bestialité, ne saurait avoir un but capable de la
justifier, lřacte étant de sa nature essentiellement
vicieux.
La prostituée se distingue des autres filles de
débauche en ce que, placée sous la surveillance
immédiate de la police, elle entre dans une maison
de tolérance tenue par une maîtresse, pour y
exercer son état infâme, suivant des {21 } règlements
quřelle ne doit pas enfreindre.
À un étage un peu moins bas se rencontrent
: la femme entretenue, qui se vend ; la femme
galante, qui se donne, et la grisette, qui se passionne,
se donne et se vend.
Entre deux séductions, arrive le libertin, qui
sřamuse un instant de ces malheureuses, puis les
quitte avec mépris quand sa passion brutale est
satisfaite, ou que son caprice est passé.
36 Ce chapitre porte en exergue un mot de Thalès : « Redoute
la volupté : elle est mère de la douleur ». Ironie du sort, on ne
peut sřempêcher de songer que Sade et Sacher-Masoch
tomberaient dřaccord pour renverser cette formule et dire :
« Ne redoute pas la douleur, elle est mère de la volupté ».
37 Pour Descuret, pédérastie et sodomie sont synonymes.
Il nřen est plus de même pour MARTINEAU (1885, p. 90) :
« La sodomie est lřamour des jouissances contre nature ;
exercée dřhomme à femme, elle garde ce nom ; dřhomme à
homme, on lřappelle plus communément pédérastie. » Cf.
aussi le texte (T.17) de Coffignon que nous allons citer.
37
DESCURET (1841) : La Médecine des passions...,
II e Partie, chap. VI, pp. 473-474.
Si nous avons tenu à reprendre intégralement
ces définitions, ce nřest pas seulement
parce que cette page fut souvent plagiée 38,
ou pour son importance historique, ou son
charme désuet. Ce nřest pas non plus pour la
correspondance éventuelle entre le sadiste de
Coffignon et le libertin de Descuret. Plus que
cela, ce texte est un témoignage indubitable
du lien « naturel » entre le libertin et la prostitution.
Si ce lien nřexistait pas, il devient incompréhensible
quřen traitant du libertinage
Descuret glissât tout naturellement à la prostitution.
Le même argument sřapplique aussi
au lien que Guyot, Coffignon et Taxil nouent
entre le sadisme et la prostitution. La pruderie
de Descuret 39 nřest pas ici en cause, puisquřaucun
des trois autres auteurs nřy prête le
flanc dřaucune façon. Si lřon conserve le
38 BOURGEOIS (1870) : LřAmour & le libertinage, 4 e éd.,
1877, pp. 89-90, reprend ce texte mot pour mot, y compris
lřexergue de Thalès, sans mentionner Descuret.
39 Les vues de Descuret, telles quřelles se déduisent de la
note de la p. VIII de son livre, tendent à réconcilier la médecine
avec le dogme catholique pour conjurer lřinvasion
de la médecine par le matérialisme. À cet égard, on enregistre
trois tentatives au cours de la première moitié du
XIX e siècle en France. Celle dřALIBERT (1825) a été la
première. Puis ce fut celle de DESCURET (1841), au nom
prédestiné. Enfin celle de BELOUINO (1844), chez qui
(notons-le au passage) lřon constate la même liaison entre
libertinage et prostitution que nous remarquions chez
Descuret. Le succès de ces trois médecins auprès dřun certain
public Ŕ le public catholique Ŕ correspond bien à une
commande sociale. Leurs ouvrages ont eu de nombreuses
rééditions (Cf. bibliographie). {22 } Une nouvelle offensive
eut lieu au début du XX e siècle en réaction sans doute
à la séparation de lřÉglise avec lřÉtat.

moindre doute à ce sujet, il sera dissipé par le
dernier alinéa de la citation suivante, extraite
du livre de Coffignon, et où il nous fait faire
connaissance avec une intéressante catégorie
de libertins dénommés des passionnels :
(T.17)
Les passionnels sont les cousins germains
des monomanes. Il nřy a entre eux que des distinctions
très subtiles, très difficiles à expliquer
tout au moins. Le passionnel {22 } est lřhôte de
la maison de rendez-vous et du logement des
filles, qui ont à sa disposition un matériel dřaccessoires,
comme elles ont un vestiaire pour le
monomane 40 .
40 Ces indications suffisent à caractériser ce quřentend
Coffignon par monomane et passionnel. Nous avons plus haut
indiqué que monomane recyclait une théorie psychiatrique
qui nřavait plus cours en 1888. Passionnel a un relent fouriériste
tout à fait étranger à Coffignon. Il faut supposer
quřil lřa emprunté au vocabulaire du ruisseau. Le Pr Laplanche
nous a en effet signalé le texte suivant (Bénichou,
1972, p. 866) : « Pour S., donc, les relations entre filles et policiers
ne sont pas aussi lointaines que le laisse entendre le fonctionnaire plus
haut cité : ŘŘCelles qui font des mecs à passionřř (cřest ainsi que dans
lřargot des putes se nomment les masochiste) ŘŘet qui sont installées
avec équipement, appareils et tout, celles-là, elles balancent...řř ». Il
est vrai que ce texte est de 1972, et ne peut pas témoigner
du vocabulaire qui avait cours autour 1888. On constate
que les auteurs de cette époque qui ont si minutieusement
scruté le vocabulaire du « milieu », hormis Coffignon, ne
signalent pas ce terme. Nous avons pour notre part relevé
le texte suivant (HEUYER, 1968, p. 23) : « Laurent, étudiant
Les Dégénérés dans les prisons (1888), constate que les dégénérés
les plus nombreux sont des débiles mentaux, déshérités de lřintelligence
et du jugement. Les dégénérés supérieurs sont rares : ce sont surtout
des passionnels. » Dans son livre de 1890 (pp. 58 et 59),
le Dr LAURENT reprend la substance de son texte de 1888
en employant les locutions « habitude passionnelle » et « criminels
passionnels », qui semblent bien là aussi être de son
invention. Nous sommes apparemment en présence de
trois inventions indépendantes du terme de passionel : par
Fourrier, par Coffignon, et par Laurent, auquel terme chacun
aurait conféré un sens spécial conformément à son
propos. Rappelons par parenthèse que le Dr Emile Lau-
38
Cřest dans la souffrance que le passionnel
recherche la volupté 41 . Il se fera fouetter de verges,
ensanglanter avec un martinet dont les lanières
sont terminées par des balles de plomb. Il
se fera serrer dans un corset rempli de points de
fer. Ces actes de démence qui sřaccomplissent
journellement, en plein XIX e siècle, jettent un
jour tout particulier sur les saturnales religieuses
des siècles passés, sur les exploits extatiques des
Brahmanes et des musulmans 42 .
Cřest aussi dans des actes contre-nature que
le passionnel cherche une satisfaction sensuelle,
mais dans les actes contre-nature commis avec la
complicité dřune femme. Cřest la sodomie, une
étape de la pédérastie 43 .
Le nombre est malheureusement trop élevé
des femmes sodomites. Je ne parle pas seulement
des prostituées, mais des honnêtes femmes, qui,
dans lřespoir de retenir au foyer conjugal un mari
dépravé, se résignent à cette débauche.
COFFIGNON (1888) : La Corruption à Paris,
chap. II, pp. 11-12.
{23 } Les éléments qui viennent dřêtre
groupés montrent à quel point les publicistes
rent est le co-traducteur principal de la Psychopathia Sexualis
de Krafft-Ebing en langue française. Quant à CHARLES
FOURRIER il semble avoir utilisé passionnel pour la première
fois en 1829 (p. V) avec la définition suivante : « Ce qui tient
au mécanisme des passions. Le mot passionné désignerait lřeffet et
non la cause ». Si Laurent utilise passionnel dans un sens un
peu différent, il semble néanmoins lřemprunter à Fourier.
En effet, il utilise aussi (Laurent, 1891, chap. I) lřexpression
fouriériste incontestable dř « amour harmonique ». En
fin de compte, il semble bien que la diffusion (très large)
des idées et du vocabulaire de Fourier au XIX e siècle soit
responsable de la reprise du terme de passionnel par
Coffignon et par Laurent.
41 Cf. la note 36 de la page précédente à propos du mot de
Thalès et de son commentaire.
42 Mêmes rapprochements chez K-E à partir de 1890.
43 Coffignon semble sřinspirer de Martineau (Cf. note 37
supra) auquel il ajoute lřidée de continuité évolutive. Cf.
aussi le texte (T.16).

dont nous nous occupons manient le terme
de sadisme avec un esprit de système. Lřétude
des propos de Taxil va ajouter encore son
contingent à cette constatation. Taxil est,
sans conteste celui qui a le plus amplifié
lřacception Ŕ que nous convenons de qualifier
de « profane » Ŕ du terme de sadisme par
opposition à lřacception « technique » qui
sera la sienne à partir de son introduction
dans le discours psychiatrique. Cřest chez
Taxil que se trouveront développées les virtualités
des citations précédentes. Une comparaison
par sondages entre ses deux livres
de 1884 et 1891 nous porte à conclure que le
second nřest quřune édition revue et remaniée
du premier, et lřon y retrouve des passages
Ŕ nombreux Ŕ repris in extenso. Nous
nřaurons à nous arrêter que sur un point où
se marque une évolution des idées de Taxil,
celui de la connexité entre Saphisme et Sadisme.
Dans on premier livre (1884) Taxil consacre
un seul et même chapitre au saphisme
et au sadisme, où il soutient la thèse percutante
suivante :
(T.18)
Aucun auteur nřa pensé à faire remarquer
que ces deux vices se tiennent 44 , bien quřen apparence
très distincts. Le saphisme est la consé-
44 Du propre aveu de Taxil, Parent-Duchatelet aurait bien
noté cinquante ans avant lui que ces deux vices se tiennent.
Nous avons pu retrouver le passage en question : « Il est
peu de vieilles prostituées quřon ne puisse ranger parmi les tribades ;
elles finissent par avoir les hommes en horreur, et par sřassocier aux
voleurs et à tout ce quřil y a de plus abject et de plus crapuleux. »
(Parent-Duchatelet, 1836, tome I, p. 165). Quoiquřil en
dise, lřoriginalité de Taxil sort donc hors de cause.
39
quence du sadisme dans les maisons de prostitution.
La fille à numéro est obligée de se prêter
aux exigences les plus fantaisistes des clients, et il
est des individus qui ont des caprices vraiment
extravagants ; ce sont ces aberrations du sens
génésique 45 que lřon appelle le sadisme, du nom
du marquis de Sade, célèbre par ses passions
effrayantes.
{24 } Forcées de satisfaire ces passions
aussi variées quřinouïes, mais toujours abjectes,
les filles de lupanars, [...].
TAXIL (1884) : La Prostitution contemporaine,
étude dřune question sociale, p. 132.
Le chapitre se poursuit avec une citation
de Moreau (de Tours), suivie de lřintention
déclarée de lřauteur de puiser dans Suétone.
Sřensuit le défilé classique des empereurs
romains, mis en honneur par Moreau (de
Tours) 46. Suivent deux chapitres pour les
papes et pour les rois de France, et cinq
pages entièrement consacrées au marquis de
Sade 47. Puis le chapitre reprend sur le saphisme
des filles de joie.
Taxil amendera son sophisme en consacrant
dans son second livre (1891) des chapitres
distincts au sadisme et au saphisme.
Mais à lřatténuation près de lřinférence
« Sadisme → Saphisme », lřargument de sa
thèse sera conservé.
45 Expression fameuse, promue par Moreau (de Tours) en
1880.
46 TAXIL (1884), pp. 133-158. Taxil ampute les impératrices
du défilé de Moreau qui lui sert sans doute de guide.
47 Ces pages seront la référence princeps de Krafft-Ebing
concernant le marquis de Sade.

(T.19)
Ainsi que le sadisme, le saphisme a pour
foyer le lupanar officiel 48 . Même, il est facile de
comprendre que ce vice féminin contre-nature a
pour cause indirecte (sic) lřaberration génésique
masculine. En effet, les hommes à passions
bizarres, répugnantes ou monstrueuses, les sadistes,
sont une mine dřor inépuisable pour les maisons
de tolérance 49 ; mais on conçoit aussi quel
dégoût profond 50 {25 } la prostituée de ces
établissements, cette femme qui nřest même plus
une femelle, finit par avoir pour lřhomme, qui
nřest même plus un mâle. De là, le saphisme qui
règne à lřétat latent dans ces repaires dorés de la
débauche autorisée et patentée.
TAXIL (1884) : La Prostitution contemporaine,
étude dřune question sociale, p. 246.
Disons un mot de la thèse de Taxil. Son
argument, plaidant pour la cause directe
(1884), ou pour la cause indirecte (1891),
suppose chez les prostituées la transformation
(transfert ou déplacement) du « dégoût
pour les passions bizarres de leurs clients » en « dégoût
se reportant sur tous les hommes en général ».
Mais tout porte à croire que le dégoût allégué
de ces filles est un argument de pure rhétori-
48 Même idée dans TAXIL (1884), p. 176. COFFIGNON qui
présentait le saphisme comme prostitution antisexuelle, ne
taite pas du saphisme vénal (savoir : entre prostituées et
clientes), et la grande partie des exemples de son chap. XXI
est prise dans ce quřon appellerait la population civile.
Quant à la pratique dite des Řpuces travailleusesř (T.20), il la
mentionne rapidement. Cřest que Coffignon étend le sens
de prostitution à débauche et à corruption. Pour Taxil comme
pour Guyot la prostitution a un sens différentiel précis, où
les idées de métier et de vénalité sont essentielles.
49 Même idée dans TAXIL (1884), p. 171 ; et dans COFFI-
GNON (1888), p. 316, Ŕ Cf. hors-texte (T.13), supra.
50 Cf. le texte de Parent-Duchatelet cité p. 23, note 43.
40
que, et quřil tient aux « bons sentiments » que
Taxil (et consorts) affectent dřavoir. Les informations
dispersées dans le texte de Taxil
inclinent à dřautres hypothèses plus consistantes
du point de vue de lřanalyse sociologique
51 :
1/ Il existe dans les lupanars une pratique
dite des « Puces travailleuses » désignant les tribades
qui opèrent sous les yeux dřun voyeur.
Cette fantaisie est typiquement masculine. La
littérature licencieuse Ŕ qui sřadresse surtout
aux hommes Ŕ en regorge. Plusieurs écrivains
réputés y ont insisté jusquřà lřobsession
: Diderot, Sade, Louÿs, etc. Lřexistence
dřune « demande » de cette sorte pousse souvent
les « filles » à se choisir une coéquipière
une fois pour toute.
(Cf. Taxil (1891), pp. 170, 180, 245. Ŕ Coffignon
(1888), pp. 311-312. Ŕ Cf. aussi lřobservation n°275
ajoutée par Moll à la PS16-17, trf 1931, pp. 526-527. Ŕ
Parent-Duchatelet ne mentionne pas cette pratique.)
2/ Il existe au lupanar des contraintes matérielles
qui assignent (au mépris de la loi) une
même chambre à deux filles, {26} de sorte
que, si lřune lřoccupe toute une nuit avec un
client, la pratique de lřautre en est grevée, et
quřen sus cette dernière se retrouve sans gîte
pour la nuit.
51 Les remarques sociologiques tentées ici Ŕ sans préjudice
de conditions psychopathologiques que nous nřenvisagerons
pas, et qui peuvent aussi bien exister ou pas Ŕ trouveront
leur raison au 3 e débet de notre chap. III.

(Cf. Taxil (1891), p. 170. Ŕ Coffignon (1888), pp.
308-310.)
En se composant, ces deux facteurs rendent
assez bien compte du saphisme tel quřil
sévissait dans les lupanars, cřest-à-dire au
service de lřhomme-client. Cela nřa rien à
voir avec les plaisirs ou les désirs des prostituées.
En tant que classe exploitée de lřinstitution
prostitution, on peut dire que ni les
plaisirs ni les désirs des prostituées nřentraient
en ligne de compte.
Ce qui a semblé être une digression nous
ramène très précisément à la fameuse phrase
de Guyot : « Cřest le sadisme obligatoire » (T.11).
Cette phrase, citée par Taxil (1884, p. 178),
terminait son chapitre sur le saphisme et le
sadisme. En 1891 il lřarborera dès les premières
pages de son livre (pp. 11-12), et il
triomphera dans le mitan de son livre avec le
passage suivant :
(T.20)
Ainsi, je donnerai cette preuve indéniable de
la mise en œuvre du sadisme dans les maisons de
tolérance. Chaque pratique y a son nom spécial.
La pollution labiale par la femme sur
lřhomme sřappelle « taille de plume » ; cette saleté
exécutée en même temps par le client et la prostituée
réciproquement, se nomme « soixanteneuf
» ; la copulation naturelle est une « épicière
» ; les exercices de doigté sont des « pattes
dřaraignées » ; les tribades opérant sous les yeux
des voyeurs sont des « puces travailleuses » ; le
doigt dans le fondement est intitulé « lřépée de
Charlemagne » ; la malheureuse esclave que lřon
41
oblige à lécher lřanus du client dépravé, « effeuille
des roses ».
TAXIL (1884) : La Corruption fin-de-siècle,
chap. III, § 1, pp. 244-245.
Le dossier est à présent complet. Il est
maintenant loisible de circonscrire lřacception
des termes de sadisme et de sadiste, tels
quřils sont employés en leur acception « profane
», par une certaine littérature, et dans le
contexte de lřanalyse de lřinstitution prostitution.
Récapitulons notre acquis dans les
trois encarts suivants :
GUYOT (1882)
(T.11) Sadisme : Le fait que les prostituées soient obligées
de se prêter sans rechigner à toutes
les fantaisies de leurs clients, y
compris les plus abjectes, de crainte
d’une punition.
{27 }
TAXIL (1884) (1891)
(T.18) Sadisme : Les aberrations du sens génésique,
appelées ainsi du nom du marquis de
Sade, et auxquelles la fille à numéro est
obligée de se prêtée.
(T.19) Sadisme : L’aberration génésique masculine qui a
pour foyer le lupanar.
(T.19) Sadiste : Homme à passion bizarre, répugnante
ou monstrueuse.
(T.20) Sadisme : Les pratiques spéciales dans les maisons
de tolérance.

COFFIGNON (1888)
(T.12) Sadiste : Érotomane, maniaque, disciple du mar-
(T.13)
quis de Sade, hantant les maisons de
rendez-vous, à la recherche de sensations
sexuelles nouvelles. Il en est de
trois sortes : les blasés, les monomanes
et les passionnels.
(T.15) Sadisme : État de perversion morale qui précède
très souvent chez les hommes l’accomplissement
des actes contre nature.
{Écartons dřabord une erreur possible.
Le terme de sadisme ne fait pas partie de lřargot.
Virmaitre (1894) a scruté avec attention
lřargot fin-de-siècle et ne le mentionne pas.
Le terme de sadisme ne faisait partie que du
vocabulaire des lettrés.} Si lřon veut à présent
essayer de capter en une définition la quintessence
des encarts précédents, on buttera
contre un dilemme. Il faudra opter ou bien
pour une définition minimale, ne tenant compte
que des éléments communs à tous les
auteurs, ou une définition maximale, reprenant
tous les éléments informatifs. Dans cette
alternative adoptons la seconde solution. Elle
nous offre la latitude de prendre en compte
les particularités de chacun. Nous dirons
donc quřil existe dans les années quatre-vingt
en France une conjoncture permettant de
regrouper sous le chef du sadisme les trois
traits suivants :
1/ Une perversion génésique masculine polymorphe.
42
2/ La recherche de sensations sexuelles nouvelles
dans les maisons de tolérance.
3/ Lřobligation faite au personnel féminin de
ces institutions (tolérées par lřÉtat) de satisfaire
toutes les fantaisies de leur clientèle.
Les auteurs cités actualisaient dans leurs
discours {28 } lřune, lřautre, quelques unes
ou toutes les combinaisons possibles de ces
traits. Nous nřécarterons pas pour autant une
définition minimale qui serait celle-ci : le sadisme
désigne toutes les fantaisies sexuelles des clients de
lupanars. Cette définition pourrait se révéler
par la suite fort utile, à condition dřy inclure
les conditions de son énonciation. À savoir :
● Les possibilités de regroupement indiquées ne
pouvaient être actualisées Ŕ cřest là une constatation
Ŕ que dans le discours de publicistes traitant
dřune manière engagée de lřinstitution prostitution,
à lřexclusion des ouvrages rédigés par des
médecins dans un but dřhygiène publique
(Parent-Duchatelet, Jeannel, etc.)
● À lřexclusion des ouvrages, rédigés encore par
des médecins, participant du discours médicolégal
(Moreau de Tours).
● À lřexclusion dřouvrages émanant de responsables
aux pouvoirs publics (Lecour).
● Enfin, à lřexclusion dřouvrages de publicistes
non-engagés (Delcourt).
À savoir également que :
● Les acceptions de sadisme et de sadiste sont
indissolublement intriquées à lřanalyse de lřinstitution
prostitution.
● La dérivation est faite à partir du marquis de
Sade en tant que personnage monstrueux.

Il y a dans ces conditions de lřénonciation,
comme dans la teneur des énoncés,
singulièrement ceux qui se rapportent à la
prostitution instituée, et dont nous avons
fourni quelques jalons 52, il y a des contraintes
épistémologiques avec lesquelles devra
compter Krafft-Ebing. Ŕ Nous verrons à
quel prix.
Un coup dřœil au hors-texte (T.1) de
Moll permettra de nous situer. Nous en
sommes parvenu à devoir infirmer lřassertion
de Moll suivant laquelle Krafft-Ebing aurait
créé les dérivations de sadisme et de masochisme
à partir de Sade et de Masoch sur le modèle
du daltonisme dérivé de Dalton. À la vérité,
devant le tollé qui a accueilli le terme de
Masochismus, créé par Krafft-Ebing du vivant
de Sacher-Masoch, alors que ce dernier se
trouvait au faîte de sa gloire, devant le
reproche dřindélicatesse qui sřéleva contre lui
dřavoir mêlé un romancier adulé à une
turpitude sexuelle, Krafft-Ebing se défendit
de cette manière-là. Il le fit dès la 9 e éd. de
son traité Ŕ PS9 (1894), p. 89, note 2 Ŕ mais
ne brûlons pas les étapes. Ne lâchons pas
encore le sadisme pour le masochisme.
Allons au pas. Occupons-nous encore un
peu du sadisme en reprenant le hors-texte
(T.7) de Krafft-Ebing plus haut cité :
52 Ces jalons suffisent quant à présent pour amorcer le
commentaire du hors-texte de Moll (T.1) et du hors-texte
de Krafft-Ebing (T.7).
43
(T.7)
Ainsi nommé dřaprès le mal famé Marquis
de Sade, dont les romans obscènes sont ruisselants
de volupté et de cruauté. Dans la littérature
française « sadisme » est devenu le mot courant
pour désigner cette perversion.
KRAFFT-EBING : PS8 (1893),
trf 1895, p. 79, note.
Ce texte comporte des allégations explicites
et implicites, des présuppositions, des
implications et des sous-entendus quřil importe
dřévaluer afin de poursuivre notre enquête
: {29 }
1/ Le sadisme a été dénommé dřaprès le (mal
famé) marquis de Sade.
2/ Les romans du ci-devant marquis sont ruisselants
de volupté et de cruauté.
3/ Lřassertion n°2 est rattachée à la précédente
(n°1) avec la conjonction relative « dont ».
Cela veut dire (implicitement) que cřest à
cause de ses romans (ruisselants de volupté et de
cruauté) que le sadisme a été dérivé du nom
de leur auteur (de Sade).
4/ Implicitement, il est entendu que ce nřest
pas parce que le marquis de Sade est luimême
sadique que son nom a servi à cette
dérivation. Il est ainsi sous-entendu que ce
nřest pas sa personne qui est en cause, mais
ses romans, ou les personnages de ses romans.
Autrement dit encore, si le divin marquis
est « mal famé » cřest à cause des romans
quřil a commis.
5/ Enfin, dans la littérature française, sadisme
est devenu le terme courant pour désigner la
forme de perversion sexuelle que lui Ŕ
Krafft-Ebing Ŕ désigne aussi du même
terme.

Commençons lřanalyse par la fin. Lřallégation
n°5 est formulée de manière complexe
et comporte des ambiguïtés quřil faut dissiper.
Il faut clarifier lřexpression de « littérature
française » et lřemploi du verbe « devenir » au
passé composé. Une paraphrase congruente
donnerait quelque chose comme ceci :
ŕ n°5 bis : Dans le discours des publicistes français
(qui traitent de lřinstitution prostitution en tant que
question sociale), sadisme est le terme courant pour
désigner cette perversion génésique où, suivant Krafft-
Ebing, le sujet trouve son plaisir à infliger des douleurs
à autrui et à le subjuguer avec violence...
Cette allégation (n° 5 explicité en 5 bis)
comporte une fausse assertion. Il est vrai que
les publicistes français utilisent couramment
le terme de sadisme. Mais son sens courant
chez eux est de désigner, à tout le moins,
toutes les fantaisies sexuelles des clients de lupanars.
Cela ne correspond en aucune façon à lřacception
que Krafft-Ebing confère à ce terme.
Sur la foi de ses propres protestations,
nous étions disposés à concéder à Krafft-
Ebing (contre Moll) que par sadisme il nřinventait
rien. Quřil sřétait simplement contenté
de transposer en allemand sadisme par Sadismus,
tout en lui conservant son acception
française. Après notre pérégrination dans la
« littérature française », cela nřest plus possible.
Nous sommes plutôt là devant ce
quřon appelle actuellement une coupure épistémologique
[Bachelard, Althusser, etc.] entre
44
lřusage profane dřun terme 53 et son passage à
un usage technique dans un discours spécialisés.
{30 } Lřétude scrupuleuse des modalités
de ce passage nřest donc pas chose
oiseuse. Comme on lřa souvent constaté, la
coupure épistémologique réside dans le détournement
de sens dřun terme courant, et
préside à sa conceptualisation dans un champ
particulier du savoir. Cřest bien ici le cas.
Ayant constaté le détournement de sens,
occupons-nous de lřexpliquer. Lřallégation
n°3 peut nous mettre sur la voie. En introduisant
le terme de Sadismus, Krafft-Ebing
prétend se référer à lřœuvre du marquis de
Sade ! Ŕ Lřincongruité de cette prétention est
complètement édulcorée pour le lecteur contemporain.
Pour nous rafraîchir la mémoire
sur la situation qui régnait à la fin du XIX e
siècle, une nouvelle digression est nécessaire.
53 Ce que le chancelier BACON dénommait Ŗnotiones vulgaresŗ
ou Ŗpraenotionesŗ. {Après une confrontation avec
BACON il nřest pas certain que lřoriginalité de ce qui est
admissible de lřépistémologie de BACHELARD conserve
son originalité. Mais nous croyons devoir ici nous opposer
aussi bien à Bacon quřà Bachelard. En ce qui concerne les
sciences humaines nous soutenons quřil nřy a pas de coupure
épistémologique à proprement parler, mais des ruptures
instituées dans le langage oridinaire. Lřusage du terme
de coupure au cours de ce chapitre témoigne des séquelles
de notre première rédaction. Nous lřavons conservé dans
la mesure où il ne gêne pas lřexposé des faits. Mais il introduit
une contradiction dans notre argumentation puisque
la notion de coupure est antithétique avec celle de résurgence
de la séquence négligée. Nous avons la conviction dřavoir bâti
cette dernière notion dřune manière expérimentale, alors
quřau départ nous étions aligné sur la position de Bachelard.}
(Addition sur mon exemplaire de travail.)

La fatalité a modelé de la vie et de
lřœuvre du marquis de Sade une succession
dřimages 54. Plusieurs scandales, surfaits par
le colportage officieux de rumeurs 55, ont entouré
son nom dřune publicité infamante,
accrue par lřattribution qui lui était faite à
bon escient 56 dřouvrages pornographiques
dřune outrance inouïe. Tout au long du XIX e
siècle la mention de son nom, prédiquée « de
triste mémoire » et de ses hauts faits 57,
stigmatisait lřœuvre, qui devenait de plus en
plus rare 58, et de moins en moins lue. En
1890 nous sommes à lřextrême pointe dřun
retournement : le nom de lřhomme et sa
réputation sont incomparablement plus connus
que la lettre de lřœuvre, par opposition à
la situation qui régnait au début su siècle. À
partir de 1890, et il faut penser que Krafft-
Ebing y est pour beaucoup, un nouveau retournement
est amorcé, qui a aboutit, à partir
de 1960, à lřédition des Œuvres Complètes du
marquis de Sade, précédées de la grande
biographie de Gilbert Lely. Oui, Krafft-
Ebing a été en grande partie responsable de
ce retournement, mais bien involontairement,
et à la suite dřun malentendu, comme
nous allons le montrer de suite.
54 Cf. le dossier réuni par Laugaa-Traut (1973).
55 LřEspion Anglais, de Gramont, du Deffant, Restif, etc.
56 À une exception près. Zoloé & ses deux accolytes (1800),
mettant en scène les turpitudes sexuelles de Napoléon et
Joséphine, nřest pas de lui. Ŕ On ne prête quřaux riches !
57 Cf. Janin, de Boismont, Moreau, Taxil, Ball, etc.
58 Si lřon voulait se donner un peu de peine, elle restait
toutefois disponible. Cf. Flaubert, Taxil, lřauteur des Mémoires
dřune chanteuse allemande, Eulenburg, Bloch, etc.
45
{31 } Les Mémoires dřune chanteuse allemande
[Aus den Memoiren einer Sängerin] est un
de ces livres pornographiques où la griffe du
génie nřa pas dédaigné dřimprimer sa marque.
Ces Mémoires ont été publiés en deux livraisons
à des dates controversées, mais comprises
dans la fourchette 1862-1875 59. Lřauteur,
dont lřanonymat nřa pas encore été percé, fait
plusieurs fois référence à lřœuvre pornographique
fondamentale du marquis de Sade Ŕ
Justine et Juliette Ŕ décrite brièvement ainsi :
Dix volumes de plus de trois cents pages. Reprenons
le passage suivant de ce livre :
(T.21)
Vous connaissez certainement ce livre et
savez ce que représentent deux scènes auxquelles
je pense spécialement ; si vous les avez oubliées,
je les rappelle à votre mémoire. Lřune montre
une arène (...).
Lřautre image représente le marquis de Sade
vêtu dřune peau de panthère ; il attaque trois
59 On peut arriver à dater avec précision la seconde livraison
par la phrase suivante (trf 1969, p. 155) : « Jřai lu, ces
temps derniers, plusieurs livres traitant de cet amour quřon
dit grec ou platonique, notamment les ouvrages dřun
certain Ulrich, qui fut professeur et réside présentement à
Wurtzbourg. » Le traducteur nřa su que faire de ce nom, Ŕ
tout à fait familier à lřétudiant ès perversions sexuelles. Ce
juriste, né en 1825 et décédé en 1895, sřinstalla à Wurtzbourg
en août 1867. Il a commencé à publier sous le
pseudonyme de Numa Numantius, et nřa révélé son nom,
Karl Heinrich ULRICHS, quřen 1865. Il publia douze
ouvrages entre 1863 et 1879. Il était célèbre, et connu
personnellement de Krafft-Ebing qui le cite et discute ses
idées dans sa Psychopathia Sexualis. [Cf. CHEVALIER (1893),
p. 144. Une bibliographie des œuvres dřUlrichs est donnée
à la fin du livre de TARNOWSKY (1886), trf 1904, pp.
292-293.] {Cf. actuellement KENNEDY, 1988 et 1997. En
1994 les livres dřUlrichs furent republiés en allemand en 4
vol., et la même année en trad. américaine en 2 vol.}

femmes nues ; il sřest déjà emparé dřune, dont il
mord les seins, faisant jaillir le sang, tandis que,
dřune patte, il déchiquette sa poitrine et quřun
enfant nu gît, mort, le corps lacéré.
Mémoires dřune chanteuse (allemande),
trf et éd. critique de R. dřArtois, 1969, pp. 145-146.
La vérification faite sur lřexemplaire de
lřEnfer de la Bibliothèque Nationale Ŕ qui est
une reproduction du XIX e siècle (non datée)
conforme à lřédition originale Ŕ est concluante.
Il sřagit bien du même ouvrage, et cet
ouvrage était donc disponible en Allemagne
autour de 1870. Notons surtout que le dernier
alinéa du hors-texte (T.21) nous offre un
remarquable exemple de contamination entre
la personne du marquis de Sade et un personnage
de son œuvre de fiction. Aussi
exemplaire soit-elle, la possibilité dřénonciation
de cette contamination nřen demeure
pas moins liée {32 } à un contexte favorable
préexistant où, à la férocité (animale, et donc
monstrueuse) accolée au marquis, ne manque
pas un fondement plausible. On nřa peut-être
pas tort de présumer que la légende de vivodisséqueur,
lancée par Restif de la Bretonne, a
eu la vie dure le XIX e siècle durant. Et ce
nřest pas le moins curieux de constater la
perméabilité des milieux médicaux pour ce
colportage.
Par conséquent, que Krafft-Ebing se
réfère en 1890 à lřœuvre seule du marquis de
Sade était un usage inédit, ne répondant à
46
aucun précédent immédiat. De surcroît, cette
œuvre nřétait disponible que pour une infime
minorité. À cette époque cřétaient les frasques
du marquis qui primaient. En outre,
cette référence à lřœuvre nous est déjà apparue
dans toute son ambiguïté de cache. Une
fois énoncée Krafft-Ebing nřy reviendra pas.
Il ne prend jamais la peine de motiver cette
référence par des indications précises à des
épisodes ou des passages spécifiques de cette
œuvre. Malgré ce quřil en dit, il suit lřusage de
lřépoque de dénoncer les passions impétueuses
du marquis.
Comme nous lřavons signalé, la mention
du marquis de Sade se trouve dès la 1 re éd. de
la Psychopathia Sexualis 60. Il y est mentionné
parmi les exemples de mauvais traitements
infligés à des femmes 61. Rare persévérance
dans un ouvrage constamment remanié, cet
exemple figure dans toutes les éditions du
livre, de la première à la dernière. Cřest aussi
la seule mention du marquis dans cet
ouvrage. Ce sont là deux faits tout à fait
significatifs. Dès la 2 e éd., Krafft-Ebing ajoute
en note la source principale, mais non pas
exclusive 62, de sa documentation, Ŕ Taxil 63.
60 KRAFFT-EBING : PS1 (1886), p. 44.
61 Il sřagit de lř « affaire Keller », comme lřindique Moll
dans son édition (PS16-17, trf p. 167). Ajoutons que Keller
était une prostituée. Comp. avec PS12 (1903), tra5ř pp.
133-134. Jřy reviens plus loin, Cf. (T.22).
62 Ses autres sources sont évidemment : JANIN (1834), le
bibliophile JACOB (1837), DE BOISMONT (1849), MOREAU
(1880, pp. 60-62), et, plus tard, BALL (1888, pp. 124-126).

Il y a tout lieu de penser que pour Krafft-
Ebing sadisme dérive de Sade, et Sade est le
nom générique des pages 160 à 164 du livre
de Taxil (1884), et rien dřautre. Est-il besoin
de rappeler que dans {33 } ces pages Taxil
ne fait mention du sadisme quřen relation avec
les « passions effrayantes » du divin marquis
et non pas précisément avec ses écrits 64 ?
Voyons pourtant le complément à la note
de la PS2 (1887), que Krafft-Ebing nřajoute
quřà lřavant dernière édition PS11 (1901) :
(T.7)
De Sade, était inépuisable dans ses publications
lascives, destinées clairement au prosélitisme.
Heureusement que de nos jours on peut
rarement les obtenir. On possède de lui : Histoire
de Justine, 4 vol. ; Histoire de Juliette, 6 vol. ; Philosophie
dans le Boudoir, Londres, 1805. La biographie
de Sade par J. Janin (1835) 65 est intéressante.
Le Dr Marciat a donné à la « Bibliothèque de
Criminologie », XIX, 1899 (Paris, Masson), une
étude récente, scientifique et très approfondie
sur S. 66 Sřy trouvent une analyse et un répertoire
des écrits de Sade 67 . Cf. aussi Dühren : Le Marquis
de Sade & son temps, études relatives à lřhistoire de la
civilisation & des mœurs du XVIII e siècle, 1900.
63 KARFFT-EBING : PS2 (1887), p. 46. Dans cette éd. une
référence erronée est fournie [Taxil (1884), p. 180, au lieu de
p. 160]. Elle subsistera dans les éd. subséquentes.
64 Cf. le hors-texte (T.18) plus haut cité.
65 En fait, Revue de Paris, 1834.
66 Lřétude du Dr Marciat est insérée dans le livre de
LACASSAGNE (1899) sur Vacher lřéventreur, pp. 185-237. Et
elle nřest même pas annoncée sur la page de titre.
67 Cřest à peu près tout ce que Krafft-Ebing a peut-être
jamais su des œuvres du marquis de Sade. Cf. toutefois la
note suivante.
47
Ce texte additif recèle deux subtilités.
Pour la première fois Krafft-Ebing mentionne
les œuvres du marquis. Mais cřest (1°)
pour se réjouir de la difficulté de sřen procurer
des exemplaires, et (2°) pour nous pousser
à nous contenter des analyses de contenu
des Drs Marciat et Dühren. Il nous conseille
en somme de ne pas lire Sade, Ŕ ce à quoi il
semble sřêtre lui-même à peu près conformé
68. Ajoutons à cela une doléance. Avec les
études de Claude Tournier (alias le Dr Marciat)
et dřIwan Bloch (alias le Dr Engen Dühren),
nous avions pour la première fois une approche
sérieuse de la biographie et surtout des
écrits du marquis de Sade. Cela ne semble
pas réjouir Krafft-Ebing outre mesure. Il
nous paraît trouver son compte dans la biographie
fantaisiste de Jules Janin (1834) et
nřen pas demander davantage.
En somme, Krafft-Ebing nřéprouve pas
de sympathie pour le marquis de Sade, et il
ne lui aura reconnu que son affligeante légende.
Ainsi que lřa dit Javelier 69 : « Lřaffaire
Keller cřest toute la légende sadique ». Krafft-
Ebing justement ne mentionne le marquis de
Sade que pour lřaffaire Keller. Javelier a étu-
68 Il possédait peut-être un exemplaire de la Philosophie dans
le Boudoir, dans lřédition de Londres quřil signale (1805).
Nous en sommes réduits à penser quřil en fut dégoûté. Le
manuscrit des 120 Journées de Sodome ne fut retrouvé par
IWAN BLOCH quřen 1900, et ne fut publié quřen 1904.
Krafft-Ebing mourut sans avoir connu ce terrible document.
Il est vraisemblable que cela aurait fortement renforcé
son antipathie (viscérale) pour le divin marquis.
69 JAVELIER (1937) : Le Marquis de Sade et les ŘŘ120 Journées de
Sodomeřř devant la psychiatrie et la médecine légale, p. 12 et suiv.

dié et {34 } classé les différentes versions de
cette légende. Un simple coup dřœil montre
que Krafft-Ebing avait de la prédilection
pour les versions les plus fantasques, celles
de Janin et de de Boismont. Mais par la
formidable publicité quřil a faite au marquis
avec lřintroduction du sadisme dans le vocabulaire
médical, Krafft-Ebing a été (oh ! tout
à fait malgré lui) la charnière dřun retournement.
Il a involontairement donné lřimpulsion
à des recherches diligentes ayant abouti
à rectifier la légende et à rééditer lřœuvre.
Puis, soudain, en 1900-1904, ce fut la révélation
inespérée et la publication subséquente
du manuscrit des 120 Journées de Sodome qui
rendit ce mouvement irréversible 70. Nous
verrons au cours des prochains chapitres sur
la base de quels nouveaux malentendus.
Lřanalyse du hors-texte (T.7) de Krafft-
Ebing a mis en évidence la valeur de cache
de la référence à lřœuvre de Sade. À montrer
quřelle vient là comme un déplacement de
lřaccent lié originellement à la « légende
sadiste », cette légende qui avait pris son essor
à partir de lřaffaire Keller. Quřen somme, ce
qui sert à articuler le sadisme au discours
savant de Krafft-Ebing nřest pas lřœuvre du
marquis, mais les vicissitudes de sa vie.
70 Sade avait rédigé cette œuvre hors normes fin février
1785 à la Bastille en 37 jours. Égaré lors de lřincendie de la
Bastille le 14 juillet 1789, son manuscrit avait été considéré
comme définitivement perdu.
48
Nous venons dřécrire « légende sadiste »,
alors que Javelier parlait de « légende sadique ».
Nous le relevons non pas pour discuter de
lřadéquation de lřun ou lřautre terme, mais
pour signaler une conséquence de la coupure
épistémologique. Le terme de sadiste, utilisé à
lřexclusion de sadique 71 par les publicistes
français dans les années 1880, est recouvert
par la notion dř « acte sadique » qui apparaît
dans les années 1890 dans le discours psychiatrique.
Cette dernière notion, élaborée à
partir de la légende sadiste, développée à
partir des monstrueux exploits de ceux quřon
dénomma les « grands sadiques » 72, a conservé
dans le langage courant son halo dřhorreur.
La première traduction française de la Psychopathia
Sexualis, établie sur la PS8 (1893), et
publiée en 1895, porte la marque dřune
période de transition. Nous y lisons 73 : « Le
masochiste est le contraire du sadiste », au lieu de :
« Le masochisme est le contraire du sadisme » 74.
Avec Javelier (1937), sadique {35 } a définitivement
recouvert sadiste. Il semble que ce
soit Thoinot (1898) qui ait fixé lřusage, en
France, de « sadique » et dř « acte sadique » 75.
71 Nous avons établi que le terme sadique était entré dans la
langue depuis au moins 1862. (Cf. p. 12, supra).
72 Vacher lřéventreur, le sergent Bertrand, Jacques lřéventreur,
etc. Ce sont les serial killers dřaujourdřhui.
73 Cf. hors-texte (T.2), supra.
74 Cf. aussi le Traité Clinique de Psychiatrie de KRAFFT-
EBING, TCP5 (1892b), trf 1897, p. 102. Il est vrai que le
traducteur de ce traité est le Dr Émile Laurent, également
co-traducteur de la Psychopathia Sexualis.
75 THOINOT (1898) : Attentats aux mœurs & perversions du sens
génital, pp. 441-442.

Le livre de Lacassagne (1899) 76 viendra lřannée
suivante sceller leur destin.
Dernières conséquences de la coupure :
Ŕ Lřétude de la perversion sřest détachée de
lřanalyse de lřinstitution prostitution pour rejoindre
la psychologie criminologique.
Ŕ Le sadisme ne désigna plus les fantaisies
sexuelles masculines dans leur globalité et
leur diversité, telles quřelles étaient mises en
pratique dans les maisons de rendez-vous.
Ŕ Cřest une seule espèce de perversion sexuelle
que le sadisme désigna dorénavant, celle
où le sujet trouvait sa satisfaction à infliger
de la douleur à autrui ou dans lřexercice de la
violence à son encontre.
Il résulte de nos précédentes investigations
que nous nous sommes finalement
rangés à lřavis de Moll (T.1), lui donnant
raison dřavoir attribué à Krafft-Ebing la création
du sadisme. Du point de vue épistémologique,
cela est rigoureusement exact. Pourtant
Freud tenait Moll en piètre estime 77,
mais Havelock Ellis a dit de lui :
(T.23)
Moll est habitué à garder constamment à
lřesprit la portée scientifique la plus reculée des
problèmes auxquels il sřattaque. Il est également
un critique avisé qui manque rarement de placer
le doigt exactement sur les points faibles des opi-
76 LACASSAGNE (1899) : Vacher lřéventreur...
77 À cause surtout de son livre sur la sexualité infantile
publié en 1907. Cf. JONES, tome II, trf, pp. 49, 109, et 121.
{Il faudrait rouvrir un jour ce dossier.}
49
nions courantes, et il est dřune prudence de procureur
dans lřétablissement de ses conclusions.
HAVELOCK-ELLIS (1896) : Sexual Inversion, p. 156.
Il est difficile dřêtre plus laudatif. Havelock-Ellis
lřa bien senti. Dans la nouvelle édition
il a remanié ce passage. Il a reformulé
ses éloges de manière plus mesurée, sans rien
rétracter sur le fond 78. Dans ces conditions,
même sans savoir jusquřà quel point Moll a
reconstitué les étapes de notre propre parcours,
ni combien de fois il a tourné sa plume
dans son encrier avant de se résoudre à
rédiger le hors-texte (T.1), nous sommes
forcé de lui supposer des raisons sérieuses
pour avoir osé affirmer, contre le témoignage
exprès de Krafft-Ebing, que cřest bien ce
dernier qui a créé le terme de sadisme. Au
demeurant, les idées tirées de son propre
fond, et quřil intègre à la Psychopathia Sexualis,
sont souvent percutantes. On le verra par la
suite sur un exemple. Ce quřon peut éventuellement
reprocher à son édition, cřest quřon
ne puisse par toujours distinguer, à la lecture,
de {36 } démarcation nette entre ses propres
idées et celles de lřauteur quřil édite. Un tel
procédé ne trahit pas une très grande finesse
épistémologique 79.
78 HAVELOCK-ELLIS, Studies…, vol. II, Part II, p. 71 ; trf
Études…, tome I, II e Partie, p. 345.
79 La piété a dû passer par là, exerçant ses habituels ravages.
Au demeurant, il se peut fort bien que Moll se soit
expliqué à propos de son procédé dřédition dans un
« Avertissement » que nous chercherions en vain dans la trf
de PS16-17 (1931) de Lobstein. Ŕ Lřédition originale allemande
de la PS16-17 (1924) manque à notre corpus.

Sřil y a, comme nous lřavons à plusieurs
reprises insinué, un cache {ou plutôt une
« embrouille »}, quelle en est ici la fonction ?
Disons brièvement quřil nous faudra regarder
du côté dit opposé pour dissiper une bonne
part du mystère.
50
{36 suite }
§ (2) Ŕ Masochisme
À écouter Krafft-Ebing, il ne serait luimême
que le découvreur du masochisme. Le
sadisme lui préexistait. Nous avons dit plus
haut 80 ce qui pouvait fonder ce point de vue.
Objectivement, quand Krafft-Ebing introduit
le sadisme Ŕ terme quřil nřa pas créé Ŕ dans le
texte de la Psychopathia Sexualis, il lui sert
seulement dřétiquette pour regrouper certains
faits déjà mentionnés dans les éditions précédentes
de son livre, et au demeurant connus
de la plupart des auteurs. Nous avons montré
ensuite la partialité de cette approche
objectiviste. Acceptons cette fiction objectiviste
quelques instants encore. Cela revient à
soutenir quřavec le masochisme Krafft-Ebing
crée un terme pour introduire dans la Psychopathia
Sexualis des faits inédits. Le parallélisme
entre le sadisme et le masochisme est
net. Il est séduisant. Il a séduit Krafft-Ebing.
Dans cette optique, le premier chapitre des
Neue Forschungen... 81 pourrait adéquatement
sřintituler, en paraphrasant un titre célèbre de
80 Cf. p. 7, supra.
81 Rappelons que le contenu de la 2 e éd. de ces Neue
Forschungen... (1891) fut intégré à la PS7 (1892). Ŕ Cf. supra
p. 6 et n. 5.

Freud, Ŕ Pour introduire le masochisme. Et de
fait, dans les {37 } éditions subséquentes de
la Psychopathia Sexualis, Krafft-Ebing écartera
lřindétermination emphatique employée dans
le texte des Neue Forschungen 82 en faveur
dřune attribution personnelle 83.
Poursuivons à présent notre enquête. La
première mention de Sacher-Masoch dans la
Psychopathia Sexualis intervient à la 2 e éd. (PS2,
1887), dans la note de la page 69 où Krafft-
Ebing dresse la liste des œuvres littéraires se
rapportant au sentiment sexuel contraire. À
lřénumération des œuvres de langue française,
quřil recopie à partir de la thèse de Chevalier
(1885) 84, il ajoute trois références de
son cru à des œuvres de langue germanique :
Ŕ WILBRANDT (1875) : Fridolins heimliche Ehe / Le
Mariage secret de Fridolin.
Ŕ EMERICH GRAF STADION : Brick-a-Brack oder
Licht im Schatten / Bric-à-brac ou la lumière dans
lřobscurité.
Ŕ SACHER-MASOCH (1870) : Venus im Pelz / La
Vénus en fourrure.
Les avatars de cette note au fil des
éditions sont les suivants. À la PS4 (1889)
Krafft-Ebing ajoute Pétrone, à la PS5 (1890)
Sacher-Masoch a déjà disparu, à la PS9
(1894) la note est scindée en deux parts quřil
faut chercher en des endroits différents 85, à
82 Cf. les textes (T.5) et (T.6) supra.
83 Cf. par exemple PS8 (1893), trf 1895, p. 121.
84 Cf. p. 19 supra.
85 PS9 (1894), pp. 280-281, n. 3, et pp. 242-243, n. 1.
51
la PS10 (1898) il ajoute une œuvre dřun auteur
viennois : Prinz Klotz de Balduin Groller.
Avançons une hypothèse à propos de la
disparition, à la PS5 (1890), de la référence à
la Vénus en Fourrure. La raison en serait que la
théorie du masochisme est, depuis quelques
mois, en gestation. En tout cas, avoir repéré
le contexte de la première référence à Sacher-
Masoch nous servira ultérieurement quand
nous en viendrons à décrire le développement
de la théorie des perversions sexuelles
(les paresthésies) de Krafft-Ebing.
Poursuivons. En 1900, Krafft-Ebing
sřexcuse de ne pouvoir honorer {38 } de sa
présence le Congrès de Médecine Mentale qui se
tient à Paris. Il envoie un rapport écrit
(Krafft-Ebing, 1900e). Il est peut-être très
fatigué. Je présume que, craignant sa fin prochaine,
il entreprit de remanier une nouvelle
fois la Psychopathia Sexualis, dont la 11 e éd.
paraît en 1901 86. En colligeant les 10 e (1898)
86 Krafft-Ebing est mort prématurément lřannée suivante,
le 22 décembre 1902, à lřâge de 62 ans. Il corrigeait les
épreuves de la 7 e éd. du TCP et de la 12 e éd. de la PS.
Retraçons brièvement sa carrière, essentiellement à partir
de VAPEREAU ( 6 1893, tome II, p. 881). Né à Mannheim le
14 août 1840, il suivit des cours de médecine aux universités
de Heidelberg, Zurich, Vienne et Prague. En 1864
il devint médecin assistant à lřétablissement des aliénés
dřIlleneau. Il exerça la médecine à Bade, fut nommé en
1872 professeur de psychiatrie à Strasbourg et, lřannée
suivante, à Graz. En 1880, il est nommé professeur de
psychiatrie et des maladies du système nerveux à lřuniversité
de cette ville. En 1889, il est appelé à lřUniversité de
Vienne. En 1902 il retourne à Graz, et meurt le 22
décembre de la même année à Mariagrun, près de Graz, où
il possède un sanatorium privé.

et 11 e (1901) éditions, on constate que le
chapitre relatif au masochisme a retenu de sa
sollicitude. Les remaniements y sont nombreux.
Ce ne sont pas tant dřamendements
théoriques quřil sřagit. Comme le souligne un
préfacier avisé 87, il ne faut pas perdre de vue
que la psychiatrie du temps de Krafft-Ebing
était surtout une science taxonomique. Krafft-
Ebing va donc raffiner ses distingo. La section
de la Psychopathia Sexualis consacrée au masochisme
comportait depuis la PS7 (1892) jusquřà
la PS10 (1898) incluse, quatre divisions :
a) Le désir dřêtre maltraité et humilié comme moyen de
satisfaction sexuelle
b) Les fétichistes du pied et de la chaussure Ŕ Masochisme
larvé
c) Actes répugnants en vue de lřauto-humiliation et de
la gratification sexuelle Ŕ Masochisme larvé
d) Le masochisme chez la femme
À la PS11 (1901), ces quatre divisions
sont conservées, mais Krafft-Ebing insère
trois intertitres dans la première. Ce qui
donne : {39 }
a) Le désir dřêtre maltraité et humilié comme moyen de
satisfaction sexuelle
Flagellation passive et masochisme
Masochisme symbolique
Masochisme idéel 88
87 E. VAN DEN HAAG, introd. à la PS12, tra5ř 1969, p. 13.
88 En allemand : ideeller Masochismus. Les anciens traducteurs
français de Krafft-Ebing rendaient cette expression
52
b) Les fétichistes du pied et de la chaussure Ŕ Masochisme
larvé
c) Actes répugnants en vue de lřauto-humiliation et de
la gratification sexuelle Ŕ Masochisme larvé
d) Le masochisme chez la femme
Cela ne veut pas dire quřil sřagit de développements
absolument inédits. En sus des
remaniements habituels, lřauteur a seulement
introduit de nouveaux groupements. Parallèlement
à ces modifications de la section consacrée
au masochisme, celle du sadisme était
également révisée. De la 7 e à la 10 e édition
elle comportait huit divisions. Elle ne reçoit à
la PS11 quřune de plus, consacrée justement
au « Sadisme idéel ». Fait tout de même remarquable
: toute la matière est cette fois-ci nouvelle
89. Lřapparition conjointe des intertitres
sur le masochisme idéel et le sadisme idéel Ŕ cela
ne peut faire de doute Ŕ émane du souci de
Krafft-Ebing, élevé à un principe théorique,
de construire une symétrie parfaite opposant
point par point sadisme et masochisme 90.
Nous sommes de nouveau renvoyés à la
question de la préséance de lřun ou de lřautre.
La matière se rapportant aux trois nouveaux
intertitres relatifs au masochisme figurait,
avons-nous dit, dans les éditions précé-
aussi bien par masochisme idéal que par masochisme dřimagination.
Si cette dernière est acceptable, la première devrait
être écartée. Masochisme en idées conviendrait aussi.
89 Des trois observations nouvelles présentées, une nřest
pas de K-E Cf. encore la 1 re observation de lřarticle de
KRAFFT-EBING (1894ea) : Zur Psychopathia sexualis.
90 Cf. PS8 (1893), trf 1895, pp. 193-194 : « Le sadisme est
lřopposé complet du masochisme [...]. Le parallélisme est parfait. »

dant la (PS11). Les expressions flagellation
passive, masochisme symbolique et masochisme idéel
se lisaient en toutes lettres dans le corps du
texte de ces éditions, en tant que variantes du
désir dřêtre maltraité et humilié. À la PS11
Krafft-Ebing sřest contenté dřélever au statut
dřintertitre des expressions qui figuraient déjà
dans le corps de son texte.
Approchons la loupe de ce texte. Nous
constatons que le livre de Krafft-Ebing comporte
des niveaux, et que sa pensée joue
entre les différents niveaux. Une table analytique
des matières est placée en tête du livre.
Elle est en relation (plus ou moins étroite)
avec le corps du texte. Certaines entrées de
cette table figurent à la lettre dans le corps du
texte, dřautres non. Certaines entrées fournissent
des intertitres, dřautres pas. Cřest ainsi
quřen ce qui concerne le masochisme idéel, il
figure comme entrée dans la table analytique
des matières depuis la PS7 (1892), sans être
mentionné littéralement dans le corps du
texte. Voyons cela de plus près. À la 7 e éd.
(1892), à la suite dřun cas {40 } de masochisme
symbolique Krafft-Ebing enchaînait ainsi :
(T.24)
En connexion avec ce cas de masochisme
symbolique, deux autres sont donnés ici où la
perversion psychique est entièrement confinée
au domaine de la représentation et de la fantaisie,
sans aucune aspiration à une réalisation effective.
Le premier est celui...
KRAFFT-EBING : PS7, (1892), p. 117, trp ;
tra1 (1892), p. 150 ; tra1ř (1963), p. 110.
53
Bien que la mention dřun masochisme idéel
et dřun masochisme symbolique fut présente dans
la table analytique des matières de cette édition
(PS7), Krafft-Ebing ne les distingue pas
encore lřun de lřautre, et lřexpression de masochisme
idéel est encore absente du corps du
texte. En lieu et place nous trouvons deux
expressions nuancées : les allusions symboliques
(symbolischen Andeutungen) et les processus
à caractère purement symbolique (rein
symbolischen). La distinction entre masochisme
idéel et masochisme symbolique est introduite à
lřédition suivante (PS8, 1893). Lřextrait précédemment
cité (T.24) est alors remanié. Voici
le passage correspondant dans la version
française de lřépoque, que je fais suivre dřune
traduction plus précise :
(T.25)
Il faut distinguer de ce « masochisme symbolique
» le « masochisme idéal » [der ideelle] dans
lequel la perversion psychique reste dans le
domaine de lřidée [Vorstellung] et de lřimagination
[Phatasie], et nřessaie jamais de transporter dans
la réalité [Verwilklichung] les scènes rêvées. On
peut considérer comme exemple de « masochisme
idéal » [« ideeller Masochismus »] les observations
49 et 53. On peut y faire rentrer aussi les
deux cas suivants : ...
KRAFFT-EBING : PS8, (1893), trf 1895, p. 152.
Cf. également PS9, (1894), pp. 114-115, etc.
De ce « masochisme symbolique » il faut
distinguer lřidéel [der ideelle] où la perversion psychique
demeure dans le domaine de la représentation
[Vorstellung] et de la fantaisie [Phatasie],
sans aspirer à aucune réalisation effective [Verwilklichung].
On peut considérer comme exemple

de « masochisme idéel » [« ideeller Masochismus »]
les observations 49 et 53 de plus haut. On peut y
faire entrer aussi les deux cas suivants : ... [trp]
Ce qui différencie les hors-textes (T.24)
et (T.25) nřest pas dřordre sémantique mais
dřordre énonciatif et argumentatif. La notion
de masochisme idéel habite les deux textes.
Mais, dans le premier, Krafft-Ebing déroule
des nuances en continuité les unes avec les
autres, alors que, dans le second, il met en
relief le masochisme idéel tout en lřopposant au
masochisme symbolique. À lřarrière-plan de cette
manœuvre dřapparence vétilleuse, il faut
détecter le souci du clinicien et du médecinlégiste
attaché à traquer les variations de la
fonction du réel. Le masochisme symbolique,
aussi atténué soit-il, aussi allusif soit-il, implique
tout de même une quelconque réalisation
effective. Le masochisme idéel est, en revanche,
complètement déconnecté du réel, et
demeure confiné au domaine de la représentation
et de la fantaisie.
Nous en restons là depuis la PS8 (1893)
jusquřà la PS10 (1898). Un nouveau pas est
franchi au bout de huit ans, à la PS11 (1901).
Krafft-Ebing monte en exergue le masochisme
idéel en lřélevant au rang dřintertitre. De manière
concomitante, la notion de sadisme idéel
vient au jour et elle est directement élevée au
rang dřintertitre accompagnée de son cortège
de matériel inédit.
Tout porte à croire que le raffinement de
la pensée taxonomique de Krafft-Ebing dis-
54
pose de trois relais. Elle progresse du terme,
à la notion, au concept. Le premier relais est
au ras des mots. Un vocabulaire est fixé. Le
deuxième relais est notionnel. Un regroupement
catégoriel est mis à lřessai en traçant
des distinctions, en dressant des oppositions,
en érigeant des symétries. Le troisième est
celui du concept où lřarchitectonique sřachève
sur un équilibre provisoire où des correspondances
sřétablissent. Cřest ainsi que le
sadisme idéel surgit à la PS11 (1901) au moment
précis où le masochisme idéel, longtemps
en gestation, accède lui aussi au rang de
concept. 91 Partant de ces faits 92 et de ces
présomptions, il est peut-être aventureux
mais tentant de tracer une première approximation
du modèle destiné à rendre compte
de la méthode de travail de Krafft-Ebing. On
y distinguera les étapes suivantes :
1/ Krafft-Ebing recueille avec patience des
données à la fois personnelles et empruntées
à autrui, et pourvoit à un premier classement.
Des catégories générales sont mises en œuvre.
Elles suffisent à cette étape précoce.
{41 }
2/ Soucieux de parfaire sa taxonomie,
Krafft-Ebing élabore un vocabulaire particulier,
quitte à fabriquer des néologismes.
91 {Les deux pages précédentes ont été profondément remaniées,
enrichies et développées.} (2012)
92 Ces faits sont récurrents, comme on le verra amplement
au cours du chap. II.

3/ Un premier essai de théorisation est tenté.
Il est de nature rudimentaire 93, mettant à contribution
des couples dřoppositions antithétiques.
Cette théorisation a un effet de relance
pour la réflexion taxonomique.
4/ La tournure dřesprit de Krafft-Ebing est
aimantée par la recherche de symétries. Les
couples dřoppositions antithétiques engendrent
eux-mêmes dřautres couples dřoppositions
antithétiques par symétrie.
5/ Si dřaventure le vocabulaire disponible
fait défaut à un moment ou à un autre,
Krafft-Ebing se fait un plaisir dřentasser
néologisme sur néologisme.
Si lřon nous fait crédit (provisoirement)
du n°3, il est possible de vérifier rapidement
lřadéquation de ce modèle à la genèse des
deux paires de concepts suivantes :
(a) Masochisme idéel versus Sadisme idéel
(b) Masochisme versus Sadisme
Nous dirons à propos de la première
paire (a) : Krafft-Ebing a pris connaissance
de certains traits de masochisme idéel. Il les
relate sous une catégorie générale de masochisme.
Un beau jour, sentant par exemple sa
fin prochaine, il a le souci de parfaire sa
taxonomie. Il introduit une nouvelle division
(déjà disponible) en lui conférant une désignation
propre. Cette nouvelle division re-
93 Il faut insister sur lřaspect souvent sommaire de la
théorisation. Nous trouvons vraiment dans la Psychopathia
Sexualis le strict minimum de théorie.
55
tentit sur lřédifice entier, bâti sur des couples
antithétiques. En vue de rétablir lřéquilibre, il
crée de toutes pièces la division symétrique
de « sadisme idéel », et il se met en quête de
cas pour la pourvoir. Cřest vite fait, dřautant
plus quřil peut se contenter de très peu.
Nous dirons à propos de la seconde
paire de concepts (b) 94 : dans la première édition
de la Psychopathia Sexualis, Krafft-Ebing a
livré presque en vrac, sous des titres divers,
et sans le souci dřun point de vue unificateur,
un certain nombre dřobservations particulières
touchant les perversions {42 } sexuelles.
Le succès de son livre le rend de plus en plus
exigeant, et de plus en plus soucieux de parfaire
sa taxonomie. Un beau jour il lui vient à
lřidée de regrouper sous un seul chef différentes
sections éparses, celles justement où
lřérotisme est noué à la cruauté. Lřappellation
de sadisme est à portée de main. Elle est disponible
dans une certaine littérature française,
celle justement où il a beaucoup puisé
déjà. Sa tournure dřesprit ne le laisse pas en
repos jusquřà ce quřil ait inventé un groupe
symétrique et antithétique qui soit le contraire
du sadisme. Ŕ Cřest le masochisme.
Sans doute est-ce là une schématisation
outrancière. Mais elle montre que ce modèle
a sa cohérence et peut se soutenir. Il est
néanmoins possible dřenvisager un autre modèle,
tout aussi efficace et adéquat :
94 Pour cette application il faut permuter les n°1 et 2 du
modèle, le cas général avec le cas particulier.

1/ Krafft-Ebing découvre des faits nouveaux
susceptibles dřenrichir son livre. Mais ils ne
rentrent dans aucune de ses catégories générales.
2/ Il est obligé dřen créer une nouvelle.
3/ et 4/ Sa tournure dřesprit qui progresse
par couples dřopposés antithétiques le pousse
à rechercher dans son ouvrage la présence
éventuelle de faits qui en seraient le strict
opposé.
5/ Si cela se révèle concluant, de deux choses
lřune. Soit les faits existants possèdent
déjà une appellation, il en dérivera alors une
appellation antithétique nouvelle. Sinon, il
créera de toutes pièces un nouveau couple
antithétique.
Ce modèle convient dřévidence à la genèse
du couple (a) Masochisme idéel versus
Sadisme idéel. Pour lřappliquer au couple (b)
Masochisme versus Sadisme, il faudra faire
{43 } le même amendement que plus haut,
cřest-à-dire permuter les n°1 et 2 du modèle.
Nous dirons alors : Krafft-Ebing se trouve
embarrassé par des faits ayant trait à une
sorte de perversion où la satisfaction sexuelle
est liée à la soumission, lřhumiliation, la
souffrance ou la douleur. Il cherche, conformément
à la pente de son esprit, sřil nřa pas
déjà relaté dans son livre des faits antithétiques.
Cřest bien le cas. Il a déjà relaté des
faits où la satisfaction sexuelle est condition-
56
née par lřexercice de la cruauté. Il nřest pas
en peine pour forger une nouvelle terminologie
à partir de Sade et de Sacher-Masoch.
Du point de vue de la pertinence, les
deux modèles se valent et reposent sur les
mêmes présupposés. Ils ne diffèrent que par
le point de départ. Cette différence ellemême
est peu perceptible et sřestompe à la
réflexion au lieu de sřaiguiser. Le second
modèle suppose que Krafft-Ebing dispose de
faits nouveaux. En existe-t-il vraiment sous
le soleil ? Le premier suppose quřil les invente.
Ne se trouvaient-ils donc auparavant nulle
part ? Nous ne disposons pas dřéléments
pour dater avec précision le matériel clinique
ajouté pour étayer la section du sadisme
idéel. Les quelques références fournies sont
récentes, et nous prédisposent (jusquřà plus
ample informé) en faveur du second modèle.
Mais cela nřest pas décisif, et ne permet pas
de trancher absolument.
Dans la recherche qui roule autour des
révolutions scientifiques, ou dans celle qui se
rapporte aux coupures épistémologiques,
cette situation est monnaie courante. Cette
imbrication est même fructueuse. Dans notre
cas, ce quřil est de prime abord nécessaire de
convenir cřest de la radicale distinction entre
le temps kantien et ce que nous proposerions
de dénommer le temps épistémologique.
{44 } Le temps épistémologique nřa pas
encore fait lřobjet dřétudes systématiques.
Trois auteurs, indépendamment lřun de

lřautre, en ont surtout traité. À notre connaissance
John Dewey (1916, passim) 95 fut le premier
à en parler. Cette thématique est une
pierre angulaire de lřépistémologie de Karl
Popper 96. Jacques Lacan sřy réfère dřune manière
tangentielle 97 dans un écrit consacré à
ce quřil dénomme le temps logique (1945) 98, Ŕ
une expression que Bachelard réinventera
quelques années plus tard à dřautres fins 99.
Notre dessein nřest pas de présenter ici une
théorie complète du temps épistémologique.
Mais cřest une notion dont nous avons
besoin pour articuler nos arguments. La
référence aux trois auteurs cités signale un
état dřesprit, non une allégeance. Nous justifions
tout dřabord notre recours au temps
épistémologique par deux constats négatifs.
95 La réflexion de DEWEY remonte à 1903.
96 Cf. par exemple POPPER (1972), pp. 129-132. Sa réflexion
remonte à 1934.
97 Le passage, chez LACAN, de lřinvestigation psychanalytique
à lřépistémologie nřest marqué par aucun garde-frontière.
Que sa politique soit de semer le trouble dans lřesprit de
lřoblat en renversant la question dřune psychanalyse
comme science en « Quřest-ce quřune science qui inclut la psychanalyse
» se dégrade comme à chaque fois que nous avons
affaire à lřimpérialisme des psychanalystes. Après que cet
impérialisme se soit étendu à la sociologie, à lřart, à lřhistoire,
etc., le voilà qui sřétend aujourdřhui à lřépistémologie.
Lřexpression « de manière tangentielle » vise à nous désolidariser
de cet impérialisme. À notre sens, des conditions
sévères de rigueur et de minutie doivent présider à lřexportation
de concepts dřun domaine du discours à un autre.
98 Il faut sans doute trouver la première intuition du temps
logique de Lacan dans sa conception des moments féconds du
délire promue dans lřavant-guerre. La conception des moments
féconds du délire, de même que celle de la connaissance
paranoïaque nřont fait lřobjet que dřexposés oraux à Sainte-
Anne ou au groupe de lřÉvolution psychiatrique. Il nřy en pas
trace écrite du fait de lřauteur.
99 Cf. BACHELARD (1949), p. 96.
57
Le temps épistémologique sřoppose au temps
kantien en ce quřil se démarque de la chronologie,
orientée en une seule direction, par
sa double orientation à tout instant et par sa
réversibilité. Il admet de plus des intervalles
de dimension inégale. En outre, au statut
empirique de la chronologie il sřoppose
comme « construction », et non comme
« fiction » 100, car la chronologie est nécessaire
pour le fonder 101.
{45 } Si lřon se place au point de vue
spéculatif, les deux modèles présentés pour
rendre compte de la méthode de travail de
Krafft-Ebing ne sont pas exclusifs. Il nřest
même pas contradictoire de soutenir à première
vue quřils peuvent fonctionner de concert.
Le profane, ne tenant pas compte de la
coupure épistémologique, se satisfait communément
du premier modèle. En revanche,
lřépistémologue qui assume le point de vue
normatif de lřhistoire et de la philosophie des
sciences, se satisfait plutôt dřune variante du
second, en y injectant un temps épistémologique
où se meut la création scientifique.
Nous chercherons à montrer au prochain
chapitre, par des épreuves répétées, quřil est
le plus conséquent des deux.
100 Cf. SAFOUAN (1968), p. 260, n. 2 ; LAPLANCHE (1970),
pp. 121 et 209 ; LACAN (1973), p. 149 ; et (1975b), p. 55.
101 Il nous a été suggéré dřajouter Hegel et Bachelard à
notre « revue ». Celle-ci ne se prétendait pas exhaustive.
Notre choix visait à montrer la convergence (en toute
indépendance) de pensées hétérogènes. Au demeurant, ni
Hegel, ni Bachelard ne sont pour nous des cautions. Aux
chap. II et III nous fournirons à propos de Hegel quelques
justifications, et nous reviendrons à Bachelard in fine.

Jusquřà présent nous nřavons accumulé
que des présomptions en faveur de notre
thèse de la préséance du masochisme sur le
sadisme dans la théorisation de Krafft-Ebing.
Les arguments décisifs restent à venir. Ces
arguments, Krafft-Ebing ne nous les dispense
quřà lřavant dernière édition de son livre.
Les deux alinéas que nous allons citer sont
un ajout de la 11 e éd. (PS11, 1901). La référence
bibliographique à Eulenburg est un
additif de lřéd. suivante, la 12 e (PS12, 1903) et
dernière à laquelle lřauteur eût mis la main. Il
faut en outre avoir à lřesprit que Sacher-Masoch
(1835-1895) est décédé quelques années plus
tôt, dans une désaffection relative du grand
public. Ce que Krafft-Ebing savait déjà autour
de 1890, il ne pouvait pas contrevenir
aux bienséances et le communiquer au public.
Les attaques dont il fut lřobjet et le passage
du temps libèrent sa conscience. Il peut
maintenant nous confier sans réticences le
fond de lřaffaire et le fond de sa pensée :
(T.26)
Je me sens justifié dřavoir donné à cette
anomalie sexuelle la dénomination de Masochisme
car lřécrivain Sacher-Masoch a souvent fait de la
représentation de cette perversion Ŕ quasi inconnue
comme telle du monde scientifique jusquřà
son temps 102 Ŕ lřobjet de ses romans et nouvelles.
Jřai suivi ainsi la formation scientifique du
terme de Daltonisme (dřaprès Dalton, le découvreur
de la cécité à la couleur) 103 .
102 Retenons cette paradoxale incise.
103 MOLL (T.1) a commenté cet argument sans le dire
expressément. Ce nřest là quřun de ces petits faits Ŕ et ils
58
Durant les dernières années des preuves ont
été apportées de ce que S.-Masoch nřétait pas
seulement le chantre du masochisme (Dichter des
Masochismus) mais quřil souffrait lui-même de
cette anomalie ( ). Bien que ces preuves me fussent
communiquées sans restriction 104 {46 } il
ne convenait pas de les divulguer. Je récuse lřaccusation
faite contre moi par quelques admirateurs
de lřécrivain (Dichters) et quelques critiques
de mon livre, dřavoir couplé le nom dřun écrivain
révéré (geachteten Schriftstellers) à une perversion de
la vie sexuelle. En tant quřhomme, S.-Masoch ne
perd rien aux yeux des gens cultivés simplement
parce quřil était affligé dřune anomalie de sa
sensibilité sexuelle (sexuellen Fühlens). Comme
auteur il a sévèrement souffert dans la mesure où
lřinfluence et le mérite intrinsèque de son œuvre
sont concernés, car là où et quand il éliminait sa
perversion de ses efforts littéraires il était un
écrivain inspiré, et il aurait ainsi atteint une réelle
grandeur sřil avait été guidé par une sensibilité
sexuelle normale. Dans cette perspective il est un
exemple remarquable de la puissante influence
exercée par la vita sexualis Ŕ que ce soit dans le
bon ou le mauvais sens Ŕ sur la formation et la
direction de lřesprit humain 105 .
KRAFFT-EBING : PS11 (1901), PS12 (1903),
PS13 (1907), pp. 100-101, trp.
Cf. également PS12, tra5ř 1969, pp. 160-161, etc.
Cette sorte dřautocritique nous parvient
in extremis. Cřest ici que la notion de « résurgen-
sont légion Ŕ par où il donne prise au reproche que nous
lui adressions pp. 35-36 supra.
( ) [Note de KRAFFT-EBING ajoutée à la PS12 (1903) ] Cf. pour
confirmer cette hypothèse la biographie de S.M. par
Eulenburg, in Grenzfragen des Nerven- u. Seelenlebens, 1902,
XIX, pp. 46-51.
104 Par certains de ses patients et par Moll.
105 Lřimpérialisme psychanalytique étendu à lřart et à la
critique littéraire est démarqué de celui des médecins.

ce de la séquence négligée » que nous évoquions
trouve son emploi. Ajoutons une analogie à
celles qui ont été plus haut 106 avancées. Songeons
à ce lieu commun du roman (ou du
film) à suspens [sic] où le larron, croyant
triompher définitivement du détective, prend
plaisir à lui expliquer les ficelles invisibles de
lřénigme quřil a ourdie. À la suite de quoi,
comme par une exorable fatalité, cřest le
moment où tout bascule, et que le larron se
trouve pris dans ses propres rets. Nous
voudrions promouvoir en épistémologie la
notion de résurgence de la séquence négligée et
montrer, à travers ses emplois, ce qui peut la
distinguer de la thématique populaire.
Un caractère fondamental de la séquence
négligée est de se signaler à notre attention
par ses méfaits : déplacements, distorsions,
illogismes. Les aveux in extremis de Krafft-
Ebing en portent la marque. Ils ne résolvent
pas lřénigme qui nous intéresse, mais, une
fois analysés, ils nous mettent sur la voie de
sa solution. Nous allons dřabord montrer que
Krafft-Ebing présente Ŕ dans le hors-texte
(T.26) Ŕ une argumentation du type du
« chaudron percé » 107. Dans le premier alinéa,
Krafft-Ebing apporte une {47 } première
série dřarguments. Il dit quřil se sent
justifié de dénommer le masochisme dřaprès de
nom de Sacher-Masoch pour les raisons
suivantes :
106 Cf. p. 15 supra, note 19.
107 Cf. FREUD (1905c) : Le Trait dřesprit..., chap. II, § 8, GW,
6 : 65-66. (Trf nouvelle, Gallimard, 1988, pp. 131-132).
59
a1/ S.-Masoch 108 a fréquemment fait de la représentation
(Darstellung) de cette perversion
lřobjet de ses romans et nouvelles.
a2/ Cette perversion, jusquřà lui, était ignorée du
monde savant.
a3/ Le modèle quřil a suivi est la dérivation du
« daltonisme » du nom de Dalton, Ŕ celui
qui a découvert la cécité à la couleur.
La conclusion implicite de cette première
série dřarguments est de nier la relation de
causalité entre les deux assertions suivantes :
(S1) S.-Masoch était masochiste, et
(S2) Krafft-Ebing nomme le masochisme dřaprès
le nom de S.-Masoch
Autrement dit Krafft-Ebing nie la déduction
suivante : (S1 S2). Il nie : S1 donc
S2. Il nie : S2 parce que S1. Le premier alinéa
vise à bloquer une pareille induction ou
déduction. Il fait mieux. À la place de cette
déduction cřest une autre qui nous est
proposée, fondée sur une autre description
définie 109 de Sacher-Masoch :
(S1ř) Sacher-Masoch a été le premier à décrire
une forme dřanomalie de la sensibilité
sexuelle, inconnue avant lui des savants. Il
a fréquemment fait de sa représentation
lřobjet de ses romans et nouvelles.
108 On a vu que cřest la manière dont Krafft-Ebing abrège
souvent le nom du romancier. Ŕ Nous suggère-t-il dřabréger
son propre nom en K.-Ebing ?
109 Suivant lřacception de Bertrand Russell.

Autrement dit Krafft-Ebing nie la déduction
(S1 S2) pour lui substituer cette
autre : (S1’ S2). Non, nous dit Krafft-
Ebing, je nřai pas dénommé le masochisme du
nom de Sacher-Masoch parce que celui-ci
était masochiste. Je lřai fait parce que Sacher-
Masoch a été le premier à décrire une forme
dřanomalie de la sensibilité sexuelle, inconnue
avant lui des savants.
Dans le hors-texte (T.1) du début de ce
chapitre, Moll consigne cette conclusion à
propos du masochisme. Emporté par son
zèle, il étend même cette conclusion au
sadisme 110. Sans aucun doute Karfft-Ebing
aurait été satisfait de son élève. Tel est précisément
le sens de sa référence déconcertante,
commentée plus haut 111, à lřœuvre du Marquis.
Lřinconséquence de Krafft-Ebing est
analogue à celle dřEulengurg 112, Ŕ ce qui
trahit peut-être leur commune origine.
Krafft-Ebing met ici sur le même plan un
roman de Sacher-Masoch et une dissertation
scientifique de Dalton. De là lřimpression
incongrue que nous laisse la proposition
(a2) : voilà Sacher-Masoch qui signale lřexistence
du masochisme au monde savant. On
peut parier sans risque sur lřétonnement partagé
{48 } des protagonistes. Notons encore
au passage que la proposition (a3) postule
une césure entre lřhomme et lřœuvre.
110 On a vu au prix de quelles simplifications. Nous y
reviendrons plus bas.
111 Cf. p. 29 supra, item n°3.
112 Cf. p. 15 supra, note 19.
60
Moll rend un autre service à Krafft-
Ebing en rayant de son édition (PS16-17,
1924) le second alinéa du hors-texte (T.26).
Ce second alinéa présente deux autres séries
dřarguments. La première est la suivante :
b11/ Des faits on été récemment rapportés qui
prouvent que Sacher-Masoch nřétait pas
seulement le chantre du masochisme 113 ,
b12/ Mais quřil était aussi affligé lui-même de
cette anomalie de la sensibilité sexuelle.
On sřattend alors à ce quřen bonne logique
argumentative, et pour renforcer son
rejet de la déduction (S1 S2) quřil vient
dřexprimer au premier alinéa, il détruise à
nouveau le recours à (S1). On sřattend donc à
ce quřil proteste de son ignorance totale des
faits récemment divulgués (que ce soit par
Schlichtegrolle ou par Eulengurg). Eh bien,
non ! Il nous dit exactement le contraire :
b2/ Les preuves récemment divulguées lui
avaient été communiquées sans restriction.
Il les connaissait. Mais il sřétait refusé à les
divulguer pour ne pas contrevenir aux convenances.
113 Quand cette expression est utilisée dans la PS11 (1901),
elle constitue un renvoi implicite au premier livre de
SCLICHTEGROLL (1901) sur Sacher-Masoch, qui venait
juste dřêtre publié. Cet implicite est neutralisé avec adresse
à lřéd. suivante PS12 (1903) par une référence explicite à
lřétude dřEulenburg (1902) ... lequel doit presque tout à
Schlichtegroll. Le silence de Krafft-Ebing vis-à-vis de
Schlichtegroll trahit peut-être un contentieux. Car ce
dernier a opté trop vite en faveur de lřalgolagnie et contre le
masochisme (Schlichtegroll, 1901, p. 21, note 2).

Cet argument va à contre-sens. Au lieu
dřappuyer la première série dřarguments, il en
affaiblit singulièrement la portée. Il nous
pousse à suspecter la bonne foi de Krafft-
Ebing, et à nous demander sřil nřa pas dérivé
le masochisme de Sacher-Masoch à cause de
la connaissance quřil avait de sa sensibilité
sexuelle spéciale. Au fait, quand a-t-il été informé
? Est-ce avant ou après 1890 ? Si cřest
après, il échappe à tout reproche. Or sur cela
son mutisme est total, ce qui ne fait quřaugmenter
notre embarras. Un biais sřoffre.
Demandons-nous par quel canal ou par qui
ces informations ont-elles pu lui être transmises,
et nous saurons peut-être les dater.
Les modifications apportées par Krafft-
Ebing à lřavant-dernière édition de son livre
nřont pas encore épuisé tout leur intérêt.
Décidément, cette 11 e éd. (PS11, 1901) est
pleine dřenseignements pour nous. Lřobservation
qui porte le n°80 de lřédition définitive
est une addition de cette 11 e éd. à la section
relative au masochisme. Elle relate {49 }
le cas Z. dont il nous est dit aussitôt après :
(T.27)
Par Z. jřeus accès à sa correspondance avec
le représentant du masochisme dans les Belles
Lettres, Sacher-Masoch.
Lřune de ces lettres, datée de lřannée 1888, a
comme en-tête une femme plantureuse, à la mine
autoritaire, à moitié couverte de fourrure, une
cravache à la main, prête à frapper.
KRAFFT-EBING : PS11 (1901), PS12 (1903),
PS13 (1907), pp. 141 [trp].
Cf. également PS12, tra5ř 1969, p. 215, etc.
61
La découverte est précieuse si seulement
on parvenait à dater cette observation. Le cas
se termine justement sur une indication dřorigine
: Centralblatt für Krankheiten der Harn- und
Sexualorgane, VI, 7. Comme cřest souvent le
cas chez Krafft-Ebing, le titre et/ou la date
et/ou la page manquent. Ce texte est repris
dans les Arbeiten IV (pp. 127-131), avec la
même mention tronquée. Mais cette reprise
soulève deux difficultés. La première est que
le cas Z. ne sřy trouve pas, ce qui jette un
doute sur son origine effective. Dřautre part,
à la table des matières du livre (Krafft-Ebing,
1897-1899d) il mentionne la date de 1894,
alors quřà la page 127 nous lisons 1895. Il ne
reste plus quřà aller à la source et à consulter
le Centralblatt... 114 La bonne date est 1895, et
cřest bien ce texte qui est repris dans les
Arbeiten IV. Le cas de Z. y est. Il a été tout
simplement supprimé dans la reprise en
volume. Est-ce pour ne pas faire double
emploi avec son intégration à la Psychopathia
Sexualis, à laquelle lřauteur songeait déjà ?
Quoiquřil en soit, le facteur positif de
cette recherche un peu fastidieuse 115 est que
Z. a sans doute révélé à Krafft-Ebing beaucoup
plus dřinformations que ce quřil nous
en relate. Que ce soit en 1895 ou plus tard, la
114 KRAFFT-EBING (1895e) : Beiträge zur Kenntniss des
Masochismus, in Centralblatt für die krankheiten der Harn- und
Sexualorgane, 1895, VI (7), pp. 353-360. Ŕ Au tome IV des
Arbeiten, cette étude est complétée par une autre datée de
1898, pp. 131-160 avec 17 observations supplémentaires.
115 Ce nřest là quřun échantillon des difficultés de lřenquête.

discrétion de Krafft-Ebing a été exemplaire.
Le peu quřil nous en dit ici sera aussi tout ce
quřil en dira jamais. On appréciera sa discrétion
si lřon se souvient que le romancier est
mort le 9 mars 1895, tandis que le texte du
Centralblatt... ne sortit de presse quřà la fin de
lřété, soit quelques mois après la mort du romancier
116.
Pour faire un pas de plus il faut essayer
de déterminer la date {50 } à laquelle Z. est
venu consulter. Malheureusement aucun indice
ne nous met sur la voie. Que les Contributions
à la connaissance du masochisme aient été
publiées en 1895 ne veut pas dire que le
matériel présenté soit récent. Inversement,
que Krafft-Ebing fasse état dřune lettre de
Sacher-Masoch datée de 1888 ne veut pas
dire non plus quřil en a pris connaissance dès
cette époque. Nous sommes parvenu à une
butée. Tentons tout de même un forcing par
un détour. Examinons sur un autre exemple
la manière dont Moll édite Krafft-Ebing. Z.
devient X., et lřobservation est écourtée.
Néanmoins, Moll nřomet pas de mentionner
le rôle dřinformateur de ce patient :
(T.28)
Par X..., Krafft-Ebing eut connaissance de la
correspondance de celui-ci avec Sacher-Masoch.
MOLL : PS16-17 (1924), trf 1931, p. 274.
116 Il se peut quřil fût écrit à cette occasion comme un texte
nécrologique. Une institution au moins a pu rapprocher
Krafft-Ebing de Sacher-Masoch. Ils ont tous deux été
professeurs à lřUniversité de Graz, mais ils sřy sont
semble-t-il côtoyés sans se rencontrer.
62
La tournure de cette phrase ouvre le
champ à la réflexion, à la rêverie. On se
prend à penser que Krafft-Ebing savait (par
Moll) que Sacher-Masoch et X. (alias Z.)
avaient échangé une correspondance intéressante,
quřil a souhaité en prendre connaissance,
et que cřest finalement X. (alias Z.) qui
lui en a un jour offert cette possibilité. Cette
herméneutique serait insoutenable si nous
nřavions pas déjà eu lřoccasion de nous convaincre
que Moll est plus avisé (plus rusé)
quřil nřen a lřair. Pour achever de le démontrer
117, comparons deux citations de Moll. La
première est tirée de son édition de la PS, la
seconde de son maître-livre sur lřinversion
sexuelle :
(T.29)
Krafft-Ebing, le premier, a reconnu toute
lřimportance de la liaison de la volupté et de la
cruauté, et il en a fait une présentation clinique
systématique. Par ailleurs, des hommes de science
avaient déjà, occasionnellement, appelé lřattention
sur cette liaison. Je ne mentionnerai que
quelques exemples...
MOLL : PS16-17 (1924), trf 1931, p. 143.
Aucun lecteur du marquis de Sade ne
saurait concéder à Moll la première phrase de
ce texte sans se récrier aussitôt quřil ne connaît
pas lřœuvre de Sade pour retirer ainsi à
celui-ci son titre de gloire le moins contestable.
On nřest donc pas peu surpris de trou-
117 Que le sceptique veuille bien avoir lřobligeance de se
rendre à la page 66 et jeter un coup dřœil au texte (T.41).

ver sous la plume de {51 } Moll, dans un
texte qui remonte à plus de trente ans en
arrière, lřinvalidation de notre charge :
(T.30)
Le mot sadisme vient du fameux romancier
français le marquis de Sade (1740-1814), qui fut
condamné à la peine de mort pour sodomie,
empoisonnement et autres crimes, et écrivit en
prison des romans dans lesquels il établissait une
parenté étroite entre la volupté et la cruauté.
MOLL (1891) : Les Perversions de lřinstinct génital...,
trf 1893, pp. 172-173.
Ainsi, Moll nřignorait nullement lřintérêt
que présente Sade en tant que romancier.
Cřest donc en toute connaissance de cause
quřil a rédigé le hors-texte (T.29). Nous
sommes invités à rectifier notre position.
Cřest en tant que psychiatre que Moll indique
le lieu de la rupture entre une acception profane
et une acception savante du sadisme. Et
cřest en tant quřépistémologue quřil congédie
à la fois deux sortes de prétendus « précurseurs
» de Krafft-Ebing. Sade dřun côté, et
les différents savants ayant occasionnellement
signalé la liaison de la volupté avec la
cruauté, de lřautre 118. Moll ne doute pas que
cřest avec Krafft-Ebing quřune coupure sřinstaure,
et que débute le discours véritablement
scientifique sur la connexion de la volupté
avec la cruauté.
118 Il nřa pas paru nécessaire de donner tout le contexte de
la citation de 1891. Entre cette date et 1924, le coup dřœil
épistémologique de Moll sřest aiguisé. En 1891 il ne distinguait
pas encore Krafft-Ebing des savants qui lřont « anticipé
». En 1924 la césure est nette.
63
Reprenons à présent le fil de nos conjectures
pour ajouter hardiment une de plus. Il
faut peut-être comprendre par le hors-texte
(T.28) que Moll est partie prenante dans la
curiosité de Krafft-Ebing vis-à-vis de Sacher-
Masoch et de ceux qui partageaient ses
fantaisies tyranniques. Partie prenante jusquřà
quel point ? Pierre Janet, dans sa préface à la
traduction française de la PS16-17 de
Moll 119, nous informe que ce dernier avait eu
des relations étroites avec Krafft-Ebing et
avait poursuivi avec lui, pendant des années,
une correspondance scientifique sur leurs
études communes 120. Cette correspondance,
à notre connaissance entièrement inédite,
pourrait peut-être élucider plus complètement
la gestation des concepts de masochisme
et de sadisme. Elle pourrait peut-être
nous donner aussi une idée plus exacte de
lřattitude de Krafft-Ebing vis-à-vis des premières
armes de Freud. Les clichés qui ont
cours, et que Freud a involontairement pro-
119 En juillet 1893 lřéditeur Carré comparut en correctionnelle
au motif de délit dřoutrage aux bonnes mœurs pour la
publication de la trad. franç. du livre de Moll. Le monde
médical se solidarisa avec lřéditeur. Parmi les appuis que
lřavocat de la défense (M e Bourdillon) fit état dans sa plaidoirie,
se trouve celui de Pierre Janet. Ils se connaissaient
probablement à cause de leur domaine commun, lřhypnotisme.
Lřaffaire pénale a sans doute été lřoccasion de rapports
personnels. Trente ans plus tard Janet préfaçait la
trad. franç. de la refonte de la PS16-17 par Moll.
120 JANET (1931), p. 3. Janet ne nous dit pas quand ces
relations ont débuté. Mais elles sont antérieures à 1891,
date à laquelle K-E préface le livre de MOLL (1891). Dans
lřavant-propos de ce livre Moll adresse des remerciements
à K-E, « à qui », dit-il, « je dois certaines indications littéraires et
dont les ouvrages mřont donné en grande partie lřidée de ce livre. »

pagés du fait de la publication de ses lettres
{52 } à Fließ, en particulier celle en date du
26 avril 1896 121, sont assez surprenants,
attendu quřil lui est singulièrement tributaire.
Lřhistoire mentionne (symboliquement)
Krafft-Ebing comme celui qui aida Freud du
mieux quřil put afin quřil obtint le titre si
convoité de professeur 122. Et Kris nous
apprend que Krafft-Ebing nřa pas cessé
dřenvoyer à Freud ses publications 123.
Revenons à Moll. Il est instructif de
prendre connaissance de la manière dont il
reformule dans sa refonte de la PS16-17
(1924) lřautocritique de Krafft-Ebing (T.26) à
propos de la dérivation du terme de masochisme.
Observons la manière dont il tresse
les arguments (b11)Ŕ(b12)Ŕ(b2) que nous
avons distingués :
121 K-E se serait exclamé après la conférence de Freud sur
lřétiologie sexuelle de lřhystérie : « Cřest un conte de fée
scientifique. » (La Naissance de la psychanalyse, p. 148, n.1 ;
JONES, tome I, trf p. 290). Nous ne voyons vraiment pas ce
quřil aurait pu dire de mieux. Faut-il rappeler que cřest à la
clinique de K-E que GATTEL, son élève, a entrepris la
première vérification des idées de Freud sur la sexualité ?
(Cf. PITRES & REGIS, 1902, pp. 227-231). On se demande
pourquoi ce fait si bien connu est si peu reconnu.
122 Or, nous dit JONES (tome I, trf p. 374) : « Cet événement
coïncida avec un autre fait décisif dans la vie de Freud : la fin de son
isolement intellectuel. » À ce moment Ŕ 1902 Ŕ il y a trop de
coïncidences pour quřelles soient le moins du monde
fortuites au regard du symbolique : 1/ Freud se rend
compte que son grand livre sur le rêve est un morceau de
son autoanalyse et une réaction à la mort de son père ;
2/ nomination au grade de professeur ; 3/ voyage à
Rome ; 4/ mort de Krafft-Ebing ; 5/ Rupture avec Fließ ;
6/ trouble de mémoire sur lřAcropole, etc.
123 Cf. La Naissance de la psychanalyse, trad. franç., p. 162, n.3.
64
(T.31)
La vie de Sacher-Masoch lui-même peut
fournir un exemple intéressant. Quand il vivait
encore [soit avant 1895], des détails pleins dřenseignement
me [qui ? Krafft-Ebing ou Moll ?]
furent, à son sujet, communiqués à titre privé. Je
nřai fait alors aucun usage public de ces communications.
Mais depuis, des documents ont été
publiés, notamment deux livres de Schlichtegroll
et deux autres de la femme [plus exactement exfemme]
de Sacher-Masoch...
MOLL : PS16-17 (1924), trf 1931, pp. 236-237.
Lřamalgame est inextricable. Moll manie
la citation, le discours rapporté et le style
indirecte libre avec une désinvolture insigne.
Essayons tout de même de nous orienter
dans ce labyrinthe. Lřauteur de la première
phrase est certainement Moll, et il prend le
contre-pied de Krafft-Ebing. Celui-ci nřest
jamais allé jusquřà dire que Sacher-Masoch
est un exemple intéressant de masochisme,
comme le déclare si fermement Moll. Cřest
Moll et non pas Krafft-Ebing qui met directement
en avant la vie de Sacher-Masoch,
de la même manière quřil avait mis en avant
la vie du marquis de Sade dans un passage
correspondant 124. La deuxième phrase existe
bien sous la même forme dans lřoriginal de
Krafft-Ebing (T.26). On serait donc tenté de
lřattribuer à Krafft-Ebing, mais il ne faut pas
se hâter de le faire pour deux raisons. La
première est quřen général Moll cite Krafft-
Ebing comme tout autre auteur. Il ne sřexprime
pas au nom de Krafft-Ebing comme
124 MOLL : PS16-17 (1924), trf 1931, p. 167.

ce serait alors le cas ici. En outre, lřenchâssement
de cette phrase entre celle qui la
précède et celle qui la suit devrait être pris en
compte. Or, celles-ci ne peuvent pas être
attribuées à Krafft-Ebing. Comme la première,
la troisième est nécessairement de
Moll. Des quatre livres indiqués un seul avait
été publié du vivant de Krafft-Ebing, et
celui-ci sřétait abstenu de le citer comme on
lřa vu précédemment 125. Tout cela montre à
quel point cette édition de Moll est difficile à
{53 } manier. Le statut de ce livre est ambigu.
On ne peut absolument pas lřattribuer à
Krafft-Ebing, Ŕ cela est certain. Mais son
attribution à Moll ne saurait non plus être
exclusive. Il y a là un problème intéressant de
propriété intellectuelle et dřimpropriété éditoriale
( ).
Arrêtons ici le fil de ces déductions pour
différer de quelques pages la solution du
problème. Et saisissons un autre fil qui nous
fait signe depuis un moment. Parmi les
« informateurs » de Krafft-Ebing il se peut
quřune informatrice se cache...
125 Cf. p. 48, note 107, supra.
( ) {Dans un ouvrage récent qui ne manque ni dřintérêt ni
dřoriginalité, POGNANT (2012) verse tout de même dans la
supercherie littéraire dès son titre. Il y escamote purement
et simplement le nom de Moll en faveur de celui de Krafft-
Ebing, alors que tout son ouvrage est consacré presque
exclusivement au travail de Moll. Ŕ Hélas, cřest lřusage
coutumier de lřintelligentsia française.}
65
Une autre source possible de Krafft-
Ebing est AURORA RÜMELIN, la première
épouse de Sacher-Masoch, connue sous le
pseudonyme littéraire de WANDA (de
Sacher-Masoch, ou de Dunajew). Elle a publié
des Confessions... en 1907, et de Nouvelles
Confessions en 1910. Un chapitre de ces dernières
est intitulé : « Masochisme et Masochistes
», dont certaines allégations nous concernent
directement. Lřauteure y relate le cas
dřun masochiste entré en commerce épistolaire
avec elle pour obtenir des renseignements
authentiques sur la femme dominatrice
et son esclave 126. Cřétait en 1895, quelques
jours seulement après la mort de
Masoch. Ayant narré, lettres à lřappui, les
péripéties du cas, elle nous dit, commentant
la dernière lettre de la personne en question :
(T.32)
Je pense que cette lettre était sincère, mais,
comme on dit, « lřesprit est prompt, la chair est
faible ».
Par un de ces hasards qui sont si souvent
intervenus dans ma vie, jřallais apprendre par la
suite que lřauteur de ces lettres était allé chercher
à Lindheim [= chez Hulda Meister, la seconde
femme de Sacher-Masoch] ce quřil nřavait trouvé
à Paris [=avec elle].
À peu près un an plus tard [donc en mars
1896] jřai envoyé toutes ces lettres au professeur
Krafft-Ebing à Vienne.
Je ne me rappelle plus à quelle occasion jřai
agi ainsi, mais il est certain que mon désir de
faire comprendre à cet illustre savant tout le mal
126 WANDA (1910) : Nouvelles confessions, trf p. 243.

quřil mřavait fait en me citant dans sa Psychopathia
Sexualis parmi les auteurs masochistes (...) a dû
jouer un certain rôle dans ma décision, ainsi que
lřespoir que mon nom serait supprimé dans une
nouvelle édition.
WANDA (1910) : Nouvelles confessions,
trf 1968, p. 248.
{54 } La suite de ce fragment Ŕ que
nous citons plus bas (T.42) et quřon peut tout
de suite aller consulter 127 Ŕ reproduit la lettre
de Krafft-Ebing, accompagnant le retour du
paquet de lettres du masochiste anonyme à
sa destinataire. Aucun doute ne peut être
élevé contre lřauthenticité de la lettre de
Krafft-Ebing, datée du 1 er mai 1896. Elle est
de bout en bout représentative de sa tournure
dřesprit, et elle authentifie en retour
lřépisode relaté par Wanda. Cependant, relativement
à notre premier problème, la moisson
est maigre. Lřépisode relaté par Wanda
est postérieur à la fois à la fabrication du
terme de masochisme en 1890, ainsi quřaux
Contributions à la connaissance du masochisme,
publiées en 1895 128.
Néanmoins le hors-texte de Wanda
(T.32) éveille la suspicion quand on le
rattache à son contexte. Il transparaît alors
que les motivations (secrètes) de Wanda
devaient être différentes de ce quřelle affirme.
Quelle honte y avait-il en effet à dire franchement
à Krafft-Ebing quřil lui a fait du tort
127 Cf. pp. 66-67, infra.
128 Cf. pp. 49-50, supra.
66
en la citant, et quřelle serait fort aise de se
passer de cette publicité ? Krafft-Ebing
nřétait-il pas à ses yeux un homme dřhonneur
? Si elle nřa pas verbalisé à cette époque
cette demande légitime, nřest-ce pas parce
quřelle nřexistait pas ? Dans les faits, Wanda
semble sřaccommoder fort bien de la publicité,
jusquřà y contribuer de sa propre main
en rédigeant et en publiant deux fois des
Confessions. Notons au passage que nous surprenons
ici chez Wanda des traits flagrants
du caractère hystérique 129. Quant au désir
secret véritable, le contexte indique assez
quřelle se vengeait de son masochiste anonyme,
assez perfide pour lui avoir substitué
cette usurpatrice de Hulda Meister qui ne lui
arrive pas à la cheville. Dans la mesure où la
superposition lřinduit, elle se vengeait du
même coup de son ex-mari, que cette traînée
lui a arraché. Et comme un peu de psychologie
peut nous lřapprendre, le tout est dřen
découdre aujourdřhui avec cette Hulda Meister
justement qui trône à Lindheim.
Sřil sřétait agit dřune autre personne que
Wanda Ŕ sřil sřétait agit dřune personne qui
nřétait pas comme elle hystérique Ŕ notre
suspicion nous aurait orienté à dépister dans
ce texte lřaveu dřune indiscrétion antérieure
129 {La chasse au traumatisme comme pratique sexuelle
courante, recherche dřun maître à disqualifier, victimisation,
exhibitionnisme de faux aveux, rancœur, etc.}. Notre
conviction est que le couple de Wanda et de Sacher-
Masoch est celui dřun pervers sexuel avec une hystérique.
Nous nous proposons de lřexposer dans une étude indépendante.
{Promesse non tenue}.

touchant Sacher-Masoch lui-même. En 1896
en tout cas, cette indiscrétion nřa eu lieu que
par personne interposée. Seul le masochiste
anonyme a été la victime de son indiscrétion
130, comme lřatteste la lettre de Krafft-
Ebing reproduite plus bas (T.42).
{55 } En somme, lřindiscrétion dřAurora
Rümelin à propos de son masochiste anonyme
131 nřaura servi quřà renforcer Krafft-
Ebing dans ses opinions. À ce titre, cřest sans
doute une pièce intéressante du dossier. Mais
Aurora Rümelin ne semble pas avoir eu de
rôle, ni dans les indiscrétions touchant la vie
sexuelle de Sacher-Masoch dont Krafft-
Ebing a pu disposer, ni dans la germination
de ses idées à propos du masochisme 132.
Il reste encore à envisager une quatrième
source dřinformation : la doxa. La rumeur, les
potins, les journaux. Krafft-Ebing lisait les
journaux avec une attention qui ne dédaignait
130 Nous autorisant de lřanalyse du caractère de Wanda,
nous pensons quřelle sřen est tenue là : lřhystérique laisse
toujours la proie pour lřombre. Notons toutefois quřelle
sřétait confiée vers 1876 au Dr Schmit, Ŕ Confession, p. 107.
131 Il ne semble pas que Z., le patient (et lřinformateur) de
Krafft-Ebing soit la même personne que le masochiste
anonyme dřAurora Rümelin.
132 Quelque chose encore au sujet du désir secret de Rümelin.
Elle est mentionnée dans les Neue Forschungen... (1 re éd.
p. 12, 2 e éd. p. 37), parmi les auteurs dřinspiration masochiste,
comme étant la femme de Sacher-Masoch, utilisant
le pseudonyme littéraire Wanda de Dunajev. Ce pseudonyme
est emprunté à lřhéroïne de La Vénus en fourrure de Sacher-
Masoch, et cřest ce dernier qui le lui a choisi. Dans la
Psychopathia Sexualis son pseudonyme nřapparaît que lorsquřun
patient y fait référence. Si elle avait donc à se
plaindre de quelque chose auprès de Krafft-Ebing, cřest du
peu cas quřil fait dřelle.
67
pas les petites annonces, en cette année 1895
surtout. Les deux fois où il en fait état 133 se
rapportent en effet à cette année là. La date
des journaux auxquels il se réfère 134 indique
que cet intérêt lui est venu après la rédaction
de ses Contributions à la connaissance du masochisme
(1895e). Ces petites annonces visent à
recruter des partenaires, et Krafft-Ebing en
tire parti pour signaler que le masochisme est
fort répandu.
À ce borner à la nature de ces faits, et
sans nier leur intérêt, ils sont de peu dřimportance
pour nous. À moins de les presser de
questions insidieuses. Telles que : Pourquoi
ce subit intérêt de Krafft-Ebing pour les petites
annonces ? Pourquoi est-ce que cet intérêt
surgit après la mort de Sacher-Masoch ?
Y a-t-il par hasard quelque chose de significatif
dans tout cela ? Risquons-en le pari,
sans trop gager.
Les petites annonces, quřil les ait insérées
lui-même ou quřil y ait seulement répondu,
jouèrent dans la vie de Sacher-Masoch un
rôle proéminent. Elles contribuèrent à divulguer
sa vie intime, à attirer lřattention sur ses
livres et sur son nom. La première de ces
petites {56 } annonces a été publiée par le
Wiener Tageblatt à la fin de 1875 Ŕ plus précisément
entre Noël et le jour de lřAn Ŕ par
Nicolaus Teitelbaum, un riche Juif de Vien-
133 In Arbeiten IV, p. 132 ; et in PS12, tra5ř p. 193.
134 Juin et décembre 1895.

ne. Comparons les trois hors-textes suivants,
qui relatent lřévénement :
(T.33)
Le troisième jour, mon mari, venant du café,
se précipita tout essoufflé dans ma chambre,
brandissant un journal, et, plein dřune joie
bruyante, sřécria :
Ŕ Wanda, nous tenons le Grec !
Il me lut une annonce du Wiener Tageblatt,
dans laquelle un jeune homme, beau, riche et
énergique, cherchait une femme jeune, jolie et
élégante, pour « sřamuser ensemble ».
Il faut que tu écrives de suite, ...
WANDA (1906) : Confessions, trf 1968, p. 92.
(T.34)
Le 25 novembre [1875], Wanda donna
naissance à son troisième fils qui sera baptisé
sous le nom de Demetrius. Le surlendemain de
lřaccouchement, Sacher entra, les joues en feu,
dans la chambre de sa femme. Il avait une feuille
de journal à la main, contenant lřannonce suivante
sur laquelle on venait dřattirer son attention :
On cherche correspondance ou relations avec
femmes dřesprit
qui ont lu et apprécié les œuvres de Sacher-Masoch.
Adressez lettres sous Vénus à la rédaction du journal.
La personne qui avait montré cette annonce
à Sacher nřen avait pas saisi le sens ; quant à lui, il
ne pouvait pas lřignorer. Il existait donc un
homme qui avait les mêmes aspirations que lui,
qui serait sans doute capable dřassumer le rôle du
Grec, capable de lřasservir et de le maltraiter avec
le concours de Wanda.
SCHLICHTEGROLL (1910) : Wanda sans masque
& sans fourrure, trf 1968, pp. 106-107.
68
(T.35)
Quelques jours plus tard, il sortit de son
bureau dans un grand état de surexcitation et fit
irruption chez Wanda, en brandissant un numéro
du Wiener Tageblatt.
« Wanda, Wanda ! regarde un peu ! cřest
exactement ce que je cherche depuis des années !
Lis-moi ça... »
Il lui fourra sous le nez, en désignant dřun
doigt frémissant lřune des petites annonces.
Wanda lut, avec un dégoût croissant :
Homme jeune, beau, riche, énergique, aimerait faire
connaissance jeune femme jolie, élégante, admiratrice
œuvres Léopold Sacher-Masoch de préférence.
« Il faut que tu répondes immédiatement,
Wanda, ... »
CLEUGH (1967) : Le Premier Masochiste,
trf 1969, pp. 159-160.
La concordance approximative de ces
versions ne signifie pas grand chose. On se
copie à tour de bras depuis les presses existent.
{57 } Les discordances sont bien plus
intéressantes. Avant de les passer en revue, il
faut planter le décor et distribuer les rôles.
Rappelons donc brièvement la règle du jeu.
Le masochisme classique est une représentation
à trois figurants. Un sujet (A) homme,
cherche une femme (B) autoritaire disposée à
le maltraiter, et avec laquelle il signera un
contrat le livrant à sa discrétion comme esclave.
Une fois cette cellule (A)-(B) constituée,
nous passons au deuxième acte. Le
sujet (A) se met en quête du troisième larron
(C), à qui (B), par pure perversité, se livrerait
et livrerait aussi (A) quřelle aime. Dans le
roman La Vénus à la fourrure, les noms sont
les suivants :

A = Séverin
B = Wanda de Dunajew
C = le Grec
En 1875, Sacher-Masoch (en tant que A)
avait trouvé depuis quelques années déjà
Aurora Rümelin (en tant que B), et était en
quête de (C), le fameux Grec, dénommé
parfois le Turc.
Si Teitelbaum était un masochiste, cřestà-dire
un sujet (A), et cřest ainsi que le décrit
Schlichtegroll 135, il nřaurait pas écrit : « jeune
homme, beau, riche, énergique », comme Wanda
le rapporte (T.33). Cřest la femme (B) qui
devrait être énergique. Si Teitelbaum était un
sujet (C), il chercherait une cellule constituée
(A)-(B), et non pas une femme (B) aussi
« jeune, jolie et élégante » quřon voudra 136.
En outre, dans la version de Wanda il manque
à lřannonce une référence à Masoch ou à
sa Vénus en fourrure, sans lesquels on ne comprendrait
rien à rien 137. Lřannonce rapportée
par Schlichtegrolle est plus plausible 138. Mais
son analyse est inconsistante puisquřelle se
135 SCHLICHTEGROLL (1910), p. 107. Wanda, dans ses Nouvelles
confessions, ne critique pas la version de Schlichtegroll.
136 Cřest là une discussion purement formelle. Notre conviction
est que si le rôle (B) est possible à tenir Ŕ par une
hystérique par exemple Ŕ le rôle (C) est chimérique. Il y
faudrait imaginer un homosexuel cruel qui préfèrerait les
femmes aux hommes, ou un double avec lequel ego pourrait
quand même vivre pacifiquement. Le génie de Sacher-
Masoch consiste précisément à avoir conçu une pareille
chimère, à y avoir cru, et à avoir su faire partager son
aspiration... comme une traînée de feu.
137 Nous regrettons de nřavoir pu consulter le texte original
de lřannonce, dont lřexistence ne semble pas en doute.
138 HAVELOCK-ELLIS (1903, trf p. 153), égaré sans doute
par Wanda, confond plusieurs épisodes.
69
{58 } ramène à dire que (A) cherche un
autre (Ař) identique à lui-même, qui pourrait
néanmoins tenir le rôle de (C). Ce cas de
figure qui postule lřéquivalence [(A) = (C)]
est absente du script classique 139.
On rapporte dřautres petites annonces
encore 140, sur lesquelles nous ne nous attarderons
que pour remarquer leur fréquence et
Ŕ fait inédit Ŕ la participation active de lřauteur
lui-même (Sacher-Masoch) à ce manège.
Ceci peut-il étayer notre supputation que
Krafft-Ebing a dû avoir vent de ces péripéties,
parfois burlesques, parfois sordides ? On
pourrait difficilement sřexpliquer autrement
son intérêt soudain pour les petites annonces.
À défaut de pouvoir citer dans lřoriginal
celles où Sacher-Masoch était personnellement
concerné, voici du moins les deux
annonces recueillies par Krafft-Ebing :
(T.36)
Vgl. z. B. Vossische Zeitung vom 29.6.1895
Beilage : ,,Geb. Damen, Welche die Werke
Sacher-Masochřs lieben, werden gebeten, auf
diese Annonce zu schreiben. Offerten unter J.F.
befördert Rudolf Mosse, Berlin SW.Ŗ
KRAFFT-EBING (1895e) : Beiträge zur Kenntniss
des Masochismus, in Arbeiten IV, (1899d), p. 132.
139 Nous ne nions pas a priori que cette équivalence ne soit
fort éclairante pour le psychologue, dřautant plus quřelle
surgit dans un glissement incontrôlé. Pour Sacher-Masoch,
en 1875, elle ne pouvait être quřincompréhensible.
140 Par ex. CLEUGH (1967), trf pp. 165-167. Les petites
annonces étayées sur un personnage de fiction sont loin
dřêtre rares. Nous nous sommes laissé dire que la publication
de Climats dřAndré Maurois (1928) en avait provoqué
une floraison.

(T.37)
Der schlagendste Beweis für die Häufigkeit
des Masochismus ist aber wohl die Tatsache,
dass er ziemlich unverblümt in Zeitungsannoncen
zutage tritt. So findet sich z. B. im Hannoverschen
Tageblatt vom 4. Dezember 1895 folgende
Inserat :
,,Sacher-MasochŖ. 109 404. Damen, welche
sich für die Werke desselben interessieren und
begeistern und die Frauengestalten seiner
Romane verkörpern, werden um Angabe der
Adresse unter R. 537 durch die Expedition der
Zeitung gebeten. Strengste Diskreion !ŘŘ
In der gleichen Nummer findet sich ein
ähnliches Inserat !
KRAFFT-EBING : PS11 (1901), PS12 (1903),
PS13 (1907), p. 125, note.
Cf. aussi PS12, tra5ř 1969, p. 193, note, etc.
Pour avoir reporté de trois pages la production
des annonces (T.36) et (T.37), nous
espérons quřelles peuvent maintenant remplir
de manière décisive trois objectifs :
Ŕ Appuyer la thèse minimale de la connaissance
par Krafft-Ebing du rôle des petites
{59 } annonces dans la vie personnelle de
Sacher-Masoch.
Ŕ Voir dans cette connaissance la source de
son intérêt soudain pour les petites annonces
en 1895.
Ŕ Fournir, enfin, un modèle de ce type dřannonces
qui tire parti dřun stéréotype littéraire.
Ce modèle servira, en quelque sorte, de
passerelle pour la genèse du masochisme, à
70
partir dřune jonction (clinico-théorique) avec
lřinversion sexuelle, comme nous le montrerons
au cours du prochain chapitre 141. Il ne
faut donc pas être surpris de trouver, à propos
de lřhomosexualité aussi, la mention du
rôle des petites annonces :
(T.38)
On doit toujours suspecter de lřhomosexualité
quand dans une annonce de journal on
demande une « dame de compagnie » (Freundin)
pour une femme.
KRAFFT-EBING : PS13 (1907), p. 297.
Cf. aussi PS12, tra5ř 1969, p. 419.
La doxa ne se borne pas à lřimprimé. Les
commentaires dans les cercles, salons, les
entretiens privés, les potins, charrient un
contingent non négligeable de « bruits » et
dř« échos ». Ils allaient bon train. Sacher-
Masoch, comme auteur à succès, attirait
lřattention de lřopinion publique, et était
lřobjet de rumeurs courantes selon quoi il
mettait en pratique les thèses sur lřamour et
la jalousie représentées dans ses romans 142.
Durant la décennie 1880-1890 en particulier,
sa vie publique fut éclatante à souhait. Rappelons-en
schématiquement lřessentiel :
1883 À lřoccasion du 25 e anniversaire de la première
publication de Sacher-Masoch, une
réception officielle fut donnée à Lemberg,
141 Cf. chap. II. En ce qui concerne la fréquence et la teneur
des petites annonces, Cf. un cas présenté par Moll
dans son éd. de la PS16-17 (1924), trf 1931, pp. 251-252.
142 Cf. CLEUGH (1967), trf pp. 100 et 190. Cf. aussi
WANDA (1906), trf p. 144.

à Prague, et à Leipzig (résidence de lřauteur).
Des lettres de félicitation affluèrent
de partout. Victor Hugo envoya un télégramme.
On offrit au héros du jour un
album dřautographes où figuraient les signatures
de Zola, Dumas fils, Saint-Saëns,
Ibsen, Bjornson, Bret Harte, Pasteur, Daudet,
Gounod, Coppée... 143 {60 }
1886 Sacher-Masoch est à Paris 144 où la presse
lřacclame chaleureusement.
1887 Le divorce est prononcé entre Sacher-
Masoch et sa première femme, Aurora
Rümelin). Il se remarie avec Hulda Meister,
avec laquelle il vivait en compagnonnage
depuis 1882, et qui lui avait déjà donné
deux filles. À partir de la mi-1887 ils se
retirent dans la propriété que Hulda
Meister avait acquise lřannée précédente à
Lindheim (à 30 km au nord-est de Francfort)
145 .
Sur les dernières années de la vie de
Sacher-Masoch, Aurora Rümelin, dans ses
Nouvelles confessions, nous dit ceci :
(T.39)
À la fin de son livre, M. Schlichtegroll écrit :
« Seules les idées grandes et nobles le préoccupaient
dans les dernières années de son idylle de
Lindheim...
143 Cf. CLEUGH (1967) : Le Premier masochiste..., trf p. 214.
144 On raconte que lřéditeur parisien JULES HETZEL aurait
dit à Sacher-Masoch qui lui proposait des romans : « Il me
semble que votre talent trouverait mieux à sřemployer dans des
ouvrages destinés à la jeunesse. » (Rapporté par Chavardès,
1967, p. 159.)
145 CLEUGH, op. cit., pp. 208-228. (Il est commode de se
référer à ce livre très répandu quand les faits en question
sont par ailleurs avérés).
71
La Vénus à la fourrure était oubliée... Il se
tournait de plus en plus vers un communisme à
la Tolstoï. » 146
En réalité, Lindheim était devenu, pour tous
ceux qui voulaient se livrer au masochisme, une
sorte de Mecque, où ils allaient en pèlerinage
pour être instruits.
Quant à moi, jřétais proposée à ces élèves
zélés comme le modèle de lřamante au fouet,
lřincarnation de la Vénus à la fourrure.
Cřest à cette source que M. Schlichtegroll a
puisé, lui aussi, la connaissance de mes sensations
les plus secrètes, les plus intimes.
WANDA (1910) : Nouvelles confessions, trf p. 241.
Toutes les assertions de ce hors-texte
(T.39), malgré des contradictions vénielles et
superficielles, nous paraissent véridiques. Le
patient Z. de Krafft-Ebing, comme dřautres
cas égrenés au fur et à mesure des remaniements
et des refontes de la Psychopathia
Sexualis, de même que le masochiste anonyme
dont le cas est relaté par Wanda ellemême,
lřattestent dřune manière ou dřune
autre 147. Cřest pourquoi, évoquer Sacher-
Masoch autour de 1890 en Autriche cřétait
évoquer à la fois une œuvre bien connue, et
une vie dont {61 } les traits scabreux étaient
de notoriété courante, et donnaient lieu à des
commérages et des ragots. Plus que pour
146 SCHLICHTEGROLL (1910), trf p. 212.
147 La stagnation des études sur Sacher-Masoch est navrante.
Son journal, sa vie, et surtout ses dernières années sont
dřune originalité peu commune. Il faut regretter que le
coup dřéclat perpétré en 1967 par DELEUZE se soit perdu
dans les sables du bel esprit au lieu de déclencher une ruée
vers lřor, comme ce fut le cas pour Sade dans les années
soixante et soixante-dix grâce à lřimpulsion de Gilbert Lely.

tout autre écrivain, la vie et lřœuvre de
Sacher-Masoch étaient imbriquées sans solution
de continuité. On était donc amené, si
lřon tenait à être discret à lřinstar de Krafft-
Ebing, non pas à controuver les faits, mais
du moins à déplacer lřaccent de la vie à
lřœuvre. Et pour faire bonne mesure, Krafft-
Ebing effectuera le déplacement de lřaccent
aussi bien pour Sacher-Masoch que pour
Sade, avec lřeffet incongru que lřon sait à
propos du dernier nommé. Nous ne sommes
pas disposé à trancher de la manière dont le
fait Ŕ à notre sens imprudemment Ŕ Cleugh :
(T.40)
Krafft-Ebing commençait alors ses recherches
sur les démences hallucinatoires systématisées
(systematized delusional insanity). Après avoir lu
les comptes rendus sur la carrière amoureuse de
Léopold [de Sacher-Masoch], envoyés par des
amis bienveillants ou malveillants, il décida finalement
de forger un terme emprunté au nom de
famille du sujet de ces communications, afin de
donner une appellation spécifique à cette variété
dřobsessions appartenant au domaine érotique.
CLEUGH (1967) : Le Premier masochiste..., trf p. 51.
La première phrase est incompréhensible
après être passée de lřallemand à lřanglais
puis au français. {Peu importe. Prenons-en
prétexte pour jeter un coup dřœil sur lřorganisation
de lřunivers intellectuel de Krafft-
Ebing. La 1 re éd. du Traité clinique de psychiatrie
(TCP) de Krafft-Ebing a été publiée en 1879.
Lřauteur avait eu à se débattre avec la
Verrücktheit, le Wahnsinn et la Paranoïa, qui
nřont pas de véritables équivalents ni en
72
anglais ni en français. En 1890 il en était à sa
4 e éd., refondue pour intégrer la neurasthénie,
non sans déséquilibrer le plan dřensemble.
Il nřy a pas de relation directe entre
le Traité clinique de psychiatrie et la Psychopathia
Sexualis. Le premier traité étudie les fonctions
mentales (ayant leur siège au cerveau) et leurs
troubles, lřautre la fonction sexuelle et ses
troubles. Les deux traités sont répartis en une
pathologie générale et une pathologie spéciale.
La pathologie générale est évidemment
différente dans les deux traités. Dans le premier
elle est consacrée aux fonctions mentales
et à leurs troubles, et dans le second à la
fonction sexuelle et à ses troubles. La seconde
partie des deux traités est en revanche
homologue. Il sřagit des maladies mentales
étudiées, dans le premier traité, en relation
avec les troubles des fonctions mentales, tandis
quřelles sont étudiées dans le second en
relation avec la fonction sexuelle.}
Dans sa seconde phrase, Cleugh fait du
masochisme « une variété dřobsession appartenant
au domaine érotique ». Cette caractérisation du
masochisme comme obsession vient souvent
sous la plume de Cleugh 148. Mais nous trouvons
également dřautres caractérisations au
cours de son livre comme : émotivité, nervosité,
perversité, et même psychose 149.
148 Cf. CLEUGH (1967) : Le Premier masochiste..., trf pp. 140,
220, 234, 246.
149 Cf. CLEUGH (1967) : Le Premier masochiste..., trf pp. 11,
15, 51. Dans cette profusion il faut peut-être faire aussi la
part de la traduction.

Assimile-t-il le masochisme à une maladie
mentale ? Cřest en effet ce qui ressort du
hors-texte (T.40). Suivant Cleugh, Krafft-
Ebing se serait heurté au masochisme au
cours de ses recherches sur les démences
hallucinatoires systématisées 150. Comme le
lui reconnaissent Magnan & Legrain 151,
Krafft-Ebing, suivant les traces de Meynert, a
effectivement apporté des contributions
{62 } originales à lřétude du hallucinatorische
Wahnsinn 152. Mais nulle part il ne mentionne
une relation quelconque entre ces investigations
et celle du masochisme. Nous reviendrons
cependant sur cette question au cours
du prochain chapitre 153.
Cleugh affirme enfin que Krafft-Ebing a
retenu la dérivation du masochisme en fonction
de comptes rendus reçus sur la « carrière
amoureuse » de Sacher-Masoch. Nos propres
investigations penchent pour plus de circonspection.
On peut tenir pour certain quřen
1895 Krafft-Ebing disposait de preuves indiscutables
touchant les bizarreries érotiques
de Sacher-Masoch. Il est nettement moins
sûr de reculer à 1890 la connaissance quřil en
150 Habituellement Cleugh nřinvente rien. Il se contente de
découper des passages dans les livres disponibles sur
Sacher-Masoch (Schlichtegroll, Wanda, Federman et
Amiaux ; il semble ignorer Eulenburg), et de les coudre
ensemble. Nous avons cité le texte (T.35) comme exemple.
Mais nous nřavons pas trouvé la source du texte (T.40). Ŕ
Cf. néanmoins infra p. 125, note 262.
151 MAGNAN & LEGRAIN (1895) : Des anomalies, des
aberrations & des perversions sexuelles, p. 56.
152 Cf. TCP, trf (1897b), p. 11 ; MLA, trf (1900a), p. 181. Il
faut suivre toutefois les remaniements de ces traités.
153 Cf. infra p. 125, note 262.
73
avait. Nous pensons quřen 1890 il était au fait
de simples rumeurs. Cřest dans la mesure où
elles étaient douteuses quřelles ont pu contribuer
à décider du choix de Krafft-Ebing.
Autrement dit, si Krafft-Ebing avait disposé
en 1890 de preuves (et non pas de rumeurs
douteuses) à propos des bizarreries érotiques
de Sacher-Masoch, la discrétion lřaurait détourné
dřen tirer parti et de forger une pathologie
sexuelle à partir de son nom. Il était
baron et homme dřhonneur.
Nous serons plus tranchant en ce qui
concerne lřenjeu épistémologique. Je veux
bien supposer tout ce quřon voudra. Par
exemple, quřen 1890, Krafft-Ebing disposait
dřune connaissance complète de la vie sexuelle
du chevalier de Sacher-Masoch. Quřil en
avait même eu la confidence directe. Que le
point dřhonneur et la discrétion nřétaient pas
le moins du monde concernés en cette
affaire. Tout cela ne présente pas lřombre
dřun argument pour décider Krafft-Ebing à
choisir « masochisme ». Toute la δόξα disponible
en 1890 à sa portée ne pouvait, dřellemême,
engendrer un grain dřέπιστήμη 154. Ŕ Il
faut une étincelle.
154 Par ce recours à des termes aristotéliciens nous voulons
dire quřune formation discursive nřexiste pas sans lřénonciation,
qui est lřeffet dřun style. Soit le mode dřinsertion dřun
sujet dans la chaîne signifiante quřil produit. Il nřexiste pas
de formations discursives qui se baladent dans la nature. Lřattention
portée de préférence {63} aux longues périodes et
le refus de recourir à un sujet transcendantal ou à une
subjectivité psychologique (FOUCAULT, 1969), laissent en
souffrance le problème crucial de lřépistémologie : le style. Ŕ
Cf. la conclusion, pp. 229-242, infra.

{63 } Reprenons le commentaire du
hors-texte (T.26) après nous être rafraîchi la
mémoire par une seconde lecture :
(T.26)
Je me sens justifié dřavoir donné à cette
anomalie sexuelle la dénomination de « Masochisme
» car lřécrivain Sacher-Masoch a souvent
fait de la représentation de cette perversion Ŕ
quasi inconnue comme telle du monde scientifique
jusquřà son temps Ŕ lřobjet de ses romans
et nouvelles. Jřai suivi ainsi la formation scientifique
du terme de « Daltonisme » (dřaprès Dalton,
le découvreur de la cécité à la couleur).
Durant les dernières années des preuves ont
été apportées de ce que S.-Masoch nřétait pas
seulement le chantre du masochisme (Dichter des
Masochismus) mais quřil souffrait lui-même de
cette anomalie. Bien que ces preuves me fussent
communiquées sans restriction il ne convenait
pas de les divulguer. Je récuse lřaccusation faite
contre moi par quelques admirateurs de lřécrivain
(Dichters) et quelques critiques de mon livre,
dřavoir couplé le nom dřun écrivain révéré
(geachteten Schriftstellers) à une perversion de la vie
sexuelle. En tant quřhomme, S.-Masoch ne perd
rien aux yeux des gens cultivés simplement parce
quřil était affligé dřune anomalie de sa sensibilité
sexuelle (sexuellen Fühlens). Comme auteur il a
sévèrement souffert dans la mesure où lřinfluence
et le mérite intrinsèque de son œuvre sont
concernés, car là où et quand il éliminait sa perversion
de ses efforts littéraires il était un écrivain
inspiré, et il aurait ainsi atteint une réelle
grandeur sřil avait été guidé par une sensibilité
sexuelle normale. Dans cette perspective il est un
exemple remarquable de la puissante influence
74
exercée par la vita sexualis Ŕ que ce soit dans le
bon ou le mauvais sens Ŕ sur la formation et la
direction de lřesprit humain.
KRAFFT-EBING : PS11 (1901), PS12 (1903),
PS13 (1907), pp. 100-101 [trp].
Cf. également PS12, tra5ř 1969, pp. 160-161, etc.
La conclusion que tire Krafft-Ebing de
la seconde série dřarguments 155 est celle-ci :
b31/ Je récuse lřaccusation dřavoir couplé le
nom dřun auteur estimé avec une perversion
sexuelle de lřinstinct sexuel.
Voilà une phrase qui nécessite une
casuistique. Krafft-Ebing a-t-il ou non dénommé
le masochisme dřaprès de nom de
Sacher-Masoch ? Si fait. Que récuse-t-il
donc ? Non pas le fait sans doute, mais
lřaccusation. Ce quřil récuse cřest dřavoir
couplé lřaberration avec le nom dřune personne
(lřécrivain). Ce quřil soutient cřest que
le couplage a été fait uniquement entre
lřaberration sexuelle (le masochisme) et ses
représentations récurrentes dans les œuvres
de cet écrivain. Cřest-à-dire que Krafft-
Ebing, comme nous le disions plus haut 156,
nie lřimplication (S1 S2) et affirme lřim-
plication (S1’ S2). Mais dans la troisième
série dřarguments il va nous parler de la
relation de lřauteur à son œuvre en soutenant
des idées contraires à lřargument que nous
venons dřexposer. Commentons dřabord le
reste de la conclusion :
155 Cf. p. 48, supra, les arguments (b11) (b12) (b2).
156 Cf. p. 47, supra.

32/ Ces accusations mřont été faites par quelques
admirateurs de lřauteur et quelques
critiques de mon livre.
Avec des scrupules divers, plusieurs critiques
de la PS ont discuté les dénominations
de sadisme et de masochisme. Il y en eut
effectivement quelques uns parmi ces derniers
pour protester contre le terme de masochisme
par égard pour lřauteur de la Vénus en
Fourrure. Nous les retrouverons au cours du
III e chap., au 1 er débet 157.
La troisième série dřarguments du horstexte
(T.26) est la suivante : {64}
c1/ Comme homme, Sacher-Masoch ne perd
rien dans lřestime des gens cultivés du
simple fait dřavoir été lui-même affligé
dřune anomalie de sa sensibilité sexuelle.
Ici, Krafft-Ebing déplace quelque peu le
débat. Ce qui est en question ce nřest pas que
Sacher-Masoch fut ou non un pervers sexuel,
mais le fait que Krafft-Ebing eût choisi son
nom de son vivant pour désigner une perver-
157 Sur les admirateurs de Sacher-Masoch, les documents
nous manquent. {Ce fut certainement un réveil douloureux
pour les adulateurs du romancier de constater que des
fantaisies érotiques mises au compte dřun raffinement civilisé
soient brutalement démasquées dans un discours autorisé
(scientifique) en tant que perversion sexuelle, et rattachées
à un état morbide (dégénérescence). Lřinitiative de
Krafft-Ebing a certainement eut sa part dans la désaffection
générale envers lřécrivain dans les dernières années de
sa vie. K-E lui-même, sřil avait pu le constater, sřen serait
félicité. Comme on le verra par sa lettre à Aurora Rümelin
citée plus loin (T.42) pp. 66-67, il regrettait la diffusion des
romans morbides de Sacher-Masoch auxquels il attribuait
une néfaste influence sur leurs lecteurs.}
75
sion sexuelle, dont il était de surcroît luimême
affligé.
c21/ En tant quřauteur, enchaîne Krafft-Ebing,
Sacher-Masoch aurait atteint une réelle
grandeur sřil avait été guidé par des sentiments
sexuels normaux.
c22/ Sa perversion sexuelle exerçait une influence
néfaste sur son art.
c23/ Chaque fois quřil parvenait à écarter cette
influence, il (re)devenait un écrivain inspiré
158 .
c3/ Krafft-Ebing tire alors une conclusion
moralisatrice. Il présente Sacher-Masoch
comme un bon exemple de lřinfluence
néfaste 159 exercée par la vita sexualis (anormale
sřentend) dans la formation et la
direction de lřesprit humain.
En somme, nous devons comprendre
que la représentation de fantaisies « masochistes
» dans ses œuvres procède de la
sensibilité morbide de Sacher-Masoch, et que
ces parties de son œuvre sont les moins bonnes
littérairement parlant. Ces conclusions
vont à contre-sens de la ligne de défense de
Krafft-Ebing, qui trace une distinction radicale
entre lřhomme et lřœuvre (cf. lřargument
a3). En revanche, les arguments (c), et surtout
leur conclusion (c3) affirment quřen ce
158 Krafft-Ebing nřest pas dřavis de placer le génie dans la
sphère du pathologique. Bien au contraire, la maladie
amoindrit le génie.
159 Tel est le sens rhétorique de lřincise : que ce soit dans le bon
ou le mauvais sens.

qui concerne la représentation de fantaisies
« masochistes », ces parties lřœuvre émanent
de la sensibilité morbide de lřauteur.
En cours dřargumentation, de déplacement
en déplacement, Krafft-Ebing nous a
fait perdre de vue son point de départ. Il y
affirmait que Sacher-Masoch a décrit quelque
chose qui, jusquřà lui, avait été ignoré du
monde savant (argument a2). Allons-nous
lřen féliciter ? Nullement. La série des arguments
(c) lřen blâment. Ces parties de
lřœuvre, si précieuses pour le savant, sont les
plus manquées du point de vue littéraire ou
artistique 160.
{65 } Les diverses contradictions que
nous venons de relever dans lřargumentation
de Krafft-Ebing concernant la vie et lřœuvre
de Sacher-Masoch révèlent un embarras
foncier. Réduisons à deux points les fruits de
cette enquête.
Notre principe à été dřaccorder à Krafft-
Ebing une confiante créance à propos des
faits avancés, même si nous devions démonter
les illogismes de sa plaidoirie. Cette confiance
nřen sort pas ébranlée. Sur cette question
nous avons admis que Krafft-Ebing
160 La discussion au sujet du recours aux poètes dans lřexplication
{65} en sciences humaines sera reprise au III e
chapitre, 2 e débet.
76
voulait nous laisser entendre quřil ne possédait
pas, en 1890, des preuves (si ce nřest
douteuses) de lřanomalie de Sacher-Masoch.
Or, il ne le dit pas. Pourquoi ? Cřest que cette
manière dřenvisager les choses met en question
son honorabilité. Au surplus, avonsnous
ajouté, ces preuves les posséda-t-il à ce
moment-là, et la question de lřhonorabilité
placée entre parenthèse, que le masochisme
ne se serait pas trouvé de ce simple fait
introduit dans le discours savant. Il y fallait
en outre une étincelle.
Dřun autre côté, nous avons constaté
que malgré tous les illogismes et toutes les
aberrations du raisonnement et de la plaidoirie,
la référence à lřœuvre de Sacher-Masoch
a été constamment revendiquée par Krafft-
Ebing, sans un pouce de retraite ou la velléité
fugitive dřune hésitation. Tant de constance
dans lřaffirmation, dřentêtement dans sa
réitération, nřont dřaucune sorte, là encore,
été ébranlés par nos analyses. Sřil faut donc
douter de la pertinence des arguments avancés
par Krafft-Ebing, il faut néanmoins le
croire quand il maintient que cřest lřœuvre de
Sacher-Masoch qui a primé dans la dérivation
du masochisme à partir de son nom.
Il nous reste à le confirmer en présentant
deux documents que nous avons tenus jusquřà
présent en réserve (T.41) (T.42). Ils
sřarticulent admirablement avec le hors-texte
(T.26) que nous venons de commenter si
longuement. Nous avons différé leur pré-

sentation à dessein. Les préparatifs (un peu
laborieux) que nous avons déployés permettent
de mieux saisir leur valeur probante.
En rapportant le hors-texte (T.41) nous
dissipons lřéquivoque sur laquelle nous
avions suspendu le commentaire du horstexte
(T.31). Ŕ Cf. pp. 51-52, supra. {66 }
(T.41)
Sacher-Masoch (1835-1895) 161 . Jřavais appris
par des renseignements oraux, quand il
vivait encore, et aussi par des documents écrits,
que lui-même avait une sensibilité « masochiste ».
Krafft-Ebing a fait remarquer que cet écrivain
doué nřest pas arrivé, par suite de sa perversion
sexuelle, à lřimportance quřil aurait prise avec une
vie psychique saine. Lřhypothèse qui surgit parfois,
et dřaprès laquelle le nom de masochisme
aurait été choisi, parce que Sacher-Masoch luimême
avait une sensibilité de cette sorte, est
inexacte. Comme déjà dit [Cf. le hors-texte
(T.1)], Krafft-Ebing a choisi lřexpression uniquement
parce que, dans les œuvres de Sacher-
Masoch, cette sorte de sentiment de la vie est
décrite avec détail.
MOLL : PS16-17 (1924), trf 1931,
pp. 142-143.
Moll nous fournit, avec toute la précision
désirable, la réponse à deux de nos questions.
Lui aussi il connaissait effectivement la sensibilité
« masochiste » de Sacher-Masoch, de
son vivant, aussi bien par des communica-
161 {En fait, le chevalier de Sacher-Masoch est né à Lemberg
en Galicie (aujourdřhui Lvov, en Ukraine) le 27
janvier 1836, et il est mort le 9 mars 1895 à Lindheim dans
le Hesse. Écrivain autrichien dřexpression allemande, il
commença à apprendre cette langue à lřâge de 12 ans.}
77
tions verbales que par des documents écrits.
Il nřa certainement pas manqué de les échanger
avec Krafft-Ebing, avec qui il était en
contact au sujet de leurs recherches communes
en pathologie sexuelle. Apparemment, ce
nřest pas avant 1890, sinon il nřaurait pas
manqué de le préciser.
Non moins claire est sa réponse à la
seconde question. Oui, cřest bien lřœuvre de
Sacher-Masoch (et non pas sa vie), qui a
déterminé le choix de Krafft-Ebing.
De lřœuvre de Sacher-Masoch il va maintenant
être question dřune curieuse manière
dans cette lettre de Krafft-Ebing à Aurora
Rümelin, accompagnant la correspondance
du masochiste anonyme quřil lui renvoyait 162 :
(T.42)
En tout cas, en me retournant les lettres, le
professeur mřécrivit :
Très honorée Madame,
Vienne, le 1 er mai 1896
Veuillez accepter mes remerciements de
mřavoir communiqué les lettres que je vous
retourne sans plus tarder.
Jřai pu ainsi prendre connaissance de la
psychologie dřun homme déchu, ce qui confirme
ma thèse, dans ce domaine étrange du comportement
humain.
Vous avez agi noblement à lřégard du malheureux
auteur de ces lettres.
Il eût mieux valu en tous cas, que votre
défunt mari [en fait ex-mari] ait renoncé à écrire
162 Cřest la suite du hors-texte (T.32) cité p. 53, supra.

un certain nombre de ses romans, mais ceux qui
les ont lus et sřen sont inspirés y étaient prédisposés
par une constitution morbide.
Cřest à lui-même que Sacher-Masoch fit le
plus grand tort, car il a été un poète 163 très doué
et il aurait pu créer une œuvre de valeur, sans le
dérèglement sexuel dont il a été {67 } la victime.
Il nřy pouvait rien.
Avec mes hommages.
Votre dévoué
Dr Krafft-Ebing.
WANDA (1910) : Nouvelles confessions,
trf 1968, p. 248.
Dans le dernier alinéa de cette précieuse
lettre, nous retrouvons la même ligne de
pensée qui a inspiré la dernière partie du
hors-texte (T.26) Ŕ cité plus haut pp. 45-46 Ŕ
et qui fut ajoutée en 1901 par Krafft-Ebing à
la 11 e éd. de la Psychopathia Sexualis. Cřest un
trait qui, en sus de son ton et de bien dřautres
indices, contribue à authentifier cette
lettre 164. Lřavant dernier alinéa va maintenant
nous mettre sur la voie de ceux qui ont
lu et se sont inspirés des ŒUVRES de Sacher-
Masoch, Ŕ et dont certains furent les patients
et/ou les correspondants de Krafft-Ebing.
Nous en sommes arrivés au terminus de
cette partie de notre enquête. Prononcé dans
163 Le terme utilisé est sans doute Dichter.
164 Les autres indices sont les expressions notablement
Krafft-Ebingiennes suivantes : « homme déchu », « y était prédestiné
par une constitution morbide », « il nřy pouvait rien ».
Notons encore lřaveu de la connaissance, antérieure à cet
échange, du dérèglement sexuel personnel de Sacher-
Masoch. Ŕ Aussi bien est-ce là une question jugée !
78
lřespace clinique en tant quřauteur de la Vénus en
Fourrue, le nom de Sacher-Masoch était une étincelle.
Il était significatif. Il revêtait un rôle mutant.
Hormis monsieur Z., les autres patients de
Krafft-Ebing se réfèrent exclusivement à
lřœuvre de Sacher-Masoch, et singulièrement
à La Vénus en fourrure. Ces références sont
assez nombreuses pour être remarquées.
Dans les Neue Forschungen... ( 11890, 21891),
deux des quelques nouvelles observations en
font état. Parmi les cas supprimés au cours
des remaniements de la Psychopathia Sexualis il
sřen trouve également, notamment lřobservation
n°114 de la PS8 (1893).
Deux séries de contre-épreuves peuvent
servir à accorer solidement nos déductions à
nos trouvailles.
Les patients de Krafft-Ebing étaient
suffisamment cultivés pour ne pas se borner
à une seule référence littéraire. Si lřon en fait
le décompte, on trouve en sus de Sacher-
Masoch, Rousseau (avec lřépisode de Mlle
Lambercier), Robinson Crusoé (dans sa
relation à Vendredi, son esclave), La Case de
lřoncle Tom (avec la fustigation des nègres),
etc. Krafft-Ebing ne pouvait choisir aucun de
ces auteurs, précisément parce que le masochisme
sřest trouvé fondé en théorie quand il
est parvenu à le distinguer à la fois de la

flagellation passive, de la servitude sexuelle, et de
lřinversion. Lřécoute clinique de Krafft-Ebing,
et nous {68 } devons lui supposer et de la
patience et de la finesse 165, lui a permis de
faire ces distinctions.
En outre, Krafft-Ebing était lui-même
assez cultivé et curieux de littérature pour ne
pas se borner aux seules références littéraires
de ses patients. Il ne sřest pas privé de citer
dřautres auteurs, déjà en 1890, tels que : Zola
(Nana, 1880), von Kleist (Catherine de Heilbronn,
1810), auxquels il a ajouté plus tard J.P.
Jacobsen (Niels Lyhne, 1880). Ici, il nřétait pas
question de faire un choix : ces auteurs ne
furent pris en considération quřaprès que
Krafft-Ebing eût découvert le masochisme.
Le cas de von Kleist est le plus démonstratif.
Krafft-Ebing a dřemblée signalé lřopposition
de caractères entre sa Catherine von Heilbronn
(masochisme de la femme) 166 et sa Penthésilée
(sadisme de la femme), sans songer à créer
des substantifs à partir du nom du poète ou
de ceux de ses héroïnes 167.
165 Songeons que par deux fois Krafft-Ebing a donné la
parole à ses patients pour la théorisation du masochisme.
La première fois en adoptant, comme on vient de le voir,
leurs références littéraire. Mais il lui est également arrivé de
reprendre à la lettre un exposé dřune théorie complète du
masochisme à lřun de ses patients. Ŕ Cf. lřobservation n°50
de la PS10 (1898), ou n°57 de la PS12 (1903).
166 Plus tard, après la découverte de la Ŗservitude sexuelleŗ
en 1892e, Krafft-Ebing en donnera comme exemples littéraires
la Manon de lřabbé Prévost et la Catherine de Heilbronn
de Kleist.
167 Cf. Neue Forschungen..., 1 re éd., 1890, pp. 9 et 33 ; de
même PS12 (1903), tra5ř pp. 158-159 note, et 230 note.
79
Les contradictions que nous avons laborieusement
explorées tombent à présent
dřelles-mêmes. À lřorigine, la référence à
Sacher-Masoch trouve dans la teneur de fiction
que son œuvre développe avec la complaisance
que lřon sait, sa seule pertinence.
Mais la situation de Sacher-Masoch en 1890
ne se limitait pas à une infiltration dans
lřespace de lřécoute clinique. Sacher-Masoch
était un homme remuant qui faisait parler de
lui. Les ragots sont allés en sřamplifiant et
ont vite brouillé la pureté de lřécoute clinique.
Mais le mal était fait. Krafft-Ebing a
réalisé assez vite quřil avait pêché un beaucoup
plus gros poisson quřil ne lřavait
soupçonné. Il avait eu la main heureuse, mais
en même temps cela pouvait être perçu
comme un impair. Malgré sa satisfaction en
tant que savant, il nřavait pas bonne conscience
en tant quřhomme dřhonneur. Quelques
jaloux réussissaient (oh ! partiellement)
à le mettre sur la sellette 168. Il était dans une
position inconfortable. Il contre-attaqua à sa
manière, avec les brouillages multiples que
nous avons passés en revue, et qui forment
ce quřon appelle lřécume des jours.
168 Cf. Chap. III, 1 er débet.

Ce grand détour par Sacher-Masoch est
sur plus dřun point concluant. En résumé,
nous devons les concepts de masochisme et
de Sadisme à lřécoute clinique de Krafft-Ebing.
Le {69 } nom de Sacher-Masoch et la référence
à La Vénus en fourrure dans cet espace-là
Ŕ dont nous donnerons au prochain chapitre
la clôture et le cadre Ŕ explosèrent avec ces
retombées dorénavant célèbres. Le masochisme,
dérivé de Sacher-Masoch, a été le pôle et
le catalyseur dřune théorie bipolaire entraînant
le sadisme à son opposite.
Sadisme est un terme dérivé du nom du
marquis de Sade. Il apparaît en 1834, grâce
aux soins de Charles Nodier, dans la 8 e éd.
du dictionnaire de Boiste. Il sřest, depuis,
perpétué chez les lettrés en dehors de la voie
royale de la langue française académique, de
même que lřœuvre de Sade se propageait
hors de la littérature officielle, Ŕ restant,
comme on lřa dit 169, un fond masqué, mais
point trop. Dans les années 1880 le terme de
sadisme réapparaît dans un discours militant
ou polémique sous la plume de publicistes
tels que Guyot, Taxil, ou Coffignon, examinant
une « question sociale », lřinstitution
prostitution. Ce discours dénonce une
exploitation précise, celle de la prostituée :
Ŕ par le client,
Ŕ par le souteneur,
169 SAINTE-BEUVE (1843), Ŕ cité par Laugaa-Traut (1973),
p. 132. Cf. aussi JANIN (1834), Ŕ cité par la même, p. 129.
80
Ŕ par la matrone,
Ŕ par la police.
Significativement, le discours autorisé
des hygiénistes et des médecins légistes
(Parent-Duchatelet, Jeannel, Legrand du Saulle,
Tardieu, Martineau), ou celui des représentants
de lřordre (Lecour), ou celui dřauteurs de documentaires
(Delcourt, Virmaitre), ne fait pas
mention du terme. Parallèlement au discours
des hygiénistes et des médecins légistes, et
tout aussi significativement, le discours des
aliénistes (de Boismont, Moreau de Tours, Ball) a
porté à lřhomme Sade une curiosité soutenue
accréditant, à propos de ses équipées vénielles,
les versions les plus fantasques.
Ces trois séries de faits se sont conjuguées
dans le choix du terme de sadisme par
Krafft-Ebing. Cřest lřhomme Sade auquel il a
commencé à se référer dès la 1 e éd. de la
Psychopathia Sexualis. Puis, dans la mesure où
Taxil et Coffignon le pourvoyaient de quelques
fantaisies génésiques, il finit par leur
emprunter le terme de sadisme pour satisfaire
aux exigences de sa tournure dřesprit en
érigeant une contrepartie au masochisme. Ce
faisant, il dévoyait lřacception du sadisme par
les publicistes, quitte à tenter dřen maîtriser la
résurgence dans un remaniement de sa théorie
en 1898e.
{70 } Le masochisme, dérivé de Sacher-
Masoch, draine lui aussi un rapport ambigu
de lřhomme à lřœuvre. En nous fondant sur

lřétude des glissements subreptices du
discours de Krafft-Ebing, à savoir :
Ŕ La référence (incongrue en 1890) à lřœuvre du
marquis de Sade,
Ŕ Son intérêt soudain, en 1895, pour les petites
annonces des quotidiens,
Ŕ Ses explications tortueuses à propos du choix
du terme de masochisme,
nous pensons avoir pu (dé)montrer que son
choix est dû à une bonne connaissance de
lřœuvre de Sacher-Masoch partagée avec ses
patients. Il nřest pas exclu que certaines
rumeurs sur la vie privée du romancier lui
soient parvenues avec le bénéfice du doute.
Mais sřil nous paraît incontestable que le
terme de masochisme ait surgi dans lřespace
dřune fine écoute clinique, le modèle réduit
ne sřen est pas moins présenté dans les
colonnes des journaux sous la forme de ces
petites annonces. Nous ne manquerons pas
par la suite de montrer la contrainte quřelles
ont exercée dans la première énonciation de
la théorie de Krafft-Ebing en 1890d.
Au prochain chapitre nous nous proposons
dřexpliquer :
81
ŕ Comment la découverte du masochisme a
entraîné lřérection du sadisme en position
antithétique.
ŕ Comment Krafft-Ebing les a aussitôt englobés
en une théorie bipolaire révélée dans
ses Neue Forschungen..., à considérer comme
une succursale, ou plutôt un laboratoire, de la
Psychopathia Sexualis.
ŕ Comment il institua une coupure entre
lřacception profane du sadisme et son
acception savante.
ŕ Enfin, comment le remaniement de sa
théorie en 1892e prendra en charge certains
effets de la coupure.

Chapitre II
La Clôture conceptuelle initiale
& son cadre
§ (1) - La Psychopathia Sexualis, les névroses sexuelles & la section des paresthésies.
ŕ Le problème : comment décrire les transformations de la Psychopathia Sexualis en ses
douze éditions ? (71). ŕ Quatre opérations, cinq critères, tableau chiffré & courbes (71).
ŕ Pédagogie de la lecture (77). ŕ Fiction dřune édition critique de la PS (79). ŕ
Typologie des névroses (80). ŕ Analyse quantitative et analyse structurale indiquent que
la dynamique de lřélan créateur de K-E est centrée sur la section des paresthésies (81).
§ (2) - Les transformations de la section des paresthésies. ŕ Lřhétérosexualité perverse
et lřinversion sexuelle sont en relation contrapuntique (82). Ŕ Tableaux chiffrés et courbes
à lřappui (83). ŕ Lřévolution de la PS comporte deux césures, lřune à la PS5, lřautre à la
PS11 (82 suite). ŕ Lřélan créateur chez K-E ne se conforme pas au schéma hégélien (86).
ŕ Évolution de la PS par strates discontinues (87). ŕ La théorisation de K-E est
souvent réduite à son strict minimum : une taxonomie (90). ŕ Une taxonomie qui
progresse par dichotomies (91). ŕ Ces dichotomies sont découpées sur un continuum
(93). ŕ Leur représentation sur des échelles argumentatives (94). ŕ La dichotomie
Potentia/Impotentia est conforme au prototype Symbolique/Idéel (97). ŕ Un phénomène de
concrétion (98). ŕ Bilan de la PS4 (99). ŕ La PS5 présente quatre modifications
nouvelles (99). ŕ Intermède : les renifleurs (100). ŕ La thérapie des perversions devient
envisageable (101). ŕ La PS5 constitue un palier (102). ŕ Definition du signe fonctionnel
de dégénérescence (102). ŕ Pas de lamarkisme chez K-E (104). ŕ Les tensions de la
Trieblehre de K-E (105). ŕ Lřinversion sexuelle mène la ronde (108). ŕ La PS5 est une
plate-forme contre laquelle les essais ultérieurs de K-E seront dirigés (109). ŕ La fracture
de 1890 est liée à une refonte typologique, qui est elle-même la conséquence de
lřintroduction du masochisme et du sadisme (111). ŕ Chez K-E les mots en Ŕisme sont
des termes génériques (112). ŕ La formule des trois perversions hétérosexuelles selon la
PS7 (113). ŕ Lřéchelle graduée de lřinversion acquise selon la PS7 (114).
83

§ (3) - La première théorisation du masochisme & du sadisme. ŕ Problème : comment
identifier les perversions sexuelles ? (115). ŕ Les 1 ers chap. de la PS constituent un sas
(115). ŕ Exagérations anormales de traits courants (115). ŕ Perversion & Perversité
(116). ŕ Le sas est mis en place après coup, à la PS7 (116). ŕ Exemples (117). ŕ Binet
pousse K-E à intervenir (118). ŕ Trad. franç. commentée du 1 er Essai dřexplication du
masochisme & du sadisme [1890] de K-E (119). ŕ Étude méthodique des quatre modifications
majeures de ce 1 er essai (129). ŕ [A]. ŕ La servitude sexuelle (132). ŕ Lřexemple
est la chose même (134). ŕ La dérivation multiple (134). ŕ Lřhérédité progressive : im
Wege der Vererbung intstehen... (135). ŕ La servitude sexuelle aménage au masochisme une
terre-mère (135). ŕ Le temps ne fait rien à lřaffaire (137). ŕ Avec la servitude sexuelle
lřhyperesthésie est la racine simultanée du masochisme (137). ŕ Flagellants débauchés &
Flagellants mystiques (138). ŕ Un problème épistémologique épineux différé pour la fin
du chapitre (139). ŕ La dérivation métonymique entraîne dans son sillage la dérivation
métaphorique (140). ŕ Rapprochement et relâchement du lien entre la servitude sexuelle
et lřinversion (140). ŕ [B]. ŕ Parallélisme et contraste parfaits entre masochisme et
sadisme (141). ŕ À propos du sadomasochisme (142). ŕ [C]. ŕ La vie psychique et
lřidentité de genre (143). ŕ Lřenfant est du genre neutre (144). ŕ Le développement
monosexuel homologue et ses troubles (145). ŕ Rôle des représentations contraires
(145). ŕ Masochisme et sadisme ne sont pas le produit dřune association de hasard (146).
ŕ Lřidée dřinconscient fait son chemin (148). ŕ K-E combat la thèse de Binet qui
ramène toutes les perversions au fétichisme (147). ŕ Premiers jalons de lřobjet partiel
(150). ŕ La volte-face de K-E (151).
§ (4) - Vers une théorie unitaire des perversions sexuelles ? ŕ [D]. ŕ Le sadisme et le
masochisme sont les formes fondamentales de la perversion psychosexuelle (152). ŕ La
théorie des perversions sexuelles de K-E est un work in progress tiraillé entre des mouvements
contradictoires (154). ŕ La théorie unitaire est constamment travaillée par une
tentation pluraliste (155). ŕ Le bisexualité en vue (155). ŕ La complaisance de K-E pour
le vocabulaire et les cogitations de ses patients est un trait constant de son écoute clinique
(156). ŕ Exemple : le pagisme (156). ŕ Stiefkinder der Natur (157). ŕ Ebranlement de
lřédifice des paresthésies à la PS11 (158). ŕ Un point dřinterrogation inamovible (160).
ŕ Refermons les parenthèses imbriquées les unes dans les autres (161). ŕ Une topologie
par seuils (161). ŕ Cinq seuils dénombrés (161). ŕ Le masochisme et le sadisme
sřinsèrent à lřentame du 3 e seuil (163). ŕ Le couple Actif/Passif (164). ŕ Le masochisme
vient à notre rencontre talonné à la fois par lřinversion sexuelle et le fétichisme (165). ŕ
Comment K-E lit et relit Binet (166). ŕ La subjectivité est partie prenante du discours
scientifique, elle définit un style (167).
84

{Présentation du chapitre II. ― Après avoir exploré
au chapitre précédent les sentiers de la création
ayant mené Krafft-Ebing à la découverte du
masochisme et à la reprise concomittante du terme
de sadisme aux Français, ce chapitre tente de restituer
le cadre où ils sont venus sřinsérer, et la
clôture conceptuelle où ils ont été sertis. Le
cadre proximal est, bien évidemment, la Psychopathia
Sexualis. Mais ce cadre sřemboite dřabord
dans la pensée psychiatrique de Krafft-Ebing,
telle quřelle est exposée dans son Traité Clinique de
Psychiatrie ( 1 1879, 7 1903). Et elle appartient au
paradigme dit de la théorie de la dégénérescence
mis en place par B.-A. Morel (1860).
La Psychopathia Sexualis constitue quant à elle
un corpus regroupant ses 12 éditions. Nous
avons établi que cřest à la 6 e éd. (1890) que K-E
y a introduit le sadisme et le masochisme. Notre
tâche comprendra trois volets. Il sřagira dřétudier
dřabord les 5 premières éd. de la PS comme une
sorte de préparation à lřintroduction des termes
en question. Il sřagira de décrire ensuite la manière
dont K-E a introduit les termes de sadisme
et de masochisme dans la PS. Il sřagira dřappréhender
enfin les 6 dernières éd. de la PS pour
évaluer les conséquences de cette introduction.
Ce chap. II est donc consacré à une exploration
méthodique du cadre proximal (cřest-à-dire la
PS), et il est divisé en quatre sections.
§ (1) - La première section expose la méthode
dřexploration employée. Jřai pris en compte
les quatre opérations de lřalgèbre de Boole combinées
à cinq critères structuraux. Des tableaux
chiffrés et leur représentation par des courbes
fournissent une sorte de vue cavalière de tout le
corpus. Il en ressort que la dynamique de lřélan
créateur de K-E est centrée grosso modo sur la
section des paresthésies, autrement dit les perversions
sexuelles. Cette partie constitue un livre dans
le livre. Les trois autres sections de ce chapitre
décrivent pas à pas les transformations encou-
85
rues par la section des paresthésies de la Psychopathia
Sexualis suivant les trois volets indiqués.
§ (2) - La deuxième section de ce chapitre
examine de près lřagencement de la section des
paresthésies de la PS et expose les résultats du
premier volet de notre tâche. Dřemblée K-E
distingue lřhomosexualité des perverions hétérosexuelles.
Son investigation de ces deux groupes suit un
mouvement pendulaire. Mais il semble que
lřhomosexualité soit le creuset de sa pensée. Sa
théorisation est souvent réduite à une taxonomie,
et celle-ci progresse par dichotomies découpées
sur un continuum. Un modèle de son élan créateur
est proposé et testé à propos des 5 premières
éd. de la PS, lesquelles évoluent par strates.
La PS5 (1890) constitue toutefois un palier.
Et lřintroduction du sadisme et du masochisme dans
la PS6 (1891) constitue une fracture, liée à une
refonte typologique.
§ (3) - La troisième section est consacrée à la
modalité de lřintroduction du sadisme et du masochisme
dans la PS (2 e volet). On y trouve la traduction
de la première théorie que K-E en propose
dans ses Neue Forschungen (1890), ainsi que
les modifications quřil lui apporte à la PS7
(1892). La découverte de la servitude sexuelle en est
la pièce maîtresse. La notion de dérivation multiple
est proposée pour rendre compte de la dynamique
de lřélan créateur chez K-E.
§ (4) - La quatrième section est consacrée au
3 e volet de notre tâche. Jřy poursuis lřétude des
transformations de la Trieblehre de K-E. Jřy explicite
ses nombreux soubassements, et expose le
tiraillement constant de K-E entre une théorie
unitaire et une théorie pluraliste des perversions
sexuelles. Le chapitre se termine sur lřimportance
de la (re)lecture de Binet dans les élaborations de
Krafft-Ebing.}

{71 }
§ (1) Ŕ Les Paresthésies,
la Psychopathia Sexualis,
& la médecine légale
Quand on gonfle certains ballons à compartiments
il arrive que lřun prenne par rapport
aux autres un volume démesuré. Il faut
alors recourir à une manipulation alternative
dřétirement et de pression pour égaliser la
répartition. Ŕ Cřest ce que Krafft-Ebing nřa
pas fait.
Cette image offre en effet une représentation
commode pour amorcer lřexamen des
modifications quřil a apportées aux six chapitres
de sa Psychopathia Sexualis au cours des
rééditions. Par commodité nous adopterons,
à la suite du Groupe μ, la distinction entre
quatre opérations rhétoriques responsables
de ces modifications :
Ŕ Suppression(s)
Ŕ Adjonction(s)
Ŕ Suppressions(s) et adjonction(s)
Ŕ Permutation(s) 170
170 GROUPE μ (1970) : Rhétorique générale, pp. 45-46. Des
arrière-pensées ne sont pas absentes de notre choix. Ces
catégories sřaccordent avec la logique de Boole. Ŕ Cf.
BOOLE (1854) : An Investigation of Laws of Thought, chap. III,
pp. 39-51. {Mon arrière-pensée, tenue secrète, nřest autre
86
Les identifier dans le texte de la Psychopathia
Sexualis ne présente aucune difficulté.
Elles sřoffrent dřelles-mêmes sans autre forme
de procès. De la sorte, nous pouvons
associer opportunément une analyse quantitative
à une analyse structurale.
Le Tableau (II) ci-après représente le
ballon que nous venons dřévoquer avec ses
six compartiments où Krafft-Ebing soufflera
douze fois. Certes, appréhender la Psychopathia
Sexualis de cette manière globale cřest ne
tenir compte que dřune seule des opérations
signalées, Ŕ lřadjonction. Il est de fait que de
la PS1 (1886) à la PS12 (1903) les pages du
livre sont en continuelle croissance numérique
171. {75 } ( *) Mais ce caractère, sřil révèle
lřimportance proéminente des adjonctions,
ne permet de rien déduire cependant à
propos des autres opérations, pas même leur
existence. Cette réserve étant posée, épuisons
les informations que, ce nonobstant, une
appréhension globale de la Psychopathia Sexualis
peut nous fournir.
que le mot dřordre de Lévi-Strauss énoncé dans Le Totémisme
aujourdřhui [1962] suivant quoi : un associationnisme rénové
devrait être fondé sur un système dřopérations qui ne serait pas sans
analogie avec lřalgèbre de Boole. (p. 130)}
171 {Cf. la rectification insérée p. 4, note 1, et tableau p. 284.}
* {Les pp. 72-74 sont occupées par les tableaux reproduits
à partir de la page suivante.}

{72 }
TABLEAU II : Répartition globale du texte de la PS
Chapitres
Éditions I II III IV V VI (L) (C) (P)
12 8 52 21 16 110 68 38
PS1
12 7,50 47,50 20 14,50 100 % 62 34,50
13 9 83 22 20 148 103 68
PS2 9 6 56 15 13,50 100 % 69,50 46
13 8 112 22 21 177 133 95
PS3 7 4,50 63,50 12,50 12 100 % 74 54
13 8 162 21 21 226 183 141
PS4 6 3,50 72 9,50 9,50 100 % 81 62,50
13 9 218 21 32 295 250 198
PS5 4,50 3 74 7,50 11 100 %
328
85 67
PS6 100 %
22 12 323 22 56 432 379 301
PS7 5 3 76 5 13 100 % 87,50 69,50
22 11 320 21 69 442 389 297
PS8 5 3 76 5 13 100 % 87,50 69,50
28 19 425 28 94 595 519 395
PS8 trf 5 3 71,50 5 16 100 % 87 66,50
22 11 287 21 72 414 359 265
PS9 5 2,50 69 5 17,50 100 % 87 64
21 10 254 18 70 376 324 228
PS10 5,50 2,50 67,50 5 18,50 100 % 86 60,50
22 11 279 26 77 416 356 253
PS11 5 2,50 67 6 18,50 100 % 85,50 61
13 11 5 286 26 82 434 368 261
PS12 5 2,50 1 66 6 19 100 % 85 60
Lire en ordonnées les éd. successives de la PS.
Lire en abscisses les chapitres successifs du livre.
Dans chaque cellule, le chiffre du haut (en gras) fournit le nombre de pages, et celui
du bas (en maigre) son rapport au total des pages du livre (L).
(C) est la réunion des chap. IV et VI.
(P) représente la sous-section du chap. IV dévolue aux « Paresthésies ».
{Les informations concernant les PS6, PS7, PS8 et PS10 sont un complément dont je
ne disposais pas en 1975. Je signale ces éditions par un poiçon évidé .}
87

{73 }
TABLEAU III : Graphe des chiffres bruts du Tableau II
88

{74 }
TABLEAU IV : Graphe des pourcentages du Tableau II
89

{75 suite } Lřouvrage comporte jusquřà
lřavant-dernière édition cinq chapitres. Un
sixième fut introduit à la 12 e et dernière éd. Ŕ
le chapitre III Ŕ décalant dřun cran les autres
chapitres. Nous convenons de nous référer
aux chapitres selon leur numérotation dans
lřédition définitive. Voici leurs intitulés :
I. Ŕ Fragments dřune psychologie de la vie
sexuelle
II. Ŕ Faits physiologiques
[ III. Ŕ Faits anthropologiques ] (12 e éd.)
IV. Ŕ Neuropathologie et psychopathologie
générales de la vie sexuelle
V. Ŕ Pathologie spéciale
VI. Ŕ La vie sexuelle morbide devant les
tribunaux
Dès la 1 re éd. lřéconomie interne du livre
accuse un net déséquilibre favorisant un
chapitre sur tous les autres. Cřest le chapitre
de Pathologie Générale. Ce favoritisme est renforcé
sans coup férir dřune édition à lřautre.
Il atteint à la 5 e éd. (1890) son point culminant
en accaparant à lui seul les trois quarts
du texte de la Psychopathia Sexualis. Le Tableau
(III), représentant les chiffres bruts,
montre que, si ce chapitre nřest pas tout à fait
le seul à être augmenté, il lřest constamment
et de manière spectaculaire. Le Tableau (IV),
qui représente le rapport de chaque chapitre
à tout le livre, montre quřà la 5 e éd., un point
dřinflexion intervient. Jusque là lřhypertrophie
touchait quasi exclusivement le chapitre
de Pathologie Générale. À partir de la 5 e éd.,
90
même si la croissance de ce chapitre continue
sur sa lancée, Krafft-Ebing ne néglige plus
autant les autres chapitres. Cřest celui qui se
rapporte à lřaspect juridique qui sřaccroît de
plus en plus.
Supposons, comme le suggèrent à peu
de chose près les Tableaux (II), (III) et (IV),
une stabilité complète de tous les chapitres
de la Psychopathia Sexualis hormis les chapitres
IV et VI. Conformément au sous-titre du
livre, lřun se rapporte à lřaspect psychomédical,
lřautre à lřaspect médico-légal de la
fonction sexuelle. Il nřy a plus à sřétonner
quřils accaparent à eux deux la presque
totalité des soins de Krafft-Ebing.
À partir des informations rapportées
dans les Tableaux (III) et (IV) nous ferons
quelques propositions interprétatives sřéloignant
des déductions strictes quřils autorisent
avec une quasi certitude, à charge de les
vérifier systématiquement {76 } plus tard.
Examinons le Tableau (III). La variation
en pente 172 de la courbe du chap. IV est
172 Toutes les pentes peuvent être calculées, et les différences
estimées au plus près. De manière générale nous nřutilisons
la statistique quřen vue dřétayer notre description et
lui apporter une relative précision. Nous nřavons donc pas
cru utile de pousser lřutilisation de cet outil au-delà dřun
certain point, qui est lřoptimum de son rendement. Les
nuances que lřanalyse statistique pourrait ajouter, si elle
était poussée plus loin, sont en effet balancées par une
augmentation de {77 } la marge dřerreur. Pour les nuances,
nous utiliserons la comparaison des textes, qui est la
précision absolue. Mais pour une image globale la statistique
est sinon indispensable du moins très commode. Elle
présente de plus un intérêt non négligeable de révéler les

digne dřune première remarque. Jusquřà la
PS5 elle est très abrupte et fournit, avec une
légère différence, lřimage de la courbe (L)
mesurant la croissance globale de tout le
livre. Mais à partir de la PS5 elle ne fera que
diminuer.
La courbe VI du même tableau présente
une forme inverse. Entre la PS1 et la PS4 sa
pente est négligeable, mais elle prend un
essor remarquable à partir de la PS5.
Le Tableau (IV) présente des courbes IV
et VI, par rapport à lřéconomie du livre, une
image relative éclairant ces constations. Cřest
comme si lřune était lřimage en miroir de
lřautre. Nous avons même indiqué sur ce
tableau lřemplacement dřun point (T) par
rapport auquel une symétrie approximative
pouvait être obtenue.
Nous déduisons, à partir de la forte
interdépendance unissant les courbes IV et
VI, un rapport de causalité à comprendre de
la manière suivante. Que ce soit dans la
succession des chapitres ou que ce soit dřun
point de vue théorique extérieur, le chapitre
IV constitue lřassise du chapitre VI. Il va de
soi que la causalité linéaire, réduite à la
succession des chapitres, ne saurait être responsable
à elle seule des variations indiquées,
puisquřelle ne joue pour aucun des autres
chapitres auxquels le chap. VI succède aussi.
tendances de lřévolution du livre en question, et conséquemment
dřaider à formuler, à contrôler et à vérifier, des
hypothèses, et à en exclure dřautres.
91
Cela nřest pas assez. Nous irons même
jusquřà soutenir {77 } que, dřun point de vue
épistémologique, la succession linéaire des
chapitres est indifférente. Un livre est un
discours qui se déroule linéairement. Lřexposé
y prend forcément une succession déterminée,
ordonnée selon la flèche du temps.
Lřauteur, désirant y mettre une certaine logique,
accommode sa matière selon une certaine
succession. Jusquřà plus ample informé,
cet ordre reflète, chez chaque auteur, une
certaine idée de la pédagogie de la lecture. Partir
du plus connu au moins connu (ou inversement),
du plus simple au plus complexe (ou
inversement), de la théorie à la pratique (ou
inversement), etc. Chacun a son idée làdessus.
Il est de plus loisible dřutiliser pour
chaque chapitre un ordre différent. Lřarbitraire
est grand et reflète les opinions pédagogiques
plus ou moins lucides de chaque
auteur 173. Sans doute la succession pédagogi-
173 La lecture dřun livre nřest pas asservie à lřordonnancement
du livre. La lecture, comme tout travail de création,
se meut dans un temps épistémologique. Les conseils (touchants)
dřAlthusser (1969) supposent quřon peut effectivement
lire le Livre I du Capital selon un ordre différent de
lřordonnancement des chapitres. Mais ils se bornent à
substituer un arbitraire pédagogique à un autre. Dřun point
de vue épistémologique, les essais recueillis in Lire le Capital
sont plus intéressants, bien quřils échouent à fournir les
principes générateurs de cette œuvre. Ceux-ci sont mieux
indiqués, mais tout juste indiqués, dans Pour Marx. Notre
tentative de « lire » la Psychopathia Sexualis est plus radicale
et plus exigeante. À nos yeux, une « lecture » resterait incomplète
tant quřelle nřenveloppe pas du même mouvement
les conditions et les modalités de son jaillissement.
Cela dit, nous sommes passés dřun sens de « lire » à un
autre, Ŕ confusion entretenue dans la production intellectuelle
dřaujourdřhui. Pour notre part nous souhaitons

que peut-elle légitimement constituer un
objet dřétude, mais ce nřest pas ici notre propos.
Nous admettons comme une donnée la
1 re éd. de la Psychopathia Sexualis, ni plus ni
moins. Cřest notre point de départ. Quant à
la succession des variations que Krafft-Ebing
lui fait subir, elle ne coïncide dřaucune façon
avec la succession des chapitres. Ces variations
se meuvent dans un temps que nous
avons appelé épistémologique. Par chance, la
succession des éditions de la Psychopathia
Sexualis nous en fournit une {78 } bonne approximation.
Par chance, Ŕ car il ne nous est
pas souvent donné de suivre pour les œuvres
marquantes douze éditions au cours desquelles
des transformations fondamentales
eussent intervenu. Approximation, Ŕ car il est
bien entendu que lřélan créateur a lieu entre
deux éditions. Le livre imprimé nřen présente
que le résultat. Nous pensons que lřétude
successive des états du texte de la Psychopathia
Sexualis, parce quřils sont justement nombreux
et assez différents, devrait nous fournir
une bonne approximation du travail effectif
de création. Cřest aussi un cas privilégié où
lřétude des brouillons dřun auteur, si difficiles
à déchiffrer et très souvent impossibles à
dater et donc à classer Ŕ quand ils subsistent
sans lacunes Ŕ est avantageusement suppléée,
laisser au verbe lire son sens courant, et conférer à
lřépistémologie le fief de lřétude des sentiers de la création
dans les sciences. La lecture au sens courant du terme,
comme la création dans les sciences, et comme tout travail
de la pensée {78 } dřailleurs, se meuvent dans un temps
épistémologique.
92
et où lřoutil statistique peut être employé à
bon escient.
Cela non plus nřest pas suffisant. Si nous
considérons nos Tableaux (III) et (IV) nous
pouvons encore remarquer une configuration
similaire entre les courbes des autres chapitres.
En somme leur évolution, similaire à
celle du chap. VI, est inverse à celle du chap.
IV. À consulter surtout le graphique du
Tableau (IV) on sřen assure bientôt. La courbe
de chacun des chapitres, à un certain moment
de son évolution, présente une inflexion
plus ou moins accusée mais toujours
décelable. Nous avons déjà opté pour un lien
de causalité entre la courbe IV et la courbe
VI. À la lumière de cette nouvelle donnée
nous prétendons étendre cette causalité à
toutes les autres courbes.
De cette description une image globale
se dégage quřil est avantageux de formuler en
tenants et aboutissants. Nous dirons alors
que la courbe IV, dans son essor entre la PS1
et la PS5 a préparé une assiette théorique
nouvelle. Lřinflexion brutale observable entre
la PS4 et la PS8 indique quřune révolution est
intervenue dans les conceptions de ce chapitre,
et quřelle sřest répercutée en cascade
sur les autres. La vague de changement qui a
sa source au sein du chap. IV (psycho-médical)
et sa butée au chap. VI (médico-légal) sřest
répandue également aux autres chapitres.
{79 } Ces assertions reposent sur deux
conjectures. Elles supposent premièrement

que Krafft-Ebing concentre son intérêt sur le
problème que lui pose son chap. IV, après
quoi il se tourne vers les autres chapitres
pour y répercuter son résultat. Elles supposent
également que lřintérêt porté par Krafft-
Ebing aux différents chapitres de son livre
peut se mesure quantitativement par le
nombre de pages quřil leur consacre.
Quřen est-il en fait ?
Le mieux est de faire semblant de préparer
une édition critique de la Psychopathia
Sexualis. Pour que lřétude en soit commode il
faut adopter une base commune de repérage.
Cřest encore une chance que la Psychopathia
Sexualis nous fournisse les repères désirés
sans que nous ayons à recourir à des artifices.
La table des matières placée en tête du livre
est en même temps une table analytique. Les
alinéas de lřouvrage reçoivent ainsi des intitulés
dřautant plus utiles quřils sont suivis des
numéros de page. Cette table sacrifie cependant
les divisions en sections et sous-sections
du livre pour ne conserver que les intitulés
des chapitres et leurs grandes divisions. Ces
sections et sous-sections que lřon retrouve
dans le corps du texte sont, elles aussi, des
repères fort utiles. Quant-au texte lui-même,
dřemblée on y fait la part des observations
imprimées en caractères plus petits et numé-
93
rotées en continu, quřelles appartiennent à
Krafft-Ebing ou quřelles soient reprises à des
confrères. Ainsi a-t-on le choix entre plusieurs
repères selon les besoins de lřanalyse :
1/ Le nombre de pages (à tous les niveaux).
2/ La table des matières par chapitres, Ŕ dont
nous avons déjà tiré parti dans nos précédents
tableaux.
3/La table analytique des matières.
4/ Les sections et sous-sections.
5/ Le texte lui-même, enfin, où lřon peut faire
deux parts, celle qui revient aux observations et
celle qui revient à lřanalyse.
En sřaffinant, notre approche sřéloigne
de la grossière image du ballon compartimenté
ayant servi de première béquille. Alors
que lřimage du ballon distingue lřenveloppe
de son contenu, nous avons pu rétablir lřunité
dřun {80 } discours structuré, qui avance
par différenciations internes, et qui est analysable
par paliers. Essayons à présent de mettre
à lřépreuve les inductions généreusement
distribuées plus haut. La marche à suivre
sřoffre dřelle-même. Si tant est que nos suppositions
correspondent à quelque vérité,
amorcer lřinvestigation par lřétude du chap.
IV serait propice à un prompt succès.
Ce chapitre IV de « Pathologie générale,
neurologique et psychologique » débute par une
déclaration sur ce qui lřinspire :

(T.43)
Chez les hommes civilisés de notre époque
les fonctions sexuelles se manifestent très souvent
dřune manière anormale. Cela sřexplique en
partie par les nombreux abus génitaux, en partie
aussi par le fait que ces anomalies fonctionnelles
sont souvent le signe dřune disposition morbide
du système nerveux central, disposition résultant,
dans la plupart des cas, de lřhérédité (Symptômes
fonctionnels de dégénérescence.)
KRAFFT-EBING : PS8 (1893), trf 1895, p. 49.
Il est clair que Krafft-Ebing est un
adepte de la théorie de la dégénérescence.
Mais il est également partisan de faire le départ
entre ce qui est inné (héréditaire ou
congénital) et ce qui est acquis. Lřexposé se
poursuit avec le schéma des névroses sexuelles que
voici 174 :
(T.44)
I. – Névroses Périphériques
1. Sensitives
a) Anesthésie ; b) Hyperesthésie ; c) Névralgie
2. Sécrétoires
a) Aspermie ; b) Polyspermie
3. Motrices
a) Pollutions (spasmes) ; b) Spermatorrhée (paralysie)
II. – Névroses Spinales
1. Affections du centre d’érection
174 Comp. à la classification de MAGNAN (1885, pp.
448-449) « basée sur lřanatomie et la physiologie », et qui distingue
les quatre groupes suivants : les spinaux, les spinaux
cérébraux postérieurs, les spinaux cérébraux antérieurs, et
les cérébraux antérieurs ou psychiques. La classification de
Magnan a été adoptée par SERIEUX (1888) et par LEGRAIN
(1896). {Ces justifications anatomo-pathologiques ne sont
quřune « façade » (window dressing) pour lřapproche fonctionnelle,
ainsi que le note joliment ARNOLD DAVIDSON
(1990), p. 70, trf p. 46.}
94
a) Excitation (priapisme) ; b) Paralysie ; c) Entraves ;
d) Débilité sensitive
2. Affections du centre d’éjaculation
a) Ejaculation anormalement facile
b) Ejaculation anormalement difficile
III. – Névroses Cérébrales
1. Paradoxie
2. Anesthésie
3. Hyperesthésie
4. Paresthésies
KRAFFT-EBING : PS8 (1893),
trf 1895, pp. 50-51.
{81 } Lřauteur ne donne aucune explication
au sujet de la première division (sur les
névroses périphériques). Pour lui elle va sans
dire. Aux deux autres divisions il consacre
quelques pages 175. Puis il revient en détail
aux névroses cérébrales, cřest-à-dire à la 3 e
division. On a lřimpression que cřest la seule
à lřintéresser, ou à intéresser le public de son
livre : médecins-légistes et juristes. Pourtant
là encore la distribution des pages est très
inégale. Les trois premières sortes de névroses
cérébrales (Paradoxie, Anesthésie, et
Hyperesthésie) sont expédiées en quelques
pages 176. Le reste du chapitre est dévolu aux
« Parästhesie der Sexualempfindung oder Perversion
des Geschlechtstriebs ». À lřépoque, on rendait
en français ces expressions ainsi : « Paresthésies
du sentiment sexuel ou Perversions 177 de lřinstinct
175 Cinq pages au maximum.
176 Dix-huit pages à la 12 e éd. (1903).
177 Ce terme nřest pas utilisé comme un substantif. K-E
lřutilise aussi bien pour la pulsion alimentaire (Nahrungstriebs)
que pour la pulsion sexuelle. Dans ce contexte,
perversion veut simplement dire « pervertissement ». Ŕ Cf.
TCP5 (1893), p. 81. ; TCP5 (1893), trf 1897, p. 97. {Ces

génésique ». Il serait plus exact de dire : Paresthésies
de la sensibilité sexuelle ou pervertissements
de la pulsion sexuelle.
Le chap. IV de la Psychopathia Sexualis
nřest donc pas également dynamique en
toutes ses parties. Cřest même plutôt la section
des « Paresthésies » qui est le seul siège des
transformations. On sřen assure en consultant
les Tableaux (II), (III) et (IV) où le signe
(P) désigne la section des paresthésies. Les
graphiques mettent particulièrement bien en
évidence quřon peut obtenir la courbe qui
représente le chap. IV par une simple translation
de la courbe (P) des paresthésies.
Lřépaisseur de la couronne comprise entre
les courbes (IV) et (P), est, à peu de chose
près, constante.
Nous possédons donc les meilleures raisons
pour centrer notre investigation sur
cette partie de la Psychopathia Sexualis qui traite
des paresthésies, autrement dit des perversions
de la pulsion sexuelle.
névroses cérébrales sont appréhendées en tant que
« troubles fonctionnels du sens génésique ». Leur répartition en
quatre classes est conforme à une tradition médicale qui
remonte à au moins cinquante ans en arrière. Il nřy a là
aucune innovation de la part de K-E Ŕ Cf. ARNOLD
DAVIDSON (1990), pp. 72-73, trf pp. 47-50.}
95
{81 suite }
§ (2) Ŕ Les Transformations
de la section des
Paresthésies
Krafft-Ebing a toujours scindé en deux
groupes les perversions {82 } de la pulsion
sexuelle selon que son inclination (Neigung)
178 allât vers lřautre sexe ou rebroussât
chemin vers le sexe propre. Il sřy est tenu
avec une constance sans défaillance depuis
son essai de (1877e) jusquřà la PS12 (1903)
posthume.
Fixons dřabord notre vocabulaire.
Celui de Krafft-Ebing nřest pas maniable
avec facilité. Il a recours à des expressions et
des locutions complexes 179. Quand la reprise
de ses propres termes nřest pas nécessaire,
nous convenons de recourir à des expressions
simplifiées. Cřest ainsi que nous convenons
de désigner (pour la commodité) le
premier groupe dř « hétérosexualité perverse », et
le second dř « inversion [sexuelle] ». On trouvera
aux pages suivantes les Tableaux (V) à
(IX) qui décrivent lřévolution statistique et
structurale des divisions consacrées par
Krafft-Ebing à ces deux groupes.
178 Pour rendre Neigung nous avons préféré inclination à
penchant.
179 Le vocabulaire de Krafft-Ebing est fourni plus bas au
hors-texte (T.45) et suivants, p. 87 et suivantes.

Parmi les graphiques que nous présentons
il nřest aucun qui puisse ravir son
importance à celui du Tableau (IX) où la
stricte corrélation entre les courbes (I) et (II)
sřimpose avec une spectaculaire évidence.
Cette fois cřest avec une confiance complète
que nous avancerons la proposition suivante.
PS4
PS5
PS1
PS2
PS3
I. – Hétérosexualité
perverse
21
24
25
{83 }
TABLEAU V : La 1 re version de la section des Paresthésies
55,50
35,50
26,50
96
En prenant en considération la quantité de
matière dévolue à chacun des deux grands
groupes de perversions, on a lřimpression
que lřimportance croissante accordée par
Krafft-Ebing à lřinversion sexuelle (courbe II),
se fait aux dépens de celle qui est portée à
lřhétérosexualité perverse (courbe I).
II. – Inversion Sexuelle
1) congénitale 2) acquise
16 42
14 37 3 8
43 63,50
36 53 7 10,50
69 72,50
59 62 10 10,50
TABLEAU VI : La 2 e version de la section des Paresthésies
I. – Hétérosexualité perverse II. – Inversion Sexuelle
1) Potent 2) Impotentia A) acquise B) congénitale C) traitement
29 22 110 78
10 7 19 14 15 10,50 95 67,50 —
33 17 163 83
10 5 23 11,50 17 8,50 125 63 21 10,50
Total
38
68
95
Total
141
198

PS8
(trf)
PS9
PS11
PS12
{83 suite }
TABLEAU VI : La 3 e version de la section des Paresthésies
I. – Hétérosexualité perverse II. – Inversion Sexuelle
Sadisme & Masochisme 3) Féti- A) ac- B) con- Traite-
1.Sadisme 2.Masochis. Théorie chisme quise génitale ment
164—42
120—30,50
229—58
42—11 61—15,50 17—4 44—11,50 46—12 134—34 45—12
135—51
99—37,50
128—49
32—12 51—19,50 16—6 36—13,50 35—14 74—29 16—6
147—58
104—41
105—42
34—13,50 53—21 17—6,50 43—17,00 29—11,50 64—26 9—3,50
142—55
98—37,50
116—45
35—13,50 50—19,50 13—5,50 44—17,50 30—11,50 69—26,50 17—6,50
NOTA-BENE : Pour la PS8 trf, ce ne sont pas les nombres des pages
qui sont significatifs, mais les pourcentages
97
Total
395
265
253
261

{82 suite } Rappelons notre convention
de considérer les inflexions des courbes concernées
comme autant de repères pour délimiter
des étapes dans lřévolution théorique
de Krafft-Ebing. En suivant ce principe, que
peut-on inférer des courbes des Tableaux
(VIII) et (IX) relatifs aux deux grands groupes
de perversions sexuelles ? Ils indiquent
lřexistence de deux césures, lřune à la PS5
(1890), lřautre à la PS11 (1901), ce qui nous
conduit à admettre trois étapes dans la transformation
théorique. Un regard synthétique
jeté à lřévolution de la recherche de Krafft-
Ebing permet de se la représenter de la
manière suivante. Le cadre des perversions
sexuelles une fois délimité, cřest à lřinversion
sexuelle que Krafft-Ebing sřintéresse en premier
lieu. Au cours des cinq premières éditions
il ne cesse de nourrir ce dossier jusquřà
ce quřun renversement du quantitatif en qualitatif
se produise. Un équilibre théorique
sřensuit et constitue un palier provisoire.
Krafft-Ebing se tourne alors du côté de
lřhétérosexualité perverse qui était demeurée
pendant ce temps-là en suspend. La deuxième
transformation théorique prendra son
essor pendant que lřinversion sexuelle entre
en latence. Lřinvestigation de lřhétérosexualité
perverse se développera entre la PS5
(1890) et la PS11 (1901). Jusquřà ce quřun
renversement du quantitatif en qualitatif
sřopère. Un équilibre théorique sřensuit et
constitue un nouveau palier provisoire. Le
100
mouvement du balancier revient de nouveau
à lřinvestigation de lřinversion sexuelle.
{86 } Ce genre de description-interprétation,
conforme au schéma hégélien classique 180,
nřest pas le seul possible. Le passage du
quantitatif au qualitatif garde son mystère et
se rit de nous. Notre expérience personnelle,
acquise par la fréquentation de textes de tout
genre, paraît sřinscrire en faux contre cette
schématisation. Lřélan créateur nous paraît
être un processus qui fleurit à partir dřune
succession discontinue de strates, se recouvrant
les unes les autres par décrochements.
Ce processus ne semble admettre de la
schématisation hégélienne quřune dialectique
bloquée à ses deux premiers mouvements.
En conformité avec ce point de vue lřélan
créateur de Krafft-Ebing suivrait la marche
suivante. Krafft-Ebing propose dřabord une
théorie de lřinversion sexuelle. Il se met ensuite
en devoir de lřexplorer méthodiquement
jusquřà lřexhaustion les possibilités de
la combinatoire. Cela ne mène nullement à la
formulation dřune théorie nouvelle, mais
seulement à un balayage exhaustif du
quadrillage théorique posé au départ. Lřétape
suivante est en solution de continuité avec la
précédente. Ayant épuisé le balayage du
cadre théorique conçu pour lřinversion sexuelle,
Krafft-Ebing se tourne vers lřautre grou-
180 Cf. Logique de Hegel, trad. franç. Véra, 1859, tome II, pp.
7-66 ; Propédeutique Philosophique, trad. franç. de Gandillac,
pp. 83-90 ; et MARX (1867gf), trad. franç. Roy, p. 229.

pe de perversions, lřhétérosexualité perverse,
laissé en rade pendant tout ce temps. Derechef,
il en donne au départ une théorie, et il
se met en devoir dřexplorer systématiquement
ce quadrillage, au cours des éditions
subséquentes de son ouvrage, jusquřà complète
exhaustion. La troisième étape (problématique),
débute par un nouveau recadrage
théorique de lřinversion sexuelle. Mais pour
des raisons extrinsèques (le décès de lřauteur),
elle nřa pu être menée à bonne fin.
Quoiquřil en soit de lřissue de ce dilemme,
dont le dénouement est différé tout juste
de quelques lignes, on peut observer que le
second modèle proposé ici présente une
certaine convergence avec le second modèle
du chapitre précédent 181. Dřun point de vue
épistémologique il nous paraît plus puissant
que lřautre. Il est également dřune extrême
flexibilité, parce quřil nřexige pas une stricte
succession des étapes. Rien ne sřoppose à ce
que Krafft-Ebing songe à poser une nouvelle
théorie de lřhétérosexualité perverse avant
dřachever le balayage de la combinatoire produite
à propos de lřinversion sexuelle. Sřil ne
lřa pas fait est une question supplémentaire
offerte à notre ingéniosité. En somme, si la
parfaite symétrie que présentent {87 } les
courbes (I) et (II) du graphique du Tableau
(IX) cessait dřêtre posée suivant le premier
modèle comme une relation de cause à effet,
pour être plutôt considérée comme une rela-
181 Cf. supra, p. 42 et suiv.
101
tion éventuelle et de surcroît (second modèle),
cela ne peut quřenrichir lřanalyse en reculant
son horizon.
De toute façon, si nous essayons de mettre
à lřépreuve le modèle hégélien on est vite
fixé. Le constat négatif est sans appel. À la
PS5 (1890), lřaccumulation (quantitative) des
pages consacrées à lřinversion sexuelle nřa
pas abouti à une nouvelle théorie ou au
dépassement de la théorie antérieure. Pas
plus quřà la PS11 (1901) lřaccumulation de
pages consacrées à lřhétérosexualité perverse
nřa abouti à une nouvelle théorie de ce
groupe de perversions. En revanche, le
second modèle, dans la mesure où les lacunes
de notre corpus ne contrecarrent pas tout
effort de vérification, se révèle passablement
acceptable. En tout cas, le modèle hégélien
est tout à fait inapproprié.
Si nous optons pour un niveau dřanalyse
moins superficiel que la quantité de matière,
si nous utilisons par exemple lřarchitectonique
des subdivisions du texte 182, nous
recueillons des raisons supplémentaires en
faveur du modèle des strates discontinues.
On a peut-être déjà remarqué quřil nous a
fallu trois tableaux différents pour rassembler
182 Repère n°4 de la p. 79, supra.

les données numériques relatives à la section
des paresthésies. Cřest que lřarchitectonique
de cette section est passée par des remaniements
structuraux dont il est temps de scruter
la disparité 183.
À la 1 re éd. (PS1, 1886), la distinction
entre deux groupes de perversions de la pulsion
sexuelle est positivement indiquée par
une numérotation en chiffres romains. Lřexposé
débute par lřhétérosexualité perverse,
laquelle ne comporte quřune seule subdivision.
Elle est tout de même affectée curieusement
dřun numéro orphelin en chiffres arabes,
en attendant peut-être des jours meilleurs
où ce numéro recevra un (ou plusieurs)
répondant(s). Quant au groupe de lřinversion
sexuelle, il comporte quant à lui deux subdivisions
: lřacquise et la congénitale, traitées
dans cet ordre là.
(T.45)
D. Parästhesie der Geschlechtsempfindung
(Perversion des Geschlechtstriebs) 34
{88 }
I. Geschlechtlich Neigung zu Personen
des anderen Geschlechts in perverser
Bethätigung des Triebs 35
1) Lustmord und verwandt Erschei-
nungen (Wollust, potenzirt als
Grausamkeit, Mordlust bis zur
Anthropophagie) 36
II. Mangelnde Geschlechtsempfindung
gegenüber dem anderen bei stellver-
183 Cf. les Tableaux (V), (VI) et (VII), p. 83, supra.
102
tretendem Geschlechtsgefühl und
Geschlechtstrieb zum eigenen Gesch-
lecht (conträre Sexualempfindung) 56
1) Als angeborene Krankhaft
Erscheinung 56
2) Erworbene conträre Krankhaft
Sexualempfindung 70-72
KRAFFT-EBING : PS1 (1886)
À ces divisions générales numérotées,
Krafft-Ebing ajoutera à la PS2 (1887) des
intertitres en gras non-numérotés. Un seul
pour le groupe de lřinversion sexuelle :
Casuistik zur angeborenen conträren Sexulempfindung.
Quatre pour le groupe des perversions
hétérosexuelles :
(T.46)
Lustmord..... 184 38
Active u. passive Flagellation 48
Exhibitionisten 57
Statuen- und Leichenschänder 58
KRAFFT-EBING : PS2 (1887)
À la 3 e éd. (PS3, 1888), une seule addition,
non numérotée, précède la section de
lřinversion sexuelle acquise, comme pour lui
servir dřintroduction : Übergangsformen zur
erworbene conträren Sexulempfindung (p. 119) 185.
184 La suite est la même que celle du hors-texte précédent
(T.45), amputé du numéro orphelin.
185 Le texte de cette section est entièrement nouveau.
Après 18 lignes de présentation, K-E relate une longue
observation, celle du cas Herr v. X., Russe, 28 ans. Du
point de vue de lřétude clinique de lřinversion sexuelle,
cette observation doit être mise en regard du cas relaté par
CHARCOT & MAGNAN (1882a) dans les Archives de Neurologie.
Au cours des transformations de la Psychopathia Sexualis,

La 4 e éd. (PS4, 1889) subit une modification
appréciable de lřarchitectonique. Dans le
groupe dévolu à lřinversion sexuelle, lřauteur
permute dřabord les deux subdivisions. Il
commence maintenant {89 } son exposé par
lřinversion sexuelle acquise. Il y distingue à
présent deux genres :
(T.47)
1) Im Verlauf einer durch Masturbation
Entstandenen Neurasthenie und als
dauernde Erscheinung 73
2) Erworbene conträre Sexualempfindung
als episodische Erscheinung während eines
psychopathischen Zustande 86-88
KRAFFT-EBING : PS4 (1889)
La modification est plus profonde pour le
groupe des perversions où persiste lřappétit
vénérien pour lřautre sexe. Encore que lřon
puisse légitimement contester ce vocable.
Modification est un terme de dialectique qui
désigne un changement dans la manière
dřêtre dřune substance sans toucher à son
essence. Cela sřapplique-t-il à notre cas ? On
peut soutenir soit que la PS4 (1889) apporte
cette observation à lřinstar de tant dřautres dřun réel intérêt,
ne subsistera pas. Cřest pourquoi HAVELOCK-ELLIS
(1896, trf p. 343) se permettra de formuler à lřencontre de
K-E le reproche suivant : « Il lui est arrivé de rejeter des
matériaux du plus haut intérêt pour les remplacer par dřautres de peu
de valeur ». Nous nous associons au regret mais non pas au
reproche. Nous pensons que la suppression et lřadjonction
dřobservations a dû relever dřun système quřil faut essayer
de reconstituer. Les limitations obligatoires de ce modeste
travail nous ont contraint de parer au plus pressé. Nous
avons dû écarter à contrecœur lřétude systématique des
observations de la Psychopathia Sexualis. {Cf. p. 284, infra.}
103
une refonte théorique du groupe des perversions
hétérosexuelles, soit, plus radicalement encore,
on peut soutenir quřavant la PS4 (1889) il
nřexistait pas encore à strictement parler de
tentative de théorisation de ce groupe de
perversions. Dans les deux cas de figure, ce
nřest pas la manière dřêtre du groupe des
perversions en question qui est réformée,
mais ce quřil en est de son essence propre.
(T.48)
I. Geschlechtlich Neigung zu Personen des
anderen Geschlechts in perverser Bethätigung
des Triebs 44
1) Das Individuum ist in seinen sexuell-spinalen
Fuktionen intact (potent) 44
a) Lustmord (Wollust, potenzirt als
Grausamkeit, Mordlust bis zur
Anthropophagie) 44
b) Anderweitige Akte der Grausamkeit aus
Krakhafter Wollust 48
α) Schinden von Thieren 48
β) Flagellieren und Blutigstechen 49
c) Leichenschänder 51
2) Das sexuell hyper- und parästhetische Indivi-
duum leidet an rezbarer Scwäche der spinalen
Centeren bis zur Impotentia coëundi 44
a) Erwüngen von Frauen 54
b) Mädchenschneider und Mäd-
chenstecher 57
c) Passive Flagellation 59
d) Fetichisten 62
e) Exhibitionisten 71
f) Statuenschänder 73
KRAFFT-EBING : PS4 (1889)
Avant de poursuivre notre analyse, une
remarque de première importance devrait

nous laver du reproche de « raffiner » à propos
de lřarchitectonique, au lieu dřaller directement
à lřessentiel, cřest-à-dire au texte
même de la Psychopathia Sexualis. Ce {90 }
serait peut-être de la subtilité que de répondre
que les titres et sous-titres appartiennent
au texte. Mais ce nřest pas une argutie
que de dire quřà peu de chose près les titres
et sous-titres recueille souvent toute la théorisation
de Krafft-Ebing. Cřest la raison qui
nous faisait dire que la théorie chez lui, du
moins en cette section, est réduite au strict
minimum. Malgré le nombre croissant de
pages dévolues à cette section, la théorie y est
quasiment réduite à une taxonomie. Lřurgence
du moment en matière de médecine
légale, chapitre des « attentats aux mœurs »,
appelait alors à une sommation du savoir
accumulé. Cřest ainsi que lřentendait Krafft-
Ebing, et cřest ce que confirme le succès du
livre 186. En outre, depuis Euclide à saint
186 On peut à juste titre soupçonner que le public de
Krafft-Ebing excédait les médecins et les juristes pour
sřétendre bien au-delà, aux littérateurs mais surtout aux
« pervers » eux-mêmes. On est, en effet, impressionné par
le nombre de ces derniers (dont le cas est relaté dans les
éditions successives du livre) qui font référence à cette
lecture. {Cf. plus bas p. 157 (note 342)}. Plus analytiquement,
nous nous demandons si la médecine légale et la
législation des mœurs concernant la folie et les attentats à
la pudeur, ne sont pas déterminées par lřaccession des fous
et des pervers à une véritable classe sociale {ou plutôt un
groupe de pression} ? Arguer de lř « hypocrisie des mœurs de
lřépoque », ou de « la grave maladie que fut le victorianisme » (Brecher,
1969, p. 371) nřest pas à nos yeux la bonne manière
de formuler le problème. Dřaprès nos propres recherches,
ce sont les homosexuels qui seraient à lřorigine du
bouleversement. Il suffit de rappeler le militantisme de
K.H. Ulrichs (alias Numa Numantius) donnant lřessor à
104
Thomas dřAquin et à Hegel, toute « somme »
repose sur un principe de classement. Ce
dernier est Ŕ si lřon nous passe lřexpression Ŕ
dans son dépouillement, son âme même. Le
classement de Hegel utilise, nous ne le
savons que {91 } trop, un principe trichotomique
systématisé. Quant à Krafft-Ebing,
cřest le principe dichotomique qui a ses
faveurs.
Afin de préciser la fonction de la dichotomie
chez Krafft-Ebing nous allons utiliser
les études dřHenri Wallon 187 sur le couplage
lřétude pionnière de Westphal. Rappelons également que le
livre de K-E comporte dans son sous-titre même une référence
spéciale à la sensibilité sexuelle contraire. On a
essayé ces derniers temps de vilipender les psychiatres
dřhier, qui à lřHôpital Saint-Antoine {Pierre Fédida}, qui
au Collège de France {Michel Foucault} en visant nommément
Krafft-Ebing. Il nřest donc pas inutile de rappeler
Ŕ mais lřa-t-on jamais su ? Ŕ que K-E est lřauteur dřun
pamphlet écrit à la défense des droits civiques des homosexuels
(Krafft-Ebing, 1894d). Lřhomosexualité était véritablement
lřobjet dřune pointilleuse censure. Les premiers
sexologues à sřen occuper ont eu maille à partir avec les
autorités. En France, la traduction française du livre de
Moll (1893) est saisie, mais le jugement est prononcé en
faveur dřun acquittement de lřéditeur Carré. En Grande-
Bretagne le livre de Havelock-Ellis est saisi et condamné
(1896). Lřauteur fut contraint de publier son œuvre à
lřétranger, Ŕ en Allemagne précisément. Le monde dřexpression
germanique était plus tolérant à cette époque, ce
qui favorisa grandement les recherches en ce domaine.
187 Nous avons suivi Wallon de préférence à Freud parce
quřil nous a semblé plus aisé à résumer avec fidélité. Ces
deux penseurs avaient opté pour le même point de vue
anthropocentriste de lřéquation : Enfant ≡ (Fou, Anormal,
Malade) ≡ Primitif ≡ Ancêtre Préhistorique. Le processus primaire
chez Freud a, en effet, des implications temporelles
et génétiques. Wallon et Freud (1910e) ont comparé tous
les deux lřorigine du langage avec le langage des primitifs
dřaujourdřhui. Freud a eu recours au linguiste Abel pour
adopter avec enthousiasme sa thèse du sens antithétique
des prétendus mots primitifs. Wallon a eu plus de discer-

de termes dans lřidéation 188. Wallon avance
trois propositions :
1/ (a) La pensée nřexiste que par les structures
quřelle introduit dans les choses. La structure
élémentaire est une délimitation entre
lřobjet imaginé ou proclamé et le reste. Ce
quřil est possible de constater à lřorigine
cřest en effet lřexistence dřéléments couplés,
dřune pensée dualiste. Le couple est ainsi
lřultime degré en deçà duquel il nřy a pas de
pensée formulable, car pas de pensée punctiforme.
(b) Il y a différentes sortes de couples : tautologiques,
par accrochage, complémentation,
combinaison circulaire, assonance, causalité,
opposition...
(c) La délimitation la plus simple, la plus saisissante,
est lřopposition. Mais le sentiment
du contraire a bien des applications possibles
: un même terme a plusieurs contraires.
2/ Souvenons-nous que Wallon avait pour objectif
dřexplorer la pensée chez lřenfant.
Dans ce qui précède il a beau jeu de réduire
lřorigine à la psychologie génétique. Dřoù
découlent les assertions suivantes :
(a) La structure binaire de la pensée peut
être définie négativement comme une forme
simplement dégradée de la pensée adulte.
nement en témoignant un vif intérêt à ce quřun ethnologue
de grande envergure Ŕ Leenhardt Ŕ a dénommé « unitécouple
» dans la langue des Néo-Calédoniens. Il est assez
remarquable de (re)trouver (jusquřà quel point en toute
indépendance ?) dans la pensée de lřenfant suivant Wallon
non seulement lřanalyse freudienne du travail du rêve, mais
aussi la reprise de termes freudiens marqués tels que :
surdétermination, transfert, ambivalence.
188 Cf. WALLON (1945) : Les Origines de la pensée chez lřenfant,
tome I er , I re Partie ; WALLON & EVART-CHMIELNISKI
(1951) : Les Mécanismes de la mémoire en rapport avec ses objets.
105
(b) Chez lřenfant, chaque couple pris en luimême
reste une structure close qui rend impossibles
de véritables fusions et des enchaînements
continus.
3/ Lřétude expérimentale de lřacquisition mnémonique
dřune série chez lřenfant montre,
en tant que cas particulier du fait à manifestations
polymorphes signalé plus haut, que
les mots ont tendance à sřaccrocher par
couples, la série se mettant comme en grumeaux
distincts.
{92 } Si le souci de Krafft-Ebing avait
bien été de mémoriser lřétat du savoir sur la
question des perversions sexuelles, diviser et
subdiviser la matière procèderait de lřapplication
dřune méthode pragmatique (empirique)
dépourvue dřune autre portée que didactique.
Il nřest pas question pour autant de parler
dřune dégradation de la pensée adulte en
structures binaires closes rendant impossibles
des enchaînements continus. La continuité
est donnée dřavance, tandis que les dichotomies
appartiennent à lřartifice de lřexposition.
Le procédé de Krafft-Ebing (assez courant
en médecine) évoquerait plutôt la dégradation
de la métaphysique dřAristote en un
arbre de Porphyre.
Une objection balaye ces supputations.
Krafft-Ebing nřétait pas un doxographe. Il
était un spécialiste de la question quřil exposait.
Il en était même le premier théoricien.
Quant au procédé dichotomique, ce nřétait
point un artifice dřexposition, mais sa manière
de penser et de théoriser. Cřest donc un
principe de nature ontologique dont nous

aurons à explorer les caractéristiques particulières
(lřeccéité). Il est différentes sortes de
couplages ou de dichotomisations, et Krafft-
Ebing nřen utilise pas tous les genres. Il avait
essentiellement recours à lřopposition. Celleci
aussi est de plusieurs espèces. Reste à
savoir jusquřà quel point ses choix sont régis
par un système individualisé.
La PS4 (1889) se présente comme une
mise à lřépreuve de notre problématique.
Dans les deux grands groupes de perversions
génésiques deux dichotomies sont respectivement
introduites. Celle du hors-texte
(T.47) oppose une inversion acquise durable
à une inversion acquise épisodique. Celle du
hors-texte (T.48) relative aux perversions
hétérosexuelles, oppose un sous-groupe où la
perversion est combinée à lřimpuissance, à
un autre sous-groupe où le fonctionnement
du centre spinal sexuel est (soi disant) {93 }
resté intact. Il ne fait pas de doute que les
dichotomies introduites ne soient des oppositions.
Une attention plus soutenue nous
mène facilement à éclairer jusquřà lřespèce
dřopposition utilisée. Il suffit de se demander
en effet pourquoi lřauteur se sert de titres
aussi longs et aussi explicatifs au lieu de sřen
tenir exclusivement aux désignations brèves
qui les terminent souvent. Cřest que ces titres
constituent un véhicule théorique. Partant,
que leur libellé est significatif.
Regardons-y de plus près. Krafft-Ebing
use systématiquement de vocables ayant une
106
estampille énergétique. Les oppositions auxquelles
il a recours concernent lřintensité
énergétique de lřimpulsion (Trieb, Libido).
Cette impulsion est soit Forte soit Faible.
Par « énergétique » nous voulons dire
que Krafft-Ebing découpe son opposition
« Forte versus Faible » sur un continuum
admettant un pôle PLUS et un pôle MOINS.
Autrement dit, ce continuum est gradué, et
lřopposition admet des degrés. Il étudie alors
lřéchelle de ces degrés en y considérant
lřopposition entre deux tendances, celle qui
varie en croissant et celle qui varie en décroissant.
Pour représenter les diverses
oppositions que nous avons mentionnées
jusquřà présent nous utiliserons le schéma de
Ducrot dit des « échelles argumentatives » 189.
Intensité de lřinclination
sexuelle vers lřautre sexe
Perversion avec
ŕŕŕ Forte = conservation de lřappétit
vénérien pour lřautre sexe
ŕŕŕ Faible = Sensibilité sexuelle
contraire
ŕŕŕ Nulle
TABLEAU (X) : Les deux grands groupes
de perversions distingués dřaprès lřintensité de
lřinclination sexuelle pour lřautre sexe (T.45)
189 Séminaire de lřÉcole Pratique des Hautes Études à
partir de 1972. Cf. aussi DUCROT (1974) : La Preuve & le
dire, langage & logique.

Puissance de la
pulsion sexuelle
ŕŔ Forte = Potent
ŕŔ Faible = Impotentia coëundi
ŕŔ
TABLEAU (XI) : Les deux sous-groupes de
perversions sexuelles où lřinclination pour lřautre sexe
est conservée, distingués dřaprès la puissance de
lřimpulsion sexuelle (T.48)
{94 }
Échelle évolutive
des espèces
ŕ Espèce humaine = Flagellieren u. Blutigstechen
ŕ
Espèces animales = Schinden von Thieren
TABLEAU (XII) : Les deux divisions de ŘŘWollustřř
distinguées selon lřappartenance de lřobjet à lřéchelle
évolutive des espèces (T.48)
107
Intensité de
lřatavisme
ŕŔ Forte = Inversion congénitale
ŕŔ Faible
ŕŔ Nulle
Inversion acquise
TABLEAU (XIII) : Les deux sous-groupes de
lřinversion sexuelle, distingués dřaprès
lřintensité de lřatavisme (T.45)
Persistance des
symptômes
ŕŔ Forte = Inversion acquise durable
ŕŔ Faible = Inversion acquise épisodique
ŕŔ
TABLEAU (XIV) : Les deux sortes dřinversion
acquise, distinguées dřaprès la persistance des
conduites sexuelles perverses (T.47)

Les cinq tableaux précédents représentent
toutes les dichotomies qui se sont accumulées
jusquřà la PS4 (1889) incluse. Ce nřest
que justice de reconnaître toutefois que notre
mode de figuration nřest pas également convaincant
pour tous. Les plus discutables sont
les Tableaux (XIII) et (XIV). Ce sont stratégiquement
les moins importants 190.
Au point de vue de lřarchitectonique des
sections, la PS4 instaure par conséquent un
nouvel équilibre. En ce qui concerne le groupe
des perversions hétérosexuelles, les analyses
précédentes {95 } nous poussent à
admettre que la dichotomie du Tableau (XI)
est une véritable théorisation. En comparant
les hors-textes (T.46) et (T.47) nous constatons
les modifications suivantes :
1/ Les adjonctions (ou nouveautés) sont de deux
sortes. Celles qui se rapportent à ce que Krafft-
Ebing dénommera plus tard des actes sadiques :
schinden von Thieren, Blutigstechen, erwüngen des
Frauen, et Mädchenschneider 191 . Celles-ci viennent
alimenter aussi bien les deux sous-groupes. Et
puis il y a celles qui concernent le fétichisme.
Krafft-Ebing en parle ici pour la première fois,
en se référant à Binet et à Lombroso 192 .
190 La suite montrera leur peu dřimportance, mais aussi la
parfaite adéquation de la représentation que nous en avons
faite.
191 Écorcher des animaux, piquer jusquřau sang, étrangleurs
de femmes, et coupeurs de nattes.
192 La PS4 (1889) est publiée la même année que la trad.
italienne de la PS2, préfacée par Lombroso. Dans cette
préface Lombroso mentionne le fétichisme. On peut donc
dire que cřest Lombroso qui, directement et indirectement,
108
2/ Les suppressions et les suppressions-adjonctions.
Krafft-Ebing a effectivement procédé à des
remaniements de ce genre. Sřils ne sont pas
repérables par la comparaison des hors-textes
(T.46) et (T.48), la table analytique des matières
permet de les constater dřemblée.
3/ Les permutations. Il en est deux. Elles consistent
en la scission de deux éléments groupés
antérieurement, et en affectant un terme propre
à chacun des camps nouvellement constitués.
Ainsi, « active und passive Flagellation » et
« Statuen- und Leichenschänder » du hors-texte
(T.46) se retrouvent dans le (T.48) en tant que :
« active Flagellation » et « Leichenschänder »
dans le camp Potent, et « passive Flagellation » et
« Statuenschänder » dans le camp Impotentia
coëundi.
Dřun autre côté, le groupe de lřinversion
sexuelle a subi des modifications moins compliquées
à repérer :
1/ Permutation de lřordre dřexposition entre lřinversion
sexuelle congénitale et lřinversion sexuelle
acquise.
2/ Adjonctions. Lřinversion acquise épisodique,
qui vient constituer une branche de la dichotomie
du Tableau (XIV), est une adjonction de
{96 } la PS4 (1889). Une autre adjonction est la
distinction des quatre étapes (stades ?) de lřinversion
congénitale.
a introduit le fétichisme dans la Psychopathia Sexualis. Ŕ À
noter que le passage correspondant de la PS8 (1893), est
fautif dans la trad. franç., 1895, p. 199.

Lřexposé qui précède apporte suffisamment
dřéléments pour nous mettre en mesure
dřévaluer lřimportance des modifications de
la PS4 (1889). Dans leur majeure partie, nous
avons vu quřil sřagissait surtout dřadjonctions
et de permutations. Autrement dit : amplification
de certains développements, et redistribution
des mêmes éléments. Cela ne permet
pas de conclure à une rupture véritable
que ce soit dans lřéconomie ou dans la conception
de la Psychopathia Sexualis. Le changement
ne touche pas à lřessence, mais
seulement à la manière dřêtre. Trois arguments
vont en ce sens.
Le premier se déduit de nos Tableaux
(IV) et (IX) où aucune césure nřest décelable
à la PS4 (1889). Cette simple constatation
suffit pour infirmer que les modifications de
la PS4 ébranlent lřéconomie du livre ou celle
de la section des paresthésies. La PS4 se
présente plutôt en continuité parfaite avec les
précédentes éditions. Elle sřemboîte dans le
même mouvement dřamplification à lřœuvre
déjà à la PS1 (1886), par rapport à lřarticle de
1877e, à la PS2, et à la PS3.
Objection possible : mais alors ces modifications
de lřarchitectonique que nous avons
décrites en leur détail, en insistant tout particulièrement
sur leur grande valeur théorique,
ces modifications ne sont-elles donc pas
autre chose quřun reflet de surface ? Cette
objection mérite dřautant plus dřêtre levée
que nous ferons supporter à lřarchitectonique
109
du livre dřautres inductions, et que nous
continuerons à lřutiliser comme appui.
Prenons la modification architectonique
qui est apparue comme la plus profonde,
celle qui touche au groupe des perversions
hétérosexuelles. Lřinnovation consiste dans
cette dichotomie représentée par lřopposition
entre Potent et Impotentia (T.48). Une analyse
utilisant {97 } un repère plus ŘŘprofondřř,
comme la table analytique des matières 193,
montre quřelle ne surgit pas ici ex nihilo. Un
terme de la dichotomie figurait depuis la PS1
(1886), Ŕ lřImpotentia.
(T.49)
PS1 (1886), p. VIII PS4 (1889), p. VIII
Anderweitge grausame
Handlungen als Aequivalente
des Geschlechtsaktes bei
Impotentia coëundi 40.
Perverser Hamdlungen als
Aequivalente des Geschlechtsaktes
bei Schwacher
oder fehlender Potenz 54.
Le hors-texte (T.49) donne en regard les
désignations de la table analytique des matières
à la 1 re et à la 4 e éd. de la PS. Ce qui se
produit à la PS4 est donc quelque chose dont
nous avons donné le prototype dans notre
chap. I er en discutant de lřintroduction du
« sadisme idéel ». Le même modèle rend
compte de lřintroduction de la section Potent
ici à la PS4 :
1/ Depuis la PS1 (1886) Krafft-Ebing connaît
et relate des actes pervers avec Impotentia
193 Critère n°3 de lřexposé de la p. 79.

coëundi, mais il ne songe pas à en faire une
catégorie analytique.
2/ La catégorie dřImpotentia coëundi ne surgira
quřavec lřopposition « Potent / Impotentia
coëundi », cřest-à-dire lorsque le terme Potent
accède lui-même au rang de concept. Or il
nřy accède quřen opposition avec Impotentia
coëundi, précisément. Si lřon regarde les choses
de manière naïve on dira que Impotentia
coëundi préexiste à Potent 194. En revanche,
épistémologiquement parlant, la préséance
demeure attachée au moteur, au principe
actif qui a permis la théorisation, cřest-à-dire
à la catégorie de Potent.
(T.50)
PS1 (1886), p. VIII PS4 (1889), p. VIII
Lustmord. Mordlust 36.
Wollust. Grausamkeit 36.
Lustmord. Mordlust 44.
Wollust Anderweitige Akte
der Grausamkeit aus
Krankhafter Wollust bei
Potenten 48.
Le hors-texte (T.50) en donnant en
regard les fragments concernés de la table
analytique des matières de la 1 re et de la 4 e éd.
de la PS montre comment sřest faite lřintroduction
de la catégorie Potent 195. Le simple
{98 } fait quřelle intervienne dans le passage
consacré à « Wollust. Grausamkeit » fait surgir
194 LřImpotentia coëundi est reprise par K-E au Droit Canon.
195 On apportera plus bas quelques évidences contre la
tentation de sous-estimer lřimportance de cette catégorie.
Mentionnons toutefois dès {98 } à présent que cřest là un
petit pas vers la reconnaissance dřune distinction entre la
perversion et lřimpuissance.
110
ex nihilo de nouvelles formes de perversions
sexuelles par adjonction 196, et une redistribution
(ou permutation) des éléments existants.
Toutes ces modifications ont déjà été décrites
en détail plus haut 197.
3/ La valeur théorique de lřarchitectonique
de la Psychopathia Sexualis peut être mieux
explicitée à présent. Cřest comme si la théorisation
chez Krafft-Ebing était un phénomène
de concrétion, au sens médical du terme.
La théorie se trouve dřabord à lřétat de
solution (sic) aqueuse, sřépaississant par la
réflexion jusquřà se précipiter, suivant des
étapes repérables :
Ŕ Comme mention dans la table analytique des
matières
Ŕ Comme titre de paragraphe hors-texte
Ŕ Comme échelon numéroté de lřarchitectonique
Ce sont là autant de degrés dans le processus
de théorisation.
Poursuivons par la modification architectonique
qui est apparue comme la plus
superficielle, celle du groupe de lřinversion.
Elle consistait en un triple changement :
Ŕ La permutation de lřexposé entre inversion
congénitale et inversion acquise, que nous
commenterons plus tard.
196 La PS5 (1890), qui se place en continuité du même processus,
ajoute les Renifleurs à cette cohorte.
197 Notons que le remaniement est ici plus ample que celui
qui a été décrit au sujet du « sadisme idéel ». Ce dernier
était strictement régional, sans retentissement sur la distribution
des autres éléments comme ici pour Potent.

Ŕ Lřintroduction dřune dichotomie dans la
perversion acquise (Cf. Tableau XIV) qui est,
à plus dřun titre, insatisfaisante. À la limite,
elle devrait opposer une inversion acquise
vraie (cřest-à-dire celle qui est durable), à une
sorte de pseudo-inversion acquise. En toute
logique cette dernière devrait être rejetée du
cadre des perversions. Cřest dřailleurs ce à
quoi se résoudra Krafft-Ebing à la PS5
(1890), en élaguant le paragraphe y relatif.
Ŕ Enfin la distinction, au sein de la perversion
congénitale, de quatre groupes cliniques
par adjonction. Paradoxalement, cřest la seule
modification que Krafft-Ebing privilégiera
pour en faire état dans {99 } lřavertissement
de cette nouvelle édition (PS4). Ces quatre
groupes sont des étapes allant de lřinversion
psychique, conçue comme la plus superficielle,
à lřinversion psychique et somatique,
conçue comme étant la plus profonde. Nous
sommes donc en présence non pas dřune
dichotomie où les catégories se tournent en
quelque sorte le dos, mais encore une fois
dřune échelle graduée posée sur un continuum
orienté. Toujours est-il Ŕ et cřest là
lřessentiel de notre propos Ŕ cette modification
pour importante quřelle soit aux yeux de
lřauteur, nřest nullement en rupture avec ses
conceptions antérieures.
Aux deux arguments que nous venons
de présenter sřajoute un troisième, Ŕ décisif.
Reprenons la fiction de lřétablissement dřune
édition critique de la Psychopathia Sexualis. Les
111
problèmes matériels quřelle pose sont un test
incontestable. À notre avis, au simple niveau
de la reproduction, il est possible, en éditant
la PS4 (1889), de le faire de telle sorte que
lřévolution du texte par strates y soit linéairement
repérable jusquřà cette édition, sans
que nous soyons obligés de recourir à des
doubles emplois.
En conclusion nous dirons que la réforme
de la PS4 (1889) est profonde comparée
à celle des éditions antérieures. Que
Krafft-Ebing y déploie beaucoup de logique
et de soins. Que la combinatoire posée en
1886 à la PS1, elle-même amplifiant lřarticle
de 1877e, reste parfaitement reconnaissable.
Quřelle ordonne dans son empan toutes les
innovations. Ŕ Mais le statut de ces dernières
nřaura été que dřexplorer les virtualités de la
combinatoire posée au départ.
La PS5 (1890) présente quatre nouvelles
modifications : une suppression, deux adjonctions,
et une suppression-adjonction.
Krafft-Ebing a supprimé la sous-section de
lřinversion acquise transitoire. Cette inversion
acquise transitoire est une pseudo-perversion
sexuelle, étant due à des circonstances
psychopathologiques. Comme nous lřavons
dit, Krafft-Ebing a depuis le début distingué
la pathologie générale de la pathologie spéciale.
La pathologie sexuelle spéciale est en

quelque sorte accidentelle, cřest celle qui
résulte dřune maladie centrale comme la
faiblesse mentale, la démence, lřépilepsie, etc.
Kraff-Ebing sépare nettement ces troubles
de la conduite des aberrations de la pulsion
sexuelle, et il leur consacre un chapitre
spécial, le IV e ou le V e du livre, selon
lřédition 198.
Quant aux adjonctions, lřune est un long
développement sur le traitement de lřinversion
(diagnostic, pronostic et {100 } théra-
peutique), Ŕ dont cřest ici la première fois
quřil en parle 199. Lřautre appartient au groupe
des perversions où lřappétit vénérien pour
lřautre sexe est conservé, mais avec Impotentia
coëundi. Elle consiste en deux pages consacrées
aux « Renifleurs ». Il nřest pas inutile de
scruter les modalités de cette innovation et
dřessayer dřen construire un modèle. Nous
aurons en effet lřoccasion de nous y référer
par la suite, lors dřune comparaison générale
entre lřémergence et le destin des diverses
perversions sexuelles, parmi lesquelles le
sadisme et le masochisme, Ŕ objet propre de
cette étude.
198 Cf, p. 75 supra, ainsi que le Tableau (II), p. 72.
199 Cette assertion nřest point infaillible. Elle devrait faire
lřobjet dřune vérification minutieuse où nous ne nous
sommes pas trop risqué. Cřest un point crucial à éclaircir
que celui de montrer comment la thérapeutique pouvait
éclore dans le discours de Krafft-Ebing en 1890c, alors
quřen 1895 encore Magnan & Legrain, qui, sur tant de
points essentiels se rencontrent avec Krafft-Ebing, trouvent
illusoire de parler de thérapeutique des états dégénératifs,
et passent vite à la prophylaxie. Cf. MAGNAN &
LEGRAIN (1895) : Les Dégénérés..., p. 217.
112
Les Renifleurs sont bien connus des
médecins-légistes depuis quřAmbroise Tardieu
en a fait mention dans sa célèbre Étude
Médico-Légale sur les attentats aux mœurs
(1857-1878). Mais pour que les renifleurs
soient « métabolisés » par Krafft-Ebing dans
la section des paresthésies de la Psychopathia
Sexualis, il faut quřils en passent par trois
opérations successives :
a) Il faut dřabord que lřodorat ait quelque
chose à voir avec la sexualité. Or, de ceci,
Krafft-Ebing met bien son lecteur au courant
en y consacrant un paragraphe dès la 1 re éd.
de la PS 200.
b) Il faut ensuite remanier ce paragraphe de
manière à « admettre » les renifleurs. Cřest ce
quřil fait à la PS5 (1890).
c) Il faut enfin que la structure de la section
des paresthésies se prête à cette admission.
Cřest ce qui se réalise aussi à la PS5 (1890).
La suppression-adjonction de la PS5
(1890) remplace la dichotomie représentée au
Tableau (XIV) entre une vraie et une fausse
inversion acquise, par la considération de
degrés dans lřinversion acquise. À la PS5
(1890) Krafft-Ebing en est à deux degrés.
Dans les Tableaux qui suivent nous représentons
selon une flèche orientée du moins au
plus, dřabord les degrés de lřinversion acquise
200 Comme bien lřon pense, Freud en a été vivement frappé,
sans jamais avouer sa source.

(Tableau XV), ensuite les groupes cliniques de
lřinversion congénitale (Tableau XVI).
{101 }
Inversion sexuelle
acquise
ŕŔ 2 e degré = Effeminatio
ŕŔ 1 er degré = Inversion simple du sens sexuel
TABLEAU (XV) : Les deux degrés de lřinversion sexuelle
acquise introduits à la PS5 (1890) par suppressionadjonction,
à la place du Tableau (XIV)
Inversion sexuelle
congénitale
ŕŔ 4 e groupe = Androgynie et Gynandrie
ŕŔ 3 e groupe = Effémination et Viraginité
ŕŔ 2 e groupe = Homosexualité ou Uranisme
ŕŔ 1 er groupe = Hermaphrodisme psychique
TABLEAU (XVI) : Les quatre groupes cliniques
de lřinversion sexuelle congénitale introduits
à la PS5 (1890)
113
La débauche dřappellations nouvelles a
prêté au double emploi du mot « effémination
», qui sera rectifié par la suite (Cf.
Tableau XVII). Mais ce quřil importe cřest de
remarquer comment la distinction entre perversion
acquise et perversion congénitale trouve
à sřexprimer au niveau de lřargumentation.
Dans lřinversion acquise Krafft-Ebing distingue
des degrés, alors que dans lřinversion
congénitale les degrés sont autant de groupes
cliniques distincts. Autrement dit, lřétat du
malade atteint de perversion acquise peut
évoluer vers un degré plus (ou moins) prononcé
de maladie. En revanche, le malade congénital
est fixé à un degré de lřéchelle de lřinversion,
sans évolution possible (si ce nřest difficile).
Cette conception autorise à envisager la
thérapeutique de certains cas. Dřoù lřapparition
dřune nouvelle section y relative.
Nous nřavons pu nous procurer à Paris
le texte des PS6 (1892) et PS7 (1893) 201, mais
la PS8 (1893, trf 1895) présente un remaniement
tel quřil porte témoignage dřune rupture
indubitable. Du reste cette rupture trans-
201 {Quarante ans après je regrette toujours de nřavoir toujours
pas eu lřopportunité de consulter la PS6 (1892). Cřest
la seule qui manque encore à mon corpus (Cf. le Tableau I
bis de la p. 3 bis). La Bibliothèque de lřUniversité de Vienne
en possède un exemplaire, ainsi que la Bibliothèque du
Congrès américain. Espérons quřun jour lřune ou lřautre de
ces vénérables institutions aura la bonne idée de numériser
cette édition et de la rendre accessible en ligne.} (2012)

paraît dans tous nos tableaux. En comparant
la PS5 (1890) à la PS8 (1893) la rupture paraît
abrupte. Lřunique explication de cette rupture
est lřintroduction des concepts de Masochisme
et de Sadisme. Cřest pourquoi, et au
su quřils furent introduits à la PS6 (1891) 202,
la rupture devrait {102 } être datée de cette
année là. Il reste toujours à se demander si
cette rupture avait été très accentuée dřemblée.
Mais la comparaison des PS5 et PS8 ne
permet aucune inférence solide à ce sujet.
Nous ne connaissons pas deux éditions de
Psychopathia Sexualis qui soient identiques.
Entre la PS5 et la PS8 le texte de la Psychopathia
Sexualis a été remanié deux fois.
Retenons deux points :
Ŕ La défection des PS6 (1891) et PS7 (1892)
de notre corpus est très regrettable et nous
prive dřinformations précieuses 203. Cela nous
obligera à être très prudent dans la construction
des modèles de transformation de
lřarchitectonique du livre. Elle entachera
aussi, malgré tout, ces modèles dřune erreur
202 Sur la foi dřun texte (T.65) que nous citons plus loin,
p. 140. La même année Ŕ 1891 Ŕ la 2 de éd. des Neue Forschungen...
sortait également de presse.
203 {Jřai pu consulter depuis la PS7 (1892), et jřai localisé la
PS6 (1891). Le texte de cette dernière subit une augmentation
de 11% par rapport à celui de la PS5, ce qui est
plutôt modeste. En revanche, le texte de la PS7 sřaccroît de
105 pages, soit une augmentation de 32% par rapport à
celui de la PS6, ce qui est considérable. Nous en avons
lřexplication. Dans son avant-propos à la PS7 Krafft-Ebing
nous informe que cette édition là est le résultat de la fusion
du texte de la PS6 avec celui de la 2 de éd. des Neue Forschungen...}
(Note ajoutée en 2012).
114
impossible à juguler. Nous serons ainsi réduit
à lřartifice de considérer toutes les différences
entre la PS5 et la PS8 comme si elles apparaissaient
en même temps 204.
Ŕ Dřun autre côté, nous allons admettre
quřavec la PS5 (1890) la Psychopathhia Sexualis
avait atteint un palier et un équilibre homogène,
dont il nous revient de donner à présent
le bilan critique. Pour cette tâche, les
Tableaux (X) à (XVI) sont de précieux auxiliaires.
Notre tâche se réduit ainsi à trouver
leur cohésion et leur cohérence au sein dřun
même système. Procédons en divisant cette
tâche en deux parts. La première est de
chercher la cohérence de chaque groupe de
perversions en lui-même. On cherchera ensuite
la cohérence globale de lřensemble des
paresthésies.
Le groupe de lřinversion sexuelle qui est,
rappelons-le, un signe fonctionnel de dégénérescence
(T.43), est sous-tendu par trois principes
directeurs pas trop difficiles à détecter :
1/ Krafft-Ebing croit à lřÉvolution.
2/ Il croit à lřhérédité des caractères acquis.
3/ Il adhère à la théorie de la dégénérescence.
Un passage du Traité Clinique de Psychiatrie
[TCP] donne un exemple de la manière dřarticuler
ces principes : {103 }
204 {Comme je dispose maintenant de la PS7 (1892), je
dissiperai certaines des imprécisions antérieures à chaque
opportunité.} (Note de 2012)

(T.51)
Pour désigner les troubles psychiques dont
les individus à cerveau sain sont atteints, nous
choisissons le terme de psychonévroses, et pour
ceux qui se développent sur un cerveau taré, le
terme de dégénérescences psychiques.
On nřa guère besoin de rappeler que ces
deux grands groupes ne sont point diamétralement
opposés, mais que, comme partout dans la
vie organique, il y a aussi entre eux des transitions.
Ainsi, par exemple, on peut parfaitement
douter si un individu né dřascendants psychiquement
malades, mais ayant été lui-même normal
jusquřau moment de sa maladie, doit être classé
dans lřun ou lřautre groupe.
Ensuite, un cerveau bien doué et bien organisé
peut acquérir une constitution dégénérative
à la suite dřun trauma capitis ou dřune autre
influence préjudiciable (ivrognerie, excès sexuels,
etc.) et par suite une psychose due à une cause
occasionnelle peut revêtir un caractère dégénératif.
Ce nřest pas seulement le phénomène étiologique
qui motive la séparation, mais ce sont aussi
certaines particularités dans lřorigine, la marche
et le groupement des symptômes sur lesquels
sřappuie le diagnostic différentiel. Morel connaissait
ces particularités cliniques de la folie dégénérative,
mais il les a exclusivement attribuées à la
maladie héréditaire dégénérative. Cette manière
de voir a besoin dřêtre élargie, car la dégénérescence
nřest quřun côté, bien entendu fort important,
de la folie dégénérative en général, qui
cependant peut provenir aussi dřune dégénérescence
acquise (trauma, maladies cérébrales, anomalies
de développement, etc.).
KRAFFT-EBING : Traité Clinique de Psychiatrie
TCP5 (1892), trf 1897, pp. 341-342.
Lřobédience de Krafft-Ebing à Morel Ŕ
réclamé expressément comme autorisant Ŕ
115
ne lřempêche pas de réformer la conception
de lřhérédité de la dégénérescence de Morel
par un axiome spécifique. Cet axiome, est à
distinguer nettement de celui qui est communément
attribué aujourdřhui à Lamarck 205.
Autrement, la confusion serait inextricable.
Pour bien le montrer, exposons les manières
diverses dřentendre la cohésion du groupe
des invertis.
Commençons par la plus superficielle.
On peut considérer que le Tableau (XVI) est
la suite du Tableau (V). Ainsi, lřétat dřun
individu pourrait se dégrader à tel point quřil
traverse, au cours de son évolution, tous les
degrés allant de lřinversion simple de la sensibilité
sexuelle jusquřà lřandrogynie. De cela il
nřen est pas question. Krafft-Ebing oppose
nettement lřinversion sexuelle acquise à
lřinversion sexuelle {104 } congénitale sans
continuité possible.
Autre suggestion. Lřinversion acquise par
un individu au cours de sa vie se transmet à
sa progéniture par hérédité, et apparaît à la
génération suivante comme inversion congénitale.
Il y aurait dans ce cas une tendance,
qui sřexprime dans la succession des générations,
à la dégradation 206. Cette dégradation
205 Cřest là une fable qui ne tient pas devant la vérification.
Sa valeur de référent est due exclusivement au consensus
que partagent traditionnellement spécialistes et profanes,
parmi lesquels citons pêle-mêle : Haeckel, Freud... ou Aron
& Grassé dans leur Traité de biologie animale.
206 Ce qui se dégrade... cřest la vie. Car cette pente mène à
lřextinction de la lignée du dégénéré. Ŕ Cf. MAGNAN &
LEGRAIN (1895) : Les Dégénérés..., p. 79.

sera quant à elle, à la façon dřun lamarckisme,
lřartisan dřune continuité possible entre le
Tableau (XV) et le Tableau (XVI). Ramenée
à son époque, une telle solution heurte les
manières de penser admises dont on trouve
un écho autorisé chez Féré (1894). Selon ces
idées, la dégénérescence héréditaire nřest
point lřhérédité de la dégénérescence. La
dégénérescence est la dissolution de lřhérédité.
Cřest pourquoi la dégénérescence est une
hérédité dissemblable. La folie héréditaire
nřapparaît pas sous la même forme dans les
générations suivantes. Mais si lřon trouve la
dissemblance dans une même famille, en
revanche on trouve la ressemblance des types
dissemblables dřune famille avec ceux dřune
autre famille. Il est certain que Krafft-Ebing
ne partageait pas tout à fait ces idées, comme
il ne partageait pas non plus la solution
lamarckiste.
La cohérence de la pensée de Krafft-
Ebing, pour être difficile à saisir, nřen est pas
moins dřune régularité parfaite. Ce quřil entend
par inversion acquise cřest très exactement
ceci : une inversion par dégénérescence
acquise. Un individu jusque là normal peut
acquérir à un moment (T), à la suite dřun
événement (X) 207, une dégénérescence. La
manifestation dřune inversion sexuelle que
cet individu pourra alors présenter sera à
comprendre comme un stigmate fonctionnel
de cette dégénérescence. Dans la mesure où
207 Cf. le hors-texte (T.51).
116
la dégénérescence était souvent considérée
comme synonyme de folie héréditaire on voit
bien la subtilité de lřargument de Krafft-
Ebing, et on se rend bien compte de la valeur
ambiguë quřil confère à lřexpression : hérédité
dřun caractère acquis. Il ne faut surtout pas
entendre cette expression à la manière dřun
certain lamarckisme, mais comme la possibilité
dřacquérir, par une voie non héréditaire,
un état considéré comme devant être congénital.
Lřoriginalité de la PS5 (1890) est dřavoir
introduit un pareil statut de lřinversion
sexuelle. Tout à la fois une dégénérescence et
pourtant acquise, échappant ainsi à lřaporie
« Inversion congénitale / Inversion acquise »
qui défrayait la chronique médicale de lřépoque.
Cřest là une solution singulièrement piquante
et toute à lřhonneur de la doctrine de
la dégénérescence. Un peu trop subtile peutêtre
pour les cerveaux fatigués de lřépoque 208.
{105 } Tournons-nous vers le groupe où
lřinclination pour lřautre sexe est conservée.
Ce groupe possède une cohérence difficilement
contestable. Elle est schématisée dans
le Tableau (XI). Les deux sous-groupes dont
il est composé ne sřopposent que comme
degrés de la même échelle énergétique.
Passons à présent à lřexamen de la cohérence
de lřensemble de la section des pares-
208 Elle nřa été comprise par aucun auteur de lřépoque. Ni
par Moll, pourtant un proche de lřauteur, ni par Havelock-
Ellis. Cřest quřen cette fin de siècle Krafft-Ebing était à
certains égards une sorte dřarchéoptéryx.

thésies. À cet effet, regroupons les Tableaux
(X) (XI) (XV) et (XVI) dans un même ensemble
en respectant leurs rapports de
subordinations (Cf. Tableau XVII).
A = Lřensemble de la section des paresthésies
B = Les perversions hétérosexuelles
C = Lřinversion (acquise et congénitale)
Tableau (X) = [A]
Tableau (XI) = [B]
Tableau (XV)
Tableau (XVI)
= [C]
TABLEAU (XVII) : Les rapports de subordination des
Tableaux (X) (XI) (XV) et (XVI)
{106 }
117
Une homologie fort curieuse entre [A] et
[B] détermine directement une antinomie
entre [B] et [C] telle que la section des paresthésies
est menacée dřincohérence. En
dřautres termes, [A] cřest-à-dire la section des
paresthésies, faillit à sa tâche de regrouper en
un ensemble cohérent les perversions hétérosexuelles
[B] avec lřinversion (acquise et congénitale)
[C].
À considérer les Tableaux (X) [A] et (XI)
[B], la question qui saute aux yeux cřest la
possibilité de leur superposition. Dans [A]
lřénergie de la pulsion sexuelle est considérée
selon la force de son inclination pour lřautre
sexe ; dans [B] lřénergie de la pulsion sexuelle
est considérée stricto sensu.
1°/ Première solution avec un tronc commun 2°/ Deuxième solution sans tronc commun
[A] [A]
Forte —————————— Forte ——
— Potent [B]
————————– Faible — Faible ——
Degrés de [B]
[C] l’inversion — Impotentia [C]
coëundi
————————– Nulle —————————— Nulle ——
Tableau (XVIII) : Commentaire du Tableau (XVII)

Il y aurait deux sortes dřénergies de la
pulsion sexuelle : lřénergie pulsionnelle
dřabord, la force de son inclination vers lřun
ou lřautre sexe ensuite. Mais tel est le
paradoxe de la pensée de Krafft-Ebing que
lřénergie de la pulsion elle-même est distincte
de son inclination, mais lui est de plus
subordonnée. Vue paradoxale sans doute,
mais non pas ipso facto inconsistante. Il suffit
en effet dřenvisager une solution où [B] se
superpose exactement à [A], mais où [A] est
coextensif à [B] et à [C] tout à la fois. Cette
solution existe, mais elle nous amènerait à
considérer quřun tronçon de [A] est commun
à [B] et [C].
Cette solution qui sauvegarde toutes les
informations fournies, comporte une idée
supplémentaire. Elle inclut la possibilité
quřen cas de faible inclination pour lřautre
sexe, un individu donné aboutisse soit à une
inversion sexuelle, soit à une perversion hétérosexuelle
avec impotentia coëundi. Cette possibilité
avec ses deux points dřaboutissement
nřest nulle part envisagée par Krafft-
Ebing 209. Lřon est alors en droit de préférer
une seconde solution où [A] ne comporte
aucune partie commune entre [B] et [C].
Mais cela nous ramène au paradoxe que nous
pensions éviter : lřénergie de la pulsion sexuelle
stricto sensu est un sous-ensemble de
lřinclination de lřinstinct sexuel.
209 Cela ne lřempêche pas dřêtre active en arrière-pensée, et
de porter K-E à envisager le masochisme comme une inversion
rudimentaire au sens de lřeffémination. Ŕ Cf. infra.
118
Souvenons-nous que les Paresthésies font
parties des névroses cérébrales, regroupant en
sus, et au même titre, les Paradoxies, les
Anesthésies, et les Hyperesthésies. Sřen rappeler
ici fera avancer lřanalyse de deux pas. Appelons
les choses par leur nom, et lřénergie de
la pulsion sexuelle par « Libido » comme en a
convenu Krafft-Ebing 210. Sur une échelle
orientée vers lřintensité de la libido marquons
les deux extrêmes : Anesthésie pour lřintensité
nulle 211, Hyperesthésie pour lřintensité ultraforte.
Intensité
de la libido
ŕŔ Hyperesthésie
ŕŔ Potent
ŕŔ Impotentia coëundi
ŕŔ Anesthésie
TABLEAU (XIX) : La Libido
210 Cette appellation est de K-E Elle se trouve dès la 1 re éd.
de la PS, soit dès 1886. Ce nřest pas la seule injustice que
Freud et les freudo-centristes ont faite à K-E À ce propos
pointons une fois encore les rapports ambigus et
conflictuels de Freud envers K-E et envers son fils spirituel
Moll. Freud déclare reprendre le terme de libido à
Moll ! (Cf. supra, pp. 35 et 51).
211 Comp. à lřaphanisis dřErnst Jones. À notre sens, lřaphanisis
de Jones est la résurgence de la théorie de la pulsion
sexuelle de Krafft-Ebing, après avoir été négligée et recouverte
par la Trieblehre de la psychanalyse.

La partie mitoyenne, cřest-à-dire la normalité
selon toute apparence, convient étrangement
bien pour y reporter les deux sousgroupes
des {107 } perversions hétérosexuelles.
Avançons une hypothèse, celle dřun
chevauchement. Le schéma sous-jacent aux
deux névroses cérébrales (hyperesthésie et anesthésie)
aurait en quelque sorte déteint sur une
partie des paresthésies, celle qui est concernée
par lřaxe Impotentia → Potent. Ce serait un
simple processus de contamination. Malheureusement
ce Tableau (XIX) non plus nřest
pas cohérent. Car Krafft-Ebing conçoit très
bien, et dřune manière générale, la combinaison
de lřhyperesthésie avec toutes les
paresthésies, y compris avec les perversions
hétérosexuelles, quřelles soient « potenzirt »
ou pas. Dans lřintroduction à la section des
paresthésies Krafft-Ebing semble même concevoir
une hiérarchie qui ferait de lřhyperesthésie
la condition nécessaire de toute
forme de paresthésie 212.
Ces échecs répétés nous aiguillonnent
vers la solution suivante. Trois catégories
distinctes forment comme le soubassement
officieux de la théorie sexuelle de Krafft-
Ebing. Du point de vue synchronique, la
pulsion sexuelle serait appréhendée par
Krafft-Ebing selon trois axes dřintensités :
1/ La force de lřappétence (Libido)
212 Cf. PS7 (1892), p. 56 : « La paresthésie peut se combiner avec
lřhyperesthésie. Cette combinaison se présente très souvent en clinique.
On peut sřattendre alors avec certitude à des actes sexuels. »
119
2/ La force de lřinclination (Neigung) vers lřautre
sexe
3/ Et la puissance sexuelle (Potentia)
Les problèmes que nous avons essayé de
démêler concernent, en dernière analyse,
lřarticulation de ces trois axes. Cette articulation
nřest jamais explicitée par lřauteur. Sřy
ajoute lřévolution diachronique de cette articulation
combinée au problème de la genèse
de la pulsion. Autant dřinconnues.
Puzzle inextricable, Ŕ on ne saurait
mieux le souligner quřen éventant un artifice
de notre procédé dřexposition. Pour mettre à
lřépreuve la cohérence de la section des
paresthésies, nous avons recouru à un [C]
issu de la PS5 (1890), où Krafft-Ebing avait
déjà tenté de colmater les brèches et dřestomper
les disparités. Cřest ce qui nous a
obligé à déployer une dialectique serrée avec
son texte. En revanche, si nous avions utilisé
pour [C] les Tableaux (XIII) et (XIV) au lieu
des Tableaux (XV) et (XVI), les pièces du
puzzle seraient apparues dřemblée dans tout
leur disparate. Aucune présomption de cohérence
nřen pouvait naître. Mais il nous a
semblé que Krafft-Ebing ne méritait pas
dřêtre révoqué dřoffice.
Revenons donc à la PS4 (1889). Il est
possible dřévaluer son statut de la manière

suivante. Lřessai de systématisation qui a
présidé à sa confection a eu pour effet de
mettre en évidence les diverses contradictions
(créatrices) latentes dans le discours de
Krafft-Ebing, les portant à leur maximum
dřacuité. Lřédifice des névroses cérébrales
{108 } est pourtant des plus cohérents et des
mieux balancés, Ŕ et cela depuis le début.
Voici la définition de ces quatre névroses
dont les appellations sont une invention de
Krafft-Ebing :
1. Ŕ Paradoxie : lřexcitation sexuelle qui se manifeste
à contre-temps : soit dans lřenfance, soit
dans le grand âge.
2. Ŕ Anesthésie : absence dřexcitation sexuelle
même après la puberté. Cřest lřétat physiologique
normal de lřenfance et du grand âge.
3. Ŕ Hyperesthésie : cřest la libido anormalement
intense.
4. Ŕ Paresthésie : cřest lřexcitabilité des fonctions
sexuelles par des stimuli inadéquats.
Ces quatre névroses ont des relations
contrastées. La paradoxie est le strict opposé
de lřanesthésie, et comme une sorte dřhyperesthésie
par rapport à lřâge normal. Lřanesthésie
est le strict opposé de lřhyperesthésie.
Cela nous pousse à envisager un sous-système
à trois termes solidement structuré où
chacun est définissable en fonction des deux
autres, et les trois opposables ensembles à la
paresthésie dont le préfixe « para » (= à côté)
indique bien lřécart. Cřest cette dernière
120
névrose Ŕ la paresthésie Ŕ qui a intrigué le plus
Krafft-Ebing. De par la définition quřil en
donne, il était tout indiqué quřil soit conduit
à faire le décompte des divers « stimuli inadéquats
» possibles. Cřest ce quřil ne fait pourtant
pas sans arrière-pensée. Dřemblée, il
existe pour lui deux groupes de paresthésies :
celui où la satisfaction est recherchée auprès
dřun membre de lřautre sexe, et celui où la
satisfaction est recherchée auprès dřun
membre du même sexe. Deux poids, deux
mesures. Dřune part, Krafft-Ebing relate en
vrac tout genre de stimuli inadéquats, dřautre
part il relate des faits se rapportant exclusivement
à la sensibilité sexuelle contraire. Ce fait
massif reflète la détermination de lřémergence
historique des perversions sexuelles où
lřinversion sexuelle Ŕ dénommée en 1870
pour la première fois par Westphal en tant
que conträre Sexualempfindung 213 Ŕ est la figure
de proue. Cřest vraiment la première perversion
sexuelle à avoir été distinguée et dénommée
scientifiquement.
Beaucoup dřouvrages relatifs aux perversions
sexuelles se sont présentés jusquřà celui
de Féré (1899) avec une référence spéciale (et
souvent exclusive malgré leur titre) pour la
sensibilité sexuelle contraire. Cf. par ex. Moll
(1891), Schrenck-Notzing (1892), Legrain
(1896)... {109 } Des raisons en quelque sorte
extrinsèques, relatives à lřétat des mœurs, à
213 Cf. supra, p. 90, note 181. À lřépoque on transposait en
français cette expression en « sentiment sexuel contraire ».
Nous avons préféré : sensibilité sexuelle contraire.

lřétat de la médecine mentale, obligeaient un
auteur peu excentrique (comme Krafft-
Ebing) qui écrivait aux alentour de 1886 (et a
fortiori vers 1877) à considérer lřinversion
sexuelle comme un groupe à part, opposé au
réceptacle informel dřun amas hétéroclite de
faits en souffrance dřun classement problématique.
De ce chaos jaillira avec la PS4
(1889) un peu de lumière : deux sous-groupes
considérés sur le fond dřun continuum
qui est la puissance sexuelle (T.48). Cette
polarisation en Potentia et Impotentia, est dřailleurs
lřapplication dřun principe taxonomique
binaire, qui résulte dřune contamination à
partir du sous-système des trois névroses
cérébrales (hyperesthésie, anesthésie, paradoxie),
lequel déteint par sa prégnance sur la
structure des paresthésies. Il déteint non
seulement sur le sous-groupe des perversions
hétérosexuelles, mais aussi sur le sous-groupe
de lřinversion (Tableaux XIV et XVI) où son
influence nřest pas moins sensible.
Quelques Perversions Sexuelles Année Auteur
Frotteurs & Renifleurs
Conträre Sexualempfindug
Exhibitionnistes
Fétichistes
Masochisme (et Sadisme)
Mixoscopie (= Voyeurisme)
1867
1869
1871
1887
1890
1891
Tableau (XX) : Quelques perversions
datées & référées à leur auteur
Tardieu
Westphal
Lasègue
Binet
Krafft-Ebing
Moll
Ainsi, partout dans la section des paresthésies,
Krafft-Ebing démarque des types de
raisonnement qui ont trouvé à sřemployer
121
dans le sous-système des autres névroses
cérébrales, mais il en résulte ici un ensemble
disparate dont la cohérence intérieure
(introuvable) doit être cherchée en dehors de
lui-même.
Le statut de la PS4 (1889), tel quřune appréciation
définitive permet de le fixer, est
dřêtre le résultat dřune première élaboration
dont lřétude de 1877e, et les PS1, PS2, et PS3
sont les brouillons. La PS4 doit compter
comme étant le premier texte « achevé », rejetant
les essais antérieurs dans la préhistoire.
Mais lřon nřaura pas tout dit si lřon nřajoute
que la valeur épistémologique de la PS4 est
dřavoir achevé de cristalliser toutes les incohérences
latentes du discours préhistorique.
On nřaura pas tout dit si lřon nřajoute encore
que cette PS4 va représenter par conséquent
un référent contre lequel tous les essais ultérieurs
de Krafft-Ebing seront dirigés.
{110 } La première attaque est portée,
dès la PS5 (1890), contre la structure disparate
du groupe de lřinversion sexuelle. Ce groupe
était à la PS4 (1889) composé de deux
parties, conçue chacune selon un principe
différent, mais dont la source était des schèmes
de pensée utilisés antérieurement pour le
sous-système des trois névroses cérébrales.
Sa remise en question à la PS5 (1890) se conforme
à deux modèles, cette fois-ci cohérents.
Le premier sous-groupe commence
par se calquer sur le second sous-groupe de
lřinversion, et le groupe qui les réunit se

calque sur le groupe antithétique des perversions
hétérosexuelles. Cřest le schème de
pensée du continuum gradué, dont la source
est toujours le principe du sous-système des
trois névroses cérébrales. Décalque créatif
qui ne copie pas servilement mais sauvegarde,
dans cette transposition, les caractères
qui font lřoriginalité de la première théorie
unitaire de lřinversion sexuelle. En effet, à ce
stade, le groupe des perversions hétérosexuelles
est ordonné selon lřintensité de la pulsion
sexuelle ; le groupe de lřinversion sera
ordonné selon le même principe, mais adapté
à lřidée de dégénérescence. Soulignons encore
une fois quřil nřest pas question pour
Krafft-Ebing de parler dřune possible intensité
de lřinclination sexuelle pour le même
sexe, pas plus que de lřintensité dřune libido
homosexuelle. Lřhomosexualité est à ses
yeux une maladie, un stigmate fonctionnel de
dégénérescence. On étudiera alors les degrés
de la dégénérescence, laquelle se fonde sur
une inclination (Neigung) faible ou nulle pour
lřautre sexe 214.
La deuxième attaque est portée contre la
structure du groupe des perversions hétérosexuelles.
Elle est localisable à la PS6 (1891).
214 K-E dit textuellement : « sensibilité sexuelle faible ou
nulle pour lřautre sexe, suppléée (stellvertretendem) par une
inclination sexuelle pour le même sexe ». Ŕ Cf. hors-texte
(T.45), supra p. 88.
122
Mais la faille de notre corpus nous contraindra
dans ce qui suit à enjamber lřhiatus et à
comparer la PS8 à la PS5 215. Lřinnovation
consiste à avoir délaissé les catégories de Potent
et dřImpotentia cëundi 216 {111 } (grâce auxquelles
un certain nombre de conduites perverses
avaient été classées tant bien que mal),
en faveur dřune typologie véritable.
(T.52)
D. Paresthésie de la sensibilité sexuelle
(Perversion de la pulsion sexuelle) 77
I. Inclination sexuelle pour les personnes
de lřautre sexe avec activité perverse de
la pulsion 79
1) Association de la cruauté active et de
la violence avec la volupté Ŕ Sadisme 79
[Essai dřexplication du sadisme 79]
a) Assassinat par plaisir (plaisir de
cruauté, amour du meurtre poussé
jusquřà lřanthropophagie) 85
b) Mutilation de cadavres 93
c) Mauvais traitement infligés à des
femmes (piqures, fustigations, etc.) 97
d) Penchant à souiller les femmes 108
e) Autres actes de violence exercés sur
des femmes Ŕ Sadisme symbolique 111
f) Sadisme sur des objets quelconques,
fustigation des garçons 112
g) Sadisme sur des animaux 116
h) Sadisme chez la femme 119
2) Association de la cruauté et de la violence
215 On peut estimer que ce serait là une occasion de tester
nos hypothèses et de peser leur valeur. En somme, dřintroduire
par ce biais lřexpérimentation en ce domaine. Nous
pensons différemment (Cf. plus bas).
216 Déchues comme principes, la présence de ces catégories
dans le texte de la Psychopathia Sexualis nřa pourtant pas été
mis en question. Ŕ Cf. le chap. III, infra.

passives avec la volupté Ŕ Masochisme 121
a) Recherche de mauvais traitements
et dřhumiliations dans un but de
satisfaction sexuelle 123
b) Fétichisme du pied et de la chaussure
Ŕ Masochisme larvé 161
c) Actes répugnants commis dans le but
de sřhumilier et de se procurer une satis-
faction sexuelle Ŕ Masochisme larvé 175
d) Le masochisme chez la femme 179
Essai dřexplication du masochisme 182
Masochisme et Sadisme 193
3) Association de la représentation de certaines
parties du corps ou du vêtement féminins
avec la volupté Ŕ Fétichisme 199
[Explication du fétichisme 199]
a) Le fétiche est une partie du corps de
la femme 205
b) Le fétiche est une partie du vêtement
féminin 219
c) Le fétiche est une matière spéciale 236
KRAFFT-EBING : PS8 (1893), trf 1895. Ŕ Trp 217 .
{Mêmes divisions déjà à la PS7 (1892)}
Dans le langage dont participait le discours
de Krafft-Ebing, lřinnovation consiste
à avoir abandonné la description symptomatique
pour une approche étiologique. Telle
est, en effet, la prétention de Krafft-Ebing.
La seule typologie acceptable est celle qui
sřétaye sur des considérations étiologiques.
La Typologie Potent/Impotentia était dřailleurs
aux yeux de lřauteur une classification étiologique.
Trop proche de la symptomatologie,
217 {Les titrages de la PS8 trf (1895) ainsi que leur numérotation
ont été rectifiés conformément à lřoriginal allemand.
Entre crochets droits les titres qui figurent dans la table
des matières mais non pas dans le texte.} (2012)
123
elle était surtout peu efficace du point de vue
classificatoire. Cřest ce dernier défaut qui a
probablement poussé Krafft-Ebing à lui
substituer une autre et à refondre sa taxonomie.
Car il faut séparer deux problèmes :
lřintroduction du sadisme et du masochisme,
dřune part, et la refonte typologique de
lřautre. Dřune certaine manière, en effet, on
peut imaginer que les actes sadiques et les
tourments masochistes pouvaient tout
{112 } simplement venir sřajouter à lřamas
hétéroclite des conduites perverses déjà
recueillies par Krafft-Ebing. Ce nřest pas
notre avis. Une pareille conception est une
projection rétrospective des idées courantes
actuelles. Aujourdřhui on individualise le
sadique et le masochiste, et on crie à la perversion
au vu de syndromes isolés. Du temps
de Krafft-Ebing, et surtout au décours du
siècle, lřusage dřémousser le tranchant des
concepts, de les affadir et de sřadonner à
lřéclectisme commençaient à avoir cours.
Curieusement, ces travers se manifestaient
surtout chez les auteurs qui rejetaient la (néo)
doctrine de la dégénérescence, dřoù une
nouveklle offensive de la théorie de la monomanie
(Cf. chap. III. 1 er débet). Krafft-Ebing
ne mangeait pas de ce pain là. Il prétendait
pratiquer la science avec une rigueur et un
sérieux imperturbables.
Tout porte à croire que Krafft-Ebing ne
séparait pas lřintroduction du sadisme et du
masochisme de la refonte typologique. Nous

excluons la possibilité de lřintroduction de
sadisme et du masochisme sans refonte typologique,
et nous soutenons même que cřest
cette introduction qui a poussé à la refonte.
En 1892, Krafft-Ebing distingue toujours
les paresthésies en deux groupes. Mais
à présent il a arrêté au chiffre trois le nombre
de perversions du premier groupe, celui où
lřinclination hétérosexuelle est conservée. Ces
trois perversions hétérosexuelles sont le
sadisme, le masochisme et le fétichisme. Remarque
lexicographique : Krafft-Ebing nous
confronte avec des mots en Ŕisme, cřest-à-dire
à des termes génériques, à des principes
explicatifs. Il ne parle pas des pervers, sauf
en tant quřacteurs (Darsteller) qui manifestent
suivant des accidents lřessence dřune maladie,
dřune paresthésie. Le sadisme, par exemple,
est UN ; les sadiques multiples, et de plusieurs
sortes. Le Sadique nřexiste pas : essentiellement
il y a le sadisme, accidentellement il
y a des sadiques.
En comparant lřarchitectonique des perversions
hétérosexuelles à la PS5 (1890) 218 et
à la PS8 (1893) 219 Ŕ (T.48) et (T.52) Ŕ nous
remarquons quelques suppressions, une re-
218 Ou à la PS4 (1889), Ŕ car en ce domaine la PS5 nřinnove
pas.
219 {Ou à la PS7 (1892), Ŕ car en ce domaine la PS8 nřinnove
pas. Reste à savoir sřil faut encore reculer ces constatations
à la PS6 (1891) que je nřai pu consulter à ce jour.
Dans ce qui suit, jřai amendé chaque fois que possible la
mention de la PS8 (1893), qui figurait à lřorigine dans ma
thèse, en la remplaçant par celle de la PS7 (1892) que jřai
pu consulter depuis.} (Note additive de 2012).
124
distribution de quelques éléments, et quelques
adjonctions.
{113 } Les suppressions concernent les
passages sur les exhibitionnistes, les souilleurs
de statues et les frotteurs. Bien que ces
conduites déviantes se rapportent à la sexualité,
elles ne sont plus considérées comme la
manifestation dřune perversion de la pulsion
sexuelle. Supprimées de la section des paresthésies,
on les retrouve toutefois simplement
déplacées au dernier chapitre. Pour Krafft-
Ebing, autant quřon puisse en juger dřaprès
lřexposé et le commentaire des cas quřil
présente, ces conduites sont la manifestation
épisodique de certaines maladies mentales :
épilepsie, imbécillité, arriération mentale, etc.
Revenons aux divisions du hors-texte
(T.48) de la PS4 (1889) cité plus haut 220. Si
lřon fait abstraction des suppressions que
nous venons dřindiquer, de ce qui concerne
le fétichisme, et de ce qui concerne la flagellation
passive, Ŕ ce qui reste est regroupé à la
PS7 (1892) sous le nouveau terme générique
de Sadisme avec des titres à peine différents.
Toute la matière du groupe du sadisme figurait
antérieurement dans le texte de la Psychopathia
Sexualis. Lřinnovation terminologique
ne peut donc nullement être attribuée à quelque
matériel nouveau en ce domaine. Il nřest
pas non plus indifférent de relever encore
que nous y trouvons rassemblés sans discri-
220 Cf. p. 89.

mination des faits qui étaient auparavant distingués
selon lřopposition Potent/ Impotentia.
Le fétichisme accède au rang de perversion
par une modification sémantique qui a
tout son poids au vu de ce que nous venons
dřétablir. Nous passons de la conduite de certains
individus à une entité générique. Fetichisten
de la PS5 (1890) devient Fetichismus à la
PS7 (1892). Le texte est notablement augmenté
et distingue trois sortes de fétiches.
Le résidu Ŕ la flagellation passive Ŕ sera le
noyau qui cristallisera autour de lui lřintroduction
dřune entité nouvelle Ŕ le masochisme Ŕ
avec un apport de matériaux inédits.
Lřauteur souligne lřunité des trois perversions
hétérosexuelles par le titre quřil confère
à chacune, mais que la traduction française
de la PS8 rend imparfaitement. Reproduisons
donc lřoriginal allemand 221 :
(T.53)
1) Verbindung von aktiver Grausamkeit und
Gewaltthätigkeit mit Wollust Ŕ Sadismus
2) Verbindung passiv erduldeter Grausam-
keit und Gewaltthätigkeit mit Wollust
Ŕ Masochismus
3) Verbindung der Vorstellung von einzelnen
Körpertheilen oder Kleidungsstücken des
Weibes mit Wollust Ŕ Fetichismus
221 Cf. trp hors-texte (T.52).
KRAFFT-EBING : PS7 (1892),
et éditions suivantes.
125
{114 } Ces intitulés ont toute la rigueur
et toute la concision des définitions mathématiques.
Cřest comme si chaque perversion
avait été mise en équation.
Quant-à lřarchitectonique du groupe de
lřinversion sexuelle, elle a accédé en 1892
(PS7) à sa version définitive. Dans le sousgroupe
de lřinversion acquise, lřauteur distingue
à présent deux degrés de plus 222, ce qui
porte lřéchelle à quatre graduations. Les deux
échelons supplémentaires prennent acte de
lřexistence de ce qui correspond au transsexualisme
dans la nomenclature courante actuelle.
(T.54)
A. La sensibilité homosexuelle comme
manifestation acquise chez les deux sexes
1 er échelon : Inversion simple de la sensibilité sexuelle
2 e échelon : Eviratio et Defeminatio
3 e échelon : Transition vers la metamorphosis sexualis
paranoïca
4 e échelon : Métamorphose sexuelle paranoïaque
KRAFFT-EBING : PS7 (1892),
et éditions suivantes.
Ces quatre échelons ont une histoire qui
nous est maintenant devenue familière 223.
Des quatre échelons, le premier dont Krafft-
Ebing a traité dans la Psychopathia Sexualis fut
le second, à la PS2 (1887). Mais il nřa accédé
au titre de grade dans la nomenclature quřà la
PS5 (1890) en même temps que le 1 er grade
222 Cf. Tableau (XV), p. 101 supra.
223 Cf. supra pp. 36 et suiv., et 97.

était inventé. Dřautre part, le 4 e grade a été
introduit dans la PS3 (1888), mais il nřa accédé
au titre de grade de la nomenclature quřà
la PS7 (1892), en même temps que le 3 e
grade était inventé.
À partir de la PS7 (1892) les modifications
de lřarchitectonique des paresthésies
sont de peu de conséquences. Deux adjonctions
à la PS9 (1894) : une 4 e sorte de fétichisme,
le fétichisme des animaux ; et un
groupement séparé pour lřinversion féminine.
Et quatre adjonctions à la PS11 (1901),
aux sections du sadisme et du masochisme,
exposées déjà au cours de notre chap. 1 er.
Malgré cette stabilité relative, le texte nřa
cessé dřêtre remanié, tout particulièrement
les observations. Cřest de nouveau lřoccasion
dřinsister sur ce dernier point car Krafft-
Ebing se réfère fréquemment à des observations
supprimées, dont il reconnaît ainsi
lřintérêt. Il nous laisse conséquemment très
embarrassés de nous expliquer les raisons qui
lřont néanmoins poussé à les supprimer 224.
224 {Question de place probablement. Cřest avec la PS7
(1892) et la PS8 (1893) que lřouvrage atteint son plus fort
volume. Par la suite lřauteur ne fera plus que le dégraisser,
en ayant soin semble-t-il quřil demeurât maniable tout en
étant constamment mis à jour.} (2012)
126
{115 }
§ (3) Ŕ La Première théorisation
du Sadisme & du
Masochisme
Pour aller plus loin dans la compréhension
des remaniements de la section des
paresthésies de la Psychopathia Sexualis il nous
faut les relier au système que forme le livre
où cette section Ŕ livre dans le livre ( *) Ŕ
occupe sans doute une position privilégiée,
mais non pas indépendante. Pour mettre en
évidence la structure de ce système essayons
de répondre à une question que lřon ne peut
manquer de soulever. Krafft-Ebing retient
quatre perversions : Sadisme, Masochisme
225, Fétichisme, et Sensibilité sexuelle
contraire. Il en exclut les offenses contre la
moralité publique sous forme dřexhibitionnisme
226. Quřest-ce qui régit le choix de
Krafft-Ebing de retenir certaines conduites
et dřexclure dřautres du domaine de la
perversion de la pulsion sexuelle ?
* Preuve en est quřun éditeur de la PS, A. Hartwich, ait
songé à les défalquer lřun de lřautre. Ŕ Cf. bibliographie,
PS18, 1937. (Addition sur mon exemplaire de travail.)
225 Les ŖRenifleursŗ relèvent, dans la nouvelle nomenclature,
du masochisme larvé.
226 Ce générique comprend, parmi bien dřautres, en sus des
exhibitionnistes stricto sensu : les souilleurs de statues, les
frotteurs, les voyeurs, etc.

Une constatation empirique, quřil faudra
retracer jusquřà sa source, assigne aux premiers
chapitres du livre la fonction de tri.
Tout se passe comme si ces premiers chapitres
étaient un sas. Un sas dont la toile est
tissée des fils suivants : une théorie sexuelle
énoncée à partir dřéléments fragmentaires, à
quoi sřajoutent des faits physiologiques et des
faits anthropologiques. Ce sas ne retient
comme perversions sexuelles véritables que
les conduites qui en représentent dřanormales
exagérations. Ce qui est retenu alimentera
le chapitre de pathologie générale, et le résidu
passé, consistant en syndromes atypiques, ira
se déposer aux deux derniers chapitres.
Il faut remonter jusquřà la source pour
saisir toutes ces choses en perspective.
Krafft-Ebing fonde la médecine légale avec
la distinction « Perversion / Perversité ».
(T.55)
La perversion de la pulsion sexuelle, comme
je le démontrerai plus loin, ne doit pas être confondue
avec la perversité des actes sexuels.
Lřacte pervers concret, quelque monstrueux quřil
soit, nřest pas une preuve. Pour distinguer entre
maladie (perversion) et vice (perversité), il faut remonter
à lřexamen complet de lřindividu et du
mobile de ses actes pervers. Voilà la clé du diagnostic.
KRAFFT-EBING : PS8 (1893), trf 1895, p. 78,
PS12 (1903), tra p. 108.
Krafft-Ebing fera école, car cette distinction
{extrêmement subtile, pour ne pas dire
spécieuse} entre Perversion et Perversité {116 }
127
a été assez généralement admise 227. La
Psychopathia Sexualis ne traitera donc pas des
perversités. Mais elle ne traitera pas non plus
exclusivement des perversions. Le titre de
Psychopathia Sexualis se propose en effet de
couvrir toutes les manifestations psychopathologiques
de la pulsion sexuelle. Le rôle du
sas intervient ici. Il doit permettre de faire le
départ entre les perversions proprement dites
et les autres conduites sexuelles pathologiques.
Mais ce rôle nřest lui-même apparu
quřau cours des transformations du livre. À
lřorigine rien de tel nřétait prévu. Krafft-
Ebing Ŕ qui définit le groupe des névroses
sexuelles (T.44) comme des anomalies du
développement et du fonctionnement normaux
de la pulsion sexuelle Ŕ nřa nullement
songé à consacrer les premiers chapitres de
227 Les médecins présentent la chose dřune manière militante
et revendicative. Œuvrant pour le bien de lřhumanité,
il sřagissait de soustraire les non-responsables aux rigueurs
de la Loi. Lřhistoire de lřirresponsabilité pénale des malades
mentaux nřest pas facile à faire. Autour de 1890 près
dřun siècle de discussions violentes entre médecins et juristes
en formaient lřarrière-plan. La distinction de Krafft-
Ebing est à replacer dans ce contexte en tant que phénomène
collectif, constituant une étape importante de cette
histoire. Dřautres auteurs prônaient aussi la même distinction,
en particulier la fameuse école lyonnaise groupée
autour dřAlexandre Lacassagne (1893, pp. IV-V) : « Ce que
nous avons voulu montrer et même démontrer à ceux qui ont mission
de chercher la vérité et de rendre justice, cřest quřà côté des dépravés il
y a des malades. » Ŕ Cf. aussi Féré (1899, in fine), et lřadmirable
chap. VIII de Magnan & Legrain (1895). Lire ensuite
Heuyer (1968) est édifiant, et justifie les idées avancées le
plus clairement aujourdřhui par LEON LOUE (1974) Ŕ
lequel a saisi avec pénétration le principe, cřest-à-dire le
quadrillage militaire. Ces idées sont formulées de manière
très sophistiquées, mais à notre avis plus faiblement car le
principe nřest pas atteint, par Legendre (1974) et par
Foucault (1975, et ses cours du Collège de France).

son livre à bâtir le modèle dřun développement
et dřun fonctionnement normatifs.
Cřest en cours de route, au fil des rééditions,
que la fonction du sas a émergé. Jusquřà la
PS4 (1889) le texte des premiers chapitres nřa
pas été modifié. Un développement sur le
sens olfactif, concomitant à lřintroduction
des renifleurs, fut le premier ajout (PS5). À la
PS7 (1892) nous trouvons un sas en place.
Lřidée dřun sas est donc rétrospective et non
pas prospective. Krafft-Ebing a de toute évidence
trié artisanalement (empiriquement) sa
matière, et a construit après coup le sas correspondant
228.
{117 } Quand il amassait de la PS1 à la
PS5 des exemples de conduites hétéroclites,
quřil versait au crédit du groupe des perversions
hétérosexuelles, Krafft-Ebing ne se
posait pas encore la question du sas. En
revanche, la théorie des perversions hétérosexuelles,
laquelle sřest constituée conjointement
à un remaniement (surtout par adjonctions)
des premiers chapitres, lřa été en vue
de provoquer chez le lecteur lřillusion dřun
sas. Sans entrer dans le détail de la démonstration
229 on pourra vérifier pour chaque cas,
mutatis mutandis, le modèle développé brièvement
plus haut (p. 100) à propos des renif-
228 Moll (PS16-17) sřest heurté à ce problème et il est
tombé (in)volontairement dans lřillusion du sas. En réécrivant
le livre de K-E il consacre les premiers chapitres à
construire le modèle dřun développement et dřun fonctionnement
normatifs de la pulsion sexuelle.
229 Elle exigerait une étude minutieuse de la structure et du
contenu des chapitres préliminaires.
128
leurs. Nous nous bornerons à faire quelques
remarques sur les points les plus importants.
Indiquons dřabord la nature de lřattache.
La question de lřinversion est rattachée au
problème de lřidentité sexuelle et aux desseins
de la nature, tandis que la pédérastie
passive est rattachée à la transformation, en
des conditions pathologiques, de lřanus en
zone érogène 230. Le sadisme et le masochisme
sřinsèrent dans la confrontation de
lřamour avec lřenthousiasme religieux 231, et
procèdent de la valeur érogène de la flagellation
passive aussi, et des rôles contrastés de
lřhomme (actif, agressif) et de la femme
(passive, soumise) dans les transports amoureux
232. Le fétichisme, enfin, découle de la
conception de la beauté féminine, et de
lřexhibition convenablement sanctionnée par
la mode, des charmes féminins.
La modalité de lřattache est invariablement
la même : il sřagit de lřexagération jusquřau
pathologique dřun trait normal ( *).
230 Suivant Krafft-Ebing, cette expression est due à la thèse
de médecine de CHAMBARD, issue de lřentourage de Charcot.
Même référence dans Féré (1887), p. 30. Lřexpression
figure à la PS7 (1892).
231 Krafft-Ebing se réfère à cette occasion à lřamour courtois
et à la sainte Thérèse du BERNIN, (PS7, p. 11, note).
Comp. à LACAN (1975b), chap. VI et couvertures.
232 Écoutons DESCURET (1841), p. 485 : « Quoi quřil en soit,
les excès du libertinage sont plus nuisibles chez lřhomme que chez la
femme, à cause de la plus grande somme dřactivité quřil déploie. »
Lřopposition ActivitéŔPassivité dans les rôles masculin et
féminin nous semble issue des investigations sur lřimpuissance
sexuelle de lřhomme.
* {K-E adopte, comme les autres scientistes fin-de-siècle,
ce que Comte (1828) a dénommé le principe de Broussais.}

Nous lřavons déjà souligné : les paresthésies
éclosent toujours sur un terrain hyperesthésié.
Krafft-Ebing ne peut concevoir la paresthésie
en théorie, comme névrose cérébrale,
que sur la base dřune hyperesthésie. Lřhyperesthésie
est une condition de base de la
paresthésie 233. On constate donc à quel
point notre Tableau (XIX) est peu satisfaisant.
À vrai dire il vole en éclats.
{118 } Au sas il échoit également de
préparer la bataille décrite plus loin entre la
théorie de la dégénérescence et la théorie
associationniste. Il lui échoit enfin une activité
positive de discrimination. Il faut débarrasser
les perversions sexuelles proprement
dites des conduites dřexhibition qui offensent
la pudeur (exhiber sur la voie publique ses
parties honteuses, faire ses besoins en public,
souiller des statues, se frotter contre autrui
dans la foule, etc.). Ces conduites, dont le
rattachement à un comportement normal
sřest révélé impossible, Krafft-Ebing les attribue
à une impulsion, et les rattache par
conséquent à un trouble mental et non pas à
un trouble de la pulsion sexuelle.
Convenons de voir dans le sas une détermination
extrinsèque des perversions sexuelle,
et recherchons maintenant leur détermination
intrinsèque. Passons de la forme au
contenu. Nous nous limiterons pour commencer
aux perversions hétérosexuelles. Cela
233 Cf. supra p. 107 et note 207 ; et infra les hors-textes
(T.71), (T.72) et (T.76).
129
revient à mettre à jour le germe et le procédé
de construction de la nouvelle théorie exposée
à la PS7 (1892). Ŕ Le germe est à notre
avis le fétichisme.
Bien que Binet parlât de fétichisme en
1887, Krafft-Ebing, en 1890 (PS5) parlait encore
des fétichistes. Sa méfiance pour les manigraphes
234 était extrême. Mais il avait accumulé
assez de matériaux à la PS5 (1890) pour
songer sérieusement à bâtir un système, cřestà-dire
à proposer enfin une théorie générale
des perversions sexuelles. À ce moment il
(re)lit Binet autrement. Binet est en effet
lřauteur de la première théorie générale des
perversions sexuelles. Krafft-Ebing a des patients
Řmasochistesř (avant la lettre) qui lui
parlent de Sacher-Masoch ; Binet évoque
justement des cas de flagellation passive que
Krafft-Ebing a vite fait de confondre avec le
Řmasochismeř (avant la lettre). Le processus
est enclenché. Nous allons le suivre à travers
les transformations de la structure.
Les développements sur le sadisme et le
masochisme sont, à la PS7 (1892), suivis dřun
Essai dřexplication du Masochisme (PS7, pp.
141-151) et dřune comparaison entre Masochisme
et Sadisme (PS7, pp. 151-154) 235 qui
234 Terme utilisé par Magnan & Legrain (1895), par Pitres
& Régis (1902), etc.
235 Dans la trf de la PS8, cela correspond aux pp. 182-198.

eprennent des passages du Versuch einer
Erklärung des Masochismus und Sadismus lequel,
en 1890d, terminait le chap. 1 er des Neue
Forschungen... (pp. 34-38). On vérifie dřailleurs
la reprise textuelle de lřun à lřautre de la
plupart des alinéas avec les modifications
suivantes :
Ŕ Redistribution des phrases (souvent)
Ŕ Retouches (parfois)
Ŕ Suppressions partielles (quelques unes)
Ŕ Amplifications (quelques autres)
Ŕ Adjonctions (substantielles)
LřEssai dřexplication du sadisme et du
masochisme de 1890d, comporte 22 alinéas
que nous avons convenu de numéroter pour
faciliter la référence. Il est possible dřy distinguer
quatre parties, que nous désignerons
de (a) à (d). Nous avons cru devoir reproduire
ce texte en faisant suivre chaque alinéa
dřune version française à titre indicatif 236. Le
commentaire épistémologique perpétuel par
lequel nous accompagnons le texte tentera de
metre en évidence les articulations, de situer
les innovations et, le cas échéant, les limitations,
en demeurant surtout attentif à la terminologie
237. La pagination de lřédition ori-
236 Remercions à cette occasion KLAUS SCHRENK de lřaide
efficace quřil nous a apportée dans ce travail qui dépasse
nos compétences. M. le Pr LAPLANCHE a bien voulu
revoir la version des huit premiers alinéas. {Pour cette
reprise je nřai gardé que la version française revue, pour
laquelle je plaide à nouveau lřindulgence.}
237 Nous pensons que la méthode de LAPLANCHE (1971)
peut être fructueusement étendue à tous les champs de dis-
130
ginale est indiquée entre crochets droits. Les
parenthèses sont de Krafft-Ebing, ainsi
quřune note appendue au 8 e alinéa.
(T.56)
Krafft-Ebing (1890)
[34 ] Essai dřexplication du masochisme
& du Sadisme
[a. Ŕ Définitions]
1. Les faits de masochisme et de sadisme sont
certainement parmi les plus intéressants du domaine
de la psychopathologie. Avant dřessayer
de les expliquer il faut dřabord établir ce qui,
dans ces phénomènes, est essentiel et ce qui est
inessentiel. {120 }
2. Ce qui est déterminant dans le masochisme
est, dans tous les cas, la soumission sans limite
(schrankenlos) 238 à la volonté de la personne de
cours. Prenons BACHELARD (1938, p. 216) pour repère. Il
évoque dédaigneusement ces « discipline qui ne sont scientifiques
que par métaphore ». Son ratage est magistral, puisquřil
réussit à fonder contre son gré lřunité épistémologique de
ces disciplines où lřimage Ŕ nous apprenons à le démontrer
Ŕ nřest pas du tout un obstacle. Bien au contraire, en suivant
le processus de sa dérivation, lřépistémologue rénove
avantageusement un discours qui se confortait naguère du
rejet normatif et péremptoire de disciplines bel et bien
existantes.
238 Schrankenlos. Ŕ Terme marqué du vocabulaire usuel de
K-E qui a échappé à ses traducteurs américains et français.
Le vocabulaire de K-E est dřune grande précision, comme
celui de tout auteur qui se respecte.

lřautre sexe, dans le sadisme, à lřinverse (umgekehrt),
la domination 239 sans limite sur cette personne,
et cela avec éveil de la sensibilité sexuelle
accompagné de plaisir 240 allant jusquřà lřorgasme.
[35 ] Lřaccessoire cřest, dřaprès tout ce qui précède,
la manière spéciale dont ces conditions de
dépendance 241 ou de domination sont produites
(Cf. plus haut).
3. Au sens des vues présentées au début de ce
travail, le masochisme de lřhomme manifeste 242
une augmentation outrée jusquřau pathologique
du rôle féminin dans le rapport sexuel entre
homme et femme. Lřhomme apparaît comme le
soumis, comme la victime. Le rôle féminin de
lřhomme atteint de perversion masochiste se manifeste
en ceci quřil veut être recherché et conquis
comme habituellement la femme, et alors
seulement sřabandonner 243 sans limite.
{121 }
239 Les termes de soumission (Unterwerfung) et de domination
(Beherrschung) sont également marqués. Ils sont utilisés
dřune manière univoque, lřun pour le sadisme, lřautre pour
le masochisme. Ŕ Cf. aussi note 276.
240 Nous rendons Gefühl par sentiment, et Empfindung par
sensation ou sensibilité, selon le cas. Les découpages de la
langue allemande ne se recoupent pas tout à fait avec ceux
de la langue française. Betonen est utilisé aux deux sens de
marquer et dřaccentuer.
241 Noter ce glissement de la soumission (Unterwerfung) à la
dépendance (Abhängigkeit). Il est gros dřune résurgence
récente du problème du masochisme avec la notion dřattachement.
242 Stellt...dar. Ŕ Il faut restituer ce terme à lřopposition
sous-jacente : VorstellungŔDastellung. On les rend en français
par Représentation (mentale) et Présentation (théâtrale).
Nous gardons représentation (mentale) pour Vorstellung,
mais nous préférons manifestation (théâtrale) pour Dastellung.
Le mot rôle que K-E va utiliser se rattache ainsi à la
sphère de la Dastellung.
243 Glissement : Soumission → Dépendance → Sřabandonner.
131
[b. Masochisme et inversion sexuelle]
4. Il nřexiste pas ici un renversement de la
sensibilité sexuelle comme chez lřinverti 244 , dans
la mesure où lřinclination (Neigung) 245 reste tournée
vers la femme ; mais la sensibilité psychique
est féminine au point de vue sexuel, et cela en
tant quřexagération pathologique des éléments de
sensibilité spécifiquement féminins 246 .
5. Si lřon essaye de donner une interprétation à
ce fait, le masochisme apparaît comme une inversion
sexuelle rudimentaire dans le sens de
lřeffeminatio, en ce qui concerne du moins la
face psychique de la vita sexualis 247 .
6. Il est remarquable que le patient de lřobservation
n°9 mřa assuré que son idéal est une
femme relativement plus âgée, forte, et impérieuse
; et que cřest la raison pour laquelle, dans
ses fantaisies sexuelles, il se replace toujours par
la pensée dans son adolescence.
{122 }
244 Conträr Sexualen. Ŕ Cette désignation forgée par Westphal
a été acclimatée en France par inverti à lřinstigation de
Charcot & Magnan (1882). Nous suivons cet usage.
245 Terme technique de la Trieblehre de Krafft-Ebing. Rappelons
que K-E définit la pulsion sexuelle selon trois
coordonnées : la force du désir (Libido), la force de lřinclination
(Neigung) vers lřautre sexe, et la puissance sexuelle
(Potentia). Ŕ Cf. supra, p. 107.
246 Cela suppose lřexistence dřéléments de sentiments spécifiquement
féminins chez tout homme. Lřidée de K-E sur
la bisexualité est, en effet, quřà partir dřun état où deux
développements sont en puissance, lřévolution normale ne
réalise quřun seul (loi de formation monosexuelle), celui
qui est homologue au tractus génital (loi de développement
homologue), tandis que lřautre est neutralisé mais demeure
à lřétat latent.
247 Cf. la suite de notre chapitre. Cf. aussi le § 17.

7. Quand on lřinterrogeait il assurait encore
quřil y avait dans son caractère dřorigine des
traits prononcés dřeffeminatio 248 , qui nřavaient
rétrocédé quřavec le temps.
8. À la question concernant la survenue de
cette forme particulière de perversion sexuelle
comme déviation psychosexuelle de la norme 249 ,
on peut répondre avec tout aussi peu de certitude
que pour la survenue de la sensibilité sexuelle
contraire innée 250 . Mon explication ( ) de
celle-ci comme un caractère héréditaire, cultivé
251 chez le descendant, ne pouvait rester sans
justification 252 . En tout cas, la perversion
sexuelle innée manifeste un signe fonctionnel de
248 Cřest là un argument pour étayer la dérivation ontogénétique
du masochisme à partir de lřinversion. K-E
distinguera tout à fait par la suite lřune de lřautre les
perversions dont il sřagit. Ce passage témoigne simplement
de la voie qui a mené lřauteur à la découverte du masochisme.
Cette voie cřest lřinversion sexuelle.
249 Insistons sur cette idée : K-E postule un développement
normal selon des lois semble-t-il embryologiques.
Cřest la raison pour laquelle les perversions sexuelles, en
tant quřelles sont lřeffet dřun dérèglement de ces lois, ne
peuvent être conçues que comme des signes fonctionnels
de dégénérescence, conduisant inéluctablement, à plus ou
moins brève échéance, à lřextinction de la lignée germinale,
par définition continue (Weissman). Ŕ Cf. aussi MAGNAN
& LEGRAIN (1895), p. 79. On comprend donc pourquoi
ce sont des maladies si redoutables.
250 Les traducteurs américains et français de K-E ont
toujours rendu angeborenen par congénital.
( ) [Note de K-E] Psychopath. sexualis, 5 e éd., p. 101.
251 Cette métaphore (gezüchteten), est liée à une certaine
théorie de la transmission héréditaire de la dégénérescence
qui était appelée, précisément, la doctrine du terrain. Ŕ Cf.
MAGNAN & LEGRAIN (1895), pp. 50-51. Pour que la
maladie puisse se manifester, il faut planter un germe dans
un terrain, et que des conditions propices le fassent éclore.
Cultiver ce germe est un moyen efficace de rendre ces
conditions propices.
252 Nous reviendrons plus bas sur la référence de Krafft-
Ebing à la PS5 (1890). Ŕ Cf. hors-textes (T.57) et (T.58).
132
dégénérescence dans le cadre (presque exclusif)
de la tare héréditaire et, dans mes cas de
masochisme et de sadisme, cette constatation
clinique se confirme aussi.
{123 } [36 ]
[c. Masochisme et flagellation passive]
9. Que cette singulière direction (Richtung) de la
vita sexualis manifeste une anomalie originaire, et
nřest pas cultivée 253 sur une prédisposition à la
flagellation passive 254 à la suite dřune association
dřidées, comme Rousseau et Binet le supposent,
je crois lřavoir démontré plus haut. Cela sřensuit
clairement de lřobservation n°8, car on ne peut
pas penser ici à une stimulation sexuelle causée
par une punition subie dans la jeunesse. La formation
dřune association dřidées nřest nullement
pensable car la situation désirée nřest pas du tout
réalisable chez un enfant 255 .
253 Même terme (gezüchtet) que plus haut § 8. Il peut être
rendu aussi bien par élevage que par culture, et, par extension,
éducation. La théorie de K-E sur lřéducation, que nous
évoquerons au chap. III, § 2, appartient à ce même
complexus dřidées.
254 K-E nie que la flagellation passive soit le terrain sur
lequel germe et se développe le masochisme. Lřexplication
de la flagellation passive est un cas particulier de lřextension
quřa faite BINET (1887) de sa théorie du fétichisme à
toutes les perversions.
255 Nous montrerons par la suite quřil faut distinguer deux
théories associationnistes (Cf. hors-texte (T.103) et commentaire).
Ici K-E critique lřune dřelles, celle qui remonte à
CONDILLAC. Cřest la raison pourquoi lřargument que K-E
lui oppose ici Ŕ que la situation désirée nřa pu exister réellement Ŕ
est imparable. Il la ruine. Insistons. K-E ne veut nullement
dire quřun enfant nřaurait pas pu y penser (innocence des
enfants). Il veut dire que la scène supposée nřa pas pu
effectivement avoir eu lieu, alors que cette condition est
absolument nécessaire pour que, suivant le postulat des
condillaciens eux-mêmes, une association dřidées sřétablisse.

10. De même, le sujet de lřobservation n°9, interrogé
là-dessus, fait valoir quřil ne pouvait se
rappeler dřaucun mauvais traitement subi dans
son jeune âge auquel aurait été nouée
(geknüpft) 256 la première émergence de la motion
sexuelle (geschlechtlicher Regungen). À lřobjection
quřil ait pu {124 } quand même en être ainsi
dans la mesure où lřévénement a pu être oublié
après que lřassociation se fût solidement nouée, il
réplique 257 avec une remarque psychologique
exacte que les événements de la prime jeunesse,
accompagnés dřun sentiment fortement marqué,
ont coutume dřêtre fixés et de rester dans la
mémoire ineffaçables 258 .
11. Que la flagellation passive semblât si fréquente
dans le masochisme sřexplique simplement
en ce quřelle est le moyen dřexpression
(Ausdruckmittel) le plus fort pour la relation de
soumission 259 . Pourtant le masochiste ne recherche
pas, dřabord, une douleur physique, mais à
256 Encore un terme usuel du vocabulaire de K-E
257 Littéralement : il contre (begegnet). Métaphore dřescrime.
On peut bien dire que ce dialogue entre K-E et son patient
enfile la dialectique hégélienne bien connue, jusquřen son
leurre final. {FREUD ne fera guère mieux en sřescrimant
avec son Bonhomme aux loups.}
258 Ainsi, en 1890, à écouter ses patients avec trop de complaisance,
K-E va jusquřà accepter leur psychologie de
pacotille. Il se ressaisira très vite. La PS7 (1892) ne conserve
pas la trace de cette contre-attaque. Au contraire,
K-E accordera sans hésiter que lřévénement originaire
puisse être oublié et efficace. Ŕ Cf. le hors-texte (T.73) et
notre commentaire, pp. 147 et suiv.
259 Cette observation judicieuse nřa, à notre connaissance,
jamais été prise en considération par les théoriciens de la
douleur. Das Verhältniss der Unterwerfung, le rapport de soumission
est une relation humaine. Dans le sadisme et le
masochisme K-E place au premier plan de sa théorie la
relation humaine, et ne la perd jamais de vue.
133
éveiller des représentations (dřhumiliation) 260
qui, dans leur propre signification, sont accentués
de sentiments psychiques de plaisir.
12. Je ne puis que répéter que ce qui différencie
décisivement la simple flagellation passive de la
flagellation fondée sur une demande (Verlangens)
masochiste cřest que, dans le premier cas, lřacte
est un moyen en vue de rendre possible le coït,
ou au moins lřéjaculation 261 , tandis que dans le
dernier cas cřest un moyen en vue dřobtenir une
satisfaction de lřâme au sens dřun plaisir masochiste.
{125 } On se demande après tout si le
masochiste, à lřoccasion des maltraitements en
vue dřéveiller la sensation de plaisir, ressent la
douleur ; soit quřil ne perçoive pas du tout, en
vertu de son état affectif (comme le soldat dans
la mêlée ou le martyre religieux ou extatique)
lřinfluence physique sur les nerfs de sa peau, soit
que lřenvahissement de la conscience par la sensation
de plaisir demeure, face à la représentation
de maltraitement, comme un simple symbole
dépourvu de la qualité de douleur. [37 ]
13. Ce qui a lieu pour ainsi dire cřest une surcompensation
de la douleur physique par le plaisir
psychique, et seule la différence demeurerait
dans la conscience comme plaisir psychique résiduel.
Celui-ci subit de plus un accroissement, soit
sous lřinfluence des réflexes spinaux, soit par
lřaccentuation particulière des impressions sensibles
dans le sensorium, pendant que survient
une sorte dřhallucination corporelle de plaisir
260 Demuthigung, humiliation. Encore un glissement : Soumission
→ Dépendance → Sřabandonner → Humiliation.
261 Il sřagit là en quelque sorte dřun moyen mécanique en vue
dřun plaisir corporel. Le masochisme est, par contre, un
plaisir de lřâme.

avec une localisation très vague de la sensibilité
projetée au dehors 262 . {126 }
14. Lřanalogue apparaît dans les auto-tourments
excitants des exaltés religieux (fakirs, derviches
hurlants, flagellants religieux), mais avec une
autre qualité de la sensation de plaisir. Là aussi
on perçoit la représentation du martyr sans la
qualité de la douleur, pendant que la conscience
est remplie dřune représentation marquée du
plaisir de servir 263 Dieu par le martyr, de racheter
les péchés, de gagner le ciel, etc. Mais il est assez
connu quřil peut pourtant sřy glisser aussi des
sentiments voluptueux 264 .
262 Lřextraordinaire est cette articulation de la métaphore
économique à quelque chose quřon nřa pas de peine à
reconnaître sous la catégorie actuelle de schéma du corps.
Nous ne sachons pas quřaucun auteur (ancien ou moderne)
soit allé plus loin dans lřélucidation du plaisir dans la
douleur. On ne peut sřempêcher de penser que Georges
BATAILLE (1964, pp. 234, 237 et 238), commentant les
fameuses photos du supplicié chinois, nřait été en quête
dřune pareille explication. En lisant le reportage du supplice
de Damiens reproduit par FOUCAULT (1975) au
début de son récent ouvrage, nous avons été frappé du
nombre de fois où il se relève pour regarder son corps
supplicié et sřest repaître. Une théorie unitaire moderne de
lřhallucination, du schéma corporel et de la douleur,
devrait incessamment émerger de la conjoncture actuelle
où les éléments de base sont encore disséminés sur plusieurs
domaines, Ŕ si lřon sřavisait de tenir compte de cet
alinéa. De pareils passages ont tout lřintérêt de la nouveauté
et de lřinédit. Lřindication de CLEUGH (supra texte
T.40, p. 61) à propos de la systematized delusional insanity est
peut-être issue de ce passage mal compris, puisquřen effet
Krafft-Ebing nřenvisage pas lřétude du masochisme à
partir de lřentité nosographique toute étrangère de
Wahnsinn hallucinatorisch, dont il est dřailleurs également le
spécialiste. Ŕ Cf. MAGNAN & LEGRAIN (1895), p. 56.
263 Encore un glissement ? Soumission → Dépendance →
Sřabandonner → Humiliation → Servir.
264 Il y aurait ainsi un mécanisme général analogue pour le
masochiste et pour le mystique exalté. La représentation
(Vorstellung) de servir Dieu qui domine lřexalté lřapparente
134
15. Lřaccent psychologique principal, là où un
masochiste se laisse flageller, ne se trouve pas, en
tout cas, dans la douleur effective ou potentielle
comme chez un flagellant ordinaire, mais en
éprouvant lřhumiliation dans le maltraitement
symbolique. Ainsi seulement il est possible que la
douleur soit marquée de plaisir. Que ce plaisir ait
cette source originaire directe, essentiellement
psychique, et ne soit pas un effet réflex indirect,
résulte bien clairement entre autres de ce que la
même flagellation exécutée par un homme, par
quelquřun dřantipathique, comme par une vieille
femme laide, ou encore par une femme sur commande,
avec lesquels lřillusion 265 de soumission
nřest pas réussie, peut provoquer seulement de la
douleur, et ne manifeste ainsi aucune valeur indépendante.
[d. Masochisme et Sadisme]
16. Le sadisme de la femme est à considérer
comme le corrélat de ce masochisme 266 . {127 }
au masochiste dominé par la représentation de la femme
altière. Krafft-Ebing admet en outre que dans le cas du
mystique il existe des risques de contamination entre la
sphère des représentations mentales et le plaisir de lřâme.
265 Avec cette dernière notion nous avons le quadrilatère
de base de la théorie de K-E : Hallucination Ŕ Vostellung Ŕ
Ideal Ŕ Illusion. Théorie du symbolisme (Cf. § 12, Zeichen ;
§ 15, Misshandlung symbolisch ; § 19, symbolischen Akte), dřune
hardiesse peu commune.
266 Cřest-à-dire du masochisme de lřhomme. Telle quřelle a
émergé, lřopposition du sadisme et du masochisme nřavait
pas un caractère absolu, car K-E ne décollait pas de lřobservation
clinique (Cf. note suivante). Mais on remarque
quřen sus de lřobservation clinique, les petites annonces
que nous avons évoquées au chap. précédent doivent avoir
eu leur part dans cette émergence. Les trois caractères qui
sřy trouvent (caractère efféminé de lřhomme, couple

17. Comme il résulte des Confessions de Rousseau
ainsi que de mon Equus eroticus, et ainsi que me
lřassurait aussi le monsieur de lřobservation
n° 9 267 , celui-là 268 est lřidéal dans les fantaisies
érotiques de lřhomme masochiste. Le sadisme de
la femme, en tant quřinverse de la nature psychosexuelle
de la femme, sera interprété comme une
sensibilité sexuelle contraire rudimentaire dans le
sens du viraginitat psychique 269 .
18. La contrepartie du masochisme de lřhomme
représenterait le sadisme du même, et la contrepartie
du sadisme de la femme représenterait son
propre masochisme, comme une augmentation
pathologique dřun caractère psychique normal
270 . Aussi dans les cas constatés empiriquement
de sadisme de lřhomme, le moment de la
[38 ] douleur, ici active, apparaît comme un
moment essentiel de la situation psychologique,
et comme une condition pour lřapparition de la
sensation de plaisir. Il nřest pas possible de parler
ici dřun plaisir physique, mais seulement dřun
plaisir psychique, dřautant plus quřaucune excitation
des nerfs sensibles propres par lřacte de
maltraitement nřa lieu 271 . Ceci résulte tout aussi
clairement de lřobservation n° 11 272 , qui présente
en même temps un exemple presque inatta-
contrasté homme-femme, référence à Sacher-Masoch et à
son œuvre maîtresse) sont textuellement repris.
267 Aux moments stratégiques, K-E ne décolle pas de
lřobservation clinique. Cf. aussi les §§ 6, 7, 9 et 10.
268 Cřest-à-dire le sadisme de la femme.
269 Nous avons là le pendant du § 5.
270 Dans la suite du chap. nous utiliserons ce double renversement.
271 Plaidant pour un parallélisme complet entre masochisme
et sadisme, K-E utilisera cet argument dans la suite
pour confirmer sa théorie du masochisme.
272 Cf. note 266 supra.
135
quable de production combinée de masochisme
et de sadisme, et offre de plus une analogie avec
lřhermaphrodisme psychique 273 . {128 }
19. Comment cet acte de cruauté médiatise 274 le
plaisir psychique (la volupté) 275 , on peut seulement
le présumer. Il est facilement concevable
dřadmettre que cet acte, pareil à celui qui est
passivement subi chez le masochiste, en vertu
dřune organisation psychique particulière, provoque
une représentation de domination (respectivement
dřêtre dominé 276 ) sans limite, enracinée
dans cet état dřâme (affect), et serait, en soi, un
acte symbolique 277 qui entraîne sa propre accentuation
(de plaisir).
20. Dans cette mesure, le plaisir de causer la
douleur et le plaisir de ressentir la douleur apparaissent
seulement comme les deux différentes
faces du même fait psychique ; ce qui est déterminant
et essentiel cřest la conscience de domination
278 respectivement active ou passive, auprès
de laquelle lřassociation inhérente de la cru-
273 Cette phrase sera commentée dans la suite du chapitre.
274 Mot propre pour exprimer la symbolisation. Cf. la suite
de lřalinéa, et les §§ 12 et 15. On peut percevoir derrière
cette notion de Vermittlung le déplacement et le transfert, Ŕ
qui ne sont pas des idées étrangères à cette époque.
275 Wollust. Il semble que K-E entend désigner le plaisir
psychique par volupté.
276 Cf. notes 241, 243, 260, 263. Les glissements atteignent
leur butée : Soumission → Dépendance → Sřabandonner →
Humiliation → Servir → Être dominé.
277 Cf. § 12, et notes 264 et 274.
278 Cřest ici le point culminant de la théorie du masochisme
et du sadisme de Krafft-Ebing. La terminologie de K-E est
la suivante : pour le masochisme seul il parle de Unterwerfung,
pour le sadisme seul il parle de Beherrschung, et
quand il sřagit de la relation de domination commune aux
deux il parle indifféremment de Unterwerfung ou de Beherrschung.
Ŕ Cf. les §§ 2, 11, 15, 19, et 21.

auté et de la volupté (Wollust) est dřune importance
psychologique accessoire. {129 }
21. Certes il nřest toujours pas clair de comprendre
pourquoi, à lřexpression de la relation de
domination, lřaddition de la douleur est encore
souhaitée, que ce soit respectivement comme
acte de cruauté idéel ou réel. Peut-être est-ce parce
quřil semble quřà côté du coït, ce soit lřaction
la plus forte quřun être humain puisse exercer sur
un autre 279 .
22. Le meurtre par volupté et autres atrocités
peuvent facilement sřexpliquer par une plus grande
progression de la dégénérescence psychosexuelle.
Lřordre des matières de ce texte nřest pas
indifférent. Dans le titre, le masochisme précède
le sadisme. Il est tentant de lire lřexposé
comme sřil nous indiquait les trois étapes du
chemin suivi par Krafft-Ebing pour construire
lřopposition. Dřabord ses préoccupations
concernant lřinversion sexuelle, Ŕ dřoù,
dřabord, la confrontation du masochisme
avec lřinversion. Ensuite, la critique des conceptions
de Binet sur le fétichisme dans leur
279 Cf. § 11. La différence cřest quřau § 11 K-E ne parlait
que de la douleur effective (réelle). Ici il se demande
pourquoi, même dans les cas de masochisme et de sadisme
idéels, on imagine des actes de cruauté physique, et non
pas des représentations de domination. Ŕ Réponse : parce
que lřexercice de la cruauté physique symbolise concrètement
lřidée de domination.
136
extension, par lřétude du cas de Rousseau, à
la flagellation passive, Ŕ dřoù la confrontation
du masochisme avec la flagellation passive.
Enfin, le sadisme, avec un exposé centré sur
le sadisme de la femme en tant quřidéal du
masochiste, Ŕ dřoù, par un double renversement,
lřon aboutit à lřétude du sadisme de
lřhomme 280.
Lřexposé de la théorie du masochisme et
du sadisme se scinde en deux parties à la PS7
(1892). Nous indiquons brièvement dans le
tableau ci-dessous le destin de chaque alinéa
des Neue Forschungen... dans la structuration
nouvelle de la PS7. {130 }
I. Ŕ Essai dřexplication du masochisme
§ 1 → Repris tel quel
§ 2 → Repris tel quel
§ 3 → Profondément remanié
Reprend un peu de la 1 re partie du § 18
Suit une théorie nouvelle de la production du masochisme
qui remplace les §§ 4 à 8 de lřexposé de 1890d, dont il
ne reste quřune brève référence reportée en note (Cf. T.65)
§ 8 → La fin est reprise
§ 9 → Repris amplifié de références à des observations
cliniques
§ 10 → Supprimé
§ 11 → Repris amputé
§ 12 → Repris amplifié
§ 13 → Repris tel quel
§ 14 → Repris tel quel
280 Lřétude du masochisme de la femme, envisagé au cours
du chapitre (Neue Forschungen..., pp. 28-30) nřa pas été
reprise dans cet essai.

II. Ŕ Masochisme & Sadisme
Débute par une confrontation dřoù nous isolons deux
phrases pour les traduire littéralement :
Ŕ Das vollkommene Gegenstück des Masochismus ist der
Sadismus /La parfaite contrepartie du masochisme est le
sadisme
Ŕ Der parallelismus ist ein vollstäntiger /Le parallélisme
est complet
§ 16 → Complètement remanié :
Ŕ So stellen sich Masochismus und Sadismus als
vollkommene Gegensätze dar / Ainsi se présentent le
masochisme et le sadisme en parfait contraste
§ 17 → Réécrit et amputé dřune partie
Suit un passage où lřon discerne de temps en temps un
bout de phrase des §§ suivants : 15, 9, 18, et 19 (?)
§ 20 → Repris tel quel
§ 21 → Repris tel quel
Suit une théorie de lřAssociation dřidées, avec une discussion
des conceptions de Schrenck-Notzing et de Binet
§ 18 → Ce qui concerne la combinaison
Masochisme / Sadisme / Inversion
est amplifié
§ 22 → Supprimé
Tableau (XXI) : Correspondance entre lřexposé
de 1890d et celui de la PS7 (1892)
Ce tableau rend visible lřagencement du
nouvel exposé qui, aux adjonctions et aux
suppressions près, apparaît sensiblement le
même que celui de 1890d. Il nous informe
également sur la méthode de travail de
Krafft-Ebing. Le cadre de lřexposé primitif
forme un espace de pensée qui nřest pas
remis en question. Les passages supprimés
sont soit remplacés, soit utilisés ailleurs. La
137
permutation concerne surtout les échanges
entre sections différentes. Elle est très rare à
lřintérieur dřune même section. Cřest pourquoi
{131 } lřagencement des alinéas de
lřexposé primitif nřest, somme toute, pas
bousculée.
Dans ce qui suit, prenant prétexte des
quatre modifications majeures Ŕ numérotées
pour la commodité de [A] à [D] Ŕ nous
ferons à propos de chacune dřelles une incursion
de plus en plus franche dans le fonds
des théories krafft-ébingiennes. Ces incursions
révéleront Ŕ dorénavant sans surprise Ŕ
une pensée riche, argumentée, développée
avec maîtrise et précision.
[A]
La première modification est une suppression-adjonction.
À la place des §§ 4 à 8
de lřexposé de 1890d (T.56) nous découvrons
une théorie de la production du masochisme.
Il est légitime dřidentifier dans le § 8 le
creuset où elle sřest formée. Nous avons vu
que Krafft-Ebing y signalait presque explicitement
la théorie de la production de lřinversion
sexuelle comme patron, et se référait
expressément à un passage de la PS5 (1890).
Comme ce texte de la PS5 est resté le même
jusquřà la PS8 (1893), nous le donnerons
dřabord dřaprès la traduction française de
cette édition (T.57), puis dřaprès la PS9
(1894) où il a été modifié (T.58).

(T.57)
On pourrait peut-être expliquer lřinversion
congénitale en disant quřelle représente une particularité
spéciale de la descendance, mais ayant
pris naissance par voie dřhérédité 281 .
Lřatavisme serait le penchant morbide pour
son propre sexe, penchant acquis par lřascendant
et qui se trouverait fixé comme phénomène morbide
et congénital chez le descendant. Cette
hypothèse est en somme admissible puisque,
dřaprès lřexpérience, des attributs physiques et
moraux acquis, non seulement les qualités, mais
aussi et surtout les défectuosités, se transmettent
par hérédité. Comme il nřest pas rare que des
invertis fassent des enfants, que dans tous les cas
ils ne sont pas impuissants (les femmes ne le
sont jamais 282 ), une hérédité par voie de procréation
serait possible. (.....)
Lřhypothèse sus-indiquée est dřautant plus
acceptable {132 } que les trois premiers degrés
de lřinversion congénitale correspondent parfaitement
aux degrés de développement quřon peut
suivre dans la genèse de lřinversion acquise. On
se sent donc tenté dřinterpréter les divers degrés
de lřinversion congénitale comme les divers degrés
dřanomalies sexuelles acquises ou développées
dřune autre manière chez lřascendance, et
transmises par la procréation à la descendance ;
encore faut-il rappeler à ce propos la loi dřhérédité
progressive.
KRAFFT-EBING : PS5 (1890), p. 101 et suiv.,
jusquřà la PS8 (1893) inclusivement,
trf 1895, pp. 305-306
281 Texte allemand : Eine Erklarung der angeborenen conträren
Sexualempfindung lässt sich vielleicht dahin geben,
dass sie eine gezüchtete Eigenschaft der Descendenz darstellt,
auf dem Weg der Vererbung entstanden.
282 Cřest exactement ici que sřinsère selon nous lřopposition
ActifŔPassif (Cf. supra p. 117, note 227). Remarquons
quřelle sert à incriminer la femme puisque celle-ci peut
toujours transmettre sa tare.
138
(T.58)
Lřauteur de ce livre a tenté dřutiliser les faits
de lřhérédité dans une explication de cette
anomalie. En se fondant sur lřobservation que les
manifestations de la perversion sexuelle ne sont
déjà pas rares chez les parents, il a présumé que
les degrés variés de lřanomalie sexuelle congénitale
correspondent à des degrés variés de lřanomalie
sexuelle acquise par lřascendance, ou développée
de quelque autre manière, en quoi également
la loi dřhérédité progressive doit être prise
en considération.
KRAFFT-EBING : PS9 (1894), p. 237,
jusquřà lřéd. définitive inclusivement PS12 (1903).
(Cf. PS12 tra5ř 1969, p. 365.)
Dans lřexposé primitif (1890d, § 8) nous
constations que Krafft-Ebing, se trouvant en
peine de présenter une théorie de la production
du masochisme, louchait pour ainsi dire,
en direction de la théorie quřil a proposée à la
PS5 (1890) de lřinversion congénitale. Mais il
ne fait pas plus que dire quřelle tient toujours
à propos de lřinversion. Il voudrait lřétendre
au masochisme, mais avoue ne pas en avoir
encore la possibilité. Lřexposé de la PS7
(1892) y parvient. Comment ? Une note de
cette édition nous met sur la voie :
(T.59)
Vgl. des Verfassers Abhandlung ,,über
geschlechtliche Hörigkeit und MasochismusŘŘ in
den psychiatrischen Jahrbüchern Bd. X, p.
169 ff. wo dieser Gegenstand ausführlich und
namentlich vom forensischen Gesichtspunkte
aus behandelt wurde.
Comparez lřessai de lřauteur « Sur la servitude
sexuelle et le masochisme » dans Psychiatrische
Jahrbücher , tome X, p. 169, où ce sujet a été

traité à fond, surtout au point de vue médicolégal.
Cf. the autorřs article, ŘŘÜber geschlechtliche
Hörigkeit und Masochismus,řř in the ŘŘPsychiatrische
Jahrbücher,řř Bd. X, p. 169 et seq., where
this subject is treated in detail, and particularly
from the forensic standpoint.
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), p. 143, note 1.
Idem PS8 (1893), trf 1895, p. 184, note 1.
Idem PS12 tra5ř 1969, p. 228, note 1.
Pour quřelle soit efficace, il fallait sřaviser
de ne pas se laisser fourvoyer par les nombreuses
erreurs de cette note. Ni le titre de
lřarticle, ni le nom de la revue, ni la page ne
sont exacts 283. {133 } Nous avons quand
même pu retrouver ce texte 284 : il est de
1892. Il fournit la pièce manquante, cet X qui
est au masochisme ce que lřinversion sexuelle
acquise est à lřinversion congénitale. Krafft-
Ebing lřa dénommé servitude sexuelle (geschlechtlich
Hörigkeit), désignant par là lřétat dřun
individu qui tombe dřune façon tout à fait
insolite (ganz ungewöhnlich) sous la dépendance
dřun individu de lřautre sexe jusquřà perdre
toute volonté propre. Cette « servitude »
pousse lřassujetti à tolérer ou à commettre
des actes compromettant souvent gravement
283 En cette occasion, signalons quřune autre référence
bibliographique importante doit être rectifiée : « Binet
(Revue Anthropologique, XXIV, p. 256) » que lřon trouve
dans toutes les éditions et traductions, y compris la
PS16-17 de Moll. Il sřagit de la Revue Philosophique... Cf.
notre bibliographie générale à BINET (1887).
284 Cf. notre bibliographie à KRAFFT-EBING (1892e). Nous
pensons en donner prochainement une traduction commentée
dans le cadre dřune étude sur la création scientifique.
{Encore une promesse non tenue}.
139
ses intérêts, parfois contraires aux lois et aux
bonnes mœurs 285. Dřoù le grand intérêt que
les cas de servitude sexuelle offrent justement
au point de vue médico-légal. Cřest ainsi que
lřarticle de Krafft-Ebing faisait justice du
consensus de lřépoque sřaccordant à scotomiser
cet aspect 286. Suivant Krafft-Ebing, la
servitude sexuelle est un phénomène très
répandu qui entre déjà dans le domaine dřun
état dřâme insolite et anormal, mais sans être
un état morbide avéré ou une perversion. Et
cřest justement en quoi il se différencie du
masochisme proprement dit qui est bel et
bien un état morbide avéré, caractérisé par
une perversion de la pulsion sexuelle 287.
Dans son article de 1892 Krafft-Ebing
formule ainsi la théorie de la production du
masochisme :
(T.60)
Geschlechtlich Hörigkeit und Masochismus
sind zweifellos verwandte Erscheinungen. Die
geschlechtlich Hörigkeit bildet einen Mutterboden
für den Masochismus und eines der
Elemente aus welchen er im Wege der Vererbung
entstehen mag. Die beiden Erscheinungen
sind aber auch Wieder scharf zu trennen; sie sind
nicht graduell, sondern qualitativ verschieden.
KRAFFT-EBING (1892e) : Über „geschlechtliche HörigkeitŖ
und Masochismus, § 23, p. 206.
Partant de la constatation que le masochisme
et la servitude sexuelle sont proche-
285 KRAFFT-EBING (1892e), § 2, p. 199.
286 Cf. les hors-textes (T.96) et (T.97), et leur commentaire
au chap. III infra.
287 KRAFFT-EBING (1892e), §§ 1, 24 et 25.

parents dans leurs manifestations, Krafft-
Ebing nřen soutient pas moins entre eux une
distinction tranchée (scharf). Mais cette distinction
lui permet de formuler enfin, conformément
au modèle théorique de la production
de lřinversion congénitale, la théorie
de la production du masochisme. Deux
expressions du hors-texte (T.60) appellent un
commentaire. Lřexpression im Wege der Vererbung
entstehen... est exactement la même que
celle que nous avons trouvée à la fois à
lřalinéa {134 } § 8 du hors-texte (T.56) et au
hors-texte (T.57). Cela confirme lřidentité des
deux manifestations dřun même schéma
théorique, mais soulève un problème épistémologique
crucial. Quelle est lřorigine de ce
schéma théorique ? Ce nřest plus un paradoxe,
et il nřest plus irrecevable de soulever
ce genre de problèmes 288. Nous admettons
quřen ce domaine lřexemple est la chose même ( *).
Nous posons donc la consubstantialité du
patron avec la première application qui le
manifeste. Nous avons plus haut montré
lřoriginalité foncière de la pensée de Krafft-
Ebing par rapport aux tenants de la doctrine
de la dégénérescence qui lřont précédé 289,
mais notre exposé a également montré à quel
point lřexpression de la théorie de la produc-
288 Cf. LAPLANCHE (1971). Dans ce qui suit notre emploi
du terme de « dérivation » nřest pas isotope à celui de
Laplanche, même sřil sřen inspire. Pour éviter toute confusion
nous recourrons à des définitions précises.
* {Le Pr Laplanche a fait le sort que lřon sait à cette maxime
hégélienne que lřon retrouve sous la plume de Freud
dans ses notes inédites sur lřHomme aux rats.}
289 Cf. supra, hors-texte (T.51) et commentaire.
140
tion de lřinversion sexuelle congénitale est
elle-même originaire, et non point lřapplication
dřun schème préexistant.
Allons-nous pousser plus loin la destruction
du mythe du schéma de pensée préexistant
non seulement à lřéclosion initiale, mais
aussi à tous les niveaux dřapplication ? Nous
croyons pouvoir apporter à la problématique
épistémologique en jeu une contribution
décisive en nous livrant à lřexercice pratique
qui suit. Dans les différents cas qui peuvent
se présenter on peut isoler deux groupes. Le
groupe de la dérivation simple, qui est le seul
à avoir retenu lřattention jusquřà présent, et
celui de la dérivation multiple. Pour fixer le
vocabulaire nous convenons de nřappeler
dérivation multiple que le cas où, étant
donné un prototype consubstantiel à son
expression initiale, il nous est possible de
démontrer que ce modèle est à lřœuvre dans
au moins un cas de plus. En revanche, étant
donné (a) un prototype consubstantiel à son
expression initiale, et (b) une série de structures
similaires, si le prototype nřest pas à
lřœuvre dans tous les cas absolument, la
donnée initiale (a) sera remise en question.
Cette décision a un double intérêt. Elle limite
dřune part lřarbitraire dřune utilisation non
contrôlée dřune argumentation originale, Ŕ
celle qui relève de la maxime : lřexemple est
la chose même. Elle confère dřautre part au
concept {135 } de dérivation une précision
qui le rend opératoire dans les investigations

elatives aux chemins de la création scientifique.
Input Ascendants
im Wege der
Vererbung
entstehen
Output Descendants
TABLEAU (XXII) : Lřexplication étiologique
Cela posé, procédons à lřexamen de la
relation de filiation entre la théorie de lřinversion
et la théorie du masochisme. Nous lřassimilerons
à une dérivation multiple dans le
seul cas où leur homothétie serait démontrée.
Commençons par exposer les conditions
requises. Lřexpression im Wege der Vererbung
entstehen est un opérateur qui transforme ce
qui est conjurable en irrémédiable. Cřest la
seule transformation qui se fait, le reste
nřétant quřune transmission mécanique. Le
schéma ci-dessus lřexprime éloquemment.
Dans la théorie de lřinversion sexuelle
congénitale Krafft-Ebing pose à lřentrée du
processus (Input) une inversion sexuelle par
dégénérescence acquise chez lřascendant, qui
se transforme, en passant par lřopérateur, en
141
stigmate fonctionnel de dégénérescence congénitale
chez le descendant (Output). Il en est
de même pour le masochisme à lřOutput.
Comme pour lřinversion nous avons un stigmate
fonctionnel de dégénérescence.
Nous venons de constater que lřopérateur
est le même pour le masochisme comme
pour lřinversion (T.60). Il nous reste à examiner
lřInput exposé dans la même phrase
dont nous avons tiré lřopérateur. Krafft-
Ebing déclare en effet : die geschlechtliche Hörigkeit
bildet einen Mutterboden für den Masochismus.
Autrement dit, la servitude sexuelle aménage
une « terre-mère » pour le masochisme. Lřexpression
est sans ambiguïté. La métaphore
trahit tout lřarrière-plan de la théorie de la
dégénérescence de lřauteur. Lřhomme est une
terre, ou mieux un terrain, pour reprendre le
terme dřaprès lequel la doctrine de la dégénérescence
a été connue. La maladie est un
germe. Il faut semer dřabord, et cřest la maladie
acquise. Le germe est alors planté dans la
terre, invisible aux yeux. Il peut longtemps
demeurer en latence. Pour se manifester, il
faut non seulement un terrain propice, un
terrain qui lui apporte les soins attentifs
dřune mère (Mutterboden), {136 } et un pareil
terrain, nous allons bientôt le constater, cřest
lřhyperesthésie, mais il faut encore que ce germe
soit cultivé, et des circonstances accidentelles
comme des circonstances volontaires (i.e. la
masturbation) peuvent remplir cet office. Le
verbe bilden a également ce sens aussi.

Par cette analyse nous tenons la réponse
au problème posé. Nous avons affaire effectivement
à ce que nous avions convenu de
dénommer une dérivation multiple. On peut
le confirmer par une preuve péremptoire. Il
suffira de trouver un passage où, suivant
lřanalogon de lřinversion acquise, Krafft-
Ebing exprimerait clairement lřexistence possible
dřun masochisme acquis. Or lřarticle
de 1892e comporte un pareil passage :
(T.61)
Wer sich durch lange Zeit im Zustande der
geschlechtlichen Hörigkeit befindet, wird disponirt
sein, leichtere Grade des Masochismus zu
acquiriren. Die Liebe, welche gern Tyrannei um
des Geliebten willen erträgt, wird dann directe
Liebe Tyrannei. Wenn die Vorstellung des geliebten
Wesens eng associirt war, so gebt endlich die Lustbetonung
auf die Tyrannei selbst über und es ist Perversion
eingetreten. Das ist der Weg, auf dem Masochismus
gezüchtet werden kann.
KRAFFT-EBING (1892e) : Über „geschlechtliche
HörigkeitŖ und Masochismus, § 27, p. 207
Ce passage est repris à partir de la PS7
(1892). Nous en donnons la traduction française
de lřépoque (PS8, 1893, Ŕ trf 1895) passablement
retouchée :
(T.62)
Celui qui reste pendant longtemps en état de
servitude sexuelle sera plus enclin à contracter de
légères tendances masochistes. Lřamour, qui
supporte volontiers la tyrannie pour lřamour de
la personne aimée, devient alors directement un
amour de la tyrannie. Quand la représentation dřêtre
tyrannisé sřest longtemps associée à une représentation de
lřobjet aimé accentuée de plaisir, cette marque de plaisir
142
finit par se reporter sur la tyrannie elle-même 290 , et il se
produit de la perversion. Voilà comment le masochisme
peut être acquis 291 .
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), p. 147,
PS8 (1893), trf 1895, p. 189.
(Cf. PS12 tra5ř 1969, pp. 232-233.)
{137 } Ainsi, Krafft-Ebing défend effectivement
lřidée dřun masochisme acquis 292.
Néanmoins la base branlante de son assertion
ne lui a pas échappé. Admettre que le
temps y est pour quelque chose Ŕ quand lřidée
dřêtre tyrannisé sřest longtemps associée, etc. 293 Ŕ
cřest adopter des idées associationnistes
contre lesquelles il nřa jamais cessé de
rompre des lances 294. Il se corrige très vite :
(T.63)
Er entsteht nicht nur aus dem instinctiven
Begehren nach Tyrannei, welches die geschlechtliche
Hörigkeit vieler Generationen auf den Träger
dieser Perversion verebt hat, sondern wurzelt
gleichzeitig auch in der Neigung geschlechtlich
hyperästhetischer Naturen, alle Einwirkungen,
die vom geliebten Gegenstande ausgeben, der
geschlechtlichen Einwirkung zu assimiliren
KRAFFT-EBING (1892e) : Über „geschlechtliche
HörigkeitŖ und Masochismus, § 29, p. 208
290 Par déplacement (de lřaccent) ou transfert pourrait-on
ajouter. Dans la note 274 de lřexposé de 1890d (T.56) nous
y faisions référence. Cf. infra le hors-texte (T.92) et son
commentaire pour lřadministration de la preuve.
291 La PS12 (1903), tra5ř 1969, p. 233, donne : Ŗacquired by
cultivationřř, ce qui rend mieux gezüchtet.
292 Mais, attention, le vrai masochisme est toujours congénital.
Ŕ Cf. KRAFFT-EBING (1892e), § 28.
293 On sait que Freud donnera tête baissée dans ce genre
de sophisme sans aucunement se rattraper comme le fait
ici Krafft-Ebing.
294 Nous en reparlerons plus bas à propos du fétichisme.
Mais Cf. essentiellement le 3 e débet de notre chap. III.

Ainsi le déplacement de lřaccent ne dépend
pas, ou ne dépend pas en premier lieu,
du temps dřexposition ou de la fréquence
dřune expérience de conditionnement 295.
Cřest lřinclination (Neigung) des natures sexuellement
hyperesthésiées qui en est dřabord
responsable. Cřest elle qui rend la terre (cřestà-dire
la servitude sexuelle) arable et propre à
produire le masochisme. Krafft-Ebing utilise
une image expressive, il dit quřavec la servitude
sexuelle, lřhyperesthésie est la racine
simultanée (Wurzel gleichzeitig) de la perversion
masochiste.
Toutes ces idées sont reprises dans lřexposé
de la PS7 (1892), où elles prennent une
tournure légèrement différente. Il y a dans la
sphère des phénomènes normaux deux sources
du masochisme, dit Krafft-Ebing :
Ŕ 1 re Source : À lřétat dřexcitation voluptueuse
toute impression exercée par la personne
aimée, indépendamment de son genre propre,
est ressentie comme agréable. Par ex.,
des tapes légères et de petits coups de poing
sont pris pour des caresses. Dans le cas dřune
accentuation pathologique de lřardeur amoureuse
naît le désir dřéprouver une très forte
impression de la part du consort. {138 } Or
la douleur, comme on lřa vu 296, est le moyen
le plus facile (et le plus efficace) pour pro-
295 Condillac, Binet, Pavlov, (et parfois Freud), sont logés à
la même enseigne.
296 Cf. KRAFFT-EBING (1890e) : hors-texte(T.56), § 11.
143
duire une forte impression à la fois physique
et psychique.
Ŕ 2 de Source : La servitude sexuelle, dont
lřexposé emprunte largement et textuellement
à lřarticle de 1892e 297.
Krafft-Ebing condense ces deux sources
dans le hors-texte suivant, où il faut souligner
les termes dřextase et de terrain :
(T.64)
Cřest de ces deux éléments Ŕ la ŘŘservitude
sexuelleřř dřune part, et dřautre part la prédisposition
à lřextase sexuelle qui fait percevoir les
mauvais traitements accentués de plaisir Ŕ cřest
de ces deux éléments, disons-nous, dont les causes
peuvent être ramenées jusquřau domaine des
faits physiologiques, que le masochisme tire son
origine, quand il trouve un terrain psychopathique
propice, où lřhyperesthésie sexuelle intensifie
dřabord tous les accessoires physiologiques,
et finalement les seuls concomitants anormaux
de la vita sexualis, jusquřau degré morbide de la
perversion.
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), p. 147, tra p. 146, trp.
(Cf. PS8 (1893), trf 1895, p. 190-191.)
(Cf. PS12 tra5ř 1969, pp. 234-235.)
Tous les paramètres sont passés en revue
et noués ensemble : la servitude sexuelle,
lřextase, le terrain psychopathique, et lřhyperesthésie.
La phrase est longue mais gorgée de
suc. Nous disposons dřune preuve supplémentaire
de la dérivation que nous avons
cherché à établir, preuve dont la valeur est
accrue par lřinexactitude quřon y décèle.
297 K-E reprend en particulier les exemples de situations de
servitude sexuelle que nous donnons au chap. III, § 3.

Nous tombons à la page 101 de la PS7
(1892) sur une remarque incidente qui ne
peut que nous arrêter :
● PS7 (1892), p. 101 : Zweichen Masochismus
und einfachem (reflektorischem) Flagellagellantismus
besteht ein analoges Verhältniss wie etwa
zwischen conträrer Sexualempfindung und erworbener
Päderastie.
● PS7 (1892), tra p. 100 : Between masochism
and simple (reflex) flagellation, there is a relation
somewhat analogous to that existing between
contrary sexual instinct and acquired pederasty
298 .
● PS8 (1893), trf p. 139 : Entre le masochisme et
le simple réflexe des flagellants, il y a un rapport
analogue à celui qui existe entre lřinversion
sexuelle et la pédérastie acquise.
Lřinexactitude (ou la simple négligence)
se rapporte à ceci. Comme nous lřavons
amplement montré plus haut, le rapport en
question est entre la servitude sexuelle (et
non pas le réflexe des flagellants), et le masochisme.
Mais cette négligence mise à part,
nous avons en revanche la confirmation
décisive de lřexactitude de nos déductions à
propos de la dérivation multiple. Nous avons
de surcroît une précieuse information à propos
de la genèse de la théorie du masochisme.
Il faut reconnaître à la prise en considération
par Krafft-Ebing de la sensation
réflexe des flagellants, lřinstigation de la rupture
épistémologique. Plus précisément, il se
298 Idem, PS12, tra5ř 1969, p. 170.
144
peut que ce soit lřopposition entre le flagellant
débauché et le flagellant mystique 299 qui
fut lřordonnatrice de la rupture.
Finalement, si nous jetons un coup dřœil
rétrospectif aux hors-textes (T.57) et (T.58),
nous constatons que la dérivation multiple
agit en retour sur son prototype pour aboutir
à une nouvelle théorie de lřinversion sexuelle,
à lřexposé de laquelle nous en viendrons un
peu plus loin.
{139 } Lřévaluation de lřexercice pratique
que nous venons de réaliser soulève des
problèmes épistémologiques subtils. On peut
estimer en effet que la « découverte » de la
servitude sexuelle nřa été une dérivation multiple
que par accident. En admettant jusquřau
bout la valeur explicative de la résurgence de
la séquence négligée, la servitude sexuelle
peut en être considérée comme un rejeton.
On peut estimer que ce qui fut déterminant
ce sont les conditions dřénonciation de la
théorie du masochisme à partir du contexte
que le sadisme Ŕ au sens des publicistes
français 300 Ŕ lui a fourni. Dřailleurs, comme
nous le verrons plus loin, parmi les exemples
de servitude sexuelle, la relation entre le
souteneur et la prostituée est dûment mentionnée
par Krafft-Ebing 301. Inversement, si
ce contexte nřexistait pas, si les phénomènes
de servitude sexuelle nřexistaient pas non
299 Cf. hors-texte (T.56), §§ 9, 14 et 15.
300 Cf. supra, chap. I, § 1.
301 Cf. infra, chap. III, § 3, hors-texte (T.118).

plus dans la réalité tangible, autrement dit si
ce nřétait là quřune construction (une fiction
théorique), la dérivation multiple aurait-elle
pu venir à jour ? Ne se serait-elle pas
fracassée contre les réalités de la condition
humaine ? Nous prendrons position à propos
de ce problème crucial en conclusion,
quand nous aurons réuni tous les éléments
qui sřy rapportent (pp. 166-167). Mentionnons
au passage trois solutions possibles :
une solution marxiste orthodoxe (ou matérialiste),
une solution idéaliste (ou positiviste au
sens de Popper), enfin une solution inclassable,
ou surréaliste (Breton, Péret, Mabille)
qui sřémerveillerait de la coïncidence en lřattribuant
à un « hasard objectif » 302.
Du point de vue de lřétude des procédés
de création et dřinvention dans les sciences,
la détermination dřune loi de dérivation
multiple peut ne pas être indifférente. Cette
loi, et cřest là le résultat le plus curieux, est
conforme à la dérivation simple formulée par
Laplanche (1970) (1971) 303 à propos des entités
freudiennes. La loi de dérivation multiple,
au moins dans le cas précis qui nous
occupe, est métaphoro-métonymique. Appelons
la métaphore une condition extrinsèque,
302 Notion puisée par André Breton dans lřEsthétique de
Hegel, semble-t-il.
303 Nous faisons toutes réserves au sujet du « naturalisme »
qui termine le texte de 1971, pp. 214-215. On sait que la
notion de dérivation a été empruntée à Foucault, mais
Laplanche en fait un usage tout à fait personnel. {Au cours
de la discussion de soutenance, le Pr Laplanche a nettement
rejeté lřassimilation que je fais ici de ses idées aux
miennes.}
145
et la métonymie une condition intrinsèque.
Nous dirons en conséquence quřil y a deux
attaches qui nouent la théorie du masochisme
à la théorie de lřinversion. La première
est extrinsèque. Elle fait de lřune (la
théorie de lřinversion) le prototype de lřautre
(la théorie du masochisme). La seconde est
intrinsèque. Elle est énoncée dans lřexposé
primitif de 1890d aux alinéas 3 à 8 {140 } du
hors-texte (T.56). Elle caractérise le masochisme
comme une inversion rudimentaire
dans le sens dřune effeminatio, au moins de
lřaspect psychique de la vie sexuelle. Faisons
incidemment deux remarques à ce propos.
Cřest la dérivation métonymique qui entraîne
dans son sillage la dérivation métaphorique.
Inversement, la réalisation de la condition
extrinsèque (métaphorique) sřest faite aux
dépends de la condition intrinsèque (métonymique)
; la théorie du masochisme aux
dépends de la théorie de lřinversion sexuelle.
En effet, le nouvel exposé de la PS7 (1892)
prend la place de lřancien exposé des Neue
Forschungen... (1890d) (T.56), comme si, dans
le feu de la spéculation, les deux théories
sřétaient opposées lřune à lřautre, ou comme
si Krafft-Ebing avait été pris pour ainsi dire
dans leur « double bind » (Bateson). Le horstexte
que nous venons de citer (T.64) se
termine en effet par un appel de note que
nous ne pouvons comprendre que comme
un remords :

(T.65)
Quand on voit, ainsi que cela a été démontré
plus haut, que la ŘŘservitude sexuelleřř est
un phénomène qui a été constaté bien plus
fréquemment et avec une intensité plus grande
dans le sexe féminin que dans le sexe masculin,
la conclusion sřimpose : que le masochisme
(sinon toujours, du moins habituellement) est un
legs de la ŘŘservitudeřř des ascendants féminins.
De cette façon il entre en rapport, bien quřéloigné,
avec lřinversion sexuelle, en raison de ce fait
quřune perversion qui devrait être particulière à
la femme se transmet à lřhomme. [Cette manière
dřenvisager le masochisme comme une inversion
sexuelle rudimentaire, comme une effeminatio partielle
qui, dans ce cas, nřatteint que les traits
secondaires du caractère de la vita sexualis (manière
de voir que jřai déjà, dans la 6 e édition de
cet ouvrage, exprimée dřune façon très nette), est
encore corroborée par les dépositions des malades
des observations 44 et 49, citées plus haut, et
dont les sujets sont aussi marqués dřautres traits
dřeffémination, tous deux désignant comme leur
idéal une femme relativement plus âgée qui les
aurait recherchés et conquis.] 304
Il faut cependant noter le fait que la sujétion
joue aussi un rôle considérable dans la vita
sexualis masculine, et que, par conséquent, le
masochisme peut sřexpliquer sans lřhypothèse de
la transmission des éléments féminins à lřhomme.
Il ne faut pas oublier non plus, à ce propos,
que le masochisme et son opposé le sadisme se
rencontrent quelquefois en combinaisons irrégulières
avec lřinversion sexuelle.
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), pp. 148-149, note.
PS7 (1892), tra pp. 146-147, note.
Cf. PS8 (1893), trf 1895, p. 191, note.
Cf. PS12 tra5ř 1969, p. 235, note.
304 La présence de crochets droits enserrant ce passage sera
expliquée un peu plus loin, p. 157.
146
Cette note nous apprend que le masochisme
et le sadisme ont été introduits dans
la Psychopathia Sexualis à la 6 e éd. (1891), et
semble indiquer que le texte ne devait pas
trop différer de celui des Neue Forschungen...
(1890d). Nous y discernons aussi des signes
exprimant lřhésitation {141 } actuelle de
Krafft-Ebing à rattacher trop étroitement le
masochisme à lřinversion comme il le faisait
peu de temps avant. À cet égard, le fait que
cette idée nřapparaisse plus quřen note et
avec de multiples réserves, nřest pas chose
insignifiante 305.
[B]
Une autre adjonction, sans suppression
cette fois, engendre un autre estompage. En
collant à la teneur brute de lřobservation
clinique et des petites annonces dans lřexposé
primitif des Neue Forschungen... (1890d),
Krafft-Ebing avait établi une corrélation
directe entre le masochisme de lřhomme et le
sadisme de la femme (T.56, § 16), puis il avait
eu recours à un double renversement pour
obtenir le sadisme de lřhomme et le masochisme
de la femme (T.56, § 18). Quant à
contraster explicitement le sadisme et le
masochisme en eux-mêmes, on nřen trouve
guère trace dans cet exposé, bien quřà lřalinéa
§ 20 il en soit implicitement traité. Lřexposé
de la PS7 estompe les expressions primitives
305 Nous dirons plus loin quoi penser de ces réserves.

(sujet-attribut) en les libérant de leur attribut.
Dřoù les trois nouvelles phrases que nous
avons citées et traduites dans notre Tableau
(XXI) 306. Krafft-Ebing y envisage le sadisme
et le masochisme en eux-mêmes. Parallèle et
contraste étant considérés comme constitutifs
de ces entité et non pas liés à leur condition
dřemploi. Nous croyons que ce résultat
nřest pas seulement un progrès dans
lřabstraction, mais la première étape dřun
renversement théorique qui se prépare. Nous
en montrerons lřaboutissement plus loin.
La nouvelle formulation de la PS7 (1892)
introduit donc un parallélisme complet et un
contraste parfait entre le sadisme et le masochisme,
de sorte que ce quřon dira de lřun
sřappliquera à lřautre moyennant un changement
de signe. Lřeffet direct de cette nouvelle
formulation sera dřoffrir une explication
de ces cas où les symptômes de sadisme et de
masochisme se manifestent simultanément.
Ces cas étaient signalés sans commentaire
dans lřexposé primitif (T.56, § 18). Krafft-
Ebing détient maintenant une réponse. Il
commence par dire quřévidemment (sic) cřest
toujours lřune des deux perversions qui lřemporte,
et de beaucoup. Puis il enchaîne ainsi :
(T.66)
Etant donnée cette prédominance décisive
de lřune des deux perversions et leur manifestation
tardive dans ce cas, on peut supposer que
lřune des deux, la perversion prédominante, est
306 Cf. supra, p. 130.
147
originaire, tandis que lřautre a été acquise. Les
représentations de soumission et de mauvais traitements
actifs et passifs, {142 } marquées de
volupté intensifiée, se sont profondément enracinées
chez lřindividu. À lřoccasion, la fantaisie
tente de se placer dans le même cercle de représentations,
mais avec un rôle inverse. Elle peut
même arriver à une réalisation effective de cette
inversion. Ces tentatives, soit en fantaisie, soit en
acte, sont, dans la plupart des cas, bientôt abandonnés
comme nřétant pas adéquats à la direction
primitive.
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), pp. 153-154, trp.
PS7 (1892), tra p. 151.
(Cf. PS8 (1893), trf 1895, p. 198.)
(Cf. PS12 tra5ř 1969, p. 243.)
Nous reportons au prochain chapitre le
commentaire de ce hors-texte 307. Relevons
cependant au passage quřen pratique une
entité « sadomasochisme » nřest pas admise par
Krafft-Ebing. Mieux, lřauteur lřévite grâce à
sa conception de ce qui est originaire (congénital)
et ce qui est acquis. Seule lřinterdépendance
théorique du sadisme et du masochisme
est affirmée. Cette idée a déjà été
avancée dans lřessai primitif (1890d) (T.56,
§ 20), sous la forme des deux faces du même
fait psychique. La même image est reprise à
la PS7 (1892) 308. Dans le hors-texte ci-dessus
Krafft-Ebing fait le maximum de concessions
en ajoutant quřils appartiennent au
même cercle de représentations 309. Cřest déjà
307 Chap. III, § 1, p. 153, infra.
308 PS7 (1892), p. 153, tra p. 150 ; PS8 (1893), trf 1895,
p. 196 ; PS12 (1903), trař 1969, p. 241.
309 Le texte allemand est intéressant : « Gelegentlich versucht
sich die Phantasie auch in desselben Vorstellungskreis, aber mit

eaucoup, mais il nřira pas plus loin. Sa
théorie lřen empêche. Observons en outre
que la PS7 (1892) comporte une note critique
sur Kiernan 310 où il réitère la même idée
dřinterdépendance théorique. Il nous reste à
relever un emploi judicieux de cette interdépendance
: son utilisation pour lřadministration
de la preuve. On se souvient que dans
ses Neue Forschungen... (1890d) Krafft-Ebing a
présenté et argumenté lřorigine purement
psychique du masochisme. Dans lřexposé de
la PS7 (1892) il pense le prouver décisivement
311 en faisant remarquer :
(T.67)
La comparaison du masochisme et du sadisme
peut encore servir à écarter complètement
cette hypothèse que le masochisme tirerait son
origine primitive de lřeffet réflexe de la flagellation
passive, et que tout le reste ne serait que le
produit {143 } dřassociations dřidées se rattachant
au souvenir de la flagellation, ainsi que lřa
soutenu Binet dans son explication du cas de
invertierter Rolle ». Rappelons quřau chap. I er nous avons
longuement exposé lřémergence des catégories de sadisme
et de masochisme dřimagination (ideeler). On peut suivre
pas à pas chez K-E, confronté à la théorisation du masochisme,
le processus de découverte et de reconnaissance
dřune réalité intérieure. En bon clinicien, cřest dans le fantasme
quřil traque le sadomasochisme. LAGACHE (1960) à
qui lřon attribue la conceptualisation du sadomasochisme,
en traite justement à propos du fantasme, lui qui a voulu
remettre en honneur le vieux sens du terme de fantaisie.
310 PS7 (1892), pp. 154-155, note. Cette note polémique est
conservée dans toutes les éditions subséquentes que jřai
consultées. Par ex., PS9 (1894), pp. 155-156, note ; PS12
(1903), tra5ř p. 244, note, etc. Elle manque toutefois à la
trad. franç. de la PS8, sans doute par inadvertance.
311 PS7 (1892), pp. 150 et 152-153, tra pp. 147 et 150 ; PS8
(1893), trf 1895, pp. 192 et 195-196 ; PS9 (1894), pp. 149 et
152-153 ; PS12 (1903), trař 1969, pp. 236 et 241.
148
Jean-Jacques Rousseau et ainsi que Rousseau luimême
lřa cru. De même le maltraitement actif à
quoi aspire le sadiste ne produit aucune excitation
des nerfs sensitifs ; par conséquent lřorigine
psychique de cette perversion ne saurait être
mise en doute. Mais le sadisme et le masochisme
sont tellement similaires, ils se ressemblent tellement
en tous points, que la conclusion par analogie
de lřun à lřautre est permise, et quřelle suffirait
à elle seule à établir le caractère psychique du
masochisme.
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), pp. 152-153, trp ;
tra p. 150. PS8 (1893), trf 1895, pp. 195-196.
PS9 (1894), pp. 152-153.
PS12 (1903), tra5ř 1969, p. 241.
La réminiscence des §§ 15, 9 et 18 de
lřexposé des Neue Forschungen... (1890d) transparaît
dans cette reprise. Mais cette dernière
met dřautant plus en évidence lřoriginalité de
la nouvelle utilisation de cet argument.
[C]
Lřamplification de la critique de la théorie
associationniste se révèle comme un apport
fondamental. Elle donne à Krafft-Ebing
lřoccasion dřexposer une conception de la vie
psychique à laquelle nous nous arrêterons
dřabord. À la vérité il sřagit moins dřune
conception que dřéléments dispersés un peu
partout dans le livre, mais surtout aux
passages-clés. Lřessai sur le masochisme et le
sadisme en fait évidemment partie. Ces
éléments eux-mêmes se trouvent mêlés à des
polémiques dont il faut parfois les abstraire.

La proposition de base fait son apparition à
la PS8 (1893) et sřénonce ainsi :
(T.68)
Sadismus und Masochismus sind Resultate
von Associationen, in dem Sinne, in dem alle
complicirteren Erscheinungen des Seelenlebens
Associationen sind. Das psychische Leben besteht
ja, nach Production der einfachsten Elemente
des Bewusstseins, nur aus Associationen und
Dissociationen dieser Elemente.
Le sadisme et le masochisme sont le résultat
dřassociations, dans le même sens que le sont
tous les phénomènes compliqués de la vie psychique.
Car la vie psychique consiste, après la
production des éléments les plus simples de la
conscience, en associations et dissociations de
ces éléments.
KRAFFT-EBING : PS8 (1893), trf 1895, p. 196, trp.
PS9 (1894), p. 153.
PS12 (1903), tra5ř 1969, pp. 241-242.
La vie psychique comprend dřautre part
deux sphères: la sphère représentative et la
sphère motrice 312. Chaque sphère comprend
à {144 } son tour plusieurs centres. Les
anomalies de la pulsion sexuelle font partie
des troubles de la sphère motrice de la vie
psychique, et particulièrement du centre
psychosexuel de cette sphère. Le centre psychosexuel
fait lřobjet dřune investigation per-
312 KRAFFT-EBING : Traité Clinique de Psychiatrie, Livre II, 1 re
Partie. Trad. franç. dřÉmile Laurent (1897), co-traducteur
de la PS8. Laurent traduit « Irreseins » tantôt par folie et
tantôt par délire, ce qui nřa pas été sans fourvoyer nos
premiers efforts. Laurent est également lřauteur dřun
ouvrage sur le sadisme et le masochisme (1908) de peu
dřintérêt. Dřune lecture hâtive nous retirons lřimpression
dřun livre de simple vulgarisation sans autre prétention.
149
manente de Krafft-Ebing. Lřexposé définitif
date de la PS9 (1894). Il fallait semble-t-il que
Krafft-Ebing réussisse dřabord à formuler
une théorie à peu près satisfaisante du sadisme
et du masochisme. Jusquřà la puberté,
lřauteur postule lřexistence de lřinnocence et
de la neutralité sexuelles 313. Ce quřil a coulé
dans une maxime : Das Kind ist generis
neutrius / Lřenfant est du genre neutre 314. Il postule
ensuite une loi naturelle de développement
monosexuel homologue dans la formation
de lřindividu qui fait correspondre à un
genre de caractères primaires le même genre
de centre cérébral 315. Car il suppose lřexistence
originelle de deux centres psychosexuels
cérébraux, mâle et femelle. Dans des
conditions normales de développement, lřun
313 K-E connaissait fort bien lřexistence de la masturbation
infantile, à laquelle il prédisait un avenir très sombre : la
démence, ou tout au moins de sévères névroses et psychoses
dégénératives. Cf. le passage sur la paradoxie in
PS12, tra5ř 1969, pp. 84-86. Il faut compter assurément
K-E parmi les cibles de choix de Freud à propos de la
sexualité enfantine, mais il est décédé en décembre 1902,
soit près de trois ans avant la publication des Trois essais sur
la théorie sexuelle de Freud (1905).
314 PS7 (1892), p. 188, tra p. 185 ; PS8 (1893), trf 1895,
p. 224 ; PS9 (1894), p. 193 ; PS12 (1903), trař 1969, p. 307.
315 PS9 (1894), pp. 237-241. Ces pages nouvelles contiennent
lřexposé définitif de K-E sur la question. Ŕ Cf. PS12
(1903), tra5ř 1969, pp. 365-371. Quand FREUD (1905b, trf
p. 168) dit : « Pour la psychanalyse lřintérêt sexuel exclusif de
lřhomme pour la femme nřest pas une chose qui va de soi et se
réduisant en quelque sorte à une attirance dřordre chimique, mais
bien un problème qui a besoin dřêtre éclairci », il vise précisément
cette loi. On voudra bien remarquer dans ce qui suit la
cohérence et la systématicité des idées de K-E, un fait
complètement recouvert par le ridicule qui sřattache aujourdřhui
à ces conceptions surannées. {Songeons seulement
que Freud a beaucoup erré à propos de la bisexualité,
et quřaujourdřhui encore on nřen sait guère plus.}

sera atrophié et lřautre développé, sous
lřaction de la loi précitée :
(T.69)
Une des parties constitutives les plus solides
de la conscience du Moi, à lřépoque de la pleine
maturité, cřest de gagner la conviction de
représenter une personnalité sexuelle bien déterminée,
et, pendant les processus physiologiques
de lřappareil génital (formation de la semence et
de lřœuf), dřéprouver le besoin dřaccomplir,
consciemment ou inconsciemment, des actes
sexuels conformes à cette personnalité sexuelle
particulière, pour la conservation de lřespèce.
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), p. 188, trp.
PS8 (1893), trf 1895, p. 234 ;
PS9 (1894), pp. 192-193 ;
PS12 (1903), p. 207 ; PS12 (1903), tra5ř 1969, p. 306
{145 } Dans des conditions anormales,
la loi de développement monosexuel homologue
se disloque et se scinde en deux :
(a) Ŕ La loi du développement monosexuel de
lřindividu qui fait correspondre à un
genre de caractères primaires un genre de
centre cérébral.
(e) Ŕ La loi de développement homologue qui
fait correspondre le même genre de caractères
primaires au même genre de centre
cérébral.
Krafft-Ebing envisage les quatre possibilités
de combinaison : (ae), (āe), (aē) et (āē).
Le trait au-dessus de la lettre représente la
négation.
(ae) La normalité satisfait aux deux lois.
150
(āe) Lřhermaphrodisme satisfait seulement à la
seconde, puisque lřindividu possède les
deux genres, mais les caractères primaires
et les centres cérébraux sont homologues.
(aē) Lřhomosexualité satisfait seulement à la
première loi, car à un genre de caractères
primaires correspond effectivement un
genre de centre cérébral. Mais ils ne sont
pas homologues.
(āē) Lřhermaphrodisme psychique (ou pseudohermaphrodisme)
ne satisfait ni à la première
loi ni à la seconde, puisquřà un seul
genre de caractères primaires correspondent
deux genres de centres cérébraux.
Lřacte pervers nřest pas seulement le
résultat de conditions anormales dues à la
dégénérescence du développement psychosexuel.
Krafft-Ebing mentionne en outre un
déterminant concomitant, fort important
pour la manifestation perverse de la pulsion
sexuelle :
(T.70)
Ce cas se produit dřautant plus facilement
que les sensations de plaisir poussées jusquřà la
passion, entravent les représentations contraires
de déplaisir, ou par suite de lřabsence ou de la
perte des représentations de morale, dřesthétique
ou de justice. Mais ce cas nřest que trop fréquent
quand la source des représentations et des sentiments
éthiques (une sensibilité sexuelle normale)
est troublée ou empestée.
KRAFFT-EBING : PS3 (1888), p. 38, trp.
PS8 (1893), trf 1895, p. 78 ; PS9 (1894), p. 56 ;
PS12 (1903), p. 64 ; PS12 (1903), tra5ř 1969, p. 108.

Partout dans son œuvre Krafft-Ebing a
été attentif à pointer {146 } lřexistence et la
fonction de ces représentations contraires 316. Notion
qui est lřaboutissement de cent ans de
discussions sur la folie morale et la folie
lucide 317, et dont le destin, dans lřœuvre de
Freud, a été ce que lřon sait : instance refoulante,
censure, surmoi 318.
La manifestation de conduites perverses
procède donc dřune double malformation :
Ŕ Celle du développement du (prétendu)
centre psychosexuel, et
Ŕ Celle de lřabsence ou de lřinefficacité des
« représentations contraires ».
316 On trouve souvent sous la plume de K-E lřexpression :
Stärke der ethischen und ästhetischen Gegenmotive. Ŕ PS12 (1903),
pp. 102, 167, 168, etc. Cf. aussi KRAFFT-EBING (1892e),
§ 6, note, et § 19.
317 Cf. KRAFFT-EBING : Médecine Légale des Aliénés, éd. française
trad. et annotée par A. Rémond (de Metz), 1900a, pp.
379 et 398 et suiv. Cette éd. a été plusieurs fois rééditée au
début du XX e siècle. Nous nous devons de signaler quřelle
ne respecte pas les incrémentations hiérarchiques des
diverses parties du livre, ce qui plonge le lecteur dřaujourdřhui
en des difficultés inextricables. Ainsi, Folie Morale,
Folie Impulsive et Folie Périodique, sont des sections du chapitre
sur « Les Dégénérescences Psychiques », et non pas
autant de chapitres à côté de celui qui est consacré aux
dégénérescences psychiques. Il faut constamment se reporter
aux éd. allemandes, car K-E porte un soin spécial aux
divisions de ses livres, nous lřavons amplement souligné.
318 Il est juste de relever que chez K-E les « représentations
contraires » ont surtout pour fonction dřempêcher
lřexécution des fantaisies (perverses) conçues par lřimagination
déréglée (malade) des dégénérés. Chez Freud la
répression se passe à lřintérieur de la vie psychique et provoque
des actes insensés, tels que les ratés de la vie quotidienne.
Ceci dit, nous sommes passés du côté des mécanismes
névrotiques, avec la pirouette bien connue que la
perversion est le négatif de la névrose (FREUD, 1905b, p. 54).
151
Les deux relèvent de la dégénérescence.
Une dernière condition est requise :
Ŕ Il faut que lřhyperesthésie sřen mêle.
Lřalinéa suivant est la suite immédiate du
(T.68) repris plus haut, et apparaît également
à la PS8 (1893) pour la première fois :
(T.71)
Le résultat principal des analyses que nous
venons de faire cřest que le masochisme et le
sadisme ne sont point le produit dřune association
de hasard due à un incident occasionnel, à
une coïncidence de temps, mais quřils sont bien
nés dřassociations dont la préformation, même
dans les circonstances normales, est très rapprochée,
ou qui, dans certaines conditions Ŕ hyperesthésie
sexuelle Ŕ se nouent très facilement.
Une pulsion sexuelle anormalement accrue 319 se
développe non seulement en hauteur (Höhe) mais
aussi en largeur (Breite). En débordant sur les
sphères voisines, elle se confond avec elles et
accomplit (vollzieht) ainsi lřassociation pathologique
qui est lřessence de ces deux perversions.
KRAFFT-EBING : PS8 (1893), trf 1895, pp. 196-197.
PS9 (1894), p. 153 ; PS12 (1903), tra5ř 1969, p. 242.
{147 } Partant, Krafft-Ebing sřopposera
implacablement à toute conception visant à
expliquer la perversion comme le produit
dřune association de hasard, due à un incident
occasionnel, ou à une coïncidence dans
le temps, thèse défendue par Binet (1887), et
reprise par Schrenck-Notzing (1892), auteurs
quřil discute nommément. Voici un passage
représentatif de sa réfutation de leur thèse
319 Noter lřimage énergétique (hydraulique) proposée.

qui apparaît également à la PS8 (1893) pour
la première fois :
(T.72)
En présence de cette hypothèse [celle de Binet
et de Schrenck-Notzing] il faut cependant considérer
comme concluant le fait que chez tout individu
hyperesthésique, les excitations et les mouvements
précoces de la vie sexuelle ont coïncidé au
point de vue du temps, avec bien des éléments
hétérogènes, tandis que les associations pathologiques
ne se relient quřà certains faits peu nombreux
et bien déterminés (faits sadistes et masochistes).
Nombre dřélèves se sont livrés aux excitations
et aux satisfactions sexuelles pendant les
leçons de grammaire, de mathématiques, dans la
salle de classe et dans les lieux secrets, sans que
des associations perverses en soient résultées.
Il en ressort jusquřà lřévidence que lřaspect
des scènes de flagellation et dřautres actes semblables
peut bien faire ressortir de son état latent
des associations pathologiques déjà existantes,
mais quřil ne peut pas en créer une, sans compter
que, parmi les faits nombreux qui se présentent,
ce sont précisément avec ceux qui normalement
provoquent le déplaisir que la pulsion sexuelle
éveillée se met en rapport.
KRAFFT-EBING : PS8 (1893), trf 1895, p. 197, note.
(Cřest la reproduction partielle de la note
appendue au hors-texte précédent : T.71)
PS9 (1894), pp. 153-154, note.
PS12 (1903), tra5ř 1969, p. 242, note.
Ainsi, dans la fameuse querelle de lřinné
et de lřacquis, Krafft-Ebing prend position
aux côtés de Leibniz, contre Locke et Condillac
320, pour ce qui est du masochisme et
du sadisme. En revanche, il lâchera de lest à
320 Freud coupe en quelque sorte la poire en deux en postulant
un Ŗrefoulement originaireřř.
152
propos du fétichisme. Contrairement à ce qui
se passe pour le masochisme et le sadisme,
où des phénomènes physiologiques sont
accentués, par une hyperesthésie générale,
jusquřà la perversion, Krafft-Ebing reconnaîtra
que pour le fétichisme une cause occasionnelle
fait souvent naître la perversion 321.
Il accepte de se rallier à première vue à lřopinion
de Binet (1887). Mais celle-ci devient
progressivement méconnaissable au fur et à
mesure quřil lui ajoute une série dřattendus de
son cru, sans répondants chez Binet :
(T.73)
On peut donc se rallier à lřopinion suivante
de Binet, que dans la vie de tout fétichiste, il faut supposer
un incident qui a déterminé par des sensations de
volupté lřaccentuation de cette impression isolée. Cet incident
doit être placé à lřépoque de la plus tendre
jeunesse, et coïncide ordinairement avec le premier
éveil de la vita sexualis. Ce premier éveil a
eu lieu simultanément avec une impression sexuelle
partielle (car ce sont toujours des choses qui
ont quelque rapport aux femmes) ; il enregistre
(stempelt) 322 {148 } cette impression partielle et la
garde comme objet principal de lřintérêt sexuel
pour toute la durée de sa vie. Ordinairement,
lřindividu atteint ne se rappelle pas lřoccasion qui
a fait naître lřassociation. Il ne lui reste dans la
conscience que le résultat de cette association.
Dans ce cas, ce qui est orginaire est le caractère de
prédisposition générale aux psychopathies et
lřhyperesthésie de pareils individus.
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), pp. 158-159 ; tra p.155-156.
PS8 (1893), trf 1895, p. 203. PS9 (1894), pp. 159-160, trp.
PS12 (1903), p. 166 ; tra5ř 1969, p. 248.
321 PS7 (1892), p. 158, tra p. 155 ; PS8 (1893), trf 1895,
p. 202 ; PS9 (1894), p. 159 ; PS12 (1903), trař 1969, p. 247.
322 Littéralement : tamponner, cacheter, poiçonner.

Lřidée que lřoccasion qui a fait naître
lřassociation puisse être (ou devenir) inaccessible
à la mémoire, mais manifester néanmoins
ses effets dans la conscience du sujet,
nřest pas de Binet. Ni de loin ni de près. On
a beau parcourir son texte dans tous les sens,
elle ne sřy trouve pas. Elle nřest pas pour
autant incompatible avec ses idées 323. Cřest
une idée que Krafft-Ebing rejetait deux ans
plus tôt dans ses Neue Forschungen... (1890d)
comme nous lřavons constaté (T.56, § 10).
Bien évidemment lřalinéa en question nřest
pas repris dans lřexposé de la PS7 (1892). La
question qui se pose est de savoir si nous
nřavons pas affaire ici à un état de trouble, tel
quřil sřen produit souvent au cours de lřélan
créateur, où la propriété des idées est
brouillée. Nous avons en effet des difficultés
à distinguer entre ce qui est propre à Binet
ou à Krafft-Ebing, et ce que Krafft-Ebing
lui-même en pensait. Comment lisait-il
Binet ? Le relisait-il ? Comment sřen inspi-
323 {Je ne comprends pas aujourdřhui comment jřai pu affirmer
cela. De fait, cette idée est mentionnée vers le début
du texte de Binet. Elle est de Descartes, et Binet la souligne
et lřadopte avec conviction. Binet cite un passage du
lřarticle 86 des Passions de lřâme où Descartes écrit ceci :
« Lřodeur des roses peut avoir causé un grand mal de tête à un enfant
lorsquřil était encore au berceau, ou bien un chat le peut avoir fort
épouvanté, sans que personne y ait pris garde, ni quřil en ait eu après
aucune mémoire ‡, bien que lřidée de lřaversion quřil avait alors pour
ces roses et pour ce chat demeure imprimée en son cerveau jusquřà la
fin de sa vie. » Là où jřai placé le signe ‡ Binet place un appel
de note où il écrit : « Voilà le point important, et Descartes nřa
pas manqué de le reconnaître. Lřaversion acquise pour certains objets
devient indépendante du souvenir du fait qui a donné naissance à
cette aversion. » Il suffit dřétendre le mécanisme psychologique
de lřaversion à lřattraction pour obtenir ce dont il
est ici question.} (Addition de 2012)
153
rait-il ? Emporté par son imagination créatrice
ne prêtait-il pas à Binet quelques unes
de ses propres idées ? Nřy lisait-il pas ce quřil
inventait lui-même ? Ne lui empruntait-il pas
tant et plus ?
Lřaspect le plus difficile à percer nřest
pas seulement le ralliement de Krafft-Ebing à
Binet, mais lřétendue de ce ralliement. Lřon y
flaire quelque chose de lřordre de la contradiction.
Nous savons bien, en effet, par la
revue que nous avons faite des chapitres
préliminaires de la Psychopathia Sexualis Ŕ que
nous avions dénommés le sas Ŕ que le fétichisme,
tout autant que le sadisme et le
masochisme, a lui aussi des conditions physiologiques
bien connues, et quřil peut sřexpliquer
tout autant par lřaction de lřhyperesthésie.
Or, avant de se rallier à lřopinion de
Binet, Krafft-Ebing prend soin de neutraliser
lřobjection de son propre {149 } système. Il
le fait en déplaçant lřaccent de sa théorie. Il
en fait deux parts. Une partie générale (originaire)
et une partie particulière (acquise).
Certes, dans le fétichisme, le point essentiel
est la concentration de la totalité de lřintérêt
sexuel sur une impression partielle ayant un
quelconque rapport avec les femmes, mais le
choix dřun fétiche particulier est spécifique
pour chaque individu et donc aléatoire 324.
Finalement nřaccorde-t-il pas dřune main ce
quřil retire de lřautre ?
324 PS7 (1892), p. 158, tra p. 155 ; PS8 (1893), trf pp.
202-203 ; PS9 (1894), p. 159 ; PS12 (1903), tra5ř p. 248.

La première alerte passée, une seconde
survient. Dans son texte, Krafft-Ebing signale
que lřimpression sexuelle partielle qui
donne naissance au fétichisme est toujours
associée à des choses qui ont quelque rapport
aux femmes. Sous la diversité des fétiches il y
aurait donc un rapport constant (à la
femme) 325. Cela revient à déplacer lřaccent
vers le lieu approprié. Lřauteur sřy décide en
ajoutant une note en deux temps au horstexte
(T.73). La première partie de cette note
figure à la PS7 (1892), lřautre a été ajoutée à
la PS8 (1893) :
(T.74)
[PS7 ] Quand Binet op. cit., prétend, en
revanche, que toute perversion sexuelle, sans
exception, repose sur un pareil ŘŘaccident agissant
sur un sujet prédisposéřř (il entend par prédisposition
uniquement lřhyperesthésie en général), il
faut remarquer que cette hypothèse nřest ni
nécessaire ni suffisante pour expliquer les autres
perversions sexuelles, excepté le fétichisme, ainsi
que nous lřavons démontré précédemment. On
ne peut pas comprendre comment, la vue dřun
individu quřon flagelle aurait précisément pour
effet dřexciter sexuellement un autre individu,
même très excitable, si lřalliance physiologique
entre la volupté et la cruauté, chez cet individu
anormalement excitable nřavait produit un sadisme
originaire. [PS8 ] Cependant, les associations
sur lesquelles repose le fétichisme érotique ne
sont pas entièrement (ganz) dues au hasard. De
même que les associations sadistes et masochistes
sont préformées par le voisinage dřéléments
respectifs dans lřâme du sujet, de même la possi-
325 {En termes lacaniens Ŕ prouesse admirable Ŕ seul le
fétichiste de K-E saurait écrire le rapport sexuel.} (2012)
154
bilité des associations fétichistes est préparée par
les attributs de lřobjet et sřexpliquent aussi par
cette préparation. Bien plus, ce sont presque
toujours les impressions dřune partie de lřapparence
globale de la femme (tenue comprise) dont
il sřagit ici. Les associations fétichistes dues au
pur hasard nřont pu être constatées que dans très
peu des cas qui seront cités plus loin 326 .
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), p. 159, n. ; tra p.156, n.
PS8 (1893), trf 1895, p. 203, note.
PS9 (1894), p. 160, note.
PS13 (1907), pp. 172-173, note.
PS12 (1903), tra5ř 1969, pp. 248-249, note.
{150 } La théorie du fétichisme telle que
nous lřavons restituée jusquřà présent, est un
amalgame complexe dřaveux rétractés et de
solide argumentation. Seule la PS6 (1891)
manque encore à notre corpus. Cette marge
dřerreur est minime. À la réflexion, cřest
lřhypothèse suivante qui se présente. Le
premier mouvement de Krafft-Ebing fut une
critique radicale des idées de Binet dans leur
aspect condillacien et leur application irrecevable
à la flagellation passive. Ce fut le
terreau où la conception du masochisme a
pris racine. Dans un deuxième mouvement,
quand il se mit à réfléchir à une théorie générale
des perversions hétérosexuelles, Krafft-
Ebing a cherché à assoir un équilibre entre la
tendance au préformisme et la tendance à
lřassociationnisme. Lřassociationnisme, chas-
326 Cette note a été remaniée à la PS11 (1901), Ŕ Cf. plus
loin. Pourtant on la retrouve telle quelle à la PS12 (1903),
tra 1906, ce qui indique que le traducteur (Rebman) de
cette édition a travaillé autant, sinon plus, avec les traductions
américaines antérieures (PS7, Chaddock ; PS10, Rebman)
quřavec lřoriginal allemand.

sé de la théorie de lřinversion sexuelle, du
masochisme et du sadisme, fut confiné à la
théorie du fétichisme. Un dernier mouvement
327 plus conséquent recouvrira ensuite
le premier, présentant une critique efficace
de lřassociationnisme en deux étapes. On
critiquera dřabord lřextension de cette théorie
au-delà du fétichisme. Une fois ce point
acquis, on la mettra en pièces sur terrain
propre du fétichisme. La manière dont on y
réussit nřest pas sans intérêt, puisque nous y
voyons poindre les premiers relais de lřobjet
partiel 328.
Nous avions souligné le soin particulier
apporté par Krafft-Ebing à la PS11 (1901). Il
touche aussi à notre sujet. Les hors-textes
(T.73) et (T.74) en ont reçu leur part. La
dernière phrase du hors-texte (T.74), qui
accorde une concession du bout des lèvres à
Binet, fut supprimée, et deux phrases du
hors-texte (T.73) furent remaniées et
permutées. Le sens de ces modifications est
clair. Réflexion faite, Krafft-Ebing rétracte
327 Topologiquement on peut concevoir un antagonisme
de lieux entre le corps du texte et les notes, à travers lequel
les deux lignes de pensées se répondent. On trouvera plus
bas quelques éléments en faveur de ce point de vue.
328 La manière de Freud est, par rapport à celle de K-E,
inversement orientée. Celui-ci part dřune norme et étudie
les perturbations qui en contrarient la manifestation, celuilà
part de lřabsence de norme et se consacre à lřétude des
étapes de sa construction. Notre but nřa pas été de présenter
la pensée complète de K-E, cřest la raison pour laquelle
nous ne nous sommes pas attardé à tels aspects qui ne
servaient pas notre propos. La vie psychique, lřinconscient,
les zones érogènes, etc., sont autant de sujets pour des
travaux spéciaux.
155
toute allégeance aux idées de Binet, et sa
théorie du stigmate fonctionnel de dégénérescence
revient en force.
Un coup dřœil critique sur cette {151 }
modification Ŕ jřallais dire volte-face Ŕ lesté
du savoir laborieusement acquis au cours des
discussions précédentes, laisse présager
dřautres manœuvres. On imagine assez
Krafft-Ebing poursuivre sa démarche et prolonger
la dérivation multiple du modèle
primitif (Tableau XXII). On verrait alors le
fétichisme « acquis » devenir « inné » par voie
de transmission héréditaire. Le retour en force
du stigmate fonctionnel de dégénérescence
est en effet le premier pas de lřapplication
de ce modèle à partir de lřextrémité désignée
par Output...

{151 suite }
§ (4) Ŕ Vers une Théorie Pluraliste ou
Unitaire des Perversions Sexuelles ?
[D]
Il nous reste à faire état de la dernière
modification quřa subie lřexposé premier de
la théorie du masochisme et du sadisme
publié dans les Neue Forschungen... (1890d)
quand il fut intégré à 7 e éd. de la Psychopathia
Sexualis (1892). Cette modification concerne
la combinaison des symptômes du masochisme
et du sadisme avec ceux de lřinversion
sexuelle. Dans lřexposé primitif (1890d), par
deux fois cette combinaison avait été utilisée
comme argument à lřappui de la connexité 329
(Zusammenhang) de ces trois perversions
(T.56, §§ 7 et 18). Ce qui présuppose une
liaison nécessaire entre le masochisme et le
sadisme dřune part, et lřinversion de lřautre.
329 Ce terme est très souvent utilisé au XIX e siècle, particulièrement
dans la littérature psychiatrique. La traduction
française de la PS8, publiée en 1895, en fait un usage
intensif. Sur la distinction entre connexion et connexité, Littré
fait lřobservation suivante : « Ces deux termes si voisins se
distinguent en ce que connexion, dérivant directement du
radical qui est dans connectere, exprime lřaction de lier et le
résultat de cette action ; et que connexité, dérivant de
connexus, exprime la qualité dřêtre connexe. » Il remarque
aussi que connexion est un terme dřanatomie comparée et
connexité un terme de droit.
156
Dans lřexposé de la PS7 (1892), il correspond
à ces deux mentions deux autres qui contredisent
formellement la présupposition susindiquée.
La première se trouve au dernier
alinéa du hors-texte (T.65) cité plus haut
(p. 140). La seconde est la suivante :
(T.75)
Le masochisme et le sadisme se trouvent
aussi combinés avec lřinversion sexuelle et cela
selon des formes et des degrés très variés. Lřindividu
atteint dřinversion sexuelle peut être sadiste
aussi bien {152 } que masochiste. Comp. supra
observ. 48 et 49 et les nombreux cas de la
casuistique de la sensibilité sexuelle contraire qui
suivent plus bas.
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), p. 154.
PS7 (1892), tra p. 151.
Cf. PS8 (1893), trf 1895, p. 198.
Cf. PS12 tra5ř 1969, p. 243.
Combinaison et combinaison irrégulière sont
des termes qui sřopposent à connexité ou
liaison nécessaire. Nous sommes par conséquent
en présence dřun processus dont nous
venons de surprendre les premières étapes.
Avant de suivre son cours terminons le commentaire
de lřexposé de la PS7 (1892) sur la
théorie du masochisme et du sadisme. Nous
touchons en effet à son terme, puisque nous
avons épuisé la description des modifications
survenues entre lřexposé des Neue Forschungen...
(1890d) et celui qui est repris dans la 7 e
éd. de la Psychopathia Sexualis (1892). Le horstexte
(T.75) que nous venons de citer est
lřavant-dernier alinéa de la version de la PS. Il
ne reste plus que le tout dernier, que voici :

(T.76)
Toutes les fois que sur le terrain dřune individualité
névropathique sřest développée une
perversion sexuelle, lřhyperesthésie sexuelle, quřil
faut toujours supposer, peut aussi produire les
symptômes du masochisme et du sadisme ; tantôt
lřun, tantôt les deux réunis (bald einzeln, bald
beide vereinigt), de sorte que lřun est engendré par
lřautre. Le masochisme et le sadisme apparaissent
ainsi comme les formes fondamentales de la perversion
psychosexuelle qui peuvent venir au jour en toutes
les régions des aberrations de la pulsion sexuelle.
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), p. 154.
PS7 (1892), tra pp. 151-152.
(Cf. PS8 (1893), trf 1895, p. 198.)
(Cf. PS12 tra5ř 1969, pp. 243-244.)
Essayons de suivre lřagencement de ces
propositions en leurs étapes successives :
1/ On pose un terrain, un sol (Boden), névropathique,
sur lequel fleurira la perversion sexuelle.
2/ Pour que la perversion sexuelle fleurisse, il
faut toujours (stets) supposer lřaction de lřhyperesthésie.
3/ On compte au nombre des perversions qui
peuvent en résulter, le masochisme et le sadisme.
4/ Le masochisme et le sadisme peuvent apparaître
sous les formes suivantes. Ou bien une
seule de ces perversion apparaît, ou {153 } les
deux réunies (vereinigt). Mais dans le second cas,
seule lřune est congénitale (originaire), tandis que
lřautre est acquise. Et cřest celle qui est congénitale
qui provoque, par lřaction de lřimagination,
lřacquisition de lřautre. Ŕ Cf. supra (T.62) et
(T.66), pp. 136 et 141-142.
157
5/ Krafft-Ebing conclut alors que le masochisme
et le sadisme sont les formes fondamentales
de la perversion psychosexuelle (Grundformen
psychosexualer Perversion).
6/ Et quřils peuvent surgir au jour (Stellen zu
Tag) en nřimporte quel point du domaine des
aberrations (Verirrungen) de la pulsion sexuelle.
Une fois lřenchaînement des propositions
décomposé, il nous reste à éprouver la
cohérence de la séquence (1)Ŕ(2)Ŕ(3) avec la
séquence (5)Ŕ(6). La première séquence pose
le schéma général de la production dřune
perversion. Ce schéma convient aussi bien à
lřinversion et au fétichisme, quřau sadisme et
au masochisme. Mais il ne tranche pas entre
les deux possibilités suivantes : est-ce [a] une,
et une seule, perversion qui surgit, ou [b] plusieurs
? Dans la deuxième séquence il faut
dřabord distinguer lřexpression « régions des
égarements de la pulsion sexuelle » (Gebiete
der Verirrungen des Geschlechstriebes) de lřexpression
de la première séquence : « le sol dřune
individualité névropathique » (dem Boden einer
neuropathischen Imdividualität). Ces deux expressions
nřont pas le même référent 330. Quoiquřil
en soit, deux possibilités se présentent.
Faut-il entendre par « régions des égarements
de la pulsion sexuelle », [c] lřensemble des
conduites qui manifestent un dérèglement de
la pulsion sexuelle, ou [d] lřensemble des per-
330 On peut toujours noter la prégnance dřune même métaphore
: sol, territoire, terrain, domaine, région, etc. Faut-il
envisager une multitude de couches géologiques ?

versions sexuelles elles-mêmes 331 ? Enfin,
lřassertion que le sadisme et le masochisme
sont les deux formes fondamentales qui
surgissent nřimporte où sur tout le territoire
des aberrations de la pulsion sexuelle, admet
elle-même deux possibilités. Soit que [e] le
masochisme et le sadisme sont les deux
seules formes fondamentales, ou que [f] il y
en aurait dřautres.
{154 } En somme, il y a (2) 3 manières
différentes de comprendre le hors-texte
(T.76) : ace, acf, adf, ade, bdf, bde, bce, et
bcf. Lřambiguïté du hors-texte (T.76) est
dřexprimer aussi bien lřune que lřautre, que
quelques unes ou toutes ces significations
différentes. Pour sřorienter dans ce dédale il
faut utiliser des informations extrinsèques à
ce texte. Or il nřen est aucune dřunivoque
pour la simple raison que la théorie des
perversions sexuelles de Krafft-Ebing ne se
présente jamais à lřétat statique. Cřest un work
in progress. Nous voudrions encore ajouter
que la Psychopathia Sexualis en ses éditions
successives nous paraît constamment travaillée
par des mouvements contradictoires.
Lřexemple de la théorie du fétichisme,
longuement exposé, est paradigmatique.
Lřenjeu du hors-texte (T.76) nřest pas
confiné à la théorie du masochisme et du
sadisme en eux-mêmes, mais il sřétend à la
théorie générale des perversions sexuelles, et
331 Rappelons que par perversion K-E entend une entité
générique théorique et explicative.
158
à la place quřy occupe le masochisme et le
sadisme. De ce point de vue, le hors-texte
(T.76) se prête à deux interprétations opposées,
à savoir soit une théorie unitaire des
perversions sexuelles, soit une théorie pluraliste.
Pour la théorie unitaire, les perversions
se concevraient selon un seul organisateur
fondamental : la Herrschaftsverhältnis, le rapport
de domination. Suivant que ce rapport
de domination se présente sous forme active
ou passive, nous aurions affaire aux formes
fondamentales de la perversion sexuelle : le
sadisme ou le masochisme. Lřinversion sexuelle
serait elle-même régie par cet organisateur
fondamental. Le sadisme de lřhomme et
le masochisme de lřhomme, dřune part, le
masochisme de la femme et le sadisme de la
femme, dřautre part 332, constitueraient la
quadrature dřun cercle. En lřoccurrence, le
cercle vicieux, si lřon nous passe lřexpression,
dont les points sont autant dřétapes sur le
chemin de lřinversion 333. Quant au fétichisme,
ce ne serait pas une perversion sexuelle
au sens propre du mot, mais une conduite
supplémentaire sřaccrochant aux perversions
fondamentales comme le lierre aux arbres.
Cette représentation fantastique a plus
dřun argument pour elle. Le rôle subordonné
de lřinversion peut en effet être déduit de
332 Cf. lřexposé de 1890d, (T.56), § 18, supra, p. 127.
333 Lřalchimie connaît bien cette image, partant peu surprenante,
parfois représentée par une croix à branches recourbées.
Ŕ Cf. frère BASILE VALENTIN (1956), illustration de
la 9 e clé.

lřestompage {155 } de lřinversion sexuelle
dans lřexposé de la théorie du masochisme
inséré dans la PS7 (1892), Ŕ estompage souligné
plus haut. Cřest comme si le masochisme
et le sadisme, engendrés théoriquement au
cours de lřélaboration dřune théorie de lřinversion
sexuelle, avaient acquis en cours de
réflexion le statut de principes fondamentaux
englobant lřinversion elle-même. Renversement
théorique dont nous avons signalé plus
haut les prémisses (p. 141). Quant au parasitisme
du fétichisme, il se manifeste à travers
lřinsistante complaisante sur des entités telles
que le sadi-fétichisme (Garnier), ou le masofétichisme
(Binet). Cette théorie unitaire des
perversions nřest toutefois jamais exposée
par Krafft-Ebing autrement que comme une
éventualité [e] dans lřinterprétation du horstexte
(T.76) plus haut cité. Cela nřexclut pas
quřà notre avis Krafft-Ebing ne se heurte, à
chaque tournant de son élaboration, à une
conception pluraliste, comme à une tentation
constamment confortée. Cette tentation récurrente
a eu nous semble-t-il un certain
poids dans la genèse et lřélaboration de la
théorie pluraliste.
Avant dřen venir à la théorie pluraliste,
terminons lřétude des transformations de la
section des paresthésies. Nous nous étions
arrêté à la refonte théorique et architecto-
159
nique du groupe des perversions hétérosexuelles.
À la PS7 comme à la PS1, les
perversions sont toujours distribuées en deux
groupes, et cřest sur ce fond quřune théorie
unitaire et une théorie pluraliste des perversions
sexuelles sřaffrontent.
Un remaniement de la théorie du masochisme
et du sadisme nřest pas le seul apport
nouveau de la PS7 (1892) et de la PS8 (1893).
Dřimportantes additions à la théorie de lřinversion
sexuelle sřy font également remarquer.
On a par exemple la surprise de lire à la
PS7 (1892) les lignes suivantes :
(T.77)
Un de mes clients mřa exposé une manière
de voir très intéressante et qui pourrait être admise
pour expliquer lřinversion congénitale originaire.
Il prend comme point de départ la bisexualité
effective telle quřelle se présente anatomiquement
chez tout fœtus jusquřà un certain âge...
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), p. 228.
PS7 (1892), tra pp. 226-227.
(Cf. PS8 (1893), trf 1895, p. 299.)
{156 } Lřexposé des idées de ce « client »
(Klienten) est réduit à quelques lignes à la PS7,
et il est suivi de la mention dřidées apparentées
chez Kiernan (1888), Lydston (1888),
et même Magnan (1885). À lřédition suivante,
nous attend une surprise encore plus grande.
Les quelques lignes consacrées à lřexposé des
idées de ce patient sont développées à longueur
de pages, sans que lřon sache exactement
à quel point lřauteur adhère à ces

idées 334. Cette complaisance pour le dire de
ses patients nřest pas pour nous surprendre
après ce que nous avons cru établir dans
notre chap. I er au sujet de la genèse du masochisme.
Nous saisissons ici un trait constant
de lřécoute clinique de Krafft-Ebing. Il est
dřabord attentif aux termes mêmes dont
usent ses patients et ses correspondants pour
décrire leurs conduites sexuelles. À témoin,
en sus des nombreux faits déjà cités, ceux-ci
encore. Voici dřabord le fragment dřune note
de bas de page :
(T.78)
Hammond (op. cit., p. 40) décrit une série de
malades semblables quřil a traités pour de lřimpuissance
acquise. Il rapporte que ces individus,
pour désigner leur procédé, se servent de lřexpression
de « coït idéel ».
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), p. 50, note.
PS7 (1892), tra pp. 50, note.
(Cf. PS8, trf p. 69-70, n.) (Cf. PS12, tra5ř p. 102, n.)
Voici encore une phrase extraite dřune
longue observation :
(T.79)
Le malade trouve quřà côté de lřétat de quřil
reconnaît et ressent comme masochisme, il y a
encore chez lui un autre état quřil préfère désigner
de « pagisme ».
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), p. 98.
PS7 (1892), tra p. 97.
(Cf. PS8, trf p. 132.) (Cf. PS12, tra5ř p. 163.)
334 Cf. PS8 (1893), trf 1895, pp. 299-301.
160
Sřensuit une discussion sur le pagisme 335
qui montre que Krafft-Ebing nřétait pas
seulement attentif aux termes utilisés, mais
aussi aux spéculations alléguées 336. De plus,
comme le montre lřexposé des Neue Forschungen...
(1890d) sur le masochisme (T.56,
§ 10), et le hors-texte (T.77), son premier
mouvement le porte à accueillir avec confiance
et presque à adhérer aux spéculations
de ses patients et de ses correspondants. Ce
nřest quřaprès coup, on second thoughts, quřil
prend une attitude critique non dépourvue de
patience.
Tout le passage ajouté à la PS8 (1893) 337
est {157 } dřune importance extrême, et
mériterait un commentaire serré. Il est hors
de propos ici. Ce qui pouvait intéresser notre
sujet a déjà été mentionné en son lieu plus
haut. Or, à lřédition suivante publiée lřannée
dřaprès (PS9, 1894) Krafft-Ebing supprime
en bloc toutes ces pages, y compris la mention
de son « client ». Il sřest vite repris. Il
estime maintenant que les spéculations psychologiques
et celles de la « philosophie naturelle
» (Naturphilophie) ont révélé leur insuffisance.
Cřest de lřembryologie (onto- et phylogénétique)
et de lřanthropologie que viendra
335 Relevons la négligence de HAVELOCK-ELLIS (1903, trf
p. 00) attribuant à K-E le pagisme {Je ne suis pas parvenu
à retrouver la page. Me suis-je trompé ?}. Est-il utile de
signaler chez EY (1950, p. 320) la confusion du masochisme,
de la servitude sexuelle et du pagisme en une seule
malencontreuse phrase ?
336 Cf. le sérieux avec lequel il discute les idées dřUlrichs ou
de Sacher-Masoch.
337 Cf. PS8 (1893), trf 1895, pp. 299-304.

le salut. Suivent quatre pages où Krafft-
Ebing sřexprime en son nom propre, revêtu
de lřautorité de la Science 338. Là aussi nous
ne pouvons pas nous attarder plus que ce
que nous avons fait. Mais on peut dire quřà la
distance où nous en sommes aujourdřhui, il
nřy a pas de rupture constatable entre les
deux versions, Ŕ toutes deux chimériques.
Ajoutons encore deux brèves remarques. La
référence aux idées de son patient (T.77) est
remplacée par la référence à celles de Chevalier
(1893), dont lřouvrage (inspiré de sa thèse)
venait dřêtre publié. Dřautre part, Krafft-
Ebing rectifie partout la confusion commise
à la PS8 (1893) entre la bisexualité et lřhermaphroditisme,
considérés alors comme des
synonymes. Dřoù la nouvelle assertion suivant
quoi lřhermaphroditisme et la sensibilité
sexuelle contraire (autrement dit lřinversion
sexuelle) nřont pas de rapport 339.
{Une dernière caractéristique de la PS9
(1894) mérite encore dřêtre relevée : son
avant-propos que Krafft-Ebing reprendra à peu
de chose près mot à mot à chacune des
éditions subséquentes 340. Dans ce nouvel
avant-propos lřauteur se félicite du succès
commercial de son livre qui sřest étendu bien
au-delà du cercle des spécialistes, pour englober
un grand nombre dřinfortunés qui y ont
338 PS9 (1894), pp. 237-241. Cf. PS12 (1903), tra5ř 1969,
pp. 365-371.
339 PS9 (1894), p. 239. Cf. PS12 (1903), tra5ř 1969, p. 369.
340 {Il se peut que cet avant-propos remontât à la PS8 (1893),
dont je nřai pu consulter que la traduction française,
laquelle omet malheureusement lřavant-propos.} (2012)
161
trouvé information, soulagement et consolation.
Il qualifie ces infortunés de Stiefkinder
der Natur. Cette expression est intraduisible
en français. Stiefkinder désigne les enfants
dřun premier lit 341. Krafft-Ebing fait également
mention dans cet avant-propos de la
vaste correspondance quřil a reçue émanant
dřhommes à la pensée raffinée et au haut statut
social et scientifique, et qui vous arrache à
la fois de la compassion et de la sympathie. Il
ajoute emphatiquement que cette correspondance
révèle des blessures de lřâme auprès
desquelles les revers de la fortune ne sont
que des bagatelles 342.} (Addition de 2012)
La PS11 (1901), comme nous y avons
insisté, est une édition remarquable par les
quelques nouvelles additions quřelle comporte
343. Lřune dřelles concerne la théorie du
masochisme. On se souvient que nous
341 {Harry Oosterhuis (2000) a repris cette expression, en
anglais : Stepchildren of Nature, dans le titre du beau livre
quřil a consacré à Krafft-Ebing.} (2012)
342 {Cette correspondance, principalement en allemand,
mais parfois en français, en russe, en anglais et en italien,
de même que quelques autres documents familiaux et professionnels,
ont été acquis auprès des descendants de K-E
par la WELCOME LIBRARY (183 Euston Road, London
NW1 2BE) en novembre 1998. Cette précieuse documentation,
à laquelle Harry Oosterhuis (2000) avait eu accès,
est répartie en 24 boîtes qui sont en accès libre sur place.
K-E comptait prendre prématurément sa retraite pour se
consacrer à lřexploitation de cette correspondance. Le
destin en a hélas décidé autrement. Il ne prit pas prématurément
sa retraite, mais mourut prématurément à lřâge
de 62 ans.} (2012)
343 {La PS10 qui manquait à notre corpus, et que nous
avons pu consulter par la suite, ne semble pas comporter
dřapport théorique notable. En revanche, la casuistique fait
la place belle à 25 nouveaux cas.} (2012)

avions mis entre crochets une partie du horstexte
(T.65) cité plus haut (p. 140). À lřorigine
tout ce hors-texte était une note de bas de
page. La partie entre crochets fut supprimée
à la PS11 et remplacée par un passage ajouté
au corps du texte à la fin de la partie
consacrée à la théorie du masochisme. Ce
dernier passage, remanié à la PS12 (1903), en
reprend la teneur, la développe et la précise.
Citons-en ce qui nous est le plus utile :
(T.80)
On en déduit que le masochisme nřest, à
proprement parler, quřune forme rudimentaire
dřinversion sexuelle. Cřest une effémination partielle
touchant les {158 } caractères sexuels
secondaires de la vie psychique.
KRAFFT-EBING : PS12 tra5ř 1969, pp. 237-238,
PS13 (1907), p. 157.
Ce qui revient ici, et en force, ne seraitce
point une théorie unitaire des perversions
qui attache à nouveau le masochisme à lřinversion
? Il nřest pas inutile de scruter lřattache.
Suivant le début du chapitre III de la
Psychoapthia Sexualis, ajouté à la PS12 (1903),
la caractérisation sexuelle comprend des
caractères primaires (tels que les glandes
sexuelles et les organes de la reproduction),
et des caractères secondaires, à la fois somatiques
et psychiques, qui ne se développent
quřà partir de la puberté 344. Ailleurs 345, lřauteur
nous dit que cřest le centre cérébral qui
médiatise les caractères psychique, et, indi-
344 PS12 (1903), tra5ř 1969, p. 71 ; PS13 (1907), p. 34.
345 PS12 (1903), tra5ř 1969, p. 371 ; PS13 (1907), p. 261.
162
rectement, les caractères somatiques aussi.
Dřautre part, les divers degrés de lřinversion
sexuelle sont évalués par rapport à deux
paramètres :
Ŕ La force de lřinclination vers le sexe propre
et la faiblesse de lřinclination pour lřautre
sexe.
Ŕ Les degrés dřinversion vont par ordre
croissant de lřinversion des caractères sexuels
secondaires psychiques, à lřinversion des
caractères psychiques et somatiques, cřest-àdire
vers une perturbation de plus en plus
importante des centres sexuels cérébraux.
Ce qui distingue alors le masochisme de
lřeffémination cřest que dans cette dernière il
y a une inclination pour le même sexe (alors
que pour le masochiste cřest le contraire), il y
a aussi dans lřeffémination inversion psychique
et somatique des caractères sexuels
secondaires (alors que pour le masochiste
seuls les caractères psychiques sont touchés).
Ces distinctions font que, pour désigner le
masochisme, Krafft-Ebing utilise lřexpression
: effémination partiellle.
Est-il bien vrai que la théorie unitaire des
perversions sexuelle revienne en force à la
PS11 (1901) ? Utilisons dřautres repères pour
{159 } trancher, comme par exemple lřarchitectonique
que nous avons si fréquemment
mise à contribution au §(2) de ce chapitre, et
dont lřintérêt nřest plus à souligner.
À lřépoque où nous travaillions encore à
la Bibliothèque Nationale, notre corpus ne

comprenait pas encore les PS11 et PS12 346.
Nous disposions cependant des PS9, PS12
(tra), et PS13. Nous avions établi lřarchitectonique
de ces dernières éditions, et nous
nous étonnions de la négligence du traducteur
américain (Rebman) et de lřéditeur autrichien
(Fuchs), qui tenaient si peu compte des
subordinations des titres et sous-titres, et de
leur numérotation en caractères majuscules,
minuscules, chiffres romains et arabes. En
nous fondant sur la PS9, nous ne doutions
pas que toute la fantaisie ultérieure ne leur
soit attribuable. En somme, si les PS10, PS11
et PS12 étaient trouvées, elles feraient justice
de ces fantaisies dřincrémentation, puisquřaucune
modification conséquente nřavait bouleversé
la conception des paresthésies depuis
la PS9.
Les faits se sont conformés à nos attentes
pour le cas de la PS12 (tra), dont les
divisions ne correspondent pas exactement à
celles de la PS12 allemande, et pour le cas de
la PS10, dont les divisions sont les mêmes
que celles de la PS9. En revanche, les divisions
de la PS11 et de la PS12 (ce sont les
mêmes) ne reproduisent pas celles de la PS9
et de la PS10. Nous avions été injustes envers
Fuchs. Celui-ci reproduit scrupuleusement
à la PS13 la division des paresthésies de
la PS11 et de la PS12 347 malgré sa bizarrerie :
346 Nous les avons trouvées à la Bibliothèque de lřancienne
École de Médecine.
347 La valeur que nous attribuons à la prévision est la
détection dřun écart. Les processus de création et dřinven-
163
(T.81)
Sadismus. Verbindung von aktiver Grausamkeit und
Gewaltatigkeit mit Wollust (60) (65)
2) Masochismus – Verbindung erduldeter Grausamkeit und
Gewaltatigkeit mit Wollust (94) (100)
{160 }
Verbindung der Verstellung von einzelnen Körpertheilen
oder Kleindungstücken des Weibes mit Wollust
(164) (163)
4. Die Conträre Sexualempfindung (207) (207)
KRAFFT-EBING : PS11 (1901), PS12 (1903), avec
leurs paginations respectives, et PS13 (1907).
Quel désordre en comparaison avec lřincrémentation
harmonieuse de la PS9 et de la
PS10 348. Ce qui est incompréhensible est le
maintient à la PS12 des bizarreries introduites
à la PS11. Quoiquřil en soit, on peut
tout de même constater deux choses et en
présumer une troisième :
1/ Krafft-Ebing a élagué les deux divisions en
chiffres romains distinguant un groupe de perversions
hétérosexuelles dřun groupe de perversions
homosexuelles. Et cela tout en maintenant
le passage de son texte qui exprime cette distinction.
2/ Malgré les hésitations de la numérotation, on
peut considérer quřà partir de la PS11 Krafft-
Ebing comprend sous lřappellation de paresthé-
tion se conforment au clinamen dřÉpicure : ils sřécartent des
sentiers battus. On mesure cet écart grâce aux prévisions.
Le résultat de la prévision trace la norme. Lřélan créateur
est lřécart par rapport à cette norme. Lřépistémologie ne
prévoit pas, à partir de son état présent, le développement
futur dřune science. La valeur de la prévision consiste seulement
à indiquer la norme dont devra sřécarter lřinvention
future pour compter comme invention.
348 Cf. hors-texte (T.53), p. 113, supra.

sie quatre perversions : sadisme, masochisme,
fétichisme et inversion sexuelle.
3/ On peut présumer que la bizarrerie de la
numérotation est due à de lřhésitation. En traçant
la nouvelle configuration des paresthésies, la
main de Krafft-Ebing tremblait un peu.
Nous nous résolvons par conséquent à
présenter une autre manière de concevoir les
faits. À lřépoque de lřémergence du masochisme
(1890d) Krafft-Ebing était soucieux
de rattacher cette perversion à lřinversion. Et
cela dřautant plus que la première mention de
Sacher-Masoch était apparue à la PS2 (1887)
comme une référence pour lřinversion 349, et
que, à lřépoque où Krafft-Ebing amorçait sa
réflexion à propos des perversions sexuelles,
seule la sensibilité sexuelle contraire (Westphal)
avait été isolée comme perversion, et elle
formait par conséquent lřunique point de
repère 350. À la réflexion, il eut semble-t-il
lřimpression dřêtre allé trop loin, quřil avait
trop abondé dans le sens de lřannexion. Sa
réaction fut radicale. Il alla jusquřà vouloir,
avec de nouvelles rétractations, annuler lřattache
du masochisme à lřinversion sexuelle. À
la PS8 (1893) il nřy fait plus allusion quřen
note. Quand il reprend la substance de cette
note dans le corps de son texte à la PS11
(1901), les données de base avaient changé.
Les perversions masochiste et sadiste étaient
à présent suffisamment individualisées pour
349 Cf. supra, pp. 37 et suiv.
350 Cf. supra, p. 90 (note 186), et pp. 108-109.
164
ne plus craindre dřêtre annexées à lřinversion
sexuelle. Mieux, ce sont elles qui, par un renversement
que nous avons signalé 351, en sont
arrivées à cercler la théorie de lřinversion. Le
sens du renouveau de la référence à lřinversion
sexuelle ne nous semble plus tendre vers
quelque nouvelle annexion. Au contraire,
avec la PS11 (1901) les assises dřune théorie
pluraliste des perversions sexuelles sont
jetées. Jusquřalors lřinversion sexuelle était
conçue comme {161 } perturbation du développement
psychosexuel. Chacune des trois
perversions hétérosexuelles était attribuée à
une Verbindung [association] congénitale, Ŕ
quřaujourdřhui lřon nřhésiterait pas à formuler
en termes de « refoulement originaire ».
Néanmoins, et comme les courbes du Tableau
IX (p. 85) le font pressentir, une nouvelle
inflexion semble avoir pris place à la
PS11 (1901). Son premier effet a été de
pousser Krafft-Ebing à numéroter de manière
continue les quatre perversions sexuelles.
Cela signifie que Krafft-Ebing était peutêtre
à la recherche dřun mécanisme unique
pouvant générer toutes les paresthésies. Il se
peut que Krafft-Ebing voulût étendre la
Verbindung (congénitale) à lřinversion sexuelle,
de même quřil avait commencé à appliquer
au fétichisme la dérivation multiple 352.
Krafft-Ebing sřacheminait-il vers une théorie
unitaire des perversions sexuelles ?
351 Cf. supra, pp. 141 et 155.
352 Cf. supra, p. 151.

Ŕ Le point dřinterrogation reste évidemment
de mise 353.
Au cours de ce long chapitre nous avons
ouvert Ŕ un peu à la manière de Raymond
Roussel Ŕ une multitude de parenthèses
imbriquées les unes dans les autres. Nous
allons essayer de les refermer les unes après
les autres en considération de deux sortes de
résultats. Dřabord les conclusions générales
se rapportant à la charpente de la Psychopathia
Sexualis et à la section des paresthésies,
ensuite les conclusions particulières touchant
notre sujet : le sadisme et le masochisme.
Quelques règles régissent la construction
de la Psychopathia Sexualis. Au lieu de les
considérer sous forme de paliers hiérarchisés,
rien nřempêche de se les représenter suivant
une topologie admettant des seuils. Nous
aurions des différences de niveaux, chiffrables
à cinq. Sřils ne sont pas hiérarchisés,
ils sont cependant solidaires et interactifs.
353 Nous nřavons pas pu contrôler la provenance de cette
assertion invraisemblable de HAVELOCK-ELLIS (1896, trf
p. 344, note) : « Dans ses dernières œuvres, cependant, Krafft-
Ebing a répété à plusieurs reprises que lřinversion, bien quřelle soit
une anomalie, nřest pas une maladie ni une dégénérescence. » {Il
sřagit dřune lecture quelque peu tendancieuse des deux
pénultièmes incursions de K-E dans le domaine de
lřhomosexualité et des perversions sexuelles. Ŕ Cf.
KRAFFT-EBING (1901ea) (1901eb). La PS12 (1903) qui fut
son œuvre ultime et fut publiée à titre posthume ne
comporte aucune palinodie et pas même une quelconque
rétractation. Mais Havelock-Ellis avait donné le ton…}
165
Le premier niveau est cette image globale
exprimée en tenants et aboutissants (p. 78) à
laquelle il a fallu conjoindre lřidée dřun sas
(p. 115) en tant que poste avancé préposé au
tri. {162 } Vient ensuite ce que nous avons
désigné comme un « phénomène de concrétion
» 354 qui assigne aux repères que nous
avons utilisés pour guider notre analyse 355
un rang dans une hiérarchie orientée. Mais
nous avons ensuite constaté, au cours de
lřétude du fétichisme 356, que les notes de bas
de page remplissaient parfois un rôle ambigu,
branché en dérivation de cette hiérarchie. Et
nous venons tout juste de relever quřune
importante modification théorique a pu être
décelée dans la manière de numéroter les
niveaux architectoniques (lřincrémentation).
Au cours de lřélan créateur, le phénomène
de concrétion est guidé en certains cas par
le soutient que lui apporte lřinvention dřun
terme opposé. Cřest là un troisième seuil
dont nous avons rendu compte à propos de
cinq cas particuliers. Au cours du I er chap.,
par les oppositions entre Sadisme /Masochisme,
puis celle entre Sadisme Idéel/Masochisme Idéel.
Et, au cours de ce chapitre, par lřopposition
entre Potent/Impotentia Coëundi 357, ainsi que
par les quatre degrés de perversion homosexuelle
acquise 358.
354 Cf. p. 98.
355 Cf. p. 79.
356 Cf. p. 150, note 322.
357 Cf. p. 97.
358 Cf. p. 114.

Le quatrième seuil est la combinatoire
quřengendre le phénomène de concrétion
quand il est soutenu par un couple de termes
opposés dans la genèse créatrice. Il correspond
au second modèle proposé pour décrire
lřévolution de la section des paresthésies
359. Soulignons ici le sens concret que
nous donnons à lřexpression « explorer la
combinatoire », et qui est aussi ce qui confère à
nos analyses quantitatives leur pertinence.
Les développements théoriques occupent
quantitativement peu de place dans la section
des paresthésies, et le peu dřespace qui leur
est alloué demeure relativement constant. À
les abstraire du décompte, ce qui reste est la
place dévolue aux observations. Le vocabulaire
psychologisant de la p. 79 ne doit pas
faire écran. Ce que nos tableaux mesurent ce
nřest pas la notion abstraite de lřintérêt de
Krafft-Ebing pour un thème donné jusquřà
satisfaire aux termes du problème quřil soulève.
Nous mesurons très concrètement lřétendue
(en nombre de pages) de lřexploration de
Krafft-Ebing quand il sřest frayé une nouvelle
issue vers le réel de la clinique. Ce que
nous mesurons cřest la fécondité dřune brèche
livrant passage à un matériel (plus ou moins)
inédit.
Enfin, le cinquième seuil apporte une
réponse à une question qui nřa pu être
formulée quřavec lřadoption du second modèle
de description de {163 } la section des
359 Cf. p. 86.
166
paresthésies. Puisque ce modèle nřimplique
pas un ordre strict de succession des étapes,
par quel déterminisme une nouvelle théorie
des perversions hétérosexuelles succède-t-elle
à lřachèvement de lřexploration de la combinatoire
produite à propos de lřinversion congénitale
360 ? Nous répondions en avançant la
notion de « dérivation multiple ». Ainsi la
théorie de lřinversion sexuelle sert de prototype
pour la théorie du masochisme, et nous
avons même indiqué, à propos du fétichisme,
lřébauche dřune transposition nouvelle du
même modèle 361. Mais cette unité dřinspiration
de la théorie des perversions de Krafft-
Ebing ne doit pas estomper la nature pluraliste
de la théorie elle-même. Dans la dérivation
multiple, le fil métonymique est brisé.
Nous lřavons montré à propos du masochisme
362. Le Tableau (VIII) visualise ce
phénomène 363. La ligne sinueuse de lřinversion
congénitale, qui transpose fort bien la
section des paresthésies, sřécarte pourtant à
mesure de la courbe (II), manifestant le
déclin simultané de son hégémonie sur la
théorie des perversions.
Il ne nous reste plus quřà dégager les
conclusions particulières se rapportant au
masochisme et au sadisme. Le masochisme
et le sadisme sřinsèrent directement, à lřentame
du troisième seuil, comme instance de la
360 Cf. p. 86.
361 Cf. p. 151.
362 Cf. pp. 141, et 152 et suiv.
363 Cf. p. 84.

création de couples de notions opposées au
cours du phénomène de concrétion, instituant
une nouvelle combinatoire. Le procédé
consiste à lřinstar des autres cas, à passer
dřune notion disponible en tant que matériel
brut (ici les observations se rapportant à
lřexercice de la cruauté) à sa théorisation
(comme sadisme) sous lřaction de la notion
opposée (le masochisme), à laquelle est ainsi
conférée une préséance épistémologique 364.
Lřétude attentive des couples dřopposés que
lřon trouve jusquřà la PS5 (1890) incluse
montre quřils se découpent sur un continuum,
le plus souvent énergétique, où sont
contrastés les deux extrêmes 365. La survenue
du couple Sadisme/Masochisme à la PS6 (1891)
est conforme à notre option épistémologique
de lřécart par rapport au prévisible 366. Certes,
cřest un couple dřopposés, mais il ne tranche
pas sur un continuum dřintensités en considération
des extrêmes comme nous aurions
été tenté de le conjecturer. Il sřagit dřune
franche opposition de deux contraires,
comme {164 } blanc et noir. Le blanc et le
noir restent opposés, et ne le tiennent pas de
leur place sur un disque chromatique dont on
nřa que faire ici, malgré la ruse à propos du
daltonisme, mise en avant par Krafft-Ebing à
lřoccasion et reprise par Moll 367. Il en est de
même du sadisme et du masochisme, même
364 Cf. notre chap. I er .
365 Cf. p. 93.
366 Cf. p. 159, note 342.
367 Cf. pp. 2, 47 et 63, et hors-textes (T.1) et (T.26).
167
si nous avons développé à leur propos ce que
nous avons cru pouvoir dénommer un
« cercle vicieux », en recourant à une figure
alchimique pour lřillustrer 368.
Lřopposition Sadisme/Masochisme, pour
imprévisible quřelle fût, nřen est pas moins
rigoureusement déterminée suivant un clinamen
que nous avons eu la bonne fortune de
retracer. Lřopposition du couple Masochisme
/Sadisme est tributaire du couple Actif/Passif
en tant que manifestations respectives des
rôles sexuels féminins et masculins 369.
Dans lřextension actuelle de cette idée,
due à une outrancière vulgarisation dont la
psychanalyse est responsable, on a totalement
perdu de vue sa genèse et sa fonction,
appartenant à lřhistoire récente de la psychiatrie.
Le document que nous allons citer
ne remonte pas à beaucoup plus dřun siècle.
Cřest la douzième question médico-légale qui
se présente à lřexpert dans le cas de viol ou
dřattentat à la pudeur, Ŕ suivant Tardieu 370 :
(T.82)
Une femme peut-elle concevoir par le viol ?
Ŕ Il suffit actuellement de poser une semblable
question pour la résoudre ; mais il nřen a pas
toujours été ainsi, et il nřest pas sans intérêt de
noter que lřon a pu révoquer en doute la
possibilité de la conception par le fait du viol, à
une époque où lřon admettait, pour que celle-ci
368 Cf. p. 154.
369 Cf. p. 117 (note 227), et p. 131 (note 277).
370 {Célèbre médecin-légiste (1818-1879). Son ouvrage sur
les Attentats aux mœurs reçut sept éditions entre 1857 et
1878. Ce succès présageait celui de la Psychopathia Sexualis.}

eût lieu, la nécessité dřune certaine participation
active des sens de la femme. Il est bon dřajouter
que, pour beaucoup de personnes, cette question
serait encore douteuse aujourdřhui, et lřexpert en
doit être averti.
TARDIEU (1857) : Attentats aux mœurs,
5 e éd., 1867, pp. 92-93.
Il semble que les convictions dont
Ambroise Paré (1510-1590) sřétait fait lřécho
vers 1575 avaient quelquefois {165 } encore
cours dans la seconde moitié du XIX e
siècle 371. Comme le révèle le texte cité en
note, lřidée dřune femme ŘŘactiveřř est connexe
au principe que le semblable engendre
son semblable. Quand Krafft-Ebing croise à
son tour le couple Actif/Passif il est autrement
motivé. Aucun doute nřest permis, cřest
la clinique de lřimpuissance (psychique) de
lřhomme, Ŕ illustrée par Roubaud et
Hammond Ŕ qui lřamène à étudier les
perversions sexuelles et à croiser le couple
Actif/Passif. Avoir le rôle actif cřest risquer
dřêtre impuissant. Ce risque cřest lřhomme
même 372, et cřest la porte ouverte à la
371 Paré (1575), chap. 6, p. 114 : « Les hermafrodites ou
androgynes sont des enfans qui naissent avec double
membre génital, lřun masculin, lřautre féminin et partant
sont appelés en nostre langue françoise hommes et
femmes. Or quant à la cause, cřest que la femme fournit
autant de semence que lřhomme proportionnellement, et
pour-ce la vertu formatrice qui tousjours tasche à faire son
semblable, à sçavoir de la matière masculine un masle, et
de la féminine une femelle, fait quřen mesme corps est
trouvé quelque fois deux sexes, nommés hermafrodites. »
372 {Lřimpuissance sřétend à la femme par le biais de la
stérilité. Les deux thèmes Ŕ impuissance et stérilité Ŕ se
168
perversion qui est son lot 373. On voit donc
quelles limites étroites enserrent à lřorigine le
couple Actif/Passif :
(a) Le contrat de mariage et sa finalité reproductrice,
destinés à perpétuer un nom 374.
(b) La femme nřest jamais impuissante.
(c) Seul lřhomme est exposé à la perversion.
Lřétat civil dřunion libre, la femme vaginiste,
et la femme perverse feraient éclater ce
cadre. Or, à sa décharge, Krafft-Ebing nřa
rencontré aucun cas de vaginisme. Ou faut-il
dire quřil nřen pouvait rencontrer ? Toujours
est-il que le vaginisme semble être une création
du XX e siècle 375. Comment, dans ces
conditions, le couple Actif/Passif a-t-il pu
subsister ? Ŕ Nous retrouverons cette question
au chap. III, 1 er débet.
En abandonnant le grand chemin, en
sřaventurant dans les sentiers de la création,
chevauchaient dans les esprits dans la mesure où le rapport
sexuel normal devait tendre à la procréation.}
373 {Le marquis de Sade sřest avisé avec horreur que ses
libertins sont des gens ignobles, mais il lui a semble-t-il
échappé (comme à ses commentateurs) que la plupart de
ses libertins se débattent avec lřimpuissance sexuelle.}
374 {Le grand père maternel de Sacher-Masoch à imposé au
père de Sacher-Masoch de perpétuer son nom. Cřest ainsi
que notre romancier se nomme Sacher-Masoch du nom de
son père (Sacher) et de sa mère (Masoch). Lřironie du sort
est quřen créant le masochisme (et non pas le sachérisme),
Krafft-Ebing a immortalisé ce grand-père qui voulait conjurer
le sort dřêtre demeuré sans descendance mâle.}
375 {ROUBAUD (1872) et HAMMOND (1887), deux références
constantes de Krafft-Ebing, connaissent tous les deux
la frigidité et le vaginisme. Le vaginisme a été baptisé par le
Dr Marion Sims en 1861, il avait été décrit bien plus tôt. Ŕ
Mea culpa !} (Rectification ajoutée en 2012).

en persévérant malgré les difficultés, on parvient
à gagner un promontoire permettant
une vue dégagée, panoramique. De là on
découvre que le masochisme vient à notre
rencontre talonné de deux côtés à la fois : à
dextre par lřinversion sexuelle, et à senestre
par le fétichisme.
● Côté Fétichisme
Krafft-Ebing lit trois fois lřadmirable
étude dřAlfred Binet (1887) sur « Le Fétichisme
dans lřamour ».
La première fois, comme sur lřinstigation
de Lombroso, pour introduire dans sa PS4
(1889) une nouvelle variété de pervers
hétérosexuels, Ŕ les fétichistes.
{166 }
Côté Inversion Sexuelle ●
À la même époque lřétude de lřinversion
sexuelle congénitale lřamène à découvrir lřhermaphroditisme
psychique (Cf. lřarticle de 1890ea
qui a été écrit sûrement avant ou pendant le
remaniement de la PS4, 1889), sur lequel il va
bâtir lřéchelle des degrés de lřinversion
congénitale (Tableau XVI), et lui permettre
de formuler la théorie de lřinversion congénitale
(PS5, 1890).
169
● Côté Fétichisme (derechef)
La 2 e lecture de Binet intervient dans un
triple but. Isoler dřune part une nouvelle
entité, le masochisme, par une critique serrée
des idées de Binet sur la flagellation passive.
Du même coup, sřopposer à lřextension que
fait Binet de sa théorie du fétichisme à toutes
les autres perversions sexuelles (Krafft-
Ebing, 1890d). Mais cela revient à admettre
que les fétichistes forment un groupe individualisé,
et que ce groupe mérite de recevoir
une dénomination générique : le fétichisme
(idées vraisemblablement exposées pour la
première fois à la PS6, 1891) 376.
La théorie du masochisme recueille cette
double détermination. À peine Krafft-Ebing
a-t-il défalqué le masochisme de la flagellation
passive quřen une erreur rétrospective il
fait se répondre le masochisme et le réflexe
des flagellants selon le modèle de la théorie
de lřinversion congénitale 377. Ce nřest quřen
1892ea que la véritable dérivation (multiple) a
lieu grâce à la ŘŘdécouverteřř de la ŘŘservitude
376 La troisième lecture de Binet au cours de laquelle K-E
découvre lřefficace des représentations inconscientes (Cf.
p. 124, § 10, et note 253 ; et pp. 147-148), ne nous intéresse
pas ici.
377 Cf. p. 138, supra.

sexuelleřř 378. Quels sentiers y ont mené
Krafft-Ebing ? Nous les explorerons au chapitre
suivant (§ 1). Nous pouvons cependant
donner une réponse provisoire au questionnement
épistémologique de la page 139. Si,
jusquřà un certain point, le simple {167 }
réflexe des flagellants comme la servitude
sexuelle peuvent, chacun, satisfaire la dérivation
multiple, cřest peut-être quřen fin de
compte [option métaphysique] toute théorie
est un habit trop large quřil faut continuellement
raccourcir pour coller à la réalité 379.
Cřest peut-être aussi [option épistémologique]
quřune dérivation multiple, voire tout
schème de dérivation créatrice, sont essentiellement
contingents à la réalité découverte
par leur intermédiaire. Ce ne sont en somme
que des voies subjectives. En ce sens, la conception
suivant laquelle le discours scientifique
serait un procès sans sujet est remise en
question. La subjectivité est partie prenante
du discours scientifique. Cřest par elle que
passent obligatoirement tous les sentiers de
la création, dont la configuration indexe un
style 380.
378 Que la théorie du masochisme ait provoqué en retour
un remaniement de la théorie de lřinversion sexuelle congénitale
[Cf. Krafft-Ebing, (1894ea), (1894ec), (1894d), la
PS9 (1894) ; Cf. aussi supra pp. 144, et 155 et suiv.], ne
nous concerne pas non plus ici.
379 Cf. hors-texte (T.95), p. 185 infra.
380 Cf. supra, pp. 62-63, note 154.
170

Chapitre III
Les Arrérages
§ (1) - Remous dans le champ psychiatrique. ŕ Stefanowsky réclame sa part du gâteau
(168). ŕ Passivisme, Masochisme & Daltonisme (170). ŕ Comment Thoinot & Lacassagne
court-circuitent autrui (170). ŕ Querelles de priorité & découvertes simultanées
(173). ŕ Darwinisme sauvage & hérédité psychique (175). ŕ La passivisme a mis K-E
sur la voie de la servitude sexuelle (176). ŕ Un certain Monsieur N..., une haute autorité
berlinoise (176). ŕ Le cadre de la folie morale est réfractaire au sadisme (177). ŕ Le
sadisme personnel (178). ŕ Une certaine littérature fin-de-siècle était en avance sur la
psychiatrie (179). ŕ Subjectivisme & atavisme chez Kiernan (180). ŕ Lřassujettissement
du Moi primaire au Moi secondaire (183). ŕ Une instance intra-personnelle répressive
(183). ŕ Lřalgolagnie de Schrenck-Notzing (184). ŕ Thesei & Phusei (185). ŕ La double
amphibologie du langage (186). ŕ Lřhallucination consiste à faire coïncider la désignation
à un référent, des exemples (187). ŕ La saignée française (188). ŕ Les Français sont
embarrassés par le sadisme (188). ŕ Le masochisme les embarrasse encore plus (189). ŕ
Le sadisme sřinsère en apparence dans le cadre de la doctrine régnante de lřobsessionimpulsion
mais le masochisme y est réfractaire (189). ŕ La doctrine de lřobsession-impulsion
élude la place dřautrui dans le phénomène morbide (190). ŕ K-E se démarque de ses
contradicteurs en tenant bon au facteur inter-humain (190). ŕ La Trieblehre de K-E et la
doctrine de lřobsession-impulsion de Magnan & Legrain appartiennent à des paradigmes
différents (191). ŕ La saignée allemande (192). ŕ Eulenburg est le premier à donner dans
le leurre de la référence de K-E à Sade et Sacher-Masoch (192). ŕ Ruée sur lřétymologie
(193). ŕ Prolifération des espèces dřalgolagnie (194). ŕ Entrechoc de paradigmes (195).
ŕ Lřassociationnisme de nouveau en question (196). ŕ Lřhomme-machine et le château
hanté (198). ŕ Freud dans la posture du grand timonier (199). ŕ Ses couples dřéléments
antagonistes usurpent la caution de K-E (200). ŕ Le sadisme est la poésie du masochisme
(200). ŕ Les curieux antécédents du couplage Exhibitionnisme/Voyeurisme (201). ŕ
Esprit de système et tamis freudiens (203). ŕ Résumé méthodique du 1 er volet de ce
chapitre (204). ŕ Annonce du 2 e volet (205).
171

§ (2) - Lectures de Sade & de Sacher-Masoch. ŕ Récapitulation (206). ŕ Le recours aux
poètes (206). ŕ Mésaventure comique de Charles Féré qui se jura quřon le reprendrait
plus (207). ŕ Point de vue de K-E sur les poètes et les philosphes (208). ŕ Étranges
connivences entre la pornographie, la sexologie et les censures sociales (210). ŕ Enquête
burlesque sur le maréchal Gilles de Rais en tant que lecteur de Suétone (211). ŕ Lřeffet-
Suétone justifie la doctrine de lřobsession-impulsion ainsi que lřexercice des censures sociales
(213). ŕ Le principe fondamental de cette doctrine est exposé par Théodule Ribot (214).
ŕ Il nřy a pas de lectures fondatrices mais des écritures fondatrices (216). ŕ La vacuité
dřune police de la lecture est illustrée par le lectorat de K-E (217). ŕ K.-E a été le
promoteur involontaire de lřœuvre de Sade (218). ŕ Lřextraordinaire bonne fortune du
Dr Dühren alias Iwan Bloch (219). ŕ La révélation du manuscrit des 120 Journées de
Sodome élève Sade au rang de précurseur de K-E (219). ŕ À ce malentendu sřajouta
récemment la remobilation en faveur de lřœuvre de Sacher-Masoch, en pure perte (220).
ŕ Résumé méthodique du 2 e volet de ce chapitre : une série de distorsions par déplacements
et retournements (220).
§ (3) - Résurgence de la question sociale. ŕ La « servitude sexuelle » de K-E a été
accueillie dans lřindifférence (221). ŕ Elle occupe pourtant une position ombilicale, elle
intègre à sa théorie les conditions de son énonciation (221). ŕ Définition et exemples
(222). ŕ Prépondérance de la relation vénale (223). ŕ La prostitution comme institution
totalitaire (224). ŕ Les relations inter-personnelles y sont prises dans des rapports
sociaux (224). ŕ Pourquoi les confrères de K-E ont négligé cet aspect (225). ŕ Hormis
Iwan Bloch, lequel plaide pour une causalité sociologique (culturelle) des perversions
sexuelles (225). ŕ Avec ses études sur le libertinage en France et en Angleterre il se mit à
dos les chauvins des deux pays ; la Première guerre mondiale envenima la polémique en
France (226). ŕ Exemples (226). ŕ Il faut songer à une articulation entre psychologie et
sociologie pour appréhender la prostitution clandestine dřaujourdřhui où la violence de
lřexploitation de la femme réédite les pires dénonciations du XIX e siècle (228).
172

{Présentation du chapitre III. ― Selon la conception
épistémologique que je défends, le discours
scientifique sřinaugure par des ruptures dont il
faut payer tôt ou tard le prix. Les termes dřarrérages
et de débets soulignent cet aspect. Le présent
chapitre y est consacré. Le sadisme et le masochisme
introduisent une rupture dans le discours de la
médicine mentale, et ils ouvrent en même temps
une brèche dans lřunivers culturel dont la médecine
mentale est elle-même partie prenante. En
sériant les données recueilllies, il mřa paru possible
de les répartir en trois volets.
§ (1) – Le premier passe en revue les remous
du champ psychiatrique. On y discerne : 1°/ Une
querelle de priorité ; 2°/ Une ruée sur lřétymologie
savante ; 3°/ Des conflits de paradigmes ; et,
pour finir, 4°/ Lřintervention souveraine du
tamis freudien.
§ (2) – Le second se rapporte au recours aux
poètes dans les sciences humaines, aux prétendus
dangers de la lecture, et au sort de lřœuvre (clandestine)
de Sade et de celle de Sacher-Masoch.
Celle du marquis de Sade bénéficia dřun puissant
élan grâce à la découverte du manuscrit des Cent
Vingt Journées de Sodome, cru perdu. Et ce mouvement
ne cessa plus de sřamplifier. En revanche,
les tentatives de remettre en honneur les œuvres
de Sacher-Masoch échouèrent, et celui-ci ne demeure
vivant que grâce à sa Vénus en Fourrure.
§ (3) – Le troisième volet se rapporte étroitement
à ce que jřai dénommé la résurgence de la
séquence négligée. Il sřagit en lřoccurrence du libertinage
et de la prostitution en tant que question
sociale. K-E lřa prise partiellement et insuffisamment
en compte avec sa notion de servitude
sexuelle. Il ne fut pas suivi. Un coup dřœil même
distrait à lřactualité montre que le problème se
pose à peu près dans les mêmes termes aujourdřhui
comme au temps des publicistes et des
sexologues fin-de-siècle. Et il attend toujours dřêtre
(re)pris en charge adéquatement par les sciences
humaines.}
173
{168 }
§ (1) Ŕ Remous dans le
Champ Psychiatrique
Lřinnovation terminologique de Krafft-
Ebing, que nous avons datée de 1890d, nřest
point passée inaperçue du monde savant de
lřépoque. Ses répercussions ont été relativement
rapides Ŕ 1892 381 Ŕ nombreuses et
internationales. Une des premières réactions
a été celle de Stefanowsky, dont Krafft-
Ebing rend compte à la PS7 (1892) de la
manière suivante :
(T.83)
En juin 1891 M. Dimitri de Stefanowsky
substitut du procureur impérial à Iaroslavl (Russie)
382 mřa informé que près de trois ans auparavant
il a prêté attention à la perversion de la vie
sexuelle désignée par moi de ŘŘmasochismeřř, et
dénommée par lui ŘŘpassivismeřř ; quřil y a un an
et demi déjà il avait préparé un article sur le sujet
pour le Pr de Kowalewsky pour les Archives de
Psychiatrie russes ; et quřen novembre 1888 il avait
381 Nous laissons de côté le livre de MOLL (1891), préfacé
par Krafft-Ebing, livre dřun fidèle disciple. Ce livre a
bénéficié de trois éditions revues et augmentées avant
1900. Krafft-Ebing le cite très fréquemment dans sa Psychopathia
Sexualis, en ses différentes éditions, pour ses importantes
contributions à la casuistique.
382 {IAROSLAVL est située à moins de 300 Km au Nord-Est
de Moscou. Elle fait partie de lřanneau dřor constitué par
plusieurs villes princières, situées autour de la capitale
russe et abritant de remarquables ensembles architecturaux.
La vieille ville est inscrite au patrimoine mondial de
lřUnesco depuis 2005.}

fait une conférence sur ce sujet, considéré aux
points de vue psychologique et juridique, devant
la Société Juridique de Moscou (imprimée dans
le Juridischen Boten lřorgane de la Société, 1890, n°
6 à 8).
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), p. 124, tra p. 123.
PS8 (1893), trf 1895, p. 160.
Krafft-Ebing livre ce fragment de sa correspondance
privée à titre dřinformation, et
sans commentaire. À la PS11 (1901) il ajoutera
à ce passage une note renvoyant à lřarticle
de 1892 de Stefanowsky, et reprendra à celuici
trois entrées pour enrichir sa bibliographie.
{169 } Lřarticle de Stefanowsky de 1892 a
été publié dans les Archives dřAnthropologie
Criminelle, dirigées par Lacassagne. Cřest un
court texte, tout juste de cinq pages, rédigé
dřune manière simple, et dont les impropriétés
de langage ne gênent nullement la
lecture. Nous allons en distraire le passage où
sřexpriment les motivations de lřauteur :
(T.84)
Parmi les romanciers allemands modernes il
existe un écrivain, M. de Sacher-Masoch, qui
nous présente le plus parfait type du passiviste
quřon pourrait imaginer. Dans tous ses romans
et nouvelles, ce sont les passivistes sous diverses
formes. Le plus célèbre de ses romans, La Vénus
en Fourrure, nous montre un jeune homme
élégant et spirituel qui est devenu volontairement
le laquais dřune cruelle maîtresse. Il reçoit des
coups de pieds, de cravache, de fouet. Il éprouve
une étrange volupté à la vue dřun rival qui a
obtenu les faveurs de sa belle. Loin dřêtre jaloux
il continue à recevoir des soufflets, des fustigations
de la main de son heureux rival, et y trouve
un mélange voluptueux de douleur et de joie.
174
Cřest à cause de cela que le célèbre professeur
viennois, M. de Krafft-Ebing, a donné à cette
perversion le nom étrange du masochisme. Mais,
sans préjudice aucun de découvertes scientifiques
du célèbre maître, je crois que ce nom
bizarre ne dit rien et nřa aucun sens intrinsèque ;
en outre, il couvre dřignominie le malheureux
auteur allemand, et, de son vivant. M. de Krafft-
Ebing me dit dans une lettre quřune pareille
[dé]nomination ne saurait être attentatoire à
lřhonneur de M. de Sacher-Masoch, de même
que le nom dřune certaine anomalie optique, du
daltonisme, ne porte aucun préjudice au célèbre
physicien Dalton, qui lřavait découverte. Mais je
crois la différence énorme, parce que lřanomalie
dont il est question, cřest-à-dire le passivisme, se
rapporte à des fonctions sexuelles qui constituent
la partie la plus intime dřune existence
humaine. Voilà pourquoi je propose le nom de
passivisme, dřautant plus que je suis le premier
qui ai[t] fait attention à cette étrange perversion,
après M. Binet qui avait fait mention de ce thème
seulement en passant dans son excellente étude
du fétichisme. Cřest en novembre 1888 que jřai
prononcé un discours dans la Société Juridique à
Moscou ; je voulais décrire une certaine perversion
morale, que jřai nommé[e] tyrannisme, et
dont le sadisme nřest quřune variété, parce que
sous le nom de tyrannisme je comprends tous les
phénomènes de la cruauté pathologique sans but
et sens quelconque. Alors le sadisme ne saurait
être que la forme érotique du tyrannisme. Pendant
les débats dans la Société, jřai fait attention à
une autre perversion, le passivisme. Tout ceci est
imprimé dans les protocoles de la Société (séance
du 8 novembre 1888). Cřest seulement plus tard,
en octobre 1890, que M. de Krafft-Ebing a
publié ses Recherches nouvelles dans le domaine de
psychopathie sexuelle. Quant à moi, je nřai pu faire
publier mon étude sur le passivisme que cette
année. (V. Archives de Psychiatrie du Prof.
Kowalewsky-Charkow, 1892, n° 1 sq.). Je ne

prétends nullement rivaliser avec le grand maître
viennois, dřautant plus que je ne suis quřun
simple psychologue amateur, mais je crois que
mon terme [de] passivisme a une meilleure
raison dřêtre que le terme inventé par M. de
{170 } Krafft-Ebing.
STEFANOWSKY (1892) : Le Passivisme,
pp. 296-298.
Nous remarquons deux recoupements
entre ce texte et celui de la Psychopathia Sexualis.
Dřabord avec lřextrait que nous venons
juste de citer (T.83), ensuite avec le (T.23)
longuement commenté au chap. I er 383, et au
commentaire duquel il est possible dřajouter
à présent quelque chose.
Ŕ La date de naissance du masochisme est
octobre 1890, et les fonds baptismaux ce
sont les Neue Forschungen... 384
Ŕ Le modèle de la dérivation du daltonisme
de Dalton a été conçu en juin 1891 en
réponse à une lettre de Stefanowsky 385.
Ŕ Quand Krafft-Ebing utilise à la PS11
(1901) lřargument de la dérivation du daltonisme
386, il ne le fait pas pour répondre à
Stefanowsky seul. Il a fallu dix ans pour que
cet argument passe de la correspondance pri-
383 Cf. supra, chap. I er , § 2, p. 45 et suiv.
384 Lřavant-propos de la 1 re éd. des Neue Forschungen... est
datée dřoctobre 1890. Stefanowsky nřa pas inventé la
poudre.
385 Reste à savoir pourquoi K-E a choisi le daltonisme Ŕ
erreur dřappréciation des couleurs Ŕ comme ligne de défense.
Or on remarque dans la définition du masochisme
chez K-E (Cf. infra, T.99, pp. 190-191, note 448) lřutilisation
(éventuelle) de cette métaphore.
386 Cf. supra hors-texte (T.26), pp. 45-46.
175
vée à une déclaration publique. Krafft-Ebing
a songé à une réponse collective quand
dřautres voix se sont jointes à celle de
Stefanowsky.
En fait, nous retrouvons le même reproche
sous la plume de Lacassagne en 1899. Le
livre dont il sřagit est souvent cité par Krafft-
Ebing qui semble avoir estimé autant lřauteur
que son livre. On peut donc supposer à juste
titre que le reproche lui a paru dřautant plus
désagréable, et quřil ait tenu à y répondre dès
la prochaine édition de son propre livre. À
dix ans de distance, Krafft-Ebing considère
son argument comme tout aussi valable.
Quant au reproche de Lacassagne, il nous
paraît utile dřen citer un extrait en lřaccompagnant
dřun commentaire en note :
(T.85)
Le sadisme est un état cérébral dans lequel
lřinstinct sexuel est excité ou satisfait sous lřinfluence
de lřinstinct destructeur.
Thoinot 387 en donne une définition plus
descriptive : « Trouver dans une souffrance de
degré très variable Ŕ tantôt légère, tantôt grave
ou dřun raffinement atroce Ŕ quřon fait infliger,
quřon voit infliger ou quřon inflige enfin soi-même
à un être {171 } humain 388 , la condition tou-
387 THOINOT (1898) : Attentats aux mœurs & perversions du
sens génital, pp. 441-442.
388 DÜHREN (1901), trf, p. 413, reproche à Thoinot de
limiter aux êtres humains lřinfliction de ces actions. Il ne
semble connaître Thoinot que par cette citation, car dans
le même ouvrage, ce dernier ajoute les animaux, et étend sa
définition à tout être vivant (p. 564). On se demande tout
de même pourquoi Thoinot sřarrête en si beau chemin... Il
nřa pas même imaginé que quelquřun viendra bientôt dire :
Jřirai cracher sur vos tombes...

jours nécessaire et parfois suffisante, de la jouissance
sexuelle : telle est la perversion de lřinstinct
génital quřon appelle sadisme 389 .
Commettre un acte sadique, cřest donc faire
souffrir autrui pour trouver dans cette souffrance
une jouissance sexuelle ; et le perverti atteint de
sadisme porte le nom de sadique. » 390
Dans ces conditions, le sadique passe facilement
de lřidée à lřacte 391 . Il est surtout actif. Mais
le perverti sexuel peut présenter un état cérébral
analogue à celui des suicidés 392 . Il dirige son
activité érotique non contre autrui mais contre
lui-même. Cřest le passivisme 393 comme lřa très
389 THOINOT (op. cit., p. 441) : « …quřon désigne aujourdřhui
sous le nom de sadisme. »
390 Les guillemets que nous venons de restituer manquent
chez Lacassagne, qui se porte ainsi garant lui-même des
expressions Ŗacte sadiqueŗ et Ŗsadiqueŗ (Cf. notre commentaire
p. 35, supra, et note 71). On doit à Lacassagne la
distinction, fort usitée depuis, entre Ŗpetitŗ et Ŗgrandŗ
sadisme. Ŕ Charcot parlait de petite et grande hystérie,
Binet (1887) de petit et grand fétichisme, etc.
391 Cette phrase est grosse de la conception dite de
lřObsessionŔImpulsion confondue à la phrase suivante avec la
forme active de la domination dans le sadisme.
392 La comparaison mérite quřon sřy arrête. Dans le mot
« suicidé » il y a une ambiguïté lexicale qui dénie à celui qui
se donne la mort dřêtre agent (actif). Il nřest que sujet
(passif).
393 Nous avons ici une confusion équivalente à celles que
nous signalions aux deux notes précédentes. Dans ce quřil
a dřactif, le sadisme est une obsession-impulsion, dans ce
quřil a de passif, le masochisme est une impulsion non pas
dirigée contre soi-même, mais subie. Dans les deux cas,
par la contrainte de la théorie de lřobsession-impulsion,
AUTRUI est court-circuité. Cela apparaît très clairement
pour le masochisme dans la mesure où Lacassagne est
nécessairement amené à confondre le masochisme avec la
cruauté auto-érotique (cruauté infligée par soi-même contre soimême).
Le déni dřautrui ressemble fort au déni que nous
venons de pointer à propos de la forme lexicologique de
« suicidé ». Cřest en quoi, bien malgré lui, Lacassagne brise
un peu le carcan de la théorie de lřobsession-impulsion.
Nous essayerons de le démontrer dans une prochaine étude
en nous appuyant sur un cas fameux de MOLL (1891, trf
pp. 176-183). {Encore un beau projet resté en plan.}
176
bien dénommé M. {172 } Stefanowsky dans un
article paru en 1892 dans les Archives dřAnthropologie
Criminelle 394 .
Cet état a été désigné par M. de Krafft-
Ebing sous le nom de masochisme pour rappeler le
célèbre romancier hongrois 395 M. de Sacher-
Masoch qui dans la plupart de ses nouvelles a
décrit le nombreux types de passivistes.
Ainsi dans le plus célèbre de ses romans La
Vénus en Fourrure, il montre un jeune homme
élégant et spirituel qui, volontairement, devient le
laquais dřune cruelle maîtresse. Celle-ci lui donne
des coups de pied, de cravache. Un rival obtient
les faveurs de sa belle, loin dřen être jaloux, il
éprouve une grande volupté, et quand le rival le
bat ou le soufflette, il ressent alors une sensation
incroyable de douleur et de joie 396 .
Ce nřest pas assez croyons-nous, pour donner
à un auteur, et de son vivant 397 , un semblable
parrainage.
LACASSAGNE (1899) : Vacher lřéventreur, p. 239
Revenons au hors-texte (T.84) de Stefanowsky
pour en dégager la structure et la
fonction 398. Le sens de lřargumentation est
nettement le suivant. Critiquer le terme de
« masochisme » de Krafft-Ebing en apportant
autant dřarguments en faveur de lřadoption
de son propre terme de passivisme. Cette
revendication est bâtie sur trois arguments :
394 Éditées par Lacassagne.
395 Pour Stefanowski notre romancier est allemand.
396 Cet alinéa est visiblement démarqué de Stefanowsky.
397 Cf. la note précédente. Quand Lacassagne imprimait ces
lignes (1899), Sacher-Masoch était mort depuis quatre ans.
398 À la suite de Stefanowsky et de Lacassagne, Havelock-
Ellis a repris le même reproche (moralisateur) dans son
livre sur lřImpulsion sexuelle (Nouv. éd. franç., p. 147), dont
la 1 re éd. serait de 1903. Mais il se peut que tout ou partie
en avait déjà été publié en revue auparavant.

Ŕ Le mot masochisme est étrange, bizarre,
qui ne dit rien et nřa aucun sens intrinsèque.
Que Sacher-Masoch soit un romancier de
renom, que dans ses romans et spécialement
dans sa Venus im Pelz, il offrît le type le plus
parfait de passiviste quřon puisse imaginer, et
que ce soit pour cela très exactement que le
célèbre professeur viennois 399 a forgé le terme
de masochisme, Ŕ tout cela compte pour
rien. {173 }
Ŕ Intervient alors la vertu effarouchée. Cette
dérivation couvre un malheureux romancier
ŘŘallemandřř dřignominie. Et cela de son
vivant. Lřhypocrisie de lřépoque fait pousser
des cris dřorfraie et inspire des arguments
controuvés. Le tout est de ne pas formuler la
bonne question : le rapport dřun romancier à
ses œuvres 400.
Ŕ Les deux précédents arguments ayant assez
discrédité lřappellation de Krafft-Ebing,
Stefanowsky exhibe son dernier argument.
La terre est à son premier occupant. Cřest lui
le premier qui a foulé ce sol encore vierge
deux ans avant Krafft-Ebing. Quřon lui
reconnaisse au moins cette prérogative pour
399 Autres qualificatifs appliqués par Stefanowski à K-E : le
célèbre maître, le grand maître viennois, le savant professeur...
Ces expressions sont révélatrices du statut de
K-E à cette époque.
400 {Que pouvait craindre Sacher-Masoch si sa vie personnelle
ne donnait pas matière à jaser ? Et puis, est-ce
impunément que lřon fait de la littérature ? MICHEL LEIRIS
a songé à introduire une corne de taureau en littérature. Il ne
sřest pas avisé que Sade et Sacher-Masoch lřavaient (bon
gré, mal gré) précédé.} (Note de 2012)
177
passer à la postérité. Quřon le laisse au moins
baptiser le phénomène, même sřil nřest quřun
psychologue amateur. Argument derrière
lequel se profile une obsession formidable
chez les savants : la querelle de priorité.
Lřhistoire des sciences a toujours été
dřune réceptivité complaisante pour le premier
comme pour le dernier argument, lesquels
ne font que confirmer des préjugés
courants. Pour quřil y ait une querelle de
priorité il faut quřil puisse exister des découvertes
ou des inventions simultanées. Il faut
croire que le hasard y est pour quelque
chose. Cela console ceux qui ont raté le
podium. Sur un cas particulier il nous est
possible de montrer quřen dissipant les préjugés
de lřhistoire {populaire} des sciences il
ne reste rien de ces divagations.
Suivons lřexposé que Stefanowsky fait de
sa ŘŘdécouverteřř. Il avait fait une communication
devant une société savante où il décrivait
une perversion morale. Elle comprend tous
les phénomènes de la cruauté pathologique
sans but et sens quelconque. Et il lřa baptisée
« tyrannisme ». Après sa communication, il
sřavise durant les débats de lřexistence dřune
perversion opposée quřil faudrait baptiser de
passivisme. Voici pour les faits tels quřil les
présente. Mais cette présentation est tendancieuse
et charrie des erreurs :
1/ En disant que le sadisme ne saurait être
que la forme érotique du tyrannisme, Stefanowsky
omet de mentionner que le sadisme

est une perversion de la pulsion sexuelle, et que
lřusage du terme en ce sens précis a été établi
par Krafft-Ebing.
2/ En mentionnant le sadisme entre le tyrannisme
et le passivisme, Stefanowsky fait
semblant que le passivisme est lřopposé du
sadisme et non pas du tyrannisme. Or en
1888 Stefanowsky ne possédait pas la notion
de sadisme.
3/ Au fait, pour quoi cela a-t-il un sens de
nommer sadisme le sadisme, et cela nřa-t-il
aucun sens de nommer masochisme le masochisme
?
4/ Enfin, Stefanowsky parvient à faire du
passivisme le contraire du sadisme moyennant
une intéressante omission restituée entre
crochets : « Pendant les débats de la Société,
jřavais fait attention à une autre perversion [morale],
le passivisme. » Puisquřen {174 } 1888 il nřavait
pas encore entendu parler de sadisme, puisque
lui-même nřavait parlé du tyrannisme
que comme une perversion morale, cette
ŘŘautre perversionřř à laquelle il a prêté attention
au cours du débat ne pouvait être quřune
autre perversion morale. Le passivisme en
1888 était donc probablement une perversion
morale, à peine évoquée en passant au cours
dřune discussion portant sur le tyrannisme, Ŕ
et non pas une perversion sexuelle comme Stefanowsky
essaye de lřinsinuer 401.
401 Il ne nous reste plus quřà apprendre le russe et à aller
prendre connaissance des protocoles de la Société.
178
5/ Ajoutons encore une remarque sur les
termes en Ŕisme chez Krafft-Ebing. Il sřagit
pour lui dřune catégorie théorique fondamentale
dont la fonction est dřexpliquer (par
opposition à décrire) certaines conduites. Le
masochisme pour Krafft-Ebing ne désigne
pas un type de conduite, mais une théorie. Il
ne nous semble pas douteux que Stefanowsky
se soit borné, en 1888, à une description
symptomatologique 402.
Ne peut-on pas considérer quřen tant
que perversions sexuelles le couple Sadisme/
Masochisme est inclus dans le couple de perversions
morales Tyrannisme/Passivisme de
Stefanowsky ? Nous ne le pensons pas non
plus. Krafft-Ebing nřa pas eu recours à la
catégorie de perversion morale pour élaborer
le masochisme et le sadisme. Nos précédents
chapitres permettent de lřaffirmer sans ambages.
Quant à Stefanowsky, à notre avis, il nřa
pensé à des perversions sexuelles dérivées de
perversions morales quřaprès la lecture de
Krafft-Ebing et pour les besoins de sa cause.
Cette question sera mieux jugée par une
lecture critique de lřarticle de Stefanowsky.
Pour définir le passivisme il utilise dřabord
lřopposition Sadisme/Masochisme, dont la
conception et lřun des termes au moins reviennent
à Krafft-Ebing. Ce sont les propres
termes de Krafft-Ebing aussi bien que ses
conceptions qui sont repris, sans reconnais-
402 Il reste à le vérifier. Cf. note précédente.

sance de dette, et amalgamés dans la formulation
et la théorisation du passivisme. Ce
que dans cet article Stefanowsky apporte de
son propre cru ce sont deux choses. Dřune
part, la division des conduites passivistes en
deux classes 403 : le {175 } passivisme moral
404 (humiliations, avilissements devant la
femme) et le passivisme physique (flagellation
passive par une femme). Dřautre part,
lřexplication du masochisme. Stefanowsky est
dřaccord avec Krafft-Ebing pour rejeter
lřexplication de Binet par lřassociation des
idées et des sentiments, et pour admettre une
exagération pathologique du caractère sexuel
de la femme. Il y ajoute cependant une rallonge
à sa façon :
(T.86)
Mais le savant professeur [K-E] nřa pas
remarqué le rôle de lřhérédité psychique dans les
phénomènes de lřamour morbide. Dans ce cas, il
faut revenir toujours à nos ancêtres : le combat
entre les mâles et la cour faite par les mâles aux
femelles nous donnent lřexplication nécessaire.
Tandis que le sadisme a sa source dans le sentiment
du combat pour décider de la possession
des femelles, le passivisme pourrait être expliqué
comme exagération pathologique de la cour faite
aux femelles pour gagner leurs faveurs.
STEFANOWSKY (1892) : Le Passivisme, p. 298.
Ne nous attardons pas sur cette explication
inconsistante 405. Ne tiquons même pas
403 Cf. STEFANOWSKY (1892) : Le passivisme, pp. 295-296.
404 Résurgence du passivisme en tant que ŘŘperversion moraleřř ?
405 Pour quřelle soit cohérente il faudrait quřelle se conforme
aux trois conditions suivantes : (1) Que la cour soit une
179
de la voir reprise par Havelock-Ellis contre
Krafft-Ebing par un sentiment de dépit réactionnel
sans doute. Elle est conforme à lřair
du temps où des idées floues sur lřhérédité
avaient cours, et où un « darwinisme sauvage »
sévissait. Dřun point de vue formel, le recours
à lřhérédité psychique 406, qui nřétait
pas encore au point pour le masochisme en
1890d, mais que Krafft-Ebing utilisait déjà
pour lřexplication de lřinversion sexuelle, est
couplé chez Stefanowsky à une sorte de
théorie de lřévolution ou de darwinisme de
fantaisie dont lřusage généralisé à cette époque
tenait, en théorie, le haut du pavé. Nous
allons buter dans un instant sur un exemple
analogue à propos de Kiernan.
Le hors-texte (T.83), qui est le seul
commentaire sur Stefanowsky que Krafft-
Ebing ait jamais inséré dans la Psychopathia
Sexualis, reprend en le tronquant un passage
(rejeté en appendice) de son fameux article
de 1892e sur la ŘŘservitude sexuelleřř. Il faut
donc compléter ce dossier par le hors-texte
suivant : {176 }
(T.87)
Herr v. Stefanowsky nonnte diese Anomalie
der Vita sexualis ,,PassivismusŖ. Aus seinen
Andeutungen geht hervor, dass das, was ihm
conduite femelle ; (2) Que le combat visât, par exagération
du rôle masculin, les femelles ; (3) Quřenfin la cour et le
combat puissent sřadresser parfois à la femelle. Voilà des
conditions elles-mêmes contradictoires qui font que logiquement
une pareille explication est inconsistante.
406 La thèse française de THEODULE RIBOT (1875) portait
sur ce sujet.

unter diesem Namen bekannt war, auch den
,,MasochismusŖ umfasst und dass ihm möglicherweise
die Priorität der Erkennung dieses
abnormen seelischen Zustandes zuzuschreiben
sein wird, aber offenbar geschah dem russischen
Autor das Gleiche, wie dem deutschen, insofern
die Ausdrücke „PassivismusŖ und „MasochismusŖ
als synonym sovohl eine physiologische
und nur bedingt pathologische Erscheinung der
„geschlechtlichen HörigkeitŖ und ein entschieden
pathologische im Sinne des „MasochismusŖ
zusammenwerfen, die, wie es in votausgehender
Studie versucht wurde, fernerhin auseinander zu
halten sind. Das Verdienst, diese Trennung
erkannt zu haben, muss ich meinem Berliner
Gewährsmann, Herrn N. zuschreiben, an den
ich mich auch um Mittheilung seiner Ansicht
über Herrn v. Stefanowskyřs Auffassung wandte,
und der mir die im obigen Aufsatz verwertheten
leitenden Gesichtspunkte an die Hand gab.
KRAFFT-EBING (1892e) : Bemerkungen über
„geschlechtliche HörigkeitŖ und Masochismus,
§ 38, p. 210.
Ce hors-texte nous apporte trois informations.
Dřabord que la conception de Stefanowsky
a été pour quelque chose dans la
découverte de la servitude sexuelle. Il nous
semble que lřidée fructueuse que cette conception
pouvait avoir du point de vue de
Krafft-Ebing cřest, comme nous lřavons dit,
dřinsister sur la transmission héréditaire. Mais
Krafft-Ebing était déjà sur cette piste 407.
Ensuite, lřattribution du mérite de la découverte
à « lřautorité berlinoise, Monsieur N. »
(Berliner Gewährsmann), qui est sans doute un
patient (masochiste) de Krafft-Ebing (sinon,
407 Cf. hors-texte (T.56), § 10, pp. 123-124, supra.
180
pourquoi lřanonymat ?) 408. Nous ne sommes
que trop bien préparés pour accepter ce qui,
dřun bout à lřautre, à toutes les articulations
de la théorie, nous fait toucher la détermination
causale des avancées spéculatives à partir
de lřécoute clinique de Krafft-Ebing. Enfin
un enseignement épistémologique. La querelle
de priorité nřexiste pas pour Krafft-
Ebing. Ce qui lřintéresse dans le terme de
« passivisme » cřest sa vertu explicative. Or,
un pareil terme semble pour Krafft-Ebing un
obstacle pour distinguer la servitude sexuelle
du masochisme. En 1892, parler de passivisme,
cřest être rétrograde.
Pour notre part, nous croyons que
lřavortement de lřinvestigation de Stefanowsky
était inscrit dans les conditions dřénonciation
de sa conception, cřest-à-dire à partir
de la folie {177 } morale. Il faudrait, pour le
prouver, (re)faire lřhistoire infortunée de la
folie morale, ce dont il nřest pas question. Il
est assez clair quřune pareille catégorie nosographique
exprime massivement lřingérence
répressive de la psychiatrie dans les questions
pénales aux côtés des formes judiciaires et
policières 409. Il est clair quřelle occulte la
dimension sociale dřune conduite déviante
quelle quřelle fût. Il était par conséquent
408 Cřest la même personne quřil cite aux §§ 31 et 32 du
même article (1892e, p. 208), et que nous citerons nousmême
plus bas, hors-texte (T.105), p. 200.
409 Il faut remarquer que la préfecture de police nřa pas pris
position au XIX e siècle dans la querelle des psychiatres et
des juristes. Bien au contraire, elle a plutôt réclamé avec
insistance la collaboration des uns avec les autres.

impossible, dans le domaine couvert par la
folie morale de rencontrer le « sadisme », dont
le contexte est si précis, comme nous avons
essayé de le restituer 410. Dans le cadre de la
folie morale on ne pouvait rencontrer quřune
certaine légende usurpant le nom du marquis
de Sade 411. Il fallait se dégager de cette
légende pour avoir quelque chance de dřapercevoir
le « sadisme ». Il est significatif de
noter chez le moins militant des publicistes
cités Ŕ chez Coffignon 412 Ŕ lřemploi de
lřexpression ŘŘperversion moraleřř à propos du
sadisme. La position privilégiée de Krafft-
Ebing par rapport au discours psychiatrique
de son époque, nous y avons assez insisté,
cřest lřacuité dřune écoute clinique dřune part,
mais aussi une relative méfiance envers la
catégorie de ŘŘfolie moraleřř. Cřest aussi une
franche opposition à la conception qui a
relayé la ŘŘfolie moraleřř en France, suivant
laquelle les stigmates psychiques sont atypiques
et justifient lřappellation de syndromes
épisodiques de la folie des dégénérés 413 (Cf. p. 104).
Pour conclure le commentaire du horstexte
(T.84) nous dirons quřil ne fait pas de
doute quřil nřy a pas entre Krafft-Ebing et
Stefanowsky de découverte simultanée. Mais
il ne fait pas de doute non plus que lřon
attendait, lřon voulait faire, lřon était prêt à
accueillir, lřon redoutait aussi, des ruptures
410 Cf. chap. I er , pp. 28 et 69, supra.
411 Cf. chap. I er , pp. 30-35 et 69, supra.
412 Cf. (T.15), p. 18, supra.
413 Cf. MAGNAN & LEGRAIN (1895), p. 178.
181
dans le discours de la psychiatrie à partir de
la polarisation de lřinvestigation sur la
sexualité morbide 414.
Il existe, en faveur de la thèse selon quoi
le masochisme était dans lřair du temps 415, un
autre argument. Il provient dřun livre qui a
beaucoup contribué à la renommée de son
auteur. Il sřagit plus exactement dřun {178 }
recueil dont quelques pièces avaient déjà été
publiées en revue quelque deux années plus
tôt. Lřauteur (Paul Bourget) y accréditait la
fiction dřêtre seulement lřéditeur des fragments
dřun livre de Claude Larcher, publiés à
titre posthume. Vers la fin du livre il nous est
fait part de trois chapitres qui devaient constituer
un épilogue, et dont seules des notes
nous sont livrées. Lřun des chapitres, le
vingtième, devait traiter du sadisme :
(T.88)
XX : Le Sadisme ( ŕ son histoire. Montrer
quřil y a comme un sadisme personnel dans
notre complaisance dans certaines sortes de douleurs,
et la différence entre la souffrance qui
nous améliore et celle qui nous déprave. Pourquoi
?) ; XXI : Lesbos... ( * )
414 {Jřavais sans doute de bonnes raisons de dire cela en
1975. Mais jřavoue avoir complètement oublié ce qui me le
faisait dire, et dřune manière aussi péremptoire. Ŕ Lřair du
temps ?} (Note de 2012).
415 TORDJMAN (1972) : Clefs pour la sexologie, pp. 144-147.
* On remarque une nouvelle fois ici, conformément à
lřusage établi chez TAXIL, COFFIGNON, etc. (Cf. chap. I),
la concomitance du sadisme et du saphisme. (Addition sur
mon exemplaire de travail.)

BOURGET (1891) : Physiologie de lřamour
moderne..., p. 345.
Pour juger la valeur épistémologique de
ce hors-texte il faut se départir de lřillusion
rétrospective. Remplacer ŘŘsadisme personnelřř
par ŘŘmasochisme moralřř serait de toute manière
faux avant que dřêtre absurde. Le prétendu
éditeur nous en prévient dès la première
page : « Quand il commence cette Physiologie,
Claude Larcher suivait cette carrière [sic] dřhomme
très malheureux en amour, qui est celle de quelques
jeunes gens [qui font la mode] à Paris » 416. Être
très-malheureux-en-amour vers 1890, était
donc une carrière, comme ce lřétait de porter
son cœur en écharpe vers le début du siècle,
dřêtre spleenétique vers le milieu du siècle, ou
surréaliste entre les deux guerres. La sensibilité
aussi suit la mode. Or le ŘŘmasochisme moralřř
nřest pas un phénomène conscient pour
celui qui en est atteint 417, et les satisfactions
quřil en retire restent à lui-même ignorées.
Albert Moll a pris la peine de commenter
ce texte dès sa publication, ce qui nous
replace dřemblée dans la bonne perspective
historique :
(T.89)
Par conséquent, il ne faudrait rapporter au
sadisme une action cruelle et brutale ( 1 ) que dans
le cas où cette action constituerait une excitation
indispensable à lřaccomplissement du coït, ou le
supplément nécessaire pour celui-ci.
____________
416 Les insertions entre crochets sont nôtres (AA).
417 Cf. NACHT (1965) : Le Masochisme, p. 73.
182
( 1) Par conséquent, quand on dit (Physiologie de lřamour
moderne, Fragments dřun ouvrage posthume de Claude Larcher,
recueillis et publiés par Paul Bourget, Paris, 1891) : « Il
y a comme un sadisme personnel dans {179 } notre
complaisance dans certaines sortes de douleurs, » la
proposition nřest juste que sous certaines restrictions
résultant de ce que nous venons de dire.
MOLL (1891) : Les Perversions de lřinstinct
génital..., trf pp. 172-173, note.
Moll critique lřutilisation de lřexpression
« sadisme personnel » dans le chapitre consacré
au sadisme. Lřidée ne lřeffleure même pas
que le sadisme veuille dire ici masochisme.
Ce à quoi Moll semble réfractaire cřest à la
transformation (dont nous sommes redevables
à la psychanalyse) du sadisme en masochisme
par « retournement sur la personne
propre ». Ce qui paraît insolite ce nřest pas
que le hors-texte (T.88) parle de sadisme (ou
de masochisme) mais quřil semble présupposer
lřexistence du mécanisme de « retournement
sur la personne propre » qui est une
découverte subséquente de la psychanalyse
(Freud, 1915). Moll, comme Krafft-Ebing,
nřavaient pas connaissance de ce mécanisme.
De plus, et cela est encore plus bizarre pour
nous aujourdřhui, Moll est le Řdécouvreurř
dřune perversion quřil dénomme Mixoscopie,
cřest-à-dire vulgairement parlant le voyeurisme.
Sřil ne songe pas à lřopposer à lřexhibitionnisme,
il lřapparente en revanche au masochisme.
Voici ce quřil en dit : « Il existe probablement
une certaine parenté entre ce phénomène et le
masochisme si bien étudié par Krafft-Ebing. Il est
possible que lřexcitation soit provoquée par la douleur

de voir la femme être possédée par un tiers... » 418, Ŕ
et de citer en note un passage de la Vénus en
Fourrure de Sacher-Masoch. Malgré cela, il ne
lui vient pas à lřesprit que Claude Larcher
puisse jouir dřune douleur pareille quand « il
allait au cercle des Mirlitons réciter la liste des
amants de Colette » 419. Moll nřest en effet
attentif quřà une chose : apparemment
Claude Larcher nřen retire pas une volupté
sexuelle 420. Nous ne croyons pas trahir
lřétude psychologique de Paul Bourget en
diagnostiquant chez Larcher un « masochisme
(m)oral », faisant par cette écriture une double
référence, lřune à lřoral de la récitation 421,
lřautre au MOI mis en facteur.
{180 } Il faut bien reconnaître quřune
certaine littérature fin-de-siècle était en
avance sur la psychiatrie et la psychologie de
quelques coudées. Nous pouvons grouper
ces auteurs par lřobjet chéri de leurs études,
le Culte du Moi. Ils se sont assis littéralement
dans la tête de leur héros et se sont mis à
décrire le champ des pensées conscientespréconsciente
qui lui traversaient lřesprit.
Cřest ainsi quřEdouard Dujardin a écrit un
chef-dřœuvre, et Joris-Karl Huysmans plusieurs.
On peut dire que pour ces auteurs le
418 MOLL (1891), op. cit., trad. franç., p. 171, et note.
419 BOURGET, op. cit., p. II.
420 Un psychanalyste dřaujourdřhui resterait imperturbable dans
son opinion suivant quoi les souffrances de Claude Larcher
« peuvent constituer des moyens propres à satisfaire les besoins
dřune libido entravée » (NACHT, 1965, p. 73).
421 Bourget nous présente en effet quelquřun qui sait discourir
mais ne sait pas écrire... cřest pourquoi il lui prête sa
plume.
183
stade auto- nřavait aucun secret. Bourget ne
va plus loin avec le ŘŘsadisme personnelřř de
Claude Larcher. Il y décrit ce stade auto- que
la psychiatrie fin-de-siècle avait de la difficulté
à maîtriser. Nous lřavons remarqué plus
haut à propos de Lacassagne (T.85), nous
allons le constater à nouveau à propos de
Kiernan (T.91).
Le texte original de lřarticle de Stefanowsky
avait été publié dans la livraison de
mai 1892 des Archives dřAnthropologie Criminelle.
En octobre de la même année, grâce
aux soins de James G. Kiernan (de Chicago),
il en était publié une version américaine dans
The Alienist and Neurologist. Sa fidélité laisse
beaucoup à désirer. Le traducteur a en effet
pris des iniatives très hardies. Il a ajouté dans
le corps du texte des passages de son cru,
supprimé ou raccourci quelques autres, en
commettant parfois de redoutables contresens
dans la traduction 422. Cette version ne
laisse pas moins dřêtre très intéressante pour
les commentaires que Kiernan a ajoutés dans
les notes. Nous en isolerons quatre.
422 Le titre du roman de Sacher-Masoch, La Vénus en
Fourrure, devient Fetters of Venus, soit les chaînes de Vénus.
Voilà dřautres expressions : volupté suprême devient voluptious
ecstasy, un orgasme érotique devient acme of volupty, volupté dřun
martyr devient ecstasy of the martyr... Tout ce tripotage
accentue le texte de Stefanowsky dans le sens des idées de
Krafft-Ebing.

La première est une remarque terminologique.
Kiernan préfère subjectivism à passivisme.
Il nřest pas possible de (re)traduire subjectivisim
en français en conservant les nuances
spéciales qui en font la singularité. Il nous
paraît évident que Kiernan a voulu le distinguer
{181 } de lřexpression anglaise de James
Stuart Mill (1869) the subjection (of women). Ce
qui nous ramène aussi à Krafft-Ebing 423,
lequel fait explicitement la distinction entre la
ŘŘservitude sexuelleřř et lř ŘŘasservissement (des
femmes)řř de Mill 424.
(T.90)
Subjectivism serait un terme préférable, puisquřil
y a un acquiescement actif engendrant des
sentiments de type positif.
KIERNAN (1892), p. 650, note 3.
Les trois autres remarques concernent la
théorie. À lřendroit où Stefanowsky, en
accord avec Krafft-Ebing, dit que la flagellation
passive agit psychiquement, et que selon
lui la surexcitation masochiste procède de
lřidée seule de dépendance et de sujétion
absolue devant la femme irritée, Kiernan
intervient. Cřest excessif, dit-il : « This is too
strongly put » (p. 655, note 1). Suivant Kiernan
423 KRAFFT-EBING (1892e) : Bemerkungen über „geschlechtlich
HörigkeitŖ und Masochismus, § 10, note, pp.
201-202.
424 Lřopuscule de Mill a été traduit en allemand par Freud
en 1880 (Cf. JONES, tome I, trad. franç., pp. 61-62 et
194-195). Cřest dans cette traduction quřil est vraisemblable
que K-E lřait lu. Une version française de ce livre est
actuellement disponible aux éd. Payot.
184
il y aurait dans plusieurs cas un élément physique
prononcé.
Quant à lřexplication proprement dite du
Řsubjectivismř, il a recours lui aussi à une certaine
idée de lřévolution et de lřhérédité, Ŕ
que nous rattachons au « darwinisme sauvage »
sévissant chez les scientistes fin-de-siècle. La
notion dřatavisme à laquelle Kiernan a recours
en fait partie. Son idée remonte à 1883 :
(T.91)
Dans le Journal of Nervous and Mental Diseases
dřavril 1883 jřai écrit ce qui suit : « La relation
entre religiosité, sexualité et mutilation a été
reconnue depuis longtemps par les aliénistes.
Une tendance aberrante de cet ordre religiososexuel
trouve son expression dans les sectes
religieuses. Cette tendance à la mutilation de soimême
425 est lřun des principes cardinaux des
Skoptzi, une secte russe. Des exemples du genre
de mutilations pratiquées par cette secte nřest en
aucun cas rare chez les fous [à délire] religieux
[...] 426 . Il pourrait apparaître que dans certains
cas la volupté, comme le remarque Montaigne
(Les Essais) trouve un entrain [zest] et une stimulation
dans la douleur. {182 } Cette recherche de
la douleur comme stimulus est, cela nřest en aucun
cas improbable, un atavisme, puisque certains
animaux ne peuvent copuler sans douleur. »
KIERNAN (1892), p. 656, note 2, trp.
La théorie de Kiernan a été remaniée en
1891, et remaniée de nouveau dans le résumé
quřil en donne dans la note suivante :
425 Cf. la conception du suicide chez Lacassagne (T.85). Ce
serait ici en quelque sorte un suicide à crédit.
426 Deux observations sont alors rapportées. Les insertions
entre crochets sont nôtres (AA).

(T.92)
Le passivisme est une évolution qui sřest
développée le long dřépures posées déjà dans The
Alienist and Neurologist dřavril 1891 427 . Là on a
montré que le phénomène de sélection sexuelle
démontre quřun état mental complexe a résulté
de lřévolution de la simple recherche de moyens
sexuels physiques de satisfaire la faim protoplasmique.
Ces phénomènes de sélection sexuelle
montrent que le plaisir a cessé dřêtre dépendant
de lřaccouplement sexuel simple lorsque les idées
de beauté, dřattraction vers le plus beau, et
dřamour maternel, se sont développées à partir
du désir sexuel de satisfaire la faim protoplasmique
428 . Ainsi ont été développées des inhibitions
des performances sexuelles explosives qui tendent
à contenir lřégotisme évident des tendances
purement sexuelles. Désormais le plaisir, associé
à lřaccouplement avec un objet donné, sřéveille à
la vue de cet objet, et le plaisir sexuel se manifeste
en efforts de plaire à ce qui en est la cause.
Ces manifestations explosives réprimées du désir
sexuel produisent ainsi plus de jouissance intellectuelle,
et moins de jouissance franchement
physique, de la conjonction sexuelle. Par une loi
427 Il sřagit dřune fanfaronnade de Kiernan. Srefanowsky ne
cite nullement cette référence. Ses idées proviennent, à
quelques exceptions près, de Krafft-Ebing (1890d).
428 Du texte de Kiernan de 1891, reproduisons à des fins
de comparaison, le dernier alinéa : « Between the cannibalistic
sexual intercourse, the expression of protoplasmic hunger in the
amoeba, and the picture drawn by Maudsley, looms a seemingly
impassable gap, yet evolution has, as demonstrated by these
perversionary atavisms, bridged this gap, and from and by what
would, a priori, seem the utmost expression of egotism, has developed
a secondary Řegoř, which inhibits explosive manifestations of egotism,
and hence is an efficient moral factor. » (p. 217) Krafft-Ebing,
dans la note ajoutée à la PS7 (1892), p. 154 (tra, p. 152), a
réfuté le raisonnement de Kiernan en disant que son fondement
est insuffisant. Sřappuyant sur Weismann, il ajoute
que les processus extrêmement compliqués dřaccouplement
des organismes inférieurs ne doivent en aucun cas
être considérés comme une simple dévoration dřun individu
par un autre. Ŕ Cf. aussi Chap. II, p. 150.
185
ordinaire dřassociation mentale, les efforts pour
plaire à ce qui cause en soi le plaisir sexuel, plurent
en dehors de la présence de cette cause 429 .
Ainsi sřest développé {183 } lřamour romantique
qui a bridé (restraint) lřégotisme, et ces brides
(restraints) de lřégotisme ont constitué la base de
la moralité. Un « moi » secondaire sřest ainsi
développé qui, stimulé par des conditions favorables,
a commencé, selon un processus que
Ribot a signalé (Les Maladies de la personnalité) 430 , à
envahir (overwhelm) et occuper la place du « moi »
primaire. Lřassujettissement (subjectivism) du
« moi » primaire au « moi » secondaire, ainsi
dominant, devient lřapogée (acme) de la gratification
sexuelle. (...)
KIERNAN (1892), pp. 650-651, note 5, trp.
On peut se demander jusquřà quel point
Kiernan contrôle le glissement prodigieux
quřil vient dřopérer. Lřaspiration à être dominé
par une autre personne Ŕ qui est ce que
vise le terme de masochisme chez Krafft-
Ebing et de passivisme chez Stefanowsky Ŕ
429 K-E a également eu recours à cette loi dřassociation
mentale : Cf. supra, Chap. II, p. 136. RIBOT lřévoque dans
son livre fondamental, à lřoccasion de la 3 e couche de
lřinconscient. Voici le texte : « 3° Lřinconscient personnel, résidu
dřétats affectifs liés à des perceptions antérieures ou à des {183 }
événements de notre vie. Ce résidu émotionnel, quoiquřil reste
latent, nřen agit pas moins et peut être retrouvé par
lřanalyse. Ce cas, lřun des plus importants de notre sujet, a
été récemment étudié par Lehmann sous le nom de
déplacement (Verschiebung) [(sic), la date est 1892] des sentiments
et par James Sully sous le nom de transfert [resic] des
sentiments : cette seconde dénomination me paraît plus
claire et plus exacte. [Retour à la ligne] Sous sa forme la
plus générale Ŕ car son mécanisme nřest pas toujours le
même Ŕ la loi de transfert consiste à attribuer directement
un sentiment à un objet qui ne le cause pas lui-même. » ŕ
RIBOT (1896), p. 175 et suiv. Ribot fournit en note les
références complètes à Lehmann et à Sully.
430 Probablement pp. 129-137 du livre de RIBOT (1885).

est transposée sans autre forme de procès en
domination intrapsychique dřun Moi primaire
par un Moi secondaire. Comme on peut le
voir dans un hors-texte précédent (T.91), ce
qui explique ce glissement cřest que Kiernan
a surtout en vue les auto-mutilations. On se
demande aussi si Kiernan ne fait pas un jeu
de mots avec son subjectivism. De toute manière,
que le Moi secondaire se développe sur
les brides de lřégotisme, cřest-à-dire sur une
instance de répression de lřégotisme, pour
dominer et assujettir un Moi primaire, dans
les automutilations, Ŕ cela nous nřétions pas
préparés à le trouver exprimé en 1892 avec
pratiquement les mêmes termes que la topique
freudienne de 1923. Force est de se
rendre à cette évidence. Les exemples de
Krafft-Ebing 431 et de Kiernan plaident en
faveur de lřexistence Ŕ dans les années 1890
Ŕ dřune théorie conséquente à propos dřune
instance intra-personnelle répressive.
Schrenck-Notzing, en cette même année
1892, publiait sa {184 } Suggestions-Therapie
432. La troisième partie du livre, consacrée
aux « paresthésies sexuelles », comprend un
431 Cf. chap. II, pp. 145-146.
432 Cet ouvrage (très remarquable) nřa pas été traduit en
français. Sa traduction américaine, munie dřun appendice
inédit, est introuvable à Paris. Nous utilisons la traduction
italienne, parue en 1897, qui reprend cet appendice, Ŕ et
figure à la Bibliothèque Nationale. {Jřai pu consuler cet
ouvrage par la suite, et il est à présent accessible en ligne.}
186
chapitre (Chap. 7) sur les perversions sexuelles
selon la théorie de Krafft-Ebing.
Lřintroduction du masochisme et du sadisme
lui a inspiré les amendements suivants :
(T.93)
Les désignations de sadisme et de masochisme
procèdent du nom des romanciers le marquis de
Sade et Sacher-Masoch qui ont décrit ces perversions.
Même si ces termes, qui ne se conforment
pas aux règles de la terminologie scientifique,
devaient être adoptés, il faudrait quand même
former un mot dont la composition indique la
nature de ces aberrations sexuelles. Un tel mot
nous est offert avec lřalgolagnia ou algolagnie,
dérivé de άλγος = douleur (adoptée en médecine
avec ce sens dans analgésie, céphalalgie et névralgie),
et λάγνος = excitation et lascivité sexuelles,
dont est dérivé λαγνεια, utilisé par Hippocrate et
Aristote au sens dřémission séminale, et par
Xénophon au sens de volupté, de lubricité (Max
Offner)( 1 ). Tandis que lřalgolagnie désignerait de
manière générale la combinaison de la cruauté et
de la volupté comme une variété particulière de
perversion sexuelle, lřalgolagnie active = sadisme,
et lřalgolagnie passive = masochisme. (Masochiste
= algolagniste passif, Sadiste = algolagniste
actif).
Le plaisir voluptueux dřinfliger une douleur
et celui de la subir sont deux aspects dřun même
processus mental dont, dřaprès Krafft-Ebing,
lřélément essentiel est la conscience dřune sujétion
respectivement active ou passive.
____________
( 1) Max Offner, grâce à lřaide philologique duquel jřai
formé cette désignation, proposait même les vocables
aekialagna = masochisme, et aekizolagnia = sadisme
(de αίκία et αίκιζω), mais cela mřa semblé peu approprié
à lřusage commun.
SCHRENCK-NOTZING (1892) : Suggestions-Therapie,
pp. 124-125, et note ; tra p. 121 et note,

La Terapia Suggestiva..., tri p. 101 et note, trp.
Cřest en cette même année que lřouvrage
monumental de Ch. Féré (1892) sur La Pathologie
des Émotions est publié. On y trouve
mention du masochisme dans un chapitre sur
lřémotivité morbide, comme une sorte dřalgophilie
sexuelle. Une expression inventée peutêtre
par Féré. En tout cas elle est laissée sans
explication :
(T.94)
On décrit sous le nom de masochisme, du
nom du romancier Sacher Masoch qui a mis en
scène des individus atteints de cette affection
une anomalie de lřémotivité consistant dans la
recherche de manœuvres douloureuses ou pénibles
pratiquées sur eux-mêmes par une personne
de lřautre sexe, pour provoquer la satisfaction
de leurs appétits vénériens ( * ). Lřacte physiologique
nřest même pas tenté, il sřagit en somme
dřune sorte dřalgophilie sexuelle : {185 } ces
individus ne trouvent de plaisir que dans des
pratiques douloureuses et honteuses : ils se font
fouetter, pincer, frapper, piétiner par lřobjet de
leur passion, lui lèchent les pieds, etc.
____________
( *) Krafft-Ebing, Neue Forschungen auf dem Gebiet der
Psychopathia sexualis, 1890.
FERE (1892) : La Pathologie des émotions,
p. 445.
Le tour dřhorizon de lřannée 1892 que
nous venons dřaccomplir nřest sans doute
pas complet. Il suffit cependant pour fonder
trois assertions :
1/ Lřhistoire de la psychiatrie vers la fin du
XIX e siècle nřétait pas régionale. Nous nous
187
sommes promenés de Vienne à Paris, à
Lyon, à Berlin, à Moscou, à Munich, et à
Chicago.
2/ La question des perversions sexuelles était
suivie de très près par les spécialistes et
même par de simples amateurs et des particuliers.
3/ En ce qui concerne le masochisme, lřeffet
immédiat que tous les documents cités à
propos des spécialistes mettent en évidence
est une induction au mimétisme.
Il fallait que chacun sřapproprie le phénomène
de société dont il sřagit grâce à un
libellé personnel supposé plus adéquat que
celui que Krafft-Ebing a forgé. Le résultat est
plutôt décevant. Les arcanes théoriques de
Krafft-Ebing sont à peu près sauves 433. Aucune
critique terminologique ne les remet en
question. Seules les dénominations sont contestées,
comme si les faits quřils dénotent
avaient la solidité du granit. Cřest comme si
ces faits existaient de tout temps en attendant
celui qui allait les découvrir. Ils étaient restés
inaperçus, on ne les avait pas remarqués, on
commençait à les voir, on se souvenait,
comme ça, soudain, quřils avaient été entrevus,
quřon pouvait rivaliser à en évoquer un
grand nombre. Lřillusion rétrospective domi-
433 {Le seul débat qui mérite mention est celui que
Schrenck-Notzing (1892) a voulu instituer avec Krafft-
Ebing en renversant la parité posée par ce dernier entre
lřinné et lřacquis. Krafft-Ebing tirait cette parité en faveur
de lřinné, Schrenck-Notzing en faveur le lřacquis. Chacun
est resté inébranlable dans sa position.}

nait les esprits. Aucun auteur nřy a résisté,
tout occupés quřils étaient à aiguiser leur terminologie,
convaincus du pouvoir des mots.
{Alors que, dans la pratique courante de la
parole, ces savants étaient sans doute convaincus
que le sens des mots est dřinstitution
(thesei), dans la pratique de la science ils
étaient en quête de désignations pour ainsi
dire naturelles (phusei).} Ils étaient convaincus
que, grâce à des dénominations « scientifiques
», ils allaient pouvoir franchir avec
aisance et certitude la distance toujours
extensible 434 du signifiant au référent.
(T.95)
Pour nous, la signification de lřobjet usuel
réside dans la fonction quřil remplit et cette
fonction se ramène toujours au pont dřun
contrepoint jeté entre lřobjet et lřhomme, lequel
constitue en même temps le motif qui en a
déterminé lřexistence.
(...)
Tous nos objets usuels jettent des ponts
entre nous et la nature, dont nous ne nous sommes
pas rapprochés mais toujours plus éloignés.
Puis, à un rythme sans cesse accéléré, nous nous
sommes alors mis à jeter de nouveaux ponts
entre nous et les anciens ponts, alors que le primitif
ne comprend déjà plus ceux-ci lorsquřil est
mis en présence de machines simples.
UEXKÜLL (1940) : Bedeutungslehre,
trf pp. 138 et 139.
434 Cela veut dire que cette distance ne cesse de croître
dans le même moment où lřon essaye de la compresser
pour lřanéantir au feu de la théorie.
188
Il vaut la peine de {186 } sřétendre sur
ce point dans la mesure où cette cause nřest
peut-être pas tout à fait entendue.
Brisant avec les trop fameuses dichotomies
saussuriennes 435, dirimantes pour assoir
une théorie sémantique cohérente, il nous
faudra revenir à la manière classique dřénonciation
du problème du langage, qui trouve
son aboutissement dans le diagramme commode
conçu par OGDEN & RICHARDS
(1923, p. 11) 436. La double amphibologie
selon laquelle nous caractérisons le langage
prend en considération ses propriétés référentielle
et tropologique.
Prenons lřemploi de descriptions définies
pour la désignation (i.e. les noms propres 437
et démonstratifs) en tant quřexemple de la
propriété référentielle du langage. Nous
avons présumé que cet emploi nřest efficace
et ne remplit son office quřà la condition
quřune institution sociale bien déterminée le
soutienne et permette dřidentifier son référent
438. Autrement dit, la référence est une
435 Ces idées ont été exposées in AZAR (1975). Elles sont
ici condensées.
436 Les fameux registres de LACAN Ŕ on lřa peu remarqué Ŕ
en sont manifestement dérivées : words (Symbolique),
thoughts (Imaginaire), things (Réel). Cřest le diagramme
dřOgden & Richards qui répond pour Lacan de lřexistence
de ses trois registres et de trois seulement.
437 Comme sadisme, masochisme, algolagnie, etc.
438 Dans notre cas, lřinstitution dont il sřagit est la médecine
mentale : une chaire à lřuniversité, un asile, une
consultation privée, et des publications. Ces quatre traits
forment un système étroitement solidaire. Nous regrettons
dřen avoir isolé le dernier terme (les publications), dont
lřétude nous offrait assez de fil à retordre pour la présente

visée de lřobjet conditionnée par une institution
et continuellement différée.
Ces institutions, véritables œillères de la
dénotation, délimitent une topologie, ou
situation institutionnelle pour les locuteurs,
hors de laquelle lřénonciation sřexpose nécessairement
à {187 } lřéchec (unfelicities). Mais à
lřintérieur de laquelle, en vertu de la propriété
tropologique du langage Ŕ qui considère que
la parole est un dérapage plus ou moins contrôlé
Ŕ elle en est sans cesse menacée. À cet
égard, toute langue met à la disposition des
locuteurs un attirail prodigieux de mécanismes
de défense (phonologiques, syntaxiques
et sémantiques) lesquels, utilisés à bon
escient, permettent sinon de triompher de
ces menaces, du moins dřen conjurer transitoirement
les méfaits. Cřest la raison pourquoi
les métaphores dřune théorie nous intéressent
vivement. Ce sont des armes et des
boucliers grâce auxquels une théorie est
défendable.
Ce moment Ŕ 1892 Ŕ où en toute euphorie
les critiques de Krafft-Ebing rivalisent de
thèse. Notre expérience nous montre toutefois, que, sauf
pour la consultation privée, les documents bruts abondent.
Les psychiatres classiques (XIX e siècle) étaient particulièrement
fiers des hôpitaux quřils dirigeaient. Ils aimaient les
faire visiter aux étrangers, et ont souvent écrit et publié à
propos des problèmes architecturaux et administratifs. Ŕ
Cf. Esquirol, Falret, Parchappe, Sérieux, etc. {Cřest que
depuis Pinel les aliénistes considèrent que lřasile est un
instrument de guérison, et quřentre les mains dřun médecin
habile, cřest lřagent thérapeutique de plus puissant contre
les maladies mentales. Cette conviction est connue pour
être « lřaxiome dřEsquirol ».}
189
zèle dans lřimpossible projet de faire coïncider
exactement la désignation avec le référent
ressemble Ŕ avec précision et rigueur Ŕ à
une hallucination.
1890 Krafft-Ebing Sadismus Masochismus
1892 Stefanowsky Sadisme Passivisme
1892 Kiernan Sadism Subjectivism
1892 Schrenck-
Notzing
Algolagnie
active
Algolagnie
passive
1892 Offner Aekialagnia Aekizolagnia
1892 Féré (Néant) Algophilie
sexuelle
1895 Eulenburg Lagnänomanie Machlänomanie
Tableau XXIII. Ŕ Correspondances
terminologiques
Il faudra quelques années pour se ressaisir
et sřassagir et ne plus disputer aux mots
leur faculté de convention. Le réel, si lřon
peut dire, fait alors irruption à partir de deux
hémorragies : le discours des auteurs de langue
française, et celui des auteurs de langue
allemande. Cřest toujours le langage, et cřest
toujours le référent, mais cřest une méditation
sur les relations entre signifiants, médiatisant
lřaccès problématisé au référent. Féré
et Eulenburg, les deux derniers auteurs mentionnés
dans notre Tableau (XXIII), guideront
notre commentaire respectivement pour
la littérature française et pour la littérature
allemande.

La première hémorragie concerne le mot
sadisme, car, ne lřoublions pas, avec le masochisme
ils font la paire. Le problème épistémologique
de lřintroduction du mot sadisme
dans le discours psychiatrique, problème pris
en charge dans notre premier chapitre, {188}
Krafft-Ebing sřen était, on sřen souvient, en
quelque sorte déchargé sur les auteurs français
en énonçant ces mots apparemment
anodins : suivant lřexemple des Français (T.6).
Schrenck-Notzing (1892, tri p. 101) lui emboitera
le pas en répétant emphatiquement
après lui : selon lřusage désormais établi dans la
littérature française (secondo lřuso ormai invalso nelle
letteratura francese) 439. Et Eulenburg (1895,
p. 110) leur fera écho à son tour : selon, du
reste, le modèle des Français (nach dem Vorbilde der
Franzosen übrigens).
Les auteurs français, les spécialistes, ceux
qui se mêlent de psychiatrie ou de médecine
légale, avec cette petite phrase sur les bras, ne
pouvaient pas Ŕ eux Ŕ sřen défausser allègrement.
De mémoire de spécialistes ils ne se
souvenaient pas de lřavoir utilisée. En leur
faisant cet honneur les Allemands les embarrassaient.
En 1892, Féré commence par nřen
soufflet mot. Pourtant il évoquera dans son
chapitre les sanguinaires (Ball, 1888), les nécrophiles
ou les vampires (Guislain, Bedor). Pour-
439 Le texte allemand est plus sobre : suivant lřusage de la littérature
française. Comme la version italienne ne porte pas de
mention de traducteur, il faut supposer que lřauteur y a
sans doute mis la main.
190
tant il a sous le coude les Neue Forschungen...
de Karfft-Ebing (1890d). Quelques années
plus tard, comme sřils obéissaient à un mouvement
dřensemble, tous les spécialistes se
mirent en France à la mode du pronom
personnel indéfini 440 :
Ŕ THOINOT (1898, p. 441) : « ... quřON désigne aujourdřhui
sous le nom de sadisme. »
Ŕ LACASSAGNE (1899, p. 239) : « ... quřON appelle
sadisme. »
Ŕ FERE (1899, p. 133, n.) : « Le nom QUI A ETE
DONNE à cette perversion instinctive... »
Embarrassés pour rendre compte dřoù il
venait, les spécialistes français nřont pas
laissé dřy croire ainsi quřà un fait accompli.
Aucune voix en France ne sřest élevée pour
contester la légitimité du terme de sadisme.
On connaissait assez le marquis de Sade de
réputation pour considérer quřil avait bon
dos. Les légendes à propos de ses mœurs
dissolues (voire horribles) dont le discours
des aliénistes sřétait fait complaisamment
lřécho naguère (Brière de Boismont, Moreau
de Tours, Ball, etc.) étaient une bonne garantie.
Sade est si bien reçu comme le garant du
sadisme que soulever ce problème reviendrait
à enfoncer une porte ouverte. Lacassagne en
prend acte en 1899 en commanditant au Dr
Marciat un chapitre consacré au marquis en
ses œuvres vives… et écrites 441. Cřest
440 Les accentuations typographiques sont miennes (AA).
441 Le Dr Marciat est le pseudonyme de Claude Tournier. Il
ne faisait pas bon en ce temps là de mêler son nom à celui
du divin marquis.

probablement la première étude sérieuse et
honnête à propos du marquis de Sade. Lacassagne
lřinsère dans le livre quřil consacre à
Vacher lřéventreur !
À propos du masochisme, il ne serait pas
trop inexact de dire que les savants français
se sont comportés de manière ambivalente.
La dérivation {189 } est attribuée sans hésitation
à Krafft-Ebing. Mais lřétude du masochisme
est généralement escamotée avec des
prétextes dont voici un échantillon :
(T.96)
Lřétude du masochisme se place bien naturellement
après celle du sadisme, dont il est exactement
lřopposé, vous allez le voir. Mais le masochisme
si intéressant en tant que perversion de
lřinstinct génital, nřa vraiment aucun intérêt
médico-légal. Aussi me permettrez-vous dřêtre
assez bref sur son étude : je ne vous donnerai
que des notions strictement nécessaires.
THOINOT (1898) : Attentats aux
mœurs, p. 147.
(T.97)
... Il faudrait y ajouter le masochisme ou passivisme
; mais son importance médico-légale étant
assez restreinte, il nřy a pas lieu de lui accorder
de place dans ce court résumé.
GARNIER (1900b) : Des perversions..., p. 433.
Embarras mais assimilation pour le sadisme.
Reconnaissance mais scotomisation
pour le masochisme. Deux constatations
sans relation lřune avec lřautre. Elles sont la
manifestation forcée de contraintes théoriques
et systémiques. Le courant théorique
191
fondamental en France Ŕ issu de la dégénérescence
de Morel, cristallisé autour de la
personnalité et de lřœuvre de Valentin Magnan
442 et de son poste naguère redoutable
et bien connu au Bureau dřadmission à Sainte-
Anne Ŕ a été celui de lřobsession-impulsion 443.
Cette théorie pouvait sřintégrer parfaitement
le sadisme (surtout le grand sadisme), mais
des difficultés surgissaient en ce qui concerne
le masochisme 444. Rappelons la définition du
sadisme de Garnier :
(T.98)
Syndrome de la dégénérescence mentale, le
sadisme pathologique est une perversion sexuelle
obsédante et impulsive caractérisée par une dépendance
étroite entre la souffrance infligée
{190 } ou mentalement représentée et lřorgasme
génital, la frigidité 445 restant dřordinaire absolue
sans cette condition à la fois nécessaire et suffisante.
GARNIER (1900b) : Des perversions sexuelles...,
pp. 442-443.
442 HENRI BARUK, en 1967, dans son histoire militante de
la psychiatrie française, laisse dans un silence injurieux la
période Morel-Magnan. Cřest la période des Doctrinaires,
dit-il, en pensant à Morel et Magnan sans les nommer, par
opposition à la période des Philanthropes ! Comme il connaît
mal ses classiques. Lorsquřen 1880 la question de la no
restrain fut réouverte à la Société Médico-Psychologique, la minorité
qui était contre la camisole de force nřétait composée
que de Bouchereau et de... Magnan. Ŕ Sur Magnan, Cf.
Sérieux (1918), et Th. Simon (1954). {Cf. surtout lřhommage
de lřéquipe des Annales Médico-Psychologiques pour le
centenaire de sa naissance, mai 1935, tome I, n°5.}
443 Cf. MAGNAN & LEGRAIN (1895) ; PITRES & REGIS
(1902).
444 Nous avons souligné ces difficultés à leur affleurement
dans le commentaire du hors-texte (T.95) de Lacassagne.
445 Garnier veut dire lřimpuissance sans doute ?

On conçoit que lřauteur préférait se faire
prier avant de donner sur ce patron une définition
du masochisme. Il serait pourtant
simple de remplacer dans le hors-texte (T.98)
les mots sadisme et infligée, par masochisme et
subie. Prêtons-nous à cette substitution, et
nous toucherons du doigt le stratagème de
Paul-Émile Garnier. Lřabsence du facteur
(inter-)humain / interindividuel / intersubjectif
éclaterait. Garnier a soigneusement
contourné le facteur (inter-)humain. Dans le
cas du masochisme, lřautre (personne) par
laquelle il en faut nécessairement passer, nřest
pas si aisément contournable que pour le
sadisme. Garnier parvient à composer théoriquement
avec le sadisme en mettant lřautre
personne entre parenthèses, mais en pratique
comment éluder ce tiers. Dans le sadisme il y
a forcément une victime. On a beau y faire,
sans victime pas de sadisme. Krafft-Ebing se
démarque de ses contradicteurs par son
écoute clinique grâce à quoi le facteur (inter-)
humain demeure au premier plan. Quand il
élide le facteur (inter-)humain ce nřest pas
pour lřéluder. Quand il ne le mentionne pas
explicitement, il est implicite, et nřest pas
perdu de vue. Ce nřest pas lui qui lřéluderait.
Au contraire. Cřest ce qui le met sur la voie
dřune découverte dont la psychanalyse tirera
les conséquences. Reprenons la définition du
masochisme de ses Neue Forschungen... 446 ,
consignée à partir 1892 dans la PS :
446 Cf. hors-texte (T.56), §§ 16-22.
192
(T.99)
Le masochisme est la parfaite contrepartie
du sadisme. Tandis que ce dernier veut faire endurer
[à autrui] de la douleur et [le] soumettre
avec violence, celui-là veut en revanche subir
[dřautrui] la douleur et être assujetti [par lui] avec
violence 447 .
Par masochisme jřentends cette perversion
psychique particulière de la vita sexualis où lřindividu
est, dans son ressenti et ses pensées sexuels,
possédé par la représentation dřêtre soumis complètement
et sans condition à une personne de
lřautre sexe, dřêtre traité par elle dřune manière
hautaine, au point de subir même des humiliations
et des maltraitements. Cette représentation
est marquée 448 de volupté ; cet infortuné se complaît
aux fantaisies 449 qui lui dépeignent des
situations de ce genre ; il aspire souvent à les
447 Lřautre personne est élidée mais non pas éludée. Ce que
nous avons mis entre crochets réapparaît à lřalinéa suivant.
448 Diese Vorstellung wird mit Wollust betont... Les traducteurs
américains rendent le verbe betonen dřune manière originale
: this idea is coloured by lust feeling / cette idée est colorée de
volupté. On pourrait filer la métaphore et faire du masochiste
une sorte de daltonien de la sexualité. Ŕ Cf. p. 170,
note 385, supra. {Un auteur récent, bien informé, ingénieux
et fin, a filé la métaphore. Cřest évidemment un Américain
: « De même quřon peut devenir aveugle, avoir une
vision aiguë ou nřêtre capable de discriminer quřune partie
du spectre des couleurs, et de même quřon peut devenir
sourd, avoir une ouïe anormalement sensible ou nřêtre
capable dřentendre que certaines hauteurs de son, de
même ce sixième sens [le sens génésique] pouvait lui aussi
être diminué, augmenté ou perverti. » Ŕ ARNOLD DAVID-
SON (1990), p. 71 ; trad. franç., p. 47.}
449 Avec K-E le statut du fantasme commence à poindre.
Binet (1887, p. 77) avait préparé cette émergence : « Nous
désignerons le curieux travail de lřimagination qui se produit
sous lřinfluence de la continence, par lřexpression de
rumination érotique des continents. » (Souligné dans le texte). K-
E reprend lřidée en en faisant une Gedankenonanie (PS9,
p. 173) : onanisme mental, ou masturbation psychique. Moll dans
son éd. de la PS16-17 en étendra lřusage avec dextérité. Ŕ
Cf. aussi p. 142, note 309.

éaliser 450 et, par cette perversion de sa pulsion
sexuelle, il devient fréquemment plus ou moins
insensible aux charmes normaux de lřautre sexe,
incapable dřune vita {191 } sexualis normale, Ŕ
psychiquement impuissant 451 . Cette impuissance
psychique nřa pas pour base lřhorror sexus alterius
452 ; elle est fondée sur le fait que la satisfaction
de la pulsion perverse peut, comme dans les
cas normaux, venir de la femme, mais non du
coït.
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), pp. 89-90.
PS7 (1892), tra p. 89.
(Cf. PS8 (1893), trf 1895, pp. 121-122.)
(Cf. PS12 tra5ř 1969, p. 159-160.)
Il nous faut insister à présent sur le fait
que ce qui a attiré lřattention de Krafft-Ebing
sur le masochisme ce nřest pas la clinique
(privée) de lřimpuissance psychique, mais des
problèmes de médecine légale, où se posent
des questions de responsabilité pénale. Lřimportance
médico-légale du masochisme, et
plus particulièrement de la servitude sexuelle,
lui ont inspiré très tôt une étude (Krafft-
Ebing, 1892e). Stefanowsky également a eu
son attention attirée par le passivisme au
450 On traitera du vecteur sous-jacent à cette phrase au
débet suivant de ce chapitre. Cf. en particulier le hors-texte
(T.114). Cf. aussi supra, p. 146, et note 318.
451 Cf. également PS12 tra5ř 1969, pp. 111, 117 n., 131 n.,
et 133. Lřintérêt porté à lřimpuissance sexuelle était probablement
déterminé par la demande de la clientèle privée
masculine, en mal de sřassurer une progéniture. K-E sřest
constamment occupé de lřimpuissance psychique, non
seulement dans le masochisme, mais dans le fétichisme et
lřinversion. Pour faire image, on pourrait dire que les deux
rails qui portent son discours sont, dřune part, la commande
sociale de médecins-légistes experts auprès des tribunaux,
dřautre part, la demande privée centrée souvent sur
un problème dřimpuissance psychique. Ŕ Cf. aussi p. 165.
452 Autrement dit la Neigung/Inclination est sauve. Lřindividu
reste sexuellement orienté de manière adéquate.
193
cours dřune réunion de la Société juridique
de Moscou (T.84) aux cours de laquelle ce
sont évidemment des questions médicolégales
qui étaient agitées. Krafft-Ebing ne
partage nullement le dédain que les aliénistes
français portent au masochisme du point de
vue médico-légal. Il y a là une différence
dřaperception. Lřun et les autres nřemploient
pas le même tamis pour filtrer les faits. La
doctrine (française) de lřobsession-impulsion
comporte dřautres contraintes que la doctrine
des pulsions (Trieblehre) de Krafft-Ebing.
Pour mieux apprécier le statut original de
la théorie des perversions sexuelles de
Krafft-Ebing comparons-la à celle de Magnan
& Legrain (1895). Pour ces derniers, les
anomalies, perversions, aberrations sexuelles, hormis
les cas où elles relèvent dřune perversion
morale et sont par suite ignorées du malade
lui-même, tous les autres cas relèvent des
caractères généraux de lřobsession 453 et de
lřimpulsion 454 {192 } consciente 455. Dans cette
453 Lřhistoire de lřobsession est très compliquée. Cf. PITRES
& REGIS (1902), le début du livre. Tous les grands noms
de la psychiatrie y défilent, y compris Freud (1973). Parmis
les inexactitudes qui courent sur le sujet relevons-en deux.
Le terme Zwangsvorstellungen est dû à K-E qui a consacré à
cette question plusieurs études (Cf. Arbeiten, IV, pp.
21-88), et non à Westphal comme le suppose PELICIER
(1971, p. 93). Il est épistémologiquement incorrect de
traiter du Zwang chez Freud (Cf. LAPLANCHE, 1970, p. 185
et suiv.) sans tenir compte de sa marque historique prononcée...
mais lřon sřest trop habitué à faire sortir la psychanalyse
toute armée de la tête de Freud.
454 ESQUIROL a précisément accroché sa célèbre « Note sur
la monomanie-homicide » à un chap. du traité de Médecine
Légale de HOFFBAUER (trf 1827, pp. 309-359) intitulé

théorie dřune étonnante simplicité il ne peut
exister aucune spécificité pour les paresthésies
au sens de Krafft-Ebing. Or, tout lřeffort de
ce dernier, parti de la théorie de la dégénérescence
qui leur est commune, et dřun
schéma des névroses sexuelles somme toute
assez proche de celui de Magnan (1885), a
consisté en une lutte continuelle contre la
simplification. À cet édifice équilibré et
bouclé de toutes parts de la doctrine de
lřobsession-impulsion, il a préféré voguer
vers dřautres horizons, vers des contrées inconnues,
à la rencontre dřaventures inédites
456.
La seconde saignée provient de la littérature
de langue allemande.
En 1895 Eulenburg publie sa Sexuale
Neuropathie. On y trouve une tentative sérieuse
pour mettre à lřépreuve les désignations de
sadisme et de masochisme. Le passage débute
p. 108, et porte le titre et sous-titre :
(T.100)
ALGOLAGNIE
,,SadismusŖ und ,,MasochismusŖ (Lagnänomanie
und Machlänomanie)
EULENBURG (1895) : Sexuale Neuropahie, p. 108.
{192} : De lřimpulsion insolite à une action déterminée. Ŕ Cf.
CASTEL, 1973.
455 Cf. MAGNAN & LEGRAIN (1895), p. 157.
456 Nous regrettons de devoir nous borner à ces remarques
laconiques. La confrontation des idées de Krafft-Ebing et
de Magnan est dřune importance épistémologique extrême,
pour ne pas dire cruciale.
194
Cette tentative est la première à donner
dans le leurre de la référence de Krafft-Ebing
à Sade et à Sacher-Masoch. À ce titre elle est
loin dřabdiquer devant la faculté de convention
des mots. Elle ne tient pas compte non
plus de la valeur des mots en Ŕisme chez
Krafft-Ebing, demeurant dřabord confinée à
la symptomatologie. Quant au propos, il est
clairement indiqué dans le hors-texte (T.100)
auquel nous bornerons notre analyse à la
mesure de nos besoins. Eulenburg trouve,
lřétude de Sade et de Sacher-Masoch à
lřappui, que les désignations de Krafft-Ebing
sont peu adéquates. Il est tout à fait disposé à
admettre le terme générique dřAlgolagnie
forgé par Schrenck-Notzing (avec lřaide
dřOffner), mais il a cru bon dřinventer des
désignations spéciales pour les formes active
et passive de lřalgolagnie, respectivement
Lagnanomanie et Machlanomanie. Nous avons
{193 } pensé traduire le document suivant :
(T.101)
Récemment von Schrenck-Notzing a proposé
pour les formes dŘégarement sexuel morbide
en question, une autre désignation, à savoir
Algolagnie (de άλγος et λάγνος) pour lřassociation
de la cruauté et de la volupté comme une
classe particulière dřune perversion sexuelle en
général. Lřalgolagnie active tient lieu de sadisme,
et lřalgolagnie passive de masochisme. Je tiens
ces expressions pour acceptables, mais je crois
quřon pourrait les remplacer par des étymologies
encore plus justes 457 et en un sens plus expressif
457 La ruée sur lřétymologie, insistons-y, cřest cette hallucination
qui fait croire que lřon a franchi en toute certitude la

par la désignation « Lagnanomanie » pour le
sadisme, et « Machlanomanie » pour le masochisme
( 1 ).
Avec la simple distinction dřactif et passif,
cette affaire, il est vrai, nřest pas encore épuisée.
Le même individu peut se conduire, comme on
va le montrer, avec alternation en actif et en
passif, et puiser dans les deux cas une excitation
et une satisfaction sexuelles. Mais il y a aussi des
formes intermédiaires où lřindividu, pour provoquer
une excitation sexuelle, ni nřentreprend luimême
une action violente ni ne la subit, mais
sřarrange pour que, provoquée par dřautres, il
soit, en regardant, et par la vue, ou dans certaines
circonstances déjà par la seule représentation
mentale de voir, transporté dans la satisfaction
souhaitée, tout semblable comme nous lřavons
déjà compris, aux différents genres de symbolisme
érotique (les soi-disant « voyeurs », Comp.
p. 104) ; enfin une espèce de lagnanomanie et
machlanomanie idéelle ou visionnaire. Il faut de
plus diriger lřattention vers lřexécution des actes
cruels envers les animaux, qui se joint à la bestialité
dans une forme dřamour des animaux, par
quoi, en pleine conscience, certains individus stimulent
leur puissance sexuelle. Cřest ce qui,
dřune façon générale, résulte déjà jusquřici, mais
le matériel dřobservation des différentes espèces
dégénérées et inférieures, et des spécialités monomaniaques
est loin dřêtre terminée.
______________
( 1) Lagnanomanie de λάγνος, αίνος (= saevus) et
μανια ; machlanomanie de μακλος et μανια. Les
expressions λάγνος et μακλος (salax) sont à peu près
synonymes, mais celle-là est utilisée presque exclusivement
pour la sexualité de lřhomme, et celle-ci pour
la femme, de sorte que, dans la combinaison que je
propose, on tient compte du caractère actif et viril du
« sadisme », passif et féminin du « masochisme ».
EULENBURG (1895) : Sexuale Neuropahie, p. 102.
distance toujours extensible du signifiant au référent. Cette
passion sera courante chez les psychanalystes.
195
Le suffixe de la terminologie dřEulenburg,
indépendamment du hors-texte
(T.101), contenait en puissance la nouvelle
offensive des monomanies, et, historiquement,
la dernière. Schrenck-Notzing, dans
lřappendice ajouté à la traduction anglaise
(1896) de sa Suggestions-Therapie dresse le bilan
de ces mouvements : {194 }
(T.102)
Quant à la perversion de la pulsion sexuelle
comprise par Krafft-Ebing sous les termes de
sadisme et de masochisme, Eulenburg a adopté
lřappellation « Algolagnie » 458 , affirmant en toute
certitude que lřaccomplissement actif dřactes
douloureux et cruels 459 pour le plaisir sexuel
nřest pas caractéristique des romans de Sade ; et
on peut dire autant du côté passif dans le
domaine sexuel pratiqué par les héros et héroïnes
dans les nouvelles de Sacher-Masoch 460 . De plus
(et là-dessus je suis aussi complètement dřaccord
avec Eulenburg) les actes de cruauté sexuelle ne
se réduisent pas seulement à ces deux rôles-là :
actif et passif 461 .
En outre, pour démontrer lřimpropriété et
lřinexactitude de la nomenclature adoptée par
458 Schrenck-Notzing pèche par omission.
459 Retenons bien ces termes : actes douloureux et cruels. Sřils
peuvent convenir à la définition dřEulenburg ou de
Schrenck-Notzing de lřalgolagnie, en revanche ils ne conviennent
dřaucune façon aux définitions du sadisme et du
masochisme de K-E
460 Si lřon veut se faire une certitude en la matière, tout ce
quřil est possible de conclure cřest que les termes de sadisme
et de masochisme ne conviennent pas aux deux auteurs
cités pour désigner lřalgolagnie active et passive, ou quřil
sřagit, en tout état de cause, de choses différentes.
461 En bonne logique, ce serait là un argument supplémentaire
pour conclure à la non correspondance entre algolagnie
active et sadisme, et entre algolagnie passive et masochisme. Mais
il nřest malheureusement pas question de logique.

Krafft-Ebing 462 , je fais remarquer que cette sorte
de satisfaction sexuelle est plus ancienne que les
œuvres de Sade et de Masoch 463 , dřautant plus
quřelle a joué un rôle important dans lřhistoire
(par exemple dans lřEglise), et surtout dans lřhistoire
antique 464 . De plus, il existe une algolagnnie
onaniste que jřai eu récemment lřopportunité dřobserver,
et dans laquelle on peut classer plusieurs
cas dřauto-flagellation ; et une algolagnie voyeuriste
dans laquelle lřexcitation sexuelle surgit à la seule
vue de la punition, et une zoophilie ou algolagnie
bestiale, dans laquelle le plaisir et la cruauté sont
exercés sur des animaux. Où de telles scènes
existent seulement en intention, nous serions en
présence dřune algolagnie symbolique. La violation
de cadavres, quand elle est associée à un maltraitement
du corps, serait une algolagnie nécrophile,
qui se différencie de la nécrophilie simple en ce
que cette dernière, comme lřexprime sa dénomination
465 , inclut seulement des caresses sur le
cadavre. En outre, jřai eu lřopportunité dřobserver
des cas où la douleur représentait la chose
principale, sans aucun rapport avec sa {195 }
nature active ou passive. De tels patients sont
algolagnistes au vrai sens du terme 466 . Finale-
462 Cela présuppose quřune dénomination peut être impropre
ou inexacte. Il nřest pas question de leur objecter lřarbitraire
du signe au risque de commettre un anachronisme.
Pourtant un Marx (1867gf, p. 87) en était déjà informé
: « Le nom dřune chose est complètement étranger à sa
nature. » Tout de même comment ces savants oubliaientils
subitement que le discours scientifique sřest toujours
forgé des désignations arbitraires ?
463 Cette phrase que lřon retrouve chez tous les commentateurs,
nřa de sens que dans une querelle de priorité. Et
cela, en laissant de côté (bien que...) le problème épistémologique.
Nřest-ce pas Krafft-Ebing qui découvre, dénomme
et introduit en psychiatrique une pratique discursive
nouvelle ?
464 Ce recours à lřhistoire sera examiné au 3 e débet.
465 Lřauteur est captif de cette illusion. Tout son texte
dřailleurs ne {195} vise quřà en créer une pareille pour le
sadisme et le masochisme.
466 Le décompte donne huit espèces dřalgolagnie.
196
ment le sentiment de domination absolue et de
sujétion complète que Krafft-Ebing considère
comme caractéristiques du sadisme et du masochisme,
ne sont pas toujours associées à lřalgolagnie
467 .
SCHRENCK-NOTZING (1895) : Therapeutic suggestion
in Psychopathia Sexualis, Appendix dated
october 1894, tra pp. 318-319,
La Terapia Suggestiva..., tri 1897, p. 258, trp. 468
La structure du hors-texte quřon vient de
lire aboutit en six étapes, à la plus belle
incongruité qui se puisse affirmer. Krafft-
Ebing découvre et dénomme sadisme et masochisme
des perversions sexuelles caractérisées
respectivement par la domination absolue et
la sujétion complète. Schrenck-Notzing dénomme
algolagnie un certain nombre de
conduites qui combinent la douleur et la
cruauté en vue de la jouissance sexuelle.
Néanmoins, Schrenck-Notzing veut forcer
les dénominations de Krafft-Ebing à coïncider
parfaitement avec deux espèces particulières
dřalgolagnie. Mieux encore, suprême
renversement, il va jusquřà contester à
Krafft-Ebing le choix de ses termes. Dans
notre commentaire placé en note nous avons
lourdement insisté sur lřincohérence argumentative
de Schrenck-Notzing. Car la confusion
entre lřalgolagnie active et passive et le
467 En bonne logique, cet argument ne devrait porter quřà
distinguer radicalement le sadisme et le masochisme de
lřalgolagnie. Schrenck-Notzing veut le faire servir à discréditer
les dénominations de K-E Pourtant, à lřévidence ça
nřa plus aucun rapport.
468 Schrenck-Notzing reprend ce passage quasi textuellement
dans sa Kriminalpsychologische..., 1902, pp. 29-30.

sadisme et le masochisme a été tenace. Elle
nřa cédé que récemment par lřoubli pur et
simple de lřalgolagnie. Nous verrons plus loin
comment.
La saignée allemande a consisté en la
substitution aux relations de domination et à
la causalité psychique revendiquées par
Krafft-Ebing, dřune causalité physique à
partir de la sensation de douleur, et de
lřexclusion du facteur (inter)humain. Cette
position procède dřun nouveau courant de
pensée en psychiatrie. Ce courant combat la
théorie de la dégénérescence et de lřhérédité,
et soutient que les perversions sexuelles ne
sont pas, pour la plupart, congénitales mais
acquises. Les partisans de ce courant rendent
compte de la genèse de ces perversions en
recourant à une doctrine associationniste.
{196 } Krafft-Ebing a pris la peine de
polémiquer contre les partisans de ce nouveau
courant de pensée en médecine mentale.
Il le fit par petites touches successives au
fur et à mesure des remaniements des éditions
nouvelles de sa Psychopathia Sexualis.
Nous avons fourni plus haut le texte essentiel
de sa réplique à la théorie associationniste
469. Mais il nřest pas inutile de rappeler
ici, par le bref exposé quřil en donne lui-
469 Chap. II, § (3), hors-texte (T.72), p. 147.
197
même, quelle théorie il combat. Cet exposé
est une addition de la PS9 (1894) :
(T.103)
Binet 470 tente dřexpliquer dřun point de vue
psychologique ces manifestations particulières en
sřinspirant de Condillac 471 et en réduisant leur
fondement présumé Ŕ à lřinstar dřautres phénomènes
psychiques bizarres Ŕ aux lois de lřassociation
des idées (cřest-à-dire lřassociation des représentations
avec les sentiments à lřétat naissant)
472 . Ce psychologue plein dřesprit soutient
que la pulsion encore indifférenciée sexuelle-
470 Lřidée de Binet nřa pas trouvé dřécho en France.
471 Cf. la fameuse « statue ». Cette philosophie prend explicitement
sa source dans le cartésianisme. Dans son traité
sur les Passions de lřâme, DESCARTES (1649, § 107) décrit la
cause des causes comme suit : « Et je déduis les raisons de tout
ceci de ce qui a été dit ci-dessus, quřil y a telle liaison entre notre âme
et notre corps, que lorsque nous avons une fois joint quelque action
corporelle avec quelque pensée, lřune des deux ne se présente point à
nous par après que lřautre ne sřy présente aussi. » Cf. aussi le
§ 136, et les commentaires de F. Alquié. Krafft-Ebing
(1894ec, p. 3) renvoie à LAURENT (LřAmour morbide, 1891,
p. 169) au sujet de CONDILLAC, et Laurent fait suivre la
citation de Condillac par une autre de Descartes. Ce livre
de Laurent, richement documenté en exemples littéraires
et historiques, a reçu deux autres éditions profondément
remaniées. ŕ Cf. aussi p. 148, note 323, supra, sur Binet et
Descartes.
472 D.h. der Association von Vorstellungen mit Gefühlen in statu
nascendi. Cette explicitation est indispensable pour distinguer
cette sorte dřassociationnisme Ŕ celle de Condillac, La
Mettrie, Sade, etc., qui figure lřhomme par une statue
sřanimant à mesure que vous lui conférez des mécanismes
perceptifs Ŕ de lřassociationnisme anglais de Locke, Berkeley,
Hume, etc. Celui-ci est attentif à lřassociation des idées
entre elles, alors que celui-là est attentif à lřassociation de
lřâme avec le corps. Lřassociationnisme français est génétiste,
diachronique, tandis que lřassociationnisme anglais
est diachronique. Quand Krafft-Ebing admet lřassociationnisme
comme mécanisme de la vie psychique (T.68) il
sřagit de lřassociation des idées entre elles (associationnisme
anglais). Celui quřil critique cřest lřassociationnisme
français. {Quant-à Freud, il est adepte de lřassociationnisme
français dans la théorie, et de lřassociationnisme anglais
dans la pratique clinique.}

ment 473 est déterminée par la coïncidence dřun
processus émotionnel vif, de nature sexuelle,
avec le contact ou la vue simultanée dřune personne
de lřautre sexe. De cette manière une puissante
association est créée qui prend racine en se
répétant 474 , tandis que le processus associatif
originaire est oublié ou tombe en latence. Même
aujourdřhui Schrenck-Notzing et dřautres penchent
pour cette opinion pour éclairer lřinversion
sexuelle (principalement acquise) ; mais elle ne
résiste pas devant une critique sérieuse. Les forces
psychiques sont insuffisantes pour expliquer
des manifestations de dégénérescence si poussée.
KRAFFT-EBING : PS9 (1894), pp. 235-236.
PS12 (1903), tra5ř 1969, p. 363.
{197 } En outre, la conception de
lřhomme-machine adoptée par Schrenck-
Notzing lřamenait à aplatir et niveler les
diverses formes de combinaison de la cruauté
(spécialement de la douleur) avec la volupté.
En en dénombrant une huitaine il émiette
les deux formes antithétiques qui sont les
seules que Krafft-Ebing envisage. Celui-ci
utilisera dřailleurs les cas de masochisme idéel
(que Schenck-Notzing reconnaissait comme
appartenant à lřalgolagnie symbolique) pour
réfuter la théorie de lřalgolagnie. Le horstexte
suivant intègre deux additions à la PS
de dates différentes que nous indiquons
entre crochets :
473 Cřest la statue de Condillac qui sřéveille à lřémoi sexuel.
474 Ce qui différentie lřassociationnisme français du réflexe
conditionnel de Pavlov (dont on voit ici la source) est de
lier la force de conditionnement à lřopportunité dřun
moment du développement ontogénétique : ici le premier
éveil des émois sexuels. À ce double titre lřassociationnisme
français est gros aussi bien du {197 } pavlovisme
que de la notion dřimprinting des éthologistes.
198
(T.104)
[PS11, 1901→] Ces cas de masochisme idéel
démontrent clairement que les personnes affligées
de cette anomalie nřaspirent pas à éprouver
une douleur effective, et par conséquent le terme
dř « Algolagnie », telle quřil est appliqué à cette
anomalie par von Schrenck-Notzing et par Eulenburg,
ne saisit pas lřessence, cřest-à-dire le
noyau psychique de la tournure masochiste de la
sensibilité et des représentations 475 . Laquelle
consiste en une volupté marquée 476 par la conscience
dřêtre soumis à la volonté dřune autre personne,
et les mauvais traitements idéels ou effectifs
de cette personne ne sont quřun moyen en
vue dřéprouver pareil sentiment.
[PS7, 1892→] Ces faits où toute la perversion
de la vita sexualis ne se manifeste que dans le
domaine de la fantaisie, et de la vie (intérieure) 477
des représentations 478 et des pulsions 479 , et nřarrive
que rarement {198 } à la connaissance dřautrui,
paraissent être assez fréquents. Leur signification
pratique comme en général celle du masochisme
(qui nřoffre pas un aussi grand intérêt
475 Pour comprendre ce passage il faut se départir dřune
confusion. Lřargument de K-E nřest pas que lřessence
psychique du masochisme est prouvée par la possibilité de
se représenter en pensée des relations masochistes, mais
que le contenu de ces pensées, leur signification, ne sont pas
liées à la sensation de la douleur en soi. La suite du texte le
précise clairement.
476 Cf. supra, p. 170, note 385, et pp. 190-191, hors-texte
(T.99) et note 448.
477 Les traducteurs américains et français ajoutent ce terme
pour expliciter la pensée de K-E
478 Grâce au masochisme, et surtout au masochisme idéel,
la vie intérieure (la réalité psychique) sřouvre à lřinvestigation
psychiatrique. À lřimage de lřhomme-machine commence
à se substituer lřimage du {198 } château hanté. La suite du
texte va nous présenter les trois obstacles qui sřopposaient,
chez K-E à une substitution complète.
479 Le premier obstacle apparaît avec ce mot qui véhicule
une conception de lřinconscient où les pulsions tiennent
fermement le haut du pavé.

médico-légal que le sadisme) 480 , consiste uniquement
dans lřimpuissance psychique 481 où tombent
ordinairement les individus atteints de cette
perversion ; leur portée pratique consiste en
outre en une puissante poussée (mächtigen Drange)
à la satisfaction solitaire sous lřinfluence de
représentations de fantaisie (Phantasievostellungen)
482 appropriées, et dans les conséquences que
ces pratiques peuvent entraîner 483 .
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), p. 120, tra p. 119.
PS8 (1893), trf 1895, pp. 155-156, trp.
PS9 (1894), p. 117.
PS12 (1903), tra5ř 1969, pp. 192-193.
PS13 (1907), pp. 123 et 124 484 .
480 Pareille assertion est courante chez K-E (Cf. aussi PS12,
tra5ř 1969, pp. 239-240, note). La saignée française est
justifiée par le texte même de K-E. Nous montrerons au 3 e
débet que ce nřest quřune position éclectique (Cf. aussi
p. 191 et suiv.). Pour K-E ce nřest pas le masochisme
(confiné au domaine privé) mais la servitude sexuelle qui
intéresse la médecine légale.
481 Lřimpuissance psychique, bien quřelle ait disparu du devant
de la scène, reste en dernière analyse le socle sur lequel
K-E installe les perversions sexuelles. Cet argument
est utilisé en effet à propos des fétichistes et des invertis.
Cřest le deuxième obstacle qui sřélève devant la substitution
du château hanté à lřhomme-machine. Ŕ Cf. p. 191, n. 451.
482 Cette idée aurait dû mener au château hanté, si un
obstacle nřétait pas intervenu (Cf. note suivante). K-E avait
pourtant reconnu le statut de lřonanisme mental, et Féré
lřavait suivi sur cette voie. Moll (PS16-17) a promu la
masturbation psychique à un véritable principe explicatif. Ŕ
Cf. supra, p. 190, note 449.
483 Ces conséquences sont dřabord la neurasthénie (terrain
propice par lřaffaiblissement qui sřy établit), puis la dégénérescence
acquise. Cette conception de la masturbation,
fondée comme lřimpuissance psychique sur des considérations
énergétiques, est le troisième obstacle à lřaccession au
château hanté.
484 {Dans cette édition se trouve intercalé entre les deux
alinéas un très intéressant témoignage épistolaire.}
199
Au décours du siècle lřinvestigation psychanalytique
commence à poindre 485, dans
une solitude théorique et pratique paraît-il
complètes. {199 } En 1905b, la publication
des Trois Essais sur la théorie sexuelle, suscita,
suivant Jones 486, la plus vive réprobation. Le
déferlement de la psychanalyse qui a gagné
aujourdřui tous les domaines du savoir, a
façonné lřhistoire de la psychiatrie et de la
psychologie à son image (plus ou moins
abâtardie selon les besoins de lřadaptation).
Mais la psychanalyse est responsable des histoires
de la psychiatrie classique qui ont été
écrites dernièrement et en font messianiquement
lřaboutissement. On y évalue naïvement
les auteurs anciens à travers ce que
Freud en a dit, ou ce quřil a bien voulu leur
reconnaître au fil de la plume. Cřest ce Freud,
qui est un guide peu sûr quand il fait lřhistoire
de sa propre pensée 487, et qui est
encore moins sûr quand il exprime ce quřil
doit, ou ne doit pas, à la pensée des autres,
cřest ce Freud-là qui devient le grand timonier.
En ce qui concerne lřhistoire de la
485 Nous espérons donner très prochainement une analyse
critique de lřhistoire de la psychanalyse. Nous croyons
pouvoir démontrer que, malgré les allégations de Freud
(quřon a fini par prendre pour argent comptant), aucune
rupture épistémologique nřexiste entre le discours psychiatrique
et sexologique et lřœuvre de Freud... jusquřà lřintroduction
du narcissisme. Il est devenu pressant de rédiger
lřhistoire du narcissisme. La seule rupture constatable est
dans la pensée de Freud lui-même, à partir de la seconde
guerre mondiale. Son principe déterminant est dans la
manière freudienne dřaffronter le problème de lřautorisant.
{Encore une promesse non tenue.}
486 JONES, tome II, trf p. 305.
487 Cf. les travaux de LAPLANCHE.

psychiatrie, il se fait pressant de sortir de lřornière
où ce grand timonier nous a menés 488.
La manière de poser aujourdřhui le problème
du sadisme et du masochisme est tributaire
du tamis freudien. Les livres de Freud
sont les seuls à être réédités, traduits et commentés.
Alors que les œuvres que nous avons
utilisées au cours de cette étude pour réécrire
lřhistoire de ces concepts, il a fallu les tirer de
la quiétude poussiéreuse des rayons des
grandes bibliothèques.
Ouvrons les Trois Essais de Freud sur la
théorie sexuelle au passage quřil consacre au
sadisme et au masochisme 489. Lřon se rend
vite compte que lřintérêt électif de Freud va à
la constatation que « certaines tendances forment
régulièrement des couples dřéléments antagonistes
(Gegensatzpaare) » 490. Cette constatation
est issue de lřinvestigation du « travail du
rêve », et elle est ensuite vérifiée dans les
ratés de la vie quotidienne, dans la production
des traits dřesprit, et, ici, dans le domaine
des pulsions sexuelles. Le « renversement
dans le contraire » 491 est le mécanisme
inconscient responsable de ce couplage.
{200 } Cřest à ce titre que Freud sřintéresse
au couple Sadisme/ Masochisme, et quřil
488 Trois Ŗerreursŗ déterminées par le rapport de Freud à
lřautorisant.
489 FREUD (1905b), trf pp. 43-46. {GW, 5 : 56-59.}
490 FREUD (1905b), trf p. 46. {GW, 5 : 59.}
491 En 1915 FREUD envisage quatre destins aux pulsions :
le renversement dans le contraire, le retournement sur la
personne propre, le refoulement, et la sublimation. Cf.
« Pulsions et destins de pulsions », trf p. 25.
200
affirme quř « un sadique est toujours en même
temps un masochiste » 492. En note il sřautorise,
sur la foi de Havelock-Ellis, de Krafft-Ebing
lui-même. Il nous faut donc à nouveau
insister sur cette absurdité au regard de
Krafft-Ebing. Comme nous lřavons vu 493, sa
théorie neutralise fermement cette possibilité.
Ce qui se transmet aujourdřhui en lui en
faisant crédit usurpe une caution illégitime.
La panoplie des mécanismes propres au
« processus primaire » échappe complètement
à Krafft-Ebing. Ce dernier, comme
lřindique le hors-texte (T.68) ne reconnaissait
que lřassociation et la dissociation des représentations,
cřest-à-dire ceux de tous les processus
de la pensée inconsciente, qui sont
aussi le partage de la pensée consciente.
Dřailleurs, dans le texte cité, il ne sřagit pour
Krafft-Ebing que de lřassociation et de la
dissociation dřéléments de la conscience 494.
En se fiant aux assertions de Havelock-
Ellis et Freud on se figure quřil a fallu
attendre leur interprétation pour découvrir
chez Krafft-Ebing Ŕ mais à son insu Ŕ
lřalliance du sadisme et du masochisme dans
les cas quřil présente. Quřon en juge sur
pièces. Le premier document que nous présentons
est, comme il se doit chez Krafft-
492 FREUD (1905b), trf p. 46, et n. p. 173-174. {GW, 5 : 59.}
493 Cf. supra, pp. 141 et suiv.
494 Nous avons mentionné plus haut (pp. 178s.) comment
le retournement sur la personne propre était incompréhensible
pour Moll, et avons souligné les difficultés des psychiatres
(Lacassagne et Kiernan) à maîtriser le stade autoŔ.

Ebing, issu de lřécoute clinique. On le trouve
dans son article sur la servitude sexuelle :
(T.105)
Dies scheint nicht immer so zu sein.
Wenigstens äussert sich darber ein Masochist auf
filgente Art :
,,Die Befriedigung des Masochisten behrt
auf der Fiction, dass gegen ihn Tyrannei willen
gebt wird, also aus sadistischen Motiv, ohne jede
Verfolgung von Nebenzwecken. Darin liegt Ŕ
passez moi le mot Ŕ die Poesie des masochismus.
(...)Ŗ
KRAFFT-EBING (1892e) : Über ,,geschlechtliche
HörigkeitŖ und Masochismus, §§ 31-32, p. 208
Krafft-Ebing est même le premier auteur
à avoir lié les termes de sadisme et de masochisme
par un trait dřunion. Il le fit en
commentant brièvement un cas de fétichisme
du corset puisé chez Hammond. {201 }
(T.106)
Der Schmerz bei forciertem Schnüren, an
sich selbst und an Frauen hervorgerufen, ist ihm
eine Freunde Ŕ sadistisch-masochistisches Element.
KRAFFT-EBING : PS11 (p. 188) ;
PS12 (p. 187) ; PS12, tra5ř (p. 277).
Tirons discrètement la moralité : un fait
brut nřexiste pas. Percevoir cřest formuler
une théorie.
Freud, avec lřesprit de système de ses
couples dřéléments antagonistes, glanera chez les
« anciens » ce qui est propre à illustrer sa
thèse. En cette occurrence, comme cela lui
201
est quelquefois arrivé, nous surprenons chez
lui une tendance spéculative cherchant à triompher
des faits cliniques. Au couple Sadisme
/Masochisme il ajoute avec une froide résolution
le couple Exhibitionnisme/Voyeurisme
dont il semble jusquřà un certain point lřinventeur.
Résumons très brièvement lřétat de
la question. En 1887, Lasègue décrit, à la
manière des manigraphes, la conduite impulsive
dřindividus quřil dénomme « les exhibitionnistes
». En 1891, Moll nous entretient
dřune perversion quřil propose de nommer
« mixoscopie » et qui offre beaucoup de
parenté avec le masochisme 495. Krafft-Ebing
en prend acte à la PS8 (1893), et sřétonne. Il
parle, lui, des « voyeurs », Ŕ en français dans le
texte. En note il commente : « Le Dr Moll
nomme cette perversion (?) Mixoskopie (de μιξις =
union sexuelle et σκεπτειν = regarder) » 496. Le
point dřinterrogation sera maintenu par
Krafft-Ebing dans toutes les éditions subséquentes
de la Psychopathia Sexualis. Nous
avons vu (p. 113) quřil nřadmettait pas non
plus lřexhibitionnisme au titre de perversion
495 Cf. supra, p. 179.
496 PS8 (1893), trf 1895, p. 526, et note ; PS12 (1903), tra5ř
1969, p. 544 et n. ŕ HENRI EY (1950, p. 327, n. 2)
attribue mixoscopie à Krafft-Ebing. Erreur concevable
puisque cet auteur (comme tous les auteurs français contemporains)
ne connaît K-E que par la PS16-17 refondue
par Moll. Dans le même livre Ey consacre une étude
entière à lřexhibitionnisme, sans quřil lui vienne à lřesprit de
distinguer, au moins en exposant la pensée des classiques
du XIX e siècle, les exhibitionnistes et lřexhibitionnisme. Ces
détails, que nous pourrions multiplier, montrent à quel
point lřérudition de cet auteur est peu fiable. Sur ce plan,
son dernier livre sur les Hallucinations est une véritable
catastrophe.

sexuelle. En 1902, PITRES & REGIS écrivent
: « Nous dirons uniquement un mot des perversions
sexuelles plus récemment mises en lumière et
que nous diviserons, avec Krafft-Ebing et la plupart
des auteurs, en : 1° exhibitionnisme ; 2° fétichisme ;
3° sadisme ; 4° masochisme ; 5° uranisme. » 497
Relevons-y deux points remarquables. Le
voyeurisme brille par son absence. Cřest que
Schrenck-Notzing {202 } et Eulenburg nřadmettent
quřun certain voyeurisme comme
variation de lřalgolagnie ; que Thoinot et
Iwan Bloch nřadmettent quřun certain voyeurisme
comme variation du sadisme ; et que
Moll nřadmet quřun certain voyeurisme
comme variation du sadisme 498. Toutefois
porter Krafft-Ebing garant de lřexhibitionnisme
est manifestement une erreur. Cette
erreur est cependant compréhensible de la
part des auteurs français. À propos de lřexhibitionnisme
Henri Ey dit en effet ceci :
« Nous lui avons réservé une étude spéciale (étude
n°12) en raison de son importance clinique et
médico-légale, surtout dans la tradition classique
française. » 499 Nous nřavons pas poursuivi
notre enquête pour les années 1902-1905, et
lřon sait quřen ce domaine dřune année à
lřautre les innovations et les découvertes se
497 PITRES & REGIS (1902) : Les Obsessions & les impulsions,
p. 341.
498 Dans un prochain travail nous tenterons pour notre
part lřabord du sadisme et du masochisme (en tant que
perversions sexuelles) à partir de la « scène primitive ».
Nous sommes persuadé quřune pareille tentative serait du
point de vue clinique des plus prometteuses. {Encore une
promesse non tenue.}
499 EY (1950) : Études Psychiatriques, tome II, p. 327, n.
202
précipitaient. Néanmoins, lorsquřen 1905b
Freud parle du couple Voyeurisme/Exhibitionnisme
il ne pouvait sřautoriser des conceptions
des « classiques ». Il suivait plutôt un esprit
de système décidé à sřaplanir les difficultés.
En ce sens, il a été épistémologiquement peu
regardant en glanant dans le champ de ses
prédécesseurs pour construire le premier
essai de son livre 1905b. Hâtivement, et sans
critique suffisante, il a adopté le couple
Sadisme/Masochisme en ce quřil était une manifestation
dřun couple dřéléments antagonistes
« Actif/Passif », et érigé ce dernier couple en
catégorie résiduelle inanalysable. Puis, par
dérivation, il a appliqué ce modèle à un autre
couple soi-disant bicéphale, le Voyeurisme/
Exhibitionnisme 500. Mais ce défaut originel Ŕ
cřest-à-dire lřadoption hâtive et sans critique
du couple Actif/Passif à propos duquel nous
avons fourni à la fin du chap. II un commentaire
historique très bref 501 Ŕ resurgira
500 Lřapproche freudienne du sadisme et du masochisme,
du voyeurisme et de lřexhibitionnisme est plus complexe
en 1915 quřen 1905. Elle fait intervenir, en sus de lřactivité
et de la passivité, la voie moyenne réfléchie. Le travail
minutieux de LAPLANCHE (1970) montre à lřévidence le
peu de maîtrise de Freud de la voie moyenne réfléchie, qui
est une résurgence dřune séquence décrite plus haut (Cf.
Lacassagne et Kiernan), négligée dans la reprise du problème.
501 Trop bref. Quelque préparé que nous lřayons été par
cette image de la 9 e clé du traité de Basile Valentin qui sřest
imposée à nous si impérieusement à une étape de notre
étude (supra, p. 154, note 333), nous nřavons pu tenir
compte véritablement de lřinfluence de la pensée alchimique
(en tant que mythe et en tant que philosophie) dans
la constitution du couple Actif/Passif et sa mise en rapport
avec le couple Masculin/Féminin, faute de lumières suffisantes.
Mais nous ne nous dispenserons pas de citer au moins

{203 } continuellement à chaque pas, contrariant
les tentatives dřune théorie des pulsions
cohérente, et une étude de la sexualité
féminine délestée des préconceptions mythologiques
et des préjugés politiques avec
lesquels, dès le départ, Freud frayait allègrement
502. Comme les tentatives ultérieures
lřont montré, il ne suffit pas dřabandonner
les préconceptions et les préjugés mythologiques
et politiques. Il faut, alliée à la clinique,
une critique épistémologique du couple
Actif/Passif, sans laquelle ces problèmes ne
nous semblent pas prêts de progresser. Nous
avions un moment songé à insérer ici une
étude minutieuse de lřécrit de 1905b de
Freud. Mais même limitée strictement à
notre sujet, elle comportait trop de complications,
où des éléments transférentiels indubitables
entre Krafft-Ebing, Freud et
ce passage de lřœuvre charitable dřEUGENE CANSELIET
(1934, pp. 65-66) qui se rapporte directement à lřessence
de {203 } lřalchimie : « Cřest par sa fonction passive assumée
dans le Grand Œuvre, que le dissolvant universel est souvent
représenté par la femme dans lřiconographie alchimique. Comme elle
est dřordinaire toute soumise à lřhomme, de même le mercure reste le
serviteur du souffre qui lřabsorbe peu à peu et sřunit indissolublement
avec lui. Très noire à lřorigine, la femme, dès lors, devient
blanche ; la lumière diffuse de la masse virile et grossière, est séparée
des ténèbres et rassemblée sous la forme dřune eau céleste, éclatante et
candide ; celle-là même que lřÉtoile flamboyante, offerte comme
dernier symbole dřinitiation aux Mystères dřIsis, couvre de son
empreinte à la fois canonique, divine et spirituelle. [Nouvel alinéa]
En vérité, cette étoile est le grand signe de lřŒuvre. Cřest elle qui
scelle la production philosophale et fait connaître à lřartiste quřil est
en possession de lřunique lumière des sages. » Ŕ Nous espérons
que cet échantillon incitera à effectuer dřautres recherches.
502 On trouve dans JONES (tome I, trf pp. 194-195), à propos
de lřouvrage de J.S. MILL (1869) dont nous avons
parlé, un commentaire très instructif de Freud, tiré dřune
lettre à sa fiancée du 5 nov. 1883.
203
Havelock-Ellis entraient en jeu et se mêlaient
à lřexposé théorique et aux transformations
que les idées de Freud et de Havelock-Ellis
ont accusé par la suite 503.
Nous nous contenterons donc à regret
de la seule mention déjà signalée à propos de
la constitution du tamis freudien. Ce tamis
nřa filtré que deux espèces dřalgolagnie, recouvrant
les six autres de la couche épaisse
dřune nouvelle théorie. Ŕ Et ce nřest que par
accident que les dénominations de sadisme et
de masochisme ont été adoptées par Freud
en lieu et place de lřalgolagnie active et de
lřalgolagnie passive.
{204 } Pour condenser les divers enseignements
que lřon peut retirer du premier
volet de ce chapitre nous dirons ce qui suit.
Organisée selon une théorie sémantique dont
les options premières ont été brièvement
esquissées, lřhistoire des termes de sadisme et
de masochisme laisse apparaître nettement,
en conséquence de la création originale de
Krafft-Ebing, un état euphorique. Il est
caractérisé par une émulation spectaculaire
pour prouver la maîtrise de la langue grecque,
et halluciner franchie la distance en per-
503 On retrouvera cette étude dans lřessai que nous annoncions
plus haut sur lřhistoire de la psychanalyse. {Promesse
non tenue.}

pétuelle extension entre signifiant et référent
par le truchement de lřétymologie savante 504.
Nous avons surpris ce moment essentiel à
propos du masochisme. Ce nřest pas sans
artifice que nous avons distingué ce moment
du suivant, où le sens nřa plus été lřaveu dřun
mot soumis à la question de lřétymologie,
mais le système de relations dřun ensemble
de termes.
En nous soutenant de lřimage de lřhémorragie
pour figurer lřirruption du réel,
nous avons pris ensuite en considération
deux « saignées », ou deux manières dřévacuer
lřeuphorie pour ramener lřéquilibre. La
première est la manière française. Elle est
fondée sur la théorie de lřobsession-impulsion.
Grâce à une conception mécanique de la
psychologie, cette théorie permettait dřéluder
le rôle, voire lřexistence même, de lřautre
(personne). Autrement dit, elle permettait
dřéluder le facteur (inter)humain que Krafft-
Ebing a toujours placé au cœur de la question.
La seconde est la manière allemande.
Elle tire parti de la confusion entre deux
théories associationnistes appartenant à deux
traditions différentes, celle de Descartes et
celle de Locke. Lřune est confinée à lřassociation
des idées entre elles (Locke), lřautre à
lřassociation de lřâme avec le corps. En maintenant
cette confusion, les contradicteurs de
Krafft-Ebing éludaient eux aussi le facteur
504 Cela nřempêche pas de saluer la prouesse dřEULEN-
BURG (T.101) qui a réussi à lier simultanément masculin et
actif dřune part, féminin et passif de lřautre.
204
(inter) humain. En outre, ils imposaient avec
les couples Actif/Passif et Masculin/Féminin
des contraintes dont les effets funestes
seront reconduits par le freudisme sous
forme dřapories. En prime nous assistions
également à un inoffensif baroud dřhonneur
en faveur de la vieille conception des monomanies.
Nous avons également abordé le problème
dřun autre côté en accordant leur dû à
des thèmes populaires, celui des prétendues
inventions simultanées et des découvertes qui
sont dans lřair du temps. Si nous avons débouté
la prétention de Stefanowsky à la priorité,
nous avons en sus mis en relief lřavance
indéniable de la littérature dite du « culte du
Moi » par rapport à la psychologie et à la
psychiatrie de cette époque. Pour la littérature,
le stade autoŔ nřavait plus de secrets,
alors que le discours psychiatrique continuera
à sřy dépêtrer quelques décades encore.
Attentifs aux avancées du discours psychiatrique,
nous avons pu chemin faisant
mettre formellement en évidence autour de
1892 lřexistence dřune théorie explicite de
lřinstance répressive (intrapsychique), soit
chez Krafft-Ebing, soit chez Kiernan, avec sa
{205 } référence obligée à lřétude du Moi.
De plus, nous avons repris, dans un exercice
pratique portant sur le hors-texte (T.104) de
Krafft-Ebing, quelques intuitions dont nous
avions fait état au cours du chap. II, en les
articulant solidement aux inflexions de sa

pensée. Les plus frappants en sont lřapparition
simultanée du champ de lřinconscient,
du fantasme, et de la présence de lřautre
(personne). Cřest un phénomène de conséquence
qui mériterait, pensons-nous, une
investigation plus attentive.
Il a fallu en passer par toutes ces péripéties
pour parvenir en définitive à ordonner
en trois étapes lřhistoire du sadisme et du
masochisme :
1°/ Premièrement, un couple de concepts
opposés chez Krafft-Ebing.
2°/ Deuxièmement une pléiade dřalgolagnies
pour Schrenck-Notzing et Eulenburg.
3°/ Troisièmement une pulsion susceptible
dřavoir deux destins opposés chez Freud.
Mais chaque étape est à la fois en rupture
et en opposition avec la précédente, à lřimage
dřun dialogue de sourds. Malgré les apparences,
le sadisme et le masochisme de Freud
nřont rien à voir avec lřalgolagnie active ou
passive de Schrenck-Notzing, lesquelles
nřont elles-mêmes rien non plus à voir avec
le sadisme et le masochisme de Krafft-Ebing.
La disparité des systèmes où ces termes sont
enchâssés est totale, et hors de ces systèmes
ce sont des termes sans signification si ce
nřest hallucinée.
205
Après avoir montré que lřopposition
Sadisme/Masochisme de lřusage actuel, imposé
par lřexpansionnisme de la psychanalyse
freudienne, ne peut sřautoriser de Krafft-
Ebing que par quiproquo, nous essayerons
de déterminer au prochain débet les raisons
du triomphe des termes Sadisme/Masochisme
sur toutes les autres désignations soi-disant
plus exactes 505.
505 Cf. Tableau (XXIII), p. 187, supra.

{206 }
§ (2) Ŕ Lecture de Sade
& de Sacher-Masoch
Ce que nous avons dit de la lecture de
Sade et de celle de Sacher-Masoch au chapitre
I er présageait une investigation plus
poussée.
Nous étions parvenus à la conviction
que Krafft-Ebing nřavait pas lui-même lu
Sade dans le texte 506. Ce qui lřavait guidé
dans le choix du terme de sadisme était
dřabord que le marquis figurait effectivement
dès la PS1 (1886) parmi les pervers qui
fustigeaient les femmes en jouissant de leurs
douleurs. Que les pp. 160-164 de Taxil
(1884) étaient, en dernière analyse ce que
Krafft-Ebing rattachait à son nom. Enfin,
que le terme de sadisme appartenait à une
certaine littérature dont Taxil était un représentant.
Quant à Sacher-Masoch, par la mention
que Krafft-Ebing fait de sa Vénus à la
Fourrure dans une note de la PS2 (1887) on
ne doute pas quřil en ait lu au moins ce livre.
Que, néanmoins, lřinspiration à dériver le
masochisme du patronyme maternel de
Sacher-Masoch lui est venue parce que certains
de ses patients faisaient une mention
506 Hormis La Philosophie dans le boudoir peut-être. Ŕ Cf.
Chap. I er , § (1), hors-texte (T.7), p. 33, et note 61.
206
expresse de cette Vénus à la Fourrure. Voilà ce
que grosso modo nous savons de la lecture de
Sade et de Sacher-Masoch par Krafft-Ebing.
Pour faire progresser la question de quelques
pas de plus, nous allons quitter les chemins
battus pour nous aventurer sur des sentiers
de broussaille (Holzwege).
La lecture de Sade et de Sacher-Masoch
peut être formulée en premier lieu comme
un cas particulier du recours aux poètes dans
lřexplication scientifique. On sait quřelle est
dřun usage particulièrement constant dans
certains ordres du discours dans les sciences
humaines. Il existe une manière pragmatique
de trancher le problème. Au début dřune
investigation, et en lřabsence dřun corpus
objectif dřobservations cliniques ou expérimentales,
on a recours aux cas relatés par les
poètes (Dichter). Mais le doute sřinsinue aussitôt
dans lřesprit dřun pragmatiste. Comment
faire confiance au poète ? Son tempérament
nřentache-t-il pas son témoignage
dřune erreur involontaire ? Nřa-t-il pas tout
imaginé ? Nřa-t-il pas mal interprété {207 }
un témoignage qui lui est parvenu sous une
autre forme ? On peut citer à ce sujet la
mésaventure comique de Charles Féré (1892)
qui sřest juré de ne plus sřy laisser prendre et
de nřutiliser dorénavant que des faits tirés
dřouvrages médicaux :

(T.107)
Lorsque jřai eu lřoccasion, il y a quelques
années, dřobserver un ensemble de phénomènes
singuliers que jřai décrits, à tort ou à raison, sous
le nom de névrose électrique et quřon retrouvera
du reste dans le cours de cet ouvrage, jřavais cité
à lřappui de mon observation un fait que jřavais
trouvé dans un roman de M. de Goncourt, la
Fille Élisa. Peu après la publication de mon
mémoire, je fus pris dřun doute, jřallais trouver
M. de Goncourt et lui demandait sřil avait vraiment
observé le sujet dont il parlait dans son
livre : « Non, me dit-il, je tiens le fait du docteur
Liouville ». Je cours chez M. Liouville ; mais lui
non plus nřavait pas vu « Alexandrine Phénomène
» ; il se souvenait vaguement dřavoir lu
quelque chose sur cette question. Ce ne fut quřau
bout de plusieurs jours quřil put mřindiquer la
source où il avait puisé son renseignement ;
cřétait une note de la Gazette des Hôpitaux parue
plusieurs années auparavant, et que jřavais dřailleurs
citée dans mon mémoire. La littérature
mřavait fourni un document en plus, mais il était
faux.
FERE (1892) : Pathologie des émotions, p. XII.
Le comique de la situation sera mieux
saisi si lřon se rappelle que de Goncourt était
réclamé par cette école naturaliste qui se
targuait dřappliquer au roman la méthode
expérimentale introduite par Claude Bernard
en médecine. En tout cas, la manière pragmatique
de trancher le problème ne peut
conduire quřà évacuer le problème lui-même
dans une fin de non recevoir.
Krafft-Ebing nřest pas pragmatiste à ce
point extrême. On a dřailleurs la chance
dřavoir une déclaration argumentée de sa
207
position sur cette question dans la préface de
la Psychopathia Sexualis 507. Lřauteur commence
par regretter que peu de personnes se
rendent un compte exact de lřimportance de
la vie sexuelle. Il sřétonne ensuite que les
philosophes nřy aient pas prêté une attention
suffisante, ou, comme Schopenhauer et von
Hartmann en aient parlé dřune manière si
fautive. Il enchaîne ainsi :
(T.108)
Pour le moment 508 , on pourrait admettre
que les poètes (Dichter) 509 sont meilleurs psychologues
que les philosophes et les psychologues
de métier ; mais ils sont gens de sentiment et
non pas de {208 } discernement ; du moins 510
pourrait-on leur reprocher de ne voir quřun côté
de leur objet. À force de ne contempler que la
lumière et les rayons de lřobjet dont ils se
nourrissent, ils ne distinguent plus les parties
ombrées 511 . Les productions de lřart poétique
(Erzeugnisse der Dichtkunst) de tous les temps et de
507 Cette Préface est reprise dans toutes les éditions allemandes
et toutes les traductions. Elle ne manque que dans
réédition américaine récente (tra5ř 1969).
508 Le recours aux « poètes » nřest donc que provisoire. Il
est propre à ce stade préliminaire de lřinvestigation.
509 Dichter est un terme générique sans équivalent français.
Il inclut les poètes, les écrivains, les littérateurs...
510 Ce Ŗdu moinsŗ atténue le reproche précédent. Il peut
arriver que les Dichter soient des gens de discernement
(Verstandnismenschen).
511 Dépouillé de son revêtement métaphorique le reproche
est le suivant. Les poètes et les romanciers ne voient dans
lřamour que le côté exaltant, laissant à leurs ténèbres les à
côtés sombres de la vie et de la misère humaines, comme
K-E le dira à la page suivante. Entendez le côté pathologique
de la sexualité. Ŕ Mais est-ce que cela peut sřappliquer
à Sade, à Sacher-Masoch, aux romanciers réalistes
ou naturalistes ? Malgré de flagrants contre-exemples, K-E
maintient lřopinion fruste suivant quoi la licence poétique
tend toujours à enjoliver la nature humaine.

tous les peuples peuvent fournir une matière
inépuisable à qui voudrait écrire une monographie
sur la « psychologie de lřamour », mais le
grand problème ne saurait être résolu quřà lřaide
des sciences naturelles et particulièrement de la
médecine 512 qui étudie la question psychologique
à sa source anatomo-physiologique 513 et lřenvisage
à tous les points de vue.
Peut-être la science exacte réussira-t-elle à
trouver le terme moyen entre la Weltansshauung
désespérante des philosophes tels que Schopenhauer
et von Hartmann ( ) et la conception enjouée
et naïve des poètes (Poeten) 514 .
KRAFFT-EBING : PS8 (1893), trf 1895, p. VI, trp.
Quand on compare ces pieuses déclarations
dřintention à ce que Krafft-Ebing pratiquera
effectivement au cours de son manuel,
la disparité saute aux yeux. Pour chaque
512 Dřévidence un médecin ne saurait sřexprimer autrement.
Ŕ Au fait, est-ce que la médecine est une science
naturelle ?
513 Il y a ici une conception de la psychologie très tenace.
Au début du XIX e siècle les philosophes (Kant, par ex.)
légiféraient selon leur bon plaisir sur des questions de psychologie,
entourés de la déférence générale des médecins.
À la création de la Société Médico-Psychologique (de Paris) en
1847, philosophes et médecins confraternisaient. À la mort
dřADOLPHE GARNIER (1864) les choses avaient beaucoup
changé. À la mort de PAUL JANET (1899), cela faisait un
bout de temps que les philosophes ne jouaient plus de rôle
éminent dans la docte assemblée. {Lřallusion à Kant visait,
un peu injustement, le Conflit des facultés, 1798.}
( ) [Note de K-E] Voici lřopinion philosophique de HART-
MANN sur lřamour : Lřamour dit-il dans son volume sur La
Philosophie de lřInconscient, Berlin 1869, p. 583, nous cause
plus de douleurs que de plaisirs. La jouissance nřen est
quřillusoire. La raison nous ordonnerait dřéviter lřamour, si
nous nřétions pas poussés par notre fatale pulsion sexuelle,
Ŕ le meilleur parti à prendre serait donc de se faire châtrer.
La même opinion moins la conclusion se trouve exprimée
aussi dans lřouvrage de SCHOPENHAUER Le Monde comme
Volonté et Représentation, 3 e éd., tome II, p. 586 et suiv.
514 Nous sommes bien passés des Dichterinen aux poètes.
208
genre de paresthésie il prend autant de soin à
rassembler une bibliographie médicale
quřune bibliographie littéraire, incluant aussi
bien des romans que des pièces de théâtre.
Krafft-Ebing savait pertinemment que les
poètes, les romanciers et les dramaturges, ne
se sont pas cantonnés au côté riant de
lřamour et il en a constamment tiré parti. La
référence à Sade et à Sacher-Masoch sřinscrit
chez lui dans le cadre dřune procédure systématique.
Une fois la Psychopathia Sexualis refermée,
nous observons tout de même que
les médecins sont à peine moins démunis
que les écrivains pour parler de la source
anatomo-physiologique de la pulsion sexuelle.
Reste lřargument du discernement contre
le sentiment. On concède aux poètes un
savoir intuitif étendu du domaine affectif,
mais un mode dřexpression figuré. Cřest la
licence poétique. On attribue au savant peu
de savoir au départ, mais un savoir solide,
susceptible de sřaccroître grâce à la méthode
scientifique, et de se transmettre grâce à un
langage technique manié avec rigueur. {209 }
Lřopposition est classique. Elle tend à un
impérialisme scientifique frénétique, et au
reclassement des artistes chez les pitres.
Un détour par le statut du poète dans la
Grèce archaïque serait propre à jeter un peu
de lumière sur la situation actuelle 515. Il
515 À cet égard, on ne peut que recommander lřessai de
VERNANT (1959) sur « Les aspects mythiques de la mémoire
». Dřune lecture passionnante. On y trouve au sur-

existe néanmoins aujourdřhui une façon élégante
dřenvisager la question. Elle échappait
au discernement de Krafft-Ebing et de ses
contemporains même si lřon peut estimer
quřelle guidait leur pratique à leur insu. Le
poète opère sous la contrainte de lřordre du signifiant.
Cřest pourquoi les disciplines qui sřoccupent
de lřâme peuvent à bon escient le prendre
pour guide. À notre avis, il est fort probable
que Krafft-Ebing et Freud Ŕ entre autres 516
Ŕ en avaient une obscure intuition. On sait
dřailleurs quřune pratique, pour être efficace,
nřa pas besoin dřêtre éclairée 517. En outre, on
peut leur en attribuer la prescience avec dřautant
plus de certitude que nous leur sommes
directement tributaires de cette conception.
La lecture de Sade et de Sacher-Masoch
peut être formulée en second lieu comme un
cas particulier de littérature pornographique.
Formuler le problème en ces termes cřest
apparemment sřéloigner un peu de Krafft-
Ebing. Nous allons montrer quřil nřen est
rien. En effet, du point de vue des dispositifs
de censure sociale, la littérature pornographique
et le discours sexologique (médical)
plus quelque chose qui va dans le sens du « temps épistémologique
» exposé dans notre chap. I er .
516 Que lřon consulte par exemple BINET (1887, p. 71, n.) ;
DANVILLE (1894, pp. 16-18) ; RIBOT (1896, p. 262), etc.
517 Maxime attribuée à LACAN. {Elle est énoncée vers le
début de Télévision, 1973.}
209
ne sont pas distingués. Les deux genres
eurent maille à partir avec les dispositifs de
censure. En cette fin de siècle, on citera pour
le discours sexologique la saisie en 1893 de la
traduction française du livre de Moll
(1891) 518. Au Royaume Uni, la saisie et
{210 } lřinterdiction du livre de Havelock-
Ellis (1896) 519. Les dispositifs de censure ne
sont pas toujours aussi obtus quřon veut le
croire. Au demeurant, il suffit dřécouter et de
comparer le discours tenu par le divin Marquis
à celui de Tardieu repris fièrement par
Krafft-Ebing :
(T.109)
Mais comment abuser de la patience de nos
lecteurs pour leur peindre ces nouvelles atrocités
? Nřavons-nous pas déjà trop souillé leur
imagination par dřinfâmes récits ? Devons-nous
en hasarder de nouveaux ? Hasarde... hasarde,
nous répond ici le philosophe ; on nřimagine pas
combien ces tableaux sont nécessaires au développement
de lřâme : nous ne sommes encore
aussi ignorants dans cette science, que par la
stupide retenue de ceux qui voulurent écrire sur
ces matières. Enchaînés par dřabsurdes craintes,
ils ne nous parlent que de ces puérilités connues
de tous les sots, et nřosent, portant une main
hardie dans le cœur humain, en offrir à nos yeux
518 Lřéditeur et les traducteurs ont été ensuite acquittés. Les
pièces du dossier furent jointes à la trf (1893) à partir de
son troisième tirage. {Les poursuites furent lancées à la
suite dřune plainte du sénateur René Bérenger, surnommé
le « Père la pudeur », fondateur de la Ligue contre la
licence des rues, etc. Ŕ Cf. CHAPERON (2007), pp. 26-27.}
519 Ces deux ouvrages traitaient de lřinversion sexuelle.
Seuls les pays germaniques toléraient ce discours. Havelock-Ellis
publiera les autres volumes de ses Études sexuelles
en Allemagne. Ŕ Cf. supra, pp. 90, note 181, et 108-109.

les gigantesques égarements. Ŕ Obéissons, puisque
la philosophie nous y engage, et, rassurés par
sa voix céleste, ne craignons plus dřoffrir le vice
à nu.
SADE (1797a) : La Nouvelle Justine,
Tome IV, éd. Pauvert, 1968-1969, p. 113.
(T.110)
Lřauteur se rallie entièrement aux paroles de
TARDIEU (Des Attentats aux Mœurs) : « Aucune
misère physique ou morale, aucune plaie, quelque
corrompue quřelle soit, ne doit effrayer celui
qui sřest voué à la science de lřhomme, et le
ministère sacré du médecin, en lřobligeant à tout
voir, lui permet aussi de tout dire. »
KRAFFT-EBING : PS1 (1886), Vortwort.
PS8 (1893), trf 1895, p. VIII.
Les dispositifs de censure sociale sont
assis sur « La Vérité » non pas pour lřétouffer,
mais pour que tout ne soit jamais dit.
Du point de vue du consommateur, la
littérature pornographique et le discours
sexologique ne se distinguent pas non plus.
On remarque avec quelque amusement que
les patients de Krafft-Ebing citent indifféremment
et pour les mêmes raisons, la
Psychopathia Sexualis, la Vénus en Fourrure, les
Confessions de Rousseau, la Case de lřoncle Tom,
et Robinson Crusoë 520. Le nivellement du
discours pornographique avec le discours
sexologique nřa pas été sans provoquer la
susceptibilité des sexologues, tel ce même
Tardieu, si lřon en croit Lacassagne :
520 Cf. PS12 (1903), tra5ř 1969, pp. 172, 174, 178, 204, 225,
226, 291, 317, 405...
210
(T.111)
Je me rappelle que Tardieu, vers la fin de sa
vie, présentant à lřAcadémie de médecine son
ouvrage sur les Attentats aux Mœurs, ajouta malicieusement
: « Ce livre a eu un grand succès.
{211 } Jřai quelque honte à le dire, il a rapidement
atteint sa septième édition. »
LACASSAGNE (1893) : Préface au livre de
Chevalier sur lřInversion sexuelle, p. III.
La plupart des médecins assumaient
implicitement que la lecture de leurs livres
savants portant sur la pulsion sexuelle et sur
ses anomalies, tout comme les livres pornographiques
pouvaient constituer un danger
pour la morale publique en incitant le lecteur
à une pratique perverse 521. Les textes ne
manquent pas pour révéler cet implicite
(surtout chez le voisin), mais nous avons
préféré présenter une preuve plus éclatante.
Elle concerne un cas concret, lřun des plus
monstrueux des annales médico-légales. Les
psychiatres qui mentionnent le cas du
maréchal Gilles de Rais 522 Ŕ compagnon de
Jeanne dřArc Ŕ sont soucieux de faire jouer
chaque fois à la lecture de Suétone le rôle de
déclencheur. Voici quelques références 523
pour aider à la vérification :
Ŕ KRAFFT-EBING : PS12 (1903), tra5ř 1969, p. 112 ;
PS13 (1907), p. 66. (Figure dès la PS1, 1886).
521 {J. A. PIORRI (1816) a consacré sa thèse de médecine
aux dangers qui peuvent résulter de la lecture des livres de
médecine et de pharmacie par les gens du monde, que ce
soit pour certains malades, ou pour dřéventuels criminels.}
522 Seul MOREAU (de Tours) lřomet, parce quřil a exclu le
Moyen Âge de son étude.
523 Une liste exhaustive serait dřune étendue redoutable.

Ŕ BALL (1888) : La Folie érotique, pp. 120-121.
Ŕ MOLL (1891) : Les Perversions..., trf p. 176.
Ŕ THOINOT (1898) : Attentats aux Mœurs..., p. 443.
Ŕ FERE (1899) : LřInstinct sexuel..., p. 138.
Ŕ DÜHREN 524 (1901) : Le Marquis de Sade & son
temps..., trf, p. 427.
Certaines de ces références signalent leur
source : un texte de P.L. Jacob, bibliophile Ŕ
pseudonyme de Paul Lacroix Ŕ chez qui nous
avons pu retrouver le passage. Il se rapporte
à lřinterrogatoire de Gilles de Rais. Nous
reproduisons à sa suite le passage correspondant
des minutes du procès reproduites par
Georges Bataille (1965) :
(T.112)
ŕ Devers quel temps avez-vous commencé
ces pratiques exécrables ? dit Pierre de lřHopital,
étourdi de la franchise de ces horribles aveux.
Qui vous a induit à ce faire ? cřest assurément
lřEsprit du mal, lřEnnemi des hommes, le Tentateur
?
ŕ Je ne sais pas, mais jřai, de moi-même et
de ma tête, sans conseil dřautrui, pris ces imaginations
dřagir ainsi, seulement par plaisance et
délectation de luxure ; de fait, jřy trouvais incomparable
jouissance, sans doute par lřinstigation
du diable. Il y a huit ans environ que cette
idée diabolique me vint ; ce fut lřannée même où
feu mon aïeul le sire de la Suze alla de vie à
trépas. Je quittais lors le camp du roi de France,
pour me rendre à Chantocé, afin de mettre la
main sur les biens et héritage du défunt : or étant
{212 } dřaventure en la librairie dudit château, je
524 Dr Eugen Dühren est le pseudonyme du Dr IWAN
BLOCH (1872-1922). Est-ce pour ne pas mêler son nom
(propre) à celui du divin marquis ?
211
trouvai un livre latin 525 de la vie et mœurs des
césars de Rome, par un savant historien qui a
nom Suetonius ; ledit livre était orné dřimages
fort bien peintes auxquelles se voyaient les
déportements de ces empereurs païens, et je lus
en cette belle histoire comment Tiberius, Caracalla
et autres césars sřébattaient avec des enfants
et prenaient singulier plaisir à les martyriser. Sur
quoi, je voulus imiter (sic) lesdits césars, et le
même soir, je commençai à ce faire, en suivant
les images de la leçon et du livre.
JACOB (1858) : Curiosités de lřhistoire de
France, 2 e série, pp. 93-94.
(T.113)
Interrogé par lesdits révérend père et président
sur le lieu et le temps où il commença à
perpétrer le crime de sodomie, il répondit : au
château fort de Chantocé ; il déclara ignorer
lřannée ou le temps, mais avoir commencé à le
faire lřannée où son aïeul le seigneur de la Suze
décéda.
Item, interrogé par ledit seigneur président
sur qui lřavait induit aux crimes sus-dits et qui lui
avait enseigné la façon de les commettre, il répondit
quřil les fit et les perpétra suivant son
imagination et sa pensée, sans le conseil de personne,
et selon son propre sens, seulement pour
son plaisir et sa délectation charnelle, et non
pour quelque autre intention et pour quelque
autre fin.
BATAILLE (1965) : Le Procès de Gilles de Rais...,
pp. 267-268.
Entre les hors-textes (T.112) et (T.113) il
y a de remarquables différences. Très futé, le
bibliophile Jacob avait prévu sa réplique. Il
avait prévenu quřil sřétait aidé dřun extrait fait
525 Le latin joue un beau rôle en lřaffaire. Cf. plus bas le
hors-texte (T.115) de Krafft-Ebing à ce propos.

avec soin sur les originaux, mais beaucoup
plus circonstancié, et beaucoup plus fidèle
aussi, que la rédaction abrégée des secrétaires
dřAnne de Bretagne 526. Relevons la feinte
destinée à justifier un reportage romancé. Il
nřen reste pas moins que des trois événements
conjoints (décès du grand-père, mainmise
sur lřhéritage, trouvaille dřun livre dans
la bibliothèque du château), les deux derniers
sont une pure invention du charmant bibliophile.
Elles dont dues à une tentative dřexpliquer
à sa mesure Ŕ cřest-à-dire selon un génie
quřon est en droit de lui contester Ŕ les
effroyables débordements du maréchal de
Rais. Avoir évoqué la question dřun « héritage
» est pourtant très ingénieux. Malheureusement,
aucun des {213 } spécialistes plus
haut cités nřy prête attention, malgré lřemprise
de la « folie héréditaire » sur leurs esprits.
Ce nřest quřaujourdřhui que cette thématique
pourrait attirer lřattention dans le cadre de la
(prétendue) ŘŘtransmission transgénérationnelleřř.
En revanche, pour les esprits fin-desiècle,
lřappel à un prétendu effet-Suétone dénote
à notre avis une connivence parfaite entre
le discours savant et les dispositifs dřassistance
sociale. Lřeffet-Suétone justifie aussi bien
526 Cf. JACOB (1858), op. cit., pp. 3-4. Krafft-Ebing connaît
bien ce texte. Et il y a fort à présumer que la phrase suivante
a dû le frapper : « Il nřy a quřun homme qui ait égalé,
sinon surpassé le maréchal de Rais en fait de dépravation morale,
cřest le marquis de Sade ! » (p. 4). Dans le même volume est
recueillie une réplique de Jacob à lřétude de Janin, mettant
en doute quelques assertions exagérées de celui-ci. Krafft-
Ebing nřen tiendra pas compte, préférant accréditer sur
Sade les versions les plus fantasques.
212
la théorie psychiatrique de lřobsession-impulsion 527,
que lřexercice de la censure sur les imprimés.
Les dispositifs de censure (et dřautocensure)
veillent à la protection du citoyen profane et
des mineurs, et assistent le père de famille
dans sa vocation sacrée. Nous pensons quřil
nřest pas impossible de trouver là une opportunité
de tester la conception (si controversée)
de lřépistémè de Foucault 528.
Le socle qui fait office de soutènement
pour cette épistémè est exprimé avec toute la
clarté désirable par Théodule Ribot 529. Au
risque dřalourdir notre étude, nous citerons
527 {Imitation et entraînement sont des rationalisations propres à
satisfaire notre aspiration à « comprendre ». Même les insensés
conservent cette aspiration. Il ne faut pas sřy laisser
prendre en plaçant lřimitation et lřentraînement à la source
de leurs forfaits. Il me semble que MALEVAL (1993), malgré
son admirable perspicacité clinique, nřy a pas tout à fait
échappé. À la source du désir pur (de la clinique de la psychose
et de la nécrophilie) il nřy a ni imitation, ni effet
dřentraînement, ni lecture de Suétone. Il nřy a que de lřinsensé
ou de lřextrahumain comme le dit si bien Huysmans
(1891, p. 168). Par parenthèse, HUYSMANS ne sřen laissait
pas compter par notre aimable bibliophile à propos de la
lecture de Suétone. Lřimitation et lřentraînement nřinterviennent
quřen après coup pour expliquer lřinexplicable.}
528 Ce qui nous paraît objet de controverse est la déduction
hâtive et insuffisamment étayée de certaines assertions à
lřemporte pièce de FOUCAULT (1966), et surtout lřesprit de
système qui préside à sa manière de décrire les longues
périodes. Une étude minutieuse de lřarticulation entre deux
épistémès, telle que nous pensons y contribuer ici même,
révèle une complexité quřun adepte de Foucault nřaurait
pas soupçonnée. Elle met en évidence, à notre sens, une
lutte de classes (à la fois sociales et institutionnelles) déterminable
et déterminante, quelque part dans le processus et
pas nřimporte où... ce dont Michel Foucault ne veut rien
savoir. {Il veut constamment oublier et nous faire oublier
que lřhistoire est faite par des hommes de chair en conflit.}
529 Soulignons de nouveau lřintérêt stratégique de lřœuvre
de Ribot pour lřhistoire de la psychologie au tournant du
siècle. {On a fini depuis par sřen rendre compte.}

Ribot longuement et sans coupures à cause
de son inaccessibilité (provisoire ?) 530 pour le
lecteur dřaujourdřhui, tout en mettant en
valeur ses richesses par des commentaires en
note. Le morceau suivant remonte à 1883 531 :
(T.114)
Le principe fondamental qui domine la psychologie
de la volonté 532 sous sa forme impulsive,
à lřétat sain comme à lřétat morbide, cřest
que tout état de conscience a toujours une tendance
à sřexprimer, à se traduire par un mouvement,
par un acte. Ce principe nřest quřun cas
particulier, propre à la psychologie, de cette loi
fondamentale : que le réflexe est le type unique
de toute action nerveuse 533 , de toute vie de relation
534 . À proprement parler, lřactivité {214 }
dans lřanimal nřest pas un commencement mais
une fin, une cause mais un résultat, un début
mais une suite. Cřest là le point le plus essentiel
quřil ne faut jamais perdre de vue et qui seul
explique la physiologie et la pathologie de la
volonté, parce que cette tendance de lřétat de
conscience à se dépenser en un acte psycholo-
530 MAURICE DE GANDILLAC (1944, p. 5), préfaçant sa
traduction du manuel de psychologie Brentano, a trouvé
intelligent de renvoyer Ribot au musée et de considérer
quřune réédition de ses œuvres ne sřimposait pas.
531 Nous avons depuis trouvé ce texte cité par PITRES &
REGIS (1902, pp. 273-275), sans les guillemets coutumiers !
532 La psychologie de la (bonne) volonté a dominé la
psychologie française pendant trois quarts de siècle, où un
livre comme celui de JULES PAYOT (1893) a été lřincontestable
best-seller. Lřépistémologie de BACHELARD est un
exemple de la diffusion de la psychologie de la volonté. Ŕ
Cf. VADEE, 1975, pp. 127 et suiv.
533 La physiologie était en ce temps-là la propédeutique
obligée des études psychologiques. Il fallait franchir
dřabord ce seuil. Dřoù ces {214} multiples Physiologie de
lřEsprit que les psychologues rédigèrent à qui mieux mieux
(Maudsley, Paulhan, etc.) et qui furent rééditées si souvent.
534 Le modèle de lřappareil psychique sur lequel travaillait
FREUD depuis lřEntwurf jusquřà la Traumdeutung et au-delà
est celui-là même.
213
gique ou physiologique, conscient ou inconscient,
est le fait simple auquel se réduisent les
combinaisons et complications de lřactivité
volontaire la plus haute 535 .
Le nouveau-né 536 nřest, comme lřa défini
Virchow, « quřun être spinal ». Son activité est
purement réflexe ; elle se manifeste par une telle
profusion de mouvements que le travail de
lřéducation consistera pendant longtemps à en
supprimer ou à en restreindre le plus grand
nombre 537 . Cette diffusion des réflexes, qui a sa
raison dans des relations anatomiques, traduit
dans toute sa simplicité la transformation des
excitations en mouvements. Quřils soient inconscients
ou quřils éveillent un rudiment de conscience,
en aucun cas ils ne représentent une activité
volontaire ; ils nřexpriment proprement que
lřactivité de lřespèce, ce qui a été acquis, organisé
et fixé par lřhérédité 538 , mais ce sont les matériaux
avec lesquels la volonté sera construite.
Le désir marque une étape ascendante de
lřétat réflexe à lřétat volontaire 539 . Nous entendons
par désir les formes les plus élémentaires de
la vie affective, les seuls qui puissent se produire,
tant que lřintelligence nřest pas née. Physiologiquement,
ils ne diffèrent pas des réflexes dřordre
complexe. Psychologiquement ils en diffèrent
par lřétat de conscience souvent très intense qui
535 Voilà le principe exposé. Ribot va maintenant le considérer
à lřœuvre aux trois stades de lřontogenèse.
536 Cřest le 1 er stade.
537 Lřexplication est identique à celle que propose LEVI-
STRAUSS (1949, chap. 7) pour lřapprentissage du langage.
Dans un cas, ce qui est restreint est la profusion de mouvements,
dans lřautre cřest la profusion de phonèmes.
Dans les deux cas il est attribué à lřéducation ou à la
socialisation un rôle (répressif) de sélection.
538 On voit ici rapidement ce que cřest que lřhérédité.
539 Avec le désir nous passons au 2 e stade. Lacan (1975a)
reconnaît lui aussi que le désir ne fait irruption quřà une
seconde étape. {Mais le désir est pour Ribot de nature
physiologique tandis quřil est pour Lacan une réalité
anthropologique (inter-humaine).}

les accompagne 540 . Leur tendance à se traduire
en actes est immédiate et irrésistible, comme
celle des réflexes. À lřétat naturel et tant quřil est
encore pur de tout alliage, le désir tend à se satisfaire
immédiatement ; cřest là sa loi 541 , elle est
inscrite dans lřorganisme 542 . Les petits enfants,
les sauvages, en fournissent dřexcellents exemples.
Chez lřadulte, le désir nřest plus à lřétat naturel
543 ; lřéducation, lřhabitude, la réflexion le
mutilent ou le refrènent 544 . Mais souvent il reprend
ses droits, et lřhistoire nous montre que,
chez les despotes que leur opinion et celle des
autres placent au dessus {215} de toute loi 545 , il
les garde toujours.
La pathologie 546 nous fera voir que cette
forme dřactivité augmente quand la volonté
faiblit, persiste quand elle disparaît. Elle marque
cependant un progrès sur la première période,
parce quřelle dénote un commencement dřindividualité.
Sur le fond commun de lřactivité spécifique,
les désirs dessinent vaguement le caractère
540 {Malgré ses positions progressistes, Ribot reste empêtré
comme la plupart de ses contemporains dans une acception
physiologique de lřinconscient, et la psychologie se
réduit chez lui malgré tout à des états de conscience.}
541 Formule remarquable sur laquelle se greffe la définition
du rêve chez Freud. {Malgré ses avancées prodigieuses, la
métapsychologie freudienne reste tributaire des préjugés de
son temps. Cřest ce que Laplanche a nommé le fourvoiement
ŘŘbiologisantřř de Freud.}
542 Le fondement physiologique de la psychologie revient
en force. Mais est-ce tout à fait le même que ci-dessus ?
543 {Ici ça se gâte franchement. Le désir à lřétat naturel ! Ŕ
Voilà une belle ineptie.}
544 Avant de crier haro sur le baudet il faut se souvenir
quřavant 1900 la conception de Freud de la censure a
dřabord été celle-ci.
545 Le recours à cet exemple suscite un écho contemporain
: la notion de loi chez Lacan.
546 La preuve par la pathologie était devenue monnaie
courante. On trouve chez Ribot lřexposé le plus clair de la
« méthode pathologique » dans un texte méthodologique
de 1909 (pp. 252-255). Ŕ Extrait reproduit in Lamarque
(1928), pp. 125-127.
214
individuel, ils reflètent la façon de réagir dřun
organisme particulier.
Dès quřune somme suffisante dřexpériences
a permis à lřintelligence de naître 547 , il se produit
une nouvelle forme dřactivité, pour laquelle
lřépithète dřidéo-motrice est la plus convenable,
les idées étant cause de mouvements. Elle a de
plus lřavantage de montrer la parenté avec les
réflexes, dont elle nřest quřun perfectionnement.
RIBOT (1883) : Les Maladies de la volonté, pp. 4-6 ;
in Lamarque (1928), pp. 108-109.
La conclusion dernière du hors-texte cité
ne dessert pas son début. Lřassertion fondamentale
dřun vecteur conduisant de la pensée à
lřacte selon une pente naturelle sous-tend
aussi bien la théorie de lřobsession-impulsion 548,
quřune certaine justification des dispositifs de
censure, de même quřune certaine conception
du programme de Philosophie dans les
classes terminales 549. Encore faut-il prêter
attention à ceci. La théorie de lřobsessionimpulsion
(qui fut une issue ŘŘhonorableřř
pour la théorie de la dégénérescence), et la
547 Cřest maintenant le tour du 3 e stade.
548 Cf. MAGNAN & LEGRAIN (1895), pp. 114 et 138. Cf.
aussi le hors-texte (T.92), note 424, p. 183 supra.
549 En France, le pouvoir institutionnel des programmes
des études académiques a été détenu depuis le début du
XIX e siècle et pendant tout le siècle par lřécole Éclectique.
(Le pouvoir institutionnel de Victor Cousin au XIX e siècle
est assez comparable à celui de Durkheim au début du
XX e ). Cette école chapeautait la philosophie par la psychologie.
À la fin du siècle Ŕ on le sait fort peu Ŕ PIERRE
JANET (1896), médecin et psychologue déjà célèbre, fut
chargé de rédiger le manuel de philosophie pour le
baccalauréat de lřenseignement secondaire, classique et
moderne, succédant dignement à son oncle (Cf. PAUL
JANET, 1880). Lřactuel programme divisé justement en
Pensée et Action, continue cette tradition.

théorique associationniste-génétiste 550 (qui
sřest opposée si violemment à la théorie de la
dégénérescence), admettent toutes deux le
même point de vue sur la lecture. En procédant
à une comparaison de textes 551, on
550 Celle de Schrenck-Notzing, Eulenburg, Bloch, etc.
551 Comp. par exemple Féré (1899, p. I) et Bloch (1900, trf
pp. 427-428). On trouvera dans Chevalier (1893) (Cf. supra,
pp. 18-20), mais encore plus dans Ribbing (1888), des
véhémences démesurées contre la littérature de leur
temps : les écoles réaliste et naturaliste. À propos du poète
Ola Hansson (1860-1925), son compatriote Ribbing (1888,
trf p. 116) aura ces mots tendres : « Je demande sincèrement
aux parents et aux pédagogues, si un tel individu a encore le droit de
sřagiter librement {216} au sein de la société, et sřil ne vaudrait pas
mieux pour lui et pour lřhumanité quřil fut interné dans une maison
de santé ou de convalescence. » Quand on décrète lřexistence
dřune épistémè, il est bon de préciser quand elle sřest
achevée. À notre avis nous ne sommes pas parvenus à son
terme. Le procès intenté à lřéditeur Pauvert pour la réimpression
des œuvres du marquis de Sade (1957 : condamnation),
date dřhier. Tout récemment le commentaire de
J.P. Peter et J. Favret (1973) sur lřaffaire Rivière déterrée
du XIX e siècle par Michel Foucault est édifiant. À vrai
dire, les pp. 252 et 262-263 de leur commentaire montrent
que quelque chose sřest déplacé, et ils en viennent à parler
de « lectures fondatrices ». Or, à notre avis, il nřexiste rien
de tel. Cřest ce qui nous a poussé à pointer ce problème.
Seule lřécriture est fondatrice en tant quřinscription originaire.
Nous le montrerons ailleurs par lřétude de lřœuvre
de Sade et celle de Sacher-Masoch. Pour Rivière, le mémoire
et procès, et pour Gilles de Rais le procès, par la
conservation quřils impliquent comme pièces du greffe,
fonctionnent comme inscription originaire. De là procède
leur valeur pour le psychologue. Mais si épistémè il y a,
voyons quand donc elle a débuté. On trouve déjà chez
Fénelon (1697), dans lřavertissement à lřExplication des
Maximes des Saints, cette idéologie en place. Notre hypothèse
est quřil sřagit dřune extension de lřidéologie catholique,
qui généralise lřattitude de lřÉglise en tant quřinstitution
envers les Écritures Saintes, Ŕ à ne lire quřaccompagnées
dřun commentaire agréé. Au cours du XIX e siècle,
les auteurs (médecins) qui ont écrit sur les passions dans le
dessein plus ou moins déclaré de concilier la médecine et
le dogme catholique (Cf. supra, p. 21, note 39) sont très
pointilleux sur la question de la lecture. À Alibert, Descuret
et Belouino, on peut ajouter leur continuateur (et par-
215
verra la théorie associationniste-génétiste
{216} adopter vis-à-vis de ce sujet une position
aussi extrême que les plus extrémistes
des tenants de lřautre bord. Cřest pourquoi, à
notre sens, elles ne brisent nullement avec
lřépistémè inaugurée par Morel 552.
Il suffirait pourtant de prendre connaissance
des témoignages des patients de
Krafft-Ebing pour constater à quel point ces
théories les chargeaient outrageusement de
torts. À les écouter 553, la lecture de la Psychopathia
Sexualis, tout autant que celle de tel
ouvrage dit « pornographique », avait provoqué
chez eux, qui une révélation, qui une
prise de conscience, préludant à leur décision
dřaller consulter un spécialiste dans un but
thérapeutique. La fonction sociale des dispositifs
de censure sřéclaire du coup. Ces dispositifs
œuvrent à constituer en un groupe
{217} restreint des initiés, détenteurs de
savoir, et à en exclure la masse des profanes.
En pratique, des moyens fort efficaces sont
fois plagiaire) Bourgeois (1860, pp. 80, 84, 123, 126-128,
196). LřIndex est une institution fondamentale du catholicisme.
On peut juger de lřétat lamentable où lřinformation
en est arrivée aujourdřhui quand on aura vérifié que toute
cette littérature sur les passions échappe complètement à
nos contemporains, surtout quand ils se targuent, à lřinstar
de J.-A. Rony (1961), de proposer une esquisse historique.
552 Les premières modélisations freudiennes ne brisent pas
non plus avec elle. Nous le notions un peu plus haut, le
modèle de lřappareil psychique de lřEntwurf (1895) comme
celui du chap. VII de la Traumdeutung (1900) supposent
lřadhésion de Freud au vecteur « Pensée → Action » du horstexte
(T.114) de Ribot, sans quoi ils demeurent incompréhensibles.
Ŕ Cf. aussi supra, p. 146, note 318.
553 Cf. les références fournies à la p. 210, note 520, supra.

mis en œuvre. En font partie les termes ésotériques
(dérivés de racines grecques), et une
langue savante (le bas latin), comme lřavoue
ingénument Krafft-Ebing dans sa préface :
(T.115)
Les pages qui vont suivre, sřadressent aux
hommes qui tiennent à faire des études approfondies
sur les sciences naturelles ou la jurisprudence
554 . Afin de ne pas inciter les profanes
(Unberufenen) à la lecture de cet ouvrage, lřauteur
lui a donné un titre compréhensible seulement
des savants (Gelehrten) 555 , et il a cru devoir se servir
autant que possible de termes techniques. En
outre, il a trouvé bon de nřexprimer quřen latin
certains passages qui auraient été trop choquants
si on les avait écrits en langue vulgaire 556 .
KRAFFT-EBING (1886) : Psychopathia Sexualis,
Préface à toutes les éditions,
PS8 (1893), trf 1895, p. VIII.
À mesure des rééditions de sa Psychopathia
Sexualis Krafft-Ebing a eu le temps de
méditer la vacuité de cet appel 557. Premièrement
par le franc succès de son livre, qui
indique à lřévidence que la censure utilisée
fonctionnait (très) mal. Deuxièmement, par
554 Dans sa préface à Chevalier (1893), p. IV, Lacassagne
lui souhaite que le succès de son livre soit circonscrit à ce
public restreint de spécialistes.
555 {La première Psychopathia Sexualis est la dissertation latine
de HEINRICH KAAN (1844) dévolue à lřonanisme. Ŕ Cf.
SARASIN (2002), pp. 142-143.} (2012)
556 La PS12 (1903), tra5ř 1969, a le grand intérêt de fournir
la traduction de ces passages mis en latin. En France on ne
semble pas prêt de suivre cet exemple, et les tirages de la
PS16-17 trf fournissent toujours au lecteur contemporain
lřoccasion de regretter dřavoir perdu son latin.
557 {Il lřa reconnu Ŗofficiellementŗ dans lřavant-propos de
la PS9 (1894), comme je lřai signalé dans lřadditif placé
entre accolades à la page 150.} (2012)
216
lřécoute de ses patients (et de ses correspondants)
qui lui ont dit à quoi sřen tenir.
Troisièmement, par lřinsistance quřil met à la
PS11 (1901) à placer son discours au même
niveau que celui de Sacher-Masoch, et à
affirmer que ce dernier a été le premier à
révéler le masochisme. Cette dernière assertion,
qui nous avait parue si étonnante 558, se
comprend un peu mieux à la lumière de la
discussion que nous venons de faire.
Si maintenant nous nous évadions de la
Psychopathia Sexualis, nous verrions Krafft-
Ebing très à lřaise, souhaiter au livre de Moll
(1891) Ŕ dont la traduction française fera
lřobjet de poursuites judicaires en 1893 Ŕ un
franc succès auprès des gens cultivés, et non
pas une diffusion circonscrite au cercle étroit
des savants, comme Lacassagne le souhaitera
(diplomatiquement ?) pour le livre de Chevalier,
publié justement en 1893. Nous apprenons
ainsi à connaître un Krafft-Ebing et un
Lacassagne sachant ruser avec les dispositifs
de censure de cette époque, et y réussissant
chacun en son pays. {218 }
(T.116)
Il serait à désirer, dans lřintérêt de ces malheureux
malades et pour lřédification des esprits
éclairés, que ce livre fût aussi répandu que
possible. Ce travail nřest pas un ouvrage populaire,
et lřauteur sřest efforcé de le rendre tel en
employant des artifices de style et des termes
techniques ; mais tout homme cultivé le lira
facilement et je nřhésite pas à le recommander à
558 Cf. supra, chap. I er , § (2), pp. 47-48.

quiconque a souci de la vérité, du droit et de
lřhumanité.
KRAFFT-EBING (1891) : Préface au livre de Moll
sur lřInversion sexuelle, trf 1893, p. IV.
Troisièmement et pour terminer, la
(pseudo-)lecture de Sade et de Sacher-Masoch
par Krafft-Ebing peut être formulée comme
une étape particulière de la lecture de lřœuvre
du marquis de Sade 559. Lřhistoire de la
lecture du marquis de Sade est parsemée de
péripéties qui donnent lřimpression quřelle
est longue alors quřelle sřétend sur moins de
deux siècles. Lauguaa-Traut (1973) lui a consacré
tout un volume. Elle omet néanmoins
dřinsister sur lřessor dont les études sadiennes
ont bénéficié grâce à la promotion du
sadisme par Krafft-Ebing. Rôle involontaire,
et fondé sur un malentendu, mais dřune
efficacité indéniable. Jusquřà Krafft-Ebing
une conspiration du silence avait entouré le
marquis. Grâce à Krafft-Ebing, les langues
pouvaient se délier sous le couvert dřune
contribution à la science.
Durant le XIX e siècle lřœuvre de Sade
était pratiquée avec plus ou moins dřassiduité
par quelques esprits forts. Ceux-ci prisaient
559 {Les trois pages qui suivent ont été remaniées en vue
dřexpliciter ce que jřavais énoncé de manière très allusive
dans ma thèse en 1975, car je prévoyais dřy consacrer par
la suite une étude particulière. En attendant jřavais bâclé ce
que je connaissais le mieux.} (2012)
217
en elle la liberté dřexpression et de pensée
peu communes, et ils lřutilisaient parfois pour
choquer le bourgeois. Tandis que le nom mal
famé de lřauteur courait les ruelles, les
lecteurs de lřœuvre ne formaient quřun cercle
restreint et officieux dřamateurs éclairés. La
promotion du sadisme par Krafft-Ebing attira
lřattention sur Sade de la manière détournée
que nous avons longuement décrite au
chapitre précédent. Le zèle des critiques de la
terminologie de Krafft-Ebing fit le reste.
Leur objectif était de combattre ses choix
terminologiques pour invalider sa théorie. Un
moyen sřoffrait en prenant Krafft-Ebing au
mot. Il suffisait de confronter ce que Krafft-
Ebing dénomme sadisme, avec ce que le
marquis de Sade décrit dans ses ouvrages, et
de montrer leur disparité. Eulenburg prit à
cœur lřexploration systématique de ce contreargument.
Il visait, ainsi que Schrenck-Notzing,
à faire éclater lřopposition Sadisme/Masochisme
en une pléiade dřalgolagnies. Mais la critique
dřEulenburg eut pour résultat de faire sortir
lřœuvre du marquis de sa clandestinité.
Lřétude du Dr Marciat fit davantage encore
en concentrant lřattention sur cette œuvre. La
pathologie sexuelle arrachait Sade à la folie et
à lřexcentricité. Les sexologues pouvaient
maintenant prétendre détenir la clé de cette
œuvre. Dans lřambiguïté de la dérivation Sade
→ Sadisme un discours à mi-chemin de la
science médicale et de la critique littéraire
(voire même de lřhistoire de la civilisation et
des mœurs) prétendait sřinstaller. Cřest alors

que lřouvrage monumental du Dr Eugen
Dühren 560 sur Le Marquis de Sade & son
Temps est publié. Avec ce livre perse une
nouvelle {219 } idée :
(T.117)
Le mérite dřavoir réuni dans ses romans
presque tous les types de la pathologie sexuelle
qui existent, appartient sans contredit, bien avant
R. de Krafft-Ebing, au marquis de Sade. Et lřon
ne saurait douter que la grande diversité des perversions
sexuelles quřil dépeint, lřindividualisation
exacte de chaque type particulier ne reposât
sur lřobservation de la vie réelle.
DÜHREN (1901) : Le Marquis de Sade &
son Temps, trf, p. 400.
Dans son œuvre Sade ne sřest pas limité
à décrire ce que Krafft-Ebing nomme sadisme
mais presque toutes les formes de perversion
sexuelle. À ce titre, Dühren fait du divin
marquis le rival de Krafft-Ebing, ou du
moins son précurseur. Un autre thème de
lřépistémologie « populaire » fait donc son
irruption ici. Un littérateur, un romancier, est
élevé au rang de précurseur de lřétude scien-
560 {Pseudonyme du Dr IWAN BLOCH (1872-1922) lui permettant
de ne pas mêler son nom propre à celui du divin
marquis ou à celui de Restif de la Bretonne, à qui il consacrera
également un gros volume en 1906. Médecin dermatologue,
il est devenu sexologue au tournant du siècle et
sřest associé à MAGNUS HIRSCHFELD (1868-1935) pour
promouvoir la sexologie comme discipline médicale. Son
œuvre sexologique publiée sous son nom propre est abondante
et a reçu un accueil mérité. Il était attentif aux
aspects anthropologiques, historiques et culturels, autant
que médico-psychologiques de la sexualité. Freud en fut
un lecteur assidu, alors quřil semble totalement ignorer les
publications du Dr Eugen Dühren.} (2012)
218
tifique de la pathologie sexuelle 561. Ce
nonobstant, le même auteur sřévertue quelques
pages plus loin à trouver une définition
du sadisme qui satisfasse aux caractères fondamentaux
des écrits de Sade 562. En quoi
nous nřavons aucune difficulté à voir la résurgence
du sens populaire de sadisme, antérieur
à lřusage (restreint) promu par Krafft-
Ebing, où le sadisme qualifiait de manière
générale toutes les formes de conduites perverses
pratiquées par les clients des maisons
de rendez-vous.
Lřinfluence du livre de Dühren a été
décisive. Son œuvre constitue un équilibre
provisoire et instable où la littérature et la
médecine se donnaient la main. À partir de
lui le sadisme se scinda en deux branches qui
suivirent des destinées différentes. La littérature
et la médecine se tournèrent le dos. Côté
médecine, Dühren détruisit les arguments
allégués par Schrenck-Notzing et Eulenburg
au sujet de lřimpropriété du terme de sadis-
561 Sous cette forme nous discernons la résurgence dřune
séquence négligée par K-E, avant lequel Řsadismeř connotait
toutes aberrations du sens génésique, Ŕ Cf. Chap. I er ,
hors-texte (T.18). Ce qui le confirme est lřinexplicable
cécité dont fait preuve Dühren vis-à-vis du fossé qui
sépare radicalement Sade de Krafft-Ebing. Les écrits de
Sade sont ouvertement apologétiques avec une lassante insistance.
Sade vise au prosélytisme en mettant constamment en
avant lřargument suivant quoi toutes les aberrations du
sens génésique sont dans la Nature. Tandis que lřœuvre de
Krafft-Ebing est celle dřun médecin qui estime que les
aberrations du sens génésiques Ŕ une fois quřon sřest
assuré quřelles nřémanent pas de la perversité du sujet Ŕ
relèvent de la pathologie et réclament en conséquence des
soins médicaux.
562 DÜHREN (1901), trf, p. 414.

me. Le plaidoyer de ces deux auteurs en
faveur dřune pléiade dřalgolagnies fut presque
entièrement enseveli, ne laissant dépasser que
les deux formes active et passive. Cet usage
fut solidement scellé un peu plus tard par
Freud et le mouvement psychanalytique.
Avec le recul nous pouvons ajouter que cet
usage fut scellé une fois pour toute. On a
lřimpression que lřhistoire sřest arrêtée là.
Côté littéraire, le panorama est tout différent.
Heureux Dühren ! Peu de temps
après avoir publié son livre sur Le Marquis de
Sade & son Temps, il eut la bonne fortune
inouïe de découvrir le manuscrit des 120
Journées de Sodome, égaré par le marquis quand
il fut transféré de la Bastille 563. Il le publia
avec des annotations. Dühren accompagne
pas à pas lřeffort systématique du marquis
dřexplorer les combinaisons les plus aberrantes
des perversions du sens génésique en
traçant des correspondances avec la littérature
médicale et la littérature spécialisée. La
Psychopathia Sexualis de Krafft-Ebing se taille
dans ces notes la part du lion, suivie de la
sienne propre, avec de-ci delà des références
à quelques autres auteurs. Avec cette publication
le malentendu est porté à son comble.
563 {Manuscrit aussi extraordinaire par sa présentation
matérielle que par son contenu. Il sřagit dřun rouleau de 11
cm de large sur 12 mètres de long, écrit recto verso en
caractères microscopiques. La ressemblance matérielle de
ce manuscrit avec les rouleux modernes de papier hygiénique
place résolument cette œuvre à lřenseigne de
lřanalité. Jřen ai dit quelques mots ailleurs. Ŕ Cf. AZAR
(2002), pp. 35-36.} (2012)
219
Lřexacerbation des susceptibilités entre
Allemands et Français nřépargna pas les
« intellectuels ». Sade fut entre eux une pomme
de discorde allant crescendo jusquřà la fin
de la première guerre mondiale 564. Au sortir
de la guerre, dadaïstes et surréalistes y ajoutèrent
leur grain de sel. Le monde littéraire
proprement dit du XX e siècle reçut lřœuvre
de Sade dans ces nouvelles conditions qui en
changeaient lřacception. Cependant, lřamalgame
entre littérature et médecine survécut
quelques décennies de part et dřautre. Quelques
médecins rédigent encore leur thèse en
prenant Sade pour sujet 565. Du côté littéraire,
celui qui fit tant pour les études sadiennes
Ŕ Maurice Heine Ŕ était médecin et avait
débuté sa carrière en publiant en 1926 un
Recueil de confessions et observations psychosexuelles
tirées de la littérature médicale. Dans son avant
propos il se range dans le camp de Schrenck-
Notzing. À ses yeux le sadisme et le masochisme
sont mal nommés. Il se déclare pour
leur abandon en faveur de lřalgolagnie Son
continuateur, ami et disciple, Gilbert Lely, a
lui-même persisté à placer lřessentiel de ses
564 {Il nřest que de comparer lřanti-germanisme pour ainsi
dire de bonne compagnie du Dr JACOBUS X... (1901), à
lřanti-germanisme frénétique de LOUIS MORIN (1918).
Lřouvrage de ce dernier porte un titre-programme : Comment
le Docteur Boche pour justifier à lřavance les infamies allemandes
accusait de sadisme sanglant les Français en général et les Parisiens
en particulier. Le docteur Boche est évidemment Eugen
Dühren, dont lřauteur ne se préoccupe pas de percer
lřanonymat.} (2012)
565 Cf. SARFATI (1930) et JAVELIER (1937).

travaux à lřenseigne de lřalgolagnie 566. Tout
cela se révélait de moins en moins convainquant
aux nouveaux lecteurs du divins marquis.
En quelques décennies, la littérature
reprit entièrement et définitivement possession
du marquis de Sade, et la notion de
sadisme {220 } commença à déserter les
études littéraires. Le comble de la distorsion
fut atteint à la fin des années soixante. Le
renouvellement prodigieux du lectorat du
marquis de Sade en France poussa certains à
entreprendre une réhabilitation équivalente
de lřœuvre de Sacher-Masoch, Ŕ mais cette
tentative tourna court 567. Personne ne veut
lire autre chose de Sacher-Masoch que la
Vénus à la Fourrure.
566 LELY (1965) : Vie du Marquis de Sade, nouv. éd. refondue,
p. 13 et suiv. {Il a fallu que LACAN (1963) dénonce
ces sottises dans lřincipit de son Kant avec Sade : « Que
lřœuvre de Sade anticipe Freud, fût-ce au regard du catalogue
des perversions, est une sottise, qui se redit dans les
lettres, de quoi la faute, comme toujours, revient aux spécialistes.
» (Écrits, p. 765). Lacan substitue Freud à Krafft-
Ebing, alors quřil aurait mieux fait les adjoindre. Maurice
Heine et Sarfati ont introduit ce nouvel usage. Ŕ Cf.
HEINE (1930-1933, pp. 94, 100 et 107) ; SARFATI (1930).}
567 Ce fut GILLES DELEUZE qui en prit lřinitiative en 1967
dans un livre suprêmement habile, où il clarifiait des confusions
tout en fabriquant de nouvelles. Notons également
que lřAssociation Psychanalytique de France publia un
Bulletin (juin 1968, n°4) Autour du Masochisme. Lřéditeur
Tchou sřengouffra dans la brèche. Il réédita les livres de
Schlichtegroll et de Wanda, ainsi quřun ensemble luxueux
de trois volumes dřœuvres de Sacher-Masoch sous coffret.
Ŕ Ce fut un gouffre financier. Quelques années plus tard
{221 } ces beaux volumes se retrouvaient soldés sur les
quais de la Seine.
220
Lřhistoire édifiante et curieuse des termes
de sadisme et de masochisme est par
conséquent une succession de distorsions par
déplacement. La lecture de la Vénus en Fourrure
de Sacher-Masoch par des patients de
Krafft-Ebing en est le point de départ. Peu
après que Krafft-Ebing eût pris lřinitiative
dřintroduire les termes de masochisme et de
sadisme dans le discours médical en tant que
couple antithétique, une théorie généralisée
de lřalgolagnie chercha à discréditer ces termes
en utilisant contre Krafft-Ebing la lecture
des œuvres du marquis de Sade. Mais la
lecture de Sade, et la découverte et la publication
du manuscrit supposé perdu des 120
Journées de Sodome a provoqué un mouvement
généralisé de relecture aboutissant, vu lřimportance
de cette œuvre, à renouer avec
lřappellation de sadisme. Le déferlement de la
psychanalyse amena dřautre part la restitution
du couple antithétique. Cřest ainsi que la
théorie généralisée de lřalgolagnie fut ellemême
évincée par la théorie restreinte des
formes active et passive, dorénavant couplées
solidement à la terminologie primitive de
Krafft-Ebing. Enfin, cřest la fortune toujours
plus florissante de la lecture de Sade qui fixa
en dernier lieu la terminologie de Krafft-
Ebing, évinçant définitivement lřalgolagnie.
Un dernier paradoxe sřensuivit, refermant le
cercle des déplacements par un renversement
dernier, la (re)lecture de Sade aboutit à une
tentative de (re)lecture de Sacher-Masoch.

Du point de vue épistémologique, cela
montre quřà strictement parler les termes de
sadisme et de masochisme, tels quřils sont
aujourdřhui utilisés, nřentretiennent avec
ceux que Krafft-Ebing a inventés quřune
ressemblance formelle et superficielle. La
dérivation de ces termes alors et aujourdřhui
nřest pas la même. Bien quřils procèdent de
Sade et de Sacher-Masoch, les raisons de la
dérivation ont changé, tout comme leur
contenu sémantique. Pour Krafft-Ebing ils
dénotaient la relation sexuelle de domination
sans limite sur autrui (sadisme) ou de soumission
sans limite à dřautrui (masochisme).
Aujourdřhui ils connotent une douleur infligée
(activement) ou subie (passivement). Il nřest
pas impossible que le {221 } thème de
lř « attachement » 568 soit la forme sous laquelle
fait retour aujourdřhui le sens primitif des
termes de sadisme et de masochisme.
568 Cf. ZAZZO & al. (1974). Cf. supra, le hors-texte (T.56),
note 241, p. 120.
221
{221 suite }
§ (3) Ŕ Résurgence de la
question sociale
Moins problématique est la résurgence
de la question sociale, séquence négligée par
tous les commentateurs de Krafft-Ebing.
Aucun dřentre eux, à notre connaissance, nřa
envisagé de contrebalancer sa théorie de la
ŘŘservitude sexuelleřř, ni nřa pris la peine de lui
accorder la moindre réflexion. Du point de
vue épistémologique, la théorie de la servitude
sexuelle de Krafft-Ebing est ombilicale.
Elle tient compte, au sein de la théorie, des
conditions qui ont présidé à sa constitution,
cřest-à-dire à lřanalyse institutionnelle de la
prostitution par les publicistes français qui
ont inspiré Krafft-Ebing.
La servitude sexuelle, nous lřavons dit,
désigne une relation interpersonnelle dans
laquelle un individu tombe dans la dépendance
(non perverse ? pseudo-sexuelle ?) dřun
individu de lřautre sexe, dépendance qui
entraîne lřassujetti à commettre et à tolérer
des actes compromettant souvent gravement
ses propres intérêts, contraires aux lois, aux
bonnes mœurs ou aux bienséances 569.
569 Clairement énoncé dès la PS7 (1892), p. 142, tra p. 141 ;
PS8 (1893), trf 1895, p. 184 ; PS12 (1903), tra5ř 1969,
p. 228. ― Cf. Krafft-Ebing (1892e).

Krafft-Ebing considère que le mobile du
sujet dominateur est {222 } lřégoïsme 570,
que les faits sont très variés dans leurs formes,
et que leur nombre est très grand 571.
Son énumération nřest pas dépourvue de
verve. Il en fait deux listes, lřune pour les
hommes, lřautre pour les femmes, où il prend
en considération sept situations pour chaque.
La liste consacrée aux femmes est précédée
dřune longue explication sur les raisons qui
font de la servitude sexuelle féminine une
éventualité incomparablement plus fréquente
que la servitude sexuelle masculine. Krafft-
Ebing évoque trois raisons. La première cřest
que lřamour nřest presque toujours pour
lřhomme quřun épisode, alors que pour la
femme lřamour est la vie même. Lřhomme
quřelle possède signifie pour elle le sexe tout
entier. La deuxième, cřest que les rapports
normaux entre les sexes, tels que les lois les
régissent et tels que les usages les règlementent,
sont loin de se conformer à la parité. Ils
destinent déjà la femme à une grande dépendance
572. Quant à la troisième la voici :
(T.118)
Sa servitude deviendra encore plus grande
par les concessions quřelle fait à lřamant pour
obtenir de lui cet amour qui pour elle ne peut se
remplacer ; dans la même mesure sřaugmenteront
les prétentions des hommes qui sont déci-
570 PS7 (1892), p. 144, tra p. 142 ; PS8 (1893), trf 1895,
p. 185 ; PS12 (1903), tra5ř 1969, p. 229.
571 Idem.
572 Cette idée est reprise de J.S. MILL (1869). Cf. à ce sujet
supra, pp. 180-181 et 203.
222
dés à mettre à profit leurs avantages et à faire
métier dřexploiter lřabnégation illimitée (grenzenlosen
Opferfähigkeit) de la femme.
Tels sont : le coureur de dot qui se fait payer
des sommes énormes pour détruire les illusions
quřune vierge sřest faite de lui ; le séducteur réfléchi
et calculateur qui compromet une femme et
spécule en même temps sur la rançon et le chantage
; le soldat aux galons dřor, lřartiste musicien
à la crinière de lion qui savent provoquer chez la
femme un brusque : « Toi ou la mort ! », un bon
moyen pour payer les dettes ou pour sřassurer
une vie facile ; le simple troupier qui, dans la cuisine,
fait payer son amour pour la cuisinière en
bons repas ; lřouvrier-compagnon qui mange les
économies de la patronne quřil a épousée ; et enfin
le souteneur qui force par des coups la prostituée,
dont il vit, à lui gagner chaque jour une
certaine somme. Ce ne sont là que quelques unes
des diverses formes de la servitude dans laquelle
la femme tombe forcément par suite de son
grand besoin dřamour et des difficultés de sa
position.
KRAFFT-EBING : PS7 (1892), p. 145, tra p. 143-144,
PS8 (1893), trf 1895, p. 187,
PS12 (1903), tra5ř 1969, p. 231.
Hegel, dit-on, avait un instant hésité à
prendre pour exemple de la dialectique
(devenue celle du maître et de lřesclave), la
relation amoureuse ( *). Grâce à quoi il fut en
mesure dřestimer à sa juste valeur le travail
(comme rédemption). Il restait à Marx à préciser,
à partir de la subversion de la notion
hégélienne dřaliénation, le concept de plusvalue.
Les faits de servitude sexuelle énumé-
* Nous renvoyons à lřexposé précis et succinct de Planty-
Bonjour in Hegel (1803-1804), pp. 40-45. (Addition sur
mon exemplaire de travail.)

és par Krafft-Ebing dans le hors-texte
(T.118) {223 } présentent tous, greffée à la
relation de dépendance sexuelle, une relation
vénale que nous avons soulignée typographiquement
en reproduisant son texte. Pour
Krafft-Ebing, et pour autant que nous puissions
interpréter sa pensée 573, il nřaurait pas
été en peine dřexpliquer cette coïncidence sur
le modèle de ce quřil a dit de la douleur pour
le masochiste. Il aurait pu dire que la relation
vénale est la manière la plus forte de
manifester la relation de dépendance. Cette
optique est entérinée par des recherches plus
récentes, en particulier par les acquis de la
psychanalyse 574. Il faut concéder à cette
solution un intérêt néo-hégélien remarquable.
Néanmoins, et dřun point de vue néomarxiste,
tous les exemples de servitude sexuelle
relatés ci-dessus ne sont pas du même acabit.
Nous ne voudrions insister que sur le cas le
moins discutable après ce que nous en avons
dit au chap. I er, Ŕ la condition de la prostituée.
Mises à part les contingences individuelles
pour lesquelles nous ne connaissons pas
de détermination en dernière instance, la
condition de la prostituée doit être rapportée
à sa situation institutionnelle. Autrement dit,
à son insertion dans la division du travail en
tant que productrice de plus-value. La situa-
573 Il ne sřest pas exprimé sur ce sujet.
574 Dans la construction du Moi, la douleur est une expérience
fondamentale. FREUD le soulignait dès lřEntwurf
(1895). Quant à la valeur affective attachée à lřargent, elle
est devenue, depuis un certain article de FERENCZI (1914),
un lieu commun.
223
tion institutionnelle relève dřune autre dimension
de la réalité humaine que les relations
intersubjectives. Elle relève du politique
575. La maison de tolérance tout autant
que la prostitution clandestine sont des institutions
totalitaires. Lřexploitation y est extraordinairement
efficace à cause, précisément,
de la sujétion sexuelle 576, de sorte que la
travailleuse est, selon lřexpression de Marx,
tannée 577, avec {224 } ce que nous oserions
qualifier de production à mort de plus-value. En
utilisant le même model de raisonnement que
Krafft-Ebing, nous dirions que, dans une
économie de marché, la servitude sexuelle est
le mode de production où la plus-value est la
plus forte, et cřest justement ce à quoi tend
de toutes ses forces ce système 578.
La dimension politique des phénomènes
de sujétion sexuelle nřest pas totalement abo-
575 Comp. avec MENDEL (1972a). Nous avons discuté les
conceptions de Mendel in AZAR (1974b).
576 Sujétion sexuelle à la matrone dans les maisons de tolérance,
au souteneur dans la prostitution clandestine, et, dans
les deux cas à la police par-dessus le marché. Tout cela est
mis au service du client. Ŕ Cf. Chap. I, § (2), p. 69, supra.
577 En arabe on utiliserait le verbe Ŗtraireŗ (ﺐﻠﺣ). Il existe
dans le Livre I er du Capital de MARX les prémisses dřune
véritable « pathologie industrielle », Ŕ lřexpression est dřailleurs
de lui (1867gf, p. 268 ; 1867es, tome II, p. 52). Pour parler
du capitalisme, Marx a recours aux expressions suivantes :
être tanné (gf, 137 ; es1, 179) ; vampire (gf, 179, 195 ; es1,
229, 252) ; les traits du visage sřeffacent (gf, 186 ; es1, 239) ;
passion aveugle et démesurée (gf, 200 ; es1, 259-260) ; quelque
chose de monstrueux, le corps morcelé du travailleur (gf, 266 ; es2,
49) ; monstre mécanique, démoniaque (gf, 363 ; es2, 182). Ŕ À
notre sens, dans tous ces passages Marx parle de lřinstinct
de mort.
578 {Le harcèlement sexuel nřest pas adventice. Cřest un
procédé de gestion ressources humaines dřune entreprise.}

lie par Krafft-Ebing puisquřil leur reconnaît
une importance médico-légale. Cet intérêt est
éludé par les auteurs français auxquels nous
nous sommes référé au 1 er débet de ce chapitre.
En sřaccordant entre eux, et avec
Krafft-Ebing lui-même 579, ils ont dénié au
masochisme un intérêt médico-légal, et par la
même occasion il ont également esquivé
toute allusion à la servitude sexuelle. Cřest
que, comme nous avons eu lřoccasion de le
signaler, la théorie de lřobsession-impulsion
vers laquelle ils étaient portés excluait non
seulement la dimension du politique, mais
même lřexistence de lřautre (personne), et
avec elle toute perspective interpersonnelle.
Chue au rang de séquence négligée elle réapparaîtra
soudain dans le déferlement brutal
de la psychiatrie phénoménologique 580.
Mais ceci est une autre histoire.
579 K-E a, en effet, lui-même souligné le peu dřintérêt
médico-légal du masochisme en regard de celui du sadisme,
mais il lřa également opposé, de ce point de vue, à
lřinversion sexuelle. Ŕ Cf. PS12 (1903), tra5ř 1969, pp. 193,
239-240, n., et 557. De plus, il signalait dans les mêmes
passages la signification pratique de lřimpuissance psychique,
tant en connexion avec le masochisme quřavec le fétichisme
et lřinversion. Cela montre que les considérations
énergétiques se sont maintenues après les remaniements
théoriques décrits au chap. II.
580 Cette brutalité est due à lřirruption de la philosophie
dans le discours psychiatrique. Comme nous lřavons vu
(note 507, p. 208), vers la fin du XIX e siècle la philosophie
avait été repoussée à lřécart. La psychiatrie phénoménologique
réinjectait la dimension intersubjective dans une
psychiatrie revenue pratiquement à la description de
symptômes, et à des discussions nosographiques, physiologiques
et pharmacologiques. (Nous simplifions beaucoup
évidemment).
224
Si lřon considère la fonction de la servitude
sexuelle dans la théorie du masochisme,
et quřon se rappelle quřelle servait à neutraliser
toute conception mixte du sadomasochisme
là où les symptômes de sadisme et de
masochisme se côtoient chez la même
personne, on comprend fort bien que, inversement,
toute conception mixte du sadomasochisme
implique quřon se défasse de la
servitude sexuelle. {225 } Lřargument en
faveur du sadomasochisme a été avancé par
Schrenck-Notzing (et Eulenburg) parmi
dřautres critiques que ce courant associationniste-génétiste
avait présentées afin de dénoncer
lřimpropriété des termes choisis par
Krafft-Ebing. De ce fait, le recours théorique
à la servitude sexuelle nřavait plus lieu dřêtre.
Du coup, la prise en charge de la dimension
politique que la servitude sexuelle assumait
chez Krafft-Ebing était perdue pour ses
contradicteurs.
Le livre du pseudo Dr Dühren (1901)
sur le marquis de Sade en est un bon exemple
581. La dimension sociale, négligée dans la
théorie des pulsions sexuelles, réapparaît à un
point plus fondamental. Par le canal de lřéducation,
Dühren plaide pour une causalité
sociologique de la perversion sexuelle qui ne
laisse aucune place à la psychologie. Elle ins-
581 IWAN BLOCH appartient au même courant de pensée
que Schrenck-Notzing et Eulenburg. Ce dernier a même
préfacé son gros livre intitulé : Contributions à lřétiologie de la
psychopathia sexualis, Dresde, Dohrn éditeur, environ 700 p.
en 2 vol., publiés en 1902 et 1903.

pire cette théorie extrémiste de la lecture dont
nous avons fait plus haut état (2 e débet) 582.
Iwan Bloch est un néo-hégélien délibéré 583.
Il le clame dès son entrée en matières 584. Par
ce biais, et malgré son hostilité de principe
pour la doctrine de la dégénérescence, il en
vient à adopter la même position que Krafft-
Ebing vis-à-vis de lřhérédité, inspirée des
idées en vogue dřAugust Weismann. Ce dernier
frappa les esprits en Allemagne 585 par
ses arguments imparables contre lřhérédité
des caractères acquis, privilégiant lřhérédité
par la continuité du plasma germinatif sur
lřhérédité par reproduction. Bloch le comprend
à sa manière (hégélienne), et en tire
parti en disant : « Lřindividu sřefforce de produire
lřespèce, tout en nřétant pas apte à la réaliser et à
lřobjectiver. Cependant, cřest ce quřexige le but absolu
de lřespèce et de lřindividu. » Mais cela le conduit
à adopter des options radicales qui présagent
les conclusions de son livre.
(T.119)
En un mot : ce nřest pas lřinterprétation
psychologique touchant lřindividu, mais seulement
lřappréciation psychologique concernant le
milieu social qui est apte à faire connaître véritablement
le personnage de Sade.
582 {MURRAY J. WHITE (1973), lřauteur de lřunique étude
consacrée à Iwan Bloch, a également noté cet aspect.}
583 K-E était néo-hégélien sans le savoir.
584 BLOCH (1901), trf p. 2 : « Selon nous, qui suivons rigoureusement
la méthode historique, critique et dialectique de Hegel,... »
585 Ailleurs on traîna des pieds. En France, Félix Le Dantec
(1869-1917) se montra intraitable et sřengagea avec détermination
en des combats dřarrière-garde. Quant à Freud...
il détourna les yeux et fit semblant de ne rien voir.
225
DÜHREN (1901) : Le Marquis de Sade &
son Temps, trf, pp. 28-29,
Cf. aussi pp. 30-31.
Ces conclusions, lřauteur sřy attardera
longuement 586 nřépargnant pas au lecteur
une comparaison entre lřesprit national allemand
et lřesprit national français 587, qui, vu
le contexte, tourne à lřinjure 588. {226 }
(T.120)
Ce nřest quřen ayant recours à une explication
basée sur la pathologie sexuelle, quřon peut
comprendre certaines manifestations et certains
excès de lřesprit national français, qui rappellent
directement des faits sadiques.
DÜHREN (1901) : Le Marquis de Sade &
son Temps, trf, pp. 28-29,
Cf. aussi pp. 30-31.
... Et de citer les affaires Dreyfus et
Voulet-Chanoine. La réaction française ne
sřest pas fait attendre. En 1901, dans lřavantpropos
de son livre sur le marquis de Sade, le
Dr Jacobus X... parle de « gallophobie » 589.
La première guerre mondiale rouvrit la plaie.
Le Dr Paul Voivenel 590, envoya du front, en
1917, deux articles au Progrès Médical agré-
586 BLOCH (1901) : Le Marquis de Sade & son Temps, trf,
pp. 457-471.
587 VILLERS (1806) avait déjà soutenu des idées semblables.
588 Il ne ménagera pas plus son lectorat anglais dans son
livre sur la vie sexuelle en Angleterre (BLOCH, 1901-1903).
589 Le mot est resté. On le retrouve chez VOIVENEL,
SARFATI, JAVELIER, LELY, etc.
590 {Personnage haut en couleur, né à Toulouse. Il fut piloté
au Quartier Latin par Rémy de Gourmont, se fit un nom
avec sa plume, et fut un passionné de rugby... Une thèse de
médecine a été consacrée à sa vie et à son œuvre. Ŕ Cf.
LESTRADE (1998).}

mentés dřinvectives appropriées. Un passage
mérite sans doute dřêtre reproduit :
(T.121)
Les allemands sont à la fois et dřexcellents
soldats et facilement des pervertis sexuels.
Le bon docteur Duehren, dans son livre sur
le marquis de Sade, prend un méchant plaisir à
ressasser que le Sade quřil présente est le prototype
de la société française dřalors. Je ne voudrais
pas obéir aux mêmes sentiments en songeant à la
nation allemande à propos de Masoch, mais je
crois quřil nřest pas exagéré de la présenter
comme atteinte de masochisme social.
On dirait que le boche nřest satisfait que
quand il est flagellé et battu par ses dirigeants.
Jamais la bastonade nřa fleuri comme chez
lui.
Candide en a jadis su quelque chose.
Lisez les affirmations suivantes du Grand
Frédéric et dites-moi si nous nřavons pas raison
en parlant de masochisme social !
« Vous voyez tous ces hommes ; chacun pris
séparément ne peut pas faire autrement que de
me haïr. Une fois dans le rang, quand ils savent
que derrière eux se tient le feldfebel armé de son
bâton, ils tremblent devant moi et me défendraient
eux-mêmes contre les assassins.
« Mais ce qui est le plus fort, je nřai quřà
commander et ils voleront au feu et ils donneront
leur vie pour moi, sans réflexion, car ils
ignorent jusquřau but de la guerre ; seulement ils
nous croient moi et mes caporaux, quand nous
leur disons quřils doivent mourir pour moi. Et
comment ai-je obtenu ce résultat ? En premier
lieu à lřaide du bâton. »
LřAllemand manifeste partout, dans lřarmée,
dans la politique, dans la science, le plaisir Ŕ tel
un Galandot 591 ou un Masoch Ŕ de cirer les
591 {M. de Galandot est le personnage focal du roman
dřHENRI DE REGNIER (1900) : La Double Maîtresse. Ŕ Fautil
préciser que ni M. de Galandot ni le chevalier de Sacher-
226
bottes de lřÉtat. Il en délire de joie. Il en est en
état de spasme. Voyez-le, avant la guerre, se
prosterner avec jubilation devant ses officiers.
Voyez-le aujourdřhui accepter toutes {227 } les
duretés de la Kommandatur. Soldat, il se fait tuer
pour les officiers qui le flagellent. Savant, il nřest
heureux que dans lřisolement dřune cellule de la
science.
VOIVENEL (1917a) : À propos de Sacher-Masoch,
pp. 4-5,
Lřannée suivante, ce fut le tour de Louis
Morin dřajouter son grain de sel 592.
Rebelotte au cours de la seconde guerre
mondiale 593, dont on trouvera un écho différé
au n°70 du Nouvel Observateur de 1966. La
résurgence de la question sociale à la première
guerre mondiale était le résultat dřune
séquence négligée par la théorie associationniste
dans sa version génétiste. La répétition
qui eut lieu à la deuxième guerre mondiale
est en revanche le fruit dřune négligence de la
psychanalyse freudienne. En reprenant les assertions
tendancieuses de Havelock-Ellis 594,
par lesquelles Freud légitimait sa conception
du sadomasochisme, il laissait tomber du
même coup, comme Iwan Bloch et consorts,
la théorie de la servitude sexuelle de Krafft-
Masoch ne ciraient les bottes de lřÉtat, et quřils prenaient
leur plaisir (sexuel) ailleurs que dans des relations hiérarchiques
institutionnalisées ? À trop faire le malin, le jeune
Dr Voivenel finit par dire des sottises et par faire des amalgames
ineptes.}
592 Cf. note 564, p. 219 supra.
593 BETTELHEIM (1960) sřest occupé de la question.
594 Cf. FREUD (1905d), Trois Essais sur la Théorie Sexuelle, trf
pp. 173-174, n. 27. Ŕ GW, 5 : 59, n.

Ebing. Il en résultat le même préjudice. La
sociologie vint envahir la psychologie et la
déloger de son propre domaine. Tout
comme lřavait fait Schrenck-Notzing 595,
Freud présentera à lřappui des faits tirés de
lřhistoire des peuples 596.
La conception dřun instinct de mort par
Freud, en sus des déterminations propres à la
doctrine 597, est surdéterminée par deux contraintes
relatives au discours psychiatrique.
La première fait de lřinstinct de mort une
résurgence de la théorie de la dégénérescence
598, écartée sans une critique approfondie.
La seconde en fait la résurgence de la
question sociale dans une théorie qui lřavait
négligée du fait de ne pouvoir la dominer.
Lřécho différé du Nouvel Observateur en
1966 est déterminé enfin par la nouvelle
étape quřavaient inaugurée les recherches de
595 Cf. le hors-texte (T.102) de SCHRENCK-NOTZING,
p. 194, et FREUD (1905d), trf p. 45. Ŕ GW, 5 : 58.
596 {Il nřa pas échappé au Pr Laplanche que lřétude de
FREUD (1918a) sur le tabou de la virginité est lřune des
rares de son œuvre (avec le Leonardo) où la relation intersubjective
reçoit son dû. Il nřa pas cherché à savoir
pourquoi, tout occupé de lřexistence de lřinconscient de
lřautre et de son désir, lesquels appartiennent évidemment
à la problématique freudienne. Pour ma part je ne saurais
omettre de souligner que toute lřargumentation de Freud
dans le tabou de la virginité roule autour de lřétude de
Krafft-Ebing (1892e) consacrée à la servitude sexuelle, et
que cřest pour cela que la relation intersubjective y est
prévalente. Freud a médité K-E beaucoup plus quřon ne le
croit. Ŕ Cf. LAPLANCHE, Problématiques II, pp. 91-109, et
175-176, et Nouveaux Fondements..., pp. 101-102.}
597 LAPLANCHE (1970) sřest employé à mettre minutieusement
à jour ces déterminations doctrinales.
598 Il suffit de relever le recours de Krafft-Ebing et de
Freud (1920, trf p. 57) à August Weismann.
227
Gilbert Lely dans lřétude de la vie et de
lřœuvre du marquis de Sade.
{228 } Les tentatives dřarticuler les disciplines
psychologique et sociologique ont
produit une pléthore de solutions sophistiquées.
Le sujet est aujourdřhui à la mode, Ŕ
cřest tout dire. La recherche en ce domaine
étant en ébullition, il est prématuré dřen présenter
un panorama. Au demeurant il nřest
pas bon dřêtre à la fois juge et parti 599. Nous
avons laissé entrevoir notre parti par la manière
de traiter le problème de la prostitution
au XIX e siècle. Ce nřétait pas fortuit.
La prostitution (clandestine) se présente
aujourdřhui encore à lřattention dans des
conditions qui devraient permettre de mieux
formuer le problème. Nous nous bornerons
à le signaler. Que lřon compare, en effet, aux
documents laissés par le XIX e siècle, les
révélation de Xavière Lafont (1973) pour Le
Nouvel Observateur 600. Les recoupements et les
599 Cf. AZAR (1974b).
600 Ce texte est plus instructif que la relation romancée et
très censurée sans aucun doute, du livre de 1971. Il dénote
aussi une maîtrise du vocabulaire et des notions psychanalytiques
actuelles qui ne laisse pas de surprendre. Il nous
semble pourtant, tout compte fait, moins suspect que le
livre où nous croyons déceler une plume mercenaire ayant
scrupuleusement retouché (voire réécrit) le livre. Mais alors
que le témoignage de JACKIE (in Benichou, 1972, pp.
869-871) est concordant, celui de ULLA (1975, p. 9), aux
dernières nouvelles, sřen démarque.

différences sont aussi notables les uns que les
autres. Lřexploitation de la prostituée par une
bande de souteneurs a bénéficié des progrès
des sciences et des leçons de lřhistoire. On
utilise une technique Ŕ la punition Ŕ dřune
radicale efficacité. Laissons pour les amateurs
et les curieux la surprise de la découverte, et
bouclons cette étude avec un petit passage
récapitulatif :
(T.122)
La punition, cřest une institution dans le
monde des souteneurs. Cřest à la fois leur système
D et leur passe-temps favori. Leur politique
pour tenir les filles et leur façon de prendre du
plaisir. Du sadisme à lřétat pur, pratiqué par une
Gestapo dřaujourdřhui.
LAFONT (1973) : La Punition, p. 58.
Un coup dřœil rétrospectif en direction
du texte « originaire » sur le sadisme Ŕ celui
de Guyot (T.11) Ŕ nous remet brusquement
sous les yeux tout le chemin parcouru au
triple point de vue des protagonistes, des
échanges, et des significations. En rejoignant
lřactualité nous sommes projetés cent ans en
arrière !
228

Extrait
Extrait polémique & spéculatif de mes opinions
en épistémologie
{La docte ignorance}. ― Lřaudace de K-E est aujourdřhui lettre morte (229). ŕ Palmarès
piteux des spécialistes (229). ŕ Amateurisme & désinvolture doctorales (230). ŕ
Caquetages & kiryelles dřinexactitudes chez les plumitifs (230). ŕ Exposé dogmatique de
lřarrière-plan spéculatif de ce travail (234).
§ (1) - Axiomes. ŕ Lřépistémologie des sciences humaines est une science humaine (234).
ŕ Une histoire des sciences par énigmes & corps du délit (234). ŕ Il existe quelque
chose comme le temps épistémologique dřune pratique discursive (235). ŕ La valeur de
lřépistémologie de Bachelard est mise en question (235). ŕ Cřest une pédagogie se
nourrissant dřhistoriettes (236). ŕ Deux remarques sur le temps épistémologique chez
K-E (238).
§ (2) - Lois. ŕ Les chemins de la création nřont pas de valeur épistémologique (239). ŕ
Le discours spéculatif est prévisible, la pratique expérimentale ne lřest pas (239). ŕ
Lřeuphorie du discours scientifique trahit lřexistence de points aveugles dans la théorie
(240). ŕ Quand il y a recouvrement entre formations discursives il faut sřattendre à une
résurgence différée des séquences négligées (240). ŕ Il nřy a pas, dans les sciences
humaines, de coupure épistémologique au sens propre du terme (240). ŕ Il existe une
dégradation continuelle du discours des sciences humaines qui enveloppe les luttes
institutionnelles dans un filet idéologique (241). ŕ Lřhistoire des sciences doit sřépauler à
lřanalyse institutionnelle (241). ŕ Trois notions de base y sont opératoires : la fiction, la
censure, et la lutte de classe dans la théorie (241). ŕ La sécheresse de cet exposé est
(partiellement) rachetée par des exemples concrets fournis dans les notes de bas de pages.
ŕ Faustroll, nous dit-on, voyageait sur un crible... (242).
229

230

{Présentation de cet ‛Extrait’. ― Cřest lřune de mes
excentricités que dřavoir laissé cette thèse sans
conclusion. Y avoir joint cet Extrait incongru ne
relève plus de lřexcentricité mais de la provocation
pure. La première partie (sans titre) de cet
Extrait rassemble les témoignages de la docte
ignorance entourant Krafft-Ebing, sa Psychopathia
Sexualis, et la formation des termes de sadisme et
de masochisme. Lřon a ainsi une photographie
de lřétat des lieux avant que je ne les investisse.
Je mřemploie ensuite à énoncer de manière
dogmatique (et polémique) quelques unes de mes
opinions épistémologiques, réparties entre
Axiomes (au nombre de trois) et Lois (au nombre
de six). Lřaridité de cet exposé est à peine tempérée
par les explications et les exemples fournis
dans les notes. Mais la présentation polémique
est, en revanche, aggravée par le ton acerbe de
ma critique de lřépistémologie de Bachelard.
Dans cette édition de ma thèse, jřai joint en
complément mon Discours de soutenance, le Rapport
du jury, et un Commentaire à distance ( *). Ils peuvent
constituer à juste titre la conclusion (manquante)
de cette thèse.}
* Cf. pp. 276-292, infra.
231
{229 }
Ce 601 que lřon sait aujourdřhui de lřaudace
de Krafft-Ebing est si peu chose quřune
revue de la question nous a paru sřimposer.
Lřéclatante renommée de cet auteur autorisé
de la fin du XIX e siècle est, pour la postérité
que nous représentons en 1975, un ensemble
vide. Son auréole nřenserre que le néant. Le
livre de Pélicier sur lřhistoire de la psychiatrie
mentionne tout juste son nom 602. Tandis
que les récents dictionnaires biographiques,
destinés spécialement aux besoins de lřUniversité
Ŕ tels que le Robert 2 ou le Pluridictionnaire
Larousse Ŕ lřomettent tout simplement.
Les spécialistes (ou prétendus tels)
sont plus farfelus. Certains font de la discrétion
leur vertu cardinale, comme Anthony
Storr 603 et Jacques Chazaud 604. Ils se limitent
au plus patent. Sadisme dérive de Sade ;
masochisme, de Sacher-Masoch. Sřensuivent
des considérations amateuristes sur le bienfondé
de ces « imputations », étayées sur
lřaporie éculée de lřhomme et de lřœuvre. Ces
auteurs négligent dřattribuer à Krafft-Ebing
les dérivations en question. Il se peut quřils
nřen sussent rien.
601 {Les cinq pages qui suivent pourraient être intitulées no
manřs land ou encore caquetages.}
602 PELICIER (1971), pp. 94 et 114.
603 STORR (1964), p. 36 et suiv.
604 CHAZAUD (1973), p. 121 et suiv.

Dřautres spécialistes sont franchement
fantasques. Sacha Nacht insiste absolument
pour nous faire croire que :
(T.123)
En 1869 (sic), Kraft-Ebing (sic) 605 décrit,
dans la « Psychopathologie sexuelle », une perversion
caractérisée par la recherche de la soumission
douloureuse et humiliante quřil baptise
masochisme, de Sacher Masoch (sic), écrivain en
vogue à lřépoque et qui …
NACHT : (1938a), p. 176 ; (1938b), p. 14 ;
(1948), p. 4 ; (1965), p. 11.
La date de 1869 ne convient pas à Henri
Ey (1950), pas plus quřà Jacques Corraze 606.
Ils en permutent les deux derniers chiffres et
proposent : 1896. Georges-Paul Villa 607, qui
nřest pas précisément un spécialiste en psychopathologie,
donne la bonne date de la
première édition de la Psychopathia Sexualis Ŕ
1886 Ŕ mais il saute trop vite à la conclusion
en assurant que le terme de masochisme a été
forgé cette année-là.
{230 } Dřautres pratiquent la désinvolture
doctorale, comme cet enseignant auquel
jřai déjà fait allusion, qui fait séminaire à
lřHôpital Saint-Antoine. Il faisait rire ses
élèves en jouant la surprise : « Il y a encore des
gens pour faire des thèses sur Krafft-Ebing ! »
Autant que je le sache, le pluriel est de trop.
La mienne est la première thèse à être
605 En (1938a) et (1938b) NACHT nřestropiait pas le patronyme
de Krafft-Ebing. EY (1950) reprend docilement la
coquille.
606 CORRAZE (1969), p. 25.
607 VILLA (1967), pp. 40-41.
232
consacrée à Krafft-Ebing 608. Ŕ Comme quoi
il y a toujours des Bastilles à prendre 609.
Tel est le triste rivage que notre étude
laisse loin derrière elle.
Edward M. Brecher (1969), journaliste
vulgarisateur américain, mérite une mention
particulière. Son livre présente deux séries de
sexologues avec, pour chacune, une imago
mauvaise. Pour les femmes sexologues, le
haro est lancé contre Elizabeth Blackwell
(1821-1910). Pour les hommes le grand méchant
est notre baron. Brecher lui consacre
tout un chapitre, Ŕ à contrecœur et à regret :
(T.124)
Mais en voilà assez sur Krafft-Ebing. On
aurait aussi bien pu omettre complètement ce
chapitre, mais un fait désolant le rendait néces-
608 {Le livre de HARRY OOSTERHUIS (2000) est le premier
sur Krafft-Ebing, et le mémoire de Master de TIFFANY
PRINCEP (2008) est aussi le premier mémoire consacré à
Krafft-Ebing. Ils sont dřune qualité remarquable. Le livre
dřOosterhuis met en valeur lřimmense demande dřécoute
clinique que la Psychopathia Sexualis a révélée. Le mémoire
de Princep aborde la Psychopathia Sexualis comme une
œuvre de raison, et ses analyses judicieuses recoupent nos
propres recherches en des points de croisement névralgiques
et incitent au débat.}
609 {LřHôpital Saint-Antoine est à deux pas de la Bastille.
Mon directeur de thèse (le Pr Laplanche) souhaitait que
Pierre Fédida, qui avait publié en 1968 une très intéressante
revue des publications sur les perversions sexuelles,
conforme à lřesprit du temps, fasse partie de mon jury, en
présage dřéchanges animés. Cela ne fut pas possible. Fédida
ne pouvait siéger avant dřavoir soutenu sa thèse dřÉtat.
Je soutins finalement ma thèse avant lui la sienne.}

saire : Psychopathia sexualis jouit dřun succès populaire
qui ne se dément pas ; …
BRECHER (1969) : Les Sexologues, trf p. 87.
Brecher ne cache pas son opinion sur
Krafft-Ebing : « Lřœuvre de Richard von Krafft-
Ebing », dit-il, « fut un désastre total pour la sexologie
» 610. Nous ne sommes pas compétent
sur ce terrain qui nřest pas le nôtre. Nous
nous devons en revanche de relever les
erreurs matérielles sur lesquelles cet auteur
fonde son jugement.
1/ Brecher reproche à Krafft-Ebing
« lřordre où sont présentés les divers cas » 611.
Brecher opte pour lřordre croissant. Il commence
par les cas bénins et progresse par
degrés vers les cas malins des « grands sadiques
». Selon Brecher ce serait là la bonne
manière de jeter les bases dřun rejet total de
toutes les déviations sexuelles 612. Krafft-
Ebing a le grand tort de débuter avec des cas
effroyables. Il ne vient pas à lřesprit de Brecher
quřen rédigeant sa Psychopathia Sexualis
Krafft-Ebing eût dřautres soucis en tête que
de « jeter les bases dřun rejet total de toutes les
déviations sexuelles ». Il ne lui vient pas non
plus à lřesprit que les règles de la rhétorique
et la pédagogie de la lecture sont, comme
nous lřindiquions plus haut 613, des questions
de convenance {231 } personnelle dřun par-
610 BRECHER (1969), trf p. 82.
611 BRECHER (1969), trf p. 83.
612 Idem.
613 Cf. supra, p. 77.
233
fait arbitraire. Nous y reviendrons plus loin à
propos du « temps logique » de Bachelard.
2/ Un autre argument avancé par Brecher
est le suivant : « Mais cřest en affirmant avec
insistance que la masturbation conduisait au crime
aussi bien quřau fétichisme ou à lřhomosexualité que
Krafft-Ebing fit le plus de mal. » 614 Cette critique
nous donne lřoccasion de préciser quelques
points dřhistoire. Premièrement, en comparant
le discours de Krafft-Ebing avec celui de
Bourgeois (1860) sur la masturbation on
constate quřils se situent aux antipodes. Prêcher
(cřest bien le mot approprié) que la
masturbation est nocive comme le fait Bourgeois,
ou répliquer quřelle ne lřest pas,
comme le fait Brecher, revient à se situer
dans le même cadre, celui de lřidéologie moralisatrice.
En ce qui concerne Krafft-Ebing,
comme nous lřavons indiqué à lřoccasion 615,
la masturbation occupe chez lui une position
théorique importante comme moyen de ŘŘcultiverřř
une perversion sexuelle. Nous avons de
plus fait remarquer quřelle ouvre à lřinvestigation
psychologique un champ extrêmement
important grâce à la notion de « masturbation
psychique » 616. Son histoire semble commencer
chez Binet et sřépuiser chez Moll 617,
614 BRECHER (1969), trf p. 86.
615 Cf. supra, p. 136.
616 Cf. supra, p. 190, note 449, et p. 198, note 482.
617 Une recherche historique et épistémologique mérite
dřêtre faite sur ce sujet. {Le livre touffu de THOMAS
LAQUEUR (2003) est décevant sur ce plan. Je ne sais ce que
veut dire une « histoire culturelle » si elle nřest pas éclairée

avant dřêtre reprise tout récemment et traitée
avec lřampleur qui lui revient par des psychanalystes
618. Le débat sur la nocivité ou
lřinnocuité de la masturbation, et la prise de
position subséquente dřun grand nombre de
médecins et de vulgarisateurs en faveur de
son innocuité, a entravé pendant plus dřun
demi-siècle lřaccès à un champ ouvert par
Binet, Krafft-Ebing, Féré et Moll.
3/ Cřest encore à propos de la masturbation
que Brecher sřafflige de ce que Krafft-
Ebing « ignorait tout des statistiques » 619. Quelques
études de Krafft-Ebing contiennent des
analyses quantitatives étendues 620, quřil faut
certes replacer dans leur contexte historique
pour en préciser la portée. Nous nřentrerons
pas dans les détails. Nos recherches relatives
à la littérature des médecins légistes traitant
de la prostitution, dont on trouvera un florilège
en bibliographie, sont concluantes pour
étayer les assertions de Lapassade & Lourau
621. Ces auteurs nřont dřailleurs pas manqué
de rattacher Alfred Kinsey Ŕ lřidole de
Brecher Ŕ à sa souche. La {232 } thèse de
par lřépistémologie. Tous les discours tenus à une époque
donnée nřappartiennent pas à la même strate et ne gouvernent
pas les mêmes pratiques institutionnelles. Il y a des
philosophèmes, des philons et des institutions dont lřauteur
ne soupçonne pas lřexistence. À défaut de quoi lřamalgame
règne.} (2012)
618 MENDEL (1972b) : Anthropologie Différentielle..., II e Partie.
Cf. spécialement p. 96 et note.
619 BRECHER (1969), trf pp. 137-138.
620 Cf. par ex. KRAFFT-EBING (1869e), (1894ea), (1894d).
621 LAPASSADE & LOURAU (1971) : Clefs pour la sociologie,
pp. 36, 205-209, 226, etc.
234
Lapassade & Lourau peut se formuler à peu
près ainsi : née à la Préfecture de Police, la
statistique a été et continue dřêtre un outil
entre les mains de lřÉtat (représentant de la
classe dominante) pour contrôler la production
et la reproduction de la force de travail.
Jugée à cette aune, la médecine légale encore
plus que la médecine hygiéniste sřy trouve
globalement compromise. En revanche les
travaux de Krafft-Ebing y dérogent et sont
de peu dřutilité. Ses analyses quantitatives
nřont pas été menées suivant les canons
orthodoxes. Ils ne permettent pas, comme il
se devrait, de transposer à la population
globale des connaissances obtenues auprès
dřun échantillon de cette population convenablement
choisi. Les décideurs ne peuvent
pas en tirer parti. Les statistiques de Krafft-
Ebing ne se prêtent pas à la loi de « dégradation
» dont nous parlerons plus bas. Elles
sont là juste assez bonnes pour étayer le
débat théorique engagé par lřauteur. La
Psychopathia Sexualis quant à elle, est totalement
dépourvue de tableaux statistiques,
significativement remplacés par des bibliographies
exhaustives sur chaque secteur du
sujet traité. On peut songer à la statistique à
propos de lřune dřelles. À la section consacrée
à lřinversion sexuelle, Krafft-Ebing place
une note, augmentée dřédition en édition,
répertoriant toutes les observations cliniques
publiées dans la littérature scientifique. Et
vlan ! à la PS12 (1903) et dernière, voilà que
Krafft-Ebing la supprime, et avec elle dispa-

aît la moindre trace de statistique dans son
livre. Il est remarquable que Krafft-Ebing
nřait pas flirté avec la statistique alors que sa
Psychopathia Sexualis se compose pour la plus
grande part dřobservations 622. Ce fait cesse
dřêtre paradoxal une fois quřon aura compris
que le discours de Krafft-Ebing trouve son
fondement et son lest dans lřécoute clinique.
Il faut croire que cřest là quelque chose qui
dépasse lřentendement dřun Edward M.
Brecher.
4/ Pour terminer, nous voudrions commenter
la partie polémique de ce hors-texte :
(T.125)
Tardivement marié, Krafft-Ebing eut deux
fils et une fille. Cřest tout ce que jřai pu apprendre
de sa vie privée : on ne possède aucun
document permettant de connaître ses goûts intimes
ou ses prédilections sexuelles. Une lecture
attentive de ses écrits ne révèle pas la moindre
sympathie ou le moindre intérêt personnel pour
aucun type de comportement sexuel ; son refus
de la sexualité était presque total. Jamais ne
lřeffleura le plus petit soupçon de scandale. Il
occupa pendant les dix dernières années de sa vie
ce que lřon considérait alors comme « la chaire
de psychiatrie la plus importante du monde »,
celle de lřuniversité de Vienne. Là nous dit-on,
« il {233 } ployait sous la considération et les
honneurs que lui prodiguaient non seulement ses
propres compatriotes mais aussi les étrangers ».
BRECHER (1969) : Les Sexologues, trf p. 82.
622 Peut-être un demi-millier de cas si lřon tient compte de
ceux qui ont été supprimés. Nous regrettons dřavoir négligé
dřen faire le décompte. {Cf. Compl. n°1, p. 284.}
235
La lecture attentive que nous avons effectuée
nous-même de la Psychopathia Sexualis a
été un peu plus heureuse. Elle a montré
explicitement que lřétude de la sensibilité sexuelle
contraire congénitale est le creuset de lřinspiration
de Krafft-Ebing. La théorie des
perversions sexuelles de cet auteur, travaillée
pendant quinze ans, en est issue par dérivation
multiple, et le procédé de dérivation
revenait modifier à chaque étape le modèle
de départ. À vrai dire, cette découverte ne
nous permet sans doute pas de connaître les
goûts intimes de Krafft-Ebing, ni ses prédilections
sexuelles. Mais elle pose le problème
du style 623. Le discours des sciences humaines
nřest pas un procès sans sujet, même si ce
que lřon dénomme ordinairement ŘŘsubjectivitéřř
nřy a que faire. Par style nous entendons
le mode dřinsertion dřun sujet dans la chaîne
signifiante quřil produit. Ici, sous le topos de la
sensibilité sexuelle contraire congénitale, indéniablement
un sujet recèle. Si nous convenons
de le nommer Krafft-Ebing, encore fautil
quřil soit clairement entendu que cřest juste
pour la commodité. Dřautres études devraient
décider si ce sujet est le même que
623 Notre acception se distingue aussi bien de celle de
GRANGER (1968) que de celle de LACAN, première (1933)
et seconde (1966, p. 9) manières. On trouvera une mise au
point dans un prochain travail. {Promesse non tenue.
Cependant, à partir de 2000 jřy ai consacré une série de
travaux, en ayant complètement perdu de vue que les premiers
éléments se trouvaient dans cette thèse. Le style de
Freud a été récemment lřobjet dřune investigation approfondie.
Ŕ Cf. AZAR (2012).}

partout ailleurs où le nom propre de Krafft-
Ebing sert de signature.
À notre avis un soupçon de scandale a
effectivement effleuré Krafft-Ebing, signataire
dřun pamphlet publié en 1894d. Brecher
ignore probablement que Krafft-Ebing sřest
« mouillé » pour les invertis. De fait, dans sa
défense des invertis il nřadhère pas au projet
communément attribué à la psychiatrie classique
624. Il ne sřagit pas de les déplacer dřun
lieu carcéral pénitentiaire à un lieu de réclusion
médicalisé. Son intention nřest pas de
soustraire ces « pervers » à lřInstitution-Prison, à
seule fin de les placer en un autre lieu de
détention, dérivé métonymiquement 625, et
qui en est plus ou moins un équivalent, Ŕ
lřInstitution-Hospice. Lřintervention de Krafft-
Ebing vise la sauvegarde des droits civiques des
invertis, et sřoppose à toute tentative {234 }
dřexclusion, de déchéance ou de répression.
624 {CASTEL (1976) : LřOrdre Psychiatrique : lřâge dřor de lřaliénisme.
Cet ouvrage érudit, rigoureux et passionnant, mérite
mieux quřune note de bas de page. Dřautant plus que je ne
partage pas le parti pris foucaldien qui le sous-tend.
Comme Castel ignore Krafft-Ebing, il serait instructif (et
fort aisé) dřinstituer la falcification de ses analyses et de ses
partis pris à partir de leur confrontation avec lřachievement
de Krafft-Ebing. Ŕ Simple suggestion, que je ne promets
pas de suivre...} (Addition de 2012)
625 Dans AZAR (1973) nous le nommions Ŗforme paradigmatique
de la métaphore du pouvoirŗ. Dans ce qui suit
nous faisons des emprunts à nos contributions au groupe
de sociopsychanalyse animé par le Dr Mendel, demeurées
confidentielles. Ŕ Cf. AZAR (1972), (1973), et (1974b) in
bibliographie. Notre formation doit beaucoup à la fréquentation
de ce groupe de travail ainsi quřaux séminaires
du Dr Conrad Stein, du Dr Lacan, du Pr Oswald Ducrot,
et du Pr Laplanche, de même quřà notre analyse personnelle
avec Mme le Dr Janine Noël.
236
Les auteurs qui donnent de Krafft-Ebing
des informations franchement fantasques
sont plus nombreux quřon ne lřaurait pensé.
Passons sur la médiocrité dřun Tordjman 626
qui recopie jusquřaux moindres erreurs Brecher
627, nous sommes assez surpris de trouver
chez un prétendu historien le passage
suivant :
(T.127)
Avec sa Psychopathia sexualis (1882), ouvrage
dans lequel il démontrait que les théories de la
dégénérescence étaient contraires à la science, R.
von Krafft-Ebing franchit un grand pas bien
quřil fût encore un disciple de la morale double
et quřil énumérât une longue série de perversités,
quřil trouvait plutôt « mauvaises » que « pathologiques
». Les autorités lui ayant fait des difficultés,
il dut faire paraître des passages de son
ouvrage en latin.
USSEL (1970) : Sexualunterdrückung,
trf p. 285.
Toutes les Řinformationsř fournies dans
ces lignes sont erronnées, quřelles appartiennent
à lřauteur ou à son traducteur :
1/ La première édition de la Psychopathia
Sexualis est de 1886 (et non de 1882).
2/ Krafft-Ebing était un partisan de la
théorie de la dégénérescence.
626 TORDJMAN (1972) : Clefs pour la sexologie, pp. 144-147.
627 BRECHER (1969) : Les Sexologues, chap. II.

3/ Il nřy a pas trace chez lui de double
morale.
4/ Il distinguait les perversités des perversions.
Ne sřintéressaient quřà ces dernières, et les
considérait toutes comme étant pathologiques
628.
5/ Il nřa jamais été inquiété par les autorités.
{Tout ce quřon peut relever est une alerte
vénielle mentionnée par Ellenberger (1970,
p. 299, et note 151, p. 357) :
Moritz Benedikt rapporte que, quand la
Psychopathia Sexualis fut publiée, il lui échut de
dissuader le comité de lřAssociation Médico-
Psychologique britannique de ne pas rayer
Krafft-Ebing de la liste de ses membres honoraires
(*). La plainte contre Krafft-Ebing ne concernait
pas la publication de son livre, mais sa
mise en vente publique sans discrimination.
________________
(*) Moritz Benedikt, Aus meinem Leben. Erinnerungen und
Erörterungen (Vienna: Carl Konegen, 1906), p. 163.}
6/ Le latin de la Psychopathia Sexualis est une
ruse délibérée pour tourner les censures de
son époque. Il y avait même chez lui du
flegme à donner un titre latin à son livre en
prétendant quřil ne serait compréhensible
que des savants. De fait, il lui donnait un titre
compréhensible Ŕ sans traduction Ŕ de tous
628 Il est possible que Ussel démarque tout simplement
Havelock-Ellis. Ŕ Cf. p. 161, note 353.
237
les occidentaux, et cřest pourquoi il nřest
jamais traduit.
Si notre étude, montée en forme de
puzzle, avec sa complexité et sa minutie, est
irréductible au résumé 629, il convient dřessayer
du moins de nouer, parmi les fils dispersés
dans le texte ou qui traînent dans les
notes, ceux qui concernent une manière un
peu nouvelle et peut-être un peu insolite
dřaborder lřhistoire des sciences (humaines).
Et puisque la science, nous dit-on, progresse
aux dépends de ses erreurs, nous allons en
faire lřexposé le plus vulnérable qui soit, un
exposé dogmatique.
629 Les dernières pages du Chap. I et du Chap. II, ainsi que
celles des deux premiers débets du Chap. III, peuvent servir
cependant de compendium.

{234 suite }
§ (1) Ŕ Axiomes
● Axiome n°1 : Lřépistémologie des sciences
humaines est une science humaine. Ce nřest
ni une archéologie (Foucault), ni une écologie
de lřesprit (Bateson), ni un naturalisme
évolutionniste (Popper).
● Axiome n°2 : Les problèmes épistémologiques
des sciences humaines sont des énigmes
posées par un « corps du délit » 630. Le corps
du délit une fois identifié (ici le sadisme et le
masochisme) la tâche délicate est de circonscrire
un corpus (ici les éditions successives de
la PS) où lřon puisse suivre les moindres
variations des deux paramètres en fonction
lřun de lřautre : le corps du délit, dřune part,
lřhistoire de la science, dřautre part. Nous ne
croyons pas que notre entreprise soit un cas
exceptionnellement favorable ou exclusif.
On peut penser notamment à circonscrire la
notion de paranoïa dans les éditions successives
du Traité de Kraepelin ; ou à circonscrire
la notion de monomanie dans le Journal de
Médecine Mentale que Delasiauve a édité tout
630 Cela justifie la métaphore du larron dont nous avons
usé au Chap. I er , p. 15, note 19, et p. 46. Ŕ Pour un guide
de la littérature, Cf. CHASTAING (1967).
238
seul durant une décennie 631 ; ou à circonscrire
la notion de mesure en psychologie dans
LřAnnée Psychologique de Binet, etc. Les censures
institutionnelles 632 sont responsables
de cet axiome n°2. {235 }
● Axiome n°3 : En paraphrasant Einstein
nous dirons quřil existe quelque chose
comme le « temps épistémologique » dřune
pratique discursive 633. Nous présentons cette
notion de « temps épistémologique » en
opposition à celle de « temps logique » 634 sur
laquelle Gaston Bachelard fonde sa propre
conception de lřhistoire des sciences. Lřépistémologie
de Bachelard est une philosophie
pure et simple suivant nos critères dřaujourdřhui
: elle nřa pas dřobjet, mais des enjeux
635. Lřapport de Bachelard à lřhistoire
des sciences, par exemple à la physique et à la
chimie dont il sřest occupé le plus activement,
est pour ainsi dire nul 636. Prenant des
631 {ROBERT CASTEL (1976), p. 271, note 13, partage mon
sentiment.}
632 Cf. plus loin Loi n°6.
633 {Einstein disait en 1953 : Es gibt so etwas wie den „realen
ZustandŖ eines physikalichen Systems / Il y a quelque chose
comme ŘŘlřétat réelřř dřun système physique.}
634 Malgré ses efforts de clarification méritoires, VADEE
(1975) a manqué de reconnaître que ce qui détermine en
dernière instance la pratique de la science qui fut celle de
Bachelard, cřest le Bachelard pédagogue. Cet aspect nřa pas
échappé à dřautres commentateurs tels que GINESTIER
(1968) ou MARGOLIN (1974), et surtout OUEDIS (1971), Ŕ
que Vadée (1975, pp. 60-61) cite pourtant.
635 Cf. ALTHUSSER (1974) !
636 {Après 25 ans dřindéterminisme, LOUIS DE BROGLIE
retourna casaque. Le 31 octobre 1952 il en fit la confession
publique au Centre de Synthèse. Le 25 avril suivant il récidiva

exemples dans ces sciences, toujours plus
courts et à des fins toujours plus édifiantes, il
a milité pour la valorisation de La Science
avec des enjeux politiques explicites : lřÉcole-
Permanente. Où nous déchiffrons sans peine la
formule moderne de la métaphore du pouvoir
telle que Léon Loué (1974) lřa établie, et
qui est le quadrillage de type militaire.
Bachelard parvient à persuader en tirant
parti dřune supercherie. Il ne sřétonne jamais
de la coïncidence terme à terme de son épistémologie
et de sa pédagogie 637. Ouédis (1971)
a montré cette coïncidence terme à terme
pour lřidée de « rupture épistémologique ».
On peut refaire la même démonstration pour
dřautres notions, en particulier pour celle de
« temps logique », qui fonde une manière
dřécrire lřhistoire des sciences connue désormais
sous lřappellation dř « histoire récurrente
». Avant dřen entamer la critique glissons
une remarque. Lřépistémologie de Bachelard
ne concerne que les sciences « naturelles ». Il
devant la Société Française de Philosophie. La séance était présidée
par GASTON BACHELARD, Ŕ le chantre de lřindéterminisme.
Bachelard écouta de Broglie et ne desserra pas
les dents. Il ne participa pas à la discussion, se contentant
de passer la parole aux divers intervenants. Le savant
venait de ruiner le fonds de commerce de lřépistémologue.
Bachelard le savait, mais son lectorat ne le sait toujours
pas. Il semble quřen épistémologie les mauvaises nouvelles
ne se répandent pas très vite.} (Addition de 2012)
637 GINESTIER (1968) dresse en parallèle les études de
Bachelard sur les Ŗimagesŗ et ses études dřépistémologie. Il
se laisse abuser par une apparence formelle. Il suffit de lire
BACHELARD (1953) pour savoir que les études sur les
images sont subordonnées aux études épistémologiques.
Un paralléliste existe effectivement, mais ailleurs. Entre
lřépistémologie de Bachelard et sa pédagogie.
239
en est de même pour ses partisans althussériens
comme Fichant & Pêcheux (1969).
Ces mêmes auteurs, sřétaient déjà montrés
extrêmement critiques envers les sciences
humaines prises en bloc, sous le pseudonyme
de Thomas Herbert (1966) (1968). Quant à
nous, si nous nous bornons à attaquer lřexportation
de la notion de temps logique aux
sciences humaines, nous nous réservons de
lřétendre à terme aux sciences « naturelles »
également, avec {236 } lřarrière-pensée de
rénover lřépistémologie des sciences « naturelles
» à partir de lřépistémologie des sciences
humaines. Ainsi, par-dessus Bachelard,
notre critique vise aussi certains de ses partisans,
au programme desquels nous opposons
le nôtre 638.
Lřexpression de temps logique apparaît à la
deuxième page du Rationalisme appliqué (1949).
Lřexposé de Bachelard est dřune limpidité
exemplaire. Nous allons en restituer les
étapes en soulignant ce que lřauteur souligne
lui-même.
1/ Le point de départ est une option, quřil y
a tout lieu de croire dřordre métaphysique,
sur la solidarité de lřexpérience et des mathématiques.
Vadée a exposé exhaustivement le
problème 639. Pour Bachelard les mathéma-
638 Lřentreprise de FOUCAULT, en ce sens, ne nous démoralise
guère. Dans les conditions actuelles, il fallait bien que
lřépistémologie des sciences humaines commençât par être
honteuse dřelle-même.
639 VADEE (1975), I re Partie, Chap. V.

tiques ne sont pas un simple moyen dřexpression.
Elles sont une vraie langue 640 qui
« ambitionne dřinformer étroitement lřexpérience ».
2/ Quand lřexpérimentateur recueille un fait
nouveau, il échoit au mathématicien de
montrer que la théorie, un peu assouplie,
aurait dû prévoir la nouveauté.
3/ Une expression est vite forgée par notre
prolixe créateur de monstres lexicaux. Il
écrit : le mathématicien « aime à faire étalage
dřune sorte de fécondité récurrente ».
4/ La néologie lexicale est prolongée : « cette
fécondité récurrente », dit-il, « constitue le
fondement de la mémoire rationnelle ». Donnons-en
en hors-texte la suite qui explique
cette nouvelle notion :
(T.127)
Cette mémoire de la raison, mémoire des
idées coordonnées obéit à de tout autres lois
psychologiques que la mémoire empirique. Les
idées mises en ordre, les idées réordonnées et
coordonnées dans le temps logique, déterminent
une véritable émergence de la mémoire.
BACHELARD (1949) : Le Rationalisme appliqué, p. 2.
{237 } Dans le même ouvrage, lřexpression
de temps logique est reprise dans lřun de
ces exemples courts et fulgurants qui émail-
640 Vadée (et Bachelard, 1951, p. 29) semblent ignorer
quřune langue nřest pas un simple moyen dřexpression. Si
lřon veut à tout prix ignorer lřÉcole Analytique Anglaise, on
peut tout de même consulter les rapports de Whorf recueillis
en 1956. On y trouve Ŕ au passage Ŕ quelques éléments
pour élaborer la notion de temps épistémologique.
240
lent les écrits de Bachelard 641. Le contexte en
est une polémique avec Emile Meyerson.
Lřobject, le théorème de Pythagore sur le
triangle rectangle. Cřest avec raison que
Fichant & Pêcheux (1969) reproduisent le
passage en question. Nous nous contenterons,
pour notre part de reproduire leur
commentaire qui ne laisse rien à désirer :
(T.128)
Ce temps logique décolle donc de la chronologie
réelle pour en renverser lřaxe selon des
valorisations bien fondées. Mais la suite des
variations que nous avons dřabord suivie est ellemême
une construction idéale, dont lřenchaînement
est pédagogique et non historique ( 9 ). Nous
sommes, dřemblée, mis en dehors de lřhistoire,
ou du moins, éloignés de la préoccupation de
restituer lřarticulation de ses moments tels quřils
ont été effectivement réalisés.
----------------------
( 9) Cf. pp. 86, 87, 89, où le mot est prononcé.
FICHANT & PECHEUX (1969) : Sur lřHistoire
des sciences, p. 110.
Bachelard lui-même nřest pas en reste. Il
sřexprime on ne peut plus clairement dans
son ouvrage suivant sur cette « nécessité éducative
de formuler une histoire récurrente » 642. Si nous
le comprenons bien, lřhistoire récurrente
nřest Řhistoireř que par méprise sur le terme.
En fait, Bachelard veut formuler les canons
pour rédiger des manuels scolaires. Cřest si bien
le cas que nous le voyons sřattendrir aux lar-
641 BACHELARD (1949) : Le Rationalisme ..., Chap. V, p. 96.
642 BACHELARD (1951) : LřActivité rationaliste ..., p. 26.

mes en évoquant « les beaux manuels de la science
nouvelle : les Cady, les Glasstone, les Rocard, les
Bower, les Hertzberg » 643, et porter aux nues
Jean-Baptiste Biot 644. Commentant une
phrase dřun autre manuel scolaire (celui de
F.K. Richtmeyer), Bachelard reprend à son
compte la distinction entre Story et History, et
souligne la valeur pédagogique de la Story
(lřhistoriette). Le texte suivant est peut-être le
meilleur résumé de la position de cet auteur :
(T.129)
Le doublet story et history se présente ici dans
une opposition {238 } particulièrement vigoureuse.
La story de la science, lřhistoire pourvue
dřune finalité de la raison, dřune finalité de la
vérité, dřune finalité de la réalisation technique,
voilà ce qui « fascine » le savant 645 . La story présente
un intérêt beaucoup plus grand que lřhistory.
La story a une valeur pédagogique insigne 646 qui
dépasse les simples valeurs de lřérudition.
BACHELARD (1951) : LřActivité rationaliste de la
physique contemporaine, p. 27.
Trois remarques. Dissipons un éventuel
malentendu. Notre étude nřest point un
manuel pour lřusage scolaire. Nous prétendons
contribuer à lřépistémologie et à lřhis-
643 BACHELARD (1949) : Le Rationalisme appliqué, p. 214.
Nous ne reculons pas à prendre position : nous considérons
que les dernières pages du Rationalisme appliqué sont
franchement indécentes. Suivant notre conception du
style, cřest là que le sujet ŘŘBachelardřř recèle. Dřintéressants
faits concernant la relation de Bachelard à ses étudiants
sont relatés in MARGOLIN (1974, pp. 101-119) et au
Colloque de Cerisy (1974, pp. 410-433).
644 BACHELARD (1951) : LřActivité rationaliste ..., pp. 41-44.
645 En fait, le pédagogue.
646 Pour Bachelard, cřest lřargument contraignant.
241
toire (history) des sciences (humaines), et non
pas raconter des histoires (stories). Ce sont les
lois de lřhistoire des sciences qui nous intéressent.
Pour nous le temps épistémologique
appartient à lřhistoire des sciences et non pas
aux historiettes (stories). Non seulement nous
nřavons pas eu lřintention de rédiger un manuel,
mais nous prétendons que les manuels
peuvent être pris comme objet de lřhistoire
des sciences afin de cerner et dřévaluer la
« dégradation » 647 du discours scientifique.
Enfin, et jusquřà preuve du contraire, nous
tenons le temps logique pour un ordre arbitraire,
comme toute pédagogie de la lecture 648.
Lester la tête de lřécolier de stories, cřest-à-dire
de fictions, oblitère selon nous lřaction institutionnelle
au coin du psycho-familial 649, car
une fiction ne peut fonder quřune réalité
psychique. Dans la pratique institutionnelle
une fiction assoit une censure 650.
La notion de temps épistémologique est
donc à nos yeux un concept de lřhistoire des
sciences. Comme nous en avons prévenu 651,
nous renonçons à en donner ici une théorie
générale. Nos études concrètes ne nous permettent
de formuler pour lřinstant que deux
remarques. Elles concernent le temps épistémologique
chez Krafft-Ebing, que nous
croyons avoir visé avec une relative précision.
{239 }
647 Cf. plus loin la Loi n°6.
648 Cf. supra, p. 77.
649 Cf. MENDEL (1972a).
650 Cf. plus loin la Loi n°6.
651 Cf. supra, p. 44.

1 er Schéma : À un impensé (A) il faut opposer
un terme (B) pour que le couple antithétique
(A)Ŕ(B) surgisse en même temps, sans abolir
la préséance épistémologique du deuxième
temps. Ce schéma a été vérifié à cinq
reprises 652.
2 e Schéma : Bien que nous ne parvenons à
connaître cette combinatoire quřen la reconstituant
à partir de ce que nous présupposons
comme étant ses manifestations, nous disons
quřépistémologiquement Krafft-Ebing pose
une combinatoire au départ, et se met ensuite
à en explorer les possibilités. Ce schéma a été
corroboré à toutes les étapes de lřélaboration
de la théorie des perversions de Krafft-
Ebing, décrites au cours de notre chap. II.
Nous proposons de dénommer « structure »
cette configuration où un élément occupe
deux places déphasées 653.
Encore faut-il ajouter quřentre les deux
schémas la solidarité est très forte. Nous laissons
toutefois pour une autre occasion son
étude.
652 Cf. supra p. 162.
653 Après bien dřautres nous nous sommes essayé nous
aussi à décrire lřexpérience dřune pareille structure in AZAR
(1974a).
242
{239 suite }
§ (2) Ŕ Lois
● Loi n°1 : Le style, les universaux, les dérivations
simples ou multiples, nřont en euxmêmes
aucune valeur épistémologique. Ce
sont seulement les voies, essentiellement
contingentes (et subjectives), par lesquelles
un auteur croise le réel, mais contre lesquelles
il doit souvent lutter par la suite pour
préciser sa découverte en leur arrachant leur
prétention ontologique.
Au cours du chap. II nous avons rapporté
à la fois une preuve et une contre-épreuve
de cette loi. Nous avons vu dřabord (p. 109)
comment Krafft-Ebing démarque des types
de raisonnements ayant réussi pour certaines
névroses cérébrales, et comment il les applique
à la fois au groupe des paresthésies et au
sous-groupe de lřinversion sexuelle. Mais il
ne réussit quřà construire un ensemble disparate,
sans cohérence interne, quřil remettra
entièrement en question. Nous avons ensuite
insisté, dans la conclusion du même chapitre
(pp. 166-167), sur le fait étonnant que le
réflexe des flagellants, tout comme la servitude
sexuelle, puissent satisfaire, indifféremment
lřun ou lřautre, à la dérivation multiple.
Néanmoins, à la contingence de ces voies
sřoppose la résistance du réel qui contraint le
chercheur à rejeter les intuitions inconsistantes.
Dřoù, par conséquent, la distinction

entre un discours spéculatif affranchi de cette
contrainte, et un discours expérimental qui y
est voué. ( *)
● Loi n°2 : Plus un discours est spéculatif et
plus lřautonomie de lřordre symbolique sřy
manifeste parfaitement, cřest-à-dire en termes
de séquence négligée et de résurgence de
la séquence négligée 654 et autres contraintes
de la concaténation.
● Loi n°3 : Plus un discours relève dřune pratique
expérimentale et moins cette autonomie
le détermine, et moins son procès est
prévisible. Les Lois n°2 et n°3 conduisent à
la méthode de lřécart 655. {240}
● Loi n°4 : Quand un discours euphorique,
succédant au passage de lřimpensé au concept
par la nomination, peut être mis en évidence,
il exprime la négation de lřimpensé
par le refus du concept, et trahit lřexistence
dřun point aveugle dans la théorie. Au 1 er
débet du chap. III nous avons montré dans
la saignée française le méfait dřune manière
surannée de poser le problème de la relation
de lřâme et du corps.
● Loi n°5 : Quand il y a recouvrement entre
formations discursives, il faut sřattendre à
une résurgence différée des séquences négli-
* {Alinéa restitué dřaprès mon exemplaire de travail.}
654 Cf. infra la Loi n°5.
655 Cf. supra p. 159 (note 347), et pp. 163-164.
243
gées. Nous parlons de recouvrement quand
une formation discursive sřarroge la succession
dřune autre en en renversant quelques
éléments tout en laissant dřautres en dehors
du débat. Une description topologique serait
celle-ci. Sur une surface donnée un défaut est
détecté. À partir de ce défaut vous engendrez
une autre surface qui recouvre lřautre entièrement
avec ce trou comme partie commune.
Par lřaction des Lois n°2 et n°3 il faut
sřattendre à ce que les parties les plus résistantes
de la première surface crèvent lřenveloppe
et surgissent (distordues et incontrôlables)
en certains lieux de la seconde. Maint
exemple en a été donné au cours de cette
étude. Lřhistoire des sciences humaines faillit
à sa tâche quand elle nřenregistre que les
recouvrements sans égard aux résurgences.
Notre tâche principale est de répertorier, à
rebours des évidences trompeuses, les
séquences négligées et leur(s) résurgence(s)
plus ou moins méconnaissable(s).
Notre Loi n°5 heurte de front lřépistémologie
bachelardienne. Pour les sciences
humaines il nřy a pas de « point de nonretour
». Il nřy a pas à proprement parler de
« coupure épistémologique » parce que le
discours des sciences humaines nřengendre
pas de métalangage, mais travaille [dans] le
langage ordinaire, je veux dire quřil travaille le
langage ordinaire de lřintérieur. Il est possible
de dire quřil y a, pour les sciences humaines,
un échec constant de la tentative à élaborer
un métalangage parce quřon retombe tou-

jours dans le langage. Les tentatives de constituer
un secteur réservé dresse des cloisonnements
friables au sein du langage ordinaire.
Si bien quřen ne faisant que de la sémantique
nous pourrions à la limite écrire lřhistoire des
sciences humaines. Si besoin en est, nous
pourrions nous autoriser des linguistes.
Notre travail sřaccorde avec les deux idées
fondamentales quřun Éric Buyssens a avancées
à propos de la sémantique ( *). Dřabord,
celle du primat du signifiant, qui fait que
notre investigation a été effectivement
centrée sur des termes comme sadisme,
masochisme, algolagnie, etc. Ensuite, lřidée
que lřintroduction dřun nouveau terme retentit
sur lřéconomie générale de la langue ; et
essentiellement notre investigation historique
nřa pas été autre chose que la description de
ce retentissement. Ainsi avons-nous exploré
en amont les racines du sadisme et du masochisme
innominés (chap. I). Puis nous avons
suivi dans le détail le passage de leur impensé
vers des tentatives successives de conceptualisation
(chap. II). Enfin, nous avons cru opportun
de recourir à la métaphore du payment
par traites pour mettre en évidence deux
caractères majeurs (chap. III). Dřune part, le
retentissement inéluctable des nouveaux termes
sur lřéconomie langagière en différents
domaines spécialisés. Dřautre part, lřexistence
dřéchéances différées mais incontournables.
* BUYSSENS (1965) : Linguistique historique…, pp. 123-130.
{Cet alinéa a été révisé dřaprès mon exemplaire de travail.}
244
Il nřy a pas non plus dřépistémè au sens
de Michel Foucault. Lřépistémè est une illusion
de la macro-analyse, du regard éloigné.
À une micro-analyse les formations discursives
et leurs articulations se révèlent dřune
complexité telle quřelle exclut la possibilité de
coupes transversales communes qui se tiendraient
dans le trièdre ludiquement construit
par cet auteur 656.
● Loi n°6 : Il existe une dégradation continuelle
du discours des sciences {241 } humaines
qui brigue son adhésion à des fins
dřexploitation sociale de classe, quřelles
soient dominantes, dominées ou coincées
entre deux. Prendre cette dégradation pour le
discours des sciences humaines en propre est
une erreur, Ŕ qui passera de mode nous
lřespérons. Le lieu où sřaffrontent la commande
sociale, lřordre du signifiant, et le
discours scientifique (expérimental) ce sont
les institutions.
Les institutions sont un lieu fuyant dans
la mesure où le réel se défile, dřune part, dans
la course métonymique dřengendrement de
656 {Autant que je puisse me remettre en mémoire mon
état dřesprit de cette époque, il me semble que je ne voulais
pas admettre la rupture intervenue dans la pensée de Foucault
entre Les Mots & les choses (1966) et LřArchéologie du
savoir (1969). Depuis que son œuvre sřest refermée sur ellemême
dans le mutisme de la mort, nous avons tendance à
être plus sensibles à ses fractures internes quřà son dogmatisme.
Au début des années 70 la pensée-Foucault exerçait
un despotisme quřon imagine mal à la distance où nous
sommes. Cřétait un terrorisme intellectuel qui mřindignait...
parce que je le prenais trop au sérieux.} (2012)

nouvelles institutions 657. Dřautre part, dans
lřengendrement métaphorique des Institution-
Personne à partir des mouvements charismatiques.
Ces dernières institutions sont soutenues
par un Nom-du-Père autorisant la prise
de parole. Il existe souvent un Nom-du-
Père 658 en surimpression dans les institutions
métonymiques.
Trois notions de base sont opératoires
en analyse institutionnelle :
a) La Fiction : Les institutions se fondent sur
un discours sur lřorigine qui est une fiction.
Pour les institutions engendrées métonymiquement,
cette fiction participe de lřidéologie
dominante. En revanche, pour les institutions
engendrées métaphoriquement, cette
fiction participe de lřidéologie autoritaire 659.
b) La Censure : Cřest le résidu inexpugnable
de tout système. Pour lřanalyse institutionnelle,
Fiction et Censure forment une structure
657 Un exemple en est donné in AZAR (1973), la chaîne :
Exploitation des travailleurs ; École obligatoire ; Enfance
inadaptée ; Juge dřapplication des peines. {Mon inspiration
était proche de celle de JACQUES DONZELOT révélée un
peu plus tard par La Police des familles (1977).}
658 Que Lacan, qui en est lřinventeur, paraphrase aujourdřhui
par un non-dupe qui erre.
659 Idéologie dominante et Idéologie autoritaire ont été distinguées
par MENDEL (in Mendel & Vogt, 1973). Dorénavant cette
distinction sřimpose à lřanalyse institutionnelle, qui lui
apporte une confirmation éclatante. {Tout cela peut paraître
extrêmement abstrait. En fait jřétais plongé dans une
chaude actualité, sans mřy mêler. Lřactualité dont il sřagit
inspira les deux premiers livres de FRANÇOIS ROUSTANG
(1976) (1980). Les écoles freudiennes de Freud ou de
Lacan sont des Institutions-Personne, se réclamant du nomdu-père,
et participant de lřidéologie autoritaire.}
245
au sens conféré plus haut à ce terme. Lřune
est lřoccurrence différée et asymétrique de
lřautre.
c) La lutte de Classe dans la théorie : Dans une
institution scientifique la classe des travailleurs
de la preuve est prise dans une double
contrainte. Dřen haut, cřest la loi de la dégradation,
dřen bas, cřest la poussée revendicative
dřun prolétariat institutionnel. Ce prolétariat
est de deux sortes : les apprentis et les
soi-disant bénéficiaires. La {242 } production
de la classe des travailleurs de la preuve
est non seulement déterminée par les règles
de la discipline à laquelle ils contribuent, mais
aussi par cette double contrainte. Nous appelons
acte institutionnel lřeffet de cette double
contrainte sur la production de la classe des
travailleurs de la preuve. On en peut donner
des exemples. Le pamphlet de Krafft-Ebing
(1894d) est un acte institutionnel occasionné
dřune part par la poussée revendicative des
homosexuels, et il sřoppose dřautre part à la
loi de dégradation. Nous avons vu également
que les homosexuels sont responsables de la
fondation du discours médico-légal à propos
des perversions sexuelles, et de sa canalisation
vers lřécoute clinique. La lutte de classe
dans la théorie désigne la dynamique de ce
genre dřactes institutionnels.

Lřénumération de ces Axiomes et de ces
Lois nřest pas limitative. Nous avons voulu
aller le plus loin possible dans la construction
spéculative. Échafaudage provisoire, voire
précaire, tant de fois rectifié, remis en question
ou seulement modifié au cours de cette
recherche. Rédigée elle-même à plusieurs
reprises, notre étude a perfectionné à mesure
ses analyses, expurgeant des erreurs à chaque
mouture. Que la critique puisse y découvrir
des insuffisances ne brisera pas nos efforts ni
ne réduira notre zèle. Faustroll, nous dit-on,
voyageait sur un crible. Une seule chose
pourrait lui être fatale : que la poussière
remuée retombe dans un calme plat.
Paris, le 10 juillet 1975
246

{243 }
Abréviations & Sigles
Signes de Piste
PS → Psychopathia Sexualis
tr → Traduction
tra → Traduction anglaise ou américaine
tri → Traduction italienne
trf → Traduction française
trp → Traduction (française) personnelle
NY → New York
P → Paris
S → Stuttgart
BM → Bibliothèque de lřÉcole de Médecine (Paris)
BMU → British Museum (Londres)
BN → Bibliothèque Nationale (Paris)
BS → Württembergische Landesbibliothek (Stuttgart)
DR → Diözesanbibliothek Rottenburg a. Neckar
UF → Universitätbibliothek Freiburg i. Breisgau
UH → Universitätbibliothek Heidelberg
UM → Universitätbibliothek Mannheim
UT → Universitätbibliothek Tübengen
UW → Universitätbibliothek Wien
247
ŖThese companionsŗŔand he laid his hand
on some of the booksŔŖhave been good friends to
me...ŗ
Ces compagnons Ŕ et il promena la main
sur quelques uns de ces livres Ŕ ont été pour moi
de bons amis...
BRAM STOKER (1897) : Dracula,
chap. II, , p. 22, trp.
(trf Marabout Géant, 1965, p. 71.)

Les ouvrages de Krafft-Ebing qui se trouvaient à la Württembergische Landesbibliothek
(Stuttgart) ont presque tous péri brûlés de la main des nazis ou au cours des raids de la seconde
guerre mondiale.
Pour les ouvrages anciens, nous essayons dřindiquer la bibliothèque où ils peuvent être
consultés, et de fournir leur cote. Nous faisons précéder le titre dřun poinçon plein () quand
nous utilisons un exemplaire personnel. {Sřil sřagit dřun exemplaire acquis après 1975, le poiçon
plein est redoublé (). Un poinçon évidé () signale les références additives de 2012. Les
ouvrages numérisés accessibles sur internet sont signalés par une arobase @ : gallica, biusante,
archive.org, openlibrary, google, etc.}
I. ŕ Œuvres de Richard Freifer von Krafft-Ebing
{Cette bibliographie compréhensive ne prétend nullement à être exhaustive. Jřai réparti les œuvres
de Krafft-Ebing en 5 grandes divisions : (a) La Médecine Légale des Aliénés ; (b) Le Traité de Psychiatrie
; (c) La Psychopathia Sexualis ; (d) Les Autres ouvrages ; (e) Les Articles. La première lettre italique
qui succède à la date de publication rappelle ces divisions.}
(a) Médecine Légale des Aliénés → en abrégé MLA
1875a MLA1 Lehrbuch der gerichtlichen Psychopathologie, mit Berücksichtigung der Gesetzgebung von Oesterreich,
Deutschland und Frankreich. Ŕ S, Enke, 1875, in-8°, xv+385 p. (BN : 8° Tf 14 72)
1881a MLA2 Zweite umgearbeitete Auflage. Ŕ S, Enke, 1881, in-8°, xv+400 p.
(BM : 44.094) (BN : 8° Tf 14 72A)
1892a MLA3 Dritte umgearbeitete Auflage. Ŕ S, Enke, 1892, in-8°, xvi+488 p. (BM : 23.253)
tri par le Dr Lorenzo Borri. Ŕ Torino, Bocca, 1897, in-8°, xxiii+615 p. (BM : 8° F 105)
trf1 avec annotations par A. Rémond (de Metz). Ŕ P, Doin, 1900, in-8°, 748+xviii p.
(BM : 22.180)
trf2 Idem, 1901. (BM : 53.079)
trf3 Idem, nouveau tirage, 1911. (BM : 25.270)
1900a MLA3ř Dritte umgearbeitete Auflage, zweite Ausgabe. Ŕ S, Enke, 1900, in-8°, xvi+523 p.
(BM : 21.875) (BN : 8° Tf 14 72B)
248

(b) Traité clinique de psychiatrie → en abrégé TCP
1879b TCP1 Lehrbuch der Psychiatrie auf klinischer Grundlage für practische Ärzte und Studierende. Ŕ S, Enke,
1879-1880, 3 vol., in-8°. (BM : 43.295) (BN : 8° Td 86 421)
{244 }
1883b TCP2 Zweite Auflage, 2 parties en 1 vol. in-8°. Ŕ (BN : 8° Td 86 421.A)
1888b TCP3 Dritte umgearbeitete Auflage. Ŕ S, Enke, 1888, in-8°, xvi+734 p.
(BM, 2 exemplaires : 27.242 et 141.352)
1890b TCP4 4 te theilweise umgearbeitete Auflage. Ŕ S, Enke, 1890, in-8°, xiv+738 p.
(BM : 20.600) @
1893b TCP5 5 te vermehrte und verbesserte Auflage. Ŕ S, Enke, 1893, in-8°, xii+698 p. @
trf Traité clinique de psychiatrie..., traduit sur la 5 e éd. allemande par le Dr Emile Laurent. Ŕ P,
Maloine, 1897, in-8°, vi+758 p. (BM : 21.774) (MN : 8°Td 86 . 698) @
1897b TCP6 6 te vermehrte und verbesserte Auflage. Ŕ S, Enke, 1897, in-8°, xii+634 p. @
1903b TCP7 7 te vermehrte und verbesserte Auflage. Ŕ S, Enke, 1903, in-8°, xii+654 p.
(BM : 55.651)
tra Textbook of Insanity based on Clinical Observations..., Authorised translation from the last
German edition by C.G. Chaddock... with an Introduction by F. Peterson. Ŕ
Philadelphia, Davis, 1904, in-8°, xvi+638 p. (BM : 2256. h. 17)
(c) Psychopathia Sexualis → en abrégé PS
1886c PS1 Psychopathia Sexualis, eine klinisch forensische Studie. Ŕ S, Enke, 1886, in-8°, viii+110 p.
(BN : 8° Td 86 542)
1887c PS2 Psychopathia Sexualis, mit besonderer Berücksichtigung der conträren Sexualempfindung, eine
klinisch-forensische Studie, ..., 2 te Auflage. Ŕ S, Enke, 1887, in-8°, viii+148 p.
(BN : 8° Td 86 542.A)
tri La Psicopati sessuali, ..., tr sulla 2 ed. tedesca, dei Dr Enrico Sterz e Luigui Waldhart...
Introduzione del Pr Cesare Lombroso. Ŕ Torino, Bocca, 1889, in-8°, xxii+167 p.
(BMU : 7660.g.13) (BN : 8° Z. 10703)
1888c PS3 Dritte vermehrte und verbesserte Auflage. Ŕ S, Enke, 1888, in-8°, viii+177 p. (BM :
45.718) (BN : 8° Td 86 542.B)
1889c PS4 4 te Auflage. Ŕ S, Enke, 1889, in-8°, viii+226 p. (BN : 8° Td 86 542.C)
1890c PS5 5 te Auflage. Ŕ S, Enke, 1890, in-8°, viii+295 p. (BS : J. 145.026)
249

1891c PS6 Sechste vermehrte und theilweise umgearbeitete Auflage. Ŕ S, Enke, 1891, in-8°,
viii+328 p. (Library of Congress) (DR) (UW : I. 68.795)
1892c PS7 Siebente vermehrte und theilweise umgearbeitete Auflage. Ŕ S, Enke, 1892, in-8°,
ix+432 p. (Boston Medical Library)
tra1 Psychopathia Sexualis ... Tr of the 7 th ... German edition by Charles Gilbert Chaddock.
Ŕ Philadelphia & London, F.A. Davis Co., 1892, in-8°, xiv+436 p. (avec index pp.
433-436). {Multiples rééditions en 1893, 1894, 1901, etc. } (BMU : Tab. 603.b.15)
(University of Illinois Library) (Stanford University Library)
tra1ř (Cřest la section « Sadism and Masochism » de cette traduction qui est reprise dans
lřouvrage édité par Aron KRICH (1963), The Sexual Revolution..., pp. 41-148. Par une
inexplicable erreur, cette traduction est attribuée Ŕ à la p. 6 du vol. Ŕ à « Charles
Gilbert Cradd » au lieu de « Charles Gilbert Chaddock ».)
1893c PS8 8 te Auflage. Ŕ S, Enke, 1893, in-8°, x+442 p. (UT : J1 303 ca. 8°) (UW : I. 123.913)
trf Étude Médico-Légale / Psychopathia Sexualis / avec recherches spéciales sur lřinversion sexuelle,
..., tr sur la 8 e éd. allemande par Emile Laurent et Sigismond Csapo. Ŕ P, Carré, 1895,
in-8°, viii+595 p. (BM, 2 exemplaires : 49.850 et 142.075) (BN : 8° td 86 . 543) [Cet
exemplaire est en loques.]
1894c PS9 9 te Auflage. Ŕ S, Enke, 1894, in-8°, x+414 p. (BN : 8° td 86 . 542.D)
1898c PS10 Zehnte vermehrte und theilweise umgearbeitete Auflage. Ŕ S, Enke, 1892, in-8°,
viii+376 p. (UF) (UM) (UT) (UW : I. 224.291)
tra2 Psychopathia Sexualis ..., The only Authorized English translation of the 10 th German
edition [translated by Francis J. Rebman]. Ŕ London, Rebman, 1899, in-8°, xv+585 p.
(BMU : Cup. 363.ff.22)
tra2ř Idem. Ŕ Chicago, Keener, 1900, in-8°, xv+585 p.
1901c PS11 Psychopathia Sexualis, mit besonderer Berücksichtigung der conträren Sexualempfindung. Eine
Medicinisch-Gerichtliche Studie für Arzte und Juristen,... Elfte, verbesserte und stark
vermehrte Auflage. Ŕ S, Enke, 1901, in-8°, viii+420 p. (BM : 22.246)
1903c PS12 Zwölfte, verbesserte und vermehrte Auflage [éditée par les Drs Gugl et Stichl]. Ŕ S,
Enke, 1903, in-8°, ix+437 p. (BM : 55.400) (BMU : 07640.i.l)
{245 } tra3 Psychopathia Sexualis ..., The only Authorized English adaptation of the 12 th German
edition by Francis J. Rebman. Ŕ NY, Rebman, s.d. [1906], in-8°, xiii+617 p., avec le
portrait signé de lřauteur en frontispice.
(U.S. Armed Forces Medical Library) (NY Public Library) (University of Toronto)
tra3ř Idem. Ŕ NY, Medical Art Agency, s.d. [1922], in-8°, xiii+617 p. (BMU : Cup.366.b.9)
tra3řř A Reissue. Ŕ Philadelphia, 1924, in-8°, xiv+436 p. (BMU : Cup.366.b.12)
250

tra4 Psychopathia Sexualis, with Special Reference to the Antipathetic Sexual Instinct : a Medico-
Forensic Study, tr from the 12 th German edition and with an Introduction by Franklin S.
Klaf ; Forword by Daniel Blain. Ŕ London, Staples Press, 1965, in-8°, xvii+434 p.
tra4ř Idem. Ŕ NY, Stein & Day, 1965, xvii+434 p.
tra4řř Idem. Ŕ NY, A Mayflower-Dell Paperback, 1967, xiii+434 p.
tra4řřř Idem. Ŕ NY, Bell Publ. Co., 1965, xvi+433 p.
(Porte la mention : First Complete Translation into English)
tra5 Psychopathia Sexualis ; a Medico-Forensic Study. With an Introduction by Ernest van den
Haag. The First unexpurgated edition, with the Latin texts translated into English for
the first time, by Dr Harry E. Wedeck. Ŕ NY, Putnam, 1965, 512 p.
[Nřindique pas le traducteur du texte allemand.]
(American University of Beirut : Closed Aera K89p 132.75)
tra5ř Idem. Ŕ NY, Putnam (Pocket-Book), 1969, in-12, 640 p.
[Cette édition fut notre exemplaire de travail.]
1907c PS13 13 te Auflage, herausgegeben von Dr Alfred Fuchs. Ŕ S, Enke, 1907, in-8°, xi+452 p.
(BN : 8° Td 86 . 542.E)
1912c PS14 14 te Auflage, herausgegeben von Dr Alfred Fuchs. Ŕ S, Enke, 1912, in-8°, xii+457 p.
1918c PS15 15 te Auflage, herausgegeben von Dr Alfred Fuchs. Ŕ S, Enke, 1918, in-8°, xii+431 p.
1924c PS16-17 refondues par Albert Moll. Ŕ S, Enke, 1924, in-8°, vii+832 p.
trf par René Lobstein ; préface du Dr Pierre Janet. Ŕ P, Payot, 1931.
[Nombreuses réimpressions. Nous utilisons celle de 1963, in-8°, 907 p.]
1937c PS18 Die Verirrungen des Geschlechtslebens (éditée par le Dr A. Hartwich). Ŕ Zürich & Leipzig,
1937, in-8°, 317 p. (Jřai pris la liberté de dénommer cette éd. PS18. Lřéditeur y reprend
uniquement ce qui concerne la section des paresthésies. Il en existe une trf (Zurich,
1949, 275 p.). La tra (Londres, 1959, 345 p.) continue à être réimprimée.]
(d) Autres ouvrages cités de Krafft-Ebing
1872d Grundzüge der Criminalpsychologie auf Grunlage des Stafgesetzbuchs des deutschen Reichs für Aerzte und
Juristen. Ŕ Erlangen, Enke, 1872, in-8°, x+152 p. (BM : 69.511)
[2 éd., idem, 1882, xii+190 p. (BN : 8° F. 2614)]
1873d Die zweifelhaften Geisteszustände vor dem Civilrichter für Aerzte und Juristen. Ŕ Erlangen, Enke, 1873,
in-8°, v+63 p. (BM : 69.511)
[1872d et 1873d sont reliés ensemble à la BN : 69.511)
251

1875d La Responsabilité criminelle et la capacité civile dans les états de trouble intellectuel. Éléments de psychiatrie
médico-légale à lřusage des médecins et des juristconsultes... Trad. de lřallemand par le Dr Chatelain. Ŕ P,
Masson, 1875, in-8°, III+268 p. (BM : 34.160) (BN : 8° Tf 14 .71)
[Cřest la trf de 1872d et 1873d, amputés de leurs avertissements, et en ne tenant pas compte des
grandes divisions de lřoriginal. Contient quelques notes du traducteur.]
1890d Neue Forschungen auf dem Gebiet der Psychopathia sexualis. Eine medicinisch-psychologische Studie. Ŕ S,
Enke, 1890, in-8°, vi+80 p. (BN : 8° Tf 86 .616)
{246 }
● Zweite vermehrte Auflage. Ŕ S, Enke, 1891, in-8°, vi+131 p. (BMU : 7660.cc.25)
1894d Der Conträrsexuale vor dem Strafrichter ; de sodomia ratione sexus punienda, de lege lata et de lege ferenda, eine
Denkschrift. Ŕ [Bibliothèque Municipale de la ville de Lyon, fonds Lacassagne, cote : 136063. Sřy
trouve jointe une traduction française manuscrite annotée.]
● 2 te Auflage. Ŕ Leipzig, Deuticke, 1895, in-8°, 112 p. (BN : 8° Tf 3 .176)
[Reproduit 1894eb augmenté de 30 observations nouvelles, et 1894ec. À notre avis, une
réimpression de ce volume sřimpose.]
1897-1899d Arbeiten aus dem Gesammtgebiet der Psychiatrie und Neuropathologie. Ŕ Leipzig, Barth, 4 parties en
1 vol. in-8°. (BN : 8° Td 86 .721)
[Reprend, avec des mises à jour, certains articles de lřauteur.]
(e) Les Articles cités de Krafft-Ebing
1869e Ueber die prognostische Bedeutung der erblichen Anlage im Irresein, in Allgemein Zeitschrift für
Psychiatrie, n°26, 1869, pp. 438-456. (BM : 90.658)
1869e Die Lehre vom moralischen Wahnsinn und ihre Bedeutung für das Forum, in Friedreichřs Blätter
für gerichtliche Medicin, 22 Jahrgang, 1871, pp. 360-384. (BM : 90.660)
1877e Ueber gervisse Anomalien des Geschlechtstriebs und die klinisch-forensische verwerthung
derselben als eines wahrscheinlich functionellen Degenerationszeichens des centralen Nerven-
Systems, in Archiv für Psychiatrie, VII, 1877, pp. 291-312.
1882e Zur ŘŘconträren Sexualempfindungřř in klinisch-forensicher Hinsicht, in Allgemeine Zeitschrift für
Psychiatrie, 38, 1882, pp. 211-227. (BM : 90.648)
1883e Ueber transitorisches Irresein auf neurasthenischer Grundlage, in Der Irrenfreund, XXV, 1883,
n°8, pp. 113-125. (BM : 131.337)
1890ea Angeborene konträre Sexualempfindung. Erfolgreiche hypnotische Absuggerierung homosexualer
Enpfindungen, in Int. Centralbl. für die Physio. u. Path. Harn- und Sexualorgane, Erster Band,
1889-1890, pp. 7-11. (BM : 130.226)
252

1890eb Ueber psychosexuales Zwittertum, in Int. Centralbl. für die Physio. u. Path. Harn- und Sexualorgane,
Erster Band, 1889-1890, pp. 55-65. (BM : 130.226)
1890ec {Ueber Masochismus. Aus einer neuen medizinisch-psychologischen Studie des Verfassers, in
Wiener medizinische Blätter, XIII, 1890, pp. 817-820. (Repris dřaprès Oosterhuis, 2000)}
1891e Ueber transitorisches Irresein auf neurasthenische Grundlage, in Wiener Klinische Wochenschrift,
IV, 10 déc. 1891, n°50, pp. 935-937. (BM : 91.554)
[Ce nřest pas la reproduction de lřarticle 1883e.]
1892e Bemerkungen über ŘŘgeschlechtliche Höringkeitřř und Masochismus, in Jahrbücher für Psychiatrie
und forensische Psychologie, X, 1892, pp. 199-211. (BM : 91.071)
1894ea Zur Psychopathia sexualis, in Jahrbücher für Psychiatrie, XII, 1894, pp. 84-93. (BM : 91.071)
(Bibliothèque Municipale de la ville de Lyon, fonds Lacassagne, cote : 136046. Sřy trouve jointe
une traduction française manuscrite annotée.)
1894eb Zur Aetiologie der conträren Sexualemfindung, in Jahrbücher für Psychiatrie und Neurologie, XII,
1894, pp. 338-365. (BM : 91.071)
[Contient 20 observations. Repris in 1894d, 2 e éd., augmenté de 30 autres observations.]
1894ec Zur Erklärung der conträren Sexualemfindung, in Jahrbücher für Psychiatrie und Neurologie, XIII,
1895, pp. 1-16. (BM : 91.071)
[Repris in 1894d, 2 e éd. Bien que le volume de la revue soit daté de 1895, il faut demander à la
BM le Tome XIII-1894. Du reste, ce texte est connu dans la littérature spécialisée pour être de
1894. → Raffalovich (1896), p. 198 ; Havelock-Ellis (1897, trf), p. 492, n., etc.]
1895e Beiträge zur Kenntniss des Masochismus, in Centralblatt für die krankheiten der Harn- und
Sexualorgane, VI (7), 1895, pp. 353-360. (BM : 130.226)
{247 }
1900 Des perversions sexuelles obsédantes et impulsives au point de vue médico-légal. Rapport pour
le Congrès annuel de médecine mentale, section Psychiatrie. Paris, 1900. Présidé par Magnan et
publié sous la direction de A. Ritti, (Krafft-Ebing nřa pas assisté au congrès), pp. 418-427, texte
en allemand, suivi dřun résumé en français par le Pr Obersteiner, pp. 428-430.
(BM : 90.240) [Un extrait en est repris in PS12. → Cf. tra5ř, pp. 566-569.]
Des perversions sexuelles obsédantes et impulsives au point de vue médico-légal, in Gazette
Hebdomadaire de Médecine & de Chirurgie, 3 e série, tome 5, n°71, 6 septembre 1900, pp. 428-429.
(BM : 90.166) @ [Cf. P.-É. Garnier, 1900b]
1901ea Neue Studien auf dem Gebiet der Homosexualität, in Jahr. für Sex. Zwisch., III, 1901, pp. 1-36.
(BM : 131.640)
1901eb Ueber sexuelle Perversionen, in Leydenřs deutsche Klinik, VI Band, 2 Abtheilung, 1906, pp.
113-154. (BM : 22.222)
253

OUVRAGES
ANONYMES, COLLECTIFS, & REVUES
[1] Affaire Sade (Lř), nouvelle éd. avec lřarrêt de la
Cour dřAppel. Ŕ P, Pauvert, 1963, in-12.
[2] Annales Médico-Psychologiques, mai 1935, 15 e
série, 93 e année, tome I, n°5 : [Centenaire de la
naissance de Valentin Magnan], pp. 713-820. @
[3] Bachelard. Colloque de Cerisy, tenu en juillet
1970. Ŕ P, collect. 10/18, 1974, in-12, 448 p.
[4] Bulletin de lřAssociation Psychanalytique de France,
juin 1968, n°4 : Autour du Masochisme, 128 p.
[5] Dictionnaire de lřAcadémie Française. Ŕ 7° éd.,
1879 ; 8°éd., 1935. (BN : Salle de ravail)
[6] Filigane [revue canadienne de psychanalyse],
2003, vol. 12, n os 1 et 2 : sur la perversion. @
[7] Medical History (Cambridge, UK)
April 2012, Vol. 56, Issue 2. Ŕ Sexology, Medical
Ethics and Occultism: Albert Moll in Context.
[8] Mémoires dřune chanteuse allemande (Les). Trad.
nouv. et définitive, augmentée des préf. et
introd. de Guillaume Apollinaire, enrichie de
doc. dřépoque et accompagnée dřun avertissement
de lřéditeur, dřune postface, de notes et
var. par R. dřArtois. Ŕ P, La Bibliothèque Privée,
1969, cxlvi+246 p., illustr. [Éd. originale :
Aus den Memoiren einer Sängerin, 1862-1875.]
[9] Nouvel Observateur (Le), n°70, 1966.
[10] Quřest-ce que le structuralisme. Ŕ P, Seuil, 1968,
in-8°, 446 p.
[11] Zoloé & ses deux acolytes, quelques décades de la
vie de trois jolies femmes (An VIII Ŕ 1800). Réédition,
Paris, Pauvert, 1954, in-12, 130 p. (Ouvrage
anonyme à clés sur les turpidudes sexuelles de
Napoléon, Joséphine, Mme Tallien, Mme Visconti,
Barras, etc., longtemps attribué au marquis de
Sade). (BN : Enfer 1127) @
____________
II. ŕ Bibliographie Générale
254
ALIBERT, B on Jean Louis (1768-1837)
[12] 1825 : Physiologie des passions ou nouvelle doctrine
des sentiments moraux, 2 e éd. revue, corrigée et
augmentée, P, Béchet Jeune, 1826, 2 vol.,
in-8°, cx+384 et 552 p., et planches.
( 11825 ; 21826 ; 31861 ; tr espagnole, 1826).
(BN : 8° T 19. 88.A)
ALTHUSSER, Louis (1918-1990)
[13] 1965 : Pour Marx. Ŕ P, Maspero, in-8°, 261 p.
[14] 1969 : Préface à Marx (1867gf), pp. 7-26.
[15] 1974 : Philosophie & philosophie spontanée des
savants (1967). Ŕ P, Maspero, in-12, 156 p.
ALTHUSSER, Louis, & Alii
[16] 1965 : Lire le Capital, nouvelle éd. en 4 vol. Ŕ P,
Petite Collection Maspero.
ARISTOTE (384-322 av. J.-C.)
[17] 1970 : La Métaphysique, nouvelle éd. entièrement
refondue, avec commentaire par J. Tricot.
Ŕ P, Vrin, in-8°, 2 vol., lviii+878 p.
AZAR, Amine
[18] 1972 : Trois remarques seulement sur le rapport
de Christian Vogt, et sur la discussion qui
lřa suivi. Ŕ Version définitive, 14 p., inédit.
[19] 1973 : Pour un ŘŘTombeauřř de la valeurpouvoir.
Ŕ 50 p., inédit.
[20] 1974a : Le pouvoir dans la situation analytique,
in Travaux & Jours, (Beyrouth), janvier-mars
1974, n°50, pp. 139-144.
[21] 1974b : De la relation perverse et de la relation
sociale pseudo-perverse. Ŕ 22 p., ronéo.
{248 }
[22] 1975 : La sémantique, tenants & aboutissants,
in Critique, janvier 1975, n°332, pp. 66-77.
[Nous réunirons prochainement ces textes en
volume.] {Promesse non tenue.}
[23] 1986 : La Psychopathia Sexualis de Krafft-
Ebing, ou lřinvraisemblable célébration dřun

centenaire, in Psychanalyse à lřUniversité, 1986,
tome XI, n°44, pp. 709-713.
[24] 1991 : La malédiction du Pharaon pèse-t-elle
sur les psychanalystes ?, in LřÉvolution Psychiatrique,
1991, 51 (1), pp. 177-187.
[25] 1993 : Émergence et accueil fin-de-siècle du
sadisme et du masochisme, in Psychanalyse à
lřUniversité, 1993, tome XVIII, n°69, pp. 37-65.
[26] 1999 : Les malheurs hexagonaux de Krafft-
Ebing continuent de plus belle, in řAshtaroût,
cahier hors-série n°2, décembre 1999, pp.
125-126. @
[27] 2002 : Lřinstance de lřautre∙jouisseur illustrée
par des exemples pris chez Zola, Schreber &
le marquis de Sade, in řAshtaroût, cahier horssérie
n° 5, décembre 2002, pp. 22-40. @
[28] 2005 : Les perversions sexuelles au regard de
la sexualité féminine, in řAshtaroût, cahier horssérie
n° 6, décembre 2005, pp. 10-14. @
[29] 2011 : Le secret de la jouissance masochiste
est-il enfoui au fond dřun puits ?, in řAshtaroût,
cahier hors-série n° 8, décembre 2011, pp.
189-193. @
[30] 2012 : Le Style de Freud : sur la science & lřexigence
freudiennes. Ŕ Bibliothèque Improbable du
Pinacle n°13, avril 2012, petit in-4°, 220 p. @
BACHELARD, Gaston (1884-1962)
[31] 1938 : La Formation de lřesprit scientifique, contribution
à une psychanalyse de la connaissance objective. Ŕ
P, Vrin, 71970, in-8°, 257 p.
[32] 1949 : Le Rationalisme appliqué. Ŕ P, PUF, 41970,
in-8°, 217 p.
[33] 1951 : LřActivité rationaliste de la physique contemporaine.
Ŕ P, PUF, 21965, in-8°, 225 p.
[34] 1953 : Le Matérialisme rationnel. Ŕ P, PUF, 21963,
in-8°, 225 p.
BACON, Francis (1561-1626)
[35] 1843 : Œuvres de Bacon, trad. revue, corrigée et
précédée dřune introduction par M.F. Riaux. Ŕ
Paris, Charpentier, in-12, 2 vol., lvii+462 et
iv+504 p.
255
BALL, Benjamin (1833-1893)
[36] 1888 : La Folie érotique. Ŕ P, Baillière, in-16,
158 p. (BN : Td 86. 554)
BARRES, Maurice (1862-1923)
[37] 1889 : Préface à Un Homme Libre, in Gershman
& Whitworth (1962), pp. 320-323.
BARUK, Henri (1897-1999)
[38] 1967 : La Psychiatrie française de Pinel à nos jours. Ŕ
P, PUF, in-8°, 152 p.
BASILE VALENTIN, Frère
[39] 1956 : Les Douze Clés de la Philosophie. Trad.,
introd., notes et explication des images par
Eugène Canseliet. Ŕ P, éd. de Minuit, in-8°,
264 p., illustr. (Lřauteur présumé vécut à Erfurt
à la fin du XIV e siècle.)
BATAILLE, Georges (1897-1962)
[40] 1964 : Les Larmes dřÉros. Ŕ P, Pauvert, in-8°,
253 p., illustr.
[41] 1965 : Le Procès de Gilles de Rais. Les documents
présentés par Georges Bataille Ŕ P, Pauvert,
in-8°, 391 p.
BATESON, Gregory (1904-1980)
[42] 1972 : Steps to an Ecology of Mind. Ŕ NY, Ballantine
Walden, in-12, xxvi+517 p.
BAUER, Heike
[43] 2009 : English Litterary Sexology: Translations
from Inversion, 1860-1930. Ŕ Basingstoke (UK),
Palgrave Macmillan, in-8°, xii+ 216 p., illustr.
BELOUINO, Paul (1810-1876)
[44] 1844 : Des Passions dans leurs rapports avec la
religion, la philosophie, la physiologie et la médecine
légale. 2 e éd. revue, corrigée et augmentée par
lřauteur. Ŕ Lyon et Paris, Perisse, 1853, 2 vol.,
in-8°, xi+413 et 444 p. ( 11844, 21853, 31863,
41873, 51883) (BN : 8° R.28157 et R.28158)
BENICHOU, Bruno
[45] 1972 : Sainte Jackie, comédienne et bourreau,
avec une introduction de Gilles Deleuze, in Les

Temps Modernes, novembre 1972, n°316, pp.
854-871.
BETTELHEIM, Bruno (1903-1990)
[46] 1960 : The Informed Heart, the Human Condition in
Mass Society. Ŕ London, Paladin, 1970, 279 p.
BIEDER, Joseph
[47] 2006 : Quand Paul Bourget hantait lřinfirmerie
speciale, in Histoire des Sciences Médicales,
2006, 40 (3), pp. 305-312. @
BINET, Alfred (1857-1911)
[48] 1887 : Le fétichisme dans lřamour, in Revue Philosophique...,
1887, XXIV (2), pp. 143-167 et
252-274. (Biblio. de la Sorbonne : P46Ŕ8°)
[Nous citons dřaprès Binet, 1888]
[49] 1888 : Études de psychologie expérimentale. Le fétichisme
dans lřamour [pp. 1-85], la vie psychique des
micro-organismes, lřintensité des images mentales, le
problème hypnotique, note sur lřécriture hystérique. Ŕ
P, Doin, in-18, 307 p. (BN : 8° Td 86. 421)
[50] 1909-1911 : LřAnnée Psychologique, 15 e, 16 e, et
17 e années. Ŕ Paris, Masson, in-8°.
[51] 1974 : Écrits psychologiques & pédagogiques, choisis
et présentés par G. Avanzini. Ŕ Toulouse,
Privat, in-8°, 1974, 178 p.
BIRKETT, Jennifer
[52] 1986 : The Sins of the Fathers: Decadence in
France 1870-1914. Ŕ London, Quartet Books,
in-8°, xi+272 p., et 8 pl. (Consacré à la littérature
française fin-de-siècle, ce livre comporte
un chapitre Ŕ à vrai dire un peu faible Ŕ à Sade
et à ses prétendus héritiers, pp. 19-34.)
BLOCH, Iwan (1872-1922)
[53] 1902-1903 : Beiträge zur Aetiologie der Psychopathia
sexualis, mit einer Vorrede von Albert Eulenburg.
Ŕ Dresden, Verlag von H.R. Dohrn, 2
vol., 1902 et 1903, xvi+272 xviii+400 p.
[54] The New System of ŘŘPsychopathia Sexualisřř Ŕ
Anthropological Studies in the Strange Sexual Practises
in all Races of the World [being] the First Part of
Dr Blochřs Contributions to the Etiology of Psychopathia
Sexualis, translated by Keene Wallis,
256
Intended for Circulation amoung Mature Educated
Persons only. Ŕ NY: Falstaff Press, 1933,
gd in-8°, [vii]+xxiii+246 p. (Tirage limité à
3000 exemplaires. Le nôtre est le n°2790.)
[55] 1901-1903 : Sexual Life in England, translated
by William Forstern [1936]. Ŕ Londres, Corgi
Books, 1965, in-12, 542 p. (Traduction abrégée
des 3 vol. allemands.)
[56] 1907 : The Sexual Life of Our Time in its Relation
to Modern Civilization, translated by Eden
Paul [1908]. Ŕ NY: Allied Books Co., Corgi
Books, 121928, in-8°, xvi+790 p. (Les pp.
699-708 de cette édition, traitant de la prévention
des naissances, sont censurées.)
BLOCH, Iwan (1872-1922)
sous le pseudonyme du Dr Eugen Dühren
[57] 1901 : Le Marquis de Sade & son temps. Études
relatives à lřhistoire de la civilisation et des mœurs au
XVIII e siècle. Trf de A. Weber-Riga, préface
dřOctave Uzanne. Ŕ Berlin, Barsdorf / Paris,
Michalon, 1901. (Lřéd. allemande a été publiée
la même année chez le même éditeur berlinois.)
(Réimpression, Genève, Slatkine Reprints,
1970, in-8°, xxvii+503 p.)
[BN : 8° R.65528 (12)]
[58] 1904a : Neue Forschungen über den Marquis de
Sade und seine Zeit. Mit besonder berücksihtigung der
Sexualphilosophie de Sadeřs auf Grund des neuentdeckten
Original-Manuskriptes seines Hauptwerke
„Die 120 Tage von SodomŖ Mit mehreren bisher
unveröffentlichten Briefen und Fragmenten. Ŕ Berlin,
Max Harrwitz, xxxii+488 p. @
[59] 1904b : Les 120 Journées de Sodome ou lřécole du
libertinage, par le Marquis de Sade. Publié pour la
première fois dřaprès le manuscrit original,
avec des annotations scientifiques. Ŕ Paris,
Club des Bibliophiles, grand in-8° [viii]+544 p.
(Suivant Maurice Heine, il faut rectifier par :
Berlin, Max Harrwitz éditeur.) (Éd. tirée à 200
exemplaires. Celui de la BN porte le numéro
134.) (BN : Enfer 1524) @
[60] 1906 : Rétif de la Bretonne. Der Mensch, der
Schriftsteller, der Reformator. Ŕ Berlin, Verlag von
Max Harrwitz, xxxii+488 p. @

{249 }
BLOCH, O., & WARTBURG, W. von
[61] 1932 : Dictionnaire étymologique de la langue française.
5 e éd. revue et augmentée par W. v.
Wartburg. Ŕ P, PUF, 1968, in-4°, xxxvi+682 p.
(BN : Salle de Travail)
BOISTE, Pierre-Cl.-V. (1765-1824)
[62] 1834 : Dictionnaire Universel de la langue française,
avec le latin et les étymologies, 8 e éd. revue par
Charles Nodier. Ŕ P, Lecointe et Pougin, 1834,
in-4° oblong. (BN : Microfiche, M.307).
(1 re éd. 1800, avec Ballin et Bastien ; 21803,
seul ; 31823 ; ... ; 81834, revue par Nodier ;
101841, revue par Nodier et Barré.)
BONNET, Gérard
[63] 1983 : Les Perversions sexuelles. Ŕ P, PUF, Que
sais-je ?, in-12, 128 p. (2 e éd. refondue, 1993).
[64] 2001 : LřIrrésistible pouvoir du sexe. Ŕ P, Payot,
in-8°, 285 p.
[65] 2008 : La Perversion : se venger pour survivre. Ŕ P,
PUF, in-8°, 244 p.
BOOLE, George (1815-1864)
[66] 1854 : An Investigation of Laws of Thought, on
which are Founded the Mathematical Theories of Logic
and Probabilities. Ŕ NY, Dover, s.d. (circa 1960),
in-8°, xviii+424 p.
BOURGEOIS, L.-X. (1828-1872)
[67] 1860 : Les Passions dans leurs rapports avec la
santé et les maladies. LřAmour et le Libertinage. Ŕ P,
Baillières, 4 e éd. rev. et augm., 1877, in-12,
214 p. ( 11860, 21862, 31870. Seules ces trois
éditions figurent à la BN.)
BOURGET, Paul (1852-1935)
[68] 1889 : Le Disciple. Ŕ Paris, Lemerre, in-18,
xii+364 p.
[69] 1891 : Physiologie de lřamour moderne. Fragments
posthumes dřun ouvrage de Claude Larcher, recueillis
et publiés par Paul Bourget son exécuteur testamentaire.
Ŕ Paris, Lemerre, in-18, ix+435 p.
(On trouve une suite in Bourget, 1900)
257
[70] 1892 : La Terre Promise. Ŕ Paris, Lemerre,
in-18, xv+420 p.
[71] 1900 : LřEcran, illustr. de A. Cabet Ŕ Paris,
Borel, in-18, xii+203 p.
[72] 1920 : Anomalies. Ŕ Paris, Plon, in-18, 309 p.
BRECHER, Edward N.
[73] 1969 : Les Sexologues, préface de Masters et
Johnson, trf de S. Zolotoukhine. Ŕ P, Laffont,
1971, in-8°, 406 p.
BRENTANO, Franz (1838-1917)
[74] 1874-1911 : Psychologie du point de vue empirique,
trf et préf. de M. de Gandillac. Ŕ P, Aubier,
1944, in-8°, 461 p.
BROGLIE, Louis de (1892-1987)
[75] 1952 : La physique quantique restera-t-elle
indéterministe ? Ŕ Repris dans le recueil du
même Nouvelles Perspectives en Microphysique,
Paris, Albin Michel, 1956, pp. 115-143. (Conférence
donnée au Centre de Synthèse en 1952, et
à la Société Française de Philosophie lřannée suivante.
Téléchargeable avec la discussion qui lřa
suivie à partir du site de la sofrphilo.fr) @
BUFFON, G.-L. Leclerc de (1707-1788)
[76] 1753 : Discours sur le style & autres discours académiques.
Ŕ P, Hachette, 1843, in-8°, 36 p. @
BUYSSENS, Eric (1910-1990)
[77] 1965 : Linguistique historique : homonymie, stylistique,
sémantique, changements phonétiques. Ŕ Bruxelles,
Presses Universitaires de Bruxelles, gd
in-8°, 159 p.
CANSELIET, Eugène (1899-1982)
[78] 1934 : La femme sans tête, repris in Canseliet
(1964), pp. 59-68.
[79] 1956 : → BASILE VALENTIN, Frère.
[80] 1964 : Alchimie, études diverses de symbolisme hermétique
et de pratique philosophale. Ŕ P, Pauvert,
in-4°, 283 p. et 50 hors-textes.

CARLIER, F.
[81] 1887 : Les Deux prostitutions, étude de pathologie
sociale. Ŕ P, Dentu, gd in-8°, viii+515 p.
CASTEL, Robert
[82] 1973 : Les médecins et les juges, in Foucault
(1973), pp. 315-331.
[83] 1976 : LřOrdre Psychiatrique : lřâge dřor de lřaliénisme.
Ŕ P, éd. de Minuit, Le Sens Commun,
in-8°, 335 p.
CHAPERON, Sylvie
[84] 2007 : Les Origines de la sexologie (1850-1900).
Ŕ Paris, Petite Bibliothèque Payot n°846, 2012,
in-12, 352 p. (Cf. la recension de Julie Mazaleigue,
2007b).
CHARCOT, J.-M., & MAGNAN, V.
[85] 1882a : Inversion du sens génital, in Archives de
Neurologie, janvier 1882, III (7), pp. 53-60. (À
suivre.)
[86] 1882b : Inversion du sens génital et autres perversions
sexuelles, in Archives de Neurologie, novembre
1882, IV (12), pp. 296-322. (Suite du
précédent avec une rallonge au titre.)
CHASTAING, Maxime
[87] 1967 : Le roman policier Řclassiqueř, in Journal
de Psychologie, 1967 (3), pp. 313-342.
CHAVARDES, Maurice
[88] 1967 : Histoire de la librairie. Ŕ P, Waleffe, 1967,
182 p., illustr.
CHAZAUD, Jacques
[89] 1973 : Les Perversions sexuelles : introduction à leur
approche psychanalytique. Ŕ Toulouse, Privat,
in-8°, 175 p.
{250 }
CHEVALIER, Julien
[90] 1893 : Une Maladie de la personnalité. Lřinversion
sexuelle : physiologie, sociologie, tératologie, aliénation
mentale, psychologie morbide, médecine judiciaire. Préface
de A. Lacassagne. Ŕ Lyon, Storck, in-16,
vi+xxiv+520 p. (BN : Td 86. 630)
258
CLEUGH, James (1891-1969)
[91] 1967 : Le Premier masochiste : Sacher-Masoch, trf
de A. Picard. Ŕ P, Trévise, 1969, in-8°, 252 p.
COFFIGNON, A.
[92] 1888 : La Corruption à Paris. Ŕ P, Librairie Illustrée,
in-18, 5 e éd.,s.d., 401 p. et plans.
(BN : Ti 3. 756)
[93] 1888 : La Corruption à Paris. Ŕ P, Librairie
Illustrée, in-18, 6 e éd., s.d., 401 p. et plans.
COMMANGE, Dr O.
[94] 1897 : Hygiène Sociale Ŕ La Prostitution Clandestine
à Paris. Ŕ P, Reinwald/Schleicher, gd in-8°,
xi+614 p.
CONN, Matthew
[95] 2012 : Sexual science and sexual forensics in
1920s Germany : Albert Moll as (s)expert, in
Medical History, 2012, 56 (2), pp. 201-216.
CORRAZE, Jacques
[96] 1969 : Les Dimensions de lřhomosexualité. Ŕ Toulouse,
Privat, in-8°, 252 p.
DANVILLE, Gaston (1870-1933)
[97] 1894 : La Psychologie de lřamour, 3 e éd. revue. Ŕ
P, Alcan, 1903, in-16, iv+181 p. ( 11894,
21900, 31903) (Les deux premières éd. sont
accessibles en ligne sur Galllica.) @
DAUZAT, A., DUBOIS, J., MITTERAND, H.
[98] 1971 : Nouveau dictionnaire étymologique & historique,
3 e éd. revue et corrigée. Ŕ P, Larousse,
1974, in-12, xlix+805 p.
DAVIDSON, Arnold I.
[99] 1990 : Closing up the corpses : diseases of
sexuality and the emergence of the psychiatric
style of reasoning. Repris in Tim Dean &
Christopher Lane (eds), Homosexuality and Psychoanalysis,
Chicago: Chicago University Press,
2001, pp. 59-90. Trad. franç. in Émergence de la
sexualité, épistémologie historique et formation des
concepts, Paris, Albin Michel, 2005, pp. 25-75.

DELASIAUVE, Louis (1804-1893)
[100] 1861-1870 : Journal de Médecine Mentale. Ŕ P,
Masson, 10 vol., in-8°. (Nous en possédons les
six premières années). @
DELCOURT, Pierre (1852-1831)
[101] 1888 : Le Vice à Paris. Ŕ P, Piaget, in-18,
354 p. (BN : 8° Li 3. 890).
DELEUZE, Gilles (1925-1995)
[102] 1967 : Présentation de Sacher-Masoch : le froid et le
cruel, avec le texte intégral de la Vénus à la
fourrure, trad. de lřallemand par A. Willm. Ŕ P,
éd. de Minuit, in-8°, 275 p., illustr.
DELON, Michel
[103] 1979 : Dix ans dřétudes sadiennes, in Dix-
Huitième Siècle, 1979, n°11, pp. 393-426.
DESCARTES, René (1596-1750)
[104] 1649 : Les Passions de lřâme, in Œuvres Philosophiques,
tome III, pp. 939-1103.
[105] 1973 : Œuvres Philosophiques, tome III (1643-
1650), textes établis, présentés et annotés par
Ferdinand Alquié. Ŕ P, Garnier, in-12, 1152 p.
DESCURET, Jean-Baptiste F. (1795-1871)
[106] 1841 : La Médecine des passions, ou les passions
considérées dans leurs rapports avec les maladies, les
lois et la religion. Ŕ P, Béchet Jeune & Labé,
1841, in-8°, xvi+783 p. (BN : Td 19. 127)
(2 e éd., 1844, xv+832 p.) (3 e éd., 1860)
DEWEY, John (1859-1952)
[107] 1916 : Essays in Experimental Logic. Ŕ NY,
Dover, s.d., petit in-8°, viii+444 p.
DONZELOT, Jacques
[108] 1977 : La Police des familles, postface de Gilles
Deleuze. Ŕ P, éd. de Minuit, in-8°, 221 p.
DOROTHEE, Michèle
[109] 1976 : Genèse du masochisme et du sadisme
chez Krafft-Ebing, in Psychanalyse à lřUniversité,
juin 1976, tome I, n°3, pp. 599-604.
259
DUCROT, Oswald
[110] 1972 : Dire & ne pas dire, principes de sémantique
linguistique. Ŕ P, Hermann, in-8°, 283+v p.
[111] 1974 : La Preuve & le dire, langage & logique (avec
la collab. de M.C. Barbault et J. Despresle). Ŕ
P, Mame, in-12, 290 p.
DÜHREN, Eugen
→ Pseudonyme de : BLOCH, Iwan
DUPRE, Ernest (1862-1921)
[112] 1920 : Notes sur les Anomalies de Paul Bourget,
in Bourget (1920), pp. 306-308.
[113] 1925 : Pathologie de lřimagination & de lřémotivité.
(Articles recueillis par le Dr Logre), préface de
Paul Bourget, suivie dřune notice biographique
par le Dr Achalme. Ŕ P, Payot, 1925, in-8°,
xxii+503 p. @
DUPRE, Ernest, & TREPSAT, Ch.-L.
[114] 1920 : Les rapports du refoulement psychique
et de lřémotivité dans la genèse de certaines
psychonévroses, repris in Ch.-L. Trepsat
(1932), Œuvres Psychiatriques, pp. 125-142.
{251 }
EGGLI, Edmond (1879-1955)
[115] 1927 : LřÉrotique comparée de Charles de Villers,
1806. Ŕ P, Gamber, in-8°, vii+211 p.
EINSTEIN, Albert (1879-1955)
[116] 1953 : Einleitende Bemerkungen über
Grundbegriffe / Remarques préliminaires sur
les concepts fondamentaux. Ŕ In ouvrage collectif
Louis de Broglie physicien & penseur, Paris,
Albin Michel, 1953, pp. 4-15.
ELLENBERGER, Henri F. (1905-1992)
[117] 1970 : The Discovery of the Unconscious : the History
and Evolution of Dynamic Psychiatry. Ŕ NY,
Basic Books / Harper Torchbooks, gd in-8°,
xvi+932 et 28 pl.

ENGSTROM, E.F., & KENDLER, K.S.
[118] 2012 : Richard von Krafft-Ebingřs view on
the etiology of major psychiatric illness, in
Psychological Medecine, août 2012, n°15, pp. 1-8.
ESQUIROL, Jean-Etienne (1772-1840)
[119] 1827 : Note sur la monomanie-homicide, in
Hoffbauer, Médecine Légale..., trad. franç. 1827,
pp. 309-359. Cf. également la note dřÉlias Regnault
à la fin du volume. @
EULENBURG, Albert (1840-1917)
[120] 1895 : Sexuale Neuropathie, genitale Neurosen und
Neuropsychosen der Männer und Frauen. Ŕ Leipzig,
Vogel, in-8°, 164 p. (BN : 8° Td 85. 1066)
[121] 1902 : Sadismus und Masochismus. Ŕ Wiesbaden,
Bergman, grand in-8°, 89 p. (BN : 8° T 22. 49)
EY, Henri (1900-1977)
[122] 1948 : Études Psychiatriques, Tome I : Historique,
méthodologie, psychopathologie générale. 2 e éd. revue
et augmentée. Ŕ P, Desclée de Brouwer, 1952,
grand in-8°, 296 p.
[123] 1950 : Études Psychiatriques, Tome II : Aspects
sémiologiques. Ŕ P, Desclée de Brouwer, 1950,
grand in-8°, 549 p.
FEDIDA, Pierre (1934-2002)
[124] 1968 : Concept et perversion, repris in Le
Concept & la Violence. Ŕ P, UGE, collect. 10/18,
1977, in-8°, pp. 7-52.
FENELON, François (1651-1715)
[125] 1697 : Explication des maximes des saints, in Fénelon
(1874), tome III, pp. 181-239.
[126] 1874 : Œuvres Choisies de Fénelon. Ŕ P, Hachette,
4 vol., in-12.
FERE, Charles (1852-1907)
[127] 1887 : Sensation & Mouvement, études expérimentales
de psycho-mécanique. 2 e éd. revue. Ŕ P, Alcan,
1900, in-18, 170 p.
[128] 1892 : Pathologie des émotions, études physiologiaues
et cliniques. 2 e éd. revue. Ŕ P, Alcan, 1900, grand
in-8°, xii+605 p. @
260
[129] 1894 : Lřhérédité morbide, in Revue des Deux
Mondes, 1894, tome 126, pp. 436-452.
[130] 1899 : LřInstinct Sexuel, évolution & dissolution. Ŕ
P, Alcan, in-12, ii+346 p.
(BM : 73.280) (BN : 8° Tb 71. 200) @
FERENCZI, Sándor (1873-1933)
[131] 1914 : Ontologie de lřintérêt pour lřargent, trf in
Œuvres Complètes, t. 2, Payot, 1970, pp. 142-149.
FIAUX, Louis (1847-1936)
[132] 1892 : Les Maisons de toléance : leur fermeture. Ŕ
P, Carré, in-12, v+394 p. (Sadisme, pp. 135,
167. Le chap. X est consacré au saphisme.).
[133] 1921 : La Police des Mœurs en France : son abolition.
Ŕ P, Alcan, in-8°, cii+734 p. et portrait de
Guyot, promoteur de lřabolitionnisme, en frontispice.
(Essai biographique sur Yves Guyot, pp. 89-171.)
FICHANT, M., & PECHEUX, M.
→ Voir aussi sous : HERBERT, Thomas
[134] 1969 : Sur lřHistoire des Sciences. Ŕ P, Maspéro,
in-12, 172 p.
FLAUBERT, Gustave (1821-1880)
[135] 1862 → Voir à SAINTE-BEUVE, 1962.
FONTANA, Alexandre
[136] 1973 : Les intermittences de la raison, in Foucault
(1973), pp. 333-350.
FOUCAULT, Michel (1926-1984)
[137] 1966 : Les Mots & les Choses, une archéologie des
sciences humaines. Ŕ P, Gallimard, in-8°, 400 p.
[138] 1969 : LřArchéologie du Savoir. Ŕ P, Gallimard,
in-8°, 279 p.
[139] 1973 : Moi, Pierre Rivière…, un cas de parricide au
XIX e siècle, présenté par Michel Foucault. Ŕ P,
Gallimard et Julliard, in-12, 279 p.
[140] 1975 : Surveiller & Punir : naissance de la prison. Ŕ
P, Gallimard, in-8°, 318 p., et 30 h.-t.
FOURIER, Charles (1772-1837)
[141] 1829 : Le Nouveau Monde Industriel & Sociétaire,
préface de Simone Debout Ŕ P, Anthropos,
1971, in-8°, xxvi+xvi+489 p.

FREUD, Sigmund (1856-1939)
[142] 1881 : Tr allemande de J.S. MILL (1869).
[143] 1887-1902 : La Naissance de la Psychanalyse,
lettres à W. Fließ, notes et plans (1887-1902),
publiés par M. Bonaparte, A. Freud, et E. Kris,
introd., notes et commentaires de E. Kris, tr
de lřallemand par A. Berman, 2 de éd. Ŕ P, PUF,
21969, in-8°, vii+424 p.
[144] 1900a : The Interpretation of Dreams, translated
from German and edited by James Strachey. Ŕ
NY: Avon, 31966, in-12, 736 p.
{252 }
[145] 1901b : Psychopathologie de la vie quotidienne, trf de
S. Jankélévitch. Ŕ P, Petite Bibliothèque Payot,
1967, in-12, 297 p.
[146] 1905c : Le Mot dřEsprit & ses relations avec lřInconscient,
trf de M. Bonaparte et M. Nathan. Ŕ
P, Gallimard, collect. Idées, 1969, in-12, 377 p.
[147] 1905d : Trois Essais sur la Théorie de la Sexualité,
trf de B. Reverchon-Jouve. Ŕ P, Gallimard,
collect. Idées, 1966, in-12, 190 p.
[148] 1910e : The antithetical sens of primal words,
tra de M.N. Searl in Freud (1963), pp. 44-50.
[149] 1915 : Métapsychologie, trf de J. Laplanche et
J.-B. Pontalis. Ŕ P, Gallimard, collect. Idées,
1968, in-12, 189 p.
[150] 1918a : Contributions à la psychologie de la
vie amoureuse, III : Le tabou de la virginité. Ŕ
OCF, 15 : 79-96.
[151] 1920g : Au-delà du principe de plaisir, in Essais
de Psychanalyse, trf de S. Jankélévitch, nouv. éd.
revue par A. Hesnard. Ŕ P, Petite Bibliothèque
Payot, 1967, pp. 7-81.
[152] 1923b : Le Moi et le Ça, in Essais de Psychanalyse,
op. cit., pp. 177-234.
[153] 1936a : Eine Erinnerungsstörung auf der
Akropolis, tra de James Strachey in Freud
(1963), pp. 311-320.
[154] 1963 : Character and Culture, with an introd. by
the editor Ph. Rieff. Ŕ NY: Collier, 31970,
in-12, 320 p., illustr.
[155] 1973 : Névrose, Psychose et Perversion, tr de lřallemand
sous la dir. de J. Laplanche, introd. de
J. Laplanche. Ŕ P, PUF, 1973, in-8°, viii+306 p.
261
GALMICHE, Jean-Marie
[156] 1998 : Julien François Jeannel (1814-1896)
ŘŘhomme protéeřř ou lřhistoire dřun pharmacien
militaire hors du commun, in Histoire des Sciences
Médicales, 1998, XXXII (3), pp. 245-254. @
GANDILLAC, Maurice de (1906-2006)
[157] 1944 : Tr et préface à Brentano (1874-1911).
GARNIER, Adolphe (1801-1864)
[158] 1839 : La Psychologie & la phrénologie comparée. Ŕ
P, Hachette, 1839, in-12, v+ii+442 p.
[159] 1852 : Traité des Facultés de lřÂme. Ŕ P, Hachette,
3 vol., in-12.
GARNIER, Paul-Émile (1848-1905)
[160] 1890 : La Folie à Paris, étude statistique & médicolégale,
préface de J.C. Barbier. Ŕ P, Baillière,
in-16, xi+424 p., et tableaux (BN : 8° Tf 14.102)
[161] 1896 : Les Fétichistes, pervertis et invertis sexuels,
observations médico-légales. Ŕ P, Baillière, in-16,
192 p. (BN : 8° Tf 14.112)
[162] 1900a : Le sadifétichisme, in Annales dřHygiène
Publique & de Médecine Légale, février 1900,
série 3, n°43, pp. 97-121 et 210-247. @
[163] 1900b : Des perversions sexuelles obsédantes
et impulsives au point de vue médico-légal. Ŕ
Rapport au Congrès de Médecine Mentale, section
Psychiatrie, publié sous la direction de A. Ritti,
1900, pp. 430-468. (BM : 90.240)
Idem, in Gazette Hebdomadaire de Médecine &
de Chirurgie, 3 e série, tome 5, n°71, 6 septembre
1900, pp. 428-429. (BM : 90.166) @
GERSHMAN, H.S., & WHITWORTH, K.B.
[164] 1962 : Anthologie des Préfaces de romans français du
XIX e siècle. Ŕ Paris, Julliard, collect. Littérature,
1964, in-12, 366 p.
GINESTIER, Paul
[165] 1968 : Pour Connaître la pensée de Bachelard. Ŕ P,
Bordas, in-8°, 224 p.

GLEY, Eugène (1857-1930)
[166] 1884 : Les aberrations de lřinstinct sexuel
dřaprès des travaux récents, in Revue Philosophique
de la France & de lřÉtranger, 1884, janvierjuin,
17 (1), pp. 66-92. [Recension de Moreau
de Tours, Charcot & Magnan (1882), Westphal
(1870, 1876), Krafft-Ebing (1877e)].
GOLDBERG, Arnold
[167] 1995 : The Problem of Perversions : the View from
Self Psychology. Ŕ New Haven, Yale University
Press, in-8°, viii+204 p.
GRANGER, Gilles-Gaston
[168] 1968 : Essais dřune Philosophie du Style. Ŕ P,
Armand Colin, grand in-8°, 312 p.
GROUPE μ
[169] 1970 : Rhétorique Générale. Ŕ P, Larousse, in-8°,
206 p.
GUYOT, Yves (1843-1928)
[170] 1882 : Études de physiologie sociale Ŕ La Prostitution.
Ŕ P, Charpentier (Fasquelle), in-18, ii+
580 p., avec 25 graphiques. (BN : 8° R.4128)
● Études de physiologie sociale Ŕ La Prostitution. Ŕ
P, Charpentier, in-18, 4 e mille, éd. revue et
augm., 1883, ii+ 596 p., avec 25 graphiques.
● Études de physiologie sociale Ŕ La Prostitution. Ŕ
P, Charpentier, in-18, 6 e mille, s.d. (1883 ?),
iii+ 598 p., avec 25 graphiques.
[171] 1884 : Études de physiologie sociale Ŕ La Police. Ŕ
P, Charpentier, 2 e mille, 1884, in-18, 444 p.
HAAG, E. van den
[172] 1965 : Introduction à Krafft-Ebing PS12 (1903),
tra5ř 1969, pp. 11-28.
HAMMOND, William A. (1828-1900)
[173] 1883 : Sexual Impotence in the Male. Ŕ NY :
Bermingham & Co., in-8°, 274 p. @
[174] 1887 : Sexual Impotence in the Male and the
Female. Detroit : George S. Davis, in-8°, 305 p.
262
HARRISON, Shirley
[175] 1993 : Jacques lřéventreur : le journal, le dossier, la
controverse, trf de Jérôme Jacobs. Ŕ P, LGF, Livre
de Poche n°13764, in-12, 384 p.
HAVELOCK-ELLIS, H. (1859-1939)
[176] 1896 : Sexual Inversion. Ŕ Cité dřaprès Aron
Krich (ed.) (1963), The Sexual Revolution: Pioneer
Writings on Sex..., pp. 149-256. Éd. définitive in
Studies…, tome II, 2 e Partie. Trf de lřéd. définitive
in Études…, tome I er, 2 e Partie.
[177] 1896 trf : LřInversion sexuelle., préface et notes
du Pr Hesnard, in Havelock-Ellis (1964), Études
de Psychologie Sexuelle, tome I er, 2 e Partie, pp.
389-540.
{253 }
[178] 1903 : Analysis of the Sexual Impulse, in Studies in
the Psychology of sex, 1936, Vol. I, Part II.
[179] 1903 trf : LřImpulsion sexuelle, avant-propos et
notes par le Dr J. Favez-Boutonnier, in
Havelock-Ellis (1964), Études de psychologie sexuelle,
tome II, 1 re Parie, pp. 9-355.
[180] ● Studies Ŕ 1936 : Studies in the Psychology of sex.
Ŕ NY, Random House, 1936, in-8°, 4 vol. en 2
parties chacun.
[181] ● Études Ŕ 1964 : Études de psychologie sexuelle,
édition critique établie sous la direction du Pr
Hesnard, trf par A. Van Gennep, 10 vol. Ŕ
Paris, Le Livre Précieux, 2 e tirage, 1966.
[Dřédition critique cette éd. nřen a que le nom.]
HEGEL, G. W. F. (1770-1831)
[182] 1803-1804 : La Première phénoménologie de
lřesprit, Iéna 1803-1804, trad. franç. par Guy
Planty-Bonjour. Ŕ Paris, PUF, Épiméthée,
1969, in-12, 136 p.
[183] 1809-1811 : Propédeutique philosophique, trf et présentation
de M. de Gandillac. Ŕ Genève,
Gonthier, Médiations, 1971, in-12, 205 p.
[184] 1817 : Logique de Hegel, traduite pour la première
fois et accompagnée dřun commentaire
perpétuel par A. Véra. Ŕ Paris, Ladrange, 1859,
2 vol., in-8°, vii+355 et 397 p.

HEINE, Maurice (1884-1940)
[185] 1926 : Recueil de confessions & observations psychosexuelles
tirées de la littérature médicale & présentées
avec un avant-propos [daté de 1935]. Ŕ Paris, Le
Terrain Vague, 1957, in-8°, 304 p. et 8 pl.
[186] 1930-1933 : Actualité de Sade. Ŕ Chroniques
publiées in Le Surréalisme au Service de la Révolution,
reprises in Le Marquis de Sade, 1950, pp.
75-104.
[187] 1932 : Une thèse de doctorat sur le marquis
de Sade. Ŕ Recension de la Thèse Méd. Lyon
de Sarfati (1930), reprise in Le Marquis de Sade,
1950, pp. 105-110.
[188] 1950 : Le Marquis de Sade. Essais et études
réunies et préfacées par Gilbert Lely. Ŕ Paris,
Gallimard, in-8°, 383 p.
HERBERT, Thomas
Pseudonyme de M. Fichant & M. Pêcheux
[189] 1966 : Réflexions sur la situation théorique des
sciences sociales, et, spécialement, de la psychologie
sociale, in Cahiers pour lřAnalyse, n°2,
rééd. Seuil, 1969, pp. 137-165.
[190] 1968 : Remarques pour une théorie générale
des idéologies, in Cahiers pour lřAnalyse, n°9,
Seuil, 1968, pp. 74-93.
HEUYER, Georges (1884-1977)
[191] 1968 : Les Troubles mentaux, étude criminologique. Ŕ
P, PUF, in-12, xi+466 p.
HOFFBAUER, J.-C. (1766-1827)
[192] 1827 : Médecine légale relative aux aliénés et aux
sourds-muets, ou les lois appliquées aux désordres de
lřintelligence. Traduit de lřallemand sur la dernière
édition par A.-M. Chambeyron, avec des
notes par Esquirol et Itard. Ŕ P, Baillière, 1827,
in-12, xx+388+xi p. @
HUYSMANS, Joris-Karl (1848-1907)
[193] 1884 : À Rebours, [avec une Préface écrite
vingt ans après, et] 220 gravures sur bois en
couleurs de André Lepère. Ŕ Paris, Pour les
Cent Bibliophiles, 1903, in-8°, xviii+233 p. (Ce
superbe ouvrage a été tiré à 130 exemplaires.
Celui de la BN porte le n° 113.) @
263
[Une mention du Marquis de Sade, une occurrence
de sadique et quatre de sadisme (à propos
de Barbey dřAurevilly), où il est défini comme
étant le bâtard du catholicisme.]
[194] 1891 : Là-bas, éd. procurée par Pierre Cogny. Ŕ
Paris, Garnier-Flammarion, 1978, in-12, 313 p.
(Trois occurrences de sadique, mais aucune de
sadisme.)
JACOB, P.L. (dit le bibliophile Jacob)
Pseudonyme de LACROIX, Paul (1806-1884)
[195] 1858 : Curiosités de lřhistoire de France, 2 e série :
Procés célèbres : Le Maréchal de Rays, Gutemberg, La
comtesse de Chateaubriant, La veuve de Molière, Le
marquis de Sade, Germain, Marat, André Chénier. Ŕ
P, Delahays, in-16, 363 p. (BN : 8° L 46. 22)
JACOBUS X..., Dr
[196] 1901 : Le Marquis de Sade & son Œuvre devant
la science médicale & la littérature moderne. Ŕ P,
Charles Carrington, xv+480 p.
(BN : 8° Ln 27 .52209) @ [Lřanonymat de ce
mystérieux Dr Jacobus X... nřa pas été percé à
ce jour. Ŕ Cf. CHAPERON (2007), p. 28.]
JANET, Paul (1823-1899)
[197] 1880 : Traité Élémentaire de Philosophie, à lřusage
des classes, rédigé conformément au récent programme
de philosophie, 3 e éd. revue et corrigée. Ŕ P,
Delagrave, 1883, in-8°, viii+893 p.
JANET, Pierre (1859-1947)
[198] 1896 : Manuel du Baccalauréat de lřenseignement
secondaire classique et moderne (classes de Philosophie
et de Première-Lettres), Philosophie. Ŕ P, Nony,
in-12, 434 p.
[199] 1931 : Préface à Krafft-Ebing : PS16-17 (1924),
trf Lobstein, pp. 1-8.
JAVELIER, André E. F. P.
[200] 1937 : Le Marquis de Sade et les ŘŘ120 Journées de
Sodomeřř devant la psychiatrie et la médecine légale. Ŕ
P, Le François, in-8°, 83 p.
(BN : Th. Paris 13.360)

JEANNEL, Julien-François (1814-1896)
[201] 1862 : Mémoire sur la prostitution publique et parallèle
de la prostitution romaine et de la prostitution
contemporaine, suivi dřune étude sur le dispensaire de
salubrité de Bordeaux... et dřun essai de statistique de
lřinfection vénérienne dans les garnisons de lřEmpire
français. Ŕ P, Baillière, in-8°, 241 p.
(BN : Rés. Tc 51. 20)
{254 }
[202] 1863 : De la Prostitution publique... 2 e éd. Ŕ P,
Baillière, xx+309 p. (BN : Rés. 8° Tc 51. 20.A)
[203] 1868 : De la Prostitution dans les grandes villes au
XIX e siècle et de lřextinction des maladies vénériennes...
Ouvrage précédé de documents relatifs à la prostitution
dans lřantiquité. Ŕ P, Baillière, in-18,
x+416 p. (BN : Rés. 8° Tc 51. 28)
[204] 1869 : Die Prostitution in den grossen Stäten im
neunzehnten Jahrhun dert und die Vernichtung der
venerischer Krankheiten..., übersetz und mit
Zusätsen versehen von Dr F.W. Müller. Ŕ
Erlangen, Enke, in-8°, xix+313 p. (BN : Rés.
8° Tc 51. 28 bis)
[205] 1874 : De la Prostitution dans les grandes villes au
XIX e siècle et de lřextinction des maladies vénériennes...
Ouvrage précédé de documents relatifs à la prostitution
dans lřantiquité... 2 e éd. refondue et complétée
par des documents nouveaux. Ŕ P,
Baillière, in-18, x+647 p.
JONES, Ernest (1879-1958)
[206] 1927 : Le développement précoce de la sexualité
féminine, in Théorie & Pratique de la Psychanalyse,
tr de lřanglais par A. Stronck, avantpropos
du Dr C. Girard. Ŕ P, Payot, 1969, pp.
399-411.
[207] 1953-1957 : La Vie & lřœuvre de Sigmund Freud,
trf, 3 vol. Ŕ P, PUF, 1958-1971.
JOUFFROY, Théodore (1796-1842)
[208] 1828 : Des facultés de lřâme humaine, repris in
Jouffroy (1833), pp. 243-272.
[209] 1833 : Mélanges Philosophiques, 3 e éd. Ŕ P, Hachette,
1860, in-8°, viii+380 p.
264
KAMIENIAK, Jean-Pierre
[210] 2003 : La construction dřun objet psychopathologique
: la perversion sexuelle au XIX e
siècle, in Revue Française de Psychanalyse. 2003, 67
(1), pp. 249-262. @
KENNEDY, Hubert
[211] 1988 : The Life and Works of Karl Heinrich
Ulrichs. Pioneer of the Modern Gay Movement. Ŕ
Boston: Alyson. (Nouvelle édition revue, 2005,
xii-295 p.)
[212] 1997 : Karl Heinrich Ulrichs first theorist of
homosexuality, in Vernon Rosario (ed.), Science
and Homosexualities, New York : Routledge,
1997, pp. 26-45.
KIERNAN, James G.
[213] 1891 : Psychological aspects of the sexual
appetite, in The Alienist and Neurologist, april
1891, XII (2), pp. 188-219. (BM : 130.540)
[214] 1892 : tra (peu fidèle) commentée de Stefanowsky
(1892), sous le titre de : Passivism. A
variety of sexual perversion, in The Alienist and
Neurologist, april 1892, XIII (4), pp. 650-657.
(BM : 130.540)
KINSEY, Alfred C. (1894-1956), & al.
[215] 1953 : Sexual Behavior in the Female. Ŕ NY:
Pocket Books, 51970, in-12, xxxii+863 p.
KRICH, Aron (ed.)
[216] 1963 : The Sexual Revolution. Pioneer Writings on
Sex : Krafft-Ebing, Ellis, Freud, edited and introduced
by A. Krich. Ŕ New York: Laurel, 1968,
in-12, 352 p. (Cf. Krafft-Ebing, PS7, tra1ř)
LACAN, Jacques (1901-1981)
[217] 1932 : De la Psychose Paranoïaque dans ses rapports
avec la personnalité. Ŕ P, Le François, in-8°,
xiii+383 p. (BM : Th. Paris 9594) (Cf. Lacan,
1975c, pp. 6-362.)
[218] 1933 : Le problème du style et la conception
psychiatrique des formes paranoïaques de lřexpérience,
repris in Lacan (1975c), pp. 383-388.

[219] 1945 : Le temps logique et lřassertion de certitude
anticipée, repris in Écrits, Paris, Seuil,
1966, pp. 197-213.
[220] 1963 : Kant avec Sade, repris in Écrits, Paris,
Seuil, 1966, pp. 765-790.
[221] 1966 : Écrits, Paris, Seuil, 1966, in-8°, 924 p.
[222] 1973 : Le Séminaire, Livre XI (1964) : Les quatre
concepts fondamentaux de la psychanalyse. Ŕ Seuil,
1973, grand in-8°, 256 p.
[223] 1975a : Le Séminaire, Livre I (1953-1954) : Les
écrits techniques de Freud. Ŕ P, Seuil, 1975, grand
in-8°, 318 p.
[224] 1975b : Le Séminaire, Livre XX (1972-1973) :
Encore. Ŕ P, Seuil, 1975, grand in-8°, 137 p.
[225] 1975c : De la Psychose Paranoïaque dans ses rapports
avec la personnalité, suivi de Premiers écrits sur la
paranoïa. Ŕ P, Seuil, 1975, in-8°, 412 p.
LACASSAGNE, Alexandre (1843-1924)
[226] 1893 : Préface à Chevalier (1893) : Une maladie de
la personnalité...
[227] 1899 : Vacher lřÉventreur & les crimes sadiques.
Lyon : Storck / Paris : Masson, in-8°, iv+
314 p., illustr. [BN : 8° Tf 3. 123 (19)]
[228] 1922 : Catalogue du fonds Lacassagne de la
Bibliothèque Municipale de la ville de Lyon,
rédigé par M. Cl. Roux. Ŕ Lyon, Imprimerie
Nouvelle Lyonnaise, xii+vi+222 p.
(BN : 4° Q 1937)
LACROIX, Paul
→ JACOB, P.L., dit le bibliophile Jacob
{255 }
LAFONT, Xavière
[229] 1971 : La Punition. Ŕ P, Jřai Lu, n°2538, 1974,
in-12, 118 p.
[230] 1973 : Justine 73. Propos recueillis par Fr.
Mattei, in Le Nouvel Observateur, 1973, n°436,
pp. 58-59.
LAGACHE, Daniel (1903-1972)
[231] 1960 : Situation de lřagressivité, in Bulletin de
Psychologie, XIV, 184, 5 nov. 1960, pp. 99-112.
265
LAMARQUE, G.
[232] 1928 : Th. Ribot, choix de textes & étude de
lŘœuvre. Préf. de Pierre Janet. Ŕ P, Rasmussen,
in-12, 222 p., portraits et autographe.
LANDAIS, Napoléon (1804-1852)
[233] 1834 : Dictionnaire Général & Grammatical des
Dictionnaires Français. Ŕ P, Au Bureau Central, 2
vol., in-4°, fig. (BN : 4° X 2535-2536)
[234] 1836 : Idem. 3 e éd. Ŕ P, Au Bureau Central, 2
vol., in-4°, fig. (BN : 4° X 853)
[235] 1853 : Idem. 12 e éd. revue par une société de
savants sous la direction de D. Chesurolles et
L. Barré. Ŕ P, Au Bureau Central, 3 vol., in-4°,
fig. (BN : 4° X 2543-2544-2545)
LAPASSADE, G., & LOURAU, R.
[236] 1971 : Clefs pour la Sociologie, Paris, Seghers,
in-12, 240 p.
LAPLANCHE, Jean (1924-2012)
[237] ● Problématiques II : Castration / Symbolisations
(1973-1975), Paris, PUF, 1980, in-8°, 317 p.
[238] 1967 : La défense et lřinterdit dans la cure et la
conception psychanalytique de lřhomme, in La
Nef, 1967, n°31, pp. 43-55. Repris in La Révolution
copernicienne inachevée, pp. 7-20.
[239] 1968a : Interpréter [avec] Freud, in LřArc,
1968, n°34, pp. 37-46. Repris in La Révolution
copernicienne inachevée, pp. 21-36.
[240] 1968b : La position originaire du masochisme
dans le champ de pulsion sexuelle, in Bulletin de
lřAssociation Psychanalytique de France, 1968, n°4,
pp. 35-53.
[241] 1970 : Vie & Mort en psychanalyse, Paris, Flammarion,
Nlle Biblio. Scientifique, in-8°, 219 p.
[242] 1970 et suiv. : Cours, Université Paris-7 (Censier).
Comptes-rendus in Bulletin de Psychologie.
[243] 1971 : Dérivation des entités psychanalytiques,
in ouvrage collectif Hommage à Jean Hyppolite,
Paris, PUF, 1971, pp. 195-215. Repris in La
Révolution copernicienne inachevée, pp. 107-123.
[244] 1987 : Nouveaux fondements pour la psychanalyse
/ La Séduction originaire, Paris, PUF, in-8°, 165 p.
(Recension in Azar, 1991).

[245] 1992 : La Révolution copernicienne inachevée, Travaux
1967-1992, Paris, Aubier, in-8°, XXXV
+459 p.
[246] 1993 : Le Fourvoiement biologisant de la sexualité
chez Freud, Le Plessis-Robinson, Synthélabo,
Empêcheurs de Penser en Rond in-12, 122 p.
LAPLANCHE, Jean, & LECLAIRE, Serge
[247] 1960 : Lřinconscient : une étude psychanalytique,
in H. Ey (dir.), LřInconscient, colloque de Bonneval,
Desclée de Brouwer, 1966, pp. 95-130.
LAPLANCHE, Jean, & PONTALIS, J.-B.
[248] 1964 : Fantasme Originaire, Fantasme des Origines,
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avril 1964, n°215, pp. 1833-1868.
[249] 1967 : Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF.
LAQUEUR, Thomas
[250] 2003 : Le Sexe en solitaire : contribution à lřhistoire
culturelle de la sexualité, traduit de lřanglais
par Pierre-Emmanuel Dauzat. Ŕ P, Gallimard,
nrf Essais, 2005, in-8°, 514 p. et 4 pl.
LASEGUE, Charles (1816-1883)
[251] 1877 : Les exhibitionnistes, repris in Études
Médicales (Paris, Asselin & Cie, 1884), tome I,
pp. 692-700, repris également in Écrits Psychiatriques
(Toulouse, Privat, 1971), pp. 107-113.
LAUGAA-TRAUT, Françoise
[252] 1973 : Lectures de Sade. Ŕ P, Armand Colin,
in-12, 368 p.
LAURENT, Émile (1861-1904)
[253] 1890 : Les Habitués des prisons de Paris, étude dřanthropologie
et de psychologie criminelles. Préf. de A.
Lacassagne. Ŕ Lyon : Storck / Paris : Masson,
in-8°, xi+ 616 p. et pl. (BN : 8°Tf 3.123 [1])
[254] 1891 : LřAmour morbide. Ŕ P, Société dřéd.
Scientifiques, in-16, 3 e éd., vi+ 332 p. et pl.
(BM : 73.644)
[255] 1903 : Sadisme & Masochisme. Ŕ P, Vigot, in-18,
260 p. (BM : 75.353)
266
LECOUR, C. J.
[256] 1870 : La Prostitution à Paris & à Londres
1780-1870. Ŕ P, Asselin, in-12, viii+372 p.
LEGENDRE, Pierre
[257] 1974 : LřAmour du censeur, essai sur lřordre dogmatique.
Ŕ P, Seuil, in-8°, 270 p. et 4 h.-t.
LEGRAIN, Paul Maurice (1860-1939)
[258] 1896 : Des Anomalies de lřinstinct sexuel, et en particulier
des inversions du sens génital. Ŕ P, Carré,
in-8°, 64 p. (BM : 22.581)
LELY, Gilbert (1904-1985)
[259] 1965 : Vie du Marquis de Sade, nouvelle éd. refondue.
Ŕ P, Pauvert, in-8°, 725 p. et 16 illustr.
{256 }
[260] 1967 : Sade : études sur sa vie & sur son œuvre. Ŕ P,
Gallimard, collect. Idées, in-12, 378 p.
LEVI-STRAUSS, Claude (1908-2009)
[261] 1949 : Les Structures élémentaires de la parenté. Ŕ P,
PUF, in-8°. [Réédition Mouton, 1967.]
[262] 1962 : Le Totémisme aujourdřhui. Ŕ P, PUF,
Mythes et Religions, 31969, in-12, [iv]+157 p.
LITTRE, Émile (1801-1881)
[263] 1877-1887 : Dictionnaire de la langue française. Ŕ P,
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LOUE, Léon
[264] 1974 : LřAnesthésie sociale dans lřentreprise. Ŕ P,
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LESTRADE, Cécile
[265] 1998 : Un Medecin & son époque : vie & œuvre
du docteur Paul Voicenel (1880-1975). Ŕ Thèse
Médecine Toulouse, 1998, 115 p. @
MAGNAN, Valentin (1835-1916)
[266] 1885 : Des anomalies, des aberrations et des
perversions sexuelles, in Annales Médico-Psychologiques,
mai 1885, 7 e série, tome I, pp. 447-472.
Intervention de Falret, pp. 472-474. (Repris
sous forme de brochure, Bureaux du Progrès

Médical, Pari, 1885, in-8°, 27 p., sans lřintervention
de Falret.) (BN : 8° Td 86. 514) @
MAGNAN, V. & LEGRAIN, P.M.
[267] 1895 : Les Dégénérés, état mental & syndromes épisodiques.
Ŕ P, Rueff, in-12, 237 p.
MALEVAL, Jean-Claude
[268] 1993 : Clinique du désir pur, in PERU (Psychanalyse
& Recherches Universitaires), Première Journée
de Travail, Rennes 1993, pp. 23-47.
MARC, Ch.-Chrétien-Henri (1771-1841)
[269] 1840 : De la Folie considérée dans ses rapports avec
les questions médico-judiciaires. Ŕ P, Baillières, 2
vol., in-8°, xxiii+580 et 738p. (BN: 8° Tf 14. 14)
MARCIAT, Dr
(Pseudonyme du Dr Claude Tournier)
[270] 1899 : Le Marquis de Sade et le sadisme, in
Lacassagne (1899), Vacher lřÉventreur..., pp.
185-237.
MARGOLIN, Jean-Claude
[271] 1974 : Bachelard, P., Seuil, Écrivains de Toujours,
in-12, 190 p., illustr.
MARTINEAU, Louis (1835-1888)
[272] 1885 : La Prostitution clandestine. Ŕ P, Delahays
et Lecrosnier, iv+216 p.
MARX, Karl (1818-1883)
[273] 1867es : Le Capital Ŕ Livre I. Ŕ P, éd. Sociales,
3 vol.
[274] 1867gf : Le Capital Ŕ Livre I, trf de J. Roy, chronologie
et avertissement par Louis Althusser. Ŕ
P, Garnier-Flammarion, 1969, in-12, 699 p.
MAUDSLEY, Henry (1835-1918)
[275] 1867 : Physiologie de lřEsprit, 3 e éd. refondue, trf
de lřangalis par A. Herzen. Ŕ P, Reinwald,
1879, in-8°, xvi+500 p.
267
MAX MÜLLER, Friedrich (1823-1900)
[276] 1897 : Contributions to the Science of Mythology, in
two volumes, vol. I. Ŕ London: Longmans,
Green & Co., in-8°, xxvi+425 p.
MAZALEIGUE, Julie
[277] 2007a : Sexualité et perversion : une analyse
critique de lřœuvre dřArnold Davidson, in
Revue dřHistoire des Sciences Humaines, 2007, 17
(2), pp. 61-90. @
[278] 2007b : Du coït normal à la diversité sexuelle,
note critique sur Les Origines de la Sexologie
(1850-1900) de Sylvie Chaperon [2007], in
Revue dřHistoire des Sciences Humaines, 2007, 17
(2), pp. 173-179. @
[279] 2007c : Le tribunal comme lieu de savoir et
de pouvoir : le rôle de lřexpertise médicolégale
dans lřémergence de la psychopathologie de la
sexualité, in La Lettre du Psychiatre, sept.-oct.
2007, vol. III, n°8, pp. 169-174. @
[280] 2008 : Pour une histoire du comcept de perversion
sexuelle au 19 e siècle : problèmes,
pistes, perspectives. Ŕ Philosophie et Histoire
de la Médecine Mentale, Séminaire doctoral,
IHPST, Paris I (2007-2008), Pr P.H. Castel,
séance n°8, du 7 mars 2008. @
(Thèse éponyme soutenue en 2010, 650 p.)
MENDEL, Gérard (1930-2004)
[281] 1972a : De la régression du politique au psychique,
in Sociopsychanalyse, n°1. Ŕ P, Petite
Bibliothèque Payot, pp. 11-63.
[282] 1972b : Anthropologie Différentielle : vers une anthropologie
sociopsychanalytique, tome I. Ŕ P, Petite
Bibliothèque Payot, in-12, 417 p.
MENDEL, Gérard, & VOGT, Christian
[283] 1974 : Le Manifeste Éducatif : contestation & socialisme.
Ŕ P, Petite Biblio. Payot, in-12, 307 p.
[Les œuvres de G. Mendel en sociopsychanalyse sont
publiées aux éd. Payot depuis 1968.]
MERTON, Robert King (1910-2003)
[284] 1965 : On the Shoulders of the Giants, a Shandean
Postscript. Ŕ NY: Free Press, in-8°, 290 p.

[285] 1973 : The Sociology of Science: Theoretical and
Empirical Investigations, edited and with an
introduction by Norman W. Storer. Ŕ Chicago,
Chicago University Press, in-8°, XXXI+605 p.
MERTON, Robert K., & BARBER, Elinor
[286] 2004 : The Travels and Adventures of Serendipity :
a Study in Sociological Semantics and the Sociology of
Science. Introd. by James L. Shulman. Ŕ Princeton,
Princeton University Press, in-8°, XXV
+313 p. (Manuscrit achevé en 1958, trad. italienne
parue en 2002).
MOGNIAT, Michel
[287] 2010 : Le Masochisme sexuel. Ŕ P, LřHarmattan,
in-8°, 224 p. [Rafraîchissant. Lacanisme soft.]
MILL, John Stuart (1806-1873)
[288] 1869 : LřAsservissement des femmes, trf et préface
de M.-F. Cachin. Ŕ P, Petite Bibliothèque
Payot, 1975, in-12, 195 p.
MOLL, Albert (1862-1939)
[289] 1891 : Die Conträre Sexualempfindung, mit benutzung
amtlichen Materials, mit einem Vortwort von Dr
R. von Krafft-Ebing. Ŕ Berlin, Kornfeld, in-8°,
xvi+296 p. (BN : 8° Td 86. 622) [Ce livre a eu,
avant 1900, deux autres éditions refondues qui
ne figurent pas à la BN.]
[290] 1891 trf : Les Perversions de lřinstinct génital, étude
sur lřinversion sexuelle basée sur des documents officiels,
préface de Krafft-Ebing, trad. de lřallemand
par le Dr Pactet et le Dr Romme. Ŕ P,
Carré, 1893, in-8°, ix+326 p.
(BN : Rés. 8° Td 86. 622 bis)
[291] 1891 trf : Idem. Ŕ P, Carré, 1893, in-8°, xxxvi+
ix+326 p. (BN : Rés. 8° Td 86. 622 bis A)
[Cette éd. est précédée des documents du procès
intenté à lřéditeur. Lřexemplaire personnel de
Thoinot se trouve à la Bibliothèque de la Chaire
dřAnthropologie, cote C 1024. Il ne comporte que
dřinsignifiantes annotations. La 6 e éd. de cette trf a
été publiée chez Masson en 1897.]
[292] 1907 : The Sexual Life of the Child, Translated
from the German by Dr Eden Paul, with an
Introd. by Edward L. Thordike. Ŕ NY, Mac-
268
millan Co., 1912, in-8°, xv+339 p. (Reprod.
anastaltique en 1921 chez le même éditeur.)
{257 }
MOREAU (DE TOURS), Paul (1844-1908)
[293] 1880 : Des Aberrations du sens génésique. Ŕ P,
in-8°, 310 p. (BN : Rés. 8° Tf 86. 425)
( 11880 ; 21880 ; 31883 ; 41887) (Lřéd. de 1887,
320 p., est disponible en ligne sur gallica.) @
MOREL, Bénédict Augustin (1809-1873)
[294] 1860 : Traité des maladies mentales. Ŕ P, Masson,
in-8°, XVI+866 p.
MORIN, Louis
[295] 1918 : Comment le Docteur Boche, pour justifier à
lřavance les infamies allemandes accusait de sadisme
sanglant les Français en général et les Parisiens en
particulier. Ŕ Paris, Charles Bosse, 1 vol. non
paginé dřenviron 80 p., avec 10 dessins de lřauteur.
(BN) @
MÜLLER, Friedrich Max
→ MAX MÜLLER, Friedrich
NACHT, Sacha (1900-1977)
[296] 1938a : Le masochisme, étude historique, clinique,
psychogénétique, prophylactique et thérapeuthique,
in Revue Française de Psychanalyse,
1938, X (2), pp. 171-291.
[297] 1938b : Le Masochisme, étude historique, clinique,
psychogénétique, prophylactique et thérapeuthique. P,
Denoël, in-8°, 126 p.
[298] 1948 : Le Masochisme, étude psychanalytique, 2 e éd.
Ŕ P, Le François, in-8°, 121 p.
[299] 1965 : Le Masochisme, étude psychanalytique, 3 e éd.
Ŕ P, Petite Bibliothèque Payot, in-12, 185 p.
NORDAU, Max (1849-1923)
[300] 1892-1893 : Dégénérescence [Entartung], trf de
lřallemand par A. Dietrich. Ŕ P, Alcan, 1894,
2 vol., viii+431 et 575 p. (BN : 8° R. 12385)
NUMA NUMANTIUS
→ Pseudonyme de ULRICHS, Karl Hienrik

OGDEN, C.K., & RICHARDS, I.A.
[301] 1923 : The Meaning of Meaning : a Study of the
Influence of Language unpon Thought and the Study
of Symbolism, with supplementary essays by
B. Malinowski and F.G. Crookshank, 10 th ed.,
8 th printing. Ŕ London, Routledge & Kegan
Paul, 1972, in-8°, xxiv+363 p.
O’LEARY, J.L., & MOORE, W.L.
[302] 1953 : Charles Gilbert Chaddock, his life and
contributions, in Journal of the History of Medecine
and Allied Sciences, July 1953, VIII, pp. 301-317.
OOSTERHUIS, Harry
[303] 2000 : Stepchildren of Nature : Krafft-Ebing, Psychiatry,
and the Making of Sexual Identity, Chicago:
University of Chicago Press, in-8°, x+321 p.,
illust., bibliogr., index.
[304] 2012 : Sexual modernity in the works of
Krafft-Ebing and Moll, in Medical History,
2012, 56 (2), pp. 133-155.
PARCHAPPE (DE VINAY), Max (1800-1866)
[305] s.d. : Plans des Maisons Centrales de force et de
correction de lřEmpire français. Ŕ P, Imprimerie de
G. Schlatter, in-4°, non paginé, plans.
(BN : 4° R.8948)
[306] 1853 : Des Principes à suivre dans la fondation et la
construction des asiles dřaliénés. Ŕ P, Masson, in-8°,
viii+320+17 p., et planches. (BN : 8° Ta 66. 34)
PARE, Ambroise (1510-1590)
[307] 1575 : Des Monstres & Prodiges, repris in
Ambroise Paré (1954), pp. 97-208.
[308] 1954 : Animaux, Monstres & Prodiges, éd. Cl.
Gregory. Ŕ P, Club Français du Livre, in-8°,
1954, lvii+391 p., illustr.
PARENT-DUCHATELET, A.-J.-B. (1790-1936)
[309] 1836 : De la Prostitution dans la ville de Paris,
considérée sous le rapport de lřhygiène publique, de la
morale et de lřadministration ; ouvrage appuyé de documents
statistiques puisés dans les archives de la Préfecture
de Police ; avec cartes et tableaux,..., précédé
dřune notice historique sur la vie et les ouvrages
de lřauteur par Fr. Leuret. Ŕ P, Baillière,
269
2 vol., in-8°, xxiv+624 et 580 p. (BN:8° Tc 51.3)
( 11836 ; 21837 ; 31859, revue par A. Trébuchet
et Poirat-Duval)
PAULHAN, Frédéric (1856-1931)
[310] 1900 : La Physiologie de lřÉsprit. 5 e éd. entièrement
refondue. Ŕ P, Alcan, in-32, 180 p., fig.
(À la BN et à la BM seule figure cette édition.)
PAYOT, Jules (1856-1931)
[311] 1893 : LřÉducation de la Volonté. Ŕ P, Alcan,
in-8°. (Rééditions innombrables.)
PEAKMAN, Julie
[312] 2003 : Mighty Lewd Books: the Development of
Pornography in Eighteenth-Century England. Ŕ
Basingstoke (UK), Palgrave Macmillan, in-8°,
xii+263 p., illustr.
PEAKMAN, Julie (ed.)
[313] 2009 : Sexual Perversions, 1670-1890. Ŕ Basingstoke
(UK), Palgrave Macmillan, in-8°, xv+
291 p., illustr. (Cf. particulièrement lřintroduction
de Peakman, pp. 1-49.)
PELICIER, Yves (1925-1996)
[314] 1971 : Histoire de la psychiatrie. Ŕ P, PUF, Qsj ?,
in-12, 128 p.
PETER, J.P., & FAVRET, J.
[315] 1973 : Lřanimal, le fou, le mort, in Foucault
(1973), pp. 243-264.
PIORRY, P. A.
[316] 1816 : Dissertation sur le danger de la lecture des
livres de médecine par les gens du monde. Ŕ Thèse
Méd. Paris n°112, in-8°, 32 p. @
PITRES, A.-J., & REGIS, E.
[317] 1902 : Les Obsessions & les impulsions. Ŕ P, Doin,
in-18, 434 p. (BM : 74.593)
POGNANT, Patrick
[318] 2012 : Psychopathia Sexualis de Krafft-Ebing
1886-1924, une œuvre majeure dans lřhistoire de la
sexualité. Ŕ Paris, LřHarmattan, in-8°, 236 p.

[Titre trompeur. Cet ouvrage est consacré presque
exclusivement à lřédition de la Psychopathia Sexualis
refondue par Moll en 1924.]
POPPER, Karl (1902-1994)
[319] 1972 : Objective Knowledge, an Evolutionary Approach.
Ŕ Oxford: Clarendon, reprinted with
corrections, 1973, in-8°, x+380 p.
PRANGHOFER, Sebastian
[320] 2012 : Albert Moll sources and bibliography,
in Medical History, 2012, 56 (2), pp. 296-306.
PRINCEP, Tiffany
[321] 2008 : Richard von Krafft-Ebing & la science du
sexuel : vers une pathologisation de lřérotisme ? Une
lecture de la Psychopathia Sexualis. Ŕ Univ. Paris 1
(Panthéon-Sorbonne), UFR de Philosophie,
mémoire de Master 1, 2008. @
{258 }
RAFFALOVICH, Marc-André (1864-1934)
[322] 1896 : Uranisme et Unisexualité, étude sur les différentes
manifestations de lřinstinct sexuel. Ŕ Lyon :
Storck / Paris : Masson, in-8°, 363 p.
REGNIER, Henri de (1864-1936)
[323] 1900 : La Double Maîtresse, illustr. de George
Barbier Ŕ P, Mornay, 1928, in-12, [II]+407 p. @
RIBBING, Seved (1845-1921)
[324] 1888 : LřHygiène sexuelle & ses conséquences morales,
tr du suédois (sur la 3 e éd., 1889) avec lřautorisation
de lřauteur (sans mention de traducteur),
2 e éd. Ŕ P., Alcan, 1901, in-8°, iv+272 p.
RIBOT, Théodule (1839-1916)
[325] 1873 : LřHérédité Psychologique, 10 e éd. Ŕ Paris,
Alcan, 1914, in-8°, vi+420 p.
[326] 1883 : Les Maladies de la Volonté. 36 e éd. Ŕ P,
Alcan, 1931, in-12, 185 p.
[327] 1885 : Les Maladies de la Personnalité, 8 e éd. Ŕ P,
Alcan, 1899, in-12, 173 p.
[328] 1896 : La Psychologie des Sentiments, 11 e éd. Ŕ P,
Alcan, 1922, in-8°, xi+453 p.
270
[329] 1907 : Essai sur les Passions, 3 e éd. Ŕ P, Alcan,
1910, in-8°, vii+192 p.
[330] 1909 : [La Méthode en] Psychologie, in ouvrage
collectif, La Méthode dans les Sciences. Ŕ P,
Alcan, 1909, in-12, tome I er, pp. 229-257.
RICHARD, Émile
[331] 1890 : La Prostitution à Paris. Ŕ P, Baillières,
in-12, 295 p., avec graphiques.
ROBIN, Gilbert (1893-1967)
[332] 1930 : LřEnfant sans défauts. Ŕ P, Flammarion,
in-12, 385 p.
RONY, J.-A.
[333] 1961 : Les Passions. Ŕ P, PUF, Qsj ?, in-12, 128 p.
ROSARIO, Vernon A.
[334] 1997 : LřIrrésistible ascension du pervers entre littérature
et psychiatrie, trad. de lřaméricain par Guy
Le Gaufey. Ŕ P, EPEL, 2000, in-12, 303 p.
ROUBAUD, Félix (1820-1878)
[335] 1855 : Traité de lřImpuissance & de la Stérilité. Ŕ
P, Baillière, in-8°, 2 vol. @
[336] 1872 : Traité de lřImpuissance & de la Stérilité
chez lřhomme et chez la femme comprenant lřexposition
des moyens recommandés pour y remédier. 2 e éd. mise
au courant des progrès les plus récents de la
science. Ŕ P, Baillière, in-8°, iv+878 p. @
ROUSTANG, François
[337] 1976 : Un Destin si funeste. Ŕ P, éd. de Minuit,
Critique, in-8°, 203 p.
[338] 1980 : ... Elle ne le lâche plus. Ŕ P, éd. de
Minuit, Critique, in-8°, 221 p.
RÜMELIN, Aurora (1845-1908)
(Première épouse de Sacher-Masoch. Pour son œuvre
littéraire, a adopté le pseudonyme Wanda de Dunayev,
lřhéroïne de la Vénus en Fourrure.)
[339] 1906 : Confession de ma vie, préface de Pascal Pia.
Ŕ P, Tchou, 1967, in-8°, 311 p. (Sans mention
de traducteur.)
[340] 1910 : Nouvelles confessions, repris in Schlichtegroll
(1910), pp. 217-255.

SACHER-MASOCH, Léopold de (1836-1895)
[341] 1967-1968 : Contes & Romans. Ŕ P, Tchou, 3
vol. in-8°.
SADE, D.-A.-F., marquis de (1740-1814)
[342] 1795 : La Philosophie dans le boudoir. Ŕ Londres,
Aux Dépens de la Compagnie, 2 vol.
in-18, [iv]+180 et 214 p., et 5 pl. [Cřest lřéd.
que semble avoir connue K-E.] @
[343] 1797 : La Nouvelle Justine suivie de lřhistoire de
Juliette sa sœur. Ŕ En Hollande, 1797, 10 vol.
in-16, planches. (Réimpression de la 1 re moitié
du XIX e siècle.) (BN : Enfer 515 à 524)
[344] 1797a : La Nouvelle Justine. Ŕ P, Pauvert, 4 vol.
in-12, 1968-1969.
SAFOUAN, Mustapha
[345] 1968 : De la structure en psychanalyse, contribution
à une théorie du manque, in ouvrage
collectif Quřest-ce que le structuralisme ?, P, Seuil,
1968, pp. 239-298.
SAINTE-BEUVE, Ch.-A. (1804-1869)
[346] 1862 : Salammbô par M. Gustave Flaubert,
repris in Nouveaux Lundis, P, Lévy, 1865, tome
IV, pp. 31-94. Réponse de Flaubert, même
volume, pp. 435-448. (BN : Salle de Travail)
SARASIN, Philipp
[347] 2002 : Lřinvention de la ŘŘsexualitéřř, des Lumières
à Freud. Esquisse, in Le Mouvement
Social, 2002 (3), n°200, pp. 138-146.
SARFATI, S.
[348] 1930 : Essai Médico-psychologique sur le marquis de
Sade. Ŕ Thèse Méd. Lyon 1111, in-8°, 188 p.
(Recension par Maurice Heine, 1932.)
SAUERTEIG, Lutz D.H.
[349] 2012 : Lost of innocence: Albert Moll, Sigmund
Freud and the invention of childhood
sexuality around 1900, in Medical History, 2012,
56 (2), pp. 156-183.
271
SCHAFFNER, Anna Katharina
[350] 2011 : Modernism and Perversion: Sexual Deviance
in Sexology and Litterature, 1850-1930. Ŕ Basingstoke
(UK), Palgrave Macmillan, in-8°, xxix+
315 p.
SCHLICHTEGROLL, Carl Felix de
[351] 1901 : Sacher-Masoch und der Masochismus, litterarhistorische
und kulturhistorische Studien. Ŕ Dresden,
Dohrn, viii+205 p., portr.
[352] 1910 : Wanda sans masque et sans fourrure, suivi de
Nouvelles confessions de Wanda de Sacher-Masoch,
préface de G.-P. Villa. Ŕ P, Tchou, 1968, in-8°,
xv+257 p.
SCHRENCK-NOTZING, A. von (1862-1929)
[353] 1892 : Die Suggestions-Therapie bei krankhafften
Ersscheinungen des Geschlechtssinnes, mit besonderen
Berücksichtigung der conträren Sexualempfindung. Ŕ
S, Enke, in-8°, xvii+314 p. (BN : 8° Te 65.111).
[354] ● Tra 1896 : tra du précédent avec une postface
inédite de lřauteur. (Introuvable à Paris).
{Therapeutic Suggestion in Psychopathia Sexualis
(Pathological Manifestations of the Sexual Sense) with
Especial Reference to the Contrary Sexual Instinct,
Authorized translation from the German by
C.G. Chaddock, M.D. Ŕ Philadelphia, F.A.
Davis Co. / London, F. J. Rebman, in-8°,
1896, xix+319 p. (Yale Medical Library)} @
[355] ● Tri 1897 : La Terapia Suggestiva delle psicopatie
sessuali, con speciale riguardo allř inversione sessuale...,
Traduzion dal tedesco. Ŕ Torino, Bocca, 1897,
in-8°, xii+260 p. [BN : 8° Z. 10703 (III-9)]
(Sans mention de traducteur. Inclut la traduction
de la postface de lřédition américaine).
{259 }
[356] 1902 : Kriminalpsychologische Studien, gesamelte Aufsätze
aus Gebeiten der Psychopathia sexualis, der
gerichtlichen Psychiatrie und der Suggestionlehre. Ŕ
Leipzig, Barth, in-8°, xiii+208 p.
(BN : 8° Tf 14.129).
SCOTT, Colin A.
[357] 1896 : Sex and Art, in American Journal of Psychology,
VII (2), January 1896, pp. 153-226.

SELLERS, Terence
[358] 1997 : Introduction to the 13 th Edition of
Krafft-Ebingřs Psychopathia Sexualis. Ŕ Texte
complété, disponible sur le site de lřauteur, juillet
2002, 26 p. in-4°. @ (À la fin du texte lřauteur
expose son propre cas de Dominatrix professionnelle,
échantillon dřécriture et photo à lřappui.)
SERIEUX, Paul (1864-1947)
[359] 1888 : Recherches cliniques sur les anomalies de lřinstinct
sexuel. Ŕ P, in-4°, 75 p.
(BM : Thèse Medecine, 1888-1889, n°50)
[360] 1900 : Les Cliniques psychiatriques des Universités
Allemandes. Ŕ Extrait des Archives de Neurologie,
1900-1901, Evreux, in-8°, 90 p. (plans).
(BM : 62674)
[361] 1918 : V. Magnan, sa vie & son œuvre 1835-1916.
Ŕ P, Masson, in-8°, 168 p., portrait.
(BM : 66215 ou 66217)
SIGUSCH, Volkmar
[362] 2004 : [À la mémoire de Richard von Krafft-
Ebing 1840-1902, pour le 100 e anniversaire de
sa mort], in Der Nervenarzt, janvier 2004, 75 (1),
pp. 92-96.
[363] 2012 : The sexologist Albert Moll Ŕ between
Sigmund Freud and Magnus Hirschfeld, in
Medical History, 2012, 56 (2), pp. 184-200. @
SIMON, Théodore (1873-1961)
[364] 1954 : Souvenirs sur Alfred Binet, in Société
Alfred Binet Ŕ Bulletin Mensuel, n° 415, pp.
343-360, avec 1 portrait. (Comporte également
une évocation de V. Magnan).
STEFANOWSKY, Dimitri de
[365] 1892 : Le Passivisme, in Archives dřAnthropologie
Criminelle, mai 1892, pp. 294-298.
(BM : 91.679)
STOLLER, Robert Jess (1925-1992)
[366] 1975 : La Perversion, forme érotique de la haine,
trad. de lřaméricain par Hélène Couturier. Ŕ
Paris, Payot, 1975, in-8°, 222 p.
272
STOKER, Bram (1847-1912)
[367] 1897 : Dracula. Ŕ NY: Random House, Modern
Library, in-8°, xi+418 p. [Trf approximative,
Marabout Géant, Verviers (Belgique), 1965.]
STORR, Anthony (1920-2001)
[368] 1964 : Sexual Deviation. Ŕ Middlesex (UK), Penguin,
61971, in-12, 139 p.
SULLOWAY, Krank J.
[369] 1979 : Freud Biologist of the Mind, bByond the
Psychoanalytic Legend. Ŕ New York, Basic Books,
gd in-8°, XXVI+ 612 p., illustr., bib. & index.
[370] ● Trad. franc. (1981) : Freud biologiste de
lřesprit, trad. de lřaméricain par Jean Lelaidier,
avant-propos du Pr André Bourguignon. Ŕ
Paris, Fayard, 1981, gd in-8°, XXV+597.
{Cet ouvrage, dřune érudition impeccable et distinguée,
est un « indispensable ». En particulier le
chap. 8, intitulé « Freud et les sexologues ». Lřauteur y
prête une attention spéciale aux relations (intellectuelles)
de Freud avec Krafft-Ebing, en restituant
avec générosité le contexte des recherches de
lřépoque dans le domaine de la sexologie.}
TARDIEU, Ambroise (1818-1879)
[371] 1857 : Étude médico-légale sur les attentats aux
mœurs. Ŕ P, Baillière, 51867, in-8°, viii+ 264 p.
et 4 planches. ( 11857, 21858, 31859, 41862,
51867, 61873, 71878) (BN : Rés. 8° Tf86. 425)
TARNOWSKII, Ven. Miklaïlo. (1837-1906)
[372] 1886 : Die Krankhafter Erscheinungen der Geschlechtssinnes,
eines forensisch-psychiatrische Studie. Ŕ
Berlin, Hirschwald, in-8°, ii+152 p.
(BN : 8° Td 86.533).
[373] tra : The Sexual Instinct and its Morbid Manifestations
from the Double Point of Jurisprudence and
Psychiatry, tra (from German) by W.C. Costello
and A. Allison. Ŕ P, Carrington, 1898, in-8°,
xxiv+239 p., portr. (Avec une préface spécialement
écrite pour cette éd.) (BN : 8° Td 86.733).
[374] trf : LřInstinct Sexuel & ses manifestations morbides
au double point de vue de la jurisprudence et de la
psychiatrie, trf suivie dřune bibliographie des
ouvrages traitant de lřinversion sexuelle. Préfa-

ce par le Pr Lacassagne. Ŕ P, Carrington, 1904,
in-8°, xvi+304 p. (BN : 8° Td 86.851).
TAXIL, Léo (1854-1907)
[375] 1884 : La Prostitution contemporaine, étude dřune
question sociale. Ŕ P, Librairie Populaire, s.d.
[1884], in-8°, 508 p., pl. (BN : 8° R.7883)
● Trad. espagnole, s.d., très intéressant exemplaire
à la BN → (Enfer, 852).
[376] 1891 : La Corruption fin-de-siècle. Ŕ P, Noirot,
in-18, 428 p. (BN : 8° R.10154)
[377] 1894 : Idem. Ŕ P, Carré, in-18, vii+428 p.
(BN : 8° R.23425)
THOINOT, Léon-Henri (1858-1915)
[378] 1898 : Attentats aux mœurs & perversions du sens
génital. Leçons professées à la Faculté de Médecine
[de Paris pendant le semestre dřhiver de
1896-1897], recueillies par Dr. E. Dupré, revues
et publiées par lřauteur. Ŕ Paris, Doin,
in-8°, ii+517 p. (BN : 8° Tf 4. 14) @
TORDJMAN, Gilbert
[379] 1972 : Clefs pour la sexologie. Ŕ Paris, Seghers,
1975, in-12, 308 p.
{260 }
TOURNIER, Claude
→ Publia sous le pseudonyme du Dr MARCIAT
TREPSAT, Charles-Louis (1879-19 ??)
[380] 1932 : Œuvres Psychiatriques, préf. du Dr B.-J.
Logre. Ŕ Lille et Paris, Valentin Bresle, in-8°,
191 p. et VIII planches.
UEXKÜLL, Jacob von (1864-1944)
[381] 1940 : Théorie de la signification (Bedeutungslehre),
trf et présentation de Ph. Muller, illustr. de G.
Kriszat. Publié à la suite de Mondes Animaux &
Monde Humain. Ŕ P, Denoël/Gonthier, collec.
Médiations, 1965, pp. 83-155.
ULLA
[382] 1975 : Les confidences dřUlla, propos recueillis
par Michel Castaing in Le Monde, 29-30 juin
1975, pp. 9 et 16.
273
ULRICHS, Karl Hienrik (1825-1895)
A dřabord édité ses livres sous le pseudonyme de Numa
Numantius.
Suivant Havelock-Ellis (1896, trf, p. 340 n.) les
œuvres complètes dřUlrichs ont été éditées en 1898 par
la maison Max Spohr à Leipzig. En 1994, les livres
dřUlrichs furent republiés en alleman en 4 vol., et la
même année en trad. américaine en 2 vol.
→ Cf. une bibliographie de ses œuvres in Tarnowskii
(1886), trf, pp. 292-293.
→ Cf. actuellement Hubert Kennedy (1988)(1994).
USSEL, Jos van
[383] 1970 : Histoire de la répression sexuelle (Sexualunterdrückung),
tr de lřallemand par C. Chevalot Ŕ P,
Laffont, 1972, in-8°, 349 p.
VADEE, Michel
[384] 1975 : Bachelard ou le nouvel idéalisme épistémologique.
Ŕ P, éd. Sociales, in-12, 304 p.
VALENTIN, Basile
→ BASILE VALENTIN
VAPEREAU, Gustave (1819-1906)
[385] 1858 : Dictionnaire Universel des Contemporains, 6 e
éd. entièrement refondue et considérablement
augmentée. Ŕ Paris & Londres, Hachette,
in-4°, 1893, 2 vol. (BN : Salle de Travail)
VERNANT, Jean-Pierre (1914-2007)
[386] 1959 : Aspects mythiques de la mémoire, repris
in Mythes & Pensée chez les Grecs, études de psychologie
historique. Ŕ P, Maspéro, 1969, pp. 51-78.
VIGNY, Alfred de (1797-1863)
[387] 1932 : [Œuvres Complètes :] Le Journal dřun Poète,
tome I er, (1823-1841), notes et éclaircissements
de Fernand Baldesperger. Ŕ Paris, Conard,
1935, in-8°, xxii+623 p. (BN : Salle de Travail)
VILLA, Georges-Paul
[388] 1967 : Biographie, in Sacher-Masoch (1967),
Contes & Romans, tome I, pp. 9-42.

VILLERS, Charles de (1765-1815)
[389] 1806 → EGGLI, Edmond (1927)
VILLIER DE L’ISLE-ADAM (1838-1889)
[390] 1886 : Le sadisme anglais. Repris in OC, II,
pp. 287-294, et notice pp. 1241-1246. (Chronique
féroce parue le 18 sept. 1886 dans un quotidien.
Cřest une œuvre de circonstance née de la
rencontre entre deux sujets dřactualité : la poésie de
Swinburne et les scandales sur la prostitution des
enfants qui venaient dřéclater à Londres. Texte
repris dans les Histoires Insolites [1888]. Il est dédié à
Huysmans qui sřétait référé au sadisme à plusieurs
reprises dans À Rebours [1884], et qui commençait
peut-être à rassembler de la documentation pour
son roman satanique Là-bas [1891]. Dans cet ouvrage
les crimes ŘŘsadiquesřř de Gilles de Rais,
commis sur des enfants, se taillent la part lion en
concurrence avec les messes noires.)
[391] 1986 : [OC] Œuvres Complètes. Ŕ Paris, Gallimard,
Bibliothèque de la Pléiade, 2 vol. in-12.
VIRMAITRE, Charles (1835-19 ??)
[392] 1888 : Paris-Impur. Ŕ Paris, [sans mention
dřéditeur], 1891, in-8°, 302 p., illustr. @
[393] 1894 : Dictionnaire dřargot fin-de-siècle. Ŕ Paris,
A. Charles, 1894, in-8°, xxiii+336 p. @
VOIVENEL, Paul (1880-1975)
[394] 1917a : À propos de Sacher-Masoch, in Progrès
Médical, n°1, 6 janvier 1917, pp. 1-6.
[395] 1917b : Les Allemands et le marquis de Sade, in
Progrès Médical, n°7, 17 janvier 1917, pp. 7-14.
(Les deux textes recueillis ensemble, Ŕ BN : 8°
R. Pièce 25219)
WALLON, Henri (1879-1962)
[396] 1945 : Les Origines de la pensée chez lřenfant,
tome I er : les moyens intellectuels. Ŕ P, PUF, 2 e
éd., 1947, in-8°, 307 p.
WALLON, H. & EVART-CHMIELNISKI, E.
[397] 1951 : Les Mécanismes de la mémoire en rapport avec
ses objets, tome I er : les moyens intellectuels. Ŕ
P, PUF, in-8°, 117 p.
274
WANDA DE DUNAYEV
→ Pseudonyme littéraire de RÜMELIN, Aurora
WEBER, Eugen
[398] 1964 : Satan Franc-Maçon : la mystification de Léo
Taxil. Ŕ P, Julliard, Collection Archives, in-12,
240 p. et 16 pl.
WESTPHAL, Carl F. O. (1833-1890)
[399] 1869 : Die conträre Sexualempfindung.
Symptom eines neuropathischen (psychopathischen)
Zustandes, in Archiv. f. Psychiatr. u.
Nervenkrankeiten, 1869, I (2), pp. 73-108. (Dans
la plupart des bibliographies le millésime retenu
est le plus souvent 1870.)
[400] 1871 : Die Agoraphobie, eine neuropathische
Erscheinung, in Archiv. f. Psychiatr. u. Nervenkr.,
vol. III, 1871-72, pp. 138-161.
WHITE, Murray J.
[401] 1973 : The Legacy of Iwan Bloch, in New
Zealand Journal of Psychology, 1973, pp. 25-29. @
WHORF, Benjamin Lee (1897-1941)
[402] 1956 : Language, Thought and Reality, selected
writings of B.L. Whorf, edited with an introd.
by John B. Carroll… Ŕ Published jointly by the
MIT Press and Wiley, New York and London,
41959, in-8°, xi+278 p.
[403] ● Linguistique & Anthropologie, traduction de Cl.
Carme. Ŕ P, Denoël/Gonthier, collec. Médiations,
1971, in-12, 231 p. (Choix de textes tirés
du précédent recueil.)
XAVIERE
→ LAFONT, Xavière

II.ŕ Compléments
1.Ŕ Discours de soutenance & pièces connexes (1975 & 2012) 276
2.Ŕ La Psychopathia Sexualis de Krafft-Ebing, ou lřinvraisemblable 293
célébration dřun centenaire, in Psychanalyse à lřUniversité, 1986,
tome XI, n°44, pp. 709-713.
3.Ŕ Émergence et accueil fin-de-siècle du sadisme et du masochisme, 297
in Psychanalyse à lřUniversité, 1993, tome XVIII, n°69, pp. 37-65.
4.Ŕ Les malheurs hexagonaux de Krafft-Ebing continuent de plus 319
belle, in řAshtaroût, cahier hors-série n° 2, décembre 1999,
pp. 125-126.
5.Ŕ Lřinstance de lřautre∙jouisseur illustrée par des exemples pris 321
chez Zola, Schreber & le marquis de Sade, in řAshtaroût,
cahier hors-série n° 5, décembre 2002, pp. 22-40.
6.Ŕ Les perversions sexuelles au regard de la sexualité féminine, 344
in řAshtaroût, cahier hors-série n° 6, décembre 2005, pp. 10-14.
7.Ŕ Le secret de la jouissance masochiste est-il enfoui au fond 349
dřun puits ?, in řAshtaroût, cahier hors-série n° 8, décembre 2011,
pp. 189-193.
Index analytique 355
275

On trouvera ci-dessous trois textes :
1/ Le discours de soutenance (1975)
2/ Le rapport du jury (1975)
3/ Un commentaire à distance (2012)
Le Sadisme & le Masochisme innominés / II e Partie / Complément n° 1, pp. 276-292
● UNIVERSITE PARIS-7 (Censier), U.E.R. des Sciences
Humaines Cliniques, 13 rue de Santeuil, Paris 5 e,
3 e étage, salle 336, mardi 9 décembre 1975 à 14h30.
● SOUTENANCE DE THESE : Le Sadisme & le masochisme
innominés, étude historique et épistémologique de la
brèche de 1890, 262 p. in-4°, par Amine A. Azar.
● JURY : Jacques Gagey (président), Yvon Brès, Jean
Laplanche (rapporteur).
Le Sadisme & le Masochisme innominés, étude
historique & épistémologique de la brèche de 1890...
Comment me suis-je retrouvé avec ce sujet de
thèse sur les bras ? Cřest une longue histoire que
M. Laplanche connaît parfaitement mais qui
mériterait dřêtre rappelée ici.
Quand on sřintéresse aux notions de sadisme
et de masochisme on ne peut sřempêcher de
remarquer que la prolifération de leurs utilisations
courantes actuelles, orales ou écrites, savantes
ou profanes, est aussi étendue quřincohérente.
Mon projet initial consistait à essayer dřor-
Discours de Soutenance & pièces annexes
276
donner cette disparate en distinguant des niveaux
épistémologiques dans lřusage de ces termes.
Dans mon esprit, ce serait la transgression de ces
niveaux épistémologiques qui devait rendre
compte des inconsistances où nous en sommes
aujourdřhui. À cette époque nous étions tombés
dřaccord, M. Laplanche et moi, sur lřintitulé suivant
: Niveaux épistémologiques dans lřabord du
sadisme & du masochisme.
Ce nřest que pour la forme, et pour me
conformer à lřusage académique, que jřavais prévu
de consacrer une première partie Ŕ brève mais
bien documentée Ŕ à un rappel de lřhistorique
des termes. Comme dans mon esprit cette partie
ne devait pas offrir autrement de difficulté,
jřavais différé dřy songer jusquřau moment de la
rédaction, ayant consacré toute la période de
recherches préparatoires à nourrir le dossier des
autres parties.
Le moment venu, je me suis retrouvé dans
la situation suivante : avoir à fournir une date
précise et une référence précise à propos des
termes de sadisme et de masochisme. Je croyais
que cřétait chose facile. Je pensais avec tout le
monde que cřest Krafft-Ebing qui a inventé ces
termes dans sa fameuse Psychopathia Sexualis rédigée
à lřintention des médecins et des juristes. Ce
livre, nous lřavons tous, ou nous croyons lřavoir,
avec cette traduction française que lřéditeur
Payot réimprime constamment et distribue partout
jusque dans les sex-shops, Ŕ mais il nřest pas
nécessaire dřaller jusquřà Pigalle pour sřen procurer
un exemplaire. Or, il suffit de commencer
par lire la page de titre de cette édition pour être
saisi de doutes. On nous dit textuellement que

cřest la 16 e et 17 e éditions refondues par Albert
Moll dont on nous offre la traduction française.
On ne nous indique pas la date de publication de
lřédition allemande [1924] ; mais lřédition française
qui se débite jusquřà aujourdřhui remonte à
1931. Il nřy a pas à dire, cřest vraiment un livre
de fonds du catalogue Payot. On ne nous informe
dřailleurs de rien, ni de la date de publication
des éditions précédentes, ni du principe
qui a présidé à la confection de cette 16 e et 17 e
éditions refondues par Albert Moll. Et pour
cause. Le peu que nous aurions su devait sans
doute se trouver dans lřavant-propos de Moll à
son édition allemande, avant-propos que nous
cherchons en vain dans la traduction française.
Évitons les demi-mesures et allons droit aux
grands moyens. Consultons les spécialistes. Quel
chaos ! Pour Sacha Nacht la 1 re éd. de la Psychopathia
Sexualis aurait été publiée en 1869. Pour
Henri Ey et Jacques Corraze, cřest 1896. Pour
Jos van Ussell, cřest plutôt 1882. Ce sont pourtant
des autorités en la matière. Il y avait de quoi
suivre le conseil dřAristote au livre Λ de la Métaphysique.
Il fallait sřarrêter. Et nous nous sommes
arrêté pendant les 262 pages que compte cette
thèse finalement réduite à lřétude historique et
épistémologique des termes de sadisme et de
masochisme. Le spécialiste plus que tout autre
pourra, croyons-nous, apprécier dans les documents
exhumés et les informations rassemblées
dans ces pages, le charme de la nouveauté et de
lřinédit. Avec quelque trouble dřailleurs : comment
se fait-il que nous nřen savions rien ?
Notre trouble peut être transposé en une
image. Lřhistoire du sadisme et du masochisme
est la réplique, scrupuleusement exacte, du
fameux couteau de Lichtenberg, ce couteau sans
manche auquel manque la lame. Le couteau
existe bien et se nomme Krafft-Ebing. Mais estce
bien lui lřinventeur des termes de sadisme et
de masochisme ? Est-ce bien dans la Psychopathia
Sexualis quřil a consigné cette invention ?
277
Exposons dřabord les faits bruts, des faits
que nous nřavons dřailleurs pu établir quřau bout
dřune fréquentation longue et assidue de la vieille
dame de la rue de Richelieu et de quelques unes
de ses consœurs. Il a fallu en effet traquer les
éditions originales de bibliothèque en bibliothèque.
Toutes nos informations sont de première
main. Il est regrettable dřavoir à le spécifier face
à lřabandon de la prudence et du scrupule les
plus élémentaires des maîtres et des spécialistes.
Voici donc les faits. La 1 re éd. de la Psychopathia
Sexualis a été publiée par Krafft-Ebing en
1886. Nos autorités se trompent toutes là-dessus.
Mais il nřy a nulle trace dans cette édition ni du
sadisme ni du masochisme. Les termes ne commencent
à figurer dans ce livre quřà partir de sa
6 e éd. publiée en 1891. Néanmoins ce nřest pas
dans ce livre quřil en parle pour la première fois.
Parallèlement à sa Psychopathia Sexualis, Krafft-
Ebing a publié en 1890 un volume intitulé Nouvelles
Recherches dans le domaine de la Psychopathia
Sexualis. Cřest dans cet ouvrage quřil introduisit
ces deux termes au discours médical. Mais ces
termes, en est-il lřinventeur ?
Commençons par le sadisme. Cřest un terme
dérivé du nom du marquis de Sade. Il est mentionné
pour la première fois dans la 8 e éd. du
Dictionnaire de Boiste, publiée à titre posthume en
1834 grâce aux soins de Charles Nodier. Ce
terme se perpétue alors chez les lettrés en dehors
de la voie académique de la langue française de
même que lřœuvre de Sade se fréquentait en
dehors de la littérature française officielle. Dans
les années 1880 il réapparaît dans un discours
militant que ses promoteurs (Guyot, Taxil, Coffignon)
présentaient comme une contribution à
une question sociale majeure. Ils dénonçaient dans
lřinstitution de la prostitution une exploitation
précise, celle de la prostituée par le client, le
souteneur, la matrone et la police.
Quand en 1890 Krafft-Ebing adopte le
terme de sadisme, il ne lřinvente donc pas. Il le

choisit en toute connaissance de cause. Assurément,
je ne veux pas dire par là quřil était familier
de lřœuvre du sulfureux marquis, mais seulement
que les auteurs que je viens de citer, les Guyot,
les Taxil, les Coffignon, étaient pour lui des
références familières.
Quant au terme de masochisme il ne semble
pas que la paternité de Krafft-Ebing puisse être
lřobjet dřun doute, même sřil laisse entendre que
lřun de ses patients, un certain Herr N..., une
autorité berlinoise, ait pu le lui souffler à lřoreille.
Une fois cela établi dans le 1 er chapitre de
notre thèse, nous nous sommes intéressé aux
deux questions suivantes :
1/ Comment a germé dans lřesprit de
Krafft-Ebing la théorie du sadisme et du masochisme
? Comment cette théorie sřest étoffée et
sřest transformée ?
2/ Quelles perturbations du système du
symbolique 1 les termes de sadisme et de masochisme
ont-ils provoquées ?
La 2 e partie du chapitre I er , et les chapitres
II et III de notre thèse sont consacrés à ces
questions.
Pour répondre à la première série de questions,
nous allons ramasser dans le magasin hétéroclite
du vocabulaire de la psychologie une
notion galvaudée, mais qui mérite une réhabilitation.
Jřentends la notion dřécoute clinique. Répondre
à la première série de questions revient à
décrire la structure de lřécoute clinique de Krafft-
Ebing.
En première approximation, lřécoute clinique
est un espace sillonné de forces dont il nous
1 {Par cette expression je faisais un télescopage (maladroit) entre
lřordre symbolique de Lacan et ce que Karl Popper dénomme le
troisième monde. Aujourdřhui je dirais plus simplement, univers
des discours, discours universel, ou plus simplement encore milieu culturel.
Entendant par là lřensemble des pratiques discursives quels
quřen soient les modes dřexpression : scientifique, littéraire, artistique,
technique, idéologique, religieux ou politique.} (2012)
278
incombe de déterminer la nature, la direction, le
sens et lřintensité. Que notre auteur se soit réclamé
de la doctrine de la dégénérescence, quřil en
ait été un supporter des plus actifs, est le premier
élément remarquable du champ des forces en
question. La doctrine de la dégénérescence
sřopposait à la doctrine des monomanies de la
même manière que la méthode étiologique sřopposait
à la description symptomatique. En clair
cela veut dire quřune nosographie au sens des
promoteurs de la doctrine de la dégénérescence
est une explication du symptôme et non pas une
simple classification descriptive. En ce sens la
nosographie traite de lřessence et non pas de la
manifestation. Dans ces conditions il était tout
indiqué de suivre les étapes de la construction de
la classification des perversions sexuelles de
Krafft-Ebing qui sřest étalée sur vingt-cinq ans.
Elle débute en effet en 1877 avec un premier
article, reprend de plus belle en 1886 avec la 1 re
éd. de la Psychopathia Sexualis, et ne cesse plus
dřêtre remaniée et refondue jusquřà ce que la
mort surprenne notre auteur la plume à la main
en décembre 1902.
Bien que les transformations de cette construction
soient répandues en une multitude de
publications de toutes sortes, elles sont régulièrement
reversées dans les éditions successives de la
Psychopathia Sexualis, qui étaient publiées presque
dřannée en année. De 1886 à 1903, on compte
en effet douze éditions dues aux soins de Krafft-
Ebing. Un problème pratique se pose. Cet
ensemble constitue un corpus dřun maniement
malaisé. Comment en faciliter la manipulation ?
Par deux procédés. Le premier a été dřimaginer
la confection dřune édition critique de cet ouvrage.
Lřautre procédé nous a été inspiré par la
constatation suivante. Les douze éditions sont
imprimées dans le même format et la même
typographie. Cela rendait possible une évaluation
quantitative assortie de courbes vectorielles grâce
auxquelles lřévolution dřun chapitre, dřune sec-

tion, ou dřune sous-section, pouvait être représentée
et rendue sensible. Ce mode de description
est une des originalités de notre travail.
Nous ne nous attarderons pas à exposer les
résultats de cette étude que nous avons cherché à
rendre aussi pertinente que possible en recourant,
en sus de ces courbes, à quatre type de
modifications et à une série de cinq critères
structuraux de plus en plus fin et de plus en plus
précis. Contentons-nous dřen tirer un seul
enseignement car il se rapporte à un autre trait
majeur de lřécoute clinique de Krafft-Ebing.
Vérifié à cinq reprises, le schéma auquel
lřélan créateur de Krafft-Ebing semble se conformer
au cours de son élaboration théorique est le
suivant :
1 er temps. Ŕ Krafft-Ebing a repéré un certain
nombre de conduites perverses de la sorte X. Il
ne songe pas encore à faire de X une catégorie
nosographique, que ce soit en lui conférant une
dénomination particulière, ou en élevant cette
dénomination au rang de concept.
2 e temps. Ŕ Lřentité X accèdera au rang de
concept une fois quelle sera couplée à une catégorie
antithétique Y. En somme X ne recevra ses
lettres de créances que dans le sillage de Y. Cřest
la raison pour laquelle nous considérons que
même si X préexiste en quelque sorte à Y, cřest
pourtant Y lřélément moteur. Cřest Y qui est
gros de la relation antithétique « X ┴ Y ». Autrement
dit, cřest Y qui a une préséance épistémologique
sur X pour lřhistorien des sciences.
Ainsi, en ce qui concerne le couple antithétique
« Sadisme ┴ Masochisme », cřest au masochisme
quřil faut affecter la préséance épistémologique.
Nous avons essayé de lřillustrer au cours
de la deuxième partie de notre chap. I er . Puis de
le reconfirmer tout au long de notre chap. II.
Passons à lřautre question. Les perturbations
que lřintroduction dans le discours savant des
termes de sadisme et de masochisme a provoquées.
Nous avons décrit ces perturbations dans
279
notre thèse en tant quřarrérages, comme si
lřintroduction de nouveaux termes dans le
système du symbolique devait être payée par des
traites. Tout au moins en certains cas. Ceux
justement qui sont caractérisés par ce que nous
avons regroupé sous la dénomination de résurgence
de la séquence négligée. {En de tels cas cřest le
réel escamoté qui insiste jusquřà ce quřil soit
adéquatement pris en compte en mode discursif}
1 . Tel nous a semblé être le cas pour les
termes de sadisme et de masochisme.
Pour lřhistoire de la psychiatrie, le couple
Sadisme/Masochisme a pâti et continue de pâtir de
sa contamination avec deux autres couples que la
théorie de Krafft-Ebing présuppose sans les expliciter
suffisamment. Ce sont les couples
Masculin/Féminin et Actif/Passif. La lecture de
lřœuvre de Sade et de celle de Sacher-Masoch
ainsi que le rapport de la personnalité de ces
auteurs à leur œuvre en a pâti tout aussi profondément.
Enfin, lřorigine du terme de sadisme en
tant que relation dřexploitation sociale nřa cessé
dřavoir jusquřà aujourdřhui des résurgences,
comme une âme en peine. Une section du chap.
III de notre thèse est consacrée à chacun de ces
trois débets.
Une remarque à ce propos. Elle me permettra
de renouer avec mon objectif antérieur,
ce projet primitif de distinguer des niveaux épistémologiques
dans lřabord du sadisme et du
masochisme. Avec les trois débets du chapitre
III de cette thèse, il me semble que je retrouve
les trois niveaux épistémologiques que jřavais été
amené à distinguer en ce temps-là. Mieux, il me
semble que je suis maintenant en mesure de
justifier à la fois leur existence et leur nombre.
Pour clore cet exposé sans doute trop sommaire,
et qui est plus une présentation cursive de
1 {Cette phrase nřest pas dans mon manuscrit. Je crois devoir
lřajouter pour expliciter mon idée de cette époque.} (2012)

mon travail quřun résumé de mes idées et de mes
trouvailles, je voudrais encore glisser une remarque
succincte. Jřai conscience dřavoir rédigé cette
thèse comme on assemble une machine pièce par
pièce. Dans les deux cas on ne se pose quřune
seule question : est-ce que ça fonctionne ? Cřest
de lřordre du constat. Pour ma part, en constatant
la convergence de mon objectif primitif avec
le résultat de la thèse que voici, jřai eu la conviction
que ça marchait.
Il mřavait été demandé de décrire tout le
montage. Je crois que les 262 pages de cette
thèse représentent elles-mêmes cette description.
Ma conviction est quřelles ne peuvent pas être
condensées. La raison en est le nombre élevé des
pièces et leurs connections complexes. Au surplus,
jřai la triste conviction que pour sřapprocher
du réel il ne faut pas cesser de compliquer
nos machines. Néanmoins jřai commis un certain
nombre de raccourcis périlleux offrant le flanc à
la critique. Comme lřusage veut quřune discussion
ait lieu tout à lřheure, jřaurai sans doute
lřoccasion dřenrichir alors ce schématisme en lui
restituant les dimensions quřil mřa fallu sacrifier à
contre gré.
280
Rapport des membres du jury
Monsieur AZAR a brièvement exposé les
conditions dans lesquelles un travail qui, dans
son esprit, devait être consacré à une étude assez
extensive du sadisme et du masochisme, sřest
trouvé limité à lřexamen de ce quřil en est, à ce
propos, dans lřœuvre de KRAFFT-EBING, et rappelé
succinctement les principales conclusions de
sa recherche.
Monsieur LAPLANCHE, rapporteur, ne ménage
pas les compliments que lui paraissent
appeler la minutie et lřampleur du travail fourni
(lřampleur de la bibliographie, qui nřest pas de
pure façade, apporte un juste témoignage). Il lui
paraît que Monsieur AZAR a poursuivi une investigation
acharnée des éditions successives de la
Psychopathia Sexualis et que cette investigation
nřest pas restée sans fruit. Le texte présenté laisse
transparaître une volonté de travail en profondeur,
un souci de travail en extension, voire
même la souffrance de ne pas pouvoir tout dire.
La thèse présentée nřen appelle pas moins diverses
remarques critiques (sur lřorthographe bien
sûr, avec cette circonstance particulière que certaines
fautes résonnent comme des lapsus : rendre
sévice, par exemple Ŕ sur lřemploi impropre de
certains termes aussi). La lecture commentée du
texte de KRAFFT-EBING comporte une traduction
française proposée par Monsieur AZAR qui
ne serait guère publiable sans une sérieuse révision.
Surtout, le travail est difficile à lire (pas de
table des matières digne de ce nom, des renvois
obscurs aux tableaux fournis ; par ailleurs, la
problématique à débrouiller est posée comme
une thèse connue, et lřargumentation est pleine
de méandres où le lecteur est introduit sans ménagement).
Le traitement quantitatif des diverses
éditions de la Psychopathia Sexualis est donné
comme comportant une précision très supérieure
à ce quřil en est réellement (les méditations sur

les relations contrapuntiques pourraient bien être
sans fondement). Si les thèses du chapitre 1,
telles que résumées pages 69-70, présentent de
lřintérêt, elles sont cependant à nuancer, la
signification de la citation de COFFIGNON page
18 nřest en tout cas pas pleinement analysée.
Monsieur LAPLANCHE ne pense pas que la notion
de dérivation multiple, telle quřelle est avancée
au chapitre 2, sřarticule au concept de dérivation
quřil a lui-même proposé. Il ne lui paraît
pas non plus en définitive que la thèse selon
laquelle domination et servitude seraient premièrement
en cause dans le sadisme et le masochisme,
la cruauté nřétant quřune conséquence
ou une preuve, thèse évidemment erronée quant
au fond, soit entièrement soutenue par KRAFFT-
EBING. Que KRAFFT-EBING soit lřancêtre du
problème de lřattachement plutôt que celui de la
cruauté, sans doute, mais la question demeure de
savoir quel est le rapport entre ces deux problèmes.
Monsieur BRES partage le sentiment de
Monsieur LAPLANCHE sur le travail qui soustend
la thèse présentée. Cřest une thèse érudite,
utile, à la lire on apprend des choses (par
exemple, sur lřemploi du mot sadisme dans la
littérature du XIXème siècle et dans les dictionnaires).
Sans sřattarder sur les fautes dřorthographe
qui sont pourtant trop nombreuses, principalement
dans le texte allemand, les solécismes,
les mots inventés, les bizarreries de langage (il
nřen manque pas), on peut se poser la question
de savoir si lřobjectif précis de cette thèse a été
atteint, sřil est établi que les notions de sadisme
et de masochisme dérivées des noms propres
bien connus et utilisées antérieurement à
KRAFFT-EBING dans des acceptions mal définies
deviennent grâce à la Psychopathia Sexualis des
concepts. La culture philosophique du candidat
induit à douter quřil soit bien placé pour conduire
cette opération (ses références à KANT ou
à HEGEL sont plus que légères, lřinfluence de
281
Foucault et dřAlthusser paraît bien idéologique).
Le candidat mobilise un gros attirail théorique
pour conclure au demeurant quřil nřy a pas de
coupure épistémologique proprement dite dans
les sciences humaines, ce qui introduit un doute
sur la portée ultime de son analyse. Sřagit-il simplement
de dire que le sadisme et le masochisme,
tels que les entend FREUD, nřont pas grand
chose à voir avec le sadisme et le masochisme
tels que les entend KRAFFT-EBING, que KRAFFT-
EBING aurait seulement le mérite dřavoir fait de
ces vocables un doublet avant FREUD ?
Monsieur GAGEY partage les sentiments
exprimés par les autres membres du jury sur
lřampleur du travail fourni, la volonté de minutie
et de précision. Il lui semble toutefois que ce
travail est peut-être mis au service dřune cause
assez mince et il doute que lřexposé de cette
cause gagne aux considérations théoriques très
générales dans lesquels le candidat se complaît
parfois ; ainsi notamment du temps épistémologique
que Monsieur AZAR voudrait opposer au
temps logique bachelardien. Sa connaissance de
BACHELARD, telle quřelle ressort de la bibliographie,
ne lřautorise pas à prendre une position
péremptoire à lřégard de cette notion dont il
semble bien quřil nřen a pas compris le sens et
dont on peut montrer en outre quřil en fait
inconsciemment application lorsquřil suggère que
cřest une raison de symétrie qui conduit KRAFFT-
EBING à chercher un pendant au masochisme
dans le sadisme. À faire souffrir le lecteur ainsi
que lřa noté Jean LAPLANCHE, le candidat, qui y
paraît très attaché, semble donner la preuve dřun
intérêt pour le processus de la recherche plus
que pour lřobjet quřil est censé construire à
travers lui.
Après délibération, le jury déclare Monsieur
AZAR digne du titre de Docteur de 3ème cycle
en psychologie, mention très bien, entendant par
là reconnaître lřimportance de lřeffort fourni.

Commentaire à distance
& autocritique
(2012)
Après quelques essais inaboutis, jřavais rédigé
mon discours de soutenance dřune seule traite et
presque sans ratures. Il me paraissait convenir
pour lancer le débat, sans que je le considérasse
le moins du monde comme exhaustif 1 . Il est
écrit à la manière journalistique, autrement dit
sans acribie. Je ne lui trouvais quřun seul intérêt,
celui de mettre en avant la notion dřécoute clinique
et de lui apporter quelques pierres dřattente en
vue dřune élaboration ultérieure.
Le débat a eu lieu devant une salle comble.
Je ne sais plus sřil a été enregistré. Autant que je
mřen souvienne, il fut très animé. Jřy ai pris quelques
notes que je mettrai tout à lřheure à contribution.
Lřimpression dominante qui mřest restée
est celle dřune arène. Les raisons en sont multiples
et les torts me reviennent. Quelques uns
seulement sont mentionnés clairement ou par
allusion dans le rapport du jury, tandis que
dřautres sont charitablement éludés. Trois mots
les résument : effronterie (pour ne pas dire arrogance),
provocations, excentricités (pour ne pas dire
pitreries). Ces stigmates mřont été épargnés bien
que je les méritasse. Je ne plaiderai donc pas les
circonstances atténuantes en présentant une
molle défense. Mes commentaires seront regroupés
sous trois chefs : les questions de forme, les
questions de détail, et les questions de fond. Je
conclurai sur quelques questions subsidiaires.
● Questions
de forme
1/ Le texte présenté pour la soutenance nřest
quřun « brouillon » (pour ne pas dire un torchon).
La présentation matérielle laisse à désirer. Les
1 Ma nouvelle introduction à la thèse est plus satisfaisante.
282
coquilles, les fautes dřorthographe, les impropriétés
de langage y abondent à un degré inacceptable.
Il aurait fallu procéder à une nouvelle
frappe. Tout cela contrevient à la courtoisie. Je
ne peux que savoir gré au Pr Laplanche dřavoir
trouvé moyen de limiter la débâcle. Il put relever
quelques coquilles « significatives » qui détendirent
lřatmosphère : « rendre sévices », au lieu de
rendre service ; « hypothèque » pour hypothèse…
Le Facteur Temps. ― Ce nřest quřen mai 1974
que jřai troqué mon projet primitif (évoqué dans
le discours de soutenance) pour la nouvelle mouture.
Le point final ayant été posé à Pâques de
lřannée suivante, cette thèse aura été achevée en
moins de 12 mois. Cřétait une prouesse à laquelle
jřavais la faiblesse de tenir ! De là ma précipitation
pour aller sans délais à la soutenance.
2/ En outre la lecture du texte est rendue extrêmement
ardue par lřabsence dřune table analytique
des matières. Le repérage en cours de lecture
était rendu particulièrement malaisé. Lřabsence
dřindex rerum et dřindex nominum, même rudimentaires,
alourdissent mes torts.
Repères. ― Lřabsence de table des matières
détaillée nřest pas concertée. Jřestimais quřune
table des matières devait se conformer à une
structure rigoureusement hiérarchisée. Or, hormis
les grandes divisions, le reste était sinueux.
Mes premiers essais en vue dřune table analytique
ont tourné court. La tentative la plus persévérante
sřest arrêtée au seuil du chap. II. De fait,
jřétais incapable de (me) rendre compte de mon
propre cheminement. Même si la table analytique
que jřai placée ici-même en tête de volume ne me
satisfait pas pleinement, elle sřimposait en tant
quřexercice et en tant quřoutil de travail.
3/ Mon procédé dřexposition nřarrange pas les
choses. Cřest une thèse sans queue ni tête, au
sens propre des mots. Elle ne comporte pas dřintroduction
ni de conclusion proprement dites. Ici

et là sont dispersés avec parcimonie quelques
résumés difficilement repérables. Le lecteur est
projeté in media res et livré à lui-même. En outre,
ma méthode dřexposition est elle-même inacceptable.
Ce quřil faut démontrer est posé comme
une donnée évidence. Puis, au lieu de la démonstration
attendue, le lecteur est engagé en des
chicanes dřune complexité outrée à plaisir, où je
lui rends volontairement difficile de deviner où je
veux en venir. Tout est disposé pour faire souffrir
le lecteur. À quoi bon ce théâtre de la cruauté ?
Fil Directeur. Ŕ La ligne directrice de ma
thèse est pourtant évidente. Il sřagit dřabord de
terminologie (chap. I), puis de conceptualisation
(chap. II), enfin de leurs répercussions dans des
régions particulières du champ culturel (chap.
III). Le fil directeur étant ce que jřai dénommé la
résurgence de la séquence négligée.
Comment se fait-il que cřest passé inaperçu
? Je suppose que les arbres ont dû cacher la
forêt. Dřailleurs ce nřest que progressivement
que jřai moi-même compris mon propre cheminement.
Cřest en rédigeant mon discours de
soutenance que je me suis avisé dřavoir mal
exploité la notion dřécoute clinique à laquelle jřavais
conféré pourtant dans ma thèse un rôle pivot. Il
me restait encore à comprendre quřau bout du
compte cřest la notion de style qui est la véritable
cheville ouvrière de mon investigation épistémologique.
Cela ne mřa sauté aux yeux quřà lřheure
présente. Et pourtant, cřétait déjà inscrit noir sur
blanc dans mon texte. Le chap. II se termine sur
ce mot, annoncé exprès de manière cryptique 18
pages plus tôt (p. 139). Ŕ Une pitrerie à laquelle
je me suis fait prendre moi-même avant qui que
ce soit. Il était donc tout à fait pertinent de
mettre en relation le théâtre de la cruauté, institué
pour le lecteur, avec une souffrance personnelle.
Qui trop embrasse mal étreint, Ŕ et ça
mřexaspérait. Cette exaspération sřest exacerbée
au cours de la soutenance sous le reproche
dřavoir mobilisé un gros attirail pour une cause
283
somme toute assez mince. Comment ce reproche
pouvait-il mřêtre adressé alors que, par
ailleurs, ma « cause » était méconnue, ou réduite à
des banalités ? Jřétais pris à mon propre (mauvais)
jeu. En nřoffrant pas de prise au lecteur Ŕ
par lřabsence dřintroduction, de conclusion, de
table analytique des matières, ou de résumés Ŕ ce
lecteur était acculé à se saisir à lřavenant de
nřimporte quelle aspérité passant à sa portée.
4/ Notes Infrapaginales. ― Lřabus des notes de bas
de page nřa pas été relevé. Il ne messied pas dans
une thèse académique. Selon lřusage, ces notes
comportent quelquefois des informations précieuses
ayant requis beaucoup de recherches et
de réflexions. Je crains que mon jury ne les eût
éludées en considération des difficultés de déchiffrement.
Mon tort, cependant, est dřavoir fait
en sorte que mon argumentation avançât en zigzag
dans un dialogue tissé entre le corps du texte,
les citations en hors-texte, et les notes de bas de
page. Cřest là un procédé qui donne le tournis. Il
ne facilite pas la lecture. Je mřen suis excusé dans
lřAvertissement. Je nřy reviens donc pas. Mais cřest
là lřune de ces excentricités dont ma thèse abonde
et qui me desservaient. Ainsi ma contribution
à lřhistoire de lřassociationnisme en psychologie
est-elle passée inaperçue.
5/ Mes tableaux étaient chiffrés à la deuxième
décimale. Ce qui est parfaitement ridicule, Ŕ
Jacques Gagey lřa relevé sans ambages. Laplanche
déclara que je les survalorisais, et que les
conclusions que jřen tirais ne sont pas fondées.
Les Tableaux. ― Mes tableaux étaient une
provocation. Ils nřont donné le change à personne,
et jřen suis resté pour mes frais. Les reproches
que jřai dû essuyer étaient mérités. Cřest
dřailleurs moi-même qui ait escamoté leur rôle
exact. Je ne disais nulle part que leur rôle est
modeste. Ils sont dřabord descriptifs, et servent
dřoutil de recherche pour la détection des disso-

nances. Autrement dit, je ne mřen sers quřà titre
indicatif en vue de prospecter un corpus au
maniement difficile. Je nřen tire rien qui ne soit
étayé dřun retour au texte lui-même. En fait, je
mřappuie sur quatre opérations et sur cinq critères,
et non pas exclusivement sur ces tableaux
chiffrés et sur les courbes correspondantes. Tout
cela était estompé en vue de faire de la provoc.
Et quand vous faites lřâne, il ne faut pas se
plaindre quřon vous donne du foin…
La Casuistique de Krafft-Ebing
en pathologie sexuelle 1
Total des cas personnels publiés dans les 12 éditions de la
PS et les 2 éditions des Neue Forschungen
Total des cas personnels publiés dans les monographies et
176
les articles de Krafft-Ebing
238
Cas inédits appartenant aux archives personnelles de K-E 26
Total des cas personnels de Krafft-Ebing 440
Cas empruntés par K-E à d’autres auteurs 187
Total général 627
Édition Année Nombre de Cas
PS3 1888 75
PS7 1892 192
PS8 1893 193
PS9 1894 191
PS10 1898 205
PS12 1903 237
PS13 1907 247
Un tableau brille cependant par son absence,
celui qui concerne les observations. Je me
suis tardivement avisé de lřintérêt de ce paramètre.
Il aurait fallu refaire alors le parcours du
combattant. Retrouver toutes les éditions déjà
prospectées. Je nřeus pas ce courage.
Pourtant un repérage et un chiffrage des
observations auraient pu être instructifs. En particulier
un relevé systématique des cas supprimés
et des renvois dřintertextualité. En compensation
1 Suivant le décompte de HARRY OOSTERHUIS (2000) : Stepchildren
of Nature…, Chicago University Press, p. 130.
284
je fournis ci-dessus deux tableaux à partir de la
documentation dont je dispose actuellement.
La courbe ci-dessous a été établie à partir
des informations du Tableau I (bis). Elle traduit la
variation du nombre de pages de la Psychopathia
Sexualis suivant les 12 éditions procurées par
Krafft-Ebing. Jřai renoncé à actualiser les autres
courbes suivant les mises à jour correspondant
aux informations que jřai recueillies depuis 1975.
Nombre de pages
5
4.5
4
3.5
3
2.5
2
1.5
1
0.5
0
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12
Editions
6/ LřExergue. ― La liste de mes pitreries est longue.
Commençons par le commencement, cřestà-dire
par lřexergue. Jřai reproduit ma page de
titre où lřon constate que A.E.I.O.U. nřest pas
légendé. Qui pouvait deviner quřil ne sřagissait
pas du sonnet des voyelles de Rimbaud, mais de
lřacronyme de la devise de la dynastie des Habsbourg
? Qui lřignorait ne pouvait que sřy tromper
et demeurer perplexe.
7/ LřIntroduction. ― Après lřexergue, lřintroduction.
Elle est dénommée : « Kiai ! » 気合. Cřest
du japonais et concerne les arts martiaux. En
Chine on dit : Chi-yi ou Qi-i ou Fa-sheng. Au

Vietnam : Het. En Corée : Kihap. Ces onomatopées
désignent le cri de combat qui précède ou
accompagne lřapplication dřune nouvelle tactique.
Il est notamment utilisé pour marquer une
volonté dřaction, ou pour perturber la concentration
de lřadversaire. Cet usage a été semble-t-il
institué en 1645 dans le Traité des cinq anneaux de
Miyamoto Musashi (1584-1645), Ŕ figure emblématiques
du Japon. Maître samouraï, philosophe,
calligraphe, peintre et concepteur de jardins.
Autrement dit, jřouvrais les hostilités avec
mon premier mot. Je doute quřon ait compris le
Kai !, mais lřon a assurément bien saisi lřintention
1 . Lřintroduction, elle-même concise, énigmatique
et paradoxale, a été rédigée avec la
même esbroufe. Je veux dire à la manière dřun
Kōan. Je continue à trouver cette introduction
irréprochable dans sa concision même, mais cřest
une mauvaise entrée en matières. Une nouvelle
mouture qui expliquât plus clairement le titre de
ma thèse et mon dessein sřimposait. On la trouvera
ici-même à la suite de lřautre.
8/ La Conclusion. ― Non seulement une conclusion
en bonne et due forme manque, mais jřeus
recours à une dernière provocation qui mřaliéna
sympathie et bienveillance. Le morceau qui en
tient lieu est bizarrement intitulé « Extrait », en
référence à lřextraction des essences de parfums.
On y trouve tout dřabord un paragraphe sans
titre où jřai rassemblé les extravagances des spécialistes
à propos de la Psychopathia Sexualis et de
son auteur. Ce morceau aurait eu sa place au
début de ma thèse, en vue de vanter lřutilité de
mon entreprise, et non pas en wagon de queue.
Il est suivi dřun exposé de mes opinions en
épistémologie. Mais, au lieu de me contenter de
reprendre modestement les « notions » aux-
1 Yvon Brès a débuté sa carrière comme professeur à lřUniversité
de Tokyo (1951-1953). Il a conservé dřexcellentes relations avec
le Japon. Il savait à quoi sřen tenir. Son animosité à mon égard
était donc la réponse du berger à la bergère.
285
quelles jřai eu recours dans mon travail, jřai voulu
jouer aux augures. Cřest principalement cet exposé
qui mřa valu le reproche dřutiliser un attirail
théorique trop encombrant. Jřavais mes raisons.
Le point faible de ma thèse Ŕ à mes yeux Ŕ
était de nřavoir pas mis en pratique lřintégration
de lřanalyse institutionnelle à lřinvestigation épistémologique.
La seule raison dřêtre de mon malheureux
Extrait était dřexposer ce crédo (Loi
n°6), à défaut de lřavoir mis en pratique. Le reste
nřétant que prétexte et écran de fumée. Ce crédo
nřa pas été mis en pratique non par négligence,
mais parce que je nřen avais pas les moyens. Il
aurait fallu quřà cette époque je disposasse de
certaines publications de R.K. Merton, des premiers
travaux de Latour 2 , et de quelques autres...
● Questions
de détail
9/ En abordant mon sujet je ne connaissais pas
un seul mot dřallemand. Cřétait une gageure.
Laplanche et Brès sont des germanistes impeccables.
Ils nřont relevé que deux contresens. La
gageure sřest mue en prouesse.
Traductions de lřAllemand. ― Il mřest pénible
de dévoiler la nature de mes torts. En traduisant
le morceau de Krafft-Ebing de 1890 que jřoffrais
en primeur, je mřétais mis dans la tête de le faire
dans lřesprit fin-de-siècle. Jřavais pastiché Laurent
& Csapo, les traducteurs de la PS, pour
faire couleur locale. Jřavais donc repris leur vocabulaire
pour tous les mots techniques, et imité la
tournure de leurs phrases. Jřavais reporté à dessein
le texte allemand en regard, de sorte que les
faiblesses de la traduction simili-dřépoque apparaissent
dřemblée à tout germaniste. Ma traduction
était donc un exercice de style : bizarre et... indéfendable.
En pensant critiquer ma traduction le jury
2 La plupart de ses livres sont publiés aux éd. La Découverte. Cf.
GRAHAM HARMAN (2009) : Prince of Networks: Bruno Latour and
Metaphysics. Ŕ Melbourne, re.press, in-8°, x+247 p. @

critiquait à mes yeux celle de Laurent & Csapo.
Nřempêche que cette traduction était bien de ma
fabrication. Là encore jřétais pris à mes propres
manigances. Ŕ La traduction actuelle a été révisée
comme le jury lřa exigé à juste titre.
Un point embarrassant mérite dřêtre signalé.
Comment traduire le Trieb de Krafft-Ebing, aujourdřhui
que nous sommes tous des postfreudiens
? Les traducteurs français et américains de
Krafft-Ebing le transposaient à lřépoque dřun
commun accord par instinct. Ils ne disposaient
pas des termes de pulsion ou de drive. Récemment
Arnold Davidson a hardiment pris position làdessus,
estimant quřil fallait le traduire aujourdřhui
aussi par instinct, ou le comprendre ainsi 1 .
Son argumentation ne mřa pas convaincu. Jřestime
quřen ignorant (délibérément ?) les travaux
« archéologiques » de Laplanche à propos de la
séduction et de lřopposition Instinct/Pulsion chez
Freud il discrédite son propos. Krafft-Ebing ne
conférait pas de rôle à lřopposition Instinct/
Pulsion ; mais cela ne suffit pas pour adopter la
leçon que Davidson préconise. À mes yeux, itsřs
too odd. Il me semble que lřambiguïté du terme de
Trieb chez Krafft-Ebing a été fructueuse dans la
formation de la pensée de Freud. En tranchant la
question à la manière de Davidson on méconnaît
les voies de la création. Or cřest là justement que
se situe le différend entre nos approches respectives.
Il sřintéresse aux types dřargumentation,
alors que je mřintéresse à lřélan créateur. Lřélan
créateur fleurit au ras des mots plutôt quřau
niveau des types dřargumentation ou des schèmes
de pensées.
10/ Mon jury était composé de philosophes distingués.
Je ne pouvais que les heurter par ma
manière désinvolte de traiter les philosophes les
plus respectés sur le continent : Kant, Hegel,
Bachelard et Foucault.
1 DAVIDSON (1992), texte repris en trad. franç. in LřÉmergence de la
sexualité…, Albin Michel, 2005, chap. 3. Ŕ Cf. par ex. p. 153.
286
Les Philosophes. ― Laissons Kant, à qui je ne
fait que deux allusions fugitives. Pourquoi me
suis-je obstiné à présenter de la dialectique de
Hegel une version appauvrie indigne dřun niveau
scolaire ? Je savais que le Pr Laplanche avait lu
Hegel sous lřégide de Jean Hippolyte. Je savais
aussi quřil me passait mes « excentricités ». Mais
Brès ? Mais Gagey ? Ce dernier était un bachelardien
notoire 2 . En ce temps-là Bachelard jouissait
dřune popularité énorme. Il était non pas seulement
admiré comme épistémologue, mais aimé :
pour son style, son enthousiasme, sa prestance,
son bagou, ses yeux pétillants, sa barbe blanche…
Pour mon malheur, jřavais choisi dřattaquer
Bachelard en conclusion de ma thèse avec
un bachelardien notoire dans mon jury. Pas un
instant je nřai eu la courtoisie dřatténuer quoi que
ce soit à la sauvagerie de mon attaque. Jřavais
sans doute mes raisons, mais il était hors de propos
de mřétendre sur le sujet au cours de la
discussion. Jřétais prisonnier de mes manigances.
Voici brièvement ces raisons. Si je rejetais
les philosophes valorisés sur le continent, cřest
que jřavais humé le vent frais que mřapportait la
philosophie analytique anglaise. Jřétais indigné du
front du refus que lui opposait avec ensemble la
corporation sur le continent. Le dédain que Foucault
avait manifesté pour cette école au décours
dřune ou de deux phrases de son Archéologie du
savoir me révoltait. Et si jřattaquais Bachelard et
Foucault cřest quřà cette époque jřespérais beaucoup
des débats épistémologiques tenus outremanche
autour des positions de Popper, Kuhn,
Feyerabend et Lakatos 3 , Ŕ tout aussi inconnus
en France à cette époque que la philosophie analytique
anglaise. Quant à Hegel, jřavais ma propre
opinion sur la dialectique, dřun strict point de
2 Il avait publié en 1969 un ouvrage remarquable sur la conversion
de Bachelard à lřimaginaire (éd. Marcel Rivière).
3 Jřétais très impressionné par le recueil édité par LAKATOS &
MUSGRAVE, Criticism and the Growth of Knowledge, Cambridge University
Press, 1970, lu depuis peu.

vue politique. Jřestimais que lorsquřune cause
triomphait de haute lutte, le parti des vainqueurs
se scindait bientôt en deux clans, ceux qui vont
régner (et deviennent tôt ou tard des conservateurs
puis des réactionnaires), et ceux qui se
désolidarisent de leurs propres camarades et
reprennent la lutte contre les compagnons dřhier.
Autrement dit, je considérais que ce que Hegel
dénommait Aufhebung nřest quřune illusion, voire
une supercherie. Cřest à ces idées que je fais une
allusion sibylline [p. 86] quand je parle de dialectique
bloquée à ses deux premiers mouvements.
À cette époque, jřavais également dřautres
philosophes comme bêtes noires. Ma chance fut
de nřavoir pas eu lřoccasion de faire allusion à
Platon. Même si je nřadhérais pas aux thèses de
Popper à son sujet, cřétait lřépoque où je lřavais
dans le nez. Si jřavais eu le malheur dřen laisser
transparaître quelque chose, avec Yvon Brès Ŕ
distingué platonisant Ŕ dans mon jury, jřaurais été
sacqué. Il était déjà sans cela fort mal disposé à
mon égard, et fut constamment désagréable 1 .
Avec lui mes excentricités et mes manquements
académiques ne passaient pas.
Quant-à Bachelard, cřest lřhomme des dédoublements.
Le sage de la place Maubert, avec
ses cheveux en bataille, sa barbe généreuse et son
épaisseur de chair, force sans doute la sympathie.
En revanche le penseur me rebutait dans toutes
ses options : en privilégiant les sciences naturelles
sur les sciences humaines, Jung à Freud, la
rêverie au rêve, la poétique à la poésie, et
nřimporte qui aux surréalistes 2 . Ŕ De lřépistémologue
jřaurais à dire tantôt deux mots.
1 Je lřai connu personnellement quinze ans plus tard, et nous
avons eu, malgré ce faux départ, dřexcellentes relations. Son
ouvrage sur La Psychologie de Platon (PUF, 1968) fut mon livre de
chevet pendant un certain temps.
2 Une étude récente me confirme dans ma répulsion. Cf. JEAN-
LUC POULIQUEN (2005) : La préface de Robert Desoille [au livre
sur les rêves dřHervey de Saint-Denis], in Thélème, 2005, 20, pp.
195-202. @
287
11/ La Dérivation. ― Belle prestation du Pr Laplanche
à propos de la notion de dérivation multiple
dont je lui faisais hommage. Grâce à un tableau
clair, net et précis, il montra magistralement
la différence de nos deux conceptions.
JLap Aa
à propos de Freud à propos de Krafft-Ebing
1. Dérivation Dérivation multiple
2. Concepts Modèles, Relations
3. Domaines différents Même domaine
4. Valeur ontologique
(naturaliste)
Tableau α
Transfert de
modèles
12/ Le Vocabulaire. ― Le participe innominé ayant
été mis en cause, le Pr Laplanche souligna quřil
est dřemploi courant en médecine, par ex. artère
innominée. Le terme dřabduction que jřétais allé pêcher
chez Dewey était par contre indéfendable.
Laissons ces chipotages, il y a mieux à faire.
Yvon Brès mit le doigt sur lřune de mes négligences.
En forgeant un vocabulaire imagé je
nřavais pas eu égard à la cohérence des images.
Arrérages et débets vont ensemble, mais je leur
flanque hémorragie et saignées pour les mêmes
fins. Ailleurs, un sas, puis un tamis, puis des
seuils et des brèches, etc. Vous faites part de
votre conviction que, pour sřapprocher du réel, il
faut compliquer nos machines. Eh bien, vous les
compliquez à souhait, me dit-il. Vous créez un
bien gros appareil pour une malheureuse expression
: im Wege der Vererbung… 3 À quoi bon
mobiliser tout un attirail épistémologique pour
aboutir à dire, par exemple, que le sadisme et le
masochisme chez Krafft-Ebing ne sont pas le
sadisme et le masochisme chez Freud. Vos
soucis de méthode confinent à une caricature de
méthode. Ŕ Libérez-vous !
Autant lřincohérence des images est un reproche
mérité, autant la lourdeur de mon attirail
3 Chap. II, § (3), p. 135, et Tableau XXII.

me paraît un reproche indu. Dřautres remarques
mi-judicieuses mi-acerbes ont suivi. Ramener les
trois registres de Lacan au diagramme dřOgden
et Richards est abusif. Rabattre perception et mouvement
sur pensée et action prête à faux… Tout cela
aurait pu être dit avec aménité, mais ce nřétait
pas apparemment son jour de bonté.
13/ Doxa & Épistémè. ― Parmi les déceptions
que jřai causées au Pr Brès figure mon évitement
de la problématique classique à propos de ce
couple de termes qui doivent principalement à
Platon et, dans une moindre mesure à Aristote,
leur inactualité. Il avait raison de croire que la
problématique classique mřétait étrangère à cette
époque 1 . Il releva à bon escient que ce ne sont
pas les philosophes classiques qui aident à me
comprendre ; que ma pensée baigne plutôt dans
lřépistémologie de Bachelard, Althusser et Foucault.
Mais il nřétait pas disposé à remarquer que
je regardais par-delà les frontières de lřhexagone.
● Questions
de fond
14/ La Coupure Épistémologique. ― Le Pr Brès
avait relevé la contradiction quřil y a à utiliser la
notion de coupure épistémologique, et à montrer
dřautre part son échec au sujet du sadisme et du
masochisme. Il me plaçait devant un dilemme et
me sommait de choisir. Il lui semblait que le
meilleur parti serait dřy renoncer. Libérez-vous
de la coupure épistémologique, me conseillait-il.
Pour moi ce nřétait pas un dilemme. Mon
intention était de montrer que la coupure épistémologique
de Bachelard, conçue pour les
sciences naturelles et les mathématiques, ne
pouvait pas sřappliquer telle quelle aux sciences
humaines. De deux choses lřune. Ou bien les
sciences humaines ne sont pas des sciences, et le
1 Depuis, YVON LAFRANCE a publié de remarquables travaux que
jřai suivis de près. Cf. par exemple : Les fonctions de la doxaépistémè
dans les dialogues de Platon, in Laval Théologique et
Philosophique, 1982, 38 (2), pp. 115-135. @
288
débat est clos. Cřétait la position de Bachelard et
celle de ses disciples orthodoxes comme Thomas
Herbert. Ou bien les sciences humaines ont une
autre spécificité que les sciences naturelles et les
mathématiques, et dans ce cas lřapplication de la
coupure épistémologique à ces domaines du
savoir aura à subir elle-même certains aménagements.
Ŕ Cette dernière position était la mienne.
Autrement dit, plutôt que de renoncer à la notion
de coupure épistémologique, jřétais dřavis de
la faire « travailler » et de lřaccommoder à ses
nouvelles conditions dřemploi.
Lřappréciation suivante du Pr Brès enfile des
contresens. On peut se poser la question, dit-il, de
savoir si lřobjectif précis de cette thèse a été atteint, sřil est
établi que les notions de sadisme et de masochisme dérivées
des noms propres bien connus et utilisées antérieurement
à Krafft-Ebing dans des acceptions mal définies
deviennent grâce à la Psychopathia Sexualis des concepts.
Lřobjectif de ma thèse nřest pas celui quřil mřattribue.
Le sadisme avait, avant Krafft-Ebing, un
sens bien défini. Quand celui-ci introduit les termes
de sadisme et de masochisme dans le discours
savant il modifie les conditions dřemploi
du premier. Et sřils deviennent par cela même
des concepts, cela ne veut pas dire que ce sont
de bons concepts. En outre, le sens premier du
sadisme continue dřinsister aux portes du discours
savant pour être pris en compte.
15/ La Résurgence de la Séquence Négligée. ― Lřaménagement
que je préconisais à propos de la coupure
épistémologique, pour quřelle puisse être
transposée aux sciences humaines, était dû à son
échec nécessaire mais relatif, Ŕ et non pas son
échec complet. Cet échec relatif de la coupure
épistémologique dans les sciences humaines reflète
leur échec à se doter dřun métalangage. Les
sciences humaines ne décollent quelques instants
du langage ordinaire que pour y retomber à plus
ou moins brève échéance. En ce qui concerne
plus particulièrement le sadisme et le masochis-

me, il mřa semblé avoir identifié la raison de ces
retombées régulières. Jřai dénommé ce phénomène
la résurgence de la séquence négligée. Cřest muni
de ce principe que jřai organisé lřagencement de
ma table des matières. Mon regret est que cet
aspect, absolument essentiel de mon travail, ait
été totalement méconnu. Il est vrai quřhormis ma
table des matières il demeurait dissimulé dans les
épaisses broussailles de mon texte. En réécrivant
ma thèse jřai essayé dřy aménager autant que faire
se peut des trouées pour que mon dessein
transparaisse mieux.
16/ Le Temps Épistémologique. ― Le Pr Gagey
commença par déplorer son sort dřintervenir en
troisième après les Prs Laplanche et Brès. Il
opina sur ce qui avait été dit (éloges et critiques),
et commença par des considérations générales. Il
avait eu plaisir à me lire jusquřà la page 30-40
(exactement jusquřà la page 36), après quoi il a
pris plus de plaisir à remuer la pelle. Jřouvre une
parenthèse. Il est tout à fait exact quřil y a une
rupture de ton à la fin du chap. I, § (1). Lřenquête
à propos du sadisme est amusante. En abordant
le masochisme mon procédé dřexposition
change sans préavis. Le lecteur est plongé sans
ménagement en des problèmes épistémologiques
mêlés inextricablement à des analyses de détail
dont il ne comprend pas dřemblée la finalité. Les
montagnes russes commencent, il faut sřaccrocher.
Il arrive, sinon, ce qui est effectivement
arrivé. On se méprend sur mon dessein. On croit
que je préfère la chasse à la prise.
Après ces préliminaires le Pr Gagey entra
dans le vif du sujet qui lřintéressait, Ŕ mon
Extrait. Jřy tente quelque chose dřirréalisable, ditil.
On ne peut pas produire un énoncé et le juger
en même temps. Cela mis à part, il était mécontent
de mes attaques contre Bachelard. Il souhaitait
se quereller avec moi à propos du temps
logique de celui-ci que je comprenais de travers.
Il mřentreprit sur trois fronts. Il me reprocha
289
dřune part de confondre pédagogie et paternalisme,
ce qui serait à la fois injuste et inexact à
propos de Bachelard. Il me reprocha dřautre part
de mal choisir mes références bachelardiennes. Il
faudrait circonstancier ma critique. À partir des
années quarante, disait-il, Bachelard « a commis »
un certain nombre de livres à la demande de son
éditeur. Ce sont justement ceux sur lesquels je
mřappuie ; et jřai bien tort. Que ne me suis-je
intéressé au Pluralisme cohérent de la chimie moderne
(1932), par exemple. Pour finir, il chercha à
montrer que jřétais bachelardien sans le savoir en
pratiquant moi-même lřhistoire récurrente.
Avec la décentration de la discussion sur
Bachelard, mes propos sur le temps épistémologique
et la pédagogie de la lecture passaient à
lřas. Par ma faute le débat sřétait fourvoyé vers
une cause nřayant quřun rapport éloigné avec la
mienne. Dans un moment de lassitude jřai été
tenté de supprimer mon Extrait. Je me suis ravisé
en vertu de la maxime : nos actes nous suivent.
17/ Les Arrérages. ― La conséquence de mon
Extrait fut de dévoyer la discussion vers des
questions spéculatives et de négliger les résultats
effectivement atteints grâce à mes options épistémologiques.
Cřest ainsi que toute la III e partie de
mon travail a été, malgré son titre (Les Arrérages),
laissée pour compte.
Le Pr Gagey se trompe lourdement en pensant
que je préfère la flânerie à la cueillette. Jřai
poursuivi ma recherche sur deux plans. Sur le
plan de lřélan créateur 1 , le fruit recueilli est
dřavoir circoncrit avec une approximation acceptable
le style de Krafft-Ebing. Sur le plan de
lřhistoire des idées, la notion de résurgence de la
séquence négligée mřa permis de recueilllir dans la
III e partie de mon travail Ŕ Les Arrérages Ŕ trois
sortes de ratages. Le premier se rapporte au
1 Lřélan créateur (creative impulse), est une expression mise en
circulation par Melanie Klein en 1929. Je regrette de nřen avoir
pas disposé en 1975.

discours sexologique et comporte lui-même trois
aspects. Le premier, la querelle de priorité, nřa
pas une bien grande originalité. Jřai essayé de
relever ce débat en le reformulant en termes de
découverte multiple 1 . Mais les deux autres Ŕ ce
que jřai dénommé la saignée française et la saignée
allemande Ŕ représentent autant que je le sache un
apport assez neuf. En ce qui concerne la réception
du sadisme et du masochisme par les aliénistes
français, jřai essayé de montrer le heurt
entre deux cadres de pensée, celui de Krafft-
Ebing, réceptif à lřaltérité, et celui des Français,
adeptes de la théorie de lřobsession-impulsion,
qui lui est réfractaire. En ce qui concerne la
réception du sadisme et du masochisme par les
aliénistes allemands, jřai révélé un curieux phénomène
que jřai assimilé à une hallucination. Les
auteurs rivalisaient de zèle pour les néologismes,
pensant franchir ainsi le fossé infranchissable
entre signifié et signifiant.
18/ Le Maillon Faible. ― À mon tour dřajouter
mon grain de sel à toutes ces critiques. À distance,
il me semble découvrir une difficulté majeure
dans lřagencement de mes thèses épistémologiques.
Elle est régionale. Elle concerne la
relation entre les trois propositions suivantes :
a) Le réel insiste jusquřà ce quřil soit pris en charge
discursivement de manière adéquate. La résurgence
de la séquence négligée en est une autre formulation.
b) Cette insistance du réel à être pris en charge discursivement
de manière adéquate permet de distinguer
deux groupes de formations discursives. Les
discours spéculatifs et les discours expérimentaux.
Brièvement, lřidéologie et la science, pour ne pas dire
doxa et épistémè.
c) Le poète travaille sous la contrainte du signifiant.
Les deux premières propositions sont solidaires.
Elles fournissent la charpente de toute la
thèse. La difficulté se rapporte à la troisième, le
1 Cf. à cet égard le Complément n°3 ci-après.
290
statut du discours du poète. Cette difficulté
concerne uniquement le 2 e débet du 3 e chapitre.
Le discours du poète nřest pas spéculatif, mais il
nřest pas expérimental non plus. Alors ? Lacan
sřen tirait en disant que toute vérité sřavère dans une
structure de fiction 2 . Je lui faisais confiance…
19/ Fausses Pistes. ― Mes pitreries ont créé de
telles préventions contre moi, quřelles ont lassé
les esprits les mieux disposés à mon égards, Ŕ
comme le Pr Laplanche. Il me reprocha de me
lancer sur de fausses pistes stériles. En fait je nřai
feint de me lancer sur une fausse piste quřau tout
début, à propos du bout de phrase de Krafft-
Ebing sur son choix du sadisme « suivant lřexemple
des Français » (chap. I, § (1), pp. 8-9). Jřai feint
quřil se soit référé à la littérature spécialisée de
ses alter-égos français, médecins-légistes ou aliénistes.
Mais ce nřétait nullement un coup pour rien.
Je préparais ainsi ce que jřallais dire plus loin, à
propos de la réception du sadisme et du masochisme
par les collègues français de Krafft-
Ebing. Jřai nommé ce phénomène la saignée française.
Les spécialistes français furent embarrassés
de ce sadisme suivant lřexemple des Français. Ils ne se
souvenaient pas dřavoir utilisé ce terme, et lřhonneur
que Krafft-Ebing leur faisait leur paraissait
équivoque (chap. III, § (1), p. 188). Évidemment,
dans lřimbroglio que je mřétais plu à confectionner
il était difficile à tout lecteur, aussi attentif
soit-il, de ressaisir un fil à 180 pages de distance.
En évoquant un puzzle (pp. 107 et 234) je ne
frimais pas.
20/ La Cruauté. ― La clinique nřa intéressé que le
Pr Laplanche. Non pas lřécoute clinique, mais la
question de fond que jřai évité de traiter dans
cette thèse, la laissant en réserve pour un travail
ultérieur. Je veux parler du mélange de la volupté
avec la cruauté dans le sadisme et le masochisme.
Cette question comporte deux aspects. Un
2 LACAN (1958) : Jeunesse de Gide…, in Écrits, p. 742 et note.

aspect général qui est celui du mélange de la
volupté avec la cruauté dans toute sexualité humaine,
chez les enfants comme chez les adultes.
Lřautre aspect est celui du mélange spécifique de
volupté et de cruauté dans les deux perversions
sexuelles particulières distinguées par Krafft-
Ebing, ce qui revient à sřoccuper du problème
nosographique des perversions sexuelles. Ce
nřest pas le problème nosographique qui a intéressé
Laplanche, mais le problème général de la
sexualité humaine.
Le Pr Laplanche développa une brillante
argumentation qui commençait avec la cruauté
chez Krafft-Ebing et aboutissait à la coexcitation
chez Freud. Malheureusement mes notes erratiques
ne me permettent pas de la restituer, et cřest
grand dommage. La clinique est bien la finalité
de mon travail. Jřestimais que ce sont les « tripotages
» conceptuels de Krafft-Ebing et de Freud
à propos du sadisme et du masochisme qui nous
ont engagés en tant que cliniciens, et ont engagé
les mass-médias avec nous dans la déconfiture.
Je ne songeais pas un seul instant à dédouaner
Krafft-Ebing et/ou Freud. Ils étaient condamnés
dřavance. Mon but était dřinstruire leur procès.
Le problème clinique essentiel du sadisme et du
masochisme est certainement le mélange de
volupté et de cruauté. Mais le problème épistémologique
essentiel était pour moi de montrer
comment Krafft-Ebing avant Freud avait déjà
engagé le débat à la fois en une direction fructueuse
et en une direction dévoyée. La direction
fructueuse est amplement documentée dans mon
texte. Krafft-Ebing tient toujours compte de
lřautre (personne). La direction dévoyée demeure
dans le flou. Je la tenais en réserve pour la suite
(qui nřa pas eu lieu). Je prévoyais une démolition
en règle de la Trieblehre de Krafft-Ebing aussi
bien que de celle de Freud.
Le Pr Laplanche a perçu où le bât blesse,
mais il mřen a attribué la faute en cherchant à
sauver Krafft-Ebing. À mon sens, il partait dřune
291
prémisse fausse. Cřest bien Krafft-Ebing qui est
en faute 1 . Partout il met effectivement dans son
titre : association de la cruauté active et de la violence
avec la volupté, pour le sadisme ; et association de la
cruauté passive et de la violence avec la volupté, pour le
masochisme 2 . Par contre, quand on se tourne
vers son texte, y compris vers les observations
quřil présente, la cruauté et la violence disparaissent
et sont remplacées par les mauvais traitements
(Misshandlungen). Avec ce tripotage verbal
il escamote le problème clinique qui nous intéresse.
Krafft-Ebing évite constamment de thématiser
la cruauté en tant que telle. Son système
sřy opposait absolument, du moment quřil distinguait
la perversion de la perversité.
● Questions
subsidiaires
21/ Publication(s). ― En cours de discussion le Pr
Laplanche, ayant en vue Psychanalyse à lřUniversité,
me réclama un article. Il mit également une condition
à la publication de ma thèse : il fallait passablement
la réviser 3 . Je me récriais. Je nřétais
pas disposé dřy changer un seul iota, lui dis-je, et
je lui opposai une fin de non recevoir catégorique.
Ŕ Héroïsme ?
À peu de temps de là je lui demandais de
diriger ma thèse dřÉtat. Il se rebiffa. Cřest entendu,
nous sommes des prostituées, me dit-il, mais
trop cřest trop. Il ne voulait pas que lřexpérience
de ma thèse de 3 e cycle se renouvelât. Il me
demanda de commencer par rédiger une série
dřarticles. Ŕ Je tournai le dos à lřUniversité.
Finalement je me résous à cette publication
à quarante ans de distance un peu par nostalgie
et un peu par civisme, lřun épaulant lřautre. Je me
1 Cf. K-E (1890), § 20, traduit ici-même, Thèse p. 128. Ce passage
ne laisse subsister aucun doute.
2 Verbindung von aktiver Grausamkeit und Gewaltthätigkeit mit Wollust
Ŕ Sadismus. /Verbindung passiv erduldeter Grausamkeit und Gewaltthätigkeit
mit Wollust Ŕ Masochismus.
3 La revue Psychanalyse à lřUniversité (éditeur Réplique), et la collection
Voix Nouvelles en Psychanalyse (PUF), étaient en gestation.

dis quřil se trouvera bien une poignée de personnes
à vouloir gagner un peu de temps grâce à
mon labeur. Et puis, à quarante ans de distance,
le Style de Krafft-Ebing donne la main au Style de
Freud de sorte que ces deux vilenies font la paire.
22/ Effronterie, provocations et pitreries mêlant
le sérieux au grotesque, déroutent et entachent
mon travail, en réduisent la portée et la crédibilité.
Elles ne pouvaient quřindisposer et rebuter.
À quoi bon tout ça ? À cette question je ne saurais
répondre. Jřai plutôt cherché la raison de cet
auto-sabotage. Une réponse sřest présentée à mon
esprit, sans que jřy adhérasse pleinement. Ŕ Elle
fait appel à mes identifications héroïques.
Identifications héroïques. ― Voici donc pour
terminer une sorte dřautocritique ou peut-être
dřautoanalyse. Dřoù viennent mes pitreries ? Un
bout de phrase publié par Breton à la fin de ses
Vases communicants nřétait pas tombé dans lřoreille
dřun sourd. En lisant le livre, Freud tomba sur
une des « impertinences » de lřauteur. Il prit la
plume et lui dépêcha une lettre datée du 13
décembre 1932. Breton publia cette lettre et plaça
après le mot dřimpertinence lřappel de note
que voici 1 : « Allusion à la dédicace accompagnant
lřexemplaire des Vases communicants que je lui avais
adressé ». Breton nřétait nullement à sa première
impertinence freudienne. En octobre 1921 il
avait rendu visite à Freud, et en avait rendu
compte dřune manière désabusée qui mřenchante
toujours 2 . On a vu dans mon Avertissement la
filiation où Ŕ toute proportion gardée Ŕ je me
situais : Nerval, Huysmans, de Gourmont, Jarry,
Roussel, etc. Ni Freud, ni aucun psychanalyste
ou universitaire ne figurent au bric-à-brac du magasin
dřaccessoires de mon Idéal·du·Moi.
1 Cf. BRETON : Œuvres Complètes, Bibliothèque de la Pléiade,
tome II, 1992, p. 210 ; et FREUD : OCF, tome XIX, p. 299.
2 Interview du professeur Freud à Vienne, in Œuvres Complètes,
Bibliothèque de la Pléiade, tome I, 1988, pp. 255-256.
292
Pourquoi ai-je désigné ma filiation dřidentification
héroïque ? Cřest Daniel Lagache qui a forgé
cette appellation au cours des années quarante
quand il sřoccupa de criminologie. Il avait découvert
à la source des conduites antisociales la
présence active dřidentifications quřil dénomma
avec tact et justesse des identifications héroïques. Du
temps de ma thèse, mes démons intérieurs
avaient peut-être pris cette figure-là.
Que vaut cette explication ? Je ne sais. Je la
propose pour ce quřelle est, Ŕ une construction
intellectuelle, satisfaisante pour lřesprit. Quant à
y adhérer intérieurement, jřavoue mes scrupules.
Elle ne me convainc pas. Dřailleurs, je ne suis
pas outre mesure tourmenté dřy rien comprendre.
Jřai été enclin à une relative tolérance pour
mes frasques, et surtout à une extrême méfiance
pour les rationalisations, à commencer par les
miennes. Et puis Ŕ je le dis tout net Ŕ je ne
donne pas cher de lřautoanalyse quand elle ne
procède pas de lřinterprétation dřun rêve. Une
chose est sûre. Aussi loin que je remonte dans la
ténèbre du souvenir je vois briller la même lueur.
Mon esprit frondeur de toujours ne mřa jamais
permis dřobtempérer ou de rentrer dans le rang.
Auto-sabotage ? Non pas. Je dirais plutôt dilettantisme
affecté.
Ŕ Chacun ses démons, ses chimères et aussi
ses misères !

Le Sadisme & le Masochisme innominés / II e Partie / Complément n° 2, pp. 293-296
● Source
AMINE A. AZAR : La Psychopathia Sexualis de Krafft-Ebing ou l’invraisemblable
célébration d’un centenaire, in Psychanalyse à l’Université,
octobre 1986, tome 11, n° 44, pp. 709-713. (Texte reproduit avec
quelques changements mineurs.)
● Résumé (d’origine)
L’auteur évoque l’état déplorable des études sur l’histoire de la psychiatrie
en France. Il donne l’exemple de la Psychopathia Sexualis de
Krafft-Ebing, montrant que des spécialistes chevronnés ne laissent
pas de commettre à son égard des erreurs élémentaires, et parfois
même des bourdes monumentales. Il termine en appelant de ses
vœux la réédition d’une traduction plus ancienne {que celle qui est
disponible en France depuis 1931}, établie sur un texte authentique
de Krafft-Ebing, et suggère que ce serait, dans la conjoncture culturelle
actuelle, la manière la plus adéquate de célébrer cette année le
centenaire de cette œuvre marquante.
[709 ] Faut-il célébrer le centenaire de la
Psychopathia Sexualis [PS] de Krafft-Ebing, ou
non ? La question est embarrassante en ce quřelle
ne présuppose pas que des évidences.
Pour quřil y ait centenaire il faut non seulement
savoir compter jusquřà cent à partir dřune
date donnée, mais encore quřil y ait accord sur
celle-ci. Malheureusement cette dernière condition
nřest pas remplie pour la PS. En France, les
plus grandes sommités de pathologie mentale ne
se sont pas accordées sur la date de publication
de la première édition de la PS [ou PS1]. Voici
quelques conjectures choisies parmi celles qui
ont été judicieusement avancées :
Ŕ Le Dr Sacha Nacht, dans son étude sur le masochisme,
a proposé lřannée 1869, sans jamais varier de-
La Psychopathia Sexualis de Krafft-Ebing
ou lřinvraisemblable célébration dřun centenaire
293
puis la première édition de son étude (1938) jusquřà
la dernière (1965), Ŕ une constance qui lui fait sans
doute honneur.
Ŕ Le Dr Henri Ey, au tome II de ses Études de Psychiatrie
(1950), a proposé quant à lui 1896, peut-être
par la simple permutation des deux derniers chiffres
de la date proposée par son éminent confrère.
Ŕ Le Dr Jacques Corraze, dans son livre sur lřhomosexualité
(1969), a pris fait et cause pour Ey contre
Nacht, {peut-être par esprit de corps}, en proposant
lui aussi 1896.
Ŕ Le Pr Georges Lanteri-Laura, enfin, dans son livre
Lecture des perversions (1979), a proposé 1887.
[710 ] Lequel croire ? Comme tous écartent
le témoignage que nous offre lřexemplaire de la
Bibliothèque Nationale [cote : 8° Td 86 542] sans
nous révéler franchement leurs motifs, ils ont
droit également, et jusquřà plus ample informé, à
notre suspicion.
Supposons résolue la question de la datation
de la PS1 (je signale en passant, et sans vouloir
vexer personne, que lřexemplaire de la Bibliothèque
Nationale porte le millésime de 1886).
Pour célébrer un centenaire, quřil tombe ou non
en cette année, il faut encore que quelque chose
le justifie. Dans le cas présent un thème sřimpose
de lui-même, dans la mesure où lřon attribue à
Krafft-Ebing la création des termes de sadisme et
de masochisme, ainsi que leur introduction officielle
dans le discours psychiatrique par le biais
de sa PS. Il ne fait pas de doute que Krafft-
Ebing et sa PS doivent à la faveur de ce couple
de termes « antithétiques » devenus célèbres
dřêtre passés eux-mêmes à la postérité.

Ici encore des problèmes de datation interviennent
hélas, mêlés à des problèmes épistémologiques
épineux. Jřai estimé quřils méritaient de
faire lřobjet dřune thèse, que le Pr Jean Laplanche
accepta de diriger, et qui fut soutenue en 1975
devant lřUniversité Paris VII-Censier 1 .
Brièvement soit dit, le terme de sadisme a
fait partie de la langue française à partir du
premier tiers du XIX e siècle. En 1834, grâce à
Charles Nodier, il figure dans la 8 e éd. du
dictionnaire de Boiste. Il demeura par la suite en
usage {chez les lettrés en marge de la littérature
officielle}, jusquřà ce que des publicistes fin-desiècle
se lřapproprient dans leur tentative de faire
de la prostitution une question sociale. Le XIX e
siècle nřa pas distingué la légende de vivisecteur
du Marquis de Sade de son œuvre. Seuls quelques
rares lettrés avaient accès à celle-ci, figurant
au second rayon dřaprès Sainte-Beuve, mais faisant
des apparitions sur les chevets, appréciées
par les invités, quand lřhôte se nommait Flaubert.
Krafft-Ebing ne semble pas avoir connu du
Marquis de Sade autre chose que la légende. Il lřa
accueillie dès la 1 re éd. de son livre [PS1 : 44s].
Quant à Sacher-Masoch, il fera son apparition
dans une note de 2 e éd. [PS2 : 69 n.]. Cependant,
les termes de sadisme et de masochisme ne figureront
dans la PS quřà partir de 6 e éd. (1891),
mais cette date ne doit pas signaler un anniversaire.
La « découverte » du sadisme et du maso-
1 Cette thèse peut être consultée aussi bien au Laboratoire de
psychanalyse de Paris VII, quřà lřInstitut de psychologie de la rue
Serpente dépendant de Paris V. Ayant conservé moi-même quelques
exemplaires de cette thèse, je les mets à la disposition des
amateurs qui en feraient la demande, à adresser 6, rue Georges-
Bizet, 75116 Paris. De cette thèse, touffue selon lřusage, mais
disgraciée de surcroît de coquilles et dřincorrections, il a paru une
recension bienvenue de Michèle Dorothée dans Psychanalyse à
lřUniversité 1976, 1, 3, 519-604. Je mřétais promis à moi-même
dřen tirer la matière dřune brochure agréable à lire qui paraîtrait
en 1986 pour le centenaire de la PS. Les circonstances et la vie ne
mřont pas laissé le loisir de tenir parole. En attendant donc que se
présente à moi une autre occasion, jřai résolu de contribuer à
lřinvraisemblable centenaire de la PS par ces quelques lignes.
294
chisme par Krafft-Ebing se fit au courant de
lřannée 1890, après que la PS5 fut livrée à lřimprimeur.
Au [711 ] cours de 1890 Krafft-Ebing
publia en effet, parallèlement à la PS5, sous la
même présentation et chez le même éditeur
(Ferdinand Enke), un volume de VI+80 p. intitulé
: Neue Forschungen auf dem Gebiet der Psychopathia
sexualis. Eine medicinisch-psychologische Studie.
[Recherches nouvelles dans le domaine de la pathologie
sexuelle. Une étude médico-psychologique]. Le livre était
formé de deux chapitres dřun égal nombre de
pages. Le second regroupait des observations
cliniques relatives à lřinversion sexuelle, tandis
que le premier traitait pour la première fois du
masochisme et du sadisme. Avant que le contenu
de ce volume ne soit versé à PS7, une seconde
édition fut publiée lřannée suivante (1891). Elle
était augmentée de deux chapitres, lřun relatif au
fétichisme érotique, lřautre au délire transsexuel.
La résolution du second problème de datation
a exigé que nous entrions plus avant dans
lřœuvre de Krafft-Ebing, et par conséquent de
retrouver et de colliger les éditions successives
de la PS. La première évidence qui sřest imposée
alors a été celle du poids. À mesure que les
années sřécoulaient et que les éditions de la PS se
succédaient, le livre prenait de lřembonpoint. La
PS1, publiée en 1886, comptait VIII+110 p.
in-8° ; la PS11 qui fut la dernière à paraître du
vivant de Krafft-Ebing, publiée en 1901, comptait
VIII+420 p. du même format et du même
corps ( * ). Il me parut peu probable quřau cours
de ces quinze années un progrès théorique nřeût
point accompagné lřaccroissement sensible du
texte. Des statistiques élémentaires et des graphes
bricolés confirmèrent cette supposition.
Des remaniements et des refontes théoriques
avaient effectivement eu lieu, dus à lřaccroissement
des observations, à la mise à jour des réfé-
* {En fait le nombre de pages fut stabilisé à partir de la PS7
(1892). Les remaniements ultérieurs nřy ont pas apporté des fluctuations
trop sensibles.} (Addition de 2012)

ences dans un domaine en bouillonnement et en
expansion rapide, mais également dus à lřapprofondissement
des problèmes par lřauteur, luimême
pionnier en ce domaine.
Le succès de la PS fut incontestablement un
fait de culture fin-de-siècle. Il permit à Krafft-
Ebing dřimposer à son éditeur ces refontes nombreuses
et onéreuses qui font de la PS une œuvre
ouverte typique. La conséquence en est quřune
référence à la PS ne prend son sens que du
numéro dřordre de lřédition à laquelle elle se
rapporte, toute négligence à cet égard sřavérant
préjudiciable.
En France, au XX e siècle, cette œuvre
ouverte a été traitée avec une désinvolture exceptionnelle.
Une conspiration involontaire a été
tramée contre elle en toute innocence par une
figure éminente de lřUniversité (Pierre Janet), le
bibliothécaire de la Faculté de Médecine (René
Lobstein), et un éditeur parisien (Payot). En sřy
mettant à trois, et en bénéficiant du concours
dřun disciple de Krafft-Ebing, le Dr Albert Moll,
ils offrirent en 1931 à lřamateur un pesant pavé
de 907 p. in-8° de typographie serrée. Régulièrement
imprimé, ce volume attribué abusivement
(mais de bonne foi) à Krafft-Ebing nřa plus
quitté le catalogue des éditions Payot.
Il nřest pas difficile de déterminer la contribution
assez restreinte de Krafft-Ebing à ce
volume où cřest Moll qui sřexprime [712 ] à la
première personne, en prenant souvent la peine
de citer le nom de Krafft-Ebing lorsquřil lui
emprunte une opinion, une analyse ou une
observation clinique. Pierre Janet, le préfacier,
prend dřailleurs soin de prévenir le lecteur dès la
première page que « cřest un ouvrage entièrement
renouvelé et [que] la part du nouvel éditeur
est considérable ». Autrement dit, le volume qui
circule en France depuis 1931 sous le nom de
Krafft-Ebing est, en réalité, un livre de Moll, Ŕ ce
quřune attention très flottante peut, au demeurant,
très aisément constater. Le fait est pourtant
295
passé inaperçu, vraisemblablement parce quřil est
entendu que le public ne lit pas les préfaces, et
que de surcroît il lui importe peu dřidentifier le
siège de la parole. Ŕ Mais les spécialistes ?
Les spécialistes, {surtout ceux qui se targuent
de taquiner lřhistoire de leur discipline},
nřont pas droit à tant dřinsouciance, ni à cette
sorte dřexcuses qui discréditent et sapent leur
travail par la base. Mais le fait est quřil y en eut à
se laisser prendre, et quřil faille déplorer de trouver
le Pr Lanteri-Laura du nombre. Dans son
opuscule cité plus haut, au chap. 2, il a consacré
quelques pages aigres prétendument à Krafft-
Ebing, alors que dans ces pages il se réfère exclusivement
à lřédition de Moll, dont lřoriginal, je le
rappelle, date de 1924. La différence nřest pas
négligeable au regard de lřhistoire du discours
psychiatrique. Lřœuvre de Krafft-Ebing appartient
tout entière au XIX e siècle. Krafft-Ebing est
mort en 1902. Entre cette date et 1924 le domaine
des perversions sexuelles a fait lřobjet dřinvestigations
diligentes dont les auteurs se nommaient
parfois : Havelock-Ellis, Iwan Bloch,
Ploss & Bartels, Sigmund Freud, ou Magnus
Hirschfeld. Excusez du peu ! Tous ces auteurs,
et bien dřautres, étaient bien connus dřAlbert
Moll, qui leur emprunte parfois, les critique ou
les attaques dřautres fois. {Il lui arrive aussi de
jouer au sournois et de les passer sous silence en
dřautres endroits}. Par exemple, les démêlés
entre Moll et Freud à propos de la sexualité enfantine
sont (plus ou moins) connus. Entre 1901
et 1924 une révolution dans la pensée et les
mentalités sřest accomplie. En moins dřun quart
de siècle, les perversions sexuelles sont passées
dřun domaine spécialisé (discours psychiatrique)
au domaine public. Il ne revient donc pas au
même de se référer à lřune ou à lřautre édition
anthume ou posthume de la PS. Ŕ Mais attribuer
un texte de Moll rédigé en 1924 à Krafft-Ebing
décédé en 1902 dépasse toute mesure.

Devant cette situation alarmante, il ne faut
pas chercher à célébrer le centenaire de la PS
autrement que dřune manière élémentaire. Il importe,
avant toute chose, de remettre à la disposition
aussi bien du public que des spécialistes un
texte authentique.
À tort ou à raison, Krafft-Ebing nřest pas
jugé digne dřune édition critique. Il existe surtout
un ordre de préséances à respecter. Il est assurément
plus pressant de disposer en français dřune
édition critique du Traité de Psychiatrie dřEmil
Kraepelin, que dřune édition critique de la PS de
Richard de Krafft-Ebing. De ce dernier cřest
beaucoup, à lřheure présente, de savoir orthographier
le nom (avec deux F, un seul B, et un trait
dřunion), de dater la PS1 de 1886 et la création
des termes de [713 ] sadisme et de masochisme
de 1890. Cřest beaucoup, certes, vu lřétat embryonnaire
des recherches en histoire du discours
psychiatrique. Mais il y a un mieux possible, tout
à fait à portée et à peu de frais.
Il existe, en effet, une ancienne traduction
française de la PS effectuée par les Drs Emile
Laurent et Sigismond Csapo sur la huitième édition
allemande. Elle compte VIII+596 p. in-8°.
Elle a été publiée à Paris en 1895 chez Georges
Carré, dont lřactivité éphémère sřest rapportée en
grande partie à des publications similaires. Lorsque
la Maison Carré cessa son activité, le fonds
fut repris par Masson et Cie. Les exemplaires de
cette traduction française de la PS demeurés en
stock furent distribués par Masson. Cette édition
présente aujourdřhui pour nous plus dřun avantage.
Le texte de Krafft-Ebing y est authentique.
Certes, la PS8 nřest pas la dernière édition à laquelle
Krafft-Ebing a accordé ses soins, et après
cette édition lřauteur a continué à remanier son
texte. Néanmoins, la PS8 représente une étape
intéressante où se trouvent recueillis les résultats
de la grande refonte théorique due à lřinvention
des termes de sadisme et de masochisme. De
296
plus, la traduction de Laurent et Csapo est une
réussite littéraire et scientifique : elle est dřépoque
et elle est lisible, {même si nous sommes
aujourdřhui devenus plus tatillons sur sa fidélité}.
Les rares exemplaires qui subsistent encore de
cette édition jamais réimprimée, tombent lentement
mais inexorablement en poussière à cause
de la mauvaise qualité du papier utilisé. Lřexemplaire
qui figure à la Bibliothèque Nationale, cote
8°Td 86 543, faisait pitié lorsque je lřavais consulté
en 1973, et plusieurs pages cassées sřen détachaient
complètement. La Bibliothèque de lřÉcole
de Médecine en possède toutefois deux autres
exemplaires [cotes : 49.850 et 142.075]. Il serait
temps quřun éditeur songeât à en faire un reprint.
Pour lřexécution il pourrait, si nécessaire, compter
sur un excellent exemplaire de ma bibliothèque
; et même, sřil le désire, sur quelques pages
introductives de ma plume. Au point de vue
commercial lřentreprise est défendable. Dřune
part un reprint est moins onéreux quřune recomposition
typographique, dřautre part le succès
jamais démenti de lřédition de Moll, actuellement
de nouveau en rupture, lui garantirait une demande
certaine. À cela sřajoute lřengouement du
public pour la Vienne de 1900, attesté par le
succès sans précédent de lřexposition du Centre
Georges-Pompidou, de son catalogue et de celui
des nombreuses publications qui lřentourent. Or
Krafft-Ebing peut prétendre légitimement à
recevoir sa part de ce succès, répondant à sa
contribution incontestée au façonnement de la
sensibilité et de lřesprit viennois fin-de-siècle. Je
conclus donc sur cette exhortation qui me
semble, tout bien pesé, la manière la plus adéquate,
dans la conjoncture actuelle, de célébrer
éventuellement le centenaire de la Psychipathia
Sexualis de Krafft-Ebing en cette année. Plût au
ciel que cette exhortation atteigne son destinataire.

Le Sadisme & le Masochisme innominés / II e Partie / Complément n° 3, pp. 297-318
● Source
AMINE A. AZAR 1 : Émergence & Accueil fin-de-siècle du sadisme & du
masochisme 2 , in Psychanalyse à l’Université, 1993, tome 18, n° 60,
pp. 37-65. (Texte reproduit avec des changements mineurs. Les quelques
additions figurent entre accolades. La pagination d’origine est
intégrée au texte entre deux crochets droits.)
● Résumé (d’origine)
Cette étude décrit les procédures qui furent nécessaires pour établir
le certificat de naissance des concepts de sadisme et de masochisme,
leur courbe de croissance, et le relevé de leur dispersion jusqu’au
tournant du siècle dernier.
En une première partie les notions d’observatoire naturel, de corpus,
d’opus, de summum et d’œuvre ouverte sont présentées. Sont dénombrés
ensuite les facteurs ayant présidé à l’émergence des
notions de sadisme et de masochisme chez Krafft-Ebing en 1890.
Une deuxième partie est consacrée à l’élaboration de ces notions au
sein de la théorie de la dégénérescence et en connexion avec le
problème de l’inversion sexuelle. L’impact de l’étude de Binet sur le
fétichisme est précisé, et une idée générale de la métapsychologie de
Krafft-Ebing est brièvement esquissée. La troisième partie traite de la
curieuse réception du sadisme et du masochisme par la communauté
scientifique, et tente d’en fournir la clé.
1/ Opus Psychopathia Sexualis. Ŕ 2/ Émergence. Ŕ
3/ Déploiement. Ŕ 4/ Accueil. Ŕ 5/ Escale.
― Bibliographie ―
1 Université Paris XIII, et Collège des Hautes Études Psychanalytiques,
Paris.
2 Ce texte est fondé sur une conférence donnée au Collège des
Hautes Études Psychanalytiques le 11 janvier 1989. Je remercie
M. Jacques Nassif et le Dr Jacques Postel dřavoir accepté dřêtre
mes invités-discutants. Je remercie également M. Gérard Bonnet
de mřavoir réclamé ce texte pour la publication {après avoir été
diffusé en brochure en 1989 sous le label du CHEP.}
Émergence & Accueil fin-de-siècle
du sadisme & du masochisme
297
[37 ] Des procédures ingénieuses sont parfois
requises pour établir le certificat de naissance
des concepts, et des règles subtiles sřavèrent
nécessaires pour en dresser la courbe de croissance
et en effectuer le relevé de dispersion. À
lřoccasion du centenaire du sadisme et du masochisme
je voudrais évoquer quelques-unes de ces
règles et de ces procédures en rapport avec
lřémergence et lřaccueil fin-de-siècle de ce
curieux couple de concepts dans le discours
psychiatrique.
1/ Opus
Psychopathia Sexualis
La première procédure est propre à toute
entreprise historiographique. Elle consiste à
choisir, à construire ou à définir un observatoire.
En pratique générale, les historiens sont plutôt
partisans dřobservatoires artificiels sur mesure.
Ainsi se donnent-ils grand mal pour cerner un
objet de recherche selon des critères plus ou
moins personnels ou plus ou moins objectifs leur
permettant de brillant par lřoriginalité ; et se
constituent-ils un champ de recherches alliant
avec plus ou moins de bonheur la rigueur à
lřarbitraire, et où lřobjet de la recherche sera
appréhendé systématiquement. La constitution
[38 ] dřun observatoire artificiel est consubstantielle
à la délimitation dřun corpus. Les deux
opérations sont interdépendantes et relèvent
finalement de la même option.
Les réussites sont nombreuses malgré certains
malentendus. On sait que lřHistoire de la folie

de Michel Foucault (1962) ne fut pas goûtée des
psychiatres, soit que son objet (la « folie »), formé
de pièces rapportées appartenant ostensiblement
à Nietzsche, Artaud ou Bataille, leur ait
paru étranger à leur discipline, ou que la détermination
du corpus des textes de référence leur
ait paru éclectique ou sans pertinence. Ce double
pèse plus ou moins lourdement sur lřentreprise
historienne, malgré les délicates précautions et
les savants dosages auxquels les auteurs savent
généralement recourir. Ce double risque est inévitable,
mais seulement dans la perspective dřun
observatoire artificiel. Il peut arriver, en revanche,
que sřoffrent parfois aux chercheurs des
observatoires naturels, quřils auraient bien tort de
dédaigner. Tel est justement le cas de la Psychopathia
Sexualis [PS, en abrégé] du baron Richard
von Krafft-Ebing.
Il sřagit dřun manuel destiné à venir en aide
au juriste et médecin-légiste dans les cas de délits
définis par le droit pénal comme « attentats aux
mœurs ». Les attentats aux mœurs constituent un
chapitre relativement récent de la médecine
légale. Il nřest que de consulter les deux traités
les plus célèbres de médecine légale du XIX e
siècle, ceux dřOrfila (1813) et de Casper (1856).
Les attentats aux mœurs sont absents chez le
premier, et à peine mentionnés par le second. La
demande de manuels sur les attentats aux mœurs
se fit sentir à la fin des années cinquante du
siècle dernier, et se mit rapidement à croître
durant les décennies suivantes jusquřà la fin du
siècle. Ambroise Tardieu fut le véritable initiateur
en ce domaine. Son Étude médico-légale sur les
attentats aux mœurs a été publiée en 1857 et fut six
fois remaniée jusquřen 1878. Lřensemble formé
des sept versions de ce livre possède une cohérence
et une homogénéité certaines.
Le baron de Krafft-Ebing a pris le flambeau
des mains de Tardieu. Il nřy a pas de doute quřil
ne fut son continuateur. À partir de 1886, le
manuel de Krafft-Ebing remplace celui de Tar-
298
dieu, il a même plus de succès encore que celuici.
La PS reçut douze éditions en dix-sept ans.
Il serait éclairant de comparer le manuel de
Krafft-Ebing à celui de Tardieu et à celui de
Casper, qui furent ses modèles. Le but est le
même, former des médecins-légistes afin dřéclairer
la justice ; les moyens identiques, le recours à
la classification et à la casuistique. Mais chacun
de ces ouvrages appartient, au regard de lřécriture,
à un genre particulier. Ces trois manuels
sont des spécimens de types différents.
Le manuel de Casper, dans sa troisième édition,
est une œuvre achevée, accomplie, un produit
fini, disons un summum Ŕ un sommet, ou
encore en reprenant cette fois une expression
philosophique bien connue, une chose [39 ] parfaite
en sont genre. Lřauteur a retracé brièvement
lřhistoire de ses tâtonnements au début de sa
préface à cette édition. Il a montré les échafaudages
successifs avant de les ôter de lřœuvre
définitive.
Le livre de Tardieu est une œuvre infinie. La
casuistique et la jurisprudence priment, et elles
sont indéfiniment extensibles. Le point final
nřintervient que de manière occasionnelle, lorsque
lřauteur ou son successeur déposent la plume.
{Lřactualité cours toujours et il faut tenter de
la rejoindre à la prochaine édition}. De pareils
manuels peuvent être continués aussi longtemps
que lřéditeur le souhaite, y compris à titre posthume.
{Un autre reprend la plume tombée de la
main de lřauteur}. Un élève de lřauteur en incapacité
ou décédé est chargé de réactualiser le
travail conformément à lřesprit de lřauteur.
Quand la série des rééditions est close faute dřauteur
ou de substitut, lřensemble des éditions publiées
constitue un ensemble clos que lřon peut
appeler un corpus.
Le manuel du baron de Krafft-Ebing est
apparenté aux deux types précédents. Tout en
ayant une originalité propre, il leur emprunte
beaucoup. Apparemment, il a plus de points

communs avec le manuel de Tardieu quřavec
celui de Casper. Il a bénéficié dřun grand nombre
de rééditions, y compris dřéditions posthumes
procurées par des élèves, Ŕ ce dont nřa pas bénéficié
celui de Tardieu bien quřil sřy serait parfaitement
prêté. Et il est certain que lřon pourrait
prendre la série des éditions de la PS pour un
corpus. Mais une étude plus approfondie montre
que ce serait la sevrer dřune partie de son originalité,
car il est tout aussi bien apparenté à
lřœuvre accomplie, le summum, la chose parfaite
en son genre. En effet, les différentes éditions d
la PS ne peuvent pas être mises sur le même
plan. Il faut distinguer les éditions remaniées des
éditions refondues. Les refontes sont précisément
des œuvres accomplies à la manière de
celle de Casper, des sommets dans la série du
labeur infini à la manière de celle de Tardieu.
Il fallait trouver un terme pour désigner ce
type. Jřai convenu dřutiliser opus. Jřai opté pour
opus plutôt que pour lřexpression dřœuvre ouverte
(opera aperta) proposée naguère par Umberto
Eco (1962), il est vrai dans un contexte fort
différent. Lřexpression dřœuvre ouverte est assurément
séduisante, et je lřai écartée quřà regret
quand elle mřest finalement apparue comme
impropre. Eco lui avait conféré une acception
spéciale qui sřaccordait mal avec ma conception
de lřopus. En essayant de montrer son impropriété
pour la PS jřaurai lřoccasion de souligner
dřautres caractéristiques de lřopus.
Lřœuvre ouverte est conçue par Eco sur le
modèle de la ville ouverte, laquelle appartient au
patrimoine de lřhumanité, et pour laquelle le
voyageur nřa pas besoin de visa. {En temps de
guerre elle est épargnée des belligérants et du
conflit armé}. Lřusager dřune œuvre ouverte,
comme le flâneur dřune ville ouverte, sřen sert en
toute liberté comme en temps de paix. Le point
de vue où se place Eco est celui de la communication
téléphonique. Autrement dit, cřest un
circuit qui suppose deux pôles, dřune part codage
299
et émission dřun message, de lřautre réception et
décodage. Mais lřoriginalité dřEco est de déplacer
lřaccent dřun pôle de circuit [40 ] à lřautre. Il
donne la primauté non pas à lřémission, comme
on avait eu tendance à le faire, mais à la réception,
au décodage, et surtout à la liberté du décodage
synonyme de créativité. Par œuvre ouverte
Eco entend donc lřœuvre ouverte à tous les sens,
au gré des récepteurs. On peut encore noter que
le domaine dřapplication de lřœuvre ouverte
semble être électivement lřœuvre dřart ou lřœuvre
littéraire, sans quřil soit tout à fait clair pour nous
si Eco nřa pas à lřesprit une plus grande extension
que ces deux domaines, du moins à cette
époque. Car on sait que lřauteur sřest depuis
amendé. Il paraît aujourdřhui incomparablement
plus sensible aux contraintes sémantiques du
message quřà la libre prolifération du sens au
pôle récepteur.
Que la PS de Krafft-Ebing ne soit pas une
œuvre littéraire ne la sauve pas des serres de
Eco. Si elle peut échapper à la notion dřœuvre
ouverte selon lřacception dřEco, cřest que son
ouverture ne suppose pas le circuit de la communication
téléphonique, pas plus quřelle ne prend
son sens de la liberté dřinterprétation dřun quelconque
destinataire. Si ouverture il y a, cřest à
mon sens en de tout autres directions. Je pourrais
en dénombrer quelques unes.
La PS est dřabord ouverte à lřévolution de la
discipline, à lřhistoire de la psychiatrie. Elle est
ensuite ouverte sur lřactivité théorisante de son
auteur. Elle est encore ouverte à lřune des sources
de lřexpérience médicale, la clinique, et en
lřoccurrence à lřécoute clinique. Enfin, la notion
de destinataire est subvertie dans son cas par
lřécoute clinique justement. Un mot devrait être
dit de lřoriginalité et de lřimportance de ce dernier
point. La PS affiche ses destinataires dans
son titre, à savoir les médecins et les juristes. Et,
dès le titre, lřauteur prétend écarter le nonspécialiste
par le recours au latin. Dans lřavertis-

sement Ŕ et Lichtenberg appelait ces pièces des
paratonnerres Ŕ, dans lřavertissement placé en
tête du volume, Krafft-Ebing sřest expliqué sur
ces deux points. Citant Tardieu, il a réclamé au
savant la liberté, toute liberté dřinvestigation
dans un domaine même scabreux. Cependant,
comme il nřentendait pas que son livre allât dans
toutes les mains, il a conçu un préservatif : le
latin. Les carabins dřantan connaissent bien lřadage
sur le préservatif : cřest une cuirasse pour le
plaisir et une passoire pour le danger. Le latin de
la Psychopathia Sexualis a certainement préservé le
livre de poursuites judiciaires, mais nřa nullement
empêché le public dřy accéder. Si dřaventure son
audience nřavait largement débordé les spécialistes,
le livre nřaurait pu bénéficier dřun si grand
nombre dřéditions, et lřéditeur nřaurait pas accepté
les importantes refontes, si onéreuses, dřune
édition à lřautre. En fait, le succès de la PS a été
tel quřil ne me semble pas impropre de parler à
ce propos dřun phénomène de civilisation.
Le Pr André Dupras, du Département de
sexologie de lřUniversité du Québec à Montréal,
entreprend depuis quelques années des recherches
à lřUniversité de Vienne sur le fonds Krafft-
Ebing. Lors dřune entrevue, il mřa confirmé [41 ]
lřexistence de plusieurs milliers de lettres adressées
à Krafft-Ebing attestant le phénomène de
civilisation dont je viens de parler. La consultation
épistolaire a toujours été en médecine de
pratique courante. Mais non pas un courrier de
cette nature et de cette ampleur. Il est dans les
projets du Pr Dupras dřen faire lřobjet dřune
recherche particulière, dont jřattends les résultats
avec un vif intérêt. Un courrier du cœur datant
de cette époque est dřune valeur inestimable
pour lřhistorien des mentalités. Quřil ait été conservé
et quřil soit parvenu jusquřà nous est une
véritable aubaine 1 .
1 {Finalement ce nřest pas le Pr Dupras qui mena ce projet à
bien, mais le Pr Oosterhuis (2000), de lřUniversité de Maastricht.
Ce fonds se trouve depuis novembre 1998 à la WELCOME
300
Malgré le préservatif latin, le grand public a
donc eu accès à la PS. Mieux encore, il sřy est
établi à demeure, et comme en terrain conquis.
Jřen donnerai deux exemples. Tel patient dont
lřobservation nous est rapportée, se réfère à
lřexpérience dřun autre patient rapportée dans
une édition antérieure, la commente et y compare
la sienne. Cet exemple est significatif de
lřutilisation de ce livre par certains, et je crois
bien par ceux-là mêmes qui en ont fait le succès.
Intéressés par leur vie sexuelle plus ou moins en
dehors des normes inculquées, intrigués, inquiets
ou franchement perturbés, ils se jetaient sur le
lire curieux de lřexpérience des autres et avides
dřy confronter la leur. Lřautre exemple touche à
la théorie de lřinversion sexuelle. À un moment
où Krafft-Ebing nřa pas encore une explication
bien arrêtée, et avant de donner la parole aux
différents auteurs, il rapporte lřopinion de lřun de
ses patients. Ce passage apparaît à la PS7 et
disparaît à la PS9. Entre-temps, J. Chevalier avait
publié son ouvrage sur lřInversion sexuelle (1893)
où il défendait la même idée. Krafft-Ebing remplaça
lřopinion de son patient par une référence à
cet ouvrage. On constate par cet exemple que
lřécoute clinique de Krafft-Ebing était parfois
assez complaisante, et nřécartait pas comme
nulles et non avenues les rationalisations de ses
patients.
Parler dřœuvre ouverte à propos de la PS est
donc certainement légitime, mais non pas tout à
fait au sens quřUmberto Eco conférait à cette
expression. Au sens où je lřentends, la PS est un
observatoire naturel permettant dřeffectuer plusieurs
dřobservations : a) les unes relatives à lřhistoire et
à lřévolution de la discipline, b) les autres relatives
au processus de théorisation, ou aux voies de
la création chez Krafft-Ebing, c) dřautres enfin
relatives à une population donnée, ses angoisse,
sa mentalité, sa sensibilité intime sur les choses
LIBRARY, 183 Euston Road, London NW1 2BE, où il peut être
consulté.} (2012)

du sexe. Par rapport au manuel de Casper et à
celui de Tardieu, la PS jouit dřune spécificité que
jřai choisi de souligner par lřexpression opus-PS.
Cette présentation en quelque sorte cavalière
de la PS nřépuise pas son intérêt en soi ;
cřest une préparation au travail muséographique
aui va maintenant pouvoir sřengager. Trois
aspects du sadisme et du masochisme seront
abordés ; leur émergence dans le discours psychiatrique,
leur déploiement dans la PS, et leur
réception par les contemporains. [42 ]
2/ Émergence
Le cycle de conférences qui nous réunit a
été annoncé comme la célébration dřun centenaire.
Ma responsabilité est engagée sous cette
bannière. Compter jusquřà cent nřest certes pas
une prouesse pourvu que le millésime à célébrer
ait été au préalable fixé. Or le millésime est ici
problématique, et il ne me paraît pas seyant de se
dérober à la tâche de le justifier.
Mis à part la source directe, nous avons à
notre disposition deux sources dřinformation, les
spécialistes de la psychiatrie et les spécialistes de
la langue. Les spécialistes de la psychiatrie, les
historiens de cette discipline, les critiques qui se
sont penchés sur Sade, sur Sacher-Masoch ou se
sont occupés des perversions sexuelles, aussi
étonnant que se puisse paraître, ne sont pas allés
à la source directe. Lorsquřils se sont mêlés
dřavancer une date, elle sřétayait sur une série
dřinférences et de présupposés de sens commun
aisément reconnaissables. Au point de départ on
attribue à Krafft-Ebing la création des termes, et
comme il sřagit de perversions sexuelles, on
présume que cřest dans la PS quřils reçurent leut
baptême, en conséquence de quoi la date de la
première édition de la PS [en abrégé PS1] est
supposée valoir pour le millésime. Raisonnement
vraisemblable auquel ne manque que la confir-
301
mation des faits. Ce qui est étrange cřest quřaucun
auteur nřa songé à lřacquérir. Pis encore, chacun
a donné de la PS1 une date de publication
différente. Tant de fantaisie confond lřesprit de
la part dřauteurs réputés sérieux.
Vérification faite, la PS1 a été publiée en
1886, mais le sadisme et le masochisme ne sřy
trouvent point. Ce nřest pas non plus dans une
édition ultérieure de cet ouvrage que se trouve
leur acte de baptême, mais dans un autre livre,
publié entre deux éditions de la PS. Dřailleurs
lřun des grands intérêts de lřopus-PS est bien de
nous faire assister à la démarche de pensée ayant
conduit lřauteur à inventer ces néologismes, et à
son effort de compréhension progressive des
faits cliniques dénoté par eux. Avant dřentrer
plus avant dans ce processus, tournons-nous
vers les lexicographes afin de glaner quelques
éléments dřinformation supplémentaires.
En consultant un bon dictionnaire historique
et épistémologique récent de la langue française,
on apprend que le terme de sadisme était
reçu depuis 1836, tandis que le masochisme ne
daterait que de la fin du siècle. Cřest acceptable
en gros, mais il est néanmoins légitime de requérir
plus de précision.
En ce qui concerne « sadisme », il vaut la
peine de noter que ni le Littré ni le Grand dictionnaire
universel du XIX e siècle de Pierre Larousse, qui
[43 ] sont tous deux de la fin du siècle, ne
daignent enregistrer son existence. Cela éveille
notre curiosité et nous pousse à vérifier avec
minutie les assertions des lexicographes dřaujourdřhui.
La date de 1836 proposée pour sadisme
est si précise quřelle ne peut manquer de nous
déconcerter. Chez certains lexicographes une
précision supplémentaire est donnée. La date
précitée est précédée dřun nom propre. On sait
que cřest là une convention pour renvoyer à une
autre publication en manière de justification. En
lřoccurrence, il ne sřagit pas ici dřune œuvre littéraire,
mais du travail dřun autre lexicographe : le

Dictionnaire général et grammatical de Napoléon
Landais. La 1 re éd. de cet ouvrage avait été publiée
en 1834 et la 12 e en 1853, Ŕ lřauteur étant
décédé lřannée précédente. Pour les lexicographes
dřaujourdřhui cet ouvrage est une mine de
renseignements. La déclaration de principe de
lřauteur, placée en tête de lřouvrage, a retenu
toute leur attention. Alors que le Dictionnaire de
lřAcadémie [française], disait-il, est lřœuvre mûrie
dřun aréopage qui ne sanctionne aue les lois bien
consacrées par le temps, son dictionnaire au
contraire, sentinelle avancée de la langue française,
a pour mission principale de protéger toutes
les innovations heureuses, de leur ouvrir un
asile, de leur offrir le droit de cité. Eh bien, sadisme
ne figurait pas dans la 1 re éd. de ce dictionnaire
; il ne fait son apparition quřà la troisième
édition, qui est de 1836 justement. Cřest sans
doute pourquoi les modernes confrères de
Napoléon Landais datent le sadisme de 1836.
Rouvrons après eux cet ouvrage à la rubrique
consacrée au sadisme 1 :
Sadisme : subst. masc. (çadiceme) (du nom de son
auteur de Sade) aberration épouvantable de
la débauche ; système monstrueux et antisocial
qui révolte la nature. (Boiste).
Le profane peut passer outre la parenthèse
qui termine ce texte, mais elle devrait piquer au
vif le lexicographe. En effet, elle ne peut signifier
que le renvoie à un autre lexicographe. Lřenquête
devrait donc être poursuivie au-delà de Napoléon
Landais. La 1 re éd. du Dictionnaire universel de
la langue française de Boiste a été publiée en 1800.
Sa 10 e éd. est de 1841, Ŕ Boite étant décédé en
1824. Avant 1836 ce dictionnaire avait déjà eu
huit éditions. La huitième, précisément, qui est
de 1834, se recommande avec une caractéristique
propre à fixer notre attention. Elle a été revue
1 LANDAIS : Dictionnaire général & grammatical…, 3 e éd., 1836,
tome II, p. 569.
302
par Charles Nodier. Je nřai pas besoin de présenter
Charles Nodier le délicieux conteur, ni de
rappler le rôle de son salon de lřArsenal pour le
mouvement romantique. En revanche le bibliomane
est moins connu. On sait moins que sa
passion des mots confinait à la frénésie, et quřon
lui doit un Dictionnaire des onomatopées (1808), que
des psychanalystes distingués utilisent en catimini
pour le perfectionnement de leur technique,
me suis-je laissé dire. On lui doit également le
seul portrait que nous ayons du marquis de Sade
pendant lřépoque révolutionnaire. En [44 ] consultant
la 8 e éd. du Dictionnaire de Boiste revue
par Charles Nodier notre attente nřest pas déçue.
Sadisme y figure bien. Voici la rubrique qui lui
est consacrée 2 :
Sadisme : s. m. aberration épouvantable de la débauche
; système monstrueux et anti-social qui
révolte la nature. (De Sade, nom propre)
(peu usité).
Landais a copié fidèlement Boiste, ou plutôt
Nodier. La 7 e éd. du Dictionnaire de Boiste ne
figure pas à la Bibliothèque Nationale, et je nřai
pas encore pu la trouver. La 6 e éd. ne comporte
pas de rubrique pour le sadisme. Jusquřà plus
ample informé, il faut tenir 1834 pour la date de
naissance du sadisme, et reconnaître à Charles
Nodier le privilège de lřinitiative lexicographique.
Nous tenons maintenant un premier élément
positif, mais pas pour longtemps. À peine
est-il établi quřil est menacé dřanéantissement par
les deux grandes autorités lexicographiques du
XIX e siècle. À la fin du siècle, ni Littré ni Larousse
ne mentionnent le sadisme. Faut-il en
conclure que le mot, qualifié de peu usité par
Nodier en 1834, ne sřest pas maintenu dans la
langue ? A-t-il été un mort-né de la langue française
? En compulsant les différentes éditions de
2 BOISTE : Dictionnaire universel de la langue française…, 8 e éd. revue
par Charles Nodier, 1834, p. 642.

la Psychopathia Sexualis de Krafft-Ebing Ŕ autrement
dit lřopus-PS Ŕ nous allons être à même de
résoudre ce second problème.
La première mention du sadisme apparaît
chez Krafft-Ebing non pas dans la PS, mais dans
un livre parallèle publié vers la fin de 1890 entre
deux éditions de la Psychopathia Sexualis, la PS5 et
la PS6. Cet opuscule de 90 pages sřintitulait Neue
Forschungen auf dem Gebiet der Psychopathia sexualis
[Recherches nouvelles dans le domaine de la psychopathologie
sexuelle]. Je reviendrai tout à lřheure sur cet
ouvrage fondamental, sa construction, son contenu,
sa fonction et son destin. Je reviendrai
également sur la manière dont Krafft-Ebing en
vint à parler du sadisme. Pour lřinstant je me
contenterai de signaler quřil présente la chose
ainsi : « Une forme de perversion sexuelle nommée
à la manière des Français [nach dem Vorgang
der Franzosen] ŘŘsadismeřř, dont le représentant
mal famé était le monstrueux marquis de Sade,
[etc.]. » Le terme de sadisme est mis entre guillemets
pour accentuer son caractère de citation. Le
problème que je vais formuler maintenant est le
suivant : lorsque Krafft-Ebing invoque lřexemple
des Français, de quels auteurs sřagit-il ? La réponse
à cette question donnera aussi la solution
du problème précédent : le sadisme, attesté en
langue française en 1834, a-t-il disparu entre
cette date et 1890 ? et celle du problème subsidiaire,
pourquoi Larousse et Littré ne mentionnent-ils
pas son existence au cours du dernier
tiers du XIX e siècle ? Krafft-Ebing nous engage
à nous poser ces problèmes puisquřil [45 ] atteste
formellement que des auteurs français contemporains
parlaient de sadisme.
La recherche peut prendre ici deux directions.
La première suivrait une pente en quelque
sorte naturelle. Elle sřorienterait vers la littérature
spécialisée ès aberrations sexuelles, cřest-à-dire
vers les écrits des aliénistes célèbres comme Legrand
du Saulle, Moreau de tours, Tardieu, Ball,
Charcot et Magnan, Sérieux, ou P.-Max Simon.
303
Mais cette direction aboutit à une impasse. Le
sadisme ne se rencontre sous la plume dřaucun
dřentre eux, du moins jusquřen 1890. Il est nécessaire
par conséquent de changer dřorientation.
À nouveau lřopus-PS se révèle bon guide. En
effet, Krafft-Ebing mentionne dans les diverses
éditions de la PS un certain nombre dřautres auteurs
français dont le nom a beaucoup pâli avec
le temps sřil a jamais brillé. Ce sont des essayistes
ou, comme on les appelait à cette époque, des
publicistes. Léo Taxi est peut-être le seul dřentre
eux dont le nom peut encore évoquer quelque
chose aujourdřhui. Les deux autres, Yves Guyot
et A. Coffignon, ont sombré dans un oubli
irrémédiable. Mais ce serait une erreur de croire
quřils furent les seuls écrivains français à utiliser
le terme de sadisme. Ce terme se rencontre chez
bien dřautres auteurs, et des auteurs majeurs. Je
citerai pour mémoire Alfred de Vigny dans son
journal à la date dřaoût 1837. Ou une note
perdue en bas de page du traité de Marc sur la
folie 1 . Sainte-Beuve, en 1862, dans son grand
article sur la Salammbô de Flaubert. Villiers de
lřIsle-Adam dans sa chronique grinçante sur le
sadisme anglais envers les enfants, publiée en
1886. Paul Bourget, en 1891, dans sa Physiologie de
lřamour moderne… À vrai dire, je suis en peine de
donner dřautres exemples, ce qui laisse supposer
que sadisme est tout de même resté peu usité en
langue française entre 1834 et lřavant-dernière
décennie du siècle. Il ne faudrait donc pas chercher
malice si Littré ou Larousse lřont écarté de
leurs dictionnaires. Cela dit, un intérêt particulier
sřattache à lřoccurrence du sadisme dans les
écrits des trois publicistes plus haut cités. Dřune
part parce que cřest dans leurs écrits que Krafft-
Ebing est allé pêcher le mot, dřautre part parce
quřils emploient eux-mêmes ce terme dans un
sens très précis, pour ne pas dire singulier.
1 MARC (1840) : De la Folie…, tome II, p. 423, note. {Cette référence
est une addition de 2012.}

Lřart de la citation est un exercice périlleux
exposé à dégénérer en soporifique. Cřest pourquoi
je renonce à reproduire ici une enfilade de
citations tirées de Taxil, Guyot et Coffignon, et
prends le risque de condenser leurs propos en
quelques formules. Ces auteurs connotent par
sadisme le fonctionnement occulte dřune institution
« tolérée », Ŕ la prostitution. Plus spécifiquement,
le terme de sadisme leur sert à décrire et à
dénoncer le type de relations qui réunit les trois
partenaires principaux avec lřaccord tacite de
lřÉtat : le client, la prostituée, et la tenancière
(et/ou le souteneur). Lřargent autorise le client à
exercer son sadisme sur la prostituée, mais ce
sadisme nřest que la contrepartie de la violence
exercée par la matrone et/ou le souteneur sur la
prostituée, lřobligeant à se prêter sans regimber
aux fantaisies les plus bizarres, voire abjectes du
client, faute de quoi elle était mise à lřamende et
amenée à résipiscence. Ainsi, la prostituée étaitelle
prise [46 ] dans lřétau de deux violences, ou
de deux sadismes, qui se répondent. Lřun des
auteurs nommés avait trouvé la formule lapidaire
qui porte : en tant quřinstitution, la prostitution
cřest le sadisme obligatoire 1 . Le propos des publicistes
cités nřest pas douteux. Ils œuvrent à des fins
de salubrité publique. Ils dénoncent le fonctionnement
cruel dřune institution tolérée, même si
parfois le pittoresque et le sensationnel y trouvent
largement leur compte. Car il sřagit, ne
lřoublions pas, de littérature alimentaire.
Il me paraît nécessaire dřouvrir ici une petite
parenthèse pour examiner ce qui avait pu
aiguiller Krafft-Ebing vers la lecture des publicistes
français. Celui qui est familier avec la production
imprimée du XIX e siècle, en France, constate
une tension fertile entre trois courants vis-àvis
des affaires du sexe. Les médecins hygiénistes
sřen préoccupaient au point de vue de la salubrité
publique, et étaient amenés par conséquent à
1 GUYOT (1882) : La Prostitution, p. 201.
304
sřintéresser électivement à la pratique de la prostitution.
Parent-Duchatelet ouvrit cette carrière
par un maître livre en 1836, et le nombre dřappelés
pour sa relève se multiplia prodigieusement
au cours du siècle. De toute cette littérature qui
se compte par tombereaux un seul auteur a laissé
après Parent-Duchatelet un nom : Jeannel (1868).
Le deuxième courant était constitué par ces
médecins qui confessaient un catholicisme militant.
Leur dessein était de remettre la médecine
au service de la morale chrétienne. Deux domaines
furent électivement investis par eux. Lřhygiène
physique et morale de la femme, qui avait
inspiré auparavant quelques traités laïques, fut
détournée vers lřédification chrétienne. Je mentionnerai
pour mémoire le monumental traité de
Menville de Ponsan (1845). Lřautre domaine fut
celui des passions, qui ressortit étroitement du
catéchisme. La carrière fut ouverte par le baron
Alibert Ŕ médecin du roi Charles X de pieuse
mémoire Ŕ avec un ouvrage qui acquit par ses
qualités littéraires, ses portraits romancés et ses
délicates gravures, une grande popularité auprès
du public cultivé dès sa publication en 1825.
Parmi les successeurs dřAlibert on mentionnera
Descuret (1841), Belouino (1844), et Bourgeois
(1870), dont les ouvrages eurent également de
multiples éditions.
Les publicistes dont jřai parlé formaient le
troisième courant. Ils se préoccupaient quant à
eux de lřaspect social, voire politique, de la
sexualité. Les trois courants se chevauchaient
largement, profitant les uns des recherches et des
arguments des autres. Pour qui sřintéressait à la
sexualité, toute enquête un tant soit peu systématique
le mettait immanquablement en rapport
avec ces trois courants. Ce fut le cas de Krafft-
Ebing. Féru comme il lřétait de [47 ] références
bibliographiques, il puisa sans exclusive aussi
bien chez les uns que chez les autres au gré de
ses besoins.

Je souhaite répondre maintenant aux questions
suivantes : pourquoi Krafft-Ebing a-t-il
attendu 1890 pour parler de sadisme, sachant
quřil disposait déjà de ces sources depuis plusieurs
années, Ŕ les livres de Guyot, Taxil et
Coffignon étant respectivement de 1882, 1884 et
1888 ? Autre question : pourquoi ce fut Krafft-
Ebing qui « découvrit » le sadisme et non pas
lřun des célèbres aliénistes français mentionnés
plus haut ? Sans trop entrer dans des détails fastidieux,
je me contenterai de livrer de manière
dépouillée les résultats auxquels je suis parvenu.
Pour prendre en compte le sadisme, il a fallu
que Krafft-Ebing découvre dřabord le masochisme.
Cřest grâce au masochisme que le sadisme a
pu émigrer du domaine des littérateurs et des
publicistes vers celui du spécialiste ès aberrations
du sens génésique. Bien que de manière tout
empirique il soit parfaitement exact de dire que
le sadisme a précédé le masochisme, épistémologiquement
parlant il est nécessaire de conférer au
masochisme la préséance. Jřai la conviction
dřavoir pu restituer, par une étude minutieuse
des moindres modifications de lřopus-PS les voies
si mystérieuses de la création sur cet exemple
précis. Pour aller directement aux résultats, je
dirai donc que les premières éditions de la PS ont
établi Krafft-Ebing grand spécialiste des troubles
de la vie sexuelle. Sa clientèle privée sřest alors
accrue de malheureux, mal à lřaise au regard de
leur sexualité. À la suite de quoi les observations
nouvelles ajoutées à son ouvrage ont pris un
caractère plus franchement clinique que médicolégal.
Tout bien pesé, il me semble que cřest
lřécoute clinique qui a amené en dernière analyse
Krafft-Ebing à découvrir le masochisme. En
effet, certains de ses patients, avec une régularité
que nous pouvons suivre à la trace dans lřopus-
PS, se référaient à la Vénus en fourrure de Sacher-
Masoch (1870). Cela, joint à certaines rumeurs
qui couraient sur le compte de lřauteur, et dont
305
Krafft-Ebing était informé à bonne source, me
paraît avoir été déterminant.
La situation de cet écrivain à la fin du siècle
dernier mériterait une enquête approfondie. Je
me contenterai, cependant, de lřévoquer à travers
deux ou trois anecdotes typiques. Certains se
souviennent peut-être de la grande exposition
sur Vienne 1900 qui eut lieu sur le plateau Beaubourg
il y a quelques années. Elle motiva pour
moi lřachat chez un libraire spécialisé dřun livre
édité en 1878 et intitulé : Vienne & la vie viennoise.
Lřauteur Ŕ Victor Tissot Ŕ mřétait inconnu. Ma
curiosité fut récompensée au-delà de mes attentes
lorsquřen le feuilletant je tombai sur un chapitre
entier consacré à une visite à Sacher-
Masoch. De tout le volume cřest la seule visite à
un écrivain. Elle nous vaut ce quřon appelle une
interview piquante, nous restituant lřenvironnement
de lřécrivain à un moment donné. Et elle se
[48 ] termine par une allusion très adroite à la
Vénus à la pelisse (sic). En 1878 un Français sřintéressait
donc à Sacher-Masoch, et supposait que
ses lecteurs français pouvaient également sřy
intéresser. De la célébrité de Sacher-Masoch en
France on peut conclure en toute confiance à sa
notoriété en Autriche. Autre détail, les petites
annonces. Grâce à la Vénus en fourrure un code
sřétait établi permettant dřabréger et de crypter le
libellé des petites annonces insérées dans les
journaux à la rubrique du cœur. Lřallusion au
« Grec » nřavait pas besoin dřêtre développée
pour être comprise des destinataires. On sait que
Sacher-Masoch lui-même avait recouru lui-même
aux petites annonces. On trouve dřailleurs dans
lřopus-PS quelques spécimens de ces annonces.
Nous avons là encore un indice infaillible de la
popularité du romancier et de celle de sa Vénus
en fourrure.

3/ Déploiement
La parole pleine proférée par les patients de
Krafft-Ebing ne tombait pas dans lřoreille dřun
sourd. Lřimage des semailles serait pertinente.
Sřagissant dřailleurs des fleurs du mal, un peu
dřhorticulture ne messiérait pas. Le germe de la
parole pleine a poussé sur terreau dřune certaine
qualité et y a puisé la nourriture nécessaire à son
épanouissement. De plus, sa croissance ne sřest
pas faite de manière anarchique, mais plutôt
disciplinée, le long dřun tuteur particulier. Ces
métaphores naïves à dessein prêteraient à sourire
si elles étaient dépourvues dřarrière-pensées.
Lřinvestigation des maladies mentales et de
la pathologie de lřémotivité a posé tout au long
du XIX e siècle le problème de leur causalité. La
phrénologie, puis la découverte des localisations
cérébrales, avaient beaucoup pesé pour accréditer
lřhypothèse dřun substrat organique. Dans
quelques cas lřon réussit à mettre en évidence ce
substrat organique. Pensons à Bayle et à la paralysie
générale. Dans la plupart des cas ce ne fut
guère possible, et lřon parla de trouble sympathique.
Par la suite on trouva une autre expression
pour se tirer dřembarras, le trouble fonctionnel.
Et la problématique qui servit dřenvironnement
conceptuel au trouble fonctionnel fut
celle de lřinné et de lřacquis. Pour ne pas paraître
céder sur le substrat organique, les aliénistes se
rallièrent en masse à la thèse de lřinnéisme. En
1847 et 1850 furent publiés les deux volumes du
Traité de lřhérédité naturelle de Lucas. Quant au
Traité des dégénérescences de B.-A. Morel, il parut en
1857. Ces deux traités exercèrent une influence
considérable. Ils furent les deux sources auxquelles
les aliénistes, [49 ] entre autres, sřabreuvèrent
le plus volontiers. Lucas et Morel créèrent
une sorte de nouvel état dřesprit, de mentalité,
ou plutôt dřunivers mental. Cřest ce quřaujourdřhui
on dénomme chez les épistémologues un
nouveau paradigme.
306
Tous les travaux de Krafft-Ebing se situent
à lřintérieur de la nouvelle conjoncture théorique
due à Lucas et à Morel. Mieux encore, ils en sont
partie prenante, car tous les travaux de Krafft-
Ebing sont une défense et une illustration de la
théorie de la dégénérescence. Krafft-Ebing a
même fait plus. Par un aménagement dřune subtilité
confondante, il a conféré à cette doctrine la
toute-puissance théorique. Pour le détail, je renvoie
à son Traité Clinique de Psychiatrie 1 . Or, le
maître-mot de la doctrine est justement la notion
de terrain, ce qui nous ramène directement à
lřhorticulture.
Le cadre doctrinal est donc la théorie de la
dégénérescence. Le cadre conceptuel présente
chez Krafft-Ebing le même mélange dřoriginalité
et de traditionalisme. Lorsque la dégénérescence
frappe le sens génésique elle se manifeste par les
stigmates spécifiques de quatre névroses cérébrales.
Je les énumère avec leur définition descriptive
:
Paradoxie : Excitation sexuelle se manifestant durant
lřenfance ou troisième âge.
Anesthésie : Absence dřexcitation sexuelle après la
puberté. Cřest lřétat physiologique normal
durant lřenfance et au troisième âge.
Hyperesthésie : Excitation sexuelle anormalement intense.
Paresthésie : Excitation sexuelle par des stimuli inadéquats.
Je voudrais convier maintenant mon lecteur
à un exercice pratique. Son caractère élémentaire
ne devrait pas en faire sous-estimer lřintérêt.
Figurez-vous placé devant une pile de douze
volumes du même auteur, qui portent tous le
même titre, mais qui sont manifestement des
ouvrages différents. Comment parvenir à se faire
une idée des différences sans avoir à les lire un à
1 KRAFFT-EBING : Traité Clinique de Psychiatrie, trad. franç., 1897,
pp. 341-342.

un ? Ŕ On peut essayer dřabord dřutiliser des
critères objectifs et des procédés élémentaires.
La première constatation est que le livre nřa
cessé de grossir au cours du temps. Comme
toutes les éditions sont de la même typographie,
le relevé du nombre de pages de chacune est
pertinent. On constate ainsi que le livre a quad-
Désignation
de l’édition
Date de publication de
l’original allemand
[50 ]
Tableau I. ― « Opus Psychopathia Sexualis »
Nombre de
pages
307
ruplé de volume. Ce livre est composé de chapitres,
et les chapitres de sections et de soussections.
Nous avons là aussi dřautres critères
élémentaires permettant dřeffectuer des comparaisons
pertinentes entre les éditions, que ce soit
du point de vue architectonique ou quantitatif.
Le résultat est présenté sous forme de tableaux.
Traductions Date Traducteur(s)
PS1 1886 viii+110
PS2 1887 viii+148 Italienne 1889 Sterz & Waldhart
PS3 1888 viii+177
PS4 1889 viii+226
PS5 1890 viii+295
PS6 1891 ―
PS7 1892 ― Anglaise & Américaine 1892 Chaddock
PS8 1893 ― Française 1895 Laurent & Csapo
PS9 1894 x+414
PS10 1898 ― Anglaise & Américaine 1899 Rebman
PS11 1901 viii+420
PS12 1903 ix+437 Américaine 1906 Rebman
PS13 1907 (Fuchs) x+452
PS14 1912 (Fuchs) ―
PS15 1918 (Fuchs) ―
PS16-17 1924 (Moll) v+832 Française 1931 Lobstein
PS18 1937 (Hartwich) 317 Française 1949
Le premier tableau est celui des éditions et
des traductions de la PS. Je nřai pas pu consulter
toutes les éditions. Seules celles qui portent un
poinçon mřont été accessibles. Les dégâts occasionnés
dans les bibliothèques allemandes par les
autodafés nazis puis les obus de la Deuxième
guerre mondiale sont responsables de ces difficultés.
Si lřon tient compte aussi bien des traduc-
Le poinçon () signale les éditions que jřai pu consulter
tions que des éditions originales, une seule édition
mřaura finalement fait défaut, Ŕ la sixième.
Cela est dřautant plus désolant quřune note de la
PS7 indique que le sadisme et le masochisme y
firent leur première apparition 1 .
1 KRAFFT-EBING : Psychopathia Sexualis…, 7 e éd., 1892, traduction
anglaise, p. 146, note.

[51 ]
TABLEAU II. ― Évolution chiffrée des chapitres de la PS
Chapitres
Éditions I II III IV V VI (L) (C) (P)
12 8 52 21 16 110 68 38
PS1
12 7,50 47,50 20 14,50 100 % 62 34,50
13 9 83 22 20 148 103 68
PS2 9 6 56 15 13,50 100 % 69,50 46
13 8 112 22 21 177 133 95
PS3 7 4,50 63,50 12,50 12 100 % 74 54
13 8 162 21 21 226 183 141
PS4 6 3,50 72 9,50 9,50 100 % 81 62,50
13 9 218 21 32 295 250 198
PS5 4,50 3 74 7,50 11 100 %
328
85 67
PS6 100 %
22 12 323 22 56 432 379 301
PS7 5 3 76 5 13 100 % 87,50 69,50
22 11 320 21 69 442 389 297
PS8 5 3 76 5 13 100 % 87,50 69,50
28 19 425 28 94 595 519 395
PS8 trf 5 3 71,50 5 16 100 % 87 66,50
22 11 287 21 72 414 359 265
PS9 5 2,50 69 5 17,50 100 % 87 64
21 10 254 18 70 376 324 228
PS10 5,50 2,50 67,50 5 18,50 100 % 86 60,50
22 11 279 26 77 416 356 253
PS11 5 2,50 67 6 18,50 100 % 85,50 61
13 11 5 286 26 82 434 368 261
PS12 5 2,50 1 66 6 19 100 % 85 60
Lire en ordonnées les éd. successives de la PS.
Lire en abscisses les chapitres successifs du livre.
Dans chaque cellule, le chiffre du haut (en gras) fournit le nombre de pages, et celui du
bas (en maigre) son rapport au total des pages du livre (L).
(C) est la réunion des chap. IV et VI.
(P) représente la sous-section du chap. IV dévolue aux « Paresthésies ».
{Les informations concernant les PS6, PS7, PS8 et PS10 sont un complément dont je ne
disposais pas en 1989. Je signale ces éditions par un poiçon évidé .}
308

[52 ]
TABLEAU III. ― Progression des chapitres IV et VI
et de la sous-section des paresthésies sexuelles
309
PS1 PS12 Progression
Le Livre en entier (L) 110 434 400 %
Chap. IV : Neuro- et psychopathologie générales de la vie sexuelle 52 286 550 %
Chap. VI : La vie sexuelle morbide devant les tribunaux 16 82 500 %
Les paresthésies (P) 38 261 700 %
Les chiffres des deux premières colonnes représentent le nombre de pages. La troisième
colonne donne en pourcentages la progression intervenue entre la
première et la dernière édition de la PS
Le deuxième tableau décrit lřévolution quantitative
des chapitres au cours des rééditions. Il
contient une profusion dřinformations qui ne
nous [52 ] est pas directement utile ici. Lřessentiel
de ce que je souhaiterais souligner est repris
dans le troisième tableau. Ce sont les chapitres
IV et VI qui se sont accrus en des proportions
considérables. Le chap. IV passe de 52 pages
(PS1) à 286 pages (PS12)., soit une augmentation
de 550 %. En allant au détail, il se révèle quřune
sous-section de ce chapitre entre pour une part
essentielle dans cette évolution. Il sřagit de la
sous-section des paresthésies, autrement dit les
perversions sexuelles. Cette sous-section passe
de 38 pages (PS1) à 261 pages (PS12), soit une
augmentation de près de 700 %. Dans lřéconomie
du livre, on remarque quřelle occupait à la
PS1 le tiers du volume, et quřelle finit par occuper
à la PS12 les deux tiers 1 . Le déséquilibre est
1 {Une mise à jour est ici nécessaire. Cřest de la PS1 (1886) à la
PS7 (1892) que le nombre de pages a à peu près quadruplé. De la
PS7 (1892) à la PS12 (1903), le nombre de pages est resté à peu
près constant, malgré les nombreux remaniements. Il semble que
Krafft-Ebing et/ou son éditeur aient jugé à partir de 1892 que ce
livre devait conserver un format maniable. Ŕ Cette rectification
nřa pas dřincidence sur mes conclusions.} (Addition de 2012)
patent. Il nřy a pas de doute que la dynamique de
la création chez Krafft-Ebing ne se soit surtout
exercée dans ce domaine. Cette présomption est
ratifiée par lřexamen méthodique du texte.
Il nous incombe dřeffectuer une exploration
plus fine de la sous-section des paresthésies.
Progressivement, en effet, Krafft-Ebing a introduit
des subdivisions dans les grands groupes,
puis dřautres divisions à lřintérieur des subdivisions.
En déployant son imagination créatrice
dans la classification, Krafft-Ebing ne sřéloignait
pas de la tradition médicale de son époque. Mais
cette imagination créatrice ne sřest pas manifestée
de manière anarchique. Lřétude minutieuse
des détails montre quřelle sřest manifestée selon
quelques lignes de force en nombre limité.
La classification chez Krafft-Ebing suit les
procédés les plus répandus en médecine. Mais il
semble privilégier la classification par dichotomies
et le raisonnement par couples dřopposés,
en somme le binarisme. Il semble partager,
dřautre part, lřétat dřesprit des naturalistes, darwiniens
et néo-darwiniens, acquis à lřidée dřévolution,
partisans de la continuité. Dans cet esprit, la
classification est une structuration se détachant
sur fond de [53 ] continuité. Les formes mor-

ides, comme les formes de la vie, sřéchelonnent
donc sur un continuum.
Krafft-Ebing a bien choisi son moment
quand il sřest résolu de rédiger un manuel sur la
psychopathologie sexuelle. La conjoncture était
favorable et il a bénéficié de ce climat particulier.
Parmi les comportements qui donnaient prise à
des poursuites pénales et à des expertises
médico-légales, le groupe des comportements
pervers requérait une mention spéciale. Le
manuel de Tardieu était consacré pour moitié à
lřhomosexualité (masculine). Mais il est de fait
quřen France il nřy a pas eu à la fin du XIX e
siècle un mouvement revendicatif en faveur de la
sensibilité sexuelle contraire (conträre Sexualempfindung),
ainsi quřon lřobserve dans le monde
germanique. Les uranistes allemands étaient des
activistes. Lřun dřeux Ŕ Ulrichs Ŕ un juriste publiant
sous le pseudonyme de Numa Numantius,
était célèbre. Entre les années soixante et quatrevingt
du siècle dernier, il publia une bonne douzaine
dřouvrages en faveur dřun troisième sexe 1 ,
lřuranisme, quřil définissait : « Avoir une âme de
femme dans un corps dřhomme ». Non seulement
la France nřa pas eu son Ulrichs à cette
époque, mais aucun ouvrage de cet auteur nřa été
traduit en français. Krafft-Ebing publia la PS
dans ce climat particulier au monde germanique.
Pour répondre à cette conjoncture, il ajouta à
partir de la PS2 en sous-titre que son ouvrage
comprenait des recherches spéciales sur lřinversion
sexuelle (mit besonder Berücksichtigung der
conträren Sexualempfindung). Cette mention a été
maintenue jusquřà la PS12. Tant de constance
atténue le caractère opportuniste de cette mention.
Il serait possible de démontrer, en effet, que
lřélaboration de plus en plus raffinée des formes
de paresthésies sexuelles semble liée, chez
Krafft-Ebing, à un approfondissement de lřinversion
sexuelle. Il semble y avoir dans lřinver-
1 {Nous dirions aujourdřhui : troisième genre.}
310
sion sexuelle comme un levain incitant la créativité
de Krafft-Ebing à se déployer. La matrice
des transformations de la sous-section des paresthésies
sexuelles semble être, en tout cas, lřinversion
sexuelle 2 .
Pour mettre en branle lřactivité créatrice de
Krafft-Ebing en ce domaine il fallut un déclencheur.
Ce fut lřessai dřAlfred Binet sur « Le fétichisme
dans lřamour » (1887), Ŕ quřil serait bon
de rééditer 3 . Cette étude aussi célèbre que celle
de Lasègue sur les exhibitionnistes, posait à
Krafft-Ebing comme à tous les tenants de la
doctrine de la dégénérescence le problème de
lřinné et de lřacquis en des termes cliniques ne
permettant plus dřéchappatoires verbales. On ne
saurait surestimer lřimportance de cette étude
dřune quarantaine de pages publiée en deux
livraisons de la Revue Philosophique de la France &
de lřÉtranger animée par Théodule Ribot. La doctrine
de la dégénérescence en reçut un coup fatal.
Krafft-Ebing ne tarda pas à en percevoir son
importance. Plusieurs refontes de la sous-section
des paresthésies sexuelles semblent dues à une
confrontation de la théorie de la dégénérescence
avec lřapport de Binet en vue de sauver les
meubles. À partir des remaniements [54 ] de la
PS jřai cru pouvoir dénombrer trois (re)lectures
de ce texte de Binet.
Lřévolution de la sous-section des paresthésies
sexuelles sřest ainsi faite le long de trois
lignes de force : le binarisme, lřinversion sexuelle,
et la conception du fétichisme par Binet. On
pourrait nommer ces lignes de force des tuteurs.
Ceci pour le cadre conceptuel. Faute de
place je nřentrerai pas dans le détail de la théorie
des paresthésies chez Krafft-Ebing, son évolution,
et la place du sadisme et du masochisme
dans ce cadre. Je signale toutefois que jřai cru
percevoir une évolution chez Krafft-Ebing dřune
2 {Cřest ce que dans ma thèse jřai appelé le style de Krafft-Ebing.}
3 {Les éd. Payot en ont pris lřinitiative en 2000.}

conception franchement continuiste des perversions
sexuelles vers une conception pluraliste
larvée, Ŕ évolution que la mort de lřauteur a
brutalement interrompue sans que nous soyons à
mêmes dřen prévoir lřissue.
Mais je ne quitterai pas cette partie de mon
exposé sans vous signaler encore que la pensée
de Krafft-Ebing sřappuie aussi sur quelques notions
métapsychologiques occultes qui ont peutêtre
plus de portée quřon nřaurait tendance à le
croire. La pulsion sexuelle est, chez lui, la résultante
de trois vecteurs : la force du désir (Libido),
la force de lřinclination (Neigung) vers lřautre sexe,
et la puissance sexuelle (Potentia). La mort prématurée
de Krafft-Ebing nous a peut-être privés
de connaître tout le parti quřil était susceptible de
tirer de ce soubassement constant quoique officieux
de la PS.
Tableau IV. ― Quelques Fleurs du mal
fin-de-siècle
Dénominations Année Auteur
Frotteurs & Renifleurs
Conträre Sexualempfindug
Exhibitionnistes
Fétichistes
Masochisme (et Sadisme)
Mixoscopie (= Voyeurisme)
1867
1869
1871
1887
1890
1891
Tardieu
Westphal
Lasègue
Binet
Krafft-Ebing
Moll
4/ Accueil
Passons au quatrième tableau. Il montre que
le temps était à lřinventaire des formes que pouvaient
prendre les aberrations du sens génésique.
Je me suis arrêté à 1891 pour des raisons faciles à
comprendre. Dřautres formes dřaberrations du
sens génésique restaient encore à découvrir et à
décrire avant le tournant du siècle, et quelques
unes même au-delà. Il me suffisait dřindiquer que
311
le sadisme et le masochisme vinrent prendre leur
rang dans une [55 ] série où ils figurent comme
les contributions propres de Krafft-Ebing. Lřaccueil
qui leur fut réservé mérite de nous arrêter
quelques instants. Le cinquième et dernier tableau
en donne une idée précise.
Tableau V. ― Sadisme, Masochisme
& succédanés
1890 Krafft-Ebing Sadismus Masochismus
1892 Stefanowsky Sadisme Passivisme
1892 Kiernan Sadism Subjectivism
1892 Schrenck-
Notzing
Algolagnie
active
Algolagnie
passive
1892 Offner Aekialagnia Aekizolagnia
1892 Féré (Néant) Algophilie
sexuelle
1895 Eulenburg Lagnänomanie Machlänomanie
Le corps médical réagit au bout de deux ans
avec ensemble et sans considération de frontières.
Il y a cent ans le monde scientifique incomparablement
plus restreint quřaujourdřhui, et
la barrière des langues plus poreuse. Considérons
les trois premières lignes du Tableau V. Stefanowski
était russe, Kiernan américain, Krafft-
Ebing autrichien. Bien quřils eussent publié chacun
en sa langue, ils demeuraient bien informés
de leurs travaux respectifs.
Revenons au Tableau V. Il met en évidence
un accueil de nature plutôt polémique envers les
dérivés mis en circulation par Krafft-Ebing. Mais
une polémique sourde, comme embarrassée et
en porte à faux. Les contestataires ne songent
pas un instant à mettre en doute lřexistence de
ces comportements nouvellement baptisés par
Krafft-Ebing. En revanche, aucun ne se satisfait
des dénominations proposées par celui-ci, et chacun
y était allé de sa propre suggestion. Il existe
aujourdřhui une école anglo-saxonne dřépistémo-

logues qui nřaurait aucune difficulté à débrouiller
cet écheveau en recourant à la thèse de la découverte
simultanée. Selon cette école, les découvertes
scientifiques sont nécessitées. Étant donné
tel état de la science, et telles conditions de la
recherche, immanquablement telle découverte
devrait sřensuivre. Si Pasteur nřavait pas découvert
le vaccin de la rage, à quelques mois de là, et
au pire à quelques années, quelquřun dřautre lřaurait
fait à sa place. Mieux encore, plusieurs chercheurs,
travaillant dans des laboratoires distants
mais équipés plus ou moins semblablement, auraient
pu faire cette découverte à peu près simultanément.
Selon cette école, la découverte serait,
dans les sciences, la plus banale des choses. Tout
se jouerait aux dix dernières secondes. Je schématise,
certes, mais je ne crois pas caricaturer
pour autant la position de Lamb & Easton
(1984), par exemple.
En se plaçant à ce point de vue, on dira que
les chercheurs dont les noms suivent celui de
Krafft-Ebing sur le Tableau V, ont raté de peu la
[56 ] découverte du sadisme et du masochisme.
Autrement dit, nřétait Krafft-Ebing, lřun ou
lřautre dřentre eux aurait fait la même découverte
à peu de temps de là. Ils ne furent battus à la
course quřà la sortie de la dernière courbe. Leur
attitude embarrassée révèlerait leur ressentiment
dřavoir en quelque sorte été « doublés ». En
dřautres termes encore, il faudrait comprendre
leur attitude comme une revendication de priorité
un peu honteuse dřelle-même. En somme, la
querelle de mots à laquelle ils se sont livrés tiendrait
le lieu dřune querelle de priorité.
À lřappui de cette thèse on pourrait invoquer
dřailleurs le fait que celui dont le nom figure
en tête de liste Ŕ Stefanowsky Ŕ lřentendait bien
ainsi. Au surplus, il a gagné à sa cause Kiernan
lřAméricain et le Français Lacassagne.
Pour ma part, cette thèse ne me paraît pas
très convaincante. Pour ne prendre que ce seul
exemple, je demande qui dřautre que Freud
312
aurait pu découvrir lřinterprétation des rêves, ou
même lřinventer ? Les noms ne paraissent pas se
bousculer au portillon pour en témoigner. Je ne
veux pas dire quřil nřexiste point des découvertes
des découvertes (ou des inventions) simultanées,
particulièrement dans les applications technique
et industrielles des sciences, mais il ne me semble
pas pertinent dřen faire la règle pour le mouvement
scientifique lui-même. Je demeure acquis à
une vue plus traditionnelle du génie et de ses
fulgurances inattendues.
Je nřinterpréterai donc pas le Tableau V
comme une illustration de la thèse de la découverte
simultanée. Il me semble que la fièvre du
néologisme est plutôt, chez les contemporains de
Krafft-Ebing, une manifestation de lřidéologie
scientiste fin-de-siècle. Je mřexplique. La fièvre
du néologisme chez les rivaux de Krafft-Ebing
présuppose constamment un accord total sur les
faits. Ce qui les anime cřest un désir de dénommer
ces faits par des appellations adéquates.
Autrement dit, pour eux le nom doit être la
chose même. Leurs efforts tendent à franchir le
gouffre qui sépare inéluctablement le signifiant
du signifié. Ils nient le fameux principe saussurien
de lřarbitraire du signe. Dans un sens édulcoré,
nous pourrions diagnostiquer chez eux un
délire, mais un délire circonscrit, régional, dont
lřidéologie scientiste régnante suffit à rendre
compte.
Il serait aisé de prendre une à une les dénominations
concurrentes proposées par les rivaux
de Krafft-Ebing, et de démontrer cas par cas que
lřenjeu ne se situe nullement au niveau des mots.
Par le choix très révélateur des préfixes et des
suffixes chaque auteur implante la dénomination
quřil propose dans une théorisation personnelle.
Cřest à la théorie quřil est dévolu de nous faire
franchir le gouffre entre signifiant et signifié.
Lřépistémologie des scientistes fin-de-siècle nřétait
pas à la hauteur de leur science. En opposant
Krafft-Ebing des dénominations concurrentes,

ils ne percevaient pas clairement quřils sřopposaient
en fait à son système théorique, et je
dirais même à son univers mental. Je ne suis pas
sûr quřun changement de paradigme se préparait,
mais il me paraît certain que le paradigme où
sřétait déployée lřœuvre de Krafft-Ebing était en
train de sřeffriter. Une science éphémère Ŕ la
sexologie Ŕ fleurit [57 ] pendant une décennie
sur les débris de ce paradigme sans trouver un
terreau qui lui fut propre. Passer en revue sous
ce rapport les dénominations concurrentes qui
furent opposées à Krafft-Ebing serait sans doute
un exercice instructif.
5/ Escale
Une série de questions dřactualité se pose à
nous maintenant. Quelle la nature de ces aberrations
du sens génésique déguisées en fleurs du
mal ? Quelle sorte de théorie serait à même dřen
rendre compte ? Et que viennent faire la vie et
lřœuvre dřun Sade, dřun Sacher-Masoch, voire
dřun Restif de la Bretonne, en cette galère ?
Jřai mené le problème jusquřau seuil où de
pareilles questions peuvent se poser. Un seuil en
deçà duquel je propose néanmoins de faire halte.
On a paru ces derniers temps un peu trop
empressé à traiter ces questions brûlantes sans
préalable. Sřil y a toutefois une urgence quelconque
en la matière, ce serait ce me semble de
prendre le temps de la réflexion, et en conséquence
de différer quelque peu notre prochain
rendez-vous. La hâte de conclure est peut-être
une excellente chose, du moins en ce qui concerne
la logique de la découverte. Pour lřépistémologie,
en revanche, la patience demeure une
vertu cardinale.
313
BIBLIOGRAPHIE
Malgré son étendue, cette bibliographie passablement
commentée se limite aux références qui sont
en relation directe avec mon propos. Il mřa paru
néanmoins opportun de recommander les études de
Lanteri-Laura (1979), de Sulloway (1979), de Bonnet
(1983) et de Valas (1986-1988), à ceux qui souhaitent
aller avec de bons guides au-delà du seuil où prudemment
jřai fait halte. Jřai fait encore une autre
exception en faveur du livre de Bliss (1982) sur la
découverte de lřinsuline, et de celui de Delaporte
(1989) sur lřhistoire de la fièvre jaune. Si Bliss et
Delaporte avaient partagé la thèse de la découverte
simultanée nous aurions dû faire le deuil de leurs
ouvrages. Il mřa donc paru intéressant de signaler ces
livres avec la démarche desquels mon propre travail
présente quelques affinités. {Je nřai ajouté quřune
seule entrée : Villiers de lřIsle-Adam.}
ALIBERT, B on Jean Louis (1768-1837)
[1] 1825 : Physiologie des passions ou nouvelle doctrine des
sentiments moraux, 2 e éd. revue, corrigée et augmentée,
P, Béchet Jeune, 1826, 2 vol., in-8°,
cx+384 et 552 p., et planches.
(BN : 8° T 19. 88.A) (1 re éd., 1825 ; 2 e éd., 1826 ;
3 e éd. 1861 ; tr espagnole, 1826).
[58 ]
AZAR, Amine
[2] 1975 : Le Sadisme & le Masochisme innominés,
étude historique et épistémologique de la brèche de
1890. Thèse de 3 e cycle pour le doctorat en
Psychologie, dirigée par le Pr Jean Laplanche,
et soutenue devant lřUniversité Paris VII
(Censier) en décembre 1975. (Cf. la recension
de M. Dorothée, 1976.)
[3] 1986 : La Psychopathia Sexualis de Krafft-Ebing,
ou lřinvraisemblable célébration dřun centenaire,
in Psychanalyse à lřUniversité, 1986,
tome XI, n°44, pp. 709-713.

BARRAS, Louis
[4] 1913 : Le Fétichisme. Restif de la Bretonne fut-il
fétichiste ?, préface de J. Grand-Carteret. Ŕ Paris,
Maloine, xii+174 p. (Cette thèse de médecine est
équitablement consacrée pour moitié au fétichisme
et pour moitié au cas de Restif.)
BELOUINO, Paul (1810-1876)
[5] 1844 : Des Passions dans leurs rapports avec la
religion, la philosophie, la physiologie et la médecine
légale. 2 e éd. revue, corrigée et augmentée par
lřauteur. Ŕ Lyon et Paris, Perisse, 1853, 2 vol.,
in-8°, xi+413 et 444 p.
( 11844, 21853, 31863, 41873, 51883)
BINET, Alfred (1857-1911)
[6] 1887 : Le fétichisme dans lřamour, in Revue Philosophique
de la France & de lřÉtranger, 1887,
XXIV (2), pp. 143-167 et 252-274.
BLISS, Michael
[7] 1982 : La Découverte de lřinsuline. Ŕ Paris, Payot,
1988.
BOISTE, Pierre-Cl.-V. (1765-1824)
[8] 1834 : Dictionnaire Universel de la langue française,
avec le latin et les étymologies, 8 e éd. revue par
Charles Nodier. Ŕ P, Lecointe et Pougin, 1834,
in-4° oblong. (BN : Microfiche, M.307).
(1 re éd. 1800, avec Ballin et Bastien ; 21803,
seul ; 31823 ; ... ; 81834, revue par Nodier ;
101841, revue par Nodier et Barré.)
BONNET, Gérard
[9] 1980 : Lecture des perversions de G. Lanteri-
Laura… et de quelques autres, in Psychanalyse à
lřUniversité, 1980, tome V, n°18, pp. 365-372.
BOURGEOIS, L.-X. (1828-1872)
[10] 1860 : Les Passions dans leurs rapports avec la santé
et les maladies. LřAmour et le Libertinage. Ŕ P,
Baillières, 4 e éd. rev. et augm., 1877, in-12,
214 p. ( 11860, 21862, 31870.) (Lřauteur déclare
sans ambages, p. 170, que les prescriptions morales
de la religion chrétienne sont en parfaite harmonie
314
avec les lois de la nature, les enseignements de la
physiologie, et les règles de lřhygiène, dans lřaccomplissement
des fonctions génératrices.)
[59 ]
BOURGET, Paul (1852-1935)
[11] 1891 : Physiologie de lřamour moderne. Fragments
posthumes dřun ouvrage de Claude Larcher, recueillis
et publiés par Paul Bourget son exécuteur testamentaire.
Ŕ Paris, Lemerre, in-18, ix+435 p.
(Le terme de sadisme apparaît p. 345 dans un sens
que nous attribuons aujourdřhui au masochisme :
« Montrer quřil y a comme un sadisme personnel
dans notre complaisance dans certaines sortes de
douleurs, et la différence entre la souffrance qui
nous améliore et celle qui nous déprave. » Par
ŘŘsadisme personnelřř lřauteur entend incontestablement
un sadisme retourné sur soi. Moll (1891, trad.
franç., pp. 172-173) a discuté ce texte sans prendre
garde à ce mouvement de retournement de la pulsion
sur la personne propre.)
CASPER, Johann-Ludwig (1796-1864)
[12] 1856s : Traité pratique de médecine légale, rédigé
dřaprès des observations personnelles, trad. de lřallemand
sous les yeux de lřauteur par Gustave
Germer Baillière. Ŕ Paris, Librairie médicale
Germer Baillière, 1862, 2 vol., gd in-8°,
xxviii+439 et 608 p. (Le traducteur effectuait ce
que nous appelons aujourdřhui un séjour linguistique
dans la famille Casper, avec les membres de
laquelle il a conservé par la suite dřexcellentes
relations. En témoigne une copieuse correspondance
qui figure à mon portefeuille dřautographes.)
CHEVALIER, Julien
[13] 1893 : Une Maladie de la personnalité. Lřinversion
sexuelle : physiologie, sociologie, tératologie, aliénation
mentale, psychologie morbide, médecine judiciaire. Préface
de A. Lacassagne. Ŕ Lyon, Storck, in-16,
vi+xxiv+520 p.
COFFIGNON, A.
[14] 1888 : La Corruption à Paris. Ŕ P, Librairie Illustrée,
in-18, 5 e éd.,s.d., 401 p. et plans.

DAUZAT, A., DUBOIS, J., MITTERAND, H.
[15] 1971 : Nouveau dictionnaire étymologique et historique,
3 e éd. revue et corrigée. Ŕ P, Larousse,
1974, in-12, xlix+805 p.
DELAPORTE, François
[16] 1989 : Histoire de la fièvre jaune, naissance de la
médecine tropicale, présentation de G. Canguilhem.
Ŕ Paris, Payot.
DESCURET, Jean-Baptiste F. (1795-1871)
[17] 1841 : La Médecine des passions, ou les passions
considérées dans leurs rapports avec les maladies, les
lois et la religion. Ŕ P, Béchet Jeune & Labé,
1841, in-8°, xvi+783 p. (2 e éd., 1844, xv+
832 p.) (3 e éd., 1860) (Le chapitre sur le libertinage
porte en exergue un mot de Thalès : « Redoute
la volupté : elle est mère de la douleur. » Sade et
Sacher-Masoch contresigneraient, je crois, un
double renversement de cet aphorisme : Ne redoute
pas la douleur, elle est mère de la volupté.)
DOROTHEE, Michèle
[18] 1976 : Genèse du masochisme et du sadisme
chez Krafft-Ebing, in Psychanalyse à lřUniversité,
juin 1976, tome I, n°3, pp. 599-604. (Recension
critique de Azar, 1975.)
[60 ]
ECO, Umberto
[19] 1962 : LřŒuvre ouverte. Ŕ Paris, Seuil, coll.
« Points », 1979.
EULENBURG, Albert (1840-1917)
[20] 1895 : Sexuale Neuropathie, genitale Neurosen und
Neuropsychosen der Männer und Frauen. Ŕ Leipzig,
Vogel, in-8°, 164 p.
ÉVOLUTION PSYCHIATRIQUE (L’)
[21] 1971 : Journées annuelles de LřÉvolution Psychiatrique,
Toulouse, 6 et 7 décembre 1969 : la
conception idéologique de lřHistoire de la folie de
Michel Foucault, tome 36, fasc. 2, avril-juin
1971. (Prévoyant la réception malveillante qui lui
était réservée, M. Foucault déclina sa participation.)
315
FERE, Charles (1852-1907)
[22] 1892 : Pathologie des émotions, études physiologiaues
et cliniques. 2 e éd. revue. Ŕ P, Alcan, 1900, grand
in-8°, xii+605 p.
FOUCAULT, Michel (1926-1984)
[23] 1989 : Histoire de la folie à lřâge classique. Ŕ Paris,
Payot.
GENIL-PERRIN, Georges
[24] 1913 : Histoire des origines et de lřévolution de lřidée
de dégénérescence en médecine mentale. Ŕ Paris,
A. Leclerc, grand in-8°, 280 p. et errata. (Une
bonne cinquantaine de pages est consacrée à B.-A.
Morel en tant que promoteur dřun nouveau paradigme,
et une douzaine de pages se rapporte spécifiquement
à Krafft-Ebing.)
GUTTING, Gary (ed.)
[25] 1980 : Paradigms and Revolutions, appraisals and
applications of Thomas Kuhnřs Philosophy of Science.
Ŕ Notre Dame et Londres, University of Notre
Dame Press.
GUYOT, Yves (1843-1928)
[26] 1882 : Études de physiologie sociale Ŕ La Prostitution.
Ŕ Paris, Charpentier (Fasquelle), in-18, ii+
580 p., avec 25 graphiques.
JEANNEL, Julien-François (1814-1896)
[27] 1868 : De la Prostitution dans les grandes villes au
XIX e siècle et de lřextinction des maladies vénériennes...
Ouvrage précédé de documents relatifs à la prostitution
dans lřantiquité. Ŕ Paris, Baillière, in-18,
x+416 p. ; 2 e éd. refondue et complétée par
des doc. nouv., idem., 1874, in-18, x+647 p.
KIERNAN, James G.
[28] 1891 : Psychological aspects of the sexual
appetite, in The Alienist and Neurologist, april
1891, XII (2), pp. 188-219.
[29] 1892 : tra (peu fidèle) commentée de Stefanowsky
(1892), sous le titre de : Passivism. A
variety of sexual perversion, in The Alienist and
Neurologist, april 1892, XIII (4), pp. 650-657.

[61 ]
KRAFFT-EBING, Richard von (1840-1902)
[30] 1879 : Traité clinique de psychiatrie (…), trad. sur
la 5 e éd. allemande [1892] par le Dr Émile
Laurent. Ŕ Paris, Maloine, in-8°, vi+758 p.
[31] PS → Abréviation pour Psychopathia Sexualis.
Le chiffre qui suit indique lřédition. Pour les
éditions et les traductions, Cf. le Tableau I.
[32] 1890 : Neue Forschungun auf dem Gebiet der
Psychopathia Sexualis, eine medicinisch-psychologische
Studie. Ŕ Stuttgart, Enke, in-8°, vi+80 p. (Cette
première édition comporte deux chapitres, la première
consacrée au masochisme et au sadisme, la
seconde à lřinversion sexuelle. Lřannée suivante
(1891) en fut publiée une seconde édition augmentée
de deux chapitres, lřun consacré au fétichisme
érotique, lřautre à ce que nous nommons transsexualisme,
elle comptait vi+131 p. Le contenu de
cet ouvrage fut alors versé à la PS7 (1892), et il
nřeut plus de raison dřêtre.)
KUHN, Thomas S. (1922-1996)
[33] 1962 : La Structures des révolutions scientifiques. Ŕ
Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1983. (La
notion de paradigme est la grande contribution de
cet ouvrage. Pour une évaluation de lřapport de
Kuhn on se reportera au recueil édité par
G. Gutting, 1980.)
LACASSAGNE, Alexandre (1843-1924)
[34] 1899 : Vacher lřÉventreur & les crimes sadiques.
Lyon : Storck / Paris : Masson, in-8°, iv+
314 p., illustr.
LAMB, D., & EASTON, S.M.
[35] 1984 : Multiple Discovery, the Pattern of Scientific
Progress. Ŕ Londres, Avebuty.
LANDAIS, Napoléon (1804-1852)
[36] 1834 : Dictionnaire Général & Grammatical des
Dictionnaires Français. Ŕ Paris, Au Bureau Central,
2 vol., in-4°, fig. (3 e éd., 1836, 2 vol., in-4°)
(12 e éd. revue par une société de savants sous
la direction de D. Chesurolles et L. Barré,
1853, 3 vol., in-4°)
316
LANTERI-LAURA, Georges (1930-2004)
[37] 1979 : Lecture des perversions. Ŕ Paris, Masson.
(Cf. la recension de G. Bonnet, 1980, et ma
propre mise au point in Azar, 1986.)
LASEGUE, Charles (1816-1883)
[38] 1877 : Les exhibitionnistes, repris in Études
Médicales (Paris, Asselin & Cie, 1884), tome I,
pp. 692-700, repris également in Écrits Psychiatriques
(Toulouse, Privat, 1971), pp. 107-113.
LUCAS, Prosper (1808-1885)
[39] 1847-1850 : Traité philosophique & physiologique de
lřhérédité naturelle dans les états de santé et de maladie
du système nerveux, avec lřapplication méthodique
des lois de la procréation au traitement
général des affections dont elle est le principe.
Ouvrage où la question est considérée dans ses
rapports avec les lois primordiales, les théories
de la génération, les causes déterminantes de la
sexualité, les modifications acquises de la
nature originelle des êtres, et les diverses
formes de névropathie et dřaliénation mentale.
Ŕ Paris, Baillière, tome I, 1847, xxiv+626 p. ;
tome II, 1850, 936 p. pp. (Cet ouvrage servit
de fondement idéologique à Zola dans la conception
des Rougon-Macquart.)
[62 ]
MARC, Ch.-Chrétien-Henri (1771-1841)
[40] 1840 : De la Folie considérée dans ses rapports avec
les questions médico-judiciaires. Ŕ Paris, Baillières, 2
vol., in-8°, xxiii+580 et 738 p.
MENVILLE DE PONSAN, Ch. F. (1805- ?)
[41] 1845 : Histoire philosophique et médicale de la femme
considérée dans toutes les époques principales de la vie,
avec ses diverses fonctions, avec les changements
qui surviennent dans son physique et
son moral, avec lřhygiène applicable à son sexe
et toutes les maladies qui peuvent lřatteindre
aux différents âges. 2 de éd. revue, corrigée et
augmentée de tout ce qui peut contribuer à la
santé et au bonheur des deux sexes. Ŕ Paris,

Baillière & fils, Labé & Amyot, 1858, 3 vol.,
in-8°, xii+507, 544 et 606 p.
MOLL, Albert (1862-1939)
[42] 1891 : Les Perversions de lřinstinct génital, étude sur
lřinversion sexuelle basée sur des documents officiels,
préface de Krafft-Ebing, trad. de lřallemand
par le Dr Pactet et le Dr Romme. Ŕ Paris,
Carré, 1893, in-8°, ix+326 p. (Un procès pour
outrage public aux bonnes mœurs frappa lřéditeur
qui fut acquitté par un jugement du 19 mai 1893. À
partir du 3 e tirage, les pièces du procès ont été
reproduites en tête du volume. Le 6 e tirage a été
publié par Carré & Naud, 1897, xxxvi+ix+326 p.
Par la suite le livre fut diffusé par la firme Masson.)
MOREL, B.-A. (1809-1873)
[43] 1857 : Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles
et morales de lřespèce humaine. Ŕ Paris, Baillières,
in-8°, 700 p. et atlas de 12 p. in-4°.
NODIER, Charles (1780-1844)
[44] 1808 : Dictionnaire raisonné des onomatopées françaises.
Reproduction en fac-similé de la 2 de éd. de
1828, précédée dřune étude de H. Meschonnic. Ŕ
Mauzevin, éd. TER, petit in-8°, 111+408 p.
ORFILA, M. J. B. (1787-1853)
[45] 1813 : Leçons de médecine légale. Ŕ Paris, Béchet
Jeune, 2 e éd. revue, corrigée et augmentée,
1828, in-8°, 3 vol., et un atlas.
PARENT-DUCHATELET, A.-J.-B. (1790-1936)
[46] 1836 : De la Prostitution dans la ville de Paris,
considérée sous le rapport de lřhygiène publique, de la
morale et de lřadministration ; ouvrage appuyé de documents
statistiques puisés dans les archives de la Préfecture
de Police ; avec cartes et tableaux,..., précédé
dřune notice historique sur la vie et les ouvrages
de lřauteur par Fr. Leuret. Ŕ Paris, Baillière,
2 vol., in-8°, xxiv+624 et 580 p. (BN:8° Tc 51.3)
( 11836 ; 21837 ; 31859, revue par A. Trébuchet
et Poirat-Duval)
317
POSTEL, Jacques
[47] 1983 : La paralysie générale, in Postel &
Quétel, Nouvelle histoire de la psychiatrie (Toulouse,
Privat, 1983), pp. 322-333.
SACHER-MASOCH, Léopold de (1836-1895)
[48] 1870 : La Vénus en fourrure. Ŕ Deux éd. franç.
sont à signaler, la 1 re , traduite par Aude Willm,
agrémentée dřillustrations, et précédée dřune étude
magistrale de Gilles Deleuze (Paris, éd. de Minuit,
1967, reprise in collection « 10/18 », 1971). Lřautre
procurée par D. Lewers (Livre de Poche, 1975,
reprise par Press Pocket en 1985).
[63 ]
SAINTE-BEUVE, Ch.-A. (1804-1869)
[49] 1862 : Salammbô par M. Gustave Flaubert,
repris in Nouveaux Lundis, Paris, Lévy, 1865,
tome IV, pp. 31-94. (Lřallusion à « une pointe
dřimagination sadique » se mêlant à ses descriptions
déplût à Flaubert. Sa réplique est
reproduite au même volume, pp. 435-448.)
SCHRENCK-NOTZING, A. von (1862-1929)
[50] 1892 : Die Suggestions-Therapie bei krankhafften
Ersscheinungen des Geschlechtssinnes, mit besonderen
Berücksichtigung der conträren Sexualempfindung. Ŕ
S, Enke, in-8°, xvii+314 p.
[51] ● 1896 : Therapeutic Suggestion in Psychopathia
Sexualis (Pathological Manifestations of the Sexual
Sense) with Especial Reference to the Contrary Sexual
Instinct, Authorized translation from the German
by C.G. Chaddock, M.D. Ŕ Philadelphia,
F.A. Davis Co. / London, F. J. Rebman, in-8°,
1896, xix+319 p. (Comporte une postface inédite.
En France on a boudé cet ouvrage. La discussion
terminologique se trouve p. 121, Max Offner est
cité à la même page. La discussion terminologique
est reprise à lřappendice p. 318. À la p. 296 on
trouvera consignée lřinfluence de la lecture de la PS
de Krafft-Ebing sur les rêves dřun patient.).
(Rééditée avec une introd. de H. Guze, New
York, Institute for Research in Hypnosis et
Julian Press, 1956, grand in-8°, xvi+320 p.)
[52] ● 1897 : La Terapia Suggestiva delle psicopatie
sessuali, con speciale riguardo allř inversione sessuale...,

Traduzion dal tedesco. Ŕ Torino, Bocca, 1897,
in-8°, xii+260 p. (Sans mention de traducteur.
Inclut la postface de lřédition américaine, inédite en
allemand.)
STEFANOWSKY, Dimitri de
[53] 1892 : Le Passivisme, in Archives dřAnthropologie
Criminelle, mai 1892, pp. 294-298. (Cf. Kiernan,
1892, pour la traduction américaine.)
SULLOWAY, Krank J.
[54] 1979 : Freud Biologist of the Mind, bByond the
Psychoanalytic Legend. Ŕ New York, Basic Books,
gd in-8°, XXVI+ 612 p., illustr., bib. & index.
[55] ● Trad. franc. (1981) : Freud biologiste de lřesprit,
trad. de lřaméricain par Jean Lelaidier, avantpropos
du Pr A. Bourguignon. Ŕ Paris, Fayard,
1981, gd in-8°, XXV+597. (Le débat autour de la
thèse principale a malheureusement repoussé à
lřarrière-plan les précieuses études de détail qui font
le véritable intérêt de ce livre, parmi lesquelles il
faut compter les généreux aperçus dispensés au
chap. 8 touchant Freud et les sexologues.)
TAXIL, Léo (1854-1907)
[56] 1884 : La Prostitution contemporaine, étude dřune
question sociale. Ŕ Paris, Librairie Populaire, s.d.
[1884], in-8°, 508 p., pl.
[57] 1891 : La Corruption fin-de-siècle. Ŕ Paris, Noirot,
in-18, 428 p. (Réédition chez Carré, 1894,
in-18, vii+428 p.
TARDIEU, Ambroise (1818-1879)
[58] 1857 : Étude médico-légale sur les attentats aux
mœurs. Ŕ Paris, Baillière, 51867, in-8°, viii+
264 p. et 4 planches. ( 11857, 21858, 31859,
41862, 51867, 61873, 71878)
ULRICHS, Karl Hienrik (1825-1895)
Ce juriste a publié sous le pseudonyme de Numa
Numantius.
On trouvera une bibliographie de son abondante
production chez Tarnowskii, LřInstinct sexuel (Paris,
Carington, 1904), pp. 292-293. Suivant Havelock-
Ellis, in Études de psychologie sexuelle (Paris, Cercle du
Livre Précieux, 1964 et suiv.), tome I, p. 340, note,
318
les œuvres complètes dřUlrichs ont été éditées en
1898 par la maison Max Spohr, à Leipzig.
[64 ]
VALAS, Patrick
[59] 1986-1988 : Freud et la perversion, in Ornicar ?,
1986, 39, pp. 9-50 ; 1987, 41, pp. 53-66 ; et
1988, 45, pp. 14-43.
VIGNY, Alfred de (1797-1863)
[60] 1932 : [Œuvres Complètes :] Le Journal dřun Poète,
tome I er, (1823-1841), notes et éclaircissements
de Fer. Baldesperger. Ŕ Paris, Conard, 1935,
in-8°, xxii+623 p. (« Sadisme » est à la p. 428.)
VILLIER DE L’ISLE-ADAM (1838-1889)
[61] 1886 : Le sadisme anglais. Repris in OC, II, pp.
287-294, et notice pp. 1241-1246. (Chronique
féroce parue le 18 sept. 1886 dans un quotidien.
Cřest une œuvre de circonstance née de
la rencontre entre deux sujets dřactualité : la
poésie de Swinburne et les scandales sur la
prostitution des enfants qui venaient dřéclater
à Londres. Texte repris dans les Histoires Insolites
[1888]. Il est dédié à Huysmans qui sřétait
référé au sadisme à plusieurs reprises dans À
Rebours [1884], et qui commençait peut-être à
rassembler de la documentation pour son
roman satanique Là-bas [1891]. Dans cet ouvrage
les crimes ŘŘsadiquesřř de Gilles de Rais,
commis sur des enfants, se taillent la part lion
en concurrence avec les messes noires.)
[62] 1986 : [OC] Œuvres Complètes. Ŕ Paris, Gallimard,
Bibliothèque de la Pléiade, 2 vol. in-12.
WESTPHAL, Carl F. O. (1833-1890)
[63] 1869 : Die conträre Sexualempfindung. Symptom
eines neuropathischen (psychopathischen)
Zustandes, in Archiv. f. Psychiatr. u. Nervenkrankeiten,
1869, I (2), pp. 73-108. (Dans la plupart
des bibliographies le millésime retenu est le
plus souvent 1870.)

Le Sadisme & le Masochisme innominés / II e Partie / Complément n° 4, pp. 319-320
● Source
AMINE A. AZAR : Les malheurs hexagonaux de Krafft-Ebing continuent
de plus belle, in ’Ashtaroût, cahier hors-série n°2, décembre 1999,
pp. 125-126. @
Recension de
KRAFFT-EBING, Richard von
1999 : Psychopathia exualis, étude médico-légale à lřusage des
médecins et des juristes, par le Dr Richard von Krafft-
Ebing, ancien professeur de psychiatrie à lřUniversité de
Vienne, édition refondue par le Dr Albert Moll,
traduit de lřallemand par René Lobstein, bibliothécaire
à la Faculté de Médecine de Paris, préface
du Dr Pierre Janet de lřInstitut, professeur
au Collège de France, Paris, Pocket, collection
« Agora » n os 204, 205 et 206, 3 vol. in-12 sous
coffret, 391, 387 et 359 p. [ 3 fois 60 F ]
Voici un très beau coffret-cadeau quřon
trouvera facilement dans toutes les sex-shops de
France, de Navarre et dřoutre-mer. La série des
médaillons de Victor Brauner qui illustrent les
couvertures et le coffret est exquise. Les volumes
sont légers et souples. On peut les tenir dřune
seule main pour laisser lřautre libre. Précisons
toutefois que les passages croustillants, rédigés
en latin, sont conservés en latin.
Le prix en est joliment étudié : 180 F. On
prétend publier cette œuvre en collection de
Les Malheurs hexagonaux de Krafft-Ebing
continuent de plus belle
319
poche, autrement dit on prétend la mettre à la
portée des petites bourses, tout en conservant le
prix dřune édition courante au format in-8°. On
ne perd pas le nord chez messieurs Pocket du
côté de la rentabilité !
Précisons encore que lřouvrage quřon nous
propose est attribué abusivement à Krafft-Ebing
(1840-1902). Il sřagit en réalité dřun ouvrage de
Moll qui usurpe avec outrecuidance lřœuvre de
son maître. Une lecture même distraite de ce
livre nous montre que Krafft-Ebing nřy a de part
quřau titre de citations parcellaires, et cela à égalité
avec dřautres références à la littérature spécialisée,
Ŕ ni plus ni moins. Le livre de Moll a été
publié en allemand en 1924, et traduit en français
en 1931 pour le compte des éditions Payot, avec
tout de même cette attribution usurpée à Krafft-
Ebing. Jřai dénoncé cette supercherie (ou escroquerie
?) il y a quinze ans :
→ Cf. « La řřPsychopathia Sexualisřř de Krafft-
Ebing ou lřinvraisemblable célébration dřun
centenaire », in Psychanalyse à lřUniversité, octobre
1986, tome XI, n° 44, pp. 709-713.
Lřéditeur et le directeur de collection furent
alors dûment informés. Le résultat ne se fit pas
trop attendre. En 1990, M. Thierry Garnier, un
jeune et dynamique libraire-éditeur de la rue de
Vaugirard, ayant repris le fonds Bonnier-
Lespiaut, réimprima à grands frais une édition
reliée du même volume (au prix de vente de
450 F env. lřexemplaire), il est vrai avec une très
jolie couverture. Et maintenant cřest le groupe

Plon qui nous remet ça en changeant de formule,
mais avec une couverture encore plus exquise.
Belle émulation.
Les amateurs de Krafft-Ebing, sřil y en a
dřaventure, trouveront facilement son œuvre en
traductions américaines fiables, avec en prime les
passages latins également traduits.
Le travail de Moll nřest pas dénué dřintérêt,
ne serait-ce que par le boycott absolu de Freud et
de la psychanalyse, un boycott commis en toute
connaissance de cause. Le même boycott est
reconduit par Pierre Janet dans sa préface. Cřest
vilain, mais cřest humain ! Tous les grands savants
ont aussi leurs petits côtés. Néanmoins, ce
double boycott et lřinsistance des éditeurs parisiens
à débiter de la contrefaçon pendant de si
nombreuses décennies pourraient nous faire
croire à une conspiration. Il nřen est rien, bien
évidemment. Lřhonneur est sauf. La bêtise est
vraiment seule en cause.
De deux choses lřune. Ou bien lřon veut
absolument rééditer lřœuvre de Moll, et en ce cas
il faudrait par décence envers les mânes de
Krafft-Ebing remplacer son nom sur la couverture
par celui de Moll. Ou bien lřon veut effectivement
éditer la Psychopathia Sexualis de Krafft-
Ebing. Là aussi deux solutions se présentent.
Soit lřon se résout à commanditer une traduction
française nouvelle fondée sur la 12 e et dernière
édition de la Psychopathia Sexualis, procurée par
Krafft-Ebing lui-même, et publiée à titre posthume
en 1903. Soit, à défaut, lřon réimprime à
moindres frais la traduction française existante,
publiée par Laurent et Csapo en 1895 chez Carré
(Paris) et diffusée par la suite par les éd. Masson,
et fondée sur la 8 e éd. allemande de 1893.
320
Cřest bien simple ! Cřest même trop simple !
Et pourquoi donc faire simple si on peut faire
compliqué lorsquřil sřagit de la Psychopathia Sexualis
de Krafft-Ebing ? Ŕ Je vous le demande.
Références
AZAR, Amine A.
1975 Le Sadisme et le masochisme innominés, étude historique et
épistémologique de la brèche de 1890, Thèse pour le
doctorat en psychologie dirigée par le P r Jean
Laplanche, et soutenue devant lřUniversité Paris-
VII (Censier) le 9 décembre 1975, in-4°, 262p.
[Recensions par Michèle Dorothée (1976) et par
Michel Delon (1979).]
1986 La řřPsychopathia Sexualisřř de Krafft-Ebing ou
lřinvraisemblable célébration dřun centenaire, in
Psychanalyse à lřUniversité, oct. 1986, tome XI, n° 44,
pp. 709-713.
1993 Émergence et accueil fin de siècle du sadisme et du
masochisme, in Psychanalyse à lřUniversité, 1993, tome
XVIII, n° 69, pp. 37-67. [Reprise dřune conférence
donnée au Collège des Hautes Etudes Psychanalytiques le
11 janvier 1989, avec comme discutants Jacques
Postel et Jacques Nassif.]
DELON, Michel
1979 « Dix ans dřétudes sadiennes », in Dix-Huitième
Siècle, 1979, n° 11, pp. 393-426.
DOROTHEE, Michèle
1976 « Genèse du masochisme et du sadisme chez
Krafft-Ebing », in Psychanalyse à lřUniversité, juin
1976, tome I, n° 3, pp. 599-604.

Le Sadisme & le Masochisme innominés / II e Partie / Complément n° 5, pp. 321-343
● Source
AMINE A. AZAR : L’instance de l’autre∙jouisseur illustrée par des
exemples pris chez Zola, Schreber & le marquis de Sade, publié in
’Ashtaroût, cahier hors-série n° 5, décembre 2002, pp. 22-40. @
NOTE LIMINAIRE
La séance du samedi 7 septembre 2002 du Séminaire de perfectionnement
consacré au texte de Freud (1917c), « Sur les transpositions de pulsions plus
particulièrement dans lřérotisme anal », a été transcrite par Eddy Chouéri et
par Pascale Mrad. Le texte revu, remanié et augmenté Ŕ notamment les
références au président Schreber et au marquis de Sade ayant été considérablement
développées Ŕ et précédé dřune présentation dřEddy Chouéri a
fait lřobjet dřun numéro spécial de řAshtaroût, bulletin volant n° 2002·0907
~ septembre 2002, 33 p. On trouvera ci-dessous une version contractée de
ce texte, réduite à la présentation de lřinstance de lřautre·jouisseur.
I. Ŕ Préambule
1. Le cadre métapsychologique
2. Libido & caractère
3. Le corps est le réservoir des tropes
4. Les deux principes de lřérotisme anal
5. Mise en équation des trois dialectes pulsionnels
6. Questions de méthode
II. Ŕ Lřautre·jouisseur
7. Comment lire « La Terre » de Zola
8. Lřérotisme anal dans « La Terre » de Zola
9. Lřordre des choses
10. Lřautre·jouisseur dans « La Terre » de Zola
11. La Théodicée du président Schreber
12. Le drame du libertin suivant le marquis de Sade
13. Comment lutter contre lřautre·jouisseur ?
14. Rencontre entre Abou el- cAbed & le divin Marquis
15. Analité & violence chez Sade & Zola
III. Ŕ Conclusions
16. Résumé
17. À tout seigneur tout honneur
18. Le corps propre en tant quřautre·jouisseur
19. La Loi du Talion
REFERENCES
Lřinstance de lřautre·jouisseur illustrée par des exemples
pris chez Zola, Schreber & le marquis de Sade
321
I.
Préambule
1
Le cadre
métapsychologique
Envisager dřintroduire dans lřappareil·dřâme
une instance nouvelle est une grave décision, et
je ne mřy hasarde pas sans hésitation.
Du point de vue topique, lřinstance que jřai
décidé de dénommer lřautre·jouisseur est une différenciation
du Moi. Du point de vue génétique, il
se peut que cette instance sřagglutine au Surmoi
lorsque cette dernière instance se sera différenciée.
Mais je répugne à faire de lřautre·jouisseur
le précurseur du Surmoi. Car cela impliquerait la
dissolution et lřintégration de lřautre·jouisseur
dans le Surmoi, alors quřau contraire je pense
que lřinstance de lřautre·jouisseur conservera
toujours son individualité propre, et quřau surplus
je conçois lřinstance du Surmoi comme un
agrégat nullement intégré.
Cřest toutefois le point de vue dynamique
qui motive lřintroduction de cette instance. Un
bref rappel de ce à quoi nous sommes parvenus
dans nos investigations autour de la Sexualthéorie
est nécessaire pour préciser ce point (AZAR,
2002a et 2002b).
La sexualité humaine regroupe trois composantes
autonomes : le choix dřobjet, la fonction
sexuelle, et le registre libidinal. Le registre libidinal
comporte à son tour trois régimes. Le premier
régime est celui de la sexualité polymorphe ;
le deuxième régime (ou régime intermédiaire)
regroupe les trois organisations paragénitales

(orale, anale, phallique) ; et le troisième est le
régime de lřidéal. Il est à remarquer cependant
que nous en sommes également parvenus à détacher
ces trois régimes libidinaux à la fois du
stadisme et dřun quelconque amarrage corporel.
Peu de temps après la naissance, ces trois régimes
sont présents dřune façon ou dřune autre
puisque des adultes entourent le nouveau-né.
Mais ils entrent en fonction de manière successive,
parce quřil faut à chaque fois quřune action
psychique nouvelle intervienne pour quřun nouveau
régime libidinal sřinstitue.
Lřaction psychique qui provoque lřinstauration
du régime libidinal intermédiaire (avec ses
trois répertoires : oral, anal et phallique) est justement
lřémergence de lřinstance de lřautre·jouisseur Ŕ
qui fait lřobjet de cette étude.
Quant à lřinstauration du régime libidinal de
lřidéal, elle réclamera une double action psychique.
La première est celle que nous avons dénommée
le « fantasturbaire », et la seconde celle
que Freud a lui-même dénommée les « conditions
dřamour » (Liebesbedingungen), Ŕ à chacune
desquelles nous avons consacré déjà de multiples
investigations 1 .
Pour que ce rappel schématique soit à peu
près complet, il est encore nécessaire dřajouter
un mot au sujet du régime libidinal intermédiaire.
Nos investigations nous ont amenés à placer ce
régime libidinal sous la domination du narcissisme
et du sadisme. Dire quřil est sous le gouvernement
du sadisme revient à dire quřil est un
moyen de défense contre lřautre·jouisseur ; et
dire quřil est sous le gouvernement du narcissisme
revient à dire quřil consiste à prendre le Moi
comme objet libidinal.
1 Sur le fantasturbaire cf. FREUD (1899), et AZAR (2000a, 2001c et
2002b). Sur les conditions·dřamour, cf. FREUD (1910h et 1912d),
et AZAR (2001b et 2001c).
322
2
Libido
& caractère
Une question préalable doit encore être résolue.
Est-il bien vrai que le régime libidinal
intermédiaire existe et quřil comporte trois
dialectes pulsionnels ? La réponse est : oui, Ŕ
preuve en est le caractère. Ces trois dialectes pulsionnels
existent de même quřil existe des optimistes,
des avares ou des entêtés, et des rouspéteurs.
On observe en effet des conduites que la
psychanalyse met au compte de traits de caractère
oral, anal et phallique. Suivant la doctrine
psychanalytique, ces traits de caractère doivent
être reconduits à leurs prétendues sources pulsionnelles,
à savoir les zones érogènes du corps.
Inversement, on fait procéder les traits de caractères
(à partir de lřérotisme oral, anal ou phallique)
par une opération désignée par Freud dřun
terme un peu bizarre : Aufzehrung. Strachey rend
ce terme en anglais par : assimilation. Quant aux
traducteurs français, ils ont choisi : consommation.
Ainsi, à part dřêtre refoulées ou sublimées, les
motions pulsionnelles des érotismes oral, anal et
phallique sont vouées « à être consommées par
transposition en attributs du caractère » (La Vie
sexuelle, p. 107).
Pour notre part, nous considérons que cřest
là se payer de mots, et nous considérons que les
traits de caractère oral, anal et phallique ne sont
rien dřautre que lřérotisme oral, anal et phallique.
3
Le corps est le
réservoir des tropes
Arrêtons-nous un instant à cette question du
rapport dřune zone érogène à un certain type
dřérotisme et de là à certains traits de caractère.
Et prenons lřexemple de lřérotisme anal. La meilleure
étude publiée sur ce sujet est sans conteste
celle de Béla Grunberger (1960). Se référant à

cette étude quelques années plus tard, voici ce
que lřauteur trouvait à y relever dřintéressant 1 :
Dans un travail antérieur nous avons ramené
lřagressivité sadique-anale au fonctionnement de
lřappareil digestif lui-même, en particulier à celui de
lřintestin qui comprime, homogénéise et fécalise, et
de lřanus qui retient et expulse.
On est confondu par tant de naïveté et de
candeur. On nřest pas médecin et matérialiste
pour rien. Le même auteur élève les fantasmagories
puériles de Ferenczi dans Thalassa au rang
de « spéculations grandioses », et admire la prétendue
« bio-analyse » que le même Ferenczi a
cherché à promouvoir au titre de science, alors
que ce nřest pas même de la science-fiction.
Grunberger nřest pas seul à donner dans ce
genre dřenfantillage.
Nous devrions parvenir à proposer quelque
chose de plus pertinent que ce que les psychanalystes
proposent dřhabitude à propos des organisations
para-génitales. Si le corps et ses zones
érogènes ont quelque chose à voir avec ces organisations-là,
ce nřest assurément pas de cette
façon simpliste. Que répondre à quelquřun qui
vous dit que celui qui profère des jurons ou des
insultes utilise sa bouche comme un anus ? Dans
cette assertion, lřanus est métaphorique. Cet usage
nřest-il pas légitime ? De même, ne pourraiton
pas considérer que lřentêtement est une métaphore
de la constipation ?... Le corps nřest-il pas
le réservoir des métaphores, des métonymies, de
tous les tropes ?... Non vraiment la biologie nřa
absolument rien à voir là-dedans.
4
Les deux principes
de l’érotisme anal
Pour ma part, ce qui mřintéresse dans lřorganisation
anale ce sont les notions de rendement et
de circuit fermé. Et lřérotisme anal me paraît pou-
1 GRUNBERGER (1971), Le Narcissisme, p. 325.
323
voir être réduit à quelques principes, parmi lesquels,
dřune part, le rendement, lřutilitarisme, la
productivité et le pragmatisme. Dřautre part, le
circuit fermé. Utilitarisme et circuit fermé, ce
sont à mes yeux les deux axiomes essentiels pour
définir lřérotisme anal. Il se pourrait quřil y ait
dřautres axiomes à leur ajouter. Il faudra y réfléchir,
et les problèmes qui attendent dřêtre débrouillés
sont multiples.
Quand on procède ainsi Ŕ en répertoriant
des conduites Ŕ on finit par ne plus distinguer
lřérotisme anal du caractère anal. Et pourquoi
donc les distinguer ? Seule lřadhésion étroite à la
conception dřun développement libidinal suivant
des stades obligerait à le faire. Or justement nous
nřy adhérons pas.
En faisant un pas de plus dans cette direction,
nous pourrions dire que le caractère anal est
une sorte dřidéologie, une idéologie anale. Et
quřest-ce quřune idéologie ? Cřest un système
dřidées qui déterminent des actions, des conduites,
un mode de vie. Les termes de « plaisir » et
de « jouissance » sont trop ambigus, mieux vaut
parler de « modes de vie ». Le régime libidinal intermédiaire
détermine des modi vivendi.
5
Mise en équation des
dialectes pulsionnels
Les trois dialectes pulsionnels du régime
libidinal intermédiaire sont susceptibles dřêtre
caractérisés en des formules simples. Au pied
levé, voici à titre dřexemple quelque chose dřapproximatif
:
Ŕ Pour lřérotisme oral, la formule que je proposerais
est celle-ci :
(Yā rabbī tégui fī ونيع يف يجت يبر
اي
cēno) ~
Dieu fasse que le coup porte dans lřœil !
À prononcer avec lřaccent égyptien, car cřest
durant la guerre des six-jours que la blague dont

je lřextrais courait chez nous à propos de la
défaite-éclair de lřEgypte. On disait que les soldats
égyptiens ne savaient pas utiliser leurs
armes. Quřils tiraient nřimporte comment et faisaient
le vœu que le coup porte au but. Ce vœu
me paraît très approprié à devenir le symbole de
lřérotisme oral.
Ŕ Pour lřérotisme anal, une bonne formule serait
la suivante :
( cala tarīřak jeblé hal gharad) ~
Sur ton chemin rapporte-moi telle chose
ضرغ لھ يلبج كقيرط ىلع
Cřest la formule qui exprime une sorte de rendement
optimum, ou dřexploitation optimale des
personnes et des circonstances.
Ŕ Quant à la logique phallique, elle nous est
familière depuis belle lurette :
(yā anā yā houwwé) ~ وھ
Cřest lui ou moi !
اي انا
Cřest la logique binaire : « De deux choses lřune »,
« Cřest soit ceci soit cela ». En logique cela sřappelle
le vel exclusif.
6
Questions
de méthode
Après ces divers rappels, revenons à notre
objectif. Il sřagit de présenter lřinstance de
lřautre·jouisseur. Mais comment allons-nous procéder
? Il nřy a pas de doute que le mieux et le
plus concluant serait de fournir le matériel clinique
adéquat. Le plus décisif serait dřexposer un
cas princeps suivi en cure. Malheureusement il est
bien rare dřavoir cette chance. En général notre
matériel clinique étant erratique, on en est souvent
réduit soit à présenter une mosaïque de
vignettes cliniques, soit à exploiter des sources
publiées. Cřest à cette dernière solution que je
me suis rendu à lřexemple de nos maîtres :
Lacan, Laplanche, Stein, Viderman...
اي
324
Ils nous ont appris que ce quřon dénomme
si improprement « psychanalyse appliquée » nřa dřintérêt
que si elle implique un engagement solennel
et risqué de la théorie aux fins dřune remise en
question doctrinale. Zola, le président Schreber
et le marquis de Sade seront ici les intercesseurs.
Cřest dřeux que nous aurons tout à apprendre.
II.
LřAutre·jouisseur
7
Comment lire
« La Terre » de Zola
Aborder La Terre de Zola par le biais de
lřérotisme anal ne comporte point de prétention
à lřoriginalité ! Ce roman traite de paysans qui
pataugent littéralement dans la fange et les excréments.
Il y a là du fumier et de la brutalité. Lřun
des personnages passe son temps à des jeux
scatologiques. Il sřagit, par exemple, dřéteindre
des bougies en lâchant des pets, ou au contraire
de les faire flamber !... Cřest pas mal dégueulasse.
Lorsque le roman a été publié un scandale
sřensuivit. Question réalisme, Zola avait assurément
poussé le bouchon trop loin.
Pour un lecteur ordinaire, les traits du caractère
anal apparaissent distribués sur des personnages
particuliers, et sont supposés appartenir
par induction à la psychologie de ce personnage.
Le contrat de lecture standard fait fond sur cette
croyance. Mais ici nous avons affaire à un
romancier tout à fait spécial. Zola nřest ni Mme
de La Fayette, ni Benjamin Constant, ni Stendhal.
Zola brasse des mythes et entonne des épopées.
Il sait donner vie et il sait faire se mouvoir
de grosses masses. Zola ne fait pas dans la dentelle,
il pétrit la terre glaise comme un manouvrier.
Aussi, dans notre nouveau contrat de
lecture, nous convenons de ne pas individualiser
les personnages, et de considérer que la distribu-

tion des traits du caractère anal sur les personnages
est aléatoire.
Avec ce changement de point de vue, nous
nřavons plus à appliquer la doctrine psychanalytique
de la formation du caractère. Ce que nous
jetons aux orties, cřest le terme de « formation ».
Nous nřavons plus à travailler dans le cadre
défini par lřhypothèse suivante : à tel type dřapprentissage
de la propreté au cours de lřenfance
correspondent ultérieurement tels traits de caractères.
Il existe un très grand nombre dřétudes
expérimentales conduites dans ce cadre simpliste
et inapproprié. Quřelles nřaient pas été concluantes
a été exploité par les adversaires de la psychanalyse
pour condamner ses prétentions scientifiques.
Laissons ces gamins jouer à la marelle.
Notre objectif est très différent. Nous ne
faisons plus semblant de connaître les traits de
caractère anal. Nous ne nous suffisons plus de la
formule à laquelle Freud prétendait réduire le caractère
anal :
Rangé, Économe, Obstiné Opiniâtreté
Il sřagit dřutiliser La Terre pour réexporter le
caractère anal afin dřaboutir à des formules plus
compréhensives. Ou à une sorte dřillustration de
ce qui a été présenté dřune manière forcément un
peu abstraite et schématique à propos des dialectes
de la pulsion, et plus particulièrement du
dialecte sadique-anal.
8
L’érotisme anal
dans « La Terre » de Zola
En première approximation, nous avons
circonscrit lřérotisme anal en un petit nombre de
« formules », voire de principes. Deux dřentre
eux ont paru constituer le noyau dur de
lřérotisme anal : le principe du circuit fermé et le
principe de lřutilitarisme. Ouvrons la V e partie de
La Terre : le premier principe nous est balancé
dřemblée, dès les premières lignes et dès le
325
premier paragraphe, qui est amorcé par la phrase
suivante : « Avant les labours dřhiver, la Beauce, à
perte de vue, se couvrait de fumier, sous les ciels pâlis de
septembre » (éd. Folio, p. 431). Et le même paragraphe
se termine par cette longue et superbe
phrase où lřérotisme anal porte le principe du
circuit fermé comme une bague son chaton :
Cřétait la poussée du printemps futur qui coulait
avec cette fermentation des purins ; la matière
décomposée retournait à la matrice commune, la
mort allait refaire de la vie ; et dřun bout à lřautre de
la plaine immense, une odeur montait, lřodeur puissante
de ces fientes, nourrices du pain des hommes.
(Éd. Folio, p. 431).
Le fumier, les purins, la fiente et leurs
odeurs, voilà pour lřérotisme anal. La matrice
commune, la mort qui allait refaire de la vie,
voilà pour le circuit fermé. La suite est dans la
même veine. En tournant la page on tombe sur
lřénoncé du principe suivant attribué à un fermier
(Hourdequin) : « Son principe était que tout ce
qui vient de la terre est bon à renvoyer à la terre ».
Passons à lřautre principe, le principe du
rendement. On lit à la page 461 la phrase suivante
: « Un vieux ça ne sert à rien et ça coûte » (V e
partie, chap. 2, vers la fin). Dans ce chapitre,
Zola démarque dřassez près la fin du roi Lear. Il
nous raconte lřerrance et la déchéance du vieux
Fouan dřaprès lřillustre modèle ; mais Shakespeare
est Shakespeare, et Zola, Zola.
Le vieux Fouan comme le roi Lear a trois
enfants, et comme Lear, parvenu au seuil de la
vieillesse, il décide de distribuer son patrimoine à
ses enfants de son propre vivant. Cřest ce qui
sřappelle une donation entre vifs. Sur ce canevas,
Zola va tisser deux intrigues et les mêler avec art.
Le vieux paysan en était arrivé à cette idée de
donation parce que ses forces avaient décliné et
quřil ne pouvait donc plus continuer à travailler
sa terre.

9
L’ordre des
choses
Le drame, cřest quřil nřy peut rien. Le passage
suivant montre à quel point il nřy peut rien.
Jřinsiste : on nřy peut rien, cřest comme ça et pas
autrement, et cřest dans lřordre des choses en ce
bas monde, ou, comme ne cesse de le répéter le
Moukhtār dans le fameux feuilleton libanais que
vous savez :
ed-denieh hēk ~ كيھ ايندلا
Cřest cela lřessentiel du message délivré en
ces mots : « un vieux ne sert à rien et ça coûte ».
Quřun vieux ne serve à rien, quřest-ce à dire ?
Cela veut dire que le vieux Fouan nřa plus la
force de cultiver la terre et de produire. Nous
sommes en plein utilitarisme Ŕ cřest le vieux luimême
qui parle de soi de cette façon Ŕ et ça
coûte, donc il y a dépense improductive, dépense
sans rendement. Poursuivons : « ...lui-même avait
souhaité la fin de son père, si à leur tour ses enfants
désiraient la sienne, il nřen ressentait ni étonnement ni
chagrin, ça devait être. » Quoi de plus clair ! Et à la
fin ses enfants vont le tuer, au sens propre. Tout
le livre est dégoûtant.
Le vieux est consentant et il nřy peut rien.
Ce nřest pas une plaisanterie. Cela va dans le sens
de la thèse que je présente. Il existe un caractère
anal, et il repose sur deux principes : le principe
du circuit fermé et le principe du rendement. Il
se peut quřil y ait un troisième principe ? Je nřen
sais pas plus pour lřinstant. {On pourrait ajouter
le fléau de la balance, signe de lřégalité de droit.}
10
L’autre·jouisseur dans
« La Terre » de Zola
Revenons au pourquoi des choses. Pourquoi
les personnages de La Terre ont été obligés de
choisir, ou dřélaborer, ou dřinventer ce régime
libidinal intermédiaire, ce mode de vie que nous
appelons caractère anal ? Sous quelle contrainte ?
326
Nous avons entendu une première formulation
: « Pourquoi ? Parce que cřest comme ça et
pas autrement », « El-denieh heik », « La vie, cřest
comme ça ». Cřest lřordre des choses. Toutes ces
locutions sont un peu redondantes, et quand on
y regarde dřun peu plus près, elles ne disent à la
vérité pas grand-chose, hormis de nous confirmer
quřil existe à cela une nécessité, quelque
chose de plus fort que soi. Quoi donc ?
Cřest là quřintervient lřautre aspect du livre,
invisible parce que trop visible, comme ces noms
de pays sur une mappemonde : ils y sont imprimés
en lettres capitales, mais trop espacées. Les
paysans de La Terre ont une vie difficile, âpre,
rude, ils triment, ils luttent. Posons-nous derechef
la question : contre quoi luttent-ils ? Ils
luttent contre La Terre, cřest-à-dire contre lřunivers,
contre la nature, contre les éléments, contre
ce qui est plus fort quřeux.
Un chapitre du livre (II,2) peut nous aider à
comprendre quřil y a un autre personnage contre
lequel tous les paysans luttent. Ils ont durement
retourné la terre, tracé des sillons, semé. Nous
sommes en mai ; la moisson a mûri, les faucheurs
se préparent. Et cřest alors la catastrophe.
Le moment est dramatisé par Zola. Des femmes
sont en train de veiller un mort et se lamentent.
Voici la suite :
La porte sur la cour était restée ouverte, un
grand souffle entra, éteignit les lumières, à droite et
à gauche du mort. Cela les terrifia toutes, et comme
elles rallumaient les chandelles, le souffle de tempête
revint, plus terrible, tandis quřun hurlement plus
prolongé montait, grandissait, des profondeurs
noires de la campagne. On aurait dit le galop dřune
armée dévastatrice qui approchait, au craquement
des branches, au gémissement des champs éventrés.
Elles avaient couru sur le seuil, elles virent une nuée
de cuivre voler et se tordre dans le ciel livide. Et,
soudain, il y eut un crépitement de mousqueterie,
une pluie de balles sřabattait, cinglantes, rebondissantes,
à leurs pieds.

Alors, un cri leur échappa, un cri de ruine et de
misère.
Ŕ La grêle ! la grêle !
Saisies, révoltées et blêmes sous le fléau, elles
regardaient. Cela dura dix minutes à peine.
En dix minutes la désolation est complète.
Les éléments se sont déchaînés contre le fruit du
labeur des hommes. Je voudrai quřon sřarrête un
peu à cette phrase : « Saisies, révoltées et blêmes sous
le fléau, elles regardaient. » Stupeur, effroi. On demeure
là interdit, bouche bée, les yeux exorbités.
De bien braves psychanalystes se sont gaussés
(à la suite de Freud) de lř « état hypnoïde » de
Joseph Breuer. À notre tour de nous moquer de
leur sottise. Freud avait ses raisons Ŕ il devait
aller de lřavant dans une autre direction Ŕ mais
eux nřont aucune excuse hormis la sottise.
Pauvres benêts ! Pauvres panachons ! Les états
hypnoïdes existent, on le constate parfaitement
ici. Même Lacan avait été contraint dřy recourir :
en parlant de lřenfant au miroir. Lřenfant est
fasciné par son image dans le miroir, il est captivé, il
sřy absorbe. Ce nřest pas parce que Lacan nřutilise
pas nommément lřexpression dřétat hypnoïde
que ce nřen est point un de tout à fait caractérisé.
Lřédition de La Terre du Livre de Poche
(annotée par Roger Ripoll) comporte une précieuse
note appendue à cet épisode. La voici :
Depuis longtemps, comme en témoigne Alexis,
Zola était décidé à placer dans son roman paysan
cet épisode de la grêle, dont il avait été témoin.
Mais aux origines vécues sřajoutent des sources
livresques. Dans les notes que Zola a tirées de sa
lecture des Pensées de Joseph Roux, on peut lire :
« Silence résigné après les ravages de la grêle,
vignes, blé, fruits sabrés. Dřautres montrant le
poing au ciel, tirant des coups de fusil à Dieu. »
Reprenons la phrase qui mřintéresse : « Saisies,
révoltées et blêmes sous le fléau, elles regardaient. »
Zola nřa pas pu y insérer le trait de vérité quřil
avait noté sur son carnet : le silence résigné.
Dommage. Comment dire à la fois quřelles sont
327
révoltées et résignées ? Zola a choisi. Et du coup,
le moment de silence a lui-même été évincé avec
la résignation. Je saute deux pages où Zola nous
décrit comment, au milieu de la nuit noire, les
paysans munis de lanternes sont allés examiner
les dégâts, alors quřune pluie fine et serrée Ŕ
quřils ne sentaient même pas Ŕ ruisselait sans
bruit. Voici maintenant la fin de lřépisode :
Peu à peu, tous sřemportaient : était-ce possible de
perdre, en un quart dřheure, le fruit dřun an de travail ?
Quřavaient-ils fait pour être punis de la sorte ? Ni
sécurité ni justice, des fléaux sans raison, des caprices qui
tuaient le monde. Brusquement, la Grande, furibonde,
ramassa des cailloux, les lança en lřair pour crever le ciel,
quřon ne distinguait pas. Et elle gueulait :
Ŕ Sacré cochon, là-haut ! Tu ne peux donc pas nous
foutre la paix ?
Restituons le mouvement de cet épisode en
ses principales articulations :
1 - On est saisi dřeffroi
2 - Bouche bée, hypnotisé, on regarde
3 - En un silence résigné
4 - Puis on sřen va examiner les dégâts
5 - Colère, révolte, indignation, fureur
La révolte est une simple velléité. Cřest, bien
sûr, une révolte à laquelle on nřadhère pas tout à
fait parce quřelle se présente dřemblée comme
inutile. On est plus indigné que révolté ; on est
furieux. On sřemporte, on lance des cailloux en
lřair... Et alors ? et puis après ? Ŕ Que faire ?
Avant de répondre à cette question, je vais
la faire mousser encore un peu. On vient de voir
comment se met en place lřinstance de lřautre·
jouisseur dans La Terre. Voyons encore comment
se met en place cette instance chez le président
Schreber.
11
La Théodicée du
président Schreber
Les Mémoires dřun malade des nerfs du président
Schreber (1903) nřest certainement pas un livre à
mettre entre toutes les mains. Il figure parmi les

dix livres que jřemporterai sur une île déserte.
Mais cela me pose un cas de conscience. Je prétends
que ces Mémoires ne peuvent être lus de
manière profitable quřen liaison avec les Essais de
théodicée de Leibniz (1710), et pourtant il est exclu
que ce dernier ouvrage fasse partie de mon bagage.
Jřai donc songé quřun éditeur pourrait nous
offrir les deux ouvrages en un seul volume, à la
manière dont on continue à imprimer les Caractères
de La Bruyère avec en prime ceux de Théophraste...
( ةعيبلا رھض ىلع
cala đahr el-bayca) ~
Par-dessus le marché
Quelle bizarrerie, vraiment, que personne
nřait encore songé à lire les Mémoires de Schreber
en liaison avec les Essais de théodicée de Leibniz.
En fait, il est regrettable que le livre de Schreber
soit réduit à son aspect de témoignage, de
compte rendu de cas. Depuis quřil a été déterré
des archives asilaires par Macalpine et Hunter au
milieu du XX e siècle, ce livre a reçu une attention
spéciale, malheureusement circonscrite (à de très
rares exceptions près) à des psychanalystes.
En 1969, Octave Mannoni a fait un coup
dřéclat en publiant une étude intitulée « Schreber
als Schreiber », Ŕ Schreber comme écrivain. Cřétait
beaucoup et pas assez. Même si cřest pour le
regretter, Mannoni y prend acte du fait que les
Mémoires de Schreber ne font pas partie de la
littérature universelle. Par la suite, Eduardo
Prado de Oliveira a publié de très belles études
visant à réinsérer les Mémoires de Schreber dans
un courant littéraire précis, dont Schreber nous
fournit du reste toutes les références. Il suffisait
de le lire. Je pense quřil faut aller plus loin
encore. Il faut considérer les Mémoires de Schreber
comme une œuvre à part entière et la réintégrer
ainsi au patrimoine culturel universel. Les
Mémoires de Schreber sont certes un écrit de circonstance
rédigé à la première personne et dans
328
un but précis, lequel fut atteint : obtenir gain de
cause dans le procès en mainlevée de lřinterdiction
dont il fut lřobjet. Mais il y a beaucoup de
chefs-dřœuvre appartenant à la littérature universelle
qui furent écrits en première personne et
étaient des écrits de circonstance.
Ainsi, le livre de Schreber est-il donc un
essai de théodicée. Cřest Leibniz qui a forgé ce
beau néologisme, sans sřen expliquer. Ainsi peuton
aussi bien le prendre en un sens prudent, en
tant que doctrine de la justice de Dieu, quřen un
sens audacieux, en tant que procès en justification
de Dieu. Il y en a qui se font les avocats
du diable, Leibniz sřest fait lřavocat de Dieu
accusé du mal qui se commet ici-bas. Jacques
Brunschwig nous dit joliment : « Tout se passe
comme si, entre Dieu et lřhomme, le mal avait pourri les
relations » 1 ! Le même débute son introduction
aux Essais de Leibniz avec le wit suivant :
Quand on voit, dans nos procès humains, un
accusé confier le soin de sa défense à un avocat
particulièrement célèbre, on se prend parfois à
penser : faut-il que son affaire soit mauvaise ! À ce
compte, lřaffaire de Dieu, si lřon ose dire, ne serait
pas loin dřêtre désespérée.
Il faut dřailleurs recommander le texte dřintroduction
de Brunschwig aux Essais de théodicée
de Leibniz. En dix pages, lřessentiel y est exposé
avec une aisance, une maîtrise et une précision
merveilleuses. Dans le petit monde des spécialistes,
Brunschwig est célèbre pour son édition
des livres I-IV des Topiques dřAristote, considérée
comme un modèle du genre. Il avait été le
condisciple de mon maître en linguistique, le P r
Oswald Ducrot. Ah ! ils avaient été à bonne
école.
Leibniz avait la bosse des mathématiques et
la diplomatie dans le sang. La mission quřil sřétait
découverte était de concevoir les principes dřune
1 JACQUES BRUNSCHWIG, Introduction aux Essais de théodicée de
Leibniz, collection Garnier-Flammarion, 1964, p. 9.

jurisprudence universelle. On en peut se faire
une idée en imaginant une immense machine à
calculer qui fonctionnerait selon le principe de la
raison suffisante. Plus concrètement, cela veut
dire que la justice est amour des êtres à proportion
de la perfection quřils contiennent. En pratique,
cela donne ceci Ŕ je cite encore Brunschwig
(op. cit., p. 18) :
Comme un logicien travaille son système dřaxiomes,
Leibniz agence en Dieu les divers attributs,
grandeur et bonté, puissance et sagesse, volonté
antécédente et volonté conséquente, et leurs relations
mutuelles, de manière à rendre le calcul divin
à la fois indispensable (parce que le meilleur des
mondes nřest pas le seul possible) et décisoire absolument
(parce quřil est le seul qui soit le meilleur).
Il est clair que Leibniz avait vraiment lřétoffe
dřun philosophe. Savez-vous quřaujourdřhui encore
aucun éditeur nřest venu à bout du projet
dřéditer ses œuvres complètes ! On peut dire que
personne jusquřà présent nřest parvenu à le
« ceinturer ». Néanmoins, au risque de fâcher
quelques esprits grincheux, il me semble quřon
peut enserrer les Essais de théodicée avec une
simple lanière du genre que nous savons fabriquer
à partir de lřérotisme anal : « Un moindre mal
pour un plus grand bien ». Je ne sais sřil faut élever
cette maxime de conduite du Dieu de Leibniz Ŕ
tel que je me le figure Ŕ au rang de principe, et
de lřajouter à celles que nous avons déjà forgées.
Ou sřil faut la considérer plutôt comme une application
particulière du principe du rendement
quand on fait intervenir la raison suffisante.
Si nous ouvrons maintenant les Mémoires du
président Schreber, nous ne pouvons que nous
sentir en terrain familier. Le point de départ est
le même : cřest bien le mal qui pourrit les relations
entre Dieu et Schreber. Ce nřest nullement
une coïncidence fortuite que nous trouvions à
cet égard le même terme shakespearien chez
Brunschwig et chez Schreber :
329
Il reste pour moi hors de doute que mes convictions
du passé nřétaient pas, comme on pourrait
être tenté de le suggérer, des « idées délirantes » ou
des « hallucinations » ; aujourdřhui encore, je recueille
tous les jours et à tout instant des impressions
qui me prouvent avec toute la clarté souhaitable
quřil y a Ŕ pour parler avec Hamlet Ŕ quelque
chose de pourri au royaume de Danemark ; autrement dit,
ici-bas, dans les rapports de Dieu avec le genre humain.
(Chap. 15, début, D·203, F·169-170) 1
À partir de ce point de départ, cřest aussi la
même démarche qui anime Schreber comme
Leibniz, à savoir celle qui consiste à procéder par
axiomes. Le premier est très étonnant : « Dieu
nřest pas, assurément, et nřa jamais été lřêtre dřabsolue
perfection que la plupart des religions reconnaissent en
lui » (D·30, F·41). Voilà, cřest dit, et tout le calcul
de Leibniz en est faussé. Entre Leibniz et
Schreber sřinterpose une histoire mouvementée.
À suivre Schreber, la cassure sřest produite au
XVIII e siècle. Il y eut ce quřil dénomme « un
meurtre dřâme ». Cřest ce que Schreber subodore
sans pouvoir trop préciser les choses :
...je ne puis dire à proprement parler en quoi
consiste le meurtre dřâme dans son essence, ni en
quelque sorte dans sa technique. Jřajouterais peutêtre
simplement ce qui suit. [Suit un passage impropre
à partir à lřimpression.] (D·28, F·39)
Cřest lřune des deux grandes lacunes de ces
Mémoires. Reprenons dès le début la suite ordonnée
des axiomes de Schreber Ŕ tels quřils sont
exposés au I er chapitre des Mémoires Ŕ par lesquels
il nous décrit le bon ordre de lřunivers :
1. Lřâme humaine est contenue dans les nerfs du
corps.
2. Dieu, avant tout, nřest que nerfs, non corps ; il est
donc comme qui dirait apparenté à lřâme humaine.
1 La référence à lřéd. allemande suit la lettre D, et la référence à
lřéd. française suit la lettre F.

3. Les nerfs de Dieu sont en nombre infini.
4. Ils ont la faculté de se transformer en toute chose
possible du monde créé. Dans ce rôle on les appelle
rayons.
5. Il est dans la nature des rayons quřils doivent parler
dès quřils sont induits en vibration. Cela se nomme
le parler de nerfs. Ils parlent la « langue fondamentale
» (cf. n°9).
6. En temps normal Dieu nřintervient pas directement
dans les destinées des individus et des
peuples.
7. Il y a cependant un nombre très limité de cas où
Dieu branche un raccordement de nerfs avec un
être humain : une prière particulièrement fervente,
lřinspiration des poètes et dans les songes.
8. Cřest après la mort que, dans une vie nouvelle, et
après purification et tri préalables, des nerfs de
lřâme humaine sřarticulent à Dieu dans un état de
béatitude et deviennent des vestibules du ciel. La
béatitude consistant en un état de jouissance ininterrompue,
associée à la contemplation de Dieu.
9. Les âmes à purifier apprennent pendant la purification
la langue que parle Dieu lui-même, dite la
« langue de fond », une sorte dřallemand quelque peu
archaïque, mais pourtant toujours plein de vigueur,
qui se signale notamment par sa grande richesse en
euphémismes.
Cette suite dřaxiomes sřordonne autour dřun
pivot. Il est dangereux à Dieu de sřapprocher de
trop près de lřhumanité vivante. La non-ingérence
de Dieu dans les affaires humaines est,
dans notre vocabulaire, un refusement (Versagung).
Écoutez ça :
...les nerfs de personnes vivantes, surtout en état
dřhyperesthésie, ont un tel pouvoir dřattraction sur
les nerfs divins, que Dieu ne pourrait se libérer
dřelles et se sentirait par conséquent menacé dans
son existence même. (D·11, F·27)
Quřest-ce que lř « hyperesthésie » ? cřest une
sensibilité intensifiée, cřest aussi lřexemple dřun
euphémisme couramment employé par exemple
330
par Krafft-Ebing dans sa Psychopathia sexualis, et
qui veut dire : un état dřintense excitation sexuelle.
La sexualité nous transforme en turbines. Le
grand génie de la dynamique que fut Leibniz ne
sřest pas élevé à cette conception dans sa Monadologie.
Il faut reconnaître que cřest à son corps
défendant que le président Schreber y est parvenu.
Il en est de même dřAndré Marcueil au dernier
chapitre du Surmâle dřAlfred Jarry (1902),
dont la lecture est recommandée en cette connexion.
Comme je lřai dit, suivant Schreber, un
meurtre dřâme eut lieu au XVIII e siècle, en
conséquence de quoi une faille sřest produite
dans cette « construction prodigieuse » (chap. 2, début,
D·22, F·35 ; chap. 18, début, D·238, F·197).
La suite prit des « allures de plus en plus attentatoires
à lřordre de lřunivers et au droit naturel de lřhomme à
disposer librement de ses nerfs, jřirais même jusquřà dire
de plus en plus grotesques » (chap. 5, D·47, F·54).
Le « grotesque » est une catégorie esthétique
appartenant à lřart baroque. Par ce terme Schreber
désigne quelque chose de très précis :
Un jour, un matin, encore au lit (je ne sais plus si
je dormais encore à moitié ou si jřétais déjà réveillé),
jřeus une sensation qui, à y repenser une fois tout à
fait éveillé, me troubla de la façon la plus étrange.
Cřétait lřidée que, tout de même ce doit être une
chose singulièrement belle que dřêtre une femme en
train de subir lřaccouplement. (Chap. 4, vers le
début, D·28, F·39)
Nous remarquons une nouvelle fois lřétat
hypnoïde déjà rencontré chez Zola. Je nřy insiste
pas. Nous constatons encore la précision du
vocabulaire : « grotesque », « baroque », « singulièrement
belle », ce sont là des synonymes. Il est
arrivé à Schreber un malencontreux raccordement
de nerfs avec Dieu, alors quřil est un être
humain encore vivant. Les rayons, qui ont pour
prérogative de parler, lui ont seriné la phrase cidessus.
Puis, une nuit, nous dit-il, fut décisive
pour son effondrement spirituel : « durant cette

seule nuit », précise-t-il, « jřeus un nombre en vérité tout
à fait inhabituel de pollutions (sans doute une demidouzaine)
» (chap. 4, vers la fin, D·47, F·51).
Le problème tel quřil se pose alors est celui
de la jouissance continue. Être raccordé à Dieu
cřest jouir sans discontinuer et sans égard à la
nature humaine, que Dieu ne connaît pas et nřa
pas à connaître. La plainte de Schreber est bien
connue : Dieu nřa de commerce quřavec des
cadavres. On nřa pas assez remarqué que dans
cette plainte il y a une allusion au principe directeur
de la Compagnie de Jésus : il faut obéir à
son supérieur comme un cadavre (ac cadaver),
autrement dit par la démission de toute volonté
propre.
...Dieu, selon lřordre de lřunivers, ne sait rien de
lřêtre humain réel et vivant et nřa pas à en connaître,
il ne doit, selon lřordre de lřunivers, avoir commerce
quřavec des cadavres. (Chap. 5, milieu, D·55, F·60 ;
cf. également D·141-142 et D·173, soit F·124-125
et F·148)
Telle est la carte dřidentité de lřautre·jouisseur
pour le président Schreber. Et par le malencontreux
raccordement de nerfs avec Dieu,
Schreber a été pris dans un terrible étau. Les
deux mâchoires de cet étau sont les suivantes :
1/ « Dieu exige un état constant de jouissance, comme
étant en harmonie avec les conditions dřexistence
imposées aux âmes par lřordre de lřunivers. »
(chap. 21, D·283, F·230).
2/ « La personne humaine, précisément, nřest pas
née pour la seule jouissance. » (chap. 21, idem)
Que faire pour ne pas être broyé entre ces
deux mâchoires ?
12
Le drame du libertin
suivant le marquis de Sade
Suspens ! Il faudra pourtant lřendurer un
moment encore, parce que je vais ouvrir une parenthèse.
331
Suivant Schreber, un meurtre dřâme sřest
produit au XVIII e siècle où les familles Schreber
et Flechsig étaient impliquées. Faisons pour une
fois ce que font les cartomanciennes : interprétons.
Flechsig est le nom du neurologue qui sřest
occupé de Schreber et envers lequel il a eu
dřabord un transfert positif puis un transfert
négatif. En mettant les points sur le « i », on peut
également ramener ce nom propre à un nom
commun : la chair (Fleisch). Faisons de même
pour lřautre famille, et lřon obtiendrait alors de
formuler le problème de Schreber Ŕ en tant
quřécrivain (Schreiber) Ŕ comme étant celui de
lřâme et du corps, ou celui des nerfs et de la
chair. Et maintenant, si lřon souhaite conférer un
nom propre à ce problème, tel quřil puisse
répondre du meurtre dřâme, et quřil appartienne
au XVIII e siècle, je proposerais sans hésiter celui
du marquis de Sade.
La faille dans le (bon) ordre de lřunivers
intervenue au XVIII e siècle et que Schreber
nřarrivait pas à nommer porte Ŕ à mon sens Ŕ le
nom du marquis de Sade. Mais, comme nous le
savons, il faut deux traumatismes pour en faire
un, et derrière le marquis de Sade il faut déchiffrer
le nom de Spinoza. Le philosophe maudit et
lřécrivain maudit. Je me limiterai cependant à ce
dernier, non sans scrupule. Car il serait bien niais
de songer à enserrer le marquis de Sade en une
parenthèse, lui dont ni la Bastille, ni le donjon de
Vincennes, ni les murs de Charentonne nřont pu
avoir raison de sa liberté de pensée. Ni même un
siècle dřépais silence. Pas plus que la cacophonie
assourdissante qui lui a succédé. En effet, malgré
la quantité innombrable dřétudes et malgré la
qualité des esprits qui sřy sont appliqués, le
constat fait par M. Blanchot en 1949 demeure
encore valide : « Non seulement son œuvre mais sa
pensée restent impénétrables » ! Jřy vois une raison
principale que je vais essayer de formuler.
Sade est un écrivain à part entière. Il sřest
illustré en plusieurs genres. Son Œuvre mérite de

ecevoir lřappellation quřil lui a lui-même
choisie : Le Portefeuille dřun homme de lettres. Car elle
est variée. Chacune de ses œuvres appartient à
un genre ou à un thème particulier. Le roman
épistolaire dans sa facture classique est illustré
par Aline & Valcour. La littérature pornographique
est pratiquée avec constance et dans le
dessein dřen renouveler les formes en sřattaquant
à des thèmes précis : le thème du grand masturbateur
est illustré par Les 120 Journées de Sodome, le
drame du libertin par LřHistoire de Justine et de
Juliette sa sœur, lřéducation des filles par La Philosophie
dans le boudoir. Et Sade sřest encore essayé à
dřautres types dřécriture : le conte leste, la lettre
familière, et, malheureusement, le roman historique
et le théâtre.
Cřest donc commettre une erreur grossière
que de sřattacher dřemblée à faire ressortir lřunité
de cette œuvre. Il faut commencer par sřattacher
à sa diversité, et se retenir de projeter lřhomme
sur lřœuvre de manière intempestive. Cet écueil,
Sade lřavait prévu, et il avait projeté dřécrire un
ouvrage en 2 vol. intitulé Mes Confessions 1 . Considérer
que son œuvre publiée ce sont des
confessions est une erreur absolument grotesque.
Cřest faire lřimpasse entière sur lřhomme
de lettres, non seulement écrivain mais auteur !
Malheureusement, Sade nřa pas été mieux traité
que le président Schreber. Ils nřétaient pas seulement
des écrivains, mais aussi des auteurs.
Lřépopée du « libertin » est présentée dans
un roman pornographique qui singe la littérature
édifiante, et dont lřauteur sřest pris à trois fois
pour en produire lřétat achevé en dix volumes :
La Nouvelle Justine, ou les infortunes de la vertu, suivie
de lřHistoire de Juliette sa sœur, ou les prospérités du vice.
Cřest un drame désespéré qui se répète dřépisode
en épisode avec une régularité désolante. Comment
faire pour outrager les trois causes communes
: Dieu, la Nature & la Société ?
1 SADE, Œuvres Complètes, tome XV, p. 34.
332
Lřathée ne peut pas outrager Dieu, car ce
serait une contradiction dans les termes. Blasphémer
devient impossible, accomplir un sacrilège
devient impossible, prolonger les tortures de
sa victime en tourments éternels devient impossible.
Être un libertin implique dřêtre athée, mais
être athée enlève au libertinage ses plus beaux
attraits. Quel désastre !
Comment outrager la Société autrement
quřen commettant des crimes ? Mais comment
commettre des crimes si lřon est un vrai Libertin
? Le libertin sait que les lois nřont rien dřabsolu
: vérité en deçà des monts, fausseté au-delà.
Le libertin sait que les lois sont relatives, changeantes,
conventionnelles. Il ne leur accorde aucun
crédit parce quřil ne conserve aucun préjugé.
Comment voulez-vous quřil puisse commettre
un crime, un seul per favor ? Quel désastre !
Il y a un type de crimes qui sřinsère à lřarticulation
exacte de la nature et de la culture :
lřinceste. Le libertin cherchera désespérément à
commettre lřinceste, et lřinceste Ŕ insaisissable Ŕ
lui glissera toujours entre les doigts. Cřest là
peut-être lřaspect le plus pathétique de la volonté
de puissance du libertin, par quoi il risque constamment
de verser dans le comique. Je veux parler
des efforts inouïs déployés par le libertin pour
sřassurer de commettre un inceste. Toutes sortes
de combinaisons sont essayées, et toujours en
pure perte. Cette chair-là comment la fixer dans
lřappellation fils, fille, mère, père, frère, sœur ?
On cherchera à mélanger les sexes et les générations.
Toujours en désespoir de cause. Lřinceste
demeure insaisissable. Quel désastre !
Et pour finir, le libertin est celui qui suivra
sans frein ses désirs. Hélas, quel que soit son
désir, il lui est inspiré par la voix de la Nature.
Comment avoir un seul désir contre-nature,
comment parvenir à accomplir une seule action
contre-nature ? Quoiquřil fasse, le libertin ne fera
que suivre la Nature en croyant suivre son propre
penchant. Détruire ? Mais la nature agit

ainsi : toute destruction nřest quřun changement
dřétat, et la nature reste la nature. Quel désastre !
La morale de lřhistoire est cruelle, et cřest
cela exactement le sadisme, si lřon prétend le définir
avec rigueur. Mieux que quiconque, le libertin
est celui qui sait quřon ne peut jouir de rien pour
son propre compte. Il sait du plus profond de
son désespoir quřil ne peut jouir que pour le
compte de lřAutre. Cet autre que nous avons
dénommé lřautre·jouisseur. Le libertin est au
sens propre du terme un forçat de la jouissance,
il est rivé à la jouissance de lřautre comme le
forçat à son boulet. Lřépopée du libertin est une
littérature édifiante Ŕ sans aucune ironie cette
fois Ŕ car elle est à la gloire de lřautre·jouisseur.
13
Comment lutter contre
l’autre·jouisseur ?
De quels moyens de lutte pouvons-nous
disposer contre lřautre·jouisseur ? Prenons lřune
après lřautre les réponses de Sade, de Schreber et
de Zola.
Sade
En ce qui concerne le marquis de Sade, il
me semble que son libertin est voué sans défense
aucune à lřautre·jouisseur. Ceux qui ont cru voir
dans lřœuvre du marquis une apologie du libertin
me semblent avoir manqué de perspicacité.
La thèse de Jean-Jacques Brochier (1966) Ŕ
qui me paraît être (avec lřétude de Blanchot) le
seul travail rigoureux (dans une production critique
pléthorique) à se lire avec un très vif intérêt
Ŕ nřest recevable que dans ses tenants et non pas
dans ses aboutissants. Lřataraxie du libertin à
laquelle cette étude aboutit est un simple constat
dřimpuissance. Au surplus, ce nřest pas par le
truchement de lřun de ses personnages, mais
pour son propre compte comme auteur que Sade
sřest exprimé là-dessus dans une note de bas de
page de sa Nouvelle Justine :
333
Lřapathie, lřinsouciance, le stoïcisme, la solitude
de soi-même, voilà le ton où il faut nécessairement
monter son âme, si lřon veut être heureux sur la
terre 1.
Le ton est celui de lřexhortation. Et cřest
moins à son lecteur quřà soi-même que Sade me
semble sřadresser dans cette très curieuse note.
Lřestime que lřon porte à Sade lřhomme de lettres
est une chose, le confondre avec ses personnages
est une faute de jugement ; reporter lřestime
que lřon porte à Sade sur ses personnages
« gangrenés de scélératesse », et qui sont tous des
parangons de laideur physique avant toute chose,
et grossiers, infatués et antipathiques, est une
faute de goût.
Il y a pire à signaler. Parmi les inédits de
Sade publiés par Lely en 1953 se trouve un fragment
tout à fait remarquable intitulé : « Note relative
à ma détention [et à lřouvrage de Justine] » 2 . Il
appartient à un ensemble de papiers personnels
rédigés en 1803-1804. Il est trop long pour être
entièrement repris ici, et nécessiterait un copieux
commentaire. Cřest tout dire si lřon disait quřil
est tout à fait dans le ton des Mémoires de Schreber.
Lřincertitude sur les raisons et la durée de sa
détention par lettre de cachet avait précipité le
marquis dans un délire dřinterprétation que nous
connaissons fort bien par sa correspondance. Il
sřy ajoute un système de défense où la mauvaise
foi sřallie si bien à la lucidité que la seule issue
laissée au lecteur est celle du rire.
Sade a toujours nié être lřauteur de Justine,
mais ne le voilà-t-il pas quřil sřavise de chercher à
le prouver par une analyse de cet ouvrage ! Son
argumentation comporte trois points, condensés
dans les trois extraits que je vais en donner :
[1 er point] « Après avoir été soupçonné jadis de
quelques dérèglements dřimagination semblables à
1 SADE, Œuvres Complètes, tome VII, p. 303, note.
2 SADE, Œuvres Complètes, tome XV, pp. 22-29, fragment n°22.

ceux qui se trouvent dans Justine, je demande sřil
était possible de croire que jřallasse révéler dans un
ouvrage de ma main des turpitudes qui nécessairement
feraient repenser à moi. Je suis coupable ou
non de ces turpitudes ; point de milieu. »
[2 e point] « Mais un autre motif, plus puissant
encore, convaincra, jřespère, facilement, que je ne
puis être lřauteur de ce livre. Quřon lise avec attention,
et lřon verra que, par une impardonnable
maladresse, par un procédé bien fait (comme cela
est arrivé) pour brouiller lřauteur avec les sages et
avec les fous, avec les bons et avec les méchants,
tous les personnages philosophes de ce roman sont
gangrenés de scélératesse. Cependant je suis philosophe
; tous ceux qui me connaissent ne doutent
pas que jřen fasse gloire et profession... Et peut-on
admettre un instant, à moins de me supposer un
fou, peut-on, dis-je, supposer une minute que jřaille
putréfier dřhorreurs et dřexécrations le caractère
dont je mřhonore le plus ? »
[3 e point] « Jřajouterai ici quelque chose de plus
fort : cřest quřil est très singulier que toute la tourbe
dévotieuse, tous les Geoffroy, les Genlis, les Legouvé,
les Chateaubriand, les La Harpe, les Luce de
Lancival, les Villeterque, que tous ces braves suppôts
de la tonsure se soient déchaînés contre Justine.
Ils eussent payé pour avoir un ouvrage aussi bien
fait que celui-là pour dénigrer la philosophie, quřils
ne fussent point parvenus à lřavoir. Et je jure sur
tout ce que jřai de plus sacré au monde que je ne me
pardonnerais jamais dřavoir servi des individus si
prodigieusement méprisés de moi. »
Lřhumour est certainement ici de très haut
vol. Cřest proprement de lřhumour noir, ou je ne
mřy connais pas. Que Sade, comme tous les
créateurs, se précipite dans ses personnages Ŕ cf.
le « Madame Bovary cřest moi » de Flaubert Ŕ pour
que le travail de lřœuvre sřaccomplisse, cřest une
chose ; mais que la critique le confonde avec ces
mêmes personnages, en est une autre. Et chercher
à sauver ses ignobles libertins, bavards, ennuyeux
et veules, et qui nous sont généralement
présentés comme de parfaits crétins (je ne vois
334
pas dřautre mot) : toute la mauvaise foi du monde
nřy suffirait point. Ils sont condamnés pour
lřéternité à se désespérer à jouir pour le compte
de lřautre : mercenaires bisqués, abusés, spoliés
et laissés en plan sans gages.
Schreber
Passons au président Schreber.
Confronté à lřautre·jouisseur, que faire
quand on se nomme Daniel Paul Schreber ?
Garder sa tête, sauver sa raison, sauvegarder son
entendement. Schreber va sřy mobiliser. Une
grande partie des Mémoires est consacrée à nous
détailler les petites tactiques auxquelles Schreber
a eu recours. Cela vous fend le cœur de lire tout
ça. Le triomphe de Schreber est dans le droit fil
de la révolution cartésienne. Schreber nřaura pas
à passer par un doute hyperbolique pour arriver
à toucher le roc dřune certitude. Pour le président
Schreber, lřhyperesthésie semble correspondre
à ce temps de doute premier que nous décrit
Descartes. Quant à la certitude à laquelle aboutit
Schreber, elle mérite dřêtre située exactement sur
le même plan que le cogito de Descartes :
Désormais, et depuis cinq ans au moins, jřai
acquis la claire certitude quřil est impossible, même
pour Dieu, de trouver dans lřordre de lřunivers les
moyens par lesquels on pourrait anéantir la raison
dřun être humain. (Chap. 20, vers le début, D·264,
F·217)
Tel est le cogito de Schreber. Ce que jřy
trouve dřadmirable cřest que Schreber y retrouve
la certitude qui constitue le fondement même sur
lequel sřest instituée la prise en charge des fous à
partir de lřexpérience de Pinel et Esquirol dans
les premières années du XIX e siècle 1 . Depuis,
tous les thérapeutes nřont cessé de le répéter,
même si Michel Foucault est resté sourd à leur
1 Là-dessus, se reporter aux magnifiques études de Gladys Swain
et Marcel Gauchet. Ŕ Voir bibliographie.

message. Il nřy a pas de folie intégrale. Au plus
fort de la déraison, une parcelle de lucidité se
conserve. Bleuler, Freud, Rosen, Searle, parmi les
modernes, nřont cessé de le répéter. Et Schreber
retrouve aussi cela à son corps défendant.
Tel est donc le cogito de Schreber, disais-je,
grâce auquel celui-ci va pouvoir introduire un
clivage salvateur entre sa maladie et sa raison :
« Je suis assurément un malade des nerfs, mais en aucun
cas je ne suis atteint dřune maladie mentale » (chap. 20,
D·268, F·219). Schreber était un homme de
génie. Mieux que Leibniz et Descartes il a su
poser et résoudre le problème cardinal de la
condition humaine et celui de la philosophie : à
quoi sert la pensée ? Réponse de Schreber : à
limiter la jouissance de lřautre. Je nřinterprète
pas. Laissons lřinterprétation aux tireuses de cartes
; elles sřen sortent fort bien. Elles savent sřy
prendre bien mieux que nous. Quant à Schreber,
je viens de résumer tout simplement le passage
suivant de ses Mémoires, passage qui en constitue
la conclusion :
Aussitôt que jřaccorde des temps dřarrêt à ma
pensée sans en même temps prendre le soin de cultiver
la volupté Ŕ ce qui naturellement est, jusquřà
un certain point, tout à fait inévitable, puisque lřêtre
humain est incapable de penser sans arrêt ou de
produire sans arrêt la volupté Ŕ , chaque fois apparaissent
ces conséquences fâcheuses si souvent
décrites : accès de hurlements, douleurs corporelles,
bruits grossiers parmi les déments et mon entourage
et appels « Au secours » venant de Dieu. La
raison exige, par conséquent, que je colmate les
arrêts de lřactivité de ma pensée Ŕ dans la mesure
où ce peut être humainement exigible Ŕ : en
dřautres termes que je passe autant que possible les
moments où mon activité intellectuelle est au repos,
à cultiver les soins de la volupté. (Chap. 21, fin,
D·285-286, F·232)
Sans commentaire.
335
Zola
Et les paysans de Zola ? Quels moyens de
lutte contre lřautre·jouisseur pouvaient-ils mobiliser
? Les mêmes que devant : se remettre au
travail, creuser le sillon, semer, moissonner, etc.
Réorganiser. Tel est la fonction de lřérotisme
anal. Lřérotisme anal permet à lřhomme de
mettre de lřordre, dřorganiser ou de réorganiser,
de construire ou de reconstruire. Admirons le
geste du semeur, cřest quelque chose dřinouï.
Lřart sřen est mêlé à bon escient. Des noms ?
Millet et Van Gogh ! Il est curieux que lřon
oublie trop souvent que ce dernier a appris à
dessiner en recopiant Millet. Et puis, Salvador
Dali sřen est également mêlé, et à si bon escient.
Jřaurais tendance à considérer que le sommet de
lřœuvre de Dali Ŕ penseur et artiste Ŕ est son
interprétation paranoïaque-critique de Millet,
exposée et illustrée dans cet ouvrage extraordinaire
et devenu hélas rarissime : Le Mythe tragique
de lřAngélus de Millet, Paris, Pauvert, 1964.
La vie paysanne est hautement organisée, et
rythmée par époques et saisons. Elle est en
grande partie gouvernée par lřérotisme anal en
réponse à lřinstance de lřautre·jouisseur.
14
Une curieuse rencontre entre
Abou el- cAbed & le divin Marquis
Vous ai-je déjà raconté la blague de Abou elc
Abed invité à une « partouze » ? Ne sachant
point de quoi il sřagit, on lui explique que cřest
tout simple, quřil suffit de se mettre à poil et de
se lancer dans la mêlée. Le moment venu, il se
présente, il est introduit dans le noir, il se
débarrasse vite fait de ses fringues, et se lance
dans la mêlée. Une heure se passe, une autre
encore, et ne voilà-t-il pas que Abou el- c Abed se
met à brailler : Lumière ! Lumière ! Lřattitude se
rompt, on se rajuste, on fait de la lumière, on se
demande ce qui se passe. Et Abou el- c Abed
dřexpliquer : « Écoutez-moi bien les amis. Ça fait

deux grandes heures que jřapprofondis avec vous
la notion de partouze. Jřai pu attraper un bout de
sein par-ci, un bout de fesse par-là, et frôler une
tignasse de temps en temps, mais moi je me le
suis fait mettre cinq ou six fois. Ça ne va pas ! Il
faut organiser tout ça, les amis ! » Le cri du cœur,
quoi :
Naźźmouwa yā chabēb ~ بابش اي اھومظن
Cette blague prend une autre dimension à
être rapprochée de lřœuvre pornographique du
marquis de Sade. Il suffit dřouvrir nřimporte
lequel de ces ouvrages pour tomber sur le même
type de situation. Naturellement, lřhumour en
moins. Lřœuvre pornographique de Sade ignore
complètement lřhumour. Prenons un passage au
hasard du premier livre venu. Ouvrons, par
exemple, La Philosophie dans le boudoir. Ce livre
existe en livre de poche, soit dans la collection
10/18, soit dans la collection Folio. Cřest le P r
Yvon Belaval, philosophe bien connu, spécialiste
de Leibniz entre autres, qui a préparé cette
dernière édition. Sa préface est très intéressante.
En un tour de main, il nous résume cette œuvre
à la page 11. Il sřagit dřune initiation sexuelle graduée
dřune jeune fille de quinze ans, Ŕ lřâge de la
princesse de Clèves ! Quant à lřaction, à part les
assommants sermons, ce ne sont que des répétitions.
Il suffit de reprendre à la suite du P r Belaval
la kyrielle des expressions utilisées par le
Marquis : on sřenlace, on sřexécute, on se place,
tout se dispose, on sřarrange, tout sřexécute, le
groupe se rompt, lřattitude se rompt, la posture
se défait, et un autre tableau sřarrange.
Oui ! mais il arrive très fréquemment que la
scène soit divisée en deux séquences. Jusquřà
présent, les commentateurs nřont remarqué que
la division des épisodes en une partie théorique
et en une partie pratique. Et cela, dřailleurs, sans
jamais pouvoir nous en fournir la raison, faute
dřavoir appris du président Schreber que la pensée
a pour fonction de limiter la jouissance. Mais
336
la partie pratique des épisodes comporte elle
aussi deux séquences. On commence dřabord
par sřégarer un peu, puis lřon se reprend et on
organise tout ça comme il faut. Voici un extrait
tiré des dernières pages de La Philosophie dans le
boudoir :
Dolmacé. Ŕ ..... Augustin, contenez madame.
Mme de Mistival. Ŕ Ah ! juste ciel, quel outrage
!
Dolmacé, allant toujours son train et commençant par
enculer la mère. Ŕ Eh ! point du tout, rien de plus
simple... Tenez, à peine lřavez-vous senti !... Ah !
comme on voit que votre mari sřest souvent servi
de cette route ! À ton tour, Eugénie... Quelle différence
!... Là, me voilà content ; je ne voulais que
peloter, pour me mettre en train... Un peu dřordre
maintenant. Premièrement, mesdames, etc. (OC, 3 :
541 ; éd. Folio, p. 276)
Cette division des scènes de débauche en
deux séquences Ŕ celle de lřégarement et celle de
lřorganisation Ŕ me paraît caractéristique de
lřérotisme anal, sous la dictée duquel, selon moi,
lřœuvre pornographique de Sade a été écrite.
15
Analité & violence
chez Sade & Zola
Il était de mode Ŕ jusquřà ce que Lacan eût
donné un coup de pied dans la fourmilière
(Écrits, p. 765) Ŕ de louer Sade comme précurseur
de Krafft-Ebing et Freud. Ce sont les 120
Journées de Sodome, par leur ordonnance, qui
avaient le mieux prêté à cette confusion. Or,
comme lřa remarqué le grand spécialiste de Sade,
Gilbert Lely, cette œuvre est compromise par
une erreur dominante. Je ne me rappelle plus où,
celui-ci avait trouvé à formuler sa réserve dans le
langage de Jarry, disant quřil acceptait tout des
120 Journées de Sodome sauf la merdre ! Mais écoutons-le
nous expliquer tout du long son désappointement,
car Lely vénère Sade outre mesure,

et il est fort gêné dřavoir à formuler des réserves
(Vie..., tome II, pp. 256-257) :
Mais si, dans les 120 Journées de Sodome, cette
histoire naturelle des paresthésies ( *), Sade a fourni
le témoignage de son génie précurseur, si nombre
de ses observations psycho-sexuelles, indépendamment
de leur haute valeur littéraire, doivent être
tenues pour les chefs-dřœuvre du genre, il nřen faut
pas moins remarquer quřune erreur dominante
vient compromettre en maints endroits la valeur
didactique dřun tel ouvrage : nous voulons dire la
place monstrueusement exagérée que lřauteur y
réserve à lřaberration coprolagnique portée à ses
derniers excès. En effet, sur les six cents cas anormaux
narrés par les historiennes, sans compter la
fiction proprement dite où cette pratique répugnante
abonde, plus de la moitié offre lřimage dřune
ingestion dřexcréments, autonome ou associée à
une autre passion. Or, si la coprolagnie visuelle,
olfactive ( **) ou tactile (qui paraît relever à la fois du
fétichisme et du sadomasochisme) est une anomalie
relativement fréquente, sa sœur fanatique, la coprophagie,
ne peut être rangée quřau nombre des perversions
sexuelles les moins répandues. Mentionnée
une seule fois dans les neuf cents pages in-quarto
du recueil de Krafft-Ebing, elle ressortit avant tout
de lřaliénation mentale, domaine indépendant du
genre dřexamen que sřest proposé le marquis de
Sade. Ainsi, dans les 120 Journées de Sodome, la
vraisemblance est souvent heurtée par la suprématie
gratuite dřun égarement hideux entre tous et que
dřautres nuances, essentiellement érotologiques,
eussent remplacé avec avantage. Outre la monotonie
et le dégoût qui résultent dřun pareil abus,
certains cas des plus saisissants, comme celui de ce
président nécrophile qui ne veut avoir affaire « quřà
des femmes qui vont être exécutées », sont en quelque
manière déchus de leur attribution universelle, à
cause de lřélément corpophagique que Sade a cru
devoir greffer sur la perversion principale.
* [Note de Lely] Paresthésie (terminologie de Krafft-Ebing) :
excitation de lřinstinct sexuel par des objets inadéquats.
** [Note de Lely] Un des aspects de la fameuse débauche de
Marseille se traduit précisément par cette forme : voyez notre
t. I er, p. 299 et 306.
337
Lely nřest pas content du tout. Et pourtant,
Sade nřa pas cessé de reconduire cette « erreur
dominante » en toutes ses œuvres pornographiques.
Trait de turpitude insistant, puisquřon le
retrouve même dans La Philosophie dans le boudoir
(fin du 5 e dialogue) qui constitue pourtant
lřouvrage le moins virulent de cette production.
Ce trait qui a intrigué et attristé Lely a pourtant
sa nécessité, une nécessité de structure, quand on
sřavise que la production pornographique de
Sade est entièrement placée sous le signe de
lřérotisme anal. La place « monstrueusement exagérée
» que Sade réserve à lřaberration coprolagnique
portée à ses derniers excès, comme le
formule si bien Lely, est un index qui pointe vers
la source pulsionnelle de cette œuvre. Et il ne
sert à rien de le regretter ou de sřen attrister. Au
contraire, il nous faut tout simplement en
prendre acte, Ŕ voilà tout ! De même quřil nous
faut également prendre acte de la violence, de la
férocité et de la cruauté qui sont également associées
à lřérotisme anal. Car, voyez-vous, il nřy a
pas dřérotisme anal, mais de lřérotisme sadiqueanal.
Ceux qui laissent tomber le préfixe par souci
de concision finissent par négliger lřexpérience
clinique qui lřinspire.
Revenons à Zola.
La question de lřautre·jouisseur était le premier
sujet dont je voulais vous entretenir à propos
de La Terre. Je voudrais encore aborder un
autre aspect de ce roman, à mes yeux tout aussi
important que le premier, et qui a plongé dans la
perplexité pas mal de commentateurs. Depuis sa
publication, La Terre nřa cessé de provoquer des
récriminations. Zola y était habitué, il en était
même complice car cela servait à la promotion
commerciale de ses livres. Néanmoins, avec La
Terre un certain seuil ou comme nous disons ici
une « ligne rouge » ont été franchis. Zola était un
maître, un chef dřécole, de sorte que quelques

jeunes écrivains se sont sentis incommodés et
ont résolu de se désolidariser publiquement du
maître pour question de dignité. Ils publièrent
dans Le Figaro une sorte de pamphlet quřon dénomma
: « Le Manifeste des Cinq ». Il est heureux
quřil soit repris intégralement dans le dossier
de lřéd. Pocket. Cřest quřil est dřun très vif
intérêt. Pour ces jeunes écrivains, LřAssommoir
était un superbe travail, et lřespoir dřun nouveau
chef-dřœuvre avec La Terre les tenait, nous
disent-ils, en haleine :
La Terre a paru. La déception a été profonde.
Non seulement lřobservation est superficielle, les
trucs démodés, la narration commune et dépourvue
de caractéristiques, mais la note ordurière est exacerbée
encore, descendue à des saletés si basses
que, par instants, on se croirait devant un recueil de
scatologie : le Maître est descendu au fond de lřimmondice.
(Éd. Pocket, p. 527).
En gros, je trouve personnellement que cela
est bien dit. Il est tout à fait exact que Zola a
utilisé des ficelles grossières et des procédés
éculés, et quřaucune invention narrative ne caractérise
ce roman. Il est également vrai que la note
ordurière est exacerbée, etc. Quelques lignes plus
bas, nos cinq pudibonds se font méchants et ont
recours à un argument ad hominem. Ils incriminent,
je cite : « lřirrémédiable dépravation morbide dřun
chaste ». Le procédé est pour le moins indélicat.
Mais nos cinq étaient fort bien informés. De
plus, nous le savons depuis, Zola était dans toute
sa splendeur un « caractère obsessionnel », et
nous possédons un catalogue étendu de ses
« manies ». Ainsi, de notre point de vue, nous
savons que Zola était à son affaire en descendant
au fond de lřimmondice sous prétexte dřaller
jusquřau fond de lřâme du paysan beauceron. Il
en savait un bout sur la « consommation » de
lřérotisme anal en traits de caractère.
« Observation superficielle » du monde de la
paysannerie, commencent par dire les cinq. Là
338
encore ils sont bien informés, car lřenquête
directe nřaura duré quřune semaine 1 . Et alors !
lřinsight se fait en un éclair ! Les témoignages en
faveur du « coup dřœil » de Zola ne manquent
pas de la part des meilleurs garants : Guy Robert
(1952), Christiane Marcilhacy (1957), Hubert
Juin (1967), Emmanuel Le Roy Ladurie (1980),
Pierre-Jakez Hélias (1984), etc. Je voudrais
piquer deux extraits de lřétude de lřhistorien
célèbre Emmanuel Le Roy Ladurie 2 :
Que penser du « réalisme paysan » de La Terre ?
En première analyse, et quant à lřécorce des choses,
il semble résister à la critique : au vu des recherches
de Christiane Marcilhacy ( *), qui utilise lřenquête
diocésaine de 1850, et les témoignages concomitants
de divers prêtres beaucerons, Émile Zola sort
victorieux dřune comparaison instituée par cette
historienne entre La Terre et les sources dřarchives.
[...]
Seule la violence sanglante, en fin de compte,
paraît, au vu des dossiers Malcilhacy, avoir été
exagérée par Zola ; il est plus proche en cela des
Moissons sanglantes de Dashiell Hammett et de James
Hadley Chase que de lřhabituel réalisme-naturalisme
du XIX e siècle.
La « violence sanglante » qui dépare la
véridicité historique de La Terre va retenir assez
longuement Le Roy Ladurie. Dans une exploration
passionnante de Thérèse Raquin Ŕ un roman
de Zola dřavant la série des Rougon-Macquard Ŕ
il lui cherchera des justifications dans la « médecine
des tempéraments » à laquelle adhérait Zola.
Il y aurait chez celui-ci une opposition catégorielle
entre la ville et la campagne ; à la ville on
serait nerveux, à la campagne sanguin. Et en
dernière analyse, suivant Emmanuel Le Roy
1 Cf. la notice dřHenri Miterrand appendue à lřéd. Folio de La
Terre, en particulier les pp. 575-576.
2 LE ROY LADURIE (1980), préface à lřédition Folio de La Terre,
pp. 8 et 9.
* [Note de Le Roy Ladurie] Christiane Malcilhacy dans Annales
E.S.C., 1957, p. 573 sq.

Ladurie, « Lřénigme de la violence paysanne est fondamentalement
physiologique », Ŕ dřaprès ses propres
termes (éd. Folio, p. 14).
Malgré lřintérêt de cette exploration et la
pertinence de lřanalyse, je ne puis adhérer à la
conclusion de lřéminent historien. Malgré lřargumentation
de Le Roy Ladurie, la « violence
sanglante » de La Terre conserve son énigme
entière. Au fond, lřargument présenté ici par
lřhistorien revient à réduire toute la « psychologie
» des Rougon-Macquard au vieux Traité
Philosophique et Physiologique de lřhérédité naturelle dans
les états de santé et de maladie du système nerveux du D r
Prosper Lucas (1847), sous prétexte que Zola
sřen réclame. Naturellement, la « psychologie »
nřentre pas dans les préoccupations de lřéminent
historien, et il nřa cure de notre point de vue.
Tant pis ! mais cela nřempêchera pas la terre de
tourner.
Au point de vue où nous nous plaçons Ŕ
celui de la psychoclinique Ŕ lřénigme de la violence
sanglante de La Terre est un fait de structure
qui appartient à lřérotisme sadique-anal. La prétendue
« erreur dominante » des 120 Journées de
Sodome était lřexcrémentiel, et la prétendue
« erreur dominante » de La Terre est la « violence
sanglante ». Dans les deux cas, cřest au nom du
réalisme que lřon porte ce verdict.
Le réalisme ! que vient-il faire dans cette
galère ? Viendra-t-il ce jour où la littérature sera
prise au sérieux ? Viendra-t-il ce jour où la
« réalité psychique » sera-t-elle aussi prise au
sérieux ?
339
III.
Conclusions
16
Résumé
De tout cela que faut-il retenir ? En gros,
trois ou quatre choses :
Ŕ Que lřautre·jouisseur est une instance qui peut
prendre toutes sortes de figures. Celui-ci lřappelle
Nature, celui-là la Terre, cet autre Dieu, un autre
encore son voisin dřen face, ou tel animal, ou
telle substance... On nřen finirait pas dřénumérer
les figures qui peuvent servir à incarner cette
instance abstraite de lřautre·jouisseur.
Ŕ Que cřest la constitution de cette instance qui
nous oblige à élaborer des moyens de défense
quřon peut regrouper, sous lřappellation de
« régime libidinal intermédiaire » que je propose.
Ŕ Que ce régime libidinal intermédiaire se différencie
en trois dialectes : oral, anal et phallique.
Ces trois dialectes pulsionnels servent au premier
chef à limiter la jouissance de lřautre. Ces trois
solutions, ces trois idéologies, ces trois dialectes
pulsionnels, ces trois modi vivendi, Ŕ cřest tout ce
quřon a trouvé pour limiter lřabsolu de la
jouissance de lřautre.
Ŕ Que le dialecte anal parle haut et fort, et quřil
est très éloquent. Cřest la richesse de lřérotisme
sadique-anal qui ressort des analyses particulières
que je vous ai présentées. Jřai essayé de suivre à
la piste cet érotisme-là à travers des œuvres et
des exemples variés, jusquřà y reconnaître même
la source des constructions délirantes des paraphrènes.
17
À tout seigneur
tout honneur
Sur le plan de lřhistoire des idées, il se peut
que lřautre·jouisseur soit une invention de Lacan,
effectuée à partir de la lecture des Mémoires du

président Schreber et des remarques de Freud.
Avant Lacan, personne nřavait soupçonné que
nous avions là un problème. Les gens croient
que lorsque Lacan parle de jouissance, il sřagit de
la nôtre. Or Lacan a été le premier, me semble-til,
à soulever la question de lřautre et à lui donner
une ampleur insoupçonnée.
Quand Lacan a commencé à élaborer la
notion de jouissance, cřétait de la jouissance de
lřAutre quřil sřagissait. Pour Lacan la jouissance
de lřAutre, cřest la jouissance contre laquelle il
nous faut lutter. Il nřy a rien de plus terrorisant et
de plus ravageant que dřêtre à la merci de la
jouissance de lřAutre (le grand autre sřentend).
Lřexpression « limiter la jouissance de lřAutre » est
courante dans la production lacanienne, mais il
lui manque en général un arrimage quelconque.
Elle vient trop souvent comme un cheveu sur la
soupe.
Lřapport nouveau se réduit à lřarrimage de
cet énoncé : « Il faut limiter la jouissance de lřautre ».
Les termes du problème, tels que jřai essayé de
les formuler, consistent à expliquer par quelle
nécessité la sexualité infantile passe du régime
libidinal polymorphe au régime intermédiaire
organisé suivant les trois dialectes oral-analphallique.
Et la réponse que jřavance est que :
cřest lřémergence et la constitution de lřinstance
de lřautre·jouisseur qui conditionne le passage du
régime libidinal polymorphe au régime libidinal
intermédiaire. Or, dans la production lacanienne,
la sexualité infantile nřa pas de statut propre. Elle
nřy est pas objet dřinvestigation.
18
Le corps propre en tant
qu’autre·jouisseur
Lřautre·jouisseur est une instance psychique,
autrement dit une sorte de variable abstraite.
Nřimporte qui et nřimporte quoi peuvent en
assumer la fonction. Ce nřest pas nécessairement
une personne, cřest parfois une chose. Dans La
340
Terre de Zola, la terre est lřautre·jouisseur. Pour
le libertin de Sade, cřest parfois Dieu, parfois la
Nature et parfois la Société, etc. Lřautre·jouisseur
est parfois une personne Ŕ on pense à la « mauvaise
» mère par exemple Ŕ mais pas toujours.
Lřautre·jouisseur cřest parfois autrui mais cřest
parfois nous-mêmes.
Oui, on a peur de soi ! Enfants, adolescents
et adultes ont parfois peur dřaller dormir. Soit à
cause des cauchemars, soit à cause dřune multitude
de petits « accidents nocturnes » quřils
appréhendent. La liste nřen est pas négligeable :
énurésie, pollutions, petit somnambulisme, peur
de ronfler ou de parler en rêve et de trahir des
secrets.
Quand lřautre·jouisseur est soi-même, cřest
souvent le corps propre. Cřest pour cette raison
que chez Lacan la jouissance de lřautre, dans sa
définition première Ŕ car il y en a chez lui plusieurs
que Valas a repérées avec précision Ŕ dans
sa définition première, la jouissance de lřautre
était pour Lacan la jouissance du corps propre.
Nos expériences les plus cruelles sont celles
où notre corps faillit. Quřil nous fasse défaut
dans la fatigue ou la maladie, ou que nous nřarrivions
pas à le maîtriser. Comme le dit Spinoza
dans lřun de ses scholies les plus célèbres 1 : « de
quoi le Corps est capable, nul ne lřa déterminé jusquřici
(quid Corpus possit, nemo hucusque determinavit) ».
Cřest lřénoncé qui me paraît le plus pertinent.
19
La Loi du
Talion
À lřégard de notre objectif dřacquérir une
connaissance plus poussée de la sexualité, nous
avons Ŕ je pense Ŕ effectué un pas en avant grâce
à cette instance de lřautre·jouisseur, caractérisée
par le fait quřil est arbitraire, quřil ne tient pas
1 B. DE SPINOZA, Ethica, Pars III, Prop. 2, schol. Cf. Spinoza
Opera, herausgegeben Carl Gebhardt, 1925, Bd. II, 141-144.
Lřexpression citée est à la p. 142, lignes 4-5.

compte de ce que nous sommes, et vis-à-vis de la
jouissance duquel tout ce que nous pouvons
faire cřest de construire des digues plutôt précaires.
Et ce régime libidinal intermédiaire (qui organise
la sexualité infantile selon les trois registres
dialectaux : oral, anal et phallique) est
contrôlé Ŕ je le répète Ŕ par le sadisme. À mon
avis, les organisations libidinales intermédiaires
sont toutes les trois des organisations sadiques.
La notion de sadisme ne permet pas de distinguer
une organisation intermédiaire dřune autre.
Les trois organisations intermédiaires ont le sadisme
en partage.
Quřest-ce donc que le sadisme ? Nous avons
tout intérêt à y regarder à deux fois. Apparemment,
cřest lřautre-jouisseur qui est sadique.
Lřêtre humain a cru en tout temps et en tous
lieux à un Dieu hostile, un Dieu jaloux. Cřest un
Dieu sadique, Ŕ on ne peut pas le considérer
autrement. En revanche, le « bon » Dieu est de
conception récente. Cřest une conquête tardive
et une construction dřordre intellectuel.
Lřantiquité a connu autre chose, que lřon
peut compter pour une très grande conquête,
mais cette fois dřordre moral : la Loi du Talion. Il
est regrettable que le vocabulaire de la psychanalyse
de langue française en dénature le sens.
Melanie Klein utilise le terme anglais de « retaliation
» que lřon rend trop souvent en français (par
appel à lřétymologie) en « Loi du Talion », alors
quřil faudrait le traduire par « représailles » ou
« rétorsion ». Cřest par une complète méconnaissance
des affaires humaines que certains psychanalystes
confondent « représailles » et « Loi du
Talion ». On dit « œil pour œil et dent pour dent » et
on tremble devant tant de cruauté. On oublie
que le Talion est une Loi, Ŕ autrement dit une
limitation. Par cette loi la vengeance était tempérée
; les représailles ne devaient pas dépasser les
bornes du préjudice subi.
341
Le Talion est lřune des premières conquêtes
culturelles. Elle tient compte de la réciprocité des
échanges entre les hommes et trace en même
temps une limite à la jouissance de lřautre.
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Paris, Gallimard, Folio n° 1177, rééd. 1987, in-12,
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et notes de Roger Ripoll, Paris, LGF, Livre de
Poche n°178, rééd. 1989, in-12, 576 p.
• 1994 : Préface et commentaires de Gérard Gengembre,
Paris, Pocket n°6115, « Lire & Voir les
Classiques », in-12, 671 p. et 8 pl.
● POST-SCRIPTUM (2012). ― Il me semble avoir
retrouvé la source où jřai puisé lřautre·jouisseur.
Jřai lu le texte ci-dessous dès sa publication, et il
mřavait beaucoup impressionné. Je viens de le
relire avec le même emballement. Je vous le
recommande très chaudement.
MALEVAL, Jean-Claude
1993 Clinique du désit pur, in PERU, 1ère journée de
travail, Rennes, 1993, in-4°, pp. 23-47.

Le Sadisme & le Masochisme innominés / II e Partie / Complément n° 6, pp. 344-348
Les Perversions sexuelles au regard de la sexualité féminine
● Source
AMINE A. AZAR : Les perversions sexuelles au regard de la sexualité
féminine, publié in ’Ashtaroût, cahier hors-série n° 6, décembre 2005,
pp. 10-14. [Ce texte est détaché d’un cycle de conférences auquel je
me permets de renvoyer, même volume, pp. 1-61.] @
___________
1/ La pulsion sexuelle est un instinct perverti. Ŕ 2/ Les
névroses sont le négatif des perversions. Ŕ 3/ Le déni ou
désaveu. Ŕ 4/ Perspective structurale versus nucléaire. Ŕ
5/ Sur lřarticulation du complexe de castration avec le
complexe dřŒdipe. Ŕ 6/ La généalogie des perversions
sexuelles à partir du fétichisme. Ŕ 7/ La généalogie des
perversions sexuelles à partir de lřautre∙jouisseur. Ŕ 8/ La
déroute du désir chez les femmes.
_________
1
Allons droit au but.
Pendant longtemps Freud nřéprouva pas le
besoin dřélaborer une théorie psychanalytique
des perversions sexuelles.
Au début de sa carrière de psychanalyste il a
lui-même noyé le poisson quand il a proposé
dřélargir la notion de « sexualité » pour y inclure
la sexualité infantile polymorphe dřune part, et
les perversions sexuelles dřautre part.
En ce qui concerne ces dernières, il a même
eu recours à un argument massif. Sřappuyant sur
un ouvrage fort répandu de son temps, celui de
Iwan Bloch (1902-1903), il a souligné la fréquence
des perversions sexuelles à toute époque, depuis
les peuplades les plus primitives jusquřaux
civilisations les plus raffinées 1 . Dès lors, comment
les écarter dřune définition de la sexualité ?
1 FREUD (1905d) : Trois Traités sur la Sexualthéorie, 1 er Traité, GW,
5 : 37-38 ; SE, 7 : 139 ; trad. franç. nouvelle, Folio-Essais, 1985,
p. 43. Argument repris in FREUD (1916-1917) : Leçons dřintroduction
à la psychanalyse, 20 e conférence, GW, 11 : 317 ; SE, 16 : 307 ; trad.
franç. nouvelle, Gallimard, 1999, p. 390.
344
Or, si la sexualité polymorphe de lřenfant et
la sexualité perverse des adultes doivent entrer
au même titre dans la définition psychanalytique
de la sexualité humaine, on risque fort de ne plus
distinguer le normal du pathologique. On serait
amené à dire que, du point de vue psychanalytique,
la sexualité humaine toute entière est perverse.
Ainsi, Robert Barande (1972), dans un
texte provoquant, dont le titre paraphrase le
divin marquis, déclara quřil nřest nul lieu de
parole qui puisse permettre au psychanalyste de
tenir un discours sur la perversion sauf à se renier
en tant que psychanalyste 2 .
Autrement dit, dans lřespèce humaine la pulsion
sexuelle est un instinct perverti 3 .
2
En ce qui concerne la nosographie, dans ses
Trois Traités sur la Sexualthéorie (1905d) Freud
sřétait contenté dřun énoncé très approximatif
suivant quoi les névroses seraient le négatif des
perversions. Les fantasmes des névrosés correspondraient
aux actes des pervers comme le
cliché négatif par rapport au tirage dřune photo.
Cřest comme si les pervers nřavaient que des
impulsions et point de fantasmes. Quant au mécanisme
psychologique en question, Freud avait
recours à la régression et à la fixation à des étapes
révolues du développement libidinal.
Quelle différence alors entre une névrose et
une perversion ? Freud sřest longtemps contenté
de la réponse suivante :
2 BARANDE (1972) : « Pourrions-nous ne pas être ‛‛perversŗ ?
Psychanalystes, encore un effort ! », p. 232.
3 Dans Vie & Mort en psychanalyse, Jean Laplanche (1970) dit :
instinct mimé et dénaturé, pp. 28 et 39.

La régression de la libido sans refoulement ne
donnerait jamais une névrose, mais aboutirait à une
perversion 1.
La spécificité des perversions sexuelles en
tant quřentité psychopathologique devait ainsi
être méconnue pendant plus de vingt ans.
3
Cřest fort tardivement que Freud sřest mis à
réfléchir au problème dřune psychopatho-
logie générale. Il sřest concentré sur ce problème
en rédigeant Inhibition, Symptôme & Angoisse
(1926d). Le propos de cette brochure est de
présenter un premier relevé des mécanismes de
défense du moi. Vers la fin du 1 er Supplément à cet
ouvrage, Freud confie son espoir de parvenir un
jour à caractériser les maladies mentales par le
mécanisme de défense spécifique mis en jeu 2 :
... un approfondissement de nos études pourrait
dégager une affinité intime entre des formes particulières
de la défense et des affections déterminées, par
ex. entre refoulement et hystérie.
Poursuivant sur cette lancée, il présenta lřannée
suivante une conception suivant quoi les
perversions sexuelles auraient une affinité intime
avec une forme particulière de défense quřil dénomma
en allemand Verleugnung (en français :
désaveu ou déni). Il en donna comme exemple un
cas de fétichisme 3 :
... le fétiche est le substitut du phallus de la
femme (de la mère) auquel a cru le petit garçon et auquel Ŕ
nous savons pourquoi Ŕ il ne veut pas renoncer (*).
1 FREUD (1916-1917) : Leçons dřintroduction à la psychanalyse, 22 e
conférence, GW, 11 : 356 ; SE, 16 : 344 ; OCF, 14 : 356 ; trad.
franç. nouvelle, Gallimard, 1999, p. 437.
2 FREUD (1926d), Inhibition, Symptôme & Angoisse, supplément A, §
(c) ; GW, 14 : 197 ; SA, 6 : 301-302 ; SE, 20 : 164 ; OCF, 17 : 279.
3 FREUD (1927e) : « Fétichisme », GW, 14 : 312 ; SE, 21 :
152-153 ; OCF, 18 : 126. La note est de Freud. Entre crochets
droits les interventions de lřéquipe des OCF. Entre crochets
coudés mes propres interventions.
345
Les choses se déroulèrent donc ainsi : le garçon
sřest refusé à prendre connaissance de ce fait de sa
perception, à savoir que la femme ne possède pas de
pénis. Non, ce ne peut être vrai, car si la femme se
trouve être castrée, sa propre possession dřun pénis
est menacée, et là contre se rebelle la part de narcissisme
dont la nature prévoyante a doté précisément
cet organe.
___________________
(*) Cette interprétation a été communiquée, sans que jřen
donne les raisons, dès 1910, dans mon écrit « Un souvenir
dřenfance de Léonard de Vinci ». [Eine Kindheitserinnerung
des Leonardo da Vinci, GW, VIII, p. 165-166 ; OCF.P, X, p.
120-122. ]
Le fétichisme Ŕ et par extension toutes les
autres perversions sexuelles Ŕ sont le produit du
déni de la différence des sexes au niveau anatomique.
4
On convient de dénommer cette approche
pychopathologique, inaugurée par Freud luimême,
la perspective structurale. Lacan (et ses
élèves) lřont poursuivie. On peut même estimer
que cet ambitieux programme a été rempli avec
succès 4 .
Dès les années trente, cependant, une autre
approche a été élaborée pour concurrencer la
perspective structurale. On peut la dénommer la
perspective nucléaire. Son défenseur le plus illustre
fut Edward Glover. Elle se prête à une présentation
didactique sous la forme dřun tableau longitudinal
où se trouvent marquées les correspondances
entre les dominantes libidinales, les
noyaux du moi, les processus primaires et les
entités nosographiques. On en décèle jusquřà aujourdřhui
les succédanés dans lřopinion moyenne
que se font les psychanalystes, toutes obédiences
confondues, de la psychopathologie.
4 On en trouvera un exposé exhaustif in BRUCE FINK (1997), A
Clinical introduction to lacanian psychoanalysis, II e partie, pp. 73-202.
Cf. aussi PHILIPPE JULIEN (2000).

Citons encore pour mémoire un mélange
des deux perspectives, concocté plus récemment
par Bergeret (1972) afin de fournir un droit de
cité aux « états limite ». Là aussi une présentation
sous la forme dřun tableau longitudinal de correspondances
en est lřaboutissement didactique.
Chacune de ces approches a ses avantages et
ses faiblesses. La perspective nucléaire relève
dřune pensée molle, mais dřune clinique ouverte ;
la perspective structurale relève dřune pensée rigoureuse,
mais dřune clinique plutôt rigide.
5
Revenons à Freud et à la perspective structurale
quřil a inaugurée dans lřapproche des
perversions sexuelles. Elle présente à mes yeux
de nombreuses difficultés. Jřen ferais deux groupes,
les difficultés qui relèvent de lřorientation
développementale et celles qui relèvent de
lřorientation doctrinale.
Un énoncé de Freud condense les difficultés
qui relèvent de lřorientation développementale.
Je lřextrais dřun écrit tardif (1925j) 1 :
Tandis que le complexe dřŒdipe du garçon périt
de par le complexe de castration, celui de la fille
est rendu possible et est introduit par le complexe de
castration.
La première difficulté présentée par cette
assertion se rapporte à lřarticulation du complexe
dřŒdipe avec le complexe de castration, ou le
contraire. Quřont-ils de commun à part le terme
de « complexe » qui se retrouve dans les deux expressions
? Procédons par ordre.
À force de nous terroriser avec le « complexe
de castration » les psychanalystes nous font oublier
Ŕ et ils oublient sans doute eux-mêmes Ŕ que ce
trop fameux complexe nřest quřune théorie sexuelle
infantile. Cette théorie fleurit chez les petits
enfants dřâge préscolaire.
1 FREUD (1925j) : Quelques conséquences psychiques de la différence
des sexes au niveau anatomique, GW, 14 : 28 ; SE, 19 :
256 ; OCF, 17 : 200.
346
Si lřon se tourne maintenant du côté du
« complexe dřŒdipe », force est de constater que
nous manquons jusquřà présent dřune véritable
présentation critique de ce dont il sřagit. Les psychanalystes
qui se sont mêlés dřen disserter nřont
jamais été fichus de retracer avec rigueur et discernement
les étapes du cheminement tortueux
de la pensée de Freud à cet égard.
Prenons un exemple. La référence à Œdipe
Tyran et à Hamlet survient très tôt chez Freud, en
octobre 1897 2 , et pourtant lřexpression de « complexe
dřŒdipe » nřest forgée quřen 1910. Nřest-il
pas étrange quřil eût fallu plus dřune douzaine
dřannées de gestation pour cette notion ? Autre
curiosité : Freud nřa jamais consacré un écrit spécifique
au complexe dřŒdipe. Le seul quřil eût
jamais rédigé est fort tardif (1924d) et se rapporte
à sa... disparition !
En voici les deux premières phrases 3 :
De plus en plus le complexe dřŒdipe dévoile sa
significativité de phénomène central pour la période
sexuelle de lřenfance précoce. Ensuite il disparaît, il
succombe au refoulement, comme nous disons, et le
temps de latence lui succède.
Retenons ces deux points : 1/ le complexe
dřŒdipe est un phénomène central de lřenfance
précoce, et 2/ la période de latence lui succède.
Cela me paraît un peu bancal. Pensez-y ! Si lřinceste
et lřinterdit de lřinceste (ce que les lacaniens
appellent la Loi) est considéré comme la pièce
majeure du complexe dřŒdipe, force est de le
déplacer en aval, après la période de latence. Car
cřest durant la période de latence que la barrière
de lřinceste sřinstitue. Avant la période de latence
lřinceste nřa pas dřexistence.
Ouvrons maintenant les Trois Traités sur la
Sexualthéorie (1905d), vers la fin du 3 e Traité con-
2 Lettre à Fliess du 15 octobre 1897, ancienne édition fragmentaire
n°71, nouvelle édition intégrale n°142.
3 FREUD (1924d) : La disparition du complexe dřŒdipe, GW, 13 :
395 ; SE, 19 : 173 ; OCF, 17 : 27.

sacré aux reconfigurations de la puberté. Comme
on le sait, Freud nřa cessé de remanier son texte
et de lřenrichir au fil des rééditions. Or, en 1920,
il ajouta une longue note consacrée aux fantasmes
de la période pubertaire. Il en donne une
liste étendue, il les désigne globalement comme
« fantasmes originaires », à la fois parce quřils se
rapportent aux origines, et parce quřils sont un
héritage phylogénétique. Ils comprennent la scène
primitive, la séduction précoce, les fantasmes
intra-utérins, mais aussi le roman familial, la menace
de castration et le complexe dřŒdipe.
Freud nous apprend également : 1/ que
« ces fantasmes de la période pubertaire se
nouent (knüpfen) aux recherches sexuelles infantiles
abandonnées au cours de lřenfance », 2/
quřils « ont une grande importance dans la genèse
de nombreux symptômes », et 3/ quřils « sont
les prototypes des fantasmes nocturnes qui deviennent
conscients sous forme de rêves » 1 . Il ne
me semble avoir oublié quřun dernier point sur
lequel jřai moi-même précédemment insisté : 4/
ce sont des fantasmes masturbatoires, et cřest la
raison pour laquelle je les ai dénommés des
« fantasturbaires » (AZAR, 2002b).
Le rappel de ces éléments dřinformation
complique à loisir le problème de lřarticulation
du complexe de castration avec le complexe
dřŒdipe et ne nous permet pas dřadopter avec
beaucoup dřenthousiasme lřénoncé simplificateur
de Freud dont je suis parti.
Ce nřest pas tout. Jřai réservé en effet le
dernier aspect de son énoncé, celui qui touche à
la sexualité féminine. De cet énoncé deux corollaires
sřensuivent : 1/ les femmes, à quelques
exceptions près, sont globalement condamnées à
se débattre dans leur complexe dřŒdipe sans
issue possible, et 2/ les perversions sexuelles
sont totalement en dehors de leur portée, et cette
1 FREUD (1905d) : Trois Traités sur la Sexualthéorie, note ajoutée en
1920, GW, 5 : 127 ; SE, 7 : 226 ; nouvelle trad. franç., éd. Gallimard,
Folio-Essais, 1985, pp. 169-170.
347
fois sans exception possible. Ces deux corollaires
sont des « excès de bagage » lourds à porter, et
dřun coût théorique assez élevé. Bon courage,
bonne chance et bon voyage à ceux qui consentent
à sřen charger.
6
Lřautre groupe de difficultés se rapporte à
lřoption doctrinale ou à lřa priori méthodologique.
On constate que Freud a constamment
abordé les perversions sexuelles à partir du fétichisme.
Que devons-nous en penser ?
Prenons exemple sur un psychanalyste français
bien famé, du petit nombre de ceux qui se
sont occupés des perversions sexuelles avec
constance et application. Il est lřauteur dřune
« Étude des perversions sexuelles à partir du fétichisme »,
à la fin de laquelle il soumet à notre perspicacité
la suggestion suivante sur le mode interrogatif :
Peut-on tenir la structure fétichiste comme
nodale, à charge pour nous dřavoir à préciser pour
chaque perversion les modalités particulières qui la
caractérisent en tant que forme déviante de ce schéma
? 2
Poursuivant son investigation dans une étude
contemporaine, il nous avertit dès lřabord :
Il est souvent fait référence au fétichisme dans
ce qui suit parce que nous pouvons tenir cette perversion
comme exemplaire, centrale parmi les autres,
puisquřon y peut faire saillir la fonction majeure du
désaveu, de la scission du moi correspondante, et de
la prévalence du pénis, organe visible du plaisir. 3
Les mots soulignés (nodale, exemplaire, centrale)
ajoutés au titre de la première étude citée,
indiquent lřorientation typiquement freudienne
de lřauteur. Il nřest pas le seul ni le premier à
lřavoir adoptée. Il a été précédé par Gillespie
(1964) auquel il rend dřailleurs hommage.
2 ROSOLATO (1967a) : Étude des perversions sexuelles à partir du
fétichisme, in ouvrage collectif Le Désir & la perversion, Paris,
Seuil, 1967, p. 40.
3 ROSOLATO (1967b) : Généalogie des perversions, repris in Essais
sur le symbolique, Paris, Gallimard, 1969, p. 266.

Que vaut cette orientation, ou cet a priori ?
Il me semble que lřapproche des perversions
sexuelles à partir du fétichisme a livré tous ses
fruits. À lřheure présente il se peut quřelle soit
devenue un obstacle pour la poursuite de lřinvestigation.
Je ne le dis pas à la légère. Jřai en
effet une dernière observation à présenter.
7
Il y a quelques années jřai présenté une instance
de lřappareil psychique que jřai dénommée
« lřautre∙jouisseur » et que jřai illustrée par des
exemples pris chez Zola, Schreber et le marquis
de Sade (AZAR, 2002a). Cřest dans le prolongement
de cette ligne de pensée que, dans lřabord
des perversions sexuelles, je propose dřabandonner
lřarticulation entre complexe de castration et
complexe dřŒdipe pour nous tourner du côté de
lřinstance de lřautre∙jouisseur. Dans le même
mouvement, je propose également de déloger le
fétichisme de la position nodale, qui lui a été
jusquřà présent octroyée dans lřabord des perversions
sexuelles, pour lui substituer le sadisme.
Comment définir le sadisme dans la perspective
que je préconise ? Je ne me mettrai pas
en peine de faire lřoriginal, il me suffit de contresigner
la proposition de Lacan telle quřil lřénonce
à la fin dřune séance de son séminaire de 1964 :
Je vous prie de vous reporter à mon article Kant
avec Sade, vous verrez que le sadique occupe lui-même
la place de lřobjet, mais sans le savoir, au bénéfice
dřun autre, pour la jouissance duquel il exerce son
action de pervers sadique. 1
Partant de cette définition, faire procéder la
généalogie des perversions sexuelles à partir de
lřautre∙jouisseur ne me semble pas présenter de
difficulté majeure. En supprimant le sadique tout
en conservant le pervers on obtient :
1 LACAN (1964) : Le Séminaire Ŕ Livre XI : les quatre concepts fondamentaux
de la psychanalyse, Seuil, Points, 1990, p. 208 (séance du 13
mai 1964).
348
Le pervers occupe lui-même la place de lřobjet,
mais sans le savoir, au bénéfice dřun autre, pour la
jouissance duquel il exerce son action de pervers.
8
Contentons-nous en.
Cette manière de poser le problème nous
permet dřéviter les impasses freudiennes, et il
devient possible de parler des perversions sexuelles
à propos des hommes aussi bien que des
femmes avec la liberté des auteurs américains
comme Robert J. Stoller ou Louise J. Kaplan.
Néanmoins, chez les femmes, les perversions
sexuelles prennent dřautres configurations
que chez les hommes. Lacan (1972-1973) fait
lřhypothèse que la sexualité féminine ne se range
pas toute sous le primat phallique. Ajoutons-lui
cette rallonge : chez les femmes, les perversions
sexuelles appartiennent à ce domaine du « pas
tout », et admettent une consommation non
phallique. Cřest pourquoi elles échappent à lřattention
des médecins-légistes et des sexologues.
Afin de distinguer ces configurations féminines,
des perversions sexuelles masculines, je
propose de parler de la déroute du désir chez les
femmes, ou de dévoiements.
À notre prochaine réunion je décrirai en
détail lřune de ces configurations féminines, à
propos de laquelle jřai recueilli un matériel abondant
: la folie de la maternité amoureuse.
Parmi les configurations féminines de la déroute
du désir les cliniciens ont coutume de
citer : lřérotomanie, la kleptomanie, la pornographie
rose, lřanorexie mentale, le masochisme dit
féminin, et la sujétion sexuelle (en allemand geschlechtlich
Hörigkeit, en anglais sexual bondage). Mais
cřest à la maternité amoureuse que devrait sans
doute revenir la palme. Elle a lřintérêt insigne
dřêtre très bon marché, Ŕ dřoù sa fréquence, plus
particulièrement à lřâge critique.

Le Sadisme & le Masochisme innominés / II e Partie / Complément n° 7, pp. 349-353
Le secret de la jouissance masochiste est-il enfoui au fond dřun puits ?
● Source
AMINE A. AZAR : Le secret de la jouissance masochiste est-il enfoui au
fond d’un puits ?, publié in ’Ashtaroût, cahier hors-série n° 8, déc.
2011, pp. 189-193. @
L
Le secret de la jouissance masochiste
semble bien gardé. Il continue dřintriguer
nos cliniciens. Il a pourtant été révélé une
première fois par Wilhelm Reich en 1932, et une
deuxième par Théodore Reik en 1940. Mais il
semble que ces révélations soient tombées au
fond dřun puits puisquřon cherche encore ce
secret.
Le problème de la jouissance masochiste
sřénonce en termes simples une fois écartée la
niaiserie familière qui consiste à se satisfaire dřun
paradoxe. On admet que le masochiste jouit du
châtiment ou quřil prend plaisir à la douleur. Il
nřen est rien. Le masochiste est constitué comme
le commun des mortels. Quand il reçoit des
coups, que ce soit des coups de bâton ou des
coups du sort, il a mal comme tout le monde.
Énoncé en termes propres, le problème est
plutôt le suivant : comment le masochiste parvient-il
à transformer en plaisir (de pensée) la
douleur quřil ressent effectivement ? Cela veut
dire que la douleur nřest pas directement ressentie
par le masochiste comme un plaisir, mais
quřelle est transformée en plaisir (de pensée)
grâce à un dispositif particulier. Ce dispositif est
décrit par Reich de la manière suivante 1 :
1 REICH (1932) : Le caractère masochiste, trad. franç. p. 212.
349
… le masochiste ne se punit pas en vue dřapaiser
ou « dřacheter » son Surmoi afin de jouir sans
angoisse, mais il aspire, comme nřimporte quel individu,
au plaisir ; seulement, à cet instant précis, la peur
du châtiment sřinterpose : lřautopunition masochiste nřest
pas lřexécution de la peine redoutée mais une punition
plus bénigne devant en tenir lieu. Elle constitue donc
un mode de défense contre la punition et lřangoisse.
Une illustration ne laissant presque rien à
désirer est fournie par Reich 2 :
Les premiers fantasmes de flagellation apparurent
[chez ce patient] à lřâge de 7 ans. Il ne fantasmait
pas seulement dřêtre étendu sur les genoux de quelquřun
et de recevoir une correction, mais il sřenfermait
parfois dans la salle de bain et tentait de se
fouetter lui-même. Une scène remontant à sa troisième
année Ŕ et qui nřapparut quřaprès deux années
dřanalyse Ŕ avait sans doute eu un effet traumatisant :
lřenfant avait joué au jardin et avait souillé sa culotte.
Comme il y avait des invités, son père, personnage
psychopathique et sadique, fut pris dřune violente
colère. Il saisit lřenfant et le posa sur le lit. Lřenfant se
retourna aussitôt sur son ventre et attendit les coups avec
autant de curiosité que dřangoisse. La fessée fut dřimportance,
mais elle procura au petit garçon un sentiment
de soulagement. Ce fut là sa première expérience
masochiste.
Avait-il retiré du plaisir de cette fessée ? Lřanalyse
ultérieure devait montrer quřil sřétait attendu à un
châtiment bien plus sévère. Sřil sřétait retourné sur le
ventre cřétait pour soustraire ses organes génitaux à
lřatteinte de son père ( *). Cřest pourquoi il avait ressenti les
2 REICH (1932) : Le caractère masochiste, traduction franç. pp.
211-212. Les italiques sont dřorigine.
* [Note de Reich] Ce mécanisme fut mis à nu par Freud dans son
article intitulé : Das ökonomische Problem des Masochismus
(Ges. Schr., V, p. 378). Son examen clinique ne conduisit pas à

coups sur son derrière comme un soulagement. Ils étaient
sans gravité à côté de la blessure quřil avait craint de
voir infligée à ses organes génitaux ; il fut ainsi soulagé
dřune grande angoisse. Pour bien saisir la nature
profonde du phénomène masochiste, il faut essayer
dřen dégager ce mécanisme fondamental.
Je ne pense pas trahir la pensée de Reich en
prolongeant son analyse par un commentaire.
Une première chose à noter cřest le fonctionnement
de pensée obsessionnel qui sous-tend ce
mécanisme de défense. Il sřagit de conjurer un
mal suprême en abandonnant un gage ou en
payant un tribut. Ce mode de pensée est une
sorte de système comptable de compensations. Il
est formulé par La Rochefoucauld dès la première
édition de ses Maximes ( 1 1665) de la manière
suivante 1 :
Quelque différence qui paraisse entre les fortunes,
il y a néanmoins une certaine compensation de
biens et de maux qui les rend égales.
Joseph de Maistre donna par la suite à ce
système de compensations une amplification
célèbre 2 . Le problème est une variante de celui
auquel Leibniz sřétait confronté. Il sřagit dřexpliquer
ou de justifier lřexistence du mal dans un
monde créé par le Bon Dieu. Il sřagit de comprendre
comment il se fait que les justes y
essuient des revers tandis que les méchants y
récoltent des récompenses.
On sait que Leibniz 3 aboutit à une solution
que Voltaire prit pour cible de son ironie cinglante
4 . Leibniz avait conclu que nous vivons
dans le meilleur des mondes possibles. De Maistre a
lřhypothèse dřun masochisme primitif, mais au contraire, à sa
réfutation.
1 Cette maxime porte le n°52 de lřédition définitive de 51678. OC,
p. 414 ; éd. Folio, p. 52.
2 DE MAISTRE (1821) : Les Soirées de Saint-Pétersbourg ou entretiens sur
le gouvernement temporel de la Providence. Cf. le troisième entretien.
3 LEIBNIZ (1710) : Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de
lřhomme et lřorigine du mal.
4 VOLTAIRE (1759) : Candide ou lřoptimisme.
350
raffiné à son aise à partir de là. Son système de
compensations à plusieurs entrées découle des
prémisses suivantes :
1/ Nous vivons dans un monde dégradé et corrompu
par le péché originel.
2/ Le péché originel se transmet par hérédité à toutes
les générations subséquentes.
3/ Tous les êtres humains forment une seule et
même masse solidaire.
4/ Et enfin, aucun de nous tant que nous sommes ne
possède un discernement sûr ni à propos de ce qui lui
convient ni à propos de ce qui lui nuit.
Partant, il y a de lřoutrecuidance de notre
part à discuter les décrets divins selon lesquels
certains payent pour dřautres, et, à lřoccasion,
les bons pour les méchants. Dans la
doctrine catholique, ce système de compensations
possède une dénomination propre. Cřest le
dogme de la réversibilité. Paul Bourget, un écrivain
catholique à cheval sur la fin du XIX e et le
début du XX e siècles, a entrelacé ce dogme à la
trame de certains de ses romans à thèse 5 . Cette
apologétique qui remonte à de Maistre en passant
par deux intercesseurs (Baudelaire et Barbey
dřAurevilly) est lřune des constantes de Bourget.
On la retrouve telle quelle en des œuvres fort
distantes comme La Terre promise (1892), Le
Fantôme (1901), et Le Démon de midi (1914).
Depuis Freud (1908) et Nunberg (1920), il
est dřusage de rattacher à lřérotisme anal tout
système comptable de compensations, de même
que le sentiment de culpabilité qui le régit souvent
6 .
5 Cf. FEUILLERAT (1937) : Paul Bourget, histoire dřun esprit sous la III e
République, pp. 218, 219, 305, etc.
6 Dans une note (p. 209) Nunberg reconnaît à Ludwig Jekels
(1867-1954) le mérite dřavoir attiré son attention, au cours dřune
discussion en privé, sur la relation entre lřérotisme anal et le sentiment
de culpabilité.

J
e me souviens dřun analysant qui trahissait son
rattachement à cette catégorie par ce questionnement
régulier : « À qui la faute ? » Dès son âge
tendre, il avait embrassé le rôle de souffredouleur
de sa mère. Il se prêtait (jřallais dire
volontiers) à ses coups. Cette femme avait des
fureurs homicides. Cřétait une sorte Médée. Elle
menaçait un jour de mettre le feu à lřappartement,
un autre de mêler subrepticement de la
mort-aux-rats aux aliments, un autre dřétouffer
ses enfants au cours de leur sommeil, un autre
encore dřingurgiter elle-même de lřeau de Javel
au goulot… Le pauvre petit conclut un marché
aux termes duquel il se voue comme souffredouleur
de sa mère afin de conjurer les diverses
catastrophes que sa furie pouvait lui inspirer. On
peut songer, à la suite de Théodore Reik, à ce
que la doctrine catholique appelle des « Indulgences
» 1 . Cela revient à choisir le moindre mal
ou, pour ainsi dire, à limiter les dégâts. Une
expression libanaise en arabe colloquial témoigne
de cet état dřesprit. À la survenue dřun malheur
on sřécrie :
Lhamdella heyk wmich aktar ~ رثكأ شْم وِ كيه وِلﻠﻠ دُمحل أ
Autrement dit : grâce à Dieu ce nřest que ça,
cřaurait pu être pire.
Revenons à mon patient. Voici comment il
mřa remis en mémoire le système des compensations
que jřai évoqué. Nous en étions parvenus
à ce tournant inévitable dřexaminer son rapport à
lřargent. Je lui posai abruptement la question au
sein du transfert : Qui donc payait son analyse ? Mon
interpellation le prit de court et le laissa interdit.
Il ne pouvait sřempêcher de jouer au plus fin
avec moi et il se flattait sans doute que son secret
était hors de ma portée. Il croyait que jřavais
perdu de vue quřà un certain moment je lui avais
procuré un « petit métier » parallèlement au sien, et
il pensait que le lien entre le rythme des séances
et les dividendes quřil en recevait mřéchappait. Il
1 REIK (1940) : Le Masochisme, chap. 10, tf p. 117.
351
passa aux aveux avec un certain embarras. Dans
la foulée, il enchaîna sur son système de compensations,
lequel inspirait sa conduite depuis
son plus jeune âge.
En bon masochiste, il trichait. La balance ne
devait pas être en équilibre. Il fallait quřelle penchât
du côté opposé à ses intérêts. En termes de
comptabilité, cřétait évidemment un mauvais calcul.
Ainsi son analyse lui coûtait bien plus cher
que ce que lui rapportait le petit métier parallèle.
Mais il avait la satisfaction de me faire en quelque
sorte participer à mon insu aux frais comme
si je sponsorisais son analyse. Il me bernait. Cette
tricherie elle-même constituait pour lui le complément
invisible de la compensation. De fait, le
déséquilibre entre ce qui est manifesté et ce qui
est dissimulé de leur système de compensations
est ce qui fait courir les bons masochistes.
L
es masochistes sont retors ; et ils le sont
même deux fois plutôt quřune. Une première
fois par strabisme (suivez mon regard),
une seconde par perversité (berner lřautre·jouisseur).
Néanmoins, il faut, pour le constater, écarter
les écrans quřils nous interposent. Lřerreur
serait de prendre leurs dires pour argent comptant.
Ils ne nous disent dřailleurs que ce que nous
sommes disposés à entendre. En voici quelques
échantillons :
Ŕ Ils font état de leur besoin de punition pour une
culpabilité évasive. Et voilà quřils nous font cavaler
après une culpabilité inconsciente ou après un secret
de famille.
Ŕ Ou bien ce sont des sortes de pressentiments. Cřest
trop beau pour être vrai. Est-ce que je lřai vraiment
mérité ?
Ŕ Ou bien ce sont des paroles cyniques ou révoltées
dans le genre : jřy ai droit parce que jřai payé dřavance
en douleurs et en souffrances.
Les variations sur ces thèmes sont infinies et
ont envahi la littérature par tombereaux. Il faut

écarter ces fadaises pour découvrir lřesprit doublement
retors du masochiste. Les masochistes
sont de beaux parleurs. Quand un masochiste
sřexprime il nřomet pas de vous dire de suivre
son regard. Il veut sřassurer que vous le comprenez
bien. Seulement il se trouve quřil vous égare
par son regard insaisissable. Il jouit dřun strabisme
divergent. Il vous persuade de regarder dans
telle direction alors quřil en vise une autre. Le
masochiste cherche constamment à sřassurer que
vous le mécomprenez très bien. Cřest sa grande
jouissance de beau parleur. Le relationnel compte
beaucoup pour lui. Et il a des jouissances ineffables
à nourrir de mondanités son esprit retors.
Il possède également son quant à soi, son
jardin secret, où son esprit retors sřexerce à loisir
et sřépanouit à son aise dans le secret, dans le
clair-obscur, à lřabri des regards, y compris du
sien propre. Ce qui se passe sur cette scène
intérieure doit rester clandestin. Il ne faut pas
que ça se sache. Il ne faut pas que quiconque le
sache, pas même les protagonistes. Un combat
sřy livre, mais un combat déloyal entre deux
protagonistes masqués. Lřun est naturellement le
sujet ou ses divers représentants. Lřautre est ce
que jřai dénommé lřautre·jouisseur (Azar, 2002).
Lřautre·jouisseur est une représentation mentale
précoce que nous construisons en nous pour
nous aider à vivre. Nos compétences sřacquièrent
en lutte permanente contre sa jouissance.
Nos compétences ce sont à proprement parler
des self-services. Maîtrise de lřéquilibre et de la marche,
maîtrise de la parole, maîtrise des sphincters,
maîtrise de tout ce quřon regroupe sous le terme
dřautoérotisme. Toutes ces maîtrises ne sřacquièrent
quřen lutte permanente avec cette représentation
mentale de lřautre·jouisseur supposé jouir
de nos peines.
Diverses tactiques sont possibles. Il en est
de classiques. La plus commune est celle qui se
contente de neutraliser lřautre·jouisseur grâce
aux compétences acquises et à lřautoérotisme, et
352
de vaquer à ses affaires. Mais beaucoup sřentêtent
et veulent avoir sa peau. Lřhystérique par
exemple se propose de le séduire. Le sadique
pour sa part prend fait et cause pour lřautre·
jouisseur et contre soi. Quant au masochiste, il se
propose de berner lřautre·jouisseur en la personne
des substituts quřil lui prodigue à leur insu et
au sien propre. Cřest là sa suprême et vicieuse
jouissance. Berner lřautre·jouisseur est pour le
masochiste la seule compensation qui vaille vraiment
la peine.
U
ne dernière remarque spéculative. Ce dont
jřai jusquřà présent traité est le masochisme
moral. Le masochisme moral est une relation
duelle, elle est assurément préœdipienne. Quřen
est-il du masochisme en tant que perversion
sexuelle ?
En tant que perversion sexuelle le masochisme
est assurément une relation triangulaire
où la thématique œdipienne est prévalente. La
scène masochique nřest pas un huis clôt entre le
masochiste et la femme à la fourrure. Un troisième
personnage, dénommé dans le vocabulaire
spécialisé « le Grec », doit y être introduit en
tiers. Sacher-Masoch a dissipé personnellement
une bonne partie de son énergie à la recherche
du Grec.
Y a-t-il un rapport entre la perversion masochiste
et le masochisme moral ?
Krafft-Ebing, le principal artisan de lřappropriation
médicale des perversions sexuelles, a
pris soin de distinguer la perversion (qui est une
maladie) de la perversité (qui est un vice) [tf p. 78].
Il les distinguait pour les dresser lřune contre
lřautre dans une relation dřexclusion. À le suivre,
lřune est non seulement différente de lřautre,
mais aucune ne saurait procéder de lřautre. Ainsi
serait-il exclu de chercher un rapport entre la
perversion masochique et le masochisme moral.
Cette position est à mon sens indéfendable.
Le pervers masochiste est encore plus retors que

le masochiste moral. Ce problème mérite dřêtre
reconsidéré. Il se peut fort bien que le masochisme
en tant que perversion sexuelle ne puisse
fleurir que sur le terreau du masochisme moral.
Mieux, il se peut que toute perversion sexuelle ne
puisse pousser que sur fond de perversité
(Stoller, 1984). La tricherie et le mal sont le fond
commun de toutes les perversions sexuelles.
AZAR, Amine
2002 Lřinstance de lřautre·jouisseur illustrée par des
exemples pris chez Zola, Schreber & le marquis de
Sade, in řAshtaroût, cahier hors-série n°5, décembre
2002, pp. 22-44.
DELEUZE, Gilles (1925-1995)
1967 Présentation de Sacher-Masoch : le froid et le cruel, avec le
texte intégral de La Vénus à la fourrure traduit de
lřallemand (dřaprès lřéd. J.G. Cotta, Stuttgart, 1870),
par Aude Willm, Paris, éd. de Minuit, in-8°. Rééd.
in collection 10/18, n°571-572, 1971, in-12, 319 p.
FEUILLERAT, Albert
1937 Paul Bourget, histoire dřun esprit sous la III e République,
Paris, Plon, in-8°, XVI+421 p. & 8 gravures.
FREUD, Sigmund (1856-1939)
1908b Caractère et érotisme anal, tf in Névrose, psychose et
perversion, Paris, PUF, 1973, pp. 143-148.
KRAFFT-EBING, Richard von (1840-1902)
1886 Psychopathia sexualis... (11 rééditions du vivant de
lřauteur, certaines profondément remaniées).
Psychopathia sexualis avec recherches spéciales sur lřinversion
sexuelle, traduit sur la 8 e éd. allemande [1893]
par Émile Laurent et Sigismond Csapo, Paris,
Georges Carré éditeur, 1895, in-8°, VIII+595 p.
LA ROCHEFOUCAULD, François VI duc de (1613-1680)
OC Œuvres Complètes, édition établie par L. Martin-
Chauffier, revue et augmentée par Jean Marchand,
introd. de Robert Kanters, Paris, Gallimard, Bibliothèque
de la Pléiade, in-12, 1957, XLVIII+931 p.
353
MAISTRE, Joseph de (1753-1821)
1821 Les Soirées de Saint-Pétersbourg ou entretiens sur le gouvernement
temporel de la Providence, introd. de L. Arnould
de Grémilly, notes de Pierre Mariel, Paris, La
Colombe, in-8°, 1960, 350 p.
NUNBERG, Herman (1884-1970)
1920 On the catatonic attack, repris in Practice and theory of
psychoanalysis, vol. I, New York, International Universities
Press, 1 1948, 3 1961, pp. 3-23.
REICH, Wilhelm (1897-1957)
1932 Le caractère masochiste, repris in LřAnalyse caractérielle,
chap. IX, tf pp. 200-233.
1933 LřAnalyse caractérielle, trad. franç. établie [sur la 3 e éd.
de 1949] par Pierre Kamnitzer, Paris, Payot, in-8°,
1971, 467 p.
REIK, Théodore (1888-1969)
1940 Le Masochisme, traduction de Matila Ghyka, Paris,
Payot, in-8°, 1953, 388 p.
STOLLER, Robert Jesse (1924-1991)
1984 La perversion et le désir de faire mal, trad. franç. in
LřImagination érotique telle quřon lřobserve Paris, PUF,
1989, pp. 19-66.
● POST-SCRIPTUM (2012) : Je me dois de signaler
une référence bibliographique de plus, particulièrement
pertinente. Elle mřavait malencontreusement
échappé, et mérite de faire un jour lřobjet
dřune glose spéciale.
AZAÏS, Hyacinthe (1766-1845)
1810 Des Compensations dans les destinées humaines.
Cinquième édition revue avec soin sur un exemplaire
annoté par lřauteur, précédée dřune notice sur sa vie et
ses ouvrages [par J. Guadet], et ornée de son portrait.
Ŕ Paris, Librairie de Firmin Didot Frères,
in-8°, 1845, xlviii+528 p.

354

C
et index a été conçu au service de la Thèse
de 1975. Il inclut à cet effet des renvois aux
Compléments, sans couvrir toutefois mes élaborations
ultérieures.
En ce qui concerne la Tz, les renvois vont à
la pagination dřorigine, reprise entre {accolades}
dans le texte. En revanche les renvois aux Compléments
indiquent la pagination de ce volume.
ABREVIATIONS PARTICULIERES
PS = Psychopathia sexualis
K-E = Krafft-Ebing
Tz = Thèse
Compl. = II e Partie, Compléments n° 1 à 7
T. = Hors-texte, suivi du numéro
→ = Allez voir à…
Air du Temps (Lř) & les inventions simultanées. ―
175, 177, 204.
― Compl. n°3, p. 312.
ALTHUSSER, Louis (1918-1990). ― Philosophe
célèbre ayant activement contribué à la célébrité
de Bachelard en tant quřépistémologue.
Je fais allusion à ses conseils bien intentionnés
pour lire Le Capital de Marx. Il semble croire à
lřexistence dřune pédagogie de la lecture, alors
quřà mon sens il nřy en a pas, car la lecture fait
partie de lřélan créateur, pp. 29, 77, note 173.
→ Lecture
ARISTOTE (384-322 av. J.-C.). ― Savant grec très
célèbre, travesti souvent en philosophe. 62
(note 154) ; 92 ; 184 (T.93)
INDEX ANALYTIQUE
355
― Compl. n°1, Discours de soutenance, p. 277.
― Compl. n°1, Commentaire…, § 13, p. 288.
― Compl. n°5, § 11, p. 328.
Associationnisme [en psychologie]. ― Il faut distinguer
la conception des anglais (association des
idées), de celle des français (association de
lřâme avec le corps). K-E était partisan des
Anglais et adversaire des Français.
― Pages : 111, 118, 123, 124, 128, 130, 136, 137,
146-151, 161, 182, 196, 204.
― Notes n os 255, 323, 328, 429, 472.
― Hors-textes : (T.52), (T.56), (T.61), (T.62),
(T.67), (T.68), (T.71), (T.72), (T.73), (T.74),
(T.103).
― Association dřidées inconsciente. ― Pp.
147-151 (et note 323), et (T.73).
― Association dřidées & objets partiels. ―
150 (et note 328).
Attachement. ― La théorie de lřattachement est la
forme sous laquelle resurgit aujourdřhui la sujétion
sexuelle de K-E en tant que séquence négligée.
120 (T.56), note 241 ; 221 (note 568) ; 281.
BACHELARD, Gaston (1884-1962). ― Épistémologue
célèbre. Grâce à Althusser et à Canguilhem
toute une génération sřest massivement
convertie à son épistémologie. Je discute lřapplication
de ses idées aux sciences humaines
quřil ne considérait comme sciences que par
métaphore, p. 119, note 236. (29 ; 44 et notes
[temps logique] ; 213, note 531 ; 235-238 ; 240)
― Lřépistémologie de Bachelard est une philosophie
pure et simple ; son but est pédagogique
; se nourrit dřhistoriettes : 235-238, et
les notes afférentes.
― Hypothèse sur son style : 237, note 643.
― Bachelard et Bacon : 29, note 53.

― Introduction nouvelle.
― Compl. n°1, Rapport du jury, p. 281 ; Commentaire…,
§§ 10, 13, 14 et 16, pp. 286-287,
288, 289.
→ Coupure épistémologique
BINET, Alfred (1857-1911). ― Psychologue du
groupe de Charcot. Fondateur et principal
animateur de la revue lřAnnée Psychologique (16,
note 22 ; 234). Auteur de la 1 re théorie des
perversions sexuelles (1887), ramenées toutes
au fétichisme. (109, Tableau XX ; 118 ; 133,
note 283 ; 171, note 390)
― 1 re mention de Binet et du fétichisme dans
la PS4 (1889), p. 95 et note 92.
― Jusquřà la PS5 (1890), K-E nřa pas encore
de théorie des perversions sexuelles. Cřest la
lecture de lřétude de Binet sur le fétichisme
qui le pousse à intervenir. (118)
― K-E lecteur attentif de Binet, dont il
discute les idées. (118 ; 123 ; 129 ; 130 ; 143 ;
147 ; 148 et note 323 ; 150-151 ; 155 ; 165-167
et note 376 ; 175)
― En ce qui concerne lřassociationnisme,
Condillac, Binet, Pavlov, et parfois Freud,
sont logés à la même enseigne. (137, note 295)
― Binet, Descartes, K-E, et moi : p. 148, et
note 323.
― Avec K-E le statut du fantasme commence
à poindre. Binet a préparé les voies. (190,
note 449)
― Sur la masturbation psychique. (231)
― Hors-textes : (T.56), § 9 (p. 123 et note 254) ;
(T.67), p. 143 ; (T.72), p. 147 ; (T.73), pp. 147-
148 ; (T.74), p. 149 ; (T.84), p. 169 ; (T.103),
p. 196 et notes afférentes.
― Introduction nouvelle.
― Compl. n° 3, § 3, p. 310.
BLOCH, Iwan (1872-1922). ― Il utilisa le pseudonyme
de Dr Eugen Dühren pour publier ses
livres sur le marquis de Sade et Restif de la
356
Bretonne. Ŕ Cřest le Schliemann de la sexologie,
mais personne nřen a cure (219, etc.). Ŕ
Eut la maladresse de se mettre à dos les
Français et les Anglais (225, et note 588).
― Pp. 30 (note 58) ; 33 (et note 68) ; 171
(note 388) ; 202 ; 211 (et note 524) ; 215 (notes
550 et 551) ; 218 (note 560) ; 219 ; 225 (et notes
581, 582, 584, 586, 588) ; 227.
Brèche. ― Lřintroduction en 1890 des termes de
sadisme et de masochisme par K-E dans le
discours savant est assimilée à une effraction,
à lřouverture dřune brèche. Dans la III e Partie
de ma Tz je mřemploie à décrire les stratégies
mises en œuvre pour colmater cette brèche.
Casuistique de la PS de K-E. ― Regrets de ne pas
avoir exploité ce paramètre, Tz pp. 88 (note
185), 114, 232 (et note 622).
― Compl. n°1, Commentaire…, § 5, p. 284 et
tableau afférent.
Château Hanté & Homme-Machine. ― Pp. 197-198,
notes : 478, 481, 482, 483.
Concrétion (phénomène de). ― 98 ; 162-163.
Corpus. ― Ma Tz se fondait en 1975 sur un corpus
incomplet, qui fut complété au fur et à
mesure des années. Comp. le Tableau (I) au
Tableau (I bis).
― Cf. courbe mise à jour (284).
― La notion de Corpus a été retravaillée par la
suite en connexion avec dřautres notions
comme Œuvre ouverte, Summum, Opus, et Observatoire
naturel. Cf. Compl. n° 3 (pp. 297-301).
Coupure & Ruptures Épistémologiques. ― Dans les
sciences humaines, la coupure épistémologique
ne constitue pas un point de non-retour
en raison de leur échec à décoller du langage
courant pour élaborer un métalangage. Le

discours des sciences humaines ne se détache
du langage courant que pour y retomber à
plus ou moins brève échéance. Il sřensuit ce
jřai dénommé des résurgences de séquences négligées.
― Mise au point terminologique : 29, note 53.
― Pp. 12 ; 16 ; 29 (et note 53) ; 30 ; 34 ; 35 ;
43 ; 45 ; 51 ; 70 ; 96 ; 99 ; 101 ; 138 ; 177 ; 198
(note 485) ; 205 ; 236 ; 240 (et note 656).
― Introduction et Introduction nouvelle.
― Compl. n° 1, Rapport du jury, p. 281.
― Compl. n° 1, Commentaire …, § 14, p. 288 ;
§ 15, pp. 288-289.
→ Résurgence de la séquence négligée
→ BACHELARD, Gaston
→ MAX MÜLLER, Friedrich
Dalton, Daltonisme. ― K-E affirme avoir forgé le
sadisme et le masochisme sur le modèle du daltonisme.
(2, 28, 45, 63, 164, 169, 170, 190)
Ŕ Hors-textes : (T.1), (T.26), (T.84).
Ŕ Notes : 385 (p. 170) ; 448 (p. 190).
Ŕ On pourrait filer la métaphore et faire du
masochiste une sorte de daltonien de la
sexualité. (190, note 448)
Darwinisme sauvage. ― Trait spécifique de lřidéologie
scientiste fin-de-siècle, au même titre que le
principe de Broussais (117, note *), et le délire
du néologisme (175, 181).
→ Délire régional de lřidéologie scientiste
→ Sas
Délire régional de lřidéologie scientiste. ― Ce délire
consiste à croire quřil est possible de franchir
le fossé infranchissable entre le signifiant et le
signifié grâce à des néologismes dérivés de
racines grecques.
― Compl. n° 3, pp. 312-313.
→ Hallucination
Dérivation Multiple. ― Une des composantes
maîtresses de lřélan créateur chez K-E et de
357
son style : 119 (note 237) ; 122 (note 248) ;
134-151 ; 161-163 ; 166-167 ; 233 ; 239.
― Ma conception, qui sřinspire de celle de
Laplanche à propos de la dérivation des entités
psychanalytique, nřest pas isotope de lřusage
quřil en fait : 119 (note 237) ; 139 (note 303) ;
Compl. n° 1, Rapport du jury, p. 281 ; et Commentaire…,
§ 11, p. 287.
→ Élan créateur
Dichotomies. ― La taxonomie, cřest ce à quoi se
réduit souvent la théorie chez K-E. Sa pensée
progresse en créant des oppositions sur un
continuum. (90-95)
Doxa & Épistémè. ― Pp. 55-62.
― Toute la δόξα (doxa) disponible en 1890 à la
portée de K-E ne pouvait, dřelle-même, engendrer
un grain dřέπιστήμη (dřépistémè). Il y
fallait une étincelle. (62, 65).
― Compl. n° 1, Commentaire …, § 13, p. 288.
→ Étincelle
→ Foucault
Écoute Clinique (Lř) [de K-E] & son rôle dans la
ŘŘdécouverteřř du masochisme. ― Pp. 1, 67-68, 70,
156, 176, 177, 190, 200, 217, 232, 242.
― Notes : 165 (p. 68) ; 258 (p. 125) ; 608
(p. 230).
― Compl. n° 1, Disc. de soutenance, pp. 278-279 ;
Commentaire…, pp. 282, 283 (§ 3) ; 291 (§ 20).
― Compl. n° 3, pp. 299-300, 305.
→ Étincelle
Élan Créateur (Creative impulse). ― Melanie Klein a
donné à cette expression ses lettres de noblesse
en 1929. Je nřen disposais pas en 1975
(p. 289, note). Toutes les mentions que jřen fais
ont été introduites après coup.
― Lřélan créateur de K-E est centré sur la
section des paresthésies de la PS (81). Ŕ Il
fleurit entre deux éd. de la PS (78), à partir

dřune succession de strates en décrochement
(86). Ŕ Nřest pas conforme au schéma hégélien
(86). Ŕ Provoque souvent un état de
trouble (148). Ŕ Les processus de création et
de dérivation se conforment au clinamen dřÉpicure
(159, note 347).
― Modélisations (41s). Ŕ Temps épistémologique
(44). Ŕ Phénomène de concrétion (98,
162-163). Ŕ Schéma de lřélan créateur chez
K-E vérifié à 5 reprises, Compl. n° 1 / Discours
de soutenance, (278). Ŕ Compl. n° 1 / Commentaire,
discussion des conceptions de A. Davidson
(286). Ŕ Idem, lřélan créateur fleurit au ras
des mots plutôt quřau niveau des types dřargumentation
ou des schèmes de pensées (286).
― Avertissement / Post-scriptum I.
― Nouvelle introduction à la Tz.
→ Style
Étincelle. ― Toute la δόξα (doxa) disponible en
1890 à la portée de K-E ne pouvait, dřellemême,
engendrer un grain dřέπιστήμη (dřépistémè).
Il y fallait une étincelle (62, 65).
― Prononcé dans lřespace clinique, le nom de
Sacher-Masoch était une étincelle (67).
Formation(s) discursive(s). ― Contre Michel Foucault,
je soutiens quřil nřy a pas de formations
discursives qui se baladent dans la nature,
pp. 62-63, note 154.
Ŕ Tz, Extrait, Axiome n° 1, Lois n os 1 et 5.
→ Style
FOUCAULT, Michel (1926-1984). ― Promoteur
dřune épistémologie historique qui est souvent
la cible de mes critiques. (16, note 22 ; 62-63,
note 154 ; 90, note 186 ; 116, note 227 ; 125, note
262 ; 139, note 303 ; 213, et note 528 ; 215-216,
note 551 ; 234 ; 236, note 638 ; 240 ; 241,
note 656)
― Compl. n° 1, Rapport du jury, p. 281 ; Commentaire…,
§ 10, p. 286.
358
― Compl. n° 3, § 1, pp. 298, 315.
― Compl. n° 5, § 13, p. 334.
→ Formation(s) discursive(s)
FREUD, Sigmund (1856-1939). ― Aventurier de
lřesprit ayant eu une chance folle. A beaucoup
abusé de sa position de 1 er psychanalyste. Sa
Trieblehre, tout autant que celle de K-E, est
ingénieuse et condamnable (Compl. n°1,
p. 291). Jřai cherché à instruire leur procès.
Quelques pages seulement de ma Tz sont
consacrées à Freud Ŕ en tant que grand
timonier (199-205) Ŕ mais jřy ai parsemé de
très nombreuses notules le concernant :
― et les psychiatres français ; 19 (note 32).
― et Albert Moll : 35 (note 77) ; 106 (note 210) ;
Compl. n°2, p. 295 ; Compl. n°4, p. 320.
― logique du chaudron percé : 46 (note 107).
― et K-E : 51-52 (note 121) ; 122 ; 123.
― et Henri Wallon : 91 (note 187).
― sexe et odorat : 100 (note 100).
― et Lamarck : 103 (note 205).
― la dialectique en clinique : 124 (note 257).
― lřexemple est la chose même : 134 (note *).
― et Pavlov : 137 (note 293) ; 138 (note 295).
― dérivation des entités freudiennes suivant
Laplanche : 139.
― et sexualité infantile chez K-E : 144, notes
313 et 315.
― et représentations contraires : 146, note 317.
― et refoulement originaire : 147 (note 320).
― théories de Freud et K-E : 150 (note 328).
― retournement sur la personne propre : 179.
― traducteur de J.S. Mill : 181 (note 424).
― Kiernan et la 2 e topique de Freud : 183.
― sur les Zwagsvorstellungen : 191 (note 453).
― Freud partisan de lřassociationnisme français
en théorie et de lřassociationnisme anglais
en pratique : 196 (note 472).
― Pas de solution de continuité entre la pensée
de Freud et celle des sexologues de son
temps. La rupture se situe dans sa propre pen-

sée avec lřintroduction du narcissisme [1914] :
198 (note 485).
― le tamis freudien appliqué au sadisme et au
masochisme : 199-205.
― et les poètes (Dicheter) : 209.
― et lřappareil psychique : 213.
― le rêve et la censure : 214 (notes 541 et 544).
― de la pensée à lřaction : 216 (note 552).
― Freud lit Iwan Bloch mais ignore le Dr
Dühren : 218.
― des multiples formes dřalgolagnie, le tamis
freudien ne retient que les formes active et
passive : 219.
― Sade serait censé anticiper K-E ou Freud :
219 (note 566) ; Compl. n°5, § 15, p. 336.
― la douleur dans la construction du Moi :
223 (note 574).
― et lřhérédité des caractères acquis : 225
(note 585).
― et la servitude sexuelle, et lřinstinct de
mort : 227 (et notes).
― le style Freud : Avertissement ; 227 (et notes) ;
Compl. n°1, Commentaire…, § 21, p. 292.
― les écoles freudiennes sont des institutionspersonne,
elles se réclament du Nom-du-Père et
participent de lřidéologie autoritaire : 241
(note 659).
― Compl. n°1, Commentaire…, § 9, p. 286 (à
propos de la trad. de Trieb) ; § 20, p. 291 (tripotages
conceptuels de K-E et Freud, et
démolition en règle de leur Trieblehre) ; § 21,
p. 292 (styles de K-E et Freud) ; § 22, p. 293
(Breton et Freud) ; § 22, p. 293 (Freud ne fait
pas partie de mon Idéal·du·Moi).
― Compl. n°2, Commentaire…, § 9, p. 286 (à
propos de la trad. de Trieb).
― Compl. n°3, § 4, p. 312 (qui dřautre que
Freud aurait pu découvrir lřinterprétation des
rêves ou lřinventer ?).
― Compl. n°4, p. 320 (Moll boycotte Freud in
PS16-17, publiée en 1924).
359
― Compl. n°5, p. 321 sqq. (dialectes pulsionnels,
transposition de pulsions, caractère,
fantasturbaire, etc.).
― Compl. n°6, § 4, p. 344 sqq. (à propos des
perversions sexuelles).
― Compl. n°7, § 4, p. 350 (érotisme anal, système
de compensations, culpabilité).
Gilles de Rais lecteur de Suétone. ― Supercherie inventée
par le bibliophile Jacob. Éventer cette
supercherie sert à illustrer mes thèses sur la
lecture, pp. 211-217, notes et hors-textes.
― LřEffet-Suétone justifie aussi bien lřexercice
des censures sociales que la théorie dite de
lřobsession-impulsion, p. 213 et note 527.
Hallucination. ― Certains contradicteurs de K-E
hallucinent de faire coïncider désignation et
référent grâce à un néologisme savant, p. 187.
→ Délire régional de lřidéologie scientiste.
HEGEL, G.W.F. (1770-1831). ― Incarne la figure
du philosophe tel que lřéternité le change.
― Hegel et Bachelard ne sont pas pour moi
des cautions pour le temps épistémologique. Ŕ
La dialectique hégélienne est inappropriée à
rendre compte de lřélan créateur chez K-E. Ŕ
LřAufhebung est une supercherie, la dialectique
est bloquée à ses deux premiers mouvements.
Ŕ Lřexemple est la chose même. Ŕ Hegel, Breton
et Marx. Ŕ Iwan Bloch était ouvertement
hégélien, tandis que K-E était hégélien sans le
savoir…
― Pp. 44 (note 101) ; 86-87 (et note 180) ; 91 ;
124 (note 257) ; 134 (note *) ; 139 (note 302) ;
222 (note *) ; 223 ; 225 (notes 583 et 584)
― Compl. n° 1, Rapport du jury, p. 281 ; et Commentaire
…, § 10, pp. 286-287.
Homosexuels. ― Ce sont les homosexuels qui sont
à lřorigine de lřessor des études sur les perversions
sexuelles : 88, note 185.

KOYRE, Alexandre (1892-1964). ― Épistémologue
cosmopolite. Cřest sa méthode de retour aux
textes originaux et à lřexplication de textes qui
est suivie ici en permanence. Mais son nom
est occulté. Il mřaurait été trop facile de le
« jouer » contre Bachelard et Foucault...
KRAFFT-EBING, Richard Freifer von (1840-1902).
― Psychiatre réputé qui a croulé sous les honneurs.
Sa Psychopathia Sexualis (12 éd. de 1886
à 1903) peut être considérée comme un phénomène
culturel fin-de-siècle de première
grandeur, un phénomène de civilisation (cf. Compl.
n°3, p. 300). En témoigne la correspondance
considérable quřil reçut. Il avait projeté de
prendre une retraite anticipée pour se consacrer
à son exploitation, mais il mourut prématurément.
Cette correspondance a été préservée.
Elle est accessible sur place depuis nov.
1998, à la Welcome Library, 183 Euston Road,
London NW1 2BE (157, note 342).
→ Psychopathia Sexualis
→ Style
→ BINET, Alfred
LACAN, Jacques (1901-1981). ― Célèbre psychanalyste
parisien ayant fondé un phalanstère à
lřexemple du père Enfantin. Dans les années
70 il officiait sur la montagne Sainte-Geneviève.
En 1975, il était incontournable. Je garde toujours
un œil sur ses habiles contorsions, sans
avoir jamais été de son école.
― 11, note 13 (à propos de lřallégeance de
Laugaa-Traut) ; 44 et note 97 (temps logique) ;
45, note 100 (fiction) ; 117, note 231 (sainte
Thérèse du Bernin) ; 149, note 325 (en termes
lacaniens, seul le fétichiste de K-E saura écrire le
rapport sexuel) ; 186, note 436 (cřest le diagramme
dřOgden et Richards qui répond pour Lacan de ses
trois registres), idem Compl. n°1, p. 288 ; 209 et
note 517 (une pratique nřa pas besoin dřêtre éclairée
360
pour être efficace) ; 214, note 539 (le désir chez
Ribot et chez Lacan) ; 215 note 545 (la Loi
chez Ribot et chez Lacan) ; 220, note 566 (il
dénonce lřamalgame entre Sade et Freud) ;
233, note 623 (mon acception du style se distingue
de celles de Granger et de Lacan) ; 233,
note 625 (jřai fréquenté son séminaire) ; 241,
note 658 (séminaire des Non-dupes errent) ; 241,
note 659 (les écoles freudiennes sont des institutions-personne,
elles se réclament du Nomdu-Père
et participent de lřidéologie autoritaire).
― Compl. n°1, Discours de soutenance, p. 278, note
(ma notion de système du symbolique effectue un
télescopage maladroit avec lřordre symbolique
de Lacan et le 3 e monde de Karl Popper).
― Compl. n°1, Commentaire…, § 18, p. 290,
(toute vérité sřavère dans une structure de fiction).
― Compl. n°5, (plusieurs mentions, en particulier
à propos de lřautre·jouisseur).
― Compl. n°6, (plusieurs mentions à propos de
la structure perverse), pp. 345, 346, 348.
Lecture. ― La lecture se déroule dans un temps
épistémologique, un temps qui nřest pas ordonné
linéairement. Du point de vue épistémologique,
la lecture dřune œuvre doit envelopper
dans le même mouvement les conditions
et les modalités de son jaillissement. (77,
et note 173)
― Il nřy a pas de lectures fondatrices, mais des
écritures fondatrices. (215-216, note 551).
― Les lecteurs de la PS de K-E. (63, note 157 ;
67 ; 90, note 186 ; 157, note 342 ; 216-218)
→ Gilles de Rais lecteur de Sénèque
→ Binet [K-E lecteur attentif de Binet]
→ Élan créateur
→ Style
Lecture & Censures Sociales. ― 209-218 (et notes).
MARC, Ch.-Chrétien-Henri (1771-1841). ― Célèbre
aliéniste français. Cřest lui qui, en 1840, dé-

nomme érotomanie la monomanie érotique (17,
note 28). Cřest lui qui utilise, également en
1840, le terme de sadisme. Autant que je le
sache, il est le premier et le seul aliéniste à
lřavoir utilisé avant 1890 et avant K-E (p. 9,
note 7, ajoutée en 2012).
― Compl. n° 3, § 2, p. 303 et note.
Masochisme. ― Terme forgé par K-E en 1890 et
introduit par lui la même année dans le discours
savant. Cette introduction ouvrit une
brèche dans lřunivers culturel qui provoqua
des tentatives de colmatage lesquelles perdurent
jusquřà présent.
― Tz, chap. I, II, III et Compléments n os 1 à 7.
→ Brèche
→ Écoute clinique
→ Étincelle
→ Sadisme
MAX MÜLLER, Friedrich (1823-1900). ― Célèbre
linguiste et indianiste tombé dans un oubli
profond. La référence à cet auteur a été ajoutée
après coup (en 2012). Je lui emprunte le
précepte : « Every carelessness, however small, is
sure to be followed by a nemesis / Toute négligence,
aussi minime soit-elle, sera infailliblement suivie dřune
Némésis. » Cřest lřune des meilleures formulations
de ce que jřai moi-même dénommé la
résurgence de la séquence négligée. (15, note 19)
― Introduction nouvelle.
→ Résurgence de la séquence négligée
MERTON, Robert K. (1910-2003). ― Sociologue, et
(à ses heures perdues) épistémologue, il était
célèbre, hormis en France. En 1975 je ne
connaissais pas son livre : On the Shoulders of
the Giants [1965], ni son autre livre sur la
sérépendité resté plus de 45 ans inédit. Il ne fut
publié quřen 2002 en italien, et en 2004 en
américain. Toute proportion gardée, nous
sommes je crois apparentés par lřesprit shan-
361
déen, si ce nřest que je fais partie de la branche
des parents pauvres de la famille.
MOLL, Albert (1862-1939). ― Psychiatre allemand,
devenu sexologue. Il a été disciple, « informateur
», puis éditeur de Krafft-Ebing.
Lřévaluation de son rôle dřéditeur de la Psychopathia
Sexualis de K-E à titre posthume est
malaisée. On y décèle à la fois de la finesse
clinique et épistémologique, mêlée à un sans
gêne troublant (35, et note 79 ; 50-53). Ŕ La
PS16-17 quřil a éditée en 1924 soulève un
problème intéressant de propriété intellectuelle
et dřimpropriété éditoriale (52-53). Ŕ Il y
boycott Freud (Compl. n°4, p. 320). Ŕ La traduction
française de cette édition, publiée en
1931, et constamment réimprimée depuis, a
exercé sur lřintelligentsia française une influence
déplorable orchestrée par les éditions
Payot (Compl. n os 2 et 4).
― Post-scriptum : un fascicule récent de Medical
History (Cambridge, UK), April 2012, 56 (2),
lui a été consacré. Il confirme à tous les niveaux
les discordances que jřai relevées.
Neue Forschungen auf dem Gebiet der Psychopathia
sexualis. ― Ouvrage de K-E publié en 1890 en
marge de la PS pour introduire les termes de
masochisme et de sadisme. Il reçut lřannée suivante
[1891] une nouvelle éd. augmentée, puis
son contenu fut reversé à la PS7 [1892]. On
peut considérer ce volume comme le laboratoire
de la Psychopathia sexualis. (pp. 6-7)
NODIER, Charles (1780-1844). ― Linguiste, folkloriste
et romancier français autrefois très
célèbre. Il joua un rôle essentiel dans les lettres
en préparant le romantisme. La première
mention du terme de sadisme dans un dictionnaire
est de 1834 et elle lui est due. (10-11)

Petites Annonces. ― Leur rôle dans la recherche du
partenaire, spécialement dans le masochisme
et lřhomosexualité : 55-59, et notes ; 70 ; 126,
note 266 ; 142.
― Compl. n° 3, § 2, p. 305.
PLATON (424-347 av. J.-C.). ― Philosophe politique
grec très célèbre, souvent déguisé en
métaphysicien. Il nřest heureusement pas
mentionné dans ma Tz.
― Compl. n° 1 / Commentaire…, § 10, p. 287.
Poètes (Recours aux). ― Mésaventure comique de
Charles Féré, etc., pp. 206-209.
― Les poètes opèrent sous la contrainte de
lřordre du signifiant. Cřest la raison pour
laquelle ils sont de précieux alliés du clinicien.
Point de vue partagé par K-E, Freud, mais
aussi par Binet, Danville, Ribot… et Lacan.
(19 et notes ; 64, note 160 ; 209, notes 516 et 517)
― Compl. n° 1 / Commentaire …, § 18, p. 290.
Priorité (Querelle de). ― En ce qui concerne le
sadisme et le masochisme, la querelle de priorité
trahissait le délire régional de lřidéologie scientiste.
Ce délire consiste à halluciner le franchissement
du fossé infranchissable entre le
signifiant et le signifié grâce à des néologismes.
― 173 ; 176 ; 194 (note 463).
― Compl. n° 1, Commentaire…, § 17, p. 290.
― Compl. n° 3, § 4, p. 312.
→ Délire
→ Hallucination
→ Saignée allemande
→ UEXKÜLL, Jacob von
Promesses non tenues. ― Des circonstances funestes
ont fait que jřai remisé aux oubliettes tous les
projets mentionnés dans les notes de ma Tz :
1/ Sur le bon usage du marquis de Sade (11,
note 13). Ŕ 2/ Sur la partialité de Freud envers
362
les psychiatres français (19, note 32). Ŕ 3/ Sur
le couple formé par Sacher-Masoch (un
pervers) et Wanda (une hystérique) (54, note
129). Ŕ 4/ Trad. de lřétude de K-E [1892e] sur
la sujétion sexuelle et le masochisme (133,
note 284). Ŕ 5/ Sur un cas de Moll qui bat en
brèche la théorie de lřobsession-compulsion
(171, note 393). Ŕ 6/ Sur lřhistoire de la psychanalyse,
pour montrer quřil nřy a pas de rupture
entre Freud et les sexologues, mais quřune
rupture intervient dans la pensée de Freud luimême
avec lřintroduction du narcissisme (198,
note 485 ; et 203, note 503). Ŕ 7/ Sur une approche
du sadisme et du masochisme à partir
de la scène primitive (202, note 498). Ŕ 8/ Sur
la différence de ma conception du Style par
rapport à celles de Granger et de Lacan (233,
note 623). ― 9/ Sur une démolition en règle de
la Trieblehre de Krafft-Ebing et de celle de
Freud (Compl. n° 1, § 20, p. 291).
― Avertissement.
Prostitution. ― Lřétroite connexion du sadisme et
de la prostitution en tant que commerce vénal
et en tant quřinstitution totalitaire, est lřimpensé
majeur de K-E, transmis avec une fidélité
déplorable au peuple psi. Lřaveuglement à ce
sujet se perpétue sous nos yeux.
― Introduction nouvelle.
― Tz, chap. I, § (1), et chap. III., § (3).
→ Résurgence de la séquence négligée
→ Sadisme
Psychopathia Sexualis. ― K-E reprend le titre dřun
ouvrage de Heinrik Kaan [1844], rédigé en
latin, et qui était surtout axé sur lřonanisme.
(217, note 555)
― La 1 re éd. de la PS de K-E a été publiée en
1886. La 12 e éd. procurée par K-E a été publiée
à titre posthume en 1903. Le livre a poursuivi
une vie posthume floride.

― Le sadisme et le masochisme y furent introduits
à la 6 e éd. de 1891. Ils avaient été créés
par K-E lřannée précédente.
― Cf. Tz, chap. I er
→ Corpus
→ Sas
→ Seuils
→ Krafft-Ebing
Résumé. ― Cette Tz, montée comme un puzzle,
est irréductible au résumé. Les dernières pages
du Chap. I et du Chap. II, ainsi que celles des
deux premiers débets du Chap. III peuvent
cependant servir de compendium. (234 et
note 629)
― LřIntroduction nouvelle comporte un bon résumé
de cette Tz, ainsi que les têtes de chap.
→ Compl. n os 1, 2, et 3.
Résurgence de la Séquence Négligée. ― Cette notion
est le levier épistémologique de la Tz et son fil
directeur. Elle gouverne la répartition de la
matière en trois chapitres. Elle est reconnaissable
à ses méfaits. Exemple : lřargument du
chaudron percé (46 et suiv.).
― Pp. 15 (note 19) ; 30 (note 53) ; 46 ; 69 ; 106
(note 209) ; 120 (note 241) ; 139 ; 175 (note 404) ;
202 (note 500) ; 219 (note 561) ; 239 ; 240.
― Introduction nouvelle.
― Tz, chap. III., § (3).
― Compl. n° 1, Discours de soutenance, p. 279.
― Compl. n° 1, Commentaire, § 3, p. 283 ; § 15,
pp. 288-289 ; § 17, p. 290 ; § 18, p. 290.
SACHER-MASOCH, Léopold von (1836-1895). ―
Écrivain autrichien ayant eu son heure de
gloire. Il fut extrêmement réceptif au folklore
galicien. Lřun de ses romans issu de ses propres
hantises Ŕ La Vénus en Fourrure [1870] Ŕ
lui acquit un lectorat équivoque. Sa gloire fut
à la fois consolidée et ternie du fait que K-E
dériva en 1890 de son nom lřappellation dřune
363
perversion sexuelle. Il y fut incité par lřécoute
clinique de ses patients.
― K-E estimait que Sacher-Masoch a révélé
au monde scientifique une perversion sexuelle
quasi inconnue jusquřà son temps, en en
fournissant souvent des représentations dans
ses romans. Il pensait néanmoins que le fait
dřavoir lui-même souffert de cette anomalie
de la pulsion sexuelle a bridé son inspiration
et entravé son génie.
― Tz, chap. I, § (2), et chap. III, §§ (1) et (2).
― Hors-textes : (T.26), (T.27), (T.28), (T.31),
(T.32), (T.33), (T.34), (T.35), (T.41), (T.42), etc.
→ Écoute clinique
→ Étincelle
→ Masochisme
→ Sadisme
SADE, Donatien-Alphonse-François de (1740-1814).
― Écrivain français à la réputation de souffre.
Victime dřune lettre de cachet, il passa 27 ans
de sa vie dřhomme en détention. Son œuvre
avouée présente un intérêt médiocre. Son
œuvre désavouée a toujours frappé les esprits
par sa démesure. Il eut en la personne de son
fils son pire contempteur. Celui-ci autorisa le
préfet de police à brûler son œuvre clandestine
la plus ambitieuse, saisie en 1807 et demeurée
manuscrite à sa mort, et elle fut perdue
à jamais. Elle était intitulée : Les Journées de
Florbelle. Tout le long du XIX e siècle sa légende
(très surfaite) de vivisecteur était colportée
avec complaisance. Cřest grâce à K-E (tout à
fait involontairement) que se produisit un
retournement à la fin du siècle, et quřon commença
à lire ses œuvres désavouées. Il les
avait rédigées en vue de retrouver la veine et
lřinspiration qui lui avaient dicté, en 1785, les
Cent Vingt Journées de Sodome, dont il égara le
manuscrit lors de son transfert de la Bastille à
une autre prison. Il se convainquit que ce
manuscrit était définitivement perdu, et pleura

sa perte des larmes de sang. Il se trompait. Le
Dr Iwan Bloch parvint à retracer son existence,
à le retrouver, à lřacquérir, et à le publier
en 1904. Grâce à cette résurrection, lřœuvre
clandestine du marquis de Sade bénéficia
dřune vie nouvelle, et força moins dřun siècle
plus tard le portail de la prestigieuse Bibliothèque
de la Pléiade avec le concours de Michel
Delon (éd. Gallimard, 3 vol., 1990-1995).
― Tz, chap. I, § 1, surtout pp. 28-36.
― Tz, chap. III, § 2, pp. 206-220.
― Compl. n° 5, §§ 12-15, pp. 331-337.
→ BLOCH, Iwan
Sadisme. ― Dérivé du nom du marquis de Sade,
écrivain français sulfureux. Il est reçu en langue
française depuis 1834. Il mène une existence
occulte chez les lettrés jusquřà la fin du
siècle, en marge de la littérature officielle. À
partir de 1880 des publicistes sřen saisissent
pour décrire lřinstitution prostitution. Il est
souvent associé chez eux au saphisme. K-E
lřintroduit dans le discours savant en 1890 en
tant que perversion sexuelle. Il en fait la
contrepartie du masochisme quřil vient de découvrir
et de nommer. (Tz, chap. I)
→ Prostitution.
Sadisme & Saphisme. ― Leur connexité : 13 ; 23 ;
24 ; 26.
― Hors-textes : (T.15), (T.18), (T.19), (T.88).
― Notes : 30 et 31 (p. 18) ; 44 (p. 23) ; 48
(p. 24) ; et note (*), p. 178.
→ Prostitution
Saignée allemande. ― Les psychiatres allemands se
ruent sur lřétymologie, et donnent tête baissée
dans le leurre de la référence de K-E à lřœuvre
de Sade et à celle de Sacher-Masoch. En relatant
ces péripéties je mets en relief le choc des
paradigmes. (192-205)
364
Saignée française. ― Les psychiatres français sont
fort embarrassés par le sadisme, et le masochisme
les embarrasse tout autant. K-E se démarque
dřeux par son attention toujours en éveil pour
le facteur (inter)humain. (188-191)
Sas. ― Ustensile épistémologique du même ordre
que les seuils et les tamis. Ŕ Les premiers chapitres
de la PS constituent un sas, installé
après coup, pour distinguer ce qui est perversion
sexuelle de ce qui ne lřest pas. Ce sas est
régi par le principe de Broussais (117, note *).
― Pp. 115-118 ; 148 ; 161.
― Dans son éd. de la PS, Moll se méprend sur
la fonction du sas chez K-E : 117 (note 228).
→ Seuils
→ Tamis
Seuils. ― Ustensile épistémologique du même
ordre que le sas et le tamis. Ŕ Le corpus constitué
par les 12 éd. de la PS peut être appréhendé
suivant une topologie par seuils. Jřen ai
dénombré cinq. Le masochisme et le sadisme
sřinsèrent à lřentame du 3 e seuil. (161-163)
→ Sas
→ Tamis
Signifiant / Signifié / Référent / Institution. ― Pp. 1 ;
185-187 (et note 438) ; 195 (note 457) ; 204 ;
209 ; 213 (note 528) ; 215 (note 549) ; 216
(note 551) ; 240-241.
― Compl. n°1, Commentaire…, § 17, p. 290.
― Compl. n°3, § 4, p. 312.
→ Délire
→ Hallucination
→ Prostitution
Style. ― Définition : le style est le mode dřinsertion
dřun sujet dans le discours quřil produit.
Le style de K-E se caractérise par son écoute
clinique et les modalités de son élan créateur.
(62-62, note 154 ; 167 ; 232, note 643 ; 239)

― La subjectivité est partie prenante du discours
scientifique, elle définit un style (167).
― Style de Bachelard, p. 237 et note 643.
― Avertissement, Post-scriptum I.
― Introduction nouvelle.
― Compl. n°1, Commentaire…, § 3, p. 283 ; § 17,
pp. 289-290 ; § 21, p. 292 (à quarante ans de
distance, le Style de Krafft-Ebing donne la main
au Style de Freud de sorte que ces deux vilenies
font la paire).
― Compl. n°3, § 3, p. 310 et note.
→ Dérivation multiple
→ Élan créateur
Tamis. ― Ustensile épistémologique propre à
brouiller la filiation des concepts qui passent
dřun savant à un autre et dřun cadre conceptuel
à un autre. Exemple : le tamis freudien
appliqué au sadisme et au masochisme, pp.
199-205.
→ Sas
→ Seuils
Taxonomie. ― La taxonomie de K-E dispose de
trois relais, elle progresse par dichotomies du
terme, à la notion, au concept : 40-42, 90.
→ Dichotomies
Temps Épistémologique. ― 44-45 ; 209 (note 515).
→ Lecture
THALES DE MILET (625-547 av. J.-C.). ― Lřun
des Sept Sages de la Grèce antique. On lui
attribue lřaphorisme : « Redoute la volupté : elle
est mère de la douleur ». Les sadistes et les masochistes
lui rétorquent : Ne redoute pas la douleur,
elle est la mère de la volupté : 20, note 36 ; 21,
note 38 ; 22, note 41.
― Compl. n° 3, Bibliographie, p. 315.
Thèse. ― K-E a dřabord découvert le masochisme.
Sřen est suivie la construction du concept de
365
sadisme, de telle sorte que la théorie quřil en a
donnée sřest trouvée à la fois énoncée et distordue.
Ce vice dřorigine a conditionné le destin
infortuné de ces concepts. (5)
Trieblehre [de K-E]. ― La théorie des pulsions de
K-E mérite le détour, à la fois pour elle-même
et pour ses incidences certaines sur Freud. Et
cela, même si, en définitive, il faudra sans
doute se défaire de lřune autant que de lřautre.
― Pp. 81, note 177 ; 82 ; 93 ; 99 ; 105 ; 106, note
210 ; 107 ; 111 ; 112 ; 115 ; 116 ; 117, note 228 ;
118 ; 121, note 245 ; 133 ; 144 ; 145 ; 146 ; 147 ;
152 ; 153 ; 173 ; 190-191 ; 192 ; 194 ; 196 ; 198,
note 479 ; 199, note 491 ; 205 ; 208, note de
K-E ; 211 ; 225)
― Hors-textes : (T.52), (T.55), (T.71), (T.72),
(T.76), (T.99), (T.102), (T.103), (T.104).
― Compl. n° 1, Commentaire…, § 9, p. 286 ;
§ 20, p. 291 (Projet dřune démolition en règle
de la Trieblehre de K-E et de celle de Freud).
― Compl. n° 3, § 3, p. 311.
― Compl. n° 5, LřInstance de lřautre·jouisseur…, à
propos des dialectes de la pulsion, pp. 322-325, et
339.
UEXKÜLL, Jacob von (1864-1944). ― Éthologiste
célèbre. Dans sa théorie de la signification il a
su décrire avec pertinence la course-poursuite
du signifiant pour rejoindre (en vain) le
signifié. (185-186) et (T.95).
Volonté (Psychologie de la). ― Pp. 213-218.