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LE BOUTON D'OR

Le Bouton d'Or
— Et l'Éclair court à toute blinde ! Il se faufile, il prend un virage serré et couuurt !
Le garçon détalait, commentant sa propre course à haute voix. Il rigolait alors que sa
poursuivante s'essoufflait déjà.
— Et hop ! Par-dessus la voiture ! Trop facile ! Allez, Tobi, viens, dépêche !
Il tira plusieurs fois sur la laisse, sans succès.
— Roooh, t'es pas doué, Tobi !
Il prit son petit chien dans ses bras et repartit à toutes jambes. Il entendit sa poursuivante
se rétamer sévèrement derrière lui. Il se retourna et la découvrit empêtrée dans son pantalon,
coincée de l'autre côté de la carcasse de voiture. Il éclata d'un rire triomphant.
— Hahaha ! L'Éclair gagne encore une fois !
Il tira la langue en direction de la fille, reposa son chien sur ses pattes, et déguerpit.
Arrivé dans sa planque, le gamin s'étala sur un vieux tapis et souffla un bon coup. Il serra
son poing droit et l'éleva avec un « Ouais ! » victorieux. Sur le dos de sa main, on pouvait lire son
nom, tatoué au stylo rouge : Wik. Un type lui avait dit un jour qu'en Glais, une autre langue très
classe, Wik signifiait Puissant. Le gamin n'avait jamais vraiment eu de prénom, alors il avait
immédiatement adopté celui-là. Il avait été très fier de savoir l'écrire tout seul, et il espérait bien
que le marquer sur sa main lui donnerait un air à la fois cultivé et redoutable.
Wik faisait partie d'une bande, dont l'objectif était d'accumuler des trésors. Chacun était
responsable d'une collection. Il y avait les nombreuses fourchettes de Sara, par exemple, et toutes
les petites roulettes amassées par Malek... D'ailleurs, il espérait que les autres allaient vite revenir
pour s'occuper un peu de leurs collections. Voilà des jours et des jours qu'ils n'étaient pas rentrés...
Ils allaient sans doute revenir avec le plus gros butin jamais vu ! Wik s'en réjouissait d'avance.
La règle était simple et n'avait pas changé depuis la création de la bande. Les gamins
rapportaient du butin, et chacun sélectionnait une pièce à ajouter à sa collection. Une pièce, et
une seule, par jour. Et s'il était possible de rapporter en plus de quoi manger, c'était encore mieux.
Wik, quant à lui, était particulièrement doué. Alors, il s'occupait de deux collections à lui
tout seul.
Il compléta tout d'abord sa collection secondaire. Il détacha la ficelle nouée autour de son
cou et la posa au sol. Elle comportait pas moins de trente-et-une clés, à présent.
— Pas mal ! murmura Wik.
Il lui faudrait bientôt commencer un nouveau collier de clés. Il aurait au final une collection
de colliers, chaque collier étant une collection de clés... Il trouvait ça cool.
Wik vida ses poches, étala une vingtaine de clés sur le tapis et les observa longuement. Il en
sélectionna une, toute bleue et toute brillante, et l'ajouta au collier, qu'il renoua autour de son
cou. Il enroula une vieille écharpe par dessus.
Il sourit, heureux. La première moitié de sa tâche quotidienne était réussie.
— Alors, Tobi ? Pas mal, hein ?
Tobi lui répondit par un regard borgne silencieux.
— Ah, c'est vrai que tu avais du mal à courir... Laisse-moi voir.
Tobi n'avait plus que deux roulettes au bout de ses pattes. Pas pratique pour aller vite, en
effet. Le gamin récupéra deux petites roues dépareillées dans la collection de Malek. Pourvu que
ce dernier ne le remarque jamais...
Wik répara soigneusement son chien en peluche élimé.
Publié sur sylkansael.com 2 Suzie Quinten ("Sylk An'Saël")

— Et voilà, t'es guéri !
Le Bouton d'Or
Puis, Wik s'approcha solennellement d'un vieux distributeur. Il contenait sa collection
principale, un ensemble de petits objets ronds et plats, dont le premier avait d'ailleurs été le
bouton qui servait d'œil droit à Tobi. Wik savait déjà quelle pièce il allait ajouter, aujourd'hui... La
pièce la plus disputée... Il récupéra le bouton doré, volé au pantalon de la fille endormie, quelques
heures auparavant.
Il retint son souffle, et l'inséra dans la fente du distributeur. Il ferma les yeux pour mieux
savourer le tintement ténu qui signifiait qu'une nouvelle pièce rejoignait sa collection. Ce bruit...
Ce simple petit bruit quotidien résonnait de façon particulière en lui. Lui donnait envie de se lever
tous les matins. De se nourrir, de fouiller. De survivre...
La nuit était tombée.
La fille avait fait tenir son pantalon avec un bout de fil de fer, et avait suivi la piste du sale
petit voleur jusque dans sa planque. Sa stupide peluche laissait deux sillons derrière elle... Trop
facile à pister.
Elle pénétra dans le sous-sol sombre et repéra la forme du gamin endormi sur un matelas
défoncé. Elle s'approcha en silence... Et appuya son pied sur sa gorge, au travers de son écharpe.
— Ah, tu t'es bien foutu de moi, hein ? T'es fier de toi ?
Elle comptait bien le faire flipper un bon coup, cet avorton. Le souffle coupé, il écarquilla les
yeux de peur et de douleur. Puis l'écharpe commença à se teinter de rouge. La fille, étonnée, retira
son pied. Elle enleva l'écharpe et découvrit de nombreuses clés piquées dans la gorge du gamin,
reliées par une ficelle. Il inspira avec difficulté, et recracha du sang. Il était foutu.
La surprise initiale passée, la fille haussa les épaules. Tant qu'elle, elle survivait...
Après tout, l'un des plus grands plaisirs de l'humain, c'est de jouir de ceux dont les autres
sont privés.
Le gamin, dans un dernier effort, tendit une main tremblante vers le distributeur près de
lui. La fille remarqua ce geste. Elle s'approcha de la machine et la secoua. Le tintement qu'elle émit
était prometteur. Elle tenta de la forcer, échoua, et la secoua de plus belle.
Le distributeur vacilla tant et si bien qu'un de ses appuis lâcha et il tomba vers l'avant,
écrasant la fille au sol. Ses plaques de métal se disloquèrent et se plantèrent profondément dans
ses jambes. Elle hurla.
Elle passa des heures à tenter de s'extirper. En vain.
La soif l'emporta quatre jours plus tard.
Les petits plaisirs du quotidien nous mèneront tous à notre perte...
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