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Jean Blanchard<br />
Lyon -69-<br />
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Premières <strong>en</strong>quêtes <strong>en</strong> Corrèze<br />
Octobre 1970. Je suis nommé assistant de recherche à l'I.U.T. d'Egletons, et j'anime quelques<br />
soirées musicales dans le courant de l'hiver dans divers <strong>en</strong>droits conviviaux (place du<br />
Marchadial), de cette toute petite ville, ce gros bourg, <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce de quelques élèves tous<br />
aussi désoeuvrés que moi après les heures de cours. Mon répertoire, très ciblé à l'époque, est<br />
un mélange disparatre de morceaux berrichons, auvergnats, québécois (j'<strong>en</strong> revi<strong>en</strong>s), irlandais<br />
(j'<strong>en</strong> revi<strong>en</strong>s) et cajun (je n'irai jamais), que je rabâche avec <strong>en</strong>train à l'accordéon diatonique et<br />
sur un violon complètem<strong>en</strong>t déréglé, acheté l'été précéd<strong>en</strong>t au marché aux puces de<br />
Villeurbanne.<br />
Je vois les affiches annonçant les bals de Jo Sony, de Robert Monédière, de Jean Ségurel<br />
collées sur les abribus et les transformateurs EDF, mais je ne soupçonne pas un seul instant<br />
qu'il puisse exister une tradition musicale vivante dans cette région. Mon intérêt va aux<br />
répertoires traditionnels que j'ai r<strong>en</strong>contré avant mon arrivée, dans le courant folk <strong>en</strong> plein<br />
accouchem<strong>en</strong>t, les seules "<strong>en</strong>quêtes" auxquelles j'ai pu participer se sont déroulées <strong>en</strong> Berry,<br />
au Québec et <strong>en</strong> Irlande.<br />
Deux étudiants de l'I.U.T. me parl<strong>en</strong>t de plusieurs "vieux musici<strong>en</strong>s" qui jou<strong>en</strong>t du violon tout<br />
prés d'Egletons. En leur compagnie, et pourvu d'un "Minicassettes" Phillips à bouton poussoir<br />
unique et d'une cassette vierge, je r<strong>en</strong>contre trois joueurs de violon, dont le nom m'échappe à<br />
ce jour, mais qui à l'époque, me paraiss<strong>en</strong>t jouer très approximativem<strong>en</strong>t des standards<br />
auvergnats. L'un d'eux nous indique alors: "Chastagnol, à Chaumeil, lui il <strong>en</strong> connaît, Ségurel<br />
vi<strong>en</strong>t le voir de temps <strong>en</strong> temps pour qu'il lui appr<strong>en</strong>ne".<br />
Le week-<strong>en</strong>d suivant, je r<strong>en</strong>contre un Monsieur Chastagnol, qui habite le rez-de-chaussée d'un<br />
petit pavillon, et qui me joue deux bonnes dizaines de mélodies, dont plusieurs bourrées très<br />
étranges pour moi, et qui sort<strong>en</strong>t du répertoire de standards auvergnats que j'ai <strong>en</strong>t<strong>en</strong>dus à<br />
cette époque. Ma cassette étant complètem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>registrée, je le quitte <strong>en</strong> lui donnant<br />
l'assurance de mon retour prochain. Au mom<strong>en</strong>t de quitter le pavillon, une dame sur le palier<br />
du premier étage, et qui a att<strong>en</strong>du que je pr<strong>en</strong>ne congé, me conseille d'aller voir "Juli<strong>en</strong><br />
Chastagnol, son frére, lui il joue très bi<strong>en</strong>". Elle m'indique l'adresse du frére, que je r<strong>en</strong>contre<br />
la semaine suivante.<br />
La r<strong>en</strong>contre, décisive pour moi par la suite, est un électrochoc pour un collecteur nourri aux<br />
mythes de l'époque folk flamboyante. Un homme chaleureux qui mène sa propre <strong>en</strong>quête sur<br />
moi p<strong>en</strong>dant que je crois m<strong>en</strong>er la mi<strong>en</strong>ne sur lui, un regard malicieux et amusé par la<br />
situation, des anecdotes à n'<strong>en</strong> plus finir, un cantou majestueux, une famille qui écoute le père<br />
jouer et raconter. Et un jeu de violon riche, très orné, beaucoup plus construit que ce que j'ai<br />
<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du lors des r<strong>en</strong>contres précéd<strong>en</strong>tes. Et un répertoire dont l'originalité frappe l'oreille,<br />
avec des standards, mais avec des versions d'une modalité marquée, et des mélodies étranges.<br />
Tous ces ingrédi<strong>en</strong>ts suffis<strong>en</strong>t pour me persuader que je suis <strong>en</strong> prés<strong>en</strong>ce du dépositaire d'une<br />
tradition riche et forte. Et je m'applique alors à reproduire sur mon violon les mélodies<br />
<strong>en</strong>registrées, inlassablem<strong>en</strong>t.<br />
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