La réglementation du commerce des drogues : enjeux éthiques et ...
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<strong>La</strong> <strong>réglementation</strong> <strong>du</strong> <strong>commerce</strong> <strong>des</strong> <strong>drogues</strong> :<br />
<strong>enjeux</strong> <strong>éthiques</strong> <strong>et</strong> scientifiques<br />
Dr. Micheline Roelandt<br />
En guise d’intro<strong>du</strong>ction il me semble important de préciser que quel que<br />
soit le credo <strong>du</strong> conférencier en matière de <strong>drogues</strong> (pour la guerre à la<br />
drogue ou contre la prohibition de certaines substances), il est utile de<br />
garder en mémoire que nous nageons, de toute façon, en pleine<br />
subjectivité. Pour certains, la prohibition <strong>des</strong> <strong>drogues</strong>, enclenchée par les<br />
Etats-Unis d’Amérique dès le début <strong>du</strong> 20 ème siècle découle <strong>du</strong> constat de<br />
leur dangerosité : prévalence d’un nombre important de personnes<br />
dépendantes d’abord de la morphine, par la suite de l’héroïne. Pour<br />
d’autres, s’il est incontestable que les Etats-Unis comptait bon nombre de<br />
toxicomanes aux opiacés, leur mise au ban n’est que la conséquence de la<br />
nécessité économique, en période de récession, de discriminer d’abord les<br />
populations chinoises, consommatrices d’opium, dont la présence en<br />
Amérique n’avait plus d’utilité <strong>et</strong> par la suite les Mexicains consommateurs<br />
de cannabis.<br />
Evaluer la toxicité intrinsèque de certains pro<strong>du</strong>its est évidemment ren<strong>du</strong><br />
difficile <strong>du</strong> fait de leur prohibition. Ce que nous constatons sur un plan<br />
sanitaire n’est pas nécessairement la conséquence néfaste de l’utilisation<br />
de tel ou tel pro<strong>du</strong>it, mais le plus souvent la conséquence <strong>du</strong> manque de<br />
pur<strong>et</strong>é <strong>du</strong> pro<strong>du</strong>it, de son mixage avec d’autres substances <strong>et</strong> <strong>des</strong><br />
conditions de sa commercialisation qui rendent rapidement son usage<br />
prohibitif. L’attrait pour ces pro<strong>du</strong>its n’est pas nécessairement provoqué<br />
par leurs eff<strong>et</strong>s psychotropes mais peut, chez certains jeunes, s’expliquer<br />
par le plaisir éprouvé à comm<strong>et</strong>tre l’interdit.<br />
Déterminer les raisons pour lesquelles ces pro<strong>du</strong>its ont été prohibés relève<br />
le plus souvent d’une construction a posteriori à caractère politico<br />
historico idéologique.<br />
Mon exposé sera l’expression «nécessairement subjective » de ma propre<br />
conviction <strong>et</strong> je cherche <strong>et</strong> trouve la plupart de mes arguments chez <strong>des</strong><br />
auteurs qui partagent mon credo.<br />
Alors, puisqu’il y va de ma subjectivité je propose de consacrer quelques<br />
minutes à me situer.<br />
Pour <strong>des</strong> raisons indépendantes de ma volonté je me suis trouvée<br />
rapidement avec une étiqu<strong>et</strong>te de « spécialiste » en toxicomanie puisque<br />
dès le début <strong>des</strong> années 70, travaillant comme psychiatre en formation<br />
dans un hôpital général de Bruxelles qui dispose d’un service de<br />
psychiatrie j’ai été confrontée à la nouvelle génération de toxicomanes.<br />
Texte de la conférence <strong>du</strong> Dr. Micheline Roelandt,<br />
organisée par l’Union Rationaliste de Belgique le 6 octobre 2004<br />
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J’entends par cela, à ces toxicomanes qui ne constituaient plus une élite<br />
culturelle <strong>et</strong>/ou intellectuelle <strong>et</strong> qui, se recrutant dans toutes les couches<br />
sociales, touchaient le plus souvent <strong>des</strong> jeunes déstructurés.<br />
Comme responsable <strong>des</strong> services d’urgence <strong>des</strong> hôpitaux St Pierre <strong>et</strong><br />
Brugmann dans les années 80, <strong>et</strong> responsable d’un Centre de Crise par la<br />
suite, mes contacts avec <strong>des</strong> usagers problématiques de <strong>drogues</strong> ne<br />
pouvaient que croître <strong>et</strong> embellir. Ceux avec <strong>des</strong> personnes confrontées à<br />
<strong>des</strong> problèmes d’alcool ou à <strong>des</strong> toxicomanies aux médicaments aussi.<br />
J’en suis donc arrivée à devoir constater la complexité de tout problème<br />
de dépendance à l’égard d’un pro<strong>du</strong>it. Complexité parce que le type de<br />
molécule importe (nous ne sommes pas tous en risque de dépendance à<br />
l’égard de tous les pro<strong>du</strong>its !), complexité parce que le type de<br />
personnalité y joue un rôle, non univoque, complexité parce que la<br />
situation sociale (au sens large : amis, entourage, situation<br />
professionnelle, estime sociale,) y importe, <strong>et</strong>c.<br />
Et dans ce contexte, je ne pouvais pas ignorer que la dépendance à un<br />
pro<strong>du</strong>it légal, si elle est tout aussi difficile à résoudre que la dépendance à<br />
un pro<strong>du</strong>it illégal, entraînait quand même pour la personne dépendante<br />
une désocialisation moins spectaculaire <strong>et</strong> moins mortifère.<br />
Considérer la prohibition <strong>des</strong> <strong>drogues</strong> comme une protection de leurs<br />
consommateurs ne tenait donc pas la route <strong>et</strong> au contraire, l’ensemble<br />
<strong>des</strong> mesures judiciaires dont les derniers étaient victimes me paraissait<br />
autant d’éléments à prendre en compte pour expliquer leurs difficultés à<br />
s’en sortir.<br />
Je n’étais manifestement pas la seule à m’en être ren<strong>du</strong>e compte car vers<br />
la fin <strong>des</strong> années 80 de plus en plus de voix se sont levées parmi les<br />
toxicothérapeutes, pour dénoncer les méfaits de la guerre à la drogue sur<br />
les consommateurs de <strong>drogues</strong>.<br />
Mais il n’y avait pas que les thérapeutes qui m<strong>et</strong>taient en doute le bien<br />
fondé de la guerre à la drogue, à l’intérieur <strong>des</strong> services de police <strong>et</strong>/ou<br />
d’Interpol <strong>des</strong> gens se posaient <strong>des</strong> questions sur le sens de leur travail <strong>et</strong><br />
dans tout l’appareil judiciaire on finissait par constater que quelque chose<br />
ne tournait décidemment pas rond dans c<strong>et</strong>te matière.<br />
Certains professionnels se sont donc rassemblés dans <strong>des</strong> ligues<br />
antiprohibitionnistes internationales <strong>et</strong> nationales, refusant de se faire <strong>des</strong><br />
promoteurs de l’usage <strong>des</strong> <strong>drogues</strong> mais se refusant tout autant à<br />
cautionner <strong>des</strong> politiques de prohibition qui toutes amènent à empêcher<br />
les indivi<strong>du</strong>s à prendre leurs propres responsabilités en ce domaine. C’est<br />
d’ailleurs à partir de ce constat là que le Centre d’action laïque s’est mis à<br />
réfléchir aux fondements de la prohibition comme politique d’Etat. C’est<br />
Texte de la conférence <strong>du</strong> Dr. Micheline Roelandt,<br />
organisée par l’Union Rationaliste de Belgique le 6 octobre 2004<br />
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effectivement l’Etat qui décide en lieu <strong>et</strong> place de la personne ce qu’elle<br />
est autorisée à consommer ou non.<br />
Le « c’est pour ton Bien » que nous t’imposons telle ou telle con<strong>du</strong>ite<br />
n’étant pas vraiment compatible avec l’esprit <strong>du</strong> libre examen le Centre<br />
d’action laïque s’est senti concerné par la lutte contre la prohibition de<br />
certaines <strong>drogues</strong> <strong>et</strong> vient d’entamer une campagne de sensibilisation à ce<br />
suj<strong>et</strong>.<br />
Puisqu’il est impossible en un exposé de faire un tour compl<strong>et</strong> de la<br />
question je me limiterai à la survoler <strong>et</strong> serai nécessairement non<br />
seulement subjective, mais également péremptoire.<br />
Il est scientifiquement connu que partout dans le monde, entre 5 <strong>et</strong> 10%<br />
de la population présente une dépendance problématique à l’un ou l’autre<br />
pro<strong>du</strong>it. Chez nous, il s’agit majoritairement d’alcool <strong>et</strong> de médicaments.<br />
L’on sait que ce pourcentage augmente ou diminue essentiellement en<br />
fonction de facteurs sociaux. Ainsi, l’alcoolisme s’est accru sensiblement<br />
dès le début de la crise de l’emploi dans le bassin de Charleroi.<br />
Si l’on m<strong>et</strong> d’autres pro<strong>du</strong>its à la disposition <strong>des</strong> gens le nombre total de<br />
personnes dépendantes ne va pas nécessairement augmenter. Seul<br />
l’éventail <strong>des</strong> pro<strong>du</strong>its auxquels on risque de devenir dépendant s’élargira.<br />
Mais si tous ces pro<strong>du</strong>its sont financièrement accessibles <strong>et</strong> présentent<br />
<strong>des</strong> critères de qualité, il n’y a pas nécessairement lieu de s’en inquiéter.<br />
Même s’il est incontestable que certains pro<strong>du</strong>its entraînent plus<br />
rapidement une dépendance compulsive que d’autres, je pense<br />
notamment à l’héroïne, un opiacé synthétique, on sait que l’immense<br />
majorité <strong>des</strong> soldats américains au Vi<strong>et</strong>nam l’y ont régulièrement<br />
consommé. On sait également que peu d’entre eux ont connu <strong>des</strong><br />
problèmes de dépendance à l’héroïne par la suite, à leur r<strong>et</strong>our au pays.<br />
Nous savons par ailleurs que pratiquement tout le monde a consommé<br />
<strong>des</strong> opiacés au décours de l’une ou l’autre intervention chirurgicale ou à la<br />
suite d’une affection particulièrement douloureuse. On n’ignore pas que<br />
ces consommateurs arrêtent leur consommation lorsque la raison pour<br />
laquelle ils prenaient <strong>des</strong> opiacés disparaît.<br />
Rien ne nous perm<strong>et</strong> donc d’énoncer que la consommation fortuite de tel<br />
ou tel pro<strong>du</strong>it entraînera nécessairement une dépendance à son égard <strong>et</strong><br />
l’histoire lointaine <strong>et</strong> récente nous prouve bien le contraire. Tous les<br />
pro<strong>du</strong>its actuellement prohibés sont connus depuis l’antiquité. Des<br />
civilisations entières s’en sont servies. Quelques uns de leurs habitants en<br />
sont probablement devenus dépendants, mais la grosse majorité les a<br />
consommés avec sagesse tout comme la majorité <strong>des</strong> occidentaux<br />
consomme l’alcool de façon récréative.<br />
Texte de la conférence <strong>du</strong> Dr. Micheline Roelandt,<br />
organisée par l’Union Rationaliste de Belgique le 6 octobre 2004<br />
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Il n’existe aucune bonne raison de croire qu’il en sera autrement pour les<br />
autres <strong>drogues</strong>.<br />
On constate, par ailleurs, que la guerre à la drogue implique souvent la<br />
mise sur le marché de pro<strong>du</strong>its synthétiques beaucoup plus puissants, <strong>et</strong><br />
donc plus accrocheurs, que les pro<strong>du</strong>its naturels dont ils sont extraits. Il y<br />
a un monde de différences entre le risque de dépendance constitué par la<br />
consommation régulière d’une pipe d’opium ou d’un shoot d’héro. Snifffer<br />
de la cocaïne <strong>et</strong> mâcher <strong>des</strong> feuilles de coca, comme le font les paysans<br />
colombiens depuis <strong>des</strong> siècles, ne présente pas le même danger.<br />
Par ailleurs, dans la mesure où ces pro<strong>du</strong>its sont commercialisés par <strong>des</strong><br />
circuits maffieux rien ne nous perm<strong>et</strong> de croire que leur qualité est<br />
garantie <strong>et</strong> tout nous pousse à croire que la maffia a d’excellentes raisons<br />
pour en inonder le marché <strong>et</strong> en augmenter le prix d’achat à loisir d’autant<br />
que c<strong>et</strong> argent sert souvent à alimenter le marché <strong>des</strong> armes illégales.<br />
Mais la prohibition perm<strong>et</strong> également d’installer <strong>des</strong> systèmes de contrôle<br />
sur <strong>des</strong> populations entières. C’est en son nom qu’on brûle les champs de<br />
coca en Bolivie. Mais c’est également en son nom, qu’en Belgique, on<br />
autorise les forces de police à perquisitionner, à n’importe quel moment,<br />
sans mandat.<br />
Comme je le signalais déjà <strong>des</strong> méchantes langues, notamment Line<br />
Beauchène, une politologue canadienne, professeure de criminologie à<br />
l’Université d’Ottawa, prétendent que la Harrison Act est la conséquence<br />
non pas de la dangerosité de l’opium, fumé sans trop de problèmes en<br />
Asie, en Europe <strong>et</strong> aux Etats-Unis <strong>du</strong>rant <strong>des</strong> siècles, mais bien <strong>du</strong> désir<br />
<strong>des</strong> populations américaines à expulser le trop plein de main d’œuvre<br />
chinoise <strong>des</strong> Etats-Unis à l’aune de la grande crise économique. Les<br />
mêmes expliquent la mise au ban <strong>du</strong> cannabis par le souci d’expulser les<br />
Mexicains <strong>des</strong> Etats <strong>du</strong> sud <strong>des</strong> Etats-Unis 20 ans plus tard.<br />
Il est probable que la stigmatisation <strong>des</strong> Chinois aux Etats-Unis pour leur<br />
consommation d’opium, ensuite <strong>des</strong> Mexicains pour leur consommation de<br />
cannabis n’a pu s’opérer que grâce à l’engouement que connurent les<br />
Ligues de Tempérance dès la fin <strong>du</strong> 19 e siècle. D’inspiration chrétienne,<br />
tant catholique que protestante, <strong>et</strong> notamment Anglicane, ces Ligues ont<br />
fait de nombreux adeptes aux Etats-Unis <strong>et</strong> au Canada, surtout parmi les<br />
femmes, récemment immigrées. Celles-ci arrivèrent dans un monde<br />
d’hommes, qu’il leur importait de socialiser afin de les transformer en<br />
époux <strong>et</strong> en parents responsables <strong>et</strong> pour ce faire il leur fallait d’abord <strong>et</strong><br />
avant tout les empêcher de poursuivre leurs beuveries plus ou moins<br />
sauvages <strong>et</strong> les inciter à la modération, par la suite à l’abstention.<br />
En l’absence d’un travail préparatoire idéologique d’inspiration religieuse,<br />
il eut été beaucoup plus difficile de mener campagne contre les opiacés<br />
Texte de la conférence <strong>du</strong> Dr. Micheline Roelandt,<br />
organisée par l’Union Rationaliste de Belgique le 6 octobre 2004<br />
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puisque, le laudanum était commercialisé depuis l’époque <strong>des</strong> Romains <strong>et</strong><br />
n’avait jamais posé de problèmes sanitaires majeurs, que <strong>du</strong> contraire. Il<br />
existe toute une littérature historico médicale qui prouve <strong>et</strong> promeut<br />
l’utilisation d’opiacés, ach<strong>et</strong>és chez le droguiste, pendant tout le 19 e siècle<br />
<strong>et</strong> consommé par les bébés. Comme nous le relate Virginia Berridge le<br />
laudanum, à une époque où l’hygiène était loin d’être parfaite prévenait<br />
les risques de diarrhée, grâce à son activité constipante. Elle assurait un<br />
meilleur sommeil aux enfants <strong>et</strong> les bébés qui recevaient <strong>du</strong> laudanum<br />
grossissaient donc mieux.<br />
L’échec de la prohibition de l’alcool aux Etats-Unis, la diminution de<br />
l’impact de l’idéologie religieuse en Occident ont peu à peu ré<strong>du</strong>it le<br />
pouvoir <strong>des</strong> Ligues de Tempérance, ce qui n’a pas empêché les Etats unis<br />
à poursuivre leurs croisa<strong>des</strong> contre les « stupéfiants », ni à imposer leur<br />
politique en Asie. Nous avons donc pu assister, plus récemment, à la<br />
déroute de gran<strong>des</strong> parties de la population dans plusieurs pays d’Asie (la<br />
Thaïlande entre autres) qui ont signé les Conventions internationales<br />
depuis plus récemment, interdisant la culture <strong>et</strong> le <strong>commerce</strong> de l’opium,<br />
une drogue sociale pour eux, <strong>et</strong> créant par conséquent, un marché<br />
plantureux pour l’héroïne, dont <strong>des</strong> dizaines de milliers de personnes sont<br />
devenues victimes.<br />
Si partout <strong>des</strong> voix s’élèvent pour exiger une remise en question <strong>des</strong><br />
conventions internationales, <strong>et</strong> nous soutenons c<strong>et</strong>te demande, entr<strong>et</strong>emps<br />
il semble bien que sans modification de la Convention, la mise en<br />
place d’une autre politique <strong>des</strong> <strong>drogues</strong> pourrait se réaliser grâce à la<br />
possibilité que laisse la Convention de mener à bien une expérience<br />
scientifique ou sanitaire pour autant qu’il y ait une volonté politique à<br />
l’exiger.<br />
Le C.A.L. propose donc un proj<strong>et</strong> de loi qui m<strong>et</strong> en place c<strong>et</strong>te expérience<br />
scientifique sanitaire <strong>et</strong> réglemente le <strong>commerce</strong> <strong>des</strong> <strong>drogues</strong><br />
actuellement prohibées en les vendant dans <strong>des</strong> officines d’Etat<br />
spécialement organisées à c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong>.<br />
Il va de soi qu’il s’agit là d’un proj<strong>et</strong> « révolutionnaire » qui aurait tout<br />
intérêt à être mené de concert avec d’autres pays européens <strong>et</strong> nous<br />
perm<strong>et</strong>trait par ailleurs de nous distinguer de l’actuel maître <strong>du</strong> monde <strong>et</strong><br />
d’en finir avec notre soumission à c<strong>et</strong> interdit qui tant sur un plan pratique<br />
que sur un plan éthique pose plus de problèmes qu’il n’en résout.<br />
Je profiterai <strong>du</strong> temps qui me reste pour approfondir c<strong>et</strong>te dernière<br />
assertion.<br />
Si déjà dans un avis de 1994, le Comité Consultatif Français sur l’Ethique<br />
<strong>des</strong> sciences de la vie <strong>et</strong> de la santé faisait clairement remarquer qu’il<br />
n’existe aucune base scientifique qui perm<strong>et</strong>te de justifier la distinction<br />
Texte de la conférence <strong>du</strong> Dr. Micheline Roelandt,<br />
organisée par l’Union Rationaliste de Belgique le 6 octobre 2004<br />
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entre <strong>drogues</strong> légales <strong>et</strong> <strong>drogues</strong> illégales, <strong>et</strong> nous savons tous que ce<br />
comité n’est pas le plus révolutionnaire d’Europe ! il n’empêche que la<br />
mise au ban arbitraire de certains pro<strong>du</strong>its rend leur consommation plus<br />
dangereuse, nous avons déjà fait allusion à certains de ces problèmes.<br />
Hormis ceux-là, arrêtons-nous à la question de la prévention.<br />
<strong>La</strong> mise en place de la prohibition de certaines <strong>drogues</strong> a nécessité leur<br />
diabolisation. Le maintien de leur prohibition s’accompagne d’une<br />
intoxication médiatique <strong>et</strong> politique afin de convaincre le commun <strong>des</strong><br />
mortels <strong>du</strong> bien-fondé de c<strong>et</strong>te prohibition. Parmi le commun <strong>des</strong> mortels<br />
se trouve <strong>des</strong> parents, <strong>des</strong> enseignants <strong>et</strong> <strong>des</strong> é<strong>du</strong>cateurs en tous genres<br />
qui adressent donc aux enfants dont ils assurent l’é<strong>du</strong>cation <strong>des</strong> messages<br />
catastrophistes. Et si, <strong>du</strong>rant <strong>des</strong> décennies ces messages n’ont pas<br />
pro<strong>du</strong>its d’eff<strong>et</strong>s dévastateurs, dans la mesure où le marché n’était pas<br />
inondé de <strong>drogues</strong>, depuis la fin <strong>des</strong> années 60 ces messages sont<br />
mortifères. <strong>La</strong> drogue est accessible, les jeunes sont par définition attirés<br />
par l’interdit <strong>et</strong> tentés par le dépassement d’eux-mêmes <strong>et</strong> <strong>des</strong> limites.<br />
Leurs copains fument un joint de temps à autre, eux aussi. Ni eux, ni leurs<br />
parents n’ont été informés, avec un minimum d’objectivité, sur la « bonne<br />
façon » de consommer <strong>du</strong> cannabis, puisque toute consommation est<br />
interdite.<br />
Plutôt que d’apprendre à fumer de temps en temps le soir à une boum ou<br />
avec quelques copains avant le coucher, plutôt que d’apprendre qu’on ne<br />
fume pas, pas plus qu’on ne boit, avant de suivre <strong>des</strong> cours ou faire ses<br />
devoirs, ils apprennent qu’en fumant un joint ils vont nécessairement<br />
devenir « fou » ou dépendant. Et, dans l’exacte mesure où ils ne<br />
deviennent ni l’un, ni l’autre, ils ne voient pas toujours de bonnes raisons<br />
pour ne pas goûter à l’héroïne, qui elle est plus difficile à gérer.<br />
<strong>La</strong> prohibition empêche donc une prévention intelligente <strong>et</strong> de surcroît elle<br />
bloque le dialogue entre les parents <strong>et</strong> leurs enfants, les premiers n’ayant<br />
que peu d’expériences en la matière s’affolent <strong>et</strong> racontent <strong>des</strong> inepties à<br />
leurs gosses qui en savent plus qu’eux.<br />
Il est évident que prendre <strong>des</strong> <strong>drogues</strong> constitue un risque. Mais prendre<br />
le volant en constitue un aussi. Faut-il donc abolir la moto ou la voiture ou<br />
y a-t-il intérêt à apprendre à rouler prudemment ?<br />
Ce qui importe n’est pas le pro<strong>du</strong>it consommé, mais la façon dont il l’est<br />
<strong>et</strong> ce que nous savons sur les con<strong>du</strong>ites alcooliques nous perm<strong>et</strong> de<br />
prétendre déjà que le « boire en cach<strong>et</strong>te » est toujours plus dangereux<br />
que le boire socialement.<br />
L’imposition de la prohibition empêche d’ailleurs la plupart <strong>du</strong> temps à<br />
tous ceux qui consomment <strong>des</strong> <strong>drogues</strong> depuis <strong>des</strong> années de façon<br />
parfaitement contrôlée de faire la publicité sur leurs mo<strong>des</strong> de<br />
Texte de la conférence <strong>du</strong> Dr. Micheline Roelandt,<br />
organisée par l’Union Rationaliste de Belgique le 6 octobre 2004<br />
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consommation ce qui nous m<strong>et</strong> dans la position <strong>du</strong> serpent qui se mord la<br />
queue. Seuls ces consommateurs qui posent <strong>des</strong> problèmes font la une<br />
<strong>des</strong> journaux <strong>et</strong> servent à confirmer le bien-fondé de la prohibition. Les<br />
autres se taisent de peur d’une intervention judiciaire à leur égard.<br />
En matière de prévention nous savons pourtant que la prohibition de<br />
l’alcool aux Etats-Unis fut un échec.<br />
Nous savons également que <strong>des</strong> politiques à allures prohibitionnistes en<br />
Suède par exemple ou en Irlande à l’égard de l’alcool ne font que<br />
confirmer leur utilité. Il est bien connu que lorsque les Suédois <strong>des</strong>cendent<br />
d’un avion, hors frontières, la moitié d’entre eux est bitue. Ils ont enfin pu<br />
boire sans se ruiner <strong>et</strong> dès que l’occasion se présente ils s’en donnent à<br />
cœur joie, sans mesure, confirmant ainsi leur incapacité à boire<br />
modérément.<br />
J’ignore si c’est encore le cas, mais il y a quelques années, en Irlande, à<br />
l’heure de la ferm<strong>et</strong>ure <strong>du</strong> pub la moitié <strong>des</strong> clients était «schelezat ».<br />
Pour protéger les Irlandais de leur incapacité génétique ? à boire<br />
modérément on ne les servait plus au-delà de 23 h <strong>et</strong> à 24 h, on fermait<br />
l’établissement. En pratique les clients commandaient, <strong>et</strong> buvaient, un<br />
maximum de Gordon entre leur arrivée <strong>et</strong> les 23 h fatidiques … <strong>et</strong><br />
roulaient sur le trottoir à minuit prouvant ainsi qu’on avait bien raison de<br />
limiter leur consommation !<br />
Pourtant les Suédois, les Irlandais <strong>et</strong> les Belges ne font partie que d’une<br />
seule <strong>et</strong> même race <strong>et</strong> on ne peut attribuer leur difficulté à gérer<br />
intelligemment l’alcool qu’au mode de distribution de l’alcool dans leur<br />
pays.<br />
Si sur un plan pratique ce type de mesures est donc contre-pro<strong>du</strong>ctif sur<br />
un plan éthique elles sont inacceptables parce qu’elles in<strong>du</strong>isent une<br />
déresponsabilisation citoyenne <strong>et</strong> ne se justifient que par le désir de<br />
protéger les citoyens contre eux-mêmes sans pour autant y arriver !<br />
Mais qu’en est-il de ces jeunes dits fragiles, demanderont certains. Vous<br />
n’êtes pas sans savoir que la plupart <strong>des</strong> choses que je vous ai racontées<br />
ce soir se r<strong>et</strong>rouvent dans le rapport de la commission parlementaire<br />
« <strong>drogues</strong> » réunie à la fin <strong>des</strong> années 90. Si la grande majorité <strong>des</strong><br />
experts appelés a confirmé l’inutilité de la prohibition, suite à quoi les<br />
procureurs généraux ont incité les tribunaux à classer sans suites, les<br />
dossiers <strong>des</strong> consommateurs, il n’empêche que ces derniers préconisaient<br />
quand même de poursuivre les plus fragiles d’entre eux ! afin de les<br />
protéger contre eux-mêmes.<br />
Texte de la conférence <strong>du</strong> Dr. Micheline Roelandt,<br />
organisée par l’Union Rationaliste de Belgique le 6 octobre 2004<br />
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En tra<strong>du</strong>ction, si vous vous trouvez face à un jeune qui fume un joint,<br />
poursuit ses étu<strong>des</strong> ou travaille, ne faites rien. Si le jeune par contre est<br />
en décrochage scolaire, dressez un procès-verbal on le poursuivra !<br />
Il y a donc fort à parier que certaines personnes dans notre pays croient<br />
qu’une condamnation, de quelque type qu’elle soit, constitue une<br />
motivation à vivre <strong>et</strong> à s’insérer pour un jeune marginalisé ! Devons-nous<br />
en dé<strong>du</strong>ire qu’il est plus facile de trouver un emploi avec un casier<br />
judiciaire que sans ?ou s’agit-il d’un r<strong>et</strong>our vers l’époque ou on<br />
condamnait ceux qui n’avaient pas réussi à mourir à la suite de leur<br />
tentative de suicide !<br />
Il va de soi que toute personne, jeune ou moins jeune, qui trouve en elle<br />
de bonnes raisons de vouloir vivre pourra apprendre à gérer sa<br />
consommation de <strong>drogues</strong> autant que l’ensemble de ses autres<br />
comportements à risque. Si une bonne cuite la veille d’un jour de boulot<br />
ne m’apprend pas à limiter ma consommation à l’avenir, c’est que je n’y<br />
tiens pas plus que cela à ce boulot. Mais si je n’y tiens pas plus que cela,<br />
voire si je suis totalement larguée, je n’ai aucune bonne raison à vouloir<br />
contrôler ma consommation. Dans ce cas, il y a fort à craindre que mon<br />
désir de vivre ne s’éveillera pas plus en prison, lorsque j’aurai non<br />
seulement per<strong>du</strong>e mon emploi, mais en outre été condamnée pour usage<br />
d’alcool.<br />
Si la prohibition protège certains jeunes parce qu’ils ont peur <strong>des</strong><br />
conséquences judiciaires qu’entraînerait la consommation de certaines<br />
<strong>drogues</strong>, elle ne protège donc que ceux qui ne doivent pas l’être. Ceux qui<br />
surconsomment <strong>et</strong> prennent <strong>des</strong> risques pour leur santé <strong>et</strong> pour leur<br />
insertion sociale, n’ont aucune bonne raison de craindre les conséquences<br />
judiciaires <strong>et</strong> encore moins de bonnes raisons pour se sentir mieux après<br />
l’intervention de la Justice, qu’avant.<br />
Ce que je vous ai raconté ce soir, le commun <strong>des</strong> mortels peut le<br />
comprendre. Et pourtant, la guerre à la drogue reste « in ». Il ne suffit<br />
pas, statistiques à l’appui, de démontrer que la politique de normalisation<br />
que suivent les Pays-Bas depuis plus de 20 ans, en facilitant l’achat de<br />
cannabis, une drogue douce par excellence, n’implique pas qu’il y a en<br />
moyenne plus de consommateurs de T.H.C. chez eux qu’ailleurs, mais<br />
signifie au contraire que depuis une dizaine d’années leurs jeunes<br />
semblent moins intéressés par l’héroïne que ceux en France, par exemple,<br />
pour que la politique prohibitionniste s’amende. Il ne suffit pas de<br />
constater que les héroïnomanes néerlandais vivent mieux, plus sainement<br />
<strong>et</strong> plus longtemps qu’ailleurs en Europe pour convaincre les instances<br />
politiques de l’utilité de revoir leurs programmes.<br />
Seule l’apparition <strong>du</strong> virus <strong>du</strong> sida, identifié <strong>du</strong>rant les premières années<br />
quatre-vingt a obligé certains Etats à appliquer <strong>des</strong> politiques de ré<strong>du</strong>ction<br />
Texte de la conférence <strong>du</strong> Dr. Micheline Roelandt,<br />
organisée par l’Union Rationaliste de Belgique le 6 octobre 2004<br />
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<strong>des</strong> dommages. Car c’est bien grâce au virus <strong>du</strong> sida que la distribution de<br />
pro<strong>du</strong>its de substitution a été envisagée. Les toxicomanes « en manque »<br />
étant prêts à tout pour trouver l’argent nécessaire, certains se<br />
prostituaient <strong>et</strong> présentaient donc un danger de contamination pour<br />
monsieur tout le monde. Par l’intro<strong>du</strong>ction de proj<strong>et</strong>s d’échanges de<br />
seringues on espérait diminuer le nombre de toxicos infectés. Par<br />
l’assouplissement de la distribution de méthadone, <strong>et</strong> autres substituts on<br />
diminuait, non seulement la p<strong>et</strong>ite criminalité (même s’il n’a jamais été<br />
prouvée qu’elle était en rapport avec la toxicomanie, que <strong>du</strong> contraire !),<br />
mais on diminuait la prostitution dans les rangs <strong>des</strong> toxicos <strong>et</strong> on<br />
protégeait donc indirectement leurs clients. Un certain assouplissement<br />
dans les mises en pratique de la prohibition n’est donc pas tellement le<br />
résultat d’une évolution de la pensée en la matière que la conséquence de<br />
l’apparition de l’H.T.L.V.3, qui c<strong>et</strong>te fois, contrairement au tréponème,<br />
agent infectieux responsable de la syphilis, identifié comme l’allié de Dieu<br />
dans la guerre contre la sexualité <strong>des</strong> 18 ème <strong>et</strong> 19 ème siècles, s’est trouvé<br />
être l’allié <strong>du</strong> toxicomane.<br />
Il y a donc lieu de se poser la question <strong>des</strong> résistances au changement.<br />
Un siècle de diabolisation de certains pro<strong>du</strong>its laisse <strong>des</strong> traces, c’est<br />
incontestable. Mais il y a fort à craindre que ce ne soit pas la seule<br />
résistance.<br />
Si l’impact <strong>des</strong> religions a diminué en Occident, le rapport <strong>du</strong> citoyen<br />
moyen au plaisir reste empreint de culpabilité, d’autant plus s’il ne connaît<br />
pas ces plaisirs <strong>et</strong> les fantasme. Notre culture est <strong>et</strong> reste d’inspiration<br />
judéo-chrétienne <strong>et</strong> ce n’est pas parce que Freud a mis en début <strong>du</strong> 20 e<br />
l’épanouissement sexuel en tête <strong>du</strong> hit parade, inversant ainsi les<br />
convictions scientifiques de l’époque en prônant que la maladie était la<br />
conséquence <strong>du</strong> manque d’épanouissement sexuel <strong>et</strong> non le résultat de la<br />
débauche ! que nous avons tous intégré le droit de chacun a trouver son<br />
plaisir où il peut.<br />
Cela n’empêche qu’il est hautement probable que la cause première de la<br />
résistance au changement en matière de politique prohibitionniste soit<br />
d’abord économique <strong>et</strong> financière. <strong>La</strong> masse financière que représente le<br />
marché illégal – on parle de 500 milliards de dollars par an - <strong>et</strong> le pouvoir<br />
politique <strong>et</strong> économique de ceux qui en profitent explique probablement<br />
bien <strong>des</strong> choses, d’autant comme on le disait déjà, que c<strong>et</strong> argent sert à<br />
nourrir les guéguerres de par le monde. Je vous renvoie à l’Observatoire<br />
Géopolitique <strong>des</strong> Drogues <strong>et</strong> aux écrits de <strong>La</strong>brousse pour de plus amples<br />
informations.<br />
Mais il y a une résistance qui n’est pas <strong>des</strong> moindres : celle liée à la<br />
repro<strong>du</strong>ction, dite administrative. <strong>La</strong> guerre à la drogue emploie quantité<br />
de gens, dans les polices, dans les milieux judiciaires, parmi les instances<br />
médico-sociales, parmi les fonctionnaires <strong>et</strong> aux Etats-Unis <strong>des</strong><br />
Texte de la conférence <strong>du</strong> Dr. Micheline Roelandt,<br />
organisée par l’Union Rationaliste de Belgique le 6 octobre 2004<br />
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administrations entières s’y consacrent. Rien ne peut amener tout ce beau<br />
monde à vouloir scier la branche sur laquelle il est assis.<br />
Et lorsqu’en Europe ou en Asie, un pays tente de s’échapper de<br />
l’imposition de la guerre à la drogue, les Etats-Unis disposent de moyens<br />
certains pour le convaincre <strong>du</strong> contraire.<br />
Cela ne m’empêche pas, pour autant, d’espérer que le bon sens<br />
l’emportera un jour, <strong>et</strong> que rapidement on réussira à intro<strong>du</strong>ire une faille<br />
dans l’édifice.<br />
D’un point de vue scientifique il est assez évident que nous avons tout à<br />
gagner à étudier sereinement les eff<strong>et</strong>s de ces psychotropes illégaux sur<br />
<strong>des</strong> consommateurs légaux. D’un point de vue éthique il est urgent<br />
d’informer objectivement les jeunes <strong>et</strong> moins jeunes <strong>des</strong> risques qu’ils<br />
prennent en consommant ce type de substances tout en en garantissant la<br />
qualité <strong>et</strong> la pur<strong>et</strong>é. Toujours d’un point de vue éthique il est<br />
indispensable de restituer aux citoyens le droit de choisir, en toute<br />
autonomie, quels pro<strong>du</strong>its ils désireraient éventuellement consommer.<br />
Texte de la conférence <strong>du</strong> Dr. Micheline Roelandt,<br />
organisée par l’Union Rationaliste de Belgique le 6 octobre 2004<br />
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