"Dehors, chaos et matières intensives dans la philosophie ... - Nessie
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hizomes, ayant définitivement rompu son attache à <strong>la</strong> Nature <strong>et</strong><br />
au naturalisme, ayant perdu l’obscurité du substantiel, le poids <strong>et</strong><br />
<strong>la</strong> lourdeur de l’encombrante matière, mais aussi <strong>la</strong> solidité de ce<br />
qui comme Terre donna socle <strong>et</strong> assise aux vivants de manière si<br />
immémoriale que nous n’avons cessé de l’oublier …<br />
La raison de ce r<strong>et</strong>rait n’est pas à mes yeux principalement à<br />
chercher du côté de l’immense affaiblissement du marxisme <strong>et</strong> du<br />
matérialisme dialectique <strong>dans</strong> <strong>la</strong> scène philosophique<br />
contemporaine. Plus fondamentalement <strong>la</strong> catégorie de matière<br />
s’est révélée de moins en moins capable d’assurer le rôle qui lui<br />
était destiné. Un mouvement de résorption de son altérité d’allure<br />
hégélienne s’est produit du côté des sciences, comme des arts. En<br />
fait de « matière », d’atomes ou plutôt de « particules » infraatomiques,<br />
nous sommes réduits, d’une part, à les envisager<br />
comme de simples (quoique complexes) virtualités de calculs, des<br />
fonctions <strong>dans</strong> un appareil<strong>la</strong>ge mathématique. Dans <strong>la</strong> physique<br />
contemporaine <strong>la</strong> matière-énergie n’est, d’une part, plus autrement<br />
présente ou donnée que <strong>dans</strong> des procédures rationnelles. Elle est<br />
absorbée <strong>dans</strong> un tissu de re<strong>la</strong>tion ; l’énergie est l’ X qui est référée<br />
<strong>dans</strong> le système des égalités, des équations, comme ce qui supporte<br />
un réseau de re<strong>la</strong>tion mathématiques. Le fait que les lois soient<br />
devenues de type probabiliste a défait leur lien avec les idées<br />
rationalistes d’ordre <strong>et</strong> de nécessité <strong>et</strong> a permis de faire apparaître<br />
<strong>la</strong> royauté d’un hasard ou d’une indétermination fondamentale.<br />
Mais c<strong>et</strong>te matière-hasard, aléatoire, ne conduit pas à <strong>la</strong> pensée<br />
d’un pur dehors <strong>et</strong> à l’affirmation d’une altérité fondamentale. Les<br />
lois statistiques perm<strong>et</strong>tent de réabsorber <strong>la</strong> matière <strong>dans</strong> les<br />
procédures d’un calcul mathématique. D’autre part, côté<br />
« expérience », l’objectivité sensible de <strong>la</strong> particule est condamnée à<br />
se produire <strong>dans</strong> une expérimentation qui ne peut plus être<br />
détachée d’une artificialité technologiquement construite <strong>et</strong> qui en<br />
fait un « fait » (un eff<strong>et</strong> ou produit) autant de notre savoir-pouvoir<br />
que de <strong>la</strong> « nature » ou de « l’expérience » elles-mêmes. Pour<br />
accentuer le désarroi dû à <strong>la</strong> perte de <strong>la</strong> « matière » (<strong>dans</strong> l’aspect<br />
substantiel qu’elle prend <strong>dans</strong> <strong>la</strong> perception courante <strong>et</strong> pour le<br />
sens commun, comme « chose », res) en raison de <strong>la</strong> science<br />
subatomique des « particules », on a pu voir apparaître des notions<br />
comme celle d’ « anti-matière », de « trou noir » dont on nous dit<br />
que, artefacts théoriques, images rhétoriques ou réalités, ces<br />
dernières renverraient encore à de <strong>la</strong> matière mais douée de<br />
propriétés contraires, inversées, <strong>et</strong>c. La matière <strong>et</strong> <strong>la</strong>dite « antimatière<br />
» ne semblent plus pouvoir se définir autrement que par<br />
leur contraire : elles sont ce qui n’est pas le néant. Ce mouvement<br />
d’abstraction mathématique, d’artificialisme technologique <strong>et</strong> de<br />
dématérialisation, s’est répercuté <strong>dans</strong> les arts (ou bien ceux-ci<br />
l’ont inventé pour leur compte) : le grand mouvement de<br />
l’abstraction en peinture de Klee <strong>et</strong> Kandinsky jusqu’à<br />
l’expressionisme abstrait américain, le minimalisme, ou plus récemment<br />
celui de l’art conceptuel promu par les artistes de pointe dont l’œuvre<br />
se passe de toute matière <strong>et</strong> matériau (ou presque), en sont des<br />
exemples par<strong>la</strong>nt. L’ensemble de ces mouvements a abouti à un<br />
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