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J’ai été malade sur le bateau, et enfin j’ai vu la côte<br />
bordée de palmiers. La mer est étonnamment bleue. Les<br />
enfants courent sur le chemin, les vagues roulent sur les<br />
rochers noirs. Derrière une pagaille d’arbres, j’entends<br />
des voix, des bruits de chaînes, des regards morts, la<br />
pluie bat les bâtisses austères puis le soleil brûle les<br />
peaux et le sel les crevasse, les plaies suppurent. Dans un<br />
coin, un homme est là, il n’a d’homme que le nom, c’est<br />
un animal traqué, roulé sur lui-même, un tissu en<br />
lambeaux cache mal son corps maigre tanné, son souffle<br />
est court, la mort rôde… Les piaillements des enfants la<br />
repoussent et mon regard se détourne, me transporte<br />
plus loin, au-delà de mes larmes. On dévale le chemin<br />
verts le point d’eau irréel pompeusement nommé « la<br />
piscine des bagnards », au mot piscine les enfants ont<br />
posé short et t-shirt et arborent leurs maillots de bain, les<br />
murs de lourdes pierres taillées, traînées par les bras<br />
meurtris entourent cette baignoire d’outre-tombe, trois<br />
murs bas qui laissent le regard s’échapper vers la mer et<br />
un mur immense droit, froid que des dizaines, des<br />
centaines de mains ensanglantées ont érigé. Traits droits,<br />
saillants de ces caillasses obscènes, agencées sous la<br />
contrainte, une architecture de fous, un délire humain,<br />
les enfants nagent, leurs gestes gracieux et insouciants<br />
pèsent-ils plus que le poids de l’histoire ?<br />
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