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arabe et breton en ZEP - Erwan Le Brenn

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L’<strong>arabe</strong> <strong>et</strong> le br<strong>et</strong>on dans un collège de Z.E.P. (Zone d’Education Prioritaire)<br />

Expéri<strong>en</strong>ce m<strong>en</strong>ée p<strong>en</strong>dant 2 ans <strong>en</strong> Loire-Atlantique dans un collège compr<strong>en</strong>ant une<br />

population non négligeable de jeunes issus de l’immigration. Il s’agissait d’<strong>en</strong>seigner la<br />

langue <strong>arabe</strong> <strong>et</strong> la langue br<strong>et</strong>onne aux élèves volontaires des classes de 6 ème <strong>et</strong> 5 ème .<br />

Durant les premières semaines suivant la r<strong>en</strong>trée scolaire, une <strong>en</strong>quête m<strong>en</strong>ée auprès des<br />

classes de 6 ème <strong>et</strong> de 5 ème a montré que, sur 300 élèves, 40 <strong>en</strong>viron se déclarai<strong>en</strong>t prêts à<br />

appr<strong>en</strong>dre l’<strong>arabe</strong> <strong>et</strong> autant choisissai<strong>en</strong>t le br<strong>et</strong>on. Une vingtaine d’élèves se sont prés<strong>en</strong>tés à<br />

la première réunion qui, pour chacune des 2 langues, lançait le travail de l’année. Au mois de<br />

juin, malgré l’abs<strong>en</strong>ce totale de contrainte puisque c<strong>et</strong> <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t était facultatif, <strong>et</strong> malgré<br />

la concurr<strong>en</strong>ce du souti<strong>en</strong> placé dans le même créneau horaire (de 16 h 30 à 17 h 30), il <strong>en</strong><br />

restait une douzaine d’un côté comme de l’autre.<br />

L’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de l’<strong>arabe</strong> standard, celui qu’on <strong>en</strong>seigne dans les établissem<strong>en</strong>ts scolaires,<br />

était assuré par Béchir Seghier, proviseur <strong>en</strong> r<strong>et</strong>raite du lycée de Tiar<strong>et</strong> <strong>en</strong> Algérie.<br />

L’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t du br<strong>et</strong>on était assuré par moi-même ; je parle le dialecte de Cornouaille<br />

proche du vann<strong>et</strong>ais, que j’ai <strong>en</strong>richi progressivem<strong>en</strong>t par collectages (<strong>en</strong>registrem<strong>en</strong>ts soores)<br />

auprès des br<strong>et</strong>onnants <strong>et</strong> que je continue d’<strong>en</strong>richir <strong>en</strong> animant régulièrem<strong>en</strong>t cours <strong>et</strong> stages<br />

de br<strong>et</strong>on… Ces <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>ts ont été assurés bénévolem<strong>en</strong>t, tout ceci faute de prise <strong>en</strong><br />

charge par les instances officielles malgré la bonne volonté de notre chef d’établissem<strong>en</strong>t.<br />

Un facteur d’intégration<br />

La nouvelle que l’on <strong>en</strong>seignait l’<strong>arabe</strong> dans notre établissem<strong>en</strong>t s’est répandue parmi la<br />

communauté maghrébine du secteur. Des jeunes de la maison de quartier, située à un peu plus<br />

d’un kilomètre du collège, sont v<strong>en</strong>us m’<strong>en</strong> demander la confirmation (nombre d’<strong>en</strong>tre eux<br />

n’étai<strong>en</strong>t pas scolarisés dans notre établissem<strong>en</strong>t). Enseigner l’<strong>arabe</strong> a été compris comme un<br />

signe fort de reconnaissance <strong>et</strong> comme un gage possible de réciprocité : « Si je m’intéresse à<br />

toi, toi aussi tu vas t’intéresser à moi, parce que je montre que tu existes ». Aller vers le<br />

savoir, c’est aller vers l’autre, avec souv<strong>en</strong>t la crainte de l’inconnu, de la nouveauté, parfois la<br />

crainte de perdre son id<strong>en</strong>tité. Si, dès le départ, ce qui est le plus profond <strong>en</strong> soi a un statut, on<br />

se s<strong>en</strong>tira beaucoup plus <strong>en</strong> confiance, <strong>et</strong> la confiance, ainsi que le postulat d’éducabilité sont<br />

les bases de la pédagogie. On ne construit ri<strong>en</strong> de bon sur la méfiance. Or non seulem<strong>en</strong>t<br />

<strong>en</strong>seigner l’<strong>arabe</strong> facilitera <strong>en</strong>suite l’appr<strong>en</strong>tissage d’autres langues mais cela perm<strong>et</strong>tra de<br />

compr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> profondeur ce qui concerne la civilisation où elle est <strong>en</strong>racinée : littérature<br />

(Amin Mahfouz par exemple pour ne citer que lui), les mathématiques (les <strong>arabe</strong>s sont les<br />

inv<strong>en</strong>teurs de l’algèbre), la musique, l’histoire (<strong>et</strong> notamm<strong>en</strong>t l’histoire de la religion<br />

musulmane) <strong>et</strong>c.<br />

« Tu vas générer un gh<strong>et</strong>to d’Arabes ! »<br />

Parmi les critiques formulées à l’égard de c<strong>et</strong>te expéri<strong>en</strong>ce, j’ai <strong>en</strong>t<strong>en</strong>du : « Tu vas générer<br />

un gh<strong>et</strong>to d’Arabes ! » Or, c’est l’inverse qui s’est produit : au cours d’<strong>arabe</strong>, il y avait autant<br />

d’<strong>en</strong>fants de familles françaises que d’<strong>en</strong>fants d’immigrés ; il faut croire que les jeunes issus<br />

de familles d’origine française se sont montrés très intéressés par l’approche de la langue de<br />

leurs copains Beurs. Par ailleurs, il faut bi<strong>en</strong> constater que l’abs<strong>en</strong>ce de l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de la<br />

1


langue <strong>arabe</strong> laisse le champ libre aux écoles coraniques du mercredi matin. On <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d parler<br />

de la construction de mosquées <strong>et</strong> pas d’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t de la deuxième ou troisième langue<br />

parlée <strong>en</strong> France – la deuxième langue parlée étant d’ailleurs peut-être le berbère.<br />

Ainsi, lors d’une journée « portes ouvertes au collège » de notre établissem<strong>en</strong>t, les élèves<br />

ont prés<strong>en</strong>té un sk<strong>et</strong>ch <strong>en</strong> <strong>arabe</strong>… <strong>et</strong> là, pour la première fois, des mères maghrébines sont<br />

v<strong>en</strong>ues voir la prestation de leur <strong>en</strong>fant (avec foulard islamique ou non… <strong>et</strong> alors ?). J’ai<br />

essayé le peu d’<strong>arabe</strong> que j’avais eu le temps d’appr<strong>en</strong>dre, vous imaginez leur fierté ! On<br />

s’aperçoit alors que les par<strong>en</strong>ts qui ne vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pas au collège sont r<strong>et</strong><strong>en</strong>us par la crainte de<br />

donner une mauvaise image d’uex-mêmes, crainte de ne pas être à la hauteur car le s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t<br />

de mal maîtriser le français <strong>et</strong> d’appart<strong>en</strong>ir à un autre univers social <strong>et</strong> culturel. Ils ne veul<strong>en</strong>t<br />

pas transm<strong>et</strong>tre à leur tour ces complexes à leur <strong>en</strong>fant. Comme disait P.-J. Hélias : « Quand<br />

on est pauvre, on doit avoir de l’honneur, c’est notre seul bi<strong>en</strong> ; les riches n’<strong>en</strong> ont pas<br />

besoin. »<br />

<strong>Le</strong>s langues françaises br<strong>et</strong>onne sont les deux langues qui ont nourri <strong>et</strong> formé mon esprit,<br />

sur lesquelles s’est construite ma personnalité. Nier l’une où l’autre est pour moi une<br />

souffrance. Ri<strong>en</strong>, jamais, ne pourra empêcher c<strong>et</strong>te blessure de se rouvrir dès qu’une telle<br />

manifestation se manifeste. Si l’on p<strong>en</strong>se que l’école a aussi pour mission de favoriser<br />

« l’intégration républicaine », elle doit aussi donner une place aux autres cultures, aux autres<br />

langues de France, dans le cadre strict d’une laïcité qui garantit l’égalité <strong>en</strong> reconnaissant les<br />

différ<strong>en</strong>ces.<br />

<strong>Le</strong>s écoles d’immersion Diwan ont suscité nombre de polémiques. Mais souv<strong>en</strong>ons-nous<br />

qu’elles sont nées pour remédier à l’abs<strong>en</strong>ce totale d’un <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t digne de ce nom de la<br />

langue br<strong>et</strong>onne.<br />

Et « le repli communautaire » ?<br />

Il faut bi<strong>en</strong> sûr rester vigilant vis-à-vis de la dérive communautaire… Mais comparer la<br />

situation explosive des Balkans avec la situation linguistique <strong>en</strong> France ne relève-t-il pas de la<br />

plus pure paranoïa jacobine ? C’est l’inverse que nous vivons : nous sommes dans un pays uni<br />

par une histoire <strong>et</strong> une culture commune. L’intégration républicaine a bi<strong>en</strong> fonctionné :<br />

aujourd’hui <strong>en</strong> France, tout le monde parle français 1 . Plus, même, avec le développem<strong>en</strong>t de<br />

l’Europe, je vois nombre de mes compatriotes se replier sur eux-mêmes de crainte que la<br />

France ne soit plus c<strong>et</strong>te <strong>en</strong>tité « une <strong>et</strong> indivisible » qui les rassure. En quoi l’inquiétude<br />

devant l’expansionnisme de l’anglais justifie-t-il la méfiance à l’égard des langues dites<br />

« régionales » ? Un minoritaire doit-il trouver un plus minoritaire qu’il méprise ? <strong>et</strong> c’est le<br />

p<strong>et</strong>it br<strong>et</strong>onnant, qui a vu nombre de locuteurs de sa langue passer de un million à deux c<strong>en</strong>t<br />

cinquante mille <strong>en</strong> l’espace d’un siècle, qui doit réconforter le francophone démoralisé de voir<br />

que sa langue a perdu son statut de langue universelle.<br />

En réalité, la Br<strong>et</strong>agne ainsi que l’Alsace ont voté « oui » à 60 % lors du référ<strong>en</strong>dum 2 pour<br />

l’europe, alors que le « oui » l’a emporté de peu dans toute la France. Ainsi, le « oui » est<br />

passé grâce aux régions périphériques du territoire, régions qui possèd<strong>en</strong>t une langue<br />

régionale <strong>et</strong> qui ont une id<strong>en</strong>tité forte –vous avez dit « repli communautaire » ?<br />

1 Hormis quelques immigrants nouvellem<strong>en</strong>t arrivés… Mais justem<strong>en</strong>t, comm<strong>en</strong>t les aider à s’intégrer le mieux<br />

possible ? Voir les paragraphes précéd<strong>en</strong>ts<br />

2 de 1993 !<br />

2


Certes, dans certains établissem<strong>en</strong>ts on parle plus de dix langues : « On ne peut quand<br />

même pas toutes les <strong>en</strong>seigner ! ». Mais c<strong>et</strong> argum<strong>en</strong>t ne doit pas être un prétexte pour<br />

continuer à nier ou à simplem<strong>en</strong>t ignorer les autres langues parlées dans notre pays : c’est<br />

l’ignorance de l’autre qui provoque le repli communautaire. Et la lutte contre celui-ci passe<br />

par la reconnaissance de l’autre dans sa culture, donc <strong>en</strong> particulier par la reconnaissance de<br />

sa langue.<br />

Ne pas donner un vrai statut aux langues de France, c’est les laisser mourir à p<strong>et</strong>it feu.<br />

C’est hélas ce qui s’est produit lorsque j’ai quitté mon collège après ces deux années riches <strong>en</strong><br />

expéri<strong>en</strong>ces pour aller <strong>en</strong>seigner <strong>en</strong> lycée : l’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t du br<strong>et</strong>on <strong>et</strong> de l’<strong>arabe</strong> a cessé<br />

faute de suivi, malgré l’intérêt manifesté par les élèves <strong>et</strong> leurs par<strong>en</strong>ts.<br />

<strong>Erwan</strong> <strong>Le</strong> Br<strong>en</strong>n<br />

Professeur de mathématiques<br />

au lycée Aristide Briand<br />

de Saint-Nazaire (44)<br />

P<strong>et</strong>ite note : ce texte est à replacer dans son contexte : il a été écrit <strong>en</strong> 2003 pour un public<br />

d’<strong>en</strong>seignants ; il a donc ainsi, à ma demande, été « remanié » un peu par Pierre Madiot, professeur<br />

de français à l’époque <strong>et</strong> rédacteur <strong>en</strong> chef avec Françoise Carraud de la revue « <strong>Le</strong>s cahiers<br />

pédagogiques », où c<strong>et</strong> article a été publié tel quel.<br />

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