EN EXCLUSIVITÉ Veselin Topalov, champion du monde, commente ...

Joyaux
Une de mes plus belles parties.
Lorsque nous avons demandé à Veselin Topalov de commenter une de ses plus belles
parties, il n’a pas hésité... Quelques jours plus tard nous recevions cette analyse de
sa victoire, à Sofia, contre Vishy Anand.
Au moment où nous mettons sous presse notre collaborateur est devenu... champion
du monde d’Echecs ! Nul doute que cette victoire du tournoi Mtel n’est pas étrangère
à la formidable dynamique qui l’a conduit, en Argentine, à remporter avec panache
le titre suprême...
Le style le plus esthétique
L
e parcours du nouveau champion du
monde, Veselin Topalov, est un véritable
modèle de réussite : découvert très tôt
par le maître international Silvio Danailov (qui
devint ensuite son entraîneur, puis son
manager), Veselin commença par sillonner les
opens, avec une prédilection pour l’Espagne,
jusqu’à l’âge de 18 ans environ. Cette école de la victoire, où une
participation à un tournoi n’a de sens que si elle se termine par
une première place, lui forgea un style actif, pragmatique et
ambitieux. A partir de 1993, il entra dans l’élite en étant invité
dans les plus forts tournois mais ne changea pas son style pour
autant, il l’adapta seulement aux exigences du haut niveau.
Avant sa victoire au championnat du monde, Topalov partageait
la première place mondiale avec Vishy Anand. Ses récentes
victoires, tant en Argentine qu’aux grands tournois de Linares et
de Sofia, sont l’aboutissement de son approche maximaliste.
Ses parties sont aussi complexes que celles de Shirov ou
Morozevich, mais elles produisent une impression plus
harmonieuse, sa technique en finale est d’une remarquable
limpidité et sa préparation dans les ouvertures est depuis
toujours l’une des plus en pointe sur le circuit. Il faut ajouter à
cela une combativité hors du commun qui lui fait jouer pour le
gain avec les Noirs comme avec les Blancs, ainsi qu’une force de
concentration colossale qui ne lui fait jamais quitter sa chaise tant
que la partie n’est pas finie, le seul joueur que je connaisse à être
capable d’une telle détermination.
En l’absence de Kasparov, Veselin Topalov est à mon sens le
joueur qui possède le style de jeu le plus esthétique en ce
moment. A tel point que certaines de ses défaites sont aussi
spectaculaires que ses victoires, nombre de ses adversaires
comptent ainsi leurs victoires contre Topalov comme leurs chefsd’œuvre
les plus réussis, tels les parties Topalov-Shirov de Linares
1998 (avec le fameux 47…Fh3 !!) ou encore Kasparov-Topalov,
Wijk aan Zee 1999, peut-être la plus belle partie d’échecs de tous
les temps. Dans la partie suivante qui décida du vainqueur de
Sofia cette année, Veselin se montra sous son meilleur jour contre
notre vedette du numéro précédent d’Echec & Mat.
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Joël Lautier
par Veselin Topalov
Topalov, V. 2757 Anand, A. 2786
E15 MTEL Masters Sofia - mai 2005
Ce fut la première partie après le jour de repos et il s’est avéré
qu’elle devait être la partie décisive pour le classement final.
Bien sûr, les choses auraient pu finalement être très différentes,
puisque chaque partie a sa propre histoire, mais ce fut ma première
victoire à Sofia, aussi, pour moi, est-elle très particulière.
Mon résultat après cinq rondes n’était pas très impressionnant :
quatre nulles puis une perte face à Ponomariov juste avant le
jour de repos. Vishy n’avait fait que des nulles jusque là, je pensais
donc qu’il n’était pas, lui non plus, très content. 1.d4 Le
moment de changer. En fait, Anand, Kramnik et Adams jouent
la même ouverture avec les Noirs : La défense Petroff contre
1.e4 et l’Ouest-Indienne après 1.d4. A haut niveau, c’est OK. Ce
sont des ouvertures éternelles et elles peuvent être jouées
contre tout le monde. J’ai pensé qu’il était plus facile de trouver
de nouvelles idées après 1.d4 que de chercher une petite amélioration
pour les Blancs dans la Petroff quelque part autour du
20 e coup. Mais le jour de repos, j’ai donné une simultanée et
ensuite j’ai dû me reposer, et ce n’est que tard dans la soirée que
j’ai eu du temps pour réfléchir à la partie du lendemain. Nous
avons regardé avec le GMI Ivan Cheparinov, mon secondant
durant les derniers tournois, et nous avons trouvé une idée intéressante.
J’aimais bien ce coup et je suis allé au lit d’humeur
optimiste. 1...Cf6 2.c4 e6 3.Cf3 b6 4.g3 Fa6 5.b3 Fb4+ 6.Fd2
Fe7 7.Cc3 c6 Vishy a joué cela contre Tkachiev à Moscou 2001
et a obtenu une partie normale, nous attendions donc ce
coup.7...0–0 est également populaire. 8.e4 d5 9.Dc2 Tkachiev
avait joué 9.e5 9...dxe4 10.Cxe4 Fb7 l’idée des Noirs est de
jouer rapidement c5 pour développer parfois le Cavalier en c6.
10...Cbd7 mène à une sorte de position de Catalane où c6 est
une perte de temps 11.Ceg5!! Le voilà ! A Monaco 2005 contre
Peter Leko j’ai joué le naturel 11.Fg2 c5 et seulement maintenant
12.Ceg5 et bien que j’aie gagné cette partie, ce n’était pas
à cause de l’ouverture. C’était une partie à l’aveugle et, ensuite,
Vishy nous a rejoints à l’analyse post-mortem et nous avons
passé un bon moment à analyser la position tous les trois.
Anand savait que Leko était tout à fait OK dans cette partie et
c’est pourquoi il a répété ces coups sans crainte. 11...c5 Le seul
coup.11...0-0 est très dangereux car les Blancs jouent 12.0–0–0
et contrent 12...h6 avec 13.h4 et toutes les pièces sont prêtes à
attaquer.11...h6 pousse les Blancs à sacrifier, mais en fait, c’est ce
qu’ils veulent faire : 12.Cxf7 Rxf7 13.Ce5 Rg8 14.Fh3 avec de très
bonnes compensations. 12.d5! Peut-être suis-je trop émotif en
mettant un point d’exclamation à chaque coup. Les échecs sont
un jeu concret et souvent, les jolis coups sont en fait perdants.