Gazette 10 - Quiers-sur-Bezonde
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m<br />
son terme. Une brique séchée était beige<br />
quand on la grattait à l’ongle. Alors on<br />
dépendait les toiles de protection. Le<br />
soleil et le vent achevaient de la préparer.<br />
Les dimensions d’une brique commune<br />
étaient 22 centimètres de longueur, 11 de<br />
largeur et 5 ou 5,5 d’épaisseur. Il fallait<br />
tenir compte d’un retrait de huit à dix<br />
pour cent lors du séchage.<br />
Le chargement du four mobilisait une<br />
importante main d’œuvre. On enfournait<br />
jusqu’à soixante cinq tonnes d’argile par<br />
cuisson, laquelle cuisson consommait ses<br />
trois mille fagots au bas mot.<br />
t i<br />
e<br />
L’enfournage nécessitait une semaine de<br />
rude travail, et délicat avec ça. Une chaîne<br />
de trois ou quatre ouvriers se mettait en<br />
position de passe tandis que le tuilier<br />
glissait son palier dans les encoches<br />
prévues à l’ouverture du four. Perché làdessus,<br />
il arrangeait ses briques <strong>sur</strong> une<br />
hauteur de quatre à cinq mètres de haut,<br />
toujours en quinconce, toujours espacées<br />
pour que la flamme puisse bien les lécher.<br />
Les reins des bonshommes souffraient, je<br />
vous le dis ! Enfin on obstruait le four et<br />
on allumait.<br />
La conduite du foyer n’était pas confiée au<br />
premier venu. On « enfumait » pendant<br />
les deux ou trois premiers jours à petit<br />
feu (300°) et l’on <strong>sur</strong>veillait les volutes qui<br />
s’échappaient de la cheminée. Tant que la<br />
fumée demeurait blanche, on savait que la<br />
terre à brique contenait toujours sa buée<br />
et que la <strong>sur</strong>veillance pouvait se relâcher ;<br />
mais dès qu’elle devenait grise, le moment<br />
était venu de pousser à grand feu (950°)<br />
et de ne plus s’accorder la moindre<br />
inattention. Pendant trois jours et deux<br />
nuits, sans interruption, on rechargeait le<br />
foyer tous les quarts d’heure. La gueule de<br />
la cheminée devait cracher des langues<br />
d’enfer. On contrôlait la cuisson par un<br />
lucarneau. On se relayait à la mi-nuit. La<br />
fournée risquait de louper si l’un<br />
s’assoupissait. Celui qui arrivait derrière<br />
devait aussitôt relancer le feu, souvent<br />
pour sauver peu de chose. C’était alors la<br />
consternation dans l’équipe.<br />
En sortie de four, après une semaine de<br />
refroidissement, le maître tuilier faisait «<br />
sonner » les pièces une à une afin d’en<br />
déceler, au bruit, les éventuels défauts.<br />
A cette époque, la<br />
tuilerie cuisait ses<br />
dix à douze<br />
fournées par saison.<br />
Elle employait cinq<br />
hommes, pour la<br />
plupart des gens des<br />
environs. On<br />
embauchait parfois<br />
en renfort des<br />
saisonniers. De toute façon, on arrêtait de<br />
fabriquer à la Toussaint, même lorsque les<br />
briques crues encombraient encore les<br />
séchoirs. Celles-ci recevaient un coup de<br />
gel mais n’en demeuraient pas moins<br />
bonnes pour autant. Les maçons les<br />
réservaient à la construction des murs<br />
épais. Noyées dans le ciment, elles ne<br />
bougeaient pas d’un pouce.<br />
Les briques à vendre étaient charroyées<br />
par les entrepreneurs du bâtiment,<br />
expédiées par le petit chemin de fer ou<br />
livrées directement par les charrettes du<br />
tuilier.<br />
Rien ne se perdait en certaines<br />
campagnes, pas même les tuileaux qu’il<br />
fallait remplacer avant l’automne. On en<br />
comblait les nids de poule des chemins.A<br />
Boynes, les villageois les réduisaient en<br />
poudre à l’aide d’un large maillet puis en<br />
crépissait leurs façades. Cette mode<br />
donne au vieux bourg, aujourd’hui encore,<br />
une coloration rosâtre qui n’est pas sans<br />
intriguer le voyageur.<br />
A la tuilerie, il y avait un temps pour tout.<br />
Pour le travail évidemment, mais aussi<br />
pour la fête. Le patron n’hésitait jamais à<br />
rincer les gosiers lorsqu’une fournée<br />
s’annonçait particulièrement réussie. Et<br />
<strong>sur</strong>tout la corporation se joignait aux<br />
maçons pour dignement célébrer<br />
l’Ascension.<br />
Ce jour-là, très tôt le matin, les ouvriers<br />
tiraient au fusil sous les fenêtres du<br />
patron. Ce dernier déloquetait ses portes<br />
et invitait tout son monde, compagnons -<br />
tuiliers et bûcherons ensemble, à un<br />
fameux gueuleton qui en avinait plus d’un.<br />
Cette tradition s’est maintenue mais elle<br />
se fait de nos jours la veille de l’Ascension.<br />
La brique creuse et la tuile mécanique<br />
apparurent à la fin de la Grande Guerre.<br />
Dès lors, les modestes tuileries de pays<br />
é<br />
eurent du mal pour répliquer à la<br />
concurrence usinière. La majorité d’entre<br />
elles fermèrent ; les rares autres durent se<br />
spécialiser dans la fabrication de produits<br />
plus affinés, notamment dans celle des<br />
chantignoles ou dans les tuyaux de<br />
drainage.<br />
Seules quelques installations ont été<br />
rénovées et de nouveaux fours furent<br />
construits. Ils comprenaient quatre<br />
chambres pour permettre une cuisson de<br />
roulement, as<strong>sur</strong>ant simultanément les<br />
stades de petit feu, de grand feu, de<br />
refroidissement et de renfournement.<br />
Chacune des chambres est chauffée par<br />
un foyer latéral, d’une profondeur de cinq<br />
mètres, que l’on alimente en dosses non<br />
tronçonnées. Le séchage se fait<br />
artificiellement, par des ventilateurs qui<br />
brassent sans cesse de l’air chaud et<br />
humide, asséché peu à peu. Un concasseur<br />
et un broyeur as<strong>sur</strong>ent aujourd’hui<br />
l’affinage de l’argile. La production s’est<br />
multipliée par trois grâce à ces<br />
améliorations ; elle atteint dorénavant les<br />
r<br />
dix tonnes par jour.<br />
En certaines tuileries du Gâtinais, on<br />
obtenait une pâte de terre en malaxant de<br />
l’argile avec de la « chamotte », qui est de<br />
la tuile cuite rebroyée.<br />
Extraits du livre « Les Gagne-Misère », Jean-<br />
Cyrille Godefroy éditeur, Paris 1985.<br />
Reproduits avec l’autorisation de l’auteur.<br />
* Le bois d’une corde parée était coupé à<br />
116,5cm de longueur exactement<br />
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